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Version finale

30e législature, 3e session
(18 mars 1975 au 19 décembre 1975)

Le mardi 25 novembre 1975 - Vol. 16 N° 184

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse


Journal des débats

 

Commission conjointe des affaires sociales et de la justice

Avant-projet de joi sur la protection de la jeunesse

Séance du mardi 25 novembre 1975

(Dix heures quarante-deux minutes)

M. Houde, Limoilou (président de la commission conjointe des affaires sociales et de la justice): A l'ordre, messieurs!

Les membres de la commission, ce matin, sont les suivants:

MM. Giasson (Montmagny-L'Islet); Bédard (Chicoutimi); Bellemare (Johnson); Bellemare (Rosemont); Bonnier (Taschereau); Charron (Saint-Jacques); Malépart (Sainte-Marie); Bou-dreau (Bourget); Forget (Saint-Laurent); Fortier (Gaspé); Lecours (Frontenac); Massicotte (Lotbinière); Samson (Rouyn-Noranda); Saint-Germain (Jacques-Cartier); Lalonde (Marguerite-Bourgeoys); Bédard (Chicoutimi); Faucher (Nicolet-Yamaska), qui remplace M. Bienvenue (Crémazie); Burns (Maisonneuve); Comellier (Saint-Hyacinthe), qui remplace M. Ciaccia (Mont-Royal); Desjardins (Louis-Hébert); Pagé (Portneuf); Déziel (Saint-François), qui remplace M. Perreault (l'Assomption); Samson (Rouyn-Noranda); Dufour (Vanier), qui remplace Springate (Sainte-Anne); Sylvain (Beauce-Nord); Tardif (Anjou); Choquette (Outremont).

Les organismes, ce matin, sont les suivants: Conseil des affaires sociales et de la famille; Ligue des droits de l'homme; Association des centres de services sociaux du Québec; Centre international de criminologie comparée; Hôtel-Dieu du Sacré-Coeur de Jésus; Fédération des unions de familles Inc.

L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Merci M. le Président...

Le Président (M. Houde, Limoilou): Un instant, M. le ministre. Le nom de M. Bonnier est suggéré comme rapporteur de la commission. Est-il adopté par la commission?

Une Voix: Adopté.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre des Affaires sociales.

Remarques préliminaires

M. Forget: Etant donné l'importance des groupes qui sont devant nous ce matin et l'importance de leurs mémoires, l'impatience qu'ils ont sans aucun doute d'expliquer et de compléter l'expression de leur pensée, telle qu'on la retrouve dans les mémoires qu'ils ont fait parvenir à cette commission, je n'ai pas de remarques très longues à faire à ce moment-ci. On se souviendra que, le 27 juin dernier, j'avais l'honneur de déposer le texte de cet avant-projet de loi qui a été inspiré par un examen de trois considérations principales.

D'une part, on sait que, depuis quelques années, ce sujet de la protection de la jeunesse a fait l'objet de nombreux travaux, de nombreuses représentations, de nombreux colloques; nous avons cherché, dans ce projet, à refléter ces voeux et ces représentations exprimés par un grand nombre de groupes dans le passé, un grand nombre de groupes qui se retrouveront encore une fois devant nous à l'occasion des séances de cette commission parlementaire mixte.

D'autre part, nous avons cherché à faire se refléter dans ce texte l'état du droit, tel qu'on le retrouve dans les provinces du Canada ou les Etats étrangers où la situation, sur le plan des services sociaux et des services juridiques, est la mieux développée.

Enfin, nous cherchons à nous inspirer, dans ce texte — je suis sûr que nous aurons là-dessus plusieurs commentaires nous aidant à mieux les atteindre — des objectifs suivants, c'est-à-dire la considération des meilleurs intérêts de l'enfant et le souci comme la nécessité de faire jouer à tous les intervenants dans la protection de la jeunesse le rôle qui leur revient comme étant le plus approprié à leurs contributions spécifiques.

Ce sont donc là les considérations qui nous ont guidés, les sources de cet effort qui s'est concrétisé à la suite de consultations nombreuses sur des esquisses qui ont précédé cet avant-projet de loi par ce document que nous avons maintenant devant nous.

Il est clair que la pensée de tous a continué à progresser depuis cette date du 27 juin. Elle continuera, je l'espère, à progresser à la lumière des travaux de cette commission. C'est donc dans cet esprit, de voir dans quelle mesure les propositions contenues dans le texte de cet avant-projet pourraient bénéficier à de nouvelles modifications, de nouveaux perfectionnements que, pour ma part, j'assisterai à ces travaux, que j'y participerai.

Voilà, M. le Président, tout ce que je voulais dire à ce moment-ci. C'est une période pendant laquelle je pense, tous les membres de cette commission voudront être le plus attentif possible aux représentations qui nous seront faites, le moment des débats étant réservé pour une phase subséquente.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le ministre de la justice.

M. Levesque: M. le Président, je n'avais pas l'intention d'intervenir autrement que de souscrire à ce que vient de dire le ministre des Affaires sociales et de vous dire que le ministère de la Justice s'intéresse particulièrement à cette question de la protection de la jeunesse, conserve un esprit très ouvert et poursuit, avec le ministère des Affaires sociales, les mêmes objectifs, c'est-à-dire la protection de l'enfant.

C'est pourquoi nous avons décidé d'avoir une commission conjointe et des affaires sociales et

de la justice. Vous savez que ce projet de loi sera administré en partie par les Affaires sociales et en partie par le ministère de la Justice, s'il est adopté dans sa forme actuelle. Mais il n'y a aucun doute que le gouvernement n'a pas voulu, à ce moment, s'en tenir à un texte. Ce n'est pas un projet de loi que nous étudions, mais un avant-projet de loi. Alors, nous sommes présentement aux écoutes. Nous souhaitons la plus cordiale bienvenue à tous ceux qui sont ici ce matin et qui vous suivront au cours de ces auditions.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, c'est aussi avec beaucoup de satisfaction que j'entreprends ce travail à la commission mixte de la justice et des affaires sociales. Il y a longtemps que j'attendais le moment d'aborder publiquement ce dossier. J'imagine aussi que c'est la satisfaction que connaîtront plusieurs groupes en ayant l'occasion, enfin, de s'exprimer publiquement sur cette question. L'attente a été longue parce que, quand l'avant-projet de loi dont l'étude commence aujourd'hui sera devenu un projet de loi, sera adopté par l'Assemblée, je pense qu'il ne sera pas faux de dire que l'actuelle loi de la protection de la jeunesse datera à ce moment de 25 ans.

Il y a 25 ans, effectivement, qu'on a créé cette cour spéciale afin de soustraire les jeunes à la justice pénale traditionnelle. Depuis ce temps, presque sans que la cour elle-même en soit affectée autrement que par l'évolution des moeurs, les notions qui prévalent dans le traitement de la criminalité, adultes comme jeunes, ont beaucoup évolué. L'absence de ressources institutionnelles adéquates, l'utilisation de la cour pour régler des problèmes autres que ceux pour lesquels elle était prévue à l'origine, la nomination de juges issus de la pratique du droit privé exclusivement et le manque de leadership du gouvernement caractérisé par un conflit de juridictions entre deux ministères, sont, en fait, autant de facteurs qui, à mon avis, ont contribué à une situation préjudiciable pour les jeunes.

Il y a encore certains juges de la Cour de bien-être social qui ne semblent pas croire à la réhabilitation. Devant eux, les jeunes ne jouissent même pas de droits équivalant à ceux des adultes. Cette année, par exemple, je suis informé que près de 60% des enfants ou des jeunes ont été laissés seuls devant le juge. Un policier a pu obtenir l'autorisation de la cour pour détenir pour fins d'enquête un jeune hébergé dans un centre d'accueil. Pourtant, une telle procédure n'existe pas dans notre droit. Inutile d'insister non plus sur les moyens que les policiers peuvent alors employer pour soutirer de ces jeunes, à l'occasion, des plaidoyers de culpabilité. Pratiquement, il n'y a pas de droit d'appel devant la cour.

Donc, en plus de ces dénis de justice évidents, des jeunes sont incarcérés, en plus, dans des prisons d'adultes. Ce n'est que tout récemment, après systématiquement deux ans de cris d'alarme, que le ministre des Affaires sociales s'est décidé à agir.

L'absence de pouvoirs législatifs adéquats et de ressources suffisantes ont certainement limité l'action du gouvernement aux cas les plus urgents et délaissant presque totalement la prévention et l'action à moyen ou à long terme dans ce domaine. Le placement demeure donc son moyen d'intervention privilégié.

Dans un tel contexte, l'avant-projet de loi dont nous commençons l'étude aujourd'hui est certainement une nette amélioration par rapport à la situation actuelle. En 1972, je n'étais pas responsable du dossier des Affaires sociales, mais je me souviens que la tentative faite alors d'une réforme dans ce secteur a échoué à cause du conflit de juridictions, encore une fois, entre le ministère des Affaires sociales et celui de la Justice concernant essentiellement la probation. Il est malheureux de constater que l'avant-projet de loi, plutôt que de trancher carrément en faveur d'une "approche" sociale, maintient encore une fois une dichotomie administrative qui, tôt ou tard, ne fera qu'engendrer des conflits de juridictions.

L'avant-projet de loi confie au ministère de la Justice le soin d'administrer les parties les plus importantes de la loi, notamment la surveillance de la commission et du comité local d'orientation qui est chargé de determiner si la sécurité, le développement ou la santé de l'enfant sont en danger, d'effectuer l'évaluation des cas, d'appliquer des mesures provisoires et, finalement, de décider si l'enfant doit être pris en charge.

Ce n'est qu'à partir de ce moment que le directeur de la protection de la jeunesse qui, lui, relève du ministère des Affaires sociales, entre en action, soit pour mettre en application les mesures de protection suggérées par le comité ou pour référer le cas à la cour qui, elle aussi, relève du ministre de la Justice.

La protection de la jeunesse doit, à notre avis, relever du ministère des Affaires sociales. Si je suis seul du côté de l'Opposition officielle, ce matin, c'est uniquement à cause de la maladie qui retient mon collègue de Maisonneuve à Montréal. Cette question doit être indicative du fait que notre position là-dessus est la plus clairement prise. La protection de la jeunesse doit relever du ministère des Affaires sociales. C'est la seule façon, à notre avis, d'assurer une meilleure chance de réhabilitation des jeunes dont la santé, la sécurité ou le simple développement personnel peut être mis en danger.

Le ministère de la Justice — je ne lui en fais pas grief — est habitué à travailler avec des criminels. Plusieurs de ses fonctionnaires, les plus importants, ne croient pas aux valeurs de la réhabilitation. On ne peut demander, à ces gens qui, toute leur vie, ont eu à faire face à ce que la société produit de plus endurcis comme criminels, de faire des distinctions et de traiter des enfants différemment.

On ne peut demander à un avocat, parvenu sur le banc, de faire preuve d'un plus grand discernement, d'une plus grande ouverture d'esprit que lorsqu'il était dans la pratique privée du droit. Il se peut que l'avocat en question s'adapte, mais nous ne pouvons que parier, que cette transformation, encore aujourd'hui, en 1975, malgré

toute l'évolution des moeurs, sera insuffisamment sensible au niveau des cours.

L'actuel juge en chef de la Cour du bien-être social qui est nommé en vertu de la section IV de la Loi des tribunaux judiciaires, situation qui demeurera inchangée de par la loi que nous étudions, a déjà suggéré que les centres d'accueil relèvent du ministère de la Justice à cause du trop grand nombre d'évasions. Il songeait même, sérieusement, à donner — c'est lui qui le dit — des instructions à ses juges pour qu'ils ordonnent l'incarcération des enfants dans des prisons communes.

Pourtant, on sait que, dans la très grande majorité des cas, ces jeunes sont vite retrouvés et que, lorsqu'ils ont les moyens suffisants, ces centres ont un taux de non-récidive très élevé, près de 85% dans certains cas. C'est cette attitude que nous ne pouvons plus longtemps endurer dans le domaine de la protection de la jeunesse.

Dois-je rappeler à cette commission que 60% à 70% des jeunes qui arrivent en cour ont en commun un milieu familial perturbé et, parmi ceux-là, les milieux défavorisés sont surreprésentés?

C'est donc beaucoup aussi comme député de Saint-Jacques que je participerai aux travaux de cette commission. Même si la loi propose la nomination de praticiens des affaires sociales, il n'en demeure pas moins que les organismes administratifs — je l'ai dit tout à l'heure — relèveront du ministère de la Justice.

Je crois que ce projet de loi intervient dans un domaine trop important pour permettre qu'une querelle de professionnels, de politiciens en mal de juridiction, puissent mettre en cause une réforme qui, dans son ensemble, est une nette amélioration par rapport à la situation actuelle.

L'Opposition entend bien, comme l'a souligné le ministre des Affaires sociales, faire ce débat, en ayant comme seule préoccupation le bien-être des jeunes pour des raisons sociales et familiales, qui sont placés dans des situations telles que l'on doit leur accorder la meilleure protection possible.

M. le Président, nous voudrions que ce projet de loi fournisse l'occasion, non seulement aux députés, mais à toute la société, de faire le point sur la situation du jeune dans notre société, sur les opinions qui s'expriment quant à la meilleure façon de lui assurer son épanouissement et que nous profitions de l'occasion pour formuler, de façon plus claire, les solutions qui s'avéreront à son avantage, compte tenu des connaissances nouvelles. L'Opposition entreprend donc l'étude de cet avant-projet en donnant l'assurance qu'aucune considération partisane ne déterminera notre action et en offrant notre collaboration pour que le produit fini soit meilleur. L'enjeu nous en apparaît trop important.

M. le Président, si vous me permettez, je suis arrivé dans ce dossier par une drôle de porte. Je dois vous le confesser immédiatement. Effectivement.c'est au cours d'une tournée des institutions relevant du ministère des Affaires sociales, que j'effectuais en octobre dernier dans le territoire du

Montréal métropolitain et à l'occasion de laquelle j'avais demandé à ceux qui avaient organisé ma tournée de me réserver une visite d'un ou deux centres d'accueil pour les jeunes, que je me suis retrouvé au centre Saint-Vallier, pour ne pas le nommer. J'ai découvert l'administration aux prises avec un large problème, non seulement administratif, mais je pense que je ne manquerai pas de respect envers elle en disant que je l'ai trouvée aussi avec un problème de conscience. Ce problème de conscience avait atteint un point de non-retour, semble-t-il. Il n'était pas neuf, il remontait à deux ans.

M. Saint-Germain: M. le Président, je soulève un point de règlement.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Un point de règlement.

M. Saint-Germain: Nous sommes ici ce matin, M. le Président, pour écouter les associations ou les divers groupes intéressés à cet avant-projet de loi. Je crois que le député et l'Opposition auront amplement le temps de faire un débat là-dessus et d'exprimer leurs opinions. Je ne crois pas que ce soit positif, à ce stade des travaux, d'entamer un débat. Je crois que ceux qui sont ici, nos invités ce matin, sont désireux de nous donner leurs opinions et nous sommes personnellement bien désireux de les entendre. Je crois que d'après nos règlements, c'est ce qu'on devrait faire. Je m'aperçois que le député de Saint-Jacques amorce actuellement un débat. Si on lui donne la réplique, je suis certain qu'on ne pourra pas, aujourd'hui, entendre ceux qui sont ici.

Le Président (M. Houde, Limoilou): II a le droit de faire un exposé de quinze minutes. Tant et aussi longtemps qu'il n'aura pas atteint son quinze minutes, je lui cède la parole.

M. Charron: M. le Président, je déplore ce point de règlement soulevé par le député, il est de fort mauvais aloi, il me semble. Parce que si les gens qui sont ici, j'en conviens, ont hâte de nous exprimer leurs opinions, je pense ne pas mentir en disant qu'ils ont aussi envie d'entendre enfin les hommes publics et les hommes politiques se prononcer sur des sujets qu'ils sont souvent seuls à conduire et seuls à débattre, et que j'ai...

M. Saint-Germain: Ce n'est pas à ce niveau-ci qu'on fait le débat.

M. Charron:... à cette occasion — le président vient de me le rappeler et je pense que vous auriez mauvaise grâce de continuer à m'interrompre — qui m'est fournie d'exprimer le point de vue de l'Opposition et la façon dont nous allons procéder, non seulement à l'étude de ce projet de loi mais aussi à la discussion avec les gens qui ont bien voulu répondre à notre invitation.

M. le Président, c'est à Saint-Vallier que s'est fait le contact concret avec ce dossier. Saint-

Vallier venait de prendre, il y avait à peine trois ou quatre jours, la décision de fermer ses portes, après que le nombre maximum de jeunes à l'intérieur de cette institution eût été atteint, et donc, ipso facto, de refouler plusieurs jeunes dans des centres de détention commune avec des prisonniers ou des criminels adultes. A cette occasion, lorsque j'ai décidé de soulever cette question publiquement et lorsque j'ai convaincu mes collègues de l'Opposition de le faire publiquement, je savais que je prenais un risque. Ce risque était calculé. Il y avait le danger qu'en voulant éviter à des jeunes la détention en prison commune, ce qui leur est interdit par la loi même, nous provoquions à l'intérieur du ministère des Affaires sociales, après deux ans de laisser-aller sans équivoque sur ce dossier, la volonté d'une action trop rapide et trop brusque, pour ne pas dire, à l'occasion, presque un règlement de compte.

Il est évident que la réputation du ministre, du ministère, de certains hauts fonctionnaires, se trouvait, par le fait même, touchée et j'ai craint, j'ai hésité longuement avant de le faire, que cela ne conduise le ministère des Affaires sociales à prendre des solutions qui dépassaient le caractère d'urgence et qui auraient eu des portées à moyen ou à long terme, non réfléchies et non pensées. C'est pourquoi je me suis permis, dès l'ouverture de la session, de signaler les solutions d'urgence, réclamant que la solution d'urgence soit un signal d'avis qu'il fallait se mettre à table sur les solutions à moyen ou à long terme. Cette solution d'urgence, je suis heureux de voir qu'elle a même été partiellement retenue.

Effectivement, au moment où on se parle, le centre Berthelet a une unité administrative provisoire qui a été formée au lendemain de nos interventions publiques, qui s'est faite, comme nous l'avions suggéré, avec la collaboration d'autres centres et, en particulier, celui de Boscoville et celui de la faculté de psycho-éducation de l'Université de Montréal.

Le caractère provisoire de cette unité administrative est effectivement définitif puisque, le 15 janvier prochain, à moins qu'on ait apporté des solutions à moyen terme, cette unité administrative devra refermer ses portes, retourner son personnel prêté par les autres institutions à ceux qui l'ont prêté et, ainsi, remettre le problème à nouveau sur la place publique s'il n'a pas connu de solution.

Je choisis d'intervenir à ce moment parce que l'impératif de sortir les jeunes de prisons communes — ce sont les parents de ces jeunes qui m'avaient rejoint — m'apparaissait plus important qu'un risque de froissement technocratique, lequel a été évident et est encore évident aujourd'hui, si on lit le journal La Presse d'aujourd'hui, mais il me semble que cela devait se faire et cela a conduit effectivement à une solution acceptable, pour autant qu'on l'accepte comme temporaire.

J'aurai l'occasion, M. le Président, d'intervenir sur d'autres sujets, d'autres conceptions et de les développer avec les témoins, ceux qui viendront nous donner leurs opinions sur l'action auprès de ces jeunes, les devoirs et les responsabilités du gouvernement dans le domaine social.

Je me permets de signaler, en conclusion, à l'attention de la commission que, quels que soient nos efforts et quels que soient même les efforts de ceux qui viendront nous présenter leurs réflexions, souvent bâties à partir d'expériences que j'ai découvertes au cours de cette tournée qui m'a amené dans plusieurs institutions oeuvrant dans ce domaine très difficile à mener, qui demande beaucoup de courage et qui se fait souvent sans beaucoup d'apport et sans beaucoup d'appui gouvernemental, il faut le reconnaître...

Quel que soit le projet de loi auquel nous aboutissions, quelle que soit la réflexion commune et collective que nous menions ensemble sur ce sujet, il reste que la loi demeurera silencieuse sur un domaine fondamental: Les centres d'accueil eux-mêmes, les foyers d'accueil eux-mêmes et l'hypothèse de plus en plus soutenue d'un travail en milieu ouvert de prévention à la délinquance, d'aide à la délinquance et de réhabilitation de la délinquance.

Le plus loin que va le projet de loi, c'est de nous référer qui, quand et comment un jeune peut se retrouver dans un centre d'accueil. Mais rien ne nous dit, dans ce projet de loi, et rien ne nous permet de le faire — et si je fais cette remarque, c'est parce que j'invite fortement les gens qui viendront témoigner à ne pas se gêner pour le faire — rien ne nous dit aux mains de qui, une fois que nous avons tranché qui, quand, comment et pourquoi on l'envoie dans un centre d'accueil, qui s'en occupera dans un centre d'accueil? Que lui arrivera-t-il dans un centre d'accueil? Sera-t-il réhabilité dans un centre d'accueil? Où sera-t-il mis dans cette prison pour jeunes, construite sous le régime actuel, qui s'appelle Berthelet? Quels traitements thérapeutiques connaîtra-t-il?

Quelles approches le gouvernement favorisera-t-il? Favorise-t-il l'approche de la thérapie de groupe? Favorise-t-il l'approche individuelle? Favorise-t-il l'approche corrective? Favorise-t-il l'approche préventive? Rien dans l'avant-projet de loi ne nous permettra de le toucher. Si nous ne le faisons pas de nous-mêmes, à l'occasion, en nous écartant du texte de loi, je pense que cette commission ratera 75% de son objectif.

Il ne suffit pas de clarifier, comme le devoir s'impose depuis maintenant près de vingt ans, les droits et les devoirs de chacun à l'égard des jeunes Québécois qui, pour employer le langage fédéral, ont des démêlés avec la justice. Il y a plus. Il y a à savoir, comment au Québec, avec qui au Québec, pour qui au Québec et dans l'intérêt de qui au Québec nous allons travailler dans ces centres, dans ces foyers ou dans ces maisons.

Donc, M. le Président, j'estime que cette approche doit être éminemment soutenue tout au long des travaux de la commission, parce que c'est là effectivement que la protection de la jeunesse, la réhabilitation de la jeunesse et la confiance dans la jeunesse peuvent se manifester le plus clairement possible.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Johnson.

M. Bellemare (Johnson): M. le Président, je suis très heureux, ce matin, de prendre part au début de ces travaux qui sont très importants pour la vie de notre peuple québécois, particulièrement de notre jeunesse. Tous les gouvernements doivent répondre à des besoins qui sont nés des faits et des gestes coutumiers et journaliers.

L'Union Nationale, comme l'a dit tout à l'heure le député de Saint-Jacques, avait établi, dans le temps, le premier ministère de la Jeunesse, en 1945, et il avait aussi établi les cours de bien-être social.

Je pense que, pour la période où nous avions à administrer, dans ce temps, nous répondions à un besoin urgent. Depuis ce temps, plusieurs autres facteurs sont venus s'ajouter, des éléments nouveaux, toutes sortes de critères nouveaux sont venus s'ajouter aux nécessités et surtout à l'évidence qu'il y avait d'améliorer le système mis en place.

Je voudrais simplement dire à cette assemblée, à cette commission que, dernièrement, à Ottawa, le comité ministériel du Solliciteur général a déposé, sous la signature de M. Tassé, un mémoire assez explicite sur les jeunes qui ont des démêlés avec la justice. Ce document qui est fort volumineux, mais qui a été étudié par des gens qui avaient véritablement l'idée de rendre service à la jeunesse, mériterait sûrement qu'on lui fasse de la publicité. Je pense qu'on trouve dans ce mémoire des choses assez extraordinaires qui pourraient peut-être nous aider, dans le projet de loi que nous étudions, à apporter certaines modifications à certains articles.

D'ailleurs, forts de l'expérience de tous ceux qui viendront devant cette commission, car vous avez vécu ces choses, chacun dans votre domaine, et nous entendrons toutes les associations déjà annoncées nous présenter le fruit de leur travail.

Je suis assuré, messieurs, que nous allons sûrement en profiter et que nous allons sûrement aider à trouver les meilleures solutions à ces graves problèmes de la jeunesse.

Je voudrais dire aussi que mon collègue d'Outremont a déjà déposé en Chambre un volumineux dossier sur la justice, comme on dit, La Justice contemporaine, dans lequel on retrouve particulièrement tout un secteur de la protection de la jeunesse. Je ne voudrais pas lui enlever ce mérite, mais je crois qu'on doit vous rendre le mérite d'avoir donné à la province un document qui est fort intéressant à lire et surtout, à retenir.

M. le Président, seulement une remarque qui serait peut-être disgracieuse un peu à la fin de cette intervention, c'est que je vois mal l'arrivée du ministre des Affaires sociales dans ce dossier. Il compliquera énormément toute la loi, et, pour cause, le ministre des Affaires sociales a déjà un boulot assez considérable à faire. Je pense que le ministère de la Justice devrait continuer d'exercer les pleins pouvoirs. Cette intrusion du ministère des Affaires sociales m'inquiète énormément, et surtout connaissant sa bureaucratie et ses bureaucrates, je pense qu'ils nous apporteront des "troubles* qui ne nous aideront pas à résoudre nos problèmes. Je suis sûr que le ministre accueillera mes remarques avec beaucoup de compréhension. Ce n'est pas à l'homme personnellement à qui je voudrais que ces remarques s'appliquent, mais a son système. Je pense que le ministre en a déjà suffisamment, sans s'introduire dans un domaine où c'est la justice qui devrait, surtout quand il s'agit de la protection de la jeunesse, tel que le dit l'avant-projet de la loi, voir à régler ses propres problèmes, et Dieu sait combien il en a.

M. le Président, en terminant, je suis heureux ce matin de vous dire... J'ai confiance au ministre de la Justice, à celui qui vient de prendre une telle succession.

M. Choquette: On va ajourner la troisième force.

M. Bellemare (Johnson): J'ai confiance, au sens juridique, et surtout à l'expérience parlementaire d'un vétéran de la politique provinciale pour pouvoir conduire à bien cette nouvelle loi qui va maintenant être étudiée. Je vous remercie.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député d'Outremont.

M. Choquette: M. le Président, je voudrais brièvement faire part de mon point de vue au début des travaux que nous entreprenons sur l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse. J'avais été associé, il y a maintenant quelques années, avec l'ancien ministre des Affaires sociales, M. Claude Castonguay, dans la présentation du projet de loi no 65 qui s'était rendu jusqu'à l'étape de l'étude en commission parlementaire de la justice et des affaires sociales, projet de loi dont l'étude fut ajournée et abandonnée à la suite des élections générales qui ont eu lieu au Québec en 1973.

C'est à ce moment qu'en ma qualité de ministre de la Justice, j'ai eu l'occasion de m'intéresser de beaucoup plus près que je ne l'avais fait auparavant à tout le domaine de la protection de la jeunesse, à tout le domaine de la délinquance juvénile.

Les observations qui nous furent faites à l'époque, par les groupes qui ont comparu devant cette commission parlementaire conjointe de la justice et des affaires sociales, furent pour moi un objet de réflexion extrêmement sérieux, à tel point que devant la difficulté de réconcilier les impératifs de la justice dans un domaine comme celui-ci, comme les impératifs aussi importants de la recherche de cet aspect sur lequel, je pense, le député de Saint-Jacques a mis l'accent, la prévention de la délinquance, la protection sociale, or, devant la difficulté de réconcilier ces deux impératifs extrêmement présents dans ce domaine, je me suis intéressé de très près à la question. A tel point, que mes études m'ont conduit dans certains en-

droits du monde où je considère que ce domaine est plus avancé qu'à aucun autre endroit.

Ainsi, j'ai eu l'occasion de visiter la Belgique qui passe pour l'endroit où on a mis au point les meilleures formules en matière de protection de la jeunesse. J'ai aussi visité la Suède où j'ai pu voir et constater le fonctionnement de ses institutions. Finalement, je me suis rendu en Californie où, là encore, on a fait des efforts très sérieux de ce côté.

Sans chercher, dès le début de cette étude en commission parlementaire, à imposer un point de vue ou formuler une théorie qui ne tiendra peut-être pas à la suite des représentations que nous recevrons de la part des divers groupes intéressés, il me semble qu'il est particulièrement important de créer une commission de la protection de la jeunesse qui jouisse d'une large autonomie et qui agisse, en quelque sorte, comme trait d'union entre le ministère de la Justice et les services sociaux auxquels le député de Saint-Jacques a fait allusion, c'est-à-dire les foyers et les endroits qui sont sous la responsabilité du ministre des Affaires sociales. C'est seulement par une commission jouissant d'une autonomie bien large que nous pourrons réconcilier, dans les faits, d'une part, l'esprit juridique qui, constatant qu'une infraction ou un crime ont été commis, veut naturellement qu'il y ait une sanction de façon que cette sanction serve de châtiment, d'exemple ou de moyen aussi de réhabilitation, à la condition que le jugement soit assorti de mesures qui favorisent cette réhabilitation, c'est certainement l'un des impératifs. D'autre part, il y a aussi tellement d'autres situations où il est possible d'amener des jeunes qui ont commis des actes délictueux, ou qui sont dans une situation prochaine d'en commettre et qui, à ce point de vue, seraient considérés comme des cas de protection, il est aussi important, à mon sens, de ne pas faire jouer toute la rigueur de la loi à leur égard, car il faudra considérer les jeunes, les personnes qui n'ont pas atteint l'âge adulte, comme des sujets qui sont plus en droit de protection, qui sont plus capables de réhabilitation que des adultes, évidemment. Par conséquent, une philosophie humanitaire et humaine s'impose avec d'autant plus de force chez les jeunes qu'elle ne s'impose chez les adultes.

Il y a aussi une autre dimension qu'il me paraît important de considérer à ce moment-ci. C'est la participation volontaire du public qui est intéressé dans le domaine de la protection de la jeunesse. Ici je rejoins les remarques de mon ami le député de Johnson lorsqu'il soulignait les grands inconvénients de la bureaucratisation d'un domaine comme celui-ci.

S'il y a un impératif où il faut laisser jouer la spontanéité et le volontariat et le bénévolat, c'est bien celui-ci. Pour ma part, ayant connu d'assez loin — je dois l'admettre — le ministère des Affaires sociales, je ne suis pas rassuré par l'avant-projet de loi, du fait que l'on cherche à faire appel à des parents, à des policiers, à des membres de clubs sociaux, à des membres de chambres de commerce, à des syndicalistes, enfin, à tous les éléments de la société québécoise qui voudraient participer, au niveau des tribunaux, dans chaque région du Québec, à des comités de protection de la jeunesse qui fassent en sorte qu'on traite les cas à l'origine et, avant de les soumettre aux tribunaux, qu'on les traite sur un plan, en quelque sorte, comunautaire.

Mon expérience avec le ministère des Affaires sociales est que c'est un ministère qui est trop empreint d'un esprit technocratique et bureaucratique. Et cela est un danger lorsqu'on étudie un projet où on touche des éléments humains aussi importants que ceux-là.

Sans aucun doute, pourra-t-on dire que remettre le tout à la Justice, c'est aussi un danger parce qu'on connaît l'esprit traditionnel des gens de la Justice. C'est ce qui a fait qu'autrefois, à l'époque où le député de Johnson était député ministériel d'un gouvernement de l'Union Nationale et qu'on avait adopté la Loi sur la protection de la jeunesse que nous avons à l'heure actuelle, c'est ce qui explique qu'à cette époque, on a fait un effort pour "déjudicialiser" en quelque sorte le processus de la protection de la jeunesse, à tel point que les services de probation, en rapport avec les juvéniles, sont passés de la Justice aux Affaires sociales. A ce moment, c'était le grand vent des Affaires sociales qui s'en venait au Québec. C'était la mode et peut-être cette dernière correspondait-elle aussi à une carence chez les gens de profession juridique qui, malheureusement, avaient une attitude assez étroite et étriquée devant ces problèmes et qui, n'ayant qu'une formation juridique — je ne dirai pas livresque, mais on pourrait presque le dire pour caricaturer — ne traitaient pas ces problèmes dans toutes leurs dimensions, à la fois juridiques, sans aucun doute, mais humaines et pertinentes, selon la condition des jeunes. C'est ainsi qu'à cette époque, le mouvement a commencé pour s'en aller des cours de bien-être social, lorsqu'on parlait de protection de la jeunesse, pour aller vers des responsabilités de plus en plus amples qui furent confiées au ministère des Affaires sociales.

Aujourd'hui, je pense qu'il nous est possible de faire une synthèse et de tenir compte des défauts des gens qui appatiennent aux deux écoles de pensée, de tenir compte aussi de leurs points forts, car les deux ont un apport extrêmement important et c'est au niveau de la synthèse des activités des juges, des avocats, des juristes du ministère de la Justice ainsi que des gens qui appartiennent plutôt à une formation sociale, que ce soit une formation de travailleur social, de psychologue, enfin, de toutes ces nouvelles professions qui s'intéressent, soit aux problèmes psychologiques des jeunes, soit aux problèmes de la famille, enfin, à tous les problèmes que l'on couvre, généralement, sous l'étiquette de "social".

Donc, le défi actuel pour le Québec, à l'occasion de ce projet de loi, est de réaliser une synthèse qui soit satisfaisante et qui puisse tenir compte des deux dimensions.

Il faudra éviter, je pense, de se noyer dans l'imprécision, dans l'absence de détermination

exacte du situs des responsabilités. S'il y a un défaut qu'on peut reprocher à la bureaucratie et à la technocratie, c'est bien de noyer les décision? dans l'anonymat de la fonction publique et dans cette espèce de magma où on rencontre assez peu de gens qui se considèrent personnellement responsables des actes qu'ils posent, préférant plutôt s'appuyer sur des normes, sur l'autorité de leurs supérieurs et qui sont abdiqué, en acceptant la sécurité de l'emploi, leur sens des responsabilités. Je pense que, dans un domaine comme celui-ci, il faudra bien préciser les responsabilités.

Je reviens sur le centre d'un projet de loi comme celui-ci, c'est la commission de la protection, et ce sont aussi les comités locaux de protection de la jeunesse qui devront être instaurés auprès de chaque tribunal et qui devront faire appel aux énergies volontaires des citoyens désireux de participer à l'oeuvre de la protection de la jeunesse.

Est-ce une illusion, M. le Président, pour un gouvernement, de compter sur le bénévolat et le volontariat? A mon sens, cela ne l'est pas. On connaît trop d'adultes qui sont prêts à se dévouer, à se consacrer à des oeuvres de loisir et de sport auprès de la jeunesse. Il y en a autant qui sont prêts à participer à des comités de protection de la jeunesse, qui vont aider la communauté à prendre en charge ses responsabilités, prendre en charge ses problèmes au niveau de la jeunesse. M. le Président, je pense donc qu'il faudra faire un appel dans ce genre, d'autant plus que ceci correspond à des principes que j'ai eu l'occasion de développer à la suite de mon expérience comme membre du gouvernement. Aujourd'hui, il faut éviter la centralisation, il faut déconcentrer, décentraliser l'administration. Il faut aller rejoindre les gens dans leur milieu. Il faut leur donner l'occasion de s'exprimer, de prendre en main leurs responsabilités. Je pense que c'est comme ceci qu'on fera une société responsable.

Donc, fuyons, n'est-ce pas, M. le Président, les structures bureaucratiques et l'organisation trop lourde et tâchons de rejoindre les citoyens dans leurs problèmes concrets en faisant appel à ce sens des responsabilités qui seul va être capable de venir à bout de régler, dans une certaine mesure, l'amplitude des problèmes qui se posent dans le domaine de la protection de la jeunesse.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Merci, M. le Président. Je crois que nous venons de constater, par les propos que viennent de tenir nos collègues d'en face, la vérité de cet ancien proverbe chinois que le succès a beaucoup de pères et que l'insuccès est orphelin. Il est clair que l'on a entendu un député se baser sur sa participation à un gouvernement qui, il y a 25 ans, a adopté les mesures sociales, sans doute appropriées pour l'époque, et un autre qui invoque une tournée, soit à l'extérieur du pays, soit une tournée à l'intérieur de nos centres d'accueil, pour justifier des jugements et vérifier la justesse de certaines constatations qui se retrouvent dans cet avant-projet de loi que nous avons à considérer. Tout ce qui apparaît valable, bien sûr, est adopté volontiers, et c'est heureux. Tout ce qui est moins réussi dans la situation que l'on observe n'est évidemment revendiqué par personne. De toute façon, ces problèmes existent pour celui qui, comme moi, vient comme le dernier en lice de ceux qui s'en sont occupés, puisque nous venons d'entendre les personnes qui sont, sans aucun doute, mes aînés sur le plan de leur implication dans le processus politique. Il y a de cela beaucoup de leçons à tirer, des leçons de succès, sans aucun doute, mais aussi des leçons d'échecs qui ne sont pas seulement les échecs d'un homme ou d'un gouvernement, mais qui sont les échecs d'une société à résoudre les problèmes de la jeunesse.

Il ne faut pas être trop superficiels dans nos jugements parce que ce que nous voulons véritablement réformer, ce ne sont pas seulement des structures gouvernementales, ce ne sont pas seulement des processus administratifs, mais c'est l'attitude de l'ensemble d'une société telle qu'elle s'exprime bien évidemment par ses institutions, mais aussi de bien d'autres façons envers l'enfance malheureuse, l'enfance délinquante, l'enfance abandonnée et il faudra plus que simplement des réformes de structures pour y arriver.

J'espère que les groupes qui viendront devant nous vont éviter de suivre trop étroitement l'exemple qui vient de leur être donné, par ces interventions que nous venons d'entendre, cette espèce de sport national que nous avons parfois de penser tout solutionner en termes de structures. Il serait malheureux que le débat que cette commission va tenir, tourne trop exclusivement alentour de la question, à savoir si la responsabilité pour la jeunesse devrait appartenir exclusivement aux Affaires sociales — nous l'avons entendu — exclusivement à la Justice — nous l'avons entendu également — ou ne relever ni de l'un, ni de l'autre et tout solutionner dans une autre structure distincte des deux premières.

Je crois que si nous ne réussissons qu'à discuter de ces questions sans aller plus concrètement, plus profondément dans les problèmes, nous nous retrouverons peut-être avec de nouvelles structures, mais essentiellement les mêmes problèmes qu'avant. C'est s'illusionner de croire que les difficultés que nous constatons sont uniquement l'effet de structures administratives. Ces structures permettent, tout au plus, des divergences réelles et beaucoup plus fondamentales, dans les façons de voir les problèmes, dans les objectifs poursuivis par différents individus, dans les moyens qu'ils ont respectivement à leur disposition. C'est à ces causes profondes qu'il faudrait essayer de trouver des solutions.

Les structures ne peuvent que les camoufler ou les dissimuler à notre examen.

Il est clair que parmi ces raisons et ces causes profondes des difficultés actuelles qui sont réelles, se trouvent des situations de fait, de ressources, de formation professionnelle, que la loi ne peut, à elle seule, corriger, ni même principalement corriger. On sait, par ailleurs, que parallèlement à l'éla-

boration de cet avant-projet de loi, des efforts ont été faits durant le cours de cette année, par un comité d'études qui fut créé en janvier et qui, tel que promis, me remettra dans quelques semaines, avant Noël, son rapport final. Ce comité d'études aura beaucoup de choses à dire sur les programmes, sur la formation professionnelle, sur l'organisation des services, à l'intérieur de quelque structure que ce soit. Ce seront des recommandations qui mériteront un examen très attentif et des décisions majeures. Il ne faut donc pas ignorer ce deuxième volet de la protection de la jeunesse qui, à mon avis, est aussi important que l'aspect législatif et ne pas oublier que des décisions très importantes seront nécessaires aussi à cet égard. Ce qui ne diminue, en rien, l'intérêt du projet de loi, si l'on veut que les responsabilités que nous pourrons dégager dans ce secteur s'exercent dans un cadre approprié. Mais encore une fois, j'inviterais, à la fois la commission et les groupes qui viennent devant nous, à baser leur argumentation sur un examen spécifique des problèmes, une tentative pour cerner de façon très concrète la façon dont les problèmes se posent plutôt que de laisser leur attention se détourner vers des considérations de structures. Les structures, je pense, sont importantes, la loi en traite, mais elles ne sont pas toute la solution ni même la partie la plus importante de la solution aux problèmes que nous connaissons.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le ministre de la Justice.

M. Levesque: M. le Président, vous me permettrez simplement de dire que nous venons d'entendre la position du gouvernement par les propos que vient de tenir le ministre des Affaires sociales. Je n'ai pas l'intention de prolonger cette discussion préliminaire. Je ne voudrais pas cependant que mon silence soit interprété, à ce moment-ci, comme souscrivant à certains propos qui ont été tenus au sujet de l'administration de la justice comme telle. Nous aurons certainement l'occasion au cours de l'étude, non pas seulement de l'avant-projet de loi, mais du projet de loi qui s'ensuivra, de poursuivre ce débat s'il y a lieu; mais j'ai confiance que les témoignages que nous entendrons dès maintenant nous permettront, chacun d'entre nous, de nuancer ce que nous avons présentement à l'esprit.

Conseil des affaires sociales et de la famille

Le Président (M. Houde, Limoilou): J'invite immédiatement les représentants du Conseil des affaires sociales et de la famille. Voulez-vous vous présenter et présenter également ceux qui vous accompagnent, s'il vous plaît?

M. Marier (Roger): M. le Président, MM. les ministres, MM. les membres de la commission parlementaire, je me présente, Roger Marier. Je suis le président du Conseil des affaires sociales et de la famille.

Le Conseil des affaires sociales et de la famille est un organisme gouvernemental autonome, d'études et de consultations dont la création remonte à décembre 1970.

Le conseil est composé, outre de son président, de quinze membres auxquels s'ajoutent trois membres d'office, le sous-ministre des Affaires sociales, les présidents des régies des rentes et de l'assurance-maladie ou de leurs délégués. Les quinze membres sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil sur recommandation du ministre des Affaires sociales, après consultation des groupes représentatifs du domaine de la santé, des associations et des groupes représentatifs du domaine des services sociaux, des associations familiales, des groupes socio-économiques représentatifs, des milieux syndicaux et des milieux universitaires.

M'accompagnent, aujourd'hui, le Dr Robert Gourdeau qui nous vient des associations et des groupes du secteur de la santé; M. Richard Sarrasin, associé au groupe du secteur des services sociaux; Mme Denise Laporte-Dubuc, des associations familiales et M. Myer Katz qui nous vient des milieux universitaires.

Outre ces personnes, font partie présentement du conseil, MM. André Beaudoin, André Boyer, Lucien Chevrette, Léo Cormier, Mlle Nicole David, MM. Robert Dean, Martiel Laforest, Jacques Lizée, Damias Messier, le Dr Antonine Paquin et le Dr Lorraine Trempe.

La présence du Conseil des affaires sociales et de la famille devant la commission parlementaire, ce matin, est le résultat d'un intérêt qui remonte au printemps de 1973 et dont il est fait état dans le rapport annuel du Conseil des Affaires sociales pour 1973/74.

Les travaux du conseil se sont attachés à retracer les responsabilités et droits qui échoient aux enfants comme à leurs parents et à les situer dans le contexte de la protection générale que la société accorde à ses membres, par le truchement des services qu'elle dispense.

Ces données préliminaires ont permis d'identifier le domaine particulier de la protection spéciale de l'enfance et de la jeunesse et d'y définir une notion de protection sociale et une notion de protection judiciaire, la première comportant une nette priorité et antériorité, par rapport à la seconde.

La protection sociale devrait s'initier auprès d'un service de protection de la jeunesse, responsable au ministre des Affaires sociales, organisé comme établissement public, d'après le modèle des établissements de la Loi des services de santé et des services sociaux dans chaque région du territoire.

Ce service, après analyse du cas, pourrait formuler un plan d'intervention, confier à ces fins l'enfant à un centre de service social, tout en continuant de suivre son progrès et son évolution. Il exercerait la fonction de tuteur de l'enfant par voie de délégation; si l'usage de la contrainte s'avérait nécessaire pour le bien de l'enfant, le cas serait référé à la compétence du tribunal.

Les personnels nécessaires à l'évaluation des cas pourraient être délégués au service de protection de la jeunesse, par les établissements appropriés du secteur des affaires sociales.

La protection judiciaire, elle, devrait s'appuyer sur des expertises pour rendre des ordonnances et avoir à sa disposition, à ces fins, les services de personnels capables de suivre le progrès et l'évolution de l'enfant. Ces personnels pourraient aussi être délégués au tribunal par voie d'ententes et de contrats, comme le sont les personnels des services de santé et de service social délégués en milieu scolaire.

Le Conseil des affaires sociales a fait sienne la déclaration des Nations-Unies de 1959, sur les droits de l'enfant, ceux dont il devrait jouir à titre de sujet de droit et ceux qu'il devrait posséder comme étant objet de droit.

Il a affirmé entre autres le droit de l'enfant d'être représenté par un avocat. Le conseil a jugé que l'enfant ne doit pas être retiré, autant que faire se peut, de sa famille. Il a donné son accord aux principes consignés dans les priorités du MAS pour 1975, à l'effet que les jeunes de moins de douze ans ne devraient désormais plus être placés en institution et aux mesures à prendre à cet effet pour en diminuer le nombre.

Dans l'élaboration des mécanismes d'intervention, le conseil a pris parti pour l'obligation de la dénonciation pour ceux qui sont au courant des comportements qui rendent nécessaire l'intervention des pouvoirs publics. La participation du public aux interventions comme à l'orientation et à la gestion de la commission et la décentralisation de ces moyens comme de ces décisions comptaient aussi au nombre des options faites par le conseil.

Le conseil a considéré que la loi 78 concernant la protection de la jeunesse, adoptée au cours du mois de décembre dernier, comportait un réel progrès dans la protection des enfants soumis à de mauvais traitements physiques. Les mauvais traitements qui n'impliquent pas de brutalité physique peuvent être aussi dommageables au développement de l'enfant. C'est pourquoi il a fait l'étude, avec beaucoup d'intérêt, de l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse déposé le 27 juin dernier devant l'Assemblée nationale.

Il me fait plaisir de demander au Dr Robert Gourdeau qui a présidé le comité spécial du Conseil pour la protection de la jeunesse de vous présenter le mémoire du conseil. Dr Gourdeau.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Dr Gourdeau.

Comité pour la protection de la jeunesse

M. Gourdeau (Robert): M. le Président, le Conseil des affaires sociales et de la famille tient à exprimer publiquement, devant la commission parlementaire des affaires sociales, sa grande satisfaction en rapport avec l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse.

Le conseil est d'accord avec les raisons, consignées sous forme d'attendus en préambule de l'avant-projet de loi, qui ont rendu ce projet de loi nécessaire et urgent et qui ont inspiré la législation dans son élaboration de l'avant-projet de loi.

Le conseil est heureux de constater que l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse consacre plusieurs suggestions formulées par le conseil dans son document sur le premier projet de loi, notamment quant à la reconnaissance de l'intérêt de l'enfant et des droits qui lui sont propres.

Le conseil encourage, en outre, la décentralisation des services de protection de la jeunesse prescrite dans l'avant-projet de loi par l'établissement, dans chacune des régions, de comités locaux d'orientation, d'un conseil de surveillance et d'une direction de la protection de la jeunesse, qui assureront la participation du public à la protection de la jeunesse.

Le texte de l'avant-projet de loi établit une distinction entre la protection sociale et la protection judiciaire, comme le désirait le conseil, tout en établissant une collaboration fonctionnelle entre le ministère des Affaires sociales et le ministère de la Justice, notamment quant à leurs objectifs et aux services qui relèvent de la compétence de chacun d'eux.

Le conseil reconnaît l'importance des dispositions diverses de cet avant-projet de loi qui sont conçues en fonction de l'âge de l'enfant.

Le conseil prévoit que des suggestions opportunes pourront être formulées à la présente commission parlementaire des affaires sociales par divers groupes sur des points particuliers. C'est dans ce contexte que le conseil a jugé utile de formuler deux suggestions relatives aux articles 9 et 96:

L'article 9: "Les enfants hébergés dans les centres ou familles d'accueil ont droit d'adresser du courrier en toute confidentialité à leurs parents, frères, soeurs ou ascendants, à leur avocat, aux directeurs, à la commission, au Protecteur du citoyen, aux membres de l'Assemblée nationale ainsi qu'aux juges et greffiers de la cour."

Les membres du conseil souhaiteraient que cet article soit plutôt formulé ainsi: "Les enfants hébergés dans les centres ou familles d'accueil ont droit d'adresser du courrier en toute confidentialité à leurs parents, frères, soeurs ou ascendants et à toute autre personne de leur choix, à moins de réserves particulières formulées par la commission ou par la cour, dans le cas où il y va de l'intérêt de l'enfant; ils ont également droit d'adresser du courrier en toute confidentialité à leur avocat, aux directeurs, à la commission, au Protecteur du citoyen, aux membres de l'Assemblée nationale ainsi qu'aux juges et greffiers de la cour."

Au sujet de l'article 96: "Un dossier est conservé par la cour jusqu'à ce que l'enfant ait atteint l'âge de 21 ans. Il peut ensuite être détruit, sauf si l'enfant se trouve dans un des cas visés à l'article 59."

Le conseil suggère que cet article soit modifié de la façon suivante, afin d'éviter de nuire à l'avenir de l'enfant: "Un dossier est conservé par la cour jusqu'à ce que l'enfant ait atteint l'âge de 18 ans ou jusqu'à la fin de son hébergement si l'enfant a 18 ans et plus. Il doit ensuite être détruit sauf si l'enfant se trouve dans un des cas visés à l'article 59. " Cet article amène également les membres du conseil à s'interroger sur ce qui arrive des dossiers des enfants dont la protection n'a pas été jugée en danger par le comité local d'orientation.

En conclusion du présent mémoire, le conseil tient à réaffirmer à la commission parlementaire des affaires sociales son appréciation pour la qualité de cet avant-projet de loi.

Même s'il est vrai, selon le conseil, que tout projet ou avant-projet de loi est perfectible, il apparaît que la version déposée en juin 1975 devant l'Assemblée nationale constitue une importante et nécessaire réforme législative dans le domaine de la protection de la jeunesse.

Enfin, en raison des besoins pressants en matière de la protection de la jeunesse québécoise, le conseil réitère son invitation aux représentants autorisés de la communauté à faire rapidement connaître leurs vues les plus objectives et les plus constructives sur l'économie de cet avant-projet de loi pour ne compromettre ni différer son adoption par le législateur. En terminant, permettez-moi de lire un paragraphe d'un des travaux internes du conseil sur l'implantation de ce programme. Il apparaît au conseil que la condition de succès de l'implantation d'une loi de protection de la jeunesse repose dans une grande mesure sur l'esprit et la formation que les participants aux diverses structures de la protection spéciale de la jeunesse apporteront dans l'exercice de leurs tâches. Ils devront se convaincre que les enfants doivent demeurer dans leur famille et utiliser à ces fins toutes les ressources que la protection générale et la protection sociale peuvent mettre à leur disposition, en priorité, comme aussi les autres. Ils devront se convaincre que la valeur que la société attache à la prévention et celle qu'elle attache aux traitements requièrent que soient épuisées toutes les ressources disponibles avant de recourir aux processus judiciaires. Les attitudes et les climats d'autorité et de répression ont des impacts qu'il reste à évaluer. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: J'aimerais remercier le Conseil des affaires sociales, en la personne de son président ainsi que du président du comité spécial pour la protection de la jeunesse, pour ce mémoire, cette opinion exprimée sur l'avant-projet de loi. Je n'ai qu'une question. Elle touche à une recommandation qui est faite quant à l'article 9. Je ne sais pas si le comité ou le conseil a considéré l'autre partie de cette proposition qui est contenue implicitement dans le texte de l'avant-projet de loi et qui a trait au droit de recevoir le courrier. Le texte tel qu'il est exprimé dans l'avant-projet de loi ne traite que du droit, que le conseil voudrait voir élargi, de transmettre du courrier. Pour ce qui est de recevoir le courrier, est-ce que le conseil a examiné cette question et a développé une opinion?

M. Gourdeau: En fait, le comité et le conseil ont voulu faire ces distinctions simplement parce que, dans certains cas, il y a avantage à ce que l'enfant ne puisse pas communiquer avec ses frères ou ses soeurs ou même avec ses parents. Ce sont des cas, évidemment, assez rares, mais, quand même, nous pensions qu'il était important de faire cette distinction dans la loi. Quant au sujet de recevoir du courrier, il n'en a pas été question particulièrement.

M. Marier: Cependant, on peut penser que la même règle pourrait s'appliquer.

M. Levesque: Si je comprends bien, lorsque vous avez cette réserve qui se lit comme suit: "A moins de réserve particulière", cela s'applique non pas seulement à toute autre personne de leur choix, mais également à l'ensemble des personnes mentionnées.

M. Gourdeau: Non, M. Levesque. Cela s'applique aux parents, frères et soeurs, ou ascendants, et non pas à l'avocat, au directeur, à la commission, etc.

M. Levesque: Je comprends. Vous croyez qu'il y a des moments où...

M. Gourdeau: Assurément. Il y a des cas où on a vu des parents encourager le proxénétisme ou des choses comme cela chez des enfants mineurs. Je pense que, dans des situations comme celles-là, ce n'est pas bon que l'enfant puisse communiquer; il faut le couper de ces influences mauvaises.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, j'ai plusieurs questions. Je vais enchaîner sur celle-là tout de suite. Quand vous dites: II faut le couper de ces influences mauvaises, vous laissez quand même la décision ou à la commission ou à la cour.

M. Gourdeau: Absolument, à moins de réserve particulière formulée par la commission ou la cour dans le cas où il y va de l'intérêt de l'enfant.

M. Charron: Est-ce qu'il y aurait recours, selon vous, contre une décision de la commission ou de la cour?

M. Gourdeau: II y a toujours le droit d'appel qui est dans le texte de loi.

M. Charron: Même sur une chose comme celle-là, même sur l'octroi du courrier, la réception et l'envoi du courrier.

M. Gourdeau: Je crois que oui.

M. Charron: M. le Président, je veux remercier également les membres du Conseil des affaires sociales et de la famille. Il peut sembler curieux à certains observateurs que le premier témoin que nous entendions apporte presque un témoignage-maison. Que pourrait-on penser, du ministère des Affaires sociales, étant donné que c'est un organisme, comme l'a signalé le président lui-même, qui relève, dans la composition de ses membres comme dans ses pouvoirs tels que définis, du ministère des Affaires sociales. Mais je m'en voudrais, tout de suite, de laisser cette impression parce qu'effectivement, à l'occasion, j'ai pris connaissance de certains mémoires du Conseil des affaires sociales où certaines suggestions, certaines critiques des agissements du ministère des Affaires sociales proprement dit ont été claires et n'ont pas toujours été retenues, d'ailleurs, par le ministre des Affaires sociales.

Donc, votre appui à l'avant-projet de loi ne doit, en aucune circonstance, être étudié ou vu comme étant téléguidé par le ministère des Affaires sociales. Je tiens à le souligner.

J'ai quelques questions à partir de ce court mémoire. Vous vous dites heureux de constater que l'avant-projet de loi consacre plusieurs suggestions notamment quant à la reconnaissance de l'intérêt de l'enfant et des droits qui lui sont propres, ce que vous aviez fait lors de la première version. Etes-vous satisfait de ce chapitre de l'avant-projet de loi totalement? Croyez-vous que la présentation et l'inscription des droits du jeune ou de l'enfant, dans le projet de loi, pourrait être exhaustive qu'elle ne l'est actuellement? Est-ce qu'on pourrait préciser davantage?

M. Marier: Le conseil n'a pas étudié cette question sauf qu'il a enregistré son assentiment sur le traitement qui était fait aux droits de l'enfant dans l'avant-projet de loi. La question n'a pas été posée à savoir si cela devrait prendre une autre forme, que je sache. Peut-être que le Dr Gourdeau pourrait faire aussi un commentaire là-dessus.

M. Gourdeau: Cette question a été discutée à plusieurs reprises au niveau du conseil et nous spécifions dans notre projet que les attendus ainsi que les autres points mentionnés dans l'avant-projet de loi essaient d'être pas mal exhaustifs et ont semblé satisfaire la majorité des membres du conseil.

Dans un document antérieur sur l'avant-projet de loi, nous avions inscrit les droits de l'enfant tels que demandés par les Nations Unies.

M. Charron: Vous avez fait, M. Gourdeau, référence à cette déclaration des Nations Unies. A mon avis — j'ai parcouru les mémoires pour savoir si d'autres groupes vont insister sur ce point — il y a encore une marge entre la déclaration des Nations Unies sur ce sujet et le contenu de l'avant-projet de loi. Puisque vous aviez dit en le présentant que vous faisiez vôtre la déclaration des Nations Unies, c'est pour cela que venait la question suivante: Si vous faites vôtre la déclaration des Nations Unies, ne trouvez-vous pas qu'elle n'est pas entièrement répétée dans l'avant-projet de loi et qu'elle gagnerait à l'être?

M. Marier: M. le Président, il n'y avait pas lieu qu'elle soit entièrement répétée. Si vous vous souvenez bien, la déclaration des Nations Unies touche toutes sortes de droits, comme le droit à l'éducation. Nous n'avons pas de problème avec cette formulation excepté que ce n'est pas relié au sujet dont traite au moins directement l'avant-projet de loi.

M. Charron: Vous le croyez vraiment? Justement, quant à l'exemple que vous venez de donner du droit à l'éducation précédemment reconnu par les Nations Unies, droit à l'éducation pour l'enfant, cette loi va s'appliquer à des jeunes bien définis et sachant qu'elle va conduire des jeunes à des maisons que nous avons mentionnées tantôt...

M. Marier: Ce que je voulais dire, M. le Président, c'est que c'est sûr que ces enfants ont droit à l'éducation mais il n'a pas semblé nécessaire, dans tous les cas, que ce droit qui est affirmé ailleurs soit aussi inclus dans l'avant-projet de loi.

M. Charron: Mais si les jeunes en centre d'accueil ne recevaient pas l'éducation, par exemple, cela pourrait être une violation de leur droit? Il y a des centres d'accueil qui, actuellement, ne donnent pas l'éducation, qui sont purement et simplement un lieu d'incarcération. Vous le savez.

M. Choquette: M. le Président, permettez que j'interrompe le député de Saint-Jacques.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député d'Outremont.

M. Choquette: Je voudrais attirer l'attention de la commission sur le fait que le droit à l'éducation est consacré, non seulement par les lois de l'éducation, mais il est également consacré par la Charte sur les droits et libertés de la personne et cette charte a une application générale. Par conséquent, je suis bien de l'avis de nos interlocuteurs qu'il semblerait un peu saugrenu de répéter de nouveau un droit qui doit avoir une application générale dans tout le Québec.

M. Charron: Oui, mais lorsqu'il n'est pas appliqué, on gagne peut-être à le répéter.

M. Choquette: II appartiendra au ministre des Affaires sociales de prendre ses responsabilités dans les institutions qui sont sous sa compétence, mais on ne peut répéter dans tous les textes de loi des principes qui sont déjà, en somme, consacrés par d'autres lois de portée plus générale.

Sur le problème de l'extension des droits de l'enfant, question sur laquelle le député de Saint-Jacques interrogeait nos interlocuteurs, les droits de l'enfant qui sont consacrés par le projet de loi actuel sont des droits fort limités, il faut l'admet-

tre. Et il faudra non seulement aller à la Charte sur les droits et libertés de la personne, aux lois de l'éducation, mais je pense qu'il faudra aller éventuellement aux droits qui seront énoncés dans le Code civil, car le Code civil énoncera les droits des enfants avec beaucoup plus d'amplitude, je pense, qu'on ne pourrait le faire dans un texte de loi comme celui-ci.

M. Charron: De toute façon, nous aurons amplement l'occasion de revenir sur cette question puisque nous n'en sommes qu'aux premiers témoins.

Je passe à deux paragraphes plus loin de votre mémoire, M. Marier. Vous vous dites, encore une fois, satisfait de la distinction contenue dans l'avant-projet de loi entre protection sociale et protection judiciaire, donc, entre la dualité de juridiction dans ce domaine.

Etes-vous satisfait — je vais vous demander une précision à cette affirmation générale — du fait que l'avant-projet de loi confie au ministère de la Justice le soin d'administrer la surveillance de la commission et du comité local d'orientation? Je me serais attendu de la part du Conseil des affaires sociales et de la famille à une approche différente de celle dont vous vous dites satisfait?

M. Gourdeau: En fait, la question a été discutée au niveau du conseil. Je pense que ce qui a porté le conseil à accepter la formule est qu'il y a une bonne représentation du ministère des Affaires sociales dans la commission. C'est une commission conjointe, en fait, même si sa surveillance en est assurée par le ministère de la Justice, et nous considérions que c'était un pas en avant, très progressif, et le conseil a accepté ceci comme adéquat.

M. Charron: Mais ce n'est pas un mince détail de savoir de qui relève la commission, quelle que soit sa composition. Si je peux étendre la comparaison au propre conseil qui est devant nous ce matin, cela serait tout à fait différent pour vous-même si vous deviez relever d'un autre ministère à cause de l'oeuvre que vous avez à faire et des domaines dont vous devez traiter.

Si nous considérons l'aspect de l'action et la protection de la jeunesse sous l'angle social, il est très important que cette commission qui aura une relative autonomie — on discutera de cela aussi plus loin, le député d'Outremont l'a mentionné — relève d'un ministère ou d'un autre, ce n'est pas un détail uniquement administratif, je pense bien que vous en conviendrez.

M. Gourdeau: Nous ne considérons pas cela comme un détail administratif, mais le fait qu'il y a un directeur de la protection de la jeunesse dans chaque centre de services sociaux et le fait que l'enfant en difficulté est soumis d'abord au comité local d'orientation où il y a une participation du public, avait convaincu le conseil qu'à la base il y avait déjà une présence des services sociaux, une présence de protection sociale, d'abord, avant la protection judiciaire.

M. Charron: Une dernière question sur ce sujet. Vous estimez donc que la présence du ministère des Affaires sociales, dans la structure qui nous est présentée dans l'avant-projet de loi, est suffisante.

M. Gourdeau: Allez-y donc, M. Marier.

M. Marier: Le conseil a considéré que la solution qui était avancée dans l'avant-projet de loi constituait un heureux compromis entre des tendances difficiles à réconcilier et mettait en position de dialogue, à tous les niveaux des organismes suggérés, les représentants du ministère de la Justice avec les représentants du secteur social. Nous avons trouvé que c'était là, en effet, une façon efficace d'aborder la question dans le meilleur intérêt de l'enfant.

M. Charron: Une dernière question, M. le Président, au Conseil des affaires sociales et de la famille, Le conseil ne dit mot, et cela m'étonne, d'une analyse du fonctionnement de la Cour de bien-être social actuellement. Aucune allusion même n'est faite à la conduite et à la façon dont la Cour de bien-être social fonctionne, aux droits qui y sont refusés, à certaines occasions. J'ai mentionné dans mon allocution d'ouverture certains faits qui peuvent paraître anodins, mais qui sont des dénis de justice évidents et je m'attendais, du Conseil des affaires sociales et de la famille, à tout le moins, à une allusion à ce phénomène qui ne peut avoir échappé à votre attention.

M. Marier: L'objet de l'étude du conseil et du rapport qui vous en a été fait portait sur l'avant-projet de loi lui-même. Evidemment que le conseil a discuté, à toutes sortes d'occasions, des carences qui peuvent exister dans toutes sortes de secteurs de la société. Il a tenu compte, à la fois, des éléments positifs et des éléments négatifs qui existent par rapport aux diverses institutions, mais cela n'était pas le propos qu'il se proposait d'aborder à l'occasion de la présentation de son mémoire à la commission.

M. Charron: J'admets bien que vous deviez vous prononcer sur un avant-projet de loi, mais l'avant-projet de loi lui-même fait référence à la Cour de bien-être social à plusieurs occasions. Des droits lui sont reconnus, des pouvoirs d'intervention jusqu'au coeur des centres d'accueil lui sont reconnus, des pouvoirs de décision sur le traitement des jeunes lui sont carrément affirmés à certains articles. Autre détail qui n'est pas sans importance non plus, le huis clos des décisions de la Cour de bien-être social est intrinsèquement maintenu dans le projet de loi actuel. Je pense que les occasions, pour le conseil, de parler de la Cour de bien-être social étaient déjà largement offertes dans le projet de loi même et que vous n'auriez pas manqué à votre mandat en donnant l'opinion du conseil sur le comportement de la Cour de bien-être social actuelle.

Enfin, si vous n'avez mot à dire là-dessus, laissez-moi vous dire que je le déplore parce que

j'aurais bien aimé avoir, du Conseil des affaires sociales et de la famille, une opinion sur la Cour de bien-être social où qu'elle soit.

M. Marier: Le conseil, dans sa lecture de l'avant-projet de loi, n'a pas fait l'étude des cours de bien-être social actuelles. Il a vu le tribunal dont il est fait mention dans la perspective de l'avant-projet avec ses objectifs, ses déclarations de droit et l'esprit aussi qui, dans l'avenir...

M. Charron: Oui, mais vous ne pouvez pas faire abstraction de ce qui se passe dans le présent pour juger, pour proposer des solutions pour l'avenir. Vous le faites à partir d'un comportement concret et je ne peux pas croire que le Conseil des affaires sociales et de la famille ne sait pas et n'a pas regardé ce qui se passe dans les cours de bien-être social actuellement et ce qui s'y passe depuis des années. Ce n'est pas un phénomène nouveau.

C'est pour cela que je me permets d'en... Je n'ai pas à vous faire de reproches, mais je pense que je peux le déplorer, parce que s'il est un organisme de qui j'aurais bien aimé avoir une opinion claire et franche... parce que, je l'ai soutenu tout à l'heure, à l'occasion, le conseil sait être clair et franc sur certains sujets. Par exemple, quant à la politique de revenu minimum garanti, les remarques que vous avez faites au ministre des Affaires sociales étaient claires. Nous aurions bien aimé sur ce sujet... Parce que, écoutez, si on discute simplement d'un avant-projet de loi, de ce qui peut être amené à l'avenir sans que cette commission parle de la Cour du bien-être social et des centres d'accueil, je le dis encore — je pense que le ministre des Affaires sociales a même renchéri là-dessus en conclusion tout à l'heure — si nous ne parlons que de structures et que nous ne parlons pas de fonctionnement et d'esprit à l'intérieur des structures, et l'esprit de la Cour du bien-être social, je vous assure que c'en est tout un qui mérite une attention particulière, nous ne parlons pas de la protection de la jeunesse, c'est bien simple.

M. Forget: M. le Président, si vous me permettez d'exprimer une remarque sur le même sujet, je crois qu'il ne faut pas faire une interprétation plus large qu'il se doit de l'avis qui nous est donné par le Conseil des affaires sociales et de la famille. Et ce, dans le sens suivant. L'avis généralement favorable — sauf deux ou trois remarques qui sont faites quant à des améliorations possibles — porte sur la totalité de l'avant-projet. Or, cet avant-projet contient des dispositions relatives au fonctionnement de la cour. Je me permets de les énumérer de manière à être bien sûr si, effectivement, sur ces points, il y a de la part du conseil, un sentiment que ces éléments de solution sont satisfaisants ou incomplets. Il existe une disposition dans l'avant-projet qui demande à la cour de rendre des jugements motivés et une autre série de dispositions qui permet l'appel des décisions. Pris ensemble, ce sont deux remèdes qui, je pense, peuvent largement contribuer à diminuer les problèmes de dénis de justice apparents ou réels que le député de Saint-Jacques a soulignés, puisque c'est un mécanisme d'usage bien connu que le mécanisme d'appel sur des décisions motivées.

Il y a, en outre, sur le huit clos, un mécanisme de contrôle de l'activité judiciaire, qui est de droit commun dans tous les cas, une disposition, non pas le silence comme l'a laissé entendre le député de Saint-Jacques, mais une disposition permettant à la commission qui regroupe non seulement les ministères, mais aussi le public intéressé à la protection de la jeunesse, un moyen de reconnaître la possibilité pour des personnes qui ont un intérêt public, à être présentes à des auditions devant la cour, à y assister. Donc, il y a une levée partielle du huis clos. Si on fait le total, nous avons au moins, de mémoire, trois mesures qui sont de nature à contribuer à une amélioration du fonctionnement de la cour. Est-ce que le conseil, enfin... je pense que la question est presque superflue. Mais je crois que le conseil, en donnant un avis positif, au moins, sauf erreur, sur l'ensemble du projet, s'est également prononcé sur ces trois mesures qui sont, à mon avis, significatives. Peut-être y en a-t-il d'autres qui pourraient s'y ajouter? Je ne sais pas. Peut-être que les représentants du conseil voudraient faire un commentaire sur ce sujet.

M. Gourdeau: Le conseil avait déjà fait connaître au ministre son avis sur le premier projet de loi qui a été abandonné. Quand nous avons décidé de présenter un mémoire sur le projet actuel, évidemment nous n'avons pas eu le temps non plus de faire une étude exhaustive de toute la question, mais nous avons étudié l'avant-projet de loi, paragraphe par paragraphe. Nous en avons étudié l'esprit, nous avons vu le progrès que cet avant-projet de loi marque sur ce qui existait autrefois et nous n'avons pas fait de procès d'intention. Nous jugeons que copie de la décision de la cour doit être rendue dans tous les cas, qu'il y a droit d'appel, etc., et qu'il y a tellement de points maintenant qui viennent protéger l'enfant, protéger ses parents et protéger le public que nous n'avons pas fait de procès d'intention.

Nous avons jugé que ces articles de l'avant-projet de loi étaient bons, adéquats.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Johnson.

M. Bellemare (Johnson): M. le Président, l'avant-projet de loi établit une distinction entre la protection sociale et la protection judiciaire. Vous avez trouvé que c'était juste, raisonnable.

Mais vous avez aussi, dans un autre volet, demandé d'encourager fortement la décentralisation des services de protection de la jeunesse, en disant, par exemple: II y aura établissement, dans chacune des régions, de comités locaux d'orientation, de surveillance, de direction et même, vous ajoutez à cela que vous souhaitez ardemment la participation du public à la protection de la jeunesse.

Vous avez fait un très grand pas, mais vous vous êtes arrêtés en bon chemin. Quand vous avez parlé de décentralisation, vous avez probablement

craint d'aller plus loin à cause du ministère des Affaires sociales qui veut jouer un rôle très important.

Je voudrais que vous me disiez ce matin, si cela vous était permis ou si c'était possible, en explicitant, d'une manière particulière, que vous entendez par décentralisation. Est-ce que ce ne serait pas le bout qui manque pour être la perfection, comme le disait mon collègue d'Outremont tout à l'heure, une commission complètement détachée qui gérerait complètement l'application de l'avant-projet qu'on étudie. Peut-être que c'est cela, peut-être que vous n'avez pas osé le dire.

Mais quand vous parlez de décentralisation, je pense que tout le monde vous suit. Il faudrait, par-dessus tout cela, les comités locaux d'orientation, la surveillance et même, à la direction de la protection de l'enfance, avoir la consultation du public. Mais le mot "décentralisation", pour moi, dit beaucoup. Je vois, dans votre comité d'étude du Conseil des affaires sociales et de la famille, une inspiration qui pourrait peut-être aller plus loin. C'est pour cela que je retrouve dans votre mémoire ce mot "décentralisation".

Est-ce que l'enfant ne serait pas mieux servi par une décentralisation des pouvoirs politiques qui sont dans l'avant-projet de loi et du ministre des Affaires sociales et du ministre de la Justice?

Est-ce que cette décentralisation n'apporterait pas des volets nouveaux? Il serait utile que vous me disiez jusqu'où va votre décentralisation.

Etant attaché définitivement à un ministère ou à un autre, je pense qu'on n'atteindra pas les buts que tout le monde recherche. Si vous demandez au public de fonctionner, si vous établissez des comités régionaux, si vous établissez une certaine collaboration fonctionnelle entre le ministère des Affaires sociales et celui de la Justice, je pense que cette décentralisation ne pourra pas se faire à cause d'un certain climat politique qui pourra peut-être empêcher certaines réalisations.

Tandis que, si c'était une commission complètement autonome, qui dépendrait peut-être, avec certains droits et privilèges, de ces deux ministères, il y aurait un dégagement total.

C'est pour cela qu'en 1945, quand on a établi les cours de bien-être social, on a voulu complètement les mettre à part de l'application de la justice en général; l'anonymat, le huis clos et toutes ces choses ont été établis.

Je voudrais que vous m'expliquiez ce matin si le mot "décentralisation", qui est dans votre mémoire, va jusque-là.

M. Marier: M. le Président, je ne crois pas trahir les opinions du conseil en disant que le conseil a considéré que ce domaine de la protection de la jeunesse était une responsabilité d'Etat. A cet égard, il faut que l'Etat en assume la responsabilité, le fonctionnement, conformément aux règles qui président à l'organisation démocratique qui est la nôtre.

C'est pour cela que le conseil a jugé tout à fait normal que les instruments que la loi prévoyait tombent sous la responsabilité d'un ministre du gouvernement.

Le conseil a considéré que l'avant-projet de loi comportait des éléments de décentralisation et de participation de la part du public, d'abord au niveau de la composition de la commission elle-même, ensuite au niveau de la composition du conseil de surveillance et de chacun des comités locaux. Voici tout un lot d'occasions de rapprocher les instruments de protection de la jeunesse des différentes régions, des différentes localités et le conseil a exprimé sa satisfaction de la solution qui était avancée.

M. Bellemare (Johnson): Je me soumets, j'accepte de bonne grâce l'explication que vous me donnez, mais je ne l'entérine pas, parce que je ne vois pas, dans ce mot de la décentralisation... D'ailleurs je pense que, comme mon collègue de Saint-Jacques l'a aussi fait remarquer tout à l'heure, dans l'organisation des services de bien-être social et de la nomination des juges, à la commission de bien-être social, il pourrait peut-être y avoir un consensus nouveau d'établi qui devrait penser aussi... Je respecte beaucoup les avocats, j'ai beaucoup de respect pour ces maîtres qui ont la chance d'être au Barreau, mais je pense qu'il y a peut-être, à côté de ces messieurs, d'autres personnes extrêmement qualifiées pour occuper des postes de président d'un tribunal de bien-être social et qui pourraient avec avantage être mieux que certaines nominations politiques.

Je pense que...

M. Choquette: D'autrefois.

M. Bellemare (Johnson): ... d'autrefois et encore aujourd'hui... Vous avez perdu la mémoire depuis quelques jours. Sur cela aussi, mon collègue a certainement raison de dire qu'il aurait fallu qu'implicitement, ce qui n'est pas contenu dans votre mémoire, vous donniez peut-être votre avis. Cela aurait été un document bien important venant de l'autorité que vous représentez dans l'élaboration de ce projet de loi.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Taschereau.

M. Bonnier: M. le Président, je voulais savoir du Conseil des affaires sociales et de la famille s'il s'est arrêté à la définition des responsabilités, des devoirs et des pouvoirs ainsi que des limites des pouvoirs de la famille en relation avec les enfants.

Je pense que l'avant-projet de loi stipule très bien quels sont les droits des enfants. Mais est-ce que vous croyez qu'il y aurait avantage pour nous à insérer quand même une compréhension de ces droits à l'intérieur des devoirs et des responsabilités des parents ou de la famille?

M. Gourdeau: En fait, peut-être que M. Marier pourrait répondre à cela. Nous avons actuellement un comité de la famille qui travaille sur un avis à donner au ministre sur le tribunal de la famille. Cette question est sur le point d'aboutir avec un avis du conseil là-dessus. M. Marier, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Marier: Dans toute l'étude que le conseil a faite, il a essayé de situer les responsabilités à assumer dans le secteur de la protection par rapport aux responsabilités qui sont antérieures à celles-là. Evidemment, la première responsabilité échoit à la famille qui a des fonctions de protection à l'égard de l'enfant.

La société, historiquement, par ces organismes communautaires, est intervenue pour épauler la famille dans ses tâches de protection de l'enfant, soit par l'intermédiaire des programmes d'éducation, soit par l'intermédiaire des programmes des services sociaux qui existaient avant la Loi des services de santé et des services de bien-être et qui étaient le produit de l'initiative des communautés.

L'étude n'a donc pas nié ces responsabilités de la famille, ni non plus des communautés locales, mais a vu la nécessité d'une intervention de l'Etat et du développement de services spéciaux de protection de la jeunesse tant au plan social qu'au plan judiciaire.

M. Bonnier: Autrement dit, vous tenez pour acquis que c'est déjà souligné ou spécifié à quelques endroits. Ce n'est pas nécessaire pour nous de revenir sur ces points.

M. Marier: C'est cela.

M. Bonnier: Un dernier point, M. le Président. Je voudrais simplement savoir du conseil comment il réagit d'une façon générale à cette structure qu'on mettra en place, spécifiquement pour la protection de l'enfance. Vous êtes au courant, évidemment, du fonctionnement de la loi 65, des multiples agences de services sociaux et autres que nous avons, des interrelations parfois difficiles entre ces différentes agences, entre le personnel de ces agences, et du fait que les gens de la rue sont un peu perdus devant ces structures. Ce qu'ils veulent, c'est un service. Est-ce que vous croyez que le fait de mettre sur pied une autre structure assez importante, à partir de la commission, celle de la protection et le reste, est-ce que vous croyez que cela serait de nature à rendre un meilleur service ou peut-être même à compliquer les interrelations entre les services déjà existants et la population elle-même? Enfin, c'est elle qu'on veut desservir au bout de la ligne.

M. Marier: M. le Président, le conseil a fait une option et ne croit pas que cela va compliquer outre mesure les rapports avec les gens, surtout si on pense que les conseils de surveillance ont, en vertu de la loi, au plan des régions, des fonctions d'information auprès du public, donc, déjà décentralisées, et que, si on se fie à l'expérience qui est déjà faite dans le cadre de la loi 78, déjà, les gens savent qu'ils peuvent, par un numéro de télépone, requérir, rejoindre les structures dont ils ont besoin. Ce que je viens de dire n'empêche pas que, par rapport à tous les services gouvernementaux, il existe un besoin d'information de la part du public qu'il faut continuer de satisfaire par tous les moyens possibles.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député d'Outremont.

M. Choquette: M. le Président, j'ai été vivement intéressé par les propos du député de Johnson et les questions qu'il a dirigées vers le Conseil des affaires sociales et de la famille. La question qui semble être en suspens, c'est de savoir si le projet de loi va assez loin sur le plan de la participation du public au travail de la protection de la jeunesse. Je pense que les comités locaux qui seraient institués par le projet de loi devraient être de nature à permettre une participation du public au niveau des décisions prises en matière de protection de la jeunesse. Je me demande si on n'alourdit pas tout ce système par la création de comités de surveillance régionaux, car tout le monde semble être relativement d'accord pour dire qu'il faut une commission de la protection de la jeunesse qui ait une large autonomie dans la direction de ce domaine. Tout le monde semble également accepter l'idée de comités locaux qui seraient constitués d'un noyau provenant du ministère de la Justice, des Affaires sociales, avec la participation et l'association de citoyens bénévoles ou volontaires pour servir dans ces comités locaux.

Est-ce qu'on ne fait pas un peu trop de "struc-turite" et de bureaucratie à vouloir instituer des comités de surveillance régionaux?

Est-ce qu'on n'ajoute pas un palier inutile dans une matière où les communications entre la commission de la protection de la jeunesse et les comités locaux devraient et pourraient se faire très directement et très simplement.

Donc, je pose la question. Pour ma part, i'ai l'impression qu'on a ajouté quelque chose d'inutile. Encore une patente qui ne servira à rien sinon à mêler les cartes. Pour ma part, je suis fort enclin à demander aux honorables ministres responsables de cet avant-projet de loi de supprimer ce palier intermédiaire qui agira un peu comme la cinquième roue du chariot.

D'autre part, il y a aussi un autre facteur où je reconnais les propensions bureaucratiques des personnes qui ont peut-être été à l'origine de cet avant-projet de loi. C'est cette fameuse direction de la protection de la jeunesse au sein des CSS. Encore une autre patente, encore une autre catégorie qu'on crée, un petit empire en préparation pour quelqu'un, dans chaque région. Dieu sait que le dossier des CSS n'est pas plaidé dans l'opinion publique d'une façon absolument convaincante. Les CSS demeurent encore une expérience que beaucoup critiquent même dans tous les milieux. Je ne dis pas qu'il faille conclure dès ce moment-ci que c'est un échec, mais on peut se poser beaucoup de questions sur cette stratégie gouvernementale qui a visé à réunir tous les services sociaux sous un même toit, faire disparaître, en somme, l'individualité et le caractère original de chaque oeuvre sociale qui existait auparavant au Québec. J'ai l'impression qu'on crée des tours de Babel, d'immenses monuments à la bureaucratie et qu'on satisfait peut-être des planificateurs au ministère des Affaires sociales mais sans rejoindre les problèmes réels des gens.

C'est la raison pour laquelle, là encore, je pense que cette direction de la protection de la jeunesse qu'on voudrait instituer dans ces CSS ajouterait encore au fatras administratif qui va finir par étouffer les initiatives et empêcher la solution réelle des problèmes.

Donc, M. le Président, j'aimerais avoir l'avis du Conseil des affaires sociales et de la famille qui, comme l'a dit le député de Saint-Jacques avec beaucoup de conviction, a une liberté absolue de penser sur ces questions par rapport au ministre des Affaires sociales.

M. Marier: M. le Président, le conseil a soumis un mémoire. Ce que dit le conseil est le résultat du consensus de ses membres. Il n'a pas pu anticiper toutes les questions que les membres de la commission pourraient lui poser et, par conséquent, sur des questions comme celle-ci, les consensus ne sont pas établis. Tout ce que le président du conseil pourrait dire sur certaines questions, ce serait son opinion personnelle. A ce moment-là, cela n'aurait que la valeur que l'on accorde à son opinion personnelle. Est-ce que je peux donner mon opinion personnelle?

M. Choquette: Sans doute.

M. Marier: Le conseil de surveillance, il me semble, n'est pas une structure embarrassante mais l'indice ou le témoin de la volonté inscrite dans l'avant-projet de loi du législateur d'associer la population, au plan régional, à la supervision du système. N'importe quelle administration gouvernementale, dans ses fonctions, assume celle d'une certaine supervision. Dans ce cas-ci, l'avant-projet de loi ne dit pas que ce sera un fonctionnaire qui assumera la supervision, mais elle associe un certain nombre de personnes à l'exercice de cette fonction administrative.

Je pense qu'il faut interpréter la désignation "conseil" comme nécessaire pour préserver, par rapport à la commission, l'unité de commandement.

Sur la direction de la protection de la jeunesse, je dirais qu'il s'agit là d'une initiative heureuse parce qu'elle permet au système de protection de la jeunesse de faire la jonction des services de protection sociale, générale et des services sociaux. C'est une fonction nécessaire, si l'on veut que, en considération des besoins de l'enfant, tous les éléments trouvent leur application.

M. Choquette: J'ai noté votre avis, malgré que je ne partage pas votre opinion.

Au cours de vos propos, vous avez mentionné, assez vaguement et peut-être me suis-je trompé sur ce que vous vouliez dire, mais vous pourrez clarifier ma compréhension... j'ai semblé comprendre que vous préconisiez l'établissement d'une obligation juridique ou légale de dénoncer des cas qui mériteraient la protection sociale ou judiciaire, suivant le cas, pour des motifs autres que ceux de mauvais traitements physiques, tel que cela a été retenu par la Loi de la protection de la jeunesse qui a été adoptée récemment.

Vous avez semblé, en somme, étendre l'obligation de dénoncer tout cas d'enfant qui serait en péril ou en danger par suite de son milieu social, familial, et vous avez proposé, si je vous ai bien compris, une extension du principe de la dénonciation qui est déjà contenu dans la loi précédemment mentionnée par rapport avec de mauvais traitements physiques. Vous ai-je bien saisi sur ce point?

M. Marier: II faudrait préciser. Dans la présentation que j'ai faite du conseil et de ses travaux, j'ai mentionné que le conseil avait opté pour l'obligation de la part des gens qui sont au courant, à la fois des mauvais traitements ou des mauvaises conditions de toute autre nature dont pourrait être victime l'enfant, de dénoncer cette situation.

Dans le mémoire que le conseil vous a présenté, toutefois, il n'est pas fait allusion, que je sache, à cette disposition, de sorte que le conseil s'est rallié à la position qui est exprimée dans l'avant-projet qui prévoit une obligation dans le cas des mauvais traitements physiques et une invitation dans le cas des mauvais traitements d'autres caractères.

M. Choquette: J'attire votre attention sur le grand danger d'étendre l'obligation de dénoncer ce qui pourrait être ou ce qui pourrait ne pas être des cas nécessitant la protection sociale ou judiciaire.

Je crains beaucoup, pour ma part, si on étendait le principe au-delà des mauvais traitements physiques, que l'on crée une atmosphère générale de dénonciation, de délation ou de suspicion sociale.

Tout le monde n'a pas les mêmes vues sur la façon d'élever les enfants et il est trop facile d'ouvrir des portes de ce genre pour que des voisins commencent à se dénoncer les uns les autres.

Et c'est la raison pour laquelle, pour ma part, je me suis toujours arrêté aux mauvais traitements physiques, c'est-à-dire aux cas les plus graves, aux cas où on peut constater les effets des sévices qui peuvent être imposés à des enfants. Et d'ailleurs, je ne pense pas que vous puissiez trouver dans aucune loi étrangère une obligation de dénonciation pour autre chose que des mauvais traitements physiques.

D'ailleurs même cette obligation légale de dénoncer des sévices imposés à des enfants est déjà un principe qui va assez loin en soi, qui est une exception, compte tenu de la situation précaire et de l'état, qui est souvent celui des enfants, d'être sans défense vis-à-vis de leurs parents ou de leurs gardiens qui peuvent leur imposer de mauvais traitements. Je crois qu'il faut être prudent lorsqu'on s'avance sur cette voie et il faut savoir arrêter à un moment, où on ne va pas trop loin.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Autres questions?

M. Gourdeau: M. le Président, même si, au début, le conseil avait, dans ses documents de tra-

vail, proposé une dénonciation obligatoire pour toutes les formes de sévices, à la suite d'autres réunions, à la suite de l'étude de l'avant-projet de loi,il s'est rallié à ce qu'il y a dans l'avant-projet de loi, à la possibilité de dénonciation et à l'obligation, pour les mauvais traitements physiques, et à la possibilité, pour les autres.

M. Marier: Compte tenu des dangers évidents que vous avez signalés, monsieur.

M. Choquette: II y a une dernière question, M. le Président, si vous le permettez, c'est la question de la probation juvénile sur laquelle j'aimerais avoir l'avis du conseil. Actuellement, la probation juvénile est rassortie à la compétence du ministère des Affaires sociales et il y a chez les membres de cette profession, ceux qui font la probation juvénile, un désir, qui a été exprimé très ouvertement récemment, de voir leur compétence être attribuée au ministère de la Justice. Je pense qu'il y a des arguments sérieux pour motiver un tel changement. C'est que l'officier de probation juvénile, qui a comme fonction de surveiller l'ordonnance de probation, fait appliquer en somme un jugement qui a été rendu par un juge et, naturellement, ce juge appartient plutôt au secteur judiciaire. Je sais qu'autrefois c'était la situation, comme je l'ai mentionné au début de mes remarques préliminaires; à un moment donné, la probation juvénile a été transférée du ministère de la Justice aux Affaires sociales et, aujourd'hui, je m'interroge très sérieusement sur le mouvement qu'il faudrait faire en sens inverse et qui me paraîtrait devoir correspondre avec plus de netteté au partage nécessaire des fonctions entre la Justice et les Affaires sociales.

M. Gourdeau: En fait, M. le Président, nous ne pouvons pas répondre au nom du conseil. Nous ne pouvons pas donner un avis. Le conseil ne s'est pas réuni pour répondre à la question du ministre, mais cette question a déjà fait l'objet de discussions dans nos travaux internes et c'est sûr qu'on a des opinions sur les officiers de probation. Comme conseil, nous ne pouvons pas publier nos documents internes aujourd'hui et c'est le ministre qui nous donne la permission de les publier. Il faudrait faire une réunion du conseil pour répondre à votre question.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Autres questions des membres de la commission?

Alors, la commission suspend ses travaux à cet après-midi, vers 4 heures.

M. Levesque: Est-ce qu'on peut dire immédiatement qui sera appelé?

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le premier organisme appelé sera la Ligue des droits de l'homme; viendront ensuite, l'Association des centres de services sociaux du Québec, le Centre international de criminologie comparée, l'Hôtel-Dieu du Sacré-Coeur de Jésus, les Fédérations des unions de familles Inc.

La commission suspend ses travaux jusqu'à 4 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 39)

Reprise de la séance à 16 h 25

M. Houde, Limoilou (président de la commission conjointe de la justice et des affaires sociales): A l'ordre, messieurs!

Voulez-vous reprendre vos sièges. J'invite immédiatement les représentants de la Ligue des droits de l'homme. Auriez-vous l'amabilité de vous présenter, s'il vous plaît?

Il nous reste cinq organismes à entendre. On va faire en sorte que ce soit le plus rapidement possible. Il ne faudra pas qu'on en veuille aux membres de la commission s'il y a un organisme qui ne peut pas se faire entendre. On va faire tout notre possible pour que ce soit fait assez rapidement.

La Ligue des droits de l'homme est représentée. Est-ce que l'Association des centres de services sociaux du Québec est représentée? Le Centre international de criminologie comparée? L'Hôtel-Dieu du Sacré-Coeur de Jésus, je pense, n'est pas représenté ici. La Fédération des unions de famille incorporée?

M. Charron: Oui.

La Ligue des droits de l'homme

Le Président (M. Houde, Limoilou): Nous allons débuter immédiatement. Présentez-vous, s'il vous plaît.

Mme Gobeil: M. le Président, MM. les ministres, MM. les députés, vous me permettrez d'abord de présenter la délégation de la ligue. A ma gauche, Mme Stella Guy, qui est membre du comité exécutif de la ligue, et, à ma droite, M. Jean-François Boulais, qui est secrétaire de la ligue et également du comité exécutif de la ligue. Plusieurs de nos collaborateurs n'ont pu se joindre à nous...

Le Président (M. Houde, Limoilou): Vous-même, Madame?

Mme Gobeil: Je suis Aline Gobeil de la permanence de la ligue, j'y venais, monsieur.

Plusieurs de nos collaborateurs n'ont pu se joindre à nous, étant retenus à Montréal par leurs activités professionnelles. Je voudrais mentionner particulièrement Mme Lizette Gervais, M. Guy Bourgeault, le Dr Raymond Boyer et Me Pierre Jasmin qui sont membres du comité exécutif de la ligue, de même que Mme Louise Gagné-Rébello qui, l'an dernier, fut responsable du comité mis sur pied par la ligue pour venir en aide aux jeunes de Berthelet, assignés à des prisons communes lors de la mise en tutelle de l'institution, et également le directeur général de la ligue, M. Normand Caron, qui n'entrera en fonctions que le 1er décembre prochain.

Le mémoire que nous présentons aujourd'hui traite exclusivement des questions qui sont de la compétence propre de la ligue et pour lesquelles nous avons eu une expérience pertinente. J'aimerais rappeler que, depuis quatre ans, la protection de la jeunesse fut l'un des dossiers majeurs de la

ligue. Nous faisons d'ailleurs référence, dans ce mémoire, à quelques-uns des engagements majeurs de la ligue dans le domaine de la protection de la jeunesse. Je passe tout de suite au contenu même de notre mémoire.

Nous traitons au chapitre premier des éléments essentiels à une affirmation adéquate des droits de l'enfant.

Les problèmes vécus par les jeunes sont à ce point nombreux et extrêmes que nous n'hésitons pas à affirmer que, loin de recevoir l'aide dont ils ont besoin, ils comptent parmi ceux de notre société dont les droits sont les plus ignorés et bafoués. Réalité que nos modes d'intervention sociale et judiciaire se sont révélés impuissants à prévenir et à corriger.

Il nous apparaît indispensable que la protection de la jeunesse s'inspire du respect des jeunes, en ne les considérant pas comme des êtres faibles, des diminutifs d'adultes, mais comme un groupe de citoyens qui ont leur personnalité et la maturité propre à leur âge. Si ceux qui doivent administrer la protection de la jeunesse n'ont pas comme premier objectif de rechercher en tout le développement positif de la personne du jeune et du groupe social qu'il forme ainsi que de sa personnalité juridique, les plus beaux systèmes de protection échoueront.

La protection de la jeunesse est une tâche de service qui doit avoir pour moteur le respect et la promotion des droits fondamentaux du jeune en tant qu'il est une personne et un sujet de droit et à partir d'une reconnaissance de ses besoins essentiels.

Nous sommes en mesure d'affirmer qu'à la base des injustices les plus graves, on doit souvent admettre que c'est la notion même de droits qui n'est pas reconnue aux jeunes:

Droit de prévenir leurs proches et de recourir aux services d'un avocat lorsqu'ils sont arrêtés ou détenus;

Droit d'être traités avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine;

Droit d'être informés des motifs de leur arrestation et détention;

Droit d'être assistés par un avocat devant tout tribunal;

Droit de bénéficier d'un système d'éducation qui favorise le plein épanouissement de leur personnalité, y compris lorsqu'ils sont temporairement retirés d'un milieu familial naturel;

Droit à des mesures spéciales de protection et d'aide.

Autant de droits qui ne sont pas reconnus dans les faits; comme en témoignent les jeunes eux-mêmes.

A titre d'exemple, une jeune fille de quinze ans nous affirme avoir été gardée en détention pendant plus de deux ans sans savoir pourquoi alors qu'elle était confiée à une institution pour sa protection, où elle fut gardée dans un complet isolement pendant plusieurs semaines, où elle ne put poursuivre ses études parce que tout ce que l'institution offrait, c'étaient des cours de couture, etc., et nous en passons.

Droit à des conditions de vie et de développement se rapprochant le plus de celle d'un milieu familial normal, alors que, faute de ressources, de plus en plus de jeunes sont incarcérés dans des prisons communes qui ne sont pas équipées pour les recevoir, encore moins pour aider les jeunes en difficulté.

On retrouve au Québec près de la moitié des enfants qui sont placés en foyers nourriciers pour tout le Canada et leur situation s'avère souvent pire que leur situation familiale d'origine.

Nos milieux de protection et d'hébergement ne sont pas soumis au minimum de contrôle qu'on devrait en attendre et ils sont aussi le plus souvent dépourvus des ressources qui leur permettraient de fonctionner normalement.

Droit à la liberté d'expression, à la vie privée et à l'exercice de leurs droits sans distinction fondée sur la race, la couleur, le sexe, les convictions politiques, la tenue vestimentaire et physique, la condition sociale...

Comment attendre des jeunes qu'ils adhèrent à un milieu social et qu'ils respectent ses valeurs à leur mérite si ce même milieu les rejette comme personnes en refusant de leur consentir les droits les plus élémentaires?

Aussi, avant même de s'orienter vers de nouveaux mécanismes d'intervention, faut-il poser le problème à sa racine, savoir quelle est la conception que l'on se fera des droits des jeunes dans l'édifice d'une nouvelle loi et de services à créer.

De cette approche, dépend largement le développement positif de la personne du jeune et du groupe social auquel il appartient en raison de son âge.

La ligue a toujours soutenu que l'enfant devait jouir de droits fondamentaux, égaux à ceux des adultes, à l'exception de ceux qui ne sauraient lui être consentis en raison de son âge. Dans le projet de charte des droits qu'elle publiait en 1973, la ligue proposait une formulation qui pouvait se lire comme suit: "Les enfants et les adolescents, en tant que personnes, ont des droits fondamentaux égaux à ceux des adultes. Ils doivent être considérés et protégés de telle manière que cette égalité de droit soit toujours garantie dans les faits et en tenant compte du développement de leur qualité de citoyen".

On peut lire, en préambule du projet de loi concernant les jeunes qui ont des démêlés avec la justice, un texte de même inspiration: "Les jeunes jouissent des mêmes libertés et droits fondamentaux que les adultes; ils ont droit à des mesures spéciales de protection et d'aide pour la sauvegarde de ces droits et libertés, et pour le respect des principes énoncés dans la déclaration canadienne des droits ou ailleurs"; et le projet de loi fédéral énonce un certain nombre de droits qui découlent de ce postulat. L'énumération proposée d'ailleurs n'est pas limitative.

A l'instar de l'avant-projet de loi fédéral, nous posons comme postulat de base, l'importance primordiale de reconnaître aux jeunes des droits fondamentaux égaux à ceux des adultes, et sans

pour autant restreindre la portée de cette orientation, la ligue situe cependant cette approche dans une perspective évolutive.

Nous mettons en garde ce gouvernement contre son empressement à déclarer les droits dans des phrases ronflantes qui seront vidées de leur contenu dans la réalité quotidienne.

Trop souvent, la pauvreté de nos ressources fait échec à une reconnaissance dans les faits des droits de l'enfant.

Par exemple, citons le cas d'une jeune fille dont la détention clairement illégale dans une institution de la région de Montréal permettait d'envisager une procédure d'habeas corpus. Les représentants de l'enfant rejetèrent cette solution juridique pour le motif que sa libération acquise, l'enfant n'aurait eu aucun toit où demeurer et se serait trouvé ainsi, dans une situation pire, en somme, que celle qu'on voulait corriger.

Relativement au chapitre 2 de l'avant-projet de loi, nous sommes satisfaits de la rédaction de l'article 3 qui reconnaît que le milieu familial est le plus apte à assurer le développement de l'enfant. Nous recommandons, par ailleurs, que le droit de l'enfant à l'éducation soit inscrit dans la loi pour que l'on cesse de dé-scolariser en pratique les enfants retirés de leur milieu familial. Nous demandons que l'article 6 de l'avant-projet de loi soit modifié en ajoutant après le deuxième paragraphe, le paragraphe suivant, je cite-. "Les institutions doivent informer les parents et les enfants des règles internes les concernant."

Nous demandons que l'article 9 de l'avant-projet soit modifié comme suit: "Les centres et familles d'accueil doivent respecter le droit des enfants d'utiliser en toute confidentialité les divers moyens de communication et doivent rendre ces moyens accessibles aux enfants qu'ils hébergent." Dans sa rédaction projetée, l'article 9 impose, à notre avis, une restriction injustifiée au droit de l'enfant à communiquer par courrier ou autrement.

Nous demandons que soit énoncé le droit de l'enfant à recevoir une explication des décisions prises à son sujet et qu'une disposition en ce sens soit ajoutée au chapitre 2. Nous demandons que soit introduite dans le texte de loi la disposition suivante: Le premier paragraphe est le texte que j'ai cité tout à l'heure, comme faisant partie du premier dossier-charte de la ligue de 1973. Je vous le répète: "Les enfants et les adolescents en tant que personnes ont les droits fondamentaux égaux à ceux des adultes. Ils doivent être considérés et protégés de telle manière que cette égalité de droit soit toujours garantie dans les faits et en tenant compte du développement de leur qualité de citoyen. Ils jouissent notamment des droits énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne sauf disposition expresse contraire d'une autre loi."

Nous demandons enfin que toutes les dispositions consacrant les droits des jeunes soient intégrées dans le cadre même de la loi et qu'en conséquence, l'alinéa premier du préambule soit reporté au chapitre 2 de la loi, de même que l'alinéa quatrième, lesquels pourraient se lire comme suit: "Tout enfant a droit à la protection, à l'attention, à la sécurité et au respect que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu. Tout enfant a droit, en pleine égalité, à une audition impartiale par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé."

Nous insistons pour que le législateur prenne en sérieuse considération les recommandations que nous lui soumettons pour une reconnaissance des droits de l'enfant.

Nous ajoutons que dans les faits, la reconnaissance des droits des jeunes est liée aux structures administratives et au mode d'administration de la justice pour les jeunes. Il dépendra de la qualité des mécanismes d'accueil, d'évaluation et de relance des situations inscrits dans la loi que les droits de l'enfant soient reconnus et développés comme tels au Québec. A cet égard, l'analyse de l'avant-projet nous force à conclure à son insuffisance. Le projet porte la marque des réticences de l'administration réfractaire à toute perte de pouvoir.

En ce qui concerne particulièrement la commission provinciale, une approche globale du problème nécessite, d'après nous, que les ministères de la Justice et des Affaires sociales acceptent franchement de se départir de certaines de leurs prérogatives traditionnelles pour les confier à un organisme indépendant.

Nous sommes en face d'une législation qui doit reposer sur la conjugaison de l'intervention sociale et de la protection judiciaire. Une chose est de nous donner des moyens d'enquête, de poursuite et de protection au plan du "due process", une autre est de prévenir la détérioration des milieux de vie de l'enfant, d'aider les familles et de mettre en oeuvre les ressources nécessaires à la protection sociale de la jeunesse. Les deux choses doivent se faire, pourtant, en étroite collaboration. . .

Les motifs pour la création d une commission indépendante tiennent aux fonctions urgentes et spécifiques qui doivent être exercées par une administration de la protection de la jeunesse. Ce sont notamment les fonctions suivantes: L'élaboration d'une philosophie sociale et juridique de la protection de la jeunesse; les programmes de prévention et de traitement; l'aide à la famille; l'organisation locale des services communautaires appropriés; la coordination entre les Affaires sociales, la Justice, l'Education et le Travail; la coordination entre les professions et les fonctions multidisciplinaires; le service des enquêtes; le rôle et le fonctionnement de la cour; l'administration de la loi de la protection de la jeunesse et de la loi des jeunes délinquants; la coordination des milieux d'hébergement temporaire et prolongé hors de la famille; les services d'information et de recherche.

A ces fonctions, il faut ajouter d'autres pôles à moyen terme. Par exemple, l'importance de l'attention à la jeunesse dans notre société; les répercussions du système de protection de la jeunesse sur la criminalité et la délinquance au Québec; l'utilisation des ressources communautaires et locales; l'attention sociale qu'il faut accorder aux milieux défavorisés.

Enfin, toutes ces raisons fondaient la recommandation que nous faisions au gouvernement, au sujet du projet de loi 65. Nous demandions, en 1972, une législation d'ensemble, visant particulièrement à mettre sur pied une commission provinciale de la protection de la jeunesse, groupant des personnes identifiées aux Affaires sociales, à l'administration de la Justice, à l'Education et au Travail, et reliées au gouvernement d'une manière semblable à celle du bureau du Protecteur du citoyen.

Nous retrouvons un bon écho de cette recommandation dans l'avant-projet de loi. Cependant, la commission, dans sa forme projetée, est trop dépendante des ministères.

D'autres mémoires développeront sans doute les modalités par lesquelles la commission provinciale acquerrait les pouvoirs nécessaires pour devenir le véritable maître d'oeuvre de la protection de la jeunesse.

Nous tenons, pour notre part, à signaler qu'il est essentiel d'associer le ministère de l'Education à cette tâche.

Nous nous sommes intéressés également au rôle du comité local d'orientation. Le projet de loi prévoit un mécanisme qui a pour fonction d'évaluer les cas aux fins de déterminer l'opportunité qu'ils soient ou non portés à la cour. C'est l'une de ses fonctions majeures, d'ailleurs.

Si, dans les cas de protection, la juridiction du comité local d'orientation semble complète, en matière de délinquance, sa juridiction est considérablement réduite. Nous estimons qu'en pratique elle sera inexistante.

La véritable déjudiciarisation doit s'effectuer autant dans les cas dits de délinquance que dans les autres cas, et c'est pourquoi nous suggérons d'attribuer au CLO l'autorité complète de déterminer les cas qui seront éventuellement traduits en justice.

Ceci n'implique pas que les citoyens insatisfaits des mesures suggérées par le CLO ne pourront s'adresser à la cour. Ceci implique cependant que le procureur général ou son substitut soumette à l'autorité du CLO l'exercice du pouvoir d'entamer des procédures.

Nous proposons aussi en remplacement de l'article 59 le texte suivant que je cite: "Aucune dénonciation ne peut être portée sans l'autorisation du procureur général ou de son substitut contre un enfant. "Avant d'autoriser le dépôt d'une dénonciation, le procureur général ou son substitut doit demander l'avis du comité local d'orientation. "Si le comité local d'orientation décide de ne pas suggérer le dépôt de la dénonciation, le procureur général n'autorise pas ce dépôt."

Nous invoquons plusieurs motifs à l'appui de cette proposition. D'une part, la décision de poursuivre l'enfant ou non devant la cour ne doit pas être évaluée uniquement en fonction du critère d'intérêt public, mais également en tenant compte de l'intérêt de l'enfant. Or, personne ne contestera que la fonction du procureur général le destine à considérer l'intérêt public uniquement.

D'autre part, nous sommes d'avis que des personnes ne possédant qu'une formation juridique ne sont pas de soi qualifiées pour exercer pleinement la discrétion qui a toujours été dévolue au procureur général.

Une équipe multidisciplinaire nous apparaît plus apte à tenir compte des intérêts en cause.

Et nous tenons aussi à souligner que les centres locaux d'orientation doivent être intégrés au milieu de vie des jeunes dont ils auront à s'occuper.

L'intervention de l'Etat dans le domaine de la protection de la jeunesse doit passer par des structures d'accueil et d'intervention intégrées au milieu qu'elles doivent servir et être à même d'utiliser les ressources communautaires.

On peut ici se fonder sur l'expérience de plusieurs pays qui font figure de précurseurs dans le domaine de la protection de la jeunesse.

Ainsi, la Suède, qui institue un comité local de protection de la jeunesse pour chacune des communes du territoire, au nombre d'un peu plus de 1,000, dont certaines ne desservent qu'un bassin de population de 1,000 habitants, et le Danemark qui, au chapitre premier de sa loi de 1964, associe les associations volontaires et les garderies à la protection et à l'aide à la jeunesse, en leur garantissant le support de l'Etat.

Enfin, nous entendons traiter d'une question primordiale, à savoir, l'ouverture des tribunaux pour enfants au public.

Nous croyons être particulièrement bien placés pour réclamer qu'enfin on ouvre la Cour de bien-être social aux yeux du public pour que lumière soit faite sur les injustices criantes que d'autres avant nous ont décrites, injustices que la consigne du silence continue de couvrir. Nous sommes convaincus que la situation n'aurait jamais dégénéré à ce point si les media d'information avaient été présents.

L'administration de la justice doit être publique. Des siècles d'histoire ont largement démontré que le caractère public du procès était la garantie du droit fondamental à une justice impartiale.

En raison de sa connaissance du domaine des droits de l'homme, en raison de son expérience aussi de l'administration de la justice, la Ligue des droits de l'homme s'oppose fermement à ce que l'on inverse cette règle fondamentale à la sauvegarde des droits de la personne.

Il nous faut rappeler que, lorsque la règle du huis clos est venue s'imposer aux cours pour jeunes, c'était dans le but d'empêcher l'exploitation indue des affaires judiciaires dans lesquelles les jeunes pouvaient être impliqués, et non pas pour empêcher le public de savoir que justice était rendue dans les tribunaux pour enfants.

En conséquence, nous proposons de modifier les articles 83 et 84 de l'avant-projet de loi et nous proposons en remplacement le nouvel article 83 que je vous lis:

Les procédures sont publiques. Lorsque le juge estime qu'il est dans le meilleur intérêt de l'enfant dont le cas fait l'objet des

procédures ou d'un enfant qui s'y présente comme témoin, il peut exclure le public ou toute personne dont il estime que la présence pourrait nuire à la conduite des procédures, sauf a)le procureur général ou son substitut; b) l'enfant et son procureur, ses père et mère et toute autre personne qui en tienne lieu; c)un membre de la commission. Troisième alinéa. Le juge doit exclure le public à la demande de l'enfant, de ses parents ou de ceux qui en tiennent lieu.

Lorsque le public est exclu en vertu des présentes dispositions, le tribunal en fait consigner les raisons par écrit.

Nul ne peut, sans l'autorisation de la cour, rendre public quoi que ce soit qui révèle le nom d'un enfant dont le cas est étudié par la cour ou qui est susceptible de l'être ou qui est cité comme témoin dans des procédures, ou le nom de ses parents, ni aucune information permettant de les identifier.

Nous croyons que l'article 83 de l'avant-projet de loi est inadéquat et à certains égards inopérant. En effet, même si en vertu du troisième alinéa, des journalistes ou d'autres personnes pouvaient être admis devant le tribunal, leur présence serait à toutes fins pratiques inutile puisque, au premier alinéa, il est stipulé que l'enquête a lieu "sans publicité". C'est consacrer une pratique trop longtemps tolérée au Québec et qui a cours bien que nos lois actuelles, loin de prohiber l'accès des journalistes, se limitent à interdire que soit révélée l'identité des mineurs délinquants et de leur famille. L'expérience a largement démontré que loin de protéger l'enfant, cette pratique a pour effet de soustraire à la vigilance du public et de la presse un secteur de l'administration de la justice dont les déficiences appellent au contraire la plus grande vigilance.

D'autre part, nous sommes en accord avec la première partie du troisième alinéa de l'article 83 qui permet l'admission à l'audition de tout membre de la commission qui en fait la demande. Cependant, nous croyons que le fait, pour des journalistes, d'aller requérir une autorisation de la commission pour assister aux séances du tribunal, aurait pour conséquence de soumettre le tribunal à la commission et, à la limite, de soumettre la presse et l'information du public à la commission.

En effet, contrairement à l'intention même du législateur, il serait possible que la commission établisse, si elle le désire, une politique de non-accès systématique à la cour.

Troisièmement, nous sommes en accord avec l'esprit de l'article 84, mais nous désirons en étendre la portée. Dans sa rédaction projetée, l'article protège l'enfant dont le cas est étudié par la cour. Il oublie cependant de protéger l'enfant pendant le laps de temps qui précède l'étude de son cas par le tribunal. Nous voulons éviter, par exemple, que soient publiées des informations pouvant révéler le nom d'un enfant, victime d'un acte criminel ou soupçonné d'en être inculpé, en tout temps, que la cour ait été ou non saisie du cas.

Nous croyons cependant qu'il y a des cas où il va de l'intérêt public ou de l'intérêt de l'enfant que le nom soit publié de même que toute information permettant de l'identifier. Le législateur doit laisser à la cour le soin d'évaluer ces cas. C'est le sens qu'il faut donner au dernier alinéa de l'article que nous proposons en remplacement de l'article 83.

Enfin, parmi les lacunes importantes de l'avant-projet de loi, nous ne pouvons ignorer que ce dernier propose, à l'article 55 b), de perpétuer une situation qu'il nous faut dénoncer et dont nous avons pu mesurer toutes les conséquences en termes de droit, à savoir la détention des jeunes dans des établissements de détention pour adultes. Pareille solution ne peut, en aucun cas, assurer à l'enfant les soins, l'aide et le traitement auxquels il a droit. Qu'il ait "commis ou qu'il soit soupçonné d'avoir commis un crime qui, s'il avait été commis par un adulte, aurait pu entraîner trois années de détention ou plus", ne modifie en rien son droit à recevoir un traitement approprié à son âge et l'aide et la protection d'un milieu apte à répondre à ses besoins spécifiques. Au contraire.

Confier des jeunes à des institutions de détention pour adultes, c'est permettre que les jeunes soient en contact avec un personnel non habilité à s'occuper d'eux, c'est permettre qu'ils soient privés d'activités propres à leur âge, c'est ouvrir la porte à tous les abus qui découlent de ce que ces institutions n'ont pas été conçues pour s'occuper de jeunes et d'enfants. Notre expérience sur ce point est très pertinente.

Il faut rappeler que, lors de la mise en tutelle de Berthelet l'hiver dernier, la Ligue des droits de l'homme institua un comité d'urgence pour venir en aide aux jeunes qui avaient été placés en milieu de détention adulte. Quarante-cinq jeunes pensionnaires furent alors visités par des représentants de la ligue dans sept prisons du Québec. Nous croyons utile de reproduire ici le texte que, il y a un an, nous communiquions sur cette expérience: "La visite des 45 jeunes qui se trouvaient dans les prisons durant la fin de semaine du 1er décembre a démontré une fois de plus que ces institutions ne sont pas équipées pour recevoir, encore moins pour aider, les jeunes en difficulté. Il est vrai que ces jeunes sont isolés des détenus ou prévenus adultes. Cependant, le personnel et les locaux disponibles ne sont pas équipés pour organiser toute activité permettant la réinsertion sociale. "Les jeunes de Berthelet ont vécu ces conditions carcérales pendant plus de deux semaines. Au moment où le comité les a visités, les jeunes ont témoigné d'une vive insécurité. Certains affirmaient ne pas savoir pourquoi ils étaient là et ignorer tout du sort qu'on leur réservait. A l'occasion de ces visites, le comité a rencontré, parmi ces jeunes, des individus qui étaient détenus en institution en vertu d'un article de "protection" de la cour. Le comité a d'ailleurs été étonné du nombre d'autres mineurs que ceux provenant de Berthelet qui se trouvaient en prison à la suite d'un jugement de la Cour de bien-être social".

Les institutions ne possédaient même pas les dossiers des enfants dont ils avaient la garde. Ceci se passe de commentaire. Considérant que la qua-

lité du traitement des enfants en milieu adulte est loin d'être en voie de s'améliorer, au contraire, nous croyons que seule une interdiction absolue d'incarcérer un enfant dans un lieu tombant sous la juridiction de la loi sur la probation et les établissements de détention est de nature à provoquer un règlement satisfaisant de la situation.

En conclusion, je me contenterai de vous référer à la description que nous faisions de l'état du dossier de la protection de la jeunesse il y a trois ans, en 1972. Nous croyons que cette situation, après trois ans, est toujours à peu près la même.

Par exemple, je vous réfère à la page trois de notre mémoire de 1972. "La protection de la jeunesse au Québec est dans un état pitoyable en soi et par comparaison à l'évolution qui s'est produite dans de nombreux pays au cours des dernières années. Des enfants, par centaines, sont battus au point d'avoir des membres brisés. Un plus grand nombre encore vivent dans des conditions familiales qui détruisent chaque jour leur santé et leur sécurité affective et mentale. D'autres sont victimes de procédures administratives discriminatoires de toutes sortes, comme le fait pour un enfant qui récidive de se retrouver un mois ou plus en détention, parce que le juge qui lui est assigné est en vacances. "Plusieurs sont traduits devant la cour inutilement. La situation que vivent les jeunes quand ils se retrouvent dans les postes de police est souvent lamentable. D'autres sont retirés de leur famille pour être soi-disant protégés, alors qu'en fait, ils sont placés dans des conditions d'hébergement obligatoire plus dégradantes encore. "Les familles ne reçoivent pas l'aide qu'elles devraient recevoir pour exercer leurs droits et leurs obligations et respecter ceux des jeunes. La prévention et les traitements demeurent presque ignorés. Nos écoles de protection et nos milieux d'hébergement obligatoire sont dépourvus des ressources qui leur permettraient de fonctionner normalement. Ils ne sont pas soumis au minimum de contrôle qu'on devrait en attendre. Soulignons en particulier la situation des enfants placés en foyer nourricier qui, dans de nombreux cas, s'avère pire que la situation familiale d'origine. "On sait surtout qu'on retrouve au Québec près de la moitié des enfants qui sont placés en foyer nourricier pour tout le Canada. La cour, enfin, n'est pas située dans son véritable contexte et demeure par trop inadaptée à la réalité qu'elle doit servir. "Dans la plupart des secteurs, l'insuffisance des ressources est chronique. Il n'existe pas de coordination appropriée au plan provincial des différents services et institutions."

Nous sommes à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous voudrez bien nous poser.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Merci. J'aimerais remercier le groupe qui vient de s'exprimer pour son mémoire fort détaillé et très intéressant. J'aimerais prendre quelques instants pour tenter de préciser certaines notions qu'on retrouve dans ce mémoire, sans prétendre être complet, encore une fois, puisque le mémoire touche plusieurs aspects soit de la situation actuelle, soit de l'avant-projet de loi.

Malgré tout, dans sa première partie, le mémoire base sa préoccupation, d'ailleurs bien connue, pour les droits fondamentaux de l'enfant en particulier, sur des recommandations qui auraient pour effet de faire inscrire dans un projet de loi, dans une loi de la protection de la jeunesse, des protections qui feraient défaut à l'heure actuelle.

Je crois qu'il serait très approprié d'essayer de préciser quels sont ces droits puisque le projet dont il est question s'insère dans un ensemble de mesures législatives. Il ne peut évidemment pas être considéré dans un vide, dans un désert législatif, mais, au contraire, prend tout son sens dans le contexte que lui fournit en particulier la charte des droits et des libertés fondamentales de la personne et, d'autre part, le Code civil.

Je sais que, sur le plan du Code civil, on parle aussi d'un projet, du moins, je m'en réfère aux recommandations formulées par l'Office de révision du Code civil. Mais déjà, malgré tout, dans la charte, on retrouve un certain nombre d'énoncés de nature très générale qui, à première vue du moins, semblent de nature à rassurer un groupe tel que la Ligue des droits de l'homme.

A l'article 39, par exemple, on dit: "Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l'attention que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu".

A l'article 40, on consacre le droit à une éducation publique gratuite et, dans les articles subséquents, on précise ces notions. Aux articles 29 à 34, il y a un certain nombre de droits qui sont spécifiés relativement à l'arrestation, l'habeas corpus, le droit à être représenté par un avocat devant les cours de justice. Enfin, à l'article 51, on retrouve une stipulation d'interprétation qui nous permet de donner tous leurs sens à tous les autres articles de la loi, à défaut d'une stipulation contraire expresse, dans une autre loi.

On retrouve, en plus, dans I'avant-projet un certain nombre de droits plus spécifiques reliés à la protection de la jeunesse; des droits qui sont mis en oeuvre à l'occasion d'une intervention, puisqu'il y a des situations d'exception. On prend soin de préciser le sens des droits fondamentaux dans des circonstances exceptionnelles comme celles-là.

Je me pose la question: Est-ce que, à la lumière de tout cela, il n'apparaît pas que cette préoccupation, d'ailleurs tout à fait légitime, trouve des réponses appropriées dans tous ces textes? J'ai mentionné, en passant, des recommandations de l'Office de révision du Code civil, mais je crois que ceux qui sont familiers avec ces travaux — je ne doute pas que la ligue le soit — savent combien l'Office de révision a suggéré qu'on mette de l'importance, qu'on place de l'importance sur certains énoncés de droits fondamentaux relativement au chapitre sur le droit des personnes.

Ma question est: De quelle façon précise suggérez-vous que cet ensemble d'affirmations de droits fondamentaux soit complété?

Mme Gobeil: Je peux commencer à vous répondre et mes collaborateurs pourront compléter. Nous faisons référence, dans ce mémoire, à l'avant-projet de loi fédéral concernant les enfants qui ont des démêlés avec la justice. De la même façon que la déclaration canadienne des droits, à ce que je sache, s'applique à tous les citoyens canadiens, quel que soit leur âge, le législateur fédéral a quand même cru bon d'inclure dans son projet de loi une disposition précisant clairement que les enfants avaient des droits fondamentaux égaux à ceux des adultes. C'est en préambule de l'avant-projet de loi fédéral.

On peut supposer qu'on n'a pas mis cette disposition pour rien, qu'il y avait quand même des motifs assez précis. Pour ce qui est des références que vous faisiez, nous pouvons dire que nos motifs pour introduire cette disposition sont doubles.

D'une part, nous y voyons bien sûr — nous avons eu l'occasion devant d'autres commissions parlementaires d'expliciter longuement sur cet aspect — des perspectives pédagogiques intéressantes. Je pense qu'il peut être intéressant qu'une disposition comme celle-là soit inscrite vraiment pour des motifs d'ordre pédagogique; mais, par ailleurs, nous voyons aussi d'autres motifs. C'est que nous constatons — nous l'avons fait largement dans notre mémoire — que ces droits qui sont pourtant garantis à la personne par la Loi sur les droits et libertés de la personne et qui sont garantis d'ailleurs en vertu bien souvent des principes même de notre droit, du droit criminel et de tout l'héritage que nous avons eu depuis des siècles, ces droits ne sont pas respectés dans les faits lorsqu'il s'agit des enfants. Je pense qu'il s'agit là d'un fait que le législateur doit vraiment prendre en considération.

Deuxièmement, pour ce qui est de la charte des droits et libertés de la personne, à l'article 10, cette charte dit bien que toute personne a droit à l'exercice complet des libertés et droits énoncés dans la charte et même des droits qui existaient et qui ne sont peut-être pas énumérés dans cette charte, mais qui existaient au moment de l'entrée en vigueur de la charte, sans distinction fondée sur la race, le sexe, etc., mais l'âge n'est pas mentionné comme un des motifs de distinction, préférence ou exclusion prohibée.

Aussi, on peut prétendre que les enfants, même s'ils sont en tant que personnes, normalement assujettis et couverts par la Loi sur les droits et les libertés de la personne, ne sont pas, par ailleurs, aussi protégés que le sont les Noirs, les femmes ou tout autre groupes auxquels la loi 50 fait directement référence à l'article 10.

Vous mentionnez ce droit à l'éducation qui est reconnu dans la charte des droits et libertés de la personne. Vous savez qu'il est reconnu ailleurs également. Dans la Loi du ministère de l'Education, en préambule, on le mentionne. Nous le citons ici: "Tout enfant a droit de bénéficier d'un système d'éducation qui puisse favoriser le plein épanouissement de sa personnalité." Je cite dans le texte. Par ailleurs, on sait aussi que dans les faits, dans nos institutions au Québec, ce droit à l'éducation n'est pas protégé. Ce qu'il arrive, c'est qu'on applique ce droit, bien sûr, à un enfant qui est placé dans une situation normale, dans sa famille normale et lorsqu'il a accès au réseau d'institutions. A partir du moment où il est placé en institution, on se trouve à limiter et à lui nier carrément ce droit à l'éducation qui est pourtant garanti comme principe. Comme il s'agit ici d'une loi de protection, on ne doit pas oublier qu'il s'agit d'abord d'une loi de protection, nous croyons qu'il est essentiel que l'on mette fin à ce déni de droit vraiment, pour ce qui est des enfants placés en institution, que ce soient des cas de protection ou que ce soient des cas de délinquance.

M. Forget: Je vous remercie. Je suis porté à être d'accord avec vous qu'il faut faire une grande distinction entre le droit et les faits, et que l'affirmation de tous ces droits que l'on retrouve déjà d'ailleurs dans certains textes, comme vous l'avez soutenu, n'est pas une garantie, si elle ne s'accompagne pas d'autres mesures qui seront respectées. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le fait que ces droits ne sont pas toujours respectés, n'est pas en soi un argument pour les répéter une deuxième ou une troisième fois s'ils le sont déjà dans d'autres textes. Je suis, malgré tout, sensible à la notion qu'il faut qu'un enfant soit traité au moins aussi favorablement qu'un adulte.

Pour ce qui est d'une autre recommandation, relative aux communications, nous avons déjà eu ce matin, comme vous le savez sans doute, des représentations à cet égard. Je soupçonne qu'il y a là un sujet sur lequel plusieurs groupes vont s'exprimer. Vous faites une recommandation extrêmement large voulant que tout enfant doit utiliser en toute confidentialité les moyens de communications. Ainsi exprimé, cela suppose que vous êtes en désaccord sur la distinction qui est faite dans le texte, à l'effet de privilégier les communications de l'enfant vers d'autres personnes, de préserver ce droit — on nous a suggéré ce matin même des exceptions à ce droit — mais d'aller au-delà de cela et de traiter sur le même pied les communications reçues par l'enfant venant d'autres personnes, le courrier qu'il reçoit, en termes très concrets, et pas seulement le courrier qu'il expédie lui-même à d'autres.

Est-ce que vous avez considéré les objections qui sont formulées parfois par des personnes qui s'occupent de ces enfants, enfants qui sont retirés de leur milieu familial présumément parfois, au moins, pour des raisons valables? Je pense qu'il faut considérer l'hypothèse où les raisons sont valables. Si les raisons ne sont pas valables, ce n'est pas une question de courrier ou de communication, c'est une question de mauvais placement, de mauvaise décision. Si ce placement est justifiable, si l'éloignement de l'enfant de son milieu de vie familiale est justifié, c'est peut-être, entre autres

raisons, parce qu'il est là sujet à des influences qui l'affectent, le troublent profondément et qu'il est, a priori, impossible de qualifier la confidentialité du courrier. On ne peut pas dire qu'un enfant peut recevoir du courrier de n'importe qui, sauf de certaines personnes, puisqu'il est impossible de savoir d'où vient le courrier, à moins de l'ouvrir, donc de briser la règle générale. A ce moment, j'aimerais savoir pourquoi vous faites une recommandation aussi générale et si vous rejetez catégoriquement ce type d'objection.

Mme Gobeil: On est conscient qu'il y a évidemment des cas spéciaux, mais j'aimerais tout de suite faire référence au projet de loi lui-même qui dit que les dispositions doivent être interprétées dans le meilleur intérêt de l'enfant. Alors, il nous semble que si un cas vraiment très spécifique ou très particulier se pose, il soit possible à ce moment d'interpréter cette disposition en raison du meilleur intérêt de l'enfant. Maintenant, j'aimerais peut-être laisser la parole à Jean-François Boulais qui pourrait compléter.

M. Boulais (Jean-François): Là-dessus, je pense que la suggestion qui a été faite ce matin par le conseil supérieur des affaires sociales, à l'effet que le tribunal pouvait retirer ce droit de communications à l'enfant me semble pertinente, à condition qu'elle ne soit peut-être pas incluse dans la même disposition.

Je pense que l'article 9 est un article curatif. C'est plutôt un article de protection, qui fait une protection absolue de la communication avec certaines personnes, dans les faits. Nous avons profité de l'article 9 pour inclure un droit général à la communication, quitte à ce que, dans des cas particuliers, comme le faisait remarquer l'interlocuteur précédent, le tribunal puisse retirer l'exercice de ce droit.

M. Forget: Je crois que vous avez clarifié assez bien votre position, et je pense que nous sommes fondamentalement devant un accord sur le fond. Ce qui est peut-être plus délicat, c'est que, lorsqu'on parle d'un droit et d'un droit qui est proclamé sans qualification, il n'est pas question de l'interpréter et, si on interprète trop, on se retrouvera devant le problème qui vous préoccupe. C'est que le droit est proclamé en théorie et qu'en réalité, il est honoré dans l'exception plutôt que dans l'observance.

Je pense que, si une exception est reconnue comme étant valable, ce n'est plus tellement un droit qu'une possibilité d'un jugement discrétionnaire qui doit être, lui-même, interprété en faveur de l'enfant. Mais c'est sensiblement différent au niveau de l'expression juridique.

A tout événement, je crois que votre position est assez claire à ce sujet.

Un autre sujet qui a également été mentionné, au moins incidemment dans d'autres mémoires — nous aurons l'occasion, je pense, d'y revenir — c'est le statut de cette Commission de la protection de la jeunesse que le projet de loi propose et que vous voudriez voir renforcé de façon très considérable.

Je comprends mal la nature ou le statut d'une telle commission si elle prend les dimensions que vous voulez lui donner. Il me semble que le sens de vos propositions est d'en faire un organisme presque judiciaire, c'est-à-dire un organisme qui se situe en dehors, constitutionnellement parlant, du pouvoir exécutif, qui relève plutôt du pouvoir judiciaire, c'est-à-dire qui est indépendant du processus politique, qui agit sans que des ministres aient à répondre de ses agissements devant l'Assemblée nationale, qui dépose tout simplement un rapport annuel, un peu comme le Protecteur du citoyen le fait, ou comme pourrait le faire un organisme totalement autonome.

Est-ce que c'est bien là que vous mènent vos recommandations ou est-ce que vous les voyez autrement?

M. Boulais: Si vous avez remarqué, M. le ministre, la Ligue des droits de l'homme n'a pas cru opportun pour elle, comme organisme d'intervention n'ayant pas d'expérience de type administratif, n'a pas cru bon d'énumérer une série de pouvoirs que la commission devrait exercer.

Nous nous sommes contentés, à cet égard, de définir un champ, c'est-à-dire un champ d'activité, le champ d'activité concernant la protection de la jeunesse, et nous l'avons décrit de la façon la plus globale possible.

Comment, en pratique, ce champ d'activité va-t-il être exploré, va-t-il être organisé? Est-ce que c'est par la biais d'une commission qui exercerait tous les pouvoirs que nous avons énumérés ou toutes les fonctions que nous avons énumérées dans ce champ, ou si ce n'est pas plutôt par le fait qu'une commission pourrait orienter certains développements ou certains organismes?

A cet effet, je pense que d'autres organismes pourront donner des réponses plus précises. La seule chose que nous voulons souligner, c'est qu'il existe un champ d'activité concernant la protection de la jeunesse. Actuellement, ce champ d'activité est morcelé dans une série d'organismes. Il manque évidemment de cohésion, d'où la volonté du gouvernement de former une commission ou de tenter une sorte de cohésion à cet effet.

Nous avons simplement essayé, aux pages 13 14, 15 et 16, de cerner ce champ et, évidemment, on ne peut faire autrement qu'être tenté de voir là certains pouvoirs à attribuer à une commission. Je pense que c'est une conclusion que vous tirez, et ce n'est pas un voeu clair que nous formulons, celui de voir une commission exercer tous ces pouvoirs.

Nous avons également indiqué une tendance vers l'autonomie de cette commission. Nous n'allons pas définir et ne définirons pas la marge d'autonomie ni non plus la limite des pouvoirs que le gouvernement voudra bien accorder à la commission.

M. Forget: En d'autres termes, si vous me permettez d'interpréter ou de vous suggérer une

interprétation possible de ce que vous dites, c'est que vous vous intéressez à ce qu'il y ait effectivement une coordination. Pour ce qui est des moyens, les suggestions et les interprétations qu'on peut lire entre les lignes dans votre mémoire ne sont que des hypothèses et ne sont pas des recommandations que vous désirez défendre à la lettre.

M. Boulais: La commission est un pas dans la bonne voie.

M. Forget: Mais, précisément, je pense qu'il est important de savoir dans quelle voie. S'il s'agit de coordination d'organismes dont on reconnaît les orientations et les penchants propres, penchants et orientations qui vont demeurer puisqu'ils sont présumément liés à la façon de voir les problèmes, à la formation professionnelle, aux responsabilités différentes des différents agents, s'il s'agit de coordonner tout cela qui est différent par essence, c'est un problème de coordination que nous avons. Ce n'est pas nécessairement un problème de supprimer ou de forcer une harmonie qui n'existe pas à la base.

En d'autres termes, que ce soit une commission ou une autre, croyez-vous que la commission devrait, si la cour, par hypothèse, dépend d'elle, administrativement, donner des directives aux juges pour qu'ils se conforment à la philosophie sociale que cette commission serait chargée d'élaborer puisque la commission, une fois créée, devra bien résoudre le problème de faire le pont entre deux façons d'aborder le problème. Ceci est le problème de fond. Le problème n'est pas un problème institutionnel. Le problème n'est pas un problème administratif, et si vous ne faites qu'attirer notre attention sur la nécessité d'établir un pont, je crois qu'il n'y a aucune difficulté et c'est évidemment le problème auquel nous nous attachons tous avec des moyens différents.

Mais si votre suggestion va au-delà de ça et recommande un moyen particulier tel qu'une commission administrative qui, parce qu'elle a une responsabilité sur tous les aspects, va en quelque sorte supprimer les divergences d'opinions par l'autorité hiérarchique dont elle disposerait sur tous les agents, sur tous les intervenants, alors, c'est une autre chose, et je crois qu'il est important qu'on saisisse précisément ce que vous voyez. Est-ce simplement une coordination ou est-ce une unité administrative qui va produire l'harmonie, à défaut de la trouver spontanément?

Mme Guay: Je voudrais ajouter, là-dessus, que la Ligue des droits de l'homme demande peut-être plus qu'un pont. Elle en demande peut-être deux dans le sens qu'en plus du ministère des Affaires sociales et du ministère de la Justice, on dit aussi qu'au niveau de cette commission, il doit y avoir un représentant du ministère de l'Education qui touche la presque totalité des jeunes au Québec et du ministère du Travail et de la Main-d'Oeuvre parce que, si la Loi de la protection de la jeunesse touche les jeunes de 0 à 18 ans, il y a beaucoup de jeunes qui sont déjà sur le marché du travail avant 18 ans.

Alors, il est bien sûr qu'on n'a pas donné de réponse administrative, mais on a défini le champ que cette commission devrait avoir et je pense que c'est au niveau des négociations après cela que les ministères pourront en arriver a une entente mais on vous demande même deux ponts. J'aimerais bien que vous le...

M. Forget: J'aimerais...

Mme Gobeil: M. le ministre, rapidement, je pense que nous avons dit, dans l'introduction de notre mémoire, que nous nous intéressions d'abord à voir garantir les droits fondamentaux des jeunes et voir à ce que les mécanismes soient établis pour permettre un réel exercice de ces droits dans les faits. Nous estimons que le rôle de la ligue, c'est d'abord de s'attaquer et de s'attacher à la définition et à la reconnaissance des droits de l'enfant et dans certains cas, nous pouvons laisser à d'autres le soin de choisir entre tel ou tel mécanisme susceptible de mieux respecter les droits de l'enfant; c'est pourquoi nous ne nous sommes pas engagés dans des recommandations de type administratif, laissant à d'autres le soin de les discuter et de les définir.

M. Forget: Je vous remercie. J'ai encore, peut-être, seulement, avec la patience du président, une ou deux autres questions. Au passage, j'aimerais signaler qu'une des recommandations où on exprime le voeu que soit énoncé le droit de l'enfant à recevoir une explication des décisions prises à son sujet trouve en partie déjà une réponse — mais je ne sais pas si on juge que c'est une réponse complète — à l'article 85, au deuxième alinéa où on dit que "lorsqu'un enfant est âgé de quatorze ans ou plus, le juge doit, dans la mesure du possible, s'efforcer d'obtenir son adhésion aux mesures envisagées." Cela suppose au moins qu'il soit informé et, donc, cela dépasse peut-être même un peu la pensée d'une simple information. Est-ce que c'est la circonstance que l'on visait ou si l'on parle d'information dans un sens plus large?

Mme Gobeil: Je pense que c'est plus large. Dans le cas de l'article 85, il s'agit du cas où un juge prend une décision en ce qui concerne un enfant. La Loi de protection de la jeunesse n'assume pas seulement la protection judiciaire, mais également la protection sociale. Nous estimons qu'un enfant doit être informé des décisions qui le concernent, que ces décisions soient sociales ou qu'elles soient judiciaires et nous estimons également qu'il doit recevoir une explication de ces décisions. Nous pouvons référer le législateur, d'ailleurs, au rapport volumineux de la commission Berger de la Colombie-Britannique qui recommande la reconnaissance de ce droit parmi toute une série de droits reconnus.

M. Forget: Je pense que dans ce contexte, on

me le souligne, il y a l'article 60 qui, dans l'autre contexte des mesures volontaires, envisage également qu'il y a une discussion entre l'enfant et le directeur ou la personne qu'il délègue qui assume la prise en charge de ce cas. Mais, ceci n'est qu'en passant. Je ne veux pas insister plus longuement sur la "déjudiciarisation" que vous prétendez inexistante dans le projet. Vous apposez cette affirmation avec une analyse de la distinction entre les crimes graves et les "crimes", les crimes moins graves, qui est contenu dans l'avant-projet et vous établissez une distinction marquée entre ces règles qui sont contenues dans la loi et les autres qui sont suggérées dans le projet de loi fédéral sur les jeunes en difficulté avec la justice. Vous souhaitez qu'il n'y ait rien dans la loi qui établisse une démarcation très claire entre les crimes graves et les crimes moins graves, mais que la discrétion soit en tout temps celle du comité local, quant à l'inculpation.

M. Boulais: C'est exact. En fait, M. le ministre, il s'agit, comme vous l'avez sans doute remarqué, d'une paraphrase de l'article 9 de l'avant-projet de loi sur les jeunes ayant des démêlés avec la justice fédérale, en particulier les paragraphes quatre et cinq.

M. Forget: Je n'ai pas d'autre question, M. le Président, du moins pour l'instant.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, je voudrais d'abord remercier la ligue pour son mémoire. Il y a déjà plusieurs années que je suis à votre gauche, M. le Président, et j'ai pris un peu comme habitude de recevoir des projets de loi litigieux ou j'ai participé avec d'autres collègues à des mémoires de la Ligue des droits de l'homme qui ont toujours été d'une excellente qualité. Je dois dire que celui-ci ne fait pas exception. Il apporte sur ce sujet un certain nombre de précisions que, je pense, sans sous-estimer à l'avance d'autres mémoires, il sera seul à apporter, encore une fois étant donné l'attention particulière et l'angle particulier que la ligue prend pour aborder l'ensemble des problèmes sociaux qui lui sont soumis.

M. le Président, je reviendrai à l'occasion, à la fin de mon intervention, sur certaines questions posées par le ministre lui-même pour compléter l'information déjà donnée mais j'aimerais attirerr l'attention des membres de la commission et, bien sûr, de la ligue sur l'originalité du mémoire de la Ligue des droits de l'homme puisqu'il est le deuxième seulement que nous entendons et le premier à souligner cet aspect particulier.

En conclusion, comme tout au long du mémoire, on veut rappeler que le jeune dont nous traitons, quelles que soient les structures dans lesquelles nous tâcherons d'encadrer ses droits, quels que soient les structures et les droits mêmes que nous reconnaîtrons, ils peuvent être d'une longue nomenclature comme ils peuvent être rac- courcis, le jeune, dis-je, se trouve dans cette situation, celui dont nous parlons aujourd'hui, essentiellement comme le résultat d'une situation sociale dont il n'est, à l'origine, aucunement responsable.

Je pense que le fait que la ligue insiste sur cet aspect, cette statistique effarante que je donnais ce matin mais qui, à elle seule, devrait conduire la réflexion des membres de la commission, je dis bien à elle seule, le fait que la plupart des jeunes présentement détenus dans des centres d'hébergement ou dans des prisons pour enfants, puisqu'il faut faire la distinction à l'occasion, proviennent essentiellement du même milieu social, des mêmes quartiers, des mêmes régions et des mêmes conditions socio-économiques. Ce n'est pas qu'une coïncidence statistique que nous déposerions à la table de cette commission de la même manière que nous pourrions dire de quel âge ils sont ou de la gravité du crime ou le taux de récidivisme qui peut se trouver à l'occasion. C'est la statistique, si je puis la réduire encore à cet aspect, fondamentale et qui est à l'origine de la position que j'ai décrite ce matin comme étant la nôtre, celle d'aborder ce problème de la manière sociale, ce qui nous faisait réclamer et ce qui nous fera réclamer jusqu'à la fin, je crois, de l'étude de ce projet de loi, que ce soit le titulaire des Affaires sociales du Québec qui en ait la principale responsabilité. La ligue le souligne à l'intérieur, les conditions socio-économiques conduisant à la délinquance ne sont pas celles que le jeune a choisies. Il en est le fruit, pour ne pas dire la victime, à l'occasion.

Il faut bien se mettre dans la tète qu'un jeune de 14 ans à 18 ans ou même de 12 et 13 ans comme j'en ai vu à Berthelet n'est pas responsable des conditions qui l'ont conduit à faire un délit ou, qui plus est, un crime, puisque 30% des jeunes détenus à Berthelet actuellement sont des meurtriers. C'est d'abord et avant tout par cette simple constatation qui peut, à l'occasion, être effarante, M. le Président, que nous devons aborder tout ce problème, y compris la discussion que nous allons mener sur les structures les plus adéquates possibles pour leur garantir des droits et, surtout, leur garantir une réhabilitation, car ils sont des victimes de circonstances qu'ils n'ont pas choisies et dont, à l'occasion, le crime ou le délit peut être un moyen à leurs yeux de sortir de ces conditions socio-économiques. Cela aussi, il faut bien se le rappeler.

Ils ne sont pas et ne peuvent pas être, à l'âge où ils font ce délit ou ce crime, des criminels d'habitude. Ils le font parce que, très souvent, ils voient plus vite que bien d'autres le cercle vicieux de pauvreté, le cercle vicieux d'infériorité dans lequel le niveau familial, la structure de leur famille, qui encore une fois ils n'ont pas choisie, les condamnent à demeurer perpétuellement.

Plusieurs éducateurs que j'ai rencontrés, M. le Président, au cours de cette tournée des institutions, centres d'accueil, foyers d'hébergement pour jeunes, me signalaient être en présence de jeunes d'une intelligence remarquable, d'une intel-

ligence supérieure. Les autorités de certains de ces foyers m'ont permis de dialoguer avec certains des jeunes de ces maisons. J'ai pu le constater de moi-même.

Nous devons donc considérer cette intelligence qui a choisi le moyen du délit ou le moyen du crime parce qu'elle est supérieure à l'occasion, parce que le raisonnement et la découverte de la société qui l'entoure peuvent se faire, chez ces individus, a quinze, à seize ou à dix-sept ans. Je n'ai pas besoin de vous dire, M. le Président, qu'il y a des citoyens du Québec de 50 et 55 ans qui n'ont même pas encore découvert la réalité québécoise comme ces jeunes-là peuvent l'avoir perçue, et, de loin, devinée. Presque par instinct, ils ont deviné que, dans le système dans lequel nous vivons, telle ou telle condition sociale économique peut finalement vouloir dire: Condition à perpétuité. Ne trouvant, dans ce régime, d'autres outils pour s'en sortir que celui du délit ou celui du crime, c'est celui-ci qu'ils ont choisi.

Le Québec ne peut pas se priver de ces intelligences, parce qu'elles sont supérieures. Il doit travailler à les réhabiliter au travail et à la confection d'une société qui soit non seulement pour eux, mais pour tous, meilleure, plus juste et plus équitable.

Parce que nous n'avons rien à reprocher, parce que nous n'avons rien à condamner chez ces jeunes autre qu'une vigilance, autre qu'une clairvoyance à l'occasion, enviable à l'occasion, nous devons plutôt que de les réprimer, les soumettre à une cour qui, à quelques exceptions près, se conduit comme toutes les autres cours du monde; de les soumettre à des juges qui, à quelques exceptions près, se conduisent comme tous les juges du monde; de les remettre aux mains de policiers qui, à quelques exceptions près, se conduisent comme tous les policiers du monde...

C'est parce que nous avons ce choix clair et parce que, comme le rappelle la ligue dans son mémoire, là repose l'origine du fait qu'un jeune X, Y ou Z de douze, quatorze ou dix-sept ans se retrouve demain, devant un centre local ou devant la cour pour être jugé et un tant soit peu, rééduqué, réhabilité, tout cela repose d'abord dans des conditions socio-économiques.

Je voulais clarifier cette intervention, car elle est à la base de l'approche. Vous me verrez, au cours de ce débat, questionner nos invités, ceux qui veulent bien nous apporter le fruit de leur expérience.

Mais je le dis d'avance, c'est à partir de cette conception que nous allons travailler. Ce n'est pas possible qu'à quatorze, quinze ou dix-sept ans, un jeune ne soit pas réhabilitable. Ce n'est pas possible qu'il soit perdu. S'il est perdu temporairement, c'est dû à des causes dont il n'est que la victime, et personne ne doit lui en tenir grief.

Ce n'est pas normal qu'à Berthelet, des jeunes de treize ou quatorze ans soient dans des cellules de six pieds par huit pieds; ce n'est pas normal. C'est injuste à leur endroit. C'est à partir de cette vision que nous devons fonctionner.

C'est pour cela que j'enchaîne, après cette af- firmation, pour inviter la ligue à recommenter à nouveau, peut-être moins longuement qu'elle ne l'a fait, parce qu'il y avait beaucoup de clarté dans la réponse qu'elle a fournie au ministre. Cette nécessité de clarifier les droits de ces jeunes, au-delà de tout ce qui peut être répandu à travers le Code civil, à travers la charte des droits et des libertés fondamentales de la personne que cette assemblée a adoptée il y a moins d'un an, au cours de cette même session, de préciser, parce qu'il s'agit de gens particuliers, l'application de droits fondamentaux...

Je veux demander aux représentants de la ligue: Lorsqu'ils nous demandent, à la page 10 de leur mémoire, d'introduire dans le texte de loi le paragraphe que l'on lit dans le carré, estiment-ils que cette addition au texte de loi affecterait et devrait affecter les décisions éventuelles prises par toute la structure que la loi édifie par la suite, allant de la commission, des comités de surveillance, des comités locaux et, j'espère, jusqu'aux maisons même d'hébergement de ces jeunes?

Autrement dit, quelle que soit la garantie que vous a donnée le ministre selon laquelle tout cela pouvait se retrouver, d'une façon ou d'une autre, dans d'autres textes de lois, auxquels évidemment ils sont soumis comme tous les citoyens du Québec, croyez-vous que la précision que vous réclamez obligerait à une meilleure transformation que celle où le texte serait absent?

Mme Guy: J'aimerais, en répondant à cela, vous dire justement que le point important qu'on veut apporter, c'est que, si on a une mentalité ou une attitude, face aux jeunes, en les reconnaissant comme des personnes avec des droits égaux, lorsqu'on établira une structure pour répondre à leurs besoins, on n'établira pas, à ce moment, une structure qui fait que les jeunes sont à la merci de décisions de tous les praticiens qui sont dans ce champ et on sera alors soucieux de trouver les mécanismes qu'il faut et les méthodes de thérapie et de réhabilitation aussi qui vont vraiment correspondre et s'appliquer aux droits des jeunes.

Si on continue à croire que le jeune est un mini-adulte sans droit, lorsque le thérapeute, que ce soit le travailleur social, le médecin, le psychologue, le psychiatre, le juge, l'avocat, tous les intervenants possibles voient l'enfant comme un sujet avec des droits, ils ne feront pas les mêmes plans d'intervention envers lui que s'ils pensent que c'est eux, que c'est eux qui sont les seuls maîtres et juges au niveau décisionnel face à cet enfant.

Je rejoins la préoccupation du ministre des Affaires sociales, ce matin, lorsqu'il disait qu'il ne faut pas non plus se noyer dans un débat de structures. Il est certain que cela prend une structure pour arriver à cela, mais il faut aussi y arriver au niveau des attitudes et des attitudes de tous les professionnels qui sont impliqués dans ce champ de travail qui s'appelle la protection de la jeunesse et des attitudes aussi du gouvernement et des ministères qui ont à voter des fonds, à donner de l'argent pour faire fonctionner ces services et qui

ont la responsabilité légale ou judiciaire, enfin, publique, si on peut dire, de tous les services qui sont en place à l'heure actuelle au niveau des besoins des jeunes.

Je pense que c'est dans cet esprit. C'est pour cela qu'on dit, à la page 7, qu'on veut que cela devienne le moteur de la loi de la protection de la jeunesse, qu'on reconnaisse les enfants comme étant des personnes et des sujets de droit. Je pense que c'est vraiment clair pour nous.

M. Charron: D'accord. C'est clair pour moi aussi. J'espère que cela le sera pour le ministre des Affaires sociales qui aura à rédiger le projet de loi par la suite.

Mme Guy: Je ne le sais pas.

M. Charron: Je pense que la rupture principale de la ligue avec l'avant-projet de loi que nous étudions se situe au niveau de la fonction du comité local d'orientation. Le projet de loi actuel, l'article 59, le ministre l'a souligné lui-même, fait une distinction entre différents délits — appelons-les de cette façon — qui feraient que, dans l'hypothèse où ces délits X, c'est-à-dire ceux qui, selon le code, pourraient entraîner à un adulte une peine de trois ans ou plus, se présenteraient, l'autonomie du centre local d'orientation serait, à toutes fins pratiques, disparue. Il n'a plus le choix. L'engrenage judiciaire doit débuter. Il n'a comme responsabilité que de présenter, de remettre le jeune à la cour. Nous pourrons discuter par la suite des droits du jeune devant la cour, s'il sera défendu, si ce sera à huis clos. Tout cela est secondaire, je dirais, pour les fins de la discussion actuelle.

Je suis près de votre idée au départ, mais je me fais l'avocat du diable. Un jeune qui peut être soupçonné d'avoir commis un meurtre, selon votre proposition, si le centre local gardait son autonomie comme pour un délit mineur, comme un crime mineur, pourrait, si c'est le choix des membres du centre local, être uniquement placé, sans procès, en évitant tout le fardeau de la cour, par exemple, dans un foyer d'hébergement, de réhabilitation pour un traitement qui, selon les voeux mêmes de la maison, pourrait durer. Si le traitement est volontaire, il devrait durer de six mois en six mois avec renouvellement possible, puisque ce serait le cas. Est-ce que cela vous apparaît juste à l'égard de citoyens qui, de 18 ans et plus, soupçonnés d'un délit de cette gravité, ne peuvent, à l'occasion, même pas bénéficier de cautionnement, doivent donc rester à l'ombre jusqu'à ce qu'ils soient soumis devant la cour ordinaire, et parfois condamnés à des sentences beaucoup plus longues et beaucoup plus sévères que le fait de rester dans un foyer d'hébergement quel qu'il soit?

M. Boulais: Je vais vous répondre, M. le député, par une autre question. A l'heure actuelle, le procureur général a le droit constitutionnel de ne pas poursuivre une personne qui est soupçonnée. Constitutionnellement, il a ce droit. Il doit répon- dre évidemment devant l'Assemblée nationale de l'exercice de ce droit. Il est évident qu'il s'agit là d'une discrétion, à ma connaissance, qui n'a jamais été exercée. De toute façon, un citoyen peut dénoncer un meurtre devant un juge de paix. Ultimement, le procureur général possède théoriquement ce droit. On ne se pose pas la question, à savoir s'il va l'exercer ce droit de ne pas poursuivre. Chez nous, on ne connaît pas de cas où, ayant des motifs raisonnables probables de croire qu'un meurtre a été commis, un citoyen n'est pas poursuivi devant les tribunaux.

Il faut s'attendre, je pense, à ce que ce type de discrétion soit exercé par un comité local d'orientation.

M. Charron: Si vous me permettez, n'est-ce pas un déni de justice pour ceux qui, plus vieux...

M. Boulais: Un déni de justice pour un autre citoyen...

M. Charron: Pour ceux qui, à peine plus vieux, à l'occasion...

M. Boulais: M. Charron, ce qu'on propose globalement et très simplement, c'est ceci: C'est que l'exercice du pouvoir discrétionnaire du procureur général de porter une dénonciation de poursuivre, cet exercice, pas son droit, mais l'exercice de son droit, il ne l'exerce plus seul. Il l'exerce en communauté ou avec deux autres personnes qui sont les membres du comité local d'orientation. C'est cela qu'on propose. On ne propose pas qu'il s'en départisse de son droit. On propose que... Historiquement, M. Charron, le droit de poursuite a toujours été laissé entre les mains, il faut bien le dire, des avocats. Ce sont toujours eux qui ont exercé le droit de poursuite, en pratique. L'argumentation que nous avons pour demander au procureur général de partager avec d'autres personnes cet exercice de droit de poursuite, c'est l'argumentation qui est contenue aux pages 16 et 17 du mémoire. Actuellement, le procureur général l'a ce droit. On lui demande de le partager. Actuellement, on juge que l'avocat ou que la personne qui représente le procureur général comme avocat, a plutôt tendance à regarder l'intérêt public. Il serait bon que d'autres personnes qu'un avocat partagent ce droit.

M. Charron: Donc, vous estimez qu'à l'occasion, on pourrait, si on devait adopter la structure de décision et d'exercice de décision que vous nous proposez, c'est-à-dire le procureur général, conjointement avec le CLO, pourrait, dans le cas précis d'un jeune qui aurait commis un meurtre, par exemple... Prenons un crime d'une gravité moindre, mais qui est quand même visé par l'article 59, donc qui pourrait avoir une peine de trois ans et plus, un vol à main armée, par exemple, avec violence et effraction, prenons le cas précis d'un jeune qui, à cause des raisons socio-économiques, y compris psychologiques qui auraient pu le conduire à ce délit, estimerait qu'il n'a pas à être présenté à la cour.

M. Boulais: C'est justement cela, la "déjudi-cialisation". La "déjudicialisation", c'est l'exercice, par le procureur général, de son droit de ne pas poursuivre devant le tribunal pour une infraction criminelle, parce que selon l'opinion du procureur général ou de son substitut, un autre moyen que la poursuite devant un tribunal s'avère aussi, sinon plus efficace pour traiter le cas du jeune, pour l'intérêt de l'enfant, pour l'intérêt de la société, pour toutes sortes de motifs.

On me fait remarquer que le procureur général a également le pouvoir de déposer un nolle prosequi dans des procédures criminelles de très grande gravité parfois. Il exerce parfois ce pouvoir. Il l'a déjà exercé et il n'est pas exclu qu'il ne l'exerce pas de nouveau.

C'est un cas extrême que vous nous donnez que le cas du meurtre, c'est évident. Si vous me posez la question comme cela, c'est bien sûr que le CLO, j'imagine aurait peut-être théoriquement, le droit de ne pas poursuivre, mais il aurait aussi à supporter les conséquences sociales et politiques de sa décision.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Sur le même sujet, l'honorable député d'Outremont.

M. Choquette: M. le Président, je pense que la discussion, si intéressante soit-elle, sur le processus de la "déjudicialisation", n'a peut-être pas tout à fait sa place dans le cadre d'une Loi de la protection de la jeunesse. Car, de quoi s'agit-il fondamentalement, lorsqu'on parle de la protection de la jeunesse? Il ne s'agit pas d'enfants qui ont commis des crimes. Il ne s'agit pas d'enfants qui ont posé des actes délictueux et qui sont contraires au Code criminel. Il s'agit d'enfants qui sont en état de danger physique et moral et à l'égard desquels il faut prendre des mesures pour leur propre protection. Il s'agit donc, au départ, justement d'enfants qui n'ont pas commis de crimes.

La compétence provinciale dans ce domaine est claire. La province a compétence de légiférer pour assurer des mécanismes qui font qu'à un moment donné, on peut retirer un enfant de son milieu familial ou de son milieu social, parce qu'il est en état de danger physique ou moral, et c'est ce que le projet de loi tente de réaliser, à travers certaines instructions, entre autres le processus social qui y est inscrit par le moyen de la protection sociale ou, au cas où il n'y a pas de collaboration de la part des parents ou du milieu concerné ou de l'enfant dont il s'agit, d'assurer sa protection par un moyen judiciaire. C'est à ce moment que les juges de la Cour de bien-être social ou le système judiciaire spécialisé dans les cas de l'enfance entrera en jeu.

Mais, lorsque nous parlons aujourd'hui de "déjudicialisation" en matière d'enfants ou d'adolescents qui ont commis des crimes, je vous soumets que la province n'a pas compétence et qu'il faudrait plutôt faire ces représentations à une commission équivalente au niveau fédéral, qui pourrait inscrire des principes à discuter, évidemment, dans la future loi des jeunes contrevenants.

En somme, j'ai beaucoup de difficulté à trouver que le cadre choisi pour déterminer dans quelles conditions le procureur général exercera ses responsabilités, c'est le cadre actuel qui soit le bon.

Mais, ceci étant dit, si on doit aborder cette discussion, simplement au niveau académique, à ce moment, je crois qu'il faut prendre en considération l'intérêt public, sans aucun doute, qui veut que les crimes soient poursuivis devant les tribunaux, d'une part, et, d'autre part, la situation très spécifique et particulière de l'enfant à l'égard duquel il y a lieu de prendre des mesures qui font que toute la force de la loi ne s'exerce pas à son égard, à cause de sa responsabilité pénale atténuée.

Je pense que tout le monde peut se rallier autour de l'idée que la responsabilité pénale de l'enfant n'est pas la même que la responsabilité de l'adulte. L'exercice de sa liberté ne se fait pas dans les mêmes conditions que celle de l'adulte. Il peut y avoir une foule de facteurs. On a mentionné des facteurs psychologiques, mais il arrive qu'il s'agisse simplement du fait que l'enfant n'est pas arrivé à son plein développement qui explique qu'on puisse conclure à une responsabilité pénale atténuée.

Je pense que, dans le livre blanc, La Justice contemporaine, nous avions proposé un critère qui pouvait peut-être satisfaire les tenants de la "déjudicialisation" et, d'autre part, ceux qui sont d'avis que la loi doit quand même s'exercer et qu'il y a des crimes comme le meurtre et des crimes graves au sujet desquels on ne peut faire semblant qu'ils n'ont pas été commis et cela se lisait comme suit: "Que l'on retienne le critère à l'effet que l'enfant et l'adolescent ne doivent être traduits devant le tribunal que lorsque cela est souhaitable et bénéfique pour l'enfant et la société, que l'intervention judiciaire soit obligatoire dans les cas où il s'agit d'un crime grave et que, dans ce dernier cas, l'opinion du représentant du ministère de la Justice soit prépondérante."

C'était une façon de faire en sorte que des crimes de moindre importance, qui pourraient être traités dans des conditions qu'on pourrait qualifier, entre guillemets, de protection judiciaire ou sociale, puissent se faire, mais qu'on ne pourrait pas, décemment, ne pas poursuivre lorsqu'il s'agirait de crimes graves.

Je pense que c'est à peu près dans ce genre de philosophie qu'il faut s'inscrire, mais je reviens à ce que je disais au départ. Il me semble que le cadre de la Loi de la protection de la jeunesse n'est peut-être pas le cadre où l'on peut justement astreindre le procureur général à certaines obligations, alors que cela serait beaucoup plus dans le Code criminel ainsi que dans la Loi des jeunes contrevenants qu'on devrait trouver des dispositions analogues, semblables ou différentes de celles que vous avez proposées.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Sur le même sujet, le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: M. le Président, je ne suis pas

d'accord avec mon ex-collègue, le député d'Outremont, sur ce dernier point qu'il a soulevé, qu'il ne serait pas dans l'ordre que cette commission débatte de cette question. Pourquoi? Parce que, tout simplement, la version qui est suggérée par le gouvernement fédéral, à la suite de consultations auxquelles d'ailleurs toutes les provinces ont participé, donne précisément ouverture à ce type de discussion dans le cadre de la Loi de protection de la jeunesse et permet précisément, sur ce point, d'assujettir la discrétion du procureur général d'une province à des avis reçus, qu'il n'est pas tenu de suivre, mais dont il doit cependant s'inspirer, s'il doit fonctionner dans le cadre de l'esprit de cette nouvelle législation lorsqu'il est question d'une mise en accusation, quelle que soit la gravité de l'offense. La question se pose donc de savoir si, en légiférant sur la protection de la jeunesse, le Québec va se prévaloir d'une intention déclarée de l'autorité fédérale, dont relève effectivement le droit criminel, de donner ouverture à cette possibilité. Ce que l'on retrouve dans l'avant-projet, c'est une réponse affirmative à la question qu'effectivement il devrait y avoir des distinctions. Ce que la ligue propose, c'est que cette distinction, au lieu d'être inscrite de façon stricte dans la loi, soit laissée à l'appréciation, et cela même est prévu, est permis dans le contexte de la législation fédérale annoncée, pas celle qui s'applique actuellement. D'autres provinces ont déjà, même avec la législation actuelle sur les jeunes délinquants, prévu, dans leur loi de protection de la jeunesse, un cadre général dans lequel s'intègre l'administration de la justice pour les jeunes. C'est ce que l'article 78 de l'avant-projet permet de faire en enrobant en quelque sorte dans une loi provinciale, cet avant-projet, l'application de la loi fédérale sur les jeunes ayant des démêlés avec la justice. Je pense qu'il y a de nombreux avantages pour les jeunes, comme pour l'administration des services de protection judiciaire ou sociale, de procéder de cette façon, mais je ne veux pas entrer ici dans les motifs de tout cela. Je veux tout simplement souligner que ce n'est pas irrégulier de notre part d'en discuter et d'entendre des représentations. C'est un des points qui devra être tranché puisque, la porte étant ouverte, il faudra choisir de la fermer, mais on ne pourra tout simplement pas prétendre ne pas l'avoir vue. La porte est là, elle est ouverte, on peut l'ouvrir, on peut la fermer, mais il va falloir faire quelque chose avec, on ne peut pas la laisser de côté.

M. Choquette: Si j'avais prétendu que la discussion était irrégulière, j'aurais peut-être soulevé une question de règlement, ce que je n'ai pas fait. Tout ce que j'ai voulu indiquer, c'est que la législation fédérale actuelle ne permettrait peut-être pas qu'on aille jusqu'au point où on semblait l'indiquer, mais que, par ailleurs, moi-même je m'étais penché sur le problème et j'avais tenté de trouver un équilibre pour faire la part entre les crimes d'une très grande gravité, qui ne peuvent pas être passés sous silence, à mon sens, et les crimes de moindre importance, là où il est possible de trou- ver un moyen, en somme de donner un traitement social ou judiciaire à la commission une infraction de moindre importance.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: Oui, je voudrais aborder... à moins que vous ne vouliez ajouter quelque chose, al lez-y.

M. Boulais: J'allais peut-être parler de la responsabilité provinciale en vertu de l'article 92 ou 95 qui est de la responsabilité de l'administration de la justice et du droit de poursuivre, peut-être pas tellement à l'intérieur du cadre de cette loi, mais tout de même, comme M. le ministre Forget l'indiquait, la porte a été ouverte par le fédéral lui-même lorsqu'il permet au procureur général de passer par le comité local d'orientation...

Maintenant, à l'intérieur du comité local d'orientation, il n'est pas exact qu'il y a un représentant du ministre de la Justice, de sorte que ce représentant du ministre de la Justice, qui peut être un procureur de la couronne, pourrait éventuellement donner un avis favorable de poursuite ou un avis défavorable de poursuite qui pourra n'être pas suivi par le CLO si notre recommandation est acceptée.

Dans l'état actuel des choses, le représentant du procureur général est quand même à l'intérieur du CLO. Qu'est-ce qui arrive dans le cas où, obligatoirement, l'affaire va devant la cour? Est-ce que le procureur général ne garde pas son droit de ne pas poursuivre, de déposer un nolle prosequi. Actuellement, c'est le problème devant lequel on est placé. Si, dans les crimes de plus de trois ans, punissables par plus de trois ans, le cas va automatiquement devant un juge, on se trouve à enlever le droit du procureur général de refuser de poursuivre. Il doit absolument déposer une dénonciation, qu'il y ait ou non de la preuve.

M. Choquette: Mais le pouvoir de déposer un nolle prosequi est un pouvoir qui est de nature quasi judiciaire. Cela n'est pas un pouvoir qui puisse s'exercer d'une façon discrétionnaire sans qu'on s'en rapporte à des raisons ou des motifs qui sont reconnus par la tradition, la coutume même la jurisprudence pour arrêter des procédures criminelles, de telle sorte qu'on ne peut pas affirmer que le pouvoir du procureur général d'arrêter des procédures criminelles est un pouvoir dont il peut faire usage, en somme, d'une certaine façon, gratuitement. Il faut qu'il ait des raisons d'agir de la sorte. Il faut que ces raisons puissent être défendues et puissent être justifiées.

Mme Gobeil: Nous ne proposons pas que ce pouvoir, cette discrétion s'exerce non plus de façon gratuite. Nous proposons qu'elle s'exerce dans le meilleur intérêt de l'enfant, comme il est stipulé dans l'avant-projet de loi.

Dans le fond, on a deux hypothèses: Ou bien le procureur général ou son substitut garde une

entière discrétion de commencer des procédures ou non; ou encore le procureur général ou son substitut, à l'intérieur de la loi, exerce ce pouvoir avec la collaboration des membres du CLO dont il fait partie, d'ailleurs.

Les hypothèses ne sont pas nombreuses et nous croyons que le meilleur intérêt de l'enfant justifie que le procureur général soumette l'exercice de son droit — et non pas son droit comme tel — l'exercice de son droit à la volonté collective du CLO dont il fait partie, où il peut faire valoir tous les motifs qu'il croit bon de faire valoir en raison de ses responsabilités propres.

On peut ajouter que, quelle que soit la gravité du crime commis par un jeune, on peut soutenir et on peut défendre que ce jeune a quand même droit à un traitement et à des mesures appropriées à son âge. On doit quand même faire la différence entre un adulte ou un jeune de 18 ans qui commet une infraction ou un crime donné et le même jeune qui, à 12 ans, par exemple, commet une infraction.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, j'ai une dernière question à poser à la Ligue des droits de l'homme avant l'ajournement. Je voudrais revenir momentanément sur le débat qui a fait intervenir le ministre, pour répliquer au député d'Outremont.

Effectivement, indépendamment de l'intention fédérale annoncée dans le livre bleu qui est là, la loi actuelle, la loi des jeunes délinquants du fédéral, permet aux provinces de recourir et de procéder devant les tribunaux soit en vertu de la loi des jeunes délinquants, ce qui les amène à la Cour de bien-être social, soit en vertu du Code criminel.

Ici, au Québec, malheureusement, on a toujours choisi d'agir en vertu du Code criminel. On avait cette liberté d'application, mais cette manie d'aborder toujours la question comme si c'étaient des criminels d'habitude a fait que...

C'est le rapport Prévost qui le dit. Cela date, vous me direz, mais quand même. Le rapport Prévost rapporte comme statistiques que, dans le seul district judiciaire de Terrebonne, aucune poursuite autre que celles en vertu du Code criminel n'a été faite. C'était presque la règle que d'y aller en vertu du Code criminel.

Ce qui faisait qu'un jeune de quinze ou seize ans qui, à un moment donné, arrivait chez lui, dans une famille alcoolique ou quel que soit le milieu familial, se querellait, décidait, à un moment donné, d'assassiner son père. Il pouvait avoir toutes les motivations de refoulement psychologique qui pouvaient dater de sa plus tendre enfance. Tout cela, le procureur général en faisait absolument abstraction. On le traînait, en vertu du Code criminel, à faire défense en vertu du Code criminel comme s'il avait été un assassin de 40 ou 50 ans qui est un criminel d'habitude et qui recourt au meurtre parce que la pratique y a conduit tout à fait nécessairement. On l'a déjà en vertu de nos lois actuelles. En fait, il n'y a aucune acquisition, mais c'est la maudite habitude québécoise d'aborder la question des jeunes exactement comme... C'est cela qu'on veut briser.

La suggestion de la Ligue des droits de l'homme nous permettrait au moins de tenter de la briser, parce que, comme le dit Mme Gobeil, le procureur général pourra toujours, à l'intérieur du comité, plaider sur sa façon de voir et sur sa façon d'amener le sujet. Mais là où le Québec devrait enfin arriver, c'est que ceux qui ont une autre vision que la vision bête d'une police aient l'occasion de s'exprimer, à un moment donné, de participer au débat et d'invoquer les causes psychologiques auxquelles s'est référé lui-même le député d'Outremont ou des causes socio-économiques qui, par le fait qu'elles sont cumulatives, finissent par dérégler le raisonnement et élargissement d'un jeune qui ne doit pourtant pas connaître ce genre de débat. En tout cas, M. le Président, tout cela pour dire, comme l'a dit le ministre des Affaires sociales, que le débat était très justifié de se tenir à ce moment, parce que c'est la question fondamentale que nous avons à discuter autour de cet avant-projet de loi.

Est-ce que nous continuons à diriger les affaires des jeunes et à nous occuper des affaires des jeunes comme le Québec l'a toujours fait, c'est-à-dire en police ou si nous commençons à introduire une nouvelle façon de voir non seulement dans l'esprit — je crois bien que les esprits ont évolué — mais également dans les textes de loi?

M. le Président, je voudrais aborder la question litigieuse qui le demeurera jusqu'à la fin de l'étude de cet avant-projet de loi, celle du huis clos de la Cour de bien-être social. J'ai bien compris, parce qu'il est clair, le texte de l'article 83 que vous nous proposez. Vous avez entendu, ce matin, le ministre expliquer son article 83, enfin je veux parler de l'article qui est dans l'avant-projet de loi de ce matin, qui n'est pas la disparition du huis clos, mais qui le rend, je dirais, occasionnellement, brisable, enfin toutes ces...

Devant ce choix que vous nous proposez, sans expressément entrer dans l'article nouveau que vous nous proposez, qu'est-ce que vous trouvez d'insuffisant dans l'actuel article 83 qui fait que vous préférez nous en proposer un nouveau? Parce que le ministre considère, si j'ai bien compris son explication de ce matin, qu'il s'agit d'une modification importante au huis clos.

M. Boulais: M. Charron, à la page 20 de notre mémoire, sont énumérées quatre des raisons pour lesquelles nous considérons que l'article proposé par l'avant-projet de loi nous semble insuffisant. Les journalistes ou d'autres personnes, en vertu du troisième paragraphe, pourraient être admis à l'audition. Il est bien spécifié, dès le premier alinéa, que l'enquête a lieu sans publicité. Alors, où voulez-vous qu'un journaliste puisse rapporter ce qui s'est passé, s'il est dit, au premier alinéa, que l'enquête a lieu sans publicité. Cela veut dire que le journaliste est là. S'il constate des illégalités, il peut les garder et il peut dire: Voici, il y a des illégalités qui se produisent à la Cour de bien-être social. Cela arrête là.

M. Charron: Mais s'il a...

M. Boulais: Je pense que les tribunaux d'appel à Montréal et à Québec, à ce que je sache, sont constamment envahis par des procédures alléguant qu'il y ait des illégalités devant la Cour de bien-être social. A ma connaissance, les journaux en font plus ou moins état de ces procédures.

M. Charron: Croyez-vous que les mots "sans publicité" veulent dire que non seulement le journaliste ne pourrait pas mentionner, ce avec quoi je conviendrai, le nom et l'identification des personnes, mais même la narration de l'événement du délit ou du crime qui est présentement à l'étude devant la cour? Est-ce ce que cela voudrait dire?

M. Boulais: C'est bien difficile, mais il s'agit là des mêmes mots utilisés par la loi actuelle sur les jeunes délinquants. Malgré des avis qui, peut-être sont minoritaires mais contraires, à l'effet que cela permettrait à des journalistes de rapporter, malgré le huis clos, ce qu'il s'est dit à la cour, il n'y en a pas eu beaucoup, dans le passé, de rapports journalistiques sur le type d'enquêtes, sur le type de procédures qui avaient lieu dans les chambres des juges, soit dans les salles réservées aux juges à la Cour de bien-être social de Montréal et de Québec, partout au Québec, de toute façon. Alors, on croit que la volonté du ministère, la volonté du projet de loi, c'est d'ouvrir la Gourde bien-être social. Il me semble que c'est clair, permettre à une personne, à un membre de la commission, même obliger un membre de la commission, obliger la courà la recevoir. Il me semble que c'est clair. Tout reste une question de moyens à partir de ce moment.

Concernant le deuxième alinéa, on dit: Toutefois, le juge peut admettre à l'audition des personnes qui, à son avis, ont un intérêt dans l'affaire.

Il me semble que c'est l'expression normale de la règle audi alteram partem. Toute personne intéressée dans une cour a droit d'être présente, et je pense que si on l'exclut, on brime à ce moment son droit d'être entendue.

Donc, le deuxième alinéa, quant à nous, est plus ou moins utile. Sur le troisième alinéa, évidemment, nous sommes d'accord, mais voici comment on peut être d'accord sans nécessairement l'approuver. D'abord, la commission, si on lui donne le pouvoir d'autoriser des gens à être présents, peut dire: Je n'autoriserai jamais personne à être présent. En conséquence, la commission va conditionner la présence des gens au tribunal. A ce moment, nous prétendons que c'est mettre le tribunal sous la juridiction de la commission. Parce que, si elle a le pouvoir d'autoriser, elle peut établir comme règle interne qu'elle n'autorisera jamais, et même le ministre des Affaires sociales ne pourra faire intervenir personne.

En somme, la technique que nous avons proposée, c'est la technique de la cour ouverte, avec les garanties de la fermer lorsque la chose s'avérerait nécessaire, y compris à la demande de l'enfant, de sorte que jamais la cour ne serait à la merci d'une autorisation de la commission, et ja- mais un journaliste ne devrait demander la permission pour être admis à la cour et, de cette façon, on éviterait toutes les ambiguïtés du mot "sans publicité" du premier alinéa.

Mme Gobeil: On peut ajouter à cela, aussi, que nous croyons que, dans une loi comme celle-là, on doit plutôt poser, en premier alinéa, un principe d'ouverture, quitte à faire suivre ce principe des restrictions nécessaires à la défense des droits de l'enfant ou de ses parents, et on pourrait vous tenir ici les mêmes discussions qu'on a déjà eues l'occasion de tenir lors du dépôt du projet de loi no 50. C'est dans le même sens que nous croyons que la publicité de l'enquête, la publicité du procès a toujours été, dans le domaine des droits de l'homme, une garantie de l'impartialité de l'enquête ou du procès. Nous croyons que nous devons poser cette règle comme étant une norme, mais l'assortir évidemment des restrictions qui s'imposent, compte tenu du domaine qui est celui de la protection de la jeunesse, restrictions, d'ailleurs, que nous proposons de façon assez élaborée dans notre recommandation.

M. Charron: II est 6 heures, M. le Président.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Alors, comme il est 6 h 3... Y a-t-il d'autres questions? On voudrait libérer les représentants de la Ligue des droits de l'homme.

M. Charron: Je n'ai pas d'autre question, et je les remercie encore, M. le Président.

M. Choquette: J'aurais quelques questions, si vous me permettez deux observations, rapidement.

Le Président (M. Houde, Limoilou): D'accord, si elles sont courtes.

M. Choquette: Sur la question du huis clos, évidemment, je partage l'avis de la Ligue des droits de l'homme que le fait que la justice soit administrée ouvertement est une garantie traditionnelle et reconnue que cette justice sera impartiale et qu'une justice administrée secrètement ouvre la porte à des abus et peut-être à un certain paternalisme tel qu'exprimé, à l'occasion, à la Cour de bien-être social.

Mais je demande à la Ligue des droits de l'homme si on est vraiment convaincu que, du côté des enfants et des familles, compte tenu des situations qui peuvent se produire, sa suggestion refléterait une espèce de volonté générale de la part de ses justiciables de voir le public assister à ces causes.

En somme, même animé par les meilleures intentions du monde et toujours en gardant en mémoire le principe que la justice devrait s'efforcer d'être administrée ouvertement, lorsqu'on arrive dans ces cas d'enfants et de familles aux prises avec le genre de problème qu'on a en matière de protection de la jeunesse, ne va-t-on pas loin dans

les principes, tout en écartant cette espèce de pudeur que l'on constate comme généralement le cas lorsqu'il s'agit d'apprécier ce genre de situation?

Mme Guy: Nous recommandons que le juge soit tenu d'exclure le public à la demande de l'enfant, de ses parents ou de ceux qui en tiennent lieu.

M. Choquette: Mais si personne ne fait la demande, chaque fois, le juge dira-t-il: Vous avez le droit de demander l'exclusion du public?

M. Boulais: Absolument. Depuis quelques années, vous n'êtes pas sans savoir que le doute plane dans le public sur la qualité de la justice qui est rendue dans les cours de bien-être social. Au moins, on peut être certain d'une chose, il y a un doute généralisé. Les gens se demandent quelle sorte de justice est rendue en privé dans les cours de bien-être social.

On a toujours voulu protéger l'enfant malgré lui, de la publicité. Mais je pense — et en connaissance de cause — nous pouvons dire, que, loin de protéger l'enfant parfois, l'absence de publicité protège le tribunal.

M. Choquette: Mais aujourd'hui...

M. Boulais: Des choses se produisent à la cour de bien-être social qui ne se produiraient jamais... Il y a des choses qui se disent à la Cour de bien-être social, il y a eu des brefs de prohibition pris contre des juges de la Cour de bien-être social qui allèguent des choses abominables, des choses qui ne se seraient jamais produites si un seul journaliste avait pu mettre les pieds à la cour au moment où cela s'est passé. C'est pour cela que la règle qui a été établie il y a 25 ans, 30 ans ou même en 1927 par le Parlement canadien, la Loi des jeunes délinquants, cette règle du huis clos, doit être renversée aujourd'hui.

M. Choquette: Je sais qu'il y a eu des cas certainement critiquables, d'ailleurs quand j'étais ministre de la Justice, il en est venu à mon attention, mais maintenant que l'aide juridique agit d'une façon très répandue dans les cours, est-ce que le fait que, dans beaucoup de cas, sinon la plupart des cas, sinon la totalité des cas, les enfants sont représentés par des avocats, ceci n'a pas modifié la situation déplorable que vous avez décrite?

M. Boulais: II n'y a rien comme la publicité, il n'y a rien comme la peur salutaire d'être rapporté pour guérir un certain nombre de pratiques qui ont lieu. Le simple fait d'avoir peur que cela se sache... On a cité les paroles de M. Bentham qui sont: "la sécurité des sécurités est la publicité". "The security of security is publicity". C'est la plus grande sécurité de l'impartialité du tribunal et je pense qu'on doit retourner, au moment présent, au fondement même de la raison pour laquelle le procès est public, à cause des abus et à cause du doute. C'est essentiellement une question de doute. Le doute plane dans le public. Réglons le problème, ouvrons les cours et de cette façon il n'y aura plus de doute.

Mme Gobeil: D'autant plus que nous assortis-sons, comme nous l'avons déjà mentionné, ce principe d'un certain nombre de garanties qui devraient éviter les aspects que vous soulignez.

M. Choquette: Très bien.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Alors, merci aux représentants de la Ligue des droits de l'homme et la commission suspend ses travaux jusqu'à 20 h 15.

M. Boulais: M. le ministre, on a vraiment oublié de mentionner la question du retrait de l'autorité parentale. Nous ne voulons pas que le fait de ne pas en avoir parlé nous fasse cautionner cette possibilité de retrait et nous nous réservons le droit de vous écrire à cet effet de façon plus élaborée un peu plus tard.

M. Forget: Est-ce que vous me permettez une question, avec la permission de la commission, parce que c'est tout de même un point qui arrive à la dernière minute et qui me paraît très important.

Ce que vous dites, c'est que vous n'êtes pas favorable à la possibilité que le tribunal prononce le retrait de l'autorité parentale.

M. Boulais: Pour une raison extrêmement simple. C'est qu'actuellement, la commission de réforme du droit civil n'a pas remis son rapport concernant l'extension de ce que constitue l'autorité parentale. Nous ne savons pas ce qu'est l'autorité parentale; certains prétendent que c'est le droit de garde, d'autres prétendent que c'est le droit de garde physique seulement, d'autres prétendent que c'est le droit aux aliments ou l'obligation alimentaire; enfin, c'est un fouillis. Les auteurs français en font une description, d'autres auteurs en font une autre.

Vous proposez la possibilité de l'enlever, cette autorité parentale. Dans le fond, vous proposez d'enlever quelque chose dont vous ne connaissez pas l'extension globale. Je pense qu'enlever quelque chose qu'on ne connaît pas, c'est grave, c'est très sérieux. A cet effet, nous avions possiblement l'intention de vous suggérer de la suspendre, mais non pas de l'enlever, pour le moment en tout cas, jusqu'à ce que la commission de réforme ait produit un rapport assez complet sur le sujet.

M. Forget: Merci.

Le Président (M. Houde, Limoilou): La commission suspend ses travaux jusqu'à 20 h 15.

(Suspension de la séance à 18 h 14)

Reprise de la séance à 20 h 28

M. Houde, Limoilou (président de la commission conjointe des affaires sociales et de la justice): A l'ordre, messieurs!

Association des centres de services sociaux du Québec

Le Président (M. Houde, Limoilou): J'inviterais immédiatement l'Association des centres de services sociaux du Québec. Auriez-vous l'obligeance de vous présenter et de présenter ceux qui vous accompagnent s'il vous plaît?

M. Rioux (Jean): M. le Président, MM. les honorables ministres, MM. les députés, distingués membres de cette commission, permettez-moi d'abord de me présenter. Je me nomme Jean Rioux, je suis de Hauterive, membre bénévole — un des rares — du conseil d'administration d'un centre de services sociaux et président de l'Association des centres de services sociaux du Québec, qui vous présente ce soir son mémoire relatif à l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse.

Le sujet de cette législation, M. le Président, répond à une des préoccupations premières et majeures de notre association et de nos membres, soit les quatorze centres de services sociaux du Québec, puisqu'elle touche une partie importante de leur clientèle, l'enfance ou la jeunesse, dont plus de 30,000 sont placés en institution ou en famille d'accueil.

Aussi, n'est-il pas étonnant que, dès le dépôt à l'Assemblée nationale de l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse, en juin 1975, l'Association des centres de services sociaux du Québec ait mobilisé ses membres afin de faire une étude la plus complète possible de cet avant-projet de loi.

Voici, brièvement, la démarche adoptée par l'association lors de cette étude:

Mise sur pied d'un comité provincial qui présente aux membres des centres de services sociaux un premier document de travail sur l'avant-projet de loi.

Etude de l'avant-projet de loi à l'intérieur de chaque centre de services sociaux du Québec.

Révision par chaque centre de services sociaux du document de travail présenté par le comité provincial.

Consultation provinciale permettant à chaque centre de services sociaux d'exprimer ses commentaires et ses recommandations sur l'avant-projet de loi.

Enfin, rédaction finale du mémoire par le comité provincial et présentation de ce mémoire au conseil d'administration de l'association qui l'a adopté unanimement à sa dernière réunion.

Là-dessus, M. le Président, je désirerais souligner la présence, dans l'assistance, d'un bon nombre de membres du conseil d'administration de l'association, de même que celle de son directeur général, M. Richard Sarrasin. Vous trouverez en annexe II la liste des membres du conseil d'administration.

Je souligne également la présence de direc- teurs généraux d'établissements, de cadres supérieurs et même de représentants du personnel-clinique de plusieurs des quatorze centres de services sociaux du Québec, dont liste a été également établie en annexe I du mémoire.

M. le Président, je m'en voudrais de ne pas souligner que c'est au nom des 30,000 jeunes placés soit en institutions, soit en familles d'accueil que nous sommes ici aujourd'hui. Nous leur prêtons volontiers notre voix à eux qui n'en ont pas.

Il me fait plaisir de vous présenter les membres de la délégation qui m'accompagnent et qui sont d'ailleurs tous membres du comité provincial qui a rédigé le mémoire: à ma droite, notre porte-parole, Me Oscar d'Amours qui allie les deux formations en droit et en service social, qui est responsable du contentieux au CSS Montréal métropolitain et procureur ad hoc de l'association; à la suite, M. Michel Lippé, criminologue, travailleur social, directeur général au CSS Laurentides-Lanaudière et secrétaire du conseil d'administration de l'association; M. Jean-Guy Myre, conseiller du programme de la protection de la jeunesse au CSS Laurentides-Lanaudière; à ma gauche, M. Florian Gaudreault, travailleur social et directeur de la gestion des programmes au CSS Richelieu et M. Jacques Perreault, travailleur social et responsable des services à l'enfance-jeunesse au CSS Montréal métropolitain.

Je vais maintenant laisser la parole à notre porte-parole, Me d'Amours qui va vous livrer l'essence du mémoire et de ses recommandations.

M. d'Amours (Oscar): M. le Président, MM. les ministres, MM. les députés, les temps changent mais l'histoire se répète. Pour la deuxième fois en trois ans, le gouvernement du Québec présente un projet de loi afin d'assurer la protection de la jeunesse.

D'aucuns se souviendront du projet de loi 65, déposé en 1972 et, par la suite, retiré. D'autres n'ont pas oublié qu'en 1944 le gouvernement avait fait l'étude d'une loi et, subséquemment, adopté, en 1950 l'actuelle loi de la protection.

L'avant-projet de loi de la protection connu depuis juin 1975 fera-t-il exception à la règle des années cinquante? Tel n'est pas notre souhait. L'Association des centres de services sociaux du Québec appuie l'avant-projet de loi, mais elle préconise certaines modifications qui nous apparaissent nécessaires afin d'assurer une réelle protection aux enfants et de minimiser les conflits qui pourraient exister relativement à son application. Nous voulons aussi vous exposer le concept de la protection de la jeunesse et inclure les éléments touchant les droits des enfants, le droit des parents, les droits et devoirs de l'Etat.

Concrètement, l'association souhaite que cette loi puisse s'insérer d'une façon harmonieuse dans l'ensemble de la législation en vigueur et, de ce fait, éviter la création de structures additionnelles non essentielles. Une organisation harmonieuse d'un tout ayant comme objectif la protection de la jeunesse doit être le but envisagé dans les nouvelles créations.

Enfin, nous voulons apporter une contribution par des recommandations précises afin que le législateur, dans des textes précis, puisse définir les rôles respectifs dévolus à chacun des partenaires. Dans notre mémoire, vous verrez une étude de la loi, article par article. Une rétrospective des lois nous a démontré que le législateur fut souvent guidé dans le domaine de la protection de la jeunesse par le concept de pater familias. Le droit des parents était inaliénable, mais ce respect intégral doit, en raison de nouvelles philosophies, tenir compte aussi des droits que l'enfant peut avoir dans certaines situations. Le concept de protection nous paraît devoir être bien identifié et distingué.

Premièrement, les parents et les enfants ont droit d'accéder librement et volontairement aux services de santé et aux services sociaux dispensés en vertu de la loi générale. Deuxièmement, toutefois, quand un enfant est exposé à des dangers physiques ou moraux, l'Etat peut intervenir pour proposer aux parents des mesures volontaires non libres, et à l'enfant le cas échéant, afin d'assurer la protection. Troisièmement, enfin, il peut y avoir des situations où il soit nécessaire d'user de contrainte pour faire respecter le droit des enfants et, dans ce cadre, l'Etat est justifié d'intervenir par le pouvoir judiciaire, lequel doit agir dans le plus grand respect des individus impliqués, tout en assurant la préséance du droit des enfants. En conséquence, la protection sociale doit avoir préséance sur celle de nature judiciaire.

Sous cet aspect, l'avant-projet présente un progrès significatif, par rapport à la législation actuelle et à celle proposée en 1972. Afin de bien préciser et circonscrire le concept de protection qu'il veut véhiculer, le législateur doit bien reconnaître que les parents et les enfants peuvent, volontairement et librement, avoir recours aux services de santé et services sociaux dispensés à l'ensemble de la population.

La liberté totale des individus et leur droit de faire appel à ces services doivent être respectés. Toutefois, quand un enfant est exposé à des dangers physiques ou moraux, la Loi sur la protection de la jeunesse devrait recevoir application. De ce fait, nous éviterions que la Loi sur la protection de la jeunesse en étant une d'exception, devienne la loi relative à tous les enfants recevant des services sociaux.

Au moment de l'application de la Loi de la protection de la jeunesse, il est important que la préséance de la protection sociale soit aussi respectée, et nous apportons notre appui sur la recherche de l'application de mesures volontaires, non libres, avant de présenter le cas à une cour qui aura juridiction pour imposer des limites aux droits des parents, en prenant en considération le droit des enfants.

Les enfants, les parents et l'Etat ont des droits et des devoirs.

L'enfant: Selon l'association, nous considérons que l'avant-projet de loi devrait contenir une énumération articulée des droits de l'enfant. Ce dernier devrait être reconnu comme sujet de droit, afin de lui permettre d'assumer ses devoirs. En conséquence, il semble important que le législateur le reconnaisse explicitement, nonobstant toute loi générale ou spéciale.

Il devrait adopter une charte des droits de l'enfant, ayant préséance sur toute loi, ou, à défaut, qu'il insère dans la nouvelle loi sur la protection, une déclaration des droits fondamentaux de l'enfant et de la famille.

Les parents: Le projet de loi reconnaît certains droits aux parents, mais toutefois, on n'y retrouve aucunement affirmés les droits et devoirs fondamentaux des parents relativement à l'enfant.

L'association considère que l'avant-projet de loi devrait contenir l'énumération articulée des droits des parents et de la famille: L'avantage d'une telle énumération permettrait de mieux saisir la notion de protection.

L'Etat, par ailleurs, a des droits et des devoirs. Devoir d'aider les familles, les parents à assumer leur rôle, en mettant à leur disposition des services de support, devoir d'intervenir afin d'assurer la protection des droits de l'enfant lorsque ce dernier est en besoin de protection, devoir d'offrir les moyens nécessaires pour permettre aux organismes qui auront à assumer l'application de la loi, les ressources nécessaires pour mener à bonne fin le rôle subsidiaire de parens patriae.

L'Etat, en raison de son droit d'intervenir, doit offrir une garantie de fond relativement au processus à suivre et assurer un juste équilibre entre les droits et obligations de l'ensemble des parties.

Enfin, pour qu'il n'y ait pas d'intervention injustifiée, le législateur doit préciser les limites à l'intérieur desquelles il veut intervenir dans l'exercice des droits des parties en cause.

Quant aux mesures de protection, nous sommes conscients que certains comportements de jeunes puissent exiger une détention sécuritaire à court terme.

Toutefois, nous croyons, d'une part, qu'il faut réduire au minimum ces mesures et, d'autre part, qu'elles doivent faire l'objet d'une surveillance toute particulière de la part de la commission de la protection de la jeunesse.

Nous pensons, cependant, que rien ne peut justifier la détention de jeunes dans des cellules, prisons, ou lieux de détention réservés aux adultes.

Enfin, nous recommandons que le directeur de la protection de la jeunesse puisse, dans des situations d'urgence, où l'intérêt de l'enfant l'exige, obliger un centre hospitalier, tout comme il peut le faire au niveau des centres d'accueil, à fournir des services essentiels.

Relativement aux structures, l'association pense que pour assurer une protection appropriée aux jeunes en difficulté, l'Etat doit se donner des structures fonctionnelles suffisamment bien articulées entre elles.

Considérant que le principe de neutralité doit exister afin d'assurer un maximum de protection, l'association croit nécessaire l'existence du comité local d'orientation et de la commission de la protection de la jeunesse.

Cette dernière, en raison du principe de l'antériorité de la protection sociale, devrait être rattachée au ministère des Affaires sociales.

Le conseil de surveillance, tel que défini dans le projet de loi, ne semble pas un organisme susceptible d'assurer une meilleure protection, mais, au contraire, ne vient qu'offrir indûment des recours en cas de plainte et contribuer à la création d'un climat non propice à une coordination.

Les fonctions dévolues au conseil de surveillance pourraient avantageusement être accordées soit à la commission, soit à des structures déjà existantes.

Pour les centres de services sociaux, nous croyons que la responsabilité de la protection de la jeunesse dans une région doit être confiée par la loi à l'établissement désigné sous le nom de centre de services sociaux à charge par ce dernier d'une part d'insérer dans son réseau de distribution une direction de la protection, d'autre part de désigner une personne qui devrait devenir le directeur de la protection. Quant au conseil de la protection de la jeunesse, nous croyons qu'il pourrait devenir un comité permanent du conseil consultatif du personnel clinique.

Quant à la cour, l'association est d'avis que l'application efficace de la Loi sur la protection de la jeunesse en matière de mesures non volontaires et non libres dépendra en bonne partie de la qualité des services fournis par la cour. A cette fin, nous recommandons fortement que, d'une part, toutes les matières prévues dans l'avant-projet de loi soient de juridiction exclusive de la Cour de bien-être social et que, d'autre part, la Cour supérieure ne soit qu'un tribunal d'appel. Nous recommandons aussi que les juges de la cour jouissent à la fois d'une formation juridique et d'une formation des sciences du comportement en raison de la problématique rencontrée. Il n'y a pas lieu que la Cour de bien-être social, comme les autres services, ne soit pas accessible en permanence.

En terminant, nous voulons attirer l'attention de cette assemblée sur différents points particuliers. Le droit de l'enfant et de ses parents à la confidentialité des informations recueillies à leur sujet doit être respecté. Nous pensons par ailleurs que la notion de confidentialité est une notion relative et qu'elle peut se concilier avec un partage limité d'informations relatives à un enfant dans la mesure où ce partage peut être nécessaire à sa protection. En conséquence, le législateur devrait clarifier, en tenant compte de l'intérêt de chacune des personnes impliquées, l'ambiguïté du projet de loi relativement aux principes de la confidentialité et de la diffusion exigées par la loi. Nous attirons aussi l'attention du législateur sur la confidentialité du fichier central, lequel, à notre opinion, devrait, quant à sa nature et à son accessibilité, être le plus restrictif possible.

Nos observations sur la confidentialité devraient aussi s'appliquer aux dossiers du tribunal et des centres de services sociaux. Nous croyons que toutes les dispositions touchant les ressources devraient se retrouver à l'intérieur du chapi- tre 48 modifié. Tenant compte aussi du fait que la Loi sur la protection de la jeunesse est du ressort exclusif en première instance de la Cour de bien-être social, nous croyons important que la Loi de la protection de la santé publique soit modifiée. Enfin, nous croyons que la commission parlementaire ne devrait pas ignorer que cette loi de protection pourrait permettre avantageusement la création des tribunaux familiaux.

Enfin, si vous étiez usagers et qu'un de vos enfants devait être soumis à cette loi, est-ce que vous croyez que votre enfant aurait toute la protection de droit à laquelle vous vous attendriez? Et est-ce que, comme parents, cette loi vous permettrait de faire respecter l'ensemble des droits? Si vous pouvez répondre oui à ces deux questions, à la lumière des observations contenues dans le mémoire, nous croyons que nous pourrons avoir atteint certains objectifs. Sinon, quels sont les points qui pourraient être clarifiés? Nous donnerons suite aux questions que vous auriez à nous poser. Merci.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier l'Association des centres de services sociaux pour un mémoire dont ses représentants n'ont brossé qu'une vue à vol d'oiseau dans cette présentation, qui est extrêmement détaillé. Plutôt que de reprendre des points qui sont exprimés dans ce mémoire et que l'on retrouve dans d'autres mémoires, qui ont d'ailleurs déjà été discutés aujourd'hui, j'aimerais peut-être essayer de concentrer quelques questions sur les aspects qui sont spécifiques à cette présentation que nous venons d'entendre et, en particulier, sur cette insistance qui est placée sur la nécessité de situer cette loi dans le cadre plus général qui est défini par la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Si je comprends bien, votre proposition vise à considérer la Loi sur la protection de la jeunesse comme une mesure d'exception qui ne serait invoquée que dans les occasions où une intervention des services publics, si l'on peut dire, est nécessaire, mais qui ne se substituerait pas au droit commun dans tous les cas où une intervention purement volontaire, purement facultative est faite par une famille de recourir, par exemple, aux services des centres de services sociaux.

Vous dégagez aussi de cela d'autres implications. J'aimerais... Bien sûr, c'est là le sens de vos remarques relativement à cette question de la législation sociale, considérée dans son ensemble.

M. d'Amours: M. le Président, je pense qu'il faut bien situer la Loi de la protection de la jeunesse. Nous croyons que la société doit offrir à l'ensemble de ses citoyens des services pour permettre aux citoyens d'assumer les fonctions et responsabilités qui leur sont dévolues, soit à l'égard de leurs enfants, droits et devoirs des parents à l'égard des enfants.

Nous nous disons ceci: Si un citoyen, se sentant en difficulté, fait volontairement et librement

une démarche auprès d'un service existant, nous croyons que sa liberté doit être respectée, puisqu'il fait cette démarche volontairement. Le droit qui devrait être applicable à ce moment-là, c'est le droit en général, le Code civil et tout cela.

Nous croyons que l'Etat intervient au niveau de la protection à un autre niveau, lorsque l'enfant est en danger, lorsque l'enfant voit son développement mis en péril. A ce moment-là, l'Etat intervient par le truchement de la Loi de la protection de la jeunesse.

Ceci permet de faire une nette clarification au niveau du droit des parents lorsque, volontairement et librement, il fait appel à des services. Mais lorsque nous intervenons, lorsque la société intervient par la Loi de la protection de la jeunesse, à ce moment-là, ou intervient pour la protection des droits de l'enfant. Là, la Loi de la protection de la jeunesse a son application.

M. Choquette: Merci...

M. d'Amours: Je pense qu'il faut que ce soit clair parce que la loi de la protection prévoit des mécanismes, on fait abstraction de la confidentialité et tous ces points qui sont prévus dans une autre loi. Mais au moment où nous intervenons avec la loi de la protection, encore là, il y a la préséance de la protection sociale sur la protection judiciaire.

Je me demande si vous avez ces documents. Oui, vous les avez. Vous avez un document en main qui s'intitule "Fondements organisationnels et légaux de la protection de la jeunesse". On parle de la situation A, B et C. J'étais à expliquer la case B. Si les parents, volontairement, acceptent les mesures de protection, ils ne sont pas libres, parce qu'il y a un intervenant qui a dit, au niveau du conseil local d'orientation: Votre enfant est en danger, ne le qualifions pas pour le moment et nous croyons que vous devriez rencontrer une personne pour vous aider.

Ils n'ont pas fait la démarche librement, mais volontairement, ils vont accepter les mesures. Mais s'ils n'acceptent pas les mesures et que l'intérêt de l'enfant l'exige, parce qu'il doit avoir des droits au bonheur, des droits à l'éducation, on pourrait en énumérer...

On touche des droits d'individus. Je pense que la protection judiciaire doit intervenir. On touche des droits. C'est dans ce contexte que nous avons fait ce tableau. Peut-être que M. Lippé aurait...

M. Lippé (Michel): Notre souci de considérer la Loi sur la protection de la jeunesse comme une loi résiduaire va dans le sens du respect intégral du principe qui veut que les parents soient les premiers éducateurs de l'enfant et que les parents soient libres d'accepter ou de refuser des services de santé et des services sociaux dans toutes les situations sauf celles où ils exposent leur enfant à des dangers physiques ou moraux.

Lorsqu'ils exposent les enfants à des dangers physiques et moraux, il appartient à un méca- nisme, qui est le comité local d'orientation, de juger si effectivement c'est le cas et, si c'est le cas, de demander une intervention. Mais, en aucune façon, l'Association des centres de services sociaux se voit mandatée pour aller s'ingérer dans le libre exercice des droits des parents d'éduquer leurs enfants comme ils le veulent.

Si les enfants sont exposés à des dangers physiques et moraux, il appartient au comité local d'en tenir compte et de juger, si effectivement c'est le cas, qu'une intervention est nécessaire. L'intervention peut être libre et volontaire ou, encore, si elle ne peut pas l'être, il s'agit que le pouvoir judiciaire prenne les moyens d'user de contraintes pour que l'intervention se fasse auprès de l'enfant en désaccord avec ses parents, si c'est là son bien.

M. Forget: M. le Président, je ne veux pas passer trop de temps sur ce point, mais il me semble qu'il y a peut-être des implications assez significatives, encore une fois, sous toutes réserves, puisque nous avons entendu, ce matin ou cet après-midi, une proposition qui peut être interprétée comme à l'opposé de celle-là — je n'en suis pas absolument certain — nous demandant de considérer la Loi sur la protection de la jeunesse comme créant un cadre d'ensemble, un cadre général et où, en somme, tous les droits et les devoirs des parties en présence — dans ce cas, les parents et les enfants — trouvent leur définition. Je pense qu'on pourrait interpréter la position du groupe qui est devant nous comme prenant une attitude opposée disant que seuls les droits qui sont invoqués ou dont l'utilisation est en question dans une intervention de protection doivent apparaître dans un tel projet.

Il ne s'agit pas de faire un cadre absolument général pour régir, déterminer et préciser les relations à l'intérieur des familles. Ceci relève plutôt du droit civil et d'une charte générale des droits de l'homme, etc. Est-ce que c'est bien dans ce sens que le groupe que vous représentez comprend cette conclusion?

M. d'Amours: M. le Président, je pense que le tableau ou les éléments qui sont contenus dans le mémoire veulent que l'on clarifie très bien l'impact de la loi de protection. Je pense qu'il n'y a aucune contradiction avec ce qui a déjà été exposé. Les gens qui nous ont précédés ont parlé des cases b) et c). A ce niveau, nous appuyons les exposés qui ont été faits, mais nous ne croyons pas que la loi de protection en soi devrait s'appliquer pour une personne qui, voyant son enfant malade, ayant une grippe, se présente chez le médecin, ou plutôt je pense que la position des personnes qui nous ont précédés était vraiment dans le cadre de b) et c), mais nous parlons aussi de l'ensemble des citoyens. Si je donne l'exemple d'un centre hospitalier ou d'un centre de services sociaux, c'est que ce n'est pas parce qu'il y a la loi de la protection que les autres services ne seront pas donnés. Les autres services vont être donnés d'une façon libre et volontaire, mais lorsqu'il s'agira de la loi de pro-

tection, elle aura son entière application avec l'enfant sujet de droits, l'enfant qui a des droits à faire valoir. On a organisé une société, mais il y a des gens, à un moment donné, qui n'exercent pas dans le sens d'une compréhension de l'intérêt de l'enfant les obligations qui leur sont dévolues. A ce moment, l'enfant a des droits à faire valoir et la loi de protection intervient.

M. Lippé: Je pourrais peut-être donner un exemple qui clarifie les choses. Supposons la situation d'une famille comprenant le père, la mère et deux enfants, et où, par un accident d'automobile, la mère décède. Le père a toujours été un bon éducateur pour ses enfants, mais il se voit dépourvu, n'ayant pas de mère à la maison. Est-ce que, pour avoir les services d'une famille d'accueil, il devrait passer par le mécanisme de la loi de protection ou s'il peut s'adresser volontairement et librement à un centre de services sociaux et demander que ses enfants soient placés en famille d'accueil? Si on regarde la loi de protection comme une loi globale et non d'exception, il faudrait à ce moment que ce père soit jugé quelque peu indigne pour que le mécanisme de la loi se mette à fonctionner, puisqu'on dit qu'il y a danger physique ou moral.

M. Forget: Est-ce que vous seriez disposé à souscrire — je me réfère à votre recommandation no 7 — à ce que nous a dit sur le même sujet l'organisme précédent, la Ligue des droits de l'homme, relativement à l'utilisation du pouvoir de décision du procureur général? Est-ce que vous étiez présent cet après-midi?

M. Lippé: Oui.

M. Forget: Ce qui a été dit par cet organisme — puisque vous l'exprimez, mais vous l'exprimez de façon un peu plus générale dans votre recommandation — est-ce que c'est fondamentalement la même position?

M. Lippé: Oui, exactement. On considère que, dans un domaine comme celui-là, où on fait appel surtout aux valeurs des individus, l'équilibre entre le représentant de la justice, des sciences du comportement et le citoyen est la meilleure garantie qu'on ne s'ingérera pas d'une façon indue dans l'exercice des droits des parents.

M. Myre (Jean-Guy): M. le Président, nous sommes d'accord avec ce que la Ligue des droits de l'homme a soutenu, par rapport à l'article 59, peut-être pour d'autres raisons. Nous, c'est en fonction du principe qui nous semble être reconnu dans l'avant-projet de loi, celui de l'antériorité de la protection sociale sur la protection judiciaire. Il nous semble que l'intervention judiciaire devrait être le dernier recours dans le cas d'enfants qui sont en danger. La plupart du temps, il semblerait que la présence, la comparution de jeunes en cour est inutile et souvent même néfaste. C'est pourquoi il nous semble que nous devrions toujours utiliser tous les autres moyens avant d'aller à la cour. Ceci devrait s'appliquer même aux enfants de quatorze ans et plus. Pourquoi accepte-t-on ce principe de l'antériorité de la protection sociale dans le cas des enfants de treize ans et moins qui pourraient avoir commis un délit grave? Pourquoi, à quatorze ans, de façon arbitraire... A ce moment, ce n'est plus l'intérêt de l'enfant qui devient premier, c'est l'intérêt de la société.

Nous pensons, en vertu même de l'article — je ne me souviens pas de quel article — dans le projet de loi, où on dit que c'est l'intérêt de l'enfant qui doit être premier, que cela devrait s'appliquer même pour les enfants qui ont quatorze ans et plus qui ont commis des crimes.

Evidemment, nous présumons que le comité local d'orientation, devant un délit qui serait grave, va l'envoyer à la cour, en cas de récidive, par exemple.

C'est pourquoi nous sommes tout à fait d'accord avec la position de la Ligue des droits de l'homme, peut-être pour d'autres motifs.

M. Forget: Relativement à la déchéance de la puissance paternelle, un autre sujet qui a été très brièvement abordé cet après-midi, vous affirmez la juridiction exclusive de la Cour de bien-être social, mais, sur le fond du problème, c'est le pouvoir de retirer, ou de proclamer, ou de déclarer la déchéance. Avez-vous une position définie sur cette question?

M. d'Amours: M. le Président, nous croyons que la déchéance de l'autorité parentale est une mesure grave. Nous avons mentionné que la limite dans laquelle le législateur doit intervenir à ce niveau doit être très circonscrite.

Nous croyons que la déchéance de l'autorité parentale pourrait exister, mais pas de n'importe quelle façon, et pas dans une situation où on règle cela dans cinq minutes. C'est grave. C'est grave, mais il faut aussi clarifier des situations.

Vous me permettrez, M. le Président, de donner un exemple. Je vais chevaucher sur un ensemble de législations et je considère que l'on doit clarifier ce problème.

Nous prenons la loi de l'adoption. Différents auteurs ont écrit et ont dit: La déchéance de l'autorité parentale existe dans notre législation. Un enfant est confié, en vertu de l'article 15, à une famille d'accueil ou, à la suite d'une recommandation au ministre... Quand je cite l'article 15, je cite la Loi sur la protection de la jeunesse, chapitre 220 des lois du Québec, 1964.

Je prends cette loi de 1950 et je prends la Loi d'adoption de 1969. Si vous me permettez, je vais citer un article de la loi.

A l'article 6 b), on dit ceci: "Lorsque ni le père, ni la mère, ni un ascendant de l'enfant n'en a assumé de fait le soin, l'entretien ou l'éducation, pendant au moins six mois avant qu'il ait été placé en vue de son adoption, l'enfant mineur naturel pourrait être adopté".

Quel est l'effet d'un jugement d'adoption? Nous disons à l'article 38: "A compter de la date

du jugement prononçant l'adoption, l'adopté devient, à tous égards et à l'égard de tous, l'enfant légitime de l'adoptant et celui de son conjoint, si ce dernier s'est porté partie à la requête d'adoption".

Si ce n'est pas de la déchéance de l'autorité parentale, au niveau des parents naturels, au niveau des parents légitimes, je me demande ce que c'est.

Et présentement, il y a des enfants qui attendent pour être adoptés. On dit: Le tribunal a-t-il ou non juridiction en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse pour un placement en vue d'adoption? On dit d'autre part que la société d'adoption — ici, on a des termes qui chevauchent... On dit ceci: "Toute société d'adoption reconnue peut, sous l'autorité du ministre, prendre charge des enfants abandonnés et placer en vue de leur adoption, les enfants qui peuvent être adoptés en vertu de la présente loi".

On pourrait tirer la conclusion suivante de ces deux aspects: La Loi de protection de 1950 a été une loi qui a été créée pour admettre des enfants dans des centres d'accueil.

En 1951, le juge disait: Cela n'a pas d'allure. On n'a pas juridiction pour les enfants de 0 à 6 ans parce qu'ils ne vont pas à l'école. Alors, on a modifié la Loi sur la protection de la jeunesse. On l'a élargie. On a rajouté ceci et cela. On en a rajouté en 1950 et en 1973.

Est-il clair que le juge peut confier l'enfant en vue de son placement? La jurisprudence n'est pas claire là-dessus; mais ce qui est clair, c'est qu'une société d'adoption peut placer cet enfant en vue de l'adoption.

Et je préfère que ce problème soit clarifié, non pas parce que les centres de services sociaux ou les sociétés d'adoption qui ont à placer ces enfants se sentent dans l'insécurité à ce niveau — je pense qu'il y a les dispositions de la loi— mais, nous voulons un respect de l'ensemble des parties en cause. Nous voulons que, devant un tribunal, cela soit clarifié. Y a-t-il lieu de déclarer la déchéance de l'autorité parentale ou n'y a-t-il pas lieu?

Il ne faudrait pas que les motifs soient de vagues motifs. C'est pour cela que nous attirons l'attention du législateur sur la question de la déchéance de l'autorité parentale.

Je prends les exemples que j'ai donnés à partir d'une loi. Ce n'est pas de la loi qu'on discute aujourd'hui, mais cela constitue quand même certaines implications et au niveau des adoptants aussi, je pense qu'on ne doit pas penser faire adopter des enfants à 18, à 19 ans ou à 14 ans. Il est préférable de leur offrir une stabilité le plus tôt possible.

Alors, au niveau de la déchéance de l'autorité parentale, nous sommes d'accord parce que si nous le faisons, nous allons clarifier une situation, car nous ne voulons pas qu'elle soit faite de n'importe quelle façon.

M. Forget: Je vous remercie. Une autre de vos recommandations qui est un peu surprenante, vise à la suppression de toute la partie de l'avant-projet de loi relatif au conseil de surveillance. Quelles que soient les réserves qu'on puisse avoir sur la dénomination de ces conseils, je me demande si vous avez considéré la possibilité, même la nécessité, à mon avis, d'impliquer le public, les personnes intéressées qui ne sont pas des professionnels, ni des services judiciaires, ni des services sociaux, des personnes intéressées de la collectivité qui, déjà, effectivement sont actives dans beaucoup de régions de la province et qui s'intéressent au problème de l'enfance. Le conseil de surveillance n'est qu'une étiquette que l'on colle à une collection de pareils individus dont on n'exige qu'une seule chose, c'est qu'ils soient au moins assez nombreux pour qu'on en parle comme d'une collectivité plutôt que comme d'un simple individu. Est-ce que c'est aux pouvoirs malgré tout assez minces de ce conseil de surveillance que vous en avez? Est-ce que c'est à son nom? Ou est-ce que c'est au principe même que des gens qui sont des laïcs, si vous voulez, ou des non-experts dans le domaine de la protection de l'enfance, interviennent dans ce processus de la façon qu'on le prévoit?

M. Perreault (Jacques): Sur cette question, M. le Président, face à la dernière interrogation, si nous remettons en question le principe de participation des "laïcs", je pense qu'il n'en est aucunement question. Ce n'est pas ce principe qu'on remet en cause. D'ailleurs, dans la composition de la commission de la protection, on parle d'une composition représentative des diverses régions du Québec et de différentes parties de la population. On y voit un rôle qui pourrait être une déconcentration, par exemple, de la commission, en vue d'amener une concertation dans chacune des régions.

Ce qu'on veut éviter, c'est que le conseil de surveillance, tel qu'il est défini dans le projet de loi, aux articles 37 et 38, devienne un autre organisme parallèle, susceptible de recevoir des plaintes, avec droit d'enquête, etc. Je crois qu'on veut essayer d'utiliser au maximum les structures prévues actuellement à ce niveau, avec ces fonctions, dans le chapitre 48, qu'on pense à certains pouvoirs des CSS dans le domaine des plaintes, qu'on pense aux CRSSS, d'essayer de rendre plus opérationnelles ces structures, de leur faire jouer leur rôle en leur donnant les moyens, mais de ne pas créer un organisme parallèle pour faire en sorte que les gens qui auraient des plaintes à porter pourraient le faire à différentes instances, que ce soient celles mentionnées au conseil de surveillance, à la commission des affaires sociales et autres organismes.

On dit que le conseil de surveillance, avec des fonctions pour étudier les plaintes, etc., ce sont des rôles que l'on voit rapatrier dans le réseau actuel. D'autre part, on veut aussi faciliter la concertation des différents publics touchés ou des différentes instances touchées par la protection de l'enfance en changeant et en suggérant des modes de représentation au niveau de la commission qui pourraient se déconcentrer dans certaines de ses fonctions, au niveau de chacune des régions.

M. Forget: Malgré tout, il reste que la commission est un organisme, une entité juridique, une corporation qui a un conseil d'administration qui se réunit fréquemment j'imagine, même s'il se réunit régulièrement. Comment la commission peut-elle être présente partout et véritablement favoriser la participation si cette participation est limitée à faire partie d'un conseil d'administration? Cela me semble une porte très étroitement ouverte à la participation que de ne prévoir que quelques membres du public au conseil d'administration d'un organisme provincial. Je crois que les citoyens qui sont intéressés et qui peuvent intervenir de façon concrète veulent le faire de façon beaucoup plus immédiate au contact des problèmes vécus dans leur quartier, dans leur région, dans leur ville plutôt qu'au niveau provincial.

Est-ce que vous avez à l'esprit une autre formule de participation que celle qui est suggérée ici, encore une fois, quelles que soient les réserves qu'on puisse avoir sur l'appellation qui lui est donnée?

M. Perreault (Jacques): D'une part, il y a une participation des citoyens au niveau des comités locaux d'orientation. Je veux dire qu'on ne parle pas d'un comité local par région. On pense aux différentes régions, aux comités locaux d'orientation et on voit également, dans les attributions de la commission, qu'elle a pour fonctions, à l'article 22 c) et d), de favoriser la protection des enfants soumis à des mauvais traitements et de promouvoir le développement de programmes d'information destinés à renseigner la population en général. Je pense qu'il n'est peut-être pas nécessaire de créer une structure, comme le conseil de surveillance, mais qui puisse déléguer à certains comités régionaux, qui seraient représentés au niveau de la commission par une personne, ses fonctions d'information, de sensibilisation, de concertation dont on a parlé sans nécessairement, comme je le disais, créer de toutes pièces un organisme qui risque finalement de ne pas atteindre les objectifs pour lesquels on le crée, si on regarde les articles 37 et 38.

M. Lippé: Evidemment, le rôle important, comme on le soulignait... C'est bien évident que, dans les régions socio-sanitaires, il va y avoir au moins un, sinon plusieurs comités locaux, selon la nature de la région. Dans ce domaine, s'il y a une chose importante, c'est de pouvoir se parler entre les juges, entre les citoyens, entre les gens impliqués et d'avoir une table comme celle-là qui pourrait être une extension de la commission par une forme de comité. Ce serait peut-être l'outil privilégié, dans le sens d'obliger tout le monde, par un mécanisme, à devoir décider d'un certain nombre de règles et de pratiques à l'intérieur d'une région, de discuter des cas marginaux à l'intérieur de la région. Pour nous, ce serait vraiment une meilleure utilisation d'un organisme comme celui-là. Parce qu'au niveau de la surveillance du réseau, il est surveillé par beaucoup de monde. Le citoyen qui a une plainte à porter a des canaux qui lui permettent de la porter. C'est vraiment de pouvoir permettre à tous les gens impliqués, les juges, les greffiers de cour et autres de se parler; ce serait un mécanisme très intéressant.

M. Perreault (Jacques): Cette recommandation s'inscrit également dans une préoccupation qui a été mentionnée par Me d'Amours, qui est de concordance avec la loi de protection qu'on voit — vous l'avez mentionné, et votre interprétation était juste — comme une loi d'exception jusqu'à un certain point qui vient compléter un réseau de distribution de services et est encadrée par le chapitre 48.

M. Forget: Sur le plan de la confidentialité de l'information, j'aimerais que vous développiez un peu un certain nombre de recommandations que vous avez exprimées quant à la nécessité ou à la possibilité de dénoncer les cas de négligence dont sont victimes les enfants et relativement au fichier qui doit être maintenu par la commission.

M. d'Amours: M. le Président, nous nous en reportons à l'article 46. Je crois qu'il est important, au niveau d'un article de cette nature, relativement à la dénonciation des cas... C'est que, si l'enfant est physiquement maltraité, on dit qu'il existe une obligation de dénoncer. Si l'enfant, dans son développement psychologique, au niveau de l'éducation et tout ça, est en danger, tout citoyen peut dénoncer la situation au comité local d'orientation. Nous croyons qu'il est important de garder la distinction, d'une part, parce que la première partie de l'article constitue une infraction pour celui qui ne le fait pas. D'un autre côté, il y a la deuxième partie, qui regarde le développement d'un enfant.

D'après le professionnel, cet aspect peut être vu avec plus ou moins d'acuité.

Je donnerais l'exemple d'un psychologue qui reçoit un enfant ou reçoit des parents et commence un traitement avec ces gens-là. Ces gens sont décidés d'aller le rencontrer pour essayer de régler leurs problèmes personnels.

Que va faire le professionnel si on l'oblige à dénoncer ces cas spécifiques? Quel est le type de relation? Quel est le type de résultat? Il ne pourra pas y avoir de traitement possible parce que la relation professionnelle est basée sur une confiance.

Je pense qu'on ne pourrait pas changer le terme "peut" pour celui de "doit". Au niveau de celui qui est maltraité physiquement, je pense qu'il est important, il y a des intérêts supérieurs, l'intérêt de l'enfant, qui sont en jeu.

Par ailleurs, si la personne vient librement faire traiter son enfant, quelle est l'obligation du professionnel? Doit-il immédiatement le faire? Ou doit-il commencer le traitement? Mais s'il ne peut pas se rendre à terme, n'aurait-il pas l'obligation, à ce moment-là, de le dénoncer?

M. Forget: C'est l'ambiguïté que vous soulignez dans votre mémoire.

M. d'Amours: C'est cela, d'une part.

M. Forget: Sur les autres aspects de confidentialité, le registre et également la question qui a été débattue cet après-midi, relativement au caractère de huis clos ou de publicité de l'audition devant le tribunal, devant la cour.

M. d'Amours: M. le Président, j'aurais deux observations. Je pense qu'il est important qu'il y ait quelqu'un qui puisse assister aux enquêtes et auditions. Maintenant, sommes-nous devant une loi de protection pour protéger le droit des enfants ou informer le public?

Personnellement, j'ai déjà assisté à des procès tant en Cour supérieure, en matière de garde d'enfants qu'en Cour de bien-être, pour protection et délinquance. Je pense qu'il est important qu'il existe des personnes; mais je crois que le principe devrait être le huis clos, que les membres de la commission puissent y assister et que la commission puisse aussi en accréditer.

Nous croyons que la commission est le pivot de la loi de protection et nous faisons confiance à la commission. Je pense que c'est elle qui doit accréditer les gens pour y assister.

Quand vous voyez des enfants traumatisés par le seul fait d'avoir à se présenter à la cour, si les salles sont pleines, est-ce qu'on va lui rendre service? Mais il y a une différence entre un huis clos absolu et un huis clos où on assurera la présence d'individus.

Si les parents, à un moment-donné, disent: Nous, nous ne demandons pas au juge — si on prend la première position où le public y est admis — de faire sortir les gens ou s'ils le demandent, quelle garantie a-t-on de plus? Il n'y a plus personne.

Je pense qu'il est important d'assurer un mécanisme où il y aura quelqu'un à la cour, mais que le huis clos soit le principe. Au niveau de la charte des libertés et droits des personnes, on dit que, dans les cas de séparations, de divorce, de questions familiales, on pourra tenir les séances à huis clos.

Je fais l'analogie au niveau de la Loi sur la protection de la jeunesse. Le principe, c'est le huis-clos. La commission devrait avoir le pouvoir d'accréditer des gens. Quant à la diffusion du contenu, je pense qu'il est nécessaire qu'à un moment donné on puisse divulguer non pas le nom des gens, mais dénoncer certaines situations.

Par ailleurs, n'oublions pas, M. le Président, que la législation est faite pour l'ensemble de la province. Si vous êtes à New Carlisle, Matane, Rimouski ou Rivière-du-Loup, qu'est-ce qui va arriver? Les gens sont au courant de la cause. Qui va être le plus perdant là-dedans?

A Montréal, je conviens que la situation est anonyme, mais, dans l'ensemble de la province, cela voudrait dire qu'on obligerait un enfant à avoir deux procès, un procès à l'intérieur et un procès au niveau du public. Je serais réticent à souscrire au fait que le huis-clos n'est pas le principe, mais je souscrirais à une modalité qui assure la présence d'individus accrédités au niveau du tribunal.

Sur ce point, je fais confiance à la commission; parce que si on ne lui fait pas confiance à ce niveau, il ne nous reste pas grand-chose. Je lui fais confiance et je pense que les gens qui seront à la commission sont des gens qui auront comme principale préoccupation l'intérêt de la protection et l'intérêt de la défense des droits des enfants.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, je veux remercier aussi l'Association des centres de services sociaux pour la qualité du mémoire présenté, l'analyse exhaustive, article par article, qui nous sera certes d'utilité. Je ne lui en fais pas reproche, au contraire, mais le ministre des Affaires sociales a souligné les points marquants, non seulement que nous aurons à poser à chaque délégation que nous recevrons, mais également ceux-là même qu'avait isolés l'association dans son mémoire.

Vous me permettrez de m'en tenir à quelques questions de soutien à ce qu'a déjà avancé le ministre des Affaires sociales et d'élargir un tant soit peu le débat, puisque nous avons — la chance n'est pas fréquente — des gens des centres de services sociaux avec nous, ce soir, sur un aspect tout aussi important. Mais, tenons-nous-en à l'aspect de la loi. Je voulais vous poser une question sur le huis-clos. Vous venez d'y répondre.

Vous faites mention, à propos des centres locaux d'orientation, à un moment donné, que vous vous inquiétez — je pense que c'est comme CSS que vous le faites; uniquement vous pouvez le faire sur cette question — du partage du territoire, de l'organisation des CLO dans le territoire du Québec. Tantôt vous évoquiez la possibilité qu'un conseil de surveillance, s'il devait être maintenu, contrairement à votre opinion, pourrait avoir plusieurs centres locaux d'orientation à surveiller, à d'autres occasions, non... Pouvez-vous préciser, administrativement je dirais, votre avis là-dessus, comme administrateur de centres de services sociaux — cela nous serait important — les interrogations et les difficultés que vous prévoyez là-dedans?

M. Gaudreault: M. le Président, dans l'opéra-tionnalisation des comités locaux d'orientation, on peut prévoir un certain nombre d'écueils si des mesures ne sont pas prises. On pourrait se demander, par exemple, combien y en aurait-il dans le territoire du Québec? A combien d'endroits, par exemple, un juge de la Cour de bien-être social ou les juges des Cours de bien-être social siègent au Québec? Cinquante, soixante, cent? Le nombre serait probablement trouvable à quelque endroit, ce qui veut dire qu'à chaque endroit, je pense, où un juge de Cour de bien-être social siège, il devrait y avoir une porte d'entrée quelconque pour recevoir des cas à l'occasion.

Egalement, le comité local d'orientation doit être disponible 24 heures par jour et sept jour par

semaine, ce qui n'est pas également sans compliquer les choses. Alors, il y a du côté de l'opéra-tionnalisation, des questions à se poser et des problèmes à voir, que les centres de services sociaux auront sûrement à discuter avec la commission qui est chargée de nommer quelqu'un au comité local, un avocat, soit avec le conseil de surveillance, s'il est maintenu, ou, selon notre proposition, avec le conseil régional de la santé et des services sociaux qui pourrait indiquer des bénévoles du milieu pouvant participer à ce comité.

M. Charron: Envisagez-vous, si le conseil de surveillance devait être maintenu, qu'il peut effectivement y avoir plusieurs comités locaux sous sa responsabilité?

M. Gaudreault: Cela pourrait être pensable. Les modalités dans l'avant-projet de loi ne sont pas prévues. Si c'était maintenu, un conseil de surveillance dans une région pourrait regrouper un certain nombre de comités locaux, en raison de la participation des citoyens qui s'y trouvent. On pourrait penser peut-être aussi, et c'est peut-être là l'intérêt d'avoir une diversification possible des conseils de surveillance, dans des milieux un peu plus populeux, dans les quartiers, par exemple, où on aurait un conseil de surveillance, qu'il pourrait faire une action davantage orientée vers la protection et la prévention de la délinquance. Je pense que les formules de ce côté, si elles étaient maintenues, pourraient être multiples et variées en fonction de conditions propres à un milieu.

M. Charron: Je vous ai écouté tout à l'heure répondre à la question du ministre quant à votre suggestion pour l'abolition des conseils de surveillance. J'estime, je ne sais pas si c'est l'opinion du ministre, que vous avez répondu en partie seulement à l'objection que formulait le ministre à votre objection au conseil de surveillance. Il m'a semblé, je vous le dis en toute bonne foi, qu'il y avait beaucoup d'un plaidoyer pro domo dans ce que vous nous avez fait à rencontre des conseils de surveillance, en ce sens que nous sentions que les CSS se sentaient en voie de perdre une partie de leur juridiction et en réclamaient la totalité. Tel que les CSS fonctionnent actuellement, on peut peut-être extrapoler pour le développement futur, j'en conviens, mais tenons-nous-en au présent, si les centres de services sociaux que vous représentez peuvent actuellement accomplir leur tâche aussi efficacement. Devraient-ils pour cela s'ouvrir et inclure la population pour remplir le critère de participation démocratique maintenu au conseil de surveillance? Est-ce qu'ils sont en état de le faire ou s'il faut ajouter cette structure? J'ai des doutes sur la responsabilité, la surcharge de responsabilité que les centres de services sociaux pourraient se donner à l'occasion. Je prends l'argument du ministre, non pas parce que je veux me faire le porte-parole de la loi, mais parce que j'ai toujours l'argument important, et c'est vous-même qui l'avez souligné, vous dites: La commission vous apparaît le pivot de ce projet de loi. Je ne partage pas votre opinion là-dessus, mais puisque vous avez dit que le principal acquis peut-être de ce projet de loi est la commission elle-même, logiquement, j'embarque avec vous. C'est à la commission d'organiser elle-même son propre système de surveillance et non pas au CSS. Je voudrais, autrement dit, que vous ajoutiez peut-être à l'argumentation de tout à l'heure, peut-être pour la clarifier.

M. Perreault: Je ne sais pas si c'est ajouter ou rectifier ce qu'on a dit tantôt. Je ne pense pas qu'on ait parlé de rapatriement aux CSS des conseils de surveillance. Comme vous avez si bien dit, les CSS ont leur surcharge de responsabilité. Je ne pense pas qu'on soit en lutte pour en avoir d'autre. D'accord?

Ce que j'ai dit, c'est qu'il existait, actuellement, dans le réseau des Affaires sociales, des organismes dont une des fonctions est de recevoir des plaintes: Les CRSSS, où on peut se plaindre; la commission des affaires sociales et les CSS qui, à l'intérieur de leur structure, on un service de plaintes sur le type de services qui sont rendus. Tout ce que j'ai voulu dire tantôt — je crois que j'ai été mal compris — c'est laisser à chacun de ces organismes ses responsabilités, pas en ajouter. Mais ce que je disais, c'est qu'en ajoutant un conseil de surveillance, on vient au niveau de la population et des enfants, parce que je pense que c'est là que se situent nos préoccupations, et non au niveau des structures. A ce niveau, on vient de créer un autre organisme, une autre structure qui va aussi recevoir des plaintes. On se place dans la peau de la personne qui veut se plaindre, à Montréal. Elle va avoir bien des places où se plaindre. On dit: II y en a déjà assez. Si elles ne sont pas organisées, si elles ne sont pas efficaces, rendons celles-là efficaces, mais n'en créons pas une autre à côté. C'est ce que j'ai voulu dire.

M. Charron: S'il n'y avait pas de conseil de surveillance, pour un citoyen de Saint-Jacques, par exemple, qui veut se plaindre du travail du comité local d'orientation qui, vraisemblablement, serait chez nous... Actuellement, vous dites qu'il y a déjà suffisamment de portes à cet effet. Il pourrait s'adresser au CSSMM et porter plainte là-dessus. Mais quels seraient les moyens d'action du CSSMM, actuellement, si le CLO relève de la commission et que vous reconnaissez à celle-ci le pouvoir d'appliquer la loi telle qu'elle sera adoptée?

M. Perreault (Jacques): Quand vous dites: Quel est le pouvoir du CSSMM dans une telle situation, je vous reprends tout de suite en disant: Selon le type de plaintes, il y a d'autres organismes que le CSS pour les recevoir. D'accord? Le CSSMM a la responsabilité de rendre des services de qualité et le type de plaintes qui viennent au CSS, ce sont des plaintes qui peuvent toucher la qualité des services qui sont rendus. A ce moment, quel pouvoir a-t-on? On a des pouvoirs d'adminis-

trateurs face aux gens dont on est responsable et de qui on se plaint, face au type de services qu'ils ont rendus. Si des services ne sont pas rendus, je pense qu'il peut y avoir le CRSSS ou...

M. Charron: Posons la question autrement. Croyez-vous que les CSS actuellement sur le territoire pourraient remplir les fonctions, les pouvoirs et les devoirs mentionnés pour le comité de surveillance, article 37. On dit que le conseil de surveillance a pour fonction de surveiller l'application générale de la présente loi dans la région pour laquelle il est formé, d'informer la population sur les dispositions de la présente loi, de recevoir et d'étudier les plaintes du public et d'effectuer toutes autres tâches qui peuvent lui être confiées par la commission ou le ministre.

Si je transposais cet objectif de la loi aux CSS actuellement, vous devriez donc remplir toutes ces tâches. Quel pouvoir d'intervention avez-vous, par la suite, auprès du comité local d'orientation, d'où est parvenue la plainte, si le comité local d'orientation n'est pas intégré au CSS, mais est sous la responsabilité de la commission quasi autonome?

M. Myre: M. le Président, l'opération a été justement faite dans la colonne à côté. Nous l'avons faite, cette opération. Nous avons essayé de partager les responsabilités entre les organismes existants actuellement en nous disant: Pourquoi en créer un autre? Essayons d'améliorer les structures existantes.

Quant aux responsabilités concernant les plaintes, elles seraient assumées de la façon suivante: Les plaintes pour services non fournis, c'est déjà prévu dans le chapitre 48. C'est le CRSSS qui s'occupe de cela. Les plaintes relatives aux services rendus. A l'intérieur des CSS, il y a une direction des services professionnels qui doit assurer cette chose. Quant aux plaintes relatives aux actes professionnels posés, il y a le Code des professions, s'il y a lieu; sinon, les plaintes seraient traitées par le CSS; et pour les plaintes relatives au fonctionnement du comité local, je pense que c'est la question qui est posée, il y a la Commission de la protection de la jeunesse qui pourra y voir.

M. Charron: Vous seriez simplement une courroie de transmission dans tous ces cas.

M. Myre: C'est-à-dire, par exemple, s'il y a des services qui ne sont pas rendus dans une région, ce n'est pas au CSS à servir de courroie de transmission. Les gens s'adresseront directement au CRSSS de la région.

M. Gaudreault: Je pense qu'il vaudrait la peine de mentionner qu'il y a une différence entre le centre de services sociaux et le conseil régional de la santé des services sociaux qui est régional, le centre de services sociaux, ici, étant régional.

C'est dans ce sens qu'on explique qu'il y a des mécanismes qui sont déjà prévus dans différentes lois et qui, en plus, pour le comité local, en ce qui a trait à son fonctionnement, par exemple, en ce qui a trait à une insatisfaction relative à un employé qui s'y trouverait, le citoyen pourrait s'adresser directement à la commission et se plaindre.

M. Charron: Je partage en partie l'objection que vous avez à la création d'une autre structure. S'il y a un réseau chargé de structures, c'est bien celui-là dans lequel vous oeuvrez et dont nous parlons ce soir. Ce n'est pas en ajouter ou non...

Mais quand je vois un citoyen aux prises avec les différentes possibilités que vous mentionnez dans votre article 37, cela ne m'apparaît pas non plus comme la solution idéale.

Je me mets à la place d'un citoyen du comté de Saint-Jacques — où il y aura vraisemblablement un centre local d'orientation — insatisfait. S'il n'y a pas actuellement de conseil de surveillance selon les catégories qu'il y a là, qui les connaît? Qui va savoir que pour tel cas, au CRSSS qu'il doit s'adresser? Et que, pour tel autre cas, il doit le faire au CSS et que, pour tel autre cas, à la commission même de la protection de la jeunesse? Je ne pense pas qu'on facilite le chemin du citoyen là-dedans, non plus.

M. Myre: Je pense que ce n'est vraiment pas, pour les CSS, la peur d'être surveillés. Je pense que, dans le domaine de la protection de la jeunesse, il faut vraiment avoir tous les mécanismes de surveillance nécessaires et, si l'existence des conseils de surveillance est nécessaire pour le faire, je pense qu'on accepterait qu'ils soient là.

Mais ce que nous voulons éviter est qu'on multiplie indéfiniment des organismes. Par exemple, si l'an prochain, le législateur décide d'adopter une loi pour protéger les personnes âgées, on va créer une autre structure et les citoyens seront encore beaucoup plus mêlés. On va créer un conseil de surveillance pour cette clientèle.

Il faudrait peut-être décider d'avoir un seul canal pour faire passer les plaintes. On serait d'accord, je pense bien, avec cela.

M. Charron: Voulez-vous que je vous dise ce qui va arriver? Si un citoyen, par exemple, du comté de Saint-Jacques n'est pas satisfait d'une décision qu'aurait rendue le centre local d'orientation, c'est-à-dire les personnes membres du centre local concernant son propre enfant... Une incitation à une mesure volontaire qu'il n'aurait pas prisée, qu'il n'aurait pas été en mesure d'estimer convenablement... C'est chez le député qu'il va rebondir. Il va dire: Vous ne savez pas ce qu'ils ont fait avec mon gars? Ils m'ont enlevé mon gars. J'avais ma fille qui était revenue, qui était sortie du centre, je l'avais chez nous, ils me l'ont enlevée et ils l'ont ramenée. Faites quelque chose. C'est moi qui va être poigné dans les CRSSS et dans les CSSMM et dans toutes ces affaires pour essayer de retrouver à quelle place je peux rétablir le droit du citoyen, parce qu'il n'ira pas.

M. Giasson: S'il n'est pas satisfait de la déci-

sion du conseil de surveillance, après le député, où le bonhomme va-t-il se ramasser?

M. Charron: S'il n'est pas satisfait du...?

M. Giasson: Supposons qu'il y aurait un conseil de surveillance qui revise le dossier, qui examine la décision du...

M. Charron: A la commission. Je prendrais...

M. Giasson: Cela va à la Commission des affaires sociales.

M. Charron: C'est pour cela que, si on devait retirer — ce n'est pas une position finale; je pense que nous sommes dans une séance de travail bien plus que dans des prises de position — cette structure qui peut-être, comme on le dit, surajoute à un endroit déjà encombré, mais que les plaintes s'adressent directement à la commission elle-même, que la commission plutôt que d'avoir des comités de surveillance, dans toutes les régions, développe, dans tout le Québec un service dont le travail serait essentiellement d'accumuler les plaintes provenant de certaines décisions des CLO sur le territoire du Québec...

Je préférerais cette formule à celle d'une multiplication de comités de surveillance. Je pense qu'il y a des bien-fondés à craindre une multiplication de cela ou encore à une disproportion selon que les services ont été fournis ou non rendus, etc, qui aboutissent à l'impasse la plupart du temps. Je pense que le député d'Outremont voulait ajouter quelque chose, mais je n'ai pas fini là-dessus.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député d'Outremont.

M. Choquette: Seulement pour dire que je rejoins l'Association des centres de services sociaux du Québec sur la nécessité de ne pas ajouter à des structures déjà complexes et lourdes qui font qu'un citoyen pourrait avoir beaucoup de difficultés à se retrouver dans tout cela. Mais je pense qu'il faut quand même tenir en considération, quand on examine la question ou les questions posées par cet avant-projet de loi, que protection sociale et protection judiciaire ne sont pas nécessairement des notions opposées et antinomiques. J'ai compris, suivant l'exposé qui nous a été fait ce soir par l'association, qu'on voulait poser au départ le principe de l'antériorité de la protection sociale à l'encontre de la protection judiciaire. A ce point de vue, je serais parfaitement d'accord avec nos interlocuteurs voulant que si des mesures de protection sociale peuvent régler un problème pratiquement, bravo, applaudissons, tant mieux si le problème est réglé de façon satisfaisante. Mais il faut quand même, ainsi que la discussion nous y a amenés, par l'intervention du ministre des Affaires sociales, et par le député de Saint-Jacques, se poser les hypothèses qui surgissent de situations où des mesures de protection sociale ne sont pas acceptées "volontairement et librement". J'emploie votre vocabulaire de votre... A ce moment-là, je pense qu'il faut aller à une autorité supérieure, et, naturellement, je crois que dans ces conditions on est amené tout naturellement vers le tribunal, le tribunal étant la Cour de bien-être social. A qui peut-on faire plus confiance, sinon à un juge impartial? (On a critiqué parfois la justice administrée au niveau de la cour. Il n'est pas dit qu'elle ne peut pas s'améliorer). Mais, en fait, la meilleure garantie d'une décision qui tienne compte à la fois des intérêts de l'enfant, des intérêts des parents ou des gardiens, je crois qu'on l'admettra facilement, en principe, c'est quand même la cour, quitte à ce qu'on ajoute à cette cour des services qui complètent son action pour tenir compte des dimensions humaines qui existent.

Mais de tout cela, sans avoir la prétention de résoudre des problèmes extrêmement difficiles de réconciliation entre la protection sociale et la protection judiciaire, je pense qu'il faudrait prendre garde de poser en opposition les mesures de protection sociale à l'égard des mesures de protection judiciaire, parce que les unes complètent les autres et les unes peuvent être nécessaires quand les autres ont échoué, les unes peuvent être nécessaires quand les premières n'ont pas réussi à être acceptées par les parties impliquées.

Donc, même si on doit, intellectuellement, faire la distinction entre des mesures qui ont un caractère administratif et des mesures qui ont un caractère judiciaire, il faudrait prendre garde, je pense, de s'égarer dans des oppositions qui sont assez stériles sur le plan de la réussite de la protection, tout court, pour les enfants.

Il y a aussi un autre aspect de la discussion qui a eu lieu ce soir, qui m'a impressionné, c'est que, évidemment, les centres de services sociaux ont une fonction importante à jouer dans l'ensemble des mesures qui sont mises en oeuvre. Quelles doivent être les responsabilités des centres de services sociaux devant des problèmes de protection de la jeunesse? Sans aucun doute on peut reconnaître que dans la section a) de votre schéma, les centres de services sociaux, comme la police d'ailleurs... parce que vous savez, les policiers jouent, à l'occasion, le rôle de travailleurs sociaux, de psychologues, même de minijuges, peut-on dire. J'admets que je fais rire certains membres, mais j'ai...

M. Charron: Grimacer, non pas rire.

M. Choquette: Non, ça n'est pas tout à fait exact, parce que j'ai connu de nombreuses circonstances où des policiers, enfin, qui travaillent dans des milieux où ils sont parfaitement bien identifiés, réussissent à résoudre des problèmes des mineurs, de conflits familiaux. Le père amène son enfant au poste de police pour lui faire une petite leçon, pour lui apprendre ce que c'est que l'autorité, ce que sont, en fait, comment pourrais-je dire, les notions de société. Tout cela existe, mais ça peut exister et je pense que ça existe à un

autre niveau dans le domaine des CSS, du moins je l'espère. Parce que si les CSS sont devenus des tours d'ivoire que les citoyens ne réussissent pas à gravir, à ce moment-là, je pense qu'ils ne remplissent même pas une fonction sociale utile.

M. Charron: Ce ne sont pas des SS, se sont des CSS.

M. Choquette: Oui, le député de Saint-Jacques peut rigoler, mais je suis allé, à un moment donné, en Angleterre, où il y a le "warning" de la police anglaise, c'est-à-dire que, devant une infraction commise par un enfant, on donne un avertissement et ceci est consacré par la législation. Ce qui démontre qu'il faut, avant tout, je pense, être pratique dans ce domaine. Il n'y a personne, pas plus les CSS que la police, que d'autres personnes qui ont une certaine autorité dans la société, qui ne puisse agir socialement. Tout le monde a un rôle, tout le monde a une fonction et il peut très bien se produire à n'importe quel moment qu'on puisse être appelé, dans une qualité qu'on a, à remplir une fonction qui n'est pas nécessairement d'autorité mais une fonction qui règle des problèmes familiaux ou sociaux bénins.

Donc, à ce point de vue, je pense qu'il ne peut pas y avoir de discussion, mais quand on arrive aux cas qui représentent des situations de crise, quand on arrive à des situations où il y a vraiment des oppositions, je pense qu'on est en plein dans le centre de la loi, telle qu'elle nous est présentée, on est dans des problèmes en somme familiaux qui peuvent se poser. C'est à ce moment qu'il faut voir quels sont les mécanismes de solution de ces problèmes. Donc, évitons de nous perdre en notions un peu diffuses, parce qu'il y a beaucoup de gens qui peuvent intervenir pour régler les problèmes familiaux, que ce soit au niveau des CSS, au niveau de la police ou à d'autres niveaux.

Quand on arrive au niveau de la Loi sur la protection de la jeunesse, j'aimerais savoir de nos interlocuteurs comment ils voient leur rôle en tant que dirigeants-membres de CSS, comment ils envisagent leurs fonctions en regard des problèmes qui peuvent leur être causés. Est-ce que, d'après eux, ils peuvent jouer un rôle consultatif, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, ou est-ce que, devant une situation de crise, ils verraient que ce problème doit être référé au comité local appelé à statuer en première instance? Si ce comité local n'a pas réussi à statuer en première instance par des mesures appelées volontaires et non libres, est-ce que le problème ne doit pas alors être amené, comme je l'entrevois tout naturellement, à la Cour de bien-être social?

C'est le canal, en somme, à mon sens, tout naturel que la loi a prévu et je voudrais savoir si ceux qui représentent les CSS voient le schéma comme je le vois.

M. Lippé: Je vais essayer une première tentative pour répondre, disons en ce qui regarde le premier contact de l'enfant avec l'appareil, qui se fait souvent par les postes de police. On est en train de développer une accessibilité à des services sociaux 24 heures par jour, sept jours par semaine. C'est fait dans certaines régions de la province, on est à expérimenter ça. Le projet de loi nous oblige maintenant à avoir des services disponibles. Cela veut donc dire que la première intervention qui se fera auprès de l'enfant se fera peut-être par le policier mais nous agirons auprès du policier comme conseillers par nos services permanents. Il restera ensuite des cas où le comité local sera saisi, soit par le biais de la police, soit par le biais de notre intervention, et il y aura une décision du comité local à savoir s'il y a matière ou non à protection.

S'il y a matière à protection, on fera appel, par la direction de la protection de la jeunesse, qui est dans le CSS, à des mesures volontaires après une évaluation psycho-sociale et un diagnostic bien posé, et si cela ne s'avère pas possible d'utiliser des mesures volontaires et que la situation est telle que l'enfant est exposé à des dangers, on aboutira à la cour. Mais la cour sera résiduaire dans ce système-là.

M. Choquette: Oui, elle est résiduaire. Je suis parfaitement de votre avis que si on peut régler le problème au départ, à la racine, vaut mieux le régler dans ces conditions-là.

Mais à un moment donné il faut appeler l'autorité à la rescousse, lorsque cela ne fonctionne pas, ce genre de mesure. Tout naturellement, le recours, ce n'est pas à la commission, si importante soit-elle dans le projet, c'est à la Cour de bien-être et au juge qui, lui, peut prendre une décision si l'enfant et ses parents n'ont pas réussi à s'entendre ou s'il y a des...

M. Lippé: Après le comité local.

M. Choquette: Oui, toujours après le comité local. Mais le comité local joue un rôle, en somme de "intake", d'analyse du cas et prend en considération les services que vous pouvez lui donner soit sur le plan de l'information, de dossiers, d'analyses psychologiques ou enfin, à tous autres facteurs. C'est tout à fait normal.

Les CSS sont appelés à donner la matière première, le comité local le décide, dans la mesure où il peut et si cela doit aller plus loin, cela va à la Cour de bien-être. Je pense que ceci est peut-être le centre de cette loi.

M. Lippé: Au niveau de la matière première, il faudrait peut-être faire des distinctions. On n'entend pas jouer le rôle de policier qui va aller recueillir des données factuelles. Ce n'est pas le rôle d'un centre de services sociaux. Je pense que le comité local va devoir être alimenté par des gens qui auront pour mission d'aller chercher des données factuelles. Cela n'appartiendra pas, à notre avis aux centres de services sociaux d'aller faire enquête dans un domicile. Je prends un exemple. Il serait possible dans la situation, de recevoir un appel disant que M. Choquette ne nourrit pas ses enfants. A partir de cela le comité local devra juger

si c'est pertinent ou non. Donc, pour juger si c'est pertinent ou non, il va devoir faire une certaine enquête.

M. Choquette: Je pensais plutôt que les CSS donneraient les services de soutien au point de vue analyse du cas.

M. Lippé: Sur le plan clinique oui, mais sur le plan de l'enquête, quant à vérifier si effectivement l'appel est fondé, il y a une nuance importante.

M. Choquette: Je pense que le comité local pourrait peut-être demander au CSS de faire enquête sur tel cas, pour lui donner des renseignements, s'il n'est pas fixé. Vous avez donné le cas d'enfants qui ne seraient pas alimentés suffisamment, le comité local reçoit le cas, l'a examiné et il peut peut-être utiliser vos services pour obtenir les renseignements pertinents.

M. Lippé: C'est possible, mais il reste à nuancer cela. Car s'il faut entrer chez vous de force pour aller voir, il y a des nuances.

M. Choquette: A ce moment-là, la force publique, la police peut-être s'impose. Si les CSS ont un rôle à jouer, ce n'est pas strictement un rôle de canalisation des plaintes. Il me semble que...

M. Lippé: Au niveau de l'évaluation de la problématique de l'enfant, c'est vraiment notre rôle. Mais d'aller vérifier si effectivement les enfants sont nourris ou non, cela nous apparaît un peu...

M. Choquette: Mais les travailleurs sociaux qui sont à votre service, est-ce que ce n'est justement pas leur fonction de visiter les familles, de voir dans quelles conditions les enfants vivent, de faire un rapport sur les conditions matérielles ou autres qui prévalent?

M. Lippé: Dans la situation relativement normale, soit par nos services sociaux en milieux scolaires, on peut être informé de la situation. Mais si on prend un exemple extrême où on est dans le domaine de la vérification de faits qui pourraient amener par la suite une action à caractère judiciaire, on est fort réticent à s'embarquer là-dedans.

M. Choquette: Oui, mais là, je pense qu'on touche un problème d'un peu près. C'est peut-être cette réticence que vous manifestez au nom de je ne sais pas quelle prévention. Il va falloir à un moment donné que quelqu'un se plonge dans le cas. Il va falloir que quelqu'un prenne les responsabilités. Ce n'est pas tout d'être travailleur social, psychologue ou d'avoir un autre titre honorable comme ceux-là, il faut que quelqu'un s'intéresse à des cas particuliers pour apporter la matière au comité local qui, lui, tranchera. Car, le comité local joue une fonction non pas d'enquête en soi, il joue plutôt une fonction à caractère quasi judiciaire.

Je pensais, quand je me suis intéressé à la rédaction de ce projet de loi, que, si opposés, en fait, soient les impératifs judiciaires, d'une part, les impératifs sociaux, d'autre part... Parce qu'on sait que — enfin c'est une des grandes données du problème — il fallait réussir à faire la réunion, la conjonction des efforts et à les situer dans un ensemble qui soit cohérent. Mais, cela n'empêche pas qu'il faut qu'il y ait des agents, qu'il y ait des personnes qui aillent se renseigner sur les cas. Tout le monde ne peut pas se tenir en retrait et se dire: Moi, je joue un rôle d'analyste, un rôle quasi judiciaire. Il faut qu'il y ait des gens qui aillent recueillir les renseignements.

M. Lippé: J'avais choisi mon exemple spécialement pour cela. Un problème de sous-alimentation, c'est d'abord un problème de santé. Est-ce que, dans votre raisonnement, les médecins devraient aller faire enquête chez vous pour vérifier si votre enfant est sous-alimenté? Ce n'est pas un problème psychosocial.

M. Choquette: Les médecins, non, parce qu'en fait, ce n'est pas leur fonction principale, mais je penserais que c'est la fonction des travailleurs sociaux au service des CSS de faire les enquêtes de nature sociale qui s'imposent dans les cas.

Vous ne pouvez pas comparer le médecin à un travailleur social. Je pense que votre travailleur social, c'est justement sa fonction d'aller chercher les renseignements, à moins que vous me disiez que vous préférez que ce soit la police. Mais là... Je sais bien qu'il y a des sections police-jeunesse qui font un excellent travail. Même là, je ne crois pas que c'est... C'est bien plus la fonction d'un travailleur social d'aller chercher ce genre de renseignement que la fonction des policiers.

M. Myre: M. le Président, l'article 51 de la rédaction actuelle du projet de loi spécifie très bien que c'est le comité local d'orientation, lorsqu'il est saisi d'un cas. Evidemment, si c'est un cas qui est actif dans un CSS et si c'est nous qui, par exemple, signalons la situation au comité local, on va lui fournir les données réelles; mais si c'est un citoyen qui fait une plainte auprès du comité local d'orientation, l'article 51 dit: "Le comité local effectue sans délai une évaluation de la situation." C'est au comité local à vérifier la matérialité des faits s'il y a une situation qui nécessite la protection oui ou non.

M. Choquette: A mon sens, vu que vous posez la question — je pense qu'elle est très pertinente — le comité local n'aurait pas les moyens et les services d'enquête à sa disposition pour le faire. Je pense que, à ce moment, saisi d'une telle plainte, il se référerait tout naturellement à vos services pour vous demander d'aller obtenir les renseignements. Parce qu'on n'est pas pour créer des services d'enquête à l'infinité, un au niveau des CSS, un au niveau des centres locaux — je ne me souviens plus du terme; maintenant, on s'y

perd, tellement il y a d'organismes; ce qui prouve qu'il faut simplifier — des centres locaux qui vont analyser les cas.

Je pense que c'était justement l'objectif de la loi que d'aller faire la jonction des services que vous avez à votre disposition avec d'autres services qui sont pertinents à la solution favorable.

M. Myre: M. le Président, si on se réfère à l'article 30, on dit très bien: "Parmi le personnel d'un comité local d'orientation, la commission autorise par écrit les personnes qu'elle désigne à s'enquérir des choses dont l'investigation leur a été déférée. Ces personnes jouissent de tous les pouvoirs d'un agent de la paix. Elles peuvent pénétrer, en tout temps convenable, dans tous lieux dans lesquels se trouve..." Il s'agit vraiment du personnel du comité local d'orientation.

M. Choquette: Oui, mais...

M. Charron: Qu'est-ce que cela veut dire, le personnel du comité local d'orientation?

M. Myre: II faudrait peut-être le spécifier.

M. Charron: II faudrait peut-être aussi lui donner de l'argent pour travailler.

M. Myre: Sûrement.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: M. le Président, j'aimerais intervenir pour faire peut-être deux ou trois mises au point, parce que j'ai l'impression que le débat s'élargit avec beaucoup d'intérêt, mais qu'on risque de manquer la cible.

Premièrement, le député d'Outremont a fait une distinction. Comme elle est au procès-verbal, je crois qu'elle mérite tout de suite une mise au point.

Il semble suggérer une distinction facile entre des cas difficiles et des cas faciles, au nom du réalisme et du pragmatisme, des solutions qu'il faut apporter. Superficiellement, je pense que cette invocation à l'esprit pratique est très attrayante, mais elle est trop facile, parce qu'elle ignore le fait que ce qui est facile pour un individu est difficile pour un autre individu. Des cas faciles ou difficiles n'existent que par rapport à un entraînement donné ou à une expertise donnée. Je peux donner un exemple peut-être caricatural, mais, personnellement, si j'ai un appareil de télévision qui se brise, pour moi cela a toujours l'air d'un cas difficile, parce que je n'y comprends strictement rien. Pour quelqu'un qui sait comment réparer les appareils de télévision, c'est parfois très facile de le faire, alors que celui qui répare ces appareils serait probablement fort perplexe devant un certain nombre des problèmes que je peux régler très facilement. Donnez des explications supplémentaires au député de Saint-Jacques.

M. Charron: Donnez des exemples.

M. Choquette: Ce que vous dites nous en dit long sur le ministère des Affaires sociales, parce qu'on y voit pourquoi c'est si compliqué.

M. Forget: Oui, on n'a pas beaucoup de télévision. Il reste qu'il est essentiel qu'on ne simplifie pas outre mesure le problème en disant: II y a des cas faciles, et ce sont les services sociaux qui s'en occupent. Il y a les cas difficiles, ce sont ceux qui sont référés à la cour. Il y a des cas difficiles pour la cour qui pourront être facilement résolus dans une approche de développement, d'aide à la famille et qui seront absolument insolubles dans un contexte judiciaire, et l'inverse est vrai. Il s'agit de trouver de façon concrète, dans tous les cas, les ressources spécialisées, soit les juges, soit d'autres types de professionnels qui peuvent apporter des solutions. On s'illusionne en faisant des distinctions entre ce qui est facile de façon générale et ce qui est difficile de façon générale. Ce n'est pas une distinction pratique. Ceci pour la première mise au point. Pour la deuxième mise au point, il me semble que cette discussion sur les plaintes, parce que nous avons commencé par une discussion sur les plaintes du conseil de surveillance, nous a un peu éloignés de l'objectif que l'on poursuit ou que l'on peut poursuivre par un conseil de surveillance. Tout le monde dit: On ne veut pas compliquer davantage un réseau déjà compliqué. J'en suis absolument, si on ne veut pas de conseil de surveillance, je n'en veux pas plus que cela.

Il reste une chose, c'est que l'on s'accorde aussi, et c'est assez étrange, sur l'idée qu'il faut trouver un moyen d'intéresser des personnes qui ne sont pas à l'emploi de tous ces organismes officiels au sort des enfants qui ont des problèmes et au sort des familles chez qui se trouvent de tels enfants. On a tous le sentiment que les enfants qui ont des problèmes ne sont pas seulement les enfants de leurs parents, mais un peu les enfants de la collectivité, de la communauté, et que c'est cette communauté qui doit nous aider a trouver les solutions aux problèmes de prédélinquance, aux problèmes de délinquance, aux problèmes d'abandon, etc. D'ailleurs, c'est au nom de ce principe qu'on proclame qu'il faut dénoncer, que la collectivité, que chacun d'entre nous doit dénoncer des abus soupçonnés ou des mauvais traitements.

Comment intégrer cette préoccupation à des organismes officiels, etc.? Toute suggestion est bonne, mais il ne s'agira pas seulement de dire d'une part qu'il faut intégrer les gens dans le fonctionnement de tous ces organismes, qu'il faut intégrer le public, et, d'autre part, dès qu'on suggère une solution qui, évidemment, va prendre l'aspect d'une structure, je ne sais pas quel autre aspect on peut lui donner, on dit: Ah non! il ne faut pas de structure. Il va falloir faire un choix à un moment ou l'autre entre pas de structure et pas de participation, parce qu'on ne peut pas participer comme cela par un jeu pieux.

Encore une fois, si cette formule n'est pas acceptable, je n'y tiens pas plus qu'il ne faut, mais il va falloir à un moment ou l'autre que les membres de cette commission, et peut-être que les groupes

qui trouvent à redire à cette formulation, nous suggèrent une meilleure idée, parce qu'il doit bien y avoir une meilleure idée. Je crois que c'était la deuxième mise au point qu'il m'apparaissait nécessaire de faire à ce moment.

La question des plaintes est secondaire. Oublions-la. Les autres fonctions du conseil de surveillance, qui est d'informer la population et la faire collaborer au travail de la protection de la jeunesse, comment lui donne-t-on un contenu concret? Là-dessus, je suis prêt à accepter, même d'avance, toute suggestion vraisemblable qui pourrait être faite.

M. Choquette: Mais...

Le Président (M. Houde, Limoilou): Excusez! Actuellement, il est 10 h 7. Il y a encore deux organismes qui attendent afin d'être entendus. Je demanderais aux membres de la commission s'il y aurait possibilité de faire diligence pour ne pas trop retarder les...

M. Choquette: Seulement une observation à la suite de l'intervention du ministre. La participation est assurée au sein des comités locaux d'orientation, et on n'a pas besoin de l'assurer doublement par des conseils de surveillance...

M. Forget: D'une personne.

M. Choquette: Bien non, ce n'est pas une personne. Ce sont plusieurs personnes au sein des comités locaux d'orientation. Ce sont justement les citoyens qui s'intègrent à un noyau constitué par un représentant du ministère des Affaires sociales, un représentant du ministère de la Justice. Ce n'est pas une personne, mais c'est le palier additionnel de surveillance de ces comités locaux, alors que la commission peut très bien jouer le rôle de surveillante des comités locaux.

Il n'est pas dit qu'il n'y a pas de surveillance. Donc, je pense que, si le ministre tente de nous lancer sur une voie qui ignore la participation ou qui fait que la participation doive avoir lieu à tous les niveaux, il ne faut quand même pas multiplier les niveaux pour assurer la participation.

Je pense que la participation a une valeur en soi, et au niveau des centres d'orientation locaux. On n'en a pas besoin au niveau des conseils de surveillance.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable...

M. Choquette: Quant à sa première observation, je pense, M. le Président, que cela se passe de tout commentaire. Il n'y a rien à répondre à ce que le ministre a dit lorsqu'il a dit qu'il y a des cas banals ou des cas difficiles et graves. Je sais très bien qu'il y a des cas qui peuvent aller très loin, même si, au départ, ils peuvent paraître assez peu importants et assez modestes. Mais je sais que, dans la vie de tous les jours, on ne peut pas régler les choses par des structures et des officiers de justice, ou même des officiers du ministère des Affaires sociales pour régler tous les cas qui peuvent se produire, et que les conflits doivent trouver une manière de se régler, en somme, qui soit tout à fait naturelle. C'est tout simplement sur cet aspect que je voulais insister, au départ, quand je faisais état du rôle de la police dans certaines circonstances, du rôle de travailleurs sociaux, enfin, du rôle d'un certain nombre de personnes qui ont une fonction, qui sont amenées à donner des conseils, à orienter les gens, à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, sans soulever une question de règlement qui n'aurait pas affaire ici, je voudrais quand même vous signaler que nous n'aurons probablement pas le temps d'entendre les deux autres groupes qui restent, et je pense que personne ne nous en tiendra grief, même si nous devons quand même nous excuser. L'importance du sujet fait qu'a ces personnes, que nous devrons peut-être voir à une autre occasion, nous accorderons également la même attention et nous discuterons aussi sérieusement, je pense, que nous l'avons fait avec ceux qui sont venus, depuis le début de la matinée, nous rencontrer. Je pense qu'il leur sera préférable, quitte à refaire un voyage à Québec, si cela a été occasionné pour eux, d'avoir l'occasion de voir leur mémoire sérieusement étudié par la commission, plutôt que de le bâcler en quinze minutes, ce qui anéantirait beaucoup d'efforts qu'ils ont faits. Je pense qu'ils ne nous porteront pas grief parce que les députés étudient attentivement et discutent avec des gens que nous n'avons pas souvent l'occasion de rencontrer, qui oeuvrent dans les milieux qui nous sont — je pense que la preuve en a été faite, aujourd'hui, par la teneur des discussions — très à coeur, et de profiter de leur passage pour nous informer également sur ce qu'ils vivent et ce qu'ils ont à nous donner, pour que nous fassions la meilleure loi possible ensemble.

Ceci dit, M. le Président, ayant justement l'Association des CSS avec nous, il y a un aspect, que j'ai mentionné ce matin, que je veux aborder avec eux, avant que nous nous quittions.

L'article 66 de l'avant-projet de loi fait directement mention d'un rôle que les CSS auront à remplir dans l'hypothèse où l'avant-projet de loi deviendrait une loi du Québec.

Sur les mesures volontaires qui seraient acceptées selon les volontés précédemment décrites dans les articles précédents, on dit qu'advenant entente sur une mesure volontaire, le centre de services sociaux doit prendre les mesures appropriées pour faciliter la réalisation des conditions inhérentes aux mesures volontaires et pour faciliter l'accès à toute personne ou établissement pouvant en faciliter l'exécution.

Cela a l'air de rien, ce paragraphe de l'article 66, mais c'est le jus du problème, à mon avis.

Effectivement, actuellement, les centres de services sociaux — et c'est pour cela que je relie

autant leur expérience du présent que les responsabilités futures qui leur incomberaient à partir de la loi — sont responsables, sur les différents territoires que la loi 65 ou la réglementation inhérente leur a définis, des admissions dans les centres d'accueil.

Ce n'est pas une mince question. Je ne veux pas parler des foyers d'hébergement pour personnes âgées, parce que la discussion s'allongerait, mais je veux uniquement, m'en tenir aux centres d'accueil pour ces jeunes, ceux que nous avons mentionnés ce matin.

Quand je dis que je suis dans le jus du problème, je m'explique en une minute. Toute cela, tout ce qui est à l'avant, tout l'échafaudage de garanties, d'affirmations de droits et de conceptions de la jeunesse et du jeune en état de délit ou en état de démêlé avec la justice, aboutit par une loi qui veut être libérale, ouverte, nettement améliorée sur des projets précédents à ce sujet d'achoppement. Car, quelles que soient les dispositions que les députés mettent pour faire que le traitement soit le plus intégral possible à la personnalité du jeune, donc aux droits de l'enfant que nous nous serons appliqués dans des articles précédents à définir et aux droits des parents et aux droits de la société inhérente, il restera toujours que le jeune en état de délit ou en état de conflit avec la société, avec sa famille ou, à l'occasion, avec lui-même et avec son propre développement, devra, à un certain moment, s'il signe ou s'il accepte une mesure volontaire précédemment nommée, voir son sort et tout le cheminement qui l'aura conduit jusque-là, aux mains d'un CSS. Car, du cheminement de mesures volontaires qu'il aura fait, de l'endroit où il aura accepté volontairement un traitement à partir du CLO et par les tâches que le directeur se voit affecter dans la loi même, on aura convaincu le jeune d'accepter ce genre de traitement pour lui éviter le plus possible tout le procédé judiciaire.

Il reste que ce sera au CSS de lui trouver une place, à faciliter, dit-on, la réalisation des conditions inhérentes aux mesures volontaires et pour faciliter l'accès à toute personne ou établissement pouvant en faciliter l'exécution, ce qui remet tout le problème des centres d'accueil sur le tapis.

Quel que soit notre intérêt à faire que ces mesures soient le plus volontaires possible, il reste à nous demander si les CSS de Montréal, de l'Estrie, du Nord-Ouest québécois, de la Gaspésie, des Iles-de-la-Madeleine, ceux qui sont les cosignataires de ce mémoire, peuvent informer les membres de la commission aujourd'hui que, dans le contexte actuel du partage des pouvoirs tels qu'ils les ont en vertu de la loi 65, chapitre 48, auquel vous vous êtes vous-mêmes référé peuvent accomplir ce mandat que la loi leur demandera d'accomplir dans l'intérêt des enfants.

Est-ce possible, aujourd'hui, à un CSS? Prenons celui de Montréal puisqu'on y a largement fait allusion depuis le début de la matinée. Je n'ai aucune objection à l'étendre à une autre région de la province. Au contraire. Je pense que la discussion l'exigera.

Mais est-ce que le CSSMM est en mesure de répondre à cet objectif aujourd'hui, dans le réseau des institutions, centres d'accueil pour jeunes, sur le territoire de Montréal, incluant toute la région 6 et toutes les ressources sur ce terrain?

Est-ce qu'il y a des maisons adaptées à chacun des besoins que le directeur sera en mesure de préparer dans le cheminement qu'il mènera avec l'enfant et au besoin avec les parents, tel que la loi le stipule dans les articles précédents? Un jeune, perturbé, venant de commettre peut-être un délit mineur, mais où visiblement certains troubles psychologiques majeurs ont marqué sa tendre enfance, pour employer l'expression classique, ou le début de son adolescence... Un autre cas, une famille d'alcooliques, divisée, une famille de criminels d'où on pense le retirer. Tous ces cas, tous ces êtres humains apportant chacun un problème particulier et nécessitant en même temps une solution particulière, est-ce que le réseau des institutions d'affaires sociales, tel qu'il est établi pour les jeunes dans le territoire de Montréal est suffisant, adéquat, ouvert? Est-ce qu'on a, dans les centres d'accueil, le personnel compétent, qualifié, suffisant pour faire que tout ce long cheminement qui vous aboutira dans les mains à un moment ou à un autre, connaîtra une suite qui — ce sera le voeu de toute l'Assemblée lorsqu'elle votera cette loi — assurera aux jeunes une réhabilitation la plus rapide possible et la plus profonde possible? C'est cela la question.

Je disais, ce matin, que si nous faisons tout ce projet de loi qui conduit les jeunes jusqu'à la porte du centre d'accueil sans que cette commission se pose des questions sur ce qui va leur arriver dans le centre d'accueil, nous aurons été, à l'égard de la population en général, mais à l'égard des jeunes en particulier, de ceux dont on parle, d'une culpabilité dégoûtante. Nous ne pouvons pas faire que le processus qui y conduit soit le plus souple, le plus démocratique possible, si à l'intérieur, comme j'en ai vu à Berthelet, des enfants de douze et treize ans sont enfermés à clef dans des cellules de six pieds sur huit pieds et ce, pas construit au moyen âge, construit en 1972, sous le régime libéral actuel. Si tout cela est fait pour qu'on vous remette à vous, les CSS du Montréal métropolitain, le devoir de prendre un jeune de cet âge, quel que soit son cas particulier, et de le remettre dans une prison pour enfant ou de le remettre au monde, ou de la remettre, si c'est le cas d'une jeune fille, à Notre-Dame-de-Laval dans les conditions que l'on sait et qui ont été connues, est-ce que nous avons vraiment fait l'oeuvre, à ce moment-là? Ma question est donc la suivante, M. le Président. Est-ce que les CSS sont capables, dans l'état actuel du réseau, de répondre à cette obligation du deuxième paragraphe de l'article 66?

M. Perreault (Jacques): M. le Président, la question est précise tout en étant globale. J'aimerais que cette question soit également posée à l'Association des centres d'accueil lorsqu'elle viendra à cette commission.

M. Charron: Ne vous inquiétez pas.

M. Choquette: C'est plutôt au ministre des Affaires sociales...

M. Charron: Elle sera posée au ministre des Affaires sociales aussi.

M. Choquette:... c'est lui qui a la responsabilité de donner toutes ces instructions dont vous parlez.

M. Perreault (Jacques): Ceci dit, d'après le chapitre 48, vous avez raison quand vous dites qu'il y a une liaison formelle qui doit se faire entre les centres d'accueil d'une région et les centres de services sociaux, à savoir que le centre de service social d'une région doit être une plaque tournante en termes, d'une part, de connaissance des ressources et de coordination des ressources. D'accord? Si vous me demandez... Il y a quelques questions dans votre question. Est-ce que, actuellement, les centres de services sociaux ont pu atteindre cet objectif? Je vais vous répondre: Pas encore. Je vais vous rappeler que les centres de services sociaux ont quand même une existence relativement courte. Ils ont été créés légalement il y a deux ans ou deux ans et demi.

Fonctionnellement, ça fait à peine un an que ces problèmes, et principalement dans une région comme celle de Montréal, sont abordés, dans un système de "partnership" où le CSS pourrait contrôler — si vous me permettez deux mots — l'entrée dans les centres d'accueil et contrôler également les sorties dans les centres d'accueil, avoir une connaissance quotidienne. Je vais vous répondre qu'on ne l'a pas encore complètement. Il y a des réseaux de centres d'accueil dans lesquels on n'est pas entrés encore, et je pense que c'est explicable historiquement. Pour les réseaux de centres d'accueil auxquels vous faites allusion, quand vous parlez de Berthelet et de Saint-Vallier, le centre de service social du Montréal métropolitain, puisque que c'est de celui-là que vous parlez, commence à entrer dans ces centres, parce que le placement dans ces centres n'était pas assumé par lui jusqu'à maintenant.

M. Charron: II était assumé par qui?

M. Perreault (Jacques): II était assumé par les services de probation et, comme on le sait, les services de probation, qui sont une partie des services à la cour, vont être intégrés aux centres de services sociaux le 1er avril. C'est donc dire que, pour la première fois, il va y avoir un organisme qui va pouvoir coordonner l'ensemble des services à la cour.

M. Choquette: Est-ce que vous voulez dire, messieurs — excusez-moi de vous interrompre — que Berthelet dépend des services de probation?

M. Perreault (Jacques): Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Choquette: C'est ce que j'ai compris, cela me paraît assez inexact.

M. Perreault (Jacques): Je vais reprendre si c'est ce que vous avez compris. J'ai dit que le placement dans ce type de centre était assumé et l'est encore jusqu'au 1er avril par les services de probation et les juges de la Cour de bien-être, directement. Ce que je dis, c'est que...

M. Choquette: L'institution dépend de qui? Pas qui envoie qui quelque part; le centre lui-même appartient à qui?

M. Perreault (Jacques): II est régi par un conseil d'administration selon le chapitre 48.

M. Choquette: Qui est responsable.

M. Perreault (Jacques): Le conseil d'administration du centre.

M. Choquette: II répond à qui, ce conseil d'administration?

M. Perreault (Jacques): D'une part, à la population et, d'autre part, au ministre des Affaires sociales.

M. Forget: M. le Président, j'aimerais interrompre les questions du député d'Outremont. Il est clair que le député d'Outremont veut impliquer, par ses questions, que l'admission dans les centres d'accueil, en particulier ceux qu'il mentionne, est une responsabilité du ministre des Affaires sociales. Je pense que c'est...

M. Choquette: Je n'ai jamais voulu impliquer une telle chose.

M. Forget: ... au moins ce que j'ai cru comprendre et ce qui...

M. Choquette: Non.

M. Forget: ... peut-être se dégageait. Je suis heureux...

M. Choquette: Pas du tout!

M. Forget: ... qu'il le mentionne, qu'il le nie, puisque ce n'est pas strictement la situation, comme il le sait. Ce n'est pas plus vrai, même si les hôpitaux, pour employer une analogie, sont sous la même responsabilité, que l'admission d'un malade est décidée par le ministre ou par un agent du ministre. Il y a des procédures d'admission qui sont sous le contrôle, très décentralisé dans ces cas-ci, qui résultent essentiellement de décisions prises largement dans le cadre du fonctionnement de la Cour de bien-être social.

M. Choquette: M. le Président, je trouve que ce genre de discussions est absolument scandaleux parce que ça indique une mentalité générale d'éviter les responsabilités là où elles doivent être.

Le centre est un centre qui est nettement et clairement sous la responsabilité du ministre des Affaires sociales et ne cherchez pas à éviter vos responsabilités. Je n'ai pas dit que l'admission ne dépendait pas d'autres groupements, que ce soit la Cour de bien-être social ou que ce soit d'autres organismes qui aient le pouvoir d'aller faire héberger des enfants à cet endroit. Il est évident que ça prend des endroits pour les envoyer. Mais tout ce que je voulais déterminer avec précision, à la suite des questions posées par le député de Saint-Jacques, c'est qui se compte responsable de ce centre qui n'arrête pas de faire parler de lui et que le député de Saint-Jacques nous a décrit. C'est ça la question: Qui est responsable? Et on n'arrive pas, dans votre dialogue, dans votre discussion, dans votre façon d'aborder les problèmes, à déterminer qui va porter les responsabilités pour le genre de traitements qu'on y donne. C'est tout simplement ça que je voulais souligner.

M. Forget: Si vous n'obtenez pas de réponse claire, c'est que vos questions sont ambiguës, parce que la responsabilité dont vous me parlez est clairement celle du ministre. C'est une responsabilité de financer adéquatement et d'organiser adéquatement ces services.

Parmi les responsabilités figure justement celle de déterminer par quelle procédure et qui décidera des admissions. La raison pour laquelle nous avons préparé un avant-projet de loi, c'est pour changer cette procédure et la faire fonctionner de façon plus satisfaisante.

Donc, cette responsabilité n'est pas niée, mais elle s'exerce par un canal bien déterminé que nous voulons changer.

M. Choquette: Mais il faudra toujours qu'il y ait des institutions de ce genre. Je ne dis pas de cette catégorie au point de vue de la qualité, mais je veux dire de ce genre-là. Ce sera toujours nécessaire dans toute société. Il y aura toujours quelqu'un qui sera responsable de ce genre d'institution.

Tout ce qu'on voulait savoir et ce que le député de Saint-Jacques voulait savoir est: Qui était responsable? Est-ce que c'est le CSS de Montréal ou est-ce que c'est le ministre des Affaires sociales? C'est aussi simple que cela. Il n'est pas besoin de chercher de midi à quatroze heures, qui détermine comment cette institution est dirigée, comment elle accueille les enfants? C'est aussi simple que cela. Cela fait assez longtemps qu'on joue à cache-cache autour de cette affaire, du centre Ber-thelet, des autres centres et des enfants qui s'en vont dans les prisons, que la justice est obligée d'accueillir parce qu'il ne reste plus de place dans les institutions des affaires sociales. C'est aussi simple que cela.

Les juges sont obligés de prendre les cas qui leur arrivent et, s'il y a des cas de garçons de seize ou dix-sept ans qui ont commis des hold up, ils ne sont pas pour les lâcher en circulation automatiquement. Cela ne veut pas dire que les juges n'ont pas leur responsabilité dans leur genre, mais les institutions elles-mêmes, il faudrait qu'un jour on s'en occupe.

Je pense que le député de Saint-Jacques a tout à fait raison de souligner avec énormément de force ce soir que, quels que soient les beaux principes qu'on adopte dans ces lois, quels que soient les ménagements qu'on se donne de part et d'autre et cette discussion à un niveau extrêmement élevé où la protection sociale ne le cède qu'à la protection judiciaire quand elle lui cède, le député de Saint-Jacques a tout à fait raison de dire: II est temps qu'on s'occupe des institutions et que quelqu'un se compte comme responsable de ces institutions.

M. Forget: En novembre 1974, nous avons mis en tutelle le centre Berthelet. En mai de cette année, nous avons, comme gouvernement, autorisé des déboursés de $3 millions pour mettre fin précisément aux conditions de détention inacceptables et permettre la réorganisation d'unités de vie qui puissent faciliter la réhabilitation et la rééducation des jeunes. Ces responsabilités ont déjà été exercées. Sur le plan du contenu des services, un comité d'étude va nous remettre bientôt des recommandations.

J'attirerais l'attention de mes honorables collègues sur les décisions qui vont découler dans les semaines qui vont suivre le dépôt de ce rapport sur l'organisation des services et des établissements. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Saint-Jacques.

M. Charron: Non, ce n'est pas de cela et c'est de cela qu'il s'agit aujourd'hui. Nous n'avons pas, aujourd'hui, bien sûr, à discuter les décisions que vous aurez à prendre à la suite du rapport du comité Batshaw. Vous avez suffisamment attendu et ce n'est pas l'Opposition qui va vous faire grief si vous faites excès de diligence au moment où vous avez le rapport en main et que vous appliquez des mesures qui, depuis longtemps, auraient dû être appliquées.

Vous savez très bien que, depuis que vous occupez le fauteuil de ministre des Affaires sociales, ce n'est pas le dossier qui a occupé la priorité de votre attention, c'est le moins que l'on puisse dire.

Deuxièmement, c'est aussi le cas d'en discuter ce soir, effectivement. Berthelet attend encore le renouveau depuis novembre 1974. J'ai visité, dans Berthelet, des débris qui durent encore depuis novembre 1974. L'autorisation du ministère des Affaires sociales n'est même pas encore parvenue. On est venu déposer, il y a deux semaines, des soumissions ici; On n'a même pas encore eu de réponse. On n'a même pas encore la garantie qu'au début de l'année 1976, les travaux de réfection se feront.

Je ne veux pas faire ce débat uniquement sur le cas de Berthelet. Je veux, au contraire — Berthelet, on en reparlera bien particulièrement quand il se présentera à la table où sont actuelle-

ment nos invités — le maintenir étendu à l'ensemble des centres d'accueil, tel que j'avais au départ formulé ma question.

Ma question, je la reprécise et je commençais à avoir une réponse précise avant les interruptions que nous avons eues. La question est celle-ci:Est-ce qu'il y a, à Montréal, des ressources adéquates pour répondre au mandat extrêmement important et capital qui va reposer entre les mains des différents CSS dont celui de Montréal, à l'article 66, deuxième paragraphe?

M. Perreault (Jacques): Vous commenciez à avoir une partie des réponses. Je vais essayer de poursuivre en disant que, d'une part, actuellement, à Montréal, à partir de ce que je vous ai mentionné tantôt, on identifie certaines lacunes des ressources, que ce soit en centre d'accueil ou pour d'autres types de ressources alternatives. Il n'y a pas seulement les centres d'accueil et les familles d'accueil. D'accord? Je pense que c'est...

M. Charron: Vous voulez dire le travail en milieu ouvert?

M. Perreault (Jacques): Des foyers de groupes, des foyers d'accueil, des foyers de dépannage, etc. Je pense qu'il y a d'autres types de ressources qui pourraient exister autant pour les enfants pris comme individus que des services de support à la famille.

M. Charron: Si je vous soutenais que ces autres moyens n'existent en fait qu'en théorie et qu'en hypothèse, dans la tête des technocrates du ministère des Affaires sociales ou dans la tête des dirigeants de CSS... A Montréal, vous en comptez combien qui sont capables aujourd'hui d'accueillir demain des jeunes en foyers de groupes? Combien de travailleurs sociaux comptez-vous oeuvrant en milieu ouvert sur le territoire de Montréal, actuellement?

M. Perreault (Jacques): Je reviens à la question, M. le Président. Est-ce qu'actuellement, avec les données que vous avez ou que vous commencez à avoir, vous identifiez un certain manque de ressources? Je pense que j'ai répondu "oui" à cette question. Je voudrais poursuivre en vous disant qu'identifier un manque de ressources, c'est une part. Je pense qu'il y a une lacune fondamentale qui a été notée depuis de multiples années. Cette lacune a été de ne pas avoir des services d'évaluation au point de départ pour pouvoir orienter les jeunes là où ils doivent aller.

Au moment où on se parle des CSS — vous posez votre question pour le CSS du Montréal métropolitain — celui-ci est en train de mettre sur pied un service d'évaluation des cas qui agirait dès la première comparution du jeune et, si possible, avant sa première comparution, pour en arriver à une orientation qui va peut-être faire en sorte qu'un bon nombre n'iront pas dans des milieux sécuritaires de détention ou dans des prisons.

Deuxièmement, les centres de services so- ciaux — je pense que, dans ce sens, on est en avant de cette loi, pour une fois — développent actuellement des services de 24 heures. A Montréal, depuis le 4 mai, il existe des services de 24 heures dont la clientèle-cible no 1, sont les enfants en attente de comparution. Cela veut dire de 5 heures du soir à 9 heures du matin et cela veut dire les fins de semaine. Pour que ce service rende des services valables, il faut qu'on lui donne les informations.

L'expérience démontre, jusqu'à maintenant, je parle depuis le mois de mai, que nos services continus existent, que les informations sur les enfants détenus en prison, durant les fins de semaine, on ne les avait pas tout le temps. Il semble qu'il y a une quarantaine d'enfants qui passent par les cellules du quartier-général à Montréal et les cas qui nous étaient référés, ce n'étaient pas tous les cas. Je ne dis pas qu'on aurait pu trouver une solution miracle dans tous les cas. Il y avait quand même certaines ressources à notre disposition pour éviter... Et on l'a fait.

Une fin de semaine, il y a quinze jours, il y avait vingt jeunes emprisonnés au quartier-général. On s'est entendu pour déplacer nos services continus et les mettre sur place. Sur ces vingt, quatorze nous ont été référés et huit sont retournés dans leur famille ou ont été envoyés dans des centres non sécuritaires. Les six autres, on ne les a jamais vus.

Dans ce sens, je pense qu'il y a des pas qui se font. Comme je vous le dis, on existe depuis un an et il y a des pas qui se font, les pas les plus importants, je pense. Il y a du développement des ressources à venir. On pousse fort. On va continuer à pousser fort. Mais, il y a également, je pense, le fait qu'il faut prendre le problème à la base. C'est de l'évaluation et de l'orientation 24 heures par jour qu'il faut faire. Pour cela, il faut avoir la collaboration d'autres instances.

Je voulais répondre à votre question en disant que, d'après les données qu'on a, il manque des ressources pour certains types d'enfants. Les dossiers montent rapidement à ce sujet, parce que les données viennent plus vite qu'il y a trois, quatre, cinq, ou dix ans. Les services d'évaluation, à la cour, ne montent pas aussi vite qu'on le voudrait, mais il faut penser que cela fait quinze ans que les gens disent que les cas devraient être évalués à la cour. Ces cas étaient évalués par bien des personnes et étaient des fois sous-évalués.

Je pense que ce qu'on est en train de faire, c'est de coordonner ces services d'évaluation, les amplifier pour qu'il y ait une orientation au point de départ. Quand je dis point de départ, je le répète, cela peut être à la première comparution ou avant la première comparution.

M. Charron: Quelle que soit l'évaluation que fera le CSS lorsqu'il se sera doté d'un service efficace auprès des jeunes qui viennent d'être arrêtés ou qui sont en état d'être référés à un centre, il reste qu'il n'y aura toujours entre les mains, à la suite de son évaluation, que ce que le ministère des Affaires sociales lui offrira bien comme ré-

seau. Autrement dit, quelle que soit l'évaluation la plus précise que vous fassiez du jeune X, Y ou Z, vous n'aurez toujours devant vous que Berthelet, ou Boscoville, ou le Mont, ou Saint-Vallier, ou un foyer de groupe, ou la maison Saint-Jacques, ou autre... Vous ne créez rien, d'autres resssources. Le CSS du Montréal métropolitain ne créera pas d'autres ressources que ce que le ministère fera, si le ministère, pendant ce temps, travaille à niveler les centres, à retirer l'originalité d'un centre par rapport à un autre et à faire que tous les jeunes puissent être placés dans un centre à peu près sans différence, que ce soit dans un endroit ou un autre, pour le traitement qu'on lui aura fait.

Quelles seront les conséquences du service d'évaluation du CSSMM?

M. Perreault (Jacques): Ce que vous mentionnez, ce sont les différents moyens qu'on peut avoir. C'est fort possible qu'après un an... A ce moment, comme je vous l'ai mentionné et je le répète, on a identifié des lacunes. C'est fort possible qu'après un an de fonctionnement d'un service d'évaluation et de services continus, permanents, on constate qu'il y a d'autres lacunes. Je ne suis pas certain que ce sont des lacunes dans le type d'établissement que vous mentionnez. Ce sont peut-être d'autres types de choses qu'il faut développer. Je le pense.

M. Charron: Pourquoi?

M. Perreault (Jacques): Je vous l'ai mentionné tantôt.

M. Charron: Des foyers de groupe?

M. Perreault (Jacques): Je dis, d'une part, la première chose... Je pense qu'on le dit dans cela, c'est une loi d'exception. On dit, en même temps, qu'il faut mieux articuler nos moyens d'aider la famille pour que l'enfant puisse rester dans son milieu. Après cela, on parle de foyers de groupe ou de foyers d'accueil ou de dépannage ou de certains... Il y a certains centres d'accueil dont les critères de mission pourraient être modifiés. Il y a des cas de mésadaptés sociaux affectifs à Montréal qui ne passent pas par la cour. S'il y a trop de centres d'accueil d'un côté, on peut peut-être réserver d'autres places pour d'autres catégories d'enfants où il y a des lacunes identifiées, en plus d'en développer de nouvelles. C'est dans ce sens que je répondais.

M. Charron: Est-ce que vous croyez que Montréal, pour s'en tenir à ce cas uniquement, compte le personnel suffisant pour développer le genre de ressources que vous dites vouloir voir développer sur le territoire de Montréal? Est-ce que nous comptons suffisamment d'éducateurs, de psycho-éducateurs, de gens spécialisés dans la réhabilitation pour s'en aller sur ce terrain aventureux dans le domaine de la réhabilitation des jeunes qui est celui d'oeuvrer en milieu ouvert, en foyer de groupe? Est-ce que nous avons l'habi- tude, la pratique? Est-ce que nous avons les techniciens — parce qu'il va falloir les appeler par leur nom — pour oeuvrer dans ce genre de travail?

M. Perreault (Jacques): Je pense que vous soulevez un problème qu'on a cité dans le mémoire également, quand on a parlé de collaboration entre le ministère des Affaires sociales, entre autres, et le ministère de l'Education, dans le sens de développer ce personnel.

Je pense que c'est identifiable que le domaine de l'enfance où, particulièrement, la problématique des enfants qui passent devant la cour, c'est une problématique difficile, et le recrutement du personnel... Est-ce qu'on l'a en potentiel? Je pense que je pourrais difficilement répondre à cela. Mais d'une façon réaliste et concrète, c'est difficile de recruter, autant dans les CSS, et de garder du personnel pour travailler à l'intérieur de cette problématique, que dans les centres d'accueil. Je pense que vous pourrez poser cette question aux centres d'accueil aussi. Il y a probablement certains centres d'accueil qui n'ont aucune difficulté à avoir du personnel qualifié, et les centres d'accueil qui ont à travailler dans des zones plus difficiles rencontrent ce problème de personnel qui manque de formation, qui est jeune ou qui... Nous avons aussi ce problème, et on essaie de faire du perfectionnement en cours d'emploi. Je pense qu'on a commencé des choses dans les CSS à ce sujet. Pour les centres d'accueil aussi, il y a eu plusieurs recommandations de faites.

Vous parliez de Laval, tantôt. Vous parliez de Berthelet, où une insistance très forte est mise. Je pense qu'il y a une réalité — c'est du personnel aux premières années d'expérience — qui est prise en main, actuellement, par les centres d'accueil et les CSS, à savoir qu'on va mettre le paquet sur la formation de ce personnel. Mais est-ce qu'en potentiel, il sort assez de criminologues, de travailleurs sociaux, de conseillers sociaux, de psychoéducateurs, etc.? Je ne suis pas en mesure de vous donner des statistiques là-dessus. Mais avec les responsabilités qui s'en viennent, on a justement demandé qu'on se penche sur ce problème de personnel. S'il y a lieu de faire une relation avec le ministère de l'Education... Pas s'il y a lieu. Il y a lieu d'en faire, pour savoir quel type de personnel on veut et le développer en conséquence.

M. Charron: II y a aussi l'autre question, qui peut paraître anodine dans le débat, c'est la question du traitement de ces employés. Il est très difficile, à un centre d'accueil, de maintenir... Ceux que j'ai vus avaient un personnel roulant incroyable, une moyenne de six mois de stage par chaque employé. Une des raisons, c'est que les salaires sont minables pour la tâche essentielle et grave que les employés ont à accomplir, ce qui fait que cela peut paraître, à l'occasion, fort tentant pour un employé de quitter le centre pour aller se trouver un travail plus avantageux. A Berthelet, on travaille, en moyenne, à $7,200, $7,500 par année. Je n'ai pas besoin de vous dire que ce n'est rien qui attire à faire des carrières et des professions. Mais...

M. Perreault (Jacques): C'est une cause, mais je pense qu'on pourrait identifier une série de causes qui font...

M. Charron: Est-ce que je peux demander aux représentants de l'association, ceux qui parlent au nom de l'Association des CSS s'ils estiment que les CSS, à la grandeur du Québec — les quatorze CSS regroupés — ont les ressources adéquates pour remplir l'objectif du paragraphe 2 de l'article 66?

M. Lippé: Pour tenter une première réponse, je pense qu'il faut se rappeler qu'au Québec, il y a plus de la moitié de tous les enfants placés au Canada. On a 30,000 enfants placés en familles d'accueil ou en centres d'accueil, dont 70% le sont à la suite d'une décision de la Gourde bien-être social.

Les centres de services sociaux, actuellement, en ont plein les bras avec le pain et le beurre, c'est-à-dire d'assurer à ces enfants un toit, un gîte, des services décents.

Si, par le biais de la loi, de nouvelles responsabilités nous sont confiées, il faudra faire un équilibre entre ce que cela apportera aux enfants qu'on a déjà sous notre responsabilité et les nouveaux cas; mais ce qu'on espère, est qu'on puisse en arriver, dans le temps, à trouver un certain équilibre par rapport aux autres provinces du Canada. C'est une question à laquelle on n'a jamais apporté de réponse.

Pourquoi y a-t-il tant d'enfants de placés au Québec? Est-ce un trait culturel? Est-ce à cause d'une dégradation de la situation? Pourquoi? C'est la question globale qu'il faut se poser; mais nous avons, actuellement, cette responsabilité de 30,000 enfants.

M. Charron: Cela sera tôt ou tard une question budgétaire. Remplir ce mandat impliquera, tôt ou tard, un à-côté budgétaire indéniable. Les ressources actuelles et le développement de ressources de type nouveau, j'en conviens...

M. Lippé: Et il y a la réorientation de l'utilisation des ressources actuelles.

M. Charron: C'est-à-dire que pour les ressources de type nouveau comme celles que vous mentionniez deviennent séduisantes pour les honorables juges de la Cour de bien-être social, à commencer par l'honorable juge en chef lui-même, il y a beaucoup de chemin à faire, parce que c'est à peine si vous pouvez convaincre l'honorable juge en chef qu'il ne faut pas placer les jeunes à Bordeaux, ce qui fait qu'avant que vous le convainquiez qu'on peut les placer en milieux ouverts... C'est lui qui réclamait dans une lettre que le député d'Outremont a sans doute lu avec beaucoup d'émotion...

M. Choquette: A l'époque.

M. Charron: ... à l'époque. Je ne vous cite pas cela parce que...

M. Choquette: Je la connais.

M. Charron: Cela fait dur.

M. Lippé: Notre compréhension de la nouvelle loi va faire en sorte qu'aboutiront à la Cour de bien-être social beaucoup moins de cas qu'actuellement. Avant que les cas n'arrivent à la Cour de bien-être social, il y aura des processus d'intervention et c'est là-dessus...

M. Choquette: Oui, mais ce n'est pas cela qui va réduire le nombre de cas. Je pense que je dois faire une mise au point, quelle que soit la nature des lettres écrites par le juge Lavallée, dans le passé, sur lesquelles le député de Saint-Jacques revient.

Ce ne sont quand même pas les juges qui fabriquent des cas qui méritent d'être hébergés. C'est parce qu'il y a une situation sociale qu'il faut regarder froidement et prendre en considération.

Je pense qu'il n'y a rien qui fasse plaisir à des juges de la Cour de bien-être social que d'envoyer les enfants, soit dans des prisons, soit dans des foyers d'hébergement. Il ne faudrait quand même pas commencer à faire de la rigolade, même s'il commence à être assez tard.

Il faut déplorer une situation. Je comprends que c'est compliqué pourtout le monde de s'en occuper et que cela impose un fardeau très lourd, autant à ceux qui nous parlent ce soir qu'aux juges de la cour.

Vous avez abordé des moyens peut-être d'éviter l'hébergement ou l'incarcération par une analyse quelque peu plus scientifique, précise des cas. Je veux bien, mais il faut bien regarder la réalité en face.

Si nous avons plus de cas qu'ailleurs, c'est parce qu'il y a un problème qui est à la base de tout cela et qui est là et qui produit un plus grand nombre de ces cas. Remarquez que je ne dis pas cela pour tempérer ou diminuer les efforts que vous pouvez faire dans cette direction au point de vue de perfectionnement sur le plan scientifique et sur le plan humain, mais le nombre de cas demeurera toujours.

Cela ne veut pas dire qu'il ne faudra pas éviter, quand on le pourra, d'envoyer des enfants dans des milieux carcéraux ou des milieux d'hébergement.

Je pense bien que tout le monde s'entend sur cela, mais il y a, pour la société, un fardeau à soutenir et à transporter qui est lourd.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Jacques-Cartier.

M. Saint-Germain: M. le Président, on tient des discussions sur un très haut palier et qui sont très intéressantes d'ailleurs, mais, à titre de député, on fait du service social d'une façon continue et on est toujours un peu surpris du peu de coopération ou du peu d'efficacité dans les services qu'on peut rendre. J'aimerais, pour soutenir mon point, vous donner un exemple d'un cas qui me vient à l'idée, un cas bien particulier.

C'est un type que j'ai toujours connu, à La-chine, qui a une grosse famille, qui est malade, qui n'est pas trop brillant. C'est un bon gars. Il a des enfants sous sa responsabilité. C'est un assisté

social. Voilà que son fils qui est marié divorce et vient lui confier ses deux jeunes enfants de quatre ou cinq ans. Le bureau d'allocation social apprend la chose et, comme le père avait promis au grand-père de lui verser une somme mensuelle pour la garde des enfants, on a diminué l'allocation sociale d'autant, selon les règlements établis. Mais voilà que le fils n'a jamais versé un cent au père. Alors, le grand-père se trouve avec la garde de deux enfants et une allocation sociale diminuée d'autant.

Il arrive à un point où il n'a plus d'argent et il n'a plus de nourriture. Il m'appelle: M. Saint-Germain, il n'y a rien à manger dans la maison. On n'a rien à manger. Il reste quelques croûtes de pain, il reste un peu de beurre de "peanut", mais demain nous n'aurons plus rien. J'appelle l'aide à la famille, chez moi, dans mon comté, j'explique la situation, mais cela ne se fait pas facilement. Parce qu'atteindre la personne responsable, ce n'est pas facile. Mais enfin, je suis venu à bout de l'atteindre. Je lui ai demandé d'aller faire enquête. On ne pouvait pas y aller la journée même.On y est allé le lendemain. Faites-moi rapport. Elle rappelle pour me faire rapport. J'ai dit: Est-ce qu'il y avait de la nourriture? Elle me dit: Je ne sais pas. J'ai dit: Vous n'avez pas regardé dans le réfrigérateur? Elle dit: Ce n'est pas ma "job" de regarder dans le réfrigérateur pour savoir s'il y avait de la nourriture. Alors, on a fait un très beau rapport. Cela a pris au-delà d'une semaine.

J'ai dû solutionner le problème autrement, parce que c'est un fait qu'il n'y avait pas de nourriture dans la maison. On aurait pu obliger le père à remplir ses obligations, mais on n'avait pas son adresse, et c'est là que la travailleuse sociale me demande de trouver l'adresse du père. J'ai dit: C'est la fin. Si je vous dis tout ça, c'est que, dans mon comté, on dépense une fortune en aide sociale, bien que ce soit un comté relativement privilégié. Or, il ne semble y avoir aucune coopération entre les divers services et il semble n'y avoir personne pour faire la cuisine et donner une aide efficace et prompte, même à des jeunes enfants. On ne peut pas rester une semaine dans le temps des Fêtes sans nourriture dans la maison.

Si j'apporte cet exemple, c'est que, tout à l'heure, on a parlé longuement des gens qui feraient les enquêtes; or, ces messieurs n'ont pas semblé très intéressés à entrer dans les maisons, à s'enquérir des faits et à faire rapport au comité local pour prendre une décision.

Mais si le service social, à mon avis, est aussi terre à terre que ça, avec cette nouvelle loi, est-ce que vous allez au moins solutionner un problème semblable? Croyez-moi, pour le solutionner, j'ai appelé le sous-ministre qui, d'autorité, a demandé au bureau local d'assistance sociale de verser une somme supplémentaire et j'ai bien l'impression qu'il l'a fait d'autorité mais à l'encontre des règlements, sinon à rencontre de la loi. Je trouve que ce sont des situations pénibles. Cette loi va coûter encore une certaine somme d'argent. Est-ce une loi qui va pouvoir centraliser la protection, tous les responsables de la protection de l'enfance? Car l'enfance doit être protégée non pas simplement après délit ou non pas simplement si l'enfance met en jeu les intérêts ou les droits de la communauté. Il y a des enfants de quatre, cinq ou six ans qui sont sans défense. Ce ne sont pas des enfants dangereux, mais ils ont besoin d'une protection, il faut que quelqu'un s'en occupe.

M. Choquette: II y a des enfants de 16 ans ou 17 ans qui sont dangereux pour la société; les deux cas existent.

M. Saint-Germain: Oui, mais ce n'est pas le même problème, c'est un autre problème. Si je dis tout ça, c'est que c'est bien beau d'avoir des gens compétents, c'est bien beau de donner à des travailleurs sociaux ou à des employés du gouvernement des responsabilités bien limitées.

Cela leur permet, bien souvent, la bonne délimitation de ces responsabilités, d'éviter toute autre responsabilité et bien souvent, chez moi en particulier, je ne veux pas généraliser, les travailleurs sociaux, lorsqu'ils ont fait un très beau rapport et qu'ils peuvent défendre adéquatement qu'ils ont pris leurs responsabilités, tout le monde est heureux, même si tout ce travail et ces énergies dépensées restent sur papier.

Mon appel a certainement coûté de l'argent aux contribuables. Cela a pris du temps à faire ce rapport. On a fait un excellent rapport. Qu'est-ce que cela a donné? Rien. Absolument rien. Cela est resté un beau rapport sur papier.

Je peux vous garantir que celle qui a fait ce rapport, qui n'a pas été voir dans le réfrigérateur, n'a jamais été inquiète d'être en méchante position pour expliquer son comportement à ses supérieurs. Son rapport était bien fait, elle a agi selon la loi et selon les règlements.

Vous savez, on se pose des questions. Je ne veux pas me répéter, mais je dis que dans toutes ces choses-là, il faut que quelqu'un fasse la cuisine. Si vous formez des comités locaux pour protéger la jeunesse et si tout le monde veut discuter de principes et de grandes choses sur un très haut palier et si personne ne veut jamais faire de façon humaine, avec amour, la cuisine, cela va encore tourner à rien et on ne trouvera jamais qui va être responsable d'une situation donnée.

J'ai fait des appels et j'ai mis au moins une couple d'heures pour protéger ces deux enfants-là. Cela n'a pas été fait, ou cela a été fait par des voies tout à fait irrégulières, puisque c'est le sous-ministre qui a pris sur lui de solutionner la situation; il ne peut pas faire cela à la grandeur de la province, mais localement, chez moi, je ne peux pas accuser personne. Tout le monde a fait son devoir. Tout le monde a fait son possible.

M. Choquette: Personne n'est responsable.

M. Saint-Germain: Personne n'est responsable.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. Forget: M. le Président, c'est un commentaire beaucoup plus qu'une question, mais étant donné son caractère, je pense qu'on ne peut et je ne veux pas le laisser simplement sans une réaction.

La réaction que je désire exprimer vis-à-vis des propos qui viennent d'être tenus et qui font écho, quoique de façon plus concrète à des préoccupations qui sont présentes dans tous les esprits et qui, je suis sûr, sont présentes aussi dans l'esprit du groupe qui est devant nous, c'est une préoccupation essentielle.

Il est évident que le premier objectif qu'on doit avoir, c'est que des solutions soient apportées à des problèmes vécus, que des services personnels continus de qualité... Enfin, tout cela, c'est dans les lois. Comment se fait-il que nous n'obtenions pas constamment, et même pas régulièrement dans certains cas, des réponses satisfaisantes?

Est-ce qu'il s'agit d'adopter des lois? Sans aucun doute, cela ne sera pas suffisant. C'est pourtant, ici, dans cette enceinte, la seule possibilité d'action que nous ayons. Dans quelle mesure les lois peuvent-elles nous aider à développer ce sens des responsabilités, à faciliter l'exercice de ces responsabilités?

Il est clair que la conscience individuelle, la conscience professionnelle, si elle n'existe pas, on ne pourra pas la créer par des textes de loi. On perd notre temps si on croit qu'elle n'existe pas. Je suis persuadé, pour ma part, qu'il y a une conscience professionnelle, il y a un amour de leur métier par les gens qui l'exercent qui n'est pas toujours efficace, parce que personne d'entre nous est toujours efficace, mais aussi parce qu'il y a, dans les situations telles qu'elles existent dans nos lois, des empêchements à une meilleure efficacité. Au moins, c'est une avenue qu'il faut poursuivre. Nous serions sans excuse de laisser persister des situations où, les responsabilités étant mal définies, des obstacles trop nombreux nuisant à leur exercice, elles ne sont effectivement pas assumées.

Dans le texte qui est devant cette commission, il y a des dispositions qui visent... C'est l'article dont le député de Saint-Jacques a fait état lorsqu'il a souligné que tout le coeur est dans cet article. Peut-être que c'est un peu exagéré, mais je suis d'accord avec lui pour dire que c'est important. Cet article dit que le centre de services sociaux doit assurer ces services, doit prendre les moyens, donc doit avoir les pouvoirs pour assurer que les observations, l'orientation décidée par le comité local d'orientation, on va y donner suite... Donc, il faut lui donner des pouvoirs, comme organisme. S'il n'a pas les pouvoirs, il pourra constamment et éternellement dire que, n'ayant pas les pouvoirs, cela ne s'est pas fait. C'est la situation dans laquelle ces organismes se trouvent actuellement. Ils n'ont effectivement pas les pouvoirs de faire un tas de choses qu'ils devraient faire pour assumer pleinement leurs responsabilités.

Il y a donc ces éléments dans le projet. On pourra en discuter. Ils sont peut-être imparfaitement définis, mais ils sont là.

Il y a, d'autre part, un autre principe qui, à mon avis, est très important et qui n'est pas ressorti peut-être suffisamment à ce moment-ci. C'est l'imputation assez personnelle de responsabilités, et même très personnelle de responsabilités que l'on retrouve dans le projet, puisque l'on parle — et ceci même a été soulevé dans le mémoire, si cela n'a pas été fait verbalement devant la commission — c'est la responsabilité qui est attribuée au directeur de la protection de la jeunesse. L'intention est claire de personnaliser cette responsabilité. Je sais que cela pose des difficultés de caractère peut-être juridique, mais je pense qu'il est important de personnaliser les responsabilités que la loi attribue au centre de services sociaux, parce que ce n'est pas seulement le directeur qui les assume, c'est également toutes les personnes à qui il délègue à la fois ses pouvoirs et ses responsabilités face à un cas particulier.

C'est un mécanisme qui, je pense, a certains mérites, a un certain potentiel pour permettre à l'individu d'avoir véritablement le sentiment que légalement il a une responsabilité vis-à-vis d'un client particulier, qu'il doit s'assurer que ce cas qui lui est soumis reçoit une solution et qu'il doit suivre l'évolution de ce cas jusqu'à ce qu'il puisse dire: Le dossier est fermé, le problème est réglé. Je pense que c'est un mécanisme qui mérite une attention sérieuse parce qu'il est indubitable que les problèmes ne peuvent être résolus qu'à condition que quelqu'un s'en sente responsable. La responsabilité existe à plusieurs niveaux. Elle existe au niveau du ministre. Notre collègue nous l'a rappelé avec beaucoup de force et avec raison, d'ailleurs, mais cette responsabilité n'est qu'une responsabilité immanente, générale qui ne peut s'exercer dans des cas particuliers, on le sent bien. Il faut qu'elle se traduise par une responsabilité au niveau du praticien, de celui qui s'occupe d'un cas, qui ira voir au besoin si c'est le seul moyen de trouver une solution, si effectivement le réfrigérateur est vide ou s'il est plein.

Je pense que cela devra aller jusque-là, le faire lui-même ou s'assurer que c'est fait. Cette prise en charge personnelle est un élément, à mon avis, qui est destiné à répondre aux préoccupations que nous partageons tous, je pense, d'un système qui ne doit pas être bureaucratique. Ce n'est pas à un organisme de régler les problèmes d'un enfant, ce doit être essentiellement à un individu qui a, parce qu'il est partie à cet organisme, des instruments à sa disposition, mais c'est d'abord le problème d'un individu qui est résolu par un autre individu, c'est-à-dire le problème d'une personne en difficulté qui va trouver un professionnel, un praticien et qui lui dit: Aidez-moi. Si nous pouvons articuler cette responsabilité, je pense que nous pourrons peut-être arriver à résoudre les problèmes d'inefficacité réelle — je pense qu'on ne peut les nier — qui existent actuellement dans ce réseau.

M. Saint-Germain: ... être obligé de vérifier dans le réfrigérateur s'il y a de la nourriture ou s'il n'y en a pas.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Je remercie les représentants du...

M. Perreault (Jacques): Un dernier commentaire. Je souscris à ce que le ministre des Affaires sociales vient de dire. Mais je pense que, dans notre mémoire, on se montre d'accord sur ce type de mesures. On dit, et de façon répétitive, que l'avant-projet donne des pouvoirs et des responsabilités aux CSS, mais on dit: L'Etat a aussi la... Je pense que le ministre des Affaires sociales et l'Assemblée nationale ont aussi la responsabilité de décréter des priorités dans ce domaine et de fournir aux CSS, aux centres d'accueil et à tout le réseau les ressources humaines, les ressources pour les jeunes et les ressources budgétaires, pour qu'on puisse assumer ces pouvoirs.

Je pense qu'au nom des CSS, je peux dire que si on a les moyens, on va remplir nos responsabilités.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Je remercie les représentants de l'Association des centres de services sociaux du Québec et je m'excuse auprès des deux autres organismes. Disons qu'une commission parlementaire va siéger le 4 décembre. A ce moment, vous serez convoqués pour présenter votre mémoire.

La commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 23 h 8)

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