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Version finale

30e législature, 3e session
(18 mars 1975 au 19 décembre 1975)

Le jeudi 4 décembre 1975 - Vol. 16 N° 190

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse


Journal des débats

 

Commission conjointe des affaires sociales et de la justice

Avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse

Séance du jeudi 4 décembre 1975

(Dix heures treize minutes)

M. Houde, Limoilou (président de la commission conjointe des affaires sociales et de la justice): A l'ordre, messieurs!

Commission conjointe des affaires sociales et de la justice, deuxième séance. Les membres de la commission sont les suivants:

MM. Bédard (Chicoutimi); Bellemare (Johnson); M. Bellemare (Rosemont); M. Bienvenue (Crémazie); Bonnier (Taschereau); Boudreault (Bourget); Burns (Maisonneuve); Charron (Saint-Jacques); Choquette (Outremont); Ciaccia (Mont-Royal); Desjardins (Louis-Hébert); Forget (Saint-Laurent); Fortier (Gaspé); Giasson (Montmagny-L'Islet); Lalonde (Marguerite-Bourgeoys); Lecours (Frontenac); Levesque (Bonaventure); Malépart (Sainte-Marie); Massicotte (Lotbinière); Pagé (Portneuf); Perreault (L'Assomption); Saint-Germain (Jacques-Cartier); Samson (Rouyn-Noranda); Springate (Sainte-Anne); Sylvain (Beauce-Nord); Tardif (Anjou).

Alors ce matin nous entendrons immédiatement le Centre international de criminologie comparée, représenté par Mme Alice Parizeau.

Mme Parizeau, s'il vous plat!

Centre international de criminologie comparée

Mme Parizeau (Alice): M. le Président, messieurs les ministres, messieurs les députés. Le Centre international de criminologie comparée est un organisme non gouvernemental, universitaire. C'est un organisme de recherche. En ce qui me concerne, j'ai une expérience théorique, mais également une expérience pratique sur le terrain. Nous avons présenté un mémoire que nous avons envoyé et qui a été, j'imagine, distribué. Aujourd'hui je voudrais juste présenter un commentaire sur le mémoire soumis. Notre commentaire comprend trois parties. Dans la première, nous allons parler des droits des enfants. Dans la deuxième, des structures des services sociaux. Dans la troisième, des engagements des autorités responsables et, en conclusion, je tenterai de soulever les problèmes actuels et les possibilités de leurs solutions.

La première partie, les droits des enfants. Il y a la charte des droits des enfants de l'ONU, de l'UNESCO; les deux chartes sont d'autant plus vagues et imprécises qu'il s'agit de créer des normes internationales, ce qui est singulièrement difficile puisque les problèmes des enfants, comme d'ailleurs ceux des adultes, mais plus particulièrement des enfants, varient selon les contextes nationaux, socio-économiques. Une charte comme celle-là ne peut évidemment pas avoir de portée opérationnelle.

En ce qui a trait au droit des enfants de façon concrète, nous allons donc distinguer ici cinq catégories de droits fondamentaux qui ne se retrouvent absolument pas avec la charte mais qui se retrouvent avec certains articles de lavant-projet de loi sur la protection de la jeunesse qui est actuellement en discussion.

Dans ces cinq catégories, la première est le droit d'être protégé par la société. Nous croyons que le médecin qui autorise la mère à quitter l'hôpital avec son bébé et qui sait qu'elle n'est pas en mesure d'en prendre soin, pour des raisons physiques ou psychiatriques, doit assumer la responsabilité de signaler le cas aux services sociaux et de vérifier qu'ils ont pu fournir à la famille et à l'enfant l'aide adéquate.

A cet égard, un exemple concret observé sur le terrain. Une malade mentale a accouché trois fois dans le même hôpital. C'est un grand hôpital de Montréal. Elle était, de toute évidence, incapable de prendre soin de l'enfant et connue du milieu médical. Elle est rentrée quand même chez elle trois fois — trois accouchements successifs en trois ans — et n'a reçu qu'une fois l'assistance d'une aide-visiteuse, et cela pendant une période d'une semaine.

Deuxième volet de la même section — droit d'être protégé par la société — nous croyons que l'enseignant qui constate qu'un de ses élèves est "mal traité" — je devise à dessein le mot en deux parties — parce que mal vêtu, mal alimenté ou victime de coups ou encore qu'il s'absente de l'école sans raison valable doit communiquer avec les parents et signaler le cas aux services sociaux. A charge pour lui — j'insiste là-dessus — de s'informer si on a donné suite à ses recommandations.

Evidemment, nous savons tous que le contrôle des fréquentations scolaires existe au Québec. Comme nous savons, tous ceux qui ont travaillé sur le terrain, que ce contrôle se fait à retardement et fait des victimes parce que tous les enfants ont une caractéristique commune: ils grandissent et ils évoluent. Donc, un retard de trois mois ou de deux mois dans le système scolaire se solde par la perte de l'année, l'échec et le retard scolaire.

En conséquence de quoi — sur cette partie — l'article 46 de l'avant-projet de loi devrait — nous le soumettons respectueusement — être reformulé de façon que le terme "peut" soit remplacé par "doit". Cette recommandation rejoint celle déjà formulée par le juge Du-ranleau sur le banc et dans les déclarations officielles. Le juge Duranleau défendait en droit le point de vue qu'il s'agit d'assimiler l'article 46, l'article concernant la protection des enfants, à celui qui figure dans le Code criminel sur le refus de porter secours à une personne en danger.

Des précédents existent à cet égard dans la législation des autres provinces; donc, il ne s'agira même pas d'innover, cela existe, je crois, en Alberta, je m'excuse, mais je n'ai pas eu le temps de

vérifier et le juge Duranleau de l'assistance publique le mentionne.

Deuxième point en ce qui concerne les droits des enfants; droit à une irresponsabilité totale jusqu'à l'âge de quatorze ans. Nous avons suivi, déjà, cette approche quand l'avant-projet de loi de protection a été discuté il y a trois ans; à ce moment-là c'était une approche qui était considérée, par les ministres responsables, comme inconstitutionnelle; il s'agissait des responsabilités totales des enfants de moins de quatorze ans et compte tenu du Code criminel, la Loi sur les jeunes délinquants, l'établissement d'une telle irresponsabilité par une législature provinciale semblait en droit impossible.

Actuellement, étant donné que le projet de la nouvelle loi fédérale sur les jeunes qui ont des démêlés avec la justice précise dans ses recommandations 6 et 7 en page 21 de la version française, que l'âge minimum des responsabilités criminelles, en vertu de la nouvelle loi et dans le Code criminel soit fixé à quatorze ans. Etant donné qu'il y a de fortes chances que cet article soit adopté, il nous semble indispensable, dans le projet de loi de protection provincial, d'établir et de définir une dichotomie entre les enfants, c'est-à-dire tous ceux qui sont âgés de moins de quatorze ans, quatorze ans et moins, si vous voulez, et les mineurs ou adolescents, le terme importe peu, c'est-à-dire tous ceux qui sont âgés de 14 à 18 ans.

En conséquence de quoi, nous soumettons que les articles 59, 96, 90 et 108 de l'avant-projet de loi de protection devraient, si on adopte cette approche, être amendés en conséquence.

Troisième section sur le droit de l'enfant; droit à un traitement aussi équitable que celui des criminels adultes en ce qui a trait aux relations avec la police et en norme de la garde à vue. En ce qui concerne la police, l'avant projet de la loi sur la protection de la jeunesse ne précise pas les modalités de l'intervention des services sociaux auprès des forces policières ni des liens qui pourraient ou devraient, selon le législateur, exister entre eux.

L'avant-projet de la loi ne traite pas non plus, ni en termes de décision ni en termes de suggestion, de la nécessité de disposer des forces policières spécialisées. Or, étant donné ce qui existe actuellement à Montréal, où les services d'aide jeunesse, SAJ — services policiers créés avec beaucoup de difficultés d'ailleurs et qui ont opéré jusqu'à présent avec énormément de succès auprès des jeunes et qui ont fait leurs preuves — sont en pleine réorganisation.

On se demande quand une décision sera prise. Par ailleurs, la SAJ n'existait qu'à Montréal, dans sa forme précise telle qu'on l'avait à Montréal. Il y a des unités similaires à Trois-Rivières, à ma connaissance, mais il y a lieu de se demander si le projet de loi ne devrait pas élargir le cadre de la SAJ à l'ensemble du Québec en disant qu'on doit avoir des services policiers de ce type avec un commandement unifié, parce que, si j'ai bien compris, la grande discussion porte justement sur le problème du commandement unifié.

Au départ, SAJ avait un commandement unifié mais là, les hommes sont répartis dans les postes et relèvent des commandants d'unités de poste, ce qui permet de les envoyer sur n'importe quel appel au chef du poste quand il a besoin d'hommes. Donc, avoir un commandement unifié et avoir un lien avec les services sociaux qui seraient évidemment définis.

En ce qui concerne la garde à vue, l'article 55 b) de l'avant-projet de loi, nous nous permettons de soumettre respectueusement qu'il est injuste, inacceptable et qu'il devrait être supprimé. D'une part, cet article entre en contradiction avec — et c'est assez curieux — les recommandations du livre blanc du ministère de la Justice du Québec, chapitre 3, qui dénoncent la garde à vue en termes très précis et très clairs. Deuxièmement, il entre en contradiction avec les recommandations du projet de la législation fédérale sur les jeunes qui ont des démêlés avec la justice et spécifiquement avec la recommandation 10, page 23, de la version française.

Quatrièmement, section des droits des enfants: Droit pour les enfants et les adolescents à une justice aussi respectueuse de leur liberté que celle des adultes. A cet égard, il s'agit de droits fondamentaux: 1. Droit d'être libéré par le juge de l'autorité parentale déficiente ou criminogène. Le projet de loi sur la protection de la jeunesse prévoit cette mesure. 2. Droit d'être représenté par un avocat de l'assistance judiciaire en tant que personne et non pas à travers les parents. Ceci n'est pas tout à fait clair et précis dans la législation proposée. 3. Droit à ce que les audiences à la Cour du bien-être social puissent être entendues par les représentants des media d'information et singulièrement que les sentences prononcées par les juges puissent être publiées comme c'est le cas pour les adultes, à discrétion du juge de décider s'il veut ou non publier sa sentence, mais que cela devienne quand même une possibilité à laquelle notre magistrature ferait appel plus fréquemment que cela ne se fait présentement.

Il est évident pour nous que les media d'information n'auraient pas le droit de mentionner ni le nom du mineur ni de la famille concernée.

Soulevant à cet égard un seul point, actuellement, en étudiant les dossiers de la Cour du bien-être social, il est possible de retracer, à travers les sentences successives de sine die de certains jeunes, la progression constante de leurs activités délinquantes et leur gravité de plus en plus accentuée et, d'autre part, les lacunes de notre structure de placement et de traitement d'enfants chroni-quement débordée. On voit dans les dossiers à travers les sentences des juges, singulièrement les sentences sine die, que tout simplement, puisqu'il n'y a pas de moyen de placement, le juge envoie l'affaire sine die et que ça ne correspond absolument pas ni à l'acte de l'enfant ni à la situation de la famille.

Cinquièmement, droit pour les enfants à ne pas être plus stigmatisés que les adultes. Le texte de l'avant-projet de loi de protection ne stipule pas que les évaluations des enfants portées au dossier doi-

vent s'accompagner de recommandations relatives au traitement, sous peine d'être irrecevables en fait et en droit.

En effet, dans l'état actuel des choses, ces évaluations stigmatisent uniquement les enfants concernés, sans avoir aucune portée réelle. A cet égard, un exemple: on retrouve des dossiers où vous avez des mentions comme verbomoteur, psychomoteur, dépressif, perturbé grave. Evidemment, l'enfant est examiné; après avoir passé, par exemple, un interrogatoire à la police ou ailleurs, le spécialiste l'a examiné, il a indiqué psychomoteur, verbomoteur, dépressif, tout ce que vous voulez. Comme on n'indique pas en face les solutions concrètes qu'on propose en termes de traitement, ces enfants restent avec ce dossier et ce dossier, qu'on le veuille ou non, ou l'extrait de ce dossier circule. Il circule dans le milieu scolaire, il circule ailleurs.

L'enfant ou l'adolescent est estampillé, il est stigmatisé. Dans le cas des adultes, malades mentaux et apparentés, ce n'est pas possible. Il faut des opinions plus motivées, plus claires pour qu'elles soient recevables au dossier. Ceci, sur les droits des enfants.

Deuxième partie de mon exposé, des structures des services sociaux. Il semble, à la lecture de l'avant-projet de loi, que les structures, les obligations et les pouvoirs des services sociaux tels que proposés devraient, nous le soumettons comme suggestion, être mieux précisés en ce qui a trait surtout au, primo, rôle et responsabilité des divers services et les définitions qui sont dans la loi de ces responsabilités et de ce rôle, particulièrement aux articles 24, 25, 29, 42, 43, 44, 45, 73 et 90 du projet de loi.

Deuxièmement, il n'y a pas de précision en ce qui concerne la formation professionnelle des directeurs.

Troisièmement, la formation professionnelle — et cela est singulièrement plus grave — du président et du vice-président de la Commission de la protection de la jeunesse qui, en somme, doivent coiffer, si j'ai bien compris, toute la structure, n'est pas précisée. A titre d'exemple, nous pouvons mentionner la législation française. Evidemment, il ne s'agit pas de l'imiter, loin de moi cette suggestion, mais il me semble qu'il faudrait le mentionner. On précise que le directeur doit avoir — les directeurs régionaux des services sociaux tels qu'ils existent en France — un diplôme de médecin, d'avocat ou d'enseignant du niveau secondaire. Cette précaution a été prise par le législateur français pour donner le maximum de libertés professionnelles, de mobilité professionnelle au directeur, de protéger son statut, parce que par définition il est non syndiqué et non syn-dicable, d'éviter, également, les changements trop fréquents de directeurs et de leur donner un statut professionnel d'interlocuteur valable face aux autorités hospitalières, scolaires et judiciaires.

Etant donné qu'on est en train de créer un système social parallète — c'est ce qui est le plus intéressant dans la philosophie de l'avant-projet de loi — et non pas soumis au système judiciaire comme cela existe actuellement, il me semble urgent de reconnaître que le président et le vice-président de la Commission de la protection de la jeunesse doivent avoir des caractéristiques définies par la loi et une permanence définie par la loi. Par exemple, dans les caractéristiques, leurs origines et traditions québécoises et francophones, ceci parce qu'il n'est pratiquement — selon les théoriciens du moins — pas possible de comprendre une sous-culture des jeunes ou une anticulture des jeunes si on n'est pas issu de la même culture qu'eux. Deuxièmement, leur connaissance du droit; troisièmement, leurs connaissances dans le domaine de l'enseignement.

Là, je voudrais ouvrir une parenthèse. L'enfant, par définition — tous ceux qui ont moins de 14 ans, si cette définition devait être acceptée — vit dans deux milieux, c'est ainsi depuis que nous avons l'enseignement scolaire obligatoire, familial et scolaire.

Qu'on le veuille ou non, c'est l'enseignant qui le voit toute la journée. C'est l'enseignant qui est capable de l'évaluer, tout simplement à travers la fréquentation quotidienne de deux êtres, même si les classes sont surchargées. Il me semble que le lien entre les services scolaires et les services sociaux et toute la procédure ne sont pas établis dans l'avant-projet de loi, ce que prouve singulièrement l'article 116 qui dit que "lorsqu'une période d'hébergement obligatoire se termine en cours d'année scolaire, le centre d'accueil doit continuer à héberger l'enfant jusqu'à la fin de l'année scolaire, si l'enfant y consent..."

Il y a des enfants qui sont plus heureux dans un centre d'hébergement — je veux bien l'admettre — ou dans un centre d'accueil, mais d'une manière générale, pour beaucoup d'enfants, cette mesure est perçue comme une mesure privative de liberté, même si leur famille est inadéquate.

Il me semble qu'en tant qu'adultes nous ne pouvons quand même pas demander à l'enfant d'accepter une mesure qui, pour lui, est ressentie comme une peine privative de liberté, sous prétexte que, pour son bien, il doit continuer son enseignement scolaire. Parce que, psychologiquement, c'est le dégoûter de l'école, une fois pour toutes, et humainement, cela ne paraît pas tout à fait logique. Il paraîtrait plus logique, bien que, je l'admets, beaucoup plus difficile, d'établir un lien scolaire, un lien entre les services scolaires proprement dits, le centre d'accueil et les autres centres d'hébergement des jeunes.

Troisième partie: De l'absence d'engagement des autorités responsables. A travers l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse, le ministère des Affaires sociales s'engage à créer ou à compléter des services sociaux. Mais il n'y a là aucun engagement en ce qui a trait aux problèmes qui sont actuellement, et depuis plusieurs années déjà, cruciaux: création de services d'accueil et d'hébergement, droit à l'enseignement plein et complet et l'organisation d'une collaboration systématique étroite des services sociaux avec le service d'enseignement, dont je parlais tout à l'heure.

En ce qui concerne le ministère de la Justice,

on retrouve le seul engagement précis dans son livre blanc — c'est assez curieux — au chapitre 3 où le ministère de la Justice promet la création de petits centres sécuritaires pour les enfants dont le traitement l'exige.

Pour conclure, nous signalons que nos remarques s'inspirent à la fois des études comparatives théoriques et des expériences concrètes et qu'il nous semble qu'il n'y a aucune raison que la Législature provinciale québécoise ne puisse innover dans le domaine de la protection de l'enfance.

Singulièrement, ne serait-ce que parce que, pour nous, en tant que collectivité, c'est un problème crucial. Tout le monde sait que le taux démographique baisse. Tout le monde sait que lorsque nous avions des familles de douze enfants, on pouvait se permettre d'en détériorer 10 ou 11, si on en sauvait un.

Evidemment, ce n'était pas la meilleure solution. Mais sur le plan strictement démographique, notre progression continue. Compte tenu de la diminution du taux de natalité, compte tenu que ce taux de natalité ne se maintient, on augmente peu dans les milieux qui ont le plus de problèmes dans l'éducation de leurs enfants parce qu'ils sont désavantagés. Et parce qu'ils ont des difficultés socio-économiques et culturelles, ils sont inadaptés culturellement aussi.

J'imagine que dans nos politiques provinciales, le problème des enfants est particulièrement important, beaucoup plus important probablement que dans d'autres contextes socio-économiques.

Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Merci, M. le Président. Je remercie madame Parizeau. C'est un exposé très détaillé et je profite de l'occasion pour prendre note de vos remarques relativement à l'opportunité d'une meilleure concordance avec la législation fédérale nouvelle.

J'ai fort peu de questions à vous poser, sauf peut-être relativement à un ou deux articles où vous avez, après d'autres groupes, exprimé le soin — après d'autres groupes, mais qui ne se sont pas tous exprimés de la même façon sur le sujet, en particulier relativement à l'article 46 — de voir au premier alinéa, le mot "peut" remplacé par le mot "doit". C'est cette obligation de dénonciation sur laquelle plusieurs groupes se sont prononcés, soit pour, soit contre. Je suppose que de la suggestion que vous faites, il s'agisse d'une obligation, comme vous l'avez dit, qui repose sur la notion des mauvais traitements d'ordre moral qui sont aussi importants, aussi dommageables pour l'enfant que ceux d'ordre physique et je suis porté à être d'accord avec vous sur la question précise.

Il demeure qu'il existe un risque d'une appréciation subjective de ces facteurs. C'est un risque que certains groupes ont souligné en faisant paraître le spectre d'une dénonciation généralisée pour des motifs futiles, mais ce n'est pas l'aspect sous lequel j'aimerais que vous fassiez des commentaires.

A supposer que nous ayons une obligation dans la loi, comment pourrions-nous être sûrs que la loi n'est pas respectée dans des cas particuliers? Autrement dit, ne serait-il pas très facile de poser une défense à cette obligation si nous avions des indications qu'il y a eu une négligence et un non-respect de la loi dans un cas particulier? Ne serait-il pas toujours très facile de poser la défense que, selon la conception que la personne incriminée se fait des bons traitements d'ordre moral ou psychologique, il n'y avait pas là de quoi fouetter un chat? Je pense qu'un tribunal serait dans une position assez difficile d'avoir à définir dans tous les cas ce genre de comportement qui repose sur des valeurs, sur des conceptions forcément différentes.

Mme Parizeau: M. le ministre, il y a deux aspects à l'article 46. Un aspect que vous êtes en train de soulever, la chasse aux sorcières. Evidemment, ce sont des théories très théoriques, professionnelles. La collectivité québécoise n'est pas du tout une collectivité portée sur la chasse aux sorcières, sur le plan strictement des analyses théoriques. Sur le plan des expériences pratiques, il y a le comité de protection des enfants maltraités qui a été créé par le ministère de la Justice, qui fonctionne depuis deux mois et qui ne relève pas de cas de chasse aux sorcières. Les rapports qu'ils ont eu jusqu'à maintenant ne sont pas des rapports de chasse aux sorcières.

Deuxièmement, nous avons créé, moi-même avec deux autres administrateurs, un organisme bénévole de protection de l'enfance, la Société québécoise de la protection de l'enfance et de la jeunesse, SOPEJ. Nous avons fonctionné pendant un an, à partir de novembre 1974, sans aucune subvention, avec un service de 24 heures par jour. Nous n'avons pas du tout dans nos relevés, que nous pouvons vous soumettre, de dénonciation dans le sens de chasse aux sorcières, ceci en ce qui a trait aux expériences pratiques. Elles sont un peu courtes, je vous l'accorde. Un an, ce n'est pas suffisant, et les deux mois du comité non plus. Il n'en reste pas moins que, si vous craignez la chasse aux sorcières, on pourrait fort bien prévoir, dans l'article 46, deux catégories et impliquer directement, dans le sens "doit", les professionnels, concrètement les médecins et les enseignants, mais singulièrement les médecins.

Actuellement, toutes les femmes du Québec sauf exceptions, accouchent dans les hôpitaux. Les médecins constatent que ces personnes sont incapables d'assurer les soins adéquats à leurs enfants. Vous vous souvenez du fameux drame d'un enfant enfermé dans une garde-robe. Cela s'est passé l'année dernière. Cela a été rapporté par les media d'information. Ce que le juge ne voulait plus dire et ce que les media d'information ne voulaient plus rapporter, parce que c'était trop sinistre, c'est que c'était le troisième enfant dans la même famille. Ces trois enfants ont été mis au

monde dans le même hôpital. Le médecin connaissait fort bien la mère et savait fort bien que cette personne n'est pas psychologiquement capable d'assumer certaines responsabilités.

En ce qui concerne les cas concrets, il y a le cas que je vous ai cité tantôt, le cas de la mère qui a eu trois enfants, malade mentale qui, pendant les rares moments de lucidité, appelait à l'aide tous les services sociaux possibles et impossibles de Montréal. Elle, également, a eu ses trois enfants dans un milieu hospitalier. Le médecin qui l'a sortie de là, qui l'a aidée à accoucher, a bien constaté qu'elle était malade mentale.

Alors il faudrait bien que dans notre société, si on parle de la protection de l'enfance, vraiment, et des droits des enfants à être protégés, les protecteurs naturels, les médecins qui procèdent à l'accouchement, prennent leurs responsabilités. C'est dans ce sens. Si vous craignez une chasse aux sorcières, on peut fort bien avoir deux catégories. Pour les professionnels, "doit", une loi assimilée à celle du refus de porter secours à une personne en danger, comme le disait le juge Duranleau, et pour les voisins, les amis, les gens, pour éviter, comme vous le disiez, les conflits des valeurs qui peuvent exister, on peut fort bien laisser le terme "peut".

M. Forget: Je vois. Je suis content que vous mentionniez ce cas qui a attiré beaucoup d'attention l'an dernier; je crois qu'il est approprié de mentionner, dans ce contexte-ci, que ce même cas a entraîné l'action des comités de discipline des deux corporations professionnelles impliquées et qu'à ma grande surprise les deux comités de discipline ont jugé que l'action des professionnels impliqués était au-dessus d'un reproche.

J'ai eu l'occasion de discuter de cette décision avec un certain nombre de groupes, parce qu'elle m'inquiète. Elle m'inquiétait encore davantage il y a quelque temps, parce que je ne voyais vraiment pas les raisons de cette indulgence. On a cependant attiré mon attention sur le fait que, tant et aussi longtemps qu'un professionnel s'occupe d'une personne, qu'il a le sentiment qu'il peut aider cette personne, il peut être excusable de ne pas faire intervenir un processus de dénonciation, un processus judiciaire dans son traitement. C'est peut-être un argument valable, je ne suis pas sûr qu'il soit entièrement valable dans tous les cas et dans les cas d'une telle gravité.

Il demeure que certains groupes ont suggéré qu'il soit concevable qu'un professionnel soit soumis à une obligation de dénonciation, dans un cas comme celui-là, seulement dans les circonstances et au moment où il perd contact avec la famille ou avec l'enfant, c'est-à-dire, pour une raison ou pour une autre, soit que la famille décide de ne plus avoir recours à ses services, qu'il perd contact avec eux, soit qu'ils déménagent et qu'à ce moment-là intervienne pour lui une obligation, si le problème, à son avis, n'a pas été réglé et que les manifestations de ces comportements sont susceptibles de se produire encore, qu'à ce moment-là, au moment où il ferme son dossier, en quelque sorte, que l'obligation s'applique à partir de cet instant. Je ne dis pas quel commentaire vous feriez à cette suggestion.

Mme Parizeau: M. le ministre, les professionnels, si on veut bien désigner les travailleurs sociaux qui étaient impliqués dans le champ, ne sont pas responsables de la situation. Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été décidé. Le responsable de la situation c'est le médecin qui a accouché la personne en question, sachant qu'elle est malade et qui aurait dû, tout de suite, recommander aux services sociaux le problème d'un placement d'une surveillance au foyer ou d'une aide au foyer.

Deuxième élément de la même question; si on décidait, dans la loi de protection de l'enfance québécoise, les responsabilités totales de tous les enfants de moins de quatorze ans, c'est un modèle suédois qu'on est pas obligé de prendre tel quel, on pourra l'adopter à nos besoins, de toute façon transmettre les modèles théoriques ne donne jamais de résultats très valables. Il n'y a pas de raison qu'un cas comme cela aille à la cour, parce que si tous les enfants de moins de quatorze ans sont considérés en droit comme totalement irresponsables, ils sont traités uniquement dans le cas de protection des services sociaux et dans ce cas-là votre président, le président de la commission, et son vice-président, avec un quorum adéquat, décident de la mesure à prendre. Cela c'est le complément à l'aide judiciaire.

Alors, pour prendre l'exemple concret de ces trois enfants, dès l'accouchement du premier, le professionnel — le médecin, j'entends — en vertu de l'article 46 aurait été obligé de rapporter la chose au président de la commission, de la signaler, le président de la commission aurait fait les vérifications d'usage à travers les services sociaux et décidé qu'on ne peut pas confier un enfant à une personne déséquilibrée.

Cela n'exclut pas tous les traitements très humains des parents anonymes qui sont un modèle que nous avons adapté des Etats-Unis mais enfin, humainement, est-ce qu'on peut concevoir des thérapies de groupe de parents anonymes? Il ne s'agit pas là d'alcooliques, il ne s'agit pas des AA; il s'agit d'adultes auxquels vous confiez des mineurs absolument incapables de se défendre. Alors, avoir des thérapies de groupe tous les soirs — tous les soirs, cela se fait une fois la semaine, une fois par mois, mais supposons que cela se fait tous les soirs — suppose que la personne qui a été soumise à la thérapie de groupe retourne chez elle et, en tant que spécialiste, vous n'avez aucune garantie que, deux heures plus tard, elle ne va pas battre à mort l'enfant en question. Vous savez, comme moi, que dans le domaine strictement de la science, ce sont des impondérables totaux. Ce n'est pas une appendicite qu'on opère; ce n'est pas non plus un bras cassé qu'on met dans le plâtre.

Par conséquent, il serait normal, dans un cas comme cela et en dehors de tout contexte judiciaire et répressif, strictement dans la structure des services sociaux, à partir de la décision prise

par le président, le vice-président et un quorum adéquat, de décider que ces enfants — c'est bien regrettable — doivent être éloignés de leur milieu jusqu'à ce que le traitement soit assez avancé pour que le médecin puisse faire un certificat disant: En mon âme et conscience, j'atteste que madame et monsieur sont parfaitement normaux et capables de prendre soin des enfants en question. C'est le deuxième volet de tout le problème du traitement de l'enfance.

Cela, évidemment, en maintenant et protégeant les droits individuels, en laissant aux parents en question le droit d'appel devant la Cour du bien-être social, bien sûr, et à l'enfant aussi s'il a plus de 14 ans. Vous pouvez aller plus loin. Vous pouvez même avoir un modèle selon lequel les gens auraient le choix d'être soumis à une décision des services sociaux ou de demander d'être traités à travers le système judiciaire tel que nous l'avons aujourd'hui, en disant: Nous ne voulons pas que ce soit une décision prise par le comité de protection, nous voulons que ce soit la décision prise par le juge et référer tout de suite l'affaire à la Cour du bien-être social. Il n'y a pas d'objection à ce que nous maintenions pendant quelque temps, un système parallèle comme cela. Mais pour tous les enfants de moins de 14 ans, il faudrait d'abord établir un principe d'irresponsabilité totale, ce qui est d'autant plus facile que, du point de vue législatif, on ne peut plus nous reprocher que c'est anticonstitutionnel. Le projet de loi fédéral sur les enfants qui ont des démêlés avec la justice, qui est d'ailleurs une copie du "Children in Trouble" de la loi britannique — donc déjà éprouvé puisqu'il est appliqué en Grande-Bretagne depuis trois ans; on ne peut pas dire que nous sommes en avance — nous dit qu'ils acceptent les responsabilités totales pour les enfants de moins de 14 ans en ce qui concerne tous les délits prévus par le Code criminel et que de 14 à 18 ans, seule la loi s'appliquera dans le cas de ces délits.

Donc, du point de vue législatif, qu'est-ce qui vous reste? La législation provinciale et les règlements municipaux. Est-ce qu'on a vraiment besoin d'une loi draconienne pour la législation provinciale et les règlements municipaux dont une partie d'ailleurs, dans la législation provinciale, fait parfois double emploi avec le code criminel? Exemple: le vagabondage.

C'est que, dans les deux lois, vous choisissez celle qui vous convient. Votre principe des responsabilités totales des enfants de moins de 14 ans qui ne pourraient jamais être dommageables à la société et représenter un risque de victimisation ou de dangerosité justifierait qu'on ne l'accepte pas.

M. Forget: Pour l'instant je n'ai pas d'autres questions, M. le Président.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, en remerciant Mme Parizeau de la présentation de ce mémoire, je vais enchaîner avec la première question du ministre, j'en ai d'autres aussi: la modification que vous proposez à l'article 46, celui de changer le mot "peut" parle mot "doit". Dans votre exposé de présentation, vous avez donné l'exemple du médecin, que vous avez repris dans la réponse au ministre. Vous avez aussi étendu l'exemple à celui d'un enseignant qui constaterait un maltraitement de l'enfant, mal vêtu, mal nourri, et on peut l'étendre aux catégories psychologiques du maltraitement.

Vous ne craignez pas, si on étend cela ainsi que, par exemple, plusieurs enseignants, oeuvrant dans des quartiers populaires de Montréal, comme celui que je représente ici à l'Assemblée, auraient, à plusieurs occasions, devant les enfants d'assistés sociaux ou des enfants de couples séparés, dans le cas de familles uniparentales, monoparentales, l'occasion effectivement de prononcer un jugement de maltraitement, dans le sens que l'enfant est mal nourri, qu'il n'a pas une nourriture suffisamment adéquate pour la période de croissance qu'il est en train de traverser, et qu'en ce sens, le signaler au centre de services sociaux serait presque engager la boucle à se boucler elle-même? Les centres de services sociaux feraient rapport qu'il ne s'agit, au fond de tout, que d'une mauvaise administration budgétaire, à cause d'un budget trop réduit, qu'il n'y a pas intention criminelle ou même négligence de la part des parents qui puisse être autrement identifiable que dans le fait qu'avec ce qu'ils reçoivent selon la Loi de l'aide sociale, mensuellement, et à cause d'un endettement, par exemple, antérieur à cette situation et qui oblige à gruger une partie du budget déjà fort restreint de l'aide sociale, on ne peut pas, que voulez-vous, acheter de la nourriture plus convenable. On ne peut pas, que voulez-vous, lorsqu'on est rendu à cinq, six ou sept enfants et que le montant de l'aide sociale est plafonné depuis le troisième, assurer qu'ils soient tous bien vêtus, tous bien nourris, qu'ils aient tout ce que les enfants ont sainement besoin de loisirs, de distractions et, disons-le, de cadeaux à l'occasion. Tout cela fait ensemble la situation psychologique de l'enfant. Vous pourriez prendre une classe d'une polyvalente, que le député de Sainte-Marie connaît aussi bien que moi, et facilement identifier une vingtaine d'enfants sur 25 qui pourraient être clas-sifiables dans cette catégorie.

La crainte qu'avait le ministre, en tout cas telle que je l'ai comprise et qu'il a formulée, est qu'un enseignant se sentirait l'obligation de le dénoncer, et il y aurait des écoles complètes du bas de la ville Montréal, comme il y aurait des écoles complètes dans d'autres régions du Québec aussi qui seraient déclarées zones sinistrées.

Mme Parizeau: Sur le plan théorique, c'est très difficile à discuter. Si on prend cela sur le plan concret de cas, actuellement on ne peut que se baser sur les expériences qu'on a et qui existent entièrement dans le milieu: les enseignants dénoncent des situations qui, pour eux, sont inacceptables. Ils rencontrent les parents et discutent ces

situations. Ils essayent de communiquer avec les services sociaux, ils demandent l'aide et ils ne l'obtiennent pas toujours pour des raisons variables qui sont liées autant par la surcharge des cas des travailleurs sociaux que dans d'autres.

Le problème c'est que l'enseignant n'a pas le temps, face à une classe de 35, de 40, de s'occuper de chaque cas. En mettant, dans votre article 46, "doit", pas "peut", vous leur en faites une obligation, c'est-à-dire que vous les aidez dans leur travail. Qu'est-ce que cela va donner à long terme? Eh bien, les enseignants, au lieu de téléphoner dans les divers services sociaux et supplier, faites donc quelque chose ou intervenez, organisez des présentations de groupes, ils vont obtenir des choses aussi simples, par exemple, que les repas du midi gratuits des quartiers désavantagés.

C'est cela que ça va donner à long terme. Deuxième élément de la même question: Les enfants mal vêtus, maltraités à tout point de vue ne proviennent pas nécessairement — comme vous l'avez dit d'ailleurs vous-mêmes très bien — des milieux désavantagés qui ont une allocation insuffisante pour vivre. Ils proviennent des familles séparées, des familles désunies et des familles problèmes, et les familles problèmes ne sont pas forcément des familles qui ne reçoivent pas assez pour survivre, mais qui utilisent l'argent qu'elles gagnent en termes de consommation immédiate des biens dont elles n'ont aucun besoin. L'alcoolisme n'est un secret pour personne, l'abus de la bière Molson ou de la O'Keefe, si vous préférez, n'est un secret pour personne. L'endettement excessif de certains milieux, qui les précipite vraiment dans des conditions insurmontables, n'est un secret pour personne. Ce sont les problèmes des adultes, mais en bas il y a les enfants.

Nous sommes des sociétés qui, en principe, veulent les protéger, c'est pour cela qu'on a une Loi de la protection de la jeunesse, sinon la Loi des jeunes délinquants suffirait. Si l'on veut protéger les enfants, il faut les protéger à travers ces défenseurs naturels. On ne peut pas rêver que les enseignants veulent tous des... Il va enseigner dans une classe de 40 et, en même temps, il doit avoir le temps d'appeler la mère ou le père dix fois avant de les rejoindre, ensuite il doit appeler les services sociaux; les heures de classe ne correspondent pas avec les heures de travail des services sociaux, forcément. Le soir, l'enseignant veut faire autre chose. Qu'est-ce que vous voulez? Il y a 151 bonnes raisons.

Quand il s'agit de cas individuels, si l'enseignant s'attache à un enfant, il arrive à le sortir de là, mais il ne peut pas s'attacher aux 45. Du moment que vous mettez, dans la loi 46, "doit", les cas individuels se regroupent beaucoup plus facilement. Que les enseignants aient envie de les regrouper, il y a à cela des preuves très nettes. Il y a le rapport Poly qui a été fait; je ne sais pas si vous l'avez lu. Il y a d'autres rapports qui ont été faits, qui ont été suscités, créés, organisés par les milieux des enseignants. S'il y a un groupe qui est très conscient des besoins de protection de l'en- fance, du côté scolaire, c'est bien celui-là. Ils sont conscients que cette protection doit s'exercer non seulement en termes économiques, mais également en termes d'aide spécifique à des enfants qui ont des retards scolaires absolument épouvantables qu'ils ne peuvent plus rattraper dans la classe, en termes, par exemple, du comité de protection des enseignants à l'intérieur de l'école, pourquoi pas?

M. Charron: D'accord. Cela précise.

Mme Parizeau, dans le mémoire — vous l'avez mentionné aussi — vous faites directement allusion au fameux article 59 de l'avant-projet de loi qui a retenu l'attention de la commission la semaine dernière, à sa dernière séance...

Mme Parizeau: Oui.

M. Charron: ... et qui est peut-être un article-clef parce qu'il est celui qui ouvrira ou fermera la porte de l'initiative la meilleure, je pense, de ce projet de loi, c'est-à-dire la création de centres locaux d'orientation. L'article 59 est effectivement, tel que rédigé actuellement et tel qu'il sera rédigé dans une loi, extrêmement restrictif, nous ont dit des groupes. Vous étiez ici la semaine dernière, vous les avez entendus. Il est extrêmement restrictif quant à la volonté de déjudiciariser tout le système. Du moment où un jeune — je vais citer la loi pour être plus précis — "peut être soupçonné d'avoir commis un crime qui, s'il avait été commis par un adulte, aurait pu entraîner trois ans de détention ou plus". A partir de ce moment, tout le pouvoir d'intervention du CLO, dans tout ce qu'il peut y avoir d'approches différentes et nouvelles de la situation du jeune, disparaît automatiquement. On reprend automatiquement le chemin de la cour, donc le chemin judiciaire tel que cela se passe aujourd'hui.

Autrement dit, aussi approuvable que soit l'initiative de créer des CLO, si on ne leur laisse pas suffisamment de terrain pour agir au-delà de cette frontière, leurs responsabilités paraîtront plus théoriques que pratiques. Cela a déjà été défendu et j'aimerais que vous exprimiez votre opinion aussi là-dessus. Dans votre mémoire, vous nous dites — et cela n'a pas été signalé la semaine dernière — que non seulement cela peut-il paraître restrictif quant au pouvoir de l'intervention du comité local d'orientation, mais qu'aussi c'est contraire à ce que le projet bleu, le livre fédéral et le livre blanc du ministère de la Justice, déposé il y a déjà quelque temps, affirmaient.

Pouvez-vous établir pour la commission — peut-être pas à la page et au paragraphe précis — dans quel esprit vous affirmez que cet article 59, tel que rédigé, est contraire à de précédentes recommandations du fédéral ou du ministère de la Justice lui-même?

Mme Parizeau: L'article 59, paragraphe a): Lorsqu'un enfant âgé de quatorze ans ou plus a commis ou peut être soupçonné d'avoir commis un crime qui, s'il avait été commis par un adulte,

aurait pu entraîner trois années de détention ou plus ou, b), a déjà été trouvé coupable par la cour à plusieurs reprises antérieurement pour infraction à une loi ou un règlement. Le a) et le b) sont tout simplement inconstitutionnels. C'est simple, en droit c'est indéfendable puisque la loi sur les jeunes qui ont des démêlés avec la justice, projet fédéral qui doit devenir une partie du Code criminel, va s'appliquer puisque le Code criminel est unique pour l'ensemble du Canada et ne tolère aucune exception. Toute la législation criminelle canadienne, par opposition à la législation américaine, variable selon les Etats, est unifiée pour l'ensemble du Canada, d'accord? Et cet article ici nous dit: Irresponsabilité totale des enfants de moins de quatorze ans. L'article 59, paragraphe a), est inconstitutionnel. Parce qu'on dit: A déjà été trouvé coupable à plusieurs reprises. Or, il ne peut pas être trouvé coupable à plusieurs reprises antérieurement, puisqu'il est irresponsable jusqu'à l'âge de quatorze ans; alors quoi? Est-il responsable ou irresponsable? C'est déjà anticonstitutionnel en droit.

Deuxièmement...

M. Charron: ... soupçonné d'avoir commis un crime.

Mme Parizeau: Nous devons, parce que jusqu'à quatorze ans il est irresponsable des crimes d'après la Loi sur les jeunes délinquants.

M. Charron: Mais l'article 59 dit: De quatorze ans ou plus. Un policier...

Mme Parizeau: Non, il dit à b): A déjà été trouvé coupable par la cour à plusieurs reprises antérieurement. Antérieurement à quoi? A quatorze ans?

M. Forget: S'il a 17 ans? M. Charron: S'il a 17 ans?

Mme Parizeau: A 17 ans, je veux bien, mais un enfant âgé de quatorze ans ou plus. Du moment que vous mentionnez 14 ans, votre article b), en droit, peut s'appliquer, antérieurement, à moins de 14 ans.

M. Forget: II ne s'applique pas à ce moment. Mme Parizeau: II peut, antérieurement.

M. Forget: Parce que c'est une question de fait qu'il a été condamné ou pas. S'il ne peut pas être condamné, donc il n'aura pas été condamné à quatorze ans. Je pense que c'est un article qui dit bien "ou", n'est-ce pas? Le "ou" indique que c'est une condition qui peut ne pas se trouver.

Mme Parizeau: M. le ministre, ce n'est pas précis tel que c'est. Ensuite: ... aurait pu entraîner trois années de détention. Vous savez, en ce qui concerne les mineurs, c'est bien spécial.

Finalement, vous dites que le comité local d'orientation ou le directeur doit, sans délai, en informer la cour. Je ne vois pas pourquoi il doit. Est-ce que ce ne serait pas plus logique de dire qu'il peut? Le livre blanc dit: Les institutions pour la jeunesse, la question du tribunal de la famille, la protection de la jeunesse. Le livre blanc du ministère de la Justice est beaucoup moins draconien et définitif sur le sujet. On pourrait fort bien dire: Le comité local d'orientation ou le directeur — et d'ailleurs là, je pense qu'il faudrait donner le pouvoir clair à quelqu'un, le directeur, par exemple — peut, sans délai, en informer la cour. Le directeur peut choisir, même dans le cas d'un enfant qui a commis un délit et qui a plus de quatorze ans, de continuer à le protéger. Si l'enfant ne présente pas de danger à l'égard de la société, il n'y a pas d'obligation formelle que cet enfant soit déféré à la cour.

M. Charron: Je ne sais pas si on peut fixer un pourcentage aussi abstraitement que cela, mais quand même, dans l'expérience pratique, dans tous les cas qui arrivent, combien de cas échapperaient, si l'article 59 devait s'appliquer automatiquement, à la discrétion du directeur du CLO? Combien de cas dans l'espèce de photographie qu'on peut faire des cas, habituellement, de délits?

Mme Parizeau: Considérez les cas juste entre 14 et 18 ans, qui est la période où la délinquance devient la plus grave, singulièrement 15 et 18 ans, c'est ce que démontrent les statistiques des Cours de bien-être social. Si vous dites: Le directeur doit, le directeur peut fort bien référer 50% ou 60% des cas à la cour, vous savez, c'est à sa discrétion.

C'est un article qui est dangereux parce que dans tous les cas difficiles, et c'est humain — en ce qui concerne les enfants, tous les cas sont difficiles; il n'y a pas de cas faciles, parce que lorsqu'ils sont faciles, on ne les connaît pas, c'est aussi simple que cela — dans tous les cas difficiles, dis-je, la tentation première et normale d'un service social sera de dire: Que la justice se débrouille. Et c'est comme cela dans le monde entier, sauf en Suède parce qu'il y a cette irresponsabilité totale jusqu'à 14 ans et que cela relève uniquement du comité de protection de la commission des jeunes et mineurs.

Les enfants servent de ballons, c'est très simple. Le service social s'en occupe à un moment donné. Il n'y a pas nécessairement conflit entre les parents et le service social. Il y a difficulté de contrôler l'enfant. Il fait des vols avec effraction de plus en plus fréquents. La police le ramène de plus en plus souvent. Le service social ne sait plus quoi faire. Il dit: M. le juge, voulez-vous me donner l'article 15 et de préférence l'article 20, parce qu'avec l'article 20 — vous voulez savoir comment cela se passe sur le champ, monsieur le député, bien, c'est comme cela — il y a plus de chances qu'il soit reçu dans une des institutions d'accueil qui, elles, relèvent du ministère des Affaires sociales et qui sont complètement indépendantes du

système judiciaire. C'est-à-dire que la sentence du juge, à la Cour du bien-être social, contrairement à la sentence de tout autre juge, n'est pas exécutoire. Le juge dit: II faudrait le placer. Les travailleurs sociaux disent: II faut le placer. Ils n'arrivent pas à trouver un endroit où le placer. Ils se retournent et disent: M. le juge, faites quelque chose. En droit, ce sera "conflit entre les parents et les services sociaux", mais ce n'est pas vrai. C'est qu'ils n'arrivent pas à le placer et vont voir le juge: Donnez donc une sentence. Le juge dit: Je vais vous donner l'article 15. Cela vous va-t-il? Ils disent: Donnez plutôt l'article 20, parce qu'avec cet article, il y a plus de chance qu'il rentre.

Quand on arrive avec des problèmes comme cela, comment voulez-vous qu'on en discute en termes de dangerosité de l'enfant face à la société ou de dangerosité de l'adolescent? Si vous avez la curiosité de consulter les dossiers de la cour du bien-être, sans avoir les noms, tous les dossiers, vous verrez les renvois sine die. Ce sont des enfants que les travailleurs sociaux ont référé au juge, non parce qu'ils pensaient qu'ils étaient dangereux, mais parce qu'ils n'arrivaient pas à se débrouiller.

M. Charron: J'ai remarqué...

Mme Parizeau: Le service de réception et le juge sur le banc, qui essayaient de les placer, voyaient qu'il n'y avait pas non plus de centres d'hébergement ou d'accueil. Alors, ils donnaient le sine die, et vous voyez les sine die qui s'accumulent. Je peux vous citer le cas d'un garçon qui, à seize ans, a à son actif 25 sentences de sine die et dont, entre l'un et l'autre des actes commis — parlons des actes, trois années de détention ou plus pour un adulte — le cas s'aggrave de plus en plus. Cela commence avec les vols à l'étalage et cela continue avec les vols avec effraction, puis les vols avec effraction à main armée et ainsi de suite.

On n'arrive toujours pas à placer le jeune parce que personne ne veut le prendre. Il est toujours renvoyé sine die. C'est pourquoi je pense que cet article est dangereux, parce que le directeur... D'abord, il me semble que "le comité local d'orientation ou le directeur", c'est un peu trop. Il faudrait dire: II y a quelqu'un qui tranche: Le directeur, le comité d'orientation, mais enfin, quelqu'un. "Doit sans délai", cela me paraît un peu draconien. Il faudrait d'abord avoir des délais qui lui paraissent raisonnables. Après tout, il faut quand même faire confiance aux gens; les structures sont ce qu'elles sont, mais enfin, les structures dépendent des gens qui sont dans ces structures; autrement, il n'y a pas de structures qui marcheraient, ni aucun organigramme. Deuxièmement, il faudrait limiter cette possibilité pour les services sociaux de retourner tous les cas graves à la cour, parce qu'il y a des cas de moins de 14 ans où vous pouvez très bien, en droit, dire: Oui, trois années de détention peuvent s'appliquer. Un bon vol avec effraction à main armée peut s'appliquer selon le Code criminel, mais cela ne prouve pas que cela devrait, dans son cas s'appliquer, quand on parle de déjudicialisation pour les adultes.

M. Charron: On m'a expliqué, à la Cour du bien-être social, que devant la grande liste de cas renvoyés sine die, il y avait aussi une autre explication possible. C'est que des avocats plaidant à l'occasion pour des enfants, s'entendent avec leurs clients sur un plaidoyer de culpabilité, dans l'hypothèse que c'était le meilleur moyen, en plaidant coupable, d'assurer le placement des enfants, mais qu'à cause du manque de ressources adéquates, sur le territoire du Montréal métropolitain en tout cas, il est impossible d'assurer le placement de tous ceux qui devraient être placés.

Les juges en étant conscients, et sachant qu'en acceptant le plaidoyer de culpabilité c'est à peu près tout ce qui leur reste à faire, préfèrent ne pas accepter le plaidoyer de culpabilité, renvoyer la cause sine die et ainsi, à l'occasion, renvoyer le jeune dans une prison commune s'il est accusé et s'il est prêt à plaider coupable sur un délit grave parce qu'ils ne peuvent pas le remettre en circulation et le remettre en liberté.

Je pense que ce que nous avons identifié, au début de la séance, la semaine dernière, comme étant le tableau de fond de toute cette loi, de toute la portée de cette loi, c'est-à-dire l'absence de ressources adéquates et de ressources suffisantes pour assurer une réhabilitation du jeune pris en flagrant délit, est à l'origine du succès ou du non-succès de cette loi et de cette portée. Si, demain matin, quel que soit le cas, quelle que soit l'obligation que le comité local d'orientation puisse avoir d'amener sans délai, même si on devait s'en tenir à ce projet, à la cour un jeune qui vient d'être arrêté parce qu'il est peut-être soupçonné d'avoir commis un crime qui, s'il était adulte, retirerait trois ans ou plus et que, visiblement, le plaidoyer est évident, c'est un plaidoyer de culpabilité que l'on s'entend pour rendre, que le directeur s'entend pour rendre, il n'aura rien réglé parce qu'à la cour, cela peut s'arrêter par un sine die. Qu'est-ce qu'on fait avec le jeune qu'on consent à placer parce qu'effectivement il a commis un crime qui peut lui entraîner trois ans ou plus, et qu'il n'est pas dans l'intérêt public — j'emploie le même vocabulaire qui ne m'est pas familier — que cet enfant retrouve sa liberté parce qu'effectivement il a commis un crime grave?

J'ai l'impression que l'article 59, c'est se donner bonne conscience: Si le crime est grave, on ne lésine pas. On amène cela à la justice. Mais cela ne règle rien parce qu'à la justice, il va se faire mettre le sine die sur le front. Ou bien: On n'a pas les ressources adéquates, les unités sécuritaires adéquates pour le faire. Les maisons refusent, à l'occasion, d'avoir des unités sécuritaires à l'intérieur de leurs murs.

Mme Parizeau: Je ne vois pas, d'ailleurs, pourquoi on ferait assumer à nos juges l'odieux de l'incarcération d'enfants. Déjà, maintenant, les juges des Cours du bien-être social hésitent. Vous voyez que les cas déférés à une Cour des esssions sont relativement limités.

Sur ce que vous disiez, M. le député, tout à l'heure, au sujet de la détention, je m'excuse, je cherche toujours la citation dans le livre blanc du ministère de la Justice et je ne la trouve pas. Je peux vous la citer de mémoire. Il ne s'agit pas seulement de détention en vertu d'une sentence parce que, comme nous le disions — vous l'avez mentionné tantôt — les juges essaient d'éviter la prison aux jeunes parce qu'ils savent très bien ce que cela donne à long terme. C'est le pénitencier au bout, on le sait. Le livre blanc le dit très clairement. C'est la meilleure façon de détériorer complètement un jeune, tout le monde le sait. Mais les jeunes sont détenus dans les prisons de façon préventive. Quand je disais, tout à l'heure, dans le droit des enfants à une justice au moins aussi équitable que les adultes et les criminels adultes, c'est à cela que je me référais. Un criminel adulte qui a commis un délit qui vaut bien plus que trois années de détention, d'après le code criminel, peut fort bien être libéré avant sentence sur parole, sur cautionnement. Cela se fait beaucoup. Un mineur ne peut pas l'être sur parole ou sur cautionnement. C'est beaucoup plus difficile. On le met tout simplement en détention préventive. La police amène l'enfant à Saint-Vallier. S'il n'y a pas de place à Saint-Vallier, il l'amène en prison.

Le livre blanc du ministère de la Justice le dit en toutes lettres. C'est assez intéressant comme phénomène, si vous voulez, quand on discute des relations qui existent au niveau des autorités. Il est dit en toutes lettres: Nous ne voulons plus recevoir d'enfants dans les prisons communes. Ce n'est pas notre rôle, ce n'est pas leur place. Cela nous crée des problèmes sans nom. Je pense que dans les statistiques, on cite 1,300 qui ont été reçus cette année en disant: Ce n'est pas possible pour toute la province. Cela crée des problèmes sans nom. De quel droit, si vous voulez, humainement, on détiendrait préventivement un mineur dans une prison pour adulte, même si ce sont des cellules séparées?

Préventive, c'est-à-dire que dans la détention préventive, vous avez aussi bien des cas de protection de l'enfance — l'article 15 — des enfants qui ne savent pas où aller et qui n'ont même pas reçu cet article 15 encore. Les jeunes qui ont commis un délit. A part cela, c'est un arbitraire total des forces policières, un arbitraire que les forces policières elles-mêmes n'ont pas envie d'assumer.

Lorsque la police arrête le jeune et l'emmène dans un centre, présumément, pour qu'il soit entendu par un juge, comme il n'y a pas de place au centre, la police exerce son pouvoir arbitrairement, parce qu'elle ne peut pas faire autre chose que de l'amener en prison. Les prisons ne peuvent pas ne pas recevoir les cas qui leur sont référés, parce que pour un directeur de prison c'est un mépris de cour, c'est le règlement interne. Tandis que tous les centres d'hébergement peuvent refuser, sans qu'ils aient aucune responsabilité. Qui est responsable? C'est la question clé qui se pose. Qui est vraiment responsable des problèmes de l'enfance dans notre société?

Vous avez toute la dichotomie entre Justice et Affaires sociales; on pourrait fort bien dire: Tout cela devrait relever du ministère de l'Education, pourquoi pas? Est-ce que ce n'est pas le défenseur naturel de l'enfance avec la famille? Pourquoi pas?

Alors, évidemment, c'est toujours plus facile de dire, ne serait-ce que sur les noms, cela c'est bon, cela c'est mauvais, mais ce n'est pas une question de ministères, ni des autorités, ni des gouvernements, le problème est clair; il n'y a pas de centres où amener les enfants. Les centres qui sont là ne fonctionnent pas au-delà d'une certaine limite; quand on leur impose des normes supérieures, ils ferment. C'est cela? En disant: On ne peut rien faire.

Donc, soit qu'il faut ouvrir d'autres centres, soit qu'il faut repenser les centres, soit qu'il faut créer des groupes, mais il faut bien en faire quelque chose, sinon, c'est un traitement plus sévère qu'on appliquerait en adultes. L'idée de continuer à forcer les services sociaux, parce qu'enfin on leur ouvre les portes, à référer toujours un cas difficile — et je me permets de soutenir que les cas difficiles, tous les cas sont difficiles; il n'y a pas de cas faciles; quand ils sont faciles, ils ne sont pas dans nos documents, dans nos statistiques et nous ne les connaissons pas — de référer systématiquement tous les cas difficiles à la justice pour conclure que le juge s'arrange avec les problèmes et assume l'odieux; c'est la meilleure façon de ne jamais régler le problème.

Il faut que quelqu'un assume la responsabilité, ne serait-ce que jusqu'à l'âge de quatorze ans. Donc, à cet égard, il faut établir l'irresponsabilité totale jusqu'à quatorze ans, délit pas délit, ce que vous voudrez, responsabilité totale et complète des services sociaux jusqu'à quatorze ans et entre quatorze et dix-huit ans, là on réfère à la cour, avec possibilité, pour le juge des enfants, s'il le décide, même s'il y a délit, même s'il y a trois ans peut-être applicables dans le cas d'un adulte pour le même délit, de pouvoir le renvoyer aux services sociaux en disant: Pour moi, sur le banc, traitement social uniquement.

M. Charron: M. le Président, je ne veux pas allonger, plus qu'on le doit, la discussion, mais on me paraît vraiment au fond du problème, actuellement, et j'aime autant y rester encore quelques minutes, abandonnant d'autres questions, peut-être, de détails.

Vous avez fait allusion à l'article 55 de l'avant-projet de loi, Mme Parizeau, qui dit que, en fait, "Lorsque de l'avis du comité, des mesures provisoires s'imposent, de façon urgente, le comité peut, en attendant que des mesures plus permanentes puissent être prises à l'égard de l'enfant, le laisser à la garde de toute personne ou institution". On dit plus bas, c'est pour cela que je vous cite l'article 55, que cela c'est s'il se trouve dans un cas visé à l'article 59, dont on vient de parler. S'il ne se trouve pas dans un cas visé à l'ar-

tide 59, qu'est-ce que le comité, qu'est-ce que le centre local d'orientation va faire quand le jeune arrivera devant lui? Il se peut que même s'il ne se trouve pas dans un cas visé à l'article 59, il devienne important tant de le laisser à la garde d'une personne ou d'une institution ou à tout le moins de le retirer d'où il se trouve actuellement. Il n'a peut-être pas du tout commis un délit grave; il a peut-être simplement essayé de quitter un milieu familial devenu proprement invivable et cela arrive, des milieux familiaux invivables pour un enfant. Il y a des jeunes intelligences très vives, à 15 ou 16 ans, qui ne peuvent plus continuer à vivre dans une famille telle qu'elle a été structurée; je ne parle pas simplement des familles d'alcooliques, je peux parler d'une famille bourgeoise extrêmement réactionnaire, par exemple, ou archi-disciplinaire qui va faire que n'importe quel humain, avec une once de liberté, n'est pas capable de vivre dans ce milieu-là.

Quelle est la responsabilité du centre local d'orientation? Qu'est-ce qu'il fera avec le jeune qui lui arrive sur les bras? J'étends ma question, même dans le cas d'un jeune visé par l'article 59.

Si le Centre Saint-Vallier à Montréal, par exemple, qui est un institut de transition comme on aime bien expliquer, continue dans le trou infect qu'il est actuellement à ne pouvoir accueillir que de 30 à 35 jeunes, qu'est-ce qu'on va faire avec le 36e? Où va-t-on le placer?

Mme Parizeau: M. le député de Saint-Jacques, premièrement, en ce qui concerne votre remarque sur des familles, c'est un phénomène à la fois dramatique et très rassurant. Il est à prévoir qu'on s'occupera de plus en plus d'enfants, disons, incontrôlables ou qui ne s'entendent pas avec leur famille, dans le milieu professionnel. Donc, la situation des autres enfants va probablement s'améliorer parce que c'est la première fois que le milieu professionnel parental voit ce que veut dire une détention d'un mineur ou un traitement d'un mineur.

Deuxièmement, pour revenir à l'article 55 b), dès que vous dites "ou dans un lieu de détention", vous ouvrez la porte à tous les abus, la preuve est faite. La loi fédérale des jeunes délinquants avait un petit paragraphe qui se lisait comme suit: "Ou si...". Alors, l'enfant doit toujours être placé dans un lieu autre que le lieu de détention d'après le Code criminel. Dans la loi des jeunes délinquants actuellement encore en vigueur, il y avait un petit sous-paragraphe: "Ou si aucune autre solution n'est possible dans un lieu de détention pour adulte". Avec ce petit paragraphe, on emprisonnait des enfants autant comme autant et pas seulement au Québec; c'est un phénomène général et en Ontario c'est pire parce que de toute façon à partir de 16 ans ils sont considérés comme adultes devant la loi. Donc, statistiquement, il y en a beaucoup plus qui vont en prison. Donc, nous ne sommes pas une exception sur la carte du Canada; au contraire, la législation provinciale québécoise est encore meilleure puisqu'au moins on reconnaît jusqu'à 18 ans.

Mais du moment où vous dites "ou", compte tenu de l'expérience acquise du petit paragraphe du code criminel actuellement en vigueur, les enfants vont toujours se retrouver en prison, non pas parce que les gens sont des brutes ou des assassins mais tout simplement parce que le directeur n'aura pas d'autre solution, quand il n'y aura pas de place au Centre Saint-Vallier, comme vous l'avez mentionné tantôt, ou au Centre Berthelet. Celui-ci, en fait — et cela, c'est absolument incroyable, il a été construit en 1963, ce n'est pas si vieux, et a été amélioré en 1971 — est une prison. Ce n'est pas un centre de traitement des jeunes, c'est une prison construite comme telle, avec des barreaux partout et, fait surprenant, en 1962, M. le ministre. Vous n'étiez pas ministre mais il n'en reste pas moins que c'est le ministère des Affaires sociales qui a accepté cette construction, ces plans d'un architecte qui ne comprenait pas ce qu'il construisait, je présume.

Si on se limite à avoir toujours, à Montréal, Berthelet, Saint-Valier, Boscoville, du côté anglais Boys' Farm, sans parler de l'institution pour les filles où le problème est beaucoup moins grave parce qu'il y a beaucoup moins de problèmes de filles de ce type, tous les enfants iront en prison comme ils y vont maintenant, à moins que le ministère de la Justice décide d'avoir un règlement formel et draconien et qu'il libère ces directeurs de la responsabilité de mépris de cour et qu'il dise: A partir d'aujourd'hui, on ne les recevra plus.

La seule chose qu'on trouve comme engagement concret et formel des autorités, c'est le livre blanc qui dit "petit centre sécuritaire". Il faudrait encore avoir la définition de ce qu'on entend par petit centre sécuritaire. Si le ministère de la Justice a l'intention de construire des monuments à la gloire de notre permissivité à l'égard de l'enfance du genre de Berthelet, cela ne résoudra pas le problème non plus. Quand on parle de stigmatisation, de sensibilisation, de frustration et de stress de l'enfance, si vous mettez des barreaux partout et si vous créez des ailes cellulaires, que ce soit Berthelet ou que cela s'appelle petit centre sécuritaire du ministère de la Justice, cela va être la même chose.

Donc, M. le député de Saint-Jacques, il y a deux problèmes qui se posent. Premier problème: Qu'est-ce qu'on va avoir comme institution? Et, deuxième problème: De quel type? Non pas de qui elle va relever ni par qui elle va être financée mais qu'est-ce qu'on va avoir et de quel type? Deuxième question qui se pose, c'est...

M. Charron: ... à travailler là-dedans.

Mme Parizeau:... les foyers de groupe. Est-ce qu'on peut concevoir des foyers de groupe? Cela existe, par exemple, en Grande-Bretagne; cela marche tant bien que mal, mais cela existe. Cela existe en Suède, cela marche tant bien que mal. Peut-être que nous allons réussir mieux que les autres. Dans les foyers de groupe, sur engagement sur parole, le jeune est placé par le directeur avec l'aide adéquate d'un travailleur social, ce qu'il est possible de dire.

M. Charron: Mme Parizeau, je vous remercie.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Johnson.

M. Bellemare (Johnson): Mme Parizeau, vous

avez signalé tout à l'heure avec beaucoup de justesse que l'enfant, appartenant à la famille, n'appartenant pas à l'Etat, devrait probablement recevoir, dans une institution qu'on appelle l'école, étant dans le domaine de l'éducation, une formation meilleure et que probablement cela devrait revenir au système éducationnel.

Est-ce que vous ne croyez pas qu'on devrait intensifier davantage ces méthodes d'éducation quand l'enfant est jeune, même si dans des milieux défavorisés, l'enfant n'a pas tout ce qu'il faut, au point de vue physique, au point de vue matériel, au point de vue de la croissance? Est-ce que vous ne croyez pas, madame, que dans le domaine de l'éducation, il y aurait un travail immense à faire? Parce que l'école, c'est un peu la continuation de la famille et si, à l'école, on peut s'apercevoir que l'enfant est débile, que l'enfant est malade physiquement, n'a pas réellement les moyens d'avoir une santé meilleure ou vit dans un milieu qui serait inadéquat, est-ce que vous ne croyez pas, madame, que l'éducation, notre système éducationnel à nous ne devrait pas intensifier, plus que jamais, cette formation des jeunes, dans un esprit légal pour lui enseigner la loi et les dangers qu'il y a, je pense, d'aller dans ce champ vaste des crimes, ou bien...?

J'ai chez nous, par exemple, un jeune de treize ans, imaginez-vous, qui a commis, comme vous le disiez tout à l'heure, onze attentats à main armée. Il est allé se ramasser devant le juge de la Cour du bien-être social et on a rendu une sentence qui l'a marqué pour le restant de ses jours: sine die. Il y a, je pense, un manque fondamental dans tout notre système, au point de vue éducationnel. C'est quand l'enfant est jeune qu'on doit lui enseigner le respect de la propriété de l'autre, le respect d'abord, je pense, de ce qui appartient à tout le monde mais qui n'appartient à personne, c'est-à-dire les institutions de l'Etat. Il y a, dans la jeunesse, une cire molle dans laquelle peut s'imprégner bien des bons principes.

Au lieu probablement de lui enseigner la révolte contre l'autorité constituée et d'en faire, demain, des victimes faciles du crime organisé, je pense que c'est dès le départ qu'on devrait enseigner dans nos écoles, plus que jamais, à nos enfants ces principes de l'ordre et du respect de la liberté. Mme Parizeau, vous m'avez véritablement intéressé tout à l'heure et je voudrais que vous développiez peut-être un petit peu plus votre pensée. Quand vous avez dit, en regardant le ministre, que cela devrait appartenir à l'éducation, je vous ai vue un peu inquiète.

Mme Parizeau: M. le député, premièrement, dans votre question il y a deux problèmes. D'abord, la définition de l'enfance. Je ne crois pas que l'enfant, dans notre société, soit la propriété des parents. Je pense que l'enfant est la propriété de lui-même. Les parents sont dépositaires d'une responsabilité de protection...

M. Bellemare (Johnson): D'accord. D'accord.

Mme Parizeau: Ce que je voudrais soulever, c'est que la protection de l'enfance ne relève pas seulement des parents. Nous nous sommes dit pendant des siècles, nous nous sommes répété soigneusement que les parents sont des bons parents, par définition, parce qu'ils ont fabriqué un enfant. Excusez-moi, ce n'est pas une garantie. On nous a inculpé cela parce que cela protégeait la société; plutôt parce que cela la débarrassait de ses responsabilités, mais je crois que la protection de l'enfance est l'affaire de la société. C'est notre obligation morale. Ceci, sur le fond.

Deuxièmement, en ce qui concerne l'éducation, vous avez parfaitement raison; l'école est un autre foyer de vie de l'enfant. Un foyer de vie, c'est la famille; l'autre foyer de vie, c'est l'école. Il y a des sociologues tel Illitch, qui prétendent que l'école devrait être supprimée parce que c'est antidémocratique. Je regrette, je ne partage pas ses opinions.

Je pense que l'école est le plus fort agent de nivellement des classes sociales et c'est pour cela que c'est très important. C'est même le seul agent au niveau de l'enfance qui nivelle les classes sociales. Seulement telle qu'elle est conçue, l'école n'arrive pas à les niveler, parce que l'enfant qui arrive en première année de l'école, arrive avec le handicap d'un passé et d'un vide culturel qui dure déjà depuis sept ans. Les travaux de plusieurs psychologues et spécialistes de l'enfance, aussi bien européens qu'américains, démontrent que le développement de l'enfant est crucial entre deux ans et six ans.

Donc, logiquement, si on veut poursuivre dans l'esprit cartésien dans lequel nous avons tous été élevés, il faut absolument des préscolaires qui vont devenir des agents de nivellement des classes sociales et qui permettront aux enfants qui, dans leur milieu naturel, n'ont pas reçu la transmission des valeurs culturelles élémentaires, de ne pas accuser de retard par rapport aux autres.

En effet, ce n'est pas nouveau, c'était dans la commission sur l'enseignement au Québec, la commission Parent. Il y a plusieurs chapitres sur l'enseignement préscolaire. Il était fortement question... Le ministère de l'Education a commencé des travaux dans ce sens, le ministère des Affaires sociales a collaboré. Le problème était un problème de budget. Etant donné que le ministère de l'Education conserve la plus grosse partie du budget de la province de Québec, il a été pratiquement impossible de faire en même temps un secondaire gratuit jusqu'au D E C. On introduisait brutalement le secondaire gratuit, qui existait dans d'autres pays depuis 1900, nous l'introduisions à toute vapeur à partir de 1960, ce qui est un coût prohibitif pour une collectivité quelle qu'elle soit. Il n'était pas possible, en même temps, de créer le préscolaire et, à plus forte raison, de le transmettre comme valeur importante dans la collectivité québécoise — parce qu'il faut quand même que les gens s'habituent — de créer des préscolaires uniquement dans les comtés désavantagés dont parlait le député de Saint-Jacques. Je ne suis pas d'accord parce que vous créez des ghettos, des pauvres, forcément.

Vous êtes obligés, si vous voulez vraiment niveler les classes sociales en termes d'acquis culturel des enfants, d'éliminer cette perte de potentiel de l'enfant. Il arrive à l'école primaire et il est en retard face à ses collègues qui ont déjà une formation culturelle, sinon qu'ils savent lire et écrire, ce qui arrive souvent. Il nous faut des préscolaires à l'échelle de l'ensemble du pays en étant bien sûrs que vous allez mélanger vos groupes à l'intérieur de vos préscolaires. Autrement, vous avez des ghettos de pauvres qui sont absolument injustifiables. Evi-

demment, c'est le rôle... La prévention de la délinquance juvénile commence là puisque tous les problèmes que vous avez soulevés tout à l'heure — crise d'autorité, difficultés, etc — ne relèvent pas généralement de la méconnaissance du droit, ils relèvent d'une profonde sensation d'infériorisation systématique que la collectivité impose à l'enfant et qui est liée au retard scolaire, non seulement aux difficultés économiques des parents, mais singulièrement au retard scolaire.

Evidemment, si on ne compense pas, on ne peut pas s'imaginer expliquer à un enfant: Tu ne voleras point, parce que c'est un acte illégal. Si c'est arrivé à un enfant de huit ans, si vous le mettez dans la rue en hiver, il va voler parce qu'il fait froid chez lui et il va faire des vols avec effraction dans les magasins à rayons. S'il passe toute la journée dans un magasin à rayons, il va voler dans le magasin à rayons. C'est presque une équation à laquelle on ne peut pas échapper. Les enfants qui ont des problèmes familiaux et des problèmes scolaires finissent toujours par être quelque part, et le quelque part étant la rue, ils vont voler. J'imagine que beaucoup de gens qui ont fait des carrières fort honorables, s'ils avaient été à leur place, ils auraient fait exactement la même chose parce qu'il n'y a pas moyen d'y échapper.

On ne peut laisser de côté, pour terminer ma réponse à votre question, M. le député, les statistiques policières d'arrestation. C'est juste pour vous dire que ce n'est pas une question morale. C'est pour Montréal, avec l'aide de la police de Montréal, pour les statistiques d'arrestation des mineurs, de tout jeunes de moins de 18 ans dans la ville de Montréal. On a essayé d'évaluer les horaires dans la journée, les jours dans la semaine, les semaines dans le mois et les mois dans l'année où il y aie plus d'arrestations. On a trouvé une constante; c'est entre l'heure de la sortie de l'école et l'heure d'entrée à la maison. C'est-à-dire que l'enfant, qui sort de l'école et n'a pas de receveur chez lui, traîne dans la rue, comment un délit et se fait arrêter par la police. C'est aussi — excusez l'expression — bête que cela.

M. Bellemare (Johnson): Mme Parizeau, vous avez été fort habile, vous m'avez donné de très bonnes explications, mais la question principale était surtout sur l'éducation par la prévention. Si on dépense, par exemple, pour prévenir les accidents du travail, si on fait une prévention en dépensant des milliers de dollars pour inciter les travailleurs à la précaution, à la prudence, à l'attention qu'on doit apporter à son travail, cela a déjà un effet préventif.

Mais, est-ce que vous ne croyez pas que ce travail de prévention, tout en étant pré-école de deux ans à six ans, tel que vous l'expliquez, est-ce que vous ne prétendez pas qu'à l'école même, si on y mettait... Je comprends que vous m'avez donné un exemple assez extraordinaire quand vous avez dit: En 1960 on a basculé tout le système, l'enfant s'est trouvé un peu désorienté alors cela a fait un impact au point de vue stress, au point de vue développement de sa personnalité, il est tombé dans un nouveau moule qui n'avait pas été préparé à recevoir, parce que du jour au lendemain on avait fait un académicien. A partir de là, l'enfant ne se retrouvait jamais. Moi, je prétends, je ne sais pas, je suis bien heureux de vivre de votre expérience, est-ce qu'il n'y aurait pas un moyen quelconque, dans le système éducationnel, d'établir des mesures préventives? Je ne sais pas lesquelles, je ne m'y suis pas arrêté, mais fort de votre expérience, je pense qu'à l'école, il y aurait peut-être moyen d'instaurer un système de prévention contre ces... parce que c'est bien rare qu'on vient au monde criminel. On l'est par l'entraînement, ou bien par les fréquentations, ou bien par les incidences de la vie, famille, amis ou d'autres circonstances particulières qui font qu'on devient, du jour au lendemain, même appartenant à d'excellentes familles, des fois, un criminel.

Je pense que si, dès le jeune âge, il y avait une section de prévention particulière établie dans le système de l'éducation, ou même aux Affaires sociales, si ce n'est pas possible à l'Education. Je comprends qu'aux Affaires sociales, ils n'ont pas beaucoup d'ouvrage, mais peut-être que s'ils avaient du temps, ils pourraient peut-être regarder ce système. Parce que le système préventif, ce n'est pas moi qui ai inventé que la peur c'est le commencement de la sagesse. Cela, ce n'est pas moi qui ai inventé cela. Dans certains pays totalitaires, ce n'est que la peur qui empêche les gens de peut-être devenir de plus grands ciminels.

Une chose certaine, c'est que je pense que si on s'occupe de la formation de son intelligence, de sa volonté, de ses pouvoirs de décision, je pense que, là aussi dans ce domaine particulier où l'enfant commence à prendre, peut-être à cause des fréquentations, à cause de l'ambiance scolaire, certains défauts, certains à-côté de la vie normale. C'est simplement cela, Madame, que je voudrais vous faire expliquer.

Mme Parizeau: M. le député, en ce qui concerne les systèmes autoritaires, et vous les citez à très bon escient, justement, là-bas on a la peur, le Code criminel, les mesures draconiennes et les statistiques qui sont faussées. Or, d'après tout ce qu'on peut conclure, la délinquance juvénile augmente dans toutes les dictatures, aussi bien de gauche que de droite. Vous avez un système de peur, un système draconien. Je crois que, justement, le projet de loi...

M. Bellemare (Johnson): Ce qu'on appelle "l'order in law".

Mme Parizeau: C'est cela. Alors je crois justement que...

M. Bellemare (Johnson): Puis vous prétendez que "l'order in law" produit encore plus de criminels!

Mme Parizeau: Evidemment. Je pourrais vous dire aussi que l'expérience sur le terrain démontre que les jeunes qui ont fait de la prison sont très fiers de pouvoir le raconter à leurs copains et ils deviennent les leaders. C'est d'ailleurs pour cela que c'est si malsain; et ils sont ravis parce qu'en cellule on peut fumer tant qu'on veut et faire beaucoup de bêtises qu'on ne peut pas faire dans les centres d'accueil. Alors "l'order in law", l'imposition de l'autorité, cela ne réussit pas tellement de nos jours. Ce qu'il y a d'intéressant dans l'avant-projet de loi sur la protection, c'est la philosophie qui est développée là-dedans par le ministère des Affaires sociales qui dit: On va les traiter dans le cadre social, mais traitons les dans le cadre social jusqu'à l'âge de 14 ans, au moins, complètement sans les référer aux cours. Parce

que le problème de leur faire peur ou de leur imposer l'autorité — je regrette de ne pas pouvoir vous offrir de preuves formelles, je pense qu'elles n'existent pas — cela ne marche pas. Au contraire, vous obtenez les réactions opposées. Tenez, vous avez un exemple concret, on a essayé d'avoir des unités de SAJ, section aide jeunesse, préspécialisées dans les écoles qui faisaient des exposés aux enfants expliquant ce qu'est la loi, comment il faut se comporter, quelles précautions il faut prendre, ce qu'il ne faut pas faire, ce qui est moral ou amoral, ce qui ne devrait pas se faire ou ce qui devrait se faire. Cela n'a pas été un succès. Ce que les enfants en ont retiré pratiquement c'est l'envie, un jour, de porter un uniforme. On a enlevé aux SAJ les uniformes, on les a envoyés en civil et ils ont même été dotés de cheveux longs pour la circonstance. Cela n'a pas marché plus, cela a donné l'envie aux enfants de discuter quand ils pourront porter une arme.

Je crois que la meilleure façon de lutter contre la délinquance, et peut-être la seule, c'est de faire l'impossible pour que l'enfant, en tant qu'être humain, se sente bien dans sa peau et, pour qu'il se sente bien dans sa peau, il y a deux problèmes.

Premièrement, l'attention que lui accorde les parents, riches ou pauvres, et, deuxièmement, sa progression dans le cadre scolaire. S'il se sent perdant au départ, s'il est toujours malvenu, mal reçu, considéré comme quelqu'un qui dérange la classe, probablement il va devenir un jeune délinquant; il y a 99% des chances qu'il va le devenir. Même si vous lui inculquez des principes moraux, s'il ne se sent pas bien dans sa peau, il va le faire tôt ou tard. Comme je vous dis, pour savoir dans quelle mesure on peut définir quelque chose d'aussi peu défini que de se sentir bien dans sa peau, on n'a que deux normes: attention affective des parents, d'une part, et, autre pôle d'attraction, réussite scolaire, au moins au niveau de la moyenne. Je ne parle pas des grandes réussites exceptionnelles, mais juste au niveau de la moyenne.

Vous n'avez pas de précédents de jeunes délinquants — et cela est non seulement pour le Québec, mais pour le Canada, pour la France, pour l'Angleterre, pour le Danemark, pour la Suède, où j'ai vérifié pour la commission Prévost quand j'étais analyste — qui auraient un cycle scolaire secondaire terminé normalement, c'est quand même une constante significative, il n'y en a pas. Tout ce que vous avez comme jeunes délinquants, connus de la police, connus des cours, connus des institutions, connus des services sociaux en Suède, si on peut référer aux cours, tous ont eu des difficultés scolaires graves, des retards scolaires d'un an, deux ans, trois ans.

Vous n'avez pas de cas. J'ai trouvé un seul cas en France d'un jeune délinquant bachelier qui, aidé par son oncle, a vidé un magasin de fourrures. Il en a fait un vol d'un million et demi de dollars ou quelque chose comme cela. C'est un cas tout à fait exceptionnel. Vous pouvez vérifier également à travers les dossiers de Saint-Vincent-de-Paul, des dossiers de Bordeaux, des dossiers de mineurs. N'importe lequel que vous prendrez, il n'y a pas de précédents des gens qui ont fini leur secondaire ou qui n'ont pas eu de problèmes graves et qui deviennent délinquants.

Tous les jeunes délinquants ont des problèmes d'ordre scolaire.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. Forget: M. le Président, je suis heureux d'entendre Mme Parizeau parler de ces problèmes de difficultés scolaires parce que je crois qu'il est important que ressorte, des travaux de cette commission, cette constatation absolument générale et extrêmement frappante qui est confirmée également aussi par des études que j'ai eu l'occasion de voir et qui seront bientôt rendues publiques. Effectivement les enfants problèmes, les enfants qui ont des difficultés avec la loi, les enfants délinquants, comme on disait — on le dit encore probablement, très généralement — sont des enfants qui ont des difficultés d'apprentissage, des difficultés au niveau scolaire, et il est important de saisir que le lien de causalité est bien celui qu'indique Mme Parizeau. Ce n'est pas parce qu'ils sont délinquants qu'ils se désintéressent de l'école et qu'ils ont des insuccès scolaires, mais il est constaté que c'est dans l'ordre inverse. C'est parce qu'ils ont des échecs scolaires qu'ils sont dévalorisés, qu'ils sont perdants dans la société et qu'ils imaginent aisément qu'ils le seront toujours, qu'ils deviennent délinquants.

Je crois que la véritable prévention se fera essentiellement dans le milieu scolaire par des ressources appropriées pour surmonter ces handicaps d'apprentissage qui est un phénomène que l'on connaît mal encore, mais qu'il est possible de surmonter par une attention particulière. Je n'ai rien d'autre à ajouter à ce que Mme Parizeau a dit là-dessus, sauf peut-être pour qualifier un peu ses remarques relativement à l'enseignement préscolaire parce que je crois que nous n'avons pas, vis-à-vis de l'enseignement préscolaire ou des ressources préscolaires, de signes absolument non équivoques de leur impact ou de leur efficacité.

L'expérience la plus longue peut-être ou la plus significative pour des gens comme nous qui vivent en Amérique du Nord est celle du programme aux Etats-Unis, qui n'a pas été un succès sans limites ou sans réserves.

Il y a une certaine égalité de la capacité des enfants de s'adapter au système scolaire, mais il est également vrai de dire que les enfants favorisés au départ sont ceux qui, malgré tout, bénéficient le plus des programmes préscolaires, et cela ne contribue pas beaucoup à diminuer les écarts. Même ces effets s'estompent au bout de quelques années.

Donc, ce n'est peut-être pas tellement au niveau du préscolaire qu'au niveau du scolaire proprement dit que des efforts doivent être faits. J'insiste sur ce point parce qu'un peu plus tôt, dans ces échanges, on a parlé des centres d'accueil et on a fait allusion à des pénuries que l'on prétend

exister de ce côté. J'aimerais demander à Mme Parizeau sur quoi elle se base pour parler de pénurie de places dans les centres d'accueil.

Je pense que nous avons, au Québec, un assez grand nombre de places dans les centres d'accueil. Mais sur quelle évaluation précise pouvez-vous vous baser pour affirmer qu'il manque des ressources?

Mme Parizeau: M. le ministre, sur les réactions aussi bien des cours que, comme je vous le disais, du livre blanc du ministère de la Justice où on vous donne des statistiques de jeunes reçus dans les prisons. Parce qu'il est impossible d'évaluer, statistiquement et mathématiquement, si on a assez de places ou non.

Je vais prendre des exemples concrets. Ber-thelet est construit en 1963 avec un rôle défini. On dit: Berthelet devra recevoir des jeunes de 14 à 18 ans — c'est dans le premier statut de Berthelet — ayant commis des méfaits graves. Donc, seulement les jeunes délinquants, le statut le précise, et pour de courtes périodes, trois mois d'observation.

Si vous avez, d'une part, une politique du centre définie et, d'autre part, le nombre de places prévues, il est possible de calculer cela par rapport à la clientèle des cours dans l'état actuel des choses. Mais comme par la suite on a dit qu'il n'y avait pas de place, qu'est-ce que cela veut dire: "II n'y a pas de place"? Cela veut dire qu'il y a des centres qui refusent de recevoir des enfants. Il n'y avait pas de place, donc Berthelet a reçu le tout-venant. Berthelet devait servir également d'unité-ressource pour les jeunes qui ne fonctionnent pas dans les écoles de protection pour des courtes périodes de temps, trois mois. Cela non plus, n'a pas marché, parce qu'on nous a toujours répondu: Manque de place.

Boscoville. Boscoville est prévu pour 100 places. Les éducateurs de Boscoville prétendent qu'ils ne peuvent pas, compte tenu du personnel qu'ils ont, en caser plus de 30. On augmente le nombre des jeunes à Boscoville et les éducateurs disent: Nous ne sommes pas capables de fonctionner. C'est public.

Pour savoir exactement si les centres actuels peuvent suffire à la clientèle ou pas, il faudrait d'abord savoir combien de jeunes ils peuvent ou doivent recevoir parce que la capacité stricte des locaux n'a pas de signification compte tenu du fait qu'on répond: Nous ne sommes pas capables de fonctionner.

Le nombre de places prévu à Saint-Vallier est de 100 ou 120 en ce moment. Cela a beaucoup changé, cela a évolué. Il y a eu énormément de changements au cours des dernières trois années. Saint-Vallier en reçoit 30.

Ce qu'on peut dire, dans l'état actuel des choses, des statistiques et des rapports tels qu'ils existent et sont publics, c'est que les jeunes vont également pour des périodes préventives, dites préventives, en prison et qu'il est absolument anormal qu'un jeune de 15 ans, de 14 ans ou de 11 ans, qui est un enfant qui doit être protégé par la société, se retrouve en prison. Le ministère de la Justice a sorti des statistiques claires sur les mineurs reçus dans ces prisons en détention préventive. C'est tout ce qu'on peut dire. On peut dire: Ces jeunes sont là pourquoi? Parce qu'il n'y a pas de place.

M. Forget: Puisque vous avez essentiellement répondu à mes questions en citant d'autrs personnes, c'est-à-dire en disant: On ne peut pas évaluer combien il devrait y avoir de places, mais des gens disent qu'il devrait y en avoir davantage, en particulier les juges, qui souhaitent envoyer dans des centres d'accueil, les jeunes, voudraient qu'il y en davantage.

Je ne nie pas que cela puisse être un fait, mais il demeure que ce n'est qu'un élément du problème. Est-ce qu'il ne serait pas approprié de s'interroger, d'abord sur les motifs du placement? Sur la durée des placements qui sont faits? Et, de façon plus importante, sur l'efficacité de ces placements pour, effectivement, retourner l'enfant à sa famille et produire, une fois ce retour effectué, une situation où l'enfant ne sera pas de nouveau devant le juge, quelques mois plus tard? Autrement dit, l'efficacité de ce placement pour, effectivement, réhabiliter ou rééduquer le jeune en question.

C'est seulement à la lumière de ces évaluations-là qu'il est possible de savoir s'il y a trop de places ou trop peu de places. Il est clair que l'enfant n'aura pas de difficultés vis-à-vis la justice tant qu'il est en centre d'accueil. Mais ce n'est pas une raison pour garder tous les jeunes, de façon préventive, comme vous l'avez indiqué, jusqu'à 18 ans, en centre d'accueil. Il est important que le centre d'accueil apporte une solution au problème, puisque c'est censé être à son avantage, par rapport à la simple détention.

Pour ce qui est de la question des enfants placés dans des prisons pour adultes, il y a une conjonction de circonstances. Il est évident que si toutes les places sont occupées, qu'aucune place n'est disponible, quelle que soit la justification des placements, le surplus ira en prison. Si l'on tient absolument à faire de la détention, cela c'est une des variables qu'il faut évaluer.

En fait, il n'y a pas de nécessité, à l'heure actuelle, de retrouver en prison pour adultes, des jeunes, puisque, par exemple, à la date de vendredi dernier, nous avions 18 places libres, non occupées, en centre d'accueil, pour détention sécuritaire en centre d'accueil. Et nous n'avions, dans les prisons communes, aucun jeune qui relevait de la Loi sur la protection de la jeunesse. Il y avait donc 18 places libres. Il n'y avait aucun jeune en prison, sauf dix cas de personnes de moins de 18 ans, qui étaient en prison pour adultes en vertu de l'article 13.4; alors, à ce moment-là, le placement en prison pour adultes est mandatoire. Il n'est pas, même, permis de placer en centre d'accueil.

Encore une fois, vous avez fait une autre affirmation qui nous permettra d'évaluer l'utilisation qui est faite des centres d'accueil, pour des fins

sécuritaires. Vous avez dit qu'il était difficile ou presque impossible d'obtenir, actuellement, le même traitement pour les jeunes que pour les adultes, et qu'en particulier, le cautionnement ou la libération provisoire, en attendant la comparution, ne se pratiquait pas pour les jeunes. Pourriez-vous expliquer pourquoi elle ne se pratique pas? Est-ce qu'il s'agit d'une disposition de la loi actuelle, ou simplement d'une non-disponibilité ou d'une non-utilisation des possibilités qui existent, malgré tout, théoriquement?

Mme Parizeau: M. le ministre, d'abord je m'excuse, je me suis mal exprimée. Je ne voulais pas dire que les gens disent, je pourrais aussi bien dire les statistiques le prouvent. Je me référais aux statistiques qui sont sorties, en ce qui concerne la détention préventive des jeunes, où vraiment c'est clair qu'ils ne devaient pas être là.

Deuxième élément, libération conditionnelle ou sur parole. Un adulte, si vous avez pris les précautions d'usage en tant que juge, peut toujours être libéré, sur cautionnement ou sur parole. Un mineur, non, parce qu'il n'y a pas de receveur. A un adulte, on peut fort bien dire: Vous vous présenterez à votre procès et, en attendant, débrouillez-vous! Avec un enfant c'est impossible; parce qu'un enfant n'est pas une unité dans notre société qui peut tenir toute seule. Un cas concret, un couple qui est divorcé, la mère est partie en Europe, le père est resté à Montréal, l'enfant a été gardé par une gardienne, l'enfant avait dix ans, il s'est sauvé de chez lui parce qu'il n'aimait pas la gardienne. Il ne voulait pas aller avec la mère, il voulait aller avec le père et s'imaginait qu'en se sauvant il avait plus de chance.

Il s'est fait ramasser par la police à onze heures du soir, à Montréal; il a passé trois semaines à Saint-Vallier parce qu'il ne voulait pas dire comment s'appelaient ses parents. Ce n'est pas parce qu'on voulait le garder à Saint-Vallier, c'est parce qu'il n'y avait pas d'autre solution en termes strictement humains. On ne peut pas dire à un enfant, c'était encore un jeune: Vous vous présenterez, ou tu te présenteras, quand nous serons prêts à procéder. Ces trois semaines à Saint-Vallier, finalement il a admis, enfin il a donné les renseignements indispensables pour qu'on puisse retracer la famille. Il a été traité par un psychiatre pendant un an et demi.

M. Forget: Le cas que vous me citez n'est quand même pas représentatif...

Mme Parizeau: A la suite d'un choc... M. Forget: ... de l'ensemble...

Mme Parizeau: ... traumatisme reçu à Saint-Vallier il y a un an et demi. Ce que je voulais dire, M. le ministre, c'est que contrairement aux adultes, l'enfant a toujours besoin d'un receveur. C'est cela le problème des centres, qu'ils soient sécuritaires, centres d'accueil, centres d'hébergement. Quand on dit hébergement et quand on y insiste tellement, c'est parce que pour un enfant comme pour des jeunes adolescents, même jusqu'à l'âge de 17 ans, c'est indispensable parce que vous ne pouvez pas, dans le concret, le libérer sur parole et lui dire: Tu vas te présenter. Si vous n'avez pas de receveur, vous êtes obligés de le loger quelque part.

M. Forget: Quand vous faites cette affirmation, vous prétendez donc que l'immense majorité des enfants qui viennent en conflit avec la loi n'ont pas de famille qui puisse effectivement s'en occuper, que ce sont tous des cas d'abandon.

Mme Parizeau: Ils n'ont pas de famille ou ne veulent pas les avoir. Il y a deux dimensions dans le problème.

M. Forget: Vous dites que c'est l'immense majorité des cas, les familles ne sont pas une ressource qui peut être utilisée, même provisoirement, pour la réadaptation de l'enfant?

Mme Parizeau: II y a deux dimensions. La première, la famille n'est pas une ressource et cela c'est pour les enfants de moins de 14 ans qui sont laissés à eux-mêmes chez eux pendant des journées et des semaines entières, en raison de l'absence de l'unité parentale, monoparentale. L'autre dimension, les adolescents qui ne peuvent pas rester chez eux parce que le milieu est nettement criminogène et que les juges, comme les travailleurs sociaux, qui connaissent le milieu et singulièrement les travailleurs sociaux parce qu'ils vont dans le foyer, savent fort bien que retourner l'adolescent dans ce milieu signifie le retrouver une semaine plus tard avec un crime, si vous voulez, habituellement un délit beaucoup plus grave que le précédent. C'est cela le problème.

M. Forget: Si la situation est celle-là, M. le Président, effectivement toutes les dispositions de lavant-projet de loi où l'on affirme qu'il faut autant que possible miser sur la ressource que constitue la famille, à votre point de vue, donc, c'est un peu une illusion, que cette ressource n'est pas disponible, n'est pas de nature à apporter quelque aide que ce soit?

Mme Parizeau: C'est très théorique. Les bruits qui ont couru à un moment donné que les travailleurs sociaux arrachaient les enfants à leur milieu familial, dans la pratique c'est parfaitement faux, M. le ministre. Je connais très peu de travailleurs sociaux, compte tenu des difficultés qu'ils ont de trouver un foyer de substitution, parce que ce sont les travailleurs sociaux qui sont obligés de le trouver, ou de trouver un placement qui arracherait les enfants à la famille. Il y a évidemment toujours des protestations, mais dans la pratique, quand un travailleur social décide qu'il faut absolument enlever l'enfant à la famille ou quand un juge décide, c'est parce qu'ils estiment, en leur âme et conscience — il faut quand même leur faire confiance — qu'il n'y a pas d'autre solution parce que le milieu est trop criminogène ou parce que le

milieu est déficient, inexistant, absent. C'est cela le problème.

M. Bellemare (Johnson): Me permettez-vous M. le ministre, c'est dans le même ordre d'idées...

M. Forget: Je vous en prie.

M. Bellemare (Johnson): ... quant à la protection de la famille. Dans une statistique qui a été publiée en avril 1975 aux Etats-Unis, il y a 600,000 jeunes qui ont été arrêtés. Sur cela, il y en a le tiers, 85,000, et — je pense que c'est une statistique qui vous est bien connue — on faisait là une différence énorme dans la condamnation ou dans le jugement rendu, qu'il devait y avoir deux volets bien distincts appliqués premièrement par la protection sociale, qui est ni plus ni moins la famille, comme disait le ministre, et deuxièmement la protection judiciaire.

Après enquête on s'est aperçu que, dans cette vaste exploration qu'on a faite en avril 1975 aux Etats-Unis, 80% des délits de la jeunesse étaient simplement des résistances, des rébellions, des résistances à la police, etc., etc., mais des délits graves, on en trouvait très peu. Alors, moi je me dis, comme le ministre le dit, et je pense qu'il y a quelque chose de fondé, que la loi devrait se diriger plutôt vers la protection sociale, qui est d'abord la famille et l'environnement, plus que vers les jugements judiciaires qui peuvent être rendus, si on veut véritablement faire un pas d'avant.

Alors deux choses, deux caractères bien distincts, la protection sociale qu'on doit accorder à cet enfant plus que la protection judiciaire. Je ne sais pas si je fais erreur, mais il semble que cela devrait être l'orientation, à cause de ce qu'on vient de nous relater dans des statistiques officielles du mois d'avril 1975 aux Etats-Unis.

Mme Parizeau: M. le député, il y a des problèmes avec les statistiques américaines. Il y a un problème fondamental, je voulais le mentionner en marge, c'est le problème racial aux Etats-Unis qui...

M. Bellemare (Johnson): Oui, racial.

Mme Parizeau: ... gonfle les statistiques et que nous n'avons pas ici. Mais ce que je voulais dire, la dichotomie entre la protection sociale et la protection judiciaire est strictement théorique. La protection sociale, c'est une protection qui consiste, je m'excuse de me répéter, à protéger l'enfant. D'accord? Mais protéger l'enfant cela ne veut pas dire, en termes sociaux, strictement sociaux, que cela signifie uniquement le maintenir dans son milieu naturel de vie qui est inadéquat. La protection sociale signifie protéger l'enfant et le placer au besoin.

C'est seulement nous qui nous sommes dit qu'en droit on ne peut pas faire confiance aux travailleurs sociaux, ce qui est très mauvais, parce que c'est la meilleure façon de ne jamais créer un corps fier, indépendant et professionnellement engagé. C'est nous qui avons décidé cela, en vertu de principes du législateur, de protéger les droits individuels, et de qui? je voudrais bien savoir, de la famille, de la famille déficiente, inadéquate, indifférente, cruelle, mettons-en. Nous protégeons ces droits en disant: II faut un juge qui décide, parce qu'autrement les travailleurs sociaux pourraient exercer leur protection de l'enfance au mépris des droits des parents.

Il suffit de mettre un droit d'appel des parents et de dire aux travailleurs sociaux: Vous êtes libres de protéger leurs enfants jusqu'à l'âge de 14 ans, aussi bien en termes de placement, et cela se fait maintenant. Du moment qu'il y a de l'accord entre les travailleurs sociaux et les parents, ils les placent.

M. Bellemare (Johnson): Seriez-vous d'accord pour établir un tribunal de la famille?

Mme Parizeau: Le tribunal de la famille, vous restez encore dans le cadre judiciaire, pourquoi pas la commission telle que proposée par le ministère des Affaires sociales dans l'avant-projet et accepté par le ministère de la Justice? Pourquoi pas tout simplement la commission de protection de l'enfance, qui est un tribunal administratif en droit, si vous voulez, et qui est en fait un service social aux gens? L'unique problème qui reste en droit, que vous avez soulevé, M. le Président, c'est le cas de placement quand il y a mésentente entre la décision du travailleur social et la décision de la famille, parce que nous disons, en vertu de traditions romaines: Préservons le droit de la famille et, dans ce cas, qu'il y ait une tierce personne, le juge qui tranche.

Donc, les travailleurs sociaux doivent demander au juge l'article 15, protection. Nous pourrions fort bien dire: Pourquoi est-ce que nous n'assurons pas cette protection des droits à travers le droit d'appel, en disant aux gens: Vous n'aimez pas la décision du travailleur social, allez en appel, l'appel est gratuit devant une cour, ou demandez un traitement judiciaire? Mais toute la dichotomie en traitement judiciaire et social, elle est absolument artificielle, nous l'avons créée parce que nous l'avons voulu telle.

Maintenant, pourquoi certains parents ne sont pas d'accord avec le placement? Je reviens à la question, à ce que disait tout à l'heure M. le ministre des Affaires sociales. Si vous voulez, dans certains cas, il y a des parents qui ne sont pas d'accord avec le placement de l'enfant, non pas en vertu de l'amour parental, ou de l'amour des parents naturels, mais tout simplement parce qu'ils ne veulent pas perdre l'allocation familiale. Tous les travailleurs sociaux le savent qui travaillent sur le champ, le juge aussi.

On peut expliquer cela en termes de pauvreté, on peut expliquer cela en termes d'égoïsme, on peut expliquer cela en différents termes, selon les cas. D'ailleurs c'est très difficile de généraliser, mais on sait que cela existe et il n'y a pas de raison pour laquelle le travailleur social ne pourrait pas trancher.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Les membres de la commission ont-ils d'autres questions?

Alors, merci bien, Mme Parizeau. J'invite immédiatement le représentant de l'Hôtel-Dieu du Sacré-Coeur.

M. Charron: De Québec, M. le Président.

Hôtel-Dieu du Sacré-Coeur de Jésus

Mme Dauphinais: Nous représentons, le Dr Serge Côté, psychiatre, et moi-même, travailleuse sociale...

Le Président (M. Houde, Limoilou): Votre nom, madame?

Mme Dauphinais: ... les membres du Conseil consultatif du personnel clinique de l'Hôtel-Dieu du Sacré-Coeur, qui comprend 272 cliniciens.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Un instant, madame. Votre nom, s'il vous plaît?

Mme Dauphinais: Lyse Dauphinais, travailleuse sociale.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Merci.

Mme Dauphinais: L'étude que nous avons faite est partie d'une préoccupation pratique. Nous trouvions au travail que nous avions à faire, dans les cas de placement d'enfants, de protection de la jeunesse et d'enfants maltraités, une lourdeur administrative. C'est un rapport un peu subjectif, dirais-je.

Le but de l'étude était de proposer une politique de relations avec le CSS et les cours dans le cas de placement d'enfants, de protection de la jeunesse et d'enfants maltraités. Les travaux du comité ont eu comme base les droits et responsabilités des bénéficiaires, d'une part, et, d'autre part, les responsabilités des établissements concernés. Ces responsabilités sont définies dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux, dans la Loi de la protection de la jeunesse et dans la Loi concernant la protection des enfants soumis à des mauvais traitements.

A partir des expériences cliniques des membres et des praticiens du milieu, le comité a d'abord tenté de définir la problématique actuelle, considérant l'organisation des services à l'enfance dans la région 03, c'est-à-dire la région immédiate de Québec. Au cours de ces travaux, le comité a appris qu'une nouvelle loi sur la protection de la jeunesse était actuellement à l'étude. Nous avons pris connaissance de l'avant-projet de loi et il nous a semblé que ce document ne pouvait être que le seul valable pouvant préciser une politique de relations interétablissements dans les services à l'enfance. Nous avons donc formulé des recommandations et commentaires sur cet avant-projet de loi en tenant compte de la problématique actuelle et des solutions à apporter. En ce sens, no- tre étude de l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse est sûrement incomplète, car elle avait comme limite l'étude des relations interétablissements dans le cas de placement d'enfants et de protection de la jeunesse.

La problématique. Actuellement, tous les cas de demandes et de recommandations de placement d'enfants, de la part des spécialistes doivent passer par le CSS à la zone ou filiale d'origine de l'enfant pour évaluation de la demande par un praticien social. Par la suite, cette demande, si elle est jugée recevable, est soumise au comité d'admission de l'institution choisie par le praticien. C'est le comité d'admission de l'institution qui, selon la Loi sur les services de santé et les services sociaux, décide si l'enfant sera admis ou non, le tout dépendant de ses critères d'admission lorsqu'il en a. C'est une optique décentralisée et, dans cette optique, nous nous heurtons à des problèmes de communications.

Nous constatons une lenteur du processus qui peut amener un dédoublement des examens et il y a des décisions contraires aux recommandation des consultants. L'admission d'un enfant, par exemple, dans un centre d'accueil, dépend souvent de la personne qui fait la présentation des cas. On constate aussi une absence d'autorité du CSS sur les institutions alors qu'il est mandaté pour protéger et héberger l'enfant. Les critères d'admission dans les institutions sont, dans bien des cas, absents ou trop sélectifs. Il existe également une fausse compétition des praticiens entre eux, ce qui les amène à remettre parfois en question les recommandations de placement venant des spécialistes. On constate également, en pratique, de mauvaises orientations des enfants, soit à cause d'une évaluation incomplète ou de l'absence de critères d'admission.

Les praticiens se plaignent d'un manque d'information à jour sur les ressources à l'enfant, interservices, interzones, interservices, interzones, interétablissements, d'où les parents et l'enfant ne peuvent être informés adéquatement. On constate également une tendance à prendre l'hôpital comme un centre de dépanage. Une ambiguïté aussi sur la prise en charge et le "follow-up" de l'enfant dans les cas où l'hôpital est impliqué amène un problème, lorsqu'il y a une décision à prendre pour l'intérêt de l'enfant.

Alors, tous ces éléments de la problématique, ces problèmes de communications nous semblent donc se situer au niveau de l'orientation et de l'admission d'un enfant à des services. Egalement, dans la détermination de l'autorité et des responsabilités des parties en cause. Egalement, au niveau de l'information à jour des praticiens sur les ressources à l'enfance. Trois grands problèmes qui nous amènent beaucoup de lourdeur et de problèmes.

En ce qui concerne le partage de l'autorité et des responsabilités, la Loi sur les services de santé et services sociaux, chapitre 48, confie la responsabilité d'évaluation et de traitements médicaux psycho-sociale aux centres des services sociaux et aux centres hospitaliers. L'avant-projet

de loi sur la protection de la jeunesse prévoit la création d'un organisme québécois, la Commission de la protection de la jeunesse, qui établira, dans chaque région administrative et district judiciaire, un comité local d'orientation, CLO, qui évaluera chaque cas d'enfant qui lui est soumis requérant une intervention, articles 47, 48 et 51. Lorsqu'il aura évalué une situation, le comité décidera si la santé, la sécurité et le développement de l'enfant sont en danger et s'il doit être pris en charge, ou bien suggérer des mesures volontaires, article 52. Si le comité décide qu'il doit être pris en charge, il confie le cas à un directeur de la protection de la jeunesse, au CSS, avec instruction de mettre en application des mesures de protection suggérées par le comité ou de déférer le cas à la cour.

La Loi sur la protection de la jeunesse crée aussi une direction de la protection de la jeunesse multidisciplinaire aux CSS, article 42. Alors, le directeur de la protection de la jeunesse devra effectuer des analyses périodiques sur chaque cas d'un enfant qui lui est confié. Il a également la responsabilité de l'hébergement d'un enfant qui lui est confié, volontaire ou involontaire. Il doit surveiller l'application de mesures volontaires. Parallèlement, la loi crée des conseils de surveillance. D'abord, au comité local d'orientation et un autre au CSS qui est responsable vis-à-vis du conseil d'administration du contrôle et de l'appréciation des actes posés par les personnes oeuvrant au sein de la direction de la protection de la jeunesse.

Dans cette optique, le centre local d'orientation a un rôle d'évaluation, à savoir si l'enfant se trouve dans une situation qui mette en danger sa sécurité, son développement ou sa santé, et d'orientation de l'enfant pour sa prise en charge. Le CSS lui, direction de la protection de la jeunesse, a un rôle au niveau de la prise en charge et du "follow-up," soit de l'hébergement volontaire ou involontaire, et de l'application de mesures volontaires, évaluation et traitements psychosociaux, etc.

Les centres hospitaliers, eux, continuent à jouer un rôle d'évaluation et de traitements médicaux psychosociaux. Et dans ce rôle, ils pourront être en relation avec le CLO, la direction de la protection de la jeunesse et la cour, à titre consultatif dans l'application de cette loi.

Cette nouvelle loi tente donc de faire respecter les droits de l'enfant par les parents et par les établissements publics, plutôt que le confier aux institutions judiciaires, et favorise le maintien de l'enfant dans son milieu familial et social — et le milieu social de l'enfant généralement, c'est l'école — ou un milieu s'y rapprochant le plus, autant que possible.

Alors, se basant sur cette compréhension du partage des responsabilités en regard de la protection de la jeunesse, nous avons formulé des recommandations.

Nos recommandations: Nous croyons que seule une législation pourrait résoudre ce problème de l'orientation et de l'admission des enfants aux centres d'accueil ou autres et du partage de l'autorité et des responsabilités et de l'information sur les ressources à l'enfance.

Après avoir pris connaissance de l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse , nous ne pouvons que souhaiter, premièrement, une législation globale relative à la protection de la jeunesse.

Dans cette optique d'une législation unique, nous ne croyons pas qu'il soit opportun d'appliquer la loi concernant la protection des enfants soumis à des mauvais traitements puisque ces objectifs sont inclus dans le nouveau projet de loi sur la protection de la jeunesse. Par ailleurs, ce nouveau projet de loi prévoit des services pour les enfants tombant sous cette loi, par exemple, des évaluations et une orientation. Il faudrait que les mêmes services soient offerts pour les cas de placement volontaire d'enfants et que les placements .d'enfants soient tous centralisés à la direction de la protection de la jeunesse, au centre des services sociaux pour orientation et admission.

Deuxième recommandation qui concerne l'orientation et l'admission des enfants en centres d'accueil et dans les familles d'accueil. Notre comité déplore que les plans à l'étude, lois et plans de développement tendent à suggérer trop facilement que les centres d'accueil sont une formule dépassée. Il ne faudrait pas oublier que le placement d'un enfant en centre d'accueil est parfois préférable. Par exemple, pour les enfants qui ont subi plusieurs placements en familles d'accueil, également pour les troubles de comportement sévères. Par exemple, il est inadmissible que nous acceptions des comportements d'auto-destruction et des comportements de destruction. Je pense que ce sont des troubles de comportement sévères et peut-être que les centres d'accueil sont des formules préférables aux familles d'accueil ou au milieu naturel, dans certains cas.

Pour assurer une complémentarité totale vis-à-vis la clientèle qui a besoin de protection et d'hébergement, il nous paraît essentiel que soient révisées les procédures d'orientation et d'admission, particulièrement pour les centres d'accueil pour enfants, et que le contrôle de l'admission soit le plus près possible de celui qui a la responsabilité de la protection de la jeunesse, au centre des services sociaux. En ce sens, nous recommandons que l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse soit modifié, ainsi que la loi sur les services de santé et les services sociaux, de façon à prévoir la centralisation des admissions en centres d'accueil et en familles d'accueil, au centre des services sociaux.

A cette fin, un comité d'admission et de séjour dans chaque centre de services sociaux devrait être institué par la direction de la protection de la jeunesse. Un tel comité aurait pour fonction de proposer des critères d'admission et de durée de séjour des bénéficiaires dans les centres d'accueil et de recevoir les demandes d'admission et les orienter à l'endroit le plus approprié pour la protection de l'enfant, de promouvoir la création des ressources à l'enfance. Ce comité pourrait être composé des personnes suivantes: du directeur

de la protection de la jeunesse, des membres du centre local d'orientation selon l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse, des directeurs des centres d'accueil de la région, du directeur des services professionnels du centre des services sociaux, du directeur général du centre des services sociaux et d'un représentant de la commission de la protection de la jeunesse. Une troisième recommandation qui touche l'administration financière du placement; nous recommandons de donner la responsabilité de l'administration financière du placement au centre d'accueil. Par exemple, pour l'évaluation et la perception de la contribution financière des parents ou autres, après que seront déterminées l'admissibilité et l'orientation de l'enfant dans un centre d'accueil, parce qu'actuellement l'évaluation financière se fait avant de déterminer si un enfant va être admis dans un centre d'accueil. Il nous semble que ceci accélérera le processus et permettra à chaque établissement de remplir sa mission réelle.

M. Côté (Serge): Quelques commentaires à ajouter là-dessus. Au fond quand on demande que la loi puisse obliger les centres d'accueil à prendre tel ou tel enfant ou adolescent, on suppose en même temps le corollaire suivant: Que ces centres d'accueil ont la possibilité administrative d'engager du personnel nouveau ou d'offrir les locaux adéquats. C'est facile de placer des gens — d'ailleurs cela a été dit tantôt — dans des centres d'accueil, de faire des institutions type poubelle, mais au fond on pourra nuire, à ce moment, au traitement prévu. On peut en rentrer des gens.

J'ai vu à la télévision, la semaine dernière le garçon de dix-sept ans qui avait fait plusieurs vols, mais on peut le placer dans un centre d'accueil, mais allons-nous aider aux autres à ce moment?

Chez nous, aussi, il y avait une inquiétude au sujet des dédoublements possibles. Disons qu'un enfant est suivi à l'hôpital et que le DPJ le voit à son tour; on se demande ce qui va se passer à ce moment-là.

Tantôt, on a parlé des enfants qui sont maltraités psychologiquement. C'est sûr qu'on serait tenté de les sortir des familles, ces enfants. J'ai justement un cas en traitement actuellement où l'enfant est vraiment le bouc émissaire de la famille. Cet enfant n'a pas envie de sortir de chez lui. C'est dangereux, je pense, avec la loi, si on se fie à la loi, de sortir des enfants qui, même s'ils sont maltraités, n'ont pas envie de sortir de chez eux. Je pense que c'est une chose à laquelle la loi devra faire attention au niveau de son application.

Mme Dauphinais: Aussi, j'ai eu l'occasion de travailler, pendant cinq ans et demi, avec des parents et des familles et je pense — en tout cas en ce qui me concerne c'est arrivé très rarement — que, lorsqu'on fait un travail auprès de la famille, c'est rare qu'ils n'en arrivent pas à collaborer. Je crois très fortement que les familles pourraient bénéficier d'une aide soit d'un travailleur social, d'un psychiatre ou d'un psychologue au niveau familial et que c'est très profitable pour l'enfant et pour les parents comme individus. Je pense qu'on peut éviter beaucoup de choses en travaillant avec les familles.

M. Côté (Serge): En même temps, il y a un autre point dont on se sert, actuellement, très souvent. Face à différents délits, on cherche à trouver des causes. Souvent, les gens nous appellent. On dit que c'est un problème qui est psychiatrique. Pour moi, cela ne veut pas dire grand-chose. On enlève le danger. Je suis complètement d'accord qu'on doit aider à la protection de l'enfant mais il demeure toujours une réalité qui est importante; l'enfant ou l'adolescent qui pose des actes, à moins vraiment de maladies qui sont spécifiques, a quand même une responsabilité par rapport à ses actes. A travers tout cela, on ne doit jamais oublier l'esprit de réalité.

C'est un commentaire, tantôt, de M. Charron, qui m'a fait penser qu'il fallait que je l'ajoute. Souvent, on parlait de délits qui pourraient amener le jeune à la prison si, chez l'adulte, cela entraîne une peine minimale de trois ans. Je suis pleinement d'accord là-dessus qu'il y a des jeunes qui vont présenter des délits dits importants dont la solution, souvent et malheureusement, n'est pas la justice à ce moment-là. Par contre, il y a quand même l'autre solution inverse où chez certains jeunes l'esprit de la réalité de la loi, d'une certaine justice sociale, c'est important; quand même, il faut pour certains qu'on puisse faire intervenir la justice antérieurement.

J'ai quelques cas en traitement où, face à des petits vols, j'ai fait une plainte moi-même pour que le jeune passe devant le juge pour impliquer une certaine réalité. Tantôt, on a dit que la peur est le début de la sagesse. Ce n'est pas dans le sens qu'il faut amener les jeunes à avoir peur mais, pour certains, même si on les avait en thérapie, qu'on pourrait travailler avec eux leur comportement, cela n'a aucune signification réelle. C'est l'intervention qui peut intervenir face au juge dans le sens qu'il y a un représentant, il y a une structure qui rencontre le jeune et qui lui permet d'acquérir une certaine réalité. C'est dans ce sens que la loi devrait permettre une certaine souplesse.

Enfin, un dernier point. C'est juste un commentaire. Tantôt on a parlé de la délinquance et des difficultés scolaires. Je pense qu'on peut avoir des jeunes qui vont très bien à l'école et qui ont de la délinquance. Je pense que c'est un problème complexe parce que, pour aller à l'école, il faut se sentir bien dans sa peau et souvent les difficultés qui vont commencer à l'école sont dues en grande partie à des conflits intérieurs qui se recoupent dans la famille. Malheureusement, souvent, on intervient chez l'adolescent. J'en ai deux, actuellement, qui ont 17 ans, qui sont en pension à l'extérieur et dont les parents ne veulent pas. On a beau travailler avec l'enfant ou l'adolescent, il y a des fois — il faut être réaliste — qu'il y a des parents avec lesquels on ne peut pas travailler. Il faut à ce moment-là qu'on puisse offrir aux enfants et adolescents une structure intermédiaire.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre.

M. Forget: M. le Président, j'aimerais apporter une précision parce qu'il y a dans ce dernier mé-

moire presque une interrogation qui est peut-être attribuable soit à la complexité de la mesure envisagée, de l'avant-projet de loi, ou tout simplement à une lecture trop rapide de certains articles. C'est relatif au rôle du directeur de protection de la jeunesse vis-à-vis des centres d'accueil.

On nous fait une recommandation, dans ce mémoire, de modifier l'avant-projet pour donner au directeur de la protection de la jeunesse un rôle de placement, la responsabilité de décider du placement. Or, si l'on se reporte aux articles 53 et 111 en particulier, du projet, on verra que c'est déjà inscrit dans le texte de l'avant-projet, puisque nous avons là le pouvoir du directeur de la protection de la jeunesse d'appliquer — c'est à l'article 111 — d'autorité la décision du tribunal de faire un placement, mais de l'appliquer dans des circonstances particulières. On indique, en particulier, que "lorsque la cour ordonne l'hébergement obligatoire d'un enfant, elle charge le directeur de la protection de la jeunesse du centre de services sociaux qu'elle identifie" — qu'il identifie, il y a une erreur ici dans le texte, je crois — "du centre de services sociaux qu'elle identifie — exactement — de désigner un centre d'accueil où une famille d'accueil..." Donc, elle charge le directeur de désigner le centre d'accueil. Et, au deuxième paragraphe: "Tout centre d'accueil désigné par un directeur conformément à cet article est tenu de recevoir l'enfant..." Donc, il y a une...

M. Côté (Serge): Pour quelle période? Il n'y a pas une période de 48 heures seulement?

M. Forget: Non, non, il s'agit là de mesures permanentes...

M. Côté (Serge): Permanentes?

M. Forget: ... et c'est le directeur qui a la responsabilité, à tous les six mois, de réévaluer l'opportunité de maintenir le placement et de faire les recommandations appropriées au juge, s'il s'agit d'un placement obligatoire. Donc il a la responsabilité à la fois du placement et du congé.

Mme Dauphinais: C'est vrai, M. le ministre, que... Nous avons fait une lecture rapide de la loi. Maintenant, l'esprit de la recommandation que nous avons faite de modifier la Loi sur les services de santé et les services sociaux, c'était de confier l'admission, pour les placements, au centre de services sociaux plutôt qu'à chaque centre d'accueil. Parce qu'actuellement, dans la loi, si je ne me trompe pas, dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux, il est prévu des comités d'admission pour chaque institution.

Or, notre recommandation vise à ne faire qu'un seul comité d'admission qui serait centralisé à la direction de la protection de la jeunesse au centre de services sociaux. C'est l'esprit que nous avions, lorsque nous avons...

M. Forget: Je comprends votre remarque, mais j'aime mieux souligner tout de suite qu'étant donné ces dispositions de l'avant-projet, s'il devient une loi, sans des modifications, elles ont pour effet de rendre immédiatement inapplicable cette partie des règlements qui devrait donc être retirée. Tous les effets que vous souhaitez se retrouvent déjà dans les textes, y compris l'amendement implicite à la réglementation de la Loi sur les services de santé et les services sociaux.

M. Charron: Vous voulez dire — je vais vous le demander tout de suite, parce que cela va préciser beaucoup — que, si l'article que vous venez de lire était appliqué comme tel dans la loi, les comités d'admission au niveau de chacun des centres d'accueil n'auraient rien d'autre à faire que d'accepter ce que décide le directeur de la protection de la jeunesse du CSS en cause, soit le renvoi parfois sur ordre de la cour, parfois sur ordre d'un CLO.

M. Forget: Effectivement.

Mme Dauphinais: Si vous permettez un commentaire, nous suggérons qu'il y ait un comité d'admission et de séjour au CSS; feraient partie de ce comité, dans notre recommandation, les directeurs des centres d'accueil. Donc, ils pourraient dire leur mot; il pourrait y avoir une certaine entente entre les différents centres d'accueil sur le genre de clients qu'ils peuvent accepter ou ne pas accepter. La décision pourrait se prendre — évidemment, ce ne serait pas tous les cas qui pourraient passer par le comité d'admission, parce qu'on n'en finirait pas — pour les cas litigieux après une entente entre les différents directeurs des centres d'accueil à savoir qui va admettre ou non un enfant. En ce sens, ils conserveraient une certaine autonomie; je suis d'accord pour qu'ils conservent une certaine autonomie, mais...

M. Charron: Je crois que lorsque nous entendrons les représentants des centres d'accueil, qui doivent venir à un moment ou à un autre, ils vont certainement nous faire valoir qu'ils voient dans la loi actuelle une perte de cette autonomie, puisqu'ils n'auront... Lorsque, si j'ai bien compris la réponse du ministre, le directeur de la protection de la jeunesse décidera que tel jeune x, c'est dans telle institution qu'il doit aller, l'institution n'a qu'à l'accepter.

M. Forget: Effectivement et je pense que, comme on vient de le souligner, il ne répugne pas à ce régime-là que, dans l'exécution de cette responsabilité, le directeur de la protection de la jeunesse soit éclairé, dans son jugement, par un comité consultatif pour établir avec lui des critères d'admission à différents centres d'accueil.

Il reste que ce projet effectue un transfert de responsabilités très marqué.

Ceci me pousse à vous poser une question, puisque vous parlez au nom de l'équipe professionnelle d'un centre hospitalier de pédopsychiatrie, c'est-à-dire de psychiatrie pour l'enfance, qui découle naturellement de votre souci d'éviter le

dédoublement des services. Dans le texte, on voit, non pas explicitement mais implicitement, le rôle d'un service d'évaluation de pédopsychiatrie: intervenir à titre d'expert au moment de l'évaluation, au moment de la comparution en cour. Il est clair qu'à ce moment-là un expert peut être non seulement souhaitable mais même nécessaire dans certains cas. Il reste qu'en plus de fournir des évaluations expertes sur l'aspect psychologique ou psychiatrique de certains enfants ou certains parents, il y a aussi un autre rôle qui est rempli par un centre hospitalier comme le vôtre, qui est de recevoir des enfants un peu comme un centre d'accueil.

Est-ce que ce souci d'éviter le dédoublement ne suppose pas que le rôle de la direction, du directeur de la protection de la jeunesse, quant aux admissions en centres d'accueil, pourrait se poser également quant aux admissions dans une unité — je ne parle pas des services externes — de séjour de pédopsychiatrie?

Mme Dauphinais: Je ne crois pas que notre centre hospitalier soit reconnu comme un centre d'accueil, en ce qui concerne le service de psychiatrie infantile et juvénile; je crois plutôt que les jeunes qui sont là sont hospitalisés, reçoivent des soins médicaux et reçoivent également des services sociaux ou psychologiques. Je ne crois pas que nous soyons reconnus comme centre d'accueil.

M. Forget: Non, je ne prétends pas que vous soyez reconnus comme centre d'accueil mais, indépendamment du titre de l'établissement ou de la désignation de sa catégorie, vous recevrez des jeunes qui sont pour une part des jeunes qui peuvent bénéficier de la Loi sur la protection de la jeunesse. Relativement à ces admissions, de manière à éviter toute espèce de duplication, de conflit et de lenteur dans les décisions que vous avez décrites relativement à des centres d'accueil, n'y a-t-il pas le même argument qui peut jouer vis-à-vis des admissions pour cette partie de vos services?

M. Côté (Serge): J'aimerais répondre à cela dans le sens que j'ai mentionné tantôt. Où on a des demandes, c'est dans les cas dits psychiatriques avec lesquels les centres d'accueil ont toujours beaucoup de difficulté. Je pense à certains cas où il y a un mélange de problèmes affectifs et de problèmes caractériels. D'ailleurs, un cas m'a été soumis hier, un jeune garçon de 14 ans qui a tué un autre enfant. La réalité, et c'est là une difficulté importante, quand on a des structures à l'hôpital qui sont, comme on a chez nous actuellement, un centre de jour et une unité interne qui va ouvrir bientôt, le travail au niveau de cette unité est surtout pour des problèmes franchement psychotiques et des problèmes prépsychotiques. La difficulté vient lorsque nous avons affaire à des jeunes qui ont des problèmes affectifs et qui ont aussi des problèmes caractériels importants de passage à l'acte. On n'est pas capable de répondre adéquatement pour le jeune dans le milieu. Et si on l'a amené, c'est au détriment des autres jeunes qui sont dans le milieu, à qui on va nuire.

Cela vaut pour l'hôpital, cela vaut pour les autres centres d'accueil. Je peux citer une expérience qu'on a eue, il y a deux ans, alors qu'on avait un mélange de psychotiques et de problèmes caractériels; à chaque semaine, il y avait des délits, des assauts agressifs et des difficultés semblables. C'est en ce sens qu'on a quand même une inquiétude dans le milieu. On se demande comment cela va être manipulé et quelles sont les ressources qu'on va donner à ces gens. Souvent, dans les centres d'accueil qui existent actuellement, on ne répond pas; il y a Pinel actuellement, seulement, et il n'y a que quinze lits, qui répond à ce genre de problème. Il n'y en a pas d'autres à part cela dans la région de Québec. Je pense à certains cas particuliers.

M. Forget: Vous avez raison de vous inquiéter des problèmes que peuvent causer les enfants qui souffrent de problèmes de comportement sérieux, disons les caractériels, selon l'expression consacrée, et qui, en plus de cela, ont des troubles de nature psychiatrique. Il reste que les difficultés d'admission dans des centres hospitaliers pour ces jeunes sont très réels.

Je les ai constatés personnellement. Il y a des délais très considérables et je veux bien croire que cela cause des problèmes que de recevoir ces enfants caractériels, mais il demeure que c'est quand même le centre de pédopsychiatrie qui est le mieux équipé, toute comparaison faite, pour s'occuper de ces enfants plutôt que des centres d'accueil qui ont déjà du mal à s'occuper d'un enfant caractériel, mais qui sont encore plus désavantagés lorsque s'ajoute à cela des problèmes psychiatriques ou des problèmes beaucoup plus graves que simplement des problèmes de comportement. C'est un peu un conseil de désespoir que de ne pas admettre ces enfants puisqu'autrement ils vont rester dans des centres d'accueil. J'ai vu personnellement des dossiers qui sont extrêmement douloureux d'enfants dans des centres d'accueil et c'était, dans certains cas, ces enfants qui étaient dans des unités d'isolement, parce qu'ils avaient des tendances autodestructives ou des tendances agressives très marquées et on devait les isoler, alors qu'ils auraient peut-être été mieux traités, toute chose égale, pas sans difficulté sans doute, dans une unité de pédopsychiatrie.

M. Côté (Serge): II faudrait que vous veniez sur les départements pour voir exactement comment un psychotique, écoutez vous parlez justement de problèmes caractériels, d'agir. On va définir au niveau du caractériel dans le sens de passage à l'acte, d'actions agressives, d'accord, avec des gens qui ne sont pas franchement psychotiques, donc nécessairement qui n'ont pas besoin, je veux dire, le problème est souvent confus au niveau de la présentation globale et dans les unités comme il en existe actuellement, vous viendrez les voir les deux unités qu'on a chez nous à Sacré-Coeur pour adolescents, il y a vraiment du

danger pour les autres enfants et adolescents psychotiques du milieu face à ces choses.

Souvent même, dans les institutions, dans les centres d'accueil, c'est par rapport à l'agir, alors que théoriquement souvent ces institutions sont conçues par rapport surtout à des jeunes qui ont de la difficulté au niveau de l'agir. Alors que quand même plus à l'hôpital, en tout cas, chez nous, au niveau de la pédopsychiatrie, on a affaire plus à des jeunes au niveau introverti, où le conflit est beaucoup plus à l'intérieur d'eux-mêmes, où nécessairement la difficulté justement des jeunes qu'on a là d'agir lors de difficultés.

Or, si on rajoute même rien qu'un adolescent qui a un problème au niveau de l'agir par rapport aux autres qui sont là, vous devriez voir les autres, comment ils deviennent après. Le personnel réussit toujours à travailler à ce niveau, mais les autres enfants et adolescents qui sont là, c'est bien de valeur, on leur nuit.

M. Charron: Alors, pour enchaîner sur la question du ministre, qu'est-ce qu'on ferait avec ce jeune qui est dans cette situation? Ecoutez, vous êtes venu nous demander, presque mot à mot, de supprimer l'autonomie des centres d'accueil quant à l'admission, à cause des différents critères, etc. Vous proposez un comité au niveau du CSS où des directeurs de centres d'accueil y seraient. Il y a des représentants de centres d'accueil ici qui vont plaider que chez eux aussi, je n'ai qu'à penser à Boscoville, ils ont une thérapie organisée de réhabilitation. Il est très important que le groupe apprenne à fonctionner ensemble, un groupe de huit ou de douze, et que, je suis allé à Boscoville il y a encore deux semaines, la seule initiative qu'a dû prendre le ministre de force pour retirer des enfants de la prison commune de Bonsecours à Montréal a bousculé Boscoville dans son fonctionnement normal, a obligé à défaire des unités et plusieurs éducateurs se sont sentis reculés dans le cheminement qu'ils avaient effectivement entrepris.

Tout cela, vous le savez, ne vous a pas empêché de demander que les critères d'admission propres à chaque établissement puissent à l'occasion être élevés au niveau du CSS. J'admets encore, et vous avez beaucoup plus de compétence que moi là-dessus, sur le plan psychiatrique, ce que peut produire de mauvais effets, le fait d'amener un cas nouveau à un endroit, mais ils existent ces cas nouveaux et, comme nous dit le ministre, actuellement, très souvent, ils croupissent dans des centres d'accueil où ils sont les plus à l'écart, parce que par mesure de sécurité, à l'occasion, on doit les tenir à l'écart et souvent les autorités des centres d'accueil le font à regret.

On a souvent représenté les autorités de centres d'accueil comme étant des maniaques SS. Ce n'est pas le cas. Ils le font très souvent à regret, mais ils doivent le faire. Les hôpitaux se disent incapables de les accueillir, alors que ce sont des malades, il faut bien l'admettre.

Ce ne sont pas simplement des enfants qui ont un comportement perturbé à cause de pro- blèmes familiaux, de problèmes sociaux, ils sont malades. La place, en vertu de la loi 48, pour les soins médicaux, ce sont les centres hospitaliers.

M. Côté (Serge): Je suis pleinement d'accord avec ce que vous dites. Je vais dans des institutions où il y a des difficultés semblables. Je peux parler d'une, entre autres, où je vais, le Mont-Saint-Aubert, et où, malheureusement, nous avons des psychotiques chroniques, donc des psychotiques qu'on a eus en traitement à l'hôpital, en traitement actif. A un moment donné, il y a une chro-nicisation du processus psychotique; donc, à un moment donné, ils sont bien dans leur peau, ils ne dérangent plus, mais il demeurent psychotiques.

Je suis pleinement d'accord pour dire qu'à l'hôpital on pourrait peut-être les prendre, mais à ce moment-là qu'on nous donne le loisir de les traiter adéquatement. Il y a l'institution Pinel que je trouve excellente; c'est le Dr Marquette qui est là. Il faut qu'on ait une unité capable de les traiter. Je suis bien d'accord pour qu'on ne détruise pas les centres d'accueil. D'ailleurs, je l'ai rajouté dans mon corollaire tantôt. Je suis pleinement d'accord qu'on ne l'impose pas. On l'a dit. Je ne suis pas d'accord qu'on l'impose aux centres d'accueil sans leur donner les ressources adéquates, mais qu'on ne vienne pas non plus à l'hôpital en disant: Cela, c'est un cas difficile, prenez-le. Détruisez aussi le traitement que vous faites avec les psychotiques. Ces gens ont autant le droit que les autres d'avoir un traitement adéquat, d'être traités très bien, autant que les gens en centres d'accueil.

M. Charron: Je voudrais vous dire, Dr Côté, que pour vous rendre à la suggestion du ministre il faudrait que le ministre, du même souffle, accorde à l'Hôtel-Dieu-du-Sacré-Coeur de Québec des ressources nouvelles pour qu'une unité, propre à accueillir ces jeunes malades, d'un type particulier, sans déranger le traitement auquel d'autres jeunes malades sont actuellement soumis, puisse exister.

M. Côté (Serge): Je suis pleinement d'accord avec vous.

M. Charron: Bon.

M. Côté (Serge): C'est dans ce sens.

M. Charron: Ce qui nous ramène, encore une fois, à la question des ressources disponibles. Le rendement de cette loi dépend beaucoup de ce qu'il y a comme effectif et comme disponibilités en ressources humaines et en ressources financières au bout.

M. Côté (Serge): Ce n'est pas du nombre de places que j'ai un mot à dire, c'est à la qualité des places.

M. Charron: C'est cela.

M. Côté (Serge): On peut faire des institutions-poubelles où on met n'import quoi.

M. Charron: C'est cela.

M. Côté (Serge): Ou des hôpitaux-poubelles, où on met toutes sortes de pathologies ensemble. Mais est-ce que vraiment, au fond de tout cela, on leur rend service? Le personnel qui est là, sur le plancher... C'est facile pour moi, ce n'est pas moi qui vit sur le plancher avec les jeunes, c'est le personnel, qui est là, ce sont les infirmiers, ce sont les éducateurs. Ce sont eux qui ont à subir cela tous les jours. Franchement, c'est une tâche difficile. Ce n'est pas humain, pour eux autres, de leur demander de faire un travail semblable si on mêle toutes sortes de pathologies et de difficultés ensemble. C'est beau de dire que c'est l'hôpital qui doit les prendre, mais organisons-nous pour le faire adéquatement.

M. Charron: D'accord.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre.

M. Forget: Comme il est question de ressources, il serait peut-être intéressant d'entendre, de ceux qui sont devant nous, une description de la manière dont sont organisées les unités de pédopsychiatrie. Je crois qu'on a très brièvement, en présentant le mémoire, fait allusion à l'équipe qui est là. J'aimerais peut-être qu'on nous donne plus de détails sur cette équipe, en somme, les ressources disponibles et la manière dont elles sont utilisées dans le moment.

M. Côté (Serge): Bon. Actuellement, il y a un centre de jour pour adolescents, pour dix adolescents. Si le nombre est de dix c'est qu'on a vu par expérience que, si on place un trop grand nombre de jeunes asolescents, qui sont quand même en évolution, ensemble sur une unité, il y a vraiment beaucoup de difficultés. Le centre de jour est pour des jeunes de 14 à 18 ans qui ne fréquentent pas l'école et qui ont des difficultés affectives variées.

Le centre de jour qu'on a actuellement n'accepte pas simplement les psychotiques ou d'autres jeunes avec de gros troubles du comportement. On prend des caractériels légers, c'est-à-dire des jeunes qui peuvent passer à l'acte mais dont, nécessairement, le rapport avec les autres est possible.

L'unité interne qui va rouvrir — qui a été fermée pour différentes raisons, en mars dernier — va accepter en traitement, à court et moyen termes, des adolescents avec des problèmes de genre psychose ou de légers troubles du comportement avec des réactions dépressives ou nécessairement, même, des déficients légers, même d'autres types qui présentent une réaction aiguë. Nécessairement, devrait être éliminé, parce que c'est une unité petite, un département qui est petit, tout adolescent qui présente des troubles graves du comportement, en ce sens qu'on s'est aperçu, dans le passé, qu'on n'aidait pas aux autres, à ce moment, par celui qui arrivait et qui perturbait vraiment tous les jeunes qui étaient dans le département, et, en même temps, nécessairement, l'équipe soignante indirectement.

M. Forget: II y en a combien dans cette unité? M. Côté (Serge): Huit. M. Forget: Huit.

M. Côté (Serge): En même temps, il y a deux unités pour enfants à l'hôpital, de la naissance à treize ans, de quinze lits chacune, ce qui fait 30 lits, où, en partie, il y en a qui viennent en centre de jour. La plupart des enfants qui sont là le sont soit pour des problèmes d'allure psychotique, des troubles du comportement, des problèmes de carence effective ou autres. Nécessairement, un enfant agressif de six ans, ce n'est pas un problème. Il ne peut pas frapper le personnel comme tel, on peut réussir à le contrôler physiquement. L'adolescent agressif physiquement, on peut le calmer avec des pilules, on peut l'assommer, rien de plus facile que cela, mais on ne le soigne pas, par exemple. C'est facile. Si on veut en calmer un, si on en a un, c'est facile de le calmer. On a des camisoles de force chimiques vraiment fameuses, mais ce n'est pas du traitement. Ce n'est pas cela, du traitement.

M. Forget: Pouvez-vous nous décrire un peu les ressources professionnelles qui sont affectées à chaque unité?

M. Côté (Serge): A chaque unité, il y a un médecin qui est responsable de l'unité, il y a des infirmières et des éducateurs sur le plancher. S'ajoute à cela une psychologue...

M. Forget: Combien d'infirmières, enfin j'aimerais...

M. Côté (Serge): Au centre du jour, c'est cinq: deux infirmières et deux éducateurs, plus une infirmière chef. A l'unité interne de jour, on aura quatre personnes et le soir trois personnes, infirmières et éducateurs. A cette équipe s'ajoutent des psychiatres pour les thérapies individuelles ainsi qu'une psychologue et des travailleurs sociaux pour le traitement parental. S'ajoutent aussi, comme consultants, une conseillère en orientation et aussi des psychopédagogues au niveau des troubles de l'apprentissage s'il y en a.

Mme Dauphinais: Je voudrais ajouter que le travail du travailleur social à l'Hôtel-Dieu du Sacré-Coeur consiste surtout à faire du traitement familial, du traitement parental, quelle que soit l'unité où il est affecté.

M. Forget: Au total, donc, c'est une équipe professionnelle d'une soixantaine de personnes?

M. Côté (Serge): Ce n'est pas tant que cela. Au niveau du centre de jour, cela fait cinq personnes sur le plancher. Avec moi, cela fait six et avec

le psychologue et le travailleur social directement impliqués, on est huit au niveau du centre de jour. Au niveau de l'unité interne, il y en a quatre le jour, trois le soir, deux la nuit. Cela fait neuf et, avec le reste de l'équipe, cela fait 17. On serait environ 30 en tout, mais souvent ce sont les mêmes personnes, parce que le médecin pour l'interne et le centre de jour, c'est moi. Ce sont les mêmes personnes aux deux places.

M. Forget: Est-ce qu'il existe dans la région de Québec une ressource mieux équipée qui pourrait s'occuper des cas analogues ou des cas plus graves? Parce que l'exposé que vous nous avez fait — je comprends qu'il n'y a rien qui soit jamais parfait— c'est quand même un exposé qui montre que vous avez une équipe de huit professionnels au centre de jour pour s'occuper de dix enfants.

En plus de cela, je pense que s'ajoutent des consultants. Et vous avez pour les autres qui sont des alités internes où il n'est pas question de troubles graves, selon votre expression, pas de troubles graves de comportement...

M. Côté (Serge): Grave...

M. Forget: Vous avez aussi une équipe d'environ huit personnes pour huit enfants. J'admets tout votre raisonnement jusqu'ici. Mais comme vous avez vous-même soulevé le problème des ressources et que vous avez adopté dans votre admission une attitude, dans le fond un peu sélective, en disant: Quand ce sont des troubles très graves, du "acting out", du passage à l'acte, il faut faire bien attention. Il faudrait donc supposer que, pour la région de Québec, il y a quelqu'un d'autre qui va s'en occuper, parce qu'il y a quand même des cas graves. Et où vont ces cas?

M. Côté (Serge): Les quelques jeunes que j'ai eus qui représentaient des problèmes très graves sont actuellement à Pinel.

M. Forget: Alors tous les cas qui sont trop graves sont envoyés à Pinel.

M. Côté (Serge): A ce jour, c'est ce qui s'est passé.

M. Forget: Je vois. Et il n'y a pas eu de refus de ce côté? Ils ont été acceptés?

M. Côté (Serge): A ce jour, ils ont été acceptés. Quand je parle de problèmes graves, il y a des désorganisations, il y en a chez nous qui frappent, il y en a qui grimpent en l'air, il y en a qui cassent des vitres, d'autres frappent le personnel. Je ne dis pas qu'il ne se passe rien de cela. Mais je veux dire qu'il y a une limite et c'est là qu'il faut faire une distinction. Et à un moment donné, il y a quand même une limite qu'on ne peut pas dépasser, que je ne peux pas expliquer en mots exactement. Quand je parle de troubles graves, il y a vraiment un état, disons une zone grise, où vraiment cela dépasse ce qui est acceptable.

On a quand même eu des jeunes qui frappaient, qui se désorganisaient, qui frappaient les autres adolescents, cela se passe. Ces choses sont acceptables. Mais à un moment donné, il y a vraiment des structures où l'agir et la structure psychiatrique est tellement forte et inatteigna-ble — c'est dans notre milieu — en raison des autres qui sont là, qu'on est obligé de demander un transfert à ces endroits.

M. Forget: Je l'admets sans peine. J'aimerais savoir s'il y a des cas qui vous ont été envoyés par des centres d'accueil et que vous avez refusés comme étant trop difficiles ou trop lourds?

Mme Dauphinais: II y a une tendance de la part des centres d'accueil à communiquer avec nous quand ils ont un cas spécial d'agressivité.

M. Forget: Alors cela s'est passé.

Mme Dauphinais: Comme on l'a précisé dans notre rapport, dans leur esprit, la seule ressource qu'ils considèrent, c'est qu'on est un centre de dépannage pour ces cas, alors qu'on n'a pas toujours tout l'équipement nécessaire pour répondre immédiatement à leurs demandes. L'admission est faite. Généralement ce sont les psychiatres qui font l'acceptation ou non de l'admission à l'hôpital, mais les centres d'accueil ou les centres de services sociaux demandent souvent qu'on admette des cas. Maintenant, il y a aussi le centre d'accueil Jeunesse de Tilly qui reçoit ces cas, quand il n'y a pas possibilité de les mettre ailleurs.

M. Forget: Je vois. Donc, il y a effectivement des refus que vous avez opposés à des demandes d'aide. Et vous nous dites, d'un autre côté, que lorsque les cas sont véritablement trop graves, même pour que vous puissiez vous en occuper, vous avez pu les référer avec succès, sans refus, à Pinel.

M. Côté (Serge): Actuellement...

M. Forget: Dans le fond, ce que vous me dites n'est-ce pas essentiellement ce que disent certains centres d'accueil quand ils appliquent leurs critères d'admission? Ils jugent également qu'ils ont une certaine limite à ne pas dépasser et ils en sont les seuls juges, un peu comme vous êtes les seuls juges de vos admissions. Mais n'avez-vous pas la même attitude que vous reprochez chez certains centres d'accueil; de ne pas jouer leur rôle pleinement?

Bien sûr, vous pouvez dire qu'il n'y a pas suffisamment de ressources, mais je crois qu'il faudrait que ce soit démontré aussi. Il est clair qu'il y a toujours possibilité d'avoir plus de ressources, mais il n'est pas évident, à sa face même, que les ressources soient si disproportionnées à ce qui vous est demandé et, de toute manière, tout le monde peut dire cela, tout le temps. Il y a toujours des améliorations possibles.

Mais, à un moment donné, ou on protège la

jeunesse, ou on ne la protège pas avec ce qu'on a. Il est important, à mon avis, que chacun joue un rôle approprié. Vous me semblez plus qualifié pour vous occuper de certains cas difficiles que la plupart des centres d'accueil.

Pour revenir au point de départ, la question que je vous posais, ces problèmes d'admission dont vous vous faites les seuls juges, est-ce que dans le contexte ils ne se posent pas de la même façon vis-à-vis de vous que vis-à-vis des centres d'accueil?

M. Côté (Serge): Je suis pleinement d'accord sur ce point à la même condition que j'ai posée pour les centres d'accueil tantôt et, si on vient à nous obliger à prendre certains cas, qu'on nous donne la possibilité de les traiter adéquatement.

Mme Dauphlnais: Cela s'impose, disons, une réunion de tous les centres d'accueil y compris le centre de pédopsychiatrie pour déterminer les critères d'admission.

M. Forget: Ces réunions ont lieu depuis deux ans, comme vous le savez, à travers le Québec et n'ont pas donné lieu, dans un grand nombre de cas, à des conclusions très concrètes parce qu'il y a énormément de réticence à en venir à s'occuper des cas sérieux et des cas difficiles. C'est toujours ce que l'on veut laisser aux autres.

Je pense qu'on touche là du doigt le problème fondamental. Par ces comités, on réussit peut-être à définir le problème, mais on ne réussit pas toujours à lui trouver une solution satisfaisante, c'est-à-dire de s'occuper en priorité des cas les plus difficiles. Les cas relativement légers, il y a une concurrence forcenée pour les avoir, mais pour les cas difficiles c'est l'attitude inverse. Je pense que c'est ce qui nous amène à proposer dans ce projet de loi un pouvoir de direction et d'orientation qui ne se situe pas au niveau des centres d'accueil.

Ma question, encore une fois, est toujours aussi pressante: Est-ce que le même problème ne se pose pas pour les autres ressources à l'enfance?

M. Côté (Serge): Regardez, par rapport à cela, on ne s'en sort pas. Regardez Pinel. Je ne dis pas que cela ne doit pas être chez nous. Je ne sais pas comment le faire au niveau de la bâtisse. Ce ne sont pas mes préoccupations primaires, comment doit être organisé l'intérieur d'un hôpital. Mais regardons ce qui se passe à Pinel par rapport à ces difficultés, le type d'adolescents là-bas, l'équipe qu'ils ont pour ces problèmes. Ils ont vraiment une grosse équipe à Pinel et cela est nécessaire pour ce type de problèmes.

Je me dis, si dans la région de Québec on veut être capable de s'occuper de ces gens-là, à ce moment-là, créons, occupons-nous d'un même type de département.

M. Forget: Les cas qui peuvent, avec avantages pour eux, être déférés à Pinel, étant donné le caractère extrêmement spécialisé et très particulier de Pinel, je ne propose pas qu'il y en ait dans toutes les régions. Mais, ce qui m'inquiète surtout, ce sont les demandes que vous avouez recevoir des centres de services sociaux et des centres d'accueil, pour lesquelles, dans l'opinion des gens qui vous font ces références, il y a un problème, peut-être à tort, mais peut-être est-il réel aussi; il y a un problème psychiatrique, un problème qui va au-delà de simplement un adolescent qui est difficile à contrôler. Il y a vraiment quelque chose que l'on soupçonne aller plus loin que cela.

Vous me dites qu'on a dû dire non et, quand on dit non, parfois c'est à un centre d'accueil qu'il est référé. On peut s'imaginer que dans ces centres d'accueil ils n'ont pas les conseillers en orientation, les psychologues et les psychopédagogues, les travailleurs sociaux, les psychiatres dans le même nombre que vous les avez vous-mêmes. Ces refus-là, je pense que c'est peut-être le diagnostic qu'on peut poser sur la difficulté qu'il y a de vivre avec les règles du jeu actuelles.

A tout événement, je pense que vous avez fait un effort loyal pour répondre à ma question; je ne veux pas poursuivre plus longtemps, je vous remercie.

M. Charron: Laissez faire l'autre question.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Alors, nous avons deux autres organismes à entendre; nous entendrons ces deux organismes cet après-midi. Il y a le Bureau de consultation jeunesse et le Barreau du Québec.

La commission suspend ses travaux jusqu'à 16 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 57)

Reprise de la séance à 16 h 35

Bureau de consultation-jeunesse

M. Houde, Limoilou (président de la commission conjointe des affaires sociales et de la justice): A l'ordre, messieurs!

J'invite immédiatement le Bureau de consultation-jeunesse à présenter ses membres.

M. Matteau: Fernand Matteau, travailleur de milieu, Laval.

M. Boivin: Denis Boivin.

M. Jost: Raymond Jost.

M. Petit: Daniel Petit.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Allez-y.

M. Jost (Raymond): On vient ici non pas uniquement au titre du Bureau de consultation-jeunesse, mais on est un des rares organismes qui subsistent dans le secteur privé, à but non lucratif, évidemment, et nous avons différents programmes d'action de type communautaire qui touchent la jeunesse, essentiellement, mais pas uniquement, et nous sommes, à Montréal, dans la région montréalaise, dans deux communautés, si l'on peut dire, l'une est le quartier centre-sud et l'autre, c'est Laval.

Nous avons différentes fonctions, entre autres une fonction d'information. Nous avons cru bon, en ce qui concerne cet avant-projet de loi, d'avoir un certain rôle d'information de ces dites communautés dans le cadre desquelles nous avons organisé différentes réunions. Nous venons ici livrer certaines réflexions qui, nous espérons, tourneront autant au niveau de l'aspect très technique de ce que peut renfermer un avant-projet de loi, mais surtout et essentiellement, essayer de décrire la réalité concrète, quotidienne d'un travail du type communautaire.

C'est dans ce sens que, de toute évidence, en ce qui nous concerne et ce qui concerne ce groupe, sur le plan des principes fondamentaux, sur le plan des droits de l'enfant, nous trouvons que ce projet de loi est relativement bien fait. Nous croyons qu'il y a une série d'autres groupes qui touchent ces points et qui vont beaucoup plus loin que nous dans la critique; mais, globalement, si l'on considère l'ancienne loi, c'est évidemment un pas en avant dans cette tentative de déjudicia-risation.

Vous avez certainement eu l'occasion de feuilleter les cinq pages de notre réflexion sur cet avant-projet de loi. Nous sommes prêts à passer à des réponses ou, si vous préférez, à essayer de tenter de décrire ce qu'on a fait et toutes les interrogations que nous pose cet avant-projet de loi. De toute évidence, dans une des premières réflexions, nous voyons très difficilement comment les sources et les ressources inhérentes à une communauté, en ce qui concerne tout l'aspect de la protection de la jeunesse, pas nécessairement tel que contenues dans la loi, mais au sens large, peuvent venir contribuer à l'amélioration des services pour cette jeunesse. Cela nous paraît d'une absence criante, le fait que je viens de mentionner, ceci, autant si l'on considère la composition, par exemple, des CLO.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Merci, M. le Président, je vais d'abord souhaiter la bienvenue et remercier les membres du Bureau de consultation-jeunesse pour leur contribution aux travaux de cette commission. J'aimerais accepter leur invitation de poser des questions. Pour le faire, en prenant comme guide un certain nombre de conclusions ou de constatations qu'ils font dans leur mémoire. Le premier point qui se trouve développé dans ce mémoire, c'est le suivant, à savoir que l'ensemble des organismes chargés d'intervenir constitue un ensemble de structures mal définies.

J'aimerais qu'il précise un peu en quoi il pourrait suggérer d'améliorer ces descriptions en se limitant peut-être aux éléments les plus significatifs, c'est-à-dire le comité local d'orientation, la commission elle-même et le directeur de la direction de Protection de la jeunesse, en quoi des précisions additionnelles pourraient être apportées.

M. Jost: En ce qui concerne le CLO, tel que défini actuellement dans l'avant-projet de loi, on ne retrouve aucun représentant de la communauté, à quelque titre que ce soit. Enfin, je n'ai pas besoin de répéter, tout le monde le sait, à ce premier niveau qu'est le CLO et qui, pour nous, est assurément la cheville ouvrière de l'application de cet avant-projet de loi, on ne retrouve aucun participant de ce qu'on peut appeler une énergie dite communautaire et qui, pour nous, est un rôle, enfin, qu'un projet de loi doit venir actualiser. On ne trouve donc, dans la formation des comités locaux d'orientation, aucune donnée à ce sujet, c'est-à-dire qu'on ne retrouve pas de représentant de ladite communauté.

M. Forget: Sur ce point, j'aimerais que vous précisiez votre pensée, puisqu'au contraire, les CLO ne sont-ils pas constitués, d'après cet avant-projet, de trois personnes, l'une étant désignée par le directeur de la protection de la jeunesse, sur le territoire en question, l'autre par le ministère de la Justice, et la troisième personne étant précisément un citoyen intéressé, mais qui n'est pas un professionnel, ni des services sociaux, ni de l'appareil judiciaire, si vous voulez?

Alors, je comprends mal... Voulez-vous dire que ses qualifications ne sont pas précisées ou en quoi cette troisième personne, n'est-elle pas justement un représentant de la communauté?

M. Jost: Oui. Je pars du texte que j'ai devant moi. J'espère qu'on a le même texte...

M. Forget: Oui. Je cite l'article 25...

M. Jost: Oui.

M. Forget: ... n'est-ce pas? L'article 25 définit la composition des comités locaux et on dit: Chacun de ces comités est composé de trois personnes, dont un avocat désigné par le ministre de la Justice, une personne déléguée par le centre de services sociaux ayant juridiction sur le territoire. Nous avons là deux professionnels et...

M. Jost: Parmi...

M. Forget: ... une troisième personne parmi les personnes oeuvrant... Un autre membre du conseil de surveillance de la région, constitué en vertu de l'article 33. Or, l'article 33... Je ne veux pas faire intervenir ici toute la discussion du comité de surveillance, sur lequel nous pourrons revenir. Mais le conseil de surveillance est formé d'un nombre de personnes désignées parmi des personnes qui résident dans la région et qui n'ont aucune espèce de titre professionnel dans les structures officielles. C'est l'article 35 qui décrit la façon dont cette troisième personne, dans le fond, est choisie, à même un ensemble, un collège informel de tous citoyens intéressés à la protection de la jeunesse. Mais peut-être est-ce un aspect que vous n'avez pas...

M. Jost: Non, c'était un des éléments que nous avons relevés. C'est vrai qu'avec l'interrela-tion que vous venez de faire, il peut effectivement se trouver un citoyen et un représentant de la communauté. Mais on va probablement revenir sur le conseil de surveillance tantôt, parce que nous, en ce qui nous concerne, je pense, au conseil de surveillance— nous le disons, d'ailleurs, à côté de l'ensemble des conseils de surveillance, enfin, des organismes ayant déjà une fonction de conseil de surveillance cela nous paraît extrêmement lourd de recréer un autre conseil de surveillance.

Alors, dans notre optique, évidemment, au niveau de cette interrelation, nous pensons que cette fonction de conseil de surveillance pourrait relever d'un organisme déjà existant. A ce moment, disparaissant, cette interrelation ne tient plus.

M. Forget: Sur ce point, je suis d'accord que c'est un aspect que plusieurs groupes ont soulevé devant nous. On trouve que c'est un organisme de trop. Je pense qu'il y a peut-être sept ou huit mémoires qui disent que c'est un organisme de trop, mais j'aimerais attirer votre attention sur le fait que presque sa seule utilité est de constituer, dans le fond, un rassemblement d'individus qui constituent, précisément, les résidents de la région qui démontrent un intérêt à la protection de la jeunesse, de constituer, si vous voulez me passer l'expression, un "pool" de personnes-ressources pour siéger, à l'occasion, aux comités locaux d'orientation. Un article prévoit même que, lorsqu'ils le feront — et ceci par exemption aux règles générales dans des modes de participation des citoyens — ces personnes peuvent même être rémunérées pour leur participation aux comités locaux d'orientation.

Donc, il y a ce mécanisme de représentation du public, du citoyen intéressé et on peut même, en négligeant complètement les conseils de surveillance, retenir ce rôle qui, à mon avis, est un rôle important.

M. Jost: L'autre élément du pourquoi de cette question est le nombre de CLO. Là aussi, nous qui sommes sensibles au travail dit communautaire — nous existons depuis quatre ou cinq ans — on a remarqué qu'à un certain moment, la notion de communauté est une population de 10,000 habitants. Dans certains autres cas, cela peut être de 20,000 ou de 30,000 et, dans d'autres cas, cela peut être tout simplement un îlot qui peut varier de 1,500 personnes à 2,000 personnes.

Alors, comment peut-on tenir compte de cette notion dynamique de la communauté dans une loi qui veut impliquer la communauté dans la recherche d'alternatives. C'était un autre aspect qui était peut-être mal formulé en disant: II n'y a personne de la communauté et c'est un autre élément que nous voulions soulever par rapport au CLO.

M. Forget: Je ne fais que préciser parce que je pense que cela peut aider a la compréhension. L'article 24 répond implicitement à cette question en disant: "La commission de la protection de la jeunesse crée essentiellement autant de CLO qu'il en est besoin". Si c'est un jugement de fait, à savoir s'il en faut plusieurs ou un seul auprès de chaque cour, il n'y a rien qui empêche la commission d'en créer le nombre qui apparaît approprié.

Peut-être suggérez-vous que la loi soit contraignante à cet égard, je ne sais pas, mais l'hypothèse de base, c'est que la commission qui est constituée de personnes intéressées à la protection de la jeunesse prendra les décisions à la lumière des circonstances variables que vous soulignez.

M. Jost: L'autre élément est par rapport aux CLO et d'ailleurs un peu par rapport à l'ensemble de ce qui se dégage de la loi et des structures. De toute évidence, pour nous, et on le mentionne, on dit: Dans un cas sur deux, le jeune qui a affaire à une structure actuelle du réseau n'y comprend rien, est ballotté, est disséqué en première ligne, en deuxième ligne, en troisième ligne, et c'est le minimum, parce qu'à l'intérieur de ces lignes, il y a encore des dissections, on y dissèque encore.

Donc, ce que je voulais mentionner, c'est que l'ensemble de cet avant-projet de loi nous semble amener une espèce de structure qui s'inspire de principes dont on a mentionné tantôt qu'ils sont très intéressants, mais qui viennent brouiller déjà une situation extrêmement difficile, au fond, par le fait que les centres de décision sont assez mal identifiés. Si nous prenons le CLO, il n'a finalement qu'un pouvoir de référence. Donc, les centres de décision sont mal identifiés. On craint fortement que l'application de cet avant-projet de loi

vienne encore accélérer cette rotation et cette situation de référence, au fond, et de non-engagement responsable de la part du réseau. Là, je parle autant de cette situation non responsable du réseau qui, finalement, dans bien des cas, a comme seul souci de référer le cas et de se débarrasser dudit cas. C'est dit peut-être un peu crûment, mais j'aimerais passer la parole à mes collègues pour illustrer très concrètement avec des cas ce que je viens d'énoncer. Je parle du CLO, mais cette réflexion s'applique également un peu à ce qui se dégage de cette loi. J'aimerais illustrer, à titre d'exemple, ce que nous faisons.

M. Petit (Daniel): Dans l'ensemble des structures qu'on retrouve au niveau de l'implantation dans le caractère global de la loi, je situe très mal au niveau d'un contexte terrain, où il faut trouver la ressource dite spécialisée en fonction des cas qu'on rencontre quotidiennement, si je perçois la loi comme un caractère qui va innover pour simplifier, je le retrouve nullement. J'ai plutôt l'impression que dans le quotidien, avec un cas que l'on rencontre dans la communauté, le dédale des services et des références va être encore optimalisé; les adolescents auront encore deux fois plus de mal à s'y retrouver, et les interventionnistes dans la communauté pour faire appel à une structure spécialisée, vont avoir encore plus de portes à trouver pour savoir vers quelle structure spécialisée il faut aller.

M. Forget: Je voudrais savoir qu'elle suggestion vous faites pour améliorer la situation.

M. Jost: Je pense que de donner certains pouvoirs de décision "on the spot", immédiatement dans ce qui probablement pourra être fait dans 60% des cas aux CLO, de telle sorte... c'est cela, je pense, un de nos postulats de base, la déjudiciarisation n'est possible qu'à condition qu'on relève le taux de tolérance d'une population. En dehors de cela, lorsqu'il s'agit de la jeunesse, pour nous, cela ne peut être que des mots, cela ne peut être que des velléités, cela ne peut être qu'un rêve à atteindre, dans la situation actuelle, dans l'état actuel du réseau des affaires sociales qui au fond se relève d'un lendemain centralisateur sur le plan structurel, je ne parle pas des individus, je ne parle pas des professionnels en tant que tels, mais qui se relève d'un lendemain qui a été nécessaire à un certain moment, nous en convenons, une des alternatives réalistes d'amener un processus de déjudiciarisation, c'est de ramener au sein de la communauté ce que je mentionnais tantôt, une occasion de se mêler de la protection de la jeunesse au sens large. Dans ce sens, comment voulez-vous qu'une communauté sur des bases bénévoles... les communautés, c'est illimité comme potentiel bénévole, nous le voyons tous les jours, nous avons affaire à des jeunes que des professionnels que nous sommes, enfin entre parenthèses je veux dire au BCJ, et dans les endroits où nous travaillons... Il y a certains professionnels qui acceptent le risque de vivre de six mois en six mois, que certains professionnels étiqueteraient de toutes les catégories que la science humaine peut nous décrire... nous arrivons par le fait d'amener la communauté, par exemple, au niveau de l'hébergement, c'est un problème aux Affaires sociales, l'hébergement, on voit encore le problème Saint-Vallier qui est un problème qui dure depuis dix ans. C'est un réel problème l'hébergement, on a essayé toutes sortes de stratégies, on a tenté toutes sortes de pressions, mais cela reste un problème, l'hébergement. Dans une optique du travail communautaire, bien souvent et sur une base bénévole et à condition que les professionnels soient identifiés à cette communauté, qu'ils connaissent les valeurs de cette communauté, qu'ils connaissent les modes de communication, nous n'avons pas de problème d'hébergement, ou très peu, et nous arriverons à caser les jeunes qui, comme je le dis, peuvent être étiquetés délinquants, psychotiques, qui ont eu des problèmes, même les jeunes qui s'évadent de nos institutions thérapeutiques, très bien structurées, nous arrivons, évidemment pas dans tous les cas, nos actions ont des limites, nous le reconnaissons très bien, mais dans certains cas, nous réglons les problèmes d'hébergement, et cela à condition, parce que nous avons un pouvoir réel, pas nécessairement en vertu de telle loi ou telle loi, mais dans les faits.

Dans ce sens, nous pensons que le CLO doit vraiment devenir la cheville ouvrière de l'application d'un tel avant-projet de loi.

M. Charron: Peut-être me permettez-vous, puisque le sujet a été abordé, de glisser immédiatement là-dessus. Vous avez affirmé que cela vous apparaissait comme une multiplication des portes. D'autres nous ont exprimé un avis non contraire, mais différent de celui-là. Il y a peut-être multiplication de portes, mais les portes ne sont plus une à côté de l'autre, elles apparaissent une après l'autre. Pour les passer, le chemin semble assez clair.

La première porte, je suis bien d'accord avec vous pour dire que c'est la cheville ouvrière de la loi et que les députés devront travailler à améliorer encore plus son fonctionnement. C'est le centre local d'orientation. C'est la première porte, celle qui se présente et, si j'ai bien compris l'esprit du projet de loi, à peu près tout doit d'abord et avant tout y aboutir, avant même la cour, avant même Saint-Vallier, avant même Bonsecours. C'est la première porte. C'est là qu'est le dilemme, c'est là que l'on peut différer d'opinion.

La liberté de choix du CLO peut être plus grande ou moins grande et les députés auront éventuellement à travailler là-dessus. Nous estimons, pour notre part, qu'elle n'est pas assez grande, cette liberté d'action actuellement, parce que l'article 59 de la loi l'oblige en quelque sorte, aussitôt que le jeune qui lui est présenté, s'il était adulte, deviendrait susceptible d'encourir une peine de trois ans, la liberté de choix, tout l'esprit communautaire que vous avez amplement raison de revendiquer fussent-ils élargis à la base, n'existent plus; c'est la cour. Autrement dit, vous avez

raison de le dire, le CLO devient uniquement un centre de référence.

Là où le CLO a une possibilité d'intervention, c'est dans les mesures volontaires qu'il peut, à l'occasion, susciter chez le jeune qui se présente. Pas besoin de l'envoyer à la cour, nous allons essayer de trouver, avec les parents ou avec le jeune lui-même, s'il a quatorze ans ou plus, ce qu'on estime pouvoir être un milieu de traitement. La question qui reste à poser est: Quelles sont les ressources disponibles maintenant? Evidemment, quelle que soit l'évaluation que vous fassiez du traitement, si vous n'avez pas la source disponible par la suite, vous l'avez fait pour rien. J'admets que c'est aussi un autre problème à régler.

Il y a aussi la possibilité de s'adresser au directeur général de la division de la protection de la jeunesse, au CSS de la région, et lui, en vertu de l'article 66 de la même loi, doit s'occuper de placer le jeune pour le traitement dont le CLO a fait littéralement application ou recommandation.

M. Petit: J'aurais une question pour M. Forget. Combien, au CSS de Montréal, y a-t-il de listes d'attente de jeunes pour les foyers nourriciers?

M. Forget: Vous posez là un problème qui est, dans le fond, sous-jacent. Quels que soient les lois, le problème des placements dont on parle, dont on a parlé ce matin et dont on parle à d'autres occasions, il reste qu'indépendamment des listes d'attente pour les placements, que ce soit en centre d'accueil ou dans des familles d'accueil, il apparaît essentiel de ne pas tout mettre nos oeufs dans le panier du placement. Comme vous le savez, nous avons énormément d'enfants à placer, ici au Québec, et nous avons le sentiment que ces placements se font faute de mieux, y compris les placements en familles d'accueil. C'est plutôt de l'aide aux familles qu'il faut développer, à l'occasion peut-être des centres de jour, mais de l'aide aux familles pour surmonter les problèmes dont elles ne viennent pas à bout sans aide.

Il est évident que, tant que ces moyens ne seront pas pleinement développés, nous aurons une pression sur des ressources de placement. Ce n'est pas la loi qui va changer les habitudes de référence de ceux qui s'occupent de la jeunesse. Ce n'est pas la loi comme telle, en fait, ce sont les lois des crédits, mais ce n'est pas cette loi qui peut donner des ressources pour développer des services de consultation. Cependant, vous savez que le CSS a un programme qui est sur pied depuis un an ou un an et demi pour développer des ressources d'abord d'évaluation et, dans un deuxième temps, des ressources de consultation.

Il est absolument essentiel que ces ressources se développent. C'est vers ces ressources que les références vont devoir se faire. Pas seulement sur le placement.

M. Petit: II y a deux choses à considérer dans votre réforme. Vous admettez qu'il faut faire le lien entre le problème de l'adolescent et le problème familial, chose qu'on ne retrouve pas dans la loi, et par expérience...

M. Forget: On le retrouve dans la loi, puisque...

M. Petit: A quel niveau?

M. Forget: On le retrouve dans le préambule; on le retrouve dans la façon dont toute la première partie de la loi est exprimée. On retrouve à plusieurs moments l'indication que c'est l'intérêt de l'enfant qui doit guider la décision sur les mesures, que ces mesures elles-mêmes doivent être orientées vers le retour ou le maintien, le cas échéant, de l'enfant dans son milieu familial. Ceci doit être lu simultanément avec les autres dispositions de la loi. Il est clair que c'est là une orientation qui se retrouve dans le texte, mais, encore une fois, le texte, à lui seul, ne changera pas les habitudes. Il faut en être bien conscient.

Le texte indique une orientation et permet un mécanisme qui n'est pas seulement un mécanisme de référence à des ressources de placement, mais à des ressources beaucoup plus largement définies. Vous avez d'ailleurs un peu plus loin toute une énumération des mesures volontaires qui peuvent devenir, le cas échéant, si on y résiste, des mesures obligatoires sur une requête faite à la cour. Il n'y a qu'une mesure sur une douzaine, je crois, qui consiste dans un hébergement obligatoire. Toutes les autres sont des mesures d'assistance à la famille.

M. Petit: M. Forget, je suis un travailleur de milieu, un travailleur de rue. Ma fonction consiste à être présent dans la communauté avec des jeunes en situation de crise, au lieu même où cela se produit.

Je suis souvent appelé par des juges à la Cour du bien-être social, pour être une ressource au niveau d'un placement en foyer nourricier. Je m'explique mal cette situation, parce qu'il est déjà prévu, et vous l'avez dit vous-même, qu'il y a des gens qui doivent travailler pour trouver une ressource de foyer nourricier. Dans la situation quotidienne qu'on rencontre, sans faire appel à ces ressources, on devient des personnes-ressources pour trouver un foyer nourricier, dans le corps d'un travail en communauté. C'est une situation quotidienne.

M. Forget: Cela n'a rien de surprenant qu'on vous demande d'aider à trouver des foyers nourriciers si, généralement, et en dehors du milieu que vous constituez, parce que vous intervenez directement auprès de la jeunesse, si, d'habitude, et traditionnellement, la seule réponse qu'on ait jamais fournie aux problèmes de la jeunesse, c'était le placement.

Il est évident que les juges de la cour, traditionnellement et par habitude, soit portés à vous demander de les aider pour cette mesure, puisque c'est cette mesure qui est connue et appliquée de façon traditionnelle depuis des dizaines et des dizaines d'années. Il va donc falloir faire un effort de persuasion et un effort de démonstration de l'efficacité des autres mesures. Mais c'est à ceux qui appliquent les autres mesures de démontrer qu'el-

les sont pratiques, qu'elles sont réalistes et qu'elles obtiennent les mêmes résultats.

Il ne s'agit pas de convaincre les membres de cette commission, parce que nous avons eu l'occasion, au cours d'une autre séance et au cours de cette séance-ci, d'affirmer tous, les uns après les autres que ces mesures doivent être utilisées, mais il ne s'agit pas de l'affirmer seulement, il va falloir les utiliser et, pour les utiliser, démontrer à l'occasion, à la cour, si c'est à la cour qu'on doit faire la démonstration, dans les cas qui viennent devant elle, que ces autres mesures existent également, qu'elles peuvent apporter des solutions aux problèmes et qu'elles ont une efficacité comparable et même supérieure, je crois, au simple placement. L'efficacité du placement n'a pas été démontrée, comme vous le savez, en termes de réadaptation et de capacité de résoudre le problème à long terme. Elle résout le problème à court terme, évidemment, mais on traite le symptôme beaucoup plus que la maladie.

M. Jost: Je pense qu'on touche là un des points vraiment cruciaux de cet avant-projet de loi, de l'esprit et de son modèle d'application. Ce sont justement toutes ces conditions innovatrices nécessaires qui vont soutenir tout cet esprit de loi au niveau de son application et des ressources à l'autre bout. C'est là où, par notre message — c'est un des messages que nous voulons passer — il ne faut surtout pas se leurrer. Quand on prend la réalité, tel que notre collègue vient de le démontrer, ce n'est pas vrai.

Quand il s'agit d'un hébergement, nous fonctionnons dans le modèle traditionnel des structures, des anciennes agences sociales centralisées qui se perdent, qui se cherchent, et on se demande comment on va faire pour pouvoir simplement répondre aux cas dans le système.

Maintenant, prenons les cas qui ne sont pas le système et qui ont autant droit à une plus grande justice sociale, que fait-on de ceux-là qui ne sont pas dans le système?

Premièrement, les conditions innovatrices, les modèles alternatifs qui sont nécessairement les supports de l'application de cette loi, c'est quoi, c'est comment? Vous me direz: Ce n'est pas l'objet de la commission, ce n'est pas l'objet de l'avant-projet de loi.

Nous venons apporter ce témoignage, parce que nous sommes dans un secteur — on vous l'a dit au début — privé, qu'on identifie en général au bénévolat, aux petits faiseurs... aux petits pauvres.

Par année nous subissons au moins trois contrecoups dans le sens d'une intégration, dans le sens d'un rachat. Venez rejoindre nos structures, venez rejoindre notre permanence, nous avons tout ce qu'il faut. Les CSS ont des postes inoccupés, cela ne trouve personne. Mais, pourquoi cette situation? Pourquoi le ministère des Affaires sociales, qui est conscient de cette réalité, n'émettrait-il pas des directives du type administratif, de meilleures redistributions de ressources; elles existent, en grande partie mais elles sont mal distribuées, et l'esprit qui y prévaut, à l'intérieur, va à rencontre même de ce projet de loi qui a des longueurs d'avance, d'un certain point de vue, mais qui va se heurter, dans son application, à l'état actuel de l'organisation administrative du réseau. C'est le fond de notre message.

Dans ce sens, créons un programme au sens PPBS du terme, au sens de rationalisation de choix budgétaire, pour permettre de créer une espèce de force contrebalançante à l'ensemble du réseau existant qui se débat pour sa survie, qui ne se débat plus pour les véritables problèmes et qui ne répond plus aux véritables besoins. La plupart des structures du réseau tournent sur elles-mêmes et se justifient par rapport à elles-mêmes mais pas par rapport aux besoins.

Prenons n'importe quelle situation. Là, en termes d'illustration et d'exemples, c'est criant. Alors, arrêtons de nous plaindre que le fédéral s'ingère par ses programmes d'initiatives locales, PJ, etc., mais c'est notre seul moyen, à nous, de maintenir un tant soit peu cette énergie créatrice qui va faire avancer tout processus de déjudiciari-sation.

Dans ce sens-là, nous venons dire ici que c'est grave. Dans la région métropolitaine de Montréal — et nous ne voulons pas généraliser — non seulement les quelques groupes qui travaillent dans ces secteurs, BCJ, il y a trois mois, on devait passer entièrement au ministère, vous devez être au courant du dossier, M. le ministre; on devait carrément passer au ministère. Pourquoi? Pour nous intégrer au CSS? Dans l'état actuel des choses? Certainement au niveau d'une sécurité d'emploi. Certainement en fonction d'une spécialisation, d'une surspécialisation, d'accord. Mais nous sommes, essentiellement, un groupe qui rejoignons les personnes dans leur dimension communautaire, qui pensons, qui croyons à cet avant-projet de loi, qui croyons à l'esprit, mais qui disons: II ne faut quand même pas se leurrer. Dans la réalité, à l'autre bout, ce n'est pas cela du tout.

M. Forget: Je n'ai qu'un bref commentaire et, après, je n'ai plus d'autres questions. C'est un témoignage très significatif que nous venons d'entendre de la part d'un organisme qui est dans le secteur privé, tel qu'on l'a dit, c'est-à-dire qu'il n'est pas intégré aux centres de services sociaux. Il a effectivement été question de son intégration.

On nous dit: II y a des changements à effectuer pour assurer que ce réseau d'établissements publics que sont les centres de services sociaux jouent vraiment leur rôle. On nous indique également qu'il faudra définir mieux les responsabilités de manière qu'elles soient effectivement assumées. Je suis fort heureux que l'on souligne ce besoin, puisque c'est un des aspects que l'on veut toucher dans cette loi, mais c'est également un des aspects d'autres types de décision, comme on le souligne, relativement à l'utilisation des ressources qui devront accompagner l'application de ce projet de loi et nous y reviendrons.

D'autre part, j'aimerais souligner qu'on vient de nous faire aussi le plaidoyer qu'il y a trop de

portes différentes et qu'il y a trop de confusion, même à l'heure actuelle et en dépit des efforts de centralisation, comme on les a qualifiés, je pense, à juste titre, puisqu'il y avait une multiplicité d'agences sociales qui sont devenues maintenant un seul centre de services sociaux. Il va falloir concilier — et je crois que cela ne peut se faire que par la loi qui détermine quelles sont ces structures et comment se répartissent leur responsabilité — il va falloir établir un équilibre entre cette préoccupation d'assurer une clarté, une limpidité des responsabilités de pouvoir informer chaque personne où elle s'adresse dans chaque circonstance et, d'un autre côté, ces préoccupations que manifeste le Bureau de consultation-jeunesse à l'effet qu'il ne faut peut-être pas tout centraliser. Il y a là un équilibre qui est difficile à atteindre et que l'on cherche peut-être à atteindre en partie par cette loi qui détermine des responsabilités de référence et aussi de décision vis-à-vis d'autres organismes qui, eux, ne perdent pas leur identité. Sur ce, je termine parce que je crois que c'est un sujet qui nous occupera sans aucun doute au cours de l'étude du projet de loi véritable, mais j'attire l'attention des membres de la commission sur l'équilibre à maintenir entre les deux.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: Je pense que la contribution la plus importante que peut faire le BCJ et ceux qui l'accompagnent aux travaux de la commission, est celle qu'ils ont choisie de nous présenter à partir de leur expérience pratique. Je ne vous poserai pas de question sur la situation actuelle, quoique vous pourrez peut-être me répondre en y faisant allusion, mais notre devoir à nous est de voir ce qui arriverait, croyons-nous, si la loi devait être appliquée comme cela. A quelle pierre pourrait se heurter l'application de la loi, même si on choisissait de la faire théoriquement la plus belle possible? Que pensez-vous, avec l'expérience concrète que vous avez auprès des jeunes, de l'article 59 qui oblige le CLO à référer immédiatement à la cour les cas dont je vous ai parlé tantôt — ceux qui, au code criminel, mériteraient trois ans et plus à un adulte — si cela devait être appliqué comme tel, indépendamment du jugement que vous allez porter là-dessus, qu'arrivera-t-il à la cour? Assistera-t-on encore à l'engorgement dont on a parlé ce matin, les ajournements sine die, les motions déférées? Est-ce que l'esprit de la cour — parce que de cela aussi vous avez une expérience concrète —- pourra être modifié du fait qu'une nouvelle loi est venue l'encadrer, la situer?

M. Boivin: J'aimerais répondre partiellement et faire compléter par quelqu'un d'autre. Je reviens peut-être sur le débat que vous souleviez par rapport au CLO et il me semble que le CLO on le voit beaucoup plus puissant, beaucoup plus autonome, beaucoup plus comme une charnière qu'il n'est actuellement, avec une possibilité d'avoir recours, d'un côté, à des services spécialisés qui sont peut-être les services du CSSMM, si on parle de la direction de la protection de la jeunesse, mais qui ne sont pas toujours nécessaires. C'est-à-dire qu'en travaillant dans la communauté, on se rend compte qu'il y a des jeunes qui ont besoin d'une évaluation psychiatrique ou qui ont besoin d'une thérapie particulière ou qui ont besoin d'une enquête communautaire faite selon les normes qui les régissent et cela demande le service d'un professionnel dûment mandaté. Par contre, il me semble que le CLO pourrait aussi avoir comme ressources — et ces ressources ne sont pas du tout mentionnées — des ressources communautaires — je chambarde la loi, je m'en rends compte — qui existent actuellement, mais qui ne sont pas reconnues comme étant capables de régler un paquet de choses dans une communauté. Je veux dire, le petit bonhomme, pour qui on demande de la protection, n'est pas nécessairement un bonhomme qui souffre d'un problème grave au dernier degré, mais une intervention correcte de la part de quelqu'un qui travaille dans un organisme communautaire, qui connaît le milieu de vie du petit bonhomme — qu'il s'agisse de centre-sud, qu'il s'agisse de Laval, qu'il s'agisse d'Ahuntsic — je pense que la situation est très différente.

Il y a beaucoup de problèmes qui peuvent être réglés à ce niveau, à condition que les organismes, qui travaillent au niveau communautaire, agissent aussi comme ressource pour le CLO et qu'on ne réfère pas automatiquement, simplement aux services spécialisés que sont les CSS et aux services de la cour qui sont aussi très spécialisés dans ce domaine. Pour illustrer par rapport à l'article 59, je pense peut-être que d'autres personnes...

M. Petit: Souvent dans l'action tu rencontres des jeunes qui ne sont pas des délinquants, mais qui le deviennent par la force des choses pour avoir des services spécialisés. On ne retrouve pas dans la loi une situation de crise, qui n'en est pas une de délinquance, mais de crise quand même au niveau personnel. Je ne vois pas un changement à ce niveau, parce que, pour avoir des services, il faut qu'il soit étiqueté. Plus ton étiquetage est chargé, plus tu as des chances d'avoir des services spécialisés.

M. Charron: C'est ce qui te faisait dire ce matin, avec un autre groupe, qu'il est arrivé que des avocats aient conseillé à un jeune client de plaider coupable pour ainsi s'assurer que le juge n'aurait pas d'autres choix que de le placer là où il pouvait recevoir des services. Autrement, s'il plaide non coupable, s'il gagne sa non-culpabilité, il doit revenir dans un milieu exactement le même que celui qui l'a initié au délit pour lequel on l'avait traîné en cour, sans aucune ressource d'intervention, sans que personne n'aille le retrouver dans son foyer, dans sa maison, dans sa vie communautaire.

M. Petit: C'est sûr que, lorsque tu procèdes de cette façon, c'est monnaie courante.

Lorsque tu isoles un adolescent de sa communauté, tu l'isoles temporairement, il y retourne toujours. Si c'est un milieu criminogène, il y a beaucoup de chances de récidive. Il n'y a pas de structures de "follow up" en son niveau familial, tangibles actuellement, et je n'en vois pas dans la loi qui ont sapé le problème à la base avec une équipe d'interventionnistes qui reflètent l'esprit communautaire. Des situations comme celles-là, j'en ai vécues plusieurs, je trouve cela dommage. Dans le secteur où je travaille, il y a une forme d'intoxication qui existe, qui s'appelle la colle, qui est très peu connue. Nous travaillons avec 50 jeunes qui sont intoxiqués à la colle qui amène un grand nombre de problèmes secondaires au niveau de la santé, psychologique etc.. Dans l'esprit de la nouvelle loi, je me demande qui va détecter cette nouvelle forme de problème social? Qui peut faire une expérimentation? Où est la marge de tenter d'expérimenter quelque chose? C'est un des problèmes de ma communauté, et il y en a plusieurs.

Actuellement, on ne peut pas trouver des ressources spécialisées qui peuvent s'occuper de ces jeunes. On doit pour leur trouver une ressource, contourner le problème, attendre qu'il y ait un délit. Quand il y a délit, il faut préparer la structure qu'on juge la plus apte à accueillir ce jeune, parce qu'il n'est pas dans les normes d'admissibilités courantes. En plus de contourner, il faut contourner la difficulté de la ressource spécialisée qui n'est pas là dans les dédales des services sociaux pour répondre explicitement à ce problème.

M. Charron: Objet de discussion latent à ce projet de loi, les ressources sont donc quasi inexistantes, je dirais, avant d'arriver au CLO. Dans le domaine de la prévention du domaine public, vous êtes des organismes privés. Qu'est-ce que publiquement on compte au Québec actuellement, vous devez le connaître si cela existe, puisque vous devez travailler conjointement à l'occasion? Au moins être conscient de leurs actions. Qu'est-ce qui existe — je reprends mon image — en avant du CLO, dans ce genre de prévention de détection des problèmes sociaux qui, si on les laisse sur place et si on y laisse les jeunes vivre à l'intérieur, vont les conduire éventuellement comme criminels, comme des personnes ayant des démêlés avec la justice devant le CLO?

M. Petit: II existe un réseau informel de ressources, mais très informel. Tu peux trouver à l'intérieur d'un service spécialisé qui soit du CSS ou du centre d'accueil, une personne qui va être apte à dépasser son mandat pour travailler avec le jeune que tu lui réfères pour voir si tu peux essayer de lui éviter tout le processus.

C'est cela qui existe, mais ce réseau informel vient de multiples contacts d'interventionnistes, de multiples centres d'intérêt, de multiples discussions en dehors du cadre précis des problèmes que tu rencontres.

En illustrant par un cas, tu peux voir comment c'est informel tout en étant compliqué, c'est bien évident. Qu'est-ce que tu sens aussi? Tu ne sens pas la structure qui va te détecter, qui va aller en avant des coups. Tu ne le sens nullement dans un projet de loi qui se veut pour les enfants, les adolescents. Je trouve cela réellement grave qu'il y ait une mauvaise connaissance de problèmes sociaux inhérents à une communauté, et encore plus qu'on nous dise qu'il est prévu que... Dans le réel, qu'est-ce que cela amène?

M. Charron: Ce matin, un député, membre de la commission, qui n'est pas ici cet après-midi, a soulevé la question de la prévention étendue en milieu scolaire. Est-ce que, par exemple, dans les quartiers que vous représentez, ceux de la banlieue nord de Montréal et le centre sud, chez nous, il existe de la prévention en milieu scolaire et de l'action publique menée à partir des fonds publics de prévention et quelle valeur a-t-elle à vos yeux?

M. Petit: Je vais te répondre qu'un de nos programmes comme "strict worker" s'appelle la recherche d'emploi. Il y a un conseiller spécial de la main-d'oeuvre qui nous est détaché une matinée par semaine pour recevoir nos cas spéciaux. Cette semaine, en trois entrevues, il y avait un jeune de quatorze ans en recherche d'emploi qui ne savait ni lire ni écrire, qui était en secondaire III dans une polyvalente du secteur; il venait en recherche d'emploi à quatorze ans et, légalement, l'école en question a fait signer aux parents une décharge.

Quelle aspiration puis-je donner à ce jeune qui ne sait ni lire ni écrire en secondaire III et qui est en recherche d'emploi? C'est grave. Un permis est possible à quinze ans. Sur les neuf clients qu'on a reçus cette matinée-là, il y avait trois jeunes dont un de seize ans et un autre de dix-sept ans qui ont quitté en septembre ou en novembre l'école en question en secondaire III et qui n'étaient pas capables de remplir le formulaire d'inscription au centre de la main-d'oeuvre.

Face à cela, je me demande: Cela est-il sérieux? Des écoles, d'accord, mais je me demande aussi comment, à l'intérieur de cette nouvelle loi, on va contrer ces états de choses qu'on retrouve. Je ne le vois pas; avec toutes les bonnes intentions de M. le ministre, qui essaie de m'expliquer que le reflet de la communauté est évident, moi, je ne le vois pas. La réalité qu'on essaie d'expliquer, c'est une réalité comme celle-là.

M. Charron: Qu'est-ce qui existe comme ressources autres que les foyers d'hébergement et les centres d'hébergement, les centres d'accueil?

M. Petit: Les hôtels miteux de mon secteur.

M. Charron: Les expériences ne sont pas très favorisées au niveau de la Cour du bien-être social, cela, il ne faut pas se le cacher, mais les références du jeune en milieu ouvert auprès des organismes comme le vôtre, par exemple, sont-elles uniquement exceptionnelles, est-ce par mauvaise foi de la cour que cela se présente ou uniquement

parce qu'il n'y a absolument pas de ressources disponibles dans ce genre de solution et que la cour doit donc se résigner, parce qu'elle se voit obligée à prescrire une thérapie quelconque à un jeune qui s'est rendu jusque devant elle, à ce qui est disponible, c'est-à-dire la liste d'attente des foyers d'hébergement ou Berthelet Beach?

M. Jost: Je pense que c'est là une autre question un peu de fond de l'application de cet avant-projet de loi qui, vraiment, est dans cette zone qu'on peut appeler préventive de recherche d'alternatives, d'autres mesures que l'institution ou les mesures traditionnelles, etc.

Dans l'état actuel des choses, ce que l'on constate, c'est, je pense, qu'il existe quasiment rien en termes de faits. Je ne parle pas des intentions des professionnels et de l'ensemble des structures. Plus ça monte dans la hiérarchie des structures, plus les intentions sont grandes, évidemment, d'aller vers la prévention.

Peut-être que ce qu'on oublie et ce qu'on a du mal à voir, parce qu'on n'a peut-être pas eu la chance d'avoir un certain passé au niveau de la recherche d'options sérieuses avec un minimum de mise de fonds — on a des projets de six mois en six mois et on se demande chaque fois par qui on sera payé — avec tout le sérieux au niveau de la recherche, au niveau de l'évaluation, au niveau des conditions nécessaires, à peut-être un ministère pour institutionaliser, entre guillemets, ces programmes. Il n'existe quasiment rien dans les faits. C'est dans ce sens qu'on dit qu'on a la chance, par ce projet de loi, de faire un pas dans ce sens. Mais, faire un pas dans ce sens, ce n'est pas nécessairement uniquement avec des déclarations de principe ou des envies de faire de la prévention. Pour nous, la prévention n'est pas un mot miracle. C'est une qualité organisationnelle d'un réseau où on retrouve autant des ressources dites formelles, spécialisées que des ressources dites informelles, mais aussi spécialisées.

Il ne faudrait pas penser que le travail communautaire est un travail de première zone, donc de moindre qualité et de moindre exigence. Bien au contraire. Mais, pour amener des professionnels qui ont été formés — on en forme 35 actuellement, et on les appelle les "lologues", on forme des "lologues", c'est la mode — pour amener ces gens sur le terrain, cela prend des conditions matérielles minimales. C'est dans ce sens qu'il y a un trou énorme, en ce qui nous concerne, dans cette zone de milieu ouvert, appelons-la préventive, appelons-la recherche alternative, etc. C'est là que nous faisons un message très pressant au ministère des Affaires sociales et je pense que M. le ministre en est très conscient.

Ces options n'existent pas. La résistance que toute politique va trouver, au niveau de ces structures intermédiaires, au niveau des professionnels, sera réelle. Nous pensons qu'il y a un modèle administratif à promouvoir pour encourager ces structures à sortir de leur chasse gardée, de leur sécurité institutionnelle. Nous ne parlons pas seulement des institutions, mais nous demandons d'encourager, par une politique administrative plus souple, où le contrôle n'est peut-être pas la première exigence, tout en sachant qu'il faut du contrôle. C'est là qu'un projet de loi comme celui-là peut faire faire un pas de plus dans la recherche d'options. Mais cela se fait avec des faits.

M. Charron: Cela se fait avec de l'argent aussi!

M. Jost: Nous comprenons évidemment que les faits, c'est, dans ce sens, l'argent.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Taschereau.

M. Bonnier: Je veux seulement faire préciser. On parle depuis tout à l'heure de mesures préventives, j'ai l'impression qu'on tourne un peu autour du pot, pouvez-vous nous donner des exemples très précis? Par exemple, si vous nous donniez une explication plus détaillée de votre travail communautaire, parce que vous faites du travail communautaire, qu'est-ce que ce serait? Selon vous, d'une façon globale, pour qu'une loi comme celle-là fonctionne vraiment, est-ce qu'il nous manquerait un certain nombre de structures de fonctionnement, à un moment donné, d'organismes auxquels soit les parents, soit les jeunes puissent facilement se relier avant que la machine elle-même puisse être mise en marche? Est-ce cela que vous voulez dire?

M. Jost: Oui, je pense qu'on peut citer une série d'exemples et devenir très concret. D'abord, au préalable, on a souvent eu l'expérience de travailler comme l'école, par exemple. On est presque prêt à affirmer — il y a des recherches actuellement en cours au BCJ, il y a des travaux sérieux qui se font — qu'une politique et des activités dites préventives sont quasiment impossibles à mener dans un milieu même structuré qui s'occupe de la jeunesse d'une façon spéciale; par exemple, le secteur scolaire ou le secteur des loisirs automatiquement repoussent vers l'extérieur de ces structures une catégorie de jeunes qui ont besoin de mesures d'ordre préventif autres que celles que dispense cette ressource.

M. Bonnier: ...

M. Jost: C'est cela. D'une part, et, d'autre part, toute tentative de ces structures d'élargir leurs possibilités est quasiment vouée à l'échec, parce que, d'un point de vue du jeune, l'école, c'est l'école, et les adultes dans l'école, ce sont des enseignants qui sont identifiés avec leur fonction première d'enseignants.

Pour rejoindre ces jeunes — et c'est là qu'on parle de structures et qu'on entre dans notre travail concret — c'est le travail de milieu. Qu'est-ce que veut dire le travail de milieu? D'abord, cela veut dire accepter de travailler en dehors des heures dites normales. Tout de suite, vous sélectionnez 75% de professionnels. Qu'est-ce que cela

veut dire? Cela veut dire être capable de comprendre, de saisir des réalités simples d'une communauté, sans toutefois s'identifer à cette communauté ou se faire le complice de cette communauté dans certains de ces dits fonctionnements, ce que arrive, évidemment. Qu'est-ce que cela veut donc dire? Cela veut dire être présent les soirs, les fins de semaine, cela veut dire avoir une possibilité d'organiser une série d'activités de loisirs qui vont des activités d'ordre de coups de main au niveau de l'apprentissage à l'ordre de sorties à l'extérieur du milieu. C'est un élément concret de notre travail. Qu'est-ce que c'est encore? C'est, dans certains cas, être assez spécialisé pour traiter dans le milieu même, en relation avec la famille, en relation avec son entourage quand celui-ci est sain, avoir donc une capacité de travailler au niveau des activités dites thérapeutiques.

Ce sont des exemples concrets de programmes dits d'ordre alternatif et dits d'ordre préventif. C'est essentiellement d'être à côté des structures sans toutefois être marginal, quoique nous ayons vu des thérapies qui peuvent être appliquées dans un cas de marginalité, mais c'est d'être à côté des structures et d'avoir — et c'est le grand point — une possibilité de partager son travail, d'avoir la possibilité de se sentir appartenant à — et là, je suis bien obligé d'employer le mot structure — mais une structure qui, elle, dans bien des cas, permet l'accessibilité au monde de la justice, permet l'accessibilité aux services spécialisés, permet la crédibilité. C'est un des grands problèmes du travail d'ordre préventif et d'ordre alternatif. Les gens se brûlent. Au bout de six mois, au bout d'un an, au bout de deux ans, les gens sont vidés. Pourquoi sont-ils vidés? Parce que, dans bien des cas, ils n'ont travaillé qu'avec leurs tripes et, chaque fois qu'ils étaient mûrs et prêts, par leurs qualités, à entrer en relation avec tout l'appareil judiciaire ou l'appareil social, il y avait une une espèce de blocage. C'est la reconnaissance de cette forme de travail et de ces formes d'activités qui, je pense, vont amener un caractère préventif aux interventions que j'ai mentionnées tantôt.

M. Bonnier: Si je saisis bien, si vous me permettez, est-ce que ce serait un certain nombre de types de bénévolat un peu spontané dont l'existence a été un peu amoindrie avec l'établissement — si on veut porter un jugement de valeur — un peu trop systématique peut-être de tout l'appareil. Est-ce cela que vous voulez dire?

M. Jost: C'est évident que si on analyse la carte actuelle des services, et si l'on pense que le bénévolat est un élément d'un service bien important, c'est sûr qu'actuellement le bénévolat est en régression. C'est sûr que les mesures d'ordre préventif doivent intégrer et intégreront nécessairement et valoriseront même le bénévolat actuellement de plus en plus en régression.

Loin de moi d'imaginer et de penser que tout le travail préventif et tout le travail du type communautaire sont alternatifs aux mesures actuellement existantes peuvent se faire sur une base de bénévolat. De toute évidence, si on n'attire pas des spécialistes; quand je dis spécialistes, je considère même que nous avons certaines expériences où le psychiatre, le psychologue, le juge... Nous avons des expériences concrètes de juges qui viennent dispenser un service d'ordre qu'on peut qualifier préventif dans une communauté. Cela veut dire qu'ils viennent, cela veut dire qu'ils acceptent et qu'ils ont une toute autre forme d'approche que celle de recevoir quelqu'un, derrière son bureau.

Le travail communautaire, je ne veux surtout pas l'identifier au bénévolat parce que ce serait...

M. Bonnier: C'est ce que j'entends, c'est une structure bénévole comparativement à l'autre qui est plus...

M. Jost: C'est cela.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, il y a eu une allusion, je dois l'appeler comme cela, dans le mémoire présenté par le BCJ à la structure du CLSC. Je ne sais pas si cela vient de l'expérience de perspective Z avec le CLSC centre sud, mais on souhaite en fin de compte un rattachement du CLSC, avec le CLSC, de quelque façon parce que c'est en soi, l'a-t-on voulu ainsi, un organisme communautaire. Quand nous avons étudié la loi 65, le Parti québécois avait présenté, à ce moment, un amendement qui visait à permettre aux CLSC de fonctionner par contrat avec des organismes autonomes, c'est-à-dire ne pas récupérer des organismes et en faire des fonctionnaires du CLSC, mais là où un organisme privé fonctionne et aux yeux du CLSC remplit la fonction adéquate sur le territoire du CLSC, pas besoin de l'intégrer, il suffit au contraire d'établir un réseau, un contrat par lequel on s'engage avec une disposition à ce que ces services soient maintenus. Cet amendement a été défait par le gouvernement. Cela a déjà causé un problème ici pour un CLSC de la basse-ville de Québec, cette question qui est réglée.

M. Bonnier: C'est réglé.

M. Charron: C'est une question de contrat avec les avocats populaires, puisqu'ils ont été intégrés.

Est-ce que cette particularité de permettre à un CLSC de fonctionner par contrat ferait que les caractères préventifs sur lesquels nous venons de discuter, d'organismes oeuvrant littéralement au niveau de la rue, au niveau du quartier pourraient être accélérés ou amplifiés, puisque nous avons fait état du peu de ressources dans ce domaine.

M. Petit: ... un court historique du comité-jeunesse du CLSC centre sud qui date depuis le mois de mai. Ce sont des interventionnistes qui

oeuvraient dans des organismes à caractère-jeunesse qui se sont réunis autour d'une table pour considérer l'état des services-jeunesse du secteur centre sud. Ils étaient huit organismes à caractères marginaux ou pas dans les structures. Le comité-jeunesse s'est créé par une proposition qui a été faite au CA du CLSC et il fonctionne depuis sept ans.

En l'espace de trois mois, nous avons eu à se sensibiliser sur ce qu'on faisait mutuellement. On s'est donné des mécanismes avec le bureau consultation-jeunesse de faire une fois pour toutes une recherche quantitative et qualitative des services-jeunesse, pour bien identifier notre population au niveau de la communauté. A partir d'autres points d'intérêts, nous nous sommes rendu compte que, sur les huit organismes, qui participaient au comité jeunesse, il n'en reste que deux. Tous les autres sont disparus pour manque de fonds. Quand tu parles de sous-contrat, il est bien évident que le comité-jeunesse parle plutôt de reprise par le CLSC, devant l'urgence de la situation qui n'est pas idéale pour nous de continuer les actions que le CLSC a considérées valables parce que les organismes, en plus de rendre un service, sont appelés à siéger sur le comité et disparaissent. Ils ont à se battre pour leur survie.

De plus, le comité-jeunesse s'est adjoint des structures consultatives dont la police, section aide à la jeunesse, ce qui nous a permis, au niveau de l'action, de voir un nouveau concept d'intervention. Au comité-jeunesse, les gens vont dire qu'un policier de la SAJ, maintenant, est un interventionniste comme nous autres, qui est là en situation de crise avec des adolescents et l'échange de services qui s'est établi, dans notre secteur, donne des résultats qui évitent souvent des comparutions à la cour, parce qu'il y a un meilleur dépistage. Mais devant l'urgence de la situation, le comité suggère aux CLSC de reprendre nos actions avec l'aide des organismes qui pourront survivre, mais qu'eux subventionnent d'après le résultat de la recherche et des services les plus prioritaires qui ont fait le consensus, en s'adjoignant des spécialistes du CSS au niveau de cas très précis, parce qu'on n'a pas retrouvé, dans nos négociations avec le CSS, ce souci de la communauté.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Autres questions des membres de la commission?

M. Saint-Germain: Vous avez mentionné, il y a quelques minutes, que vous alliez nous donner des exemples pratiques du genre de travail que vous accomplissez dans votre communauté et, dans la discussion, cela s'est perdu. Si vous voulez bien, M. le Président, on pourrait revenir là-dessus.

M. Jost: Oui. D'accord.

M. Petit: Pour reprendre ce que l'on appelle une approche préventive. Par notre présence dans le secteur, dans certaines salles de billard — souvent ce sont les endroits où les adolescents se tiennent — par le fait des valeurs véhiculées par les animateurs terrains, qui ne sont pas des valeurs complices avec le milieu, au niveau de comportement délinquant, il nous est arrivé souvent — seulement par notre présence — d'avoir rencontré des jeunes, qui sont venus nous voir pour nous dire: Demain je fais un vol, j'ai mon révolver et puis je donne la "claque". C'est sûr que le jeune qui vient nous voir n'est pas décidé à faire son vol, si on veut, mais il ne veut pas se faire faire la morale non plus. Par notre connaissance du milieu, la sublimation du milieu criminogène des gars qui marchent avec des révolvers, on se doit d'allier le côté interventionniste en respectant les valeurs culturelles et essayer de l'empêcher, pour le moment, de faire son vol et de le reprendre et lui donner autre chose comme centre d'intérêt et qu'il se revalorise au niveau de son groupe. Cela, c'est une action que l'on fait et que je considère comme préventive.

Un autre genre d'action qu'on fait aussi, c'est que souvent des juges nous appellent parce qu'ils ont à porter un jugement comme article de protection ou ce sont des articles vains, mais qui n'ont pas besoin de faire un stage dans certaines institutions, ils nous demandent de prendre conscience du jeune, mais dans le milieu, pour élaborer une structure de recherche d'emploi, de retour en classe, avec lui, mais sans les pressions de la cour. C'est un autre genre de référence que l'on a. On fait notre propre référence par notre présence et on a celle des organismes à caractère permanent. Des exemples...

M. Matteau (Fernand): On peut parfois servir d'intermédiaire entre des parents qui, face à des structures, se sentent paralysés, ont littéralement peur et ont une mentalité très négative. Très fréquemment, on est appelé à servir d'intermédiaire entre ces gens parce que nous autres, nous ne sommes pas à l'intérieur de ces structures, nous sommes complètement en dehors de cela. Nous pouvons faire un travail qui, normalement, si on se fie à cet avant-projet de loi, aurait abouti à la cour parce que ces parents sont négatifs, ils ne veulent rien savoir. Notre rôle là-dedans permet de servir d'intermédiaire; c'est un autre aspect.

M. Boivin: Je pense aussi que ce qui est important chez nous, en tant qu'organisme non traditionnel hors réseau, c'est d'être capable, face à une demande, de pouvoir réagir de façon très directe. C'est-à-dire que, si un jeune appelle chez nous ce soir parce qu'il a besoin d'hébergement, la réponse sera ce soir, l'hébergement. Ce ne sera pas reporté au prochain rendez-vous, la semaine prochaine, avec, à ce moment, une exploration du réseau, avec une série d'entrevues sur l'évaluation du type, c'est-à-dire qu'il va se faire une évaluation assez proche et souvent, le type qui va s'adresser chez nous, par la forme de travail, va être un type qui est connu par le projet. Je pense qu'il y a eu une question de M. Bonnier tout à l'heure. Je pense que, pour avoir une action dans une communauté, il faut d'abord être présent auprès

des jeunes de cette communauté, être sur place; il faut être présent auprès des organismes pour être en mesure de prendre le téléphone et d'appeler à un service social et être capable de décrocher la personne qui, elle, bouge à l'intérieur de cette boutique. Il faut aussi avoir nous-mêmes notre propre petit réseau de ressources qui ne sont pas les centres d'accueil traditionnels parce qu'il faut qu'on y entre par la cour, qui sont habituellement des services qui survivent de peine et de misère alors que le réseau est extrêmement riche et devrait répondre à tous ces besoins. Mais les délais qui sont demandés ou les formalités qui sont à remplir font que le jeune est là en attente pendant X temps. Je ne donne pas de noms, mais disons que cet exemple vient d'une demande précise d'un homme qui nous appelle: Voici mon besoin.

M. Jost: Vous savez qu'il y a un autre problème, c'est de ne pas trop se faire connaître. Parce qu'on en a assez sans se faire connaître; on fonctionne. On ne parle pas d'horaire chez nous, on ne parle pas de relations syndicales, on ne parle pas de tout cela, mais on travaille, cinquante, soixante, soixante-dix heures par semaine sans se faire connaître. Parce que, si on faisait un tout petit peu de publicité, on serait envahi par, souvent, ce que l'on perçoit être des spectateurs, qui sont dans des structures en place. S'ils tombent par hasard sur notre connaissance, ils nous envahissent tellement en termes de demandes que... Il y a deux solutions. En général, c'en est une. On meurt souvent à la tâche parce qu'on ne fournit plus, et bien souvent, quand on commence à se dire et à se demander, quand on a une petite connaissance... Souvent, des réseaux nous demandent de rendre des services, alors qu'eux sont équipés. Je vous cite un exemple. Je pense ne pas me tromper quand je dis qu'une structure comme le CSS Montréal métropolitain a, je pense, entre 50 ou 100 postes inoccupés.

Le message que l'on veut transmettre, c'est que ion pense que l'application d'un projet de loi basé sur ces principes doit venir d'une façon ou d'une autre d'une reconnaissance institutionnelle. Je suis bien obligé d'employer ce terme parce qu'on a besoin de cette reconnaissance institutionnelle pour continuer à travailler dans la recherche d'options qui sont pour nous la seule issue possible; elles sont en tout cas, dans les trois ou quatre prochaines années, la condition actuelle au Québec, dans un sens de déjudiciarisation.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Y a-t-il d'autres questions?

M. Matteau: Je répète, la question que M. Charron a soulevée tantôt. A cause de la discussion on n'a pas répondu au sujet de l'article 59. Il est bien évident que l'article 59, d'après nous, est peut-être celui qui fait qu'on va manquer le bateau pour de bon. Je pense que tout le monde en est convaincu, parce qu'un délit qui, selon le Code criminel, entraîne trois années de détention, c'est par exemple seulement voler $50 et casser une vitrine. Cela va plus loin encore, parce qu'on n'a même plus besoin de prouver le délit. Cela, c'est grave, quand on pense à l'article 133, qui laisse un choix qui peut être des plus abusifs; quand un agent de la paix, à un moment donné, apprend qu'une voiture a été volée, il n'a qu'à soupçonner le petit untel. Il n'a même plus à le prouver, parce que s'il l'appréhende en vertu de l'article 20, il va falloir qu'il le prouve, surtout avec la nouvelle loi des jeunes qui ont des démêlés avec la justice. Il va devoir le prouver. Il y a tout un mécanisme d'appel. Alors, il n'aura qu'à recourir à l'article 59, il n'a qu'à le soupçonner. Même plus, je ne sais pas si c'est une erreur d'imprimerie, mais, dans le texte, c'est écrit: "A commis ou peut être soupçonné d'avoir commis". Il n'est même pas obligé de le soupçonner; il peut être soupçonné d'avoir commis. Trois années de détention au Code criminel, je le disais tantôt, c'est $50, ce n'est pas grand-chose. Sans compter que la cour, à plusieurs reprises, antérieurement à des infractions à la loi ou à un règlement... Si on veut aller au bout, extrapoler un peu, cela veut dire que le petit jeune qui se promène à bicyclette dans un parc, s'il y a un règlement qui l'interdit et qu'il se fait prendre six fois, se retrouve devant le juge. A quoi cela sert-il alors de faire des structures?

Le Président (M. Houde, Limoilou): Je partage bien votre avis. Merci, messieurs. Les représentants du Barreau sont-ils présents? Etant donné l'heure, auriez-vous objection à ce que l'on suspende la séance à 8 h 15, vous passeriez immédiatement?

M. Charron: Ou préférez-vous revenir une autre fois?

M. Beaupré: On en discutait justement. On se demandait si on reviendrait à Québec lors du carnaval ou si...

M. Charron: Vous savez, ici, le carnaval est permanent, vous passez quand vous voulez.

M. Beaupré: Cela ne presse pas! Me donnez-vous 30 secondes?

M. Charron: Oui, messieurs, bien sûr.

M. Beaupré: Est-ce qu'on nous donne le choix de procéder maintenant?

M. Charron: Pas maintenant, mais à 20 h 15 ou une prochaine fois, en janvier.

M. Beaupré: Maintenant que nous y sommes, je suppose qu'on est aussi bien de rester.

Le Président (M. Houde, Limoilou): La commission suspend ses travaux à 20 h 15.

Reprise de la séance à 20 h 30

Barreau du Québec

Le Président (M. Houde, Limoilou): Je prie les représentants du Barreau du Québec de discuter de leur mémoire et je les inviterais également à se présenter.

Mme Audette-Filion (Micheline): M. le Président, M. le ministre, messieurs les membres de la commission parlementaire, mon nom est Micheline Audette-Filion, directeur du service de recherche au Barreau du Québec. Il me fait plaisir de vous présenter les représentants du Barreau ce soir. A ma gauche, Me Gemma Carle, de Québec, attachée au service Jeunesse de l'aide juridique de Québec. A mon extrême-droite, Me Pierre-O. Valois, de la Cour du bien-être social à Montréal et, à ma droite immédiate, Me Gérard Beaupré, de Montréal, qui a présidé notre comité et qui a également agi à titre de président de notre comité en 1973 sur le projet de loi de la protection de la jeunesse et également au comité qui a étudié la question des enfants maltraités.

Le dossier de la jeunesse n'est pas nouveau au Barreau. Pour ne pas parler des représentations que nous avons faites au cours des années sur la question des tribunaux de la famille et sur les questions matrimoniales, on peut mentionner plusieurs 'représentations que nous avons faites dernièrement. En 1972, au gouvernement fédéral, un mémoire sur le projet de loi C-192 concernant les jeunes délinquants et abrogeant l'ancienne loi sur les jeunes délinquants. L'année suivante, au gouvernement provincial, le mémoire sur la réorganisation des tribunaux. Par la suite, évidemment, le mémoire dont je parlais tantôt sur la protection de la jeunesse, le projet de loi 65, et ensuite aux deux ministres de la Justice et des Affaires sociales, le mémoire sur la question de la protection des enfants maltraités. Nous pouvons même dire qu'au sujet du projet de loi 65, la protection de la jeunesse, nous avons non seulement transmis nos commentaires et nos recommandations, mais nous avons présenté un projet de loi complètement remanié et rerédigé au complet. C'est dire que le Barreau est très intéressé à ce domaine malgré le fait que ce n'est peut-être pas la majorité des avocats qui travaille dans ce domaine.

C'est aussi pourquoi nous avons toujours cherché, au sein des comités que je viens d'énumérer, à l'occasion des mémoires dont j'ai parlé, à réunir dans ces comités des avocats particulièrement intéressés à ce domaine, tant du côté de l'aide juridique que du côté de la pratique privée que du côté de la défense que du côté de la Cour du bien-être social et même à l'occasion des professeurs. Nous n'avons pas craint d'aller chercher aussi et de faire siéger a nos comités d'autres catégories de professionnels qui sont aussi intéressés à cette question. En particulier sur la question des enfants maltraités, nous avions des médecins, des pédiatres, des travailleurs sociaux qui ont siégé avec nous à ce comité. Dans le cas de l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse que nous étudions aujourd'hui, nous avons obtenu la collaboration de représentants de l'Office de révision du code civil et des centres de services sociaux.

Maintenant, je pense qu'il y a une chose qui vaut la peine d'être dite aujourd'hui, c'est que de sensibles améliorations se soient manifestées depuis quelques années et que les mentalités à ce sujet aient bien évolué, dernièrement, disons dans les cinq dernières années. Il faut bien dire que les avocats n'étaient pas persona grata à la Cour de bien-être social. Ils se sont sentis bien des fois empêcheurs de tourner en rond dans cette cour où, malgré de bonnes volontés évidentes, sous prétexte de décider en équité, les droits des enfants étaient souvent méconnus.

Dans ce domaine si profondément humain, où le social et le judiciaire sont si intimement mêlés, la collaboration entre les deux ministères entre les avocats, les juges, les travailleurs sociaux, les criminologues, les officiers de profession est essentielle, mais n'a pas toujours été de soi, je pense qu'il faut bien le dire aussi. Les difficultés, les lourdeurs administratives et le manque de ressources ont souvent empêché, découragé les meilleurs. Il est temps, et le projet de loi semble envisager cet esprit, que les divers types de professionnels travaillent ensemble pour en arriver à une protection de nos jeunes qui sont la responsabilité de plus en plus grande de notre société.

Sur ce, je passe la parole à mon confrère, Me Beaupré qui va vous résumer non pas le mémoire au complet, mais les principaux éléments de ce mémoire. Nous répondrons ensuite à vos questions avec plaisir.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Me Beaupré.

M. Beaupré: M. le Président, à cette heure-ci, c'est bien évident que dans mon cas, je vais tenter de résumer le plus possible, sachant fort bien que les membres de la commission ont tous lu et étudié le mémoire que le Barreau a présenté. C'est toujours un plaisir pour le Barreau du Québec de participer à l'élaboration de législations, surtout et malgré le fait que dans le cas présent, on a tendance à vouloir éloigner de l'objectif de la présente loi, les cours de justice et, par conséquent aussi, les avocats qui oeuvrent devant ces cours de justice.

Il reste que le présent avant-projet de loi, comme l'a dit Me Filion en est un qui étudie ou qui cherche à réglementer un sujet qui nous a toujours tenu à coeur et depuis de nombreuses années. On a tenté, au Barreau, de former des comités de personnes dont la compétence pouvait aider à élaborer des solutions adéquates au problème que vise à régler la présente loi. J'ai, comme vous, entendu d'autres organismes venir vous faire des représentations et j'ai entendu souvent le vocable que j'ai de la misère à articuler, savoir la déjudiciarisation des lois. Je ne suis peut-être pas le seul à avoir de la misère à le pro-

noncer, celui-là. C'est un mot, nouveau pour moi, parce qu'à mon sens, les lois ont toujours été le domaine des cours — avant les cours, du législateur — et des avocats. Mais apparemment, dans ce cas-ci, on tente, peut-être avec raison, de déjudi-ciariser la Loi de la protection de la jeunesse.

Je reviendrai là-dessus tantôt. Je veux seulement vous dire, M. le Président, que dans l'ensemble, cet avant-projet de loi suscite beaucoup de satisfaction au sein du Barreau du Québec, chez les avocats, pour la bonne raison que le mémoire qu'on a produit devant vous, il y a quelque deux ans ou un an et demi, contenait une foule de recommandations et de suggestions dont la plupart sont retenues dans le présent avant-projet de loi, sauf une, mais j'y reviendrai un peu plus tard.

Je voudrais peut-être, très brièvement, résumer ces recommandations du Barreau qui reçoivent écho dans le présent avant-projet de loi, plus particulièrement la décentralisation des services de protection de la jeunesse, l'accès plus facile au service de la Cour de bien-être social, surtout le droit d'appel, qu'enfin le présent avant-projet de loi reconnaît aux intéressés, la question de la dénonciation obligatoire que vous avez discutée avec d'autres organismes plus tôt aujourd'hui; la déchéance de l'autorité parentale et la tutelle.

Ce sont là les grandes lignes du précédent mémoire que le Barreau du Québec vous avait présenté et qui reçoivent écho dans cet avant-projet. C'est pourquoi je vous dis que le Barreau du Québec est satisfait de l'esprit et des principes de base qui sont sous-jacents à cet avant-projet.

J'ai remarqué aussi une similitude entre certaines recommandations que le Barreau du Québec vous fait et que d'autres organismes vous ont faites également, en particulier l'Association des centres de services sociaux du Québec dont les recommandations nous semblent être conformes à celles que nous vous faisons, tout particulièrement quant à l'article 7, les mesures disciplinaires et une multiplication inutile des organismes de protection que votre avant-projet qualifie d'organes de protection. Il y a également des suggestions en regard de l'article 30, de l'article 33.

De sorte qu'il semble que le Barreau du Québec, dans ses recommandations, ne s'est pas penché uniquement sur des questions de pur légalisme. Les recommandations, dont certaines sont très importantes, que le Barreau vous a faites, sont également partagées par des organismes relevant d'autres disciplines.

Cela dit, et aussi brièvement qu'un avocat puisse le faire, j'aimerais rappeler à cette commission les principales recommandations du Barreau en commençant par le chapitre 2 qui traite des droits de l'enfant.

Dans notre mémoire, relativement à ce chapitre des droits de l'enfant, le premier article sur lequel je veux attirer votre attention est l'article 4 qui paraît être inoffensif, qui paraît même être indiscutable, sauf que, dans sa rédaction actuelle, j'estime qu'il offrirait bien plus une défense quasiment systématique aux parents plutôt que de pourvoir l'enfant d'un droit à l'information.

L'article se lit comme suit: "Les enfants et leurs parents ont le droit d'être informés le mieux possible des droits que leur confère la présente loi". De sorte que si des poursuites étaient intentées contre les parents ou, enfin, des mesures étaient demandées et que l'on veuille, à rencontre des parents, prendre certaines sanctions ou imposer certaines mesures plus ou moins volontaires, sinon obligatoires, les parents pourraient toujours dire: Je n'ai pas reçu l'information que la loi m'accorde à titre de droits. Cet article nous paraît d'ailleurs d'autant plus inutile que, un peu plus loin dans la loi, l'on fait un devoir à la commission d'informer les gens des droits que la loi accorde au titre de la protection des jeunes.

Evidemment, je vais vous exposer des questions purement techniques. Malheureusement, on ne peut lire la loi que du point de vue légal. Cet article, pour ma part, nous semble quelque peu dangereux si on veut s'assurer véritablement que les mécanismes mis en place par la loi soient appliqués de façon facile et sans trop d'embûches.

Les articles 6 et 7 de la loi parlent de mesures disciplinaires qui devront être déterminées par réglementation. Cela nous semble, d'une part, faire une duplication avec la Loi sur les services de santé. Ensuite, cela me paraît un peu extraordinaire que, d'une part, on veuille que les enfants qui ont besoin de protection soient traités comme dans un milieu familial normal et que, d'autre part, quand les enfants sont placés dans des centres d'accueil ou dans des familles d'accueil, le père ou la mère en charge de la famille d'accueil doive lire les règlements du ministère ou du lieutenant-gouverneur en conseil pour savoir s'il peut appliquer telle mesure disciplinaire.

Je pense que, dans un milieu familial normal, le père n'a pas à consulter de grands livres pour savoir s'il peut appliquer la giffle sur la joue droite ou sur la joue gauche de son enfant. Nous soumettons que ces deux articles nous semblent superflus, sinon inutiles.

L'article 10 parle de règles d'interprétation. On y ajoute une nouvelle. Notre soumission là-dessus, à l'article 10, est que les règles d'interprétation, qui sont établies tant par les lois que par jurisprudence, sont suffisamment claires et en ajouter une spéciale pour une loi particulière ne ferait qu'embrouiller les cartes.

Toujours au même chapitre des droits de l'enfant, je comprends que le droit à l'éducation, comme le projet de loi le prévoit, le droit à un milieu familial normal, tout cela, bien sûr, que cela va de soi, mais ne croyez-vous pas que l'un des droits fondamentaux des enfants est avant tout, d'être informés de leurs droits. Ne croyez-vous pas que, dans ce chapitre II, devrait être inclus un article qui dit que l'enfant a automatiquement droit d'avoir recours à l'avis d'un conseiller juridique pour qu'il lui dise quels sont ses droits, en vertu même de la présente loi, et ce sans que l'enfant ait besoin de le demander? Il me semble que cela devrait être automatique. Si on veut vraiment protéger les enfants et si on veut reconnaître leurs droits, le premier droit est celui d'être avisé de ses

droits. Là-dessus, votre projet de loi me paraît absolument silencieux, sauf à l'article 81, quand on le poursuit.

M. Forget: Et à l'article 4, non?

M. Beaupré: Je ne vois pas cela. Article 4: "Les enfants ont été informés. Qui va les informer, M. le ministre? Le directeur, les travailleurs sociaux, les juges? On n'est pas encore rendu là. Je pense que, dès le départ, si on fait vraiment — on va dire que je prêche pour ma paroisse, mais c'est possible — si on veut faire vraiment une déclaration des droits de l'enfant, la première déclaration, c'est que l'enfant a le droit de savoir quels sont ses droits. Jusqu'à maintenant, il me semble que ce sont encore les conseillers juridiques qui sont les mieux placés pour aviser les enfants de leurs droits, comme ce sont les gens les mieux placés pour aviser les adultes de leurs droits.

Au chapitre suivant, on parle des structures de la protection de la jeunesse. Là, je ne veux pas répéter ce que vous avez entendu aujourd'hui à maintes et maintes reprises. C'est, pour le moins, des structures étonnantes. Tout d'abord, tout comme l'enfant a besoin de deux parents pour venir au monde, il semble que cela prenne deux ministres pour assurer sa protection. Il faut peut-être se demander lequel des deux va jouer le rôle de mère ou le rôle de père. On part avec deux ministres. On continue avec la cour. Il y a la commission. Il y a les CLO. J'appelle cela des CLO, une déformation professionnelle. Il y a des conseils de surveillance qui semblent se surveiller eux-mêmes, parce que ce sont les mêmes gars qui sont des deux côtés. Il y a la direction de la protection de la jeunesse. Il y a les enquêteurs. Il y a les agents de la paix. Il y a le centre de services sociaux et de conseils de protection de la jeunesse. Cela fait bien du monde.

Quant à ce sujet, je rejoins en plus de ce que d'autres vous ont dit aujourd'hui, il y a au moins les conseils de surveillance qui semblent superflus, parce qu'ils nous donnent bien l'impression d'être composés de personnes qui sont toujours les mêmes qu'on trouve un peu partout, et qui vont finalement se surveiller. C'est l'impression du Barreau que cette loi, comme d'autres peut-être — mais ce n'est peut-être pas l'objet du débat ce soir — semble souffrir de ce qu'on appelle la "structurite". Des fois, abondance de biens ne nuit pas, mais, dans le cas présent, j'ai l'impression qu'il y a des tonnes de structures, de superstructures et d'infrastructures. D'ailleurs, je pense que les conseils de surveillance avaient été proposés sous la loi de l'aide de l'accès à la justice, l'aide juridique. Finalement, l'Assemblée avait refusé. Cela semblait inutile dans ce cas. A mon avis, c'était inutile dans un cas, cela l'est aussi dans l'autre.

Je passe maintenant au chapitre 4, la protection sociale. A l'égard de ce chapitre 4, je peux vous dire que c'est un exemple — enfin, aux yeux du Barreau, aux yeux d'un avocat — frappant d'une rédaction de loi qui est absolument incom- préhensible. Il y a certains chapitres qui sont plus clairs que d'autres, mais celui-ci illustre, à mon sens, ce que les avocats entendent par une espèce de bouillie législative. On ne s'y comprend pas. Il faut sauter d'un article à l'autre. On parle de mesures volontaires d'un côté avec des mesures provisoires, des mesures permanentes et des mesures un peu plus permanentes, volontaires, obligatoires. Finalement, vous avouerez que les praticiens ne sont pas près de s'y retrouver. Peut-être que les enfants, qui sont plus... Je ne sais pas si les enfants vont s'y comprendre.

Je pense que ce chapitre devrait être réédité à peu près au complet. C'est peut-être le seul chapitre sur lequel le Barreau du Québec a des recommandations sur tous et chacun des articles, peut-être à l'exception de un ou deux. Il n'y a pas d'erreur que ce chapitre ne pêche pas par excès de clarté.

En rapport avec ce chapitre IV de la protection sociale, ce qu'on a convenu d'appeler la protection sociale, nous réfère aux pages 15 à 25 de notre mémoire, où on formule des recommandations à peu près sur tous les articles.

Je n'ai pas envie de revoir chacune de ces recommandations et de ces suggestions. On pourrait peut-être en mentionner quelques-unes, cependant, surtout après les représentations que l'on vous a faites plus tôt, aujourd'hui, et en particulier sur l'article 46, à savoir le devoir de dénonciation.

L'article 46 prévoit deux cas, le cas d'un enfant qui a besoin d'une protection purement morale, et l'autre alinéa, qui parle d'un enfant qui est en danger de mauvais traitements physiques Le Barreau est parfaitement d'accord avec l'obligation que le projet de loi fait quant au deuxième alinéa. Le Barreau n'est pas d'accord du tout que le premier alinéa, cependant, fasse une obligation à quiconque de formuler une plainte, ou enfin, de soumettre à la cour ou au directeur de la protection de la jeunesse, le cas d'un enfant qui, à son point de vue, serait moralement en danger. Il nous semble que ce serait là favoriser des abus, des délations ou des vengeances.

Ce que l'on souhaite, c'est de permettre, à l'article 47: "Tout enfant peut signaler une situation relative à lui-même ou à ses frères et soeurs" pourquoi pas son cousin ou sa cousine? d'élargir la famille, des frères et soeurs.

La deuxième recommandation a trait à l'article 48, où je pense qu'il faudrait clarifier la définition de l'enfant dont la sécurité, le développement ou la santé est en danger, de façon aussi que les abus puissent être évités.

A l'article 48, nous avons repris, dans notre mémoire, les suggestions que l'on avait faites dans le mémoire de 1973. Je pense que la rédaction que l'on soumettait était plus claire, et était peut-être moins superflue. Dans l'actuel article 48, il y a des paragraphes qui se retrouvent dans les autres. Par exemple, le paragraphe a) peut facilement entrer dans le paragraphe d) et le b) peut se retrouver à f).

Je tiens à vous signaler qu'à la page 15 de no-

tre mémoire, il y a une petite erreur de frappe. A l'article 48, le sous-paragraphe commence par d), je pense. Ce devrait être a), et les autres sous-paragraphes renumérotés en conséquence.

Notre recommandation suivante a trait aux articles 51 et 52. On a soumis à cette commission une nouvelle rédaction des articles 51 et 52, de façon à obliger les CLO à prendre, dans les meilleurs délais possibles, les décisions qu'il convient de prendre, parce que l'actuel projet de loi ne prévoit pas de délai.

C'est bien beau de faire des CLO, mais si la loi ne les oblige pas à travailler dans un temps limite, cela semblerait être des chevilles ouvrières plus ou moins efficaces, d'une part.

D'autre part, cela nous a paru inutile d'obliger le CLO qui est convaincu qu'un enfant doit aboutir à la cour de passer par le centre de services sociaux ou par d'autres organismes. Il n'y a peut-être pas trop de portes, mais toutes les portes ne sont pas nécessaires. Je pense que, dans certains cas, ce comité local d'orientation devrait pouvoir aller directement à la cour.

Il y a enfin, les amendements qu'on suggère. On vise aussi à fournir aux parents de l'enfant concerné un avis de la décision que le comité local d'orientation a pris à l'égard de cet enfant.

On rejoint, par ailleurs, à l'égard de l'article 55, les recommandations d'autres organismes quant à la détention de jeunes dans des institutions faites pour détention d'adultes. C'est clair que le Barreau n'a jamais été favorable à cela et ne l'est toujours pas plus aujourd'hui, ce qui m'amène à l'article 59, dont on a beaucoup parlé aujourd'hui.

Notre position est claire. L'article 59 nous semble absolument inacceptable et cela me surprend de voir un tel article dans une loi qu'on intitule Loi sur la protection de la jeunesse.

Je n'ai jamais vu un adulte pouvant être légalement arrêté et traduit en cour sur un simple soupçon. Le projet de loi proclame partout que les enfants devraient avoir des droits au moins égaux à ceux des adultes et vous permettez ici à n'importe quel policier ou à n'importe quel enquêteur ou à n'importe qui, somme toute, d'amener à la cour un enfant sur un simple soupçon.

Au moins, le droit criminel prévoit que cela prend des motifs raisonnables et probables de croire que monsieur Untel a commis un tel crime. Mais, pour les enfants, c'est trop. Un petit soupçon de rien et on l'amène devant le juge et même pas de soupçon. Si on sait qu'il a déjà commis des crimes ou des infractions, on va l'amener à la cour. C'est le principe, à mon sens, le plus indéfendable. Il n'y a pas un adulte qui accepterait de se le voir appliquer, et on se prépare à l'appliquer aux enfants dans une loi qui s'intitule précisément Loi sur la protection de la jeunesse.

Le Barreau estime que c'est absolument indéfendable et l'article 59 est à biffer complètement.

On en arrive au chapitre qui s'intitule — je ne mentionne que les principaux de notre mémoire — la protection judiciaire. Dans le fond, notre mémoire ne vise qu'une seule chose, d'assurer que les jeunes ont au moins les mêmes droits que la loi reconnaît aux adultes.

En particulier, on vise à mieux définir la juridiction de la cour en matière de protection de la jeunesse, soit à l'article 78. Notre suggestion rejoint celle déjà faite par l'Association des centres de services sociaux.

D'autre part, il nous semble que certains articles soient hautement discutables du point de vue technique, du point de vue strictement constitutionnel, l'article 92, en particulier, au sujet duquel on joint un commentaire de l'Association des services sociaux. Je ne vois pas pourquoi la Cour de bien-être social serait privée de sa juridiction parce que les parents font des requêtes en divorce ou des requêtes ou des actions en séparation de corps. Si vraiment la santé ou si vraiment le bien-être, le développement d'un enfant est en danger, que les parents se chicanent devant la Cour supérieure ou pour les motifs que l'on connaît qui sont, la plupart du temps, assez banals, je pense que cela ne devrait pas empêcher la Cour de bien-être social de jouer son rôle en matière de protection des jeunes.

Le droit d'appel, à l'article 98, je pense que c'est un noble effort par rapport au précédent projet de loi, mais je pense qu'il est limité et nous ne voyons pas pourquoi le droit d'appel prévu par le projet de loi, à l'article 98, serait limité. Qu'on donne donc un droit d'appel pur et simple, clair et net. Ce n'est pas nécessaire de dire qu'on a un droit d'appel dans certains cas, si, par exemple, la décision n'a pas été rendue avec impartialité. Quand quelqu'un perd, il n'a pas l'impression que le juge a été partial. Il me semble que le droit d'appel pur et simple devrait être accordé. Pourquoi le limiter à trois cas particuliers? Si les motifs de fait ou de droit invoqués au soutien de la décision sont manifestement erronés — supposons que ce n'est pas tout à fait manifestement erroné — est-ce qu'on va contester le droit d'appel de l'enfant ou des parents? On vous suggère que le droit d'appel accordé par la loi soit un droit d'appel clair et net, comme les droits d'appel accordés aux adultes en droit commun.

Au chapitre 6, les mesures d'intervention, il s'agit, bien sûr, d'une mesure exceptionnelle. D'ailleurs, quand le Barreau l'avait proposée il y a deux ans, on la proposait dans des cas extrêmes. On la proposait surtout en regard des enfants maltraités. Parce qu'il ne faut pas oublier que la déchéance permanente des droits des parents entraîne forcément pour eux la perte de leurs enfants, parce que cela mène à l'adoption. Il faut que ce droit à la tutelle permanente du directeur ou du ministre et cette perte de l'autorité parentale ne puisse être envisagée par le juge que dans des cas extrêmes. Le mémoire du Barreau parlait de cas de récidive en matière de mauvais traitements physiques d'enfants. Je pense que l'avant-projet actuel est beaucoup plus large que cela. Je vous réfère au mémoire qui vous est déjà parvenu, aux pages 5 et 6 de ce mémoire du mois d'avril 1974, de façon que cette mesure extrême soit limitée à des cas extrêmes.

Je vous ai dit au début que nous sommes satisfaits de cet avant-projet parce que toutes les recommandations que le Barreau a faites dans ses précédents mémoires recevaient écho dans le présent projet de loi. Je dis aussi qu'il y en avait une qui n'avait pas été retenue dans le présent avant-projet. Si vous permettez, je vais vous reporter à notre précédent mémoire concernant le projet de loi 65 de janvier 1973 et je me permettrai de vous lire trois lignes aux pages 5 et 6. Je vais vous faire une lecture très brève. "Bien que soucieux de contribuer à l'élaboration de mesures législatives visant une meilleure protection de la jeunesse, le Barreau est conscient que de telles mesures ne peuvent, à elles seules, constituer une solution complète de ce problème. L'expérience acquise non seulement par certains avocats, mais aussi par d'autres professionnels oeuvrant dans ce domaine essentiel a largement démontré que même un texte législatif cohérent — ce n'est pas tout à fait le cas aujourd'hui — et adéquat demeure, en pratique, inefficace si les institutions dispensant cette protection sont en nombre, qualité et diversité insuffisantes pour répondre aux besoins des jeunes."

On complétait en disant "qu'un éventail plus complet d'institutions et de plus grandes disponibilités sont nécessaires pour assurer, en pratique, la protection que la loi crée en théorie." A ce que je sache, du moins pour Montréal, les choses ne se sont pas améliorées.

C'est un secret de polichinelle qu'à Bosco-ville, ça va mal, les journaux en étaient remplis, hier; à Saint-Vallier, ça démissionne, apparemment et à Berthelet, c'est à peu près en tutelle. Mon impression, c'est plutôt que de s'améliorer, dans les faits ça semble se détériorer. Je répète que même ayant des textes législatifs adéquats qui correspondent vraiment aux exigences de la vie moderne, sans des disponibilités financières et sans les mesures pratiques nécessaires, des textes de loi, si beaux soient-ils, ne corrigeront absolument rien à la situation.

M. le ministre citait ce matin 18 cas de places libres. On m'a informé qu'à Montréal de façon régulière, il y avait entre 40 et 100 enfants qui sont dans des institutions pour adultes. Je sais également que les juges sont obligés de les envoyer dans des maisons de détention parce que les centres ne veulent pas les recevoir, parce qu'ils ne sont pas équipés pour les recevoir ou parce qu'ils n'ont pas de place pour les recevoir. Il faut peut-être se demander maintenant lequel a les bonnes statistiques et lequel a les bonnes données pratiques. Mais les avocats qui pratiquent dans le district judiciaire de Montréal et qui sont aux prises quotidiennement avec ces problèmes savent bien que c'est une tâche très difficile d'obtenir, pour des enfants, une place dans un centre qui soit convenable pour cet enfant. Apparemment, à Bos-coville, ça prend six mois pour y entrer. Ce n'est pas nécessaire d'insister là-dessus, il y a là un besoin tout aussi urgent que de rédiger des textes de loi. Je comprends que les deux vont de pair et je suis certain que le ministère envisage le problème sur ces deux facettes. Il va bien falloir qu'en pratique, les gens aient non seulement les outils théoriques, mais finalement aussi les outils pratiques pour aboutir à solutionner ce problème. C'est la fin de mes remarques, M. le Président.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Merci. Le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Merci. J'aimerais remercier les représentants du Barreau pour un mémoire très fouillé qui sera, sans aucun doute, d'une très grande utilité pour une rédaction plus fignolée, plus détaillée des différentes dispositions de la loi sur lesquelles ils se sont arrêtés.

J'aimerais leur poser quelques questions qui se dégagent, soit de leurs remarques ou de remarques précédemment entendues par la commission.

La Ligue des droits de l'homme et l'Association des centres de services sociaux que nous avons entendues les premiers jours ont suggéré très fortement que nous assurions, par une disposition qu'ils n'ont pas décrite en détail, dans ce projet de loi, que l'enfant soit un sujet de droits au même titre que l'adulte.

Sans préciser davantage cette notion et tenant compte du fait que le projet de loi no 50 a été adopté en juin dernier, comment le Barreau réagit-il ou quelles suggestions pourriez-vous nous formuler dans cet esprit?

M. Beaupré: Que l'enfant soit sujet de droits, cela va de soi. Le Code civil le dit, il s'applique à tout le monde. Je pense que tous les êtres humains ont, en regard de la loi, des droits qui dépendent de leur âge ou qui dépendent de leurs capacités. Il me semble que c'est un principe qui va de soi, que de l'insérer dans une loi, ce serait pour le moins superflu.

C'est ma position personnelle; vous me posez une question, M. le ministre. C'est bien sûr qu'un enfant est un sujet de droits; personne n'a jamais contesté cela d'ailleurs.

M. Forget: Mais je crois que cela a été fait dans l'esprit selon lequel, même si personne ne le conteste en théorie, parce que ce n'est pas contestable, en pratique, la façon dont les droits des enfants sont exercés fait qu'ils n'ont effectivement pas la jouissance au même degré, particulièrement lorsqu'ils viennent en contact avec l'appareil judiciaire ou des organismes publics qui interviennent dans leur existence, qu'ils n'ont effectivement pas la même jouissance de droits que théoriquement, ils partagent avec tous.

Est-ce qu'il serait utile de préciser que l'intention du législateur est bien qu'il jouisse dans toute la mesure du possible des mêmes droits ou si c'est déjà fait par d'autres mesures?

M. Beaupré: Je pense que c'est suffisamment fait, à une exception près, M. le ministre, celle que je signalais plus tôt. L'enfant devrait aussi, de façon spécifique, avoir droit, de façon automatique, aux conseils d'un homme de loi.

M. Forget: La charte des droits et des libertés fondamentales, à l'article 29, prévoit déjà que c'est le cas pour l'enfant, s'il vient en contact avec l'appareil judiciaire, d'une façon ou d'une autre.

J'aimerais que vous commentiez aussi les discussions qui se sont déroulées devant la commission relativement au huis clos. Je pense que, parmi les droits d'un enfant, c'est le droit à une justice comparable à une justice qui est administrée aux adultes et que, dans le cas des adultes, évidemment, le caractère public des audiences devant un tribunal fait partie des droits fondamentaux du citoyen. Je ne vous ferai pas l'historique de ce problème dans le domaine de l'enfance. Voyez-vous la même règle s'appliquer au tribunal, tout en réservant, bien sûr, comme !e texte le fait, que le nom des enfants ne doit jamais être publié?

M. Beaupré: Je n'ai pas vu, dans les mémoires que j'ai lus, qu'un organisme ait véritablement demandé...

M. Forget: Oui.

M. Beaupré: Sauf les journalistes, peut-être?

M. Forget: Non, ils ne sont pas encore venus devant nous, mais je crois que c'est la Ligue des droits de l'homme.

M. Beaupré: Oui, mais si vous me permettez, M. le ministre. Si vous lisez leur mémoire, c'est public. Mais il y a tellement de conditions pour que ce soit public que c'est finalement privé. Tout le monde peut demander que ce soit...

Les procédures sont publiques, suivant la Ligue des droits de l'homme. Au deuxième paragraphe: "Lorsque le juge estime qu'il est dans le meilleur intérêt de l'enfant dans le cas qui fait l'objet de procédures ou d'un enfant qui se présente comme témoin, il peut exclure le public".

Troisièmement: "Le juge doit exclure le public à la demande de l'enfant, de ses parents". Mais quand les parents vont-ils vouloir discuter de leurs affaires de famille devant le public? Ils vont toujours demander au juge d'exclure le public.

Il me semble bien que ce texte ne vous demande pas le huis clos. Si c'est la seule association qui vous le demande, je vous dirai qu'il n'y a personne qui vous le demande, parce que je ne voudrais pas discuter du cas de ma fille devant un journaliste, si gentil soit-il.

M. Forget: Vous pensez qu'il n'y a aucune différence, en fait, entre dire...

M. Beaupré: D'ailleurs...

M. Forget: ... qu'il y a le huis clos et que, par exception, on peut le lever pour certains individus et dire qu'il y a une règle de publicité, sauf qu'on peut demander le huis clos, pourvu qu'on en fasse la demande.

M. Beaupré: D'ailleurs, votre texte, si vous me permettez, M. le ministre, à l'article 83, est parfait, je trouve. Tous les textes ne sont pas comme cela, mais celui-ci est bon.

M. Forget: Merci!

M. Beaupré: Oui. "L'enquête a lieu à huis clos et sans publicité". Ce qui est bien normal. "Toutefois, le juge peut admettre à l'audition des personnes qui, à son avis, ont un intérêt dans l'affaire. Il doit, en outre, admettre à l'audition tout membre de la commission qui en fait la demande" — cela peut comprendre n'importe qui — "et toute personne que la commission autorise par écrit..." S'il y a des gens qui pensent que leur présence est nécessaire pour assurer que justice soit faite, ils vont aller voir la commission et la commission va leur donner un écrit et ils vont y aller. A mon sens, le texte est parfaitement suffisant.

M. Forget: Sur la question de la dénonciation — je pense ici non pas au deuxième paragraphe, mais au premier paragraphe de l'article 46 — c'est-à-dire les cas de dénonciation dans les cas des mauvais traitements d'ordre moral, si l'on veut, nous avons entendu plusieurs groupes intervenir dans des sens contraires relativement à cette obligation ou à l'absence d'obligation. Je comprends que vous vous opposez à ce qu'il y ait une obligation générale.

Ceci étant dit, est-ce que vous ne pouvez pas concevoir que, même dans les cas de sévices d'ordre moral, si vous voulez, si l'on peut employer le terme sévices, à ce moment, ou de négligence équivalent à sévices, il y ait parfois des occasions qui fassent que cette possibilité, cette protection, dans le fond, pour celui qui dénonce devienne une obligation?

On a cité, ce matin, des circonstances où cela pouvait... Par exemple, le gynécologue ou l'obstétricien qui fait un accouchement, qui sait que la mère est une déficiente mentale grave et qui se soucie évidemment du sort de cet enfant. Bien sûr, s'il peut... Vous me direz que c'est une question de conscience professionnelle. Mais, sur le plan de la société dans son ensemble, est-ce qu'on ne doit pas soutenir cette conscience professionnelle au cas où elle serait parfois défaillante? Est-ce qu'il ne faut pas, à ce moment, peut-être — c'est un exemple — en faire une obligation? Ce serait limité.

M. Beaupré: M. le ministre, je vais répondre pour moi. Peut-être que mes collègues auront d'autres réponses ou d'autres exemples, mais, d'après ce que j'ai entendu ce matin du cas de ce médecin, je pense que c'était la femme qui accouchait et ensuite les enfants étaient cachés dans une garde-robe. On est loin du moral, je pense qu'on est dans le physique. Il n'y a pas d'erreur. Dans ce cas...

M. Forget: Non, ce n'est pas l'exemple, c'est un autre cas. Ce n'est pas l'exemple que je vous ai donné. C'est le cas de l'obstétricien qui fait un ac-

couchement et qui sait que la mère est une débile mentale profonde, qu'elle est peut-être mère célibataire, c'est un foyer monoparental, et qui a des raisons sérieuses de douter que cet enfant va être élevé de manière normale et qu'il va recevoir les soins appropriés, ne serait-ce que pour son bien physique. Il n'y a pas de sévices. L'enfant est encore à l'hôpital. Est-ce qu'il n'a pas là un devoir de dénoncer, enfin, dénoncer, c'est un grand mot, mais un devoir, malgré tout, de souligner au directeur de la protection de la jeunesse que ce cas ne peut pas tout simplement être laissé de côté jusqu'à ce qu'il y ait un problème?

M. Beaupré: Je pense que là... Encore une fois, il y a peut-être de mes collègues qui vont vouloir vons donner d'autres réponses, d'autres sons de cloche, mais, dans l'exemple que vous citez, M. le ministre, je pense que le texte qui est proposé couvre parfaitement bien ce cas. Si vous avez un obstétricien qui doute des capacités mentales de sa patiente, je pense qu'il aurait toutes les raisons de croire que l'enfant peut être sujet à de mauvais traitements physiques.

Par conséquent, c'est une obligation pour lui de le dénoncer. Ce que le Barreau veut éviter, c'est la possibilité pour les voisins de se mêler des affaires des autres. Parce qu'il n'y a plus de degré, il n'y a pas de poids, ni de mesure.

C'est sûr qu'on peut toujours critiquer la façon dont son voisin élève ses enfants. Je pense que cela ne peut pas être sanctionné par une loi, enfin d'en faire une obligation aux gens. Ils vont être trop contents de le faire: obliger les gens à dénoncer la façon dont le voisin élève son enfant. Je pense, encore une fois, M. le ministre, qu'on est loin de l'exemple que vous donnez. Je crois que, dans le cas que vous citez, l'avant-projet le couvre très bien.

M. Forget: Relativement à l'article 48, vous suggérez une rédaction plus courte. Considérant votre préoccupation vis-à-vis de l'ensemble de ce chapitre qui vise la protection sociale où vous souhaitez voir plus de rigueur ou une rédaction plus précise — désir auquel je souscris, évidemment — je crois qu'il faut faire tous les efforts possibles pour avoir une rédaction qui soit au-delà de toute ambiguïté. N'est-il pas crucial que cet article 48 — qui définit les circonstances dans lesquelles on intervient dans les affaires d'une famille — soit rédigé de telle manière qu'il n'y ait aucune espèce d'ambiguïté et qu'il y ait le moins de place possible à des interprétations subjectives, des motifs qui peuvent être à la base d'une intervention dans les affaires d'une famille?

Sous prétexte qu'un mot en inclut un autre, si on l'interprète correctement, plus on veut être concis, plus on veut tout ramasser le texte en quelques paragraphes, plus on ouvre large la porte à des interprétations qui vont, nécessairement, varier. Bien sûr, la jurisprudence pourra venir, avec les années, corriger les abus. Mais n'est-il pas mieux de prévenir ces abus en ayant une rédaction qui soit exhaustive et limitative à la fois, puisque c'est une loi un peu d'exception, si vous voulez, dans un certain sens? On dit: En général, ce sont les familles qui s'occupent des enfants, mais on intervient et on peut intervenir d'autorité dans des cas que précise la loi. C'est le but de l'article 48. C'est la raison pour laquelle il y a de si nombreux paragraphes. On a essayé de distinguer les choses, quitte à compléter si on a été incomplet. Ne vous semble-t-il pas que ce souci d'être le plus précis possible doit particulièrement se retrouver dans cet article qui, vraiment, est celui qui ouvre la porte à une intervention dans les affaires des familles?

Mme Audette-Filion: C'est la raison pour laquelle on a pensé rayer le paragraphe a) et le paragraphe b), justement parce que ces deux paragraphes laissaient place à toutes sortes d'interprétations et étaient très dangereux, justement pour les raisons que vous venez d'élaborer. Ces deux paragraphes peuvent ouvrir la porte à toutes sortes d'interprétations subjectives. C'est pour cela qu'on a pensé qu'on allait beaucoup trop loin. Quant au paragraphe c), je pense bien qu'un enfant soit attaché, on peut entrer cela nécessairement dans des mauvais traitements ou dans l'abandon.

M. Forget: Oui, on peut tout entrer dans un paragraphe qui dirait que dès qu'un enfant n'est pas traité convenablement, il faut intervenir. Je pense que tout le monde réalise à ce moment — si on pousse le raisonnement à l'extrême — que tout devient affaire d'interprétation. Si on croit qu'il y a un danger, ne vaut-il pas mieux tenter de redéfinir ces motifs d'intervention, de manière à éliminer les dangers qu'on imagine?

M. Charron: M. le Président, si le ministre me le permet sur cette question, cela a été effectivement soulevé aujourd'hui. Personnellement, je n'en fais pas une adoption globale, mais je préférerais les suggestions que le Barreau nous fait à cet article. On a soulevé ce matin — je le rappelle au ministre — que le paragraphe a), si vous le prenez à la lettre, vous pouvez à peu près englober le comté de Saint-Jacques.

M. Beaupré: ... Notre-Dame-de-Grâces, parce que, vous savez, suivant les conditions matérielles d'existence appropriées à ses besoins et proportionnelles aux ressources de sa famille, les enfants Bronfman vont pouvoir demander beaucoup de leurs parents. Vous englobez n'importe qui avec cela.

M. Charron: Ecoutez, je ne nie pas qu'on ait besoin, plus que ne le fait le Barreau, de préciser et je partage le but que vous voulez donner à l'article 48. Il faut que ce soit précis, parce que c'est à partir de là que tout se déclenche. Ce que vous visez, au paragraphe a), je pense que ce sont les conditions matérielles de vie de l'enfant et cela devrait être un motif suffisant. Tel qu'il est rédigé, ce sont les conditions matérielles partagées par

tellement de jeunes Québécois, au fond, que je ne pense pas que cela vise exactement le genre qu'on veut.

Il faudrait peut-être dire, dans la rédaction de l'alinéa d), que, par volonté ou négligence des parents, il ne reçoit pas la condition matérielle d'existence, du genre nourriture, par exemple, appropriés à ses besoins, par volonté ou par négligence. Mais il y a des tas de parents qui ne peuvent pas donner ce qu'ils voudraient donner à leurs enfants. N'importe quel médecin dira que la nourriture qu'un enfant de la rue Panet, par exemple, va manger, du dimanche au samedi, est insuffisante à son statut normal et à sa croissance. A l'alinéa b), c'est la même chose: Privation d'affection. Je vous assure qu'on est rendu dans un délit très intime. Lorsqu'on craignait, tantôt, de dire qu'on va se mêler de la vie des voisins, c'est ça.

Mme Audette-Filion: De toute façon, on avait pensé à ajouter, en fait, ce qui était dans le projet de loi précédent "pour toute autre cause suffisante", ce qui veut dire que cela devient à la discrétion de la cour, à ce moment.

M. Forget: Non, non. Il y a une méprise sur le but de l'article 48. Ce n'est pas pour la cour que cet article existe. La cour va juger en fonction des lois s'il y a des infractions à des lois. C'est pour permettre une intervention auprès du comité local d'orientation, et donc, enclencher un mécanisme même d'intervention sociale.

Je trouve même presque paradoxal que ce soit le Barreau qui nous suggère une rédaction aussi large que de dire: A peu près n'importe quelle cause...

M. Beaupré: M. le ministre, avec...

M. Forget: ... peut justifier une intervention d'un travailleur social dans une famille, qui va aller jusqu'à recommander le retrait de l'enfant de la famille.

M. Beaupré: Non, mais, M. le ministre, je dois dire que le dernier sous-paragraphe de l'article 48 que l'on propose a été inclus par erreur. "Pour toute autre cause suffisante" ne devrait pas être là. Il y a une bonne raison, vous savez, c'est parce qu'au préambule, on dit: Notamment.

Mme Audette-Filion: C'est ça. On avait le choix, à un moment donné, entre les deux.

M. Forget: Quand même...

Mme Audette-Filion: Mais c'est qu'on dit la même chose, finalement.

M. Charron: Mais si le texte du Barreau pèche aussi à d'autres endroits, là où vous corrigez celui du ministre, vous ouvrez une autre porte, parce que l'alinéa f), que vous présentez à cet article 48, "le milieu dans lequel l'enfant évolue peut le rendre sujet à la délinquance", ce n'est pas très pré- cis. Encore une fois, si on se base seulement sur les statistiques des lieux d'émanation des jeunes détenus à Berthelet, par exemple, ou dans les autres centres, vous allez trouver une région de Montréal à peu près circonscrite à 80%, en tout cas, m'a-t-on dit, à cet endroit.

Il y a effectivement des milieux socio-économiques, des quartiers, dans les grandes villes, dans lesquels l'enfant évolue, où il peut être plus porté à la délinquance qu'à vivre ailleurs.

M. Beaupré: On a seulement tenté... M. Charron: Vous ouvrez trop large...

M. Beaupré: ... d'améliorer le texte. On ne dit pas que le nôtre est parfait.

M. Charron: Non, vous nous aidez. C'est comme cela que je le prends aussi. Vous nous faites des suggestions...

M. Beaupré: Oui.

M. Charron: ... et les critiques qu'on fait sont parce qu'on veut travailler sur le texte aussi.

M. Beaupré: A moins que je ne m'abuse, M. le député, c'est que ce texte de "milieu sujet à rendre l'enfant délinquant", c'est un texte qu'on retrouve dans la législation fédérale. Je comprends qu'on peut également améliorer la législation fédérale. Cela ne ferait pas de mal que ce soit la province de Québec qui le fasse, mais on l'a emprunté là, celui-là.

Le Président (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre.

M. Forget: J'essaierai d'être bref, M. le Président. Il y a encore une ou deux questions.

Vous avez parlé de l'article 59, comme, je pense, tous les groupes qui ont précédé le vôtre. Si vous me permettez, je prends note, évidemment, de vos remarques à ce propos. Il est clair que la rédaction ne veut pas vraiment dire les intentions que vous prêtez aux rédacteurs de ce projet, relativement à un traitement très différent pour les enfants par rapport à celui d'un adulte. Il reste que, pour les adultes, il y a possibilité d'enquête préliminaire, et la comparution, si on peut appeler cela une comparution, devant le CLO, devrait tenir lieu d'une espèce d'enquête préliminaire et donc permettre d'évaluer .s'il y a des raisons raisonnables et probables de croire qu'ils devraient être référés à la cour. Mais ceci est une question de détail, relativement à la question que je veux vous poser, et dont vous n'avez pas traité, je crois, dans vos propos. Il s'agit de savoir si, mettant de côté la rédaction actuelle de l'article 59, vous êtes d'avis que le pouvoir du procureur général de faire une mise en accusation, en vertu du Code criminel, ou en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants, devrait être assujetti, quant à son exercice, selon une distinction qu'on a faite, qui est très savante, de-

vant nous, la première journée de ces audiences, devrait être assujetti quant à son exercice à une consultation du CLO.

C'est-à-dire, que le comité local donnerait un avis à savoir si le procureur général devrait faire la mise en accusation ou non et que s'il disait qu'il ne devrait pas être mis en accusation, qu'il ne le serait pas et que s'il disait qu'il devrait être mis en accusation, que la discrétion demeurait, malgré tout, chez le procureur général, de ne pas accepter cette recommandation puisque le projet de loi fédéral qui est actuellement discuté prévoit que les provinces peuvent ouvrir cette porte si elles le désirent.

Etes-vous en faveur de l'ouverture de cette porte ou préférez-vous qu'on se borne à améliorer la rédaction actuelle de l'article 59 qui oblige de faire une mise en accusation dans certains cas?

M. Beaupré: M. le ministre, je vous ai dit, tantôt, ce que le Barreau pensait de l'article 59 et n'importe quelle autre solution est préférable à cette solution proposée à l'article 59.

Encore une fois, on ne peut admettre, comme principe valable, que des soupçons ou que le passé d'une personne, que la personne ait 10 ans ou 70 ans... qu'un simple soupçon ou que son passé puisse justifier l'intervention de l'appareil judiciaire.

Quant à la question de savoir si les principes qui président à l'enquête préliminaire ne justifieraient pas un peu cet article, je vous dirais que même pour faire une enquête préliminaire, il faut que le dénonciateur ait plus que des soupçons ou plus que l'historique du prévenu pour commander une enquête préliminaire. Il faut qu'il ait les motifs raisonnables et probables de croire que l'individu a commis un acte criminel.

M. Forget: Je suis d'accord avec vous, mais je pense que ma question a été mal comprise. Admettant tout cela et admettant que votre rédaction soit celle qui se retrouve dans un texte, il demeure que ce n'est qu'une amélioration à une position qui est inscrite dans ce texte qui est une position parmi d'autres possibles. L'alternative qui vous a été suggérée est que l'article 59 soit remplacé en totalité par une autre disposition qui permet au CLO, quelle que soit la gravité de l'offense, de faire une recommandation au procureur général de ne pas poursuivre.

Dans le moment, tel que rédigé — je crois qu'on ne le constate peut-être pas, mais c'est quand même l'effet de cette rédaction — certaines offenses pour lesquelles il n'y a aucune discrétion, pour lesquelles il doit y avoir une poursuite, mais qui ne sont pas du degré de gravité que vise l'article 59, deviendraient, par la rédaction de l'article 59, même amélioré, l'objet d'un pouvoir discrétionnaire du CLO.

Autrement dit. le CLO pourrait recommander ou ne pas référer à la cour une offense criminelle qui est passible d'une peine de moins de trois ans. Cette discrétion n'existe pas dans le moment. Il doit y avoir une mise en accusation.

On nous a suggéré d'aller au-delà de cela et de dire que quelle que soit la gravité de l'offense, le CLO puisse ou non, à sa discrétion, référer le cas à la cour. Etes-vous favorable à cette libéralisation plus large de la loi?

Vous avez dit tantôt: Toute espèce de possibilité est meilleure que celle-là. Cela doit-il comprendre même ce développement?

M. Valois (Pierre): Si vous me permettez. D'abord, dans le moment, il se produit de la déju-diciarisation et il n'a pas fallu attendre un texte de loi pour le faire. Tous les cas, ou à peu près, je pourrais même dire tous les cas — je parle pour Montréal parce que c'est là que je travaille — d'enfants de moins de quatorze ans ne passent pas sous accusation, mais bien sous protection. C'est un premier pas. De plus, il y a beaucoup de cas de délits mineurs, d'enfants de plus de quatorze ans qui ne passent pas non plus sous accusation, mais bien sous protection. Dans le moment, la déjudi-ciarisation se fait.

Deuxièmement, je pense qu'il faut voir l'article 59 avec l'article 78. L'article 78 dit une chose qui me paraît, personnellement, une absurdité dans la lettre. Je sais bien que l'avant-projet de loi dit bien, à un article que j'ai cherché tout à l'heure, aux alentours de 100, que la Loi sur les jeunes délinquants existe toujours et devra toujours pouvoir s'appliquer. Alors, on voit bien que le projet de loi, de toute façon, prévoit qu'on ne met pas de côté la Loi sur les jeunes délinquants. Il reste que l'article 78 dit bien que: Nonobstant toute disposition inconciliable de toute autre loi, la cour ne peut être saisie du cas d'un enfant en vertu de la présente loi ou toute autre loi du Québec ou de la Loi sur les jeunes délinquants. Cela exclut la Loi sur les jeunes délinquants, sauf — alors j'essaie de vous expliquer comment il me semble... Enfin, on a étudié cela et je ne vois pas d'autre alternative — les cas visés à l'article 59, etc. Comme je pense que cela doit se comprendre, si j'interprète le texte français qu'on a là, avec les règles de français qu'on connaît, il n'y a aucune possibilité de procéder selon la Loi sur les jeunes délinquants, à moins que ce soit selon l'article 59. L'article 59 dit: On procède, dans ces cas, en demandant la protection de l'enfant. En demandant des mesures de protection. Si on met cela ensemble, donc 59 et 78, cela veut dire que désormais la police n'a plus le choix, quand il y aura un cas de meurtre, d'un jeune de 17 ans qui aura tué quelqu'un, il devra aller voir le CLO. D'abord, d'après moi c'est inconstitutionnel et, deuxièmement, je pense que de toute façon, socialement, c'est inacceptable, à mon avis personnel. Je pense que c'est le rapport du Barreau aussi qui dit que c'est inconstitutionnel et que cela ne doit pas pouvoir s'appliquer comme cela.

Je vous soumets que le projet de loi fédéral dit bien que le procureur général peut transmettre un cas qu'il juge traitable par le CLO — il ne dit pas le CLO, mais par la façon sociale de traiter le cas — donc il peut le déférer, il peut envoyer le cas là et selon ce qu'on décidera, ou bien on traitera

socialement le cas ou bien on le remettra au procureur général qui alors pourra décider de procéder en cour ou d'oublier le cas. Je pense que c'est l'esprit du projet de loi fédéral. Si on applique ce projet de loi, cela veut dire, si je veux essayer d'être clair, que cela ne va pas du tout à l'encontre de l'article 59, mais l'article 59 devient inutile, à savoir que, s'il y a une accusation, premièrement, le procureur général décide si on l'envoie pour un traitement social ou au judiciaire. S'il décide le judiciaire, c'est parce qu'il y aura gravité, l'âge, etc. Je pense qu'à ce moment-là, on va se fier à ce qu'il va décider et donc il y aura procédure judiciaire. S'il décide de l'envoyer du côté social, on n'a pas besoin de l'article 59, c'est déjà tout prévu au projet de loi et il l'envoie pour traitement social. Si le traitement social est impossible, on le renverra au procureur général qui alors décidera de faire ce qui en est.

Alors, je pense qu'à ce moment-là, il faut bien voir que l'article 59 est non seulement inutile, mais, quand on le lit, il devient, je pense, vraiment à saveur déplaisante où là il y a toute la question de soupçons et d'histoires incroyables, encore une fois, sous le titre de protection de la jeunesse, l'article 59 devient complètement inutile et l'article 78 doit être amendé pour permettre qu'on procède suivant la Loi sur les jeunes délinquants.

M. Forget: Si vous me permettez, je crois que vous avez répété, en d'autres mots, ma question, plutôt que vraiment y répondre, parce que je ne nie pas qu'effectivement, si l'on suit les suggestions contenues dans la loi fédérale proposée, l'article 59 est inutile et effectivement c'est tout à fait vrai, mais cette discrétion qui existe dans le projet de loi fédéral, qui est celle du procureur général, est exercée sur avis et sur recommandation d'un organisme provincial créé par une loi provinciale qui a toutes les apparences du CLO. Donc — c'était la nature de ma question — je comprends l'objet du projet de loi fédéral. Est-ce qu'au-delà de simplement l'expression de cette situation, le Barreau est favorable à ce que le Québec, parmi les autres provinces, adopte une loi provinciale pour donner effet à cette suggestion qui se retrouve dans le projet de loi fédéral?

M. Beaupré: C'est sûr que, comme tel, le Barreau ne peut pas avoir d'objection à ce que le procureur général agisse sur recommandation d'un organisme. Le danger qu'on peut y voir c'est que le procureur général de la province, qui est chargé de l'administration de la justice dans la province, ait les deux mains liées par un texte trop rigide peut-être. Il y a peut-être possibilité de trouver un texte, une rédaction qui remplisse mieux les voeux ou les objectifs poursuivis, devrais-je dire, que l'article 59.

M. Forget: Qu'il disparaisse de toute manière, c'est une alternative.

M. Beaupré: Oui. Je pense que le Barreau ne peut pas avoir, théoriquement, d'objection à ce que le procureur général s'éclaire par certains organismes qu'il crée et qui ont trait précisément à assurer une meilleure protection aux jeunes. C'est sûr que le Barreau ne peut pas avoir d'objection à ça.

Mme Audette-Filion: Je pense que, de la façon dont vous avez formulé votre question, de la façon que je la comprends, c'est que, finalement, le pouvoir de recommandation du CLO dont vous parlez serait plus qu'un pouvoir de recommandation; autrement dit, ce serait l'équivalent d'un avis au procureur général en vertu duquel le procureur général serait lié. Si le CLO recommandait de ne pas poursuivre dans certains cas, pour telle et telle raison, le procureur général n'aurait pas de discrétion et serait lié par ça. J'ai l'impression que c'est aller trop loin. Je pense que la valeur...

M. Forget: Vous seriez prête à reprendre les termes...

Mme Audette-Filion:... de la recommandation du CLO est sûrement très importante et je ne voudrais pas que ce soit le CLO qui décide en dernier ressort. Je pense qu'il faut laisser ça aux tribunaux à ce moment-ci, ce qui ne veut pas dire que le juge qui sera saisi de l'affaire ne pourra pas appliquer des mesures de protection. Il fera la part des choses.

M. Charron: II y a deux questions là-dedans. Il y a la question de savoir si le CLO aura un pouvoir de décision quant à l'orientation de l'enfant ou vers le judiciaire ou vers le social ou un simple pouvoir de recommandation auprès du procureur général. Mais, comme on l'a dit dans les formules, à cause de la loi sur les jeunes délinquants d'Ottawa, ce pouvoir lui est expressément reconnu. Il peut s'éclairer, il peut aviser, il peut consulter. Il peut d'ailleurs le faire actuellement. C'est pourquoi la pratique veut que, dans certains cas, déjà, l'enfant ne se rende même pas à la cour. C'est illégal actuellement. Mais déjà il s'éclaire, il a évolué un tant soit peu, je ne parle pas du juge en chef, mais d'autres ont évolué et peuvent, à l'occasion, aller chercher des comportements un peu plus humains.

La question du ministre ne vise pas simplement à savoir: Est-ce qu'on donne au CLO, comme vous l'appelez déjà, un pouvoir de décision ou un simple pouvoir de recommandation? Je pense que la question n'est pas là. S'il respecte la loi des jeunes délinquants d'Ottawa, le CLO n'a qu'un pouvoir de recommandation.

Est-ce que le CLO a un pouvoir de recommandation sur tout ou s'il a un pouvoir de recommandation seulement sur les causes qui ne peuvent pas attirer plus que trois ans? Autrement dit, après avoir réduit son pouvoir de décision à celui de recommandation, est-ce qu'il peut recommander, même dans un cas de délit qui, à sa face même, à un adulte, mériterait trois ans et plus, selon le Code criminel, est-ce qu'il peut recommander quand même au procureur général de faire,

dans ce cas, abstraction du Code criminel à cause de ceci ou de cela, que le travailleur social ou quelqu'un d'autre aura découvert dans le passé du jeune prévenu, et ainsi recommander d'être plus large?

Le procureur général pourra toujours dire: Je regrette, la gravité du cas me semble l'emporter, je procède au judiciaire. Actuellement, 59, qui ne fait que statuer sur le pouvoir de recommandation du procureur général reconnu à 78, c'est le lien entre les deux; son pouvoir de recommandation à 59, non seulement ce n'est que de la recommandation, mais il est limité aux délits mineurs. Le CLO ne peut même pas se prononcer sur un cas assez grave. Dans les cas assez graves, je ne parle pas de meurtre. Vous connaissez le Code criminel mieux que moi. Les cas qui peuvent mériter trois ans et plus pour un adulte sont nombreux. Ils peuvent partir d'un vol qualifié, s'il s'agit de récidive, et peuvent aller au meurtre, bien sûr, et à tout ce que vous voudrez.

Donc, en fait, si on l'adoptait comme ça, le CLO pourrait recommander au procureur général que, sur des délits très minces, comme, par exemple, le refus d'aller à l'école... Ce n'est pas un exemple à se tirer en l'air; il y a des jeunes enfermés à Berthelet à cause de ça, actuellement, refus d'aller à l'école.

Mme Audette-Filion: Ce n'est pas un délit.

M. Charron: Ce n'est même pas un délit, ce n'est même pas grave; donc, le CLO peut se prononcer sur ces choses. Mais, aussitôt que ça commence à atteindre une certaine importance qui peut affecter sérieusement la vie de l'enfant, même le pouvoir de recommandation du CLO disparaît, si on prend 59 comme tel. C'est le procureur général, encore une fois, tout seul, qui exerce sa discrétion. J'admets, comme le dit le ministre, que, techniquement parlant, même le texte actuel de 59, en enlevant le cas immonde du soupçon je pense qu'on devrait avoir déjà gagné ça.

Même dans sa rédaction actuelle, l'article 59 est un acquis nouveau par rapport au texte de loi précédent, mais pas à la pratique, j'en conviens, pas à la pratique, parce que, déjà, le procureur général va chercher des recommandations, va s'éclairer. C'est au moins le progrès des dernières années. Et cela, on ne le doit aucunement à l'ancien ministre de la Justice.

M. Beaupré: Si je peux rejoindre un peu la question du ministre des Affaires sociales, dans le fond, il s'agit de savoir si l'enfant qui a commis un acte criminel a droit lui aussi à la protection que la loi prévoit, quelle que soit la gravité de son acte.

Je pense qu'encore une fois, théoriquement, il ne me semble pas possible de contester le bien-fondé d'une directive donnée par le CLO, même au procureur général. Il s'agit toujours des mêmes enfants qu'il faut protéger, surtout peut-être dans ces cas-là.

Pour répondre de façon plus directe à la question que M. le ministre posait tantôt, il me semble- rait parfaitement logique que le CLO soit appelé à jouer un rôle important, surtout dans ces cas-là.

M. Forget: Merci. Un dernier point qui couvre deux aspects de votre mémoire en même temps. Vous avez fait des commentaires sur le droit d'appel, déplorant qu'il soit limité. C'est un fait qu'il est limité dans le texte de l'avant-projet. D'autre part, vous avez fait des commentaires sur la déchéance de l'autorité parentale en nous rappelant que c'était, bien sûr, un geste très grave, puisque cela ouvre la porte à l'adoption, donc à une rupture complète.

Dans les deux cas, cependant, est-ce qu'on n'est pas en face de mesures où l'objectif principal de la loi, qui est la protection de la jeunesse, est essentiellement celui qui doit nous guider? C'est que le droit d'appel, quand il est exercé pour des adultes, pour défendre leurs droits d'adultes, résulte de décisions qu'ils prennent eux-mêmes mais qui entraînent, comme on le sait, des délais et des délais parfois importants. Un adulte est en mesure de trancher entre les inconvénients, mais parfois les avantages que lui procurent ces délais et la possibilité, par l'appel, de voir une situation qui lui est défavorable, lui être favorable.

Pour l'enfant, on se demande un peu s'il est en mesure de peser de la même manière ce genre de décision qui sera peut-être prise par ses conseillers, peut-être par son avocat, d'aller en appel sur à peu près n'importe quoi, parce que les délais, il les ressentira de façon peut-être beaucoup plus sévère que ne le ferait un adulte. Il ne s'agit pas de droits économiques, qui peuvent attendre très souvent, mais il s'agit essentiellement de sa vie, et cela peut l'atteindre très gravement, un droit d'appel, puisque, durant l'appel, j'imagine, la décision est suspendue, l'application de la décision est suspendue.

N'est-il pas nécessaire, à ce moment-là, de s'assurer que les motifs d'appel ne peuvent pas être frivoles, en quelque sorte? Mais peut-être que ce n'est pas le bon moyen.

D'autre part, la même chose vaut pour la déchéance. On nous rappelle, et plusieurs groupes l'ont fait — non pas plusieurs groupes, mais quelques groupes l'ont fait — que la déchéance est une chose extrêmement sérieuse, puisque cela conduira à l'adoption.

Il demeure que, dans le doute, quant à l'opportunité de la déchéance, il faut s'interroger à savoir si ce doute ne doit pas être interprété en faveur de l'enfant. Et quand un doute assez sérieux existe et que peut-être la déchéance est appropriée, cela veut dire que l'enfant a sûrement des parents qui ne sont pas exemplaires et qu'il sera sûrement placé en attendant que le doute soit tranché. Il sera peut-être placé pendant des années dans des foyers nourriciers, il sera peut-être déplacé d'un foyer à un autre pendant des années, en attendant qu'on tranche ce doute.

Etant donné que l'alternative est l'adoption, encore une fois, est-ce qu'on ne doit pas mesurer l'intérêt relatif de l'enfant qui pourrait trouver là la sécurité, nouer des liens affectifs nouveaux avec

une famille qui le veut, contre le droit de la famillle à garder son enfant, alors que, dans ces cas où ce doute existe, elle ne semble pas manifester un très grand désir d'assumer ses responsabilités?

Dans le cas de l'appel, comme dans le cas de la déchéance, sans aucun doute, ce sont des choses très graves, mais le but est de protéger la jeunesse. Ce n'est pas nécessairement d'aller au bout des procédures dans un cas, ni de défendre à tout prix le droit presque patrimonial des parents vis-à-vis de leur progéniture. C'est au moins la question que je vous pose. Il me semble qu'il y a des limites à ne pas franchir, même au nom de la parité de droits des enfants avec les adultes.

M. Charron: Permettez-moi d'ajouter à cela que je soutiens un bon nombre des propos que vient de tenir le ministre des Affaires sociales. La seule inquiétude que j'ai, si j'ai bien, encore une fois, compris son objectif, c'est que le texte tel qu'inscrit à l'article 98 ne facilite peut-être pas l'atteinte de ces objectifs. Qu'il y ait en quelque sorte restriction — je pense que c'est comme cela que le Barreau l'a appelée tout à l'heure — du droit d'appel, il est assez facile d'en convenir pour un certain nombre de raisons et même d'autres qu'on pourrait invoquer et ajouter à celle qu'a données le ministre.

Mais, est-ce que par les paragraphes a), b), et c) de l'article 98, on l'atteint? j'ai l'impression qu'ils donnent lieu — enfin, je n'en suis même pas certain — mais je craindrais que ces paragraphes tel que libellé donnent lieu à un appel, non seulement sur le fond d'une décision rendue, mais à tout un débat de forme, parce que les conditions auxquelles on s'en tient et qu'on a voulu réduire, c'est qu'il y ait eu partialité, par exemple, que la procédure ait été irrégulière et que les motifs de fait ou de droit invoqués au soutien de la décision sont erronés. C'est tout un débat de droit que l'on force à avoir qui n'est peut-être même pas du tout écarté. C'est-à-dire qu'arrivera-t-il à l'enfant exactement si — plutôt que de voir son propre cas et sa propre sentence portés en appel — c'est la façon dont son procès s'est déroulé qui devient l'excuse pour porter en appel tout cela? La situation où vous disiez que cela pouvait affecter la vie même de l'enfant, la décision sera en appel sur une question de droit, ce qui est même plus désavantageux pour l'enfant que la question de fond ou le jugement même rendu.

Si c'est uniquement sur une question de droit, la cause est en appel et la sentence ne peut être appliquée tant que la cause est en appel.

M. Forget: Si je peux me permettre, avant que nos invités n'enchaînent, il s'agit de trois motifs qui sont assez coutumiers dans la détermination de droits d'appel restreints, puisque ce sont des règles de base de toute justice. C'est même une des raisons et une des seules raisons: lorsqu'un tribunal administratif rend des décisions sans appel, on peut les faire réviser s'il y a manifestement un déni de justice, si on n'a pas entendu les parties, si on s'est basé sur des considérations telle- ment étrangères au litige que, manifestement, on s'est trompé. C'est dans ce sens. Evidemment, tout appel entraîne — je suis d'accord avec le député de Saint-Jacques là-dessus — nécessairement des débats et de la procédure.

Mais peut-être que nos invités peuvent répondre aussi.

M. Beaupré: Je veux simplement dire un mot, parce que je sais que d'autres de mes collègues voudraient aussi dire quelque chose là-dessus. Je ne suis pas d'accord avec le ministre quand il dit que les motifs des paragraphes a), b) et c) sont les motifs de droit commun justifiant les appels.

M. Forget: Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Beaupré: Et des motifs courants que l'on rencontre.

M. Forget: En droit administratif, par exemple, dans toutes les circonstances où on veut restreindre l'appel à des situations véritablement équivalentes à des dénis de justice.

M. Beaupré: Oui, mais on n'est pas en droit administratif, M. le ministre.

M. Forget: Non.

M. Beaupré: Tantôt, vous avez dit: On va permettre l'appel de n'importe quoi. Ce n'est pas l'appel de n'importe quoi. C'est l'appel d'une décision de la Cour de bien-être social qui est créée en vertu des droits de cette province. C'est un appel d'un jugement d'une cour, ce n'est pas n'importe quoi. Normalement, le législateur ne spécifie pas les motifs d'appel qui doivent exister pour qu'on puisse en appeler. C'est précisément dans les cas d'exception, dans les cas de tribunaux administratifs où il y a des conditions, des restrictions quant aux droits d'appel. Normalement, j'espère, quant aux droits des enfants et la protection des enfants, qu'il s'agit là d'une matière de la plus haute importance comparé à des questions purement administratives. C'est pourquoi, il me semble que si, dès qu'une cause atteint une valeur de $3,000, on a droit d'en appeler automatiquement, lorsqu'il s'agit de la protection des enfants, cela vaut au moins $3,000.

M. Valois: Ce que je pourrais peut-être offrir, c'est une espèce de conciliation entre les deux points de vue ici, à savoir que l'article 102 dit que quand il y a un appel, cela suspend automatiquement l'exécution du jugement. Est-ce que cela ne pourrait pas être tout simplement inversé? C'est-à-dire que l'exécution reste là, à moins que — cela demande une audition devant la Cour d'appel ou la Cour supérieure — on demande au juge s'il y aura ou non suspension. Peut-être que si le juge en appel voit les deux côtés de la médaille, il sera assez éclairé pour décider que dans le cas présent, vu qu'il semble que c'est peut-être futile

comme appel, il doit garder l'exécution du jugement en attendant la décision finale, ce qui réglerait, de toute façon, ce problème.

Je parlerai ici du droit d'appel, on n'en a pas parlé, même si c'est dans le mémoire, mais je pense que ce sujet est important. Il ne doit pas y avoir, malgré ce qu'on propose au projet de loi, un procès de novo, c'est-à-dire un procès à nouveau, où on entend tous les témoins, etc. On dit bien dans notre projet que c'est une procédure bien trop lourde. On ne doit pas faire venir des enfants en cour, en appel, déclarer à nouveau que leurs parents boivent, les ont assaillis sexuellement, etc. On ne doit pas les forcer à venir nous dire à nouveau, en appel, donc dans un palais de justice différent, devant des juges que, effectivement, ils ont commis des actes de telle ou telle nature, etc.

Je pense qu'on devrait laisser au juge, comme il arrive dans beaucoup d'autres cas d'appel, en appel, de décider s'il veut entendre à nouveau un témoin ou d'en entendre d'autres supplémentaires. On ne doit surtout pas forcer comme cela, directement par l'article 101, tel que c'est proposé, que tout recommence devant un juge, en appel, qui peut bien être justement futile, où par la force des circonstances, les enfants seront traumatisés, une deuxième fois, et encore plus, devant une autre cour qui n'est pas habituée de les entendre.

On n'a pas d'autres questions, M. le Président.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, j'en ai glissé passablement parmi celles du ministre des Affaires sociales parce qu'effectivement, je pense que c'est la meilleure façon de procéder quand même plutôt que de revenir sur un sujet continuellement. Il est vrai que, comme nos invités, nous nous attachons aussi particulièrement à certains points du projet de loi. Les remarques viennent à peu près partout.

Je n'ai qu'une ou deux observations supplémentaires à faire. J'aimerais que vous repreniez l'explication, M. Beaupré, que vous avez donnée en suggérant de biffer les articles 91 et 92. Ce n'est pas parce que je ne l'ai pas comprise, mais je pense que si vous la redonnez, je reprendrai, car l'objection que j'avais disparaît.

M. Beaupré: Je vais tenter de le faire, M. le député.

M. Charron: Délibéré intégral.

M. Beaupré: Oui. Délibérer sur une chose jugée. Ecoutez, l'article 91, si vous voulez, on peut le relire: Si la cour est incertaine quant à l'opportunité de redonner l'application d'une mesure à l'égard d'un enfant ou de ses parents, elle peut suspendre sa décision. A la fin de la période, la cour peut faire une nouvelle enquête sur tout fait nouveau. Si elle est encore incertaine à la suite des faits nouveaux, elle va resuspendre, elle va attendre d'autres faits nouveaux. S'il y en a d'autres dont elle va être saisie, si elle est encore incer- taine, elle va encore suspendre. Et là, on n'en finit plus. Ou l'enfant est devant la cour, parce qu'il y a quelque chose, ou bien, vraiment, il n'y a pas de preuve, il n'y a rien. A ce moment, il faut que la cour dispose des causes.

Dans le fond, c'est le même principe devant toutes les cours et à l'occasion de n'importe quel genre de litige. Les juges sont là pour décider. Ils sont payés pour cela. Ils entendent la preuve...

M. Charron: Et que ça passe le plus rapidement possible...

M. Beaupré: Bien...

M. Charron: ... surtout si c'est un enfant, surtout si c'est un...

M. Beaupré: Bien oui! Une des premières qualités de la justice, c'est qu'elle soit expéditive. Un juge incertain... Je n'ai pas l'impression qu'il va rendre justice.

M. Charron: Ce qui m'étonne entre les articles 91 et 92... Vous me permettrez de poser ma question au ministre des Affaires sociales. J'admets que c'est un élément qui m'avait échappé jusqu'ici.

Dans les cas prévus aux articles 91 et 92, où le juge suspend l'exécution ou même le prononcé d'une décision...

Mme Audette-Filion: ... 91... prononcé...

M. Charron: Suspendre sa décision ou l'application de certaines mesures... Il faudrait qu'il détermine. A l'article 92, on précise le cas où il s'agit d'un jugement de divorce devant la Cour supérieure. Qu'est-ce qui arrive avec l'enfant pendant ce temps?

M. Beaupré: A l'article 92, on suggère...

M. Charron: A qui... Non, mais je demande au ministre...

M. Beaupré: Excusez-moi!

M. Charron: ... tel quel, actuellement. Vous avez raison de le signaler à la commission. Supposons que le juge, effectivement, a décidé de suspendre, pour une raison ou pour une autre, de quelle autorité, à qui sera remis l'enfant, et qu'est-ce qu'on pourra en faire?

M. Forget: Cette disposition de l'article 91 est inspirée du droit comparé en matière de la protection de la jeunesse, puisque l'on retrouve cette disposition dans certaines législations. Cela s'inspire un peu du fait que le tribunal des jeunes n'est pas, on l'a dit tantôt, un organisme administratif. Son seul rôle n'est pas seulement d'officialiser des décisions affectant les droits des parties. Il a un rôle positif à jouer — on nous l'a souligné, je pense, au cours de ces audiences — dans le pro-

cessus de rééducation ou de réadaptation de l'enfant.

Dans certains cas, il est jugé souhaitable que l'enfant soit présenté en cour. Dans d'autres cas, c'est jugé défavorablement, mais il est des cas où il est souhaitable que le certain formalisme qui accompagne cette démarche puisse aider à replacer l'enfant dans une optique de réalité. Enfin, c'est le terme qui a été utilisé par un groupe, ce matin. On retrouve donc, dans les législations de certaines provinces canadiennes en particulier, ce pouvoir de suspendre la décision. Evidemment, la façon dont c'est exprimé peut être modifiée. Ce n'est pas que le tribunal est incapable de se décider, mais qu'il décide effectivement, ayant entendu la cause, ayant parlé à l'enfant et l'ayant entendu, ayant fait la même chose vis-à-vis des parents, de dire: Pour le moment, nous nous arrêtons là. Mais d'ici six mois, si tout va bien... tout est fini. S'il y a des complications nouvelles, on reprend tout simplement le cours de la procédure. C'est une mesure qui peut aider dans certaines circonstances, qui est utilisée dans des endroits où la législation de la protection de la jeunesse est dans un état de développement peut-être plus grand que ce que nous avons connu jusqu'ici.

Donc, c'est une mesure qui serait, ici, relativement nouvelle. Elle ne résulte pas de l'indécision ou de l'incapacité du juge de se prononcer. C'est un moyen de plus qui lui est donné pour s'intéresser et participer à l'évolution d'une cause, sans nécessairement être obligé de la trancher tout de suite, en laissant le temps faire son oeuvre. C'est le seul sens qu'il faut attacher à l'article 91.

Pour ce qui est de l'article 92, alors, on soulève un problème tout à fait différent, et qui est un problème de conflit de juridiction. On nous dit, ici, que ce conflit n'existe pas. Bon! J'accepte cette expression d'opinion. Il reste que d'autres sources dans le monde juridique nous affirment qu'il existe, et que les deux tribunaux en question se prononcent de façon contradictoire parfois, relativement à la garde du même enfant. Il y a, d'ailleurs, dans nos universités, des thèses de maîtrise en droit qui sont écrites sur le sujet, soulevant le problème et suggérant qu'il soit tranché d'une façon à peu près analogue à celle qui est suggérée ici.

Mais encore une fois, c'est une opinion d'experts, pour laquelle il y a probablement des avis divergents. Il semble que, dans le concret, il y a eu des enfants qui ont été l'objet, successivement, de deux décisions différentes par deux tribunaux différents. On voulait avoir une règle qui nous permette de trancher ce conflit.

Si on nous dit, après analyse, que le conflit est imaginaire, ce n'est qu'une solution à un problème qu'on estimait réel. Si on nous dit que le problème n'existe pas, on n'a donc pas besoin de la solution.

M. Beaupré: Non, le problème, M. le ministre, n'est pas imaginaire. C'est certain qu'il y a deux facettes à la garde d'un enfant.

Il y a la garde juridique de l'enfant, qui est le domaine de la Cour supérieure, et il y a la garde aussi, dont la Cour de bien-être social peut décider pour des motifs d'ordre public, comme ceux de la santé de l'enfant ou comme ceux du développement normal de l'enfant.

Les décisions de la Cour supérieure, du moins en jurisprudence, n'ont jamais fait obstacle à ce que la Cour de bien-être social décide, malgré que la Cour supérieure ait dit qu'entre les deux époux, le mari est le plus fin ou la femme la plus fine, cela n'a jamais empêché les juges de la Cour de bien-être social de dire: Ni l'un, ni l'autre ne sont, en pratique, capables d'assurer à cet enfant un développement normal et j'ordonne qu'il soit placé chez madame X. Il s'agit de deux notions juridiques différentes.

Quant à nous, nous pensons que si, de fait, des jugements apparaissent à leur face même contradictoires, légalement parlant, il n'en est rien, et les motifs qui justifient la Cour de bien-être social d'intervenir dans des questions de garde soit des motifs spécifiquement mentionnés par le législateur dans une loi publique et d'intérêt public, alors que les parties qui se présentent devant la Cour supérieure font face à des règles de droit totalement différentes.

Quant à l'article 91, il n'y a pas de doute que c'est commode que la cour puisse remettre sa décision à plus tard, mais c'est inhérent à tout pouvoir judiciaire. C'est normal que la cour prenne le temps de réfléchir sur la preuve qui est faite pour adopter finalement la décision la plus appropriée.

Le texte, ici, me paraît ouvrir la porte à des abus et il n'est pas besoin quant à nous d'un pareil article pour permettre au juge — Dieu sait que cela se fait maintenant et l'article n'existe pas — de remettre à plus tard sa décision; mais qu'il prenne une décision sur une plainte ou sur une déclaration donnée, à l'aide de faits futurs, je pense qu'en droit, c'est un principe qui se défend mal.

M. Valois: Puis-je ajouter ici, quant à l'article 92, qu'il y a deux ou trois petits points qu'il me semble important de noter.

Par exemple, on dit que la Cour de bien-être social ne peut statuer sur ladite garde de la Cour supérieure — c'est bien cela que ça veut dire — et je pense que c'est vraiment non constitutionnel. La Cour de bien-être social ne peut jamais, de toute façon, statuer sur la garde de la Cour supérieure, à moins que... Vous voyez... "La cour ne peut statuer sur ladite garde à moins..." Elle ne peut jamais statuer sur ladite garde parce que ce n'est vraiment pas de son pouvoir de décider de la garde juridique de l'enfant.

Deuxièmement, je pense que vous avez la jurisprudence et particulièrement en Cour suprême, l'arrêt Credall, qui est une jurisprudence précieuse, qui détermine exactement où la Cour de bien-être social peut aller et où la Cour supérieure peut aller. C'est justement où se trouve la différence entre le choix de deux parents qui peuvent

bien être ni l'un ni l'autre bons pour garder les enfants où se trouve aussi le pouvoir de la Cour de bien-être social d'intervenir. Cette jurisprudence est très précieuse; si on acceptait un tel texte, elle serait rayée, et je pense que c'est une perte à ce moment.

Le troisième point que je voulais soulever, c'est que, pendant que la requête en divorce ou en séparation ou que l'action en séparation est pendante, vous savez qu'actuellement il y a souvent des causes, par exemple, de séparation, qui durent deux ans ou trois ans, cela veut dire que si l'enfant est maltraité, supposons, physiquement... Disons que l'enfant est gardé par le père qui est séparé et le père bat son enfant, martyrise son enfant — prenons le pire cas pour bien l'illustrer — cela voudrait dire que parce qu'ils ont une chicane en Cour supérieure qui est remise parce qu'on a accordé des délais et tout ce que vous voudrez, parce que la chicane est bien prise, la Cour de bien-être social n'aurait pas un droit d'intervenir. Cet enfant est maltraité et je le sors de là parce que ni le père, ni la mère ne se comportent bien.

Je pense que l'article, du commencement à la fin, est non constitutionnel et dangereux; il prive la Cour de bien-être social du pouvoir d'intervenir quand il le faut et, enfin, il rejette une jurisprudence qui est très précieuse.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Y a-t-il d'autres questions?

M. Charron: J'ai terminé.

M. Valois: Me serait-il permis d'intervenir, seulement quelques minutes, pour ajouter quelques détails...

Le Président (M. Houde, Limoilou): Oui.

M. Valois: ... qu'il me semble tout particulièrement important de mentionner. Cela pourrait être bien long, mais je vais essayer d'être court.

Je pense, sans engager le Barreau, que, finalement — ce n'est peut-être pas la place pour le dire — si on mettait autant de travail à offrir des ressources adéquates qu'on en met à préparer des textes de loi, dans le moment, la loi sur la protection de la jeunesse serait suffisante et on pourrait y ajouter quelques amendements. Je pense que cinq articles seraient suffisants, un permettant l'appel, un permettant... des points bien précis, et la loi actuelle serait suffisante. Tout cela pour dire qu'actuellement, si on regarde dans la pratique ce qui se passe, vous avez — je pense que M. Charron a un peu touché au problème ce matin — des cas incroyables où des juges sont obligés de dire au jeune: Je n'accepte pas ton plaidoyer, pour le placer en institution adulte parce qu'il n'y a aucune ressource pour les mineurs. Evidemment, ce n'est pas de la protection judiciaire, c'est de la délinquance.

Donc, suivant la loi chez les jeunes délinquants... Cela montre bien qu'il y a une pénurie effroyable de ressources pour venir en aide aux enfants. Effroyable au point que les juges s'en font des problèmes de conscience et les avocats ne savent plus quoi dire aux juges. Les avocats sont obligés de dire: M. le juge, je demande un référé pour que le jeune — c'est une technicité — puisse être gardé dans un centre autre que mineur, puisqu'il n'y a pas de centres mineurs; au point qu'on doit dire au juge, à un moment donné... Nous avons fait des recherches, nous avons fini par trouver des technicités. On a trouvé les articles 3, 4 et 7 des règlements de la loi de la santé et des services sociaux pour réussir à envoyer à Montréal, à Place Dupuis, au 10e étage, au centre-ville, des enfants à 4 heures, 5 heures parce que personne ne voulait les accepter, ni Berthelet, ni Saint-Vallier ni personne et cela, avec l'aide des travailleurs sociaux de la clinique et de toutes les personnes qui essayaient de trouver une solution. C'était impossible.

On les envoyait donc avec cette technicité en disant: Voulez-vous prendre ces enfants et leur trouver une place? Ils se cherchent une place. Les enfants... Je ne vous raconte pas des histoires; c'est bien exact et je peux même vous dire des noms. Je veux dire que c'est très précis.

Vous avez donc des enfants qui ont dû passer des nuits on ne sait trop où, des travailleurs sociaux qui ont cherché, qui ont passé des nuits à chercher, sans dormir, qui ont fini par trouver finalement et qui ont réussi à entrer le jeune à Saint-Vallier ou à Berthelet alors que le juge avait tenté et avait eu une fin de non-recevoir. Le lendemain, on a réussi à l'y entrer et il s'en est évadé quelques heures plus tard. Là, je vous brosse bien brièvement une situation intenable actuellement, dans les faits, et je pense que, malgré les beaux textes de loi, il faudra changer dans les faits, dans la réalité. Autrement, malgré les beaux textes de loi, on n'aura rien changé.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: M. le Président, je n'avais pas l'intention de discuter, mais comme, peut-être, selon une déformation professionnelle, au moins un de nos invités, après avoir terminé sa preuve, a cru bon de faire un plaidoyer... Je crois qu'il est nécessaire de faire quelques mises au point parce que... Je pense qu'avant de le faire, il est peut-être réconfortant, sur un ton plus léger, de voir que les avocats se lancent à la défense de leurs collègues des services sociaux et je suis sûr que mon collègue, le ministre de la Justice, sera ravi de voir que j'ai reçu un encouragement de la part du Barreau pour que nos budgets soient augmentés.

M. Charron: Les Finances aussi.

M. Forget: II demeure qu'on a fait certaines affirmations qui, je me dois de le dire, sont erronées. On a, en particulier, parlé d'une cinquantaine d'enfants qui seraient actuellement dans des prisons pour adultes. Il n'en est rien. Il y a eu, bien sûr, dans le passé, pendant très longtemps, des

enfants dans les prisons pour adultes. Il y a au moins une chose qu'il faut savoir sur le Québec et sur le fonctionnement de nos institutions judiciaires au Québec pour apprécier correctement cette réalité. On parle — et il y a un invité qui l'a dit aujourd'hui — parfois de ce que l'on voit ailleurs sur ce plan, soit aux Etats-Unis, par exemple au Massachusetts, soit en Ontario, pour dire que nous avons là une situation exceptionnelle.

Ce qui est révélateur, dans cet Etat et dans cette province canadienne que l'on cite souvent en exemple sur ce plan, c'est que l'âge auquel les jeunes sont considérés comme des adultes est de 16 ans, alors qu'il est de 18 ans au Québec. Ce qui veut dire que dans les prisons pour adultes de ces deux endroits, qui sont, encore une fois souvent cités en exemple, on trouve un nombre bien plus considérable de jeunes de 16 à 17 ans qu'on en trouve au Québec. Effectivement, une proportion très importante de la population détenue dans les établissements de détention pour adultes dans ces deux endroits est constituée de personnes qui sont considérées comme des adolescents ici. Je pense que c'est un élément de contexte puisque lorsqu'on parle de 40 ou 50, on peut parler de plusieurs centaines en Ontario et parce qu'on a défini différemment les limites d'âge, on a un problème à un endroit et une situation qui n'est pas considérée comme un problème ailleurs.

Ceci n'est pas une justification pour la présence d'adolescents dans les prisons pour adultes, mais ce fait nous permet de mieux mesurer notre situation vis-à-vis de la situation d'autres Etats. Il est clair que la plupart des enfants problèmes, de ces enfants qui se retrouvent éventuellement dans les prisons pour adultes ici, alors que nous voudrions les voir dans les centres d'accueil, sont à partir de cette catérogie d'âge qui est très difficile pour les centres d'accueil et ils sont parfois impliqués dans des situations délictuelles extrêmement sérieuses.

Cela étant dit, il y a des possibilités d'y remédier et ces possibilités sont multiples. On a cité le besoin de ressources additionnelles et on l'a fait encore une fois ce matin, un autre groupe l'a fait ce matin, je ne sais pas si les membres du Barreau y étaient, mais il est évident que des ressources additionnelles peuvent tout régler. A la limite, on peut construire, comme on l'a prouvé à une exposition universelle, avec beaucoup de millions, et on est en train de prouver qu'on peut construire aussi un stade olympique avec beaucoup de millions. Il n'y a rien d'impossible avec de l'argent. On parle un peu aussi comme si, au Québec, on ne dépensait rien pour la protection de la jeunesse sans se rendre compte qu'on y consacre bon an mal an au-delà de $100 millions par année. C'est une somme qui devrait commencer à nous apporter des solutions, mais qui ne nous les apportera jamais. Si on cherche à régler tous les problèmes en faisant faire du temps aux enfants dans des établissements, cela a été malheureusement la solution par excellence, la solution qui est encore celle qui est vue comme la panacée, souvent par les autorités judiciaires. Mais je ne leur en fais pas reproche, de façon générale, parce qu'il faut faire des distinctions dans ce monde comme dans n'importe quel autre milieu, souvent aussi dans les services sociaux, il faut changer ces habitudes, il est clair qu'il faudra prendre des actions qui sont d'ailleurs déjà amorcées pour changer ces habitudes.

Encore une fois, même avec des changements, il faut bien délimiter les responsabilités, c'est le but de ce projet de loi. Des changements dans les services sociaux seront sans effet et ces $100 millions que nous dépensons seront sans profit, si les structures actuelles ne sont pas mieux définies, si le pouvoir de tous ceux qui interviennent n'est pas précisé et redéfini. Je crois que l'on penche un peu du côté facile de dire que: il faut d'autres ressources, c'est la solution facile, quoiqu'on en pense, parce qu'encore une fois il n'y a rien que l'on peut résoudre avec un autre montant de $100 millions. Ce n'est pas une solution responsable, parce que nous avons déjà au Québec la moitié des enfants placés dans l'ensemble du Canada, cela a été dit souvent, mais cela ne semble jamais faire grande impression sur ceux qui s'occupent de certains aspects de ces problèmes.

Je ne crois pas que nous ayons une population d'adolescents plus perturbée et plus, criminelle qu'ailleurs au Canada. Ce n'est pas vrai. Nous avons beaucoup trop cependant, la tentation d'utiliser la détention pour régler les problèmes. Pendant que la détention se fait, il est évident que les délits ne se commettent pas. Ce n'est pas une preuve de l'efficacité de l'ensemble du processus et ce ne sont pas des ressources additionnelles pour faire faire du temps plus long à plus de monde qui va régler le problème de la protection de la jeunesse.

S'il faut d'autres ressources, ce n'est pas seulement en quantité mais aussi en qualité. C'est un problème qui, bien sûr, est très important, c'est un problème pour la solution duquel il va falloir consacrer des énergies considérables et faire des changements importants. Parmi les changements qu'il faut faire pour en arriver là, il y a certains changements de structures, d'organisation, dans la distribution des pouvoirs sur ce qui arrive à ces enfants et comment on s'en occupe. C'est le sens de ce projet de loi. Ce n'est pas toute la solution, mais ce n'est pas non plus du côté d'un accroissement des ressources qu'on va la trouver.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, le débat qui marque la fin des travaux de la commission aujourd'hui, en étant permanent, il marquera vraisemblablement tout l'étude de ce projet de loi et je sais que tous les groupes ont, à un moment ou un autre — si ce n'était à partir de leur mémoire directement — voulu, avant de nous quitter, tous ceux qui sont proche de ce milieu, nous signaler que la commission manquerait largement à son devoir si elle s'en tenait uniquement au texte de loi et oubliait le problème des ressources. A chaque occasion, le ministre a cru bon d'intervenir parfois

même de façon de plus en plus précise, pour réfuter les objections selon lesquelles les ressources sur le territoire du Montréal métropolitain — parce que je pense que c'est de cet endroit en particulier que nous parlons — n'étaient pas adéquates.

Il précise le chiffre de $100 millions et je reprendrai son exemple pour son allusion aux $600 millions investis dans le déficit des Jeux olympiques de Montréal. Il est vrai, M. le Président, que les Montréalais auront bientôt un stade olympique qu'ils auront construit avec beaucoup de millions. Il n'aura pas plus de toit, par contre, que le petit stade du parc Jarry actuellement. Pour les conditions des sportifs, rien n'aura véritablement changé sinon le prix des billets et du fait qu'ils seront plus éloignés du terrain de jeux qu'ils ne l'étaient dans un parc beaucoup plus agréable. Il fera toujours froid. Ce qui veut dire qu'on peut faire beaucoup de choses avec de l'argent, on peut en mettre beaucoup et manquer complètement notre coup et c'est de tous les temps.

Ce que nous vous demandons, ce n'est pas de porter de $100 millions à $200 millions la somme que vous investissez dans le système de détention que vous venez de dénoncer. Nous n'aurions rien réglé. Nous ne demandons pas trois Berthelet, un est déjà de trop. Nous ne demandons pas cinq Saint-Vallier, celui qui est là est déjà infect. Nous ne demandons pas de multiplier les ressources telles qu'elles sont, nous croyons qu'avec le budget actuel majoré, parce qu'effectivement un certain nombre de besoins n'ont pas été couverts. C'est une question de priorité que le gouvernement se donne à un moment donné. Un stade $300 millions sans toit, une politique efficace à l'égard de la jeunesse.

Nous ne demandons pas de les mettre là, nous pouvons même considérer que cette somme, aussi gigantesque qu'elle soit, pourrait être supérieure, disposée aux mêmes endroits, aux mêmes conditions et dans le même fonctionnement qu'actuellement; vous avez raison, vous n'avez pas d'affaire à y ajouter un cent. Le ministre des Finances n'a pas d'affaire à vous en donner encore plus. Cela n'a jamais rien donné actuellement de concret.

Là où il faudrait peut-être investir plus, c'est à un endroit. C'est peut-être, par exemple, dans le salaire des employés de ces centres d'accueil. Il est vrai, M. le Président que les offres salariales actuellement déposées dans le cas de ces travailleurs sociaux...

Le Président (M. Houde, Limoilou): A l'ordre, s'il vous plaît, je pense qu'on sort du sujet.

M. Charron: Non, M. le Président. Les ressources sont des ressources humaines. Un centre de détention aussi beau qu'il soit, il y a des gens dedans qui vont faire que le jeune qui va y aller va en sortir différent, pas plus en maudit contre la société, pas plus avec le goût de commettre, cette fois-ci, non pas un petit vol avec effraction mais un bon hold-up qui va régler sa vie une fois pour toutes.

Le taux de récidive à la sortie de ces maisons, M. le Président, est un phénomène fondamental pour la protection de la jeunesse dont on parle actuellement.

Quand on offre comme salaire à des employés, dont le pseudo-éducateur, dans certains de ces centres, un salaire allant de $7,400 à $7,800 par année, c'est bien évident, M. le Président, qu'on n'attire pas dans ces maisons des gens dotés d'un diplôme en psycho-éducation ou des gens équipés pour participer à des techniques de rééducation et de réhabilitation des jeunes. On attire très souvent des "bouncers" à $7,400 et $7,500, et tant que le gouvernement fait cela, c'est ça. A Saint-Vallier, il n'y a pas de rééducation. A Berthelet, il n'y a pas de rééducation. Il a bien quelques psychologues et quelques travailleurs sociaux qui vont à l'occasion calmer les conflits. Les enfants n'apprennent même plus à lire et à écrire à Berthelet. Toute éducation est stoppée. Ils sont détenus dans des geôles.

Que vous le disiez, que vous mettiez $50 millions dans Berthelet, si c'est pour en faire encore ce que votre propre gouvernement a fait en 1972, ajouter une aile pénitentiaire et ajouter des "bouncers" à $7,000 par année pour calmer les enfants, je vous dis: N'en mettez pas. Les ressources sont adéquates, et vous avez raison.

Mais que ce soit pour mettre de l'argent pour inciter au développement de travaux en milieu ouvert, pour aider des groupes comme ceux qui travaillent "on the street" comme ceux qui sont passés cet après-midi, au lieu qu'ils aient à quêter leur subsistance de six mois en six mois, au lieu qu'ils aient littéralement à se battre pour continuer à travailler auprès des jeunes dans le domaine de la prévention. Si, au lieu de se battre et d'aller téter des projets d'initiative locale ou n'importe quelle subvention de l'OPTAT ou quoi encore, de six mois en six mois, ces groupes recevaient une seule partie de vos $100 millions, je suis bien convaincu que les centres d'accueil auraient probablement à ce moment le taux de vacance normale qu'on peut espérer à l'intérieur de ce centre. Le taux de récidive y serait peut-être moins fort, le taux de criminalité aussi. Les cours ne seraient peut-être pas aussi chargées qu'elles le sont actuellement.

Il y a mettre de l'argent et le mettre quelque part aussi qui est à discuter. Je ne conteste pas vos $100 millions, mais je dis que, tel que vous les mettez, vous les mettez sur des édifices, vous mettez plus d'argent à faire des serrures et des barreaux à l'intérieur de Berthelet que vous n'en mettez à doter convenablement ce centre éducatif. Je ne dis pas que ceux qui sont là ne font pas d'efforts, mais ils sont effectivement — il faut y aller M. le Président pour le voir — en pleine crise de problèmes syndicaux actuellement. Peut-on leur défendre, peut-on leur reprocher actuellement, de vouloir comme travailleurs, gagner un nouveau but supérieur à celui qui leur est donné? Mais il est évident que, quand ils sont mobilisés dans des affaires syndicales de cette envergure, c'est l'enfant dans le centre qui en souffre. Tous en

conviendront, et les administrateurs de ces centres doivent demeurer les bras croisés. Ils disent: Qu'est-ce que vous voulez que je fasse? Je ne peux pas reprocher à mes employés de vouloir faire la grève lorsqu'ils viennent de se voir offrir des offres salariales de cette envergure. Je ne peux pas leur demander plus de dévouement et de consacrer plus de temps que les qualifications que j'ai. Tant que j'offrirai des salaires de cette envergure, il est bien certain que je n'aurai pas de personnel plus qualifié que celui que j'ai.

Le directeur de Berthelet me disait: Donnez-moi cinq ou six employés nouveaux et je peux ouvrir demain une unité tout à fait différente. Donnez-moi un édifice nouveau où je pourrai non pas enfermer des enfants dans des cellules de six pieds par huit pieds mais travailler à leur rééducation avec un personnel compétent et qualifié, et, je vous assure que le taux de récidive effrayant de Berthelet va baisser. Effectivement, prenons le taux de récidive des enfants issus de Boscoville, il est incomparable à celui de Berthelet, mais toute la philosophie de la maison est différente, toute l'approche est différente. Il n'y a pas qu'une question d'argent, il y a une question d'orientation d'argent, où on place l'argent, il y a à décider qui est prioritaire. Rien ne se fait à partir de fonds publics dans le domaine de la prévention, rien actuellement. Il y a le milieu scolaire qui, dans des polyvalentes de 2,000 à 3,000 enfants, essaie de retenir les enfants ensemble, parce que n'importe quel esprit normal veut s'en libérer. Cela s'appelle la prévention de la criminalité.

Nos témoins d'aujourd'hui nous disaient qu'il suffit qu'ils soient identifiés à l'école pour qu'immédiatement ils deviennent persona non grata auprès de ces enfants. C'est bien normal. Ils ont l'air d'être tout simplement des récupérateurs du sys- tème, payés par le système pour les tenir dans le système.

Or, quand le système nous oppresse, ce n'est certainement pas le travailleur social, qui a sous sa responsabilité 450 enfants, qui va être le lien qui va te garder à l'intérieur de ce système et qui va t'empêcher de commettre des délits pour t'en échapper. Et chaque fois que la question des ressources sera soulevée, je pense qu'on n'aura même pas besoin de faire l'invitation, on n'a qu'à avoir à cette table des gens qui oeuvrent dans ce milieu pour que, spontanément, cette question des ressources nous soit signalée et qu'à chaque fois, le ministre nous rappelle statistiquement ce qu'il peut investir à partir du budget de $2.8 milliards qui est le sien, dans ce domaine à proprement parler, ceci ne réglera pas la question.

Je ne lui demande pas d'en donner $150 ou $200 millions, je dis de l'utiliser d'une façon différente. Et là, on aura peut-être moins. Il n'est peut-être pas aussi important de bâtir une unité sécuritaire à l'Etape à Val-d'Or, comme il serait peut-être important de donner aux gens qui y travaillent des salaires convenables. Peut-être qu'on ferait plus, à la longue, pour l'enfant, pour le jeune. Ce débat sera éventuellement repris, M. le Président.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Forget: Eventuellement, comme le dit notre collègue. Etant donné l'heure, je crois que je vous fais grâce de mes remarques additionnelles.

Le Président (M. Houde, Limoilou): Je remercie les représentants du Barreau du Québec et la commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 22 h 37)

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