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Version finale

29e législature, 2e session
(23 février 1971 au 24 décembre 1971)

Le jeudi 25 mars 1971 - Vol. 11 N° 23

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Réforme électorale


Journal des débats

 

Commission permanente de l'Assemblée nationale

Sujet: Réforme électorale

Séance du jeudi 25 mars 1971

(Neuf heures trente-huit minutes)

M. LAVOIE (Laval) (président de la commission permanente de l'Assemblée nationale): A l'ordre, messieurs! Permettez-moi de souhaiter la bienvenue à M. Meynaud au nom de la commission parlementaire et, sans autre préambule, le député de Terrebonne.

M. HARDY: M. le Président, nous avons le plaisir et même l'honneur d'avoir, ce matin, comme invité, M. Jean Meynaud dont la réputation comme politicologue n'est plus à faire. Ceux qui ont eu l'avantage d'être ses élèves à l'université ou qui, sans avoir suivi d'une façon continue ses cours, ont été au département de science politique au moment où il y était — il y est encore d'ailleurs — savent combien sa connaissance est presque universelle dans le domaine de la science politique et même dans d'autres domaines. Je suis persuadé que, ce matin, il saura éclairer les membres de la commission sur ce vaste problème que représente la réforme électorale. Probablement qu'il serait valable de procéder un peu de la même façon que lors de nos séances antérieures, c'est-à-dire que M. Meynaud puisse nous faire un exposé des différents sujets qu'il entend traiter.

La plupart des membres de la commission ont entre les mains une étude que M. Meynaud a publiée dans la revue de l'Hydro-Québec, la revue "Forces", sur les méthodes de scrutin. Même si nous avons pu prendre connaissance de cette étude, il serait peut-être bon quand même que le professeur Meynaud nous en fasse un résumé quitte, à ce que, par la suite, les membres de la commission puissent l'interroger sur certains points particuliers de cette étude.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous sommes très heureux d'accueillir, ce matin, M. le professeur Meynaud, spécialiste des questions politiques. Je n'ai pas eu, pour ma part, l'honneur d'être l'un de ses élèves. Je le regrette vivement parce qu'il m'eût appris, sans doute, beaucoup de choses et m'eût donné une discipline qui me manque toujours.

Comme l'a souligné mon collègue, le député de Terrebonne, nous serons heureux de l'entendre sur un sujet d'ordre général, sur des sujets spécifiques, selon le plan qu'il a lui-même préparé et nous allons l'écouter fort religieusement et, fort timidement, par la suite, nous nous risquerons à poser à ce grand spécialiste des questions qui seront probablement maladroites; mais comme nous n'avons pas passé d'examen devant lui, nous sommes assurés à l'avance de son indulgence.

M. DUMONT: Nous vous souhaitons aussi M. Meynaud, la plus cordiale bienvenue. Je suis désireux de vous entendre apporter des détails. On dit qu'au Québec, traditionnellement, le ciel est bleu et l'enfer est rouge. J'ai bien hâte de vous entendre étaler la prose que vous avez à nous donner ce matin, parce que, à mon point de vue, l'espoir est toujours vert. Merci.

M. LE PRESIDENT: M. le professeur. Systèmes électoraux

M. MEYNAUD: M. le Président, MM. les députés, je voudrais vous dire que je vais faire de mon mieux pour répondre à votre attente. Le bleu et le rouge, c'est une invention de l'Hydro-Québec. Je n'ai pas été prévenu de cet aspect bicolore ou tricolore des questions électorales. Mais, sur un plan plus sérieux, j'aimerais dire que je suis content de participer aux travaux d'une assemblée parlementaire, car je continue à tenir les Parlements, les parlementaires, les partis, comme des éléments essentiels et fondamentaux de notre vie politique. Il y a, de nos jours, une tendance à se reposer sur les techniciens, à valoriser la technocratie et à traiter légèrement les décisions parlementaires. Je dis souvent, et c'est à peine un paradoxe dans mon esprit, qu'il est plus facile de diriger General Motors que d'être maire d'une petite commune rurale. Je pense que la politique implique des choix, des valeurs, des sélections qui sont absolument fondamentales pour notre destin. C'est en pensant à cette importance que j'attribue à la fonction parlementaire, que je voudrais présenter un certain nombre de remarques, qui, sans doute, ne vous apprendront pas grand-chose. J'ai beaucoup apprécié la gentillesse de M. Tremblay, je pourrais peut-être aussi être son élève sur un certain nombre de points, car il y a une connaissance politique qui vient de la théorie et il y a aussi une connaissance politique qui vient du contact intime avec les réalités. Je crois que nous avons réciproquement des choses à nous apprendre et c'est un peu dans cet esprit que je vais vous parler.

Sur les système électoraux, j'ai "commis" un papier qui est assez long, qui est assez universitaire de style, assez scolaire, mais qui se présentait comme une espèce de tableau. Le directeur de la revue "Forces", M. Sarrazin, m'avait dit de parler de tout, de tous les systèmes. C'est pour ça que j'ai fait allusion à des systèmes qui ont peu de chance de s'appliquer ici, comme le système irlandais du vote transférable ou le système australien du vote préférentiel. Je ne voudrais pas reprendre tout ce papier, mais il me semble tout de même utile de souligner un certain nombre de points. C'est un papier qui a été écrit au mois de juillet dernier. Il a mis un certain temps pour être publié. A l'époque, il n'était pas encore question d'un certain nombre de systèmes qui, depuis, ont reçu une certaine vogue dans cette

province. C'est ainsi que j'ai vu avec une certaine surprise, je dirais, le rôle ou l'importance que l'on attribue au système allemand qui, pour les Allemands, était un artifice quand ils l'ont adopté et dont il est vraisemblable qu'ils se débarrasseront un jour ou l'autre, peut-être assez vite.

Je pense que de l'étude électorale, la seule chose que l'on puisse dire avec certitude, c'est qu'il est très difficile de transposer dans un pays le système qui a cours dans un autre pays. Je veux dire qu'il y a entre la culture, le système électoral, les institutions, les habitudes, toute une série de liaisons extrêmement subtiles que nous connaissons mal, d'ailleurs, et qui font que tel système pris dans un pays et transporté dans l'autre, n'y donne pas nécessairement les mêmes résultats. On s'est demandé, par exemple, en France, s'il faudrait introduire votre système électoral, l'idée étant que le système français souffrait d'une multiplicité de partis et que, justement, le système uninominal à un tour oblige les gens à se concentrer sur deux partis et, par conséquent, favorise cette simplification de la vie politique que les Français cherchaient. Des hommes comme Michel Debré ont proposé qu'on introduise en France le système anglais, le système québécois. Eh bien! est-ce que ça aurait produit les mêmes résultats en France ou est-ce que la vie politique française est trop complexe, les idéologies trop développées pour que, quoiqu'il arrive, il soit resté plus de deux partis en lice? Le fait est que l'expérience que l'on vit en ce moment au Québec montre bien qu'il n'y a pas une influence purement mécanique de ce système électoral.

Sur le système allemand, on oublie toujours de dire ceci. C'est que, à l'heure actuelle, le système allemand est un gouvernement de coalition. A l'heure actuelle, le parti qui domine est le parti socialiste, enfin, disons simplement social-démocrate. Il n'est plus beaucoup socialiste. C'est le SPD et le SPD n'a pas la majorité absolue. Il doit donc, pour gouverner, gouverner en coalition avec le Parti libéral.

Le parti libéral est un petit parti qui, de ce fait, détient la balance du pouvoir. Le parti libéral avait en effet le choix ou bien de s'allier avec les Chrétiens démocrates ou bien de s'allier avec les socialistes, et, naturellement, il a marchandé son appui.

Il y a en Italie, par exemple, un tout petit parti qui s'appelle le Parti républicain, qui a quatre ou cinq membres, deux ou trois pour cent de voix et qui fait chanter les grands partis. Parce qu'il est nécessaire d'avoir le Parti républicain, c'est la petite cheville qui fait qu'on a la majorité.

En fait, tout gouvernement de coalition est difficile, et c'est si difficile qu'ici on a plutôt l'habitude de faire des gouvernements minoritaires, ce qui pose d'autres problèmes. Mais il y a quelque chose de plus curieux dans le système allemand, c'est que ce système a été conçu — et il faut bien le voir — comme un système stricte- ment et rigoureusement proportionnel. C'est un système où chaque parti a autant de sièges qu'il a de voix. C'est un système rigoureusement proportionnel, sauf que les partis qui n'ont pas 5 p. c. des voix sont éliminés. Je trouve d'ailleurs que cette mesure est injuste. A l'heure actuelle, le Parti libéral allemand a 5.80 p. c. de voix et il a 30 sièges; qu'il passe demain à 4.99 p. c, c'est fini, il n'a plus de sièges.

Dans ce système qui a été conçu pour être proportionnel, on aboutit à une situation où il n'y a pratiquement plus que deux grands partis. Or, si le Parti libéral disparaissait aux prochaines élections — il est sur le bord, il est autour de 5 p. c. — on aurait cette situation incroyable d'un régime proportionnel qui produit un régime à deux partis. Cela défie absolument toutes les lois de la mécanique électorale, mais ça s'explique par des particularités actuelles de la société allemande qui sont liées à des transformations économiques, sociales et qui dépassent de beaucoup le système électoral.

Je crois que ce sont ces particularités du système allemand, de la culture allemande, devrais-je dire, qui expliquent certains traits comme, par exemple, le fait — que M. Bonenfant, je crois, a souligné avec exactitude — que, contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'y a pas deux catégories de députés en Allemagne, ceux qui sont élus au scrutin uninominal et ceux qui sont élus sur des listes des pays. En fait, il n'y a qu'une catégorie. Mais pourquoi? Parce que les Allemands s'intéressent trop peu à la politique à l'heure actuelle pour faire la différence. H est certain que pour eux, à l'heure actuelle, ils le répètent, la politique, aller voter, c'est un tout petit peu comme aller acheter ses plaques d'automobile, c'est une espèce d'obligation civique et il n'y a pas dans la politique cet élément de feu, d'inspiration avec tout ce que cela suppose d'excitation que j'ai bien connu en France et que je dois dire avoir retrouvé ici, sans déplaisir d'ailleurs.

C'est une culture différente. Il se trouve que dans cette culture tel système électoral joue de cette manière et que, transplanté ailleurs, il jouerait différemment. C'est probablement la seule chose que je crois pouvoir dire de réelle sur ce régime électoral. Je crois dire que je les ai tous vus fonctionner, tous, y compris le merveilleux système français qu'on avait bâti en 1951 avec une hypothèse extrêmement simple. Il y avait d'un côté 30 p.c. de communistes, de l'autre côté 30 p. c. de gaullistes, il restait 40 p. c. de ce qu'on appelait la troisième force. Il fallait trouver un système électoral qui permettrait à ces 40 p. c. d'avoir la majorité. On y est arrivé une fois en 1951. En 1956, cela n'a plus marché parce qu'il y a eu autre chose entre-temps.

Je peux dire que, sur la base de cette expérience, on doit se mettre en garde contre tout transport mécanique d'un système dans

une autre culture. Je crois qu'il y a entre les systèmes électoraux, la politique, la culture, des liaisons très difficiles à préciser. J'irais même jusqu'à dire qu'un régime parlementaire ne fonctionne pas de la même façon selon que l'on est en régime de la proportionnelle ou en régime uninominal. Vous avez un pays comme les Pays-Bas, par exemple, où il y a une proportionnelle et un régime parlementaire. C'est la même chose en Suède; en Angleterre et au Canada, c'est autre chose. Ces régimes ne fonctionnent pas tout à fait de la même façon au point de vue du recrutement des personnalités et même parfois de l'âge des parlementaires. Il est certain qu'un régime de proportionnelle est un régime qui tente à fixer beaucoup les personnalités. Souvent certains renouvellements sont rendus plus difficiles. Vous voyez qu'il faut tenir compte de tout. C'est peut-être un peu décevant du point de vue d'une science politique qui aimerait généraliser et en tirer des principes très généraux. Le fait est que toutes les fois qu'on sort un principe, il y a un collègue malin qui trouve une exception. Ayant été le collègue malin d'un certain nombre de mes collègues, je ne tiens pas aujourd'hui à courir le risque de formuler des règles générales dont je sais que pratiquement elles sont mises en échec par la culture propre.

Je crois que les peuples, en ce siècle d'unité et d'uniformité, sont restés très différents sur le plan des comportements et des conduites politiques. Je pense que, sur le plan économique, il y a une uniformisation. Nous conduisons tous les mêmes voitures, nous avons tous le même type de cartes de crédit. Sur le plan des réactions politiques, nous sommes restés — et c'est tant mieux pour nous d'ailleurs — très différents.

Sur ces problèmes, je répondrai à toutes les questions qu'on me posera, bien entendu, et dans la mesure où je peux y répondre. Je vais maintenant aborder rapidement deux questions qui, il me semble, n'ont pas été traitées.

M. HARDY: Je ne voudrais pas évidemment nuire à votre processus pédagogique...

M. MEYNAUD: Ne vous moquez pas de moi!

M. HARDY: Je me demande si ça vous causerait des ennuis, si on pouvait vous poser immédiatement quelques questions sur ce que vous venez de dire sur le problème du mode de scrutin appliqué présentement en Allemagne.

M. MEYNAUD: Ecoutez, je suis à votre entière disposition.

M. HARDY: Vous avez dit tantôt, M. Mey-naud, qu'en Allemagne, tel que l'a dit, lors d'une récente séance, M. Bonenfant, qu'il n'y avait pas vraiment de distinction entre les députés élus à la proportionnelle et les députés élus dans une circonscription à voix majoritai- res, sur ça, le pluralisme. A partir de votre connaissance du milieu politique québécois, croyez-vous qu'ici, si nous adoptions un système qui pourrait s'apparenter au système allemand, c'est-à-dire, tel que l'a proposé M. Bonenfant, nous aurions 90 circonscriptions électorales élisant un député chacune, et une liste de 30 députés élus à la proportionnelle, croyez-vous que la situation qui existe au Parlement allemand existerait également au Parlement du Québec, c'est-à-dire qu'il n'y aurait vraiment pas de distinction entre ces députés représentant une circonscription et les députés élus à la proportionnelle?

M. MEYNAUD: M. le député, je crois qu'il faut distinguer deux hypothèses. Dans le système allemand, les choses fonctionnent de la façon suivante: un député se présente dans une circonscription, et il peut en même temps s'inscrire sur la liste. Ce qui fait que, s'il est battu dans sa criconscription, il peut être repêché sur la liste. C'est le cas du député repêché, et il me parait, à tort ou à raison, que ça soulèverait des problèmes non seulement dans une culture politique comme la culture québécoise, mais dans une culture politique également comme la culture française.

Nous avons eu des cas du même ordre, par exemple celui d'un chef socialiste qui avait été battu à Paris au premier tour et qu'on avait parachuté — c'était le terme — dans une circonscription du Midi toute faite, où il avait été élu, si bien que pendant toute la législature, on l'avait ennuyé là-dessus tout comme son parti. Maintenant, on peut concevoir une seconde formule, c'est celle où il y aurait, au fond, des députés qui s'inscriraient dans les circonscriptions, qui seraient battus ou élus, mais ce serait final, et ensuite, des députés qui seraient présentés au titre des listes, avec l'hypothèse que le député qui serait battu dans la circonscription, ne serait pas repêché sur la liste.

Alors, là se poserait un problème, je crois, différent. Mais la question, de ce genre de députés, à mon avis, va plus loin. Elle met en cause, en quelque sorte, toute la philosophie du métier de député et je pense que la philosophie du métier de député, dans ce que je considère de plus essentiel, c'est le contact direct avec une circonscription et avec des hommes de la circonscription. Cela me paraît tout à fait fondamental. Si je voulais citer un personnage, disons, illustre, le général de Gaulle qui, au départ, était parti avec l'idée qu'il allait avoir des ministres excellents mais qu'on allait les prendre dans les administrations, il a compris assez vite qu'un ministre, même dans un régime semi-présidentiel comme le régime français, il était préférable qu'il ait affronté l'électorat. Beaucoup d'ailleurs, qui étaient des fonctionnaires, y ont pris plaisir et en ont retiré des avantages; ils sont devenus d'excellents politiciens.

M. HARDY: Ils se sont améliorés.

M. MEYNAUD: Ils se sont améliorés, d'autres n'y sont jamais parvenus. Prenez un homme comme Couve de Murville qui a été, je crois, un excellent ministre des Affaires étrangères et qui était sévère comme tout. Mais il était aussi sévère dans sa vie privée que devant ses électeurs, il a été battu. Et je crois qu'il y a là quelque chose d'essentiel. Je ne connais pas la fonction législative du parlementaire, je crois qu'elle est importante et je crois qu'on devrait trouver toutes sortes de moyens — c'est pour cela que je reviens là-dessus dans la troisième partie de mon exposé, si j'ai le temps de le faire — de valoriser cette fonction législative du parlementaire par rapport à la fonction technocratique actuelle. Mais, il y a un contact direct qui me paraît essentiel aussi bien pour la population que pour les parlementaires.

Ce qui fait qu'on peut se poser le problème exact de ce que seraient ces députés. Là encore, il y a toute une série de suppositions qu'on peut faire. On peut supposer qu'il y aurait une liste unique à l'échelle du Québec. Cela s'est produit dans certains pays. Cela amène les parlementaires très loin de la base. Ce serait moins grave si c'étaient des parlementaires dans des régions où, malgré tout, il pourrait y avoir un contact plus étroit. Alors, je répondrai à votre question en divisant, en disant: Si vous créez des postes de parlementaires qui pourront être occupés par repêchage de circonscriptions — je serais assez pessimiste sur le "standing" que ces parlementaires pourraient avoir — mais si vous faites une catégorie de parlementaires qui soient directement présentés sur des listes sans avoir la possibilité de jouer sur les deux tableaux et si vous le faites dans les circonscriptions assez petites — par assez petite j'entends à l'échelle du Québec, c'est-à-dire territorialement très grandes finalement, mais quand même assez petites par rapport à cet immense pays — vous pouvez quand même garder peut-être entre ces députés et l'électorat un certain nombre de contacts.

Je crois qu'il faut dans toute loi électorale éviter tout ce qui peut donner au public l'impression qu'on fait quelque chose qui peut aller contre sa volonté.

Les cyniques disaient en France que la loi électorale avait pour objectif de donner aux députés la possibilité de choisir leurs électeurs. C'est un système qui est très mauvais et finalement, on le paie par une certaine désaffection à l'égard des institutions parlementaires. Est-ce que j'ai répondu à votre question?

M. HARDY: Le professeur Bonenfant, la semaine dernière, prenait un peu la contrepartie de ce que vous venez nous dire et prétendait qu'il y aurait avantage à avoir ce repêchage, c'est-à-dire que certains députés puissent, à la fois, se présenter dans une circonscription et être sur la liste. En particulier, de dire M. Bonenfant, ceci aurait l'avantage de permettre aux vedettes des partis — à ceux que les partis reconnaissent comme étant leurs chefs — d'être présentes au Parlement. M. Bonenfant disait qu'il est mauvais pour la démocratie, qu'il est mauvais même pour la valeur du système parlementaire, que les chefs, que le chef ou ceux qui sont les principaux chefs d'un parti, soient en dehors du Parlement. Or, disait-il, si nous avions ce système de députés élus dans des circonscriptions et d'autres députés élus à même une liste et que les chefs puissent à la fois s'inscrire dans l'une ou l'autre, ils auraient automatiquement la possibilité de siéger au Parlement ce qui, toujours selon M. Bonenfant, serait plus sain.

J'aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de cette proposition.

M. MEYNAUD: Sur ce point, c'est un problème d'opinion et de valeur, c'est un problème sur lequel, en tant que professeur, je ne peux pas formuler une vue définitive. C'est un sentiment et une impression. Je dois dire qu'il ne me semble pas que cela serait une bonne chose pour la démocratie, telle qu'on la conçoit, de pouvoir rattraper un échec devant une partie du peuple par une autre formule. Il me semble que si l'on veut deux catégories de députés avec possibilité de passer d'une liste à l'autre, je suis à ce moment-là très réservé. J'ai vu des cas dans le système français, et — il faut bien le dire — un certain nombre de traits de la culture québécoise se retrouvent également dans cette culture française. C'était le cas de Léon Blum, battu à Paris au premier tour. Le parti dit: II faut absolument que Léon Blum siège au Parlement. A ce moment-là, comme il y a un second tour dans le système français, on le parachute à Narbonne, chez les vignerons, où ce grand buveur d'eau s'était trouvé obligé dans une semaine d'avaler plus de vin qu'il n'en avait bu pendant toute sa vie, parce qu'effectivement il était impossible de faire une campagne à Narbonne sans boire du vin. Cela lui était resté et ce chef de parti socialiste avait la réputation d'être mal élu. Si vous prenez, au contraire, un homme qui a gardé pas mal de prestige dans le système français, comme Mendès-France, il a gardé ce prestige malgré ses échecs et bien qu'il soit hors du Parlement.

Je veux dire que si, au contraire, vous faites deux listes, je m'avancerais là-dessus avec une grande prudence. Mais si vous faites deux séries de députés dont les uns joueront le jeu de la circonscription et les autres joueront le jeu de la liste, c'est un peu différent, parce que le choix a été fait dès le début.

Cela posera le problème de savoir exactement quel type de relations il pourrait y avoir entre le député de liste et celui de circonscription. L'idée d'avoir des députés qui s'occuperaient plus de la législation et des députés qui s'occuperaient plus de la clientèle. Cela, il n'en est absolument pas question. Ce n'est pas cela. Mais le système allemand donne une autre notion. En principe, il est fait pour que chacun

ait beaucoup de choix: on peut choisir un député à titre personnel, on peut choisir une liste. En fait, depuis quelques années, c'est la même chose. Les gens mettent sur le bulletin la croix du parti démocrate chrétien et la croix du candidat démocrate chrétien. En réalité il y a une espèce d'unification, les électeurs n'utilisent pas cette espèce de double jeu qu'on leur proposait: Je vote pour un parti socialiste au titre uninominal dans la circonscription, parce que le député socialiste est bon. Puis, sur le plan national: Je vais voter pour le parti démocrate-chrétien. En fait, les gens votent pour le parti socialiste et pour le candidat socialiste. Il y a extrêmement peu de différence, quelques centaines de milliers sur un corps électoral de 35 millions. Voilà.

M. LE PRESIDENT: M. Tremblay.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, vous avez parlé tout à l'heure de l'attitude qu'ont les électeurs allemands à l'endroit du système électoral et de la pratique des élections. Vous nous avez laissé entendre que le système électoral allemand n'est pas, à tous égards, satisfaisant aux yeux des Allemands eux-mêmes. Est-ce qu'il vous serait possible de nous dire, selon la connaissance que vous avez de la pratique de ce système à l'heure actuelle, quelles sont les tendances qui semblent se dessiner en Allemagne en ce qui concerne le système électoral, dont on me dit qu'on songe à le changer?

M. MEYNAUD: M. le député, c'est très simple. Au départ, les Allemands raisonnaient en vertu d'expériences anciennes. Je veux dire que l'on reproche un peu au généraux de toujours refaire la guerre précédente, c'est vrai d'ailleurs. Et en matière électorale, nous faisons un peu la même chose. Lorsque les Allemands en 1947-1948 se sont posé le problème de leur système électoral, ils se le sont posé en fonction de l'expérience de la République de Weimar. Dans la République de Weimar, c'était un système de représentation proportionnelle intégrale et certains ont dit que c'était la proportionnelle intégrale qui avait été cause de l'arrivée de Hitler au pouvoir. Je pense qu'il y avait d'autres raisons que le système électoral pour que Hitler soit arrivé au pouvoir. En tout cas, lorsque les Allemands sont repartis en 1948-1949, la CDU (chrétiens-démocrates) qui était le parti le plus fort aurait sans doute voulu un système anglais. Les autres partis — il y avait à l'époque un parti socialiste et d'autres partis — étaient inquiets et ils voulaient un système de proportionnelle. Alors on a fait cet espèce de système que l'on peut qualifier de mixte, ou de composite, ou de bâtard, consistant à garder la proportionnelle, mais soi-disant, en la personnalisant et surtout en créant un système qui automatiquement élimine tous les partis, les 5 p.,c, c'est-à-dire environ 25 députés à la

Chambre. Et, sur cette base, on a vu le système évoluer petit à petit vers un système à deux partis. Il y a, à l'heure actuelle, en Allemagne, deux grands partis, les chrétiens-démocrates et les socialistes et le petit parti libéral qui, comme je le disais tout à l'heure, est à la limite de 5 p. c. Si bien, que si le parti libéral disparaissait à l'élection suivante on se trouverait devant la situation d'avoir un mécanisme de proportionnelle pour deux partis, ce qui serait le comble de l'absurdité.

C'est pour ça qu'un certain nombre d'Allemands envisagent aujourd'hui qu'il faudrait probablement revenir, à un système uninominal à un tour, parce qu'un tel système permet de dégager des majorités beaucoup plus nettes que ce n'est le cas à l'heure actuelle où vous avez les chrétiens-démocrates qui ont un pourcentage de voix et de sièges voisins, les socialistes à peine moins et le petit parti libéral qui fait l'appoint. Ce qui fait que si les tendances actuelles de la société allemande se poursuivent, on peut penser que les Allemands, d'ici une ou deux législatures, reviendront à un système de type britannique, uninominal à un tour.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, cela répond bien à ma question et je voudrais vous en poser une autre qui rejoint la première. Est-ce que le fait que les Allemands ont accepté ce système dont vous venez de nous parler, après la guerre, ne provient pas justement d'une sorte de désaffection qui était née à la suite de l'instauration de la dictature hitlérienne et qu'à ce moment-là les gens se demandaient: En fait, qu'est-ce que tout cela pouvait donner à l'Allemagne d'avoir un système politique bien structuré, des partis politiques, etc.?

M. MEYNAUD: Je dirais qu'à l'époque le problème ne s'est guère discuté en Allemagne. A l'époque, l'Allemagne était occupée. La loi fondamentale a été pratiquement établie sous le contrôle des Américains et des Anglais, des Américains surtout, et la loi qui a été adoptée en 1949, toutes les institutions de Bonn de cette époque, sont des institutions qui sont un peu venues de l'extérieur. Je ne crois pas que les Allemands, à l'époque, se soient beaucoup préoccupés de leurs institutions politiques. A l'époque, la moitié des villes allemandes étaient par terre. Les conditions économiques étaient pratiquement dramatiques et on peut dire que, depuis lors, le but essentiel des Allemands — et ils ont réussi — a été de se refaire une économie extrêmement prospère. Si vous prenez, par exemple, l'homme qui a dominé toute cette époque au point de vue politique, c'est Adenauer, qui était un très vieil homme. Pendant très longtemps, il a été pratiquement, je n'ose pas dire le maître incontesté de la politique allemande, mais, dis-je, pendant plusieurs années, il a été son incarnation; pratiquement, il dirigeait la politique allemande avec énormément d'autorité. Je veux dire que c'étaient des

formules tout à fait spéciales et extrêmement éloignées de ce que je crois voir ici dans l'expérience politique québécoise, qui est bien différente.

Il y a eu aussi d'autres cas de répartition sur des listes. C'est un cas un peu marginal ici. On peut le citer. Je le connais bien. Il y a eu le cas de la Grèce, par exemple, où il y avait une première, une deuxième, une troisième répartition etc. Mais finalement, tout ça était assez compliqué. La question de fond, en définitive, c'est peut-être de savoir ce qu'on veut faire du député et de savoir ce que le député estime qu'il est. Je crois qu'il y a au fond de la controverse sur les systèmes électoraux... Je veux dire que le malheur, pour bien parler des systèmes électoraux, c'est qu'il faut sortir des systèmes électoraux; il faut se dire: Quel type de gouvernement voulons-nous? Est-ce que nous acceptons de payer tel prix pour avoir un gouvernement homogène ou est-ce que nous préférons un gouvernement, disons par coalition, tel le gouvernement suisse: deux radicaux, deux socialistes, deux catholiques, un agrarien? Ils sont sept. Il y a quatre partis. Cela marche, mais est-ce que ça marchera ailleurs? Je n'en sais rien du tout. Est-ce que nous voulons un type de gouvernement homogène. Et puis, peut-être, cette question qu'il faut se poser, parce que nous sommes dans un monde où elle se posera de plus en plus: Qu'est-ce que nous voulons faire d'un député? Qu'est-ce que nous demandons à un député? Qu'est-ce qu'un député doit avoir comme travaux fondamentaux?

Député législateur: oui, député représentant une circonscription, la défendant pieds et poings, je dirais bec et ongles, contre l'administration, la bureaucratie aussi. J'ai beaucoup appris entre 1939 et 1945 quand on n'a plus eu de Parlement. Jusque là, — évidemment, j'étais jeune à l'époque — nous aimions bien nous moquer un petit peu des députés et tout d'un coup il n'y en a plus eu. Nous nous sommes retrouvés directement aux prises avec des Allemands qui n'étaient pas très charmants, mais aussi avec une administration qui ne répondait plus, qui n'avait plus de comptes à rendre, qui disait : C'est comme ça et si ça ne vous plaît pas, c'est pareil.

A ce moment-là nous aurions bien aimé avoir un député qui aille tout de même tirer un tout petit peu l'oreille des fonctionnaires et même un tout petit peu plus. J'ai gardé le sentiment que la fonction du parlementaire est une fonction essentielle et qui exige un contact extrêmement étroit avec sa circonscription. Lorsqu'on se moque du parlementaire qui écrit pour son électeur, qui défend ses électeurs, on montre donc qu'on ne comprend rien à la formule de la démocratie parlementaire.

Il m'est arrivé dans mon existence de politi-cologue d'avoir quelques chances dont celle de pouvoir consulter le courrier d'un certain nombre de parlementaires. C'étaient des questions extrêmement concrètes, des gens qui écrivaient parce qu'ils n'arrivaient pas à trouver la solution ailleurs. Il y a évidemment les combinards qui savent très bien qu'ils sont en marge de la loi, mais il y a à côté de ça une masse de gens extrêmement sincères, désaxés par des refus et, s'ils n'ont pas en face d'eux un homme politique capable de leur répondre directement, — ce n'est pas des secrétaires qu'on peut faire ça — quelque chose manque et une administration qui n'est pas contrôlée politiquement de très près, qui ne sent pas l'aiguillon de ce contrôle politique est une administration qui tend nécessairement à abuser du pouvoir.

Je crois pouvoir le dire sur la base d'une vieille, vieille expérience.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, si vous me le permettez, je voudrais vous poser une autre question. L'autre jour, quand M. Bonenfant — qui a été, lui, mon professeur — nous proposait ce système de scrutin qui consisterait à élire 90 députés dans des circonscriptions et 30 députés à un scrutin de listes, j'objectais ceci que les habitudes administratives, politiques des citoyens du Québec, les inciteraient probablement à considérer ces 30 députés — c'était une hypothèse de travail le chiffre 30 — comme des députés à part et qui, justement, n'étant pas directement reliés à leurs commettants, comme nous le sommes, nous, dans nos circonscriptions, ne seraient pas facilement acceptés par la population.

Sans tirer argument de ce que vous venez de dire, il me paraît que c'est là un argument que vous semblez retenir lorsqu'on parle de ces députés qui seraient élus après le choix des 90 autres et qui seraient l'idéal du député, étant des législateurs par définition. Vous avez dit tout à l'heure que le député doit avoir un contact très direct avec ses électeurs — c'est une thèse que j'ai souvent défendue moi-même — et tous les députés qui sont, comme on dit dans le jargon du métier, "sur le terrain", savent très bien qu'il est nécessaire que le député soit ce lien entre l'administration et le peuple.

Par conséquent, est-ce qu'à votre avis — je ne veux pas évidemment vous mettre en contradiction avec M. Bonenfant — cette idée de 30 députés, compte tenu de la connaissance que vous avez des moeurs québécoises, est-ce que cette formule vous parait correspondre à une réalité psychologique et à des habitudes électorales, des habitudes aussi de contact avec le député?

M. MEYNAUD: Je ne voudrais que vous ayez l'impression que je suis absolument imperméable à toute expérience nouvelle. Il est certain qu'en politique on a souvent tendance à se méfier de ce qui n'est jamais arrivé. Si on n'expérimente pas on ne pourra pas aller y voir. D y a tout de même là des questions qu'on ne peut pas manquer de se poser. Prenons une région qui est représentée par dix députés qui ont chacun une circonscription, donc une clien-

tèle, et qui en plus, disons deux ou trois députés de type proportionnel élus sur des listes. Cela peut même créer au niveau des circonscriptions, des tensions parce que vous aurez un député qui défendra une circonscription comme son mandant et peut-être qu'un des députés élus au niveau de la liste va vouloir également représenter telle ville ou tel village avec lequel il aura des liens particuliers. Cela peut incontestablement provoquer des tensions, c'est un fait. Je répète que je ne suis pas un expert de politique québécoise. M. Bonenfant est certainement infiniment mieux informé de ces réalités que je ne le suis. C'est quelqu'un dont j'admire beaucoup l'intelligence, la qualité, la bonne foi. C'est certainement quelqu'un pour lequel j'ai infiniment de respect.

Sur ce point, nos avis sont tout de même un peu différents. Le seul point sur lequel j'éprouverai une répulsion absolue c'est le repêchage. Sur ce point je n'ai aucun doute, ce serait une mauvaise chose.

Si on joue deux cartes et des cartes qui ne sont pas biseautées, des cartes qui dès le début sont des cartes bien nettes, ce n'est pas tout à fait partie. Nous avons deux séries de députés. A ce moment-là, on s'engage dans un processus qui incontestablement présente des difficultés mais qui n'est pas fabriqué. Ce qui me semblerait immoral, c'est le procédé du repêchage, tout au moins dans la conception que nous avons de la démocratie parlementaire.

Carte électorale

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, c'est la dernière question que je voudrais vous poser pour laisser à mes collègues le loisir de le faire eux-mêmes. On a parlé justement à propos de ces trente députés et on a pensé à un système de distribution de ces députés selon les régions, qu'on appelle ici "les régions économiques". Ces députés étant répartis dans les diverses régions économiques et par conséquent ayant une vue beaucoup plus complète des problèmes afférents à certaines régions administratives du Québec.

C'est une solution qui, de prime abord, parait séduisante. D'autre part, je faisais observer à M. Bonenfant qu'il y avait quand même une réalité. Nous en avons discuté ici. C'est une sorte de pierre d'achoppement pas très sérieuse mais c'est quand même un problème. Il y a ici ce qu'on appelle une mentalité rurale, une mentalité urbaine. Il faut donner à ces termes une signification qui ne soit pas nécessairement celle des mots eux-mêmes. Disons plutôt qu'il y a une bonne partie de la population qui vit dans des régions rurales ou semi-urbanisées et une très grande partie de la population qui vit dans des régions rigoureusement urbanisées, particulièrement la ville de Montréal. En fait, lorsqu'on cause avec les citoyens, le problème qu'il nous pose est le suivant: Est-ce que la région de Montréal qui représente quand même une gran- de partie de la population, sera, en vertu d'un nouveau système de scrutin, un nouveau système électoral, favorisée par rapport aux autres régions?

C'est là une objection majeure qui nous est faite par les citoyens qui vivent dans des régions dites rurales, mais que j'appellerai moi, moins urbanisées que celles de Montréal.

J'aimerais avoir votre avis là-dessus, compte tenu des connaissances que vous avez du Québec.

M. MEYNAUD: Nous glissons sur un problème tout à fait connexe qui est le problème de la carte électorale. C'est une question que l'on rencontre absolument partout. Faut-il, aux Nations Unies, que les Américains aient 200 voix, et la France 50 et la Suisse 5, ou au contraire, y a-t-il une entité qui, en tant que telle, doit être représentée? C'est d'ailleurs pour éviter des problèmes de cet ordre que très souvent, on a créé des secondes Chambres. Par exemple le Sénat américain représente les Etats américains. New York a deux députés, le Névada a deux députés, et à la Chambre des représentants c'est proportionnel à la population. On fait un effort pour que ça le soit.

On pourrait effectivement envisager de lier la question d'une représentation proportionnelle des régions dans une autre assemblée. Mais là, nous passons sur un terrain tout à fait différent. On pourrait effectivement penser à une formule dans laquelle il y a une assemblée élue par les citoyens avec un quorum numérique aussi égal que possible, avec une variante de 25 p. c. ou 20 p. c, — je n'aime pas beaucoup d'ailleurs, ces limites rigides — et à côté de ça, avoir au contraire une Chambre qui représente un certain nombre de régions et, dans laquelle les assiettes électorales seraient très différentes.

Alors, ça pose évidemment le problème du bicaméralisme, des pouvoirs respectifs de ces deux Chambres, mais il semble qu'en matière électorale la sagesse consiste à tenir compte tout de même d'un certain nombre d'unités naturelles. Nous avons ce problème en France de Paris vis-à-vis de toutes les autres régions. D'autant plus que, comme vous le disiez très justement, ce que nous appelons des régions rurales, on ne sait plus très bien ce que c'est. Pendant longtemps, région rurale égalait région agricole, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Les régions rurales prennent un autre visage: il s'y établit de l'industrie, le tourisme s'y installe, des gens vont y prendre leur retraite. Nous sommes devant une mutation assez profonde, et je pense que l'on n'a pas encore trouvé l'assiette définitive de distribution des populations sur le territoire. Ce qui fait qu'il faut se résigner, pour une période d'une certaine durée, à avoir des formules un peu plus souples. Je crois qu'effectivement il faut s'efforcer, en matière électorale, de représenter de façon légitime les différentes circonscriptions. La règle numérique est une règle valable. La

cour Suprême des Etats-Unis s'est prononcée il y a quelques années en obligeant les Etats à revoir leur carte électorale, ce qu'ils n'avaient pas fait depuis longtemps — certains d'entre eux tout au moins — Mais, cela étant, est-ce qu'il faut aller jusqu'au bout?

Et là, c'est très difficile, parce qu'à côté des intérêts généraux, il y a nécessairement un certain nombre d'intérêts propres qui, encore une fois, ne me paraissent pas illégitimes; le fait, par exemple, que lorsqu'on parle de la carte électorale, les députés pensent à leurs circonscriptions. Cela me paraîtrait contestable, si lorsqu'on parle de réforme universitaire, les professeurs ne pensaient pas aussi à leur situation... Il n'y a pas un métier au monde, pas une profession, où, effectivement, lorsqu'on parle d'un changement ou d'un bouleversement, chacun ne fait pas ses comptes personnels.

C'est évident, nous sommes tous des hommes, que nous soyons députés, que nous soyons enseignants. Il y a, par conséquent, des intérêts comme ceux-là. Tout en reconnaissant que cela peut ouvrir la porte à certains abus, certaines distorsions, j'accepte l'idée de certaines unités naturelles, géographiques, biogéographiques, difficiles d'ailleurs à préciser. Tout cela est compliqué, tout cela relève au moins autant de la politique que de l'expertise, et peut-être même davantage, mais je ne serais pas contre le fait de tenir compte de ces valeurs, autrement dit, d'avoir tout de même une règle de distribution des sièges et de formation de la carte électorale assez souple pour que, tout en corrigeant des inégalités dont certaines sont inadmissibles, il y ait la possibilité de tenir compte de situations qui méritent d'être prises en considération.

Je veux dire que l'extrême justice mathématique conduit parfois à une certaine injustice politique. Et, en politique, on n'a pas le droit de commettre des injustices. On peut très bien commettre des erreurs mais il ne faut pas commettre d'injustices. C'est la plus grande erreur qu'on puisse faire, l'injustice.

M. LE PRESIDENT: M. Dumont, s'il vous plaît.

M. DUMONT: Merci, M. le Président. M. Meynaud, vous avez fait allusion tout à l'heure — et vous continuez un peu dans la même veine — au fait que vous n'étiez pas tellement en faveur, entre les comtés urbains et ruraux, d'un nombre fixe de 20 p. c. ou 25 p. c. d'électeurs de différence. Est-ce que, n'étant pas en faveur de ces chiffres, vous pourriez donner un peu plus d'explication et nous dire pourquoi vous n'êtes pas favorable à cette différence?

M. MEYNAUD: C'est assez compliqué. Je pense que nous vivons, à l'heure actuelle — c'est cela qu'il faut voir — une certaine période qui va durer, je ne sais pas combien, dix ans, vingt ans, trente ans où les populations sont en train de se redistribuer sur les territoires et où on peut avoir, à l'heure actuelle, des mouvements qui vont dans un sens: il y a indubitablement un mouvement qui va vers les grandes villes mais peut-être qu'il va y avoir, d'ici quelques années, un mouvement pendulaire inverse. Une région est condamnée. Il y a comme cela un certain nombre de régions en Europe que l'on tient pour condamnées. Tout d'un coup, dix ans après, on dit: Mais non, ce n'est pas condamné, on va faire du tourisme, par exemple. Et puis on s'est rendu compte que la région s'était tellement appauvrie, tellement dépeuplée qu'on ne pouvait plus rien y faire, c'était fini, elle était vraiment morte, on l'avait laissée mourir. On avait laissé passer une chance de valoriser un territoire qui peut, ensuite, se valoriser. Nous ne savons pas exactement où tout ça va aboutir, nous vivons dans une civilisation où tout est mobile. A l'heure actuelle, ça se dirige dans un sens; c'est la grande métropole urbaine — Montréal aura 40 p. c. des habitants du Québec dans quelque temps, Paris aura 20 millions d'habitants, c'est absolument affolant — mais on se dirige là-dessus. Mais, d'ici 10, 20 ou 50 ans, effectivement, si on laisse mourir un certain nombre de régions — ce qu'on est en train de faire dans beaucoup de pays, et une manière de les laisser mourir, c'est de les priver de représentation politique — on peut se retrouver dans 10, 20 ou 30 ans avec des possibilités qu'on ne saura pas et qu'on ne pourra pas exploiter parce que la chose sera vide. J'ai vu fonctionner cela dans certaines circonscriptions de Montagne ou d'ailleurs. C'est la raison pour laquelle, à l'heure actuelle, il faut, je crois, essayer de réimplanter un régionalisme et, justement, en fonction de ce régionalisme, repenser ce problème des circonscriptions électorales de façon, je dirais, moins abusivement mathématique que lorsqu'il s'exprime par des pourcentages.

J'ai employé le mot d'unité naturelle, je sais qu'il n'est pas très clair, mais l'idée que j'exprime ici est une idée qui ne peut pas se ramener à des formulations extrêmement précises. C'est "sur le terrain" qu'on voit cela. Si j'étais un expert de la carte politique du Québec, ce que je ne suis malheureusement pas, je dirais: Je pense, en ce moment, à telle ou telle région. Mais, dans le cas des cartes électorales que je connais mieux, comme la carte française ou ailleurs, je pourrais vous donner des régions. Par exemple, je soumettrais que, dans telle région, on fasse le calcul d'une certaine unité et qu'on n'applique pas ce pourcentage strict et précis. Tout en reconnaissant que, effectivement, toute règle politique peut être utilisée, détournée, mais c'est tout de même un point que je n'abandonnerais pas absolument, cette idée d'une unité géographique ou historico-géogra-phique qu'on a peut-être intérêt à sauvegarder, parce que peut-être on en aura besoin dans 20 ou 30 ou 40 ans si les mouvements actuels des populations se transforment. Je ne demande

pas, bien sûr, que l'on revienne aux bourgs pourris d'Angleterre de 1830, bien entendu, il n'en est pas question, mais il y a tout de même des unités qui méritent peut-être d'être conservées. C'est un point, en tout cas, qu'on peut discuter. Malheureusement, je ne connais pas assez la carte électorale du Québec pour pouvoir dire: Ce serait là plutôt que là.

Pourcentage du vote

M. DUMONT: Vous avez parlé, M.Meynaud, du désintéressement pour des Allemands de la politique. Est-ce que vous avez le pourcentage des votants de la dernière élection en Allemagne?

M. MEYNAUD: II est élevé. J'ai lu récemment un article écrit par un collègue allemand qui disait à peu près ceci: Oui, les Allemands, au fond qui ont été traumatisés par l'expérience hitlérienne, etc., etc., ont décidé de se conduire démocratiquement, c'est-à-dire qu'ils vont voter.

C'est un pont aux ânes de la science politique le fait qu'à la dernière élection avant Hitler il y a eu 85 p. c. ou 90 p. c. de gens qui sont allés voter, alors que souvent en Angleterre, il y en a 70 p. c. Autrement dit, je veux dire qu'on ne peut pas considérer uniquement le vote comme un paramètre de l'intérêt politique. Il y a bien d'autres choses. Il y a le fait de militer dans un parti, de verser des cotisations, de lire des journaux et aussi de s'intéresser à la politique.

Si on prend uniquement le critère de la participation électorale, on conclura que les Allemands s'intéressent beaucoup plus à la politique que les Français, ce qui me paraîtrait abusif. C'est un système élevé, mais lors de la dernière élection allemande avant Hitler, il y a eu 85 p. c. ou 90 p. c. de gens qui sont allés voter. Deux ans après, ils suivaient le Fuhrer comme un seul homme également.

M. DUMONT: Une dernière question, M. le Président. J'ai, ici, une explication sur la méthode de scrutin en France, majoritaire à deux tours. Une critique constructive disait que cela apportait aussi une inégalité de représentation et un marchandage au deuxième tour, bien que cela concilie le pluralisme des partis avec la possibilité de former un gouvernement. On citait un exemple. En 1958, le parti communiste, ayant eu 3,882,000 voix, n'avait eu que 10 sièges. L'UNR qui avait eu 3,604,000 voix, avait eu 189 sièges. Plus récemment, en 1968, le Parti communiste qui a eu 20 p. c. du vote n'a obtenu que 7 p. c. des sièges. L'UDR, républicain indépendant, 40 p. c. des voix et 70 p. c. des sièges.

Est-ce que vous pourriez nous donner quelques explications? Je pense que la France a fait un véritable effort pour tenter que tous les citoyens soient bien représentés et ça ne semble pas avoir apporté ce qu'elle aurait désiré.

M.MEYNAUD: Quand on parle du marchandage du second tour, il y avait en France un parti qui était spécialisé dans le marchandage, le parti radical, dont on disait qu'il était comme un radis, rouge à l'extérieur et blanc à l'intérieur, encore un problème de couleurs, ce parti, selon les circonscriptions, s'alliait avec la droite, la gauche, l'extrême droite, l'extrême gauche. Il avait plusieurs visages. Il était un parti caméléon, mais il était le parti charnière de la troisième République. On trouvait cela immoral, on n'avait pas tout à fait tort. Il est clair que le second tour a permis pas mal de marchandage et c'est une institution que je ne recommanderais absolument pas. Je ne crois pas que le second tour soit à recommander en politique. Je pense, d'ailleurs, que la France est le seul pays à appliquer le second tour.

Effectivement, dans ce second tour, tout dépend des alliances. Le parti communiste a eu en France, depuis 1947, à peu près le même pourcentage de voix, entre 20 p. c, 22 p. cet 23 p. c. Une représentation qui a aussi eu entre 8 à la base et quelque chose comme 200 au sommet.

Si le parti communiste s'entend avec les autres partis de gauche, à ce moment-là, il a des sièges, mais s'il se présente tout seul, il est battu presque partout. Je pense que c'est en ce sens que le second tour fait dépendre le résultat des élections non pas tellement de ce que pensent les gens à la base, mais des alliances qui se concluent entre les partis. Les gens ont une manière de se venger, c'est de ne pas suivre les consignes de parti. C'est, semble-t-il, ce qui s'est passé, — je n'ai pas étudié la question d'assez près — à Toulouse dimanche dernier, les électeurs communistes n'ont pas voulu voter pour les socialistes, en conséquence, c'est le candidat de la majorité gaulliste qui est passé. Mais le second tour, je vous conseillerais carrément de faire l'impasse, c'est un système qu'on a manipulé, en France, depuis toujours, mais qui n'est pas un système moderne. Je ne le défends absolument pas ici.

M. LE PRESIDENT: M. Charron

Mode de scrutin

M. CHARRON: M. Meynaud, depuis le début de votre exposé, j'ai retrouvé des éléments qu'on avait discutés ensemble dans les séminaires, il y a quelques mois. Il y en a un qui est assez constant chez-vous que vous avez rapporté, ici, à la commission, c'est qu'en fin de compte, la qualité des institutions, et à toutes fins pratiques, le système électoral est une institution politique, sa qualité d'application dépend énormément de la culture là où elle s'applique.

Je pense voir une constante également dans les travaux de la commission depuis le début — c'est notre huitième ou neuvième séance — où il y a une préoccupation très nette et une recherche de définition de la nouvelle culture

québécoise, ou de la situation de la culture politique québécoise avant de commencer à parler en termes plus techniques des aménagements au système de scrutin, etc.

Vous êtes partisan de cela et je sais qu'il y a actuellement à travers le Québec, une définition d'une nouvelle culture québécoise qui se propage rapidement à part cela, qui laisse de côté certaines valeurs beaucoup plus traditionnelles. Cette culture est à la recherche actuellement, dans certains coins, de façon presque radicale, d'une justice et si on admet que le mode de scrutin est un moule quant au comportement politique, je pense que l'on est témoin ici à la commission que le comportement politique devient désormais aussi un moule qui nous oblige à faire des choix en fonction du système électoral que l'on pose. La crainte qu'exprimait le député de Terrebonne au tout début sur la possibilité...

M. HARDY: Pardon, pas la crainte, c'est une interrogation.

M. CHARRON: Oui, la remarque que faisait le député de Terrebonne au début et qui portait sur l'hypothèse qu'un système proportionnel appliqué à la culture politique québécoise ferait deux classes de députés, les arguments que les députés ruraux de Chicoutimi, de Mégantic apportaient, disaient: Est-ce qu'il n'y aura pas en même temps, deux types de culture et est-ce que, pour le problème de la culture urbaine, on ne rencontrerait pas cela?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Permettez-moi, M. le Président, sur un rappel au règlement. Dans les propos que j'ai tenus — d'abord je ne suis pas ce que l'on appelle un député rural, représentant une circonscription urbaine, encore que je sois moi-même un rural — et il n'y a rien dans mon esprit...

M. CHARRON: Vous êtes à l'avant-garde du Québec.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): II n'y a rien dans mon esprit qui spécifie une culture en ce qui concerne les diverses circonscriptions.

M. LE PRESIDENT: J'admets la mise au point du député de Chicoutimi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant, M. le Président, le député de Saint-Jacques me permettra de poursuivre. Lorsque je parle de mentalité rurale et de mentalité urbaine, je n'en parle pas en termes de culture. J'en ai parlé en termes d'habitudes électorales, le problème de la culture étant un tout autre problème et n'ayant rien à voir avec les observations que j'ai faites.

M. LE PRESIDENT: M. Charron.

M. DUMONT: II y a aussi dans mon comté une ville très importante mais je suis un député de milieu semi-rural.

M. CHARRON: Alors, je vais poser une question à M. Meynaud. Est-ce qu'au fond, toute réforme du mode de scrutin que nous allons faire ne va pas affecter la vie même du Parlement? C'est-à-dire apportera-t-elle des hommes nouveaux en politique, de nouveaux types de politiciens, de nouveaux types de députés et, de là, de nouveaux types de relations avec la population? Vous avez exprimé votre désir d'un certain type de relations entre le député et la population. Mais, est-ce que ce n'est pas ça qui est à la base de tout? On est en train aussi de redéfinir un parlementarisme. N'existe-t-il pas dans le système actuel des distinctions entre certains types de députés qui sont dues tout simplement au fait, par exemple, que le pouvoir exécutif est mêlé au législatif dans le système actuel, que certains députés ont plus d'expérience que d'autres et que d'autres sont favorisés par le nombre, etc.? Si cette hypothèse est vraie, est-on, en fin de compte, en train de redéfinir le rôle du député ou le rôle du Parlement? Quelles sont, selon vous, les constantes qu'on doit maintenir à l'esprit quand on aborde la réforme électorale ou le mode de scrutin?

M. MEYNAUD: Il est hors de doute que les institutions influencent la culture que, disons, à la longue, un système électoral déterminé, à la longue, à condition de durer, peut, effectivement, affecter les types de personnalités. Il y a une influence de la politique sur le système électoral, mais l'inverse est vrai. La question que vous me posez, ce n'est pas du tout que je n'aie pas envie d'y répondre, mais elle dépasse un peu le cadre d'un expert.

Si un expert veut être pris au sérieux, il ne faut pas qu'il force ses talents. Ses talents sont de dire: Si on fait ceci, il risque de se passer ceci. Ou encore: Si vous voulez ceci, il faut essayer de faire ceci. Par conséquent, si vous voulez que le parlementarisme soit ceci, se modifie de cette manière, alors peut-être qu'il faut adopter tel ou tel système plutôt que tel autre.

On peut, par exemple, se poser le problème de savoir quelle valeur il faut privilégier. Est-ce qu'il faut privilégier une valeur d'efficacité gouvernementale, une valeur de justice électorale, une valeur de plus grande participation, de plus grande animation ou est-ce qu'il faut essayer de tenir compte de ces différentes valeurs? Et là, je ne crois pas pouvoir apporter bien des éléments neufs et valables, parce que ce qui se passe au point de vue de ce que vous appelez la nouvelle culture, eh bien! exactement où ça commence et où ça finit, qui peut le dire? Vous savez, quand on a le nez sur une vitre, on voit très mal ce qui se passe dehors. Il faut prendre un certain recul. Nous ne l'avons absolument pas. Par conséquent, il est possible que dans mes propos, ce soit je ne dirais pas le

témoignage d'un homme de la vieille culture, mais disons de la culture présente qui transparaît à travers ce que je dis et j'avoue que je ne vois pas très bien comment on pourrait, à l'heure actuelle, essayer de fonder des institutions sur des éléments qui restent encore tout à fait incertains.

Ce qu'il faut éviter, c'est d'aller contre le courant, à condition qu'on arrive à savoir à peu près où est le courant. C'est d'essayer de développer une démocratie de participation. C'est d'essayer de développer une plus grande association des gens, disons par des formules politiques et partisanes. Voilà ce qu'il faut essayer de faire. Mais, jusqu'à quel point est-ce à ce niveau qu'il faut le faire? Autrement dit, est-ce que toutes nos discussions ne nous ramènent pas à ce problème fondamental qui est celui de l'éducation politique des gens, du désir de participer, du sentiment qu'ils peuvent avoir d'être des sujets et non pas des objets? Est-ce qu'à ce moment-là il ne faut pas essayer de trouver un système qui rapproche les gens des institutions?

M. CHARRON: Si vous donnez la définition de la nouvelle culture qui se fait dans le Québec sur ces espoirs de participation, de rapprochement du pouvoir, quelles exigences immédiates cela pose-t-il quand on aborde la réforme du système électoral? Et quel système électoral est-ce que ça présuppose pour correspondre à la volonté de cette nouvelle culture? Parce qu'on pourrait aussi bien choisir un système électoral qui va complètement à l'encontre de cette nouvelle culture, qui abolit toute chance de participation, qui abolit toute chance de rapprochement du pouvoir.

M. MEYNAUD: Oui, mais à ce moment-là il faut introduire les partis politiques dans le jeu. Je crois qu'à l'heure actuelle c'est effectivement un point qui est souvent contesté. On estime que l'organisation est par essence et par définition contraire à la participation. On estime que l'organisation conduit nécessairement à l'aliénation. En réalité, on se rend compte que, lorsqu'on supprime les organisations, —dans certains milieux que je connais bien, c'est le cas — on n'a plus aucun moyen d'action. D me semble, par conséquent, que tout effort de participation doit tenir compte à la fois des hommes et également des organisations qui sont susceptibles de développer, de mobiliser. Je ne crois pas à la participation spontanée. Je ne crois pas, disons, aux gens qui tout d'un coup se lèvent, forment des comités qui n'existeront plus dans huit jours. Je crois que la participation, l'organisation est une question de longue patience et par conséquent, votre système électoral, ça dépend des partis que vous avez. Si vous avez des partis qui sont structurés comme certains partis idéologiques européens, où la participation se fait à l'intérieur du parti avec beaucoup de comités, — dans la mesure où elle se fait, d'ailleurs — à ce moment-là, vous pouvez peut-être avoir un régime de proportionnelle. Ce serait le cas d'un pays comme l'Italie. Mais si vous avez un régime dans lequel l'élément de participation reste le groupe parlementaire, parce que le parti a une autre formule d'organisation, à ce moment-là, vous êtes conduits à avoir des circonscriptions dans lesquelles il y a contact direct.

Je crois que, de toute façon, l'un des impératifs de ce qu'on peut appeler la nouvelle culture, c'est le contact direct, c'est la participation. Je ne suis pas d'accord avec lui lorsqu'on parle de supprimer les organisations parce qu'on aboutit à rien du tout. Mais je suis d'accord sur l'idée qu'il faut rapprocher les hommes qui commandent de ceux qui, en principe, sont gouvernés et qui devraient avoir leur mot à dire. Il est certain que l'aliénation est trop grande entre un sommet et une base et, par conséquent, il faut essayer de les rapprocher et c'est le parlementaire qui peut le faire, qui peut justement éviter ce mur que crée l'administration. Par conséquent, si c'est un impératif de la nouvelle culture, je pense qu'il faut prévoir un système électoral qui autorise le maximum de contacts et surtout, qui donne aux gens l'impression qu'ils ont leur mot à dire dans le choix du député.

Tandis que dans certains systèmes européens, ce sont des listes qu'on présente. "Ne varietur", vous avez une liste, vous votez ou ne votez pas. Vous votez pour un parti, vous ne votez pas pour un homme. Et là il y a peut-être quelque chose qui, dans la perspective d'une culture de participation, doit être évité. Là-dessus je ne suis pas très précis, parce que les phénomènes ne le sont pas beaucoup. Mais il fallait le signaler quand même.

M. JORON: M. le Président, un appel au règlement, s'il vous plaft...

M. LE PRESIDENT: Un instant... Un appel au règlement !

M. JORON: ... qui porte sur la marche de nos travaux. Est-ce qu'il serait possible de suggérer aux membres de la commission d'interrompre leurs questions, peut-être pour quinze minutes, seulement, de façon que M. Meynaud poursuive son exposé — il en a livré à peine 10 p. c. — ...

M. HARDY: A l'ordre! Ce n'est pas une question de règlement, c'est une question de marche...

M. JORON: C'est une suggestion amicale et de bonne foi.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. PAUL: Je ne voudrais pas qu'on puisse se laisser influencer par certains éditoriaux, spécia-

lement par un éditorial qui paraît dans un journal de ce matin. Je crois qu'il nous faut procéder avec une certaine prudence, une certaine logique et je ne crois pas qu'il faille nous précipiter...

UNE VOIX: Qu'est-ce que vous voulez dire par là?

M. PAUL: ... dans une étude sérieuse que nous devons faire de la situation.

M. HARDY: Je pense que la seule personne qui pourrait s'opposer à la façon de procéder est M. Meynaud, s'il considérait que la façon actuelle de procéder n'est pas la meilleure pour lui permettre d'exprimer ses opinions. Quant à moi, jusqu'ici, je suis bien satisfait de la façon dont nous avons procédé, chaque député peut poser des questions au professeur Meynaud de façon à éclairer sa propre lanterne et celle de ses collègues de la commission. Je ne vois pas pourquoi, à moins toujours, que M. Meynaud nous dise qu'il y aurait peut-être une autre formule plus adéquate, il me semble, que nous devrions continuer à procéder suivant la formule que nous avons utilisée jusqu'ici.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, compte tenu de la qualité de l'expert qui est devant nous ce matin, je pense que la marche des travaux, telle qu'elle s'est poursuivie jusqu'à présent, est de nature à satisfaire la légitime curiosité de tous les députés qui veulent interroger M. Meynaud sur les observations préliminaires qu'il a faites et notamment celles sur le système allemand.

Naturellement M. Meynaud pourra toujours nous dire, au moment qu'il lui plaira, s'il entend poursuivre l'exposé qu'il avait commencé. Mais jusqu'à présent, je crois qu'il y a encore des députés — il y a des députés qui ont posé des questions — qui voudraient l'interroger sur ce qu'il a dit auparavant et j'aimerais, quant à moi, qu'on poursuive, comme nous l'avons fait jusqu'à présent. Tout s'est passé dans un ordre absolument rigoureux et nous apprenons beaucoup du professeur Meynaud.

M. LE PRESIDENT: M. Charron a terminé?

M. CHARRON: Oui.

M. LE PRESIDENT: M. Picard.

M. PICARD: Merci, M. le Président, la démocratie est sauvée.

M. JORON: Une interprétation assez particulière.

M. PICARD: M. Meynaud vous avez mentionné tout à l'heure qu'en Allemagne il n'y a pas de différence entre les députés élus par liste et les députés élus au vote ordinaire. Mais ne croyez-vous pas qu'à ce moment-là en Allemagne cette situation peut exister, du fait qu'il y a 248 députés élus par les listes et 248 élus selon le mode électoral ordinaire et qu'ici au Québec on suggère 90 députés d'une façon et 30 de l'autre? Là, il pourrait peut-être y avoir une grosse différence dans la pratique, je pense.

M. MEYNAUD: J'admets tout à fait l'argument et malgré tout l'Allemagne est tout de même un pays avec des particularismes régionaux — il y a tout de même à l'heure actuelle 11 ou 12 landers — il y a d'autres facteurs qui entrent en considération, mais celui-là est certain.

Historiquement il y a d'autres facteurs qu'on peut invoquer, c'est que l'Allemagne, même avant 1914, avait un Parlement qui était composé de beaucoup de fonctionnaires, de chefs d'entreprise. C'est autre chose, c'est une autre mentalité. Les fonctionnaires jouaient un très grand rôle au Parlement de l'Allemagne au temps de l'Empire et ces habitudes politiques sont très lentes à se modifier.

M. PICARD: Cette méthode de choisir les députés par des listes, ne croyez-vous pas que c'est un accroc à la démocratie? Surtout si on est assez honnête pour admettre qu'en pratique, dans tous les partis politiques, il y aurait probablement un tripotage épouvantable de ces listes.

M. JORON: Vous parlez pour vous.

M. PICARD: Cela est dans tous les partis politiques. En théorie, ça marche peut-être très bien, mais parlons dans la pratique. Quel genre de tripotage aurait-on dans la préparation de ces listes? Il y aurait probablement aussi des espions là-dedans.

M. MEYNAUD: C'est un des arguments qu'on a toujours invoqués contre la proportionnelle en disant que la proportionnelle remet le choix des députés aux mains des partis. Effectivement lorsque vous avez un régime de proportionnelle, comme en Italie, le fait que vous soyez élu ou pas, dépend en grande partie du rang que vous occupez sur la liste.

M. PICARD: Est-ce que c'est démocratique?

M. MEYNAUD: A partir du moment où c'est un système uniforme qui est appliqué une fois pour toutes, je veux dire que tout système électoral me paraît respectable à condition qu'on n'en change pas souvent. C'est personnellement une conception que je n'ai pas. Je ne crois pas qu'il soit bon que les partis déterminent eux-mêmes les rangs sur la liste parce que cela donne lieu à des intrigues. C'est un fait dans un système, comme le système italien, où les partis sont divisés en plusieurs courants. Chaque courant se bat pour avoir son homme

en tête. On appelait ça, en France, d'un terme assez noble, les combats des gladiateurs. Le terme est un peu trop noble. C'est une des raisons qu'on a invoquées contre la proportionnelle en disant que la proportionnelle donnait trop de pouvoir aux dirigeants des partis. On a inventé toute une série de procédés comme le panachage, la possibilité de changer l'ordre de la liste.

Effectivement, vous avez le système de la proportionnelle où un monsieur a une liste devant lui. Il peut la prendre "ne varietur". Effectivement, il est bloqué. Il ne peut changer quoi que ce soit. Il y a des systèmes où on donne aux électeurs la possibilité de changer l'ordre de la liste. On leur donne la possibilité de composer des listes avec des noms venant de différentes listes, donc de réintroduire une certaine liberté et une certaine souplesse dans ce système. Dans le système suisse, par exemple, vous avez à élire un conseil municipal de 100 personnes, c'est comme si vous aviez 100 points. Vous constituez votre propre liste. Vous la prenez où vous voulez, dans toutes les listes existantes. Vous pouvez même cumuler, voter deux fois pour la même personne. Il faut bien dire que, dans la majorité des cas, le système de la proportionnelle fonctionne dans le sens d'une assez grande rigidité et que ces systèmes de panachage, de votes préférentiels, de changements d'ordre fonctionnent rarement parce que ce n'est pas commode dans un isoloir de changer les noms, de changer tout ça plutôt que naturellement lorsqu'on prend la liste et qu'on la donne toute seule. Par conséquent, la plupart des régimes de proportionnelle aboutissent à augmenter l'emprise des partis sur l'électorat. Les partisans du système de proportionnelle disent que c'est une bonne chose. Les adversaires disent que c'est une mauvaise chose. Je ne suis pas très partisan du régime de la proportionnelle. Donc, je préfère qu'on laisse plus de souplesse à l'électeur.

M. PICARD: Une dernière question, M. Meynaud. Au tout début de vos remarques vous avez mentionnez qu'il y avait plusieurs systèmes de scrutin. Par contre, vous étiez d'accord pour mettre de côté les systèmes qui n'avaient pas de chance selon vous d'être adoptés au Québec. Parmi les systèmes que vous mettiez de côté, il y avait le système australien qu'on appelle le vote préférentiel. Quelles sont les raisons qui vous laissent croire que cela ne pourrait pas être adopté au Québec? Quels sont les désavantages d'un tel système au Québec?

M. MEYNAUD: II n'y a pas a priori de désavantages. Vous savez qu'il a été établi au Manitoba pendant un certain nombre d'années. On y a renoncé, semble-t-il, parce que finalement cela donnait les mêmes résultats que l'uninominal à un tour: celui qui arrivait en tête, puis on comptait les seconds de préférence et finalement cela ne changeait rien. Les gens du Manitoba ont dit qu'ils renonçaient à ce système parce qu'il apportait des résultats qui — dans la plupart des cas, on cite peut-être une ou deux exceptions — correspondaient au système uninominal.

L'avantage de ce système, c'est qu'il garde le vote uninominal, une circonscription, un homme, mais par l'application de seconds de préférence, il fait que celui qui est élu a une pluralité des voix. On dit souvent, à l'heure actuelle, que tel parti qui a la majorité au Parlement n'a été élu que par 35 p. c. ou 40 p. c. des voix, qu'il y a peu de députés qui ont été élus avec une majorité absolue des voix.

En principe, le second tour d'un système français augmente le nombre de personnes élues à la majorité absolue, c'est-à-dire, 50 p. c. plus une voix.

Le système australien permet donc de pallier ce système, au moins sur papier, parce que, si on fait le décompte, et que, personne n'a la majorité absolue, à ce moment-là, on décompte les secondes préférences. On me demande si c'est un système qui serait compris du premier coup par les Québécois. Il faudrait que vous ayez des listes sur lesquelles se trouvent inscrits tous les députés, avec des collonnes où il faudrait marquer: première préférence, deuxième préférence, troisième préférence.

Ce n'est pas impossible de le faire fonctionner. Encore d'après l'expérience, cela ne changerait, semble-t-il, pas grand-chose au système. Cela permettrait simplement au député de dire : J'ai tout de même une majorité des voix plutôt qu'une simple pluralité. Je crois que c'est moral.

M. LE PRESIDENT: Je vous remercie, M. Meynaud.

M. LACROIX: M. Meynaud, on doit rechercher le système électoral parfait mais je crois bien qu'on n'est pas encore à la veille de le trouver. C'est rarement le gouvernement qui déclare une revision du système électoral. C'est une façon souvent pour l'Opposition de se défouler. Devrait-on changer le système électoral après chaque élection, selon les résultats obtenus?

M. MEYNAUD: Ah ça, c'est le pire! Et je peux en parler avec d'autant plus de franchise que la quatrième République, c'est un peu ce qu'on a fait. On a fait pareil dans un autre pays dont je me suis occupé. Je dois dire que ça ne lui a pas porté chance. C'est le système grec qui est dirigé aujourd'hui par une clique de militaires. Ce régime grec est un régime où on a changé la loi électorale à chaque élection. Parfois, on est même arrivé à avoir des lois électorales différentes selon les circonscriptions. Et puis un jour, les militaires sont arrivés et ont mis tout le monde au pas. Je n'établis pas un rapport de cause à effet, mais tout de même...

Il y a trois sortes de pays. H y a les pays qui n'ont jamais changé de système électoral. Les

Anglais sont d'une fidélité absolue au système uninominal pluralitaire. Ils y sont conduits par le fait que chaque parti a sa chance. Aujourd'hui, ce sont les conservateurs qui ont profité du système britannique; demain, ce seront les travaillistes. Les Anglais admettent que la politique est une espèce de match de football où on change de camp: l'essentiel est que chacun ait la possibilité de changer de camp.

Il y a des pays qui changent de loi électorale pratiquement à chaque élection. La loi électorale est une espèce de stratégie. Cela, c'est évidemment quelque chose qu'il faut fondamentalement éviter. Il y a enfin les pays qui ont changé de loi électorale parce qu'à un moment donné les idées ont changé, les forces sociales se sont modifiées. C'est ainsi que la plupart des pays européens continentaux sont pratiquement passés au système proportionnel à partir du moment où il y a eu un développement des partis de gauche et d'extrême gauche. Effectivement, on s'est rendu compte que la valeur que l'on voulait privilégier était une valeur de représentation presque photographique.

Mais que représente effectivement l'avantage d'avoir un Parlement qui photographie les électeurs? Prenez par exemple la Hollande. La Hollande est un pays qui, à beaucoup d'égards, peut être cité en exemple. C'est un pays calme, tranquille, où la vie politique est très ordonnée. Les Hollandais sont aussi différents des Français qu'on peut l'imaginer. Ils ont un système proportionnel qui leur permet par exemple d'avoir deux partis protestants; il y a le parti antirévolutionnaire, contre la révolution de 89, il y a le parti chrétien historique, un parti catholique, un parti libéral, un parti socialiste, un parti communiste, il y en a même un entre les deux, il y a des partis de droite...

Tout cela est proportionnel. Lorsqu'au Parlement, deux ou trois sièges changent, on parle d'un raz-de-marée politique. Cela implique quoi? Faites très attention, cela implique un gouvernement de coalition. Les Hollandais ont l'habitude de ce gouvernement de coalition, c'est-à-dire qu'après chaque élection la reine désigne ce qu'on appelle un formateur. Le formateur est un monsieur qui va travailler pendant un mois ou deux pour mettre sur pied un espèce de cahier dans lequel seront prévues toutes les conditions de la coalition, y compris de savoir qui on mettra à la place de M. Untel lorsqu'il prendra sa retraite, quel programme législatif on fera.

Une fois que le cahier a été fait, les partis se réunissent, on choisit un premier ministre, on applique le cahier et on ne change plus jusqu'à la prochaine élection. Dites-moi si un système comme celui-là est applicable ici? Je peux en tout cas vous dire qu'il est inapplicable dans le cas français. Et c'est la Hollande, un pays avec lequel la France est liée dans le cadre du marché commun mais, vous voyez c'est un cas très différent.

Si je vous disais le système belge, — il faut à peu près une demi-heure pour traverser la Belgique — il est fondamentalement différent du système néerlandais. Il est tout à fait différent.

Loi électorale

M. MEYNAUD: C'est pour cela qu'il est difficile de prononcer ici des formules très nettes parce que tous les pays que j'ai connus sont des pays dans lesquels la loi électorale est liée à la culture. Effectivement, je crois qu'on ne peut pas dire qu'il faut changer la loi électorale à chaque système, à chaque élection, parce que ce serait, à ce moment-là, une catastrophe pour le régime politique. On peut se demander si, en définitive, à un moment donné, des changements sont tels qu'il n'est pas souhaitable, en fonction d'un certain nombre de valeurs que l'on partage, d'apporter des modifications à la loi électorale. Tous les pays européens l'ont fait, y compris les pays les plus stables. La Suisse, par exemple, en 1919, est passée d'un système uninominal à un système de représentation proportionnelle. Elle ne l'a plus touché depuis. Par conséquent, c'est concevable qu'à un moment donné on estime que les choses ont changé et qu'il faut changer. Mais il faut effectivement, en politique, avoir tout de même, souvent, une période plus longue et se demander ce qui s'est passé à l'élection précédente et se demander ce qui va se passer à la suivante et à l'autre. Et cela, personne ne le sait. Il y a tout de même, malgré tout, un personnage qui s'appelle l'électeur et qui peut renverser un certain nombre de choses. Par conséquent, il n'est pas du tout sûr que le même système électoral donne les mêmes résultats en 1972 ou 1973 qu'il a donnés en 1968 ou 1969. Ce sont des choses qu'il faut voir. De toute façon, la loi électorale est quelque chose qu'il faut toucher avec prudence.

Si j'ai le temps tout à l'heure, en parlant des finances et de tout le reste, il y a certainement des points de la Loi électorale du Québec qu'on peut et doit toucher. D'ailleurs, à mon avis, dans le sens de ce qui existe déjà, je crois que, sur ce point — si on en discute tout à l'heure — il y a quelque chose qui, dans son principe, est bon et qu'il faut développer. Le mécanisme électoral doit être abordé avec prudence en fonction de ce qui s'est passé, bien sûr, et en fonction tout de même de ce qui risque de se passer. Nous ne contrôlons pas l'électeur; évidemment, c'est tant mieux. L'électeur peut avoir des comportements différents qu'on ne connaît pas. C'est pour cela que je recommande toujours la prudence quand on touche au mécanisme électoral.

M. LE PRESIDENT: M. Gagnon.

Régions éloignées M. GAGNON: M. Meynaud, nous vous écou-

tons religieusement et, à certains moments, nous nous demandons si vous n'avez pas déjà été député au Québec.

J'ai surtout remarqué que vous avez fait allusion à la nécessité, pour le député, d'être en contact étroit avec l'électeur. Ma question sera agrémentée également d'informations pour mieux vous situer sur celle-ci. Je parle d'un comté rural, en connaissance de cause, où il peut y avoir environ 15,000 électeurs. Dans le cours d'une année, un député peut recevoir 8,000 10,000 à 12,000 lettres, recevoir également des milliers d'électeurs, parce que son comté est éloigné des grands centres, l'administration est très loin de ses électeurs. L'économie y est beaucoup plus difficile par rapport à un comté urbain où il peut y avoir 35,000 à 40,000 électeurs. Ce sont des comtés dont on a déjà vu les députés dire, après huit ans de service, qu'on avait reçu un, deux ou trois électeurs, reçu 25, 30 ou 40 lettres. L'économie y est plus active, les gouvernements y sont présents par une administration décentralisée, par une information beaucoup plus facile, une économie plus vigoureuse. C'est-à-dire que les gens y travaillent en grande majorité et que, dans la distribution d'une carte électorale, on doit dire: Voici — d'un revers de la main — on ne se préoccupe pas de l'électeur vis-à-vis du contact étroit qu'il a toujours eu et qu'il doit continuer d'avoir avec son député par rapport au secteur rural, avec le milieu urbain, où, tout en ayant deux et même trois fois le nombre d'électeurs, le député n'est pas appelé à oeuvrer, disons, peut-être le dixième d'un député d'une région rurale. Alors, dans la distribution du nombre d'électeurs, est-ce qu'on doit en tenir compte, ou si, d'un revers de la main, on doit tout simplement ignorer ce problème?

M. MEYNAUD: Je pense, M. le député, que vous avez soulevé un problème extrêmement important et que nous connaissons une situation de ce type comme le problème de la sous-administration. C'est une des choses qui m'ont surpris en étudiant les structures politiques et administratives de ce pays, que de constater combien l'armature administrative proprement dite, l'armature décentralisée de l'Etat, était souvent faible dans les régions éloignées.

Dans un pays comme la France, qui est un pays administré et "suradministré" depuis très longtemps, cela date depuis Napoléon, et bien avant, dans la plus petite région vous retrouvez le percepteur, le sous-préfet, absolument tout, toute une espèce de corps administratif qui tient le pays et qui l'empêche un tout petit peu de respirer aussi. Je prends un exemple, tout à fait lointain, que nous avons étudié, je le cite parce qu'il va rejoindre ce que vous dites. Nous faisons des recherches sur le cas de la Grèce. Il y avait des députés dans certaines régions qui étaient obligés d'offrir leur téléphone quand il y avait quelqu'un de malade parce qu'il n'y avait pas de service pour le recueillir. Ils étaient obligés de faire eux-mêmes les démarches pour les électeurs lorsqu'ils voulaient avoir un permis pour l'immigration parce qu'il n'y avait pas de fonctionnaire qui pouvait s'en occuper. Autrement dit, il y avait un député qui, par la force des choses, jouait un rôle d'administrateur parce que le territoire était entièrement sous-administré.

La situation du Québec est tout de même fort différente de celle de la Grèce. Mais ce qui est probable — et je crois qu'on pourrait définir cela scientifiquement, — c'est que la densité d'administration et les facilités administratives ne sont pas les mêmes partout. Bien entendu, tout cela peut-être nuancé. Je veux dire qu'il y a là, à la fois, des problèmes de patronage que nous connaissons tous, mais en même temps il y a des problèmes plus profonds qui sont des problèmes d'administration. Vous avez eu aux Etats-Unis un problème qui a été connu longtemps sous le nom de la machine. On est parti en guerre contre les machines. Les machines étaient des instruments de corruption à beaucoup d'égards. En même temps, les machines ont représenté, à une certaine époque, dans la vie politique américaine, ce que l'administration américaine ne donnait pas.

Vous avez, par exemple, un Italien qui débarquait à New York. Il ne savait pas parler l'anglais et ne savait pas où aller. La machine le recueillait parce qu'à l'époque il n'y avait pas de structures sociales d'accueil, il n'y avait pas de sécurité sociale, il n'y avait pas d'assurance-chômage, il n'y avait rien. Ce qui fait qu'on a vu aux États-Unis la machine décliner au fur et à mesure que l'on a généralisé les pratiques de la sécurité sociale et du bien-être. J'imagine que si l'on développait un tout petit peu l'administration à l'échelle québécoise, ce qu'on a pensé à faire dans le cas d'un certain nombre de plans, à développer l'armature administrative, soit par décentralisation des services, soit par surgisse-ment d'une administration locale, à ce moment-là le problème se poserait moins. Mais le problème se pose et là je ne parle pas du domaine rural-rubain, je parle d'une espèce de densité de vie administrative. Cela m'apparaft quelque chose de très important et dont il faut tenir compte dans le calcul de ces unités naturelles dont je parlais tout à l'heure. C'est la densité, ou plutôt l'absence de densité de l'administration qui fait, qu'on le veuille ou non, que cela nous plaise ou non, que le député doit accomplir des tâches sans pouvoir dire: Voyez tel bureau, ou tel monsieur. Le monsieur n'est pas là et le bureau n'est pas là.

C'est un problème qui ne se pose pas dans un pays comme la France qui est ultra-administré, mais il peut se poser ici, c'est incontestable. Je veux dire que, dans la différence qu'il y a souvent entre les régions dites rurales ou semi-rurales et les régions urbaines, ce sont des problèmes de type qualitatif comme celui-là et qu'on peut essayer de cerner. Je crois qu'on peut traiter sérieusement ces problèmes.

M. LE PRESIDENT: M. Paul.

M. PAUL: M. Meynaud, vous avez mentionné au début de vos remarques qu'actuellement le peuple allemand regarde vers le système parlementaire de l'Italie pour le mettre en application à la place du système proportionnel qui est en usage. Avec l'expérience que vous avez, la connaissance du milieu québécois, est-ce que vous pourriez, sans vous engager, nous donner vos impressions et nous faire connaître la possibilité ou les avantages d'un système proportionnel qui pourrait être appliqué dans le Québec à la lumière de l'expérience que vous avez acquise, théorique et pratique dans certains cas, et surtout en tenant compte d'un certain retour chez les pays ou chez les peuples ou tel système proportionnel existe.

M. MEYNAUD: Vous savez qu'il y a de véritables experts du système proportionnel. Il y a des livres entiers qui ont été écrits là-dessus. Le système proportionnel est la chose la plus complexe qui soit, il y a des gens qui passent leur vie à l'étudier.

Ce qu'on peut retenir du système proportionnel, je crois que la chose la plus importante est l'idée d'établir une certaine proportionnalité entre le nombre des voix et le nombre des sièges.

Maintenant, les systèmes de la proportionnelle sont très différents. Il y en a qui favorisent les grands partis, les petits partis, cela dépend de la taille de la circonscription choisie. Alors on pourrait à la limite se dire — c'est un peu le cas d'Israël —: On va considérer le Québec comme une circonscription, et on va établir un certain nombre de listes pour chaque parti. Ces listes seront présentées à l'ensemble des électeurs du Québec et, à partir de là, ils choisiront. En pourcentage des voix, on distribuera alors les sièges selon l'ordre de la liste.

Il est évident qu'à ce moment, les partis qui auront établi les listes seront pratiquement très puissants et ce système, à mon avis, est inapplicable ici, parce que le pays est beaucoup trop grand. On peut l'appliquer dans un petit pays comme Israël, parce qu'effectivement Israël, dans sa partie la moins large, peut être traversé en une demi-heure, moins d'une heure, mais ici cela n'est pas possible. Donc, on ne peut pas avoir, je crois ici, une proportionnelle intégrale. Alors, à ce moment, on peut considérer de faire une proportionnelle dans un certain nombre de régions, notamment les régions économiques, diviser le Québec en dix ou douze et faire jouer la proportionnelle dans chacune de ces régions. A ce moment, les partis constituent leur liste, mais ce sont des listes différentes selon les régions.

L'ennui, c'est qu'à ce moment la proportionnelle devient moins juste, parce qu'il peut y avoir des inégalités. Il peut y avoir des partis qui ne seront pas servis. Contrairement à ce que l'on pense, la proportionnelle laisse une grande marge d'inégalité. Dans le premier régime français de 1946, il fallait aux grands partis 30,000 ou 40,000 voix pour avoir un siège et une voix sur 120,000 au rassemblement des gauches républicaines, enfin ce que l'on appelait les gauches républicaines qui n'étaient pas très à gauche, elles étaient républicaines disons. Il a fallu 120,000 voix parce que le système proportionnel jouait de cette manière.

Alors, il y a un système encore plus compliqué qui consiste à dire: On va avoir une première répartition dans le cadre de dix régions et toutes les voix non utilisées seront bloquées, et à l'échelon national, et il y aura une deuxième répartition. L'avantage évidemment c'est que l'on tend à photographier le corps électoral. Est-ce que l'on tend à multiplier les partis? C'est possible. C'est peut-être même probable, et j'avouerai que les partis les plus menacés par la proportionnelle sont les partis qui ont une idéologie parce que tous les partis idéologiques sont divisés idéologique-ment. Et la proportionnelle souvent amène les partis à se diviser. Si je prends le cas italien, il y a trois partis socialistes, peut-être quatre aujourd'hui, mais il n'y a qu'un parti catholique et qu'un parti communiste, parce qu'il y a des forces qui les ont gardés chacun unis.

On risque donc, si l'on établit une proportionnelle, d'avoir un gouvernement difficile à constituer. Cela veut dire que c'est un problème de valeur. Je crois —pour répondre à la question de M. Lacroix tout à l'heure — que le système idéal n'existe pas. Il y a un certain nombre de valeurs, dont on peut dire, comme M. Charron le disait, que ce sont des valeurs en évolution, mais on ne peut avoir toutes les valeurs satisfaites en même temps. La proportionnelle a aussi quelque chose que l'on peut considérer comme un avantage ou un inconvénient, cela dépend de la valeur que l'on adopte, elle tend à amortir les mouvements politiques. Elle tend, si vous voulez, à jouer le rôle d'une espèce de frein général. C'est une espèce de gâteau que l'on partage et, une fois qu'il est partagé, cela n'évolue que fort lentement.

Ce qui fait que très souvent le renouvellement du personnel politique s'effectue avec beaucoup plus de lenteur que dans un régime où il y a des mouvements, où les gens sont chahutés d'une élection à l'autre. Vous voyez que le principal élément de la proportionnelle, c'est justement de donner aux gens l'impression qu'ils sont représentés, ce que ne donne pas le système allemand, avec 5 p. c. des voix qui écartent justement tout ce que l'on appelle dédaigneusement des petits partis. Or, il y a des petits partis qui ont commencé avec 4 p. c. des voix et qui ont fini avec 50 p. c. Vous voyez, c'est cela. Seulement, la proportionnelle, en même temps, donne l'obligation de gouverner de façon différente.

Nous ne savons pas très bien dire ça, moi le tout premier. Il y a des espèces de correspondances entre le mode de gouvernement et le

style proportionnel, ce qui fait que, si vous instauriez un système proportionnel au Québec, — j'entends une proportionnelle intégrale — d'abord, je ne suis pas du tout sûr que ça correspondrait à ce que les gens sentent ici, à ce qu'ils pensent, à ce qu'ils souhaitent. Je ne suis pas sûr qu'un système proportionnel intégral serait bien vu et serait compris. En tout cas, ça vous obligerait probablement à changer complètement le système politique et probablement aussi le système administratif. C'est un point auquel on ne fait pas allusion, voyez-vous, quand on tire le système électoral. C'est comme, dans certains cas, quand on tire un tiroir, ils viennent tous en même temps.

Une question dont on ne parle pas, c'est le recrutement des fonctionnaires. Or, dans les pays à régime proportionnel, il y a des gouvernements de coalition et, naturellement, les hauts fonctionnaires sont choisis selon un système de coalition. Vous avez un président des PTT suisses, il est socialiste. Le vice-président sera chrétien-démocrate et l'autre vice-président sera radical. Et c'est normal. Le gouvernement par coalition retentit sur le recrutement des fonctionnaires. Vous voyez que, si vous changez le système électoral à la base, vous avez satisfait la valeur justice, mais en même temps, vous avez modifié les conditions de fonctionnement du gouvernement et probablement aussi les conditions de recrutement de l'administration et, à partir de là, tout le système.

Or, l'exigence proportionnelle ne me paraît pas correspondre, si vous voulez, à une demande ici. Ce qu'on demande ici, c'est un régime qui corrige un système qui, il faut bien le dire, est assez dur pour les partis qui n'en profitent pas, mais l'exigence proportionnelle ne me paraît pas venir du fond d'une large masse de la population. Sur ce point, vous êtes plutôt de tradition britannique. Les systèmes proportionnels en Europe, au contraire, ont eu un vieux fondement qui est venu des partis socialistes. C'est de la gauche qu'est venue l'exigence de la proportionnelle en Europe, le grand développement des partis socialistes, le grand développement des partis de gauche, et il y a eu, à ce moment-là, un mouvement populaire pour la proportionnelle qui ne me paraît pas exister ici. Ici, ce qu'on demande, c'est une correction, si je comprends bien. On admet que c'est l'uninominal qui doit continuer à régner et je pense que ça correspond, malgré tout, beaucoup plus à la mentalité québécoise qu'un régime proportionnel. Je crois qu'on désorienterait complètement les gens si on faisait demain un régime proportionnel intégral et si on se retrouvait à la Chambre avec quatre ou cinq partis dont aucun n'aurait la majorité, qui devraient se coaliser pour gouverner et qui, à partir de là, devraient se partager l'administration comme le font les Néerlandais dont je parlais tout à l'heure. Ce serait un changement complet. On ne changerait pas le système électoral. On changerait tout le système du pays. Mais je ne crois pas que personne veuille faire ça.

M. PAUL: M. le Président, vos remarques, M. Meynaud, sur le système uninominal m'empêchent ou ne me justifient pas de vous poser une question sur ce propre système. Est-ce que vous croyez, M. Meynaud, que la redistribution de la carte électorale, telle que nous l'avons actuellement dans le Québec, peut créer des injustices politiques?

M. MEYNAUD: Je dois dire que c'est le sujet sur lequel je suis le moins bien préparé à parler. Ce n'est pas par manque de volonté ou de courage intellectuel, mais parce que c'est évidemment la question que je connais le moins bien. Mais il est évident que, lorsqu'une situation politique existe, lorsqu'un certain nombre de liaisons et de relations et de rapports se sont créés, il est parfois dangereux de les détruire d'un coup. Autrement dit, en politique, il est souvent préférable — ce n'est pas d'ailleurs mon tempérament personnel, je n'ai que plus de mérite à le dire — de témoigner d'une certaine patience, d'un certain esprit évolutif.

M. PAUL:L'imperfection est souvent encore mieux qu'une injustice par innovation.

M. MEYNAUD: II est certain qu'on taille dans le vif, si je puis dire, et on peut créer des situations irréversibles. Or, ce qui me frappe à l'heure actuelle dans le monde, ce sont justement certains attachements locaux, certains attachements régionaux qui sont infiniment plus forts que tout ce qu'on croyait, et c'est pour ça que tout à l'heure, en commençant, je faisais allusion à cela. Vous avez certainement vu dans les journaux ces batailles qui se déroulent en Italie auprès de deux villes régionales (Calabre). On a désigné une capitale régionale. L'autre ne veut rien céder. Il y a de véritables batailles. On peut dire que c'est l'esprit de clocher, les Italiens appellent ça du "campaniliomo", c'est très joli, mais ça correspond, si vous voulez, à l'idée que peut-être notre système actuel conduit vers un appauvrissement.

En Europe c'est très clair. L'Europe à l'heure actuelle est en train de se constituer autour du Rhin: le Rhin, ses affluents, la France du Nord et de l'Est, la Belgique, la Hollande, la Rhur. Tout le reste de l'Europe est en train de se dépeupler. D'ici 20 ou 30 ans si ça continue, toute la face de l'Atlantique va devenir quelque chose de désert. Est-ce que c'est une bonne chose? Est-ce qu'il faut accepter ça en disant: II n'y a rien à faire, poussons à la roue? Ou faut-il essayer de recréer une vie régionale? Il me semble qu'on risque de perdre toute une catégorie de richesse, d'originalité, si on concentre tout le Québec sur Montréal. C'est peut-être bon du point de vue économique. Je demande à discuter. On peut discuter. Mais est-ce que c'est la seule valeur qui compte? Est-ce que les Français ont intérêt à laisser tomber toute la région des Landes, toute la région de l'ouest de la France, pour aller peupler les environs du

Rhin? Evidemment, c'est plus efficace, il y a le charbon, le fer, les usines, les canaux, etc.

C'est ça la politique finalement. S'il s'agissait simplement — je n'ai pas à vous apprendre ça — de mettre des chiffres et d'aligner, ce serait facile. Mais la politique c'est essayer de tenir compte de ces valeurs et essayer de deviner où le monde va, non pas tellement pour courir après — ce qu'on fait à l'heure actuelle — ce qu'on appelle la prospective — mais essayer de se dire: Est-il sage d'aboutir à des pays qui vont absolument être des déserts si on les laisse faire? Et si on ne veut pas laisser faire, que faut-il faire?

C'est en ce sens qu'on peut peut-être commettre des injustices, en ne considérant pas qu'il y a peut-être des possibilités de revaloriser tout ça. Je crois qu'il faut tenir compte de toutes les richesses d'un pays et que nous sommes en train à l'heure actuelle d'en saccager un certain nombre sur tous les plans, parce qu'en définitive nous courons après l'évolution technique, nous n'avons jamais été capables de la maîtriser et elle est en train de nous dominer et de nous appauvrir, sans aucun doute. C'est peut-être une vue qui est très loin des systèmes électoraux, celle-là, mais je dois dire que tout ce qu'on dit est dominé par un certain nombre d'idées, bien sûr.

M. LE PRESIDENT: M. Joron.

M. JORON: J'ai deux questions à vous poser, M. Meynaud.

M. MEYNAUD: Bien volontiers.

M. JORON: La première porte sur le mode de scrutin. Vous avez dit il y a quelques instants qu'il vous apparaissait que ce que l'on recherchait ici, lorsqu'on discute de remanier notre système électoral, c'est d'y introduire une correction, correction à la disproportion qui peut exister entre le vote populaire d'une part et la répartition des sièges d'autre part.

Vous avez dit, d'autre part, qu'il vous apparaissait que nous étions, Québécois, quand même passablement traditionnalistes dans un sens, et que nous respections la tradition britannique qui n'attache pas beaucoup d'importance — et c'est vrai — à ce phénomène-là.

Cependant il est bon de se rappeler que 60 p. c. de la population, au moment où l'on se parle, au Québec a moins de 30 ans. Et je doute qu'elle participe à cette culture politique-là. Elle est peut-être en train d'en former une nouvelle, comme l'évoquait tout à l'heure M. Charron.

La soif de justice chez cette partie de la population est plus aiguë peut-être que chez les autres. Cette population m'apparaît ne plus accepter le système uninominal à un tour qui peut provoquer cette disproportion.

Quand vous parliez tout à l'heure de correction, je voudrais vous demander, à ce sujet comment on peut corriger cette inégalité sans adopter la proportionnelle d'une part. D'autre part, comme vous êtes Français — c'est une question que j'ai posée la semaine dernière à M. Bonenfant et lui s'était déclaré très sensible à cette question — ne voyez-vous pas un danger très grand qui menace même la légitimité de nos institutions parce qu'une bonne partie de la population, celle qui est en train de bâtir une culture politique, rejetterait finalement nos institutions si elles ne correspondaient pas à leur idéal ou à leur conception de la justice?

M. MEYNAUD: Je peux répondre pratiquement à toutes les questions que vous avez posées, mais la plus importante effectivement c'est que tout système électoral n'est pas une simple mécanique — si on la considère de cette façon on se trompe — et tend à un certain nombre de valeurs. Ces valeurs, on peut les choisir d'une manière ou d'une autre.

L'expert n'a pas voix au chapitre sur ce plan. On dit: Nous voulons que la valeur justice prédomine. Essayez de faire ça. Ou nous voulons, au contraire, que la valeur efficacité prédomine. Essayez de faire ça. A l'heure actuelle le phénomène des jeunes est un phénomène absolument mondial. Dans la mesure où les jeunes ont une pensée politique articulée — ce qui n'est pas toujours le cas — qu'est-ce qu'ils veulent exactement? A ce sujet, les enquêtes les plus diverses donnent souvent des résultats assez souvent contradictoires. Autrement dit, les gens qui parmi les jeunes rejettent le système, sont-ils récupérables par une simple modification du système électoral? C'est une autre histoire. Je veux dire que sur ces points il est difficile de parler en termes strictement précis. C'est un tout petit peu le choix d'une philosophie de la vie, de l'existence.

Si vous voulez corriger le système uninominal, je pense alors qu'il n'y a pas d'autres moyens que de faire appel à une certaine combinaison de distribution proportionnelle. Là, ce n'est pas la technique qui est en cause. Que l'on prenne un pourcentage de 30 p. c, 25 p. c. ou de 10 p. c. des députés pour compenser un écart, il n'y a pas d'autres moyens que de prendre le système uninominal et d'essayer de compenser. Ce qu'il faut voir c'est que cette compensation n'est pas quelque chose de simplement mécanique. Cela va entraîner des conséquences sur toute la vie politique et sociale.

Maintenant si les Anglais — c'est la question la plus intéressante — acceptent le système politique uninominal, c'est parce que ce système est censé recréer les conditions de son fonctionnement correct, c'est-à-dire qu'il est censé éliminer les partis qui gênent soit les troisième et quatrième partis. Il est censé au bout d'un certain temps ramener la vie politique vers deux partis. Il est certain, si vous prenez la politique anglaise, qu'elle a été extrêmement compliquée tant qu'il y avait le

parti conservateur, le parti libéral et le parti travailliste. Les Anglais ont été obligés de gouverner par des régimes de coalition et, entre les deux guerres, ils ont eu beaucoup de difficultés parce que ce n'était pas l'esprit du système. Et les libéraux ont disparu. On est revenu à cette espèce de balancier qui fait que je profite aujourd'hui du système et que tu en profiteras demain. Donc il n'y a pas de problème.

Autrement dit, le régime uninominal devient intolérable à partir du moment où il y a plusieurs partis mais ces partisans vous disent: Le but, en tout le cas le résultat du système uninominal c'est au bout d'un temps défini de ramener le système sur la voie des deux partis. Est-ce que justement nous allons vers une époque où les valeurs sont telles qu'elles ne peuvent plus s'enfermer dans deux partis? C'est une question tout à fait différente. Je peux raisonner ici en termes de mécanique électorale et, pour le reste, je peux tout simplement poser des problèmes. Si véritablement la situation est telle qu'il y ait place au Québec pour ce que nous appelons en France, je ne sais pas très bien pourquoi, les familles intellectuelles, politiques ou spirituelles irréductibles les unes aux autres et en plus grand nombre que deux, effectivement, à ce moment-là, le système uninominal est ressenti comme une injustice permanente. Si, en définitive, au bout d'une certaine période le système doit se simplifier, à ce moment-là la question est tout à fait différente. Je suis dans l'incapacité de répondre à ce problème; il dépend de l'évolution du corps électoral québécois. Ce n'est pas à moi à décider.

C'est là la question. La question est de savoir. Qu'il y ait eu dans le système anglais trois ou quatre partis, cela a existé. Aux Etats-Unis il y a eu aussi des partis dans le sud, il y a eu le parti du sénateur LaFollette. Finalement, aux Etats-Unis on est revenu à deux partis. Le Canada — j'entends le Canada fédéral — a trois partis. Les résultats y ont été que pendant longtemps, pendant plusieurs Législatures, il a fallu y créer des gouvernements minoritaires au niveau d'Ottawa, ce qui n'est pas conforme à l'esprit du régime parlementaire parce que là, il semble bien qu'il y ait une famille libérale, une famille conservatrice un peu clairsemée dans les Etats de l'Ouest et une autre famille socialiste ou socialisante. A ce moment-là, effectivement il y a des problèmes.

M. DUMONT: II y a quatre partis au fédéral. M. MEYNAUD: Oui. Excusez-moi.

M. JORON: M. le Président, si vous me permettez, je vais poser ma deuxième question à M. Meynaud.

Vous avez dit tout à l'heure que la réforme que nous entreprenons dépend d'une série de questions. Parmi celles-là, vous avez mentionné qu'il y a un choix à faire au départ quant au type de députés, à la définition de la fonction de député d'une part. Je me demande s'il n'y a pas aussi la question qu'il faudrait se poser quant aux partis politiques eux-mêmes puisque les partis sont évidemment les acteurs de la scène politique.

La qualité de leur vie interne influence peut-être, ou prédétermine en quelque sorte le choix des institutions que nous devons faire. Je remarquais que, dans la convocation de la réunion de ce matin, trois sujets étaient annoncés, dont le financement des partis. Je voulais vous demander dans quelle mesure les méthodes de financement des partis politiques sont-elles...

M. HARDY: M. le Président, nous n'avons pas fini le premier problème.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant!

M. HARDY: J'ai encore des questions à poser sur la première question.

M. JORON: M. le Président, je ne vois pas pourquoi je n'aurais pas le loisir de poser toutes les questions que je voudrai....

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'invoque le règlement.

M. JORON: M. le Président, je vous demande...

M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'invoque le règlement.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Un à la fois.

M. LE PRESIDENT: Un instant, s'il vous plaît! Si je comprends bien, nous avons, au tout début, demandé à M. Meynaud d'expliquer, sauf erreur, le premier point de son témoignage. Je n'ai pas entendu la question du député de Gouin. Est-ce que vous pourriez la poser? Je pourrai décider, à ce moment-là, si elle peut être traitée immédiatement ou non.

M. JORON: Je vous remercie, M. le Président. Je vais poser ma question. Vous statuerez de sa recevabilité par la suite. Je demandais à M. Meynaud dans quelle mesure les méthodes de financement des partis politiques sont un facteur qui influence la qualité même de notre vie politique et si, à son avis, à titre d'observateur de la vie politique québécoise, nos habitudes lui apparaissent correctes et comment elles se comparent avec ce qui se passe dans d'autres pays à ce sujet-là et s'il avait des suggestions précises à faire, quitte à...

UNE VOIX: C'est une question...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! Ecoutez, je suis prêt, je pense à...

UNE VOIX: Cela n'a pas été la question qu'il a posée...

M. LE PRESIDENT: Mais non, il ne l'avait pas posée cette question. Je lui ai permis de la poser actuellement. Il y a des députés qui ont demandé la parole pour poser des questions spécifiquement sur le premier point dont a traité le témoin. Il y a M. Hardy et M. Tremblay. En ce qui me concerne, je préférerais — je ne sais pas si c'est le voeu de la commission — que nous vidions le plus possible le premier point, quitte à demander après à M. Meynaud de nous entretenir du deuxième point ou du troisième. La commission décidera de l'ordre soit du financement des partis, et nous recommencerons le même processus du questionnaire des membres de la commission.

DES VOIX: D'accord! D'accord!

M. HARDY: M. le Président, contrairement à ce qu'a laissé entendre tantôt le député de Gouin d'une façon tout à fait injuste, je suis loin de vouloir écarter le problème du financement des partis.

M. JORON: Alors, je m'excuse! Tant mieux! Tant mieux!

M. HARDY: Je crois que c'est une question fondamentale. On s'est entendu au comité directeur pour traiter cette question et, quand le temps sera venu, nous la traiterons. Simplement, pour une question de méthodologie normale, je crois que la façon de procéder que nous avons adoptée jusqu'ici à chacune de nos séances, de traiter sujet par sujet, est la meilleure. Personnellement, j'ai encore au moins une couple de questions à poser sur le problème des modes de scrutin et, par la suite, si la commission en vient à vouloir entendre M. Meynaud sur le financement, je serai tout à fait heureux qu'on le fasse tout de suite.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, si mon collègue me le permet, je suis tout à fait d'accord avec lui. Nous avons — personne n'a à s'en surprendre — devant nous un témoin de très grande qualité. Je l'ai dit tout à l'heure, et j'y reviens. Il a abordé un problème au départ, et nous avions convenu de suivre la procédure que nous avions suivie jusqu'à présent. Le problème du financement des partis a été mis à l'ordre du jour de nos discussions. Il appartiendra au comité directeur d'établir l'échéancier, de fixer l'ordre du jour des séances qui suivront. Pour l'instant, quant à moi, je ne crois pas avoir encore épuisé les questions que je souhaitais poser à M. le professeur Meynaud. J'aimerais que l'on puisse approfondir les problèmes qu'il a évoqués sans pour autant négliger les autres qui préoccupent d'autres collègues.

M. le Président, j'ajoute, en terminant, cette observation que j'ai déjà faite; il n'y a pas péril en la demeure, il n'y a pas de précipitation et le sujet de la réforme électorale — c'est M. le professeur qui le disait encore tout à l'heure — est un sujet d'une telle importance que nous ne devons pas agir avec une hâte fébrile qui nous empêcherait de toucher le fond des problèmes et de voir toutes les issues, les différentes suggestions qui nous seront faites par les experts.

Partis de droite et de gauche

M. HARDY: M. le Président, je voulais poser à M. Meynaud la question suivante: A la lumière des études que j'ai pu faire du fonctionnement de la vie politique de certains partis, il m'est arrivé de me demander si les modes de scrutin favorisant le multipartisme n'auraient pas, à la longue, pour conséquence, de favoriser la droite au détriment de la gauche. Parce que, les partis de gauche, étant par définition plus idéologiques, ont tendance à se diviser. Evidemment, avec tout ce que ces termes peuvent avoir de plus ou moins relatif, les partis de gauche ou la gauche comme telle a tendance à se diviser beaucoup plus que la droite, parce qu'étant plus idéologique. Est-ce qu'un mode de scrutin favorisant la multiplicité des partis n'a pas, justement, pour conséquence de permettre à la droite qui, par nature, est plus unifiée, de former un bloc plus homogène et à la gauche, de son côté, se divisant, n'a pas pour conséquence de maintenir plus facilement la droite au pouvoir que la gauche? Est-ce qu'un mode de scrutin, quel qu'il soit, que ce soit proportionnel intégral ou proportionnel mitigé, n'a pas, à toutes fins pratiques, pour conséquence de favoriser le maintien au pouvoir d'un parti de droite au détriment d'un parti qui serait de gauche? Je me fonde, en particulier, sur l'expérience française.

M. MEYNAUD: Prenons un cas bien connu comme le cas, anglais. J'admets presque, en fait, qu'un régime proportionnel aurait divisé davantage le parti travailliste qui est idéologiquement très divisé. Il y a au moins un tiers des députés travaillistes qui vomissent le leader quel qu'il soit, qui sont d'une gauche beaucoup plus accentuée et, en sens inverse, il est possible que le parti conservateur qui est un parti hautement pragmatique, ait moins souffert de cette possibilité d'émiettement. Le cas italien est très curieux parce qu'effectivement la démocratie chrétienne est composée d'une série de factions qui se battent mais il y a quand même derrière le Pape les organisations catholiques et ils ont réussi à maintenir l'unité. Le parti communiste aussi, mais le parti socialiste qui est entre, s'est fragmenté, redivisé et c'est un fait que la proportionnelle n'a pas nécessairement facilité les partis de gauche encore qu'au départ, le système soit venu de ce secteur de l'opinion. Parce que la proportionnelle est très dangereuse pour un parti idéologique. Un parti fortement

idéologique est un parti qui, presque nécessairement, se redivise. Et tout système proportionnel qui offre à une fraction de ce parti possibilité d'obtenir sa représentation comporte une tentation de division. Et les partis qui ne se sont pas divisés sont les partis extrêmement calmes comme la Suède, la Suisse et quelques autres qui, eux, sont proportionnels mais qui ne se divisent pas parce qu'ils sont proportionnels mais parce qu'ils sont aussi très placides. Je pense qu'il y a là une question de tempérament politique qu'on ne peut pas ne pas poser.

Je crois que la proportionnelle est un risque de division parce que l'uninominal est très simple. C'est un arrêt de mort qu'on signe quand on divise le parti. Si les travaillistes se divisaient en Angleterre, ils se condamneraient à sortir du pouvoir pour 25 ans, ils le savent, alors, ils se supportent. Ils restent un bloc. A partir du moment où il y a une possibilité d'avoir un siège, ou deux, ou cinq sièges, à ce moment, on va sortir du parti pour faire un autre parti.

Je crois que vous avez mis l'accent sur quelque chose de très important parce que le système électoral agit sur le nombre et sur le style des partis.

Il est bien évident que ce n'est pas la même chose entre un parti qui a la possibilité de placer ses hommes comme il le veut et un parti où, au contraire, les députés ont une certaine autonomie par rapport au parti. Vous avez des cas, j'en connais, où il y avait même des tensions entre l'aile parlementaire du parti et la bureaucratie du parti. Avec un régime proportionnel, cela n'arrive pas parce que c'est la bureaucratie du parti qui, généralement, a le dernier mot. C'est tout cela. Ce sont un peu comme des boites de Pandore: quand on les ouvre, on trouve des tas de choses. Quant au fait que la proportionnelle est plus dangereuse pour les partis fortement motivés sur le plan idéologique que pour les partis plus pragmatiques, je crois qu'on peut tout de même se hasarder à faire une généralisation là-dessus.

M. HARDY: Je reprends le fil des questions ou des observations de mon collègue de Saint-Jacques. En écoutant ses questions ou ses observations, je me suis posé personnellement la question suivante! Est-ce que pour nous, législateurs, qui avons à adopter une nouvelle loi électorale ou possiblement un mode de scrutin, nous devons nous poser comme principale question ou donner comme principal objectif à cette réforme électorale, la vie politique ou la culture politique qui sera celle de demain? En d'autres termes, est-ce que les institutions politiques que nous devons adopter aujourd'hui doivent avoir pour effet de favoriser l'avènement de telle ou telle culture politique ou plutôt de donner la possibilité à la culture politique actuelle de s'exprimer? En d'autres termes, est-ce qu'un mode de scrutin ou une loi électorale doit favoriser telle orientation de la vie politique dans le futur ou doit-il plutôt essayer de permettre à la vie politique actuelle de s'exprimer le plus adéquatement possible?

M. MEYNAUD: J'ai consacré pas mal de temps et d'études à ce que j'appelle, à l'heure actuelle, l'étude de l'avenir. L'avenir est souvent devenu une espèce d'alibi: rien ne va pour le moment, mais pensons à l'avenir brillant, illuminé, ensoleillé, etc. J'avais même créé un mot pour désigner cette espèce de fuite en avant qui s'appelait "l'avenirisme" une espèce d'idéologie de l'avenir. Je veux dire qu'il faut aborder l'avenir avec la volonté de le modeler, de le façonner, d'aider à le créer. Nous avons un certain nombre d'idées et, tant que nous vivrons, c'est notre droit le plus absolu d'essayer de construire des institutions qui le revalorisent. Sinon, qu'est-ce que nous ferions, nous députés, je dirais nous, professeurs? Nous acceptons tout simplement une espèce de fatalité qui je le répète n'est pas claire. Je pense que l'un des grands avantages du métier de professeur, — il y en a d'autres d'ailleurs, — c'est justement d'être en contact constant avec des jeunes qui se renouvellent sans cesse. J'en ai déjà vu passer trente années. C'est un minimum. En un sens, cela donne tout de même une certaine tendance à ne pas trop s'encroûter. Par conséquent, je ne crois pas être insensible à ce que j'entends autour de moi sous la seule réserve que c'est souvent un peu plus complexe qu'on le croirait en écoutant un certain nombre de déclarations. Dans la mesure où ça nous paraît correspondre à une vue valable de l'avenir, il faut l'accepter. Je crois qu'il faut tenir mordicus à la notion d'une participation humaine contre les participations de type électronique que l'on nous propose — si nous voulons rester des hommes ou des robots en l'an 2000, dans la mesure où ces tendances d'une nouvelle culture nous paraissent bonnes, nous devons lutter pour elles, mais dans la mesure où nous ne sommes pas d'accord, rien ne nous empêche de le faire.

Je veux dire que la considération de ce qui peut se passer ne nous oblige pas à nous jeter à la remorque de ce qu'on dit qui va arriver. Si on prend pour exemple l'histoire, elle nous enseigne une certaine humilité. Imaginez l'homme le plus intelligent de la terre en 1914 et demandez-lui l'état du monde en 1925... H faut être prudent vous savez quand on veut dégager les grandes tendances de l'avenir.

Mais, je crois que, dans le système électoral que l'on construit, il faut tenir compte, premièrement du tempérament politique du peuple auquel on s'adresse. Les peuples ne sont pas interchangeables en politique, ils le sont peut-être en matière économique, on peut remplacer une usine par une autre usine, je persiste à penser que les cultures politiques ne sont pas remplaçables et ne sont pas superposables. Peut-être parce que j'ai vécu dans un grand nombre de pays, que j'ai enseigné dans plusieurs pays différents et que j'ai acquis une espèce de

notion de la relativité des choses. Il faut en même temps prendre en considération la culture, telle qu'elle existe, ce que l'on veut faire, les projets que l'on veut avoir — il est certain que dans un pays comme le Québec, il y a tellement de problèmes, vous les connaissez, peut-être que la solution n'est pas à rechercher comme on peut la rechercher dans un pays comme la Suède qui a tellement moins de problèmes.

Et troisièmement, il faut évidemment essayer de lire — c'est très difficile — l'avenir, ce que l'on appelle les causalités naissantes et à partir de là essayer d'intégrer dans ces institutions peut-être une partie de ces valeurs, mais si ces valeurs ne nous plaisent pas — et moi, je suis loin de tout rejeter, je suis loin de tout endosser — à ce moment-là, nous devons considérer qu'il n'y a pas de déterminisme en matière humaine et qu'il faut essayer de faire quelque chose. Pour moi c'est clair, que tout système politique qui se coupe du passé s'expose à errer absolument, je crois aux valeurs historiques, je pense que le présent est en nous et sur nous et que nous devons regarder l'avenir avec une vue critique, une vue sélective, avec l'idée de favoriser ce qui nous parait conforme à nos valeurs, d'engager la lutte et nous gagnerons ou ne gagnerons pas, peu importe.

C'est comme cela que j'ai toujours conçu le métier de professeur, M. Charron peut en témoigner, en laissant aux jeunes toutes les possibilités de dire: Je pense ceci, je veux ceci, et puis en disant: Très bien, ça oui, ça non, parce qu'il y a tout de même d'autres valeurs, d'autres expériences, voilà. Il me semble qu'un système électoral doit tenir compte de tout cela, mais de tout ce que nous avons dit. Le système électoral, c'est l'ensemble du système politique, c'est une porte sur l'ensemble du système politique.

Un choix que l'on fait au niveau électoral implique un choix que l'on fait, au niveau politique. A ce niveau on y pense toujours au niveau administratif, on n'y pense jamais. Un régime de gouvernement par coalition, c'est un régime de coalition administrative. On est extrêmement surpris d'entendre dans un pays, aussi calme et aussi paisible que la Suisse, des citoyens dire: Les PTT sont présidés par un socialiste, donc il y a un socialiste, il faut un vice-président catholique et un vice-président radical. Puis on se bagarre là-dessus. Et, en plus il en faut un allemand, un français, enfin toute une autre histoire. Ce sont les complications de la politique helvétique. Mais c'est possible dans un certain environnement, je vous laisse là encore le soin de savoir si cela donnerait aussi, compte tenu des besoins d'administration du Québec, le même résultat. Tout cela est à discuter. Je comprends parfaitement les motifs qui peuvent conduire à souhaiter des opérations correctives. Je ne suis pas du tout aveugle à ce genre de valeur, mais la seule chose que je demande, c'est que l'on ne considère pas le système électoral simplement comme une méca- nique dont on peut changer les rouages, un peu comme on change le moteur d'une voiture. Ce serait un peu comme une transplantation du coeur. Elles ne réussisent pas toujours les transplantations du coeur. Il y a des rejets. Effectivement, dans les pays européens on a souvent changé de système. On se rend compte que cela ne marche pas, alors on change; mais changer trop souvent, ce n'est pas non plus très sérieux.

Comportements politiques

M. HARDY: M. le professeur, tantôt le député de Gouin vous a fait part de cette renaissance de la culture politique québécoise, de ce renouveau. Evidemment, je pense que nous sommes tous d'accord pour reconnaître que non seulement ici au Québec, mais à l'échelle de l'univers, il y a une accélération dans beaucoup de choses.

Selon votre expérience qui découle de l'observation des comportements politiques dans différents pays et au Québec et malgré cette accélération et celle que nous pouvons constater ici au Québec, est-ce que cette accélération — puisque c'est le Québec qui nous intéresse présentement — est tellement intense qu'elle peut vouloir signifier que, d'ici quatre ans ou huit ans même, il y ait un espèce de renversement total ou presque total de nos habitudes politiques, de notre culture politique, de notre comportement politique? En d'autres termes, est-ce que l'électorat québécois de 1974 sera presque méconnaissable si on le compare à l'électorat de 1970 ou de 1966?

M. MEYNAUD: Si vous m'aviez posé la question pour l'an 2,000, j'aurais hésité. Un livre, qui m'a beaucoup amusé et qui a été publié aux Etats-Unis il y a quelques mois, dit: "L'électeur américain moyen est une bonne dame de 44 ans qui vit dans tel état de ceci ou de cela." Autrement dit, si vous ajoutez, par exemple, trois classes d'âge, soit le vote de 18 à 21 ans, en apparence c'est quelque chose de considérable, ces trois classes. Mais si vous rapportez ces trois classes aux 35 ou 40 classes que vous avez devant — et ce n'est un secret pour personne qu'on met assez de temps pour mourir à l'heure actuelle; enfin, on vit tout de même assez vieux — à ce moment-là, c'est un facteur qui est presque marginal et qui n'a pas changé grand-chose. Je veux dire qu'il n'y a pas en politique de bouleversement.

Le grand problème des révolutions, quand on en fait, c'est justement de faire coïncider la valeur de la révolution avec les comportements. En général, les comportements sont à évolution lente — c'est incontestable — peut-être parce que d'ailleurs les formes politiques évoluent elles-mêmes lentement. Là, nous retrouvons le problème des organisations de parti. Il est incontestable qu'au fur et à mesure que les gens arrivent à la vie politique. ils ne sont pas devant

une table rase. Alors, ils s'intègrent et le fait de les changer est lent.

Je vais vous donner un exemple qui vous fera bien comprendre ce que je dis là. Nous avons eu en 1945, en France, ce qui a été une petite révolution. On a supprimé le recrutement des fonctionnaires tel qu'il existait pour le remplacer par une Ecole nationale d'administration. Ils étaient recrutés aux concours selon des modes très divers. Dès le début, il y a eu dans l'administration française, un esprit de corps. Il y avait les anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration. La première année, il y en a eu une promotion, puis deux promotions, puis trois promotions. Comme ils ont commencé en 1945 et qu'on est en 1970, il y a 25 promotions et on peut dire qu'à beaucoup d'égards, l'esprit de l'administration française a changé et considérablement. Ce n'est plus le même type de fonctionnaires. Ils s'occupent de questions économiques. Ils ne méprisent pas certes les questions pratiques, bien au contraire. Mais cela a commencé à être très perceptible après une dizaine de promotions. On a commencé à en entendre parler. Ils étaient très ambitieux; ils avaient des dents assez longues. C'est très bien que les jeunes soient ambitieux — moi, je trouve ça parfait et cela nous oblige à tenir bon — mais maintenant, c'est fini. Maintenant, ils tiennent pratiquement toute l'administration. Je pense que, c'est un peu comme ça, les comportements politiques. Ce que nous appelons des révolutions, lorsqu'elles réussissent, elles ne font généralement que traduire des choses qui étaient déjà pratiquement acquises.

M. HARDY: Donc, il n'y aurait pas de mutation radicale dans le comportement des...

M. MEYNAUD: Une mutation en politique, je ne sais pas ce que c'est.

M. JORON: M. le Président, me permettez-vous de poser une petite question qui s'ajoute à celle de M. Hardy?

M. HARDY: Justement, j'ai terminé.

M. LE PRESIDENT: Peut-être que le député de Chicoutimi permettrait à M. Joron de poser sa sous-question?

M. HARDY: Je ne voudrais pas préjudicier aux droits du député de Chicoutimi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je veux bien que...

M. JORON: Mon sort est entre vos mains.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... le député de Gouin pose cette question.

M. JORON: Merci. Elle est brève cette évolution, que vous qualifiez quand même assez lente, est-ce qu'elle ne s'est pas produite quand même d'une façon assez rapide au Québec au niveau de valeurs comme par exemple, la chute de la pratique religieuse? Est-ce que l'idéal de justice, par exemple, que l'on retrouvait dans la pratique religieuse ne s'est pas très rapidement transposé à des idéaux — j'allais dire humains — mais enfin terrestres?

Il y a un changement de valeurs très rapide qui est en train de se faire au Québec. Est-ce que l'évocation que je faisais tout à l'heure de la soif de justice ne découlerait pas de ce fait-là?

M. MEYNAUD: C'est une question passionnante et, si je me laissais parler, nous serions encore là à trois ou quatre heures. On peut se demander dans quelle mesure les actes correspondant à certaines attitudes de la pratique religieuse diminuent, parfois disparaissent, en laissant subsister l'attitude elle-même.

Prenez la ville de Genève. C'est une ville, qui le dirait où il y a à l'heure actuelle probablement plus de catholiques que de protestants. Pourtant c'est une ville protestante jusqu'au bout des ongles et ce le sera pendant très longtemps. Si bien que certains ont pensé que les attitudes politiques étaient liées à des attitudes religieuses anciennes et qu'une population catholique, qui perdait le catholicisme, essayait de rechercher dans d'autres organisations les valeurs qu'elle avait laissées. Cela correspondrait à un certain besoin.

Autrement dit, on reste marqué par la pratique religieuse ancienne en recherchant des attitudes politiques nouvelles, alors que les protestants ont d'autres types d'attitudes. Effectivement ici, vous êtes un cas passionnant, parce qu'il y a eu plusieurs traditions qui se sont superposées: la tradition catholique et aussi la tradition des institutions politiques britanniques. Je crois que c'est un peu ce qui donne une certaine physionomie au problème que nous discutons ici. Ce sont justement deux traditions fondamentales.

Le problème que nous pouvons nous poser: Est-ce que cette évolution est rapide?

M. GIASSON: Est-ce qu'on peut déduire que le jansénisme proverbial, religieux, que nous avions au Québec, se transpose en jansénisme politique?

M. MEYNAUD: C'est une hypothèse que certains feraient sans aucun doute, en disant que cela peut conduire à rechercher des partis plus structurés, ayant des valeurs plus clairement définies. C'est une hypothèse qu'a formulée Duverger. C'est la grande coquetterie universitaire, la grande question qu'on discute. Je pense qu'il y a quand même quelque chose de profond, qui va très loin et qui montre bien à quel point il faut être prudent lorsqu'on essaie d'apprécier les institutions qui correspondent le mieux à la mentalité d'un peuple.

Il est certain que le fait de se détacher de

l'Eglise peut laisser subsister certaines attitudes. L'attitude est partie, mais les conséquences de l'attitude restent. Tout cela peut, au niveau de la politique, exercer une influence quitte à engendrer peut-être une politique plus heurtée. Au fond de toutes les guerres qu'on a connues dans le monde, les pires ont été les guerres de religion. Lors des guerres du XVIe siècle en Europe, on s'est étripé avec une joie extraordinaire, à un point qui vous effraie. Même après avoir entendu parler des camps de concentration, etc., on reste étonné de la sauvagerie des combats religieux. Des peuples, qui ont été marqués par cela, ont des comportements qui vont durer très longtemps, alors que des peuples qui n'ont pas connu cela ont, au contraire, des vies politiques plus calmes.

Je ne veux pas faire une liaison de cause à effet entre attitude religieuse et attitude politique, ce serait irresponsable de ma part. Mais que tout cela joue illustre bien le fait que tout se tient en politique malheureusement ou heureusement.

M. GIASSON: Cela semble évident. On semble vouloir apporter la même ferveur à suivre les pancartes, que celle que l'on mettait à suivre les bannières autrefois.

M. MEYNAUD: Moi, étant natif du vieux pays de France, je ne suis pas étonné. Je me trouve tout à fait à mon aise en pays québécois. Cela en est une démonstration aujourd'hui.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, tout à l'heure nous parlions du pourcentage de 60 p. c. de jeunes qui auraient des attitudes politiques, sociales différentes. Il me parait évidemment y avoir là un postulat parce que, parmi ces jeunes dont on évalue le pourcentage à 60 p. c, il y a évidemment des gens qui ont une pensée très cohérente, des idéologies bien définies, assez articulées, mais il y a aussi une grande part d'émotivité dans le comportement de ces jeunes. C'est un facteur qu'il est important pour les hommes politiques de retenir; il reste qu'il y a un aspect du problème qu'il ne faut pas oublier.

Ce pourcentage de jeunes, de tous ces jeunes dont on évalue le pourcentage à 60 p. c, se distribue quand même assez également dans les partis politiques. Il ne faudrait pas non plus mettre de côté une réalité. Il y a le problème de la qualité des représentants politiques. Quel que soit le parti politique dont ils sont membres, ces hommes peuvent être très sensibles à tous les mouvements de pensée qui actuellement se manifestent ou se dessinent dans la société québécoise ou dans d'autres sociétés. Lorsqu'on parle de culture politique, remarquez que je n'aime pas le mot "culture" appliqué à la politique pour des raisons que vous comprendrez. Ayant été ministre des Affaires culturelles, mes notions ne sont pas tout à fait les mêmes! Je parlerais plutôt "d'habitudes politi- ques" rattachant cela à un problème beaucoup plus général, le problème des civilisations qu'il ne faut pas confondre avec celui de la culture spécifiquement définie.

Je voulais vous demander ceci, M. le Professeur: Lorsqu'on parle de changer le système électoral, il y a quand même un certain nombre de critères qui me paraissent importants et qu'il faudrait définir, particulièrement dans le cas du mode de scrutin. Deux témoins, qui ont comparu devant nous, nous ont parlé des critères. Vous en avez esquissé quelque-uns, notamment tout à l'heure celui que vous appeliez "l'unité naturelle". Compte tenu du système qui a été le nôtre jusqu'à présent — le système uninominal à un tour — compte tenu d'autre part de certaines exigences de représentativité des parlementaires, quels seraient, selon vous, les critères les plus importants que nous devrions retenir? Il nous faudra, nous, de façon très pratique, nous atteler à la tâche d'inventer ce nouveau mode de scrutin. Quelles seraient donc, M. le professeur Meynaud, les critères que nous devrions retenir et qui devraient servir de base, tout au moins d'orientation, pour la démarche que nous avons entreprise?

M. MEYNAUD: Je tiens tout d'abord à m'excuser pour l'emploi de l'expression "culture politique". C'est au fond une conception de l'anthropologie américaine. En français, on dirait plutôt "civilisation". Nous sommes contaminés par cette sacrée anthropologie américaine qui nous a appris à employer le mot "culture": ce qui crée toutes sortes de quiproquos parce qu'une culture n'est pas nécessairement une civilisation. Au fond, le vieux sens français de l'homme cultivé, c'est tout à fait différent.

Quant à la question, je dois dire très honnêtement — je me suis prêté avec beaucoup de plaisir à toutes les questions qu'on m'a posées c'est pour moi tout un honneur qu'on me les ait posées — que j'avais un peu préparé autre chose. Je m'étais préparé à parler sur les sondages. J'avais lu tout ce qu'on avait écrit là-dessus. Je m'étais préparé à parler sur les finances. Je suis mis à contribution sur des problèmes pour lesquels je n'ai pas fait un effort de réflexion préalable. Ce que je dis est nécessairement un peu improvisé. L'idée la plus élevée qui m'animerait serait de ne pas tomber dans ce que j'appelle le piège de l'uniformité qui serait de considérer que la richesse d'un pays, sur tous les plans, est faite de diversités, d'hétérogénéités par conséquent. Les hommes sont intéressants parce qu'ils sont différents. Les régions sont intéressantes parce qu'elles sont différentes; les pays sont intéressants parce qu'ils sont différents. C'est une des grandes hésitations que j'ai eue quand on a parlé de faire l'Europe. C'était tout de même la volonté de ne pas me retrouver un jour Prussien ou Napolitain — je n'ai absolument rien contre les Napolitains, mais à Naples — et de faire une Europe qui soit tout de même un pays unifié, un pays économiquement

valable où les chemins de fer circulent, où les marchandises circulent et qui ne perdent rien de cette extraordinaire richesse culturelle.

Nous avons nous, en France, perdu beaucoup de choses. Peu de gens savent que, par exemple, au milieu du XIXe siècle, on parlait en France quatre ou cinq langues et que le français n'était que l'une d'entre elles. Nous avons perdu toute une littérature d'oc, d'immenses richesses. Mes enfants ne savent pas lire Mistral, par exemple, ce qui est un drame. Et, si nous voulions recommencer cela en Europe, nous vous appauvririons absolument. Il faut d'autant moins le faire que, dans le pays où on a eu tendance à prêcher le rouleau compresseur, le "melting pot" les Etats-Unis — aujourd'hui, on y voit de nouveau un surgissement des groupes particuliers.

Je trouve que c'est une richesse, dans la mesure où ces groupes particuliers ne s'empêchent pas de s'uniformiser en ce qui doit l'être. Il faut que les trains circulent, que les avions circulent, que les unités de mesure soient les mêmes. Il y a toute une partie de l'économie qu'il faut uniformiser. Mais je plaiderais pour une diversité de civilisation et c'est dans cet esprit que, je pense, si vous voulez prendre de très haut la question d'une carte ce serait de considérer certaines régions, certaines parties du pays comme comportant en elles-mêmes quelque chose de valable, peut-être d'irremplaçable, mais en tout cas qui ne reviendra plus lorsqu'on l'aura détruit.

Par conséquent, ce seraient des critères peut-être flous pour le moment, mais on pourrait les "opérationnaliser". Tel que je les formule, et sans avoir préparé d'exposé, je ne peux donner que des vues générales. Il y a une espèce de chemin à suivre entre deux exigences: l'une étant tout de même l'exigence de la démocratie au sens habituel du mot — un homme égale un homme— et l'autre étant l'exigence de préserver certains types de cultures. Je ne suis pas scandalisé que le Luxembourg soit l'un des six pays de la communauté économique européenne. Avec ses 300,000 habitants, c'est un petit pays extrêmement charmant et intéressant qui a une tradition qui existe. Je ne vois pas pourquoi on le détruirait pour en faire un département français ou allemand. Peut-être que si nous étions civilisés, en Europe — nous arriverons peut-être un jour à l'être, ce n'est pas impossible — au lieu d'avoir six pays dans la communauté économique urbaine, nous aurions cinquante provinces. Nous aurions une Toscane, une Bretagne, une Wallonie.

C'est du moins ce que certains essaient de faire. Si ça devait arriver, je dis toujours: Ne sacrifions pas l'Atlantique, parce qu'on fera un jour une province Atlantique. Il me semble que ce pays-ci est assez grand, assez divers, assez varié pour prendre ces idées en considération, même si elles paraissent littéraires. Une des tendances de la nouvelle culture, dans ce qu'elle a de valable, c'est de se refuser à l'uniformité, c'est de se refuser à considérer qu'un homme est remplaçable par un autre, c'est aussi quelque chose qui doit être absolument sauvegardé.

C'est certainement un des points sur lesquels je me sens le plus en valeur. Effectivement, tout cela comme tous les préceptes généraux, est susceptible d'applications diverses. Je ne suis pas aveugle, bien entendu, mais je crois que ce sont des choses qu'il faut prendre en considération. Les chiffres sont importants, l'efficacité est importante; nous sommes aussi des hommes et nous avons d'autres valeurs à sauvegarder. Alors, considérons ces unités, considérons ce qu'elles ont de particulier et de différent.

Au fond, le mot "ethnie" qu'est-ce que ça veut dire? Le mot "ethnie", c'est un petit peut le mot allemand de "Volk". Il y a des peuples, il y a de petits peuples qui sont extrêmement intéressants, qui ont des traditions culturelles, linguistiques. Il me semble qu'on doit faire un effort dans une civilisation qui a tellement d'uniformisation. On doit faire un effort pour essayer de garder cela, c'est peut-être une richesse future.

Nous sommes allés, en France, beaucoup trop loin dans le domaine de la centralisation. Maintenant qu'on essaie de faire revivre la province, le ministère des Affaires culturelles essaie de le faire avec des moyens réduits. On se rend compte qu'il y a tellement de richesses qui sont disparues. Toutes les fois qu'un peuple meurt, une richesse disparaît dans certaines régions.

Est-ce que justement il ne faut pas dire: Le système politique doit aussi tenir compte de la culture? La politique à l'heure actuelle, c'est l'économie et la culture, je m'excuse, et la civilisation.

Le fédéralisme

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, tout à l'heure, vous parliez du problème américain et de cette résurgence des particularismes qui font justement renaître ces formes de culture. Il me paraît que vous avez dans l'esprit, si on parle des critères que nousdevrions retenir, que nous devrions certainement retenir ce critère, appelons-le, socio-culturel, ce critère ethnique. Il y a, d'autre part, les critères géographiques auxquels se rattachent naturellement le problème des critères régionaux.

Il y a aussi le problème des critères numériques — ce problème de la démographie — dont il faut tenir compte dans la confection d'une carte électorale et l'invention d'un mode de scrutin.

Selon vous, quel est le critère qui vous paraît le plus important, celui que nous devrions davantage étudier afin de sauvegarder certaines valeurs? Je pense, par exemple, au critère culturel, ethnique, au critère socio-culturel. Cela m'incite à faire une autre réflexion que vous pourrez commenter, naturellement. On a ici un problème qui est celui du fédéralisme et

le problème du Québec qui représente quand même quelque chose, sur le plan socio-culturel, de très différent. Nous avons une identité, une personnalité. Certains prétendent que la sauvegarde du fédéralisme serait peut-être le meilleur moyen de préserver cette identité socio-culturel qui est la nôtre et d'éviter l'assimilation dans un "melting pot" du type étatsunien, pour ne pas prendre le mot "Amérique" parce que je suis quand même Nord-Américain. Est-ce qu'il vous paraît que le critère ethnique ou socio-culturel serait un des premiers que nous devrions retenir?

M. MEYNAUD: Je crois que la richesse ethno-culturelle est certainement un des grands actifs de l'homme. On peut toujours essayer de reconstituer une usine mais lorsqu'une population, lorsqu'une langue, lorsque des coutumes disparaissent, c'est terminé. On a fait le compte, en Europe, d'un certain nombre de langues qui sont pratiquement perdues, qui ne sont plus parlées par personne. Par conséquent, c'est toute une littérature qui n'est plus accessible. Il y a toute une série de richesses qu'on a sacrifiées dans le feu de l'industrialisation. Maintenant qu'on est industrialisé, maintenant qu'on a gagné le pain, on voudrait revenir aux roses mais les roses ne poussent plus. C'est pour cela que, tout en étant très sensible aux arguments d'uniformisation indispensable dans certains domaines, je pense qu'il faut garder certaines valeurs.

J'ai eu la chance de vivre pendant dix ans en Suisse romande. La Suisse romande, c'est 1,000,000 personnes, quatre universités, une vie culturelle extraordinaire. Il n'y a pas une tranche française de 1,000,000 personnes qui puisse équivaloir à la Suisse romande. La France, ce n'est certainement pas cinquante fois la Suisse romande ni du point de vue culturel, musical ou scientifique. C'est effectivement, dans le caractère suisse, un acquis du fédéralisme mais selon le fédéralisme helvétique qui est une formule propre. Le fédéralisme suisse ce n'est pas n'importe quel fédéralisme.

Je crois qu'effectivement le fédéralisme est une technique. Ce n'est pas uniquement l'Etat fédéral. Le fédéralisme est une technique qui peut s'appliquer aux communes, aux régions. Je voudrais dire que la défense de ses idées, de ses points de vue n'est pas du tout quelque chose qui est un obstacle, qui est contraire aux techniques et aux habitudes actuelles. C'est, je crois, l'un des aspects les plus valables de notre civilisation actuelle que de vouloir rester différents et jouir de cette différence. Que serait le monde si nous étions tous pareils? Ce serait abominable.

Nous nous intéressons, nous sommes susceptibles de nous intéresser que parce que nous sommes différents. C'est passionnant que nous soyons différents. Il faut essayer de sauvegarder cela. Je dirais que c'est une des tâches de la politique à l'heure actuelle.

Il y a aussi des tâches comme lutter contre le chômage, faire des plans économiques et faire des investissements, mais c'est tellement évident que je n'ai pas besoin de le dire. Si je mets en avant des phénomènes de civilisation au titre de la politique, c'est parce que généralement on les ignore et que les ministères des Affaires culturelles, — c'est le cas dans beaucoup de pays — sont considérés comme des hommages que l'on rend à une certaine mode, à certains goûts du jour, mais que l'on ne dote pas des moyens qui sont indispensables pour vraiment agir en profondeur. H y a là toute une piste qui permettrait peut-être de réconcilier ces reproches que nous font les jeunes.

J'ai écouté, M. le député; ce que vous disiez tout à l'heure avec beaucoup d'attention parce que effectivement il y a, sans doute, chez les jeunes, à l'heure actuelle, toutes sortes de nuances. Il y a chez les jeunes — on le voit d'après plusieurs enquêtes américaines — toute une partie qui accepte ce qui se passe, mais il est possible que l'élément neuf soit le plus intéressant, ce sont les minorités. Les jeunes qui ont des idées définies se rendent compte qu'ils sont une minorité et souvent, d'ailleurs, désespèrent des autres jeunes qui ne les suivent pas. De tout ce qu'il y a, de tout ce que je retiens, des reproches qu'on nous fait, c'est justement d'avoir sacrifié tellement de valeurs à un pur souci d'efficacité, de rendement, de technique. Je leur dis: C'est vrai, mais nous ne pouvions pas faire autrement parce que nous étions une civilisation de pauvreté, une civilisation de misère, ce qui est d'ailleurs le fait des huit dixièmes du monde. Effectivement, avant de parler aux gens de cultiver des roses ou de faire de la poésie, il faut leur donner à manger. Nous avons atteint le moment où, avec un certain nombre de réformes et d'intelligence, un certain nombre de mesures, nous pouvons, au moins, dans nos pays, dire que tout le monde aura à manger. Ce que nous n'avons pas encore trouvé c'est de profiter de tout ce que nous avons pour orienter la culture.

Nous allons vers la semaine de quatre jours, vers la semaine de trente heures. Qu'est-ce que les gens vont faire? Qu'est-ce que nous leur offrons? C'est à ce moment-là que la diversité des cultures, des traditions, des langues régionales, des littératures, devrait être mise en balance contre les téléromans ou autres variétés de ce type. C'est pour cela que nos départements de science politique — c'est une cause que je plaide avec, je dois dire, un succès relatif — devraient maintenant s'orienter vers l'étude approfondie de la culture.

Je m'excuse. Tout cela est, évidemment, un peu loin des systèmes électoraux, mais je me suis laissé entraîner parce que vous m'avez posé toutes ces questions.

Aspect culturel M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le profes-

seur, c'est fort intéressant tout ce que vous dites là. Je voudrais bien poursuivre, mais j'ai une question plus pratique à poser. Justement ce problème de la survie des cultures, je le rattache au problème de la régionalisation et de cette représentation de ce qu'on appelle ici les groupes urbains et les groupes ruraux. Il y a dans le Québec des régions économiques mais ces régions économiques coincident avec des réalités qui sont justement d'ordre culturel. Si je plaide, à certains moments, sans en faire un objectif majeur de mes exigences, si je plaide la question de la représentation dite rurale — appelons-la comme cela à défaut d'un autre terme — c'est que je vois qu'il y a, dans le Québec ou dans différentes régions du Québec, des cultures, des particularismes culturels qu'il faut sauvegarder.

Les gens, qui vivent dans ces régions, veulent évidemment être représentés, non seulement pour des raisons administratives d'efficacité, des raisons économiques, mais ils veulent aussi que soient conservées, dans leur région, ces richesses qui sont quand même l'apport des générations qui nous ont précédés. C'est pour cela que j'insistais tout à l'heure en vous demandant de me dire si, selon vous, ce critère socio-culturel n'était pas un des plus importants.

M. MEYNAUD: Je pense que là où on l'a négligé, maintenant on ne peut plus revenir en arrière, c'est un fait. A certains égards, la différence qu'il y a entre des pays comme l'Italie et l'Allemagne, c'est que l'on a conservé davantage et pour des raisons diverses, d'ailleurs politiques et historiques, des cultures régionales alors que nous avons, en France, tout sacrifié à une culture nationale. On sent aujourd'hui un certain appauvrissement, parce que je suis convaincu que c'est une des directions de l'avenir. Je crois que la direction de l'avenir, c'est l'uniformisation économique et la diversité culturelle, c'est comme cela que je vois la situation. C'est très difficile, c'est un défi incontestable, parce qu'il y a dans l'uniformisation économique des exigences et des prérequis qui rendent difficile la différence des cultures.

Mais à quoi cela nous servirait d'aligner des chiffres d'un revenu national, si nous n'étions pas capables de préserver toute une série d'éléments extrêmement valables et qui nous rendent intéressants les uns aux autres? Je veux dire que, contrairement à ce que tout le monde raconte, je ne crois pas du tout — et là vous me faites éloigner de mon sujet — que le XXIe siècle soit le siècle de l'uniformité. Je ne pense pas qu'au XXIe siècle tout le monde parlera anglais dans le monde entier, je suis même convaincu du contraire. Je suis convaincu que nous marchons vers une pluralité d'univers linguistique. Je suis persuadé que l'Amérique latine en sera une, que la Russie en sera une autre, que la Chine en sera une autre. L'idée d'une humanité dominée par l'anglais, où on ne parlerait que l'anglais, est une vue déjà dépas- sée, qui est ancienne. Dans ce monde, une culture comme la nôtre, une culture française a sa place et doit être défendue. Je veux dire que tout ce que nous disons là n'a de valeur que si ça débouche sur des réalisations pratiques. Ayant constaté qu'une évolution se produit, nous la jugeons fausse et nous essayons de lutter. Nous trouverons, je pense, toujours les jeunes pour nous aider sur ce terrain de la diversité culturelle. C'est un de nos terrains d'entente, sans aucun doute.

M. LE PRESIDENT: M. Fraser

Droit de vote des jeunes

M. FRASER: J'ai aimé votre exposé jusqu'à ce moment, mais je change un peu le sujet. On a donné le droit de vote ici aux jeunes de 18 ans. Est-ce que vous pensez que cela a aidé à créer un climat d'incertitude? Les jeunes sont toujours révolutionnaires et ils n'ont en rien contribué, à 18 ans, à l'économie du pays et ils ont une voix dans le contrôle de l'économie. Quelles sont vos opinions? Le vote à 18 ou à 20, 21 ou 25 ans. Quel serait l'âge idéal pour avoir le droit de vote?

M. MEYNAUD: On peut dire qu'il y a une tendance aujourd'hui à intégrer des gens plus jeunes et je pense, que tout compte fait, c'est une tendance à encourager.

Je ne crois pas que cela ait produit beaucoup d'éléments différents du point de vue politique. C'est un peu, si vous voulez : A quel âge doivent se marier les gens avec l'autorisation des parents? Quand j'apprenais le droit civil, le code civil qui est aussi, je le pense, le vôtre, il fallait obtenir encore jusqu'à 25 ans l'autorisation des parents. Puis, on a abaissé la limite. Je crois qu'effectivement, le vote à 18 ans correspond parfaitement à l'état de nos moeurs et il y a tout de même à 18 ans pas mal de jeunes qui sont dans les lieux du travail et la préparation aux métiers que constitue la carrière d'étudiant doit tout de même être prise en considération. Est-ce qu'il faudrait abaisser cela? C'est une autre histoire. Est-ce qu'il faudrait aller jusqu'à quinze ou seize ans? Je dois dire que, pour le moment, je formulerais un certain nombre de réserves, mais pour la formule de 18 ans, elle me parait ne pas avoir apporté beaucoup de changements. Ce n'est pas mauvais d'associer les jeunes aux responsabilités, je crois.

M. FRASER: C'est seulement en 1947 ou 1948 qu'on a donné le droit de vote aux femmes.

M. MEYNAUD: Ah oui! Et on vient juste de le donner en Suisse, la semaine dernière.

M. LE PRESIDENT: M. Picard, s'il vous plait.

Changement de députés

M. PICARD: Professeur Meynaud, dans le système de la proportionnelle selon lequel on prévoit le choix de certains députés à partir de listes préparées par les partis, est-ce que vous ne craignez pas qu'à ce moment-là on crée ce qu'on pourrait appeler des députés professionnels, parce que, par exemple, vous auriez certains individus, certaines vedettes dans des partis qui verraient toujours leur nom en tête de la liste et qui, automatiquement, peu importe le chambardement qui se ferait lors d'une élection, seraient toujours en Chambre? Cela deviendrait à ce moment-là ce qu'on pourrait appeler des députés professionnels et ça irait, à mon avis, à l'encontre justement de l'opinion émise par le député de Saint-Jacques que je partage. Il me semble, pour l'administration d'un pays, qu'il y aurait avantage à avoir périodiquement des changements majeurs dans la députation, qu'il y aurait avantage, à un moment donné, à changer un peu la mentalité qui peut exister dans une Assemblée nationale.

M. MEYNAUD: Une assemblée française, il y a très longtemps, aurait donné suite à vos voeux, puisqu'elle avait décidé dans un grand mouvement d'émotion qu'aucun de ses députés ne pourrait revenir. C'est la seule fois qu'on a vu cela dans l'histoire: une assemblée décidant que — c'était sous la révolution française — l'on renouvellerait constamment à chaque fois.

Je pense qu'un des reproches qu'on peut faire à certaines formules de proportionnelle, c'est de figer la représentation du fait. Sous la proportionnelle, les choses sont très stables. Les partis peuvent changer les listes; quelqu'un qui a déplu, on va le réintégrer au quatrième rang, il sera battu. Cela donne effectivement des assemblées qui sont parfois âgées. On a constaté par exemple dans un cas qui est bien connu, celui de la Suède, que les ministres et les députés étaient très âgés. Le premier ministre était là pour une trentaine d'années. H y a eu aussi, au Québec, des précédents illustres de gens qui sont restés premiers ministres très longtemps.

Par contre, je crois que, si l'on veut constamment changer le député, on risque de tomber dans un excès inverse, qui est celui de valoriser les administrateurs d'en face. Il est inconstestable que beaucoup d'administrateurs, de hauts fonctionnaires ont une certaine tendance à considérer un peu le député comme un chien dans un jeu de quilles. C'est l'homme qui est curieux — il ne l'est pas d'ailleurs toujours assez, il n'a pas toujours les moyens de l'être assez — c'est une question qu'il faudrait discuter. Comment valoriser la possibilité d'accès du parlementaire à l'information administrative? Le vraie, pas celle qu'on communique sous forme de bulletin !

Si effectivement nous changeons trop souvent nos députés, ils seront constamment ce qu'on appelle — la couleur est utilisée ici autrement — en France des "bleus". Ce sont ceux qui entrent au régiment la première année. Ce sont des bleus vis-à-vis des caporaux. Et la seconde année, ils sont caporaux, ils ont affaire à des bleus.

M. PICARD: Ici, nous les appelions des "green", des verts.

M. MEYNAUD: Dans ce cas-là, vous irez un tout petit peu à l'encontre de votre idée, qui est tout de même d'avoir un député valable. Je pense que là encore il faut un renouvellement, mais qui n'est pas un renouvellement aussi sauvage et aussi dramatique. Parce que si tout d'un coup vous avez 80 p. c. de gens nouveaux dans une Chambre, c'est très bien à certains égards, mais vis-à-vis de l'administration, du contrôle de l'administration — et je reste persuadé que le contrôle de l'administration est important — vous risquez d'avoir de ce côté des faiblesses. De ce point de vue, le régime anglais renouvelle davantage que la proportionnelle qui tend à une certaine sclérose.

Vous voyez presque toujours les mêmes hommes, du moins dans les pays que je connais bien, comme en Italie, c'est pratiquement les mêmes bonshommes que je vois depuis 25 ou 30 ans. Dans les Chambres anglaises on voit apparaître un peu plus de figures neuves. Donc, un avantage au point de vue du renouvellement lequel ne doit pas, à mon avis, être total. En voyant dans une assemblée à chaque session 20 p. c. ou 30 p. c. de figures nouvelles, le système majoritaire de type britannique vous permet de réaliser ça beaucoup mieux que le système de la proportionnelle qui tend à renvoyer un tout petit peu les mêmes figures, parce que les partis sont très conservateurs dans le choix de leurs hommes, c'est vrai.

Remarquez que, lorsque les partis changent leurs hommes sur l'ordre des listes, ce n'est pas toujours parce que les hommes ont failli. C'est, au contraire, souvent parce qu'ils ont pris des positions qui ont déplu à la direction du parti, c'est parce qu'ils ont pris des positions courageuses, propres qu'ils sont pénalisés. C'est donc une pénalisation.

M. PICARD: C'est justement ce point que je trouve antidémocratique. A ce moment-là, ce n'est pas la population qui décide, c'est le parti qui décide.

M. LE PRESIDENT: M. Charron. Authenticité régionale

M. CHARRON: M. Meynaud, je me suis inscrit à la question pendant que vous répondiez aux questions du député de Chicoutimi. Je voudrais revenir un peu là-dessus. Vous évoquez ici un terme qui vous est très familier et sur lequel je vous rejoins énormément aussi, sur la préservation des caractères humains des diffé-

rentes sociétés, des groupes ethniques, des phénomènes aussi importants que l'uniformité technique et technologique. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je suis indépendantiste.

Quand vous parlez du maintien des caractères régionaux, de l'authenticité du caractère des différents groupes de la Gaspésie, de l'Abitibi, etc., est-ce que dans votre esprit c'était plus dans l'évocation de l'administration gouvernementale que dans la représentation strictement politique puisque nous parlons de carte électorale et de modes de scrutin? En quoi, selon vous, la vitalité de l'authenticité d'une région différente d'une autre est-elle liée au fait que ce groupe soit représenté par un, deux ou trois députés élus selon le scrutin uninominal à un tour ou selon la proportionnelle? Ne sont-ce pas plutôt des mesures gouvernementales qui vont respecter l'authenticité, c'est-à-dire du ministère des Affaires culturelles, comme vous le mentionnez, ou du ministère de l'Industrie et du Commerce? Première question, jusqu'à quel point ce fait nécessaire de préserver l'authenticité des régions est allié aux modes de représentation à l'Assemblée nationale? Dans l'hypothèse, où vous nous diriez oui, est-ce que le correctif proposé au mode de scrutin uninominal à un tour vient empêcher ce caractère de se faire?

Est-ce que, dans le scrutin uninominal à un tour, l'authenticité est préservée? Et si on y faisait un correctif proportionnel, est-ce que l'authenticité de ce caractère humain des différentes régions du Québec est encore préservée?

M. MEYNAUD: Sur le premir cas, vous avez donné de très bons exemples. Je pense que c'est une question de mise en valeur administrative. Je pense que c'est un problème d'implantation, d'organisation culturelle, et tout, et tout, parce que tout cela se tient. Je pense que c'est aussi un problème de création de réseaux régionaux de télévision. Nous allons vers des bouleversements techniques qui vont permettre à des éléments absolument considérables de se manifester. Il est possible que la télévision par câble permette de redonner toute une vie à des talents locaux, à des ressources locales. La technique crée très souvent son contraire. La technique uniformise. Elle crée en même temps la possibilité de ne pas uniformiser. Une représentation politique me paraft nécessaire pour coiffer le tout. Effectivement, les finances publiques sont toujours insuffisantes, que les dotations budgétaires sont toujours âprement disputées. Elles sont disputées sur les plans professionnels, sur les plans régionaux.

Si nous voulons avoir des régions vivantes, il est nécessaire qu'elles aient d'une manière ou d'une autre une représentation qui fasse parler d'elle et qui les défende. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle certains parlent d'une seconde Chambre régionale. On a parlé de cela à différentes reprises. C'était un peu le Sénat du général De Gaulle, le Sénat des régions. C'est ce sur quoi il a été battu, et il a quitté le pouvoir. C'est un peu cette idée.

Evidemment, on peut concevoir le correctif; ça, c'est une autre question. On peut concevoir le correctif dont vous parlez de deux manières. Je m'excuse de parler d'un domaine sur lequel je n'étais pas beaucoup préparé. On peut le concevoir sur le plan d'une correction des régions elles-mêmes. On peut dire, par exemple, que telle région n'aurait normalement que X voix, X parlementaires, si elle était traitée mathématiquement, mais on peut concevoir, vu qu'elle constitue de ces unités, etc., de lui ajouter un certain nombre de parlementaires qui iront à quel parti, on ne le sait pas.

On peut concevoir la correction comme une correction partisane, disant que le parti X a eu suffisamment de voix par tel moyen de scrutin, qu'il en a maintenant assez, que c'est un autre parti qui aura les sièges en plus.

Lorsqu'on parle de correction, il faut bien s'entendre. Une correction au titre de la carte électorale peut favoriser le même parti. Je veux dire que si vous donnez trois députés de plus à la Gaspésie parce qu'elle est une région qui en a besoin, quel parti cela peut-il favoriser? Le mieux placé déjà. Pour une correction de la carte électorale, il m'est difficile d'en parler parce que ce n'est effectivement pas du tout le sujet que j'ai préparé mais c'est un point qu'on peut signaler. Vous pouvez avoir aussi une correction de parti. Ce sont deux choses tout à fait différentes. A ce moment-là, on peut concevoir l'un ou l'autre système: ce qui revient à dire que certaines valeurs vont être préférées à une autre. Le choix revient aux auteurs de la réforme électorale. Aucun expert ne vous permettra d'éviter vos responsabilités et aucun expert n'a à vous suggérer vos responsabilités. C'est à vous de prendre vos responsabilités sur ces points et à choisir. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de vous dire: Voilà, nous pensons — je ne dirai pas nous savons — que si vous faites cela, bien, voilà ce qui peut se passer. Je pense que personne ne peut vous enlever, finalement, vos responsabilités et personne ne doit essayer de le faire.

M. HARDY: M. le Président, il y a déjà trois heures que le professeur Meynaud, avec beaucoup de brio, nous expose ses points de vue. Je remarque, évidemment, que nous l'avons interrogé sur des sujets sur lesquels il nous a apporté des réponses qui nous ont beaucoup éclairés. Il serait sûrement en mesure de nous éclairer également sur d'autres aspects de la réforme électorale et, en particulier, sur le problème du financement des dépenses électorales. Comme jusqu'ici nous n'avons pas eu d'experts qui nous ont parlé d'une façon spécifique de ce problème, je me demande s'il n'y aurait pas lieu — si cela convient, évidemment, au professeur — d'inviter M. Meynaud à revenir à une autre séance pour nous entretenir plus spécifique-

ment de cette question des dépenses électorales et aussi, peut-être, des sondages. Là aussi, je pense que c'est un sujet sur lequel M. Meynaud est particulièrement préparé —quoique ce matin, il nous a fait voir qu'il était préparé à peu près sur tous les sujets — mais je me demande s'il n'y aurait pas avantage pour les membres de la commission à entendre M. Meynaud sur ces deux sujets: le financement des partis politiques et le problème des sondages.

Peut-être d'abord pourrions-nous décider ceci: Est-ce que cela convient à l'ensemble des membres de la commission d'entendre le professeur Meynaud sur ces points?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, nous sommes d'accord. Nous voudrions bien l'entendre pourvu que, évidemment, il soit libre jeudi prochain...

M. HARDY: Jeudi prochain nous avons déjà le professeur Lemieux et, par la suite, il y aura les vacances pascales.

Je me demande si la prochaine séance, c'est-à-dire la séance qui viendra après le 1er avril, ne devrait pas avoir lieu le 29 avril puisque, d'après certaines informations, il y aurait ajournement jusqu'à ce moment-là. Les députés, avant de reprendre la deuxième partie de la session qui s'annonce assez lourde, voudront probablement prendre quelques moments de vacances bien mérités. Pour éviter que des députés particulièrement intéressés aux travaux de la commission se voient privés de la possibilité d'y assister, je pose la question aux membres de la commission, compte tenu du fait que nous avons quand même travaillé avec beaucoup d'assiduité et de célérité depuis le début de nos travaux, à savoir s'il ne serait pas convenable que la prochaine séance, après celle de jeudi prochain, soit tenue le jeudi 29 avril. Si cela convient au professeur Meynaud, nous pourrions l'entendre sur les deux sujets que j'ai proposés tantôt.

M. MEYNAUD: J'ai effectivement deux autres exposés de prêts. Au titre du régime électoral, j'avais seulement préparé deux pages et j'ai parlé pendant trois heures. J'avais un bel exposé de six pages sur les sondages et un autre que j'avais intitulé, un peu irrévérencieusement: "Les sous." Le problème des sous avait également cinq ou six pages. Je suis vraiment prêt à revenir, si vous le souhaitez.

M. HARDY: Est-ce que le 29 avril vous conviendrait?

M. MEYNAUD: On va garder le 29 avril puisque ça vous convient.

M. HARDY: Le 29 avril.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je n'avais pas songé à cela.

M. LAURIN: Je voudrais répondre à la question du député de Terrebonne. On s'est toujours entendu à la commission pour dire que l'échéancier devait être tracé d'une façon assez précise et rigoureuse puisque, même après que nous aurons fini nos travaux, l'implantation de toutes les réformes auxquelles nous pouvons penser prendrait quand même un certain temps. Le président des élections nous le rappelait lui-même: nous sommes vraiment obligés de penser à un échéancier rigoureux. Pour ma part, je n'aurais aucune objection à siéger durant les vacances puisque l'audience des témoins très importants, que nous avons eus, a pris plus de temps que prévu. Non seulement je n'aurais pas d'objection à siéger durant les vacances, les députés de mon groupe et moi, mais nous en verrions la nécessité puisque l'étude des problèmes prend plus de temps que ce que nous avions prévu.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je crois que la suggestion qu'avait faite le député de Terrebonne est tout à fait à point.

Nous aurons besoin, en vue des travaux qui s'annoncent après les vacances parlementaires de faire une pause; les travaux que nous aurons à accomplir sont très lourds et chacun de nous a besoin de se refaire un peu, mentalement et physiquement. J'estime que les travaux de la commission ne devraient pas reprendre avant le 29 avril parce que ce sont les vacances parlementaires. Enfin, c'est le congé de Pâques et chacun y a droit. En ce qui concerne le groupe parlementaire que je représente, j'estime que nous ne devrions pas reprendre les travaux de la commission avant la date que vous avez indiquée, M. le député de Terrebonne.

M. HARDY: II faudrait bien comprendre, évidemment, que quand on parle de vacances pascales ce ne sont pas nécessairement des vacances au sens exact du mot.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non. Nous sommes dans nos comtés.

M. HARDY: Quant à moi, puisque la carte électorale existe toujours, je dois continuer à m'occuper de 80,000 électeurs, de 50 municipalités, d'autant de commissions scolaires, etc. Je ne veux pas faire un bilan des travaux que je dois accomplir dans mon comté...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): De votre patronage !

M. HARDY: ...mais c'est quand même une réalité. Evidemment, le député de Bourget n'est peut-être pas aussi engagé, mais c'est quand même une réalité.

M. LAURIN: Ce n'est pas une petite séance de plus durant les vacances qui empêcherait aussi bien le député de Terrebonne que le

député de Chicoutimi de voir à leurs électeurs, aux problèmes de leurs électeurs, ou même de profiter de leurs vacances pascales, surtout quand on tient compte de l'urgence de cette réforme, de l'impatience avec laquelle la population l'attend et aussi des reproches que l'on pourrait nous faire de procéder d'une façon dilatoire.

M. HARDY: Nous sommes d'accord sur tout ça, M. lé député de Bourget.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, mais nous... disons que le 29 avril...

UNE VOIX: Maintenant, il faudrait lever la séance.

M. LE PRESIDENT: De toute façon...

M. HARDY: J'aimerais bien l'entendre quand même parce que je ne veux pas, loin de moi cette pensée, imposer le 29 avril. Et, si c'était le voeu de la majorité — parce que je crois encore à la démocratie et au système de la majorité — des membres de cette commission, que nous siégions le 22 plutôt que le 29, je m'empresserais de me rallier très démocratiquement. Alors, j'aimerais que le représentant du Ralliement crédidiste exprime ses vues là-dessus avant que nous prenions une décision.

M. DUMONT: Sans avoir 80,000 électeurs à représenter, même avec 40,000 c'est déjà beaucoup de travail. Nous avons, justement, je crois, un travail assez considérable à accomplir d'ici les vacances de Pâques. Personnellement je n'ai aucune objection à siéger, par exemple, le 22 et ça nous replacerait peut-être plus dans l'atmosphère de toute cette réforme électorale que nous étudierons, sans doute, durant ces vacances de Pâques.

Alors, si ça répond au voeu de la majorité, je n'ai pas d'objection à siéger une semaine auparavant pour que l'on puisse se replacer dans l'atmosphère du Parlement.

M. LE PRESIDENT: De toute façon, messieurs, je pense qu'aujourd'hui nous ajournons au 1er avril.

Le débat que nous entreprenons actuellement est peut-être prématuré. Il s'agirait de décider à l'autre...

M. HARDY: Les députés pourraient peut-être réfléchir d'ici jeudi prochain sur cela, mais je pense bien qu'il ne serait pas question que ce soit avant le 22.

M. CHARRON: On vous donne une semaine.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Pas avant le 29, M. le Président.

M. HARDY: De toute façon, pour M. Mey-naud, il serait peut-être important de s'entendre afin que, pour lui, ce soit le 29.

M. MEYNAUD: Je suis à votre disposition.

M. HARDY: Très bien. Et si nous décidions jeudi prochain de siéger le 22, eh bien! nous verrons à avoir un autre témoin.

M. MEYNAUD: Le 22 ou le 29, ça m'est égal.

M. HARDY: Je peux retenir les deux dates sans inconvénient?

M. MEYNAUD: Absolument.

M. HARDY: A condition que nous prenions la décision jeudi prochain?

M. MEYNAUD: Exactement. C'est à votre choix.

M. HARDY: Alors, nous déciderons jeudi prochain.

M. MEYNAUD: Le 22 ou le 29. C'est à votre choix.

M. LE PRESIDENT: Merci.

M. HARDY: Nous vous remercions de votre grande disponibilité.

(Fin de la séance: 12 h 44)

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