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Version finale

29e législature, 2e session
(23 février 1971 au 24 décembre 1971)

Le jeudi 20 mai 1971 - Vol. 11 N° 40

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Réforme électorale


Journal des débats

 

Commission permanente de l'Assemblée nationale

Sujet: Réforme électorale

Séance du jeudi 20 mai 1971

(Neuf heures quarante-cinq minutes)

M. LAVOIE (Laval) (président de la commission permanente de l'Assemblée nationale): A l'ordre, messieurs!

Je désire souhaiter la bienvenue, au nom de la commission parlementaire, à M. John Meisel, professeur de science politique à l'université Queen's, Kingston, Ontario.

Je tiens à remercier M. Meisel d'avoir voulu accepter notre invitation et de venir se soumettre aux feux de la rampe. Je demeure convaincu que sa longue expérience saura éclairer cette commission.

M. HARDY: M. le Président, très brièvement parce que nous sommes d'abord ici pour écouter le professeur Meisel, je veux lui souhaiter la bienvenue au nom du parti ministériel. Je pense que la même méthode suivie aux autres séances pourrait convenir. Le professeur Meisel pourrait nous faire un exposé de ses idées sur le mode de scrutin, puisque déjà nous avons décidé de circonscrire nos travaux à ce problème pour les séances présentes. Par la suite, nous pourrions procéder à l'interrogatoire, au contre-interrogatoire et à tout ce qui s'ensuit.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, au nom de votre gauche...

M. LE PRESIDENT: Ma première gauche!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): La bonne aile de votre gauche! Permettez-moi de saluer très cordialement le professeur Meisel que j'ai eu l'honneur de rencontrer et de recevoir à mon bureau du ministère des Affaires culturelles, au temps où il y avait de bons ministres. M. Meisel venait avec ses étudiants et j'ai eu avec lui des conversations fort agréables et instructives en ce qui me concerne sur les problèmes politiques. Nous lui souhaitons la bienvenue. Nous sommes tout oui'e pour entendre ses savantes observations sur les modes de scrutin.

M. DUMONT: M. le Président, cordiale bienvenue au professeur de la part de notre parti. Nous allons écouter attentivement vos remarques afin de pouvoir éclairer cette commission pour une meilleure réforme électorale.

M. LAURIN: Il en est de même pour nous, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que vous pourriez procéder à un exposé peut-être global sur le sujet?

M. MEISEL: Avec plaisir. M. le Président, messieurs, dames. Je suis très heureux d'être ici. J'ai dit à quelqu'un, ce matin, que je profitais de toutes les occasions pour me rendre à Québec parce que j'aime beaucoup cette ville. Je suis très heureux d'être ici en général, mais aussi très heureux de pouvoir participer avec vous, d'assister avec vous à l'étude d'un problème qui est passionnant pour un politicologue. Peut-être que je devrais vous dire en deux ou trois mots, d'abord, mon billet général en science politique.

Je m'intéresse surtout au comportement politique, au comportement électoral et aux partis politiques. Alors c'est dans ces champs-là que je pense être peut-être spécialiste plus que dans d'autres champs de la science politique.

Comme vous l'avez sans doute observé, je suis anglophone. Donc, il faut que je m'excuse un peu. J'aimerais bien parler en français mais parfois il se peut que je dise des choses maladroites et que je massacre un peu la belle langue française. J'espère que vous excuserez ça.

Maintenant, j'ai lu pas mal de pages du journal des Débats concernant votre commission. Je crois que je vais commencer un peu d'une façon différente des autres parce que je n'ai pas de recommandations à faire, moi. J'ai plutôt des observations à faire, des observations assez générales pour commencer. J'espère qu'après que j'aurai fait mes remarques générales peut-être qu'on pourra devenir un peu plus précis, plus concret plus tard. Mais au début j'aimerais bien réagir un peu vis-à-vis de certains points qui ont été mentionnés au cours des séances précédentes. J'aimerais effectuer une sorte de métamorphose peut-être et devenir une cible que vous pourrez bombarder de vos réactions contre les réactions que j'ai eues en lisant les journaux.

Maintenant, malheureusement, les observations que j'ai à faire ne contiennent pas de solutions ni peut-être même des idées nouvelles ou même des données nouvelles. Je pense qu'il se peut qu'il y ait deux choses que je vais dire et qu'on n'a pas mentionnées.

J'ai trouvé en lisant vos débats qu'en effet vous avez touché à presque chaque aspect majeur du problème qui vous préoccupe. Donc, il est assez difficile d'y ajouter quelque chose de nouveau. Mais ce que je peux faire c'est peut-être essayer de présenter une sorte de résumé de ce que j'ai trouvé le plus intéressant vu par un type un peu plus éloigné que les autres peut-être du problème immédiat parce que je suis, je l'avoue, un citoyen de l'Ontario. Je travaille en Ontario. Donc, je n'ai pas tout à fait la même optique que les Québécois.

Il y a dix points majeurs que je veux souligner, certains sont très simples; peut-être qu'ils vont vous sembler tellement simples que vous direz: Pourquoi est-ce qu'il dit des choses comme ça? Nous les connaissons bien. Je sais qu'il y a beaucoup de points que vous connais-

sez très bien, mais j'espère que l'ensemble de ceux que je vais souligner va donner une optique utile globale du problème.

Régime électoral

M. MEISEL: Je vais essayer d'être très court pour que nous ayons plus de temps plus tard pour jaser un peu, échanger des points de vue. Le premier point, très simple, mais très important, c'est que le régime électoral doit, je crois, satisfaire deux conditions.

D'abord le régime électoral doit être légitime, dans le sens qu'il doit avoir l'appui de la population. On pourrait définir le mot "population" et demander: Qui parmi la population? En tout cas, il doit avoir l'appui de la population qui est effective politiquement, qui agit dans la politique, qui peut s'y exprimer.

Deuxièmement, le système électoral doit être efficace, ça doit marcher. On doit avoir des résultats. Le pays doit être gouverné en conséquence du fonctionnement des lois électorales.

Réformes

M. MEISEL: Le deuxième point c'est que je crois que le système électoral actuel risque, au Québec, de ne pas être légitime au sens du mot dont je me suis servi. Il n'y a aucun doute — comme d'ailleurs tout le monde le sait — qu'on doit changer certaines choses. L'écart entre la proportion du vote et les sièges à l'Assemblée est tellement grand que si ça continue il se peut bien — comme d'ailleurs Vincent Lemieux l'a souligné — qu'on perde confiance, que le système cesse d'être légitime.

Il s'ensuit, il me semble, qu'il n'y a aucun moyen, mais qu'on doit changer certaines choses. On a beaucoup d'options ici, n'est-ce-pas? On peut changer la carte politique, on peut changer le système de scrutin, on peut faire des changements dans la caisse électorale. Il y a beaucoup de choses qu'on peut faire. Il y a une chose que l'on doit décider évidemment ici; c'est où on va faire les réformes les plus fondamentales et les plus sérieuses. C'est mon deuxième point.

Culture politique

M. MEISEL: Le troisième point, c'est qu'en introduisant des méthodes nouvelles, je crois qu'on ne doit pas perdre de vue qu'un changement de la Loi électorale, s'il est profond surtout, va changer la culture politique. C'est M. Jean Meynaud qui a parlé de ça lorsqu'il est venu ici et je crois que c'est un point énormément important. On ne peut pas changer le mode de scrutin sans vraiment changer des choses très fondamentales et des choses dont on ne s'aperçoit même pas, comment elles sont liées au système du scrutin, au système électoral.

Réalité socio-politique

M. MEISEL: La quatrième observation que je veux faire, c'est que les effets et les conséquences de la Loi électorale sont très grands même si la réalité socio-politique est plus grande encore et est encore plus forte que les conséquences du système électoral. Je veux dire par ça qu'on peut changer des choses en changeant le système électoral, le système de scrutin, mais cela ne peut pas changer les choses vraiment fondamentales. C'est la culture politique, c'est la qualité de la société même qui est beaucoup plus profonde. On ne peut pas vraiment changer les choses, on ne peut pas changer un système politique fondamentalement en changeant le système électoral.

Vous avez parlé de ça dans plusieurs de vos séances. On parle beaucoup de l'Allemagne ici. En Allemagne, on a introduit un système qui est en effet un système proportionnel. Tout de même, si vous suivez le développement des partis politiques, on voit que, en Allemagne, on bouge vers un système de deux partis, même si le système électoral pouvait introduire une pluralité énorme des partis.

Penser à l'avenir

M. MEISEL: Ce cinquième point, c'est qu'en introduisant des méthodes nouvelles dans le système de scrutin, on ne doit pas prendre une optique trop étroite, on doit toujours penser de longue haleine. Je ne sais pas si on pense de longue haleine, mais, en tout cas, on doit prendre une optique qui n'est pas dominée par les événements d'aujourd'hui, de demain; il faut penser à l'année prochaine, à cinq ans d'ici, dans une optique beaucoup plus large.

D'ailleurs, M. Jean Meynaud l'a souligné aussi devant vous, il se peut qu'un, deux ou trois partis qui sont mal servis par le système actuel veuillent changer parce qu'ils se sentent punis par lui. Il se peut qu'à la prochaine élection les votes soient distribués d'une façon tout à fait différente et que le parti qui est privilégié aujourd'hui soit puni la prochaine fois.

Donc, je crois que, même si on veut penser à l'intérêt personnel, intérêt privé, si vous voulez, d'un parti politique, qui doit, après tout, essayer d'introduire un système qui va lui être favorable, on doit, même dans ce cas, penser non seulement à la dernière élection, mais à la prochaine et ainsi de suite. C'est extrêmement dangereux de changer, comme on l'a d'ailleurs fait en France, le système presque après chaque élection, parce que, comme ça, c'est très difficile de donner à un système politique l'aspect légitime dont je parlais au début.

Comparaisons M. MEISEL: Maintenant, le sixième point; il

y a, je crois, un danger très grand dans les comparaisons internationales, d'un pays à l'autre, quand on discute les effets du mode de scrutin, de ses problèmes. Il est évident qu'on doit regarder les autres pays. Il n'y a aucun doute qu'il y a intérêt à étudier la France, l'Allemagne, l'Irlande, le Japon, Israël, n'importe quel pays, pour voir ce qui se passe, mais c'est très dangereux de penser que les circonstances sont vraiment comparables. Même un de vos témoins qui a souligné ce point d'une façon très correcte, M. Jean Meynaud, s'est lui-même un peu trompé quand il vous a dit par exemple qu'un changement du système de scrutin pourrait influencer la façon dont les fonctionnaires travaillent au Québec. Je pense que c'est vrai en France, mais pas ici, parce que les relations ici, au Canada et au Québec, entre les partis politiques et les fonctionnaires sont tout à fait différentes de celles de France.

Donc, je crois qu'une partie du témoignage de M. Meynaud, sur ce point-là, n'est pas vraiment tellement à point. C'est un peu dangereux parce qu'on ne peut pas faire de comparaison entre la France et le Québec, dans tous les domaines. Je ne veux pas dire qu'on ne doit pas faire de comparaisons, évidemment on doit les faire, mais je crois qu'on doit toujours faire attention et ne pas penser, parce que les choses ont un nom pareil, ou ont une apparence semblable dans deux pays, qu'elles sont vraiment pareilles; elles ne le sont pas souvent. On perd souvent conscience de cela. Maintenant la septième observation, une que vous connaissez bien d'ailleurs. C'est qu'il n'existe pas au monde, je crois, un système électoral parfait et dans n'importe quel pays il y a des électeurs et des députés qui veulent changer le système. C'est parce qu'ils sont humains, sans doute, que cela arrive. Cela ne marche pas toujours, donc on veut changer les choses, il y a toujours des problèmes. C'est universel qu'on ne soit pas content de son système de scrutin, de son système électoral, partout.

Les experts

M. MEISEL: Vous avez parlé de l'Allemagne, vous savez bien qu'en Allemagne on essaie de changer le système. Maintenant, un autre point lié à celui-ci et très important aussi, un point que vous avez déjà remarqué peut-être, c'est que dans chaque pays, il y a des experts qui manquent absolument d'unanimité. On peut trouver un expert de première classe — je suis sérieux quand je dis un expert de première classe — un expert vraiment très très bien, magnifique, un spécialiste des spécialistes, la crème de la crème, dans n'importe quel pays, qui pourrait donner appui à n'importe quel point comme on le fait au sujet ou dans le champ du mode de scrutin, c'est-à-dire, qu'il y a des experts qui vous disent: Je sais, la réforme X est vraiment superbe. Vous pouvez trouver un expert aussi bon, qui va vous dire: Je suis convaincu que la réforme X est très mauvaise. Donc, comme vous le savez, les experts sont des gens très dangereux et je crois qu'ils ne sont pas d'accord, dans ces champs surtout. Ils ne sont pas du tout d'accord et c'est très utile pour les députés de parler avec eux, mais c'est à eux de décider quelles sont les connaissances les plus utiles dans les circonstances que les députés connaissent très bien, peut-être même mieux parfois que les soi-disant experts.

M. HARDY: M. Meisel, voulez-vous dire que les vrais experts de la politique sont les députés?

M. MEISEL: Oui, je suis d'accord. Il y a deux types d'experts, c'est un des vrais experts.

Maintenant, il y a deux raisons, je crois, pour lesquelles les experts ne sont pas d'accord. Et il faut que je les mentionne brièvement. D'abord, c'est le jugement. Si une réforme X est vraiment une bonne réforme, ça dépend tout à fait des objectifs, des buts qu'on veut atteindre. Ce ne sont pas toujours les experts qui peuvent définir les buts. C'est l'électorat, ce sont les députés, le système politique entier qui doit définir les buts non pas les experts.

Deuxièmement, on ne peut pas prédire vraiment les conséquences des réformes du mode de scrutin. C'est tellement complexe, c'est tellement compliqué. C'est vraiment impossible de dire avec certitude que telle et telle réforme va avoir seulement telle et telle conséquence.

Hypothèses

M. MEISEL: Maintenant, la huitième observation, je pense qu'à cause du fait, à cause de ce dernier point que je fais, c'est-à-dire à cause du fait que c'est tellement difficile à prédire avec exactitude quelles sont les conséquences d'un changement du mode de scrutin, il faut essayer d'obtenir des données aussi précises que possible. J'ai remarqué, en lisant le journal des Débats, que vous avez parlé de temps en temps de sondage. Je crois que c'est avec M. Vincent Lemieux que vous avez parlé de cela. Je suis sûr que, sur certains points, il faut évidemment faire des sondages même si, parfois, les sondages ne peuvent pas nous donner toutes les réponses que nous voulons avoir. Il y a certaines questions auxquelles même les sondages ne peuvent pas nous donner de réponses.

Deuxièmement, je crois qu'il faut faire beaucoup de travail de simulation avec les ordinateurs. Il faut faire des hypothèses au sujet des systèmes de scrutin, du système électoral, avec les ordinateurs; maintenant, on peut simuler les conséquences de certaines hypothèses. On a fait cela beaucoup, par exemple, en Allemagne et je crois que c'est très utile. Il y a toujours des hypothèses qui sont dangereuses parce que, par exemple, on doit commencer par penser que la distribution des partis sera semblable à la

dernière fois, que ça peut changer de 2 p. c, 5 p. c. d'une certaine façon.

Même s'il y a des problèmes avec l'assimililation du processus électoral, on doit toutefois, je pense, essayer de le faire.

Définition des objectifs

M. MEISEL: Le neuvième point, c'est qu'on doit aussi établir une définition hiérarchique des objectifs. Je crois que c'est un point très clair, mais très important. En lisant vos discussions, je me suis rendu compte qu'on n'a pas encore vraiment, dans cette commission, défini, mis en ordre les objectifs que vous voulez suivre, n'est-ce pas? Par exemple, on n'a pas encore décidé qui ou quoi doit être représenté. On parle souvent de ce problème. Est-ce que ce sont les communautés, les individus, un espace géographique? Est-ce que c'est un intérêt très étroit, local, ou un intérêt plus grand? Avant de décider quoi faire, il faut évidemment que vous soyez d'accord sur ce qui doit être représenté dans une assemblée. Quel est le rôle du député? Quels sont les rôles du député et dans quel ordre?

Deuxièmement, en ce qui concerne les objectifs, par exemple, M. Vincent Lemieux, ou Jean Meynaud, je crois, a parlé de cela. M. Lemieux a fait une liste de quatre objectifs. Il a parlé du fait qu'on doit trouver une formule correcte. La relation entre le vote et les sièges doit être juste, à peu près dans une relation réelle et pas tout à fait drôle. Il a dit, deuxièmement, qu'on doit parler des conséquences sur la vie parlementaire et, troisièmement, de la qualité de la représentation. Quatrièmement, dit-il, on doit penser aux conséquences pour les partis politiques. Mais il faut qu'on décide lequel de ces buts est le plus important parce qu'il n'est pas possible de les satisfaire tous de la même façon.

Il faut vous dire: Nous pouvons peut-être avoir une représentation très exacte, mais il y aura des coûts. Il faut qu'on se décide à savoir si on est prêt à payer ces coûts. On peut dire: Nous voulons que les partis politiques prennent une certaine allure, une certaine physionomie. Cela est beaucoup plus important pour nous que la formule exacte de traduire le vote en sièges.

Nombre de députés

M. MEISEL: Mon dernier point, le dixième, est que je crois qu'en définissant les objectifs, il y a un danger d'être trop étroit, d'être motivé peut-être par des pressions immédiates, trop immédiates. Vous parlez beaucoup, par exemple, ici, de la représentation, du mode de scrutin, de la façon que les gens sont représentés, mais il faut aussi penser à un autre problème qui, d'ailleurs, a déjà été soulevé ici d'une façon très légère: Quel est le nombre idéal de députés à Québec? Est-ce que c'est 120, 108 ou 230? Vous savez, on doit se poser la question suivante: Le rôle de l'Assemblée nationale change. Le rôle de tous les Parlements du monde change.

Il y a un processus très vif de redéfinition. Donc, il se peut que, pour faire le travail, pour fournir la main-d'oeuvre pour tous les comités, sous-comités, commissions et tout ce qu'on fait, il faut que l'Assemblée ait plus de membres. Il se peut que, maintenant, on doive faire augmenter le nombre des députés. N'est-ce pas? Je ne sais pas. Je ne dis pas qu'on doit faire ça, mais je le mentionne simplement comme exemple que ce sont de telles questions qu'il faut se poser.

Aussi, un autre aspect général dont on ne parle pas souvent. Si vous changez le mode de scrutin, le système électoral d'une façon qui, par exemple, amène des changements très vite, très fréquents de gouvernements, il se peut qu'il soit nécessaire, pour que le système politique fonctionne efficacement, de voir à ce que l'Exécutif soit plus fort. On a fait ça dans certains pays, n'est ce pas? Si le Parlement est faible, pour que le gouvernement puisse continuer, on introduit des choses dans la constitution pour que le chancelier ou le président soit tellement fort que, quand l'Assemblée ne marche pas très bien, il y a toujours quelqu'un qui peut vraiment conduire le gouvernement. Donc, il y a des coûts. Si on rend l'Assemblée trop faible, peut-être, trop délicate, il se peut qu'on doive faire l'Exécutif plus fort. Encore là, si on fait ça il peut y avoir certaines conséquences pour le système politique.

Alors, voilà mes dix points. Malheureusement, ce ne sont pas des commandements. Ce sont plutôt des questions du jour qu'on pourrait peut-être discuter.

Merci, M. le Président.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, M. Meisel, si vous permettez, j'aurais une question à vous poser, M. le professeur, à la lumière des dix points que vous avez évoqués et en même temps explicités.

La première question que je voudrais vous poser sera la suivante: Il semble se dégager de votre exposé l'idée suivante: il serait périlleux de procéder avec une trop grande rapidité dans le changement du système électoral ou du mode de scrutin. Est-ce qu'il vous serait possible d'élaborer sur ce thème dont vous avez fait un de vos points?

M. MEISEL: Oui. Il faut satisfaire les deux premières conditions, que je mentionnais, c'est-à-dire que le sytème doit être légitime. Est-ce qu'on peut utiliser le mot "légitime" de cette façon en français?

M. PAUL: Oui, oui.

M. MEISEL: Légitime et efficace.

M. HARDY: C'est ce qu'il y a de plus français, je pense.

M. MEISEL: Ah bon!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Légitime et efficace.

M. HARDY: Le général de Gaulle parlait fréquemment de la légitimité du pouvoir.

Légitimité

M. MEISEL: Bon, alors, je crois que c'est vous, messieurs, qui êtes les meilleurs juges à savoir si le système est devenu tellement biaisé, si vous voulez, qu'il cesse d'être légitime. S'il cesse vraiment d'être légitime il faut faire des changements très profonds. Sinon, moi je pense, puisque la société et la politique au Québec sont en train d'être transformées d'une façon vraiment très radicale, je crois, peut-être, qu'en général c'est mieux de ne pas tout changer en même temps pour qu'on puisse voir comment les changements individuels, discrets, affectent les choses. Si vous changez tout vous ne savez pas quelles sont les conséquences de n'importe quel petit changement qu'on a fait.

Donc, je crois qu'en général vous avez raison. Mais si vous dites que peut-être... Je crains un peu un changement trop radical, mais toujours si les circonstances actuelles sont telles que le système est en danger de perdre sa légitimité, je pense qu'il faut faire des changements très radicaux.

Maintenant est-ce que je pourrais ajouter une petite note? Vous savez, comme professeur, nous avons toujours des petites notes. Alors, une note, voilà.

Il me semble que vous, députés de tous les partis, avez un moyen d'influencer les choses, parce qui le système n'est pas considéré légitime et que vous pensez peut-être même qu'on doit le garder ou qu'on doit le changer mais pas d'une façon tout à fait radicale, vous pouvez expliquer ça aux gens. Et je trouve qu'en général les politiciens aussi bien que les politicologues n'expliquent pas suffisamment pourquoi tous les systèmes électoraux sont de mauvais systèmes.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, j'ai bien noté ce que vous avez dit au sujet de la légitimité, de l'efficacité du régime électoral. Il est entendu que la notion de légitimité a un sens très précis aux termes du droit public. Il y a toutefois des conditions historiques.

Le système que nous avons à l'heure actuelle fait que les députés élus constituent ce qu'on appelle la légitimité du pouvoir, mais à cause de l'évolution de la société, il nous est apparu — et toute la commission est d'accord là-dessus — qu'il y a quand même une disproportion à l'heure actuelle, qui vient du fait que certains partis politiques ont plus de sièges proportionnellement au nombre de votes qu'ils ont recueillis. Nous avons, évidemment, l'intention d'apporter les correctifs afin de rétablir cet équi- libre, cette pondération qui est absolument essentielle.

D'autre part, vous avez noté tout à l'heure et ça rejoint ma première question lorsque je vous disais que j'avais noté ce que vous aviez dit concernant la prudence que nous devons avoir en apportant des modifications. Il arrive qu'il y a une certaine mouvance — vous l'avez noté tout à l'heure — dans le comportement des électeurs. Ainsi, tel parti politique peut recueillir un nombre très important de voix à une élection et verra tout à coup ce nombre de voix diminuer considérablement et d'autre part certains partis qui paraissent émerger sont à une élection subséquente réduits à une quantité quasi négligeable.

Le problème, d'ailleurs, s'est déjà présenté au Québec et il peut se présenter ailleurs, soit au palier du gouvernement central ou au palier des Etats provinciaux. Cela nous incite à retenir ce que vous disiez, que dans notre effort pour rétablir l'équilibre en vue de cette légitimité, cette efficacité, nous devons quand même tenir compte des habitudes électorales et vous en avez fait d'ailleurs un point de votre exposé: la question des habitudes électorales.

Vous avez parlé à ce propos de culture politique. Je ne m'en vais pas vous faire le reproche que j'ai fait à M. Meynaud de parler de culture politique. Moi, j'appelle ça des habitudes électorales, un comportement socio-politique.

L'expérience que vous avez, soit dans l'Ontario, dans le reste du Canada et dans les pays que vous avez fréquentés, est-ce que partant de cette expérience vous pourriez, non pas porter un jugement, mais nous décrire un peu ce que vous voyez dans le comportement électoral canadien, ontarien, québécois, etc.?

Est-ce que notre comportement électoral est bien différent de celui des autres pays dont vous avez étudié les systèmes?

M. MEISEL: C'est une question assez difficile, parce qu'il y a un grand nombre de pays. J'en connais certains, pas tous évidemment. Il y a certaines choses qui m'ont beaucoup frappé. Si je pouvais revenir à certains points qui ont déjà été discutés dans vos débats il y a plusieurs semaines, je pourrais peut-être répondre à votre question d'une façon satisfaisante.

Vous avez parlé de la différence qui pourrait se présenter entre les députés qui sont élus d'une façon directe dans le système allemand et les députés qui sont élus sur les listes de l'un d'eux, qui n'est pas de sa circonscription. Je crois que M. Bonenfant a parlé à quelqu'un à Hambourg qui lui a dit qu'en effet il n'y a pas grande différence entre les membres et les députés qui sont élus dans la circonscription électorale qu'ils connaissent et les types qui sont élus à cause des listes.

C'est vous qui connaissez ça beaucoup plus que moi. Moi, comme "layman", le type qui regarde ça du dehors, je serais très étonné s'il

n'y avait pas une très grande différence à l'Assemblée entre les membres qui doivent s'occuper de la circonscription et les grands théoriciens, les grands étudiants qui pourraient s'occuper des problèmes globaux et qui pourraient penser et écrire des choses universelles.

Je pense qu'il y aura deux classes de députés au Canada. Pourquoi? Parce que les relations entre les députés et l'électorat sont tout à fait différentes de celles de l'Allemagne. En Allemagne, en général, je crois que l'électorat est beaucoup plus universel et national. Je crois que la circonscription, comme telle, n'est pas tellement importante. Il y a moins de patronage du type que nous connaissons ici. C'est un patronage différent.

M. HARDY: C'est du bon patronage.

M. MEISEL: Oui, il n'y en a pas d'autre d'ailleurs. Je pense qu'entre le comportement électoral et les relations entre l'électorat et les députés ici, nous ne pouvons pas faire de comparaison comme entre l'Allemagne et le Canada.

La chose qui est la plus importante dans ce sens-là, c'est qu'au Canada et au Québec surtout dans le Québec rural, le rôle du député dans le système politique est sui generis. Cela n'existe pas de la même façon, par exemple, même en Ontario, je pense. Donc, il me semble qu'on ne peut pas dire qu'un système qui marche bien en Ontario doit marcher aussi bien ici. Je pense que pour des raisons historiques dont vous avez parlé il y a quelques minutes, le député à Québec joue un rôle très très important. Sans doute que ce rôle est en train de changer mais ça existe encore.

Donc, quand on change le système, quand on enlève l'électeur à son député, cela pourrait être assez sérieux et cela pourrait même avoir des conséquences sur la légitimité du système. Le bureaucrate n'est pas le même type que le député. C'est un fait de la vie.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Meisel, vous avez constaté que nos habitudes électorales, notre comportement à l'endroit des députés, ici au Québec, est différent de ce que vous avez observé ailleurs même en Ontario. Vous verriez certaines difficultés d'adaptation de cet électorat si l'on devait accepter un système qui permettrait d'élire des députés de circonscription et, par ailleurs, un certain nombre de députés dont nous avons dit ici, qu'ils seraient privilégiés et qu'ils auraient un rôle plus noble: celui de s'occuper des grandes questions. Est-ce que je vous ai bien compris quand vous avez dit tout à l'heure qu'en Allemagne, dont on nous dit que le système serait sous toutes réserves, le système idéal, est-ce que l'électorat allemand, le peuple allemand s'intéresse aux députés pour autant qu'ils représentent les grands intérêts nationaux, qu'ils défendent ces intérêts nationaux ou si l'électorat s'y intéresse parce que le député s'occupe activement, directement de tous les individus qui ont recours à ses services?

M. MEISEL: On s'intéresse aux partis politiques, aux positions que le député va prendre sur des questions globales plutôt que sur des questions très locales. Je ne dis pas qu'il faut, je ne me souviens pas qui a dit ça, quelqu'un a dit... Peut-être que les choses changent, en tout cas, pourquoi ne pas assister à ces changements?

C'est vrai, on peut prendre cette position, mais je crois qu'on doit se rendre compte que le changement va prendre place. C'est-à-dire, il faut que vous, comme vrais spécialistes de cette question, décidiez si ça vaut la peine de faire des changements comme ça et d'accélérer ces changements ou de les freiner.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Meisel, si vous me permettez une dernière question avant de laisser la parole à mon collègue, M. Hardy, qui m'a demandé d'intervenir, je voudrais vous poser une question, enfin, c'est peut-être un peu délicat, vous y répondrez si vous jugez bon d'y répondre. On a parlé ici, en ce qui concerne le réaménagement de la carte électorale et même en ce qui concerne le mode de scrutin, de confier ça à des experts qui seraient tout à fait en dehors de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, certains d'entre nous, et moi en particulier, je maintiens que nous sommes les meilleurs praticiens de la politique et mieux placés que des experts pour analyser le problème et en arriver à des solutions concrètes, sans toutefois, évidemment, mépriser les experts que nous voulons associer à notre travail.

Quelle serait, selon vous, la formule idéale pour que nous en arrivions rapidement à ces changements que nous souhaitons, et qui respecterait en même temps la suprématie du Parlement, donc des membres de l'Assemblée nationale, et d'autre part qui permettrait d'utiliser les services des experts, et des experts des experts dont vous nous avez dit tout à l'heure que leur avis est souvent partagé?

M. MEISEL: Excusez-moi, je ne suis pas sûr si j'ai compris votre question. Est-ce que c'est: Quelle est la meilleure façon de procéder pour résoudre le problème?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, est-ce qu'on pourrait procéder par une commission mixte de l'Assemblée nationale, assistée d'experts ou s'en remettre à des experts au sujet de ces grands problèmes qui, vous l'avez dit tout à l'heure, sont quand même mieux connus des praticiens de la politique qu'ils ne peuvent l'être théoriquement par les experts qui regardent les choses de l'extérieur, comme vous l'avez dit?

M. MEISEL: Oui. je peux vous dire quelles sont mes idées personnelles, ce ne sont pas des idées d'expert, ce sont les idées d'un simple

individu. Il me paraît qu'il faut que la solution soit acceptable à l'Assemblée nationale. Il me semble que c'est une perte de temps de dire à un expert de résoudre tous les problèmes et puis l'accepter, parce que, si ce n'est pas acceptable à l'Assemblée nationale, ça n'ira pas.

Plus encore, je pense que ce doit être acceptable à l'Assemblée nationale d'une façon un peu plus différente que dans la majorité des cas. C'est-à-dire qu'il doit y avoir un certain consensus là-dessus, peut-être pas tout à fait l'unanimité, mais on doit s'assurer que la façon de procéder à la réforme sera telle qu'il n'y aura pas de partis qui seront absolument, totalement, fatalement opposés.

On ne peut peut-être pas atteindre l'unanimité. Il y aura certains partis qui vont sans doute voter contre. Mais je crois qu'on doit mesurer le degré de l'opposition, et s'assurer que, peut-être, dans un certain sens, c'est une opposition formelle, à peu près, pas tout à fait peut-être. Mais je crois que c'est tellement important que, si le système doit être légitime, on ne peut pas faire des choses qui soient répugnantes à certains partis, à n'importe quel parti.

Donc, la solution doit être finalement une solution politique, mais, pour obtenir les données, pour vraiment faire les travaux analytiques, pour examiner ces choses-là, je crois que ce sera très utile d'établir un bureau, une commission, n'importe quoi, où vous aurez des experts qui feront le travail avec les politiciens. En effet, ce sera un travail d'ensemble. Mais, je crois que dans une démocratie le rôle politique revient aux représentants du peuple qui doivent prendre ces décisions.

Maintenant, en ce qui concerne la carte électorale, si vous adoptez, par exemple, de changer la carte électorale comme c'est le cas au gouvernement fédéral maintenant, aussitôt que le Parlement établit le paramètre, on peut, je crois, même on doit dans certain cas, se servir d'un comité indépendant. C'est très difficile pour les politiciens; vous le savez mieux que moi, parfois même quand on sait qu'on doit faire quelque chose, les pressions politiques sont tellement dures que c'est plus facile d'avoir un comité indépendant pour prendre les décisions mécaniques dans un cadre qui a été défini par les politiciens.

M. HARDY: J'ai des questions un peu additionnelles, comme on le dit habituellement à la période des questions, qui se greffent aux questions du député de Chicoutimi. Vous avez parlé tantôt de légitimité. Alors, je vais poser une question assez directe, assez brutale — évidemment vous êtes libre d'y répondre ou non — je vais vous demander si — je ne me réfère pas nécessairement à un cas précis, j'essaie de prendre un cas abstrait, une hypothèse — vous croyez qu'un Parlement qui est composé de députés, de 72 députés ou de deux-tiers de députés d'un parti, lequel parti n'aurait obtenu qu'entre 45 p. c. et 50 p. c. des voix, est-ce que vous croyez qu'on peut considérer ce Parlement comme non légitime ou quelle est votre impression? Evidemment, je sais que c'est très difficile, peut-être même arbitraire...

M. LAURIN: Comme il vient de l'Ontario il va pouvoir répondre.

M. HARDY: Justement, c'est peut-être un avantage d'être de l'extérieur, on voit avec plus d'objectivité les problèmes.

M. MEISEL: Je serais très heureux de répondre. Maintenant vous savez bien que ce n'est pas une réponse scientifique, c'est une opinion personnelle.

M. HARDY: Oui, oui!

M. MEISEL: La science ne peut pas répondre à cette question. Alors, comme individu d'un autre pays et comme professeur, je peux vous dire que je ne peux pas répondre à la question, telle que vous l'avez posée, parce que cela dépend... Il y a des circonstances où ce ne serait pas un grand problème. S'il n'y a pas vraiment de grandes divisions, de clivages vraiment sérieux au Parlement, cela ne fait pas grand-chose si une fois le plus grand parti reçoit 45 p. c. du vote et deux-tiers de sièges, cela ne fait pas grand-chose. Mais, si vous vous trouvez dans des circonstances où il y a des différences d'opinions très profondes entre cette majorité et un groupe plus petit qui a obtenu, disons, 24 p. c. des votes, pour prendre un chiffre...

M. HARDY: Abstrait.

M. CHARRON: Au hasard.

M. MEISEL: Si dans ce cas-là, ce groupe est très mal représenté, je pense que c'est sérieux. Je crois qu'une fois, on peut vivre avec cela, oui. Si les gens s'entendent, pensent qu'on essaie vraiment de résoudre ce problème, je crois qu'on peut accepter cela, mais pas pour toujours, il faut, je crois, éviter cela. Donc, c'est une crise temporaire avec laquelle on peut bien vivre, mais pas pour l'éternité.

M. CHARRON: Me permettriez-vous une question, plus petite que la sienne?

M. HARDY: Est-ce que je... cela continue. M. CHARRON: Bon, je le ferai après.

M. HARDY: Est-ce que je devrais comprendre, à la suite de votre réponse, si sur une certaine période on arrivait à la situation que je vous ai décrite tantôt si à la suite de deux ou trois élections on arrivait à une telle situation,

qu'on devrait vraiment se poser des questions sur la légitimité? Mais, si cela se produit une fois, on ne peut pas nécessairement conclure que la légitimité est en cause, est-ce que c'est cela?

M. MEISEL: Je suis d'accord sur cela.

M. LACROIX: Comme un accident est arrivé récemment.

M. HARDY: Une autre question, M. le professeur, que je voudrais vous poser. Vous avez dit tantôt, en faisant des comparaisons entre l'Allemagne et le Québec, que les députés allemands avaient une conception plus universelle, plus globale des problèmes que les députés québécois à cause de toutes sortes de facteurs historiques et autres. La question que je me pose et que je vous pose est la suivante: Est-ce que vous croyez que la modification du mode de scrutin pourrait avoir comme conséquence de modifier le comportement et des électeurs et des députés? C'est-à-dire, est-ce que le fait de modifier le mode de scrutin pourrait rendre les électeurs et les députés québécois plus universels?

M. MEISEL: Oui, ça dépend de la façon exacte par laquelle vous modifiez le scrutin, si vous le modifiez à peu près de la façon allemande ou de plusieurs autres façons qui ont été suggérées ici. Ainsi, par exemple, vous aurez des circonscriptions très grandes avec plusieurs députés qui représentent un certain individu; je crois que ça va changer profondément les relations entre le député et l'électorat.

M. HARDY: Je voulais dire que, dans l'immédiat, supposons un temps donné — nous sommes en 1971 — 1974 ou 1973, on modifie le mode de scrutin dans le sens de l'Allemagne...

M. MEISEL: Oui.

M. HARDY: ... dans un sens où vraiment la relation de l'électeur avec le député n'est plus la même. Est-ce que vous croyez qu'à ce moment-là, pendant un nombre X d'années, ça peut perturber dans une certaine mesure l'électorat?

M. MEISEL: Je crois que oui. Ce serait un des facteurs parmi plusieurs qui vont changer. On a remarqué que tout le monde est en train de devenir plus urbanisé, que même l'électorat rural est en train de devenir plus urbain dans un certain sens. C'est vrai. Donc, je crois, ces forces aussi vont influencer les relations entre l'électorat et le député en 1973. Est-ce que je peux faire une observation qui est une conséquence de votre question mais ce n'est pas vraiment...

M. HARDY: Obiter dictum.

M. MEISEL: Oui. Vous savez, une chose m'a beaucoup frappé, c'est qu'on pense que la façon dont les choses évoluent maintenant doit continuer pour toujours. C'est-à-dire que, par exemple, dans les grandes villes — je crois que c'est André Bernard qui a parlé de cela — on le sait bien partout, les relations entre l'électorat et les députés ne sont pas aussi étroites que dans les circonscriptions rurales. Et on pense que, parce que tout le monde s'urbanise, dans 50 ans, 100 ans tout le pays sera urbanisé sinon d'une façon physique au moins d'une façon intellectuelle dans l'optique des gens.

Donc, les relations entre les députés et l'électorat manqueront de personnalité. Vous savez, on fait une hypothèse quand on dit cela parce qu'il me semble qu'une chose arrive au monde ces temps-ci; c'est que, avec les ordinateurs, avec les épargnes d'échelle, avec toutes ces choses-là, on devient beaucoup plus centralisé. Donc, on essaie aussi de décentraliser des choses. On établit, par exemple, des régions administratives. Et on commence à faire quelque chose pour changer la direction en personnel, disons, des relations entre l'électorat et le député.

Il se peut que, dans 30, 40 ou 50 ans, on prendra beaucoup de décisions sur le niveau plutôt local et que même l'Assemblée nationale aura des comités qui vont voyager partout, qui vont discuter avec les gens.

Il se peut que la tendance actuelle contre l'urbanisme change — on aura l'urbanisme, on ne peut pas échapper à cela — mais on peut faire autre chose pour diminuer certaines conséquences de cette tendance. Je crois donc qu'on doit penser aux conséquences. Si vous établissez des circonscriptions dans les grandes régions, ou même comme en Israël, par exemple, pour le pays entier, vous savez que vous détruisez quelque chose qui peut-être sera utile, peut-être que non. Mais il faut que vous vous rendiez compte que vous le faites.

M. LE PRESIDENT: M. Charron.

M. CHARRON: M. Meisel, j'ai deux questions sur les mêmes sujets qui ont attiré l'attention du député de Terrebonne, soit le premier point que vous avez soulevé et les deux derniers.

Ma première question porte sur la nécessaire légitimité que vous avez reconnue à un mode de scrutin quel qu'il soit. Pour faire suite à la question fort précise du député de Terrebonne, je vous demande si, à votre opinion personnelle, encore une fois, vous jugez que dans la situation actuelle du Québec depuis 1970, — je ne parle pas du gouvernement en place qui aurait perdu sa légitimité ou qui ne l'aurait pas perdue, je parle du mode de scrutin qui, disons, doit avoir une certaine crédibilité dans l'opinion politique pour atteindre le deuxième point qui est celui de l'efficacité — est-ce que vous croyez dis-je, — et je le répète, ce n'est pas le gouvernement actuel, c'est le mode de scrutin lui-même — qu'il n'y aurait pas autour du mode de scrutin

dans lequel on vit, pour employer une expression de M. Turner, "une dangereuse érosion du consensus populaire"?

M. MEISEL: Vous êtes en meilleure position que moi pour répondre à cette question. Je suis à Kingston et je lis Le Devoir. C'est mon seul contact quotidien avec le Québec. Ce n'est pas le Québec, je me rends bien compte de cela. Je devrais dire que je ne peux pas répondre à votre question, mais, si vous voulez, je répondrai tout de même.

Je pense que ce qui s'est passé, c'est que c'est parmi les intellectuels, parmi les gens les plus actifs au point de vue politique, qu'on a peut-être perdu la légitimité. En ce qui concerne la grande foule, la population, en général, les gens ne sont pas tellement politisés. S'il y avait un sondage général, par exemple, et si vous posiez une question très simple: Pensez-vous que le système est passablement acceptable? — quelque chose comme cela — je pense que la majorité répondrait oui. Je le pense.

M. CHARRON: Me permettrez-vous d'ajouter à votre opinion que le doute à tout le moins est certainement dans l'esprit de 24 p. c. de la population, des gens qui ont voté et qui ont vu la disproportion d'une façon très claire?

M. LACROIX: 90 p. c. de ces gens ne savaient pas ce qu'ils faisaient.

M. MEISEL: Je m'occupe énormément des études électorales. Je me demande pourquoi les gens votent; on ne peut jamais dire qu'une question est la question centrale, la question principale, ni pourquoi 25 p. c. ou 60 p. c. ont voté? Il y a beaucoup de questions.

M. CHARRON: Ce n'est pas la raison pour laquelle ces personnes, ces 24 p. c. ou 44 p. c. ont voté pour un parti ou pour un autre. C'est le fait que, quelles que soient les raisons qui ont fait qu'un citoyen ait choisi une option ou, si vous voulez, un parti politique ou un homme politique dans sa circonscription, quelles que soient les raisons de son option, il a vu comme conséquence que son vote — sa croix — avait moins d'importance que le vote, la croix d'autres citoyens, une fois faite la répartition des sièges. Il y a des gens qui peuvent avoir voté pour un parti à cause de la couleur et de la propagande, comme il y en a qui peuvent avoir voté à cause du programme et de l'option.

M. HARDY: Ou de la jeunesse!

M. CHARRON: Cela peut être le cas.

M. BLANK: Il y a un groupe qui a voté parce que c'était tel ou tel candidat.

M. CHARRON: C'est cela!

M. BLANK: A ce moment-là, ça n'entre pas dans les 24 p. c.

M. BIENVENUE: Exemple dans le comté de Saint-Jacques.

M. BLANK: Dans cette région, c'est parce que ce sont des jeunes. Ils n'étaient pas déçus parce que vous avez été élu, mais ce n'est pas la même raison quand vous dites que les 24 p. c. représentent l'option indépendantiste.

M. LEGER: En posant bien la question, c'est peut-être oui.

M. LAURIN: Quelle que soit la raison, la question est sur la disparité entre le vote et...

M. BLANK: Oui. La disparité, ce sont les 24 p. c. de la population qui ont voté, ils ont droit à 24 p. c. des représentants du Parti québécois. Ce n'est pas cela. Il y a des gens qui ont voté pour lui tout particulièrement. Il y a des gens qui ont voté pour tel candidat péquiste, mais ces gens-là n'ont pas voté pour lui pour avoir un parti représenté par tel ou tel gars.

M. LAURIN: M. Blank, la question porte sur le sentiment qu'a l'électeur d'avoir été frustré de son vote par l'effet, le résultat auquel on en arrive. C'est le sens de la question.

M. BLANK: Oui, c'est le sens de la question. Mais je ne dis pas que les 24 p. c. ont été frustrés. Dans les 24 p. c, il y a des gens qui ont gagné leur point. Ils n'ont pas nécessairement voté pour l'option péquiste, ils ont voté pour des candidats particuliers.

M. CHARRON: Comme d'ailleurs en admettant...

M. LAURIN: D'ailleurs, enlevons "péquiste" ce n'est pas le sens de la question.

M. CHARRON: Même à ça, même à l'argument que M. Blank vient d'apporter, disons que dans une partie du vote qu'un parti est allé chercher, il est possible qu'il y ait eu des gens qui votaient à ce moment-là pour le candidat précis choisi. A ce moment-là, si ce candidat, par le hasard de la carte électorale, a été élu, la frustration est disparue. Mais il peut exister, y compris dans le parti qui a remporté la victoire, dans l'autre parti également, une frustration de voir que le parti d'Opposition n'est pas plus représenté que ça. Pour employer des mots bien clairs dans la situation actuelle. Je suis convaincu de cela, parce que j'ai rencontré des gens qui ont voté pour le parti actuellement au pouvoir mais qui souhaitaient quand même, pour le bien-être de leur parti, pour le bien-être du Québec, que l'Opposition soit plus représentée en Chambre qu'elle ne l'est actuellement.

M. HARDY: Est-ce qu'ils ont indiqué quelle Opposition?

M. CHARRON: Bien, la seule, ils n'ont pas le choix, il n'y en a qu'une!

M. HARDY: C'est ce qu'il aurait fallu dire! M. TREMBLAY (Chicoutimi): Merci!

M. PAUL: Une insignifiance, on va l'admettre!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): On reconnaît la force de notre Opposition.

M. CHARRON: Je vous pose une deuxième question avant de laisser la parole à mes collègues. Il s'agit du neuvième ou du dixième des points que vous avez soulevés. C'est celui que j'ai personnellement eu plaisir à vous entendre soulever parce que pour nous cela a été un objet de questions. Cette commission a mis un long temps — peut être cela commence-t-il à paraître — à fonctionner sans que nous ayons une définition précise de nos objectifs et sans — ce que vous avez souligné également — une hiérarchie dans ce que nous voulions atteindre.

Vous avez suggéré, par exemple, qu'un des premiers objectifs qu'on devrait placer à la tête de nos objectifs serait celui du rôle du député que nous voulons obtenir. Je sais, en tout cas, que c'en est un qui nous fascine, nous, et au conseil national de notre parti, dernièrement, c'est la première chose qu'on a mise aussi, selon la conception du rôle du député que nous voulons obtenir.

Dans l'hypothèse, — prenons simplement pour ne pas faire le tour du monde, les deux grands modes de scrutin qui nous ont attirés ici en commission depuis le début, soit celui dans lequel nous vivons actuellement et l'autre qui serait une version québécoise du système allemand — est-ce que vous voyez — vous avez déjà partiellement répondu à ça, mais j'aimerais que vous précisiez — une différence majeure dans le rôle du député, advenant l'adoption de l'un ou de l'autre régime? Je vous précise que M. Bonenfant qui a parlé plus abondamment peut-être que n'importe quel autre du deuxième système, la version québécoise du système allemand, proposait un système 90-30, le nombre de 30 étant un correctif et le nombre de 90 demeurant celui des députés, soit les trois quarts demeurant des députés dans le rôle tel qu'on l'a voulu.

Je vous signale également comme deuxième remarque, avant que vous me répondiez, que votre dixième point portait sur la nécessaire évolution du système parlementaire. Est-ce que vous ne croyez pas qu'un changement des structures par le choix de la deuxième option, version québécoise du système allemand, aiderait justement à cette nécessaire évolution du Parlement?

M. MEISEL: Oui, mais alors, il y a deux questions en effet. Quelles seraient les conséquences, si on adoptait le projet Bonenfant pour les relations entre l'électorat et le député? Et aussi quelles seraient les conséquences?

Est-ce que ça aidera au changement général du système?

En ce qui concerne le premier point, je ne suis pas tout à fait d'accord avec mon ami et mon collègue Vincent Lemieux. Il vous a dit, je pense, qu'il n'aime pas tellement l'indépendance de l'individu et il préfère que le parti politique soit plus fort.

Moi, je préfère les individus aux partis politiques. Je n'ai rien contre les partis politiques, mais vous savez, en Allemagne, dans presque tous les pays du continent en Europe, même des pays comme la Tchécoslovaquie, l'Autriche, tous les pays où il y a un système, des listes d'une sorte ou d'une autre, quelqu'un, d'habitude, doit mettre les noms sur les listes dans un certain ordre et ce sont toujours les gens qui sont au centre, l"'establishment" dans les partis qui font ça.

Je crois que cette façon d'élire des membres, d'avoir des listes, même si c'est seulement 30, ça incite à la sclérose des partis politiques. Je crois que ce sont surtout les partis jeunes, les partis qui veulent qu'on change les choses qui doivent prendre bien garde de ne pas mettre trop de puissance dans les mains des bureaucrates des partis, des gens qui sont là pour des raisons de vocation et peut-être d'idéologie.

Donc, je ne peux pas dire quelles sont les conséquences, parce qu'on ne sait pas. Mais je ne suis pas tout à fait heureux quand je pense à la possibilité que 30 députés seront choisis, en effet, par les bureaucrates des partis, parce que vous savez très bien ce qui va arriver: les gens les plus difficiles, de mauvaise humeur, les gens qui sont des radicaux dans les partis de gauche ou de droite seront exclus. Ce seront les doux, les gens acceptables.

Je pense qu'il y a un danger. Si dans votre pensée, il se pose des problèmes que le chef du parti doit être à l'Assemblée, évidemment ça doit être cela, mais je crois qu'il y a un autre moyen d'assurer ça.

Je ne sais pas si j'ai vraiment répondu à votre question, mais j'ai certains doutes sur le projet de M. Bonenfant à cause de ça. Maintenant, vous avez dit: Est-ce que ça va changer le système politique, est-ce que ça va accélérer le changement? Oui. Dans quelle direction? Il se peut que les croulants des partis vont avoir plus de pouvoir et que le système va devenir beaucoup plus conservateur, en général, avec un petit c.

M. LE PRESIDENT: M. Pearson. M. PEARSON: Je voudrais...

M. DUMONT: C'est mon tour, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: A condition de le demander.

M. DUMONT: Je l'avais demandé il y a longtemps.

M. LE PRESIDENT: Excusez-moi, parce que...

M. HARDY: Vous êtes trop discret dans vos demandes.

M. LE PRESIDENT: Je vais permettre à M. Dumont de poser sa question.

M. DUMONT: Merci, M. le Président, M. le professeur pour revenir à cette première pensée qui est que tout système politique doit être légitime et effectif, avant de vouloir tout chambarder je me pose une question et en tant que membre d'un parti d'opposition, je suis depuis un an grandement désappointé du rôle peu efficace que nous devons ou pouvons jouer. En ce sens que nous avons d'abord été reconnus comme un parti politique avec un petit, petit budget de recherche, pour sauver les apparences.

Et, à ce moment-là, quand nous apportons, par notre bureau de recherche, des amendements légitimes qui aideraient au bon fonctionnement d'un gouvernement qui irait de l'avant, du revers de la main, ces amendements sont rejetés et actuellement...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): A l'ordre, M. le Président!

M. DUMONT: M. le Président, je parle de légitimité et d'efficacité.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je regrette infiniment, mais la question que pose le député n'est pas dans l'ordre.

M. DUMONT: Je continue à expliquer le point de vue que je veux mettre de l'avant, j'ai laissé le député de Chicoutimi expliquer son point de vue...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'était pertinent.

M. DUMONT: Je veux dire ceci: Même dans un gouvernement où il y a 108 députés, 30 députés environ, ou le groupe ministériel, conduisent la province. Donc, pour être effectif tel que nous voulons le déterminer — et là je parle des députés aussi du côté ministériel — est-ce que vous auriez une solution pour rendre ce Parlement beaucoup plus effectif avec les 108 que nous sommes?

M. PAUL: Un point d'ordre, M. le Président.

M.. LE PRESIDENT: Je crains que le député de Mégantic... Il ne s'agit pas d'étudier la revalorisation du rôle du député. Cela peut entrer en ligne de compte dans l'étude globale que nous faisons, mais il ne faudrait pas oublier que nous discutons des modes de scrutin, de la carte électorale, surtout des modes de scrutin.

Si nous analysons la valeur et le rôle du parlementarisme comme question principale, je pense que nous nous éloignons du sujet.

M. HARDY: Je considère que le point d'ordre soulevé par mes collègues d'en face est tout à fait fondé puisque nous nous sommes entendus à l'unanimité — je ne sache pas que le député de Mégantic se soit opposé — pour que la séance actuelle et celle de la semaine prochaine soient consacrées au mode de scrutin. Personnellement, je considère que les points soulevés par l'honorable député de Mégantic sont très intéressants. J'aimerais bien que nous puissions les discuter éventuellement parce que c'est un problème très d'actualité que cette question de la revalorisation du rôle du député. Mais si nous voulons nous en tenir à notre programme de travail, nous devrions, aujourd'hui, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le professeur Meisel a été invité, nous interroger sur le mode de scrutin et non pas sur ce vaste problème de la revalorisation du député. Cela pourrait faire en sorte que nous nous retrouvions cet après-midi à quatre heures sans avoir approfondi avec le professeur Meisel la question des modes de scrutin et des régimes électoraux.

M. DUMONT: M. le Président, avec tout le respect que j'ai pour mes collègues, je demande au savant professeur d'expliquer la première remarque qu'il nous a faite à savoir que le système politique doit remplir deux conditions: être légitime et efficace. Nous voudrions avoir une solution pour que le système actuel avec 108 députés soit efficace. Est-ce que vous auriez quelque chose à nous suggérer?

M. MEISEL: Si vous avez trois semaines... C'est très difficile. Je crois que vous avez tout à fait raison. Dans n'importe quel système parlementaire, il y a le parti gouvernemental qui dans tous les cas bénins a beaucoup de choses à faire; peut-être l'Opposition n'est-elle pas aussi efficace de temps en temps. Mais les membres du gouvernement qui ne s'occupent pas des cas bénins n'ont pas tellement de choses à faire. Changer ça, c'est tellement complexe. Il y a tant de choses que nous devons faire. Je pense que nous ne pouvons pas répondre à ça ici. Il n'y a aucun doute que nous pourrions adopter un grand nombre de moyens pour que l'Assemblée nationale devienne plus exitante, plus vive. C'est vraiment en dehors de notre problème aujourd'hui.

M. DUMONT: Au quatrième point, vous avez dit que la qualité de la société serait primordiale pour avoir des gouvernements tels qu'on les désirerait. Est-ce que vous auriez une suggestion à faire concernant une certaine éducation politique au lieu des slogans tels "Maîtres chez nous"? Au quatrième point: La qualité de la société est primordiale. Je pose la

question au professeur. Est-ce qu'à ce moment-là vous auriez une suggestion à nous faire au sens de l'éducation politique des partis politiques?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président...

M. DUMONT: Que pourrait-on apporter pour améliorer la qualité des électeurs, dont vous avez parlé au quatrième point?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... le professeur Meisel...

M. LE PRESIDENT: Je pense que l'électorat a une très grande qualité, surtout celle d'élire des députés. Je ne vois pas comment on peut discuter de cette question. Ce serait un cours d'économie politique et de culture générale.

M. DUMONT: Devrions-nous commencer par des cours à l'école? Quand l'éducation devrait-elle commencer pour avoir une société de qualité qui juge parfaitement les partis politiques, ainsi que vous l'avez dit au quatrième point?

M. HARDY: Nous pourrions suggérer au ministère de l'Education d'accorder des bourses au Ralliement créditiste.

M. DUMONT. Je pose une question au professeur. Je pense qu'il devrait répondre.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): La fréquentation des maternelles.

M. HARDY: Votre question est hors d'ordre et je me permets, en continuant à être hors d'ordre moi-même, de suggérer au ministre de l'Education d'accorder des bourses au Ralliement créditiste pour se payer des professeurs de science politique.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, s'il vous plaît!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Commencer au niveau de la maternelle!

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. DUMONT: Est-ce que vous avez une formule quelconque à suggérer pour qu'il y ait une éducation politique au sein des quatre partis politiques qui existent à l'Assemblée nationale à l'heure actuelle, pour améliorer la qualité d'électeurs qui choisissent les députés, pour que, de bonne heure, les gens fassent un choix primordial.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): La meilleure solution serait celle qui permettrait d'éliminer les poires.

M. DUMONT: Si le député de Chicoutimi le permet, le professeur pourrait répondre.

M. HARDY: Avec un système comme ça, il n'y aurait plus de créditistes.

M. PEARSON: M. Meisel.

M. LE PRESIDENT: Quelle est votre question s'il vous plait, pourriez-vous la...

M. DUMONT: Ma question, c'est l'éducation politique. Quand ça doit commencer pour qu'on ait une maturité politique dans la province de Québec?

M. MEISEL: Il n'y a pas de formule, c'est très compliqué. La seule chose que je pourrais dire...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. MEISEL: Une phrase: c'est que commence très tôt l'idée que les enfants se font des réalités politiques. Ça commence très tôt. Quand ils entendent leurs parents parler des députés, des chefs de parti, ils commencent à percevoir la réalité politique selon l'image de leurs parents. Deuxièmement — c'est la seule autre chose que je peux dire ici, je crois — c'est qu'on pourrait bien utiliser les "mass media" mieux qu'on le fait, surtout à la télévision. A part ça, on pourrait se lancer dans des discours extrêmement longs.

M. DUMONT: Vous avez parlé de l'augmentation du nombre de députés. J'ai vu l'Assemblée nationale de Paris agissant, avec ses 500 quelques députés, et pourtant nous avons hérité au Québec du code de Napoléon avec cinq membres au conseil de ville...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. HARDY: Nous n'avons pas le code de Napoléon dans la province de Québec, je m'oppose à cela. Nous avons un code québécois.

M. DUMONT: M. le Président, si le député de Terrebonne nous permettait de poser la question et d'expliquer que même dans une ville ou dans un milieu rural où il y a peut-être 200 ou 300 familles, il y a toujours cinq membres pour un conseil de ville ou de village.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. DUMONT: Alors, à ce moment-là, est-ce que vous croyez que l'augmentation de 108 à 200 députés à l'Assemblée nationale, comme vous avez semblé vouloir le mettre de l'avant, pourrait régler quelques problèmes? Vous pensez sincèrement que l'augmentation réglerait les problèmes !

M. MEISEL: Je ne peux pas répondre à ça parce que je mentionnais ce problème simplement comme exemple du type de problème qu'on doit se poser. Parce que si on change le mode de scrutin, la carte électorale, on va prendre des décisions en ce qui concerne le nombre de députés. Il m'a paru,peut-être, puisque le mode de fonctionnement de l'Assemblée nationale va sans doute changer à l'avenir, que les députés vont participer davantage aux commissions et qu'il sera peut-être nécessaire d'augmenter le nombre de membres.

A part ça, je ne sais pas. C'est vous qui devriez le savoir ça beaucoup mieux que moi.

M. DUMONT: Merci, M. le Président.

M. BLANK: Comme l'a mentionné M. Dumont, quand il y a trois commissions qui siègent en bas, il n'y a pas quorum à la Chambre.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Cela prendrait un préposé au quorum.

M. PEARSON: On a parlé de la question de légitimité, ça m'amène à faire certaines remarques. Est-ce qu'on peut parler de légitimité d'un gouvernement ou d'illigitimité d'un gouvernement sans toucher aux individus ou aux députés élus. Voici ce que je veux dire. En 1966, avec seulement 100 votes, on pouvait changer cinq comtés. Il serait possible qu'accidentellement, par exemple, sur 108 députés, il y ait 50 députés élus avec moins de 50 voix de majorité. Alors, à ce moment-là, si un gouvernement est illégitime, comment peut-on y attacher de l'importance si, en même temps... Quelle serait la condition pour qu'un député élu soit vraiment légitimement élu? Avec le multipartisme, ça va devenir de moins en moins possible qu'un député ait 51 p. c. des votes. Par exemple, j'ai eu dans mon comté 24,000 voix de majorité, alors si je continue dans le même sens... Supposons que je me départisse d'une vingtaine de mille électeurs, ça veut dire qu'on pourrait changer complètement la carte de la province.

M. HARDY: A qui voulez-vous les donner?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): J'espère qu'il va s'en charger!

M. PEARSON: Ce que je veux dire, c'est que si on continue de juger dans le même sens il faudrait éliminer complètement les comtés et que chacun des 108 députés soit élu au vote universel. Alors, cela m'amène à poser la question suivante: La légitimité sera-t-elle satisfaite en fonction des individus, autrement dit, des partis ou de la population, des individus ou des régions? Ce n'est pas facile à définir, la légitimité.

M. MEISEL: Vous savez peut-être que nous ne nous servons pas du mot "légitimité" d'une façon pareille. Moi, quand je dis qu'un système doit être légitime ou qu'il est légitime, je veux dire qu'on l'accepte. Si, par exemple, tout le monde acceptait que ce soit moi qui prenne les décisions en ce qui concerne le gouvernement de Québec, comme professeur invité à Québec, si on acceptait cela, ce serait une solution légitime à mon sens.

M. PEARSON: Oui, mais justement là-dessus, il y a des endroits par exemple, où les gens n'acceptent pas la légitimité du gouvernement à cause de l'optique ou de l'option de leur parti. Par contre, ils acceptent que leur propre député, élu chez eux, soit élu avec quelques voix de majorité, tout simplement.

M. MEISEL: Oui, mais s'ils l'acceptent, c'est légitime, n'est-ce-pas? Je ne sais pas si je comprends bien votre question, mais la chose que je veux dire c'est que n'importe quel système, les gens doivent l'accepter. Maintenant le problème qui se pose, c'est: Qu'est-ce que je veux dire par gens? Il se peut que la majorité accepte, par exemple, qu'un gouvernement fonctionne sans avoir reçu la moitié des votes. Si les gens qui sont très actifs en politique, les journalistes, les députés, les étudiants, les professeurs, les gens qui sont le plus actifs au théâtre politique, si eux ne l'acceptent pas, il se peut qu'il y ait un danger de légitimité, même si la majorité accepte un certain état de choses. Je n'ai pas défini exactement ce que je veux dire par légitimité dans ce sens-là, mais je crois que vous savez bien ce que je veux dire. C'est difficile à détailler.

M. PEARSON: Oui, justement, vous avez mentionné, lors de vos remarques, qu'il fallait tenir compte des moeurs électorales. Dans le Québec, il y a des moeurs électorales qui tiennent compte, justement, de la partisanerie, c'est-à-dire, d'une couleur politique quelconque. Alors, là-dessus, je vous rejoins, en ce sens que c'est un facteur à mes yeux dont il faudra tenir compte dans la réforme de la carte. Les gens vont accepter qu'un député soit légitimement élu et se sentiront frustrés si la couleur politique pour laquelle ils ont voté n'est pas représentée. Peut-être que, dans d'autres provinces, d'autres pays, cette partisanerie est un facteur minime mais je pense, personnellement, qu'ici c'est un facteur important au Québec.

M. MEISEL: Sans doute que vous avez raison.

M. LE PRESIDENT: M. Paul.

M. PAUL: M. le professeur, pourrais-je vous inviter à la prudence et à ne pas juger la qualité de la représentation de l'Assemblée nationale par la portée des questions que vous a posées tout à l'heure, mon honorable député voisin, le député de Mégantic?

M. DUMONT: Posez vos questions, nous écoutons.

M. PAUL: M. le Président, avec votre permission, je voudrais demander à monsieur le professeur, en analysant ce texte de légitimité du gouvernement en place, si le calcul mathématique ou le résultat mathématique d'une élection suffit à lui seul pour porter un jugement de légitimité ou non, du gouvernement en place, comme par exemple ça s'est produit lors des dernières élections au Québec, alors que nous avons vu l'électorat du Québec se prononcer à 24 p. c. pour une philosophie séparatiste ou indépendantiste, alors que 76 p. c. de la population s'est prononcée pour garder le système actuel que nous vivons. On pourrait discuter de cela.

M. HARDY: Maintenant avec la fusion des partis...

M. PAUL: Mais, pour rejoindre justement l'intelligente question ou objection soulevée par mon honorable ami, député de Bourget, est-ce que, pour donner un sens pratique ou une appréciation valable de ces 24 p. c. d'électorat, il ne faudrait pas lui soumettre, d'une façon bien objective et délimitée, la conception politique que l'on veut soumettre à la population pour appréciation, par voie de référendum, par exemple. Est-ce que pour donner une valeur quelconque à ces 24 p. c.,il ne faudrait pas que ces 24 p. c. de la population n'aient été appelés à se prononcer que sur un point particulier, savoir, celui de se séparer de l'Etat fédératif dans lequel nous vivons? Et, est-ce que, pour juger de la légitimité de l'objection, de l'obstruction ou de l'opposition — comme vous avez mentionné tout à l'heure — et s'il s'agit d'une objection en bloc, à un système donné, cette objection peut, à ce moment-là, être considérée comme un obstacle à la légitimité du gouvernement en place? Est-ce qu'il ne faut pas tenir compte d'un seul facteur pour donner un critère valable d'appréciation à un pourcentage donné de votes de 24 p. c? Et, est-ce que cette appréciation ou ce résultat d'une élection est suffisant pour envisager des réformes électorales ou s'il ne faut pas, comme vous le disiez tout à l'heure, vivre certaines expériences et ne pas être victimes d'une pression immédiate.

M. MEISEL: C'est vous, encore, qui savez mieux que moi comment répondre à cela. Ce sont des décisions politiques et non pas de la science politique que vous me posez. En ce qui concerne le référendum pour établir peut-être plus clairement l'état de la pensée, je n'aime pas beaucoup le référendum parce que les questions politiques sont rarement aussi simples qu'on doive les mettre dans un référendum. On peut dire: Voulez-vous ceci ou cela? Mais on ne dit jamais quelles sont vraiment les conditions exactes. Donc, c'est très difficile. Et je crois qu'en général le système dans la plupart des pays où évoluent des instruments, des possibilités de prendre des décisions avec l'Assemblée nationale, avec le Parlement, est beaucoup plus nuancé et à cause de ça, je crois, plus juste qu'un référendum.

Maintenant, si, par exemple, on devait prendre des décisions extrêmement sérieuses comme celle dont vous avez parlé ou une décision à savoir si on va abolir la démocratie, introduire un système, disons, dictatorial, dans ce cas-là, peut-être, si un gouvernement voulait faire des changements très sérieux, avec 48 p. c. et même peut-être 51 p. c. ou 55 p. c. des votes, peut-être pour des questions vraiment fondamentales, des questions de la constitution tout à fait spéciales, on pourrait peut-être se servir d'un référendum. Je pense toujours qu'il y a des grands problèmes à cause du point que je fais, que le référendum peut seulement poser des questions de façon très nette, très simple. Les questions ne sont jamais comme cela.

M. PAUL: Une autre question très courte, M. le Président.

Même si vous vivez dans un endroit que j'appellerai une rue voisine de la nôtre et non pas dans un pays étranger, est-ce qu'il vous serait possible de nous donner votre point de vue sur certains changements qui s'imposeraient immédiatement dans notre système politique, soit quant à notre mode de scrutin, soit quant à la réforme de la carte électorale? Je comprends que c'est peut-être assez difficile pour un expert de se prononcer sur ce point bien précis, mais disons qu'à la lumière des renseignements qui vous parviennent du Québec, et surtout après avoir analysé le comportement du citoyen québécois et en regard des résultats obtenus ou des événements qui se sont déroulés à l'occasion des deux dernières élections générales, par exemple, est-ce que vous pourriez nous faire part de certaines remarques qui pourraient justement porter sur certaines réformes que vous jugeriez, vous, comme étant une nécessité pour que nous puissions continuer à obtenir, dans le Québec, un gouvernement légitime et efficace?

M. MEISEL: Vous me posez des questions vraiment très difficiles. Je ne peux pas répondre d'une façon sérieuse. Je peux peut-être dire deux ou trois choses. Je ne connais pas assez les conditions à Québec pour vraiment vous dire... Je pense, par exemple, que la priorité des buts, dont j'ai parlé, doit être celui-ci ou celui-là. Je ne sais pas. Il est évident que la carte électorale doit être changée. Il n'y a aucun doute là-dessus. On va le faire sans doute. Vous en avez beaucoup discuté. Il y a des problèmes sur la carte électorale et on doit la changer. Si on doit changer le mode de scrutin, je ne suis pas sûr. Vraiment, je ne sais pas. Je ne connais pas assez... Si je pensais que la légitimité est vraiment et sérieusement, à la longue, mise en

cause, je dirais oui, il faut le faire. Si on me disait non, la légitimité n'est pas en danger, je préférerais personnellement attendre encore une fois pour voir ce que la nouvelle carte va nous donner.

Vous savez, je dis cela sans vraiment être suffisamment plongé dans la vie politique québécoise pour que je puisse vous donner une réponse fondée sur autre chose qu'une connaissance très légère.

M. PAUL: Merci, M. Meisel.

M. MEISEL: Je m'excuse. Ce n'est pas vraiment une réponse, mais c'est la meilleure que je peux vous donner.

M. LE PRESIDENT: M. Léger.

M. LEGER: M. le Président, j'aurais quelques questions directes à poser à M. Meisel. On parle justement de légitimité. Vous sembliez dire quand même que, si — vous avez donné comme exemple — au départ on vous acceptait comme la personne qui dirige les destinées du Québec et qu'au départ, on l'a accepté, cela serait légitime. Autrement dit, si la règle du jeu est acceptée au départ, il faut accepter les conséquences qui deviennent légitimes. C'est donc dire que si cette chose se produit pour une fois, que la règle du jeu est acceptée, cela devient légitime. Mais si, à la suite des conséquences, une grande proportion de la population se rend compte que la règle du jeu pour la première élection n'était pas acceptable, si elle n'est pas changée, le gouvernement, la deuxième fois, ne serait plus légitime. Il faut nécessairement, comme vous le dites, faire des transformations. Vous avez dit — vous avez touché un point concernant 1'"establishment" de parti — qui, à ce moment-là, pourrait sur une liste corrective, si ce sont eux-mêmes qui l'établissent, être très conservateur et nommer des personnes et en éloigner d'autres qui auraient des tendances différentes.

Selon moi, les deux points majeurs qu'il faudrait corriger, c'est certain, c'est la carte électorale concernant les disproportions entre le vote urbain et rural ainsi que le vote quantitatif d'une région qui représente plus d'électeurs que d'autres. D'un autre côté, aussi, le correctif qui permettrait de donner une présence légitime, je dirais, au point de vue national, à une idéologie, pourrait à cause de certaines disporportions ou certains résultats particuliers, amener une sous-représentation d'une idéologie nationale à l'Assemblée nationale. Est-ce que vous trouveriez, devant tout ce que vous avez avancé, que si on acceptait que le thème de M. Bonenfant de 90-30 — les trente députés sur une liste, si la liste était faite avant l'élection — cela pourrait quand même dans les comtés où les députés, les candidats qui ne sont pas sur la liste des partis tout de suite donner une fausse impression dans le comté, que ce député-là n'a pas de poids pour son parti en regard des candidats des autres partis dans le même comté?

Si la liste était présentée après l'élection, la proportion du vote dirait que, comme dans le cas de la dernière élection, le vote de 24 p. c. n'a amené que sept députés, mais qu'il y aurait dû avoir dans les 30 députés à replacer après, soit le quart, ce qui veut dire peut-être sept députés. Si ces sept députés-là sont choisis par le parti dans les 30 et que, à ce moment-là, le parti dit: Les sept auxquels on a droit, on les choisit, c'est un tel, un tel et un tel, à ce moment-là, est-ce que vous trouvez que c'est démocratique au point de vue de la population, qui n'aurait pas un mot à dire sur le choix de ces hommes-là? Voici ma question: Si le nombre de députés à choisir dans le correctif était déterminé par le résultat national de ce parti-là, mais que le choix de ces personnes-là proviendrait de l'écart qu'il pourrait y avoir entre les sept députés de ce parti-là dans leur comté particulier; autrement dit, si les sept meilleurs candidats d'un parti qui aurait fini deuxième, mais dont l'écart avec le gagnant serait le plus proche, étaient automatiquement élus, ces candidats auraient été réellement élus par la population et non pas par l'"establishment" du parti. Que pensez-vous sur ce point-là?

M. MEISEL: C'est très intéressant. Je n'ai jamais pensé à cela, à cette façon. Je crois que cela aurait certainement l'effet de diminuer le pouvoir de l"'establishment" de parti. Dans ce sens, je pense que c'est une meilleure façon de le faire. Tout de même, cela ne change pas un des problèmes que j'ai avec cette solution: vous avez toujours deux classes de députés et je trouve cela assez difficile à accepter.

M. LEGER: Mais si on accepte, par exemple, cette nuance de deux sortes de députés comme point de départ, à la suite de cela, envoyer plutôt...

M. MEISEL: C'est une meilleure façon, je le dis avec quelque réserve, je voudrais bien réfléchir là-dessus, parce que je me demande justement quel sera le processus qui va classer certains types au deuxième rang dans leur circonscription. Il se peut que certains biais régionaux, locaux, puissent s'introduire dans ce système, d'une façon très inégale. J'aimerais bien réfléchir là-dessus, parce qu'il se peut que, dans ce cas-là, certaines régions soient très fortement représentées par ces 30 députés alors que d'autres régions ne le seraient pas du tout. Il me semble qu'un des buts du système allemand est justement d'éviter cela. Je ne suis donc pas tout à fait sûr si les objectifs du système allemand seraient vraiment atteints si on se servait de cette façon de les choisir. Je ne pourrais pas vous donner une réponse finale à ce moment. J'aimerais bien faire de petits calculs et des choses comme cela.

M. LEGER: Vous avez tantôt fait ressortir qu'un danger de comparer un système d'un pays à l'autre provient du fait que la mentalité est différente. Vous avez soulevé tantôt un exemple et j'aimerais que vous puissiez préciser là-dessus. Vous avez donné comme exemple que les fonctionnaires peuvent avoir avec les députés de leur pays des relations très différentes. En France, les fonctionnaires et les députés ou les politiciens ont des relations très différentes de ceux du Québec. Est-ce que vous pourriez nous donner quelques exemples flagrants de ce style de rapports?

M. MEISEL: Entre les députés et les fonctionnaires surtout ou...? Vous savez, une chose m'a beaucoup frappé dans le témoignage de M. Meynaud sur ce point-là.

Je ne peux pas, je pense, trouver le passage exact, mais il a suggéré que si on avait un gouvernement composé de plusieurs partis, on devrait choisir des fonctionnaires selon les partis qui sont au gouvernement. Donc, il y a plusieurs couches dans les ministères.

Il y a un sous-ministre rouge, il y a un sous-sous-ministre bleu. Il me semble que la façon de nommer les hauts fonctionnaires et les autres n'est pas la même dans les deux pays. Donc, on n'aura pas le même problème ici.

M. Meynaud s'est, je crois, référé à la France, où les fonctionnaires sont beaucoup plus décentralisés, répandus, d'une façon, et plus centralisés, d'une autre façon; le rôle du député est tout à fait différent d'ici. Je crois qu'il a raison. Les relations entre le député et le bureaucrate sont très différentes dans les deux pays, dans les deux unités politiques, parce que beaucoup de décisions dans lesquelles le député doit intervenir sont des décisions locales. Tandis qu'en France ce sont des décisions centrales.

La France est beaucoup plus centralisée que le Québec. Je crois qu'ici le rôle du député est personnel; celui-ci est presque animateur social au Québec dans certaines circonscriptions rurales. Cela n'existe pas en France.

Et aussi, par exemple, la relation entre le maire et le député en France. C'est souvent la même personne. Cela arrive assez rarement ici. Donc, vous avez les relations entre le gouvernement local et le gouvernement provincial ou fédéral; c'est tellement différent que je crois que les comparaisons ne sont pas acceptables.

M. LEGER: Vous parlez du rôle du député. On sait qu'au Québec le député rural et le député urbain font des choses assez différentes, ils ont des façons de travailler très différentes. Mais est-ce que vous pourriez les définir dans le rôle du député? Quels sont d'après vous les moyens d'action qui sont semblables pour définir le rôle de député d'une façon générale, en tenant compte quand même des diversités régionales? Est-ce que vous voyez quelles seraient les quelques obligations d'un député qui pourraient convenir autant au député rural qu'au député urbain?

M. MEISEL: Evidemment, il y en a beaucoup puisqu'à l'Assemblée nationale le rôle est tout à fait pareil. Aussi du point de vue de la question que M. Dumont a posée, il me semble qu'un des rôles du député est de ne pas seulement écouter ce que les gens disent qu'ils veulent, mais aussi d'expliquer un peu aux gens pourquoi les choses sont telles qu'elles le sont. Il me semble que, dans un comté rural — la façon de le faire varie évidemment — on se sert du contact personnel, de la radio, de la télévision; on peut le faire en tout cas. Mais en ville vous pouvez faire la même chose. Il y a des députés qui le font par les moyens de la télévision, de la radio, comme il y en a qui écrivent des articles dans les hebdomadaires, qui essaient d'être un lien entre ceux qui prennent des décisions et le public. Des deux côtés, ils écoutent et ils expliquent.

Donc je crois qu'ils peuvent faire les deux. Mais ils vont se servir de moyens un peu différents, parce qu'évidemment dans une grande ville le député est beaucoup plus anonyme. Je pense à M. Tremblay qui a dit qu'il ne savait pas quel candidat représentait tel parti.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je ne connaissais pas le candidat du Ralliement créditiste tellement il était insignifiant, au sens étymologique du terme.

M. DUMONT: Il avait mis ses lunettes noires. Quant il ne veut pas comprendre, il ne comprend pas.

M. LEGER: M. Meisel, vous avez parlé de deux aspects: le député doit écouter les gens de sa circonscription et il doit les renseigner. N'y aurait-il pas une autre dimension aussi? Comment doit-il déterminer ce que ces gens peuvent lui demander quant à la politique de son parti et quant à ce que son comté demande, ce qui pourrait être un peu différent de ce que son partf préconise dans son programme électoral?

M. MEISEL: Je suis d'accord. C'est une des choses qu'il doit faire. Il devrait aussi, du point de vue théorique, faire autre chose...

M. DUMONT: Si M. le professeur le permet. Pourrions-nous avoir un peu plus de silence, car les premières questions comme les dernières, et les réponses aussi sont intéressantes. J'aimerais bien comprendre ce que le professeur dit d'une manière aussi savante.

M. HARDY: Pour ma part, M. le Président, je comprends tout ce que le professeur dit.

M. DUMONT: Tout en parlant!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous entendons bien, nous comprenons aussi.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, à l'ordre! M. Meisel, s'il vous plaît.

M. MEISEL: Je crois que j'étais en train de dire que j'étais tout à fait d'accord avec vous. Quelle était votre question?

M. LEGER: Je disais que le député doit écouter mais doit aussi renseigner. Mais il y a aussi la dimension de ce que le comté peut lui demander et qui pourrait ne pas être tout à fait dans la ligne du parti.

M. MEISEL: Dans un sens théorique, il y a autre chose aussi qu'il devrait faire. Je ne sais pas si cela arrive très souvent, certainement pas d'une façon très directe, mais c'est tout de même important. Il y a beaucoup de gens qui veulent beaucoup de choses dans une circonscription. On doit choisir quelles sont les choses les plus importantes. Ces jours-ci, on parle continuellement de la différence entre ceux qui veulent diminuer le chômage, même si cela contribue un peu à l'inflation, à la hausse du coût de la vie, et ceux qui disent: Non, il faut absolument faire le contraire. Il me semble qu'il y a un rôle que le député peut jouer et il le joue parfois, c'est de parler de ces choses et aussi d'établir un ordre de priorités même dans ce sens-là et d'aider les gens à savoir pourquoi il faut que leurs taxes soient plus élevées qu'ils le veulent et quels en sont les résultats. Il faut leur dire quels sont les résultats de ne pas faire certaines choses qui occasionnent des dépenses publiques. Il me semble que le député est un peu dans un sens idéal. Je suis peut-être devenu tellement académique maintenant que j'ai perdu tout lien avec la réalité mais pas tout à fait. Je pense que le député est en sorte un lien entre le public en général et le public qui s'occupe plus des questions politiques. Pour lui, c'est tout à fait nécessaire de politiser un peu les gens qu'il représente et de leur montrer que certaines choses qui ont peut-être l'air de ne pas être tellement utiles à l'échelle provinciale sont vraiment utiles.

Si vous aviez un référendum sur la politique culturelle du gouvernement du Québec et si on posait la question de la façon suivante: Pensez-vous que c'est utile de dépenser $15, $20 ou $100 de vos dollars pour avoir des expositions de peinture à Paris ou n'importe où, d'assister au théâtre? Voulez-vous que nous dépensions votre argent de cette façon-là? Je suis tout à fait sûr que la majorité "dirait non. Une telle politique culturelle n'est pas une politique qui a toujours l'appui général.

Tout de même, du point de vue général, au moins selon moi, c'est une politique très importante, très utile. Il faut que les gens qui ont pensé à ça, qui ont réfléchi à ça, expliquent pourquoi aux gens qui n'ont pas pensé à ça; il faut au moins, qu'ils essaient de l'expliquer. Je crois que vous avez là un autre rôle qui doive être joué par un député.

M. LEGER: Une dernière question, M. le Président.

La commission qui devrait être formée dans le but de préparer une réforme électorale concernant la carte et le mode de scrutin, est-ce que vous êtes d'accord sur le fait que ce devrait être une commission indépendante qui fasse l'étude, et que les conclusions de ce travail soient amenées à l'Assemblée nationale pour adoption? Sur ce point de vue-là, vous êtes d'accord.

M. MEISEL: Oui.

M. LEGER: Quels seraient d'après vous les critères que la commission des députés devrait donner à cette commission au départ, ou les grandes lignes pour qu'elle puisse fonctionner, après ça, en toute latitude sachant qu'elle a un mandat bien précis? Quelles seraient les conditions ou les critères qu'elle devrait posséder?

M. MEISEL: Cela dépend un peu de ce que vous décidez, n'est-ce pas...

M. LEGER: Parlons de la carte et du mode de scrutin, en particulier.

M. MEISEL: Ça dépend encore de la décision que vous prenez pour la question: Quoi et qui doit être représenté, n'est-ce pas? Je ne suis pas du tout d'accord sur ça, mais vous voudriez établir deux électorats. Un électorat anglais et un électorat français, francophone et anglophone. Je pense que c'est une erreur très sérieuse, mais vous pouvez accepter une politique comme ça.

Je dirais non, on ne doit pas représenter les groupes ethniques, les groupes professionnels, les groupes d'âge, on doit représenter les individus qui sont groupés dans des communautés. Donc, je pense que c'est vraiment impossible d'imposer une règle absolument mathématique sur la carte électorale. Si vous faites ça, vous dites: On représente des individus, comme individus, qui ne sont pas vraiment groupés dans des communautés géographiques ou des communautés quelconques.

Donc, je pense que, quand on a établi les critères, on devrait certainement se dire que, si possible, le nombre des électeurs possible soit toujours le même dans toutes les circonscriptions, mais qu'on doit permettre une certaine marge, un certain écart. Vous avez parlé ici, n'est-ce pas, on a parlé de ça partout, de 20 p. c. ou 25 p. c., je préfère 20 p. c. mais il sera peut-être nécessaire d'avoir 25 p. c. Cela dépend un peu des études, je crois qu'on doit faire des études très approfondies pour voir vraiment comment ça ira. On devrait faire plusieurs cartes avant d'accepter la carte finale. Dans ces cas-là, le fédéral a très bien fait, on pourrait bien regarder... c'est M. Bonenfant qui a parlé de ça, je crois qu'il a raison.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, voici les quatre membres de la commission qui ont demandé

la parole. Dans l'ordre: MM. Hardy, Laurin, Tremblay et Tetley, et M. Pearson, à la suite.

M. HARDY: M. le Président, je voudrais revenir plus directement au mode de scrutin. Ce n'est pas une phobie, mais c'est quelque chose qui m'intéresse particulièrement...

UNE VOIX: Une obsession.

M. HARDY: C'est peut-être une obsession, oui, mais une obsession qui découle des dures réalités, puisque c'est la question que nous devons régler le plus rapidement possible. Professeur Meisel...

M. LAURIN : Ce doit être une phobie. M. HARDY: Pardon?

M. LAURIN : Si c'est une phobie, il va falloir que vous vous posiez des questions.

M. HARDY: Je pense que c'est à la fois une phobie et une obsession.

M. LAURIN: Si c'est une phobie, ça veut dire que...

M. HARDY: De toute façon, si vous avez quelques heures à me consacrer, peut-être que je pourrai aller en cabinet.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il vous passera gratuitement.

M. HARDY: Professeur Meisel, si on abstrait le contexte québécois, parce qu'en fait, comme vous l'avez laissé entendre, c'est un peu à nous de prendre les principes et de voir dans quelle mesure ils doivent s'appliquer dans le contexte québécois. On abstrait le contexte précis québécois. En partant de l'hypothèse où l'on recherche le mode de scrutin qui assure la meilleure représentativité au Parlement, est-ce que vous croyez qu'il existe des systèmes, des régimes électoraux ou des modes de scrutin supérieurs, parce qu'il en existe une infinité en fait, mais est-ce qu'il en existe de supérieurs au mode à majorité simple comme celui que nous connaissons aux Etats-Unis, au Canada, en Angleterre et dans quelques autres pays?

M. MEISEL: On ne peut même pas répondre à cette question parce que ça dépend beaucoup des choses auxquelles les gens sont habitués.

Si on est habitué à un système assez complexe, si l'électorat a l'habitude de passer deux heures au bureau à faire de grands dessins, ce serait un bon système.

M. HARDY: Passer un examen.

M. MEISEL: Oui, c'est ça! Mais, si vous adoptez le même système dans un pays où les gens ne sont pas habitués à quelque chose de tellement complexe, c'est un très mauvais système. Donc, je crois que vraiment on ne peut pas dire que le système allemand, par exemple, qui se sert du système d'Hundt pour faire les calculs, le système Scandinave Sanlag est meilleur ou pire qu'un autre. Cela dépend tout à fait de la situation, cela dépend de ce à quoi les gens sont habitués; cela dépend aussi de la réalité politique. Si le système est très stable, il se peut que la proportionnalité que vous adoptez ne fasse pas beaucoup de différence. Si le système est extrêmement volatile, ça pourrait être extrêmement important. Cela dépend aussi de la façon que vous voulez vous protéger contre le manque de stabilité par le développement de petits partis; en Allemagne, vous le savez bien, on dit: On doit avoir 5 p. c. avant qu'on puisse entrer vraiment dans le jeu.

Si vous avez quatre partis qui reçoivent 4.4 p. c. du vote, ce qui peut arriver, vous avez presque 20 p. c. de la population qui seront exclus. Est-ce bon cela?

M. HARDY: Je vous posais cette question en ayant à l'idée que vous avez été invité, il y a quelques années, ou plus récemment, à participer à un séminaire en Allemagne, sur cette question des modes de scrutin. C'est un peu dans cet esprit que je vous posais la question. Quelle a été la conclusion de toutes ces sommités qui se sont réunies et qui ont discuté longuement des modes de scrutin? Est-ce qu'à la suite de vos discussions il y en a un qui vous est apparu comme supérieur à d'autres?

M. MEISEL: Non. La conclusion n'était pas concluante.

M. HARDY: Je vais concrétiser davantage. Tenons pour acquis que nous recherchons premièrement une certaine stabilité gouvernementale dans le mode actuel de la responsabilité ministérielle. Deuxièmement, nous tenons compte de nos habitudes sur le plan électoral au Québec, qui sont sensiblement les mêmes que dans le reste du Canada, qu'en Ontario, sur le plan strictement électoral.

M. MEISEL: Oui.

M. HARDY: Troisièmement, tenons compte des lacunes de notre système, du mode actuel qui peut, à certains moments, arriver à un écart assez grand entre la représentation et le vote. Est-ce que vous pouvez répondre à la question d'abord? Si oui, est-ce que vous croyez qu'il existe un mode de scrutin supérieur, qui pourrait remplacer avantageusement celui que nous possédons actuellement?

M. MEISEL: Je ne peux pas répondre à cela parce que, quoi que l'on fasse, on aura des conséquences qu'on ne peut pas prédire. Par exemple, si vous adoptez le système Bonenfant,

il y aura certaines conséquences, et je ne peux vraiment pas prédire ce qu'elles seront. Il est sûr que le système de représentation sera plus juste, si vous voulez, dans le sens que la proportion entre le vote et les sièges sera plus exacte, sera plus étroite dans l'ensemble. Il n'y a aucun doute sur ça. Mais si la volonté du public est à la longue mieux satisfaite d'une telle façon, je ne sais pas. Il se peut, comme nous en avons déjà parlé, qu'il y ait plusieurs choses qui puissent arriver. Donc, je ne peux vraiment pas répondre à cette question. Je ne sais pas.

M. HARDY: Au fond, ce que vous nous dites — évidemment, cela complique beaucoup notre problème en tant que député — c'est que tous les modes de scrutin ont des avantages et des lacunes et qu'il est pratiquement impossible de déterminer s'il y en a un qui est supérieur à l'autre.

M. MEISEL: Oui, peut-être que j'en ai dit trop, si je vous ai laissé avec cette impression, parce que c'est vrai dans un certain sens. On pourrait prendre chaque mode de scrutin et voir, par exemple, les résultats des trois, quatre ou cinq dernières élections. On pourrait faire les calculs, à peu près, pour voir comment chaque système de scrutin fonctionnerait si on faisait certaines hypothèses. Puis, vous recevriez certains résultats et vous pourriez vous dire qu'il est probable qu'avec le résultat A, on aura un système plus juste mais qui manquerait beaucoup de stabilité ou qui donnerait à un parti beaucoup plus de sièges qu'on le veut. Mais pour dire lequel vous préférez, il faut que vous établissiez d'abord vos critères et que vous ordonniez vos critères. Je n'ai pas fait cela.

M. HARDY : Est-ce que vous croyez — c'est une question que je me pose, qui me vient à l'esprit à la suite de vos réponses — que dans une situation semblable, si nous voulons vraiment agir sérieusement comme parlementaires, est-ce que vous croyez que la meilleure solution ne serait pas, avant de changer la situation actuelle, de prendre un certain nombre de modes de scrutin — ceux qui semblent attirer davantage l'esprit des gens, ceux qui nous semblent les plus favorables — et confier à une commission d'experts l'étude pour voir ce que chacun de ces modes de scrutin pourrait avoir comme conséquence pratique dans le contexte québécois sur une longue échelle, en analysant tous les facteurs en présence, les facteurs de psychologie politico-sociale, de comportements électoraux, de représentation? En fait, tous les facteurs imaginables que l'on peut avoir à l'esprit. Alors, prendre un certain nombre de modes de scrutin et en faire une analyse et une étude en tenant compte de la réalité concrète québécoise avant d'arriver à une solution. Est-ce que vous croyez que ce serait, en fait, la meilleure façon de procéder?

M. MEISEL: Oui, je suis tout à fait d'accord sur cela. Si vous voulez, j'ai un article, justement, qui nous a été fourni pendant ce colloque en Allemagne. On a fait exactement cela en Allemagne. On n'a pas pris tous les systèmes, on a pris plusieurs possibilités.

M. HARDY: Oui, quelques-uns.

M. MEISEL: On devra traduire cela, mais sans doute on peut faire cela assez facilement. Comme modèle, ce n'est pas mauvais.

M. HARDY: Est-ce que...

M. MEISEL: Vous devez faire cela, je suis tout à fait sûr...

M. HARDY: Faire une étude semblable ici au Québec?

M. MEISEL: Oui.

M. LE PRESIDENT: M. Laurin.

M. LAURIN : J'aurais deux questions à poser à M. le professeur Meisel. Pour introduire ma première, je voudrais reprendre les propos dont le député de Maskinongé avait fait précéder sa question lorsqu'il disait qu'il y avait un parti qui préconisait une solution radicale, soit le séparatisme, la sortie du régime fédéral. Je sais que vous êtes trop informé de la situation qui prévaut au Québec par votre lecture quotidienne du Devoir pour accepter que le parti que je représente ne préconise qu'une solution politique, c'est-à-dire l'indépendance du Québec. Il préconise également des changements sociaux radicaux. Et ce sont ces deux aspects du programme politique du parti que je représente, soit l'aspect politique et l'aspect social que les 24 p. c. d'électeurs ont approuvés. Et ce sont ces 24 p. c. d'électeurs qui ne sont pas représentés comme il se devrait au Parlement. Donc, ce qui signifie cet écart dont vous avez parlé et dont vous avez dit qu'il était dangereux et qu'il pouvait risquer d'altérer la légitimité du régime.

Maintenant, ce n'est pas d'aujourd'hui, ce n'est pas seulement à cette élection-ci qu'on a vu cet écart-là. En 1966, il y a déjà eu 11 p. c. d'électeurs qui n'ont pas été représentés au Parlement québécois. Et vous-même, dans un article écrit à l'automne de 1962, vous avez constaté, déjà, sur la scène nationale, qu'il y avait un écart entre les voeux de la population et la représentation au niveau des partis.

Vous disiez, par exemple, particulièrement en ce qui concerne la situation du Québec: It is indeed possible that the social revolution now agitating that province has driven a wedge between the people and their traditional leaders. Donc, cet écart n'existe pas depuis une élection; il existe depuis deux élections. On peut même dire qu'il existe depuis 1960, ce qui fait déjà quand même une période de temps assez longue pour nous permettre de nous faire une idée.

Je suis d'accord avec vous pour dire que cet écart, plus il persiste, plus il s'agrandit et met de plus en plus en danger la légitimité du régime. C'est un premier point.

L'autre point; cependant, quand vous arrivez aux solutions, vous êtes beaucoup plus prudent. Vous nous dites: Il ne faut quand même pas se mettre dans une optique trop étroite. Il faut penser à long terme et non seulement à court terme. Il n'y a pas de système parfait. Il ne faut pas prendre trop au sérieux les comparaisons avec les autres pays. Les experts ne sont jamais unanimes. Donc, vous semblez concevoir avec beaucoup de difficulté un changement pour quelque chose de nouveau.

D'un côté, nous sommes pris entre le Charybde de l'écart entre les aspirations populaires et la représentation au niveau parlementaire et, deuxièmement, entre le Scylla d'un régime qu'il parait très difficile de changer eu égard aux conséquences désastreuses qui pourraient s'ensuivre.

Nous sommes devant un dilemme, devant une impasse qui vous fascine vous-même, qui vous fait craindre toutes sortes de choses. Je me demande comment, nous et vous aussi, allons sortir de cette impasse, de ce dilemme. Est-ce que nous allons accepter un statu quo brutal qui serait simplement le maintien du régime actuel ou un statu quo intellectualisé qui consisterait, par exemple, à confier tout le problème à une commission d'étude pour étudier les aspects psychologiques, sociologiques, comme le député de Terrebonne le disait tout à l'heure, durant cinq ou six autres années, mais...

M. HARDY: M. Laurin, je n'ai pas fixé de temps.

M. LAURIN: ... qui aurait le désavantage justement de laisser persister cet écart? Ou encore allons-nous prendre une autre solution qui serait la solution d'Ulysse, trancher le noeud gordien par un bond en avant qui nous ferait prendre un risque calculé sur l'avenir?

Comment sortir de ce dilemne? Est-ce que nous allons rester dans le statu quo, qui est déplorable, ou est-ce que nous allons nous lancer dans une solution nouvelle? La vie politique est quelque chose de particulièrement dynamique, même si vous dites que la masse est peu politisée; quand même, les intellectuels le sont et on sait qu'ils ont un rôle de leadership, de persuasion à exercer. Est-ce que vous ne croyez pas préférable à un statu quo, dont les mauvais effets ont été prouvés, une solution nouvelle, qui, même si on peut supposer qu'elle peut comporter des inconvénients, comporterait quand même des chances qui pourraient nous incliner à l'optimisme?

A ce moment-là, dans cette perspective, si nous choisissions une solution nouvelle et dynamique, est-ce que vous pourriez nous dire quels seraient vos choix? A supposer même qu'on garde l'essentiel du régime, quels sont les correctifs qui vous paraîtraient les plus logiques, les plus acceptables? C'est ma première question.

Ma deuxième question concerne le nombre de députés. J'ai bien senti que vous jugiez que le nombre de députés était actuellement insuffisant à la Législature du Québec. Je pense que je suis d'accord avec vous, d'abord parce que la population a augmenté, deuxièmement, parce que l'idéal de participation est beaucoup plus aigu et beaucoup plus vif en 1971 qu'il ne l'était il y a une vingtaine d'années.

Troisièmement, parce que le député lui-même aspire à revaloriser son rôle, parce que les institutions parlementaires s'orientent de plus en plus vers un travail beaucoup plus actif en commission, ce qui nécessite, comme on le disait tout à l'heure, une présence de plusieurs députés à plusieurs commissions différentes. Je suis d'accord sur cette nouvelle orientation qui semble être la vôtre également. Dans cette optique, croyez-vous qu'il faudrait augmenter d'une façon sensible le nombre de nos députés? Nous en avons 108. Quel est votre ordre de grandeur? Est-ce que ce serait 130? Est-ce que ce serait 150? Est-ce que ce serait 160, quel que soit le mode de scrutin que nous choisissions?

M. MEISEL: Vous avez très bien décrit le dilemme que je rencontre. La différence entre nous est peut-être que vous êtes homme d'Etat, vous êtes politicien. Moi, je suis professeur.

M. LAURIN: Je l'étais il y a deux ans.

M. MEISEL: Mais vous avez quitté votre profession. Le problème est vraiment très sérieux parce que je n'ai pas l'habitude de prendre des décisions sans penser que je peux prédire les conséquences. Les gens qui prennent des décisions publiques doivent... C'est leur responsabilité de prendre des décisions sans même savoir quelles sont les conséquences, mais ils doivent être aussi prudents que possible, n'est-ce pas, pour atteindre leur but. Vous avez raison, j'ai vu depuis longtemps que le système ne marche pas bien, mais je n'ai même pas vu de solution de réforme qui m'assurait que ça irait mieux avec un système différent. Donc, je ne pourrais pas jusqu'ici dire: Je préfère qu'on abandonne, par exemple, le système de scrutin que nous avons pour le système allemand, le système de M. Bonenfant, le...

M. LAURIN : Est-ce qu'il ne faudrait pas à ce moment-là faire comme les Grecs, "Duoi kakoi to elatton dei aireistai! " De deux maux, il faut choisir le moindre! ...

M. MEISEL: Oui, mais je ne sais pas.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il n'était pas nécessaire de traduire, car M. Dumont est parti.

M. MEISEL: Donc, je ne peux vraiment répondre à votre première question pour deux raisons. Je ne sais pas si vraiment un changement radical est maintenant nécessaire. Vous le savez mieux que moi. Moi, je sais qu'on peut changer la carte électorale, sans sensiblement changer le système. Cela, on doit le faire. Je crois qu'il n'y a aucun doute là-dessus. Si c'est suffisant, je ne sais pas. C'est à cause de cela que je pense qu'on doit faire ces études et on peut les faire assez vite. Il n'est pas nécessaire de les faire pendant quatre ou cinq ans. Donc, je m'excuse, mais je ne peux pas répondre à votre première question. On devrait étudier les trois ou quatre options pour savoir vraiment. En ce qui concerne la deuxième question, je n'ai pas dit qu'on doit augmenter le nombre de députés. Je disais: Peut-être devrait-on le faire. Je n'ai pas fait une étude suffisamment approfondie.

La chose qui m'intéresse beaucoup, c'est qu'il y a sans doute une grande nécessité que l'Assemblée nationale devienne plus active au fur et à mesure que la bureaucratie fait plus, sinon les décisions deviendront de plus en plus bureaucratiques, sans qu'on les discute avec connaissance, sans qu'on consulte le public.

Je crois donc qu'il faut faire plus de travail en commission, pour s'assurer que les gens puissent étudier les problèmes, assister aux séances des commissions. Il faudra, je crois, augmenter le nombre des membres de l'Assemblée nationale. Donc, avant de répondre à la question — si on doit avoir 130 ou 150 membres — je crois qu'on devrait peut-être faire une étude pour savoir quelle sorte de commissions on aura besoin, quel nombre, quel sera le nombre de gens... Vous pourrez peut-être faire ça dans une demi-heure, mais moi, je ne connais pas assez bien les conditions pour répondre.

Je crois que ce serait une bonne idée d'y penser très sérieusement.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, je reviens à ce problème de légitimité dont vous avez parlé tout à l'heure, qui a retenu mon attention, ce qui ne veut pas dire que je n'ai pas porté la même attention aux autres points que vous avez soulevés.

Etant bien informé comme vous l'êtes sur la situation du Québec en lisant, outre Le Devoir, tous les autres journaux et périodiques, vous savez certainement que le Parti québécois — pour le nommer — avait inscrit dans son programme des éléments de politique sociale, économique, etc..

M. LAURIN: Approuvé par le pape.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... qui se retrouvent dans les autres partis, notamment le Parti libéral et le parti de l'Union Nationale. Vous êtes fort bien informé que la différence fondamentale — si on peut dire que c'est une différence — c'était la question de modalité de changement à un régime politique et ça c'était le point majeur qui distinguait le Parti québécois des autres et lui donnait son originalité. Je ne donne pas au mot un sens péjoratif, docteur, vous comprenez bien?

Justement le comportement des électeurs en regard des partis politiques et des options qu'ils présentaient: économiques, politiques, sociales, etc. s'est avéré lors des dernières élections assez partagé. Ce comportement d'ailleurs est mouvant — nous en avons parlé tout à l'heure — et vous l'avez indiqué vous-même. Nous avons tout à l'heure évoqué le problème du clivage qui s'est fait dans la mentalité au Québec, dans les opinions, etc. On a parlé d'un problème d'érosion dans le domaine de l'opinion publique.

Il m'apparaît à moi — sans pour autant porter un jugement de valeur définitif et scientifique — que ce problème d'érosion, de clivage, est certainement à bien des égards un phénomène passager qui se corrige selon les élections qui se suivent les unes après les autres. Est-ce que la frustation qu'éprouve certaines gens de voir, de constater que leur parti n'est pas représenté comme ils le souhaiteraient, est une frustation profonde ou si elle ne provient pas d'un phénomène artificiel de publicité souvent teintée de démagogie, etc?

Cela vaut pour tous les partis politiques, ce n'est pas le propre d'un parti en particulier. En raison de tout cela, à l'heure actuelle au Québec, est-ce que le peuple actuel conteste vraiment la légitimité du pouvoir du gouvernement qui assume actuellement la responsabilité du pouvoir?

Je fais ces observations pour poser encore une fois une question que je vous ai posée sous une autre forme tout à l'heure et qui rejoint une question qu'avait posée mon collègue, le député de Terrebonne. Est-ce que vous favoriseriez, premièrement, un scrutin proportionnel dans l'immédiat ou si vous seriez d'avis que l'on fasse encore une fois, pour au moins une élection à venir, l'expérience du système que nous avons actuellement? Ceci étant donné qu'avant que nous ayons procédé à tout ce brassage, avant que nous ayons modifié sensiblement les habitudes électorales des citoyens, il serait extrêmement difficile d'inventer — je donne au mot son sens étymologique — de découvrir le système idéal dont vous nous dites vous-même, et c'est fort raisonnable, que cela n'existe pas et que les meilleurs experts, dont vous êtes d'ailleurs, ont des avis très partagés à ce sujet.

M. MEISEL: Vous ne me permettez pas de ne pas répondre sur la même question qui m'a été posée déjà plusieurs fois. Je vais essayer de répondre maintenant, mais je vous assure que je le fais avec une ignorance profonde. Ce que je veux vous donner, ce n'est pas une opinion scientifique, c'est une opinion d'un lecteur du Devoir.

M. HARDY : Compensée par d'autres journaux.

M. MEISEL: Quand j'arrive à Montréal, j'achète toujours la Presse pour voir quels sont les meilleurs films. Vous savez, mon ignorance me dit que je préférerais ne pas changer profondément pour l'instant le système de scrutin. Je préférerais changer la carte électorale et attendre encore une fois — parce que vous êtes les spécialistes à ce sujet — pourvu que vous pensiez vraiment que la légitimité n'est pas en danger. Il me faut avouer que je ne suis pas sûr. Je pense que c'est une question très délicate. Il n'y a aucun doute en ce qui concerne la population en général au Québec que le système est encore légitime. La majorité, je crois, pense encore que le système est légitime. Mais la majorité, nous le savons bien, il faut l'admettre, ne fait pas les décisions politiques. Ce sont des décisions qui sont faites par les gens qui sont élus par la majorité, qui contrôlent les media, les artistes, les journalistes, les étudiants mêmes peut-être déjà.

Il y a une nouvelle forme d'opposition qui est en dehors de l'Assemblée nationale et qui existe dans n'importe quel pays aujourd'hui. Je ne suis pas capable, aussi bien que vous, de juger si, à ce moment-ci, vraiment on doit changer les choses d'une façon radicale, même si je prévois qu'un changement très radical pourrait avoir des conséquences très dangereuses. Je suis désolé que M. Bernard et son collègue ne soient pas ici parce que je crois même que c'est le Parti québécois qui pourrait souffrir très sérieusement si on changeait le système de scrutin; surtout, je crois que M. Meynaud n'a pas mentionné ça d'une façon tellement exacte, mais c'est sans doute ce qui était dans sa tête, c'est que les partis les plus idéologiques sont les partis qui brisent, premièrement, quand il y a la proportionnalité, parce que c'est très facile. Par exemple, dans le Parti québécois, on nous a dit, tout le monde le sait: Il y a deux grandes idées, c'est la question nationale et la politique sociale.

Ces deux idées ne sont pas partagées de la même façon par tous les députés, certainement pas par tous les chefs, et certainement pas par les 24 p. c. des gens qui ont voté pour le Parti québécois. Il se peut bien que le Parti québécois, si on accepte un mode de scrutin proportionnel, devienne très vite deux partis. Cela peut arriver. D'un autre côté, il se peut, si on n'accepte pas la proportionnalité, que les partis politiques au Québec vont changer et qu'on aura deux partis, peut-être deux coalitions de partis, peut-être même deux partis, un parti pour l'option indépendantiste, un parti pour l'option canadienne.

M. HARDY: Indépendantiste créditiste.

M. MEISEL: C'est ça. Vous savez, quand je dis que j'ai une certaine préférence pour le statu quo dans un certain sens, c'est que je ne peux vraiment pas prédire les conséquences des changements.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le professeur, je voudrais ajouter une dernière question. Lorsqu'on parle des intellectuels, j'ai beaucoup de respect pour eux qui mènent l'opinion dans un certain sens et dans une certaine mesure, la dirigent à certains égards, il me paraît à moi qui ai vécu une grande partie de ma vie en milieu universitaire et qui, maintenant, suis un praticien de la politique, que les intellectuels ont une conception assez angélique du peuple et des réalités qui sont celles avec lesquelles le peuple se débat tous les jours.

Leur opinion est donc, à mon sens, valable, mais ne correspond pas nécessairement au problème que nous avons à régler dans l'immédiat et dans le concret des choses. Je dis cela pour vous poser la question suivante: Est-ce que vous ne pensez pas que l'augmentation du nombre des députés permettrait de ramener le Parlement dans le Parlement, en assurant justement cette représentation plus juste, plus équitable, en fonction de la population et en permettant ce système de participation de la population qui aurait l'avantage de se faire entendre de façon beaucoup plus vigoureuse par les députés dont on aurait augmenté le nombre.

Ainsi le Parlement deviendrait-il la grande tribune d'expression, le meilleur moyen de représentation du peuple et ce serait, comme je le disais tout à l'heure, ramener le Parlement dans le Parlement, parce que ce n'est pas un phénomène propre au Québec ou en Amérique du Nord, mais il y a une tendance à l'heure actuelle à sortir le pouvoir du Parlement. Alors, l'augmentation du nombre des députés, en assurant cette égalité — enfin, il y a toujours des nuances à apporter là-dedans — de représentation redonnerait, ne vous paraît-il pas, confiance au peuple en son Parlement. Le peuple ne serait plus tenté de créer un Parlement en dehors du Parlement. Ce qui n'implique pas, évidemment, dans mon esprit que les gens doivent se taire pour tout cela et s'en remettre uniquement aux députés pour toutes les questions qui intéressent leur vie dans tous les domaines.

M. MEISEL: Oui, certainement, on pourrait achever cela. Maintenant, cela dépend de beaucoup de choses, n'est-ce-pas? Pour augmenter le nombre des membres du Parlement, quand on change la carte électorale... Cela ne va pas être suivi automatiquement par ce que vous avez décrit, mais on pourrait, en augmentant le nombre de députés, peut-être en changeant aussi un peu d'autres choses — la caisse électorale — en attirant différents types de membres, de députés, on pourrait assurer que ce serait plus facile pour les députés de consulter le public, sans nécessairement perdre le pouvoir de l'Assemblée nationale. L'Assemblée ne peut jamais, je crois, abandonner son pouvoir, même si elle fait des consultations très étendues dans le public. Elle ne peut jamais abandonner son pouvoir final mais elle peut consulter davanta-

ge. Certainement, ce serait plus facile, dans certaines conditions, une d'entre elles étant le plus grand nombre de membres.

M. LE PRESIDENT: M. Tetley.

M. TETLEY: Merci, M. le Président. M. le professeur Meisel, je voudrais poursuivre les idées de l'honorable député de Maskinongé qui a parlé d'un référendum. Quel pourcentage, du vote doit on exiger, croyez-vous M. le professeur, pour un changement radical tel que le Québec se sépare du Canada? Quel pourcentage croyez-vous nécessaire? 50 p. c. ou 75 p. c, ou avez-vous d'autres opinions?

M. MEISEL: Je n'ai pas d'opinion là-dessus. Cela dépend entièrement de la conception qu'on a de la démocratie. 50 p. c. plus un, est le seul chiffre qui est logique.

Les autres chiffres sont des chiffres qui suivent certaines hypothèses à l'effet que les deux tiers, 66 p. c. est mieux que 64 p. c. On doit établir des critères. Je crois que, en principe, dans la plupart des démocraties, on a accepté l'idée que 50 p. c. suffit. On devrait peut-être, dans certains cas, puisque les choses changent, s'assurer que certaines politiques soient acceptables non seulement aujourd'hui mais peut-être encore un an. Par exemple, en Angleterre, le House of Lords a eu le pouvoir de ne pas vraiment arrêter certaines lois, mais d'assurer qu'on attende six mois, un an, avant qu'une loi soit vraiment acceptée. Donc, on pourrait peut-être même, si on voulait, prendre 50 p. c. un jour, et si on a le même type de résultats un an plus tard, on pourra atténuer. C'est une question très difficile.

M. TETLEY: Est-ce qu'il y a un pourcentage d'électeurs qui doit voter? Par exemple, si tout simplement 30 p. c. votent sur une question, est-ce qu'il faut dans une telle loi de référendum qu'il y ait un certain pourcentage qui doit voter, autrement le référendum n'aurait pas effet? Suivant votre connaissance et votre expérience.

M. MEISEL: Je dirais encore qu'il n'y a pas un chiffre magique, automatique qu'on pourrait invoquer. Il me semble que c'est une décision tout à fait politique et que la proportion devrait arriver après que tous les partis politiques ont eu l'occasion de discuter.

M. TETLEY: Un autre problème, professeur Meisel, a été soulevé récemment dans un comté, dans le Nord-Ouest du Québec. Récemment, il y a eu un sondage. Je me demande si c'était scientifique mais, apparemment, 1300 personnes ont été interrogées. Un très grand pourcentage, dans ce comté, était favorable à faire partie de l'Ontario. Dans un référendum, est-ce qu'il faut que le référendum soit pour toute la province ou est-ce qu'il faut donner... Si on donne le droit à la province de quitter le Canada, est-ce qu'on donne dans le même référendum le droit aux gens de quitter Québec, etc.?

M. LE PRESIDENT: Je voudrais faire remarquer à l'honorable ministre qu'on s'éloigne quelque peu du sujet.

M. TETLEY: J'accepte votre décision.

Professeur Meisel, la question du nombre des députés est très importante. Dans votre exposé, vous avez dit que vous n'avez pas fait de recherches scientifiques. Nous avons 108 députés au Québec. Avez-vous pensé au fait que si nous avions 130 ou 140 députés, ici, au Québec, les débats seraient peut-être encore plus longs qu'aujourd'hui, étant donné que nous siégeons déjà neuf mois sur douze, presque dix mois sur douze. Ma question est la suivante: Est-ce que les Parlements de plus de cent ou de deux cents personnes siègent plus longtemps? Est-ce que le nombre de députés ajoute vraiment à l'étude de la législation?

M. MEISEL: Je n'ai pas fait d'étude là-dessus, mais, en général, j'imagine que si le nombre de députés est plus grand et si les règlements sont les mêmes, on siège plus longtemps parce qu'il y a plus de gens qui parlent, il y a plus d'interruptions. C'est devenu beaucoup plus calme, même ici. Vous savez, cela dépend beaucoup des règlements. On peut voir à ce qu'il y ait beaucoup de travail fait par les commissions, s'il y a plus de membres. Cela peut donc raccourcir un peu le temps, mais il faut changer les règlements.

M. TETLEY: Apparemment, les règlements au Texas sont si bons qu'on siège tous les deux ans. Il faudrait peut-être envoyer une délégation d'étude au Texas, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: On va envoyer la commission. M. Pearson.

M. PEARSON: M. Meisel, après avoir entendu depuis plusieurs séances différents experts nous expliquer certains modes de scrutin, après avoir entendu également mentionner qu'il y avait beaucoup de réticence même dans vos propos sur un mode de scrutin parfait, ce qui n'existe pas, même en imposant un mode de scrutin qu'on réussirait à qualifier de presque parfait, il faudrait encore, une fois, l'expérimenter et après coup l'amender. Je me demande si, parfois, les solutions les plus simples ne sont pas les meilleures, c'est-à-dire que selon les moeurs électorales, au Québec, les gens sont habitués à un certain mode de scrutin.

Par contre, il y a des correctifs à apporter. D'ailleurs, le meilleur mode de scrutin au monde avec une mauvaise carte ne donnerait strictement rien et l'inverse aussi. Si on corrigeait au départ les anomalies de la carte

électorale, déjà — la légitimité du Parlement ne serait peut-être pas assurée — on aurait sûrement fait un grand pas. Deuxièmement, en continuant avec le même mode de scrutin, mais en l'amendant, c'est-à-dire en corrigeant ses plus gros défauts, à ce moment-là, ne trouvez-vous pas qu'il y aurait moins de risques à se lancer dans la grande aventure, étant donné que nos gens sont déjà habitués aux modes actuels?

M. MEISEL: Cela dépend de la légitimité, comme je l'ai dit. S'il y a assez de temps, si le climat politique est tel qu'un nombre important de gens ne vont pas se dire: On va prendre d'autres moyens pour obtenir nos buts, oui. Sinon, ce ne serait pas suffisant. Je ne sais pas.

M. HARDY: M. Brown.

MR. BROWN: Mr. Meisel, my honourable confrere from Bourget said that we were having problems. First of all, I wonder who "we" are. Does he mean by that that the PQ has problems or is it the Liberal Party who has problems or is it the people of the Province of Quebec who has problems? This is the question. Personally, I do not feel that we have too many problems at all in regard to the people of the Province of Quebec. If the "we" — which is the first person plural — is intended that the PQ has problems, I agree with them first class. It reminds me when I was playing football, that every game we lost, we blamed the loss on the referees and the rules. We never lost the game ourselves, never, never. It was for the rules and regulations and the way the referee blew the whistle.

MR. TETLEY: That is like Chicago.

MR. BROWN: I am sure strategists from across the fence have pointed out what a terrible thing it was that they represent so few members for so many votes. They knew, when they went into the election, the rules and regulations dealing with the elections in this Province of Quebec. They chose an option which was to disregard the rural vote of this Province of Quebec.

They chose a leader who, when he was a minister in the Liberal Cabinet, showed every reason in the world that the electors of the rural areas did not want any part of it, and in fact the results that he obtained were one of the causes of the defeat of the Liberal Party in 1966. So how can the honourable member from Bourget blame the people of the Province of Quebec, the National Union Party of the Province of Quebec, the Liberal Party of the Province of Quebec, and the electors at large after that?

The fact to the matter is that they took a gamble, they sacrificed many good men in rural counties that they knew had no chance to win whatsoever. Now we hear them crying until their handkerchief is full of tears about how they are not well represented.

If you take a gamble, you cannot come back in second guess after you have lost the game. I submit to you that these people knew what they were doing at the time, they organized their election to get a toll. And therefore, I feel myself that in regard to the majority of the people in the Province of Quebec who want no part of it they are having an undue shadow over our deliberations in this committee.

And I would like to see what your opinion is on that matter.

M. MEISEL: Je ne sais pas si c'est une question que vous me posez. Vous savez, vous avez raison sans doute de dire que le Parti québécois a pris des décisions, mais je crois que si j'avais été candidat ou membre du Parti québécois, je n'aurais pas eu d'autre moyen. La chose, sans doute à laquelle il s'oppose est la nécessité d'avoir ce choix à faire. Il préfère un système et on ne doit pas faire cette sorte de choix. Je crois donc sérieusement que votre explication est logique, mais elle manque peut-être de sérieux, parce que je pense que la situation au Québec est très sérieuse.

M. LEGER: M. Brown disait qu'au football, quand il perdait, il mettait la faute sur les arbitres, mais quand il gagnait, il ne voyait pas les problèmes. C'est la même chose en politique.

M. MEISEL: Je pense que ce n'est pas aussi facile que ça.

M. HARDY: M. le Président, si d'autres honorables collègues n'ont pas d'autres questions, je proposerais l'ajournement à jeudi prochain. Auparavant, je voudrais remercier le professeur Meisel qui est venu de la province-soeur nous visiter et qui a certainement su nous apporter un éclairage nouveau. Certaines personnes, je dirais même, certains commentateurs prétendent que nos travaux trament en longueur. Je m'inscris en faux face à cette opinion. Tout en reconnaissant que nous devons agir avec célérité dans ce domaine, je crois que le témoignage du professeur Meisel est une autre pièce au dossier dans ce sens. Je pense que nous sommes placés en face de problèmes tellement complexes qu'il est de notre devoir de fouiller ces questions à fond à moins, évidemment, d'agir un peu à la légère.

Je pense que le professeur de l'université de Queen's nous a permis ce matin, de voir certaines facettes du problème que nous n'avions pas encore vues. Loin d'avoir perdu notre temps et loin d'avoir fait tramer en longueur les travaux, je pense que notre séance a été très fructueuse et, au nom du parti ministériel, je voudrais remercier M. Meisel d'avoir bien voulu se prêter à nos travaux et à nos questions.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je voudrais moi-même, au nom de mon parti, remercier sincèrement le professeur

Meisel. Il a fait des observations qui nous ont permis de découvrir des aspects nouveaux du problème. Il nous a convaincu que le problème est beaucoup plus complexe que certains peuvent l'imaginer. D'ailleurs, chaque témoignage d'expert nous fait nous rendre compte de la difficulté de la tâche qui est la nôtre, celle de procéder à une réforme électorale qui, comme le disait le député de Terrebonne, doit se faire avec célérité et en tenant compte de tous les impératifs d'une situation qui exige que nous procédions avec la plus grande prudence. Nous l'avons donc entendu avec grand plaisir. Je voudrais lui réitérer mes remerciements et l'inviter à revenir nous voir au Québec comme il avait la bonne habitude de le faire. Nous serons heureux éventuellement — je pense que c'est le voeu de la commission — de requérir ses avis sur d'autres sujets.

M. LEGER: Au nom de mon parti, je tiens aussi à remercier M. Meisel, j'ai bien apprécié le style de son approche du problème; on voit qu'il a approfondi tous les aspects des problèmes du système électoral, et je pense que ça a été un apport très intéressant pour la commission. Est-ce qu'on peut savoir aujourd'hui quel sera le conférencier à la prochaine réunion?

M. HARDY: Si ça convient aux membres de la commission, le directeur du département de science politique de l'Université de Montréal, M. Gilles Lalande, serait disponible pour venir témoigner. Je pense que le secrétaire de la commission, M. Desmeules, a déjà communiqué avec lui. Jeudi prochain, M. Lalande pourra être des nôtres.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce qu'il témoignera sur les modes de scrutin?

M. HARDY: Sur les modes de scrutin.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): D'accord, M. le Président.

M. HARDY: Alors, je propose l'ajournement à jeudi prochain, 9 h 30.

(Fin de la séance 12 h 30)

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