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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le mercredi 28 février 2001 - Vol. 36 N° 61

Consultation générale sur les impacts des mouvements de propriété dans l'industrie des médias et des télécommunications


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Table des matières

Organisation des travaux

Auditions

Autres intervenants

 
M. Matthias Rioux, président
M. William Cusano, vice-président
Mme Agnès Maltais
Mme Line Beauchamp
M. Léandre Dion
M. François Beaulne
M. Jean-Sébastien Lamoureux
M. Jean-Paul Bergeron
M. Pierre-Étienne Laporte
M. David Payne
* M. Maurice Jannard, STIP
* M. Charles Côté, idem
* Mme Monique Prince, Regroupement des syndicats de Gesca
* M. Normand Boivin, idem
* M. Guy Veillette, idem
* M. Pierre Jury, idem
* Mme Pierrette Roy, idem
* M. Gaétan Simard, idem
* M. Fernand Bélanger, idem
* M. Richard Plourde, Syndicat des travailleurs et travailleuses du Lac-Saint-Jean
et Syndicat des travailleurs et travailleuses de L'Étoile du Lac
* M. Louis Tremblay, idem
* Mme Lise Fortier, idem
* Mme Chantale Larouche, FNC
* M. Louis Tremblay, idem
* M. Denis Guénette, idem
* M. Pierre Roger, idem
* M. Jean-Pierre Legault, idem
* M. Guy Crevier, Gesca ltée
* M. Jacques Pronovost, idem
* M. Alain Dubuc, idem
* M. Marcel Desjardins, idem
* M. Benoît Munger, Syndicat de la rédaction du Devoir
* M. Louis-Gilles Francoeur, idem
* M. Jean-Pierre Legault, idem
* Témoins interrogés par les membres de la commission
 

Journal des débats

(Neuf heures trente-cinq minutes)

Le Président (M. Rioux): Mmes et MM. les membres de la commission, je déclare donc la séance ouverte, et notre mandat, aujourd'hui, c'est de poursuivre les auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur les impacts des mouvements de propriété dans l'industrie des médias et des télécommunications et sur la qualité et la diversité et la circulation de l'information et de la culture québécoise.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Aucun, M. le Président.

Le Président (M. Rioux): Alors, est-ce que le Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse a bien pris place? Il y a même un moment que vous êtes là. On s'excuse un peu du retard. Alors, Mme la députée de Sauvé.

Organisation des travaux

Mme Beauchamp: M. le Président, avant qu'on commence avec nos premiers invités, je voudrais faire une première intervention qui ne serait pas comptabilisée dans le temps qu'on passera avec ces premiers invités. Mais c'est pour éclaircir un point qui, je pense, est d'importance, puisque, lorsque nous nous sommes quittés, la dernière journée de cette commission, j'ai interpellé la ministre de la Culture et des Communications sur l'existence d'avis juridiques permettant d'éclaircir les travaux de cette commission sur la latitude qu'a le gouvernement du Québec à intervenir, entre autres dans le domaine de la propriété croisée, et, à ce moment-là, la ministre a été extrêmement affirmative, là, je vous le rappelle. Elle a affirmé qu'il n'y avait pas d'avis juridique. Je la cite: «Il n'y a aucun avis juridique, il n'existe aucun avis juridique sur cette question. Je suis très, très affirmative, je n'ai pas d'avis juridique.»

Or, ce matin, dans La Presse... dans Le Devoir, pardon ? nous allons recevoir plusieurs invités du quotidien La Presse ou de Gesca... Mais ce matin, c'est dans Le Devoir où le journaliste Robert Dutrisac revient à la charge en affirmant qu'il existe des avis juridiques au ministère, entre autres, trois avis juridiques qui venaient en appui à un projet de loi qui avait été préparé sous le gouvernement Lévesque.

Donc, je vois que la ministre nous indique, là... Qui dit vrai? Et est-ce qu'il existe ou pas des avis juridiques permettant d'éclaircir les travaux de cette commission et également apportant un éclairage légal et certain sur des affirmations que plusieurs de nos invités ont faites devant cette commission?

Le Président (M. Rioux): Alors, je vais vous dire comment je vais gérer ça. Évidemment, on n'est pas dans l'Assemblée nationale, on n'est pas au Parlement, on est en commission parlementaire. Puis, souvent, une question de privilège est soulevée par un député puis, bon, la réplique vient de... Mais, étant donné que la question a été soulevée ici même, alors, je prends ça en considération. Vous avez fait une intervention, je vais donner à la ministre la chance de formuler une réplique, et ensuite, on reviendra au Syndicat des journalistes de La Presse. Mme la ministre.

M. Cusano: M. le Président?

Le Président (M. Rioux): Oui.

M. Cusano: Une question de règlement, là. Il y a quelque chose qui a été soulevé par ma collègue la députée de Sauvé, et je pense qu'une intervention de part et d'autre pourrait être insuffisante. Je ne dis pas qu'il devrait y avoir plus d'interventions, mais je ne voudrais pas, à ce moment-ci, que vous fermiez la porte.

Le Président (M. Rioux): Bien, je ne veux pas activer non plus là. Mais, cependant, je vous dis, en gros, comment j'entends gérer ça. Alors, aviez-vous terminé votre remarque, Mme la députée? Très bien. Mme la ministre.

Mme Maltais: Alors, M. le Président, effectivement, il y a un article, ce matin, dans Le Devoir qui réfère à un avant-projet de loi et à un avis juridique autour de cet avant-projet de loi datant de 1978, donc, il y a 22 ans.

À la question de la députée qui invoquait l'article du Devoir qui avait été précédent où l'un de mes fonctionnaires aurait, selon le journaliste, parlé d'avis juridiques en notre possession garantissant la compétence constitutionnelle du Québec en matière de presse écrite et même de propriété croisée, j'ai répondu que je n'avais pas d'avis juridique tout simplement parce que je n'en ai pas sollicité. Je n'en ai pas sollicité, je n'ai pas d'avis juridique entre les mains.

J'ai évidemment discuté de cette question de la compétence du Québec en matière de presse écrite lors des séances préparatoires à la commission parlementaire. Je l'avais dit très ouvertement dans cette commission ? vous le verrez dans le verbatim ? que j'avais eu des échanges avec les fonctionnaires. J'ai également dit: C'est dans le domaine des télécommunications et de la radiodiffusion, incluant la câblodistribution. Tous les jugements de cour avaient confirmé la compétence fédérale dans ce domaine.

n(9 h 40)n

Quant à la propriété croisée, j'ai dit ? et je veux le redire ? que la glace est extrêmement mince quant à notre pouvoir d'intervention, d'autant plus que le CRTC permet la propriété croisée depuis plusieurs années maintenant.

Alors, par ailleurs, à la suite de votre question, j'ai demandé au ministère de retracer la littérature qui a pu circuler sur ce sujet au cours des dernières années. J'ai d'ailleurs dit, dans mon discours introductif ? j'avais été très ouverte là-dessus ? que plusieurs gestes avaient été posés depuis la fin des années soixante sur cette question et qu'il y avait même eu des avant-projets de loi qui ne se sont jamais rendus pour discussion à l'Assemblée nationale.

J'avais d'ailleurs mis en garde la commission plusieurs fois en disant: Écoutez, c'est un sujet extrêmement difficile. Je crois que j'ai nommé quelque chose comme 13 commissions, avant-projets de loi qui ont été discutés et qui n'ont jamais abouti devant l'Assemblée nationale, sauf, je parlais de deux projets de loi, un qui a formé le Conseil de presse, tout ça.

Alors, ces projets de loi qui ont été préparés, soit du droit à l'information soit de la question des transferts de propriété, se sont probablement appuyés sur des opinions juridiques comme celle dont fait état Le Devoir de ce matin qui remonte en 1978 et qui confirme cet avis, qui confirme les propos que j'ai tenus depuis lors.

Pour ce qui est des autres documents qui pourraient exister, vous avez fait une demande officielle via la loi d'accès à l'information, et vous aurez réponse bientôt à cet égard. Enfin, on verra, à la suite du rapport de la commission et des discussions qui suivront, s'il y a lieu de mettre à jour ce qui est clairement de la compétence constitutionnelle du Québec en matière de propriété croisée des médias.

Le Président (M. Rioux): Merci. Alors, ça répond en partie, en tout ou quoi? Alors, allez.

Mme Beauchamp: M. le Président, la ministre se souviendra que, lors de notre intervention sur ce sujet, j'avais élargi ma question en lui disant que, si ce n'est pas des avis juridiques, je lui ai demandé si elle avait en sa possession des documents, avis, opinions qui apporteraient un éclairage pour les travaux de cette commission. Et elle m'avait répondu également qu'elle n'avait pas de telles opinions, avis. Elle a dit: Je n'en ai aucun. Mais elle nous avait indiqué, par la suite: «Je les donnerais avec plaisir.» Je la cite: «Je les donnerais avec plaisir, je tiens beaucoup à cette commission.»

Donc, je réinterpelle la ministre. Elle a en sa possession certains documents pouvant apporter un éclairage certain aux travaux de cette commission entre autres, puisqu'on lit dans l'article du Devoir qu'il y aurait certains avis juridiques ou autres documents qui nous permettraient de mieux analyser la possibilité d'intervention du Québec en matière entre autres de propriété croisée par une législation, entre autres dans le domaine de la presse écrite.

Donc, je réinterpelle la ministre. Je trouve un peu étrange qu'elle ait affirmé avec autant de vigueur l'incapacité du Québec à intervenir, alors que, du même souffle, elle dit qu'elle n'a aucun avis juridique sur lequel elle fonde son opinion. Maintenant, on sait qu'il a existé des avis juridiques accompagnant certains avant-projets de loi afin que, vraiment, pour une fois, une commission puisse peut-être apporter des fruits. Est-ce que tout peut être mis sur la table et est-ce que ces documents peuvent être rendus le plus rapidement possible disponibles à l'ensemble des membres de cette commission?

Le Président (M. Rioux): Alors, il y a une demande de dépôt de documents. Mme la ministre.

Mme Maltais: La députée a fait une demande par le biais de la loi à l'accès à l'information pour avoir tout document. Et, de toute façon, dès au sortir du questionnement qu'on s'est fait ici, à la commission, j'ai demandé au ministère de sortir tout document dont je pourrais ne pas connaître l'existence qui puisse aider aux travaux de cette commission. C'est déjà fait, M. le Président.

Mais, ce que je veux vous dire, c'est que ce fameux document de 1978 est un avant-projet de loi. J'ai mentionné en commission qu'il y avait eu des avant-projets de loi. Pour préparer des avant-projets de loi, on a fait affaire à des services juridiques, et je n'avais pas ce document dans les mains. Il est probablement... Je suis en train de le faire chercher. Il est aux archives, parce qu'il est vieux de 22 ans.

Maintenant, le sens de la discussion qu'on avait était: y a-t-il des avis juridiques pertinents aujourd'hui? Ai-je entre les mains des documents qui pourraient faire avancer les travaux de cette commission? Or, ce dont on parle à ce moment-là dans Le Devoir, c'est d'un document vieux de 22 ans.

Depuis, le CRTC promet la propriété croisée; ça ne fait que quelques années. Donc, c'est un élément de jurisprudence, et tous les jugements qui ont eu lieu concernant la compétence fédérale en radiodiffusion, télécommunications versus le Québec ? je vous ramène à l'affaire Guèvremont, à la guerre des câblos ? tout a confirmé que la compétence fédérale est prédominante par rapport à celle du Québec.

Donc, je l'ai dit, la glace est très mince. Mais, tout ce que j'avais entre les mains, je n'avais pas ce type de document ou d'avis qui puisse faire évoluer plus clairement la commission.

Le Président (M. Rioux): Donc, il n'y aura pas de dépôt de document de votre part.

Mme Maltais: Pas ici. Non, M. le Président.

Mme Beauchamp: J'aurais une dernière intervention de mon côté. Là, si je comprends bien, la ministre ne veut pas laisser les parlementaires exercer leur propre jugement sur la pertinence et la validité des opinions juridiques qu'elle a entre les mains. Même s'ils datent de 22 ans, Mme la ministre, je pense que vous pouvez faire confiance au jugement des parlementaires autour de cette table.

Ou encore, est-ce que la ministre est en train de dire que, si un parlementaire fait une demande d'accès par la loi d'accès à l'information, ça signifie derechef un refus de la part de la ministre de collaborer et de déposer les documents? Soit que sa réponse, c'est ça, ou soit vraiment que c'est un refus de collaborer que nous offre la ministre.

Mme Maltais: Non, M. le Président, là...

Le Président (M. Rioux): Alors, vous avez bien compris la question. Très bien.

Mme Maltais: Non, M. le Président, écoutez, là.

Mme Beauchamp: Oui, on écoute.

Mme Maltais: Écoutez bien. J'ai dit que j'ai demandé au ministère, suite à l'échange que nous avons eu, de me retrouver tout document qui puisse éclairer la commission. Je vous les fournirai avec plaisir.

Le Président (M. Rioux): Donc, il n'y a pas de refus.

Mme Maltais: Il n'y a pas de refus. Il n'y a pas, aujourd'hui, ce matin, de document à déposer. Je n'en ai pas entre les mains. J'ai demandé au ministère de fouiller.

Le Président (M. Rioux): Très bien. M. le député de Viau.

M. Cusano: M. le Président, cette question, ça fait quelques jours, pour ne pas dire quelques mois, qu'elle traîne. Est-ce que la ministre peut nous dire... Qu'elle nous dise, ce matin, qu'elle n'a pas les documents dans les mains, je suis prêt à accepter ça, je respecte sa parole. Mais est-ce qu'il y a des documents en particulier que, vous, en tant que ministre, vous avez demandés soit au ministère, soit à des experts, soit à des gens dans le milieu? On aimerait savoir c'est quoi que vous avez demandé comme études, comme avis pour les travaux de cette commission.

Le Président (M. Rioux): Très bien. Mme la ministre.

Mme Maltais: ...la question, s'il vous plaît.

Le Président (M. Rioux): Est-ce que vous avez, entre les mains, des études que vous auriez commandées aux fins des travaux de cette commission?

Mme Maltais: Non, M. le Président. Je n'ai pas d'étude que j'aurais commandée aux fins des travaux de cette commission, puisque nous ne sommes pas autour d'une étude d'un projet de loi, nous sommes dans des audiences. Alors...

Le Président (M. Rioux): M. le député de Viau, est-ce que je vous ai mal...

Mme Maltais: Excusez-moi. C'est ce qu'on m'a dit, mais c'est parce qu'on me parlait pendant votre question.

M. Cusano: ...vous l'avez dans les mains, M. le Président. Je veux savoir si elle a commandé...

Le Président (M. Rioux): Voilà. O.K. Très bien.

Mme Maltais: M. le Président, la seule chose, le seul document est le même que toute la commission a: c'est le Centre d'études sur les médias qui a produit un document que nous avons tous entre les mains, je crois.

M. Cusano: Alors, vous n'avez pas commandé aucun autre document, aucune autre recherche?

Mme Maltais: J'avoue que je vous ai fourni toute l'information que j'avais ? vraiment, là ? sauf l'information personnelle, à la limite évidemment, qui est confidentielle selon nos règles usuelles. Mais...

Le Président (M. Rioux): Très bien.

Mme Beauchamp: M. le Président...

Le Président (M. Rioux): Alors, Mme la...

Mme Beauchamp: ...une dernière remarque, parce que, là, je veux éclaircir la situation. À votre résumé, lorsque vous avez demandé s'il y aurait dépôt de document à cette commission, la ministre a répondu non, et, par la suite, elle a répondu oui. Est-ce qu'on peut ici éclaircir la situation?

Mme la ministre, allez-vous déposer des documents à cette commission? Par exemple, allez-vous collaborer et déposer les documents qui seront, de toute façon, déposés en vertu de notre demande d'accès à l'information? Est-ce que vous allez déposer ces documents à cette commission, et si oui, selon la dernière réponse que vous avez fournie, est-ce qu'on peut savoir quand vous allez les fournir aux membres de cette commission?

Le Président (M. Rioux): Mme la ministre.

Mme Maltais: Écoutez, M. le Président, il faudrait revenir à la commission, à ses buts, à ses objectifs et à ce que je dis. Écoutez, il n'y a pas de document caché ici, là, M. le Président. Je n'ai pas sollicité d'avis juridique. J'ai dit que j'allais fournir à la commission tout ce que je pouvais pour qu'elle travaille à l'aise. Nous avons, ensemble, un document sur l'étude sur les médias.

Un instant, j'aurais besoin... C'est parce que, là, les gens cherchent. Un instant.

(Consultation)

Le Président (M. Rioux): Alors, j'ai interprété qu'on vient de suspendre pour quelques secondes. On reprend tout de suite. Oui, madame. Mme la ministre.

Mme Maltais: M. le Président, il y a une autre étude qui a été faite par le Centre d'études sur les médias, sur ce qui se fait à l'étranger. Alors, il y a une autre étude, un comparatif entre deux régions, semble-t-il, que j'aurais reçue la semaine dernière. Ça me fera plaisir de déposer ces documents.

Le Président (M. Rioux): Très bien. Donc, il y a un document qui est rentré chez vous...

Mme Maltais: Oui.

Le Président (M. Rioux): ...mais vous n'avez pas pris connaissance...

Mme Maltais: Non, non, simplement...

Le Président (M. Rioux): Mais qui sera déposé éventuellement.

Mme Maltais: Oui, mais, M. le Président, je tiens à dire que j'ai demandé au ministère d'aller fouiller pour trouver justement tout document qui pourrait éclairer les travaux de la commission.

n(9 h 50)n

Le Président (M. Rioux): Très bien. Alors, Mme la députée de Sauvé, ça va?

Mme Beauchamp: En terminant, les trois avis juridiques dont il est question dans le papier d'aujourd'hui, du journaliste Robert Dutrisac, est-ce que ces trois avis juridiques seront déposés auprès des membres de la commission?

Le Président (M. Rioux): Les trois avis dont le journaliste parle dans le quotidien.

Mme Maltais: Oui, mais, un instant, M. le Président, les avis juridiques, habituellement, sont au ministère de la Justice et sont habituellement confidentiels, en vertu de la loi de l'accès à l'information. Il va falloir vérifier à ce moment-là qu'est-ce qui est confidentiel ou ne l'est pas, selon la loi de l'accès à l'information.

Le Président (M. Rioux): Alors, pour qu'il soit déposé, il faudrait qu'il y ait une demande.

Une voix: Elle est faite.

Le Président (M. Rioux): Elle est faite? Très bien.

Mme Maltais: Elle est faite? Il faut voir s'ils sont confidentiels ou pas.

Auditions

Le Président (M. Rioux): Très bien. Ça va? Alors, messieurs, dames, MM. et Mme les membres de la commission, nous allons maintenant entendre le Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse, et je vous informe tout de suite que le débat qui vient d'avoir lieu ne vous enlève absolument pas de temps. Vous avez votre heure, n'ayez crainte, et on va essayer de la gérer avec toute la rigueur qui s'impose.

Alors, j'aimerais, M. Jannard, que vous nous présentiez vos collègues qui vous accompagnent ici, aujourd'hui.

Syndicat des travailleurs de l'information
de La Presse (STIP)

M. Jannard (Maurice): Merci, M. le Président. Alors, je suis Maurice Jannard, président du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse. À ma droite, Mme Hélène de Guise, vice-présidente; à ma gauche, M. Charles Côté, vice-président, et Claude-V. Marsolais, secrétaire du Syndicat.

Le Président (M. Rioux): Alors, vous avez une vingtaine de minutes pour présenter votre document, et ensuite, on amorcera l'échange entre les députés et vous. On vous écoute.

M. Jannard (Maurice): Mme la ministre, Mme la députée, MM. les députés, le Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse vous remercie de l'occasion que vous lui donnez de se faire entendre devant vous, ce matin, sur la question de la concentration des médias.

Notre organisme représente environ 200 personnes, ce qui comprend les journalistes, les chroniqueurs, les photographes, les graphistes, les techniciens et les employés de soutien. En un mot, nous représentons les employés d'une salle de rédaction, celle de La Presse.

Je vous dirai, en réponse à votre remarque d'ouverture, que, pour des journalistes, le débat auquel nous avons assisté est très intéressant.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): ...ne manque pas de pertinence.

M. Jannard (Maurice): Le Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse tenait à prendre une part active aux travaux de cette commission parlementaire, puisque la question de la concentration de la presse propulsée à l'avant-plan par les transactions Quebecor-Vidéotron et Gesca-UniMédia promet d'avoir une incidence importante sur le monde de l'information, et du même coup, sur la vie démocratique du Québec.

Il faut cependant souligner, d'entrée de jeu, que ces mêmes transactions ne constituent guère un arrière-plan idéal pour mener un exercice de ce genre. Le gouvernement lui-même se trouve dans une position pour le moins incongrue, puisqu'il a favorisé, par l'entremise de la Caisse de dépôt et placement du Québec, la création d'une nouvelle entité médiatique qui sera dominante dans le milieu de la télévision, de la presse écrite, des magazines et de l'Internet.

Un examen de la situation dans les pays occidentaux nous force à conclure que nous avons laissé se former, au Québec et au Canada, un environnement médiatique dont la concentration est pratiquement sans équivalent ailleurs. Cette réalité a pris forme en l'absence de toute balise sur le taux acceptable de concentration de la presse, ce par quoi le Québec se distingue également. Ces constatations amènent le STIP à ne pas exclure d'emblée la possibilité d'introduire de nouvelles mesures réglementaires qui pourraient avoir une incidence éventuelle sur le niveau de la concentration de la presse, et du même coup, sur les visées de Gesca et de Quebecor.

Notre point de vue ne saurait évidemment être interprété comme une invitation aux élus de se mêler de ce qui se passe dans les salles de rédaction; il ne saurait en être question. La question de la concentration de la presse ne doit pas être étudiée à l'ombre d'une orientation politique donnée. La nécessité de soutenir la diversité et la qualité de l'information doit être l'élément qui guide notre réflexion.

Récemment, au congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec ? la FPJQ ? M. Daniel Lamarre, alors président et chef de la direction du groupe TVA, s'en était remis à la force du mouvement syndical pour garantir l'indépendance professionnelle des journalistes et le droit du public à une information juste, exacte et complète. Le Syndicat s'est toujours battu pour inclure dans les conventions collectives des clauses devant renforcer l'indépendance professionnelle de ses membres, mais le mouvement syndical ne saurait être le seul dépositaire de la liberté de presse et du droit du public à l'information. Cette obligation incombe aussi aux propriétaires des organes de presse, en contrepartie du fait qu'ils entendent tirer un profit d'une activité dont le caractère n'est pas strictement économique en régime démocratique.

Une étude exhaustive du secteur des médias hors Canada nous apprend que nombre de pays comparables au nôtre ont choisi de légiférer pour éviter de se retrouver avec un grand nombre de médias dans un petit nombre de mains. Ces législations ont généralement pour objet d'encadrer la possession d'entreprises de presse sans pour autant nuire à la libre concurrence dans leur secteur d'activité.

Nous ne ferons pas, ce matin, un tour d'horizon de ce qui se fait partout ailleurs, mais nous allons prendre quelques exemples qui peuvent être pertinents pour la situation canadienne et québécoise.

La Federal Communications Commission ? FCC ? est l'équivalent du CRTC aux États-Unis. Elle révisera prochainement sa réglementation en ce qui a trait à la propriété croisée, une réglementation qui, depuis plus de 25 ans, interdit de posséder à la fois un quotidien et une télévision sur un même marché local, et ce, afin de préserver la diversité des contenus. Même s'il existe des présages d'un assouplissement prochain de cette interdiction de la propriété croisée, au moins, au niveau national, la FCC a placé son réexamen de la réglementation sous l'égide de la diversité de l'information locale, à l'heure d'Internet et des coupoles satellitaires. La FCC désire aussi augmenter le nombre de quotidiens au niveau local; 98 % des villes américaines n'ont qu'un seul quotidien. La FCC semble toujours considérer le pluralisme des médias desservant une même communauté comme la base d'un service public de qualité.

En France aussi, on affirme que l'État doit préserver le pluralisme de la presse. Un média ne peut posséder plus de 30 % de parts de marché, mais cela semble être la seule limite. Il n'y a pas de contraintes à la propriété croisée, mais l'État veille et interviendra s'il y a exagération, a, d'ailleurs récemment, promis le premier ministre Lionel Jospin.

Nous abordons maintenant la question de la concentration et des bouleversements technologiques. Les fusions surviennent dans un univers médiatique en proie à des bouleversements technologiques qui ont de profondes répercussions sur les modèles d'affaires traditionnels des médias. Quand on regarde la situation au Québec, on sait ce qu'on découvre. C'est qu'il semble s'orienter, comme ailleurs, que l'Internet accentue, dans l'esprit des citoyens, l'idée que l'information doit être gratuite. Elle l'était déjà à la radio et à la télévision, elle l'est désormais en ligne. Les journaux sont les seuls à demander un tarif pour l'abonnement. Pourront-ils encore le faire longtemps? Nous ne le croyons pas.

La tendance à la gratuité de l'information va exercer des pressions sur les budgets des rédactions et provoquer la multiplication de cahiers spéciaux financés par des intérêts particuliers. Ce type d'association risque de favoriser les pressions commerciales sur la rédaction. À La Presse, un journaliste s'est ainsi vu demander récemment pourquoi il avait fait une demande d'accès à l'information relativement au compte de dépenses du président d'une société d'État, alors qu'un cahier spécial, produit en collaboration avec cette même société, était sur le point de paraître. La démarche d'accès à l'information s'est néanmoins poursuivie.

J'aimerais terminer ici, pour moi, cette présentation et céder la parole à mon collègue Côté. Mais, avant, je veux vous signaler que, la semaine dernière, un cadre de La Presse a demandé à un journaliste qui couvrait un procès au palais de justice d'écrire, sur l'heure du midi, un texte pour Cyberpresse, qui est la filiale de La Presse, qui s'occupe d'Internet. Alors, cette demande a suscité beaucoup d'émoi dans la salle de rédaction, parce que la grande majorité des journalistes s'opposent à ce type de démarche, parce qu'il n'y a rien de prévu dans nos conventions là-dessus. Écrire, déjà, un texte dans un quotidien, dans un imprimé, demande suffisamment de recherches sans qu'on gaspille notre temps pour d'autres types de couvertures.

Le Président (M. Rioux): Merci, M. Jannard. M. Côté.

M. Côté (Charles): Mesdames et messieurs, Mme la ministre, je vais commencer par parler de l'ingérence du propriétaire dans le contenu du journal. Il faut en parler, parce que, si le propriétaire n'avait aucune influence sur le contenu du journal, la question de la propriété des médias serait moins pertinente.

n(10 heures)n

Je vais commencer par dire que les cas d'ingérence directe dans nos médias sont l'exception plutôt que la norme. On en a recensé quelques exemples, mais on peut sauter par-dessus, on y reviendra si vous voulez. Mais, plus généralement, comme le relate l'intellectuel américain Noam Chomsky dans le livre Manufacturing Consent, les choix journalistiques biaisés découlent plus souvent de l'autocensure que d'interventions flagrantes indirectes. Cette autocensure est pratiquée tant par les journalistes que les commentateurs, qui s'ajustent aux réalités organisationnelles des médias où ils évoluent, ou par des cadres haut placés souvent choisis pour leur aptitude ou leur empressement à imposer des vues réelles ou présumées du propriétaire. Du coup, rares sont les journalistes de La Presse qui arrivent au bureau avec l'intention de se lancer dans une vaste enquête sur les activités de Power Corporation. Idem au Journal de Montréal en ce qui a trait à Quebecor.

Les transactions proposées, selon nous, sont une menace à la diversité et en particulier menacent la survie de l'agence de presse La Presse canadienne. L'impact financier des transactions dont il est question peut aussi s'avérer dommageable pour les salles de nouvelles même si les propriétaires affirment que c'est l'inverse qui va se produire. Il est vrai, comme le fait notamment valoir Gesca, que seuls les grands médias ont les ressources requises pour assurer, par exemple, une couverture nationale et internationale digne de ce nom. Il peut en découler, si et seulement si le propriétaire en fait une priorité, un enrichissement marqué de la qualité d'information. Peut-on cependant prétendre que les deux groupes n'ont pas déjà à l'heure actuelle suffisamment de ressources pour assurer une information de qualité? Les initiatives lancées récemment à La Presse, nouvelle présentation, nouveaux postes de correspondants, cahier économie plus étoffé, etc., en sont une illustration.

Par ailleurs, sans vouloir remettre en cause la bonne foi et la direction de Gesca qui se défend de vouloir devenir le fossoyeur de l'organisme, il apparaît difficile de croire que La Presse canadienne pourrait être maintenue dans sa forme actuelle au Québec. La Presse canadienne est le volet français d'une agence coopérative pancanadienne qui joue deux rôles: d'une part, la distribution de textes entre les journaux membres et, d'autre part, la rédaction et la traduction de dépêches canadiennes. La PC emploie aussi des photographes et des graphistes dans ses divers bureaux.

Autre nouveauté dans le décor: Internet. On doit constater que l'arrivée d'Internet ne change pas radicalement la donne ? quand on parle de la donne, la diversité ? puisque les médias québécois présents en ligne se contentent généralement de reproduire des informations diffusées sur les supports traditionnels, que ce soit la radio, la télévision ou les journaux. Le regroupement sous un même portail des journaux de Gesca, qui réservera sans doute un traitement similaire aux journaux récemment acquis d'UniMédia, a d'ailleurs mené à une réduction du nombre d'articles disponibles en ligne pour des quotidiens comme La Voix de l'Est ou La Tribune.

En décembre, le site Internet Cyberpresse.ca était lancé. Il contient les nouvelles et les illustrations de La Presse et des autres journaux de Gesca. Auparavant, La Tribune et La Voix de l'Est avaient chacun leur site, tandis que celui de La Presse avait été confié à InfiniT, une filiale du groupe Vidéotron. Cette alliance a d'ailleurs dû être rompue à la suite de l'achat de Vidéotron par Quebecor. Vous pouvez faire l'expérience. En tapant latribune.ca, on tombe sur la même page qu'en tapant lapresse.ca ou lenouvelliste.ca. Le résident de Sherbrooke qui veut vraiment s'informer sur sa région doit cliquer un bouton La Tribune, on ne lui sert alors que les nouvelles de la une de son journal avec l'éditorial. Pour les lecteurs de La Tribune, il s'agit évidemment d'un recul. Par exemple, le site de La Tribune diffusait auparavant des nouvelles agricoles. Depuis son intégration dans Cyberpresse.ca, ce n'est plus le cas. Le rédacteur en chef de La Tribune a indiqué à un membre de notre syndicat qu'il n'y avait pas de plan, à sa connaissance, pour réintroduire des nouvelles agricoles dans le site Cyberpresse.ca. Tout au plus, a-t-il précisé, la rédaction de La Tribune contribuera des nouvelles générales au site Cyberpresse.ca quand l'actualité le justifiera.

Par ailleurs, pour parler de l'autre transaction, celle du groupe Quebecor dirigé par Pierre Karl Péladeau, il mérite une attention particulière parce que cette transaction engendre une forme de propriété croisée des plus préoccupantes. En plus de former une force de frappe médiatique exceptionnelle sur un marché donné, elle risque de mener à une marchandisation de l'information, pour reprendre l'expression de l'universitaire Florian Sauvageau. J'aimerais ajouter ici que j'ai repris des citations qui montrent un peu la stratégie de Quebecor à l'égard de son nouvel empire médiatique; on parle de la force d'impact et des éléments du groupe Quebecor comme d'une machine de promotion. Alors, où est l'information là-dedans quand c'est noyé dans une machine de promotion? Ça, c'est une citation de Pierre Lampron qui est président et chef de la direction de TVA International, la filiale maintenant qui fait partie du groupe Quebecor.

On a un petit passage dans notre mémoire sur le Conseil de presse. Je vais résumer notre pensée en disant que nous estimons que le Conseil de presse est un organisme qui a une mission louable mais qui manque de moyens.

Alors, ce qui nous amène à passer une à une les recommandations de notre syndicat. Ces recommandations ont été adoptées à l'issue d'une assemblée syndicale qui a duré près de trois heures, et je vais vous en faire la lecture.

Premièrement, à l'égard d'une loi sur les médias. L'Assemblée nationale devra adopter une loi pour limiter la concentration de la presse et la propriété croisée. À défaut d'intervenir de façon rétroactive sur les transactions récentes, qui se sont déroulées en toute légalité, la loi devra limiter la concentration pour l'avenir en définissant des seuils, à l'issue d'un vaste exercice de consultation, ainsi que les moyens nécessaires pour revenir à une situation acceptable. Cette loi pourra en outre garantir le Québec contre la propriété étrangère des médias.

Deuxième recommandation à l'égard du Conseil de presse. Le Conseil de presse devra avoir un financement stable garanti dans une loi. Le STIP, le Syndicat, propose en outre la mise sur pied dans chaque média d'un comité paritaire de l'information. Ces comités auraient un lien d'appel direct vers le Conseil de presse.

Troisième série de recommandations qui sont plus de nature syndicale. On vous en fait part, mais ça va plutôt faire l'objet probablement de négociations avec la partie patronale.

1° Reconnaissance formelle dans les conventions collectives du principe d'indépendance professionnelle des journalistes et des travailleurs de l'information, y compris à l'égard du propriétaire.

2° Renforcement et application à tous les journaux du groupe des moyens élaborés dans les conventions collectives pour garantir l'indépendance des cadres et les mécanismes de consultation pour leur nomination.

3° La création dans tous les médias de comités de l'information dont le mandat inclura la surveillance des conséquences des fusions et la protection de l'autonomie des travailleurs de l'information.

4° L'achat d'UniMédia par Gesca ne doit pas entraîner de licenciements. En particulier, M. Guy Crevier doit réitérer publiquement son engagement à conserver la structure et les effectifs des bureaux parlementaires du Soleil et de La Presse qui jouent un rôle primordial dans la diversité des sources d'information.

5° L'indépendance des salles de rédaction doit être maintenue. La limitation à la circulation des textes entre les différents journaux constitue une des voies pour favoriser l'autonomie des salles de rédaction.

Quatrième recommandation à l'égard de La Presse canadienne. La disparition ou, tout au moins, la modification de la mission de La Presse canadienne demeure une conséquence prévisible de l'achat d'UniMédia par Gesca. Gesca et Quebecor doivent présenter un plan crédible pour la survie de cette source indispensable de nouvelles canadiennes et québécoises.

Et, cinquièmement, à l'égard d'un fonds de l'information. Le STIP propose la création d'un fonds de l'information financé par tous les médias pour venir en aide au Conseil de presse, en plus de financer le maintien et la création de médias à faibles revenus publicitaires.

Ça termine notre présentation.

Le Président (M. Rioux): Merci beaucoup, M. Côté. Merci, M. Jannard. Alors, nous allons maintenant procéder à la période d'échanges entre nous. Mme la ministre d'abord et, ensuite, je donnerai la parole aux députés de Saint-Hyacinthe et de Marguerite-D'Youville.

Mme Maltais: Alors, merci, M. le Président. Bonjour, je vous salue, MM. Jannard, Côté, Marsolais, Mme de Guise, bienvenue ici. J'ai été très impressionnée par la lucidité avec laquelle vous avez vu la situation et vous en êtes venus à un ensemble de recommandations. Si j'ai bien compris, vous dites qu'il n'y a pas une solution unique, mais bien un ensemble de mesures, et vous avez ciblé plusieurs niveaux de travail.

Vous parlez de lois, de possibilités de législation pour le gouvernement. Vous parlez des structures des conventions collectives. Effectivement, le syndicat du Soleil nous a dit aussi que ça peut se travailler à l'intérieur d'une convention collective. Vous parlez du rôle de chien de garde en disant: Le Conseil de presse pourrait s'articuler autrement. Et vous parlez aussi du fonds.

On a évidemment beaucoup discuté déjà avec des gens qui sont passés ici. Les propriétaires semblent avoir beaucoup de réticences à ce fonds. J'avoue qu'on en cherche un peu, comment on pourrait le gérer, qui pourrait être bénéficiaire de ce fonds. Je pense que c'est déjà un débat qui est lancé.

Mais ce que vous amenez de neuf, c'est une relation entre le Conseil de presse et l'interne, à l'interne des médias, dans votre recommandation qui dit: «Le Conseil de presse devra avoir un financement stable[...]. Le STIP propose [...] la mise sur pied dans chaque média d'un comité paritaire de l'information. Ces comités auraient un lien d'appel direct vers le Conseil de presse.» Ça, c'est nouveau.

Comment vous voyez cette articulation entre le Conseil de presse et les comités paritaires à l'intérieur des médias?

Le Président (M. Rioux): M. Jannard.

M. Jannard (Maurice): M. le Président, je vais laisser la parole à mon collègue, Charles Côté, là-dessus.

Le Président (M. Rioux): M. Côté.

n(10 h 10)n

M. Côté (Charles): Dans les délais qui nous ont été impartis, on n'a pas pu aller très profondément pour dire: Voici comment ça pourrait se produire puis voici comment on pourrait mettre ça dans une convention collective, etc., mais je pense que le besoin est là. Si on reste avec, mettons, deux grands groupes médiatiques, mettons cette hypothèse-là, il n'y a plus beaucoup de soupapes pour les divergences d'opinions. On ne peut plus changer de groupes. On ne peut plus dire: Je ne suis pas d'accord avec ce qui se passe ici. Je vais aller travailler ailleurs. Donc, il faut trouver des soupapes pour les divergences de vues, et ça, c'est un exemple de soupape, à mon avis. À savoir comment ça pourrait se faire concrètement, là, on n'a pas eu le temps vraiment de se pencher là-dessus.

Le Président (M. Rioux): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Oui, M. le Président. C'est sûr que votre mémoire est particulièrement impressionnant, parce qu'on sait que vous savez de quoi vous parlez. C'est votre pain quotidien. Moi, j'ai une préoccupation quand même quant à la première recommandation que vous avez à la page 1 de votre résumé, condensé, dans lequel vous dites: «À défaut d'intervenir de façon rétroactive sur les transactions récentes, qui se sont déroulées en toute légalité, la loi devra limiter la concentration pour l'avenir...»

Ne craignez-vous pas que la façon dont vous avez présenté ça donne une fausse impression quant à ce que vous recherchez vraiment? Parce que vous êtes des journalistes de La Presse. Est-ce que vous n'avez pas peur que ça donne l'impression que vous n'êtes pas tellement en désaccord avec la concentration Gesca, mais plutôt en désaccord avec la concentration Quebecor qui, elle, n'est pas complétée? N'avez-vous pas peur que cette façon de présenter donne l'idée qu'en fait vous avez deux façons de voir, selon qu'il s'agit d'un groupe ou de l'autre?

Le Président (M. Rioux): Est-ce qu'il y a de l'angélisme dans votre position, pour être clair, là?

M. Jannard (Maurice): Oui, je comprends très bien la question. C'est que notre démarche s'inspire de ceci: nous sommes partis d'une analyse sur les moyens d'intervention qui existent dans d'autres pays pour regarder la situation canadienne et québécoise et constater qu'ici il y a eu un laisser-aller. Cette recommandation-là doit être perçue, selon nous, dans l'esprit suivant. C'est que, bon, le passé étant le passé, il est trop tard pour défaire ce qui a été fait. Mais je vous soulignerai, en réponse directe à votre question, que Quebecor avait déjà la plus grosse part de marché en ayant Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec. Il détenait déjà 45 % du marché des quotidiens, et ça, depuis très longtemps. Alors, la transaction de Gesca et UniMédia ramène la propriété dans ce groupe à un niveau semblable, un peu plus élevé, là, par contre, sauf que s'opposer à la deuxième, alors que la première est dans le décor depuis 10 ans, on trouve que ça ne serait pas logique comme position.

Notre position dit: Est-ce qu'on va accepter la situation présente et la laisser se détériorer? Cette recommandation est tournée vers l'avenir. On dit: Il va y avoir deux grands groupes de presse: un qui contrôle 50 % du marché et l'autre 45 %. Et vers quoi allons-nous? Est-ce qu'il peut y avoir d'autres types de transactions qui nous amènent, dans les prochaines années, à ce qu'un groupe ait 60 %? C'est là qu'on dit qu'il faut que ça cesse un jour, et c'est pour ça qu'on demande à l'Assemblée nationale d'y voir. Et la façon, je pense, qu'il se fait... comme il se fait ailleurs, c'est une loi, c'est une réglementation. Est-ce que, comme parlementaires, ça ne vous inquiète pas qu'un groupe ait un jour 75 % du marché québécois? Nous, comme journalistes, on trouve que la situation actuelle est déjà préoccupante et on ne veut pas de détérioration. Il faut comprendre notre recommandation dans cet esprit-là, je pense.

Le Président (M. Rioux): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Oui, M. le Président. Vous trouvez que la situation actuelle est déjà préoccupante, mais vous ne suggérez pas de mesures correctrices. Vous suggérez des mesures préventives pour l'avenir, mais vous ne suggérez pas de mesures correctives ou correctrices pour la situation présente.

M. Jannard (Maurice): Les mesures de correction pour la situation présente sont les autres recommandations. Nous, du point de vue syndical, on va faire nos classes, c'est certain. On est, comme là, encore plus alertés au problème. Il y a la question du CPQ qui, pour nous, le Conseil de presse, est un organisme valable. On pense qu'il doit avoir des pouvoirs accrus.

Le Président (M. Rioux): M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Vous nous avez posé la question... Est-ce que ça nous préoccupe, une concentration de 75 %? Ça nous préoccupe pour autant qu'il y ait un impact au niveau du contenu, au niveau de la diversité et au niveau de la présentation de la nouvelle. Pour le reste, quant à moi, c'est académique.

Maintenant, la question que je veux vous poser. Vous, vous représentez des typographes, vous êtes dans les salles de... En tout cas, vous êtes dans les salles de rédaction.

Une voix: ...

M. Beaulne: Ma question est la suivante: Selon votre expérience, est-ce que la nouvelle est teintée, est-ce qu'elle est dirigée, est-ce qu'elle est orientée de différentes façons? Le contenu éditorial d'un journal a ses propres couleurs. Ça, c'est légitime, on les connaît, on en convient. On peut être en accord ou en désaccord, on connaît les couleurs de la rédaction de La Presse. Toutefois, il y a d'autres façons de présenter la nouvelle, soit en l'omettant, soit en modifiant les titres, soit en triant les lettres qui sont envoyées dans la section Lettres aux opinions, soit en la plaçant dans des pages de frontispice ou d'arrière du journal, en mettant des correctifs une semaine après pour corriger des informations qui ont été un peu biaisées. À La Presse, est-ce que ça se passe, ces choses-là?

M. Jannard (Maurice): Une salle de rédaction, c'est un milieu extrêmement vivant, et, le matin, les conversations sont très animées sur la présentation de notre quotidien, sur le travail que les journalistes ont fait et que les photographes, les graphistes ont fait. Je veux dire, on fait un retour systématique là-dessus, bien que les choix ne nous appartiennent pas, et la direction du journal pourra vous renseigner là-dessus.

Mais, de notre point de vue, on se dit: Nous, on représente assez bien l'ensemble du milieu francophone, une bonne partie du milieu francophone, où les électeurs sont partagés entre deux grandes tendances politiques. On se dit: Le journal, à l'exception de la page éditoriale qu'on dit toujours la page du propriétaire, l'ensemble du journal doit représenter la société québécoise de cette façon-là. Les pressions que les journalistes font vers la direction sont toujours dans ce sens-là.

M. Beaulne: Je conviens que les pressions, dans ce sens-là, ça fait partie de l'éthique professionnelle des journalistes. Mais est-ce que ces pressions sont écoutées ou s'il y a des dérogations? Parce que je pourrais vous en citer. Je ne les ai pas sous les yeux ici, mais je pourrais, simplement sur la base d'une petite compilation, comparer le contenu d'un texte avec le titre qui est souvent complètement déconnecté, partiellement déconnecté ou tendancieux par rapport au contenu de l'article. Et, quand on sait que bien souvent les lecteurs se contentent de lire le gros titre sans lire le détail de l'article, déjà à ce moment-là, de cette manière-là, la nouvelle est déjà influencée.

Alors, moi, la question que je vous pose: Ça, ce genre de choses là, est-ce que ça se produit à La Presse? Parce que c'est ce genre de questions là qui font que la concentration devient problématique ou non, entre autres.

Le Président (M. Rioux): Alors, est-ce que c'est une question qui appartient au propriétaire ou aux journalistes?

M. Jannard (Maurice): Je vais répondre seulement que ce sont des erreurs qui, je pense, arrivent. Je ne vous dirai pas que ça n'arrive pas qu'un titre ne soit pas conforme à un article, mais ce n'est pas la majorité des cas, c'est de loin l'exception.

Le Président (M. Rioux): Bien.

M. Jannard (Maurice): Pour être dans le milieu, je vous dirai que c'est de loin l'exception.

Le Président (M. Rioux): Alors, on va aller maintenant du côté de l'opposition. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci. Bienvenue, merci d'être là. Il est clair que, dans votre première recommandation, vous parlez d'une loi. Mais, en même temps, tout au long de votre mémoire, je considère que vous mettez plusieurs garde-fous. Je vais rappeler certains passages de votre mémoire. Vous commencez en saluant la volonté du premier ministre démissionnaire, Lucien Bouchard, de limiter les interventions de l'État dans le dossier pour protéger la liberté de presse. Vous nous indiquez également que vous nous invitez à ne pas intervenir dans ce qui se passe dans les salles de rédaction. Un peu plus loin, également, lorsque vous parlez de cette recommandation, vous nous dites bel et bien que c'est un exercice délicat qui devrait être accompli à l'abri des influences politiques. Or, dans votre mémoire également, vous ne l'avez pas lu à haute voix, mais vous mentionnez aussi les pressions qui ont été exercées, par exemple, par des militants du Parti québécois lors d'un conseil général avant Noël pour remettre en question la transaction de Gesca-Unimédia.

n(10 h 20)n

Ma question va être bien directe. Vous avez entendu comme moi la position gouvernementale jusqu'à maintenant. C'est une position qui dit: On ne peut pas intervenir dans le domaine de la propriété croisée. C'est une position gouvernementale également qui a salué la participation de la Caisse de dépôt et placement dans la transaction Quebecor-Vidéotron. Ma question, c'est: Lorsque vous demandez une loi, malgré tous les garde-fous que vous y mettez, est-ce que vous n'avez pas l'impression que, à l'aune politique dans laquelle nous sommes, vous êtes en train de demander une loi pour strictement encadrer la presse écrite et strictement encadrer Gesca dans la situation politique dans laquelle nous sommes?

Le Président (M. Rioux): M. Jannard.

M. Jannard (Maurice): Je vais répondre pour la question de la presse écrite, et peut-être que mon collègue Charles Côté pourra répondre sur la question de la propriété croisée.

Cette recommandation-là fait suite à une analyse de ce qui a été fait dans d'autres pays, et là-dessus, on a été très déçus. Au moment où il a été annoncé qu'il y avait une commission parlementaire, un groupe de travail au sein de notre salle de rédaction s'est mis à fonctionner et à préparer le mémoire, dès le début, lorsqu'il a été annoncé qu'il allait y avoir une commission parlementaire.

On a donc fait une analyse de ce qui se faisait ailleurs. Et la grande déception, c'est de voir que c'est au Canada et au Québec et dans les autres provinces où on a été le plus permissif. Et c'est en ce sens-là que l'on se dit ? je me répète: Il faut que cette tendance-là à la concentration cesse un jour. Et, pour nous, il y a des seuils qui, dans la loi, pourraient être définis correctement, mais on pense qu'il faut aller vers ça, c'est le but de cette recommandation-là, c'est sûr, et c'est dans ce sens-là qu'on vise les publications écrites.

M. Côté (Charles): Je vais compléter les réponses de mon collègue en disant que, nous, on ne propose pas de seuils dans notre mémoire, on est en très mauvaise position pour le faire, n'importe qui qui travaille dans un média au Québec est en mauvaise position parce qu'il travaille au sein d'un groupe qui a telle part du marché. S'il propose un seuil, bien, on va dire qu'il n'a pas la crédibilité pour le faire.

Toujours est-il que ce n'est pas des absolus non plus. Est-ce qu'on aime mieux avoir un média qui a 30 % du marché mais qui ne fait pas du travail de qualité, qui fait dans la marchandisation de l'information, ou avoir un média qui a 45 % du marché mais qui fait dans la qualité et qui investit réellement dans les reportages? Alors, ça, c'est toutes des questions qu'il faut examiner avant de fixer des seuils.

Deuxièmement, sur la propriété croisée, j'ai fait, il y a longtemps, des études de droit, puis, avec les circonvolutions de notre Constitution canadienne, je pense qu'il y a quelque part un moyen d'intervenir sur la propriété croisée. C'est-à-dire que peut-être le gouvernement du Québec, l'Assemblée nationale, a le droit de dire à un propriétaire de journal: Non, vous n'avez pas le droit d'être propriétaire d'une télé. Mais je reprends l'expression de la ministre en disant que la glace est peut-être mince. Je ne sais pas, je ne suis pas un expert en droit constitutionnel, mais je pense que c'est une voie à explorer quand même. Il ne faut pas dire, d'entrée de jeu, qu'on n'a aucune compétence là-dedans, l'Assemblée nationale a une Loi sur la presse, donc elle a exercé cette compétence-là dans le passé. Et, dans un contexte de convergence, peut-être que cette compétence-là pourrait rencontrer quelque part la compétence fédérale en disant: Le fédéral, vous réglementez les télés; Québec, vous réglementez la presse, puis, qu'est-ce que vous voulez, c'est en train de converger, tout ça.

Le Président (M. Rioux): Madame.

Mme Beauchamp: M. le président, un peu plus tôt, vous avez parlé d'angélisme par rapport au mémoire que vous nous présentez. Je comprends très bien votre réponse que vous venez de nous fournir. Je vous ai par ailleurs décrit un autre scénario que je considère possible également, à savoir: Dans le contexte actuel où le gouvernement du Québec est intervenu, via la Caisse de dépôt, activement pour favoriser une propriété croisée, dans un contexte où la ministre de la Culture et des Communications, au nom de l'Exécutif, nous dit qu'elle n'a pas le moyen d'intervention, je vous fait part d'un scénario pour lequel j'aimerais obtenir votre réaction par ailleurs. Comment vous allez réagir, comme employés syndiqués d'un média écrit, si l'intention gouvernementale, à partir de votre propre recommandation d'intervenir par législation, faisait en sorte que ça serait une législation qui encadrerait, par exemple, par des seuils uniquement la presse écrite?

M. Côté (Charles): S'il y a un endroit dans le mémoire où c'est vraiment expliqué, là, qu'on ne peut pas adopter une loi qui remettrait en cause une transaction et qui ne remettrait pas en cause l'autre, à mon avis, c'est l'impact sur la concentration, je veux dire, vos interventions dans les deux cas, si on juge que ça vaut une intervention dans un cas, ça le vaut dans l'autre aussi, ça, c'est sûr.

Le Président (M. Rioux): M. le député d'Anjou.

M. Lamoureux: Oui, merci beaucoup, M. le Président. Bonjour. Merci de votre présentation. Je vais revenir à votre recommandation, la première. À la toute fin, vous dites: «Cette loi pourra en outre garantir le Québec contre la propriété étrangère des médias.» Je comprends ce que vous nous dites. C'est les journalistes du Journal de Montréal qui sont venus en commission nous exposer leur vision et qui nous disaient que, en ce qui les concernait, la garantie nécessaire était celle d'avoir une indépendance totale des journalistes dans leur travail et que cette indépendance-là aurait pour conséquence directe d'assurer que les médias en question refléteraient complètement la réalité québécoise. Autrement dit, et je pense que c'est Martin Leclerc qui nous avait donné l'exemple en disant: Écoutez, le propriétaire pourrait être Belge que ça ne changerait rien à la réalité d'ici et à la qualité du média visé. Et on nous avait donné comme exemple la revue L'actualité qui n'est pas la propriété de gens du Québec mais qui reflète, évidemment, la réalité québécoise.

Je voudrais vous entendre là-dessus parce qu'il y a de vos collègues qui nous ont dit que ce n'était pas une préoccupation, mais que l'indépendance des salles de presse était suffisante. Dans le fond, c'était la condition tout à fait nécessaire et incontournable pour arriver à nos fins, et vous, vous nous arrivez avec une solution qui est différente. Je voudrais vous entendre là-dessus.

Le Président (M. Rioux): M. Jannard.

M. Jannard (Maurice): Cette partie de la législation touche beaucoup plus, je pense ? et c'est évidemment de juridiction fédérale, je sais qu'on le répète souvent, mais... ? la question des télécommunications, des moyens électroniques de diffusion et, en ce sens-là, c'est beaucoup plus ce côté-là qui est visé que du côté de la presse écrite où il y a des exemples de propriété étrangère de magazines qui circulent amplement ici, dont le public a un vaste choix.

Le Président (M. Rioux): M. le député d'Anjou.

M. Lamoureux: Oui. C'est parce que je ne comprends pas vraiment votre réponse dans le sens que, je pense, il y a également les gens de TVA qui nous avaient mentionné... ils disaient: Écoutez, les émissions les plus écoutées au Québec, ce sont des émissions produites ici, en français, avec des gens d'ici qui reflètent la réalité d'ici. Quand bien même qu'on achèterait une chaîne de télévision, je verrais très mal qu'on se mette à nous passer des émissions produites ailleurs. Je pense que ça ne répondrait pas au besoin fondamental des gens d'ici. Les gens se détourneraient. Ça fait que, dans le fond, moi, ce que je veux savoir, c'est quel est le but poursuivi par vous en disant que vous voudriez empêcher cette propriété-là. Dans le fond, je veux entendre vos arguments. Vous avez peut-être raison. Je veux dire, M. Bourassa avait déjà... le Parti libéral, également, avait pris des positions là-dessus. Je ne vous dis pas que vous êtes dans l'erreur, mais je voudrais, dans le fond, que vous puissiez m'apporter de l'eau au moulin, si on veut.

Le Président (M. Rioux): M. Côté.

M. Côté (Charles): Oui. C'est pour répondre aux arguments en particulier de Quebecor qui dit: Ça prend un groupe fort de propriété québécoise pour... Bon. C'est pour répondre à cet argument-là. Nous, sur la question de savoir si la propriété étrangère change le contenu ou pas, on ne s'est pas vraiment interrogés là-dessus. C'est juste pour dire que, cet argument-là, ça nous prend absolument un groupe dominant au Québec, qui va avoir une puissance démesurée, tout simplement, pour avoir une propriété québécoise. Nous, on dit que c'est peut-être préférable d'avoir quelqu'un de moins dominant puis d'essayer de s'arranger. Si on estime que la propriété québécoise est importante ? ça, c'est un autre débat complètement ? à ce moment-là, garantissons-le autrement qu'en sacrifiant la diversité.

M. Jannard (Maurice): Je peux ajouter, M. le Président, un élément de réponse à la question du député, parce que le sujet a été évoqué ici, devant la commission. On a parlé de la première transaction qui avait eu lieu entre Rogers et Vidéotron et cette transaction-là laissait le réseau TVA dans les mains de la famille Chagnon.

n(10 h 30)n

Le Président (M. Rioux): Bien, merci. J'ai lu avec beaucoup d'attention le mémoire que vous présentez puis je vous trouve vertueux. Ça, il n'y a pas de doute là-dessus. Puis vous venez plaider de façon rigoureuse la qualité de l'information, sa diversité, etc. Mais il reste que, sur l'essentiel, vous vous accommodez facilement de voir se profiler à l'horizon un duopole quand même impressionnant qui va ramasser l'essentiel de tout ce qui se fait en information au Québec. Ça n'a pas l'air à vous émouvoir plus qu'il faut, mais, par ailleurs, tu sais... Je comprends la situation dans laquelle vous vivez, je n'ai pas de problème à comprendre ça, mais j'aimerais que vous soyez clair avec nous: Vous êtes capable de vivre avec la situation qui se dessine chez vous, mais vous avez de la misère à blairer ce qui se développe à Quebecor qui est... pour vous, Quebecor Média est une puissante machine à promotion. Vous êtes qui, alors, du côté de GESCA? M. Jannard.

M. Jannard (Maurice): Je pense, M. le Président, que votre perception ne correspond pas tout à fait à ce qui se passe à l'intérieur de notre salle de rédaction. Notre mémoire n'est pas un mémoire anti-Power Corporation, n'est pas un mémoire pour réclamer des meilleures conditions de travail, on fait ça dans le cadre de nos contrats de travail lors des renouvellements de conventions. Le mémoire que nous vous avons soumis, peut-être qu'il est... on peut le taxer d'angélique, de vertueux. Il présente plusieurs recommandations avec quelques-unes qui relèvent de notre côté et d'autres qui relèvent de l'Assemblée nationale et du Conseil de presse.

Le Président (M. Rioux): M. Jannard, moi, je ne vous fais pas de reproches, là, si vous parlez du fond d'information du Conseil de presse.

M. Jannard (Maurice): Ce que je veux...

Le Président (M. Rioux): Mais ce que vous nous suggérez de plus concret, c'est de gérer sur une base paritaire les salles de rédaction, où vous dites: Le syndicat devient, dans les circonstances, la garantie que vous allez avoir une information de qualité et que vous ne serez pas victimes d'ingérence, si on la gère paritairement.

Est-ce que, selon vous, c'est faisable, est-ce que c'est réaliste qu'un propriétaire va dire: Oui, je gère mon journal paritairement avec le syndicat?

M. Jannard (Maurice): Compte tenu du passé, de nos relations avec le propriétaire, la transaction qui a lieu nous inquiète. Je veux dire, le mémoire, je pense que notre mémoire donne une mauvaise idée si on ne passe pas ce message-là, parce que ce n'est pas ce qui se passe. L'assemblée syndicale, l'assemblée générale qui a débattu de cette question-là a été, je dirais, la plus animée des dernières années, elle a été la plus longue sûrement des dernières années. Le débat a été vif, toutes les positions se sont exprimées et celle qui l'emporte, c'est celle de l'inquiétude face à l'étendue de la concentration, parce que, là, notre propriétaire devient encore plus puissant.

Alors, nous, de notre côté, on essaie de s'armer selon ce que l'on connaît, qui est notre vécu quotidien et notre vécu d'employés, qui est celui de la convention collective. Et on propose le comité paritaire parce que, là, la donne est changée. Notre propriétaire a entre les mains une plus grande entreprise et on choisit cette voie-là justement pour essayer d'avoir une arme nouvelle face à un groupe qui va quand même être très puissant, il ne faut pas se le cacher: sept quotidiens sur 10 au Québec.

Le Président (M. Rioux): Donc, vous adhérez au discours de votre employeur, qui dit: Avec une grande entreprise, avec de puissants moyens, nous sommes mieux équipés pour garantir une information de qualité aux Québécois, nous sommes mieux équipés pour garantir la qualité et la diversité, et tout, et tout, et tout. Donc, vous adhérez à ce discours-là finalement?

M. Jannard (Maurice): Si les employés veillent au grain, oui. Il va falloir surveiller étroitement les promesses qui sont faites.

Le Président (M. Rioux): M. Côté.

M. Côté (Charles): Nos employeurs vont venir vous dire qu'effectivement, dans un grand groupe de presse, on a plus de moyens puis... Ce n'est pas une garantie de contenu de qualité. Puis, même on trouve que, nous, on pourrait faire plus avec ce qu'on a déjà puis... Mais sauf que, selon une étude d'un scientifique américain, dont j'assistais à la conférence en décembre... et puis j'ai été très convaincu par ce qu'il a dit, sauf que, avoir un groupe de sept quotidiens dans un marché de 300 millions d'habitants puis de je ne sais pas trop combien de métropoles aussi grandes que Montréal et avoir une chaîne de sept quotidiens dans un marché de 7 millions d'habitants, bon, ce n'est pas la même chose.

Bon, mais il y a des choix à faire là-dedans, il y a des choix sur la qualité, sur la diversité, sur tout ça. On est très mal placé pour les faire, mais ce sont des choix qu'il y a à faire, c'est des choses qu'il faut mettre dans la balance.

Partout sur la planète, on attache une liberté particulière au fait qu'il y a des propriétaires différents. On juge que c'est important. Est-ce qu'au Québec on va juger que ce n'est pas important? Peut-être, mais il faut être sûr de son affaire avant de s'avancer sur ce terrain-là.

Le Président (M. Rioux): M. le député de Marguerite-D'Youville, vous aviez manifesté le goût d'intervenir?

M. Beaulne: Oui, bien, c'est pour faire suite aux questions...

Le Président (M. Rioux): Il vous reste trois minutes.

M. Beaulne: ...oui, du président, c'est tout le fond de la question, ici. Nous, d'emblée, comme députés, on fait confiance à la profession, on sait que vous avez un code d'éthique que vous vous donnez vous-mêmes, que vous cherchez dans la mesure du possible à respecter.

Sauf que vous venez de nous dire que les employés étaient les meilleurs chiens de garde contre des pressions indues des directions. La question qu'on vous pose, nous, et une des choses qu'on examine à la commission, c'est, advenant qu'il y a quelque chose qui ne réponde pas à vos attentes, en dépit de votre comportement tout à fait exemplaire, quels sont les recours? Qu'est-ce que vous souhaitez comme mécanisme qui pourrait réajuster le tir et faire en sorte que des pressions indues ne s'exercent pas auprès des journalistes et auprès de ceux qui font la mise en page, enfin, au fond, sur l'ensemble de l'équipe? C'est ça, la question.

Le Président (M. Rioux): Alors, qui répond?

M. Jannard (Maurice): Pour nous, il est clair que les deux transactions qui ont eu lieu l'automne dernier, ont été annoncées l'automne dernier, et qui sont pratiquement complétées ont suscité un débat. D'abord, la première intervention est venue de la Fédération professionnelle des journalistes, et c'est certain que l'expérience au cours de la prochaine année est déterminante, parce qu'on va voir dès là qu'est-ce qui va se passer et je suis convaincu que, du côté de la FPJQ, maintenant que les transactions sont faites, en attente de la position du CRTC, là, dans le cas de la première, Vidéotron Quebecor, c'est sûr que la FPJQ, au prochain congrès, je veux dire, ça va être ça la cible, quel est le comportement des propriétaires, des nouveaux propriétaires maintenant dans la question de l'information et...

Le Président (M. Rioux): Merci.

M. Jannard (Maurice): ...je pense que débat est loin d'être fini. Il ne fait que commencer.

Le Président (M. Rioux): Merci. M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. Jannard, vous auriez pu répondre à la question du député de Marguerite-D'Youville, en faisant état de ce que vous entendez par un conseil de presse plus efficace. Vos propos là-dessus, enfin, moi, me paraissent ambigus, parce qu'on voit que vous souhaitez qu'il puisse avoir de meilleurs moyens financiers, de pouvoir influencer l'opinion publique dans le sens des valeurs dont on fait état ici, là. Mais, il n'y a pas de... cet organisme n'a toujours pas de pouvoir de réglementation.

Donc, quand vous dites que le rôle devrait être plus efficace, là, pouvez-vous clarifier vos propos là-dessus? Parce que c'est tout de même un organisme qui joue un rôle important dans ce processus-là, là.

Le Président (M. Rioux): M. Jannard.

n(10 h 40)n

M. Jannard (Maurice): Merci, M. le Président. Vos propos rejoignent exactement ce que nous pensons. Nous déplorons la situation actuelle qui existe au Conseil de presse, où, à toutes fins utiles, il n'y a qu'un groupe qui le finance, un seul groupe de journaux qui le finance, c'est celui de Power Corporation. Jusqu'à date, Quebecor s'est abstenu de financement. Vous avez entendu comme moi le président de Quebecor Média dire, expliquer pour quelles raisons, dans le passé, il n'ont pas financé, et je pense que ça tournait autour de la question qu'ils n'aimaient pas la composition du conseil d'administration. Alors, on est dans une position, nous, un peu malcommode, parce qu'on souhaite un renforcement de cet organisme-là. Il y a beaucoup de journalistes de La Presse qui ont été membres du conseil d'administration et qui sont encore membres du conseil d'administration. On sait que le Conseil de presse joue un rôle utile, que le public, quand une personne se sent lésée, y ferait appel, qu'il y a beaucoup de plaintes qui sont logées au Conseil de presse et que c'est un organisme très utile. Et c'est en ce sens-là, si le financement du Conseil de presse est laissé uniquement entre les mains des propriétaires de journaux, que ce n'est peut-être pas la situation idéale. C'est pour ça qu'on réclame une intervention plus directe, un moyen de financement plus contraignant.

Le Président (M. Rioux): Ça répond à votre question, M. le député? Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. On n'aura pas le temps d'aborder tous les sujets avec vous, mais je veux juste vous dire qu'on a pris bonne note de vos inquiétudes quant à la couverture régionale, quant à l'avenir de la presse canadienne, quant à l'impact également d'Internet dans votre profession. Puis on espère avoir le temps, on s'assurera d'avoir le temps avec les représentants de Gesca d'aborder ces points-là.

Mais j'aimerais vous entendre sur un point que vous abordez extrêmement rapidement dans votre mémoire, mais que les représentants du Syndicat du Soleil, eux, ont un peu plus élaboré, c'est la question de la libre circulation des textes entre les différents quotidiens, propriétaires de Gesca. Les représentants du Syndicat du Soleil ont appelé ça la ZLET, la Zone de libre-échange de textes. Mais on sentait de leur part une grande inquiétude, vous l'abordez... c'est un des points que vous abordez, là.

Bien sûr, vous réaffirmez l'indépendance des salles de rédaction puis vous prônez la limitation à la circulation des textes, mais, en même temps, je voudrais vous entendre développer là-dessus, parce que vous avez aussi fait tantôt un plaidoyer sur la question de la qualité de l'information, la diversité de l'information accessible dans toutes les régions. Comment on fait l'équilibre entre l'accès pour les personnes en région non seulement à une information locale, mais à une information diversifiée et de qualité et ce plaidoyer que vous faites pour la limitation à la circulation des textes entre les quotidiens?

Le Président (M. Rioux): M. Jannard.

M. Jannard (Maurice): Merci, M. le Président. C'est une question très importante de Mme la députée. Puis, si vous permettez, je vais peut-être prendre du temps pour vous expliquer ce que l'on a fait et ce que l'on veut faire pour cette question qui est vitale. C'est sûr que, nous, au départ, quand je dis «nous, au départ», les employés de La Presse sont perçus comme étant les plus avantagés. Il y a de grands noms dans le journal La Presse parmi les journalistes et les chroniqueurs, et ces noms-là souvent sont perçus comme des menaces dans un marché régional, où souvent il y a une vedette locale. Alors, on fait face à ce problème-là.

Alors, la façon dont on le traite au niveau syndical est la suivante: cette question-là doit d'abord être abordée dans le cadre d'un renouvellement de convention. Ce n'est pas quelque chose que l'on traite à la pièce un matin en se levant. On profite du renouvellement de la convention parce qu'on sait que c'est un enjeu majeur. L'employeur est en demande là-dessus, ça fait partie évidemment de sa volonté de créer une espèce de chaîne de quotidiens où les textes peuvent circuler.

Ce que l'on a fait, nous, à La Presse, la dernière fois, c'est qu'on a négocié une entente type pour la circulation des textes au sein du groupe Gesca, alors qui comprend donc La Presse, Le Nouvelliste, de Trois-Rivières, La Tribune, de Sherbrooke et La Voix de l'Est, à Granby. Nous avons rencontré... nous avons donc élaboré un texte que nous avons présenté à l'employeur, mais ce texte-là... nous avons rencontré toutes les salles de rédaction des trois autres pour leur dire: Voici ce que, nous, on a l'intention de faire. Il y a deux quotidiens du groupe qui ont accepté notre démarche et qui ont intégré le texte sur la libre circulation des articles. À Granby, ils ont refusé. Alors, c'est la façon dont on a procédé.

Là, on se trouve avec un groupe élargi et le problème, la question pour nous est exactement du même ordre. Cette question-là ne peut pas être décidée par un seul syndicat, par une seule salle de rédaction. Ça nécessite plusieurs rencontres entre toutes les salles de rédaction et c'est ce que nous allons faire. Nous avons commencé hier. Nous profitons du fait que nous sommes pratiquement ici tous les employés syndiqués aujourd'hui pour... Et on s'est rencontré hier, il y a eu une première rencontre et il va y en avoir d'autres, parce que cette question-là est vitale et parce qu'on comprend très bien les journaux régionaux de mettre un frein ou, pour le moins, de contrôler goutte à goutte ce qui pourrait venir de Montréal et de Québec.

Le Président (M. Rioux): Bien.

Mme Beauchamp: Juste terminer en disant qu'on est sensibles à cette grande préoccupation, on la sent importante, mais j'avais aussi compris ça du côté du Syndicat du Soleil que, en ce moment, ça reste une question de relations syndicales-patronales, et c'est discuté dans ce contexte-là.

M. Jannard (Maurice): Exactement, oui.

Mme Beauchamp: Merci.

Le Président (M. Rioux): Alors, j'aimerais vous remercier, M. Jannard et vos collègues.

M. Jannard (Maurice): C'est moi qui vous remercie.

Le Président (M. Rioux): Et je suis heureux d'apprendre que, finalement, les travaux de la commission servent votre cause. Vous pouvez tous vous rencontrer et vous parler, employeurs comme travailleurs. Alors, merci beaucoup de votre venue ici.

Alors, j'inviterais tout de suite le Regroupement des syndicats de Gesca à prendre place.

Bonjour, Mme Prince. Prenez place et présentez-nous vos collègues, ceux qui vous accompagnent. Vous êtes nombreux.

Regroupement des syndicats de Gesca

Mme Prince (Monique): Il reste deux autres personnes à faire approcher, mais je ne sais pas où on peut les installer.

Le Président (M. Rioux): Alors, quand vous sortez, vous sortez en équipe.

Mme Prince (Monique): Oui.

Le Président (M. Rioux): C'est bien.

Mme Prince (Monique): C'est beaucoup de syndicats, hein.

Le Président (M. Rioux): C'est meilleur pour la sécurité de tout le monde. Alors voilà. Allez, madame.

Mme Prince (Monique): Alors voilà, M. le Président, Mme la ministre, Mmes, MM. les députés, merci de nous recevoir aujourd'hui. Alors, je suis Monique Prince. Je suis coordonnatrice du Regroupement des syndicats de Gesca. Je suis aussi vice-présidente à la FNC et je travaille et je suis membre du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse.

J'ai à mes côtés et qui prendront la parole: Normand Boivin, à ma droite, président du Syndicat des employés de bureau et de l'information du Progrès du Saguenay, c'est pour le journal Le Quotidien et l'hebdo Progrès-Dimanche; j'ai, à ma gauche, Pierre Jury, président du Syndicat des travailleurs de l'information du Droit; et, à l'extrême droite, M. Guy Veillette, président du Syndicat de l'information du Nouvelliste. Mais sont également présents et ils seront disponibles pour répondre à vos questions, Mme Pierrette Roy, adjointe au président du Syndicat des employés de La Tribune; M. Fernand Bélanger, trésorier du Syndicat national des employés de La Voix de l'Est. Il y a également, mais ils sont dans la salle, là, Gaétan Simard, président du Syndicat des employés de l'imprimerie du Progrès du Saguenay; Louis Tremblay, vice-président de la FNC et membre du Syndicat des employés de bureau et de l'information du Progrès du Saguenay; de même que Louis Larivière, président du Syndicat des employés de la publicité de La Presse.

n(10 h 50)n

Le Président (M. Rioux): Alors, c'est presque un conventum.

Mme Prince (Monique): Écoutez, nous sommes neuf et, quelque part, nous représentons 33 syndicats qui existent au sein des...

Le Président (M. Rioux): Considérable. Alors, on vous écoute pendant 20 minutes.

Mme Prince (Monique): Alors, les représentants des 30 syndicats CSN et FTQ accrédités dans les journaux appartenant au nouveau groupe de presse Gesca ont préparé un texte dans lequel ils expriment leur point de vue sur les récentes transactions. Bien sûr, toutes les questions liées au traitement de l'information nous préoccupent, mais, d'entrée de jeu, nous voulons exprimer nos craintes quant au maintien de dizaines d'emplois dans les différentes régions où sont implantés nos quotidiens.

Ce sont ces préoccupations communes, qui ont fait l'objet d'une concertation des 30 syndicats CSN et FTQ accrédités dans les journaux appartenant au nouveau groupe de presse Gesca, qui vous sont présentées dans le premier chapitre de notre mémoire. Dans les trois chapitres subséquents, des représentants de nos syndicats vous feront part d'observations plus spécifiques vous permettant de mieux évaluer la justesse des préoccupations de ceux et celles qui devront vivre les impacts et les conséquences de la mise en place d'un réseau de presse écrite qui contrôle 52 % du tirage quotidien francophone au Québec, un niveau sans précédent. Tout en adhérant au chapitre commun, le premier chapitre, le Syndicat de la rédaction du Soleil et le Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse ont préparé des présentations plus élaborées et sont venus vous les présenter directement.

Alors, voici d'abord une déclaration commune. Évidemment, le Bureau fédéral de la concurrence n'a pas vu de problèmes avec la transaction du groupe Gesca, ce qui fait que les syndicats doivent prendre acte de la concrétisation de la transaction. En fait, nous sommes placés devant le fait accompli: le ministre des Finances, responsable des dossiers économiques du gouvernement du Québec et prochain premier ministre, M. Bernard Landry, a déjà, sans consultations, donné sa bénédiction à l'acquisition des trois quotidiens d'UniMédia par le groupe Gesca.

Contrairement aux déclarations du ministre quelques semaines avant l'annonce de cette transaction, nous ne croyons pas que l'éthique capitaliste soit un rempart suffisant pour guider la gestion d'un secteur économique aussi névralgique que celui de la presse écrite. Nous estimons que les empires de presse doivent demeurer au service des Québécois, que ce soit dans les grands centres ou les régions, et que les gouvernements fédéral et provincial doivent tout mettre en oeuvre pour empêcher une éventuelle prise de contrôle par des intérêts étrangers. Nous voulons attirer l'attention du gouvernement sur les risques induits par les récentes transactions. Nous ne répéterons jamais assez à quel point le niveau d'endettement des entreprises a des effets pervers sur les niveaux d'emploi, sans compter, dans le cas qui nous occupe, l'éventualité d'assister à des dérives de l'information vers l'uniformisation, le journalisme de complaisance et le divertissement. En raison de ces risques et parce que le Québec a besoin d'une presse libre et responsable, nous espérons que la présente commission pourra forcer les propriétaires à prendre publiquement un certain nombre d'engagements face aux communautés qu'ils desservent, face à leurs employés en général et à leurs journalistes en particulier. Alors, voici quelques inquiétudes qui sont communes à l'ensemble de nos syndicats face au niveau et à la qualité des emplois.

Au cours des années quatre-vingt-dix, nos médias d'information ont survécu tant bien que mal à un contexte économique difficile. Pour faire face aux augmentations du coût du papier, aux baisses de lignage publicitaire, différentes solutions ont été mises de l'avant, notamment la réduction du format des journaux, le non-remplacement des départs à la retraite ainsi qu'un recours systématique à une main-d'oeuvre à statut précaire. Dans toutes nos salles de rédaction, les ressources journalistiques ont diminué au cours de cette période et, dans certains cas, de manière drastique. Pendant ce temps, les employés syndiqués ont été appelés, lors des renouvellements de leurs conventions collectives, à faire plusieurs concessions quant à leurs conditions de travail.

La transaction qui fait passer les journaux d'UniMédia dans le giron de Gesca entraîne un niveau d'endettement significatif que nous évaluons à approximativement 150 millions; Gesca n'a jamais donné le chiffre officiel. Ce haut niveau d'endettement risque de provoquer des pressions à la baisse sur le niveau et la qualité des emplois. Phénomène encore plus inquiétant, lors de ce genre de transaction dans d'autres secteurs de l'activité économique, les grands gestionnaires réconfortent leurs actionnaires en les assurant d'économies significatives découlant de la synergie provoquée par les regroupements. Dans le présent cas, le président de Gesca, M. Guy Crevier, n'a toujours pas fait état de ces évaluations. Nous signalons à la commission que le nouveau groupe sera vraisemblablement tenté de réaliser de telles économies. Pas besoin d'être devin pour craindre des compressions dans les services administratifs des différents journaux. Le risque est grand, en effet, d'assister à une centralisation des services administratifs et de soutien au prix d'une réduction drastique du niveau d'emploi dans les régions.

Les mêmes inquiétudes s'appliquent à l'avenir des services de publicité dans chacun des quotidiens touchés par cette transaction. Si l'information journalistique constitue un rempart pour la vie démocratique, le service commercial d'un journal joue, quant à lui, un rôle de premier plan dans les économies locales. Il constitue le véhicule par lequel entreprises et commerces se font connaître. Encore là, il est essentiel que le client puisse maintenir un lien local direct avec les équipes de vente et le personnel de soutien à ces équipes.

Nous avons également des inquiétudes face à l'indépendance et à l'autonomie des salles de rédaction. Au moment de l'annonce de la transaction, le président de Gesca, M. Crevier, a promis qu'il maintiendrait l'indépendance et l'autonomie des salles de rédaction. Pourtant, la structure même de fonctionnement de la plupart de nos salles de rédaction ne donne pas aux journalistes des garanties suffisantes que cette promesse sera respectée. Il serait préférable et même souhaitable que la commission recommande au nouveau propriétaire, via des moyens à être négociés, de remettre entre les mains des journalistes un véritable pouvoir sur la gestion de la couverture de l'actualité. Nous convenons évidemment que les pages éditoriales conservent le rôle actuel qui permet au propriétaire, par l'entremise de ses cadres, d'exprimer son point de vue sur les différents débats de société.

Nous souhaitons obtenir les mêmes prérogatives advenant qu'il soit envisagé une libre circulation des textes entre les sept quotidiens et leur utilisation sur support papier ou électronique. Bien que ce genre de formule ait fait l'objet de négociations à certains endroits, il est clair qu'un bilan des expériences devra être fait avant d'en étendre l'utilisation à tout le réseau du nouveau groupe de presse.

Nos inquiétudes également face au choix de développement de l'entreprise. Si l'avenir est dans le multimédia, comme l'affirme notre président, la pratique journalistique devra s'adapter à de nouvelles contingences. Les journalistes souhaitent que ces changements se fassent au profit de la qualité de l'information et en vertu d'ententes qui puissent leur permettre de conserver un haut niveau de professionnalisme. De plus, l'amalgame information, divertissement, publicité, qui tend à s'imposer dans le réseau Internet, pose un nouveau défi auquel nous sommes certainement mal préparés. Dans ce nouvel environnement, quel sort réserve-t-on aux quotidiens régionaux? Si les deux quotidiens des grands centres sont des institutions, il faut en dire autant des quotidiens régionaux, qui, dans certains cas, constituent le seul véhicule d'information véritablement local dédié à sa communauté. Enfin, nous attirons l'attention de la commission sur l'avenir des imprimeries de Gesca, qui, dans plusieurs cas, constituent un élément essentiel pour la survie d'un journal. Permettez-nous de vous rappeler que le passé nous a enseigné que Power Corporation n'a jamais fait preuve d'une grande transparence quand vient le temps de faire part de ses projets de développement.

n(11 heures)n

Voici maintenant notre conclusion sous forme de demande commune des syndicats à la commission. Nous connaissons les limites d'intervention d'une commission parlementaire. Par contre, nous sommes convaincus de la justesse de nos inquiétudes et des effets possibles de cette transaction. Ce sont, en grande partie, les syndiqués que nous représentons qui devront faire de cette transaction une réussite au quotidien.

Notre présentation aujourd'hui s'inscrit dans un contexte particulier. Notre propriétaire a procédé à une transaction qui lui accorde un rang important dans le marché des journaux francophones au Québec. Nous constatons cependant qu'il fait face à la concurrence de Quebecor, lequel a pu, avec l'aide de la Caisse de dépôt, augmenter sa présence déjà importante dans le monde des médias au Québec.

Il est évident que la création de ces empires peut hypothéquer le fragile équilibre maintenu dans nos milieux de travail grâce à la capacité des syndicats de négocier sur la base d'un rapport de force à dimension humaine. Devant ce nouveau paysage médiatique qu'il a lui-même contribué à dessiner, le gouvernement doit maintenant prendre ses responsabilités. Nous croyons qu'il serait malvenu de se dissimuler derrière le bouclier de l'éthique capitaliste, qu'il doit poser des questions aux nouveaux propriétaires et les forcer à prendre des engagements publics fermes.

Inutile de rappeler que cette récente série de transactions est peut-être un dernier pas avant que les géants internationaux de l'industrie des communications s'implantent au Québec. Pour le maintien de l'originalité et de l'autonomie de chacun des quotidiens, du niveau d'emploi et des services commerciaux de qualité, la commission a le devoir d'exiger de Gesca et de Power Corporation des engagements coulés dans le béton qui, à nos yeux, ne mettront pas en cause la viabilité économique de chacune des entités. Alors, je cède la parole à mon collègue du Progrès du Saguenay, Normand Boivin.

M. Boivin (Normand): Bonjour. Ici, le mémoire qui a été rédigé a été fait au nom des employés du bureau de l'information du Progrès du Saguenay, qui compte 55 membres, ainsi que les employés de production, qui comptent 65 membres. Chez nous, il y a la présence d'un autre syndicat, qui est les représentants commerciaux, qui, eux, n'ont pas manifesté le désir de se faire entendre de la commission.

Alors, on vous rappelle que chez nous Le Quotidien est un journal qui tire à 3 600 copies en semaine, et on a une septième édition, mais qui est en fait un hebdomadaire, le Progrès Dimanche, qui est un hebdomadaire vendu qui tire à 47 200 copies le dimanche. Alors, nous sommes présents sur la scène régionale sept jours par semaine.

Historiquement, le Progrès du Saguenay est une entreprise qui dessert la population du Saguenay?Lac-Saint-Jean depuis 113 ans, et ce type de propriété, qui était autrefois une propriété locale, d'intérêts locaux, a favorisé la participation aux débats régionaux et une solidarité populaire vis-à-vis des forces hors région. Sur le plan du journalisme des faits, les sujets ont varié évidemment selon l'actualité locale.

Au début des années soixante-dix, il y a eu un profond changement chez nous alors que... Lorsqu'on est passé entre les mains des frères Gilbert, qui dirigeaient Le Soleil, notre section régionale était consacrée au Saguenay?Lac-Saint-Jean. Il y a eu une espèce de cohabitation jusqu'au jour où Le Soleil a décidé d'abandonner sa section régionale pour créer un journal quotidien le 1er octobre 1973. Alors, Le Soleil est sorti du marché pour faire place à un quotidien exclusivement local.

Depuis ce temps, Le Quotidien et Progrès Dimanche ont été de toutes les transactions impliquant Le Soleil avec UniMédia, ensuite Hollinger et maintenant Gesca. Or, à chacune de ces transactions, le nouvel acquéreur a toujours été présenté comme ayant plus de moyens technologiques et financiers que le précédent, mais les investissements majeurs se sont toujours fait attendre, tant et si bien que les équipements actuels auraient besoin d'une mise à niveau.

L'important, pour nous, c'est d'abord de desservir une population locale. L'intégration technologique du Quotidien avec Le Soleil et LeDroit a amené l'échange et la duplication de textes et de photographies dans plusieurs publications en même temps. Actuellement, la façon dont ça fonctionne, c'est qu'en milieu d'après-midi les chefs de nouvelles du Quotidien et du Soleil communiquent entre eux pour donner un peu le menu, leur budget en soirée, le budget de ce qui s'en vient, et chacun dit à l'autre ce qui va l'intéresser et les textes qu'il voudrait obtenir.

Alors, maintenant qu'on fait partie d'un groupe qui veut étendre ce genre d'échange là, nous, ce qu'on ne veut pas, c'est qu'à un moment donné ça fasse en sorte que, par exemple, ce soit Gesca et La Presse qui déterminent quelles vont être les priorités de couverture au Progrès du Saguenay parce que eux veulent avoir des textes. C'est le genre de piège dans lequel on veut éviter de tomber. Alors, on parle de maintenir l'indépendance des salles de rédaction.

Outre cette inquiétude-là, de ne pas avoir d'ingérence de la part des salles de rédaction, par exemple de La Presse, chez nous, les journalistes souhaitent aussi que soit maintenue une priorité pour les textes qu'ils rédigent lors d'événements qui attirent des confrères à l'extérieur. C'est déjà arrivé, par exemple, lors des pluies diluviennes de 1996, lors des élections fédérales et d'événements sportifs. Alors, l'indépendance de la rédaction doit être assurée concrètement, y inclus par rapport à la politique éditoriale de la direction locale ou des nouveaux propriétaires.

On a vu récemment que c'était très important qu'il y ait une distinction entre l'éditorial et la rédaction lorsque le premier ministre du Québec et le ministre des Finances ont attaqué directement les éditorialistes de nos publications. Ça nous a permis, aux journalistes de la rédaction, de remettre à l'avant-scène la nécessaire distinction qui doit être établie entre la fonction éditoriale et la pratique journalistique rédactionnelle basée sur la recherche des faits et leur mise en perspective. Mais ça, c'est beau, le discours, mais ça prend des moyens aussi pour qu'il y ait une information basée sur les faits et pas seulement de l'éditorial et du commentaire. Alors, une diminution éventuelle du nombre déjà réduit de journalistes de la rédaction et d'employés menacerait ce droit de la population à une information dénuée de commentaires et de partisanerie.

Sur le plan de la préoccupation aussi, il y a le... Le Progrès du Saguenay possède sa propre imprimerie, et on sait un petit peu qu'est-ce qui se passe avec les gros empires où il y a peut-être tendance à vouloir tout concentrer. Alors, l'imprimerie du Progrès du Saguenay emploie 65 personnes et elle imprime non seulement nos journaux, mais aussi des hebdomadaires du Lac-Saint-Jean et de la Mauricie et elle a aussi des contrats importants, par exemple le Prions en l'église. Lors de la signature de leur dernière convention collective en 1995, les employés de l'atelier avaient accepté un gel salarial et des réductions de leurs conditions de travail pour que la direction de l'imprimerie mette tout en oeuvre pour répondre avec succès aux appels d'offres des contrats d'impression. Alors, ce qu'on craint, c'est que la vente de l'entreprise au groupe Gesca amène la centralisation des activités d'imprimerie dans un grand centre, ce qui serait un désastre pour nos emplois et une menace à moyen terme pour nos journaux, parce que nous croyons que l'imprimerie du Progrès du Saguenay a développé une expertise des plus enviables, et ce, grâce aux efforts de tous depuis cinq ans, et on refuse de perdre le résultat de tout ce travail.

Enfin, on voudrait aussi attirer l'attention de la commission sur les dangers qu'il y aurait à concentrer, à centraliser l'administration à Montréal et on veut éviter que cette transaction-là fasse en sorte que, par exemple, les petites annonces ou le travail de bureau déménagent et que ça cause des pertes d'emplois chez nous. Je vous remercie.

Le Président (M. Rioux): Alors, peut-être qu'on aura l'occasion, pendant la période de questions, de revenir sur l'aspect régional, la régionalisation, et l'importance de desservir les régions en termes d'information de qualité. Alors, Mme la ministre.

Mme Maltais: Merci, M. le Président. Alors...

Une voix: ...

Le Président (M. Rioux): Mais votre temps est écoulé. Alors, Mme la ministre.

Mme Maltais: Merci, M. le Président. Alors, j'espère qu'au fil de la discussion vous aurez l'occasion de nous lancer les quelques pistes qui nous manquent dans votre mémoire, Mme Prince. Bienvenue. Bienvenue aussi à vos collègues. C'est intéressant de voir aujourd'hui la position commune de deux groupes qui étaient autrefois distincts, qui étaient peut-être, amusons-nous à dire, en compétition. Ça veut dire qu'on sait que Le Soleil et La Presse, c'étaient quand même deux grands journaux nationaux qui étaient autrefois campés sur leur position, et deux groupes aussi avec leurs antennes régionales... Enfin, excusez-moi, leurs journaux régionaux, mais, au niveau de la propriété, des antennes régionales, même si je sais bien que, individuellement, chacun avait sa position éditoriale.

Certains groupes sont venus nous rencontrer ici. Je me rappelle de la vice-présidente de Quebecor qui nous disait que le passé est garant de l'avenir. Alors, cette fois-ci, on va pouvoir examiner le passé. On a devant nous deux groupes au passé distinct, puisqu'il y avait deux propriétés distinctes. On sait qu'il y a déjà eu des acquisitions dans le passé, particulièrement dans le groupe Gesca. Je pense que ça serait intéressant pour la commission d'entendre quel a été le passé. On nous parle de renouvellement de convention collective difficile, bon, mais c'est peut-être à cause de... On nous parle plutôt... on relie ça à des difficultés économiques, mais, quand il s'est passé des acquisitions dans vos groupes, je pense particulièrement au groupe Gesca parce que vous demandez... Le nouveau propriétaire est Gesca, donc c'est celui dont on devrait normalement voir le mieux le type de fonctionnement de ce qui s'est passé dans le passé.

n(11 h 10)n

Alors, qu'est-ce qui s'est passé? Est-ce qu'il y a eu fusion des salles de rédaction? Est-ce qu'il y a eu contrôle éditorial? Enfin, nous, ce qui nous intéresse, comprenons bien, c'est la qualité et la diversité des voix, la qualité et la diversité de l'information, mais du nombre de voix, la pluralité des voix au Québec. Alors, je ne parle pas, là, des services administratifs, ou tout ça, mais, au niveau de la qualité et de la diversité des voix, y a-t-il eu des gestes qui pourraient nous expliquer un peu toutes les appréhensions que vous avez? Et, si vous désirez des engagements publics... Vous parlez de coulés dans le béton, «engagements publics ? c'est votre expression ? coulés dans le béton», qu'est-ce que la commission peut demander? Est-ce que c'est simplement une affirmation ici, devant la commission, ou si on peut aller plus loin?

Le Président (M. Rioux): Alors, Mme Prince.

Mme Prince (Monique): Merci. Pour répondre à cette question, j'aimerais donner la chance à mon collègue de Trois-Rivières, Guy Veillette, de vous parler un peu de la situation des journaux de Gesca, qui étaient les anciens syndicats de Gesca, donc qui parlaient au nom de la Voix de l'Est et La Tribune et Le Nouvelliste. Et, pour compléter la réponse, je crois que Pierre Jury, du Droit d'Ottawa, pourra apporter le volet par rapport à UniMédia.

Le Président (M. Rioux): L'idée est bonne. L'idée est bonne, et on va les écouter d'ailleurs.

M. Veillette (Guy): Alors, M. le Président, messieurs dames, bon, en ce qui a trait à l'ingérence, au passé, notre vécu dans la famille Gesca, ce n'est pas des... on n'a pas vécu des gros scandales à ce niveau-là. Les inquiétudes surviennent surtout depuis l'entrée... la possibilité, maintenant, que le groupe a avec l'échange de textes... ce qu'on appelle communément la clause Gesca, la libre circulation des textes. Jusqu'à maintenant, on n'a peut-être pas lieu de s'alarmer, sauf qu'il y a trois nouveaux quotidiens qui entrent dans le groupe. Et puis, très récemment, là, on a toutes sortes de rumeurs qui courent au journal. On va avoir des gros changements chez nous à compter de la mi-mars au niveau de la maquette et du contenu, et puis ce qu'on entend, c'est que nos chroniqueurs vidéo, cinéma, livres, ça va tout sauter, puis c'est les gens de Montréal, dorénavant, qui... Ils vont prendre des textes des chroniqueurs de Montréal pour faire ça dans notre région, puis ça, évidemment, les gens sont consternés par ça. Mais, bon, pour revenir à votre question, là, sur le passé, en tout cas à ma connaissance, il n'y a pas eu d'intrusion malsaine dans nos salles de rédaction de la part des autres quotidiens du groupe.

Le Président (M. Rioux): Alors, vous craignez, au fond, que ce soient des gens de Montréal qui écrivent dans votre journal ce qui se passe comme vie culturelle dans votre coin.

M. Veillette (Guy): Bien, ça, c'est un exemple.

Le Président (M. Rioux): Mme la ministre.

Mme Maltais: Oui. Tout simplement, M. le Président, j'aimerais beaucoup avoir des informations concernant la deuxième question. C'est-à-dire quand vous nous parlez d'engagements coulés dans le béton, qu'est-ce que vous voyez de façon plus précise, une déclaration?

Le Président (M. Rioux): Alors, qui parle, Mme Prince?

Mme Prince (Monique): Bien, écoutez, étant donné qu'on a travaillé avec une trentaine de syndicats, on n'est pas allés dans notre réflexion jusqu'à dire que le gouvernement doit y aller d'une loi. On ne serait pas contre une loi, mais, si vous alliez vers cette intervention-là, nous aurions besoin de revoir l'ensemble du dossier et de nous exprimer dans ce sens-là.

Le Président (M. Rioux): Très bien. Oui, madame.

Mme Maltais: M. le Président, excusez-moi, c'est parce que je veux vraiment... Vous nous avez dit: Le gouvernement devra ou la commission... la commission devra exiger de Gesca des engagements publics qui devraient être coulés dans le béton. Des engagements publics. Ce que j'essaie de savoir, c'est: Est-ce que ce serait suffisant pour vous d'avoir une déclaration en commission de Gesca disant: Nous allons faire ceci, ceci, ceci, nous y engageons, si vous cherchez une forme écrite? En fait, je cherche ce que vous attendez de la commission face à Gesca finalement.

Mme Prince (Monique): C'est difficile pour nous de vous répondre, dans le sens où M. Crevier a fait déjà des déclarations publiques, a fait déjà des déclarations en privé, devant les membres des salles de rédaction dans tous les journaux, il va vous faire, cet après-midi, les mêmes déclarations, mais qui va s'assurer qu'il respecte ses engagements? C'est notre question. Le Syndicat de La Presse, le Syndicat des journalistes de La Presse est arrivé avec une proposition qui peut être... en tout cas, qu'on pourrait étudier. Les syndicats de La Tribune, de La Voix de l'Est et du Nouvelliste ont aussi une proposition dans leur partie de mémoire que, malheureusement, on n'a pas eu le temps de vous lire. Il y a aussi une proposition dans le sens qu'il y ait quelqu'un qui puisse... qu'il y ait un mécanisme qui puisse nous permettre de régler nos différends.

Le Président (M. Rioux): Moi, je ne veux pas répondre à votre place à la question de la ministre, mais vous semblez dire dans votre mémoire, je le regardais encore hier: Est-ce qu'il y a moyen de bétonner quelque chose pour que les entreprises de presse et leurs gestionnaires, quand ils prennent des engagements... Il faudrait que la commission pense à un mécanisme pour qu'ils les respectent.

Mme Prince (Monique): Oui.

Le Président (M. Rioux): Bon. O.K. Au moins, on se comprend.

Mme Prince (Monique): Oui, c'est ce qu'on voulait dire.

Le Président (M. Rioux): Très bien. M. le député d'Iberville.

M. Bergeron: Merci, M. le Président. Tantôt, lors du précédent mémoire, on a parlé d'un certain angélisme. Ce mémoire-ci, madame, messieurs, on pourrait dire, c'est le mémoire de l'inquiétude ou le mémoire des inquiétudes. Dans un premier temps, on parle de la main-d'oeuvre à statut précaire. Précédemment, nous avons entendu des gens de l'AJIQ nous parler de leurs conditions. J'aimerais vous entendre là-dessus, est-ce que, dans les médias que vous représentez, c'est une pratique courante de renoncer aux droits d'auteur puis de vendre à rabais des services?

Le Président (M. Rioux): ...

Mme Prince (Monique): Il faut comprendre que la pratique d'avoir recours à des pigistes, ce qu'on appelle communément des «pigistes», s'est vraiment développée dans les années quatre-vingt-dix. Ça a toujours existé, il y a toujours eu... un journal comme La Presse a toujours eu des collaborateurs, généralement des gens spécialisés dans des secteurs spécialisés. mais ça s'est développé juste dans le sens de main-d'oeuvre à bon marché dans les années quatre-vingt-dix pour carrément boucher des trous étant donné que la main-d'oeuvre régulière permanente, il n'y avait pas de... Bon, il y a le phénomène d'attrition, et donc on a vraiment travaillé avec des salles au minimum. Donc, c'était une main-d'oeuvre d'appoint, carrément, qui s'est ajoutée, qui s'est développée dans les années quatre-vingt-dix. Ils ont de gros problèmes de droits d'auteur, effectivement, parce que les journaux comme La Presse, ça ne paie pas la valeur de ce qu'ils donnent.

Le Président (M. Rioux): M. le député d'Iberville.

M. Bergeron: Oui. Donc, vous parlez de La Presse, est-ce que c'est une pratique qui est aussi courante dans les hebdos régionaux? Et, je veux revenir aussi dans le chapitre II ? et ça a été esquissé par monsieur du Saguenay ? desservir la population locale, donc vous avez des inquiétudes là-dessus. Et, dites-moi, pour qu'on puisse maintenir en région une information de qualité, une information convenable, j'imagine que, présentement, il y a des carences à ce niveau-là.

M. Boivin (Normand): Ça prend des moyens. Je vais vous donner un exemple, avec le propriétaire précédent, Hollinger, lorsque Conrad Black s'est porté acquéreur des journaux chez nous, il a mis tout le monde au régime, et ça a été empiré lorsqu'il a décidé de créer son National Post, parce que, à ce moment-là, les journaux de l'empire de Conrad Black, les journaux du Québec, sont devenus des machines à générer des profits pour permettre de renflouer le National Post qui est encore aujourd'hui déficitaire.

Alors, qu'est-ce qui s'est passé pendant ce temps-là? C'est que nous, les journalistes au Saguenay, on a travaillé avec le minimum de moyens, on a travaillé tout le temps à bout de souffle pour maintenir une certaine qualité d'information. Ce qui nous aide, nous, c'est qu'on a un plancher d'emploi en bas duquel ils n'ont jamais pu aller, mais les départs pour vacances étaient souvent remplacés à moitié, remplacés au quart ou pas du tout remplacés, etc., pour permettre d'augmenter les profits de l'entreprise pour renflouer le National Post.

Alors, qu'est-ce qui arrive dans ce temps-là avec l'information régionale? C'est évident qu'on n'a plus les moyens de faire de l'enquête. On n'a plus les moyens, on se limite à éteindre des feux. Alors, c'est ça quand on parle de qualité d'information locale, c'est qu'il faut que, en faisant partie d'un groupe comme Gesca... Bon, l'employeur a manifesté le goût de générer des économies, parfait, mais que cet argent-là, au moins, soit réinvesti dans les salles de rédaction et que ces économies-là ne servent pas à enrichir un propriétaire ou à renflouer un journal national, parce qu'il faut que l'argent serve dans les régions.

Le Président (M. Rioux): Merci. Mme la députée de Sauvé.

n(11 h 20)n

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Toute la question est de savoir si le passé est garant de l'avenir. Dans votre mémoire, vous nous parlez de vos inquiétudes quant, par exemple, à la qualité de la couverture régionale. Un peu plus tôt, on a pu entendre un représentant dire qu'il n'y avait pas, en tout cas, une grosse histoire d'intervention active dans les questions de couverture régionale, si j'ai bien compris votre réponse. Puis, en même temps, dans votre mémoire, vous nous dites, là, carrément que, «même si le président du groupe Gesca, M. Guy Crevier, nous a fait sentir à plus d'une occasion qu'il s'agissait d'une réelle préoccupation pour lui», la question de la couverture régionale... vous dites: «La réalité que nous vivons depuis le début de son mandat nous amène à affirmer que les ressources des journaux régionaux sont surtout utilisées pour servir La Presse.»

Or, la réponse tantôt ne m'amène pas à cette conclusion-là. Pourtant, vous l'écrivez noir sur blanc que c'est l'impression que ça vous donne. J'ai un peu de difficultés à suivre, parce que, par ailleurs, vous semblez dire qu'il n'y a pas eu d'histoires de grande intervention, par exemple, du quotidien montréalais La Presse dans la direction de la couverture des quotidiens régionaux puis, en même temps, vous affirmez, là, que c'est l'impression que ça vous donne que les quotidiens régionaux vont en venir à servir La Presse. Donc, j'aimerais ça que vous étayiez un peu qu'est-ce qui vous amène à affirmer une telle inquiétude.

M. Veillette (Guy): Un exemple... pardon.

Le Président (M. Rioux): Très bien, allez-y, monsieur.

M. Veillette (Guy): Ce que je mentionnais tout à l'heure au niveau des chroniqueurs, ça, c'est une inquiétude, là, puis, bon, ça semble être plus qu'une rumeur de ce qu'on a entendu. Et puis, un peu plus loin dans la partie de mémoire, on amène l'exemple du site cyberpresse où les journaux régionaux sont carrément banalisés par rapport à ce qui se passe au site de La Presse. Bon, il y a le site de La Presse et puis il y a les icônes, là, donnant accès aux quotidiens régionaux. Et puis, pas plus tard que jeudi dernier, il y a un journaliste, chez nous, qui a cliqué dans l'icône du Nouvelliste, et puis il a vu la une du journal de samedi apparaître. Alors, moi, je trouve que c'est de la banalisation, là, des quotidiens régionaux. Si on est banalisés à quatre, j'imagine qu'à sept on ne sera pas plus importants.

Le Président (M. Rioux): Alors, Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci. Je prends bonne note de l'exemple que vous nous donnez. Ce serait intéressant d'en discuter avec le représentant de Gesca. Je pense que le site Internet que vous décrivez, c'est un exemple qu'on prend en note, là, parce que le reste, la question de la rumeur, et tout ça, je comprends vos préoccupations, je voulais que vous étayiez, mais vous nous amenez un exemple dont on pourra discuter.

J'aimerais revenir sur la notion des engagements coulés dans le béton, parce que vous nous dites, dans le fond, que... votre mémoire s'articule vraiment vers cette notion d'engagement de la part des propriétaires, et, quand on a lu leur mémoire, on sait qu'il y a un certain nombre d'engagements dans ce mémoire-là. J'aimerais ça, vous réentendre un peu par rapport à cette notion, quand même, de «coulé dans le béton». Je vous rappelle, moi, des propos qu'a tenus une de vos collègues, qui est d'ailleurs ici encore ce matin, Mme Giguère, représentante du Syndicat du Soleil. Lorsque exactement la même question lui a été posée, Mme Giguère, de façon très spontanée, a répondu: Les meilleurs chiens de garde c'est nous, à savoir les représentants syndicaux. Et plusieurs mémoires font état qu'il y a là un rapport de force ? puis, d'ailleurs, je pense que votre présence de façon regroupée l'illustre également ? qui s'installe. Et, je me pose sincèrement la question, est-ce que le meilleur chien de garde par rapport aux engagements, ça ne reste pas les travailleurs de l'information, les différents employés que vous représentez et la structure syndicale que vous représentez?

Le Président (M. Rioux): Alors?

Une voix: Pierre va répondre.

M. Jury (Pierre): Alors, Pierre Jury, du journal LeDroit. Je voudrais mettre un bémol là-dessus. Mes collègues de La Presse ont fait référence à un comité paritaire, par exemple, qui pourrait, conjointement avec le Conseil de presse, devenir une sorte de chien de garde. Nous, on a une salle de nouvelles, on est 35 journalistes. Ce n'est pas rien, ce n'est pas ce qu'on voudrait être, mais on s'en satisfait présentement. L'idée d'un comité paritaire est, entre autres, venue de chez nous. Parce qu'on en a un, nous, qui est là depuis aussi longtemps que je suis là, il était là avant moi, et ça ne fonctionne pas très bien parce que, dans les petites salles comme chez nous et comme partout ailleurs, sauf au Soleil et à La Presse, il y a un essoufflement, j'ai l'impression. Chez nous, il y a un essoufflement qui est clair. Quand le patron ne veut pas discuter à la table de comité paritaire, bien on ne peut pas le forcer à en discuter. S'il y avait un joueur, un tiers parti comme le Conseil de presse, ça, ça serait plus intéressant, mais, chez nous, ce comité paritaire, qu'on appelle conseil d'information, c'est devenu une table où on discute de: Y a-tu assez de téléphones cellulaires dans la salle des nouvelles? Est-ce qu'on a des chaises qui ne sont pas brisées ou qui ont besoin d'être réparées? Sur des questions de logistique interne plutôt que d'une table où on discuterait des grands enjeux, des questions philosophiques, des grands débats.

Le dernier débat qui a été intéressant, ça a été la politique des voyages de presse, et c'est nous qui l'avons soulevée. Habituellement, c'est ça, à cette table-là c'est les syndiqués qui soulèvent des débats, des questions comme celle des voyages de presse et on est arrivés... on a fait cheminer le dossier, on est arrivés avec une proposition qui a été adoptée par l'employeur. Mais c'est une question qui... Vous savez, ce n'est pas les grands enjeux politiques au Québec là-dessus, là, mais sur... Est-ce qu'on couvre de façon équitable une campagne électorale? Je ne peux pas, moi, m'en remettre à cette seule table-là pour tirer des conclusions importantes. Alors, est-ce que les syndicats sont les chiens de garde? Ils en sont certainement et ils peuvent en être d'encore plus importants, mais il faut tenir compte de l'importance des salles et du fait que les gens ont tous leur travail à faire, et que la table syndicale n'est pas la seule table de salut, et il faut quelque chose d'autre. Il faut quelque chose de plus, et présentement le Conseil de presse du Québec, qui pourrait amener un élément de plus, n'a pas les ressources pour le faire.

Le Président (M. Rioux): Mme la députée, ça va?

Mme Beauchamp: Je vais céder la parole à mon collègue d'Outremont.

Le Président (M. Rioux): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Merci, M. le Président. Moi, je suis plutôt partisan d'une solution politique que d'une solution législative et, de ce point de vue là, je voudrais vous demander qu'est-ce que vous penseriez... comment évalueriez-vous, pour revenir à cette question du chien de garde, là, un renforcement du mandat du Conseil de presse et de ses moyens financiers qui lui donnerait, par exemple... parce que c'est vrai que les syndicats sont pour vous un moyen de défense, mais qui lui donnerait le devoir, l'obligation de faire rapport de tous les problèmes puis les inquiétudes ou les problèmes que vous avez mentionnés? Je pense, moi, que je ne connais pas vraiment le métier de journaliste, mais ce que vous avez mentionné au sujet des échanges de textes, c'est très intéressant, parce que c'est clair que les inquiétudes que vous manifestez sont, en bonne partie, des inquiétudes qui... Moi, en tout cas, j'ai de l'empathie pour ces inquiétudes-là. Bon. Mais est-ce que le Conseil de presse ne pourrait pas être un chien de garde efficace si on lui donnait des moyens financiers et si on lui donnait l'obligation de faire rapport annuellement à l'Assemblée nationale des plaintes qu'il aurait reçues, suite à quoi il pourrait y avoir des auditions, une commission parlementaire?

En d'autres mots, je me demande si on ne pourrait pas utiliser mieux le politique et l'Assemblée nationale et les commissions parlementaires à l'Assemblée nationale pour gérer un problème qui est, en fait, un problème de qualité de la vie civique ou civile, si vous voulez, là, en plus d'être celui de la liberté d'information et peut-être à des coûts, en particulier des coûts bureaucratiques, qui seraient peut-être un peu inférieurs à ce à quoi on aboutirait par la voie législative. Est-ce que ma question est claire?

Mme Prince (Monique): Oui. D'abord, les deux solutions doivent être regardées de près. Nous, comme je vous ai dit déjà dans une autre intervention, on ne s'est pas rendus jusque-là. On souhaite que la commission accouche de mécanismes. Si vous préférez la solution politique, ça peut être une voie, encore qu'on aurait des réserves. En tout cas, quand mes collègues de La Presse ont dit qu'on ne voudrait pas voir le gouvernement débarquer dans nos salles de rédaction, c'est clair que c'est une inquiétude qu'on a.

M. Laporte: ...pas politique au sens partisan, là, j'emploie politique au sens de gestion des valeurs civiles.

Mme Prince (Monique): Non, non, politique, je comprends politique au sens de la commission ici et puis... Non, je comprends très bien, mais je vous dis qu'on a quand même des réserves. Mais, on ne sait pas, on n'a pas poursuivi notre réflexion jusque-là. Mais on pense qu'il faut trouver une manière, et on reviendra vous donner la suite de nos réflexions lorsqu'il y aura quelque chose de plus précis sur lequel on pourra réagir.

n(11 h 30)n

M. Laporte: Parce que, sur la question des engagements des patrons, là, évidemment on peut penser à des déclarations officielles, même à l'église Notre-Dame, à Montréal... rituelles, là, mais, si ces engagements faisaient l'objet d'un examen annuel par le Conseil de presse, qui pourrait faire rapport à l'Assemblée nationale, on aurait là un pouvoir de levier sur ces patrons compte tenu du fait que des députés peuvent poser des questions, par exemple, à l'Assemblée nationale, n'est-ce pas, dire: J'ai une question, Mme la ministre, qui concerne le groupe Gesca. Puis on peut faire des choses comme ça. Donc, on peut utiliser le mécanisme politique, pas au sens du mécanisme du parti, là, pour assurer la conservation et la protection de valeurs auxquelles on est tous attachés.

Le Président (M. Rioux): Un contrôle parlementaire plutôt que législatif. C'est ça, M. le député d'Outremont?

M. Laporte: Si vous voulez placer ça comme ça, ça irait. Plutôt que gouvernemental.

Le Président (M. Rioux): O.K.

Mme Prince (Monique): Ma collègue, Pierrette Roy, de La Tribune, aimerait répondre.

Le Président (M. Rioux): Madame.

Mme Roy (Pierrette): Oui, Pierrette Roy, La Tribune. M. le Président, Mme la ministre, c'est une avenue, je pense, qui serait intéressante. Par ailleurs, je pense que, dans cette situation-là, pour s'assurer que la couleur ? puis pour nous, enfin, les quotidiens régionaux, c'est une couleur très importante ? régionale doit être maintenue. Il y a certainement aussi des mécanismes qui peuvent être envisagés dans nos unités respectives, nos groupes respectifs qui sont essentiellement, là, des avenues syndicales. Donc, nous, éventuellement, on peut penser, et ça pourrait faire l'objet d'une demande, à une espèce de plafonnement de contenu provenant de l'extérieur par rapport au contenu régional, de façon à ce que nous ne devenions pas, les sept journaux, une seule et même grande copie unique plus ou moins pâle, plus ou moins colorée. Donc, pour garder notre caractère régional, notre appartenance à une région. Et le fait que la région s'identifie beaucoup au journal local, ça pourrait être une avenue qui permettrait qu'on limite le nombre de textes publiés de la grande famille Gesca, la nouvelle famille Gesca.

Le Président (M. Rioux): Ça va, M. le député d'Outremont?

M. Laporte: C'est-à-dire qu'une fois que ces faits, n'est-ce pas, auraient été portés à l'attention du Conseil de presse par la profession des journalistes, parce que finalement vous avez le syndicat vous avez aussi vos convictions personnelles, vos responsabilités personnelles, ça peut même, dans un cas d'une région, être porté à l'attention du député de la région, qui en fera état à l'Assemblée nationale. Il y aurait donc là des dispositifs, des leviers qui pourraient ? je prends l'expression de ma collègue de Sauvé ? peut-être renforcer le rapport de force qui existe déjà. Et, dans le cas dont vous parlez, c'est sûr que le risque qu'il y ait une homogénéisation est réel, mais il y a des moyens de la prévenir puis ensuite de ça de la combattre, sans nécessairement passer par un recours aux grands pouvoirs de l'État. C'est ça qui est ma vision de la réalité. Alors, je voulais savoir si, vous, ça vous rejoint. Moi, j'ai de l'empathie pour vous. Je voulais savoir si vous en avez pour moi.

Mme Roy (Pierrette): La formule dont je vous parlais était pour moi comme une première démarche préalable qui pourrait ensuite être réévaluée et corrigée selon... par la formule dont vous me parlez.

M. Laporte: Merci.

Le Président (M. Rioux): ...garder à l'année longue la qualité de l'information comme un sujet de débat public, parce que c'est intéressant. Il y va de la qualité...

M. Laporte: À l'année longue, c'est peut-être un peu fatigant, mais annuellement, disons, annuellement.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): C'est parce que vous n'avez pas été dans le métier, monsieur. Si vous étiez dans le métier, vous aimeriez un contrôle plus rigoureux et plus serré. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. Je pense que, de toute façon, le sentiment qu'on a présentement, c'est que le débat ne fait que commencer. Si tout le monde s'entend sur le grand principe de l'importance de la diversité de l'information, plus on arrive à la réalité concrète et quotidienne, plus on a de la difficulté à préciser ce qu'on veut, et ce n'est pas un reproche que je fais, c'est un constat. On sent dans votre mémoire très intéressant le poids énorme de l'histoire de chacun des journaux, mais aussi le poids énorme du quotidien. C'est pour ça que, si on pouvait faire un petit pas de plus vers la précision des mécaniques qui pourraient être envisagées, ça nous aiderait. Parce que, si vous êtes très prudent à cet égard, vous comprendrez qu'on risque de l'être encore plus et que ça nuise aux conclusions de nos travaux. Et je pense que la diversité de l'information, on s'entend là-dessus. Il y a deux moyens: soit agir sur la diversité de la propriété ou agir sur la protection de la liberté du journaliste de faire l'information qu'il juge pertinente.

Et, dans la protection du journaliste, est-ce qu'il suffit de s'en remettre aux conventions collectives? Il semblerait que non, quoique ce n'est pas précis. Est-ce qu'il faudrait que l'État édicte des règles d'éthique très précises et confie à un organisme quelconque, potentiellement le Conseil de presse, la surveillance de cela? Comment l'État peut-il le faire sans ingérence politique au sens partisan du terme? Alors, vous comprendrez que j'aimerais ça si vous pouviez aller un peu plus loin dans vos suggestions qui pourraient aider notre réflexion.

Le Président (M. Rioux): Alors, Mme Prince, à qui donnez-vous la parole?

Mme Prince (Monique): J'aimerais inviter mon collègue Pierre Jury à répondre à cette question-là.

M. Jury (Pierre): Je veux répondre à cette question de façon globale, générale et revenir sur le message d'inquiétude. Ça fait trois fois que LeDroit est vendu en 17, 18 ans. À chaque fois, on a vu des indications comme quoi la concentration ou ses effets plus pervers d'homogénéisation du contenu était pour se faire. En 1983, quand Jacques Francoeur a constitué le groupe UniMédia avec Le Soleil, Le Quotidien et nous, il voulait faire des économies d'échelle en réduisant les bureaux politiques, par exemple. LeDroit n'a plus de correspondant à Québec depuis à peu près ce temps-là. On avait un correspondant à Toronto parce qu'on chevauche les deux provinces, nos lecteurs sont au Québec, mais notre bureau est à Ottawa. Toronto aussi, c'est disparu dans ce temps-là.

Quand Conrad Black a acheté en 1987, 1988, il y a eu... ça a été surtout un effort de rationalisation des dépenses, mais tranquillement d'homogénéisation du contenu, c'est-à-dire que... Mais, présentement, vous ne le remarquez pas. Les textes voyagent chez nous et ceux du Quotidien sont souvent produits par des gens du Soleil. Mais qui se soucie de l'homogénéisation de l'information sur les pages touristiques de nos journaux? Très peu de personnes. Au niveau politique, beaucoup plus; au niveau des sports, pas trop. Mais on va en venir à ça.

Là, on se retrouve avec une autre prise de contrôle, cette fois-ci par Gesca, qui arrive avec des intentions beaucoup plus claires avec un projet de lettre d'entente pour faciliter les échanges de journaux, de textes dans les journaux, bien que M. Crevier du même coup se dise: Ah, non, je n'ai pas l'intention de vous imposer quoi que ce soit. C'est vous qui connaissez vos lecteurs, c'est vous qui connaissez votre marché et vous êtes les meilleurs pour décider. Je ne vous imposerai pas de publier la chronique de Pierre Foglia si vous n'en voulez pas ou la chronique de vidéo de La Presse. Nous, on n'en a pas entendu parler du tout, de ces intentions-là. On continue de fonctionner comme on fonctionnait avant. Alors, je suis très surpris mais aussi inquiet, et c'est le message d'inquiétude.

Alors, de passer à travers le Conseil de presse pour faire un certain chien de garde, pour baliser ces échanges-là, j'ai appris dernièrement, lors de nos échanges préalables, que les échanges au sein de Gesca avaient été jusqu'à maintenant assez minimes, très peu de textes. Et ça peut se compter combien de textes on passe de La Presse à La Tribune et de La Tribune à La Presse. comme nous, chez nous, on a pu le voir. Mais, comme je vous dis, ça s'est fait dans les pages touristiques. Bof! personne ne s'en est trop, trop inquiété.

Mais, si la tendance se maintient, et c'est là, l'inquiétude, c'est que ces textes qui sont peut-être 50 ou 100 présentement, bien, pourraient passer à 150, à 200, à 250. De là les balises à mettre éventuellement. Est-ce qu'il y a un chiffre, un plateau au-delà duquel... qu'il ne faut pas dépasser? Je ne sais pas, mais, au moins, que ce soit public, que ce soit su que ces échanges-là sont de plus en plus importants et qu'il faut... passé un certain seuil, mais que je ne peux pas chiffrer, il y a une homogénéisation de l'information qui devient trop grande, trop importante et surtout quand ça touche certains secteurs.

Le Président (M. Rioux): C'est bon. Vous soulevez quelque chose d'important. Madame.

Mme Beauchamp: Moi, je veux revenir sur une question très, très régionale que vous abordez dans votre mémoire et c'est l'aspect de l'imprimerie du Progrès du Saguenay et les inquiétudes que vous exprimez par rapport à sa survie dans un contexte où vous dites qu'il y a eu des compromis et des efforts de faits pour en assurer la rentabilité et l'essor dans un contexte où il y a eu aussi une annonce récente d'une entente avec Transcontinental pour l'impression de La Presse, j'aimerais peut-être vous entendre un peu plus sur cet aspect-là qui, j'imagine, est important dans la région.

Le Président (M. Rioux): Est-ce que vous avez un autre joueur pour intervenir là-dessus?

Mme Prince (Monique): On a un représentant ici de...

M. Boivin (Normand): Gaétan Simard est représentant de l'imprimerie.

Le Président (M. Rioux): Oui. Venez, monsieur. Organisez-vous pour faire bonne impression.

Des voix: Ha, ha, ha!

n(11 h 40)n

M. Simard (Gaétan): Oui, chez nous, ce qui nous inquiète, suite à ce que vous venez de dire, que La Presse veut faire imprimer chez Transcontinental, puis Transcontinental va investir dans les presses. Puis, pour imprimer La Presse, c'est peut-être trois heures par jour ou quatre heures par jour, ça fait que, pour rendre viable son investissement, il va falloir qu'ils trouvent des contrats.

Puis nous, chez nous, sur 18 heures d'impression par jour, on a 15 heures de contrats. Ça fait que ce n'est pas des contrats qui viennent de la région, c'est des contrats qui viennent de Montréal, le Prions en Église, ces choses-là. Nous autres, nos craintes, c'est qu'on perde ces contrats-là parce que Transcontinental va être un gros joueur puis va vouloir avoir ces contrats-là, c'est sûr, c'est facile à voir. Puis, en investissant chez nous, sur les presses, bien, peut-être qu'on serait un gros joueur aussi pour soumissionner sur ces contrats-là.

Le Président (M. Rioux): Bien. Madame.

Mme Beauchamp: Mais j'aimerais quand même ça aussi mesurer cette inquiétude-là à la lumière de ce qui s'est fait dans le passé. Si je ne me trompe pas, j'essaie de me retrouver, mais je crois que c'est La Tribune aussi qui a sa propre presse, sa propre imprimerie?

Mme Roy (Pierrette): On imprime aussi La Voix de l'Est.

Mme Beauchamp: Je joue à l'avocat du diable pendant quelques secondes, La Presse avait sûrement un plus fort volume d'impression, une plus grosse infrastructure à rentabiliser, même avant son entente avec Transcontinental, là, et pourtant ça n'a pas fait en sorte qu'on a ramené l'impression de La Tribune vers Montréal. La Tribune a gardé son imprimerie. Donc, vous comprenez ma question? J'essaie de mesurer ça, toujours dire: Il y a un passé, là, qui nous amène à examiner cette inquiétude-là. Ou peut-être qu'on peut aussi vous entendre, là, du côté de La Tribune, sur comment ça s'est passé, mais...

Mme Prince (Monique): Vous savez que La Tribune imprime La Voix de l'Est, alors...

Mme Roy (Pierrette): Et La Nouvelle, qui est un hebdo.

Mme Prince (Monique): Et La Nouvelle, qui est un hebdo.

Le Président (M. Rioux): Très bien... intervenant...

Mme Prince (Monique): M. Fernand Bélanger.

Le Président (M. Rioux): Oui, M. Bélanger.

M. Bélanger (Fernand): ...que le contexte est différent à La Tribune comparativement au Saguenay, c'est que La Tribune doit imprimer coup sur coup, à tous les jours, avec des heures de tombée différentes quand même relativement serrées La Voix de l'Est et enchaîner ensuite avec La Tribune. Donc, le contexte n'est pas tout à fait le même qu'au Saguenay.

Le Président (M. Rioux): O.K. Madame.

Mme Beauchamp: Bien, la différence de contexte, c'est que vous me dites que, vous, vous êtes déjà...

M. Bélanger (Fernand): Non, c'est deux quotidiens.

Mme Beauchamp: O.K.

M. Bélanger (Fernand): Donc, les contraintes sont différentes que pour les hebdos ou d'autres...

Une voix: Ou contrats commerciaux.

M. Boivin (Normand): Si vous me permettez une observation, c'est que ce n'est pas seulement aussi l'idée... Gaétan vous a mentionné que, sur 18 heures, il y a 15 heures de contrats. Ces 15 heures de contrats là font en sorte que l'entreprise dans son ensemble est plus rentable. Le jour où l'imprimerie ne sera plus aussi rentable à cause de ces contrats-là, les coûts fixes imputés au Quotidien et au Progrès-Dimanche vont augmenter. Ça va diminuer la rentabilité de ces journaux-là puis ça peut servir de prétexte, à un moment donné, pour le propriétaire de dire: Écoutez, l'entreprise n'est plus rentable, il faut couper dans l'information, il faut couper dans tout. C'est tout un château qui est très fragile et, si on enlève une pièce, c'est comme un château de cartes, tout peut s'écrouler. Alors, c'est pour ça que l'inquiétude des imprimeurs est partagée par tout le monde.

Le Président (M. Rioux): Le risque de perdre aussi une importante entreprise régionale.

M. Boivin (Normand): Évidemment, ça, puis en plus des emplois, là, c'est quand même beaucoup d'emplois.

Le Président (M. Rioux): Très bien. Alors, madame.

Mme Beauchamp: Est-ce qu'il me reste du temps? Oui?

Le Président (M. Rioux): Oui, il vous reste une petite question rapide, Mme la députée.

Mme Beauchamp: Merci. Je vais revenir sur la question du comité paritaire, parce que vous m'avez intriguée tantôt, vous en faites une proposition, puis, en même temps, vous nous dites: Ça ne marche pas vraiment bien.

Le Président (M. Rioux): Est-ce qu'il y aurait contradiction dans les termes?

Mme Beauchamp: Est-ce qu'il faut implanter partout une structure que vous êtes vous-même...

M. Jury (Pierre): Je vous rappelle que la proposition vient du Syndicat des journalistes de La Presse...

Mme Beauchamp: Mais on la retrouve aussi dans votre mémoire en conclusion.

M. Jury (Pierre): ...qui s'est inspiré, entre autres, de l'exemple chez nous pour dire: L'idée au départ est bonne. Oui, l'idée, au départ, était très bonne, mais après 15, 20 ans d'expérience chez nous, on en vient à conclure que, tout seul, ce comité paritaire là ne peut pas fonctionner si les deux parties à table sont de très bonne foi, s'il n'y a pas un chien de garde de l'extérieur qui vient regarder tout ça, qui vient observer. Alors, par exemple, on pourrait soulever les échanges qu'il y a entre LeDroit et les autres journaux de Gesca, mais avec le Conseil de presse qui vient derrière pour dire: Écoutez, là, vous avez atteint un niveau trop élevé. Mais là, présentement, il n'y a personne qui vient voir nos patrons pour leur dire ça. Mais, pour moi, il n'y a pas de signal d'alarme à donner, mais éventuellement peut-être qu'il pourrait y en avoir un. Alors, je ne veux pas que tout le monde pense: Ah, le comité paritaire, ah, bien, ça, ça va régler toute la situation, tout le problème. Non, on ne peut pas s'en remettre simplement qu'à ça.

Le Président (M. Rioux): Vous y adhérez à ce comité paritaire à des degrés divers selon les journaux.

M. Jury (Pierre): Tout à fait.

Le Président (M. Rioux): Ce que j'ai compris, moi, des intervenants de La Presse, c'est qu'ils voudraient bien que ce comité paritaire soit contractuel, donc soumis à la procédure de grief. C'est là, la différence.

Mme Prince (Monique): C'est ce qu'on a compris aussi, oui.

Le Président (M. Rioux): Là, il y a un peu plus de dents, je dirais. Si l'intention est de mordre, vous avez un outil. Alors, madame, messieurs, je vous remercie beaucoup, ça nous a fait plaisir de vous accueillir et on vous souhaite bonne chance.

Mme Prince (Monique): Merci beaucoup.

Le Président (M. Rioux): Alors, j'invite le Syndicat des travailleurs et des travailleuses du Lac-Saint-Jean et le Syndicat des travailleurs et travailleuses de L'Étoile du Lac.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Cusano): Nous reprenons nos travaux. À ce moment-ci, nous allons entendre le Syndicat des travailleurs et travailleuses du Lac-Saint-Jean et le Syndicat des travailleurs et travailleuses de L'Étoile du Lac. Je demanderais à M. Richard Plourde de bien s'identifier et d'identifier les personnes qui l'accompagnent.

Syndicat des travailleurs et travailleuses
du Lac-Saint-Jean et Syndicat des travailleurs
et travailleuses de L'Étoile du Lac

M. Plourde (Richard): Richard Plourde, président du Syndicat des travailleurs et travailleuses du journal Le Lac-Saint-Jean. À ma gauche, Lise Fortier, secrétaire de ce Syndicat et, à mon extrême gauche, Louis Tremblay, représentant de la Maison de la presse FNC-Chicoutimi.

Le Président (M. Cusano): Merci.

M. Tremblay (Louis): ...précisément président de la Fédération nationale des communications, en partie responsable des hebdomadaires et de certains dossiers régionaux.

Le Président (M. Cusano): Merci. M. Plourde, vous disposez de 20 minutes pour faire votre présentation et, suite à ça, il y aura un échange entre les parlementaires. Allez-y.

M. Plourde (Richard): Au cours du dernier mois, notre hebdomadaire, qui faisait partie de la famille UniMédia, a d'abord été vendu à Gesca puis à Transcontinental. À la suite de ces transactions, qui ont soulevé une certaine appréhension, un nombre important de points devront être éclaircis et précisés afin de préserver le fragile équilibre qui existe entre le journal et son milieu.

Notre présentation fait donc état de l'historique du journal Le Lac-Saint-Jean, de son fonctionnement au sein d'UniMédia, du marché régional, de l'histoire de notre Syndicat et de nos conditions de travail. Il ressort de cette présentation que le nombre actuel d'employés est un seuil en dessous duquel il est impossible de descendre sans mettre en péril la qualité du produit. Enfin, les membres de notre Syndicat veulent transmettre à la commission trois recommandations ayant trait au maintien des emplois, au respect de la structure actuelle de fonctionnement et à la nécessité d'obtenir, de la part de Transcontinental, l'engagement d'assurer un financement adéquat et des ressources suffisantes pour permettre l'expansion des trois hebdomadaires regroupés dans la division Lac-Saint-Jean?Mauricie.

n(11 h 50)n

C'est avec une certaine appréhension que nous avons appris la vente des hebdos UniMédia au groupe de presse Gesca en novembre 2000. Cette appréhension subsiste et s'est même intensifiée après la transaction de janvier dernier, laquelle nous a fait passer aux mains du Groupe Transcontinental. Bien que notre convention collective nous assure une protection, il subsiste un nombre important de points qui devront être éclaircis et précisés dans la conclusion de cette vente. Au-delà de nos emplois, il y a l'ensemble de la qualité du produit et la fidélité de desserte de notre clientèle qui sont en jeu.

Dans le cas précis du journal Le Lac-Saint-Jean, il aura fallu 60 ans pour bâtir semaine après semaine ce lien de confiance avec les annonceurs et informateurs qui en font un hebdomadaire apprécié et possédant un taux de lecture extrêmement élevé. En ce qui concerne L'Étoile du Lac, cet hebdomadaire compte quelque 85 ans d'existence et a développé le même sentiment d'appartenance dans son milieu.

En ce début du nouveau millénaire, un équilibre toujours fragile existe entre le journal et son milieu, et rien ne doit venir l'entraver. Fondé en 1941 par un groupe de gens d'affaires du milieu almatois, le journal Le Lac-Saint-Jean n'a jamais dérogé à sa première mission: être le reflet des gens de son milieu dans un cadre de qualité totale du produit. D'abord un hebdomadaire vendu, Le Lac-Saint-Jean a suivi les grandes tendances du marché et, au début des années 1985, devient gratuit. Après avoir changé de mains à quelques reprises au cours de son histoire, il devenait un journal hebdomadaire à part entière du groupe Les Hebdos UniMédia, en mars 1989. Le journal Le Lac-Saint-Jean est représentatif de cette forme médiatique. Il couvre en effet 100 % du territoire de la MRC Lac-Saint-Jean-Est et pénètre dans 100 % des foyers, soit une distribution de plus de 21 000 copies desservant une population de près de 55 000 habitants.

Jusqu'en 1989 ? là, il y a des petits correctifs ? c'est Les Éditions du Lac-Saint-Jean, l'imprimerie Polyforme et le journal Le Lac-Saint-Jean avaient connu une importante croissance et comptaient alors une centaine d'employés ainsi que ses propres presses lui permettant d'imprimer le journal et de réaliser des contrats commerciaux pour d'autres clients. La section imprimerie a cependant été démantelée à la suite de la vente au groupe UniMédia et l'impression des journaux Le Lac-Saint-Jean, L'Étoile du Lac et L'Écho de La Tuque a été confiée à la maison de la presse de Chicoutimi.

La division Polyforme Québec ? c'est de la formule d'affaires ? qui relevait du Lac-Saint-Jean a également été vendue. Pour le Lac-Saint-Jean, la conséquence directe a été une perte majeure d'emplois, lorsqu'on parle des pressiers, des encarteurs. Au sein des Hebdos UniMédia, la division Lac-Saint-Jean?Mauricie regroupait trois hebdomadaires et un service de distribution, Distribulac. De par son statut, le Lac-Saint-Jean était le chef de file au plan administratif et de la distribution pour les deux autres hebdomadaires de la division, soit L'Étoile du Lac, de Roberval, et L'Écho de La Tuque. Une même personne avec le titre d'éditeur et directeur général dirigeait le tout à partir des bureaux du journal Le Lac-Saint-Jean avec l'aide d'un directeur dans chacun des deux autres hebdomadaires et d'un directeur pour Distribulac. Chacune des salles de rédaction a toujours été indépendante, mais occasionnellement il y avait des échanges de textes journalistiques sur les sujets d'intérêt commun. Les textes publicitaires, quant à eux, sont généralement réalisés par Le Lac-Saint-Jean et revendus aux deux autres hebdomadaires.

Au fil des années, une toile médiatique s'est tissée sur l'ensemble de la région du Lac-Saint-Jean. La radio et la télévision ont développé des liens particuliers, mais, en ce qui concerne la question des journaux, la situation est plus complexe. D'abord, le journal Le Quotidien, de Chicoutimi, a un mandat régional bien précis et son marché publicitaire touche à l'ensemble des sous-marchés. Son affilié, l'hebdomadaire le Progrès-Dimanche, est distribué dans l'ensemble de la région et récolte ses revenus publicitaires dans l'ensemble des sous-marchés de la région. Quant aux hebdomadaires, après une guerre des marchés onéreuse et surtout inutile, les dirigeants de l'époque Quebecor et les frères Laval et Jeannot Boulianne, au lieu d'UniMédia, se sont partagé un territoire géographique en s'imposant mutuellement les frontières très précises respectant les territoires de MRC. Le Lac-Saint-Jean évolue donc dans un marché fermé, celui de la MRC Lac-Saint-Jean-Est, où le marché publicitaire est restreint, mais permet d'assurer adéquatement la survie des médias qui y puisent les revenus, ce qui veut dire la radio, télévision, le Progrès-Dimanche et Le Lac-Saint-Jean. Ça veut dire que, pour la MRC Lac-Saint-Jean-Est, à cette heure, il y a Quebecor, il y a Gesca et maintenant il y a Transcontinental.

Les travailleurs et les travailleuses des Éditions du Lac-Saint-Jean ltée se sont regroupés en un syndicat depuis le 22 août 1974. Ils étaient membres de l'Union typographique du Québec, l'I.T.U. En 1986, un nouveau certificat d'accréditation a été accordé et les travailleurs et travailleuses devenaient membres du Syndicat des travailleurs du journal Le Lac-Saint-Jean, CSN, membre de la Fédération nationale des communications. Présentement, ce syndicat représente 11 membres des sections de production, rédaction et secrétariat. Une requête en accréditation est actuellement à l'étude afin de regrouper les trois employés de la distribution travaillant au sein de Distribulac.

Au sein du journal Le Lac-Saint-Jean, les conditions de travail sont régies par une convention collective. Les employés de la rédaction, de la production, du secrétariat et du service des petites annonces sont membres du syndicat. Les conditions générales de travail de même que les salaires sont ajustés sur la moyenne québécoise en la matière dans les autres hebdomadaires syndiqués. Le tout repose sur un fragile équilibre entre le marché publicitaire et la capacité de l'entreprise à générer un chiffre d'affaires permettant de couvrir les frais de cette convention collective de travail et les frais généraux d'opération, tout en laissant une marge de profit acceptable au propriétaire. Après de multiples rationalisations, Le Lac-Saint-Jean fonctionne avec le minimum de personnel requis pour assurer ses opérations. Le nombre actuel d'employés est un seuil en dessous duquel il est impossible de descendre sans mettre en péril la qualité du produit.

Le Syndicat des travailleurs et des travailleuses du Lac-Saint-Jean et le Syndicat des travailleurs et travailleuses de L'Étoile du Lac aimeraient formuler les recommandations suivantes:

Premièrement, la conservation intégrale des emplois actuels dans les trois hebdomadaires et le respect de la convention collective de travail en vigueur dans les journaux où les employés sont représentés par un syndicat, ainsi que le respect des conditions de travail actuelles dans les journaux où il y a absence de syndicat. Parce que les trois journaux dont on fait partie, deux sont syndiqués, l'autre appartient... il n'a pas de syndicat, c'est tout le monde qui fait, bien, fait n'importe quoi, là. Un journaliste peut faire du montage ou... il n'y a pas de tâches, on pourrait dire.

Le respect intégral de la structure actuelle de fonctionnement. La division Lac-Saint-Jean, Mauricie doit être maintenue dans son intégralité, incluant l'administration et le rôle de chef de file pour le Lac-Saint-Jean afin de continuer à assurer la couverture du marché publicitaire du Lac-Saint-Jean et de la Mauricie. Il va de même pour Distribulac qui assure la distribution des trois hebdomadaires de cette division. La Maison de la presse, quant à elle, conserve son mandat régional de desserte en priorité du Saguenay, avec une percée au Lac-Saint-Jean. D'aucune façon, son mandat ne devra être élargi. Les salles de rédaction des trois hebdomadaires de la division Lac-Saint-Jean, Mauricie maintiennent leur totale et entière autonomie avec une collaboration occasionnelle sur des sujets d'intérêt commun.

Les conditions de développement. Attendu la mission, le marché publicitaire ciblé et le marché et le public concerné, une attention devra être portée à la gestion des hebdomadaires dans leur marché spécifique. Le groupe Transcontinental doit prendre l'engagement d'assurer un financement adéquat et des ressources suffisantes pour permettre l'expansion de ces hebdomadaires. Fin de mon intervention.

Le Président (M. Cusano): Merci. Je cède maintenant la parole au député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. Votre mémoire est particulièrement intéressant, en ce sens qu'il nous permet de connaître, de façon un peu plus précise, la situation au Saguenay?Lac-Saint-Jean et l'évolution de la situation. Si on met côte à côte votre mémoire et celui qu'on a entendu avant vous, et même les deux autres de ce matin, mais en particulier celui qu'on a entendu avant vous, si j'ai bien compris, quand on regarde un peu en arrière, on se rend compte que toute concentration dans le passé a amené à une diminution des moyens d'assurer la diversité de l'information.

Ça ne vous conduit pas jusqu'à la conclusion de dire: Il faut déconcentrer. Je comprends, c'est une recommandation qui est lourde de conséquences, mais il reste quand même que, le problème, il est de taille. On semble lire entre les lignes que, d'un côté, la concentration des moyens limite la diversité des moyens d'information, mais, d'une autre côté, augmenterait la qualité au chapitre du rapport coûts/produit de l'information. C'est-à-dire qu'on concentre l'information, on élimine certains journaux et les autres, on leur donne plus de moyens, ou peut-être pas non plus. Si on leur donne plus de moyens, on leur permet d'affronter mieux l'avenir. Donc, ce qu'on perd sur la diversité, on le gagnerait sur la qualité. Je ne sais pas. Comment vous démêlez tout ça?

n(12 heures)n

M. Plourde (Richard): Ah, c'est sûr que... Comme les autres interventions qu'il y a eu ce matin, elles ont... Comment je vous dirais ça? Comme nous, on a peur, peut-être, d'être dépouillés, tu sais, pour les autres journaux. Ça veut dire qu'ils vont nous en enlever à nous autres puis ils vont en donner plus à d'autres. C'est de ça qu'on a peur un peu, là.

M. Dion: Vous avez peur, pour l'avenir, qu'on fragilise encore plus vos salles de rédaction.

M. Plourde (Richard): C'est ça... complexe... pas l'administration, mais les syndiqués qui travaillent à l'administration ou au secrétariat, on a peur que ça soit centralisé puis que ce soit nous autres, les plus petits, qui y goûtions, parce que, si on recule dans le temps, avec les... Quand on a fait partie du groupe Unimédia, quand on a été acheté par eux autres, on a perdu des plumes encore. Puis là, on s'en vient avec... Bon, on a été pas longtemps avec Gesca, puis là, Gesca, maintenant, ils nous ont vendus à Transcontinental. Ce dont on a peur, c'est de ça, qu'on se retrouve puis qu'on soit vraiment limités dans nos moyens puis...

M. Dion: Et ce que vous recommandez, à la limite, vous dites: Faites en sorte que ça ne bouge plus ? c'est à peu près ça ? c'est-à-dire que la concentration ne continue pas et qu'on ne soit pas fragilisés. Mais votre dernière recommandation, c'est de dire: Le Groupe Transcontinental doit prendre l'engagement d'assurer un financement adéquat et des ressources suffisantes. Donc, il semblerait que la clé que vous mettez dans la porte pour assurer que ça ne bouge plus, c'est un engagement du Groupe Transcontinental. De quel engagement s'agirait-il? Comment est-ce qu'on pourrait le contrôler et tout ça?

Mme Fortier (Lise): Est-ce que je peux y aller?

Le Président (M. Cusano): Oui, allez-y.

Mme Fortier (Lise): Merci. Lise Fortier. C'est peut-être plus dans le sens, à ce moment-là, de conserver nos capitaux chez nous pour continuer d'investir dans l'entreprise même. Donc, si cet argent-là s'en va à l'extérieur puis qu'on ne réinvestit jamais dans notre entreprise... Nous, on a vécu des années de compressions puis de limitations dans nos moyens, que ce soit au point de vue administratif, où on allait strictement au principal. Alors, on aimerait ça devenir plus dynamiques, puis sans penser tout le temps qu'on est les derniers à être servis puis, bon, quelque chose comme ça.

Le Président (M. Cusano): Oui.

M. Dion: Oui. Comment pourrait-on, nous, ici à l'Assemblée nationale, atteindre cet objectif-là de protéger votre existence, quoi, l'existence des journaux? Parce que ce n'est pas seulement au Saguenay?Lac-Saint-Jean que cette situation existe...

M. Plourde (Richard): Non, non.

Mme Fortier (Lise): Non, c'est partout.

M. Dion: ...c'est un peu partout au Québec.

Mme Fortier (Lise): Oui.

M. Dion: Mais vous êtes un cas concret qui connaissez bien votre environnement. Alors, comment, nous, au niveau de l'Assemblée nationale ou au niveau de la commission, nous pourrions faire des recommandations qui iraient dans ce sens, c'est-à-dire des recommandations précises de moyens?

Mme Fortier (Lise): D'abord, je dois dire qu'avec le Groupe Transcontinental ? c'est peut-être bon de le souligner ? maintenant, il leur appartient ou ils ont près de 60 journaux, des hebdos gratuits, dans la province de Québec. Il y a à peu près, peut-être, trois régions qui ne sont pas desservies; je crois que c'est la Gaspésie, la Côte-Nord, puis il y a le Saguenay. Le Réveil appartient à Quebecor.

Suite à ça, c'est sûr que, à chaque fois qu'il y a un achat ou... Vu qu'on l'a déjà vécu, nous, je veux dire, à chaque fois qu'il y a un achat, une fusion, bon, du mouvement qui se fait dans ces secteurs-là, il y a une peur qui apparaît immédiatement; parce que, nous, on la connaît depuis longtemps, cette peur-là.

Premièrement, je peux parler au nom du journal L'Étoile du Lac, qui, lui, est à Roberval. Eux, quand il y a un mouvement dans l'administration ou quoi que ce soit ou dans la production, ont peur d'être centralisés à Alma. Nous, on a l'épée de Damoclès comme quoi... Dans le temps, on aurait pu être transférés à Chicoutimi pour l'administration. Chicoutimi craint Québec; Québec craint Montréal. C'est comme le petit poisson qui se fait manger par le plus gros, puis le plus gros, puis le plus gros, là. Moi, en tout cas, c'est l'idée que j'ai. Ça, on voudrait que ça arrête.

On voudrait continuer, même avoir plus de travail, parce que, moi, je travaille à l'administration, puis je dois vous dire que ça a coupé des postes, là, quand on a centralisé les paies à Montréal, on a centralisé bien des choses à Montréal du point de vue de la comptabilité. Ça fait que ce qu'on voudrait savoir, c'est: Une bonne fois pour toutes, on va-tu pouvoir continuer à travailler sans tout le temps avoir peur qu'ils viennent nous en chercher encore, puis nous en chercher encore, puis qu'on se ramasse avec des pertes d'emplois? On est 10, là, à temps plein. Quand on en perd un ou deux, ça paraît. Ça fait que, c'est ça, on veut continuer sans avoir la crainte toujours. D'abord, comme du point de vue des journalistes, avant il y avait trois journalistes à temps plein au journal Le Lac-Saint-Jean, maintenant on a deux journalistes à temps plein et on a un pigiste. Puis, à la production, je ne peux même pas... Ça a diminué de moitié aussi à cause du changement technologique, mais on a déjà eu la menace: Bon, bien, la production, on va envoyer ça dans une autre salle de production, soit à Chicoutimi ou... Là, je pense que la maison de La Presse vont peut-être vivre un problème aussi parce que, nous, on se faisait imprimer là. Mais là, Transcontinental ? on en a parlé tantôt ? ils sont équipés en imprimerie, ça fait qu'on ne sait pas l'avenir, là.

Le Président (M. Cusano): Merci, madame...

Mme Fortier (Lise): En tout cas, peut-être que Louis peut...

Le Président (M. Cusano): Brièvement, s'il vous plaît.

M. Tremblay (Louis): Peut-être me présenter à nouveau, Mme la députée, Louis Tremblay, vice-président de la Fédération nationale des communications, responsable des dossiers des hebdomadaires et des dossiers régionaux.

Peut-être pour vous donner un petit cours d'économie rapide dans le domaine de l'information, dans le domaine de la gestion de la business en tant que telle. Tantôt, Transcontinental va investir de l'argent à Montréal pour imprimer le journal La Presse. Ça, tout le monde est conscient de ça. Donc, Transcontinental, ce qu'ils vont faire, ils ne feront pas ni un ni deux ? ce n'est pas des gens qui vont aller jouer dans leur compte de banque pour payer tout ça ? Transcontinental, ce qu'ils vont faire, ils vont faire le tour de leurs journaux puis ils vont couper ici et là, 0,5 poste de journaliste, 0,3 poste d'employé de bureau. Ils vont faire ça pourquoi? Pour générer des revenus pour financer leurs nouveaux investissements. De la même façon que Quebecor a procédé avec la transaction quand ils ont fait la transaction avec Sun Media.

Ce dont on s'est rendu compte tranquillement pas vite ? nous, on le sait, parce que les gens qui perdent leurs emplois, c'est à nous qu'ils s'adressent ? wo!, un petit hebdomadaire, on avait décidé que là, maintenant, quand on faisait 32 pages, ce n'était plus trois journalistes puis deux secrétaires, c'était une secrétaire puis deux journalistes. Au Saguenay?Lac-Saint-Jean, Quebecor a perdu un contrat de 200 000 $, ils ont fait des coupures de 400 000 $. C'est de même que ça fonctionne, la business économique, c'est de même que ces gens-là gèrent. Et, en bout de ligne, ce sont des honnêtes pères de famille qui perdent leur emploi. Alors, c'est ça. Nos vraies inquiétudes, elles sont là, c'est sur le refinancement des acquisitions sur le dos des travailleurs.

Parce qu'il est toujours possible de faire un journal avec un demi-employé de moins, sauf que, quand tu en as deux puis que tu tombes à un et demi, je veux dire, c'est là qu'elle est, la réalité, et c'est là que le gouvernement doit trouver une façon pour les forcer ? il y a eu les barons de la forêt, les petits barons de la presse ? à respecter un peu plus les travailleurs et aussi à maintenir des emplois parce que, veux, veux pas, les profits réalisés au Lac-Saint-Jean, ils proviennent de l'économie locale, ils ne proviennent pas de l'économie de Montréal. L'économie, c'est le monsieur qui vend des voitures, c'est ces gens-là. Quand on parle de la ruralité, de la survie des régions, c'est tout ça qui est en cause là-dedans. Et c'est souvent à partir des régions qu'on va chercher des parts de financement importantes. Parce que c'est sûr que, si on coupe de façon importante dans des journaux plus en vue, c'est là que ça va crier. Alors, c'est là toute l'hypocrisie de ce système-là d'acquisition financé à partir des constituantes un peu plus petites qu'on achète. Dans le fond, les gens vont se repayer, c'est eux autres qui vont payer le journal à Transcontinental.

Le Président (M. Cusano): Merci.

M. Dion: Nous avons bien entendu votre cri d'alarme, merci beaucoup. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cusano): Merci, M. le député. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Bonjour, merci d'être là. Ça fait depuis le mois de janvier que vous êtes sous la propriété de Transcontinental. Concrètement, quels sont les signaux que vous avez eus depuis le mois de janvier et qui vous amènent à exprimer ces inquiétudes? Je prends le temps de vous dire qu'on vous écoute, on vous entend, mais on est aussi conscients que vous avez vécu... Votre cri d'alarme et tout ça ressemble à celui, par exemple, des syndiqués du Soleil qui ont aussi raconté comment ils ont eu l'impression, sous la propriété d'UniMédia, d'avoir servi de... C'est un peu ce que vous venez de nous décrire, du point de vue économique, que certains journaux ont financé d'autres projets, que ça soit au niveau d'infrastructures d'impression ou que ça soit, par exemple, dans le cas d'UniMédia pour financer le grand projet national.

n(12 h 10)n

Je comprends donc que tout ce passage-là sous la propriété d'UniMédia alimente vos craintes. Je sais aussi que la transaction sous Transcontinental, elle est toute récente, mais néanmoins je veux savoir: Avez-vous eu des discussions? Avez-vous eu des signaux? Quelle est votre perception actuellement, là, un mois et demi plus tard, de la situation sous la propriété de Transcontinental, concrètement?

Le Président (M. Cusano): Merci, Mme la députée. M. Plourde, vous allez répondre?

M. Plourde (Richard): Oui. Ce qu'on a su, c'est assez... ce n'est pas complet, c'est assez vague encore, on a eu peut-être un survol, c'est quoi Transcontinental, puis jusqu'où ils vont, jusque... Ils sont au Mexique, ils sont aux États-Unis, au Canada d'un océan à l'autre.

Mais, eux autres, Transcontinental, ils ont une ligne de pensée bien précise, parce que déjà l'image d'un journal va changer, parce que Transcontinental, c'est cette image-là. Ça veut dire qu'on avait une image qui était propre à notre coin de pays, on avait notre logo, puis là, présentement, c'est Transcontinental.

Les journaux, c'est tous le même côté graphique, la présentation graphique est identique peu importe que tu sois... Tu sais qu'en voyant l'en-tête du journal, tu vas voir que ça appartient à Transcontinental. C'est ça qui nous fait peur un peu. Et puis je sais que ce qu'on a su un peu, c'est qu'eux-autres... bon, un directeur de production doit gagner ça, un graphiste doit gagner ça, un journaliste doit gagner ça parce que, ailleurs, c'est ça qu'ils donnent.

Nous autres, on a peut-être un avantage, on est syndiqués, c'est-à-dire qu'on souhaite que notre convention ne soit pas dépouillée parce qu'on a changé de propriétaire. C'est un peu ça, la peur qui subsiste, puis ce qu'on sait, à peu près, là, de Transcontinental.

Le Président (M. Cusano): Merci, M. Plourde. Est-ce que vous avez une autre question, Mme la députée?

Mme Beauchamp: Oui. Par ailleurs, vous connaissez... autant votre collègue, là, nous a décrit comment, lui, décrit la question, ce qu'on pourrait appeler l'économique de ce secteur-là.

Vous connaissez aussi le plaidoyer, parce que le groupe Transcontinental, peut-être qu'on peut déplorer qu'on les ait reçus avant de vous entendre, mais le groupe Transcontinental, on les a déjà accueillis voilà maintenant environ deux semaines. Puis vous connaissez... Eux, leur façon de nous présenter la chose, c'est plutôt de dire: Voici un plus grand groupe, avec plus de moyens, pour assurer même l'indépendance des salles de rédaction, pour assurer la qualité de l'information, etc. J'aimerais vous entendre sur cette réalité-là. On sait que certaines transactions sont parfois saluées par des intervenants du milieu, que ce soit des journalistes, que ce soit le Conseil de presse, etc., justement en disant: Bien, quelqu'un avec plus de moyens peut plus garantir une qualité de l'information.

Je vais vous donner un exemple que sont venus nous amener les gens de Transcontinental. C'est le fait qu'ils ont quelqu'un qui est entièrement responsable au niveau de la formation des employés, puis ils disent que ça prend un joueur d'un certain calibre pour assurer... pour investir dans la formation des employés, pour investir dans le développement aussi d'un code d'éthique. Et, par la suite, en après-midi, il y a même eu un professeur d'université qui est venu saluer ce geste-là en disant, bon, que c'est le premier exemple qu'il voit d'un groupe de presse se donnant de tels outils qu'on peut qualifier d'autorégulation. J'aimerais vous entendre, là. Je vous amène l'autre version, parce qu'on n'a pas pu vous entendre dans la même journée que Transcontinental, mais si on vous avait entendus l'un à la suite de l'autre, vous savez que c'est cette version-là qui aurait été confrontée. Donc, j'aimerais vous entendre sur cette version-là que nous offrent les propriétaires de Transcontinental.

Le Président (M. Cusano): Je vous remercie. M. Plourde.

M. Plourde (Richard): C'est sûr que lorsqu'on a rédigé notre mémoire on ne savait absolument rien de Transcontinental, et puis là, bon, avec les semaines puis le temps, on a vu un peu leur vison de pensée, puis on a vu aussi qu'il y avait des personnes-ressources exprès pour la... ? voyons, excusez-moi ? la...

Mme Beauchamp: La formation?

M. Plourde (Richard): ...la formation, puis c'est là qu'on commence à voir c'est quoi, Transcontinental. Mais, lors de la rédaction du mémoire, on n'avait rien de...

Mme Beauchamp: Est-ce que vous avez pu prendre connaissance un peu de ce qu'ils sont venus nous dire, ici, voilà une dizaine de jours? Puis ce que je vous demande, c'est: Comment, maintenant... Je sais que c'est beaucoup mieux que vous ayez des échanges directs, là, j'en conviens, mais à la lumière de ce qu'ils nous ont dit, ici, est-ce que ça vous ferait changer des choses dans votre mémoire? Est-ce que ça vous ferait plutôt réaffirmer plus fort certaines choses dans votre mémoire? C'est ça que j'essaie de mesurer, là.

Le Président (M. Cusano): M. Plourde.

M. Plourde (Richard): C'est sûr que c'est peut-être l'avenir qui va nous le dire, là, on va peut-être changer de vision, on va peut-être... C'est plus l'avenir qui va être garant, là, de...

Mais, avec ce qu'on a connu du passé, c'est ça qui nous fait peur un peu, là, puis, comme on avance un petit peu à pas...

Le Président (M. Cusano): Merci.

M. Tremblay (Louis): Peut-être préciser...

Le Président (M. Cusano): Vous voulez ajouter?

M. Tremblay (Louis): ...à titre d'expérience, puisqu'on connaît un peu Transcontinental dans l'industrie, on les voit aller, là. Et peut-être que la commission parlementaire a été salutaire, a ouvert les yeux à ces gens-là, mais, historiquement, les gens de Transcontinental, ce n'est pas des gens qui sont reconnus pour être très sympathiques à la cause de la qualité de l'information, qui pourraient être très sympathiques à la cause des travailleurs. Dans l'industrie, vous allez poser la question à tout le monde puis demandez aux gens qui travaillent à l'impression, chez nous, s'ils veulent aller travailler pour Transcontinental, puis je ne suis pas convaincu qu'ils vont partir à la course pour y aller.

Peut-être que là, la commission parlementaire, c'est vertueux, puis ils se sont découverts des nouvelles affinités, mais ce n'est pas historique, ça ne fait pas 90 ans. Ça, là-dessus, ils peuvent bien vous conter ce qu'ils veulent, puis le professeur d'université peut vous dire ce qu'il veut, mais on la vit, la réalité de Transcontinental. On les voit évoluer dans l'industrie. S'ils s'améliorent, c'est tant mieux, mais le passé n'est pas garant de l'avenir dans leur cas; ils ont des preuves à faire.

Le Président (M. Cusano): Merci. Vous avez terminé, Mme la députée?

Mme Beauchamp: Oui.

Le Président (M. Cusano): Oui. M. le député d'Iberville.

M. Bergeron: Merci, M. le Président. Mesdames, messieurs, bienvenue à la commission de la culture. Là, si je comprends bien, vous parlez pour trois journaux: Le Lac-Saint-Jean, L'Étoile du Lac et un journal de La Tuque.

Une voix: Oui.

M. Bergeron: O.K. Donc, ça veut dire que ce sont des journaux qui sont bien implantés et dans des territoires qui sont bien déterminés comme... On parle de la MRC de Lac-Saint-Jean-Est. Moi, j'aimerais vous entendre parler de la couverture régionale en fin de compte, parce qu'il y en a un qui est à Roberval, l'autre est à Alma, l'autre est à La Tuque. Donc, il y a, d'une certaine façon, une dépendance face au milieu parce que ce sont des journaux gratuits. Donc, vous vivez de la publicité qui est dans ces journaux-là.

C'est peut-être une question un peu philosophique, mais dépendance versus indépendance, est-ce que c'est, à votre sens, une condition ? sans dire idéale ? facilitante pour qu'il y ait une indépendance au niveau de l'information? Et ça débouche sur la qualité de l'information, sur la qualité du journalisme d'enquête et toute la question de la représentativité du milieu. Donc, vous faites une bonne job ? grosso modo et de façon vulgarisée ? avec les moyens que vous avez présentement.

Mme Fortier (Lise); Vous voulez que je réponde?

Le Président (M. Cusano): Oui.

Mme Fortier (Lise): En étant des hebdos gratuits, c'est sûr que c'est limitatif, dans le sens qu'il y a un certain ratio de publicité à respecter versus le ratio de l'information. Donc, UniMédia avait son ratio, Transcontinental, je ne le connais pas. Si vous regardez le journal, vous avez une page, vous avez un petit coin d'information puis le reste, c'est de la publicité. Les gens se disent intéressés. C'est sûr que la qualité de l'information doit être là. Naturellement, c'est du local, c'est de la nouvelle locale qui est très importante pour les gens du milieu. Il faut quand même conserver une crédibilité, mais c'est toujours le ratio de publicité qui fait que des fois on a des contraintes, les journalistes peuvent avoir des contraintes.

C'est sûr que ce n'est pas mon département. Moi, je ne suis pas journaliste. S'il y en avait eu un, il aurait peut-être eu autre chose à rajouter. Sûrement. Parce que, moi, je suis plus à l'administration. Donc, c'est sûr qu'on a des craintes plus concentrées là-dessus, si on veut, comme je vous expliquais un peu tantôt. Mais du point de vue de l'information, si on demeure dans les mêmes ratios, ça va continuer comme c'est présentement.

Le Président (M. Cusano): Merci. Oui, M. le député d'Iberville.

M. Bergeron: Je suis d'accord que c'est de l'information locale, mais est-ce que vous avez les moyens pour faire ce qu'on peut appeler du journalisme d'enquête, le fouiller, puis, à un moment donné, voir ce qu'il y a en aval et en amont de la nouvelle?

Mme Fortier (Lise): Du journalisme d'enquête?

M. Bergeron: Oui.

n(12 h 20)n

Mme Fortier (Lise): Selon moi, non, parce qu'on est rendu à deux journalistes plus un pigiste puis, je veux dire, tant qu'on peut couper puis ménager, là... C'est mon idée.

M. Tremblay (Louis): Peut-être parce que... Je suis journaliste au Quotidien de Chicoutimi, en même temps qu'occuper mes fonctions, puis j'ai travaillé à Alma avec les gens du Lac-Saint-Jean. Je vais vous raconter une... Bien, c'est un peu de la légende locale, mais c'est vrai. Il y a eu une époque où le journal Le Lac-Saint-Jean, c'était un des plus beaux journaux au Québec. Dans le temps où l'avocat Simard était propriétaire du journal, lui, tout ce dont il se contentait, c'était des profits de la machine à liqueurs, un peu comme à l'époque du Réveil, avec le Dr Vaillancourt à Jonquière, une époque révolue, sauf que, évidemment, il y avait plus de moyens à l'époque. Je pense qu'il y avait quatre journalistes, des gens qui fouillaient.

Mais globalement, je peux vous dire que les gens qui font l'information dans ces trois journaux-là, pour la voir de l'extérieur, la lire, les connaître, c'est une information qui est correcte, qui est bien faite, qui est professionnelle. Puis je peux vous dire que les gens travaillent souvent... On se fait regarder des fois par les propriétaires de presse pour dire qu'on a des belles conventions chromées, mais dans ces hebdos-là, où les semaines de travail seraient normalement autour de 32, 34, 36 heures, généralement les gens qui sont au service d'information vont faire 40, 45 heures par semaine. C'est presque une vocation dans les hebdomadaires au Québec aujourd'hui de faire du journalisme.

Le Président (M. Cusano): Merci. M. le député de Matane.

M. Rioux: Vous avez évoqué tout à l'heure... M. Tremblay, c'est ça?

M. Tremblay (Louis): Oui.

M. Rioux: Vous avez évoqué tout à l'heure peut-être un aspect insidieux du métier et aussi un aspect insidieux de la business de presse. C'est vrai que, quand on a navigué un peu dans ces eaux-là, on finit par comprendre puis en prendre la température. Et vous disiez: Nous autres quand on a appris que nos moyens d'information tombaient entre les mains de Transcontinental... Vous avez eu des doutes. Il y a des doutes qui ont habité votre esprit en vertu du passé, disiez-vous. Évidemment, ils sont venus ici, en commission parlementaire, et puis ils ont fait un plaidoyer quand même intéressant, mais, au premier chef, ils ne veulent surtout pas que le gouvernement du Québec ou le Parlement du Québec intervienne pour gérer quoi que ce soit ou mettre quelque forme d'intervention permettant d'améliorer la qualité. Eux autres, ils trouvent que l'autorégulation est la meilleure affaire.

Mais je reviens précisément à ce que vous disiez tout à l'heure, et ça, c'est grave. Quand vous êtes trois journalistes, deux secrétaires, puis, à un moment donné, vous vous ramassez avec deux journalistes et une secrétaire pour faire le même journal, le même hebdo, ça commence à être sérieux, ça. Vous pouvez bien mettre toute la bonne volonté, mais il reste que la couverture ne pourra pas se faire de la même façon. Donc, il y a des coins que vous allez devoir tourner plus rond un peu, pas parce que le journaliste n'est pas un professionnel, pas parce qu'il n'a pas une volonté de faire son travail...

Le Président (M. Cusano): M. le député de Matane, je voudrais vous dire qu'il vous reste deux minutes. Si on veut donner l'opportunité à nos invités de répondre, posez votre question, s'il vous plaît.

M. Rioux: Vous m'excuserez, je formule un commentaire avant de poser ma question parce qu'il faut comprendre dans quoi on s'embarque quand on discute un dossier comme celui de la presse régionale. C'est qu'on le sait, c'est bourré d'annonces puis les journalistes écrivent leurs textes autour des annonces. Deuxièmement, si on n'y prend pas garde, je pense que la presse régionale... C'est là qu'est la question que je voudrais vous poser à partir de l'expérience que vous avez. On va oublier l'avenir, là, parce qu'on parle du présent. À partir de l'expérience que vous avez vécue, avez-vous l'impression qu'on s'en va vers des fermetures de journaux, alors qu'on souhaiterait qu'il y en ait qui viennent au monde? Parce que, si on veut une presse régionale vigoureuse, ça va prendre un peu de compétition aussi. C'est sain dans un marché d'avoir de la concurrence. Moi, j'aimerais que vous nous disiez, vous trois, là, comment vous voyez les choses?

Le Président (M. Cusano): M. le député, votre question est posée. Qui répond parmi vous? M. Tremblay.

M. Tremblay (Louis): Je vais y aller puis peut-être qu'ils expliqueront plus de points pour le secteur, parce que, moi, je parle pour l'ensemble des journaux régionaux du Québec.

Vous abordez la question de la compétition. Le gouvernement du Québec avait mis en place un programme d'aide pour du démarrage d'entreprise. Des subventions ont été accordées pour démarrer des journaux. Qu'est-ce que ça a fait au journal Le Réveil à Chicoutimi qui est une institution qui avait trois bureaux: La Baie, Chicoutimi et Jonquière, trois Réveil indépendants, avec leurs journalistes dans chaque bureau? Le compétiteur, à même les subventions du gouvernement, est arrivé dans le marché et a lancé une guerre de prix qui a obligé Le Réveil à suivre la compétition à la baisse. Le compétiteur est disparu sauf que les prix sont restés à la baisse et là, même si ça n'a pas fait mourir Le Réveil, il reste que ça a hypothéqué le journal qui fonctionnait bien.

C'est qu'on a des marchés fragiles dans les régions. Il y a des journaux qui sont en place, il y a du bon travail qui se fait et ces journaux-là ne seront pas nécessairement capables d'absorber la compétition. Ce qu'il faut, c'est qu'ils puissent se consolider. On parle de consolidation pour remplir leur rôle. Et, évidemment, la présence du gouvernement... Le gouvernement ne doit pas partir de nouveaux médias. Ça, je pense que c'est illogique de partir des nouveaux médias dans la situation des différents marchés des régions du Québec.

Le Président (M. Cusano): En terminant, M. Tremblay, s'il vous plaît.

M. Tremblay (Louis): Là où est-ce qu'il faut que le gouvernement essaie peut-être d'intervenir... On a parlé de... Les gens ont entendu parler d'un fonds spécial qui viendrait en aide à des journaux, des choses de même. Évidemment, va-t-il venir en aide aux journaux de Transcontinental? Ça, c'est une autre question. Mais il reste que la presse régionale hebdomadaire pour l'instant n'est pas dans une situation très rose et, souvent, les renégociation de conventions collectives vont sur des réductions de conditions de travail pour maintenir les marges de rentabilité des journaux. Et ça, ça va avec l'appétit des propriétaires qui, eux autres... Conrad Black, ça prenait 17 % de rentabilité après le BAIIA: bénéfice... amortissements et impôts.

Le Président (M. Cusano): Malheureusement, M. Tremblay, le temps est écoulé. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: M. le Président, en fait, si vous voulez poursuivre votre explication, faites-le sur mon temps, comme on dit. C'est intéressant.

M. Tremblay (Louis): Je vous remercie, madame. Et là, le propriétaire voulait de la rentabilité. Si Transcontinental fixe la rentabilité pour l'hebdomadaire Le Lac-Saint-Jean à 20 %, il va y avoir des petits problèmes tantôt parce qu'on sait que, au Québec, dans les médias, la rentabilité des journaux ? je ne parle pas de tous les journaux ? quand vous dépassez 12 %, 13 %, 14 %... Il n'y a pas de miracle à faire avec ça sauf que c'est stable, c'est des profits qui vont sur une base... qui peuvent être sur cinq, six ans, qui peuvent se maintenir. Il y a quand même une stabilité.

Mais dans les régions, il y a un problème sérieux. Quand je vous dis que Quebecor a mis la pression sur son réseau d'hebdomadaires régionaux pour amener de l'eau au moulin, pour absorber un peu la transaction avec Sun Media, c'est la vérité. Un jour, ils sont sortis avec une nouvelle politique, Quebecor. Ça prend... Pour 32 pages, c'est un journaliste et demi. Comme ils disaient tantôt ? les fameux critères ? une personne, qu'elle travaille à Sept-Îles ou qu'elle travaille à Chibougamau, elle gagne tant, dépendamment du marché. C'est là que c'est difficile de concevoir de faire fonctionner des journaux avec des critères mur à mur à la grandeur du Québec. C'est la même chose que les politiques gouvernementales qui s'appliquent seulement mur à mur. C'est la même situation qu'on vit et on est inquiet pour la presse régionale en ce moment, la presse hebdomadaire régionale qui, dans la majorité des cas et des municipalités au Québec, est le dernier moyen d'information sur lequel les gens peuvent appeler le journaliste pour lui parler puis ils peuvent appeler le vendeur d'annonces pour lui parler. C'est l'hebdomadaire local.

Et Dieu sait qu'il y a eu des hebdomadaires qui ont été vivants au Québec. Mais ces hebdomadaires-là, les propriétaires les ont vendus. Le Lac-Saint-Jean a été acheté par le groupe UniMédia pour acheter le marché publicitaire, au Lac-Saint-Jean, pour maintenir les prix publicitaires. Ils en ont profité, ils ont réduit les effectifs, ils ont centralisé toute l'impression ? chez nous, au journal ? et ça a été rentable en bout de ligne parce que... Par contre, ils ont maintenu des conditions de travail correctes pour les gens qui sont demeurés en place, mais il reste que ça a été une réduction encore.

Le Président (M. Cusano): En terminant, M. Tremblay.

M. Tremblay (Louis): Moi, j'ai terminé, monsieur.

Le Président (M. Cusano): Bon. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Je voudrais peut-être que vous précisiez un peu plus encore ce que vous avez dit tantôt au sujet de l'idée d'un fonds de soutien. Vous l'avez abordée, cette question, et vous n'êtes pas sans savoir que de très nombreux mémoires présentés devant cette commission nous interpellent en proposant la création d'un fonds où on indique que ce serait un fonds pour soutenir des quotidiens qui auraient une faible percée sur les marchés publicitaires. Mais on parle aussi d'un fonds pour la création de nouveaux journaux et, souvent, l'exemple qu'on nous donne, c'est les journaux en région. On nous donne souvent l'exemple d'ailleurs du journal qui n'a pas survécu dans la région du Bas-du-Fleuve, et tout ça.

n(12 h 30)n

Donc, vous venez de nous dire: Attention, il y a là un équilibre économique, dans les régions, qui est un équilibre fragile. Il ne faut pas rentrer là-dedans comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Allons-y avec beaucoup de précaution.

Mais j'aimerais ça vous entendre par ailleurs sur le fait que vous nous dites en même temps que les hebdos sont dans des situations des fois précaires et, en même temps, vous dites: Il faut faire attention dans le type de soutien qu'on leur apporterait. Ça fait que j'aimerais ça que vous reveniez là-dessus. Est-ce qu'on a bel et bien capté votre message que, vous, vous nous dites: Attention à la création de nouveaux journaux par une intervention gouvernementale?

Et l'autre chose, c'est... Après cette idée-là de la création de nouveaux journaux, j'aimerais ça vous entendre sur, par contre, l'idée d'un soutien à certains hebdos que vous décrivez vous-même comme manquant de moyens pour faire une information de qualité.

Le Président (M. Cusano): Merci. M. Tremblay, avant de vous céder la parole, puisqu'il est 12 h 30, j'ai besoin d'un consentement pour dépasser 12 h 30. Y a-t-il consentement pour dépasser 12 h 30?

Une voix: ...

Le Président (M. Cusano): Oui, il y a consentement. M. Tremblay, la parole et à vous.

M. Tremblay (Louis): À partir de l'expérience négative qui a été vécue au Saguenay, qui a coûté des emplois, je pense que là on voit clair sur ce que peut être l'intervention de l'État dans un marché. Par contre, notre problème de base... Si Quebecor me permettait de voir ses chiffres, là je pourrais comprendre si c'est l'économie locale qui précarise le journal parce qu'elle n'est pas assez forte pour le soutenir ou si c'est la tête de Sun Media qui précarise le journal local. J'ai un problème, là, je ne peux pas le savoir si le marché peut en supporter un autre parce que je n'ai pas accès aux chiffres.

Et, comme vous dites, dans la question du fameux fonds, moi, je suis de ceux à la Fédération nationale des communications qui pensent, à l'image un peu de ce qui s'est fait dans le fonds de la câblodistribution, qu'un tel fonds peut servir, mais il peut servir pas à faire n'importe quoi, pas à financer n'importe quel projet, pas à créer artificiellement des médias dans des marchés qui ne pourront pas les supporter. Parce que l'idée du fonds, il faut la comprendre, c'est bien beau de financer des gens, mais à un moment donné il faut que les gens viennent un peu à voler de leurs propres ailes. Je pense que, idéalement, ce serait, comme dans certains pays, que le gouvernement finance carrément des journaux, puis ça, ce n'est pas un problème, sauf que ce n'est pas de même que ça fonctionne au Canada, il faut vivre avec.

Oui, pour créer un fonds, mais quand on entre dans un marché, il faut faire attention, il faut être prudent parce qu'il y a déjà des entreprises en place, des journaux en place, qui sont là. Comme je vous dis, si j'étais capable de rentrer dans les chiffres d'UniMédia, je pourrais vous dire si Le Lac-Saint-Jean était plus rentable avant qu'il l'est aujourd'hui. Parce que, des fois, ça peut être le haut qui précarise le bas. Ça, c'est comme ça que ça fonctionne.

Le Président (M. Cusano): Mme la députée.

Mme Beauchamp: Moi, je terminerais en vous disant aussi qu'il faut faire attention à la comparaison avec le fonds des câblos, puisque le fonds des câblos n'est pas là pour financer justement des entreprises qui deviendraient concurrentes de celles qui mettent de l'argent dedans, il est là pour financer du contenu que tout le monde peut prendre et diffuser sur leurs ondes. Pour moi, la comparaison, elle est boiteuse. La proposition serait plutôt qu'on finance, par de l'argent gouvernemental ou par d'autre argent, la presse canadienne, c'est plus comparable. C'est un pôle de contenu pour tout le monde, c'est ça, le fonds des câblos, c'est un pôle de contenu que tout le monde se donne pour avoir du contenu canadien sur nos ondes.

M. Tremblay (Louis): Oui, mais il reste que ça a bien fonctionné, je veux dire, le résultat de ça.

Mme Beauchamp: Oui, mais ce n'est pas pour financer directement un radiodiffuseur ou un télédiffuseur.

M. Tremblay (Louis): Mme la députée, en tout respect, quand vous mettez 400 000 $ dans une production et que quelqu'un peut le prendre puis le mettre sur son temps d'antenne, mettons, trois heures de télévision, ça vient de vous économiser trois heures de production, là. Je veux dire, on finance de façon indirecte le privé aussi avec le fonds de la câblo. Dans les médias...

Mme Beauchamp: Bien, c'est de l'argent du privé, c'est ça.

M. Tremblay (Louis): Oui, oui, c'est de l'argent du privé qui est retourné au privé, là.

Mme Beauchamp: Oui, oui.

M. Tremblay (Louis): Personne ne se fait de cadeaux là-dedans, c'est leur argent qu'ils se redonnent à eux autres.

Mme Beauchamp: Je comprends, mais je voulais juste faire le point sur le fait que ça ne servait pas à financer...

M. Tremblay (Louis): Je suis d'accord avec vous.

Mme Beauchamp: ...pour la création de compétiteurs, c'est plus un pôle de contenu.

Le Président (M. Cusano): Est-ce que vous avez d'autres questions? Non. Alors, M. Plourde, Mme Fortier, M. Tremblay, on vous remercie pour votre présentation et l'échange que vous avez eu avec des membres de la commission. J'ajourne les travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 34)

 

(Reprise à 14 h 6)

Le Président (M. Rioux): Alors, Mmes et MM. les députés, nous allons reprendre nos travaux et nous avons le plaisir d'accueillir la Fédération nationale des communications.

Alors, Mme Larouche, vous allez nous présenter vos partenaires.

Fédération nationale
des communications (FNC)

Mme Larouche (Chantale): Oui, je vous remercie...

Le Président (M. Rioux): Vous êtes la seule femme, vous êtes entourée d'hommes.

Mme Larouche (Chantale): Entourée de mes gardes du corps. Alors, merci, M. le Président, Mme la ministre, Mme la députée, messieurs. Je vais d'abord commencer par l'extrême gauche pour la présentation ? ça n'a aucune connotation politique, bien sûr. Alors, Pierre Roger, qui est secrétaire général de la Fédération nationale des communications; à ses côtés, Jean-Pierre Legault, qui est journaliste au journal Le Devoir et membre, donc, du Syndicat de la rédaction du Devoir; Denis Guénette, à mes côtés, qui est journaliste à Radio-Canada, Québec, et membre du Syndicat des communications de Radio-Canada; à ma droite, Louis Tremblay, qui est journaliste au Quotidien de Chicoutimi et vice-président de la Fédération nationale des communications.

Le Président (M. Rioux): Porte-parole des régions.

Mme Larouche (Chantale): Oui, monsieur. Alors, ces gens ont tous travaillé avec un comité de la Fédération qui était chargé, donc, de réfléchir sur les enjeux liés aux récentes transactions. Je pense qu'à ce moment-ci il est important de vous préciser que la Fédération nationale des communications est donc une fédération de 105 syndicats du secteur des communications principalement présente au Québec. Elle représente 7 000 membres, elle est affiliée à la Confédération des syndicats nationaux et également à la Fédération internationale des journalistes, qui représente 450 000 membres à travers le monde. La FNC représente donc des syndicats dans le groupe Gesca-UniMédia, maintenant devenu officiellement Gesca, des membres également dans le groupe Quebecor, au Devoir, chez Transcontinental, au journal Le Lac Saint-Jean et à L'Étoile du Lac.

La Fédération nationale des communications croit que la commission parlementaire doit statuer sur la nécessité d'une intervention de l'État pour protéger la liberté de la presse. Nous comprenons, bien sûr, que le gouvernement se trouve quand même dans une situation délicate compte tenu de l'implication de la Caisse de dépôt et de placement dans l'acquisition de Vidéotron, ce qui est une contribution directe à la propriété croisée. Il ne suffit pas de garantir le droit à l'information, la liberté de presse et l'expression d'opinions par les chartes. La nécessité de préserver la diversité et le pluralisme de l'information est reconnue par divers États démocratiques et organismes internationaux qui ont adopté des mesures concrètes en ce sens. L'étude réalisée pour la FNC par le professeur en communications de l'Université de Montréal Marc Raboy et la chercheuse Geneviève Grimard démontre que certains États ont d'ailleurs adopté des mesures pour assurer la liberté de presse.

Dans un contexte de libéralisation des échanges économiques, le rôle et la mission des médias doivent absolument être distingués de ceux des autres entreprises, puisqu'ils sont déterminants pour la protection de l'identité culturelle, des droits fondamentaux et de la démocratie. Si le gouvernement du Québec se croit à ce moment-ci impuissant à intervenir face aux mouvements de propriété qui secouent l'industrie des communications, comment pourra-t-il protéger cette industrie face aux diktats économiques internationaux qui qualifieront toute mesure de développement et de protection des médias et des entreprises de presse de concurrence loyale ou déloyale?

n(14 h 10)n

Les entreprises de presse sont, en fait, un service public dont la mission principale n'est pas de divertir, mais bien d'informer. L'information n'est pas une marchandise comme une autre, mais un droit inaliénable. La liberté des entreprises de presse et de leurs propriétaires de transiger ne peut enfreindre ces droits fondamentaux mais doit, au contraire, s'exercer dans le respect absolu du droit du public à une information libre, de qualité et la plus diversifiée possible. Aux États-Unis, exemple quand même par excellence du libéralisme économique, la propriété croisée de journaux et de médias électroniques est toujours interdite. Nos voisins américains estiment que, sans une diversité de propriétaires et d'éditeurs, il ne peut y avoir une réelle diversité de points de vue. De toute évidence, la FCC, qui est l'équivalent du CRTC, donc un organisme réglementaire américain, rejetterait la demande d'acquisition de TVA par Quebecor.

Il existe au Québec six grandes entreprises de communication. Deux de ces groupes, Quebecor et Power Corporation, contrôlent les principaux médias, dont la mission est d'informer, mission qui peut être entachée en raison des multiples intérêts diversifiés que comptent ces groupes.

Quebecor est un groupe important dans l'imprimerie, l'édition et la presse écrite. L'achat de Vidéotron fait maintenant de lui l'un des plus imposants joueurs du domaine de la télédiffusion et de la câblodistribution. Quebecor possédera, si le CRTC autorise la transaction, le plus gros câblodistributeur québécois, le réseau de télé le plus regardé au Québec, le canal de nouvelles LCN et plusieurs licences de chaînes spécialisées que TVA a remportées en novembre. Par ailleurs, il y a également les portails InfiniT, Netgraphe et les maisons de production TVA International et JPL. En fait, on peut se demander à ce moment-ci: Est-ce qu'il est possible pour un citoyen québécois de vivre une journée sans consommer un produit issu des entreprises de Quebecor?

Power Corporation, avec sa filiale Gesca, a renforcé sa présence dans la presse écrite avec le rachat des journaux d'UniMédia, notamment Le Soleil, LeDroit, Le Quotidien et Le Progrès-Dimanche.

Le Groupe Transcontinental est devenu, quant à lui, un éditeur majeur de journaux hebdomadaires au Québec. En achetant les hebdos de Gesca, il compte maintenant 61 titres de langue française et anglaise.

Et, peut-être pour répondre un peu à ce qui s'est dit ce matin, j'aimerais ajouter que le ratio de journalistes chez Transcontinental est de un par hebdomadaire. En fait, on dit 1,3 parce que, dans la plupart des cas, on va ajouter la moitié ou 0,3 journaliste pour faire la couverture du sport. Alors, ça nous en dit long sur son souci de couvrir l'information dans les régions.

À plusieurs reprises, la FNC et ses syndicats affiliés ont reconnu quand même la nécessité de consolider les entreprises de presse pour garantir au public l'accès à des contenus de programmation de qualité qui respectent son identité culturelle de même que l'accessibilité à une information diversifiée et de qualité. Nous devons cependant faire preuve de vigilance à l'égard des conséquences de certaines consolidations et mégafusions. Les consolidations doivent favoriser la protection de nos acquis nationaux, l'existence et l'émergence d'autres médias d'information et l'ajout de contenus diversifiés et de qualité capables d'intéresser suffisamment la population pour concurrencer les services étrangers.

Malheureusement, malgré les engagements nous constatons que les grandes transactions donnent trop souvent lieu à d'importantes rationalisations. Les récentes acquisitions et initiatives annoncées par Gesca et Quebecor soulèvent des craintes légitimes quant à l'avenir des journaux, de leur mission et des ressources qui y seront injectées. Dans certains cas, le niveau d'endettement est si élevé qu'il peut mettre en péril certaines filiales ou leur capacité d'assumer pleinement leur mandat. Depuis que Quebecor a mis la main sur Vidéotron et TVA, les rationalisations et restructurations se multiplient.

Chez Vidéotron, on a reçu la commande de réduire les coûts de 112 millions. Netgraphe, le premier succès québécois Internet, sur lequel Quebecor a mis la main lors de l'achat de Vidéotron, pourrait bientôt être intégré à Canoë, le portail Internet de Quebecor, qui a déjà fait d'ailleurs l'objet de coupures. Hier, nous apprenions que Vidéotron Télécom subirait 420 coupures d'emplois, dont 150 coupures étaient effectives dès hier. L'acquisition de Sun Media Corporation par Quebecor en janvier 1999 a aussi rapidement donné lieu à des coupures dès le mois suivant, c'est-à-dire en février 1999, d'importantes rationalisations ont été effectuées au Journal de Montréal.

Les groupes de presse disposent aussi de moyens redoutables pour faire face à la concurrence sur leur marché. Le quotidien Le Devoir est particulièrement vulnérable face à l'arsenal dont disposent les grands groupes de presse. Les pratiques commerciales de ces groupes ne doivent pas avoir pour effet de rendre le marché publicitaire captif et ainsi miner l'existence d'autres médias d'information. Power Corporation et Quebecor pourront livrer quand même une concurrence féroce sur le marché publicitaire en coupant les prix, en offrant plusieurs cibles de visibilité à leurs clients, ce que ne peuvent pas faire les médias moins puissants et moins bien structurés. Cela risque de nuire, donc, à la viabilité des entreprises de presse.

À moyen terme, la propriété québécoise et canadienne des groupes de presse pourrait aussi être menacée. La taille gigantesque de certains empires nous permet de croire que des changements éventuels de propriété ne seront possibles qu'en transigeant avec des conglomérats étrangers. Plus que jamais l'uniformisation de l'information représente un réel danger. Si les propriétaires des groupes de presse ne s'immiscent pas directement dans le contenu quotidien de l'information, ils savent généralement s'entourer des personnes qui veillent à leurs intérêts. Ils peuvent ainsi contrôler à distance le traitement de l'information et les choix de leurs publications.

Les choix économiques ne sont pas toujours neutres. Les moyens dont disposent les journalistes déterminent le plus souvent leurs pratiques et la pratique de leur métier. Il suffit de réduire les ressources pour altérer considérablement la capacité des journalistes d'enquêter, de se documenter et d'analyser. Ceci donne lieu trop souvent à une couverture systématique des mêmes événements, à la reprise des communiqués officiels et au martèlement de la pensée unique.

Les choix économiques et les préoccupations commerciales dictent de plus en plus les choix éditoriaux. Quelques exemples nous révèlent à quel point les intérêts purement financiers peuvent priver le public d'une information indépendante et diversifiée. Le 20 janvier dernier, Radio-Canada et La Presse concluaient une entente de partenariat qui risque d'accroître encore davantage l'uniformisation de l'information. Les deux médias d'information ont convenu, en fait, d'unir leurs efforts dans certains domaines de leurs activités respectives et principalement sur Internet. L'entente de collaboration prévoit, entre autres, le partage de certaines ressources pour la couverture de presse internationale. Ce jumelage de ressources journalistiques entre deux des plus importants médias d'information s'attaque, à notre avis, directement à la diversité de l'information. Au rythme où vont les choses, il ne restera bientôt plus que deux sources majeures d'information au Québec: l'une contrôlée par Quebecor, ses multiples journaux et son réseau de télévision, et l'autre sous l'emprise de Gesca et de Radio-Canada.

De récents exemples témoignent aussi des risques accrus de contrôle de l'information. Les divers intervenants qui sont passés ici, à la commission, ont abondamment cité le cas des 200 000 exemplaires du magazine 7 Jours, du groupe TVA, retirés en catastrophe des kiosques pour corriger le titre d'un article traitant de la chanteuse Céline Dion. Dans ce cas précis, les intérêts commerciaux et promotionnels du groupe TVA et de l'artiste ont eu raison, en fait, de la une du magazine de divertissement. Le même scénario pourrait fort bien se répéter dans le cas d'une nouvelle d'intérêt public controversée une fois que Quebecor sera devenu propriétaire de TVA. Quebecor s'engage, bien sûr, à adopter un code sur l'indépendance des salles de nouvelles pour le groupe TVA, mais il est important de rappeler toutefois que Quebecor a déjà failli à la tâche du maintien d'une indépendance effective de l'information, et ce, en dépit de l'existence d'un mécanisme d'autorégulation.

À la suite de plaintes déposées par le Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal, le Conseil de presse du Québec a dénoté un manque d'équilibre dans le traitement de l'information au Journal de Montréal. Le Comité de surveillance sur l'indépendance des salles de nouvelles de TQS a émis deux conclusions qui confirment que Quebecor a tendance à recourir à l'information pour assouvir ses intérêts commerciaux et que, bien que les activités de TQS et de CQI s'inscrivent dans une logique commerciale, cela ne doit pas mettre pour autant en péril l'indépendance éditoriale et professionnelle de l'information. Les deux décisions ont, dans les faits, confirmé que les intérêts commerciaux et le droit du public à l'information ne font pas bon ménage chez Quebecor.

Au cours des dernières semaines, les représentants des entreprises de presse ont exprimé presque à l'unisson leur engagement à remplir leur mission d'informer, d'offrir au public une information de qualité et d'en assurer la diversité. Ils ne peuvent donc que souscrire à l'adoption de règles qui confirmeront ni plus ni moins cet engagement.

Le gouvernement du Québec n'a pas juridiction en matière de radiodiffusion, mais cela ne l'empêche pas de légiférer au nom du pluralisme et de la diversité de l'information. Une éventuelle loi de l'information ne doit d'aucune manière viser à contrôler les actes professionnels ou à baliser la déontologie des médias. Elle doit, cette loi, encadrer l'action des acteurs économiques en délimitant le niveau de protection dont le public doit bénéficier face à des problèmes comme la concentration et la propriété croisée.

n(14 h 20)n

La loi devrait interdire aux conglomérats de faire disparaître les médias qu'ils ont acquis et devrait les obliger à céder au plus offrant les médias qu'ils voudraient faire disparaître dans le cadre de rationalisations. Si aucun acheteur ne se manifestait, ils pourraient, et uniquement dans ce cas, procéder à une rationalisation.

La loi devrait interdire aux conglomérats de vendre les actifs qu'ils détiennent dans des entreprises de presse à des acquéreurs étrangers.

La loi ne devrait pas avoir un effet rétroactif sur les transactions conclues avant son adoption.

La loi devrait prévoir que toute initiative visant à réduire les sources d'information et les ressources allouées à la couverture de presse doit faire l'objet d'une évaluation publique.

Toute violation aux règles édictées dans la Loi de l'information devrait faire l'objet de sanctions fortement dissuasives.

La loi de l'information devrait aussi contenir différentes règles, notamment des règles favorisant une plus grande transparence. Toute transaction impliquant un journal, un propriétaire de journal et l'élargissement de la concentration de la presse devrait faire l'objet d'un avis public au moins trois mois à l'avance. Toute transaction qui contribue à l'augmentation de la concentration de la presse devrait l'objet d'une publication précisant les engagements et les intentions de l'entreprise en regard du public à l'information. Toute transaction qui contribue à l'augmentation de la concentration de la presse devrait être soumise à l'examen d'une commission de la l'Assemblée nationale avant d'être conclue.

Il devrait également y avoir des règles relatives à la qualité et à la diversité de l'information. Nous constatons que le niveau de concentration de la presse au Québec a atteint un seuil extrême et qu'il est devenu impérieux de fixer un seuil limite de niveau de propriété des médias. La loi devrait fixer un seuil limite de concentration et définir les limites futures de la concentration dans le secteur de la presse écrite. Comme la loi ne devrait pas s'appliquer rétroactivement, même si les transactions dépassent les seuils de concentration qu'elle fixerait au moment de l'adoption, les groupes de presse seraient assujettis à ces seuils lors de transactions futures.

Les propriétaires de journaux devraient également être soumis à l'obligation de respecter certaines règles, notamment garantir par des mesures concrètes la qualité de l'information, la diversité d'opinion et l'indépendance des salles de rédaction; assurer le maintien des médias qu'ils acquièrent et le respect du caractère original de ceux-ci; ne pas réduire les ressources journalistiques existantes et les emplois en général dans chacun des médias concernés par des acquisitions; et soutenir financièrement, par le biais d'une forme de taxe à la concentration, un fonds de compensation.

Nous souhaitons également que la loi tienne compte des changements qui se sont exercés progressivement dans la profession, notamment l'élargissement, je dirais, de l'embauche de travailleurs à la pige, de journalistes à la pige et, en ce sens, nous invitons la commission à réfléchir sérieusement à la nécessité de protéger les droits d'auteur des journalistes à la pige. Il y a, bien sûr, une loi qui existe, mais, au cours des dernières années, les journalistes pigistes ont subi une violation constante de leurs droits d'auteur, et on doit dire ici que, pour les pigistes, le droit d'auteur, c'est souvent une partie du gagne-pain qui est fort importante.

Le gouvernement pourrait mettre sur pied, donc, un fonds de compensation qui pourrait s'inspirer quand même de différentes mesures et règles qui existent déjà au Canada, mais aussi à l'étranger. Le projet de création de ce fonds ainsi que les critères qui le régiront devraient faire l'objet d'une consultation publique. Ce qu'on veut ici, c'est éviter ce qu'on a vu dans certains cas, une utilisation abusive des fonds et des deniers publics à des fins autres que ce pourquoi ces fonds ont été créés. Alors, on pense qu'il doit y avoir, donc, avant la mise sur pied une consultation, mais aussi, en cours d'exercice de ce fonds, des consultations et analyses pour évaluer régulièrement les impacts et les retombées.

Le contexte, donc, rapide et complexe dans lequel évoluent actuellement les entreprises de presse nécessite, à notre avis, une intervention législative vigoureuse. Les règles et les critères capitalistes ne peuvent pas, à eux seuls, définir les limites et les moyens de garantir le droit du public à l'information qui est quand même un droit fondamental dans une société démocratique, libérale et civilisée. Il nous apparaît tout à fait justifié que le gouvernement du Québec adopte des mesures visant à protéger le droit du public à l'information ainsi que la démocratie. Le gouvernement du Québec, comme d'autres gouvernements à travers le monde, est justifié d'adopter des mécanismes pour assurer l'existence des médias actuels et l'éclosion de nouveaux médias pour garantir un véritable pluralisme.

Bien sûr, le gouvernement, nous l'avons dit un peu plus tôt, se trouve dans une situation délicate ? plus que délicate ? compte tenu que la Caisse de dépôt et de placement est un principal bailleur de fonds de la transaction impliquant Quebecor et Vidéotron, mais le gouvernement ne peut pas non plus se réfugier derrière les juridictions provinciales pour justifier la non-intervention. Le gouvernement se sent peut-être un peu prisonnier des déclarations du futur premier ministre Bernard Landry qui a prêté foi en l'éthique capitaliste lorsqu'il a été question de la transaction Gesca-UniMédia, mais nous pensons que nous sommes dans une situation critique et que nos représentants sont en mesure... les représentants politiques sont en mesure d'assumer leurs responsabilités et de faire les choix qui s'imposent. Merci.

Le Président (M. Rioux): Alors, merci, Mme la présidente. Voilà un discours clair.

Mme Larouche (Chantale): Je l'espère.

Le Président (M. Rioux): Ça va certainement provoquer des questions claires aussi.

Mme Larouche (Chantale): Nous sommes prêts pour les questions.

Le Président (M. Rioux): Alors, nous procédons immédiatement à la période de questions. Mme la ministre.

Mme Maltais: Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Mme Larouche.

Mme Larouche (Chantale): Bonjour.

Mme Maltais: Bonjours, messieurs. Effectivement, comme le disait le Président, c'est un mémoire très clair, présenté de façon très affirmée aussi et qui, à certains égards, me semble assez étonnant. Beaucoup de syndicats sont venus ici discuter et, en règle générale, ils étaient assez confiants dans le rôle de chien de garde que constituent les conventions collectives et des règles internes. On nous a parlé de comités paritaires, on a entendu parler de toutes sortes de règles potentielles, de code de déontologie, de règles sur la séparation entre les salles de rédaction. Certains étaient plus ou moins affirmés, mais, en général, les syndicats nous semblaient se diriger vers cela. Ce que je remarque ici, c'est une position beaucoup plus tranchée envers la législation. C'est le moins que je puisse dire.

On avait trois champs d'atterrissage possibles, pistes d'atterrissage que j'avais définies dès le départ de ces consultations...

Mme Beauchamp: ...

Mme Maltais: Pardon?

Mme Beauchamp: Vous atterrissez dans le champ? Ha, ha, ha!

Mme Maltais: Non, j'avais trois pistes d'atterrissage potentielles...

Mme Beauchamp: O.K. C'est une blague.

Mme Maltais: ...qui étaient, par exemple, un fonds... Là, vous dites: Bon, fonds, peut-être, nous irons en consultation publique. Une loi, un chien de garde, vous nous dites: La loi devrait même définir le chien de garde, ça devrait être l'Assemblée nationale qui devrait être le chien de garde. Vos propositions 6.8, 6.9, 6.13 sont très précises. Vous donnez en 6.8... Vous demandez une loi qui... «Toute initiative visant à réduire les sources d'information et les ressources allouées à la couverture de presse...» 6.9, toute violation aux règles, là vous dites: Sanctions dissuasives. 6.13, des garanties très claires, assurer le maintien des médias, ne pas réduire les ressources journalistiques. Là, on est vraiment... Excusez-moi, j'ai l'impression d'entrer dans la gestion d'une entreprise et dans la convention collective elle-même à première vue, à première lecture. Évidemment, c'est sûrement ce que vous ne voulez pas.

Alors, vous ne trouvez pas que ce que vous nous demandez comme législation, par rapport à d'autres mémoires qu'on a reçus, n'implique pas fortement un rapprochement très fort entre l'État et la presse qui n'a pas été jusqu'ici, dans l'histoire du Québec, quelque chose qu'on a privilégié?

Mme Larouche (Chantale): Je ne dirais pas... D'abord, je tiens à mentionner que ce mémoire a été rédigé à l'issue d'instances que nous avons eues, c'est-à-dire une forme de congrès que nous avons eu avec l'ensemble des syndicats de la Fédération. Les syndicats ont fait leur mémoire de leur côté, la Fédération a fait le sien à partir de résolutions qui ont été adoptées par une instance, et il se veut en fait le reflet de la position décidée par notre instance.

Je ne crois pas que l'objectif soit de favoriser un rapprochement tel de l'État et des médias que l'État contrôlerait directement les entreprises de presse. Je pense que notre mémoire se veut un appel à l'urgence de légiférer et de contraindre les entreprises de presse à respecter ni plus ni moins que les engagements qu'elles ont faits ici et là, publiquement, dans leurs propres médias ou ailleurs pour dire qu'elles étaient définitivement tournées vers la qualité, la diversité de l'information.

Par contre, ce qu'on dit, c'est que lorsqu'il y a transaction et mouvement de propriété, ces entreprises de presse doivent être redevables envers le public, et on doit pouvoir mettre sur pied au Québec une commission ou un conseil du type de ce qui existe actuellement au fédéral avec le CRTC qui serait saisi de ces transactions et qui serait finalement tenu d'entendre les propriétaires, les requérants, et de les contraindre à prendre des engagements et à respecter ces engagements. Je pense que c'est là l'objectif de la Fédération et je ne crois pas, par contre, qu'on veuille que l'État s'immisce... Et, c'est clairement dit dans le mémoire, pour nous il n'est pas question que l'État s'immisce dans la gestion quotidienne des médias et dans la déontologie journalistique, ce n'est pas le rôle de l'État.

n(14 h 30)n

Par ailleurs, moi, je tiens à tout de suite mettre un bémol sur le rôle qu'on veut faire jouer aux syndicats à l'égard du public. Il y a des limites, et je vais vous dire: Ça, ça nous fâche sérieusement. Depuis qu'on débat des transactions dans les entreprises de presse, c'est-à-dire depuis l'automne, soudainement, les patrons de presse et ceux qui dirigent ces entreprises se tournent vers les syndicats pour vanter les mérites et les vertus de l'action syndicale pour protéger l'intérêt public. D'abord, c'est surprenant pour nous, c'est la première fois qu'on se fait dire qu'on est vertueux par nos patrons.

Par ailleurs, nous trouvons que c'est un moyen assez efficace de faire dévier le débat et la responsabilité des entreprises de presse à l'égard du public sur ceux qui, au quotidien, travaillent dans ces entreprises et sont liés à des obligations et à des conditions de travail qui, parfois, rendent difficile, je dirais, l'atteinte d'objectifs visant à protéger l'intérêt public.

Alors, je ne pense pas qu'il appartienne aux syndicats de protéger l'intérêt public ? oui, je parle toujours trop ? mais ils ont un rôle à jouer. Les journalistes ont un rôle à jouer, leur syndicat également, mais je ne crois pas que les syndicats puissent être le seul rempart pour protéger l'intérêt public.

Le Président (M. Rioux): Alors, Mme Larouche, vous avez bien compris un peu mes signaux de désespoir...

Mme Larouche (Chantale): Oui.

Le Président (M. Rioux): ...je veux des questions courtes...

Mme Larouche (Chantale): Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): ...mais des réponses aussi relativement courtes.

Mme Larouche (Chantale): Oui, je vous écouterai, M. le Président.

Le Président (M. Rioux): Alors, Mme la ministre.

Mme Maltais: Alors, simplement pour terminer, vous dites que l'Assemblée nationale, comme elle le fait en ce moment, dans le cas de transactions ? mais là, on est après la transaction ? mais devrait, quand il y a annonce de transaction, recevoir les entreprises devant une commission.

Mais vous parlez de suivi des engagements, et là, on a de la difficulté. C'est-à-dire qu'on se demande qui devrait suivre les engagements. Il y a le Conseil de presse; moi, j'ai parlé peut-être de l'Observatoire de la culture et des communications au niveau chiffré, l'Institut de la statistique. Les gens nous disaient: Les chiens de garde les meilleurs sont les syndicats; ce sont les syndicats qui nous le disaient.

Le Président (M. Rioux): Mme Larouche.

Mme Larouche (Chantale): Oui. Alors, nous pensons qu'il est possible, au Québec, de faire l'équivalent de ce qui existe en matière de réglementation en radiodiffusion ? ce qui existe au fédéral. Il y aurait possibilité d'avoir une commission qui est chargée de recevoir les transactions, de prendre donc acte des transactions, pendre acte des engagements et s'assurer que les engagements qui ont été pris soient respectés. Je pense qu'il est possible de faire, au Québec, l'équivalent de ce qui existe à Ottawa, d'autant plus que nous nous sentons déjà prêts, au Québec, suffisamment puissants pour être un pays, alors je pense qu'on est capable de se donner les outils dignes d'un pays pour gérer les transactions dans les médias.

Le Président (M. Rioux): Vous avez des propos stimulants à tous égards.

Mme Larouche (Chantale): Bien, je le crois.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): Alors, M. le député de Vachon.

M. Payne: Merci, M. le Président. À part votre représentativité évidente, est-ce que vous pouvez nous indiquer quel genre de consensus d'ordre public une approche législative puisse avoir?

Le Président (M. Rioux): Mme Larouche. Vous avez bien compris la question?

Mme Larouche (Chantale): Je crois, vous voulez savoir...

M. Payne: ...quel genre de consensus...

Mme Larouche (Chantale): Oui.

M. Payne: ...au-delà de la représentativité de votre association puisse donner l'impression d'ordre public.

Mme Larouche (Chantale): D'ordre public?

M. Tremblay (Louis): D'ordre public, bien, ce n'est pas compliqué. Je veux dire, le public, il ne s'intéressera pas demain matin à temps plein, à toute cette question-là. Mais, jusqu'à preuve du contraire, c'est assez rare que le gouvernement va chercher une représentativité dans le public pour passer une loi. On a vu plus souvent le contraire; à titre de journaliste, on l'a vu régulièrement. Alors, c'est assez simple comme question.

Mais, une chose qui est certaine, c'est que, ce qu'on défend dans le mémoire, en termes de législation, pour nous, des engagements publics, ce n'est pas suffisant. Parce que, vous savez, je me promène sur des routes à tous les jours qui devaient être modernisées, suite à des engagements de politiciens en campagne électorale. Donc, les patrons de presse n'ont pas plus de raisons des les maintenir. Tant que ça va bien, ils vont les maintenir. Mais, quand ça va aller mal, je ne suis pas sûr qu'ils pourront les maintenir. Alors...

M. Payne: La raison pour laquelle...

Le Président (M. Rioux): Oui? Alors, je vais donner la parole maintenant à votre collègue, Mme Larouche?

Mme Larouche (Chantale): S'il vous plaît, j'aimerais bien qu'il puisse ajouter.

M. Guénette (Denis): Très brièvement et schématiquement, nous, on se dit, en principe, qu'en l'absence de règles tout est permis, et on est exactement dans cette situation-là en ce moment. Et, si le passé est garant de l'avenir, la concentration des entreprises de presse n'est pas un gage de succès pour la qualité de l'information. On n'a qu'à voir du côté de la radio, ce qui s'est passé avec les fusions d'entreprises. On a vu ce qui est advenu, en quelque sorte, de la qualité des informations en région; vous êtes à même de le constater vous-mêmes. Alors, donc, une diminution, de manière générale, du nombre de journalistes, une diminution généralisée du nombre d'heures d'écoute, c'est-à-dire du nombre d'heures de production en région, une baisse donc évidente de la qualité à plusieurs égards.

Ces fusions-là ont souvent profité à la tête de réseau mais ont été souvent défavorables à l'information régionale et à ce qui se fait ailleurs que dans les grands centres.

Également, le même principe s'est produit du côté des hebdos: les hebdos, dans certains cas, qui étaient d'excellents hebdos de propriété familiale, qui ont été vendus, par exemple, à la chaîne Quebecor, sont devenus, en région, des hebdos paralysés, diminués avec un journaliste, une journaliste, et essentiellement des véhicules publicitaires. Alors, donc, si le passé est garant de l'avenir, on a des raisons de s'inquiéter pour ce type d'information là, en particulier à l'extérieur des grands centres.

Le Président (M. Rioux): Merci. Merci beaucoup. M. le député de Vachon, vous avez une autre question? Oui?

M. Payne: Oui, je vais continuer. La raison pour laquelle je pose la question quant au consensus qui puisse exister ou pas, c'est que je pense qu'on a constaté tous, au sein de cette commission, l'absence d'intérêt public justement dans les enjeux qu'on discute.

Ceci étant, s'il y avait une approche législative que vous proposez, il devrait y avoir normalement une façon selon quoi un tel projet de loi puisse susciter un intérêt de la part du publique.

Il y avait des suggestions, ce matin, faites par notre collègue d'Outremont, une approche davantage axée... on a exploré la possibilité d'avoir une approche axée sur une, disons, présence devant la commission parlementaire pour soulever les véritables inquiétudes que le public puisse avoir.

Qu'est-ce que vous indiquez qu'une approche législative pourrait avoir plus d'intérêt, plus d'efficacité, je dois dire, qu'une approche, disons, plutôt publique avec une représentation annuelle devant le public, soit en commission parlementaire, ou une responsabilité davantage devant le Conseil de presse ou d'autres organismes?

Le Président (M. Rioux): Alors, Mme Larouche.

Mme Larouche (Chantale): Bien, par rapport à l'intérêt public, j'aimerais d'abord souligner que je pense que, il y a longtemps, ça relève peut-être des années quatre-vingt, les dernières fois où on a fait un débat sur la concentration de la presse, l'avenir de l'industrie, et je pense que l'intérêt public risque d'être suscité avec le débat qu'on fait ici, ces jours-ci.

Nous, ce que nous préconisons notamment, c'est qu'à l'issue de cette commission un projet de loi soit ensuite soumis à la consultation, et nous faisons le pari que des citoyens ? bien des citoyens ? risquent d'être intéressés par l'avenir des médias et l'impact qu'ont les médias sur leur quotidien. Mais ça ne fait pas longtemps qu'on en parle, hein? On n'en parle pas régulièrement, de ce que veut dire la propriété des médias dans la vie quotidienne des gens, et c'est peut-être un premier pas qu'on franchit à cette commission. Mais nous croyons fermement qu'il y a lieu de poursuivre le débat et qu'une consultation autour d'un projet de loi sera l'occasion, sûrement, de susciter davantage l'intérêt public.

Le Président (M. Rioux): Alors, merci beaucoup. Je vais laisser maintenant la parole à Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Bonjour et bienvenue. Votre mémoire reprend plusieurs aspects qu'on retrouve dans plusieurs mémoires, l'idée d'un fonds, l'idée d'une loi, etc. Mais j'ai le goût de vous poser quelque questions claires que d'autres ont répondu clairement: Est-ce que vous remettez ou pas en cause la transaction Quebecor-Vidéotron?

Mme Larouche (Chantale): Nous allons nous présenter devant le CRTC pour nous objecter à cette transaction de propriété croisée.

Mme Beauchamp: D'accord. Parce que, dans votre mémoire, par ailleurs, vous dites que vous ne remettez pas en cause les transactions conclues avant... que vous ne voulez pas que la loi remette en cause les transactions conclues avant son adoption.

Mme Larouche (Chantale): Effectivement, effectivement. Si le CRTC donnait l'aval à cette transaction de Quebecor, bien, nous estimons qu'à partir du moment où une loi serait adoptée on ne pourrait pas rétroactivement remettre en question cette transaction, comme on ne pourra pas le faire pour la transaction de Gesca-UniMédia.

Mme Beauchamp: O.K. Mais ça éclaircit donc un premier point. C'est que, un peu comme la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, vous allez vous exprimer contre cette transaction, en ce moment, à l'instance appropriée qui est le CRTC.

Mme Larouche (Chantale): Tout à fait. J'aimerais, cependant, apporter une nuance, et c'est peut-être ce qui nous distingue un peu de la Fédération professionnelle des journalistes. Lors de la transaction ayant impliqué Quebecor et TQS, nous nous sommes prononcés en faveur de cette transaction simplement et uniquement parce qu'il s'agissait, à notre avis, d'une exception, et d'ailleurs, la décision du CRTC à cet égard est relativement claire. On parlait d'un contexte extrêmement particulier pour TQS et de l'avenir de TQS; on parlait vraiment de la viabilité de TQS. Alors, à ce moment-là, nous nous étions prononcés en faveur de la transaction. Mais nous estimons que, dans le cas de TVA, nous n'avions pas besoin de sauveteur chez TVA.

Mme Beauchamp: Donc, votre position était semblable aux exceptions qui sont prévues, par exemple, aux États-Unis...

Mme Larouche (Chantale): Tout à fait.

n(14 h 40)n

Mme Beauchamp: ...qui indiquent également qu'en cas de sauvetage d'entreprises on peut faire exception...

Mme Larouche (Chantale): Voilà.

Mme Beauchamp: ...au niveau de la propriété croisée.

Je veux revenir sur la proposition également d'un fonds de compensation. Vous l'appelez ainsi, si je ne me trompe pas, vous; d'autres l'appellent un «fonds de soutien». Vous l'appelez un «fonds de compensation». J'aimerais que vous soyez un peu plus précis sur, selon vous, qui le finance. Vous faites des comparaisons avec, par exemple, le fonds au niveau fédéral pour les magazines, etc., mais il y en a d'autres ici qui sont venus plus proposer qu'il soit financé par le secteur privé. En tout cas, je voudrais vous entendre là-dessus. Qui, selon vous, finance ce fonds de compensation?

Mme Larouche (Chantale): Bon, d'entrée de jeu, je veux aussi préciser qu'à notre avis toute la question de la constitution d'un fonds de compensation, non pas qu'on veuille vous donner énormément de travail, mais on pense que, là aussi, ça devrait faire l'objet de travaux à l'issue de la commission pour discussion ensuite lors d'une consultation plus approfondie, puisqu'on disposait de peu de temps pour réfléchir à la question. Mais on pense que ça pourrait très bien, à la lumière du Fonds des câblodistributeurs, être un fonds privé-public, parce que le Fonds des câblodistributeurs est à la fois financé par les câblodistributeurs et il y a une contribution de l'État. Ça pourrait être une avenue. Mais il est clair, à notre avis, que les propriétaires qui contribuent et qui ont contribué à la concentration de la presse devraient être parmi les premiers à financer ce fonds de compensation.

Le Président (M. Rioux): Mme la députée.

Mme Beauchamp: Merci. Dans votre mémoire, par ailleurs ? laissez-moi jouer l'avocate du diable pendant quelques secondes ? au moins à deux endroits, vous décrivez les médias comme étant une partie considérable, enfin, quelque chose qui consolide l'identité culturelle; vous les décrivez ainsi.

Ce que vous décrivez comme une taxe pour la concentration, est-ce que ce n'est pas, donc, taxer des outils culturels du Québec? Est-ce que c'est ça que vous proposez ultimement?

Mme Larouche (Chantale): Écoutez, on parle de taxer ici les conglomérats qui ont été, à notre avis, fautifs à l'égard de la concentration de la presse. Alors, je ne vois pas si... Moi, je ne fais pas de lien nécessairement avec le fait de taxer un outil de développement culturel. Je pense que l'objectif est vraiment de permettre aux médias qui sont isolés, indépendants, plus petits et plus précaires d'obtenir un soutien et d'être capables de faire face à la concurrence de ces conglomérats, en tout cas, d'alléger le fardeau lié à cette concurrence féroce.

Mme Beauchamp: Quand vous nous demandez de poursuivre nos réflexions là-dessus, j'imagine que vous avez entendu, comme moi aussi, un peu plus tôt votre collègue, M. Tremblay...

Mme Larouche (Chantale): Oui.

Mme Beauchamp: ...indiquer jusqu'à quel point c'est une question, aussi, délicate sur les effets pervers que peut avoir une telle volonté d'aller de l'avant pour consolider des médias indépendants. C'est dans ce sens-là que vous nous demandez de poursuivre notre réflexion?

Mme Larouche (Chantale): Bien, d'abord, nous pensons qu'il y a matière à réflexion pour soumettre une proposition valable en matière de création d'un tel fonds. Mais nous pensons aussi, pour éviter ce qu'on a vécu notamment avec les fonds de production télévisuelle, des abus, peut-être, d'utilisation de fonds, qu'il devrait y avoir périodiquement consultation, analyse des impacts, des retombées pour s'assurer effectivement qu'on ne crée pas d'autres problèmes en apportant un soutien financier aux entreprises de presse. Alors, ça rejoint tout à fait ce que mon collègue Louis Tremblay disait, ce matin. On ne veut pas y aller à l'aveuglette, mais on pense qu'il y a lieu d'aider les médias indépendants, mais qu'il faudra assurer un suivi constant de la manière dont ces sommes sont dépensées.

Mon collègue, ici, du Devoir... Oui.

Le Président (M. Rioux): J'ai vu un de vos collègues qui voulait réagir, justement, oui.

M. Roger (Pierre): Oui, c'est sur la question du fonds. Écoutez, on est ? et la plus belle preuve qu'on en a, c'est qu'on est assis ici, tout le monde ? dans une situation de duopole, et tout le monde qui est passé ici en convient, ça a des conséquences sur la vie et la santé démocratiques de notre société ici.

La question d'un fonds, de la taxation et tout ça ? appelez-la comme vous voulez... écoutez, il y a des gens, il y a des conglomérats qui causent du tort à la santé démocratique de la province. On ne se sent pas mal, à ce moment-là, de demander à ces gens-là de participer à la réparation de ces torts qui sont causés, en permettant le développement de petits médias indépendants en région. Je pense, entre autres, à l'Abitibi-Témiscamingue. Écoutez, ils sont mûrs pour un quotidien là-bas. Mais comment? C'est absolument impossible d'en partir un.

Je pense au Fleuve, en Gaspésie, récemment. Avec un minimum d'aide, la Gaspésie aurait son quotidien maintenant. Je pense à Drummondville, qui est mûre pour un quotidien aussi, et c'est absolument impossible, aujourd'hui, de partir un quotidien indépendant, parce que le marché de la publicité est contrôlé, parce que la distribution est contrôlée, et ainsi de suite. Dans ce sens-là, l'idée d'un fonds, c'est tout simplement de réparer des torts qui sont causés à la vie démocratique de notre société et rien d'autre. Voilà.

Le Président (M. Rioux): Merci, monsieur.

Mme Beauchamp: Je vous entends et je vous écoute. Mais, par ailleurs, je vous ferais remarquer que, vous-mêmes, dans votre mémoire, ce qu'on appelle aujourd'hui concentration, il n'y a pas si longtemps on l'appelait consolidation, et vous-mêmes, vous l'indiquez que, à plusieurs reprises, la FNC et ses syndicats affiliés ont reconnu la nécessité de consolider les entreprises de presse pour garantir au public l'accès à des contenus de programmation de qualité.

Un peu plus tôt, d'autres représentants syndicaux sont aussi venus nous dire que c'étaient des fautes partagées, s'il y avait fautes, devant le fait qu'on soit devant une aussi grande concentration de la presse. Donc, aujourd'hui, vous ciblez quelqu'un directement du doigt. Ce matin, a on entendu dire que c'était une faute partagée. Vous nous écrivez vous-mêmes que, ce que, aujourd'hui, on appelle concentration, on a applaudi à ce qu'on a appelé, il y a quelques années plus tôt, un effort de consolidation pour avoir des entreprises un peu plus solides à l'échelle du Québec.

Mais je veux revenir tout de même justement sur cette question du fonds, parce qu'il y a des comparaisons que vous faites dans le mémoire. Je pense que, effectivement, il faudra poursuivre la réflexion, parce que les comparaisons, comme je le mentionnais à la toute fin de notre discussion, vers 12 h 30, se tiennent mais se tiennent moins sur d'autres volets.

Par exemple, les différents fonds que vous décrivez ne mettaient pas en présence, ne font pas en sorte de créer des concurrents ou d'alimenter des concurrents; c'étaient plutôt des fonds qui sont liés au fait qu'il y a du contenu accessible à un ensemble de partenaires, que ce soit le Fonds des câblos, que ce soit le fonds pour les magazines, que ce soit le contenu canadien au niveau de la musique des radiodiffuseurs. Donc, il y a un peu un glissement de sens qui n'empêche pas de considérer la proposition, là, mais il y a quand même un petit glissement, selon moi. Et je suis prête à admettre mes erreurs. Je vous vois hocher la tête; si vous trouvez que j'ai tort, corrigez-moi, parce qu'on est ici pour mieux comprendre la situation.

Mais ma dernière question sur cette question de fonds: je me mets à la place de certains de vos collègues de Télé-Québec. Je me dis: Le gouvernement vient de faire un choix qu'il a applaudi, c'est-à-dire que la Caisse de dépôt et placement investisse 2,2 milliards dans un conglomérat qui a éliminé une voix, qui va éliminer une voix au niveau, en tout cas, télévisuel.

Pendant ce temps-là, Télé-Québec a 12 millions de moins de fonctionnement depuis 1995, si je ne me trompe pas. Mais là, le choix qu'on fait, c'est de dire, alors qu'il y a une voix supplémentaire qu'on est en train aussi d'affamer qui est la télévision publique du Québec... on dit: Il faudrait que le gouvernement, en plus, plutôt que de le mettre dans Télé-Québec, mette ça dans un fonds?

En tout cas, il y a un choix à faire, là. Est-ce qu'on laisse Télé-Québec comme ça? Parce que j'ai regretté qu'on ne l'entende pas, Télé-Québec, mais elle est aussi dans une situation où elle voit les milliards lui revoler par-dessus la tête, puis pendant ce temps-là, il y a 12 millions de moins pour fonctionner depuis 1995. Qu'est-ce qu'on fait dans cette situation-là?

Le Président (M. Rioux): Très bien. Mme Larouche.

Mme Larouche (Chantale): Bon, alors, j'aimerais revenir, dans un premier temps, sur le fait que, effectivement, nous nous sommes prononcés antérieurement en faveur de certaines consolidations, mais nous les avons analysées, non pas à l'aveuglette, et la situation était tout autre que celle qu'on connaît depuis l'automne dernier. À l'époque, quand même, il y avait plus de groupes de presse au Québec, et il ne faut pas nier que, encore aujourd'hui ? et je pense que les analyses que le Centre d'étude sur les médias vous a fournies le confirment ? les médias écrits demeurent un moteur fondamental de la diffusion de l'information.

Alors, il faut quand même faire attention. Et on a pu se prononcer en faveur de consolidations, mais maintenant, on dit: Il y a une prudence à exercer, parce qu'on se rend compte que les groupes de presse se consolident de plus en plus et en font disparaître finalement d'autres qui étaient importants pour notre société.

Quant à Télé-Québec, je tiens à préciser que les membres qui travaillent à Télé-Québec se sont ralliés à la position que nous défendons ici, aujourd'hui, et je ne pense pas qu'on puisse traiter de la question de la création d'un fonds de compensation à la presse en le mettant en opposition à Télé-Québec, d'autant plus que le fonds de compensation dont nous parlons serait aussi financé par le privé, c'est-à-dire les entreprises de presse qui ont contribué à la concentration de la presse.

Alors, je pense que c'est un jeu dangereux de commencer à comparer les deux. Je ne pense pas qu'on fasse ici le débat de Télé-Québec; il y a d'autres lieux pour le faire.

n(14 h 50)n

Le Président (M. Rioux): Alors, Mme Larouche, cet avant-midi, il a été souvent question d'une sorte de comité paritaire qui pourrait gérer ce qu'on appelle la rédaction, l'organisation et la gestion de la rédaction à l'intérieur des quotidiens. Ça semble vous chiffonner un peu...

Mme Larouche (Chantale): Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): ...et je voudrais qu'on s'explique là-dessus, parce que c'est drôlement important. Il y a des amis, de vos amis du mouvement syndical, qui ne détesteraient pas gérer, sur une base paritaire avec l'employeur, ce qu'on appelle cet aspect stratégique d'un quotidien.

Mais, vous, vous venez de dire: Les syndicats, ce ne sont pas des corporations professionnelles, hein? On n'est pas là pour défendre l'intérêt du public; on est là pour défendre l'intérêt de nos membres. Ça se comprend. Ça ne vous empêche pas d'avoir une conscience sociale puis, bon, etc.

Mais j'aimerais savoir si votre grande Fédération s'oppose à une gestion paritaire avec l'employeur de ce qu'on appelle communément «la rédaction», c'est-à-dire assurer la diversité, la multiplicité des sources d'information, l'indépendance, la qualité, et que sais-je encore.

Mme Larouche (Chantale): Bien, je vous dirai qu'on ne peut pas s'opposer. On est en accord avec cette volonté des syndicats effectivement d'obtenir des comités paritaires qui auraient à traiter de ces questions. Je dois d'ailleurs, tout de suite, souligner que la plupart des syndicats, je dirais même l'ensemble des syndicats affiliés à la Fédération, ont négocié des clauses professionnelles. Dans certains cas, il y a même des politiques éditoriales qui ont été négociées de manière paritaire. Alors, il ne peut pas y avoir d'objection de notre part à cette initiative des gens chacun dans leurs entreprises. Mais, à notre avis, ça ne suffit pas, et il ne faudrait pas s'imaginer que les journalistes, à eux seuls et les syndicats à eux seuls, vont pouvoir protéger l'intérêt public, la qualité et la diversité de l'information, parce qu'il y a quand même des ficelles sur lesquelles nous ne tirons pas comme travailleurs de l'information.

Alors, les syndicats ont un rôle à jouer; ils l'ont joué, je crois, dans le passé. Ils peuvent sans doute faire plus et mieux; ça, je n'en doute pas. Mais je pense que le débat de la qualité, de la diversité de l'information, de l'intérêt public, c'est un débat de société qui n'appartient pas aux syndicats seulement.

Le Président (M. Rioux): Oui, M. Tremblay.

M. Tremblay (Louis): Peut-être pour ajouter sur ce point-là. Je peux vous dire qu'il y a des endroits où ça se fait. Chez nous, le vendredi après-midi, l'été, quand il fait beau, c'est souvent des syndiqués qui gèrent les salles de nouvelles.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Tremblay (Louis): Ce n'est pas écrit dans les conventions, mais c'est la vie qui fonctionne de même, et il y a un paquet de décisions qui peuvent se prendre entre des syndiqués...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Tremblay (Louis): Ils ont beau être là, ce n'est pas grave. Je veux dire, on a connu ça, tiens. Ce n'est pas de la légende urbaine, c'est une certaine réalité, et tout dépend. C'est parce qu'au Québec ce n'est pas tout le monde qui a le même organigramme de salles de nouvelles, et jusqu'à quel point ça serait efficace, bon, c'est à l'usure qu'on le verrait. Sauf que, maintenant, on ne peut pas décider, à 25, de ce qu'on va mettre en première page du journal; il y a quelqu'un qui décide.

Donc, la mécanique interne d'un journal n'est pas si simple que ça, et gérer ça en termes de comités paritaires, je ne vois pas, au jour le jour, comment ça pourrait être efficace, en tout cas, personnellement; ça n'engage pas mes collègues...

Le Président (M. Rioux): Mme Larouche a peur que les patrons se cachent derrière les syndicats pour... bon.

Mme Larouche (Chantale): En tout cas, ça semble être une tendance lourde...

M. Tremblay (Louis): Ils ont l'air à apprécier ça, des fois, qu'on soit là.

Mme Larouche (Chantale): Ils nous apprécient...

Le Président (M. Rioux): Les syndicats, quand même, il faut que ça serve à quelque chose.

Mme Larouche (Chantale): Oui. Mais, on sert à quelque chose. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): Mme la ministre.

Mme Maltais: La question, posée par M. le Président m'a rappelé une conversation que j'ai eue avec quelqu'un qui me faisait remarquer quelque chose, et je vous lance la question: Est-ce qu'il y a déjà eu, dans le milieu journalistique, l'intention, la velléité ou le désir de créer une corporation des journalistes? Pourquoi il n'y en n'a pas? Et on a parlé aussi... j'ai lu dans des articles de sociétés de rédacteurs. Pourquoi ce type d'organisations là, de corporations ne s'est jamais installé au Québec?

Le Président (M. Rioux): Mme Larouche.

Mme Larouche (Chantale): Oui. Je sais qu'il y a eu des débats entourant la création de corporations. Peut-être étais-je trop jeune pour avoir entendu tout ce qui s'est dit sur la question.

Mme Maltais: Moi aussi, madame.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Larouche (Chantale): Voilà. Cependant, un des problèmes fondamentaux des journalistes, c'est que, d'abord, la fonction... le journalisme est encore un métier, hein, ne fait pas l'objet d'une... n'est pas une profession reconnue en vertu d'un code des professions, de la Loi sur les professions; donc, déjà là, ça pose un problème. Et, les journalistes ? je ne sais pas, peut-être qu'il y en a ici qui ont fait partie du débat et peut-être pourront-ils nous inspirer ? mais le choix des journalistes a été de se regrouper autour d'une fédération professionnelle qui est la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. On y a adopté un guide déontologique donc qui nous guide finalement dans la manière d'exercer notre métier. Cependant, la question de la corporation a toujours été rejetée. Peut-être...

Le Président (M. Rioux): Mme Larouche, étant donné que vous êtes trop jeune, est-ce qu'on peut donner la parole à quelqu'un qui est plus vieux dans votre métier...

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Larouche (Chantale): Bien, là, je ne voudrais cibler personne dans la salle; je ne voudrais offenser personne. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): ...et qui pourrait nous parler du corporatisme professionnel chez les journalistes, la question posée par Mme la ministre, d'ailleurs.

M. Legault (Jean-Pierre): Bien, écoutez, c'est moi qui ai le plus de cheveux blancs puis la barbe blanche, mais je suis encore trop jeune, moi aussi.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): Alors, il y en a qui n'ont pas de cheveux du tout, est-ce qu'ils pourraient répondre?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Legault (Jean-Pierre): Je suis vraiment trop jeune. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Rioux): Alors, oui, M. Tremblay.

M. Tremblay (Louis): On n'a jamais fait des... Bien, il y a eu des débats, sauf que le principe de base est assez simple relativement à la corporation professionnelle. C'est dire qu'une corporation professionnelle qui couvrirait la profession de journaliste serait limitative quant à l'accès à ce métier-là; donc, ça réduirait un peu la représentativité de la population au sein de ce métier-là, et c'était ça qui était en partie...

Et, pour ce qui de la société des rédacteurs, je vais rappeler à Mme la ministre qu'il y a un journaliste, au Québec, qui en a parlé ? il n'y a jamais personne d'autre qui en a parlé ? puis il en a parlé dernièrement dans un article.

Le Président (M. Rioux): Très bien. Alors, je retourne la parole aux représentants de l'opposition. M. le député d'Anjou.

M. Lamoureux: Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour. Merci pour votre exposé. Je voudrais savoir quel rôle voyez-vous... Parce qu'on a beaucoup parlé du Conseil de presse, son financement; vous parlez de créer un fonds spécial. Vous faites plus ou moins mention, là, du Conseil de presse. Il y a plusieurs groupes qui sont venus nous dire que, peut-être, ce serait l'instance idéale, bien, peut-être pas idéale mais la meilleure instance à laquelle on peut penser actuellement, et que, évidemment, avec le financement actuel, ce n'est pas possible.

Quebecor a finalement réussi, peut-être, à s'engager à adhérer et à financer le Conseil de presse. À moins que je me trompe, je pense qu'on parle de 15 000 $. Je doute que ce soit suffisant pour le Conseil de presse pour avoir des responsabilités accrues.

Je voudrais vous entendre là-dessus, voir est-ce que, dans un premier temps, vous pensez que le Conseil de presse pourrait jouer ce rôle-là, et deuxièmement, si, oui, qu'est-ce qu'il faudrait ajouter, tant au niveau des pouvoirs et au niveau du financement, pour qu'il puisse exercer un rôle efficace?

Le Président (M. Rioux): Mme Larouche.

Mme Larouche (Chantale): Oui. Il est évident que, à ce moment-ci, le Conseil de presse, tel que nous le connaissons, à notre avis, ne serait pas en mesure d'intervenir en lien direct avec une législation. Parce que, dans notre esprit, il y a nécessité de législation, et pour faire respecter cette loi, il faut un organisme, bon, qui a de l'argent, qui a des dents, et au moment où on se parle, ce n'est pas le cas. Peut-être faudrait-il songer, donc, à faire du Conseil de presse l'équivalent d'autres organismes réglementaires.

Mais il est évident que, pour nous, à partir du moment où il y a une loi et qu'il y a des sanctions de prévues à cette loi, on ne pourrait pas demander à un organisme privé, extérieur à l'État, de faire enquête pour ensuite faire appliquer les sanctions par l'État; ça nous apparaît un peu risqué tout ça.

Le Président (M. Rioux): Allez.

Mme Beauchamp: J'aimerais ça, vous entendre un peu plus sur quelque chose qui est contenu dans l'étude que vous nous avez fournie qui est signée par le professeur Marc Raboy. En tout cas, c'est comme ça que vous avez prononcé son nom un peu plus tôt. Je croyais que c'était Raboi, mais donc, Marc Raboy. Il vous fait un portrait extrêmement intéressant ? j'invite tout le monde à en prendre connaissance ? en annexe, des arguments pour et contre la concentration de la propriété.

Et, un des arguments qu'on a beaucoup entendu qui allait à l'encontre de la proposition que, vous-mêmes, vous faites sur la question des seuils, une loi qui pourrait identifier des seuils, vous, vous dites: Il faudrait continuer à en parler. Plusieurs ont dit qu'ils étaient incapables de fixer le seuil; d'autres sont venus nous dire 30 %. Je pense que ça s'inspirait beaucoup de... la comparaison se faisait avec la France.

Mais, par ailleurs, le professeur Sauvageau a pris le temps de nous indiquer, par exemple, qu'en France c'était un seuil qui était plutôt en diminution, hein? On était passé de 50 % à 30 %; donc, ce n'était pas un seuil où on allait en imposant de plus en plus des seuils. Donc, tout ça doit être mis dans son contexte politique et économique.

Mais, un des arguments qu'on a contre cette idée des seuils, c'est de dire que le marché québécois est un petit marché, que l'imposition des seuils, par exemple, pour un grand quotidien montréalais ferait peut-être en sorte qu'il serait circonscrit dans un encore plus petit marché que le marché naturel montréalais, par exemple, métropolitain, si je prends cet exemple-là.

n(15 heures)n

Mais, par ailleurs, le professeur Raboy amène ici un argument que je voulais soulever, puis vous entendre là-dessus. C'est que, pour lui, c'est le phénomène de la concentration qui amène une réduction du pluralisme, et il dit que c'est ça qui amène une réduction du lectorat. Parce qu'on sait aussi qu'on est dans un contexte où, depuis 10 ans, le lectorat chute pour les journaux, et lui fait ce lien-là entre la baisse du lectorat, la baisse du nombre de lecteurs, et la question de la concentration, et je vous avoue que je voulais vous entendre développer là-dessus si vous êtes en mesure de le faire, là. C'est un exemple qu'il nous donne en page 90, mais je voudrais que vous développiez un peu sur cette hypothèse.

Le Président (M. Rioux): Mme Larouche.

Mme Larouche (Chantale): Alors, je vais céder la parole à mon confrère Denis Guénette.

M. Guénette (Denis): Évidemment, la question est complexe, mais ce que nous en savons à travers ce qui a été fait comme études, c'est notamment qu'en Europe on accepte ? je vous donne l'exemple européen ? un certain monopole, si on veut, un certain seuil de concentration, mais ce contre quoi on en a, c'est sur l'abus de la position dominante. Et, en l'absence de règles, il n'y a rien qui définit ce qui est un abus de position dominante sur le plan économique ou sur le plan même rédactionnel et il n'y a rien qui le précise et qui le détermine, et ça, ça pose un problème. Et, je reviens toujours à cette absence de règles, à partir de quel moment un conglomérat comme, par exemple, Quebecor peut abuser sur le plan économique de sa position dominante?

Mme Beauchamp: Je vous renvoie la question. Ha, ha, ha!

M. Guénette (Denis): Voilà. Alors, nous, ça nous inquiète.

Mme Beauchamp: Non, mais c'est... On est au coeur de ça.

M. Guénette (Denis): Ça nous inquiète. C'est-à-dire qu'on pense...

Mme Beauchamp: Qu'est-ce que c'est qu'un abus, selon vous, dans ce contexte-là?

M. Guénette (Denis): On pense, par exemple... Bon, je vous donnerais l'exemple... Qu'est-ce qui interdirait, par exemple, à Quebecor d'agir comme Microsoft l'a fait, de museler d'une certaine façon toute compétition, d'acheter tous les concurrents? Qu'est-ce qui interdirait, par exemple, à Quebecor ? c'est sur le plan commercial ? d'établir des pratiques commerciales qui feraient en sorte que la concurrence ne pourrait pas survivre d'aucune manière? Qu'est-ce qui interdirait, par exemple, à Quebecor, en raison de sa propriété croisée, d'intervenir dans le contenu rédactionnel?

On ne s'attend pas et on ne pense pas que M. Péladeau lui-même serait derrière l'épaule de chaque journaliste. Ce n'est pas de cette manière-là qu'on procède. Mais on pense qu'il y a des choix, il y a des choix éditoriaux qui sont imposés aussi par la nature des entreprises. Quebecor, à titre d'exemple, n'est pas que dans les journaux. Quebecor a une multitude de propriétés, donc une multitude de possibilités de conflit d'intérêts ? appelons ça comme ça ? et cette possibilité-là fait en sorte que les outils de publication, en quelque sorte, de Quebecor, les journaux, la télévision ou, autrement, ses publications peuvent être sujets dans certains cas à une influence. Alors, nous, ça nous inquiète.

Et ce qui nous inquiète également, c'est toute la question du discours unique. On prétend largement que, avec la multiplication des sources, sur Internet notamment, ça permet une multiplication des sources d'information. Dans les faits, on se rend compte qu'il y a une concentration des sources d'information et que les grands diffuseurs d'information sont généralement à propriété unique. Donc, où se trouve cette diversification réelle là? Où se trouve la garantie que les sources sont multiples et que les gens, le public, dans leur maison, ont accès à des sources différentes? Nous, on pense que la concentration produit exactement l'inverse et concentre le discours, et ça, c'est une inquiétude professionnelle, ça n'a rien à voir avec la question des emplois, de la protection stricte des emplois que font les syndicats, par exemple.

Mme Beauchamp: Si vous permettez...

Le Président (M. Rioux): Il n'y a plus de temps. Peut-être 30 secondes, madame.

Mme Beauchamp: Oui, 30 secondes. Vous touchez ce que je voulais toucher. Je vous dis que le Pr Raboy dit, entre autres, qu'il y a une réduction du nombre de lecteurs. Il dit: Ceci est dû au fait qu'un certain nombre de gens ne lisent plus les journaux, estimant qu'ils se ressemblent trop. Vous venez parler d'unification des discours, mais pourquoi ces gens-là se tourneraient vers la télé qui, elle, a augmenté quand vous nous affirmez du même souffle qu'au niveau télévisuel aussi il y a eu un phénomène de concentration? Alors, pourquoi on se tourne vers la télé si je vis le même phénomène, que c'est une unification des discours?

Le Président (M. Rioux): Alors, vitement, là.

M. Guénette (Denis): Bon, bien, rapidement, la perception que j'en ai, c'est que, au fond, l'accès à la télévision, d'abord, est gratuit, est instantané. C'est un médium très différent et c'est un accès extrêmement facile. Le journal, on s'informe, mais il faut l'acheter, il faut le consommer, il faut le lire, ça prend un certain temps. La télévision, c'est un médium de masse, et il pénètre dans tous les foyers, et cet accès-là est pratiquement instantané.

Le Président (M. Rioux): Mme Larouche, 10 secondes.

Mme Larouche (Chantale): Dix secondes. Alors, simplement vous indiquer notamment... Bon, à Chicoutimi, les gens qui achètent Le Quotidien, vont-ils... qui achetaient La Presse, vont-ils encore, dans un an d'ici, acheter La Presse et Le Quotidien? Tout dépendra de la manière dont on traitera la vocation du journal Le Quotidien. Mais, si les gens lisent dans Le Quotidien les mêmes chroniques que dans La Presse, il y a fort à parier qu'il y a un des journaux qui ne sera plus lu.

Le Président (M. Rioux): Alors, messieurs dames, Mme Larouche, je vous remercie...

Mme Larouche (Chantale): Merci.

Le Président (M. Rioux): ...ainsi que tous les membres de votre équipe. Et je demanderais maintenant au groupe Gesca de prendre place. Alors, suite aux syndicats, on va prendre les boss.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Rioux): ...alors, bonjour, M. Crevier. Bonjour à votre équipe. Alors, vous avez la parole pour 20 minutes, et on aimerait connaître qui vous entoure.

Gesca ltée

M. Crevier (Guy): M. le Président, Mme la ministre, Mme et MM. les députés, le métier d'informer est un métier qui est passionnant. Nous avons la volonté d'accroître la qualité et la pertinence de nos quotidiens. C'est un défi qui est emballant, et, pour ce faire, j'ai le plaisir de diriger des équipes professionnelles et dynamiques et de pouvoir compter également sur un bassin de journalistes très talentueux.

Au cours des dernières semaines, plusieurs points de vue ont été exprimés sur les mouvements de propriété dans l'industrie des médias. Il a été souvent question de Gesca, de nos stratégies, de nos intentions et de nos pratiques. Il nous fait donc plaisir aujourd'hui de venir témoigner devant la commission et d'exposer clairement notre vision d'avenir. Nous nous ferons également un devoir ? sans jeu de mots ? de répondre à vos questions.

Je suis accompagné de mes collègues de La Presse, du Soleil et de La Voix de l'Est pour bien représenter la diversité de notre groupe. Permettez-moi de vous les présenter. M. Marcel Desjardins, vice-président et éditeur adjoint à La Presse. M. Desjardins possède une vaste expertise des médias, dont plus de 25 ans à titre de cadre dans l'information. Il a, entre autres, dirigé plusieurs émissions d'information à Radio-Canada, dont l'émission d'affaires publiques Le Point. M. Desjardins répondra aux questions concernant le fonctionnement de la salle des nouvelles de La Presse.

M. Alain Dubuc, éditorialiste en chef à La Presse. M. Dubuc, qui est un témoin attentif de l'évolution de notre société, répondra, entre autres, aux questions touchant le fonctionnement de l'équipe éditoriale de La Presse.

M. Claude Thibodeau, président et éditeur du Soleil. Le Soleil est appelé à jouer un rôle de premier plan au sein de Gesca, et je suis heureux de la présence de M. Thibodeau aujourd'hui avec nous.

M. Jacques Pronovost, qui est président et éditeur de La Voix de l'Est de Granby, le plus petit quotidien francophone du Québec. Nous sommes fiers de La Voix de l'Est, de sa qualité et de son dynamisme. M. Pronovost a aussi été journaliste au Nouvelliste et rédacteur en chef à La Tribune de Sherbrooke. Il possède donc une vaste expérience des médias régionaux.

Gesca est maintenant un véritable groupe de presse. La stratégie que nous avons choisie représente une approche classique qui s'inscrit dans la tradition bien établie du monde de l'information. Le fonctionnement en groupes de presse constitue le mode dominant d'organisation du travail et de l'information au Canada anglais, aux États-Unis et dans la plupart des pays européens. En Amérique du Nord, la presque totalité des quotidiens dont le tirage est comparable à celui de La Presse et du Soleil évoluent au sein de groupes où l'on retrouve d'autres journaux de taille comparable. Cette situation procure aux journaux d'un même groupe la masse critique nécessaire pour financer et proposer des initiatives indispensables à la production de journaux de qualité et à la réalisation de couvertures d'envergure nationale et internationale.

n(15 h 10)n

Pour Gesca, la concentration de marché n'est pas une réalité, encore moins un objectif. La stratégie d'acquisition des quotidiens d'UniMédia repose avant tout sur une approche d'affaires qui vise essentiellement à financer le développement d'une presse de qualité et à maintenir un réseau dynamique de quotidiens régionaux de langue française. Il s'agit de la seule stratégie apte à garantir à long terme la viabilité et le développement d'une presse de qualité à et assurer le maintien d'une presse régionale forte.

Pour atteindre nos objectifs de qualité, nous valoriserons la mise en commun de ressources matérielles, financières et intellectuelles dans le but de toujours mieux remplir notre mission d'informer. Notre mémoire fait d'ailleurs largement état d'une des recherches les plus intensives menées aux États-Unis sur une période de 12 ans par le Pr David Demers, directeur général du Centre d'études des médias de l'Université de l'État de Washington. Cette étude démontre que les groupes de presse de grande taille accordent une importance plus grande à la qualité du produit et de l'information; que les groupes de presse possèdent des structures et des mécanismes de décision complexes dont la responsabilité est assumée par des gestionnaires et par des professionnels de l'information; que les groupes de presse présentent, en raison de leur solidité financière, une plus grande indépendance vis-à-vis des groupes de pression de toute nature; et enfin que les groupes de presse disposent de meilleurs moyens pour innover, offrir des contenus diversifiés et de qualité.

Nous croyons qu'aucune loi, aucun règlement, aucune politique ne peut mieux garantir la qualité de l'information que la volonté et la capacité financière d'un groupe de presse à promouvoir une stratégie de qualité. C'est là, dans une société démocratique, que réside la meilleure garantie d'une presse libre et diversifiée et c'est pour mieux nous consacrer à notre mission première, celle de l'information quotidienne, que nous nous sommes départis de tous nos intérêts dans les hebdomadaires des marchés de Québec, Trois-Rivières, Chicoutimi et Hull, ce qui a pour effet de diluer la propriété dans ces mêmes marchés.

Il faut bien comprendre la structure des quotidiens de Gesca pour éclairer le débat sur les mouvements de propriété. Nous possédons désormais deux quotidiens, La Presse et Le Soleil, qui peuvent soutenir au sein de notre groupe une stratégie de journaux dits nationaux. Il s'agit de journaux aptes à offrir une couverture complète de l'actualité, à accorder une place importante à l'analyse et à la diversité d'opinions, à offrir des dossiers et des séries et à avoir accès à un bassin significatif de correspondants à l'étranger. Notre groupe compte également cinq quotidiens régionaux qui jouent un rôle primordial dans leurs régions respectives. Ils répondent aux besoins de leur marché et partagent également des objectifs de qualité, de diversité et d'indépendance.

Au cours des 30 dernières années, Gesca a développé une expertise unique dans l'édition de journaux. Cette expertise est fondée sur un certain nombre de valeurs fondamentales: la qualité de l'information, la reconnaissance de l'indépendance des salles de rédaction, la promotion de la diversité d'opinions et le respect du caractère original de chacun de nos quotidiens.

On ne saurait rappeler assez l'importance du rôle d'une bonne santé financière et de l'accès à des capitaux pour le maintien et le développement d'une presse de qualité. Malgré une baisse marquée de la rentabilité des journaux régionaux au cours des 10 dernières années, aucune réduction de personnel, à l'exception du Nouvelliste, n'est venue affecter le fonctionnement des salles de rédaction. Notre investissement annuel dans les salles de nouvelles s'élève à 48 millions de dollars. Nos quotidiens se démarquent par les ressources allouées à leur équipe rédactionnelle et par l'importance accordée à notre politique éditoriale. Celle-ci vise essentiellement à promouvoir en qualité et en grand nombre les pages d'opinions, les pages de lettres aux lecteurs, les chroniques et les analyses ainsi que la publication de dossiers sur des enjeux de société.

À l'heure où un grand nombre de médias électroniques se retirent du secteur des affaires publiques, les quotidiens de Gesca consacrent davantage de place aux débats, aux séries, aux pages d'opinions et aux idées. C'est pourquoi les quotidiens de Gesca se distinguent par un nombre élevé de collaborateurs spécialisés et de correspondants à l'étranger. Au total, 34 personnes indépendantes les unes des autres travaillent aux pages éditoriales et plus d'une trentaine, toujours indépendantes les unes des autres, ont le statut de chroniqueur.

De plus, nos quotidiens sont des partenaires privilégiés de La Presse canadienne. Nous avons depuis longtemps appuyé cette organisation tant au plan financier qu'au plan des échanges d'information. La Presse canadienne est essentielle au bon fonctionnement de chacun de nos quotidiens.

Gesca accorde aussi une importance primordiale au respect des normes professionnelles et aux conditions d'exercice du journalisme. Les dirigeants de chacun de nos quotidiens et les professionnels de l'information ont, depuis plusieurs années, élaboré et mis en pratique des clauses professionnelles. Elles viennent encadrer, dans l'intérêt non seulement des parties, mais également dans l'intérêt du public, l'exercice de la profession.

Par ailleurs, les quotidiens de Gesca s'acquittent de leurs responsabilités lorsqu'ils sont saisis de plaintes de la part de lecteurs ou du public en général. Nos quotidiens se font un devoir de traiter les plaintes, d'y apporter les correctifs nécessaires si elles sont fondées et de publier le point de vue des plaignants dans le courrier des lecteurs. Nous avons, sur ce plan, une souplesse que ne possèdent pas des médias comme la télévision et la radio.

Nous sommes également depuis le début un allié du Conseil de presse. Nous y siégeons, nous le respectons et nous le finançons. Nous nous engageons même à augmenter notre contribution financière afin que le Conseil possède plus de moyens pour accélérer le traitement des plaintes qu'il reçoit. Que ce soit en matière de relations de travail, d'éthique publicitaire, de politique journalistique, de relations avec nos lecteurs ou encore de notre adhésion active aux principes défendus par le Conseil de presse, Gesca dispose de tous les outils pour être une entreprise de presse responsable.

Les quotidiens de Gesca ont toujours joué un rôle significatif dans l'épanouissement de la culture d'ici, et il s'agit d'une caractéristique de notre action. Nos quotidiens sont des lieux de mémoire, des outils de promotion et d'épanouissement de la langue française et, enfin, ils consacrent de nombreuses ressources à la couverture de la vie culturelle.

J'aimerais maintenant insister sur la plus grande richesse de nos quotidiens, la liberté de presse. Il est arrivé dans le passé que des gouvernements d'ici et d'ailleurs tentent de circonscrire le fonctionnement de la presse écrite. Pour assurer la liberté de presse, nous croyons fermement qu'il doit exister une saine distance entre la presse et les pouvoirs publics. L'heure n'est pas à la microréglementation. Le danger est réel, la microréglementation peut se transformer facilement en obstacle au grand principe de liberté de presse. Ce que nous pouvons attendre des États et des gouvernements, c'est qu'ils créent un environnement favorable afin que les principaux acteurs puissent rapidement s'adapter aux nouvelles conditions de marché. Il est possible d'en arriver à un environnement de consultation et de concertation en gardant les gouvernements à distance du fonctionnement des salles de nouvelles.

J'aimerais maintenant aborder certaines particularités du marché québécois. Le développement accéléré des technologies et des réseaux de distribution pousse les entreprises de communication à redéfinir leur territoire et à élargir leur champ d'action. En l'an 2000 et seulement au Canada, 27 milliards de dollars ont été consacrés à la mise en oeuvre de stratégies d'acquisition dans le domaine des communications et des médias. En proportion, l'investissement de Gesca fait figure d'une goutte d'eau dans une mer de milliards.

Le monde des médias est caractérisé par l'abondance et la diversité des sources d'information. Au Québec seulement, on retrouve sept chaînes de télévision conventionnelles, 21 canaux spécialisés, 177 stations de radio, 13 quotidiens, 274 hebdomadaires et 530 périodiques, et, bien sûr, il y a l'Internet. Nous sommes très loin d'un duopole. La concentration de la propriété d'une partie de la presse écrite ne représente pas un réel danger dans un marché où les consommateurs ont accès à des sources d'information de plus en plus variées et nombreuses.

Force est de constater que les critères conventionnels pour mesurer les niveaux de concentration sont dépassés. Dans l'analyse des mouvements de propriété, il importe de considérer que le Québec se classe à l'avant-dernier rang des provinces canadiennes pour la part de tirage de quotidiens détenus par un même éditeur. Gesca détient une part de marché de 44 % du tirage total des quotidiens distribués. Les éditeurs principaux de chacune des provinces, sauf l'Ontario, détiennent une part largement majoritaire du tirage des quotidiens. À titre d'exemple, il existe 16 quotidiens en Colombie-Britannique, soit trois de plus qu'au Québec. Les quotidiens de la Colombie-Britannique évoluent dans un marché riche, prospère et en croissance. Pourtant, 92 % du tirage est détenu par un même éditeur. Cela s'explique par l'étroitesse des marchés autant au Québec que dans les autres provinces canadiennes. Au Canada, le taux de pénétration des quotidiens per capita est le plus faible des pays industrialisés. Il se situe à 159 par tranche de 1 000 habitants, alors qu'il est de 593 en Norvège, 311 en Allemagne et 218 pour la France. Au Québec, la situation est encore plus inquiétante avec un taux approximatif de pénétration de 135 par tranche de 1 000 habitants.

n(15 h 20)n

Pour mieux éclairer le débat, nous avons cherché à mesurer l'impact des médias dans le marché du Québec. Nous avons demandé à SECOR et à Cossette de réaliser une étude conjointe sur l'impact de la télévision, des journaux, des magazines et de l'Internet. Il nous fera plaisir de déposer à la commission, à la fin de notre présentation, des copies des résultats de cette étude.

Les principaux constats de l'étude sont: Au Québec, sur un total de 1 853 minutes consacrées per capita aux médias francophones, Gesca, via ses quotidiens, accapare 66 minutes de ce total, soit seulement 4 % du total du temps consacré aux médias. En comparaison, si le CRTC autorise Quebecor à acquérir TVA et à vendre TQS, Quebecor accaparera 794 de ces minutes, soit 12 fois plus que Gesca. En matière strictement de nouvelles, Gesca accapare 23 minutes et Quebecor 182, un rapport de huit pour un. Cette mesure fournit l'illustration frappante que l'impact relatif d'une entreprise comme Gesca, qui consolide son expertise dans le secteur des quotidiens, par rapport à une entreprise intégrée comme Quebecor est un rapport qui est totalement différent. Bien que nous reconnaissions que l'information est un bien public, nos quotidiens, eux, ne sont pas universels. Dans les faits, les calculs démontrent que les quotidiens de Gesca rejoignent seulement 17 % des foyers du Québec. Comme vous pouvez le voir, la portée des quotidiens de Gesca dans l'univers médiatique québécois est beaucoup plus pondérée que bien des gens le prétendent.

En conclusion, j'aimerais insister sur le fait que nous avons pris des engagements précis à l'endroit de nos employés et à l'endroit de nos lecteurs. Ces engagements consistent à maintenir le caractère original de chacun de nos quotidiens, à reconnaître et favoriser l'indépendance des directions de l'information et des salles de rédaction, à respecter les pratiques journalistiques, à encourager et promouvoir la diversité d'opinions, à investir dans des contenus de qualité, à soutenir La Presse canadienne et enfin à fournir au Conseil de presse du Québec les moyens de mieux remplir sa mission. Ces engagements ont été maintes fois réitérés depuis notre décision d'acquérir UniMédia, ils découlent de la volonté des propriétaires et des dirigeants de Gesca. Les principes et les valeurs qui les sous-tendent font partie de nos pratiques quotidiennes depuis plus de 30 ans. Nos lecteurs, principalement, s'attendent à les voir respectés, et nous n'avons pas l'intention de les décevoir. Je vous remercie.

Documents déposés

Le Président (M. Rioux): Merci beaucoup, M. Crevier, de votre exposé. Vous êtes même entré à l'intérieur des limites.

M. Crevier (Guy): Ah, bien à l'intérieur.

Le Président (M. Rioux): Ah, c'est assez intéressant, ça fait plus de temps aux députés pour vous poser des questions. Ha, ha, ha! Alors, Mme la ministre, et ensuite suivra le député de Marguerite-D'Youville.

Mme Maltais: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, M. Crevier, messieurs, bonjour. On est très heureux de vous voir ici aujourd'hui. Vous avez évidemment fait l'objet d'une grande partie des débats de cette commission parlementaire. Je dirais que, en général ? je reprendrai les mots que vous avez utilisés et qui ont été utilisés par beaucoup de gens ? vous êtes effectivement, semble-t-il, c'est ce qu'on a entendu, une entreprise de presse responsable, c'est-à-dire que Gesca a été très peu attaquée jusqu'ici dans sa gestion de la qualité de la presse. Et je dirais que, s'il y a si peu de reproches, ce qu'on nous dit aussi, c'est qu'on le doit à la qualité de l'homme qui est à la tête de l'entreprise Gesca, qui semble avoir...

M. Crevier (Guy): Je vous remercie de vos commentaires. Je vous dirais aussi que c'est un travail collectif, c'est le travail de tous les employés de nos journaux.

Mme Maltais: Alors, de toute façon, on nous dit que vous pratiquez du journalisme de qualité, et on peut le voir à la lecture des journaux. Effectivement, La Presse a eu un redressement extraordinaire ces dernières années. C'est ce qu'on appelle une entreprise de presse de qualité.

Toutefois, quant aux engagements que vous venez de prendre encore une fois de plus publiquement, que nous saluons, beaucoup de questions se posent quant au suivi de ces engagements, et je suis sûre que certains des députés voudront vous poser des questions sur la manière dont on pourrait travailler avec vous pour assurer le suivi de ces engagements.

Une chose que je voudrais dire, dans votre mémoire, vous nous parlez beaucoup de la liberté d'entreprise. Pourtant, les débats, ici, sont de la liberté de presse. C'est-à-dire que vous nous parlez de la liberté d'une entreprise de gérer efficacement, de voir justement à la gestion... de l'indépendance des salles de rédaction, tout ça, mais notre problème, nous, est dans la diversité des sources qui est la base de la liberté de presse. Vous nous dites: On n'est peut-être pas en face d'un duopole, mais on a quand même 44 % de part de marché chez vous et 52 % chez Quebecor. C'est quand même lourd dans le tirage des quotidiens au Québec, et un journal de qualité n'est pas garanti... quelle que soit la qualité d'un journal, ça ne garantit pas la diversité des sources.

C'est le problème qui nous réunit aujourd'hui, d'autant que, vous l'avez souligné, nous sommes dans un contexte de propriété croisée, et je dirais que, là-dessus, votre récente entente avec la Société Radio-Canada fait jeter un autre regard sur La Presse comme n'étant que de presse écrite, parce que, semble-t-il, il y a une entente très forte avec Radio-Canada qui s'est développée, puis c'est sûr que là-dessus aussi on pourra vous entendre.

Mais il y a eu beaucoup d'appréhensions vis-à-vis la difficulté de conserver le propriétaire... non pas le gouvernement, mais le propriétaire loin de la salle de rédaction. Alors, ça, face à ces appréhensions, dites-nous, pourrait-il y avoir conflit entre les intérêts du groupe Gesca et la direction de Power Corporation? On sait que Power Corporation, on sait que vous avez... Power Corp. a des intérêts en finance, a des intérêts dans les assurances. Comment pouvez-vous dire à cette commission qu'il ne peut pas y avoir conflit d'intérêts, que vous pouvez bien vivre avec ça?

Le Président (M. Rioux): M. Crevier.

M. Crevier (Guy): Premièrement, le groupe Gesca est doté d'un conseil d'administration qui est indépendant. Ça veut dire qu'il n'y a pas de lien et il n'y a pas de table... Moi, je ne côtoie jamais mes collègues de chez Power, à savoir les autres présidents des entreprises dans le domaine des assurances ou dans le domaine des autres activités qui sont pilotées par Power.

Ce qui est important chez nous, c'est de considérer qu'on est un groupe de médias somme toute très simple, nous n'avons qu'une seule activité, publier des quotidiens, hein? Alors que, si on compare notre transaction avec celle de Quebecor, dans le groupe de médias de Quebecor, se retrouvent une foule d'activités qui peuvent apporter à un certain moment donné une notion de conflit d'intérêts parce que le groupe Quebecor est actif dans des activités de publication de journaux, de magazines, d'Internet, bon, de télévision, de câble, de téléphonie sans fil, tout ça à l'intérieur d'un groupe qui s'appelle Quebecor Média. Alors que, nous, notre groupe médias, chez Power, représente uniquement 3 % ou 4 % de l'ensemble de l'activité de Power, et c'est limité uniquement à, je dirais, la publication de quotidiens.

Et je ne veux pas avoir l'air, ici, effronté, bien au contraire, mais ce que je peux vous dire, c'est que les actionnaires de Gesca, donc les propriétaires de Power, ne sont jamais en contact direct avec aucun membre de mon équipe. Jamais ils ne sont intervenus. Ils n'interviennent jamais, ça ne s'est jamais vu dans le passé non plus. Il n'y a aucune forme de contact direct. Je vous dirais que les pressions exercées par les politiciens auprès des journalistes, auprès des directions de l'information sont beaucoup plus fortes que celles exercées par les propriétaires.

Le Président (M. Rioux): Mme la ministre, est-ce que ça répond en gros?

Mme Maltais: Mais vous voulez dire vraiment que tous les...

M. Crevier (Guy): ...

Mme Maltais: Oui, d'accord, mais qu'un journaliste qui écrit sur Power Corp. chez vous, dans vos journaux, n'a aucune... ne sent absolument pas au-dessus de sa tête qu'il y a un patron qui pourrait peut-être intervenir?

M. Crevier (Guy): Je pense que c'est... Je pense que ce matin il y a...

Le Président (M. Rioux): Je pense que Mme la ministre n'avait pas terminé...

M. Crevier (Guy): Excusez. Je m'excuse.

Le Président (M. Rioux): ...de formuler sa question.

Mme Maltais: J'allais terminer mon mot tout simplement. Donc, il n'y a aucun patron qui pourrait intervenir à son patron, qui, ensuite, pourrait intervenir et le décaler aux chiens écrasés, mettons.

M. Crevier (Guy): Je pense que, ce matin, les gens du Syndicat de La Presse ont parlé d'un environnement d'autocensure. Il n'y a pas d'interventions directement de la part des propriétaires, de la part des gestionnaires de La Presse. Il y a sûrement une forme d'autocensure qui est pratiquée par les journalistes eux-mêmes, mais cette forme d'autocensure-là, elle va dans les deux sens aussi, hein? Récemment, Power a réalisé en Europe une des plus grandes transactions dans le domaine des communications avec la fusion Bertelsmann avec RTL, et le Globe and Mail a publié deux pages très documentées, absolument fantastiques sur cette transaction-là qui est une des plus importantes en Europe. La Presse n'aurait jamais pu faire ça parce que La Presse aurait été taxée de dorer la pilule du côté des propriétaires. Et je pense que ça joue dans les deux sens, hein? Il y a une forme d'autocensure puis, en même temps, il y a une forme de... les gens prennent beaucoup de distance par rapport aux propriétaires parce qu'ils ne veulent pas non plus être taxés d'être trop près. Donc, moi, je dis qu'il y a là aussi une notion d'équilibre.

Le Président (M. Rioux): M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Oui. Merci, M. le Président. Dans votre présentation, M. Crevier, vous avez souvent référé à une presse de qualité. Est-ce que vous pourriez nous dire brièvement c'est quoi, pour vous, une presse de qualité?

n(15 h 30)n

M. Crevier (Guy): Bien, écoutez, je pense qu'on a fait beaucoup état de concentration au cours de la commission parlementaire, mais je ne pense pas qu'on a fait beaucoup état de qualité. Et moi, ce que je trouve dommage, particulièrement au Québec, j'ai toujours été... ça fait longtemps que je dirige des entreprises de communication, et ce que j'ai toujours trouvé dommage, ce n'est pas tellement les niveaux de concentration, c'est davantage l'absence de ressources. Moi, ce que je trouve déplorable ici, c'est que les Québécois et les Québécoises, donc les francophones, n'aient pas accès à des journaux qui sont des journaux qui se donnent des envergures à faire du journalisme d'enquête, à élaborer des grands dossiers, à favoriser des couvertures internationales. Et, ce qui est difficile, c'est qu'on voit de plus en plus des gens qui cherchent, les lecteurs cherchent de plus en plus ce type d'information là, et malheureusement, doivent se tourner vers des magazines américains, vers le Globe and Mail, vers le National Post, qui remplissent ces mandats-là. Et, moi, je pense très sincèrement qu'il y a de la place, au Québec, pour des journaux de qualité qui se donnent une envergure de couverture qui favorise les dossiers, la couverture internationale, les débats, la diversité d'opinions et la qualité.

M. Beaulne: Vous avez également, dans votre présentation, mentionné que vous faisiez en sorte d'être au-dessus des pressions des groupes d'intérêts. Mais n'êtes-vous pas, vous-mêmes, comme organisation, un groupe d'intérêts? Et j'en veux pour preuve la présentation de votre mémoire ici où vous adoptez une ligne qui est non interventionniste de la part de l'État; c'est tout à fait légitime. Vous ne préconisez aucune mesure du type de celles qui ont été avancées par d'autres groupes qui sont venus nous voir auparavant, que ce soit l'instauration d'un chien de garde, la mise sur pied d'un fonds pour aider les périodiques plus pauvres ou pour aider les hebdos, enfin, toutes sortes de mesures que je qualifierais, de manière générale, d'interventionnistes. Alors, le fait que vous nous présentiez un mémoire, qui exclut et qui ne mentionne aucunement ces différentes mesures, qui fait appel, au fond, à l'autorégulation de l'industrie n'avez-vous pas adopté, vous-mêmes, un chapeau de groupe d'intérêts?

M. Crevier (Guy): Bien, écoutez, encore une fois, je veux faire attention, parce que... Puis je m'excuse si mon mémoire a pu être mal compris. Je ne me définis pas, loin de là, comme un non-interventionniste. Au contraire, je pense qu'on a pris dans ce mémoire-là une série d'engagements.

Ce que je dis, c'est que je perçois... Et je vous dis même que je suis mal à l'aise d'être ici, aujourd'hui, parce que je dirige des équipes d'information, et une équipe d'information, aujourd'hui, aurait très bien pu, à titre d'exemple, trouver un scandale dans le domaine du financement des partis politiques, pourrait être actuellement... Je ne sais pas, mais mon équipe éditoriale pourrait s'opposer de façon majeure à la question des fusions municipales, ce qui n'est pas le cas, mais on pourrait être en train de faire ça. On pourrait aussi, bon, faire plein de dossiers. Et je me vois mal, moi, sur une base régulière, revenir chercher un bulletin devant des parlementaires. Moi, je crois qu'il doit exister une distance fondamentale entre un gouvernement et une salle de presse. Et je pense qu'on ne rend pas service à la société québécoise, à la diversité d'opinions, à la liberté de presse, en voulant créer des liens trop étroits.

Et je ne me définis pas comme un non-interventionniste. On prend ici une série d'engagements. On dit aux gens qu'on va revoir nos codes d'éthique, nos politiques d'information, qu'on va les publier. Est-ce qu'il y a quelque chose de plus transparent que ça? On va dire exactement, dans nos politiques d'information, qu'on reconnaît la totale indépendance de nos journalistes, y compris à l'endroit des propriétaires. On va publier ça; on va prendre cet engagement-là, puis on va dire aux gens: Si vous avez l'impression qu'on ne respecte pas nos engagements, portez plainte au Conseil de presse, parce qu'on accorde beaucoup d'intérêt.

Nous dirigeons des journaux de qualité. S'il y a une plainte qui est portée au Conseil de presse et qu'on perd cette plainte-là, c'est une plainte qui est importante pour nous, parce que ce qu'on vend, nous, c'est notre crédibilité.

M. Beaulne: Oui, mais le Conseil de presse... d'ailleurs, c'est M. Roy, lui-même, qui nous a indiqué que ce n'était peut-être pas le meilleur instrument ou le mieux adapté pour exercer ce rôle. Mais j'ai un troisième point...

M. Crevier (Guy): Est-ce que vous me permettez de répondre à ça? Parce que je pense que c'est un point important puis...

M. Beaulne: Oui, oui, certainement, certainement, parce que ça nous a été dit.

M. Crevier (Guy): Et, depuis ce matin, on fait référence à ça. Puis, moi, j'aime bien M. Roy. Ce n'est pas parce que je le connais depuis longtemps, c'est parce que je pense que c'est quelqu'un qui est sage dans la vie et qui connaît bien l'information. Je pense que M. Roy a émis un certain nombre de réserves, et moi, je les partage aussi.

Je les partage, parce que, ce qu'on demande au Conseil de presse actuellement... Puis on a le Conseil de presse le plus efficace ici, au Québec, parmi ceux que, moi, j'ai pu constater de voir dans tous les systèmes. Ce qu'on demande au Conseil de presse, c'est de jouer un rôle de tribunal. Un tribunal doit, par nature, être capable de démontrer une neutralité.

Maintenant, si on dit au Conseil de presse: Non seulement vous allez jouer un rôle de tribunal, mais un rôle de chien de garde. Si, dans son rôle de chien de garde, en faisant un bilan d'une façon régulière de la presse, le Conseil de presse vient qu'à adopter une attitude négative à l'endroit d'un groupe de presse ou à l'endroit d'un groupe de pression, à l'endroit de ci ou à l'endroit de ça, qu'est-ce qui va arriver? Il va arriver une méfiance entre les groupes de presse, entre les professionnels de l'information, entre les cadres de l'information et entre le Conseil de presse, et cette méfiance-là va être négative, va limiter la crédibilité, va limiter l'action du Conseil de presse.

Peut-être que ce qu'on veut atteindre comme objectif est légitime, mais je pense qu'on devrait faire attention au Conseil de presse et à son indépendance.

Le Président (M. Rioux): Très bien.

M. Beaulne: Un troisième point rapide, là: la montréalisation de la nouvelle.

M. Crevier (Guy): Oui.

M. Beaulne: Ça, c'est un élément qui a été souvent soulevé par des gens qui sont venus devant nous, même le groupe qui vous a précédé, l'allusion qui a été faite aux quotidiens.

Depuis que La Presse publie son cahier Montréal Plus ? moi, je représente la Rive Sud de Montréal ? on se sent, disons, un peu plus à l'aise, mais ça a pris pas mal de temps avant que vous sortiez un cahier comme celui-là.

Quand vous parlez de la liberté des salles de presse, le genre Montréal Plus, est-ce que c'est le genre de cahier, dans des régions, dans des municipalités que vous desservez qui ont un territoire assez vaste... ça serait un exemple que vous pourriez appliquer dans d'autres régions?

M. Crevier (Guy): Je ne peux pas vous donner d'exemples que je veux appliquer, parce que, premièrement, j'ai fait la tournée de tous nos quotidiens, et j'ai rencontré tous les employés par petits groupes pour discuter de nos orientations puis de nos objectifs.

On a fixé trois objectifs. Le premier objectif qu'on a fixé ? on a demandé à chacun des quotidiens d'adopter un plan en fonction de ces objectif-là ? c'est accroître le tirage de nos quotidiens, parce que c'est un tirage qui est en décroissance depuis les 10 dernières années, à l'exception pour La Presse, cette année, et Le Soleil, cette année. C'est un chiffre qui est en décroissance. Donc, on a donné le mandat d'accroître la qualité de nos quotidiens, d'accroître le tirage, de lancer des initiatives Internet et de générer des nouveaux revenus. Et, moi, j'ai demandé à chacun des quotidiens d'élaborer un plan autour de ça.

On l'a dit dans la présentation: Nous ne voulons pas uniformiser nos quotidiens. Nos quotidiens sont indépendants les uns des autres, et moi, ce à quoi je m'attends, c'est que chaque quotidien adopte un plan sur mesure.

Le Président (M. Rioux): Très bien. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Tout comme je l'ai fait d'entrée de jeu, lorsque nous avons reçu l'autre grand groupe qui était Quebecor, je vais plaider ici pour qu'on prenne le temps nécessaire, pour avoir le temps nécessaire pour poser toutes les questions qu'on a à poser au groupe Gesca ? puis elles sont nombreuses. On a eu cette souplesse-là avec le groupe Quebecor, et j'aspire, bien sûr, à ce que nos invités acceptent qu'on puisse prendre le temps nécessaire pour répondre à l'ensemble de nos questions. Merci, déjà, de nous avoir laissé quelques minutes de plus en ayant raccourci votre allocution.

Mais les questions sont nombreuses, puis je vais commencer avec un commentaire, en disant: Du côté ministériel, là, il faut faire attention quand on pose des questions sur la notion de groupe d'intérêts ou même de conflit d'intérêts; le chapeau peut revenir vite sur la tête du gouvernement.

La fois où on a entendu parler de conflit d'intérêts, c'est dans le mémoire de la FPJQ sur le fait que le gouvernement a applaudi quand son bras financier ? la Caisse de dépôt ? a pris la plus haute participation qu'elle n'a jamais prise dans une entreprise de communication qu'est Quebecor-Vidéotron. Donc, si je continue dans votre logique, la notion de conflit d'intérêts puis d'intérêts, ça commence à être très préoccupant sur l'indépendance qu'a Quebecor vis-à-vis le gouvernement.

Mais, à vous, ceux qui dirigez Gesca, je dois vous faire part du fait qu'on a entendu plusieurs choses positives à votre endroit, mais également, il y a des choses préoccupantes. Je pense que, suite à la transaction qui vous a fait acquérir les quotidiens d'UniMédia, la question fondamentale, c'est la question de la préservation du caractère de chacun des quotidiens qui sont sous votre gestion.

Et, souvent, on a entendu la phrase: Notre passé est garant de l'avenir, et ça, je le note bien. Vous avez un passé assez performant, si je peux employer cette expression-là dans ce cas-là, mais également, vous avez entendu comme moi ce matin ? vous étiez présent dans la salle, M. Crevier ? le fait qu'on nous a aussi donné un exemple du présent qui était le site Internet qui porte le nom de Cyberpresse. Ça l'identifie de plein fouet avec le média montréalais, et on nous a décrit que, au présent, vous avez diminué ? c'est ça qu'on nous a affirmé, en tout cas ? la présence des quotidiens régionaux sur le site Internet de l'entreprise.

Je voudrais savoir, vraiment, de votre côté, si cette façon de faire et le reflet de votre entreprise sur Internet, si ce n'est pas préoccupant et pas le reflet de vos intentions quant à la place que vous voulez faire pour vos quotidiens régionaux. Et vous comprendrez que ça m'amène aussi à poser la question, donc, sur: Comment vous voyez l'avenir de ces quotidiens-là, régionaux?

Vous savez comme moi qu'en plus de l'inquiétude exprimée par Internet une question de fond a été toute la question de la libre circulation des textes aux fins de votre entreprise. Et la préoccupation. elle est concrète, elle est terrain, c'est: Est-ce que je vais retrouver au Droit, au Quotidien, à La Tribune, finalement, une grosse presse de Montréal?

Le Président (M. Rioux): Très bien. M. Crevier.

n(15 h 40)n

M. Crevier (Guy): O.K. Maintenant, votre question, elle est très vaste, et j'ai bien peur de regruger dans le temps que je vous avais sauvé, un petit peu, économisé au début, et je vais demander également à mon confrère Jacques Pronovost de parler des quotidiens régionaux.

Je voudrais peut-être vous présenter Cyberpresse puis vous expliquer un petit peu notre stratégie en arrière de tout ça. Moi, je suis un fervent défenseur du modèle culturel québécois. Je pense qu'on a un modèle, qui est unique, qui est performant, puis on a eu l'avantage et également la gloire de le développer à côté du géant qui est un géant américain.

Moi, j'ai réfléchi beaucoup, à savoir comment, sur l'Internet, on pouvait assurer le développement d'une expertise au Québec, d'un savoir-faire, d'un savoir-faire de production. Et on est arrivé à la conclusion assez simple de dire qu'il fallait être numéro un, pour une raison simple. C'est que, quand on regarde le modèle au Canada anglais, il y a 85 % du trafic, au Canada anglais, sur l'Internet qui se dirige directement vers les Américains. Pourquoi? Parce que les Canadiens anglais consomment une culture américaine. Il n'y a à peu près pas de chance qu'un site canadien soit numéro un. On va en retrouver un parmi les 20 premiers, mais il n'y aura pas un site canadien qui va être numéro un.

On voit ça également dans le domaine de la télévision. Sur les 50 émissions les plus écoutées, à Toronto, en télévision, il y en a 48 qui sont américaines, deux qui sont canadiennes. Moi, je crois beaucoup dans le développement d'un savoir-faire, d'une expertise. Quand j'ai travaillé en télévision, quand j'ai travaillé dans les entreprises de production, ce qui était fascinant, c'est qu'on pouvait faire appel à des réalisateurs, des concepteurs, des scripteurs. Ici, on peut faire appel à des gens qui savent écrire, des gens qui savent faire du pupitre, à des bons chroniqueurs, parce qu'on leur a donné une plate-forme, on a développé un savoir-faire.

Dans l'Internet, moi, je trouve que le problème, c'est un problème de branchement mais aussi un problème de développement de savoir-faire. On a mis de l'avant une stratégie de dire: On va être le numéro un, on va développer un site de qualité. On reçoit des centaines de lettres et de commentaires de gens qui jugent que notre site est probablement le meilleur actuellement en information, au Québec, et ce qu'on veut faire, c'est qu'on veut être numéro un parce qu'on pense qu'en étant numéro un, on va créer beaucoup de valeurs pour nos employés, on va créer beaucoup de valeurs pour les lecteurs, beaucoup de valeurs pour les Québécois.

La seule façon d'être numéro un, la seule façon d'être sur le radar, sur la carte, de pouvoir aller chercher de l'argent des publicitaires pour développer ce site-là, c'était de regrouper nos actifs et d'avoir un objectif qui était d'atteindre un chiffre de plusieurs millions de pages lues par mois. C'est ce qu'on s'est fixé comme objectif. On a lancé, en catastrophe, ce site-là qui est un site de très bonne qualité. On a rencontré tous les employés, on leur a fait part de notre stratégie.

Au mois de juin vont s'ajouter des modules qui vont faire en sorte que chacun des journaux régionaux va avoir des outils pour avoir un contenu très riche sur ses pages, va avoir des outils pour archiver son contenu, va avoir des outils pour personnaliser la page d'information. Ça veut dire qu'un lecteur de La Tribune qui aime davantage les nouvelles à caractère agricole, si on donnait l'exemple de ce matin, dès qu'il va poinçonner La Tribune.ca, va arriver sur une page qui va être personnalisée pour lui. Donc, on ajoute au fur et à mesure, et on est au début du développement du site.

Et si on compare ce site-là aujourd'hui avec ce qui se faisait avant... mais je vais laisser M. Pronovost, peut-être, un peu élaborer là-dessus et aussi parler du mandat des journaux régionaux.

Le Président (M. Rioux): Alors, Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Pour résumer, vous me dites ? excusez l'expression ? mais que c'est un «work in progress».

M. Crevier (Guy): Ah oui!

Mme Beauchamp: Et vous me dites ici, aujourd'hui ? je pourrais traduire ça presque comme un engagement...

M. Crevier (Guy): Absolument!

Mme Beauchamp: ...vous venez de dire que ce site Internet va offrir plus de présence, plus de contenu au niveau des quotidiens régionaux dans un avenir à court terme.

M. Crevier (Guy): Ah oui! C'est notre force. Notre force, c'est la capacité de couvrir l'ensemble du territoire du Québec. Si on n'exploite pas cette force-là, on passe à côté. Mais, notre objectif, par exemple, c'est être numéro un.

Le Président (M. Rioux): M. Pronovost.

M. Pronovost (Jacques): Moi, je voudrais dire qu'on est très heureux même, nous à LaVoix de l'Est, de faire partie de Cyberpresse, pour une raison bien simple.

Moi, j'étais à La Tribune avant. On avait le site de La Tribune, on a eu le site La Voix de l'Est aussi qui étaient des sites qui étaient faits à partir finalement de la passion des gens qui étaient là, mais on n'avait pas le moyen. On n'avait pas le moyen pour développer nos sites, même si on a réussi à mettre des contenus. Comme dans le cas de La Tribune, il y a eu des contenus beaucoup plus forts que ce vous voyez sur Cyberpresse, et La Voix de l'Est a fait la même chose aussi, mais avec très, très peu de moyens puis très peu de moyens financiers, compte tenu des ressources qu'on a en région.

Et, actuellement, ce que ça nous donne comme porte d'entrée, c'est une question de visibilité aussi. Le fait d'être regroupés sous Cyberpresse avec La Presse, avec Le Nouvelliste, bientôt les quotidiens d'UniMédia, avec La Tribune, ça nous donne une visibilité beaucoup plus grande qui fait en sorte qu'on va pouvoir développer notre site.

Et, ce que disait M. Crevier, tantôt, c'est: Depuis décembre effectivement, on est en discussion à toutes les semaines. J'avais encore une rencontre avec des gens, la semaine dernière, pour développer nos propres contenus, notre propre architecture sous notre site à nous, ce qui n'est pas fait encore, mais ça fait deux mois et demi qu'on a lancé ce site-là et ça va être fait d'ici au mois de juin. Et, alors, on va discuter avec nos propres employés quel contenu on devrait mettre là-dessus, comme La Tribune va le faire, elle aussi.

Alors, moi, je suis certain que ces sites-là vont devenir beaucoup plus riches que ce qu'on était à peu près incapable de faire avant, et Le Nouvelliste n'avait pas de site pour la même raison. Et je vous dirais même que, à La Tribune, c'est ma secrétaire et moi qui tenions le site, et si on n'y allait pas le samedi, c'était difficile, même si, en dernier, on avait une très bonne collaboration de nos journalistes de fin de semaine là-dessus, mais ce n'était pas facile, ils ne sont pas nombreux. Alors, on va avoir du bon contenu.

Le Président (M. Rioux): Merci.

M. Crevier (Guy): Le fait qu'on revient à la question de la libre circulation des textes qui a été l'objet de beaucoup de commentaires au cours de la commission, moi, ce que je pourrais vous dire, c'est que nous n'avons aucune intention d'avoir des chroniqueurs communs à l'ensemble de nos journaux; ça serait dénaturer chacun de nos journaux.

Regardez ce qu'on a fait jusqu'à maintenant: La Tribune, c'est très différent de La Presse, Le Nouvelliste est très différent de La Tribune, La Voix de l'Est est très différente de La Presse, de La Tribune. Chaque journal a son caractère qui est propre, hein? Puis, quand je parle de chroniques, là ? je veux bien qu'on se comprenne, là, parce que je ne veux pas induire la commission en erreur ? là, je ne parle pas de chroniques sur les timbres, les vins, les bandes dessinées, les horoscopes et tout ça. Moi, je ne vois pas de mal à ce que ça soit commun. D'ailleurs, il y a beaucoup d'achats communs qui se font actuellement entre nos journaux. Je parle de chroniqueurs qui sont des gens qui font de l'analyse, qui font des commentaires et tout ça.

Maintenant, quand on parle de la clause, on l'appelle Gesca, on l'appelle UniMédia. Ces clauses-là existent déjà qui permettent l'échange de textes, et il n'y a pas eu d'abus dans ce sens-là. Certains l'appellent la clause du libre-échange; moi, je l'appelle la clause de la générosité. J'ai dit, tantôt, qu'il y a un problème marquant au Québec, c'est le faible taux de lecture. Ce n'est pas des farces, je veux dire. C'est 160, au Québec, 159. On peut comparer ça avec 500 et quelques, en Norvège, Japon, 580, France, 200 et quelques. Il y a un problème de lectorat, et on a le devoir de faire des journaux de qualité. Et, moi, je pense qu'en permettant les échanges on va permettre d'avoir une meilleure qualité dans nos journaux régionaux. Et c'est pour ça que, moi, j'appelle ça, cette clause-là, la clause générosité, parce que c'est de permettre à nos médias régionaux d'avoir accès.

Maintenant, je veux donner deux exemples. Cet été, La Presse a envoyé Pierre Foglia à Sydney, en Australie, pour la couverture des Jeux olympiques. Pierre Foglia, en arrivant à Sydney, fait un papier fantastique sur une jeune fille qui s'appelle Geneviève Jeanson, une jeune cycliste qui vit à Lac-Brome. Je veux dire, pourquoi La Voix de l'Est, dans un... Moi, je ne veux pas que La Voix de l'Est publie les textes de Pierre Foglia. Mais, est-ce que La Voix de l'Est, dans un cas précis comme celui-là, peut avoir accès, peut publier, pour une fois, le texte de Pierre Foglia parce que ça touche quelqu'un qui vit sur son territoire? La Voix de l'Est n'aura jamais les moyens d'aller aux Jeux olympiques de Sydney.

Autre exemple, nous avons une nouvelle journaliste talentueuse qui est à Londres ? actuellement, on a ouvert un bureau au cours des derniers mois ? qui s'appelle Isabelle Haché. Elle a fait un papier fantastique sur les Kurdes. Je doute que ce papier-là intéresse les gens de nos autres journaux ? elle a fait ça dimanche. Mais, hier, elle a fait un papier exceptionnel sur les problèmes reliés à la fièvre porcine, hein, et on a combien de journaux, nous autres, qui évoluent dans des marchés qui sont des marchés agricoles? Mais, pourquoi La Tribune, exemple, qui évolue dans un territoire ? c'est un territoire où est-ce qu'il y a beaucoup d'agriculteurs ? n'aurait pas pu reproduire cet extrait-là?

Est-ce que ça aurait été une absence de diversité de l'information? Moi, je ne pense pas. On augmente la diversité d'information et on augmente la qualité. Il n'est pas question qu'il y ait de chroniqueurs communs, il n'est pas question que cette clause-là soit appliquée de façon abusive. Et, ce qui est le plus important, c'est que la décision de reprendre un article sera une décision qui sera libre à chacun des quotidiens et jamais imposée par la direction à l'information.

Le Président (M. Rioux): Très bien. On va aller de l'autre côté; après ça, on va revenir. M. le député de Vachon.

M. Payne: Je pense que...

Le Président (M. Rioux): Avant d'aller plus loin, là, la députée de Sauvé a dit, tout à l'heure, qu'on pourrait peut-être déborder. Moi, je vous le dis: on n'ira pas pénaliser les groupes qui suivent, et puis, finir à 18 heures parce qu'on donne plus de temps à d'autres. Ça veut donc dire que ? on se comprend ? on devra déborder 18 heures. C'est ça.

M. Payne: Oui...

Le Président (M. Rioux): M. le député de Vachon.

M. Beaulne: Bien, oui, mais attendez un peu. Question de règlement, là. De combien de temps?

Le Président (M. Rioux): Le temps qu'on va accorder de plus à Gesca? Si on décide que c'est 10 minutes de plus à Gesca, on débordera de 10 minutes à 18 heures.

M. Payne: C'est ça.

Le Président (M. Rioux): Très bien. M. le député de Vachon.

M. Payne: On a effectivement beaucoup de questions à poser; si on peut être assez raccourci dans les réponses aussi. À mesure que la concentration devient réalité, il y a un acteur dans le portrait qui devient, pour moi, préoccupant. Parce que, lorsqu'on parle de contenu, on parle d'auteur; lorsqu'on parle d'auteur on parle de droit, droit d'auteur. Et, notamment, il y a deux questions qui reviennent à l'esprit, que j'ai posées, il y a deux semaines, au niveau des droits d'auteur et les échanges de textes.

n(15 h 50)n

Il y avait beaucoup de choses qui sont écrites et qui circulaient auprès de la commission concernant, bien sûr, le recyclage, l'utilisation, la réutilisation des textes de toutes sortes produits dans d'autres publications, recyclés dans d'autres produits de communication. Quelles sont les normes, outre que conventionnées par la convention collective, bien sûr, qui ont la protection particulière? Pouvez-vous déposer des documents qui puissent protéger ce genre de professionnels?

Et, deuxièmement, je reviendrai dans une deuxième question sur la question d'échange de textes.

Le Président (M. Rioux): Oui, M. Crevier.

M. Crevier (Guy): Sur la question des droits d'auteur, nous n'avons jamais demandé à posséder des droits d'auteur. Ça fait que nous laissons aux auteurs leurs propres droits. Ça veut dire qu'on ne veut pas exploiter ces droits-là ni dans d'autres publications.

Par contre, c'est nous qui en assumons la responsabilité civile, de la publication d'un journal. On a souvent des poursuites; donc, on doit nécessairement archiver ces textes-là. Donc, on doit obtenir un droit pour les archiver.

Qui dit un droit d'archive, dit également un droit de consultation. On pilote un projet. Récemment, j'ai prononcé une conférence à la Chambre de commerce de Montréal, et on a l'intention de prendre toutes nos archives et de les rendre disponibles gratuitement pour les écoles. Donc, si on décide... puis, moi, je pense que ça serait une contribution fantastique à la culture québécoise et également à la société québécoise de rendre disponibles nos archives gratuitement aux écoles et leur utilisation, mais il faut quand même à ce moment-là que j'aie le droit d'archiver les textes que nous publions. Il faut que j'aie le droit également d'en permettre la consultation. C'est tout ce qu'on demande, nous autres, dans nos négociations avec les gens qui possèdent les droits d'auteur. On ne veut pas posséder les droits complets sur les textes.

M. Payne: Mais assurer la responsabilité ne vous donne pas la propriété.

M. Crevier (Guy): Je suis d'accord avec vous.

M. Payne: Je parle spécifiquement des droits d'auteur. Pouvez-vous faire référence à une politique qui puisse exister auprès de vos organismes, vos journaux qui puissent... Autrement dit: Est-ce qu'il y a quelque chose dans les suggestions ou les insinuations faites par les journalistes pigistes?

M. Crevier (Guy): Mais, moi, je vais arrêter mes commentaires là. Vous allez être content, vous allez avoir des réponses plus courtes. Mais il y a mésentente sur l'utilisation des droits d'auteur. On a décidé d'aller régler le litige devant les tribunaux. Donc, on va laisser les tribunaux trancher la question puis...

M. Payne: Je suis d'accord, mais on est devant le public puis le public voudrait comprendre quels sont les enjeux. Pouvez-vous, de votre point de vue, expliciter exactement c'est quoi, la problématique, et de quelle façon vous pouvez y répondre, sans égard à ce qui se trouve devant les tribunaux?

M. Crevier (Guy): Je vous ai expliqué tantôt l'objectif de nos fonctionnements, ce qu'on voulait obtenir comme droit qui n'était pas de posséder le droit d'auteur, parce qu'on pourra le reproduire sous d'autres plateformes. Ce qu'on voulait, c'est avoir les droits d'utiliser sur notre site Internet et les droits de les archiver et de permettre la consultation de nos archives. Telles sont nos demandes.

Maintenant, si la commission désire être informée plus amplement, nous avons un spécialiste des droits d'auteur au sein de Gesca, et je pourrais lui demander d'écrire un petit papier et de vous envoyer, pour la commission, ce résumé-là.

Le Président (M. Rioux): Ça serait bienvenue.

M. Crevier (Guy): Ça va me faire plaisir, monsieur.

Le Président (M. Rioux): M. le député d'Iberville.

M. Bergeron: Merci, M. le Président. Ma première question rejoignait un peu celle de mon collègue de Vachon. Il y a un certain temps, des membres de l'AJIQ sont venus, et ça concerne les pigistes. C'est que c'est gens-là travaillent à la pige chez vous, dans des conditions, des fois, je ne dirais pas douteuses, mais disons, ils sont payés à bas salaire et ils doivent renoncer à leurs droits d'auteur, O.K.?

Une de leurs principales revendications, ces gens-là, c'était l'établissement d'un contrat-type. Je vois que vous avez manifesté plusieurs engagements dans votre mémoire. Est-ce que la mise sur pied, l'élaboration d'un contrat-types pour les pigistes pourrait faire partie de vos engagements?

M. Crevier (Guy): Bien, écoutez, encore une fois, quand des gens rencontrent un problème comme ça, il y a des possibilités de s'asseoir et de tenter de négocier quelque chose, ce qui, dans ce dossier-là a été fait.

Maintenant, les parties concernées ont choisi de demander au tribunaux de trancher. Moi, à ce stade-ci, là, à partir que les gens ont des positions intransigeantes, puis ça peut être nous autres qui avons une position intransigeante aussi. Mais, à partir de ce moment-là, où les gens décident devant les tribunaux, je dis: Laissons aller le processus, regardons ce que les tribunaux vont décider, puis voyons par la suite.

Moi, ce que je peux vous dire, par exemple, par rapport à votre commentaire, c'est que je ne pense pas qu'il n'y a personne qui travaille à La Presse et qui est maltraité en termes de rémunération. Maintenant, ça ne règle pas la question d'utilisation des droits d'auteur.

Le Président (M. Rioux): Merci.

M. Bergeron: J'avais une autre question sur la faiblesse du lectorat. C'est très préoccupant d'avoir des chiffres aussi bas que ça: 159 pour 1 000, alors que d'autres sociétés, qu'on pourrait dire, comparables et qui sont originales dans leur coin de planète, comme la Norvège, comme la Finlande... parce que je pense qu'on ne parle le finnois qu'en Finlande, qu'on ne parle le norvégien qu'en Norvège et peut-être un peu au Danemark, mais ce n'est pas beaucoup.

Mais, 159 habitants sur 1 000, c'est faible. De quelle façon pourrait-on voir à augmenter ça, à améliorer ça? Je suis conscient que c'est complexe, comme problématique, et c'est un ensemble de facteurs qui pourrait... Mais, disons, M. Crevier qui est patron de la boîte, qu'elle est son idée là-dessus?

M. Crevier (Guy): Bien, je vous dirais que c'est préoccupant pour moi, comme patron également, parce que je vous donnais juste l'exemple d'un quotidien. On parle d'une notion de 159, au Canada, et on parle de 135 au Québec par 1 000, et je vous donne l'exemple d'un quotidien qui est celui du quotidien La Tribune de Sherbrooke.

Moi, j'ai commencé ma carrière comme correspondant régional à La Tribune de Sherbrooke, puis j'ai été journaliste, chef de pupitre à La Tribune et tout ça, et à l'époque, quand j'étais là-bas, ce journal-là a tiré, un certain samedi, à 44 000 exemplaires, et a fait régulièrement, là, maintenu des moyennes régulières de toutes ces années là au-dessus de 40 000. La Tribune, l'an dernier, a frisé le 30 000 exemplaires. Ça veut dire qu'en neuf ans elle a perdu 25 % de son lectorat, ce qui est énorme, vous savez, puis c'est là-dessus que je voulais attirer votre attention.

On a parlé beaucoup de diversité ici, devant la commission. Moi, je crois beaucoup dans la presse régionale. D'ailleurs, quand on s'est départi des hebdos, on a vendu des hebdos qui étaient beaucoup plus rentables que certains de nos quotidiens. Mais on croit dans les quotidiens, on veut investir dans les quotidiens puis on veut développer les quotidiens.

Et c'est pour ça, moi, quand je parle d'une clause qui est la clause générosité qui est la clause de libre-échange, j'espère qu'on va être en mesure, sans enlever la personnalité des quotidiens, donc, ça sera un libre choix des pupitres, des directions d'information qui sont en place de choisir les textes qu'ils vont publier, mais j'espère qu'on va être en mesure de leur offrir une plus grande diversité de textes pour leur permettre justement d'avoir un journal de meilleure qualité, un journal plus complet, et d'augmenter le lectorat. J'ai l'impression qu'à notre façon on répond à une partie du problème en voulant faire des journaux de qualité.

Maintenant, j'espère que, si jamais vous prenez la décision de créer un fonds, que ce fonds-là sera universel, qu'il aidera également les petits quotidiens, qu'il aide vraiment ces quotidiens-là à mieux remplir leur mandat, et j'espère que ce fonds-là également favorisera, de façon générale, la lecture au Québec, que ce soit la lecture des magazines, que ce soit la lecture des quotidiens, que ce soit la lecture de toutes sortes de publications, j'espère que c'est un fonds qui favorisera la lecture.

Le Président (M. Rioux): M. Crevier, vous mettez beaucoup en lumière le lectorat, le bas lectorat qui existe au Québec, et vous mettez aussi en lumière votre clause générosité, etc. Il y a un aspect stratégique dans ce discours-là, j'en conviens.

Mais, quand vous dites qu'aucune loi, aucun règlement, aucune politique ne pourra garantir l'indépendance et la diversité de la presse, si ce n'est que la santé financière de la business que vous dirigez, bien, moi, je trouve ça vite dit. Je vous le jure, là, compte tenu de ce qu'on a entendu jusqu'à maintenant, je trouve que vous coupez ça tellement court que j'ai le goût de vous demander: Pourriez-vous étayer ça un peu plus parce que...

M. Crevier (Guy): Bien, écoutez...

Le Président (M. Rioux): Je ne dirais pas que vous êtes à contre-courant mais ce n'est pas loin.

M. Crevier (Guy): Bien, peut-être effectivement que je tourne les coins rond quand je fais cette affirmation-là, mais c'est une affirmation d'un vieux routier. Je commence à avoir les cheveux gris à peine. Mais, quand même, je me qualifie de vieux routier.

J'ai exercé plusieurs métiers, moi, dans le domaine des communications. J'ai été, entre autres, président de TVA, et ce qui m'a toujours fasciné, c'est, entre autres: la loi concernant la création de Radio-Canada est la même depuis le début. Pourtant, Radio-Canada, ça a été un balancier en termes de positionnement dans les émissions culturelles, dans l'information, dans les... Tu sais, ce n'est pas une loi qui encadre. Moi, je dis que ce sont l'équipe, la dynamique, la dynamique de l'équipe, la volonté de l'équipe; c'est ça qui est la meilleure garantie.

Vous avez devant vous une entreprise qui prend un positionnement public en disant: Nous allons prendre le positionnement de la qualité, nous allons prendre le positionnement de la diversité. Je sais que c'est difficile à concevoir comme concept, puis je comprends bien les gens qui ont des craintes aussi, je veux dire; je ne suis pas insensible à ça, mais... Et les gens, aujourd'hui, disaient: Wo! on se dirige vers un duopole, c'est dangereux.

D'un autre côté, regardez, je vais vous sortir des chiffres. Sur la réforme de l'éducation, depuis l'automne, nous avons publié 13 éditoriaux par des personnes différentes dans La Presse seulement, à Montréal, 15 textes de spécialistes observateurs, des gens qui sont des... puis des textes, pas des petits textes, là, nos pages forums, des pleines pages, 15 pages différentes et 20 lettres de lecteurs pour la seule réforme de l'éducation. Il y a de la diversité là-dedans. On ne peut pas avoir une seule opinion dans ça; même si on dit qu'il n'y a qu'un seul propriétaire, il n'y a pas une seule opinion. Sur les fusions municipales, 22 éditoriaux, 19 textes de spécialistes, 29 lettres aux lecteurs; il y a de la diversité dans ça.

Maintenant, moi, ce que je vous dis, c'est: Nommez-moi une autre entreprise qui en fait autant. Nommez-moi un média électronique qui a fait autant de débat autour des fusions municipales, de la santé, de la réforme de l'éducation que La Presse; il n'y en a pas. Donc, on apporte une garantie de diversité. Et c'est ça, pour moi, faire un...

Le Président (M. Rioux): Si on avait le temps, on le ferait, le débat, certainement. mais il faut que je laisse la parole à la ministre.

M. Crevier (Guy): Mais je vous...

n(16 heures)n

Le Président (M. Rioux): Mais je me demande... je veux dire: Pourquoi seriez-vous plus vertueux que Quebecor, alors qu'on vient accuser Quebecor? À peu près chaque intervenant a réussi à accuser Quebecor à peu près de tous les péchés de la création, et là vous nous dites: Vous avez devant vous une entreprise de presse quand même assez fantastique. Alors, on est obligés de vous croire.

M. Crevier (Guy): Bien, on a investi beaucoup, hein? Je ne veux pas entrer dans le détail du fonctionnement de La Presse, on a investi énormément. Tu sais, nous avons investi dans des stages de formation, nous avons investi dans ce qu'on appelle... L'été, on embauche les étudiants qui viennent. On fait passer un test et...

Une voix: Des stages.

M. Crevier (Guy): Des stages. Il y a, des fois, 200 étudiants qui veulent passer ce stage-là, on en retient une dizaine, on donne l'occasion à ces jeunes-là de travailler dans nos journaux. C'est comme ça qu'on identifie les meilleurs journalistes au Québec. On a un processus qui n'est pas un processus qui est intuitif, on a un processus qui est très organisé qui nous a amenés depuis de nombreuses années à faire de la qualité. On n'est pas les seuls à faire de la qualité. Moi, je pense qu'il y a Le Devoir, présentement, qui fait beaucoup de qualité aussi.

Le Président (M. Rioux): Très bien. Mme la ministre. On va terminer avec les ministériels puis, après ça, on finira avec l'opposition.

Mme Maltais: M. Crevier, vous venez de vous exprimer un peu sur un fonds. Vous savez que la plupart des mémoires font une allusion à un fonds pour aider la presse indépendante. Vous avez déjà, je crois, exprimé une position éditoriale là-dessus dans La Presse. Pourtant, vous venez de vous exprimer sur ce que pourrait peut-être être un tel type de fonds, à ce que j'ai cru comprendre. Donc, comment accueillez-vous finalement l'idée d'un fonds?

M. Crevier (Guy): Je ne suis pas contre l'idée d'un fonds puis je suis ouvert à une discussion. Là où je suis contre, c'est l'idée que ça soit payé par les acteurs dans le domaine des médias. Moi, honnêtement, j'aimerais prendre mon argent et j'aimerais vraiment bâtir un réseau de correspondants à l'étranger. C'est ma priorité actuellement. Je ne vois pas pourquoi je devrais contribuer dans un fonds pour aider mes compétiteurs. Je trouve ça illogique, ça existe dans aucun autre type d'industrie.

En plus, là où j'ai énormément de problèmes avec cette stratégie-là si on nous demande, à nous, de payer, c'est que je me dis: Bon, moi, là, je dirige une entreprise qui fait la promotion de la culture et qui défend l'identité francophone et je devrais être plus pénalisé qu'une banque, qu'une compagnie d'assurances, que quelqu'un qui vend des autos, et tout ça. Pourquoi? C'est quoi, le concept? Conceptuellement, j'essaie juste de comprendre comment ça se fait qu'on en arrive dans la société québécoise à dire qu'un joueur culturel va être plus imposé que quelqu'un d'autre. Moi, ça me renverse. Je vous le dis, là, ça fait des années que je travaille à développer des entreprises de communication, des entreprises culturelles, et je ne comprends pas ce débat-là, j'ai vraiment énormément de difficultés.

D'ailleurs, vous voyez, j'en parle avec passion, ça me touche et ça me frappe, parce que je pense qu'on a réussi à bâtir un système culturel ici qui est performant, qui est unique parce qu'on a réfléchi à la structure de notre système culturel. Et à imposer à des compagnies qui investissent dans le développement d'une culture francophone... à imposer ces gens-là davantage que n'importe quel autre type d'activité industrielle au Québec, je pense que c'est pénaliser quelqu'un qui aide le développement de la société québécoise.

Le Président (M. Rioux): Alors, Mme la ministre, avez-vous une question passionnée?

Mme Maltais: Une question assez simple. Moi, ce qui me passionne, si vous voulez, c'est la culture québécoise et la presse québécoise. Là, je pense qu'on tombe dans des nuances que nous connaissons bien. Pourtant, on parle de liberté de presse, on ne parle pas de voitures. On parle de liberté de presse, on parle de diversité des voix dans une société. Il y a beaucoup de pays qui ont légiféré là-dessus, et c'est accepté, et vous n'entendez... Un simple fonds, vous avez l'impression d'aider des concurrents. Mais il y a une nécessité de la concurrence aussi ici, sur le territoire québécois.

M. Crevier (Guy): Écoutez, on parlait tantôt des taux de lecture, hein? Quand les gouvernements ont décidé d'imposer la TPS et la TVQ, les journaux ont perdu 5 % ? c'est 5 % ? en l'espace de quelques mois, de leurs lecteurs. Donc, ça, ça a été une taxe qui a été très pénalisante sur la capacité de lire. La capacité de lire, c'est la capacité de lire un contenu qui est francophone, c'est la protection de notre culture. On vit dans un environnement... Je n'ai pas à vous le décrire, je pense que vous le maîtrisez beaucoup mieux que moi.

Le Président (M. Rioux): Très bien...

M. Crevier (Guy): Tu sais, moi, c'est là que je vous dis de faire attention. De faire attention de ne pas pénaliser les entreprises qui sont dans le domaine culturel. Maintenant, si l'État dit: On veut créer un fonds parce qu'on croit dans le développement de la culture francophone, c'est l'État qui paie le fonds à travers son fonds général, moi, je n'ai pas de problème avec ça.

Le Président (M. Rioux): M. Crevier, on est en train de pénaliser les libéraux, là.

M. Crevier (Guy): Oui, je m'excuse.

Le Président (M. Rioux): Alors, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: ...M. le Président. Il y a un commentaire que vous avez fait qui a excité ma curiosité, je voudrais juste avoir une clarification. Vous avez dit que vous ? je ne vous cite pas verbatim, mais de mémoire ? ne vous voyiez pas venir chercher un bulletin annuel devant les parlementaires. Alors, j'ai deux questions. Pourquoi? Et l'autre question, c'est: Qui vous donne votre bulletin annuel?

M. Crevier (Guy): Bien, je pense que le pourquoi est assez simple, parce que je pense qu'il doit exister une différence très nette entre l'État et le fonctionnement d'une salle de presse. Et je pense qu'à vouloir faire de la microréglementation on se rapproche du fonctionnement d'une salle de presse, et ça, je n'y crois pas.

M. Laporte: D'accord.

M. Crevier (Guy): Secundo, qui nous donne notre bulletin? Mes lecteurs. Tous les jours, mes lecteurs me donnent leur bulletin. Tous les jours, je vends un produit. Moi, je ne suis pas un produit universel, je ne rentre pas dans toutes les maisons. Je rentre dans 17 % des foyers québécois, et ces lecteurs-là me donnent un bulletin tous les jours.

M. Laporte: Donc, finalement pour...

M. Crevier (Guy): Regardez, je ne sais pas si vous êtes au courant, ce matin, là, c'est annoncé, le lancement d'un quotidien gratuit à Montréal, hein, O.K.? Donc, un quotidien gratuit à Montréal, c'est fait, là. À Toronto, quand cette démarche-là a été prise, il y en a eu trois qui ont été lancés en l'espace de 24 heures. Bon, on vit dans un environnement de libre entreprise, on a comparé beaucoup ici, à la commission...

M. Laporte: Oui, oui, je comprends votre point de vue.

M. Crevier (Guy): Non, mais on a comparé beaucoup à la commission les médias écrits en disant: Il faut une régie sur les médias écrits parce qu'il en existe dans le CRTC. Au CRTC, quelqu'un qui veut lancer une station de télévision n'a pas le droit de la lancer. Il ne peut même pas suggérer au CRTC, il ne peut même pas se présenter en disant... il faut qu'il attende que le CRTC daigne, en bout de ligne, dire: C'est le temps d'octroyer des licences. Là, il fait un processus, un processus qui prend une année, qui lui coûte une fortune pour obtenir une licence. Ils sont, des fois, 30 à demander une licence. Dans les journaux, là, ce matin, il y a quelqu'un qui prend la décision, il n'a pas demandé la permission à personne, il part. Il va venir affecter ma rentabilité, mon lectorat, mes revenus publicitaires, il va venir affecter tout ça sans demander de permission.

Maintenant, si, moi, je vise... Une entreprise privée, on prend des risques vu que c'est une entreprise qui n'est pas régie, c'est une entreprise qui... Et là on dit: Bien, tu sais, on voudrait complexifier tout le fonctionnement de ça puis on voudrait rapprocher l'intervention gouvernementale du fonctionnement des salles de nouvelles. Moi, je trouve ça dangereux.

Le Président (M. Rioux): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Mais, au nom d'une valeur qui est tout de même... sur laquelle il existe un niveau de précarité, vous allez en convenir... C'est-à-dire la liberté de presse, c'est une valeur...

M. Crevier (Guy): Fondamentale.

M. Laporte: ...précaire. Pas au Québec, mais c'est une valeur précaire en général. Disons que, je ne sais pas, moi, la sûreté, la sécurité des automobiles, c'est moins précaire que cette valeur-là. Qu'est-ce que vous, vous acceptez comme mode légitime, disons, peut-être pas de surveillance, mais, disons, de monitoring, si on veut, de contrôle, si on veut, du niveau de précarité de cette valeur-là compte tenu qu'il y a des gens... Ici, par exemple on a été... Ça fait 15 jours qu'on est en commission parlementaire, là, nous, les parlementaires, on ne peut pas nier qu'il y a un climat d'opinion. Ce n'est pas un climat d'opinion publique qui fait que les gens se bagarrent dans la rue, mais il y a tout de même des groupes de pression qui sont venus nous faire part en grand nombre, en bon nombre de leurs inquiétudes, de leurs appréhensions. Donc, vous allez certainement avoir une façon de nous éduquer sur ce que pourrait être une intervention légitime pour répondre à ces appréhensions.

M. Crevier (Guy): Retournons en arrière, au cours des 12 derniers mois, il y a eu énormément de transactions, hein, dans le domaine des communications. Alors, on a vu BCE qui commence dans les canaux spécialisés, on a vu des gens qui se sont portés acquéreurs de magazines, des gens qui se sont portés acquéreurs d'hebdos. On a vu, bon, le geste de Quebecor qui est un niveau même pas, pour moi, de concentration, mais d'intégration qui est inégalé en Amérique du Nord, puis ça a été fait avec l'appui de la Caisse de dépôt puis je ne veux pas insister là-dessus. Bon, il y a eu plusieurs transactions. Moi, devant la commission parlementaire, des gens qui ont pris des engagements, je n'en ai pas entendu beaucoup. Je pense qu'on a agi, là, en transparence, on a agi comme des citoyens corporatifs responsables. On se présente ici aujourd'hui avec une liste d'engagements très précis, et je n'ai pas entendu d'autres engagements d'aucun autre joueur, moi, autour de la table. À moins que j'aie mal écouté, c'est possible, corrigez-moi. Mais, on se présente avec une liste d'engagements, je pense qu'on agit de façon transparente et correcte. Écoutez, là, tu sais, c'est un engagement qui est corporatif, c'est un engagement qui est important. Maintenant, on dit respecter le cadre dans lequel nous évoluons, et je pense que les gens, si on ne respecte pas nos engagements... je pense que les gens qui vont être le plus pénalisés seront nous parce que nous n'avons qu'une seule valeur, notre crédibilité. Est-ce que M. Dubuc veut compléter sur la notion de...

M. Dubuc (Alain): Il y a...

Le Président (M. Rioux): Oui, M. Dubuc.

n(16 h 10)n

M. Dubuc (Alain): Je vous remercie. Il y a des mécanismes d'autocontrôle aussi qui existent. De façon générale, si on avait dit: Il y a une dégradation de la presse écrite depuis 10 ans, peut-être que ce débat-là aurait plus d'acuité, mais je pense qu'on ne peut pas le dire ni de nous ni de nos concurrents. Ça, c'est une chose. Et c'est que l'environnement dans lequel on fonctionne n'est pas un vase clos. On dit que Gesca contrôle 44 % du tirage de la presse écrite, mais, quand on parle de liberté de presse, on est dans l'univers non pas de la vente de journaux, mais dans le domaine de la circulation des idées, et cet univers de circulation des idées ne se limite pas à la presse écrite quotidienne. Et si, par exemple, un quotidien comme le nôtre dérapait, le contrepoids ne se ferait pas nécessairement dans la presse écrite, mais dans l'actualité, dans les nouvelles de Radio-Canada, dans une émission de radio, dans un débat soulevé par les parlementaires à l'Assemblée nationale, et donc ces mécanismes de contrôle qui assurent que les choses se fassent de façon civilisée dans l'information dépassent le cadre de la presse écrite.

Puis, enfin, l'outil du Conseil de presse, je pense, doit s'appliquer. C'est-à-dire que, même si nous sommes inquiets de formules... ou que le Conseil de presse serait à la fois un analyste et un arbitre, cette procédure d'arbitrage là est aussi un outil qui permet aux gens de se plaindre de ce qu'ils estiment être du dérapage de la presse écrite, et c'est ce qu'ils font. Beaucoup des plaintes qui se font au Conseil de presse viennent de citoyens qui sont insatisfaits de la qualité de l'information ou de l'orientation qu'elle peut prendre. Donc, les mécanismes existent, et donc ce que Guy Crevier propose, ce n'est pas de laisser faire, c'est de laisser des mécanismes, qui sont déjà très présents dans notre société, permettre à la presse de maintenir un niveau de qualité et de progresser.

Le Président (M. Rioux): Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Vous venez de parler, M. Crevier, de la notion d'engagement, puis, je tiens à le resouligner, d'entrée de jeu, dans nos remarques préliminaires, on avait indiqué qu'on s'adresserait aux gens en termes d'engagements. Vous arrivez avec des engagements, on doit le souligner. Le fait que vous l'avez déjà fait publiquement, vous revenez ici devant des élus le faire, on doit le souligner. Mais, justement, on va les questionner un peu plus, tout de même, ces engagements.

Vous dites dans le mémoire, mais vous ne développez pas beaucoup, que vous voulez soutenir La Presse canadienne. Vous savez fort bien qu'au niveau des médias indépendants, à l'échelle du Québec, il y a là une inquiétude certaine de voir que deux grands joueurs au niveau, entre autres, de la presse écrite pourraient se passer aisément de La Presse canadienne, puisque l'image qu'on nous dresse, en tout cas ? et vous la corrigerez ? c'est le fait que chacun se retrouve finalement à constituer sa propre banque diversifiée de textes et de photos à l'échelle du Québec. Vous nous dites dans votre mémoire que vous voulez soutenir La Presse canadienne, j'aurais le goût de vous demander pourquoi. Est-ce que c'est vraiment... Pourquoi vous considérez ça nécessaire? Puis, une fois que vous avez répondu à cette question-là, c'est: Qu'est-ce que ça veut dire, soutenir La Presse canadienne? Quel est votre vrai engagement derrière cet énoncé que vous nous faites dans votre mémoire?

Le Président (M. Rioux): M. Crevier.

M. Crevier (Guy): C'est bien simple, c'est de maintenir notre contribution financière, maintenir également notre contribution de textes. Nous allons continuer à envoyer les textes à La Presse canadienne. Actuellement, nous envoyons... 58 % des textes qui proviennent au service français de La Presse canadienne sont envoyés par les quotidiens de Gesca. Nous allons maintenir ce niveau-là de participation. Et ça, c'est un engagement qu'on prend puis c'est un engagement qui est ferme.

Maintenant, vous demandez pourquoi. Pour une raison très simple. Je vais laisser M. Desjardins expliquer également que La Presse, comme tous nos autres journaux, on ne pourrait pas vivre sans La Presse canadienne, mais, avant ça, je vous en fais une question de principe, une question de principe importante. Je vous ai dit tantôt que nous avons, de tous les temps, été des fervents défenseurs du modèle culturel québécois. Moi, je pense que c'est invivable de penser que, si La Presse canadienne disparaît, ça va être une agence de presse américaine qui va être ici. On va finir dans un environnement qui va être un environnement identique à ce qu'on vit actuellement au Canada anglais, dans lequel on va créer des consommateurs qui vont consommer une culture américaine. Ce n'est pas à notre avantage, ce n'est pas dans notre intérêt. Et, moi, je crois dans un modèle culturel québécois fort, c'est-à-dire qu'il va falloir que je saigne longtemps, que j'aie des problèmes longtemps avant d'arrêter mes paiements à La Presse canadienne. Je n'ai pas l'intention de le faire, c'est une question de principe pour nous autres. M. Desjardins, maintenant.

Le Président (M. Rioux): M. Desjardins.

Mme Beauchamp: Peut-être juste avant, quand vous dites, donc, maintenir votre engagement, est-ce qu'il faut entendre là-dedans maintenir votre engagement financier au même niveau, exactement?

M. Crevier (Guy): Ah oui. Absolument.

M. Desjardins (Marcel): Je rappelle rapidement ce qu'on reçoit de La Presse canadienne. On reçoit une couverture importante dans tout ce qui concerne le sport, les sports professionnels à l'extérieur du Québec, au Canada, à l'étranger, aux États-Unis. Lorsque je parle de couverture, je parle évidemment de textes, de photos et illustrations. On reçoit donc ces éléments-là et on les reçoit à l'heure actuelle, en bonne partie, en français. On reçoit aussi les stats de sport qui... Si vous suivez le sport, vous verrez que ça occupe beaucoup de place dans un journal, et c'est suivi, c'est... Bon. Et puis la PC nous offre une couverture du Canada qu'on ne retrouverait pas et qu'on ne pourrait pas, nous, se donner au même prix, au même coût. Avoir des correspondants dans l'Ouest, etc., pour faire la couverture au jour le jour, c'est très cher.

Le Président (M. Rioux): C'est vrai, M. Desjardins, que dans la formule 1 vous n'êtes pas mal.

M. Desjardins (Marcel): Ha, ha, ha! Tant mieux.

Le Président (M. Rioux): M. le député d'Anjou.

M. Lamoureux: Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour. Merci de votre exposé. Vous avez mentionné qu'il y avait certains engagements. Il y a un dossier peut-être que je voudrais... dans le fond, peut-être obtenir un engagement de votre part. Vous détenez plusieurs quotidiens évidemment, ce qui entraîne des situations où vous avez des journalistes et des équipes partout au Québec. Exemple bien concret, ici, à Québec, au niveau de la couverture politique, vous avec des gens du Soleil, vous avec des gens de La Presse qui suivent les activités ici. C'est la même chose au niveau du sport, il y a des journalistes du Soleil qui sont attitrés à la couverture du Canadien de Montréal. Évidemment, les journalistes de La Presse suivent les activités des équipes sportives. Dans le fond, l'engagement... Ou, en tout cas, je veux savoir, là-dessus, où est-ce que vous vous situez? Dans le fond, c'est d'avoir l'assurance que, dans aucune situation, on risque de se retrouver avec deux chroniqueurs parlementaires ici, deux chroniqueurs à Ottawa et qui seraient une source, disons, commune pour l'ensemble de vos quotidiens, justement pour préserver cette diversité-là. Même chose au niveau... que ce soit sport, économie et ainsi de suite. Je sais que vous nous avez parlé des échanges de textes, que vous ne vouliez pas faire des chroniques régulières, mais vraiment avoir un engagement bien ferme, bien concret à ce niveau-là, je pense que ça éliminerait bien des inquiétudes à ce niveau.

M. Crevier (Guy): Je n'ai pas de problème à prendre cet engagement-là. Bien au contraire, même que je vais vous dire que nous sommes en discussion très active actuellement avec les gens du Soleil pour... Moi, j'ai demandé aux gens du Soleil de me revenir également avec un plan de développement. Québec est une capitale, et je pense que Le Soleil doit maintenir une couverture et une activité importante de la question politique et probablement même plus que La Presse à Montréal. Donc, moi, je n'aurais même pas de problème à amplifier la couverture politique du Soleil et non pas à la réduire.

Le Président (M. Rioux): Il vous resterait un peu de temps. Très peu, mais quand même...

Mme Beauchamp: M. Crevier, vous savez aussi que, lorsqu'on est venu nous parler ici de processus plus législatifs, il y a deux choses qui ressortent lorsqu'on parle d'une loi, c'est l'établissement de seuils pour la presse écrite et l'autre chose, c'est le contrôle au niveau de la possibilité de la propriété étrangère. C'est-à-dire que, lorsqu'on constate qu'on est devant de plus en plus de grands conglomérats, le spectre qui s'agite, c'est le fait que ça devienne des bouchées très tentantes pour de plus gros joueurs encore. J'aimerais ça, avoir vos réactions face à ces demandes, qui sont constantes, hein, qu'on retrouve dans plusieurs mémoires. Il y avait non seulement la question du fonds, sur lequel vous vous êtes déjà exprimé, mais cette question de la nécessité d'avoir une loi de l'information qui comporterait, entre autres, ces deux volets. J'aimerais ça, entendre vos réactions là-dessus.

Puis peut-être en conclusion, vous savez que, dans la foulée, un peu, des questionnements de mon collègue d'Outremont, et tout ça, une chose qu'on cherche c'est aussi... c'est comment on peut obtenir de l'information sur ce qui se passe, sur l'évolution de l'univers des médias au Québec. J'aimerais peut-être vous entendre, ce que vous en pensez. On a parlé du rôle du Conseil de presse, on a dit... Puis il y a peut-être d'autres lieux qui pourraient faire certaines analyses. Vous êtes un propriétaire de presse, quel genre d'information pourrait être rendue disponible qui ne l'est pas aujourd'hui sans que ça entrave le positionnement concurrentiel des entreprises? Est-ce qu'il y a quelque chose qu'on peut faire pour qu'il y ait tout de même plus d'information disponible pour les citoyens du Québec quant à l'évolution des entreprises médiatiques?

Le Président (M. Rioux): M. Crevier.

M. Crevier (Guy): Il y a trois volets à votre question. La première, c'est la question des seuils. On a fait effectivement devant la commission, ici, une longue énumération ? plusieurs intervenants l'ont faite ? de seuils qui existent dans les autres pays, et tout ça. Moi, je vais vous dire que j'ai beaucoup de problèmes avec ça pour une raison simple, c'est qu'on n'a pas démontré nulle part est-ce que l'imposition d'un seuil amenait une plus grande qualité, une plus grande diversité. Si l'imposition d'un seuil, à titre d'exemple, amène une presse qui est une presse davantage régionale, hein... Parce que, bon, on doit atteindre une masse critique, et, pour atteindre une masse critique... il faut faire de la qualité pour atteindre une masse critique. Si on limite cette masse critique là puis on crée une presse qui est davantage une presse de type régional, je ne pense pas qu'on aide beaucoup à l'évolution de la culture francophone, parce qu'on doit être une culture qui s'ouvre sur le monde.

n(16 h 20)n

Maintenant, aussi à titre de comparaison, je donnais tantôt des... Si on tient compte des taux de population puis des taux de lecture dans chacun des pays, imposer un seuil... En France, là, pour un groupe de presse qui rejoindrait la même masse critique que notre groupe actuellement, il devrait avoir un seuil de 2 %, ce qui n'a aucun bon sens. Donc, quand on tient compte d'un seuil, il faut tenir compte des particularités du marché, il faut tenir compte des taux de lecture, il faut tenir compte de la population. Quand Pierre Foglia va à Sidney, la compagnie d'aviation qui nous vend le billet d'avion, elle ne demande pas: Vous, est-ce que vous venez d'un petit média ou d'un grand média, on va vous faire payer un prix différent? On paie le même prix que tout le monde. Avoir un bureau à Londres, ça coûte le même prix pour tout le monde. Donc, on a l'obligation de rejoindre une masse critique. Il faut nous laisser la possibilité de rejoindre cette masse critique là, et le seuil... et le danger, c'est que c'est arbitraire. Et je reviens encore à dire qu'il n'y a personne qui a démontré qu'un seuil créait nécessairement une meilleure qualité.

Secundo, sur la propriété étrangère, j'ai écouté plusieurs interventions tout au long de la commission et je vous dis que, moi aussi, c'en est une préoccupation. D'ailleurs, je l'ai déjà noté dans des conversations privées avec des gens du milieu des communications puis je pense qu'on en fait état également à la FPJQ, La Presse est le fruit, actuellement, d'un bill privé. Donc, La Presse ne peut pas être vendue sans que les propriétaires se représentent devant l'Assemblée nationale. Il y a là, d'après moi, une forme de protection sur la propriété étrangère qui m'apparaît suffisante. Maintenant, si elle vous semble insuffisante puis que vous voulez poursuivre les discussions là-dessus, je ne suis pas fermé à ça. La seule chose que je dis, c'est que, s'il y a une solution qui s'impose, cette solution-là ne devra pas limiter la valeur de notre entreprise. Puis, je pense que c'est raisonnable, on est une entreprise privée, on a pris un risque financier, point. Mais actuellement il y a une forme de protection sur la disposition de La Presse, donc je pense qu'il y a une garantie et que c'est une garantie qui est importante.

Maintenant, sur la question des données statistiques de l'univers des médias, et tout ça, moi, je vous le dis ? puis j'espère que ça ne sera pas la conclusion de la commission sur notre présentation ? tout ce qu'on a discuté aujourd'hui, moi, je suis ouvert à poursuivre les discussions avec vous. Nous ne sommes pas des gens fermés. On défend un certain nombre de grands principes, on veut promouvoir la qualité, on défend des principes de liberté de presse, comme vous défendez également des principes de liberté de presse, on est prêts à poursuivre les discussions. Moi, je n'ai pas de problème à favoriser des recherches par le Centre d'études sur les médias, à la publication de ces recherches-là, à une analyse plus approfondie des médias, de la façon dont on s'acquitte de notre rôle, et tout ça. Je suis prêt à continuer les discussions, mais la seule chose que je ne voudrais pas, c'est de donner accès à des informations qui sont des informations qui sont confidentielles, ou privilégiées, ou trop stratégiques pour nous. Mais, pour le reste, je suis très ouvert, dans ce domaine-là comme dans tous les autres domaines qu'on a discutés aujourd'hui.

Le Président (M. Rioux): Alors, voilà. Merci beaucoup.

M. Crevier (Guy): Merci beaucoup.

Le Président (M. Rioux): Alors, je rappelle que, M. Crevier, vous avez pris des engagements importants ? il y en a au moins six ? on va suivre ça avec beaucoup d'intérêt. Merci beaucoup de votre présentation et merci à vos collègues.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Rioux): ...de prendre place.

(Consultation)

Le Président (M. Rioux): Alors, messieurs dames.

Syndicat de la rédaction du Devoir

M. Munger (Benoît): Messieurs, bonjour. Je me nomme Benoît Munger, je suis président du Syndicat des journalistes de la rédaction du Devoir. M'accompagnent ici, cet après-midi, Jean-Pierre Legault, également membre de l'exécutif, ainsi que Louis-Gilles Francoeur, qui est membre de notre Syndicat, mais qui est également président de la SPEQ, c'est-à-dire la société d'investissement qui regroupe les employés du Devoir. Il représente également les employés au conseil d'administration du Devoir et est membre du comité exécutif du conseil d'administration.

Je vais lui céder la parole, c'est Louis-Gilles qui va faire la présentation ou plutôt le résumé, si on veut, de notre mémoire, et après on sera disponibles pour vos questions.

Le Président (M. Rioux): M. Francoeur, on vous écoute.

M. Francoeur (Louis-Gilles): M. le Président, bonjour. MM. les députés, bonjour aussi. Le Syndicat de la rédaction du Devoir représente, comme on vient de vous le dire, les journalistes, mais aussi les pupitreurs, les documentalistes du journal. C'est un syndicat qui a été fondé il y a 50 ans et c'est un syndicat qui, conformément à la charte du Devoir, a toujours lutté pour préserver à la fois l'indépendance rédactionnelle du quotidien, celle des journalistes... mais aussi celui d'assurer une certaine mission sociale qui a été définie par le fondateur, comme vous le savez. Il a également défendu les intérêts du public en regard d'une information qu'on veut libre, indépendante de tout pouvoir et accessible au plus grand nombre.

Ce Syndicat est caractérisé aussi par le fait qu'il a investi financièrement dans l'entreprise près d'un quart de million il y a quelques années, au moment où il y a eu des difficultés financières, et il se retrouve, avec les autres membres du personnel de la maison, représenté au conseil d'administration. On pense, nous, que c'est une innovation dans le domaine des médias au Québec qui est assez, d'ailleurs, unique et que même des collègues européens envient à certains égards par rapport au modèle des sociétés de rédacteurs, qui est beaucoup plus simple et plus souple jusqu'à un certain point. Et c'est ce qui nous fait nous surprendre que certains pensent que Le Devoir est aux prises avec une structure archaïque parce que le même conseil d'administration regroupe aussi un certain nombre de forces vives de la société québécoise comme le Mouvement Desjardins, le Fonds de solidarité et des investisseurs fort nombreux qui, conformément à notre tradition... On a toujours pensé que c'était en diversifiant les sources de financement, comme celle de la publicité dans les autres médias, qu'un média est le plus libre possible, alors que, quand il est soumis à la coupe d'un seul propriétaire, on peut imaginer que le débat est moins long.

La presse écrite au Québec, selon notre Syndicat, est dans une situation de concentration sans précédent, et notre inquiétude, comme celle de d'autres groupes, ne porte pas sur la simple survie de notre journal. On croit que l'intérêt public et le fonctionnement même de notre société sont en cause à certains égards. Mis à part Le Devoir, il ne reste au Québec aucun autre quotidien national qui ne soit lié à un grand groupe financier. Aucun quotidien local ou régional ne peut non plus prétendre à une véritable autonomie rédactionnelle, celle qui est fondée non pas sur le vouloir d'une chaîne, mais sur le contrôle par une rédaction de ses propres moyens de développement. Impensable dans les années soixante, cette concentration n'attend plus pour vouer le Québec à un monopole que l'arrivée d'un prédateur international avec tous les effets qu'on imagine sur la culture et le débat social.

n(16 h 30)n

Même la présence d'un grand diffuseur public comme Radio-Canada n'offre plus, à notre avis, une garantie de diversité. Devant la montée de Quebecor-TVA, en effet la SRC ne vient-elle pas de conclure avec La Presse une entente de coopération? Et pendant combien de temps encore ce quotidien montréalais osera-t-il critiquer au besoin la performance ou les pratiques de cette société d'État? Et, inversement, on peut se poser la question: Qui pourra continuer, à la SRC, d'avoir à l'oeil l'évolution du principal journal de Power? Qu'il faille réitérer en 2001 que les médias ne sont pas des entreprises comme les autres ou que le rendement sur le capital ne saurait primer sur toute autre considération en dit long sur la fragilité de nos acquis démocratiques et culturels, ici, au Québec. En cas de recul, si ça se produit, le prix à payer ne touchera pas seulement nos libertés, les médias contribuent aussi au maintien et au développement de l'identité culturelle de la société qu'ils ont mission d'informer, et, là aussi, le bât pourrait blesser.

Les journalistes du Devoir estiment que le gouvernement du Québec doit prendre maintenant ses responsabilités et intervenir dans le secteur de la presse écrite pour que soient rétablis certains des principes fondamentaux qui régissent la mission des médias dans une société démocratique. On croit que l'État a déjà trop tardé et qu'on ne peut pas continuer plus avant de laisser menacer la liberté d'information et le droit du public à l'information, pas celle évidemment des éditeurs, c'est à un autre niveau qu'on situe le débat. Et le mouvement actuel de concentration, à notre avis, va diminuer le nombre des sources d'information et d'opinion auxquelles le public aura accès, malgré les engagements qu'on peut prendre, ici, devant vous et qui tiennent beaucoup plus à des personnes et qui ne sont pas des engagements juridiques ou légaux qui auraient un effet radical, clair et certain, qui fourniraient de véritables garanties à la société, comme une loi avec des balises définies.

Présentement, on croit que, dans les groupes de presse, les tentatives d'uniformiser l'information sont déjà trop nombreuses depuis quelques années, ce qui peut répondre en partie à la question qu'on posait tantôt sur le fait que l'intérêt du public baisse en termes de lectorat. En même temps, quand un seul journaliste, dans les journaux, alimente une chaîne, on appauvrit la qualité de l'information, car elle n'est plus adaptée alors aux régions ou aux différents marchés qu'elle dessert. On peut dire que c'est un plus; nous, on croit que c'est un moins.

Certes, les récents mouvements de propriété des médias au Québec n'ont pas encore entraîné de fusions de postes de travail, mais ça viendra, le jour où il faudra rationaliser. Et là, ici, il y a 30 bonnes raisons pour le faire, ça peut être la conjoncture économique, ça peut être le remboursement de dettes, parce qu'on vient d'acquérir de trop gros morceaux, il y a mille raisons qui font que le contexte change. Nous sommes obligés de... Et est-ce que vous convoquerez une nouvelle commission parlementaire et ferez des projets de loi spéciaux parce qu'une des six conditions ou des 12 conditions vient de sauter? Nous, on croit que non et qu'à ce moment-là la liberté continuera de s'effriter.

On pense aussi que le nombre de chroniqueurs à long terme sera réduit au profit de vedettes capables de capter la clientèle, sans égard à la perte que cela entraîne pour la diversité des points de vue, sans égard non plus pour les abonnés en région dont les préoccupations particulières, les besoins locaux, leurs façons de voir les problèmes nationaux à travers leur grilles et leurs problématiques, ne seront plus des références respectées dans la fabrication du journal. Cette tendance prévaut déjà dans l'électronique, ce n'est pas une menace potentielle. Les bulletins de nouvelles des réseaux imposent une image uniforme d'un bout à l'autre de la province. Éventuellement, les gros médias vont aussi prendre le marché partout et ajouter aux produits de base, uniformes pour toute la province, un volet régional. La chaîne Southam a failli imposer ce modèle dans les années quatre-vingt-dix au Canada anglais. Au Québec, plusieurs variantes sont possibles, comme celle du Journal de Montréal que vous connaissez. À la limite, les salles de rédaction, en région, deviendront ? plusieurs vous l'ont dit ? des sections régionales d'un gros quotidien.

Nous, on pense que c'est un mouvement inéluctable dans une logique de rationalisation. On dira que la qualité augmente; nous, on pense que le problème de la qualité présentement n'en est pas un. On est, je pense, un exemple vivant que la qualité peut se faire avec des moyens fort réduits. Ce qui est difficile de faire cependant, c'est d'assurer du pluralisme quand on est devant un duopole, parce que ceux qui peuvent essayer de naître ou ceux qui veulent essayer de survivre devant un duopole font face à des règles de concurrence tellement féroces, tellement lourdes, à des moyens d'action tellement puissants qu'on n'est plus capable de suivre, les petits. Ce n'est pas les moyens de concurrence qu'il y avait il y a 10 ans, c'est ça qui change. Maintenant, on est en face d'un duopole et les moyens en question font qu'on ne pourra plus suivre. C'est ça, la donne fondamentalement différente et qui doit vous imposer une nouvelle analyse de tout ce dossier.

On pense aussi qu'il y a des dangers au plan professionnel. On pense que les sujets dans les médias vont être le monopole de quelques journalistes triés sur le volet et que, dans bien des cas, ça risque d'être fait en fonction de l'allégeance politique, par les propriétaires. Cette uniformité est en soi un très grave danger parce qu'elle est le moyen le plus puissant de contrôler l'opinion publique, et c'est un journaliste de 27 ans d'expérience qui vous le dit. Cela signifie aussi que l'accent sera mis sur les faits divers, sur les événements sans grande portée, généralement les plus spectaculaires. Plutôt que de privilégier des dossiers qui soient vraiment d'intérêt public, on les évitera par crainte de faire fuir les lecteurs ou les auditeurs désormais habitués, de plus en plus, à une information qui sera divertissante. L'information subira alors inévitablement un nivellement par le bas, ce que viendra probablement accentuer l'apparition, si c'est le cas, de médias gratuits. Elle sera sacrifiée à la recherche du plus grand dénominateur commun dès lors vu comme le meilleur moyen d'assurer, avec le plus large public possible, les profits de l'entreprise. Et pour continuer, on fera, dans le journal écrit, des contenus immédiatement transformables en contenus électroniques pour que ça soit éminemment digestible dans l'instantanéité. En quelque sorte, on va demander de faire du hamburger, alors qu'on pourrait faire un peu plus cuisiné.

Un autre problème apparaît avec la concentration, et on doit en discuter clairement comme journalistes, ça s'appelle le façonnement de l'opinion. Des choix rédactionnels des journaux influencent le débat public, vous le savez, et, partant, l'opinion que les gens peuvent se faire sur une question ou sur une autre. Nous ne contestons pas cette influence des médias. Le Devoir a régulièrement tenté par tous ses moyens... il se perçoit comme un acteur qui veut influencer le débat politique. Mais un grave problème se pose quand un groupe d'intérêts acquiert une position dominante qui permet de contrôler l'opinion de l'ensemble ou d'une très vaste partie de l'opinion de la population. Les deux journaux de Quebecor à Montréal et à Québec n'ayant pas d'opposition éditoriale, les sept quotidiens du groupe de Power exerceraient dans les faits un quasi monopole idéologique dans presque toute la province, à moins que d'autres tribunes n'acquièrent, en ayant des coups de main, les moyens d'ajouter aux dossiers et aux points de vue accessibles au grand public.

Or, les visées idéologiques ne sont pas absentes des décisions des grands patrons de presse. Ainsi, Conrad Black ne voulait pas vendre les trois quotidiens d'UniMédia à des intérêts jugés souverainistes. Pourquoi? Sûrement pas parce que ces patrons souhaitent une presse pluraliste qui reflète des vues, des valeurs ou des solutions différentes des leurs. Voilà qui en dit long sur la vacuité d'un certain discours d'affaires prétendant que la concentration n'a pas d'effets sur les choix politiques du public ou sur les enjeux de société.

Ce contrôle sur des enjeux économiques ou politiques peut prendre diverses formes. Un conglomérat s'abstiendra, par exemple, d'encourager ses journalistes à se montrer vigilants à l'égard de secteurs d'activité importants où il possède de gros intérêts. La raison d'État va devenir de plus en plus lourde à gérer pour ces médias quand l'État, derrière, au plan économique, dépassera par ses revenus, même les revenus de certains États réellement représentés à l'ONU. Le patron n'a plus aujourd'hui à interdire aux journalistes de toucher à ces sujets-là ? les conventions collectives ont été blindées après 35 ans de pratique, puis j'en ai négocié quelques-unes, j'en sais quelque chose ? il lui suffit cependant, comme Claude Ryan le disait au congrès des journalistes, de nommer des cadres qui ne commanderont jamais d'articles de fond sur les dossiers sombres de l'empire. Et ça suffira pour que le silence s'exerce. C'est comme ça, aujourd'hui, que se fait le contrôle, on ne passe plus les ciseaux dans les articles ? d'ailleurs, il n'y a plus de papier ? on ne fait même pas la fonction «efface», il y a un syndicat qui va vous rebondir avec un grief, ça va aller devant l'opinion publique, il y aura un arbitrage. Ça ne se défend plus. On s'arrange pour que certains dossiers ne soient pas touchés, c'est la règle. Ainsi disparaîtra la distance critique qu'un journaliste, et un média, est censé observer pour fournir au public une information critique, équilibrée et complète sur tous les sujets devant normalement intéresser le public.

Par ailleurs, la concentration vient accentuer aussi des problèmes d'éthique qui se posent pour l'information. Des journalistes subissent quotidiennement des pressions pour contribuer, plus ou moins discrètement, au marketing d'événements ou de personnalités. On revient ainsi grossièrement en arrière, malgré la règle pourtant fondamentale interdisant le journalisme publicitaire. Autrefois, des annonceurs voulaient se draper de la crédibilité journalistique qu'on réintroduit en grande partie aujourd'hui sous le couvert des commandites. Maintenant, ce sont des entreprises de presse qui emploient cette pratique et font cette valorisation à travers des événements, et l'événement les valorise, et on se valorise en disant qu'on est sur l'événement.

Les événements à couvrir sont donc souvent choisis en fonction de leur retombée financière pour un média et les choix sont filtrés par l'oeil de la publicité. À cause des besoins financiers énormes et urgents des grands groupes, ces pressions seront évidemment plus fortes, et les choix éditoriaux et le type de couverture de certains événements sont ainsi dénaturés, sapant à la fois la liberté du journaliste et l'esprit critique du journal qui doit en principe servir le public d'abord.

n(16 h 40)n

Comment éviter que la société québécoise ne devienne une communauté rétrograde, contrôlée par quelques élites économiques? C'est une question, comme professionnels, nous, qui nous importe. Comment y assurer pour tous les secteurs sociaux et toutes les régions une presse forte qui puisse contribuer à la défense de leur intérêt légitime et à la croissance d'une authentique vitalité démocratique? Nous, on croit que la seule solution éprouvée, certaine et universellement testée, c'est que ça demeure encore des médias nombreux, le plus indépendants possible des quasi monopoles en place.

Les conséquences de cette conclusion cependant, il faut les tirer. La concentration actuelle laissée à elle-même aura à coup sûr des conséquences sur la pratique journalistique. Nous nous retrouvons à toutes fins utiles avec deux grands employeurs dans le domaine du journalisme écrit au Québec et l'évaluation négative qu'un de ceux-là va faire d'un journaliste va circuler d'une filiale à l'autre. Ne nous contons pas d'histoire. Le journaliste trop original ou fouilleur qui osera parler des intérêts de son groupe pourra, encore plus que par le passé, se voir évincé de la presse écrite. Celui qui n'adoptera pas le style du seul autre groupe de presse, bien, il va se retrouver carrément au ban de la profession, à moins de s'exiler ailleurs au Canada.

Et, si certains seront propulsés aux nues par des machines, d'autres vont se retrouver privés de tribune. Plusieurs grands journalistes qui font l'orgueil de notre profession ? et, dans notre mémoire, on vous donne l'exemple d'Olivar Asselin ? auraient de fortes chances d'être rejetés dans un système comme celui qui s'en vient. Et ça, on trouve que c'est inacceptable et que, comme législateurs, vous avez un devoir d'intervention.

Les récents mouvements de concentration constituent aussi une menace sérieuse pour la survie de la presse canadienne. On en a parlé, tout le monde en a parlé. On pense qu'elle est essentielle et on pense que c'est une question d'oxygène pour tous ceux qui sont petits, actuels ou à naître. Nous, on pense qu'il y a des besoins, qu'il va falloir aider des journaux à naître et que, ça, c'est fondamental.

Moi, je doute très fort des engagements qui sont pris. Je pense qu'ils valent pour la situation et l'horizon actuel. Je ne vois pas de mauvaise foi ou de complot quand je mets en doute les affirmations ou les engagements qui ont été pris précédemment. Je pense que la logique du système ne mène pas là. Elle n'a jamais mené là, ne mène pas là ailleurs et ne mènera pas plus là, ici.

Déjà, il est impossible pour les autres joueurs que La Presse et Le Journal de Montréal d'assurer au Québec leur propre distribution. Je peux vous dire que nous avons eu des discussions au Devoir avec The Gazette qui distribue La Presse et La Presse a opposé récemment un veto à ce qu'on soit distribué par The Gazette même en payant le prix que ça constitue. Position de marché. Ça ne fait que commencer.

Autrefois, vous aviez des petits jeeps qui jouaient sur ce marché. On est passé aux quatre-par-quatre. Nous, on se situe à peu près entre le jeep puis le quatre-par-quatre, le gros quatre-par-quatre. Mais là, le problème, c'est qu'on se retrouve avec des autobus, et la guerre et les moyens qu'ils mettent en branle. La distribution va devenir un facteur-clé. Les conditions qui vont nous être faites, on ne sait pas si on pourra suivre.

Ces deux géants peuvent dicter leurs conditions maintenant à leurs concurrents et une telle situation n'aidera certainement pas à l'émergence de nouveaux médias écrits au Québec. Au contraire, les stratégies de pénétration et les moyens consacrés au marketing par Gesca et Quebecor, qui se livrent toujours une guerre sans merci, peuvent s'avérer mortels pour d'autres publications, y compris pour nous au Devoir.

D'autres exemples fort simples vont vous illustrer notre propos. Les campagnes d'abonnement menées l'automne dernier par les deux grands groupes ressemblaient à du dumping tellement les prix étaient coupés. La Presse a offert à 2,29 $ la semaine, c'est-à-dire qu'elle a offert les sept jours pour le prix égal ou moins que ce qu'elle demande pour le numéro seulement du samedi. Aucun média québécois dans les petits médias ne peut participer à une telle guerre commerciale sans mettre sa survie en danger après quelques mois.

Le problème, ce n'est pas que La Presse augmente sa qualité, c'est qu'elle est en situation de duopole. Le niveau, l'escalade qui vont en résulter, bien, au fond, c'est comme on a vu sur la scène internationale. Quand tu te regardes avec des bombes atomiques, les autres ne sont pas capables de suivre. C'est ce qui s'en vient et c'est là que, nous, on va être obligés de décrocher. On se bat depuis 1910, on survit. Les gens investissent de leur argent, de leur temps dans cette boîte-là, tout le monde y croit finalement. Mais on ne sera pas capables de suivre, là.

Et les autres, ça devient... Fiez-vous à notre expérience. On sait ce que c'est, la survie, on ne connaît que ça. Ça ne nous empêche même pas de dormir, vous savez, cette situation «normale». Là, ça nous inquiète parce que, devant les moyens qui devront être nécessaires pour faire face, on est devant un duopole, c'est-à-dire que les règles du marché n'existent plus. C'est le positionnement qui compte et un empire comme Power Corporation, où on parle de milliards, pourrait se permettre de perdre 8 millions par année à La Presse pendant 20 ans. Ça serait sa carte de visite et, je veux dire, on serait incapable de suivre dans cette logique-là.

Le Président (M. Cusano): En conclusion, s'il vous plaît.

M. Francoeur (Louis-Gilles): On pense qu'il faut une loi. On pense qu'elle doit éviter la propriété croisée, définir des seuils, et on pense que ça évitera des débats fort obséquieux devant les commissions parlementaires quant aux procès d'intention qu'on pourra faire aux gens. Il y aura une loi et elle s'appliquera. C'est sûr qu'il y a une limite. C'est toujours difficile à défendre, mais on pense qu'il faut en trouver une quelque part.

On pense aussi qu'il faut absolument, pour contrer les problèmes nouveaux que génère sur le marché, dans la profession et pour les lecteurs, ce duopole bien réel, qu'il y ait un fonds de soutien aux plus petits médias parce que, comme plusieurs l'ont souligné, il ne suffit pas de faire survivre ceux qui sont en place, il faudrait bien essayer de permettre à ceux qui essaient de sortir la tête de l'eau de passer la ligne de la bouche.

Le Président (M. Cusano): Merci, M. Francoeur. Mme la ministre, la parole est à vous.

Mme Maltais: Bonjour, M. Francoeur, bonjour messieurs, bienvenue. C'est avec beaucoup de plaisir qu'on vous reçoit et avec beaucoup de respect. Quand on parle de la presse indépendante au Québec, quand on parle de liberté de presse, on sait qu'on a Le Devoir immédiatement dans notre pensée, puisqu'on sait que c'est le troisième joueur. La direction du Devoir est déjà venue nous expliquer à quel point ce troisième joueur pouvait être fragile.

Évidemment, vous avez peut-être entendu tout à l'heure les commentaires de M. Crevier de Gesca qui calmait peut-être certaines de vos appréhensions au niveau, entre autres, de La Presse canadienne, où il disait qu'il n'avait absolument pas l'intention de se retirer de La Presse canadienne. Peut-être est-ce rassurant? Enfin, on verra comment vous commentez cela.

Mais comme vous avez eu peu de temps d'arriver à votre conclusion ? je l'ai lue ? vous demandez au gouvernement d'adopter une loi de l'information ainsi qu'une politique en regard de la propriété croisée. Et là vous faites une différence entre loi de l'information et politique en regard de la propriété croisée. Pouvez-vous donner plus de précision sur cette différence que vous faites et ce que pourrait contenir une politique de la propriété croisée?

Le Président (M. Cusano): M. Legault, vous voulez répondre?

M. Legault (Jean-Pierre): Bien, je vais amorcer la réponse, je vais juste préciser pourquoi les deux questions sont précisées. C'est que, nous, on travaille dans la presse écrite et ça nous concerne directement. Je me souviens, aux discussions qu'on a eues, que certains ont insisté effectivement pour qu'on mentionne la presse écrite. O.K. On convient que les compétences ou les juridictions du Québec sont limitées dans le secteur des communications. C'est pour ça qu'on a mis deux choses. Voilà.

Mme Maltais: Donc, une loi de l'information sur la presse écrite et une politique de propriété croisée. C'est ce que vous me dites?

M. Francoeur (Louis-Gilles): Bien, c'est-à-dire qu'on peut l'avoir aussi avec une autre nuance. Vous pouvez avoir une loi qui interdirait aux journaux de se placer en situation de propriété de concentration croisée, parce qu'on sait très bien que ça poserait un problème si on voulait légiférer sur la radiodiffusion, mais, par le biais des journaux, on pense que vous pouvez y arriver.

On pense aussi qu'il faut élargir à une politique, pour une raison bien simple: il serait ? vous l'admettrez ? incohérent que le gouvernement dise qu'il veut éviter la propriété croisée et que des acteurs gouvernementaux, par d'autres moyens, par d'autres fonds, l'encouragent. Donc, il faudrait que le gouvernement puisse avoir une politique qui pourrait notamment être entendue par la Caisse de dépôt et placement ou par d'autres acteurs ministériels pour que tous les moyens de l'État concourent à la même défense du pluralisme et qu'il n'y en ait pas qui se retrouvent en situation de contradiction. Et c'est pour ça qu'on parle de politique.

Le Président (M. Cusano): Merci. Mme la ministre, est-ce que vous avez d'autres questions?

Mme Maltais: Non.

Le Président (M. Cusano): Vous avez terminé. Mme la députée de Sauvé.

n(16 h 50)n

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. J'aimerais, moi, vous entendre aussi un peu plus sur la loi que vous revendiquez. D'autres mémoires font état, de façon peut-être un peu plus précise, de ce qu'ils souhaitent voir une telle loi contenir. Vous, vous nous parlez de balises claires. Mais je vous renvoie un peu la question: Quand, vous, vous nous proposez d'utiliser un moyen législatif, qu'est-ce que vous voyez dans une telle loi? Verbalement, vous avez abordé la question des seuils. Je pense que vous avez entendu tout au long de nos travaux le fait que ça semble être extrêmement difficile et délicat d'établir de tels seuils. On nous a fait part ? pas seulement les représentants de Gesca juste avant vous, mais également tout au long de nos travaux ? de la question de tenir compte de l'économie générale de la société visée, du niveau de lectorat, etc., et je ne vous cacherai pas qu'au moment où on se parle j'ai entendu les différentes propositions pour parler de seuil, mais, à tout le moins, je me dis qu'il faut vraiment poursuivre les travaux et la réflexion.

Mais, par ailleurs, j'aimerais vous entendre sur d'autres éléments, la notion de propriété étrangère et peut-être aussi d'autres notions que vous voudriez aborder dans le contexte de la proposition que vous nous faites d'intervenir par moyen législatif.

Le Président (M. Cusano): Merci. M. Legault, vous allez répondre? Oui, répondez.

M. Legault (Jean-Pierre): Oui. Voici la réponse. Écoutez, si on ne s'est pas arrêté à donner des chiffres, des pourcentages de propriétés étrangères ou même de propriétés ici, de parts de marché et tout ça, c'est tout simplement qu'on est 35 journalistes et on n'a pas évidemment les moyens que vous pouvez avoir. O.K.?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Legault (Jean-Pierre): Mais c'était large, là, c'était large. Et, dans ce sens-là, on est conscient que, d'un pays à l'autre, la situation varie et que les seuils peuvent varier. On ne peut pas nous-mêmes, en toute honnêteté, lancer des chiffres comme ça sans pouvoir les appuyer très, très, très concrètement sur des études ou des choses comme ça. C'est dans ce sens-là, c'est pour ça qu'on n'a rien quantifié.

Le Président (M. Cusano): M. Francoeur, oui, allez-y.

M. Francoeur (Louis-Gilles): Je serais incapable de vous dire si 30 % ou 35 %... lequel des deux est le meilleur. Je pense qu'il faudrait regarder ça avec des chiffres. Il faudrait vraiment fouiller une question comme ça comme un ministère pourrait le faire en élaborant une politique à la suite des travaux d'une commission parlementaire. Mais que, par contre, les médias soient obligés d'avoir un devoir de transparence, de rapport annuel, quitte à ce qu'il soit simplement déposé ou obligation de le rendre public quant aux politiques d'information ou des choses comme ça. Qu'il y ait des barèmes fixés par la loi quant aux contributions qu'ils devront faire, disons, au fonds de compensation ou au fonds de soutien des médias indépendants, l'interdiction ou les contrôles qu'on pourrait mettre sur la propriété étrangère, parce que je pense qu'on a ici des facteurs culturels à protéger en plus des acquis sociaux qui peuvent être en cause.

Écoutez, nous, on adhère fondamentalement au mémoire que la Fédération nationale des communications a déposé cet après-midi. On l'a avalisé par nos représentants et on pense que ça serait un bon canevas pour une politique parce qu'on aurait là les garde-fous principaux, les obligations de transparence. Il y aurait des éléments, des incitatifs financiers, par exemple. Quand vous dites... Quand on parle d'une contribution de médias à un fonds de soutien ou à un fonds d'aide, il pourrait y en avoir deux formes. Il pourrait y en avoir une via une taxation générale, mais il pourrait surtout y en avoir une pour ceux qui dérogent à la règle. Supposons qu'on dirait que c'est 30 %, puis je ne défends pas le 30 % en particulier, là, qu'on ne me fasse pas dire ça, mais on pourrait décider que c'est tant de pourcent de contribution au-dessus de tel pourcentage pour que, comme dans beaucoup de politiques dans l'action gouvernementale, il y ait des incitatifs financiers à régulariser la situation avant qu'on retombe sur ces barèmes. Ça ferait en sorte que les acteurs pourraient continuer de garder une certaine liberté s'ils le veulent, de rester en situation de duopole, mais c'est le duopole qu'on taxerait, ce n'est pas une industrie culturelle. Il y en a plein de règles en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde qui s'adressent aux monopoles et aux duopoles, puis c'est admis. Et ici, ce qu'on propose, ce n'est pas une taxe sur une industrie culturelle, c'est de faire en sorte que le duopole soit obligé de contribuer, de ne pas écraser les petits joueurs. Vous pardonnerez l'analogie, mais, dans le hockey, on s'arrange pour que les gros clubs n'écrasent pas trop ceux qui sont un peu plus petits, puis ils ont prévu quelques mécanismes compensatoires. Que je sache, ce n'est pas du socialisme rampant qu'on trouve de ce côté-là.

Mme Beauchamp: Vous faites allusion à la ligue américaine de football? Ha, ha, ha!

M. Francoeur (Louis-Gilles): Et de hockey et d'autres. Ha, ha, ha! Il y a plusieurs règles.

Mme Beauchamp: Au hockey, ils ne sont pas arrivés à une entente de partage. Ha, ha, ha!

M. Francoeur (Louis-Gilles): Non, non, c'est vrai, mais c'est dans l'air. Je veux dire, ça fait partie des discussions ou de l'univers culturel, disons, du milieu sportif que je connais très mal, je dois l'avouer.

Le Président (M. Cusano): Merci. Est-ce que vous avez terminé, Mme la députée, pour le moment? Oui?

Mme Beauchamp: J'ai d'autres questions, mais on peut procéder par alternance, si vous le souhaitez.

Le Président (M. Cusano): On va céder la parole au député de Matane.

M. Rioux: Vous faisiez probablement référence à la péréquation qui existe à l'intérieur de la fédération canadienne, où les provinces riches aident les provinces les plus pauvres.

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Francoeur (Louis-Gilles): D'ailleurs, j'aimerais plutôt parler d'un exemple qui fonctionne. Ha, ha, ha! Parce que, là, je sens que je donnerais un exemple qui prête à controverse pour le moins.

Le Président (M. Rioux): Vous avez parlé dans votre papier de solutions fiables.

M. Francoeur (Louis-Gilles): Oui.

Le Président (M. Rioux): Et, pour vous, les solutions fiables, c'est la multiplicité ou la multitude de médias, de petits médias éloignés des monopoles ou du duopole qui est en formation au Québec. Mais, en même temps, vous tenez des propos extrêmement réalistes et qui donnent un peu le frisson. C'est que vous dites: Ces grandes organisations que sont Power Corp. et Quebecor ? soyons bien clairs ? elles contrôlent la distribution, contrôlent l'impression, contrôlent la publicité. Alors, qu'est-ce qu'il reste à contrôler sinon la liberté de presse?

M. Francoeur (Louis-Gilles): Bien, c'est là qu'on pense qu'il faut appliquer un peu les freins et mettre, écoutez, des garde-fous. On est libre de marcher entre des garde-fous, mais au moins on sait quelle est la limite à ne pas dépasser. Et, vous savez, c'est un peu comme la liberté d'information, elle couvre un certain nombre d'excès, mais on n'a encore pas trouvé grand-chose de mieux que ça. Mettre des balises qui donneraient un encadrement minimal dans une société, ça n'est quand même pas ça qu'on peut appeler du contrôle de l'information. Je me suis battu pendant six ans au Conseil de presse dans toutes sortes de mandats. Je suis un des journalistes qui y ont siégé le plus longtemps. Je me suis toujours battu pour la liberté d'information et je me battrais contre une intervention de l'État qui viendrait nous dire comment on va faire de la nouvelle, qu'est-ce qu'on doit mettre, etc., comment...

Il y a déjà des règles du droit civil et je pense qu'elles sont bien appliquées. Il y a le Conseil de presse qui agit en tant qu'organe déontologique, et je pense qu'il assume bien sa fonction, puis... Intéressant, il suffit qu'on se mette à en parler publiquement pour que tout d'un coup, vous savez, l'argent arrive au Conseil de presse sans qu'il l'ait demandé. Je me rappelle d'avoir présidé les audiences sur l'avenir du Conseil de presse, dans les années quatre-vingt-dix, fait le tour de la province, et là les mêmes médias se battaient pour trouver des raisons de n'en point donner. C'est intéressant comment un bon débat public, comment une obligation de transparence soudaine rend les gens conciliants, généreux. On dit: Ça pourrait-u continuer avec des balises un peu plus claires? Ça aiderait les médias.

Le Président (M. Rioux): Je vais laisser à d'autres le soin de parler de législation et de protection, peut-être, de la liberté d'information au Québec. Je voudrais revenir sur ce qu'a évoqué tout à l'heure Mme la présidente de la Fédération nationale des communications, CSN, et ça a été évoqué par plusieurs syndicats: la gestion paritaire des salles de rédaction.

Là, M. Francoeur, je voudrais bien qu'on essaie de se comprendre, il y a des syndicats qui souhaitent ça parce qu'ils se disent: Au moins, on serait partie prenante de ce qui s'écrit dans le journal et on n'aurait pas la main invisible qui viendrait peut-être ne pas nous dire ce qu'ils devraient nous dire, ou encore, nous mettant sur une surveillance à peu près correcte, ne pas parler des grands dossiers dont vous avez... Vous évoqué ça tout à l'heure: Les cadres s'organisent pour qu'on ne parle pas de ce qui ne fait pas leur affaire.

Moi, ce que je voudrais savoir: Voyez-vous un problème déontologique à être assis avec les patrons pour décider comment vous allez gérer une salle de rédaction et comment vous allez leur donner les moyens de fonctionner à peu près correctement?

M. Francoeur (Louis-Gilles): En 1974, à la suite d'une grève au Devoir ? j'espère ne pas me tromper d'année, là, mais je pense que c'est ça; puis, je me rappelle, Bernard Descôteaux était directeur de grève; vous me pardonnerez d'évoquer des souvenirs aussi pénibles, ha, ha, ha! ? on avait créé un comité d'information qui avait le mandat de planifier la semaine de travail avec le patron et qui partage depuis les fonctions du rédacteur en chef. Selon les momentum, il a eu plus ou moins d'importance, mais nous avons fait cette expérience depuis près de 30 ans au Devoir. C'est très productif et ça peut permettre d'insuffler beaucoup d'oxygène dans une machine, mais ça ne va pas tenir la main du patron et ça ne va pas prendre le contrôle de la main invisible dans une grande entreprise de presse.

n(17 heures)n

C'est facile de dire à quelqu'un que son papier pose trois problèmes puis que, finalement, on est obligé de le mettre de côté. Trouver des prétextes pour sortir des papiers du collimateur, c'est facile. Faire en sorte que quelqu'un qui voulait se mettre sur un dossier, comme par hasard on lui fait une belle proposition pour un beau voyage à la Baie-James. Il y a 30 000 solutions dans une salle de presse pour faire en sorte que vous mettez quelqu'un sur un dossier ou vous ne mettez pas quelqu'un sur un dossier. S'il y a cette contribution par la convention collective ou pas, dans des comités de relations de travail, sociétés de rédacteurs, comités paritaires ou comités de l'information, oui, c'est un plus, oui, il va y avoir plus de transparence. Mais ça n'est pas un instrument à la mesure de ce que peut dicter comme logique le fait d'avoir 12 milliards ou 5 milliards d'investissements dans un secteur et que, là, on va-tu se payer un chroniqueur qui va attaquer ça de front pendant les six prochaines années? La réponse, c'est non, puis, comme par hasard, on n'a pas de chroniqueur dans ce secteur-là. Voilà.

Le Président (M. Cusano): Merci.

Une voix: Puis, si vous me permettez...

M. Francoeur (Louis-Gilles): Pardon. S'ils sont obligés d'intervenir parce que d'autres médias couvrent le dossier, comme, par exemple, le débat sur la concentration... À venir jusqu'au mois de novembre, on n'en a pas parlé beaucoup au Québec, c'est dans Le Devoir qu'on en parlait. Ça a fini par faire son effet. Mais il faut qu'il y ait quelque part une soupape de sécurité, puis mieux, plusieurs soupapes de sécurité. Là, ça force les gros à couvrir, oui, et la logique de l'empire se trouve obligée de suivre, ne serait-ce que pour ne pas perdre la face. Ça, c'est une garantie relativement solide à long terme.

Le Président (M. Cusano): Merci.

M. Francoeur (Louis-Gilles): Jean-Pierre.

Le Président (M. Cusano): Voulez-vous ajouter, oui?

M. Legault (Jean-Pierre): Pour compléter de façon très courte, écoutez, les comités paritaires peuvent prendre toutes sortes de formes, on en convient. Je penserais, par exemple, aux médias communautaires à l'heure actuelle. Ça existe un peu partout, les médias communautaires, et c'est tellement petit qu'ils sont obligés de fonctionner comme ça.

Dans les grosses boîtes, ou chez nous, ou ailleurs, un comité paritaire ne toucherait pas à la gestion de l'entreprise. Il n'y a aucun propriétaire, et même M. Crevier n'accepterait jamais de discuter de la répartition des effectifs dans sa boîte et d'à qui il va vendre le prochain journal, tu sais. Alors, tant mieux, les comités paritaires, mais ça aussi, ça a ses limites, et ce n'est pas ça qui va nous permettre de faire face, nous, comme société, au duopole actuel, qui ne va que s'accentuer.

M. Francoeur (Louis-Gilles): Et il y a un autre facteur que vous devez bien connaître pour avoir travaillé en information, c'est que tout ce qu'on peut faire au plan paritaire, que ce soit la société de rédacteurs au Monde ou un comité de l'information comme celui du Devoir, on ne peut pas intervenir dans l'action quotidienne, il faut que quelqu'un prenne des décisions. Ils ont déjà calculé dans une étude américaine qu'il se prenait entre 1 800 et 2 500 décisions dans une journée, dans un média, pour le fabriquer: c'est les points-virgules ici, le titre là, appeler un tel, etc. Vous ne pouvez pas vous mettre à faire un comité pour savoir comment on marche là-dedans, il faut que quelqu'un ait le mandat de tenir le gouvernail. C'est comme dans une tempête, ça en prend un sur le gouvernail puis les autres qui tiennent les voiles, puis, s'il n'est pas bon sur le gouvernail, on le changera, mais on ne peut pas se mettre en comité sur le gouvernail. Les médias, c'est comme ça, ça traverse à une vitesse fulgurante une journée, un mandat, et on peut se pencher après coup, on peut faire des regards, des retours sur... Mais le capitaine et le pilotage sont assurés par des gens qui ont un mandat et qui peuvent décider qu'on passe à gauche ou à droite d'un enjeu social. Ça, c'est l'autre histoire.

Le Président (M. Cusano): Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. La question que je voulais poser a déjà été posée, mais je veux féliciter les représentants du Devoir. Je pense que le dossier qu'ils nous ont présenté est particulièrement éclairant et je veux les remercier.

Le Président (M. Cusano): Merci, M. le député de Saint-Hyacinthe. Est-ce qu'il y a d'autres questions? Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Vous avez plaidé tantôt pour la transparence, et ça aussi, à travers l'ensemble des mémoires que nous avons reçus, il y a plusieurs choses qu'on retrouve sous ce vocable-là. Vous représentez le Syndicat du Devoir, mais je vais vous poser la question pour votre boîte: Qu'est-ce que c'est? Quelles sont les informations que Le Devoir pourrait et, selon vous, devrait mettre sur la table pour que la population du Québec soit en mesure d'évaluer puis de constater l'évolution des industries médiatiques au Québec?

Le Président (M. Cusano): Merci. M. Francoeur.

Mme Beauchamp: Ou autrement dit: Qu'est-ce que c'est, la transparence, et sur quoi elle porte?

M. Francoeur (Louis-Gilles): D'abord, ce serait d'avoir le rapport financier du média. Les connaissez-vous, les avez-vous vus, les rapports financiers de La Presse, du Journal de Montréal? Ils ne sont pas publics. Le Devoir est le seul média d'information, le seul quotidien national à rendre son rapport annuel public. C'est toujours plein de problèmes, on vit avec, mais ça, c'est un premier niveau de transparence. Ça renseigne beaucoup sur les budgets qu'on met là ou là. Quelqu'un qui se met à comparer, qui dit: Tiens, ça évolue par en bas au lieu d'augmenter à la hausse à la rédaction. On peut déjà voir un certain nombre de choses. Et il faudrait, comme on l'exige en France des sociétés de rédacteurs, que le bilan de la rédaction, en termes d'effectif, de couverture de secteurs... qu'on explique qu'est-ce qu'on couvre, qu'on explique, par exemple, pourquoi, dans certains médias... Je vous donne un exemple que je connais mieux que d'autres. J'aimerais bien comprendre.

En 1990, j'avais des compétiteurs partout en environnement dans les autres médias au Québec. C'est curieux, depuis que maintenant on parle de ressources naturelles, il n'y en a plus chez mes compétiteurs de gens qui mettent ces politiques-là en cause, de faire... Ça a pris un non-journaliste comme Richard Desjardins pour faire l'événement médiatique de l'année dans le domaine de la forêt. Les journaux n'ont pas fait leur job. Pardonnez-moi l'expression, mais c'est un peu gênant pour une profession. Est-ce que les empires ont trop les pieds dans la forêt? Est-ce que ça dérangerait d'avoir des gens qui gèrent ça face à l'opinion publique en exigeant une réponse? Comment ça se fait qu'il n'y a pas de couverture de ce secteur-là? On pourrait allonger la liste de façon impressionnante.

Et, comme derrière les médias, ça ne sont plus des familles qui vivent dans un marché régional, dans un marché local, c'est des empires internationaux avec des intérêts dans les pétrolières, pourquoi on ne parle plus de réchauffement climatique dans certains médias, ou peu? C'est des questions qu'il va falloir qu'on se pose. Là on se pose des questions «bread and butter», vous me pardonnerez l'expression. Mais, à long terme, je pense que le fait d'être lié à des empires financiers va apparaître de plus en plus comme peut-être une mission de plus en plus difficile à jouxter et à faire coïncider avec les besoins, les impératifs de l'intérêt public dans le domaine de la couverture et du droit du public à l'information. On commence à se poser ces questions, on commence à éclairer ça, mais on n'en est plus à l'époque où les gens étaient fiers de leur journal, c'était la famille qui l'avait fait et puis c'était, au fond, 90 %, des fois, de l'avoir de l'investisseur. Ils se battaient sur une logique d'information. Est-ce que maintenant on va se battre sur une logique strictement d'information ou est-ce que l'information ne pourrait pas n'être qu'un pouvoir important qu'un empire pourrait disposer pour continuer de se positionner sur le marché et sur l'échiquier politique? Ça peut apporter d'importantes conséquences pour la gestion du droit du public à l'information.

Le Président (M. Cusano): Merci. Vous avez terminé?

Mme Beauchamp: Non, j'aurais... juste pour poursuivre la discussion.

Le Président (M. Cusano): Oui.

Mme Beauchamp: Parce que la question si c'est une loi ou pas, c'est une autre chose. Je m'intéresse aux objectifs que vous poursuivez d'avoir cette notion de transparence. Je vous écoute, mais là, je poursuis. Vous me dites bilan financier, j'en suis. Vous me dites qu'il y ait des informations sur, par exemple...

M. Francoeur (Louis-Gilles): Le rapport sur la rédaction et l'état de la rédaction.

Mme Beauchamp: Bon, bien, continuons cette logique-là. Vous venez de donner l'exemple au niveau de l'environnement où vous faites un excellent boulot...

M. Francoeur (Louis-Gilles): C'est juste un petit aparté, pardonnez-moi.

Mme Beauchamp: Non, mais ça nous fait plaisir de le souligner aussi en passant le fait que votre quotidien consacre énormément d'énergie à cette question-là, moins les compétiteurs.

Ma question, c'est: Une fois qu'on a identifié ça, est-ce que vous voulez que l'État dise à un journal quoi mettre dans son journal et quoi dire?

M. Francoeur (Louis-Gilles): Non.

Mme Beauchamp: Non. C'est là que je veux qu'on poursuive, sur, un coup que vous avez cette information-là... Et c'est là le danger, c'est là le questionnement qu'on se pose sur le rôle qu'on veut faire jouer à l'État ou même à une loi par rapport à cette liberté de presse et par rapport au fait que le citoyen est peut-être en mesure de choisir s'il l'achète ou pas. Là, je joue l'autre carte qu'on nous amène aussi. Mais donc, je vous invite à poursuivre votre logique. Un coup que je sais que tel quotidien ne traite jamais d'environnement puis que Le Devoir, lui, en traite, qu'est-ce que vous voulez que je fasse de plus avec cette information-là?

M. Francoeur (Louis-Gilles): Il m'apparaîtrait comme très dangereux qu'un média doive répondre devant le Conseil de presse, la Commission d'accès à l'information, une commission parlementaire de sa manière dont il couvre les secteurs. Avoir l'obligation de faire rapport, c'est comme l'obligation de dire à la Commission des valeurs mobilières: Tu vas déposer ton bilan annuel. Ça n'implique pas que la Commission des valeurs mobilières vienne gérer l'entreprise, quand même. Il y a une différence entre les deux. Si on devait se retrouver dans une situation où une entreprise voudrait déroger, par exemple, aux limites de concentration que la loi pose et qu'elle dit: Je suis dans une situation exceptionnelle, je veux en débattre, là, je pense qu'il y aurait matière à une commission parlementaire. Le résultat, on n'en discuterait pas, la loi serait là, il s'agirait de l'appliquer. C'est une question qui relèverait du Procureur général et non pas du débat public puis du débat de la manière de gérer les salles de rédaction.

Mme Beauchamp: Donc, je veux être sûre de vous avoir bien compris. Vous plaidez, entre autres, il y a d'autres choses, mais pour la transparence, en disant: Une fois que l'information sera disponible, le citoyen sera en mesure de faire ses choix.n(17 h 10)n

M. Francoeur (Louis-Gilles): Le public tranchera, oui. Je pense que ça serait déjà une très... énorme amélioration et je pense que ça ne poserait pas de problème de nature à entraver les règles de la concurrence qu'on puisse avoir des outils permettant de voir, pour les citoyens qui sont intéressés, pour les parlementaires intéressés de ça, pour tout le public, parce qu'ils ont une mission publique, ces médias-là, qu'on le veuille ou pas, de suivre l'évolution des journaux ou des autres médias qui seraient en cause, moi, je pense que ça ne va faire que muscler le débat public et la transparence. Ça n'amènera pas un contrôle plus grand, au contraire ça risque d'avoir un effet, je dirais, d'autopolice sur les médias qui vont peut-être se sentir un peu plus regardés et non pas contrôlés. C'est une différence importante à faire.

Le Président (M. Cusano): Merci. Mme la ministre.

Mme Maltais: M. le Président... excusez-moi, je vous aime beaucoup, Le Devoir, mais là je trouve ça un peu flou, je ne comprends pas. Vous nous dites de faire une législation, que cette législation oblige les entreprises à respecter le droit à l'information, le droit du public à l'information, et tout ce qu'on a comme moyen, c'est qu'elles viendraient déposer leur rapport financier annuel, c'est tout?

Une voix: Non, non.

Mme Maltais: J'essaie de comprendre la. À quoi seraient obligées les entreprises pour respecter le droit du public à l'information?

Le Président (M. Cusano): M. Francoeur.

M. Francoeur (Louis-Gilles): Excusez-moi, M. le Président. Nulle part on ne dit que la loi devrait obliger les entreprises à respecter le droit du public à l'information. Le droit du public à l'information, moi, je pense qu'il faut laisser les médias libres de le gérer. Il faut simplement que la loi crée un contexte qui assure un maximum de chance à l'exercice du pluralisme médiatique, alors donc avec des seuils contre la concentration.

Mme Maltais: Alors, commencer le seuil simplement?

Le Président (M. Cusano): ...s'il vous plaît, oui. Allez-y, continuez.

M. Francoeur (Louis-Gilles): Des seuils d'abord, ça, ça permettrait de contrôler l'ensemble de la situation. Et je pense qu'il faudrait, comme la FNC le suggérait, suggérer que, si on touche aux transactions existantes, il faudrait en venir à ce que, à ce moment-là, on retombe sur les seuils que la loi pourrait définir. Par exemple, si on disait 30 %, O.K., dans le moment, c'est 44 % chez Gesca, mais, dès qu'on touchera au bloc, il faudrait qu'il tombe à 30 %, si c'était 30 % qui était retenu. Ça, je pense que ce serait la balise principale.

Qu'est-ce qui se passerait? Il y a de fortes chances que vous auriez un brassage de cartes et, avec un fonds, émergence de nouveaux joueurs. Peut-être qu'il y aurait d'autres regroupements, peut-être qu'on assisterait à la naissance d'un troisième petit noyau, qui serait plus solide, ou de deux petits noyaux, un au niveau des hebdos... Il y a toutes sortes de choses qui seraient possibles. Dans le moment, les règles de la concurrence empêchent ça. Donc, il faut qu'il y ait des règles pour diminuer la pression sur le marché que créent la présence du duopole et la concentration croisée. Là, vous allez assister à un nouveau jeu économique, une liberté qui n'existe pas. La même loi qui pourrait définir ça pourrait aussi avoir quelques exigences quant à la transparence. Et ces exigences quant à la transparence ne sont pas des interventions dans les rédactions. Qu'on me comprenne bien, je ne souhaite pas, il n'y a aucun journaliste au Devoir qui souhaite qu'on exige des médias qu'ils respectent le droit du public à l'information. Le droit du public à l'information, c'est le résultat d'un exercice libre d'un maximum de joueurs avec un organe déontologique en bout de... comme le Conseil de presse qui dans le moment fait son travail et, s'il y a des moyens accrus, ça ne fera qu'aider.

Le Président (M. Cusano): Merci. Juste pour vous dire, M. Francoeur, c'est que votre temps de parole est calculé dans le temps de la ministre. Ha, ha, ha!

M. Francoeur (Louis-Gilles): Est-ce qu'on doit remercier la ministre...

Le Président (M. Cusano): Alors, je dois faire le partage. Mme la ministre, une question.

Mme Maltais: Je fais très attention quand je parle à des journalistes, alors on n'ira pas de façon coercitive.

M. Francoeur, quand même le mémoire de la Fédération nationale des communications, FNC, nous invite à aller beaucoup plus dans le travail de l'entreprise que ce vous nous dites. Je les ai nommés tantôt: garantir par des mesures concrètes la qualité de l'information, la dépendance des salles de rédaction, ne pas réduire les ressources journalistiques, un fonds de compensation aussi, ce dont vous ne nous parlez pas, donc il y a des gens qui vont beaucoup plus loin. Donc, vous, vous dites: C'est le seuil, simplement la liberté et ensuite tout va se jouer simplement, encore une fois selon la faculté des syndicats à l'interne de travailler. Aussitôt qu'il y a trois joueurs qui sont forts, tout se règle.

Le Président (M. Cusano): Merci, Mme la ministre. M. Legault.

M. Legault (Jean-Pierre): Merci, M. le Président. Mon vénérable confrère en oublie un petit bout: lorsqu'il a fait référence au document de la FNC, il y a toute la question des transactions. O.K. Au moment de transactions, ça change effectivement la répartition des effectifs, bon, et toutes ces questions-là. Ça fait aussi partie de la transparence. D'abord, qu'une transaction soit annoncée d'avance, que ce soit public, que l'acheteur éventuel prenne des engagements, qu'il soit tenu de prendre des engagements en vertu de la loi. Moi, je m'excuse, je ne veux manquer de respect envers personne, mais les engagements de M. Crevier, là, ils vont tenir tant et aussi longtemps qu'il va vouloir. C'est là que ça commence et c'est là que ça finit. En cas de transaction, que ce soit balisé et défini, qu'il y ait des normes... Je n'aurais, par exemple, personnellement aucune objection si Louis-Gilles achète un journal qui est en difficultés financières. Ça se fait aux États-Unis, des exceptions. Une loi, c'est aussi fait pour avoir une certaine souplesse. On n'est pas là pour empêcher les choses, il me semble. Mais toute la question des transactions fait aussi partie de cette histoire de transparence dans la loi. Et ça me semble, moi, majeur, en tout cas.

Le Président (M. Cusano): Merci, M. Legault. Mme la ministre, il vous reste 30 secondes pour poser une question.

Mme Maltais: Merci. Ça précise bien ce que je veux savoir.

Le Président (M. Cusano): Merci beaucoup. Est-ce qu'il y a d'autres questions? Oui? Il reste combien de temps? Oui, il vous reste du temps.

Mme Beauchamp: Je vais jouer à l'avocat du diable, j'aime bien ça. Votre mémoire lance vraiment un cri d'alarme face à la situation de duopole et par ailleurs... et je n'ai pas plus d'information que ça, moi, j'ai appris ça tantôt ici, en commission parlementaire, et je suis assise ici depuis 9 h 30 ce matin, donc je n'ai pas eu le temps de m'informer plus avant, mais on a semblé me dire qu'on venait d'annoncer aujourd'hui le fait qu'on lance sur le marché à tout le moins un nouvel imprimé, je vais l'appeler comme ça, compte tenu que je ne sais pas qu'est-ce que c'est, la volonté de cet imprimé-là et tout ça. Mais on me dit: On lance un nouvel imprimé à Montréal, quotidiennement, et qui sera distribué gratuitement. Je vous avoue que, je le lis le mémoire, et je me dis que le mémoire me dresse un portrait comme si c'était impossible, une telle perspective. Mon collègue de Matane tantôt a résumé ce que contrôlait le duopole que vous décrivez dans votre mémoire. C'est comme si cette perspective-là, quand je lis le mémoire, ça me semble impossible, et là on me dit, je suis assise ici, qu'aujourd'hui on vient d'annoncer qu'il y aura un nouvel imprimé distribué gratuitement à tous les jours à Montréal.

Une voix: Ce n'est pas contradictoire.

Mme Beauchamp: Ah bon! Moi, je voyais une contradiction. Je me disais: Est-ce qu'il y a de l'espace ou il n'y a pas d'espace pour de nouveaux joueurs? Puis la nouvelle d'aujourd'hui m'amène à dire: Ah! donc, il y a de l'espace. Puis ça, c'est sans fonds pour aider au démarrage d'un nouveau journal, ou enfin, je ne sais même pas, peut-être qu'il bénéficie d'un certain fonds de capital de risque qui existe déjà dans le marché, ça, je ne le sais pas. Je n'ai pas eu le temps de m'en informer. Mais il y a un nouveau joueur qui arrive.

Vous me dites que ce n'est pas contradictoire. Moi, j'y voyais une contradiction avec le ton de votre mémoire et le fait que vous dressez ce duopole comme vraiment une espèce de mur infranchissable. Je me dis: Il y a quelqu'un à Montréal qui vient de décider qu'il prenait le risque de lancer ce qu'on va appeler pour le moment un journal imprimé chaque jour. Donc, expliquez-moi comment ça se fait que quelqu'un soit capable de prendre ce risque-là aujourd'hui, dans la situation telle que vous la décrivez dans votre mémoire... puis ce que vous nous affirmez par ailleurs dans votre mémoire?

Le Président (M. Cusano): Merci, Mme la députée. M. Francoeur.

M. Francoeur (Louis-Gilles): La réponse est assez simple et on a vu le phénomène à Toronto. Moi non plus, je n'ai pas les détails, de sorte que je ne me lancerai pas à imaginer ce que c'est. Mais les journaux de métro, comme on les appelle, qui sont gratuits et distribués ? ils ont commencé comme ça à Toronto ? qu'est-ce que c'est? Quand on fait un débat sur les médias d'information, il faut, je pense, quelque part faire la différence entre les types de médias. Si vous voulez créer un journal que vous allez donner, vous allez être obligés de vous adresser à ce qui peut se vendre dans l'heure, c'est-à-dire que vous voulez déclencher une décision d'achat. Les gens qui vont annoncer là-dedans, là, ils veulent que la personne, en sortant du métro, prenne la décision d'aller au cinéma, d'aller s'acheter un magnétoscope de telle marque en vente à tel endroit. C'est un marché de consommation immédiate. Vous regarderez, par curiosité, les médias de Toronto là-dedans, c'est très intéressant. Et qu'est-ce qu'ils mettent comme information? Vous savez, il y a très peu de chances que vous y retrouviez les débats sur cette commission parlementaire ni même ceux sur la commission du travail. Vous allez y retrouver probablement la liste des accidents à Montréal. C'est la machine économique qui fait du catalogue pour tirer vers le bas. Ils vont s'arranger... Vous allez trouver là-dedans une certaine brochette, une certaine diversification pour que ça ressemble à un média. Vous pouvez le faire par des agences, des choses comme ça.

n(17 h 20)n

Mais, si vous regardez dans l'échiquier des médias où ça se situe, vous allez vous rendre compte que ce n'est pas nous qui allons avoir ça dans les pattes comme concurrent au Devoir. On risque fort d'être le média qui va être le plus insensible à la sortie de ces nouveaux joueurs parce que ce n'est pas tellement notre marché. Ça peut faire mal à d'autres, ça, c'est certain. Mais c'est ce que je vous dis. Essayez d'imaginer des médias qui voudraient faire des enjeux, qui veulent saisir la population, garder sur la place publique les enjeux politiques, les enjeux sociaux, les enjeux démocratiques les plus difficiles, vous avez de fortes chances qu'ils ne soient pas là. Et là vous allez être obligés d'admettre comme moi, puis on ne fera pas de particularité, mais il y a des différences dans l'échelle des médias et il y a des marchés différents. Et ça, c'est un marché qui est inexploré. C'est un peu comme Internet, c'est un marché de consommation: vous pouvez acheter dans la seconde, en donnant votre numéro de carte de crédit; l'autre, il veut vous amener au dépanneur qui se trouve comme par hasard dans la bonne allée du métro où vous vous trouvez.

Le Président (M. Cusano): Merci, M. Francoeur. Si vous avez une autre question, Mme la députée...

Mme Beauchamp: Bien, ça serait plus un commentaire.

Le Président (M. Cusano): .. il faudrait vous dire qu'il vous reste 1 min 30 s pour la question et pour la réponse.

M. Francoeur (Louis-Gilles): ...seulement en Abitibi, n'oubliez pas ça, n'oubliez pas ça. Dans les autres régions, ce n'est possible. Merci, Jean-Pierre, c'est une nuance fondamentale.

Mme Beauchamp: Ça serait plus un commentaire, parce que votre réponse, elle se situe, comme d'ailleurs votre mémoire l'aborde, sur la notion de la qualité de l'information qu'on retrouve dans les médias. Et le commentaire, je vous avoue, quand on est assis ici, là, puis qu'on entend tout ça, c'est que, quand on commence à parler de qualité, ça se rapproche à nous demander d'intervenir au niveau du contenu. Et c'est là où, quand vous faites part dans votre mémoire qu'il y a une dégradation... en tout cas, c'est peut-être écrit entre les lignes, la notion de dégradation, mais vous dites: On est de plus en plus vers une information basée sur le fait divers. Vous savez, on est devant une logique que certains vous répondraient tout simplement: Oui, et c'est ça que les gens achètent, hein.

Ça fait que je vous dis juste que, quand vous me parlez de cette qualité d'information puis que vous plaidez pour la qualité, comment on fait ça sans inviter l'État à mettre vraiment la main dans le contenu? Je trouve que la limite n'est pas facile à établir.

Le Président (M. Cusano): Merci, Mme la députée. Pour vous rappeler, M. Francoeur, vous avez une minute pour y répondre ou réagir.

M. Francoeur (Louis-Gilles): O.K. Je vous dirais, madame, que l'État n'a pas à intervenir là-dedans, ni de près ni de loin. Ce débat sur la qualité de l'information, il va se faire par le marché. Vous avez raison de dire qu'il y a une clientèle pour ces nouveaux médias. C'est très clair, on en est conscient. Mais, en même temps, on sait une chose, c'est que les médias qui veulent apporter un peu plus de qualité, les médias qui veulent s'ouvrir en région, même à une information ordinaire, ne seraient pas capables, eux, de naître, même en essayant d'avoir une vocation populaire. Le Fleuve n'a pas réussi, malgré cette vocation à laquelle il prétendait. Le débat pour Le Devoir n'est pas le seul qu'on peut faire là-dessus. Et, même dans les journaux de qualité, je vous dirais que cette uniformisation de l'information, qui est liée à une sorte d'information de plus en plus axée vers le divertissement et vers une certaine superficialité, oui, disons-le, je pense qu'on voit une tendance actuellement en réaction dans ce qu'on appelle les journaux de qualité, ceux qui dans le monde occupent une niche d'à peu près 1 % à 2 %: Le Monde, le New York Times, Le Devoir. C'est ça, notre pourcentage, on ne peut pratiquement dépasser ça. C'est ça le marché dit des journaux de qualité.

Mais c'est dans ce secteur-là que, depuis cinq ans, apparaît Internet et toutes les nouvelles formes de sclérose de l'information, que se trouvent les croissances les plus élevées, parce que les gens veulent avoir autre chose, plus de substance. Et ce n'est pas pour rien que Le Devoir, le samedi, a accusé dans la dernière année une augmentation d'à peu près 22 %, 23 %, si je me rappelle du pourcentage, de son tirage. Les gens ont plus de temps pour lire puis ils veulent de la substance. Et c'est en misant sur des stratégies axées là-dessus qu'on a réussi ce pari qui est un peu contre tendance, je vous l'avoue.

Le Président (M. Cusano): Merci, M. Francoeur. Sur ce, le temps alloué est écoulé. Et M. Francoeur, M. Munger, M. Legault, je vous remercie de votre présentation et des échanges extrêmement intéressants. On aurait peut-être tous souhaité avoir plus de temps, mais malheureusement je suis un arbitre du temps. Merci. Je suspends pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 17 h 25)

 

(Reprise à 17 h 26)

Le Président (M. Cusano): La commission reprend ses travaux. Et à ce moment-ci, nous allons demander à Mme Judith Dubois de prendre place, s'il vous plaît. Mme Dubois, juste pour vous signaler que vous avez 10 minutes à votre disposition pour faire votre présentation, et ce sera suivi d'un échange de 20 minutes.

Mme Judith Dubois

Mme Dubois (Judith): D'accord. Merci. Alors, je me présente, je suis Judith Dubois, professeure de journalisme à l'Université du Québec à Montréal. Je suis ici pour apporter ma contribution au débat sur l'impact des mouvements de propriété dans l'industrie des médias. Jusqu'à présent, il a beaucoup été question d'impacts éventuels, positifs ou négatifs, que pourraient avoir certaines transactions importantes qui ont eu lieu au cours des derniers mois dans le monde des médias au Québec. Je pense à la transaction Quebecor-Vidéotron, par exemple, qui fera en sorte que Quebecor, qui publie entre autres le Journal de Montréal, sera aussi propriétaire de TVA, le plus grand réseau de télévision privé au Québec.

Moi, ce que j'ai voulu vérifier, c'est si, par le passé, le fait que Quebecor soit propriétaire d'un autre réseau de télévision, TQS, cela a pu avoir un impact sur l'information de ce réseau et quels genres d'impact cela a pu avoir. J'ai donc effectué une étude en décembre et janvier derniers. Dans le cadre de cette étude, j'ai voulu vérifier trois arguments, favorables ou défavorables à la concentration, qui circulent dans le cadre du débat actuel.

Le premier de ces arguments, c'est que l'acquisition de médias d'information par des groupes de presse ou des conglomérats peut avoir un impact positif sur l'information parce qu'elle peut permettre à ces médias de disposer de davantage de ressources humaines et financières.

Un deuxième argument a trait à la pluralité des sources. Dans un mouvement de synergie, un groupe de presse peut tenter d'utiliser les mêmes ressources affectées à l'information pour produire un contenu qui servira à plusieurs médias.

Et un troisième argument qui circule, c'est que la concentration est une menace à la liberté d'expression parce qu'elle donne davantage de pouvoir à quelques décideurs, qui peuvent ainsi influencer les choix éditoriaux d'un plus grand nombre de médias.

Pour vérifier ces hypothèses, il fallait nécessairement aller poser des questions à l'intérieur de la boîte. J'ai donc effectué des entrevues de fond auprès de journalistes et de cadres qui travaillent à TQS ainsi qu'auprès d'anciens journalistes et d'anciens cadres de ce réseau pour obtenir leur point de vue et témoignages sur l'expérience de TQS. Étant donné qu'il était quand même assez délicat de demander à des employés ou même d'anciens employés de témoigner des agissements d'un employeur aussi important que Quebecor, j'ai dû assurer l'anonymat à toutes les personnes interrogées. Les seules personnes identifiées sont le vice-président à la programmation et le directeur de l'information de TQS, qui présentaient le point de vue de TQS.

Alors, voici mes observations. D'abord, en ce qui concerne l'augmentation ou non des ressources financières et humaines, on peut dire que d'abord Quebecor n'a pas répondu aux attentes des employés, qui s'attendaient à une augmentation importante des investissements en information. La nouvelle direction sous Quebecor leur aurait plutôt fait comprendre qu'il n'y aurait pas d'investissement tant qu'il n'y aurait pas de rendement. Cette volonté de Quebecor de réduire les dépenses à l'information a été confirmée par plusieurs sources, dont certaines qui affirment que les personnes en place avaient eu pour mandat de réduire les dépenses et le personnel affecté à l'information d'environ 10 %. Certaines personnes croient que la rationalisation s'est poursuivie et que plusieurs postes en information ont disparu depuis 1997. De son côté, le vice-président à la programmation, Luc Doyon, affirme que les rationalisations qui ont eu lieu à la suite de l'acquisition de TQS par Quebecor n'ont pas touché à l'information et qu'il y a maintenant plus d'employés et plus d'argent dépensé en information à TQS qu'en 1997.

En fait, si on se fie aux données soumises par TQS, on ne remarque pas de différences importantes dans la croissance des ressources affectées à l'information entre la période qui a précédé l'acquisition de TQS par Quebecor et la période qui l'a suivie. D'après ces données, entre les années 1995-1996 et 2000-2001, le nombre d'employés permanents aurait légèrement augmenté, de 127 à 131, et, en ce qui concerne les dépenses, elles auraient connu une très légère progression. Si on ne tient pas compte de l'augmentation du coût de la vie, elles seraient passées de 9 720 000 $, en 1995-1996, à 10 880 000 $, cinq ans plus tard.

n(17 h 30)n

Donc, si on vient à notre première hypothèse, on doit conclure que ce n'est pas parce qu'un média fait partie d'un puissant conglomérat que l'on peut s'attendre nécessairement à ce qu'il investisse davantage de ressources en information. Il faut quand même rappeler que, quand Quebecor a acheté TQS, le réseau de télévision était déficitaire et il semble évident que Quebecor a quand même assuré à TQS les moyens de relancer sa programmation.

Par ailleurs, ce que l'étude a permis de constater, c'est qu'il y a quand même eu un changement très important, avec l'arrivée de Quebecor, en ce qui concerne les ressources, mais cet impact se situe beaucoup plus au chapitre du mode de gestion des ressources que dans les investissements en tant que tels. En fait, on serait passé d'un modèle paternaliste à un modèle pleinement capitaliste entraînant une réorganisation de la façon de faire. Cette réorganisation aurait eu comme résultat, d'abord, de modifier l'affectation des ressources humaines, impliquant notamment une augmentation de la charge de travail des journalistes. Par exemple, la nouvelle direction de TQS a établi comme stratégie de faire plus d'information, et, de fait, depuis 1997, on a augmenté la durée des bulletins de nouvelles du midi et de fin de journée, ce qui a porté le nombre d'heures d'information produites par TQS de 16 à 21 heures par semaine, soit une augmentation de 30 %.

D'après plusieurs sources, ces changements sans ajout de ressources journalistiques supplémentaires auraient contribué à augmenter la tâche des journalistes et expliqueraient pourquoi certains journalistes se disent épuisés et affirment travailler deux fois plus qu'avant. Cela expliquerait aussi cette impression de réduction importante des ressources. Le directeur de l'information, Yves Bombardier, convient que l'organisation du travail a changé et que les journalistes travaillent plus et sur une période plus longue qu'avant. Par exemple, ils doivent produire plus de reportages, faire plus d'interventions en direct. D'après certaines sources, ces changements affectent la qualité de l'information parce que les reporters doivent travailler beaucoup plus vite sur des sujets qui demanderaient beaucoup plus de temps.

L'autre impact de ce changement de modèle de gestion serait un glissement vers l'information-spectacle. La nouvelle formule d'information présentée sous forme de bulletins de nouvelles commentés est considérée par nos sources comme étant un recul au chapitre de la pertinence de l'information. Le Grand Journal est qualifié d'émission de divertissement dans lequel il y a des reportages. On dit aussi que l'on a ajouté du commentaire au détriment de l'information factuelle, de sorte que, même si les auditeurs écoutent plus d'information, ils finissent par être moins bien informés.

Le vice-président à la programmation, Luc Doyon, qualifie lui-même l'émission de Jean-Luc Mongrain de show d'information. Il nous a expliqué que TQS voulait quelque chose de nouveau, que le résultat plaît, que les cotes d'écoute sont là pour le démontrer et que le meilleur juge, c'est le public. Et, si on vérifie les données de la firme Neilsen, les cotes d'écoute ont effectivement augmenté de façon importante pour ces bulletins. Je ne crois donc pas me tromper si je conclus sur ce point que les décisions relatives à l'information sont prises d'abord et avant tout en fonction de la rentabilité.

En ce qui concerne la synergie et l'indépendance des salles de rédaction, toutes les personnes interrogées ont confirmé qu'il n'y a pas eu de mise en commun de ressources journalistiques entre, par exemple, la salle de nouvelles de TQS et Le Journal de Montréal. Les cadres de TQS ont cependant mentionné que, s'il n'y avait pas eu de mise en commun des ressources journalistiques, c'est parce qu'ils ne voyaient aucun intérêt à faire intervenir des journalistes de presse écrite dans les émissions d'information télévisée.

En ce qui concerne l'indépendance des salles de rédaction de TQS, il n'a pas été possible de démontrer dans le cadre de notre recherche que Quebecor intervenait directement dans les choix éditoriaux relatifs aux bulletins de nouvelles diffusés à TQS. Cependant, les personnes interrogées dans le cadre de notre étude s'entendent pour dire que, lorsqu'un fait positif se produit par rapport à une entreprise liée à Quebecor, un effort supplémentaire sera investi pour rapporter cette nouvelle. D'après une source, depuis l'acquisition par Quebecor, les journalistes sentent des pressions constantes pour traiter des nouvelles concernant Quebecor ou Pierre Karl Péladeau. Cette tendance à privilégier les gens de la famille ne serait cependant pas exclusive à Quebecor. Malgré tout, les personnes interrogées affirment qu'il n'y a généralement pas d'intervention de la part des cadres quant à la façon dont ces nouvelles seront rapportées. Il n'y aurait pas non plus d'empêchement à traiter de nouvelles qui ne seraient pas avantageuses pour l'image de Quebecor ou de la famille Péladeau.

Par ailleurs, plusieurs sources confirment que, même s'il n'y a pas d'intervention directe de la part de Quebecor, les cadres à l'information et à la programmation subiraient énormément de pressions, notamment de l'intérieur même de TQS, pour utiliser l'information à des fins promotionnelles, afin de favoriser des entreprises ou des partenaires de Quebecor. De leur côté, les cadres...

Le Président (M. Cusano): Oui, en conclusion, s'il vous plaît.

Mme Dubois (Judith): Oui. De leur côté, les cadres affirment qu'ils n'ont jamais cédé à ce genre de pression parce qu'ils tiennent à la crédibilité de l'information. Les cadres interrogés considèrent cependant que la décision de ne pas céder aux pressions dépend des individus en place et que la seule garantie de l'indépendance d'une salle de nouvelles, c'est la capacité des gestionnaires à se tenir debout. Voilà.

Le Président (M. Cusano): Merci. Mme la ministre.

Mme Maltais: Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Dubois. C'est la première fois qu'on a une étude fouillée qui est allée à l'interne d'un média. C'est extrêmement intéressant. Vous nous dites que le critère, d'abord, ce qui définit l'entreprise, c'est donc l'objectif de rentabilité, c'est ça, l'objectif, et que tout se conjugue au vu et au su de cet objectif. Malgré cela, je ne crois pas que vous en soyez arrivée à une conclusion définitive nous disant si la liberté de l'information a été atteinte, a été touchée à TQS depuis son acquisition par Quebecor. Est-ce que vous arrivez à cette conclusion que la liberté de l'information a été atteinte?

Le Président (M. Cusano): Merci, Mme la ministre. Mme Dubois

Mme Maltais: C'est-à-dire a été affectée, si j'ose dire.

Mme Dubois (Judith): Je n'arrive pas à cette conclusion-là. D'après les personnes que j'ai consultées, je ne sais pas si on peut parler de liberté. En fait, on parle d'une tendance à privilégier davantage les gens de la famille, parler davantage de sujets qui sont à l'avantage de l'entreprise Quebecor. Est-ce que c'est une entrave à la liberté? Je ne le sais pas. Est-ce que le fait d'avoir moins de temps pour préparer des reportages... est-ce que ça fait en sorte qu'on est moins libre de rapporter consciencieusement les faits? Ça serait à voir. Mais, en fait, non, je ne peux pas arriver à cette conclusion-là.

Mme Maltais: D'accord. Merci. Je vais laisser la parole aux autres députés ministériels.

Le Président (M. Cusano): Oui. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Votre dernière conclusion, à savoir que la question, justement, on peut dire... Votre troisième hypothèse, qui était justement la menace à la liberté d'information, vous l'avez conclue en disant que ça reposait beaucoup sur les épaules des gestionnaires. Vous avez conclu en disant: C'est lié à la capacité des gestionnaires à se tenir debout. Mais, maintenant, quel lien faites-vous entre le phénomène de la concentration, c'est-à-dire le phénomène des grands conglomérats, et cette capacité des gestionnaires à se tenir debout?

Le Président (M. Cusano): Merci. Mme Dubois.

Mme Dubois (Judith): La question de la concentration est une question que j'ai posée aux gens de l'intérieur, et, en fait, tout le monde s'entendait, autant du côté des cadres qui m'ont répondu officiellement et de toutes les autres personnes qui m'ont répondu, que tout cela n'avait rien à voir avec la concentration. En fait, quand j'ai posé la question aux gens, les gens disaient: Écoutez, Quebecor, c'est Quebecor. On aime ou on n'aime pas, mais ce n'est pas lié à la concentration.

Maintenant, ce que je remarque, moi... Et, si j'avais une conclusion principale, ce serait de dire que ce que je constate, c'est l'approche marchande de l'information. C'est qu'on essaie le plus possible de produire une information qui va coûter le moins cher possible et que cette information-là rapporte au maximum, indépendamment du genre d'information qu'on va diffuser. Et, cette approche marchande de l'information, évidemment, plus il y a de concentration, plus on peut l'étendre à l'ensemble des médias qu'on possède. Mais, effectivement, une entreprise aurait pu acheter TQS, par exemple, sans être un conglomérat et avoir cette même approche marchande de l'information et aurait pu arriver exactement au même résultat. Donc, est-ce que c'est à cause de la concentration qu'on a maintenant une approche marchande? Je ne saurais pas le dire à partir de l'étude que j'ai faite. Par contre, c'est clair que si une entreprise a une approche marchande et que cette entreprise-là dispose de plusieurs médias, bien on étend cette approche-là à l'ensemble de nos médias, donc, plus largement.

Le Président (M. Cusano): Merci, Mme Dubois. Mme la députée.

n(17 h 40)n

Mme Beauchamp: Oui. Vous avez peut-être assisté aux derniers échanges qu'on a eus avec les représentants du Devoir, les représentants syndicaux du Devoir qui vous ont précédée, mais, à la fin, on parlait justement un petit peu de ça. Je fais le lien entre les deux parce que cette information marchande que vous décrivez, il faut se... vous-même vous fournissez en annexe de votre document le fait que les cotes d'écoute des principaux bulletins de nouvelles de TQS ont augmenté, la performance globale de TQS a augmenté, tellement qu'il y en a qui ont soumis l'hypothèse que Quebecor devrait plutôt tenter de vendre TVA plutôt que TQS, en disant: Voici une valeur marchande qui augmente. Et je suis aussi devant le même joueur qui publie le quotidien le plus lu au Québec et qu'on qualifie de quotidien qui traite avant tout le fait divers.

Quand vous nous dites, donc, cette information marchande, je suis là devant le quotidien le plus lu au Québec, je suis devant des cotes d'écoute qui augmentent, est-ce que vous, vous y accolez une notion péjorative au fait de dire: C'est une information marchande? Parce que je suis un peu pris avec le fait que les gens en achètent ou encore les gens en regardent. Gratuitement, mais les gens en regardent. Comment on l'évalue, cette information marchande?

Mme Dubois (Judith): En fait, c'est plus une question d'inquiétude. C'est que le fait d'avoir cette approche-là, de dire: «Au fond, c'est le public qui décide; si le public aime ça, on va lui donner ça. Ça marche, ça fonctionne, donc ne me posez pas la question: Est-ce que c'est une information de qualité ou pas? L'important, c'est que ça marche», je trouve ça inquiétant. Et je pense que ce n'est pas la question de porter un jugement: Est-ce que j'aime ou pas l'information du Journal de Montréal? Est-ce que j'aime ou pas l'information diffusée à TQS? C'est que... Ce que je réalise, c'est que l'information, qui est un bien public, est entre les mains de gens qui ont pour souci premier de générer des profits, et c'est dans ce sens-là que ça crée une inquiétude.

Le Président (M. Cusano): Merci, Mme Dubois. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. C'est très intéressant de lire votre rapport et d'écouter vos commentaires. Il reste que j'ai quand même un petit problème, c'est que vous avez répondu à la question de Mme la ministre que vos études ne vous permettent pas de conclure que la concentration des moyens d'information à Quebecor a affecté directement la liberté de la presse, la liberté de l'information.

Mais est-ce qu'on peut vraiment juger de cette question-là sur un si court terme, sur un laps de temps si peu... si court? Et est-ce que ce n'est pas plutôt un conditionnement global de l'information qui finit par être fait par une entreprise de presse et finit par donner une orientation qui pourrait être limitée, évidemment, et laisse de côté beaucoup d'information qui pourrait être complémentaire et aider les gens à se faire une idée exacte de la situation?

Le Président (M. Cusano): Mme Dubois.

Mme Dubois (Judith): En fait, j'hésite beaucoup à porter une conclusion globale sur la concentration à partir d'une étude de cas très, très précise. Les seules conclusions que je peux émettre portent sur TQS.

Maintenant, on dit que le passé est garant de l'avenir, c'est pourquoi j'ai fait cette étude-là, parce que je considérais qu'il était intéressant de voir comment les choses s'étaient produites à Télévision Quatre Saisons, quel impact Quebecor avait eu sur TQS pour voir qu'est-ce qui pourrait arriver dans l'avenir, donc pour essayer d'avoir un espèce de regard sur ce qui pourrait arriver.

Maintenant, il y a quand même certaines différences entre, évidemment, la question de TQS et la question de TVA. C'est que dans le cas de TQS, on n'a pas jugé bon d'utiliser les mêmes contenus, les mêmes journalistes, par exemple, pour produire de l'information qui serait diffusée à TQS et qui serait diffusée aussi au Journal de Montréal parce qu'on ne voyait pas l'intérêt financier de ça. Et je crois, par contre, que si, dans un autre contexte, par exemple, TVA, l'entreprise considérait que là ça pourrait être payant d'utiliser les mêmes contenus... je pense que l'entreprise n'hésiterait pas à utiliser ces mêmes contenus là. Je pense que, technologiquement, elle en a les moyens, et, à ce moment-là, on viendrait de réduire la pluralité des sources. Alors, le fait que les mêmes journalistes soient employés à produire une même information qui soit diffusée à la fois à la télé, à la fois dans les journaux, à la fois sur Internet, à ce moment-là je pense que ça réduit la pluralité des sources.

Mais, donc, même si dans le cas de TQS ils n'ont pas jugé bon de le faire, c'était clair que c'était parce que ça ne rapportait pas, ils ne voyaient pas l'intérêt que ça pourrait rapporter. Donc, dans ce sens-là, je pense que ça peut être éclairant par rapport à d'autres... au débat un peu plus large.

Le Président (M. Cusano): Merci, Mme Dubois. Est-ce que vous avez terminé? Est-ce qu'il y a d'autres demandes? Oui, Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Je vais sortir un peu de votre texte et de votre mémoire, parce que, vous, vous avez la chance de travailler dans un milieu universitaire, de côtoyer des jeunes et peut-être des moins jeunes, mais des personnes qui s'intéressent à l'univers des médias, des communications assurément. Dans un texte qu'il nous a remis, Florian Sauvageau nous indiquait que le thème de la concentration des médias était un thème très prisé au début des années soixante-dix comme choix de sujet de mémoire de maîtrise ou de thèse de doctorat et qu'on constate que ce n'est plus un sujet qui semble passionner les étudiants en communications, comme c'était le cas dans les années soixante-dix.

Au moment où on se parle, est-ce que vous pouvez nous dire qu'est-ce que vous entendez dans votre département? Est-ce que vos étudiants sont préoccupés ou pas par la question? C'est sûr que là on est devant un débat public, mais, en toute franchise, j'aimerais ça que vous nous disiez, est-ce que vous sentez de la part de vos étudiants un intérêt, ou une inquiétude, ou.. Comment ça se passe au niveau du département actuellement sur ce sujet-là?

Le Président (M. Cusano): Mme Dubois.

Mme Dubois (Judith): Moi, je côtoie davantage les étudiants de premier cycle qui aspirent à devenir journalistes et je vous dirais que leur préoccupation, c'est davantage: Est-ce que je vais réussir à me trouver un emploi? Est-ce que je vais pouvoir trouver ma place comme journaliste? Une préoccupation très légitime. Et une de leurs préoccupations à travers ça, c'est: Est-ce que je vais devoir faire de la pige? Est-ce que je vais pouvoir vivre de la pige? Est-ce qu'il y a une place pour moi sur le marché? Quelles sont les compétences que je vais devoir acquérir? Et ce qu'ils réalisent, c'est que s'ils veulent faire leur place, ils doivent acquérir de plus en plus de compétences parce qu'ils peuvent être appelés à autant produire des reportages pour la presse écrite, produire... ils doivent être à l'aise avec Internet, ils doivent être capables de produire des reportages pour la télé, des reportages pour la radio, donc être capables de tout faire et de réussir malgré tout à faire une information de qualité à travers tout ça et de bien rendre toutes les informations qu'ils vont être allés chercher. Bon. Donc, je dirais que c'est peut-être plus, là, ce qui préoccupe les étudiants que je côtoie davantage.

Le Président (M. Cusano): Merci. Est-ce qu'il y a d'autres intervenants? Alors, sur ce... Oui?

Mme Dubois (Judith): J'apporterais juste une petite précision. Tout à l'heure, quand on parle... On m'a posé la question tout à l'heure à savoir en quoi l'exemple de Télévision Quatre Saisons pouvait être pertinent dans notre débat plus largement quand il s'agit, par exemple, de la question des sujets que les journalistes ont parfois à traiter qui favorisent la famille Quebecor, par exemple. En fait, je voulais simplement signaler que ce phénomène-là n'est pas unique à Télévision Quatre Saisons, que des journalistes qui sont d'anciens journalistes de TQS qui sont rendus ailleurs me disaient que c'est une tendance dans plusieurs médias, quand il s'agit de sujets qui concernent l'entreprise pour laquelle ils travaillent, quand il s'agit d'en parler dans les bulletins d'information, de favoriser... de faire un petit effort pour la famille. Et je pense que le problème de la concentration, c'est que si les journalistes se contentent de parler en bien ou, en tout cas, de favoriser les sujets qui concernent leur entreprise, dans la mesure où leur entreprise ne possède qu'une entreprise de presse, l'impact est limité. Par contre, si l'entreprise qui possède leur média possède aussi de nombreuses autres entreprises, bien on multiplie le nombre de sujets qui deviennent délicats pour les journalistes et donc le risque, d'une certaine façon, de... enfin, je n'ose pas appeler ça de conflit d'intérêts, mais de sujets, disons, délicats pour les journalistes.

Le Président (M. Cusano): Merci, Mme Dubois. Au nom des membres de la commission, je désire vous remercier pour votre présentation et discussion extrêmement intéressantes.

Mme Dubois (Judith): Je vous remercie.

Le Président (M. Cusano): Alors, je vous remercie. Avant de suspendre pour quelques minutes, je voudrais vous indiquer qu'au retour de la suspension nous entendrons M. Jean-Claude Devirieux. Alors, il pourra prendre place...

Une voix: Claude Jean.

Le Président (M. Cusano): Pardon?

Une voix: Claude Jean Devirieux.

Le Président (M. Cusano): Ah, j'ai Claude Jean. Je m'excuse. Alors, je suspends pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 17 h 49)

 

(Reprise à 17 h 50)

Le Président (M. Cusano): Alors, je m'excuse, on m'a dit qu'il y a une erreur ici. Moi, j'avais Jean-Claude, alors c'est Claude Jean, n'est-ce pas?

M. Devirieux (Claude Jean): C'est ça.

Le Président (M. Cusano): Bon, merci. Alors, juste pour vous rappeler que vous avez 10 minutes pour faire votre présentation, et elle sera suivie de 20 minutes d'échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous, monsieur.

M. Claude Jean Devirieux

M. Devirieux (Claude Jean): Merci, M. le Président. Pour ceux qui me connaîtraient moins, je suis un ancien journaliste. J'ai travaillé 33 ans dans le journalisme, dont 31 ans à Radio-Canada. Je suis l'auteur du premier livre qui ait jamais été publié au Canada sur la liberté de l'information, et, à ce titre-là, c'est ce qui me donne, je pense, le droit de parler devant vous. Depuis 1986, je suis consultant international en communications.

Vous avez reçu bien des mémoires de bien des organismes et de particuliers qui ont beaucoup insisté sur la façon dont on faisait les journaux, sur les conséquences de ci, de là les transactions... Moi, je voudrais élever le débat un petit peu et parler des principes qui régissent tout ce domaine parce qu'il y a encore beaucoup de flou, beaucoup de mou autour des principes qui régissent le domaine de l'information. Alors, vous avez reçu mon mémoire, je vais paraphraser mon mémoire. Je ne vais pas suivre fidèlement ce qu'il y a dans mon mémoire, vous avez eu toute la liberté de le lire. Je vais parler d'abord, en premier lieu, des libertés traditionnelles, ensuite du droit à l'information à proprement parler et, enfin, de l'environnement médiatique des Québécois.

Alors, en ce qui concerne les libertés traditionnelles, on a invoqué ici à plusieurs reprises la liberté d'opinion, la diversité d'opinions, la liberté... Chaque individu est libre d'exprimer son opinion, donc on a droit à la liberté d'expression, et cette liberté d'expression s'est traduite à la fin du XVIIIe siècle par la notion de liberté de presse. Pourquoi? Parce que, à la fin du XVIIIe siècle, l'imprimé était la seule façon de propager ses opinions. Alors, on a assisté à la fin du XVIIIe siècle à une floraison de journaux. Très bien, sauf que cette liberté de presse, donc d'expression des opinions, actuellement, est exercée par qui? Elle est exercée par une dizaine, une quinzaine, disons une vingtaine d'éditorialistes qui sont au service de leur entreprise de presse et qui reflètent d'ailleurs la pensée politique de ces entreprises de presse. Et elle est exercée aussi de temps en temps, incidemment, par des lecteurs qui écrivent dans les journaux. Alors, on peut dire que chaque jour il y a une cinquantaine de personnes, disons une soixante de personnes au Québec qui jouissent de la liberté d'expression, d'exprimer leur opinion. Donc, il y a seulement 60, mettons 100 personnes qui, dans une société de 7 millions, expriment... sont capables d'exercer leur liberté d'expression. Ce n'est plus une liberté, c'est un privilège.

Alors, nous avons en ce moment des médias qui sont des médias du XXIe siècle ? la preuve, c'est qu'ils veulent se concentrer, fusionner, faire des acquisitions, etc. ? qui sont régis par une législation qui date du XIXe siècle, et cette législation elle-même s'inspire de principes du XVIIIe siècle. Alors, c'est non seulement paradoxal, mais c'est presque ubuesque comme situation pour une société qui se veut moderne.

Je pense que j'ai réglé le problème de la liberté de la presse, j'ai dit dans mon mémoire que c'était finalement une liberté de commerce. C'est la liberté de publier ou de ne pas publier ce qu'on veut, de la manière que l'on veut, pourvu que ça rapporte financièrement ou politiquement, parce qu'on a toujours oublié cet aspect de la question.

Ma deuxième partie porte sur le droit à l'information. Le droit à l'information, Mme la ministre l'a rappelé récemment, a été inscrit dans la Charte québécoise des droits. Cela fait 25 ans, on n'en a jamais parlé pendant 25 ans. Mais, il y a 25 ans, les législateurs de l'époque ont admis le principe du droit à l'information et ils ont admis que c'était un principe tellement important qu'il fallait l'inscrire dans la loi fondamentale du Québec. C'est la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, dont j'étais, qui a réussi ce coup d'éclat. Parce que le ministre de la Justice de l'époque était M. Jérôme Choquette, ça a été difficile à convaincre.

Alors, ce droit-là, qu'est-ce que c'est? Tout le monde en parle, on ne sait pas ce que c'est. On ne sait pas ce que c'est. Alors, il faut revenir à l'individu, n'est-ce pas? Parce que, jusqu'à maintenant, on n'a parlé que des privilégiés, ceux qui ont de l'argent, qui ont des journaux, ceux qui publient leurs opinions et puis les rédacteurs. D'ailleurs, les journalistes qui sont aussi des privilégiés parce qu'il n'y a pas tellement... il n'y en a pas beaucoup de journalistes, hein? Il y en a quelques centaines, quelques milliers peut-être dans la province de Québec, mais sur 7 millions. On n'a parlé que des privilégiés, moi, je voudrais parler de la masse des individus. On va renverser le problème.

Alors, chaque individu a un cerveau, et il est médicalement prouvé que tout ce qui rentre dans le cerveau, à part le sang, c'est de l'information. Si vous travaillez sur l'information, vous travaillez sur les cerveaux. C'est embêtant après tout ce qu'on a dit sur les risques potentiels de la concentration, hein? On n'a pas beaucoup parlé des intérêts économiques, on n'a pas parlé des intérêts politiques qui se cachent derrière les intérêts économiques. Alors, vous travaillez sur l'information, vous travaillez directement sur le cerveau.

Le cerveau, il reçoit deux sortes d'information: il reçoit une information circulante ? je m'appuie sur des travaux scientifiques qui ont été faits en Europe ? et une information structurante. L'information circulante, c'est la mouche que je vois, là, puis qui ne laisse pas grande trace dans mon cerveau. C'est l'histoire de la petite fille qui s'est gelée dans l'Ouest canadien, et puis ça ne laisse pas beaucoup de trace dans mon cerveau, voyez-vous, parce que, dans un an ou dans deux ans, je l'aurai oubliée.

L'information structurante, c'est l'information qui, répétée ou donnée dans un contexte particulier, finit par figer les circuits cérébraux et faire en sorte que les gens réagissent toujours de la même façon ou voient toujours les choses de la même façon. C'est ça, l'information structurante. Et on a pu dire que le cerveau est le reflet de son environnement. C'est prouvé scientifiquement, du point de vue social, un individu qui a vécu dans un climat de violence familiale a 90 chances sur 100 de reproduire ces actes de violence une fois devenu adulte. Les Madelinots n'ont pas la même mentalité que les gens de Rouyn-Noranda. On est le reflet de son environnement géographique, on est le reflet de son environnement social, on est le reflet de son environnement économique et politique aussi, bien sûr.

Si on veut que les consommateurs, que vos électeurs, que les citoyens soient en équation, en adéquation avec leur environnement, il faut leur garantir le libre exercice de leur droit à l'information, droit à l'information que j'ai défini comme étant le droit fondamental, fondamental comme le droit à la vie. Et je vais vous poser une question: Qu'est-ce qu'il y a de plus fondamental, le droit à la vie ou le droit à l'information?

Le Président (M. Cusano): ...exposé, mais les questions viennent après.

M. Devirieux (Claude Jean): La plupart des gens disent: Le droit à la vie. Mais, pour propager la vie et pour maintenir la vie, il faut que vous ayez des informations. Alors, c'est le droit fondamental de l'individu et de la collectivité. Il n'y a pas d'opposition, comme, par exemple, dans le domaine culturel et linguistique, entre le droit individuel et le droit collectif de savoir ce qui se passe, de faire savoir ce qui se passe et que l'on a intérêt à connaître. Que l'on a intérêt à connaître, pourquoi?

Le Président (M. Cusano): En conclusion.

M. Devirieux (Claude Jean): Pour pouvoir être en adéquation avec son environnement. Déjà la conclusion?

Le Président (M. Cusano): Oui, il vous reste 45 secondes.

M. Devirieux (Claude Jean): Combien?

Le Président (M. Cusano): 45 secondes.

M. Devirieux (Claude Jean): 47, hein, on va dire.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Devirieux (Claude Jean): La raison pour laquelle la concentration est potentiellement dangereuse, je vais vous la dire ? je ne vais pas parler du climat médiatique qui entoure les Québécois ? c'est qu'en 1930, en Allemagne... Bien sûr, toute comparaison est exagérée, mais, en Allemagne, en 1930, un hebdomadaire, le Völkischer Beobachter s'est transformé en groupe de presse qui, dans les deux ans qui ont suivi, a acheté tous les médias allemands, et en 1933 vous savez ce qui est arrivé. C'est la raison pour laquelle il faut que l'État québécois, qui a proclamé il y a 25 ans le droit à l'information, prenne les moyens pour faire respecter ce droit qui, actuellement, est potentiellement ? et, on l'a vu, il y a eu des exemples ? parfois même pratiquement menacé.

Le Président (M. Cusano): Merci de votre intervention. Mme la ministre.

n(18 heures)n

Mme Maltais: Merci, M. le Président. Je suis très heureuse de vous entendre à nouveau, M. Devirieux. C'est un réel bonheur de voir que vous avez conservé votre esprit vif, acéré et que vous êtes encore capable, en quelques minutes, de nous faire une synthèse d'une situation. Merci. Et vous nous rappelez une chose extrêmement importante effectivement, que c'est un privilège que celui qu'on laisse, à des entreprises, de pouvoir nous informer et d'avoir le droit de canaliser cette information et de faire la sélection de l'information; ce qui touche directement, effectivement, au cerveau.

Moi, je parlais tantôt de liberté, je disais qu'elles confondaient parfois ? les entreprises ? la liberté de commerce avec la liberté de presse, effectivement, et c'est là l'enjeu qu'on a actuellement.

Vous nous parlez, dans votre mémoire, de la Suède et de la Norvège spécifiquement, à ce qu'on m'a dit. Pouvez-vous me dire quels sont les enseignements intéressants qu'on pourrait soutirer des exemples que sont la Suède et la Norvège?

M. Devirieux (Claude Jean): C'est parce que ces pays ont été les premiers, dès le début du XXe siècle, à proclamer le droit à l'information et à l'inscrire dans leur constitution, et qu'ils ont pris ensuite toute une série de mesures pour faire respecter ce droit à l'information. De la même façon que les États font respecter le droit à la santé, par exemple, ils ont pris des mesures pour faire respecter le droit à l'information. Cela dit, Mme la ministre, je ne pourrais pas aller dans le détail de la législation des pays scandinaves. D'ailleurs, on n'a pas le temps. Mais un organisme comme le vôtre pourrait le faire.

Mme Maltais: Oui, tout à fait. Et, comment... M. le Président, oui. Vous parlez aussi de dissocier les salles de rédaction de la propriété.

M. Devirieux (Claude Jean): Oui.

Mme Maltais: Parce que c'est vraiment ça, la différence, la liberté d'entreprise, d'accord. Mais la liberté d'information, c'est l'autre enjeu sur lequel on doit être extrêmement attentif. Comment faire ça sans aller dans le droit de gérance?

M. Devirieux (Claude Jean): Il y a eu des exemples qui ont été cités, à cette table, de société de rédacteurs ou de coopérative de rédacteurs, de statut juridique des salles de rédaction. Vous pourriez vous renseigner utilement sur le statut des salles de rédaction dans certains pays qui ont respecté le droit du public à l'information.

Le Président (M. Cusano): Merci.

Mme Maltais: M. le Président...

Le Président (M. Cusano): Oui, oui. continuez.

Mme Maltais: ...je suis contente d'entendre un autre journaliste ? oui, journaliste ? qui me parle de la société de rédacteurs. Je m'étais fait reprocher qu'il n'y avait qu'un seul exemple encore, jusqu'ici, à travers le Québec, qui en ait parlé. Oui, c'est beau.

Le Président (M. Cusano): Merci. Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Merci, M. le Président. Bonjour. Je vais continuer dans vos recommandations, parce que vous avez peut-être eu moins le temps de l'aborder lors de votre exposé. Cette notion de mécanisme ? c'est votre troisième recommandation ? permettant aux citoyens et aux groupes de porter plainte pour violation du droit à l'information et de la liberté de l'information, vous en faites une recommandation.

J'aimerais que vous développiez ce que vous voulez dire vraiment. Je pense que, quand on lit ça ou que quelqu'un entend ça, on a l'impression que vous faites référence, par exemple, au droit de porter plainte en cas de diffamation, mais je suis sûre et certaine que c'est plus large que ça ce que vous entendez par là. Mais j'aimerais ça que vous soyez un peu plus précis sur la notion de plainte pour violation du droit à l'information. Puis ce mécanisme, est-ce que vous avez en tête quelque chose?

M. Devirieux (Claude Jean): Il faudrait imaginer une notion, un concept nouveau, le délit de malinformation, de fausse information. La législation fédérale, le Code criminel, prévoient déjà un délit pour la diffusion de fausses informations mais dans un domaine bien particulier, c'est le domaine boursier. Mais, quelqu'un qui publie une fausse nouvelle ou une nouvelle qui serait tellement altérée qu'elle n'aurait plus... ou qui oublierait de publier un fait très important, eh bien actuellement, les citoyens n'ont comme seul recours que de se plaindre au Conseil de presse.

Le Conseil de presse fait ce qu'il peut. Il dit: Bien, c'est mal. Ce que tel média a fait, c'est mal, et puis, ça reste là. Certains journaux publient, en petit, le jugement du Conseil de presse, mais ça n'a jamais été officialisé, d'une part. Les médias ne sont pas forcés de publier les jugements du Conseil de presse, ce qui fait que le public n'a jamais connaissance des délits de malinformation.

Alors, il y aurait ça, évidemment: donner, au Conseil de presse, le pouvoir d'obliger les médias à publier ces jugements. Mais il y a aussi les jugements au civil pour diffamation ou pour dommages et intérêts. Il y a le droit de réponse qui n'a jamais été officialisé chez nous.

Vous êtes, par exemple, attaquée de façon vicieuse par un opposant politique. Je sais que ça ne se produira jamais. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Devirieux (Claude Jean): Mais vous déposez une plainte, vous obtenez gain de cause.

D'abord vous écrivez au journal qui publie au vertu du principe de la liberté de la presse ou qui ne publie pas votre réponse, voyez-vous, votre réplique, et qu'il le publie où il veut dans la chronique nécrologique, pas derrière, en avant, en arrière, voyez-vous?

Alors, il faudrait vraiment établir des règles strictes pour que les citoyens qui seraient victimes de délit de malinformation soient protégés. Actuellement, nous ne le sommes pas; vous ne l'êtes pas.

Le Président (M. Cusano): Merci. Mme la députée.

Mme Beauchamp: Bien, deux, trois choses que, je pense, M. Devirieux, vous pourrez nous aider à éclaircir. Entre votre recommandation pour un mécanisme pour porter plainte, vous-même, dans votre réponse, vous faites référence au Conseil de presse...

M. Devirieux (Claude Jean): Oui, parce que c'est la seule chose qui existe.

Mme Beauchamp: ...alors que, entre votre recommandation 3, votre recommandation 4, je croyais que vous faisiez une différence. Vous dites «établir un mécanisme», puis effectivement ensuite, vous nous dites «renforcer le rôle du Conseil de presse». Mais j'avais l'impression que, dans votre notion d'un «mécanisme pour porter plainte», le fait que vous dites «établir un mécanisme», je croyais vraiment que vous pensiez que le Conseil de presse n'était pas le lieu pour traiter du genre de problème que vous venez de nous décrire. Mais, là, si j'écoute bien votre réponse, vous faites référence au Conseil de presse comme étant un mécanisme, et vous dites: Il faut renforcer le tout, et entre autres, par une loi.

Vous-même, quand vous nous décrivez les structures actuelles dans votre mémoire ? dans la législation ? vous dites qu'elles ne sont pas très nombreuses mais il y a certaines législations, et vous dites qu'il y a des législations, au niveau du Québec, qui concernent l'enregistrement des journaux ainsi que la responsabilité civile et morale des entreprises de presse écrite.

Donc, nous avons une législation qui touche le domaine que vous venez de décrire. Est-ce que cette législation, donc, vous la considérez insuffisante? Il y a aussi une citoyenne du mouvement Démocratie dans les villes qui est venue aussi donner des exemples de ce qui est prévu, par exemple, dans la législation italienne. C'est beaucoup plus coercitif au niveau, de ce qu'on pourrait dire, de la rétractation des faits et tout ça.

Mais je veux juste bien situer ce pour quoi vous plaidez entre... vous parlez d'une mécanisme, on parle du Conseil de presse, on parle d'une loi qui pourrait renforcer ces éléments-là, surtout quand le citoyen juge qu'il n'a pas un accès libre à l'information. Mais j'aimerais vous réentendre un peu nous réorganiser ça, parce que je vous écoute, mais je me dis: Il y a une loi qui prévoit des choses, il y a un Conseil de presse. Pourquoi ça ne fonctionne pas, selon vous?

M. Devirieux (Claude Jean): Ça ne fonctionne pas, parce que la législation québécoise de la presse n'a jamais été consolidée en un tout logique, d'une part, et que, d'autre part, le Conseil de presse est un organisme à adhésion volontaire qui fait ce qu'il peut, on vous l'a dit, mais qui peut peu.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Cusano): Merci. Est-ce que vous avez d'autres questions, Mme la députée?

Mme Beauchamp: Non, ça va.

Le Président (M. Cusano): Non? M. le député d'Iberville.

M. Bergeron: Alors, je voudrais qu'on continue sur le Conseil de presse qui peut peu, justement. C'est qu'effectivement il a peu de moyens, le Conseil de presse, et il est réduit à un rôle de gestion de plaintes, un rôle de chien de garde. Et, dans votre quatrième recommandation, vous êtes quand même assez ambitieux: donner à ces jugements un caractère exécutoire et également l'autoriser à donner des avis à l'Assemblée nationale. Donc, de chien de garde, vous aimeriez peut-être le voir passer comme une figure de proue. Est-ce que, disons, pas mon jeu de mots, mais ce que je vous dis, est-ce que ça tombe sous le sens? De quelle façon vous verriez le rôle de Conseil de presse? Essayez d'étayer, par quelques exemples, entre une situation présente qui est peut-être déficiente et une situation future qui pourrait tendre vers l'idéal.

Le Président (M. Cusano): Merci.

n(18 h 10)n

M. Devirieux (Claude Jean): Oui, merci. Actuellement, le Conseil de presse n'a aucun pouvoir de recommandation à qui que ce soit, sinon à ses membres qui en tiennent ou qui n'en tiennent pas compte. Mais nous avons, au Québec, des institutions qui peuvent donner des recommandations à l'Assemblée nationale: le Vérificateur général, l'ombudsman. Et je crois que le Conseil de presse devrait, dans le domaine de l'information, pouvoir jouer un rôle identique à celui de vérificateur général ou d'ombudsman.

Par exemple, une situation donnée: les médias se sont rendus coupables d'un délit de malinformation à l'occasion de... Je ne sais pas, moi, il y a une série ? prenons un exemple hypothétique ? d'atteintes à la pudeur dans une école, et les médias se sont rués là-dessus, ont monté ça en épingle, ont donné le nom des victimes, en violation de la loi d'ailleurs, et personne n'a rien dit. Le Conseil de presse pourrait...

Disons, un fait nouveau se produit, la société a évolué. Nous pourrions aménager la législation de la presse, modifier la réglementation ? parce que toute loi suppose une réglementation ? pour pouvoir garantir le droit du public à l'information.

Le Président (M. Cusano): Merci. M. le député de Matane.

M. Rioux: Depuis qu'on entend des groupes, on sent qu'il y a deux tendances lourdes. Il y en a une qui dit: Il faudrait être un peu permissif et laisser les conglomérats se développer. Même, éventuellement, peut-être qu'on assistera à la naissance d'un monopole, d'ici 10 ans. Mais, par ailleurs, ces mêmes personnes disent: Il faudrait civiliser ça par l'intérieur, en se donnant des mécanismes, une gestion paritaire avec le syndicat, le patron, etc., avec des critères, une déontologie.

Il y en a d'autres qui disent: Non, on ne pense pas y arriver avec cette voie-là; il faudrait passer par la législation. Vous empruntez cette voie-là en disant: Il faudrait que le gouvernement du Québec ou l'État québécois soit cohérent, parce que, il y a 25 ans, il a reconnu le droit du public à l'information.

Moi, la question que je vous demande: D'abord, est-ce que vous pensez qu'il est possible, dans une société libre et démocratique comme la nôtre, qu'on intervienne dans des business où c'est la marchandisation de l'information qui est prioritaire et non le droit du public à l'information?

Le Président (M. Cusano): Merci.

M. Devirieux (Claude Jean): On a entendu ici des engagements solennels. Je connais personnellement Luc Lavoie et M. Crevier, et je sais qu'ils sont sincères. Mais où est-ce qu'ils étaient, il y a trois ans? Où seront-ils dans trois ans? Et il n'y a aucune personne morale, depuis que le monde existe, qui ait garanti les promesses des personnes physiques qui les dirigent.

Il faudrait que, dans la loi ? que je prévois, que j'aimerais voir adopter par l'Assemblée nationale du Québec ? au moment où les journaux demandent un permis ? ça existe, ça, ils sont obligés d'avoir un permis ? qu'ils s'engagent solennellement, que ce ne soient plus seulement des paroles en l'air dans cette enceinte, mais que ce soit un engagement ? pas notarié, mais un engagement ? de respecter le droit du public à l'information, juste ça.

M. Rioux: Alors, sans être question de seuils ou de propriété croisée ou de fonds...

M. Devirieux (Claude Jean): Sauf que, par exemple, si le Conseil de presse relevait des violations du droit du public à l'information dans un média de façon systématique, il pourrait faire des recommandations à l'Assemblée nationale en lui disant: Vous savez... comme ça se fait dans le domaine de la santé ou dans d'autres domaines.

M. Rioux: Un commissaire aux plaintes?

M. Devirieux (Claude Jean): La santé du cerveau est bien plus importante que le reste.

M. Rioux: Merci.

Le Président (M. Cusano): Merci.

M. Rioux: Bien.

Le Président (M. Cusano): D'autres questions, M. le député? Non? Alors, Mme la députée de Sauvé.

Mme Beauchamp: Un dernier point. Dans le renforcement du Conseil de presse, vous proposez de l'autoriser à donner des avis à l'Assemblée nationale. Ça a fait l'objet aussi, ça, de débats jusqu'à maintenant, lors de ces audiences.

Vous savez comme moi que le président du Conseil de presse, M. Roy, est venu dire qu'il n'était pas nécessairement à l'aise avec ce scénario, ou en tout cas, que, dans sa structure actuelle, il n'était définitivement pas à l'aise et favorable à une telle possibilité.

On a également entendu des représentants d'entreprises venir nous dire qu'ils voyaient là-dedans un rapprochement malsain entre le politique et les entreprises médiatiques, en disant, par exemple: On est en train de traiter de certaines informations dans nos journaux. Venir à l'Assemblée nationale... et je pense que c'était même de dire: même via le Conseil de presse, ça ne nous apparaît pas souhaitable.

Moi, je veux entendre vos arguments, pour lesquels vous, vous plaidez, pour que le Conseil de presse vienne devant l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Cusano): Merci. M. Devirieux.

M. Devirieux (Claude Jean): J'ai fait partie du Conseil de presse pendant quatre ans, et j'ai beaucoup regretté que le Conseil de presse ait si peu de moyens, d'une part, et si peu de pouvoirs, d'autre part. Cela dit, les institutions, même officialisées dans une loi qui consoliderait tous les textes et qui en ajouterait d'autres concernant l'information, les institutions ne valent que ce que valent les gens qui les dirigent.

Le Président (M. Cusano): Merci. Est-ce que vous avez une autre question, madame?

Mme Beauchamp: Mais, je suis désolée, mais je vais vous demander de répéter votre dernière phrase. Vous avez dit?

M. Devirieux (Claude Jean): J'ai dit que les institutions ? et vous avez fait allusion au Conseil de presse ? ne valent que ce que valent les gens qui les dirigent. C'est bien ça que j'ai dit?

Une voix: Oui.

Mme Beauchamp: Non, je n'étais pas sûre d'avoir bien entendu.

M. Devirieux (Claude Jean): Mais je pense qu'il y a des gens qui ont compris.

Le Président (M. Cusano): Merci. Est-ce qu'il y a d'autres intervenants? Alors, sur ça, je vous remercie, M. Devirieux, pour votre présentation, et les travaux...

M. Rioux: ...

Le Président (M. Cusano): Pardon? Vous avez une intervention, M. le député? Oui.

M. Rioux: Oui, j'ai une intervention de régie.

Le Président (M. Cusano): Oui?

M. Rioux: Oui. Ha, ha, ha! Alors, je voudrais juste rappeler aux membres de la commission que nos travaux de demain commenceront à 9 h 30, et on va recevoir Vie Ouvrière, l'Association des diffuseurs communautaires, l'Organisation mondiale pour les familles, Hebdo Boucherville.

À 12 h 30, de 12 h 30 à 12 h 45, il y aura des remarques finales de députés ministériels. À 14 heures, de 14 heures à 14 h 30, les remarques finales du groupe parlementaire formant l'opposition, et nous allons terminer avec les remarques finales du groupe formant le gouvernement. C'est une entente entre les leaders, et je vous les communique, parce que ça gère un peu nos vies pour demain matin.

Le Président (M. Cusano): Merci du communiqué, M. le député de Matane, et sur ça, les travaux sont ajournés à demain, le jeudi 1er mars, à 9 h 30. Merci.

(Fin de la séance à 18 h 17)

 



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