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Version finale

29e législature, 2e session
(23 février 1971 au 24 décembre 1971)

Le jeudi 1 avril 1971 - Vol. 11 N° 24

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Réforme électorale


Journal des débats

 

Commission permanente de l'Assemblée nationale

Sujet : Réforme électorale

Séance du jeudi 1er avril 1971

(Neuf heures quarante-cinq minutes)

M. LAVOIE (Laval) (président de la commission permanente de l'Assemblée nationale): A l'ordre, messieurs! Si je me reporte à la première convocation du 8 mars, lorsque M. Lemieux a été convoqué pour le 11, il y avait quatre sujets à discuter: la carte électorale, mécanismes de scrutin, dépenses électorales et financement des partis. Quels seraient les désirs de la commission? Si je me rappelle bien, la dernière fois nous avons étudié le premier sujet. Est-ce qu'il y aurait lieu de passer au deuxième?

M. HARDY: Je ne sais pas, M. le Président. Cela dépend, d'une part, du sujet sur lequel M. Lemieux s'est préparé ce matin. Mais, depuis le début de nos travaux, nous avons assez longuement entendu parler de la carte électorale, des modes de scrutin et je me demande s'il ne serait pas valable, ce matin, que nous passions, quitte à revenir à d'autres sujets si nous en avons le temps, au problème des dépenses électorales et du financement des partis; pour autant, évidemment, que M. Lemieux est préparé pour cela. Sinon, nous pourrions aussi l'écouter sur les modes de scrutin, mais je tiens à souligner que nous avons déjà eu plusieurs témoignages sur le problème des modes de scrutin et on pourrait peut-être donner priorité ce matin au problème du financement des partis, quitte à revenir aux modes de scrutin si nous avons le temps avec M. Lemieux.

M. LAURIN: Nous avons entendu deux experts sur les modes de scrutin, mais nous n'avons pas entendu M. Lemieux qui s'en est fait presque une spécialité; tout en concourant aux remarques du député de Terrebonne à l'effet que nous sommes quand même mieux informés, nous pourrions quand même entendre M. Lemieux quitte à ce que nous passions moins de temps que nous ne l'avons fait jusqu'ici à étudier cette question. Mais je pense que, étant donné que nous avons un spécialiste en la matière, il faudrait quand même...

M. HARDY: Oui, mais c'est assez délicat. Je pourrais peut-être partager l'opinion du député de Bourget quant à passer moins de temps, mais à ce moment-là, il faudrait quasiment établir une limite de temps pour chacun des partis.

UNE VOIX: Non.

M. PAUL: Que personne ne passe la clôture.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je veux bien qu'on entende M. Lemieux sur les modes de scrutin, naturellement sous toutes réserves du droit de chacun d'interroger le témoin à volonté et à satiété.

M. DUMONT: Je suis moi-même désireux d'entendre M. Lemieux sur un sujet qui deviendrait nouveau, le financement des partis. Si ma mémoire est bonne, le député de Bourget à la dernière réunion avait manifesté le désir...

M. LAURIN: Je suis tout à fait d'accord.

M. DUMONT: ...que nous discutions le plus tôt possible le financement des partis et je pense que ce serait un sujet d'intérêt que j'accepte ce matin, si M. Lemieux est préparé en conséquence.

M. LEMIEUX: Si vous me le permettez...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous, ça ne nous dérange pas, M. le Président. Tous les problèmes nous intéressent.

M. HARDY: Moi de même évidemment. C'était tout simplement parce que c'était une question de dosage uniquement. Je m'inspirais d'une façon toute particulière des inquiétudes de mon collègue de Gouin la semaine dernière, qui semblait même se demander si nous étions curieux. Ou avions-nous donné l'impression que nous craignions de nous pencher sur ce problème délicat du financement des partis. C'est la seule raison pour laquelle j'ai souligné ce matin qu'il y aurait peut-être lieu de commencer par ce sujet-là. Mais, si c'est la volonté, de la majorité des membres de cette commission d'entendre M. Lemieux sur les modes de scrutin, très respectueux de la démocratie et de la majorité, et étant aussi adversaire du député de Maskinongé sur la clôture,...

M. PAUL: La journée va-t-elle être belle, M. le Président!

M. HARDY: ... je suis bien prêt à entendre M. Lemieux sur les modes de scrutin...

M. LACROIX: Un vrai poisson d'avril.

M. HARDY: ... si c'est le désir de la majorité des membres.

M. JORON: Pour faire suite aux remarques du député de Terrebonne, j'avais fait cette intervention la semaine dernière, parce que M. Meynaud était reconnu comme un spécialiste en la matière et qu'il s'était préparé uniquement ou presque exclusivement sur ce sujet-là, et même davantage. Il nous a d'ailleurs communiqué qu'il avait infiniment plus de notes sur le sujet. C'était la nature de mon intervention.

Nous pourrions peut-être demander à M.

Lemieux ce matin ce sur quoi il désire nous entretenir.

M. HARDY: Je me demande ce que ce sera quand M. Meynaud parlera du financement des partis, parce que, s'il n'était pas prêt sur les modes de scrutin...

M. LE PRESIDENT: Quel est le consensus?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): On vide la caisse, M. le Président, ou parle-t-on du mode de scrutin?

C'est M. Lemieux qui pourrait nous le dire.

M. LE PRESIDENT: Oui.

M. LEMIEUX: J'avais cru comprendre que vous en étiez actuellement au mode de scrutin. J'admets que vous avez rencontré deux excellents experts dans ce domaine, mais j'aurais quand même aimé vous dire quelques mots là-dessus, exposer ma position personnelle, quitte à ce que le débat soit plus court et qu'on passe ensuite au financement des partis et aux dépenses électorales, sujets sur lesquels — je vous avertis d'avance — j'ai moins de choses à dire. Jusqu'à maintenant, je me suis intéressé surtout au problème de la carte électorale et du mode de scrutin, mais j'aurais quand même certaines propositions à faire sur le financement des partis et les dépenses électorales, si on a le temps d'y arriver ce matin. Je ne sais pas si cela vous convient.

M. LE PRESIDENT: Je crois que nous allons procéder comme nous avons procédé antérieurement. Nous allons laisser la parole à M. Lemieux, qui nous donnera un exposé général sur les mécanismes de scrutin, quitte après aux représentants de chacun des partis à commencer l'inquisition, la période des questions.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est un jugement de valeur chez les inquisiteurs.

M. HARDY: Est-ce que c'est la semaine prépascale qui nous retourne dans ce Moyen Age?

M. LE PRESIDENT: M. Lemieux.

Mode de scrutin

M. LEMIEUX: Le problème des modes de scrutin, vous devez commencer à vous en rendre compte, est un problème très difficile et un problème surtout sur lequel il n'y a pas unanimité des experts.

Sur la carte électorale on peut dire qu'à peu près tous les experts sont d'accord sur certains critères, sur certaines normes générales qui doivent diriger le travail de réforme d'une carte électorale alors que sur les modes de scrutin, certaines oppositions entre M. Bonenfant et M.

Meynaud vous ont montré qu'il n'y a pas cette belle unanimité.

Je crois que M. Meynaud a aussi fait dans son article de force un exposé de la complexité du problème. Je ne veux pas revenir là-dessus. Ce que je voudrais plutôt faire ici, de façon peut-être plus pratique, plus immédiate, c'est de proposer un certain nombre de critères qu'on peut admettre et qui peuvent servir à évaluer les qualités des différents modes de scrutin. Je voudrais vous en proposer quatre. Il y en a sans doute d'autres, mais ces quatre-là me semble tout spécialement importants.

Je crois qu'on peut dire qu'un mode de scrutin est bon ou mauvais selon les effets qu'il a sur quatre aspects importants de la vie politique. Premièrement — et c'est sans doute l'aspect le plus important — ce sont les effets que le mode de scrutin a sur la correspondance entre les suffrages et les sièges obtenus par les partis. C'est bien évident, ce qu'on demande d'abord à un mode de scrutin c'est de donner aux partis un pourcentage de sièges à peu près équivalent au pourcentage de votes qu'ils reçoivent. Certains prétendent qu'un mode de scrutin doit assurer une prime à la majorité, au parti majoritaire. Il n'y a pas accord là-dessus mais c'est au moins un critère qu'on peut retenir. On peut dire qu'un mode de scrutin qui fait en sorte que l'écart ou la différence est excessive entre le pourcentage de votes obtenus par un parti et le pourcentage de sièges qu'il obtient, n'est pas bon.

Le deuxième critère, vous en avez discuté aussi, ce sont les effets que le mode scrutin a sur la vie parlementaire et plus spécialement sur les rapports entre le gouvernement et l'Opposition. Est-ce qu'on doit avoir deux catégories de députés? Est-ce qu'on doit s'arranger pour avoir un mode de scrutin qui assure la stabilité gouvernementale, etc.?

Le troisième critère que je retiendrais c'est un critère qu'on a déjà discuté lorsque je suis venu parler de la carte électorale, ce sont les effets du mode de scrutin sur la représentation des électeurs par les députés.

Actuellement, avec le mode de scrutin qu'on a, le député est en quelque sorte roi et maître dans son comté, plus ou moins roi et plus ou moins maître, mais il a quand même un certain monopole de la représentation. Il est le seul parlementaire à représenter une circonscription donnée.

Avec d'autres modes de scrutin, vous avez des circonscriptions plus grandes qui sont représentées par plusieurs députés. Donc, au lieu d'une situation de monopole, c'est une situation d'oligopole ou même de concurrence plus ou moins parfaite. Cet aspect est évidemment important pour ce qui est du scrutin. Finalement, un dernier aspect, qu'il faut aussi retenir, je crois, ce sont les effets que le mode de scrutin a ou peut avoir sur l'organisation même des partis.

On peut dire qu'avec le mode de scrutin

actuel, celui qu'on pratique au Québec — ce n'est pas dû uniquement au mode de scrutin, c'est une de ses conséquences — on a une certaine décentralisation des partis politiques. C'est-à-dire que le député, sans être tout à fait roi et tout à fait maître dans son comté a quand même une assez large autonomie envers l'organisation centrale de son parti, parce qu'en fait c'est lui qui s'est fait élire dans son comté et qu'il peut juger que certaines directives de son parti sont mauvaises pour sa réélection.

Dans les scrutins dits proportionnels, les experts s'accordent généralement pour dire que les pouvoirs ou l'autorité des organismes ou organes centraux des partis sont plus grands par la faculté qu'ils ont, par exemple, d'établir certains codes, tout au moins la liste des candidats, liste entre lesquels choisiront les électeurs, et surtout l'ordre des députés sur cette liste.

Si on s'en rapporte à ces quatres critères, je dirais très honnêtement que le scrutin actuel, scrutin majoritaire uninominal à un tour, comme le désignent les experts, est un très bon mode de scrutin dans une situation homogène, c'est-à-dire dans une société homogène où il y a deux partis qui se succèdent au gouvernement, c'est-à-dire la situation qu'on a connue pendant très longtemps au Québec. Ce mode de scrutin a certainement — je l'ai déjà écrit d'ailleurs — plus d'avantages que d'inconvénients dans une situation comme celle-là, parce qu'il assure une certaine stabilité gouvernementale, parce qu'il est aussi, et c'est un aspect que l'on ne discute peut-être pas suffisamment, très sensible à certaines volontés de changement de l'électorat.

Si vous avez deux partis qui, à l'élection 1 ont 60 p. c. et 40 p. c. du vote et qu'à l'élection 2, le parti qui a 40 p. c. obtient 55 p. c. et le parti qui avait 60 p. c. a 45 p. c, cela va se traduire en termes de sièges par un changement très net qui va révéler, en quelque sorte, la volonté de changement de l'électorat alors qu'avec un scrutin selon la proportionnelle, cette sensibilité du mode de scrutin est beaucoup moins grande c'est-à-dire que — je le montrais à propos du mode de scrutin de l'Allemagne fédérale — un changement de l'ordre de 5 p. c. à 10 p. c. des votes entre deux partis peut se traduire par un changement relativement minime en termes de sièges qu'ils obtiennent.

Je pense que cette qualité à l'effet que le mode de scrutin est majoritaire et permet une plus grande sensibilité aux déplacements électoraux ou à la volonté de changement des électeurs, est une qualité importante.

Pour ce qui est des deux derniers aspects, ces effets sont peut-être plus discutables. Est-ce bon que les électeurs d'une circonscription soient représentés par un seul député? Est-ce qu'il ne serait pas préférable que l'on ait de plus grandes circonscriptions qui soient représentées par plusieurs députés de partis différents? C'est bien difficile de se prononcer là-dessus et, d'ailleurs, je dois admettre que la documentation en science politique — c'est une grande déception pour moi — contient très peu de chose là-dessus. On ne nous dit pas, par exemple, si dans les sociétés qui ont connu différents modes de scrutin, la qualité de la représentation des électeurs par les députés est meilleure lorsqu'on a représentation par un seul député ou par plusieurs députés. C'est un aspect sur lequel on pourrait peut-être s'interroger ici. Du point de vue de l'électeur, est-ce qu'il ne serait pas préférable qu'il puisse faire appel à plusieurs députés? S'il n'est pas satisfait des députés libéraux il pourrait, dans sa circonscription, avoir recours à des créditistes ou vice versa. C'est un aspect qu'on peut discuter.

Pour ce qui est du quatrième critère, l'organisation des partis, j'ai dit et je pense que — en fait, si vous n'êtes pas d'accord, vous le direz — ce mode de scrutin tend à une assez grande décentralisation des partis. C'est-à-dire dans la mesure où le député a une bonne autonomie, c'est lui qui est élu, souvent pas tellement parce qu'il représente tel ou tel parti, mais à cause de ses qualités personnelles. On a peut-être alors une centralisation ou une intégration des partis moins grande qu'avec d'autres modes de scrutin. C'est-à-dire qu'il y a peut-être tendance à ce que les députés se taillent de petits royaumes et qu'ils se fichent pas mal des directives générales qui peuvent venir de la direction de leur parti politique.

Par contre, dans une société qui est devenue moins homogène, comme c'est le cas du Québec, je pense qu'on est pris avec cela pour un bon moment. Dans une société aussi où il y a quatre partis, qui semblent être là pour un bon moment également, le mode de scrutin majoritaire à un tour a peut-être plus d'inconvénients que d'avantages. En particulier, les effets qui sont plus ou moins implicites dans ce mode de scrutin, le fait que les experts l'ont étudié, font qu'on arrive à des résultats assez étonnants, assez aberrants comme ceux qu'on a connus cette année et qui ont joué contre certains partis, mais qui pourraient jouer contre d'autres partis à une élection suivante. Il ne faut pas croire que c'est fatal qu'avec ce mode de scrutin ce soit toujours, par exemple, le Parti québécois qui soit désavantagé. A une autre élection, ce pourrait être l'un ou l'autre des autres partis.

Evidemment, on peut croire qu'une bonne part de ces résultats un peu étonnants, pour ne pas dire plus, sont dus à la carte électorale. Personnellement, j'ai fait certains calculs là-dessus et d'autres en ont fait aussi. Nous sommes arrivés à une conclusion assez unanime, c'est que si on avait eu une carte électorale avec des écarts de 25 p. c, en plus ou en moins, ce qui commence à être généralement admis ici comme chez les experts — évidemment, c'est une opération assez superficielle que de faire comme si l'élection s'était déroulée selon une autre carte — je pense qu'on peut dire, avec un degré

assez grand de certitude, que les résultats auraient été à peu près les suivants: 78 députés libéraux et 10 députés pour chacun des trois autres partis.

Autrement dit pour le mode scrutin, ce n'est pas seulement la carte électorale qui est cause d'inégalités ou d'effets un peu curieux, c'est aussi le mode de scrutin lui-même parce qu'avec une carte électorale modifiée les libéraux auraient eu encore plus de sièges, l'Union Nationale en aurait perdu, évidemment, un certain nombre, le Parti québécois en aurait gagné quelques-uns et les créditistes en auraient perdu deux. Cela aurait quand même été un résultat un peu curieux. Même avec une carte bien faite, 78-10-10-10, c'est un peu curieux comme résultat et je ne pense pas que ce soit désirable qu'un parti qui obtient 45 p. c. du vote, ait à ce compte-là 70 p. c. ou 72 p. c. des sièges. Je pense que pour ce parti-là même, ce n'est pas bon parce que cela le met peut-être dans une position un peu trop confortable en Chambre, une position qui ne correspond pas à sa position réelle dans l'électorat.

Je crois que c'est la principale raison pour laquelle on doit s'interroger sur la possibilité d'avoir d'autres modes de scrutin.

On vous a proposé ici un mode de scrutin que l'on a appelé une variante du mode de scrutin allemand et il y a même eu une prooosition très concrète faite par M. Bo-nenfant qui consistait à avoir 90 députés, que j'appellerais locaux. Cela veut dire qu'ils continueraient de représenter des circonscriptions électorales comme on en connaît actuellement, qui seraient, par contre, un peu plus grande, et 30 députés qui seraient ou bien régionaux ou bien nationaux. A toutes fins pratiques, il faudrait qu'ils soient nationaux, parce que je ne vois pas très bien comment on pourrait répartir ces 30 députés entre les régions du Québec, du moins telles qu'elles sont, de façon équitable. Mais cela c'est un aspect technique que l'on peut laisser de côté.

Personnellement, et là, je suis un peu en désaccord avec mon collègue Bonenfant avec lequel par contre, je suis souvent d'accord, je ne crois pas qu'un tel mode de scrutin — pour ce qui est du premier critère, qui me semble le plus important, celui de la correspondance entre le vote et les sièges — améliore beaucoup la situation. J'ai même fait des calculs là-dessus. Encore une fois j'admets que c'est artificiel. Mais cela vous donne une idée de ce qu'un mode de scrutin comme celui-là aurait donné, par exemple, en 1970. Encore une fois, avec une carte où les écarts auraient été limités à 25 p. c. en plus ou en moins, avec 90 députés locaux et 30 députés nationaux, j'ai calculé que les résultats auraient été à peu près les suivants: sur 120 députés, les libéraux en auraient eu 80, c'est-à-dire exactement les deux tiers, à peu près ce qu'ils ont actuellement; donc du côté libéral, du moins, ça ne corrige à peu près rien. Le Parti québécois aurait eu 15 sièges, l'Union Natio- nale, 14 et le Ralliement créditiste, 11. Donc le parti gouvernemental, au lieu de 72 sièges, en aurait eu 80 et les partis d'Opposition, au lieu de 36 sièges en aurait eu 40. Alors, pour ce qui est du rapport entre le parti gouvernemental et les partis d'Opposition pris tous ensemble, je ne crois pas que ce soit une grosse amélioration. C'est peut-être une amélioration, par contre, dans la répartition des sièges entre les partis d'Opposition, c'est-à-dire que le Parti québécois, qui a eu plus de votes que l'Union Nationale, aurait eu un siège de plus et le Ralliement créditiste, qui a eu moins de votes que les deux autres, aurait un peu moins de sièges aussi que les deux autres.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce que M. Lemieux me permettrait de lui poser tout de suite une question? Quelle est la base de calcul dont vous vous êtes servi pour donner les chiffres que vous venez de nous donner?

M. JORON: Si vous permettez, M. Tremblay, je peux vous la donner.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce que vous allez répondre pour lui?

M. JORON: Non, mais je pense qu'il y a peut-être une erreur d'interprétation ici. Dans le système de M. Bonenfant, les 30 sièges nationaux sont compensatoires, alors dans cette optique, dans la mesure où les libéraux, par exemple, auraient droit à 45 p. c. des 120 sièges, parmi les 30 sièges qu'il reste à pourvoir pour combler le déficit, ils n'en auraient reçu aucun. Donc, votre théorie présume qu'ils en auraient pris 80 sur 90.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Cela, M. le Président, c'est ce que nous appelons en droit, au tribunal, influencer le témoin. J'ai demandé quelle était la base de calcul.

M. HARDY: A moins que le député de Gouin soit l'attaché de recherche de M. Lemieux.

M. LEMIEUX: Pour répondre à cette question d'abord, si vous me permettez, M. Tremblay, j'avais cru que M. Bonenfant proposait un système où les trente députés n'étaient pas compensatoires. S'ils sont compensatoires, je crois que ça continue d'avoir de très gros défauts, parce que je trouve assez mauvais que le parti majoritaire n'ait pas droit avec ce système-là à des députés nationaux. C'est-à-dire que, fatalement, si vous n'avez que trente sièges compensatoires, vous éliminez en partant des sièges nationaux pour le parti majoritaire. Je me demande pourquoi ce parti-là n'aurait pas droit lui aussi à faire élire des chefs ou des hommes de valeur qui auraient été battus sur le plan local. Je m'excuse. Si M. Bonenfant a proposé que ce soit compensatoire, ça modifie les

choses. Je n'ai pas fait de calculs, mais il est probable qu'à ce moment-là le parti gouvernemental aurait eu une majorité beaucoup moins grande, mais quand même avec cet inconvénient que je vous signale.

Pour répondre à M. Tremblay, le calcul que je fais dans le cas où les trente sièges ne sont pas compensatoires, mais sont accordés aux partis selon le pourcentage du vote qu'ils ont reçu, dans le cas de ces trente sièges, c'est facile. Les libéraux ont eu 45 p. c. du vote aux dernières élections. 45 p. c. de trente sièges, c'est à peu près quatorze sièges. Le PQ a 24 p. c. du vote exprimé. 24 p. c. de trente, c'est sept sièges et ainsi de suite. Cela aurait donné plus précisément quatorze sièges aux libéraux, sept aux PQ, six à l'Union Nationale et trois aux créditistes. Si vous ajoutez à ça ce que les partis auraient obtenu dans les 90 sièges, c'est-à-dire dans l'ensemble des 90 sièges qui, eux, auraient été attribués comme maintenant, mais dans une carte qui aurait été corrigée, vous arrivez à 66 sièges locaux qui auraient été détenus par les libéraux et huit pour chacun des trois autres partis pour un total de 90. Autrement dit, c'est 90 sièges alloués comme maintenant, mais dans une carte imaginaire où les écarts auraient été limités à 25 p. c. en plus ou en moins et trente sièges qui seraient alloués, eux, selon le pourcentage de votes recueillis par les partis dans l'ensemble du Québec.

Je n'ai pas fait le calcul, si vous me permettez, avec trente sièges compensatoires, mais M. Crête qui est assistant-professeur au département de science politique l'a fait, lui, avec 80 députés locaux et 40 députés provinciaux et, à ce moment-là, avec des résultats compensatoires et les résultats étaient les suivants: le Parti libéral avec 80-40 — donc, c'est un rapport de deux à un plutôt que de trois à un — aurait, sur 125 sièges — parce qu'avec ce système-là, en fait, c'est un aspect technique, vous pouvez être obligés d'ajouter les sièges nationaux — obtenu 59 sièges, c'est-à-dire 59 locaux et zéro nationaux, c'est-à-dire qu'il n'aurait pas eu la majorité absolue. Le PQ aurait eu sept sièges locaux et 22 nationaux pour un total de 29. L'Union Nationale, sept sièges locaux et 17 nationaux pour un total de 24. Ralliement créditiste, sept sièges locaux et six nationaux, pour un total de treize.

Si bien que je crois que si on a 90-30, à ce moment-là on risque fort que le Parti libéral ne soit pas majoritaire, n'ait pas la majorité absolue des sièges. Est-ce bon? Est-ce mauvais?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux, je reviens à la question que je vous posais au départ. Mettons de côté la question des sièges dits compensatoires. Les bases de calcul que vous avez adoptées se fondent sur les résultats en pourcentage des dernières élections.

M. LEMIEUX: C'est ça.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si nous avions procédé avec une carte réaménagée, tous les calculs que vous avez faits n'ont plus aucune sorte de signification parce que, justement, le réaménagement de la carte devient un coefficient qui peut changer énormément le résultat dans telle circonscription dite régionale et dans les autres circonscriptions — les 30 qu'on ajoute — les électeurs se seraient certainement comportés d'une autre façon. Parce qu'il y a la personnalité du candidat et l'ensemble du problème général de la redistribution.

Ces chiffres sont, à mon sens, des données purement abstraites et ne peuvent pas nous éclairer. Vous partez d'un fait acquis. Il y a eu, à la dernière élection, des pourcentages X pour chaque parti politique, mais si on avait procédé avec une carte réaménagée, j'ai l'impression que le choix des candidats eût certainement été différent dans certains cas ainsi que le comportement des électeurs.

Par conséquent, l'hypothèse de travail que vous avez là est une hypothèse de cabinet. Ce n'est pas une hypothèse pratique.

M. LEMIEUX: Bien sûr, d'ailleurs j'ai admis que c'était une hypothèse artificielle, qui ne donne qu'une approximation. Ce qui serait plus réel, ce serait d'ajouter aux résultats obtenus dans les 108 circonscriptions actuelles une répartition — si on maintient la proportion de M. Bonenfant de 3 à 1 — prenons le tiers de 108, qui fait 36 — si vous répartissez 36 sièges selon les pourcentages obtenus par les partis dans l'ensemble de la province, vous pouvez obtenir des calculs un peu moins abstraits en suivant l'une ou l'autre des hypothèses, c'est-à-dire sièges compensatoires ou non. Si les sièges ne sont pas compensatoires, par exemple le Parti libéral, avec 45 p. c. de 36, aurait obtenu à peu près 16 sièges, plus 72, ce qui fait 88 sur 144. Donc, il aurait eu encore là une large majorité.

Si c'est compensatoire, il est probable qu'il n'aurait obtenu aucun siège national et je ne suis pas sûr qu'il aurait eu la majorité absolue des sièges.

En fait, ce que je voulais dire là-dessus, c'est que ce mode de scrutin, à moins que vous ne le rendiez compensatoire, avec certains inconvénients qu'il comporte, semble assez peu pratique, parce que, pour égaliser vraiment les chances entre les partis, vous êtes obligés d'avoir une proportion non pas de trois sièges locaux pour un sièges national, mais de deux à un ou peut-être même de un à un. C'est-à-dire que si vous avez 60 sièges locaux et 60 sièges régionaux, vous arrivez probablement à des résultats plus acceptables, c'est-à-dire où le Parti libéral a toujours une majorité, mais plus faible et où la répartition des sièges entre les autres partis est meilleure.

Mais, à ce moment-là, vous modifiez de façon assez considérable les autres aspects que j'ai signalé tout à l'heure. Vous avez 60 circonscriptions locales seulement, donc ce sont d'assez grosses circonscriptions. Vous avez deux

sortes de députés, il y a autant de nationaux que de locaux, etc.

C'est pourquoi, devant certains inconvénients de ce mode de scrutin, qui soit compensatoire ou non, j'ai proposé dernièrement avec Jean Crête un autre mode de scrutin qui suppose peut-être des modifications encore plus profondes dans nos habitudes électorales, mais qui me semble avoir au moins certains avantages sur le plan de la correspondance entre les sièges et les votes.

C'est un mode de scrutin que j'ai baptisé de proportionnelle modérée qui consisterait à diviser le Québec en un nombre de circonscriptions régionales qui pourrait varier de 20 à 30 selon le découpage précis auquel on arriverait. Dans chacune de ces circonscriptions, il y aurait un nombre de députés variable de trois à cinq qui seraient élus à la proportionnelle.

J'admets que faire comme si l'élection de 1970 s'était déroulée dans ces cadres nouveaux, c'est assez artificiel, c'est une opération de cabinet. Mais pour vous donner quand même une approximation ou une idée des résultats auxquels on aurait pu arriver avec un tel mode de scrutin — d'ailleurs j'ai donné ces résultats de façon détaillée dans le Devoir — les résultats auraient été les suivants avec un total de 112 sièges: les libéraux en auraient obtenu 60 c'est-à-dire un peu plus que la majorité absolue, le PQ 23, l'Union Nationale 18 et les créditistes 11.

Ce qui veut dire qu'avec 45 p. c. du vote, les libéraux auraient eu à peu près 54 p. c. des sièges, le PQ avec 24 p. c. du vote aurait eu à peu près 20 p. c. des sièges, l'Union Nationale avec 20 p. c. du vote aurait eu à peu près 16 p. c. des sièges et le Ralliement créditiste avec 11 p. c. des votes aurait eu à peu près 10 p. c. des sièges.

Un des avantages de ce mode de scrutin est qu'il donne une prime au parti le plus fort. Personnellement, je suis en faveur de cette prime. Ce n'est pas parce que les libéraux en profitent actuellement, que l'Union Nationale en a déjà profité ou que le Ralliement créditiste ou que le PQ pourraient en profiter un jour. Je crois que cette prime que certains modes de scrutin accordent au parti le plus fort est quelque chose qui correspond à un certain consensus des électeurs, je ne dirais pas de tous les électeurs mais d'une proportion assez importante d'entre eux. Vous le constatez quand vous faites des sondages postélectoraux, c'est-à-dire après les élections. De façon à peu près universelle, vous constatez qu'il y a un plus grand nombre d'électeurs qui disent avoir voté pour le parti gagnant qu'il y en a qui ont voté pour le parti perdant.

Vous me direz que traditionnellement au Québec c'était mauvais de faire comme si on avait perdu ses élections. Il y a des gens qui votent pour gagner et, lorsqu'ils s'aperçoivent qu'ils ont perdu, ils font comme s'ils avaient gagné. C'est peut-être vrai.

Mais il y a aussi d'autres électeurs pour qui l'élection est une espèce d'information supplémentaire qu'ils reçoivent sur la façon dont ils auraient voulu voter.

Il faut bien voir qu'il y a beaucoup d'électeurs, surtout lorsque les sondages ne sont pas trop nombreux, qui votent un peu dans le noir. Ils votent pour un parti tout en se disant: Si j'étais sûr que ce parti-là n'avait aucune chance de former le gouvernement, je donnerais plutôt mon vote au parti qui a le plus de chances.

Donc, dans la mesure où l'élection est une espèce d'information supplémentaire que les électeurs reçoivent, qui fait que s'ils avaient à se reprendre, ils voteraient autrement, dans la mesure où ce phénomène-là joue généralement en faveur du parti le plus fort, parce que les gens sont d'accord sur ça, je crois qu'il est bon qu'un mode de scrutin accorde une petite prime, je ne dis pas une prime excessive comme celle qu'on a connue dans les dernières années, mais une petite prime au parti le plus fort. D'autant plus que c'est une garantie ou du moins que ça donne peut-être un peu plus de chance à la stabilité gouvernementale bien que là, il ne faudrait pas s'illusionner. Ce ne sont pas nécessairement les gouvernements les plus forts en sièges obtenus qui sont les meilleurs gouvernements. Il y a des gouvernements de coalition qui sont d'excellents gouvernements.

Dans la situation actuelle du Québec où on n'a pas l'habitude de ces gouvernements de coalition, si on voit aussi ce qui s'est passé sur la scène fédérale au moment où les gouvernements fédéraux étaient minoritaires, on peut se demander si ce serait bon d'avoir un mode de scrutin qui, n'accordant pas cette petite prime au parti le plus fort, nous entraîne dans des gouvernements de coalition.

A la longue, on pourrait sans doute s'habituer et on pourrait sans doute avoir de la sorte d'aussi bons gouvernements que ceux que nous avons actuellement. Je dirais qu'en courte période ce serait certainement un facteur d'instabilité et peut-être d'inefficacité aussi.

Donc, ce mode de scrutin que j'ai proposé a au moins cet avantage de donner des résultats — si on les calcule de façon artificielle — qui semblent meilleurs que ceux du mode de scrutin actuel dans une situation à quatre partis et meilleurs aussi, je crois, que ceux du mode de scrutin allemand ou soi-disant allemand.

Ils conservent, disons, cette petite prime donnée aux partis majoritaires. Encore une fois, je crois que c'est excellent. Un tel mode de scrutin permettrait aussi d'arriver à certains résultats que le mode de scrutin allemand ou soi-disant allemand amène, c'est-à-dire de faire élire, je ne dirais pas des chefs politiques battus dans leur comté, mais des hommes politiques qui ont une certaine valeur mais qui peuvent difficilement se faire élire dans une petite circonscription qui a des caractéristiques locales peut-être un peu trop particulières ou un peu trop différentes des qualités qu'ont ces hommes politiques.

Vous pourrez me dire: A ce moment-là, ils

n'ont qu'à aller se présenter ailleurs. Mais alors, on pourra les accuser de parachutage. Donc, c'est assez difficile pour un homme qui a certaines qualités de se faire élire dans le comté si le comté a l'habitude d'élire des gens assez différents de lui. Avec un mode de scrutin comme celui-là où un parti pourrait faire élire, du moins dans certains cas, plus d'un député par circonscription, ce sera peut-être possible à ces hommes-là de se faire élire.

Je termine rapidement cet exposé déjà un peu long en parlant des deux derniers aspects que j'ai signalés: effet des modes de scrutin sur la représentation des députés et sur l'organisation des partis. Avec ce mode de scrutin que j'ai proposé avec M. Crête, évidemment, vous auriez des circonscriptions plus grandes qui seraient représentées par trois, quatre ou cinq députés qui pourraient ne pas être, et qui le plus souvent ne seraient pas du même parti.

Je n'ai pas les données nécessaires pour vous dire — encore une fois parce qu'il en existe assez peu en science politique — ce que ça provoquerait, ce que ça produirait sur le plan de la représentation. Est-ce que c'est préférable, plaçons-nous du point de vue des électeurs, est-ce que c'est préférable pour eux d'être représentés par plusieurs députés, plusieurs députés de partis différents? Est-ce que c'est préférable de maintenir la situation actuelle? J'aimerais qu'on en discute.

M. PAUL: M. Lemieux, excusez-moi de vous interrompre.

M. LEMIEUX: Allez-y.

M. PAUL: Quel serait votre critère de base pour déterminer le nombre de régions économiques pouvant servir de calcul aux données que vous venez de nous signaler?

M. LEMIEUX: Evidemment, ce serait au Parlement et ensuite à la commission, ou du moins aux experts qui travailleraient à la réforme de la carte, de déterminer ces critères. Personnellement, je ne sais pas si vous êtes d'accord avec moi, mais j'ai l'impression qu'au Québec, actuellement, les dix régions administratives seraient une réalité plus ou moins précise. Il y en a qui correspondent à des réalités socio-économiques assez homogènes, assez précises.

M. PICARD: Un seul exemple pourrait justifier cette affirmation, M. Lemieux. Parce qu'il arrive très souvent qu'on a des gens qui critiquent, à tort ou à raison, les limites des régions administratives, alors que cela a été le résultat d'un travail de près de trois années de consultation à travers la province et, à chaque fois que quelqu'un arrive avec une critique de ces régions administratives, ils ne sont jamais capables de mettre le point sur un seul exemple.

M. LEMIEUX: Je vais vous donner deux exemples très différents l'un de l'autre. Prenons la région de Montréal qui, actuellement, je crois, comprend la moitié de la population du Québec. Je suis bien d'accord qu'il y ait une grande région de Montréal qui englobe l'île de Montréal et aussi toute une série de comtés de la rive nord et de la rive sud, mais je vous dis qu'à l'intérieur de cette région il y a des sous-réalités régionales importantes, il y en a qui sont reconnues par les sous-régions et tout cela. Je vous donnerai un autre exemple, celui de la région dite des Trois-Rivières, qui enjambe le fleuve. Evidemment, je connais un peu moins cette région...

M. PICARD: Vous avez le pont!

M. LEMIEUX: Oui, maintenant, il y a le pont, d'accord. Mais, est-ce que le pont est suffisant — il y a un député de cette région qui arrive, il pourrait nous en parler — pour faire de cette région-là une région homogène? Je ne le sais pas. Prenons un autre exemple que je connais mieux, la région du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Je pense que c'est plus conforme à la réalité de découper — c'est ce que l'on aurait avec le système que je propose — à l'intérieur de cette région deux sous-régions. Vous savez que la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent, c'est quand même deux choses assez différentes. D'ailleurs, il y a plusieurs organismes qui le reconnaissent. Les habitants aussi!

Je ne dis pas que les régions administratives sont mauvaises en elles-mêmes mais je crois qu'elles ont le désavantage d'abord d'être très inégales en elles-mêmes; je crois que certaines d'entre elles ont aussi le désavantage d'englober des sous-régions qui ne sont peut-être pas tellement homogènes entre elles et qu'il serait peut-être préférable de leur reconnaître au moins sur le plan électoral une certaine autonomie.

Je pense qu'au Québec — d'ailleurs on le voit par le nombre de CEGEP, par certaines divisions administratives de certains ministères — 25 ou 30 régions un peu plus petites regroupées autour de petits centres régionaux, c'est peut-être une réalité sociologique et économique qui a plus de réalité, qui est plus précise que ces grandes régions administratives qui sont peut-être bonnes à des fins économiques, à des fins administratives mais qui, sur le plan électoral et sur le plan social, culturel ou ethnique, englobent souvent des entités très différentes. C'est ce que je voulais dire.

M. PICARD: Vous admettez vous-même, M. Lemieux...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! M. LEMIEUX: Oui.

M. PICARD: ... qu'il existe des sous-régions dans les régions administratives.

M. LEMIEUX: D'accord.

M. PICARD: Alors, prenez les sous-régions.

M. LEMIEUX: Oui, oui.

M. PICARD: Mais conservez vos dix régions administratives.

M. LEMIEUX: Je ne dis pas qu'il faudrait les jeter à terre. Je dis tout simplement que, pour fins électorales, dans un mode de scrutin comme celui-là, il faudrait procéder non pas avec les régions administratives mais plutôt avec des sous-régions pour avoir un nombre de députés à peu près égal d'une région à l'autre. Je pense qu'on se comprend bien.

Un dernier point, finalement, avant de terminer, c'est que mon quatrième critère était les effets du mode de scrutin sur l'organisation des partis. Encore là, évidemment le mode de scrutin de proportionnelle modérée que j'ai proposé modifierait assez considérablement la situation. Est-ce que ça irait dans le sens d'une plus grande centralisation des partis? Je crois que ce n'est pas inévitable. C'est peut-être bon que les partis soient un peu plus centralisés — je ne sais pas ce que vous en pensez — c'est peut-être mauvais. Mais je crois qu'il n'est pas fatal qu'avec un mode de scrutin comme celui-là on ait plus de centralisation. Par exemple, prenons une région où il y aurait quatre députés. Evidemment, dans certains systèmes politiques c'est l'organisation centrale du parti qui, à toutes fins pratiques, établit la liste 1, 2, 3 et 4 et qui détermine ainsi qui sera le premier élu, qui sera le deuxième, ainsi de suite. Par contre, on pourrait fort bien penser à des conventions un peu plus larges que celles que l'on connaît actuellement, des conventions régionales qui, au lieu de choisir un candidat en choisiraient trois ou quatre et dans l'ordre. Autrement dit, il y aurait six ou sept candidats; les trois ou quatre premiers qui recueilleraient le plus de votes de la part des délégués ou des membres du parti constitueraient la liste du parti dans la circonscription et dans l'ordre de votes qu'ils auraient reçus. Je pense que des mesures comme celle-là pourraient faire en sorte que, même avec ce mode de scrutin, on n'ait pas une centralisation excessive des partis politiques.

Voilà ce que je voulais vous dire. Je répète en terminant que c'est un problème très difficile. Je pense que dans mon exposé j'ai laissé clairement entendre cette difficulté. Comme on le disait au début de cette rencontre, comme en parlaient certains d'entre nous, il y a surtout le fait qu'ici, au Québec, on n'a jamais connu d'autres modes de scrutin. Changer celui qui nous a relativement bien servi jusqu'à tout récemment c'est un peu un saut dans l'inconnu. Personnellement, je crois que l'évolution de la société québécoise, le fait qu'il y ait maintenant quatre partis bien installés sur la scène politi- que, nous oblige à apporter des modifications au mode de scrutin et une des modifications qui me semble réaliste c'est celle que je viens de proposer, pour finir.

M. LE PRESIDENT: M. Hardy.

M. HARDY: M. le Président, au début de votre témoignage, M. Lemieux, vous nous avez parlé de cette nouvelle figure de la société québécoise qui avait perdu son homogénéité. Vous avez laissé entendre qu'une des façons de représenter au Parlement ce pluralisme, ce nouveau pluralisme que nous connaissons au Québec, c'était précisément d'adopter un mode de scrutin qui favorisait le multipartisme.

Ce que je voudrais savoir de vous c'est que: Ne croyez-vous pas qu'à partir de l'expérience américaine, de l'expérience en Grande-Bretagne et même de l'expérience canadienne, la façon de se comporter de nos partis politiques, leur absence d'idéologie ou l'absence de doctrines très précises dans la plupart des partis nord-américains ou même des partis européens, permet précisément, d'une autre façon, d'exprimer ce pluralisme, d'une part, tout en garantissant la stabilité gouvernementale.

Vous n'ignorez sûrement pas — d'ailleurs votre expérience et les études que vous avez faites vous l'ont sûrement démontré — qu'à l'intérieur des partis américains, je pense, entre autres au Parti démocrate, en Grande-Bretagne, au Parti travailliste, et même ici au Canada à certains partis, il existe au sein même de ces formations plusieurs tendances qui reflètent ce pluralisme. Ces tendances s'expriment à l'intérieur du parti. A l'intérieur du parti, il y a une espèce de premier dégagement, un premier consensus qui se fait et qui assure la stabilité gouvernementale. En d'autres termes, je veux vous demander si vous croyez que cet instrument permet aussi bien à ces partis politiques, assez souples dans leurs doctrines, l'expression du pluralisme politique autant que le multipartisme, tout en assurant la stabilité gouvernementale.

M. LEMIEUX: Si on se réfère aux cas américain et britannique, je dirais oui, probablement. Ce qu'on discute c'est le cas du Québec et je crois que malgré tout le Québec a des caractéristiques actuellement du moins, assez différentes de ces deux autres sociétés. Il y a d'abord le fait, qu'on aime cela ou non, que cette espèce de pluralisme n'a pas réussi à se laisser enfermer dans les deux partis traditionnels. Il y a le fait qu'actuellement deux tiers partis ont recueilli, aux dernières élections, plus du tiers du vote des québécois. C'est quand même un phénomène qu'il faut prendre comme tel.

Je me demande s'il n'est pas un peu illusoire de penser que grâce au mode de scrutin majoritaire à un tour, ou à d'autres mécanismes, on va pouvoir revenir à une situation de

bipartisme où les deux partis pourront exprimer à l'intérieur d'eux-mêmes ce pluralisme.

Vous dites que les partis américains, britanniques et nos partis sont assez peu idéologiques. Je dirais, quand même, qu'il y a, au moins, deux partis au Québec qui ont un caractère idéologique assez marqué. On peut penser ce que l'on veut de cette idéologie, mais je crois que dans le cas du Ralliement créditiste et dans le cas du Parti québécois, tout au moins, pour ne pas parler des autres, ce sont quand même des partis qui ont une doctrine ou une idéologie assez précise qui les distingue tout au moins des partis américains.

Il me semble plus ou moins fatal que d'ici quelques années, du moins, ce pluralisme de la société québécoise s'exprime, du moins ne puisse pas s'exprimer, pour exprimer cela d'abord par la négative, à l'intérieur d'un bipartisme, mais il s'exprime plutôt dans un multipartisme si bien qu'à ce moment-là, si on considère ce fait comme acquis, je crois qu'il faut penser à un mode de scrutin qui exprime cette réalité et qui l'exprime peut-être de façon un peu plus équitable que c'est le cas actuellement. Je ne crois pas que le maintien du scrutin majoritaire à un tour fasse disparaître le multipartisme au Québec. Prenons le cas des créditistes qui, évidemment, ont des assises locales et régionales très fortes. Pour eux, ce n'est pas tellement une question de scrutin. Ils ont obtenu cette année avec 10 p. c. ou 11 p. c. des votes à peu près cette proportion de sièges. Ce n'est pas une question de mode de scrutin.

Dans le cas du Parti québécois, l'autre tiers parti, le mode de scrutin a beaucoup plus d'importance. Je ne crois pas que c'est par le maintien de ce mode de scrutin qu'on réussisse à faire disparaître le Parti québécois ou à provoquer une fusion du Parti québécois avec un autre parti bien que j'admette que le mode de scrutin actuel joue, d'une certaine façon, en ce sens. Je ne crois pas que ce soit un facteur prépondérant.

Dans cette perspective, je crois qu'il faut penser à un mode de scrutin qui, de toute façon, va faire que le multipartisme actuel va se maintenir un certain temps.

Mais il va être un peu plus équitable ou un peu plus fidèle dans la correspondance qu'il établira entre les pourcentages de suffrages et les pourcentages de sièges obtenus par les partis.

M. HARDY: Le sens de ma question n'était pas de faire disparaître le multipartisme, c'était simplement qu'un mode de scrutin, sans faire disparaître le multipartisme, peut l'accentuer, comme on a vu en France. Certains modes de scrutin avaient pour tendance d'aider où d'autres temporisent sans faire disparaître le multipartisme.

Je voulais vous poser une autre question, M. Lemieux: Quant à la perspective de vos 20 à 30 circonscriptions, le mode dont vous vous faites le père, en vertu duquel il y aurait un certain nombre de députés à l'intérieur des circonscription, à première vue, m'apparaît mettre de côté, ou impliquer la mise au rancart presque totale du style de relations qui existent présentement entre l'électeur québécois et son député. Est-ce que, dans votre esprit, c'est bien cela? Cela impliquerait cela.

M. LEMIEUX: Oui, je l'ai d'ailleurs admis. Je crois avoir dit à deux reprises que les relations entre les électeurs et leurs députés seraient fatalement modifiées avec un mode de scrutin comme celui-là.

M. HARDY: Alors, ne croyez-vous pas — et ici, encore une fois, pour la bonne compréhension, ma question n'implique aucunement une prise de position, ou une émission d'opinion, c'est simplement dans le but de me renseigner — qu'une coupure aussi radicale entre ce qui existe présentement comme mode de relations et ce nouveau mode, ou cette absence de mode de relations, pourrait provoquer certains dangers? Ici je pense, entre autres, à ce que disait le professeur Meynaud la semaine dernière, qui laissait sous-entendre que précisément il peut y avoir danger à effectuer des coupures trop radicales dans la culture politique ou le comportement politique d'une population. Alors, d'après vous, est-ce que ce danger n'existerait pas, si, demain matin, ou dans quatre ans, nous nous retrouvions avec un mode de scrutin ou avec des institutions politiques qui feraient que l'électeur québécois n'aurait plus avec son député le mode de relations qu'il a présentement? Est-ce que cela ne provoquerait pas des remous ou des difficultés?

M. LEMIEUX: Ecoutez, je crois que le meilleur exemple dont on puisse s'inspirer, pour tenter de répondre à votre question c'est celui de la France, qui, dans une période de quelques dizaines d'années, a connu au moins trois ou quatre modes de scrutin différents: scrutin uninominal à un tour, scrutin uninominal de listes, représentation proportionnelle sans apparentement et avec apparentement, pour revenir finalement à un mode de scrutin qui avait déjà été suivi d'ailleurs, le scrutin majoritaire à deux tours, mais uninominal, c'est-à-dire, contrairement à ce qu'était la situation sous la quatrième République, c'est le député qui représente ses électeurs. Ce qui m'étonne, et je l'ai dit tout à l'heure, c'est qu'il n'y a pas de documentation en France, là-dessus; il semble que cela n'a pas tellement été un problème parce que — c'est peut-être une interprétation — dans la mesure où les spécialistes de science politique en France — il y en a de bons — ne se sont pas attardés à ce problème, qu'ils n'ont pas fait d'étude de ce problème, à savoir si cela modifiait la représentation des électeurs par le député, pour ma part j'en tire la conclusion, faute du moins d'autres données qui pourraient

me faire croire le contraire, que cela n'a pas fait tellement de problèmes.

Maintenant, la France, ce n'est pas le Québec, je l'admets. Il se peut aussi que, dans une société où l'on passe successivement d'un mode de scrutin à l'autre, il y ait une certaine habitude du changement qui fait que, finalement, l'on s'adapte plus rapidement. Je voudrais quand même dire qu'il y aurait sans doute des accommodements qui se produiraient au Québec. Il est probable, par exemple, que si une petite circonscription régionale était représentée par trois ou quatre députés, ces députés se répartiraient la tâche et même, probablement sur une base géographique, c'est-à-dire, surtout à l'intérieur d'un même parti. Ils s'entendraient sans doute entre eux pour que le député A du parti X représente telle partie de la circonscription et le député B, telle autre partie. Je ne sais pas ce qui pourrait se produire, il faudrait faire l'expérience pour le voir. Mais j'ai l'impression que, si vraiment la pression des électeurs était forte pour que le mode de représentation actuel se continue, les électeurs, comme les partis trouveraient des modes d'accommodement comme ceux que j'ai signalés — on pourrait penser à d'autres — qui feraient que la transition ne serait pas trop brutale.

M. HARDY: M. Lemieux, puisque nous en sommes à une espèce de droit électoral comparatif actuellement — vous avez fait des comparaisons entre la France et le Québec — une autre question que je me pose est la suivante: Nous avons deux pays qui, au point de vue de l'évolution culturelle, de l'évolution sociale, sont à peu près identiques. Evidemment, les mentalités sont différentes: le tempérament anglo-saxon et le tempérament français sont bien différents. Mais au point de vue culturel, au point de vue de l'évolution sociale, ce sont, je pense bien, deux pays à peu près identiques. Vous avez, d'une part, la France qui a changé de mode de scrutin à un rythme très grand. Je ne sais même plus combien de fois ils ont changé de mode de scrutin. Vous avez d'un autre côté l'Angleterre qui, elle, a gardé le même mode de scrutin et le conserve: je pense, sauf quelques groupes isolés — il paraît qu'il y a une petite société qui essaie de faire changer le mode de scrutin — que d'une façon générale la population britanique semble bien se satisfaire de ce mode de scrutin. Est-ce que ça ne vous pose pas certains points d'interrogation...

M. LEMIEUX: Oui.

M. HARDY: ...de voir, d'une part, un pays qui se sent obligé de changer constamment — puisqu'il change constamment, c'est parce qu'il trouve que ça ne va pas très bien — et d'autre part, un pays aussi évolué qui a continuellement gardé le même mode, même si dans ce pays il y a eu aussi un certain pluralisme qui a même amené, à un moment donné, un tiers parti à devenir un parti principal.

M. LEMIEUX: Oui, mais je crois que ce sont deux sociétés en fait très différentes sur le plan du pluralisme. La plupart des auteurs disent ou admettent que la société britanique est une société beaucoup plus homogène que la société française; d'abord vous n'avez pas des différences régionales aussi considérables qu'en France entre certaines régions. Le sud-ouest et l'est, le centre et l'ouest sont des régions absolument différentes à tous points de vue; d'autre part, sur le plan de la composition sociale, socio-économique de la population, les différences sont également moins grandes en Grande-Bretagne. Les familles idéologiques sont beaucoup moins enfermées dans leur idéologie qu'en France où les traditions idéologiques remontent à un très lointain passé. Je crois que de ce point de vue on peut expliquer assez facilement que la société britannnique qui est une société plus homogène ait pu être représentée d'une façon adéquate par deux ou trois partis et qu'elle ait maintenu un mode de scrutin qui, encore une fois, lorsque vous n'avez que deux partis, est un excellent mode de scrutin. En France, cette plus grande hétérogénéité, cette plus grande instabilité politique qu'elle produit a fait en sorte que non seulement on a changé les régimes politiques, les républiques, mais on a aussi changé les modes de scrutin. Je pense que, fondamentalement, tout ça s'explique, comme le signalait M. Meynaud la semaine dernière, par ces phénomènes de culture ou de civilisation politique ou de jeu des forces sociales, de relation des forces sociales entre elles.

M. HARDY: Une dernière question, M. Lemieux. Vous reconnaissez quand même que l'on adopte tel mode de scrutin ou tel autre aurait pour conséquence de provoquer certains "bouleversements" — je mets "bouleversements" entre guillemets — non seulement dans les habitudes politiques de la population québécoise mais, même au plan de nos institutions. Cela pourrait également avoir pour conséquence de nous amener à un gouvernement de coalition ou à un gouvernement qui aurait plus ou moins de stabilité. Compte tenu de ces hypothèses qui demeurent des hypothèses, d'une part, et compte tenu, d'autre part, de l'instabilité économico-sociale dans laquelle est quand même placé le Québec présentement, ne croyez-vous pas que ce n'est pas particulièrement le temps le mieux choisi pour se lancer dans des aventures ou dans des innovations trop profondes sur le plan des institutions parlementaires, si déjà nous connaissons une certaine instabilité économico-sociale ou si plutôt des modifications — et c'est l'autre possibilité — profondes sur le plan des institutions politiques auraient pour conséquence d'amener ou d'aider une plus grande stabilité sur le plan économico-social?

M. LEMIEUX: C'est une question très complexe. Je dirais, à propos de bouleversements — si on peut parler de bouleversements, dans ce cas-là, on commence à y être habitué, je

pense — que les électeurs ou les citoyens du Québec sont condamnés d'ici quelques années à connaître toutes sortes de changements. Ils sont plus ou moins d'accord sur ça. Mais nous sommes dans une situation, de toute façon, où il va falloir, sur plusieurs plans, que ces institutions se transforment.

Ensuite, je vous dirais que, si on croit éviter des bouleversements en maintenant le mode de scrutin actuel, on se prépare peut-être de mauvaises surprises, parce qu'il y a quand même certains partis ou du moins une certaine partie de la population qui commence à dire: Avec un système électoral comme celui-là, cela devient de plus en plus difficile de croire à la démocratie. Quelle est la proportion de la population qui a ces idées? Je ne pourrais pas vous le dire. Mais il y a quand même — vous le savez aussi bien que moi — des tendances assez importantes, ici au Parlement et dans la population, à croire qu'il faut non pas opérer des bouleversements, mais au moins des modifications.

Je crois que le mode de scrutin proposé par M. Bonenfant ou encore celui que j'ai proposé ne bouleversent finalement peut-être pas autant de choses qu'on le croit. Celui que j'ai proposé continue d'accorder une prime moins forte — mais c'est quand même une prime — à la majorité. Pour ce qui est de la relation entre député et électeurs, on en a parlé, il y aurait des modifications. Je ne crois pas qu'il y ait de bouleversement, parce qu'il y aurait quand même des adaptations qu'on trouverait.

Pour résumer, en quelques mots, je dirais d'une part que je ne crois pas qu'il faille parler de bouleversement avec les modes de scrutin qui ont été proposés jusqu'à maintenant. On pourrait en proposer d'autres par contre qui, eux, bouleverseraient beaucoup plus les choses.

Deuxièmement, non seulement nous sommes habitués aux bouleversements — du moins aux modifications— mais on s'attend qu'il y en ait quelques-unes dans le domaine des institutions électorales.

Troisièmement, si on ne fait pas ces modifications, on prépare peut-être des bouleversements plus grands. Si bien que moi, je crois qu'il faut changer les choses, tout en étant conscient de la nécessité de ménager le plus possible certaines transitions, bien sûr.

M. LE PRESIDENT (Picard): Le député de Chicoutimi.

M. TREMBLAY: (Chicoutimi): M. Lemieux, revenons sur le premier point que vous avez évoqué, à savoir qu'un des critères qu'il nous faudrait examiner ou retenir est qu'il faudrait que le nouveau mode de scrutin donne à un parti politique un pourcentage de sièges correspondant au pourcentage de votes reçus.

Vous avez dit cela. Vous avez d'autre part essayé d'étayer votre hypothèse en nous proposant des calculs dont la base est un postulat pur et simple, chiffres que, par conséquent, nous ne pouvons pas retenir.

Mon collègue, M. Hardy, parlait tout à l'heure des bouleversements que cela pourrait provoquer. Nous sommes d'avis qu'il est important d'essayer d'établir une relation pratique entre le poucentage des votes et le nombre de sièges que peut détenir un parti à la Chambre.

D'autre part, il y aurait peut-être une considération qui, celle-là, est d'ordre pratique et qu'on peut illustrer en ayant recours à l'histoire, c'est que ces bouleversements électoraux sont souvent des bouleversements transitoires, passagers. Ce n'est pas un fait nouveau dans le Québec qu'un nouveau parti politique ait tout à coup reçu un pourcentage important de votes. Pour ne rappeler qu'une expérience quand même pas tellement vieille, rappelez-vous l'aventure du Bloc populaire. Cela n'infirme pas pour autant votre thèse, à savoir celle qui voudrait que l'on donne à un parti politique un nombre de sièges correspondant au pourcentage de votes reçus.

Il me paraît qu'une réforme du mode de scrutin, un changement du mode de scrutin en profondeur qui serait assez radical au départ pourrait être prématuré et qu'il faudrait procéder dans ce domaine-là avec beaucoup de prudence et voir un peu quel pourrait être dans l'avenir le comportement des électeurs. Il en est de certains partis politiques comme de certaines modes. A l'heure actuelle, on est pour la mini, il y a des tenants de la maxi, mais il y a des changements qui font à un moment donné qu'on revient à un certain équilibre: on ne va pas plus loin que les genoux en descendant ou en montant.

M. le Président, ce n'est pas le problème qui me préoccupe pour l'instant, puisque nous sommes d'accord pour retenir le critère que vous nous proposez. Le mode de scrutin que vous nous suggérez me paraît assez difficile d'application. Je m'attacherai surtout au troisième critère que vous avez évoqué, à savoir l'effet du mode de scrutin sur la représentation des électeurs par le député. Vous avez parlé à ce propos de certains royaumes dont les députés seraient les souverains absolus.

Je me demande exactement, M. Lemieux, — et je vous pose la question en praticien de la politique, puisque j'en fais depuis l'âge de 18 ans — si vous savez très bien ce qu'est un député et si vous êtes bien sûr de ce que vous dites lorsque vous parlez des royaumes, de royauté absolue de certains députés. Peut-être faites-vous allusion à certaines époques qui sont révolues maintenant, d'avant 1960, et du temps de Taschereau, etc. Ne parlons pas des individus, M. le député des Iles-de-la-Madeleine, parce que chacun a ses péchés. En disant que les députés sont des rois, vous pensez sans doute à ce mythe et à cette réalité, en partie, du patronage.

Est-ce que vous ne pensez pas qu'à l'heure actuelle — enfin je ne vous demande pas de répondre à ma question, j'ai envie de dire ceci et je le dis bien carrément — le patronage est déplacé, ce sont les fonctionnaires qui le font,

ce ne sont plus les députés? Le problème du député, il faut avoir vu un député à l'oeuvre dans une circonscription pour savoir exactement ce qu'est un député. Le mode de scrutin que vous proposez et que M. Bonenfant a proposé ne changerait pas, à mon sens, le rôle du député, du moins pour un nombre d'années encore important dans l'avenir.

J'aimerais savoir de vous, de façon très concrète et très pratique, quelle est exactement votre conception de cette répartition des sièges qu'il faudrait établir en vue d'atteindre l'objectif qui correspond au premier critère, représentation qui soit équivalente pour un parti au pourcentage du vote qu'il a obtenu.

M. LEMIEUX: J'ai bien dit que j'étais d'accord — ce ne sont pas tous les experts qui osent l'affirmer aussi ouvertement — avec une certaine prime donnée au parti majoritaire. Ce qui veut dire que je ne suis pas d'accord pour une équivalence stricte. Je ne crois pas que ce soit désirable que les partis obtiennent exactement le pourcentage de sièges correspondant au pourcentage du vote qu'ils ont obtenu. Je crois que ça se défend par la nécessité d'assurer une certaine stabilité gouvernementale. Cela se défend aussi par ce phénomène que j'ai évoqué, des électeurs qui sont plus ou moins d'accord au sujet de cette prime.

Donc, ma position est une position de Normand — mes ancêtres l'étaient d'ailleurs — mais elle est un peu mitoyenne entre la proportionnelle pure et les scrutins majoritaires à un tour.

C'est-à-dire un mode de scrutin qui donne cette prime au parti majoritaire, prime d'autant plus forte que la marge relative qui le sépare du deuxième est grande. Il y a quand même un phénomène qu'il faut signaler ici très honnêtement. On dit souvent qu'en 1970 le Parti libéral a obtenu 45 p. c. des votes et que c'est scandaleux qu'il ait une majorité de sièges. Moi je dirais, oui, que c'est scandaleux qu'il ait 72 sièges, mais qu'il ait une majorité absolue de sièges, je ne crois pas que ce soit scandaleux, parce que c'est d'une part à cause de cette nécessité — du moins selon moi — d'accorder la prime et aussi à cause du fait que la marge relative qui le sépare quand même du deuxième parti est relativement grande.

C'est même la plus grande depuis pas mal d'années au Québec. C'est-à-dire qu'entre 45 p. c. et 24 p. c, vous avez quand même une marge de 21 p. c. du vote. Même Duplessis n'arrivait pas à cette marge. Evidemment, si vous mettez les trois partis de l'Opposition ensemble, cette marge disparaît complètement.

Il y a quand même ce phénomène dont il faut tenir compte. Je dirais donc, pour répondre le plus précisément possible à votre question, que le meilleur système est d'après moi celui qui, tout en donnant cette prime, donc en n'étant pas tout à fait équitable pour le parti majoritaire, répartit les sièges qui restent entre les autres de façon équitable. Je ne crois pas qu'il soit bon, par exemple, qu'on ait un système qui donne des résultats comme ceux qu'on a connus en 1970, c'est-à-dire où le deuxième parti en nombre de sièges est quatrième en nombre de voix, et ainsi de suite.

L'avantage des modes de scrutin qui vous ont été proposés avant celui dont je viens de parler, l'avantage de celui que je vous ai proposé — ou du moins l'un de leurs avantages — c'est au moins de faire en sorte qu'entre les partis d'opposition, la répartition soit plus équitable et plus conforme au pourcentage de votes qu'ils ont reçus. Ma position serait donc: prime à la majorité, et répartition équitable des sièges entre les partis d'opposition. Ceci, encore une fois, ne veut pas dire une équivalence stricte entre les pourcentages de voix et les pourcentages de sièges.

UNE VOIX: Cela s'en vient.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux, ce système que vous proposez ne vous parait-il pas mettre en danger ce qu'on appelle la stabilité gouvernementale? Vous parliez tout à l'heure de gouvernements de coalition qui peuvent avoir à certains moments des effets heureux, mais est-ce que, de façon générale, un gouvernement stable, bien assis sur une majorité, n'est pas préférable à ces gouvernements qui sont toujours transitoires, gouvernements de coalition, gouvernements minoritaires, comme on en a connus à Ottawa en ces dernières années.

M. LEMIEUX: Evidemment, c'est une question à laquelle il est très difficile de répondre, parce que vous avez des situations tout à fait différentes. Je croirais que, dans une société qui n'est pas habituée à ces gouvernements de coalition, — la société canadienne par exemple — les gouvernements de coalition, — d'ailleurs, vous en avez été témoin, M. Tremblay — n'ont généralement pas de très bons effets. Par contre, le professeur Meynaud le signale dans son article de la revue "Forces" dans les sociétés comme la Suisse, la Suède ou la Norvège, où, depuis très longtemps, il y a des coalitions relativement stables entre les partis, vous pouvez avoir de très bons gouvernements.

Je crois que le gouvernement suédois est un bon gouvernement, et c'est pourtant depuis très longtemps un gouvernement de coalition. C'est donc très difficile de répondre à cette question, sauf que, encore une fois, je crois que, dans un premier temps, — c'est tout ce qu'on peut dire — un gouvernement de coalition n'a généralement pas de très bons effets. Ceci ne veut pas dire qu'à la longue, on ne peut pas arriver à des situations comme celles qu'on connaît dans plusieurs pays d'Europe, où les gouvernements de coalition sont en fait aussi bons sinon meilleurs que les gouvernements majoritaires.

M. TREMBLAY: Un gouvernement de coalition, M. Lemieux, — à supposer qu'on ait des gouvernements de coalition — à ce moment-là, est-ce que ça ne suppose pas, pour qu'il y ait une certaine stabilité, une certaine continuité, qu'il y ait élection à date fixe, et pendant une période de X années?

M. LEMIEUX: Oui, c'est un aspect de la réforme auquel on pourrait penser, bien que, même si on avait des élections à date fixe, il faudrait sans doute — c'est un aspect où je ne suis pas expert — prévoir que, sur des questions importantes, où la coalition serait mise en minorité ou se briserait, il puisse y avoir recours à l'électorat.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): C'est ce qu'on a fait en Italie, au cours des dernières années.

M. LIMIEUX: Oui, et en France aussi c'est prévu. Mais là c'est un autre aspect. Personnellement, je dirais que même si on prévoyait des élections à date fixe, il faudrait sans doute prévoir que, dans les cas de crise où la seule façon, en fait, de résoudre le problème posé au Gouvernement, c'est de décréter de nouvelles élections, il puisse y avoir des élections et qu'on ne soit pas obligé d'attendre deux ou trois ans.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux, une dernière question pour le moment.

Le système que nous proposait — enfin, il le proposait comme une hypothèse de travail — M. Bonenfant — et je ne veux pas tirer argument de vous contre M. Bonenfant — un système 90/30, selon un mode compensatoire. Quelle est exactement votre opinion là-dessus?

M. LEMIEUX: Excusez-moi, je n'ai pas compris votre question.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quelle est exactement votre opinion sur le système que nous proposait M. Bonenfant?

M. LEMIEUX: J'ai écrit un article sur le mode de scrutin de la République fédérale d'Allemagne qui, lui, est assez strictement compensatoire. J'ai signalé certains avantages de ce mode de scrutin mais j'ai apporté aussi certaines réserves. Personnellement, je ne suis pas très favorable à un tel mode de scrutin, qu'il soit compensatoire ou non, pour plusieurs raisons. D'abord, s'il est compensatoire, je crois qu'il nous menace de gouvernement de coalition qui, encore une fois, à court terme pourrait avoir de mauvais effets. Si on veut réduire ce caractère compensatoire, c'est-à-dire faire en sorte que la proportion de sièges nationaux par rapport aux autres soit petite, il y a ce désavantage je crois assez important que le signalais, c'est-à-dire que le parti majoritaire, à ce moment-là, ne pourrait pas tenir de siège national parce qu'au point de départ il aurait fait le plein des sièges qu'il pourrait recevoir. Cela me semble un aspect assez faux d'un tel mode de scrutin. Je ne vois pas pourquoi, encore une fois, un parti, même s'il est majoritaire, n'aurait pas droit à ses députés nationaux — on peut en penser ce qu'on voudra mais ce seraient évidemment les députés qui auraient un style de vie parlementaire, de vie politique différent des autres, qui seraient libérés davantage. C'est peut-être le parti gouvernemental, justement, qui aurait besoin plus que les autres de tel type de députés qui feraient peut-être de bons ministres.

Plusieurs parlementaires, en fait — je ne sais pas s'il y en a ici — proposent un régime présidentiel, par exemple, où les ministres ne seraient pas des élus afin qu'ils puissent être libérés des charges des élus locaux. Je croirais que, justement, il faudrait peut-être que le parti gouvernemental et lui, autant sinon plus que les autres, ait de tels députés nationaux alors que, du moins avec la proportion proposée par M. Bonenfant, 90/30, ceci est à peu près impossible.

Si ce n'est pas compensatoire —comme j'ai tenté de le montrer avec des exemples évidemment abstraits mais je suis sûr que la réalité montrerait qu'ils ne sont peut-être pas aussi abstraits qu'on le pense — je crois que cela corrigerait finalement peu de chose. D'ailleurs il y a — vous l'avez peut-être vu dans "Relations" — un autre mode de scrutin de proposé. Ce sont deux auteurs qui proposent, eux, une formule qui a l'avantage d'être peut-être plus simple que les autres. C'est celle où les 74 circonscriptions fédérales du Québec seraient les mêmes sur le plan provincial. On élirait des députés locaux et, ensuite, les partis auraient autant de députés nationaux qu'ils auraient recueilli de fois 100,000 voix. En cabinet, ces auteurs aussi font un calcul de ce qu'aurait donné le résultat de 1970 avec un tel système. Le Parti libéral aurait eu 13 députés généraux parce qu'il a eu, je suppose, treize fois 100,000 votes; l'Union nationale, 6; le Parti québécois, 7 et les Créditistes, 3. Pour un total de 66 députés sur 103 qui seraient libéraux et ainsi de suite.

Mais encore-là, 66 sur 103 au lieu de 72 sur 108, finalement cela corrige assez peu la marge excessive entre le parti gouvernemental et les autres. Qu'ils soient compensatoires ou non, ces modes de scrutin en plus d'être relativement compliqués, — de créer deux catégories de députés, — me semblent avoir des désavantages sur le strict plan de l'adéquation entre les sièges et les votes ou encore de la vie parlementaire en relation entre le gouvernement et l'Opposition.

M. LE PRESIDENT (M. Picard): Le député de Mégantic.

M. DUMONT: Merci, M. le Président. Vous avez parlé, M. Lemieux, de l'expérience, vécue par le gouvernement canadien, en 1962, expé-

rience qui n'avait pas tellement été heureuse et je pense — et vous la faites certainement dans votre pensée — à la nuance qu'il faut ajouter à l'effet qu'il n'y aurait pas eu coalition, mais, qu'au contraire les quatre partis étaient restés sur leurs positions. Nous avons appris récemment qu'il y avait un pays où l'on étudiait en regard d'un gouvernement de coalition, soit la Hollande, et que là il n'y avait pas seulement quatre partis mais beaucoup plus que cela. Les Hollandais ont l'habitude de cette coalition et, après chaque élection, la reine nomme un "formateur" pour désigner et même inclure qui remplacerait tel fonctionnaire et cela a des répercussions même dans le fonctionnarisme. Pour le pluralisme que vous réclamez à chacun des experts qui viennent ici, des idées exprimées, est-ce que, justement, en 1971, on ne devrait pas, au lieu de prendre le système qui bouleverserait — que vous avez recommandé — commencer à envisager pour le Canada et surtout pour le Québec en ce qui nous concerne, un gouvernement de coalition qui renfermerait justement toutes ces idées politiques?

M. HARDY: Avec une reine.

M. DUMONT: Peut-être pas une reine, mais un "formateur", je donne l'exemple de la Hollande, mais un "formateur" surtout.

M. LEMIEUX: Encore une fois, je ne suis pas absolument opposé à une gouvernement de coalition. Vous avez raison de dire, d'ailleurs, que sur le plan fédéral il n'y avait pas eu une véritable coalition; il y avait plutôt des coalitions parlementaires changeantes d'un parti à l'autre...

M. DUMONT: Qui n'ont duré que onze mois.

M. LEMIEUX: Oui. Tout ce que j'ai dit, en fait, c'est que dans une courte période il y aurait sans doute certaines difficultés d'adaptation. Pensez à n'importe quelle combinaison entre les quatre partis existants ou à une combinaison du Parti libéral avec un ou l'autre des trois autres; je pense que vous êtes assez conscients qu'il y aurait un certain nombre de difficultés peut-être plus ou moins grandes selon les combinaisons, surtout qu'on n'a pas l'habitude, ici, de ces accommodements, de tous ces aspects qui sont rattachés à la vie commune au gouvernement, que comporte le gouvernement de coalition. Il y a aussi dans ces gouvernements de coalition, encore une fois, dans un premier temps, certains aspects de chantage de la part du parti minoritaire qui assure, grâce à sa présence, l'existence du gouvernement. Il y a donc possibilité que les coalitions se défassent assez rapidement, que le parti minoritaire tire avantage de sa position pour faire chanter l'autre, ou les autres. Je ne dis pas que c'est insurmontable. Je dirais même qu'il est peut-être désirable, à long terme si nos sociétés continuent d'être pluralistes, comme on dit, qu'on songe très sérieusement à un style de gouvernement qui soit un gouvernement de coalition.

Tout ce que je vous dis c'est qu'à court terme et à une époque, un moment peut-être où les problèmes que confrontent le gouvernement du Québec, sont peut-être plus sérieux et plus graves qu'autrefois, cela pourrait entraîner certaines difficultés; si bien que ce n'est peut-être pas le meilleur moment actuellement de faire cette expérience. Bien que cela pourrait être, encore une fois, à long terme, une expérience très féconde et qui nous conduirait à des gouvernements tout aussi efficaces que ceux de ces pays qui donnaissent des gouvernements de coalition et qui fonctionnent bien.

M. DUMONT: Croyez-vous que notre caractère latin nous empêcherait d'avoir de bons résultats?

M. LEMIEUX: Oui. Si on parle de caractère latin et qu'on pense à l'Italie et à la France, en particulier, qui sont peut-être les deux pays les plus latins de l'Europe, je ne crois pas qu'on puisse dire que, dans ces deux cas, les gouvernements de coalition aient donné de bons résultats. Dans d'autres sociétés moins latines ou du moins qui ont une civilisation et une culture politique différentes, les Scandinaves, les Allemands, cela fonctionne peut-être mieux.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que le député de Mégantic a terminé?

M. DUMONT: Une dernière question. On entend parler très souvent de cette réforme électorale qui a existé en Allemagne.

Nous avons appris récemment que les Allemands songent d'ici une ou deux Législatures à revenir à un système de type britannique uninominal à un tour. Est-ce que vous avez étudié le pourquoi de ce retour?

M. LEMIEUX: Oui, j'ai étudié ce problème de façon assez précise. Il se présente comme ceci. Le parti qui voudrait que l'on revienne à un mode de scrutin majoritaire à un tour, c'est surtout le parti chrétien-démocrate, ou démocrate-chrétien, qui lui, selon toute apparence, serait favorisé par ce mode de scrutin. Ce qui l'a empêché, semble-t-il, de faire accepter un projet de loi en ce sens, lorsqu'il était au gouvernement, c'est-à-dire, jusqu'à tout récemment, est justement le chantage des libéraux, c'est-à-dire que le parti démocrate-chrétien gouvernait, comme vous le savez, avec l'appui des libéraux. Pour les libéraux, par contre, le scrutin majoritaire à un tour serait très mauvais parce que c'est un petit parti qui serait probablement éliminé à toutes fins pratiques par ce mode de scrutin, si bien que ce sont les libéraux, grâce auxquels les chrétiens-démocrates sont mainte-

nant au gouvernement, qui ont empêché le gouvernement chrétien-démocrate de modifier le mode de scrutin. Quant au Parti social démocrate qui gouverne actuellement l'Allemagne, avec l'appui des libéraux,encore là, il n'est pas très favorable, lui, semble-t-il, à un changement du mode de scrutin, parce que c'est un mode de scrutin qui le favorise. Du moins, deux équipes d'experts ont travaillé là-dessus, à sa demande et sont arrivées à des conclusions un peu différentes. Mais de leurs conclusions se dégageait qu'il est probable — parce qu'encore une fois ce n'est jamais sûr dans ce domaine — que le mode de scrutin actuel favorise davantage le parti social démocrate qu'un mode de scrutin majoritaire à un tour; si bien que nous pouvons penser que ce parti, étant maintenant au gouvernement, il n'y aura pas de modification. Encore une fois, vous avez raison de le signaler, dans la population et aussi dans au moins un des grands partis, il y a d'assez fortes pressions pour que l'on revienne, ou plutôt, que l'on adopte le mode de scrutin majoritaire à un tour.

M. DUMONT: Merci, M. le Président.

M. LE PRESIDENT (Picard): Le député de Gouin.

M. JORON: M. le Président, j'aimerais poser une question à M. Lemieux sur le sujet évoqué ici, à maintes reprises, des relations entre le député et la population, le lien entre les députés et la population. C'est avec raison, je pense, que plusieurs députés ici s'interrogent là-dessus et emploient toujours cet argument quant aux répercussions qu'un changement de notre mode de scrutin pourrait avoir dans ce lien. Deux propositions sont devant nous, ou bien le système actuel, qui est la représentation par un seul député, ou bien, par plusieurs députés tel que vous le proposez. Vous avez évoqué un certain nombre d'avantages d'un système de représentation par plusieurs députés, ne serait-ce qu'une certaine émulation entre les députés, moins de patronage peut-être; une meilleure surveillance de l'administration serait peut-être un moyen aussi de dégager le député de l'administration et de valoriser la fonction publique etc. Enfin, au total, qu'un tel système de représentation par plusieurs députés rend peut-être les députés plus près de l'électorat en correspondant mieux à l'électorat.

Je voudrais vous demander si, quand on emploie l'argument que la population craindrait de voir ses relations avec son député modifiées, on présume que la population, en faisant cela, est satisfaite du mode de relations actuelles; d'après vous, est-ce qu'il y a des signes de pression pour que ce type de lien soit modifié? Est-ce que la population voudrait le changer? D'après vous, connaît-on des signes qui nous permettraient de croire que la population voudrait changer les types de relations qu'elle entretient avec ses députés? En d'autres mots, est-ce que l'on ne commettrait pas l'erreur d'être, nous-mêmes, parfois trop conservateurs, en présumant des intentions de la population? Est-ce finalement le système qui empêche peut-être la population d'établir avec le député le type de relations qu'elle souhaiterait?

M. LEMIEUX: Oui, évidemment, comme on n'a pas manqué de me le rappeler, avec raison, je connais sans doute moins ce qu'est un député que la plupart d'entre vous.

D'ailleurs, si je n'ai pas voulu m'avancer tellement là-dessus, c'est que je voulais vous laisser la parole. Je voulais savoir ce que vous en pensiez. On fait beaucoup de sondages actuellement. Il serait peut-être intéressant d'en avoir un justement où on poserait carrément la question aux gens, entre autres, ou des questions en ce sens: Est-ce que ça vous semblerait préférable que vous soyez dans des circonscriptions plus grandes, avec plus de députés de partis différents pour vous représenter? Je ne sais pas. La question n'a pas été posée. Je n'ai pas fait d'enquêtes qui ont porté spécialement là-dessus. Par contre, vous avez sans doute raison de noter — et je pense que tous les députés ici l'ont noté également — une certaine insatisfaction des électeurs peut-être pas envers le mode de représentation actuelle, mais envers ses insuffisances. Je crois que, de plus en plus, on se rend compte qu'on doit emprunter d'autres canaux, d'autres voies. Il y a des députés qui jouent le jeu. Il y en a d'autres qui le jouent moins. Bon! Mais de toute façon, ces mouvements de contestation qui sont apparus, ces pressions qui sont faites sur le gouvernement et les administrations par d'autres voies que les députés n'indiquent peut-être pas précisément qu'on est insatisfait du fait que ce soit un député seulement qui nous représente, mais probablement du fait que ce mode de représentation est peut-être bien insuffisant. Est-ce que le fait d'être représenté par trois, quatre ou cinq députés dans des circonscriptions plus grandes améliorerait les choses? Vraiment, je ne peux pas me prononcer là-dessus. Je me demande, par contre, s'il ne faut pas bien voir que ça se présenterait de façon assez différente selon les régions. Je me demande si dans Montréal, par exemple, ça changerait beaucoup de choses. Vous avez vu les régions où j'ai proposé de mettre ensemble Sainte-Marie, Saint-Jacques, Maisonneuve et...

UNE VOIX: Mercier.

M. LEMIEUX: ...Mercier et faire représenter ce secteur de Montréal par quatre députés au lieu d'avoir les modes de représentation actuels. Est-ce que ça changerait beaucoup de choses? Peut-être pas tellement. Evidemment, en Gaspésie, ça modifierait peut-être considérablement la représentation. Je ne sais pas. Donc, pour répondre à votre question, bien sûr, il y a des

signes, peut-être pas d'insatisfaction, mais des signes de plus en plus évidents que la représentation par les députés n'est qu'un élément dans un ensemble de voies ou de canaux que les électeurs peuvent emprunter. Est-ce que le fait d'avoir des circonscriptions plus grandes et plusieurs députés de différents partis améliorerait les choses? Je ne sais pas. Il faudrait en faire l'expérience.

M. JORON: Pensez-vous que ça aurait pour effet de valoriser le rôle de l'administration publique, d'une part, dans la mesure où ça aurait tendance à dégager, puisque qu'on ne pourrait pas remettre à un seul député le blâme ou le fardeau?

M. LEMIEUX: Je me demande si ça dégagerait. Encore là, on peut se le demander. Il pourrait peut-être se produire ceci: Jos Untel va voir le premier des députés. Si ça ne marche pas avec lui, il va voir le deuxième. Il va voir le troisième et finalement le quatrième. C'est-à-dire qu'il pourrait faire le tour au lieu de s'en tenir à un, comme maintenant. Vraiment, je ne sais pas.

M. JORON: Dans ce sens-là, est-ce que ça ne produirait pas l'effet qu'il aurait l'impression que le système le favorise davantage...

M. LEMIEUX: Oui.

M. JORON: ...lui permet plus d'options?

M. LEMIEUX: Je pense, du moins de façon purement abstraite, qu'il y aurait au moins cet avantage. C'est que non seulement il y aurait une option entre différents individus, mais il y aurait aussi une option entre différents partis. Encore une fois, dans la plupart des régions, il y aurait des députés de deux, trois, dans certains cas, on arriverait même à quatre partis; par exemple, dans la région de Québec, où on mettait ensemble Jean-Talon, Louis-Hébert, Limoilou et Saint-Sauveur, on arrivait à un résultat qui était deux libéraux, un du PQ, un du Ralliement et un de l'Union Nationale. Alors là, les électeurs de la ville de Québec et de certaines villes avoisinantes auraient vraiment le choix. Qu'est-ce que ça donnerait? Je me refuse à faire de la théorie là-dessus. Je ne sais pas. Evidemment, il y a ce que vous signalez, qui pourrait jouer, il y a peut-être autre chose également. Au moins, pour les électeurs — et je serais bien intéressé à savoir ce qu'ils en pensent, quel est leur avis là-dessus — il y aurait cette possibilité de varier un peu les canaux d'intervention.

M. JORON: Iriez-vous jusqu'à dire qu'un sondage sur cette question précise nous serait d'un énorme avantage en poursuivant notre démarche de la réforme électorale?

M. LEMIEUX: Je pense que, si on pouvait vendre l'idée à un journal, la Presse, le Soleil, le Star ou un autre et qu'il fasse un sondage là-dessus ça pourrait sans doute vous aider, vous éclairer sur ce que pense la population.

C'est quand même un problème... De façon générale on a assez peu traité dans les sondages de ce que les électeurs pensent vraiment de leur député, et puis de la meilleure façon d'être représenté par leur député. Est-ce que c'est un ou plusieurs?

M. LACROIX: Dans vos sondages, qui informerait la population des avantages et des inconvénients de ce système? S'il y a un lessivage de cerveaux d'un côté, quelle valeur scientifique aura votre sondage?

M. LEMIEUX: II faudrait que le sondage soit bien fait.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LEMIEUX: Objectivement on donne le choix aux gens.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce que les sondages sont ordinairement bien faits?

M. LEMIEUX: II y en a qui sont bien faits, d'autres qui le sont moins.

M.TREMBLAY (Chicoutimi): Cela dépend de celui en faveur duquel il penche.

M. LEMIEUX: II y a quand même des sondages qui sont commandités par des organismes plus ou moins indépendants de la politique, qui lorsqu'ils sont faits avec l'aide de certains experts, de soi-disant experts ont peut-être plus de valeur que d'autres.

Je ne voudrais pas aborder cette question. D'ailleurs, je pense que vous devez la débattre un peu plus tard.

M. LE PRESIDENT (Picard): Le député de Gouin a-t-il terminé?

M. JORON: Oui, merci.

M. LE PRESIDENT (Picard): Le député de Jacques-Cartier.

M. SAINT-GERMAIN: Je voulais simplement mentionner, M. le Président, qu'au début de l'exposé de M. Lemieux, j'ai été un peu surpris qu'en nous faisant part de ses façons de voir sur le mode de scrutin il n'ait jamais analysé, du moins qu'il ne nous ait jamais fait part de certaines analyses qu'il aurait faites de l'électeur moyen de la province de Québec. Personnellement, je crois que les traditions marquent toujours les hommes profondément, ça peut les marquer de différentes façons, soit

qu'un citoyen veuille, envers et contre tous, conserver ses traditions, ça peut le marquer de façon tout à fait opposée, ça peut amener une personne à vouloir modifier profondément ses traditions et vouloir les faire disparaître d'une façon absolue.

Mais de toute façon, cela marque toujours les gens. Nous avons dans la province de Québec un processus de vote qui est le même depuis déjà quelques générations, et je ne doute pas que ça ait marqué profondément le citoyen moyen de la province de Québec. Je voulais savoir, puisque M. Lemieux est un universitaire et que la recherche est son champ d'activité, si, pour arriver aux conclusions qu'il nous a données ce matin, il est entré en contact avec le citoyen moyen de la province de Québec, afin de connaître sa réaction vis-à-vis de tel ou tel mode de scrutin, telle modification à apporter dans la représentation électorale.

Vous avez mentionné qu'il serait difficile dans la province de Québec d'avoir un gouvernement minoritaire efficace, à cause des difficultés qu'il y aurait entre les partis politiques d'en venir à une entente et à une coordination des politiques. Est-ce que ces difficultés ne viendraient pas simplement du fait que les électeurs ou les militants de chaque parti admettraient difficilement — puisque ce n'est pas dans nos moeurs et dans nos traditions — que le parti ou les hommes en qui ils ont fait confiance y fassent des compromis avec un soi-disant adversaire politique?

Est-ce que ce n'est pas là simplement le reflet de la mentalité de la population?

M. LEMIEUX: Sur ce dernier point, vous avez sans doute raison. Il y a certainement dans notre culture politique beaucoup de réticences envers le compromis, alors que dans d'autres sociétés on y arrive plus facilement. Sur ce point-là évidemment je n'ai pas fait d'enquête personnellement, je ne suis pas entré en contact avec l'électeur moyen. C'est pour ça d'ailleurs que j'ai suggéré l'idée que des organismes, autant que possible indépendants, fassent des enquêtes là-dessus.

Donc, je ne suis pas entré en contact avec l'électeur moyen. Cela fait pas mal de monde, l'électeur moyen! Mais vous avez raison, je crois qu'il faudrait savoir ce que les gens pensent de cela. Vous autres ici, vous savez sans doute ce que vos militants — les gens qui sont un peu plus politisés — pensent de la question. Comme vous le savez, l'électeur moyen, très souvent, n'est pas très politisé.

Alors, qu'est-ce qu'ils pensent de cette question-là? Je crois que ce serait très intéressant de le savoir. Personnellement, je crois que toutes ces réformes, on doit les faire en tenant compte, autant que possible, des idées, des réticences ou de la faveur que les gens peuvent avoir envers ces réformes.

Il ne faut peut-être pas s'arrêter trop strictement à cela, parce que ce peut être uniquement par conservatisme, comme vous le signaliez, qu'on puisse résister un temps à un changement alors que, une fois que le changement s'est produit, on s'aperçoit finalement que ce n'était pas si terrible et que ça donne de bons résultats. Il y aurait sans doute moyen, par des enquêtes que je n'ai pas faites, je l'avoue, du moins sur cette question-là, de savoir ce que les gens en pensent. Je crois que ça pourrait être — si le sondage est bien fait — assez éclairant pour cette commission de le savoir.

M. LE PRESIDENT (Picard): Le député des Des-de-laMadeleine.

M. LACROIX: M. Lemieux, dans votre approche concernant la nouvelle méthode que vous suggérez, à savoir qu'une région pourrait élire trois ou quatre députés de différentes formations politiques — si on compare le rôle actuel du député qui, dans un secteur donné, dans un comté donné, joue le rôle d'animateur et travaille en étroite collaboration avec les corps publics, les corps intermédiaires, afin de trouver des solutions au problème — ne trouvez-vous pas que ce serait un peu compliqué de voir trois ou quatre députés de formations politiques différentes, qui ne partagent pas la même idéologie, travailler en aussi étroite collaboration avec les divers éléments de la population?

M. LEMIEUX: C'est un élément dont il faut tenir compte. Dans le cas de députés d'un même parti, ce serait peut-être moins grave. Comme je le disais tout à l'heure, ils pourraient se diviser la région. S'ils sont deux d'un parti à représenter ensemble la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent, ils peuvent très bien se diviser la région en deux. Dans le cas de députés de partis différents, il y aurait certainement des problèmes. On a parlé d'émulation tout à l'heure, mais l'émulation pourrait virer parfois à la compétition.

Je rencontrais dernièrement un professeur de science politique de l'Université de Moncton au Nouveau-Brunswick où on a, comme vous le savez, un système peut-être un peu différent de celui-là, mais où l'électeur vote pour deux, trois ou quatre députés à la fois.

Vous avez des circonscriptions qui sont représentées par plusieurs députés, les sièges étant accordés non pas à la proportionnelle, mais au scrutin majoritaire dans chaque cas, c'est-à-dire qu'on vote pour le siège 1, le siège 2, le siège 3 et le siège 4. Je discutais justement avec lui de la représentation qui se produisait dans de telles circonscriptions. Il me disait qu'un des inconvénients — est-ce que ça tient au fait que c'est au Nouveau-Brunswick? Je ne sais pas — c'était qu'il pouvait y avoir, entre les partis et même entre les députés d'un parti, des jalousies, des chicanes, des compétitions. C'est peut-être un aspect, oui. Surtout dans ce rôle d'animateur que vous signalez, il y aurait

peut-être des difficultés avant qu'on trouve deux députés de partis différents qui jouent tour à tour ou simultanément ce rôle d'animateur. Comment cela pourrait-il se tasser, comment cela pourrait-il se régler? Je ne sais pas. C'est certainement un aspect dont il faut tenir compte.

M. LACROIX: Dans le cas où il y aurait quatre députés, au lieu d'avoir une lettre qui serait adressée à un ministère ou à un fonctionnaire, cela en ferait quatre.

M. LEMIEUX: C'est ce que je disais tout à l'heure. Les électeurs pourraient s'adresser aux quatres députés au lieu de s'adresser à un, ce qui augmenterait le travail des députés et des fonctionnaires tout à la fois.

M. LE PRESIDENT (Picard): Merci, M. Lemieux.

M. LACROIX: J'aurais encore une question, peut-être mi-sérieuse, mi-badine. Afin de résoudre les problèmes qu'on étudie depuis longtemps et qu'on va probablement étudier encore longtemps, ne seriez-vous pas capable d'imaginer un système qui serait parfait, qui serait infaillible, qui permettrait par exemple à une formation politique — mettons le Parti québécois — de prendre le pouvoir sans avoir la majorité de l'électorat derrière elle?

M. LAURIN: On ne veut pas de ça.

M. LACROIX: Vous voudriez former le gouvernement avec sept députés.

M. LAURIN: Non.

M. LEMIEUX: Je pense que ce système ne serait pas un système parfait.

M. LE PRESIDENT (Picard): La parole est maintenant au député du comté rural de Brome.

MR, BROWN: Mr. Lemieux, the day after the election, do you think that any county in the Province of Quebec would prefer to be in the Opposition, provided they elected their member?

M. LEMIEUX: C'est bien sûr que les gens préfèrent généralement être du côté du gouvernement que de l'Opposition, c'est bien entendu. Mais, il y a quand même pas mal d'électeurs qui appuient les partis d'Opposition, qui préféreraient que ces partis soient mieux représentés au Parlement. Evidemment, vous faites allusion à une classe de la population qui est assez apolitique ou non politique, qui elle vote pour gagner, ou du moins n'est pas tellement attachée à son parti et qui, au lendemain de l'élection se dit, si elle a voté pour le parti de l'Opposition, qu'elle aurait dû voter pour le parti gouvernemental.

Il y a quand même beaucoup d'autres électeurs qui eux, quand ils votent pour un parti de l'Opposition, croient à ce parti et voudraient que ce parti soit le mieux possible représenté au Parlement afin qu'à la prochaine élection, ou durant la période entre deux élections, il soit en meilleure position pour remporter la victoire ou du moins améliorer ses chances.

Je pense qu'il faut tenir compte de la volonté de ces électeurs également.

MR. BROWN: The theory that you have been discussing, is it not generally speaking a watered down version of an election that a few people can squeeze in with the party in power instead of making a clear cut decision of being a party in Opposition and one in power?

M. LEMIEUX: En fait, le système que j'ai proposé, encore une fois est un système qui n'est pas un système de proportionnelle pure, c'est-à-dire, qu'il peut entraîner les résultats que vous signalez, c'est-à-dire une certaine confusion entre ce qui est le pouvoir et ce qui est l'Opposition. C'est quand même un système, je le répète, qui donne une prime assez importante au gouvernement majoritaire. Dans l'exemple artificiel ou abstrait que j'ai donné tout à l'heure, il reste qu'avec 45 p. c. du vote le parti Libéral obtenait 54 p.,c. des sièges.

C'est quand même une bonne prime. Donc, c'est ce que je disais en réponse à M. Tremblay, c'est un système qui, tout en étant plus équitable pour les partis, permet quand même de maintenir une distinction, ou donne plus de chances à ce qu'il y ait une distinction assez nette qui s'établisse entre le gouvernement et l'Opposition.

M. LE PRESIDENT (Lavoie): La parole est au député de Terrebonne.

M. HARDY: M. le Président, un peu dans le même sens des questions que j'avais posées tantôt dans la perspective de ces 20 ou 30 grandes circonscriptions, il y a un premier aspect que j'avais abordé tantôt, qui est l'aspect plutôt traditionaliste, celui des rapports qui existent entre l'électeur et le député dans le rôle d'intermédiaire du député. Là-dessus, loin de moi la pensée de vouloir faire contredire deux spécialistes, mais pour...

M. LEMIEUX: D'ailleurs sur cette question-là, les spécialistes se contredisent.

M. HARDY: ... ma propre gouverne, j'aimerais que vous fassiez des commentaires sur cette partie du témoignage de M. Meynaud la semaine dernière, et je cite: "C'est le contact direct avec une circonscription et avec des hommes de la circonscription" — il parlait du... — Je pense

que j'ai commencé à citer trop loin, je reprends la citation de M. Meynaud: "Elle met en cause, en quelque sorte, toute la philosophie du métier de député, et je pense que la philosophie du métier de député, dans ce que je considère de plus essentiel, c'est le contact direct avec une circonscription et avec des hommes de la circonscription." Or, partant de ce témoignage de M. Meynaud, j'y vois deux aspects.

Il y a évidemment l'aspect traditionnel d'intermédiaire qui était beaucoup plus fort autrefois, et je ne veux pas faire de personnalité. Je vais remonter à Taschereau pour montrer une certaine objectivité. Il y a cet aspect d'intermédiaire qui existe toujours. Je veux bien que nous fassions des enquêtes comme vous l'avez dit, ces enquêtes pourraient nous donner certaines orientations, mais je ne suis pas sûr qu'elles seraient tout à fait justes. Je parle de mon expérience personnelle qui est évidemment une expérience limitée.

Si on faisait une enquête dans le comté de Terrebonne, je suis persuadé que dans certains secteurs du comté de Terrebonne des gens diraient: Le député, on ne le voit jamais et on n'en a pas besoin. On le voit en période électorale, ce qui nous intéresse, c'est quand il dit quelque chose en Chambre, quand il prend telle position.

C'est là-dessus qu'on le juge. Là, ce sont les parties de mon comté les plus favorisées, — des gens qui gagnent entre $7,000, $8,000 et $20,000, $25,000 — ces gens-là, je ne les vois pas à mon bureau et quand ils m'écrivent, c'est pour me donner leur opinion sur telle loi.

Mais il y a d'autres parties...

M. LAURIN: ... Est-ce que vous faites des assemblées d'information?

M. HARDY: Attendez un peu, je vais venir à cela plus tard. Il y a d'autres personnes de mon comté que je vois presque tous les mois. Ce sont des gens qui ont moins de facilité pour se défendre face à l'appareil administratif.

Alors, si on faisait une enquête à l'échelle de la province, peut-être qu'on en arriverait à certaines conclusions mais cela ne rendrait pas justice, nécessairement, à ceux qui ont le plus besoin du député. Cela c'est un aspect.

L'autre aspect, plus moderne, plus avant-gardiste, c'est le nouveau rôle que le député joue et — je suis sûr que je ne suis pas le seul, beaucoup d'autres membres du Parlement jouent sûrement ce rôle — c'est le rôle de consultation. C'est-à-dire que, devant un projet de loi, je tente personnellement de réunir un certain groupe de personnes qui sont plus particulièrement intéressées. Exemple, la Loi de l'assurance-maladie, la Loi amendant la Loi de l'assurance-maladie, la Loi du consommateur, j'ai réuni dans mon comté des groupes qui sont intéressés, qui sont plus touchés par ces législations et qui sont intéressés à me faire des suggestions.

Je pense que, si le député veut vraiment jouer son rôle de législateur, c'est la seule façon pour lui de vraiment pouvoir le faire.

Or, la question que je me pose, c'est: En plus du rôle d'intermédiaire dans ces vastes circonscriptions — parce que si on divise la province en 30 circonscriptions, il est évident qu'on sera en face de très vastes circonscriptions — est-ce qu'à ce moment-là le député, physiquement, pourra vraiment consulter ses électeurs comme on semble vouloir le faire présentement, puisque c'est la nouvelle voie dans laquelle on semble s'engager? Je pense à certaines parties de la province dont la population — c'est un facteur qu'il ne faut pas oublier — est assez peu dense. A ce moment-là, si le député veut vraiment — je reviens à des cas concrets — consulter ses électeurs sur le fonctionnement de la nouvelle loi des Affaires sociales, par exemple, s'il est en face d'une circonscription qui couvre des centaines de milles carrés, comment pourra-t-il vraiment jouer ce rôle d'animateur, ce rôle invitant la population à participer en quelque sorte à la législation via son représentant?

M. LEMIEUX: Pour répondre d'abord à votre première question qui a trait au rôle d'intermédiaire, je crois quand même qu'un sondage bien fait nous indiquerait si ce sont les gens les plus défavorisés ou les gens les plus favorisés qui sont en faveur de tel ou tel mode de représentation. Il s'agirait à ce moment-là de mettre en relation des réponses des gens pour ces différents modes de représentation, de les mettre en relation avec leur occupation, leur degré de richesse, les localités où ils habitent, ainsi de suite. On pourrait le savoir par un sondage qui établirait ces relations.

Deuxièmement, pour ce qui est de ce rôle de consultation, vous avez signalé certains désavantages de ce mode de scrutin par rapport à ce rôle. J'y verrais peut-être, par contre, un avantage qui serait celui d'une certaine division du travail entre les députés. Je pense bien que vous admettez tous que le député, dans ce rôle de consultation ou d'animation, ne peut pas être compétent dans tous les secteurs de l'administration gouvernementale; si les députés étaient plusieurs à représenter une circonscription, ils pourraient se spécialiser davantage, dans des domaines qui les intéressent ici, au Parlement, de façon correspondante aux commissions où ils travaillent, aux problèmes dont ils s'occupent.

Pour ces fameux débats entre le député généraliste ou spécialiste, je crois qu'il est plus ou moins inévitable que le député, tout en demeurant par la force des choses un généraliste, se spécialise quand même de plus en plus dans certains secteurs. D'ailleurs, je pense qu'avec la multiplication des commissions parlementaires, c'est ce qui se produit. Le mode de scrutin que je propose, à ce point de vue, aurait peut-être cet avantage d'une certaine division du travail — du moins, si elle est possible — entre les députés représentant une même circonscription.

M. HARDY: Votre réponse m'inspire immédiatement une nouvelle question. Premièrement, je me demande si cette conception n'est pas un peu angélique: vous présupposez, à un moment donné, que dans une circonscription où il y a quatre ou cinq députés, il y a des députés de partis différents qui s'inspirent d'une philosophie politique différente mais qui malgré ces divergences de philosophie politique s'entendent ensemble et disent: Toi, tu vas consulter telle partie du territoire, moi telle autre partie.

Cela voudrait dire qu'ils mettent ensemble les résultats de leurs consultations. D'une part, cela me paraît un peu difficile à réaliser. D'autre part, votre conception du député généraliste et du député spécialiste, il faudrait quand même, à mon avis, y apporter une certaine nuance. Je suis d'accord que certains députés peuvent se spécialiser dans certains dossiers, mais quand il s'agit d'être le mandataire de leurs électeurs, ils ne doivent pas être des spécialistes. C'est-à-dire, à mon avis, que le député a l'impérieux devoir de faire entendre la voix de ses électeurs sur tous les sujets et sur toutes les lois qui sont votées, soit au niveau du caucus de son parti, soit en faisant des pressions immédiatement sur les ministres ou en parlant en Chambre. Si un député se considère un généraliste, c'est-à-dire qu'il dit: Moi, telle sorte de législation, je ne la connais pas parce que je ne suis pas spécialiste là-dedans, je refuse de me faire le porte-parole de mes électeurs sur cette loi, je considère qu'à ce moment-là, il serait injuste. Il ne remplirait pas son mandat vis-à-vis du parti de ses électeurs.

M. LEMIEUX: Vous avez raison. C'est pour cela que j'ai dit que le député devait être, à la fois, un généraliste et un spécialiste, ce qui n'est pas facile. Pour ce qui est du premier aspect de votre question, dans mon esprit, cette division du travail ne se ferait pas par négociations, mais d'une façon un peu naturelle, c'est-à-dire que, même si le député doit être — et je suis d'accord avec vous lorsqu'il représente ses électeurs — un généraliste, il reste qu'il est plus ou moins compétent par la force des choses ou qu'il les représente plus ou moins bien selon les domaines où il agit. Ce serait non pas, du moins, d'un parti à l'autre, par négociations ou ententes que cette division du travail se ferait, mais plutôt, nous sommes dans le domaine de la prospective, par la force des choses, par le fait que tout en étant un généraliste, un tel est davantage intéressé ou plus compétent dans les problèmes agricoles alors qu'un autre ce serait plutôt le domaine forestier qui l'intéresserait.

M. LAURIN: Je n'ai pas encore parlé.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Une petite question additionnelle, M. Laurin, si vous le permettez.

M. LAURIN: D'accord.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Justement cette question que vient d'évoquer mon collègue, le député de Terrebonne, cette question de député généraliste et spécialiste, même dans l'optique de votre réaménagement, il reste que, quand on reçoit les électeurs, on ne sait jamais exactement quelle est la raison pour laquelle ils viennent nous voir. Un va vous parler d'agriculture, un autre peut vous parler de problèmes sociaux, un autre peut vous parler de voirie, etc. et toutes les fois qu'il y a un projet de loi, nous sommes obligés de leur fournir des renseignements. Il y a en plus les petits problèmes personnels, des problèmes d'assistance sociale, des problèmes d'emplois, etc. Comment pourrions-nous nous partarger le travail si nous étions quatre ou cinq députés dans une région comme la mienne où les problèmes sont très diversifiés?

M. LEMIEUX: J'ai quand même l'impression que les électeurs, un certain nombre d'entre eux, finiraient par se rendre compte ou par savoir que s'il y a deux députés de l'Union Nationale dans la région, l'un d'entre eux s'intéresse davantage ou est plus compétent dans le domaine économique alors que l'autre s'intéresse plutôt aux affaires culturelles ou aux choses qui ont trait à la culture. Encore une fois, j'ai l'impression que c'est à la pratique que cette division du travail se ferait. C'est assez difficile à imaginer actuellement, l'électeur, n'ayant pas le choix, va rencontrer son député pour discuter de tous les problèmes et même des problèmes personnels. A partir du moment où il y aurait plus d'un député et qu'on finirait par savoir qu'un tel s'intéresse ou est davantage compétent dans tel ou tel domaine, il se pourrait qu'il se fasse une certaine canalisation, une certaine orientation des demandes des électeurs vers celui-là plutôt que vers l'autre.

M. LE PRESIDENT: M. Laurin s'il vous plaît.

M. LAURIN: M. Lemieux, on dit souvent que le système actuel du Québec, qui est le système uninominal à un tour, favorise le bipartisme, favorise un gouvernement majoritaire et en conséquence la stabilité.

Vous avez signalé quand même que c'est avec ce système uninominal que nous avons actuellement au Québec, quatre partis et qu'au gouvernement fédéral il y a trois partis, parfois quatre partis également. Dans la plupart des Législatures provinciales, qui ont le même système actuellement — je pense qu'il n'y a pas une seule province où il n'y a pas trois, ou même parfois, quatre partis — est-il donc vrai que le système uninominal à un tour favorise tellement le bipartisme, d'une part? Et n'est-il pas vrai qu'avec ce système uninominal à un tour, au gouvernement fédéral à Ottawa, dans les quinze derniers gouvernements que nous avons eus, il y en avait treize qui étaient minoritaires? Comment se fait-il que l'on puis-

se encore faire cette erreur d'interprétation et prétendre que le système uninominal à un tour favorise la stabilité?

M. LEMIEUX: Oui, en fait, vous avez raison. Vous savez que c'est Maurice Duverger, qui, en France, a été le principal théoricien là-dessus et qui a posé il y a plusieurs années, une loi, celle que vous évoquez, voulant que le scrutin majoritaire à un tour favorise le bipartisme; à ce moment, il disait que le Canada constituait une exception. Dans la suite, cela a été fortement critiqué, si bien qu'aujourd'hui, et c'est M. Duverger lui-même qui a proposé les termes — qui sont plus réalistes, je crois, — on parle de frein et d'accélérateur; c'est-à-dire que le scrutin majoritaire uninominal à un tour peut agir comme frein à un certain multipartisme, sans l'empêcher complètement, ou peut accélérer une tendance de retour vers un bipartisme. Il est bien sûr que la réalité, les faits ont montré que ce n'était pas un frein ni un accélérateur absolus et le Canada, d'ailleurs, et ses différentes provinces sont généralement les excpetions que l'on signale en tout premier lieu à cet effet. C'est justement ma position; je me dis que, de toute façon, ici, au Québec, cela n'empêche pas le multipartisme. Donc, il est illusoire de vouloir s'accrocher à ce mode de scrutin, en espérant un retour accéléré au bipartisme. Alors, à partir de ce moment-là, pourquoi, une fois que nous sommes pris avec le multipartisme, — que l'on aime cela ou non — pourquoi ne pas penser à un mode de scrutin qui, tout en reconnaissant ce multipartisme, égalise de façon un peu plus juste, les chances ou les proportions de sièges entre les partis. C'est exactement ma position.

M. LAURIN: Par ailleurs, M. Lemieux, dans un article récent que vous commetiez dans Le Devoir, au mois de mars, vous disiez, ce que nous avons déjà entendu souvent ici, en commission, qu'un argument massue que l'on présentait souvent à l'appui du système uninominal à un tour, était qu'il avait été employé dans deux démocraties éminemment prospères, celle des Etats-Unis et celle de la Grande-Bretagne. Par ailleurs, nous savons très bien que la Grande-Bretagne se débat avec des crises économiques sans précédent depuis une quinzaine d'années et que son système politique ' ne semble pas l'aider tellement à en sortir. On sait très bien qu'aux Etats-Unis, surtout depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, il y a des crises sociales extraordinaires, que le système politique ne semble pas pouvoir juguler.

On peut donc se demander si dans ces deux démocraties en apparence prospères, le système uninominal à un tour constitue l'équipement idéal. Pour faire face aux tempêtes politiques, comme vous le disiez dans votre article, qui non seulement sont actuelles mais peuvent augmenter encore, on peut se demander si c'est le meilleur système pour faire face à ces tempêtes politiques. Ma question, à ce moment-là, serait celle-ci: Est-ce qu'il n'y aurait pas un plus grand risque, si on montre une certaine timidité dans la réforme, la remise en question et la réforme de notre mode de scrutin de voir s'aggraver les problèmes, du fait que la population aurait l'impression que nos institutions ne sont pas au diapason des réalités actuelles et nouvelles qui s'en viennent?

M. LEMIEUX: Oui, en fait, à la fin de cet article, je prenais la contrepartie, en y croyant, disons à moitié, de ce que l'on a souvent prétendu — il est bien sûr, on vient de le dire d'ailleurs, que le mode de scrutin n'est pas ce qui détermine fatalement l'évolution politique d'un pays —; on nous a tellement souvent raconté et dit que justement c'est ce qui avait assuré aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne la stabilité et la prospérité, que j'ai cru bon, à la fin de cet article, de signaler que si l'on s'en tient à cette dimension du problème, que ce n'était peut-être pas, actuellement du moins, la meilleure solution pour ces deux pays.

De façon plus sérieuse, plus importante, on peut se demander, comme vous le faites, si justement, par timidité ou par crainte de sauter dans l'inconnu, on n'en arrive pas à une modification du mode de scrutin. On peut se demander si justement — je le disais tout à l'heure en parlant des bouleversements — on ne se prépare pas des bouleversements plus grands. Evidemment, je ne suis pas prophète. Ce n'est pas mon métier. Mais on peut tout au moins craindre cela parce qu'il reste que, quand les partis en particulier de caractère idéologique, ou du moins qui ont un certain caractère idéologique, sont systématiquement défavorisés par un système électoral, il est fort à craindre que leurs revendications se portent sur d'autres plans et qu'à ce moment-là ce soit de toute façon mauvais pour la démocratie. Ces fantômes ou ces craintes ont été évoquées. On les a peut-être dramatisés un peut trop, mais il y a certainement un fondement de vérité là-dedans.

M. LAURIN: M. Lemieux, on se demande souvent à cette commission depuis quelque temps quel serait le rôle du député si on changeait le mode de scrutin. Quelles modalités nouvelles devrait-il prendre? Quelles modifications peut-être dangereuses cela apporterait dans le rôle du député et la conception qu'il se fait de son rôle? Cela me fait venir à l'esprit une question. Fondamentalement, quand on pense à un système, à un mode de scrutin, est-ce qu'il faut penser d'abord aux répercussions qu'il peut avoir sur le rôle du député, ou s'il faut d'abord penser à l'électorat, aux électeurs qui, après tout, sont les maîtres du système politique en saine démocratie? Est-ce que, quand on pense à un système de scrutin, il ne faut pas d'abord penser aux avantages ou désavantages qu'il peut avoir sur l'électeur, c'est-à-dire sur le mode, le régime démocratique qui est le nôtre?

M. LEMIEUX: Oui. Evidemment, je n'ai pas osé le dire parce que c'est très difficile d'établir une hiérarchie là-dedans. Mais dans les quatre critères, il est évident qu'il y avait un ordre d'importance, c'est-à-dire que, selon moi, ce qui est le plus important dans un mode de scrutin, c'est qu'il soit adéquat et ensuite qu'il favorise une certaine qualité de la vie parlementaire. Parce que, comme je le disais l'autre jour, encore une fois, les élections sont faites pour les électeurs avant d'être faites pour les députés. Donc, il est sûr que, si on avait à choisir entre ces deux critères, je dirais qu'un mode de scrutin, comme une carte électorale d'ailleurs, est fait d'abord pour faire en sorte que, sur le plan strictement électoral, la représentation soit la meilleure possible. La représentation dans un autre sens des électeurs par les députés, ou l'organisation des partis dont on n'a pas parlé, sont des aspects importants, mais qui, du moins dans l'ordre de valeurs qui est le mien, viennent après ces deux premiers aspects que je vous ai proposés, ces deux premiers critères, c'est-à-dire la correspondance la meilleure possible entre les votes et les sièges et la qualité de la vie parlementaire et, en particulier, les relations entre le gouvernement et l'Opposition.

M. LAURIN: En lisant toutes les lettres des électeurs aux journaux, est-ce qu'on ne se rend pas compte justement que la préoccupation principale de l'électeur en 1970, est qu'on doit viser à une justice de plus en plus mathématique entre l'opinion et sa représentation au Parlement? Est-ce que cette justice mathématique ne constitue pas actuellement une préoccupation essentielle pour l'électeur moyen?

M. LEMIEUX: Oui. Si vous référez aux lettres aux journaux, je n'en ai pas fait le compte, mais c'est sûr que c'est cet aspect qui revient sans doute le plus souvent. Est-ce que c'est représentatif? Je ne sais pas. C'est pour ça d'ailleurs que je proposais qu'on aille peut-être un peu plus loin au moyen d'un sondage bien fait. Mais, de toute façon, je crois, encore une fois, que pour les électeurs — et vous avez sans doute raison, le dernier critère tout au moins, celui de l'organisation des partis, pourrait être modifié par le mode de scrutin — c'est relativement secondaire. La représentation par ses députés est sans doute très importante. Il faudrait savoir ce qu'ils en pensent, mais à la suite des résultats des deux dernières élections, il est certain que l'aspect qui a été le plus dramatisé ou sur lequel on a le plus insisté ou du moins qui, dans l'opinion publique, actuellement est le plus répandu, c'est celui de cette égalité, je ne dirais pas strictement mathématique, parce que j'ai apporté des correctifs là-dessus, mais cette égalité la plus grande possible entre les suffrages donnés aux partis et les sièges qu'ils obtiennent.

M. LAURIN: Par ailleurs, M. Lemieux, on dit souvent à l'encontre des systèmes proportion- nels, qu'ils soient compensatoires ou purs, qu'ils risquent d'amener une prédominance excessive des états-majors des partis politiques sur les députés élus. Mais n'est-il pas vrai que, depuis que le système proportionnel existe dans plusieurs pays, on a pensé à des correctifs et on a mis en application des correctifs qui tendent justement à limiter cette prépondérance excessive des états-majors sur les députés.

M. LEMIEUX: C'est un autre problème où le mode de scrutin finalement — c'est pour ça que je l'ai signalé à la fin — n'a peut-être pas autant d'effet qu'on le croit. Si les partis français sont plus centralisés que les nôtres, ce n'est probablement pas à cause des modes de scrutin qu'on a utilisés en France, parce qu'encore une fois on a essayé à peu près tous les modes de scrutin.

C'est sans doute parce que la société française, dans tous ses aspects, aussi bien administratifs que politiques, est une société extrêmement centralisée. Ici, si on changeait le mode de scrutin, est-ce que ça aurait des effets sur la centralisation des partis? Est-ce que vraiment ce serait l'occasion toute rêvée pour les états-majors des partis d'imposer leurs directives et leur centralisation aux organisations locales? Je crois qu'il faut faire confiance aux organisations locales qui ont certainement une capacité de résistance assez grande d'autant plus qu'il y a des correctifs institutionnels qu'on pourrait apporter. J'en ai signalé au moins celui d'une convention de caractère non plus local, mais régional, qui choisirait non seulement la liste des candidats du parti, mais l'ordre selon lequel les candidats apparaîtraient sur la liste.

Je crois que c'est un des aspects — et justement le professeur Meynaud l'a rappelé la semaine dernière — où on exagère souvent les effets du mode de scrutin par la vie politique.

M. LAURIN: Une dernière question, M. Lemieux. Même dans votre système de proportionnelle modérée, vous semblez favoriser des éléments qui favorisent le parti le plus fort au vote. Pour amener cette prépondérance du parti majoritaire, vous avez, dans votre article, employé la technique d'Hondt, mais vous avez fait aussi référence à une autre formule qui est la formule Sainte-Laguë. Qu'est-ce qui vous a fait favoriser la technique d'Hondt plutôt que Sainte-Laguë?

M. LEMIEUX: C'est une question plutôt technique. Si j'ai d'abord pris l'exemple de la technique d'Hondt c'est que statistiquement — et il faut l'admettre — c'est celle qui est le plus couramment employée, du moins dans les démocraties occidentales. Alors que la technique de Sainte-Laguë n'est employée que dans les pays Scandinaves.

J'ai quand même donné ensuite un exemple de ce que donnerait la technique de Sainte-Laguë et de façon générale, on peut dire que les experts sont assez d'accord là-dessus; la technique dite de Sainte-Laguë qui est employée dans

les pays Scandinaves a pour effet de défavoriser légèrement le parti le plus fort et les partis les plus faibles au profit des partis moyens.

Autrement dit — c'est le résultat auquel on arrivait ici au Québec — dans la situation actuelle de la répartition des voix entre les partis au Québec, par rapport à la technique d'Hondt, la technique de Sainte-Laguë jouerait légèrement à l'avantage du Parti québécois et de l'Union Nationale, qui sont les partis moyens, et au désavantage du Parti libéral et du Ralliement créditiste.

Ce sont des questions techniques. Si on veut donner un peu plus de chances au parti le plus fort et au parti le plus faible, on va suivre la technique d'Hondt. Si on veut plutôt favoriser les partis moyens, on va employer l'autre. Mais ce n'est pas vraiment l'élément le plus important.

L'élément le plus important — comme je le disais — c'est plutôt le nombre de sièges par circonscription. Si vous avez 10 circonscriptions de 12 sièges chacune, vous allez arriver à une proportionnelle à peu près pure. Alors que si vous avez 25 circonscriptions de 4 ou 5 sièges, vous vous rapprochez davantage des résultats du scrutin majoritaire à un tour.

Plus vous vous rapprochez de un, plus vous vous rapprochez des effets du mode de scrutin actuel et, plus vous vous éloignez de un, si vous faites comme en Israël, où il y a 120 sièges, mais dans une seule circonscription qui est l'ensemble du pays, vous arrivez à des résultats qui sont strictement proportionnels.

M. LE PRESIDENT: M. Vincent.

M. VINCENT: M. Lemieux, vous avez mentionné tout à l'heure qu'il fallait attacher plus d'importance au système électoral qu'au rôle du député, parce qu'en définitive c'était le système électoral que nous devions regarder. Là-dessus, je crois bien que le rôle du député et le système électoral vont de pair. Si le député, dans un système électoral donné, ne pouvait remplir son rôle de façon efficace, on changerait encore immédiatement le système électoral. Ce sont probablement les raisons pour lesquelles on a dans certains pays changé si souvent de système électoral. A mon sens, chaque fois qu'il est question de réforme électorale, la grande question — et vous avez beaucoup d'expérience là-dessus — a toujours été la philosophie du métier de député, de quelle façon nous considérons le rôle du député dans une législature donnée. Vous avez également parlé de sondage, sondage d'opinion. Le temps ne serait-il pas venu de faire un sondage justement sur le rôle du député en demandant — des experts comme vous — à des députés, qu'ils soient du parti au pouvoir, qu'ils soient dans l'Opposition, qui accepteraient volontairement d'avoir à leur côté — je ne parle pas de deux jours par semaine, mais de sept jours par semaine — des experts qui pourraient participer à tout le travail qu'ils font, travail de représentation, travail d'intermédiaire, travail de législation, dans leur comté et au Parlement de Québec.

En ce qui me concerne, je serais un de ces volontaires, même du côté du pouvoir, du côté du gouvernement ou du côté de l'Opposition, prêt à ouvrir mes dossiers au complet sans aucune réticence à qui que ce soit qui voudrait faire un travail pour voir réellement le rôle du député et la façon dont son rôle doit s'insérer dans un système électoral. N'avez-vous jamais pensé à cette idée d'aller vérifier pendant une année donnée, par exemple, chez cinq, six ou huit députés de différents partis politiques, quelle était réellement la fonction du député?

M. LEMIEUX: Je vais commencer par votre dernière suggestion que je trouve très intéressante. Cela a d'ailleurs été réalisé sur un autre plan aux Etats-Unis. Je connais l'étude d'un expert en science politique qui a passé toute une année avec le maire de la ville de New Haven aux Etats-Unis, à la suite de quoi il a écrit un livre très bien documenté sur la politique municipale dans cette ville.

Au Québec, on n'a pas fait cela. Par contre, je peux vous assurer que, si un certain nombre de députés étaient prêts comme vous à cette opération, il y aurait certainement des experts ou tout au moins des étudiants avancés de science politique ou de jeunes diplômés qui seraient prêts à devenir, par exemple, secrétaire de député ou l'ombre d'un député pendant un certain temps. Ce serait utile non seulement pour le problème qui nous préoccupe ici, mais je suis convaincu que ça ferait avancer la science politique d'une façon considérable.

C'est une suggestion qu'il faudrait sans doute explorer. Je dirais que ça ne devrait pas empêcher un sondage sur le rôle du député, mais que ce serait certainement complémentaire et de toute façon excellent pour un tel sondage.

Je reviens maintenant à votre première question. En fait, ma position consiste à dire ceci. Je voudrais d'ailleurs revenir à un principe que j'énonçais lorsque je suis venu pour la première fois. Le problème est celui-ci: lorsque l'on discute d'un mode de scrutin ou d'une carte électorale à savoir pourquoi on prévilégie les résultats strictement électoraux que ça donne, la seule façon de distribuer les sièges, du moins la seule façon connue jusqu'à maintenant de distribuer les sièges entre des députés, c'est par une carte électorale et par un mode de scrutin.

Il y a quand même d'autres façons que le mode de scrutin, ou la carte électorale de faire en sorte que la représentation des électeurs par les députés soit améliorée.

Autrement dit, dans un cas, c'est la seule voie que vous avez pour en arriver à des résultats électoraux montrables, sortables, alors que, dans l'autre cas, même si j'admets avec vous que la carte électorale, peut-être encore plus que le mode de scrutin, a des effets sur le

mode de réprésentation des députés, même si ces effets sont jugés plus ou moins bons, il y a quand même d'autres moyens de s'y prendre pour corriger ces effets,alors que vous n'avez pas d'autres moyens que la carte électorale et le mode de scrutin pour corriger les effets que vous estimez négatifs dans un système électoral. Plus précisément, ma question revenait à dire ceci, je pense bien, et je peux le dire carrément: Si vous avez à choisir entre un mode de scrutin qui, sur le plan de la répartition des sièges entre les partis est bon, mais qui est mauvais pour ce qui est de la représentation des électeurs par les députés, il y a un autre mode de scrutin qui, lui, est très bon pour la représentation, mais très mauvais pour la répartition des sièges.

Je pense que, dans une situation aussi tragique, aussi dramatique, on doit choisir le système électoral parce qu'encore une fois il n'y a pas d'autres moyens d'arriver à un résultat qu'on juge bon, c'est-à-dire une répartition équitable des sièges, alors que, la représentation du député, on peut quand même agir sur elle par d'autres moyens. Si vous voulez, encore une fois, une expression dramatique d'opinion là-dessus, ce serait ma position.

Evidemment, il faut s'arranger pour "optimaliser" les deux, comme disent les économistes, c'est-à-dire avoir un mode de scrutin qui soit bon, à la fois pour la répartition des sièges et pour la représentation des électeurs. Mais, malheureusement, c'est pourquoi les experts ne sont pas toujours d'accord, ce mode de scrutin qui pourrait être inventé par les anges, n'existe pas encore actuellement.

Il faut s'arranger avec ce qu'on a et, à partir de certains principes — je vous ai donné les miens — faire un choix qui n'est pas un choix parfait, mais qui est le choix qu'on estime le meilleur possible dans les circonstances.

M. LE PRESIDENT: M. Tremblay.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, avant de poser ma question à M. Lemieux, je voudrais reprendre la suggestion que faisait mon collègue, le député de Nicolet, sur cette possibilité de suivre en quelque façon un député, afin de voir exactement ce qu'il fait, quel est son travail. Je me permets de vous rappeler, M. Lemieux...

M. HARDY: Même après minuit!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Même après minuit. Pour les célibataires! Alors, je me permets de vous rappeler une suggestion que j'avais faite à un de vos collègues de l'université Laval et à un autre spécialiste de ces questions politiques.

M. LEMIEUX: Oui, je le sais, d'ailleurs!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je leur avais offert ceci: J'ai dit: Ecoutez, je vous offre de venir à mon bureau ou à mon appartement, et je vous donne accès complet à tous mes dossiers de député et de ministre, y compris les dossiers dits confidentiels, parce que les dossiers confidentiels, vous savez, sont confidentiels pour tout le monde, en fait. Il s'agit simplement de questions de délicatesse pour empêcher que certaines personnes voient leur cas, parfois un peu pénible, étalé dans le public.

J'avais fait cette suggestion et on ne s'en est pas prévalu. Je vous la fais, à vous, parce que, d'abord, ça me permettrait peut-être de me débarrasser d'un bon nombre de dossiers, d'autre part, ça vous permettrait de voir exactement quelle est l'ampleur des problèmes qui se posent à un député, même si ce député était élu selon un nouveau mode de scrutin. Ces problèmes resteront toujours les mêmes.

Vous disiez tout à l'heure que le système électoral, les cartes électorales, mode de scrutin, etc., existent pour l'électeur. Evidemment c'est un truisme. Mais, il y a quand même une relation de cause à effet. Le système électoral, ou le mode de scrutin fabrique le député et celui-ci, une fois fabriqué, est au service des électeurs. Notre démarche a pour but justement de découvrir le meilleur mode de scrutin qui permettrait d'avoir le meilleur député en vue de donner aux électeurs un service de la meilleure qualité qui soit.

Nous travaillons évidemment dans un domaine extrêmement délicat qui comporte des facteurs impondérables et il y a une réflexion, je pense, à laquelle on ne s'attache pas assez souvent, un examen qu'on ne fait pas assez souvent, c'est celui de la qualité des députés. Je mets de côté tous les jugements qui peuvent être portés par celui-ci ou celui-là sur les députés qui sont à l'Assemblée nationale ou qui y ont été ou qui sont au Parlement d'Ottawa. Mais il m'est toujours apparu que les députés sont un excellent échantillonnage de la population. Et, quel que soit le mode de scrutin que nous inventions, il restera toujours que c'est l'électeur qui, sur une liste de candidats, va choisir un député — si vous me permettez l'expression — qui l'habille, correspond à sa mentalité, à la conception qu'il peut avoir de ce que c'est que la députation.

Les propositions que vous faites sont évidemment extrêmement intéressantes, mais je suis à me demander, à mesure qu'on avance si, justement, l'avis partagé des experts ne va pas nous rendre de plus en plus difficile la tâche d'inventer ce mode de scrutin idéal. Vous avez tout à l'heure formulé des jugements sur le système que M. Bonenfant nous a proposé, vous nous en proposez un autre. Je crois que la charnière principale du système que vous nous proposez est que vous voudriez cette adéquation la plus exacte possible entre le pourcentage du vote et, d'autre part, le pourcentage de députés que cela comporterait.

Mais, en vous écoutant ce matin et en écoutant d'autres spécialistes — ce n'est pas un

reproche que je vous fais — M. Lemieux, je me dis que nous, les députés, que la commission parlementaire qui aura à faire la synthèse de vos opinions, y voit de jour en jour son travail se compliquer, parce que les jugements des experts sont partagés, les avis des parlementaires sont partagés. Je me demande, justement — c'est une question que je vous pose — s'il ne vous paraît pas nécessaire de nous suggérer de procéder avec beaucoup, beaucoup de prudence dans cette réforme électorale, ce changement de mode de scrution, afin que nous n'ayons pas — comme vous le dites — cette surprise d'un système que, tout à coup, la population ne comprendrait pas, dont elle ne verrait pas le bien-fondé.

Et je vous demande — et cela rejoint une préoccupation qui a déjà été exprimée ici par les députés du Ralliement créditiste — si, selon vous, la commission parlementaire ne devrait pas se déplacer pour aller dans les diverses régions consulter l'électorat, parce que c'est sur le terrain que l'on peut vraiment mesurer les réactions de la population.

J'ai eu ces jours derniers l'occasion de faire une petite course dans le Québec. Je vous assure que la façon dont on pose le problème à Québec — parlons du Québec métropolitain — dans ma région, dans la région du Nord-Ouest, dans la région de la Côte-Nord, de Charlevoix, etc. est très différente selon les gens.

Il y a une chose aussi sur laquelle vous insistez, c'est sur la représentativité du député. Il y a des députés du Parti québécois, du Ralliement créditiste, du Parti libéral et de l'Union Nationale. Je reviens à ceci, c'est que, dès que nous sommes élus, nous représentons tous les gens, ce qui n'implique pas nécessairement que nous nous fassions les défenseurs de telle thèse particulière, si elle est d'ordre rigoureusement politique. Mais à partir du moment où l'on est élu, la population nous voit comme un lien. Et lorsque les citoyens individuellement viennent nous voir, ou les groupes, les corps intermédiaires, les organismes représentatifs, les municipalités viennent nous trouver, ils ne s'adressent pas à M. Untel, représentant du Parti libéral ou représentant de tel autre parti, ils s'adressent à celui qui est leur porte-parole officiel. Quoiqu'on fasse, de quelque façon qu'on change le système électoral, le mode de scrutin, etc., le député sera toujours perçu comme cela.

On parlait, tout à l'heure de revalorisation du fonctionnarisme, d'une façon de donner au fonctionnarisme, surtout de décentraliser tout pouvoir pour plus d'efficacité. Mais il y a toujours le problème suivant qui se pose, c'est que le fonctionnaire, lui, n'est pas élu, il n'a pas de compte à rendre, sauf à ses supérieurs. Tandis que le député a des comptes à rendre. Le peuple peut en appeler du jugement qu'il a déjà prononcé. Il peut changer le député, comme il peut changer le gouvernement. Dans la pratique, retenant les critères que vous avez énoncés au départ, assurer une représentation proportionnelle au nombre de votes, examiner les effets du mode de scrutin sur la vie parlementaire, les effets sur l'organisation des partis, les effets du mode de scrutin sur les électeurs, sur le député, même en retenant tous ces critères, est-ce que vous êtes en mesure, aujourd'hui, de nous aider à inventer un système? Quel est selon vous le critère que nous devrions retenir davantage pour les démarches que nous allons faire d'ici quelques mois et sur lequel nous devrions insister davantage pour en arriver à cette sorte de justice dont vous parliez?

M. LEMIEUX: Je crois, et je l'ai dit d'ailleurs tout à l'heure, que c'est le premier critère avec les réserves, du moins, les correctifs, plutôt, que je lui ai apportés. C'est-à-dire qu'un mode de scrutin est fait d'abord pour répartir les sièges entre les partis et il faut que cette répartition, selon moi, tout en assurant une prime au parti majoritaire, surtout eu égard au deuxième critère, parce qu'à ce moment-là il y a probablement plus de chance que la qualité de la vie parlementaire soit meilleure, du moins à court terme, il faut que tout en assurant cette prime que le mode de scrutin soit équitable pour les partis de l'Opposition, pour la répartition des sièges restant entre eux.

Selon moi, c'est le premier critère et c'est pourquoi d'ailleurs, j'ai proposé ce mode de scrutin dont je vous ai parlé, qui, eu égard à ce premier critère, me semble pouvoir donner des résultats intéressants ou satisfaisants.

Maintenant, quand vous reprenez la suggestion du Ralliement créditiste, d'aller soumettre tout cela dans les capitales régionales, c'est une suggestion que j'approuve entièrement. D'ailleurs, après les élections de 1966, quand j'avais proposé qu'une commission indépendante s'occupe de la réforme de la carte, j'avais dit que l'un des aspects les plus positifs du travail des commissions fédérales, avait été justement cette espèce de test auquel on avait soumis la nouvelle carte dans les régions. Je me souviens, par exemple, d'un article d'un journaliste, je crois, M. Légaré du Bas-Saint-Laurent ou de la Gaspésie, qui avait montré que, dans cette région-là, on avait chambardé inutilement la carte électorale. Dans les capitales régionales, il y avait eu des réactions aussi, très vives et très intéressantes et je crois qu'au point où vous en êtes, vous êtes habitués aux bains de peuple. Il serait peut-être bon que la commission, dans son ensemble, se donne ce bain de peuple. Je crois que la suggestion du Ralliement créditiste est tout à fait opportune, du moins au point où vous en êtes.

Etant donné surtout que les autres aspects de la réforme — financement des partis, dépenses électorales — intéressent également la population, mais intéressent peut-être davantage les partis, alors que le mode de scrutin et la carte électorale sont des questions qui touchent de près tous les électeurs, il serait sans doute

bon, si la commission en a le temps, qu'elle discute très honnêtement de la chose avec ces autres experts de la pratique politique, qui, je le reconnais humblement, sont souvent de meilleurs experts que nous du moins dans la pratique. Ces autres experts que sont les gens, que sont les électeurs. Si vous en avez le temps et les moyens, je crois que ce serait excellent que vous puissiez le faire.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, M. Lemieux, la dernière question que je vais vous poser ce matin. Le système proportionnel modéré dont vous parlez, quelles en seraient les mécanismes exactement?

M. LEMIEUX: Ecoutez, si nous prenons cela, étape par étape, il s'agirait évidemment d'abord de diviser le Québec en un nombre de circonscriptions régionales variant de vingt à trente, d'attribuer à chacune de ces circonscriptions un nombre de sièges. Alors, là, il faudrait sans doute suivre le principe sur lequel on semble s'entendre, c'est-à-dire qu'il ne faudrait pas qu'il y ait d'écart qui dépasse 25 p. c. en plus ou en moins. Autrement dit, on pourrait établir un quotient. La région aura droit à tant de sièges par 30,000 électeurs, par exemple, en s'arrangeant pour ne pas dépasser cet écart. Ensuite, pour ce qui est du choix des candidats, procédons par étapes. Ce que je proposerais moi, c'est que justement il y ait des conventions régionales. Par exemple, la Gaspésie forme une région, dans le projet que je soumettais, région qui regroupe les Iles-de-la-Madeleine, les deux comtés de Gaspé, Bonaventure, Matane, Matapédia. Je crois qu'on allouait quatre ou cinq sièges, de toute façon, peu importe, dans cette région ce serait variable selon le quotient qu'on se donnerait, disons que c'est cinq sièges.

Chaque parti, du moins s'il le désire, organise une grande convention régionale avec des délégués ou tous les membres du parti selon leurs structures, où ces candidats sont choisis dans l'ordre des votes qu'ils ont reçus. Au moment de l'élection, le bulletin de vote se présente de la façon suivante. Je vais vous l'expliquer. Au lieu d'avoir quatre noms, on a quatre listes. S'il y a quatre partis, les candidats de chacun des partis étant hiérarchisés sur la liste: un, deux, trois, quatre et là, il y a plusieurs variantes possibles. Ou bien on oblige l'électeur à voter pour un parti, ce sont les listes bloquées, ou bien on lui permet d'exprimer sa préférence envers un candidat. Par exemple, si sur la liste du parti A vous avez le noir, le gris et le rouge dans l'ordre et que l'électeur préfère le rouge au noir et au gris, il peut indiquer que c'est le rouge qu'il veut voir élu avant les autres.

Il y a des systèmes, bien que je ne le recommanderais pas pour le Québec, qui permettent aux électeurs de constituer leur propre liste à partir des candidats. C'est le cas de la Suisse. Il y a des candidats qui sont sur les différentes listes. Il y en a qui permettent aux électeurs de voter pour un parti et d'exprimer leur préférence pour un candidat d'un autre parti. Donc, il y a toutes sortes de variantes possibles.

D'ailleurs — j'oubliais de le dire — on pourrait même avec un tel mode de scrutin adopter la façon de voter du Japon ou de l'Irlande indépendante, l'Irlande du Sud. Au Japon — je ne sais pas si on vous a parlé de son mode de scrutin — on a un mode de scrutin assez ingénieux. Par exemple, si vous avez quatre sièges à attribuer et qu'il y a quatre partis, on permet aux partis de présenter autant de candidats qu'ils le veulent, mais ce sont les quatre candidats qui recueillent le plus de votes qui sont élus. Autrement dit, il y a un calcul stratégique de la part du parti libéral qui se dit: Si on présente un candidat, on va être sûr de le faire élire. Si on en présente deux, peut-être que les deux vont passer, mais peut-être qu'ils vont être battus tous les deux.

Donc, les partis présentent le nombre de candidats qu'ils veulent. L'électeur ne vote que pour un candidat et ce sont les quatre candidats qui recueillent le plus de votes qui sont élus. En Irlande du Sud, c'est le système dit The Eire qui est défendu par cette petite société à laquelle le député de Terrebonne faisait allusion et qui a été présenté comme le système parfait. Encore là, l'électeur vote. C'est-à-dire que c'est un vote préférentiel. Les partis — il y a quatre sièges encore là — peuvent présenter deux ou trois candidats. L'électeur exprime un premier choix pour un de ces candidats, un deuxième, un troisième. Si, à partir des premières préférences données, tel candidat obtient le quotient électoral, il est élu. Sinon, on répartit — M. Mey-naud vous a peut-être parlé de ce système, d'ailleurs, il l'explique très bien dans son article — les deuxièmes choix entre les candidats restant et ainsi de suite si bien que les candidats sont élus à la proportionnelle.

L'électeur vote à ce moment-là, non pas pour une liste, mais pour un candidat. Donc, il y aurait au moins ces trois modes possibles: vote de liste, bloquée ou avec possibilité d'exprimer une préférence pour un candidat, système japonais, système de l'Irlande indépendante.

Ensuite, il s'agit de répartir — du moins si vous prenez le système de vote de liste — les sièges entre les partis, selon les techniques de Hondt, de Sainte-Laguë ou d'autres. Et vos candidats sont élus. On en est au terme du processus. Ce seraient les principales étapes.

Il faut admettre que, pour l'électeur, c'est plus compliqué. Le mode de scrutin majoritaire à un tour a une belle simplicité, il est facilement compréhensible, on vote pour des hommes. Dès qu'on s'en éloigne, que vous obligez les électeurs à exprimer un deuxième choix ou un troisième choix, que vous les obligez à choisir un candidat dans une liste de 10 ou 12, ou encore de voter pour une liste, c'est certainement plus compliqué pour lui. Il faut l'admettre.

C'est le prix qu'il faut payer dans certains cas pour en arriver à une répartition plus équitable des sièges entre les partis.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux, je crois que vous touchez là justement le fond du problème. Il y a quand même des habitudes électorales, ici. Ne parlons pas du système général, mais du cas des partis politiques. Votre système de convention, de choix de candidats dans des régions déterminées, vous ne pensez pas qu'il serait assez complexe?

Je prends une région que je connais bien — la région de Chicoutimi, le royaume du Saguenay — il y a les deux comtés du nord, Duplessis et Saguenay; il y a Jonquière, Dubuc, Roberval, Lac-Saint-Jean, Chicoutimi, auxquels on peut rattacher en somme le comté de Charlevoix, parce que ça fait une grande unité. Supposons qu'on décide qu'il y a tant de circonscriptions dans cette région-là et le parti X décide de choisir ses candidats. Là, vous vous butez à un problème extrêmement difficile, parce que chacune de ces parties d'une grande région a des particularismes, des ambitions, il y a des intérêts mesquins ou non qui se manifestent, c'est bien évident. Nos habitudes électorales rendraient le fonctionnement de ce système extrêmement difficile du moins pour une période de X années.

M. LEMIEUX: Mais, est-ce qu'au niveau même des circonscriptions, vous n'avez pas à plus petite échelle ces oppositions? J'ai été frappé à la lecture d'entrevues qui ont été faites ici dans la région de Québec —je parle uniquement de la région de Québec — auprès d'organisateurs et de candidats aux différentes conventions, de voir comment, dans un très grand nombre de comtés, c'était l'opposition entre le haut et le bas du comté, l'opposition entre deux villes importantes du comté. En fait, vous auriez une réédition, en quelque sorte...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, mais à une beaucoup plus grande échelle.

M. LEMIEUX: ... à une beaucoup plus grande échelle, de ces oppositions. Bien sûr.

M. LACROIX: Si vous prenez Matapédia, Gaspé, Bonaventure et les Iles-de-la-Madeleine, je vous assure que vous avez là cinq comtés, et il n'y a pas deux de ces comtés où vous retrouvez les mêmes problèmes. Même les pêcheries ne sont pas semblables en Gaspésie, aux Iles-de-la-Madeleine, dans Gaspé-Nord ou dans Gaspé-Sud.

M. LE PRESIDENT: M. Audet.

M. AUDET: Je pense que la question que je voulais poser a été discutée par le député de Chicoutimi.

M. HARDY: II y a vraiment l'union de pensée.

M. AUDET: M. Lemieux disait tout à l'heure que la réforme électorale devait surtout avantager l'électeur plutôt qu'avantager le député. Comme le député de Chicoutimi l'a dit, cela aurait des effets si le député est avantagé aussi par la réforme électorale, vu que le député est là pour l'électeur. Automatiquement, cela aura de bons effets pour l'électeur si des réformes avantagent aussi les députés.

J'aurais ici une autre question. Aujourd'hui, dans la province de Québec, nous sommes conscients d'un phénomène de la façon que la carte électorale est faite. Nous avons de grands comtés avec un nombre moindre d'électeurs et de petits comtés avec un nombre plus grand d'électeurs. Souvent, nous voyons se produire une hémorragie des électeurs de ces grands comtés qui sont peut-être plus pauvres économiquement et plus faibles vers de petits comtés qui ont déjà un plus grand nombre d'électeurs. On voit souvent aussi un jeu économique entraînant le "videngeage" continu de ces grands comtés vers de plus petits comtés. Si on venait avec la proportionnelle, on verrait disparaître la voix de ces grands comtés et on verrait la décision partir des petits comtés à forte concentration, car automatiquement, dans une concentration de population, nous voyons un manque d'information, donc une insouciance assez marquée de ces populations vis-à-vis de l'intérêt à la politique et, par le fait même, très influençables par les agitateurs de tout acabit. Ce manque d'objectivité vis-à-vis d'une prise de conscience politique pourrait facilement nous amener à la perte de notre démocratie.

C'est une remarque que je voulais faire. Je ne sais pas si M. Lemieux abonde en ce sens,

M. LEMIEUX: Oui, ce serait, évidemment, du moins dans l'immédiat, un des inconvénients probablement de ce mode de scrutin. Il faudrait s'arranger pour les surmonter, bien sûr.

Maintenant, si vous me permettez une petite remarque, quand on dit, et je suis bien d'accord avec ça, qu'il faut s'arranger pour que le mode de scrutin, tout en étant au service des électeurs, nous donne la meilleure députation possible, je veux vous poser un petit problème, un petit paradoxe. Supposons qu'avec le mode de scrutin actuel, un parti obtienne 51 p. c. du vote, et l'autre 49 p. c. du vote, — on va s'amuser un peu — et que dans les 108 circonscriptions du Québec, ce soit le résultat. C'est-à-dire 51 p. c. au parti A et 49 p. c. au parti B, si bien qu'on ait eu de la sorte 108 députés du parti A et aucun du parti B.

Supposons que ces 108 députés soient des hommes exceptionnels, des députés d'une très haute qualité, je dirais d'accord, le mode de scrutin a eu de bons effets, mais fondamentalement, c'est un mauvais mode de scrutin. C'est un paradoxe, une fable pour illustrer cette opposition entre ces différents principes. D'ailleurs je ne me suis pas caché pour dire qu'il y avait des oppositions entre eux, ce qui peut nous obliger dans certains cas à adopter un

mode de scrutin qui n'est pas parfait sur tous les aspects, mais qui sauvegarde certains principes.

Comme les principes varient selon les experts, c'est pourquoi, M. Tremblay nous l'a rappelé, c'est pourquoi les experts ne s'accordent pas entre eux, ceci rend la tâche des parlementaires d'autant plus difficile.

M. LE PRESIDENT: Monsieur, une dernière question peut-être.

M. DUMONT: Je voudrais faire une simple remarque. Comme M. Lemieux a souhaité que la commission soit itinérante, et comme l'unanimité semble se faire autour de cette possibilité, est-ce qu'immédiatement la commission ne pourrait pas se prononcer pour que les corps intermédiaires puissent préparer les mémoires lorsqu'on décidera d'aller visiter les capitales régionales dans la province. J'en ai déjà exprimé le voeu, mais on n'a pas décidé si oui ou non on y allait.

M. PICARD: Non, écoutez...

M. DUMONT: La commission parlementaire. Je ne dis pas tous les députés.

M. PICARD: Pourquoi faire déplacer les membres de la commission?

M. DUMONT: A ce moment-là, les mémoires se prépareraient. Enfin, j'exprime encore ce voeu pour que les gens puissent savoir à quoi s'en tenir à travers la province.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Avant d'aller plus loin, avant de décider ou d'élaborer sur cette question-là, M. Dumont, nous avons un comité directeur. Nous pourrions en vue de préparer l'échéancier de travail, discuter ça, et on pourrait à une prochaine réunion examiner la question au fond.

M. LE PRESIDENT: Une dernière question, M. le député Bossé.

M. BOSSE: Voici, en ce qui a trait à la qualité des députés eux-mêmes. Est-ce que vous ne croyez pas que déjà la population se trouve devant — vous parlez du rôle du député et tout cela, je crois que cela implique quand même la qualité du député — un certain choix et qu'un certain nombre de partis politiques, parce qu'il reste qu'il y en a au moins trois dans chaque comté, ont fait une sélection parmi un certain nombre d'individus et que la population se trouve devant un choix multiple, à savoir devant trois, quatre et quelquefois cinq candidats qui sont issus de la population qu'ils entendent représenter. Cette sélection est donc déjà faite au départ par les partis.

Le véritable problème — parce que j'ai l'impression qu'on tend à prendre les bouchées doubles du moins au niveau théorique — est que tout à coup l'on part d'un problème assez simpliste — si on regarde quelques années en arrière la critique du système actuel, sur le plan électoral, s'arrêtait surtout à cette partie, par exemple, de la représentation par rapport aux populations. On vient y greffer maintenant la représentation proportionnelle; c'est-à-dire qu'on introduit dans nos moeurs quelque chose de tout à fait nouveau, qui a été expérimenté ailleurs.

Même dans le contexte actuel — contexte un peu désiquilibré je l'admets, au niveau de la représentation des populations — c'est évident que c'est assez injuste lorsqu'il faut sept ou huit électeurs dans un comté pour se comparer à un vote dans un centre urbain, par exemple, à sept ou huit votes d'un centre urbain pour se comparer à un vote dans un centre rural.

Conséquemment, ne croyez-vous pas que la qualité actuelle des représentants du peuple au Québec se compare assez bien avec n'importe quel système, n'importe quel représentant, par exemple, en Europe ou ailleurs, d'une part? D'autre part, ne voudrait-il pas mieux procéder avec cet esprit nord-américain qui est beaucoup moins philosophique et théorique et qui veut qu'on procède par étapes mais d'une façon réaliste, à la façon d'un psychiatre, un peu, qui ne va pas tout brusquer tout d'un coup? C'est-à-dire procéder d'abord par la...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ne mettez pas un psychiatre là-dedans...

M. BOSSE: ... réévaluation des populations, du nombre des députés par population. Rétablir un meilleur équilibre, c'est-à-dire une disproportion maximale de 25 p. c. d'un comté à l'autre. Et, ultérieurement, s'il y a lieu évidemment, voir à peut-être établir une représentation proportionnelle, mais en ne tenant pas compte uniquement de certaines pseudoinjustices ou injustices réelles qui auraient été commises envers certains groupes.

Je crois que dans le passé ces injustices, qu'on constate aujourd'hui, ont été peut-être plus flagrantes vis-à-vis d'autres partis qui ont vu à faire des réformes et qui ont fait peut-être des réformettes au lieu de faire des réformes. Je pense que l'on est rendu à la période où tout le monde est d'accord pour faire des réformes, mais par étapes, mais non pas en voulant tout à coup tout transformer comme on a la mauvaise habitude au Québec, tout bouleverser tout d'un coup parce qu'il y a un petit problème, sérieux, mais petit quand même.

M. LEMIEUX: Je dois admettre que votre position a un certain poids et je crois que de toute façon si vous ne décidiez que de refaire la carte électorale, cela serait déjà beaucoup.

Ce que je vous dis et, évidemment, pour le démontrer, il faudrait qu'on fasse une expérience. Avec quatre partis, une réforme de la carte

électorale, en fait, n'aurait relativement que peu d'effets dans la répartition surtout des sièges entre le gouvernement et l'Opposition. Je crois que, cette année, avec une carte électorale très équitable — on ne peut pas le démontrer d'une façon certaine — les libéraux le savent bien d'ailleurs, ils auraient eu plus de sièges. Ils sont assez forts dans les circonscriptions populeuses de Montréal. Donc ils auraient eu encore plus de sièges.

Il est probable, par contre, comme je le disais au début, que la répartition des sièges restants entre les partis d'Opposition aurait été meilleure. Il ne faut pas s'imaginer qu'avec quatre partis, du moins tant que nous aurons quatre partis, une réforme de la carte électorale suffira. Cela va améliorer certaines choses, mais cela va en empirer d'autres, ou du moins, ça dépend. Si c'est un autre parti que le Parti libéral qui est majoritaire la prochaine fois, les effets pourront être différents. Je vous dis que, si on suppose, si on fait le rêve, que la dernière élection s'était faite avec une carte équitable, avec le même mode de scrutin, les libéraux auraient sans doute eu encore plus de sièges qu'ils en ont eus et cette espèce de disproportion entre le parti gouvernemental et les autres pris tous ensemble aurait été encore plus grande même si la répartition entre les autres avait été meilleure.

M. BOSSE: Sur la qualité?

M. LEMIEUX: II est bien difficile pour moi de me prononcer sur la qualité. Tout ce que je peux dire, je le disais quand je suis venu la première fois, c'est que vous avez raison de dire qu'il y a quand même une certaine sélection faite par les partis.

Ils s'arrangent pour choisir le meilleur homme. En fait, ce n'est peut-être pas celui qui fera le meilleur parlementaire, parfois c'est celui qui va maintenir l'unité dans le parti. Disons que, d'une façon générale, il y a quand même une sélection qui fait que généralement on présente de bons candidats.

Cependant comme je le disais, la dernière fois, je pense que vous avez d'autant plus de chances de trouver de bons candidats dans une circonscription que cette circonscription est populeuse. Cela veut dire qu'il y a quand même plus de chances, de façon purement théorique, si vous voulez — mais quand même c'est important — de trouver statistiquement un homme de valeur dans un comté où il y a 50,000 électeurs que dans un comté où il y en a 10,000. Alors, de ce point de vue, du fait que les circonscriptions électorales seraient plus grosses, il faudrait choisir, par contre, plus de candidats. Cela permettrait peut-être d'avoir un bassin de population un peu plus vaste et donc de choisir de meilleurs hommes.

M. BOSSE: Vous semblez croire que le seul facteur qui fasse, par exemple, qu'un individu quelconque soit mis en nomination ou accepte de l'être, c'est le fait de la certitude ou de l'incertitude d'être accepté ou d'être élu.

M. LEMIEUX: Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.

M. BOSSE: Or, les facteurs, par exemple, font qu'un individu, pour accéder à la politique ou pour en faire, ou y participer activement, doive accepter de réduire son revenu dans l'ordre de dix contre un. Il y a des cas quand même assez précis où un éminent chirurgien accepte de venir travailler pour $18,000 par année moins $6,000 d'allocations, donc $12,000 réels. D'éminents syndicalistes, évidemment, acceptent aussi des réductions de salaire, de revenu et pour n'en citer qu'un, de l'ordre de peut-être sept contre un ou six contre un, pour venir faire de la politique. Or, ceci est un facteur que vous semblez ignorer continuellement, en ne retenant que la façon dont la population ou les militants d'un parti donné vont réagir.

M. LEMIEUX: Non, en fait, si je n'ai pas parlé de ces facteurs, c'est que ce n'était pas dans notre sujet aujourd'hui. Il est bien sûr que, pour accepter d'être candidat, il faut accepter certains sacrifices, mais vous admettrez avec moi que ces sacrifices sont plus faciles à accepter quand on est un professionnel ou un non-salarié que lorsqu'on ne l'est pas. Combien d'entre vous étiez des salariés avant de faire de la politique? Il y en avait un certain nombre, mais il y en a peut-être moins qu'il y en a dans l'ensemble de la population, proportionnellement. Alors, si on se mettait à discuter de ces facteurs, on pourrait arriver à des conclusions assez étonnantes, il y a un professeur de Montréal qui a d'ailleurs fait cette étude. Je pense quand même qu'il y a des exceptions. Il y en a ici évidemment.

Mais vous admettrez sans doute avec moi que c'est plus facile pour un agent d'assurances ou un professionnel d'accepter de passer quatre années en politique ou du moins d'accepter de laisser son poste parce qu'il est sûr de le retrouver ensuite, que pour un salarié. Mais cela n'est pas notre sujet. On témoigne.

M. BOSSE: Ce que je voulais faire ressortir tout simplement de cette dernière remarque, c'est que, pour la qualité ou le rôle d'un député, il n'y a pas que le facteur de l'acceptation de la population ou des partis qui compte. Il y a aussi d'autres facteurs...

M. LEMIEUX: Je suis tout à fait d'accord.

M. BOSSE: ...incidents qui vont faire la qualité d'un député, qui vont créer chez lui un intérêt.

M. LEMIEUX: C'est sûr.

M. HARDY: Je voudrais juste ajouter une petite remarque. Je le fais avec d'autant plus de liberté que pa date d'au moins quinze ans. Je me rappelle avoir lu des articles d'un journaliste qui, dans Le Devoir — je ne sais pas si c'est d'André Laurendeau ou d'un autre — prétendait que la députation de l'île de Montréal, par rapport à l'ensemble de la province, était beaucoup plus faible. Le comté de Montréal à ce moment-là était plus populeux, ce qui, évidemment, contredirait un peu la thèse que vous venez d'avancer.

M. LAURIN: Les députés fédéraux?

M. HARDY: II parlait des députés provinciaux. Il en parlait, oui. Je me rappelle très bien et je pourrais faire les recherches pour produire les articles, mais ça fait quinze ans.

M. LAURIN: Faites les recherches.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Les faits sont là.

M. HARDY: Evidemment, M. Laurendeau ne dirait sûrement pas la même chose aujourd'hui, mais...

M. LACROIX: II n'y a rien qui peut aller à l'encontre de ça.

M. HARDY: M. le Président, maintenant il s'agit pour nous de déterminer la date de la prochaine séance. Je pense que vous m'avez fait part — ce n'est pas un secret, je peux le dire — que vous seriez absent de la province jusqu'au...

M. LAURIN: 26 avril.

M. HARDY: Evidemment, la dernière fois, j'avais proposé que nous siégions le 29 avril. Ceci avait semblé obtenir l'approbation du représentant du parti de l'Opposition officielle de Sa Majesté.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Enlevez la majesté.

M. HARDY: Quant au représentant du Parti québécois et au représentant du Ralliement créditiste, on avait semblé émettre quelque réticence.

M. LAURIN: Nous avions proposé le 22.

M. HARDY: Vous aviez proposé le 22. Quant à moi, je ne voudrais pas de quelque façon influencer les autres députés.

Parce qu'encore une fois, je le répète, nous serons pendant les vacances parlementaires. Des députés profiteront sûrement de cette période pour rencontrer leurs électeurs, pour accomplir leur rôle, parce que c'est bien beau de songer à de nouvelles réformes électorales pour améliorer la représentation, mais il faudrait quand même commencer par bien accomplir notre devoir actuel. Quant à moi, personnellement, je suis disponible le 22 avril, mais j'aimerais bien que d'autres députés aient l'occasion d'exprimer leur opinion, quant à savoir si nous devrions siéger le 22 ou le 29.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, les raisons me semblent impératives: c'est le congé pascal, nous avons des devoirs à accomplir dans nos circonscriptions, nous avons droit à une période de repos, parce qu'à la reprise des travaux, il y a du pain sur la planche. Je maintiens, pour ma part, comme représentant de mon parti, que nous devrions siéger le 29.

M. LAURIN: M. le Président, deux semaines de congé pascal me semblent bien suffisantes, surtout quand on tient compte du retard de nos travaux sur notre horaire et de l'impatience de la population en ce qui concerne ce sujet. Je m'en tiens donc au 22 pour notre part.

M. AUDET: Nous aussi de notre côté, nous soutenons que le 22 devrait être choisi.

M. HARDY: M. le Président, nous allons simplifier la chose. Nous allons prendre le vote.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): On va mettre la question aux voix.

M. HARDY: Je propose le 29 avril comme date d'ajournement.

M. LE PRESIDENT: Quels sont les députés qui sont en faveur?

M. Vincent, vous avez remplacé M. Bertrand. Quelle date?

M. VINCENT: Le 29 avril.

M. LE PRESIDENT: M. Blank.

M. BLANK: En faveur.

M. LE PRESIDENT: M. Bourassa n'est pas là. M. Garneau.

M. GARNEAU: Oui.

M. LE PRESIDENT: M. Hardy.

M. HARDY: J'ai proposé.

M. LE PRESIDENT: M. Lacroix.

M. LACROIX: Oui.

M. LE PRESIDENT: M. Laurin.

M. LAURIN: Contre. Je suis habitué.

M. LE PRESIDENT: M. Gérard-D. Levesque n'y est pas. M. Paul.

M. PAUL: Pour.

M. LE PRESIDENT: M. Pinard n'est pas là, M. Samson non plus. M. Tremblay (Chicoutimi).

M. TREMBLAY (Chicoutimi): "En faveur pour! " '

M. LE PRESIDENT: C'est 7 à 1. La commission ajourne ses travaux au 29 avril.

(Fin de la séance: 12 h 49)

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