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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le mardi 8 février 2000 - Vol. 36 N° 20

Auditions sur la Société de développement des entreprises culturelles et le Conseil des arts et des lettres du Québec dans le cadre du mandat de surveillance des organismes publics


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Table des matières

Auditions


Intervenants
M. Matthias Rioux, président
M. William Cusano, vice-pésident
M. Jean-Paul Bergeron, président suppléant
M. Jean-Claude Gobé
M. David Payne
M. Léandre Dion
Mme Line Beauchamp
M. François Beaulne
*M. Gaëtan Lévesque, ANEL
*Mme Lise Oligny, idem
*M. Raymond Vézina, idem
*Mme Denise Boucher, UNEQ
*M. Pierre Lavoie, idem
*M. Jean Royer, Académie des lettres du Québec
*M. Pierre Rodrigue, ADISQ
*M. Jacques Primeau, idem
*Mme Solange Drouin, idem
*M. Yves Beauregard, SODEP
*M. Gaston Bellemare, idem
*M. Serge Turgeon, TAI
*M. Jacques Cousineau, idem
*Mme Marie-Thérèse Fortin, idem
*Mme Danielle Zana, TSL
*M. Charles-Éric Latour, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Neuf heures quarante et une minutes)

Le Président (M. Rioux): Messieurs dames, je déclare donc la séance ouverte. Je rappelle le mandat – bonjour, M. le député de LaFontaine – c'est de procéder aux consultations particulières et de tenir des auditions publiques dans le cadre du mandat de surveillance d'organismes portant sur le Conseil des arts et des lettres du Québec et la Société de développement des entreprises culturelles.


Auditions

Alors, aujourd'hui, nous allons accueillir l'Association nationale des éditeurs de livres du Québec. Je leur demande de prendre place immédiatement.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des changements à souligner, des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Laporte (Outremont) est remplacé par M. Gobé (LaFontaine).

Le Président (M. Rioux): Dignement. Dignement remplacé.

M. Gobé: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Rioux): Alors, M. Lévesque, bonjour.

M. Lévesque (Gaëtan): Bonjour.

Le Président (M. Rioux): Vous allez nous présenter vos collègues.


Association nationale des éditeurs de livres (ANEL)

M. Lévesque (Gaëtan): Tout à fait. Avant de commencer, je voudrais excuser notre président, M. Pascal Assathiany, qui n'a pu être ici aujourd'hui parce qu'il est à l'extérieur du pays. Alors, je vais vous présenter M. Raymond Vézina, qui est vice-président de la section scolaire à l'ANEL. M. Vézina oeuvre dans le milieu de l'édition depuis de nombreuses années. Il vient de terminer un mandat par intérim de Copibec, qui est une société de gestion des droits d'auteur. À sa gauche, M. Benoit Prieur, qui est adjoint à la directrice générale; à ma droite, Mme Lise Oligny, qui est directrice générale de l'ANEL et à qui je cède la parole pour vous présenter l'Association.

Le Président (M. Rioux): Alors, madame, on vous écoute.

Mme Oligny (Lise): Merci. L'Association nationale des éditeurs de livres regroupe 110 maisons d'édition, de la petite maison artisanale à la grande entreprise, qui oeuvrent dans tous les champs d'activité, que ce soit la poésie, l'édition scolaire, la littérature, les guides pratiques, les ouvrages savants, etc.

Les interventions de l'Association s'articulent autour de plusieurs pôles, dont des activités de perfectionnement professionnel, des stages à l'étranger. Il y a également Québec Édition, qui est un organisme de promotion de l'édition québécoise à l'étranger, qui soutient les exportations du livre québécois en organisant des stands collectifs dans plus de 10 foires et salons internationaux, autant dans les pays de l'Est qu'en Europe, qu'en Amérique et qu'en Afrique.

L'Association organise également des activités nationales de promotion du livre comme la Journée mondiale du livre, le 23 avril. En ce moment, nous organisons deux campagnes importantes de promotion: une campagne de promotion des auteurs de la relève littéraire et une campagne de sensibilisation au rôle fondamental du manuel scolaire dans l'apprentissage des élèves.

Enfin, un des rôles les plus importants de l'ANEL est de représenter les éditeurs auprès des pouvoirs publics et des autres intervenants sur la scène nationale comme à l'étranger. D'ailleurs, notre Association s'est récemment fait remarquer par son implication dans la participation du Québec comme invité d'honneur au Salon du livre de Paris, en 1999. Cet événement a été un franc succès et a permis à l'édition québécoise et au Québec tout entier de rayonner comme jamais en France. Je cède la parole à mon collègue.

M. Lévesque (Gaëtan): Merci, Lise. Alors, je ne reprendrai pas le mémoire. Je vais seulement m'en tenir aux recommandations que vous avez reçues. Lors de la fondation du CALQ et de la SODEC, le milieu de l'édition s'est réjoui de cette initiative. Nos relations avec la SODEC et avec le CALQ sont excellentes. On ne remet donc pas en cause la pertinence de leur mandat respectif. Par contre, nous voulons attirer votre attention sur le sous-financement de ces deux organismes.

En ce qui concerne le CALQ, nous constatons que la littérature est l'enfant pauvre de cet organisme, puisqu'il n'accorde que 1 800 000 $ à ce secteur sur un budget de 42 000 000 $. Vous conviendrez avec nous que ce n'est pas beaucoup. On ne peut comprendre pourquoi le CALQ n'investit pas plus dans la littérature ni pourquoi ce secteur est désavantagé par rapport aux autres disciplines. Ce modeste budget ne témoigne pas de l'importance et du rôle fondamental de la littérature dans notre société.

Nous recommandons donc que le CALQ augmente considérablement le budget consacré aux bourses destinées aux écrivains québécois. Nous demandons aussi que les éditeurs puissent présenter des demandes d'aide financière au CALQ au nom des écrivains qu'ils publient pour le volet Spectacles littéraires et pour le volet Soutien à la carrière, déplacement.

En ce qui concerne les programmes d'aide, nous croyons que leur fonctionnement devrait être modifié afin de les rendre plus cohérents avec les réalités du milieu. Par exemple, actuellement, seuls les écrivains peuvent présenter une demande d'aide à la promotion de leurs oeuvres. Ceci est illogique, puisque la promotion est toujours sous la responsabilité des éditeurs.

En ce qui concerne la SODEC, nous recommandons que l'on préserve son rôle de guichet unique pour les entreprises culturelles, puisque cet organisme répond parfaitement aux demandes du milieu.

Dans le domaine de la consultation, nous apprécierions que la ministre procède à une réelle consultation du milieu lorsque vient le temps de désigner un président à la SODEC ou de renouveler un mandat à sa présidence. Toujours dans le domaine de la consultation, nous sommes d'accord pour que la SODEC consulte sa Commission du livre et de l'édition spécialisée sans perdre de vue toutefois que seules les associations professionnelles sont véritablement représentatives de la volonté des membres de la profession.

Nous en arrivons maintenant au budget de la SODEC. Nos recommandations sont que l'on ajuste à la hausse la subvention qu'elle octroie à l'ANEL afin de tenir compte de la croissance de ses activités et de son importance. On a constaté depuis les dernières années que ce budget-là n'avait pas été modifié. On souhaite que la situation soit corrigée dans les années à venir.

Nous souhaitons également que la SODEC maintienne son appui aux activités de Québec Édition sur la scène internationale. Québec Édition étant le seul organisme à représenter les éditeurs québécois dans les salons et foires du livre à l'étranger dans plus d'une douzaine de pays, sans cet organisme, les éditeurs ne peuvent être présents sur la scène internationale individuellement; il faut donc soutenir les activités de Québec Édition.

Toujours dans le domaine de l'exportation, nous recommandons également que la SODEC injecte des sommes suffisantes au programme de soutien à l'exportation, Sodexport, pour lui permettre de répondre aux besoins de tous les éditeurs.

En ce qui concerne l'acquisition de livres, nous demandons que le MCCQ maintienne au-delà de l'an 2001 les budgets actuels destinés à l'acquisition de livres par les bibliothèques publiques et municipales. Rappelons que ces budgets avaient été octroyés dans le cadre de la politique de la lecture et du livre et que les retombées économiques furent bénéfiques pour le milieu de l'édition, autant pour les auteurs, les éditeurs, les distributeurs et les libraires. Il est donc important que ces budgets soient reconduits.

D'autre part, la SODEC administre différents programmes de subvention destinés aux éditeurs dont les principaux sont l'Aide à l'édition et l'Aide à la promotion. L'Aide à l'édition permet de soutenir principalement les oeuvres à fort contenu culturel et l'Aide à la promotion soutient la commercialisation de ces ouvrages sur la scène nationale. Malheureusement, ces programmes bien conçus et bien administrés par la SODEC ne répondent plus aux besoins des éditeurs. Nous constatons que, depuis 10 ans, le budget n'a pas été ajusté. Dans les faits, pour tenir compte de l'inflation et du nombre croissant de demandeurs, la SODEC devrait disposer du double du budget. Nous recommandons donc que le budget consacré à l'Aide à l'édition, qui est actuellement de 1 700 000 $ soit augmenté à 3 500 000 $ et que le budget réservé à la promotion, actuellement de 425 000 $, soit porté à 850 000 $.

(9 h 50)

D'autre part, des projets importants pour le secteur de l'édition tardent à prendre forme. Nous pensons entre autres à la création d'un observatoire du livre ayant pour mandat de compiler des informations statistiques fiables sur le marché du livre au Québec. Ça fait maintenant quatre ans que tous les intervenants du milieu réclament la mise en place d'un tel organisme. Il s'agit, faut-il le rappeler, d'une demande du Forum sur l'industrie du livre organisé par la SODEC, en avril 1997, et du Sommet du livre et de la lecture présidé par le premier ministre Lucien Bouchard, en avril 1998. Depuis, le projet s'est embourbé. Nous souhaitons évidemment que cet observatoire voué à répondre aux besoins du milieu et des intervenants gouvernementaux soit nécessairement administré par une structure mixte constituée de représentants du secteur privé et du secteur public. Notre recommandation à cet effet est qu'un observatoire du livre répondant aux besoins des éditeurs et des pouvoirs publics soit opérationnel dans les meilleurs délais.

Comme vous le savez et comme l'a souligné tout à l'heure Lise Oligny, le Québec fut l'invité d'honneur au Salon du livre de Paris. Grâce à l'énergie déployée par Pascal Assathiany, notre président, et toute son équipe, cet événement fut marquant pour le Québec. Enfin, on n'est plus perçu comme une colonie mais comme un pays qui a une édition forte. Le momentum créé par la participation du Québec comme invité d'honneur s'est maintenant estompé, et le Bureau du livre n'a toujours pas été créé. C'est très dommage. Considérant ce projet prioritaire, nous recommandons que la SODEC appuie la création d'un Bureau du livre québécois en France visant à soutenir la promotion des oeuvres québécoises sur le marché francophone européen, et ce, évidemment, dans les plus brefs délais.

Un projet prioritaire et urgent, et j'ajouterais même délicat, le crédit d'impôt, est la grande priorité de notre Association et de ses membres. Il nous apparaît donc essentiel que le gouvernement québécois soutienne le secteur de l'édition par la mise en place, encore une fois dans les meilleurs délais, d'un crédit d'impôt remboursable. La pertinence d'une telle mesure dans le domaine de l'édition a déjà été largement démontrée. Un crédit d'impôt aurait un effet structurant sur l'industrie en permettant de résoudre le problème chronique de sous-financement des maisons d'édition, assurerait un redéploiement des activités d'édition et d'impression de livres au Québec, notamment dans le cadre de grands projets, rendrait le livre québécois plus compétitif sur les marchés étrangers et, finalement, aurait un impact bénéfique sur la création d'emplois, ce qui nous permettrait de professionnaliser le milieu.

Pour le gouvernement du Québec, cette mesure a l'avantage de s'autofinancer et de ne pas nécessiter d'investissements directs. Nous ne pouvons comprendre pourquoi ce projet, à l'étude à la SODEC et au MCCQ depuis plus de deux ans, n'a pas encore été réalisé. Pour les éditeurs, il s'agit d'une priorité qui doit se concrétiser au plus tard dans le cadre du prochain budget du gouvernement du Québec.

C'est par la mise en oeuvre de ces crédits d'impôt que le gouvernement du Québec exprimera concrètement sa volonté d'intervenir véritablement pour qu'il existe une édition nationale forte. Le crédit d'impôt, compte tenu du redéploiement des activités d'édition qu'il assurera, permettra d'accroître les redevances payées aux auteurs et ainsi améliorera leurs conditions matérielles. Les membres de notre Association ne comprendraient pas pourquoi l'implantation d'un crédit d'impôt en édition serait reportée indûment. Devant cette urgence, nous recommandons que le gouvernement du Québec instaure immédiatement un crédit d'impôt remboursable pour le secteur de l'édition. La SODEC aura comme rôle de déterminer l'admissibilité des entreprises à ce crédit d'impôt.

En terminant, et au nom de tous les membres de notre Association, nous voudrions vous remercier de nous avoir donné l'opportunité de nous exprimer devant votre commission et nous souhaitons fortement que les recommandations qui sont dans notre mémoire ne soient pas des voeux pieux.

Finalement, je voudrais vous mentionner que, dans le milieu de l'édition, quand on dit «dans les plus brefs délais», c'est toujours pour hier. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Rioux): Merci beaucoup, M. Lévesque. J'aimerais clarifier une chose au départ. Vous dites que l'éditeur, c'est le professionnel, c'est lui qui assure les risques, c'est lui qui met la dernière main, au fond, au manuscrit de l'auteur pour le rendre publiable. Moi, ce que j'aimerais savoir, étant donné que vous êtes un maillon important de cette chaîne de la production littéraire, l'auteur, quel est sa part, lui? Quelle place est faite à l'auteur dans la publication d'un ouvrage et jusqu'à la hauteur de quel volume de publication il y trouve son compte? Parce que ce qu'on entend, c'est que les auteurs sont assez maltraités par les éditeurs.

M. Lévesque (Gaëtan): Ha, ha, ha! Oui. Écoutez, je ne sais pas... Moi, mes auteurs, je pense qu'ils sont contents d'être chez moi, je ne les maltraite pas. Je vous dirai que...

Le Président (M. Rioux): Il se publie 4 000 titres par année à peu près?

M. Lévesque (Gaëtan): À peu près. Il y a une centaine d'éditeurs.

Le Président (M. Rioux): S'il y en a 75 % de mécontents, ça commence à faire du monde mécontent, ça.

M. Lévesque (Gaëtan): Moi, j'en publie une quarantaine, et c'est une quarantaine qui sont contents. Je vous dirai pour ma part que l'écrivain, c'est la base de mon travail. Si l'écrivain n'était pas là, je n'existerais pas. Donc, j'ai besoin de lui. Il a besoin de moi pour que je le publie. Comment ça se passe dans les autres boîtes? Je ne le sais pas. Mais, dans la mienne, les écrivains ont l'air contents de publier chez moi, puisqu'ils reviennent.

Le Président (M. Rioux): À quel moment il commence à faire un peu de sous, l'auteur? Lorsqu'il y a 5 000 copies de vendues, lorsqu'il y en a 2 000, 3 000, 10 000?

M. Lévesque (Gaëtan): Vous savez, le Québec, c'est petit. Il n'y a pas beaucoup de lecteurs, on les connaît tous par leur prénom. C'est difficile de vous dire à combien d'exemplaires un éditeur et un auteur commencent à faire des sous. Normalement, on fait des petits tirages de 1 500 et, quand on a épuisé notre premier tirage, on couvre nos frais. Au deuxième, à la réimpression, on commence à respirer.

Le Président (M. Rioux): À 1 500 copies, vous avez atteint votre point mort.

M. Lévesque (Gaëtan): À peu près.

Le Président (M. Rioux): Ce qui s'appelle en business le «break even».

M. Lévesque (Gaëtan): Ce n'est pas pareil pour tous les livres, parce que chaque livre est un projet différent, comme chaque personne est différente.

Le Président (M. Rioux): Je vais céder la parole au député de Vachon.

M. Payne: M. le Président, ça me fait plaisir. M. Lévesque, dans quelques milieux, la participation du Québec à Paris, ce printemps, au Salon du livre et autres activités, a reçu des critiques notamment quant à la publicité et à la participation à diverses activités. Dans le contexte où vous faites référence souvent à l'étroitesse du marché national au Québec et aux impératifs que ça impose, que pensez-vous de ces critiques que vous avez entendues comme nous?

Le Président (M. Rioux): M. Lévesque.

M. Lévesque (Gaëtan): Bon, écoutez, quand on n'agit pas, on ne reçoit pas de critiques, vous devez en savoir quelque chose. On a fait le Salon du livre à Paris, c'est évident qu'on a reçu des critiques. Pour ce qui est de notre part, nous, les éditeurs, nous étions satisfaits presque à 100 % de cet événement. Je ne peux pas justifier les critiques des autres. Je les reçois, mais ça ne veut pas dire que je les partage. En ce qui me concerne, pour nous, le Salon du livre à Paris a été un événement marquant, et j'en suis très content.

M. Payne: Donc, pour vous, s'agit-il à ce moment-là d'une participation, je dois comprendre, essentielle, d'un investissement nécessaire pour élargir la capacité de nos éditeurs québécois à davantage trouver un rayonnement dans d'autres pays du monde? Vous avez 4 000 titres par année, que ça soit dans les recueils de poésie, les pièces de théâtre, les romans, les essais. Pouvez-vous être plus spécifique en quoi, si vous étiez ministre de la Culture, ça pourrait être un point de rayonnement?

M. Lévesque (Gaëtan): Je crois qu'il faut, à un moment donné, sortir de son patelin et rayonner internationalement si on veut que nos écrivains soient reconnus sur la scène internationale. Une fois qu'on a fait le tour de notre jardin qui comprend 6 000 000 d'habitants, il nous reste la francophonie. Puis je pense que tous les pays ont intérêt à se faire voir à l'extérieur de leurs frontières et à faire connaître les écrivains internationalement.

M. Payne: Merci.

(10 heures)

Le Président (M. Rioux): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Oui, M. le Président, je vous remercie de la présentation de votre document qui est très intéressant. J'ai regardé avec beaucoup d'intérêt toutes les interventions dont vous faites mention relativement à vos relations avec le CALQ et la SODEC. Vos relations sont beaucoup plus évidemment avec la SODEC qu'avec le CALQ, mais, à certains endroits, vous suscitez l'idée que peut-être ce serait intéressant que vous puissiez aider davantage les écrivains à faire des demandes.

Alors, la question que je voudrais vous poser, c'est dans quelle mesure vous pourriez être mieux servis, ou pas mieux servis, par un guichet unique qui vous permettrait d'avoir accès et à l'un et à l'autre?

Le Président (M. Rioux): M. Lévesque.

M. Lévesque (Gaëtan): C'est-à-dire que, pour ce qui concerne les subventions des écrivains au CALQ, vous savez, un écrivain, c'est un créateur, ce n'est pas un demandeur de subventions. Souvent, mes écrivains sont invités à aller à l'étranger puis ils me disent: Bien, demande la subvention pour moi. Bon, et je leur dis: Je m'excuse, je ne peux pas le faire, au CALQ, c'est les écrivains qui doivent le faire. C'est dans ce sens-là qu'on veut, nous, les éditeurs, demander des subventions pour nos écrivains quand ils sont invités dans le cadre de la promotion, puisque la promotion des auteurs et des livres est sous notre responsabilité. Voilà.

M. Dion: Je me sens un petit peu mal à l'aise face à cette proposition-là, parce que remplir un formulaire pour demander une subvention, si on veut avoir 15 000 $ ou 20 000 $, ce n'est quand même pas la fin du monde. Alors, pourquoi est-ce que vraiment il faut qu'on tienne la main de l'écrivain pour qu'il remplisse un formulaire? Expliquez-moi ça, et comment ça se ferait, en pratique?

Le Président (M. Rioux): ...paternalisme, ça, M. Lévesque?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lévesque (Gaëtan) Pas du tout. C'est pour coordonner les activités des éditeurs dans la promotion des livres. Souvent, les écrivains sont invités à faire de la promotion et, à un moment donné, ils nous arrivent au bureau puis ils disent: Bien là je viens d'aller à telle place faire une lecture. Ah bon. Est-ce que tu avais tes livres? Ah! Je n'ai pas pensé à ça. C'est normal qu'il n'ait pas pensé à ça, ce n'est pas lui qui les vend, les livres, il les écrit. C'est dans ce sens-là qu'on veut s'occuper de la promotion des livres et des écrivains. C'est tout. Ce n'est pas plus compliqué que ça.

M. Dion: Alors, vous voudriez être ceux qui remplissent les formulaires à la place des écrivains.

M. Lévesque (Gaëtan) Si un de mes écrivains me le demande, oui. Mais je ne veux pas le faire pour tous les écrivains. Il y a des écrivains qui se débrouillent très, très bien, mais il y en a d'autres qui viennent me voir puis ils disent: Bon, bien, demande la subvention pour mon voyage, demande la subvention pour mes frais de séjour. Mais on ne peut pas le faire. C'est ce qu'on veut.

Le Président (M. Rioux): M. Vézina, vous vouliez ajouter quelque chose.

M. Vézina (Raymond) Simplement la possibilité de le faire en collaboration avec l'écrivain. Ce n'est pas pour usurper le pouvoir de demander la subvention. C'est pour avoir une meilleure synergie entre les interventions de l'auteur, de l'UNEQ en général, qui organise des tournées un peu partout, et des éditeurs qui sont ceux qui vont amener les livres sur place et les récupérer après coup. L'auteur a à repartir avec trois caisses de livres, ce n'est pas très, très décent non plus.

Le Président (M. Rioux): Rapidement, M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Dans la pratique, est-ce que vous ne pouvez pas, de toute façon, remplir le formulaire et faire signer l'auteur? Il n'y a rien dans la loi qui vous empêche de faire ça. J'essaie de comprendre où est-ce qu'il y a vraiment un problème.

M. Lévesque (Gaëtan) Il n'y a pas de problème. Ha, ha, ha!

M. Dion: O.K. Ça va. Je veux juste vous dire, en terminant, que j'ai beaucoup apprécié le travail que vous avez fait dans le Salon du livre à Paris. Ça a été une couverture extraordinaire. Je pense que ça a été très apprécié par les artistes et par tous ceux, comme moi, qui ont eu l'occasion de voir le travail que vous avez fait là. Je veux vous féliciter.

M. Lévesque (Gaëtan): Merci.

Le Président (M. Rioux): Merci. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci. M. le Président, on a senti en vous, là, l'ex-ministre du Travail, mais surtout, je pense, celui qui aime bien la littérature, les arts et les lettres avant tout. C'est tout à votre honneur.

J'ai lu attentivement votre mémoire, et il y a quelque chose qui m'intrigue et qui me frappe. Depuis que le Québec a été l'invité de marque au dernier Salon du livre à Paris, qui a été, je pense, un moment très fort par rapport au rayonnement possible du livre et des auteurs québécois, vous nous relatez dans votre mémoire une série de projets que vous avez et qui sont, semble-t-il, en ce moment, là, lettre morte auprès du gouvernement. Vous mentionnez le projet d'avoir un observatoire sur le livre. Moi, je me souviens même d'avoir entendu l'ancien président de la Société de développement des entreprises culturelles, de la SODEC, en parler comme si c'était chose faite. Et vous parlez dans votre mémoire que vous attendez toujours.

Il y a eu un article la semaine dernière ou ce week-end dans Le Devoir où on disait: «Si la ministre le veut – et je crois qu'elle le veut – si la SODEC le veut, si les gens de la culture le veulent...» On parlait d'un plus grand observatoire, là, mais... La journaliste conclut en disant: «Sûrement qu'on va voir ça avant la fin de l'année.» Moi, je me dis: Dans votre cas à vous, vous le voulez, semble-t-il que la ministre le veut, la SODEC le voulait, puis vous nous apprenez que ça n'a toujours pas vu le jour.

Il y a d'autres choses. Vous nous parlez du projet d'un bureau du livre à Paris, qui était un des projets suivant, un peu, là, vraiment, les retombées du Salon du livre à Paris. Vous nous dites que ça n'avance pas. Votre projet d'obtenir des crédits d'impôt pour l'édition de livres, vous nous apprenez que ça n'avance pas. Je vous soulignerais, pour ma part, que les travaux du comité Larose sur les pratiques commerciales dans le domaine du livre, on n'entend pas parler de beaucoup de choses non plus. Qu'est-ce qui fait que, depuis un an, il ne semble plus rien se passer dans le domaine du livre tant à la SODEC qu'au ministère? Est-ce que vous, vous êtes en mesure d'identifier les obstacles qui ont cours en ce moment?

Le Président (M. Rioux): Alors, qui répond à la question? Mme Oligny, M. Lévesque, qui?

M. Lévesque (Gaëtan): Écoutez. Vous soulevez là une grande question. C'est faux de dire qu'il ne se passe rien dans le milieu du livre, parce qu'on agit. On a fait des propositions. Maintenant, ce n'est pas à notre niveau que ça bloque. Ça bloque un peu plus haut. Pourquoi? Je ne le sais pas. Ce serait peut-être à vous de nous le dire, puisque vous êtes au gouvernement.

Mme Beauchamp: Je vais vous poser une question bien directe. Est-ce que, depuis un an, vous avez rencontré M. le vice-premier ministre, ministre des Finances? Parce que, quand on parle de crédit d'impôt et tout ça – je l'ai maintes fois souligné la semaine dernière – on a l'impression qu'il y a un grand ministre de la Culture par-dessus la ministre de la Culture et par-dessus la SODEC et le milieu qui est là, installé pour prendre des décisions au sein des conseils d'administration de la SODEC et du CALQ. Avez-vous l'impression que, si vous aviez de meilleurs rapports avec le vice-premier ministre, vous auriez eu vos crédits d'impôt?

M. Lévesque (Gaëtan): Vous savez que, pour le commun des mortels, prendre rendez-vous avec un ministre, ce n'est pas évident. On a réussi, pour fin février, à avoir des rendez-vous. On attend des confirmations, autant du premier ministre, de M. Landry que de Mme Maltais. Alors, on saura d'ici fin février si ça fonctionne ou pas.

Mme Beauchamp: Donc, vous préparez un peu le terrain en vue du prochain budget, entre autres, pour tenter d'avoir votre place au sein de ça.

M. Lévesque (Gaëtan): Oui, on essaie.

Mme Beauchamp: On prend bonne note de ces rencontres et on va tenter de suivre ça de près en votre compagnie pour examiner les résultats lors des prochains crédits.

Je vais peut-être revenir sur la question des retombées à exploiter du dernier Salon du livre de Paris. Comme le mentionnait mon collègue le député de Vachon, le Printemps du Québec a eu droit à toutes sortes de commentaires. Mais je pense que le Salon du livre en tant que tel, ça, les gens ont été assez unanimes à dire, peu importe que ça soit à l'intérieur ou pas du Printemps du Québec, que le fait que le Québec soit présent comme invité d'honneur à ce Salon du livre a été un moment extrêmement important.

Dans la suite des choses, vous, vous avez des projets, comme un bureau du livre à Paris. D'autres milieux culturels, d'autres types d'industries culturelles nous ont parlé de l'importance de la récurrence de ce type d'événement. Moi, je me pose un peu la question: Comme éditeur de livres, le fait qu'un prochain rendez-vous – ce ne sera peut-être pas le dernier de ce type-là dans lequel d'ailleurs le Conseil des arts et des lettres et la SODEC investissent des budgets – soit à New York, est-ce que, pour vous, ça, ça vous sert bien également, vous êtes heureux de ça? Ou si, à choisir, en termes de budget, vous préféreriez en ce moment-ci qu'on réalise vraiment un bureau du livre à Paris et l'observatoire du livre?

M. Lévesque (Gaëtan): Si vous me posez la question comme ça, je vais vous dire que je veux tout. Je veux aussi Paris et je veux aussi New York. On a commencé à travailler sur New York, d'ailleurs. Le bureau du livre à Paris, pour y revenir, il aurait dû être fait depuis longtemps. C'est plus qu'un caprice, vous savez, vouloir un bureau à Paris. C'est un bureau d'affaires qu'on veut. Là, présentement, on y va une fois par année, depuis à peu près 10 ans, en tout cas, dans mon cas. J'essaie de faire des affaires sur le marché européen et, comme je ne peux pas me permettre d'être là tous les mois, j'y vais une fois par année. Je rencontre les éditeurs européens une fois par année. Un bureau nous permettrait d'avoir quelqu'un en place et pourrait assurer un suivi pour nous. C'est dans ce sens-là qu'on veut un bureau le plus rapidement possible et, oui, à New York aussi, on en veut un. Et, si vous me dites que vous voulez aller à Los Angeles, j'en veux un aussi à Los Angeles.

(10 h 10)

Mme Beauchamp: Moi, ce que je constate, c'est plutôt le fait qu'il ne semble pas y avoir assez d'argent pour tout, puisque votre projet de bureau du livre à Paris, lui, n'avance pas. On a bel et bien décidé, par contre, d'aller de l'avant avec un printemps du Québec à New York. Donc, je vous comprends bien. Votre réponse, j'ai envie de dire qu'elle est simple. C'est la bonne réponse, pour vous, que vous me donnez, mais je suis obligée de me rendre à l'évidence qu'il semble y avoir des choix à faire. C'est dans ce sens-là que je vous posais ma question, sous l'angle des choix à faire.

Nous, on est ici en mandat de surveillance entre autres sur la SODEC, sur la Société de développement des entreprises culturelles. Où est-elle depuis un an? Et comment évaluez-vous son leadership dans le dossier? Parce que c'est quand même une société qui est là entre autres pour travailler en synergie, en partenariat, pour, jusqu'à un certain point, représenter votre industrie, l'industrie des éditeurs de livres, sur des enjeux comme ça. On s'attend à ce qu'elle parle, même qu'elle défende vos intérêts. Elle représente les entreprises culturelles. À la lumière, à la lecture de votre mémoire, je me pose la question: Où est la SODEC depuis un an, et comment vous évaluez son leadership réel?

M. Lévesque (Gaëtan): Écoutez, la SODEC est un organisme gouvernemental. On ne mord pas la main de celui qui nous nourrit. Ce n'est pas à la SODEC à faire des sorties dans les journaux, à dénoncer quoi que ce soit. Je pense que c'est plus au milieu à le faire. C'est à nous, les éditeurs, de sortir ce qui ne marche pas dans le public. La SODEC est là pour nous appuyer, et je pense qu'elle le fait bien. Elle n'a pas à prendre de positions publiques et à dénoncer quoi que ce soit.

Mme Beauchamp: Si vous permettez, par rapport...

M. Lévesque (Gaëtan): Si j'ai bien répondu à votre question, là.

Mme Beauchamp: Oui.

Le Président (M. Rioux): Mme la députée, il vous reste deux minutes.

Mme Beauchamp: Je comprends bien votre réponse. Par ailleurs, d'autres intervenants, leurs commentaires étaient plus au niveau du Conseil des arts et des lettres, mais je pense que la comparaison tient la route. Il y a justement des intervenants du milieu plus des arts et des lettres, desservi par le Conseil des arts et des lettres, qui ont demandé la division du poste de P.D.G. du Conseil des arts et des lettres en un poste de président qui serait occupé par quelqu'un – même on dit carrément un artiste – vraiment du milieu. Donc, on divise le poste de président et le poste de direction générale afin que justement le Conseil des arts et des lettres joue son rôle, qu'il puisse avoir un rôle un peu plus de représentation et de revendication, entre autres par un porte-parole, président, qui représente le milieu.

Votre réponse m'amène à me poser la question par rapport à la SODEC. Vous me dites: Je me dois d'être prudent, on ne mord pas la main de celui qui nous nourrit, ce n'est pas le rôle de la SODEC, c'est notre rôle. Il y a d'autres personnes, d'autres représentants d'organisme, qui ont une vision tout autre et qui ont demandé une division du poste. Moi, mon idée n'est pas faite, mais je me dis juste: Est-ce que vous avez cette attente, face à une société qui représente les entreprises culturelles, à ce qu'il y ait quand même un peu plus de prises de position et de défense? On parle carrément de défendre vos crédits, de défendre vos besoins.

M. Lévesque (Gaëtan): Moi, je peux parler pour la SODEC, parce que le milieu de l'édition fait surtout affaire avec la SODEC, beaucoup moins avec le CALQ. Présentement, la structure nous satisfait. Je veux dire, je ne verrais pas pourquoi on demanderait des changements, puisque nos relations sont excellentes et qu'on a le sentiment que les responsables de la SODEC défendent nos dossiers. Ce n'est pas à ce niveau-là que ça bloque. Ça bloque à un niveau plus élevé, et je ne sais pas où parce que, là, rendu à cette machine-là, ce n'est plus moi qui est là.

Mme Beauchamp: O.K. Bien, merci pour l'éclaircissement. Vous avez l'impression donc que ça bloque à un niveau plus élevé.

M. Lévesque (Gaëtan): Tout à fait.

Mme Beauchamp: Je sais que vous voulez prendre la parole, j'ai une dernière sous-question. Vous demandez tout de même, c'est une de vos recommandations, la notion d'être mieux consultés lors de la nomination tout de même du président de la SODEC. Il y a eu une nomination très récente, il y a eu un changement à la présidence de la SODEC. Cette recommandation-là, elle n'est pas là pour rien. Est-ce que ça veut dire que vous n'avez pas eu la sensation d'être bien consultés lors de la dernière nomination?

Je vous donne le topo. On a eu une discussion avec la ministre de la Culture, par exemple dans un cadre d'étude de projet de loi de la Place des Arts, sur la notion entre consulter des milieux puis obtenir des recommandations d'un milieu. Il peut y avoir une différence dans le sens véritable autour des mots «consultation» et «recommandation». Qu'est-ce que vous voulez vraiment nous dire vous, par cette recommandation que vous nous faites?

Le Président (M. Rioux): Rapidement, M. Lévesque.

M. Lévesque (Gaëtan): En bref, lorsque M. Lampron a été nommé président de la SODEC, il y a quelques années, Mme Beaudoin a consulté le milieu, et on a fait des recommandations, on a donné notre opinion. Lorsque M. Lampron est parti, on l'a remplacé par M. Lafleur. Mme la ministre nous a téléphoné, sauf qu'il y avait une personne en lice, et on a appris dans les journaux qu'elle avait été nommée.

Cela dit, nous avons rencontré M. Lafleur. C'est un homme tout à fait charmant. Nous ne lui en voulons pas du tout. Nous avons eu une excellente rencontre. On sent que c'est quelqu'un qui veut travailler pour le milieu de l'édition. Ce que, nous, on disait, ça s'adresse surtout à la ministre: de nous consulter quand il arrive quelque chose de ce genre-là.

Le Président (M. Rioux): Très bien. Moi, je ne sais pas, peut-être que Mme la directrice générale pourrait répondre à ça. Quand on regarde le problème de l'édition en général – vous l'avez dit dans votre mémoire, d'ailleurs, c'est très clair – le Québec est un tout petit marché, et, en plus, comme petite entreprise du domaine de l'édition, vous devez faire face aux multinationales du livre. C'est assez inconfortable comme situation.

Mais il me semble qu'il y a un problème dans toute cette dynamique de l'édition. C'est que l'argent que vous investissez dans la promotion semble des sommes assez minimes. Vous demandez au gouvernement du Québec de doubler, de ce côté-là, son aide. Avant de recommander au gouvernement de doubler les budgets à l'Aide à l'édition ou l'Aide à la promotion, moi, j'aimerais savoir ce que vous faites, comme promotion, au Canada français et au Québec.

Vous êtes en affaires. Les auteurs se plaignent qu'il n'y a pas de promotion autour du lancement de leurs livres, que vous faites peu d'efforts pour les faire connaître. Puis, quand le livre ne marche pas, bien, ça dépend de l'auteur. C'est rarement de l'éditeur. Alors, moi, je me dis: Il y a quelque chose qui ne marche pas là-dedans, là. L'Aide à la promotion, peut-être que vous n'avez pas les budgets, comme éditeurs. Vous demandez à l'État de vous aider. Oui, mais qu'est-ce que vous faites ou qu'est-ce que vous entendez par promotion lorsque vous lancez un ouvrage ou que vous rééditez un ouvrage?

M. Lévesque (Gaëtan): Vous vous adressez directement à Mme Oligny ou...

Le Président (M. Rioux): À vous quatre.

Mme Oligny (Lise): Enfin, moi, je peux répondre au nom de l'Association. Je sais qu'on organise, nous, plusieurs campagnes de promotion, entre autres la Journée mondiale du livre. Ça ne se fait pas seulement avec les éditeurs. Ça se fait avec les écrivains, ça se fait avec les libraires. Il y a beaucoup d'actions qui sont faites au niveau de l'Association et du regroupement des éditeurs pour promouvoir la lecture. On le fait aussi du côté de l'édition scolaire.

Je préférerais effectivement que ce soit mon collègue... D'une manière plus individuelle, le travail de l'éditeur au niveau de la promotion, je pense que M. Lévesque peut mieux répondre que moi là-dessus.

Le Président (M. Rioux): M. Lévesque.

M. Lévesque (Gaëtan): Si vous permettez, je vais reprendre la parole. Je ne sais pas d'où vous tenez vos statistiques quand vous dites que tous les écrivains sont mécontents. Dans mon cas...

Le Président (M. Rioux): Je ne vous dis pas tous, un nombre assez suffisant pour rendre ça inquiétant.

M. Lévesque (Gaëtan): Bon, d'accord. Permettez-moi de ne pas être d'accord avec vous de ce côté-là. Je fréquente beaucoup les écrivains, et ce n'est pas tout le monde qui est mécontent.

Effectivement, les budgets de promotion sont peu élevés parce que les subventions sont peu élevées à la promotion. Écoutez, il y a 425 000 $ qui est donné. C'est une virgule dans un budget. Je veux dire, XYZ Éditeur, sur ce 425 000 $, va chercher 3 000 $ pour faire 40 livres. Je ne peux pas faire des miracles. Une fois que vous avez fait un lancement, que vous avez engagé une attachée de presse, que vous avez payé de la publicité...

Le Président (M. Rioux): M. Lévesque, est-ce que c'est une voie d'avenir que d'investir massivement dans la promotion? C'est ça que je veux comprendre. Les budgets, comme vous le dites, sont insignifiants, et pourtant ça m'apparaît être une avenue prometteuse.

M. Lévesque (Gaëtan): Mais tout à fait. Plus un écrivain va avoir de visibilité, plus il va être lu. Cela va de soi.

Le Président (M. Rioux): M. le député de Marguerite-D'Youville.

(10 h 20)

M. Beaulne: Oui, deux questions. La première, vous avez indiqué – d'ailleurs, il y a d'autres mémoires, par la suite, qui font la même chose – que la littérature est le parent pauvre du CALQ. J'aimerais savoir pourquoi, dans un premier temps. Puis, la deuxième question, on parle beaucoup, ces temps-ci, de l'exception culturelle. Or, on sait que les États-Unis cherchent à rouvrir les ententes qui ont été conclues dans le domaine du libre-échange en matière de vente de livres, de magazines, de journaux, etc. Quand on sait qu'aux États-Unis il y a à peu près 7 %, ce qui représente un marché potentiel de... Il y a à peu près 7 % de personnes qu'on dit sensibles, parlant ou intéressées au français. Ça représente quand même un marché d'environ 25 000 000 pour l'édition québécoise francophone. Est-ce que, dans un contexte comme celui-là, pour l'édition québécoise francophone, l'exception culturelle, dans ce secteur particulier, représente un inconvénient ou pourrait au contraire représenter une opportunité d'expansion de vente aux États-Unis?

Le Président (M. Rioux): M. Lévesque.

M. Lévesque (Gaëtan): Écoutez, le marché étasunien... Vous dites qu'il y a 25 000 000 qui parlent français, vous pouvez réduire à 4 000 000, 5 000 000 qui lisent le français, en réalité. De ce 4 000 000, 5 000 000 là, vous allez chercher ceux qui s'intéressent à la culture. Dans une société, vous avez des gens qui s'intéressent aux sports, vous avez des gens qui s'intéressent à 56 affaires et vous en avez x % qui s'intéressent à la culture. Mettons que vous en avez 10 % qui s'intéressent à la culture. La culture, c'est vaste: cinéma, théâtre, littérature. Donc, vous réduisez votre entonnoir.

Il existe à l'heure actuelle aux États-Unis 300 centres d'études canadiennes. On les harcèle à chaque fois qu'un livre paraît. Ils sont harcelés aussi par toute la francophonie, parce qu'on sait que les États-Unis ont beaucoup d'argent. Donc, quand, nous, on arrive avec notre 6 000 000 d'habitants, dans la francophonie, ce n'est pas pesant. Mais on tente quand même d'aller percer ce marché-là. Est-ce que ça répond à votre...

M. Beaulne: Non, pas tout à fait. Moi, je voulais savoir si vous étiez en faveur de maintenir l'exception culturelle en matière des traités de libre-échange concernant votre secteur d'activité ou si, au contraire, si on faisait sauter l'exception culturelle pour ce secteur-là, est-ce que ça vous avantagerait comme producteurs de littérature française mais nord-américaine.

M. Lévesque (Gaëtan): Non. Ce qui nous distingue, je crois, c'est qu'on est Québécois et qu'on a une littérature québécoise. Sinon, on va devenir Étasuniens. Je pense que la diversité culturelle doit être là, elle doit rester. C'est ce qui différencie les nordiques, les Européens, les Américains, Amérique du Nord, Amérique du Sud. C'est un atout pour nous, parce qu'on a des bons écrivains. Donc, ils sont capables de se démarquer sur la scène internationale. Il ne faut pas se confondre avec les Étasuniens. Je ne veux pas devenir Étasunien, moi.

M. Beaulne: Non, mais là je vous parle strictement en matière commerciale. Vous tournez encore autour du pot. Ce que je vous demande, c'est: Est-ce que, dans les négociations sur l'exception culturelle, si on fait sauter l'exception culturelle pour le secteur du livre, vous, comme éditeur québécois de langue française, ça vous désavantagerait ou ça vous ouvrirait un marché potentiel additionnel?

M. Lévesque (Gaëtan): Ça nous ouvrirait peut-être un marché additionnel. Dans ce sens-là, oui.

Le Président (M. Rioux): M. le député d'Iberville.

M. Bergeron: Écoutez, en page 13 de votre mémoire, vous parlez des profondes transformations qu'il y a dans le milieu, notamment au niveau de la production et de la diffusion. À la ligne suivante, vous dites: «Étant donné l'absence d'informations fiables sur notre industrie...» J'aimerais vous entendre parler de ça. On a parlé tantôt d'une étroitesse de marché, donc d'un petit marché d'un potentiel maximum de 6 000 000 de lecteurs au Québec, comment se fait-il que vous manquiez d'informations, que les informations que vous avez colligées ne sont pas fiables?

M. Lévesque (Gaëtan): Ce n'est pas notre rôle de colliger de l'information. Nous, notre rôle, c'est... Moi, en tant qu'éditeur, c'est de faire des livres. Je pense que ça revient à un bureau de statistique. Un observatoire sur le livre pourrait, en collaboration avec Statistique Québec, travailler dans ce sens-là. Mais ce n'est pas aux gens du milieu, ce n'est pas aux écrivains, aux éditeurs, aux libraires, à colliger de l'information. C'est pour ça qu'on demande un observatoire du livre. Parce qu'on n'a pas de statistiques fiables sur notre propre marché. La présence du livre québécois en librairie par rapport au livre étranger, c'est à peu près 30 %, 35 %. C'est peut-être 25 %, c'est peut-être 20 %. On ne le sait pas. C'est ça qu'on aimerait savoir.

M. Bergeron: Et ma dernière question, ça serait concernant l'observatoire. Vous dites: «La création d'un observatoire du livre est attendue avec impatience.» Est-ce que, dans votre tête, un observatoire, c'est seulement pour des statistiques, ou bien vous voyez... J'aimerais vous entendre sur quelle sorte d'observatoire vous aimeriez avoir.

M. Lévesque (Gaëtan): Récemment, il y a eu, en 1997 et en 1998, le Sommet de la lecture et du livre, et on a demandé un observatoire sur le livre justement parce que le milieu est comme divisé, et on voudrait le rapprocher. On voudrait être amenés à travailler ensemble et être réunis autour d'un observatoire, c'est-à-dire que cet observatoire-là nous donnerait des indications sur notre propre marché.

Le Président (M. Rioux): M. Lévesque, si vous aviez à choisir, est-ce que vous aimeriez mieux que le gouvernement du Québec vous consente un crédit d'impôt à l'édition, comme on le fait dans le domaine du cinéma et de l'audiovisuel, ou si on doublait... par exemple, si on mettait 10 000 000 $ dans l'Aide à l'édition et à la promotion du livre, si vous aviez un choix à faire, vous feriez quoi? Ça serait quoi, votre choix?

M. Lévesque (Gaëtan): Ha, ha, ha! Vous êtes dur, M. Rioux.

Le Président (M. Rioux): Mais je m'adresse à un homme d'affaires.

M. Lévesque (Gaëtan): Ha, ha, ha! Un crédit d'impôt remboursable va rapporter au milieu de l'édition à peu près 8 000 000 $, ce qui a été évalué. Si vous m'en offrez 10 000 000 $...

Le Président (M. Rioux): Vous allez prendre 10 000 000 $.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): Vous avez un réflexe quand même assez sain.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Moi, je vais vous dire que vous feriez un bon ministre de la Culture, M. le Président. Je vais céder la... Ou à moins que vous me laissiez aller. O.K., je vais juste poser tout de suite ma question.

J'essaie de prendre vraiment beaucoup de recul. Je vous mentionnais que, tantôt, dans votre mémoire, vous nous relatiez beaucoup de choses qui ne se passent pas depuis un an: l'observatoire du livre, le bureau du livre à Paris, le crédit d'impôt pour les éditeurs. Je mentionnais le comité Larose sur le livre et sur les pratiques commerciales dont on n'entend pas beaucoup parler. J'essaie, moi, de bien comprendre, parce qu'on est là pour ça, là; pas pour examiner votre industrie, comment elle marche, mais bien pour plus voir quel est le rôle, l'intervention de la SODEC là-dedans.

Je me posais la question... Dans votre mémoire, en page 3, vous nous dites à un moment donné que, en diminuant les subventions, en acceptant de plus en plus d'éditeurs, en faisant rentrer de nouveaux éditeurs dans la chaîne de subventions, on dilue, on fractionne les subventions et on est en train de pénaliser des éditeurs que vous qualifiez, je pense, de plus chevronnés. Et vous dites carrément: «...la SODEC va complètement à l'encontre d'une véritable politique de développement de l'industrie» du livre. Je me dis: Une phrase comme ça, pour moi, c'est assez frappant quand on est ici pour étudier ce que fait la SODEC.

Pourtant, je sais que, dans d'autres industries, prenons le disque, prenons même les librairies en tant que telles, tiens, plus proches de votre secteur, la SODEC a jugé important d'intervenir et de prendre même du capital-actions dans les librairies de grande surface, entre autres le consortium autour de Renaud-Bray, en se disant: C'est important d'avoir des joueurs forts – c'est son argument – vraiment forts qui vont être des joueurs importants dans l'industrie. Les Québécois et les Québécoises sont devenus propriétaires de librairies de grande surface.

Là, vous me dites: La SODEC, dans le milieu des éditeurs, elle ne fait pas la même chose. Plutôt que construire des joueurs forts, elle fractionne le milieu en aidant le plus possible un ensemble d'éditeurs, dont des très petits. Avez-vous, vous, l'impression que la SODEC est en train de vous amener, peut-être lentement mais sûrement, plutôt vers son fonds de capital de risque, qu'on appelle la FIDEC, où, là, la SODEC, elle devient... nous, comme société, on devient un peu partenaire financier, on prend même du capital sur des projets, on devient propriétaire en quelque sorte de projets, par exemple de maisons d'édition? Avez-vous l'impression qu'il y a un transfert puis que, dans le fin fond, on vous amène de plus en plus, comme plus gros éditeurs, à vous en aller vers la FIDEC et peut-être, vous, à diviser votre actionnariat dans vos boîtes? Avez-vous cette impression-là?

Le Président (M. Rioux): M. Lévesque.

M. Lévesque (Gaëtan): Non, et la SODEC n'a pas intérêt à faire ça, je crois, si elle veut continuer de travailler en harmonie avec le milieu de l'édition. Quand on dit que...

Mme Beauchamp: Quand vous me dites que la SODEC va complètement à l'encontre d'une véritable politique de développement de votre industrie...

M. Lévesque (Gaëtan): C'est parce que le gouvernement...

Mme Beauchamp: ...qu'est-ce que vous me dites?

(10 h 30)

M. Lévesque (Gaëtan): ...le ministère de la Culture ne lui donne pas les moyens de le faire. Vous savez, depuis 1963, depuis que le ministère de la Culture existe... Vous savez qu'il a mal démarré, ce ministère-là. Le ministre a démissionné pas longtemps après, faute de budget, et, depuis ce temps-là, on a toujours l'impression qu'il n'y a pas d'argent pour cet enfant pauvre là. Pourtant, on en injecte ailleurs, un peu partout. L'industrie de la culture est quand même la sixième en importance au Canada. C'est une industrie qui marche bien, mais qui manque de fonds, qui pourrait être plus forte encore si on lui donnait les moyens de. C'est dans ce sens-là qu'on dit que la SODEC ne remplit pas son rôle, parce qu'on ne lui donne pas les moyens de le faire.

Le Président (M. Rioux): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Oui, merci, M. le Président. Bonjour, M. Lévesque.

M. Lévesque (Gaëtan): Bonjour.

M. Gobé: À la page 3 de votre mémoire, vous mentionnez: «D'autre part, la SODEC administre différents programmes de subventions destinés aux éditeurs, dont les deux principaux sont le volet Aide à l'édition, qui permet de soutenir principalement les oeuvres à fort contenu culturel, et le volet Aide à la promotion – je vais vous parler de celui-là – qui soutient la commercialisation de ces ouvrages sur la scène nationale. Ces programmes, bien conçus et bien administrés par la SODEC, ne répondent malheureusement plus aux besoins des éditeurs, faute de budgets suffisants.» C'est un constat que vous faites, qui correspond à la réalité, je présume, personne ne peut le mettre en doute, ce qui m'amène à vous poser la question suivante.

Vous savez comme moi que la diffusion des ouvrages, la diffusion de la culture, des livres, a évolué d'une manière très rapide ces dernières années avec l'apparition d'Internet. Il suffit de surfer un peu – si je peux employer ce mot, cet anglicisme-là – sur le Web pour se rendre compte qu'un grand nombre de pays, ou de maisons d'édition, ou d'organismes font la vente de livres, la promotion d'ouvrages, la promotion de leur culture. Dans votre mémoire, nulle part je n'ai pu relever aucune allusion à cette nouvelle forme de diffusion. La seule allusion que je trouve, c'est: les programmes de diffusion sont insuffisants et ne correspondent plus à la réalité. Est-ce que c'est volontairement que vous avez fait cela, ou ce n'est pas nécessaire, selon vous, d'aller dans cette direction-là?

Le Président (M. Rioux): M. Lévesque.

M. Lévesque (Gaëtan): On n'a pas abordé la question, effectivement, parce que Internet, c'est vaste. Mais on se pose la question, on travaille ce dossier-là et on va sûrement vous revenir dans quelques années avec du concret par rapport à ce marché-là.

M. Gobé: M. Lévesque, vous comprendrez que quelques années, à l'ère de l'Internet, c'est un siècle ou c'est l'éternité. Est-ce que vous n'êtes pas conscient que, en ne vous penchant pas sur cela et ne faisant pas de recommandations à la SODEC ni à personne là-dessus, vous êtes en train, peut-être, de vous exposer à vous retrouver quelques années-lumière en arrière?

Et vous mentionnez encore dans votre mémoire, à deux endroits au moins, mais particulièrement à la page 7: «En somme, l'étroitesse du marché national, combinée à la vive concurrence étrangère, affecte directement la rentabilité de l'industrie. L'édition québécoise, pour connaître son plein développement, doit absolument pouvoir compter sur l'appui des pouvoirs publics.» O.K. À ce moment-là, est-ce que vous ne croyez pas qu'il devrait y avoir, dans votre mémoire ou venant de votre part, des demandes formelles et pointues vis-à-vis la SODEC et le gouvernement afin de faire en sorte que l'industrie de l'édition québécoise ait une place importante dans ce nouveau véhicule ou ce nouveau système, cette nouvelle façon de faire qui est née par Internet? Et là on n'y voit rien. Moi, je me serais attendu à ce que vous disiez: Les programmes ne correspondent plus à la réalité, on a besoin de tant pour compétitionner les autres, en particulier les Français, les Belges et les Américains, bien sûr.

Le Président (M. Rioux): M. Vézina.

M. Vézina (Raymond): Bien, je pense que là-dessus vous avez raison. C'est un point qu'on aurait peut-être dû étoffer davantage. On a parlé des bouleversements, de transformation de l'industrie du livre, et le domaine de la numérisation, le phénomène de la numérisation est extrêmement important. On a soulevé la question d'ailleurs lors de notre rencontre avec M. Lafleur, la première rencontre qu'on a eue avec lui, où est-ce que ça en était. Maintenant, apparemment, ça ne relève plus de la SODEC, la question de l'autoroute de l'information, le développement des nouvelles technologies. Par contre, la ministre nous a avoué, au cours d'une autre rencontre, que c'était une de ses réflexions profondes et qu'elle rêvait même que le Québec devienne à la fine pointe de ce côté-là. Alors, c'est évident que les instruments qu'on propose dans le mémoire, qui touchent la promotion, l'aide à l'édition, ça incluait – peut-être que, dans notre esprit, c'était trop évident puis qu'on ne l'a pas explicité davantage – le développement électronique. Quand on sait les coûts, les investissements que ça prend pour investir dans un outil multimédia, que ce soit un cédérom ou encore un site Internet, et la quantité d'expertise que ça prend, que ça demande, c'est évident qu'un crédit d'impôt, par exemple, pourrait avoir un effet structurant parce que ces investissements-là seraient couverts par le crédit d'impôt.

Deuxièmement, l'aide à l'édition et à la promotion, dans notre esprit, ça couvrait également l'édition électronique. Les éditeurs sont déjà conscients de ça. On a des demandes d'ailleurs de la part des universités et des collèges qui veulent utiliser les réseaux Intranet. Le gouvernement même veut avoir ça. Donc, c'est un problème auquel on est confronté présentement. Mais on n'est pas plus avancé que les autres pays du monde. On peut dire que la France a quelques instruments qui sont peut-être un peu plus efficaces. On participe à des symposiums internationaux, par exemple, sur la gestion des droits de reproduction, et les questions se posent dans tous les pays. La question des droits, par exemple, du respect de la propriété intellectuelle sur tous ces réseaux numérisés est une question importante et qui est préalable à tout le reste. C'est un point aussi où on aurait besoin d'avoir des éclaircissements, de l'information.

Maintenant, les investissements qui vont être requis des éditeurs de ce côté-là sont prêts. Du côté de l'ANEL, on n'a peut-être pas fait la réflexion approfondie de ce côté-là. Par contre, du côté de Copibec, on a passé une journée complète la semaine dernière, à la fin de janvier, à réfléchir sur ces avenues-là. Puis Copibec, c'est aussi l'ANEL pour presque la moitié parce que...

Le Président (M. Rioux): M. Vézina, je vous demanderais d'être attentif à ce que vient de dire le député de LaFontaine, parce qu'il y a de vos propres éditeurs qui sont déjà rendus là, qui ont fait le virage multimédia...

M. Vézina (Raymond): Oui, oui, oui.

Le Président (M. Rioux): ...qui ont fait le virage technologique. Vous allez être obligé de les suivre, alors que votre rôle, c'est de les précéder.

M. Vézina (Raymond): C'est ce que je disais. C'est que ça s'intègre dans le développement normal d'une maison d'édition, aujourd'hui, d'entrer dans le courant de l'édition électronique. Et ces gens-là, on n'est pas contre, au contraire, on les a toujours soutenus. Maintenant, les programmes qui sont là sont un peu diffusés. L'autoroute de l'information est rendue apparemment en relève du Conseil du trésor et, bon... Quel est l'interlocuteur – c'est la question qu'on a posée – pour l'avenir qu'on veut avoir dans ce domaine-là? Et, s'il n'est pas président lui-même de la SODEC, c'est peut-être pour cette raison-là qu'on n'a pas pensé que la SODEC et le Conseil des arts étaient préoccupés principalement par cette question-là. Mais, nous, on en est préoccupés.

Le Président (M. Rioux): Alors, je voudrais remercier monsieur...

M. Gobé: M. le Président...

Le Président (M. Rioux): C'est terminé.

M. Gobé: ...peut-être un petit mot. M. Vézina, je vous ferai remarquer quand même que, depuis 1994, à l'époque, il avait été voté 54 000 000 $ pour le Fonds de l'autoroute de l'information, et j'étais à l'époque adjoint parlementaire à la ministre de la Culture. Il avait été mentionné, on avait été sensibilisé à l'importance que nos éditeurs, que notre édition, que nos écrivains soient sur Internet. On voit qu'il y a des succès phénoménaux dans ce domaine-là ailleurs, et vous me voyez un peu inquiet de voir qu'après tout ce temps-là... Encore, vous me dites: La ministre m'a dit qu'elle y penserait; on ne sait pas qui est l'interlocuteur; on ne sait pas qu'est-ce qui se passe vraiment. Premièrement, ça, ça m'inquiète beaucoup. Deuxièmement, ce qui m'inquiète, c'est de voir que, vous aussi, dans un mémoire, dans une commission parlementaire, alors que c'est l'endroit pour faire valoir ses orientations ou ce qu'on aimerait faire puis ce qui ne se fait pas, bien que ça ne soit pas dedans.

(10 h 40)

Le Président (M. Rioux): En somme, le député de LaFontaine trouve que vous avez peut-être été un peu conservateurs dans vos propos. On vous pensait plus futuristes. Et c'est l'endroit, c'est le forum idéal pour s'exprimer et le dire.

Alors, je voudrais vous remercier, M. Prieur, Mme Oligny, M. Vézina et M. Lévesque. On pourrait passer encore un bon moment ensemble parce que le domaine de l'édition est un domaine passionnant. On vous remercie de votre prestation.

Alors, nous allons maintenant demander à l'Union des écrivains et des écrivaines du Québec de prendre place.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Rioux): L'Union des écrivaines et écrivains est bien en place. Alors, Mme Boucher, vous allez nous présenter vos collègues qui vous accompagnent aujourd'hui.


Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ)

Mme Boucher (Denise): Bonjour. Voici le directeur et la directrice de l'Union des écrivaines et écrivains du Québec, M. Pierre Lavoie, et Mme Ginette Major.

Le Président (M. Rioux): Très bien. Alors, Mme Boucher.

M. Lavoie (Pierre): Avant de procéder à l'appel, à la lecture du texte comme tel, nous allons d'abord très brièvement présenter l'Union des écrivaines et écrivains québécois.

Mme Major (Ginette): Alors, l'Union des écrivaines et écrivains québécois est un syndicat professionnel, fondé le 21 mars 1977 par une cinquantaine d'écrivains réunis autour de Jacques Godbout. L'UNEQ regroupe près de 1 000 écrivains: des poètes, des romanciers, des auteurs dramatiques, des essayistes, des auteurs d'ouvrages scientifiques et pratiques. L'UNEQ travaille à la promotion et à la diffusion de la littérature québécoise, au Québec, au Canada et à l'étranger, de même qu'à la défense des droits socioéconomiques des écrivains.

À titre de réalisations pour la promotion de la littérature et des écrivains, elle en est à la sixième édition d'un festival de la littérature mondiale cette année. Elle a préparé des tournées d'écrivains aux États-Unis et en France, présenté... Elle est actuellement en train de préparer, mon Dieu!... Bien, elle a aussi des programmes de parrainage qu'elle administre, donc accompagnement de jeunes écrivains par des écrivains professionnels. Elle organise des tournées d'écrivains dans les écoles. Elle a aussi de nombreux programmes de promotion des écrivains et de la littérature, à Montréal: les mardis Fugère, Des mots et des sons, plusieurs exemples.

M. Lavoie (Pierre): L'UNEQ a été reconnue, en 1990, comme l'association la plus représentative des artistes du domaine de la littérature en vertu de la Loi sur le statut professionnel des artistes en arts visuels, des métiers d'art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs. De plus, l'UNEQ a été accréditée, en 1996, par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs pour négocier de façon exclusive avec les producteurs relevant de la compétence fédérale afin de conclure des accords-cadres qui définissent les conditions d'embauche des travailleurs professionnels autonomes du secteur littéraire.

À titre d'exemples de réalisations pour la défense des droits socioéconomiques des écrivains, l'UNEQ a proposé, depuis sa création, deux contrats types, contrats minimums, si on peut dire, pour l'ensemble de ses membres, contrats pour lesquels nous essayons d'avoir des ententes avec particulièrement les éditeurs et l'Association nationale.

Le Président (M. Rioux): Un syndicat professionnel, au fond.

M. Lavoie (Pierre): Bien, on est un syndicat professionnel.

Le Président (M. Rioux): Oui, mais...

M. Lavoie (Pierre): Dans ce secteur-là, oui, effectivement.

Le Président (M. Rioux): Et essayer d'en arriver à signer des ententes collectives.

M. Lavoie (Pierre): Oui.

Le Président (M. Rioux): Je comprends. Je comprends très bien. Alors, Mme Boucher... Avez-vous terminé, monsieur?

M. Lavoie (Pierre): Oui.

Le Président (M. Rioux): Très bien.

M. Lavoie (Pierre): J'allais d'ailleurs présenter Mme Boucher qui est également présidente de Copibec, de la société de gestion collective des droits de reprographie.

Le Président (M. Rioux): Très bien. Alors, Mme la présidente, on vous écoute.

Mme Boucher (Denise): Mesdames et messieurs de la commission, nous avons écrit cette intervention de manière à pouvoir vous toucher. Nous avons choisi nos mots, notre style et notre contenu de façon succincte afin de vous transmettre un message clair.

Nous savons que nous vivons un temps, un moment, une époque qui jouent avec la vitesse et l'espace. Nous sommes aux aguets. Fascinés. Séduits. Inquiets. Nous nous demandons ce qui, de notre réalité, va se mettre à tomber en confettis. Nos livres? Nos bibliothèques? Nos librairies? Nos droits d'auteur?

Bill Gates a-t-il déjà tout acheté de nos bibliothèques publiques, de nos éditeurs privés? Qui l'en empêche?

Qui protégera nos biens culturels particuliers, notre littérature québécoise? Comment faire confiance à un gouvernement qui n'est pas à la hauteur de ses engagements et qui gèle le budget du Conseil des arts et des lettres du Québec depuis 1994?

En même temps, comment questionner cet organisme qui, dans la répartition de ses subventions, fait de l'écrivain son parent pauvre? La littérature y est en bas de page, avec une misérable attribution de 4,4 % du budget, d'un budget de 42 000 000 $ alloué au secteur des arts et des lettres. En est-on encore à croire en hauts lieux décisionnels au pitoyable mythe du pauvre écrivain maudit qui n'a pas à payer de compte d'électricité?

Quelle instance obligera la Société de développement des entreprises culturelles, la SODEC, à adopter un critère incontournable de respect total et intégral des écrivains en matière de droits d'auteur dans son soutien aux industries culturelles? Qui modérera les appétits féroces de nos éditeurs subventionnés qui nous préparent des contrats pis que ceux de Séraphin Poudrier? Qui incitera les libraires à respecter la loi 51, à ne pas vendre les vitrines de leurs librairies qu'aux diffuseurs étrangers et à accorder une visibilité substantielle, consistante et féconde à la production littéraire québécoise?

Les différents ministères qui donnent des fonds publics pour permettre l'établissement de nouvelles industries du multimédia s'inquiètent-ils du pillage des oeuvres des créateurs qu'on y pratique? Savent-ils qu'ils financent des pillards professionnels?

Savez-vous, mesdames et messieurs, que, dans un pays comme l'Irlande entre autres, les écrivains sont exemptés d'impôts pour la simple et bonne raison que leurs oeuvres deviennent biens publics 50 ans après leur mort?

Savez-vous que, dans un pays comme la Suède, on verse un salaire annuel décent aux écrivains afin de pouvoir soutenir une littérature nationale?

Voilà des questions auxquelles nous voudrions des réponses qui nous soient données par des êtres lucides et de bonne foi.

Malgré nos expériences passées et le fait que nous ayons le doute facile, par déformation professionnelle, nous voulons trouver, avec les instances décisionnelles et nos pairs, des solutions adéquates à nos éternels problèmes de fiscalité, de juste répartition des budgets et de la protection de nos droits d'auteur.

En attendant des jours meilleurs et dans la volonté bien arrêtée de ne sacrifier aucune génération d'écrivains dans la présente révolution du numérique, nous réclamons le droit d'être présents dans tous les lieux, dans toutes les discussions et dans toutes les négociations où la littérature et nos droits d'auteur sont en jeu. Chaque fois que l'occasion se présentera, nous vous en ferons l'exigence.

Il en va de notre liberté de création.

(10 h 50)

Merci de m'avoir écoutée et double merci à ceux et à celles qui auront entendu.

Le Président (M. Rioux): Merci, Mme Boucher. Je pense que votre plaidoyer est clair. C'est limpide. C'est sans détour. Soyez assurée d'une chose au départ: il y a ici des oreilles attentives à ce que vous venez de dire, et, n'ayez crainte, ça va susciter aussi de nombreuses questions.

Je cède la parole au député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Merci. D'abord, Mme Boucher, il me fait plaisir de vous accueillir à l'Assemblée nationale au nom de notre formation. On reconnaît bien, dans votre présentation, la verve et le style direct de celle qui avait écrit jadis Les fées ont soif , qui avait...

Mme Boucher (Denise): Et j'ai continué d'écrire beaucoup d'autres choses.

M. Beaulne: Exactement, et qui avait brassé pas mal de tabous à l'époque. Je pense que vous avez soulevé des points importants. Je pense qu'il serait pertinent de peut-être placer nos échanges dans le contexte où nous avons initié ce mandat de surveillance du CALQ et de la SODEC.

Plusieurs intervenants sont venus nous dire, comme premier point d'intervention, qu'il fallait augmenter les budgets du CALQ et de la SODEC, tout en déplorant, ce que vous avez fait tout à l'heure, c'est-à-dire le gel des niveaux d'investissement. Un de nos objectifs, ici, à la commission, et de manière non partisane, c'est d'examiner de quelle manière, si l'on doit injecter des fonds additionnels, on veut bien qu'ils le soient dans un contexte où on ne répétera pas les erreurs, où on n'accentuera pas les lacunes que plusieurs groupes et dont vous-même venez nous exposer.

Tout à l'heure, j'ai posé la question à M. Lévesque. Malheureusement, nous n'avons pas eu le temps de poursuivre nos échanges: Qu'est-ce qui explique, d'après vous, le budget ou la portion de budget si réduite qui est consacrée à la promotion des oeuvres littéraires, au soutien des écrivains? Parce que aussi bien vous que l'Association des éditeurs tout à l'heure nous ont mentionné que ça tourne autour de 3,5 %, 4 % du budget du CALQ. Alors, moi, je me pose la question bien spontanément: Qu'est-ce qui amène cette situation?

Le Président (M. Rioux): Mme Boucher.

Mme Boucher (Denise): Pour répondre, il faudrait que je vous donne une idée générale de la situation des écrivains et des artistes en général dans le monde. C'est parce qu'on vit dans une société totalement irresponsable et infantile, société qui, à tous les niveaux, parasite les créateurs. Parce qu'ils nous aiment, ils nous photocopient, sans nous payer jamais de droits. Parce qu'ils nous aiment, ils espèrent qu'on ne travaille pas trop fort. Donc, ils n'ont pas à nous payer.

Tout vient de ce fait où on pense que les créateurs, les écrivains, ce sont des gens inspirés. Ils croient qu'on est inspirés comme ils croient qu'un écrivain, un artiste, un créateur s'assoit à une table, qu'un esprit arrive probablement du ciel, entre dans le cerveau de la personne, glisse dans les veines, dans les muscles, guide une main, trace des mots. Ce fait qu'on croit que les artistes soient des gens inspirés et non pas des travailleurs fait que, au bout de nos travaux, on ne retrouve jamais les sommes d'argent qui seraient dues à n'importe quel travailleur.

On a pensé à un salaire minimum pour tout le monde dans cette société. Nous, nous sommes continuellement parasités par le ministère de l'Éducation, par... Tout le monde trouve normal, à l'université ou dans un cégep, de nous photocopier, sans rémunération ou à peine. Sachez, par exemple, que, si le ministère de l'Éducation verse 4 $ par élève pour la photocopie, dans des pays civilisés on en verse 50 $, ce qui fait qu'on est toujours dans une situation fausse, en train d'avoir l'air... Je voyais des mots de la ministre la semaine dernière dans le journal, où on disait: Pour que nos artistes ne soient plus des quêteurs professionnels ou des quêteux. Bien, on n'a qu'à nous payer nos dûs. Nous réclamons le droit d'être traités comme des travailleurs et des travailleuses et que, à chaque niveau dans cette société, chacun quitte son infantilisme et devienne responsable de l'amour qu'il nous porte.

M. Beaulne: Oui, mais qu'est-ce qui fait que la situation qui existe à l'heure actuelle au CALQ fait qu'à peine une somme très modeste, un pourcentage modeste...

Mme Boucher (Denise): C'est ça.

M. Beaulne: ...est attribué aux écrivains par rapport aux autres disciplines artistiques?

Mme Boucher (Denise): Parce qu'on les croit inspirés, parce qu'on n'assume jamais la somme de travail. Et il faudrait peut-être aussi ne pas accuser... Je sais que vous êtes une commission chargée d'enquêter sur le CALQ et la SODEC, mais il faudrait peut-être élargir notre vision et imaginer que, si le ministère du Revenu s'intéressait à nous, comme l'Irlande l'a fait pour ses propres artistes, créateurs et pour ses écrivains, comme la Suède l'a fait... les différents ministères: si le ministère de l'Éducation se sentait responsable de l'achat des livres, de la photocopie, si tout ce monde-là se mettait à payer son dû, et même le... on poserait les questions autrement. Par exemple, savez-vous que, si un écrivain...

Tous les chiffres que je vois dans les statistiques et ce qui se promène dans les mémoires, vous avez remarqué qu'on n'en a pas mis, nous, parce qu'on trouve que ce sont des fictions. Je vois parfois que, selon certaines statistiques, les écrivains gagneraient en moyenne 38 000 $ par année. Si je disais ça dans une assemblée générale, tout le monde rirait. C'est beaucoup plus en bas de 4 000 $, voyez-vous. Et, à cause de cette situation économique dans laquelle nous sommes maintenus parce que les gens ne paient pas leur dû, on devrait avoir accès à certains programmes de différents gouvernements. Par exemple, le logement à coût modique, on ne peut pas y avoir accès; on n'est pas interdit de séjour dans ces lieux, mais on ne peut pas y aller, parce qu'on ne nous y aménage pas, par exemple, une pièce de travail, on ne reconnaît pas les travailleurs autonomes. Il y aurait, dans différentes strates de ce gouvernement, beaucoup de vision à agrandir pour trouver des ressources et des moyens pour rendre la vie presque agréable.

M. Beaulne: Bon nombre d'intervenants qui se sont présentés devant nous la semaine dernière ont eu des réserves sur le mode d'attribution des bourses par les jurys, des pairs, sur la sélection et la formation des jurys. Vous, dans votre domaine strictement littéraire, lorsque vous faites appel au Conseil des arts et des lettres pour des subventions, partagez-vous les mêmes réticences qui ont été formulées par d'autres intervenants, à savoir que les jurys ne sont pas composés de la manière la plus adéquate pour pouvoir évaluer une oeuvre, qu'il y a parfois des passe-droits ou des conflits d'intérêts? Vous, dans votre domaine strictement littéraire, êtes-vous satisfaits de la relation que vous avez avec le Conseil des arts et des lettres?

Mme Boucher (Denise): Oui, assez bien, parce que nous sommes jugés par nos pairs, ils ont nos qualités et nos défauts. Ils ne sont pas parfaits, mais, en général, ça se fait de façon assez professionnelle. Pour un accident de parcours, je ne remettrais jamais en cause cette forme d'évaluation.

M. Beaulne: Merci.

Le Président (M. Rioux): M. le député d'Iberville.

M. Bergeron: Alors, Mme Boucher, vous avez un langage, comment dire, qui porte. Il me semble qu'il y a quelques années vous avez dit qu'au Moyen Âge on brûlait les sorcières. Vous n'avez pas peur de vous faire brûler sur la place publique...

Mme Boucher (Denise): Non. Ha, ha, ha!

M. Bergeron: ...pas du tout.

Mme Boucher (Denise): Par vous? Ha, ha, ha!

(11 heures)

M. Bergeron: Ha, ha, ha! Vous avez parlé d'infantilisme et de parasitisme et vous avez dit: Bien, qu'on paie notre dû. Vous ne trouvez pas, dans un premier temps, que ça doit être difficile d'établir c'est quoi, votre dû? C'est quoi, le dû d'un écrivain?

Mme Boucher (Denise): Ah! bien, il n'y a aucune société qui a le moyen, bien sûr, de s'offrir des écrivains, ça coûte trop cher. Mais on pourrait trouver un modus vivendi, on pourrait jouer avec les chiffres et trouver des sommes raisonnables. Par exemple, je pense à la SODEC; vous vous intéressez à la SODEC et à notre point de vue sur la SODEC. Par exemple, à la SODEC, on n'est pas présent au conseil d'administration. Il y a pourtant, à ce conseil d'administration, une traductrice, une personne des métiers d'art. Il n'y a pas d'écrivain. Or, ça nous intéresse beaucoup, la SODEC, et l'administration de cette Société. On aimerait ça, par exemple, puisque nos producteurs directs que sont les éditeurs sont des gens subventionnés par la SODEC, on aimerait ça que la SODEC exige d'eux qu'ils signent avec nous un contrat type, ce qui s'appelle, dans les pays civilisés, en Suède, en Norvège ou au Danemark, un «contrat minimum». Ils refusent de signer. On voudrait que, avant de leur donner des subventions, ils fassent la preuve qu'ils ont payé les droits aux auteurs.

Le Président (M. Rioux): Ça veut dire que les éditeurs ne vous reconnaissent pas comme travailleurs intellectuels.

Mme Boucher (Denise): On dirait. On voudrait qu'ils soient obligés de dépenser des sous dans la publicité, qu'ils aient l'obligation de garder les livres qu'ils publient quelque temps. On a eu un téléphone, vendredi dernier, d'un écrivain qui a un livre publié à une maison d'édition qui s'appelle Les Intouchables. On regarde ici, on voit que cette maison est financée par la SODEC. La maison Les Intouchables a publié un livre il y a neuf mois, n'a fait aucune publicité et était prête, vendredi dernier, à pilonner le livre. Alors, vous avez des éditeurs subventionnés qui publient, qui publient, qui publient des livres – en publient-ils trop? – et, quand ils n'ont pas vendu les livres dans un très court temps, ils les pilonnent, ils les jettent. Et ça, c'est terrible parce que, quand ils ont eu une subvention pour publier une oeuvre, cette oeuvre, quand elle a été pilonnée, elle ne peut pas être rééditée parce qu'il n'y a pas de subvention pour la réédition. Puis c'est une pratique courante. La semaine dernière...

Le Président (M. Rioux): Donc, il y a une partie importante des sommes de l'État qui s'en vont en pilonnage.

Mme Boucher (Denise): Au pilonnage.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Boucher (Denise): C'est pour ça qu'on voudrait être sur les conseils d'administration. On connaît nos producteurs. On ne voudrait pas qu'il arrive dans le livre ce qu'il est arrivé au cinéma.

M. Lavoie (Pierre): Un autre exemple. Nous avons dû intervenir, faire une demande directement à Mme Maltais, la ministre de la Culture, pour qu'un écrivain fasse partie du comité Larose, parce qu'on avait oublié bien sûr les écrivains qui, pourtant, sont la matière première avec leur oeuvre. Mais, une fois que cette matière brute, si vous voulez, a été donnée, en quelque sorte, à l'éditeur, c'est comme si on se souvenait de l'écrivain seulement pour le lancement ou pour apparaître parfois en promotion. Alors, on voudrait bien, les écrivains, suivre la vie de l'oeuvre, la vie active de l'oeuvre du début à la fin.

M. Bergeron: Donc, quand vous avez parlé de pilonnage, Mme Boucher, vous faisiez allusion qu'il y avait des pays civilisés et il y a des pays moins civilisés.

Je veux revenir, pour une dernière question, à la deuxième page: «Les différents ministères qui donnent des fonds publics pour permettre l'établissement de nouvelles industries du multimédia s'inquiètent-ils du pillage des oeuvres des créateurs qu'on y pratique? Savent-ils qu'ils financent des pillards professionnels?» Tantôt, avec le groupe qui vous a précédés, on a noté un certain conservatisme, et vous, c'est le contraire, vous vous dites pillés par les gens du multimédia, vous êtes spoliés, en fin de compte, vos droits sont bafoués. J'aimerais vous entendre: De quelle façon vous pensez au pillage? De quelle façon vous sentez-vous pillés par les gens des nouvelles technologies?

Le Président (M. Rioux): Mme Boucher, rapidement, s'il vous plaît.

Mme Boucher (Denise): J'ai été invitée dans une maison de production d'un multimédia à aller voir les belles machines. Je n'ai pas regardé les machines, j'ai regardé les gens qui y travaillaient et tout l'environnement. J'ai vu là de grandes bibliothèques, discothèques, et j'ai vu beaucoup de jeunes qui travaillaient aux ordinateurs, qui scannaient des textes dans des livres. C'est-à-dire qu'on fait un produit multimédia qui se nourrit à même des créations et pour lesquelles on ne paie pas. Je me demandais si je pourrais demander à M. Landry, par exemple, quand il accorde une subvention à une maison de multimédia qui s'établit ici, quand il donne 450 000 000 $, ou 800 000 000 $, ou 300 000 000 $, est-ce qu'on pourrait réserver 15 % de cet argent pour le mettre en fiducie et le garder pour le distribuer en droits d'auteur, pour le garder, cet argent... Je ne pense pas que M. Landry soit de mauvaise foi et ne nous aime pas, je pense qu'il n'y a pas pensé. Parce qu'on ne pense jamais aux artistes et aux créateurs et à la somme de travail que ça représente.

Le Président (M. Rioux): Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Je pense que c'est important de continuer sur le sujet des droits d'auteur. J'aimerais ça que vous nous expliquiez encore plus la dynamique que vous vivez, mais peut-être sous deux angles.

Vous faites référence ici au fait que la SODEC pourrait avoir des exigences, lorsqu'elle subventionne des éditeurs, pour avoir des garanties du respect des droits d'auteur. Ça, c'est un aspect, c'est vos relations avec les éditeurs, sur cet aspect-là, et comment le gouvernement peut intervenir ou des instances gouvernementales peuvent intervenir en mettant la pression à la bonne place.

Mais j'aimerais aussi vous entendre par rapport à l'attitude du gouvernement lui-même par rapport à vos droits d'auteur. Je fais référence, par exemple, à ce que nous ont raconté les artistes en arts visuels, avec la difficulté qu'ils vivaient justement par rapport à l'attitude des musées québécois qui mettent des oeuvres visuelles sur Internet. Et là il y a une discussion en ce moment. Ça fait des mois qu'on attend que ça se règle. On nous dit... on espère que ça se règle. Mais c'est quand même tout un message envoyé par le gouvernement lui-même qui met des oeuvres visuelles sur Internet et qui dit: C'est de la promotion que je fais, donc je n'ai pas à vous payer des droits d'auteur. C'est tout un message envoyé par la suite au reste de la société, quand le gouvernement lui-même fait ça.

Par rapport aux droits d'auteur dans le domaine littéraire, j'aimerais ça vous entendre sur aussi... Est-ce qu'en ce moment vous jugez que le gouvernement a la bonne attitude par rapport au respect d'auteurs? Est-ce qu'il envoie les bons signaux ou s'il y a aussi des rectificatifs à faire dans ce sens-là dans votre domaine?

Le Président (M. Rioux): Mme Boucher.

Mme Boucher (Denise): Alors, on ne peut pas dire qu'il soit à l'avant-garde. Je me souviens toujours des images; une image, par exemple, de Mitterrand prenant l'avion, ayant avec lui un roman d'un écrivain français, une image d'un président des États-Unis recevant à sa table un écrivain, chaque semaine. Je ne sais pas quel rapport ils ont avec les écrivains vivants et les artistes vivants. On les voit peu, ils nous invitent peu. Peut-être n'ont-ils pas le temps. Mais, quand il y a des missions commerciales, par exemple... Vous savez, avant que les industriels du Québec partent en Chine faire des affaires, nous, on était déjà traduit en chinois, on avait déjà «ambassadé» ce pays, et notre littérature, et notre langue.

Je vais répondre à votre question du droit... Ça, c'est une façon d'amener les gens à reconnaître le droit d'existence des créateurs, des écrivains, et à ensuite leur payer leur dû. Le ministère de l'Éducation... je ne voudrais pas me répéter, votre question m'oblige à le faire, à dire par exemple que, dans des pays où on est devenu responsable devant les dûs aux créateurs, dans les différents ministères de l'Éducation, on verse 50 $ par élève dans un fonds spécial qui sera versé aux écrivains. Ces fonds-là, ces droits d'auteur là sont répartis ainsi: il y en a une partie qui va directement aux écrivains puis il y a une partie qui va à un fonds collectif pour créer un fonds de pension ou pour assurer des revenus annuels garantis aux écrivains qui ont fait leurs preuves.

Mme Beauchamp: Donc, vous êtes en train de me dire... J'ai siégé sur un conseil d'administration d'un cégep, et tout ça, puis je me souviens qu'on signait officiellement des protocoles d'entente par rapport aux droits d'auteur, et tout ça.

Mme Boucher (Denise): Oui.

(11 h 10)

Mme Beauchamp: C'est pour ça que ma question, c'est: Est-ce que vous êtes en train de me dire que vous vivez toujours des problèmes de reconnaissance de vos droits d'auteur?

Mme Boucher (Denise): Oui. D'abord, cette somme est minimale. Cette somme est vraiment minimale.

Mme Beauchamp: O.K. C'est plus dans ce sens-là.

Mme Boucher (Denise): Ici, elle est de 4 $. Alors, si vous pensez à tout ce qu'ils ont comme livres dans les écoles, à tout ce qui est photocopié, à toute cette masse de papier dont on devrait retirer au moins assez d'argent pour payer nos loyers, notre électricité, sans avoir l'air des quêteux, ça serait juste un dû normal.

Mme Beauchamp: Donc, c'est une situation un petit peu différente des arts visuels, dans le sens qu'il y a au moins... il y a comme un minimum que vous touchez. Vous dites juste: C'est insuffisant. Mais, au moins, il y a une reconnaissance du droit d'auteur en ce moment, dans les relations entre les auteurs et le gouvernement directement comme... j'ai envie de dire comme client, là. Je voulais juste vous faire préciser ça. Vous avez peut-être...

Mme Boucher (Denise): Minimal, minimal.

Mme Beauchamp: O.K. Mais je voulais juste...

Mme Boucher (Denise): Je veux dire, c'est dans une situation où... Quand Mme la ministre dit: Il faudrait appeler le privé à se joindre au gouvernement pour aider au financement... Ce qu'il faut, c'est surtout obliger tout le monde à devenir responsable et à respecter, parce que, quand on est dans les arts ou dans la littérature, tout à coup on est dans des pratiques qui ne respectent aucune des lois du marché. Si les artistes étaient reconnus, si leur pratique était reconnue sérieusement et de façon responsable, on n'aurait pas à faire de...

Mme Beauchamp: Mme Boucher, je me pose une question. En 1998, par exemple, il y a eu un sommet sur le livre, la lecture et le livre. Je vous écoute et j'ai l'impression que vous êtes en train de nous dire qu'il y a eu comme un momentum raté, là. Pourtant, j'ai l'impression qu'il y a des gens qui disent: Ce sommet, il y a eu certaines actions pour soutenir le livre, la lecture, et tout ça. Mais je suis obligé de me dire... Vous dites: Dans le fond, on n'a pas réussi du point de vue, par exemple, de la fiscalité, du rôle du ministère du Revenu. Vous avez donné différents exemples au cours de votre intervention de ce qu'on n'a pas réussi à vraiment créer un momentum qui fait qu'on essaie de vraiment reconnaître le métier, la profession, entre autres, d'écrivain. Parce que je me dis: C'est dommage, on est passé à côté de quelque chose.

Mme Boucher (Denise): Non, non. C'est assez intéressant comme image, vous allez bien comprendre si j'utilise une image pour vous dire: Bon, les gouvernements, des fois, augmentent les sommes d'argent qui seront dévolues aux artistes, mais entre ce gouvernement et les créateurs, il y a une rivière qui passe, puis, dans cette rivière, il y a des crocodiles, c'est-à-dire qu'il y a toujours quelqu'un qui vient ramasser cette part que le gouvernement voudrait bien... qui devrait aller aux artistes, mais qui se perd en chemin dans toutes sortes d'arnaques. C'est pour ça qu'on aimerait bien être au conseil d'administration de la SODEC.

Mme Beauchamp: Est-ce que j'ai encore du temps?

Le Président (M. Rioux): Oui.

M. Lavoie (Pierre): Une minute, si vous permettez, je peux peut-être essayer de compléter la réponse de Mme Boucher concernant le sommet du livre et de la lecture. Quand ce sommet a eu lieu, on partait de loin, en ce sens que, bon... Enfin, les statistiques ont révélé, entre autres, qu'il y avait, je crois, près de 47 % de la population québécoise qui lisait très peu ou qui ne lisait pas. Le gouvernement a mis en place des correctifs, principalement pour doter les bibliothèques un peu mieux en livres. Mais, du côté, comme vous le disiez, de toutes les mesures fiscales concernant l'édition ou la survie ou la vie des écrivains, des artistes, il n'y a pas eu du tout de mesures déployées en ce sens-là à l'occasion de ce sommet-là. Il est évident qu'il y a encore un travail important à faire. Bon, vous parliez vous-même des travaux du comité Larose; ça fait quand même deux ans que, de comité en comité, la question des librairies est discutée, et on n'a toujours pas, en effet, trouvé de solution satisfaisante pour, en tout cas, sauver le maximum de petites librairies qui sont en train de disparaître au Québec.

Le Président (M. Rioux): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. Je ne veux pas répéter ce qu'on a dit avant moi, mais je dois admettre que votre plaidoyer, pour bref qu'il était, n'en était pas moins très éloquent. Vous vous êtes rendu compte qu'on avait tous écouté. Est-ce qu'on aura entendu? Bien, c'est vous qui le jugerez. Mais j'avoue que ce n'est pas simple de comprendre la problématique réelle, parce que ça fait peut-être une vingtaine de minutes qu'on parle presque uniquement des droits d'auteur et, pour moi, ce n'est pas clair, le problème, où il est, comment il se présente. Parce que c'est bien sûr que dans les écoles... c'est sûr qu'il y a beaucoup de livres qui circulent là. Nous, on prend pour acquis que chaque fois qu'il y a un livre qui est acheté, d'une façon ou de l'autre, il y a un droit d'auteur qui est versé, on pense. Chaque fois qu'il y a des photocopies qui sont faites, j'imagine qu'il y a des règles qui font qu'une certaine... une mince part va à l'auteur. Et il semblerait que ce n'est pas ça, ou peut-être que c'est ça aussi. Pour moi, ce n'est pas simple. Je ne sais pas si vous pourriez clarifier un peu. Qu'est-ce que c'est qui se passe, au juste?

Le Président (M. Rioux): Mme Boucher.

M. Dion: Qu'est-ce qui fait qu'il ne vous en reste pas?

Le Président (M. Rioux): La question est bonne, hein?

Mme Boucher (Denise): C'est tellement une bonne question.

Le Président (M. Rioux): Elle est claire.

Mme Boucher (Denise): Elle est si vaste. Ce qui ne va pas, c'est qu'on n'a aucun moyen... Par exemple, s'il y a des lois faites pour nous protéger, qui sont faites par des gens de bonne foi, pour protéger le droit d'auteur... L'autre jour, on rencontrait un commissaire au statut de l'artiste qui nous disait... On disait: Votre loi est douteuse. Il disait: Il faudrait qu'un écrivain se sacrifie pour aller devant les tribunaux en vérifier sa force. Puis je me suis dit: J'aimerais bien entendre le commissaire dire: Il faudrait qu'un avocat se sacrifie pour aller vérifier la force de la loi. Ça ne nous ferait rien d'aller nous défendre devant les tribunaux si ça ne coûtait pas si cher, mais comment se payer des avocats quand les argents qui nous sont dus n'arrivent pas? Pourquoi ces sommes n'arrivent pas? Parce que notre société est irresponsable devant ses créateurs, elle ne sent pas qu'elle devrait...

C'est Freud qui avait raison, vous savez, quand un bébé est collé sur sa mère et qu'il boit son lait, il pense qu'il est la mère et qu'il est le lait. Et je pense que, quand les gens nous aiment, ou ils écoutent la musique, ou nous lisent, ils sont devant une même sensation infantile, puis ils ne veulent pas remplir des formulaires après le bien-être pour dire: Nous avons photocopié tel poème tant de fois et nous devons... Il y a des pays qui ont trouvé des moyens pour contrevenir à ces faiblesses humaines...

Le Président (M. Rioux): Les mailles du filet sont trop grandes.

Mme Boucher (Denise): ...la Suède, par exemple, qui donne un salaire annuel garanti à ses écrivains.

Le Président (M. Rioux): M. le député, vous auriez une sous-question rapide?

M. Dion: Oui, mais c'est sur une autre question.

Le Président (M. Rioux): Sur une autre question.

M. Dion: C'est pour ça que je ne veux pas interrompre cette...

Le Président (M. Rioux): M. le député de Vachon.

M. Payne: Oui. C'est une discussion fascinante parce que, lorsqu'on discute les droits d'auteur, les auteurs, on discute également le lecteur. Au moins, nous avons en tête les préoccupations des lecteurs, les préoccupations des parents. Pour l'intérêt des lecteurs, les jeunes lecteurs, imaginons pour un instant que vous êtes ministre des Finances et que vos ressources à allouer sont limitées. Un défi impossible, diriez-vous, comme nous. Mais que pensez-vous d'un projet qui regarde le problème de ressources limitées en octroyant une priorité aux jeunes? Notamment, hier, le gouvernement a instauré l'ancien programme de 500 000 $ pour une dizaine de projets qui émanaient d'un millier, littéralement d'un millier de projets soumis à ce programme-là et, par la suite, choisis pour favoriser l'accès à la lecture. Que ça soit dans les Cantons-de-l'Est, je pense que l'exemple était pour une bibliothèque mobile; dans d'autres endroits, c'était pour favoriser la lecture pour les jeunes. Il y avait plusieurs exemples. Pouvez-vous articuler, à travers un remarquable mémoire que vous avez fait, votre philosophie, je dirais plutôt la politique que vous préconiseriez à l'égard de la promotion de la lecture chez les jeunes en bas de cinq ans, entre cinq et sept ans, disons?

Mme Boucher (Denise): Je trouve que c'est une très, très bonne question, mais qui est en dehors de ce sur quoi je me suis absolument concentrée pour venir vous parler aujourd'hui, et je ne saurais pas y répondre facilement. Mais je pourrais vous écrire demain. J'ai l'esprit de l'escalier et c'est pour ça que... puis je suis écrivain.

M. Payne: Mais, justement, le gestionnaire public, l'élu ministériel doit avoir des réponses au jour le jour à cette question névralgique qui est le partage des ressources entre l'éditeur, l'écrivain, le lecteur, aussi petit qu'il puisse être. Il y a un débat, il y a des décisions et il y a une politique à accoucher et à réaliser.

Mme Boucher (Denise): Moi, je vais vous dire franchement, je n'ai pas tout à fait... La question était si longue que je n'ai pas réussi à comprendre ce que vous vouliez que je vous dise.

(11 h 20)

M. Payne: C'est la perspective d'un ministre qui doit allouer des ressources limitées. Je voudrais vous entendre sur les priorités que vous voudriez accorder aux jeunes de cinq à sept ans avec, en arrière-scène, le lancement qui a été fait hier de 500 000 $ octroyés pour une dizaine de projets à l'intention des jeunes pour favoriser la lecture. Et ce que je dis, c'est que, quand vous dites que vous allez écrire peut-être demain quelque chose là-dessus, je dis que le ministre, n'importe quel ministre de n'importe quel pays...

Mme Boucher (Denise): Il a ses conseillers, le ministre.

M. Payne: ...doit regarder le problème aujourd'hui parce qu'il a des ressources aujourd'hui, avec des problèmes préoccupants, par exemple le décrochage scolaire. Devrait-il davantage mettre...

Mme Boucher (Denise): Là, je pense que vous patinez beaucoup. Vous patinez bien. Alors, vous êtes entre cinq et sept ans, proche... vous avez 500 000 $ à distribuer?

Le Président (M. Rioux): C'est ça.

M. Payne: Je pense que c'était assez clair.

Le Président (M. Rioux): Alors, monsieur...

M. Lavoie (Pierre): Lavoie. Au Sommet de la politique du livre et de la lecture, on avait proposé un projet qui s'appelait, enfin humoristiquement, un projet Coq-poule, qui s'adressait non pas aux cinq à sept ans, mais aux enfants qui naissaient pour justement permettre l'accès du livre dans tous les foyers au moment de la naissance, donc des livres destinés aux bébés en quelque sorte, lorsqu'ils auront un an, deux ans, trois ans, ainsi qu'aux parents, pour que le livre soit présent dans une demeure, parce qu'il y a beaucoup de gens, on le sait, qui n'ont pas les moyens ou qui n'ont pas les ouvrages dans leur maison. Pour les enfants de cinq à sept ans, il y a des organismes qui s'occupent d'eux, comme Communication-Jeunesse, il y a des tournées dans les écoles qui se font à partir de... justement, au primaire, qui demandent en fait à être davantage développées pour rejoindre encore plus de gens. Donc, c'est dans ce sens-là qu'on peut regarder ça.

Le Président (M. Rioux): Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci.

M. Payne: ...

Le Président (M. Rioux): On a 25 minutes du côté du pouvoir. Je m'excuse.

Mme Beauchamp: Ça fait beaucoup, beaucoup de temps...

M. Payne: Je n'abuse pas de mon temps.

Le Président (M. Rioux): Non, non, ce n'est pas une question d'abus.

Mme Beauchamp: Vous irez luncher, vous vous écrirez et vous aurez des discussions fantastiques, parce que vous m'avez fait sourire, cher collègue, quand vous avez dit que la ministre a des décisions à prendre aujourd'hui. On vient de voir précédemment que ça fait à peu près un an qu'il n'y a pas de décisions qui se prennent concernant le livre, l'industrie du livre au Québec. Donc, je pense que ça peut attendre au moins quelques heures ou quelques jours.

Mme Boucher, vous avez dit quelque chose qu'on se doit de ramener et de relever. Vous avez dit tantôt, vous l'avez glissé vite, mais je pense que vous aviez des convictions derrière ça, vous avez dit ça à la négative: Il ne faudrait peut-être pas en arriver à la situation qu'on a connue à l'automne dernier avec différentes allégations qu'il y a eu avec, par exemple, les relations entre les producteurs de cinéma et les créateurs. Je pense que j'aimerais ça vous réentendre, entendre vraiment ce que vous vouliez dire, parce qu'il m'a semblé que c'était chargé de sens, et je pense que vous choisissez bien vos mots, on l'a vu par votre lettre, votre mémoire adressé à cette commission. Donc, qu'est-ce que vous vouliez dire vraiment?

Mme Boucher (Denise): Ce que je dis, c'est que nous devons, nous, les écrivains, être présents dans tous les lieux où il est question d'écriture et de livre. Nous devons surveiller nos intérêts, veiller au grain. Nous devons pouvoir exiger des éditeurs, puisque... Les éditeurs, ils ont un problème avec leur image. Ils se prennent pour des gros producteurs américains qui risquent leur propre vie et leurs propres sous dans une entreprise. Or, ce sont des éditeurs subventionnés, c'est-à-dire qu'ils ont des comptes à rendre à l'État, à la société et aux écrivains. Ils ont des comptes à rendre à nous tous. Ce n'est pas juste un problème entre les éditeurs et nous, comme vous disiez tout à l'heure, c'est une question qui regarde la SODEC qui subventionne les éditeurs, qui doit voir à ce que ces argents-là soient bien dépensés et qu'ils soient allés dans...

Vous savez, Louis Gauthier, l'ancien président de l'UNEQ, disait: Quand je vais rencontrer des éditeurs, j'arrive en bicyclette et ils arrivent en BMW. Ça fait deux classes. C'est des images qui sont assez justes sur nos situations. Nous, nous voulons, si la SODEC continue à subventionner les éditeurs, que la SODEC oblige les éditeurs à signer avec nous un contrat type. Ils sont en train de baisser les droits d'auteur de telle façon... ça diminue d'année en année. Ils prennent tous nos droits dérivés. Si jamais tu écris un roman, ils retiennent déjà une grande partie des droits si jamais ça devient un film ou c'est joué au théâtre. Si vous regardez les contrats minimums que signent les écrivains, par exemple, en Suède, en Norvège, au Danemark, en Scandinavie et dans d'autres pays où les éditeurs sont subventionnés, les droits dérivés appartiennent toujours seulement aux auteurs. Il faut exercer vraiment une surveillance là-dessus. Il faut faire même des petits exercices de paranoïa pour être à même de voir jusqu'où ils peuvent aller.

Mme Beauchamp: Dans le domaine du cinéma, on a eu l'occasion la semaine dernière aussi de discuter de ça. Moi, j'ai l'impression qu'il y a différents niveaux. Toutes les discussions qui ont eu cours à l'automne ont permis de voir qu'il y avait différents niveaux de questionnements – je vais prendre ce mot-là.

Il y avait un premier niveau où on avait l'impression... il y a eu des allégations qu'il y avait carrément de la fraude dans ce milieu-là.

Il y a un deuxième niveau qui disait: Les producteurs – on pourrait les comparer aux éditeurs de livres – ne prennent pas un risque suffisant. Vous avez mentionné tantôt qu'il y avait des livres publiés dont on ne faisait pas la promotion puis qu'on détruisait après quelques mois. Je vous dirais que, comme citoyenne contribuable, j'ai eu l'impression que vous étiez en train de me dire que, pour un éditeur, que le livre soit un succès ou pas, ça avait peu d'impact sur sa décision de le publier, puisqu'il était subventionné. Le plus important pour lui, c'était d'être subventionné, peu importe que le livre soit un succès ou pas. Donc, ça nous fait poser la question: Est-ce que le risque que prend l'éditeur est suffisant par rapport à l'investissement de fonds publics qu'il y a dans l'édition de livres?

Puis le dernier niveau, c'est carrément, et on doit se poser la question: Dans les fonds publics qu'on met en bourses aux auteurs, au CALQ, puis en soutien à l'industrie, à la SODEC, hein, il y a toujours deux niveaux, est-ce qu'on a atteint un bon équilibre entre le soutien direct aux créateurs puis le soutien à l'industrie dont vous avez besoin tout de même?

Donc, je dirais qu'il y a trois niveaux. Est-ce que rapidement vous pouvez nous dire qu'est-ce que vous pensez des trois niveaux? Est-ce que, pour vous, il y a malversation? Est-ce que le risque financier que prend l'éditeur est suffisant par rapport aux fonds publics? Puis est-ce qu'il y a un bon équilibre entre les auteurs et l'industrie dont vous avez besoin?

Le Président (M. Rioux): Bonne question.

Mme Boucher (Denise): D'abord, je vous dirai que j'aimerais ça qu'on enlève une fois pour toutes le mot «soutien» qui veut dire «soutien des pauvres, les faibles, les malades, les infirmes». Nous sommes des travailleurs à part entière. Nous revendiquons les compensations financières, des compensations équitables dues pour la somme de travail que nous faisons.

Mme Beauchamp: Le message est compris.

(11 h 30)

Mme Boucher (Denise): C'est important parce que c'est comme ça, quand on se met à changer les mentalités, à utiliser d'autres mots et à considérer les choses autrement, on agit aussi autrement. Je ne voudrais pas que vous croyiez que je vais être tentée de dire, sans le dire, qu'il y avait fraude au niveau du livre de la part des éditeurs, je ne l'ai pas dit. Si j'avais voulu le dire, je l'aurais dit. Ce que je dis, il faut quand même veiller au grain, avoir l'oeil ouvert et appeler au conseil d'administration des écrivains pour que ça ne se produise pas, pour qu'on sache tout ce qui se passe, et qu'on s'imagine, en ces lieux où on a été obligés d'insister beaucoup pour avoir une place... Par exemple, à la commission Larose, on nous a dit: Bien, les écrivains, le commerce, ça ne vous intéresse pas. C'est sûr que le commerce, ça nous intéresse; nos livres, c'est notre fonds de commerce. Alors, on veut être présent là.

M. Lavoie (Pierre): On l'était autrefois lorsqu'il y avait les grappes qui avaient été mises en place par le précédent gouvernement. Il y avait des écrivains qui étaient présents au groupe, à la Table de concertation de l'édition spécialisée. On ne l'est plus. On a demandé à y revenir, mais on n'a jamais eu vraiment de réponse officielle en ce sens-là. Donc, ce serait important qu'on puisse réintégrer les rangs.

Mme Beauchamp: Je veux juste bien vous comprendre.

Le Président (M. Rioux): Rapidement.

Mme Beauchamp: Quand vous dites: On n'y est jamais revenu, est-ce que vous êtes en train de nous dire que finalement vous n'êtes pas autour, entre autres, du comité Larose, ou vous parlez plutôt de la commission...

M. Lavoie (Pierre): Le comité Larose, oui, mais le groupe...

Mme Beauchamp: ...à la SODEC, à la commission?

M. Lavoie (Pierre): À la SODEC même, la commission concernant le livre, on n'est pas là, on n'est pas présents.

Mme Beauchamp: O.K. D'accord. Oui, je comprends bien.

M. Lavoie (Pierre): Vous parliez du rapport, de l'équilibre entre créateurs et industries culturelles. Bien, je pense qu'on fait partie d'un mouvement pour les arts et les lettres qui revendique, qui a démontré, en tout cas qui tente de démontrer sur la place publique que le doublement du financement du CALQ est rendu non seulement nécessaire mais indispensable. Il en va de la survie des écrivains et des artistes en général. Alors, il est clair qu'il y a une disproportion là, en tout cas, selon nous, entre les industries culturelles et, comment dire? le paiement dû à la création qui n'est pas du tout en équilibre.

Mme Beauchamp: Et qui se reflète dans votre secteur particulièrement?

M. Lavoie (Pierre): Bien sûr. Quand on voit en effet que la littérature est à l'avant-dernière place dans la liste des secteurs, des disciplines subventionnées, il est clair que le Conseil des arts et des lettres... en tout cas, nous, on n'y trouve pas pour le moment notre juste part, c'est évident.

Le Président (M. Rioux): Alors, merci. Mme Boucher, vous avez évoqué souvent au cours de la conversation que vous aimeriez que le créateur soit reconnu comme un travailleur intellectuel et reconnu aussi financièrement. Vous avez évoqué les droits dérivés tout à l'heure, qui normalement vont directement à l'auteur. Ça fait encore problème, on l'a constaté. Et toute la notion du droit d'auteur est encore quelque chose à vivre. Elle est appliquée, mais l'application ne semble pas rejoindre, en tout cas, les préoccupations de votre association.

Alors, je vous remercie beaucoup, monsieur, madame, d'être venus. Et on va suspendre nos travaux pour une minute ou deux en attendant le prochain groupe.

(Suspension de la séance à 11 h 34)

(Reprise à 11 h 38)

Le Président (M. Rioux): M. Royer, on est très heureux de vous accueillir et d'accueillir aussi votre collègue que vous allez nous présenter immédiatement.


Académie des lettres du Québec

M. Royer (Jean): Oui, André Ricard, qui est secrétaire général de l'Académie, qui est directeur adjoint de la revue Les Écrits , la doyenne des revues littéraires, publiée par l'Académie.

Le Président (M. Rioux): Alors, vous allez nous présenter votre mémoire.

M. Royer (Jean): Voilà. D'abord, je vous prie d'excuser le retard apporté à la livraison de notre mémoire. Nous n'avons pas de secrétariat, nous n'avons pas de bureau et de gens à notre service. Je veux d'abord vous rappeler que l'Académie des lettres du Québec...

Le Président (M. Rioux): Ce n'est pas de la mauvaise volonté, c'est un manque de moyens.

M. Royer (Jean): Un manque de moyens, tout à fait.

Le Président (M. Rioux): Voilà, très bien.

M. Royer (Jean): C'est pour ça que je vous prie de m'excuser.

L'Académie des lettres n'est pas un syndicat, n'est pas un regroupement de revendications, n'est pas une société de perception, c'est une académie, c'est-à-dire que ses membres sont élus par les académiciens. Et une académie, ça représente une culture, comme toutes les académies dans les différentes cultures. C'est donc la première institution du domaine littéraire au Québec, fondée en 1944 par Victor Barbeau et 15 écrivains très connus à l'époque et d'autres qui sont restés...

Le Président (M. Rioux): ...merveilleux.

M. Royer (Jean): Oui, qui sont restés connus.

Le Président (M. Rioux): Oui.

(11 h 40)

M. Royer (Jean): Vous avez Robert Choquette, Guy Frégault, Alain Grandbois, Lionel Groulx, François Hertel, Rina Lasnier, Ringuet et Robert Rumilly. Il y avait une diversité déjà au départ dans l'Académie. Ce n'est pas un groupe homogène. Il y a toujours une diversité de voix.

Les buts et les objectifs de l'Académie sont de servir et de défendre la langue, la culture d'expression française et la place de la littérature dans notre société. Donc, notre mémoire va justement dans ce sens.

Alors, nous sommes un peu, nous, les diplomates de la littérature québécoise, en fait. Nous n'avons pas d'intérêt personnel, nous ne défendons pas nos droits, mais nous défendons la présence de la littérature dans la société. Et, pour cela, bien, il faut avoir une idée de la culture. Nous disons que la culture, avant d'être une industrie, est d'abord l'expression d'une société. Elle est l'âme de la nation. La culture, c'est ce qui nous relie, toutes et tous, dans un même idéal d'humanité. La culture est ce pourquoi et par quoi nous vivons. Elle est ce qui nous tient ensemble comme groupe social et ce qui nous fait créer comme individu. Elle est la somme des langages d'une société et l'expression des individus qui la font évoluer.

Alors, la culture n'est pas un alibi politique ou financier, mais le besoin de l'être humain d'entendre un chant, «le chant des morts et des vivants», écrivait Anne Hébert. La culture certes est la mémoire de nos traditions et le don des morts. Elle est un legs du passé, un héritage à cultiver, mais une culture doit savoir renouveler son héritage. Elle traduit l'acte des vivants que nous sommes. Elle est le fait particulier des écrivains et des artistes contemporains et elle trouve sa maturité dans la succession des oeuvres.

La culture concerne notre être individuel et social. Il faut savoir habiter sa propre maison pour prendre soin de son âme. Il faut savoir habiter sa culture qui nous fait vivre. Cette âme qui est notre culture, c'est à chacune, à chacun de nous d'en prendre soin dans le respect et la connaissance des oeuvres qui en témoignent. Il y a les oeuvres du patrimoine déjà connues. Il y a aussi les oeuvres qui naissent, qui réinventent notre être et notre appartenance au monde.

Il ne s'agit pas là de théories mais bien de réalités qu'il convient de ne pas perdre de vue, qui que nous soyons, simples citoyens, députés, etc. Que nous évoluions dans la vie privée ou dans la vie publique, toutes et tous, nous sommes responsables de la culture québécoise, notre culture d'origine, qui est venue enrichir, au cours des dernières décennies, l'apport de plusieurs cultures migrantes qui ont agrandi, je crois, la culture du Québec.

Situé au milieu d'une Amérique anglophone, évidemment, le Québec a un devoir de culture s'il veut rester lui-même. Bien sûr, cette attention à la culture doit se faire dans le respect des autres besoins de la société.

Tout en demandant une amélioration des conditions d'exercice de notre culture, nous restons conscients d'abord que de grands efforts ont déjà été faits en ce sens par les récents gouvernements. Je n'oublie pas, par exemple, que le précédent gouvernement a promptement répondu à ma demande, le 14 décembre 1996 – triste jour – a répondu favorablement à l'idée de donner des obsèques nationales au poète Gaston Miron. C'était là un grand pas de maturation de notre culture, ce premier geste. Je n'oublie pas qu'on a instauré une politique de la lecture. Je n'oublie pas le projet nécessaire et pressant de la Grande Bibliothèque. Ce sont là des signes de la maturation de notre culture dont les deux derniers gouvernements du Québec nous ont fait franchir des étapes significatives.

Nous restons conscients ensuite que les besoins de la culture ne font pas oublier d'autres besoins dans les domaines de l'éducation et de la santé ainsi que dans le domaine social où la pauvreté court les rues du Québec. Mais nous savons aussi que la santé d'un peuple se mesure à la santé de sa culture. De même, c'est la culture qui contient le politique – ne le prenez pas personnel. La culture contient le politique et non l'inverse. Votre rôle de gardiens de nos libertés appartient d'abord au domaine culturel avant de se définir comme une fonction politique, ou, si vous voulez, vous êtes des êtres de culture avant d'être des politiciennes et politiciens. En autant que vous soyez en bonne santé culturelle, vous serez à l'aise dans votre rôle strictement politique.

Je me permets d'insister sur cette responsabilité des élus à être partie prenante de notre culture, d'autant que la pratique de la culture est sans cesse menacée dans les sociétés occidentales. La force énorme du capital financier, avec sa tendance autoritaire, fait surgir le risque de conformer tout ce qui appartient au domaine de la culture à un modèle de consommation.

Deux dangers guettent alors la culture: celui de la banalisation des oeuvres et celui de l'utilisation de ces produits comme simples objets de consommation liés à la mode. Ainsi, le capital financier conduirait à une culture uniforme et de convenance, réponse aux élites financières qui nous imposeraient nos modes d'expression et de comportement. Il faut empêcher l'argent de faire main basse sur la culture, comme il faut l'empêcher d'entamer nos libertés.

Le principal problème des milieux culturels québécois, c'est la santé de cette culture. Nous avons des écrivains, des artistes, des intellectuels. Nous avons une production abondante, originale et forte. Nous avons les organismes regroupant des artistes dans tous les domaines. Nous avons la SODEC, nous avons le CALQ. Nous sommes tous contents de nous-mêmes en tant que Québécois. Nous nous félicitons d'avoir des théâtres bien fréquentés et des librairies débordantes de nouveautés, mais nous parlons le plus souvent de l'art comme d'une industrie culturelle. Nous confondons l'oeuvre de création avec sa consommation. Nous portons plus attention au fait de consommer qu'à celui d'inventer, peut-être.

Certes, il faut aider à la diffusion des arts. La SODEC et le CALQ le font très bien, à notre avis. Ces structures sont utiles, nécessaires et, en général, bien investies. Mais pourquoi, comme société, traiter la culture comme un objet de consommation uniquement? Est-ce une façon détournée de donner la priorité à ce qui est spectaculaire et rentable politiquement, au sens large? Le théâtre et la musique sont évidemment des domaines qu'on privilégie devant la littérature. Et, quand on parle de littérature, on pense aussi beaucoup aux spectacles littéraires, à ce que la littérature peut avoir de théâtral ou de multimédiatique. Rarement au Québec va-t-on considérer la littérature pour ce qu'elle est, c'est-à-dire la synthèse d'une culture dans un livre.

Avons-nous assez remarqué au Québec comme les autres cultures valorisent leur histoire littéraire et la présence de leurs écrivains? Pourquoi nos écrivains n'ont-ils pas leur place dans notre société? Pourquoi privilégie-t-on complaisamment les discours des chanteurs et des acteurs sur la place publique alors qu'on semble éloigner des tribunes l'écrivain qui pose les questions pertinentes? La réponse pourrait se trouver du côté des budgets du Conseil des arts et des lettres. Les crédits du CALQ sont certes insuffisants si la culture est un domaine primordial dans notre société. Quand donc nos élus auront-ils la fierté de consacrer au moins 1 % des budgets à la culture proprement dite? Je ne parle pas de la participation d'autres ministères.

La réponse pourrait aussi se lire dans la proportion des budgets accordée à la littérature au CALQ. Des 40 000 000 $ du CALQ, seulement 3,2 % de ce budget, soit 1 300 000 $, vont à la littérature. Comparativement, les autres domaines retirent près de 97 % du budget du CALQ: le théâtre, 36,4 %; la musique, 27,4 %; les arts visuels, 17,5 %; la danse, 12,5 %. Il y a une disproportion évidente et gênante entre l'aide à la littérature et l'aide aux autres arts. Pourtant, la littérature, comme poésie, art de la parole et de l'écriture, n'est-elle pas l'art fondateur des autres arts?

Le peu d'attention véritable accordé à la littérature au Québec, soit dans l'éducation, soit dans la pratique sociale, compte pour beaucoup dans le fait que les nouvelles générations manquent de culture générale et de références de valeurs de vie. Il devient impératif pour le CALQ d'accorder à la littérature et aux écrivains une aide proportionnellement équitable et juste par rapport aux autres domaines culturels. Une société qui fonde sa culture sur la littérature et ses écrivains n'accepte pas un écart aussi gênant entre les arts du spectacle et la littérature quant à l'aide aux écrivains. Il ne s'agit pas ici bien sûr de jalouser l'aide aux autres artistes ni de demander une diminution de leurs octrois. Il s'agit d'envisager une aide accrue, décente pour la littérature et ses écrivains. Il s'agit pour vous, Mmes et MM. les députés, d'augmenter les crédits du CALQ en lui confiant le mandat de décupler l'aide aux écrivains et aux organismes qui les regroupent. Pour les femmes et les hommes politiques que vous êtes, le théâtre et la musique semblent plus rentables politiquement, mais la littérature est fondamentale et, sans ses écrivains et leurs oeuvres, une société n'est pas elle-même.

(11 h 50)

Par ailleurs, il faut insister sur le fait que, dans le domaine littéraire précisément, les travailleurs culturels agissent constamment à titre bénévole. Il n'est pas exagéré d'affirmer que ce sont les artistes eux-mêmes qui investissent le plus dans la culture et ses structures. Sans l'acharnement des écrivains à fonder et à entretenir des revues et des organismes professionnels, et ce, de façon tout à fait bénévole, où en serait notre culture? Pourquoi ne pense-t-on jamais à rémunérer un écrivain pour ce qu'il accomplit dans la société? En dehors de ses maigres droits d'auteur – petit marché oblige – l'écrivain n'a jamais de cachet quand il participe à une émission de radio ou de télévision, sauf s'il est membre de l'Union des artistes. Voilà qui en dit long sur les considérations de notre société envers ses écrivains. Quand il écrit une préface à un livre, l'écrivain peut s'attendre à recevoir un maigre cachet pour son travail qui pourtant a pu le mobiliser durant trois jours ou une semaine. Quand il fait partie d'un jury, un écrivain est payé au minimum. Un écrivain qui cherche à gagner sa vie à côté de son écriture ne retirera jamais qu'au plus 15 $ de l'heure ou de 50 $ à 100 $ par jour, ce qui n'est certes pas équitable comparativement au revenu d'autres professionnels.

Non, dans la société québécoise, on ne considère pas encore l'écrivain pour son travail et pour son apport culturel, parce que la littérature ne fait pas profondément partie de nos préoccupations. On est en train, par exemple, de créer un monopole de diffusion de la littérature par un mégaréseau de librairies. A-t-on pensé aux effets de cette structure de diffusion sur les habitudes des lecteurs et conséquemment sur les possibilités des écrivains?

Pour des questions d'argent, on ne cesse de rétrécir l'éventail de la diversité d'expression. Bientôt, tous les écrivains devront-ils écrire selon un modèle unique, le best-seller à la mode, pour survivre, pour être connus, médiatisés, ou tout simplement pour être lus? Il est grand temps d'accorder une attention méticuleuse à la présence des écrivains et de leurs oeuvres dans notre société si nous ne voulons pas être avalés par les autres cultures.

À l'occasion du Printemps du Québec en France et du dernier Salon du livre de Paris, comment avons-nous présenté notre culture et notre littérature? Comment la SODEC a-t-elle géré l'événement? En proposant aux Français des objets culturels déterminés comme des biens industriels et de consommation, point final. On n'a certes pas présenté notre culture de façon pédagogique, on s'est contenté de clôturer l'événement à la télévision, sur le tapis rouge d'un faire-valoir qui n'en a que pour les Céline Dion de la culture. C'est là, de notre part – de notre part, en tant que société, je parle, et du côté de la SODEC qui a bien fait son mandat – faire peu de cas de notre existence culturelle en elle-même. À se profiler dans l'éphémère, on finira par disparaître culturellement parlant.

Et comment nos éditeurs, chargés de la représentation québécoise au Salon du livre de Paris de mars 1999, ont-ils défini notre littérature? Comme une industrie et un commerce avec ses quelques vedettes bien ciblées et sa troupe nombreuse d'écrivains. La quantité, toujours la quantité, et le commerce. Mais où est la véritable représentation de notre littérature, la véritable relation durable avec le public français s'il faut agrandir notre marché?

On peut dire que les médias français ont suivi l'invitation en parlant de quatre ou cinq écrivains, à peu près toujours les mêmes. Et puis après? Le commerce a primé sur la pédagogie d'une connaissance plus approfondie de notre littérature en France. Et pour quelles suites? On nous oubliera pour longtemps en France, malgré la richesse de notre littérature. Avant de vouloir faire accepter notre littérature sur le marché français, il faut aussi commencer par valoriser ici nos écrivains et leurs oeuvres, sur notre propre territoire. Et cette attitude n'est pas une question de commerce, mais de culture d'abord.

Peut-être avons-nous comme peuple le sentiment de n'avoir de littérature que d'occasion, une littérature vouée à ses quelques succès et à rien de plus? Nous, les écrivains, avons l'impression qu'on nous prend pour des artistes du dimanche et non pour des écrivains à part entière. Un artiste de théâtre et de télévision affirmait récemment, dans la publication Le Libraire , que notre littérature ne s'intéressait qu'au quotidien. Visiblement, comme beaucoup d'artistes, ce comédien ne connaît pas notre littérature. Il y a trop de cloisons étanches dans cette culture québécoise. Un comédien devrait savoir pourtant que notre littérature est une des plus imaginatives du monde en langue française. Le savons-nous assez? Peut-être qu'en le sachant mieux on prendrait mieux soin aussi de nos écrivains, les grands oubliés de cette culture québécoise.

Depuis plus d'un demi-siècle, ce sont les écrivains qui ont imaginé l'entrée du Québec dans la modernité. Les poètes et les écrivains ont été les moteurs de la Révolution tranquille. L'a-t-on oublié aujourd'hui? Sommes-nous en train de l'oublier? Les générations qui nous ont précédés ont fondé les structures de diffusion de cette culture. Par exemple, l'historien Guy Frégault, l'un des fondateurs de notre Académie, a été le premier sous-ministre des Affaires culturelles dans les années soixante. Nos aînés ont établi une première infrastructure de la vie culturelle avant même que le gouvernement québécois ne s'en mêle. La génération des Gaston Miron, Jean-Guy Pilon et Jacques Godbout a créé la maison d'édition L'Hexagone, la revue Liberté , la Rencontre québécoise internationale des écrivains, le Service des émissions culturelles de Radio-Canada et, finalement, l'Union des écrivains, sans que jamais le gouvernement québécois n'aide, au départ, à cette structuration de la vie littéraire et intellectuelle. Aujourd'hui que la modernité a pris le relais, que la finance aussi a pris un relais, que le CALQ et la SODEC existent, le gouvernement québécois joue-t-il son rôle complètement? On peut en douter si l'on regarde le trop maigre budget de l'aide accordée aux écrivains et à la littérature. Est-on conscient qu'il y a au Québec plus d'un millier d'écrivains actifs publiant autant de titres littéraires par année?

En 1944, Victor Barbeau créait l'Académie canadienne-française avec une quinzaine d'écrivains et d'intellectuels, dont Robert Choquette, Alain Grandbois, Rina Lasnier, Ringuet, François Hertel et Guy Frégault. Ces femmes et ces hommes de littérature ont animé, littéralement, la société québécoise dans les années quarante, cinquante, ils ont joué les rôles d'Office de la langue française et de ministère des Affaires culturelles avant l'ère. Depuis plus de 50 ans, l'Académie joue un rôle primordial, actif et efficace, sans désemparer, dans la promotion de notre littérature. Est-ce que cela a fait pour autant la reconnaissance de l'Académie des lettres du Québec? Eh bien, non. Le Québec ne sait même pas encore – officiellement, je parle – qu'il a son académie, comme la France, la Belgique, la Suède et tant d'autres cultures dans le monde. Le fait que l'Académie des lettres du Québec ne jouit pas encore d'un statut officiel prouve bien que les écrivains n'ont pas encore de place reconnue dans cette culture.

Alors, nous vous demandons, en tant que députés de l'Assemblée nationale de veiller, à ce que le Conseil des arts et des lettres du Québec ait dorénavant les crédits suffisants pour décupler l'aide aux écrivains et aux organismes qui animent et servent la littérature.

Nous recommandons, nous souhaitons que le Conseil des arts et des lettres du Québec continue d'agir en toute liberté dans le choix de ses jurys et des récipiendaires des bourses et subventions, en dehors de toute intervention extérieure et sans considération morale ou politique. Précisément, cela nous différencie du Conseil des arts du Canada, qui est maintenant contrôlé par la politique.

Nous recommandons que, dans l'évaluation des demandes d'écrivains et d'artistes, d'organisations et d'institutions, les jurys tiennent compte le moins possible des régions, des âges, des écoles de pensée et des tendances artistiques afin de ne prendre en considération que le mérite artistique;

Que le gouvernement augmente de façon conséquente, donc, les crédits du CALQ et que l'aide aux écrivains et à la littérature soit décuplée par rapport à ce qui existe aujourd'hui;

Que le gouvernement augmente les crédits accordés au CALQ et que l'aide aux travailleurs culturels au sein des organismes d'animation de la littérature soit prise en compte dans les budgets accordés aux différentes activités littéraires – là-dessus, je pourrai élaborer si vous le désirez;

Que priorité absolue soit donnée par le CALQ à l'aide aux créateurs, écrivains, artistes et compositeurs avant tout et que les jurys du CALQ soient composés majoritairement d'écrivains et d'artistes qui possèdent une vue d'ensemble de la littérature et de la culture – qu'on ait des jurys seniors, je dirais;

Que le CALQ soit pourvu de moyens de subventionner les revues littéraires de manière à leur permettre de donner des cachets conséquents aux auteurs des articles publiés. On peut donner des subventions aux revues, mais est-ce qu'il en reste pour payer décemment les auteurs d'articles, payer le contenu?

Alors, voilà ce que nous avions à vous lancer comme ça ce midi, et merci de nous recevoir et de nous permettre d'exprimer un peu ce que les académiciens, c'est-à-dire les écrivains qui ont été bien reconnus par la société et donc qui ne réclament rien d'autre que l'amélioration de la place de la littérature dans la société québécoise...

Le Président (M. Rioux): Alors, M. Royer, M. Ricard, merci. C'est un texte, je dirais, lumineux. Il faut savoir habiter sa propre maison pour prendre soin de son âme, disiez-vous. Il faut savoir habiter sa culture aussi si on veut qu'elle nous fasse vivre, et survivre dans certains cas. C'est un texte qui recèle beaucoup de suggestions heureuses et surtout un rappel, je dirais un rappel très fort, qu'il faut soigner sa littérature, parce que, sinon, les risques sont énormes. Merci encore.

(12 heures)

Je vais céder la parole au député de Saint-Hyacinthe et ensuite au député de Vachon.

M. Dion: Merci, M. le Président. Je partage tout à fait votre point de vue que ce texte porte à de grandes réflexions. C'est sûr que la langue est le véhicule de toute culture. On s'entend là-dessus. Je pense que, quelque langue que ce soit, c'est toujours par la langue principalement que la culture s'exprime. Mais ce n'est peut-être pas nécessairement la même attitude face à la langue qui est caractéristique de chaque culture. Peut-être y a-t-il des cultures qui sont caractérisées plutôt par leurs relations aux affaires ou les relations interpersonnelles ou toute autre chose.

Il me semble que, si on regarde l'importance accordée dans la culture française à de grandes institutions comme l'Académie et toutes ces choses-là et l'importance qu'on a accordée pendant longtemps – je ne sais pas si c'est encore le cas – à la transmission de la langue, à l'enseignement de la langue, au parler correct, je serais porté à croire que la langue est au coeur de l'être culturel francophone, c'est-à-dire s'exprimer par la langue et peut-être par la langue écrite plus que tout. Et il me semble que, dans notre culture, la langue écrite est le facteur central de notre culture.

Dans ce contexte-là, la discussion que nous avons eue tout à l'heure, avant que vous arriviez – c'est-à-dire que vous étiez dans la salle tout à l'heure – sur les droits d'auteur me semble une discussion très importante parce que les droits d'auteur se réfèrent vraiment à la protection du droit sur l'écrit.

Je ne sais pas si vous pourriez nous éclairer pour nous aider à identifier qu'est-ce qui ne fonctionne pas dans la mécanique du droit d'auteur et qui fait qu'il semblerait que l'auteur n'ait que la portion congrue du bénéfice de son oeuvre.

Le Président (M. Rioux): M. Royer.

M. Royer (Jean): Écoutez, moi, je suis assez troublé par ce genre de déclaration. L'écrivain a quand même 10 % de droit d'auteur sur l'édition courante. C'est un fait. Je crois qu'il y a peu d'accrocs. Il peut y avoir des accrocs, mais je ne connais pas tous les contrats de tous les éditeurs.

Le Président (M. Rioux): M. Royer, vous êtes sûr que le 10 % est touché par le créateur?

M. Royer (Jean): Oui, oui. Mon expérience d'éditeur, et chez une grosse maison d'édition, l'Hexagone, chez Sogides... Nous avons quand même, nous, les éditeurs, protégé l'écrivain contre les abus d'un gros monstre financier comme le serait Sogides. Ce qui diminue, c'est quand le livre devient un livre de poche; là, les droits d'auteur baissent considérablement. C'est 6 % au maximum. Autrement, les abus se trouvent ailleurs que dans le paiement direct du droit d'auteur. Et je dirais que ça, c'est au milieu à se faire valoir, c'est à l'UNEQ de se faire valoir vis-à-vis des éditeurs. Il y a eu des pas de franchis là-dessus. Il y a le contrat type, mais de là à imposer un contrat type à un éditeur, à une affaire, à une entreprise privée, c'est autre chose. Mais ça serait au législateur d'y voir, à ce moment-là.

Moi, je crois que ce qui manque de clarté – c'est un mot à la mode – dans le domaine de l'édition, c'est la façon dont l'écrivain pourrait se rendre compte de la comptabilité de l'éditeur. Je crois que plusieurs éditeurs jouent avec la comptabilité des rapports. Par exemple, un éditeur dit: Bien, moi, je garde 10 % du tirage pour la promotion. Alors, 10 % du tirage sur un livre tiré à 2 000 exemplaires, ça veut dire 200. Bon. Mais l'éditeur, il garde ces livres-là pour lui. Il les met à son compte et non pas au compte de l'auteur qui n'en bénéficie pas en droits d'auteur, en plus des livres à la promotion réelle, en plus des livres donnés réellement au prix, et tout ça.

Il y a des éditeurs qui font des réserves. Ils disent: Moi, pour la première année, je réserve les droits de l'auteur. Je les garde au cas où il y aurait mévente, au cas où il y aurait des livres qui soient perdus dans une catastrophe, une avarie à l'entrepôt, etc. Mais il me semble que, dans l'ensemble, c'est clair que nos éditeurs ont quand même une éthique. Et, moi, je suis un petit peu troublé, peut-être parce que j'ai été éditeur – je suis toujours éditeur à la pige – mais il me semble qu'il y a un gros, gros discours, là, flou autour de ça. Allons voir dans les contrats, dans les faits. Que le législateur protège l'écrivain – et j'en suis – que le législateur décide: les droits d'éditeur, c'est 10 % dans une édition courante et 6 % dans une édition de poche. Si c'est dans une loi du livre, eh bien là l'écrivain est réellement protégé. Autrement, ce sont des ententes entre l'UNEQ et l'ANEL qui doivent se faire. C'est des affaires. Ils sont des partenaires. L'écrivain et l'éditeur sont des partenaires du livre. L'un prend le risque de lancer le livre, l'autre a pris le risque de l'écrire, et ils le lancent, c'est tout.

D'autre part, je crois que l'affaire du pilonnage est beaucoup exagérée. Le pilonnage, c'est une nécessité industrielle. Quand il arrive 1 000 nouveautés en librairie, dans l'entrepôt, il n'y a plus de place à un moment donné et il faut pilonner. Mais l'auteur évidemment se sent toujours mutilé quand il y a un pilonnage d'un de ses livres. Mais ce n'est pas le cas toujours parce que maintenant l'imprimerie en arrive à faire des petits tirages par reprographie. Donc, on peut toujours relancer le livre. Et les éditeurs en gardent une certaine quantité au catalogue, sans ça l'auteur reprend son...

Le Président (M. Rioux): Très rapidement, M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Oui, M. le Président. Vous savez, moi, s'il est vrai que, pour les jeunes éditeurs en particulier, c'est peut-être impossible de se battre contre une grosse maison d'édition – c'est très difficile, en tout cas – il est difficile de leur dire, bien, que c'est à eux de se battre pour faire respecter leurs droits. Par contre, je souligne avec beaucoup d'intérêt le fait que vous ne seriez pas en désaccord ou peut-être que vous seriez en accord avec le fait d'avoir un contrat type ou un contrat minimal qui pourrait être la planche en bas de quoi les éditeurs ne pourraient pas aller.

M. Royer (Jean) Je crois qu'en général, là, il y aurait une législation à faire pour protéger le livre et l'écrivain dans notre culture, avec tout ce qui s'en vient, tout ce qui est déjà là, d'ailleurs, à nos portes, les grandes librairies américaines. La situation, qui était inévitable, du groupe Renaud-Bray, mais qui en fait est très dangereuse... Pour moi, il y a deux lames à ce couteau-là. On en a sauvé un, mais là ce sont les petits libraires indépendants qui vont disparaître.

Le Président (M. Rioux): Très bien. M. le député de Vachon.

M. Payne: La façon d'assurer un juste dû aux auteurs, bien sûr, c'est une discussion qui va bien plus loin que les frontières du Québec. C'est ma question aujourd'hui. Mais je voudrais dire, en passant, M. Royer, quelle reconnaissance le Québec devrait avoir à votre égard après 30 ans, 40 ans de contribution d'une façon remarquable à la culture québécoise, à tous égards.

La question de la rémunération des écrivains est venue avec la présentation de Denise Boucher tout à l'heure, faisant référence à un pays comme la Suède où on verse un salaire annuel aux écrivains. Je serais tenté de ne pas revenir là-dessus, sauf que vous, vous dites: Pourquoi ne pense-t-on jamais à rémunérer un écrivain pour ce qu'il a accompli dans la société? S'agit-il d'un cri du coeur, ou d'une question-choc, ou est-ce que vous avez pondéré toute la façon réaliste, réalisable, d'appliquer un tel voeux?

Le Président (M. Rioux): M. Royer.

(12 h 10)

M. Royer (Jean) Oui. Je crois que ça fait partie de la maturation de notre culture. Il n'y avait pas la SODEC, avant; il n'y avait que le ministère de la Culture, avant. Maintenant, il y a des organismes qui gèrent l'argent pour le domaine littéraire, entre autres. Donc, il me semble qu'on pourrait avoir une imagination. Ce que je voulais dire, moi, dans ce mémoire, c'est: Si on pense que l'écrivain fait partie de la société, on va penser à imaginer des choses pour le protéger, le garder et pour renforcer sa position sociale, et donc renforcer notre identité québécoise en Amérique. C'est une équation. Et ce serait facile d'imaginer des choses. Pourquoi des grandes sociétés financières, ou la SODEC, ou d'autres, ne créeraient pas des fonds pour des bourses qui iraient à des écrivains? Mais ce seraient des bourses à vie. Pour les écrivains qui ont une oeuvre, non pas... Faire des concours sérieux pour des écrivains seniors, qui ont une oeuvre, mais qui n'auraient plus de revenus. Un écrivain de 50 ans, par exemple, qui n'a plus de revenus mais qui pourrait avoir une bourse à vie, une bourse de 30 000 $ à vie. Ce serait très facile de mettre en fiducie une somme et de faire ça au lieu de multiplier les bourses chaque année avec un petit budget – donc, il n'y a vraiment pas beaucoup de bourses. Le système serait complémentaire.

Si la Finlande le fait... Je pense qu'il faudrait regarder beaucoup du côté des pays scandinaves. Ils ont vraiment inventé des moyens que leurs écrivains, entre autres, puissent écrire, puissent travailler, parce que ce sont des petites cultures, ils sont même moins nombreux que nous pour la plupart, et pourtant leur culture résiste. Il y a des géants à côté d'eux, et ils réussissent à percer dans le monde.

Et, après ça, on arrivera à une autre maturation qui sera de se voir dans le monde. Là, c'est un autre thème que je n'ai pas développé dans mon mémoire. Je ne vais pas plus loin, vous ne m'avez pas posé la question, mais je trouve que c'est un point important à ce moment-ci de notre culture.

Le Président (M. Rioux): Bien.

M. Payne: Juste une question, si je peux me permettre.

Le Président (M. Rioux): Oui, allez.

M. Payne: Avez-vous un comité, un groupe technique qui se penche sur la question d'augmenter les revenus des produits dérivés à l'ère de l'Internet et des technologies de l'information? Nous avons discuté ça dans d'autres contextes, dans notre commission, l'an passé. Mais vous, de votre côté, avez-vous un comité technique qui se penche là-dessus?

M. Royer (Jean): Nous, non. Nous, nous sommes une trentaine d'écrivains dont plusieurs sont très âgés et la moitié sont très actifs, mais nous n'avons pas de moyens. Quand je vous disais que l'Académie n'est pas reconnue, nous avons une subvention de fonctionnement de 15 000 $ du CALQ pour la première année. Alors, le Québec est rendu là. Nous, nous avons demandé à Mme la ministre de la Culture qui nous a reçus d'officialiser... que le Québec reconnaisse son Académie. On peut partager des tâches, je ne sais pas, avec le ministère, avec le Conseil de la langue française, par exemple, bon. On peut aider parce que, nous, nous avons eu nos prix, nos décorations, nous sommes reconnus. Marie-Claire Blais ne demande pas d'autre médaille. Ce n'est pas ça. Nous essayons de représenter le Québec dans sa culture.

En novembre prochain, par exemple, l'Académie de Belgique va faire sa grande réunion publique d'automne et le thème sera: La littérature québécoise . Alors, l'Académie nous a écrit et nous organisons avec elle cette représentation de la littérature québécoise en Belgique.

Le Président (M. Rioux): Merci. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Merci bien pour votre présence. Je pense que, par votre présence, on peut se dire qu'on a atteint les objectifs qu'on s'était donnés, à cette commission, de regarder tout le secteur des arts et de la culture, son financement, d'une façon plus large qu'un strict mandat de surveillance du Conseil des arts et des lettres et de la SODEC. Et effectivement vous nous amenez un éclairage bien particulier.

Moi, j'ai plusieurs questions, mais je vais peut-être enchaîner sur un sujet qui est présentement sur la table, et c'est un peu la reconnaissance de l'Académie. Je pense que j'ai entendu M. le président réagir en disant... Qu'est-ce que c'est que cette histoire qui fait que vous n'avez pas de statut officiel au moment où on se parle? Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment ça se fait? Il doit y avoir un historique autour de ça, ou si vraiment vous nous dites qu'on se bute, à un moment donné, pratiquement inévitablement, à une histoire de bureaucratie où...

Mon collègue le député d'Outremont, qui n'est malheureusement pas ici aujourd'hui, nous a presque fait une crise d'allergie aux grilles en disant: Ah! Les fameuses grilles! Est-ce que vous êtes en train de nous dire que c'est une histoire de bureaucratie et de grilles qui nous empêche, comme société, de reconnaître une Académie des lettres du Québec? Je veux vous entendre sur cette difficulté que vous avez, qu'on a à reconnaître un statut officiel à une Académie des lettres.

M. Royer (Jean): Non, je ne crois pas que c'est une affaire de technocratie ou quoi que ce soit, c'est une affaire de maturation de la culture. Quand j'ai demandé au premier ministre, en 1996, de donner des obsèques nationales à Gaston Miron, c'est que j'y croyais. Je croyais que cet homme-là, qui n'était pas seulement mon ami, mais qui était un grand poète qui nous a représentés dans le monde, partout, devait avoir des obsèques nationales, ne serait-ce que pour nous-mêmes, ne serait-ce que pour reconnaître un écrivain exceptionnel. C'est notre Pablo Neruda, Miron. Mais on ne l'a pas nommé ambassadeur. On le laissait courir au carré Saint-Louis, et il a fait une oeuvre d'animation extraordinaire.

Alors, nous, non, ce n'est pas qu'on pleure qu'on n'a pas été reconnu. Ce n'est pas du tout une plainte. Je crois que cela va avec la maturation de notre culture. Nous avons demandé un rendez-vous à la ministre. Elle nous a reçus et elle a pris, elle a accueilli le dossier. J'en profite aujourd'hui pour le dire parce qu'il me semble que ça fait partie de cette question de la culture, tout simplement.

Si le Québec officialise son Académie, il y aura toute une conséquence. D'abord, peut-être qu'on aura les moyens de fonctionner nous-mêmes. L'Académie a toujours été seule dans son coin. Et, par Victor Barbeau, qui avait été prévoyant et qui enseignait aux HEC, l'Académie avait un pécule qui fructifiait petit à petit. Donc, elle a toujours été indépendante et a fait ses choses. Elle donne des prix, elle fait un colloque, elle fait la rencontre internationale, qui sont subventionnés par le CALQ et par d'autres. Non, c'est un moment de notre culture. Je pense qu'il est temps que le Québec officialise son Académie de littérature. À ce moment-là, on pourra jouer un rôle diplomatique dans la représentation de notre culture, ici et dans le monde.

Parce que, nous, nous ne revendiquons rien contre les éditeurs ou contre ci, contre ça. Nous sommes vraiment libres et pour la littérature. Mais je pense que, s'il y a un Sommet de la francophonie quelque part... Par exemple, ce qui était gênant, c'est que, au dernier Sommet de la francophonie, en dehors du Québec, il n'y avait pas de représentants littéraires proprement dits, il n'y avait pas un représentant de l'Académie qui était là – oui, il y en avait, Antonine Maillet, qui est membre de notre Académie, était là, mais le Québec n'en avait pas – c'est à ce niveau-là et aussi dans la représentation protocolaire de notre littérature. Cela fera avancer beaucoup de choses, je crois. Vous le savez, vous êtes en politique. Vous connaissez ces moteurs sociaux.

Mme Beauchamp: Il y a une autre question qui m'intrigue. Je veux bien comprendre ce que vous nous dites dans votre mémoire aujourd'hui. Par exemple, lorsqu'on parle de l'effort fait dans le cadre du Printemps du Québec à Paris, le Salon du livre, et tout ça, dans l'exposé que vous nous avez fait tantôt, vous reprenez souvent le mot «pédagogique». Vous dites, par exemple: «On n'a certes pas présenté notre culture de façon pédagogique», en parlant de l'action de la SODEC lors du Salon du livre. Et, un peu plus loin, aussi, vous nous dites que «le commerce a primé sur la pédagogie d'une connaissance plus approfondie de notre littérature». On sait que ce genre d'événements est appelé à se renouveler dans d'autres contextes. Il y en aura un prochain à New York, et tout ça. J'ai envie de vous entendre sur quelle est, vous, votre vision du poids et du sens qu'on doit donner à ce genre d'événement. Puis qu'est-ce que vous voulez vraiment dire par «présenté notre culture de façon pédagogique»?

M. Royer (Jean): D'accord. D'abord, je ne critique pas la SODEC dans ce qu'elle a fait – je ne critique pas l'événement qui a été formidable, et vraiment nous avons bien fait de saisir l'occasion – c'est dans la manière. Je suis plus critique devant la manière de faire. C'est-à-dire que nous avons eu le réflexe de donner à une corporation d'éditeurs la responsabilité. La SODEC évidemment chapeautait le financement, c'est normal. Mais on a moins pensé au contenu. Le contenu s'est défini par la réunion d'un comité d'éditeurs qui s'échangeaient les noms d'auteurs: Ah! bien, si tu me donnes celui-là, je te donnerai l'autre. De sorte qu'il y a eu toutes sortes d'anomalies. Un écrivain, qui n'est pas écrivain mais qui a publié un roman, représentait Trois-Rivières alors qu'il vit à Québec et n'est absolument pas connu. Cela veut dire que, pour moi, c'est perdu. Je suis bien content pour cet écrivain-là, mais ce qu'il faudrait, c'est savoir se représenter dans le monde.

Et donc, si on avait eu un sens pédagogique, peut-être qu'on aurait préparé, par exemple, un numéro de la revue Forces ou de toute autre revue sur: Qu'est-ce que la littérature québécoise? Voici 15, 20 grands noms. Voici les grandes tendances depuis la Révolution tranquille. Vous voyez, c'est une vraie littérature, elle fonctionne, elle est complète. Il y a des voies diverses, il y a des grandes voies, il y a des voies plus intimes. C'est ça, une littérature. Et là la France nous respecterait plus sur son terrain, à ce moment-là. Et là les médias français auraient confiance, quand il y a un livre québécois à la Librairie du Québec qui est là, que ce livre appartient à une littérature, que cet écrivain fait partie d'une vraie littérature.

(12 h 20)

Quelle est la différence entre les littératures d'Amérique latine et la littérature québécoise par rapport à la France? Il y a eu une volonté politique et une volonté commerciale de se faire connaître à partir de Paris. On a été traduit. On connaît beaucoup plus les littératures latinos qu'on connaît la littérature québécoise. Et pourtant, moi, je peux placer Ferron à côté de Garcia Marquez, ce n'est pas gênant du tout. Je peux placer Hubert Aquin à côté d'un autre écrivain latino. Nous sommes au point où il faut penser comment se représenter dans le monde et le faire de façon pédagogique. Je ne nie pas le but commercial, c'est évidemment pour agrandir notre marché. Mais, pour durer et pour vraiment pénétrer ce marché-là, ce n'est pas avec un coup de force ou un coup de gueule de trois, quatre écrivains.

Moi, je suis humilié, par exemple, que, dans le Printemps du Québec à Paris, quelqu'un comme Marie-Claire Blais ait passé presque à côté, qu'il n'y ait pas eu d'article sur son oeuvre alors qu'elle a publié chez Gallimard, chez Flammarion, chez Grasset, et ils l'ont tous rejetée. Elle publie au Québec maintenant.

Mais, nous, nous avons une littérature qui est la plus forte de la francophonie, actuellement. Ce n'est pas le roman français qui est intéressant – ah, il est très bien écrit, ce sont des grands stylistes, mais je parle du côté de l'imagination – c'est notre littérature qui est la plus forte. Les Belges, ils s'en vont à Paris pour se faire publier; bon, ils sont comme des écrivains français. Et on n'est pas capables de passer notre présence d'une façon pédagogique – «pédagogique», il n'y a pas d'autre mot. C'est peut-être le vieux journaliste pédagogique en moi. Je suis un vieil humaniste des années soixante en journalisme. Mais c'est la façon de passer le message et d'être présent ailleurs.

Par exemple, pourquoi, dans nos délégations culturelles du Québec, il n'y a jamais d'écrivain qui pourrait aider le fonctionnaire? Il faut qu'il y ait un fonctionnaire et quelqu'un sur le terrain. Et tout ça est lié avec les différents commerces. Mais pourquoi il n'y a pas un écrivain qui est invité, ce que faisait Mme Louise Beaudoin quand elle était déléguée?. Elle n'était pas écrivain, mais elle le faisait, elle était forte culturellement. Pourquoi il n'y a pas d'écrivain pour nous représenter dans les salons de Paris? C'est tout ça qui fait avancer la littérature. Et on a déjà la Librairie du Québec, c'est un grand pas. Maintenant, il faudrait une volonté politique à côté pour créer la conjoncture de notre présence et tirer parti de cet événement formidable du Printemps du Québec à Paris.

Le Président (M. Rioux): M. Royer, vous avez réussi, à l'intérieur des quelques pages que vous nous avez livrées, à attirer notre attention sur l'infiniment petit et l'infiniment grand ou l'infiniment gros, c'est-à-dire le triste 3,2 % que retire la littérature québécoise des budgets de 42 000 000 $ du CALQ. En plus, vous nous avez rappelé le sort de l'Académie qui n'a pas encore sa reconnaissance officielle.

Mais, en même temps, vous nous lancez un avertissement, un signal de faire bien attention à la mondialisation et à cette tendance lourde de vouloir faire de la culture une marchandise. Vous dites que les forces énormes du capital financier risquent de nous passer dessus comme le rouleau compresseur. À ce moment-là, M. Royer, est-ce que vous pensez que le Québec doit, au sein de la coalition, devenir un leader pour protéger la diversité culturelle contre l'Union mondiale du commerce?

M. Royer (Jean): Nous n'avons pas le choix, M. Rioux. Vraiment, il faut absolument être un leader là et dans la francophonie. Il faut tout faire pour être un leader dans la francophonie. Je sais qu'il y a des problèmes politiques qui rendent la chose difficile, mais c'est ça. Et l'exception culturelle, vraiment, c'est à nous d'y voir parce que, vous savez, la Louisiane, ça a pris 20 ans, une génération, et ils ne parlaient plus français, un français audible, hein! Nous, ça va être la même chose. Il ne faut pas se faire d'idée, ça va être la même chose. Même si on est 80 % de francophones, en une génération, c'est terminé.

Surtout de la façon dont le ministère de l'Éducation a retiré aux élèves le texte littéraire, par exemple. Ça, c'est une de nos grandes erreurs, en tant que société. On leur donne un texte littéraire; puis non, c'est un texte de communication. Comment rédiger un télégramme ou une lettre. Bon, mais on ne leur fait pas lire de littérature, des morceaux de littérature; donc, ils ne sont pas structurés. Ils sont structurés pour communiquer, mais ils ne sont pas structurés pour imaginer un rapport à l'autre et un rapport à soi-même.

Le Président (M. Rioux): M. le député d'Iberville.

M. Bergeron: Oui. Merci, M. le Président. C'est un petit peu en corollaire à ce que vous venez de dire. Et vous avez parlé tantôt de la représentation de notre littérature dans le monde. On va revenir au Québec, par rapport à la maturation de notre culture, sa valorisation. Ça déborde peut-être un peu, mais c'est quand même sous-jacent. Si je vous dis: On ne valorise pas notre culture ou on donne peu de place à sa valorisation ici, c'est un constat qui est navrant. Est-ce que vous êtes d'accord avec ce que je dis? Et de quelle façon peut-on faire que les Québécois, les 6 000 000 et quelques de francophones qui sont au Québec, soient de meilleurs consommateurs, soient de plus grands consommateurs de littérature québécoise? Est-ce que vous pouvez me dire comment on peut faciliter puis agrandir la diffusion de la littérature québécoise dans notre propre marché domestique? Parce qu'à mon sens c'est fondamental. Avant de lorgner vers les autres sociétés francophones de la planète, il faut s'implanter solidement et massivement sur notre territoire national.

Le Président (M. Rioux): M. Royer.

M. Royer (Jean): Oui. Il faut renforcer évidemment notre machine éditoriale, il faut lui donner les moyens d'être solide, plus solide encore, mais dans tous les maillons de la chaîne. La librairie actuellement est un maillon difficile.

Par contre, je dirais qu'on devrait commencer par deux choses: enseigner aux enfants à lire de la littérature dans leurs livres d'école, et ensuite être fiers nous-mêmes, tous ceux qui travaillent publiquement, que ce soit les hommes d'affaires, vous, Mmes, MM. les députés, nous qui intervenons publiquement, rester fiers de cette littérature et la citer de temps en temps, peut-être. Si on en est fiers, on va y porter plus attention. Le reste s'organise selon les institutions que nous nous sommes données, mais je pense que ce qu'il faudrait, c'est une concertation de gens de contenus avec des gens d'affaires. C'est un peu, là, ce qui manque actuellement avec les gens de l'éducation et des gens de contenu de la littérature.

Le Président (M. Rioux): Merci. Mme la députée de Sauvé.

M. Bergeron: Juste une dernière question, s'il vous plaît. À un moment donné, le titre de votre mémoire, c'est: Il faut décupler l'aide aux écrivains, à la littérature . Elle est bien banale, ma question, mais est-ce que l'argent va tout régler, ou c'est la panacée principale, primordiale? Pensez-vous que, au lieu que ce soit – on a parlé de chiffres, regardez – 1 300 000 $, 13 000 000 $, on va être sur la bonne voie, on ne restera pas sur une voie de garage?

Le Président (M. Rioux): Rapidement, M. Royer.

M. Royer (Jean): Vous comprenez que c'est une image décuplée, évidemment. Je ne fais pas de mathématiques, là. Mais il faut consolider la position sociale de l'écrivain et donc commencer par le payer pour ce qu'il fait, pour ce qu'il est. C'est dans ce sens-là que je dis que, oui, l'argent est nécessaire pour l'écrivain. Écoutez, ça n'a aucun sens qu'un écrivain qui fait une préface à un livre reçoive 50 $ alors qu'il travaille une semaine, qu'il maîtrise un sujet et qu'il le résume pour l'auteur, pour l'éditeur. C'est dans nos esprits qu'il faut changer la position sociale de l'écrivain. Ce n'est pas un faire-valoir, l'écrivain, c'est notre conscience aiguë d'être au monde, et c'est dans ce respect-là que...

Le Président (M. Rioux): Très bien. Merci. Mme la députée, s'il vous plaît.

(12 h 30)

Mme Beauchamp: Merci. M. Royer, un peu plus tôt, vous avez abordé un sujet. Je pense qu'il faut y revenir si on veut un peu plus examiner tout de même l'action, par exemple, de la SODEC. Vous avez abordé très sommairement – mais j'aimerais ça qu'on y revienne – l'impact possible de la participation du gouvernement du Québec dans une mégalibrairie. En fait, je dis la participation du gouvernement du Québec dans une librairie de grande surface, mais aussi je pourrais juste dire: Sur cette structuration du marché qui fait qu'on est devant des librairies de grande surface et sur le fait donc que la SODEC a affirmé – et je ne sais pas trop encore quoi en penser – qu'il était nécessaire que, comme citoyens et citoyennes, notre argent serve à ce qu'on soit propriétaire de librairies de grande surface en disant: Il était primordial de s'assurer qu'il y en aurait qui allaient privilégier, entre autres, la littérature en langue française.

Tantôt, vous avez dit: Il y a un couteau à double tranchant là-dedans. Et j'aimerais ça vous entendre sur... Disons qu'on se dit: Peut-être qu'il fallait le faire. Il y a tout de même... Vous semblez dire: Il peut y avoir des impacts sur des plus petits – je pense qu'on parle plus particulièrement de la librairie du coin, du petit libraire – puis peut-être aussi sur l'éditeur et finalement sur l'écrivain. Mais donc j'aimerais vous entendre sur comment vous voyez l'avenir, à ce niveau-là, au Québec.

Le Président (M. Rioux): M. Royer.

M. Royer (Jean): Sûrement que la SODEC a bien fait de soutenir Renaud-Bray qui s'en allait. Ou ça aurait pu être Champigny. Mais, bon, ils ont choisi. Je ne suis pas un homme d'affaires, mais ce que je vois, c'est qu'on soutient aussi les librairies Garneau, qui sont à perte. Il me semble que, si on fait un seul mégaréseau de librairies, on a un devoir de soutenir les librairies indépendantes. Parce que les librairies Garneau appartiennent à un des plus grands distributeurs, ADP; à une des plus grandes maisons d'édition, Sogides, le même homme. Et là il reçoit de l'argent pour ses librairies à perte – il s'en est bien débarrassé, peut-être.

Ça fait un réseau tellement grand que la librairie du Square, à Montréal, ou la librairie Pantoute, ici, ne pourra pas soutenir les prix de Renaud-Bray. D'autre part, ça crée une commercialisation à outrance. Moi, je suis entré dans ma librairie habituelle il y a quelques semaines, elle venait d'être vendue à Renaud-Bray. Au rez-de-chaussée, je ne vois plus les livres, les nouveaux arrivages des livres qui arrivaient dans la semaine. Non, je n'ai plus ma table de nouveautés. Ce que j'ai: les calendriers, les agendas, les magasines. Et il n'y a plus de livres. Où sont les livres? À l'étage. Si vous voulez des livres, montez. Donc, c'est une librairie pour le passant, ce n'est pas une librairie pour celui, celle qui lit. Ils doivent faire un effort de plus, s'en aller plus loin. Et, en haut, il y a une commercialisation à outrance. Il le faut. Sans ça, elle n'aurait pas le moyen d'être là. Bien sûr, je comprends la commercialisation, mais la petite librairie, dans ça, n'a plus les moyens, ne vend pas ses livres à un plus bas prix que ce gros-là, et donc elle va disparaître. C'est mathématique. Et ça s'est fait. À Paris même, la librairie Le Divan n'est plus dans VIe arrondissement. C'est un mouvement tout à fait normal.

Donc, quand on fait une politique où on crée un réseau, où on grossit, pourquoi ne pas s'occuper du petit en même temps? Ça n'aurait pas pris des millions pour s'occuper des libraires indépendants, mais il y aurait eu peut-être là une concertation plus forte avec le milieu que plutôt deux hommes d'affaires et la SODEC. Les écrivains, eux, ils vont être perdus dans ça. La littérature qui n'a pas un fort marketing, qui n'est pas du best-seller mais qui est de la littérature qui se vend normalement, elle est toujours reléguée dans l'arrière-chambre, à ce moment-là. C'est sûr, c'est le mouvement normal.

Mme Beauchamp: Mais, M. Royer, on est en train de dire... Quand vous dites «aurait fallu faire les deux», peut-être qu'il fallait consolider la présence québécoise au sein des librairies grande surface, mais aussi porter attention et voir comment structurer un réseau de librairies indépendantes. On parle de plus petites librairies qui ont un fond de commerce important habituellement, qui maintiennent sur leurs rayons l'ensemble de l'oeuvre de quelqu'un, et tout ça. Mais on est aussi devant le problème que la SODEC est, il me semble, juge et partie. Est-ce qu'on ne peut pas résumer ça en disant: Dans toute cette complexité vraiment du réseau des librairies, et tout ça, la SODEC a fait son choix, elle a décidé d'être partenaire à part entière, actionnaire de librairies de grande surface? Est-ce qu'elle pouvait en même temps faire ça puis dire: Je vais vous aider? Le choix est fait. Le choix a été fait.

M. Royer (Jean): Voilà. C'est le système qu'il faudrait peut-être repenser et réviser; en tout cas, être plus concerté. C'est sûr que, si la SODEC est partenaire, copropriétaire, évidemment, elle ne s'occupe plus des petits, elle ne pense pas aux petits. La SODEC est dans un autre registre, aussi.

Le Président (M. Rioux): C'est assez gênant de financer sa concurrence. En clair.

Mme Beauchamp: J'aimerais peut-être aussi revenir sur une autre dimension. En fait, deux autres. Il me reste sûrement peu de temps, ça fait que je vais demander votre collaboration.

Le Président (M. Rioux): On va vous demander la vôtre aussi.

Mme Beauchamp: Oui. Je vais poser mes deux questions en même temps, avoir vos deux commentaires. La première, c'est par rapport à votre deuxième recommandation. C'est peut-être ça qui dans le fond m'intéresse le plus. Vous dites que vous invitez, au niveau du Conseil des arts et des lettres, si je crois bien, que les jurys tiennent compte le moins possible, entre autres, des régions, des âges. Mais vous mentionnez des régions. Vous savez que, tout au courant de la semaine, lors des audiences, ça a été un des sujets importants que cette reconnaissance et le financement des cultures dans les régions. Ici, vous êtes devant des députés, hein? Notre grille d'analyse, c'est une grille par région, par circonscription. Mais je suis sensible à cette discussion, moi, sur comment on fait pour s'assurer d'une présence forte de la culture dans les régions, mais comment on fait, avant tout, pour s'assurer, par exemple, d'une littérature, d'une littérature forte et libre. Donc, j'aimerais ça, vous entendre. Je pense que c'est important que l'ensemble des députés ici vous entendent sur cette question. Entre autres, vous, vous dites carrément: Qu'on ne tienne pas compte des régions dans la composition des jurys.

Mon autre question portait... Vous avez parlé tantôt, comme élément de solution: la transparence dans les montages financiers des éditeurs. Vous savez que, si on fait le parallèle avec le milieu du cinéma, les producteurs de cinéma nous ont dit: Là, on rentre dans des aspects qui sont strictement commerciaux, vous ne pouvez pas nous obliger à la transparence. Vous avez été éditeur, vous l'êtes à l'occasion, vous nous avez dit. Qu'est-ce qu'on fait? Est-ce que c'est possible, la transparence, ou si on entrave les règles de la concurrence?

M. Royer (Jean): Bien sûr, on ne peut pas entrer dans les livres de comptes d'une entreprise privée comme ça, mais peut-être qu'il faudrait y avoir un code d'éthique. Peut-être qu'il faudrait uniformiser les comptabilités d'éditeurs, de façon aussi à contrôler qu'est-ce qu'ils font avec cet argent-là, les éditeurs. Tous les éditeurs ne se servent pas nécessairement de l'argent pour tel ou tel programme. On ne sait pas; c'est à vérifier. Je crois que c'est à vérifier. Donc, s'il y a une uniformisation des systèmes de comptabilité, l'écrivain ne se plaindra plus: L'éditeur ne me paie pas. Non, il va y avoir un système qui va être examiné à différents niveaux, et chacun doit répondre à un code d'éthique. Je pense que c'est ça qui serait une solution.

D'autre part, pour les régions, ce que je veux dire, je veux dire que le CALQ, évidemment, doit tenir compte et s'implanter dans chacune des régions pour aider les créateurs de chaque région; c'est bien important. Mais, à un certain niveau de jury, pour des bourses sur le plan national, je pense que là il ne faut pas dire: Ah, non! cet écrivain, cet artiste est trop jeune. Parce qu'il y a eu cours, à un moment donné, les écrivains donnaient des bourses, mais à des moins de 35 ans. Ils disent: Les vieux en ont eu assez. Bon. Il y a des choses comme ça qui se font, peut-être moins depuis qu'il y a le CALQ, mais c'est d'éviter les disparités en dehors du vrai critère pour lequel est donnée, est attribuée une bourse. C'est dans ce sens-là que je dis ça. Mais il faut vraiment que chaque région soit servie le mieux possible par le CALQ et que les créateurs de chaque région aient leur chance. Il n'y a pas seulement Montréal et Québec.

Le Président (M. Rioux): Alors, M. Royer, M. Ricard, merci. Ça a été un avant-midi qui a été consacré à la littérature. On a reçu des éditeurs, on a reçu des écrivains, et là on recevait l'Académie. Ça fait du bien à des parlementaires de recevoir le témoignage de personnes de vaste expérience et surtout des personnes qui ont un respect profond pour la littérature et ses créateurs. Et soyez assuré, M. Royer, que ça fait partie des avant-midi peut-être les plus riches qu'on aura vécus, et on va certainement en tenir compte dans notre analyse et nos recommandations. Merci.

Suspension jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 40)

(Reprise à 14 h 10)


Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ)

Le Président (M. Rioux): Alors, les gens de l'ADISQ sont bien en place? M. Rodrigue?

M. Rodrigue (Pierre): C'est ça.

Le Président (M. Rioux): Présentez-nous vos collègues.

M. Rodrigue (Pierre): Alors, à ma gauche, Mme Solange Drouin, directrice générale et vice-présidente affaires publiques de l'ADISQ, Association du disque et de l'industrie du spectacle québécois; et, à ma droite, M. Jacques Primeau, membre du conseil d'administration de l'ADISQ et, dans la vie de tous les jours, gérant d'artistes, ex-président de CIBL...

Le Président (M. Rioux): Gérant d'artistes?

M. Rodrigue (Pierre): Gérant d'artistes.

Le Président (M. Rioux): Très bien.

M. Rodrigue (Pierre): Ça en prend!

Le Président (M. Rioux): Ça en prend.

M. Rodrigue (Pierre): Vous en avez deux devant vous. Parce que moi-même, bien qu'arrivé par divers moyens dans l'industrie, je suis gérant d'artistes en chansons.

Le Président (M. Rioux): Vous êtes arrivé, vous, par la voie de contournement?

M. Rodrigue (Pierre): Oui, par le droit qui est supposé de mener à tout.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Rodrigue (Pierre): Même au show-business.

Le Président (M. Rioux): Alors, M. Rodrigue, présentez-nous votre mémoire, on est tout oreilles.

M. Rodrigue (Pierre): Bien, tout d'abord, merci de nous accueillir et de nous donner la chance de vous faire valoir ce que, pour nous, à l'ADISQ, représente la SODEC. Je vais dire d'entrée de jeu que, pour nous, la SODEC est une courroie de transmission très, très, très importante entre l'industrie du disque et du spectacle et le produit, d'une part, et les gens qui créent ce produit, par ailleurs, pour l'amener jusqu'au public québécois et au public étranger.

En deux mots, l'ADISQ est un regroupement de producteurs qui originalement a vu le jour pour produire une émission vitrine de ce qui s'est passé dans l'année précédente à Radio-Canada. Donc, c'est presque l'oeuf avant la poule. Pour mettre sur pied cette émission-là, pour présenter un gala annuel, les producteurs se sont réunis en association. Donc, les grands objectifs de l'ADISQ étaient tout promotionnels: donc, un gala annuel, et très rapidement orchestrer la présence de la délégation québécoise à Cannes, au MIDEM, la Convention du disque et de l'édition musicale qui, cette année, a présenté sa 34e édition.

Le Président (M. Rioux): Vous êtes une agence de promotion.

M. Rodrigue (Pierre): C'était à l'époque...

Le Président (M. Rioux): À l'époque, c'était un genre de...

M. Rodrigue (Pierre): ...carrément un regroupement de gens, en disant: Ensemble, nous prendrons les moyens suffisants pour présenter une émission de télévision et pour acheminer cette délégation à Cannes. D'ailleurs, je vous invite... Dans votre pochette, là, il y a le dernier rapport annuel de l'ADISQ qui présente plus en détail comment ça s'était passé. Mais l'ADISQ s'est rapidement transformée en lobby, d'abord pour faire valoir certains intérêts communs à tous ces producteurs, et récemment, je dirais il y a moins d'un dizaine d'années, les différentes législations ont forcé l'ADISQ à s'identifier comme collège de négociation. Avec la loi sur le statut de l'artiste, notamment, si on regroupait les artistes sous une bannière pour négocier certaines conditions, il fallait bien, de l'autre côté, avoir un collège de négociation. Je dis «il fallait bien» parce que c'était assez paradoxal dans la mesure où, de part et d'autre, c'étaient des gens qui étaient plutôt associés dans la vie de tous les jours que dans une relation conventionnelle d'employeur à employé ou de rapport de force évident. On retrouvait là surtout des gens qui étaient depuis 10 ans, 15 ans, associés avec leurs artistes.

Malgré cet état de choses, malgré l'importance de l'ADISQ lobby, l'ADISQ a toujours mis de l'avant ou prôné que son objectif principal était de donner les moyens à cette industrie d'une centaine d'entreprises de se développer le mieux possible et, pour ça, de grandir, parce que c'était une industrie et c'est toujours une industrie relativement jeune.

Un très, très bref historique. Sauf pour quelques pionniers, l'industrie du disque et du spectacle est véritablement née lorsque les multinationales se sont retirées du marché québécois au milieu des années soixante-dix ou fin des années soixante-dix, voyant qu'il n'y avait pas trop d'argent à faire chez nous, puis ne comprenant pas tout à fait la dynamique, une dynamique très, très nationaliste dans un contexte qui portait de plus en plus à une globalisation. Ce qui existait de show-business – donc la plupart du temps des gérants – réclamait une attention contre des géants mondiaux, et les directeurs, ce qu'on appelait les «branch manager», ne comprenaient pas vraiment de quoi on parlait en disant que derrière Harmonium il fallait prendre cet argent-là et recréer des nouveaux artistes québécois, alors qu'eux, peu importe qui était numéro un dans les palmarès, ce qui comptait, c'est que ça soit quelqu'un de chez eux: qu'il vienne d'Australie, qu'il vienne surtout des États-Unis ou d'Angleterre.

Le Président (M. Rioux): C'est intéressant, ce que vous dites là. Juste pour nos parlementaires, c'est que ces grandes entreprises là avaient beaucoup de difficultés à diviser ce qui existe: il y a le show puis il y a la business. Eux autres, privilégiant la business, ils vous ont laissé le show.

M. Rodrigue (Pierre): Oui, parce qu'ils sont surtout partis... D'ailleurs, ils sont partis avec des infrastructures qui n'existaient plus après. Le Québec se distingue, là... La structure qu'on connaît dans l'industrie du disque et du spectacle au Québec, elle est unique au monde. Il n'y a pas un endroit où, en pourcentage, les indépendants sont aussi puissants, ils occupent autant de terrain. Il n'y a pas un endroit où un distributeur indépendant, qu'il s'appelle Select, Trans-Canada, quatre, cinq noms de regroupements qui appartiennent au groupe Quebecor maintenant, il n'y a pas un pays où l'indépendant est le leader du marché dans son secteur. En musique francophone, évidemment que ce distributeur-là est le leader de son marché.

Ce côté très spécifique là, bien, on le doit au fait que 85 % de la production de musique nationale est gérée par des indépendants, est produite par des indépendants.

C'est bien, mais ce n'est pas, par ailleurs, à cause de la dynamique franco-anglaise, canado-Québec. Évidemment, il y a des pays qui performent mieux à ce niveau-là. Notons l'Angleterre, à 45 %, ou l'Allemagne, à plus de 40 %. Mais, par rapport à la France, par exemple, ça démontre que la vitalité de cette industrie-là, si elle est bien encadrée, si elle est bien huilée, elle peut être compétitive aux multinationales, enfin, aux données qu'on avait il y a un an. Vous savez à quelle vitesse ça peut changer.

Et je vous invite à considérer que l'ADISQ représente, oui, des producteurs, mais qui sont non seulement par rapport aux très, très gros, mais même par rapport à des producteurs dans d'autres disciplines. On ne parle presque même plus de PME mais plutôt de PPPME. On parle d'entreprises avec un revenu moyen de vente, en 1996-1997, de 575 000 $. Alors, quand on sait combien il reste sur des ventes de 500 000 $... Et là je vous invite à croire que l'ADISQ, d'une part, mais l'ensemble des producteurs de disques et de spectacles, par ailleurs, ne peuvent pas avoir ici un visage ou un profil autre qu'un profil très près des artistes, très près des créateurs. Vous n'êtes pas en présence de producteurs bien nantis, exploiteurs d'artistes, là. C'est un «cartoon», si vous me permettez l'expression, qui... Je vais me battre jusqu'à la mort pour essayer de l'enlever des cerveaux. Mais c'est normal, avec tout le folklore qu'on a vu au cinéma un peu partout, de voir le gérant – grand chapeau, cigare – et le petit artiste exploité à côté. Il faut comprendre qu'on n'est pas dans cette dynamique-là dans le disque et dans le spectacle au Québec.

Je faisais référence à des changements récents dans l'univers mondial de notre métier. Je demanderais à Jacques de justement aborder ce sujet-là et de vous montrer l'importance que tous les maillons de l'industrie, telle qu'on la connaît au Québec, demeurent tels qu'ils sont et que soit toujours reconnue l'industrie du disque et du spectacle par ses entreprises comme étant la seule structure viable à long terme pour que restent la chanson et la variété comme on la connaît.

M. Primeau (Jacques): Bonjour, tout d'abord. Oui, donc, gérant d'artistes, effectivement. Juste pour donner une idée des gens avec qui je travaille, ça va de Marie-Michèle Desrosiers, qui était avec Beau Dommage, qui continue, Jim Corcoran, Louise Forestier, Pierre Flynn, les anciens de Rock et Belles Oreilles – j'ai été le gérant de Rock et Belles Oreilles pendant tout ce temps-là, toute la durée du groupe – et, bon, quelques autres. Juste pour donner une idée de la variété, dans quels secteurs on travaille, souvent, on va se retrouver justement à travailler sur des dossiers qui sont totalement différents.

Et aussi, le type d'ententes qu'il y a entre les compagnies de disque, les producteurs et les gérants sont aussi très variables: il y a des coproductions; il y a des licences; il y a des contrats d'artistes. Je ne veux pas me lancer dans un langage trop technique, mais tout ça pour dire que les relations entre les créateurs et tout ce qui s'appelle machine de production au Québec, c'est quelque chose qui a été tissé de fil en aiguille, et on ne peut pas se cacher très longtemps. C'est-à-dire qu'on peut toujours faire une passe une fois, mais on est vite retrouvé, et on est vite identifié, et on est vite évacué. Quand ça fait 15 ans qu'on est dans la business, on peut peut-être avoir certains ennemis, c'est sûr, mais, si tout le monde sait qu'on ne fonctionne pas correctement, je ne pense pas qu'on va durer très longtemps.

(14 h 20)

Donc, ce qui m'amène à dire que le type de contrat avec lequel on travaille, le type d'entente qu'on a, c'est quelque chose qui n'est pas comparable nécessairement à d'autres secteurs. Et c'est aussi le fait que le partage de ce qu'on appelle le risque – j'ai vu dans vos débats qu'il y a souvent cette question-là – il y a un équilibre qui s'est fait souvent entre des artistes à succès, des artistes qui sont nouvellement arrivés, des artistes établis, où il y a différentes façons de s'entendre entre artistes, producteurs et gérants pour arriver à ce niveau de risque là.

Mais il y a toujours une chose qui est sûre, c'est que plus ça va, plus les productions coûtent cher, plus l'investissement est énorme et moins il y a de produits qui marchent. Moi, je parle à des gens plus vieux que moi; la différence entre les années quatre-vingt et fin des années quatre-vingt-dix, c'est surtout dans la variété de talents où il y a de moins en moins de nuances. Autrement dit, des gens qui vendaient 30 000, 35 000 disques auparavant, bon an mal an, et qui assuraient leur survie – la compagnie de disque trouvait une certaine rentabilité, il y en avait assez pour les chanteurs, il y en avait assez pour tout le monde – c'est de moins en moins le cas. C'est-à-dire, ou bien c'est 200 000 et on est très heureux, ou bien c'est 10 000. Et c'est cette portion-là de gens qui constitue finalement ce qu'on va appeler une valeur de catalogue ou enfin, si on veut, ce qui fait vivre à la fois les entreprises et ne pas être toujours tributaire du dernier succès ou du dernier échec.

Les différences de chiffres, on le sait, on ouvre le journal tous les jours... Aujourd'hui, c'est Vidéotron. Il n'y a pas longtemps, c'était le regroupement de Warner et EMI. Après ça, ça a été le regroupement de AOL, de Warner et EMI, 163 000 000 $ de chiffre d'affaires. On dit que la plus grosse compagnie de disques au Québec, c'est autour de 5 000 000 $ de chiffre d'affaires.

Alors, plus ça va, plus l'écart dans la possibilité de risquer sur un artiste devient énorme. On retrouve ça dans le cinéma également jusqu'à un certain point. C'est-à-dire que l'argent, par exemple, dans la mise en marché d'un artiste qu'on veut établir sur n'importe quel territoire à travers la planète, devient de plus en plus énorme. L'écart devient de plus en plus énorme entre les moyens dont on dispose dans un pays, dans un territoire comme le Québec, et, évidemment, sur l'ensemble de la planète. Ce qui fait que, par exemple, il y avait sept multinationales, il n'y a pas deux ans, dans le domaine du disque; on est rendu à quatre. Et même un territoire aussi important que l'Europe se voit finalement devant la situation où il reste seulement une multinationale en Europe, qui est BMG, contre trois multinationales qui ont leur centre de décisions aux États-Unis.

Alors, ça veut dire que ça va avoir des conséquences également sur la variété des produits. C'est-à-dire qu'un produit francophone qui va être intéressant sur une masse critique en Europe ne va peut-être pas être suffisamment intéressant vu de New York. Et ça va être la même chose en espagnol et ça va être la même chose, évidemment, si on prend le cas du Québec. Donc, la réalité de ce qu'on a vécu au Québec dans les années soixante-dix, qui a entraîné une action sur notre territoire à nous, il va probablement y avoir ce genre de réalité là en Europe. Ce qui fait que, dans les prochaines années, évidemment, il va falloir surveiller le type d'ententes qu'on a au niveau international. On voit la multiplication des moyens de distribution dans le disque, dans le cinéma, dans la télé, puis évidemment dans tous les domaines.

Ce qui m'amène donc à parler des aides auxquelles on a accès au Québec depuis quelques années. Depuis 1983, il y a quelque chose qui a évolué graduellement, mais qui est resté quand même relativement minime, si on compare à d'autres secteurs. L'enveloppe donc est demeurée stable à 4 500 000 $ jusqu'à il y a deux ans, et on a effectivement vu passer ce montant-là à 9 500 000 $ pour l'ensemble du secteur. Et, quand on dit «du secteur», on parle de secteurs au pluriel, puisqu'on parle du disque, du spectacle de variétés. Donc, il ne faut pas oublier non plus que, là-dedans, il n'y a pas simplement le disque ou la chanson, mais il y a également tout le secteur de l'humour et le secteur des comédies musicales, tout ce qui entoure finalement le spectacle qu'on appelle de variétés.

Évidemment, pour chaque dollar qui est investi là-dedans, il faut voir comment effectivement on s'en sert. Moi, je peux vous dire que j'ai assisté aux débats, à partir de la disparition, par exemple, de la taxe d'amusement, ce qui a entraîné un grand nombre de débats. Il faut se rappeler que, ça, ça a eu un impact énorme, si on parle dans le cas du spectacle, et particulièrement en province, un peu partout en région, puisque les municipalités historiquement voyaient une source de revenus par l'activité spectacle. C'était le cas à Montréal, mais, comme ça allait dans un fonds consolidé, on ne le voyait pas vraiment. Mais, dans beaucoup de villes au Québec, le fait d'avoir une taxe d'amusement entraînait la municipalité à dire: Bien, si on investit dans le spectacle, on va avoir un retour sous la forme de taxe municipale.

Depuis cet état de fait là, on a compensé légèrement le secteur de l'activité spectacle. On n'a pas compensé complètement les gens de RIDEAU non plus ou les différentes salles pour cette perte-là. Donc, il y a eu, si on veut, différentes pressions ou il y avait des problèmes d'adaptation à régler avec ça, et les montants n'ont pas été à la hauteur, à notre avis. Là, il y a eu un effort quand même remarquable depuis deux ans, depuis le rapport sur la chanson. Je pense qu'il faut le souligner. On en est content. On est content aussi, je pense, du style de discussions qu'on a avec un instrument comme la SODEC où, effectivement, on sent qu'il y a une écoute et il y a une adaptation aux différents besoins du milieu. Alors, jusqu'à maintenant, je pense qu'on peut dire qu'on croit finalement que ce type d'interventions là est positive dans notre secteur.

M. Rodrigue (Pierre): En fait, financer le secteur par les entreprises va se trouver à garantir l'accès des Québécois aux oeuvres québécoises, mais pas nécessairement à celles de demain comme à celles d'après-demain, si on veut. Sans tomber en économie pure, c'est évident que donner à une structure de production, à une structure avec des entrepreneurs, des moyens pour atteindre des objectifs pour se rapprocher de l'exportation, pour consolider une présence dans le marché, en théorie – et c'est vérifiable que ça s'est traduit en pratique aussi – fait en sorte que l'argent généré par cette activité-là est réinvesti sur du risque, est réinvesti sur du nouveau talent.

À chaque cycle, si on veut, l'entreprise se redéfinit en disant: Vers quoi je dois aller, vers quel genre de production, dans quel genre d'artistes est-ce que je vais décider de placer mon intervention et de soutenir? Il est où, le risque? Dans l'éventail des risques possibles, moi, lequel je vais prendre? C'est une question que je me suis posée il y a deux ou trois ans. Tu réponds avec un certain équilibre, pour ma part, toujours en chansons, entre une chanteuse espagnole qui vient du sud des États-Unis et renouveler mes voeux avec Daniel Bélanger, et de prendre une artiste comme Mara Tremblay où je sais pertinemment que je n'aurai pas de masse de revenus ou de profits que je sais que je peux avoir dans un autre dossier, mais en me disant qu'un par rapport à l'autre fait croître mon entreprise. En fait, c'est le défi que relève chacun de nos membres.

Comme société – je parle de la société québécoise – on se doit de se poser ces mêmes questions-là, surtout au Québec, dans un contexte nord-américain anglophone. Et c'est pour ça que, sans que la SODEC ait été dès le départ – peu importe les noms qu'elle a eus – l'outil parfait, je pense qu'avec ces commissions, avec les dialogues qu'on a continuellement, la réforme des programmes, l'ajout justement aux commissions de certains de nos collègues, les autres maillons de la chaîne, auteurs ou artistes, on approche d'une formule qui, pour nous, est gagnante et qui ramènera aussi un minimum de fierté à être un entrepreneur dans ce secteur-là par rapport au gouvernement, par rapport aux regroupements d'auteurs ou d'artistes. L'orientation de la SODEC, par les énoncés de son président notamment, rejoint à peu près les mêmes objectifs que nous: développer les entreprises pour que tout le monde puisse se servir de ces entreprises-là, que chaque maillon de la chaîne puisse compter sur des entreprises fortes qui vont payer leurs comptes, qui vont respecter leurs contrats, qui vont développer des carrières en association avec les artistes et qui...

Le Président (M. Rioux): Il vous reste une minute.

M. Rodrigue (Pierre): ... – merci – amèneront des projets à l'étranger. On en a vus en cascade, des projets québécois qui se sont pointé le nez à l'étranger. C'est bon signe, et il y en aura d'autres.

Notre vigie, à l'ADISQ, si on veut, ça sera toujours de s'assurer que chaque dollar est envoyé là où c'est le plus structurant, de manière à ce qu'on puisse compter sur cette structure-là dans un an, dans deux ans, qu'on puisse dire, comme dans certaines industries beaucoup plus conservatrices, ou conventionnelles, ou standard que le show-business: On sait que les maillons seront respectés dans cette chaîne-là, qu'il y a une seule manière de faire les choses.

Il nous reste un petit 1 000 000 $ qui avait été promis à l'époque par le gouvernement. Il y a eu 5 000 000 $ à l'époque. Il y a deux ans, il y a eu un très gros engagement du gouvernement, d'abord par 5 000 000 $ nouveaux directement envoyés dans les programmes, sur lesquels il y a eu 4 000 000 $ de reçus par la SODEC. Donc, on continue à mettre de la pression sur le gouvernement pour que ce 1 000 000 $ là apparaisse. Et, par ailleurs, les crédits d'impôt qui, dans notre secteur, ont été accueillis, nonobstant ce qu'on a fait comme représentations au niveau de l'humour, comme étant un outil formidable de développement pour lequel il n'y a pas de ségrégation – c'est une forme d'aide automatique lorsqu'on répond aux critères – si on regarde comment ça a été structurant et ça a été bénéfique dans les secteurs connexes, on est très optimistes et positifs à ce genre de nouveau financement.

(14 h 30)

Le Président (M. Rioux): M. Rodrigue, même si vous êtes recyclé en gérant d'artistes, vous avez gardé votre talent de plaideur, ce qui vous honore.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): Mais ce qui me fait plaisir à entendre, vous venez dire publiquement, devant des députés élus par le peuple, que vous n'êtes pas des exploiteurs d'artistes, que vous n'êtes pas des guérilleros du domaine de la culture. Ça fait plaisir parce que, vous le savez, vis-à-vis l'industrie du spectacle, soit de l'humour ou de la chanson, il s'est véhiculé un paquet de préjugés. Je pense que, s'il y a des gens qui en sont conscients, c'est bien vous autres.

Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir que le rôle d'une commission comme la nôtre... d'abord, ce n'est pas un tribunal – ne vous sentez pas obligés, ce n'est pas un tribunal – ce n'est pas une commission d'enquête, c'est une institution du Parlement qui a à regarder le fonctionnement de la SODEC et du Conseil des arts et des lettres. Je sens dans votre discours que vous êtes en symbiose avec la SODEC, culturellement probablement, parce que vous êtes des gens de business, et, deuxièmement, c'est que vous avez un désir qui est avoué, en tout cas dans votre papier, c'est de développer une industrie du spectacle qui soit assez costaude et assez solide pour résister à quelque envahisseur que ce soit. C'est bien, mais il me semble qu'il faudrait faire plus et mieux.

Moi, je vous en parle parce que c'est un milieu que j'aime, c'est un milieu où je trouve qu'il y a eu des entrepreneurs d'une exceptionnelle qualité dans ce secteur-là, qui ont su justement faire la distinction entre le show puis la business. Et c'est probablement parce que vous avez privilégié le show que vous respectez les artistes. Alors, ceux qui ont privilégié la business ont marché dessus. Il y en a eu de ça, il y en a eu trop, et on en veut de moins en moins. C'est un témoignage intéressant, témoignage que j'aime puis qui me plaît, je vous le dis en toute honnêteté.

Je pense qu'avec des gens comme vous autres on pourrait quand même essayer de bâtir pour l'avenir, mais ça ne nous empêche pas de garder, nous, une distance critique vis-à-vis toute cette industrie et vis-à-vis aussi les équipements que le gouvernement du Québec s'est donnés pour les aider: la SODEC, le CALQ. On est parti avec une idée, c'est d'améliorer ces organismes, les rendre encore plus performants et faire en sorte qu'ils jouent un rôle d'appui à l'industrie qui soit un appui porteur, structurant, comme vous l'avez dit si bien tout à l'heure, et, en cela, on partage un peu votre opinion. Mais vous allez découvrir que les députés, quel que soit le côté où on siège, sont quand même des gens qui ont une volonté très nette d'examiner le fonctionnement des deux organismes subventionnaires à l'endroit d'une industrie comme la vôtre.

Alors, je donne la parole au député de Marguerite-D'Youville, qui est un amoureux du spectacle, d'ailleurs.

M. Beaulne: Oui. D'abord, je vous remercie de nous avoir donné une sorte de cours en condensé d'un peu la manière dont se présente le milieu du spectacle et du disque au Québec. Ceci étant dit, vous semblez généralement satisfaits de votre relation avec la SODEC ainsi que des institutions qui l'ont précédée, qui avaient un peu la même vocation même si elles avaient un nom différent.

Sur la fin de votre présentation, vous avez fait référence au concept d'effet ou d'impact structurant des subventions ou des fonds gouvernementaux qui sont alloués. C'est un concept qui nous est très proche, puisque, de plus en plus, à mesure que les demandes, quel que soit le secteur d'activité, se font de plus en plus grandes par rapport aux ressources qui, elles, n'augmentent pas nécessairement au même rythme où augmente la demande, l'impact structurant devient important. Au-delà de votre satisfaction générale dans vos relations avec la SODEC, y a-t-il une manière ou y a-t-il des améliorations qui pourraient être faites de la part de la SODEC, et en particulier par rapport à votre milieu en matière justement d'impact structurant? Parce que, même si la relation dans son ensemble est bonne, je suis sûr que, quand même, il doit sûrement y avoir des choses à améliorer, vu de votre perspective, et c'est véritablement cela qu'on voudrait entendre. On est fort aise que vous soyez satisfaits, mais il y a quand même des choses à améliorer. Nous, on est ici, entre autres, pour recueillir justement des suggestions quant à l'amélioration du fonctionnement de la SODEC.

Le Président (M. Rioux): Alors, c'est vous, M. Rodrigue?

M. Rodrigue (Pierre): Oui.

Le Président (M. Rioux): Oui? Allez.

M. Rodrigue (Pierre): Je vous ai fait valoir à quel point on trouvait important qu'on puisse se reposer sur le développement d'une entreprise pour compter sur cette entreprise-là dans un an, dans deux ans, dans trois ans. Il reste encore, quant à nous, beaucoup trop d'aide financière à ce qu'on appelle «au projet par projet». Une entreprise soumet un projet donné et sera aidée dans la vision de ce projet-là. Quant à nous, toutes les fois qu'on peut tendre à faire le portrait d'une entreprise et à se demander comment, dans sa globalité d'intervention en affaires, on peut l'aider pour l'amener là où elle veut aller d'après son plan d'affaires, on doit privilégier ça. Ça va dans ce sens-là, mais, quant à nous, ça n'ira jamais assez vite et ça n'ira jamais assez loin dans l'évaluation globale de l'entreprise.

Jacques est à la Commission du disque et du spectacle à la SODEC. C'est un sujet de la première heure et qui revient. Peut-être que tu pourrais donner quelques exemples de certaines fois où tu es obligé de présenter deux et trois dossiers différents parce que l'entreprise ne se classe pas encore...

Le Président (M. Rioux): C'est vrai que ça revient souvent.

M. Primeau (Jacques): C'est-à-dire qu'il faut voir l'évolution des entreprises. Ce n'est pas un secteur où les entreprises ont des durées de vie de... c'est-à-dire qui durent depuis 20 ou 25 ans, où on a identifié très clairement les huit joueurs majeurs puis on gèle ça pour le restant des temps. Il faut trouver une nuance entre des entreprises qui viennent d'arriver puis qui méritent d'être encouragées, favoriser l'arrivée de nouvelles entreprises, et en même temps de ne pas... à chaque fois qu'une nouvelle entreprise a un gros succès, bravo! on est en avant; à la minute qu'elle a un échec, bien, on lui indique la porte d'en arrière.

On dit souvent – et les jeunes chanteurs vous le diront, s'ils ne l'ont pas déjà dit – que les compagnies de disques ne prennent pas assez de risques. On le dit. Les gérants, dont je suis, vont dire souvent que les producteurs... Parce que c'est notre travail, entre autres, d'aller vendre le produit à des compagnies de disques, de dire: Tu devrais prendre un risque, tu devrais mettre 50 000 $ sur un album, faire une campagne de 75 000 $, pour s'apercevoir que tu vas avoir vendu 2 000 copies. Moi, je suis en train d'essayer de les convaincre qu'elles devraient faire ça. Mais c'est sûr qu'elles ne peuvent pas s'en taper quatre de même dans l'année, parce qu'elles vont fermer boutique.

Alors, comment faire en sorte d'encourager ces compagnies-là à prendre plus de risques et à avoir une certaine sécurité? On a parlé souvent du risque dans le domaine de la télévision. Il n'est pas équivalent, on le sait. Le producteur a un budget à gérer. Ça, c'est clair. Le risque est quand même là. Si le produit est pourri en ondes, qu'il se fait ramasser dans la chronique de Cousineau, peut-être que la prochaine fois qu'il va aller à Radio-Canada il va se faire refuser. Mais, dans le domaine du disque, non seulement tu peux te faire taper dessus et que ton disque ne joue pas à la radio, mais tu peux aussi faire faillite. Dans le domaine du spectacle, c'est encore pire, parce que le risque est encore plus grand dans le domaine du spectacle.

Rapidement, c'est parce que, au niveau du disque, il y a quand même un instrument qui s'appelle Musicaction qui, effectivement, amoindrit le risque des producteurs, une intervention fédérale. Dans le domaine du spectacle, on n'a pas l'équivalent. Donc, on est vraiment sans filet, dans le spectacle. Ce qui m'amène à dire que, ou bien effectivement on a des budgets illimités... Et, moi, je veux bien qu'on risque 500 ou 600 disques par année au Québec, on en fait déjà, quoi, 250, pour un pays de 6 000 000, mais la question, c'est: Est-ce qu'on va faire 50 disques à 15 000 $ – je mets ça dans l'absolu – ou on va faire, je ne sais pas, un peu moins, de meilleure qualité, qui vont être plus rentables? C'est une question qui n'est pas à trancher au couteau. Parce que l'artiste qui se fait refuser, lui, il va penser que c'est une grande injustice et qu'on a mal choisi le produit, c'est évident. S'il ne pense pas ça, il devrait changer de métier. Tout le monde pense que son disque est le meilleur, et qu'il devrait être produit, et qu'il devrait avoir un budget de 100 000 $.

La question, c'est que la SODEC, oui, on est conscient qu'il y a des moyens qui sont limités. Je pense que l'équilibre entre 50 % de compagnies reconnues et 50 % à des projets, ce n'est peut-être pas le bon chiffre. Je pense que cette discussion-là effectivement doit être tenue entre le financement où on veut créer une masse critique d'entreprises importantes au Québec et, en même temps, avoir un secteur, au niveau des projets, pour favoriser le renouvellement. Cet équilibre-là, effectivement, il n'est peut-être pas en ce moment équitable.

(14 h 40)

Le Président (M. Rioux): Mais le gérant d'artistes qui croit à une vedette montante...

M. Beaulne: ...

Le Président (M. Rioux): Excusez-moi, M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Oui. Il y a un autre élément, parce qu'à mesure que je vous entends parler je vois difficilement où s'arrête le rôle du ministère de la Culture via la SODEC et le rôle d'Investissement-Québec ou du ministère de l'Industrie et du Commerce par rapport aux préoccupations strictement entrepreneuriales que vous venez de nous décrire. Est-ce que vos industries émargent uniquement en termes d'aide gouvernementale à la SODEC ou si, en termes d'entreprises... Parce que, au fond, vous nous avez parlé comme des entrepreneurs qui pourraient tout aussi bien être des entrepreneurs en matière d'industries émergentes dans le domaine de l'environnement par exemple, la problématique serait exactement la même. Alors, où s'arrête la frontière de la responsabilité du ministère de la Culture par rapport à votre milieu, et où devrait commencer, et où pourrait commencer celle du ministère de l'Industrie et du Commerce ou de tout autre organisme du gouvernement du Québec qui vise principalement l'industrie dans ses formes les plus diverses?

Le Président (M. Rioux): M. Rodrigue.

M. Rodrigue (Pierre): Absolument. Je m'excuse de vous répondre par une question – on se pose souvent cette question-là. Voyez-vous, pour les artistes, on est des entrepreneurs, on est des marchands. Mais, pour la vie de droite, si on veut – excusez-moi le parallèle – mais la vie des grands entrepreneurs ordinaires, la fierté de la Beauce, les bâtisseurs, nous autres, on est des saltimbanques là. Parce que, quand ils regardent sur quoi on met de l'argent, ils disent: Mais il est fou, lui; un soir, il peut neiger, il peut y avoir une grève d'autobus, il peut perdre 50 000 $ comme ça un soir; il faut être malade. Alors, oui, on est des entrepreneurs, mais on est des entrepreneurs dans un secteur tellement spécifique qu'il ne peut pas y avoir un désengagement complet de ce qu'on appelle la culture.

Mais, par ailleurs, il est vrai qu'en culture absolue tu n'es pas supposé te poser toutes ces questions sur la rentabilité, et c'est pour ça, à nos yeux, qu'il y a toujours eu deux manières de voir l'avancement de la culture: l'aide à la création, l'aide à faire la matière de base de la chanson, un texte, une musique, puis qu'elle soit la meilleure possible; et par ailleurs, une fois que ça, c'est fait, bien que ça soit encadré, parce que ces gens-là peuvent avoir besoin d'outils, un nouveau piano, un studio pour écrire, et, lorsque vient le temps de le concrétiser, de le mettre en marché, de le produire, ils ne le font pas un contre l'autre, ils le font en association avec ce que nous sommes fondamentalement, des entrepreneurs, où, là, le risque... je ne veux pas dire qu'il n'existait pas avant. Un auteur qui prend deux ans pour écrire un album, c'est tout un risque, ça, par rapport à l'enseignement ou par rapport à opérer un commerce, etc. Mais c'est là où on entre en jeu.

Donc, votre question est superpertinente. La réponse, c'est: Où on coupe entre les deux? C'est le gouvernement qui souvent nous a dit: Ça va être le ministère qui va vous aider comme ça, ou comme ça, ou comme ça. Ce qu'on vient vous répondre aujourd'hui, c'est que finalement le modèle SODEC, si on donne à la SODEC les moyens de nous aider, puis qu'on donne au CALQ le moyen de favoriser la création, puis qu'on garde des chiffres équilibrés entre les deux... Parce que, si les artistes ont assez d'argent pour produire sans nous grâce à l'argent du CALQ, ce n'est pas trop fort au niveau de la structure, ça, quand à nous, mais, sinon, le modèle est loin d'être imparfait en ce moment. On pense qu'on a peut-être là quelque chose pour la première fois depuis 20 ou 25 ans qui demande beaucoup plus à être amélioré qu'à être changé.

Le Président (M. Rioux): Oui, madame.

Mme Drouin (Solange): Je peux peut-être rajouter, parce que votre question, peut-être que je la comprends mal, mais elle me laisse comme supposer que, dès qu'on parle de culture, la notion d'entrepreneurship devrait être exclue, on devrait traiter ça ailleurs. Mais, nous, à l'ADISQ, évidemment on voit ça dans un tout. On part évidemment de la création et on n'enlève rien à cette source première qui est la matière première avec laquelle les producteurs de disques et de spectacles travaillent, mais, pour que ça se rende au public, on ne peut pas faire abstraction de toute cette chaîne-là qui est importante, passant par le producteur, le distributeur, le diffuseur. C'est une chaîne. Et là de dire: On va tout soustraire ça, on va mettre les entreprises à Industrie, puis, en culture, on ne va parler que de création, pour moi, je crois que ça serait une erreur. Parce que, en culture, oui, il faut parler de création, et on en parle, nous, à nos conseils d'administration à l'ADISQ à toutes les occasions, et on s'est toujours dit en faveur d'une plus grande aide à la création, une plus grande aide aux diffuseurs, à tous les maillons de la chaîne. Mais de là à vouloir soustraire l'entrepreneurship, je trouve qu'on ferait une erreur. Je pense qu'il faut garder ce tout-là.

Le Président (M. Rioux): Merci, Mme Drouin. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci. Donc, merci, parce que c'est un peu un message rafraîchissant. Moi, je suis pas mal convaincue que les bases de la politique culturelle du Québec qui a mis en place le CALQ et la SODEC, c'est des bonnes bases, et vous venez le réaffirmer. Puis je pense que, dans votre secteur, effectivement, disque et spectacle, l'action de la SODEC, c'est peut-être un des secteurs où elle est visible, j'ai envie de dire, en termes de résultats, en termes de crédits d'impôt, budgets, etc. Donc, c'est intéressant.

Mais je veux continuer la discussion sur la structuration de l'industrie, si on essaie de regarder vers l'avenir. Vous nous avez fait le portrait qu'à l'échelle mondiale on est devant la fusion des gros joueurs et on parle en termes de milliards. Vous avez dit: La plus grosse compagnie productrice de disques au Québec, elle fait 5 000 000 $ de chiffre d'affaires. Vous avez parlé de l'importance d'avoir une masse critique d'entreprises, puis j'espère que les gens qui nous écoutent comprennent bien pourquoi. C'est que vous nous dites que, quand une entreprise est un peu solide et en santé, elle peut prendre des risques, c'est-à-dire miser sur de la relève, sur des nouveaux produits. On raconte souvent qu'en France, c'est Dalida, sur Barclay, si je me trompe pas, qui a permis qu'on produise Jacques Brel et compagnie. C'est le succès de Dalida qui a permis l'émergence d'autres artistes qui sont devenus importants ensuite dans notre francophonie.

Mais il y a aussi quelque chose qui se passe au Québec dont vous n'avez pas beaucoup parlé puis je voudrais vous entendre. C'est quand même le fait qu'on est devant non seulement des producteurs de disques qui sont, vous avez dit, des PPPME, mais en plus le fait que les artistes de plus en plus choisissent de se produire eux-mêmes. Donc, cette chaîne-là, la chaîne de votre industrie que vous nous avez décrite, elle est peut-être même brisée à quelque part. En fait, j'aimerais ça vous entendre sur c'est quoi, la tendance, en ce moment. Il y a eu des efforts importants de faits, mais est-ce qu'on s'en va vraiment dans la bonne direction, puisque... Je ne veux pas nommer les artistes, vous le savez comme moi, mais des artistes importants, qui pourraient être des fleurons importants de compagnies importantes qui pourraient ensuite miser sur la relève, les artistes choisissent de plus en plus de se produire eux-mêmes. Donc, qu'est-ce qu'on fait? C'est quoi, la suite des choses à la SODEC par rapport à votre industrie?

Le Président (M. Rioux): C'est M. Rodrigue qui répond? Oui.

M. Rodrigue (Pierre): Si vous me permettez, il y a deux grandes questions dans votre question, il y a deux grands sujets soulevés. Je vais commencer par le deuxième.

C'est vrai que les artistes peuvent être tentés de s'autoproduire. Le simple exercice en chiffres, c'est un peu comme si on regarde un billet de loterie en disant: Il peut être gagnant. Il se transforme de 1 $ en 1 000 000 $. Ça peut être tentant de dire: Si je vends 100 000 albums, je vais obtenir de mon distributeur tant de dollars, et de se faire un budget sur cette base-là et de dire: Si je fais les mêmes ventes à travers une maison de disques, j'obtiendrai probablement le tiers au net. C'est une vérité; les chiffres ne peuvent pas mentir. De tout temps, ça a été comme ça et, de tout temps, les maisons de disques ont laissé les très, très grandes stars qui, je vous dirais, un peu comme on a toujours reproché au Canadien de ne pas avoir laissé la chance à Maurice Richard de faire son argent après avoir été exploité...

C'est un peu le contraire dans le disque. Depuis 20 ans ou 25 ans, si on veut, les grandes stars françaises ont été associées avec les maisons de disques. Trema, qui est la grande maison de disques indépendante en France a, dans ses associés, l'auteur de My way . Ça fait partie de la culture. Madonna est propriétaire d'une maison de disques aux États-Unis qui s'appelle Maverick. Ça a toujours été comme ça. Et c'est comme ça ici aussi. Ginette Reno a sa propre étiquette de disques depuis 20 ans ou 25 ans; Claude Dubois. Il y en a, et c'est correct que ça soit comme ça.

Là où ça devient délicat pour nous, c'est que, au moment où tu as investi un premier album à perte avec un artiste, un deuxième album où tout se passe à peu près bien, le troisième, tu es supposé d'avoir le rendement sur ton argent. Si toutes les conditions de financement sont réunies pour que l'artiste le fasse seul, vous comprenez tout de suite qu'il n'y a pas une entreprise qui va passer au travers de ça.

Donc, ils peuvent être tentés, je pense qu'on ne doit pas donner aux créateurs ces moyens-là de quitter le navire au moment où il n'y a pas eu l'équilibre, la vie va faire en sorte de toute façon. Et les artistes qui ont connu succès après succès, de toute façon, ont des nouveaux objectifs en affaires. Ils veulent souvent faire plus de répertoire, ils veulent prendre eux-mêmes plus de risques, et ils trouveront et on trouvera tous ensemble la manière de leur permettre de le faire et, à ce moment-là... D'ailleurs, la SODEC le fait; elle identifie bien un artiste qui est rendu à 500 000, 600 000, 700 000 copies et qui dit: Moi, je me prends en main, je crée ma propre entreprise. Ce n'est pas un artiste qui s'autoproduit. En fait, c'est un artiste qui devient un entrepreneur, qui engage un agent de promotion et qui, peut-être, prendra des profits pour investir sur un nouvel artiste. À ce moment-là, on n'est pas très inquiets; ils reproduisent un modèle qu'on connaît bien.

(14 h 50)

Quant à la première partie de votre question: Où ça s'en va? c'est évident que ça peut être un petit peu angoissant pour nous de regarder ça. On arrive du MIDEM, à Cannes. La personnalité de l'année, après des personnalités comme M. Ertegun qui avait fondé les disques Atlantic, après Luc Plamondon, après Georges Mary, cette année, la personnalité de l'année est une dame qui a créé une compagnie qui s'appelle World Online. Donc, c'est un serveur Internet. Je dois vous dire que les purs de la musique, on en a eu pour notre argent quand on a vu ça, ça nous a un peu déstabilisés. On voit là où ça s'en va. Mais vous avez devant vous – forcément, ça fait partie quasiment des conditions de membership à l'ADISQ – de grands optimistes, et on a toujours pensé que, au moment où il y a des réunions de ces gros-là, l'indépendant devient encore plus important parce qu'il amène le contenu. Pendant qu'ils se font des meetings à 160 000 000 000 $ puis qu'ils se demandent dans quelle ville ils vont mettre leurs sièges sociaux, la vie continue, et je veux encore, moi, prétendre que je vais découvrir celui qui, dans cinq ans, va être le premier qu'on va nommer en disant: Évidemment, il y avait Untel au palmarès; pendant que les Japonais négociaient CBS, René Angélil, lui, il faisait Céline Dion, et, en fait, ils se faisaient un l'autre, là. Mais c'est comme ça que ça se passe.

Ce que je veux dire, c'est que j'y crois encore. Moi, j'ai commencé dans le métier il y a 20 ans. Il y avait 19 compagnies d'importance, il en reste quatre. Et les rumeurs sont à l'effet que BMG avale Sony dans les jours qui viennent, il en restera trois. Ça va être un état assez délicat, assez difficile à vivre pour quelques années, mais qui va, encore une fois, amener un seul point: Il est où, le contenu? Puis ceux qui, en ce moment, sont sur la planche à dessin ou sur le moulin en train de créer vont avoir une possibilité de passer.

Je ne sais pas, Jacques, si, toi, tu as une lecture différente.

M. Primeau (Jacques): Moi, je disais tout à l'heure qu'il y avait différents types d'artistes et différents types de contrats, différents types d'ententes. Il y a une tendance lourde en ce moment à ce qu'on dise: Oui, on va s'autoproduire et on va garder l'argent. Pourquoi un producteur ferait l'argent? Pourquoi on ne le garderait pas, tout le monde? Il y a quelques artistes qu'on ne nommera pas – évidemment, vous comprendrez pourquoi – qui vendaient 200 000 disques quand il y avait du monde qui s'occupait d'eux autres puis, un coup qu'ils se sont occupés d'eux autres eux autres même, ils en ont vendu 20 000. Moi, j'ai toujours dit aux artistes que j'aime mieux avoir 10 % de 200 000 que 100 % de zéro. Et ça, c'est une réalité.

Je dirais: Est-ce qu'on doit absolument interdire aux artistes de s'autoproduire? La réponse, c'est non. Et ce n'est pas un phénomène qu'on voit dans le disque seulement, on le voit en télévision. On a entendu Fabienne Larouche, je pense que c'est clair. Julie Snyder produit maintenant aussi ses émissions. Donc, c'est un phénomène qu'on voit aussi au cinéma américain. On voit souvent l'acteur qui devient... On ne peut pas empêcher quelqu'un de devenir producteur. Et pourquoi pas? La question, c'est: Est-ce que c'est pertinent qu'on fasse le choix d'encourager facilement tout le monde à le faire et donc que ce soit la forme industrielle qu'on suggère et la forme de l'avenir? Je pense que la réponse, c'est non.

Moi, je suis gérant. J'ai des contrats de coproduction avec certains de mes artistes, des contrats de coproduction avec la compagnie de disques. Dans certains cas, l'artiste est sous contrat d'artiste, c'est-à-dire donc qu'elle n'est pas productrice, elle n'est pas propriétaire de son matériel. Dans chacun de ces cas-là, j'ai des raisons dont j'ai discuté avec les artistes et qui sont pertinentes à chacun de ces projets-là. Alors, même chose en spectacle, l'artiste qui attire 200 000 spectateurs a un meilleur contrat que l'artiste qui en a 25 000, c'est évident. L'équilibre va être à atteindre évidemment, et je pense qu'il ne faut pas prendre la plupart des artistes, non plus, pour des imbéciles, je pense qu'ils sont capables de calculer également... En tout cas, la plupart de ceux avec qui je travaille calculent aussi bien que moi. La question, c'est qu'ils font une partie du travail pour lequel ils sont compétents et pour lequel ils veulent se consacrer entièrement, c'est-à-dire créer. Et voilà.

Le Président (M. Rioux): Bon. On va permettre à la députée de Sauvé de poser une autre question, s'il vous plaît.

Mme Beauchamp: Je veux juste vous expliquer qu'on fonctionne par blocs de 10 minutes. Ha, ha, ha!

Une voix: Excusez-moi.

Mme Beauchamp: Donc, on va juste essayer de se garder du temps pour pouvoir discuter.

Le Président (M. Rioux): On n'est pas des gérants d'artistes ici, on gère le temps.

Mme Beauchamp: Juste un commentaire. Je comprends bien votre réponse, mais il faut juste replacer ça à l'échelle du Québec, hein. C'est-à-dire que, quand vous me dites: Il y a des indépendants qui vont émerger à côté des gros, et tout ça, il reste que, nous, on se pose la question sur comment on fait pour s'assurer du développement d'une vraie culture québécoise dans un contexte de mondialisation et comment l'État doit intervenir dans un marché tel qu'il se structure en ce moment. C'est un peu ça aussi, la question. Vous êtes des optimistes. Je me dis: Tant mieux. Moi, je me dis: Comment on fait par rapport à la SODEC, par exemple, pour vraiment... Je pense que la clé, ça passe quand même par le fait qu'on ait des plus gros joueurs dans votre industrie.

Ma question, c'est peut-être... Vous dites: Il ne faut peut-être pas aider par une panoplie d'outils le développement de personnes qui deviennent leur propre... Bien, je dis: L'autoproduction, et tout ça, on ne peut pas l'empêcher, et elle a peut-être même sa place, mais il ne faut pas l'aider. Est-ce que vous avez l'impression, en ce moment, qu'il y a une panoplie d'outils, entre autres gouvernementaux, de l'argent public, qui a entraîné la prise de décision chez certains artistes de s'autoproduire, ou si c'est correct, là, en termes d'outils qu'on met à la disposition au niveau de la chanson et du spectacle?

Le Président (M. Rioux): Mme Drouin, ou M. Primeau, ou monsieur...

M. Primeau (Jacques): Moi, je dirais que... Bien, rapidement. Il y a beaucoup de débats dans le milieu là-dessus. Vous n'avez pas nécessairement les éléments les plus radicaux devant vous. Certains dans l'industrie disent que oui, effectivement, on a encouragé une déstructuration, on a rendu l'accès à certaines formes de subventions trop facilement pour l'autoproduction. Je pense que la structure de crédits d'impôt – on n'a pas le temps d'aborder ça en détail – peut entraîner aussi une structuration. Je pense que c'est ça aussi qui est intéressant dans cette mesure-là, ce n'est pas simplement l'argent que ça va générer, mais également la structuration que ça peut entraîner dans cette industrie-là, parce que ce n'est pas évident, dans le cas d'une compagnie, bon, bureau dans la cuisine, de gérer ce genre d'instrument là. Donc, c'est un avantage, effectivement, concurrentiel aux entreprises plus structurées. Mais je dirais que oui, effectivement, beaucoup de gens pensent qu'on a mis la barre un peu trop de ce côté-là.

Le Président (M. Rioux): Mme Drouin.

Mme Drouin (Solange): Oui. Peut-être que ce qui est important aussi de voir, c'est que bien sûr – bon, on l'a déjà dit – il y a de l'argent nouveau, il y a des sommes d'argent nouvelles qui sont entrées dans l'industrie il y a deux ans, il y a des nouveaux programmes qui ont été mis en place, et, avec la SODEC, je pense qu'on fait une évaluation régulière de ces programmes-là. Ça prend un bon monitoring. Et ça, la SODEC est très ouverte à le faire, et d'ailleurs on est en processus justement pour voir les effets de ces nouveaux programmes-là et si vraiment l'implantation de ces programmes-là a eu un effet structurant. Je ne pense pas que c'est quelque chose qui... bon, peut-être qu'il y a certains correctifs qu'on devra apporter dès la prochaine année, mais c'est quelque chose qu'on devra faire de toute façon régulièrement. Ce n'est pas quelque chose qu'on va régler pour la vie. C'est un milieu changeant. Il y aura toujours de nouveaux outils. S'il y a de l'argent nouveau qui rentre encore, tant mieux, il y aura de nouveaux outils en place, mais il faudra le monitorer toujours.

Le Président (M. Rioux): Bien, merci. On retourne du côté, maintenant, des députés ministériels. Moi, avant de donner une question à mes collègues... Si on choisit de privilégier les abris fiscaux comme levier, comme effet de levier dans une industrie comme la vôtre, ça veut donc dire qu'on a fait un choix, c'est que l'autoproduction va en souffrir, et on va privilégier plutôt l'industrialisation de votre milieu. Ça va peut-être en contradiction avec ce que vous avez dit tout à l'heure. Vous avez dit: Nous autres, on n'est pas des voraces, on n'est pas des voleurs, on n'est pas des requins; on est des gens qui respectent les créateurs et qui essaient par tous les moyens possibles de leur avoir une visibilité et de faire en sorte aussi que leurs chansons ou l'humour qu'ils font, ce soit diffusé le plus largement possible. Est-ce que c'est ça qu'on doit comprendre?

Mme Drouin (Solange): Est-ce que je peux répondre?

Le Président (M. Rioux): Oui, madame.

Mme Drouin (Solange): C'est un commentaire que vous faisiez, je peux faire un commentaire sur votre commentaire. Écoutez, moi, je pense qu'il n'y a pas de contradiction, pas du tout de contradiction là-dedans. Nous, ce qu'on croit vraiment, c'est qu'en privilégiant un financement aux entreprises, c'est qu'on s'assure justement que ces artistes-là, qui vont avoir développé leur talent avec des entreprises, ou de nouveaux artistes qui sont dans leur cave présentement, qui sont en train de gratter la guitare, vont pouvoir compter sur une entreprise qui va être capable de les accueillir, et de là assurer une pérennité de la culture québécoise, et que dans cinq ans on va encore parler d'une culture québécoise en chanson puis en humour. Vraiment, pour nous, ce n'est pas du tout contradictoire.

Le Président (M. Rioux): Oui, M. Rodrigue.

M. Rodrigue (Pierre): Un très court commentaire. La hauteur, le poids de la mesure d'impôt ne permet pas, dans le pire des scénarios, dans le pire des cauchemars, cette vision. Ça vaut moins de 5 000 000 $. Vous avez tous les chiffres devant vous de l'aide gouvernementale. Pensez-vous que 5 000 000 $ pourrait cauchemarder toute la vision gouvernementale en aidant trop la structure industrielle contre les artistes? Je ne crois pas.

Mme Beauchamp: Ça paie quelques cigares.

M. Rodrigue (Pierre): Pardon?

Mme Beauchamp: Ça paie quelques cigares.

M. Rodrigue (Pierre): C'est du folklore, encore là, mais...

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: ...

Le Président (M. Rioux): Non, mais M. Primeau nous a fait voir son petit côté mercantile tout à l'heure, il a dit: Moi, j'aime pas mal mieux avoir 20 % de 200 000 $ que d'avoir 20 % de zéro.

M. Primeau (Jacques): Je peux-tu répondre à ça rapidement? Le côté mercantile, là... on va rester entre nous – c'est une blague...

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): Ça ne se saura pas. Il n'y a personne qui va savoir ça.

(15 heures)

M. Primeau (Jacques): Imaginez-vous n'importe quel artiste, devant une caméra de télévision, il va toujours jouer à celui, évidemment, que: Comment ça coûte? Je ne le sais pas vraiment, quelqu'un s'occupe de ça. J'ai fait des conseils d'administration de caisses populaires, j'ai été au conseil d'administration de l'ADISQ, je suis membre de la SODEC. Mon meilleur conseil d'administration que je n'ai jamais eu de ma vie, c'est celui de Rock et Belles Oreilles. Quand vous avez Guy Lepage en avant de vous, là, puis vous montrez des chiffres, si vous vous trompez, il va vous le dire. Alors, le mythe des artistes qui ne savent pas trop qu'est-ce qui se passe, ce n'est pas vrai. Nous, on travaille en association avec eux autres.

Ce que je voulais dire tout à l'heure, c'est: Ce qui m'intéresse, c'est que lui fasse de l'argent. Parce que s'il ne fait pas d'argent, je n'en ferai pas. Alors, moi, mon but, là, c'est de lui en faire faire le plus possible. Et c'est quand même flyé parce qu'on est deux gérants d'artistes qui représentent l'ADISQ. Notre rôle à nous, là, officiellement, c'est de représenter l'artiste auprès de la compagnie de disques pour arracher le meilleur contrat possible, pour qu'on ait la meilleure commission possible. C'est ça, notre but.

Mais pourquoi on défend ça? C'est tout simplement qu'on veut avoir devant nous des compagnies de disques solides, compétentes, avec une vision et avec qui on va pouvoir travailler, avec qui on va pouvoir parler de musique, avec qui on va pouvoir parler de spectacles, avec des gens compétents, avec des structures solides. Pas qu'on ne sait pas si le chèque va passer ou ne pas passer. C'est ça qu'on veut. Alors donc, nous, notre but... Renforcer la structure officiellement, c'est renforcer la structure parce que ça va nous permettre de faire notre travail.

Le Président (M. Rioux): Est-ce que ça a changé quelque chose le jour où les gérants d'artistes ont décidé de produire des disques?

M. Primeau (Jacques): Bien, peut-être, dans certains cas. C'est une évolution qu'on a vue souvent; le gérant d'artistes est souvent devenu producteur. C'est comme ça. Bon. C'est classique. Moi, je fais partie de ceux qui se sont concentrés d'abord sur l'activité de gérant, mais on n'est pas très nombreux. Ce n'est pas une activité qui est de tout repos, quoi qu'on en dise. Et, cela dit, je pense que le métier de producteur de disques... Au Québec, on le voit dans bien des domaines, on est dans une société où il faut s'entendre rapidement, il faut qu'il y ait des consensus. On l'a dit souvent, c'est une société où on doit faire de la concertation. Bien, je pense que notre industrie est représentative de cet état de fait: on doit s'entendre avec les artistes, on doit s'entendre avec les producteurs puis on doit s'entendre avec les diffuseurs. On doit s'entendre avec tout le monde.

Le Président (M. Rioux): Est-ce qu'on peut parler un peu de l'humour? Ha, ha, ha! Je voudrais vous entendre un peu là-dessus, parce que, bon, on sait que l'humour a fait l'objet d'une attention très particulière. Il y en a qui s'en sont préoccupés au plus haut point, ils ont essayé de structurer ce que j'appelle la manifestation publique la plus large possible de l'humour, et on a l'impression que c'est en panne à cause justement du manque de fonds et de soutien, parce que c'est des artistes qui mettent sur le marché des produits tout à fait particuliers.

Vous autres, votre vision de ça, étant donné que vous êtes là pour produire des spectacles, qu'est-ce qu'il faudrait faire de mieux pour continuer à développer ces immenses talents? Moi, j'ai entendu dire – je ne sais pas si vous avez entendu dire la même chose – que les humoristes, au Québec, il y en a 50 % qu'on connaît, puis l'autre 50 %, on ne les connaît pas. Comment allons-nous les faire émerger? Et j'aimerais ça que vous nous aidiez là-dessus. Vous connaissez ça pas mal mieux que nous.

M. Rodrigue (Pierre): L'humour fait partie du grand secteur de la variété depuis toujours. L'humour et la chanson, c'est comme le frère et la soeur dans la variété. À toutes sortes d'époques – parce qu'on a une tendance à oublier ce qui s'est passé avant – la chanson a favorisé directement l'émergence de ce métier puis de ce secteur d'activité là.

Les salles du Québec, qui sont parmi les mieux équipées ou l'ont été à un moment donné – elles sont encore parmi les mieux équipées – elles ont été équipées pour la chanson, certainement pas pour l'humour. La chanson avait besoin d'équipements; elle a fait sa part, le gouvernement a fait sa part, les municipalités ont fait leur part. Mais c'est sur ces mêmes scènes-là qu'on retrouve les gens d'humour.

L'expertise de management, l'expertise de production s'est faite en chanson, et donc le secteur de l'humour a pu bénéficier d'un secteur extrêmement expérimenté pour «packager», pour présenter au public, pour vendre des billets, pour faire de la promotion. Ça va ensemble.

Je pense – rapidement, parce que je vais céder la parole à mon ami Primeau – que l'humour, lorsqu'on le laisse dans ce berceau-là de la variété, a ce qui lui faut pour continuer son émergence, puis continuer à présenter des nouveaux talents. Ils ne seront pas tous des stars. C'est comme n'importe quoi dans la vie, ça en prend qui finissent premiers puis ça en prend qui finissent derniers. C'est la vie.

Là où on crie, nous, danger!, c'est lorsqu'on tente de considérer que le secteur de l'humour est en moins grand danger – c'est moins criant que la chanson – et qu'on a pu tenter, penser aider un sans aider l'autre. C'est là qu'on est intervenu à l'automne en essayant de rappeler à notre ministre, au gouvernement, que c'était là un cheminement dangereux, délicat. C'est une erreur, quant à nous. Et nous sommes actuellement en discussion sérieuse. On pense – c'est légitime – qu'on a réussi à convaincre qui de droit qu'il fallait continuer à considérer ce secteur-là comme un tout. Jacques est aux travaux de ces discussions-là.

M. Primeau (Jacques): Je vais répondre plus directement au début de la question: Comment on peut faire en sorte que ce secteur-là se renouvelle ou enfin qu'on mette l'emphase... Je pense qu'il y a une institution dont l'humour s'est dotée, avec une espèce de consensus dans le milieu qui est assez extraordinaire, c'est l'École de l'humour. Une école qui a été structurée, qui maintenant, finalement, après peu d'années d'activité, oriente un peu ses programmes, d'ailleurs qui sont acceptés par le ministère de l'Éducation. Et même qu'il y a des collaborations avec l'École de cirque, avec l'École de théâtre. Bref, il y a une espèce d'école en bonne et due forme qu'on aurait souhaitée même dans notre secteur depuis plusieurs années. Au moins, il y a ça. Effectivement, il y a donc renouvellement du talent.

Moi, je veux dire, sur l'humour – je sais qu'on n'a pas beaucoup de temps – les chiffres qu'on a ressortis dans l'étude qu'on va vous remettre sur l'humour – que vous avez, je ne sais pas trop – grosso modo, on a tendance à dire: L'humour, ça va bien, il n'y a aucun problème, etc. Ce que les chiffres disent, en tout cas, c'est qu'il y une baisse sur Montréal depuis quatre ans, qui était perceptible de la part des producteurs, c'est-à-dire que c'est plus difficile. On voit une baisse d'à peu près 50 % en ondes et c'est une baisse qui, curieusement, n'est pas énormément perceptible en région. Je pense que ça annonce qu'est-ce qu'il va se passer; ça a été la même chose en chanson. C'est-à-dire que la première baisse a été dans les grands marchés: à Montréal et Québec. Après ça, ça s'est répercuté en région. Donc, la région, en ce moment, n'a pas encore subi ça.

Il y a une deuxième raison pour laquelle aussi ça se passe, c'est qu'en région on considère – les diffuseurs, s'ils ne vous l'ont pas dit, vous le diront à un moment donné – on doit considérer le spectacle d'humour comme un spectacle rentable. Auparavant, l'ensemble du secteur des variétés était la vache à lait qui permettait de faire des shows plus pointus, plus difficiles. Maintenant, la chanson n'étant plus un secteur facile, on se rabat sur l'humour en disant: Si je produis plus d'humour, je vais pouvoir faire d'autres spectacles. Or, même à ça, on voit aussi baisser également, un, à peine, en région, mais on voit quand même baisser. Donc, il y a une tendance à la baisse dans les prochaines années.

Ce secteur-là, c'est un secteur qui, au Québec, effectivement, est extrêmement important. Quand on regarde les implications que ça a... Les gens comme La petite vie ou Un gars, une fille , c'est des gens qui viennent de la scène. Historiquement, l'humour au Québec, qui a une importance énorme en télévision, qui assure que les Québécois regardent leur propre télé, si on veut, l'humour est un élément important là-dedans. Yvon Deschamps, on peut tous les nommer. En tout cas, c'est un élément important au niveau culturel puis au niveau économique également.

Donc, l'humour bénéficie d'un certain avantage concurrentiel. Disons-le franchement, les Français ne nous font pas beaucoup rire – je parle collectivement – ou si peu. Les Américains, bien peu d'entre nous les comprennent suffisamment pour comprendre l'humour qu'ils font. Donc, effectivement, les Québécois rient plus avec les Québécois que si on les compare au cinéma, où ils regardent neuf films sur 10, sinon plus, américains, ou à la chanson, où ils vont acheter 75 % autres que québécois.

Le Président (M. Rioux): M. Primeau.

M. Primeau (Jacques): Rapidement?

Le Président (M. Rioux): On va permettre une question rapide au député d'Iberville parce qu'il brûle depuis tout à l'heure, puis je lui ai volé du temps.

M. Primeau (Jacques): O.K.

Le Président (M. Rioux): Oui, M. le député. Ça ne t'en enlève pas.

M. Bergeron: Merci, M. le Président. Une question brève: La relève. Tantôt, on a parlé de grands noms, de gros noms, et Mme Drouin, tantôt, a parlé de la capacité d'accueillir des nouveaux talents. J'aimerais savoir ce qui se fait quand arrive un nouveau. De quelle façon vous pouvez l'accueillir? Quels moyens vous pouvez lui donner pour qu'il puisse émerger, et ainsi de suite? Qu'est-ce qu'il se passe avec la relève?

Le Président (M. Rioux): M. Rodrigue.

M. Rodrigue (Pierre): C'est de deux ordres. Premièrement, il faut permettre à cette relève-là de peaufiner son oeuvre. Vous savez, les artistes sont un peu comme nous d'ailleurs, ils ont tendance à croire, dès le premier jet, que ça tient la route. C'est là où les premières fois il va y avoir une intervention, en disant: C'est bien, c'est suffisamment bien pour que je décide, à partir de maintenant, de prendre x % de mon année pour qu'on travaille ensemble, mais il va falloir aller plus loin. Il faut retourner sur la planche à dessin, il faut réécrire ou il faut... J'en ai un en ce moment; ça commence. Les petits spectacles, tout seul, dans le West Island, puis une guitare, etc. Puis je vais le voir: Oui, c'est bien. Mais, tu sais, ce n'est pas... Alors, on bâtit le projet dans l'oeuvre elle-même. On encadre la création.

(15 h 10)

Et la deuxième sorte d'intervention, c'est – supposons que tout est prêt – qu'il faut aller convaincre les structures existantes, les entreprises solides, de prendre, premièrement, un nouveau risque et, deuxièmement, sur celui-là plutôt qu'un autre. Ça, c'est notre travail. Dans ces entreprises-là, ils ont un arbitrage à faire. Ils en reçoivent énormément. Pour un disque qui sort, il y a peut-être 10, 12 démos et plus qui rentrent. Et cette entreprise-là va donc, avec le gérant, avec l'artiste, établir un plan de match sur trois ou quatre ans.

On commencera avec un premier album. Autant, vous savez, il y a 20 ou 25 ans, le mouvement introductif dans le show-business, c'était la scène – tu commençais par aller te casser les dents sur un «stage», tu faisais des chansons, et quand tu avais le répertoire suffisant, tu allais en studio – ça, c'est terminé. Depuis 20 ou 25 ans, la première définition, l'apparition, dans la majeure partie des cas, pour le public, c'est un CD qui sort, c'est un disque qui sort. Donc, là, il ne faut pas manquer son coup. Il faut orienter dans l'ensemble du paysage. C'est un peu comme la fusée qui cherche son trou dans les nuages, c'est de dire: Je ne peux pas m'en aller le septième artiste pareil dans ce secteur-là; donc, la spécificité de l'artiste, son catalogue, son matériel, et là essayer d'obtenir une première partie d'un artiste établi, essayer d'obtenir...

Le Président (M. Rioux): Alors, M. Rodrigue, merci. On va demander, par exemple, pour ce jeune artiste du West Island, on va demander au député de Viau peut-être d'acheter des billets et de l'encourager, hein? Je vais maintenant céder la parole à la relève au Parti libéral, la députée de Sauvé.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Cusano: M. le Président, juste...

Mme Beauchamp: Tu ne veux pas tasser la relève?

M. Cusano: Non, non.

Mme Beauchamp: O.K.

M. Cusano: Juste rappeler au président que son vice-président vient de l'Est de Montréal et non du West Island.

Le Président (M. Rioux): Non, non, mais je sais que vous avez des fréquentations dans le West Island.

Mme Beauchamp: Même s'il est du Parti libéral. Ha, ha, ha! Moi, je veux revenir sur la question de l'humour pour que les gens qui nous écoutent – parce qu'il y en a sûrement – nous suivent bien et nous comprennent bien. Il y a eu des crédits d'impôt d'octroyés – vous avez salué ce geste-là – en soutien au disque, au spectacle. Et un crédit d'impôt, habituellement, c'est structuré autour de la notion de l'emploi. Il y a différents critères. Il y a eu une décision qu'on peut dire ministérielle – on ne sait pas trop de quel ministre, de la Culture ou des Finances – qui a fait en sorte qu'on s'est donné des critères en termes de contenu musical, de la proportion de contenu musical, et tout ça, qui fait en sorte qu'on a écarté... On le sait que systématiquement ça voulait dire qu'on visait à écarter le champ de l'humour des crédits d'impôt possibles, entre autres pour les producteurs.

À ma connaissance – je peux le dire, les gens entre autres de Juste pour Rire nous en ont parlé – ça, ça a été fait malgré, dans le fond, une position de la Commission du disque et de la chanson et de la SODEC qui appuyaient ça en disant: Si on parle de création d'emplois, on parle de création d'emplois. On n'a pas à faire une distinction.

J'ai envie de vous demander: Où est-ce qu'on en est rendu? Parce que vous avez dit tantôt que vous ne lâchiez pas ce morceau-là. Mais peut-être aussi nous expliquez pourquoi. Parce que vous savez que, à l'échelle du Québec, il y a peut-être du monde qui nous écoute et qui dit: Oui, mais il y a à peu près juste les humoristes qui font de l'argent au Québec. Vous savez, je rentre peut-être dans le folklore comme le producteur avec son cigare, mais je vous laisse l'occasion de nous expliquer pourquoi vous pensez qu'effectivement peut-être que le secteur qui va bien, entre autres, en région, aurait aussi droit à un soutien de nos argents publics. Expliquez-nous ça.

Le Président (M. Rioux): M. Rodrigue.

M. Rodrigue (Pierre): D'une part, comme je vous le disais tantôt, je pense que nos discussions vont bien. Je demeure optimiste et je pense que nous parviendrons à convaincre le gouvernement de ne pas ségrégationner notre secteur de variété, mais considérer l'humour au même titre que la chanson en ce qui a trait aux crédits d'impôt.

Mme Beauchamp: Ça dépend peut-être avec qui vos discussions ont cours.

M. Rodrigue (Pierre): Les discussions ont lieu, ont cours avec les deux différents interlocuteurs dont vous avez parlé tantôt, parce que les réticences n'étaient pas à un seul endroit. On parlait de folklore. On n'est pas loin du folklore. C'est-à-dire que je n'apprendrai rien à personne ici. Je pense que, avec la masse de dossiers dont les membres du gouvernement, les députés, l'ensemble des décideurs, de ce qu'on appelle le législateur, a à traiter, il peut y avoir une certaine méconnaissance. Et je pense que c'est notre rôle, comme lobbyistes, comme association qui représente les droits d'un groupe en particulier, de dépoussiérer une image ou une vision qui n'est pas tout à fait correcte, et c'est à ça qu'on s'emploie. C'est trop facile de considérer que tous les humoristes tiennent 100 soirs à la Place des Arts. C'est trop facile.

Par ailleurs, c'est oublier que, derrière les 100 soirs d'Yvon Deschamps à la Place des Arts, Guy Latraverse, avec ces fonds-là, a créé véritablement une entreprise et a favorisé l'émergence de dizaines et de dizaines de voix qu'on entend aujourd'hui. C'est dans chaque entreprise depuis 25 ans: il y a un petit peu d'humour, un peu de chanson, et le mélange des deux fait que, dans une mauvaise année en humour, la chanson peut prendre le relais. Et je peux vous donner des dizaines d'exemples, chez certains de mes collègues où... Le Groupe Sanguin est venu permettre à un producteur comme MusiArt de prendre un risque sur une chanteuse qui s'appelait Marjo, qui était juste la chanteuse d'un groupe avant d'avoir sa propre carrière solo, et après d'épauler la carrière de Richard Séguin. Chez Spectra – Rock et Belles Oreilles de mon ami Primeau – on a donné des fonds qui ont directement permis un appui massif en argent pour permettre à un artiste dont je m'occupe, qui s'appelle Daniel Bélanger, d'avoir le départ aussi rapide qu'il a eu. Le producteur était en santé financière, il a pris un risque qu'on avait peu vu avant en annonçant rapidement une tonne de dates pour envoyer un signal au marché qu'il était sérieux pour l'établissement de cet artiste-là.

Donc, on ne peut pas arrêter cette croisade-là, on ne peut pas convaincre en un jour que les humoristes ne sont pas tous Claude Meunier. Peut-être que dans l'opinion publique les gens pensent que les artistes font tous de l'argent puis que les humoristes font tous de l'argent. Je vous prie de croire que, comme dans n'importe quel autre secteur, pour un en avant qui fait beaucoup d'argent, des commerciaux, la télé, etc., il y en a beaucoup qui rament, qui ont besoin de ce support-là qui, je le rappelle, pèse 1 000 000 $ par année, par exercice financier. On n'est pas en train de parler d'un écart de 10 000 000 $ ou de 15 000 000 $ dans la décision pour tout un secteur, on argumente et on plaide en appel pour un autre 1 000 000 $ de dollars.

Mme Beauchamp: La semaine dernière, on a pu entendre les gens de RIDEAU. Dans la chaîne de votre industrie, il y a tout l'aspect de la diffusion. J'aimerais ça vous entendre sur une proposition qui a été déposée ici, qui était de faire donc une forme de guichet unique – on pourrait appeler ça comme ça – en tout cas, une structure à côté consacrée à l'aspect de la diffusion afin d'être sûr et certain que, par rapport encore là aux argents publics qui sont mis en soutien à la diffusion, il y ait la meilleure articulation possible des différents acteurs. Donc, ils nous ont proposé, eux... ils créeraient, en tout cas, une espèce de bureau de la diffusion des arts et des spectacles. Qu'est-ce qu'en pense l'ADISQ?

M. Primeau (Jacques): J'ai lu un peu la discussion là-dessus. Effectivement, cette proposition-là, je vais la commenter en deux temps. La première des choses, c'est: Est-ce que les diffuseurs ont besoin de plus d'argent pour assumer le rôle qu'on leur demande, c'est-à-dire effectivement de représenter une variété de produits culturels au Québec, d'arriver à faire leurs frais? La réponse, c'est oui, je pense qu'ils ont besoin de plus d'argent. Est-ce que de créer une autre structure, c'est la meilleure solution? Je n'oserais pas me prononcer là-dessus à ce stade-ci parce que j'ai peur qu'effectivement le peu d'argent disponible serve à alimenter une autre structure.

Par ailleurs, la question de la diffusion, je pense qu'il y a effectivement deux façons de voir les choses entre le CALQ et la SODEC. Je peux difficilement parler des interventions du CALQ, mais au niveau de la SODEC, je trouve qu'on a réussi à trouver des systèmes qui sont effectivement efficaces dans la mesure où les barèmes deviennent plus équilibrés d'un spectacle à l'autre. On a des normes très claires à suivre, on sait exactement combien d'argent on peut obtenir pour aider à financer une tournée au Québec, et les diffuseurs le savent également parce qu'ils sont membres depuis maintenant un an de la Commission consultative sur le disque et le spectacle, à la SODEC; on les a intégrés là-dedans.

Et je dois avouer que, s'il manque de l'argent, entre autres, sur une intervention de la chanson, c'est quelque chose que, nous, au sein de la Commission et même aussi au sein de l'ADISQ, on a fait valoir, qu'effectivement ils devaient se retrouver dans l'ensemble des recommandations du groupe de travail sur la chanson, ils devaient s'y retrouver avec un bout de l'affaire. Et ce bout-là, ils ne l'ont pas eu, semble-t-il, ou ils sont sur le point de l'avoir, mais effectivement on se serait attendu à ce qu'ils puissent disposer d'argent supplémentaire.

(15 h 20)

M. Rodrigue (Pierre): Avec votre permission, un court commentaire sur la position de RIDEAU. Il a été dit, à un moment, que les diffuseurs en région... En fait, les diffuseurs n'avaient pas nécessairement toute l'information sur quelle tournée était aidée ou non. Je m'interroge beaucoup là-dessus parce qu'ils sont partenaires, ils sont signataires aux contrats. En fait, on ne peut pas demander, comme producteur, d'aide à la SODEC sans avoir préalablement convenu d'une tournée avec les diffuseurs. Donc, c'est une information qui existe. Dans l'ensemble de leurs propositions et de l'explication de leurs propositions, il y a, pour moi, des grands flous.

D'ailleurs, on en a parlé. J'ai demandé à mon ami Primeau, qui siège avec des gens de RIDEAU à la SODEC, à la Commission du disque et du spectacle, d'éclaircir ce point-là, en disant: Il y a quand même des points qu'on n'a pas vus. En fait, moi, je ne me les explique pas et donc je n'y crois pas. Je vais peut-être un peu plus loin que toi, mais, moi, je n'y crois pas, à cette double structure là. Je pense qu'on a en main les outils que ça prend pour développer puis atteindre nos objectifs.

Mme Beauchamp: O.K. Si c'est flou pour vous, imaginez nous!

Le Président (M. Rioux): C'est un flou artistique.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Beauchamp: Mais, enfin... O.K. Peut-être une dernière question. J'aimerais ça aussi vous entendre... Je crois que ça fait partie du plan d'action que la Commission du disque s'est donné pour cette année. Vous marquez, entre autres, de suivre l'implantation de la nouvelle filiale de la SODEC et ses impacts sur l'industrie. Je me demandais si on s'entendait sur le fait que vous parliez là-dedans de la FIDEC. Donc, on est effectivement devant la formation d'une société... je vais résumer ça en disant de capital de risque, d'investissement dans des projets majeurs.

Je reviens peut-être au tout début de notre discussion par rapport à la structuration de votre industrie. Moi, j'avoue que, par rapport à bien des secteurs, je me pose des fois la question sur qu'est-ce qu'on va gérer ou accueillir au sein des programmes réguliers de la SODEC et est-ce qu'on va tout à coup dire: Ah non! Tiens, viens donc au conseil d'administration de la FIDEC, on va examiner ce beau projet, puis je vais devenir partenaire avec toi, puis je vais prendre une partie de l'équité, etc.

Je me demande comment, vous, vous voyez ça comme industrie, cette filiale-là, puis l'avenir. Comment on peut imaginer que ça va se développer, pour vous, entre autres, les spectacles? Je pense, entre autres, aux spectacles majeurs. On s'attend à ce que la FIDEC soit un partenaire autour de spectacles majeurs à haut risque, mais qu'on évaluerait qu'ils seraient à fort potentiel commercial. Mais qu'est-ce que ça veut dire? Parce que, pour vous, ça reste quand même que c'est votre argent. On s'en va dire: Viens, on va partager les risques, mais aussi je deviens actionnaire dans ces projets-là. Comment vous voyez ça?

Le Président (M. Rioux): Est-ce que c'est M. Primeau qui répond? M. Primeau, vous avez plusieurs chapeaux, de toute façon.

M. Primeau (Jacques): Oui. Effectivement, je pense que c'est une habitude dans le milieu. Par exemple, la notion d'aide remboursable, on est habitué avec ça. Par exemple, avec Musicaction. On est habitué donc d'avoir des partenaires de ce type-là. Et je pense qu'on n'a pas le choix sur les interventions majeures. Si Notre-Dame-de-Paris avait... S'il y avait eu le fric, au Québec, on aurait peut-être eu la production mondiale, alors que maintenant on a des Québécois dans la production, mais on n'a pas une production québécoise en tant que telle. Je pense que le Cirque du Soleil a eu besoin de certaines interventions à un certain moment donné. Il ne faut pas manquer ces occasions-là.

Il y a effectivement un niveau extrêmement différent entre une seule intervention comme, par exemple, Brachetti, qui a été produit au Québec par Rozon, qui s'en va en France et qui éventuellement va faire le tour de la planète... Écoutez, ça aurait bouffé 20 % des subventions pour un spectacle. C'est sûr que c'est un autre type d'intervention. Est-ce qu'il faut effectivement avoir une notion de capital de risque? Je pense qu'il faut avoir plusieurs types d'intervention pour aider à ce que des joueurs importants puissent effectivement prendre des expansions majeures puis avoir des visions internationales. Ça, c'est sûr que ça prend d'autres interventions. Il y a la Caisse de dépôt qui a créé un secteur aussi à ce niveau-là. Ça aussi, c'est intéressant comme intervention.

Je reviens au début de l'intervention. C'est que, oui, il y a une partie de partenariat avec des notions très, très commerciales, et industrielles, et entrepreneuriales, mais il y a aussi une dimension culturelle dans ce qu'on fait. Je pense que le rôle de la SODEC, en ce moment, c'est beaucoup d'aider à la production des disques. Je pense qu'à un autre niveau, à un niveau d'affaires et d'exportation, par exemple, avec des opérations plus majeures, oui, on a besoin de soutien de différents organismes. Peut-être avec différents types d'intervention, pas simplement en favoriser une seule qui est l'intervention en capital-actions.

Mme Beauchamp: Je veux juste, moi, terminer avec un commentaire. C'est que je comprends peut-être le fait que vous voyiez ça positivement. La question qui se pose, c'est que, dans le contexte de la politique culturelle dont s'est doté le Québec, c'est l'éloignement des artistes du milieu des prises de décision un peu. On commence à parler de la Caisse de dépôt, tout ça. Vous n'êtes pas membre du conseil d'administration de la Caisse de dépôt. Donc, c'est ça aussi, par exemple, qui est sur la table avec ce mode de développement qu'on est en train de voir. Vous êtes un peu plus loin par rapport à la politique culturelle qui voulait que les milieux soient proches de la gestion.

Le Président (M. Rioux): Avez-vous un commentaire, M. Primeau?

M. Primeau (Jacques): Rapidement. On pourrait mettre 100 000 000 $ de plus à la SODEC par année, je n'aurais aucun problème avec ça.

Mme Beauchamp: Bien, c'était le sens de ma question.

Le Président (M. Rioux): J'imagine que M. Rodrigue est d'accord avec ça?

Mme Beauchamp: Pourquoi la Caisse de dépôt est là?

Le Président (M. Rioux): O.K. Alors, MM. Rodrigue, Primeau, et Mme Drouin, merci infiniment.

Je vais demander maintenant à la Société de développement des périodiques culturels de venir prendre place.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Cusano): Je demanderais à nos collègues de prendre place parce que le secrétaire m'avise qu'on accuse une demi-heure de retard. Alors, je remarque que nous avons des personnes qui ont pris place à la table. Voulez-vous vous identifier, s'il vous plaît?


Société de développement des périodiques culturels québécois (SODEP)

M. Beauregard (Yves): Alors, mon nom est Yves Beauregard. Je suis le président de la SODEP, Société de développement des périodiques culturels québécois. Je suis en même temps directeur de la revue Séquences et de la revue Cap-Aux-Diamants . Et j'aimerais vous présenter M. Gaston Bellemare, qui est trésorier de la SODEP et sans doute un des plus importants éditeurs de poésie de la francophonie. Il est directeur des revues Estuaire , Exit et Arcade .

Le Président (M. Cusano): Nous disposons d'une heure avec l'organisme, et, au niveau de la présentation, vous avez 20 minutes.

M. Beauregard (Yves): Tout d'abord, j'aimerais remercier M. le président de la commission et les membres de la commission de nous donner l'occasion de nous exprimer à la commission permanente de la culture au sujet du Conseil des arts et des lettres du Québec.

Tout d'abord, j'aimerais demander à M. Bellemare de vous présenter un préambule à notre mémoire et, en alternance, nous vous ferons part de la partie centrale du mémoire par la suite.

Le Président (M. Cusano): M. Bellemare.

M. Bellemare (Gaston): Bonjour. Alors, notre mémoire est basé sur les procès-verbaux des assemblées générales de nos membres et des réunions du conseil d'administration de la SODEP depuis que les périodiques culturels relèvent du CALQ. Notre mémoire porte essentiellement sur les revues prises individuellement et non sur notre association en tant que telle, en tant que regroupement de près de 40 périodiques culturels. Parce que notre association comme telle est plutôt très satisfaite du soutien et de ses relations avec le CALQ et son personnel. Sans ceux-ci, notre association, essentielle à la survie de plusieurs petites revues par ses actions de mise en marché, ses campagnes d'abonnement et ses stratégies commerciales, n'existerait plus, puisque le Conseil des arts du Canada avait réduit l'aide et le soutien à la SODEP à l'unité zéro, puisqu'il nous définissait comme étant un organisme de lobbying plutôt qu'un organisme de création. Et, quand le Conseil des arts a coupé toute subvention aux organismes qui n'étaient pas des organismes de création, alors on s'est ramassé avec zéro. Et heureusement que le CALQ était là pour prendre la relève et nous soutenir dans le développement de nos revues.

Donc, nous avons rencontré les responsables du CALQ à la suite du dépôt de notre mémoire au bureau du président, et l'écoute de nos problèmes, qui sont définis dans notre mémoire, a été de haut niveau. Le CALQ nous a bien écoutés, nous a bien entendus. Nous espérons vraiment pouvoir trouver des pistes de solution acceptables aux deux parties dans les mois à venir, et j'aimerais remercier Mmes Lavigne, Melillo et Ouellet.

Mais d'ici là chacun des problèmes signalés dans notre mémoire demeurent. Nous souhaiterions profondément que tous les organismes privés ou publics soutiennent économiquement notre culture. Je rappelle que ce sont très majoritairement des bénévoles sur le terrain qui créent et enrichissent notre culture. Chaque livre, disque, film, numéro de nos revues aura toujours plus d'impact sur notre société que le plus parfait des nouveaux formulaires de demande de soutien à la création.

(15 h 30)

Il est temps que ces bénévoles de notre culture méritent le respect de notre société, et les organismes subventionnaires, le gouvernement et les organismes qui les soutiennent ne doivent pas devenir – passez-moi le jeu de mots – des «talentueux», avec toute la paperasse qu'on nous soumet pour qu'on fasse nos demandes et qu'on fasse nos évaluations.

M. Beauregard (Yves): Donc, on va vous présenter la partie centrale de notre mémoire. Les revues culturelles relèvent du CALQ. Pourquoi? Tous les secteurs de l'édition québécoise relèvent de la Société de développement des entreprises culturelles, la SODEC, sauf les revues culturelles. Comme une très large partie des programmes du CALQ vise les artistes et les écrivains, il est normal que le CALQ développe une vision favorisant d'abord ces derniers plutôt que les éditeurs. Les revues culturelles ne seraient-elles pas mieux servies si elles relevaient de la SODEC, comme tous les autres secteurs de l'édition québécoise?

Quelques éléments de relation entre les revues culturelles et le CALQ. Le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal, Patrimoine Canada et la SODEC exigent avec raison que les relations éditeurs-auteurs soient régies par un contrat écrit qui respecte la loi sur le statut de l'artiste. Ils demandent également qu'au moment de leur présenter une demande de subvention les éditeurs certifient avoir payé toutes les redevances de droits convenues au contrat.

Le CALQ fait bande à part. En effet, il veut imposer aux éditeurs de revues, sans le dire clairement et sans pourvoir les revues des fonds nécessaires, un tarif plus élevé de paiement de droits aux collaborateurs et aux auteurs. Cette volonté constitue une ingérence dans la motivation et le travail des éditeurs de revues. Elle indique bien aussi que la vision du CALQ penche davantage du côté des écrivains et des artistes que du côté des éditeurs de revues.

Nous ne pouvons pas accepter qu'une grille tarifaire, comme le cas des artistes de la télévision, du théâtre ou de la Guilde des musiciens, vienne remplacer la libre négociation des contrats qui prévaut chez tous les éditeurs, entre eux et un collaborateur ou un écrivain, de même que le bénévolat pleinement consenti.

Ces deux aspects constituent la base de fonctionnement de l'ensemble de nos revues et du développement culturel au Québec depuis toujours. Seuls les responsables actuels des revues sont en mesure d'assurer les continuités de celles-ci. Ils sont les seuls capables de recruter, de former et de motiver les bénévoles de demain et de les rendre aussi amoureux de notre culture, dévoués, compétents et généreux envers les créateurs. Prétendre le contraire, c'est rejeter l'histoire et la réalité de la vie culturelle québécoise.

Les notes d'évaluation qui accompagnent les lettres d'information d'attribution d'une subvention à la revue par le CALQ font parfois état de cette volonté. Les revues culturelles ne donnent pas assez d'argent à leurs collaborateurs. Pourtant, chaque article ou texte de création publié a fait l'objet d'une entente entre l'éditeur et le rédacteur ou l'écrivain, pas toujours écrite, nous le reconnaissons, chez quelques-uns de nos membres, mais nous travaillons à ce qu'ils adoptent cette pratique. De plus, cette ingérence porte atteinte aux motivations des individus qui, jusqu'à ce jour, ont contribué à la production d'une revue comme lieu voué complètement à la création, au développement et au requestionnement critique, à la promotion et à la diffusion d'une discipline culturelle.

L'existence même des 39 revues culturelles qui sont membres de la SODEP démontre hors de tout doute que l'argent n'a jamais été et ne sera jamais un élément-clé. L'intégration et la participation à la vie culturelle du peuple québécois vont bien au-delà de cette considération. S'insérer dans les négociations entre les responsables des revues et leurs collaborateurs constitue une atteinte à la liberté éditoriale et administrative des revues.

Un second point. L'économie de la culture en revues ne se porte pas très bien par les temps qui courent. Les compressions budgétaires drastiques en éducation font qu'une grande partie des institutions d'enseignement ont mis un terme à leur abonnement aux revues culturelles. D'autres ont confié la gestion de leur abonnement à de grandes firmes internationales qui ne connaissent ni nos revues ni notre marché, l'économie se faisant au détriment du personnel de soutien québécois.

De plus, le nombre d'emprunts ou de sorties d'une revue est devenu, hélas, le premier critère d'abonnement ou de réabonnement à une revue. Mais depuis quand une revue de création littéraire ou de philosophie doit-elle concurrencer le nombre de lecteurs, par exemple du magazine L'actualité , afin de devenir un choix considéré par les responsables de nos institutions d'enseignement et des bibliothèques? Les bibliothèques publiques ont donc emboîté le pas, poussées par le conseil de ville à mesurer notre culture au nombre de sorties d'une revue, à la suite du pelletage des nouvelles factures assumées naguère par les gouvernements de niveaux supérieurs. Ici aussi, nous avons perdu des abonnements et des lecteurs au profit de Paris Match , Coup de pouce , Elle Québec et d'autres magazines de grand tirage. L'atteinte du déficit zéro par les différents paliers de gouvernements a directement créé une diminution considérable d'abonnements et de ventes chez les éditeurs de revues culturelles.

Voilà donc le contexte économique qui prévaut au moment où le CALQ décide d'adopter cette politique statistique. Dans ses évaluations de nos revues, il fait le compte du nombre d'abonnés et les ventes au numéro. Le CALQ ressemble, avec les années, à une sorte de firme qui chiffre la valeur des revues selon divers ratios de rendement sur l'investissement consenti sous forme de subventions.

Rappel. Chaque revue a été créée par des bénévoles pour répondre à un besoin fondamental de faire naître un lieu culturel et de participer activement comme lieu au développement de notre culture.

M. Bellemare (Gaston): La paperasse statistique constitue un détournement de la motivation des créateurs au profit de l'appareil bureaucratique. La tendance statistique précédente s'accompagne annuellement d'une forte augmentation de la quantité de renseignements à fournir pour divers postes budgétaires. Celle-ci accapare de plus en plus le temps des administrateurs qui, au départ et encore aujourd'hui, ont voulu créer et développer un lieu de culture. Cette paperasse statistique constitue un détournement important de la motivation de ceux-ci au profit de l'appareil bureaucratique.

La revue Estuaire , pour n'en nommer qu'une, n'aurait pas donné des poètes comme Pierre Morency, Jean Royer et Hélène Dorion si, lors de la création de cette revue en 1976, le MAC de l'époque leur avait demandé de fournir des rapports statistiques aussi détaillés plutôt que de concentrer toutes leurs énergies afin de devenir un lieu reconnu de création en poésie.

Nous savons tous que le bassin d'administrateurs et de bénévoles pour faire vivre un lieu culturel est limité. Plus ils donnent du temps à la paperasse, moins ils en consacrent au développement de notre culture. Or, le CALQ multiplie également les endossements de budgets et de rapports depuis quelques années. Ce manque de confiance est abusif. La quantité de formulaires à remplir est disproportionnée par rapport aux subventions demandées par les revues et allouées aux revues. Celles-ci doivent se plier aux mêmes exigences que les grands groupes culturels comme les troupes de théâtre et les grands festivals qui reçoivent des sommes qui n'ont rien à voir avec la modestie de celles versées aux revues culturelles.

Nous ne sommes pas contre certains contrôles, mais bien contre l'imposition unilatérale annuelle, souvent à la dernière minute, de nouvelles règles du jeu. Ces règles devraient être négociées et tenir compte des obligations qu'elles engendrent chez les éditeurs de revues. Toute modification aux conditions d'attribution et de demande d'une subvention à un éditeur par Patrimoine Canada est d'abord soumise aux éditeurs de livres pour consultation, réactions et négociations.

Le développement des revues culturelles ne peut pas se faire selon des conditions imposées unilatéralement. Il nous est difficile d'imaginer les responsables de revues comme Parti pris – pensez à Gérald Godin – ou Mainmise devant le formulaire actuel de demande de subvention du CALQ. Pourtant, les contrôles minimaux de l'époque ne les ont pas empêchés de tenir et de développer des revues au contenu hautement intellectuel et culturel ni de devenir des leaders importants de notre société.

Un incitatif fiscal pour certaines disciplines culturelles, celles qui sont déjà fortement médiatisées seulement. Le gouvernement du Québec, à la demande du CALQ, a créé un incitatif fiscal pour les citoyens qui achètent un abonnement à trois représentations et plus dans diverses disciplines culturelles, notamment les orchestres symphoniques, les ensembles de musique classique ou de jazz, l'opéra, les spectacles de danse ou de chanson et les pièces de théâtre. Les revues culturelles devraient être une discipline admissible et bénéficier du même incitatif fiscal dans leur système d'abonnement. Pourquoi les revues culturelles ne bénéficient-elles pas de cet incitatif? Leur apport à la culture québécoise vaut bien celui des disciplines énumérées plus haut, même si la télévision, la radio et les grands quotidiens n'en parlent à peu près jamais. Pourquoi le CALQ ne travaille-t-il pas à obtenir cette reconnaissance fiscale pour les revues culturelles?

M. Beauregard (Yves): Présence et visibilité en librairie: très peu et trop peu longtemps. Plusieurs, pour ne pas dire la majorité des revues culturelles, demeurent trop peu présentes et trop peu longtemps dans les librairies du Québec. Pouvez-vous acheter dans ces endroits un article qui ne s'y trouve pas? Dans ce domaine, les distributeurs québécois manquent à leur devoir envers le public en faisant des revues culturelles le parent pauvre ou négligé du système même si elles sont un maillon essentiel de la chaîne de la production culturelle d'un pays. Le CALQ, dont les programmes de soutien ne visent pas principalement l'édition, n'a pas encore manifesté d'intention d'intervenir à ce chapitre.

Présence et visibilité dans les salons du livre et foires, au Québec comme à l'étranger. Comment un chanteur appuyé par la SODEC pourrait-il développer sa clientèle sans faire une tournée au Québec et à l'étranger, imprimer des affiches, réaliser un clip? Pourtant, c'est ce qu'on demande aux revues culturelles. Elles n'ont pas de budget pour faire des tournées des salons du livre au Québec et être visibles dans quelques foires à l'étranger. Pourquoi le CALQ ne comprend-il pas ce que la SODEC comprend? Nous souhaitons le rétablissement de notre présence comme groupe d'éditeurs au conseil d'administration de Québec Édition, organisme québécois de présence du livre québécois à l'étranger, et l'établissement d'un budget global adéquat et distinct pour la SODEP à ce chapitre.

(15 h 40)

La francophonie: absence des moyens financiers versus la facilité de communication. La communication internationale est de plus en plus facile à établir. Aujourd'hui, nous pouvons rejoindre un Français, un Louisianais, un Réunionnais, un Belge ou un Suisse directement dans sa maison et influer sur sa motivation de lire avant qu'il ne sorte de chez lui pour acheter un produit de lecture. Hélas! les revues culturelles n'ont ni les équipements informatiques ni les budgets de promotion appropriés pour effectuer cette communication qui les mènerait à un nouveau stade de développement. Nous nous devons d'avoir des clients dans toute la francophonie et la francophilie si nous voulons éviter les chutes dramatiques dans nos ventes lorsque l'économie d'ici est en baisse. Tout en disant cela, les responsables des revues se demandent combien de nouvelles données statistiques à fournir précéderont ou suivront toute mesure de soutien.

M. Bellemare (Gaston): La visibilité dans les quotidiens, les hebdomadaires, les magazines d'actualité, la télévision et la radio. Des 39 revues membres de notre regroupement, à peine quatre ou cinq d'entre elles ont une certaine visibilité dans les médias. C'est un fait reconnu que les quotidiens, les hebdomadaires et les magazines d'actualité ne parlent à peu près jamais de nos revues dans leurs pages culturelles. En effet, ceux-ci disposent d'espaces qui les restreignent à parler principalement de produits culturels étrangers, de l'aspect spectacle de notre culture, des grandes expositions ayant cours dans les grandes galeries ou les musées d'art. Il y a donc un immense vide d'information entre nos revues et la population québécoise, vide que les revues sont incapables de combler faute de moyens financiers. Pouvez-vous acheter quelque chose dont vous n'avez jamais entendu parler?

Les répertoires ou les index informatisés de revues. Le contenu de nos revues ainsi que celui des revues savantes québécoises sont peu ou pas du tout répertoriés dans des bases de données, alors que des banques de données très sophistiquées donnent accès aux publications mondiales, avec une concentration marquée en faveur des parutions américaines. L'entreprise privée SDM, qui gère notamment la base de données qui s'appelle Repère, doit pour sa part se limiter à répondre aux demandes de documentation les plus quantifiables. On ne s'étonnera pas que près de la moitié des périodiques culturels n'y soient pas recensés.

En tant qu'association au budget très comprimé, nous faisons déjà notre modeste part en affichant sur notre site Web un aperçu du numéro le plus récent de chacun des périodiques membres. Chez certains, il existe une version Internet et cédérom du contenu éditorial. D'autres n'ont pas du tout de communications électroniques, par manque de ressources matérielles. Nos membres sont majoritairement des organismes sans but lucratif et des groupes qui réussissent à produire à coups de bénévolat. Leur capacité d'innovation technologique ne parvient pas à se maintenir à la hauteur de la qualité intellectuelle et artistique des imprimés qu'ils produisent.

Pourquoi le CALQ, qui connaît bien la situation financière des revues, ne se préoccuperait-il pas de commander et de soutenir financièrement leurs inscriptions, notamment à Repère, d'autant plus que les bibliothèques publiques ont souvent tendance à faire des achats en fonction des notes de lecture émises par les organismes d'indexation?

M. Beauregard (Yves): Les politiques éditoriales des revues: ingérence du CALQ. Le CALQ a développé une certaine tendance à vouloir remodeler les politiques éditoriales de plusieurs revues au profit de ce qu'il croit que devraient être ces politiques éditoriales pourtant définies par les créateurs de ces revues. Cette tendance constitue une autre tentative de détournement de la motivation des responsables des revues culturelles et également un début de détournement de la vocation de celles-ci. Ces ingérences inacceptables dans les politiques éditoriales des revues ne peuvent mener qu'à une vision étatisée de notre culture. La liberté éditoriale est à la base de la motivation menant à la création de toute revue culturelle. Elle est l'inspiration de tous les créateurs qui enrichissent notre culture. Nous ne pouvons remettre cette liberté au CALQ. Aucun éditeur de livre québécois n'a remis cette liberté à la SODEC.

L'absence de spécialiste au sein des jurys du CALQ. Cinq personnes ne peuvent à elles seules connaître et apprécier tous les domaines des arts et des lettres. Nous souhaitons la présence d'un éditeur possédant une expertise dans le secteur couvert par la spécialisation de la revue, même si la littérature constitue un des plus petits secteurs en chiffres du CALQ.

Le financement privé: impossible dans les conditions actuelles. Pour la très grande majorité de nos membres, le renvoi au financement privé ne peut être considéré comme une solution à ce moment-ci, étant donné les constantes sollicitations dont les grandes compagnies font déjà l'objet. Ce type de financement est pertinent pour les grands organismes culturels de prestige, qui disposent des moyens financiers et des ressources humaines pour entreprendre de vastes campagnes de levée de fonds, offrant en échange des dons et la visibilité rattachée à des projets d'envergure. Le travail constant, mais réalisé dans l'ombre et sur une échelle plus modeste, des responsables des revues culturelles n'est actuellement pas de nature à intéresser des sociétés désireuses de soigner leur image corporative.

Le Président (M. Cusano): M. Beauregard, excusez-moi de vous interrompre. Puisqu'il vous reste deux minutes, on peut toujours étirer l'élastique.

M. Beauregard (Yves): Il reste deux paragraphes.

Le Président (M. Cusano): Deux paragraphes?

M. Beauregard (Yves): On achève.

Le Président (M. Cusano): Et des recommandations...

M. Beauregard (Yves): Là, non, on passe par-dessus.

Le Président (M. Cusano): Excellent.

M. Beauregard (Yves): Par contre, plusieurs de nos membres ont invité des administrateurs oeuvrant dans ces grandes compagnies à siéger à leur conseil d'administration, ce qui se traduit parfois par de petites commandites de service.

M. Bellemare (Gaston): Pourquoi le CALQ doit-il soutenir davantage les revues culturelles sans toutefois les contrôler encore plus? Financer la vie culturelle pour une société signifie se verser à elle-même les fonds dont elle a besoin pour exprimer et développer son identité dans ce qu'elle a de plus intime et de plus fondamental. Seul l'État peut se permettre d'investir à long terme dans l'âme du peuple qui le constitue. Mais il doit le faire dans le respect des objectifs éditoriaux et des politiques administratives des revues définis par ceux qui les ont créées, et non par un organisme d'État qui ne gère pas de revue au quotidien, ne travaille pas sur l'acte de création avec la relève et n'a pas le mandat d'assurer la continuité d'une revue.

Les revues en région. De mémoire, le CALQ n'a pas de politique de soutien spécifique pour les revues situées et gérées en région, qui pourtant ont des frais beaucoup plus élevés de mise en marché, d'interurbains et de tout ce que vous voulez qui va avec le fait d'être loin des grands centres. Merci beaucoup.

Le Président (M. Cusano): Merci, M. Beauregard et M. Bellemare. Je cède maintenant la parole au côté ministériel, et c'est le député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Merci, M. le Président. Vous nous avez fait une présentation pour le moins intrigante, qui soulève plusieurs interrogations. D'abord, vous dites – bien sûr, en reflétant les commentaires de vos membres – que le CALQ s'ingère dans les cachets aux collaborateurs, le paiement des droits d'auteur, la reconnaissance du travail intellectuel et les politiques éditoriales des revues. C'est une affirmation qui est lourde d'implications, surtout lorsque c'est adressé à un organisme subventionnaire d'État, plus particulièrement en matière de politique éditoriale. Pouvez-vous élaborer un peu là-dessus? Quels sont les types de contraintes qu'impose le CALQ à ce niveau-là? Et, à la limite, pouvez-vous nous en donner des exemples?

Parce que, au fond, vous êtes ici représentant l'ensemble des périodiques culturels au Québec. Par définition, ce sont des périodiques qui ouvrent leurs pages à la réflexion, à l'expression d'idées qui ne sont pas nécessairement les idées communément reçues. Vous avez mentionné Parti pris tout à l'heure, comme exemple. Alors, évidemment, quand vous faites une affirmation du type que le CALQ s'ingère dans les politiques éditoriales, vous pouvez vous imaginer que ça ne laisse personne indifférent autour de cette commission. Alors, s'il vous plaît, pouvez-vous élaborer là-dessus?

Le Président (M. Cusano): Merci, M. le député de Marguerite-D'Youville. M. Bellemare.

M. Bellemare (Gaston): Nous aussi, ça nous touche beaucoup, parce que, quand on reçoit une remarque avec une fiche d'évaluation du CALQ qui dit: Votre politique éditoriale ne tient pas le bout, vous devriez changer ça pour ceci, ceci, ceci, et qu'on reçoit les remarques écrites... On reçoit des remarques écrites, là. On ne ferait pas une affirmation gratuite. On n'a pas rêvé à ça une nuit, là.

M. Beauregard (Yves): Je peux vous donner une citation qui est vraiment un commentaire dans une lettre nous disant un montant. Alors, le premier commentaire: «La revue [...] serait celle d'une politique éditoriale aux termes vagues et entendus.»

M. Bellemare (Gaston): On reçoit ça chaque année comme ça. Chaque année, c'est comme ça, ce qu'on reçoit. Et on doit refaire... Une année, vous avez: Ah, félicitations pour votre politique éditoriale. L'année d'après, ils ont changé de jury: Ce n'est pas bon, votre politique éditoriale. On reçoit des avis aussi qui viennent d'autres organismes et qui disent des fois tout à fait le contraire. Il n'y a plus personne qui sait sur quel pied danser dans les revues par rapport aux politiques éditoriales parce qu'on a des avis qui se contredisent d'année en année, et on en a un exemple.

M. Beauregard (Yves): Autre citation: «Toutefois, la revue [...] devra améliorer sa tenue éditoriale si elle veut conserver le soutien financier du Conseil.»

Le Président (M. Cusano): M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Oui, mais ça, c'est effectivement un peu étrange. D'abord, qui sont ces gens? Par qui c'est signé, ces commentaires que vous recevez?

M. Beauregard (Yves): C'est toujours signé par des fonctionnaires du CALQ. Eux, ils rendent compte, je pense...

M. Beaulne: Oui, alors... Mais c'est-à-dire que, quand il y a des gens, comme ça, des fonctionnaires qui portent un jugement... Au fond, ils portent un jugement sur votre éditorial.

M. Beauregard (Yves): Non, non, non. Les fonctionnaires ne font que résumer, je pense, ce que les membres des jurys ont dit. Parce qu'il y a plusieurs étapes d'évaluation et des jurys qui font leurs commentaires. Et je pense que ce qu'on reçoit dans les lettres qui nous disent les montants de subvention, c'est un résumé, venant d'un fonctionnaire, des commentaires des jurys. Je pense, enfin.

M. Beaulne: Oui. Enfin, nous, on ne le sait pas, là. On vous pose la question.

M. Beauregard (Yves): Bien, nous, on voit que... On n'est pas dans la chose administrative du CALQ, mais...

M. Beaulne: Non mais, vous savez, là où je veux en venir...

(15 h 50)

Le Président (M. Cusano): M. le député de Marguerite-D'Youville, allez-y, oui.

M. Beaulne: Non, mais, vous savez, là où je veux en venir.

Le Président (M. Cusano): Allez-y, oui.

M. Beaulne: ...c'est que ce n'est pas illégitime de faire des commentaires sur un contenu éditorial, mais il reste qu'encore faut-il que ce soit fait par quelqu'un qui est habilité à le faire et qui ne le fait pas de façon tout à fait intempestive, sans aucune base et sans aucune référence.

M. Beauregard (Yves): Vous avez raison. La phrase que je viens de vous citer – en disant: «Toutefois, la revue [...] devra améliorer sa tenue éditoriale si elle veut conserver le soutien financier du Conseil» – une phrase comme ça, c'est la seule phrase qu'il y avait dans ça... mais elle est sibylline, puis elle est menaçante, mais elle n'est pas explicite. Ils devaient donner des pistes tant qu'à ça. Nous, on veut bien s'améliorer. Les revues veulent bien s'améliorer pour s'entendre avec le Conseil, mais une phrase comme ça, ça dit quoi?

M. Beaulne: Quand vos membres reçoivent des commentaires du genre, est-ce qu'ils retournent au CALQ ou aux personnes qui les ont signés? Je suppose que ça doit être signé par quelqu'un, ça.

M. Beauregard (Yves): C'est toujours signé par la personne qui est responsable des magazines.

M. Beaulne: Est-ce qu'ils retournent à ces gens-là pour leur demander de préciser, quand c'est un peu sibyllin, comme vous l'avez dit?

M. Beauregard (Yves): Oui. Moi, personnellement, j'ai eu ce cas-là et j'ai eu des réponses – peut-être par privilège – mais je ne suis pas sûr que tous les membres de l'association qui font le même geste ont des réponses très précises.

M. Beaulne: Avez-vous des commentaires éditoriaux de nature politique?

M. Beauregard (Yves): Non, pas du tout.

M. Bellemare (Gaston): Non, je n'ai jamais vu ça. Non, non. Jamais vu. On n'a jamais dit: Les poètes que vous publiez sont trop comme ci ou sont trop comme ça, ou ne sont pas assez comme ci ou pas assez... Je n'ai jamais vu ça. Jamais, jamais. Aucune opinion politique n'est émise là-dessus. Un poème, c'est un poème, puis de la politique, c'est de la politique. Il ne faut pas mélanger les deux.

M. Beaulne: Une dernière question rapide: Vous avez fait allusion aux jurys et à leur composition. C'est une question, nous, qui nous préoccupe. On pose occasionnellement la même question aux groupes qui viennent nous visiter. De toute évidence, vous n'êtes pas satisfaits de la façon dont fonctionnent les jurys au CALQ dans votre domaine. Comment souhaiteriez-vous améliorer cette situation?

M. Bellemare (Gaston): Écoutez, s'il n'y a pas un seul éditeur qui siège sur ce jury-là, comment est-ce qu'on peut croire aux remarques d'édition qui se rapportent à ça? Comment est-ce qu'on peut croire? Tu sais, moi, ça fait 30 ans, tous les matins, que je fais ça dans ma vie, gratis, pour la culture québécoise. Si on me dit: C'est un artiste qui était de passage qui a dit telle affaire par rapport... Il n'aime pas la page couverture parce que la photo n'est pas couleur. Bien, moi, je lui réponds que je ne suis pas un éditeur de couverture, je suis un éditeur de poésie. Il faut faire attention à ces choses-là. S'il n'y a pas un spécialiste qui vient donner une opinion, moi, que quelqu'un, qu'il soit journaliste, pense que ma couverture devait être comme ça plutôt que comme ça, ça m'importe peu, ce n'est pas quelqu'un de ma profession qui l'a dit. Et il est important qu'on ait des avis professionnels de gens de nos professions sur nos revues.

Le Président (M. Cusano): Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. Je vous remercie beaucoup de votre présentation. Je pense que vous n'y êtes pas allés de main morte dans votre document et vous êtes ici pour ça. C'est l'endroit pour dire ce que vous avez à dire, et je vous en remercie très sincèrement.

J'aurais plusieurs questions à vous poser pour essayer de me situer par rapport au phénomène, parce que, moi aussi, j'ai accroché sur la même chose, la même question des remarques concernant la politique éditoriale d'une revue culturelle. Mais, pour essayer de me situer là-dedans, je vais vous poser une question très simple. Une revue culture... Il y en a une trentaine dont vous parlez qui sont publiées.

M. Beauregard (Yves): Presque 40.

M. Dion: Presque 40. On publie en moyenne 1 000 exemplaires, 50 000 exemplaires ou 100 000 exemplaires?

M. Bellemare (Gaston): Cinq cents...

M. Beauregard (Yves): De 500 à 10 000, mettons. C'est une grande...

M. Bellemare (Gaston): Écoutez, nous, on fabrique les écrivains de demain. Quand quelqu'un vient publier un poème pour la première fois dans sa vie dans une revue de poésie, mon job, c'est de l'aider à devenir un écrivain. Et je ne me rappelle pas que les gens aient questionné autant la politique... Comment ça prend de jeunes joueurs midget pour faire un Maurice Richard? Et combien les villes investissent dans le sport pour avoir un bon joueur de hockey? Pourquoi est-ce que ça ne coûterait pas le même prix pour faire un Marie-Claire Blais, pour faire un écrivain québécois? Pourquoi ça ne coûterait pas le même prix pour faire Anne Hébert que pour faire un joueur de hockey? Puis elle ne gagnera jamais le salaire d'un joueur de hockey.

M. Dion: Je comprends bien votre plaidoyer parce que, en fin de compte, moi, que le commentaire soit politique ou autre, ça m'importe peu parce que, si le commentaire vise à diriger la politique éditoriale de la revue, il vise à limiter le potentiel créateur. Bon. Alors, c'est là que j'ai des problèmes. Mais là où le problème se complique, c'est que normalement, à la SODEC, les jurys sont des pairs. Donc, ils devraient être tous conscients de cette problématique-là.

M. Bellemare (Gaston): Oui, mais le CALQ, c'est un organisme d'artistes. Donc, les jurys ne sont pas formés par des éditeurs qui sont tous à la SODEP, qui ne sont pas au CALQ. Les éditeurs relèvent tous de la SODEC, ils ne relèvent pas du CALQ. Les seuls qui relèvent du CALQ, c'est les revues culturelles. Je ne dis pas qu'il faut changer de place et s'en aller à la SODEP; ce n'est pas ça que je dis. On a mis un point d'interrogation dans notre réflexion. Mais, pour toute la question des droits d'auteur, il est normal que le CALQ penche du côté des artistes. C'est son job à lui.

Mais, quand une revue paie déjà trois fois le prix du marché d'un livre les droits d'auteur, paie trois fois le prix du marché qu'on donne pour un livre en droits d'auteur et que le CALQ nous dit: Vous devriez en donner un peu plus, moi, je ne marche plus. Mon job, comme directeur d'une revue, ce n'est pas de changer le marché des droits d'auteur. Je n'ai aucune mission de mon conseil d'administration d'une revue pour changer la loi du marché du droit d'auteur et je ne peux pas imposer ce rythme-là à 95 éditeurs de livres au Québec qui vont toujours continuer d'une même façon à payer le pourcentage, le 10 % sur le prix de vente au public comparé à une revue où les gens reçoivent à peu près trois ou même quatre fois le prix.

Le problème qu'on a, c'est qu'il y a des revues qui mettent des images et des revues qui mettent des mots. Et le public, ici, est habitué à payer beaucoup plus cher pour une image que pour des mots. Moi, je rêve au jour où un poème va valoir la même chose qu'une toile. Mais ce n'est pas demain matin que ça va se passer. Et je ne peux pas payer pour un poème les droits d'auteur qu'on paie pour une toile qui est reproduite en page couverture.

Le Président (M. Cusano): M. Bellemare, je me dois à ce moment-ci de céder la parole à la députée de Sauvé. On reviendra avec le député de Saint-Hyacinthe plus tard.

M. Bellemare (Gaston): Pas de problème.

Le Président (M. Cusano): Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Je pense que vous avez très bien expliqué l'espèce, vraiment, de porte d'entrée que constituent les revues culturelles et, dans le fond, que l'élément le plus important, non seulement c'est de permettre la lecture d'oeuvres, mais c'est la reconnaissance, là. Il y a une étape où quelqu'un qui écrit a une première étape de reconnaissance d'un certain milieu, de pairs, en fait, qui lui permet peut-être par la suite de penser à vouloir éditer, et tout ça.

Mais, quand vous décrivez un peu votre situation, je dirais, en porte-à-faux entre le CALQ et la SODEC, dans le sens que vous dites: On est au CALQ, mais dans le fond l'ensemble des autres éditeurs est à la SODEC, vous me faites un peu penser à une lettre qu'on a reçue. On n'a malheureusement pas pu entendre la personne, mais c'est la musicienne Angèle Dubeau. Sa lettre est publique dans laquelle elle décrit qu'elle doit s'adresser au CALQ qui dit: On n'a pas d'argent, on ne peut pas admettre certaines demandes que Mme Dubeau fait au CALQ. Mais, par ailleurs, il y a comme une interdiction. La porte est fermée du côté de la SODEC. Ce n'est pas des vases qui communiquent.

Peut-être que la comparaison est boiteuse, mais votre mémoire m'a fait un peu penser à cette difficulté: lorsqu'on est d'un côté, la porte est fermée de l'autre côté. Je me dis, là, dans le fond... Lorsqu'on va s'asseoir, jeudi, avec les gens de la SODEC ou du CALQ, on va me répondre tout simplement que – si je ne me trompe pas, vous me corrigerez – vous êtes des entreprises à but non lucratif. Cette division s'est faite au départ. Vous êtes des éditeurs, mais à but non lucratif, et, de ce fait, vous êtes du côté du Conseil des arts et des lettres du Québec. Historiquement, elle vient de là, cette...

M. Bellemare (Gaston): Mais, madame, on ne fait pas de la poésie pour gagner sa vie, on fait de la poésie pour ne pas la perdre. Ce n'est pas pareil du tout. Ce n'est pas pareil du tout. Et les gens qui s'occupent de revues culturelles, il n'y en a pas un que je connaisse qui est devenu riche. Il n'y en a pas un qui va acheter une société américaine.

Mme Beauchamp: Je sais.

M. Bellemare (Gaston): Et heureusement, parce que, si on n'était pas comme ça, on ne créerait pas et on ne travaillerait pas à développer des écrivains. Et j'ai hâte que, dans cette société, les écrivains aient un statut correct.

Mme Beauchamp: Mais, écoutez, moi, je faisais la distinction un peu pour aider aussi, pour qu'on comprenne.

M. Bellemare (Gaston): Oui.

Mme Beauchamp: Parce que, vous savez, nous autres, on parle du CALQ, de la SODEC, mais, pour les gens qui nous écoutent, ce n'est pas toujours clair. Il est où, le problème? À la SODEC? Le monde qui nous écoute, ils disent: Il est où, le problème?

M. Beauregard (Yves): C'est parce que, historiquement, on n'est pas...

Mme Beauchamp: Mais vous relevez plus, dans les faits, un peu plus du Conseil des arts et des lettres. Mais vous dites dans votre mémoire... Dans votre mémoire, je trouve qu'il y a toujours une hésitation. Il n'est pas très clair. Elle est où, votre préférence, et à quoi vous aspirez? Vous me dites: On ne sait peut-être pas la réponse. Mais je vous demande... Dans le fin fond, vous demandez à ce que le Conseil des arts et des lettres, à la fois par ses jurys, à la fois par son personnel qui devrait vous accompagner, soit plus sensible à votre réalité. Mais vous penchez plus du côté du CALQ, vous-même.

M. Beauregard (Yves): Vous savez, dans le préambule, je ne sais pas si vous avez bien entendu que, suite au dépôt du mémoire, on a eu des rencontres, entre autres au plus haut niveau, avec le CALQ. Et de cette rencontre-là, il y a beaucoup de choses. Je pense qu'il y avait un manque de communication; ça, il faut vous le dire. Et ça a été très utile, cette rencontre entre les deux plus hauts niveaux. Il y a beaucoup de choses, et on a fait part des problèmes. C'est que notre situation, il y a des irritants, et la proposition ou la solution d'aller à la SODEC, ce n'est qu'une proposition de discussion, et là, avec les autorités du CALQ, on a mis sur la table les irritants. Parmi les irritants, c'est que, par exemple, les revues culturelles ne sont pas admissibles à certains programmes du CALQ. Donc, on a l'air un petit peu de parents étrangers, tu sais, comme au programme de circulation...

(16 heures)

Une voix: Des oeuvres.

M. Beauregard (Yves): ...des oeuvres. Bon. Et il y a aussi un autre irritant: notre difficulté d'être présent dans les salons et les foires à l'étranger. Historiquement, la présence du Québec dans ces salons-là, c'est Québec Édition. Québec Édition est une créature de la SODEC et de l'ANEL. Mais, depuis quelques années, l'ANEL nous a poussés, nous a tassés, et ça a pris, une fois, une lettre d'avocat pour être présent, et, l'an dernier, au Printemps du Québec, ça a pris toutes les pirouettes de négociation avec le CALQ, et là il faut reconnaître que c'est le CALQ qui a réussi à trouver un budget en quelque part pour assurer notre présence. Et c'est une présence physique, parce qu'il faut être dans les salons et foires à l'étranger pour que les revues aient une visibilité. À côté des livres, là, croyez-moi, c'est un vrai problème, parce que, physiquement, il fallait tasser les livres qu'on nous mettait sur nos revues. Enfin, bref, donc on est plus présent. Cette année, on n'est pas au Salon du livre de Paris.

Et on n'a pas le choix de rayonner vers la francophonie pour trouver des marchés. Dans le marché québécois, on a des produits exceptionnels, des produits qui équivalent à tout ce qui se fait dans la francophonie. Il faut se faire connaître dans la francophonie. On le fait un peu via Internet, mais c'est peu de choses. Il faut être présent. Et là on a un problème. On avait demandé, il y a quelques années, à nos vis-à-vis, nos gens du CALQ, de s'asseoir avec les gens de la SODEC, dont relève l'ANEL, et de négocier notre présence, et il n'y avait rien de mieux que nous si on arrivait dans un mariage avec une dote – ha, ha, ha! – et qu'on puisse s'entendre.

Alors, je dis: Bien là, si maintenant on était à la SODEC, comme on proposait, et que l'argent venait du même endroit, les deux organismes seraient obligés de s'entendre pour être présents à l'étranger. Mais c'est toujours une solution... En tout cas, je pense que nos rencontres avec Mme Lavigne ont fait que beaucoup de choses ont pu... Elle connaît bien nos problèmes, les interventions dans nos éditoriaux, par exemple, et les commentaires qu'on reçoit. Donc, il faut au moins dire qu'il y a eu du cheminement depuis le dépôt du mémoire. Il reste des choses à régler.

Mme Beauchamp: Oui, c'est ça. Ce n'est pas la première fois qu'on entend ça.

M. Bellemare (Gaston): Non. C'est ça.

Mme Beauchamp: On est heureux que la commission ait servi au moins à ça – ha, ha, ha! – que, tout d'un coup, il y ait eu des rencontres au cours des derniers mois entre des gens qui avaient des commentaires à faire quant au fonctionnement du CALQ.

M. Bellemare (Gaston): C'est ça, oui.

Mme Beauchamp: Il semble que les rencontres se soient précipitées au cours des derniers mois. Mais tant mieux! Tant mieux si vraiment ça a servi à ça.

La situation que vous décrivez, elle ne m'apparaît pas simple. En termes de solution, je pense qu'elle ne peut que se baser sur le fait qu'il y ait des discussions franches, nettes et claires.

M. Bellemare (Gaston): C'est parce que vous avez, d'un côté, une structure d'éditeurs, qui est la SODEC, et, de l'autre côté, une structure d'artistes, qui est le CALQ. Et des éditeurs sont au CALQ. Et les programmes qui soutiendraient l'édition sont à la SODEC; les programmes naturels pour aller dans les marchés à l'étranger pour développer tout ça, les programmes sont là. Et, au CALQ, c'est un programme pour développer les artistes, ce n'est pas un programme pour développer les éditeurs. Alors, c'est ça, la contradiction, que, nous, on soit à une place alors que les programmes sont à l'autre. Mais ça ne veut pas dire qu'on est mûrs pour changer de place, puisque les critères de travail de la SODEC sont complètement différents de ceux du CALQ.

Mme Beauchamp: Je voudrais aborder maintenant la question de votre place dans nos institutions scolaires, universitaires, collégiales. Je me pose des questions, parce que, sûrement, un des premiers partenaires pour la diffusion de la culture québécoise, surtout le type que vous faites, un peu, c'est la relève, comme vous l'aviez mentionné...ça doit sûrement être le gouvernement du Québec via, entre autres, son milieu scolaire. La question que je me pose, c'est... Il existe pourtant un protocole d'entente depuis déjà au moins deux, trois ans entre le ministère de l'Éducation et le ministère de la Culture. Savez-vous si, à l'intérieur de ce protocole d'entente, il a déjà été question de votre problématique? Puis est-ce que vous connaissez ce protocole d'entente? Puis est-ce qu'il vous satisfait?

M. Beauregard (Yves): Oui, oui.

M. Bellemare (Gaston): Moi, je connais le protocole d'entente, mais, avant que les directeurs de bibliothèques de cégeps, d'écoles secondaires aient l'argent pour acheter les revues et s'abonner à des revues, ça, c'est autre chose. Tandis que le protocole existe en haut, mais que l'argent soit rendu en bas, c'est une chose. Les premières personnes qui se sont désabonnées de l'ensemble des revues, ça a été les écoles, les collèges et les universités, et, après, ça a été les grands organismes qui... comme Periodica au Québec qui suscitait, qui gérait les abonnements pour les collèges, les universités, Periodica a été acheté par Toronto, et Toronto a été acheté par la Californie. Maintenant, c'est à partir de la Californie que les universités du Québec font gérer leurs abonnements, parce que eux gèrent les abonnements, il n'y a plus de personnel dans les universités pour gérer ça, parce qu'ils ont économisé sur le personnel, et, en confiant la gestion à ça... Même la Bibliothèque nationale de Paris, ses abonnements sont gérés en Hollande. Alors, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? C'est comme ça, la réalité. Et c'est nous qui avons fait les frais. Pour ne pas avoir à choisir entre certaines revues et d'autres, ils ont annulé leurs abonnements à peu près à toutes les revues d'un seul coup.

Le Président (M. Cusano): Merci. Je dois maintenant céder la parole ou retourner la parole au député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. J'apprécie les questions qui ont été posées par Mme la députée de Sauvé. Elle a fait référence à la situation d'Angèle Dubeau, qui fait penser un peu à la situation que vous vivez. C'est un mode d'intervention généralisé dans les structures gouvernementales de fonctionner par programme. Ça a beaucoup d'avantages et, sans doute, certains inconvénients, comme par exemple de laisser des espaces, des interstices, parfois, entre des programmes. Il y a des organismes qui tombent dans les interstices, et on ne les retrouve plus. Alors, dans ce contexte-là, étant donné ce que vous nous avez dit, est-ce que l'existence d'un guichet unique d'entrée et à la SODEC et au CALQ serait une avenue pour vous permettre justement de ne pas passer entre les mailles du filet? C'est une question.

M. Bellemare (Gaston): Je ne sais pas. Je n'ai jamais réfléchi à... Je n'ai pas réfléchi à ça de cette façon-là. Il faut que les gens qui travaillent dans les organismes, que ce soit à la SODEC ou au CALQ, il faut qu'ils finissent par aimer nos revues comme on les aime et, pour ça, il faut avoir des relations qui sont claires avec eux, et une relation qui va au-delà des formulaires puis au-delà des contrôles. Il faut développer une relation de confiance avec eux. Et que le guichet soit unique ou multiple, s'il n'y a pas de relation de confiance, si elle n'est basée que sur des chiffres et que sur les entrées et les sorties du nombre de fois d'une revue dans une bibliothèque municipale, ça ne tient pas debout. Parce que le conseiller à Trois-Rivières – parce que je suis de Trois-Rivières – qui est responsable de la bibliothèque municipale, lui, il dit: On garde des revues; fais-moi la sortie... quelles revues ont été empruntées ce mois-ci? les autres, annule-les. Et c'est comme ça que ça a marché, ils ont fait des choix comme ça. C'est évident que Paris Match sort bien plus souvent que la petite revue de poésie Exit qui est consacrée à la relève, hein. Parce qu'ils ne l'ont peut-être même pas dans la bibliothèque.

Alors, c'est ça, la réalité. La réalité, c'est qu'on a un public très restreint pour les choses artistiques. Comme il n'y a pas plus de gens qui achètent... il y a encore plus de gens qui achètent leurs peintures dans les grands magasins plutôt que de les acheter dans une galerie d'art. Mais ça, je n'y peux rien. Je n'aurai pas le temps, dans ma vie, de refaire l'éducation de ces gens-là. Je regrette beaucoup de ne pas avoir des milliers d'années pour y arriver. Pour la lecture de poésie, pour la lecture des revues historiques, c'est la même chose. Que le guichet soit unique ou multiple, si l'accueil des gens n'est pas là et si l'accueil n'est que statistique, on est désolé, mais la culture va devenir statistique.

M. Beauregard (Yves): Je pense qu'il y a un grand travail de base à faire, de sensibilisation auprès justement des responsables des bibliothèques. O.K., les deux ministères se sont entendus, mais il reste le travail de base à faire. Que, nous, on soit au courant des avantages que l'entente des deux ministères a donnés à ces institutions-là – et on peut les répéter – aux responsables... justement, depuis deux ou trois ans, on a eu une entente avec le CALQ, on a pu mettre sur pied un plan triennal de développement à la SODEP, et une de nos tâches, c'est justement de sensibiliser ces gens-là. C'est sûr qu'on le fait dans les moyens que le CALQ nous a donnés, avec nos propres moyens, c'est peu, mais on a entrepris, par exemple, des sondages auprès de ces responsables de bibliothèques et de centres de documentation, on a dit: Connaissez-vous les revues culturelles? Les faites-vous aimer? Les proposez-vous? En faites-vous la promotion? On a des statistiques sur ça. Et on est prêt à les faire connaître et aussi à les faire aimer, mais nos moyens restent quand même limités. Mais on a commencé un travail.

(16 h 10)

Aussi, il faut dire que nous étions au Sommet du livre et de la lecture, nous avions un siège, et, en collaboration avec le CALQ, on a quand même réussi à se battre et à aller chercher les montants supplémentaires qu'ils ont donnés pour cette politique-là, mais c'est encore trop peu. Et, nous, à la SODEP, on reste quand même un personnel limité. On ne peut pas partir avec notre bâton de pèlerin à travers des centaines d'institutions à travers le Québec et dire: Écoutez, aimez les revues culturelles, et les présenter, donner des conférences. Il y aurait plusieurs responsables qui seraient heureux de nous recevoir pour qu'on fasse des présentations. On a une exposition justement sur l'histoire des magazines culturels qu'on pourrait promener comme ça, mais on n'a pas les moyens ni le personnel.

M. Bellemare (Gaston): Ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai réalisé qu'il n'y avait aucun chiffre dans notre mémoire, aucun chiffre. C'est probablement le seul mémoire dans lequel il n'y a aucun chiffre.

Le Président (M. Cusano): Merci. M. le député d'Iberville.

M. Bergeron: Merci, M. le Président. Vous représentez 39 revues dont le tirage varie de 500 à 10 000. Donc, ce qui veut dire qu'il y a des moyens qui sont très disparates.

M. Beauregard (Yves): Tout à fait.

M. Bergeron: À un moment donné, vous avez dit, je pense, monsieur: On ne fait pas de la poésie pour la vendre mais pour ne pas la perdre...

M. Bellemare (Gaston): Non. Pas pour gagner sa vie, pour ne pas perdre sa vie. Ce n'est pas la même chose.

M. Bergeron: Pas pour gagner sa vie, O.K. Mais je pense que les poètes ont un compte d'électricité comme les autres.

M. Bellemare (Gaston): Oui.

M. Bergeron: O.K.? Et vous avez dit aussi: Pouvez-vous acheter quelque chose dont vous n'avez jamais entendu parler? Ma question est la suivante. C'est concernant les technologies de l'information, les supports informatiques. Donc, ça, vous l'avez abordé dans votre mémoire.

M. Beauregard (Yves): Oui.

M. Bergeron: J'aimerais vous entendre: Qu'est-ce que vous aimeriez comme situation idéale, comme support pour la diffusion, pour la promotion de vos revues, au niveau des nouvelles technologies, des pages Web, de l'Internet?

M. Beauregard (Yves): Ça demeure un domaine sur lequel on se questionne depuis plusieurs mois, et c'est des domaines qui sont encore avec des nébulosités, des choses pas claires encore, les ententes avec les droits d'auteur, etc., ça bloque plusieurs revues, de mettre leur contenu, par exemple, sur un site Web. Alors, il y a beaucoup de choses à mettre sur pied avant, comme on disait, comme les contrats avec les artistes, les écrivains, les auteurs des articles, les auteurs des illustrations. Là-dessus, on travaille aussi actuellement, parce que je siège, avec ma directrice générale, sur la Commission du statut de l'artiste, et on est très sensibilisés à ça. Donc, il y a beaucoup de choses à régler avant. Mais on se tient au courant des nouveaux médias.

Actuellement, la SODEP a un site Internet. Vous savez, la SODEP, c'est un peu notre coopérative de promotion, hein. Alors, la SODEP a elle-même son site Internet où elle fait la promotion de tous les nouveaux numéros de chacun des 39 membres et avec des courts communiqués de presse. Donc, déjà, ça donne une certaine visibilité. Elle a déjà des systèmes de renvoi aux sites que possèdent certaines revues, parce qu'il y a déjà des revues qui, effectivement, ont peut-être plus de moyens. Si on va dans les revues de tête qui ont des tirages plus grands et qui vendent de la publicité, qui ont une plus grande notoriété, elles ont déjà des sites Internet. Donc, on suit très, très bien ce qui se passe dans ces domaines-là, tout en étant aussi prudent par rapport aux ententes avec nos auteurs et les illustrations qui figurent dans ces fameux sites-là. Donc, on y va prudemment, mais on est très ouvert à ces systèmes nouveaux, à ces nouveaux moyens de communication, oui.

M. Bellemare (Gaston): Vous savez, je peux changer l'opinion de quelqu'un qui est à l'île de la Réunion si j'ai son adresse Internet, en lui envoyant un communiqué. Il peut acheter, il peut décider d'acheter une revue québécoise avant d'acheter une revue chez lui parce que je peux l'influencer directement. Maintenant, la force de l'informatique, c'est que je peux rentrer dans votre salon avant même que vous sortiez de votre maison, et c'est ça qui est la force. Parce que, quand vous sortez de votre maison, vous allez à la librairie, qui est le lieu naturel à 90 % où les gens vont pour acheter un livre, et qu'ils y entrent pour acheter tel type de livre et que ça ne se trouve pas, parce que nos librairies sont à 70 % faites de livres qui ne viennent pas du Québec... donc, dans le 30 % qu'il y a là, avant qu'ils trouvent une revue de poésie, habituellement elle est dans la dernière rangée au fond, à la plus basse rangée du bas ou celle du haut. Je n'ai jamais vu quelqu'un à genoux, chez Provigo, moi, pour prendre les affaires sur la dernière tablette du bas. On achète toujours à hauteur des yeux, mais la poésie n'est pas là. Heureusement, elle est à la hauteur du coeur.

M. Beauregard (Yves): Mais ce qui est un petit peu étrange, c'est qu'on réussit difficilement à convaincre les moyens conventionnels de communication de nous montrer, de nous vendre... et, alors qu'on pense déjà à la génération future... c'est-à-dire, Le Devoir , pour n'en citer qu'un, parle quand des revues culturelles?

M. Bellemare (Gaston): Jamais. C'est le plus culturel.

M. Beauregard (Yves): Il est bien prêt à accepter des pleines pages de publicité...

M. Bellemare (Gaston): Oui.

M. Beauregard (Yves): ...ou des pubs qu'on prend à pleine page, mais il n'y a pas de chronique sur les revues culturelles. Et ce n'est pas limitatif, les revues culturelles, c'est tout l'arc-en-ciel de la culture québécoise. On a parlé beaucoup jusqu'à maintenant de poésie et de littérature, mais, chez nous, c'est le cinéma – il y a quatre revues de cinéma – des revues d'art, des revues de critique, des revues de patrimoine. C'est toute la palette de la culture québécoise. Qu'est-ce qui empêche les journaux d'en parler? Ce n'est pas payant. Et on connaît l'importance de la visibilité dans les médias. Le peu de fois que certains magazines ont des visibilités, ça accélère les ventes d'une manière extraordinaire. On a beau se payer, nous, les plus belles publicités dans notre réseau de distribution, mais, si on était appuyé par les médias écrits, même TV et radio, ce serait merveilleux. Il y a un gros travail à faire déjà là.

Le Président (M. Cusano): Merci, M. Beauregard.

M. Bergeron: Une dernière question.

Le Président (M. Rioux): Très petite question.

M. Bergeron: Oui, rapidement. Vous avez 39 revues. La présence régionale... D'où viennent vos revues? Est-ce que l'ensemble des régions du territoire national du Québec est couvert?

M. Bellemare (Gaston): En Abitibi, non.

M. Beauregard (Yves): Pas nécessairement toutes les régions du Québec possèdent des revues. Il y en a un bon nombre effectivement qui viennent de Montréal. Bien, M. Bellemare représente la région de Trois-Rivières. Moi, je dirige deux revues, ici, à Québec, mais il y en a d'autres; Continuité , Nuit blanche , Inter sont à Québec. Nous en avons une à Rimouski. Il y en a peut-être dans la région aussi des Cantons de l'Est, mais, en Abitibi... Ah! en Gaspésie, nous avons aussi un membre en Gaspésie, la revue Gaspésie . Donc, il y a quand même pas mal de revues, mais c'est sûr que les grands centres regroupent la majorité des magazines.

M. Bergeron: Merci.

Le Président (M. Cusano): Merci, M. Beauregard. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci. Là, je vais revenir à un aspect bien terre-à-terre, parce que votre mémoire est très précis, hein, avec beaucoup de recommandations extrêmement précises. Puis là je réalise que peut-être je ne comprends pas tout à fait comment, en ce moment, ça fonctionne, pour vous, au niveau du Conseil des arts et des lettres du Québec. Est-ce qu'on est devant une enveloppe réservée, en ce moment, aux éditeurs culturels, ou si c'est traité sur la même base que des demandes faites pour d'autres types de production littéraire? Puis je veux en venir aux jurys. Vous nous dites: Donc, ultimement, j'ai un problème, je reçois toutes sortes de commentaires sur les lettres d'appréciation parce que je ne suis pas évalué par mes pairs; il n'y a pas d'éditeur de périodique culturel sur les jurys.

Mais je veux juste bien comprendre, là: Est-ce que je suis devant une enveloppe qui vous est réservée ou pas? S'il y a une enveloppe réservée, expliquez-moi, jusqu'à maintenant, comment ça se fait qu'il n'y a pas de jury, de chez vous, traitant cette enveloppe? Je me dis: Peut-être que la réponse, c'est sur 39, si je constitue un jury, ça fait assez milieu restreint, si vous me permettez. Si j'ai je ne sais pas trop combien d'artistes en arts visuels ou quoi que ce soit, je suis peut-être plus sûre de pouvoir mettre de l'oxygène dans mes jurys.

M. Beauregard (Yves): Oui, mais l'enveloppe réservée... Enfin, il faudrait poser la question au Conseil des arts et des lettres. Je ne pense pas que ce soit quelque chose, de dire: Il y a un montant qui est égal aux revues. Je pense que la tradition du Conseil des arts et des lettres, on l'a dit depuis le début, est axée sur les artistes. C'est sûr que, depuis le début, leur majorité de jurys est formée d'auteurs et d'artistes.

Mme Beauchamp: Excusez-moi, je veux juste savoir si je vous ai bien compris, je suis désolée...

M. Beauregard (Yves): Alors, naturellement, ils n'allaient pas vers les éditeurs, mais enfin, dans les discussions récentes, on a fait part de ce problème et on n'a pas fait face à une fin de non-recevoir.

Mme Beauchamp: O.K. Je veux savoir si je vous ai bien suivis. Je m'excuse, c'est peut-être la fatigue qui commence à s'installer un peu. Est-ce que vous me dites que, en ce moment, ce n'est pas vraiment une enveloppe réservée, mais il y a une...

M. Bellemare (Gaston): Oui, je pense qu'il y a une enveloppe réservée.

M. Beauregard (Yves): On pense, mais...

Mme Beauchamp: Bon.

M. Bellemare (Gaston): Je ne siège pas au CALQ, je ne peux pas vous le dire.

M. Beauregard (Yves): C'est ça.

Le Président (M. Cusano): Alors, si on comprend bien, selon vous... Y en a-tu une ou il n'y en a pas, selon vous?

Mme Beauchamp: Ils ne le savent pas.

M. Beauregard (Yves): Bien, on ne le sait pas, ce n'est pas nous qui gérons le CALQ.

Le Président (M. Cusano): Parfait. O.K. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Bon.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Beauchamp: Non, mais je suis un peu étonnée, je vous avoue, parce que je me dis juste: Vous êtes dans ce secteur-là, et là je suis là puis je me dis: On ne sait pas s'il y a un programme dévolu, là. En tout cas, on regardera, de notre côté, chez vous.

M. Beauregard (Yves): On peut penser qu'il y a une enveloppe parce que, dans les discussions qu'on a eues avec nos responsables au CALQ, on nous a souvent parlé du fait que de nouvelles revues ne pourraient pas être admises, possiblement.

Mme Beauchamp: O.K.

M. Beauregard (Yves): Alors, j'imagine qu'il y a une enveloppe fermée, et, si tous les 39 membres qui sont subventionnés – bien, pas 39 membres parce que ce n'est pas toutes les revues de la SODEP qui sont subventionnées par le CALQ – satisfont aux exigences, ils vont recevoir leur montant. Je ne pense pas que l'enveloppe soit suffisamment grande pour qu'il puisse recevoir de nouvelles demandes. Ça, c'est des commentaires qu'on a déjà eus. Alors, ça peut être indicatif.

Mme Beauchamp: O.K., mais ça...

M. Beauregard (Yves): C'est là toute la connaissance qu'on a sur l'enveloppe.

Mme Beauchamp: O.K. On essaiera de creuser ça de notre côté. Moi, j'ai peut-être une dernière question.

Le Président (M. Cusano): ...

(16 h 20)

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Beauchamp: Non, mais j'ai l'impression que ça reflète l'aspect, et ce n'est pas un jugement de valeur, mais un peu l'aspect marginal, donc, que vous prenez à l'intérieur du CALQ. C'est vous-mêmes...

M. Beauregard (Yves): Ah! bien oui, ma chère madame, vous regarderez le rapport du Conseil des arts et des lettres, vous regarderez le graphique des subventions qu'ils accordent aux organismes, et là vous prendrez une loupe et vous verrez, à la fin... Je pense que longtemps, longtemps, nous étions le dernier, et il y avait si peu d'argent que ça ne faisait même pas une tache noire. Je pense qu'on a été dépassé récemment par les organismes... je ne sais pas si c'est en audiovisuel. En tout cas, peut-être qu'ils sont en dessous de nous. Alors, c'était indicatif.

Mme Beauchamp: Comme dernière question, de mon côté en tout cas, je veux juste revenir sur la question des droits d'auteur, parce que je crois vraiment que, lorsqu'on parle d'art, de culture, c'est vraiment une question importante, le respect des droits d'auteur. J'aimerais ça que vous nous réexpliquiez la chose. Vous nous dites dans votre mémoire qu'il y a un certain mode de fonctionnement qui semble être assez bien implanté chez d'autres organismes qui interviennent, en tout cas dans la relation auprès des éditeurs – on pense, entre autres, par exemple, même à la CACUM, au niveau du Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal – et vous nous dites que plusieurs de ces partenaires exigent – et vous dites «avec raison» – que les relations éditeurs-auteurs soient régies par un contrat écrit qui respecte la loi sur le statut de l'artiste. Et là vous nous dites que le CALQ fait bande à part et qu'il veut intervenir dans la fixation du droit d'auteur. Mais j'aimerais ça que vous nous réexpliquiez et peut-être un petit peu les raisons un peu historiques autour de ça, là. Comment vous expliquez cette position du CALQ par rapport au droit d'auteur, dans votre milieu?

M. Bellemare (Gaston): Tous les éditeurs au Québec ont un contrat qui doit obligatoirement respecter la loi sur le statut de l'artiste. Quand la loi sur le statut de l'artiste est arrivée, on a tous pris nos contrats d'éditeurs, on les a envoyés chez des avocats pour les faire ajuster par rapport à la loi sur le statut de l'artiste, et on respecte, et je serais le premier furieux si un éditeur ne respectait pas la loi sur le statut de l'artiste.

Donc, on a les argents... les premiers argents qu'on met de côté, c'est pour payer les droits d'auteur, toujours. Et on paie les droits d'auteur selon le marché, et le marché de l'édition, ce n'est pas le marché de la peinture. Et, parce qu'on a des revues qui sont des revues d'art et qui reproduisent des toiles à l'intérieur, elles paient des cachets d'artiste beaucoup plus élevés que pour un poème ou pour trois feuillets de critique. Et c'est deux produits complètement différents. Mais, moi, je comprends le CALQ; il défend les artistes, donc il souhaiterait que, finalement... En tout cas, on a tendance à finir par croire qu'il souhaiterait qu'on paie autant pour un que pour l'autre.

Mme Beauchamp: Ah! c'est entre les secteurs.

M. Bellemare (Gaston): Voilà.

Mme Beauchamp: Vous dites qu'il y a comme une tendance, du côté du CALQ, à dire...

M. Bellemare (Gaston): Il y a des secteurs qui ne paient pas les mêmes droits, c'est-à-dire... C'est normal... Bien, ce n'est pas normal. La société a décidé qu'une toile, ça valait plus qu'un poème – puis ce n'est pas moi qui l'ai faite – puis ça vaut plus qu'un roman ou... Bon.

Mme Beauchamp: O.K. Mais je viens de mieux comprendre. Vous me dites que le CALQ, selon ce que vous en comprenez, a une tendance à dire: Pourquoi vous n'uniformisez pas les droits d'auteur?

M. Bellemare (Gaston): Non. Le CALQ dit toujours: Vous n'en donnez pas assez. Il ne dit jamais jusqu'où... qu'est-ce qu'on devrait donner. Moi, ma question a été: Qu'est-ce que vous voulez qu'on paie pour qu'on ait la paix?

M. Beauregard (Yves): C'est ça, ce n'est pas si clair de la part du CALQ. Et, récemment, vous savez, bon, on a parlé de la politique du livre et de la lecture, suite à ce sommet-là, il y a eu une augmentation des budgets au CALQ, et, dans les recommandations d'utilisation de ces sommes supplémentaires, le CALQ, en premier point, a dit: Devrait améliorer les cachets aux auteurs et aux artistes. Disons que c'est une proposition très forte.

M. Bellemare (Gaston): Quand mon père me donnait 10 $ pour passer le week-end, il ne me demandait pas de ramener 10 $ de produits. Et là on nous donne une augmentation pour nos revues, mais on nous dit: Vous allez la dépenser seulement là, ou préférablement là seulement...

M. Beauregard (Yves): Disons, de préférence.

M. Bellemare (Gaston): ...alors qu'on avait une indication très nette où dépenser l'argent.

Mme Beauchamp: J'ai une dernière question. Du côté du CALQ, est-ce que, vous, vous considérez que vous avez un accompagnateur, là? Est-ce qu'il y a quelqu'un au niveau du CALQ qui est là, entre autres – peut-être pas uniquement, mais entre autres – pour vous accompagner, qui est un interlocuteur qui connaît bien votre dossier? Et est-ce que ça existe à l'intérieur du CALQ? On vient de dire que peut-être vous êtes assez marginaux en termes de soutien financier, et tout ça, mais... Au moins pour qu'on ait une idée un peu plus juste de la situation dans laquelle vous vous trouvez, est-ce que vous avez un tel interlocuteur au sein du CALQ?

M. Beauregard (Yves): Moi, je dirais... c'est une réponse à deux niveaux. Au niveau des personnes responsables directement du dossier des revues, nous avons d'excellentes relations, des relations de confiance, des relations qui se sont développées au fil des années et des fonctionnaires immédiats et de cette personne-là, le patron de ce média-là. On a aussi développé depuis quelques années des rencontres, qu'on a chaque année, et le plan triennal de la SODEP est né de cette rencontre et de cette confiance des fonctionnaires responsables directement des revues.

Là où il y avait un manque, et je l'ai dit tout à l'heure, c'était un manque de communication entre les fonctionnaires directement responsables de nous et la haute direction du CALQ. Récemment, on a... on avait été un petit peu en mesure, au Sommet du livre et de la lecture, d'avoir des contacts directs avec la haute direction. Mais on vient d'en avoir, et ça a été très utile. Parce que j'ai l'impression qu'il y avait des informations qui, de la base, ne montaient pas jusqu'à la haute direction du CALQ. Notre rencontre a été très, très instructive et très productive pour se comprendre.

Mme Beauchamp: J'aurais juste un dernier commentaire, c'est que c'est tentant de se dire qu'on devrait retenir cette commission dans 12 mois juste pour voir si, même à la suite de cette commission, il y a des résultats à ces rencontres productives qui ont eu lieu depuis le dépôt de vos mémoires.

M. Beauregard (Yves): Mais je pense qu'on a convenu de rencontres plus fréquentes avec la haute direction du CALQ, et ça ne devrait être que plus bénéfique.

Mme Beauchamp: Ça va.

M. Bellemare (Gaston): ...résultats nous-mêmes que vous fassiez une autre commission.

Le Président (M. Cusano): Merci. Merci, M. Bellemare. Est-ce qu'il y a d'autres questions du côté ministériel? Ça va. Du côté de l'opposition? Alors, au nom des membres de la commission, je tiens à vous remercier, MM. Beauregard et Bellemare, de votre excellente présentation. Merci beaucoup.

Je demanderais à ce moment-ci aux représentants de Théâtres associés de prendre place.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Rioux): Alors, M. Turgeon, je souhaite la bienvenue à votre organisation et je vous demanderais de présenter les gens qui vous accompagnent.


Théâtres associés inc. (TAI)

M. Turgeon (Serge): Oui. Alors, nous sommes donc ici des représentants de Théâtres associés. Nous, c'est Marie-Thérèse Fortin, qui est directrice artistique du Théâtre du Trident, ici, à Québec; M. Bernard Boissonneault, qui est directeur administratif du Théâtre du Rideau Vert...

Une voix: Théâtre du Nouveau Monde.

M. Turgeon (Serge): ...du Théâtre du Nouveau Monde, excusez-moi, pas encore du Rideau Vert; Jacques Cousineau, qui est secrétaire général de Théâtres associés; et, moi, je représente aussi la direction du Théâtre du Rideau Vert, à Montréal. Théâtres associés...

Le Président (M. Rioux): D'abord, je dois vous dire que ça me fait plaisir de vous revoir. Pour ceux qui ne le sauraient pas, on a été collègues de travail.

M. Turgeon (Serge): Tout à fait.

Le Président (M. Rioux): Et aussi on a milité au sein de la même merveilleuse organisation qui s'appelle l'Union des artistes. Vous étiez président, j'étais secrétaire général.

M. Turgeon (Serge): Vous connaissez donc bien la problématique des artistes.

Le Président (M. Rioux): Et ça a été des moments forts.

M. Turgeon (Serge): Oui.

Le Président (M. Rioux): Ça a été une belle époque. Je voudrais dire aux gens qui ne le sauraient pas, c'est pendant votre règne qu'on a reconnu l'artiste, que le statut de l'artiste a été reconnu après des longues batailles. Et Dieu sait si M. Turgeon a été un artisan qui a plaidé avec vigueur la cause des artistes non seulement au Québec, mais auprès du gouvernement fédéral. Alors, je voulais le souligner juste pour dire qu'il y a eu des gens qui ont mené des hautes luttes au Québec pour les artistes et les artisans, quelle que soit leur catégorie, et vous faites partie de ceux-là. Alors, on vous écoute.

M. Turgeon (Serge): Merci. Alors, on est donc très heureux de voir que nous avons des oreilles attentives quant à la problématique des artistes.

Théâtres associés, M. le Président, madame, messieurs de la commission, c'est une association de producteurs qui intervient auprès de divers interlocuteurs du domaine théâtral pour ses membres et qui offre, en fait, à ces derniers des services qui visent l'amélioration de la pratique théâtrale, qu'on pense à la négociation, à la gestion des ententes collectives, à toutes ces interventions qui sont reliées, par exemple, à la loi sur le statut de l'artiste et à d'autres. Notre association, elle n'est pas subventionnée, je tiens à le dire. Elle n'est pas subventionnée pour son fonctionnement, elle dépend essentiellement du bénévolat et de la cotisation de ses théâtres membres.

(16 h 30)

TAI regroupe des compagnies théâtrales de langue française qui sont parmi les plus en vue au Québec, qui sont à but non lucratif, qui ont chacune la charge d'un lieu théâtral. Et, hormis le Centre national des arts et la Société de Place des Arts, les membres de TAI sont subventionnés au fonctionnement par le CALQ. Il s'agit donc de théâtres que vous connaissez bien, comme la Compagnie Jean-Duceppe, Espace Go, le Théâtre d'Aujourd'hui, le Théâtre de la Bordée, le Théâtre de la Manufacture, le Théâtre Denise-Pelletier, le Théâtre de Quat'sous, le Théâtre du Nouveau Monde, le Théâtre du Rideau Vert et le Théâtre du Trident, des théâtres qui ont tous entre 20 et 50 ans d'existence et qui donc représentent la colonne vertébrale de la pratique théâtrale au Québec.

Cela dit, on va entrer dans le vif du sujet. Il y a un problème qui nous préoccupe, nous, depuis un certain temps, et c'est le fait que le soutien de l'État au fonctionnement de nos membres n'épouse pas la nature institutionnelle de leurs activités. Or, la précarité endémique et l'essoufflement, vous vous en doutez un peu, sont notre lot quotidien. C'est une situation qui affecte gravement la pratique de notre art au Québec, eu égard notamment au fait que l'une des caractéristiques de nos membres, c'est l'occupation et l'animation des lieux théâtraux, des lieux qui constituent un parc immobilier d'une très grande valeur et dans lequel l'État, oui, a investi des sommes importantes année après année, et plus particulièrement lors des dernières années avec de très belles rénovations. Les lieux théâtraux sont donc des réalités incontournables qui entraînent à conséquence et qui génèrent des responsabilités. Et il appartient à nos membres de rendre ces immeubles utiles, de les préserver pour la pérennité de notre art.

Alors, si on pense, par exemple, à des questions aussi minimales que le chauffage et la climatisation d'une salle de théâtre, à l'entretien et au renouvellement des équipements de scène, au maintien du bâtiment, tout cela, vous vous en rendez compte, ça représente une charge inévitable qui est pratiquement incompressible et que nos membres doivent assumer en plus de leurs responsabilités de producteurs de théâtre. Les coûts, oui, peuvent varier d'un théâtre à un autre mais, dans tous les cas, ils demeurent très importants. Et, si vous voulez une idée de l'ordre de grandeur, je vous dirais que ces coûts représentent environ 15 % du chiffre d'affaires de nos membres ou 30 % des subventions qu'ils reçoivent pour leur fonctionnement régulier. Il y a deux de nos membres qui ne sont pas propriétaires de leur lieu mais qui ont quand même des dépenses à travers le loyer et des frais connexes qu'ils assument auprès des sociétés d'État.

Alors, vous voyez là le problème. Nos membres, par nature, sont des entités qui sont destinées à la production artistique. C'est ça, leur raison d'être. C'est ça, le moteur de leur activité. Au CALQ, l'évaluation des pairs porte essentiellement sur cette activité de production et est principalement axée sur le projet et les résultats artistiques de nos compagnies. Or, c'est à même la subvention qui découle de cette évaluation que nos membres assument le coût de leurs lieux théâtraux, les dépenses dont la nature immeuble et objective commande un examen différent de celui que le comité des pairs est appelé à effectuer.

Si on considère l'apport de ces immobilisations à la pratique du théâtre et l'argent public qui y est injecté, bien je pense qu'il serait irresponsable de négliger leur maintien et leur entretien. Cependant, nos membres, n'ayant pas de marge de manoeuvre quand la part des budgets affectés au lieu augmente, ce sont donc les budgets de production qui écopent et l'art se trouve ainsi à payer pour l'entretien du béton, alors que c'est le béton qui devrait servir l'art. Que le coût de nos salles gruge les moyens que nous avons pour attirer le public dans nos salles, c'est un peu absurde. Que la réparation d'un équipement sanitaire ou même la simple augmentation du coût de la vie oblige une ponction dans des budgets artistiques d'une institution qui est destinée à l'art et qui est évaluée comme telle, je vous avouerai que c'est révoltant. Or, les budgets artistiques déterminent le nombre d'artistes que nous pourrons engager, leur rémunération, leurs conditions de travail et les montants qui sont mis à la disposition de leur création.

Donc, nous proposons une mesure administrative qui vise à clarifier les enjeux et à améliorer le processus d'évaluation des institutions théâtrales. Cette mesure nous paraît facilement applicable, d'autant que les demandes de subvention qui sont présentées au CALQ par nos membres sont déjà examinées à part. Nous proposons que, dans les demandes de subvention présentées par nos membres, les coûts liés aux lieux théâtraux soient séparés de ceux liés à la production théâtrale; qu'ils fassent l'objet d'une évaluation distincte soumise à des personnes qui ont des compétences en gestion d'immeuble; et que le CALQ identifie la part des subsides qui découlent de cette évaluation.

Ça nous amène évidemment à une question cruciale, fondamentale, qui est le financement du CALQ, dont le budget, à notre avis, reste dérisoire face à la pertinence de son mandat, face à l'ampleur de ses responsabilités et face aux urgents besoins des organismes qui le sollicitent. Depuis la création du CALQ, le milieu théâtral demande constamment à l'État québécois une majoration substantielle des crédits qui sont alloués à cet organisme. Nous appuyons cette requête, nous la réitérons. Il faut que le CALQ obtienne les fonds nécessaires à une réelle incarnation des principes qui lui ont donné naissance. S'il faut changer les choses, nous disons: Changeons-les.

Par exemple, s'il faut élargir le conseil d'administration du CALQ pour en augmenter les zones d'influence économique et politique, nous disons: Faisons-le. Les arts, ce n'est pas la seule affaire des artistes. Les arts et la culture, c'est la responsabilité collective de toute la société. C'est pourquoi nous pensons que, s'il le faut, s'il faut élargir le Conseil à d'autres membres de la société qui ne sont pas des artistes, faisons-le. C'est toute la société qui doit se mêler de ses affaires, et de ses affaires culturelles.

En conséquence, nous suggérons que, lors des prochaines nominations au conseil d'administration du CALQ, le gouvernement suscite l'apport des personnalités qui sont issues d'autres milieux que celui des arts et des lettres afin de diversifier et d'étendre les zones d'influence, les capacités du CALQ dans sa recherche de financement.

Je vous dirai, en conclusion, que le Québec s'est doté d'institutions théâtrales dont les performances sont assez remarquables et à tous points de vue. L'immense talent des gens de théâtre a bâti ce succès enviable, mais dans des conditions combien moins enviables. Notre théâtre est l'un des meilleurs théâtres au monde. Et pourtant, les institutions qui s'y consacrent ne survivraient pas si ce n'était du dévouement, du zèle, des efforts surhumains des gens qu'elles engagent. L'appui financier que l'État accorde à ces institutions culturelles et théâtrales ne devrait-il pas alors refléter l'importance qu'il reconnaît à notre culture et la place qu'il veut faire aux artistes dans notre société?

Nous espérons, M. le Président, Mmes, MM. membres de la commission, que cette commission de la culture saura constater le sous-financement du CALQ et en identifier les causes. Mais nous souhaitons surtout qu'elle saura identifier et activer les moyens d'y remédier dans les plus brefs délais.

Donc, en résumé, M. le Président, je vous dirais que Théâtres associés propose, dans les demandes de subventions présentées par ses membres, que les coûts qui sont liés aux lieux théâtraux soient séparés de ceux liés à la production théâtrale, qu'ils fassent l'objet d'une évaluation distincte soumise à des personnes qui ont des compétences en gestion d'immeubles, et que le CALQ identifie la part des subsides qui découle de cette évaluation.

Nous appuyons, nous réitérons la demande constante du milieu qui vise une majoration substantielle des crédits alloués au CALQ, ce dernier ne disposant pas des fonds nécessaires à une réelle incarnation des principes qui lui ont donné naissance.

Et enfin, nous suggérons, lors de prochaines nominations au conseil d'administration du CALQ, que le gouvernement pense à susciter l'apport de personnalités issues d'autres milieux, peut-être, que celui des arts et des lettres, considérant que les arts et la culture, c'est l'affaire de toute la société.

Le Président (M. Rioux): M. Turgeon, merci. C'est un mémoire vigoureux, qui dit clairement les choses. On vient de comprendre que vous aimeriez qu'on divise les coûts liés aux lieux du théâtre et aussi distinguer les lieux de production. Vous aimeriez qu'il y ait une division, une analyse qui soit différente dans les deux cas. Quant à l'élargissement du Conseil, c'est une suggestion que nous accueillons avec plaisir.

Je vais céder la parole au député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Merci, M. le Président. D'abord, M. Turgeon, c'est un honneur de vous recevoir ici, compte tenu de votre contribution passée à l'essor du monde artistique au Québec. J'aimerais vous interroger sur deux volets qui sont fort distincts l'un de l'autre. Le premier n'est pas directement rattaché à votre mémoire mais plutôt à vos fonctions antérieures et même à certaines de vos fonctions actuelles.

(16 h 40)

En début d'audition, j'ai eu l'occasion d'échanger avec le nouveau président de la SODEC sur la problématique qui implique le FICC et la FIDEC. Pour certains d'entre nous, à première vue, il semble y avoir là un problème d'arrimage sinon de dédoublement de fonction, en apparence, et peut-être même de fonctionnement un peu étrange, à la FIDEC en particulier, du fait que certains partenaires sont également des clients de la Société. Alors, la question que je vais vous poser – et c'est essentiellement, à toutes fins pratiques, la même que j'ai posée au président de la SODEC – c'est: Est-ce qu'à votre avis, puisque vous avez été l'un des instigateurs du Fonds d'investissement de la culture et des communications, vous jugez qu'il y a là dédoublement, du fait de l'existence de deux organismes qui, à première vue, semblent avoir des fonctions assez semblables?

Le Président (M. Rioux): M. Turgeon.

M. Turgeon (Serge): Écoutez. Je vais répondre à cette question. Je ne voudrais pas cependant que ça nous distraie des propos qui concernent comme tel le monde du théâtre en particulier, mais c'est une question importante.

M. Beaulne: Non, non. Mais je vous explique pourquoi je pose la question, parce qu'on a eu très peu l'occasion de discuter de cette question avec d'autres intervenants, puisque ce n'était pas le centre de leur intervention. Mais, vous, vous avez été impliqué là-dedans. Alors, c'est une occasion en or.

M. Turgeon (Serge): Écoutez, moi, ce que je vais vous dire là-dessus, c'est que la création du FICC, le Fonds d'investissement de la culture et des communications, c'est une proposition qui est venue du milieu et c'est une chose qui a pu se faire avec l'appui du gouvernement. Et ce que le gouvernement a accepté dans cette création-là, c'est que les commanditaires de ce fonds soient le Fonds de solidarité de la FTQ et la SODEC. Le Fonds de solidarité de la FTQ a investi au point de départ 10 000 $ et la SODEC a investi 5 000 000 $. À ce moment-là, le Fonds d'investissement de la culture était le seul fonds de capital de risque, donc un autre outil que se donnait le milieu. C'était pour nous un signe de maturité du milieu que de pouvoir se servir aussi de cet outil-là pour financer certains projets.

C'est certain qu'il nous est apparu surprenant de voir que, peut-être un an après la création du Fonds d'investissement de la culture, la SODEC, qui fait bien ce qu'elle a à faire, se dotait également d'un fonds de capital de risque, donc la FIDEC. Et, par la suite, on a vu que l'idée était tellement bonne d'une telle création d'un fonds, non seulement ça avait inspiré la SODEC, mais ça a aussi inspiré la Caisse de dépôt qui a aussi décidé d'investir dans le monde de la culture via le capital de risque. Moi, ce que je dis là-dedans, c'est que plus on aura d'outils pour aider le milieu de la culture, mieux ce sera. Mais il faut quand même mettre de l'ordre dans les choses. Il ne faudrait pas que ces organismes-là, qui sont tous des organismes issus de la volonté gouvernementale, se tirent dans les pieds les uns les autres, mais qu'ils soient complémentaires.

Donc, est-ce que la FIDEC a sa raison d'être? Peut-être, mais en autant que le Fonds d'investissement de la culture ait aussi sa raison d'être. Et la beauté du Fonds d'investissement de la culture, c'est que le conseil d'administration de ce fonds est formé majoritairement de gens du milieu, c'est-à-dire d'artistes, de musiciens, de comédiens, d'écrivains. Ce sont eux qui sont responsables du conseil d'administration. C'est ça, la beauté de la chose. Et ça, moi, je pense qu'il faut le préserver et qu'il est temps que le gouvernement mette de l'ordre là-dedans et dise: Voici quelles sont les zones du fonds d'investissement, quelles sont les zones de la FIDEC, quelles sont les zones de la Caisse de dépôt. Je pense que votre question est très pertinente et que ça s'impose aujourd'hui.

M. Beaulne: Je vous remercie. Maintenant, pour revenir à votre mémoire d'aujourd'hui, vous avez dit quelque chose que je reçois très bien, vous dites que les arts, ce n'est pas la seule affaire des artistes. J'en conviens, puisque nous, qui ne sommes pas artistes, nous sommes des consommateurs de l'art, donc, quelque part, il me semble qu'on a notre mot à dire aussi dans tout ce milieu et dans toute cette question.

Et vous avez parlé d'élargir le conseil d'administration du CALQ. Certains sont venus ici nous proposer de scinder la fonction de président du conseil d'administration et de directeur général de l'organisme tout en précisant, selon eux, que le président de l'organisme, advenant que la fonction soit scindée, devrait être un artiste. Que répondez-vous à cela?

M. Turgeon (Serge): Écoutez, on a déjà dit que les ministres de la Culture devraient être des artistes. Je pense que, quand les gens font bien ce qu'ils ont à faire, c'est parfait. Qu'il y ait une représentation artistique au sein du Conseil, du CALQ, par exemple, c'est peut-être une bonne chose. C'est peut-être une bonne chose pour rendre les choses parfois plus claires, plus sensibles, pour que le pouls soit accordé, bien que des artistes soient sur le conseil d'administration du CALQ. Scinder la présidence et avoir une direction générale, dans plusieurs organismes, ça existe. Est-ce que l'Association Théâtres Associés a pris position comme telle là-dessus?

M. Cousineau (Jacques): TAI n'a pas pris position là-dessus.

M. Turgeon (Serge): Pas encore.

M. Cousineau (Jacques): Je sais que le CQT s'est prononcé, et nous sommes membres du Conseil québécois du théâtre, le CQT. Donc, par sa voix, le CQT vous transmettra ce que nous en pensons, à travers lui. Mais TAI ne s'est pas prononcé là-dessus. Est-ce que ça va permettre au CALQ d'obtenir davantage de moyens? C'est ça, l'essentiel. Si ça, ça peut permettre que le CALQ, son budget augmente: tant mieux, faisons-le. C'est ça, l'essentiel.

Le Président (M. Rioux): M. Cousineau, merci. M. Turgeon.

M. Turgeon (Serge): M. le Président, la question, c'est: Est-ce que le CALQ va aller plaider sa raison d'être auprès du ministère qui l'a créé? Est-ce qu'ensuite le ministère va aller plaider auprès du premier ministre et du ministre des Finances pour avoir les budgets nécessaires? Au fond, la question qui se pose, aujourd'hui, quand on demande d'augmenter les budgets du CALQ, c'est que le gouvernement nous dise ce que représente la culture et qu'il nous montre ce que représente la culture. C'est ça, la question fondamentale.

Le Président (M. Rioux): Bien. Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. J'avais le goût de faire une petite observation en commençant. Je pense qu'on a parlé beaucoup de la langue ce matin, de la langue écrite. C'est vrai qu'on a une belle langue écrite, mais, quand elle est parlée comme elle l'a été tout à l'heure, je pense qu'elle a quelque chose de particulier. Et je ne voudrais pas qu'on prenne ça pour de la flagornerie, ce n'est pas du tout ça. Je pense que la musique de la langue est quelque chose d'extraordinaire. Quand elle est bien exploitée, je pense que c'est de l'art, ça aussi, et je vous en remercie particulièrement.

Mais j'ai été particulièrement intéressé par l'observation que vous faites à la page 5 de votre document. Quand vous suggérez que «le gouvernement suscite l'apport de personnalités issues d'autres milieux que celui des arts et des lettres afin de diversifier et d'étendre les capacités du CALQ», j'imagine que vous avez en tête des compagnies importantes, des gens du milieu des affaires, et tout ça.

Ce que je perçois dans le document, c'est que la problématique est posée à partir d'une vision, je dirais, nationale du théâtre avec les grandes institutions qu'on a à Montréal et Québec, qui sont des institutions quasi nationales ou nationales, mais il existe peut-être d'autres institutions en région aussi qui font du théâtre réel. Vous connaissez peut-être le Boléro, à Saint-Hyacinthe, qui est une petite compagnie qui essaie de s'implanter.

Et pourquoi je parle des deux? C'est parce que la référence que vous faites là me fait penser que peut-être que, avec une approche mieux structurée, on pourrait amener les milieux régionaux, les municipalités, les MRC à investir plus dans l'art. Ils investissent déjà plus ou moins dans le loisir sportif et relativement peu – peu – dans le théâtre. Alors, peut-être qu'il y aurait lieu de travailler dans ce sens-là, quand on parle du CALQ, et de faire en sorte que le CALQ soit mieux relationné avec les instances politiques locales.

Le Président (M. Rioux): M. Turgeon.

(16 h 50)

M. Turgeon (Serge): Oui. Écoutez, je pense que oui, effectivement. Je pense que, quand on dit que c'est de la responsabilité de tous, c'est certain que c'est de la responsabilité de toutes les instances. Mais je pense que la responsabilité première, et ça, il ne faut pas passer à côté de ça aujourd'hui, et c'est lui qui doit donner le signal, c'est lui qui doit donner le ton, c'est le gouvernement du Québec, étant donné ce que représente la culture. Si ce n'était de la culture, nous ne serions pas ce que nous sommes. Je pense que le ton doit venir du gouvernement du Québec et que le gouvernement du Québec doit montrer que la culture est assez importante qu'elle doit être à la table de toutes les grandes décisions de l'État, elle est assez importante qu'elle doit entraîner forcément les budgets qui s'imposent. Si le gouvernement du Québec donne le ton, les autres vont suivre: les municipalités suivront, les sociétés suivront, ceux qui font des affaires dans un milieu donné, qui auront des responsabilités culturelles comprendront leurs responsabilités. Mais, si l'exemple ne vient pas de là, c'est là qu'il y a un problème.

Et la question que nous nous posons, c'est: Comment se fait-il que le budget du CALQ, depuis sa création, n'ait pas augmenté en conséquence? Est-ce que c'est parce qu'on n'a pas plaidé assez en faveur du CALQ? Est-ce que le ministère n'a pas été sensible? Ou est-ce que le gouvernement n'a pas été assez sensible? C'est là où nous disons: S'il faut élargir la zone d'influence, élargissons-là, parce que c'est une affaire de responsabilité collective.

Le Président (M. Rioux): Merci. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. En tout premier lieu, j'aimerais féliciter ceux qui se sont vu décerner des Masques, dimanche soir. Je pense, entre autres, à Mme Fortin, le TNM aussi. Donc, prendre le temps de vous féliciter, parce que le plus important dans tout ça, ça reste la création artistique, la création que vous faites. Donc, lorsqu'elle est reconnue par vos pairs et par le public, ça mérite toutes nos félicitations.

Mme Fortin (Marie-Thérèse): C'est des Masques pour des auteurs québécois: Ducharme, Gauvreau...

Mme Beauchamp: Aussi. Je pense qu'on poursuit un peu dans la même suite. En page 5 effectivement de votre mémoire, vous nous dites, vous suggérez que «le gouvernement suscite l'apport de personnalités issues d'autres milieux que celui des arts et des lettres afin de diversifier et d'étendre les capacités du CALQ dans sa recherche de financement». La semaine dernière, la ministre de la Culture, devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, a eu pratiquement les mêmes paroles, mais je dirais qu'on devrait y entendre plutôt ceci: Qu'elle a suscité l'apport de personnalités issues d'autres milieux que celui des arts et des lettres afin de diversifier et d'étendre les capacités dans la recherche de financement du nouveau Fonds de consolidation et de stabilisation des milieux culturels.

Monsieur, tantôt, vous avez abordé la question, par l'entremise des fonds de capital de risque, de dire qu'il fallait s'entendre, qu'il fallait peut-être faire un ménage, là, que tous s'entendent. Vous venez de mentionner le fait que le budget du Conseil des arts et des lettres n'a pas augmenté au cours des dernières années. Pourtant, il y a bel et bien eu donc décision ministérielle en 1999 de mettre 15 000 000 $ non pas sous le CALQ, mais bien sous un fonds de consolidation des organismes culturels. L'intention ministérielle a été clairement exprimée la semaine dernière que c'est à travers ce fonds, qui est à côté du CALQ, qui n'est pas sous la gouverne du conseil d'administration du CALQ, composé d'artistes et de représentants de votre milieu, c'est là qu'on dirige l'effort de diversification du financement pour le milieu des arts et des lettres. J'aimerais connaître votre position sur cette orientation qui est maintenant très claire.

Le Président (M. Rioux): Alors, est-ce que c'est M. Cousineau?

M. Cousineau (Jacques): S'il vous plaît. Oui, c'est bien ça, Cousineau, de Théâtres associés. Le fonds dont vous parlez est un fonds important qui va aider beaucoup de compagnies – plus qu'en théâtre, évidemment – ça rejoint toutes les clientèles du CALQ. Mais ce n'est pas un fonds qui va permettre d'améliorer le fonctionnement de base de nos compagnies. Et c'est là qu'on a un problème, le problème le plus important: À la base, nos compagnies n'ont pas les moyens de payer adéquatement les artistes. De façon décente, peut-être, mais... Enfin, nous qui sommes les institutions, on dit souvent qu'on devrait être celles qui paient le mieux, mais on est plutôt celles qui paient le moins mal. En théâtre, les gens ne font pas d'argent. C'est le fonctionnement de base qui mérite une attention particulière.

Les budgets de production sont ridicules. Nos théâtres ont de grandes scènes, ça prend beaucoup d'argent pour remplir de telles scènes, pas seulement de l'imagination. Et Dieu sait que nos artistes font preuve d'imagination, faute d'argent. Mais, en ce moment, on étouffe, on asphyxie. Et c'est ça qu'il faut aider. Nos institutions ont besoin d'un personnel de soutien important. On sait à quel point on n'a pas les moyens d'engager des gens de grande, grande compétence pour tous, tous les postes. Si on a besoin de quelqu'un pour faire la mise en marché, on va aller au fonds de lutte. Et pourtant nous sommes des institutions. Le fonctionnement de base mérite d'être amélioré sensiblement, de manière très importante. Or, vous me parlez d'un fonds qui est créé pour quelque chose d'important mais de très pointu.

M. Boissonneault (Bernard): Sans compter que le nouveau fonds, c'est un truc qui est très temporaire. Une fois que l'argent sera complètement dépensé, ça s'arrête là. Il n'y a eu aucune indication du gouvernement en disant: Ça sera permanent; il y aura de l'argent qui sera injecté là-dedans à toutes les années.

Mme Beauchamp: Bien, c'est un peu la question qui se pose ici. Votre plaidoyer est très clair sur l'augmentation du budget du Conseil des arts et des lettres du Québec, sur la présence, en fait, sur le respect de la politique culturelle du Québec qui veut que le milieu soit capable de décider des grandes orientations et des besoins, et comment les satisfaire. Et, lorsque vous me dites que le fonds est un moyen temporaire, avec l'intervention ministérielle de la ministre la semaine dernière, honnêtement, moi, je me pose la question. On pourra peut-être en discuter avec elle ou avec les gens du CALQ – comment ils voient ça, et tout ça – mais, lorsqu'il y a un appel, comme vous le faites...

Vous, vous le faites pour augmenter les sources de financement du CALQ. La ministre, la semaine passée, a fait le même appel, mais plutôt pour augmenter les sources de financement de ce fonds. Est-ce qu'on est toujours devant une mesure temporaire ou pas? Est-ce que les artistes ont vraiment leur mot à dire sur l'utilisation, quand même, de 15 000 000 $ d'argent public mis dans un fonds? C'est un peu la question qui se pose, selon moi. Et c'est pour ça que je me demandais comment vous réagissez à cette intervention de la ministre la semaine dernière. Est-ce que vous êtes satisfaits, ou on est devant finalement une structure de plus, un guichet de plus qui entraîne une confusion comme on peut peut-être la voir en ce moment un peu au niveau du capital de risque, aussi?

Le Président (M. Rioux): M. Turgeon.

M. Turgeon (Serge): Alors, moi, je pense qu'on peut dire que oui, on est satisfaits de ça. Je veux dire, c'est quand même des argents nouveaux, mais qui sont dévolus à des besoins très précis et qui vont aider certaines compagnies à effacer leurs déficits, des déficits qu'elles accumulent depuis des années justement parce qu'elles ne sont pas assez subventionnées à la base par le CALQ. C'est ça. Alors oui, c'est une mesure temporaire, mais on sera obligé d'en créer d'autres fonds de cette façon-là dans quelques années puis encore d'autres par la suite si le problème de base demeure toujours le même et qu'il n'y a pas l'alimentation nécessaire à la base. Je pense que c'est là où le bât blesse et c'est là qu'il faut y voir. Mais que les mesures temporaires soient prises, bon, je dis bravo à ça. Mais ce qu'on voudrait avoir, c'est quelque chose de permanent.

La culture, c'est quelque chose de récurent. Je veux dire, la culture, ce n'est pas parce qu'on met de l'argent maintenant qu'on pense que c'est fini. La responsabilité, ça, ça se poursuit. Et l'UNESCO l'a dit: Dans une société comme la nôtre, dans une société en deçà de 15 000 000 d'habitants, oui, des pans entiers de la culture se doivent d'être subventionnés; oui, les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités. On a beau, nous, se donner des outils de capital de risque et d'autres choses, aller se chercher des commandites, aller faire des complicités avec d'autres mondes, jamais ça ne devra enrayer la responsabilité de l'État là-dessus. Et ce qu'on vient faire aujourd'hui, M. le Président, c'est de remettre l'État devant ses responsabilités culturelles.

Le Président (M. Rioux): Mme Fortin.

Mme Fortin (Marie-Thérèse): Oui. Le Fonds de stabilisation, le mot le dit, c'est pour stabiliser une situation qui est devenue absolument précaire. Et ce que, nous, nous réclamons aujourd'hui, c'est aussi, à la lumière d'un congrès qu'on a tenu cet été, les membres de TAI, et tout le monde faisait le même constat: on est rendus à un point où nous arrivons à gérer de façon adéquate nos organismes, mais en vampirisant nos ressources, soit notre personnel permanent, soit les gens qu'on engage et les créateurs qu'on engage. Et c'est une situation que nous ne pouvons plus assumer, que nous ne voulons plus assumer, parce qu'on est rendus à un point, je pense, où on ne peut plus aller plus loin dans la rationalisation de nos ressources. Vraiment, on demande à nos gens... Et tout a été comptabilisé. Là-dessus, vous allez avoir des études qui vont être déposées. Les gens font énormément de bénévolat. Il y a même, dans certains cas, du troc qui se fait pour pouvoir arriver simplement à aller chercher des services, des expertises pour nous aider à mettre en marché de façon efficiente nos produits.

(17 heures)

On en est rendu à un point où tous les investissements ont été faits et on ne peut plus aller chercher d'autres sources de revenus si nous n'injectons pas davantage de ressources et d'argent dans, chacun, nos théâtres et nos façons de faire. On en est rendu à un point où je pense qu'on a vraiment atteint la limite maximale de notre efficacité, de notre efficience. Ou bien on continue d'avancer ou on recule. Je pense que le constat est le même pour tout le monde.

Le Président (M. Rioux): M. Turgeon, je voudrais revenir sur un aspect central de votre mémoire. Bien sûr, vous avez parlé du sous-financement du CALQ, vous avez interpellé l'État pour lui dire que c'est sa responsabilité. C'est lui qui doit donner le signal, c'est lui qui doit donner l'exemple. Très bien. Vous avez souhaité aussi l'élargissement des conseils d'administration pour voir entrer d'autres personnes. Mais, sur les coûts liés aux lieux théâtraux et les coûts de production théâtrale, vous m'avez semblé insister beaucoup, parce que vous avez dit: Finalement, c'est les artistes qui financent le béton, alors que ça doit être l'inverse. Moi, j'aimerais savoir: Concrètement, qu'est-ce que ça veut dire? Est-ce que ça veut dire que vous ne faites plus confiance aux jurys ou aux comités qu'on a à l'intérieur du CALQ pour juger des demandes, évaluer les besoins? Qu'est-ce qui ne va pas?

M. Turgeon (Serge): Non, ce n'est pas ça que nous disons. Nous disons que, quand nous, dans notre réalité de tous les jours, 15 % de notre chiffre d'affaires, ce qui représente environ 30 % des subventions, parce que les compagnies sont subventionnées, mettons, maximum, en moyenne, à 50 % du fonctionnement, si 30 % de ça s'en va à l'entretien des lieux... On m'a rénové ma salle il y a quelques années. On a rénové la salle du TNM il y a quelques années, et d'autres. Mais, si 30 % de mon budget s'en va là et que mes subventions accordées considèrent non seulement mes coûts de production mais considèrent aussi ce 30 % puis que ça fait partie du même package, je dis que là, moi, j'ai un mal à gagner, il y a une difficulté.

Or, ce qu'on demande, pour que ce soit plus clair– et ce n'est pas qu'on ne fasse pas confiance aux jurys, au contraire – ce qu'on dit, c'est: Pourquoi ne pas scinder ça? Puisque ces dépenses-là sont incompressibles, celles qui concernent l'entretien des lieux, considérons qu'on a besoin d'un montant fixe par année pour ça, et je n'ai pas d'affaire à faire des rapports à chaque année pour aller demander ça. Mais, pour ce qui est de défendre ma production artistique, ça, c'est autre chose, et que j'aie donc des budgets dévolus pour ça. À ce moment-là, on aura donc les deux...

Le Président (M. Rioux): Mais ce n'est pas la première fois que vous dites ça. Comment il se fait que vous n'ayez jamais été entendu?

M. Turgeon (Serge): On l'a demandé à plusieurs reprises. Mais, écoutez, c'est la première fois, je pense, qu'il y a un bilan qui se fait de toutes ces années du CALQ. Alors, on espère que là on sera entendu et qu'il y ait une politique qui dise: On va procéder désormais de cette façon-là. Ça ne dépend pas certainement que du CALQ. Le CALQ vit en fonction de politiques. Or, M. le Président, vous savez qui les fait, les politiques.

Le Président (M. Rioux): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Oui, M. le Président. On voit des troupes de théâtre très connues qui ont la chance d'avoir de magnifiques salles à leur disposition, et vous avez très bien expliqué les problèmes que ça entraîne. Mais, quand même, c'est déjà bon d'avoir des salles, et vous savez que – je reviens sur la question des régions – dans les régions, souvent, on n'a pas de salle. Vous connaissez le moratoire qui est en place depuis quelques années, à la faveur du déficit zéro que vous connaissez bien, sur le développement des équipements culturels. La question que je voudrais vous poser est la suivante: Dans quelle mesure vous jugez que ce moratoire-là a ou n'a pas d'effets sur les artistes de théâtre?

M. Turgeon (Serge): Moi, je vais vous dire au point de départ que je suis très sensible à la réalité des artistes en région, à la réalité de la culture en région. Je pense que, si on pouvait, comme société, se donner des projets qui fassent que les artistes puissent vivre de ce qu'ils sont, de ce qu'ils produisent dans les régions, ce serait assez formidable, parce que, quand un artiste quitte une région, la région commence à se vider de ce qu'elle a de plus essentiel.

Mais je dois en même temps constater – et tout le Québec doit le constater – que 92 % au moins de l'activité culturelle, ça se passe à Montréal, que Montréal est le moteur du Québec. Ça se passe aussi à Québec pour un autre pourcentage, et il ne faut pas... Donc, il faut faire attention dans le débat quant au développement des régions, quant au soutien à accorder à Montréal. Je ne voudrais pas qu'on oppose l'un à l'autre, mais qu'on fasse en sorte que les choses soient assez complémentaires. Mais je vous dis que vous avez en face de vous quelqu'un qui est très sensible aux besoins des régions. Je suis le premier pour une certaine décentralisation à tous niveaux. Mais néanmoins, le moteur du Québec au point de vue culturel, ça se passe à Montréal et ça se passe à Québec.

Le Président (M. Rioux): Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci. M. Turgeon, vous êtes pratiquement venu nous dire aujourd'hui que vous pourriez mettre plus d'argent en création artistique si vous étiez des compagnies itinérantes, un peu saltimbanques.

M. Turgeon (Serge): De quelle façon?

Mme Beauchamp: Si vous n'aviez pas votre propre salle. Vous mettriez plus d'argent dans la production artistique si vous aviez...

M. Turgeon (Serge): Attention. Non, ce n'est pas tout à fait ce que je dis. Je pense qu'il est important que les compagnies aient leur salle. Je crois qu'il y a des compagnies importantes de Montréal qui n'ont pas encore leur salle, et on devra faire en sorte qu'elles l'aient un jour. Le Théâtre du Rideau Vert – et je ne veux pas faire de cas d'espèce mais ça a été la même chose pour le Nouveau Monde – a été créé à la fin des années quarante, en 1949, et, pendant des années, ce théâtre-là a joué d'une salle à une autre sans avoir de lieu. Et c'est quand il a eu son lieu à lui qu'il a commencé donc à faire des productions, à amener du Tremblay, à faire des choses, etc., à être ce qu'il a été. Ça a été la même chose pour le Nouveau Monde. Le Nouveau Monde se devait à un moment donné d'avoir son lieu à lui, et c'est très bien comme ça.

Mais je dis que d'avoir un lieu, ça amène des obligations et des responsabilités et que ce n'est pas vrai qu'on va prendre ces argents-là d'entretien de lieux au détriment de la création. Il faut que ça, le gouvernement le réalise et le constate. Le gouvernement nous dit: Je vous aide à vous donner une salle, c'est très bien, mais maintenant arrangez-vous pour l'entretenir, arrangez-vous pour payer tout ça. Oui, mais l'argent, je vais le prendre où et comment? Or, si le gouvernement a compris qu'il est important que les compagnies aient leurs lieux théâtraux – puis c'est normal puis ça fonctionne comme ça – s'il a compris ça, bien il faut que le reste vienne avec; qu'on m'aide aussi à l'entretenir, ce lieu-là, pour ne pas qu'il soit désuet dans 10 ans, dans 15 ans, dans 20 ans. Alors, c'est une question, pour nous, de logique, mais, en même temps, le soutien de l'État à ses institutions, le soutien de l'État à la création, moi, ça me semble fondamental dans une société comme la nôtre. Donc, on dit: Il ne faut pas mêler les choses.

Mais l'acrobatie que nous faisons, nous, depuis des années – et c'est la raison des déficits qui s'accumulent aussi d'année en année – c'est que 15 % ou 30 % de notre budget ne s'en va pas à la création, où ça devrait aller, mais ça s'en va tout simplement dans l'entretien des lieux théâtraux.

Mme Beauchamp: J'ai une question maintenant un peu technique, je l'avoue, mais je pense que le Conseil des arts et des lettres, on s'attend à ce que ses investissements, les argents publics dont il dispose, soient avant tout dévolus à la création. Des aspects qu'on peut plus relier aux immobilisations, on a eu tendance, je pense – à moins que je ne me trompe – à plus se dire que c'est au niveau du ministère que ça devrait revenir.

M. Turgeon (Serge): Possible.

Mme Beauchamp: Parce que je pense que, lorsqu'on parle de bâtiment comme vous le faites, il y a plusieurs niveaux: il y a le niveau d'entretien et du fait que je suis capable de le faire fonctionner sur une année donnée; il y a le niveau ensuite des améliorations locatives mineures; puis, ensuite, carrément un niveau où on parle d'immobilisations, c'est-à-dire de rénovations importantes, et tout ça. Des fois, la division là-dedans n'est pas toujours, toujours tout à fait claire. Mais je voulais juste vous entendre. Je me demandais s'il y avait vraiment une intention derrière votre propos où vous dites que le CALQ finance cet aspect-là ou si vraiment votre propos est avant tout de dire: Soyez logiques, cohérents, mettez suffisamment d'argent pour que ces bâtiments-là roulent et fonctionnent, peu importe que ça relève du CALQ ou du ministère de la Culture.

M. Turgeon (Serge): Ça, écoutez, moi, je vais laisser le soin au ministère de faire des politiques. C'est possible que ça relève, ça, du ministère, et que la création et les budgets de production relèveront du CALQ. C'est une façon de s'entendre tout simplement. Je n'ai pas de problème là-dessus.

Si vous me permettez, M. le Président.

Le Président (M. Rioux): Allez.

M. Turgeon (Serge): Vous avez dit qu'on a beaucoup travaillé et oeuvré pour le statut des artistes et la place de l'artiste dans la société. L'une des choses dont, moi, je suis le plus fier dans mon parcours, c'est d'avoir travaillé à l'élaboration d'une première politique culturelle du gouvernement du Québec, une première politique qui nous a été donnée, je dois le dire, par le gouvernement libéral. Mais c'est une politique qui est venue dans la foulée de la proposition qui avait été faite d'une vraie politique culturelle. Et je voudrais juste vous lire quelques lignes là-dessus et nous rappeler donc peut-être certains de nos devoirs comme société.

Il y avait des recommandations à cette politique, et c'est ça qui a inspiré la politique culturelle. Et, entre autres recommandations, ça dit ceci: «Que l'État doit favoriser l'épanouissement de la culture et des arts, tant par des dispositions législatives et administratives que par des dispositions budgétaires.» Ça, ça veut dire des dispositions budgétaires adéquates.

«Que toute politique d'ensemble serait inopérante si elle ne reposait pas sur la certitude que l'État attache la plus haute importance à la culture et à la vie culturelle.» C'est ça qu'on veut venir tester aujourd'hui, M. le Président.

(17 h 10)

Et je voudrais, en terminant, vous souligner que notre premier ministre, M. Lucien Bouchard, dans la toute première entrevue qu'il a accordée comme premier ministre du Québec, il a parlé de culture. Et il en a parlé aux membres de l'Union des artistes que nous représentions à ce moment-là. Et M. Bouchard disait ceci, et c'est ça qui devrait inspirer aujourd'hui l'action du gouvernement en matière culturelle: «Il faut que toutes nos décisions s'imprègnent de la préoccupation culturelle. Cette dimension intragouvernementale de la culture devrait se manifester d'abord par le refus d'aborder le débat en termes de qu'est-ce qu'on peut enlever à la culture au profit des autres secteurs. À mon avis, dit M. Bouchard, on appauvrit tous les secteurs quand on appauvrit la culture.»

On lui a alors posé la question à ce moment-là, parce que c'était dans l'air comme ça l'est aujourd'hui: «Entre les équipements de santé publique et le soutien aux arts et à la culture, est-ce que la lutte n'est pas perdue d'avance pour le secteur culturel?» Et la réponse de M. Bouchard, c'est la suivante: «Je sais que la culture a beaucoup écopé en raison des préoccupations économiques, mais il ne faut pas placer en opposition la distribution des ressources à la culture aux autres missions gouvernementales. Je pense, dit-il, qu'il faut s'inspirer d'exemples qu'on a vus ailleurs. Qu'on pense, par exemple, à ce qui s'est passé en France où on a bravé des interdits en accroissant considérablement les budgets consacrés à la culture.» Voilà, M. le Président.


Document déposé

Le Président (M. Rioux): M. Turgeon, est-ce que vous allez déposer ce texte aux membres de la commission?

M. Turgeon (Serge): Ce texte, il a été rendu public. Mais je suis prêt à le déposer avec plaisir...

Le Président (M. Rioux): Très bien.

M. Turgeon (Serge): ...de même que la proposition, que vous avez certainement, sur la politique culturelle.

Le Président (M. Rioux): Ha, ha, ha! Je vous en prie. Merci. Une dernière remarque?

Mme Beauchamp: M. Turgeon, est-ce que vous chiffrez aujourd'hui vos attentes quant à l'augmentation du budget du Conseil des arts et des lettres du Québec?

M. Turgeon (Serge): Ça va presque du simple au double, madame. La situation est à ce point.

Mme Beauchamp: Vous vous inscrivez dans la foulée des revendications, par exemple, du Mouvement des arts et des lettres?

M. Turgeon (Serge): Tout à fait.

Mme Beauchamp: Merci.

Le Président (M. Rioux): La députée de Sauvé m'a volé les mots de la bouche. C'est ce que j'allais vous demander en terminant, quelle était la hauteur de votre revendication pour l'avenir du CALQ. C'est du simple au double?

M. Turgeon (Serge): Rien de moins que cela.

Le Président (M. Rioux): Alors, M. Turgeon, madame, messieurs, on vous remercie de votre participation. Ça nous a fait plaisir de vous accueillir. Votre message a été clair et il a été entendu, et ce qu'on souhaite, c'est que ça se répercute dans nos recommandations. Merci.

M. Turgeon (Serge): C'est nous qui vous remercions.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Rioux): Est-ce que les représentants du Théâtre du Soleil Levant sont présents? Non? Alors, si les représentants du Théâtre du Soleil Levant ne sont pas là, nous, nous allons lever le camp.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): Alors, nous ajournons nos travaux jusqu'à demain, 9 h 30.

(Suspension de la séance à 17 h 15)

(Reprise à 17 h 23)

Le Président (M. Bergeron): Alors, pour la prochaine heure, nous recevons le Théâtre du Soleil Levant. Vous êtes Mme Danielle Zana. Alors, si vous voulez bien, Mme Zana, présenter les gens qui vous accompagnent.


Théâtre du Soleil Levant (TSL)

Mme Zana (Danielle): Bien sûr, avec plaisir. À ma droite, Mme Lise Gadoury, qui est administratrice sur le conseil d'administration du Théâtre du Soleil Levant et régisseure du Théâtre du Soleil Levant; à ma gauche, M. Charles-Éric Latour, codirecteur du Théâtre du Soleil Levant et comédien.

Le Président (M. Bergeron): Parfait. Merci. Alors, Mme Zana, vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire.

Mme Zana (Danielle): Très bien. D'entrée de jeu, nous tenons à préciser que le Théâtre du Soleil Levant, n'ayant bénéficié d'aucune subvention pendant ses sept ans d'activités professionnelles, de production et de diffusion de spectacles en milieu scolaire, se présente à cette commission dégagé de toute dette envers les institutions, c'est-à-dire libre de proposer une réflexion critique à l'endroit du système. Cette réflexion portera non sur les technicalités administratives, mais plutôt sur le contenu de la pratique du théâtre et les critères sur lesquels elle s'appuie. C'est donc en tant que dissidents que nous présentons ce mémoire et, à ce titre, nous remercions chaleureusement les membres de la commission de la culture de l'avoir retenu pour audition.

Alors, sans plus attendre, rentrons dans le vif du sujet avec cette citation de Jean Vilar, fondateur du Festival du théâtre d'Avignon et directeur du Théâtre National Populaire: «La culture est une arme qui vaut ce que valent les mains qui la tiennent.»

C'est en tant que directrice du Théâtre du Soleil Levant que je transmets aux membres de la commission de la culture ce mémoire sur la politique d'aide financière aux artistes et aux entreprises culturelles et notamment sur les critères de sélection qui décident de la valeur ou de la non-valeur des projets soumis. Ces réflexions s'appuient sur une démarche théâtrale conduite pendant sept ans par le Théâtre du Soleil Levant – OSBL, membre de la TUEJ, comédiens sous contrat UDA – dans les écoles secondaires et les cégeps du Québec, afin d'initier les jeunes à la richesse des oeuvres du répertoire classique.

Cette démarche poursuivie avec rigueur – excellence de la langue française, force de l'interprétation, souci d'une esthétique vivante et lumineuse – visait à ouvrir l'imaginaire, à renouer avec les grandes oeuvres de la culture universelle et à offrir à la jeunesse québécoise des modèles linguistiques et culturels construits.

Le Théâtre du Soleil Levant, grâce à la force de ses convictions et à sa détermination, est la seule compagnie à avoir proposé aux établissements scolaires, sans l'aide d'aucune subvention, un programme de six productions tournées pendant l'année scolaire: Arlequin, serviteur de deux maîtres de Goldoni; Les Fourberies de Scapin ; Le Malade imaginaire ; Le Misanthrope de Molière; Le Mariage de Figaro de Beaumarchais; et un montage de scènes classiques du XVIIe au XIXe siècle, Amour... Toujours . Cette activité de productions a pu voir le jour grâce au support du corps enseignant, lequel a vivement apprécié d'année en année la qualité des spectacles proposés et des services offerts.

Le Théâtre du Soleil Levant a choisi de ne pas céder à la facilité qui consiste à sous-estimer l'aptitude des jeunes à entrer en relation avec la dramaturgie classique. Celle-ci, outre qu'elle constitue un outil de connaissances stimulant pour l'apprentissage de la langue française, élargit l'imaginaire en le reliant au passé, active la réflexion et ouvre un espace de rêve en procurant le sentiment exaltant de pénétrer dans des mondes transposés, héroïques et poétiques qui échappent aux contingences du quotidien. L'enthousiasme et le respect avec lesquels les jeunes ont reçu les spectacles du Théâtre du Soleil Levant ont prouvé que sa conception artistique et pédagogique était valable et juste.

Le Théâtre du Soleil Levant, s'efforçant de rejoindre le grand public, a diffusé par ailleurs ses productions partout où il lui a été permis de le faire: festivals, associations culturelles, fondations, manifestations estivales. Lors de sa participation au Festival Carrefour Théâtre de Saint-Lambert, été 1995, son spectacle Les Fourberies de Scapin de Molière, joué sous un chapiteau, a obtenu le plus grand nombre d'entrées aux guichets.

À la demande de la direction du Festival, le Théâtre du Soleil Levant n'a pas hésité à jouer Arlequin, serviteur de deux maîtres de Goldoni, en théâtre de rue, au Vieux-Port de Montréal, pour la plus grande satisfaction des promeneurs qui assistaient à chaque représentation. Convaincre les badauds est une tâche difficile, et, quand on réussit, on a le bonheur de constater que le théâtre peut exister partout et s'adresser à toutes les générations.

En sept ans d'exercice, le Théâtre du Soleil Levant totalise 260 représentations et a rejoint près de 90 000 spectateurs. En mai 1999, il a dû cesser ses activités faute de support des pouvoirs publics. Il est clair que la démarche artistique du Théâtre du Soleil Levant s'est inscrite en marge des valeurs éthiques et esthétiques qui gouvernent la pratique du théâtre au Québec. Il est en effet impossible en matière d'art d'éluder les choix éthiques et esthétiques sur lesquels se fonde l'évaluation d'un produit artistique. La plupart des compagnies de théâtre pour les jeunes produisent des spectacles dits de création: textes contemporains en langue québécoise, sinon en joual, portant sur le suicide, la drogue, la névrose familiale, etc. Le théâtre classique demeure l'apanage des théâtres institutionnels. Auprès des instances officielles, seuls les textes de création sont considérés comme valables au plan artistique. Le CALQ, du reste, en fait l'une de ses priorités ainsi que le critère d'originalité également déterminant pour l'octroi de subventions.

Il est tout simplement aberrant qu'une compagnie de théâtre, qui a fait ses preuves pendant sept ans sans aide préalable de départ et dont le produit artistique fondé sur une tradition théâtrale européenne solide et reconnue par les institutions scolaires et par le grand public, ne soit pas admissible à une subvention du CALQ quand elle dépose un projet de spectacle en salle à Montréal. Force est de constater que tout créateur qui ne s'inscrit pas dans les paramètres de la mouvance québécoise privilégiée par les responsables du théâtre – comité de pairs artistiques, décideurs de la ville de Montréal pour les spectacles d'été, membres du CACUM, directeurs de théâtres, maisons de la culture, responsables des médias – est automatiquement exclu des pouvoirs publics.

(17 h 30)

Dans le présent système, au-delà de ce qui apparaît relever de pratiques discriminatoires obscures, il y a une problématique plus profonde qui concerne les choix éthiques et esthétiques opérés par l'ensemble du milieu théâtral québécois. S'il est du ressort des fonctionnaires du CALQ de porter un jugement sur le sérieux d'une compagnie de théâtre et sur la viabilité d'un projet, il revient aux pairs artistiques d'évaluer en dernière instance sa qualité artistique en fonction des critères qu'ils partagent et d'user de leurs pleins pouvoirs pour décider de la valeur ou de la non-valeur d'un artiste.

Il est temps d'interroger ce règne de l'arbitraire qui bafoue les règles du jeu démocratique et de préciser les tendances dominantes qui régissent la pratique du théâtre au Québec, celle-ci s'exerçant comme un monopole.

D'entrée de jeu, il est important de rappeler que l'espace culturel est déterminé par des idées, des paramètres qu'un groupe d'élus, cautionnés par les institutions politiques et médiatiques, privilégient à un moment de l'histoire. Ces élus décident d'un ensemble de significations qu'ils jugent valables et dignes d'être représentées. Dès lors s'instaure un système en boucle fermée qui favorise ce même ensemble de significations au détriment de conceptions différentes, créant un contexte discriminatoire et antidémocratique.

Rappelons que les membres d'une véritable démocratie doivent être exposés à une pluralité de visions. S'il est légitime que le Québec se soit affirmé sur le plan culturel lors de ces 30 dernières années, la rupture qu'il a opérée avec la culture universelle dans l'euphorie du nationalisme culturel aboutit aujourd'hui à une politique de l'exclusion. Au sein de ce courant nationaliste, le théâtre a joué un rôle majeur, imposant sa définition de l'identité, son mode linguistique – le joual et non le français – refoulant au musée de l'histoire, sous prétexte qu'elle n'est pas celle des Québécois, les chefs-d'oeuvre de la littérature et de la dramaturgie universelle.

Ayant enseigné le théâtre pendant 15 ans à l'université, je puis témoigner de l'ignorance dans laquelle ont été plongés les étudiants québécois face aux mythes fondateurs de l'humanité et aux grandes traditions qui ont régi l'art théâtral à travers l'histoire. L'enseignement des grands maîtres du théâtre européen est laissé pour compte au profit du fourre-tout expérimental de la contre-culture dans laquelle les metteurs en scène et pédagogues québécois semblent se reconnaître. Cette ignorance perdure encore dans les écoles de formation en théâtre dont l'objectif principal est la création ici et maintenant.

Quant au système d'éducation, il a lentement préparé le terrain afin de soumettre les esprits aux prescriptions idéologiques, car il s'agit bien là d'une idéologie partagée par la majorité des responsables du théâtre. Quant aux comédiens, ont-ils le choix s'ils veulent travailler? La position idéologique d'un syndicat comme l'Union des artistes est claire. En période de référendum, il se permet de questionner ses membres sous couvert d'une association pour l'indépendance: les AS, les Artistes pour la souveraineté. Est-ce à dire que ceux qui font le bon choix sont des champions et les autres, des deux de pique à mettre éventuellement sur une liste noire?

Au niveau artistique, l'idéologie se manifeste sur deux plans: d'une part, celui de la dramaturgie québécoise, enfermée aujourd'hui dans une logique du ressentiment et de l'échec avec ses auteurs consacrés et les sous-produits que constituent les créations, lesquelles ressassent les mêmes thèmes – névrose familiale, inceste, viol, délinquance, etc.; d'autre part, celui du théâtre expérimental dont les thèmes recoupent l'imaginaire pathologique dominant dans une perspective plus éclatée – désacralisation des valeurs éthiques et esthétiques traditionnelles, destruction du sens et apologie de l'informe sous couvert de spontanéité, culte de l'anti-héros, du grotesque, voire de la scatologie.

Quant au répertoire classique, lequel permet aux théâtres institutionnels de remplir leurs salles, il est soumis à des lectures contemporaines procédant du même imaginaire, irrespectueuses du sens et des valeurs dont elles sont dépositaires: universalité, profondeur, vérité, dimension poétique exaltant le sens du merveilleux et de la beauté. Les exemples abondent en cette matière. Ils sont le fruit d'une tradition initiée par Jean-Pierre Ronfard, entre autres, maître incontesté du théâtre expérimental qui a fait des adeptes. Sa mise en scène de la Médée d'Euripide, dans les années quatre-vingt au TNM, dans une adaptation de Marie Cardinal truffée de québécismes, était un exemple éloquent du nationalisme québécois conjugué à la pensée anarchiste, laquelle consiste à dévoyer les chefs-d'oeuvre, à se les approprier pour y projeter ses fantasmes plus ou moins sulfureux.

Cette tradition constitue aujourd'hui la tendance dominante du répertoire classique. Cela permet à Dominic Champagne, citation, de «faire un party sur la pierre tombale de l'utopie» en jetant des tartes à la crème au visage de Martin Luther King. Luxe suprême d'enfants gâtés, de faux délinquants – faux parce que grassement payés par le système – qui se font une gloire de spéculer sur la désespérance, de tourner en dérision l'idéal, l'héroïsme, de se servir du théâtre comme miroir déformant d'une réalité déjà lourdement hypothéquée par l'inculture et la misère morale.

De concert avec Dominic Champagne, le nouveau gourou du théâtre, Wajdi Mouawad, nous livre une version du Don Quichotte de Cervantès conduite par une logique de l'échec et inspirée, citation, par «la souillure» – entrevue à Radio-Canada, 22 mars 1998.

Qu'Alice Ronfard, descendante de la dynastie, voie en Marivaux un auteur «sordide», citation, que Serge Denoncourt réduise Le Cid de Corneille au gang de motards criminalisés faisant de Rodrigue et Chimène deux délinquants soumis à leurs pulsions pour faire avaler aux adolescents que l'on a spoliés de cette culture le texte de Corneille, sans parler du Dom Juan de Molière ramené à l'image simpliste du violeur, ou encore que René-Richard Cyr voie dans Le Misanthrope un adolescent attardé qui ne maîtrise pas la langue de Molière, c'est leur droit le plus strict en tant que créateurs. Mais que cette conception s'affirme comme une vérité absolue bloquant l'émergence de visions différentes, il y a là un totalitarisme suspect qui limite la liberté d'expression des artistes et celle du public contraint aujourd'hui de subir cette hégémonie ou de déserter les salles. Il est certain qu'après avoir cultivé l'ignorance de la culture universelle et des chefs-d'oeuvre du passé il est facile d'imposer n'importe quelle absurdité auprès des jeunes générations.

Ce vase clos malsain enferme le théâtre dans un ghetto dont les valeurs nihilistes ne peuvent rassembler, au sens fort du terme, les imaginaires et les sensibilités multiples qui composent le Québec d'aujourd'hui. Notons qu'après avoir connu une période faste dans les années quatre-vingt, au temps fort du nationalisme culturel, la réalité théâtrale s'essouffle à l'aube du XXIe siècle, malgré la profusion de créations et le triomphalisme exprimé par les médias à longueur d'année. Les responsables du théâtre ne savent plus quoi inventer pour remplir les salles, allant jusqu'à faire de la publicité outrancière pour le théâtre. Et pourtant, malgré la fermeture sur le plan des idées, le Québec apparaît comme un réservoir de talents et d'énergies qui ne demandent qu'à être stimulés par des valeurs enracinées dans une forte idée de la vie, des êtres et du monde.

Le Président (M. Bergeron): Je vous ferai remarquer, Mme Zana, qu'il reste trois minutes.

Mme Zana (Danielle): J'ai deux pages, cher monsieur, trois pages. Je peux abréger, si vous voulez.

Le Président (M. Bergeron): Oui. Mais utilisez vos trois minutes.

Mme Zana (Danielle): Écoutez, je vais les utiliser. C'est sûr que c'est un mémoire qui est construit, c'est une pensée qui est construite. Alors, écoutez, de toute façon, je vais passer à la page 11. Ici, il y a deux pages, et je dirai la fin. C'est ça.

(17 h 40)

Des voix commencent à s'élever dans l'opinion publique pour dénoncer la médiocrité culturelle et linguistique dans laquelle le Québec s'enlise. Autant dire que je suis solidaire de tous ceux qui ont le courage de prendre la parole dans un climat où l'on s'évertue à faire régner le silence. Cette liberté, sans laquelle un intellectuel ou un artiste a du mal à vivre, je l'ai conquise au prix de 15 ans d'exclusion, refusant ce contrat tacite qui consiste, pour s'intégrer à la collectivité, à effacer de sa mémoire ses origines et sa culture ou encore à se venger de celle-ci en spéculant sur le ressentiment que nourrissent les jeunes cultures envers la vieille Europe, et notamment la France.

Malgré ce contexte hostile, j'ai choisi de rester, portant très haut mon estime des possibilités créatrices du Québec. J'ai conscience d'avoir accompli une tâche constructive auprès de la jeunesse durant mes années d'enseignement et lors de ces sept ans d'activité sur le terrain scolaire avec le Théâtre du Soleil Levant. Je dirais qu'il est pratiquement impossible aujourd'hui pour un artiste ou un intellectuel d'exercer son métier s'il ne fait pas allégeance au nationalisme québécois.

Vous comprendrez qu'au bout de 21 ans d'enracinement au Québec, nantie d'un bagage universitaire et artistique solide, je ne puis me satisfaire de comités de pairs artistiques qui pratiquent une politique d'exclusion tandis qu'ils favorisent une pléiade de créateurs issus du système, dont le seul mérite est sans doute d'être québécois, c'est-à-dire conformes à une certaine identité.

En tant que citoyenne canadienne profondément impliquée dans la trame de la vie québécoise, je souhaite que des volontés se manifestent dans les différentes instances de cette société, qu'elles aient le courage de s'interroger sur les valeurs qui régissent l'espace culturel afin de l'ouvrir à une dimension plus large et plus constructive. Gageons que le XXIe siècle sera le théâtre de ces prises de conscience.

Le Président (M. Bergeron): Alors, Mme Zana, je vous remercie de votre mémoire, de l'originalité. Et nul doute que les élus qui sont ici auront des questions à vous poser. Donc, dans un premier temps, je laisse la parole au député de Saint-Hyacinthe. M. le député.

M. Dion: Merci, M. le Président. Merci, Mme Zana et monsieur, madame, d'être venus nous voir. Je pense que ça valait la peine de venir nous voir pour nous communiquer vos réflexions face à votre vision des choses. Parce que c'est sûr que ma naïveté ne me permet pas d'imaginer que les choses sont si pires, parce que j'ai de la difficulté à rentrer dans ce scénario-là. Mais, enfin, vous y vivez, vous y avez vécu, alors je ne peux qu'apporter beaucoup de foi aux paroles que vous dites.

C'est bien sûr qu'il n'appartient pas aux députés de choisir entre une ou l'autre école de pensée, c'est sûr, mais peut-être qu'il nous appartient par contre de tendre à favoriser la plus grande ouverture, la plus grande diversité possible afin que les créations se fassent. Et, quand je pense aux créations, il y a deux façons de les voir. On peut dire: Créer de nouvelles oeuvres, c'est une chose, mais créer un spectacle, c'est autre chose. C'est aussi une création.

Alors, je suis très, très perplexe et très étonné par ce que j'ai lu et entendu. Seriez-vous assez aimable pour nous expliquer comment ça se passe? Est-ce que vraiment il y a des textes qui font que le CALQ ne peut pas subventionner de spectacles classiques? D'ailleurs, je vois des références entre certaines attitudes face à l'art, des références qui semblent politiques ou nationalistes, et je ne vois pas la relation entre les deux. Parce que, voyez-vous, si c'est vrai qu'on a une culture, le ton commun de notre culture, c'est le français.

Mme Zana (Danielle): Tout à fait.

M. Dion: Qu'il y ait un rameau qui soit québécois, j'en suis très fier.

Mme Zana (Danielle): Moi aussi, monsieur.

M. Dion: Mais il n'est québécois que s'il est français, s'il est rattaché au tronc. Alors, je ne vois pas comment est-ce qu'on peut dissocier l'un de l'autre.

Le Président (M. Bergeron): Mme Zana.

Mme Zana (Danielle): Merci, M. le Président. Il est évident – je l'ai souligné dans ce mémoire – qu'on ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur l'éthique et l'esthétique sur lesquelles se fonde l'art. Donc, lorsqu'on a un spectacle sous les yeux, ce spectacle nous renvoie des signes explicites. S'il s'agit d'une oeuvre classique... Je suis navrée de rentrer dans une problématique qui est spéciale, parce que c'est mon métier. Lorsqu'on voit une oeuvre classique, il y a plusieurs manières de la représenter. Nous ne pouvons éviter la subjectivité du créateur, elle est là et elle est légitime, la subjectivité du créateur. Ce n'est pas contestable.

Ce que je souligne à travers, si vous voulez, les représentations – parce que vous faisiez allusion aux oeuvres classiques, n'est-ce pas? c'est ça – ce que je souligne à ce niveau-là, c'est qu'il y a une tendance absolue, c'est-à-dire que les pairs artistiques qui ont pour mandat de décider de la valeur ou de la non-valeur d'un projet, leur décision est fondée sur une communauté d'esprit, et cette communauté d'esprit... Je n'ai rien contre leur communauté d'esprit. Je souhaiterais simplement que dans l'avenir il puisse y avoir, au sein de ces comités de pairs artistiques, des créateurs, des artistes qui aient l'imaginaire plus large.

Je parlais de la culture universelle. Peut-être que personne n'en est conscient, mais le rapport à la culture universelle... il y a eu une rupture violente qui s'est opérée avec cette culture universelle. Si je peux vous donner un exemple très récent d'un spectacle qui se joue à l'heure actuelle au TNM à Montréal, qui s'appelle l' Odyssée – j'y suis allée mardi dernier – il y a sous les yeux la représentation, oui certes, de l'adaptation du texte d'Homère, mais à travers des signes de misérabilisme qui évacuent à la fois le sens profondément philosophique de l'oeuvre, qui la ramènent à une oeuvre du quotidien. Il y a de la souffrance et de la misère, et il n'y a aucune couleur.

Alors, je pourrais rentrer dans les détails, mais ce que je souligne, qu'un tel ou un tel puisse représenter telle oeuvre classique de cette manière – je l'ai dit et ce me semble assez clair – c'est le droit le plus strict des créateurs. Mais là où effectivement se pose un problème que personne n'a jamais nommé parce qu'il y a des tabous, parce que toute critique est évacuée... Je pense que vous n'êtes pas sans savoir que même un critique assermenté comme Robert Lévesque, on tente de l'évacuer, de le faire taire. Le milieu artistique ne supporte pas ne serait-ce que la pensée critique.

Alors, évidemment, d'une manière beaucoup plus large, lorsqu'on se retrouve dans cet échiquier de la création théâtrale au Québec et qu'on a des critères culturels qui sont différents... Je souhaiterais que ça ne soit pas différent, mais, moi, je ne peux pas me soumettre à cet imaginaire. Quand j'ai présenté un projet de tragédie grecque de la Médée d'Euripide, j'avais une lecture. Il y a eu un exposé très circonstancié sur ma vision, ma lecture, et je me suis fait dire, après avoir demandé les résultats, n'est-ce pas, du comité de pairs artistiques, que c'était didactique, que ça ne les intéressait pas. C'est sûr, on pourra toujours dire ça, mais enfin il faudrait quand même regarder, un petit peu analyser, ce me semble, dans quoi nous sommes en termes de champs de représentations.

Parce que le théâtre, il représente l'homme, la femme, il représente l'être humain. Et c'est le système des représentations qui porte des valeurs symboliques. Et nous sommes en droit, dans une démocratie, ce me semble, de pouvoir interroger ce système de représentations. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.

M. Dion: En partie, oui.

M. Latour (Charles-Éric) J'aimerais compléter peut-être, si vous permettez, parce que votre question m'interpelle.

M. Dion: Excusez, si je vous interromps, la question portait: Comment ça se passe? Alors, vous avez répondu en partie, mais...

Le Président (M. Bergeron): Alors, M. Latour.

M. Latour (Charles-Éric): Bien, je vais vous en témoigner... Je suis natif donc du Québec. J'ai suivi toute ma scolarité ici, y compris ma formation artistique. Et je peux vous dire qu'à travers les auditions que j'ai faites dans les écoles reconnues officielles, si on veut – conservatoires, écoles nationales et autres options – il est clair que je n'ai jamais été retenu. Pourquoi? Parce que je n'endossais pas, si vous voulez, par rapport à la dramaturgie, en tant que comédien, un certain type de personnages auxquels je ne m'identifiais pas, à savoir une quantité de personnages qui sont mis en scène dans la dramaturgie québécoise d'ici.

Et, effectivement, si on ne consent pas à ça... La preuve, c'est qu'on nous demande une audition où il faut présenter une scène en langue québécoise, ce que je trouve bizarre. Si on ne consent pas ou si on ne manifeste pas de talent par rapport au fait d'interpréter ces personnages-là, on est évacué.

(17 h 50)

D'autre part, si on ne manifeste pas aussi, au sens de la discussion, un goût prononcé pour cette culture, donc cette culture nationale, avec tout ce qu'elle charrie – la façon dont elle représente les êtres et le monde, sur quoi elle se base, qu'est-ce qu'elles racontent, cette culture, ces oeuvres-là, – si on ne partage pas cet imaginaire-là, automatiquement on est éjecté du système. Et ça, je vous parle au niveau de la formation.

Ça va aussi loin qu'un directeur de conservatoire qui, lorsque vous demandez des précisions sur le refus qui vous a été imposé, vous dit: Eh bien, ta belle petite gueule de jeune premier gentil, et tout ça, il va falloir casser tout ça parce que nous, ce qu'on veut voir, c'est la potentialité du violeur qu'il y a en toi. Alors, quand vous vous faites dire ça à l'âge de 20 ans par un directeur d'un conservatoire, vous imaginez que, pour vous, les options sont très simples, c'est-à-dire que vous pouvez... Si, pour des questions éthiques, un artiste n'a pas le choix, eh bien, effectivement il va chercher ailleurs. Lorsqu'il va chercher ailleurs, il découvre que, pendant toute sa formation, on lui a caché un paquet de choses, c'est-à-dire une démarche artistique par rapport à des enseignements, par rapport à des penseurs, des metteurs en scène, des écoles. Et on tente de faire comprendre que, même si on en parle, ça, ce n'est pas nous autres. Ça ne nous concerne pas. Ce n'est pas notre culture. Alors, c'est ce qu'on se fait rabâcher pendant des années, si bien que je me suis retrouvé à l'UQAM pour avoir un programme le plus diversifié possible. C'est la synthèse de tout ça.

À partir du moment où vous commencez à poser des questions, de toute façon, vous êtes suspect. Parce que vous devriez, d'entrée de jeu, embrasser cette façon de voir les choses. C'est comme ça que ça se passe, et ça se passe comme ça à tous les niveaux. Si ça se passe comme ça au niveau de la formation, hein, quand on vous demande finalement d'exprimer votre potentialité de violeur à la limite dès le départ, alors que vous n'êtes même pas formé – on en est au stade des auditions – il me semble que déjà là on induit un certain contenu dans l'enseignement et dans ce qu'on a envie de présenter. On vous répète que, si, de toute façon, vous ne vous conformez pas, vous n'en trouverez pas, de la job. Il n'y en aura pas, de travail, de contrat pour vous parce que, ici, au Québec, c'est comme ça. C'est ça qu'on fait puis ce n'est pas d'autre chose. Puis, si tu as envie de faire autre chose, bien, va-t-en ailleurs. C'est ça qu'on se fait dire. Ça, c'est au niveau de la formation.

Ensuite, bien, écoutez, au niveau des projets de création, c'est le même scénario qui se répète, mais à une autre échelle, et c'est ça qui est... Moi, je demande à ce qu'un pouvoir gouvernemental, par rapport à une commission comme celle-ci, qui prend le temps de nous écouter – on vous en remercie – prenne le temps de se poser des questions, de faire des débats sur une question qui n'a jamais été posée ici, c'est-à-dire la question du contenu, à quoi renvoie tout ce qui est exprimé par les créateurs québécois. Si on a le courage... Parce que, je vous préviens, ça demande du courage de faire l'analyse de ce contenu. La preuve, c'est que ceux qui le font sont excommuniés, pour reprendre une bonne vieille expression justement du système clérical. C'est exactement ça qui se passe. À partir du moment où vous questionnez ce système de représentation, le contenu des oeuvres, et que vous réalisez que vous n'êtes pas d'accord et que vous voulez autre chose, on vous exclut.

Le Président (M. Bergeron): Alors, merci, M. Latour. Je passerai maintenant la parole à Mme la députée de Sauvé. Mme la députée.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Je vous remercie beaucoup, parce que je pense que votre attitude que, vous-mêmes, vous avez qualifiée de, quoi? dissidente...

M. Latour (Charles-Éric): Dissidente, oui.

Mme Beauchamp: ...effectivement, c'est sûrement une attitude empreinte de courage, parce que je pense que votre mémoire en témoigne. Effectivement, je pense que c'est un son de cloche qu'on n'entend pas souvent. Puis je pense que votre mémoire, peut-être que c'est celui qui, jusqu'à maintenant, nous interpelle définitivement sur le lien profond qu'il y a entre culture et identité.

M. Latour (Charles-Éric): Tout à fait.

Mme Beauchamp: Vous posez un peu comme la question de quelle sorte d'identité québécoise on est en train de forger à travers des institutions comme, par exemple, le CALQ ou la SODEC.

M. Latour (Charles-Éric): Absolument, oui. Tout à fait.

Mme Beauchamp: Je m'adresse peut-être à mon collègue député de Saint-Hyacinthe parce que tantôt vous avez dit quelque chose et je vais le reprendre pour voir si c'est vraiment ça que vous vouliez dire ou si vous voulez apporter des rectificatifs, parce que, sinon, ça serait comme une forme d'illustration de ce dont il est question ici.

Vous avez dit: Il y a un tronc commun pour la culture québécoise puis elle passe par la langue, la langue française. N'est québécois que ce qui est français. C'est à peu près ce que vous avez dit. Et c'est pour ça que je voulais tenir à le reprendre, en même temps, en vous permettant peut-être... Parce que ça a beaucoup ressemblé à ça. Et je pense qu'on est au coeur justement de cette question. Pas seulement la question de la langue. Je pense que la culture québécoise s'affirme définitivement beaucoup par le français, mais c'est un peu l'espace... Quel est l'espace qui reste? On a une lettre qui nous a été déposée, par exemple de représentants de culture plus innue effectivement, que malheureusement jusqu'à maintenant on n'a pas entendus au sein de cette commission. Il y a bien sûr les gens d'expression anglaise qui font partie tout à fait de cette culture québécoise.

Donc, on s'aperçoit qu'effectivement il y a un lien extrêmement serré entre culture et identité. C'est un peu comme si vous nous disiez: On est en train, en ce moment, par certaines exclusions qu'on fait, de forger une certaine identité québécoise à tout le moins par certains véhicules culturels. Ça m'amène à poser carrément la question du rôle de l'école là-dedans. Vous, vous étiez une troupe qui s'adressait – parce qu'il faut en parler au passé, vous êtes une troupe qui n'existe plus – aux enfants. J'aimerais ça peut-être vous réentendre plus là, un peu comme mon collègue... Il vous demandait de nous illustrer comment ça se passe, donc comment vous évaluez ce qui se passe à l'école.

Je vous ferais remarquer qu'on a eu un écrivain important au Québec, Jean Royer, qui est passé un peu plus tôt ici et qui a aussi posé des questions un peu sur le rôle de l'école, entre autres par rapport à une certaine littérature dite plus universelle, et tout ça. Je pense que, d'après tout ce que vous nous dites, quand il est question comme ça d'identité, tout de suite on se demande: Qu'est-ce qui se passe avec entre autres nos jeunes qui en ce moment même sont à l'école, sont sur les bancs par exemple de la petite école, et tout ça? Donc, je vous laisse aller – j'ai déjà trop parlé – sur un peu ce qui se passe concrètement selon vous à l'école en ce moment.

Le Président (M. Bergeron): Mme Zana. M. Latour.

Mme Zana (Danielle): Oui, je vais commencer. Si tu veux continuer... Écoutez, lorsque nous avons commencé nos activités, il y a donc sept ans, avec le Théâtre du Soleil Levant, il est bien évident que c'était un défi considérable d'aller proposer des spectacles classiques au niveau secondaire, dans les écoles secondaires du Québec. Pourquoi? Parce qu'il est bien évident que, dans le programme d'éducation, les textes classiques ne sont pas étudiés.

On est revenus il y a quelques années, dans le cours n° 1 au cégep, à la littérature, mais, avant tout cela, il n'y avait pas... La grande littérature universelle n'a pas été enseignée. Je peux en témoigner, moi, en tant que chargée de cours à l'université pendant 15 ans, où j'ai quand même eu des étudiants qui arrivaient en première année d'université et qui ne connaissaient pas les mythes, les grands textes de théâtre. Je veux dire, il fallait qu'ils les découvrent.

Alors donc, tout cela pour dire qu'il y a sept ans, avec notre petite compagnie, ouvrir ce créneau-là dans les écoles était quand même quelque chose qui relevait d'un défi. Mais nous aimons les défis. Donc, nous nous sommes plongés dans cette aventure, et il s'est trouvé que – je l'ai signalé – le corps enseignant nous a appuyés. Pourquoi? Parce qu'il a réalisé qu'il y avait des manques, il y avait des carences, parce que ces jeunes ont besoin de nourriture solide, très forte.

M. le député, vous parliez de français. Je vous suis tout à fait au niveau de la langue française. J'ai parlé tout à l'heure de langue québécoise. La langue québécoise, c'est tout à fait correct. Il faudrait s'entendre sur ce qu'on appelle le québécois ou le joual. Le joual est autre chose. Or, il se trouve qu'il faut quand même constater qu'une majorité de jeunes dans les écoles ont eu comme modèle linguistique beaucoup plus le joual que le français, que la langue française. Et ça, si on le dénie, je n'y peux rien. Mais c'est une réalité.

Donc, lorsque nous avons commencé avec nos spectacles, les professeurs étant tout à fait démunis devant effectivement ce vide... Les jeunes sont désespérés. On ne s'interrogera pas sur la question du suicide chez les jeunes. Enfin, il y aurait beaucoup à dire. Ce n'est pas notre objet aujourd'hui. Mais enfin, les valeurs, les valeurs fortes, puissantes... Que les jeunes aient des valeurs de construction, après, ils pourront toujours déconstruire, mais qu'on ne mette pas la déconstruction avant la construction d'une identité, mais d'une identité totale, qu'elle soit québécoise, française ou ce que vous voudrez. Il y a des nourritures.

Alors, lorsque nous avons commencé, il s'est trouvé que les jeunes, c'était un défi. Et nous nous trouvions devant 600 adolescents, 700 adolescents, à pouvoir jouer un classique, et je l'ai signalé, sans adaptation. Parce qu'il y a des compagnies qui vont affaiblir le texte – ça, c'est connu – parce qu'on juge que ces jeunes-là ne sont pas capables de recevoir une culture qui ne serait pas de nous autres, qui serait supérieure. Ce n'est pas vrai. Les jeunes ont un instinct, ont une intelligence et ils ont une ouverture quelquefois beaucoup plus grande que les adultes. Et c'est ce qui nous a permis effectivement d'avoir un succès fou auprès des jeunes, si vous voulez, et au grand étonnement aussi du corps enseignant qui était tout à fait ravi de constater qu'on pouvait représenter un classique.

(18 heures)

Je m'empresse de dire tout de suite, par rapport à ce que j'ai souligné tout à l'heure, qu'au niveau de la démarche artistique, de l'esthétique il n'était pas question d'imposer une vision, c'est-à-dire ce qu'on peut appeler en théâtre une relecture d'un classique, il était question de leur donner le texte. La première chose, c'est de faire entrer des jeunes en relation avec un texte, de le voir représenté.

Évidemment, je n'exclus pas ma subjectivité. Premièrement, je suis une femme du XXIe siècle, d'aujourd'hui, je suis une femme metteure en scène, et je ne peux pas exclure cette dimension-là. Mais, moi, je m'efforce de livrer, de respecter le texte. C'est ma démarche artistique. Je souhaiterais simplement qu'elle soit comprise. C'est tout ce que je demande. Et cela a tout à fait marché. Au niveau des écoles, si vous voulez, nous avons quand même eu du succès. Alors, je ne sais pas si j'ai répondu suffisamment, Mme Sauvé, à votre...

Le Président (M. Bergeron): Mais, M. Latour, vous voulez compléter?

M. Latour (Charles-Éric): Oui. On parle de la langue et de tout ce qui tourne autour. Il y a des faits quand même qui sont révélateurs de ce qui est enseigné, à savoir ces fameux tests d'entrée à l'université en français. Il est assez inconcevable de constater aujourd'hui qu'un étudiant qui arrive au niveau universitaire se voie forcé... en fait, doive subir un test pour évaluer son français parce qu'il doit prendre des cours de rattrapage, parce que justement le travail n'a pas été fait avant. Il y a une série d'éléments comme ça qui font qu'effectivement la jeunesse, à travers l'éducation qu'elle reçoit aujourd'hui, se pose des questions. Le décrochage scolaire, je pense que c'est quelque chose qui... Ce n'est pas le but, aussi.

Mais nous, ce qu'on a essayé de faire, c'est sûr, c'est de proposer aux écoles un produit culturel qui allait justement dans le sens d'une construction. Je veux bien des spectacles à thème – tout le monde a le droit d'exprimer ce qu'il veut – mais c'est sûr qu'un jeune qui est pris dans sa réalité, avec ces drames-là... Je ne vois pas pourquoi on renchérirait sur le fait en ne privilégiant que ça. Nous, ce qui nous a permis d'avoir des collaborations, c'est certains professeurs justement qui, à la suite de tout un parcours avec ce type de représentations, se sont dit à un moment donné: Ça suffit, on a envie de voir autre chose.

D'autre part, je peux vous dire que le Théâtre du Soleil Levant a eu l'occasion de jouer dans plusieurs écoles à haute concentration ethnique, et ça a été un succès. Pourquoi? Parce que la culture universelle, justement, constitue un dénominateur commun à travers lequel toutes les civilisations peuvent se reconnaître. Et, autour du français, je pense que c'est un point important. Justement, on veut faire la promotion de cette langue, on veut que le Québec finalement parle français et s'intéresse au phénomène linguistique de sa propre langue, de son identité.

Ce que je dirais aussi, moi-même étant issu du système d'éducation et ayant senti les lacunes de ce système, c'est que, si on veut que le Québec produise de grands artistes, de grands auteurs à tout point de vue pour justement renforcer l'identité québécoise, il me semble que c'est en se basant sur des modèles élevés, et la culture universelle contient ces modèles-là. Or, aujourd'hui, ce n'est pas ça qui est proposé en termes de formation, c'est tout ce qui constitue la pensée propre au Xxe siècle, c'est-à-dire: questions culturelles, questions philosophiques par rapport à la culture, le nihilisme, le postmodernisme – pensée contemporaine – et le formalisme. La preuve, c'est que, quand vous faites l'analyse de toutes les représentations, de toutes les créations ici, l'accent est mis uniquement sur le formalisme. La forme l'emporte sur le contenu. Parce que, d'une certaine façon, tout le monde raconte la même chose, et les thèmes sont récurrents.

Le Président (M. Bergeron): Nous pourrons y revenir.

M. Latour (Charles-Éric): Oui.

Le Président (M. Bergeron): Alors, je laisse maintenant la parole au député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. J'apprécie beaucoup l'interpellation de ma collègue de Sauvé. Parce que c'est très important. Sur ces questions-là, au Québec, on marche toujours sur des épines ou sur des oeufs, hein. Il faut faire attention. Ce que je veux dire et qui est très simple, c'est que le véhicule commun, la langue commune du peuple québécois, c'est le français; et qu'en autant qu'on crée dans la langue commune on crée en français; et que le français, c'est une langue universelle, un tronc commun universel. Mais, même quand on crée en français au Québec, quand on crée en français une oeuvre originale, on la crée dans un rameau québécois. Dans ce sens-là, je dis que la culture québécoise exprimée en français n'est pas la même chose que celle qui est exprimée en Haïti ou au Sénégal ou en France. C'est deux choses différentes. C'est ce que je voulais exprimer.

Cependant, ça ne change rien. Ça ne veut pas dire que tout ce qu'il y a de culture au Québec s'exprime toujours en français. Je pense que ça ne serait pas faire honneur aux Montagnais, aux Inuits, aux Anglo ou aux Cris que de dire ça. Je pense qu'ils sont capables de comprendre que la langue commune, c'est le français, et qu'il y a une tendance, dont il faut se prémunir, à dire que tout et seulement ce qui est français est culturel au Québec et a droit de cité. Bon.

Mais il ne faut pas, à partir de là, dire que – bien, il faut faire attention – le français, en fait, c'est peut-être une vieille histoire qu'on devrait peut-être vite oublier et passer au joual. Toutes les langues ont leur joual, leur argot, mais peu de peuples le magnifient. Et, moi, je ne le magnifierai pas.

Alors, la question que je veux poser... L'intervention que vous avez faite tout à l'heure me faisait penser que vous souhaiteriez qu'ici, à l'Assemblée nationale, on discute des valeurs qui devraient être celles véhiculées dans notre théâtre. J'imagine que j'ai mal compris, parce que je ne vois pas comment des députés chercheraient à avoir une influence prédominante sur le mode d'expression artistique des Québécois et des Québécoises.

M. Latour (Charles-Éric): Si je peux me permettre une réplique?

Le Président (M. Bergeron): M. Latour.

M. Latour (Charles-Éric): Oui, merci. Non, c'est sûr que les députés ne sont pas là pour faire ce travail-là. Par contre, il pourrait tout à fait être envisageable qu'une commission, qui cette fois-ci se penche sur la structure des organismes subventionneurs, «surveillance», si j'ai bien retenu le terme, à savoir les critères d'évaluation et la composition des jurys – c'est bien ce qui était écrit dans notre lettre de convocation...

On ne peut pas échapper à la question du contenu. Est-ce qu'il serait imaginable qu'une commission se penche sur cette question du contenu indépendamment de sa structure? C'est-à-dire qu'on pose des questions de fond au niveau des artistes: Qu'est-ce que ces artistes-là veulent exprimer et qu'est-ce qu'on privilégie par rapport à ça? Quand on voit que tout se structure au niveau du comité des pairs, c'est bien les artistes qui ont la responsabilité dans ce système de reconnaître qui sont les artistes et qui ne l'est pas, un artiste, un créateur.

Je ne dis pas que la structure est à mettre aux poubelles, ce n'est pas la question. Mais est-ce qu'on peut questionner qu'est-ce que cette structure-là peut amener d'arbitraire, voire de cooptation? Je regrette de lâcher le mot, mais il y a des doutes. Il y a un doute qui s'installe.

Le Président (M. Bergeron): Mme Zana, vous voulez renchérir?

Mme Zana (Danielle): Oui, s'il vous plaît.

Le Président (M. Bergeron): Allez-y.

Mme Zana (Danielle): Oui, parce qu'il est clair – mais c'est loin d'être clair, je pense, pour le monde – qu'il y a un absolutisme au niveau, je répète, de ces comités de pairs artistiques. Alors, il y a un problème. Il y a un problème parce qu'on a affaire à un monolithe de valeurs. Je comprends qu'on ne puisse pas discuter des valeurs, mais on ne peut pas évacuer les valeurs quand on parle de culture. Que ce soit du théâtre ou de la littérature, cela repose sur une vision du monde, une sensibilité. Et, en l'occurrence, ici, il faudrait quand même rappeler que les valeurs suprêmes, c'est une représentation extrêmement pauvre et misérable qui est sans arrêt privilégiée. C'est la carence qui est privilégiée, ce n'est pas la représentation supérieure, la puissance, la force, l'intelligence. C'est sans arrêt la carence qui est privilégiée, la souffrance.

Aujourd'hui, si vous prenez les spectacles qui se donnent en ville, à Montréal, vous faites la nomenclature de tous les spectacles, c'est de la souffrance, du cri, de la désespérance. Et, moi, je pose la question. Je dis qu'il faudrait quand même s'interroger une fois pour toutes sur la possibilité de pouvoir faire son travail d'artiste avec une vision qui ne répond pas nécessairement à cette désespérance. Parce que je suis convaincue qu'il y a beaucoup d'artistes, et même au Québec, ici, qu'on n'a pas entendus, qui pensent que faire de l'art, aussi, c'est humaniser le monde, c'est aimer la beauté, la force, la puissance et la poésie, et non pas simplement s'identifier à une représentation opprimée. Il y a un problème.

Je m'excuse, je ne peux pas éluder cette question des valeurs, parce qu'elle est au coeur de la culture comme elle est au coeur du théâtre. Moi, tout ce que je dis: Qu'il y ait de nombreuses personnes qui aient fait leur choix, c'est très clair. Je vous remercie de nous avoir accueillis ici parce que la question doit se poser, tout simplement, en termes...

(18 h 10)

Le Président (M. Bergeron): Et, parlant de question, Mme Zana, il reste deux minutes. Je vais laisser la parole au député de Marguerite-D'Youville pour une brève question.

M. Beaulne: Oui, merci. Ce n'est pas une question, M. le Président, c'est un commentaire. Je reçois très bien vos interrogations parce que je me les pose moi-même. Et c'est la raison d'ailleurs pour laquelle j'ai demandé qu'on inscrive ce mandat d'initiative à notre commission. C'est que c'est bien beau que le gouvernement, que l'État, qui est imputable face aux contribuables de l'utilisation des fonds publics, se déleste d'une partie de ses responsabilités au profit d'un groupe de personnes, que l'on souhaite pouvoir destiner et orienter ces fonds publics de la façon la plus adéquate, la plus équitable possible, mais, de toute évidence, il y a des carences et des lacunes, et celle que vous venez d'évoquer en est sûrement une qui est importante.

Moi, je suis un amateur d'art sous toutes ses formes, un consommateur d'art, si vous voulez, et je me suis parfois – comme d'ailleurs d'autres personnes qui sont dans la même situation – senti un peu prisonnier de ce que des jurys soi-disant de pairs estimaient comme étant ce qui était valable et prometteur dans notre société. Et, avant d'injecter d'autres fonds dans des organismes subventionnaires comme le CALQ ou la SODEC, nous voulons – en tout cas, moi particulièrement, comme membre de cette commission – nous assurer que, si on va répondre à tous ceux qui sont venus – et ça fait consensus dans tout le milieu – que la culture est sous-financée – j'en suis de ceux-là – encore faut-il que les sous soient orientés de la bonne façon et de manière équitable.

Le Président (M. Bergeron): Alors, 20 secondes pour répondre au commentaire avant de donner la parole à la députée de Sauvé. Mme Zana.

Mme Zana (Danielle): Eh bien, écoutez, je suis ravie de votre commentaire. Je crois qu'il y a un besoin d'équité au niveau d'une pluralité de représentations du monde, et c'est cela que je souhaite. Voilà.

M. Latour (Charles-Éric): J'aimerais juste rajouter une dernière chose par rapport à ça.

Le Président (M. Bergeron): Rapidement.

M. Latour (Charles-Éric): Oui. Il faudrait aussi se poser la question: Qu'est-ce qu'on va donner justement comme nourriture à partir du constat alarmant qu'on fait auprès de la jeunesse, à tout point de vue? L'éducation et la culture ont un rôle fondamental à jouer là-dedans, non pas juste comme un miroir des malheurs que cette jeunesse traverse ou de la désespérance qui l'habite, mais aussi des nourritures qui vont lui permettre justement de s'affirmer pour plus tard, de grandir.

Le Président (M. Bergeron): Merci, M. Latour. Alors, Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Lorsque a été créé, par exemple, le Conseil des arts et des lettres du Québec dans le cadre de la politique culturelle, il y avait derrière ça une volonté de diminuer un arbitraire politique. Puis quand je dis «arbitraire politique», ça veut dire un arbitraire qui était peut-être entre les mains de politiciens qui déterminaient où allaient les subventions, etc. Puis on a dit: Bien, les gens du milieu sont capables de décider, c'est beaucoup mieux d'éliminer cet arbitraire politique et de demander aux gens du milieu de nous dire où s'en va la culture, de prendre des décisions, et tout ça.

Vous êtes en train de nous dire qu'on a substitué un arbitraire politique à l'arbitraire des pairs, mais qu'il a le même niveau de biais. Puis vous employez des mots forts dans votre mémoire. Vous nous parlez d'«exclusion», de «totalitarisme», d'«allégeance nécessaire à certaines visions du monde». Mais, à la limite, la grande question, c'est: Est-ce qu'on peut l'enlever, l'arbitraire, quelque part? Mais, dans le fond, vous plaidez vraiment pour une multiplication des possibilités, des visions. Vous plaidez pour un équilibre dans l'effort qu'on met pour reforger cette culture québécoise.

Le Président (M. Bergeron): Mme Zana.

Mme Zana (Danielle): Oui. Simplement pour répondre, effectivement il y a des mots qui sont forts. Mais, vous savez, lorsque vous vous retrouvez devant un absolutisme, c'est-à-dire un monolithe, vous n'avez d'autre choix que le radicalisme. C'est l'équivalent.

Et je voudrais simplement spécifier une autre chose. C'est que nous, nous avons annoncé au début que nous n'étions redevables de rien à aucune institution, ce qui nous donne la liberté de parler. Ça, c'est une chance. C'est une malédiction et c'est une chance, mais c'est merveilleux. Mais, en même temps, je voudrais spécifier qu'il y a énormément de gens qui ne peuvent pas témoigner aujourd'hui parce qu'ils ne sont pas là, parce qu'ils se sont orientés vers d'autres secteurs de la vie publique. Il y a des tas de jeunes qui briguaient la carrière d'artiste et qui, suite à ce que nous avons évoqué tout à l'heure de ce qui règne aussi dans les écoles de formation en théâtre, ont été exclus. On n'a pas mesuré l'exclusion. Nous en sommes quelques individus ici représentés, mais je pense qu'il y en a beaucoup d'autres.

Et je terminerai juste là-dessus, c'est que je crois qu'à l'avenir il y a quand même – je parle d'enjeux démocratiques – une question à poser par rapport aux représentations que nous avons sous les yeux. Je parle de Québécois de souche ou néo-Québécois. Il me paraît capital que tout le monde ne soit pas assujetti à une seule et même vision du monde où, si on n'adhère pas à cette vision, on n'est pas Québécois. Et ça, je puis vous dire que, dans le milieu culturel, ça sévit partout. Et il y a un problème, à mon avis.

Le Président (M. Bergeron): Vous voulez ajouter quelque chose, M. Latour?

M. Latour (Charles-Éric): Oui, c'est au sujet de ce que Mme Beauchamp a dit. L'arbitraire. Comment éliminer l'arbitraire? Il faudrait d'abord et avant tout qu'on puisse nommer ce qui se fait ici – et ça n'a jamais été fait – se questionner, nommer, être capable d'identifier par des mots les choix esthétiques et éthiques qui sont faits au niveau de la création. Il n'y a pas un artiste ici qui oserait le faire ou qui oserait remettre en question ce que l'autre fait, d'une part, au nom de la liberté d'expression des artistes, bien sûr – et je la respecte tout à fait, ce n'est pas la question – mais il faut à un moment donné qu'on devienne mature à ce niveau-là, les artistes entre eux, et que des structures permettent de le faire, voire l'imposent à un moment donné. Parce que, si effectivement votre souci, c'est de savoir comment on utilise... Parce qu'il faut rendre justice à un moment donné, il faut rendre des comptes aux contribuables par rapport à ce qu'ils donnent. Bien il faut justement peut-être forcer les artistes à faire ce débat. C'est le fond. Merci.

Le Président (M. Bergeron): Merci, M. Latour. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Je vais prendre un terrain que, moi, je qualifie de plus pratico-pratique parce qu'on a, comme je disais, embarqué dans des questions qui touchent de près tout ce qui est la construction de l'identité québécoise, et tout ça. Vous nous dites vraiment qu'il y a une mouvance qui est, dans le fond, un monolithe, et ça me fait dire, moi, qu'il est d'autant plus important de s'intéresser à qu'est-ce qui se passe avec nos enfants. Parce que, s'il y a une façon de changer ça, c'est avec ceux qui s'en viennent.

J'ai une question bien pratico-pratique parce que, par rapport à la sorte de théâtre que vous avez pratiqué jusqu'à l'année dernière, j'ai déjà entendu le commentaire suivant. C'était le fait qu'on devait privilégier, au Québec, non pas d'amener le théâtre dans les écoles, comme vous le faisiez, mais bel et bien – je pense d'ailleurs que c'est une tendance très forte – de dire: Il faut plutôt amener les enfants au théâtre. Plutôt amener les enfants au théâtre en disant: Bien, comme ça, on construit des habitudes presque, j'ai envie de dire, de consommateurs. Et je ne veux pas amener là-dedans une connotation péjorative. Et c'était peut-être même une explication que la sorte de théâtre que vous faisiez ne se retrouvait pas financé. J'ai déjà entendu ce mode d'explication.

Qu'est-ce que vous pensez de ça, vous, là? Je me dis, juste par rapport aux orientations du CALQ et au financement des théâtres qui se destinent plus à une clientèle enfance et jeunesse, on amène les enfants au théâtre ou le théâtre va dans les écoles? Ou vous allez me dire: Il faut faire les deux, mais...

Le Président (M. Bergeron): Alors, Mme Zana, vous avez trois minutes pour y répondre.

Mme Zana (Danielle): Oui. Bon, premièrement, il y a, disons-le, des compagnies de théâtre qui amènent le théâtre à l'école, nous ne sommes pas la seule, et elles sont subventionnées par le CALQ. Mais cela nous ramène à ce que j'ai déjà exposé tout à l'heure: les compagnies qui sont subventionnées par le CALQ, ce sont des projets de création qui ne montent pas de classiques. Il n'y a aucun classique qui va se promener dans les écoles. Je l'ai spécifié, les classiques sont... Alors, il y a la NCT, évidemment; le Théâtre Denise-Pelletier, qui a pour mandat tout à fait d'accueillir les jeunes; et puis il y a le TNM aussi qui monte des classiques, etc. Bon. Alors, c'est des institutions, si vous voulez. Je dirais que les deux vont de pair, autant créer une tradition pour que les jeunes aillent au théâtre parce que, effectivement, l'habitude se crée et c'est bien... Bon.

(18 h 20)

Nous, nous avons commencé comme cela parce que nous ne pouvions pas... Il fallait faire quelque chose, il fallait agir, c'était l'urgence. Nous étions préoccupés par les jeunes. Donc, nous sommes allés dans les écoles. Maintenant, quand j'ai fait une demande de projets en salle... Parce que, je répète que, pour être considéré dans le milieu – déjà que, par le créneau scolaire, je ne pouvais pas parce que avec des classiques je ne suis pas considérée, ce n'est pas ça qui est pris en compte par le CALQ – il faut donc faire un spectacle en salle à Montréal. Et je dois souligner une chose, c'est que, lorsque nous avons vu, à l'époque, Alain Fillion, qui était chef du service théâtre au CALQ et qui nous a reçus très gentiment, le fonctionnaire, lui, du CALQ, a accepté notre projet. Nous étions, si vous voulez, admissibles à une subvention. Maintenant, il nous a bien dit: Maintenant, tout dépend du comité de pairs artistiques.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, enfin à votre commentaire.

M. Latour (Charles-Éric): Est-ce que je pourrais?

Le Président (M. Bergeron): M. Latour.

M. Latour (Charles-Éric): Merci. La dynamique entre théâtre à l'école ou école au théâtre, je pense que c'est les deux. Je vais vous dire, moi, il y a eu des moments magiques avec les jeunes alors qu'on transformait leur espace au sein même de leur institution, c'est-à-dire que le théâtre où ils ont l'habitude d'aller par exemple pour des choses, des remises de prix ou ci ou ça, se transformait. C'est sûr que ça prend, comment je pourrais dire, des moyens simples, efficaces, transportables, adaptables, mais c'est le travail des artistes de toute façon d'être créatifs et inventifs. Mais je peux vous dire que l'impact que ça a sur les jeunes d'aller jouer des classiques dans leurs murs est extraordinaire parce que justement, à chaque fois qu'ils vont entrer dans cette salle, ils auront toujours le souvenir de ce qu'ils ont vu, et ça, c'est accessible pour eux.

Ensuite, qu'ils aillent au théâtre, c'est bien aussi. Il y a un rapport de civilisation à instaurer, je dirais, chez un jeune de savoir ce que c'est que d'aller dans une institution théâtrale. Les deux sont fondamentaux, je pense, tant sur le plan de l'impression que ça laisse que sur la formation, sur l'éducation que ça constitue, oui.

Mme Beauchamp: Merci.

Le Président (M. Bergeron): Alors, Mme Zana, M. Latour, Mme Gadoury, merci de votre présentation, de votre franc-parler.

J'ajourne la séance à demain, 9 h 30.

(Fin de la séance à 18 h 22)


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