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Commission permanente de l'Assemblée
nationale
Sujet: Réforme électorale
Séance du jeudi 18 mars 1971
(Neuf heures quarante-trois minutes)
M. PICARD (président de la commission permanente de
l'Assemblée nationale): A l'ordre, messieurs!
M. LACROIX: M. le président a communiqué avec moi pour
m'informer qu'il ne serait pas ici ce matin et qu'avec la permission des
membres du comité M. Picard présiderait la réunion et
remplacerait M. Lavoie. M. Brown remplacerait M. Bourassa qui est absent et M.
Veilleux remplacerait M. Levesque qui ne peut pas être ici
immédiatement. Ceci pour permettre à la commission de
procéder étant donné que M. Drouin a une communication
à faire et que M. Bonenfant doit terminer son exposé. On
ajournera à midi. M. Houde pourrait remplacer M. Garneau.
M. HARDY: La motion de l'honorable député des
Iles-de-la-Madeleine est acceptée.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): II y a quorum.
M. HARDY: M. le Président, nous avons ce matin, à 9 h 30,
le président général des élections, Me
François Drouin qui va nous présenter l'étude qu'il a
préparée, à notre demande, sur les listes permanentes
ainsi qu'un mémoire sur les amendements qu'il suggère à la
Loi de la contestation des élections. A 10 h 30, M. Jean-Charles
Bonenfant sera de nouveau devant la commission pour poursuivre son
témoignage qui portera plus particulièrement ce matin, je crois,
sur la carte électorale. Je pense que nous pourrions
immédiatement, si cela agrée aux membres de la commission,
entendre Me Drouin sur la question des listes permanentes.
M. LE PRESIDENT: Messieurs les membres de la commission, comme vient de
vous en faire part M. Hardy, nous commencerons par les commentaires de Me
François Drouin, notre expert permanent de la commission. Par la suite,
ce sera M. Bonenfant à 10 h 30. M. Drouin.
Listes permanentes
M. DROUIN: Vous m'avez demandé, il y a à peu près
trois semaines, de vous donner par écrit l'opinion du président
général des élections concernant les listes dites
permanentes et dites définitives. Je vous avais dit dans mon
témoignage, que j'étais favorable à un genre de listes
permanentes en instituant au Québec un recensement annuel.
J'ai ici un petit document que je vais lire. Je l'aurai pour les
journalistes et pour tout le monde, j'en ai 200 copies.
Le président général des élections est
favorable à l'établissement d'une liste électorale dite
permanente, c'est-à-dire une liste faite annuellement par
dénombrement des électeurs avec révision effectuée,
lors d'élection, au début de la période
électorale.
Il est de toute nécessité de conserver, pour l'inscription
des électeurs, les avantages marqués de
l'énumération tout en acquérant ceux qui découlent
des systèmes de listes permanentes ou définitives.
Etudions immédiatement les avantages d'une
énumération annuelle :
Les partis appelés à faire les recommandations
nécessaires concernant la nomination des énumérateurs
pourraient choisir des personnes beaucoup mieux qualifiées parce qu'ils
connaîtraient à l'avance la date de
l'énumération;
Les présidents d'élection, sachant que
l'énumération doit avoir lieu à tel moment de
l'année, seraient en mesure de donner, avant le dénombrement des
électeurs, aux recenseurs nommés, des séries de cours
concernant leurs devoirs et obligations;
Le président général des élections, six
à huit semaines avant l'énumération, pourrait
réunir en différents endroits les présidents
d'élection pour leur donner des instructions précises sur les
exigences de la loi concernant l'énumération;
Des films préparés par le président
général des élections seraient remis aux présidents
d'élection pour leur permettre d'illustrer leur conférence;
également un résumé de la loi, à l'intention des
énumérateurs, serait fait et imprimé par le
président général des élections et remis à
chacun d'eux par chaque président d'élection;
L'énumération fixée au début de mai
permettrait aux énumérateurs de dénombrer les
électeurs immédiatement après les
déménagements du 1er mai;
II serait évidemment prévu qu'à la suite d'une
telle énumération les listes électorales seraient
révisées, dès l'annonce d'une élection, dans le but
de permettre à toute personne ayant les qualités requises pour
être inscrite sur la liste de faire les démarches
nécessaires, de même que pour permettre à toute personne ou
à tout électeur intéressé à faire radier le
nom des personnes qui ont perdu ces qualifications;
Ce système permettrait de réduire de dix à quinze
jours la période électorale;
Le coût de cette énumération serait moins
élevé que les déboursés nécessaires d'une
liste électorale dite permanente ou définitive.
Je me permets d'attirer votre attention sur le fait qu'en Australie,
bien qu'il y ait un système d'inscription permanente, chaque
année on fait une révision dans les endroits urbains en
passant
de porte en porte pour recueillir les renseignements nécessaires
aux changements à apporter aux listes; en fait cette révision est
une énumération.
Cela se trouve dans le rapport du commissaire à la
représentation sur les méthodes d'inscription des
électeurs en 1968, page 49, partie 2, section 8.
Signalons maintenant les désavantages des listes dites
permanentes ou définitives.
La révision de ces listes ayant lieu en dehors de la
période électorale, elle intéresse beaucoup moins
l'électeur;
L'obligation d'ouvrir dans chaque district un bureau pour
l'enregistrement des électeurs et de nommer deux, trois ou quatre
personnes, selon les exigences de l'endroit, pour tenir ces bureaux, rendrait
cet enregistrement coûteux et très difficile d'accès pour
un certain nombre d'électeurs du Québec;
Leur coût serait d'au moins un dollar par électeur par
année, soit un minimum de $3,500,000 annuellement;
Les partis seraient dans l'obligation de dépenser des ressources
importantes pour inciter les électeurs à se faire inscrire lors
de l'ouverture des bureaux d'enregistrement et à faire les
vérifications nécessaires durant la révision;
Le système d'inscription permanente ne permet pas de suivre les
électeurs qui changent de domicile.
Voici ce que dit M. Castonguay dans son rapport du commissaire à
la représentation sur les méthodes d'inscription, page 20, a)
observations générales: "Une grande faiblesse des systèmes
d'inscription permanente des électeurs est qu'il est difficile de ne pas
perdre de vue les électeurs qui changent de résidence. Pour
tenter de résoudre ce problème, certains systèmes
utilisent l'inscription obligatoire de l'électeur. Cependant, quelle que
soit la méthode utilisée pour mettre les listes à jour,
leur exactitude au moment d'une élection générale ne peut
être qu'en rapport avec le temps écoulé entre la mise
à jour des listes et le jour du scrutin. En général, le
temps employé à mettre une liste à jour est de quatre
à cinq mois."
La liste électorale idéale serait celle qui pourrait
être confectionnée et révisée la veille du
scrutin.
Techniquement parlant, ceci est une chose impossible.
Donc, la précision d'une liste électorale est
proportionnelle aux jours qui s'écoulent entre sa confection et le
scrutin; plus il y a de jours, moins elle est précise.
Toutefois, le président général des
élections croit de son devoir d'attirer l'attention de la commission de
l'Assemblée nationale sur certaines déclarations faites par M.
Nelson Castonguay, ancien directeur général des élections
à Ottawa il a présidé à six élections
générales qui a fait, à la demande du Parlement,
à titre de commissaire à la représentation, une
étude complète sur les méthodes d'inscription des
électeurs.
Le comité permanent des privilèges et élections de
la Chambre des communes a étudié ce rapport 119 pages,
annexes comprises et il a entendu le témoignage de M. Castonguay
les 24 avril, 29 avril, 1er mai et 7 mai 1969. Au cours de ce
témoignage, ce dernier a fait des déclarations qui sont d'une
très haute importance.
A la page 107, procès-verbaux et témoignages, no 9, du
comité permanent des privilèges et élections, pour les
mardi 29 avril, jeudi 1er mai et mercredi 7 mai 1969, M. Castonguay fait la
déclaration suivante : "N'allons pas trop noircir notre régime.
Il n'existe aucun régime prévoyant tous les cas, si ce n'est la
méthode globale très dispendieuse des listes définitives
des électeurs. Si vous vouliez adopter cette méthode, il serait
possible de prévoir tous ces cas, mais le coût pour une
période de quatre ans, par exemple, s'élèverait à
environ 44 millions de dollars contre $8 millions à l'heure
actuelle.
Etes-vous prêts à dépenser 35 millions de dollars
pour assurer un tel service? Si vous estimez que l'autre proposition consistant
à raccourcir la période d'élection est d'aucune
utilité, vous ne pouvez pas désirer des listes définitives
des électeurs dans l'unique but qu'elles soient plus précises,
car je ne crois pas qu'aucune autre méthode de listes définitives
des électeurs soit plus précise que celle que nous suivons, si
nous les comparons sur une période d'une année complète.
Je veux parler d'un moment particulier, mais pour une période d'une
année, quel que soit le moment où une élection est
annoncée, notre méthode est raisonnablement précise;
toutefois, la précision des listes définitives des
électeurs dépend de la proximité du jour où
l'élection est annoncée du moment où se fait la
révision."
A la même page du document précité, nous lisons:
"Quand une élection est déclenchée, on donne seulement dix
jours d'habitude. Le recensement commence le 49e jour. Les candidats ont donc
seulement quatre à cinq jours pour choisir 150 recenseurs et les
recommander à l'officier rapporteur. A mon avis, si les candidats des
circonscriptions urbaines avaient plus de temps pour choisir des recenseurs et
pour vérifier s'ils sont disponibles, et s'ils sont compétents,
le recensement serait mieux fait."
A la page 108 du même document: "Ce n'est pas raisonnable de
croire qu'on peut commencer une élection dans un délai de dix
jours. Quand l'élection est déclenchée, l'officier
rapporteur ouvre son bureau. Je ne parle pas du système rural; je parle
du système urbain. Les candidats donnent une liste; l'officier
rapporteur rassemble 300 recenseurs dans son bureau et le recensement doit
commencer le 49e jour. Pour ma part, le système que je
préconiserais serait que les candidats aient au moins dix jours
pour choisir les recenseurs et qu'une période de trois semaines
soit accordée avant de commencer le recensement. Je sais que cela
signifie une campagne électorale de 70 ou 71 jours, mais il y a d'autres
façons de réduire les dépenses; s'il n'y a pas de radio,
de télévision, d'annonces dans les journaux, rien, pour seulement
les derniers trente jours, alors, les déboursés sont moindres
pour les partis politiques."
Aux pages 110 et 111, M. Castonguay nous dit: "Dans nos
délibérations, la semaine dernière, je ne me suis pas
précisément opposé à l'établissement d'une
liste définitive des électeurs, mais voici ce que j'ai fait
remarquer. Si vous voulez une telle liste dans l'unique but d'avoir une liste
plus précise, je vous rappelle qu'une liste définitive ne se
tient pas à jour automatiquement. Pour ce qui est de laisser aux
électeurs le soin de mettre la liste à jour, nous en avons fait
l'expérience au Canada en 1934, quand nous avons adopté une liste
définitive des électeurs.
La liste originale avait été établie à
l'automne de 1934 et il n'y avait aucun moyen d'y faire inscrire ou rayer son
nom, sauf au cours d'une période de six semaines allant du 1er juin au
15 juillet.
La révision s'est faite en 1935 au cours de cette période,
et c'est à l'électeur qu'il incombait de faire connaître au
registraire tout changement survenu dans son état civil.
L'élection était prévue pour octobre 1935, et ce fut un
beau chahut, car personne ne pouvait y faire inscrire ou rayer son nom. Par
conséquent, immédiatement après l'élection, on a
institué un comité spécial chargé d'étudier
la question; la liste définitive des électeurs, l'inscription
obligatoire, le vote obligatoire. Le comité a été unanime
à recommander que l'on ne devrait plus jamais adopter une liste
définitive des électeurs au Canada.
Au cours des entretiens parce qu'il est bon de remarquer que M.
Castonguay s'est déplacé; il est allé en France
étudier le système français; il est allé en
Angleterre, il est allé aux Etats-Unis, en Nouvelle Zélande, en
Colombie-Britannique, en Australie; il est allé sur les lieux et a vu
les systèmes que j'ai eus avec les agents électoraux de
tous les pays où je suis allé, comme les Etats-Unis, l'Australie,
la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et la France, ils soutiennent que
notre méthode pour une année complète permet d'avoir une
liste plus précise pour une élection ordonnée durant
l'année par rapport à n'importe quelle des méthodes qu'ils
suivent.
A la suite du témoignage de M. Castonguay, le comité
permanent des privilèges et élections de la Chambre des communes
a présenté à la Chambre son sixième rapport qui se
lisait comme suit : "Conformément à l'ordre de renvoi du 2 avril
1969 qui se lit: "II est ordonné que le rapport du commissaire à
la représentation sur les méthodes d'inscription des
électeurs et de vote des absents en 1968, établi
conformément à l'article 9 de la loi sur le commissaire à
la représentation, soit renvoyé au comité permanent des
privilèges et élections."
Le comité a tenu cinq réunions et a entendu à titre
de témoin M. Nelson Castonguay, commissaire à la
représentation.
Après avoir étudié ledit rapport et en
considération des témoignages reçus, le comité est
d'avis que l'établissement d'un système permanent
d'enregistrement des électeurs au Canada, semblable à ceux
mentionnés au rapport du commissaire à la représentation,
n'est pas re-commandable puisqu'il soulève plus de problèmes
qu'il n'en solutionne."
M. LE PRESIDENT: M. Drouin, messieurs, après avoir
étudié la question, j'en suis venu à la décision
unanime, personnelle, que j'avais le droit d'apporter une correction à
ce qui avait été dit la semaine dernière lors de la
réunion, alors que je mentionnais qu'il y avait plusieurs comtés
de la province qui chevauchaient les régions administratives. Un membre
de la commission avait mis en doute cette déclaration. J'aimerais
apporter la précision suivante: Après vérification, en
effet, il y a seize comtés, et j'apporte ici une correction.
M. Drouin nous dit ce matin qu'il y a même 18 comtés dont
les limites actuelles chevauchent les régions administratives de la
province. Est-ce exact, M. Drouin?
M. DROUIN: II y en a seize qui chevauchent deux régions et deux
qui en chevauchent trois. Si cela peut vous intéresser, je vais vous les
énumérer: Abitibi-Est chevauche 8, 2 et 4 je pourrai
fournir une photocopie de cela si ça intéresse les
députés; ç'a été préparé par
M. Fernand Martel, géographe-chef de la division des limites
territoriales au ministère des Terres et Forêts Berthier, 6
et 7; Chauveau, 3 et 4; Dubuc, 2 et 10; Duplessis, 9 et 10; Frontenac, 3 et 5;
Joliette, 6 et 7; Labelle, 6 et 7; Lotbinière, 3 et 4;
Maskinongé, 4, 6 et 7; Mégantic, 3 et 4; Montcalm, 6 et 7;
Papineau, 6 et 7; Portneuf, 3 et 4; Richmond, 5 et 4; Rimouski, 1 et 3;
Roberval, 2 et 10; Shefford, 6 et 5; Wolfe, 3 et 5; Yamaska, 4 et 6.
M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Drummond.
M. PINARD: M. Drouin, je vous remercie pour votre rapport qui nous
éclaire à bien des points de vue. Si vous voulez, ma question va
se limiter à l'aspect financier de tout changement qui peut survenir
dans la confection de la liste électorale.
Il est indéniable qu'il y a des avantages marqués à
avoir une liste permanente et il est également indéniable qu'il y
a de très sérieux désavantages à utiliser ce
nouveau système. Cependant, compte tenu de ce qu'il en coûte
pour faire l'émunération à l'occasion du
déclenchement d'une élection et de toutes les autres
dépenses connexes pour la tenue d'une élection, par rapport aux
dépenses qu'il faudrait encourir pour que cette liste d'électeurs
soit mise à jour annuellement, comment voyez-vous ce tableau des
dépenses, toutes comparaisons faites?
M. DROUIN: A un minimum d'un dollar par année, par
électeur. Ce qui n'est pas...
M. PINARD: Ce qui nous ferait une dépense annuelle de...
M. DROUIN: De $3,5 millions. M. PINARD: ...$3,5 millions.
M. DROUIN: Parce qu'actuellement on peut évaluer
l'électorat à 3,5 millions. Nous avions 3,471,000 à
l'élection du mois d'avril dernier.
M. PINARD: A combien peut se chiffrer une élection, compte tenu
de votre travail d'énumé-ration et de tout l'appareil même
de la mise en marche d'une élection, en dehors des dépenses
faites par les partis proprement dits?
M. DROUIN: L'élection d'avril dernier a coûté au
gouvernement, y compris les remboursements faits aux candidats, un peu plus de
$8 millions, tout près $9 millions.
M. PINARD: Si on adoptait la liste permanente, il faudrait ajouter $3,5
millions par année...
M. DROUIN: $14 millions. M. PINARD: $14 millions. M. DROUIN: Au
minimum.
M. PINARD: Si l'on tient pour acquis qu'il n'y aura pas
d'élection avant quatre ans, car le mandat d'un gouvernement est de cinq
ans, mais par tradition il a été de quatre ans ce qui fait 3
millions et demi multipliés par 4 dans l'intérim, entre les deux
élections, plus la dépense à faire au moment du
déclenchement de l'élection...
M. DROUIN: Evidemment. Vous doublez plus que la dépense d'une
élection. Et pourquoi? Il faut se demander pour quelles raisons. Est-ce
que l'on fait des élections plus vite dans le but de gagner? Si vous
faites des élections plus rapidement, qu'allez-vous y gagner? Dix jours,
douze jours ou quatorze jours. En somme, il faut tout de même le
penser si vous déclenchez des élections plus vite, cela
favorise le gouvernement au détriment des partis d'opposition parce
qu'ils peuvent être pris par surprise, comme on dit.
Puis, si on veut une liste plus précise, M.
Castonguay, qui est l'expert des experts, n'est-il pas allé sur
les lieux pour étudier? Si vous prenez la liste de la Grande-Bretagne,
elle est dressée, puis révisée et tout le processus se
termine un 16 février. Or, celle qui est entrée en vigueur un 16
février va servir pour toutes les élections qui vont être
tenues du 16 février 1971 au 15 février 1972, sans aucun
changement, sans radiation, sans inscription et sans addition. Celui qui
entre-temps devient éligible au vote ne peut pas voter.
M. PINARD: II peut y avoir discrimination ou comment dit-on en
français "défranchiser". Il peut y avoir une
possibilité de "défranchiser" un électeur éligible
au vote?
M. DROUIN: C'est une liste définitive qu'on appelle. En France,
on a une liste qui permet certaines modifications, mais pour certaines classes
de personnes. Les militaires et leurs épouses, les fonctionnaires et
aussi par jugement de la cour de cassation. A part cela, on ne fait aucun
changement.
M. PINARD: Est-ce que vous êtes capable de nous dire quels
seraient les avantages au plan financier d'une mise à jour de la liste
des électeurs dans un système de refonte de la liste
électorale faite annuellement par rapport aux 10 à 14 jours, dont
vous avez parlé? Que pourrait-on épargner au point de vue du
temps? Avez-vous été capable d'établir des chiffres comme
économie possible par rapport aux autres dépenses dont on vient
de parler?
M. DROUIN: L'énumération annuelle coûterait environ
$2 millions. Si vous payez les énumérateurs suivant le coût
de l'an dernier, j'évalue cela avec l'augmentation possible des
électeurs, à environ $1,600,000. Il faudrait payer les
présidents d'élection pour le travail qu'ils sont obligés
de faire durant ce temps-là. Nous sommes capables de faire cela pour $2
millions.
M. PINARD: Pour $2 millions... M. DROUIN: ... par année.
M. PINARD: A ce moment-là, est-ce que cela signifie que les
élections auraient lieu à une date fixe?
M. DROUIN: Pas nécessairement. M. PINARD: Pas
nécessairement? M. DROUIN: Non.
M. PINARD : Est-ce que des élections à date fixe ont lieu
à l'intérieur de systèmes comme ceux qui ont
été évoqués dans d'autres pays?
M. DROUIN: Si vous aviez des élections à date fixe, on
pourrait mettre une énumération à date fixe.
M. PINARD: Oui.
M. DROUIN: On pourrait la mettre trois mois avant puisque c'est su,
c'est connu.
M. PINARD: Oui.
M. DROUIN: Alors, on la ferait.
M. PINARD: Est-ce que ça vous semblerait un système
préférable à celui qui est préconisé ici
avec le tableau des avantages?
M. DROUIN: II faudrait changer passablement tout notre système
d'Assemblée nationale, de cabinet et tout. Il faudrait remettre tout
cela en question. Evidemment, le vrai moyen idéal serait d'allonger la
période électorale d'une dizaine de jours, d'empêcher les
dépenses électorales avant le trentième jour qui
précède le scrutin et de laisser aux recenseurs le temps de faire
un bon recensement, une bonne révision et de préparer tout cela.
Comme le dit M. Castonguay, il faudrait prendre le délai de 60 jours et
le porter à 70 à Ottawa. Ici, le minimum actuellement est de 46
jours. Si on le portait à 57 ou 58 jours, on aurait d'après moi
l'idéal. Mais entre deux maux tout de même, il y a le recensement
annuel qui serait bon.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Drouin, est-ce que le fait d'établir
le scrutin à date fixe disons tous les quatre ans, le 1er
novembre pourrait réduire le coût du recensement et de la
confection d'une liste permanente des électeurs?
M. DROUIN: Si vous avez un scrutin à date fixe et que vous voulez
quand même avoir une liste permanente, vous allez être
obligé de payer le coût d'un dollar par année. De plus, si
vous avez des élections à date fixe, on pourrait faire le
recensement 60 et 70 jours avant le jour qui est fixe et on pourrait
préparer les recenseurs deux mois ou deux mois et demi à
l'avance. Nous pourrions donner des conférences. A mon point de vue, on
aurait des personnes qualifiées.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Drouin, voici pourquoi je vous pose cette
question. C'est que dans le cas des personnes qui seraient appelées
à faire le recensement ou le dénombrement des électeurs,
à partir du moment où vous les auriez initiées et leur
auriez donné des cours, il y en a évidemment qui
disparaîtraient fatalement parce qu'il y a des gens qui meurent ou des
gens qui abandonneraient, mais il y aurait quand même un groupe important
de ces personnes appelées à la confection des listes qui seraient
depuis longtemps initiées.Ce qui vous amènerait évidemment
à réduire, d'année en année, le coût que peut
représenter ce travail d'initiation et de préparation des
réviseurs, des recenseurs, etc. Est-ce que du fait qu'on aurait un
scrutin à date fixe, on ne pourrait pas, une fois pour toutes, mettre
des mécanismes en place qui, au départ, coûteraient
certainement de l'argent comme vous l'avez indiqué mais
dont le coût serait petit à petit amorti du fait que ces
gens-là deviendraient des fonctionnaires permanents du gouvernement et,
s'occupant uniquement de cela, pourraient au fur et à mesure mettre
à jour les listes?
M. DROUIN: Si vous avez des fonctionnaires permanents partout pour
s'occuper des listes, cela va vous coûter encore plus cher que ce que je
vous dis là. Cela va être plus coûteux qu'un dollar par
année.
Il faut bien penser que dans une province comme la nôtre
abstraction faite du nombre des décès qui est assez
élevé les mutations sont énormes. Des mutations
d'abord dans un même district on part d'une rue pour s'en aller
à l'autre des mutations d'une ville à une autre ville,
dans toute la province; des mutations de personnes qui arrivent dans la
province de Québec ou qui en sortent. C'est énorme. On doit me
donner le...
Je l'ai déjà fait pour la ville de Québec lorsqu'on
a préparé la Loi électorale municipale. Nous nous sommes
rendu compte qu'à Québec, par mois, il y avait 474 mutations
différentes, de personnes qui entraient dans la ville ou qui en
sortaient. Non pas celles qui se déplaçaient dans la ville
même. Vous voyez que c'est énorme.
Comme me le disait M. Castonguay: En Angleterre, on ne change pas de
domicile. C'est dans les habitudes, c'est la tradition; on reste dans sa petite
maison même si on va travailler ailleurs, on se déplace
plutôt pour aller travailler, on ne déménage pas. Chez nous
il y a énormément de mutations.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous ne pensez pas que cela pourrait en
réduire le coût?
M. DROUIN: Je ne le crois pas. Evidemment ça réduirait le
coût si nous avions une élection à date fixe et si nous
faisions 1'énumération trois mois avant. Dans ce cas-là,
cela réduirait le coût des listes permanentes ou le coût
d'une énumération annuelle mais ça reviendrait à
peu près au même coût que l'on paie aujourd'hui.
M. LE PRESIDENT: Le député de Frontenac.
M. DUMONT: De Mégantic.
M. LE PRESIDENT: Excusez-moi.
M. DUMONT: Merci, M. le Président. Dans les chiffres qu'on a
donnés au ministre et député de Drummond et pour lesquels
il a obtenu une explication, il faut tout de même tenir compte du montant
$1,600,000 que le président des élections vient de donner,
montant qu'il en coûte pour faire le recensement.
On dit que la liste permanente est dispendieuse on a parlé
de $14 millions il faut tout de même y enlever $1,600,000 qu'on est
obligé de débourser à toutes les élections pour
faire l'énumération. Qu'on le veuille ou non il faut la faire
lorsque les élections arrivent. C'est une précision que je
voulais apporter.
Vous avez semblé, M. Drouin, vous prononcer
catégoriquement contre la liste permanente. Je crois cependant que c'est
surtout pour une question de déboursé et je crois voir dans le
rapport de M. Castonguay à peu près la même objection: le
déboursé. Considérant cette chose, pour me permettre
d'avoir plus d'explications, est-ce que, dans la liste que vous réclamez
et qui se ferait annuellement, vous considérez le coût du
déboursé malgré tout? Celle que vous avez
recommandée.
M. DROUIN: C'est-à-dire que le recensement annuel coûterait
$1,600,000...
M. DUMONT: C'est ça qui coûte $1,600,000.
M. DROUIN: ... plus les honoraires qu'il faudrait verser à nos
présidents d'élection et un secrétaire d'élection
temporaire pour le travail fait. Quand ça se serait élevé
à quelques milliers de dollars on en a 108 et une allocation
entre $500 et $1,000 est suffisante... Quand je dis $2 millions, je suis
sûr que ça ne dépasserait pas ça.
J'aime mieux donner des chiffres et que ça coûte meilleur
marché que plus cher. Je crois qu'avec $1,650,000 nous pouvons faire une
énumération annuelle.
M. DUMONT: Cela voudrait dire que la différence entre la liste
permanente et la liste annuelle que vous réclamez serait de $2 millions.
L'équivalent si c'est une liste permanente?
M. DROUIN: Oui.
M. DUMONT: Est-ce que vous voyez une objection à ce que, dans les
municipalités où nous avons des employés à temps
partiel et qui pourraient devenir des employés permanents, où il
y aurait déjà des différences au point de vue du salaire,
on ajoute des montants pour qu'ils deviennent permanents et qu'on leur permette
de confectionner ces listes puis d'avoir des ententes avec Québec pour
que la liste devienne une liste permanente et que, par surcroît,
Québec vende tous ces services à Ottawa pour permettre que les
déboursés deviennent moindres parce que les électeurs
partout au Canada votent maintenant à 18 ans? Est-ce que vous voyez
quelque problème à ce que le Québec agisse de cette
façon?
M. DROUIN: Vous revenez au système qui existait avant que le
gouvernement Godbout vote la loi de 1942 et décrète
l'énumération.
M. DUMONT: C'est toujours au sujet de la liste permanente que je vous
pose la question.
M. DROUIN: Les listes étaient alors rédigées par
les secrétaires-trésoriers tous les deux ans. Les
secrétaires-trésoriers n'ont pas les noms de tous les gens. Ils
ont seulement les noms de ceux qui apparaissent au rôle
d'évaluation. Il y avait, à la suite de cela, des
révisions qui ne finissaient plus. De 1936 à 1939, il y avait eu
une révision dans la ville de Québec. Je crois que, pour un seul
district électoral, il y avait eu une seule personne qui avait
demandé l'enregistrement de 3,000 noms. C'est un parti politique qui
avait fait ça.
M. DUMONT: Par les municipalités, vous n'êtes pas
d'accord.
M. DROUIN: Par les municipalités, non, parce qu'elles ne peuvent
pas prendre tout le monde. Nous aurons des listes où on aura un
résident et on le placera sur la liste.
M. DUMONT: C'est une très bonne réponse pour les
municipalités. J'en reviens à ma dernière question
à savoir si M. Castonguay trouve que le déboursé pour une
liste permanente serait de $35 millions pour tout le Canada. Agissant
immédiatement, en ayant une liste permanente du Québec et en
vendant les services au Canada, ne pourrions-nous pas récupérer
$6 millions et de ce fait même avoir un déboursé
très réduit pour une liste permanente qui semble être
très avantageuse?
M. DROUIN: Ce serait très difficile de vendre notre liste au
Canada.
M. DUMONT: Pourquoi?
M. DROUIN: Parce que, premièrement, je crois que le Canada ne
prendrait pas la liste de la province de Québec à moins de
prendre celle de l'Ontario, si l'Ontario avait une telle liste.
Deuxièmement, la liste électorale de la section 10 du district
électoral de X pourrait chevaucher sur deux districts électoraux
fédéraux. Ce ne sont pas les mêmes districts
électoraux.
M. DUMONT: Je veux dire donner la liste permanente de toutes les
personnes qui ont atteint 18 ans et éliminer celles qui sont
décédées. On divise par 74 comtés et nous divisons
par 108 ou 110.
M. DROUIN: Cela ne peut pas se faire. Nous avons tout près de
16,000 sections dans la province. Il faut que les listes soient faites par
section. Autrement, vous allez arriver avec M. Bernard Dumont, par exemple, et
il peut arriver qu'il y en ait 50 dans la province.
Ils diront: Où mettre celui-là, où mettre cet
autre? Comprenez-vous? Il faut que ce soit fait par section. Etant fait par
section, vous pouvez
avoir une section au provincial dans le district électoral qui
est partie dans un autre district fédéral et partie dans l'autre.
Nous n'avons pas les mêmes divisions.
M. LE PRESIDENT: Le député de Bourget.
M. LAURIN: M. Castonguay, j'aurais une ou deux questions à vous
poser. Vous avez dit que le coût annuel de votre système serait de
$3,500,000. Si on fait le décompte de ces dépenses, vous dites
que l'énumération coûterait $1,600,000, que les frais pour
les présidents d'élection et tout le reste, ça pourrait
monter à $2 millions, d'où vient la différence de
$1,500,000 que ça coûterait de plus annuellement?
M. DROUIN: Si vous transposez ici le coût d'une liste permanente
telle qu'on l'a en Australie, elle revient à $0.45 le nom. Si vous
transposez le coût en argent et le coût de la vie d'ici, vous
êtes obligés de transposer à un dollar.
M. LAURIN: Donc, c'est par pure déduction que vous en êtes
arrivé à ce résultat.
M. DROUIN: Oui.
M. LAURIN: Une deuxième question. Vous êtes probablement au
courant qu'à la suite de la déposition du rapport de M.
Castonguay, il y a eu une sorte de contre-rapport qui a été
présenté au fédéral par la Société de
mathématiques appliquées, où on faisait valoir que le
coût prévu par M. Nelson Castonguay était beaucoup trop
élevé, qu'en prenant une autre base de calcul et une autre
façon de fabriquer la liste électorale permanente, on en arrivait
à des coûts de beaucoup inférieurs.
Par exemple, là où M. Nelson Castonguay prédisait
un coût de $16 millions, la Société de mathématiques
appliquées prévoyait un coût de $2,500,000 par
année, selon une méthode différente de collection des
données, et selon l'utilisation aussi massive des nouvelles
méthodes de cybernétique, c'est-à-dire, par l'ordinateur.
Est-ce que vous avez eu l'occasion d'étudier ce contre-rapport
scientifique de la Société de mathématiques
appliquées?
M. DROUIN: J'ignorais même l'existence de ce rapport.
M. LAURIN: Je vous ai donné une idée de la validité
des objections qui...
M. DROUIN: Je ne l'ai pas en ma possession, ce rapport-là, je ne
l'ai même pas étudié.
M. LAURIN: Je me demandais, alors, M. le Président, s'il serait
possible de faire déposer devant la commission, ce rapport de la
Société de mathématiques appliquées.
M. LE PRESIDENT: Je note la demande du député de
Bourget.
M. LAURIN: Ainsi qu'un autre rapport de la Société de
mathématiques appliquées qui a été soumis au
ministère du Bien-Etre et de la Famille, sur la constitution d'un
fichier démographique des Québécois.
M. HARDY: M. le Président, avant que nous acceptions le
dépôt de ce rapport, est-ce que je pourrais demander au
député de Bourget si cela implique, qu'on a fait l'étude
du coût advenant le cas où la Société de
mathématiques appliquées serait engagée pour faire ces
travaux?
M. LAURIN: Non, non.
M. HARDY: Etait-ce une espèce de soumission de la part de la
SMA?
M. LAURIN: Non. C'était une étude faite par la SMA sur le
rapport Castonguay.
M. HARDY: Mais cela impliquait qu'on re-courerait, sinon à la
SMA...
M. LAURIN: Non, non.
M. HARDY: ... cela impliquait qu'on recou-rerait au moins à une
firme semblable pour...
M. LAURIN: C'est-à-dire à des méthodes
différentes...
M. HARDY: Ou à l'ordinatrice.
M. LAURIN: Ce serait tout à fait indécent pour une
compagnie de soumettre un rapport et de demander à la fin qu'on lui
soumette un contrat.
M. HARDY: C'est-à-dire que je savais bien que ce n'était
pas fait de cette façon.
UNE VOIX: Ce ne serait pas la première fois.
M. HARDY: Je présumais que ce n'était pas fait d'une
façon aussi explicite. Mais, je me demandais si...
M. LAURIN: Je pense que nous parlons...
M. HARDY: Les méthodes suggérées n'étaient
pas celles que, peut-être, la Société de
mathématiques appliquées ou très peu d'organismes
étaient incapables de faire.
M. LAURIN: Je pense, M. le Président, que la cybernétique
est une méthode qui est maintenant utilisée dans presque tous les
domaines: la rationalisation budgétaire, les choix prioritaires des
ministères...
M. HARDY: Le PPBS.
M. LAURIN: Le PPBS. Donc, je pense bien que cela se situe au-dessus de
ces considérations personnelles.
M. HARDY: M. le Président, en ce qui me concerne, je n'aurais
aucune objection à ce que ces rapports soient déposés,
toujours dans la perspective que plus les membres de la commission seront
informés, renseignés, plus les décisions que nous
prendrons seront justifiées et reposeront sur des critères
objectifs.
M. LE PRESIDENT: Les membres de la commission me permettront sans doute
de faire une autre suggestion. On parle souvent de la difficulté qu'il y
a d'avoir, de dresser une liste permanente, qui contiendra
éventuellement 3,500,000 noms, et du délai requis. J'aimerais,
à l'occasion du rapport que l'on demande, savoir s'il n'y aurait pas
possibilité d'apprendre de la compagnie de téléphone Bell
quelles méthodes elle utilise. Je faisais un relevé approximatif
de l'annuaire téléphonique de la ville de Montréal. Il
contient près de 800,000 inscriptions dont au moins le quart sont
corrigées tous les ans. Or, l'on réussit à publier
au-delà de 600,000 exemplaires dans un délai de deux mois.
M. LAURIN: J'ajouterais même l'Hydro-Québec...
M. LE PRESIDENT: Je pense que, parmi les rapports que nous devrions
demander, nous pourrions nous informer des méthodes utilisées par
des compagnies comme celles-là pour compiler ces inscriptions
n'oubliez pas qu'il s'agit de 800,000 inscriptions par ordre
alphabétique.
M. LAURIN: II y a aussi l'Hydro-Québec.
M. DROUIN: M. le Président, me permettez-vous un mot? Leur
système est un système qui demeure. Vous me suivez? On y garde
d'année en année tout ce qu'il faut pour imprimer, on le garde
monté, on n'y apporte que des modifications. Je vous réponds: En
Colombie-Britannique, on a ce système. Je ne dis pas que c'est le
système de la compagnie de téléphone Bell. On y a ce
système de listes, avec révision annuelle pour faire les
changements. Les personnes peuvent demander des changements. Lorsque la liste
n'est pas conforme, le cabinet provincial a le droit de l'annuler dans certains
districts et de faire un recensement. Or, en août 1970, M. Bennett,
premier ministre de la Colombie-Britannique, a tenu des élections. Il a
annulé toutes les listes électorales permanentes de la
Colombie-Britannique et a fait faire de l'hiver au printemps un recensement qui
a servi à l'élection de 1970. Il y avait en effet trop de
changements et les listes n'étaient pas tenues à jour. Ce n'est
pas facile de tenir une liste à jour.
M. LE PRESIDENT: Le député de Saint-Louis, s'il vous
plaît.
M. BLANK: Je veux justement vous poser une question au sujet de la liste
permanente, puisque vous parlez de la Colombie-Britannique. Votre objection
à la liste permanente ou les désavantages que vous nous avez
démontrés, c'est la question du coût et de savoir si nous
aurons une meilleure liste pour faire le recensement plus avant, au jour de la
période électorale. Il semble que ce soit le but recherché
par tout le monde de rendre la période électorale plus courte
qu'avant, à cause du nouveau système de communications. N'est-il
pas possible d'avoir un mariage des systèmes, comme en
Colombie-Britannique? Disons que vous faites maintenant un recensement
permanent pour avoir une liste permanente. Vous commencez avec une liste
permanente. Chaque année, vous avez une période de
révision. Mais, si nous avons 45 jours pour faire une élection,
les premiers 23 jours, vous avez une autre révision. C'est-à-dire
que, lors de la dernière révision avant les élections, les
partis politiques seront intéressés, nous aurons une
révision et il n'y aura donc pas besoin de recensement. C'est le mariage
des deux systèmes.
M. DROUIN: Mais, regardez bien, dans les pays où on a des listes
permenentes, les révisions qui sont faites sont l'équivalant de
notre énumération. On y envoie des avis, mais on passe de porte
en porte pour faire la révision.
M. BLANK: Je ne parle pas de cette sorte de révision, je parle
d'une révision d'une période de deux mois durant l'année.
Il y a des annonces durant six semaines dans les journaux. Si vous voulez faire
changer la liste électorale, vous allez à telle ou telle place,
et vous avez peut-être les deux dernières semaines ou la
dernière pour faire des contestations et exiger des changements. Cela
veut dire que c'est une question de volonté de la personne. Durant la
période électorale, nous avons encore une révision, mais
pas un recensement. Cela veut dire que vous ne perdez ni votre temps ni votre
argent pour faire un autre recensement, mais seulement une révision, et,
cette fois-ci, elle est garantie et suivie par les partis politiques et les
candidats.
M. DROUIN: Votre première révision, M. le
député de Saint-Louis, n'apportera pas grand-chose...
M. BLANK: Cela ne fait rien.
M. DROUIN: ... parce que l'électeur ne se déplacera pas en
dehors du temps électoral.
M. BLANK: D'accord.
M. DROUIN: Et quand on va arriver à l'élection, on va
avoir une révision énorme et on n'en sortira pas.
M. BLANK: Pourquoi trois semaines...
M. DROUIN: Remarquez bien que, quand je parle de l'argent, quand je
parle du coût, ce n'est pas nécessairement le critère
nécessaire, mais si on veut avoir des listes plus précises, on
n'obtiendra pas de listes plus précises avec les listes permanentes.
C'est ce que dit M. Caston-guay, et il nous dit après cela: Si c'est
simplement pour réduire la longueur des campagnes de dix à quinze
jours, êtes-vous prêts à payer $44 millions pour
réduire cela de quinze jours? C'est là le point. Le point n'est
pas de dire: Voulez-vous des listes permanentes, même si cela coûte
cher? Mais si c'est pour avoir des listes plus précises, vous faites
erreur. Si c'est pour réduire le temps de la campagne,
réduisez-le autrement. Déclarez qu'il n'y a pas de radio, pas de
télévision, pas de journaux, pas d'annonces, rien, sauf les
conventions avant le trentième jour. Alors, le taux est...
M. LE PRESIDENT: Messieurs, avant de céder la parole au
député de Rouyn-Noranda, j'aimerais savoir si les membres de la
commission sont d'accord qu'on obtienne les deux rapports dont a fait mention
tantôt le député de Bourget. De même, je voudrais
savoir si nous devons donner des instructions au secrétaire de la
commission pour obtenir les informations de la compagnie Bell Canada. Etes-vous
d'accord là-dessus? M. le député de Drummond.
M. PINARD: M. le Président, ce n'est pas une objection formelle
que je fais. Je serais d'accord que tous ces documents d'information soient
donnés aux membres de la commission parlementaire, mais comme ces
témoins n'auront pas été convoqués devant la
commission parlementaire, il ne faudrait pas accepter la documentation qui nous
sera fournie comme étant l'équivalent d'un témoignage qui
aurait pu être rendu par les personnes qui sont les auteurs des documents
que nous aurons.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, à propos de ces
documents, je serais très heureux qu'on les dépose. Toutefois
et cela rejoint la pensée du député de Drummond
est-ce qu'il serait possible de confier immédiatement ou dans les
plus brefs délais l'analyse de ces documents?
M. DROUIN: II faudrait savoir ce que cela coûte.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): II s'agirait de voir quels sont les
critères qui ont servi à la Société de
mathématiques appliquées, par exemple, pour dire qu'il en
coûterait beaucoup moins cher que ne le prévoit M. Castonguay pour
établir des listes permanentes en vertu d'un nouveau système de
calcul. En effet, ces documents vont nous arriver entre les mains et nous ne
sommes pas des spécialistes dans ce domaine de la compilation et de
l'interprétation des données. Nous aurons entre les mains des
documents d'ordre technique. Je serais extrêmement heureux si la
commission pouvait de mander à un spécialiste de faire l'examen,
afin d'examiner les critères qui ont servi à la
Société de mathématiques appliquées pour en venir
aux conclusions qu'elle propose dans ses rapports. Autrement, les documents ne
nous seront pas utiles à moins qu'on appelle à témoigner
les personnes qui ont rédigé ces documents.
M. LE PRESIDENT: Messieurs, vous êtes d'accord qu'on demande de
déposer ces documents, à titre d'information seulement, quitte
à en faire faire l'analyse par des experts, et ceux-ci seront
probablement appelés à témoigner devant la commission.
Tout le monde est d'accord?
M. HARDY: Pour faire suite à la dernière suggestion du
député de Chicoutimi, je propose qu'on autorise le
secrétaire de la commission, M. Desmeules, à essayer de trouver
des spécialistes. Lors de la prochaine réunion, il pourrait
suggérer les noms des spécialistes qui seraient appelés
à faire l'étude du rapport de la SMA et d'autres rapports.
Peut-être pourrions-nous demander à M. Desmeules de faire les
démarches préliminaires pour trouver des noms de
spécialistes qui seraient en mesure de faire l'étude de ces
rapports.
M. LE PRESIDENT: Tout le monde est d'accord. Le député de
Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: M. le Président, j'aimerais émettre mon opinion
concernant la suggestion faite tantôt de voir à étudier les
méthodes de la compagnie Bell ou de l'Hydro-Québec, par exemple.
A mon avis, cela ne devrait pas nous aider tellement pour la bonne raison que
ces compagnies qui tiennent leurs listes à jour ont la collaboration
obligatoire du client. Lorsqu'un client change d'endroit, c'est lui qui voit
à faire suivre son appareil de téléphone ou à faire
brancher son électricité, tandis que lorsque nous faisons affaire
avec des électeurs, c'est différent.
En pratique, les électeurs ne se déplacent pas pour des
révisions de listes électorales, sauf à la dernière
minute. Souvent, en pratique, il arrive que l'électeur
s'aperçoive, la journée de l'élection, que son nom n'est
pas sur la liste électorale. C'est seulement à ce moment qu'il
s'en inquiète. C'est mon opinion à ce sujet.
Je voudrais poser une question à M. Drouin. Dans
l'éventualité d'allonger le délai de la période
électorale, ce dont vous nous avez déjà parlé
ce qui nécessiterait peut-être de contrôler les
dépenses, c'est-à-dire de ne pas permettre de dépenses
avant la trentième journée, soit des dépenses de
télévision, radio, etc est-ce qu'il vous parait facile ou
même possible de contrôler ces dépenses? Je pense, par
exemple, à la possibilité de ne pas permettre de dépenses
électorales avant la trentième ou la cinquantiè-
me journée. Ce ne serait peut-être pas facile de
contrôler la publicité électorale qui sera faite sous un
aspect différent de celui que nous connaissons par les dépenses
ordinaires des élections. Est-ce qu'il y aurait possibilité par
une loi ou un contrôle que vous pourriez exercer de maintenir
l'équilibre?
M. DROUIN: Très facile. Vous pouvez calculer que 90 p. c.
à 95 p. c. des dépenses électorales sont de la
publicité. Si vous défendez la radio, la télévision
et les journaux et qu'à ce moment-là le journal publie il est
aussi coupable que l'autre d'après notre loi.
Deuxièmement, dans des amendements à la Loi
électorale déposés ici, j'ai suggéré
qu'à toute violation de la section des dépenses
électorales le président général des
élections soit autorisé à prendre lui-même les
actions. C'est très facile d'empêcher, avant le trentième
jour, cette sorte de dépenses.
M. SAMSON: Cela va pour les dépenses concernant la
publicité payée. Si 50 jours avant les élections il y a de
la publicité non payée par la voie de la radio, des journaux ou
la télévision...
M. DROUIN : La dépense non payée est aussi défendue
que la dépense payée.
M. SAMSON: Ah bon! Cela répond à ma question.
M. DROUIN : Cela est inclus dans les dépenses. Si vous me le
permettez, M Bonenfant devant arriver ici d'ici cinq ou six minutes, est-ce que
je pourrais déposer mon autre rapport?
M. HARDY: M. le Président, je voulais suggérer que, M.
Drouin, comme il est notre expert permanent, sera toujours avec nous sauf la
semaine prochaine...
M. DROUIN: La semaine prochaine, je serai absent.
Loi de la contestation des élections
M. HARDY: Votre deuxième rapport sur la Loi de la contestation
des élections, à mon sens, est très important. Je reprends
ce qu'on avait déjà dit et ce que le chef de l'Opposition
officielle avait dit en particulier il est urgent, et les récents
événents nous l'ont encore confirmé, il est
extrêmement important que la commission en arrive à des
décisions quant à la Loi de la contestation des élections.
Je sais que vous avez préparé un rapport et qu'il conviendrait
également que nous consacrions un certain temps à
l'étudier avec vous. Je me demande si on ne pourrait reporter à
une autre séance l'étude de votre rapport sur la Loi de la
contestation des élections. Les députés pourront en
prendre connaissance d'ici là puisqu'il a été
distribué et nous serons en mesure les députés
seront mieux en mesure de le discuter avec vous au cours d'une prochaine
séance de la commission.
M. DROUIN: Très bien.
M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je crois qu'il serait
important de consacrer une séance spéciale, et peut-être
deux, à la Loi de la contestation des élections parce qu'il nous
faut d'abord avoir la loi, la réexaminer afin de vous poser, M. Drouin,
les questions pertinentes. Il s'agit d'une matière assez technique
d'ordre rigoureusement juridique et nous n'aurions pas le temps ce matin
d'examiner ce problème d'autant plus que nous n'avons même pas
encore épuisé le sujet de la liste permanente.
M. DROUIN: Vous savez, M. le député de Chicoutimi, ce
document n'est pas limitatif. Il ne comprend pas non plus les amendements de
concordance qu'il faudrait y apporter.
M. HARDY: C'est une question de principe.
M. DROUIN: C'est simplement un début pour accélérer
les procédures. Que devrions-nous faire pour les
accélérer? C'est tout ce qui est dit dans ce document.
M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Lafontaine.
M. LEGER: Avant que le président des élections nous
quitte, je veux simplement lui poser la question suivante. Dans
l'énumération des désavantages concernant les listes
permanentes, globalement les deux arguments majeurs parce qu'il y en a
qui sont mineurs sont le coût et la difficulté de suivre
les électeurs qui déménagent, etc.
Au niveau du coût, je me demande si, dans votre
présentation, vous ne l'envisagiez pas comme étant un travail
uniquement pour une élection provinciale bien déterminée,
c'est-à-dire qu'à toutes les années, dans le but d'avoir
une liste permanente pour une élection provinciale, uniquement... Je me
demande si vous avez pensé en fonction d'un tout parmi toutes les
possibilités de recours à une telle liste pour d'autres domaines.
Cela veut dire pour les élections fédérales
oublions les élections fédérales parce que ça
voudrait dire que les autres provinces sont incluses municipales,
provinciales et scolaires. La possibilité de louer ou de vendre ces
listes à des compagnies qui pourraient en avoir besoin ça
coûterait moins cher pour elles comme l'Hydro-Québec, Bell
Canada, le Bureau des véhicules automobiles... Alors, le coût ne
devrait pas être établi uniquement en fonction de la province de
Québec pour les élections, mais divisé et soustrait du
coût que les municipalités doivent payer pour leur propre
évaluation, la même chose pour les commissions scolaires ainsi que
les autres groupes. Parce que
dans le rapport de la Société de mathématiques
appliquées, on parlait si c'est un tout que ça
reviendrait à $2,500,000 par année dans tout le Canada et non pas
seulement pour le Québec. Cela veut dire que le coût d'un dollar
par personne, au niveau provincial, si ça fait partie d'un tout? Est-ce
que vous avez fait une étude pour voir si le coût pourrait
être distribué parmi tous les services qui en auraient besoin?
M. DROUIN: Si nous vendons nos listes électorales pour fins
municipales, scolaires ou autres, les montants que nous poumons soutirer de ces
ventes seraient déduits des montants que nous serions appelés
à payer. C'est évident. Je l'ai déjà dit ici je
crois, au cours de la deuxième journée de mon témoignage,
que les listes d'énumération annuelle pourraient certainement
servir à des fins municipales. On n'aurait qu'à organiser la loi
en conséquence.
M. LEGER: Avez-vous déjà évalué combien
coûte dans une municipalité par personne le coût de
l'énumération?
M. DROUIN: Cela dépend de la municipalité. Si vous
comparez Québec à Montréal... Il y a de plus petites
municipalités. Il y a des municipalités urbaines qui ont huit ou
neuf sections. Il y en a d'autres qui en ont 300. Montréal, par
exemple... On n'a jamais fait l'évaluation du coût, mais je crois
bien que l'énumération même de Montréal doit
coûter, comme le dit M. Roy, près d'un million de dollars.
M. LEGER: Ce qui équivaut à environ $0.50 par
personne?
M. DROUIN: Oui.
M. LE PRESIDENT: Le député du comté de Gouin.
Avez-vous terminé, M. Léger?
M. DROUIN: II y a plus d'un million... Vous n'avez pas deux millions
d'électeurs dans la ville de Montréal.
M. LEGER: Seulement la ville même?
M. DROUIN: Oui. Il y a 800,000 ou 900,000 électeurs.
M. LEGER: Oui.
M. DROUIN: Je pourrais demander à M. Boyer ce qu'a
coûté l'énumération pour la dernière
élection à la ville de Montréal.
M. LEGER: Il a été établi aussi qu'environ 95 p. c.
de la population du Québec se retrouvait pour la deuxième
objection majeure, la question de suivre l'électeur soit au
niveau de la réception d'un chèque d'allocations familiales, de
l'obtention d'un permis du Bureau des véhicules automobiles, d'un enfant
qui va à l'école, d'un emploi; une personne est allée
à l'hôpital une fois, elle a déjà fait un rapport
d'impôt, ou elle a reçu un chèque d'assistance sociale. Ce
tout permettrait justement d'éviter le deuxième problème.
Qu'est-ce que vous en pensez? Si c'est un tout permanent, de sauver la partie,
de retrouver les électeurs...?
M. PINARD: J'aimerais présenter une objection. Nous nous sommes
mis d'accord, tantôt pour que les documents d'information dont on a
parlé, surtout le Dr Laurin, documents émanant de la
Société de mathématiques appliquées, nous soient
transmis à titre d'information. On ne peut pas permettre ce matin
à un membre de la commission de se servir des documents que seuls
les membres du Parti québécois ont entre les mains comme
un expert pour faire l'interprétation de leur contenu.
M. LEGER: M. le Président, ce n'est pas du tout le rapport...
M. PINARD : On questionne le président des élections
là-dessus. Peut-être l'a-t-il lu, peut-être ne l'a-t-il pas
lu, mais ça peut conduire la commission dans des avenues où nous
ne voulons pas nous engager ce matin. Qu'on attende le moment où on va
discuter le contenu des documents de la SMA...
M. LEGER: Je voudrais faire une correction.
M. PINARD: ... ou qu'on demande au représentant officiel de la
SMA de venir témoigner sur le contenu de ses propres documents. On ne
peut pas faire indirectement ce qui est défendu de faire directement ou
ce sur quoi nous nous sommes entendus comme méthode de travail. Je pense
que les membres du Parti québécois veulent profiter de certains
avantages dont nous ne voulons pas nous servir.
Nous pourrions vous sortir d'autres documents, d'autres études,
les interpréter à notre façon et, à ce
moment-là, la commission parlementaire va tourner à vide, et nous
n'irons nulle part.
Cela fait quatre ou cinq fois à ma connaissance
personnelle que les membres du Parti québécois, font des
tentatives d'interprétation de travaux qui ne sont pas
contrôlés par les membres de la commission. Les experts ne sont
pas ici surtout ceux qui sont les auteurs de ces travaux qui ne peuvent
pas servir à toutes les sauces. Il me semble que cela devrait être
entendu une fois pour toutes et qu'on respecte le règlement.
Si on veut avoir le témoignage de celui ou de ceux qui sont
responsables du contenu du rapport qu'essaie d'interpréter, en ce
moment, le député du Parti québécois, que ces
experts soient convoqués et eux répondront à nos
questions.
M. LEGER: Je ne voudrais pas que le député
de Drummondville fasse une interprétation. Il n'était
aucunement question du rapport de la SMA dans ce dont je parlais. J'ai ressorti
et j'ai posé des questions au président des élections
concernant les deux points majeurs de son rapport: la question du coût et
la question de la difficulté de suivre les électeurs. Je lui
parlais, à la suite des endroits où on peut retrouver un
électeur, si cela répondrait à ces deux objections et je
veux avoir son opinion.
Je pense qu'il n'y a aucun rapport avec le rapport de la SMA et je pense
que le député a fait une interprétation de ma
pensée.
M. HARDY: M. le Président, je propose il est
déjà onze heures moins vingt, nous avions convoqué M.
Bonenfant pour dix heures trente et il est ici que nous ajournions le
témoignage de M. Drouin à une prochaine séance et
invitions maintenant M. Bonenfant à témoigner de nouveau devant
la commission.
M. LE PRESIDENT: M. Bonenfant, au nom de tous les membres de la
commission...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant, M. le Président, avant que
nous n'acceptions cela, il est entendu que nous pourrons revenir sur le
témoignage de M. Drouin concernant les listes permanentes à une
séance ultérieure.
M. HARDY: Sûrement, à une séance
subséquente.
M. LE PRESIDENT: M. Bonenfant, je vous souhaite de nouveau la bienvenue
à nos délibérations et je vous donne la parole.
Mode de scrutin
M. BONENFANT: Lors de la dernière réunion, au milieu de la
tempête, vous vous rappelez que nous avons surtout discuté de la
façon de fabriquer une nouvelle carte électorale. Je crois que
j'ai exprimé mes idées. Vous avez des idées
peut-être un peu différentes, c'est inutile d'y revenir. C'est une
décision politique à prendre, et par conséquent je laisse
de côté cet aspect qui a été je pense bien
assez bien couvert l'autre jour.
La deuxième question sur laquelle j'ai certaines idées
encore une fois je me défends d'être un expert, j'ai
réfléchi un peu sur cela et je pense, je m'en suis aperçu
lors du dernier témoignage, que le meilleur procédé, c'est
de pratiquer une sorte de maiëutique: en discutant, les gens
découvrent des idées auxquelles ils n'avaient peut-être pas
songé auparavant serait peut-être le mode de scrutin que
nous pourrions aborder aujourd'hui. Je pense que c'était l'ordre que
vous vouliez suivre.
Je vous écoutais parler des listes électorales. J'ai mes
idées moi aussi sur les listes électorales. J'ouvre une
parenthèse: Je pense qu'on ne lie pas suffisamment les listes
électorales à la sécurité sociale. C'est une avenue
qu'il faudrait examiner: la carte de sécurité sociale. J'ai une
vision de l'électeur qui serait beaucoup plus large. La qualité
de citoyen ne m'intéresse plus beaucoup maintenant. A l'heure actuelle,
le citoyen est plutôt un instrument de sécurité sociale;
soit pour en recevoir, soit pour en payer. C'est pour cela que je voudrais
qu'on étudie les possibilités je ne vous dis pas qu'il y a
une solution qu'en fonction de la carte de sécurité
sociale on puisse en arriver à une identification du votant qui serait
intéressante. Je ferme la parenthèse, mais c'est pour vous dire
que dans ce domaine-là...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): La suggestion de M. Bonenfant a
déjà été faite par moi-même.
M. HARDY: Les grands esprits se rencontrent!
M. BONENFANT: Noubliez pas qu'il a été mon
élève jadis.
UNE VOIX: II n'a pas évolué.
M.TREMBLAY (Chicoutimi)' Mais il m'a fait le droit romain.
M. BONENFANT: J'ai été le dernier professeur de droit
romain en Occident.
Je reviens au mode de scrutin. Je crois que c'est le sujet sur lequel
vous voulez m'entendre. Quelle que soit la carte que vous allez fabriquer,
d'après les procédés que vous allez adopter, j'ai
l'impression que les résultats possibles des élections ne
traduiront pas toujours, par des résultats parlementaires, les
proportions du vote populaire. C'est une idée qui est bien admise;
à cause de certaines lois en particulier il y a une loi
très savante qui s'appele la loi des cubes qui joue dans un
système bipartite à cause de l'inégalité
forcée de certaines circonscriptions par exemple si vous
établissez des différences entre les circonscriptions rurales et
urbaines quoiqu'il en soit, je crois que c'est admis comme
hypothèse que vous n'aurez pas un résultat parlementaire
correspondant au résultat populaire. Or, autrefois, c'était
admis.
Dans le système bipartite lorsque les votants étaient peu
nombreux, en Angleterre, c'était admis. Je pense qu'on admet de moins en
moins qu'un gouvernement ait la majorité parlementaire et soit en
minorité dans le vote populaire. Je crois que c'est une des choses qui
aujourd'hui scandalisent beaucoup de gens.
Je pense que le premier but que nous devons rechercher c'est qu'il y ait
autant que possible identité entre la proportion des parlementaires
élus et la proportion des votes populaires. Je dis "autant que possible"
parce que je ne me refuse pas à ce que le parti majoritaire soit
peut-être un peu au-dessus de la majorité populaire afin d'assurer
une certaine stabilité. Tout de même le principe demeure.
Le deuxième phénomène, à mon sens, c'est
celui-ci: de plus en plus dans notre système de responsabilité
ministérielle, il y a beaucoup de gens qui se sentent mal à
l'aise d'avoir à voter uniquement pour un candidat. Vous savez que
juridiquement, il n'y a pas l'élection d'un parti, il y a
l'élection d'un certain nombre de candidats. Je pense bien vous
avez tous connu cette expérience de l'autre côté de la
clôture, où vous êtes des députés que
parfois on aimerait voter pour un parti, on aimerait voter pour un candidat qui
n'appartient pas au parti. Dans la région de Québec ce
n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails j'ai des
amis qui ont été fortement partagés.
Evidemment, dans un système de responsabilité
ministérielle, c'est assez difficile de pratiquer ça sans avoir
recours à un système dont je parlerai tout à l'heure.
Donc, deuxièmement, il faut chercher un moyen qui va nous
permettre de corriger ce dont j'ai parlé. Il est évident qu'un
des premiers moyens auxquels on songe c'est la proportionnalité. Je
pense qu'à l'heure actuelle, d'après ce que j'ai lu, personne ne
recommande la proportionnelle pure dans le Québec. Il y a une bonne
raison, c'est que la proportionnelle pure existe dans certains pays, en
Israël, par exemple, au Danemark, aux Pays-Bas. Vous constaterez toujours
que la proportionnelle pure existe dans des pays très peu étendus
et à population très dense. Donc, je crois qu'il faut rejeter la
proportionnelle pure qui théoriquement est le meilleur système.
On l'a pratiqué dans un pays étendu et cela a eu de mauvaises
conséquences. La République de Weimar, au lendemain de la guerre,
vous le savez, c'est le système politique exemplaire des manuels de
science politique. Cela a créé un beau système dans les
livres mais cela a mal fonctionné. Il y a même des historiens qui
prétendent que Hitler avait été engendré par la
République de Weimar.
Il faut donc essayer un autre système. Le système que nous
pratiquons est le scrutin majoritaire simple à un tour. Il a bien
fonctionné dans l'histoire. Il faut faire attention. On le rejette trop
facilement. Il a tout de même assez bien fonctionné et, surtout,
il a assuré la stabilité parlementaire. Ce système
n'était pas scandaleux lorsqu'il y avait deux partis comme en Angleterre
et que les partis se succédaient périodiquement au pouvoir comme
cela a été le cas dans le Québec. Il a été
mis de côté ou du moins il a été
détraqué jusqu'à un certain point lorsque les tiers partis
sont arrivés. Aujourd'hui, je pense qu'avec la multiplicité des
partis, c'est un système qu'il est assez difficile de défendre.
C'est pour cela qu'il faut chercher d'autres systèmes.
Voici les autres possibilités: le premier système qui me
vient à l'esprit, parce qu'il est pratiqué dans un pays que nous
connaissons bien, c'est le système français. C'est le scrutin
à deux tours qui fait que, si un candidat obtient au premier tour la
majorité absolue des voix, il est élu. Sinon, il y a un
deuxième tour et, au deuxième tour évidemment, c'est la
majorité simple qui compte. Inutile de vous dire qu'il se fait des
apparentements, il se fait des marchés.
Ce système, à première vue, apparaît assez
bon. Pour ma part, je le rejette. Je pense que le défaut du
système c'est de permettre entre les deux jours d'élections un
marchandage que j'oserais dire éhonté en certains cas.
Deuxièmement, c'est de donner à un tiers parti une puissance
extraordinaire de contrôle qui ne conduit pas ce parti à avoir des
représentants. Je pense aux résultats des dernières
années, en France dans des élections où il y avait trois
candidats: un candidat gaulliste, un candidat de la gauche et un candidat
communiste. Il est arrivé, le soir du premier tour de scrutin qu'un
candidat ait 30,000, l'autre ait 29,000 et le communiste 7,000. Je parle de
circonscriptions que je connais en France. Le résultat du
deuxième tour était décidé, il était
"pipé", si vous me permettez l'expression, du moment qu'on savait
comment les 7,000 communistes, qui votaient assez globalement, distribueraient
leurs votes.
Ce qui veut dire que, dans cette circonscription-là, un parti
minoritaire devient extrêmement important, contrôle en
définitive les résultats et, par ailleurs, n'est pas
représenté. Donc, je pense que ce système de scrutin
à deux tours ne serait pas à conseiller pour le Québec,
sans compter j'y reviendrai qu'il ne faut pas trop
déranger les gens dans leurs habitudes lorsque ce n'est pas
nécessaire.
Je pense qu'ici les Québécois auraient de la
difficulté à pratiquer le deuxième tour. Pour ma part, je
n'y suis pas favorable. Il y a un troisième système, qui a
été pratiqué dans deux provinces canadiennes, en Alberta
en particulier, qui a été mis de côté, et qui
conduit aux mêmes résultats mais avec un peu moins
d'inconvénients. C'est le système de vote par numéros.
Vous votez avec un 1, pour votre candidat favori, 2, 3, 4 et 5. Si le candidat
a suffisamment de 1 pour avoir la majorité absolue, il est élu
automatiquement; sinon, on soustrait le dernier candidat, et, en le
soustrayant, les votes qu'il avait attribués à un autre candidat
sont ajoutés, et on peut arriver un jour à une majorité
absolue.
L'Alberta l'a mis de côté. Les mauvaises langues ont dit
qu'il avait été mis de côté parce qu'un parti depuis
très longtemps au pouvoir au Manitoba avait craint que ça puisse
l'ébranler. Moi, je le mettrais de côté pour d'autres
raisons. Je pense que c'est un peu trop compliqué pour les gens. Dans la
province de Québec, si on pratiquait ce système, il y aurait des
gens qui seraient mal à l'aise aux premières élections.
C'est sensible, la qualité de votant; des gens n'iraient pas. Je le
mettrais donc de côté.
J'en arrive à un système sur lequel on a beaucoup
disserté, et je voudrais aborder le système d'une façon
peut-être différente de la procédure qu'on a suivie
jusqu'ici.
On dit: Imitons le système allemand, dans l'absolu. Remarquez
bien que je ne blâme pas les gens qui disent cela, parce que je pense
avoir été, avec le professeur Boily, un des premiers au
Québec à suggérer le système allemand. Mais j'en
suis revenu un peu, et ce que je souhaite, ce n'est pas tant le système
allemand, c'est peut-être un système inspiré du
système allemand, et j'essaie, d'une façon fonctionnelle, de me
demander quel est le meilleur système.
Si ça épouse le système allemand, tant mieux, mais
au lieu de pratiquer le mimétisme pur, je m'efforce encore une fois de
me demander: Est-ce que c'est bon, est-ce que ça va fonctionner? Et
voici maintenant mon raisonnement. Il faut garder, je pense, pour un certain
temps un certain nombre de circonscriptions électorales, parce que le
rapport du député reste encore avec une population donnée.
Ma théorie est que le ministre, que celui qui est en politique, a besoin
du bain électoral périodique. C'est pour ça que je suis
antisystème américain, antiministre, pas membre, pas
député. Cela fait partie du métier, cela donne de la
compréhension à l'homme politique de descendre sur le terrain de
temps en temps.
Par conséquent, je crois que les circonscriptions doivent
demeurer. C'est là que se pose un premier point d'interrogation, et vous
allez voir que je n'ai pas toujours de réponse. Je
réfléchis à haute voix et me demande jusqu'à quel
point doit-on garder, ou, en d'autres termes, quel est le nombre de
circonscriptions qu'il faudrait conserver dans le Québec. Je vais vous
donner les possibilités. Pour une fois, je ne pense pas avoir de
certitude, je trouve que c'est dangereux d'avoir des certitudes. Il est assez
difficile de descendre brusquement en bas de 90. Par ailleurs, tout de suite,
j'ajoute mon deuxièmement. Il y a une théorie qui me frappe
beaucoup, qui a été développée par certains d'entre
vous, c'est la possibilité d'une identité entre les
circonscriptions fédérales et les circonscriptions
provinciales.
Comme je vous l'ai dit l'autre jour, on reviendrait à ce qui
était dans l'histoire. En 1967, il y avait 65 circonscriptions
identiques, pour les fins fédérales et provinciales. Cela
voudrait dire qu'on reviendrait à 74. Cela me fait un peu peur, quoique
je vous le dis bien honnêtement si le Canada continue ce
qu'il est, ou même si le Canada se transforme, j'aime beaucoup
l'identité des circonscriptions. Le drame du Québec, à
l'heure actuelle, c'est de ressembler à une courtepointe avec des
dessins très variés.
Vous avez la circonscription municipale qui est différente, vous
avez la circonscription d'enregistrement qui est différente, la
circonscription fédérale, la circonscription judiciaire.
Je pense que c'est une des faiblesses fonctionnelles du Québec
à l'heure actuelle. Cependant, mon chiffre de 90 n'est peut-être
pas si mal, en ce sens que, dans ce 90, il faudrait, autant que possible,
tâcher de retrouver le 74 fédéral. Ceci est un autre
problème, comme on dirait en droit, c'est un obiter dictum, si vous
voulez. Je pense que 90 circonscriptions, c'est possible. Maintenant, combien
de députés faut-il avoir? Je ne suis pas pour la réduction
du nombre des députés, au contraire, je suis pour l'augmentation
des députés. Remarquez bien que vous aurez peut-être des
petits problèmes de logement. Il paraît que nous pouvons toujours
mettre de côté les difficultés matérielles quand on
a souhaité une chose. J'aimerais bien une assemblée de 120.
Je vais peut-être tomber dans un autre domaine, mais c'est un
domaine qui m'est cher. Je pense, qu'avec la multiplication des commissions, il
va falloir augmenter le nombre des députés. J'ai toujours
été partisan des commissions et, je prétends que c'est le
salut du parlementarisme. A l'heure actuelle, vous manquez de quorum,
d'après ce que j'ai lu dans les journaux, parfois, à
l'Assemblée nationale. A part cela, je pense qu'il y a des partis qui
doivent avoir des difficultés de représentation à
l'intérieur des commissions. Je siège parfois à quelques
commissions et je vois que les partis ne sont pas représentés. Je
ne les blâme pas, je pense qu'il y a, parmi vous, des personnes qui font
partie d'une dizaine de commissions. Le nombre de 30 députés
ajouté au 90 ne me ferait pas peur. Par conséquent, je
souhaiterais, c'est ma proposition, que 90 soient élus par le scrutin
ordinaire, celui que nous connaissons. J'ai espérance que ces 90, avec
une nouvelle carte électorale, vont peut-être représenter
un peu mieux l'éventail électoral du Québec. Je n'en suis
pas sûr, remarquez bien, parce que si, dans une circonscription, un
candidat est élu avec 30,000 voix de majorité et si dans une
autre, le candidat est élu avec 10 voix de majorité, il n'est pas
nécessaire d'être grand mathématicien pour savoir les
résultats.
Par ailleurs, deuxièmement, je souhaite qu'il y en ait 30
élus par ce que j'appellerais le scrutin de liste, comme mot
général. Là encore, ce sont mes idées que je
traduis ici je trouve scandaleux ce n'est pas pour flatter un
parti, je vous prie de croire que je suis apolitique au sens de alpha privatif
que ce que nous appelons les vedettes d'un parti restent au dehors de la
Chambre, de l'assemblée, par suite du jeu d'une circonscription. Je
crois vraiment au parti politique, je crois que la démocratie fonctionne
à condition que les partis politiques soient fortement
structurés, quoique la recherche du candidat indépendant et tout
cela, c'est de la foutaise qui malheureusement a eu trop de vogue dans le
Québec. Les partis politiques, c'est la base de notre démocratie.
Des vrais partis politiques, structurés, des partis qui lorsqu'ils ont
eu, par exemple je ne donnerais pas de pourcentage pour ne pas
identifier tant de pourcentage dans la province, ils doivent avoir un
moyen pour qu'en général ceux qu'ils considèrent comme
leurs chefs, leurs vedettes, siègent à l'Assemblée
nationale. Le scrutin de liste permettra cela.
Comment fonctionnera-t-il maintenant ce
scrutin? D y a deux possibilités. La première est la
possibilité allemande que vous connaissez tous. Je vous ai fait
distribuer un bulletin allemand. On vote deux fois. On vote premièrement
pour le candidat, comme nous le faisons ici. Deuxièmement, on vote pour
le parti politique. Tout de suite, je m'arrête pour essayer de
réfléchir et je me demande si nous sommes prêts à
accepter cela ici. L'avantage de ce système, c'est qu'il nous permet
automatiquement de connaître le pourcentage du parti politique et,
deuxièmement, cela nous permet d'élire directement des candidats.
Il y aurait peut-être un autre moyen de s'en tirer, au commencement
surtout, c'est de n'avoir qu'un seul vote. Mais, comme les candidats sont
attachés à un parti, on peut très facilement, le soir des
élections ou le lendemain, dire qu'un parti a obtenu 30 p. c. des votes
et il n'a que 20 p. c. de ses députés d'élus. Il y a donc
deux façons je pense que théoriquement le système
allemand est le meilleur, on obtient le pourcentage par un deuxième vote
mais si on ne veut pas prendre ici le risque parce que c'est trop
nouveau, on arriverait peut-être au même résultat en ne
votant qu'une fois, mais en faisant deux comptabilités, la
comptabilité globale comme on le fait et la comptabilité dans la
circonscription.
C'est donc un premier point et je pense que, dans l'absolu, c'est le
système que j'aimerais. Si l'on trouve que c'est trop grand risque, on
pourrait ne pas aller aussi loin.
Maintenant, comment choisir les trente candidats de liste, ou sur liste?
C'est là qu'il y a toutes sortes d'avenues possibles. Je dirai qu'il y a
trois avenues possibles pour élire les trente candidats de liste.
Il y a ce que j'appellerais l'avenue allemande. Vous savez qu'en
Allemagne les candidats sont divisés par ce qu'on appelle des
"länder", c'est-à-dire que dans un Etat donné, un "lander",
s'il y a vingt candidats d'élus, il y en a dix qui sont élus par
le scrutin populaire dans les circonscriptions et les dix autres sont
élus par la liste et, ensuite, on refait la redistribution afin que dans
un "lander" donné, un parti politique ait une représentation
parlementaire qui corresponde au vote populaire qu'il a obtenu. Il y a toutes
sortes d'autres détails. J'ajouterai ceci: premièrement, si un
parti a obtenu davantage il n'est pas pénalisé, il garde ce qu'il
a obtenu de plus. On appelle cela la prime à la majorité.
Deuxièmement, pour qu'un parti ait des candidats élus de cette
façon, il faut qu'il ait obtenu au moins trois candidats dans l'ensemble
du pays et qu'il ait obtenu 5 p. c. des votes. Donc, il ne faut tout de
même pas que tout le monde de n'importe quel parti puisse être
élu. C'est le système allemand.
J'ai peur et dans un article qu'il a publié dans Le
Devoir, le professeur Vincent Lemieux l'a fait remarquer que la division
en régions à ce point de vue, dans le Québec, si surtout
vous n'avez que trente candidats, vous amène une fragmentation qui
permettrait difficilement de faire jouer le système. C'est pour cela
qu'il y a une deuxième proposition possible, qui épouse
jusqu'à un certain point vos préoccupations. Ce serait de
diviser la province, pour les fins de liste, en régions rurales et
régions urbaines et, vous pourriez dire: II y a tant de candidats de la
liste qui sont élus d'après le vote qui a été
donné dans la région urbaine et tant qui sont élus
d'après les votes donnés dans la région rurale.
Enfin, la troisième hypothèse qui est peut-être,
à mon avis, la plus simple, ce serait qu'il y ait trente candidats dans
l'ensemble de la province qui sont élus comme candidats de liste et si
un parti, par exemple, pour obtenir ce qui lui est nécessaire pour
combler sa différence, a besoin de tant de candidats, ils seront pris
dans l'ensemble de la province. L'avantage c'est arrivé en
Allemagne est qu'on peut se présenter aux deux. Par exemple, une
vedette du parti, le chef du parti, si son parti l'aime beaucoup on lui
permettra de se présenter dans une circonscription. S'il est élu
dans la circonscription, tant mieux pour lui, mais s'il n'est pas élu
dans la circonscription, il sera élu en tête de liste parce qu'un
parti qui se respecte le mettra en tête de liste.
Cela résume à peu près ce que je pense. Je sais
qu'il y a des points d'interrogation. La première décision, je
pense, parce que c'est à vous qu'il appartient de la prendre, est la
suivante: Est-ce que vous êtes prêts à accepter qu'un
certain nombre de candidats soient élus sans représenter de
circonscriptions? Je pense que tout le reste je n'oserais pas dire que
c'est du baratin mais l'intendance peut s'en occuper comme aurait dit le
général de Gaulle. Les techniciens pourront arranger cela. Mais,
la première décision, à mon avis, est une décision
politique. Un expert ne peut la prendre pour vous; les experts pourront
s'occuper des détails. Mais, est-ce que vous acceptez l'idée
qu'un certain nombre de candidats ne représentent pas, à
l'Assemblée nationale, des circonscriptions et qu'ils soient élus
par la proportion de l'ensemble de la population? Il y a une deuxième
décision que vous aurez à prendre. Quelle est la proportion que
vous voulez? Cela aussi, à mon avis, est une décision politique.
Le reste est compliqué, on peut toujours. J'ai des feuillets de notes,
mais j'ai l'impression encore une fois que c'est un
problème d'intendance. Ce n'est pas un problème d'hommes
politiques. Est-ce que cela résume bien...
M. LE PRESIDENT: Cela résume passablement les problèmes.
Maintenant, M. Bonenfant, j'imagine que vous êtes prêt à
accepter de répondre à quelques questions des membres de la
commission.
M. BONENFANT: Je suis toujours à votre disposition.
M. LE PRESIDENT: Je cède immédiatement la parole au
député de Terrebonne.
M. HARDY: M. le Président, d'abord je voudrais faire une mise au
point. Je ne voudrais pas que ma question soit interprétée comme
une prise de position, c'est tout simplement pour tenter d'approfondir le
sujet. Alors, ma question, même si elle est., non pas de votre part, mais
je pense un peu à ceux qui forment l'opinion publique...
M. BONENFANT: Très bien.
M. HARDY: La première question qui me vient à l'esprit
dans cette perspective d'avoir un certain nombre de députés qui
ne seraient pas représentants d'une circonscription donnée...
Evidemment, dans votre réponse il y aura des éléments
politiques...
M. BONENFANT: Oui. Cela m'est égal.
M. HARDY: ... mais je me permets quand même de vous la poser
à cause de votre longue expérience de commentateur politique,
après avoir suivi la scène politique.
La première question que je me pose est celle-ci: Ces trente
députés, qui seraient élus sans racine dans une
circonscription, seraient des députés qui auraient dans la
Chambre, par rapport à ceux qui représentent une circonscription,
un statut particulier, c'est-à-dire que la source de leur pouvoir serait
différente. Si je suis député d'une circonscription
donnée, ma réélection sera fonction, soit des services que
je rendrai à une circonscription donnée, soit pour obtenir des
lois qui favoriseront telle municipalité. Je parle seulement du plan
législatif, je ne parle même pas du plan de patronage. Tandis que
si je suis un député élu sur la liste, ma
réélection sera fonction de l'image de mon parti beaucoup plus
que de mon travail comme législateur. Tous les députés
auront en effet le même droit quant au vote et à leur
participation aux commissions. Donc, à cause, d'une part, de la
différence de la source de leur pouvoir et d'autre part, des facteurs
qui assureront leur réélection, n'y aurait-il pas un danger que
les députés qui auraient le même pouvoir agissent d'une
façon totalement différente? J'aimerais savoir ce que vous en
pensez.
M. BONENFANT: Evidemment vous posez la question que je trouve
essentielle et voici ma réponse avec différentes avenues. La
première partie de ma réponse est une preuve d'autorité.
Or, je n'aime pas du tout les preuves d'autorité, mais cela permet de
déblayer le terrain.
M. HARDY: Vous n'aviez pas une vocation pour la papauté?
M. BONENFANT: Du tout. Même pas pour la politique. La
première réponse, c'est qu'en
Allemagne je vous apporte deux témoignages
d'après les écrits, et d'après des conversations que j'ai
eues, il y a deux ans, précisément à Hambourg avec un
député, il semble qu'on ne fasse pas la distinction. J'ai
posé la question. Vous regarderez, je pense qu'il y a des auteurs
canadiens qui l'ont souligné, il paraît qu'on fait peu de
distinction entre le député qui a été élu
par une circonscription et le député qui a été
élu par la liste. Je vais revenir sur ce que je dis et je vais
moi-même me donner un accroc, si vous voulez. Il ne faut pas oublier que,
malgré tout, en Allemagne, ils représentent des länder, des
sections. On me dit qu'en Allemagne il n'y a pas de différence. Je suis
logique, vous savez que je suis intéressé à un autre
comité et je propose qu'on cesse de vous appeler en Chambre
"député de telle circonscription", mais qu'on vous appelle
"monsieur", dans un travail que vous connaissez. Je suis donc logique.
Il y a un troisième trait que je voudrais souligner...
M. LE PRESIDENT: Je voudrais faire une remarque. Ce serait difficile. Si
je faisais tout simplement mention de monsieur, on me demanderait lequel...
M. BONENFANT: Monsieur, suivi de son nom d'identification. Par exemple,
M. Tremblay ou M... Je crois que l'honorable député de X...
M. LE PRESIDENT: Pour M. Jean-Noël Tremblay, je vais être
obligé d'ajouter M. Tremblay, Chicoutimi.
M. BONENFANT: Justement, ou encore son prénom. Dans tous les cas,
c'est un autre point. Si vous voulez, je ne voudrais pas le discuter.
Le troisième point, c'est un point théorique et là,
je vais avoir l'air pédant, mais cela ne fait rien, je voudrais tout de
même le souligner.
Une des choses qu'on enseigne en science politique, c'est ce qu'on
appelle la fameuse lettre de Burke aux électeurs de Bristol. Burke, une
fois élu, a écrit une lettre disant: "Vous m'avez élu,
messieurs, mais, une fois que je suis élu, je ne vous représente
pas. Je représente l'ensemble de la population, du pays et c'est ce qui
vous donne d'ailleurs la liberté de voter comme vous voulez, même
si vos constituants c'est peut-être imprudent de le faire
mais même si vos constituants ne sont pas de votre avis." Je pense que
c'est un principe de science politique que vous ne représentez pas, une
fois rendus au parlement, une circonscription, mais vous représentez,
selon la théorie de Burke à laquelle je crois, l'ensemble des
électeurs. J'ajouterai, pour répondre aussi à votre
objection, qui est sérieuse, que j'ai l'impression que le contact entre
le député et sa circonscription, le contact traditionnel
je ne fais pas de l'angélisme je sais qu'il ne disparaît
pas et aussi qu'il est nécessaire; je ne ferai pas de
l'angélisme
mais je pense qu'il a tout de même tendance à
diminuer un peu. Vous avez employé le mot "patronage", il doit encore
exister, le patronage...
M. HARDY: Je parlais du bon patronage. Le bon accueil!
M. BONENFANT: On appelle cela le bon accueil, parait-il. Un de mes amis,
qui a été député naguère, appelait cela le
bon accueil. Il reste tout de même, je pense on le constate, de
plus en plus, à mesure que les circonscriptions s'urbanisent que
le Québec va devenir très rapidement une vaste ville, et que le
député sera de moins en moins lié. Dans tous les cas, on
m'a dit en Allemagne évidemment c'est un témoignage
d'échantillon qui n'est peut-être pas précieux qu'au
bout d'un certain temps, on ne faisait plus la distinction.
J'ajouterai: Même si on fait la distinction, avez-vous vraiment
besoin de deux sortes de députés en Chambre, le
député "at large" et le député de circonscription?
Je crois que, dans nos institutions politiques, l'erreur c'est de croire que
tout est bon d'un côté et que tout est mauvais de l'autre. Je
pense que des synthèses permettent plus souvent d'épouser
davantage la réalité. Remarquez bien que je me sens très
bien représenté par mon député à
l'Assemblée nationale, mais je me sens aussi bien
représenté par l'ensemble des députés. Je pense
qu'il ne serait peut-être pas mauvais de briser le cordon ombilical entre
les électeurs et certains députés, certains. C'est pour
ça que je recommande une synthèse des deux.
M. HARDY: M. Bonenfant, je reviens à des principes que vous avez
émis au début, à savoir qu'il ne faut pas
s'éloigner trop de la réalité...
M. BONENFANT: Oui.
M. HARDY: ...qu'il ne faut pas trop brusquer. En théorie, je dois
vous dire immédiatement que les principes contenus dans la lettre du
célèbre député...
M. BONENFANT: Oui.
M. HARDY: ...avant-gardiste, il faut le dire...
M. BONENFANT: A l'époque...
M. HARDY: ...personnellement, sur le plan des principes, je suis
totalement d'accord sur cela. Ce serait l'idéal si chaque
député arrivait ici en se considérant non pas
représentant des intérêts particuliers d'un coin, mais
complètement détaché de ça. Ce serait
l'idéal, mais même en admettant ce que vous venez de dire,
à savoir que l'espèce de cordon ombilical entre le
député et son coin, son patelin, le collège
électoral qu'il représente s'atténue, le cordon ombilical
est moins rigoureux qu'il ne l'était même quinze ou vingt ans, ma
courte expérience me dit qu'en tout cas, dans les comtés
semi-ruraux, semi-urbains, ce cordon ombilical demeure.
M. BONENFANT: Ah! je le sais.
M. HARDY: C'est mon expérience quotidienne. Même si je
voulais me cantonner dans le domaine des principes, l'expérience que je
vis quotidiennement, parfois à mon grand malheur, demeure. Ignorer
totalement cette réalité sociologique pour s'en remettre
uniquement au principe que vous avez énoncé, qui est un principe
fondamental de science politique, je me demande s'il n'y aurait pas un danger.
Je voudrais vous poser une autre question. Ne croyez-vous pas qu'en Allemagne
cette différence entre les deux genres de députés n'existe
à peu près pas? Si mes renseignements sont bons, le nombre est
égal entre les députés élus dans les comtés
et les députés élus à la...
M. BONENFANT: Si vous me le permettez, je voudrais tirer une conclusion.
Au contraire, c'est que si vraiment vous avez moitié-moitié, je
pense que le contraste serait plus profond.
M. HARDY: Cela serait...
M. BONENFANT: Ce serait plus profond. On me dit je l'ai lu et je
l'ai entendu en Allemagne qu'une fois les élections
passées, on ne fait plus de distinction. Remarquez bien Dieu sait
si c'est délicat pour moi de porter des jugements sur vous qui
travaillez en Chambre j'ai l'impression que si votre qualité de
député compte, si les relations du député avec ses
électeurs, comptent d'une façon marginale, en dehors de la
Chambre, une fois rendus en Chambre, je pense bien qu'avant de voter, vous ne
vous demandez pas ce que pense la majorité de vos électeurs.
M. HARDY: Je ne sais. pas. Il faudrait peut-être faire une
enquête.
M. BONENFANT: Dans ce cas-là, les lignes de parti seraient
souvent brisées.
M. HARDY: Mais il y a parfois des gens qui ont justement payé
cher d'avoir brisé les lignes de parti.
M. BONENFANT: Je ne vous apporte pas des réponses
catégoriques, parce que je pense qu'en étant catégorique
il est dangereux de se tromper. Ecoutez, c'est trente sur 120.
M. HARDY: Oui, oui.
M. BONENFANT: II en reste tout de même 90 qui seront ancrés
dans leur circonscription.
M. HARDY: Une dernière question. Quand
vous dites qu'à la suite de conversations que vous avez eues avec
des députés ou un député d'Allemagne il y
aurait très peu de différence est-ce que, selon vos
renseignements, vous pourriez nous dire si, historiquement, les relations entre
les électeurs allemands et leurs députés ont
été à peu près semblables à celles qui ont
existé ici au Québec. C'est quand même un facteur qui
pourrait largement éclairer cette...
M. BONENFANT: En d'autres termes, pour employer un mot que tout le monde
comprend, est-ce que le patronage existe?
M. HARDY: Ou du moins, est-ce qu'il a existé?
M. BONENFANT: Remarquez bien que le patronage n'est pas
péjoratif, dans mon esprit.
M. HARDY: Non, mais est-ce que le patronage a existé? Le
rôle pour être plus ...
M. BONENFANT: ...représentatif...
M. HARDY: ...est-ce que le rôle de médiateur, du
député en Allemagne, a la même place qu'il a prise et qu'il
prend encore au Québec. Le rôle de médiateur entre
l'électeur et l'administration?
M. BONENFANT: Je l'ignore. Je ne pense pas que la réponse
pourrait nous éclairer.
N'oubliez pas que vos 90 vont demeurer, que le rôle de
médiateur va demeurer. Je le crois nécessaire ce rôle, du
moins pour un bon nombre d'années. Il ne faut pas faire de
l'angélisme. Il y en aura 90 médiateurs. Ne serait-ce que de
comparer, j'ai l'impression que la comparaison permettrait peut-être,
jusqu'à un certain point, de valoriser celui qui est médiateur et
ça rendrait peut-être beaucoup plus concret celui qui n'est pas
médiateur. C'est avec tout qu'on fait un monde.
M. HARDY: Mais il y a quand même l'autre danger que, si vous avez
dans une Chambre 90 députés qui doivent à la fois
être législateurs et médiateurs et que vous en avez 30 qui
sont de purs législateurs, à ce moment-là les 30 risquent
d'être de meilleurs législateurs parce qu'ils se consacrent
strictement à la législation, tandis que les autres consacrent
une partie de leur temps à d'autres travaux.
M. BONENFANT: Si vous me permettez, je pense que l'attachement du
député à sa circonscription est réel. Mais je me
demande si l'attachement du député n'est pas plus profond avec le
groupe général qui, dans la province, a épousé ses
idées.
Je pense par exemple qu'un député indépendantiste
est beaucoup plus lié avec l'ensemble des indépendantistes de la
province qu'avec sa circonscription même.
M. HARDY: C'est beaucoup plus concret que ça. Si un
député représente une circonscription donnée, son
rôle de médiateur va continuer à exister pendant un certain
temps. Cela implique pour lui de consacrer un certain nombre d'heures par
semaine à la réception d'électeurs, au courrier, etc.
Tandis que le député qui est élu suivant le scrutin
proportionnel n'a pas ce contact, il peut consacrer tout son temps à la
préparation de dossiers en tant que législateur.
M. BONENFANT: Je pense que vous avez là le début d'une
solution. Je sais que, dans plusieurs partis politiques, on se plaint
c'est pour ça qu'on réclame une réforme que je n'approuve
pas que le fait d'être député empêche de
vraiment accomplir ses devoirs politiques. Cela va être
précisément à l'intérieur de chaque parti de
libérer quelques personnes qui auront plus de temps et qui ne seront
pas... Je crois que les contraintes électorales sont excellentes. Il
faut toujours un bain populaire pour être un bon homme politique.
N'oubliez pas qu'il faut raisonner en fonction d'un parti. Supposons un
parti qui aurait 50 députés à la Chambre ici. Parmi ces
50, il y en aura moins d'une dizaine qui seront de cette espèce.
Evidemment, je n'ai pas de réponse catégorique. Je pourrais dire
oui ou non. C'est un essai. Si vous commencez avec une petite fraction
et moi j'ai l'impression que 30 sur 120, c'est le quart; de plus ces 30 vont
être divisés entre les partis je me demande si cela ne
vaudrait pas la peine de faire l'essai.
M. LE PRESIDENT: Vous avez terminé, M. Hardy?
Le député de Chicoutimi.
M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. Bonen-fant, j'aurais quelques questions
à vous poser à ce sujet-là et je vais prendre la
même précaution que mon collègue de Terrebonne. Les
questions que je poserai ne seront pas nécessairement l'expression
d'opinion de mon parti. Je ne dis pas ça pour vous, mais pour certaines
personnes qui, chaque fois que nous posons une question en commission
parlementaire, déclarent le lendemain que nous avons
préconisé tel ou tel système.
Le système que vous proposez de 120 députés dont 30
seraient choisis par le moyen de liste ne vous parait-il pas déranger
les habitudes des Québécois? Vous avez insisté tout
à l'heure sur ce danger qu'il y a de déranger des habitudes quand
cela n'est pas nécessaire. Je ne suis pas fétichiste dans ce
domaine et justement vous faisiez allusion à Burke tout à
l'heure. Lorsque j'ai été élu député pour la
première fois au fédéral, j'ai déclaré
à mes commettants, après mon élection, que j'étais
devenu député représentant tous les citoyens du Canada. Et
en 1962, le candidat créditiste qui m'a battu s'est servi de ça
contre moi. Il a eu raison d'ailleurs. Je m'étais fait du
député une conception un peu trop angélique comme
vous dites.
Je ne m'étais pas rendu compte que le député devait
avoir avec ses commettants des contacts réguliers, qu'il était un
intermédiaire entre eux et l'administration.
Il y a des habitudes chez les Québécois, c'est que le
député est ce lien nécessaire. Or, en élisant 30
députés comme vous le proposez, est-ce que nos électeurs
ne considéreraient pas c'est la même question que mon
collègue ces gens comme des privilégiés par rapport
aux autres dans le domaine du travail pratique que nous avons à
accomplir, comme on dit dans le jargon "sur le terrain", dans ces contacts
quotidiens que nous devons avoir avec eux?
Il me paraît que cela dérangerait considérablement
les habitudes de nos électeurs et que nous aurions en Chambre une
série de députés qui se situeraient à un palier
supérieur à celui des autres et que leur travail serait
considéré par la population comme un travail, en quelque
façon, un peu inutile et de parade. Est-ce qu'on ne serait pas
porté à les assimiler à ceux qu'on a déposés
conseillers législatifs?
Je vous pose cette question parce que vous y faisiez allusion tout
à l'heure, et mon collègue vous a posé une question au
sujet des discussions que vous avez eues avec un député allemand.
Mon collègue vous demandait: Est-ce qu'en Allemagne on est
habitué de considérer le député comme on le fait
ici, comme un lien direct entre l'administration et le peuple?
Il faut bien penser qu'en Allemagne, on est parti d'un système
d'abord impérial. Il y a eu ensuite un système
républicain, plus ou moins républicain, et on est tombé
après cela en période de dictature complète. Il y a eu
quand même une réalité qui s'appelle le régime
hitlérien. Durant cette période il ne fut pas possible d'avoir ni
d'élections, ni de contacts du citoyen avec ceux qui étaient
appelés à les représenter si tant est que c'étaient
des représentants. Je crois que la comparaison ici est très
difficile à faire. Il faudra plutôt prendre un autre pays
où il y a un mode de scrutin un peu semblable, en France, et même
en Italie où les moeurs électorales sont beaucoup plus semblables
aux nôtres.
Je vous pose cette question et je la résume: Est-ce que vous
croyez que les habitudes des Québécois sont telles qu'ils
accepteraient ce groupe de gens qui, à toutes fins utiles, à
leurs yeux, ne seraient pas élus par eux parce que n'étant pas
directement rattachés à une circonscription donnée d'un
territoire donné. Il y a aussi le problème des partis politiques.
Vous disiez tout à l'heure qu'un député
indépendantiste représente peut-être davantage à
l'heure actuelle, tous les gens qui pensent à l'indépendantisme
que les gens du Parti libéral ou les gens du parti de l'Union
Nationale.
Je pense que dans l'hypothèse où, par malheur, il y aurait
plus de députés indépendantistes un peu plus tard, ces
gens-là seraient exactement dans la même situation que la
nôtre. S'il y avait un parti...
M. LAURIN: Vous ne savez pas ce que vous pensez.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Laurin, ayez donc un peu le sens de
l'humour. Je vous reproche justement de ne pas l'avoir et de prendre tout au
pied de la lettre.
M. DUMONT: Vous n'avez même pas parlé des
créditistes.
M. SAMSON: C'est pour ça que nous avons le sens de l'humour
d'ailleurs.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dès le moment où un parti, quel
qu'il soit un parti indépendantiste par exemple
deviendrait un parti au pouvoir, les députés de ce parti auraient
exactement les préoccupations que nous avons. Ils seraient rivés
à ces exigences et à ces contigences du quotidien du
député, formule traditionnelle.
Je vous demande votre avis là-dessus et la conception qui est la
vôtre en ce qui concerne les moeurs des Québécois.
M. BONENFANT: Premier point, je pense qu'il faut essayer de faire la
synthèse de systèmes qui, à première vue, semblent
opposés. Je m'explique. Il est sûr que je ne recommande pas la
proportionnelle pure telle qu'elle a été pratiquée par la
République de Weimar en Allemagne et qui a été une
faillite. Je pense que la proportionnelle pure pourrait exister et elle existe
dans un Etat comme Israël. Il est possible dans un pays pas très
étendu, un pays nouveau, de la pratiquer.
Je rejette donc la proportionnelle pure. Deuxièmement, il reste
tout de même que ce qu'il faut chercher, c'est un système qui
n'abandonne rien de ce que nous trouvons essentiel dans le passé.
Là, je vous donne raison, et je donne raison au
député de Terrebonne je parle comme les
députés maintenant à M. Hardy pour être plus
précis, c'est que le député doit pour longtemps encore
représenter une circonscription. Cependant, j'aimerais qu'en marge de
ces députés-là... Je pense qu'on pourrait facilement
diviser le Québec en 90 circonscriptions honnêtes, substantielles
si vous voulez.
Evidemment, ça va être du joli découpage, mais il
reste qu'on peut très bien représenter le Québec avec 90
circonscriptions. Il y en 74 à Ottawa. J'admets que c'est
différent, que la situation est un peu différente, mais je pense
qu'on peut avoir une très belle carte électorale avec 90
circonscriptions. Ce qui nous arrive, c'est que, quel que soit le parti, je
trouve douloureux et même scandaleux que les vedettes, par exemple, d'un
parti ça peut aujourd'hui viser un parti demain ça en
visera un autre n'aient aucun moyen d'entrer siéger en Chambre,
que ces vedettes-là soient mises de côté par les hasards de
la circonscription où ils se sont présentés.
Le premier avantage de ce système, c'est de permettre à un
parti si vous me permettez l'expression de
récupérer ces vedettes qui ont été défaites.
Je crois qu'il y a déjà là un avantage. Un autre point:
j'ai l'impression que le nombre de députés élus de cette
façon en fonction de chacun des partis, ne sera pas considérable.
A l'heure actuelle, vous êtes quatre partis. Divisez les 30 par quatre et
les partis n'en auront pas énormément d'élus comme
ça.
J'ai l'impression qu'un parti politique sentira peut-être le
besoin d'avoir quelques députés qui seront libérés
des tâches de représentants directs d'un comté. Remarquez
bien que j'insiste sur le fait qu'un député doit, en
général, représenter une circonscription. C'est de
l'angélisme que de croire qu'un député ne doit pas
être hanté par sa circonscription. J'aimerais que, dans chacun des
partis, il y ait quelques députés disponibles. En d'autres
termes, vous ne détruisez pas l'ancien système. Vous gardez cet
ancien système de contact avec la population et je crois que c'est
important.
Par ailleurs, vous avez quelques candidats marginaux, quelques
élus marginaux qui viennent de régler les problèmes que
vous avez à l'heure actuelle dans chacun des partis. Je ne nommerai pas
les partis, mais combien de fois ai-je entendu des gens que j'estime beaucoup
mépriser leur caractère d'élus en disant: Nous perdons du
temps à fréquenter les électeurs. Ils sont dans l'erreur
parce qu'un homme politique qui n'est pas hanté par les électeurs
n'a plus sa valeur à mon sens. C'est pour ça que je suis contre
le système du ministre non élu en général.
Il faut un bain populaire, sans ça vous n'avez plus votre raison
d'être. Si vous n'avez plus de bain populaire, les techniciens vont vous
remplacer. C'est ça la différence entre vous et les techniciens:
vous avez un bain populaire. Et, moi j'y tiens à ce bain
populaire-là. Donc, je prétends que si, sur 120 il y en a 30 qui
sont dans cette petite catégorie 30 sur 120, c'est simplement le
quart il en restera 90 qui continueront à vivre selon la vie que
vous avez connue. C'est pour ça que je trouve cet ajouté marginal
qui va régler... N'oubliez pas qu'il faut penser au problème que
ça règle: c'est que ces ajoutés marginaux règlent
le problème de la différence entre le résultat populaire
et le résultat en Chambre.
Vous admettrez comme moi que lorsqu'il y avait deux partis, ce
n'était pas un problème, mais maintenant qu'il y a plusieurs
partis encore une fois, je ne veux flatter aucun parti je trouve
scandaleux qu'un parti n'ait pas en Chambre une représentation populaire
qui corresponde au nombre de votes qu'il a obtenus. N'oubliez pas que,
même si vous refaites la carte électorale, vous aurez les
mêmes résultats dans certains cas. Cela va jouer.
Donc, au moins le système que je suggère, le
système allemand, nous apporte une solution à ce problème
qui scandalise de plus en plus la population et qui scandalise surtout les
interres-sés, si vous me permettez l'expression. J'ai donc l'impression
que le système inspiré par le système allemand n'est pas
une dérogation aussi profonde qu'on le croit à l'état du
passé, et que pas ailleurs, il apporte des résultats aux
difficultés que vous avez aujourd'hui qui sont, premièrement le
manque de proportion entre le nombre de députés élus et
les votes populaires, ce qui scandalise beaucoup de gens et surtout ceux qui en
souffrent.
Deuxièmement, cela permet aux vedettes d'un parti politique de
toujours être élues. Je trouve encore une fois, je ne veux
flatter aucun parti politique scandaleux qu'un parti politique soit
obligé de recourir à des démissions, à des
marchandages pour envoyer des personnages qu'il juge être des vedettes.
Je crois qu'un parti politique doit être très structuré,
être maître de sa vie. S'il veut, en Chambre, être
représenté par monsieur X, je suis peiné du fait que
monsieur X ait été incapable de se faire élire dans une
circonscription. Au fond, mon système est loin d'être
révolutionnaire, il est peut-être un peu trop conservateur
jusqu'à un certain point, mais il a l'avantage de ne pas rompre avec le
passé et d'apporter certains éléments d'avenir. C'est pour
cela que je vous fais remarquer que j'y suis très favorable depuis
longtemps. Je pense que les deux personnes qui ont commencé à
favoriser le système dans la province de Québec, ce sont M. Boily
et moi. Nous avons, il y a huit ou neuf ans, commencé à
écrire sur cela, alors que le problème ne se posait pas du tout
sous l'angle politique. Depuis, il y a un parti qui en a fait pratiquement un
de ses articles. Je vous prie de croire que ce n'est pas à cause de cela
que je le favorise.
Remarquez bien que j'ai des hésitations moi aussi. Mais, je crois
que la population comprend mal ce manque de proportion entre le vote populaire
et le nombre de députés élus. Il faut trouver le moyen de
corriger cela. Il y en a peut-être d'autres, mais je ne les connais
pas.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je suis d'accord avec vous, M. Bonenfant
je l'ai dit à plusieurs reprises sur la question de la
représentation en fonction du vote populaire. Il est évident
qu'il y a une disproportion qui, comme vous le dites peut être
scandaleuse. Ce phénomène s'est accentué depuis un certain
nombre d'années, depuis quelques élections. C'est cet abus qu'il
nous faut d'abord essayer de corriger.
Maintenant, je reviens à ce que je vous demandais au
départ. Est-ce que les trente députés dont vous parlez ne
seraient pas, dans l'esprit des gens, l'équivalent des 24 conseillers
que nous avions? Est-ce que les gens auraient vraiment l'impression de les
avoir élus? Je me dis que c'est un problème d'éducation
qu'il faut faire auprès de la population pour lui faire comprendre quel
peut être le rôle de ces députés et la raison qui
justifierait le mode d'élection au moyen duquel on les choisirait.
M. BONENFANT: Si vous permettez, je reviens tout de suite à la
comparaison avec le Conseil législatif. J'ai été
jugé naguère comme l'un des grands ennemis du Conseil
législatif contre lequel j'ai lutté tout à fait
amicalement pendant des années, mais il y avait une différence.
Premièrement, c'est que les conseillers n'étaient aucunement
élus. Deuxièmement, ils avaient presque vie perpétuelle.
Troisièmement, sauf dans quelques cas, leur activité
n'était pas extraordinaire. Je pense qu'il n'y avait aucune
assemblée au monde qui était aussi peu resplendissante. Tandis
que là, n'oubliez pas que ces messieurs siégeront d'abord avec
les autres. Je me demande si ce qui ferait leur qualité, ce n'est pas
tant leur origine électorale, que leur participation à la vie de
l'assemblée. C'est peut-être un point que nous oublions. Au bout
d'un certain temps évidemment pendant quelques séances, un
adversaire dira: Bien écoutez, vous n'avez pas été
élus par une circonscription on ne fera pas de distinction entre
le député élu de cette façon et celui élu
par l'ensemble de la population. On se pose un faux problème en faisant
une distinction aussi considérable entre les deux. L'avantage est que
cela donnera à chacun des partis un certain nombre de
députés qui seront libérés, à l'avantage du
parti, de tâches de représentation.
La représentation est un bienfait, le député doit
être enté sur la population, mais vous admettez comme moi que,
dans tout parti politique le parti au pouvoir ou celui de l'Opposition
on a besoin d'un certain nombre de députés qui sont
libérés de ces tâches qui ne dévaluent pas le
député, mais qui prennent tout de même son temps. Je me
demande, si vous n'aurez pas là le réservoir qui vous
empêchera de tomber dans cette erreur que je trouve fondamentale,
à savoir que les membres d'un cabinet ne devraient pas être
élus. Vous savez que, dans certains partis politiques, on est en train
de prôner l'idée qu'il faut libérer le
député. Je crois que c'est une erreur généreuse,
épouvantable. Si vous n'êtes pas en liaison avec la population,
vous n'avez presque plus votre raison d'être. A ce moment, je suis aussi
représentatif que vous.
C'est pour cela que, malgré ses succès apparents, le
système américain n'est pas si bon que cela. Il fonctionne bien,
parce que là il s'agit d'un pays extrêmement riche mais il y a
à peu près une cinquantaine de pays qui sont nés depuis la
guerre et je pense qu'il y en a deux ou trois qui ont imité le
système américain.
Je pense que ces candidats qui, après tout, auront
été choisis par leur parti, après un certain temps
je me trompe peut-être vous les regarderez exactement comme vos
égaux et vous ne serez pas tentés de dire : Ecoutez, vous n'avez
pas été élus, vous. Je pense que vous allez les regarder
très rapidement ainsi et tous les partis seront heureux d'avoir cette
soupape ne serait-ce que pour les chefs. Par exemple, supposons qu'un parti
politique a deux ou trois vedettes qui se présentent dans des
circonscriptions. Ces vedettes sont défaites. Là, vous savez ce
qu'il faut pratiquer, il faut faire démissionner quelqu'un, il faut
faire du marchandage. Tandis qu'avec ce système je pense bien que tout
parti politique demandera à ses vedettes de se présenter dans une
circonscription mais, par ailleurs, il demandera à ses vedettes de
s'inscrire dans les listes. Ce qui veut dire que, si les vedettes ne sont pas
élues dans une circonscription, les vedettes entreront quand même
à l'Assemblée nationale par la deuxième voie.
J'en reviens à ce que je disais tout à l'heure.
Evidemment, si on considère la politique comme un jeu je ne
voudrais pas faire le puritain, c'est un jeu très agréable, je
pense bien mais il faut tout de même admettre que, quand c'est
possible, il faut mettre de côté les règles du jeu. Quand
un parti politique a triomphé d'une certaine façon, je
considère qu'il devrait avoir automatiquement un moyen de permettre
je ne veux pas flatter un parti politique dont le chef n'est pas en
Chambre, pas du tout, je n'ai pas les idées de ce parti... Mais il reste
que je trouve scandaleux que les vedettes d'un parti, ceux que le parti a
choisis comme ses chefs, ne soient pas en Chambre. Je veux qu'on trouve un
moyen de les faire entrer automatiquement je ne dis pas que le parti
n'est pas bien représenté en Chambre, remarquez bien mais
je trouve que... La population n'admet plus ce petit jeu qui était
possible à une époque où la politique était un
sport de gentleman. Aujourd'hui, c'est une occupation à temps plein, une
occupation sérieuse. La politique n'est plus un jeu.
Je ne sais pas si j'ai bien plaidé ma cause.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Bonenfant, une dernière question. Je
suis bien d'accord avec vous qu'il est important que les partis politiques
aient leurs têtes d'affiche et que ces gens-là puissent être
en Chambre, ce qui est un apport extrêmement important pour le parti
comme tel. Maintenant, des connaissances que vous avez du système
allemand et de sa pratique actuelle, est-ce que les résultats des
élections, en Allemagne...
M. BONENFANT: Oui.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... tout récemment, ont apporté
ce résultat de maintenir en Allemagne les têtes d'affiche?
M. BONENFANT: Oui, automatiquement. Je ne sais pas si vous avez le
bulletin que j'ai fait distribuer, vous verrez qu'on ne court pas de risque,
les vedettes se présentent et elles sont inscrites aussi dans la liste.
Si vous regardez le bulletin que j'ai fait distribuer, vous verrez, par exemple
c'était à l'époque, je pense, du Dr Adenauer
qu'on prend les vedettes et on fait en sorte qu'elles soient élues. On
nous dit encore une fois, mon témoignage est secondaire
qu'une fois élues, on fait très peu de
distinction. On ne fait pas de distinction. Je crois que c'est triste de
laisser au hasard...
M. LAVOIE (Wolfe): M. Bonenfant, ne trouvez-vous pas qu'une vedette qui
ne peut pas se faire élire n'est plus une vedette?
M. BONENFANT: Non, je ne suis pas de votre avis du tout. Cela
dépend de l'endroit où elle est, cela dépend de l'endroit
où se trouve cette personne. Vous savez, comme moi, qu'il y a des
endroits remarquez bien que je parle pour tous les partis politiques
il y a des circonscriptions je ne fais pas la comparaison parce
qu'elle est peut-être vulgaire où vous pouvez faire
élire n'importe qui de tel parti. Je ne suis pas de votre avis. Il y a
des circonscriptions où vous ne feriez pas élire le plus grand
homme du monde.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Bonenfant, je pense que les vedettes
on n'a nommé personne qui ont été élues
précisément parce qu'elles faisaient partie d'un groupement
politique qui pouvait faire élire n'importe qui. Elles ne sont devenues
vedettes qu'à cause de cela et, lorsqu'elles ont changé
d'allégeance, il y a eu, justement dans cette circonscription
donnée, un retrait d'intérêt pour la personne qui avait
été créée vedette grâce à un autre
parti.
M. BONENFANT: Je reprends ma phrase, je considère que lorsqu'un
parti politique existe et qu'il représente je serai très
conservateur représente au moins 5 p. c, peut-être 10 p. c.
des votes globaux, je prétends que ce parti doit avoir la maîtrise
d'envoyer à l'Assemblée nationale les gens qu'à tort ou
à raison il considère comme ses chefs.
Je trouve qu'il est anormal ce sont mes idées, je me
trompe peut-être que le sort de ces vedettes, fausses vedettes si
vous voulez, mais le parti les a regardées comme ses vedettes... Je
trouve qu'il faut un système qui permette à ce parti d'envoyer en
Chambre les personnes qu'à tort ou à raison, ce parti
considère comme ses tenants. Je crois que c'est très important.
Sans cela, ça devient du petit jeu.
Que reproche-t-on à la politique? Je suis loin d'être
sévère. On lui reproche d'être un jeu. Elle demeurera
toujours un jeu, mais pour autant qu'on est capable de faire disparaître
les éléments du jeu dans la politique, je crois que c'est de
nature à remonter les sentiments populaires en faveur de la politique et
des hommes politiques. Ce que le grand public, à tort, souvent
méprise, c'est le petit jeu d'autrefois. C'est la politique qui pouvait
se pratiquer dans une Angleterre de "gentlemen" où, en
réalité, à cause des bourgs pourris, les gens ne
représentaient absolument rien. Je crois qu'on a intérêt
à ce que la représentation épouse pour autant que c'est
possible l'opinion populaire. Encore une fois, il y a des gens qui demande-
ront autre chose, mais, au moins, on pourra leur répondre qu'ils sont
représentés tandis qu'à l'heure actuelle, un parti
politique, pour mettre des chiffres absolus, peut avoir 35 p. c. des votants
dans la province et n'avoir que 12 p. c. des députés. Evidemment,
cela était autrefois admis. C'était un jeu qui était
admis, mais aujourd'hui, je pense que la population s'en scandalise et je fais
partie de la population à ce point de vue.
M. LE PRESIDENT: M. Bonenfant, si vous le permettez, j'ai plusieurs
noms. Ce sera d'abord le député de Gouin, suivi des
députés de Rouyn-Noranda, Saint-Jacques, Jacques-Cartier,
Lafontaine. Le député de Gouin.
M. JORON: M. Bonenfant, nous invitait au début de son
exposé à trancher d'abord une question qu'il a qualifiée
de centrale, à savoir si on doit modifier notre système
électoral de façon à traduire plus fidèlement
l'expression de la volonté populaire dans son Parlement.
Dans les arguments que vous avez employés, M. Bonenfant, en
faveur de cela, on a insisté beaucoup sur tout le processus de
récupération des vedettes. Je veux bien croire que c'est
important, mais j'aimerais vous entendre expliciter davantage quelque chose que
vous avez mentionné. Vous avez dit à maintes reprises que la
disproportion que le système actuel donne scandalise de plus en plus la
population. Est-ce que vous croyez que ce scandale... si à une autre
époque, on pouvait tolérer des disproportions semblables, mais
aujourd'hui, surtout chez les jeunes et peut-être aussi du fait que la
population est plus éduquée, plus politisée, les moeurs
culturelles, les moeurs politiques ont changé. Est-ce qu'il n'y a pas,
et c'est cela que j'aimerais vous entendre préciser, dans toute cette
affaire quelque chose de bien fondamental qui est la légitimité
même du Parlement. Pour autant qu'on tolère des
différenciations entre l'expression de la volonté populaire et la
représentation en Chambre, cela ouvre trop facilement la porte à
bien des groupes contestataires pour prétendre que le Parlement n'est
pas représentatif et pour conduire à une action qui finalement,
en dehors des voies politiques normales, peut presque entraîner la
société dans une période anarchique. Est-ce que
l'idée fondamentale, d'après vous, pour laquelle nous devrions
traduire cette idée maîtresse, la fidélité de la
représentation populaire avec la représentation en Chambre, n'est
pas la légitimité même de nos institutions politiques qui
est mise en cause? Et n'est-ce pas le grand danger qui nous menace à
l'heure actuelle?
M. BONENFANT: Evidemment, je crois que ça donne raison à
certains contestataires qui disent: Ecoutez, le Parlement ne représente
vraiment pas l'éventail populaire. Regardez, il y a tant de gens qui ont
voté pour tel parti et ça a abouti à tel nombre de
députés. J'ajouterai,
avec un peu de scepticisme, car je pense bien qu'il y en a plusieurs qui
continueront à contester, que j'ai l'impression qu'il faut faire en
sorte qu'on fasse disparaître le plus possible les bases de la
contestation. C'est pour ça qu'il faut rechercher un système. Je
ne connais pas d'autre système que le système allemand où
une proportionnelle étendue et je suis contre une proportionnelle
étendue. Il n'y a pas d'autres moyens d'en arriver à une certaine
similitude vous allez voir pourquoi je dis une certaine similitude
entre le vote populaire et la représentation. Donc, il faut tout
faire pour qu'il y ait une certaine similitude. Par exemple, si vous avez 35 p.
c. des voix pour le parti blanc, il faut que le parti blanc ait en
représentation aux environs de 35 p. c. Evidemment, il y a toujours des
calculs marginaux. C'est un premier point.
Or, je ne connais pas d'autre système que le système
allemand qui remplit ces conditions, sauf que le système allemand arrive
au résultat suivant. En effet, il se peut qu'un parti soit
privilégié, ou que le parti au pouvoir reçoive plus qu'il
ne devrait. Cela ne me scandalise pas trop parce que, même si la
représentation doit être fidèle, il faut avoir une certaine
stabilité. Cela m'amène à un troisième raisonnement
qui est aussi assez important, qui est peut-être jusqu'à un
certain point antidémocratique et qui scandalise bien des gens, c'est
qu'au début, ça peut faire le sort très dur à des
petits partis. Avant qu'un parti puisse émerger, ça va lui
prendre du temps et, aux dernières élections allemandes, il y a
des partis qui sont pratiquement disparus alors qu'ils avaient pris aux
élections précédentes un certain nombre de voix. Il ne
faut pas s'en faire. Il faut quand même garder une certaine
stabilité. Si votre système est très démocratique
et qu'il crée de l'instabilité, quoiqu'il y ait d'autres
façons de faire disparaître l'instabilité, là, je
regrette, je ne marche pas.
Par conséquent, je ne connais pas d'autre système qui
jusqu'ici permette d'en arriver à une représentation
parlementaire qui soit liée le plus adéquatement possible au vote
populaire. Or, je pense il y aura toujours des gens qui diront: Cela ne
va pas mais au moins un bon argument va leur échapper. Parce que
dans l'histoire nous avons tout de même eu des gouvernements minoritaires
ici. Le gouvernement minoritaire, on le digère, mais au bout d'un
certain temps, cela a pour conséquence que les gens ne prennent plus la
représentation populaire au sérieux. Moi, j'y crois encore.
M. JORON: M. Bonenfant, si vous me le permettez, quelques
éclaircissements techniques sur la suggestion des trente qui viennent
s'additionner aux 90. Est-ce que ces trente-là sont dans votre esprit
compensatoires ou additionnels'
M. BONENFANT: Ils sont additionnels.
M. JORON: Ils sont additionnels, non pas compensatoires?
M. BONENFANT: Oui.
M. JORON: Deuxième question...
M. BONENFANT: Si vous me le permettez, il se pourra que, dans certains
cas, à cause du jeu mathématique, vous puissiez dépasser
120. Dans certains cas, c'est arrivé en Allemagne. Cela en fait donc un
de plus. C'est à cause du jeu mathématique.
M. JORON: D'accord. Deuxième question. Vous avez souligné
dans votre exposé la difficulté de faire les listes de ces
trente-là sur une base régionale. Effectivement, le nombre est
insuffisant. On a calculé d'ailleurs que, sur les dix régions
administratives du Québec, il y en a sept qui arrivent à n'avoir
qu'un seul député dans ce système-là, ce qui
évidemment n'a pas de bon sens. Est-ce que, dans votre esprit, on se
dirige vers une liste nationale, d'une part? Si elle est nationale, est-elle
bloquée ou ouverte, d'autre part, puisque aussi vous avez
mentionné la nécessité de conserver un seul vote?
M. BONENFANT: Attention, peut-être pas la nécessité,
la faculté. Je me suis dit: Si on trouve trop compliqué d'avoir
deux votes, évitons-en un.
M. JORON: Comment faites-vous voter les gens sur une liste nationale
à travers le même vote que pour la circonscription territoriale
à ce moment-là?
M. BONENFANT: C'est simplement pour jeter du lest que j'ai dit que
j'aimais mieux un seul vote. Théoriquement, je souhaite deux votes pour
plusieurs raisons.
Premièrement, il m'est arrivé très souvent dans ma
vie d'aimer voter pour un parti et d'aimer voter pour un candidat. Donc,
ça nous donnerait satisfaction.
Deuxièmement, je crois que ça serait fondamentalement plus
juste. Je pense qu'à cause du peu d'étendue électorale du
Québec, à cause du petit nombre avec lequel je veux commencer
l'expérience, remarquez bien que si je la commençais avec
moitié-moitié mes sentiments seraient différents, mais je
veux qu'on essaie il est évident que vous ne pouvez pas diviser
vos 30 par région, sans ça, comme vous venez de le dire.
Il y a peut-être une deuxième division qui est
légèrement possible, mais là ça va à
l'encontre de certaines idées que j'ai développées la
première fois, c'est de diviser entre rural et urbain. Je vous ai dit
que, contrairement à beaucoup de gens, pour moi, la distinction
n'était pas importante. Ce sont mes idées, mais j'admets qu'on
ait d'autres idées.
C'est pour ça que j'en arrive à 30 globaux. Or, ces 30
globaux seront évidemment désignés, et chaque parti
désignera ceux qu'il considère comme devant être
élus par ce mécanisme.
M. JORON: C'est une liste bloquée.
M. BONENFANT: Une liste bloquée. Et ce qu'un parti devra faire
il y aura peut-être des luttes internes par exemple dans le parti
sera de désigner ses vedettes. Parce que la vedette aura la
chance d'être élue dans la circonscription. Si elle l'est, elle
disparaît de la liste et c'est le suivant qui vient.
Je considère c'est fondamental qu'un parti devrait
être maître de sa vie et devrait avoir le droit d'envoyer en
Chambre, lorsqu'il a obtenu tant de voix populaires, les gens qu'il juge les
meilleurs parmi le parti. Il y a deux façons de les faire élire
dans des circonscriptions, il y en a toujours qui seront défaits pour
des raisons locales. A ce moment-là, je souhaite que le parti ait cette
soupape d'envoyer les candidats qui ont été battus, afin qu'ils
puissent siéger.
Je trouve que c'est triste remarquez bien que ce n'est pas pour
flatter un parti politique du tout qu'une vedette d'un parti soit
laissée de côté après tout, la vie politique,
c'est tout de même au Parlement que ça se conduit en bonne partie
pour des raisons accidentelles, parce qu'elle s'est
présentée dans telle circonscription.
Ce que je suggère ne serait pas si révolutionnaire que
ça. Il y a avantage, je crois, à faire 90 belles circonscriptions
dans le Québec. C'est triste, il y a de petites circonscriptions qui
vont disparaître. Mais tout système va les faire
disparaître. Je pense que vous pourriez arriver à une très
belle carte électorale avec 90 et les 30 autres...
Est-ce que ça répond à votre question?
M. JORON: Oui, merci.
M. LE PRESIDENT: Le député de Rouyn-Noranda.
M. SAMSON: J'aimerais poser une question à M. Bonenfant. Votre
exposé a été très intéressant. Vous
manifestez le désir de faire se rapporter le vote populaire et la
représentation. Dans ce sens-là, vous avez aussi souligné
l'importance pour un député d'agir comme médiateur,
c'est-à-dire d'être dans le bain, d'être près de ses
électeurs. Est-ce que, pour faire le rapprochement entre les
différents systèmes, soit entre le vote populaire et la
représentation, et peut-être pour permettre de rétablir
l'équilibre et aussi de conserver à tous les
députés les 120 députés ce
caractère de médiateur, il n'y aurait pas possibilité que
vous envisagiez d'étudier la façon suivante?
Au sujet des 30 députés dont vous mentionnez la
possibilité d'élection par la liste, est-ce qu'il y aurait
possibilité que cela soit fait sur un plan plutôt régional
suivant le nombre de députés déterminé à
l'avance, proportionnellement à la population d'une telle région?
Ce qui, en quelque sorte, nous amènerait un représentant de
comté à l'Assemblée nationale et quelques
représentants régionaux.
Si nous pouvions envisager cela, cela permettrait à celui qui est
un représentant régional d'être quand même
associé directement à une région et d'être
rapproché de ses électeurs le plus possible. Est-ce que c'est
possible d'en arriver à ça?
M. BONENFANT: Je suis de votre avis mais nous tombons dans un autre
système. Je vous avoue qu'idéalement le système que vous
venez de préconiser et que je vais préciser serait
peut-être celui que j'aimerais le mieux. Je vous l'ai dit dès le
début, je pense qu'il faut habituer la population doucement à un
certain système. Au fond, ce que vous nous prêchez, c'est le
système du sénat australien. En Australie, à la Chambre
basse, vous avez une représentation en fonction des circonscriptions
électorales. Par ailleurs, les sénateurs des Etats australiens
sont élus par chacun des Etats à la proportionnelle pure,
c'est-à-dire, par exemple, si on a 40 p. c. dans un Etat je fais
des chiffres imaginaires les sénateurs sont élus de cette
façon.
Au fond, votre système, voici comment je l'appliquerais. Vous
tombez peut-être dans un système que je trouve meilleur que celui
que je suggère. Je pense que la population n'y est pas encore
prête. Au fond, disons donc que si 100 députés
étaient élus d'après le système traditionnel, sans
circonscriptions, on dirait: Le Québec se divise en tant de
régions. Je diminuerais le nombre des régions parce que, si vous
prenez votre système avec le nombre des régions actuelles, je
vous garantis que vous allez arriver avec un nombre un peu trop
considérable. Disons que nous divisons le Québec en quatre
régions. Chacune de ces quatres régions a 20
représentants. Vous en avez 80 à élire. Là, chacun
des 20 pourrait être élu par la proportionnelle dans une
région.
Je me demande si votre système ne serait pas meilleur avec le
système suivant. Cela serait de créer une deuxième Chambre
où la représentation serait proportionnelle. Votre
système, si vous l'alliez à la représentation, cela va
vous faire une Chambre beaucoup plus composite que celle que je
suggérais tout à l'heure.
Je crois que ce serait possible de jouer avec la proportionnelle, mais
je me demande si, dans une même Chambre, vous auriez d'heureux
résultats. Mais au fond, ce que vous suggérez est un
chambardement beaucoup plus considérable que celui que je
suggère.
M. SAMSON: M. le Président...
M. BONENFANT: Est-ce que la population est prête? Attention! Il ne
faut pas, dans ce
domaine-là, créer des systèmes que la population ne
digérera pas facilement. Vous le savez mieux que moi, c'est votre
métier, il faut faire accepter ce que l'on croit bon par la population.
Il ne suffit pas d'avoir raison, je pense, en politique, il faut que les autres
croient qu'on a raison.
M. SAMSON: M. le Président, je pense que j'aurais dû
être aussi prudent que le député de Chicoutimi et dire: ce
n'est pas mon système que je préconise. Ce sont des questions que
je pose en vertu de ce que vous nous avez suggéré. Dans mon
esprit, je ne verrais pas une représentation augmenter. Je parle en
fonction des 120 dont vous nous parlez, en partant des 90
représentations. Si nous avons dix régions, qui pourraient
être évidemment ramenées à quatre ou à cinq,
ça voudrait dire 30 députés élus à la
proportionnelle dans ces différentes régions. Donc, les
régions auraient un nombre de députés
déterminé en fonction de la population de cette région,
c'est-à-dire proportionnellement à la population.
M. BONENFANT: Si vous permettez M. Samson, au fond, c'est mon
système, sauf que vous le fractionnez en régions. Le danger de
votre système est que, avec 30, vous ne serez pas capables de
travailler, et là j'ai peur que vous ne soyez obligés d'en mettre
plus que 30. Or, moi, ça me ferait peur de rompre avec le passé
en dépassant 30. Au fond, c'est parce que je suis conservateur que je ne
dépasse pas 30.
M. SAMSON: Je vous préférerais créditiste!
M. le Président, il a aussi été fait mention, en
fonction de ce système-là, que ça pourrait servir de
soupape de sécurité pour les chefs des différents partis,
ce qui je crois devrait être accepté et c'est très normal.
Mais si on veut protéger, soit les chefs de parti ou les vedettes comme
vous les appelez, je pense que ce n'est pas tellement nécessaire de tout
chambarder le système si on veut n'en arriver qu'à ça. Il
serait très facile d'accepter que le chef d'un parti ou deux personnes
d'un parti soient automatiquement élus à condition qu'ils aient
recueilli un certain nombre de votes à travers la province.
Ce serait beaucoup plus facile si on voulait n'en arriver que là.
Mais dans votre système au complet, j'ai compris que c'était un
des avantages du système préconisé.
M. BONENFANT: Un seulement.
M. LE PRESIDENT: Alors 1? parole est au député de
Saint-Jacques.
M. CHARRON: Justement, M. Bonenfant, vous venez de toucher, dans votre
aveu de conservatisme, le sujet sur lequel je voulais vous questionner.
M. BONENFANT: J'ai voulu faire une transition.
M. CHARRON: Pourquoi vous limitez-vous à 30 en mettant le
nombre?
Je trouve assez curieux que vous choissisiez 25 p. c. des
députés comme étant élus par la proportionnelle,
alors que le système allemand va jusqu'à 50 p. c. Je n'opte pas
pour 50 p. c. non plus, mais je vous demande cela parce que, en jouant avec des
chiffres comme cela, si j'en suis arrivé à penser que ça
prend à peu près 40 p. c, je mettrais la proportion à peu
près à 80 p. c. 40 p. c, ce n'est pas pour jouer avec les
mathématiques. Précisément votre système
veut laisser à la proportionnelle le rôle de correctif et je me
dis: Quand vous ne laisserez que 30 sièges pour corriger les
inégalités comprises dans 90 p. c, votre rôle correctif est
plus petit.
M. BONENFANT: Si vous permettez c'est un domaine où je me
sens un peu incompétent je vais vous faire la réponse
suivante : je serais en faveur d'un nombre de députés élus
de cette façon, d'après les calculs que les mathématiciens
pourraient faire, le nombre qui serait nécessaire pour corriger les
erreurs du scrutin ordinaire. Je suis bien prêt à changer mon 30.
Je ne suis pas un mathématicien. Je crois que c'est un problème
de technicien, encore une fois. Evidemment, il faudrait dépasser 30, si
ce chiffre est insuffisant pour corriger le système. J'ai pris 30 parce
que je ne suis pas mathématicien et, dans ce domaine, je me fierais aux
spécialistes. Mais je crois que le nombre doit être celui qui est
nécessaire pour corriger le manque de proportion. Mais, j'ajouterais
peut-être ceci: Si vous refaites la carte des 90 de la façon la
plus équitable possible vous savez que je ne vois pas beaucoup de
différence entre les circonscriptions qu'elles soient rurales ou
citadines j'ai l'impression que la disproportion va diminuer, mais elle
va toujours demeurer. Quant à mon chiffre 30, encore une fois, je me
soumets humblement aux machines mathématiques qui me le diront.
M. JORON: Si vous me permettez, dans la même question, tout
à l'heure vous avez dit que les 30 étaient additionnels et non
pas compensatoires. Je voudrais plus d'éclaircissements
là-dessus. Je prends un exemple. Un parti X a obtenu 20 p. c. du vote
populaire et n'a pas 20 p. c. des sièges.
M. BONENFANT: Oui.
M. JORON: Est-ce qu'on lui attribue 20 p. c. des 30 nouveaux
sièges? Alors, est-ce que six sièges viennent s'additionner aux
sièges territoriaux déjà acquis ou bien si on calcule les
20 p. c. pour les 120 sièges? Normalement il aurait eu droit à 24
sièges et territorialement il n'en a eu que 15, par exemple, dont il y
en a neuf à pouvoir calculés au prorata des autres partis sur
30.
M. BONENFANT: Votre dernière version.
M. JORON: C'est ça! Ah bon! Elles sont compensatoires, non pas
additionelles.
M. BONENFANT: Elles sont compensatoires.
M. JORON: C'est dans ce sens. D'accord!
M. LE PRESIDENT: Est-ce que le député de Saint-Jacques a
terminé?
M. CHARRON: J'aurais une autre petite question. Le système
allemand vous n'y avez pas touché ou à peu près pas
comprend ce qu'on appelle un plancher minimal pour la
représentation à l'Assemblée nationale, pour un parti
politique. Est-ce 5 ou 3?
M. BONENFANT: C'est 3, aux derniers chiffres.
M. CHARRON: C'est 3 p. c. Alors, est-ce que vous, pour le Québec,
vous envisageriez aussi un plancher de pourcentage démocratique avant de
penser à la représentation?
M. BONENFANT: Je crois qu'il faudrait un plancher. Comment le fixer? Je
ne le sais pas. Ce sont des calculs. Quand on tombe dans les chiffres, je pense
qu'on dit une chose et qu'on peut avoir tort. Il faudrait le calculer d'une
façon scientifique; je ne suis au fond qu'un généraliste.
A un moment donné, je pense qu'il faudrait mettre les
mathématiciens et les machines dans le jeu. Je pense que ce serait
dépasser ma compétence.
M. CHARRON: Mais est-ce que vous êtes d'accord pour la politique
d'un plancher?
M. BONENFANT: Oui, mais il faut faire attention. Le bienfait du
système allemand et tous les auteurs le signalent c'est
qu'il n'a pas apporté d'instabilité. C'est ce qui est important.
C'est bien beau de favoriser tout le monde mais, à un certain moment, je
pense qu'il faut être pragmatique, il faut se dire: La démocratie,
c'est beau, mais il ne faut pas que l'excès de démocratie soit de
nature à nuire au jeu de la démocratie. Il y aura des partis qui
auront obtenu 4.5 et qui diront: Nous sommes le plus grand parti du monde et
nous ne sommes pas représentés. Mais, que voulez-vous, la
représentation est une fiction. A un moment donné, il faut
accepter la fiction. Jean-Jacques Rousseau était contre la
représentation parce qu'il disait qu'elle était une fiction, et
je pense que c'est tout de même mieux d'avoir un peu de fiction et
d'avoir de la représentation.
M. LE PRESIDENT: Le député de Jacques-Cartier.
M. SAINT-GERMAIN: Ces nouveaux représentants responsables, ces
trente, seraient beau- coup plus responsables aux partis qu'à la
population, en fait. On ne serait responsable à la population
qu'indirectement, on serait responsable à la population à travers
les partis. Comme vous le dites, les leaders des partis politiques seraient
pratiquement dans bien des cas et même dans la majorité des cas,
certains de leur élection.
M. BONENFANT: C'est ce que je souhaite.
M. SAINT-GERMAIN: Je ne connais pas plus que cela le système
politique de la France, mais j'ai toujours été surpris de
constater que les chefs politiques des différents partis semblent des
hommes tout à fait éternels. Ce sont toujours les mêmes
figures qui, à chaque élection, sont les leaders. J'ai
l'impression que les partis sont tellement structurés qu'ils perdent
contact avec la population.
Si pour ces hommes être responsables relativement à leur
carrière politique parce qu'ils deviennent des politiciens
professionnels, ce qui manque peut-être un peu dans notre système
je me demande si ces hommes ne perdent pas contact avec la
réalité, avec le citoyen. Je me demande si cela n'empêche
pas, si ce n'est pas un grave inconvénient relativement à
l'adaptation des partis politiques, de la philosophie des partis politiques au
fur et à mesure des changements de l'échelle des valeurs de la
population.
M. BONENFANT: Je ne suis pas tout à fait de votre avis. Je pense
que, malgré les apparences, l'homme politique français est
beaucoup plus en contact avec la population, et quand je dis en contact avec la
population, c'est au sens noble et parfois au sens concret du mot. Je vous prie
de croire que la distribution des bureaux de tabac, en France, cela compte. Il
faut avoir suivi une campagne électorale en France pour savoir que les
candidats sont en contact peut-être beaucoup plus intime avec toutes les
parties de la population que vous pouvez l'être comme candidats.
J'ajouterai ceci. Les dernières années dans le temps du
général, même si les ministres ne sont pas
députés, en général excusez la
répétition le chef de l'Etat français les a presque
tous obligés à se présenter aux élections. Le seul,
je pense, qui n'a pas été obligé de se présenter a
été Couve de Murville. Les autres ont fait la campagne
électorale et ils la faisaient uniquement comme bain populaire. Regardez
ce que Chaban-Delmas a fait récemment. Le bain populaire de l'homme
politique français est fréquent et on l'a vu la semaine
dernière. C'est que presque tous, du moins une bonne proportion, se
présentent à la mairie. Je vous garantis qu'une campagne à
la mairie en France, dans un petit patelin ou dans un grand patelin, cela vaut
une campagne dans une circonscription.
Je pense qu'on se laisse tromper par les apparences. L'homme politique
français est
hanté par la population, il est assis sur la population, beaucoup
plus qu'on ne le pense. Je crois que le bain populaire des
députés en France est aussi concret qu'il peut l'être ici.
Vous savez que c'est conforme à mes idées. Je prétends que
c'est une forme trop aristocratique de la politique de dire: Je vais
administrer le pays, mais je ne suis pas obligé de me présenter.
Je pense que c'est bon le contact populaire. Ce n'est pas seulement avec des
théories qu'on mène un pays. Il faut du bain populaire de temps
en temps. Je n'ai pas tout à fait la même interprétation de
la réalité politique française. Vous avez vu les
élections à la mairie la semaine dernière en France
où presque tous les députés sont maires. Une bonne partie
des députés sont maires. Je vous assure qu'une campagne à
la mairie en France c'est un joli bain populaire! A mon avis, cela vaut un bain
populaire dans une circonscription du Québec.
M. SAINT-GERMAIN: Comment explique-riez-vous que, malgré les
transformations profondes du système politique français au cours
des dernières années et des résultats en
conséquence, enfin les résultats du vote qui a été
donné à un nouveau parti, que les anciens partis...
M. BONENFANT: Oui.
M. SAINT-GERMAIN: ...le fait qu'ils ont connu des défaites
répétées, je crois que c'est une preuve pratique...
M. BONENFANT: Oui.
M. SAINT-GERMAIN: ...qu'ils n'ont pas su s'adapter à cette
situation nouvelle créée par la nouvelle mentalité.
M. BONENFANT: Je ne voudrais pas tomber dans les arcades de la politique
française. Je vais vous donner mon interprétation.
M. SAINT-GERMAIN: Je dis tout cela parce que vous semblez admettre que
le système britannique avec représentation directe...
M. BONENFANT: Oui.
M. SAINT-GERMAIN: ...le député étant responsable
directement au peuple est un principe valable.
M. BONENFANT: Ah! oui, ah! oui.
M. SAINT-GERMAIN: Cela l'est à mon avis. J'ai peur qu'en mettant
30 députés à mon avis, c'est un nombre
considérable sur 90 élus par comtés.
M. BONENFANT: Oui, mais c'est tout de même trente sur 120.
M. SAINT-GERMAIN: Cela fait toujours le quart qui seront, eux, des
professionnels et responsables surtout à leur parti. Je me demande si
vous ne mettez pas le principe de responsabilité directe du
système britannique en jeu?
M. BONENFANT: Je ne suis pas de votre avis. J'ai l'impression
j'ai l'air un peu stupide d'interpréter ce que vous êtes
qu'une fois que vous êtes élu, vous vous rappelez vos
électeurs et Dieu sait si c'est nécessaire. Mais j'ai
l'impression qu'une fois en Chambre, en face des problèmes, vous ne vous
demandez pas toujours: Qu'est-ce que la majorité de mes électeurs
pensent? Encore une fois, j'ai l'air stupide d'interpréter ce que vous
êtes. J'ai l'impression que vous êtes élu par les gens mais
qu'ensuite, une fois que vous êtes élu, vous gardez en face des
problèmes une certaine liberté d'appréciation. J'ajouterai
que je pense que vous êtes beaucoup plus déterminé
encore une fois cela a l'air drôle de vous dire ce que vous êtes
je ne dis pas par la solidarité ministérielle, mais vous
êtes par la solidarité du parti en face d'un problème. La
preuve, c'est que vous devez tout de même avoir parfois, au fond de vos
esprits, des idées différentes sur un projet de loi qui vient du
gouvernement ou que vous y soyez opposé. La preuve, c'est que c'est
très rare qu'un député vote en marge de son parti et cela
ne me scandalise pas. Je trouve cela tout à fait naturel. Par
conséquent c'est drôle je pense qu'il est bon que le
député soit enté sur une circonscription et je ne vois
aucun danger à ce que quelques députés soient entés
sur toute la province si vous me permettez l'expression et entés
pas de h, évidemment ! Trente sur 120 : c'est une soupape que je
trouve tout à fait nette et je commencerais avec cela. Je pense qu'en
politique, il ne faut pas prendre de gros risques institutionnels, mais je me
demande si ces trente-là ne seraient pas un bon début. Même
si ça va mal, les conséquences ne seraient peut-être pas
épouvantables. En France, ils ont changé de système
électoral je ne sais combien de fois. Ici, nous autres, on ne se permet
pas trop de luxe de changement. C'est formidable, le conservatisme des
Canadiens.
M. SAINT-GERMAIN: Oui, vous avez raison. Nous restons conservateurs
malgré tout.
M. BONENFANT: C'est du conservatisme au sens général, pas
au sens des partis.
M. SAINT-GERMAIN: Ce serait un moyen comme vous avez si bien dit
de donner une certaine stabilité aux vedettes du parti et de
permettre au parti de les amener en Chambre. Mais 30, c'est un nombre beaucoup
trop considérable pour atteindre ce but particulier.
Qu'on admette qu'un parti politique qui obtient un certain pourcentage
de voix puisse avoir au moins en Chambre son chef comme député,
je suis bien prêt à l'admettre aussi et je crois que c'est une
chose que la population
admettrait extrêmement facilement, parce qu'en fait ce sont nos
traditions. On le fait par à-côté.
M. BONENFANT: Ce n'est pas toujours facile.
M. SAINT-GERMAIN: Ce n'est pas toujours facile, mais traditionnellement
c'est ainsi que ça se fait. Qu'on accepte cette tradition et qu'on
l'inclue dans notre façon de voter, pour permettre aux leaders des
partis de siéger en Chambre, je n'ai pas d'objection de principe. Je
crois que ce serait même...
M. BONENFANT: Vous avez employé le pluriel. Jusqu'où vous
allez vous arrêter? H y a certains partis politiques qui vont dire: Nous
avons deux ou trois leaders. Si c'est simplement le leader.
M. SAINT-GERMAIN: Je crois qu'il faudrait être très prudent
sur le nombre. C'est à partir de ça que je dis que le nombre 30
est exagéré.
M. BONENFANT: Mais si vous permettez, je repose une question. Comment
allez-vous corriger ce phénomène inévitable à
savoir qu'il y aura toujours un manque de proportion entre le vote populaire,
ou la fraction du vote populaire et la fraction de député
élu?
Si vous avez un système, j'aimerais l'adopter; je n'en ai pas
d'autre que ça.
M. SAINT-GERMAIN: C'est certainement un problème très
complexe.
M. BONENFANT: C'est la question fondamentale.
M. SAINT-GERMAIN: II faut compenser entre la représentation et
l'efficacité du Parlement en fin de compte. Autrement c'est pratiquement
l'anarchie, il n'y a plus d'autorité.
M. BONENFANT: Le Parlement allemand est très efficace.
M. SAINT-GERMAIN: D'un autre côté, il faut toujours penser
qu'avec les moyens modernes de communication, la facilité avec laquelle
on peut atteindre la population, le Parlement est loin maintenant d'être
l'endroit exclusif où on peut faire de l'opposition au gouvernement. A
mon avis, c'est un élément très important.
Si on considère que le parti majoritaire a droit de
légiférer ou du moins d'appliquer les législations et
d'administrer, le député de l'Opposition devient celui qui a la
responsabilité de faire voir à la population les faiblesses des
législations et de l'administration gouvernementale. C'est son but.
Cette opposition peut se faire aussi bien, ce n'est pas nécessairement
le nombre qui fait l'efficacité de l'Opposition.
Même si, relativement au vote, comme je le disais tout à
l'heure, la représentation n'est pas en relation proportionnelle et
directe avec le nombre de votes qu'un parti puisse atteindre ou a obtenus, il
en reste que ces leaders peuvent faire une opposition quelquefois très
efficace sans même faire partie du Parlement. Nos partis politiques, avec
notre marché de masse, avec nos richesses, peuvent même se
permettre de payer des salaires à des leaders et de les faire vivre de
la politique. Cela devient même s'ils ne sont pas membres de
l'Assemblée nationale des politiciens professionnels, grâce
à la télévision, à la radio et aux journaux.
Il faut penser qu'un humble citoyen peut aujourd'hui par la radio
tous les jours on est abasourdi par le nombre d'appels qu'il s'y fait
atteindre des auditoires de 50,000, 75,000 ou 100,000 personnes et faire
opposition au gouvernement.
Puisque le député, dans l'Opposition, n'a pas le monopole
de l'opposition au gouvernement, l'argument est celui-ci: Est-ce que l'on doit
sacrifier l'Opposition pour conserver l'efficacité gouvernementale?
C'est la juste mesure, mais elle n'est pas facile, comme vous le dites si bien,
à déterminer.
M. BONENFANT: Je vais peut-être vous sembler un esprit assez
conservateur, mais je crois que la meilleure opposition dans un pays, au point
de vue politique, devrait venir des parlementaires et non pas des
extraparlementaires. C'est pour cela que je veux que ceux qui ont
été élus pour représenter les gens les
représentent de la façon la plus adéquate possible. Je
pense que si l'Opposition parlementaire ou les Oppositions parlementaires sont
efficaces, vous verrez moins naître des oppositions
extraparlementaires.
Je m'excuse, mais je crois encore au Parlement. Je ne suis pas pour vous
flagorner, je suis complètement en dehors de tout ça, mais j'ai
l'impression qu'il se dit plus de bêtises dans le grand public,
malgré tout, qu'au Parlement.
Voici le fond de ma thèse. On doit tellement valoriser le
Parlement; on doit faire en sorte qu'il représente tellement l'opinion
populaire y compris la fine pointe de l'opinion populaire ce qui n'est
pas toujours facile on doit faire en sorte que le Parlement soit
tellement représentatif qu'il se trouve, par sa qualité de
représentation, à neutraliser les corpuscules de
représentation. C'est ma thèse. Au fond je ne suis pas ici
pour vous flagorner, je suis complètement en dehors de tout ça
je pense qu'on doit tout faire pour que le Parlement soit
représentatif, précisément pour que ne naissent pas
d'autres représentants parallèles. Vous savez qu'à l'heure
actuelle, c'est triste, mais dans bien des cas, l'Opposition n'est pas
parlementaire mais parallèle.
M. SAINT-GERMAIN: Oui, mais d'un autre côté, M. le
Président.
M. LE PRESIDENT: Pas d'autres questions, monsieur?
M. SAINT-GERMAIN: Depuis que je suis élu membre de
l'Assemblée nationale, je constate très souvent que les
déclarations qui se rendent réellement au peuple, qui atteignent
le peuple, sont des déclarations qui sont faites en dehors de la
Chambre, très souvent lors de conférences de presse et ainsi de
suite... pas seulement par les membres de l'Opposition. Même les hommes
du gouvernement bien des fois atteignent le public directement, en dehors de la
Chambre. Ils sont responsables de la Législature.
M. BONENFANT: Tâchez de corriger cela.
M. SAINT-GERMAIN: Ce n'est pas facile à corriger.
M. LE PRESIDENT: Je remercie le député de Jacques-Cartier,
j'aimerais faire remarquer aux membres de la commission qu'il est 12 h 15, et
que je vois encore plusieurs noms sur la liste. J'aimerais que les questions et
les réponses soient les plus concises possibles. Je laisse maintenant la
parole au député de Lafontaine.
M. LEGER: M. le Président, j'aimerais être aussi prudent
que le député de Chicoutimi en voulant montrer que les questions
sont simplement au point de vue technique. Tout d'abord, vous avez quand
même dit qu'il y avait deux raisons pour lesquelles vous vouliez
corriger, par une liste, la question de l'écart entre le vote populaire
et la représentativité. Vous avez dit aussi: Amenez les
têtes d'affiche à l'endroit où elles devraient
réellement travailler.
M. BONENFANT: Excusez-moi, je n'ai pas compris la dernière
phrase.
M. LEGER: Amenez les têtes d'affiche au Parlement, où elles
doivent réellement travailler.
M. BONENFANT: Oui.
M. LEGER: Je pense qu'une des raisons je ne sais pas si vous me
comprenez ce n'est pas uniquement que c'est la personne en tant que
personne, mais en tant que représentante des idées ou du
programme pour lesquels les gens ont voté.
M. BONENFANT: Oui, très juste.
M. LEGER: Vous avez parlé tantôt d'une nuance que vous avez
apportée entre la liste de 30 députés à
élire, en surplus et le correctif. J'ai fait un petit calcul entre les
deux, je voyais une conséquence, et je voudrais que vous
appréciiez cette conséquence-là. Si on détermine
que je prends l'exemple de 70, c'est un chiffre bien précis
les libéraux ayant 45 p. c. des votes, si on calcule que dans les
30 députés qui doivent venir, ils auraient droit à 45 p.
c. ainsi qu'à tous les autres, j'amène la conséquence de
l'autre nuance. Exemple: Parti québécois 24, il aurait eu 24 p.
c. du 30. Si c'est le contraire, si c'est simplement un correctif, à ce
moment-là, il y aurait eu deux partis qui auraient eu droit à des
députés supplémentaires.
C'est-à-dire l'Union Nationale qui aurait eu droit, selon le
correctif, à quatre de plus, et le Parti québécois
à quinze de plus. A ce moment-là, le Parti libéral et le
Ralliement créditiste qui avaient, soit dépassé ou obtenu
à peu près exactement le nombre qui correspond, n'auraient pas eu
de correctif. Cela aurait amené à ce moment-là un surplus
de députés, ils n'auraient pas été 30. Cela aurait
amené 109 députés au lieu de 120. Dans votre esprit,
voyez-vous une conséquence, une fausse conséquence provenant du
fait qu'on ne saurait jamais le nombre exact de députés?
M. BONENFANT: C'est le cas de l'Allemagne, en Allemagne, c'est cela. Je
ne voudrais pas faire une blague, mais la seule conséquence ce serait le
nombre de sièges, si vous voulez. Encore une fois, je ne suis pas un
grand technicien, mais je me dis qu'il est normal que la représentation
à la Chambre corresponde au pourcentage de votes populaires. Je crois
qu'on s'accorde sur cela. Deuxièmement, si un parti a
dépassé ce pourcentage par les élections
régulières, on lui en laisse les avantages. Troisièmement,
avec les députés qui sont élus par l'ensemble, si vous me
permettez l'expression, vous avez là la soupape qui va permettre la
correction. Que ce nombre varie, ça ne me fait rien. Après tout,
ce que je demande, c'est le résultat. En Allemagne je n'ai pas
les chiffres ici je sais qu'à quelques reprises cela en a
ajouté deux ou un, à cause de la prime du parti vainqueur.
M. JORON: Si vous permettez, M. Bonen-fant, ce nombre, en fait, peut
toujours rester fixe, parce que, en supposant que les sièges
territoriaux égalent exactement le vote populaire, vous en ajoutez 30
dans les mêmes proportions, tout le monde augmente ensemble, et vous
arrivez toujours à 120. Le nombre peut rester fixe.
M. BONENFANT: II reste vous savez, je pense que c'est peu
important que la population admet mal qu'il y ait disproportion entre le
vote populaire et le nombre des députés élus.
C'était admis autrefois, aujourd'hui, même les esprits les plus
conservateurs en sont scandalisés.
M. LEGER: Vous avez aussi affirmé tantôt que les
députés qui représentent un territoire ne votent pas
nécessairement selon ce qui, dans leur esprit correspond à ce que
leurs électeurs attendaient d'eux, parce qu'il y avait le pro-
gramme du parti. Il y avait aussi une liberté
d'appréciation provenant d'événements qui changent.
Autrement dit, ce qu'il était normal de proposer au moment d'une
élection, il arrive que la situation y amène un changement
d'attitude dont l'appréciation doit être faite par le
parlementaire au moment précis où cela arrive, alors qu'il ne
peut pas consulter les électeurs là-dessus. C'est la raison pour
laquelle vous trouviez qu'il n'y avait pas tellement de différence
à ce qu'il y ait des députés qui ne représentent
pas de territoire. Les événements peuvent changer et la
liberté d'appréciation, sur le fait, peut être
complètement différente comme résultat que...
M. BONENFANT: A Québec et partout, on observe une
solidarité à l'intérieur du parti qui fait que c'est dans
des circonstances très exceptionnelles que vous avez connues il y a
quelques années ici... Je crois qu'il y a une solidarité
remarquez bien que ça ne me scandalise pas et je crois que, dans
le jeu politique, il faut que cette solidarité existe.
C'est à l'intérieur du caucus qu'il faut lutter à
mon sens, quand on a des idées. Cela a l'air drôle, que moi, en
dehors de la politique, j'exprime des idées sur cela, mais je ne suis
pas un pur, je pense qu'il faut accepter le jeu politique. Si vous n'avez pas
la solidarité à l'intérieur d'un parti, ça force
peut-être à avaler de temps en temps des choses que l'on n'aime
pas, mais je trouve que ça fait partie de la vie et je suis loin de m'en
scandaliser, je ne suis pas un pur, un janséniste.
M. LEGER: Pour en revenir à l'autre aspect de tantôt, ce
que je vous amenais, c'est que les 30 députés
supplémentaires, si on fait juste le correctif, il se pourrait que ne ne
soit pas seulement un ou deux de plus. Ce pourrait être une dizaine ou
une quinzaine de plus. Le texte correctif nous amenait tout à l'heure
à 109 députés.
M. BONENFANT: Non, non, cela ne marche pas.
M. LEGER: Si on le base sur 90.
M. JORON: Cela augmente les créditistes aussi.
M. BONENFANT: Vous augmentez en proportion.
M. JORON: Tu augmentes les créditistes et tu augmentes les
libéraux aussi.
M. LEGER: Vous vous basez sur le sens...
M. HARDY: II faudrait bien expliquer cela. Je pense que le
député de Gouin pourrait vous expliquer cela.
M. LEGER: Vous vous basez sur le total de 120 pour faire le correctif et
non sur 90.
M. BONENFANT: De temps en temps, vous allez dépasser les 120
à cause de la prime au parti majoritaire parce que vous n'en enlevez
jamais. Il reste que le parti majoritaire a ce qu'on appelle la prime au parti
majoritaire, ce qui permet d'assurer une stabilité. C'est beau d'avoir
des visions angéliques des choses mais la première qualité
d'un Parlement c'est de rester au pouvoir. S'il est soumis à des
possibilités de défaite perpétuelle, mon système
est mauvais, je suis prêt à l'admettre. Je ne ferai pas de
l'angélisme ; il faut que ça marche un gouvernement.
M. LE PRESIDENT: Le député de Mégantic.
M. DUMONT: M. le Président, deux brèves questions, M.
Bonenfant, vous avez fait allusion à plusieurs reprises à la
ligne de parti et justement, avant de faire élire trente
députés par scrutin des listes comme vous les avez
appelés est-ce qu'il ne faudrait pas mieux regarder de plus
près que nous sommes 107 directeurs avec un président de
compagnie? Cette compagnie qui est la province de Québec est élue
pour légiférer pendant cinq ans. Et ici, je m'explique un peu.
Par exemple, pour le bill 38, on a vu le chef de l'Opposition officielle
laisser ses députés voter pour ou contre. Nous avons aussi
vécu l'expérience avec M. Pearson qui a laissé ses
députés libres de voter pour ou contre le drapeau. Est-ce que
vous avez étudié cette possibilité que les
élections aient lieu à tous les cinq ans?
M. BONENFANT: Voici ma première réponse: Je vous avoue
que, si je fais de l'angélisme, je trouve cela très beau de
laisser les députés libre de voter comme ils le veulent.
Evidemment, les gens qui vivent en dehors de la réalité politique
se scandalisent de la ligne de parti. Mais je pense que, si nous acceptons les
partis politiques moi, je les accepte, on n'a pas trouvé mieux
pour gouverner un pays, sinon la dictature et je suis contre il faut que
le parti politique ait une certaine stabilité. Ce que M. Pearson a fait
à quelques reprises, il n'aurait pas pu le faire très souvent. Je
crois que, pour que cela fonctionne, il faut être très
réaliste et ne pas permettre trop souvent aux députés de
voter en marge de leur parti. D'abord, le parti gouvernemental ne peut pas se
donner ce luxe très souvent et je pense qu'avec le système de
responsabilité ministérielle il faut accepter cette convention
qu'un parti politique est un groupe de gens qui n'ont pas tous les mêmes
idées sur tout mais qui ont accepté de mettre de
côté certaines de leurs idées pour avoir un commun
dénominateur qui leur permet, en face de certaines questions, de prendre
des attitudes.
Donc, laisser trop souvent les députés libres de voter
pour employer le grand mot selon
leur conscience, à mon sens, c'est de l'angélis-me. Cela
semble drôle de dire cela, moi qui suis complètement en dehors de
ce monde-là, de porter un jugement, mais dans la réalité
les partis politiques doivent être des organismes fortement
structurés, avec une discipline. Je pense qu'on n'a pas encore
trouvé mieux pour gouverner un pays.
Vous avez fait, tout à l'heure, une comparaison avec l'entreprise
privée. Cela est un point qui m'intéresse beaucoup. Je pense que
les gens qui disent que la politique doit être la transposition dans le
domaine public des règles du domaine privé, font une erreur
colossale. Ce n'est pas vrai que les règles de la vie privée, ou
de l'entreprise privée doivent être transposées directement
dans la vie politique parce que la vie politique est soumise, vous le savez
mieux que moi, à des aléas et à des conditions qui ne sont
pas celles de la vie privée. Et cette idée, on dit
toujours qu'il faudrait administrer l'Etat comme une compagnie privée
je regrette, c'est de l'angélisme. C'est impossible. Je le
souhaite, je le demande à la Providence, mais la vie politique a des
facteurs et des aléas dont il faut tenir compte. Je pense que tout le
monde fait son possible, mais ça n'obéit pas aux règles de
General Motors. J'appelle cela de l'angélisme. Habituellement, on ne
rencontre pas cela chez les hommes politiques. Evidemment parce que vous, vous
êtes obligés de vous défendre. Dans le grand public, on
pratique trop cet angélisme et c'est pour cela qu'on se montre souvent
cruel à votre égard. J'ai vécu presque toute ma vie avec
les hommes politiques et j'ai toujours dit: Ils représentent la
population. Ce n'est pas pour vous flagorner, je suis complètement en
dehors de cela, mais j'ai toujours reproché aux gens leur jugement trop
catégorique à l'égard des hommes politiques. Ils ne
tiennent pas compte de l'incarnation où vous êtes, en d'autres
termes. C'est pour cela que ça me fait toujours peur de transporter des
principes d'entreprise privée à l'intérieur des
phénomènes politiques. C'est un point extrêmement
important. Je ne sais pas si je m'exprime bien.
M. DUMONT: Sur la ligne de conduite du parti, M. Bonenfant, je pense et
j'ai eu des confidences de certains représentants de partis qui
prétendaient même être martyrisés, vous allez en
faire des saints parce qu'on les oblige parfois...
M. BONENFANT: C'est une forme de sainteté que de mettre sa
volonté dans sa poche.
M. DUMONT: La dernière question que j'avais à poser et je
rejoins celle du député de Jacques-Cartier, quand vous parlez de
la grande étendue de la province de Québec, d'une
expérience vécue en faisant élire par scrutin de liste des
députés, pourquoi pas, pour tenter une expérience si elle
devenait nécessaire ou si elle était acceptée, 100
députés et 10 élus comme première
expérience.
M. BONENFANT: Peut-être! C'est une question de jugement. J'ai
l'impression quand on tente une expérience, qu'il faut tout de
même avoir les éléments nécessaires pour que
l'expérience soit probante.
Il faudrait peut-être mettre des mathématiciens... J'ai
l'impression que dix ne vous permettraient pas d'obtenir les résultats
que je préconise. Encore une fois, il faudrait mettre des
spécialistes. Je trouve qu'à un certain moment, n'accomplir
qu'une partie d'une chose ne vaut pas la peine d'être tenté. Si
vous tentez l'expérience, il faut tout de même la tenter avec des
éléments qui nous permettront de dire que l'expérience est
probante.
M. DUMONT: Je ne sais pas si...
M. BONENFANT: J'ai peur que dix soit extrêmement conservateur.
C'est peut-être un test, mais j'ai l'impression que c'est maigre.
M. DUMONT: C'est parce que si on s'apercevait que c'est une erreur
d'avoir été élu par un scrutin de liste, ce serait
difficile de revenir à la méthode que nous avons.
M. BONENFANT: L'erreur, vous ne la commettrez qu'à une seule
élection, après tout. Vous pourrez tout de suite la corriger pour
l'élection suivante. Je préconise des idées
générales, mais il faudrait peut-être mettre des actuaires,
des spécialistes... Encore une fois, je ne suis pas très
catégorique, mais je me demande si ce n'est pas une soupape.
M. LE PRESIDENT: Croyez-vous qu'il y aurait...
M. DUMONT: Est-ce que vous croyez qu'il y aurait à ce
moment-là, pour la province de Québec, une dépense
extraordinaire?
M. BONENFANT: Avec le budget que vous avez maintenant... Comme on le
disait autrefois...
M. HARDY: Ce serait une dépense sans intérêts.
M. LE PRESIDENT: Messieurs, il est maintenant presque 12 h 30. Je
donnerai la parole au député de Terrebonne.
M. HARDY: M. le Président, je voudrais tout simplement remercier
M. Bonenfant pour son témoignage et, en écoutant M. Bonenfant
tantôt, je me suis pris à envier ceux qui ont été
ses élèves et ceux qui le sont encore, parce que je vois que le
témoin de ce matin joint d'une façon merveilleuse la science
à des talents de grand pédagogue. Je le remercie et je pense que
le témoignage qu'il a rendu à l'autre séance
séance à laquelle, malheureusement, la température m'a
empêché d'assister, mais j'ai pris connaissance du
témoignage et la séance de
ce matin seront de nature à éclairer les
législateurs, les membres de la commission dans les décisions
politiques qu'ils auront à prendre dans un avenir rapproché.
M. BONENFANT: Merci.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je n'ai pas besoin
d'ajouter quoi que ce soit aux compliments qu'on a faits à M. Bonenfant,
ayant été son élève, ayant dû subir ses
examens...
M. BONENFANT: C'était en latin, vous.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais il me donnait 90 p. c. Je ne crois pas
que nous en ayons fini avec M. Bonenfant, parce qu'il y a d'autres sujets qu'il
a évoqués l'autre jour et dont il a parlé rapidement ce
matin.
J'imagine qu'on pourrait lui demander d'être en réserve de
disponibilité et le comité directeur va d'ailleurs
réexaminer la question. La semaine prochaine nous recevrons M. Meynaud
et je voudrais bien pouvoir interroger à mon tour M. Bonenfant, comme il
le faisait quand il nous enseignait le droit romain.
M. LAURIN: Je joins mes remerciements les plus vifs à ceux qui
ont été exprimés.
M. LE PRESIDENT: De même que le député de
Rouyn-Noranda, j'imagine.
M. SAMSON: C'est ça.
M. LE PRESIDENT: Messieurs, la prochaine réunion de la commission
de l'Assemblée nationale aura lieu ici même le jeudi 25 mars
à 9 h 30, alors que nous aurons le privilège d'entendre M. Jean
Meynaud.
(Fin de la séance 12 h 32)