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Commission permanente de l'Assemblée
nationale
Sujet: Réforme électorale
Séance du jeudi 25 mars 1971
(Neuf heures trente-huit minutes)
M. LAVOIE (Laval) (président de la commission permanente de
l'Assemblée nationale): A l'ordre, messieurs! Permettez-moi de souhaiter
la bienvenue à M. Meynaud au nom de la commission parlementaire et, sans
autre préambule, le député de Terrebonne.
M. HARDY: M. le Président, nous avons le plaisir et même
l'honneur d'avoir, ce matin, comme invité, M. Jean Meynaud dont la
réputation comme politicologue n'est plus à faire. Ceux qui ont
eu l'avantage d'être ses élèves à
l'université ou qui, sans avoir suivi d'une façon continue ses
cours, ont été au département de science politique au
moment où il y était il y est encore d'ailleurs
savent combien sa connaissance est presque universelle dans le domaine de la
science politique et même dans d'autres domaines. Je suis persuadé
que, ce matin, il saura éclairer les membres de la commission sur ce
vaste problème que représente la réforme
électorale. Probablement qu'il serait valable de procéder un peu
de la même façon que lors de nos séances
antérieures, c'est-à-dire que M. Meynaud puisse nous faire un
exposé des différents sujets qu'il entend traiter.
La plupart des membres de la commission ont entre les mains une
étude que M. Meynaud a publiée dans la revue de
l'Hydro-Québec, la revue "Forces", sur les méthodes de scrutin.
Même si nous avons pu prendre connaissance de cette étude, il
serait peut-être bon quand même que le professeur Meynaud nous en
fasse un résumé quitte, à ce que, par la suite, les
membres de la commission puissent l'interroger sur certains points particuliers
de cette étude.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous sommes très heureux d'accueillir,
ce matin, M. le professeur Meynaud, spécialiste des questions
politiques. Je n'ai pas eu, pour ma part, l'honneur d'être l'un de ses
élèves. Je le regrette vivement parce qu'il m'eût appris,
sans doute, beaucoup de choses et m'eût donné une discipline qui
me manque toujours.
Comme l'a souligné mon collègue, le député
de Terrebonne, nous serons heureux de l'entendre sur un sujet d'ordre
général, sur des sujets spécifiques, selon le plan qu'il a
lui-même préparé et nous allons l'écouter fort
religieusement et, fort timidement, par la suite, nous nous risquerons à
poser à ce grand spécialiste des questions qui seront
probablement maladroites; mais comme nous n'avons pas passé d'examen
devant lui, nous sommes assurés à l'avance de son indulgence.
M. DUMONT: Nous vous souhaitons aussi M. Meynaud, la plus cordiale
bienvenue. Je suis désireux de vous entendre apporter des
détails. On dit qu'au Québec, traditionnellement, le ciel est
bleu et l'enfer est rouge. J'ai bien hâte de vous entendre étaler
la prose que vous avez à nous donner ce matin, parce que, à mon
point de vue, l'espoir est toujours vert. Merci.
M. LE PRESIDENT: M. le professeur. Systèmes
électoraux
M. MEYNAUD: M. le Président, MM. les députés, je
voudrais vous dire que je vais faire de mon mieux pour répondre à
votre attente. Le bleu et le rouge, c'est une invention de
l'Hydro-Québec. Je n'ai pas été prévenu de cet
aspect bicolore ou tricolore des questions électorales. Mais, sur un
plan plus sérieux, j'aimerais dire que je suis content de participer aux
travaux d'une assemblée parlementaire, car je continue à tenir
les Parlements, les parlementaires, les partis, comme des
éléments essentiels et fondamentaux de notre vie politique. Il y
a, de nos jours, une tendance à se reposer sur les techniciens, à
valoriser la technocratie et à traiter légèrement les
décisions parlementaires. Je dis souvent, et c'est à peine un
paradoxe dans mon esprit, qu'il est plus facile de diriger General Motors que
d'être maire d'une petite commune rurale. Je pense que la politique
implique des choix, des valeurs, des sélections qui sont absolument
fondamentales pour notre destin. C'est en pensant à cette importance que
j'attribue à la fonction parlementaire, que je voudrais présenter
un certain nombre de remarques, qui, sans doute, ne vous apprendront pas
grand-chose. J'ai beaucoup apprécié la gentillesse de M.
Tremblay, je pourrais peut-être aussi être son élève
sur un certain nombre de points, car il y a une connaissance politique qui
vient de la théorie et il y a aussi une connaissance politique qui vient
du contact intime avec les réalités. Je crois que nous avons
réciproquement des choses à nous apprendre et c'est un peu dans
cet esprit que je vais vous parler.
Sur les système électoraux, j'ai "commis" un papier qui
est assez long, qui est assez universitaire de style, assez scolaire, mais qui
se présentait comme une espèce de tableau. Le directeur de la
revue "Forces", M. Sarrazin, m'avait dit de parler de tout, de tous les
systèmes. C'est pour ça que j'ai fait allusion à des
systèmes qui ont peu de chance de s'appliquer ici, comme le
système irlandais du vote transférable ou le système
australien du vote préférentiel. Je ne voudrais pas reprendre
tout ce papier, mais il me semble tout de même utile de souligner un
certain nombre de points. C'est un papier qui a été écrit
au mois de juillet dernier. Il a mis un certain temps pour être
publié. A l'époque, il n'était pas encore question d'un
certain nombre de systèmes qui, depuis, ont reçu une certaine
vogue dans cette
province. C'est ainsi que j'ai vu avec une certaine surprise, je dirais,
le rôle ou l'importance que l'on attribue au système allemand qui,
pour les Allemands, était un artifice quand ils l'ont adopté et
dont il est vraisemblable qu'ils se débarrasseront un jour ou l'autre,
peut-être assez vite.
Je pense que de l'étude électorale, la seule chose que
l'on puisse dire avec certitude, c'est qu'il est très difficile de
transposer dans un pays le système qui a cours dans un autre pays. Je
veux dire qu'il y a entre la culture, le système électoral, les
institutions, les habitudes, toute une série de liaisons
extrêmement subtiles que nous connaissons mal, d'ailleurs, et qui font
que tel système pris dans un pays et transporté dans l'autre, n'y
donne pas nécessairement les mêmes résultats. On s'est
demandé, par exemple, en France, s'il faudrait introduire votre
système électoral, l'idée étant que le
système français souffrait d'une multiplicité de partis et
que, justement, le système uninominal à un tour oblige les gens
à se concentrer sur deux partis et, par conséquent, favorise
cette simplification de la vie politique que les Français cherchaient.
Des hommes comme Michel Debré ont proposé qu'on introduise en
France le système anglais, le système québécois. Eh
bien! est-ce que ça aurait produit les mêmes résultats en
France ou est-ce que la vie politique française est trop complexe, les
idéologies trop développées pour que, quoiqu'il arrive, il
soit resté plus de deux partis en lice? Le fait est que
l'expérience que l'on vit en ce moment au Québec montre bien
qu'il n'y a pas une influence purement mécanique de ce système
électoral.
Sur le système allemand, on oublie toujours de dire ceci. C'est
que, à l'heure actuelle, le système allemand est un gouvernement
de coalition. A l'heure actuelle, le parti qui domine est le parti socialiste,
enfin, disons simplement social-démocrate. Il n'est plus beaucoup
socialiste. C'est le SPD et le SPD n'a pas la majorité absolue. Il doit
donc, pour gouverner, gouverner en coalition avec le Parti libéral.
Le parti libéral est un petit parti qui, de ce fait,
détient la balance du pouvoir. Le parti libéral avait en effet le
choix ou bien de s'allier avec les Chrétiens démocrates ou bien
de s'allier avec les socialistes, et, naturellement, il a marchandé son
appui.
Il y a en Italie, par exemple, un tout petit parti qui s'appelle le
Parti républicain, qui a quatre ou cinq membres, deux ou trois pour cent
de voix et qui fait chanter les grands partis. Parce qu'il est
nécessaire d'avoir le Parti républicain, c'est la petite cheville
qui fait qu'on a la majorité.
En fait, tout gouvernement de coalition est difficile, et c'est si
difficile qu'ici on a plutôt l'habitude de faire des gouvernements
minoritaires, ce qui pose d'autres problèmes. Mais il y a quelque chose
de plus curieux dans le système allemand, c'est que ce système a
été conçu et il faut bien le voir comme un
système stricte- ment et rigoureusement proportionnel. C'est un
système où chaque parti a autant de sièges qu'il a de
voix. C'est un système rigoureusement proportionnel, sauf que les partis
qui n'ont pas 5 p. c. des voix sont éliminés. Je trouve
d'ailleurs que cette mesure est injuste. A l'heure actuelle, le Parti
libéral allemand a 5.80 p. c. de voix et il a 30 sièges; qu'il
passe demain à 4.99 p. c, c'est fini, il n'a plus de sièges.
Dans ce système qui a été conçu pour
être proportionnel, on aboutit à une situation où il n'y a
pratiquement plus que deux grands partis. Or, si le Parti libéral
disparaissait aux prochaines élections il est sur le bord, il est
autour de 5 p. c. on aurait cette situation incroyable d'un
régime proportionnel qui produit un régime à deux partis.
Cela défie absolument toutes les lois de la mécanique
électorale, mais ça s'explique par des particularités
actuelles de la société allemande qui sont liées à
des transformations économiques, sociales et qui dépassent de
beaucoup le système électoral.
Je crois que ce sont ces particularités du système
allemand, de la culture allemande, devrais-je dire, qui expliquent certains
traits comme, par exemple, le fait que M. Bonenfant, je crois, a
souligné avec exactitude que, contrairement à ce que l'on
pourrait penser, il n'y a pas deux catégories de députés
en Allemagne, ceux qui sont élus au scrutin uninominal et ceux qui sont
élus sur des listes des pays. En fait, il n'y a qu'une catégorie.
Mais pourquoi? Parce que les Allemands s'intéressent trop peu à
la politique à l'heure actuelle pour faire la différence. H est
certain que pour eux, à l'heure actuelle, ils le répètent,
la politique, aller voter, c'est un tout petit peu comme aller acheter ses
plaques d'automobile, c'est une espèce d'obligation civique et il n'y a
pas dans la politique cet élément de feu, d'inspiration avec tout
ce que cela suppose d'excitation que j'ai bien connu en France et que je dois
dire avoir retrouvé ici, sans déplaisir d'ailleurs.
C'est une culture différente. Il se trouve que dans cette culture
tel système électoral joue de cette manière et que,
transplanté ailleurs, il jouerait différemment. C'est
probablement la seule chose que je crois pouvoir dire de réelle sur ce
régime électoral. Je crois dire que je les ai tous vus
fonctionner, tous, y compris le merveilleux système français
qu'on avait bâti en 1951 avec une hypothèse extrêmement
simple. Il y avait d'un côté 30 p.c. de communistes, de l'autre
côté 30 p. c. de gaullistes, il restait 40 p. c. de ce qu'on
appelait la troisième force. Il fallait trouver un système
électoral qui permettrait à ces 40 p. c. d'avoir la
majorité. On y est arrivé une fois en 1951. En 1956, cela n'a
plus marché parce qu'il y a eu autre chose entre-temps.
Je peux dire que, sur la base de cette expérience, on doit se
mettre en garde contre tout transport mécanique d'un système
dans
une autre culture. Je crois qu'il y a entre les systèmes
électoraux, la politique, la culture, des liaisons très
difficiles à préciser. J'irais même jusqu'à dire
qu'un régime parlementaire ne fonctionne pas de la même
façon selon que l'on est en régime de la proportionnelle ou en
régime uninominal. Vous avez un pays comme les Pays-Bas, par exemple,
où il y a une proportionnelle et un régime parlementaire. C'est
la même chose en Suède; en Angleterre et au Canada, c'est autre
chose. Ces régimes ne fonctionnent pas tout à fait de la
même façon au point de vue du recrutement des personnalités
et même parfois de l'âge des parlementaires. Il est certain qu'un
régime de proportionnelle est un régime qui tente à fixer
beaucoup les personnalités. Souvent certains renouvellements sont rendus
plus difficiles. Vous voyez qu'il faut tenir compte de tout. C'est
peut-être un peu décevant du point de vue d'une science politique
qui aimerait généraliser et en tirer des principes très
généraux. Le fait est que toutes les fois qu'on sort un principe,
il y a un collègue malin qui trouve une exception. Ayant
été le collègue malin d'un certain nombre de mes
collègues, je ne tiens pas aujourd'hui à courir le risque de
formuler des règles générales dont je sais que
pratiquement elles sont mises en échec par la culture propre.
Je crois que les peuples, en ce siècle d'unité et
d'uniformité, sont restés très différents sur le
plan des comportements et des conduites politiques. Je pense que, sur le plan
économique, il y a une uniformisation. Nous conduisons tous les
mêmes voitures, nous avons tous le même type de cartes de
crédit. Sur le plan des réactions politiques, nous sommes
restés et c'est tant mieux pour nous d'ailleurs
très différents.
Sur ces problèmes, je répondrai à toutes les
questions qu'on me posera, bien entendu, et dans la mesure où je peux y
répondre. Je vais maintenant aborder rapidement deux questions qui, il
me semble, n'ont pas été traitées.
M. HARDY: Je ne voudrais pas évidemment nuire à votre
processus pédagogique...
M. MEYNAUD: Ne vous moquez pas de moi!
M. HARDY: Je me demande si ça vous causerait des ennuis, si on
pouvait vous poser immédiatement quelques questions sur ce que vous
venez de dire sur le problème du mode de scrutin appliqué
présentement en Allemagne.
M. MEYNAUD: Ecoutez, je suis à votre entière
disposition.
M. HARDY: Vous avez dit tantôt, M. Mey-naud, qu'en Allemagne, tel
que l'a dit, lors d'une récente séance, M. Bonenfant, qu'il n'y
avait pas vraiment de distinction entre les députés élus
à la proportionnelle et les députés élus dans une
circonscription à voix majoritai- res, sur ça, le pluralisme. A
partir de votre connaissance du milieu politique québécois,
croyez-vous qu'ici, si nous adoptions un système qui pourrait
s'apparenter au système allemand, c'est-à-dire, tel que l'a
proposé M. Bonenfant, nous aurions 90 circonscriptions
électorales élisant un député chacune, et une liste
de 30 députés élus à la proportionnelle,
croyez-vous que la situation qui existe au Parlement allemand existerait
également au Parlement du Québec, c'est-à-dire qu'il n'y
aurait vraiment pas de distinction entre ces députés
représentant une circonscription et les députés
élus à la proportionnelle?
M. MEYNAUD: M. le député, je crois qu'il faut distinguer
deux hypothèses. Dans le système allemand, les choses
fonctionnent de la façon suivante: un député se
présente dans une circonscription, et il peut en même temps
s'inscrire sur la liste. Ce qui fait que, s'il est battu dans sa
criconscription, il peut être repêché sur la liste. C'est le
cas du député repêché, et il me parait, à
tort ou à raison, que ça soulèverait des problèmes
non seulement dans une culture politique comme la culture
québécoise, mais dans une culture politique également
comme la culture française.
Nous avons eu des cas du même ordre, par exemple celui d'un chef
socialiste qui avait été battu à Paris au premier tour et
qu'on avait parachuté c'était le terme dans une
circonscription du Midi toute faite, où il avait été
élu, si bien que pendant toute la législature, on l'avait
ennuyé là-dessus tout comme son parti. Maintenant, on peut
concevoir une seconde formule, c'est celle où il y aurait, au fond, des
députés qui s'inscriraient dans les circonscriptions, qui
seraient battus ou élus, mais ce serait final, et ensuite, des
députés qui seraient présentés au titre des listes,
avec l'hypothèse que le député qui serait battu dans la
circonscription, ne serait pas repêché sur la liste.
Alors, là se poserait un problème, je crois,
différent. Mais la question, de ce genre de députés,
à mon avis, va plus loin. Elle met en cause, en quelque sorte, toute la
philosophie du métier de député et je pense que la
philosophie du métier de député, dans ce que je
considère de plus essentiel, c'est le contact direct avec une
circonscription et avec des hommes de la circonscription. Cela me paraît
tout à fait fondamental. Si je voulais citer un personnage, disons,
illustre, le général de Gaulle qui, au départ,
était parti avec l'idée qu'il allait avoir des ministres
excellents mais qu'on allait les prendre dans les administrations, il a compris
assez vite qu'un ministre, même dans un régime
semi-présidentiel comme le régime français, il
était préférable qu'il ait affronté
l'électorat. Beaucoup d'ailleurs, qui étaient des fonctionnaires,
y ont pris plaisir et en ont retiré des avantages; ils sont devenus
d'excellents politiciens.
M. HARDY: Ils se sont améliorés.
M. MEYNAUD: Ils se sont améliorés, d'autres n'y sont
jamais parvenus. Prenez un homme comme Couve de Murville qui a
été, je crois, un excellent ministre des Affaires
étrangères et qui était sévère comme tout.
Mais il était aussi sévère dans sa vie privée que
devant ses électeurs, il a été battu. Et je crois qu'il y
a là quelque chose d'essentiel. Je ne connais pas la fonction
législative du parlementaire, je crois qu'elle est importante et je
crois qu'on devrait trouver toutes sortes de moyens c'est pour cela que
je reviens là-dessus dans la troisième partie de mon
exposé, si j'ai le temps de le faire de valoriser cette fonction
législative du parlementaire par rapport à la fonction
technocratique actuelle. Mais, il y a un contact direct qui me paraît
essentiel aussi bien pour la population que pour les parlementaires.
Ce qui fait qu'on peut se poser le problème exact de ce que
seraient ces députés. Là encore, il y a toute une
série de suppositions qu'on peut faire. On peut supposer qu'il y aurait
une liste unique à l'échelle du Québec. Cela s'est produit
dans certains pays. Cela amène les parlementaires très loin de la
base. Ce serait moins grave si c'étaient des parlementaires dans des
régions où, malgré tout, il pourrait y avoir un contact
plus étroit. Alors, je répondrai à votre question en
divisant, en disant: Si vous créez des postes de parlementaires qui
pourront être occupés par repêchage de circonscriptions
je serais assez pessimiste sur le "standing" que ces parlementaires
pourraient avoir mais si vous faites une catégorie de
parlementaires qui soient directement présentés sur des listes
sans avoir la possibilité de jouer sur les deux tableaux et si vous le
faites dans les circonscriptions assez petites par assez petite
j'entends à l'échelle du Québec, c'est-à-dire
territorialement très grandes finalement, mais quand même assez
petites par rapport à cet immense pays vous pouvez quand
même garder peut-être entre ces députés et
l'électorat un certain nombre de contacts.
Je crois qu'il faut dans toute loi électorale éviter tout
ce qui peut donner au public l'impression qu'on fait quelque chose qui peut
aller contre sa volonté.
Les cyniques disaient en France que la loi électorale avait pour
objectif de donner aux députés la possibilité de choisir
leurs électeurs. C'est un système qui est très mauvais et
finalement, on le paie par une certaine désaffection à
l'égard des institutions parlementaires. Est-ce que j'ai répondu
à votre question?
M. HARDY: Le professeur Bonenfant, la semaine dernière, prenait
un peu la contrepartie de ce que vous venez nous dire et prétendait
qu'il y aurait avantage à avoir ce repêchage, c'est-à-dire
que certains députés puissent, à la fois, se
présenter dans une circonscription et être sur la liste. En
particulier, de dire M. Bonenfant, ceci aurait l'avantage de permettre aux
vedettes des partis à ceux que les partis reconnaissent comme
étant leurs chefs d'être présentes au Parlement. M.
Bonenfant disait qu'il est mauvais pour la démocratie, qu'il est mauvais
même pour la valeur du système parlementaire, que les chefs, que
le chef ou ceux qui sont les principaux chefs d'un parti, soient en dehors du
Parlement. Or, disait-il, si nous avions ce système de
députés élus dans des circonscriptions et d'autres
députés élus à même une liste et que les
chefs puissent à la fois s'inscrire dans l'une ou l'autre, ils auraient
automatiquement la possibilité de siéger au Parlement ce qui,
toujours selon M. Bonenfant, serait plus sain.
J'aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de cette
proposition.
M. MEYNAUD: Sur ce point, c'est un problème d'opinion et de
valeur, c'est un problème sur lequel, en tant que professeur, je ne peux
pas formuler une vue définitive. C'est un sentiment et une impression.
Je dois dire qu'il ne me semble pas que cela serait une bonne chose pour la
démocratie, telle qu'on la conçoit, de pouvoir rattraper un
échec devant une partie du peuple par une autre formule. Il me semble
que si l'on veut deux catégories de députés avec
possibilité de passer d'une liste à l'autre, je suis à ce
moment-là très réservé. J'ai vu des cas dans le
système français, et il faut bien le dire un
certain nombre de traits de la culture québécoise se retrouvent
également dans cette culture française. C'était le cas de
Léon Blum, battu à Paris au premier tour. Le parti dit: II faut
absolument que Léon Blum siège au Parlement. A ce
moment-là, comme il y a un second tour dans le système
français, on le parachute à Narbonne, chez les vignerons,
où ce grand buveur d'eau s'était trouvé obligé dans
une semaine d'avaler plus de vin qu'il n'en avait bu pendant toute sa vie,
parce qu'effectivement il était impossible de faire une campagne
à Narbonne sans boire du vin. Cela lui était resté et ce
chef de parti socialiste avait la réputation d'être mal
élu. Si vous prenez, au contraire, un homme qui a gardé pas mal
de prestige dans le système français, comme Mendès-France,
il a gardé ce prestige malgré ses échecs et bien qu'il
soit hors du Parlement.
Je veux dire que si, au contraire, vous faites deux listes, je
m'avancerais là-dessus avec une grande prudence. Mais si vous faites
deux séries de députés dont les uns joueront le jeu de la
circonscription et les autres joueront le jeu de la liste, c'est un peu
différent, parce que le choix a été fait dès le
début.
Cela posera le problème de savoir exactement quel type de
relations il pourrait y avoir entre le député de liste et celui
de circonscription. L'idée d'avoir des députés qui
s'occuperaient plus de la législation et des députés qui
s'occuperaient plus de la clientèle. Cela, il n'en est absolument pas
question. Ce n'est pas cela. Mais le système allemand donne une autre
notion. En principe, il est fait pour que chacun
ait beaucoup de choix: on peut choisir un député à
titre personnel, on peut choisir une liste. En fait, depuis quelques
années, c'est la même chose. Les gens mettent sur le bulletin la
croix du parti démocrate chrétien et la croix du candidat
démocrate chrétien. En réalité il y a une
espèce d'unification, les électeurs n'utilisent pas cette
espèce de double jeu qu'on leur proposait: Je vote pour un parti
socialiste au titre uninominal dans la circonscription, parce que le
député socialiste est bon. Puis, sur le plan national: Je vais
voter pour le parti démocrate-chrétien. En fait, les gens votent
pour le parti socialiste et pour le candidat socialiste. Il y a
extrêmement peu de différence, quelques centaines de milliers sur
un corps électoral de 35 millions. Voilà.
M. LE PRESIDENT: M. Tremblay.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, vous avez parlé tout
à l'heure de l'attitude qu'ont les électeurs allemands à
l'endroit du système électoral et de la pratique des
élections. Vous nous avez laissé entendre que le système
électoral allemand n'est pas, à tous égards, satisfaisant
aux yeux des Allemands eux-mêmes. Est-ce qu'il vous serait possible de
nous dire, selon la connaissance que vous avez de la pratique de ce
système à l'heure actuelle, quelles sont les tendances qui
semblent se dessiner en Allemagne en ce qui concerne le système
électoral, dont on me dit qu'on songe à le changer?
M. MEYNAUD: M. le député, c'est très simple. Au
départ, les Allemands raisonnaient en vertu d'expériences
anciennes. Je veux dire que l'on reproche un peu au généraux de
toujours refaire la guerre précédente, c'est vrai d'ailleurs. Et
en matière électorale, nous faisons un peu la même chose.
Lorsque les Allemands en 1947-1948 se sont posé le problème de
leur système électoral, ils se le sont posé en fonction de
l'expérience de la République de Weimar. Dans la
République de Weimar, c'était un système de
représentation proportionnelle intégrale et certains ont dit que
c'était la proportionnelle intégrale qui avait été
cause de l'arrivée de Hitler au pouvoir. Je pense qu'il y avait d'autres
raisons que le système électoral pour que Hitler soit
arrivé au pouvoir. En tout cas, lorsque les Allemands sont repartis en
1948-1949, la CDU (chrétiens-démocrates) qui était le
parti le plus fort aurait sans doute voulu un système anglais. Les
autres partis il y avait à l'époque un parti socialiste et
d'autres partis étaient inquiets et ils voulaient un
système de proportionnelle. Alors on a fait cet espèce de
système que l'on peut qualifier de mixte, ou de composite, ou de
bâtard, consistant à garder la proportionnelle, mais soi-disant,
en la personnalisant et surtout en créant un système qui
automatiquement élimine tous les partis, les 5 p.,c, c'est-à-dire
environ 25 députés à la
Chambre. Et, sur cette base, on a vu le système évoluer
petit à petit vers un système à deux partis. Il y a,
à l'heure actuelle, en Allemagne, deux grands partis, les
chrétiens-démocrates et les socialistes et le petit parti
libéral qui, comme je le disais tout à l'heure, est à la
limite de 5 p. c. Si bien, que si le parti libéral disparaissait
à l'élection suivante on se trouverait devant la situation
d'avoir un mécanisme de proportionnelle pour deux partis, ce qui serait
le comble de l'absurdité.
C'est pour ça qu'un certain nombre d'Allemands envisagent
aujourd'hui qu'il faudrait probablement revenir, à un système
uninominal à un tour, parce qu'un tel système permet de
dégager des majorités beaucoup plus nettes que ce n'est le cas
à l'heure actuelle où vous avez les
chrétiens-démocrates qui ont un pourcentage de voix et de
sièges voisins, les socialistes à peine moins et le petit parti
libéral qui fait l'appoint. Ce qui fait que si les tendances actuelles
de la société allemande se poursuivent, on peut penser que les
Allemands, d'ici une ou deux législatures, reviendront à un
système de type britannique, uninominal à un tour.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, cela répond bien
à ma question et je voudrais vous en poser une autre qui rejoint la
première. Est-ce que le fait que les Allemands ont accepté ce
système dont vous venez de nous parler, après la guerre, ne
provient pas justement d'une sorte de désaffection qui était
née à la suite de l'instauration de la dictature
hitlérienne et qu'à ce moment-là les gens se demandaient:
En fait, qu'est-ce que tout cela pouvait donner à l'Allemagne d'avoir un
système politique bien structuré, des partis politiques,
etc.?
M. MEYNAUD: Je dirais qu'à l'époque le problème ne
s'est guère discuté en Allemagne. A l'époque, l'Allemagne
était occupée. La loi fondamentale a été
pratiquement établie sous le contrôle des Américains et des
Anglais, des Américains surtout, et la loi qui a été
adoptée en 1949, toutes les institutions de Bonn de cette époque,
sont des institutions qui sont un peu venues de l'extérieur. Je ne crois
pas que les Allemands, à l'époque, se soient beaucoup
préoccupés de leurs institutions politiques. A l'époque,
la moitié des villes allemandes étaient par terre. Les conditions
économiques étaient pratiquement dramatiques et on peut dire que,
depuis lors, le but essentiel des Allemands et ils ont réussi
a été de se refaire une économie extrêmement
prospère. Si vous prenez, par exemple, l'homme qui a dominé toute
cette époque au point de vue politique, c'est Adenauer, qui était
un très vieil homme. Pendant très longtemps, il a
été pratiquement, je n'ose pas dire le maître
incontesté de la politique allemande, mais, dis-je, pendant plusieurs
années, il a été son incarnation; pratiquement, il
dirigeait la politique allemande avec énormément
d'autorité. Je veux dire que c'étaient des
formules tout à fait spéciales et extrêmement
éloignées de ce que je crois voir ici dans l'expérience
politique québécoise, qui est bien différente.
Il y a eu aussi d'autres cas de répartition sur des listes. C'est
un cas un peu marginal ici. On peut le citer. Je le connais bien. Il y a eu le
cas de la Grèce, par exemple, où il y avait une première,
une deuxième, une troisième répartition etc. Mais
finalement, tout ça était assez compliqué. La question de
fond, en définitive, c'est peut-être de savoir ce qu'on veut faire
du député et de savoir ce que le député estime
qu'il est. Je crois qu'il y a au fond de la controverse sur les systèmes
électoraux... Je veux dire que le malheur, pour bien parler des
systèmes électoraux, c'est qu'il faut sortir des systèmes
électoraux; il faut se dire: Quel type de gouvernement voulons-nous?
Est-ce que nous acceptons de payer tel prix pour avoir un gouvernement
homogène ou est-ce que nous préférons un gouvernement,
disons par coalition, tel le gouvernement suisse: deux radicaux, deux
socialistes, deux catholiques, un agrarien? Ils sont sept. Il y a quatre
partis. Cela marche, mais est-ce que ça marchera ailleurs? Je n'en sais
rien du tout. Est-ce que nous voulons un type de gouvernement homogène.
Et puis, peut-être, cette question qu'il faut se poser, parce que nous
sommes dans un monde où elle se posera de plus en plus: Qu'est-ce que
nous voulons faire d'un député? Qu'est-ce que nous demandons
à un député? Qu'est-ce qu'un député doit
avoir comme travaux fondamentaux?
Député législateur: oui, député
représentant une circonscription, la défendant pieds et poings,
je dirais bec et ongles, contre l'administration, la bureaucratie aussi. J'ai
beaucoup appris entre 1939 et 1945 quand on n'a plus eu de Parlement. Jusque
là, évidemment, j'étais jeune à
l'époque nous aimions bien nous moquer un petit peu des
députés et tout d'un coup il n'y en a plus eu. Nous nous sommes
retrouvés directement aux prises avec des Allemands qui n'étaient
pas très charmants, mais aussi avec une administration qui ne
répondait plus, qui n'avait plus de comptes à rendre, qui disait
: C'est comme ça et si ça ne vous plaît pas, c'est
pareil.
A ce moment-là nous aurions bien aimé avoir un
député qui aille tout de même tirer un tout petit peu
l'oreille des fonctionnaires et même un tout petit peu plus. J'ai
gardé le sentiment que la fonction du parlementaire est une fonction
essentielle et qui exige un contact extrêmement étroit avec sa
circonscription. Lorsqu'on se moque du parlementaire qui écrit pour son
électeur, qui défend ses électeurs, on montre donc qu'on
ne comprend rien à la formule de la démocratie parlementaire.
Il m'est arrivé dans mon existence de politi-cologue d'avoir
quelques chances dont celle de pouvoir consulter le courrier d'un certain
nombre de parlementaires. C'étaient des questions extrêmement
concrètes, des gens qui écrivaient parce qu'ils n'arrivaient pas
à trouver la solution ailleurs. Il y a évidemment les combinards
qui savent très bien qu'ils sont en marge de la loi, mais il y a
à côté de ça une masse de gens extrêmement
sincères, désaxés par des refus et, s'ils n'ont pas en
face d'eux un homme politique capable de leur répondre directement,
ce n'est pas des secrétaires qu'on peut faire ça
quelque chose manque et une administration qui n'est pas contrôlée
politiquement de très près, qui ne sent pas l'aiguillon de ce
contrôle politique est une administration qui tend nécessairement
à abuser du pouvoir.
Je crois pouvoir le dire sur la base d'une vieille, vieille
expérience.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, si vous me le permettez, je
voudrais vous poser une autre question. L'autre jour, quand M. Bonenfant
qui a été, lui, mon professeur nous proposait ce
système de scrutin qui consisterait à élire 90
députés dans des circonscriptions et 30 députés
à un scrutin de listes, j'objectais ceci que les habitudes
administratives, politiques des citoyens du Québec, les inciteraient
probablement à considérer ces 30 députés
c'était une hypothèse de travail le chiffre 30 comme des
députés à part et qui, justement, n'étant pas
directement reliés à leurs commettants, comme nous le sommes,
nous, dans nos circonscriptions, ne seraient pas facilement acceptés par
la population.
Sans tirer argument de ce que vous venez de dire, il me paraît que
c'est là un argument que vous semblez retenir lorsqu'on parle de ces
députés qui seraient élus après le choix des 90
autres et qui seraient l'idéal du député, étant des
législateurs par définition. Vous avez dit tout à l'heure
que le député doit avoir un contact très direct avec ses
électeurs c'est une thèse que j'ai souvent défendue
moi-même et tous les députés qui sont, comme on dit
dans le jargon du métier, "sur le terrain", savent très bien
qu'il est nécessaire que le député soit ce lien entre
l'administration et le peuple.
Par conséquent, est-ce qu'à votre avis je ne veux
pas évidemment vous mettre en contradiction avec M. Bonenfant
cette idée de 30 députés, compte tenu de la connaissance
que vous avez des moeurs québécoises, est-ce que cette formule
vous parait correspondre à une réalité psychologique et
à des habitudes électorales, des habitudes aussi de contact avec
le député?
M. MEYNAUD: Je ne voudrais que vous ayez l'impression que je suis
absolument imperméable à toute expérience nouvelle. Il est
certain qu'en politique on a souvent tendance à se méfier de ce
qui n'est jamais arrivé. Si on n'expérimente pas on ne pourra pas
aller y voir. D y a tout de même là des questions qu'on ne peut
pas manquer de se poser. Prenons une région qui est
représentée par dix députés qui ont chacun une
circonscription, donc une clien-
tèle, et qui en plus, disons deux ou trois députés
de type proportionnel élus sur des listes. Cela peut même
créer au niveau des circonscriptions, des tensions parce que vous aurez
un député qui défendra une circonscription comme son
mandant et peut-être qu'un des députés élus au
niveau de la liste va vouloir également représenter telle ville
ou tel village avec lequel il aura des liens particuliers. Cela peut
incontestablement provoquer des tensions, c'est un fait. Je
répète que je ne suis pas un expert de politique
québécoise. M. Bonenfant est certainement infiniment mieux
informé de ces réalités que je ne le suis. C'est quelqu'un
dont j'admire beaucoup l'intelligence, la qualité, la bonne foi. C'est
certainement quelqu'un pour lequel j'ai infiniment de respect.
Sur ce point, nos avis sont tout de même un peu différents.
Le seul point sur lequel j'éprouverai une répulsion absolue c'est
le repêchage. Sur ce point je n'ai aucun doute, ce serait une mauvaise
chose.
Si on joue deux cartes et des cartes qui ne sont pas biseautées,
des cartes qui dès le début sont des cartes bien nettes, ce n'est
pas tout à fait partie. Nous avons deux séries de
députés. A ce moment-là, on s'engage dans un processus qui
incontestablement présente des difficultés mais qui n'est pas
fabriqué. Ce qui me semblerait immoral, c'est le procédé
du repêchage, tout au moins dans la conception que nous avons de la
démocratie parlementaire.
Carte électorale
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, c'est la dernière
question que je voudrais vous poser pour laisser à mes collègues
le loisir de le faire eux-mêmes. On a parlé justement à
propos de ces trente députés et on a pensé à un
système de distribution de ces députés selon les
régions, qu'on appelle ici "les régions économiques". Ces
députés étant répartis dans les diverses
régions économiques et par conséquent ayant une vue
beaucoup plus complète des problèmes afférents à
certaines régions administratives du Québec.
C'est une solution qui, de prime abord, parait séduisante.
D'autre part, je faisais observer à M. Bonenfant qu'il y avait quand
même une réalité. Nous en avons discuté ici. C'est
une sorte de pierre d'achoppement pas très sérieuse mais c'est
quand même un problème. Il y a ici ce qu'on appelle une
mentalité rurale, une mentalité urbaine. Il faut donner à
ces termes une signification qui ne soit pas nécessairement celle des
mots eux-mêmes. Disons plutôt qu'il y a une bonne partie de la
population qui vit dans des régions rurales ou semi-urbanisées et
une très grande partie de la population qui vit dans des régions
rigoureusement urbanisées, particulièrement la ville de
Montréal. En fait, lorsqu'on cause avec les citoyens, le problème
qu'il nous pose est le suivant: Est-ce que la région de Montréal
qui représente quand même une gran- de partie de la population,
sera, en vertu d'un nouveau système de scrutin, un nouveau
système électoral, favorisée par rapport aux autres
régions?
C'est là une objection majeure qui nous est faite par les
citoyens qui vivent dans des régions dites rurales, mais que
j'appellerai moi, moins urbanisées que celles de Montréal.
J'aimerais avoir votre avis là-dessus, compte tenu des
connaissances que vous avez du Québec.
M. MEYNAUD: Nous glissons sur un problème tout à fait
connexe qui est le problème de la carte électorale. C'est une
question que l'on rencontre absolument partout. Faut-il, aux Nations Unies, que
les Américains aient 200 voix, et la France 50 et la Suisse 5, ou au
contraire, y a-t-il une entité qui, en tant que telle, doit être
représentée? C'est d'ailleurs pour éviter des
problèmes de cet ordre que très souvent, on a créé
des secondes Chambres. Par exemple le Sénat américain
représente les Etats américains. New York a deux
députés, le Névada a deux députés, et
à la Chambre des représentants c'est proportionnel à la
population. On fait un effort pour que ça le soit.
On pourrait effectivement envisager de lier la question d'une
représentation proportionnelle des régions dans une autre
assemblée. Mais là, nous passons sur un terrain tout à
fait différent. On pourrait effectivement penser à une formule
dans laquelle il y a une assemblée élue par les citoyens avec un
quorum numérique aussi égal que possible, avec une variante de 25
p. c. ou 20 p. c, je n'aime pas beaucoup d'ailleurs, ces limites rigides
et à côté de ça, avoir au contraire une
Chambre qui représente un certain nombre de régions et, dans
laquelle les assiettes électorales seraient très
différentes.
Alors, ça pose évidemment le problème du
bicaméralisme, des pouvoirs respectifs de ces deux Chambres, mais il
semble qu'en matière électorale la sagesse consiste à
tenir compte tout de même d'un certain nombre d'unités naturelles.
Nous avons ce problème en France de Paris vis-à-vis de toutes les
autres régions. D'autant plus que, comme vous le disiez très
justement, ce que nous appelons des régions rurales, on ne sait plus
très bien ce que c'est. Pendant longtemps, région rurale
égalait région agricole, mais ce n'est plus le cas
aujourd'hui.
Les régions rurales prennent un autre visage: il s'y
établit de l'industrie, le tourisme s'y installe, des gens vont y
prendre leur retraite. Nous sommes devant une mutation assez profonde, et je
pense que l'on n'a pas encore trouvé l'assiette définitive de
distribution des populations sur le territoire. Ce qui fait qu'il faut se
résigner, pour une période d'une certaine durée, à
avoir des formules un peu plus souples. Je crois qu'effectivement il faut
s'efforcer, en matière électorale, de représenter de
façon légitime les différentes circonscriptions. La
règle numérique est une règle valable. La
cour Suprême des Etats-Unis s'est prononcée il y a quelques
années en obligeant les Etats à revoir leur carte
électorale, ce qu'ils n'avaient pas fait depuis longtemps
certains d'entre eux tout au moins Mais, cela étant, est-ce qu'il
faut aller jusqu'au bout?
Et là, c'est très difficile, parce qu'à
côté des intérêts généraux, il y a
nécessairement un certain nombre d'intérêts propres qui,
encore une fois, ne me paraissent pas illégitimes; le fait, par exemple,
que lorsqu'on parle de la carte électorale, les députés
pensent à leurs circonscriptions. Cela me paraîtrait contestable,
si lorsqu'on parle de réforme universitaire, les professeurs ne
pensaient pas aussi à leur situation... Il n'y a pas un métier au
monde, pas une profession, où, effectivement, lorsqu'on parle d'un
changement ou d'un bouleversement, chacun ne fait pas ses comptes
personnels.
C'est évident, nous sommes tous des hommes, que nous soyons
députés, que nous soyons enseignants. Il y a, par
conséquent, des intérêts comme ceux-là. Tout en
reconnaissant que cela peut ouvrir la porte à certains abus, certaines
distorsions, j'accepte l'idée de certaines unités naturelles,
géographiques, biogéographiques, difficiles d'ailleurs à
préciser. Tout cela est compliqué, tout cela relève au
moins autant de la politique que de l'expertise, et peut-être même
davantage, mais je ne serais pas contre le fait de tenir compte de ces valeurs,
autrement dit, d'avoir tout de même une règle de distribution des
sièges et de formation de la carte électorale assez souple pour
que, tout en corrigeant des inégalités dont certaines sont
inadmissibles, il y ait la possibilité de tenir compte de situations qui
méritent d'être prises en considération.
Je veux dire que l'extrême justice mathématique conduit
parfois à une certaine injustice politique. Et, en politique, on n'a pas
le droit de commettre des injustices. On peut très bien commettre des
erreurs mais il ne faut pas commettre d'injustices. C'est la plus grande erreur
qu'on puisse faire, l'injustice.
M. LE PRESIDENT: M. Dumont, s'il vous plaît.
M. DUMONT: Merci, M. le Président. M. Meynaud, vous avez fait
allusion tout à l'heure et vous continuez un peu dans la
même veine au fait que vous n'étiez pas tellement en
faveur, entre les comtés urbains et ruraux, d'un nombre fixe de 20 p. c.
ou 25 p. c. d'électeurs de différence. Est-ce que, n'étant
pas en faveur de ces chiffres, vous pourriez donner un peu plus d'explication
et nous dire pourquoi vous n'êtes pas favorable à cette
différence?
M. MEYNAUD: C'est assez compliqué. Je pense que nous vivons,
à l'heure actuelle c'est cela qu'il faut voir une certaine
période qui va durer, je ne sais pas combien, dix ans, vingt ans, trente
ans où les populations sont en train de se redistribuer sur les
territoires et où on peut avoir, à l'heure actuelle, des
mouvements qui vont dans un sens: il y a indubitablement un mouvement qui va
vers les grandes villes mais peut-être qu'il va y avoir, d'ici quelques
années, un mouvement pendulaire inverse. Une région est
condamnée. Il y a comme cela un certain nombre de régions en
Europe que l'on tient pour condamnées. Tout d'un coup, dix ans
après, on dit: Mais non, ce n'est pas condamné, on va faire du
tourisme, par exemple. Et puis on s'est rendu compte que la région
s'était tellement appauvrie, tellement dépeuplée qu'on ne
pouvait plus rien y faire, c'était fini, elle était vraiment
morte, on l'avait laissée mourir. On avait laissé passer une
chance de valoriser un territoire qui peut, ensuite, se valoriser. Nous ne
savons pas exactement où tout ça va aboutir, nous vivons dans une
civilisation où tout est mobile. A l'heure actuelle, ça se dirige
dans un sens; c'est la grande métropole urbaine Montréal
aura 40 p. c. des habitants du Québec dans quelque temps, Paris aura 20
millions d'habitants, c'est absolument affolant mais on se dirige
là-dessus. Mais, d'ici 10, 20 ou 50 ans, effectivement, si on laisse
mourir un certain nombre de régions ce qu'on est en train de
faire dans beaucoup de pays, et une manière de les laisser mourir, c'est
de les priver de représentation politique on peut se retrouver
dans 10, 20 ou 30 ans avec des possibilités qu'on ne saura pas et qu'on
ne pourra pas exploiter parce que la chose sera vide. J'ai vu fonctionner cela
dans certaines circonscriptions de Montagne ou d'ailleurs. C'est la raison pour
laquelle, à l'heure actuelle, il faut, je crois, essayer de
réimplanter un régionalisme et, justement, en fonction de ce
régionalisme, repenser ce problème des circonscriptions
électorales de façon, je dirais, moins abusivement
mathématique que lorsqu'il s'exprime par des pourcentages.
J'ai employé le mot d'unité naturelle, je sais qu'il n'est
pas très clair, mais l'idée que j'exprime ici est une idée
qui ne peut pas se ramener à des formulations extrêmement
précises. C'est "sur le terrain" qu'on voit cela. Si j'étais un
expert de la carte politique du Québec, ce que je ne suis
malheureusement pas, je dirais: Je pense, en ce moment, à telle ou telle
région. Mais, dans le cas des cartes électorales que je connais
mieux, comme la carte française ou ailleurs, je pourrais vous donner des
régions. Par exemple, je soumettrais que, dans telle région, on
fasse le calcul d'une certaine unité et qu'on n'applique pas ce
pourcentage strict et précis. Tout en reconnaissant que, effectivement,
toute règle politique peut être utilisée,
détournée, mais c'est tout de même un point que je
n'abandonnerais pas absolument, cette idée d'une unité
géographique ou historico-géogra-phique qu'on a peut-être
intérêt à sauvegarder, parce que peut-être on en aura
besoin dans 20 ou 30 ou 40 ans si les mouvements actuels des populations se
transforment. Je ne demande
pas, bien sûr, que l'on revienne aux bourgs pourris d'Angleterre
de 1830, bien entendu, il n'en est pas question, mais il y a tout de même
des unités qui méritent peut-être d'être
conservées. C'est un point, en tout cas, qu'on peut discuter.
Malheureusement, je ne connais pas assez la carte électorale du
Québec pour pouvoir dire: Ce serait là plutôt que
là.
Pourcentage du vote
M. DUMONT: Vous avez parlé, M.Meynaud, du
désintéressement pour des Allemands de la politique. Est-ce que
vous avez le pourcentage des votants de la dernière élection en
Allemagne?
M. MEYNAUD: II est élevé. J'ai lu récemment un
article écrit par un collègue allemand qui disait à peu
près ceci: Oui, les Allemands, au fond qui ont été
traumatisés par l'expérience hitlérienne, etc., etc., ont
décidé de se conduire démocratiquement,
c'est-à-dire qu'ils vont voter.
C'est un pont aux ânes de la science politique le fait qu'à
la dernière élection avant Hitler il y a eu 85 p. c. ou 90 p. c.
de gens qui sont allés voter, alors que souvent en Angleterre, il y en a
70 p. c. Autrement dit, je veux dire qu'on ne peut pas considérer
uniquement le vote comme un paramètre de l'intérêt
politique. Il y a bien d'autres choses. Il y a le fait de militer dans un
parti, de verser des cotisations, de lire des journaux et aussi de
s'intéresser à la politique.
Si on prend uniquement le critère de la participation
électorale, on conclura que les Allemands s'intéressent beaucoup
plus à la politique que les Français, ce qui me paraîtrait
abusif. C'est un système élevé, mais lors de la
dernière élection allemande avant Hitler, il y a eu 85 p. c. ou
90 p. c. de gens qui sont allés voter. Deux ans après, ils
suivaient le Fuhrer comme un seul homme également.
M. DUMONT: Une dernière question, M. le Président. J'ai,
ici, une explication sur la méthode de scrutin en France, majoritaire
à deux tours. Une critique constructive disait que cela apportait aussi
une inégalité de représentation et un marchandage au
deuxième tour, bien que cela concilie le pluralisme des partis avec la
possibilité de former un gouvernement. On citait un exemple. En 1958, le
parti communiste, ayant eu 3,882,000 voix, n'avait eu que 10 sièges.
L'UNR qui avait eu 3,604,000 voix, avait eu 189 sièges. Plus
récemment, en 1968, le Parti communiste qui a eu 20 p. c. du vote n'a
obtenu que 7 p. c. des sièges. L'UDR, républicain
indépendant, 40 p. c. des voix et 70 p. c. des sièges.
Est-ce que vous pourriez nous donner quelques explications? Je pense que
la France a fait un véritable effort pour tenter que tous les citoyens
soient bien représentés et ça ne semble pas avoir
apporté ce qu'elle aurait désiré.
M.MEYNAUD: Quand on parle du marchandage du second tour, il y avait en
France un parti qui était spécialisé dans le marchandage,
le parti radical, dont on disait qu'il était comme un radis, rouge
à l'extérieur et blanc à l'intérieur, encore un
problème de couleurs, ce parti, selon les circonscriptions, s'alliait
avec la droite, la gauche, l'extrême droite, l'extrême gauche. Il
avait plusieurs visages. Il était un parti caméléon, mais
il était le parti charnière de la troisième
République. On trouvait cela immoral, on n'avait pas tout à fait
tort. Il est clair que le second tour a permis pas mal de marchandage et c'est
une institution que je ne recommanderais absolument pas. Je ne crois pas que le
second tour soit à recommander en politique. Je pense, d'ailleurs, que
la France est le seul pays à appliquer le second tour.
Effectivement, dans ce second tour, tout dépend des alliances. Le
parti communiste a eu en France, depuis 1947, à peu près le
même pourcentage de voix, entre 20 p. c, 22 p. cet 23 p. c. Une
représentation qui a aussi eu entre 8 à la base et quelque chose
comme 200 au sommet.
Si le parti communiste s'entend avec les autres partis de gauche,
à ce moment-là, il a des sièges, mais s'il se
présente tout seul, il est battu presque partout. Je pense que c'est en
ce sens que le second tour fait dépendre le résultat des
élections non pas tellement de ce que pensent les gens à la base,
mais des alliances qui se concluent entre les partis. Les gens ont une
manière de se venger, c'est de ne pas suivre les consignes de parti.
C'est, semble-t-il, ce qui s'est passé, je n'ai pas
étudié la question d'assez près à Toulouse
dimanche dernier, les électeurs communistes n'ont pas voulu voter pour
les socialistes, en conséquence, c'est le candidat de la majorité
gaulliste qui est passé. Mais le second tour, je vous conseillerais
carrément de faire l'impasse, c'est un système qu'on a
manipulé, en France, depuis toujours, mais qui n'est pas un
système moderne. Je ne le défends absolument pas ici.
M. LE PRESIDENT: M. Charron
Mode de scrutin
M. CHARRON: M. Meynaud, depuis le début de votre exposé,
j'ai retrouvé des éléments qu'on avait discutés
ensemble dans les séminaires, il y a quelques mois. Il y en a un qui est
assez constant chez-vous que vous avez rapporté, ici, à la
commission, c'est qu'en fin de compte, la qualité des institutions, et
à toutes fins pratiques, le système électoral est une
institution politique, sa qualité d'application dépend
énormément de la culture là où elle s'applique.
Je pense voir une constante également dans les travaux de la
commission depuis le début c'est notre huitième ou
neuvième séance où il y a une préoccupation
très nette et une recherche de définition de la nouvelle
culture
québécoise, ou de la situation de la culture politique
québécoise avant de commencer à parler en termes plus
techniques des aménagements au système de scrutin, etc.
Vous êtes partisan de cela et je sais qu'il y a actuellement
à travers le Québec, une définition d'une nouvelle culture
québécoise qui se propage rapidement à part cela, qui
laisse de côté certaines valeurs beaucoup plus traditionnelles.
Cette culture est à la recherche actuellement, dans certains coins, de
façon presque radicale, d'une justice et si on admet que le mode de
scrutin est un moule quant au comportement politique, je pense que l'on est
témoin ici à la commission que le comportement politique devient
désormais aussi un moule qui nous oblige à faire des choix en
fonction du système électoral que l'on pose. La crainte
qu'exprimait le député de Terrebonne au tout début sur la
possibilité...
M. HARDY: Pardon, pas la crainte, c'est une interrogation.
M. CHARRON: Oui, la remarque que faisait le député de
Terrebonne au début et qui portait sur l'hypothèse qu'un
système proportionnel appliqué à la culture politique
québécoise ferait deux classes de députés, les
arguments que les députés ruraux de Chicoutimi, de
Mégantic apportaient, disaient: Est-ce qu'il n'y aura pas en même
temps, deux types de culture et est-ce que, pour le problème de la
culture urbaine, on ne rencontrerait pas cela?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Permettez-moi, M. le Président, sur un
rappel au règlement. Dans les propos que j'ai tenus d'abord je ne
suis pas ce que l'on appelle un député rural, représentant
une circonscription urbaine, encore que je sois moi-même un rural
et il n'y a rien dans mon esprit...
M. CHARRON: Vous êtes à l'avant-garde du Québec.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): II n'y a rien dans mon esprit qui
spécifie une culture en ce qui concerne les diverses
circonscriptions.
M. LE PRESIDENT: J'admets la mise au point du député de
Chicoutimi.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant, M. le Président, le
député de Saint-Jacques me permettra de poursuivre. Lorsque je
parle de mentalité rurale et de mentalité urbaine, je n'en parle
pas en termes de culture. J'en ai parlé en termes d'habitudes
électorales, le problème de la culture étant un tout autre
problème et n'ayant rien à voir avec les observations que j'ai
faites.
M. LE PRESIDENT: M. Charron.
M. DUMONT: II y a aussi dans mon comté une ville très
importante mais je suis un député de milieu semi-rural.
M. CHARRON: Alors, je vais poser une question à M. Meynaud.
Est-ce qu'au fond, toute réforme du mode de scrutin que nous allons
faire ne va pas affecter la vie même du Parlement? C'est-à-dire
apportera-t-elle des hommes nouveaux en politique, de nouveaux types de
politiciens, de nouveaux types de députés et, de là, de
nouveaux types de relations avec la population? Vous avez exprimé votre
désir d'un certain type de relations entre le député et la
population. Mais, est-ce que ce n'est pas ça qui est à la base de
tout? On est en train aussi de redéfinir un parlementarisme.
N'existe-t-il pas dans le système actuel des distinctions entre certains
types de députés qui sont dues tout simplement au fait, par
exemple, que le pouvoir exécutif est mêlé au
législatif dans le système actuel, que certains
députés ont plus d'expérience que d'autres et que d'autres
sont favorisés par le nombre, etc.? Si cette hypothèse est vraie,
est-on, en fin de compte, en train de redéfinir le rôle du
député ou le rôle du Parlement? Quelles sont, selon vous,
les constantes qu'on doit maintenir à l'esprit quand on aborde la
réforme électorale ou le mode de scrutin?
M. MEYNAUD: Il est hors de doute que les institutions influencent la
culture que, disons, à la longue, un système électoral
déterminé, à la longue, à condition de durer, peut,
effectivement, affecter les types de personnalités. Il y a une influence
de la politique sur le système électoral, mais l'inverse est
vrai. La question que vous me posez, ce n'est pas du tout que je n'aie pas
envie d'y répondre, mais elle dépasse un peu le cadre d'un
expert.
Si un expert veut être pris au sérieux, il ne faut pas
qu'il force ses talents. Ses talents sont de dire: Si on fait ceci, il risque
de se passer ceci. Ou encore: Si vous voulez ceci, il faut essayer de faire
ceci. Par conséquent, si vous voulez que le parlementarisme soit ceci,
se modifie de cette manière, alors peut-être qu'il faut adopter
tel ou tel système plutôt que tel autre.
On peut, par exemple, se poser le problème de savoir quelle
valeur il faut privilégier. Est-ce qu'il faut privilégier une
valeur d'efficacité gouvernementale, une valeur de justice
électorale, une valeur de plus grande participation, de plus grande
animation ou est-ce qu'il faut essayer de tenir compte de ces
différentes valeurs? Et là, je ne crois pas pouvoir apporter bien
des éléments neufs et valables, parce que ce qui se passe au
point de vue de ce que vous appelez la nouvelle culture, eh bien! exactement
où ça commence et où ça finit, qui peut le dire?
Vous savez, quand on a le nez sur une vitre, on voit très mal ce qui se
passe dehors. Il faut prendre un certain recul. Nous ne l'avons absolument pas.
Par conséquent, il est possible que dans mes propos, ce soit je ne
dirais pas le
témoignage d'un homme de la vieille culture, mais disons de la
culture présente qui transparaît à travers ce que je dis et
j'avoue que je ne vois pas très bien comment on pourrait, à
l'heure actuelle, essayer de fonder des institutions sur des
éléments qui restent encore tout à fait incertains.
Ce qu'il faut éviter, c'est d'aller contre le courant, à
condition qu'on arrive à savoir à peu près où est
le courant. C'est d'essayer de développer une démocratie de
participation. C'est d'essayer de développer une plus grande association
des gens, disons par des formules politiques et partisanes. Voilà ce
qu'il faut essayer de faire. Mais, jusqu'à quel point est-ce à ce
niveau qu'il faut le faire? Autrement dit, est-ce que toutes nos discussions ne
nous ramènent pas à ce problème fondamental qui est celui
de l'éducation politique des gens, du désir de participer, du
sentiment qu'ils peuvent avoir d'être des sujets et non pas des objets?
Est-ce qu'à ce moment-là il ne faut pas essayer de trouver un
système qui rapproche les gens des institutions?
M. CHARRON: Si vous donnez la définition de la nouvelle culture
qui se fait dans le Québec sur ces espoirs de participation, de
rapprochement du pouvoir, quelles exigences immédiates cela pose-t-il
quand on aborde la réforme du système électoral? Et quel
système électoral est-ce que ça présuppose pour
correspondre à la volonté de cette nouvelle culture? Parce qu'on
pourrait aussi bien choisir un système électoral qui va
complètement à l'encontre de cette nouvelle culture, qui abolit
toute chance de participation, qui abolit toute chance de rapprochement du
pouvoir.
M. MEYNAUD: Oui, mais à ce moment-là il faut introduire
les partis politiques dans le jeu. Je crois qu'à l'heure actuelle c'est
effectivement un point qui est souvent contesté. On estime que
l'organisation est par essence et par définition contraire à la
participation. On estime que l'organisation conduit nécessairement
à l'aliénation. En réalité, on se rend compte que,
lorsqu'on supprime les organisations, dans certains milieux que je
connais bien, c'est le cas on n'a plus aucun moyen d'action. D me
semble, par conséquent, que tout effort de participation doit tenir
compte à la fois des hommes et également des organisations qui
sont susceptibles de développer, de mobiliser. Je ne crois pas à
la participation spontanée. Je ne crois pas, disons, aux gens qui tout
d'un coup se lèvent, forment des comités qui n'existeront plus
dans huit jours. Je crois que la participation, l'organisation est une question
de longue patience et par conséquent, votre système
électoral, ça dépend des partis que vous avez. Si vous
avez des partis qui sont structurés comme certains partis
idéologiques européens, où la participation se fait
à l'intérieur du parti avec beaucoup de comités,
dans la mesure où elle se fait, d'ailleurs à ce
moment-là, vous pouvez peut-être avoir un régime de
proportionnelle. Ce serait le cas d'un pays comme l'Italie. Mais si vous avez
un régime dans lequel l'élément de participation reste le
groupe parlementaire, parce que le parti a une autre formule d'organisation,
à ce moment-là, vous êtes conduits à avoir des
circonscriptions dans lesquelles il y a contact direct.
Je crois que, de toute façon, l'un des impératifs de ce
qu'on peut appeler la nouvelle culture, c'est le contact direct, c'est la
participation. Je ne suis pas d'accord avec lui lorsqu'on parle de supprimer
les organisations parce qu'on aboutit à rien du tout. Mais je suis
d'accord sur l'idée qu'il faut rapprocher les hommes qui commandent de
ceux qui, en principe, sont gouvernés et qui devraient avoir leur mot
à dire. Il est certain que l'aliénation est trop grande entre un
sommet et une base et, par conséquent, il faut essayer de les rapprocher
et c'est le parlementaire qui peut le faire, qui peut justement éviter
ce mur que crée l'administration. Par conséquent, si c'est un
impératif de la nouvelle culture, je pense qu'il faut prévoir un
système électoral qui autorise le maximum de contacts et surtout,
qui donne aux gens l'impression qu'ils ont leur mot à dire dans le choix
du député.
Tandis que dans certains systèmes européens, ce sont des
listes qu'on présente. "Ne varietur", vous avez une liste, vous votez ou
ne votez pas. Vous votez pour un parti, vous ne votez pas pour un homme. Et
là il y a peut-être quelque chose qui, dans la perspective d'une
culture de participation, doit être évité. Là-dessus
je ne suis pas très précis, parce que les
phénomènes ne le sont pas beaucoup. Mais il fallait le signaler
quand même.
M. JORON: M. le Président, un appel au règlement, s'il
vous plaft...
M. LE PRESIDENT: Un instant... Un appel au règlement !
M. JORON: ... qui porte sur la marche de nos travaux. Est-ce qu'il
serait possible de suggérer aux membres de la commission d'interrompre
leurs questions, peut-être pour quinze minutes, seulement, de
façon que M. Meynaud poursuive son exposé il en a
livré à peine 10 p. c. ...
M. HARDY: A l'ordre! Ce n'est pas une question de règlement,
c'est une question de marche...
M. JORON: C'est une suggestion amicale et de bonne foi.
M. LE PRESIDENT: A l'ordre!
M. PAUL: Je ne voudrais pas qu'on puisse se laisser influencer par
certains éditoriaux, spécia-
lement par un éditorial qui paraît dans un journal de ce
matin. Je crois qu'il nous faut procéder avec une certaine prudence, une
certaine logique et je ne crois pas qu'il faille nous précipiter...
UNE VOIX: Qu'est-ce que vous voulez dire par là?
M. PAUL: ... dans une étude sérieuse que nous devons faire
de la situation.
M. HARDY: Je pense que la seule personne qui pourrait s'opposer à
la façon de procéder est M. Meynaud, s'il considérait que
la façon actuelle de procéder n'est pas la meilleure pour lui
permettre d'exprimer ses opinions. Quant à moi, jusqu'ici, je suis bien
satisfait de la façon dont nous avons procédé, chaque
député peut poser des questions au professeur Meynaud de
façon à éclairer sa propre lanterne et celle de ses
collègues de la commission. Je ne vois pas pourquoi, à moins
toujours, que M. Meynaud nous dise qu'il y aurait peut-être une autre
formule plus adéquate, il me semble, que nous devrions continuer
à procéder suivant la formule que nous avons utilisée
jusqu'ici.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, compte tenu de la
qualité de l'expert qui est devant nous ce matin, je pense que la marche
des travaux, telle qu'elle s'est poursuivie jusqu'à présent, est
de nature à satisfaire la légitime curiosité de tous les
députés qui veulent interroger M. Meynaud sur les observations
préliminaires qu'il a faites et notamment celles sur le système
allemand.
Naturellement M. Meynaud pourra toujours nous dire, au moment qu'il lui
plaira, s'il entend poursuivre l'exposé qu'il avait commencé.
Mais jusqu'à présent, je crois qu'il y a encore des
députés il y a des députés qui ont
posé des questions qui voudraient l'interroger sur ce qu'il a dit
auparavant et j'aimerais, quant à moi, qu'on poursuive, comme nous
l'avons fait jusqu'à présent. Tout s'est passé dans un
ordre absolument rigoureux et nous apprenons beaucoup du professeur
Meynaud.
M. LE PRESIDENT: M. Charron a terminé?
M. CHARRON: Oui.
M. LE PRESIDENT: M. Picard.
M. PICARD: Merci, M. le Président, la démocratie est
sauvée.
M. JORON: Une interprétation assez particulière.
M. PICARD: M. Meynaud vous avez mentionné tout à l'heure
qu'en Allemagne il n'y a pas de différence entre les
députés élus par liste et les députés
élus au vote ordinaire. Mais ne croyez-vous pas qu'à ce
moment-là en Allemagne cette situation peut exister, du fait qu'il y a
248 députés élus par les listes et 248 élus selon
le mode électoral ordinaire et qu'ici au Québec on suggère
90 députés d'une façon et 30 de l'autre? Là, il
pourrait peut-être y avoir une grosse différence dans la pratique,
je pense.
M. MEYNAUD: J'admets tout à fait l'argument et malgré tout
l'Allemagne est tout de même un pays avec des particularismes
régionaux il y a tout de même à l'heure actuelle 11
ou 12 landers il y a d'autres facteurs qui entrent en
considération, mais celui-là est certain.
Historiquement il y a d'autres facteurs qu'on peut invoquer, c'est que
l'Allemagne, même avant 1914, avait un Parlement qui était
composé de beaucoup de fonctionnaires, de chefs d'entreprise. C'est
autre chose, c'est une autre mentalité. Les fonctionnaires jouaient un
très grand rôle au Parlement de l'Allemagne au temps de l'Empire
et ces habitudes politiques sont très lentes à se modifier.
M. PICARD: Cette méthode de choisir les députés par
des listes, ne croyez-vous pas que c'est un accroc à la
démocratie? Surtout si on est assez honnête pour admettre qu'en
pratique, dans tous les partis politiques, il y aurait probablement un
tripotage épouvantable de ces listes.
M. JORON: Vous parlez pour vous.
M. PICARD: Cela est dans tous les partis politiques. En théorie,
ça marche peut-être très bien, mais parlons dans la
pratique. Quel genre de tripotage aurait-on dans la préparation de ces
listes? Il y aurait probablement aussi des espions là-dedans.
M. MEYNAUD: C'est un des arguments qu'on a toujours invoqués
contre la proportionnelle en disant que la proportionnelle remet le choix des
députés aux mains des partis. Effectivement lorsque vous avez un
régime de proportionnelle, comme en Italie, le fait que vous soyez
élu ou pas, dépend en grande partie du rang que vous occupez sur
la liste.
M. PICARD: Est-ce que c'est démocratique?
M. MEYNAUD: A partir du moment où c'est un système
uniforme qui est appliqué une fois pour toutes, je veux dire que tout
système électoral me paraît respectable à condition
qu'on n'en change pas souvent. C'est personnellement une conception que je n'ai
pas. Je ne crois pas qu'il soit bon que les partis déterminent
eux-mêmes les rangs sur la liste parce que cela donne lieu à des
intrigues. C'est un fait dans un système, comme le système
italien, où les partis sont divisés en plusieurs courants. Chaque
courant se bat pour avoir son homme
en tête. On appelait ça, en France, d'un terme assez noble,
les combats des gladiateurs. Le terme est un peu trop noble. C'est une des
raisons qu'on a invoquées contre la proportionnelle en disant que la
proportionnelle donnait trop de pouvoir aux dirigeants des partis. On a
inventé toute une série de procédés comme le
panachage, la possibilité de changer l'ordre de la liste.
Effectivement, vous avez le système de la proportionnelle
où un monsieur a une liste devant lui. Il peut la prendre "ne varietur".
Effectivement, il est bloqué. Il ne peut changer quoi que ce soit. Il y
a des systèmes où on donne aux électeurs la
possibilité de changer l'ordre de la liste. On leur donne la
possibilité de composer des listes avec des noms venant de
différentes listes, donc de réintroduire une certaine
liberté et une certaine souplesse dans ce système. Dans le
système suisse, par exemple, vous avez à élire un conseil
municipal de 100 personnes, c'est comme si vous aviez 100 points. Vous
constituez votre propre liste. Vous la prenez où vous voulez, dans
toutes les listes existantes. Vous pouvez même cumuler, voter deux fois
pour la même personne. Il faut bien dire que, dans la majorité des
cas, le système de la proportionnelle fonctionne dans le sens d'une
assez grande rigidité et que ces systèmes de panachage, de votes
préférentiels, de changements d'ordre fonctionnent rarement parce
que ce n'est pas commode dans un isoloir de changer les noms, de changer tout
ça plutôt que naturellement lorsqu'on prend la liste et qu'on la
donne toute seule. Par conséquent, la plupart des régimes de
proportionnelle aboutissent à augmenter l'emprise des partis sur
l'électorat. Les partisans du système de proportionnelle disent
que c'est une bonne chose. Les adversaires disent que c'est une mauvaise chose.
Je ne suis pas très partisan du régime de la proportionnelle.
Donc, je préfère qu'on laisse plus de souplesse à
l'électeur.
M. PICARD: Une dernière question, M. Meynaud. Au tout
début de vos remarques vous avez mentionnez qu'il y avait plusieurs
systèmes de scrutin. Par contre, vous étiez d'accord pour mettre
de côté les systèmes qui n'avaient pas de chance selon vous
d'être adoptés au Québec. Parmi les systèmes que
vous mettiez de côté, il y avait le système australien
qu'on appelle le vote préférentiel. Quelles sont les raisons qui
vous laissent croire que cela ne pourrait pas être adopté au
Québec? Quels sont les désavantages d'un tel système au
Québec?
M. MEYNAUD: II n'y a pas a priori de désavantages. Vous savez
qu'il a été établi au Manitoba pendant un certain nombre
d'années. On y a renoncé, semble-t-il, parce que finalement cela
donnait les mêmes résultats que l'uninominal à un tour:
celui qui arrivait en tête, puis on comptait les seconds de
préférence et finalement cela ne changeait rien. Les gens du
Manitoba ont dit qu'ils renonçaient à ce système parce
qu'il apportait des résultats qui dans la plupart des cas, on
cite peut-être une ou deux exceptions correspondaient au
système uninominal.
L'avantage de ce système, c'est qu'il garde le vote uninominal,
une circonscription, un homme, mais par l'application de seconds de
préférence, il fait que celui qui est élu a une
pluralité des voix. On dit souvent, à l'heure actuelle, que tel
parti qui a la majorité au Parlement n'a été élu
que par 35 p. c. ou 40 p. c. des voix, qu'il y a peu de députés
qui ont été élus avec une majorité absolue des
voix.
En principe, le second tour d'un système français augmente
le nombre de personnes élues à la majorité absolue,
c'est-à-dire, 50 p. c. plus une voix.
Le système australien permet donc de pallier ce système,
au moins sur papier, parce que, si on fait le décompte, et que, personne
n'a la majorité absolue, à ce moment-là, on
décompte les secondes préférences. On me demande si c'est
un système qui serait compris du premier coup par les
Québécois. Il faudrait que vous ayez des listes sur lesquelles se
trouvent inscrits tous les députés, avec des collonnes où
il faudrait marquer: première préférence, deuxième
préférence, troisième préférence.
Ce n'est pas impossible de le faire fonctionner. Encore d'après
l'expérience, cela ne changerait, semble-t-il, pas grand-chose au
système. Cela permettrait simplement au député de dire :
J'ai tout de même une majorité des voix plutôt qu'une simple
pluralité. Je crois que c'est moral.
M. LE PRESIDENT: Je vous remercie, M. Meynaud.
M. LACROIX: M. Meynaud, on doit rechercher le système
électoral parfait mais je crois bien qu'on n'est pas encore à la
veille de le trouver. C'est rarement le gouvernement qui déclare une
revision du système électoral. C'est une façon souvent
pour l'Opposition de se défouler. Devrait-on changer le système
électoral après chaque élection, selon les
résultats obtenus?
M. MEYNAUD: Ah ça, c'est le pire! Et je peux en parler avec
d'autant plus de franchise que la quatrième République, c'est un
peu ce qu'on a fait. On a fait pareil dans un autre pays dont je me suis
occupé. Je dois dire que ça ne lui a pas porté chance.
C'est le système grec qui est dirigé aujourd'hui par une clique
de militaires. Ce régime grec est un régime où on a
changé la loi électorale à chaque élection.
Parfois, on est même arrivé à avoir des lois
électorales différentes selon les circonscriptions. Et puis un
jour, les militaires sont arrivés et ont mis tout le monde au pas. Je
n'établis pas un rapport de cause à effet, mais tout de
même...
Il y a trois sortes de pays. H y a les pays qui n'ont jamais
changé de système électoral. Les
Anglais sont d'une fidélité absolue au système
uninominal pluralitaire. Ils y sont conduits par le fait que chaque parti a sa
chance. Aujourd'hui, ce sont les conservateurs qui ont profité du
système britannique; demain, ce seront les travaillistes. Les Anglais
admettent que la politique est une espèce de match de football où
on change de camp: l'essentiel est que chacun ait la possibilité de
changer de camp.
Il y a des pays qui changent de loi électorale pratiquement
à chaque élection. La loi électorale est une espèce
de stratégie. Cela, c'est évidemment quelque chose qu'il faut
fondamentalement éviter. Il y a enfin les pays qui ont changé de
loi électorale parce qu'à un moment donné les idées
ont changé, les forces sociales se sont modifiées. C'est ainsi
que la plupart des pays européens continentaux sont pratiquement
passés au système proportionnel à partir du moment
où il y a eu un développement des partis de gauche et
d'extrême gauche. Effectivement, on s'est rendu compte que la valeur que
l'on voulait privilégier était une valeur de
représentation presque photographique.
Mais que représente effectivement l'avantage d'avoir un Parlement
qui photographie les électeurs? Prenez par exemple la Hollande. La
Hollande est un pays qui, à beaucoup d'égards, peut être
cité en exemple. C'est un pays calme, tranquille, où la vie
politique est très ordonnée. Les Hollandais sont aussi
différents des Français qu'on peut l'imaginer. Ils ont un
système proportionnel qui leur permet par exemple d'avoir deux partis
protestants; il y a le parti antirévolutionnaire, contre la
révolution de 89, il y a le parti chrétien historique, un parti
catholique, un parti libéral, un parti socialiste, un parti communiste,
il y en a même un entre les deux, il y a des partis de droite...
Tout cela est proportionnel. Lorsqu'au Parlement, deux ou trois
sièges changent, on parle d'un raz-de-marée politique. Cela
implique quoi? Faites très attention, cela implique un gouvernement de
coalition. Les Hollandais ont l'habitude de ce gouvernement de coalition,
c'est-à-dire qu'après chaque élection la reine
désigne ce qu'on appelle un formateur. Le formateur est un monsieur qui
va travailler pendant un mois ou deux pour mettre sur pied un espèce de
cahier dans lequel seront prévues toutes les conditions de la coalition,
y compris de savoir qui on mettra à la place de M. Untel lorsqu'il
prendra sa retraite, quel programme législatif on fera.
Une fois que le cahier a été fait, les partis se
réunissent, on choisit un premier ministre, on applique le cahier et on
ne change plus jusqu'à la prochaine élection. Dites-moi si un
système comme celui-là est applicable ici? Je peux en tout cas
vous dire qu'il est inapplicable dans le cas français. Et c'est la
Hollande, un pays avec lequel la France est liée dans le cadre du
marché commun mais, vous voyez c'est un cas très
différent.
Si je vous disais le système belge, il faut à peu
près une demi-heure pour traverser la Belgique il est
fondamentalement différent du système néerlandais. Il est
tout à fait différent.
Loi électorale
M. MEYNAUD: C'est pour cela qu'il est difficile de prononcer ici des
formules très nettes parce que tous les pays que j'ai connus sont des
pays dans lesquels la loi électorale est liée à la
culture. Effectivement, je crois qu'on ne peut pas dire qu'il faut changer la
loi électorale à chaque système, à chaque
élection, parce que ce serait, à ce moment-là, une
catastrophe pour le régime politique. On peut se demander si, en
définitive, à un moment donné, des changements sont tels
qu'il n'est pas souhaitable, en fonction d'un certain nombre de valeurs que
l'on partage, d'apporter des modifications à la loi électorale.
Tous les pays européens l'ont fait, y compris les pays les plus stables.
La Suisse, par exemple, en 1919, est passée d'un système
uninominal à un système de représentation proportionnelle.
Elle ne l'a plus touché depuis. Par conséquent, c'est concevable
qu'à un moment donné on estime que les choses ont changé
et qu'il faut changer. Mais il faut effectivement, en politique, avoir tout de
même, souvent, une période plus longue et se demander ce qui s'est
passé à l'élection précédente et se demander
ce qui va se passer à la suivante et à l'autre. Et cela, personne
ne le sait. Il y a tout de même, malgré tout, un personnage qui
s'appelle l'électeur et qui peut renverser un certain nombre de choses.
Par conséquent, il n'est pas du tout sûr que le même
système électoral donne les mêmes résultats en 1972
ou 1973 qu'il a donnés en 1968 ou 1969. Ce sont des choses qu'il faut
voir. De toute façon, la loi électorale est quelque chose qu'il
faut toucher avec prudence.
Si j'ai le temps tout à l'heure, en parlant des finances et de
tout le reste, il y a certainement des points de la Loi électorale du
Québec qu'on peut et doit toucher. D'ailleurs, à mon avis, dans
le sens de ce qui existe déjà, je crois que, sur ce point
si on en discute tout à l'heure il y a quelque chose qui, dans
son principe, est bon et qu'il faut développer. Le mécanisme
électoral doit être abordé avec prudence en fonction de ce
qui s'est passé, bien sûr, et en fonction tout de même de ce
qui risque de se passer. Nous ne contrôlons pas l'électeur;
évidemment, c'est tant mieux. L'électeur peut avoir des
comportements différents qu'on ne connaît pas. C'est pour cela que
je recommande toujours la prudence quand on touche au mécanisme
électoral.
M. LE PRESIDENT: M. Gagnon.
Régions éloignées
M. GAGNON: M.
Meynaud, nous vous écou-
tons religieusement et, à certains moments, nous nous demandons
si vous n'avez pas déjà été député au
Québec.
J'ai surtout remarqué que vous avez fait allusion à la
nécessité, pour le député, d'être en contact
étroit avec l'électeur. Ma question sera agrémentée
également d'informations pour mieux vous situer sur celle-ci. Je parle
d'un comté rural, en connaissance de cause, où il peut y avoir
environ 15,000 électeurs. Dans le cours d'une année, un
député peut recevoir 8,000 10,000 à 12,000 lettres,
recevoir également des milliers d'électeurs, parce que son
comté est éloigné des grands centres, l'administration est
très loin de ses électeurs. L'économie y est beaucoup plus
difficile par rapport à un comté urbain où il peut y avoir
35,000 à 40,000 électeurs. Ce sont des comtés dont on a
déjà vu les députés dire, après huit ans de
service, qu'on avait reçu un, deux ou trois électeurs,
reçu 25, 30 ou 40 lettres. L'économie y est plus active, les
gouvernements y sont présents par une administration
décentralisée, par une information beaucoup plus facile, une
économie plus vigoureuse. C'est-à-dire que les gens y travaillent
en grande majorité et que, dans la distribution d'une carte
électorale, on doit dire: Voici d'un revers de la main on
ne se préoccupe pas de l'électeur vis-à-vis du contact
étroit qu'il a toujours eu et qu'il doit continuer d'avoir avec son
député par rapport au secteur rural, avec le milieu urbain,
où, tout en ayant deux et même trois fois le nombre
d'électeurs, le député n'est pas appelé à
oeuvrer, disons, peut-être le dixième d'un député
d'une région rurale. Alors, dans la distribution du nombre
d'électeurs, est-ce qu'on doit en tenir compte, ou si, d'un revers de la
main, on doit tout simplement ignorer ce problème?
M. MEYNAUD: Je pense, M. le député, que vous avez
soulevé un problème extrêmement important et que nous
connaissons une situation de ce type comme le problème de la
sous-administration. C'est une des choses qui m'ont surpris en étudiant
les structures politiques et administratives de ce pays, que de constater
combien l'armature administrative proprement dite, l'armature
décentralisée de l'Etat, était souvent faible dans les
régions éloignées.
Dans un pays comme la France, qui est un pays administré et
"suradministré" depuis très longtemps, cela date depuis
Napoléon, et bien avant, dans la plus petite région vous
retrouvez le percepteur, le sous-préfet, absolument tout, toute une
espèce de corps administratif qui tient le pays et qui l'empêche
un tout petit peu de respirer aussi. Je prends un exemple, tout à fait
lointain, que nous avons étudié, je le cite parce qu'il va
rejoindre ce que vous dites. Nous faisons des recherches sur le cas de la
Grèce. Il y avait des députés dans certaines
régions qui étaient obligés d'offrir leur
téléphone quand il y avait quelqu'un de malade parce qu'il n'y
avait pas de service pour le recueillir. Ils étaient obligés de
faire eux-mêmes les démarches pour les électeurs lorsqu'ils
voulaient avoir un permis pour l'immigration parce qu'il n'y avait pas de
fonctionnaire qui pouvait s'en occuper. Autrement dit, il y avait un
député qui, par la force des choses, jouait un rôle
d'administrateur parce que le territoire était entièrement
sous-administré.
La situation du Québec est tout de même fort
différente de celle de la Grèce. Mais ce qui est probable
et je crois qu'on pourrait définir cela scientifiquement, c'est
que la densité d'administration et les facilités administratives
ne sont pas les mêmes partout. Bien entendu, tout cela peut-être
nuancé. Je veux dire qu'il y a là, à la fois, des
problèmes de patronage que nous connaissons tous, mais en même
temps il y a des problèmes plus profonds qui sont des problèmes
d'administration. Vous avez eu aux Etats-Unis un problème qui a
été connu longtemps sous le nom de la machine. On est parti en
guerre contre les machines. Les machines étaient des instruments de
corruption à beaucoup d'égards. En même temps, les machines
ont représenté, à une certaine époque, dans la vie
politique américaine, ce que l'administration américaine ne
donnait pas.
Vous avez, par exemple, un Italien qui débarquait à New
York. Il ne savait pas parler l'anglais et ne savait pas où aller. La
machine le recueillait parce qu'à l'époque il n'y avait pas de
structures sociales d'accueil, il n'y avait pas de sécurité
sociale, il n'y avait pas d'assurance-chômage, il n'y avait rien. Ce qui
fait qu'on a vu aux États-Unis la machine décliner au fur et
à mesure que l'on a généralisé les pratiques de la
sécurité sociale et du bien-être. J'imagine que si l'on
développait un tout petit peu l'administration à l'échelle
québécoise, ce qu'on a pensé à faire dans le cas
d'un certain nombre de plans, à développer l'armature
administrative, soit par décentralisation des services, soit par
surgisse-ment d'une administration locale, à ce moment-là le
problème se poserait moins. Mais le problème se pose et là
je ne parle pas du domaine rural-rubain, je parle d'une espèce de
densité de vie administrative. Cela m'apparaft quelque chose de
très important et dont il faut tenir compte dans le calcul de ces
unités naturelles dont je parlais tout à l'heure. C'est la
densité, ou plutôt l'absence de densité de l'administration
qui fait, qu'on le veuille ou non, que cela nous plaise ou non, que le
député doit accomplir des tâches sans pouvoir dire: Voyez
tel bureau, ou tel monsieur. Le monsieur n'est pas là et le bureau n'est
pas là.
C'est un problème qui ne se pose pas dans un pays comme la France
qui est ultra-administré, mais il peut se poser ici, c'est
incontestable. Je veux dire que, dans la différence qu'il y a souvent
entre les régions dites rurales ou semi-rurales et les régions
urbaines, ce sont des problèmes de type qualitatif comme celui-là
et qu'on peut essayer de cerner. Je crois qu'on peut traiter
sérieusement ces problèmes.
M. LE PRESIDENT: M. Paul.
M. PAUL: M. Meynaud, vous avez mentionné au début de vos
remarques qu'actuellement le peuple allemand regarde vers le système
parlementaire de l'Italie pour le mettre en application à la place du
système proportionnel qui est en usage. Avec l'expérience que
vous avez, la connaissance du milieu québécois, est-ce que vous
pourriez, sans vous engager, nous donner vos impressions et nous faire
connaître la possibilité ou les avantages d'un système
proportionnel qui pourrait être appliqué dans le Québec
à la lumière de l'expérience que vous avez acquise,
théorique et pratique dans certains cas, et surtout en tenant compte
d'un certain retour chez les pays ou chez les peuples ou tel système
proportionnel existe.
M. MEYNAUD: Vous savez qu'il y a de véritables experts du
système proportionnel. Il y a des livres entiers qui ont
été écrits là-dessus. Le système
proportionnel est la chose la plus complexe qui soit, il y a des gens qui
passent leur vie à l'étudier.
Ce qu'on peut retenir du système proportionnel, je crois que la
chose la plus importante est l'idée d'établir une certaine
proportionnalité entre le nombre des voix et le nombre des
sièges.
Maintenant, les systèmes de la proportionnelle sont très
différents. Il y en a qui favorisent les grands partis, les petits
partis, cela dépend de la taille de la circonscription choisie. Alors on
pourrait à la limite se dire c'est un peu le cas d'Israël
: On va considérer le Québec comme une circonscription, et
on va établir un certain nombre de listes pour chaque parti. Ces listes
seront présentées à l'ensemble des électeurs du
Québec et, à partir de là, ils choisiront. En pourcentage
des voix, on distribuera alors les sièges selon l'ordre de la liste.
Il est évident qu'à ce moment, les partis qui auront
établi les listes seront pratiquement très puissants et ce
système, à mon avis, est inapplicable ici, parce que le pays est
beaucoup trop grand. On peut l'appliquer dans un petit pays comme Israël,
parce qu'effectivement Israël, dans sa partie la moins large, peut
être traversé en une demi-heure, moins d'une heure, mais ici cela
n'est pas possible. Donc, on ne peut pas avoir, je crois ici, une
proportionnelle intégrale. Alors, à ce moment, on peut
considérer de faire une proportionnelle dans un certain nombre de
régions, notamment les régions économiques, diviser le
Québec en dix ou douze et faire jouer la proportionnelle dans chacune de
ces régions. A ce moment, les partis constituent leur liste, mais ce
sont des listes différentes selon les régions.
L'ennui, c'est qu'à ce moment la proportionnelle devient moins
juste, parce qu'il peut y avoir des inégalités. Il peut y avoir
des partis qui ne seront pas servis. Contrairement à ce que l'on pense,
la proportionnelle laisse une grande marge d'inégalité. Dans le
premier régime français de 1946, il fallait aux grands partis
30,000 ou 40,000 voix pour avoir un siège et une voix sur 120,000 au
rassemblement des gauches républicaines, enfin ce que l'on appelait les
gauches républicaines qui n'étaient pas très à
gauche, elles étaient républicaines disons. Il a fallu 120,000
voix parce que le système proportionnel jouait de cette
manière.
Alors, il y a un système encore plus compliqué qui
consiste à dire: On va avoir une première répartition dans
le cadre de dix régions et toutes les voix non utilisées seront
bloquées, et à l'échelon national, et il y aura une
deuxième répartition. L'avantage évidemment c'est que l'on
tend à photographier le corps électoral. Est-ce que l'on tend
à multiplier les partis? C'est possible. C'est peut-être
même probable, et j'avouerai que les partis les plus menacés par
la proportionnelle sont les partis qui ont une idéologie parce que tous
les partis idéologiques sont divisés idéologique-ment. Et
la proportionnelle souvent amène les partis à se diviser. Si je
prends le cas italien, il y a trois partis socialistes, peut-être quatre
aujourd'hui, mais il n'y a qu'un parti catholique et qu'un parti communiste,
parce qu'il y a des forces qui les ont gardés chacun unis.
On risque donc, si l'on établit une proportionnelle, d'avoir un
gouvernement difficile à constituer. Cela veut dire que c'est un
problème de valeur. Je crois pour répondre à la
question de M. Lacroix tout à l'heure que le système
idéal n'existe pas. Il y a un certain nombre de valeurs, dont on peut
dire, comme M. Charron le disait, que ce sont des valeurs en évolution,
mais on ne peut avoir toutes les valeurs satisfaites en même temps. La
proportionnelle a aussi quelque chose que l'on peut considérer comme un
avantage ou un inconvénient, cela dépend de la valeur que l'on
adopte, elle tend à amortir les mouvements politiques. Elle tend, si
vous voulez, à jouer le rôle d'une espèce de frein
général. C'est une espèce de gâteau que l'on partage
et, une fois qu'il est partagé, cela n'évolue que fort
lentement.
Ce qui fait que très souvent le renouvellement du personnel
politique s'effectue avec beaucoup plus de lenteur que dans un régime
où il y a des mouvements, où les gens sont chahutés d'une
élection à l'autre. Vous voyez que le principal
élément de la proportionnelle, c'est justement de donner aux gens
l'impression qu'ils sont représentés, ce que ne donne pas le
système allemand, avec 5 p. c. des voix qui écartent justement
tout ce que l'on appelle dédaigneusement des petits partis. Or, il y a
des petits partis qui ont commencé avec 4 p. c. des voix et qui ont fini
avec 50 p. c. Vous voyez, c'est cela. Seulement, la proportionnelle, en
même temps, donne l'obligation de gouverner de façon
différente.
Nous ne savons pas très bien dire ça, moi le tout premier.
Il y a des espèces de correspondances entre le mode de gouvernement et
le
style proportionnel, ce qui fait que, si vous instauriez un
système proportionnel au Québec, j'entends une
proportionnelle intégrale d'abord, je ne suis pas du tout
sûr que ça correspondrait à ce que les gens sentent ici,
à ce qu'ils pensent, à ce qu'ils souhaitent. Je ne suis pas
sûr qu'un système proportionnel intégral serait bien vu et
serait compris. En tout cas, ça vous obligerait probablement à
changer complètement le système politique et probablement aussi
le système administratif. C'est un point auquel on ne fait pas allusion,
voyez-vous, quand on tire le système électoral. C'est comme, dans
certains cas, quand on tire un tiroir, ils viennent tous en même
temps.
Une question dont on ne parle pas, c'est le recrutement des
fonctionnaires. Or, dans les pays à régime proportionnel, il y a
des gouvernements de coalition et, naturellement, les hauts fonctionnaires sont
choisis selon un système de coalition. Vous avez un président des
PTT suisses, il est socialiste. Le vice-président sera
chrétien-démocrate et l'autre vice-président sera radical.
Et c'est normal. Le gouvernement par coalition retentit sur le recrutement des
fonctionnaires. Vous voyez que, si vous changez le système
électoral à la base, vous avez satisfait la valeur justice, mais
en même temps, vous avez modifié les conditions de fonctionnement
du gouvernement et probablement aussi les conditions de recrutement de
l'administration et, à partir de là, tout le système.
Or, l'exigence proportionnelle ne me paraît pas correspondre, si
vous voulez, à une demande ici. Ce qu'on demande ici, c'est un
régime qui corrige un système qui, il faut bien le dire, est
assez dur pour les partis qui n'en profitent pas, mais l'exigence
proportionnelle ne me paraît pas venir du fond d'une large masse de la
population. Sur ce point, vous êtes plutôt de tradition
britannique. Les systèmes proportionnels en Europe, au contraire, ont eu
un vieux fondement qui est venu des partis socialistes. C'est de la gauche
qu'est venue l'exigence de la proportionnelle en Europe, le grand
développement des partis socialistes, le grand développement des
partis de gauche, et il y a eu, à ce moment-là, un mouvement
populaire pour la proportionnelle qui ne me paraît pas exister ici. Ici,
ce qu'on demande, c'est une correction, si je comprends bien. On admet que
c'est l'uninominal qui doit continuer à régner et je pense que
ça correspond, malgré tout, beaucoup plus à la
mentalité québécoise qu'un régime proportionnel. Je
crois qu'on désorienterait complètement les gens si on faisait
demain un régime proportionnel intégral et si on se retrouvait
à la Chambre avec quatre ou cinq partis dont aucun n'aurait la
majorité, qui devraient se coaliser pour gouverner et qui, à
partir de là, devraient se partager l'administration comme le font les
Néerlandais dont je parlais tout à l'heure. Ce serait un
changement complet. On ne changerait pas le système électoral. On
changerait tout le système du pays. Mais je ne crois pas que personne
veuille faire ça.
M. PAUL: M. le Président, vos remarques, M. Meynaud, sur le
système uninominal m'empêchent ou ne me justifient pas de vous
poser une question sur ce propre système. Est-ce que vous croyez, M.
Meynaud, que la redistribution de la carte électorale, telle que nous
l'avons actuellement dans le Québec, peut créer des injustices
politiques?
M. MEYNAUD: Je dois dire que c'est le sujet sur lequel je suis le moins
bien préparé à parler. Ce n'est pas par manque de
volonté ou de courage intellectuel, mais parce que c'est
évidemment la question que je connais le moins bien. Mais il est
évident que, lorsqu'une situation politique existe, lorsqu'un certain
nombre de liaisons et de relations et de rapports se sont créés,
il est parfois dangereux de les détruire d'un coup. Autrement dit, en
politique, il est souvent préférable ce n'est pas
d'ailleurs mon tempérament personnel, je n'ai que plus de mérite
à le dire de témoigner d'une certaine patience, d'un
certain esprit évolutif.
M. PAUL:L'imperfection est souvent encore mieux qu'une injustice par
innovation.
M. MEYNAUD: II est certain qu'on taille dans le vif, si je puis dire, et
on peut créer des situations irréversibles. Or, ce qui me frappe
à l'heure actuelle dans le monde, ce sont justement certains
attachements locaux, certains attachements régionaux qui sont infiniment
plus forts que tout ce qu'on croyait, et c'est pour ça que tout à
l'heure, en commençant, je faisais allusion à cela. Vous avez
certainement vu dans les journaux ces batailles qui se déroulent en
Italie auprès de deux villes régionales (Calabre). On a
désigné une capitale régionale. L'autre ne veut rien
céder. Il y a de véritables batailles. On peut dire que c'est
l'esprit de clocher, les Italiens appellent ça du "campaniliomo", c'est
très joli, mais ça correspond, si vous voulez, à
l'idée que peut-être notre système actuel conduit vers un
appauvrissement.
En Europe c'est très clair. L'Europe à l'heure actuelle
est en train de se constituer autour du Rhin: le Rhin, ses affluents, la France
du Nord et de l'Est, la Belgique, la Hollande, la Rhur. Tout le reste de
l'Europe est en train de se dépeupler. D'ici 20 ou 30 ans si ça
continue, toute la face de l'Atlantique va devenir quelque chose de
désert. Est-ce que c'est une bonne chose? Est-ce qu'il faut accepter
ça en disant: II n'y a rien à faire, poussons à la roue?
Ou faut-il essayer de recréer une vie régionale? Il me semble
qu'on risque de perdre toute une catégorie de richesse,
d'originalité, si on concentre tout le Québec sur
Montréal. C'est peut-être bon du point de vue économique.
Je demande à discuter. On peut discuter. Mais est-ce que c'est la seule
valeur qui compte? Est-ce que les Français ont intérêt
à laisser tomber toute la région des Landes, toute la
région de l'ouest de la France, pour aller peupler les environs du
Rhin? Evidemment, c'est plus efficace, il y a le charbon, le fer, les
usines, les canaux, etc.
C'est ça la politique finalement. S'il s'agissait simplement
je n'ai pas à vous apprendre ça de mettre des
chiffres et d'aligner, ce serait facile. Mais la politique c'est essayer de
tenir compte de ces valeurs et essayer de deviner où le monde va, non
pas tellement pour courir après ce qu'on fait à l'heure
actuelle ce qu'on appelle la prospective mais essayer de se dire:
Est-il sage d'aboutir à des pays qui vont absolument être des
déserts si on les laisse faire? Et si on ne veut pas laisser faire, que
faut-il faire?
C'est en ce sens qu'on peut peut-être commettre des injustices, en
ne considérant pas qu'il y a peut-être des possibilités de
revaloriser tout ça. Je crois qu'il faut tenir compte de toutes les
richesses d'un pays et que nous sommes en train à l'heure actuelle d'en
saccager un certain nombre sur tous les plans, parce qu'en définitive
nous courons après l'évolution technique, nous n'avons jamais
été capables de la maîtriser et elle est en train de nous
dominer et de nous appauvrir, sans aucun doute. C'est peut-être une vue
qui est très loin des systèmes électoraux,
celle-là, mais je dois dire que tout ce qu'on dit est dominé par
un certain nombre d'idées, bien sûr.
M. LE PRESIDENT: M. Joron.
M. JORON: J'ai deux questions à vous poser, M. Meynaud.
M. MEYNAUD: Bien volontiers.
M. JORON: La première porte sur le mode de scrutin. Vous avez dit
il y a quelques instants qu'il vous apparaissait que ce que l'on recherchait
ici, lorsqu'on discute de remanier notre système électoral, c'est
d'y introduire une correction, correction à la disproportion qui peut
exister entre le vote populaire d'une part et la répartition des
sièges d'autre part.
Vous avez dit, d'autre part, qu'il vous apparaissait que nous
étions, Québécois, quand même passablement
traditionnalistes dans un sens, et que nous respections la tradition
britannique qui n'attache pas beaucoup d'importance et c'est vrai
à ce phénomène-là.
Cependant il est bon de se rappeler que 60 p. c. de la population, au
moment où l'on se parle, au Québec a moins de 30 ans. Et je doute
qu'elle participe à cette culture politique-là. Elle est
peut-être en train d'en former une nouvelle, comme l'évoquait tout
à l'heure M. Charron.
La soif de justice chez cette partie de la population est plus
aiguë peut-être que chez les autres. Cette population
m'apparaît ne plus accepter le système uninominal à un tour
qui peut provoquer cette disproportion.
Quand vous parliez tout à l'heure de correction, je voudrais vous
demander, à ce sujet comment on peut corriger cette
inégalité sans adopter la proportionnelle d'une part. D'autre
part, comme vous êtes Français c'est une question que j'ai
posée la semaine dernière à M. Bonenfant et lui
s'était déclaré très sensible à cette
question ne voyez-vous pas un danger très grand qui menace
même la légitimité de nos institutions parce qu'une bonne
partie de la population, celle qui est en train de bâtir une culture
politique, rejetterait finalement nos institutions si elles ne correspondaient
pas à leur idéal ou à leur conception de la justice?
M. MEYNAUD: Je peux répondre pratiquement à toutes les
questions que vous avez posées, mais la plus importante effectivement
c'est que tout système électoral n'est pas une simple
mécanique si on la considère de cette façon on se
trompe et tend à un certain nombre de valeurs. Ces valeurs, on
peut les choisir d'une manière ou d'une autre.
L'expert n'a pas voix au chapitre sur ce plan. On dit: Nous voulons que
la valeur justice prédomine. Essayez de faire ça. Ou nous
voulons, au contraire, que la valeur efficacité prédomine.
Essayez de faire ça. A l'heure actuelle le phénomène des
jeunes est un phénomène absolument mondial. Dans la mesure
où les jeunes ont une pensée politique articulée ce
qui n'est pas toujours le cas qu'est-ce qu'ils veulent exactement? A ce
sujet, les enquêtes les plus diverses donnent souvent des
résultats assez souvent contradictoires. Autrement dit, les gens qui
parmi les jeunes rejettent le système, sont-ils
récupérables par une simple modification du système
électoral? C'est une autre histoire. Je veux dire que sur ces points il
est difficile de parler en termes strictement précis. C'est un tout
petit peu le choix d'une philosophie de la vie, de l'existence.
Si vous voulez corriger le système uninominal, je pense alors
qu'il n'y a pas d'autres moyens que de faire appel à une certaine
combinaison de distribution proportionnelle. Là, ce n'est pas la
technique qui est en cause. Que l'on prenne un pourcentage de 30 p. c, 25 p. c.
ou de 10 p. c. des députés pour compenser un écart, il n'y
a pas d'autres moyens que de prendre le système uninominal et d'essayer
de compenser. Ce qu'il faut voir c'est que cette compensation n'est pas quelque
chose de simplement mécanique. Cela va entraîner des
conséquences sur toute la vie politique et sociale.
Maintenant si les Anglais c'est la question la plus
intéressante acceptent le système politique uninominal,
c'est parce que ce système est censé recréer les
conditions de son fonctionnement correct, c'est-à-dire qu'il est
censé éliminer les partis qui gênent soit les
troisième et quatrième partis. Il est censé au bout d'un
certain temps ramener la vie politique vers deux partis. Il est certain, si
vous prenez la politique anglaise, qu'elle a été
extrêmement compliquée tant qu'il y avait le
parti conservateur, le parti libéral et le parti travailliste.
Les Anglais ont été obligés de gouverner par des
régimes de coalition et, entre les deux guerres, ils ont eu beaucoup de
difficultés parce que ce n'était pas l'esprit du système.
Et les libéraux ont disparu. On est revenu à cette espèce
de balancier qui fait que je profite aujourd'hui du système et que tu en
profiteras demain. Donc il n'y a pas de problème.
Autrement dit, le régime uninominal devient intolérable
à partir du moment où il y a plusieurs partis mais ces partisans
vous disent: Le but, en tout le cas le résultat du système
uninominal c'est au bout d'un temps défini de ramener le système
sur la voie des deux partis. Est-ce que justement nous allons vers une
époque où les valeurs sont telles qu'elles ne peuvent plus
s'enfermer dans deux partis? C'est une question tout à fait
différente. Je peux raisonner ici en termes de mécanique
électorale et, pour le reste, je peux tout simplement poser des
problèmes. Si véritablement la situation est telle qu'il y ait
place au Québec pour ce que nous appelons en France, je ne sais pas
très bien pourquoi, les familles intellectuelles, politiques ou
spirituelles irréductibles les unes aux autres et en plus grand nombre
que deux, effectivement, à ce moment-là, le système
uninominal est ressenti comme une injustice permanente. Si, en
définitive, au bout d'une certaine période le système doit
se simplifier, à ce moment-là la question est tout à fait
différente. Je suis dans l'incapacité de répondre à
ce problème; il dépend de l'évolution du corps
électoral québécois. Ce n'est pas à moi à
décider.
C'est là la question. La question est de savoir. Qu'il y ait eu
dans le système anglais trois ou quatre partis, cela a existé.
Aux Etats-Unis il y a eu aussi des partis dans le sud, il y a eu le parti du
sénateur LaFollette. Finalement, aux Etats-Unis on est revenu à
deux partis. Le Canada j'entends le Canada fédéral
a trois partis. Les résultats y ont été que pendant
longtemps, pendant plusieurs Législatures, il a fallu y créer des
gouvernements minoritaires au niveau d'Ottawa, ce qui n'est pas conforme
à l'esprit du régime parlementaire parce que là, il semble
bien qu'il y ait une famille libérale, une famille conservatrice un peu
clairsemée dans les Etats de l'Ouest et une autre famille socialiste ou
socialisante. A ce moment-là, effectivement il y a des
problèmes.
M. DUMONT: II y a quatre partis au fédéral. M. MEYNAUD:
Oui. Excusez-moi.
M. JORON: M. le Président, si vous me permettez, je vais poser ma
deuxième question à M. Meynaud.
Vous avez dit tout à l'heure que la réforme que nous
entreprenons dépend d'une série de questions. Parmi
celles-là, vous avez mentionné qu'il y a un choix à faire
au départ quant au type de députés, à la
définition de la fonction de député d'une part. Je me
demande s'il n'y a pas aussi la question qu'il faudrait se poser quant aux
partis politiques eux-mêmes puisque les partis sont évidemment les
acteurs de la scène politique.
La qualité de leur vie interne influence peut-être, ou
prédétermine en quelque sorte le choix des institutions que nous
devons faire. Je remarquais que, dans la convocation de la réunion de ce
matin, trois sujets étaient annoncés, dont le financement des
partis. Je voulais vous demander dans quelle mesure les méthodes de
financement des partis politiques sont-elles...
M. HARDY: M. le Président, nous n'avons pas fini le premier
problème.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Un instant!
M. HARDY: J'ai encore des questions à poser sur la
première question.
M. JORON: M. le Président, je ne vois pas pourquoi je n'aurais
pas le loisir de poser toutes les questions que je voudrai....
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'invoque le
règlement.
M. JORON: M. le Président, je vous demande...
M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'invoque le
règlement.
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! Un à la fois.
M. LE PRESIDENT: Un instant, s'il vous plaît! Si je comprends
bien, nous avons, au tout début, demandé à M. Meynaud
d'expliquer, sauf erreur, le premier point de son témoignage. Je n'ai
pas entendu la question du député de Gouin. Est-ce que vous
pourriez la poser? Je pourrai décider, à ce moment-là, si
elle peut être traitée immédiatement ou non.
M. JORON: Je vous remercie, M. le Président. Je vais poser ma
question. Vous statuerez de sa recevabilité par la suite. Je demandais
à M. Meynaud dans quelle mesure les méthodes de financement des
partis politiques sont un facteur qui influence la qualité même de
notre vie politique et si, à son avis, à titre d'observateur de
la vie politique québécoise, nos habitudes lui apparaissent
correctes et comment elles se comparent avec ce qui se passe dans d'autres pays
à ce sujet-là et s'il avait des suggestions précises
à faire, quitte à...
UNE VOIX: C'est une question...
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! A l'ordre! Ecoutez, je suis prêt, je
pense à...
UNE VOIX: Cela n'a pas été la question qu'il a
posée...
M. LE PRESIDENT: Mais non, il ne l'avait pas posée cette
question. Je lui ai permis de la poser actuellement. Il y a des
députés qui ont demandé la parole pour poser des questions
spécifiquement sur le premier point dont a traité le
témoin. Il y a M. Hardy et M. Tremblay. En ce qui me concerne, je
préférerais je ne sais pas si c'est le voeu de la
commission que nous vidions le plus possible le premier point, quitte
à demander après à M. Meynaud de nous entretenir du
deuxième point ou du troisième. La commission décidera de
l'ordre soit du financement des partis, et nous recommencerons le même
processus du questionnaire des membres de la commission.
DES VOIX: D'accord! D'accord!
M. HARDY: M. le Président, contrairement à ce qu'a
laissé entendre tantôt le député de Gouin d'une
façon tout à fait injuste, je suis loin de vouloir écarter
le problème du financement des partis.
M. JORON: Alors, je m'excuse! Tant mieux! Tant mieux!
M. HARDY: Je crois que c'est une question fondamentale. On s'est entendu
au comité directeur pour traiter cette question et, quand le temps sera
venu, nous la traiterons. Simplement, pour une question de méthodologie
normale, je crois que la façon de procéder que nous avons
adoptée jusqu'ici à chacune de nos séances, de traiter
sujet par sujet, est la meilleure. Personnellement, j'ai encore au moins une
couple de questions à poser sur le problème des modes de scrutin
et, par la suite, si la commission en vient à vouloir entendre M.
Meynaud sur le financement, je serai tout à fait heureux qu'on le fasse
tout de suite.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, si mon collègue
me le permet, je suis tout à fait d'accord avec lui. Nous avons
personne n'a à s'en surprendre devant nous un témoin de
très grande qualité. Je l'ai dit tout à l'heure, et j'y
reviens. Il a abordé un problème au départ, et nous avions
convenu de suivre la procédure que nous avions suivie jusqu'à
présent. Le problème du financement des partis a
été mis à l'ordre du jour de nos discussions. Il
appartiendra au comité directeur d'établir
l'échéancier, de fixer l'ordre du jour des séances qui
suivront. Pour l'instant, quant à moi, je ne crois pas avoir encore
épuisé les questions que je souhaitais poser à M. le
professeur Meynaud. J'aimerais que l'on puisse approfondir les problèmes
qu'il a évoqués sans pour autant négliger les autres qui
préoccupent d'autres collègues.
M. le Président, j'ajoute, en terminant, cette observation que
j'ai déjà faite; il n'y a pas péril en la demeure, il n'y
a pas de précipitation et le sujet de la réforme
électorale c'est M. le professeur qui le disait encore tout
à l'heure est un sujet d'une telle importance que nous ne devons
pas agir avec une hâte fébrile qui nous empêcherait de
toucher le fond des problèmes et de voir toutes les issues, les
différentes suggestions qui nous seront faites par les experts.
Partis de droite et de gauche
M. HARDY: M. le Président, je voulais poser à M. Meynaud
la question suivante: A la lumière des études que j'ai pu faire
du fonctionnement de la vie politique de certains partis, il m'est
arrivé de me demander si les modes de scrutin favorisant le
multipartisme n'auraient pas, à la longue, pour conséquence, de
favoriser la droite au détriment de la gauche. Parce que, les partis de
gauche, étant par définition plus idéologiques, ont
tendance à se diviser. Evidemment, avec tout ce que ces termes peuvent
avoir de plus ou moins relatif, les partis de gauche ou la gauche comme telle a
tendance à se diviser beaucoup plus que la droite, parce qu'étant
plus idéologique. Est-ce qu'un mode de scrutin favorisant la
multiplicité des partis n'a pas, justement, pour conséquence de
permettre à la droite qui, par nature, est plus unifiée, de
former un bloc plus homogène et à la gauche, de son
côté, se divisant, n'a pas pour conséquence de maintenir
plus facilement la droite au pouvoir que la gauche? Est-ce qu'un mode de
scrutin, quel qu'il soit, que ce soit proportionnel intégral ou
proportionnel mitigé, n'a pas, à toutes fins pratiques, pour
conséquence de favoriser le maintien au pouvoir d'un parti de droite au
détriment d'un parti qui serait de gauche? Je me fonde, en particulier,
sur l'expérience française.
M. MEYNAUD: Prenons un cas bien connu comme le cas, anglais. J'admets
presque, en fait, qu'un régime proportionnel aurait divisé
davantage le parti travailliste qui est idéologiquement très
divisé. Il y a au moins un tiers des députés travaillistes
qui vomissent le leader quel qu'il soit, qui sont d'une gauche beaucoup plus
accentuée et, en sens inverse, il est possible que le parti conservateur
qui est un parti hautement pragmatique, ait moins souffert de cette
possibilité d'émiettement. Le cas italien est très curieux
parce qu'effectivement la démocratie chrétienne est
composée d'une série de factions qui se battent mais il y a quand
même derrière le Pape les organisations catholiques et ils ont
réussi à maintenir l'unité. Le parti communiste aussi,
mais le parti socialiste qui est entre, s'est fragmenté, redivisé
et c'est un fait que la proportionnelle n'a pas nécessairement
facilité les partis de gauche encore qu'au départ, le
système soit venu de ce secteur de l'opinion. Parce que la
proportionnelle est très dangereuse pour un parti idéologique. Un
parti fortement
idéologique est un parti qui, presque nécessairement, se
redivise. Et tout système proportionnel qui offre à une fraction
de ce parti possibilité d'obtenir sa représentation comporte une
tentation de division. Et les partis qui ne se sont pas divisés sont les
partis extrêmement calmes comme la Suède, la Suisse et quelques
autres qui, eux, sont proportionnels mais qui ne se divisent pas parce qu'ils
sont proportionnels mais parce qu'ils sont aussi très placides. Je pense
qu'il y a là une question de tempérament politique qu'on ne peut
pas ne pas poser.
Je crois que la proportionnelle est un risque de division parce que
l'uninominal est très simple. C'est un arrêt de mort qu'on signe
quand on divise le parti. Si les travaillistes se divisaient en Angleterre, ils
se condamneraient à sortir du pouvoir pour 25 ans, ils le savent, alors,
ils se supportent. Ils restent un bloc. A partir du moment où il y a une
possibilité d'avoir un siège, ou deux, ou cinq sièges,
à ce moment, on va sortir du parti pour faire un autre parti.
Je crois que vous avez mis l'accent sur quelque chose de très
important parce que le système électoral agit sur le nombre et
sur le style des partis.
Il est bien évident que ce n'est pas la même chose entre un
parti qui a la possibilité de placer ses hommes comme il le veut et un
parti où, au contraire, les députés ont une certaine
autonomie par rapport au parti. Vous avez des cas, j'en connais, où il y
avait même des tensions entre l'aile parlementaire du parti et la
bureaucratie du parti. Avec un régime proportionnel, cela n'arrive pas
parce que c'est la bureaucratie du parti qui, généralement, a le
dernier mot. C'est tout cela. Ce sont un peu comme des boites de Pandore: quand
on les ouvre, on trouve des tas de choses. Quant au fait que la proportionnelle
est plus dangereuse pour les partis fortement motivés sur le plan
idéologique que pour les partis plus pragmatiques, je crois qu'on peut
tout de même se hasarder à faire une généralisation
là-dessus.
M. HARDY: Je reprends le fil des questions ou des observations de mon
collègue de Saint-Jacques. En écoutant ses questions ou ses
observations, je me suis posé personnellement la question suivante!
Est-ce que pour nous, législateurs, qui avons à adopter une
nouvelle loi électorale ou possiblement un mode de scrutin, nous devons
nous poser comme principale question ou donner comme principal objectif
à cette réforme électorale, la vie politique ou la culture
politique qui sera celle de demain? En d'autres termes, est-ce que les
institutions politiques que nous devons adopter aujourd'hui doivent avoir pour
effet de favoriser l'avènement de telle ou telle culture politique ou
plutôt de donner la possibilité à la culture politique
actuelle de s'exprimer? En d'autres termes, est-ce qu'un mode de scrutin ou une
loi électorale doit favoriser telle orientation de la vie politique dans
le futur ou doit-il plutôt essayer de permettre à la vie politique
actuelle de s'exprimer le plus adéquatement possible?
M. MEYNAUD: J'ai consacré pas mal de temps et d'études
à ce que j'appelle, à l'heure actuelle, l'étude de
l'avenir. L'avenir est souvent devenu une espèce d'alibi: rien ne va
pour le moment, mais pensons à l'avenir brillant, illuminé,
ensoleillé, etc. J'avais même créé un mot pour
désigner cette espèce de fuite en avant qui s'appelait
"l'avenirisme" une espèce d'idéologie de l'avenir. Je veux dire
qu'il faut aborder l'avenir avec la volonté de le modeler, de le
façonner, d'aider à le créer. Nous avons un certain nombre
d'idées et, tant que nous vivrons, c'est notre droit le plus absolu
d'essayer de construire des institutions qui le revalorisent. Sinon, qu'est-ce
que nous ferions, nous députés, je dirais nous, professeurs? Nous
acceptons tout simplement une espèce de fatalité qui je le
répète n'est pas claire. Je pense que l'un des grands avantages
du métier de professeur, il y en a d'autres d'ailleurs,
c'est justement d'être en contact constant avec des jeunes qui se
renouvellent sans cesse. J'en ai déjà vu passer trente
années. C'est un minimum. En un sens, cela donne tout de même une
certaine tendance à ne pas trop s'encroûter. Par
conséquent, je ne crois pas être insensible à ce que
j'entends autour de moi sous la seule réserve que c'est souvent un peu
plus complexe qu'on le croirait en écoutant un certain nombre de
déclarations. Dans la mesure où ça nous paraît
correspondre à une vue valable de l'avenir, il faut l'accepter. Je crois
qu'il faut tenir mordicus à la notion d'une participation humaine contre
les participations de type électronique que l'on nous propose si
nous voulons rester des hommes ou des robots en l'an 2000, dans la mesure
où ces tendances d'une nouvelle culture nous paraissent bonnes, nous
devons lutter pour elles, mais dans la mesure où nous ne sommes pas
d'accord, rien ne nous empêche de le faire.
Je veux dire que la considération de ce qui peut se passer ne
nous oblige pas à nous jeter à la remorque de ce qu'on dit qui va
arriver. Si on prend pour exemple l'histoire, elle nous enseigne une certaine
humilité. Imaginez l'homme le plus intelligent de la terre en 1914 et
demandez-lui l'état du monde en 1925... H faut être prudent vous
savez quand on veut dégager les grandes tendances de l'avenir.
Mais, je crois que, dans le système électoral que l'on
construit, il faut tenir compte, premièrement du tempérament
politique du peuple auquel on s'adresse. Les peuples ne sont pas
interchangeables en politique, ils le sont peut-être en matière
économique, on peut remplacer une usine par une autre usine, je persiste
à penser que les cultures politiques ne sont pas remplaçables et
ne sont pas superposables. Peut-être parce que j'ai vécu dans un
grand nombre de pays, que j'ai enseigné dans plusieurs pays
différents et que j'ai acquis une espèce de
notion de la relativité des choses. Il faut en même temps
prendre en considération la culture, telle qu'elle existe, ce que l'on
veut faire, les projets que l'on veut avoir il est certain que dans un
pays comme le Québec, il y a tellement de problèmes, vous les
connaissez, peut-être que la solution n'est pas à rechercher comme
on peut la rechercher dans un pays comme la Suède qui a tellement moins
de problèmes.
Et troisièmement, il faut évidemment essayer de lire
c'est très difficile l'avenir, ce que l'on appelle les
causalités naissantes et à partir de là essayer
d'intégrer dans ces institutions peut-être une partie de ces
valeurs, mais si ces valeurs ne nous plaisent pas et moi, je suis loin
de tout rejeter, je suis loin de tout endosser à ce
moment-là, nous devons considérer qu'il n'y a pas de
déterminisme en matière humaine et qu'il faut essayer de faire
quelque chose. Pour moi c'est clair, que tout système politique qui se
coupe du passé s'expose à errer absolument, je crois aux valeurs
historiques, je pense que le présent est en nous et sur nous et que nous
devons regarder l'avenir avec une vue critique, une vue sélective, avec
l'idée de favoriser ce qui nous parait conforme à nos valeurs,
d'engager la lutte et nous gagnerons ou ne gagnerons pas, peu importe.
C'est comme cela que j'ai toujours conçu le métier de
professeur, M. Charron peut en témoigner, en laissant aux jeunes toutes
les possibilités de dire: Je pense ceci, je veux ceci, et puis en
disant: Très bien, ça oui, ça non, parce qu'il y a tout de
même d'autres valeurs, d'autres expériences, voilà. Il me
semble qu'un système électoral doit tenir compte de tout cela,
mais de tout ce que nous avons dit. Le système électoral, c'est
l'ensemble du système politique, c'est une porte sur l'ensemble du
système politique.
Un choix que l'on fait au niveau électoral implique un choix que
l'on fait, au niveau politique. A ce niveau on y pense toujours au niveau
administratif, on n'y pense jamais. Un régime de gouvernement par
coalition, c'est un régime de coalition administrative. On est
extrêmement surpris d'entendre dans un pays, aussi calme et aussi
paisible que la Suisse, des citoyens dire: Les PTT sont présidés
par un socialiste, donc il y a un socialiste, il faut un vice-président
catholique et un vice-président radical. Puis on se bagarre
là-dessus. Et, en plus il en faut un allemand, un français, enfin
toute une autre histoire. Ce sont les complications de la politique
helvétique. Mais c'est possible dans un certain environnement, je vous
laisse là encore le soin de savoir si cela donnerait aussi, compte tenu
des besoins d'administration du Québec, le même résultat.
Tout cela est à discuter. Je comprends parfaitement les motifs qui
peuvent conduire à souhaiter des opérations correctives. Je ne
suis pas du tout aveugle à ce genre de valeur, mais la seule chose que
je demande, c'est que l'on ne considère pas le système
électoral simplement comme une méca- nique dont on peut changer
les rouages, un peu comme on change le moteur d'une voiture. Ce serait un peu
comme une transplantation du coeur. Elles ne réussisent pas toujours les
transplantations du coeur. Il y a des rejets. Effectivement, dans les pays
européens on a souvent changé de système. On se rend
compte que cela ne marche pas, alors on change; mais changer trop souvent, ce
n'est pas non plus très sérieux.
Comportements politiques
M. HARDY: M. le professeur, tantôt le député de
Gouin vous a fait part de cette renaissance de la culture politique
québécoise, de ce renouveau. Evidemment, je pense que nous sommes
tous d'accord pour reconnaître que non seulement ici au Québec,
mais à l'échelle de l'univers, il y a une
accélération dans beaucoup de choses.
Selon votre expérience qui découle de l'observation des
comportements politiques dans différents pays et au Québec et
malgré cette accélération et celle que nous pouvons
constater ici au Québec, est-ce que cette accélération
puisque c'est le Québec qui nous intéresse
présentement est tellement intense qu'elle peut vouloir signifier
que, d'ici quatre ans ou huit ans même, il y ait un espèce de
renversement total ou presque total de nos habitudes politiques, de notre
culture politique, de notre comportement politique? En d'autres termes, est-ce
que l'électorat québécois de 1974 sera presque
méconnaissable si on le compare à l'électorat de 1970 ou
de 1966?
M. MEYNAUD: Si vous m'aviez posé la question pour l'an 2,000,
j'aurais hésité. Un livre, qui m'a beaucoup amusé et qui a
été publié aux Etats-Unis il y a quelques mois, dit:
"L'électeur américain moyen est une bonne dame de 44 ans qui vit
dans tel état de ceci ou de cela." Autrement dit, si vous ajoutez, par
exemple, trois classes d'âge, soit le vote de 18 à 21 ans, en
apparence c'est quelque chose de considérable, ces trois classes. Mais
si vous rapportez ces trois classes aux 35 ou 40 classes que vous avez devant
et ce n'est un secret pour personne qu'on met assez de temps pour mourir
à l'heure actuelle; enfin, on vit tout de même assez vieux
à ce moment-là, c'est un facteur qui est presque marginal et qui
n'a pas changé grand-chose. Je veux dire qu'il n'y a pas en politique de
bouleversement.
Le grand problème des révolutions, quand on en fait, c'est
justement de faire coïncider la valeur de la révolution avec les
comportements. En général, les comportements sont à
évolution lente c'est incontestable peut-être parce
que d'ailleurs les formes politiques évoluent elles-mêmes
lentement. Là, nous retrouvons le problème des organisations de
parti. Il est incontestable qu'au fur et à mesure que les gens arrivent
à la vie politique. ils ne sont pas devant
une table rase. Alors, ils s'intègrent et le fait de les changer
est lent.
Je vais vous donner un exemple qui vous fera bien comprendre ce que je
dis là. Nous avons eu en 1945, en France, ce qui a été une
petite révolution. On a supprimé le recrutement des
fonctionnaires tel qu'il existait pour le remplacer par une Ecole nationale
d'administration. Ils étaient recrutés aux concours selon des
modes très divers. Dès le début, il y a eu dans
l'administration française, un esprit de corps. Il y avait les anciens
élèves de l'Ecole nationale d'administration. La première
année, il y en a eu une promotion, puis deux promotions, puis trois
promotions. Comme ils ont commencé en 1945 et qu'on est en 1970, il y a
25 promotions et on peut dire qu'à beaucoup d'égards, l'esprit de
l'administration française a changé et considérablement.
Ce n'est plus le même type de fonctionnaires. Ils s'occupent de questions
économiques. Ils ne méprisent pas certes les questions pratiques,
bien au contraire. Mais cela a commencé à être très
perceptible après une dizaine de promotions. On a commencé
à en entendre parler. Ils étaient très ambitieux; ils
avaient des dents assez longues. C'est très bien que les jeunes soient
ambitieux moi, je trouve ça parfait et cela nous oblige à
tenir bon mais maintenant, c'est fini. Maintenant, ils tiennent
pratiquement toute l'administration. Je pense que, c'est un peu comme
ça, les comportements politiques. Ce que nous appelons des
révolutions, lorsqu'elles réussissent, elles ne font
généralement que traduire des choses qui étaient
déjà pratiquement acquises.
M. HARDY: Donc, il n'y aurait pas de mutation radicale dans le
comportement des...
M. MEYNAUD: Une mutation en politique, je ne sais pas ce que c'est.
M. JORON: M. le Président, me permettez-vous de poser une petite
question qui s'ajoute à celle de M. Hardy?
M. HARDY: Justement, j'ai terminé.
M. LE PRESIDENT: Peut-être que le député de
Chicoutimi permettrait à M. Joron de poser sa sous-question?
M. HARDY: Je ne voudrais pas préjudicier aux droits du
député de Chicoutimi.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je veux bien que...
M. JORON: Mon sort est entre vos mains.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... le député de Gouin pose
cette question.
M. JORON: Merci. Elle est brève cette évolution, que vous
qualifiez quand même assez lente, est-ce qu'elle ne s'est pas produite
quand même d'une façon assez rapide au Québec au niveau de
valeurs comme par exemple, la chute de la pratique religieuse? Est-ce que
l'idéal de justice, par exemple, que l'on retrouvait dans la pratique
religieuse ne s'est pas très rapidement transposé à des
idéaux j'allais dire humains mais enfin terrestres?
Il y a un changement de valeurs très rapide qui est en train de
se faire au Québec. Est-ce que l'évocation que je faisais tout
à l'heure de la soif de justice ne découlerait pas de ce
fait-là?
M. MEYNAUD: C'est une question passionnante et, si je me laissais
parler, nous serions encore là à trois ou quatre heures. On peut
se demander dans quelle mesure les actes correspondant à certaines
attitudes de la pratique religieuse diminuent, parfois disparaissent, en
laissant subsister l'attitude elle-même.
Prenez la ville de Genève. C'est une ville, qui le dirait
où il y a à l'heure actuelle probablement plus de catholiques que
de protestants. Pourtant c'est une ville protestante jusqu'au bout des ongles
et ce le sera pendant très longtemps. Si bien que certains ont
pensé que les attitudes politiques étaient liées à
des attitudes religieuses anciennes et qu'une population catholique, qui
perdait le catholicisme, essayait de rechercher dans d'autres organisations les
valeurs qu'elle avait laissées. Cela correspondrait à un certain
besoin.
Autrement dit, on reste marqué par la pratique religieuse
ancienne en recherchant des attitudes politiques nouvelles, alors que les
protestants ont d'autres types d'attitudes. Effectivement ici, vous êtes
un cas passionnant, parce qu'il y a eu plusieurs traditions qui se sont
superposées: la tradition catholique et aussi la tradition des
institutions politiques britanniques. Je crois que c'est un peu ce qui donne
une certaine physionomie au problème que nous discutons ici. Ce sont
justement deux traditions fondamentales.
Le problème que nous pouvons nous poser: Est-ce que cette
évolution est rapide?
M. GIASSON: Est-ce qu'on peut déduire que le jansénisme
proverbial, religieux, que nous avions au Québec, se transpose en
jansénisme politique?
M. MEYNAUD: C'est une hypothèse que certains feraient sans aucun
doute, en disant que cela peut conduire à rechercher des partis plus
structurés, ayant des valeurs plus clairement définies. C'est une
hypothèse qu'a formulée Duverger. C'est la grande coquetterie
universitaire, la grande question qu'on discute. Je pense qu'il y a quand
même quelque chose de profond, qui va très loin et qui montre bien
à quel point il faut être prudent lorsqu'on essaie
d'apprécier les institutions qui correspondent le mieux à la
mentalité d'un peuple.
Il est certain que le fait de se détacher de
l'Eglise peut laisser subsister certaines attitudes. L'attitude est
partie, mais les conséquences de l'attitude restent. Tout cela peut, au
niveau de la politique, exercer une influence quitte à engendrer
peut-être une politique plus heurtée. Au fond de toutes les
guerres qu'on a connues dans le monde, les pires ont été les
guerres de religion. Lors des guerres du XVIe siècle en Europe, on s'est
étripé avec une joie extraordinaire, à un point qui vous
effraie. Même après avoir entendu parler des camps de
concentration, etc., on reste étonné de la sauvagerie des combats
religieux. Des peuples, qui ont été marqués par cela, ont
des comportements qui vont durer très longtemps, alors que des peuples
qui n'ont pas connu cela ont, au contraire, des vies politiques plus
calmes.
Je ne veux pas faire une liaison de cause à effet entre attitude
religieuse et attitude politique, ce serait irresponsable de ma part. Mais que
tout cela joue illustre bien le fait que tout se tient en politique
malheureusement ou heureusement.
M. GIASSON: Cela semble évident. On semble vouloir apporter la
même ferveur à suivre les pancartes, que celle que l'on mettait
à suivre les bannières autrefois.
M. MEYNAUD: Moi, étant natif du vieux pays de France, je ne suis
pas étonné. Je me trouve tout à fait à mon aise en
pays québécois. Cela en est une démonstration
aujourd'hui.
M.TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, tout à l'heure nous
parlions du pourcentage de 60 p. c. de jeunes qui auraient des attitudes
politiques, sociales différentes. Il me parait évidemment y avoir
là un postulat parce que, parmi ces jeunes dont on évalue le
pourcentage à 60 p. c, il y a évidemment des gens qui ont une
pensée très cohérente, des idéologies bien
définies, assez articulées, mais il y a aussi une grande part
d'émotivité dans le comportement de ces jeunes. C'est un facteur
qu'il est important pour les hommes politiques de retenir; il reste qu'il y a
un aspect du problème qu'il ne faut pas oublier.
Ce pourcentage de jeunes, de tous ces jeunes dont on évalue le
pourcentage à 60 p. c, se distribue quand même assez
également dans les partis politiques. Il ne faudrait pas non plus mettre
de côté une réalité. Il y a le problème de la
qualité des représentants politiques. Quel que soit le parti
politique dont ils sont membres, ces hommes peuvent être très
sensibles à tous les mouvements de pensée qui actuellement se
manifestent ou se dessinent dans la société
québécoise ou dans d'autres sociétés. Lorsqu'on
parle de culture politique, remarquez que je n'aime pas le mot "culture"
appliqué à la politique pour des raisons que vous comprendrez.
Ayant été ministre des Affaires culturelles, mes notions ne sont
pas tout à fait les mêmes! Je parlerais plutôt "d'habitudes
politi- ques" rattachant cela à un problème beaucoup plus
général, le problème des civilisations qu'il ne faut pas
confondre avec celui de la culture spécifiquement définie.
Je voulais vous demander ceci, M. le Professeur: Lorsqu'on parle de
changer le système électoral, il y a quand même un certain
nombre de critères qui me paraissent importants et qu'il faudrait
définir, particulièrement dans le cas du mode de scrutin. Deux
témoins, qui ont comparu devant nous, nous ont parlé des
critères. Vous en avez esquissé quelque-uns, notamment tout
à l'heure celui que vous appeliez "l'unité naturelle". Compte
tenu du système qui a été le nôtre jusqu'à
présent le système uninominal à un tour
compte tenu d'autre part de certaines exigences de
représentativité des parlementaires, quels seraient, selon vous,
les critères les plus importants que nous devrions retenir? Il nous
faudra, nous, de façon très pratique, nous atteler à la
tâche d'inventer ce nouveau mode de scrutin. Quelles seraient donc, M. le
professeur Meynaud, les critères que nous devrions retenir et qui
devraient servir de base, tout au moins d'orientation, pour la démarche
que nous avons entreprise?
M. MEYNAUD: Je tiens tout d'abord à m'excuser pour l'emploi de
l'expression "culture politique". C'est au fond une conception de
l'anthropologie américaine. En français, on dirait plutôt
"civilisation". Nous sommes contaminés par cette sacrée
anthropologie américaine qui nous a appris à employer le mot
"culture": ce qui crée toutes sortes de quiproquos parce qu'une culture
n'est pas nécessairement une civilisation. Au fond, le vieux sens
français de l'homme cultivé, c'est tout à fait
différent.
Quant à la question, je dois dire très honnêtement
je me suis prêté avec beaucoup de plaisir à toutes
les questions qu'on m'a posées c'est pour moi tout un honneur qu'on me
les ait posées que j'avais un peu préparé autre
chose. Je m'étais préparé à parler sur les
sondages. J'avais lu tout ce qu'on avait écrit là-dessus. Je
m'étais préparé à parler sur les finances. Je suis
mis à contribution sur des problèmes pour lesquels je n'ai pas
fait un effort de réflexion préalable. Ce que je dis est
nécessairement un peu improvisé. L'idée la plus
élevée qui m'animerait serait de ne pas tomber dans ce que
j'appelle le piège de l'uniformité qui serait de
considérer que la richesse d'un pays, sur tous les plans, est faite de
diversités, d'hétérogénéités par
conséquent. Les hommes sont intéressants parce qu'ils sont
différents. Les régions sont intéressantes parce qu'elles
sont différentes; les pays sont intéressants parce qu'ils sont
différents. C'est une des grandes hésitations que j'ai eue quand
on a parlé de faire l'Europe. C'était tout de même la
volonté de ne pas me retrouver un jour Prussien ou Napolitain je
n'ai absolument rien contre les Napolitains, mais à Naples et de
faire une Europe qui soit tout de même un pays unifié, un pays
économiquement
valable où les chemins de fer circulent, où les
marchandises circulent et qui ne perdent rien de cette extraordinaire richesse
culturelle.
Nous avons nous, en France, perdu beaucoup de choses. Peu de gens savent
que, par exemple, au milieu du XIXe siècle, on parlait en France quatre
ou cinq langues et que le français n'était que l'une d'entre
elles. Nous avons perdu toute une littérature d'oc, d'immenses
richesses. Mes enfants ne savent pas lire Mistral, par exemple, ce qui est un
drame. Et, si nous voulions recommencer cela en Europe, nous vous appauvririons
absolument. Il faut d'autant moins le faire que, dans le pays où on a eu
tendance à prêcher le rouleau compresseur, le "melting pot" les
Etats-Unis aujourd'hui, on y voit de nouveau un surgissement des groupes
particuliers.
Je trouve que c'est une richesse, dans la mesure où ces groupes
particuliers ne s'empêchent pas de s'uniformiser en ce qui doit
l'être. Il faut que les trains circulent, que les avions circulent, que
les unités de mesure soient les mêmes. Il y a toute une partie de
l'économie qu'il faut uniformiser. Mais je plaiderais pour une
diversité de civilisation et c'est dans cet esprit que, je pense, si
vous voulez prendre de très haut la question d'une carte ce serait de
considérer certaines régions, certaines parties du pays comme
comportant en elles-mêmes quelque chose de valable, peut-être
d'irremplaçable, mais en tout cas qui ne reviendra plus lorsqu'on l'aura
détruit.
Par conséquent, ce seraient des critères peut-être
flous pour le moment, mais on pourrait les "opérationnaliser". Tel que
je les formule, et sans avoir préparé d'exposé, je ne peux
donner que des vues générales. Il y a une espèce de chemin
à suivre entre deux exigences: l'une étant tout de même
l'exigence de la démocratie au sens habituel du mot un homme
égale un homme et l'autre étant l'exigence de
préserver certains types de cultures. Je ne suis pas scandalisé
que le Luxembourg soit l'un des six pays de la communauté
économique européenne. Avec ses 300,000 habitants, c'est un petit
pays extrêmement charmant et intéressant qui a une tradition qui
existe. Je ne vois pas pourquoi on le détruirait pour en faire un
département français ou allemand. Peut-être que si nous
étions civilisés, en Europe nous arriverons
peut-être un jour à l'être, ce n'est pas impossible
au lieu d'avoir six pays dans la communauté économique urbaine,
nous aurions cinquante provinces. Nous aurions une Toscane, une Bretagne, une
Wallonie.
C'est du moins ce que certains essaient de faire. Si ça devait
arriver, je dis toujours: Ne sacrifions pas l'Atlantique, parce qu'on fera un
jour une province Atlantique. Il me semble que ce pays-ci est assez grand,
assez divers, assez varié pour prendre ces idées en
considération, même si elles paraissent littéraires. Une
des tendances de la nouvelle culture, dans ce qu'elle a de valable, c'est de se
refuser à l'uniformité, c'est de se refuser à
considérer qu'un homme est remplaçable par un autre, c'est aussi
quelque chose qui doit être absolument sauvegardé.
C'est certainement un des points sur lesquels je me sens le plus en
valeur. Effectivement, tout cela comme tous les préceptes
généraux, est susceptible d'applications diverses. Je ne suis pas
aveugle, bien entendu, mais je crois que ce sont des choses qu'il faut prendre
en considération. Les chiffres sont importants, l'efficacité est
importante; nous sommes aussi des hommes et nous avons d'autres valeurs
à sauvegarder. Alors, considérons ces unités,
considérons ce qu'elles ont de particulier et de différent.
Au fond, le mot "ethnie" qu'est-ce que ça veut dire? Le mot
"ethnie", c'est un petit peut le mot allemand de "Volk". Il y a des peuples, il
y a de petits peuples qui sont extrêmement intéressants, qui ont
des traditions culturelles, linguistiques. Il me semble qu'on doit faire un
effort dans une civilisation qui a tellement d'uniformisation. On doit faire un
effort pour essayer de garder cela, c'est peut-être une richesse
future.
Nous sommes allés, en France, beaucoup trop loin dans le domaine
de la centralisation. Maintenant qu'on essaie de faire revivre la province, le
ministère des Affaires culturelles essaie de le faire avec des moyens
réduits. On se rend compte qu'il y a tellement de richesses qui sont
disparues. Toutes les fois qu'un peuple meurt, une richesse disparaît
dans certaines régions.
Est-ce que justement il ne faut pas dire: Le système politique
doit aussi tenir compte de la culture? La politique à l'heure actuelle,
c'est l'économie et la culture, je m'excuse, et la civilisation.
Le fédéralisme
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, tout à l'heure, vous
parliez du problème américain et de cette résurgence des
particularismes qui font justement renaître ces formes de culture. Il me
paraît que vous avez dans l'esprit, si on parle des critères que
nousdevrions retenir, que nous devrions certainement retenir ce critère,
appelons-le, socio-culturel, ce critère ethnique. Il y a, d'autre part,
les critères géographiques auxquels se rattachent naturellement
le problème des critères régionaux.
Il y a aussi le problème des critères numériques
ce problème de la démographie dont il faut tenir
compte dans la confection d'une carte électorale et l'invention d'un
mode de scrutin.
Selon vous, quel est le critère qui vous paraît le plus
important, celui que nous devrions davantage étudier afin de sauvegarder
certaines valeurs? Je pense, par exemple, au critère culturel, ethnique,
au critère socio-culturel. Cela m'incite à faire une autre
réflexion que vous pourrez commenter, naturellement. On a ici un
problème qui est celui du fédéralisme et
le problème du Québec qui représente quand
même quelque chose, sur le plan socio-culturel, de très
différent. Nous avons une identité, une personnalité.
Certains prétendent que la sauvegarde du fédéralisme
serait peut-être le meilleur moyen de préserver cette
identité socio-culturel qui est la nôtre et d'éviter
l'assimilation dans un "melting pot" du type étatsunien, pour ne pas
prendre le mot "Amérique" parce que je suis quand même
Nord-Américain. Est-ce qu'il vous paraît que le critère
ethnique ou socio-culturel serait un des premiers que nous devrions
retenir?
M. MEYNAUD: Je crois que la richesse ethno-culturelle est certainement
un des grands actifs de l'homme. On peut toujours essayer de reconstituer une
usine mais lorsqu'une population, lorsqu'une langue, lorsque des coutumes
disparaissent, c'est terminé. On a fait le compte, en Europe, d'un
certain nombre de langues qui sont pratiquement perdues, qui ne sont plus
parlées par personne. Par conséquent, c'est toute une
littérature qui n'est plus accessible. Il y a toute une série de
richesses qu'on a sacrifiées dans le feu de l'industrialisation.
Maintenant qu'on est industrialisé, maintenant qu'on a gagné le
pain, on voudrait revenir aux roses mais les roses ne poussent plus. C'est pour
cela que, tout en étant très sensible aux arguments
d'uniformisation indispensable dans certains domaines, je pense qu'il faut
garder certaines valeurs.
J'ai eu la chance de vivre pendant dix ans en Suisse romande. La Suisse
romande, c'est 1,000,000 personnes, quatre universités, une vie
culturelle extraordinaire. Il n'y a pas une tranche française de
1,000,000 personnes qui puisse équivaloir à la Suisse romande. La
France, ce n'est certainement pas cinquante fois la Suisse romande ni du point
de vue culturel, musical ou scientifique. C'est effectivement, dans le
caractère suisse, un acquis du fédéralisme mais selon le
fédéralisme helvétique qui est une formule propre. Le
fédéralisme suisse ce n'est pas n'importe quel
fédéralisme.
Je crois qu'effectivement le fédéralisme est une
technique. Ce n'est pas uniquement l'Etat fédéral. Le
fédéralisme est une technique qui peut s'appliquer aux communes,
aux régions. Je voudrais dire que la défense de ses idées,
de ses points de vue n'est pas du tout quelque chose qui est un obstacle, qui
est contraire aux techniques et aux habitudes actuelles. C'est, je crois, l'un
des aspects les plus valables de notre civilisation actuelle que de vouloir
rester différents et jouir de cette différence. Que serait le
monde si nous étions tous pareils? Ce serait abominable.
Nous nous intéressons, nous sommes susceptibles de nous
intéresser que parce que nous sommes différents. C'est
passionnant que nous soyons différents. Il faut essayer de sauvegarder
cela. Je dirais que c'est une des tâches de la politique à l'heure
actuelle.
Il y a aussi des tâches comme lutter contre le chômage,
faire des plans économiques et faire des investissements, mais c'est
tellement évident que je n'ai pas besoin de le dire. Si je mets en avant
des phénomènes de civilisation au titre de la politique, c'est
parce que généralement on les ignore et que les ministères
des Affaires culturelles, c'est le cas dans beaucoup de pays sont
considérés comme des hommages que l'on rend à une certaine
mode, à certains goûts du jour, mais que l'on ne dote pas des
moyens qui sont indispensables pour vraiment agir en profondeur. H y a
là toute une piste qui permettrait peut-être de réconcilier
ces reproches que nous font les jeunes.
J'ai écouté, M. le député; ce que vous
disiez tout à l'heure avec beaucoup d'attention parce que effectivement
il y a, sans doute, chez les jeunes, à l'heure actuelle, toutes sortes
de nuances. Il y a chez les jeunes on le voit d'après plusieurs
enquêtes américaines toute une partie qui accepte ce qui se
passe, mais il est possible que l'élément neuf soit le plus
intéressant, ce sont les minorités. Les jeunes qui ont des
idées définies se rendent compte qu'ils sont une minorité
et souvent, d'ailleurs, désespèrent des autres jeunes qui ne les
suivent pas. De tout ce qu'il y a, de tout ce que je retiens, des reproches
qu'on nous fait, c'est justement d'avoir sacrifié tellement de valeurs
à un pur souci d'efficacité, de rendement, de technique. Je leur
dis: C'est vrai, mais nous ne pouvions pas faire autrement parce que nous
étions une civilisation de pauvreté, une civilisation de
misère, ce qui est d'ailleurs le fait des huit dixièmes du monde.
Effectivement, avant de parler aux gens de cultiver des roses ou de faire de la
poésie, il faut leur donner à manger. Nous avons atteint le
moment où, avec un certain nombre de réformes et d'intelligence,
un certain nombre de mesures, nous pouvons, au moins, dans nos pays, dire que
tout le monde aura à manger. Ce que nous n'avons pas encore
trouvé c'est de profiter de tout ce que nous avons pour orienter la
culture.
Nous allons vers la semaine de quatre jours, vers la semaine de trente
heures. Qu'est-ce que les gens vont faire? Qu'est-ce que nous leur offrons?
C'est à ce moment-là que la diversité des cultures, des
traditions, des langues régionales, des littératures, devrait
être mise en balance contre les téléromans ou autres
variétés de ce type. C'est pour cela que nos départements
de science politique c'est une cause que je plaide avec, je dois dire,
un succès relatif devraient maintenant s'orienter vers
l'étude approfondie de la culture.
Je m'excuse. Tout cela est, évidemment, un peu loin des
systèmes électoraux, mais je me suis laissé
entraîner parce que vous m'avez posé toutes ces questions.
Aspect culturel M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le profes-
seur, c'est fort intéressant tout ce que vous dites là. Je
voudrais bien poursuivre, mais j'ai une question plus pratique à poser.
Justement ce problème de la survie des cultures, je le rattache au
problème de la régionalisation et de cette représentation
de ce qu'on appelle ici les groupes urbains et les groupes ruraux. Il y a dans
le Québec des régions économiques mais ces régions
économiques coincident avec des réalités qui sont
justement d'ordre culturel. Si je plaide, à certains moments, sans en
faire un objectif majeur de mes exigences, si je plaide la question de la
représentation dite rurale appelons-la comme cela à
défaut d'un autre terme c'est que je vois qu'il y a, dans le
Québec ou dans différentes régions du Québec, des
cultures, des particularismes culturels qu'il faut sauvegarder.
Les gens, qui vivent dans ces régions, veulent évidemment
être représentés, non seulement pour des raisons
administratives d'efficacité, des raisons économiques, mais ils
veulent aussi que soient conservées, dans leur région, ces
richesses qui sont quand même l'apport des générations qui
nous ont précédés. C'est pour cela que j'insistais tout
à l'heure en vous demandant de me dire si, selon vous, ce critère
socio-culturel n'était pas un des plus importants.
M. MEYNAUD: Je pense que là où on l'a
négligé, maintenant on ne peut plus revenir en arrière,
c'est un fait. A certains égards, la différence qu'il y a entre
des pays comme l'Italie et l'Allemagne, c'est que l'on a conservé
davantage et pour des raisons diverses, d'ailleurs politiques et historiques,
des cultures régionales alors que nous avons, en France, tout
sacrifié à une culture nationale. On sent aujourd'hui un certain
appauvrissement, parce que je suis convaincu que c'est une des directions de
l'avenir. Je crois que la direction de l'avenir, c'est l'uniformisation
économique et la diversité culturelle, c'est comme cela que je
vois la situation. C'est très difficile, c'est un défi
incontestable, parce qu'il y a dans l'uniformisation économique des
exigences et des prérequis qui rendent difficile la différence
des cultures.
Mais à quoi cela nous servirait d'aligner des chiffres d'un
revenu national, si nous n'étions pas capables de préserver toute
une série d'éléments extrêmement valables et qui
nous rendent intéressants les uns aux autres? Je veux dire que,
contrairement à ce que tout le monde raconte, je ne crois pas du tout
et là vous me faites éloigner de mon sujet que le
XXIe siècle soit le siècle de l'uniformité. Je ne pense
pas qu'au XXIe siècle tout le monde parlera anglais dans le monde
entier, je suis même convaincu du contraire. Je suis convaincu que nous
marchons vers une pluralité d'univers linguistique. Je suis
persuadé que l'Amérique latine en sera une, que la Russie en sera
une autre, que la Chine en sera une autre. L'idée d'une humanité
dominée par l'anglais, où on ne parlerait que l'anglais, est une
vue déjà dépas- sée, qui est ancienne. Dans ce
monde, une culture comme la nôtre, une culture française a sa
place et doit être défendue. Je veux dire que tout ce que nous
disons là n'a de valeur que si ça débouche sur des
réalisations pratiques. Ayant constaté qu'une évolution se
produit, nous la jugeons fausse et nous essayons de lutter. Nous trouverons, je
pense, toujours les jeunes pour nous aider sur ce terrain de la
diversité culturelle. C'est un de nos terrains d'entente, sans aucun
doute.
M. LE PRESIDENT: M. Fraser
Droit de vote des jeunes
M. FRASER: J'ai aimé votre exposé jusqu'à ce
moment, mais je change un peu le sujet. On a donné le droit de vote ici
aux jeunes de 18 ans. Est-ce que vous pensez que cela a aidé à
créer un climat d'incertitude? Les jeunes sont toujours
révolutionnaires et ils n'ont en rien contribué, à 18 ans,
à l'économie du pays et ils ont une voix dans le contrôle
de l'économie. Quelles sont vos opinions? Le vote à 18 ou
à 20, 21 ou 25 ans. Quel serait l'âge idéal pour avoir le
droit de vote?
M. MEYNAUD: On peut dire qu'il y a une tendance aujourd'hui à
intégrer des gens plus jeunes et je pense, que tout compte fait, c'est
une tendance à encourager.
Je ne crois pas que cela ait produit beaucoup d'éléments
différents du point de vue politique. C'est un peu, si vous voulez : A
quel âge doivent se marier les gens avec l'autorisation des parents?
Quand j'apprenais le droit civil, le code civil qui est aussi, je le pense, le
vôtre, il fallait obtenir encore jusqu'à 25 ans l'autorisation des
parents. Puis, on a abaissé la limite. Je crois qu'effectivement, le
vote à 18 ans correspond parfaitement à l'état de nos
moeurs et il y a tout de même à 18 ans pas mal de jeunes qui sont
dans les lieux du travail et la préparation aux métiers que
constitue la carrière d'étudiant doit tout de même
être prise en considération. Est-ce qu'il faudrait abaisser cela?
C'est une autre histoire. Est-ce qu'il faudrait aller jusqu'à quinze ou
seize ans? Je dois dire que, pour le moment, je formulerais un certain nombre
de réserves, mais pour la formule de 18 ans, elle me parait ne pas avoir
apporté beaucoup de changements. Ce n'est pas mauvais d'associer les
jeunes aux responsabilités, je crois.
M. FRASER: C'est seulement en 1947 ou 1948 qu'on a donné le droit
de vote aux femmes.
M. MEYNAUD: Ah oui! Et on vient juste de le donner en Suisse, la semaine
dernière.
M. LE PRESIDENT: M. Picard, s'il vous plait.
Changement de députés
M. PICARD: Professeur Meynaud, dans le système de la
proportionnelle selon lequel on prévoit le choix de certains
députés à partir de listes préparées par les
partis, est-ce que vous ne craignez pas qu'à ce moment-là on
crée ce qu'on pourrait appeler des députés professionnels,
parce que, par exemple, vous auriez certains individus, certaines vedettes dans
des partis qui verraient toujours leur nom en tête de la liste et qui,
automatiquement, peu importe le chambardement qui se ferait lors d'une
élection, seraient toujours en Chambre? Cela deviendrait à ce
moment-là ce qu'on pourrait appeler des députés
professionnels et ça irait, à mon avis, à l'encontre
justement de l'opinion émise par le député de
Saint-Jacques que je partage. Il me semble, pour l'administration d'un pays,
qu'il y aurait avantage à avoir périodiquement des changements
majeurs dans la députation, qu'il y aurait avantage, à un moment
donné, à changer un peu la mentalité qui peut exister dans
une Assemblée nationale.
M. MEYNAUD: Une assemblée française, il y a très
longtemps, aurait donné suite à vos voeux, puisqu'elle avait
décidé dans un grand mouvement d'émotion qu'aucun de ses
députés ne pourrait revenir. C'est la seule fois qu'on a vu cela
dans l'histoire: une assemblée décidant que c'était
sous la révolution française l'on renouvellerait
constamment à chaque fois.
Je pense qu'un des reproches qu'on peut faire à certaines
formules de proportionnelle, c'est de figer la représentation du fait.
Sous la proportionnelle, les choses sont très stables. Les partis
peuvent changer les listes; quelqu'un qui a déplu, on va le
réintégrer au quatrième rang, il sera battu. Cela donne
effectivement des assemblées qui sont parfois âgées. On a
constaté par exemple dans un cas qui est bien connu, celui de la
Suède, que les ministres et les députés étaient
très âgés. Le premier ministre était là pour
une trentaine d'années. H y a eu aussi, au Québec, des
précédents illustres de gens qui sont restés premiers
ministres très longtemps.
Par contre, je crois que, si l'on veut constamment changer le
député, on risque de tomber dans un excès inverse, qui est
celui de valoriser les administrateurs d'en face. Il est inconstestable que
beaucoup d'administrateurs, de hauts fonctionnaires ont une certaine tendance
à considérer un peu le député comme un chien dans
un jeu de quilles. C'est l'homme qui est curieux il ne l'est pas
d'ailleurs toujours assez, il n'a pas toujours les moyens de l'être assez
c'est une question qu'il faudrait discuter. Comment valoriser la
possibilité d'accès du parlementaire à l'information
administrative? Le vraie, pas celle qu'on communique sous forme de bulletin
!
Si effectivement nous changeons trop souvent nos députés,
ils seront constamment ce qu'on appelle la couleur est utilisée
ici autrement en France des "bleus". Ce sont ceux qui entrent au
régiment la première année. Ce sont des bleus
vis-à-vis des caporaux. Et la seconde année, ils sont caporaux,
ils ont affaire à des bleus.
M. PICARD: Ici, nous les appelions des "green", des verts.
M. MEYNAUD: Dans ce cas-là, vous irez un tout petit peu à
l'encontre de votre idée, qui est tout de même d'avoir un
député valable. Je pense que là encore il faut un
renouvellement, mais qui n'est pas un renouvellement aussi sauvage et aussi
dramatique. Parce que si tout d'un coup vous avez 80 p. c. de gens nouveaux
dans une Chambre, c'est très bien à certains égards, mais
vis-à-vis de l'administration, du contrôle de l'administration
et je reste persuadé que le contrôle de l'administration
est important vous risquez d'avoir de ce côté des
faiblesses. De ce point de vue, le régime anglais renouvelle davantage
que la proportionnelle qui tend à une certaine sclérose.
Vous voyez presque toujours les mêmes hommes, du moins dans les
pays que je connais bien, comme en Italie, c'est pratiquement les mêmes
bonshommes que je vois depuis 25 ou 30 ans. Dans les Chambres anglaises on voit
apparaître un peu plus de figures neuves. Donc, un avantage au point de
vue du renouvellement lequel ne doit pas, à mon avis, être total.
En voyant dans une assemblée à chaque session 20 p. c. ou 30 p.
c. de figures nouvelles, le système majoritaire de type britannique vous
permet de réaliser ça beaucoup mieux que le système de la
proportionnelle qui tend à renvoyer un tout petit peu les mêmes
figures, parce que les partis sont très conservateurs dans le choix de
leurs hommes, c'est vrai.
Remarquez que, lorsque les partis changent leurs hommes sur l'ordre des
listes, ce n'est pas toujours parce que les hommes ont failli. C'est, au
contraire, souvent parce qu'ils ont pris des positions qui ont déplu
à la direction du parti, c'est parce qu'ils ont pris des positions
courageuses, propres qu'ils sont pénalisés. C'est donc une
pénalisation.
M. PICARD: C'est justement ce point que je trouve
antidémocratique. A ce moment-là, ce n'est pas la population qui
décide, c'est le parti qui décide.
M. LE PRESIDENT: M. Charron. Authenticité
régionale
M. CHARRON: M. Meynaud, je me suis inscrit à la question pendant
que vous répondiez aux questions du député de Chicoutimi.
Je voudrais revenir un peu là-dessus. Vous évoquez ici un terme
qui vous est très familier et sur lequel je vous rejoins
énormément aussi, sur la préservation des
caractères humains des diffé-
rentes sociétés, des groupes ethniques, des
phénomènes aussi importants que l'uniformité technique et
technologique. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je suis
indépendantiste.
Quand vous parlez du maintien des caractères régionaux, de
l'authenticité du caractère des différents groupes de la
Gaspésie, de l'Abitibi, etc., est-ce que dans votre esprit
c'était plus dans l'évocation de l'administration gouvernementale
que dans la représentation strictement politique puisque nous parlons de
carte électorale et de modes de scrutin? En quoi, selon vous, la
vitalité de l'authenticité d'une région différente
d'une autre est-elle liée au fait que ce groupe soit
représenté par un, deux ou trois députés
élus selon le scrutin uninominal à un tour ou selon la
proportionnelle? Ne sont-ce pas plutôt des mesures gouvernementales qui
vont respecter l'authenticité, c'est-à-dire du ministère
des Affaires culturelles, comme vous le mentionnez, ou du ministère de
l'Industrie et du Commerce? Première question, jusqu'à quel point
ce fait nécessaire de préserver l'authenticité des
régions est allié aux modes de représentation à
l'Assemblée nationale? Dans l'hypothèse, où vous nous
diriez oui, est-ce que le correctif proposé au mode de scrutin
uninominal à un tour vient empêcher ce caractère de se
faire?
Est-ce que, dans le scrutin uninominal à un tour,
l'authenticité est préservée? Et si on y faisait un
correctif proportionnel, est-ce que l'authenticité de ce
caractère humain des différentes régions du Québec
est encore préservée?
M. MEYNAUD: Sur le premir cas, vous avez donné de très
bons exemples. Je pense que c'est une question de mise en valeur
administrative. Je pense que c'est un problème d'implantation,
d'organisation culturelle, et tout, et tout, parce que tout cela se tient. Je
pense que c'est aussi un problème de création de réseaux
régionaux de télévision. Nous allons vers des
bouleversements techniques qui vont permettre à des
éléments absolument considérables de se manifester. Il est
possible que la télévision par câble permette de redonner
toute une vie à des talents locaux, à des ressources locales. La
technique crée très souvent son contraire. La technique
uniformise. Elle crée en même temps la possibilité de ne
pas uniformiser. Une représentation politique me paraft
nécessaire pour coiffer le tout. Effectivement, les finances publiques
sont toujours insuffisantes, que les dotations budgétaires sont toujours
âprement disputées. Elles sont disputées sur les plans
professionnels, sur les plans régionaux.
Si nous voulons avoir des régions vivantes, il est
nécessaire qu'elles aient d'une manière ou d'une autre une
représentation qui fasse parler d'elle et qui les défende. C'est
la raison d'ailleurs pour laquelle certains parlent d'une seconde Chambre
régionale. On a parlé de cela à différentes
reprises. C'était un peu le Sénat du général De
Gaulle, le Sénat des régions. C'est ce sur quoi il a
été battu, et il a quitté le pouvoir. C'est un peu cette
idée.
Evidemment, on peut concevoir le correctif; ça, c'est une autre
question. On peut concevoir le correctif dont vous parlez de deux
manières. Je m'excuse de parler d'un domaine sur lequel je
n'étais pas beaucoup préparé. On peut le concevoir sur le
plan d'une correction des régions elles-mêmes. On peut dire, par
exemple, que telle région n'aurait normalement que X voix, X
parlementaires, si elle était traitée mathématiquement,
mais on peut concevoir, vu qu'elle constitue de ces unités, etc., de lui
ajouter un certain nombre de parlementaires qui iront à quel parti, on
ne le sait pas.
On peut concevoir la correction comme une correction partisane, disant
que le parti X a eu suffisamment de voix par tel moyen de scrutin, qu'il en a
maintenant assez, que c'est un autre parti qui aura les sièges en
plus.
Lorsqu'on parle de correction, il faut bien s'entendre. Une correction
au titre de la carte électorale peut favoriser le même parti. Je
veux dire que si vous donnez trois députés de plus à la
Gaspésie parce qu'elle est une région qui en a besoin, quel parti
cela peut-il favoriser? Le mieux placé déjà. Pour une
correction de la carte électorale, il m'est difficile d'en parler parce
que ce n'est effectivement pas du tout le sujet que j'ai préparé
mais c'est un point qu'on peut signaler. Vous pouvez avoir aussi une correction
de parti. Ce sont deux choses tout à fait différentes. A ce
moment-là, on peut concevoir l'un ou l'autre système: ce qui
revient à dire que certaines valeurs vont être
préférées à une autre. Le choix revient aux auteurs
de la réforme électorale. Aucun expert ne vous permettra
d'éviter vos responsabilités et aucun expert n'a à vous
suggérer vos responsabilités. C'est à vous de prendre vos
responsabilités sur ces points et à choisir. Tout ce que nous
pouvons faire, c'est de vous dire: Voilà, nous pensons je ne
dirai pas nous savons que si vous faites cela, bien, voilà ce qui
peut se passer. Je pense que personne ne peut vous enlever, finalement, vos
responsabilités et personne ne doit essayer de le faire.
M. HARDY: M. le Président, il y a déjà trois heures
que le professeur Meynaud, avec beaucoup de brio, nous expose ses points de
vue. Je remarque, évidemment, que nous l'avons interrogé sur des
sujets sur lesquels il nous a apporté des réponses qui nous ont
beaucoup éclairés. Il serait sûrement en mesure de nous
éclairer également sur d'autres aspects de la réforme
électorale et, en particulier, sur le problème du financement des
dépenses électorales. Comme jusqu'ici nous n'avons pas eu
d'experts qui nous ont parlé d'une façon spécifique de ce
problème, je me demande s'il n'y aurait pas lieu si cela
convient, évidemment, au professeur d'inviter M. Meynaud à
revenir à une autre séance pour nous entretenir plus
spécifique-
ment de cette question des dépenses électorales et aussi,
peut-être, des sondages. Là aussi, je pense que c'est un sujet sur
lequel M. Meynaud est particulièrement préparé
quoique ce matin, il nous a fait voir qu'il était
préparé à peu près sur tous les sujets mais
je me demande s'il n'y aurait pas avantage pour les membres de la commission
à entendre M. Meynaud sur ces deux sujets: le financement des partis
politiques et le problème des sondages.
Peut-être d'abord pourrions-nous décider ceci: Est-ce que
cela convient à l'ensemble des membres de la commission d'entendre le
professeur Meynaud sur ces points?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, nous sommes d'accord.
Nous voudrions bien l'entendre pourvu que, évidemment, il soit libre
jeudi prochain...
M. HARDY: Jeudi prochain nous avons déjà le professeur
Lemieux et, par la suite, il y aura les vacances pascales.
Je me demande si la prochaine séance, c'est-à-dire la
séance qui viendra après le 1er avril, ne devrait pas avoir lieu
le 29 avril puisque, d'après certaines informations, il y aurait
ajournement jusqu'à ce moment-là. Les députés,
avant de reprendre la deuxième partie de la session qui s'annonce assez
lourde, voudront probablement prendre quelques moments de vacances bien
mérités. Pour éviter que des députés
particulièrement intéressés aux travaux de la commission
se voient privés de la possibilité d'y assister, je pose la
question aux membres de la commission, compte tenu du fait que nous avons quand
même travaillé avec beaucoup d'assiduité et de
célérité depuis le début de nos travaux, à
savoir s'il ne serait pas convenable que la prochaine séance,
après celle de jeudi prochain, soit tenue le jeudi 29 avril. Si cela
convient au professeur Meynaud, nous pourrions l'entendre sur les deux sujets
que j'ai proposés tantôt.
M. MEYNAUD: J'ai effectivement deux autres exposés de
prêts. Au titre du régime électoral, j'avais seulement
préparé deux pages et j'ai parlé pendant trois heures.
J'avais un bel exposé de six pages sur les sondages et un autre que
j'avais intitulé, un peu irrévérencieusement: "Les sous."
Le problème des sous avait également cinq ou six pages. Je suis
vraiment prêt à revenir, si vous le souhaitez.
M. HARDY: Est-ce que le 29 avril vous conviendrait?
M. MEYNAUD: On va garder le 29 avril puisque ça vous
convient.
M. HARDY: Le 29 avril.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je n'avais pas songé à cela.
M. LAURIN: Je voudrais répondre à la question du
député de Terrebonne. On s'est toujours entendu à la
commission pour dire que l'échéancier devait être
tracé d'une façon assez précise et rigoureuse puisque,
même après que nous aurons fini nos travaux, l'implantation de
toutes les réformes auxquelles nous pouvons penser prendrait quand
même un certain temps. Le président des élections nous le
rappelait lui-même: nous sommes vraiment obligés de penser
à un échéancier rigoureux. Pour ma part, je n'aurais
aucune objection à siéger durant les vacances puisque l'audience
des témoins très importants, que nous avons eus, a pris plus de
temps que prévu. Non seulement je n'aurais pas d'objection à
siéger durant les vacances, les députés de mon groupe et
moi, mais nous en verrions la nécessité puisque l'étude
des problèmes prend plus de temps que ce que nous avions
prévu.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je crois que la
suggestion qu'avait faite le député de Terrebonne est tout
à fait à point.
Nous aurons besoin, en vue des travaux qui s'annoncent après les
vacances parlementaires de faire une pause; les travaux que nous aurons
à accomplir sont très lourds et chacun de nous a besoin de se
refaire un peu, mentalement et physiquement. J'estime que les travaux de la
commission ne devraient pas reprendre avant le 29 avril parce que ce sont les
vacances parlementaires. Enfin, c'est le congé de Pâques et chacun
y a droit. En ce qui concerne le groupe parlementaire que je représente,
j'estime que nous ne devrions pas reprendre les travaux de la commission avant
la date que vous avez indiquée, M. le député de
Terrebonne.
M. HARDY: II faudrait bien comprendre, évidemment, que quand on
parle de vacances pascales ce ne sont pas nécessairement des vacances au
sens exact du mot.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non. Nous sommes dans nos comtés.
M. HARDY: Quant à moi, puisque la carte électorale existe
toujours, je dois continuer à m'occuper de 80,000 électeurs, de
50 municipalités, d'autant de commissions scolaires, etc. Je ne veux pas
faire un bilan des travaux que je dois accomplir dans mon comté...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): De votre patronage !
M. HARDY: ...mais c'est quand même une réalité.
Evidemment, le député de Bourget n'est peut-être pas aussi
engagé, mais c'est quand même une réalité.
M. LAURIN: Ce n'est pas une petite séance de plus durant les
vacances qui empêcherait aussi bien le député de Terrebonne
que le
député de Chicoutimi de voir à leurs
électeurs, aux problèmes de leurs électeurs, ou même
de profiter de leurs vacances pascales, surtout quand on tient compte de
l'urgence de cette réforme, de l'impatience avec laquelle la population
l'attend et aussi des reproches que l'on pourrait nous faire de procéder
d'une façon dilatoire.
M. HARDY: Nous sommes d'accord sur tout ça, M. lé
député de Bourget.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, mais nous... disons que le 29
avril...
UNE VOIX: Maintenant, il faudrait lever la séance.
M. LE PRESIDENT: De toute façon...
M. HARDY: J'aimerais bien l'entendre quand même parce que je ne
veux pas, loin de moi cette pensée, imposer le 29 avril. Et, si
c'était le voeu de la majorité parce que je crois encore
à la démocratie et au système de la majorité
des membres de cette commission, que nous siégions le 22 plutôt
que le 29, je m'empresserais de me rallier très démocratiquement.
Alors, j'aimerais que le représentant du Ralliement crédidiste
exprime ses vues là-dessus avant que nous prenions une
décision.
M. DUMONT: Sans avoir 80,000 électeurs à
représenter, même avec 40,000 c'est déjà beaucoup de
travail. Nous avons, justement, je crois, un travail assez considérable
à accomplir d'ici les vacances de Pâques. Personnellement je n'ai
aucune objection à siéger, par exemple, le 22 et ça nous
replacerait peut-être plus dans l'atmosphère de toute cette
réforme électorale que nous étudierons, sans doute, durant
ces vacances de Pâques.
Alors, si ça répond au voeu de la majorité, je n'ai
pas d'objection à siéger une semaine auparavant pour que l'on
puisse se replacer dans l'atmosphère du Parlement.
M. LE PRESIDENT: De toute façon, messieurs, je pense
qu'aujourd'hui nous ajournons au 1er avril.
Le débat que nous entreprenons actuellement est peut-être
prématuré. Il s'agirait de décider à l'autre...
M. HARDY: Les députés pourraient peut-être
réfléchir d'ici jeudi prochain sur cela, mais je pense bien qu'il
ne serait pas question que ce soit avant le 22.
M. CHARRON: On vous donne une semaine.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Pas avant le 29, M. le Président.
M. HARDY: De toute façon, pour M. Mey-naud, il serait
peut-être important de s'entendre afin que, pour lui, ce soit le 29.
M. MEYNAUD: Je suis à votre disposition.
M. HARDY: Très bien. Et si nous décidions jeudi prochain
de siéger le 22, eh bien! nous verrons à avoir un autre
témoin.
M. MEYNAUD: Le 22 ou le 29, ça m'est égal.
M. HARDY: Je peux retenir les deux dates sans inconvénient?
M. MEYNAUD: Absolument.
M. HARDY: A condition que nous prenions la décision jeudi
prochain?
M. MEYNAUD: Exactement. C'est à votre choix.
M. HARDY: Alors, nous déciderons jeudi prochain.
M. MEYNAUD: Le 22 ou le 29. C'est à votre choix.
M. LE PRESIDENT: Merci.
M. HARDY: Nous vous remercions de votre grande disponibilité.
(Fin de la séance: 12 h 44)