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Commission permanente de l'Assemblée
nationale
Sujet : Réforme électorale
Séance du jeudi 1er avril 1971
(Neuf heures quarante-cinq minutes)
M. LAVOIE (Laval) (président de la commission permanente de
l'Assemblée nationale): A l'ordre, messieurs! Si je me reporte à
la première convocation du 8 mars, lorsque M. Lemieux a
été convoqué pour le 11, il y avait quatre sujets à
discuter: la carte électorale, mécanismes de scrutin,
dépenses électorales et financement des partis. Quels seraient
les désirs de la commission? Si je me rappelle bien, la dernière
fois nous avons étudié le premier sujet. Est-ce qu'il y aurait
lieu de passer au deuxième?
M. HARDY: Je ne sais pas, M. le Président. Cela dépend,
d'une part, du sujet sur lequel M. Lemieux s'est préparé ce
matin. Mais, depuis le début de nos travaux, nous avons assez longuement
entendu parler de la carte électorale, des modes de scrutin et je me
demande s'il ne serait pas valable, ce matin, que nous passions, quitte
à revenir à d'autres sujets si nous en avons le temps, au
problème des dépenses électorales et du financement des
partis; pour autant, évidemment, que M. Lemieux est
préparé pour cela. Sinon, nous pourrions aussi l'écouter
sur les modes de scrutin, mais je tiens à souligner que nous avons
déjà eu plusieurs témoignages sur le problème des
modes de scrutin et on pourrait peut-être donner priorité ce matin
au problème du financement des partis, quitte à revenir aux modes
de scrutin si nous avons le temps avec M. Lemieux.
M. LAURIN: Nous avons entendu deux experts sur les modes de scrutin,
mais nous n'avons pas entendu M. Lemieux qui s'en est fait presque une
spécialité; tout en concourant aux remarques du
député de Terrebonne à l'effet que nous sommes quand
même mieux informés, nous pourrions quand même entendre M.
Lemieux quitte à ce que nous passions moins de temps que nous ne l'avons
fait jusqu'ici à étudier cette question. Mais je pense que,
étant donné que nous avons un spécialiste en la
matière, il faudrait quand même...
M. HARDY: Oui, mais c'est assez délicat. Je pourrais
peut-être partager l'opinion du député de Bourget quant
à passer moins de temps, mais à ce moment-là, il faudrait
quasiment établir une limite de temps pour chacun des partis.
UNE VOIX: Non.
M. PAUL: Que personne ne passe la clôture.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je veux bien qu'on entende M. Lemieux sur les
modes de scrutin, naturellement sous toutes réserves du droit de chacun
d'interroger le témoin à volonté et à
satiété.
M. DUMONT: Je suis moi-même désireux d'entendre M. Lemieux
sur un sujet qui deviendrait nouveau, le financement des partis. Si ma
mémoire est bonne, le député de Bourget à la
dernière réunion avait manifesté le désir...
M. LAURIN: Je suis tout à fait d'accord.
M. DUMONT: ...que nous discutions le plus tôt possible le
financement des partis et je pense que ce serait un sujet
d'intérêt que j'accepte ce matin, si M. Lemieux est
préparé en conséquence.
M. LEMIEUX: Si vous me le permettez...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous, ça ne nous dérange pas, M.
le Président. Tous les problèmes nous intéressent.
M. HARDY: Moi de même évidemment. C'était tout
simplement parce que c'était une question de dosage uniquement. Je
m'inspirais d'une façon toute particulière des inquiétudes
de mon collègue de Gouin la semaine dernière, qui semblait
même se demander si nous étions curieux. Ou avions-nous
donné l'impression que nous craignions de nous pencher sur ce
problème délicat du financement des partis. C'est la seule raison
pour laquelle j'ai souligné ce matin qu'il y aurait peut-être lieu
de commencer par ce sujet-là. Mais, si c'est la volonté, de la
majorité des membres de cette commission d'entendre M. Lemieux sur les
modes de scrutin, très respectueux de la démocratie et de la
majorité, et étant aussi adversaire du député de
Maskinongé sur la clôture,...
M. PAUL: La journée va-t-elle être belle, M. le
Président!
M. HARDY: ... je suis bien prêt à entendre M. Lemieux sur
les modes de scrutin...
M. LACROIX: Un vrai poisson d'avril.
M. HARDY: ... si c'est le désir de la majorité des
membres.
M. JORON: Pour faire suite aux remarques du député de
Terrebonne, j'avais fait cette intervention la semaine dernière, parce
que M. Meynaud était reconnu comme un spécialiste en la
matière et qu'il s'était préparé uniquement ou
presque exclusivement sur ce sujet-là, et même davantage. Il nous
a d'ailleurs communiqué qu'il avait infiniment plus de notes sur le
sujet. C'était la nature de mon intervention.
Nous pourrions peut-être demander à M.
Lemieux ce matin ce sur quoi il désire nous entretenir.
M. HARDY: Je me demande ce que ce sera quand M. Meynaud parlera du
financement des partis, parce que, s'il n'était pas prêt sur les
modes de scrutin...
M. LE PRESIDENT: Quel est le consensus?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): On vide la caisse, M. le Président, ou
parle-t-on du mode de scrutin?
C'est M. Lemieux qui pourrait nous le dire.
M. LE PRESIDENT: Oui.
M. LEMIEUX: J'avais cru comprendre que vous en étiez actuellement
au mode de scrutin. J'admets que vous avez rencontré deux excellents
experts dans ce domaine, mais j'aurais quand même aimé vous dire
quelques mots là-dessus, exposer ma position personnelle, quitte
à ce que le débat soit plus court et qu'on passe ensuite au
financement des partis et aux dépenses électorales, sujets sur
lesquels je vous avertis d'avance j'ai moins de choses à
dire. Jusqu'à maintenant, je me suis intéressé surtout au
problème de la carte électorale et du mode de scrutin, mais
j'aurais quand même certaines propositions à faire sur le
financement des partis et les dépenses électorales, si on a le
temps d'y arriver ce matin. Je ne sais pas si cela vous convient.
M. LE PRESIDENT: Je crois que nous allons procéder comme nous
avons procédé antérieurement. Nous allons laisser la
parole à M. Lemieux, qui nous donnera un exposé
général sur les mécanismes de scrutin, quitte après
aux représentants de chacun des partis à commencer l'inquisition,
la période des questions.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est un jugement de valeur chez les
inquisiteurs.
M. HARDY: Est-ce que c'est la semaine prépascale qui nous
retourne dans ce Moyen Age?
M. LE PRESIDENT: M. Lemieux.
Mode de scrutin
M. LEMIEUX: Le problème des modes de scrutin, vous devez
commencer à vous en rendre compte, est un problème très
difficile et un problème surtout sur lequel il n'y a pas
unanimité des experts.
Sur la carte électorale on peut dire qu'à peu près
tous les experts sont d'accord sur certains critères, sur certaines
normes générales qui doivent diriger le travail de réforme
d'une carte électorale alors que sur les modes de scrutin, certaines
oppositions entre M. Bonenfant et M.
Meynaud vous ont montré qu'il n'y a pas cette belle
unanimité.
Je crois que M. Meynaud a aussi fait dans son article de force un
exposé de la complexité du problème. Je ne veux pas
revenir là-dessus. Ce que je voudrais plutôt faire ici, de
façon peut-être plus pratique, plus immédiate, c'est de
proposer un certain nombre de critères qu'on peut admettre et qui
peuvent servir à évaluer les qualités des
différents modes de scrutin. Je voudrais vous en proposer quatre. Il y
en a sans doute d'autres, mais ces quatre-là me semble tout
spécialement importants.
Je crois qu'on peut dire qu'un mode de scrutin est bon ou mauvais selon
les effets qu'il a sur quatre aspects importants de la vie politique.
Premièrement et c'est sans doute l'aspect le plus important
ce sont les effets que le mode de scrutin a sur la correspondance entre
les suffrages et les sièges obtenus par les partis. C'est bien
évident, ce qu'on demande d'abord à un mode de scrutin c'est de
donner aux partis un pourcentage de sièges à peu près
équivalent au pourcentage de votes qu'ils reçoivent. Certains
prétendent qu'un mode de scrutin doit assurer une prime à la
majorité, au parti majoritaire. Il n'y a pas accord là-dessus
mais c'est au moins un critère qu'on peut retenir. On peut dire qu'un
mode de scrutin qui fait en sorte que l'écart ou la différence
est excessive entre le pourcentage de votes obtenus par un parti et le
pourcentage de sièges qu'il obtient, n'est pas bon.
Le deuxième critère, vous en avez discuté aussi, ce
sont les effets que le mode scrutin a sur la vie parlementaire et plus
spécialement sur les rapports entre le gouvernement et l'Opposition.
Est-ce qu'on doit avoir deux catégories de députés? Est-ce
qu'on doit s'arranger pour avoir un mode de scrutin qui assure la
stabilité gouvernementale, etc.?
Le troisième critère que je retiendrais c'est un
critère qu'on a déjà discuté lorsque je suis venu
parler de la carte électorale, ce sont les effets du mode de scrutin sur
la représentation des électeurs par les
députés.
Actuellement, avec le mode de scrutin qu'on a, le député
est en quelque sorte roi et maître dans son comté, plus ou moins
roi et plus ou moins maître, mais il a quand même un certain
monopole de la représentation. Il est le seul parlementaire à
représenter une circonscription donnée.
Avec d'autres modes de scrutin, vous avez des circonscriptions plus
grandes qui sont représentées par plusieurs
députés. Donc, au lieu d'une situation de monopole, c'est une
situation d'oligopole ou même de concurrence plus ou moins parfaite. Cet
aspect est évidemment important pour ce qui est du scrutin. Finalement,
un dernier aspect, qu'il faut aussi retenir, je crois, ce sont les effets que
le mode de scrutin a ou peut avoir sur l'organisation même des
partis.
On peut dire qu'avec le mode de scrutin
actuel, celui qu'on pratique au Québec ce n'est pas
dû uniquement au mode de scrutin, c'est une de ses conséquences
on a une certaine décentralisation des partis politiques.
C'est-à-dire que le député, sans être tout à
fait roi et tout à fait maître dans son comté a quand
même une assez large autonomie envers l'organisation centrale de son
parti, parce qu'en fait c'est lui qui s'est fait élire dans son
comté et qu'il peut juger que certaines directives de son parti sont
mauvaises pour sa réélection.
Dans les scrutins dits proportionnels, les experts s'accordent
généralement pour dire que les pouvoirs ou l'autorité des
organismes ou organes centraux des partis sont plus grands par la
faculté qu'ils ont, par exemple, d'établir certains codes, tout
au moins la liste des candidats, liste entre lesquels choisiront les
électeurs, et surtout l'ordre des députés sur cette
liste.
Si on s'en rapporte à ces quatres critères, je dirais
très honnêtement que le scrutin actuel, scrutin majoritaire
uninominal à un tour, comme le désignent les experts, est un
très bon mode de scrutin dans une situation homogène,
c'est-à-dire dans une société homogène où il
y a deux partis qui se succèdent au gouvernement, c'est-à-dire la
situation qu'on a connue pendant très longtemps au Québec. Ce
mode de scrutin a certainement je l'ai déjà écrit
d'ailleurs plus d'avantages que d'inconvénients dans une
situation comme celle-là, parce qu'il assure une certaine
stabilité gouvernementale, parce qu'il est aussi, et c'est un aspect que
l'on ne discute peut-être pas suffisamment, très sensible à
certaines volontés de changement de l'électorat.
Si vous avez deux partis qui, à l'élection 1 ont 60 p. c.
et 40 p. c. du vote et qu'à l'élection 2, le parti qui a 40 p. c.
obtient 55 p. c. et le parti qui avait 60 p. c. a 45 p. c, cela va se traduire
en termes de sièges par un changement très net qui va
révéler, en quelque sorte, la volonté de changement de
l'électorat alors qu'avec un scrutin selon la proportionnelle, cette
sensibilité du mode de scrutin est beaucoup moins grande
c'est-à-dire que je le montrais à propos du mode de
scrutin de l'Allemagne fédérale un changement de l'ordre
de 5 p. c. à 10 p. c. des votes entre deux partis peut se traduire par
un changement relativement minime en termes de sièges qu'ils
obtiennent.
Je pense que cette qualité à l'effet que le mode de
scrutin est majoritaire et permet une plus grande sensibilité aux
déplacements électoraux ou à la volonté de
changement des électeurs, est une qualité importante.
Pour ce qui est des deux derniers aspects, ces effets sont
peut-être plus discutables. Est-ce bon que les électeurs d'une
circonscription soient représentés par un seul
député? Est-ce qu'il ne serait pas préférable que
l'on ait de plus grandes circonscriptions qui soient représentées
par plusieurs députés de partis différents? C'est bien
difficile de se prononcer là-dessus et, d'ailleurs, je dois admettre que
la documentation en science politique c'est une grande déception
pour moi contient très peu de chose là-dessus. On ne nous
dit pas, par exemple, si dans les sociétés qui ont connu
différents modes de scrutin, la qualité de la
représentation des électeurs par les députés est
meilleure lorsqu'on a représentation par un seul député ou
par plusieurs députés. C'est un aspect sur lequel on pourrait
peut-être s'interroger ici. Du point de vue de l'électeur, est-ce
qu'il ne serait pas préférable qu'il puisse faire appel à
plusieurs députés? S'il n'est pas satisfait des
députés libéraux il pourrait, dans sa circonscription,
avoir recours à des créditistes ou vice versa. C'est un aspect
qu'on peut discuter.
Pour ce qui est du quatrième critère, l'organisation des
partis, j'ai dit et je pense que en fait, si vous n'êtes pas
d'accord, vous le direz ce mode de scrutin tend à une assez
grande décentralisation des partis. C'est-à-dire dans la mesure
où le député a une bonne autonomie, c'est lui qui est
élu, souvent pas tellement parce qu'il représente tel ou tel
parti, mais à cause de ses qualités personnelles. On a
peut-être alors une centralisation ou une intégration des partis
moins grande qu'avec d'autres modes de scrutin. C'est-à-dire qu'il y a
peut-être tendance à ce que les députés se taillent
de petits royaumes et qu'ils se fichent pas mal des directives
générales qui peuvent venir de la direction de leur parti
politique.
Par contre, dans une société qui est devenue moins
homogène, comme c'est le cas du Québec, je pense qu'on est pris
avec cela pour un bon moment. Dans une société aussi où il
y a quatre partis, qui semblent être là pour un bon moment
également, le mode de scrutin majoritaire à un tour a
peut-être plus d'inconvénients que d'avantages. En particulier,
les effets qui sont plus ou moins implicites dans ce mode de scrutin, le fait
que les experts l'ont étudié, font qu'on arrive à des
résultats assez étonnants, assez aberrants comme ceux qu'on a
connus cette année et qui ont joué contre certains partis, mais
qui pourraient jouer contre d'autres partis à une élection
suivante. Il ne faut pas croire que c'est fatal qu'avec ce mode de scrutin ce
soit toujours, par exemple, le Parti québécois qui soit
désavantagé. A une autre élection, ce pourrait être
l'un ou l'autre des autres partis.
Evidemment, on peut croire qu'une bonne part de ces résultats un
peu étonnants, pour ne pas dire plus, sont dus à la carte
électorale. Personnellement, j'ai fait certains calculs là-dessus
et d'autres en ont fait aussi. Nous sommes arrivés à une
conclusion assez unanime, c'est que si on avait eu une carte électorale
avec des écarts de 25 p. c, en plus ou en moins, ce qui commence
à être généralement admis ici comme chez les experts
évidemment, c'est une opération assez superficielle que de
faire comme si l'élection s'était déroulée selon
une autre carte je pense qu'on peut dire, avec un degré
assez grand de certitude, que les résultats auraient
été à peu près les suivants: 78
députés libéraux et 10 députés pour chacun
des trois autres partis.
Autrement dit pour le mode scrutin, ce n'est pas seulement la carte
électorale qui est cause d'inégalités ou d'effets un peu
curieux, c'est aussi le mode de scrutin lui-même parce qu'avec une carte
électorale modifiée les libéraux auraient eu encore plus
de sièges, l'Union Nationale en aurait perdu, évidemment, un
certain nombre, le Parti québécois en aurait gagné
quelques-uns et les créditistes en auraient perdu deux. Cela aurait
quand même été un résultat un peu curieux.
Même avec une carte bien faite, 78-10-10-10, c'est un peu curieux comme
résultat et je ne pense pas que ce soit désirable qu'un parti qui
obtient 45 p. c. du vote, ait à ce compte-là 70 p. c. ou 72 p. c.
des sièges. Je pense que pour ce parti-là même, ce n'est
pas bon parce que cela le met peut-être dans une position un peu trop
confortable en Chambre, une position qui ne correspond pas à sa position
réelle dans l'électorat.
Je crois que c'est la principale raison pour laquelle on doit
s'interroger sur la possibilité d'avoir d'autres modes de scrutin.
On vous a proposé ici un mode de scrutin que l'on a appelé
une variante du mode de scrutin allemand et il y a même eu une
prooosition très concrète faite par M. Bo-nenfant qui consistait
à avoir 90 députés, que j'appellerais locaux. Cela veut
dire qu'ils continueraient de représenter des circonscriptions
électorales comme on en connaît actuellement, qui seraient, par
contre, un peu plus grande, et 30 députés qui seraient ou bien
régionaux ou bien nationaux. A toutes fins pratiques, il faudrait qu'ils
soient nationaux, parce que je ne vois pas très bien comment on pourrait
répartir ces 30 députés entre les régions du
Québec, du moins telles qu'elles sont, de façon équitable.
Mais cela c'est un aspect technique que l'on peut laisser de
côté.
Personnellement, et là, je suis un peu en désaccord avec
mon collègue Bonenfant avec lequel par contre, je suis souvent d'accord,
je ne crois pas qu'un tel mode de scrutin pour ce qui est du premier
critère, qui me semble le plus important, celui de la correspondance
entre le vote et les sièges améliore beaucoup la
situation. J'ai même fait des calculs là-dessus. Encore une fois
j'admets que c'est artificiel. Mais cela vous donne une idée de ce qu'un
mode de scrutin comme celui-là aurait donné, par exemple, en
1970. Encore une fois, avec une carte où les écarts auraient
été limités à 25 p. c. en plus ou en moins, avec 90
députés locaux et 30 députés nationaux, j'ai
calculé que les résultats auraient été à peu
près les suivants: sur 120 députés, les libéraux en
auraient eu 80, c'est-à-dire exactement les deux tiers, à peu
près ce qu'ils ont actuellement; donc du côté
libéral, du moins, ça ne corrige à peu près rien.
Le Parti québécois aurait eu 15 sièges, l'Union Natio-
nale, 14 et le Ralliement créditiste, 11. Donc le parti gouvernemental,
au lieu de 72 sièges, en aurait eu 80 et les partis d'Opposition, au
lieu de 36 sièges en aurait eu 40. Alors, pour ce qui est du rapport
entre le parti gouvernemental et les partis d'Opposition pris tous ensemble, je
ne crois pas que ce soit une grosse amélioration. C'est peut-être
une amélioration, par contre, dans la répartition des
sièges entre les partis d'Opposition, c'est-à-dire que le Parti
québécois, qui a eu plus de votes que l'Union Nationale, aurait
eu un siège de plus et le Ralliement créditiste, qui a eu moins
de votes que les deux autres, aurait un peu moins de sièges aussi que
les deux autres.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce que M. Lemieux me permettrait de lui
poser tout de suite une question? Quelle est la base de calcul dont vous vous
êtes servi pour donner les chiffres que vous venez de nous donner?
M. JORON: Si vous permettez, M. Tremblay, je peux vous la donner.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce que vous allez répondre pour
lui?
M. JORON: Non, mais je pense qu'il y a peut-être une erreur
d'interprétation ici. Dans le système de M. Bonenfant, les 30
sièges nationaux sont compensatoires, alors dans cette optique, dans la
mesure où les libéraux, par exemple, auraient droit à 45
p. c. des 120 sièges, parmi les 30 sièges qu'il reste à
pourvoir pour combler le déficit, ils n'en auraient reçu aucun.
Donc, votre théorie présume qu'ils en auraient pris 80 sur
90.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Cela, M. le Président, c'est ce que
nous appelons en droit, au tribunal, influencer le témoin. J'ai
demandé quelle était la base de calcul.
M. HARDY: A moins que le député de Gouin soit
l'attaché de recherche de M. Lemieux.
M. LEMIEUX: Pour répondre à cette question d'abord, si
vous me permettez, M. Tremblay, j'avais cru que M. Bonenfant proposait un
système où les trente députés n'étaient pas
compensatoires. S'ils sont compensatoires, je crois que ça continue
d'avoir de très gros défauts, parce que je trouve assez mauvais
que le parti majoritaire n'ait pas droit avec ce système-là
à des députés nationaux. C'est-à-dire que,
fatalement, si vous n'avez que trente sièges compensatoires, vous
éliminez en partant des sièges nationaux pour le parti
majoritaire. Je me demande pourquoi ce parti-là n'aurait pas droit lui
aussi à faire élire des chefs ou des hommes de valeur qui
auraient été battus sur le plan local. Je m'excuse. Si M.
Bonenfant a proposé que ce soit compensatoire, ça modifie les
choses. Je n'ai pas fait de calculs, mais il est probable qu'à ce
moment-là le parti gouvernemental aurait eu une majorité beaucoup
moins grande, mais quand même avec cet inconvénient que je vous
signale.
Pour répondre à M. Tremblay, le calcul que je fais dans le
cas où les trente sièges ne sont pas compensatoires, mais sont
accordés aux partis selon le pourcentage du vote qu'ils ont reçu,
dans le cas de ces trente sièges, c'est facile. Les libéraux ont
eu 45 p. c. du vote aux dernières élections. 45 p. c. de trente
sièges, c'est à peu près quatorze sièges. Le PQ a
24 p. c. du vote exprimé. 24 p. c. de trente, c'est sept sièges
et ainsi de suite. Cela aurait donné plus précisément
quatorze sièges aux libéraux, sept aux PQ, six à l'Union
Nationale et trois aux créditistes. Si vous ajoutez à ça
ce que les partis auraient obtenu dans les 90 sièges,
c'est-à-dire dans l'ensemble des 90 sièges qui, eux, auraient
été attribués comme maintenant, mais dans une carte qui
aurait été corrigée, vous arrivez à 66
sièges locaux qui auraient été détenus par les
libéraux et huit pour chacun des trois autres partis pour un total de
90. Autrement dit, c'est 90 sièges alloués comme maintenant, mais
dans une carte imaginaire où les écarts auraient
été limités à 25 p. c. en plus ou en moins et
trente sièges qui seraient alloués, eux, selon le pourcentage de
votes recueillis par les partis dans l'ensemble du Québec.
Je n'ai pas fait le calcul, si vous me permettez, avec trente
sièges compensatoires, mais M. Crête qui est assistant-professeur
au département de science politique l'a fait, lui, avec 80
députés locaux et 40 députés provinciaux et,
à ce moment-là, avec des résultats compensatoires et les
résultats étaient les suivants: le Parti libéral avec
80-40 donc, c'est un rapport de deux à un plutôt que de
trois à un aurait, sur 125 sièges parce qu'avec ce
système-là, en fait, c'est un aspect technique, vous pouvez
être obligés d'ajouter les sièges nationaux obtenu
59 sièges, c'est-à-dire 59 locaux et zéro nationaux,
c'est-à-dire qu'il n'aurait pas eu la majorité absolue. Le PQ
aurait eu sept sièges locaux et 22 nationaux pour un total de 29.
L'Union Nationale, sept sièges locaux et 17 nationaux pour un total de
24. Ralliement créditiste, sept sièges locaux et six nationaux,
pour un total de treize.
Si bien que je crois que si on a 90-30, à ce moment-là on
risque fort que le Parti libéral ne soit pas majoritaire, n'ait pas la
majorité absolue des sièges. Est-ce bon? Est-ce mauvais?
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux, je reviens à la question
que je vous posais au départ. Mettons de côté la question
des sièges dits compensatoires. Les bases de calcul que vous avez
adoptées se fondent sur les résultats en pourcentage des
dernières élections.
M. LEMIEUX: C'est ça.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si nous avions procédé avec une
carte réaménagée, tous les calculs que vous avez faits
n'ont plus aucune sorte de signification parce que, justement, le
réaménagement de la carte devient un coefficient qui peut changer
énormément le résultat dans telle circonscription dite
régionale et dans les autres circonscriptions les 30 qu'on ajoute
les électeurs se seraient certainement comportés d'une
autre façon. Parce qu'il y a la personnalité du candidat et
l'ensemble du problème général de la redistribution.
Ces chiffres sont, à mon sens, des données purement
abstraites et ne peuvent pas nous éclairer. Vous partez d'un fait
acquis. Il y a eu, à la dernière élection, des
pourcentages X pour chaque parti politique, mais si on avait
procédé avec une carte réaménagée, j'ai
l'impression que le choix des candidats eût certainement
été différent dans certains cas ainsi que le comportement
des électeurs.
Par conséquent, l'hypothèse de travail que vous avez
là est une hypothèse de cabinet. Ce n'est pas une
hypothèse pratique.
M. LEMIEUX: Bien sûr, d'ailleurs j'ai admis que c'était une
hypothèse artificielle, qui ne donne qu'une approximation. Ce qui serait
plus réel, ce serait d'ajouter aux résultats obtenus dans les 108
circonscriptions actuelles une répartition si on maintient la
proportion de M. Bonenfant de 3 à 1 prenons le tiers de 108, qui
fait 36 si vous répartissez 36 sièges selon les
pourcentages obtenus par les partis dans l'ensemble de la province, vous pouvez
obtenir des calculs un peu moins abstraits en suivant l'une ou l'autre des
hypothèses, c'est-à-dire sièges compensatoires ou non. Si
les sièges ne sont pas compensatoires, par exemple le Parti
libéral, avec 45 p. c. de 36, aurait obtenu à peu près 16
sièges, plus 72, ce qui fait 88 sur 144. Donc, il aurait eu encore
là une large majorité.
Si c'est compensatoire, il est probable qu'il n'aurait obtenu aucun
siège national et je ne suis pas sûr qu'il aurait eu la
majorité absolue des sièges.
En fait, ce que je voulais dire là-dessus, c'est que ce mode de
scrutin, à moins que vous ne le rendiez compensatoire, avec certains
inconvénients qu'il comporte, semble assez peu pratique, parce que, pour
égaliser vraiment les chances entre les partis, vous êtes
obligés d'avoir une proportion non pas de trois sièges locaux
pour un sièges national, mais de deux à un ou peut-être
même de un à un. C'est-à-dire que si vous avez 60
sièges locaux et 60 sièges régionaux, vous arrivez
probablement à des résultats plus acceptables,
c'est-à-dire où le Parti libéral a toujours une
majorité, mais plus faible et où la répartition des
sièges entre les autres partis est meilleure.
Mais, à ce moment-là, vous modifiez de façon assez
considérable les autres aspects que j'ai signalé tout à
l'heure. Vous avez 60 circonscriptions locales seulement, donc ce sont d'assez
grosses circonscriptions. Vous avez deux
sortes de députés, il y a autant de nationaux que de
locaux, etc.
C'est pourquoi, devant certains inconvénients de ce mode de
scrutin, qui soit compensatoire ou non, j'ai proposé dernièrement
avec Jean Crête un autre mode de scrutin qui suppose peut-être des
modifications encore plus profondes dans nos habitudes électorales, mais
qui me semble avoir au moins certains avantages sur le plan de la
correspondance entre les sièges et les votes.
C'est un mode de scrutin que j'ai baptisé de proportionnelle
modérée qui consisterait à diviser le Québec en un
nombre de circonscriptions régionales qui pourrait varier de 20 à
30 selon le découpage précis auquel on arriverait. Dans chacune
de ces circonscriptions, il y aurait un nombre de députés
variable de trois à cinq qui seraient élus à la
proportionnelle.
J'admets que faire comme si l'élection de 1970 s'était
déroulée dans ces cadres nouveaux, c'est assez artificiel, c'est
une opération de cabinet. Mais pour vous donner quand même une
approximation ou une idée des résultats auxquels on aurait pu
arriver avec un tel mode de scrutin d'ailleurs j'ai donné ces
résultats de façon détaillée dans le Devoir
les résultats auraient été les suivants avec un total de
112 sièges: les libéraux en auraient obtenu 60
c'est-à-dire un peu plus que la majorité absolue, le PQ 23,
l'Union Nationale 18 et les créditistes 11.
Ce qui veut dire qu'avec 45 p. c. du vote, les libéraux auraient
eu à peu près 54 p. c. des sièges, le PQ avec 24 p. c. du
vote aurait eu à peu près 20 p. c. des sièges, l'Union
Nationale avec 20 p. c. du vote aurait eu à peu près 16 p. c. des
sièges et le Ralliement créditiste avec 11 p. c. des votes aurait
eu à peu près 10 p. c. des sièges.
Un des avantages de ce mode de scrutin est qu'il donne une prime au
parti le plus fort. Personnellement, je suis en faveur de cette prime. Ce n'est
pas parce que les libéraux en profitent actuellement, que l'Union
Nationale en a déjà profité ou que le Ralliement
créditiste ou que le PQ pourraient en profiter un jour. Je crois que
cette prime que certains modes de scrutin accordent au parti le plus fort est
quelque chose qui correspond à un certain consensus des
électeurs, je ne dirais pas de tous les électeurs mais d'une
proportion assez importante d'entre eux. Vous le constatez quand vous faites
des sondages postélectoraux, c'est-à-dire après les
élections. De façon à peu près universelle, vous
constatez qu'il y a un plus grand nombre d'électeurs qui disent avoir
voté pour le parti gagnant qu'il y en a qui ont voté pour le
parti perdant.
Vous me direz que traditionnellement au Québec c'était
mauvais de faire comme si on avait perdu ses élections. Il y a des gens
qui votent pour gagner et, lorsqu'ils s'aperçoivent qu'ils ont perdu,
ils font comme s'ils avaient gagné. C'est peut-être vrai.
Mais il y a aussi d'autres électeurs pour qui l'élection
est une espèce d'information supplémentaire qu'ils
reçoivent sur la façon dont ils auraient voulu voter.
Il faut bien voir qu'il y a beaucoup d'électeurs, surtout lorsque
les sondages ne sont pas trop nombreux, qui votent un peu dans le noir. Ils
votent pour un parti tout en se disant: Si j'étais sûr que ce
parti-là n'avait aucune chance de former le gouvernement, je donnerais
plutôt mon vote au parti qui a le plus de chances.
Donc, dans la mesure où l'élection est une espèce
d'information supplémentaire que les électeurs reçoivent,
qui fait que s'ils avaient à se reprendre, ils voteraient autrement,
dans la mesure où ce phénomène-là joue
généralement en faveur du parti le plus fort, parce que les gens
sont d'accord sur ça, je crois qu'il est bon qu'un mode de scrutin
accorde une petite prime, je ne dis pas une prime excessive comme celle qu'on a
connue dans les dernières années, mais une petite prime au parti
le plus fort. D'autant plus que c'est une garantie ou du moins que ça
donne peut-être un peu plus de chance à la stabilité
gouvernementale bien que là, il ne faudrait pas s'illusionner. Ce ne
sont pas nécessairement les gouvernements les plus forts en
sièges obtenus qui sont les meilleurs gouvernements. Il y a des
gouvernements de coalition qui sont d'excellents gouvernements.
Dans la situation actuelle du Québec où on n'a pas
l'habitude de ces gouvernements de coalition, si on voit aussi ce qui s'est
passé sur la scène fédérale au moment où les
gouvernements fédéraux étaient minoritaires, on peut se
demander si ce serait bon d'avoir un mode de scrutin qui, n'accordant pas cette
petite prime au parti le plus fort, nous entraîne dans des gouvernements
de coalition.
A la longue, on pourrait sans doute s'habituer et on pourrait sans doute
avoir de la sorte d'aussi bons gouvernements que ceux que nous avons
actuellement. Je dirais qu'en courte période ce serait certainement un
facteur d'instabilité et peut-être d'inefficacité
aussi.
Donc, ce mode de scrutin que j'ai proposé a au moins cet avantage
de donner des résultats si on les calcule de façon
artificielle qui semblent meilleurs que ceux du mode de scrutin actuel
dans une situation à quatre partis et meilleurs aussi, je crois, que
ceux du mode de scrutin allemand ou soi-disant allemand.
Ils conservent, disons, cette petite prime donnée aux partis
majoritaires. Encore une fois, je crois que c'est excellent. Un tel mode de
scrutin permettrait aussi d'arriver à certains résultats que le
mode de scrutin allemand ou soi-disant allemand amène,
c'est-à-dire de faire élire, je ne dirais pas des chefs
politiques battus dans leur comté, mais des hommes politiques qui ont
une certaine valeur mais qui peuvent difficilement se faire élire dans
une petite circonscription qui a des caractéristiques locales
peut-être un peu trop particulières ou un peu trop
différentes des qualités qu'ont ces hommes politiques.
Vous pourrez me dire: A ce moment-là, ils
n'ont qu'à aller se présenter ailleurs. Mais alors, on
pourra les accuser de parachutage. Donc, c'est assez difficile pour un homme
qui a certaines qualités de se faire élire dans le comté
si le comté a l'habitude d'élire des gens assez différents
de lui. Avec un mode de scrutin comme celui-là où un parti
pourrait faire élire, du moins dans certains cas, plus d'un
député par circonscription, ce sera peut-être possible
à ces hommes-là de se faire élire.
Je termine rapidement cet exposé déjà un peu long
en parlant des deux derniers aspects que j'ai signalés: effet des modes
de scrutin sur la représentation des députés et sur
l'organisation des partis. Avec ce mode de scrutin que j'ai proposé avec
M. Crête, évidemment, vous auriez des circonscriptions plus
grandes qui seraient représentées par trois, quatre ou cinq
députés qui pourraient ne pas être, et qui le plus souvent
ne seraient pas du même parti.
Je n'ai pas les données nécessaires pour vous dire
encore une fois parce qu'il en existe assez peu en science politique ce
que ça provoquerait, ce que ça produirait sur le plan de la
représentation. Est-ce que c'est préférable,
plaçons-nous du point de vue des électeurs, est-ce que c'est
préférable pour eux d'être représentés par
plusieurs députés, plusieurs députés de partis
différents? Est-ce que c'est préférable de maintenir la
situation actuelle? J'aimerais qu'on en discute.
M. PAUL: M. Lemieux, excusez-moi de vous interrompre.
M. LEMIEUX: Allez-y.
M. PAUL: Quel serait votre critère de base pour déterminer
le nombre de régions économiques pouvant servir de calcul aux
données que vous venez de nous signaler?
M. LEMIEUX: Evidemment, ce serait au Parlement et ensuite à la
commission, ou du moins aux experts qui travailleraient à la
réforme de la carte, de déterminer ces critères.
Personnellement, je ne sais pas si vous êtes d'accord avec moi, mais j'ai
l'impression qu'au Québec, actuellement, les dix régions
administratives seraient une réalité plus ou moins
précise. Il y en a qui correspondent à des réalités
socio-économiques assez homogènes, assez précises.
M. PICARD: Un seul exemple pourrait justifier cette affirmation, M.
Lemieux. Parce qu'il arrive très souvent qu'on a des gens qui
critiquent, à tort ou à raison, les limites des régions
administratives, alors que cela a été le résultat d'un
travail de près de trois années de consultation à travers
la province et, à chaque fois que quelqu'un arrive avec une critique de
ces régions administratives, ils ne sont jamais capables de mettre le
point sur un seul exemple.
M. LEMIEUX: Je vais vous donner deux exemples très
différents l'un de l'autre. Prenons la région de Montréal
qui, actuellement, je crois, comprend la moitié de la population du
Québec. Je suis bien d'accord qu'il y ait une grande région de
Montréal qui englobe l'île de Montréal et aussi toute une
série de comtés de la rive nord et de la rive sud, mais je vous
dis qu'à l'intérieur de cette région il y a des
sous-réalités régionales importantes, il y en a qui sont
reconnues par les sous-régions et tout cela. Je vous donnerai un autre
exemple, celui de la région dite des Trois-Rivières, qui enjambe
le fleuve. Evidemment, je connais un peu moins cette région...
M. PICARD: Vous avez le pont!
M. LEMIEUX: Oui, maintenant, il y a le pont, d'accord. Mais, est-ce que
le pont est suffisant il y a un député de cette
région qui arrive, il pourrait nous en parler pour faire de cette
région-là une région homogène? Je ne le sais pas.
Prenons un autre exemple que je connais mieux, la région du
Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Je pense que c'est plus conforme
à la réalité de découper c'est ce que l'on
aurait avec le système que je propose à l'intérieur
de cette région deux sous-régions. Vous savez que la
Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent, c'est quand même deux choses
assez différentes. D'ailleurs, il y a plusieurs organismes qui le
reconnaissent. Les habitants aussi!
Je ne dis pas que les régions administratives sont mauvaises en
elles-mêmes mais je crois qu'elles ont le désavantage d'abord
d'être très inégales en elles-mêmes; je crois que
certaines d'entre elles ont aussi le désavantage d'englober des
sous-régions qui ne sont peut-être pas tellement homogènes
entre elles et qu'il serait peut-être préférable de leur
reconnaître au moins sur le plan électoral une certaine
autonomie.
Je pense qu'au Québec d'ailleurs on le voit par le nombre
de CEGEP, par certaines divisions administratives de certains ministères
25 ou 30 régions un peu plus petites regroupées autour de
petits centres régionaux, c'est peut-être une
réalité sociologique et économique qui a plus de
réalité, qui est plus précise que ces grandes
régions administratives qui sont peut-être bonnes à des
fins économiques, à des fins administratives mais qui, sur le
plan électoral et sur le plan social, culturel ou ethnique, englobent
souvent des entités très différentes. C'est ce que je
voulais dire.
M. PICARD: Vous admettez vous-même, M. Lemieux...
M. LE PRESIDENT: A l'ordre! M. LEMIEUX: Oui.
M. PICARD: ... qu'il existe des sous-régions dans les
régions administratives.
M. LEMIEUX: D'accord.
M. PICARD: Alors, prenez les sous-régions.
M. LEMIEUX: Oui, oui.
M. PICARD: Mais conservez vos dix régions administratives.
M. LEMIEUX: Je ne dis pas qu'il faudrait les jeter à terre. Je
dis tout simplement que, pour fins électorales, dans un mode de scrutin
comme celui-là, il faudrait procéder non pas avec les
régions administratives mais plutôt avec des sous-régions
pour avoir un nombre de députés à peu près
égal d'une région à l'autre. Je pense qu'on se comprend
bien.
Un dernier point, finalement, avant de terminer, c'est que mon
quatrième critère était les effets du mode de scrutin sur
l'organisation des partis. Encore là, évidemment le mode de
scrutin de proportionnelle modérée que j'ai proposé
modifierait assez considérablement la situation. Est-ce que ça
irait dans le sens d'une plus grande centralisation des partis? Je crois que ce
n'est pas inévitable. C'est peut-être bon que les partis soient un
peu plus centralisés je ne sais pas ce que vous en pensez
c'est peut-être mauvais. Mais je crois qu'il n'est pas fatal qu'avec un
mode de scrutin comme celui-là on ait plus de centralisation. Par
exemple, prenons une région où il y aurait quatre
députés. Evidemment, dans certains systèmes politiques
c'est l'organisation centrale du parti qui, à toutes fins pratiques,
établit la liste 1, 2, 3 et 4 et qui détermine ainsi qui sera le
premier élu, qui sera le deuxième, ainsi de suite. Par contre, on
pourrait fort bien penser à des conventions un peu plus larges que
celles que l'on connaît actuellement, des conventions régionales
qui, au lieu de choisir un candidat en choisiraient trois ou quatre et dans
l'ordre. Autrement dit, il y aurait six ou sept candidats; les trois ou quatre
premiers qui recueilleraient le plus de votes de la part des
délégués ou des membres du parti constitueraient la liste
du parti dans la circonscription et dans l'ordre de votes qu'ils auraient
reçus. Je pense que des mesures comme celle-là pourraient faire
en sorte que, même avec ce mode de scrutin, on n'ait pas une
centralisation excessive des partis politiques.
Voilà ce que je voulais vous dire. Je répète en
terminant que c'est un problème très difficile. Je pense que dans
mon exposé j'ai laissé clairement entendre cette
difficulté. Comme on le disait au début de cette rencontre, comme
en parlaient certains d'entre nous, il y a surtout le fait qu'ici, au
Québec, on n'a jamais connu d'autres modes de scrutin. Changer celui qui
nous a relativement bien servi jusqu'à tout récemment c'est un
peu un saut dans l'inconnu. Personnellement, je crois que l'évolution de
la société québécoise, le fait qu'il y ait
maintenant quatre partis bien installés sur la scène politi- que,
nous oblige à apporter des modifications au mode de scrutin et une des
modifications qui me semble réaliste c'est celle que je viens de
proposer, pour finir.
M. LE PRESIDENT: M. Hardy.
M. HARDY: M. le Président, au début de votre
témoignage, M. Lemieux, vous nous avez parlé de cette nouvelle
figure de la société québécoise qui avait perdu son
homogénéité. Vous avez laissé entendre qu'une des
façons de représenter au Parlement ce pluralisme, ce nouveau
pluralisme que nous connaissons au Québec, c'était
précisément d'adopter un mode de scrutin qui favorisait le
multipartisme.
Ce que je voudrais savoir de vous c'est que: Ne croyez-vous pas
qu'à partir de l'expérience américaine, de
l'expérience en Grande-Bretagne et même de l'expérience
canadienne, la façon de se comporter de nos partis politiques, leur
absence d'idéologie ou l'absence de doctrines très
précises dans la plupart des partis nord-américains ou même
des partis européens, permet précisément, d'une autre
façon, d'exprimer ce pluralisme, d'une part, tout en garantissant la
stabilité gouvernementale.
Vous n'ignorez sûrement pas d'ailleurs votre
expérience et les études que vous avez faites vous l'ont
sûrement démontré qu'à l'intérieur des
partis américains, je pense, entre autres au Parti démocrate, en
Grande-Bretagne, au Parti travailliste, et même ici au Canada à
certains partis, il existe au sein même de ces formations plusieurs
tendances qui reflètent ce pluralisme. Ces tendances s'expriment
à l'intérieur du parti. A l'intérieur du parti, il y a une
espèce de premier dégagement, un premier consensus qui se fait et
qui assure la stabilité gouvernementale. En d'autres termes, je veux
vous demander si vous croyez que cet instrument permet aussi bien à ces
partis politiques, assez souples dans leurs doctrines, l'expression du
pluralisme politique autant que le multipartisme, tout en assurant la
stabilité gouvernementale.
M. LEMIEUX: Si on se réfère aux cas américain et
britannique, je dirais oui, probablement. Ce qu'on discute c'est le cas du
Québec et je crois que malgré tout le Québec a des
caractéristiques actuellement du moins, assez différentes de ces
deux autres sociétés. Il y a d'abord le fait, qu'on aime cela ou
non, que cette espèce de pluralisme n'a pas réussi à se
laisser enfermer dans les deux partis traditionnels. Il y a le fait
qu'actuellement deux tiers partis ont recueilli, aux dernières
élections, plus du tiers du vote des québécois. C'est
quand même un phénomène qu'il faut prendre comme tel.
Je me demande s'il n'est pas un peu illusoire de penser que grâce
au mode de scrutin majoritaire à un tour, ou à d'autres
mécanismes, on va pouvoir revenir à une situation de
bipartisme où les deux partis pourront exprimer à
l'intérieur d'eux-mêmes ce pluralisme.
Vous dites que les partis américains, britanniques et nos partis
sont assez peu idéologiques. Je dirais, quand même, qu'il y a, au
moins, deux partis au Québec qui ont un caractère
idéologique assez marqué. On peut penser ce que l'on veut de
cette idéologie, mais je crois que dans le cas du Ralliement
créditiste et dans le cas du Parti québécois, tout au
moins, pour ne pas parler des autres, ce sont quand même des partis qui
ont une doctrine ou une idéologie assez précise qui les distingue
tout au moins des partis américains.
Il me semble plus ou moins fatal que d'ici quelques années, du
moins, ce pluralisme de la société québécoise
s'exprime, du moins ne puisse pas s'exprimer, pour exprimer cela d'abord par la
négative, à l'intérieur d'un bipartisme, mais il s'exprime
plutôt dans un multipartisme si bien qu'à ce moment-là, si
on considère ce fait comme acquis, je crois qu'il faut penser à
un mode de scrutin qui exprime cette réalité et qui l'exprime
peut-être de façon un peu plus équitable que c'est le cas
actuellement. Je ne crois pas que le maintien du scrutin majoritaire à
un tour fasse disparaître le multipartisme au Québec. Prenons le
cas des créditistes qui, évidemment, ont des assises locales et
régionales très fortes. Pour eux, ce n'est pas tellement une
question de scrutin. Ils ont obtenu cette année avec 10 p. c. ou 11 p.
c. des votes à peu près cette proportion de sièges. Ce
n'est pas une question de mode de scrutin.
Dans le cas du Parti québécois, l'autre tiers parti, le
mode de scrutin a beaucoup plus d'importance. Je ne crois pas que c'est par le
maintien de ce mode de scrutin qu'on réussisse à faire
disparaître le Parti québécois ou à provoquer une
fusion du Parti québécois avec un autre parti bien que j'admette
que le mode de scrutin actuel joue, d'une certaine façon, en ce sens. Je
ne crois pas que ce soit un facteur prépondérant.
Dans cette perspective, je crois qu'il faut penser à un mode de
scrutin qui, de toute façon, va faire que le multipartisme actuel va se
maintenir un certain temps.
Mais il va être un peu plus équitable ou un peu plus
fidèle dans la correspondance qu'il établira entre les
pourcentages de suffrages et les pourcentages de sièges obtenus par les
partis.
M. HARDY: Le sens de ma question n'était pas de faire
disparaître le multipartisme, c'était simplement qu'un mode de
scrutin, sans faire disparaître le multipartisme, peut l'accentuer, comme
on a vu en France. Certains modes de scrutin avaient pour tendance d'aider
où d'autres temporisent sans faire disparaître le
multipartisme.
Je voulais vous poser une autre question, M. Lemieux: Quant à la
perspective de vos 20 à 30 circonscriptions, le mode dont vous vous
faites le père, en vertu duquel il y aurait un certain nombre de
députés à l'intérieur des circonscription, à
première vue, m'apparaît mettre de côté, ou impliquer
la mise au rancart presque totale du style de relations qui existent
présentement entre l'électeur québécois et son
député. Est-ce que, dans votre esprit, c'est bien cela? Cela
impliquerait cela.
M. LEMIEUX: Oui, je l'ai d'ailleurs admis. Je crois avoir dit à
deux reprises que les relations entre les électeurs et leurs
députés seraient fatalement modifiées avec un mode de
scrutin comme celui-là.
M. HARDY: Alors, ne croyez-vous pas et ici, encore une fois, pour
la bonne compréhension, ma question n'implique aucunement une prise de
position, ou une émission d'opinion, c'est simplement dans le but de me
renseigner qu'une coupure aussi radicale entre ce qui existe
présentement comme mode de relations et ce nouveau mode, ou cette
absence de mode de relations, pourrait provoquer certains dangers? Ici je
pense, entre autres, à ce que disait le professeur Meynaud la semaine
dernière, qui laissait sous-entendre que précisément il
peut y avoir danger à effectuer des coupures trop radicales dans la
culture politique ou le comportement politique d'une population. Alors,
d'après vous, est-ce que ce danger n'existerait pas, si, demain matin,
ou dans quatre ans, nous nous retrouvions avec un mode de scrutin ou avec des
institutions politiques qui feraient que l'électeur
québécois n'aurait plus avec son député le mode de
relations qu'il a présentement? Est-ce que cela ne provoquerait pas des
remous ou des difficultés?
M. LEMIEUX: Ecoutez, je crois que le meilleur exemple dont on puisse
s'inspirer, pour tenter de répondre à votre question c'est celui
de la France, qui, dans une période de quelques dizaines
d'années, a connu au moins trois ou quatre modes de scrutin
différents: scrutin uninominal à un tour, scrutin uninominal de
listes, représentation proportionnelle sans apparentement et avec
apparentement, pour revenir finalement à un mode de scrutin qui avait
déjà été suivi d'ailleurs, le scrutin majoritaire
à deux tours, mais uninominal, c'est-à-dire, contrairement
à ce qu'était la situation sous la quatrième
République, c'est le député qui représente ses
électeurs. Ce qui m'étonne, et je l'ai dit tout à l'heure,
c'est qu'il n'y a pas de documentation en France, là-dessus; il semble
que cela n'a pas tellement été un problème parce que
c'est peut-être une interprétation dans la mesure
où les spécialistes de science politique en France il y en
a de bons ne se sont pas attardés à ce problème,
qu'ils n'ont pas fait d'étude de ce problème, à savoir si
cela modifiait la représentation des électeurs par le
député, pour ma part j'en tire la conclusion, faute du moins
d'autres données qui pourraient
me faire croire le contraire, que cela n'a pas fait tellement de
problèmes.
Maintenant, la France, ce n'est pas le Québec, je l'admets. Il se
peut aussi que, dans une société où l'on passe
successivement d'un mode de scrutin à l'autre, il y ait une certaine
habitude du changement qui fait que, finalement, l'on s'adapte plus rapidement.
Je voudrais quand même dire qu'il y aurait sans doute des accommodements
qui se produiraient au Québec. Il est probable, par exemple, que si une
petite circonscription régionale était représentée
par trois ou quatre députés, ces députés se
répartiraient la tâche et même, probablement sur une base
géographique, c'est-à-dire, surtout à l'intérieur
d'un même parti. Ils s'entendraient sans doute entre eux pour que le
député A du parti X représente telle partie de la
circonscription et le député B, telle autre partie. Je ne sais
pas ce qui pourrait se produire, il faudrait faire l'expérience pour le
voir. Mais j'ai l'impression que, si vraiment la pression des électeurs
était forte pour que le mode de représentation actuel se
continue, les électeurs, comme les partis trouveraient des modes
d'accommodement comme ceux que j'ai signalés on pourrait penser
à d'autres qui feraient que la transition ne serait pas trop
brutale.
M. HARDY: M. Lemieux, puisque nous en sommes à une espèce
de droit électoral comparatif actuellement vous avez fait des
comparaisons entre la France et le Québec une autre question que
je me pose est la suivante: Nous avons deux pays qui, au point de vue de
l'évolution culturelle, de l'évolution sociale, sont à peu
près identiques. Evidemment, les mentalités sont
différentes: le tempérament anglo-saxon et le tempérament
français sont bien différents. Mais au point de vue culturel, au
point de vue de l'évolution sociale, ce sont, je pense bien, deux pays
à peu près identiques. Vous avez, d'une part, la France qui a
changé de mode de scrutin à un rythme très grand. Je ne
sais même plus combien de fois ils ont changé de mode de scrutin.
Vous avez d'un autre côté l'Angleterre qui, elle, a gardé
le même mode de scrutin et le conserve: je pense, sauf quelques groupes
isolés il paraît qu'il y a une petite société
qui essaie de faire changer le mode de scrutin que d'une façon
générale la population britanique semble bien se satisfaire de ce
mode de scrutin. Est-ce que ça ne vous pose pas certains points
d'interrogation...
M. LEMIEUX: Oui.
M. HARDY: ...de voir, d'une part, un pays qui se sent obligé de
changer constamment puisqu'il change constamment, c'est parce qu'il
trouve que ça ne va pas très bien et d'autre part, un pays
aussi évolué qui a continuellement gardé le même
mode, même si dans ce pays il y a eu aussi un certain pluralisme qui a
même amené, à un moment donné, un tiers parti
à devenir un parti principal.
M. LEMIEUX: Oui, mais je crois que ce sont deux sociétés
en fait très différentes sur le plan du pluralisme. La plupart
des auteurs disent ou admettent que la société britanique est une
société beaucoup plus homogène que la
société française; d'abord vous n'avez pas des
différences régionales aussi considérables qu'en France
entre certaines régions. Le sud-ouest et l'est, le centre et l'ouest
sont des régions absolument différentes à tous points de
vue; d'autre part, sur le plan de la composition sociale,
socio-économique de la population, les différences sont
également moins grandes en Grande-Bretagne. Les familles
idéologiques sont beaucoup moins enfermées dans leur
idéologie qu'en France où les traditions idéologiques
remontent à un très lointain passé. Je crois que de ce
point de vue on peut expliquer assez facilement que la société
britannnique qui est une société plus homogène ait pu
être représentée d'une façon adéquate par
deux ou trois partis et qu'elle ait maintenu un mode de scrutin qui, encore une
fois, lorsque vous n'avez que deux partis, est un excellent mode de scrutin. En
France, cette plus grande hétérogénéité,
cette plus grande instabilité politique qu'elle produit a fait en sorte
que non seulement on a changé les régimes politiques, les
républiques, mais on a aussi changé les modes de scrutin. Je
pense que, fondamentalement, tout ça s'explique, comme le signalait M.
Meynaud la semaine dernière, par ces phénomènes de culture
ou de civilisation politique ou de jeu des forces sociales, de relation des
forces sociales entre elles.
M. HARDY: Une dernière question, M. Lemieux. Vous reconnaissez
quand même que l'on adopte tel mode de scrutin ou tel autre aurait pour
conséquence de provoquer certains "bouleversements" je mets
"bouleversements" entre guillemets non seulement dans les habitudes
politiques de la population québécoise mais, même au plan
de nos institutions. Cela pourrait également avoir pour
conséquence de nous amener à un gouvernement de coalition ou
à un gouvernement qui aurait plus ou moins de stabilité. Compte
tenu de ces hypothèses qui demeurent des hypothèses, d'une part,
et compte tenu, d'autre part, de l'instabilité économico-sociale
dans laquelle est quand même placé le Québec
présentement, ne croyez-vous pas que ce n'est pas
particulièrement le temps le mieux choisi pour se lancer dans des
aventures ou dans des innovations trop profondes sur le plan des institutions
parlementaires, si déjà nous connaissons une certaine
instabilité économico-sociale ou si plutôt des
modifications et c'est l'autre possibilité profondes sur
le plan des institutions politiques auraient pour conséquence d'amener
ou d'aider une plus grande stabilité sur le plan
économico-social?
M. LEMIEUX: C'est une question très complexe. Je dirais, à
propos de bouleversements si on peut parler de bouleversements, dans ce
cas-là, on commence à y être habitué, je
pense que les électeurs ou les citoyens du Québec
sont condamnés d'ici quelques années à connaître
toutes sortes de changements. Ils sont plus ou moins d'accord sur ça.
Mais nous sommes dans une situation, de toute façon, où il va
falloir, sur plusieurs plans, que ces institutions se transforment.
Ensuite, je vous dirais que, si on croit éviter des
bouleversements en maintenant le mode de scrutin actuel, on se prépare
peut-être de mauvaises surprises, parce qu'il y a quand même
certains partis ou du moins une certaine partie de la population qui commence
à dire: Avec un système électoral comme celui-là,
cela devient de plus en plus difficile de croire à la démocratie.
Quelle est la proportion de la population qui a ces idées? Je ne
pourrais pas vous le dire. Mais il y a quand même vous le savez
aussi bien que moi des tendances assez importantes, ici au Parlement et
dans la population, à croire qu'il faut non pas opérer des
bouleversements, mais au moins des modifications.
Je crois que le mode de scrutin proposé par M. Bonenfant ou
encore celui que j'ai proposé ne bouleversent finalement peut-être
pas autant de choses qu'on le croit. Celui que j'ai proposé continue
d'accorder une prime moins forte mais c'est quand même une prime
à la majorité. Pour ce qui est de la relation entre
député et électeurs, on en a parlé, il y aurait des
modifications. Je ne crois pas qu'il y ait de bouleversement, parce qu'il y
aurait quand même des adaptations qu'on trouverait.
Pour résumer, en quelques mots, je dirais d'une part que je ne
crois pas qu'il faille parler de bouleversement avec les modes de scrutin qui
ont été proposés jusqu'à maintenant. On pourrait en
proposer d'autres par contre qui, eux, bouleverseraient beaucoup plus les
choses.
Deuxièmement, non seulement nous sommes habitués aux
bouleversements du moins aux modifications mais on s'attend qu'il
y en ait quelques-unes dans le domaine des institutions électorales.
Troisièmement, si on ne fait pas ces modifications, on
prépare peut-être des bouleversements plus grands. Si bien que
moi, je crois qu'il faut changer les choses, tout en étant conscient de
la nécessité de ménager le plus possible certaines
transitions, bien sûr.
M. LE PRESIDENT (Picard): Le député de Chicoutimi.
M. TREMBLAY: (Chicoutimi): M. Lemieux, revenons sur le premier point que
vous avez évoqué, à savoir qu'un des critères qu'il
nous faudrait examiner ou retenir est qu'il faudrait que le nouveau mode de
scrutin donne à un parti politique un pourcentage de sièges
correspondant au pourcentage de votes reçus.
Vous avez dit cela. Vous avez d'autre part essayé d'étayer
votre hypothèse en nous proposant des calculs dont la base est un
postulat pur et simple, chiffres que, par conséquent, nous ne pouvons
pas retenir.
Mon collègue, M. Hardy, parlait tout à l'heure des
bouleversements que cela pourrait provoquer. Nous sommes d'avis qu'il est
important d'essayer d'établir une relation pratique entre le poucentage
des votes et le nombre de sièges que peut détenir un parti
à la Chambre.
D'autre part, il y aurait peut-être une considération qui,
celle-là, est d'ordre pratique et qu'on peut illustrer en ayant recours
à l'histoire, c'est que ces bouleversements électoraux sont
souvent des bouleversements transitoires, passagers. Ce n'est pas un fait
nouveau dans le Québec qu'un nouveau parti politique ait tout à
coup reçu un pourcentage important de votes. Pour ne rappeler qu'une
expérience quand même pas tellement vieille, rappelez-vous
l'aventure du Bloc populaire. Cela n'infirme pas pour autant votre
thèse, à savoir celle qui voudrait que l'on donne à un
parti politique un nombre de sièges correspondant au pourcentage de
votes reçus.
Il me paraît qu'une réforme du mode de scrutin, un
changement du mode de scrutin en profondeur qui serait assez radical au
départ pourrait être prématuré et qu'il faudrait
procéder dans ce domaine-là avec beaucoup de prudence et voir un
peu quel pourrait être dans l'avenir le comportement des
électeurs. Il en est de certains partis politiques comme de certaines
modes. A l'heure actuelle, on est pour la mini, il y a des tenants de la maxi,
mais il y a des changements qui font à un moment donné qu'on
revient à un certain équilibre: on ne va pas plus loin que les
genoux en descendant ou en montant.
M. le Président, ce n'est pas le problème qui me
préoccupe pour l'instant, puisque nous sommes d'accord pour retenir le
critère que vous nous proposez. Le mode de scrutin que vous nous
suggérez me paraît assez difficile d'application. Je m'attacherai
surtout au troisième critère que vous avez évoqué,
à savoir l'effet du mode de scrutin sur la représentation des
électeurs par le député. Vous avez parlé à
ce propos de certains royaumes dont les députés seraient les
souverains absolus.
Je me demande exactement, M. Lemieux, et je vous pose la question
en praticien de la politique, puisque j'en fais depuis l'âge de 18 ans
si vous savez très bien ce qu'est un député et si
vous êtes bien sûr de ce que vous dites lorsque vous parlez des
royaumes, de royauté absolue de certains députés.
Peut-être faites-vous allusion à certaines époques qui sont
révolues maintenant, d'avant 1960, et du temps de Taschereau, etc. Ne
parlons pas des individus, M. le député des Iles-de-la-Madeleine,
parce que chacun a ses péchés. En disant que les
députés sont des rois, vous pensez sans doute à ce mythe
et à cette réalité, en partie, du patronage.
Est-ce que vous ne pensez pas qu'à l'heure actuelle enfin
je ne vous demande pas de répondre à ma question, j'ai envie de
dire ceci et je le dis bien carrément le patronage est
déplacé, ce sont les fonctionnaires qui le font,
ce ne sont plus les députés? Le problème du
député, il faut avoir vu un député à
l'oeuvre dans une circonscription pour savoir exactement ce qu'est un
député. Le mode de scrutin que vous proposez et que M. Bonenfant
a proposé ne changerait pas, à mon sens, le rôle du
député, du moins pour un nombre d'années encore important
dans l'avenir.
J'aimerais savoir de vous, de façon très concrète
et très pratique, quelle est exactement votre conception de cette
répartition des sièges qu'il faudrait établir en vue
d'atteindre l'objectif qui correspond au premier critère,
représentation qui soit équivalente pour un parti au pourcentage
du vote qu'il a obtenu.
M. LEMIEUX: J'ai bien dit que j'étais d'accord ce ne sont
pas tous les experts qui osent l'affirmer aussi ouvertement avec une
certaine prime donnée au parti majoritaire. Ce qui veut dire que je ne
suis pas d'accord pour une équivalence stricte. Je ne crois pas que ce
soit désirable que les partis obtiennent exactement le pourcentage de
sièges correspondant au pourcentage du vote qu'ils ont obtenu. Je crois
que ça se défend par la nécessité d'assurer une
certaine stabilité gouvernementale. Cela se défend aussi par ce
phénomène que j'ai évoqué, des électeurs qui
sont plus ou moins d'accord au sujet de cette prime.
Donc, ma position est une position de Normand mes ancêtres
l'étaient d'ailleurs mais elle est un peu mitoyenne entre la
proportionnelle pure et les scrutins majoritaires à un tour.
C'est-à-dire un mode de scrutin qui donne cette prime au parti
majoritaire, prime d'autant plus forte que la marge relative qui le
sépare du deuxième est grande. Il y a quand même un
phénomène qu'il faut signaler ici très honnêtement.
On dit souvent qu'en 1970 le Parti libéral a obtenu 45 p. c. des votes
et que c'est scandaleux qu'il ait une majorité de sièges. Moi je
dirais, oui, que c'est scandaleux qu'il ait 72 sièges, mais qu'il ait
une majorité absolue de sièges, je ne crois pas que ce soit
scandaleux, parce que c'est d'une part à cause de cette
nécessité du moins selon moi d'accorder la prime et
aussi à cause du fait que la marge relative qui le sépare quand
même du deuxième parti est relativement grande.
C'est même la plus grande depuis pas mal d'années au
Québec. C'est-à-dire qu'entre 45 p. c. et 24 p. c, vous avez
quand même une marge de 21 p. c. du vote. Même Duplessis n'arrivait
pas à cette marge. Evidemment, si vous mettez les trois partis de
l'Opposition ensemble, cette marge disparaît complètement.
Il y a quand même ce phénomène dont il faut tenir
compte. Je dirais donc, pour répondre le plus précisément
possible à votre question, que le meilleur système est
d'après moi celui qui, tout en donnant cette prime, donc en
n'étant pas tout à fait équitable pour le parti
majoritaire, répartit les sièges qui restent entre les autres de
façon équitable. Je ne crois pas qu'il soit bon, par exemple,
qu'on ait un système qui donne des résultats comme ceux qu'on a
connus en 1970, c'est-à-dire où le deuxième parti en
nombre de sièges est quatrième en nombre de voix, et ainsi de
suite.
L'avantage des modes de scrutin qui vous ont été
proposés avant celui dont je viens de parler, l'avantage de celui que je
vous ai proposé ou du moins l'un de leurs avantages c'est
au moins de faire en sorte qu'entre les partis d'opposition, la
répartition soit plus équitable et plus conforme au pourcentage
de votes qu'ils ont reçus. Ma position serait donc: prime à la
majorité, et répartition équitable des sièges entre
les partis d'opposition. Ceci, encore une fois, ne veut pas dire une
équivalence stricte entre les pourcentages de voix et les pourcentages
de sièges.
UNE VOIX: Cela s'en vient.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux, ce système que vous
proposez ne vous parait-il pas mettre en danger ce qu'on appelle la
stabilité gouvernementale? Vous parliez tout à l'heure de
gouvernements de coalition qui peuvent avoir à certains moments des
effets heureux, mais est-ce que, de façon générale, un
gouvernement stable, bien assis sur une majorité, n'est pas
préférable à ces gouvernements qui sont toujours
transitoires, gouvernements de coalition, gouvernements minoritaires, comme on
en a connus à Ottawa en ces dernières années.
M. LEMIEUX: Evidemment, c'est une question à laquelle il est
très difficile de répondre, parce que vous avez des situations
tout à fait différentes. Je croirais que, dans une
société qui n'est pas habituée à ces gouvernements
de coalition, la société canadienne par exemple les
gouvernements de coalition, d'ailleurs, vous en avez été
témoin, M. Tremblay n'ont généralement pas de
très bons effets. Par contre, le professeur Meynaud le signale dans son
article de la revue "Forces" dans les sociétés comme la Suisse,
la Suède ou la Norvège, où, depuis très longtemps,
il y a des coalitions relativement stables entre les partis, vous pouvez avoir
de très bons gouvernements.
Je crois que le gouvernement suédois est un bon gouvernement, et
c'est pourtant depuis très longtemps un gouvernement de coalition. C'est
donc très difficile de répondre à cette question, sauf
que, encore une fois, je crois que, dans un premier temps, c'est tout ce
qu'on peut dire un gouvernement de coalition n'a
généralement pas de très bons effets. Ceci ne veut pas
dire qu'à la longue, on ne peut pas arriver à des situations
comme celles qu'on connaît dans plusieurs pays d'Europe, où les
gouvernements de coalition sont en fait aussi bons sinon meilleurs que les
gouvernements majoritaires.
M. TREMBLAY: Un gouvernement de coalition, M. Lemieux, à
supposer qu'on ait des gouvernements de coalition à ce
moment-là, est-ce que ça ne suppose pas, pour qu'il y ait une
certaine stabilité, une certaine continuité, qu'il y ait
élection à date fixe, et pendant une période de X
années?
M. LEMIEUX: Oui, c'est un aspect de la réforme auquel on pourrait
penser, bien que, même si on avait des élections à date
fixe, il faudrait sans doute c'est un aspect où je ne suis pas
expert prévoir que, sur des questions importantes, où la
coalition serait mise en minorité ou se briserait, il puisse y avoir
recours à l'électorat.
M.TREMBLAY (Chicoutimi): C'est ce qu'on a fait en Italie, au cours des
dernières années.
M. LIMIEUX: Oui, et en France aussi c'est prévu. Mais là
c'est un autre aspect. Personnellement, je dirais que même si on
prévoyait des élections à date fixe, il faudrait sans
doute prévoir que, dans les cas de crise où la seule
façon, en fait, de résoudre le problème posé au
Gouvernement, c'est de décréter de nouvelles élections, il
puisse y avoir des élections et qu'on ne soit pas obligé
d'attendre deux ou trois ans.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux, une dernière question pour
le moment.
Le système que nous proposait enfin, il le proposait comme
une hypothèse de travail M. Bonenfant et je ne veux pas
tirer argument de vous contre M. Bonenfant un système 90/30,
selon un mode compensatoire. Quelle est exactement votre opinion
là-dessus?
M. LEMIEUX: Excusez-moi, je n'ai pas compris votre question.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quelle est exactement votre opinion sur le
système que nous proposait M. Bonenfant?
M. LEMIEUX: J'ai écrit un article sur le mode de scrutin de la
République fédérale d'Allemagne qui, lui, est assez
strictement compensatoire. J'ai signalé certains avantages de ce mode de
scrutin mais j'ai apporté aussi certaines réserves.
Personnellement, je ne suis pas très favorable à un tel mode de
scrutin, qu'il soit compensatoire ou non, pour plusieurs raisons. D'abord, s'il
est compensatoire, je crois qu'il nous menace de gouvernement de coalition qui,
encore une fois, à court terme pourrait avoir de mauvais effets. Si on
veut réduire ce caractère compensatoire, c'est-à-dire
faire en sorte que la proportion de sièges nationaux par rapport aux
autres soit petite, il y a ce désavantage je crois assez important que
le signalais, c'est-à-dire que le parti majoritaire, à ce
moment-là, ne pourrait pas tenir de siège national parce qu'au
point de départ il aurait fait le plein des sièges qu'il pourrait
recevoir. Cela me semble un aspect assez faux d'un tel mode de scrutin. Je ne
vois pas pourquoi, encore une fois, un parti, même s'il est majoritaire,
n'aurait pas droit à ses députés nationaux on peut
en penser ce qu'on voudra mais ce seraient évidemment les
députés qui auraient un style de vie parlementaire, de vie
politique différent des autres, qui seraient libérés
davantage. C'est peut-être le parti gouvernemental, justement, qui aurait
besoin plus que les autres de tel type de députés qui feraient
peut-être de bons ministres.
Plusieurs parlementaires, en fait je ne sais pas s'il y en a ici
proposent un régime présidentiel, par exemple, où
les ministres ne seraient pas des élus afin qu'ils puissent être
libérés des charges des élus locaux. Je croirais que,
justement, il faudrait peut-être que le parti gouvernemental et lui,
autant sinon plus que les autres, ait de tels députés nationaux
alors que, du moins avec la proportion proposée par M. Bonenfant, 90/30,
ceci est à peu près impossible.
Si ce n'est pas compensatoire comme j'ai tenté de le
montrer avec des exemples évidemment abstraits mais je suis sûr
que la réalité montrerait qu'ils ne sont peut-être pas
aussi abstraits qu'on le pense je crois que cela corrigerait finalement
peu de chose. D'ailleurs il y a vous l'avez peut-être vu dans
"Relations" un autre mode de scrutin de proposé. Ce sont deux
auteurs qui proposent, eux, une formule qui a l'avantage d'être
peut-être plus simple que les autres. C'est celle où les 74
circonscriptions fédérales du Québec seraient les
mêmes sur le plan provincial. On élirait des députés
locaux et, ensuite, les partis auraient autant de députés
nationaux qu'ils auraient recueilli de fois 100,000 voix. En cabinet, ces
auteurs aussi font un calcul de ce qu'aurait donné le résultat de
1970 avec un tel système. Le Parti libéral aurait eu 13
députés généraux parce qu'il a eu, je suppose,
treize fois 100,000 votes; l'Union nationale, 6; le Parti
québécois, 7 et les Créditistes, 3. Pour un total de 66
députés sur 103 qui seraient libéraux et ainsi de
suite.
Mais encore-là, 66 sur 103 au lieu de 72 sur 108, finalement cela
corrige assez peu la marge excessive entre le parti gouvernemental et les
autres. Qu'ils soient compensatoires ou non, ces modes de scrutin en plus
d'être relativement compliqués, de créer deux
catégories de députés, me semblent avoir des
désavantages sur le strict plan de l'adéquation entre les
sièges et les votes ou encore de la vie parlementaire en relation entre
le gouvernement et l'Opposition.
M. LE PRESIDENT (M. Picard): Le député de
Mégantic.
M. DUMONT: Merci, M. le Président. Vous avez parlé, M.
Lemieux, de l'expérience, vécue par le gouvernement canadien, en
1962, expé-
rience qui n'avait pas tellement été heureuse et je pense
et vous la faites certainement dans votre pensée à
la nuance qu'il faut ajouter à l'effet qu'il n'y aurait pas eu
coalition, mais, qu'au contraire les quatre partis étaient restés
sur leurs positions. Nous avons appris récemment qu'il y avait un pays
où l'on étudiait en regard d'un gouvernement de coalition, soit
la Hollande, et que là il n'y avait pas seulement quatre partis mais
beaucoup plus que cela. Les Hollandais ont l'habitude de cette coalition et,
après chaque élection, la reine nomme un "formateur" pour
désigner et même inclure qui remplacerait tel fonctionnaire et
cela a des répercussions même dans le fonctionnarisme. Pour le
pluralisme que vous réclamez à chacun des experts qui viennent
ici, des idées exprimées, est-ce que, justement, en 1971, on ne
devrait pas, au lieu de prendre le système qui bouleverserait que
vous avez recommandé commencer à envisager pour le Canada
et surtout pour le Québec en ce qui nous concerne, un gouvernement de
coalition qui renfermerait justement toutes ces idées politiques?
M. HARDY: Avec une reine.
M. DUMONT: Peut-être pas une reine, mais un "formateur", je donne
l'exemple de la Hollande, mais un "formateur" surtout.
M. LEMIEUX: Encore une fois, je ne suis pas absolument opposé
à une gouvernement de coalition. Vous avez raison de dire, d'ailleurs,
que sur le plan fédéral il n'y avait pas eu une véritable
coalition; il y avait plutôt des coalitions parlementaires changeantes
d'un parti à l'autre...
M. DUMONT: Qui n'ont duré que onze mois.
M. LEMIEUX: Oui. Tout ce que j'ai dit, en fait, c'est que dans une
courte période il y aurait sans doute certaines difficultés
d'adaptation. Pensez à n'importe quelle combinaison entre les quatre
partis existants ou à une combinaison du Parti libéral avec un ou
l'autre des trois autres; je pense que vous êtes assez conscients qu'il y
aurait un certain nombre de difficultés peut-être plus ou moins
grandes selon les combinaisons, surtout qu'on n'a pas l'habitude, ici, de ces
accommodements, de tous ces aspects qui sont rattachés à la vie
commune au gouvernement, que comporte le gouvernement de coalition. Il y a
aussi dans ces gouvernements de coalition, encore une fois, dans un premier
temps, certains aspects de chantage de la part du parti minoritaire qui assure,
grâce à sa présence, l'existence du gouvernement. Il y a
donc possibilité que les coalitions se défassent assez
rapidement, que le parti minoritaire tire avantage de sa position pour faire
chanter l'autre, ou les autres. Je ne dis pas que c'est insurmontable. Je
dirais même qu'il est peut-être désirable, à long
terme si nos sociétés continuent d'être pluralistes, comme
on dit, qu'on songe très sérieusement à un style de
gouvernement qui soit un gouvernement de coalition.
Tout ce que je vous dis c'est qu'à court terme et à une
époque, un moment peut-être où les problèmes que
confrontent le gouvernement du Québec, sont peut-être plus
sérieux et plus graves qu'autrefois, cela pourrait entraîner
certaines difficultés; si bien que ce n'est peut-être pas le
meilleur moment actuellement de faire cette expérience. Bien que cela
pourrait être, encore une fois, à long terme, une
expérience très féconde et qui nous conduirait à
des gouvernements tout aussi efficaces que ceux de ces pays qui donnaissent des
gouvernements de coalition et qui fonctionnent bien.
M. DUMONT: Croyez-vous que notre caractère latin nous
empêcherait d'avoir de bons résultats?
M. LEMIEUX: Oui. Si on parle de caractère latin et qu'on pense
à l'Italie et à la France, en particulier, qui sont
peut-être les deux pays les plus latins de l'Europe, je ne crois pas
qu'on puisse dire que, dans ces deux cas, les gouvernements de coalition aient
donné de bons résultats. Dans d'autres sociétés
moins latines ou du moins qui ont une civilisation et une culture politique
différentes, les Scandinaves, les Allemands, cela fonctionne
peut-être mieux.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que le député de Mégantic a
terminé?
M. DUMONT: Une dernière question. On entend parler très
souvent de cette réforme électorale qui a existé en
Allemagne.
Nous avons appris récemment que les Allemands songent d'ici une
ou deux Législatures à revenir à un système de type
britannique uninominal à un tour. Est-ce que vous avez
étudié le pourquoi de ce retour?
M. LEMIEUX: Oui, j'ai étudié ce problème de
façon assez précise. Il se présente comme ceci. Le parti
qui voudrait que l'on revienne à un mode de scrutin majoritaire à
un tour, c'est surtout le parti chrétien-démocrate, ou
démocrate-chrétien, qui lui, selon toute apparence, serait
favorisé par ce mode de scrutin. Ce qui l'a empêché,
semble-t-il, de faire accepter un projet de loi en ce sens, lorsqu'il
était au gouvernement, c'est-à-dire, jusqu'à tout
récemment, est justement le chantage des libéraux,
c'est-à-dire que le parti démocrate-chrétien gouvernait,
comme vous le savez, avec l'appui des libéraux. Pour les
libéraux, par contre, le scrutin majoritaire à un tour serait
très mauvais parce que c'est un petit parti qui serait probablement
éliminé à toutes fins pratiques par ce mode de scrutin, si
bien que ce sont les libéraux, grâce auxquels les
chrétiens-démocrates sont mainte-
nant au gouvernement, qui ont empêché le gouvernement
chrétien-démocrate de modifier le mode de scrutin. Quant au Parti
social démocrate qui gouverne actuellement l'Allemagne, avec l'appui des
libéraux,encore là, il n'est pas très favorable, lui,
semble-t-il, à un changement du mode de scrutin, parce que c'est un mode
de scrutin qui le favorise. Du moins, deux équipes d'experts ont
travaillé là-dessus, à sa demande et sont arrivées
à des conclusions un peu différentes. Mais de leurs conclusions
se dégageait qu'il est probable parce qu'encore une fois ce n'est
jamais sûr dans ce domaine que le mode de scrutin actuel favorise
davantage le parti social démocrate qu'un mode de scrutin majoritaire
à un tour; si bien que nous pouvons penser que ce parti, étant
maintenant au gouvernement, il n'y aura pas de modification. Encore une fois,
vous avez raison de le signaler, dans la population et aussi dans au moins un
des grands partis, il y a d'assez fortes pressions pour que l'on revienne, ou
plutôt, que l'on adopte le mode de scrutin majoritaire à un
tour.
M. DUMONT: Merci, M. le Président.
M. LE PRESIDENT (Picard): Le député de Gouin.
M. JORON: M. le Président, j'aimerais poser une question à
M. Lemieux sur le sujet évoqué ici, à maintes reprises,
des relations entre le député et la population, le lien entre les
députés et la population. C'est avec raison, je pense, que
plusieurs députés ici s'interrogent là-dessus et emploient
toujours cet argument quant aux répercussions qu'un changement de notre
mode de scrutin pourrait avoir dans ce lien. Deux propositions sont devant
nous, ou bien le système actuel, qui est la représentation par un
seul député, ou bien, par plusieurs députés tel que
vous le proposez. Vous avez évoqué un certain nombre d'avantages
d'un système de représentation par plusieurs
députés, ne serait-ce qu'une certaine émulation entre les
députés, moins de patronage peut-être; une meilleure
surveillance de l'administration serait peut-être un moyen aussi de
dégager le député de l'administration et de valoriser la
fonction publique etc. Enfin, au total, qu'un tel système de
représentation par plusieurs députés rend peut-être
les députés plus près de l'électorat en
correspondant mieux à l'électorat.
Je voudrais vous demander si, quand on emploie l'argument que la
population craindrait de voir ses relations avec son député
modifiées, on présume que la population, en faisant cela, est
satisfaite du mode de relations actuelles; d'après vous, est-ce qu'il y
a des signes de pression pour que ce type de lien soit modifié? Est-ce
que la population voudrait le changer? D'après vous, connaît-on
des signes qui nous permettraient de croire que la population voudrait changer
les types de relations qu'elle entretient avec ses députés? En
d'autres mots, est-ce que l'on ne commettrait pas l'erreur d'être,
nous-mêmes, parfois trop conservateurs, en présumant des
intentions de la population? Est-ce finalement le système qui
empêche peut-être la population d'établir avec le
député le type de relations qu'elle souhaiterait?
M. LEMIEUX: Oui, évidemment, comme on n'a pas manqué de me
le rappeler, avec raison, je connais sans doute moins ce qu'est un
député que la plupart d'entre vous.
D'ailleurs, si je n'ai pas voulu m'avancer tellement là-dessus,
c'est que je voulais vous laisser la parole. Je voulais savoir ce que vous en
pensiez. On fait beaucoup de sondages actuellement. Il serait peut-être
intéressant d'en avoir un justement où on poserait
carrément la question aux gens, entre autres, ou des questions en ce
sens: Est-ce que ça vous semblerait préférable que vous
soyez dans des circonscriptions plus grandes, avec plus de
députés de partis différents pour vous représenter?
Je ne sais pas. La question n'a pas été posée. Je n'ai pas
fait d'enquêtes qui ont porté spécialement
là-dessus. Par contre, vous avez sans doute raison de noter et je
pense que tous les députés ici l'ont noté également
une certaine insatisfaction des électeurs peut-être pas
envers le mode de représentation actuelle, mais envers ses
insuffisances. Je crois que, de plus en plus, on se rend compte qu'on doit
emprunter d'autres canaux, d'autres voies. Il y a des députés qui
jouent le jeu. Il y en a d'autres qui le jouent moins. Bon! Mais de toute
façon, ces mouvements de contestation qui sont apparus, ces pressions
qui sont faites sur le gouvernement et les administrations par d'autres voies
que les députés n'indiquent peut-être pas
précisément qu'on est insatisfait du fait que ce soit un
député seulement qui nous représente, mais probablement du
fait que ce mode de représentation est peut-être bien insuffisant.
Est-ce que le fait d'être représenté par trois, quatre ou
cinq députés dans des circonscriptions plus grandes
améliorerait les choses? Vraiment, je ne peux pas me prononcer
là-dessus. Je me demande, par contre, s'il ne faut pas bien voir que
ça se présenterait de façon assez différente selon
les régions. Je me demande si dans Montréal, par exemple,
ça changerait beaucoup de choses. Vous avez vu les régions
où j'ai proposé de mettre ensemble Sainte-Marie, Saint-Jacques,
Maisonneuve et...
UNE VOIX: Mercier.
M. LEMIEUX: ...Mercier et faire représenter ce secteur de
Montréal par quatre députés au lieu d'avoir les modes de
représentation actuels. Est-ce que ça changerait beaucoup de
choses? Peut-être pas tellement. Evidemment, en Gaspésie,
ça modifierait peut-être considérablement la
représentation. Je ne sais pas. Donc, pour répondre à
votre question, bien sûr, il y a des
signes, peut-être pas d'insatisfaction, mais des signes de plus en
plus évidents que la représentation par les députés
n'est qu'un élément dans un ensemble de voies ou de canaux que
les électeurs peuvent emprunter. Est-ce que le fait d'avoir des
circonscriptions plus grandes et plusieurs députés de
différents partis améliorerait les choses? Je ne sais pas. Il
faudrait en faire l'expérience.
M. JORON: Pensez-vous que ça aurait pour effet de valoriser le
rôle de l'administration publique, d'une part, dans la mesure où
ça aurait tendance à dégager, puisque qu'on ne pourrait
pas remettre à un seul député le blâme ou le
fardeau?
M. LEMIEUX: Je me demande si ça dégagerait. Encore
là, on peut se le demander. Il pourrait peut-être se produire
ceci: Jos Untel va voir le premier des députés. Si ça ne
marche pas avec lui, il va voir le deuxième. Il va voir le
troisième et finalement le quatrième. C'est-à-dire qu'il
pourrait faire le tour au lieu de s'en tenir à un, comme maintenant.
Vraiment, je ne sais pas.
M. JORON: Dans ce sens-là, est-ce que ça ne produirait pas
l'effet qu'il aurait l'impression que le système le favorise
davantage...
M. LEMIEUX: Oui.
M. JORON: ...lui permet plus d'options?
M. LEMIEUX: Je pense, du moins de façon purement abstraite, qu'il
y aurait au moins cet avantage. C'est que non seulement il y aurait une option
entre différents individus, mais il y aurait aussi une option entre
différents partis. Encore une fois, dans la plupart des régions,
il y aurait des députés de deux, trois, dans certains cas, on
arriverait même à quatre partis; par exemple, dans la
région de Québec, où on mettait ensemble Jean-Talon,
Louis-Hébert, Limoilou et Saint-Sauveur, on arrivait à un
résultat qui était deux libéraux, un du PQ, un du
Ralliement et un de l'Union Nationale. Alors là, les électeurs de
la ville de Québec et de certaines villes avoisinantes auraient vraiment
le choix. Qu'est-ce que ça donnerait? Je me refuse à faire de la
théorie là-dessus. Je ne sais pas. Evidemment, il y a ce que vous
signalez, qui pourrait jouer, il y a peut-être autre chose
également. Au moins, pour les électeurs et je serais bien
intéressé à savoir ce qu'ils en pensent, quel est leur
avis là-dessus il y aurait cette possibilité de varier un
peu les canaux d'intervention.
M. JORON: Iriez-vous jusqu'à dire qu'un sondage sur cette
question précise nous serait d'un énorme avantage en poursuivant
notre démarche de la réforme électorale?
M. LEMIEUX: Je pense que, si on pouvait vendre l'idée à un
journal, la Presse, le Soleil, le Star ou un autre et qu'il fasse un sondage
là-dessus ça pourrait sans doute vous aider, vous éclairer
sur ce que pense la population.
C'est quand même un problème... De façon
générale on a assez peu traité dans les sondages de ce que
les électeurs pensent vraiment de leur député, et puis de
la meilleure façon d'être représenté par leur
député. Est-ce que c'est un ou plusieurs?
M. LACROIX: Dans vos sondages, qui informerait la population des
avantages et des inconvénients de ce système? S'il y a un
lessivage de cerveaux d'un côté, quelle valeur scientifique aura
votre sondage?
M. LEMIEUX: II faudrait que le sondage soit bien fait.
M. LE PRESIDENT: A l'ordre!
M. LEMIEUX: Objectivement on donne le choix aux gens.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce que les sondages sont ordinairement
bien faits?
M. LEMIEUX: II y en a qui sont bien faits, d'autres qui le sont
moins.
M.TREMBLAY (Chicoutimi): Cela dépend de celui en faveur duquel il
penche.
M. LEMIEUX: II y a quand même des sondages qui sont
commandités par des organismes plus ou moins indépendants de la
politique, qui lorsqu'ils sont faits avec l'aide de certains experts, de
soi-disant experts ont peut-être plus de valeur que d'autres.
Je ne voudrais pas aborder cette question. D'ailleurs, je pense que vous
devez la débattre un peu plus tard.
M. LE PRESIDENT (Picard): Le député de Gouin a-t-il
terminé?
M. JORON: Oui, merci.
M. LE PRESIDENT (Picard): Le député de
Jacques-Cartier.
M. SAINT-GERMAIN: Je voulais simplement mentionner, M. le
Président, qu'au début de l'exposé de M. Lemieux, j'ai
été un peu surpris qu'en nous faisant part de ses façons
de voir sur le mode de scrutin il n'ait jamais analysé, du moins qu'il
ne nous ait jamais fait part de certaines analyses qu'il aurait faites de
l'électeur moyen de la province de Québec. Personnellement, je
crois que les traditions marquent toujours les hommes profondément,
ça peut les marquer de différentes façons, soit
qu'un citoyen veuille, envers et contre tous, conserver ses traditions,
ça peut le marquer de façon tout à fait opposée,
ça peut amener une personne à vouloir modifier
profondément ses traditions et vouloir les faire disparaître d'une
façon absolue.
Mais de toute façon, cela marque toujours les gens. Nous avons
dans la province de Québec un processus de vote qui est le même
depuis déjà quelques générations, et je ne doute
pas que ça ait marqué profondément le citoyen moyen de la
province de Québec. Je voulais savoir, puisque M. Lemieux est un
universitaire et que la recherche est son champ d'activité, si, pour
arriver aux conclusions qu'il nous a données ce matin, il est
entré en contact avec le citoyen moyen de la province de Québec,
afin de connaître sa réaction vis-à-vis de tel ou tel mode
de scrutin, telle modification à apporter dans la représentation
électorale.
Vous avez mentionné qu'il serait difficile dans la province de
Québec d'avoir un gouvernement minoritaire efficace, à cause des
difficultés qu'il y aurait entre les partis politiques d'en venir
à une entente et à une coordination des politiques. Est-ce que
ces difficultés ne viendraient pas simplement du fait que les
électeurs ou les militants de chaque parti admettraient difficilement
puisque ce n'est pas dans nos moeurs et dans nos traditions que
le parti ou les hommes en qui ils ont fait confiance y fassent des compromis
avec un soi-disant adversaire politique?
Est-ce que ce n'est pas là simplement le reflet de la
mentalité de la population?
M. LEMIEUX: Sur ce dernier point, vous avez sans doute raison. Il y a
certainement dans notre culture politique beaucoup de réticences envers
le compromis, alors que dans d'autres sociétés on y arrive plus
facilement. Sur ce point-là évidemment je n'ai pas fait
d'enquête personnellement, je ne suis pas entré en contact avec
l'électeur moyen. C'est pour ça d'ailleurs que j'ai
suggéré l'idée que des organismes, autant que possible
indépendants, fassent des enquêtes là-dessus.
Donc, je ne suis pas entré en contact avec l'électeur
moyen. Cela fait pas mal de monde, l'électeur moyen! Mais vous avez
raison, je crois qu'il faudrait savoir ce que les gens pensent de cela. Vous
autres ici, vous savez sans doute ce que vos militants les gens qui sont
un peu plus politisés pensent de la question. Comme vous le
savez, l'électeur moyen, très souvent, n'est pas très
politisé.
Alors, qu'est-ce qu'ils pensent de cette question-là? Je crois
que ce serait très intéressant de le savoir. Personnellement, je
crois que toutes ces réformes, on doit les faire en tenant compte,
autant que possible, des idées, des réticences ou de la faveur
que les gens peuvent avoir envers ces réformes.
Il ne faut peut-être pas s'arrêter trop strictement à
cela, parce que ce peut être uniquement par conservatisme, comme vous le
signaliez, qu'on puisse résister un temps à un changement alors
que, une fois que le changement s'est produit, on s'aperçoit finalement
que ce n'était pas si terrible et que ça donne de bons
résultats. Il y aurait sans doute moyen, par des enquêtes que je
n'ai pas faites, je l'avoue, du moins sur cette question-là, de savoir
ce que les gens en pensent. Je crois que ça pourrait être
si le sondage est bien fait assez éclairant pour cette commission
de le savoir.
M. LE PRESIDENT (Picard): Le député des
Des-de-laMadeleine.
M. LACROIX: M. Lemieux, dans votre approche concernant la nouvelle
méthode que vous suggérez, à savoir qu'une région
pourrait élire trois ou quatre députés de
différentes formations politiques si on compare le rôle
actuel du député qui, dans un secteur donné, dans un
comté donné, joue le rôle d'animateur et travaille en
étroite collaboration avec les corps publics, les corps
intermédiaires, afin de trouver des solutions au problème
ne trouvez-vous pas que ce serait un peu compliqué de voir trois ou
quatre députés de formations politiques différentes, qui
ne partagent pas la même idéologie, travailler en aussi
étroite collaboration avec les divers éléments de la
population?
M. LEMIEUX: C'est un élément dont il faut tenir compte.
Dans le cas de députés d'un même parti, ce serait
peut-être moins grave. Comme je le disais tout à l'heure, ils
pourraient se diviser la région. S'ils sont deux d'un parti à
représenter ensemble la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent, ils
peuvent très bien se diviser la région en deux. Dans le cas de
députés de partis différents, il y aurait certainement des
problèmes. On a parlé d'émulation tout à l'heure,
mais l'émulation pourrait virer parfois à la
compétition.
Je rencontrais dernièrement un professeur de science politique de
l'Université de Moncton au Nouveau-Brunswick où on a, comme vous
le savez, un système peut-être un peu différent de
celui-là, mais où l'électeur vote pour deux, trois ou
quatre députés à la fois.
Vous avez des circonscriptions qui sont représentées par
plusieurs députés, les sièges étant accordés
non pas à la proportionnelle, mais au scrutin majoritaire dans chaque
cas, c'est-à-dire qu'on vote pour le siège 1, le siège 2,
le siège 3 et le siège 4. Je discutais justement avec lui de la
représentation qui se produisait dans de telles circonscriptions. Il me
disait qu'un des inconvénients est-ce que ça tient au fait
que c'est au Nouveau-Brunswick? Je ne sais pas c'était qu'il
pouvait y avoir, entre les partis et même entre les députés
d'un parti, des jalousies, des chicanes, des compétitions. C'est
peut-être un aspect, oui. Surtout dans ce rôle d'animateur que vous
signalez, il y aurait
peut-être des difficultés avant qu'on trouve deux
députés de partis différents qui jouent tour à tour
ou simultanément ce rôle d'animateur. Comment cela pourrait-il se
tasser, comment cela pourrait-il se régler? Je ne sais pas. C'est
certainement un aspect dont il faut tenir compte.
M. LACROIX: Dans le cas où il y aurait quatre
députés, au lieu d'avoir une lettre qui serait adressée
à un ministère ou à un fonctionnaire, cela en ferait
quatre.
M. LEMIEUX: C'est ce que je disais tout à l'heure. Les
électeurs pourraient s'adresser aux quatres députés au
lieu de s'adresser à un, ce qui augmenterait le travail des
députés et des fonctionnaires tout à la fois.
M. LE PRESIDENT (Picard): Merci, M. Lemieux.
M. LACROIX: J'aurais encore une question, peut-être
mi-sérieuse, mi-badine. Afin de résoudre les problèmes
qu'on étudie depuis longtemps et qu'on va probablement étudier
encore longtemps, ne seriez-vous pas capable d'imaginer un système qui
serait parfait, qui serait infaillible, qui permettrait par exemple à
une formation politique mettons le Parti québécois
de prendre le pouvoir sans avoir la majorité de l'électorat
derrière elle?
M. LAURIN: On ne veut pas de ça.
M. LACROIX: Vous voudriez former le gouvernement avec sept
députés.
M. LAURIN: Non.
M. LEMIEUX: Je pense que ce système ne serait pas un
système parfait.
M. LE PRESIDENT (Picard): La parole est maintenant au
député du comté rural de Brome.
MR, BROWN: Mr. Lemieux, the day after the election, do you think that
any county in the Province of Quebec would prefer to be in the Opposition,
provided they elected their member?
M. LEMIEUX: C'est bien sûr que les gens préfèrent
généralement être du côté du gouvernement que
de l'Opposition, c'est bien entendu. Mais, il y a quand même pas mal
d'électeurs qui appuient les partis d'Opposition, qui
préféreraient que ces partis soient mieux
représentés au Parlement. Evidemment, vous faites allusion
à une classe de la population qui est assez apolitique ou non politique,
qui elle vote pour gagner, ou du moins n'est pas tellement attachée
à son parti et qui, au lendemain de l'élection se dit, si elle a
voté pour le parti de l'Opposition, qu'elle aurait dû voter pour
le parti gouvernemental.
Il y a quand même beaucoup d'autres électeurs qui eux,
quand ils votent pour un parti de l'Opposition, croient à ce parti et
voudraient que ce parti soit le mieux possible représenté au
Parlement afin qu'à la prochaine élection, ou durant la
période entre deux élections, il soit en meilleure position pour
remporter la victoire ou du moins améliorer ses chances.
Je pense qu'il faut tenir compte de la volonté de ces
électeurs également.
MR. BROWN: The theory that you have been discussing, is it not generally
speaking a watered down version of an election that a few people can squeeze in
with the party in power instead of making a clear cut decision of being a party
in Opposition and one in power?
M. LEMIEUX: En fait, le système que j'ai proposé, encore
une fois est un système qui n'est pas un système de
proportionnelle pure, c'est-à-dire, qu'il peut entraîner les
résultats que vous signalez, c'est-à-dire une certaine confusion
entre ce qui est le pouvoir et ce qui est l'Opposition. C'est quand même
un système, je le répète, qui donne une prime assez
importante au gouvernement majoritaire. Dans l'exemple artificiel ou abstrait
que j'ai donné tout à l'heure, il reste qu'avec 45 p. c. du vote
le parti Libéral obtenait 54 p.,c. des sièges.
C'est quand même une bonne prime. Donc, c'est ce que je disais en
réponse à M. Tremblay, c'est un système qui, tout en
étant plus équitable pour les partis, permet quand même de
maintenir une distinction, ou donne plus de chances à ce qu'il y ait une
distinction assez nette qui s'établisse entre le gouvernement et
l'Opposition.
M. LE PRESIDENT (Lavoie): La parole est au député de
Terrebonne.
M. HARDY: M. le Président, un peu dans le même sens des
questions que j'avais posées tantôt dans la perspective de ces 20
ou 30 grandes circonscriptions, il y a un premier aspect que j'avais
abordé tantôt, qui est l'aspect plutôt traditionaliste,
celui des rapports qui existent entre l'électeur et le
député dans le rôle d'intermédiaire du
député. Là-dessus, loin de moi la pensée de vouloir
faire contredire deux spécialistes, mais pour...
M. LEMIEUX: D'ailleurs sur cette question-là, les
spécialistes se contredisent.
M. HARDY: ... ma propre gouverne, j'aimerais que vous fassiez des
commentaires sur cette partie du témoignage de M. Meynaud la semaine
dernière, et je cite: "C'est le contact direct avec une circonscription
et avec des hommes de la circonscription" il parlait du... Je
pense
que j'ai commencé à citer trop loin, je reprends la
citation de M. Meynaud: "Elle met en cause, en quelque sorte, toute la
philosophie du métier de député, et je pense que la
philosophie du métier de député, dans ce que je
considère de plus essentiel, c'est le contact direct avec une
circonscription et avec des hommes de la circonscription." Or, partant de ce
témoignage de M. Meynaud, j'y vois deux aspects.
Il y a évidemment l'aspect traditionnel d'intermédiaire
qui était beaucoup plus fort autrefois, et je ne veux pas faire de
personnalité. Je vais remonter à Taschereau pour montrer une
certaine objectivité. Il y a cet aspect d'intermédiaire qui
existe toujours. Je veux bien que nous fassions des enquêtes comme vous
l'avez dit, ces enquêtes pourraient nous donner certaines orientations,
mais je ne suis pas sûr qu'elles seraient tout à fait justes. Je
parle de mon expérience personnelle qui est évidemment une
expérience limitée.
Si on faisait une enquête dans le comté de Terrebonne, je
suis persuadé que dans certains secteurs du comté de Terrebonne
des gens diraient: Le député, on ne le voit jamais et on n'en a
pas besoin. On le voit en période électorale, ce qui nous
intéresse, c'est quand il dit quelque chose en Chambre, quand il prend
telle position.
C'est là-dessus qu'on le juge. Là, ce sont les parties de
mon comté les plus favorisées, des gens qui gagnent entre
$7,000, $8,000 et $20,000, $25,000 ces gens-là, je ne les vois
pas à mon bureau et quand ils m'écrivent, c'est pour me donner
leur opinion sur telle loi.
Mais il y a d'autres parties...
M. LAURIN: ... Est-ce que vous faites des assemblées
d'information?
M. HARDY: Attendez un peu, je vais venir à cela plus tard. Il y a
d'autres personnes de mon comté que je vois presque tous les mois. Ce
sont des gens qui ont moins de facilité pour se défendre face
à l'appareil administratif.
Alors, si on faisait une enquête à l'échelle de la
province, peut-être qu'on en arriverait à certaines conclusions
mais cela ne rendrait pas justice, nécessairement, à ceux qui ont
le plus besoin du député. Cela c'est un aspect.
L'autre aspect, plus moderne, plus avant-gardiste, c'est le nouveau
rôle que le député joue et je suis sûr que je
ne suis pas le seul, beaucoup d'autres membres du Parlement jouent
sûrement ce rôle c'est le rôle de consultation.
C'est-à-dire que, devant un projet de loi, je tente personnellement de
réunir un certain groupe de personnes qui sont plus
particulièrement intéressées. Exemple, la Loi de
l'assurance-maladie, la Loi amendant la Loi de l'assurance-maladie, la Loi du
consommateur, j'ai réuni dans mon comté des groupes qui sont
intéressés, qui sont plus touchés par ces
législations et qui sont intéressés à me faire des
suggestions.
Je pense que, si le député veut vraiment jouer son
rôle de législateur, c'est la seule façon pour lui de
vraiment pouvoir le faire.
Or, la question que je me pose, c'est: En plus du rôle
d'intermédiaire dans ces vastes circonscriptions parce que si on
divise la province en 30 circonscriptions, il est évident qu'on sera en
face de très vastes circonscriptions est-ce qu'à ce
moment-là le député, physiquement, pourra vraiment
consulter ses électeurs comme on semble vouloir le faire
présentement, puisque c'est la nouvelle voie dans laquelle on semble
s'engager? Je pense à certaines parties de la province dont la
population c'est un facteur qu'il ne faut pas oublier est assez
peu dense. A ce moment-là, si le député veut vraiment
je reviens à des cas concrets consulter ses
électeurs sur le fonctionnement de la nouvelle loi des Affaires
sociales, par exemple, s'il est en face d'une circonscription qui couvre des
centaines de milles carrés, comment pourra-t-il vraiment jouer ce
rôle d'animateur, ce rôle invitant la population à
participer en quelque sorte à la législation via son
représentant?
M. LEMIEUX: Pour répondre d'abord à votre première
question qui a trait au rôle d'intermédiaire, je crois quand
même qu'un sondage bien fait nous indiquerait si ce sont les gens les
plus défavorisés ou les gens les plus favorisés qui sont
en faveur de tel ou tel mode de représentation. Il s'agirait à ce
moment-là de mettre en relation des réponses des gens pour ces
différents modes de représentation, de les mettre en relation
avec leur occupation, leur degré de richesse, les localités
où ils habitent, ainsi de suite. On pourrait le savoir par un sondage
qui établirait ces relations.
Deuxièmement, pour ce qui est de ce rôle de consultation,
vous avez signalé certains désavantages de ce mode de scrutin par
rapport à ce rôle. J'y verrais peut-être, par contre, un
avantage qui serait celui d'une certaine division du travail entre les
députés. Je pense bien que vous admettez tous que le
député, dans ce rôle de consultation ou d'animation, ne
peut pas être compétent dans tous les secteurs de l'administration
gouvernementale; si les députés étaient plusieurs à
représenter une circonscription, ils pourraient se spécialiser
davantage, dans des domaines qui les intéressent ici, au Parlement, de
façon correspondante aux commissions où ils travaillent, aux
problèmes dont ils s'occupent.
Pour ces fameux débats entre le député
généraliste ou spécialiste, je crois qu'il est plus ou
moins inévitable que le député, tout en demeurant par la
force des choses un généraliste, se spécialise quand
même de plus en plus dans certains secteurs. D'ailleurs, je pense qu'avec
la multiplication des commissions parlementaires, c'est ce qui se produit. Le
mode de scrutin que je propose, à ce point de vue, aurait
peut-être cet avantage d'une certaine division du travail du
moins, si elle est possible entre les députés
représentant une même circonscription.
M. HARDY: Votre réponse m'inspire immédiatement une
nouvelle question. Premièrement, je me demande si cette conception n'est
pas un peu angélique: vous présupposez, à un moment
donné, que dans une circonscription où il y a quatre ou cinq
députés, il y a des députés de partis
différents qui s'inspirent d'une philosophie politique différente
mais qui malgré ces divergences de philosophie politique s'entendent
ensemble et disent: Toi, tu vas consulter telle partie du territoire, moi telle
autre partie.
Cela voudrait dire qu'ils mettent ensemble les résultats de leurs
consultations. D'une part, cela me paraît un peu difficile à
réaliser. D'autre part, votre conception du député
généraliste et du député spécialiste, il
faudrait quand même, à mon avis, y apporter une certaine nuance.
Je suis d'accord que certains députés peuvent se
spécialiser dans certains dossiers, mais quand il s'agit d'être le
mandataire de leurs électeurs, ils ne doivent pas être des
spécialistes. C'est-à-dire, à mon avis, que le
député a l'impérieux devoir de faire entendre la voix de
ses électeurs sur tous les sujets et sur toutes les lois qui sont
votées, soit au niveau du caucus de son parti, soit en faisant des
pressions immédiatement sur les ministres ou en parlant en Chambre. Si
un député se considère un généraliste,
c'est-à-dire qu'il dit: Moi, telle sorte de législation, je ne la
connais pas parce que je ne suis pas spécialiste là-dedans, je
refuse de me faire le porte-parole de mes électeurs sur cette loi, je
considère qu'à ce moment-là, il serait injuste. Il ne
remplirait pas son mandat vis-à-vis du parti de ses
électeurs.
M. LEMIEUX: Vous avez raison. C'est pour cela que j'ai dit que le
député devait être, à la fois, un
généraliste et un spécialiste, ce qui n'est pas facile.
Pour ce qui est du premier aspect de votre question, dans mon esprit, cette
division du travail ne se ferait pas par négociations, mais d'une
façon un peu naturelle, c'est-à-dire que, même si le
député doit être et je suis d'accord avec vous
lorsqu'il représente ses électeurs un
généraliste, il reste qu'il est plus ou moins compétent
par la force des choses ou qu'il les représente plus ou moins bien selon
les domaines où il agit. Ce serait non pas, du moins, d'un parti
à l'autre, par négociations ou ententes que cette division du
travail se ferait, mais plutôt, nous sommes dans le domaine de la
prospective, par la force des choses, par le fait que tout en étant un
généraliste, un tel est davantage intéressé ou plus
compétent dans les problèmes agricoles alors qu'un autre ce
serait plutôt le domaine forestier qui l'intéresserait.
M. LAURIN: Je n'ai pas encore parlé.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Une petite question additionnelle, M. Laurin,
si vous le permettez.
M. LAURIN: D'accord.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Justement cette question que vient
d'évoquer mon collègue, le député de Terrebonne,
cette question de député généraliste et
spécialiste, même dans l'optique de votre
réaménagement, il reste que, quand on reçoit les
électeurs, on ne sait jamais exactement quelle est la raison pour
laquelle ils viennent nous voir. Un va vous parler d'agriculture, un autre peut
vous parler de problèmes sociaux, un autre peut vous parler de voirie,
etc. et toutes les fois qu'il y a un projet de loi, nous sommes obligés
de leur fournir des renseignements. Il y a en plus les petits problèmes
personnels, des problèmes d'assistance sociale, des problèmes
d'emplois, etc. Comment pourrions-nous nous partarger le travail si nous
étions quatre ou cinq députés dans une région comme
la mienne où les problèmes sont très
diversifiés?
M. LEMIEUX: J'ai quand même l'impression que les électeurs,
un certain nombre d'entre eux, finiraient par se rendre compte ou par savoir
que s'il y a deux députés de l'Union Nationale dans la
région, l'un d'entre eux s'intéresse davantage ou est plus
compétent dans le domaine économique alors que l'autre
s'intéresse plutôt aux affaires culturelles ou aux choses qui ont
trait à la culture. Encore une fois, j'ai l'impression que c'est
à la pratique que cette division du travail se ferait. C'est assez
difficile à imaginer actuellement, l'électeur, n'ayant pas le
choix, va rencontrer son député pour discuter de tous les
problèmes et même des problèmes personnels. A partir du
moment où il y aurait plus d'un député et qu'on finirait
par savoir qu'un tel s'intéresse ou est davantage compétent dans
tel ou tel domaine, il se pourrait qu'il se fasse une certaine canalisation,
une certaine orientation des demandes des électeurs vers celui-là
plutôt que vers l'autre.
M. LE PRESIDENT: M. Laurin s'il vous plaît.
M. LAURIN: M. Lemieux, on dit souvent que le système actuel du
Québec, qui est le système uninominal à un tour, favorise
le bipartisme, favorise un gouvernement majoritaire et en conséquence la
stabilité.
Vous avez signalé quand même que c'est avec ce
système uninominal que nous avons actuellement au Québec, quatre
partis et qu'au gouvernement fédéral il y a trois partis, parfois
quatre partis également. Dans la plupart des Législatures
provinciales, qui ont le même système actuellement je pense
qu'il n'y a pas une seule province où il n'y a pas trois, ou même
parfois, quatre partis est-il donc vrai que le système uninominal
à un tour favorise tellement le bipartisme, d'une part? Et n'est-il pas
vrai qu'avec ce système uninominal à un tour, au gouvernement
fédéral à Ottawa, dans les quinze derniers gouvernements
que nous avons eus, il y en avait treize qui étaient minoritaires?
Comment se fait-il que l'on puis-
se encore faire cette erreur d'interprétation et prétendre
que le système uninominal à un tour favorise la
stabilité?
M. LEMIEUX: Oui, en fait, vous avez raison. Vous savez que c'est Maurice
Duverger, qui, en France, a été le principal théoricien
là-dessus et qui a posé il y a plusieurs années, une loi,
celle que vous évoquez, voulant que le scrutin majoritaire à un
tour favorise le bipartisme; à ce moment, il disait que le Canada
constituait une exception. Dans la suite, cela a été fortement
critiqué, si bien qu'aujourd'hui, et c'est M. Duverger lui-même
qui a proposé les termes qui sont plus réalistes, je
crois, on parle de frein et d'accélérateur;
c'est-à-dire que le scrutin majoritaire uninominal à un tour peut
agir comme frein à un certain multipartisme, sans l'empêcher
complètement, ou peut accélérer une tendance de retour
vers un bipartisme. Il est bien sûr que la réalité, les
faits ont montré que ce n'était pas un frein ni un
accélérateur absolus et le Canada, d'ailleurs, et ses
différentes provinces sont généralement les excpetions que
l'on signale en tout premier lieu à cet effet. C'est justement ma
position; je me dis que, de toute façon, ici, au Québec, cela
n'empêche pas le multipartisme. Donc, il est illusoire de vouloir
s'accrocher à ce mode de scrutin, en espérant un retour
accéléré au bipartisme. Alors, à partir de ce
moment-là, pourquoi, une fois que nous sommes pris avec le
multipartisme, que l'on aime cela ou non pourquoi ne pas penser
à un mode de scrutin qui, tout en reconnaissant ce multipartisme,
égalise de façon un peu plus juste, les chances ou les
proportions de sièges entre les partis. C'est exactement ma
position.
M. LAURIN: Par ailleurs, M. Lemieux, dans un article récent que
vous commetiez dans Le Devoir, au mois de mars, vous disiez, ce que nous avons
déjà entendu souvent ici, en commission, qu'un argument massue
que l'on présentait souvent à l'appui du système
uninominal à un tour, était qu'il avait été
employé dans deux démocraties éminemment prospères,
celle des Etats-Unis et celle de la Grande-Bretagne. Par ailleurs, nous savons
très bien que la Grande-Bretagne se débat avec des crises
économiques sans précédent depuis une quinzaine
d'années et que son système politique ' ne semble pas l'aider
tellement à en sortir. On sait très bien qu'aux Etats-Unis,
surtout depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, il y a des crises
sociales extraordinaires, que le système politique ne semble pas pouvoir
juguler.
On peut donc se demander si dans ces deux démocraties en
apparence prospères, le système uninominal à un tour
constitue l'équipement idéal. Pour faire face aux tempêtes
politiques, comme vous le disiez dans votre article, qui non seulement sont
actuelles mais peuvent augmenter encore, on peut se demander si c'est le
meilleur système pour faire face à ces tempêtes politiques.
Ma question, à ce moment-là, serait celle-ci: Est-ce qu'il n'y
aurait pas un plus grand risque, si on montre une certaine timidité dans
la réforme, la remise en question et la réforme de notre mode de
scrutin de voir s'aggraver les problèmes, du fait que la population
aurait l'impression que nos institutions ne sont pas au diapason des
réalités actuelles et nouvelles qui s'en viennent?
M. LEMIEUX: Oui, en fait, à la fin de cet article, je prenais la
contrepartie, en y croyant, disons à moitié, de ce que l'on a
souvent prétendu il est bien sûr, on vient de le dire
d'ailleurs, que le mode de scrutin n'est pas ce qui détermine fatalement
l'évolution politique d'un pays ; on nous a tellement souvent
raconté et dit que justement c'est ce qui avait assuré aux
Etats-Unis et à la Grande-Bretagne la stabilité et la
prospérité, que j'ai cru bon, à la fin de cet article, de
signaler que si l'on s'en tient à cette dimension du problème,
que ce n'était peut-être pas, actuellement du moins, la meilleure
solution pour ces deux pays.
De façon plus sérieuse, plus importante, on peut se
demander, comme vous le faites, si justement, par timidité ou par
crainte de sauter dans l'inconnu, on n'en arrive pas à une modification
du mode de scrutin. On peut se demander si justement je le disais tout
à l'heure en parlant des bouleversements on ne se prépare
pas des bouleversements plus grands. Evidemment, je ne suis pas
prophète. Ce n'est pas mon métier. Mais on peut tout au moins
craindre cela parce qu'il reste que, quand les partis en particulier de
caractère idéologique, ou du moins qui ont un certain
caractère idéologique, sont systématiquement
défavorisés par un système électoral, il est fort
à craindre que leurs revendications se portent sur d'autres plans et
qu'à ce moment-là ce soit de toute façon mauvais pour la
démocratie. Ces fantômes ou ces craintes ont été
évoquées. On les a peut-être dramatisés un peut
trop, mais il y a certainement un fondement de vérité
là-dedans.
M. LAURIN: M. Lemieux, on se demande souvent à cette commission
depuis quelque temps quel serait le rôle du député si on
changeait le mode de scrutin. Quelles modalités nouvelles devrait-il
prendre? Quelles modifications peut-être dangereuses cela apporterait
dans le rôle du député et la conception qu'il se fait de
son rôle? Cela me fait venir à l'esprit une question.
Fondamentalement, quand on pense à un système, à un mode
de scrutin, est-ce qu'il faut penser d'abord aux répercussions qu'il
peut avoir sur le rôle du député, ou s'il faut d'abord
penser à l'électorat, aux électeurs qui, après
tout, sont les maîtres du système politique en saine
démocratie? Est-ce que, quand on pense à un système de
scrutin, il ne faut pas d'abord penser aux avantages ou désavantages
qu'il peut avoir sur l'électeur, c'est-à-dire sur le mode, le
régime démocratique qui est le nôtre?
M. LEMIEUX: Oui. Evidemment, je n'ai pas osé le dire parce que
c'est très difficile d'établir une hiérarchie
là-dedans. Mais dans les quatre critères, il est évident
qu'il y avait un ordre d'importance, c'est-à-dire que, selon moi, ce qui
est le plus important dans un mode de scrutin, c'est qu'il soit adéquat
et ensuite qu'il favorise une certaine qualité de la vie parlementaire.
Parce que, comme je le disais l'autre jour, encore une fois, les
élections sont faites pour les électeurs avant d'être
faites pour les députés. Donc, il est sûr que, si on avait
à choisir entre ces deux critères, je dirais qu'un mode de
scrutin, comme une carte électorale d'ailleurs, est fait d'abord pour
faire en sorte que, sur le plan strictement électoral, la
représentation soit la meilleure possible. La représentation dans
un autre sens des électeurs par les députés, ou
l'organisation des partis dont on n'a pas parlé, sont des aspects
importants, mais qui, du moins dans l'ordre de valeurs qui est le mien,
viennent après ces deux premiers aspects que je vous ai proposés,
ces deux premiers critères, c'est-à-dire la correspondance la
meilleure possible entre les votes et les sièges et la qualité de
la vie parlementaire et, en particulier, les relations entre le gouvernement et
l'Opposition.
M. LAURIN: En lisant toutes les lettres des électeurs aux
journaux, est-ce qu'on ne se rend pas compte justement que la
préoccupation principale de l'électeur en 1970, est qu'on doit
viser à une justice de plus en plus mathématique entre l'opinion
et sa représentation au Parlement? Est-ce que cette justice
mathématique ne constitue pas actuellement une préoccupation
essentielle pour l'électeur moyen?
M. LEMIEUX: Oui. Si vous référez aux lettres aux journaux,
je n'en ai pas fait le compte, mais c'est sûr que c'est cet aspect qui
revient sans doute le plus souvent. Est-ce que c'est représentatif? Je
ne sais pas. C'est pour ça d'ailleurs que je proposais qu'on aille
peut-être un peu plus loin au moyen d'un sondage bien fait. Mais, de
toute façon, je crois, encore une fois, que pour les électeurs
et vous avez sans doute raison, le dernier critère tout au moins,
celui de l'organisation des partis, pourrait être modifié par le
mode de scrutin c'est relativement secondaire. La représentation
par ses députés est sans doute très importante. Il
faudrait savoir ce qu'ils en pensent, mais à la suite des
résultats des deux dernières élections, il est certain que
l'aspect qui a été le plus dramatisé ou sur lequel on a le
plus insisté ou du moins qui, dans l'opinion publique, actuellement est
le plus répandu, c'est celui de cette égalité, je ne
dirais pas strictement mathématique, parce que j'ai apporté des
correctifs là-dessus, mais cette égalité la plus grande
possible entre les suffrages donnés aux partis et les sièges
qu'ils obtiennent.
M. LAURIN: Par ailleurs, M. Lemieux, on dit souvent à l'encontre
des systèmes proportion- nels, qu'ils soient compensatoires ou purs,
qu'ils risquent d'amener une prédominance excessive des
états-majors des partis politiques sur les députés
élus. Mais n'est-il pas vrai que, depuis que le système
proportionnel existe dans plusieurs pays, on a pensé à des
correctifs et on a mis en application des correctifs qui tendent justement
à limiter cette prépondérance excessive des
états-majors sur les députés.
M. LEMIEUX: C'est un autre problème où le mode de scrutin
finalement c'est pour ça que je l'ai signalé à la
fin n'a peut-être pas autant d'effet qu'on le croit. Si les partis
français sont plus centralisés que les nôtres, ce n'est
probablement pas à cause des modes de scrutin qu'on a utilisés en
France, parce qu'encore une fois on a essayé à peu près
tous les modes de scrutin.
C'est sans doute parce que la société française,
dans tous ses aspects, aussi bien administratifs que politiques, est une
société extrêmement centralisée. Ici, si on
changeait le mode de scrutin, est-ce que ça aurait des effets sur la
centralisation des partis? Est-ce que vraiment ce serait l'occasion toute
rêvée pour les états-majors des partis d'imposer leurs
directives et leur centralisation aux organisations locales? Je crois qu'il
faut faire confiance aux organisations locales qui ont certainement une
capacité de résistance assez grande d'autant plus qu'il y a des
correctifs institutionnels qu'on pourrait apporter. J'en ai signalé au
moins celui d'une convention de caractère non plus local, mais
régional, qui choisirait non seulement la liste des candidats du parti,
mais l'ordre selon lequel les candidats apparaîtraient sur la liste.
Je crois que c'est un des aspects et justement le professeur
Meynaud l'a rappelé la semaine dernière où on
exagère souvent les effets du mode de scrutin par la vie politique.
M. LAURIN: Une dernière question, M. Lemieux. Même dans
votre système de proportionnelle modérée, vous semblez
favoriser des éléments qui favorisent le parti le plus fort au
vote. Pour amener cette prépondérance du parti majoritaire, vous
avez, dans votre article, employé la technique d'Hondt, mais vous avez
fait aussi référence à une autre formule qui est la
formule Sainte-Laguë. Qu'est-ce qui vous a fait favoriser la technique
d'Hondt plutôt que Sainte-Laguë?
M. LEMIEUX: C'est une question plutôt technique. Si j'ai d'abord
pris l'exemple de la technique d'Hondt c'est que statistiquement et il
faut l'admettre c'est celle qui est le plus couramment employée,
du moins dans les démocraties occidentales. Alors que la technique de
Sainte-Laguë n'est employée que dans les pays Scandinaves.
J'ai quand même donné ensuite un exemple de ce que
donnerait la technique de Sainte-Laguë et de façon
générale, on peut dire que les experts sont assez d'accord
là-dessus; la technique dite de Sainte-Laguë qui est
employée dans
les pays Scandinaves a pour effet de défavoriser
légèrement le parti le plus fort et les partis les plus faibles
au profit des partis moyens.
Autrement dit c'est le résultat auquel on arrivait ici au
Québec dans la situation actuelle de la répartition des
voix entre les partis au Québec, par rapport à la technique
d'Hondt, la technique de Sainte-Laguë jouerait légèrement
à l'avantage du Parti québécois et de l'Union Nationale,
qui sont les partis moyens, et au désavantage du Parti libéral et
du Ralliement créditiste.
Ce sont des questions techniques. Si on veut donner un peu plus de
chances au parti le plus fort et au parti le plus faible, on va suivre la
technique d'Hondt. Si on veut plutôt favoriser les partis moyens, on va
employer l'autre. Mais ce n'est pas vraiment l'élément le plus
important.
L'élément le plus important comme je le disais
c'est plutôt le nombre de sièges par circonscription. Si
vous avez 10 circonscriptions de 12 sièges chacune, vous allez arriver
à une proportionnelle à peu près pure. Alors que si vous
avez 25 circonscriptions de 4 ou 5 sièges, vous vous rapprochez
davantage des résultats du scrutin majoritaire à un tour.
Plus vous vous rapprochez de un, plus vous vous rapprochez des effets du
mode de scrutin actuel et, plus vous vous éloignez de un, si vous faites
comme en Israël, où il y a 120 sièges, mais dans une seule
circonscription qui est l'ensemble du pays, vous arrivez à des
résultats qui sont strictement proportionnels.
M. LE PRESIDENT: M. Vincent.
M. VINCENT: M. Lemieux, vous avez mentionné tout à l'heure
qu'il fallait attacher plus d'importance au système électoral
qu'au rôle du député, parce qu'en définitive
c'était le système électoral que nous devions regarder.
Là-dessus, je crois bien que le rôle du député et le
système électoral vont de pair. Si le député, dans
un système électoral donné, ne pouvait remplir son
rôle de façon efficace, on changerait encore immédiatement
le système électoral. Ce sont probablement les raisons pour
lesquelles on a dans certains pays changé si souvent de système
électoral. A mon sens, chaque fois qu'il est question de réforme
électorale, la grande question et vous avez beaucoup
d'expérience là-dessus a toujours été la
philosophie du métier de député, de quelle façon
nous considérons le rôle du député dans une
législature donnée. Vous avez également parlé de
sondage, sondage d'opinion. Le temps ne serait-il pas venu de faire un sondage
justement sur le rôle du député en demandant des
experts comme vous à des députés, qu'ils soient du
parti au pouvoir, qu'ils soient dans l'Opposition, qui accepteraient
volontairement d'avoir à leur côté je ne parle pas
de deux jours par semaine, mais de sept jours par semaine des experts
qui pourraient participer à tout le travail qu'ils font, travail de
représentation, travail d'intermédiaire, travail de
législation, dans leur comté et au Parlement de
Québec.
En ce qui me concerne, je serais un de ces volontaires, même du
côté du pouvoir, du côté du gouvernement ou du
côté de l'Opposition, prêt à ouvrir mes dossiers au
complet sans aucune réticence à qui que ce soit qui voudrait
faire un travail pour voir réellement le rôle du
député et la façon dont son rôle doit
s'insérer dans un système électoral. N'avez-vous jamais
pensé à cette idée d'aller vérifier pendant une
année donnée, par exemple, chez cinq, six ou huit
députés de différents partis politiques, quelle
était réellement la fonction du député?
M. LEMIEUX: Je vais commencer par votre dernière suggestion que
je trouve très intéressante. Cela a d'ailleurs été
réalisé sur un autre plan aux Etats-Unis. Je connais
l'étude d'un expert en science politique qui a passé toute une
année avec le maire de la ville de New Haven aux Etats-Unis, à la
suite de quoi il a écrit un livre très bien documenté sur
la politique municipale dans cette ville.
Au Québec, on n'a pas fait cela. Par contre, je peux vous assurer
que, si un certain nombre de députés étaient prêts
comme vous à cette opération, il y aurait certainement des
experts ou tout au moins des étudiants avancés de science
politique ou de jeunes diplômés qui seraient prêts à
devenir, par exemple, secrétaire de député ou l'ombre d'un
député pendant un certain temps. Ce serait utile non seulement
pour le problème qui nous préoccupe ici, mais je suis convaincu
que ça ferait avancer la science politique d'une façon
considérable.
C'est une suggestion qu'il faudrait sans doute explorer. Je dirais que
ça ne devrait pas empêcher un sondage sur le rôle du
député, mais que ce serait certainement complémentaire et
de toute façon excellent pour un tel sondage.
Je reviens maintenant à votre première question. En fait,
ma position consiste à dire ceci. Je voudrais d'ailleurs revenir
à un principe que j'énonçais lorsque je suis venu pour la
première fois. Le problème est celui-ci: lorsque l'on discute
d'un mode de scrutin ou d'une carte électorale à savoir pourquoi
on prévilégie les résultats strictement électoraux
que ça donne, la seule façon de distribuer les sièges, du
moins la seule façon connue jusqu'à maintenant de distribuer les
sièges entre des députés, c'est par une carte
électorale et par un mode de scrutin.
Il y a quand même d'autres façons que le mode de scrutin,
ou la carte électorale de faire en sorte que la représentation
des électeurs par les députés soit
améliorée.
Autrement dit, dans un cas, c'est la seule voie que vous avez pour en
arriver à des résultats électoraux montrables, sortables,
alors que, dans l'autre cas, même si j'admets avec vous que la carte
électorale, peut-être encore plus que le mode de scrutin, a des
effets sur le
mode de réprésentation des députés,
même si ces effets sont jugés plus ou moins bons, il y a quand
même d'autres moyens de s'y prendre pour corriger ces effets,alors que
vous n'avez pas d'autres moyens que la carte électorale et le mode de
scrutin pour corriger les effets que vous estimez négatifs dans un
système électoral. Plus précisément, ma question
revenait à dire ceci, je pense bien, et je peux le dire
carrément: Si vous avez à choisir entre un mode de scrutin qui,
sur le plan de la répartition des sièges entre les partis est
bon, mais qui est mauvais pour ce qui est de la représentation des
électeurs par les députés, il y a un autre mode de scrutin
qui, lui, est très bon pour la représentation, mais très
mauvais pour la répartition des sièges.
Je pense que, dans une situation aussi tragique, aussi dramatique, on
doit choisir le système électoral parce qu'encore une fois il n'y
a pas d'autres moyens d'arriver à un résultat qu'on juge bon,
c'est-à-dire une répartition équitable des sièges,
alors que, la représentation du député, on peut quand
même agir sur elle par d'autres moyens. Si vous voulez, encore une fois,
une expression dramatique d'opinion là-dessus, ce serait ma
position.
Evidemment, il faut s'arranger pour "optimaliser" les deux, comme disent
les économistes, c'est-à-dire avoir un mode de scrutin qui soit
bon, à la fois pour la répartition des sièges et pour la
représentation des électeurs. Mais, malheureusement, c'est
pourquoi les experts ne sont pas toujours d'accord, ce mode de scrutin qui
pourrait être inventé par les anges, n'existe pas encore
actuellement.
Il faut s'arranger avec ce qu'on a et, à partir de certains
principes je vous ai donné les miens faire un choix qui
n'est pas un choix parfait, mais qui est le choix qu'on estime le meilleur
possible dans les circonstances.
M. LE PRESIDENT: M. Tremblay.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, avant de poser ma
question à M. Lemieux, je voudrais reprendre la suggestion que faisait
mon collègue, le député de Nicolet, sur cette
possibilité de suivre en quelque façon un député,
afin de voir exactement ce qu'il fait, quel est son travail. Je me permets de
vous rappeler, M. Lemieux...
M. HARDY: Même après minuit!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Même après minuit. Pour les
célibataires! Alors, je me permets de vous rappeler une suggestion que
j'avais faite à un de vos collègues de l'université Laval
et à un autre spécialiste de ces questions politiques.
M. LEMIEUX: Oui, je le sais, d'ailleurs!
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je leur avais offert ceci: J'ai dit: Ecoutez,
je vous offre de venir à mon bureau ou à mon appartement, et je
vous donne accès complet à tous mes dossiers de
député et de ministre, y compris les dossiers dits confidentiels,
parce que les dossiers confidentiels, vous savez, sont confidentiels pour tout
le monde, en fait. Il s'agit simplement de questions de délicatesse pour
empêcher que certaines personnes voient leur cas, parfois un peu
pénible, étalé dans le public.
J'avais fait cette suggestion et on ne s'en est pas prévalu. Je
vous la fais, à vous, parce que, d'abord, ça me permettrait
peut-être de me débarrasser d'un bon nombre de dossiers, d'autre
part, ça vous permettrait de voir exactement quelle est l'ampleur des
problèmes qui se posent à un député, même si
ce député était élu selon un nouveau mode de
scrutin. Ces problèmes resteront toujours les mêmes.
Vous disiez tout à l'heure que le système
électoral, les cartes électorales, mode de scrutin, etc.,
existent pour l'électeur. Evidemment c'est un truisme. Mais, il y a
quand même une relation de cause à effet. Le système
électoral, ou le mode de scrutin fabrique le député et
celui-ci, une fois fabriqué, est au service des électeurs. Notre
démarche a pour but justement de découvrir le meilleur mode de
scrutin qui permettrait d'avoir le meilleur député en vue de
donner aux électeurs un service de la meilleure qualité qui
soit.
Nous travaillons évidemment dans un domaine extrêmement
délicat qui comporte des facteurs impondérables et il y a une
réflexion, je pense, à laquelle on ne s'attache pas assez
souvent, un examen qu'on ne fait pas assez souvent, c'est celui de la
qualité des députés. Je mets de côté tous les
jugements qui peuvent être portés par celui-ci ou celui-là
sur les députés qui sont à l'Assemblée nationale ou
qui y ont été ou qui sont au Parlement d'Ottawa. Mais il m'est
toujours apparu que les députés sont un excellent
échantillonnage de la population. Et, quel que soit le mode de scrutin
que nous inventions, il restera toujours que c'est l'électeur qui, sur
une liste de candidats, va choisir un député si vous me
permettez l'expression qui l'habille, correspond à sa
mentalité, à la conception qu'il peut avoir de ce que c'est que
la députation.
Les propositions que vous faites sont évidemment
extrêmement intéressantes, mais je suis à me demander,
à mesure qu'on avance si, justement, l'avis partagé des experts
ne va pas nous rendre de plus en plus difficile la tâche d'inventer ce
mode de scrutin idéal. Vous avez tout à l'heure formulé
des jugements sur le système que M. Bonenfant nous a proposé,
vous nous en proposez un autre. Je crois que la charnière principale du
système que vous nous proposez est que vous voudriez cette
adéquation la plus exacte possible entre le pourcentage du vote et,
d'autre part, le pourcentage de députés que cela
comporterait.
Mais, en vous écoutant ce matin et en écoutant d'autres
spécialistes ce n'est pas un
reproche que je vous fais M. Lemieux, je me dis que nous, les
députés, que la commission parlementaire qui aura à faire
la synthèse de vos opinions, y voit de jour en jour son travail se
compliquer, parce que les jugements des experts sont partagés, les avis
des parlementaires sont partagés. Je me demande, justement c'est
une question que je vous pose s'il ne vous paraît pas
nécessaire de nous suggérer de procéder avec beaucoup,
beaucoup de prudence dans cette réforme électorale, ce changement
de mode de scrution, afin que nous n'ayons pas comme vous le dites
cette surprise d'un système que, tout à coup, la
population ne comprendrait pas, dont elle ne verrait pas le
bien-fondé.
Et je vous demande et cela rejoint une préoccupation qui a
déjà été exprimée ici par les
députés du Ralliement créditiste si, selon vous, la
commission parlementaire ne devrait pas se déplacer pour aller dans les
diverses régions consulter l'électorat, parce que c'est sur le
terrain que l'on peut vraiment mesurer les réactions de la
population.
J'ai eu ces jours derniers l'occasion de faire une petite course dans le
Québec. Je vous assure que la façon dont on pose le
problème à Québec parlons du Québec
métropolitain dans ma région, dans la région du
Nord-Ouest, dans la région de la Côte-Nord, de Charlevoix, etc.
est très différente selon les gens.
Il y a une chose aussi sur laquelle vous insistez, c'est sur la
représentativité du député. Il y a des
députés du Parti québécois, du Ralliement
créditiste, du Parti libéral et de l'Union Nationale. Je reviens
à ceci, c'est que, dès que nous sommes élus, nous
représentons tous les gens, ce qui n'implique pas nécessairement
que nous nous fassions les défenseurs de telle thèse
particulière, si elle est d'ordre rigoureusement politique. Mais
à partir du moment où l'on est élu, la population nous
voit comme un lien. Et lorsque les citoyens individuellement viennent nous
voir, ou les groupes, les corps intermédiaires, les organismes
représentatifs, les municipalités viennent nous trouver, ils ne
s'adressent pas à M. Untel, représentant du Parti libéral
ou représentant de tel autre parti, ils s'adressent à celui qui
est leur porte-parole officiel. Quoiqu'on fasse, de quelque façon qu'on
change le système électoral, le mode de scrutin, etc., le
député sera toujours perçu comme cela.
On parlait, tout à l'heure de revalorisation du fonctionnarisme,
d'une façon de donner au fonctionnarisme, surtout de
décentraliser tout pouvoir pour plus d'efficacité. Mais il y a
toujours le problème suivant qui se pose, c'est que le fonctionnaire,
lui, n'est pas élu, il n'a pas de compte à rendre, sauf à
ses supérieurs. Tandis que le député a des comptes
à rendre. Le peuple peut en appeler du jugement qu'il a
déjà prononcé. Il peut changer le député,
comme il peut changer le gouvernement. Dans la pratique, retenant les
critères que vous avez énoncés au départ, assurer
une représentation proportionnelle au nombre de votes, examiner les
effets du mode de scrutin sur la vie parlementaire, les effets sur
l'organisation des partis, les effets du mode de scrutin sur les
électeurs, sur le député, même en retenant tous ces
critères, est-ce que vous êtes en mesure, aujourd'hui, de nous
aider à inventer un système? Quel est selon vous le
critère que nous devrions retenir davantage pour les démarches
que nous allons faire d'ici quelques mois et sur lequel nous devrions insister
davantage pour en arriver à cette sorte de justice dont vous
parliez?
M. LEMIEUX: Je crois, et je l'ai dit d'ailleurs tout à l'heure,
que c'est le premier critère avec les réserves, du moins, les
correctifs, plutôt, que je lui ai apportés. C'est-à-dire
qu'un mode de scrutin est fait d'abord pour répartir les sièges
entre les partis et il faut que cette répartition, selon moi, tout en
assurant une prime au parti majoritaire, surtout eu égard au
deuxième critère, parce qu'à ce moment-là il y a
probablement plus de chance que la qualité de la vie parlementaire soit
meilleure, du moins à court terme, il faut que tout en assurant cette
prime que le mode de scrutin soit équitable pour les partis de
l'Opposition, pour la répartition des sièges restant entre
eux.
Selon moi, c'est le premier critère et c'est pourquoi d'ailleurs,
j'ai proposé ce mode de scrutin dont je vous ai parlé, qui, eu
égard à ce premier critère, me semble pouvoir donner des
résultats intéressants ou satisfaisants.
Maintenant, quand vous reprenez la suggestion du Ralliement
créditiste, d'aller soumettre tout cela dans les capitales
régionales, c'est une suggestion que j'approuve entièrement.
D'ailleurs, après les élections de 1966, quand j'avais
proposé qu'une commission indépendante s'occupe de la
réforme de la carte, j'avais dit que l'un des aspects les plus positifs
du travail des commissions fédérales, avait été
justement cette espèce de test auquel on avait soumis la nouvelle carte
dans les régions. Je me souviens, par exemple, d'un article d'un
journaliste, je crois, M. Légaré du Bas-Saint-Laurent ou de la
Gaspésie, qui avait montré que, dans cette
région-là, on avait chambardé inutilement la carte
électorale. Dans les capitales régionales, il y avait eu des
réactions aussi, très vives et très intéressantes
et je crois qu'au point où vous en êtes, vous êtes
habitués aux bains de peuple. Il serait peut-être bon que la
commission, dans son ensemble, se donne ce bain de peuple. Je crois que la
suggestion du Ralliement créditiste est tout à fait opportune, du
moins au point où vous en êtes.
Etant donné surtout que les autres aspects de la réforme
financement des partis, dépenses électorales
intéressent également la population, mais intéressent
peut-être davantage les partis, alors que le mode de scrutin et la carte
électorale sont des questions qui touchent de près tous les
électeurs, il serait sans doute
bon, si la commission en a le temps, qu'elle discute très
honnêtement de la chose avec ces autres experts de la pratique politique,
qui, je le reconnais humblement, sont souvent de meilleurs experts que nous du
moins dans la pratique. Ces autres experts que sont les gens, que sont les
électeurs. Si vous en avez le temps et les moyens, je crois que ce
serait excellent que vous puissiez le faire.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, M. Lemieux, la dernière question
que je vais vous poser ce matin. Le système proportionnel
modéré dont vous parlez, quelles en seraient les
mécanismes exactement?
M. LEMIEUX: Ecoutez, si nous prenons cela, étape par
étape, il s'agirait évidemment d'abord de diviser le
Québec en un nombre de circonscriptions régionales variant de
vingt à trente, d'attribuer à chacune de ces circonscriptions un
nombre de sièges. Alors, là, il faudrait sans doute suivre le
principe sur lequel on semble s'entendre, c'est-à-dire qu'il ne faudrait
pas qu'il y ait d'écart qui dépasse 25 p. c. en plus ou en moins.
Autrement dit, on pourrait établir un quotient. La région aura
droit à tant de sièges par 30,000 électeurs, par exemple,
en s'arrangeant pour ne pas dépasser cet écart. Ensuite, pour ce
qui est du choix des candidats, procédons par étapes. Ce que je
proposerais moi, c'est que justement il y ait des conventions
régionales. Par exemple, la Gaspésie forme une région,
dans le projet que je soumettais, région qui regroupe les
Iles-de-la-Madeleine, les deux comtés de Gaspé, Bonaventure,
Matane, Matapédia. Je crois qu'on allouait quatre ou cinq sièges,
de toute façon, peu importe, dans cette région ce serait variable
selon le quotient qu'on se donnerait, disons que c'est cinq sièges.
Chaque parti, du moins s'il le désire, organise une grande
convention régionale avec des délégués ou tous les
membres du parti selon leurs structures, où ces candidats sont choisis
dans l'ordre des votes qu'ils ont reçus. Au moment de l'élection,
le bulletin de vote se présente de la façon suivante. Je vais
vous l'expliquer. Au lieu d'avoir quatre noms, on a quatre listes. S'il y a
quatre partis, les candidats de chacun des partis étant
hiérarchisés sur la liste: un, deux, trois, quatre et là,
il y a plusieurs variantes possibles. Ou bien on oblige l'électeur
à voter pour un parti, ce sont les listes bloquées, ou bien on
lui permet d'exprimer sa préférence envers un candidat. Par
exemple, si sur la liste du parti A vous avez le noir, le gris et le rouge dans
l'ordre et que l'électeur préfère le rouge au noir et au
gris, il peut indiquer que c'est le rouge qu'il veut voir élu avant les
autres.
Il y a des systèmes, bien que je ne le recommanderais pas pour le
Québec, qui permettent aux électeurs de constituer leur propre
liste à partir des candidats. C'est le cas de la Suisse. Il y a des
candidats qui sont sur les différentes listes. Il y en a qui permettent
aux électeurs de voter pour un parti et d'exprimer leur
préférence pour un candidat d'un autre parti. Donc, il y a toutes
sortes de variantes possibles.
D'ailleurs j'oubliais de le dire on pourrait même
avec un tel mode de scrutin adopter la façon de voter du Japon ou de
l'Irlande indépendante, l'Irlande du Sud. Au Japon je ne sais pas
si on vous a parlé de son mode de scrutin on a un mode de scrutin
assez ingénieux. Par exemple, si vous avez quatre sièges à
attribuer et qu'il y a quatre partis, on permet aux partis de présenter
autant de candidats qu'ils le veulent, mais ce sont les quatre candidats qui
recueillent le plus de votes qui sont élus. Autrement dit, il y a un
calcul stratégique de la part du parti libéral qui se dit: Si on
présente un candidat, on va être sûr de le faire
élire. Si on en présente deux, peut-être que les deux vont
passer, mais peut-être qu'ils vont être battus tous les deux.
Donc, les partis présentent le nombre de candidats qu'ils
veulent. L'électeur ne vote que pour un candidat et ce sont les quatre
candidats qui recueillent le plus de votes qui sont élus. En Irlande du
Sud, c'est le système dit The Eire qui est défendu par cette
petite société à laquelle le député de
Terrebonne faisait allusion et qui a été présenté
comme le système parfait. Encore là, l'électeur vote.
C'est-à-dire que c'est un vote préférentiel. Les partis
il y a quatre sièges encore là peuvent
présenter deux ou trois candidats. L'électeur exprime un premier
choix pour un de ces candidats, un deuxième, un troisième. Si,
à partir des premières préférences données,
tel candidat obtient le quotient électoral, il est élu. Sinon, on
répartit M. Mey-naud vous a peut-être parlé de ce
système, d'ailleurs, il l'explique très bien dans son article
les deuxièmes choix entre les candidats restant et ainsi de suite
si bien que les candidats sont élus à la proportionnelle.
L'électeur vote à ce moment-là, non pas pour une
liste, mais pour un candidat. Donc, il y aurait au moins ces trois modes
possibles: vote de liste, bloquée ou avec possibilité d'exprimer
une préférence pour un candidat, système japonais,
système de l'Irlande indépendante.
Ensuite, il s'agit de répartir du moins si vous prenez le
système de vote de liste les sièges entre les partis,
selon les techniques de Hondt, de Sainte-Laguë ou d'autres. Et vos
candidats sont élus. On en est au terme du processus. Ce seraient les
principales étapes.
Il faut admettre que, pour l'électeur, c'est plus
compliqué. Le mode de scrutin majoritaire à un tour a une belle
simplicité, il est facilement compréhensible, on vote pour des
hommes. Dès qu'on s'en éloigne, que vous obligez les
électeurs à exprimer un deuxième choix ou un
troisième choix, que vous les obligez à choisir un candidat dans
une liste de 10 ou 12, ou encore de voter pour une liste, c'est certainement
plus compliqué pour lui. Il faut l'admettre.
C'est le prix qu'il faut payer dans certains cas pour en arriver
à une répartition plus équitable des sièges entre
les partis.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux, je crois que vous touchez
là justement le fond du problème. Il y a quand même des
habitudes électorales, ici. Ne parlons pas du système
général, mais du cas des partis politiques. Votre système
de convention, de choix de candidats dans des régions
déterminées, vous ne pensez pas qu'il serait assez complexe?
Je prends une région que je connais bien la région
de Chicoutimi, le royaume du Saguenay il y a les deux comtés du
nord, Duplessis et Saguenay; il y a Jonquière, Dubuc, Roberval,
Lac-Saint-Jean, Chicoutimi, auxquels on peut rattacher en somme le comté
de Charlevoix, parce que ça fait une grande unité. Supposons
qu'on décide qu'il y a tant de circonscriptions dans cette
région-là et le parti X décide de choisir ses candidats.
Là, vous vous butez à un problème extrêmement
difficile, parce que chacune de ces parties d'une grande région a des
particularismes, des ambitions, il y a des intérêts mesquins ou
non qui se manifestent, c'est bien évident. Nos habitudes
électorales rendraient le fonctionnement de ce système
extrêmement difficile du moins pour une période de X
années.
M. LEMIEUX: Mais, est-ce qu'au niveau même des circonscriptions,
vous n'avez pas à plus petite échelle ces oppositions? J'ai
été frappé à la lecture d'entrevues qui ont
été faites ici dans la région de Québec je
parle uniquement de la région de Québec auprès
d'organisateurs et de candidats aux différentes conventions, de voir
comment, dans un très grand nombre de comtés, c'était
l'opposition entre le haut et le bas du comté, l'opposition entre deux
villes importantes du comté. En fait, vous auriez une
réédition, en quelque sorte...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, mais à une beaucoup plus grande
échelle.
M. LEMIEUX: ... à une beaucoup plus grande échelle, de ces
oppositions. Bien sûr.
M. LACROIX: Si vous prenez Matapédia, Gaspé, Bonaventure
et les Iles-de-la-Madeleine, je vous assure que vous avez là cinq
comtés, et il n'y a pas deux de ces comtés où vous
retrouvez les mêmes problèmes. Même les pêcheries ne
sont pas semblables en Gaspésie, aux Iles-de-la-Madeleine, dans
Gaspé-Nord ou dans Gaspé-Sud.
M. LE PRESIDENT: M. Audet.
M. AUDET: Je pense que la question que je voulais poser a
été discutée par le député de
Chicoutimi.
M. HARDY: II y a vraiment l'union de pensée.
M. AUDET: M. Lemieux disait tout à l'heure que la réforme
électorale devait surtout avantager l'électeur plutôt
qu'avantager le député. Comme le député de
Chicoutimi l'a dit, cela aurait des effets si le député est
avantagé aussi par la réforme électorale, vu que le
député est là pour l'électeur. Automatiquement,
cela aura de bons effets pour l'électeur si des réformes
avantagent aussi les députés.
J'aurais ici une autre question. Aujourd'hui, dans la province de
Québec, nous sommes conscients d'un phénomène de la
façon que la carte électorale est faite. Nous avons de grands
comtés avec un nombre moindre d'électeurs et de petits
comtés avec un nombre plus grand d'électeurs. Souvent, nous
voyons se produire une hémorragie des électeurs de ces grands
comtés qui sont peut-être plus pauvres économiquement et
plus faibles vers de petits comtés qui ont déjà un plus
grand nombre d'électeurs. On voit souvent aussi un jeu économique
entraînant le "videngeage" continu de ces grands comtés vers de
plus petits comtés. Si on venait avec la proportionnelle, on verrait
disparaître la voix de ces grands comtés et on verrait la
décision partir des petits comtés à forte concentration,
car automatiquement, dans une concentration de population, nous voyons un
manque d'information, donc une insouciance assez marquée de ces
populations vis-à-vis de l'intérêt à la politique
et, par le fait même, très influençables par les agitateurs
de tout acabit. Ce manque d'objectivité vis-à-vis d'une prise de
conscience politique pourrait facilement nous amener à la perte de notre
démocratie.
C'est une remarque que je voulais faire. Je ne sais pas si M. Lemieux
abonde en ce sens,
M. LEMIEUX: Oui, ce serait, évidemment, du moins dans
l'immédiat, un des inconvénients probablement de ce mode de
scrutin. Il faudrait s'arranger pour les surmonter, bien sûr.
Maintenant, si vous me permettez une petite remarque, quand on dit, et
je suis bien d'accord avec ça, qu'il faut s'arranger pour que le mode de
scrutin, tout en étant au service des électeurs, nous donne la
meilleure députation possible, je veux vous poser un petit
problème, un petit paradoxe. Supposons qu'avec le mode de scrutin
actuel, un parti obtienne 51 p. c. du vote, et l'autre 49 p. c. du vote,
on va s'amuser un peu et que dans les 108 circonscriptions du
Québec, ce soit le résultat. C'est-à-dire 51 p. c. au
parti A et 49 p. c. au parti B, si bien qu'on ait eu de la sorte 108
députés du parti A et aucun du parti B.
Supposons que ces 108 députés soient des hommes
exceptionnels, des députés d'une très haute
qualité, je dirais d'accord, le mode de scrutin a eu de bons effets,
mais fondamentalement, c'est un mauvais mode de scrutin. C'est un paradoxe, une
fable pour illustrer cette opposition entre ces différents principes.
D'ailleurs je ne me suis pas caché pour dire qu'il y avait des
oppositions entre eux, ce qui peut nous obliger dans certains cas à
adopter un
mode de scrutin qui n'est pas parfait sur tous les aspects, mais qui
sauvegarde certains principes.
Comme les principes varient selon les experts, c'est pourquoi, M.
Tremblay nous l'a rappelé, c'est pourquoi les experts ne s'accordent pas
entre eux, ceci rend la tâche des parlementaires d'autant plus
difficile.
M. LE PRESIDENT: Monsieur, une dernière question
peut-être.
M. DUMONT: Je voudrais faire une simple remarque. Comme M. Lemieux a
souhaité que la commission soit itinérante, et comme
l'unanimité semble se faire autour de cette possibilité, est-ce
qu'immédiatement la commission ne pourrait pas se prononcer pour que les
corps intermédiaires puissent préparer les mémoires
lorsqu'on décidera d'aller visiter les capitales régionales dans
la province. J'en ai déjà exprimé le voeu, mais on n'a pas
décidé si oui ou non on y allait.
M. PICARD: Non, écoutez...
M. DUMONT: La commission parlementaire. Je ne dis pas tous les
députés.
M. PICARD: Pourquoi faire déplacer les membres de la
commission?
M. DUMONT: A ce moment-là, les mémoires se
prépareraient. Enfin, j'exprime encore ce voeu pour que les gens
puissent savoir à quoi s'en tenir à travers la province.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Avant d'aller plus loin, avant de
décider ou d'élaborer sur cette question-là, M. Dumont,
nous avons un comité directeur. Nous pourrions en vue de préparer
l'échéancier de travail, discuter ça, et on pourrait
à une prochaine réunion examiner la question au fond.
M. LE PRESIDENT: Une dernière question, M. le
député Bossé.
M. BOSSE: Voici, en ce qui a trait à la qualité des
députés eux-mêmes. Est-ce que vous ne croyez pas que
déjà la population se trouve devant vous parlez du
rôle du député et tout cela, je crois que cela implique
quand même la qualité du député un certain
choix et qu'un certain nombre de partis politiques, parce qu'il reste qu'il y
en a au moins trois dans chaque comté, ont fait une sélection
parmi un certain nombre d'individus et que la population se trouve devant un
choix multiple, à savoir devant trois, quatre et quelquefois cinq
candidats qui sont issus de la population qu'ils entendent représenter.
Cette sélection est donc déjà faite au départ par
les partis.
Le véritable problème parce que j'ai l'impression
qu'on tend à prendre les bouchées doubles du moins au niveau
théorique est que tout à coup l'on part d'un
problème assez simpliste si on regarde quelques années en
arrière la critique du système actuel, sur le plan
électoral, s'arrêtait surtout à cette partie, par exemple,
de la représentation par rapport aux populations. On vient y greffer
maintenant la représentation proportionnelle; c'est-à-dire qu'on
introduit dans nos moeurs quelque chose de tout à fait nouveau, qui a
été expérimenté ailleurs.
Même dans le contexte actuel contexte un peu
désiquilibré je l'admets, au niveau de la représentation
des populations c'est évident que c'est assez injuste lorsqu'il
faut sept ou huit électeurs dans un comté pour se comparer
à un vote dans un centre urbain, par exemple, à sept ou huit
votes d'un centre urbain pour se comparer à un vote dans un centre
rural.
Conséquemment, ne croyez-vous pas que la qualité actuelle
des représentants du peuple au Québec se compare assez bien avec
n'importe quel système, n'importe quel représentant, par exemple,
en Europe ou ailleurs, d'une part? D'autre part, ne voudrait-il pas mieux
procéder avec cet esprit nord-américain qui est beaucoup moins
philosophique et théorique et qui veut qu'on procède par
étapes mais d'une façon réaliste, à la façon
d'un psychiatre, un peu, qui ne va pas tout brusquer tout d'un coup?
C'est-à-dire procéder d'abord par la...
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ne mettez pas un psychiatre
là-dedans...
M. BOSSE: ... réévaluation des populations, du nombre des
députés par population. Rétablir un meilleur
équilibre, c'est-à-dire une disproportion maximale de 25 p. c.
d'un comté à l'autre. Et, ultérieurement, s'il y a lieu
évidemment, voir à peut-être établir une
représentation proportionnelle, mais en ne tenant pas compte uniquement
de certaines pseudoinjustices ou injustices réelles qui auraient
été commises envers certains groupes.
Je crois que dans le passé ces injustices, qu'on constate
aujourd'hui, ont été peut-être plus flagrantes
vis-à-vis d'autres partis qui ont vu à faire des réformes
et qui ont fait peut-être des réformettes au lieu de faire des
réformes. Je pense que l'on est rendu à la période
où tout le monde est d'accord pour faire des réformes, mais par
étapes, mais non pas en voulant tout à coup tout transformer
comme on a la mauvaise habitude au Québec, tout bouleverser tout d'un
coup parce qu'il y a un petit problème, sérieux, mais petit quand
même.
M. LEMIEUX: Je dois admettre que votre position a un certain poids et je
crois que de toute façon si vous ne décidiez que de refaire la
carte électorale, cela serait déjà beaucoup.
Ce que je vous dis et, évidemment, pour le démontrer, il
faudrait qu'on fasse une expérience. Avec quatre partis, une
réforme de la carte
électorale, en fait, n'aurait relativement que peu d'effets dans
la répartition surtout des sièges entre le gouvernement et
l'Opposition. Je crois que, cette année, avec une carte
électorale très équitable on ne peut pas le
démontrer d'une façon certaine les libéraux le
savent bien d'ailleurs, ils auraient eu plus de sièges. Ils sont assez
forts dans les circonscriptions populeuses de Montréal. Donc ils
auraient eu encore plus de sièges.
Il est probable, par contre, comme je le disais au début, que la
répartition des sièges restants entre les partis d'Opposition
aurait été meilleure. Il ne faut pas s'imaginer qu'avec quatre
partis, du moins tant que nous aurons quatre partis, une réforme de la
carte électorale suffira. Cela va améliorer certaines choses,
mais cela va en empirer d'autres, ou du moins, ça dépend. Si
c'est un autre parti que le Parti libéral qui est majoritaire la
prochaine fois, les effets pourront être différents. Je vous dis
que, si on suppose, si on fait le rêve, que la dernière
élection s'était faite avec une carte équitable, avec le
même mode de scrutin, les libéraux auraient sans doute eu encore
plus de sièges qu'ils en ont eus et cette espèce de disproportion
entre le parti gouvernemental et les autres pris tous ensemble aurait
été encore plus grande même si la répartition entre
les autres avait été meilleure.
M. BOSSE: Sur la qualité?
M. LEMIEUX: II est bien difficile pour moi de me prononcer sur la
qualité. Tout ce que je peux dire, je le disais quand je suis venu la
première fois, c'est que vous avez raison de dire qu'il y a quand
même une certaine sélection faite par les partis.
Ils s'arrangent pour choisir le meilleur homme. En fait, ce n'est
peut-être pas celui qui fera le meilleur parlementaire, parfois c'est
celui qui va maintenir l'unité dans le parti. Disons que, d'une
façon générale, il y a quand même une
sélection qui fait que généralement on présente de
bons candidats.
Cependant comme je le disais, la dernière fois, je pense que vous
avez d'autant plus de chances de trouver de bons candidats dans une
circonscription que cette circonscription est populeuse. Cela veut dire qu'il y
a quand même plus de chances, de façon purement théorique,
si vous voulez mais quand même c'est important de trouver
statistiquement un homme de valeur dans un comté où il y a 50,000
électeurs que dans un comté où il y en a 10,000. Alors, de
ce point de vue, du fait que les circonscriptions électorales seraient
plus grosses, il faudrait choisir, par contre, plus de candidats. Cela
permettrait peut-être d'avoir un bassin de population un peu plus vaste
et donc de choisir de meilleurs hommes.
M. BOSSE: Vous semblez croire que le seul facteur qui fasse, par
exemple, qu'un individu quelconque soit mis en nomination ou accepte de
l'être, c'est le fait de la certitude ou de l'incertitude d'être
accepté ou d'être élu.
M. LEMIEUX: Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.
M. BOSSE: Or, les facteurs, par exemple, font qu'un individu, pour
accéder à la politique ou pour en faire, ou y participer
activement, doive accepter de réduire son revenu dans l'ordre de dix
contre un. Il y a des cas quand même assez précis où un
éminent chirurgien accepte de venir travailler pour $18,000 par
année moins $6,000 d'allocations, donc $12,000 réels.
D'éminents syndicalistes, évidemment, acceptent aussi des
réductions de salaire, de revenu et pour n'en citer qu'un, de l'ordre de
peut-être sept contre un ou six contre un, pour venir faire de la
politique. Or, ceci est un facteur que vous semblez ignorer continuellement, en
ne retenant que la façon dont la population ou les militants d'un parti
donné vont réagir.
M. LEMIEUX: Non, en fait, si je n'ai pas parlé de ces facteurs,
c'est que ce n'était pas dans notre sujet aujourd'hui. Il est bien
sûr que, pour accepter d'être candidat, il faut accepter certains
sacrifices, mais vous admettrez avec moi que ces sacrifices sont plus faciles
à accepter quand on est un professionnel ou un non-salarié que
lorsqu'on ne l'est pas. Combien d'entre vous étiez des salariés
avant de faire de la politique? Il y en avait un certain nombre, mais il y en a
peut-être moins qu'il y en a dans l'ensemble de la population,
proportionnellement. Alors, si on se mettait à discuter de ces facteurs,
on pourrait arriver à des conclusions assez étonnantes, il y a un
professeur de Montréal qui a d'ailleurs fait cette étude. Je
pense quand même qu'il y a des exceptions. Il y en a ici
évidemment.
Mais vous admettrez sans doute avec moi que c'est plus facile pour un
agent d'assurances ou un professionnel d'accepter de passer quatre
années en politique ou du moins d'accepter de laisser son poste parce
qu'il est sûr de le retrouver ensuite, que pour un salarié. Mais
cela n'est pas notre sujet. On témoigne.
M. BOSSE: Ce que je voulais faire ressortir tout simplement de cette
dernière remarque, c'est que, pour la qualité ou le rôle
d'un député, il n'y a pas que le facteur de l'acceptation de la
population ou des partis qui compte. Il y a aussi d'autres facteurs...
M. LEMIEUX: Je suis tout à fait d'accord.
M. BOSSE: ...incidents qui vont faire la qualité d'un
député, qui vont créer chez lui un
intérêt.
M. LEMIEUX: C'est sûr.
M. HARDY: Je voudrais juste ajouter une petite remarque. Je le fais avec
d'autant plus de liberté que pa date d'au moins quinze ans. Je me
rappelle avoir lu des articles d'un journaliste qui, dans Le Devoir je
ne sais pas si c'est d'André Laurendeau ou d'un autre
prétendait que la députation de l'île de Montréal,
par rapport à l'ensemble de la province, était beaucoup plus
faible. Le comté de Montréal à ce moment-là
était plus populeux, ce qui, évidemment, contredirait un peu la
thèse que vous venez d'avancer.
M. LAURIN: Les députés fédéraux?
M. HARDY: II parlait des députés provinciaux. Il en
parlait, oui. Je me rappelle très bien et je pourrais faire les
recherches pour produire les articles, mais ça fait quinze ans.
M. LAURIN: Faites les recherches.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Les faits sont là.
M. HARDY: Evidemment, M. Laurendeau ne dirait sûrement pas la
même chose aujourd'hui, mais...
M. LACROIX: II n'y a rien qui peut aller à l'encontre de
ça.
M. HARDY: M. le Président, maintenant il s'agit pour nous de
déterminer la date de la prochaine séance. Je pense que vous
m'avez fait part ce n'est pas un secret, je peux le dire que vous
seriez absent de la province jusqu'au...
M. LAURIN: 26 avril.
M. HARDY: Evidemment, la dernière fois, j'avais proposé
que nous siégions le 29 avril. Ceci avait semblé obtenir
l'approbation du représentant du parti de l'Opposition officielle de Sa
Majesté.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): Enlevez la majesté.
M. HARDY: Quant au représentant du Parti québécois
et au représentant du Ralliement créditiste, on avait
semblé émettre quelque réticence.
M. LAURIN: Nous avions proposé le 22.
M. HARDY: Vous aviez proposé le 22. Quant à moi, je ne
voudrais pas de quelque façon influencer les autres
députés.
Parce qu'encore une fois, je le répète, nous serons
pendant les vacances parlementaires. Des députés profiteront
sûrement de cette période pour rencontrer leurs électeurs,
pour accomplir leur rôle, parce que c'est bien beau de songer à de
nouvelles réformes électorales pour améliorer la
représentation, mais il faudrait quand même commencer par bien
accomplir notre devoir actuel. Quant à moi, personnellement, je suis
disponible le 22 avril, mais j'aimerais bien que d'autres députés
aient l'occasion d'exprimer leur opinion, quant à savoir si nous
devrions siéger le 22 ou le 29.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, les raisons me
semblent impératives: c'est le congé pascal, nous avons des
devoirs à accomplir dans nos circonscriptions, nous avons droit à
une période de repos, parce qu'à la reprise des travaux, il y a
du pain sur la planche. Je maintiens, pour ma part, comme représentant
de mon parti, que nous devrions siéger le 29.
M. LAURIN: M. le Président, deux semaines de congé pascal
me semblent bien suffisantes, surtout quand on tient compte du retard de nos
travaux sur notre horaire et de l'impatience de la population en ce qui
concerne ce sujet. Je m'en tiens donc au 22 pour notre part.
M. AUDET: Nous aussi de notre côté, nous soutenons que le
22 devrait être choisi.
M. HARDY: M. le Président, nous allons simplifier la chose. Nous
allons prendre le vote.
M. TREMBLAY (Chicoutimi): On va mettre la question aux voix.
M. HARDY: Je propose le 29 avril comme date d'ajournement.
M. LE PRESIDENT: Quels sont les députés qui sont en
faveur?
M. Vincent, vous avez remplacé M. Bertrand. Quelle date?
M. VINCENT: Le 29 avril.
M. LE PRESIDENT: M. Blank.
M. BLANK: En faveur.
M. LE PRESIDENT: M. Bourassa n'est pas là. M. Garneau.
M. GARNEAU: Oui.
M. LE PRESIDENT: M. Hardy.
M. HARDY: J'ai proposé.
M. LE PRESIDENT: M. Lacroix.
M. LACROIX: Oui.
M. LE PRESIDENT: M. Laurin.
M. LAURIN: Contre. Je suis habitué.
M. LE PRESIDENT: M. Gérard-D. Levesque n'y est pas. M. Paul.
M. PAUL: Pour.
M. LE PRESIDENT: M. Pinard n'est pas là, M. Samson non plus. M.
Tremblay (Chicoutimi).
M. TREMBLAY (Chicoutimi): "En faveur pour! " '
M. LE PRESIDENT: C'est 7 à 1. La commission ajourne ses travaux
au 29 avril.
(Fin de la séance: 12 h 49)