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Version finale

29e législature, 2e session
(23 février 1971 au 24 décembre 1971)

Le jeudi 18 mars 1971 - Vol. 11 N° 20

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Réforme électorale


Journal des débats

 

Commission permanente de l'Assemblée nationale

Sujet: Réforme électorale

Séance du jeudi 18 mars 1971

(Neuf heures quarante-trois minutes)

M. PICARD (président de la commission permanente de l'Assemblée nationale): A l'ordre, messieurs!

M. LACROIX: M. le président a communiqué avec moi pour m'informer qu'il ne serait pas ici ce matin et qu'avec la permission des membres du comité M. Picard présiderait la réunion et remplacerait M. Lavoie. M. Brown remplacerait M. Bourassa qui est absent et M. Veilleux remplacerait M. Levesque qui ne peut pas être ici immédiatement. Ceci pour permettre à la commission de procéder étant donné que M. Drouin a une communication à faire et que M. Bonenfant doit terminer son exposé. On ajournera à midi. M. Houde pourrait remplacer M. Garneau.

M. HARDY: La motion de l'honorable député des Iles-de-la-Madeleine est acceptée.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): II y a quorum.

M. HARDY: M. le Président, nous avons ce matin, à 9 h 30, le président général des élections, Me François Drouin qui va nous présenter l'étude qu'il a préparée, à notre demande, sur les listes permanentes ainsi qu'un mémoire sur les amendements qu'il suggère à la Loi de la contestation des élections. A 10 h 30, M. Jean-Charles Bonenfant sera de nouveau devant la commission pour poursuivre son témoignage qui portera plus particulièrement ce matin, je crois, sur la carte électorale. Je pense que nous pourrions immédiatement, si cela agrée aux membres de la commission, entendre Me Drouin sur la question des listes permanentes.

M. LE PRESIDENT: Messieurs les membres de la commission, comme vient de vous en faire part M. Hardy, nous commencerons par les commentaires de Me François Drouin, notre expert permanent de la commission. Par la suite, ce sera M. Bonenfant à 10 h 30. M. Drouin.

Listes permanentes

M. DROUIN: Vous m'avez demandé, il y a à peu près trois semaines, de vous donner par écrit l'opinion du président général des élections concernant les listes dites permanentes et dites définitives. Je vous avais dit dans mon témoignage, que j'étais favorable à un genre de listes permanentes en instituant au Québec un recensement annuel.

J'ai ici un petit document que je vais lire. Je l'aurai pour les journalistes et pour tout le monde, j'en ai 200 copies.

Le président général des élections est favorable à l'établissement d'une liste électorale dite permanente, c'est-à-dire une liste faite annuellement par dénombrement des électeurs avec révision effectuée, lors d'élection, au début de la période électorale.

Il est de toute nécessité de conserver, pour l'inscription des électeurs, les avantages marqués de l'énumération tout en acquérant ceux qui découlent des systèmes de listes permanentes ou définitives.

Etudions immédiatement les avantages d'une énumération annuelle :

Les partis appelés à faire les recommandations nécessaires concernant la nomination des énumérateurs pourraient choisir des personnes beaucoup mieux qualifiées parce qu'ils connaîtraient à l'avance la date de l'énumération;

Les présidents d'élection, sachant que l'énumération doit avoir lieu à tel moment de l'année, seraient en mesure de donner, avant le dénombrement des électeurs, aux recenseurs nommés, des séries de cours concernant leurs devoirs et obligations;

Le président général des élections, six à huit semaines avant l'énumération, pourrait réunir en différents endroits les présidents d'élection pour leur donner des instructions précises sur les exigences de la loi concernant l'énumération;

Des films préparés par le président général des élections seraient remis aux présidents d'élection pour leur permettre d'illustrer leur conférence; également un résumé de la loi, à l'intention des énumérateurs, serait fait et imprimé par le président général des élections et remis à chacun d'eux par chaque président d'élection;

L'énumération fixée au début de mai permettrait aux énumérateurs de dénombrer les électeurs immédiatement après les déménagements du 1er mai;

II serait évidemment prévu qu'à la suite d'une telle énumération les listes électorales seraient révisées, dès l'annonce d'une élection, dans le but de permettre à toute personne ayant les qualités requises pour être inscrite sur la liste de faire les démarches nécessaires, de même que pour permettre à toute personne ou à tout électeur intéressé à faire radier le nom des personnes qui ont perdu ces qualifications;

Ce système permettrait de réduire de dix à quinze jours la période électorale;

Le coût de cette énumération serait moins élevé que les déboursés nécessaires d'une liste électorale dite permanente ou définitive.

Je me permets d'attirer votre attention sur le fait qu'en Australie, bien qu'il y ait un système d'inscription permanente, chaque année on fait une révision dans les endroits urbains en passant

de porte en porte pour recueillir les renseignements nécessaires aux changements à apporter aux listes; en fait cette révision est une énumération.

Cela se trouve dans le rapport du commissaire à la représentation sur les méthodes d'inscription des électeurs en 1968, page 49, partie 2, section 8.

Signalons maintenant les désavantages des listes dites permanentes ou définitives.

La révision de ces listes ayant lieu en dehors de la période électorale, elle intéresse beaucoup moins l'électeur;

L'obligation d'ouvrir dans chaque district un bureau pour l'enregistrement des électeurs et de nommer deux, trois ou quatre personnes, selon les exigences de l'endroit, pour tenir ces bureaux, rendrait cet enregistrement coûteux et très difficile d'accès pour un certain nombre d'électeurs du Québec;

Leur coût serait d'au moins un dollar par électeur par année, soit un minimum de $3,500,000 annuellement;

Les partis seraient dans l'obligation de dépenser des ressources importantes pour inciter les électeurs à se faire inscrire lors de l'ouverture des bureaux d'enregistrement et à faire les vérifications nécessaires durant la révision;

Le système d'inscription permanente ne permet pas de suivre les électeurs qui changent de domicile.

Voici ce que dit M. Castonguay dans son rapport du commissaire à la représentation sur les méthodes d'inscription, page 20, a) observations générales: "Une grande faiblesse des systèmes d'inscription permanente des électeurs est qu'il est difficile de ne pas perdre de vue les électeurs qui changent de résidence. Pour tenter de résoudre ce problème, certains systèmes utilisent l'inscription obligatoire de l'électeur. Cependant, quelle que soit la méthode utilisée pour mettre les listes à jour, leur exactitude au moment d'une élection générale ne peut être qu'en rapport avec le temps écoulé entre la mise à jour des listes et le jour du scrutin. En général, le temps employé à mettre une liste à jour est de quatre à cinq mois."

La liste électorale idéale serait celle qui pourrait être confectionnée et révisée la veille du scrutin.

Techniquement parlant, ceci est une chose impossible.

Donc, la précision d'une liste électorale est proportionnelle aux jours qui s'écoulent entre sa confection et le scrutin; plus il y a de jours, moins elle est précise.

Toutefois, le président général des élections croit de son devoir d'attirer l'attention de la commission de l'Assemblée nationale sur certaines déclarations faites par M. Nelson Castonguay, ancien directeur général des élections à Ottawa — il a présidé à six élections générales — qui a fait, à la demande du Parlement, à titre de commissaire à la représentation, une étude complète sur les méthodes d'inscription des électeurs.

Le comité permanent des privilèges et élections de la Chambre des communes a étudié ce rapport — 119 pages, annexes comprises — et il a entendu le témoignage de M. Castonguay les 24 avril, 29 avril, 1er mai et 7 mai 1969. Au cours de ce témoignage, ce dernier a fait des déclarations qui sont d'une très haute importance.

A la page 107, procès-verbaux et témoignages, no 9, du comité permanent des privilèges et élections, pour les mardi 29 avril, jeudi 1er mai et mercredi 7 mai 1969, M. Castonguay fait la déclaration suivante : "N'allons pas trop noircir notre régime. Il n'existe aucun régime prévoyant tous les cas, si ce n'est la méthode globale très dispendieuse des listes définitives des électeurs. Si vous vouliez adopter cette méthode, il serait possible de prévoir tous ces cas, mais le coût pour une période de quatre ans, par exemple, s'élèverait à environ 44 millions de dollars contre $8 millions à l'heure actuelle.

Etes-vous prêts à dépenser 35 millions de dollars pour assurer un tel service? Si vous estimez que l'autre proposition consistant à raccourcir la période d'élection est d'aucune utilité, vous ne pouvez pas désirer des listes définitives des électeurs dans l'unique but qu'elles soient plus précises, car je ne crois pas qu'aucune autre méthode de listes définitives des électeurs soit plus précise que celle que nous suivons, si nous les comparons sur une période d'une année complète. Je veux parler d'un moment particulier, mais pour une période d'une année, quel que soit le moment où une élection est annoncée, notre méthode est raisonnablement précise; toutefois, la précision des listes définitives des électeurs dépend de la proximité du jour où l'élection est annoncée du moment où se fait la révision."

A la même page du document précité, nous lisons: "Quand une élection est déclenchée, on donne seulement dix jours d'habitude. Le recensement commence le 49e jour. Les candidats ont donc seulement quatre à cinq jours pour choisir 150 recenseurs et les recommander à l'officier rapporteur. A mon avis, si les candidats des circonscriptions urbaines avaient plus de temps pour choisir des recenseurs et pour vérifier s'ils sont disponibles, et s'ils sont compétents, le recensement serait mieux fait."

A la page 108 du même document: "Ce n'est pas raisonnable de croire qu'on peut commencer une élection dans un délai de dix jours. Quand l'élection est déclenchée, l'officier rapporteur ouvre son bureau. Je ne parle pas du système rural; je parle du système urbain. Les candidats donnent une liste; l'officier rapporteur rassemble 300 recenseurs dans son bureau et le recensement doit commencer le 49e jour. Pour ma part, le système que je préconiserais serait que les candidats aient au moins dix jours

pour choisir les recenseurs et qu'une période de trois semaines soit accordée avant de commencer le recensement. Je sais que cela signifie une campagne électorale de 70 ou 71 jours, mais il y a d'autres façons de réduire les dépenses; s'il n'y a pas de radio, de télévision, d'annonces dans les journaux, rien, pour seulement les derniers trente jours, alors, les déboursés sont moindres pour les partis politiques."

Aux pages 110 et 111, M. Castonguay nous dit: "Dans nos délibérations, la semaine dernière, je ne me suis pas précisément opposé à l'établissement d'une liste définitive des électeurs, mais voici ce que j'ai fait remarquer. Si vous voulez une telle liste dans l'unique but d'avoir une liste plus précise, je vous rappelle qu'une liste définitive ne se tient pas à jour automatiquement. Pour ce qui est de laisser aux électeurs le soin de mettre la liste à jour, nous en avons fait l'expérience au Canada en 1934, quand nous avons adopté une liste définitive des électeurs.

La liste originale avait été établie à l'automne de 1934 et il n'y avait aucun moyen d'y faire inscrire ou rayer son nom, sauf au cours d'une période de six semaines allant du 1er juin au 15 juillet.

La révision s'est faite en 1935 au cours de cette période, et c'est à l'électeur qu'il incombait de faire connaître au registraire tout changement survenu dans son état civil. L'élection était prévue pour octobre 1935, et ce fut un beau chahut, car personne ne pouvait y faire inscrire ou rayer son nom. Par conséquent, immédiatement après l'élection, on a institué un comité spécial chargé d'étudier la question; la liste définitive des électeurs, l'inscription obligatoire, le vote obligatoire. Le comité a été unanime à recommander que l'on ne devrait plus jamais adopter une liste définitive des électeurs au Canada.

Au cours des entretiens — parce qu'il est bon de remarquer que M. Castonguay s'est déplacé; il est allé en France étudier le système français; il est allé en Angleterre, il est allé aux Etats-Unis, en Nouvelle Zélande, en Colombie-Britannique, en Australie; il est allé sur les lieux et a vu les systèmes — que j'ai eus avec les agents électoraux de tous les pays où je suis allé, comme les Etats-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et la France, ils soutiennent que notre méthode pour une année complète permet d'avoir une liste plus précise pour une élection ordonnée durant l'année par rapport à n'importe quelle des méthodes qu'ils suivent.

A la suite du témoignage de M. Castonguay, le comité permanent des privilèges et élections de la Chambre des communes a présenté à la Chambre son sixième rapport qui se lisait comme suit : "Conformément à l'ordre de renvoi du 2 avril 1969 qui se lit: "II est ordonné que le rapport du commissaire à la représentation sur les méthodes d'inscription des électeurs et de vote des absents en 1968, établi conformément à l'article 9 de la loi sur le commissaire à la représentation, soit renvoyé au comité permanent des privilèges et élections."

Le comité a tenu cinq réunions et a entendu à titre de témoin M. Nelson Castonguay, commissaire à la représentation.

Après avoir étudié ledit rapport et en considération des témoignages reçus, le comité est d'avis que l'établissement d'un système permanent d'enregistrement des électeurs au Canada, semblable à ceux mentionnés au rapport du commissaire à la représentation, n'est pas re-commandable puisqu'il soulève plus de problèmes qu'il n'en solutionne."

M. LE PRESIDENT: M. Drouin, messieurs, après avoir étudié la question, j'en suis venu à la décision unanime, personnelle, que j'avais le droit d'apporter une correction à ce qui avait été dit la semaine dernière lors de la réunion, alors que je mentionnais qu'il y avait plusieurs comtés de la province qui chevauchaient les régions administratives. Un membre de la commission avait mis en doute cette déclaration. J'aimerais apporter la précision suivante: Après vérification, en effet, il y a seize comtés, et j'apporte ici une correction.

M. Drouin nous dit ce matin qu'il y a même 18 comtés dont les limites actuelles chevauchent les régions administratives de la province. Est-ce exact, M. Drouin?

M. DROUIN: II y en a seize qui chevauchent deux régions et deux qui en chevauchent trois. Si cela peut vous intéresser, je vais vous les énumérer: Abitibi-Est chevauche 8, 2 et 4 —je pourrai fournir une photocopie de cela si ça intéresse les députés; ç'a été préparé par M. Fernand Martel, géographe-chef de la division des limites territoriales au ministère des Terres et Forêts— Berthier, 6 et 7; Chauveau, 3 et 4; Dubuc, 2 et 10; Duplessis, 9 et 10; Frontenac, 3 et 5; Joliette, 6 et 7; Labelle, 6 et 7; Lotbinière, 3 et 4; Maskinongé, 4, 6 et 7; Mégantic, 3 et 4; Montcalm, 6 et 7; Papineau, 6 et 7; Portneuf, 3 et 4; Richmond, 5 et 4; Rimouski, 1 et 3; Roberval, 2 et 10; Shefford, 6 et 5; Wolfe, 3 et 5; Yamaska, 4 et 6.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Drummond.

M. PINARD: M. Drouin, je vous remercie pour votre rapport qui nous éclaire à bien des points de vue. Si vous voulez, ma question va se limiter à l'aspect financier de tout changement qui peut survenir dans la confection de la liste électorale.

Il est indéniable qu'il y a des avantages marqués à avoir une liste permanente et il est également indéniable qu'il y a de très sérieux désavantages à utiliser ce nouveau système. Cependant, compte tenu de ce qu'il en coûte

pour faire l'émunération à l'occasion du déclenchement d'une élection et de toutes les autres dépenses connexes pour la tenue d'une élection, par rapport aux dépenses qu'il faudrait encourir pour que cette liste d'électeurs soit mise à jour annuellement, comment voyez-vous ce tableau des dépenses, toutes comparaisons faites?

M. DROUIN: A un minimum d'un dollar par année, par électeur. Ce qui n'est pas...

M. PINARD: Ce qui nous ferait une dépense annuelle de...

M. DROUIN: De $3,5 millions. M. PINARD: ...$3,5 millions.

M. DROUIN: Parce qu'actuellement on peut évaluer l'électorat à 3,5 millions. Nous avions 3,471,000 à l'élection du mois d'avril dernier.

M. PINARD: A combien peut se chiffrer une élection, compte tenu de votre travail d'énumé-ration et de tout l'appareil même de la mise en marche d'une élection, en dehors des dépenses faites par les partis proprement dits?

M. DROUIN: L'élection d'avril dernier a coûté au gouvernement, y compris les remboursements faits aux candidats, un peu plus de $8 millions, tout près $9 millions.

M. PINARD: Si on adoptait la liste permanente, il faudrait ajouter $3,5 millions par année...

M. DROUIN: $14 millions. M. PINARD: $14 millions. M. DROUIN: Au minimum.

M. PINARD: Si l'on tient pour acquis qu'il n'y aura pas d'élection avant quatre ans, car le mandat d'un gouvernement est de cinq ans, mais par tradition il a été de quatre ans ce qui fait 3 millions et demi multipliés par 4 dans l'intérim, entre les deux élections, plus la dépense à faire au moment du déclenchement de l'élection...

M. DROUIN: Evidemment. Vous doublez plus que la dépense d'une élection. Et pourquoi? Il faut se demander pour quelles raisons. Est-ce que l'on fait des élections plus vite dans le but de gagner? Si vous faites des élections plus rapidement, qu'allez-vous y gagner? Dix jours, douze jours ou quatorze jours. En somme, — il faut tout de même le penser — si vous déclenchez des élections plus vite, cela favorise le gouvernement au détriment des partis d'opposition parce qu'ils peuvent être pris par surprise, comme on dit.

Puis, si on veut une liste plus précise, M.

Castonguay, qui est l'expert des experts, n'est-il pas allé sur les lieux pour étudier? Si vous prenez la liste de la Grande-Bretagne, elle est dressée, puis révisée et tout le processus se termine un 16 février. Or, celle qui est entrée en vigueur un 16 février va servir pour toutes les élections qui vont être tenues du 16 février 1971 au 15 février 1972, sans aucun changement, sans radiation, sans inscription et sans addition. Celui qui entre-temps devient éligible au vote ne peut pas voter.

M. PINARD: II peut y avoir discrimination ou — comment dit-on en français — "défranchiser". Il peut y avoir une possibilité de "défranchiser" un électeur éligible au vote?

M. DROUIN: C'est une liste définitive qu'on appelle. En France, on a une liste qui permet certaines modifications, mais pour certaines classes de personnes. Les militaires et leurs épouses, les fonctionnaires et aussi par jugement de la cour de cassation. A part cela, on ne fait aucun changement.

M. PINARD: Est-ce que vous êtes capable de nous dire quels seraient les avantages au plan financier d'une mise à jour de la liste des électeurs dans un système de refonte de la liste électorale faite annuellement par rapport aux 10 à 14 jours, dont vous avez parlé? Que pourrait-on épargner au point de vue du temps? Avez-vous été capable d'établir des chiffres comme économie possible par rapport aux autres dépenses dont on vient de parler?

M. DROUIN: L'énumération annuelle coûterait environ $2 millions. Si vous payez les énumérateurs suivant le coût de l'an dernier, j'évalue cela avec l'augmentation possible des électeurs, à environ $1,600,000. Il faudrait payer les présidents d'élection pour le travail qu'ils sont obligés de faire durant ce temps-là. Nous sommes capables de faire cela pour $2 millions.

M. PINARD: Pour $2 millions... M. DROUIN: ... par année.

M. PINARD: A ce moment-là, est-ce que cela signifie que les élections auraient lieu à une date fixe?

M. DROUIN: Pas nécessairement. M. PINARD: Pas nécessairement? M. DROUIN: Non.

M. PINARD : Est-ce que des élections à date fixe ont lieu à l'intérieur de systèmes comme ceux qui ont été évoqués dans d'autres pays?

M. DROUIN: Si vous aviez des élections à date fixe, on pourrait mettre une énumération à date fixe.

M. PINARD: Oui.

M. DROUIN: On pourrait la mettre trois mois avant puisque c'est su, c'est connu.

M. PINARD: Oui.

M. DROUIN: Alors, on la ferait.

M. PINARD: Est-ce que ça vous semblerait un système préférable à celui qui est préconisé ici avec le tableau des avantages?

M. DROUIN: II faudrait changer passablement tout notre système d'Assemblée nationale, de cabinet et tout. Il faudrait remettre tout cela en question. Evidemment, le vrai moyen idéal serait d'allonger la période électorale d'une dizaine de jours, d'empêcher les dépenses électorales avant le trentième jour qui précède le scrutin et de laisser aux recenseurs le temps de faire un bon recensement, une bonne révision et de préparer tout cela. Comme le dit M. Castonguay, il faudrait prendre le délai de 60 jours et le porter à 70 à Ottawa. Ici, le minimum actuellement est de 46 jours. Si on le portait à 57 ou 58 jours, on aurait d'après moi l'idéal. Mais entre deux maux tout de même, il y a le recensement annuel qui serait bon.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Drouin, est-ce que le fait d'établir le scrutin à date fixe — disons tous les quatre ans, le 1er novembre — pourrait réduire le coût du recensement et de la confection d'une liste permanente des électeurs?

M. DROUIN: Si vous avez un scrutin à date fixe et que vous voulez quand même avoir une liste permanente, vous allez être obligé de payer le coût d'un dollar par année. De plus, si vous avez des élections à date fixe, on pourrait faire le recensement 60 et 70 jours avant le jour qui est fixe et on pourrait préparer les recenseurs deux mois ou deux mois et demi à l'avance. Nous pourrions donner des conférences. A mon point de vue, on aurait des personnes qualifiées.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Drouin, voici pourquoi je vous pose cette question. C'est que dans le cas des personnes qui seraient appelées à faire le recensement ou le dénombrement des électeurs, à partir du moment où vous les auriez initiées et leur auriez donné des cours, il y en a évidemment qui disparaîtraient fatalement parce qu'il y a des gens qui meurent ou des gens qui abandonneraient, mais il y aurait quand même un groupe important de ces personnes appelées à la confection des listes qui seraient depuis longtemps initiées.Ce qui vous amènerait évidemment à réduire, d'année en année, le coût que peut représenter ce travail d'initiation et de préparation des réviseurs, des recenseurs, etc. Est-ce que du fait qu'on aurait un scrutin à date fixe, on ne pourrait pas, une fois pour toutes, mettre des mécanismes en place qui, au départ, coûteraient certainement de l'argent — comme vous l'avez indiqué — mais dont le coût serait petit à petit amorti du fait que ces gens-là deviendraient des fonctionnaires permanents du gouvernement et, s'occupant uniquement de cela, pourraient au fur et à mesure mettre à jour les listes?

M. DROUIN: Si vous avez des fonctionnaires permanents partout pour s'occuper des listes, cela va vous coûter encore plus cher que ce que je vous dis là. Cela va être plus coûteux qu'un dollar par année.

Il faut bien penser que dans une province comme la nôtre — abstraction faite du nombre des décès qui est assez élevé — les mutations sont énormes. Des mutations d'abord dans un même district — on part d'une rue pour s'en aller à l'autre — des mutations d'une ville à une autre ville, dans toute la province; des mutations de personnes qui arrivent dans la province de Québec ou qui en sortent. C'est énorme. On doit me donner le...

Je l'ai déjà fait pour la ville de Québec lorsqu'on a préparé la Loi électorale municipale. Nous nous sommes rendu compte qu'à Québec, par mois, il y avait 474 mutations différentes, de personnes qui entraient dans la ville ou qui en sortaient. Non pas celles qui se déplaçaient dans la ville même. Vous voyez que c'est énorme.

Comme me le disait M. Castonguay: En Angleterre, on ne change pas de domicile. C'est dans les habitudes, c'est la tradition; on reste dans sa petite maison même si on va travailler ailleurs, on se déplace plutôt pour aller travailler, on ne déménage pas. Chez nous il y a énormément de mutations.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous ne pensez pas que cela pourrait en réduire le coût?

M. DROUIN: Je ne le crois pas. Evidemment ça réduirait le coût si nous avions une élection à date fixe et si nous faisions 1'énumération trois mois avant. Dans ce cas-là, cela réduirait le coût des listes permanentes ou le coût d'une énumération annuelle mais ça reviendrait à peu près au même coût que l'on paie aujourd'hui.

M. LE PRESIDENT: Le député de Frontenac.

M. DUMONT: De Mégantic.

M. LE PRESIDENT: Excusez-moi.

M. DUMONT: Merci, M. le Président. Dans les chiffres qu'on a donnés au ministre et député de Drummond et pour lesquels il a obtenu une explication, il faut tout de même tenir compte du montant $1,600,000 que le président des élections vient de donner, montant qu'il en coûte pour faire le recensement.

On dit que la liste permanente est dispendieuse — on a parlé de $14 millions— il faut tout de même y enlever $1,600,000 qu'on est obligé de débourser à toutes les élections pour faire l'énumération. Qu'on le veuille ou non il faut la faire lorsque les élections arrivent. C'est une précision que je voulais apporter.

Vous avez semblé, M. Drouin, vous prononcer catégoriquement contre la liste permanente. Je crois cependant que c'est surtout pour une question de déboursé et je crois voir dans le rapport de M. Castonguay à peu près la même objection: le déboursé. Considérant cette chose, pour me permettre d'avoir plus d'explications, est-ce que, dans la liste que vous réclamez et qui se ferait annuellement, vous considérez le coût du déboursé malgré tout? Celle que vous avez recommandée.

M. DROUIN: C'est-à-dire que le recensement annuel coûterait $1,600,000...

M. DUMONT: C'est ça qui coûte $1,600,000.

M. DROUIN: ... plus les honoraires qu'il faudrait verser à nos présidents d'élection et un secrétaire d'élection temporaire pour le travail fait. Quand ça se serait élevé à quelques milliers de dollars — on en a 108 et une allocation entre $500 et $1,000 est suffisante... Quand je dis $2 millions, je suis sûr que ça ne dépasserait pas ça.

J'aime mieux donner des chiffres et que ça coûte meilleur marché que plus cher. Je crois qu'avec $1,650,000 nous pouvons faire une énumération annuelle.

M. DUMONT: Cela voudrait dire que la différence entre la liste permanente et la liste annuelle que vous réclamez serait de $2 millions. L'équivalent si c'est une liste permanente?

M. DROUIN: Oui.

M. DUMONT: Est-ce que vous voyez une objection à ce que, dans les municipalités où nous avons des employés à temps partiel et qui pourraient devenir des employés permanents, où il y aurait déjà des différences au point de vue du salaire, on ajoute des montants pour qu'ils deviennent permanents et qu'on leur permette de confectionner ces listes puis d'avoir des ententes avec Québec pour que la liste devienne une liste permanente et que, par surcroît, Québec vende tous ces services à Ottawa pour permettre que les déboursés deviennent moindres parce que les électeurs partout au Canada votent maintenant à 18 ans? Est-ce que vous voyez quelque problème à ce que le Québec agisse de cette façon?

M. DROUIN: Vous revenez au système qui existait avant que le gouvernement Godbout vote la loi de 1942 et décrète l'énumération.

M. DUMONT: C'est toujours au sujet de la liste permanente que je vous pose la question.

M. DROUIN: Les listes étaient alors rédigées par les secrétaires-trésoriers tous les deux ans. Les secrétaires-trésoriers n'ont pas les noms de tous les gens. Ils ont seulement les noms de ceux qui apparaissent au rôle d'évaluation. Il y avait, à la suite de cela, des révisions qui ne finissaient plus. De 1936 à 1939, il y avait eu une révision dans la ville de Québec. Je crois que, pour un seul district électoral, il y avait eu une seule personne qui avait demandé l'enregistrement de 3,000 noms. C'est un parti politique qui avait fait ça.

M. DUMONT: Par les municipalités, vous n'êtes pas d'accord.

M. DROUIN: Par les municipalités, non, parce qu'elles ne peuvent pas prendre tout le monde. Nous aurons des listes où on aura un résident et on le placera sur la liste.

M. DUMONT: C'est une très bonne réponse pour les municipalités. J'en reviens à ma dernière question à savoir si M. Castonguay trouve que le déboursé pour une liste permanente serait de $35 millions pour tout le Canada. Agissant immédiatement, en ayant une liste permanente du Québec et en vendant les services au Canada, ne pourrions-nous pas récupérer $6 millions et de ce fait même avoir un déboursé très réduit pour une liste permanente qui semble être très avantageuse?

M. DROUIN: Ce serait très difficile de vendre notre liste au Canada.

M. DUMONT: Pourquoi?

M. DROUIN: Parce que, premièrement, je crois que le Canada ne prendrait pas la liste de la province de Québec à moins de prendre celle de l'Ontario, si l'Ontario avait une telle liste. Deuxièmement, la liste électorale de la section 10 du district électoral de X pourrait chevaucher sur deux districts électoraux fédéraux. Ce ne sont pas les mêmes districts électoraux.

M. DUMONT: Je veux dire donner la liste permanente de toutes les personnes qui ont atteint 18 ans et éliminer celles qui sont décédées. On divise par 74 comtés et nous divisons par 108 ou 110.

M. DROUIN: Cela ne peut pas se faire. Nous avons tout près de 16,000 sections dans la province. Il faut que les listes soient faites par section. Autrement, vous allez arriver avec M. Bernard Dumont, par exemple, et il peut arriver qu'il y en ait 50 dans la province.

Ils diront: Où mettre celui-là, où mettre cet autre? Comprenez-vous? Il faut que ce soit fait par section. Etant fait par section, vous pouvez

avoir une section au provincial dans le district électoral qui est partie dans un autre district fédéral et partie dans l'autre. Nous n'avons pas les mêmes divisions.

M. LE PRESIDENT: Le député de Bourget.

M. LAURIN: M. Castonguay, j'aurais une ou deux questions à vous poser. Vous avez dit que le coût annuel de votre système serait de $3,500,000. Si on fait le décompte de ces dépenses, vous dites que l'énumération coûterait $1,600,000, que les frais pour les présidents d'élection et tout le reste, ça pourrait monter à $2 millions, d'où vient la différence de $1,500,000 que ça coûterait de plus annuellement?

M. DROUIN: Si vous transposez ici le coût d'une liste permanente telle qu'on l'a en Australie, elle revient à $0.45 le nom. Si vous transposez le coût en argent et le coût de la vie d'ici, vous êtes obligés de transposer à un dollar.

M. LAURIN: Donc, c'est par pure déduction que vous en êtes arrivé à ce résultat.

M. DROUIN: Oui.

M. LAURIN: Une deuxième question. Vous êtes probablement au courant qu'à la suite de la déposition du rapport de M. Castonguay, il y a eu une sorte de contre-rapport qui a été présenté au fédéral par la Société de mathématiques appliquées, où on faisait valoir que le coût prévu par M. Nelson Castonguay était beaucoup trop élevé, qu'en prenant une autre base de calcul et une autre façon de fabriquer la liste électorale permanente, on en arrivait à des coûts de beaucoup inférieurs.

Par exemple, là où M. Nelson Castonguay prédisait un coût de $16 millions, la Société de mathématiques appliquées prévoyait un coût de $2,500,000 par année, selon une méthode différente de collection des données, et selon l'utilisation aussi massive des nouvelles méthodes de cybernétique, c'est-à-dire, par l'ordinateur. Est-ce que vous avez eu l'occasion d'étudier ce contre-rapport scientifique de la Société de mathématiques appliquées?

M. DROUIN: J'ignorais même l'existence de ce rapport.

M. LAURIN: Je vous ai donné une idée de la validité des objections qui...

M. DROUIN: Je ne l'ai pas en ma possession, ce rapport-là, je ne l'ai même pas étudié.

M. LAURIN: Je me demandais, alors, M. le Président, s'il serait possible de faire déposer devant la commission, ce rapport de la Société de mathématiques appliquées.

M. LE PRESIDENT: Je note la demande du député de Bourget.

M. LAURIN: Ainsi qu'un autre rapport de la Société de mathématiques appliquées qui a été soumis au ministère du Bien-Etre et de la Famille, sur la constitution d'un fichier démographique des Québécois.

M. HARDY: M. le Président, avant que nous acceptions le dépôt de ce rapport, est-ce que je pourrais demander au député de Bourget si cela implique, qu'on a fait l'étude du coût advenant le cas où la Société de mathématiques appliquées serait engagée pour faire ces travaux?

M. LAURIN: Non, non.

M. HARDY: Etait-ce une espèce de soumission de la part de la SMA?

M. LAURIN: Non. C'était une étude faite par la SMA sur le rapport Castonguay.

M. HARDY: Mais cela impliquait qu'on re-courerait, sinon à la SMA...

M. LAURIN: Non, non.

M. HARDY: ... cela impliquait qu'on recou-rerait au moins à une firme semblable pour...

M. LAURIN: C'est-à-dire à des méthodes différentes...

M. HARDY: Ou à l'ordinatrice.

M. LAURIN: Ce serait tout à fait indécent pour une compagnie de soumettre un rapport et de demander à la fin qu'on lui soumette un contrat.

M. HARDY: C'est-à-dire que je savais bien que ce n'était pas fait de cette façon.

UNE VOIX: Ce ne serait pas la première fois.

M. HARDY: Je présumais que ce n'était pas fait d'une façon aussi explicite. Mais, je me demandais si...

M. LAURIN: Je pense que nous parlons...

M. HARDY: Les méthodes suggérées n'étaient pas celles que, peut-être, la Société de mathématiques appliquées ou très peu d'organismes étaient incapables de faire.

M. LAURIN: Je pense, M. le Président, que la cybernétique est une méthode qui est maintenant utilisée dans presque tous les domaines: la rationalisation budgétaire, les choix prioritaires des ministères...

M. HARDY: Le PPBS.

M. LAURIN: Le PPBS. Donc, je pense bien que cela se situe au-dessus de ces considérations personnelles.

M. HARDY: M. le Président, en ce qui me concerne, je n'aurais aucune objection à ce que ces rapports soient déposés, toujours dans la perspective que plus les membres de la commission seront informés, renseignés, plus les décisions que nous prendrons seront justifiées et reposeront sur des critères objectifs.

M. LE PRESIDENT: Les membres de la commission me permettront sans doute de faire une autre suggestion. On parle souvent de la difficulté qu'il y a d'avoir, de dresser une liste permanente, qui contiendra éventuellement 3,500,000 noms, et du délai requis. J'aimerais, à l'occasion du rapport que l'on demande, savoir s'il n'y aurait pas possibilité d'apprendre de la compagnie de téléphone Bell quelles méthodes elle utilise. Je faisais un relevé approximatif de l'annuaire téléphonique de la ville de Montréal. Il contient près de 800,000 inscriptions dont au moins le quart sont corrigées tous les ans. Or, l'on réussit à publier au-delà de 600,000 exemplaires dans un délai de deux mois.

M. LAURIN: J'ajouterais même l'Hydro-Québec...

M. LE PRESIDENT: Je pense que, parmi les rapports que nous devrions demander, nous pourrions nous informer des méthodes utilisées par des compagnies comme celles-là pour compiler ces inscriptions — n'oubliez pas qu'il s'agit de 800,000 inscriptions — par ordre alphabétique.

M. LAURIN: II y a aussi l'Hydro-Québec.

M. DROUIN: M. le Président, me permettez-vous un mot? Leur système est un système qui demeure. Vous me suivez? On y garde d'année en année tout ce qu'il faut pour imprimer, on le garde monté, on n'y apporte que des modifications. Je vous réponds: En Colombie-Britannique, on a ce système. Je ne dis pas que c'est le système de la compagnie de téléphone Bell. On y a ce système de listes, avec révision annuelle pour faire les changements. Les personnes peuvent demander des changements. Lorsque la liste n'est pas conforme, le cabinet provincial a le droit de l'annuler dans certains districts et de faire un recensement. Or, en août 1970, M. Bennett, premier ministre de la Colombie-Britannique, a tenu des élections. Il a annulé toutes les listes électorales permanentes de la Colombie-Britannique et a fait faire de l'hiver au printemps un recensement qui a servi à l'élection de 1970. Il y avait en effet trop de changements et les listes n'étaient pas tenues à jour. Ce n'est pas facile de tenir une liste à jour.

M. LE PRESIDENT: Le député de Saint-Louis, s'il vous plaît.

M. BLANK: Je veux justement vous poser une question au sujet de la liste permanente, puisque vous parlez de la Colombie-Britannique. Votre objection à la liste permanente ou les désavantages que vous nous avez démontrés, c'est la question du coût et de savoir si nous aurons une meilleure liste pour faire le recensement plus avant, au jour de la période électorale. Il semble que ce soit le but recherché par tout le monde de rendre la période électorale plus courte qu'avant, à cause du nouveau système de communications. N'est-il pas possible d'avoir un mariage des systèmes, comme en Colombie-Britannique? Disons que vous faites maintenant un recensement permanent pour avoir une liste permanente. Vous commencez avec une liste permanente. Chaque année, vous avez une période de révision. Mais, si nous avons 45 jours pour faire une élection, les premiers 23 jours, vous avez une autre révision. C'est-à-dire que, lors de la dernière révision avant les élections, les partis politiques seront intéressés, nous aurons une révision et il n'y aura donc pas besoin de recensement. C'est le mariage des deux systèmes.

M. DROUIN: Mais, regardez bien, dans les pays où on a des listes permenentes, les révisions qui sont faites sont l'équivalant de notre énumération. On y envoie des avis, mais on passe de porte en porte pour faire la révision.

M. BLANK: Je ne parle pas de cette sorte de révision, je parle d'une révision d'une période de deux mois durant l'année. Il y a des annonces durant six semaines dans les journaux. Si vous voulez faire changer la liste électorale, vous allez à telle ou telle place, et vous avez peut-être les deux dernières semaines ou la dernière pour faire des contestations et exiger des changements. Cela veut dire que c'est une question de volonté de la personne. Durant la période électorale, nous avons encore une révision, mais pas un recensement. Cela veut dire que vous ne perdez ni votre temps ni votre argent pour faire un autre recensement, mais seulement une révision, et, cette fois-ci, elle est garantie et suivie par les partis politiques et les candidats.

M. DROUIN: Votre première révision, M. le député de Saint-Louis, n'apportera pas grand-chose...

M. BLANK: Cela ne fait rien.

M. DROUIN: ... parce que l'électeur ne se déplacera pas en dehors du temps électoral.

M. BLANK: D'accord.

M. DROUIN: Et quand on va arriver à l'élection, on va avoir une révision énorme et on n'en sortira pas.

M. BLANK: Pourquoi trois semaines...

M. DROUIN: Remarquez bien que, quand je parle de l'argent, quand je parle du coût, ce n'est pas nécessairement le critère nécessaire, mais si on veut avoir des listes plus précises, on n'obtiendra pas de listes plus précises avec les listes permanentes. C'est ce que dit M. Caston-guay, et il nous dit après cela: Si c'est simplement pour réduire la longueur des campagnes de dix à quinze jours, êtes-vous prêts à payer $44 millions pour réduire cela de quinze jours? C'est là le point. Le point n'est pas de dire: Voulez-vous des listes permanentes, même si cela coûte cher? Mais si c'est pour avoir des listes plus précises, vous faites erreur. Si c'est pour réduire le temps de la campagne, réduisez-le autrement. Déclarez qu'il n'y a pas de radio, pas de télévision, pas de journaux, pas d'annonces, rien, sauf les conventions avant le trentième jour. Alors, le taux est...

M. LE PRESIDENT: Messieurs, avant de céder la parole au député de Rouyn-Noranda, j'aimerais savoir si les membres de la commission sont d'accord qu'on obtienne les deux rapports dont a fait mention tantôt le député de Bourget. De même, je voudrais savoir si nous devons donner des instructions au secrétaire de la commission pour obtenir les informations de la compagnie Bell Canada. Etes-vous d'accord là-dessus? M. le député de Drummond.

M. PINARD: M. le Président, ce n'est pas une objection formelle que je fais. Je serais d'accord que tous ces documents d'information soient donnés aux membres de la commission parlementaire, mais comme ces témoins n'auront pas été convoqués devant la commission parlementaire, il ne faudrait pas accepter la documentation qui nous sera fournie comme étant l'équivalent d'un témoignage qui aurait pu être rendu par les personnes qui sont les auteurs des documents que nous aurons.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, à propos de ces documents, je serais très heureux qu'on les dépose. Toutefois — et cela rejoint la pensée du député de Drummond — est-ce qu'il serait possible de confier immédiatement ou dans les plus brefs délais — l'analyse de ces documents?

M. DROUIN: II faudrait savoir ce que cela coûte.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): II s'agirait de voir quels sont les critères qui ont servi à la Société de mathématiques appliquées, par exemple, pour dire qu'il en coûterait beaucoup moins cher que ne le prévoit M. Castonguay pour établir des listes permanentes en vertu d'un nouveau système de calcul. En effet, ces documents vont nous arriver entre les mains et nous ne sommes pas des spécialistes dans ce domaine de la compilation et de l'interprétation des données. Nous aurons entre les mains des documents d'ordre technique. Je serais extrêmement heureux si la commission pouvait de mander à un spécialiste de faire l'examen, afin d'examiner les critères qui ont servi à la Société de mathématiques appliquées pour en venir aux conclusions qu'elle propose dans ses rapports. Autrement, les documents ne nous seront pas utiles à moins qu'on appelle à témoigner les personnes qui ont rédigé ces documents.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, vous êtes d'accord qu'on demande de déposer ces documents, à titre d'information seulement, quitte à en faire faire l'analyse par des experts, et ceux-ci seront probablement appelés à témoigner devant la commission. Tout le monde est d'accord?

M. HARDY: Pour faire suite à la dernière suggestion du député de Chicoutimi, je propose qu'on autorise le secrétaire de la commission, M. Desmeules, à essayer de trouver des spécialistes. Lors de la prochaine réunion, il pourrait suggérer les noms des spécialistes qui seraient appelés à faire l'étude du rapport de la SMA et d'autres rapports. Peut-être pourrions-nous demander à M. Desmeules de faire les démarches préliminaires pour trouver des noms de spécialistes qui seraient en mesure de faire l'étude de ces rapports.

M. LE PRESIDENT: Tout le monde est d'accord. Le député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: M. le Président, j'aimerais émettre mon opinion concernant la suggestion faite tantôt de voir à étudier les méthodes de la compagnie Bell ou de l'Hydro-Québec, par exemple. A mon avis, cela ne devrait pas nous aider tellement pour la bonne raison que ces compagnies qui tiennent leurs listes à jour ont la collaboration obligatoire du client. Lorsqu'un client change d'endroit, c'est lui qui voit à faire suivre son appareil de téléphone ou à faire brancher son électricité, tandis que lorsque nous faisons affaire avec des électeurs, c'est différent.

En pratique, les électeurs ne se déplacent pas pour des révisions de listes électorales, sauf à la dernière minute. Souvent, en pratique, il arrive que l'électeur s'aperçoive, la journée de l'élection, que son nom n'est pas sur la liste électorale. C'est seulement à ce moment qu'il s'en inquiète. C'est mon opinion à ce sujet.

Je voudrais poser une question à M. Drouin. Dans l'éventualité d'allonger le délai de la période électorale, ce dont vous nous avez déjà parlé — ce qui nécessiterait peut-être de contrôler les dépenses, c'est-à-dire de ne pas permettre de dépenses avant la trentième journée, soit des dépenses de télévision, radio, etc — est-ce qu'il vous parait facile ou même possible de contrôler ces dépenses? Je pense, par exemple, à la possibilité de ne pas permettre de dépenses électorales avant la trentième ou la cinquantiè-

me journée. Ce ne serait peut-être pas facile de contrôler la publicité électorale qui sera faite sous un aspect différent de celui que nous connaissons par les dépenses ordinaires des élections. Est-ce qu'il y aurait possibilité par une loi ou un contrôle que vous pourriez exercer de maintenir l'équilibre?

M. DROUIN: Très facile. Vous pouvez calculer que 90 p. c. à 95 p. c. des dépenses électorales sont de la publicité. Si vous défendez la radio, la télévision et les journaux et qu'à ce moment-là le journal publie il est aussi coupable que l'autre d'après notre loi.

Deuxièmement, dans des amendements à la Loi électorale déposés ici, j'ai suggéré qu'à toute violation de la section des dépenses électorales le président général des élections soit autorisé à prendre lui-même les actions. C'est très facile d'empêcher, avant le trentième jour, cette sorte de dépenses.

M. SAMSON: Cela va pour les dépenses concernant la publicité payée. Si 50 jours avant les élections il y a de la publicité non payée par la voie de la radio, des journaux ou la télévision...

M. DROUIN : La dépense non payée est aussi défendue que la dépense payée.

M. SAMSON: Ah bon! Cela répond à ma question.

M. DROUIN : Cela est inclus dans les dépenses. Si vous me le permettez, M Bonenfant devant arriver ici d'ici cinq ou six minutes, est-ce que je pourrais déposer mon autre rapport?

M. HARDY: M. le Président, je voulais suggérer que, M. Drouin, comme il est notre expert permanent, sera toujours avec nous sauf la semaine prochaine...

M. DROUIN: La semaine prochaine, je serai absent.

Loi de la contestation des élections

M. HARDY: Votre deuxième rapport sur la Loi de la contestation des élections, à mon sens, est très important. Je reprends ce qu'on avait déjà dit — et ce que le chef de l'Opposition officielle avait dit en particulier — il est urgent, et les récents événents nous l'ont encore confirmé, il est extrêmement important que la commission en arrive à des décisions quant à la Loi de la contestation des élections. Je sais que vous avez préparé un rapport et qu'il conviendrait également que nous consacrions un certain temps à l'étudier avec vous. Je me demande si on ne pourrait reporter à une autre séance l'étude de votre rapport sur la Loi de la contestation des élections. Les députés pourront en prendre connaissance d'ici là puisqu'il a été distribué et nous serons en mesure — les députés seront mieux en mesure — de le discuter avec vous au cours d'une prochaine séance de la commission.

M. DROUIN: Très bien.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je crois qu'il serait important de consacrer une séance spéciale, et peut-être deux, à la Loi de la contestation des élections parce qu'il nous faut d'abord avoir la loi, la réexaminer afin de vous poser, M. Drouin, les questions pertinentes. Il s'agit d'une matière assez technique d'ordre rigoureusement juridique et nous n'aurions pas le temps ce matin d'examiner ce problème d'autant plus que nous n'avons même pas encore épuisé le sujet de la liste permanente.

M. DROUIN: Vous savez, M. le député de Chicoutimi, ce document n'est pas limitatif. Il ne comprend pas non plus les amendements de concordance qu'il faudrait y apporter.

M. HARDY: C'est une question de principe.

M. DROUIN: C'est simplement un début pour accélérer les procédures. Que devrions-nous faire pour les accélérer? C'est tout ce qui est dit dans ce document.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Lafontaine.

M. LEGER: Avant que le président des élections nous quitte, je veux simplement lui poser la question suivante. Dans l'énumération des désavantages concernant les listes permanentes, globalement les deux arguments majeurs — parce qu'il y en a qui sont mineurs — sont le coût et la difficulté de suivre les électeurs qui déménagent, etc.

Au niveau du coût, je me demande si, dans votre présentation, vous ne l'envisagiez pas comme étant un travail uniquement pour une élection provinciale bien déterminée, c'est-à-dire qu'à toutes les années, dans le but d'avoir une liste permanente pour une élection provinciale, uniquement... Je me demande si vous avez pensé en fonction d'un tout parmi toutes les possibilités de recours à une telle liste pour d'autres domaines. Cela veut dire pour les élections fédérales — oublions les élections fédérales parce que ça voudrait dire que les autres provinces sont incluses — municipales, provinciales et scolaires. La possibilité de louer ou de vendre ces listes à des compagnies qui pourraient en avoir besoin — ça coûterait moins cher pour elles — comme l'Hydro-Québec, Bell Canada, le Bureau des véhicules automobiles... Alors, le coût ne devrait pas être établi uniquement en fonction de la province de Québec pour les élections, mais divisé et soustrait du coût que les municipalités doivent payer pour leur propre évaluation, la même chose pour les commissions scolaires ainsi que les autres groupes. Parce que

dans le rapport de la Société de mathématiques appliquées, on parlait — si c'est un tout — que ça reviendrait à $2,500,000 par année dans tout le Canada et non pas seulement pour le Québec. Cela veut dire que le coût d'un dollar par personne, au niveau provincial, si ça fait partie d'un tout? Est-ce que vous avez fait une étude pour voir si le coût pourrait être distribué parmi tous les services qui en auraient besoin?

M. DROUIN: Si nous vendons nos listes électorales pour fins municipales, scolaires ou autres, les montants que nous poumons soutirer de ces ventes seraient déduits des montants que nous serions appelés à payer. C'est évident. Je l'ai déjà dit ici je crois, au cours de la deuxième journée de mon témoignage, que les listes d'énumération annuelle pourraient certainement servir à des fins municipales. On n'aurait qu'à organiser la loi en conséquence.

M. LEGER: Avez-vous déjà évalué combien coûte dans une municipalité par personne le coût de l'énumération?

M. DROUIN: Cela dépend de la municipalité. Si vous comparez Québec à Montréal... Il y a de plus petites municipalités. Il y a des municipalités urbaines qui ont huit ou neuf sections. Il y en a d'autres qui en ont 300. Montréal, par exemple... On n'a jamais fait l'évaluation du coût, mais je crois bien que l'énumération même de Montréal doit coûter, comme le dit M. Roy, près d'un million de dollars.

M. LEGER: Ce qui équivaut à environ $0.50 par personne?

M. DROUIN: Oui.

M. LE PRESIDENT: Le député du comté de Gouin. Avez-vous terminé, M. Léger?

M. DROUIN: II y a plus d'un million... Vous n'avez pas deux millions d'électeurs dans la ville de Montréal.

M. LEGER: Seulement la ville même?

M. DROUIN: Oui. Il y a 800,000 ou 900,000 électeurs.

M. LEGER: Oui.

M. DROUIN: Je pourrais demander à M. Boyer ce qu'a coûté l'énumération pour la dernière élection à la ville de Montréal.

M. LEGER: Il a été établi aussi qu'environ 95 p. c. de la population du Québec se retrouvait — pour la deuxième objection majeure, la question de suivre l'électeur — soit au niveau de la réception d'un chèque d'allocations familiales, de l'obtention d'un permis du Bureau des véhicules automobiles, d'un enfant qui va à l'école, d'un emploi; une personne est allée à l'hôpital une fois, elle a déjà fait un rapport d'impôt, ou elle a reçu un chèque d'assistance sociale. Ce tout permettrait justement d'éviter le deuxième problème. Qu'est-ce que vous en pensez? Si c'est un tout permanent, de sauver la partie, de retrouver les électeurs...?

M. PINARD: J'aimerais présenter une objection. Nous nous sommes mis d'accord, tantôt pour que les documents d'information dont on a parlé, surtout le Dr Laurin, documents émanant de la Société de mathématiques appliquées, nous soient transmis à titre d'information. On ne peut pas permettre ce matin à un membre de la commission de se servir des documents — que seuls les membres du Parti québécois ont entre les mains — comme un expert pour faire l'interprétation de leur contenu.

M. LEGER: M. le Président, ce n'est pas du tout le rapport...

M. PINARD : On questionne le président des élections là-dessus. Peut-être l'a-t-il lu, peut-être ne l'a-t-il pas lu, mais ça peut conduire la commission dans des avenues où nous ne voulons pas nous engager ce matin. Qu'on attende le moment où on va discuter le contenu des documents de la SMA...

M. LEGER: Je voudrais faire une correction.

M. PINARD: ... ou qu'on demande au représentant officiel de la SMA de venir témoigner sur le contenu de ses propres documents. On ne peut pas faire indirectement ce qui est défendu de faire directement ou ce sur quoi nous nous sommes entendus comme méthode de travail. Je pense que les membres du Parti québécois veulent profiter de certains avantages dont nous ne voulons pas nous servir.

Nous pourrions vous sortir d'autres documents, d'autres études, les interpréter à notre façon et, à ce moment-là, la commission parlementaire va tourner à vide, et nous n'irons nulle part.

Cela fait quatre ou cinq fois — à ma connaissance personnelle — que les membres du Parti québécois, font des tentatives d'interprétation de travaux qui ne sont pas contrôlés par les membres de la commission. Les experts ne sont pas ici — surtout ceux qui sont les auteurs de ces travaux qui ne peuvent pas servir à toutes les sauces. Il me semble que cela devrait être entendu une fois pour toutes et qu'on respecte le règlement.

Si on veut avoir le témoignage de celui ou de ceux qui sont responsables du contenu du rapport qu'essaie d'interpréter, en ce moment, le député du Parti québécois, que ces experts soient convoqués et eux répondront à nos questions.

M. LEGER: Je ne voudrais pas que le député

de Drummondville fasse une interprétation. Il n'était aucunement question du rapport de la SMA dans ce dont je parlais. J'ai ressorti et j'ai posé des questions au président des élections concernant les deux points majeurs de son rapport: la question du coût et la question de la difficulté de suivre les électeurs. Je lui parlais, à la suite des endroits où on peut retrouver un électeur, si cela répondrait à ces deux objections et je veux avoir son opinion.

Je pense qu'il n'y a aucun rapport avec le rapport de la SMA et je pense que le député a fait une interprétation de ma pensée.

M. HARDY: M. le Président, je propose — il est déjà onze heures moins vingt, nous avions convoqué M. Bonenfant pour dix heures trente et il est ici — que nous ajournions le témoignage de M. Drouin à une prochaine séance et invitions maintenant M. Bonenfant à témoigner de nouveau devant la commission.

M. LE PRESIDENT: M. Bonenfant, au nom de tous les membres de la commission...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant, M. le Président, avant que nous n'acceptions cela, il est entendu que nous pourrons revenir sur le témoignage de M. Drouin concernant les listes permanentes à une séance ultérieure.

M. HARDY: Sûrement, à une séance subséquente.

M. LE PRESIDENT: M. Bonenfant, je vous souhaite de nouveau la bienvenue à nos délibérations et je vous donne la parole.

Mode de scrutin

M. BONENFANT: Lors de la dernière réunion, au milieu de la tempête, vous vous rappelez que nous avons surtout discuté de la façon de fabriquer une nouvelle carte électorale. Je crois que j'ai exprimé mes idées. Vous avez des idées peut-être un peu différentes, c'est inutile d'y revenir. C'est une décision politique à prendre, et par conséquent je laisse de côté cet aspect qui a été — je pense bien — assez bien couvert l'autre jour.

La deuxième question sur laquelle j'ai certaines idées — encore une fois je me défends d'être un expert, j'ai réfléchi un peu sur cela et je pense, je m'en suis aperçu lors du dernier témoignage, que le meilleur procédé, c'est de pratiquer une sorte de maiëutique: en discutant, les gens découvrent des idées auxquelles ils n'avaient peut-être pas songé auparavant — serait peut-être le mode de scrutin que nous pourrions aborder aujourd'hui. Je pense que c'était l'ordre que vous vouliez suivre.

Je vous écoutais parler des listes électorales. J'ai mes idées moi aussi sur les listes électorales. J'ouvre une parenthèse: Je pense qu'on ne lie pas suffisamment les listes électorales à la sécurité sociale. C'est une avenue qu'il faudrait examiner: la carte de sécurité sociale. J'ai une vision de l'électeur qui serait beaucoup plus large. La qualité de citoyen ne m'intéresse plus beaucoup maintenant. A l'heure actuelle, le citoyen est plutôt un instrument de sécurité sociale; soit pour en recevoir, soit pour en payer. C'est pour cela que je voudrais qu'on étudie les possibilités — je ne vous dis pas qu'il y a une solution — qu'en fonction de la carte de sécurité sociale on puisse en arriver à une identification du votant qui serait intéressante. Je ferme la parenthèse, mais c'est pour vous dire que dans ce domaine-là...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): La suggestion de M. Bonenfant a déjà été faite par moi-même.

M. HARDY: Les grands esprits se rencontrent!

M. BONENFANT: Noubliez pas qu'il a été mon élève jadis.

UNE VOIX: II n'a pas évolué.

M.TREMBLAY (Chicoutimi)' Mais il m'a fait le droit romain.

M. BONENFANT: J'ai été le dernier professeur de droit romain en Occident.

Je reviens au mode de scrutin. Je crois que c'est le sujet sur lequel vous voulez m'entendre. Quelle que soit la carte que vous allez fabriquer, d'après les procédés que vous allez adopter, j'ai l'impression que les résultats possibles des élections ne traduiront pas toujours, par des résultats parlementaires, les proportions du vote populaire. C'est une idée qui est bien admise; à cause de certaines lois — en particulier il y a une loi très savante qui s'appele la loi des cubes qui joue dans un système bipartite — à cause de l'inégalité forcée de certaines circonscriptions — par exemple si vous établissez des différences entre les circonscriptions rurales et urbaines — quoiqu'il en soit, je crois que c'est admis comme hypothèse que vous n'aurez pas un résultat parlementaire correspondant au résultat populaire. Or, autrefois, c'était admis.

Dans le système bipartite lorsque les votants étaient peu nombreux, en Angleterre, c'était admis. Je pense qu'on admet de moins en moins qu'un gouvernement ait la majorité parlementaire et soit en minorité dans le vote populaire. Je crois que c'est une des choses qui aujourd'hui scandalisent beaucoup de gens.

Je pense que le premier but que nous devons rechercher c'est qu'il y ait autant que possible identité entre la proportion des parlementaires élus et la proportion des votes populaires. Je dis "autant que possible" parce que je ne me refuse pas à ce que le parti majoritaire soit peut-être un peu au-dessus de la majorité populaire afin d'assurer une certaine stabilité. Tout de même le principe demeure.

Le deuxième phénomène, à mon sens, c'est celui-ci: de plus en plus dans notre système de responsabilité ministérielle, il y a beaucoup de gens qui se sentent mal à l'aise d'avoir à voter uniquement pour un candidat. Vous savez que juridiquement, il n'y a pas l'élection d'un parti, il y a l'élection d'un certain nombre de candidats. Je pense bien — vous avez tous connu cette expérience de l'autre côté de la clôture, où vous êtes des députés — que parfois on aimerait voter pour un parti, on aimerait voter pour un candidat qui n'appartient pas au parti. Dans la région de Québec — ce n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails — j'ai des amis qui ont été fortement partagés.

Evidemment, dans un système de responsabilité ministérielle, c'est assez difficile de pratiquer ça sans avoir recours à un système dont je parlerai tout à l'heure.

Donc, deuxièmement, il faut chercher un moyen qui va nous permettre de corriger ce dont j'ai parlé. Il est évident qu'un des premiers moyens auxquels on songe c'est la proportionnalité. Je pense qu'à l'heure actuelle, d'après ce que j'ai lu, personne ne recommande la proportionnelle pure dans le Québec. Il y a une bonne raison, c'est que la proportionnelle pure existe dans certains pays, en Israël, par exemple, au Danemark, aux Pays-Bas. Vous constaterez toujours que la proportionnelle pure existe dans des pays très peu étendus et à population très dense. Donc, je crois qu'il faut rejeter la proportionnelle pure qui théoriquement est le meilleur système. On l'a pratiqué dans un pays étendu et cela a eu de mauvaises conséquences. La République de Weimar, au lendemain de la guerre, vous le savez, c'est le système politique exemplaire des manuels de science politique. Cela a créé un beau système dans les livres mais cela a mal fonctionné. Il y a même des historiens qui prétendent que Hitler avait été engendré par la République de Weimar.

Il faut donc essayer un autre système. Le système que nous pratiquons est le scrutin majoritaire simple à un tour. Il a bien fonctionné dans l'histoire. Il faut faire attention. On le rejette trop facilement. Il a tout de même assez bien fonctionné et, surtout, il a assuré la stabilité parlementaire. Ce système n'était pas scandaleux lorsqu'il y avait deux partis comme en Angleterre et que les partis se succédaient périodiquement au pouvoir comme cela a été le cas dans le Québec. Il a été mis de côté ou du moins il a été détraqué jusqu'à un certain point lorsque les tiers partis sont arrivés. Aujourd'hui, je pense qu'avec la multiplicité des partis, c'est un système qu'il est assez difficile de défendre. C'est pour cela qu'il faut chercher d'autres systèmes.

Voici les autres possibilités: le premier système qui me vient à l'esprit, parce qu'il est pratiqué dans un pays que nous connaissons bien, c'est le système français. C'est le scrutin à deux tours qui fait que, si un candidat obtient au premier tour la majorité absolue des voix, il est élu. Sinon, il y a un deuxième tour et, au deuxième tour évidemment, c'est la majorité simple qui compte. Inutile de vous dire qu'il se fait des apparentements, il se fait des marchés.

Ce système, à première vue, apparaît assez bon. Pour ma part, je le rejette. Je pense que le défaut du système c'est de permettre entre les deux jours d'élections un marchandage que j'oserais dire éhonté en certains cas. Deuxièmement, c'est de donner à un tiers parti une puissance extraordinaire de contrôle qui ne conduit pas ce parti à avoir des représentants. Je pense aux résultats des dernières années, en France dans des élections où il y avait trois candidats: un candidat gaulliste, un candidat de la gauche et un candidat communiste. Il est arrivé, le soir du premier tour de scrutin qu'un candidat ait 30,000, l'autre ait 29,000 et le communiste 7,000. Je parle de circonscriptions que je connais en France. Le résultat du deuxième tour était décidé, il était "pipé", si vous me permettez l'expression, du moment qu'on savait comment les 7,000 communistes, qui votaient assez globalement, distribueraient leurs votes.

Ce qui veut dire que, dans cette circonscription-là, un parti minoritaire devient extrêmement important, contrôle en définitive les résultats et, par ailleurs, n'est pas représenté. Donc, je pense que ce système de scrutin à deux tours ne serait pas à conseiller pour le Québec, sans compter — j'y reviendrai — qu'il ne faut pas trop déranger les gens dans leurs habitudes lorsque ce n'est pas nécessaire.

Je pense qu'ici les Québécois auraient de la difficulté à pratiquer le deuxième tour. Pour ma part, je n'y suis pas favorable. Il y a un troisième système, qui a été pratiqué dans deux provinces canadiennes, en Alberta en particulier, qui a été mis de côté, et qui conduit aux mêmes résultats mais avec un peu moins d'inconvénients. C'est le système de vote par numéros. Vous votez avec un 1, pour votre candidat favori, 2, 3, 4 et 5. Si le candidat a suffisamment de 1 pour avoir la majorité absolue, il est élu automatiquement; sinon, on soustrait le dernier candidat, et, en le soustrayant, les votes qu'il avait attribués à un autre candidat sont ajoutés, et on peut arriver un jour à une majorité absolue.

L'Alberta l'a mis de côté. Les mauvaises langues ont dit qu'il avait été mis de côté parce qu'un parti depuis très longtemps au pouvoir au Manitoba avait craint que ça puisse l'ébranler. Moi, je le mettrais de côté pour d'autres raisons. Je pense que c'est un peu trop compliqué pour les gens. Dans la province de Québec, si on pratiquait ce système, il y aurait des gens qui seraient mal à l'aise aux premières élections. C'est sensible, la qualité de votant; des gens n'iraient pas. Je le mettrais donc de côté.

J'en arrive à un système sur lequel on a beaucoup disserté, et je voudrais aborder le système d'une façon peut-être différente de la procédure qu'on a suivie jusqu'ici.

On dit: Imitons le système allemand, dans l'absolu. Remarquez bien que je ne blâme pas les gens qui disent cela, parce que je pense avoir été, avec le professeur Boily, un des premiers au Québec à suggérer le système allemand. Mais j'en suis revenu un peu, et ce que je souhaite, ce n'est pas tant le système allemand, c'est peut-être un système inspiré du système allemand, et j'essaie, d'une façon fonctionnelle, de me demander quel est le meilleur système.

Si ça épouse le système allemand, tant mieux, mais au lieu de pratiquer le mimétisme pur, je m'efforce encore une fois de me demander: Est-ce que c'est bon, est-ce que ça va fonctionner? Et voici maintenant mon raisonnement. Il faut garder, je pense, pour un certain temps un certain nombre de circonscriptions électorales, parce que le rapport du député reste encore avec une population donnée. Ma théorie est que le ministre, que celui qui est en politique, a besoin du bain électoral périodique. C'est pour ça que je suis antisystème américain, antiministre, pas membre, pas député. Cela fait partie du métier, cela donne de la compréhension à l'homme politique de descendre sur le terrain de temps en temps.

Par conséquent, je crois que les circonscriptions doivent demeurer. C'est là que se pose un premier point d'interrogation, et vous allez voir que je n'ai pas toujours de réponse. Je réfléchis à haute voix et me demande jusqu'à quel point doit-on garder, ou, en d'autres termes, quel est le nombre de circonscriptions qu'il faudrait conserver dans le Québec. Je vais vous donner les possibilités. Pour une fois, je ne pense pas avoir de certitude, je trouve que c'est dangereux d'avoir des certitudes. Il est assez difficile de descendre brusquement en bas de 90. Par ailleurs, tout de suite, j'ajoute mon deuxièmement. Il y a une théorie qui me frappe beaucoup, qui a été développée par certains d'entre vous, c'est la possibilité d'une identité entre les circonscriptions fédérales et les circonscriptions provinciales.

Comme je vous l'ai dit l'autre jour, on reviendrait à ce qui était dans l'histoire. En 1967, il y avait 65 circonscriptions identiques, pour les fins fédérales et provinciales. Cela voudrait dire qu'on reviendrait à 74. Cela me fait un peu peur, quoique — je vous le dis bien honnêtement — si le Canada continue ce qu'il est, ou même si le Canada se transforme, j'aime beaucoup l'identité des circonscriptions. Le drame du Québec, à l'heure actuelle, c'est de ressembler à une courtepointe avec des dessins très variés.

Vous avez la circonscription municipale qui est différente, vous avez la circonscription d'enregistrement qui est différente, la circonscription fédérale, la circonscription judiciaire.

Je pense que c'est une des faiblesses fonctionnelles du Québec à l'heure actuelle. Cependant, mon chiffre de 90 n'est peut-être pas si mal, en ce sens que, dans ce 90, il faudrait, autant que possible, tâcher de retrouver le 74 fédéral. Ceci est un autre problème, comme on dirait en droit, c'est un obiter dictum, si vous voulez. Je pense que 90 circonscriptions, c'est possible. Maintenant, combien de députés faut-il avoir? Je ne suis pas pour la réduction du nombre des députés, au contraire, je suis pour l'augmentation des députés. Remarquez bien que vous aurez peut-être des petits problèmes de logement. Il paraît que nous pouvons toujours mettre de côté les difficultés matérielles quand on a souhaité une chose. J'aimerais bien une assemblée de 120.

Je vais peut-être tomber dans un autre domaine, mais c'est un domaine qui m'est cher. Je pense, qu'avec la multiplication des commissions, il va falloir augmenter le nombre des députés. J'ai toujours été partisan des commissions et, je prétends que c'est le salut du parlementarisme. A l'heure actuelle, vous manquez de quorum, d'après ce que j'ai lu dans les journaux, parfois, à l'Assemblée nationale. A part cela, je pense qu'il y a des partis qui doivent avoir des difficultés de représentation à l'intérieur des commissions. Je siège parfois à quelques commissions et je vois que les partis ne sont pas représentés. Je ne les blâme pas, je pense qu'il y a, parmi vous, des personnes qui font partie d'une dizaine de commissions. Le nombre de 30 députés ajouté au 90 ne me ferait pas peur. Par conséquent, je souhaiterais, c'est ma proposition, que 90 soient élus par le scrutin ordinaire, celui que nous connaissons. J'ai espérance que ces 90, avec une nouvelle carte électorale, vont peut-être représenter un peu mieux l'éventail électoral du Québec. Je n'en suis pas sûr, remarquez bien, parce que si, dans une circonscription, un candidat est élu avec 30,000 voix de majorité et si dans une autre, le candidat est élu avec 10 voix de majorité, il n'est pas nécessaire d'être grand mathématicien pour savoir les résultats.

Par ailleurs, deuxièmement, je souhaite qu'il y en ait 30 élus par ce que j'appellerais le scrutin de liste, comme mot général. — Là encore, ce sont mes idées que je traduis ici — je trouve scandaleux — ce n'est pas pour flatter un parti, je vous prie de croire que je suis apolitique au sens de alpha privatif — que ce que nous appelons les vedettes d'un parti restent au dehors de la Chambre, de l'assemblée, par suite du jeu d'une circonscription. Je crois vraiment au parti politique, je crois que la démocratie fonctionne à condition que les partis politiques soient fortement structurés, quoique la recherche du candidat indépendant et tout cela, c'est de la foutaise qui malheureusement a eu trop de vogue dans le Québec. Les partis politiques, c'est la base de notre démocratie. Des vrais partis politiques, structurés, des partis qui lorsqu'ils ont eu, par exemple — je ne donnerais pas de pourcentage pour ne pas identifier — tant de pourcentage dans la province, ils doivent avoir un moyen pour qu'en général ceux qu'ils considèrent comme leurs chefs, leurs vedettes, siègent à l'Assemblée nationale. Le scrutin de liste permettra cela.

Comment fonctionnera-t-il maintenant ce

scrutin? D y a deux possibilités. La première est la possibilité allemande que vous connaissez tous. Je vous ai fait distribuer un bulletin allemand. On vote deux fois. On vote premièrement pour le candidat, comme nous le faisons ici. Deuxièmement, on vote pour le parti politique. Tout de suite, je m'arrête pour essayer de réfléchir et je me demande si nous sommes prêts à accepter cela ici. L'avantage de ce système, c'est qu'il nous permet automatiquement de connaître le pourcentage du parti politique et, deuxièmement, cela nous permet d'élire directement des candidats. Il y aurait peut-être un autre moyen de s'en tirer, au commencement surtout, c'est de n'avoir qu'un seul vote. Mais, comme les candidats sont attachés à un parti, on peut très facilement, le soir des élections ou le lendemain, dire qu'un parti a obtenu 30 p. c. des votes et il n'a que 20 p. c. de ses députés d'élus. Il y a donc deux façons — je pense que théoriquement le système allemand est le meilleur, on obtient le pourcentage par un deuxième vote — mais si on ne veut pas prendre ici le risque parce que c'est trop nouveau, on arriverait peut-être au même résultat en ne votant qu'une fois, mais en faisant deux comptabilités, la comptabilité globale comme on le fait et la comptabilité dans la circonscription.

C'est donc un premier point et je pense que, dans l'absolu, c'est le système que j'aimerais. Si l'on trouve que c'est trop grand risque, on pourrait ne pas aller aussi loin.

Maintenant, comment choisir les trente candidats de liste, ou sur liste? C'est là qu'il y a toutes sortes d'avenues possibles. Je dirai qu'il y a trois avenues possibles pour élire les trente candidats de liste.

Il y a ce que j'appellerais l'avenue allemande. Vous savez qu'en Allemagne les candidats sont divisés par ce qu'on appelle des "länder", c'est-à-dire que dans un Etat donné, un "lander", s'il y a vingt candidats d'élus, il y en a dix qui sont élus par le scrutin populaire dans les circonscriptions et les dix autres sont élus par la liste et, ensuite, on refait la redistribution afin que dans un "lander" donné, un parti politique ait une représentation parlementaire qui corresponde au vote populaire qu'il a obtenu. Il y a toutes sortes d'autres détails. J'ajouterai ceci: premièrement, si un parti a obtenu davantage il n'est pas pénalisé, il garde ce qu'il a obtenu de plus. On appelle cela la prime à la majorité. Deuxièmement, pour qu'un parti ait des candidats élus de cette façon, il faut qu'il ait obtenu au moins trois candidats dans l'ensemble du pays et qu'il ait obtenu 5 p. c. des votes. Donc, il ne faut tout de même pas que tout le monde de n'importe quel parti puisse être élu. C'est le système allemand.

J'ai peur — et dans un article qu'il a publié dans Le Devoir, le professeur Vincent Lemieux l'a fait remarquer — que la division en régions à ce point de vue, dans le Québec, si surtout vous n'avez que trente candidats, vous amène une fragmentation qui permettrait difficilement de faire jouer le système. C'est pour cela qu'il y a une deuxième proposition possible, qui épouse — jusqu'à un certain point — vos préoccupations. Ce serait de diviser la province, pour les fins de liste, en régions rurales et régions urbaines et, vous pourriez dire: II y a tant de candidats de la liste qui sont élus d'après le vote qui a été donné dans la région urbaine et tant qui sont élus d'après les votes donnés dans la région rurale.

Enfin, la troisième hypothèse qui est peut-être, à mon avis, la plus simple, ce serait qu'il y ait trente candidats dans l'ensemble de la province qui sont élus comme candidats de liste et si un parti, par exemple, pour obtenir ce qui lui est nécessaire pour combler sa différence, a besoin de tant de candidats, ils seront pris dans l'ensemble de la province. L'avantage — c'est arrivé en Allemagne — est qu'on peut se présenter aux deux. Par exemple, une vedette du parti, le chef du parti, si son parti l'aime beaucoup on lui permettra de se présenter dans une circonscription. S'il est élu dans la circonscription, tant mieux pour lui, mais s'il n'est pas élu dans la circonscription, il sera élu en tête de liste parce qu'un parti qui se respecte le mettra en tête de liste.

Cela résume à peu près ce que je pense. Je sais qu'il y a des points d'interrogation. La première décision, je pense, parce que c'est à vous qu'il appartient de la prendre, est la suivante: Est-ce que vous êtes prêts à accepter qu'un certain nombre de candidats soient élus sans représenter de circonscriptions? Je pense que tout le reste — je n'oserais pas dire que c'est du baratin — mais l'intendance peut s'en occuper comme aurait dit le général de Gaulle. Les techniciens pourront arranger cela. Mais, la première décision, à mon avis, est une décision politique. Un expert ne peut la prendre pour vous; les experts pourront s'occuper des détails. Mais, est-ce que vous acceptez l'idée qu'un certain nombre de candidats ne représentent pas, à l'Assemblée nationale, des circonscriptions et qu'ils soient élus par la proportion de l'ensemble de la population? Il y a une deuxième décision que vous aurez à prendre. Quelle est la proportion que vous voulez? Cela aussi, à mon avis, est une décision politique. Le reste est compliqué, on peut toujours. J'ai des feuillets de notes, mais j'ai l'impression — encore une fois — que c'est un problème d'intendance. Ce n'est pas un problème d'hommes politiques. Est-ce que cela résume bien...

M. LE PRESIDENT: Cela résume passablement les problèmes. Maintenant, M. Bonenfant, j'imagine que vous êtes prêt à accepter de répondre à quelques questions des membres de la commission.

M. BONENFANT: Je suis toujours à votre disposition.

M. LE PRESIDENT: Je cède immédiatement la parole au député de Terrebonne.

M. HARDY: M. le Président, d'abord je voudrais faire une mise au point. Je ne voudrais pas que ma question soit interprétée comme une prise de position, c'est tout simplement pour tenter d'approfondir le sujet. Alors, ma question, même si elle est., non pas de votre part, mais je pense un peu à ceux qui forment l'opinion publique...

M. BONENFANT: Très bien.

M. HARDY: La première question qui me vient à l'esprit dans cette perspective d'avoir un certain nombre de députés qui ne seraient pas représentants d'une circonscription donnée... Evidemment, dans votre réponse il y aura des éléments politiques...

M. BONENFANT: Oui. Cela m'est égal.

M. HARDY: ... mais je me permets quand même de vous la poser à cause de votre longue expérience de commentateur politique, après avoir suivi la scène politique.

La première question que je me pose est celle-ci: Ces trente députés, qui seraient élus sans racine dans une circonscription, seraient des députés qui auraient dans la Chambre, par rapport à ceux qui représentent une circonscription, un statut particulier, c'est-à-dire que la source de leur pouvoir serait différente. Si je suis député d'une circonscription donnée, ma réélection sera fonction, soit des services que je rendrai à une circonscription donnée, soit pour obtenir des lois qui favoriseront telle municipalité. Je parle seulement du plan législatif, je ne parle même pas du plan de patronage. Tandis que si je suis un député élu sur la liste, ma réélection sera fonction de l'image de mon parti beaucoup plus que de mon travail comme législateur. Tous les députés auront en effet le même droit quant au vote et à leur participation aux commissions. Donc, à cause, d'une part, de la différence de la source de leur pouvoir et d'autre part, des facteurs qui assureront leur réélection, n'y aurait-il pas un danger que les députés qui auraient le même pouvoir agissent d'une façon totalement différente? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. BONENFANT: Evidemment vous posez la question que je trouve essentielle et voici ma réponse avec différentes avenues. La première partie de ma réponse est une preuve d'autorité. Or, je n'aime pas du tout les preuves d'autorité, mais cela permet de déblayer le terrain.

M. HARDY: Vous n'aviez pas une vocation pour la papauté?

M. BONENFANT: Du tout. Même pas pour la politique. La première réponse, c'est qu'en

Allemagne —je vous apporte deux témoignages — d'après les écrits, et d'après des conversations que j'ai eues, il y a deux ans, précisément à Hambourg avec un député, il semble qu'on ne fasse pas la distinction. J'ai posé la question. Vous regarderez, je pense qu'il y a des auteurs canadiens qui l'ont souligné, il paraît qu'on fait peu de distinction entre le député qui a été élu par une circonscription et le député qui a été élu par la liste. Je vais revenir sur ce que je dis et je vais moi-même me donner un accroc, si vous voulez. Il ne faut pas oublier que, malgré tout, en Allemagne, ils représentent des länder, des sections. On me dit qu'en Allemagne il n'y a pas de différence. Je suis logique, vous savez que je suis intéressé à un autre comité et je propose qu'on cesse de vous appeler en Chambre "député de telle circonscription", mais qu'on vous appelle "monsieur", dans un travail que vous connaissez. Je suis donc logique.

Il y a un troisième trait que je voudrais souligner...

M. LE PRESIDENT: Je voudrais faire une remarque. Ce serait difficile. Si je faisais tout simplement mention de monsieur, on me demanderait lequel...

M. BONENFANT: Monsieur, suivi de son nom d'identification. Par exemple, M. Tremblay ou M... Je crois que l'honorable député de X...

M. LE PRESIDENT: Pour M. Jean-Noël Tremblay, je vais être obligé d'ajouter M. Tremblay, Chicoutimi.

M. BONENFANT: Justement, ou encore son prénom. Dans tous les cas, c'est un autre point. Si vous voulez, je ne voudrais pas le discuter.

Le troisième point, c'est un point théorique et là, je vais avoir l'air pédant, mais cela ne fait rien, je voudrais tout de même le souligner.

Une des choses qu'on enseigne en science politique, c'est ce qu'on appelle la fameuse lettre de Burke aux électeurs de Bristol. Burke, une fois élu, a écrit une lettre disant: "Vous m'avez élu, messieurs, mais, une fois que je suis élu, je ne vous représente pas. Je représente l'ensemble de la population, du pays et c'est ce qui vous donne d'ailleurs la liberté de voter comme vous voulez, même si vos constituants — c'est peut-être imprudent de le faire — mais même si vos constituants ne sont pas de votre avis." Je pense que c'est un principe de science politique que vous ne représentez pas, une fois rendus au parlement, une circonscription, mais vous représentez, selon la théorie de Burke à laquelle je crois, l'ensemble des électeurs. J'ajouterai, pour répondre aussi à votre objection, qui est sérieuse, que j'ai l'impression que le contact entre le député et sa circonscription, le contact traditionnel — je ne fais pas de l'angélisme — je sais qu'il ne disparaît pas et aussi qu'il est nécessaire; je ne ferai pas de l'angélisme

— mais je pense qu'il a tout de même tendance à diminuer un peu. Vous avez employé le mot "patronage", il doit encore exister, le patronage...

M. HARDY: Je parlais du bon patronage. Le bon accueil!

M. BONENFANT: On appelle cela le bon accueil, parait-il. Un de mes amis, qui a été député naguère, appelait cela le bon accueil. Il reste tout de même, je pense — on le constate, de plus en plus, à mesure que les circonscriptions s'urbanisent — que le Québec va devenir très rapidement une vaste ville, et que le député sera de moins en moins lié. Dans tous les cas, on m'a dit en Allemagne — évidemment c'est un témoignage d'échantillon qui n'est peut-être pas précieux — qu'au bout d'un certain temps, on ne faisait plus la distinction.

J'ajouterai: Même si on fait la distinction, avez-vous vraiment besoin de deux sortes de députés en Chambre, le député "at large" et le député de circonscription? Je crois que, dans nos institutions politiques, l'erreur c'est de croire que tout est bon d'un côté et que tout est mauvais de l'autre. Je pense que des synthèses permettent plus souvent d'épouser davantage la réalité. Remarquez bien que je me sens très bien représenté par mon député à l'Assemblée nationale, mais je me sens aussi bien représenté par l'ensemble des députés. Je pense qu'il ne serait peut-être pas mauvais de briser le cordon ombilical entre les électeurs et certains députés, certains. C'est pour ça que je recommande une synthèse des deux.

M. HARDY: M. Bonenfant, je reviens à des principes que vous avez émis au début, à savoir qu'il ne faut pas s'éloigner trop de la réalité...

M. BONENFANT: Oui.

M. HARDY: ...qu'il ne faut pas trop brusquer. En théorie, je dois vous dire immédiatement que les principes contenus dans la lettre du célèbre député...

M. BONENFANT: Oui.

M. HARDY: ...avant-gardiste, il faut le dire...

M. BONENFANT: A l'époque...

M. HARDY: ...personnellement, sur le plan des principes, je suis totalement d'accord sur cela. Ce serait l'idéal si chaque député arrivait ici en se considérant non pas représentant des intérêts particuliers d'un coin, mais complètement détaché de ça. Ce serait l'idéal, mais même en admettant ce que vous venez de dire, à savoir que l'espèce de cordon ombilical entre le député et son coin, son patelin, le collège électoral qu'il représente s'atténue, le cordon ombilical est moins rigoureux qu'il ne l'était même quinze ou vingt ans, ma courte expérience me dit qu'en tout cas, dans les comtés semi-ruraux, semi-urbains, ce cordon ombilical demeure.

M. BONENFANT: Ah! je le sais.

M. HARDY: C'est mon expérience quotidienne. Même si je voulais me cantonner dans le domaine des principes, l'expérience que je vis quotidiennement, parfois à mon grand malheur, demeure. Ignorer totalement cette réalité sociologique pour s'en remettre uniquement au principe que vous avez énoncé, qui est un principe fondamental de science politique, je me demande s'il n'y aurait pas un danger. Je voudrais vous poser une autre question. Ne croyez-vous pas qu'en Allemagne cette différence entre les deux genres de députés n'existe à peu près pas? Si mes renseignements sont bons, le nombre est égal entre les députés élus dans les comtés et les députés élus à la...

M. BONENFANT: Si vous me le permettez, je voudrais tirer une conclusion. Au contraire, c'est que si vraiment vous avez moitié-moitié, je pense que le contraste serait plus profond.

M. HARDY: Cela serait...

M. BONENFANT: Ce serait plus profond. On me dit — je l'ai lu et je l'ai entendu en Allemagne — qu'une fois les élections passées, on ne fait plus de distinction. Remarquez bien — Dieu sait si c'est délicat pour moi de porter des jugements sur vous qui travaillez en Chambre — j'ai l'impression que si votre qualité de député compte, si les relations du député avec ses électeurs, comptent d'une façon marginale, en dehors de la Chambre, une fois rendus en Chambre, je pense bien qu'avant de voter, vous ne vous demandez pas ce que pense la majorité de vos électeurs.

M. HARDY: Je ne sais. pas. Il faudrait peut-être faire une enquête.

M. BONENFANT: Dans ce cas-là, les lignes de parti seraient souvent brisées.

M. HARDY: Mais il y a parfois des gens qui ont justement payé cher d'avoir brisé les lignes de parti.

M. BONENFANT: Je ne vous apporte pas des réponses catégoriques, parce que je pense qu'en étant catégorique il est dangereux de se tromper. Ecoutez, c'est trente sur 120.

M. HARDY: Oui, oui.

M. BONENFANT: II en reste tout de même 90 qui seront ancrés dans leur circonscription.

M. HARDY: Une dernière question. Quand

vous dites qu'à la suite de conversations que vous avez eues avec des députés ou un député d'Allemagne — il y aurait très peu de différence — est-ce que, selon vos renseignements, vous pourriez nous dire si, historiquement, les relations entre les électeurs allemands et leurs députés ont été à peu près semblables à celles qui ont existé ici au Québec. C'est quand même un facteur qui pourrait largement éclairer cette...

M. BONENFANT: En d'autres termes, pour employer un mot que tout le monde comprend, est-ce que le patronage existe?

M. HARDY: Ou du moins, est-ce qu'il a existé?

M. BONENFANT: Remarquez bien que le patronage n'est pas péjoratif, dans mon esprit.

M. HARDY: Non, mais est-ce que le patronage a existé? Le rôle pour être plus ...

M. BONENFANT: ...représentatif...

M. HARDY: ...est-ce que le rôle de médiateur, du député en Allemagne, a la même place qu'il a prise et qu'il prend encore au Québec. Le rôle de médiateur entre l'électeur et l'administration?

M. BONENFANT: Je l'ignore. Je ne pense pas que la réponse pourrait nous éclairer.

N'oubliez pas que vos 90 vont demeurer, que le rôle de médiateur va demeurer. Je le crois nécessaire ce rôle, du moins pour un bon nombre d'années. Il ne faut pas faire de l'angélisme. Il y en aura 90 médiateurs. Ne serait-ce que de comparer, j'ai l'impression que la comparaison permettrait peut-être, jusqu'à un certain point, de valoriser celui qui est médiateur et ça rendrait peut-être beaucoup plus concret celui qui n'est pas médiateur. C'est avec tout qu'on fait un monde.

M. HARDY: Mais il y a quand même l'autre danger que, si vous avez dans une Chambre 90 députés qui doivent à la fois être législateurs et médiateurs et que vous en avez 30 qui sont de purs législateurs, à ce moment-là les 30 risquent d'être de meilleurs législateurs parce qu'ils se consacrent strictement à la législation, tandis que les autres consacrent une partie de leur temps à d'autres travaux.

M. BONENFANT: Si vous me permettez, je pense que l'attachement du député à sa circonscription est réel. Mais je me demande si l'attachement du député n'est pas plus profond avec le groupe général qui, dans la province, a épousé ses idées.

Je pense par exemple qu'un député indépendantiste est beaucoup plus lié avec l'ensemble des indépendantistes de la province qu'avec sa circonscription même.

M. HARDY: C'est beaucoup plus concret que ça. Si un député représente une circonscription donnée, son rôle de médiateur va continuer à exister pendant un certain temps. Cela implique pour lui de consacrer un certain nombre d'heures par semaine à la réception d'électeurs, au courrier, etc. Tandis que le député qui est élu suivant le scrutin proportionnel n'a pas ce contact, il peut consacrer tout son temps à la préparation de dossiers en tant que législateur.

M. BONENFANT: Je pense que vous avez là le début d'une solution. Je sais que, dans plusieurs partis politiques, on se plaint — c'est pour ça qu'on réclame une réforme que je n'approuve pas— que le fait d'être député empêche de vraiment accomplir ses devoirs politiques. Cela va être précisément à l'intérieur de chaque parti de libérer quelques personnes qui auront plus de temps et qui ne seront pas... Je crois que les contraintes électorales sont excellentes. Il faut toujours un bain populaire pour être un bon homme politique.

N'oubliez pas qu'il faut raisonner en fonction d'un parti. Supposons un parti qui aurait 50 députés à la Chambre ici. Parmi ces 50, il y en aura moins d'une dizaine qui seront de cette espèce. Evidemment, je n'ai pas de réponse catégorique. Je pourrais dire oui ou non. C'est un essai. Si vous commencez avec une petite fraction — et moi j'ai l'impression que 30 sur 120, c'est le quart; de plus ces 30 vont être divisés entre les partis — je me demande si cela ne vaudrait pas la peine de faire l'essai.

M. LE PRESIDENT: Vous avez terminé, M. Hardy?

Le député de Chicoutimi.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. Bonen-fant, j'aurais quelques questions à vous poser à ce sujet-là et je vais prendre la même précaution que mon collègue de Terrebonne. Les questions que je poserai ne seront pas nécessairement l'expression d'opinion de mon parti. Je ne dis pas ça pour vous, mais pour certaines personnes qui, chaque fois que nous posons une question en commission parlementaire, déclarent le lendemain que nous avons préconisé tel ou tel système.

Le système que vous proposez de 120 députés dont 30 seraient choisis par le moyen de liste ne vous parait-il pas déranger les habitudes des Québécois? Vous avez insisté tout à l'heure sur ce danger qu'il y a de déranger des habitudes quand cela n'est pas nécessaire. Je ne suis pas fétichiste dans ce domaine et justement vous faisiez allusion à Burke tout à l'heure. Lorsque j'ai été élu député pour la première fois au fédéral, j'ai déclaré à mes commettants, après mon élection, que j'étais devenu député représentant tous les citoyens du Canada. Et en 1962, le candidat créditiste qui m'a battu s'est servi de ça contre moi. Il a eu raison d'ailleurs. Je m'étais fait du

député une conception un peu trop angélique comme vous dites.

Je ne m'étais pas rendu compte que le député devait avoir avec ses commettants des contacts réguliers, qu'il était un intermédiaire entre eux et l'administration.

Il y a des habitudes chez les Québécois, c'est que le député est ce lien nécessaire. Or, en élisant 30 députés comme vous le proposez, est-ce que nos électeurs ne considéreraient pas — c'est la même question que mon collègue — ces gens comme des privilégiés par rapport aux autres dans le domaine du travail pratique que nous avons à accomplir, comme on dit dans le jargon "sur le terrain", dans ces contacts quotidiens que nous devons avoir avec eux?

Il me paraît que cela dérangerait considérablement les habitudes de nos électeurs et que nous aurions en Chambre une série de députés qui se situeraient à un palier supérieur à celui des autres et que leur travail serait considéré par la population comme un travail, en quelque façon, un peu inutile et de parade. Est-ce qu'on ne serait pas porté à les assimiler à ceux qu'on a déposés conseillers législatifs?

Je vous pose cette question parce que vous y faisiez allusion tout à l'heure, et mon collègue vous a posé une question au sujet des discussions que vous avez eues avec un député allemand. Mon collègue vous demandait: Est-ce qu'en Allemagne on est habitué de considérer le député comme on le fait ici, comme un lien direct entre l'administration et le peuple?

Il faut bien penser qu'en Allemagne, on est parti d'un système d'abord impérial. Il y a eu ensuite un système républicain, plus ou moins républicain, et on est tombé après cela en période de dictature complète. Il y a eu quand même une réalité qui s'appelle le régime hitlérien. Durant cette période il ne fut pas possible d'avoir ni d'élections, ni de contacts du citoyen avec ceux qui étaient appelés à les représenter si tant est que c'étaient des représentants. Je crois que la comparaison ici est très difficile à faire. Il faudra plutôt prendre un autre pays où il y a un mode de scrutin un peu semblable, en France, et même en Italie où les moeurs électorales sont beaucoup plus semblables aux nôtres.

Je vous pose cette question et je la résume: Est-ce que vous croyez que les habitudes des Québécois sont telles qu'ils accepteraient ce groupe de gens qui, à toutes fins utiles, à leurs yeux, ne seraient pas élus par eux parce que n'étant pas directement rattachés à une circonscription donnée d'un territoire donné. Il y a aussi le problème des partis politiques. Vous disiez tout à l'heure qu'un député indépendantiste représente peut-être davantage à l'heure actuelle, tous les gens qui pensent à l'indépendantisme que les gens du Parti libéral ou les gens du parti de l'Union Nationale.

Je pense que dans l'hypothèse où, par malheur, il y aurait plus de députés indépendantistes un peu plus tard, ces gens-là seraient exactement dans la même situation que la nôtre. S'il y avait un parti...

M. LAURIN: Vous ne savez pas ce que vous pensez.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Laurin, ayez donc un peu le sens de l'humour. Je vous reproche justement de ne pas l'avoir et de prendre tout au pied de la lettre.

M. DUMONT: Vous n'avez même pas parlé des créditistes.

M. SAMSON: C'est pour ça que nous avons le sens de l'humour d'ailleurs.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dès le moment où un parti, quel qu'il soit — un parti indépendantiste par exemple — deviendrait un parti au pouvoir, les députés de ce parti auraient exactement les préoccupations que nous avons. Ils seraient rivés à ces exigences et à ces contigences du quotidien du député, formule traditionnelle.

Je vous demande votre avis là-dessus et la conception qui est la vôtre en ce qui concerne les moeurs des Québécois.

M. BONENFANT: Premier point, je pense qu'il faut essayer de faire la synthèse de systèmes qui, à première vue, semblent opposés. Je m'explique. Il est sûr que je ne recommande pas la proportionnelle pure telle qu'elle a été pratiquée par la République de Weimar en Allemagne et qui a été une faillite. Je pense que la proportionnelle pure pourrait exister et elle existe dans un Etat comme Israël. Il est possible dans un pays pas très étendu, un pays nouveau, de la pratiquer.

Je rejette donc la proportionnelle pure. Deuxièmement, il reste tout de même que ce qu'il faut chercher, c'est un système qui n'abandonne rien de ce que nous trouvons essentiel dans le passé.

Là, je vous donne raison, et je donne raison au député de Terrebonne — je parle comme les députés maintenant — à M. Hardy pour être plus précis, c'est que le député doit pour longtemps encore représenter une circonscription. Cependant, j'aimerais qu'en marge de ces députés-là... Je pense qu'on pourrait facilement diviser le Québec en 90 circonscriptions honnêtes, substantielles si vous voulez.

Evidemment, ça va être du joli découpage, mais il reste qu'on peut très bien représenter le Québec avec 90 circonscriptions. Il y en 74 à Ottawa. J'admets que c'est différent, que la situation est un peu différente, mais je pense qu'on peut avoir une très belle carte électorale avec 90 circonscriptions. Ce qui nous arrive, c'est que, quel que soit le parti, je trouve douloureux et même scandaleux que les vedettes, par exemple, d'un parti — ça peut aujourd'hui viser un parti demain ça en visera un autre — n'aient aucun moyen d'entrer siéger en Chambre, que ces vedettes-là soient mises de côté par les hasards de la circonscription où ils se sont présentés.

Le premier avantage de ce système, c'est de permettre à un parti — si vous me permettez l'expression — de récupérer ces vedettes qui ont été défaites. Je crois qu'il y a déjà là un avantage. Un autre point: j'ai l'impression que le nombre de députés élus de cette façon en fonction de chacun des partis, ne sera pas considérable. A l'heure actuelle, vous êtes quatre partis. Divisez les 30 par quatre et les partis n'en auront pas énormément d'élus comme ça.

J'ai l'impression qu'un parti politique sentira peut-être le besoin d'avoir quelques députés qui seront libérés des tâches de représentants directs d'un comté. Remarquez bien que j'insiste sur le fait qu'un député doit, en général, représenter une circonscription. C'est de l'angélisme que de croire qu'un député ne doit pas être hanté par sa circonscription. J'aimerais que, dans chacun des partis, il y ait quelques députés disponibles. En d'autres termes, vous ne détruisez pas l'ancien système. Vous gardez cet ancien système de contact avec la population et je crois que c'est important.

Par ailleurs, vous avez quelques candidats marginaux, quelques élus marginaux qui viennent de régler les problèmes que vous avez à l'heure actuelle dans chacun des partis. Je ne nommerai pas les partis, mais combien de fois ai-je entendu des gens que j'estime beaucoup mépriser leur caractère d'élus en disant: Nous perdons du temps à fréquenter les électeurs. Ils sont dans l'erreur parce qu'un homme politique qui n'est pas hanté par les électeurs n'a plus sa valeur à mon sens. C'est pour ça que je suis contre le système du ministre non élu en général.

Il faut un bain populaire, sans ça vous n'avez plus votre raison d'être. Si vous n'avez plus de bain populaire, les techniciens vont vous remplacer. C'est ça la différence entre vous et les techniciens: vous avez un bain populaire. Et, moi j'y tiens à ce bain populaire-là. Donc, je prétends que si, sur 120 il y en a 30 qui sont dans cette petite catégorie — 30 sur 120, c'est simplement le quart — il en restera 90 qui continueront à vivre selon la vie que vous avez connue. C'est pour ça que je trouve cet ajouté marginal qui va régler... N'oubliez pas qu'il faut penser au problème que ça règle: c'est que ces ajoutés marginaux règlent le problème de la différence entre le résultat populaire et le résultat en Chambre.

Vous admettrez comme moi que lorsqu'il y avait deux partis, ce n'était pas un problème, mais maintenant qu'il y a plusieurs partis — encore une fois, je ne veux flatter aucun parti — je trouve scandaleux qu'un parti n'ait pas en Chambre une représentation populaire qui corresponde au nombre de votes qu'il a obtenus. N'oubliez pas que, même si vous refaites la carte électorale, vous aurez les mêmes résultats dans certains cas. Cela va jouer.

Donc, au moins le système que je suggère, le système allemand, nous apporte une solution à ce problème qui scandalise de plus en plus la population et qui scandalise surtout les interres-sés, si vous me permettez l'expression. J'ai donc l'impression que le système inspiré par le système allemand n'est pas une dérogation aussi profonde qu'on le croit à l'état du passé, et que pas ailleurs, il apporte des résultats aux difficultés que vous avez aujourd'hui qui sont, premièrement le manque de proportion entre le nombre de députés élus et les votes populaires, ce qui scandalise beaucoup de gens et surtout ceux qui en souffrent.

Deuxièmement, cela permet aux vedettes d'un parti politique de toujours être élues. Je trouve — encore une fois, je ne veux flatter aucun parti politique — scandaleux qu'un parti politique soit obligé de recourir à des démissions, à des marchandages pour envoyer des personnages qu'il juge être des vedettes. Je crois qu'un parti politique doit être très structuré, être maître de sa vie. S'il veut, en Chambre, être représenté par monsieur X, je suis peiné du fait que monsieur X ait été incapable de se faire élire dans une circonscription. Au fond, mon système est loin d'être révolutionnaire, il est peut-être un peu trop conservateur jusqu'à un certain point, mais il a l'avantage de ne pas rompre avec le passé et d'apporter certains éléments d'avenir. C'est pour cela que je vous fais remarquer que j'y suis très favorable depuis longtemps. Je pense que les deux personnes qui ont commencé à favoriser le système dans la province de Québec, ce sont M. Boily et moi. Nous avons, il y a huit ou neuf ans, commencé à écrire sur cela, alors que le problème ne se posait pas du tout sous l'angle politique. Depuis, il y a un parti qui en a fait pratiquement un de ses articles. Je vous prie de croire que ce n'est pas à cause de cela que je le favorise.

Remarquez bien que j'ai des hésitations moi aussi. Mais, je crois que la population comprend mal ce manque de proportion entre le vote populaire et le nombre de députés élus. Il faut trouver le moyen de corriger cela. Il y en a peut-être d'autres, mais je ne les connais pas.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je suis d'accord avec vous, M. Bonenfant — je l'ai dit à plusieurs reprises — sur la question de la représentation en fonction du vote populaire. Il est évident qu'il y a une disproportion qui, comme vous le dites peut être scandaleuse. Ce phénomène s'est accentué depuis un certain nombre d'années, depuis quelques élections. C'est cet abus qu'il nous faut d'abord essayer de corriger.

Maintenant, je reviens à ce que je vous demandais au départ. Est-ce que les trente députés dont vous parlez ne seraient pas, dans l'esprit des gens, l'équivalent des 24 conseillers que nous avions? Est-ce que les gens auraient vraiment l'impression de les avoir élus? Je me dis que c'est un problème d'éducation qu'il faut faire auprès de la population pour lui faire comprendre quel peut être le rôle de ces députés et la raison qui justifierait le mode d'élection au moyen duquel on les choisirait.

M. BONENFANT: Si vous permettez, je reviens tout de suite à la comparaison avec le Conseil législatif. J'ai été jugé naguère comme l'un des grands ennemis du Conseil législatif contre lequel j'ai lutté tout à fait amicalement pendant des années, mais il y avait une différence. Premièrement, c'est que les conseillers n'étaient aucunement élus. Deuxièmement, ils avaient presque vie perpétuelle. Troisièmement, sauf dans quelques cas, leur activité n'était pas extraordinaire. Je pense qu'il n'y avait aucune assemblée au monde qui était aussi peu resplendissante. Tandis que là, n'oubliez pas que ces messieurs siégeront d'abord avec les autres. Je me demande si ce qui ferait leur qualité, ce n'est pas tant leur origine électorale, que leur participation à la vie de l'assemblée. C'est peut-être un point que nous oublions. Au bout d'un certain temps — évidemment pendant quelques séances, un adversaire dira: Bien écoutez, vous n'avez pas été élus par une circonscription — on ne fera pas de distinction entre le député élu de cette façon et celui élu par l'ensemble de la population. On se pose un faux problème en faisant une distinction aussi considérable entre les deux. L'avantage est que cela donnera à chacun des partis un certain nombre de députés qui seront libérés, à l'avantage du parti, de tâches de représentation.

La représentation est un bienfait, le député doit être enté sur la population, mais vous admettez comme moi que, dans tout parti politique — le parti au pouvoir ou celui de l'Opposition — on a besoin d'un certain nombre de députés qui sont libérés de ces tâches qui ne dévaluent pas le député, mais qui prennent tout de même son temps. Je me demande, si vous n'aurez pas là le réservoir qui vous empêchera de tomber dans cette erreur que je trouve fondamentale, à savoir que les membres d'un cabinet ne devraient pas être élus. Vous savez que, dans certains partis politiques, on est en train de prôner l'idée qu'il faut libérer le député. Je crois que c'est une erreur généreuse, épouvantable. Si vous n'êtes pas en liaison avec la population, vous n'avez presque plus votre raison d'être. A ce moment, je suis aussi représentatif que vous.

C'est pour cela que, malgré ses succès apparents, le système américain n'est pas si bon que cela. Il fonctionne bien, parce que là il s'agit d'un pays extrêmement riche mais il y a à peu près une cinquantaine de pays qui sont nés depuis la guerre et je pense qu'il y en a deux ou trois qui ont imité le système américain.

Je pense que ces candidats qui, après tout, auront été choisis par leur parti, après un certain temps — je me trompe peut-être — vous les regarderez exactement comme vos égaux et vous ne serez pas tentés de dire : Ecoutez, vous n'avez pas été élus, vous. Je pense que vous allez les regarder très rapidement ainsi et tous les partis seront heureux d'avoir cette soupape ne serait-ce que pour les chefs. Par exemple, supposons qu'un parti politique a deux ou trois vedettes qui se présentent dans des circonscriptions. Ces vedettes sont défaites. Là, vous savez ce qu'il faut pratiquer, il faut faire démissionner quelqu'un, il faut faire du marchandage. Tandis qu'avec ce système je pense bien que tout parti politique demandera à ses vedettes de se présenter dans une circonscription mais, par ailleurs, il demandera à ses vedettes de s'inscrire dans les listes. Ce qui veut dire que, si les vedettes ne sont pas élues dans une circonscription, les vedettes entreront quand même à l'Assemblée nationale par la deuxième voie.

J'en reviens à ce que je disais tout à l'heure. Evidemment, si on considère la politique comme un jeu — je ne voudrais pas faire le puritain, c'est un jeu très agréable, je pense bien — mais il faut tout de même admettre que, quand c'est possible, il faut mettre de côté les règles du jeu. Quand un parti politique a triomphé d'une certaine façon, je considère qu'il devrait avoir automatiquement un moyen de permettre — je ne veux pas flatter un parti politique dont le chef n'est pas en Chambre, pas du tout, je n'ai pas les idées de ce parti... Mais il reste que je trouve scandaleux que les vedettes d'un parti, ceux que le parti a choisis comme ses chefs, ne soient pas en Chambre. Je veux qu'on trouve un moyen de les faire entrer automatiquement — je ne dis pas que le parti n'est pas bien représenté en Chambre, remarquez bien — mais je trouve que... La population n'admet plus ce petit jeu qui était possible à une époque où la politique était un sport de gentleman. Aujourd'hui, c'est une occupation à temps plein, une occupation sérieuse. La politique n'est plus un jeu.

Je ne sais pas si j'ai bien plaidé ma cause.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Bonenfant, une dernière question. Je suis bien d'accord avec vous qu'il est important que les partis politiques aient leurs têtes d'affiche et que ces gens-là puissent être en Chambre, ce qui est un apport extrêmement important pour le parti comme tel. Maintenant, des connaissances que vous avez du système allemand et de sa pratique actuelle, est-ce que les résultats des élections, en Allemagne...

M. BONENFANT: Oui.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... tout récemment, ont apporté ce résultat de maintenir en Allemagne les têtes d'affiche?

M. BONENFANT: Oui, automatiquement. Je ne sais pas si vous avez le bulletin que j'ai fait distribuer, vous verrez qu'on ne court pas de risque, les vedettes se présentent et elles sont inscrites aussi dans la liste. Si vous regardez le bulletin que j'ai fait distribuer, vous verrez, par exemple — c'était à l'époque, je pense, du Dr Adenauer — qu'on prend les vedettes et on fait en sorte qu'elles soient élues. On nous dit — encore une fois, mon témoignage est secondaire — qu'une fois élues, on fait très peu de

distinction. On ne fait pas de distinction. Je crois que c'est triste de laisser au hasard...

M. LAVOIE (Wolfe): M. Bonenfant, ne trouvez-vous pas qu'une vedette qui ne peut pas se faire élire n'est plus une vedette?

M. BONENFANT: Non, je ne suis pas de votre avis du tout. Cela dépend de l'endroit où elle est, cela dépend de l'endroit où se trouve cette personne. Vous savez, comme moi, qu'il y a des endroits — remarquez bien que je parle pour tous les partis politiques — il y a des circonscriptions — je ne fais pas la comparaison parce qu'elle est peut-être vulgaire — où vous pouvez faire élire n'importe qui de tel parti. Je ne suis pas de votre avis. Il y a des circonscriptions où vous ne feriez pas élire le plus grand homme du monde.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Bonenfant, je pense que les vedettes — on n'a nommé personne — qui ont été élues précisément parce qu'elles faisaient partie d'un groupement politique qui pouvait faire élire n'importe qui. Elles ne sont devenues vedettes qu'à cause de cela et, lorsqu'elles ont changé d'allégeance, il y a eu, justement dans cette circonscription donnée, un retrait d'intérêt pour la personne qui avait été créée vedette grâce à un autre parti.

M. BONENFANT: Je reprends ma phrase, je considère que lorsqu'un parti politique existe et qu'il représente — je serai très conservateur — représente au moins 5 p. c, peut-être 10 p. c. des votes globaux, je prétends que ce parti doit avoir la maîtrise d'envoyer à l'Assemblée nationale les gens qu'à tort ou à raison il considère comme ses chefs.

Je trouve qu'il est anormal — ce sont mes idées, je me trompe peut-être — que le sort de ces vedettes, fausses vedettes si vous voulez, mais le parti les a regardées comme ses vedettes... Je trouve qu'il faut un système qui permette à ce parti d'envoyer en Chambre les personnes qu'à tort ou à raison, ce parti considère comme ses tenants. Je crois que c'est très important. Sans cela, ça devient du petit jeu.

Que reproche-t-on à la politique? Je suis loin d'être sévère. On lui reproche d'être un jeu. Elle demeurera toujours un jeu, mais pour autant qu'on est capable de faire disparaître les éléments du jeu dans la politique, je crois que c'est de nature à remonter les sentiments populaires en faveur de la politique et des hommes politiques. Ce que le grand public, à tort, souvent méprise, c'est le petit jeu d'autrefois. C'est la politique qui pouvait se pratiquer dans une Angleterre de "gentlemen" où, en réalité, à cause des bourgs pourris, les gens ne représentaient absolument rien. Je crois qu'on a intérêt à ce que la représentation épouse pour autant que c'est possible l'opinion populaire. Encore une fois, il y a des gens qui demande- ront autre chose, mais, au moins, on pourra leur répondre qu'ils sont représentés tandis qu'à l'heure actuelle, un parti politique, pour mettre des chiffres absolus, peut avoir 35 p. c. des votants dans la province et n'avoir que 12 p. c. des députés. Evidemment, cela était autrefois admis. C'était un jeu qui était admis, mais aujourd'hui, je pense que la population s'en scandalise et je fais partie de la population à ce point de vue.

M. LE PRESIDENT: M. Bonenfant, si vous le permettez, j'ai plusieurs noms. Ce sera d'abord le député de Gouin, suivi des députés de Rouyn-Noranda, Saint-Jacques, Jacques-Cartier, Lafontaine. Le député de Gouin.

M. JORON: M. Bonenfant, nous invitait au début de son exposé à trancher d'abord une question qu'il a qualifiée de centrale, à savoir si on doit modifier notre système électoral de façon à traduire plus fidèlement l'expression de la volonté populaire dans son Parlement.

Dans les arguments que vous avez employés, M. Bonenfant, en faveur de cela, on a insisté beaucoup sur tout le processus de récupération des vedettes. Je veux bien croire que c'est important, mais j'aimerais vous entendre expliciter davantage quelque chose que vous avez mentionné. Vous avez dit à maintes reprises que la disproportion que le système actuel donne scandalise de plus en plus la population. Est-ce que vous croyez que ce scandale... si à une autre époque, on pouvait tolérer des disproportions semblables, mais aujourd'hui, surtout chez les jeunes et peut-être aussi du fait que la population est plus éduquée, plus politisée, les moeurs culturelles, les moeurs politiques ont changé. Est-ce qu'il n'y a pas, et c'est cela que j'aimerais vous entendre préciser, dans toute cette affaire quelque chose de bien fondamental qui est la légitimité même du Parlement. Pour autant qu'on tolère des différenciations entre l'expression de la volonté populaire et la représentation en Chambre, cela ouvre trop facilement la porte à bien des groupes contestataires pour prétendre que le Parlement n'est pas représentatif et pour conduire à une action qui finalement, en dehors des voies politiques normales, peut presque entraîner la société dans une période anarchique. Est-ce que l'idée fondamentale, d'après vous, pour laquelle nous devrions traduire cette idée maîtresse, la fidélité de la représentation populaire avec la représentation en Chambre, n'est pas la légitimité même de nos institutions politiques qui est mise en cause? Et n'est-ce pas le grand danger qui nous menace à l'heure actuelle?

M. BONENFANT: Evidemment, je crois que ça donne raison à certains contestataires qui disent: Ecoutez, le Parlement ne représente vraiment pas l'éventail populaire. Regardez, il y a tant de gens qui ont voté pour tel parti et ça a abouti à tel nombre de députés. J'ajouterai,

avec un peu de scepticisme, car je pense bien qu'il y en a plusieurs qui continueront à contester, que j'ai l'impression qu'il faut faire en sorte qu'on fasse disparaître le plus possible les bases de la contestation. C'est pour ça qu'il faut rechercher un système. Je ne connais pas d'autre système que le système allemand où une proportionnelle étendue et je suis contre une proportionnelle étendue. Il n'y a pas d'autres moyens d'en arriver à une certaine similitude — vous allez voir pourquoi je dis une certaine similitude — entre le vote populaire et la représentation. Donc, il faut tout faire pour qu'il y ait une certaine similitude. Par exemple, si vous avez 35 p. c. des voix pour le parti blanc, il faut que le parti blanc ait en représentation aux environs de 35 p. c. Evidemment, il y a toujours des calculs marginaux. C'est un premier point.

Or, je ne connais pas d'autre système que le système allemand qui remplit ces conditions, sauf que le système allemand arrive au résultat suivant. En effet, il se peut qu'un parti soit privilégié, ou que le parti au pouvoir reçoive plus qu'il ne devrait. Cela ne me scandalise pas trop parce que, même si la représentation doit être fidèle, il faut avoir une certaine stabilité. Cela m'amène à un troisième raisonnement qui est aussi assez important, qui est peut-être jusqu'à un certain point antidémocratique et qui scandalise bien des gens, c'est qu'au début, ça peut faire le sort très dur à des petits partis. Avant qu'un parti puisse émerger, ça va lui prendre du temps et, aux dernières élections allemandes, il y a des partis qui sont pratiquement disparus alors qu'ils avaient pris aux élections précédentes un certain nombre de voix. Il ne faut pas s'en faire. Il faut quand même garder une certaine stabilité. Si votre système est très démocratique et qu'il crée de l'instabilité, quoiqu'il y ait d'autres façons de faire disparaître l'instabilité, là, je regrette, je ne marche pas.

Par conséquent, je ne connais pas d'autre système qui jusqu'ici permette d'en arriver à une représentation parlementaire qui soit liée le plus adéquatement possible au vote populaire. Or, je pense — il y aura toujours des gens qui diront: Cela ne va pas — mais au moins un bon argument va leur échapper. Parce que dans l'histoire nous avons tout de même eu des gouvernements minoritaires ici. Le gouvernement minoritaire, on le digère, mais au bout d'un certain temps, cela a pour conséquence que les gens ne prennent plus la représentation populaire au sérieux. Moi, j'y crois encore.

M. JORON: M. Bonenfant, si vous me le permettez, quelques éclaircissements techniques sur la suggestion des trente qui viennent s'additionner aux 90. Est-ce que ces trente-là sont dans votre esprit compensatoires ou additionnels'

M. BONENFANT: Ils sont additionnels.

M. JORON: Ils sont additionnels, non pas compensatoires?

M. BONENFANT: Oui.

M. JORON: Deuxième question...

M. BONENFANT: Si vous me le permettez, il se pourra que, dans certains cas, à cause du jeu mathématique, vous puissiez dépasser 120. Dans certains cas, c'est arrivé en Allemagne. Cela en fait donc un de plus. C'est à cause du jeu mathématique.

M. JORON: D'accord. Deuxième question. Vous avez souligné dans votre exposé la difficulté de faire les listes de ces trente-là sur une base régionale. Effectivement, le nombre est insuffisant. On a calculé d'ailleurs que, sur les dix régions administratives du Québec, il y en a sept qui arrivent à n'avoir qu'un seul député dans ce système-là, ce qui évidemment n'a pas de bon sens. Est-ce que, dans votre esprit, on se dirige vers une liste nationale, d'une part? Si elle est nationale, est-elle bloquée ou ouverte, d'autre part, puisque aussi vous avez mentionné la nécessité de conserver un seul vote?

M. BONENFANT: Attention, peut-être pas la nécessité, la faculté. Je me suis dit: Si on trouve trop compliqué d'avoir deux votes, évitons-en un.

M. JORON: Comment faites-vous voter les gens sur une liste nationale à travers le même vote que pour la circonscription territoriale à ce moment-là?

M. BONENFANT: C'est simplement pour jeter du lest que j'ai dit que j'aimais mieux un seul vote. Théoriquement, je souhaite deux votes pour plusieurs raisons.

Premièrement, il m'est arrivé très souvent dans ma vie d'aimer voter pour un parti et d'aimer voter pour un candidat. Donc, ça nous donnerait satisfaction.

Deuxièmement, je crois que ça serait fondamentalement plus juste. Je pense qu'à cause du peu d'étendue électorale du Québec, à cause du petit nombre avec lequel je veux commencer l'expérience, —remarquez bien que si je la commençais avec moitié-moitié mes sentiments seraient différents, mais je veux qu'on essaie — il est évident que vous ne pouvez pas diviser vos 30 par région, sans ça, comme vous venez de le dire.

Il y a peut-être une deuxième division qui est légèrement possible, mais là ça va à l'encontre de certaines idées que j'ai développées la première fois, c'est de diviser entre rural et urbain. Je vous ai dit que, contrairement à beaucoup de gens, pour moi, la distinction n'était pas importante. Ce sont mes idées, mais j'admets qu'on ait d'autres idées.

C'est pour ça que j'en arrive à 30 globaux. Or, ces 30 globaux seront évidemment désignés, et chaque parti désignera ceux qu'il considère comme devant être élus par ce mécanisme.

M. JORON: C'est une liste bloquée.

M. BONENFANT: Une liste bloquée. Et ce qu'un parti devra faire — il y aura peut-être des luttes internes par exemple dans le parti — sera de désigner ses vedettes. Parce que la vedette aura la chance d'être élue dans la circonscription. Si elle l'est, elle disparaît de la liste et c'est le suivant qui vient.

Je considère — c'est fondamental — qu'un parti devrait être maître de sa vie et devrait avoir le droit d'envoyer en Chambre, lorsqu'il a obtenu tant de voix populaires, les gens qu'il juge les meilleurs parmi le parti. Il y a deux façons de les faire élire dans des circonscriptions, il y en a toujours qui seront défaits pour des raisons locales. A ce moment-là, je souhaite que le parti ait cette soupape d'envoyer les candidats qui ont été battus, afin qu'ils puissent siéger.

Je trouve que c'est triste — remarquez bien que ce n'est pas pour flatter un parti politique du tout — qu'une vedette d'un parti soit laissée de côté — après tout, la vie politique, c'est tout de même au Parlement que ça se conduit en bonne partie — pour des raisons accidentelles, parce qu'elle s'est présentée dans telle circonscription.

Ce que je suggère ne serait pas si révolutionnaire que ça. Il y a avantage, je crois, à faire 90 belles circonscriptions dans le Québec. C'est triste, il y a de petites circonscriptions qui vont disparaître. Mais tout système va les faire disparaître. Je pense que vous pourriez arriver à une très belle carte électorale avec 90 et les 30 autres...

Est-ce que ça répond à votre question?

M. JORON: Oui, merci.

M. LE PRESIDENT: Le député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: J'aimerais poser une question à M. Bonenfant. Votre exposé a été très intéressant. Vous manifestez le désir de faire se rapporter le vote populaire et la représentation. Dans ce sens-là, vous avez aussi souligné l'importance pour un député d'agir comme médiateur, c'est-à-dire d'être dans le bain, d'être près de ses électeurs. Est-ce que, pour faire le rapprochement entre les différents systèmes, soit entre le vote populaire et la représentation, et peut-être pour permettre de rétablir l'équilibre et aussi de conserver à tous les députés — les 120 députés — ce caractère de médiateur, il n'y aurait pas possibilité que vous envisagiez d'étudier la façon suivante?

Au sujet des 30 députés dont vous mentionnez la possibilité d'élection par la liste, est-ce qu'il y aurait possibilité que cela soit fait sur un plan plutôt régional suivant le nombre de députés déterminé à l'avance, proportionnellement à la population d'une telle région? Ce qui, en quelque sorte, nous amènerait un représentant de comté à l'Assemblée nationale et quelques représentants régionaux.

Si nous pouvions envisager cela, cela permettrait à celui qui est un représentant régional d'être quand même associé directement à une région et d'être rapproché de ses électeurs le plus possible. Est-ce que c'est possible d'en arriver à ça?

M. BONENFANT: Je suis de votre avis mais nous tombons dans un autre système. Je vous avoue qu'idéalement le système que vous venez de préconiser et que je vais préciser serait peut-être celui que j'aimerais le mieux. Je vous l'ai dit dès le début, je pense qu'il faut habituer la population doucement à un certain système. Au fond, ce que vous nous prêchez, c'est le système du sénat australien. En Australie, à la Chambre basse, vous avez une représentation en fonction des circonscriptions électorales. Par ailleurs, les sénateurs des Etats australiens sont élus par chacun des Etats à la proportionnelle pure, c'est-à-dire, par exemple, si on a 40 p. c. dans un Etat — je fais des chiffres imaginaires — les sénateurs sont élus de cette façon.

Au fond, votre système, voici comment je l'appliquerais. Vous tombez peut-être dans un système que je trouve meilleur que celui que je suggère. Je pense que la population n'y est pas encore prête. Au fond, disons donc que si 100 députés étaient élus d'après le système traditionnel, sans circonscriptions, on dirait: Le Québec se divise en tant de régions. Je diminuerais le nombre des régions parce que, si vous prenez votre système avec le nombre des régions actuelles, je vous garantis que vous allez arriver avec un nombre un peu trop considérable. Disons que nous divisons le Québec en quatre régions. Chacune de ces quatres régions a 20 représentants. Vous en avez 80 à élire. Là, chacun des 20 pourrait être élu par la proportionnelle dans une région.

Je me demande si votre système ne serait pas meilleur avec le système suivant. Cela serait de créer une deuxième Chambre où la représentation serait proportionnelle. Votre système, si vous l'alliez à la représentation, cela va vous faire une Chambre beaucoup plus composite que celle que je suggérais tout à l'heure.

Je crois que ce serait possible de jouer avec la proportionnelle, mais je me demande si, dans une même Chambre, vous auriez d'heureux résultats. Mais au fond, ce que vous suggérez est un chambardement beaucoup plus considérable que celui que je suggère.

M. SAMSON: M. le Président...

M. BONENFANT: Est-ce que la population est prête? Attention! Il ne faut pas, dans ce

domaine-là, créer des systèmes que la population ne digérera pas facilement. Vous le savez mieux que moi, c'est votre métier, il faut faire accepter ce que l'on croit bon par la population. Il ne suffit pas d'avoir raison, je pense, en politique, il faut que les autres croient qu'on a raison.

M. SAMSON: M. le Président, je pense que j'aurais dû être aussi prudent que le député de Chicoutimi et dire: ce n'est pas mon système que je préconise. Ce sont des questions que je pose en vertu de ce que vous nous avez suggéré. Dans mon esprit, je ne verrais pas une représentation augmenter. Je parle en fonction des 120 dont vous nous parlez, en partant des 90 représentations. Si nous avons dix régions, qui pourraient être évidemment ramenées à quatre ou à cinq, ça voudrait dire 30 députés élus à la proportionnelle dans ces différentes régions. Donc, les régions auraient un nombre de députés déterminé en fonction de la population de cette région, c'est-à-dire proportionnellement à la population.

M. BONENFANT: Si vous permettez M. Samson, au fond, c'est mon système, sauf que vous le fractionnez en régions. Le danger de votre système est que, avec 30, vous ne serez pas capables de travailler, et là j'ai peur que vous ne soyez obligés d'en mettre plus que 30. Or, moi, ça me ferait peur de rompre avec le passé en dépassant 30. Au fond, c'est parce que je suis conservateur que je ne dépasse pas 30.

M. SAMSON: Je vous préférerais créditiste!

M. le Président, il a aussi été fait mention, en fonction de ce système-là, que ça pourrait servir de soupape de sécurité pour les chefs des différents partis, ce qui je crois devrait être accepté et c'est très normal. Mais si on veut protéger, soit les chefs de parti ou les vedettes comme vous les appelez, je pense que ce n'est pas tellement nécessaire de tout chambarder le système si on veut n'en arriver qu'à ça. Il serait très facile d'accepter que le chef d'un parti ou deux personnes d'un parti soient automatiquement élus à condition qu'ils aient recueilli un certain nombre de votes à travers la province.

Ce serait beaucoup plus facile si on voulait n'en arriver que là. Mais dans votre système au complet, j'ai compris que c'était un des avantages du système préconisé.

M. BONENFANT: Un seulement.

M. LE PRESIDENT: Alors 1? parole est au député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: Justement, M. Bonenfant, vous venez de toucher, dans votre aveu de conservatisme, le sujet sur lequel je voulais vous questionner.

M. BONENFANT: J'ai voulu faire une transition.

M. CHARRON: Pourquoi vous limitez-vous à 30 en mettant le nombre?

Je trouve assez curieux que vous choissisiez 25 p. c. des députés comme étant élus par la proportionnelle, alors que le système allemand va jusqu'à 50 p. c. Je n'opte pas pour 50 p. c. non plus, mais je vous demande cela parce que, en jouant avec des chiffres comme cela, si j'en suis arrivé à penser que ça prend à peu près 40 p. c, je mettrais la proportion à peu près à 80 p. c. — 40 p. c, ce n'est pas pour jouer avec les mathématiques. — Précisément votre système veut laisser à la proportionnelle le rôle de correctif et je me dis: Quand vous ne laisserez que 30 sièges pour corriger les inégalités comprises dans 90 p. c, votre rôle correctif est plus petit.

M. BONENFANT: Si vous permettez — c'est un domaine où je me sens un peu incompétent — je vais vous faire la réponse suivante : je serais en faveur d'un nombre de députés élus de cette façon, d'après les calculs que les mathématiciens pourraient faire, le nombre qui serait nécessaire pour corriger les erreurs du scrutin ordinaire. Je suis bien prêt à changer mon 30. Je ne suis pas un mathématicien. Je crois que c'est un problème de technicien, encore une fois. Evidemment, il faudrait dépasser 30, si ce chiffre est insuffisant pour corriger le système. J'ai pris 30 parce que je ne suis pas mathématicien et, dans ce domaine, je me fierais aux spécialistes. Mais je crois que le nombre doit être celui qui est nécessaire pour corriger le manque de proportion. Mais, j'ajouterais peut-être ceci: Si vous refaites la carte des 90 de la façon la plus équitable possible — vous savez que je ne vois pas beaucoup de différence entre les circonscriptions qu'elles soient rurales ou citadines — j'ai l'impression que la disproportion va diminuer, mais elle va toujours demeurer. Quant à mon chiffre 30, encore une fois, je me soumets humblement aux machines mathématiques qui me le diront.

M. JORON: Si vous me permettez, dans la même question, tout à l'heure vous avez dit que les 30 étaient additionnels et non pas compensatoires. Je voudrais plus d'éclaircissements là-dessus. Je prends un exemple. Un parti X a obtenu 20 p. c. du vote populaire et n'a pas 20 p. c. des sièges.

M. BONENFANT: Oui.

M. JORON: Est-ce qu'on lui attribue 20 p. c. des 30 nouveaux sièges? Alors, est-ce que six sièges viennent s'additionner aux sièges territoriaux déjà acquis ou bien si on calcule les 20 p. c. pour les 120 sièges? Normalement il aurait eu droit à 24 sièges et territorialement il n'en a eu que 15, par exemple, dont il y en a neuf à pouvoir calculés au prorata des autres partis sur 30.

M. BONENFANT: Votre dernière version.

M. JORON: C'est ça! Ah bon! Elles sont compensatoires, non pas additionelles.

M. BONENFANT: Elles sont compensatoires.

M. JORON: C'est dans ce sens. D'accord!

M. LE PRESIDENT: Est-ce que le député de Saint-Jacques a terminé?

M. CHARRON: J'aurais une autre petite question. Le système allemand — vous n'y avez pas touché ou à peu près pas — comprend ce qu'on appelle un plancher minimal pour la représentation à l'Assemblée nationale, pour un parti politique. Est-ce 5 ou 3?

M. BONENFANT: C'est 3, aux derniers chiffres.

M. CHARRON: C'est 3 p. c. Alors, est-ce que vous, pour le Québec, vous envisageriez aussi un plancher de pourcentage démocratique avant de penser à la représentation?

M. BONENFANT: Je crois qu'il faudrait un plancher. Comment le fixer? Je ne le sais pas. Ce sont des calculs. Quand on tombe dans les chiffres, je pense qu'on dit une chose et qu'on peut avoir tort. Il faudrait le calculer d'une façon scientifique; je ne suis au fond qu'un généraliste. A un moment donné, je pense qu'il faudrait mettre les mathématiciens et les machines dans le jeu. Je pense que ce serait dépasser ma compétence.

M. CHARRON: Mais est-ce que vous êtes d'accord pour la politique d'un plancher?

M. BONENFANT: Oui, mais il faut faire attention. Le bienfait du système allemand — et tous les auteurs le signalent — c'est qu'il n'a pas apporté d'instabilité. C'est ce qui est important. C'est bien beau de favoriser tout le monde mais, à un certain moment, je pense qu'il faut être pragmatique, il faut se dire: La démocratie, c'est beau, mais il ne faut pas que l'excès de démocratie soit de nature à nuire au jeu de la démocratie. Il y aura des partis qui auront obtenu 4.5 et qui diront: Nous sommes le plus grand parti du monde et nous ne sommes pas représentés. Mais, que voulez-vous, la représentation est une fiction. A un moment donné, il faut accepter la fiction. Jean-Jacques Rousseau était contre la représentation parce qu'il disait qu'elle était une fiction, et je pense que c'est tout de même mieux d'avoir un peu de fiction et d'avoir de la représentation.

M. LE PRESIDENT: Le député de Jacques-Cartier.

M. SAINT-GERMAIN: Ces nouveaux représentants responsables, ces trente, seraient beau- coup plus responsables aux partis qu'à la population, en fait. On ne serait responsable à la population qu'indirectement, on serait responsable à la population à travers les partis. Comme vous le dites, les leaders des partis politiques seraient pratiquement dans bien des cas et même dans la majorité des cas, certains de leur élection.

M. BONENFANT: C'est ce que je souhaite.

M. SAINT-GERMAIN: Je ne connais pas plus que cela le système politique de la France, mais j'ai toujours été surpris de constater que les chefs politiques des différents partis semblent des hommes tout à fait éternels. Ce sont toujours les mêmes figures qui, à chaque élection, sont les leaders. J'ai l'impression que les partis sont tellement structurés qu'ils perdent contact avec la population.

Si pour ces hommes être responsables relativement à leur carrière politique — parce qu'ils deviennent des politiciens professionnels, ce qui manque peut-être un peu dans notre système — je me demande si ces hommes ne perdent pas contact avec la réalité, avec le citoyen. Je me demande si cela n'empêche pas, si ce n'est pas un grave inconvénient relativement à l'adaptation des partis politiques, de la philosophie des partis politiques au fur et à mesure des changements de l'échelle des valeurs de la population.

M. BONENFANT: Je ne suis pas tout à fait de votre avis. Je pense que, malgré les apparences, l'homme politique français est beaucoup plus en contact avec la population, et quand je dis en contact avec la population, c'est au sens noble et parfois au sens concret du mot. Je vous prie de croire que la distribution des bureaux de tabac, en France, cela compte. Il faut avoir suivi une campagne électorale en France pour savoir que les candidats sont en contact peut-être beaucoup plus intime avec toutes les parties de la population que vous pouvez l'être comme candidats.

J'ajouterai ceci. Les dernières années dans le temps du général, même si les ministres ne sont pas députés, en général — excusez la répétition — le chef de l'Etat français les a presque tous obligés à se présenter aux élections. Le seul, je pense, qui n'a pas été obligé de se présenter a été Couve de Murville. Les autres ont fait la campagne électorale et ils la faisaient uniquement comme bain populaire. Regardez ce que Chaban-Delmas a fait récemment. Le bain populaire de l'homme politique français est fréquent et on l'a vu la semaine dernière. C'est que presque tous, du moins une bonne proportion, se présentent à la mairie. Je vous garantis qu'une campagne à la mairie en France, dans un petit patelin ou dans un grand patelin, cela vaut une campagne dans une circonscription.

Je pense qu'on se laisse tromper par les apparences. L'homme politique français est

hanté par la population, il est assis sur la population, beaucoup plus qu'on ne le pense. Je crois que le bain populaire des députés en France est aussi concret qu'il peut l'être ici. Vous savez que c'est conforme à mes idées. Je prétends que c'est une forme trop aristocratique de la politique de dire: Je vais administrer le pays, mais je ne suis pas obligé de me présenter. Je pense que c'est bon le contact populaire. Ce n'est pas seulement avec des théories qu'on mène un pays. Il faut du bain populaire de temps en temps. Je n'ai pas tout à fait la même interprétation de la réalité politique française. Vous avez vu les élections à la mairie la semaine dernière en France où presque tous les députés sont maires. Une bonne partie des députés sont maires. Je vous assure qu'une campagne à la mairie en France c'est un joli bain populaire! A mon avis, cela vaut un bain populaire dans une circonscription du Québec.

M. SAINT-GERMAIN: Comment explique-riez-vous que, malgré les transformations profondes du système politique français au cours des dernières années et des résultats en conséquence, enfin les résultats du vote qui a été donné à un nouveau parti, que les anciens partis...

M. BONENFANT: Oui.

M. SAINT-GERMAIN: ...le fait qu'ils ont connu des défaites répétées, je crois que c'est une preuve pratique...

M. BONENFANT: Oui.

M. SAINT-GERMAIN: ...qu'ils n'ont pas su s'adapter à cette situation nouvelle créée par la nouvelle mentalité.

M. BONENFANT: Je ne voudrais pas tomber dans les arcades de la politique française. Je vais vous donner mon interprétation.

M. SAINT-GERMAIN: Je dis tout cela parce que vous semblez admettre que le système britannique avec représentation directe...

M. BONENFANT: Oui.

M. SAINT-GERMAIN: ...le député étant responsable directement au peuple est un principe valable.

M. BONENFANT: Ah! oui, ah! oui.

M. SAINT-GERMAIN: Cela l'est à mon avis. J'ai peur qu'en mettant 30 députés —à mon avis, c'est un nombre considérable — sur 90 élus par comtés.

M. BONENFANT: Oui, mais c'est tout de même trente sur 120.

M. SAINT-GERMAIN: Cela fait toujours le quart qui seront, eux, des professionnels et responsables surtout à leur parti. Je me demande si vous ne mettez pas le principe de responsabilité directe du système britannique en jeu?

M. BONENFANT: Je ne suis pas de votre avis. J'ai l'impression — j'ai l'air un peu stupide d'interpréter ce que vous êtes — qu'une fois que vous êtes élu, vous vous rappelez vos électeurs et Dieu sait si c'est nécessaire. Mais j'ai l'impression qu'une fois en Chambre, en face des problèmes, vous ne vous demandez pas toujours: Qu'est-ce que la majorité de mes électeurs pensent? Encore une fois, j'ai l'air stupide d'interpréter ce que vous êtes. J'ai l'impression que vous êtes élu par les gens mais qu'ensuite, une fois que vous êtes élu, vous gardez en face des problèmes une certaine liberté d'appréciation. J'ajouterai que je pense que vous êtes beaucoup plus déterminé — encore une fois cela a l'air drôle de vous dire ce que vous êtes — je ne dis pas par la solidarité ministérielle, mais vous êtes par la solidarité du parti en face d'un problème. La preuve, c'est que vous devez tout de même avoir parfois, au fond de vos esprits, des idées différentes sur un projet de loi qui vient du gouvernement ou que vous y soyez opposé. La preuve, c'est que c'est très rare qu'un député vote en marge de son parti et cela ne me scandalise pas. Je trouve cela tout à fait naturel. Par conséquent — c'est drôle — je pense qu'il est bon que le député soit enté sur une circonscription et je ne vois aucun danger à ce que quelques députés soient entés sur toute la province — si vous me permettez l'expression et entés pas de h, évidemment ! — Trente sur 120 : c'est une soupape que je trouve tout à fait nette et je commencerais avec cela. Je pense qu'en politique, il ne faut pas prendre de gros risques institutionnels, mais je me demande si ces trente-là ne seraient pas un bon début. Même si ça va mal, les conséquences ne seraient peut-être pas épouvantables. En France, ils ont changé de système électoral je ne sais combien de fois. Ici, nous autres, on ne se permet pas trop de luxe de changement. C'est formidable, le conservatisme des Canadiens.

M. SAINT-GERMAIN: Oui, vous avez raison. Nous restons conservateurs malgré tout.

M. BONENFANT: C'est du conservatisme au sens général, pas au sens des partis.

M. SAINT-GERMAIN: Ce serait un moyen — comme vous avez si bien dit — de donner une certaine stabilité aux vedettes du parti et de permettre au parti de les amener en Chambre. Mais 30, c'est un nombre beaucoup trop considérable pour atteindre ce but particulier.

Qu'on admette qu'un parti politique qui obtient un certain pourcentage de voix puisse avoir au moins en Chambre son chef comme député, je suis bien prêt à l'admettre aussi et je crois que c'est une chose que la population

admettrait extrêmement facilement, parce qu'en fait ce sont nos traditions. On le fait par à-côté.

M. BONENFANT: Ce n'est pas toujours facile.

M. SAINT-GERMAIN: Ce n'est pas toujours facile, mais traditionnellement c'est ainsi que ça se fait. Qu'on accepte cette tradition et qu'on l'inclue dans notre façon de voter, pour permettre aux leaders des partis de siéger en Chambre, je n'ai pas d'objection de principe. Je crois que ce serait même...

M. BONENFANT: Vous avez employé le pluriel. Jusqu'où vous allez vous arrêter? H y a certains partis politiques qui vont dire: Nous avons deux ou trois leaders. Si c'est simplement le leader.

M. SAINT-GERMAIN: Je crois qu'il faudrait être très prudent sur le nombre. C'est à partir de ça que je dis que le nombre 30 est exagéré.

M. BONENFANT: Mais si vous permettez, je repose une question. Comment allez-vous corriger ce phénomène inévitable à savoir qu'il y aura toujours un manque de proportion entre le vote populaire, ou la fraction du vote populaire et la fraction de député élu?

Si vous avez un système, j'aimerais l'adopter; je n'en ai pas d'autre que ça.

M. SAINT-GERMAIN: C'est certainement un problème très complexe.

M. BONENFANT: C'est la question fondamentale.

M. SAINT-GERMAIN: II faut compenser entre la représentation et l'efficacité du Parlement en fin de compte. Autrement c'est pratiquement l'anarchie, il n'y a plus d'autorité.

M. BONENFANT: Le Parlement allemand est très efficace.

M. SAINT-GERMAIN: D'un autre côté, il faut toujours penser qu'avec les moyens modernes de communication, la facilité avec laquelle on peut atteindre la population, le Parlement est loin maintenant d'être l'endroit exclusif où on peut faire de l'opposition au gouvernement. A mon avis, c'est un élément très important.

Si on considère que le parti majoritaire a droit de légiférer ou du moins d'appliquer les législations et d'administrer, le député de l'Opposition devient celui qui a la responsabilité de faire voir à la population les faiblesses des législations et de l'administration gouvernementale. C'est son but. Cette opposition peut se faire aussi bien, ce n'est pas nécessairement le nombre qui fait l'efficacité de l'Opposition.

Même si, relativement au vote, comme je le disais tout à l'heure, la représentation n'est pas en relation proportionnelle et directe avec le nombre de votes qu'un parti puisse atteindre ou a obtenus, il en reste que ces leaders peuvent faire une opposition quelquefois très efficace sans même faire partie du Parlement. Nos partis politiques, avec notre marché de masse, avec nos richesses, peuvent même se permettre de payer des salaires à des leaders et de les faire vivre de la politique. Cela devient — même s'ils ne sont pas membres de l'Assemblée nationale — des politiciens professionnels, grâce à la télévision, à la radio et aux journaux.

Il faut penser qu'un humble citoyen peut aujourd'hui par la radio — tous les jours on est abasourdi par le nombre d'appels qu'il s'y fait — atteindre des auditoires de 50,000, 75,000 ou 100,000 personnes et faire opposition au gouvernement.

Puisque le député, dans l'Opposition, n'a pas le monopole de l'opposition au gouvernement, l'argument est celui-ci: Est-ce que l'on doit sacrifier l'Opposition pour conserver l'efficacité gouvernementale? C'est la juste mesure, mais elle n'est pas facile, comme vous le dites si bien, à déterminer.

M. BONENFANT: Je vais peut-être vous sembler un esprit assez conservateur, mais je crois que la meilleure opposition dans un pays, au point de vue politique, devrait venir des parlementaires et non pas des extraparlementaires. C'est pour cela que je veux que ceux qui ont été élus pour représenter les gens les représentent de la façon la plus adéquate possible. Je pense que si l'Opposition parlementaire ou les Oppositions parlementaires sont efficaces, vous verrez moins naître des oppositions extraparlementaires.

Je m'excuse, mais je crois encore au Parlement. Je ne suis pas pour vous flagorner, je suis complètement en dehors de tout ça, mais j'ai l'impression qu'il se dit plus de bêtises dans le grand public, malgré tout, qu'au Parlement.

Voici le fond de ma thèse. On doit tellement valoriser le Parlement; on doit faire en sorte qu'il représente tellement l'opinion populaire y compris la fine pointe de l'opinion populaire — ce qui n'est pas toujours facile — on doit faire en sorte que le Parlement soit tellement représentatif qu'il se trouve, par sa qualité de représentation, à neutraliser les corpuscules de représentation. C'est ma thèse. Au fond — je ne suis pas ici pour vous flagorner, je suis complètement en dehors de tout ça — je pense qu'on doit tout faire pour que le Parlement soit représentatif, précisément pour que ne naissent pas d'autres représentants parallèles. Vous savez qu'à l'heure actuelle, c'est triste, mais dans bien des cas, l'Opposition n'est pas parlementaire mais parallèle.

M. SAINT-GERMAIN: Oui, mais d'un autre côté, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: Pas d'autres questions, monsieur?

M. SAINT-GERMAIN: Depuis que je suis élu membre de l'Assemblée nationale, je constate très souvent que les déclarations qui se rendent réellement au peuple, qui atteignent le peuple, sont des déclarations qui sont faites en dehors de la Chambre, très souvent lors de conférences de presse et ainsi de suite... pas seulement par les membres de l'Opposition. Même les hommes du gouvernement bien des fois atteignent le public directement, en dehors de la Chambre. Ils sont responsables de la Législature.

M. BONENFANT: Tâchez de corriger cela.

M. SAINT-GERMAIN: Ce n'est pas facile à corriger.

M. LE PRESIDENT: Je remercie le député de Jacques-Cartier, j'aimerais faire remarquer aux membres de la commission qu'il est 12 h 15, et que je vois encore plusieurs noms sur la liste. J'aimerais que les questions et les réponses soient les plus concises possibles. Je laisse maintenant la parole au député de Lafontaine.

M. LEGER: M. le Président, j'aimerais être aussi prudent que le député de Chicoutimi en voulant montrer que les questions sont simplement au point de vue technique. Tout d'abord, vous avez quand même dit qu'il y avait deux raisons pour lesquelles vous vouliez corriger, par une liste, la question de l'écart entre le vote populaire et la représentativité. Vous avez dit aussi: Amenez les têtes d'affiche à l'endroit où elles devraient réellement travailler.

M. BONENFANT: Excusez-moi, je n'ai pas compris la dernière phrase.

M. LEGER: Amenez les têtes d'affiche au Parlement, où elles doivent réellement travailler.

M. BONENFANT: Oui.

M. LEGER: Je pense qu'une des raisons — je ne sais pas si vous me comprenez — ce n'est pas uniquement que c'est la personne en tant que personne, mais en tant que représentante des idées ou du programme pour lesquels les gens ont voté.

M. BONENFANT: Oui, très juste.

M. LEGER: Vous avez parlé tantôt d'une nuance que vous avez apportée entre la liste de 30 députés à élire, en surplus et le correctif. J'ai fait un petit calcul entre les deux, je voyais une conséquence, et je voudrais que vous appréciiez cette conséquence-là. Si on détermine que — je prends l'exemple de 70, c'est un chiffre bien précis — les libéraux ayant 45 p. c. des votes, si on calcule que dans les 30 députés qui doivent venir, ils auraient droit à 45 p. c. ainsi qu'à tous les autres, j'amène la conséquence de l'autre nuance. Exemple: Parti québécois 24, il aurait eu 24 p. c. du 30. Si c'est le contraire, si c'est simplement un correctif, à ce moment-là, il y aurait eu deux partis qui auraient eu droit à des députés supplémentaires.

C'est-à-dire l'Union Nationale qui aurait eu droit, selon le correctif, à quatre de plus, et le Parti québécois à quinze de plus. A ce moment-là, le Parti libéral et le Ralliement créditiste qui avaient, soit dépassé ou obtenu à peu près exactement le nombre qui correspond, n'auraient pas eu de correctif. Cela aurait amené à ce moment-là un surplus de députés, ils n'auraient pas été 30. Cela aurait amené 109 députés au lieu de 120. Dans votre esprit, voyez-vous une conséquence, une fausse conséquence provenant du fait qu'on ne saurait jamais le nombre exact de députés?

M. BONENFANT: C'est le cas de l'Allemagne, en Allemagne, c'est cela. Je ne voudrais pas faire une blague, mais la seule conséquence ce serait le nombre de sièges, si vous voulez. Encore une fois, je ne suis pas un grand technicien, mais je me dis qu'il est normal que la représentation à la Chambre corresponde au pourcentage de votes populaires. Je crois qu'on s'accorde sur cela. Deuxièmement, si un parti a dépassé ce pourcentage par les élections régulières, on lui en laisse les avantages. Troisièmement, avec les députés qui sont élus par l'ensemble, si vous me permettez l'expression, vous avez là la soupape qui va permettre la correction. Que ce nombre varie, ça ne me fait rien. Après tout, ce que je demande, c'est le résultat. En Allemagne — je n'ai pas les chiffres ici — je sais qu'à quelques reprises cela en a ajouté deux ou un, à cause de la prime du parti vainqueur.

M. JORON: Si vous permettez, M. Bonen-fant, ce nombre, en fait, peut toujours rester fixe, parce que, en supposant que les sièges territoriaux égalent exactement le vote populaire, vous en ajoutez 30 dans les mêmes proportions, tout le monde augmente ensemble, et vous arrivez toujours à 120. Le nombre peut rester fixe.

M. BONENFANT: II reste — vous savez, je pense que c'est peu important — que la population admet mal qu'il y ait disproportion entre le vote populaire et le nombre des députés élus. C'était admis autrefois, aujourd'hui, même les esprits les plus conservateurs en sont scandalisés.

M. LEGER: Vous avez aussi affirmé tantôt que les députés qui représentent un territoire ne votent pas nécessairement selon ce qui, dans leur esprit correspond à ce que leurs électeurs attendaient d'eux, parce qu'il y avait le pro-

gramme du parti. Il y avait aussi une liberté d'appréciation provenant d'événements qui changent. Autrement dit, ce qu'il était normal de proposer au moment d'une élection, il arrive que la situation y amène un changement d'attitude dont l'appréciation doit être faite par le parlementaire au moment précis où cela arrive, alors qu'il ne peut pas consulter les électeurs là-dessus. C'est la raison pour laquelle vous trouviez qu'il n'y avait pas tellement de différence à ce qu'il y ait des députés qui ne représentent pas de territoire. Les événements peuvent changer et la liberté d'appréciation, sur le fait, peut être complètement différente comme résultat que...

M. BONENFANT: A Québec et partout, on observe une solidarité à l'intérieur du parti qui fait que c'est dans des circonstances très exceptionnelles que vous avez connues il y a quelques années ici... Je crois qu'il y a une solidarité — remarquez bien que ça ne me scandalise pas— et je crois que, dans le jeu politique, il faut que cette solidarité existe.

C'est à l'intérieur du caucus qu'il faut lutter à mon sens, quand on a des idées. Cela a l'air drôle, que moi, en dehors de la politique, j'exprime des idées sur cela, mais je ne suis pas un pur, je pense qu'il faut accepter le jeu politique. Si vous n'avez pas la solidarité à l'intérieur d'un parti, ça force peut-être à avaler de temps en temps des choses que l'on n'aime pas, mais je trouve que ça fait partie de la vie et je suis loin de m'en scandaliser, je ne suis pas un pur, un janséniste.

M. LEGER: Pour en revenir à l'autre aspect de tantôt, ce que je vous amenais, c'est que les 30 députés supplémentaires, si on fait juste le correctif, il se pourrait que ne ne soit pas seulement un ou deux de plus. Ce pourrait être une dizaine ou une quinzaine de plus. Le texte correctif nous amenait tout à l'heure à 109 députés.

M. BONENFANT: Non, non, cela ne marche pas.

M. LEGER: Si on le base sur 90.

M. JORON: Cela augmente les créditistes aussi.

M. BONENFANT: Vous augmentez en proportion.

M. JORON: Tu augmentes les créditistes et tu augmentes les libéraux aussi.

M. LEGER: Vous vous basez sur le sens...

M. HARDY: II faudrait bien expliquer cela. Je pense que le député de Gouin pourrait vous expliquer cela.

M. LEGER: Vous vous basez sur le total de 120 pour faire le correctif et non sur 90.

M. BONENFANT: De temps en temps, vous allez dépasser les 120 à cause de la prime au parti majoritaire parce que vous n'en enlevez jamais. Il reste que le parti majoritaire a ce qu'on appelle la prime au parti majoritaire, ce qui permet d'assurer une stabilité. C'est beau d'avoir des visions angéliques des choses mais la première qualité d'un Parlement c'est de rester au pouvoir. S'il est soumis à des possibilités de défaite perpétuelle, mon système est mauvais, je suis prêt à l'admettre. Je ne ferai pas de l'angélisme ; il faut que ça marche un gouvernement.

M. LE PRESIDENT: Le député de Mégantic.

M. DUMONT: M. le Président, deux brèves questions, M. Bonenfant, vous avez fait allusion à plusieurs reprises à la ligne de parti et justement, avant de faire élire trente députés par scrutin des listes — comme vous les avez appelés — est-ce qu'il ne faudrait pas mieux regarder de plus près que nous sommes 107 directeurs avec un président de compagnie? Cette compagnie qui est la province de Québec est élue pour légiférer pendant cinq ans. Et ici, je m'explique un peu. Par exemple, pour le bill 38, on a vu le chef de l'Opposition officielle laisser ses députés voter pour ou contre. Nous avons aussi vécu l'expérience avec M. Pearson qui a laissé ses députés libres de voter pour ou contre le drapeau. Est-ce que vous avez étudié cette possibilité que les élections aient lieu à tous les cinq ans?

M. BONENFANT: Voici ma première réponse: Je vous avoue que, si je fais de l'angélisme, je trouve cela très beau de laisser les députés libre de voter comme ils le veulent. Evidemment, les gens qui vivent en dehors de la réalité politique se scandalisent de la ligne de parti. Mais je pense que, si nous acceptons les partis politiques — moi, je les accepte, on n'a pas trouvé mieux pour gouverner un pays, sinon la dictature et je suis contre — il faut que le parti politique ait une certaine stabilité. Ce que M. Pearson a fait à quelques reprises, il n'aurait pas pu le faire très souvent. Je crois que, pour que cela fonctionne, il faut être très réaliste et ne pas permettre trop souvent aux députés de voter en marge de leur parti. D'abord, le parti gouvernemental ne peut pas se donner ce luxe très souvent et je pense qu'avec le système de responsabilité ministérielle il faut accepter cette convention qu'un parti politique est un groupe de gens qui n'ont pas tous les mêmes idées sur tout mais qui ont accepté de mettre de côté certaines de leurs idées pour avoir un commun dénominateur qui leur permet, en face de certaines questions, de prendre des attitudes.

Donc, laisser trop souvent les députés libres de voter — pour employer le grand mot — selon

leur conscience, à mon sens, c'est de l'angélis-me. Cela semble drôle de dire cela, moi qui suis complètement en dehors de ce monde-là, de porter un jugement, mais dans la réalité les partis politiques doivent être des organismes fortement structurés, avec une discipline. Je pense qu'on n'a pas encore trouvé mieux pour gouverner un pays.

Vous avez fait, tout à l'heure, une comparaison avec l'entreprise privée. Cela est un point qui m'intéresse beaucoup. Je pense que les gens qui disent que la politique doit être la transposition dans le domaine public des règles du domaine privé, font une erreur colossale. Ce n'est pas vrai que les règles de la vie privée, ou de l'entreprise privée doivent être transposées directement dans la vie politique parce que la vie politique est soumise, vous le savez mieux que moi, à des aléas et à des conditions qui ne sont pas celles de la vie privée. Et cette idée, — on dit toujours qu'il faudrait administrer l'Etat comme une compagnie privée — je regrette, c'est de l'angélisme. C'est impossible. Je le souhaite, je le demande à la Providence, mais la vie politique a des facteurs et des aléas dont il faut tenir compte. Je pense que tout le monde fait son possible, mais ça n'obéit pas aux règles de General Motors. J'appelle cela de l'angélisme. Habituellement, on ne rencontre pas cela chez les hommes politiques. Evidemment parce que vous, vous êtes obligés de vous défendre. Dans le grand public, on pratique trop cet angélisme et c'est pour cela qu'on se montre souvent cruel à votre égard. J'ai vécu presque toute ma vie avec les hommes politiques et j'ai toujours dit: Ils représentent la population. Ce n'est pas pour vous flagorner, je suis complètement en dehors de cela, mais j'ai toujours reproché aux gens leur jugement trop catégorique à l'égard des hommes politiques. Ils ne tiennent pas compte de l'incarnation où vous êtes, en d'autres termes. C'est pour cela que ça me fait toujours peur de transporter des principes d'entreprise privée à l'intérieur des phénomènes politiques. C'est un point extrêmement important. Je ne sais pas si je m'exprime bien.

M. DUMONT: Sur la ligne de conduite du parti, M. Bonenfant, je pense et j'ai eu des confidences de certains représentants de partis qui prétendaient même être martyrisés, vous allez en faire des saints parce qu'on les oblige parfois...

M. BONENFANT: C'est une forme de sainteté que de mettre sa volonté dans sa poche.

M. DUMONT: La dernière question que j'avais à poser et je rejoins celle du député de Jacques-Cartier, quand vous parlez de la grande étendue de la province de Québec, d'une expérience vécue en faisant élire par scrutin de liste des députés, pourquoi pas, pour tenter une expérience si elle devenait nécessaire ou si elle était acceptée, 100 députés et 10 élus comme première expérience.

M. BONENFANT: Peut-être! C'est une question de jugement. J'ai l'impression quand on tente une expérience, qu'il faut tout de même avoir les éléments nécessaires pour que l'expérience soit probante.

Il faudrait peut-être mettre des mathématiciens... J'ai l'impression que dix ne vous permettraient pas d'obtenir les résultats que je préconise. Encore une fois, il faudrait mettre des spécialistes. Je trouve qu'à un certain moment, n'accomplir qu'une partie d'une chose ne vaut pas la peine d'être tenté. Si vous tentez l'expérience, il faut tout de même la tenter avec des éléments qui nous permettront de dire que l'expérience est probante.

M. DUMONT: Je ne sais pas si...

M. BONENFANT: J'ai peur que dix soit extrêmement conservateur. C'est peut-être un test, mais j'ai l'impression que c'est maigre.

M. DUMONT: C'est parce que si on s'apercevait que c'est une erreur d'avoir été élu par un scrutin de liste, ce serait difficile de revenir à la méthode que nous avons.

M. BONENFANT: L'erreur, vous ne la commettrez qu'à une seule élection, après tout. Vous pourrez tout de suite la corriger pour l'élection suivante. Je préconise des idées générales, mais il faudrait peut-être mettre des actuaires, des spécialistes... Encore une fois, je ne suis pas très catégorique, mais je me demande si ce n'est pas une soupape.

M. LE PRESIDENT: Croyez-vous qu'il y aurait...

M. DUMONT: Est-ce que vous croyez qu'il y aurait à ce moment-là, pour la province de Québec, une dépense extraordinaire?

M. BONENFANT: Avec le budget que vous avez maintenant... Comme on le disait autrefois...

M. HARDY: Ce serait une dépense sans intérêts.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, il est maintenant presque 12 h 30. Je donnerai la parole au député de Terrebonne.

M. HARDY: M. le Président, je voudrais tout simplement remercier M. Bonenfant pour son témoignage et, en écoutant M. Bonenfant tantôt, je me suis pris à envier ceux qui ont été ses élèves et ceux qui le sont encore, parce que je vois que le témoin de ce matin joint d'une façon merveilleuse la science à des talents de grand pédagogue. Je le remercie et je pense que le témoignage qu'il a rendu à l'autre séance — séance à laquelle, malheureusement, la température m'a empêché d'assister, mais j'ai pris connaissance du témoignage— et la séance de

ce matin seront de nature à éclairer les législateurs, les membres de la commission dans les décisions politiques qu'ils auront à prendre dans un avenir rapproché.

M. BONENFANT: Merci.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je n'ai pas besoin d'ajouter quoi que ce soit aux compliments qu'on a faits à M. Bonenfant, ayant été son élève, ayant dû subir ses examens...

M. BONENFANT: C'était en latin, vous.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais il me donnait 90 p. c. Je ne crois pas que nous en ayons fini avec M. Bonenfant, parce qu'il y a d'autres sujets qu'il a évoqués l'autre jour et dont il a parlé rapidement ce matin.

J'imagine qu'on pourrait lui demander d'être en réserve de disponibilité et le comité directeur va d'ailleurs réexaminer la question. La semaine prochaine nous recevrons M. Meynaud et je voudrais bien pouvoir interroger à mon tour M. Bonenfant, comme il le faisait quand il nous enseignait le droit romain.

M. LAURIN: Je joins mes remerciements les plus vifs à ceux qui ont été exprimés.

M. LE PRESIDENT: De même que le député de Rouyn-Noranda, j'imagine.

M. SAMSON: C'est ça.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, la prochaine réunion de la commission de l'Assemblée nationale aura lieu ici même le jeudi 25 mars à 9 h 30, alors que nous aurons le privilège d'entendre M. Jean Meynaud.

(Fin de la séance 12 h 32)

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