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Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le vendredi 4 novembre 1983 - Vol. 27 N° 162

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes sur la Charte de la langue française


Journal des débats

 

(Neuf heures cinq minutes)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission des communautés culturelles et de l'immigration se réunit afin de poursuivre l'audition des mémoires et d'entendre tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française.

Sont membres de cette commission: M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Brouillet

(Chauveau), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Fallu (Groulx), M. Godin (Mercier), M. Gratton (Gatineau), Mme Lachapelle (Dorion), M. Laplante (Bourassa), M. Leduc (Fabre), M. Scowen (Notre-Dame-de-Grâce), M. Sirros (Laurier), M. Marx (D'Arcy McGee).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Bissonnet (Jeanne-Mance), M. Dupré (Saint-Hyacinthe), M. Gauthier (Roberval), M. Maciocia (Viger), M. Payne (Vachon), M. Polak (Sainte-Anne), M. Vaillancourt (Orford), M. Vaugeois (Trois-Rivières).

Selon l'ordre du jour, nous allons commencer avec le Bureau de commerce de Montréal et poursuivre avec M. Yves Beauchemin, Logidisque Inc. et le Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal, le RCM.

Nos premiers invités sont déjà à la table. Je les invite à se présenter. Vous êtes M. Dubreuil, je présume. Pourriez-vous présenter les gens qui vous accompagnent et faire la lecture de votre mémoire?

Bureau de commerce de Montréal

M. Dubreuil (Étienne): M. le Président, si vous me le permettez, je vais laisser le plaisir et l'honneur au président du Bureau de commerce, M. Gordon Fehr, de faire cette présentation.

M. Fehr (Gordon): M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs les députés, nous vous souhaitons une bonne journée, la première journée de l'hiver, je pense. Je m'appelle Gordon Fehr et je suis président du Bureau de commerce de Montréal. Peut-être est-il mieux connu sous le nom de Montreal Board of Trade. Je suis aussi président de Pfizer Canada.

J'ai, à ma gauche, le président de notre comité d'étude sur ce mémoire, M. Étienne Dubreuil, qui est avocat chez Télé-

Direct; à ses côtés, Alex Paterson, associé de McMaster Meighen; à ma droite, le directeur général de notre organisme, M. Alex Harper. Nous avons tous travaillé à ce mémoire. Vous l'avez reçu, ce n'est donc pas mon intention d'en faire ici la lecture. Je voudrais plutôt concentrer mes remarques sur les raisons de notre prise de position sur la loi 101 et vous faire part de notre inquiétude devant les effets négatifs de cette loi sur l'économie de notre province.

Je voudrais souligner d'abord que notre présence ici aujourd'hui indique que nous poursuivons les mêmes buts que vous. Même si nous ne sommes peut-être pas tout à fait d'accord sur les moyens, nous cherchons des solutions aux problèmes économiques actuels. Nous voulons améliorer le niveau de vie de nos concitoyens et nous donner toutes les chances de relever les défis futurs. Vous êtes entourés ici de gens qui croient à l'avenir de notre région. Nous croyons fermement et sincèrement que nous disposons de tous les atouts qui nous permettent d'être à l'avant-garde de l'économie nord-américaine. Nous croyons aussi que le Québec dispose d'avantages comparables aux autres régions d'Amérique du Nord.

Selon diverses observations dans divers domaines, nos ressources humaines sont parmi les meilleures au monde. Nous possédons des infrastructures industrielles d'une qualité exceptionnelle dans plusieurs domaines. Malgré la conjoncture économique actuelle, nous disposons de ressources naturelles incomparables et recherchées dans le monde entier. Le système économique et politique de notre pays fait l'envie de plusieurs et nous devrions être fiers de tous nos atouts. Mesdames et messieurs, je crois que nous n'avons qu'un seul but: d'orchester nos efforts pour que tous nos citoyens soient capables de participer aux occasions qui vont se présenter à l'avenir et leur permettre de conserver leur niveau de vie actuel et même de l'améliorer. Ceci veut dire que nous devons travailler ensemble. Il ne faut pas donner à nos concurrents l'occasion de profiter de nos désaccords pour ternir l'image du Québec. Nous vivons dans un monde où la concurrence est vive. La révolution technologique amènera des changements importants dans plusieurs domaines. Si nos débats et nos discussions n'apportent pas de résultats positifs et que ne demeure pas un désir ardent de travailler ensemble, nous risquons de manquer ce

virage technologique. Nous sommes prêts, au Bureau de commerce de Montréal, à poursuivre nos efforts pour convaincre nos concitoyens anglophones et francophones qu'il y a un avenir exceptionnel à Montréal et dans notre province. Nous sommes aussi prêts à continuer à promouvoir notre région comme un endroit où il fait bon vivre et où les entreprises peuvent prospérer.

Nous vous demandons, mesdames et messieurs, de nous aider dans notre mission. Votre rôle sera de faire certains ajustements à la loi linguistique pour nous permettre de mieux mettre en valeur notre province. Nous ne demandons pas que la loi soit abolie. Loin de là. Nous désirons plutôt un changement d'orientation qui amènera un esprit de collaboration et de compréhension. Il faut nous éloigner des mesures rigides et favoriser la persuasion et l'incitation. Vous avez entendu d'excellentes suggestions de la part de plusieurs intervenants sur les problèmes causés par la loi 101 à certaines entreprises de la région montréalaise. Nous souscrivons à ces propos et nous espérons que vous allez les prendre en considération.

The Montreal Board of Trade sees itself as an organization which can play a major role in building bridges of understanding between the various segments of our society in Québec today. We see our role because we have a long history of deep roots with the development of the city of Montreal and the province of Québec. We represent all businesses in our community because almost 50% of the people who are representatives of our company members, in fact, are francophones. We are positive about the future and we are proud to "vanter" the merits of Montreal as a place to do business every chance we get. When we have obstacles to doing our job better, we seek to have them removed. That is why we are here today.

M. le Président, j'aimerais bien céder la parole maintenant à M. Dubreuil. (9 h 15)

M. Dubreuil: M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés. Dans notre mémoire, nous vous présentons de façon sommaire les points saillants de la loi 101 qui ont eu des effets négatifs, à notre avis, sur l'exploitation d'une entreprise à Montréal. Je vous souligne que nous n'avons pas proposé des amendements de fond à la loi, mais plutôt des ajustements, soit à la loi elle-même, à ses règlements ou à leur mise en application par l'administration.

Fondamentalement, nous croyons que le but premier de la loi, à savoir améliorer de façon substantielle l'utilisation du français dans le monde des affaires au Québec et particulièrement dans la région de Montréal, a été atteint. Nous croyons qu'il est maintenant opportun de faire des ajustements dans la loi et dans la réglementation afin d'améliorer notre position concurrentielle en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde.

Nous sommes convaincus que les défis de l'avenir dans les domaines de la haute technologie exigent que nous concurrencions à l'échelle mondiale, spécialement pour attirer au Québec les ressources humaines les plus compétentes. Comme vous le savez, pour ces personnes, une grande mobilité est exigée. Ces personnes hautement qualifiées, on peut dire qu'elles jouissent du privilège d'être fortement en demande et, ce à l'échelle mondiale. Elles jouissent surtout du privilège d'aller s'installer, ne serait-ce que temporairement, là où elles se sentent le plus à l'aise. Pour une grande part, ces personnes s'expriment mieux en anglais que dans n'importe quelle autre langue. Pour les attirer et les garder chez nous, ce qui est important à notre avis, il nous faut prendre les mesures nécessaires pour leur offrir un climat à la fois accueillant et enrichissant.

Nous trouvons malheureusement que les avantages que présente le fait français au Québec ont été peut-être mal interprétés par plusieurs, probablement parce qu'ils sont mal perçus.

Pour attirer le genre de personnes auxquelles je faisais allusion plus haut, nous suggérons dans notre mémoire d'adopter la clause Canada et même de prévoir une autre exemption pour les gens qui travaillent pour les multinationales et qui viennent s'établir chez nous. Dans un premier temps, l'exemple de Bell Helicopter nous vient à l'esprit. Cependant, nous croyons qu'il faut aller un peu plus loin. Ainsi, une fois que la décision aura été prise concernant l'introduction de la clause Canada et d'autres amendements à la loi, nous vous suggérons d'entreprendre une campagne publicitaire à laquelle nous, au Bureau de commerce de Montréal, serions heureux de participer. Nous voyons cette campagne publicitaire surtout comme ayant pour but de promouvoir les avantages de toute personne à poursuivre ses études en français. D'ailleurs, nous serions en mesure d'obtenir plusieurs témoignages appuyant ces avantages.

Nous possédons au Québec un bon système scolaire et il y aurait lieu, à notre avis, de souligner ce système dans le cadre de cette campagne publicitaire.

Cependant, il est important que la décision finale en matière d'éducation soit prise par le citoyen qui fera son choix pour des raisons qu'il déterminera lui-même et non pour des raisons de contraintes de la loi. Une telle approche seraitplus souple et réglerait les problèmes qui, pour la plupart, sont des problèmes, disons-le, de perception.

D'une part, le nombre de personnes touchées par une telle mesure serait minime et, d'autre part, les répercussions positives seraient, sur le plan des affaires, des plus profitables.

Permettez-moi, M. le Président et M. le ministre, d'ajouter une constatation personnelle qui est exprimée de façon générale dans notre mémoire et particulièrement aux pages 20 à 23. Personnellement, je crois que la loi actuelle ainsi que son application présentent des désavantages pour des francophones et, en fin de compte, ce sont, nous, les francophones, qui risquons d'y perdre beaucoup. Je m'explique. Auparavant, les francophones, en général, étaient bilingues. Aujourd'hui, on retrouve de plus en plus la situation inverse. Cette loi est en train de promouvoir l'unilinguisme des francophones, alors que nos citoyens et nos concitoyens anglophones, se rendant compte qu'il est nécessaire pour eux de parler le français pour s'assurer d'un avenir au Québec, deviennent bilingues. Trop de nos jeunes francophones pensent, à tort, qu'en raison probablement de l'image qui a été présentée et ce, de plusieurs façons, dans le débat linguistique et culturel, l'anglais n'est plus nécessaire au Québec. Ils oublient que nous sommes une minorité parmi des millions de gens d'expression anglaise en Amérique du Nord et je dirais même un peu partout dans le monde au niveau des affaires. Il nous semble - et particulièrement pour cet interlocuteur - que si des mesures ne sont pas prises pour inciter nos jeunes à bien apprendre l'anglais tout en conservant un programme en vue d'améliorer et de perfectionner - et je souligne le mot "perfectionner" - la connaissance de leur langue maternelle, ils vont se trouver dans une situation qui a été dénoncée dans le passé, c'est-à-dire que les postes clés au Québec dans les entreprises d'envergure nationale et multinationale seront occupés par des anglophones ou des gens d'expression autre que le français et qui sont bilingues.

Je suis conscient que la question de l'éducation ne peut être réglée directement par la loi 101. Cependant, c'est un problème qu'il faut traiter et ce, très bientôt. Dans notre mémoire, nous vous avons aussi suggéré plusieurs modifications à apporter à l'administration des programmes de francisation et la façon d'aborder les entreprises que devra suivre l'Office de la langue française. Pour ce qui est de l'affichage public et des panneaux indicateurs, une plus grande latitude dans la loi et sa réglementation s'impose, ne serait-ce que pour exprimer aux touristes et aux visiteurs anglophones qu'ils sont les bienvenus au Québec. De fait, nous avons dégagé sommairement certaines dispositions clés qui ont des effets, à notre avis, néfastes du point de vue économique et qui, si elles étaient assouplies, ne nuiraient pas au but premier de la loi. Nous suggérons de nouveau qu'une approche incitatrice dans un esprit de collaboration est de loin préférable à une approche dogmatique et coercitive.

Comme l'a mentionné M. Fehr, tantôt, le but de notre participation à cette commission et à ce débat avec vous est de trouver les moyens d'améliorer la situation économique de notre région et de notre province. Nous voulons garder les entreprises et les emplois ici, chez nous, au Québec qui, malheureusement, à l'heure actuelle, tentent et veulent s'implanter ailleurs. Vous êtes assurés de notre entière collaboration afin de trouver les moyens qui s'imposent pour redresser la situation.

Cela dit, M. le Président, M. Alex Harper, M. Gordon Fehr, M. Paterson et moi-même sommes à votre disposition pour répondre à toutes vos questions, y compris les moyens qui sont à la disposition du Bureau de commerce de Montréal pour vous aider dans votre tâche. Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci.

M. Godin: Bonjour, messieurs, M. Fehr, M. le président, Me Dubreuil, Me Paterson et M. Harper. J'ai eu à plusieurs reprises déjà la chance et l'occasion de vous rencontrer, la plupart d'entre vous, sauf Me Dubreuil, à titre privé pour discuter précisément de certains aspects de la loi 101 qui peuvent, dans votre opinion, causer des problèmes ou des préjudices, comme on dit en anglais, au développement économique de la ville de Montréal et du Québec dans son ensemble. Je dois dire qu'une des raisons d'être de cette commission, c'est précisément de ramasser dans un tout ce que vous m'avez dit à plusieurs reprises, depuis 18 mois, et ce que d'autres groupes m'ont dit, de manière à essayer d'en arriver à la substantifique moelle, c'est-à-dire un résumé des problèmes et des solutions à apporter à certains aspects de la loi 101.

Par ailleurs, M. Fehr, je dois vous dire que je suis très heureux des déclarations publiques que vous avez faites depuis les quelques mois que vous êtes président du Board of Trade, du Bureau de commerce de Montréal qui, précisément, vise à présenter Montréal comme étant un lieu privilégié d'investissement et de développement économique. À insister sur les aspects positifs de l'agglomération montréalaise et surtout de son port. Enfin, tout le monde ici connaît les avantages fabuleux de Montréal, il s'agit d'en tirer le meilleur parti possible. Le Board of Trade a une attitude extrêmement positive de collaboration intime avec tous les partenaires socio-économiques pour parvenir à l'objectif. Je pense que ce sont des attitudes comme celles-là qui vont nous mener vraiment à tirer le meilleur parti des atouts, des "assets of Montréal" et du Québec.

Nous allons donc tenter d'améliorer les choses. D'ailleurs, les représentations faites au gouvernement, en 1977, par votre groupe

et d'autres groupes du monde des affaires avaient amené des changements à la loi. De plus, même après que la loi ait été adoptée, d'autres rencontres qui ont eu lieu à l'époque ont amené le gouvernement à adopter des règlements qui tiennent compte, de façon plus précise que la loi, de la réalité des centres de recherche établis à Montréal. Nous avons intégré aux sièges sociaux les centres de recherche; les sièges sociaux, en vertu de l'article 144, font partie d'ententes particulières qui visent précisément à assurer à la fois la plus grande porosité et la plus grande mobilité du personnel d'un siège social à une filiale ailleurs au Canada ou même dans le monde. Cela illustre bien le réalisme et le pragmatisme du gouvernement depuis ces six années. C'est peut-être ce qui explique cette attitude générale qu'on a constatée au cours de cette commission à l'égard de la loi 101. Sur le principe, tout le monde reconnaît que la loi 101 a sa raison d'être et ce n'est que sur les modes d'application des principes qu'il y a des discussions.

Cela illustre bien qu'en six ans, il y a quand même eu un dynamisme entre les agents économiques du Québec - incluant le gouvernement - des échanges permanents qui ont permis d'en arriver à ce qui est presque un consensus aujourd'hui, à quelques exceptions près quant au règlement et à certains articles de la loi, sur la nécessité de procéder à cette opération francisation du Québec, qui a des effets très positifs sur les mentalités à l'intérieur des usines. Pour moi, cela se compare à ce que des pays très développés, comme le Japon, ont réalisé, donnant à leurs employés, à leurs travailleurs des preuves de l'importance que l'entreprise attache à la spécificité des travailleurs. La reconnaissance de la part d'une entreprise de la langue de ses employés est un facteur positif et améliore les relations générales à l'intérieur d'une usine ou d'une manufacture.

La question reste posée, parce que nous n'avons pas d'étude approfondie sur l'ampleur des coûts par rapport à l'ampleur des retombées positives, mais ma tendance optimiste m'amènerait à croire que les effets positifs de ce processus de respect de la langue des employés dans une entreprise au Québec sont énormes. Être reconnu dans son entreprise comme francophone a un effet de valorisation et ne peut qu'amener les travailleurs à se sentir davantage chez eux et à travailler autant pour leur bien que pour celui de la compagnie. Il y a donc aussi des effets très positifs à cette loi 101. (9 h 30)

D'autre part, ce que je peux vous dire, c'est que je retiens de vos suggestions qu'elles sont extrêmement concrètes et précises. Nous avons l'intention de raffiner nos règlements et certains articles de la loi de manière que les objectifs qui nous sont communs, pour reprendre votre expression, "these common goals" are attained le plus tôt possible.

Il y a une seule question que je voudrais vous poser, M. Fehr ou Me Dubreuil. Dans la portée de votre mémoire qui porte sur la langue d'enseignement, vous n'êtes pas sans ignorer qu'avant les lois linguistiques au Québec, 22 et 101, 80% de tous les immigrants qui venaient au Québec, de tous les nouveaux Québécois, pour des raisons nord-américaines évidentes choisissaient la langue anglaise. Et cela avait des effets sociaux importants aussi bien sur les francophones que sur les anglophones; cela créait des tensions que la loi 63 tentait de régler et que la loi 22 a tenté de régler et que la loi 101, semble-t-il, a réussi à régler.

La seule question que je vous poserais, en terminant, juste pour approfondir notre analyse de cette question: De quelle manière pourrions-nous résoudre ce problème de donner une espèce de statut particulier à un certain nombre de personnes qui viendraient au Québec, sans revenir à la situation qui était, dans le passé, source de conflits sociaux importants? Est-ce que ce serait via une extention de l'article 144 qui porte sur les sièges sociaux et, éventuellement, sur les centres de recherche? C'est le problème que j'aurais comme législateur à résoudre, parce que nous nous ferions accuser par tous ceux qui ne seraient pas bénéficiaires d'une telle ouverture de les traiter en citoyens de deuxième classe. C'est la raison pour laquelle le délai de six ans, trois ans, trois ans, dont d'ailleurs les procédures sont faites par les entreprises et non pas par les personnes dans la majeure partie des cas... Cela fait partie, disons, du roulement normal du travail du bureau du personnel d'une entreprise donnée. Donc, ce serait la question que je vous poserais en tant qu'avocat, Me Dubreuil: comment pourrions-nous résoudre cette question délicate?

M. Dubreuil: M. le ministre, je pense qu'avant d'y répondre, il faudrait y penser longtemps parce qu'il existe... Je comprends le problème que vous avez. C'est que, d'une part, vous ne voulez pas accorder un statut particulier et vous faire traiter d'être discriminatoire. Je ne pense pas que ce soit mon job ici d'être capable de donner des solutions miracles, surtout pas dans l'heure ou la demi-heure qu'on a pour transiger ensemble. Pour ces raisons, j'aimerais peut-être que M. Paterson puisse vous donner quelques indices parce qu'il a beaucoup plus d'expérience que j'en ai à ce niveau et peut-être que ses idées pourront vous éclairer.

M. Paterson (Alex): Je pense, M. le ministre, que nous avons discuté de cela plusieurs fois, devant cette commission et auparavant. La première chose, c'est que

quand le mémoire parle de la clause Canada, c'est à cause de la situation où les gens doivent avoir la mobilité, comme M. Fehr l'expliquait. Elle est essentielle, selon le mémoire du Bureau de commerce de Montréal, pour les entreprises qui doivent aller chercher des gens un peu partout au Canada, des gens qui viennent non seulement pour un stage temporaire, mais dont plusieurs viennent pour rester au Québec. Pour ces personnes, la clause Canada est absolument essentielle, comme pour les entreprises qui voudraient avoir la mobilité des gens et particulièrement des sièges sociaux. C'est absolument essentiel et c'est l'argument de base qu'ont des hommes comme M. Fehr et les autres du COPEM. Quand ils vont à l'extérieur pour vendre Montréal, c'est toujours un problème. Comme M. Fehr l'a dit, il n'y a pas de problème avec la qualité de vie à Montréal; il n'y a pas de problème avec toutes les questions que les gens soulèvent au sujet de l'éducation en général, des affaires sociales, des restaurants, du fleuve, choses que l'on sait fort bien. Mais la question se pose tout le temps: Pourquoi ne puis-je pas venir au Québec et envoyer mes enfants dans une école où ils peuvent recevoir une éducation en anglais? D'accord. Cela, c'est la première chose.

La deuxième chose concerne les gens qui viennent de l'extérieur du Canada, comme, par exemple, Bell Helicopter, etc. La question des trois ans renouvelables n'est pas suffisante parce que les gens - nous avons dit cela, je pense, en 1977, mais maintenant nous en avons la preuve - ne veulent pas courir le risque - même s'il y a un fort pourcentage des permis temporaires que vous avez renouvelés - qu'après trois ans, les enfants soient dérangés dans leur éducation et obligés de faire un transfert. Comme cela, l'affaire des trois ans avec un renouvellement discrétionnaire n'est pas suffisante. Est-ce qu'un permis temporaire de six ans va régler le problème? Je vais demander à M. Fehr de répondre, mais pour moi encore, vu le nombre de personnes impliquées il pourrait y avoir une règle plus large que la clause Canada - c'est tellement petit - quand vous prenez l'autre côté de la médaille et l'aspect négatif pour les gens qui essaient de recruter des gens dans les entreprises... Si vous parlez à M. Bigsby, M. Shooner et aux gens qui ont travaillé dans ce domaine, ils arrivent toujours aux mêmes problèmes. Ils peuvent vendre Montréal sous tous les angles sauf sur cette question. Cette question est fondamentale et ils doivent absolument avoir dans leur marketing la possibilité de dire: Ce problème est réglé. Plus que cela, lorsqu'on parle de la publicité, si on fait des changements comme cela, on doit faire la publicité tout de suite parce que ce n'est pas juste une perception, c'est la réalité de ce changement. Le travail que

M. Fehr et les autres ont fait à l'extérieur sera réglé avec quelques autres changements que ne touche pas peut-être la loi 101. M. Fehr peut expliquer la question sur le permis de six ans. Est-ce que six ans, c'est assez? Avec son expérience à l'extérieur, puisqu'il a parlé tantôt à Toronto, tantôt à Chicago, tantôt à New York et un peu partout - il a la réaction des gens - je crois qu'il est important qu'il témoigne devant la commission.

M. Fehr: M. le Président, le but et les objectifs de la loi 101 ont été atteints. La francisation dans presque toutes les grandes entreprises de la province est déjà complétée, est en marche. Maintenant, on travaille sur les choses qui nous donnent des problèmes concernant la concurrence. Ce sont les choses sur lesquelles nous travaillons, sur la loi 101.

Lorsque nous avons des problèmes dans le domaine de l'éducation qui retardent la mobilité des gens dans l'entreprise, particulièrement les gens des sièges sociaux ou les gens dans la haute technologie, dans la recherche et le développement où la mobilité est quelque chose qui est absolument nécessaire pour être compétitif, si nous avons des empêchements comme cela, la seule chose que nous faisons c'est qu'on transfère les avantages à une ville comme Toronto. Les sièges sociaux à Toronto, les entreprises dans la recherche, le développement et la haute technologie n'ont aucun problème dans la mobilité de leurs employés. C'est le premier but. Donnez-nous la mobilité pour qu'on puisse concurrencer Toronto. C'est absolument essentiel pour un changement. Sur le plan linguistique, cela rendrait Montréal concurrentiel avec Toronto. On reprend cet avantage qu'on a déjà remis à Toronto. C'est une suggestion que nous avons.

Laissez-moi expliquer l'affaire de six ans. Quand vous faites un transfert de quelqu'un de l'extérieur pour l'amener au siège social, c'est généralement un transfert permanent. Les postes d'un siège social sont les plus responsables, les plus élevés dans l'entreprise. Quand on accepte quelqu'un qui possède de l'expertise ou quand on pense qu'il peut aller loin, ce sera toujours dans les postes qui existent au siège social. Pour cette raison, c'est généralement une promotion à long terme, pas une promotion à court terme, et six ans cela représente une promotion à court terme. C'est un point qui donne de la difficulté aux entreprises, spécialement les entreprises nationales et internationales.

M. Godin: Merci, M. le président.

M. Dubreuil: Avec la permission du président, M. le ministre, je voudrais ajouter

quelque chose d'autre. Si vous me demandiez si j'ai personnellement une recette miracle ou un amendement dans ma poche à vous donner pour la loi 101, malheureusement, je n'en ai pas. La question que vous avez à traiter est extrêmement complexe. Cependant, je souhaiterais qu'avec la sagesse qu'on vous connaît vous puissez prendre en considération les exigences que M. Ferh vient de vous donner. Il y a les problèmes fondamentaux. Cependant, quant à nous, au niveau du Bureau de commerce, notre prémisse, c'est qu'on pense que la francisation, particulièrement du monde des affaires au Québec, est déjà bel et bien atteinte. On pense que le phénomène d'un transfert de l'extérieur au Québec, à cause justement de ce qui s'est passé dans les six dernières années, forcera tout naturellement les personnes à s'intégrer à la francophonie.

M. Godin: Merci, Me Dubreuil. M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. MM. les membres du Bureau de commerce de Montréal, on parle souvent de l'image négative que certains milieux donnent à Montréal et à Québec, mais ce n'est certainement pas dans les propos que vous avez prononcés ce matin, loin de là. Votre mémoire est non seulement positif, mais M. Fehr parle avec enthousiasme de l'avenir de Montréal et du Québec. On l'a déjà entendu à plusieurs reprises. C'est un grand "promoter of Montréal and Québec". M. Paterson était très positif dans le discours qu'il a prononcé au Canadian Club. Il voulait encourager ceux qui étaient ici non seulement à y rester et les hommes d'affaires à investir plus à Montréal, mais à attirer même et à faire du zèle pour attirer les investissements de l'extérieur au Québec. Même, je pourrais dire que les propos de ces hommes d'affaires sont des propos vraiment inspirants et qui ont des idéaux. On ne parle pas seulement du "profit motor", mais on parle d'un genre de société que l'on voudrait promouvoir au Québec. M. Fehr parlait d'un "bridge of understanding within the community", c'est-à-dire un pont qui changerait les rapports entre les différentes communautés linguistiques au Québec et qui ne pourrait qu'aider tous les Québécois.

J'entendais le ministre dire que l'on se parle et que l'on arrive à un consensus. Peut-être que c'est trop tard de le faire maintenant, mais vous auriez bien dû vous parler avant que la loi 101 soit adoptée dans la forme actuelle. Je peux vous dire que beaucoup des propos soulevés maintenant ont été soulevés avant, mais je présume que c'est l'expérience des choses. Il faut passer par certaines erreurs avant de réaliser que le gouvernement en a fait. C'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui. (9 h 45)

M. Fehr, je voudrais vous demander, à vous ou à un des invités, la question suivante: dans votre promotion de Montréal et du Québec, vous essayez d'attirer des investissements. Pourriez-vous nous donner votre expérience dans ce domaine visant à essayer d'attirer des investissements au Québec et plus particulièrement dans deux secteurs? Quant au recrutement et à l'attrait d'investissements ici au Québec, quelle réaction avez-vous eue quand vous avez parlé à différentes entreprises avec lesquelles vous êtes venu en contact? Pourriez-vous aussi parler de l'expansion des investissements ou des compagnies qui sont déjà ici au Québec?

M. Fehr: M. le Président, pour répondre à cette question, on peut vous dire qu'à la suite de nos dialogues avec les gens d'ailleurs pour essayer d'attirer les investissements, la question de la langue de l'enseignement est toujours soulevée. Comme vous le savez, dans une telle position, un investisseur regarde l'ensemble du climat; il y a beaucoup de morceaux qui forment le climat total.

Malheureusement, dans le domaine de l'éducation, on ne profite pas des avantages que nous avons. Parce que Montréal a de grands avantages du côté linguistique. C'est la seule ville en Amérique du Nord dont le commerce se déroule dans les deux langues. C'est un avantage pour une entreprise parce qu'elle peut mieux communiquer avec ses clients dans leur langue maternelle; les ressources humaines qui peuvent parler les deux langues existent ici.

Malheureusement, quand on met de côté la souplesse de l'aspect linguistique dans l'éducation, on annule cet avantage. C'est la raison pour laquelle on propose de faire des améliorations pour garder la clause Canada et permettre aux entreprises de la haute technologie, de la recherche et du développement d'embaucher les experts qui sont nécessaires pour avoir l'efficacité. C'est exactement la raison. Essayez de nous aider à enlever un des problèmes que nous avons. La solution est facile.

M. Ciaccia: À part votre organisme qui essaie d'attirer des investissements au Québec et à Montréal, est-ce qu'il y a d'autres organismes dans la région de Montréal qui ont cet objectif ou ce but? Pourriez-vous nous dire si vous êtes venus en contact avec eux et quelle expérience ils ont eue dans le même domaine en essayant d'attirer des investissements? Ont-ils eu les mêmes expériences que vous?

M. Fehr: Je pense qu'on doit seulement

regarder les dossiers, les mémoires qui ont été présentés ici depuis les dernières semaines, les dossiers qui viennent du côté des hommes d'affaires qui travaillent chaque jour dans le climat: vous avez les mêmes recommandations même si c'est la chambre de commerce, le maire Drapeau, le Conseil du patronat. Tous les hommes qui sont dans les affaires, dans les entreprises parlent des mêmes problèmes, apportent les mêmes recommandations.

M. Dubreuil: M. Paterson a quelque chose à vous répondre, M. le député. Après cela, avec la permission du président...

M. Paterson: II y a deux personnes que tout le monde doit contacter et qui s'intéressent à ce problème. C'est M. Bigsby qui travaille pour la Commission du développement économique de Montréal, et M. Shooner - je pense qu'aujourd'hui c'est M. Gariépy de Cidem qui travaille pour la ville de Montréal. Chaque jour, c'est cela qu'ils font. Ils donnent la même réponse que M. Fehr. M. Bigsby a au moins trois ou quatre personnes dont une aux États-Unis, deux en Europe et une à travers le Canada. M. Shooner a eu six comités avec une centaine d'hommes d'affaires qui travaillent dans le même sens. Ils sont des gens tellement positifs à Montréal. Ce n'est pas possible de trouver des gens mieux placés pour promouvoir Montréal. Ils viennent avec les mêmes questions. Pourquoi a-t-on un package. That is very saleable? We have a package. Because of the two languages, because of the two cultures, because of all the things that we have got in our bag to sell, we can bring almost everything here in competition with Toronto, New York, Boston. Why do we have to have these wonders to hang up? I have spent hours with those men in the last two or three weeks and they are the most convincing people. If anybody can convince anybody to come to Montreal, it is those two men. Mais ils posent les mêmes questions. Il n'y a que deux ou trois choses et, si on peut régler cela, we can do what they did. Ce qu'ils ont fait à Boston, à New York, ce n'est pas un miracle. Cela a l'air d'être un miracle quand on pense qu'à New York ils ont récupéré 75 entreprises qui avaient quitté la ville entre 1970 et 1976. Cela a l'air incroyable, mais c'est de l'histoire maintenant. On peut faire exactement la même chose à Montréal, j'en suis convaincu. Mais on a besoin de changements pour le recrutement des gens.

M. Dubreuil: M. le Président, avec votre permission, je vais reprendre ce que M. le député disait tantôt. J'ai le plaisir, dans ma fonction, de faire partie de plusieurs conseils d'administration à titre de secrétaire et, dans les quinze compagnies ou sociétés dont je m'occupe - il y en a qui sont nationales, d'autres multinationales - je dois vous faire part de quelque chose qui n'est pas bien connu dans tous les milieux: l'attitude de l'homme d'affaires dans une décision qu'il prend quant à la localité dans laquelle il va s'implanter. Cela répond peut-être un peu à votre question.

Vous parliez tantôt du marketing que M. Fehr et d'autres, qui débordent d'énergie dans leur présentation de Montréal, peuvent faire pour essayer de promouvoir les avantages de Montréal. Il ne faut pas oublier qu'en fin de compte, ils essaient de faire cela avec des gens de l'extérieur qui, eux, voient Montréal d'une façon. Une des choses qu'ils peuvent voir pour les attirer, c'est qu'il y a peut-être des subventions disponibles, qu'il y a peut-être ceci, qu'il y a peut-être cela. Il y a des problèmes comme il y en a partout ailleurs. Il y a peut-être un Code du travail un peu plus strict; il y a peut-être une fiscalité qui est un peu plus sévère, mais, fondamentalement - il faut que je vous dise cela de façon bien honnête - la décision ultime de venir s'installer au Québec ou d'en sortir relève d'une minorité de personnes au sein d'une entreprise. Très souvent, c'est le président-directeur général ou ce qu'on appelle le "chief executive officer" qui prendra sa décision, peut-être pas toujours pour ce que j'appelle des raisons très rationnelles. Par exemple, si, à un moment donné, son épouse, pour quelque raison que ce soit, ne se sent plus confortable quelque part et qu'elle lui rend, pour être gentil, la vie difficile à la maison, cela pourra peut-être l'inciter à sortir du Québec et à trouver une raison pour laquelle il devrait peut-être changer son siège social. Ceci est le phénomène de s'en aller du Québec.

Quant au phénomène de s'en venir au Québec, les mêmes arguments vont tenir et je suis certain que M. Fehr pourra vous donner des exemples où cela s'est produit.

M. Ciaccia: On entend souvent dire par les membres du gouvernement et d'autres: Pourquoi devrait-on donner le droit à ces gens-là d'aller aux écoles anglaises? Quand un bureau s'installe ou une société s'installe en France, ces gens vont aux écoles françaises; quand ils s'installent dans un autre pays, ils vont à l'école du pays. Alors, pourquoi ici, à Montréal, devrait-on faire cela? Quelle est votre réponse à cet argument?

M. Dubreuil: M. le Président, si vous me le permettez, j'aurais une courte intervention à cet niveau-là.

Écoutez, M. le député, je pense qu'il faut faire, à un moment donné, une distinction entre ce qui se passe en Europe où, par exemple si vous allez en Suisse, à

Genève, on parlera français et allemand; dans les cantons, on parlera un peu plus allemand et dans d'autres cantons, on parlera allemand, italien et français; la langue des affaires à Zurich et à Genève, encore l'anglais. Il faut prendre le contexte européen d'une façon bien différente et ce n'est pas applicable, à notre avis - en tout cas quant à moi - car le contexte ou la philosophie qui existe en Europe ne s'applique pas en Amérique du Nord. On ne peut pas comparer, par exemple, la France au Québec. On ne peut pas comparer la France, dans ses relations avec l'Angleterre ou dans ses relations avec tous les pays du Benelux, par exemple, du Danemark ou d'autres, à la position du Québec qui transige avec New York, avec l'Ontario ou avec Vancouver. M. Fehr a certainement des choses à ajouter là-dessus.

M. Fehr: M. le Président, nous avons effectivement un exemple très près de nous. Dans notre entreprise, il y a un vice-président de nationalité américaine qui dirige nos opérations pharmaceutiques. Il a travaillé à plusieurs endroits dans le monde de Pfizer, en Asie et en Australie. Il a trois fils; lorsqu'il est arrivé au Canada, il y a deux ans, le père voulant que son plus jeune garçon apprenne le français l'a inscrit dans une école française pendant deux ans. L'étudiant a travaillé très fort et, à la fin des deux années, à l'âge de 13 ans, n'ayant reçu aucune préparation française avant son entrée à cette école, il a trouvé cela trop difficile. Il était incapable de continuer à suivre ses cours entièrement en français. Nous avons donc fait une demande de permis pour permettre au père d'envoyer son garçon à l'école anglaise. Le 22 août de cette année, nous avons reçu la réponse, qui était non. Cela veut donc dire que la seule chose qu'il lui reste à faire est d'envoyer son fils à l'école privée ou de quitter la ville. Et c'est un problème qui est très près de nous et qui est vécu par un vice-président.

L'un de nos compétiteurs, Ciba-Geigy, a fait venir un employé d'Australie pour occuper le même emploi que notre vice-président. Ces gens ont quitté le Québec l'an passé et ont installé leur siège social à Toronto, et ils n'ont pas ces problèmes. Vous comprenez la différence, nous avons des problèmes ici qui n'existent pas ailleurs. Et, pour concurrencer avec les régions comme Toronto, il faut apporter des améliorations.

M. le Président, je cède la parole à M. Alex Harper.

M; Harper (Alex): M. Ciaccia, j'ai quelque chose à ajouter concernant votre question sur l'expansion des investissements en particulier à Montréal.

Depuis 1964, nous avons publié un livre dont le titre est: L'exploitation d'une entreprise à Montréal. Ce livre a été donné gratuitement à plusieurs personnes de la région de Montréal pour les inciter à s'installer ici. Dernièrement, je trouve qu'on a eu beaucoup de demandes venant des gens de notre région pour se lancer en affaires. Il me semble que l'un des avantages dans notre organisation est que nous avons des liens -pour répondre un peu à votre question - avec la communauté urbaine, avec le CIDEM et nous sommes capables de répondre à leurs questions pratiques sur la façon de procéder en affaires. L'un des problèmes que nous avons est la difficulté à faire comprendre aux gens qu'il y a des possibilités dans le domaine des affaires. Lorsqu'il y a des manchettes sur des débats comme ceux que nous avons eus dernièrement sur la loi 101, cela crée des problèmes pour les gens. Ils se demandent ce qui va arriver s'ils se lancent en affaires, particulièrement les gens que je rencontre très souvent et qui sont des immigrants qui sont envoyés par le bureau de M. Godin. Ils sont envoyés chez nous et ils me demandent: Est-ce que je peux travailler en anglais? La réponse qu'il faut leur donner, c'est qu'il faut être capable de travailler en français dans notre province. Ce que je cherche à faire, c'est de les aider à travailler en français, et c'est un des messages que nous avons essayé de passer dans notre mémoire. Ce que nous pensons, c'est qu'il y a des choses qu'on peut faire, particulièrement pour les entrepreneurs qui viennent de l'extérieur et qu'on peut attirer ici, comme les aider à s'installer. (10 heures)

Ce sont des gens qui sont prêts à travailler, qui sont prêts à prendre des risques et très souvent ils ont de l'argent à investir. C'est une dimension de notre mémoire et je crois que ce serait vraiment un avantage pour le Québec si nous étions capables de trouver des moyens pour offrir beaucoup plus d'incitation aux gens de l'extérieur qui veulent s'installer dans notre région.

Le Président (M. Gagnon): En terminant, M. le député de Mont-Royal?

M. Ciaccia: Si c'était possible - on a un peu de temps, on a commencé plus tôt -le mémoire est tellement positif que je pense que cela vaut vraiment la peine d'essayer d'avoir le point de vue de ces gens sur des problèmes particuliers pour voir exactement ce que le gouvernement devrait faire pour la santé économique de Montréal et de Québec.

Le Président (M. Gagnon): C'est justement dans ce but, M. le député de Mont-Royal, que je vous demande de terminer parce que je suis certain qu'il y en a d'autres qui aimeraient poser des questions.

M. Ciaccia: Une autre question, et je vais la faire à plusieurs volets pour me conformer à vos directives. Est-ce que vous pourriez expliquer ce que cela signifie, pour Montréal, pour le Québec, d'avoir un siège social à Montréal? Ceux du milieu des affaires comprennent la signification de cela. J'ai l'impression des fois que ce n'est pas toute la population qui comprend ce que cela signifie. Ils ont l'impression suivante: Si on veut faire affaires au Québec, on n'a pas le choix, il faut être au Québec. Est-ce que vous pourriez expliquer la signification du siège social à Montréal, la question de concurrence, la question de mobilité? Peut-être que vous pourriez, brièvement, nous donner des retombées; qu'est-ce que cela signifie pour vous d'avoir un siège social ici?

M. Fehr: Pfizer a un siège social à Kirkland dans la région de Montréal. De cette façon, je pense que je peux répondre. Il y a quelques dimensions à cette question. Premièrement, vous avez dans un siège social une chose qu'on appelle en anglais "a ripple effect" parce que les opérations d'un siège social demandent beaucoup en dehors du bureau: besoin de comptabilité, besoin d'ordinateurs, besoin d'avocats, besoin de papier, besoin d'une multitude d'achats de fournisseurs. Naturellement, la plupart de ces besoins sont remplis par les fournisseurs locaux. Cela veut dire qu'un siège social, c'est comme un petit village avec tous les fournisseurs qui comblent ses besoins.

Deuxièmement, les postes dans un siège social sont les plus importants que vous trouverez dans une entreprise. Ce sont des postes de plus grandes responsabilités et, naturellement, ce sont les postes les plus payants. Pour cette raison, ce sont en général les postes qui ont la plus grande attraction. Les postes d'un siège social, les postes dans le virage technologique des entreprises sont absolument essentiels, pas seulement pour notre économie, mais pour fournir de l'emploi aux élèves qui sortent de notre système d'éducation, les élèves qui sortent des HEC, des universités Laval, de Sherbrooke ou McGill. Si on perd ces postes, voici ce qui arrive. Les buts de ces nouveaux diplômés - ils ont déjà fait leur choix -dépassent l'idée d'être gérant à Québec, gérant des ventes ou gérant du district de Québec. Le but du diplôme dépasse cela: il veut être vice-président du marketing pour une compagnie nationale; il veut être président d'une entreprise comme la mienne, ou gérant général des ventes. Si on perd ces postes pour un endroit comme Toronto, qu'est-ce qui arrive? On force ces étudiants, pour lesquels on a dépensé beaucoup d'argent, a trouver ces postes ailleurs. On veut garder ces postes à Montréal. Cela, c'est à souligner, je pense.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Fabre. Après, ce sera au tour du député de D'Arcy McGee.

M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président. Je voudrais souligner également le ton pondéré de votre mémoire et l'enthousiasme qui s'en dégage, cette volonté de collaboration que vous avez pour faire de Montréal un centre économique vivant et dynamique en Amérique. Les suggestions que vous faites à la fin de votre mémoire sur cette campagne publicitaire pour faire la promotion de Montréal, je pense que ce sont des choses extrêmement positives qui se dégagent de votre mémoire.

Je suis quand même un peu agacé par l'aspect négatif que vous relevez quant à l'effet de la loi sur l'économie du Québec. Vous soulignez cet aspect à quelques reprises. Remarquez que je trouve cela normal, puisque c'est votre rôle d'essayer d'améliorer la situation du point de vue économique pour attirer des entreprises. Mais vous semblez établir une équation un peu trop étroite, à mon point de vue, entre les effets de la loi 101 et l'économie, les investissements à Montréal.

J'aimerais vous faire part de ceci. Vous êtes certainement au courant, mais j'aimerais que vous réagissiez à ce que je vais dire. Le secteur financier de Montréal croissait deux fois plus vite que celui de Toronto au début des années soixante. Et, d'après les statitiques que j'ai, entre 1965 et 1978, donc avant la loi 101, Montréal a connu une croissance deux fois moins rapide que celle de Toronto. Donc, entre 1965 et 1978, croissance deux fois moins rapide. La loi 101 commence à être en vigueur en 1978; il y a la loi 22, bien sûr, qui est apparue, mais pas tellement avant 1978. Donc, comment réagissez-vous à ces faits qui montrent que le secteur financier de Montréal s'est affaibli, a commencé à s'affaiblir bien avant l'entrée en vigueur des lois linguistiques? Comment réagissez-vous à cela? Comment expliquez-vous ce phénomène? Et, est-ce que vous n'exagérez pas un peu trop les effets des lois linguistiques sur l'économie?

M. Fehr: M. le Président, MM. les députés, dans le monde des affaires, vous aurez toujours quelque mobilité d'un genre ou d'un autre. Concernant les années dont vous avez parlé, le monde financier a décidé de les centraliser plus au centre du Canada. Je comprends cela. Cela peut être un phénomène qui est bien naturel. Mais depuis, nous avons posé des difficultés dans les activités des sièges sociaux en particulier et le départ de ces postes s'est accéléré. La seule chose qu'on dit, c'est: Ne donnez pas les avantages à Toronto, gardez les avantages ici. C'est la seule recommandation que nous faisons. Quand la décision de

déménager un siège social se prend, ce n'est pas toujours à cause d'une seule raison comme la langue de l'enseignement ou à cause de la loi 101. Cela peut être le résultat du taux fiscal élevé, de tout ce qui entre dans ce qu'on appelle un climat, un environnement. Ici, on parle de la chose linguistique et on vous démontre qu'il y a un but qu'on aimerait bien amélioré pour ôter cet avantage qu'a la ville de Toronto. Donnez-nous l'égalité avec cette ville et je vous garantis qu'on gagnera la bataille; je vous le garantis.

M. Leduc (Fabre): Merci. Une autre question. Vous écrivez, à la page 4 de votre mémoire, que la francisation des entreprises est presque complétée. Vous parlez de Montréal sans aucun doute. Que voulez-vous dire? Est-ce que vous pouvez donner des précisions? Par exemple, pour vous, est-ce que les travailleurs à Montréal peuvent utiliser normalement la langue française au travail? J'aimerais que vous donniez des précisions, si vous en avez, au sujet de la francisation en ce qui a trait aux cadres, aux administrateurs. Est-ce que vous avez des données sur ce sujet? Est-ce que vous considérez, en ce qui touche les cadres, en ce qui touche les administrateurs, que la francisation est complétée également? Il y a deux points de vue, celui des travailleurs et des employés, et celui des cadres et des administrateurs. Avez-vous des observations et des données à nous fournir à cet égard?

M. Fehr: La meilleure façon de répondre à votre question, M. le député, c'est de considérer l'expérience chez nous. Nous avons passé à travers le processus de francisation. Nous avons une entente avec l'Office de la langue française de ce côté et nous sommes en mesure de compléter toutes les dimensions de cette entente. Maintenant, à peu près 68% de tous ceux qui travaillent à nos bureaux et à nos entreprôts à Montréal sont bilingues. Cela veut dire qu'on fonctionne dans les deux langues. Premièrement, on fonctionne dans la langue de nos clients. Si nous avons une interaction avec un client, c'est toujours dans sa langue. C'est pour cette raison que je suis convaincu que, lorsque vous avez dépassé le processus de francisation dans toutes les grandes entreprises de notre ville, vous avez atteint le but principal de la loi 101, c'est-à-dire que la langue française est utilisée beaucoup plus dans les entreprises. C'est vrai et c'est arrivé. C'est un processus qui est aussi très naturel, particulièrement quand les étudiants se lancent en affaires. Ils se lancent en affaires, à Montréal, en utilisant les deux langues. C'est exactement cela que les commerçants et les entreprises veulent à Montréal. Ils veulent des ressources humaines capables de travailler dans les deux langues.

M. Leduc (Fabre): Est-ce qu'on peut dire que la loi 101 a permis d'élever le niveau des cadres francophones, des administrateurs francophones dans la région de Montréal? (10 h 15)

M. Fehr: Certainement. Il y a beaucoup de dimensions de la loi 101 qui ont aidé le processus du commerce à Montréal. Mais, après cinq ou six ans, maintenant, si les buts sont atteints, demandons-nous donc comment on peut améliorer la loi 101 afin de garder tous les avantages à Montréal. C'est de cela qu'on parle. On n'a jamais dit que vous deviez annuler la loi 101, jamais! Mais on parle de quelques améliorations, des ajustements ou des orientations que vous pourriez faire très facilement pour nous aider dans notre but d'attirer l'investissement à Montréal et de créer de l'emploi: pas seulement créer des postes, mais les meilleurs postes qu'on puisse trouver dans les sièges sociaux et dans la haute technologie. C'est cela qu'on vous demande.

M. Leduc (Fabre): Merci. Une dernière question, M. le Président, qui concerne la langue de l'affichage public et de la publicité commerciale. C'est à la page 13 de votre mémoire. J'aimerais avoir une précision quand vous dites que vous appuyez l'objectif qui est d'assurer que tous les citoyens ont le droit de recevoir des communications telles que des catalogues, des brochures, des affiches en français, mais qu'une telle exigence s'étende aux sociétés est fort discutable, selon vous. Qu'est-ce que cela signifie?

M. Dubreuil: Avec votre permission M. le Président. Ce qu'on a voulu dire, c'est ceci: dans votre réglementation sur les catalogues, les brochures, etc., il existe des dispositions par lesquelles un individu peut recevoir des catalogues qui sont bilingues ou encore, s'ils sont imprimés seulement en français et qu'il désire en avoir un exemplaire en anglais, il en fait la demande. Au niveau du commerce, des entreprises et de ce qu'on appelle les personnes morales, les sociétés et les compagnies, il semblerait, selon les règlements, qu'on doive les envoyer en français uniquement. Ce qu'on semble parfois oublier dans la réglementation, c'est que, derrière ces compagnies, ce sont des individus. Encore là, je suis certain que ceux qui ont pondu cette réglementation n'ont pas eu l'intention de donner des jambettes aux corporations qui décidaient de parler à une autre corporation en langue anglaise ou d'envoyer des brochures ou des dépliants en langue anglaise, mais le texte est là. Je pense personnellement qu'un remaniement du texte pour s'attacher à la réalité des choses, tout en conservant le but, ferait bien notre affaire.

M. Leduc (Fabre): Je voudrais une précision supplémentaire. Un citoyen, un particulier, peut vous demander une brochure ou un catalogue en anglais. Il n'y a aucun problème. Ce que vous soulignez, c'est lorsqu'il s'agit de sociétés?

M. Dubreuil: De compagnies. Le problème est là. C'est que la loi n'est pas...

M. Leduc (Fabre): ...suffisamment souple ou pas suffisamment précise peut-être...

M. Dubreuil: C'est cela, exactement. M. Leduc (Fabre): D'accord, merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Fabre. Avant de céder la parole au député de D'Arcy McGee, j'aimerais informer les membres de la commission que nous avons, pour dépôt, une résolution de la ville de Mont-Royal et aussi, pour dépôt, une résolution de la Chambre de commerce de Sherbrooke, lesquels documents seront déposés au Secrétariat des commissions et seront mis à la disposition des membres de la commission.

M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais aussi parler de l'affichage. Dans votre mémoire, vous avez parlé de l'affichage à Montréal. Je défie le ministre de nous donner un exemple au monde où on empêche une minorité linguistique comparable à la minorité linguistique anglophone au Québec d'afficher dans sa langue. J'aimerais avoir un exemple, M. le ministre. Vous avez le Conseil de la langue française, l'Office de la langue française qui font toutes sortes de recherches. Demandez aux fonctionnaires de faire une recherche sur cette question. Je ne pense pas que vous trouveriez une minorité linguistique comparable à la minorité linguistique au Québec où on empêche celle-ci d'afficher dans sa langue. Je ne pense pas qu'il y ait une place au monde où on dise à une minorité linguistique de 15% ou 20%: Restez ici, mais restez invisible. Un seul exemple! Je sais que ce n'est pas le ministre qui a fait adopter cette loi, c'est le ministre de l'Éducation, le Dr Laurin. Peut-être que le ministre actuel n'est pas tout à fait d'accord avec ces dispositions dans la loi. Je sais aussi que nous avons eu des ultranationalistes qui sont venus nous dire: II faut garder l'article sur l'affichage unilingue: cela est justifié par les droits collectifs et tout cela. Mais je ne rouvrirai pas ce débat parce qu'ils ont eu de bonnes réponses des députés de Deux-Montagnes et de Mont-Royal. Mais je vous dis, M. le ministre, que si l'on peut dire que les droits collectifs justifient un visage unilingue français là où il y a une minorité anglophone de 20%, 30% ou 40%, on peut dire, dans le même sens que, dans le commerce, il faut répondre au téléphone en français parce que si c'est en anglais ou bilingue cela crée un environnement bilingue et donne une mauvaise impression aux immigrants qui téléphonent chez Eaton. Si on les reçoit d'une façon bilingue, cela peut leur donner l'impression qu'ils peuvent parler soit en anglais soit en français à Montréal, et ainsi de suite. Donc, il n'y a pas de limite. Si on commence avec des suppositions stupides, irréalistes et irrationnelles, il n'y a pas de limite. Je ne vois pas la différence entre dire "pas d'affichage en anglais" ou "pas de réponse au téléphone en anglais". Quelle est la différence finalement? Je ne vois pas où cela fait mal au Québec ou aux Québécois s'il y a des affiches comme "Marché Smith Market". Je ne comprends franchement pas cela.

The other day I was so surprised because I was east of Berri-de Montigny and I saw this big bill-board with a picture of The Gazette where it said on top "La Gazette du mercredi, East Island Edition". C'est invraisemblable que la Gazette ne puisse pas afficher "Wednesday's Gazette, East Island Edition". C'est incroyable que...

M. Godin: M. le Président, un instant!

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre, question de règlement.

M. Godin: La Gazette peut le faire en anglais si elle le veut. Elle décide de le faire en français parce que son marché dans l'Est est en français. Arrêtez de charrier un peu. Lisez la loi. La connaissez-vous cette loi, M. le député de D'Arcy McGee?

Le Président (M. Gagnon): Cela va, cela va. À l'ordre!

M. Marx: En vertu de quoi peut-on faire cela en anglais?

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee, vous avez la parole.

M. Marx: Mais je n'ai pas terminé. Le Président (M. Gagnon): Oui.

M. Marx: De toute façon, on a mis une photo du journal La Gazette, qui est bien sûr en anglais, avec les mots "La Gazette de mercredi". I repeat: I challenge you, Mr. Minister, to give me one example in the world where a minority of 20%, or 30%, or 40% is not allowed to post signs in its own language. Do you know what the effect of all this is? The effect is what happened to me in Chicago when I was sent on a parliamentary mission with the Speaker of the

National Assembly and another MNA. It happened that it was Claude Vaillancourt who was the Speaker and the deputy was David Payne, of Vachon. We were in Chicago, we took a taxi and I said to the taxi driver: "We are from Québec. What do you know about Québec?" And his answer was: "Oh, Québec, that is the place where they do not allow you to speak English". And I said: "How do you know that is the place where they do not allow you to speak English?" He said: "Well, I read it in the papers and a lot of people who are getting to my cab tell me that that is the way it is."

Franchement, cela m'a fait mal qu'à Chicago, quand un chauffeur de taxi...

M. Godin: M. le Président, and you are saying that to me in English!

M. Marx: Attention, M. le ministre!

M. Godin: In this house, in this Assembly.

M. Marx: C'est cela.

M. Godin: There is a contradiction there.

M. Marx: Cela m'a fait mal que l'on fasse une telle publicité, trompeuse et fâcheuse, sur le Québec à Chicago...

M. de Bellefeuille: D'accord! D'accord!

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. de Bellefeuille: C'est effrayant des mensonges comme ceux-là!

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Marx: Ce sont les faits.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee, vous avez toujours la parole.

M. Marx: Oui, je conclus. Cela m'a fait mal et je vois que cela fait mal au député de Bourassa et aux autres députés autour de la table. C'est le résultat des dispositions injustes de la loi. M. Fehr a dit que c'était une loi avec des buts louables, que c'était une loi avec des buts valables. Tout le monde est d'accord avec cela, mais il y a quand même des articles stupides et injustes dans la loi, que l'on ne retrouve nulle part au monde. Quand on va à l'extérieur du Québec, on nous traite comme des Yahous. Je ne veux pas être traité comme un Yahou quand je vais à Toronto ou à Chicago en tant que député.

Le Président (M. Gagnon): M. le député. M. Marx: Ma question...

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee, je vais vous rappeler le mandat de la commission qui est d'entendre tous ceux qui ont des... Alors j'aimerais que vous vous adressiez à nos invités et que vous leur posiez des questions.

M. Marx: Oui.

Le Président (M. Gagnon): Le débat que vous tentez de faire actuellement pourra se faire par la suite.

M. Marx: Oui, oui. Je voulais...

Le Président (M. Gagnon): Alors, adressez-vous à nos invités.

M. Marx: ...faire la mise en scène pour ma question. La mise en scène a été faite. La question maintenant est... Oui?

M. Godin: M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre, question de règlement.

M. Godin: M. le Président, c'est "the local Cecil B. De Mille".

M. Marx: C'est un fait. Vous pouvez vérifier avec le député de Vachon ou avec le juge Vaillancourt qui était avec nous à Chicago.

Dans votre mémoire, vous avez parlé de la promotion de Montréal. Il faut promouvoir Montréal à l'extérieur du Québec. Je suis d'accord et je pense que tout le monde est d'accord mais il y a des gens ailleurs qui font de la contre-publicité comme les chauffeurs de taxi à Chicago à cause de certaines injustices, à cause de certains articles déraisonnables dans notre loi.

Dans votre mémoire, vous avez dit que le langage de l'affichage public a un impact négatif au point de vue de l'économie. Vous avez aussi écrit que cela a un effet négatif sur l'industrie touristique. J'aimerais vous demander si vous avez des exemples concrets. Est-ce que c'est seulement le ouï-dire ou est-ce que vous avez vraiment des exemples concrets où cela a eu un effet négatif? Je sais que mon chauffeur de taxi ne viendra pas visiter Montréal parce qu'il a une mauvaise impression de notre ville et de notre province. Mais avez-vous d'autres exemples?

M. Fehr: M. le Président et M. le

député, j'aimerais bien passer le micro à Alex Paterson.

M. Paterson: Premièrement M. Marx, on va envoyer M. Fehr pour voir le "taxi driver" que vous avez rencontré à Chicago et on va régler le problème dans un voyage de l'aéroport jusqu'à l'Empire State Building.

M. Marx: Mais il ne m'a pas cru quand je lui ai dit qu'il avait tort parce qu'il a dit qu'il a fait monter tellement de gens qui lui ont dit l'inverse.

M. Paterson: Deuxièmement, nous avons... Je ne sais pas si nous avons des exemples précis mais je peux penser au moins à une cause à Rivière-du-Loup, je pense, ou aux environs de Rivière-du-Loup, où quelqu'un a voulu mettre un affichage dans les deux langues pour le tourisme, etc. Ils ont eu un certain nombre de problèmes.

Mais je pense que c'est la raison. On ne peut discuter un règlement qui dit que l'affichage bilingue "wherever the number justifies" parce que, à ce moment, on dit: On ne veut pas les touristes à Gaspé ou à Saint-Georges-de-Beauce ou dans un autre coin, on veut les touristes partout. On veut pouvoir dire bienvenue à tout le monde. Pour cette raison, je pense que l'affichage bilingue, c'est bon.

Je pense qu'à la fin de tout cela, l'échange de M. Marx, on doit revenir au sommaire parce que notre appel est clair. We believe in Montreal, we believe in Québec and what we are saying to you, Mr. President and the members of this commission, is "give us the tools and we will finish the job".

M. Marx: Seulement un autre commentaire parce que je pense que j'ai le droit, non pas de poser des questions au ministre, mais de demander au ministre de demander à ses fonctionnaires de nous faire une étude pour nous démontrer s'il y a ou non d'autres territoires, d'autres pays, d'autres états, d'autres provinces au monde où il y a une minorité linguistique comparable à la minorité linguistique anglophone au Québec et où on empêche cette minorité de s'afficher en matière commerciale dans sa propre langue. J'aimerais avoir un exemple, M. le ministre. Même si cela vient d'un pays non civilisé, j'aimerais avoir l'exemple. Est-ce que le ministre peut s'engager à nous fournir cette information étant donné que nous n'avons pas l'équipe de recherche qui est là? Je pense que même au Conseil de la langue française, ils sont en train de faire une telle recherche, mais j'ai éprouvé de la difficulté à vérifier cette rumeur.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de D'Arcy McGee. M. le ministre.

(10 h 30)

M. Godin: M. le Président, je pense que la sortie intempestive du paisible député de D'Arcy McGee ce matin a quelque chose de tout à fait étonnant, mais elle illustre peut-être un des problèmes que M. Fehr a mentionnés. Vous avez affirmé, sans savoir ce que la loi dit, que la Gazette était obligée d'afficher en français dans l'est de Montréal. Vous l'avez dit à la télévision. Vous venez de le dire. Il y a beaucoup de gens, si l'émission se terminait à l'instant où nous nous parlons, qui croiraient que vous avez lu la loi de telle manière que the Montreal Gazette is forced and obliged to post signs in French only in Montreal, which would be stupid indeed.

However, Section 59 of Bill 101, which was published six years ago... Being an expert in law, being a teacher of law, you should read it before you comment on it. It says very clearly that the Gazette has the right to post signs, publicity, advertisement in French and in English in Montreal. It was the choice of the Gazette - and I want to repeat this for our listeners - looking for the French market in Montreal, to post a sign in French, partly in French and partly in English, Mr. Member for D'Arcy McGee. Things like the one you just said, if it was not corrected the minute after, would probably be disseminated and have a very negative effect on Montreal. I think that you are not fair in saying things like that, without checking what the law really says. Coming from a serious man like you, I am surprised to see that a lawyer is commenting a piece of legislation without even reading it. Merci, M. le Président.

M. Marx: D'accord.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: M. le Président, he did not answer my question. If I made a mistake, I am sorry, I made a mistake. I am sure that the minister has made more mistakes than I have, but the point is...

M. Godin: ... I never made a mistake.

M. Marx: The point is that I am willing to correct my mistake; if I made a mistake, I am sorry and I am happy that the minister corrected me. Now, let us get back to the... You know, what the minister said does not make it legal now to have Marché Smith Market. Let not the minister pick out a little point somewhere to try to justify unilingualism in billboards and in the language of commercial signs.

Le ministre est-il prêt à demander à ses fonctionnaires de nous fournir cette information? On veut savoir s'il y a d'autres

pays, d'autres provinces, d'autres territoires, civilisés ou non, où on empêche une minorité linguistique comparable à la minorité linguistique au Québec d'afficher dans sa langue? C'est ce qu'on veut savoir. Le ministre est-il prêt à demander à ses fonctionnaires de nous fournir cette information, à savoir s'il y a d'autres exemples au monde?

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: Si vous me le permettez, M. le Président, je vais revenir à nos invités et je répondrai au député de D'Arcy McGee quand nos invités auront terminé.

M. Fehr: M. le Président, peut-être que je peux ajouter un mot au sujet de l'affichage. Un des principes du commerce est d'essayer de faire toutes vos transactions dans la langue de vos clients. Naturellement, avec l'empêchement que nous avons du côté de l'affichage, vous avez enlevé un des a-vantages des commerçants et du monde des affaires. La seule chose qu'on demande, c'est d'améliorer la loi qui donnera le même avantage aux commerçants pour faire leurs affaires dans la langue de leurs clients. Ce serait beaucoup plus simple.

Alex, avez-vous un mot à ajouter?

Le Président (M. Gagnon): Merci.

M. Marx: Sur l'article que le ministre a cité, Section 59 provides that - sur l'affichage des médias anglophones - section 58 does not apply to advertising carried in news médias that publish in a language other than French. It says: Carried in news médias. En français, l'article 58 sur l'affichage unilingue ne s'applique pas à la publicité véhiculée par des organes d'information de diffusion dans une autre langue. If you read it in English, it says: In the médias. Je ne suis pas tout à fait sûr de l'erreur que j'ai commise.

M. Godin: It is a mistake. You made a mistake, a misinterpretation.

M. Marx: Quand je lis la loi 101, cela n'est pas si clair que cela. Si j'ai fait une erreur, je m'excuse. J'aimerais savoir si le ministre est prêt à nous fournir l'information demandée.

M. Godin: As soon as our guests are over, I will answer your question, Mr. deputy.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Merci, M. le Président. J'aimerais revenir à la partie de votre mémoire qui traite de la langue d'enseignement. Vous y faites une suggestion qui mérite, je pense, d'être étudiée sérieusement par le gouvernement. Le ministre demandait tantôt dans sa première question comment concilier ce désir qu'on a tous d'attirer le plus grand nombre possible de chercheurs, de scientifiques, de personnes membres de compagnies nationales ou multinationales, sans en même temps déboucher sur le libre choix quant à l'accès à l'école anglaise.

J'ai l'impression qu'un des problèmes -j'aimerais que vous réagissiez à cela - que vous avez, que nous avons tous à promouvoir la venue ou même le maintien de certaines entreprises ici, c'est le fait que la loi et les règlements ne sont pas tellement clairs. La loi est claire; à l'article 73 on dit: C'est la clause Québec, et on décrit ce qu'est la clause Québec. Les gens qui viennent de l'extérieur n'ont pas accès à l'école anglaise sauf dans l'exception prévue à l'article 85. Je pense qu'il est important de lire l'article 85. Il se lit comme suit: "Le gouvernement peut faire des règlements pour déterminer à quelles conditions certaines personnes ou catégories de personnes séjournant de façon temporaire au Québec ou leurs enfants peuvent être soustraites à l'application du présent chapitre."

Dans un premier temps, les seules personnes qui peuvent aller à l'école anglaise sont celles qui répondent aux exigences de l'article 73, soit la clause Québec, sauf que c'est possible pour ceux qui viennent ici de façon temporaire; il y a d'autres exceptions mais, en ce qui nous concerne par rapport à votre mémoire, ce sont seulement les personnes qui veulent s'installer au Québec de façon temporaire. C'est tellement vrai que le règlement qui découle de l'article 85 s'intitule Règlement sur la langue d'enseignement des personnes séjournant de façon temporaire au Québec. Il a des gens qui interprètent cela comme voulant dire que c'est une ouverture à une clause universelle.

Il est important de souligner que dans le règlement - on l'indique clairement -cette autorisation pour trois ans d'accès à l'école anglaise ne peut être accordée que si l'un des parents a reçu son enseignement primaire ou secondaire en langue anglaise ou si l'un de ses enfants a déjà commencé ou a accompli ses études en anglais. Cela n'ouvre pas la porte à ceux qui n'ont pas un début d'enseignement ou un historique d'enseignement en anglais. Celui qui vient de la Chine, du Japon, de l'Italie, l'exemption ne lui accorde pas la possibilité d'avoir accès à l'école anglaise.

Ce devant quoi on se retrouve, c'est un énoncé de principe qui dit: Seules les personnes qui répondent aux dispositions de la clause Québec ont accès à l'école anglaise. Par contre, on crée des exceptions pour répondre à des besoins concrets. Vous

avez vous-même donné l'exemple de Bell Helicopter. Le problème de Bell Helicopter, selon moi, on ne sait toujours pas ce que le gouvernement a consenti ou n'a pas consenti pour convaincre Bell Helicopter de venir. Ce qu'on sait c'est que les gens qui vont venir travailler à cette usine ne sont pas nécessairement des gens qui désirent séjourner de façon temporaire au Québec. Je présume qu'il y aura des gens qui vont venir s'installer de façon quasi permanente, sinon totalement permanente. À ce moment-là, à quoi joue-t-on? On dit dans la loi que c'est cela mais dans le règlement on dit que, pour les personnes qui viennent de façon temporaire, on peut faire autre chose. En réalité, on dit: "We will give you a blanket, an exemption, because you are so big, we want you so much that, in tact, let's forget about the law."

Il me semble que cela n'est pas très clair comme approche. Je me pose la question à savoir si le gouvernement ne devrait pas étudier très sérieusement la proposition que vous faites à la page 20. En plus de la clause Canada - à cet égard nous vous suivons tout à fait - vous mentionnez une autre mesure, qui aiderait grandement certaines compagnies installées ici, qui consisterait à exempter les employés d'entreprises internationales qui travaillent au Québec des dispositions de la loi ayant trait à la langue d'enseignement. Nous croyons qu'une telle mesure aurait un impact positif sur la perception que les gens de l'extérieur ont du Québec sans, toutefois, avoir de répercussions marquées sur la population scolaire.

Voici ma question que je vous pose. Est-ce qu'une telle exemption s'appliquerait seulement aux parents dont les enfants ont déjà eux-mêmes reçu leur formation scolaire en anglais? Est-ce que cela permettrait l'accès à l'école anglaise à des personnes parlant une autre langue que l'anglais?

M. Fehr: M. le Président, vous avez raison. Les postes dans les sièges sociaux, dans les industries de haute technologie ou dans la recherche et le développement ne sont pas des postes temporaires. Ce sont des postes permanents.

De plus, pour faire fonctionner un siège social ou une entreprise spécialisée en recherche et développement ou haute technologie, il est absolument essentiel d'avoir de la mobilité. Les experts dans tous ces secteurs n'existent pas au Québec pour combler tous ces besoins. Nous vous garantissons qu'il serait nécessaire de faire venir des experts du Canada ou de l'extérieur du Canada pour que ces entreprises puissent fonctionner, sans quoi elles ne viendraient pas s'installer ici.

M. Dubreuil: M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Oui, M. Dubreuil.

M. Dubreuil: Avec votre permission, M. le Président, je m'adresse à M. le député. Pour répondre à votre question, je ne verrais rien d'incompatible à ce qu'une multinationale française vienne s'établir au Québec et l'un des avantages que les employés pourraient en retirer serait d'avoir appris un peu d'anglais. Or, pour répondre à votre question, quant à moi, je ne vois pas qu'on doive limiter l'accès à l'école anglaise - dans le cadre de la page 20 de notre mémoire - à ceux dont les parents ont déjà étudié en langue anglaise.

M. Gratton: Je vous remercie de la précision. En supposant que le gouvernement ne serait pas prêt à se rendre jusque-là, dans la mesure où l'on assurerait l'enseignement de l'anglais comme langue seconde convenablement dans le système scolaire francophone en ce qui concerne le cas de la société française dont vous nous parlez, cela ne serait pas satisfaisant si on limitait votre suggestion à ceux qui sont de langue anglaise.

C'est nettement hypothétique, j'en conviens, mais je fais la suggestion au gouvernement, s'il n'est pas prêt à accepter ce que vous proposez, qu'il retienne au moins le principe d'accorder à des cadres la possibilité d'exemption à la définition de ce qu'est une personne qui vient travailler sur une base temporaire. Le ministre disait plus tôt que les employeurs peuvent faire les demandes au nom de leurs employés. Il est vrai qu'à l'article 7 du règlement en question, les employeurs ou toute autre personne intéressée peuvent entreprendre les procédures nécessaires à l'inscription scolaire des enfants des employés concernés, mais celles-ci doivent être remplies par les parents. Et c'est là, j'imagine, où vous rencontrez certains problèmes lorsque vous voulez muter un cadre de l'extérieur vers le Québec, dans l'explication que vous devez donner des nombreuses demandes de procédures à suivre pour finalement avoir la permission d'envoyer ses enfants à l'école anglaise. (10 h 45)

M. Paterson: Si je peux vous répondre, M. Gratton, les règles doivent être très claires et précises. Jusqu'à ce jour, il me semble que la question d'un permis temporaire n'était pas assez, parce que lorsque les gens nous parlent de leurs enfants, quand ils parlent de l'enseignement pour leurs enfants, ils veulent faire au moins un programme de plus que trois ans. Ils veulent être certains, s'ils viennent au Québec, qu'ils peuvent dire: OK, mon enfant va aller à l'école, cela va être à telle école et cela va être au moins pour une certaine période. Si on dit: Les Japonais peuvent le

faire ou ne peuvent pas le faire, les Anglais peuvent le faire ou ne peuvent pas le faire ou une autre catégorie, cela va mener à une autre confusion. Je pense que la règle doit être claire, pour les gens dont on a besoin, dont on a besoin à cause de leur expertise. Dans les corporations multinationales, dans les corporations "high tax", dans n'importe quelle industrie, la règle doit être claire que lorsque ces gens prennent la décision de venir au Québec, on peut dire au tout début: Cela est votre situation, cela va être votre situation pour assez de temps pour que vous puissiez planifier l'éducation de vos enfants. Jusqu'à maintenant, je pense que le problème, quand on parle des gens qui essaient de vendre Montréal, etc., c'est que ce n'est pas clair ou c'est clair qu'il n'a pas le choix.

M. Gratton: En terminant, j'aimerais abonder exactement dans le sens de ce que vous dites, M. Paterson. Effectivement, quand on prend le cas de Bell Helicopter, j'ai ici un article émanant de la Presse canadienne qui s'intitule - je l'ai découpé dans le Soleil du 11 octobre dernier - Bell Helicopter soustrait à des articles de la loi 101. "Le ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme, M. Rodrigue Biron, a déclaré que la firme américaine Bell Helicopter Textron Inc., serait exempte de certains articles de la Charte de la langue française pour une période de six ans." On a posé la question ici. On nous a dit: Non, c'est tout simplement la loi et la réglementation normale qui s'appliquent. Or, le règlement ne prévoit pas d'exemption pour six ans, mais bien une exemption pour trois ans pour des personnes séjournant de façon temporaire et non de façon permanente, et ce permis peut être accordé ou renouvelé pour une autre période de trois ans.

Quand on n'est même pas capable de savoir du gouvernement qu'est-ce qu'on a consenti à Bell... Est-ce qu'on a consenti quelque chose d'autre que ce qui est dans la loi ou si ce sont simplement les dispositions de la loi qui s'appliquent et de quelle façon? Quand on n'est même pas capable de savoir cela dans le cas de Bell Helicopter, je pense qu'on a raison de se demander combien d'autres personnes susceptibles d'être intéressées à venir s'installer chez nous, compte tenu des difficultés qu'on a nous-mêmes en tant que législateurs à avoir des informations, n'ont peut-être pas pu obtenir les informations valables à temps pour qu'une décision favorable soit faite. Moi, en tout cas, je vous le répète, je trouve votre suggestion extrêmement intéressante quant à la possibilité d'exemption pour les cadres de compagnies multinationales et je dis au ministre tout de suite que cela, selon moi, ne créerait aucun problème majeur dans la mesure où les efforts de francisation de l'entreprise sont continués. J'aimerais, en terminant, simplement dire que lorsqu'on parle de francisation... le député de Fabre, tantôt, semblait faire l'équation entre francisation et mutation ou promotion des francophones pour remplacer des anglophones. Pour moi, la francisation des cadres de l'entreprise, ce n'est pas cela. La francisation des cadres de l'entreprise, c'est de faire en sorte que les cadres puissent s'exprimer suffisamment en français pour qu'il en découle un respect du droit de tous les travailleurs d'une entreprise de pouvoir travailler en français. Si cela veut dire que le cadre est un anglophone, mais qu'il acquiert une connaissance et une compétence en français, on a francisé les cadres de l'entreprise. Il ne s'agit pas, je pense... en tout cas, j'espère que l'objectif visé par la francisation des cadres de l'entreprise n'équivaut pas à remplacer les anglophones bilingues qui sont là par des francophones bilingues. Je pense que la compétence entre en ligne de compte. Le ministre me fait signe que non; j'en suis fort aise. Car des propos du député de Fabre tantôt, ce n'était peut-être pas aussi clair. Merci, M. le Président. Merci à nos invités.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: M. Fehr voulait dire quelque chose peut-être.

M. Fehr: Je voulais seulement ajouter, M. le Président, si je peux: l'affaire la plus importante c'est de garder nos sièges sociaux à Montréal, de garder les postes à Montréal. Deuxièmement, de faire croître le côté haute technologie, avec tous les avantages que cela va nous apporter comme société. Avec cela, on a déjà donné beaucoup d'occasions à la population anglophone et francophone. Le premier but, c'est de garder ces postes ici.

Deuxièmement, je veux ajouter, à l'intention du député de Gatineau, que si on ouvre la loi 101 pour donner la mobilité à des sièges sociaux, à des entreprises de recherche, de développement et de haute technologie, le nombre de personnes qui vont être transférées ici est très réduit. On ne parle pas d'un grand nombre, mais c'est un nombre qui est tellement critique pour le succès de cette entreprise! C'est une expertise qu'on cherche. Si l'expertise ne se trouve pas chez nous, naturellement, on peut la créer ou essayer de la trouver ailleurs. Cela veut dire qu'on ne parle pas d'un grand nombre. On ne parle pas d'un nombre qui va déranger l'équilibre du système d'enseignement francophone ou anglophone. C'est la chose la plus importante. Mais faire ces changements vous fournirait un grand avantage pour gagner cette bataille dans la

concurrence avec nos compétiteurs.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Fehr. M. le ministre.

M. Godin: J'ajoute mes remerciements et ceux de ce côté-ci de la commission à ceux qui ont déjà été exprimés par l'Opposition et par le président. Vous avez un mémoire extrêmement précis, comme je le disais un peu plus tôt, très concret. "We will look into it very closely and with an open mind." Merci beaucoup, messieurs, et...

M. Fehr: Et on attend les résultats.

M. Godin: D'accord.

Maintenant, M. le Président, est-ce que vous me permettez de donner ma réponse à M. le député de D'Arcy McGee?

Le Président (M. Gagnon): Oui, M. le ministre, brièvement.

M. Godin: Très brièvement. Contrairement à ce que vous avez ajouté, en vertu du vieux principe "in cauda venenum", c'est-à-dire "dans la queue le venin", l'article 59 est très clair, la Gazette peut avoir des enseignes... L'interprétation de la loi est claire. Il y a eu...

M. le député de D'Arcy McGee, vous continuez à nier ce que je vous dis. Je suis le ministre responsable de la loi 101 et vous niez ce que je vous dis? Je vous dis que l'article 59 est clair: la Gazette peut afficher... Même si vous faisiez cela pendant dix ans, "the same will apply anyhow: The Gazette can advertize in French and in English. But if - c'est ma conclusion, M. le député de D'Arcy McGee, my dear Herbie -you get mad when you get out of the bus at Berri-de Montigny, and if it makes you mad to see a poster by The Gazette with French words on it, then I am asking you a question: Maybe, in some occasions, you are really a Yahoo.

M. Marx: M. le Président... M. Gratton: ...parlementaire. M. Marx: M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee, il ne faudrait pas entreprendre un débat.

M. Marx: Non, c'est une question de règlement.

Le Président (M. Gagnon): Question de règlement.

M. Marx: Premièrement, le ministre a dit: Moi, je suis le ministre, je vous dis cela.

Le ministre a déjà dit à l'Assemblée nationale, au salon bleu, que les commerces employant moins de cinq personnes peuvent avoir un affichage bilingue à l'extérieur de leur commerce. L'Office de la langue française, son patron, a dit: C'est faux. Et c'est l'opinion de l'office qui l'a emporté. Sur cette question de règlement, l'article 59 est l'exception à l'affichage unilingue. J'ai lu l'article 59: "Section 58 does not apply to advertising carried in news médias that publish in a language other than French." En anglais, cela contredit carrément ce que le ministre a dit. En français, l'article 59 n'est pas clair: "L'article 58 ne s'applique pas à la publicité véhiculée par des organes d'information diffusant...". En anglais, c'est clair qu'il faut que ce soit dans la Gazette pour qu'on puisse publier dans les deux langues. De toute façon, pour clarifier cette question, j'ai déjà demandé au ministre -parce qu'il a déjà été "overruled" par l'office dans d'autres domaines - d'avoir le code d'interprétation de la loi 101 tel qu'il existe à l'Office de la langue française, que je n'ai pas eu encore. J'aimerais avoir ce code d'interprétation et je vais vérifier moi-même comment l'office interprète cet article. Le cas échéant, si je ne suis pas satisfait, je vais demander au ministre de m'écrire et de faire ratifier cela par l'office en ce qui concerne l'interprétation de cet article. Je ne peux pas prendre seulement la parole du ministre parce que, dans d'autres cas, il a été contredit par l'Office de la langue française et c'est l'opinion de l'Office de la langue française qui l'a emporté.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. M. le ministre, une très courte réponse s'il vous plaît.

M. Godin: En terminant, je vous dis que l'interprétation de l'Office de la langue française d'une part, l'opinion du ministre d'autre part, vont dans le même sens pour ce qui touche la publicité véhiculée par les médias qui diffusent en anglais.

If you are not convinced or satisfied yet, I do not know what more I can do.

M. Marx: Est-ce que je vais avoir le code d'interprétation de la loi 101 publié par l'Office de la langue française? Vous m'avez promis ce document avec d'autres documents. Est-ce que je vais avoir les documents?

M. Godin: Quelle mouche le pique donc? M. le député de Gatineau, what is hitting him this morning? He has been quite cool upon until now and...

Le Président (M. Gagnon): Ceci va mettre fin à cette discussion.

Je remercie le Bureau de commerce de

Montréal de son excellent mémoire et de sa

présence à cette commission parlementaire.

J'invite maintenant M. Yves Beauchemin à prendre place.

M. Beauchemin je vous souhaite la bienvenue et je vous invite à nous livrer votre mémoire.

M. Yves Beauchemin

M. Beauchemin (Yves): M. le Président, mesdames et messieurs les députés. Au milieu des années cinquante dans le quartier natal et très francophone d'un de mes amis, à Montréal, il paraît que l'annonceur du terrain de jeu paroissial décrivait la joute de baseball en ces termes: une strike! One strike; Deux strikes! Two strikes! Trois strikes! Three strikes! un "home run"! A home run!

Cette histoire m'est revenue à l'esprit récemment alors qu'on parlait d'un retour possible au bilinguisme dans l'affichage commercial au Québec.

Je suis écrivain. Comme tous mes collègues, le sort présent et futur de la langue française m'intéresse au plus haut point. Car cette langue est notre instrument quotidien et notre moyen d'expression privilégié. Nous entretenons avec elle des relations intenses, passionnées même, extrêmement exigeantes, poussés par le désir inapaisable d'écrire le plus beau livre du monde, celui bien sûr, qu'on n'écrit jamais. Comme tous ceux qui sont attachés à leur pays, nous avons appris que la langue est beaucoup plus qu'un instrument de communication, remplaçable éventuellement par un autre. Nous savons que la langue française, c'est l'âme de tous les Québécois francophones, c'est le Québec même. Tout ce qui le met en danger nous menace au plus profond de notre chair.

Je suis écrivain mais je suis aussi un Québécois, père de deux enfants. L'aventure collective que nous vivons en Amérique depuis plus de trois siècles, commencée avec mes ancêtres, me traverse et se poursuit dans la vie de mes deux fils et des enfants qu'ils auront peut-être. Au-dessus de tout calcul et de tout raisonnement, je souhaite passionnément que cette aventure se continue dans les meilleures conditions possible. D'une certaine façon, l'avenir du français au Québec se confond avec l'avenir de mes deux fils, avec l'avenir de tous les enfants québécois. Je ne peux vraiment pas rester indifférent aux forces, qui, d'une façon ou d'une autre, tendent à infléchir la trajectoire de cette aventure pour l'amener dans le cul-de-sac de l'assimilation et de la mort culturelle. (11 heures)

C'est pourquoi je suis inquiet face aux demandes répétées de certains milieux qui, avec peut-être les meilleures intentions du monde, réclament l'abolition des dispositions de la Charte de la langue française concernant l'usage exclusif du français sur les affiches commerciales.

Je sais que mes propos vont faire sourciller de nombreux francophones pour qui la règle de l'unilinguisme français apparaît inutilement mesquine. C'est peut-être parce qu'ils ont oublié les raisons qui ont amené son établissement et qui se feraient de nouveau cruellement sentir si on la supprimait. C'est un fait, l'adoption de cette règle a créé une véritable révolution au Québec, mais comme le disait Alexis de Tocqueville: "Les révolutions, en faisant disparaître leurs causes, deviennent inintelligibles."

Oui, la règle de l'unilinguisme français dans l'affichage est devenue inintelligible pour beaucoup de gens, car ils ont oublié. Ils ont oublié parce que la loi 101 a réussi à créer un cadre plus favorable au français chez nous. Ils ne se rappellent plus qu'il n'y a pas si longtemps, le français était en train de couler à pic sous l'effet de l'anglicisation galopante: celle des francophones comme celle de presque tous les immigrants qui venaient s'établir chez nous.

Ce péril, l'affichage français a contribué efficacement à le conjurer. Par cet affichage exclusivement français, nous avons redonné à nos villes, et particulièrement à Montréal où se posait le problème de la façon la plus aiguë, un visage qui nous ressemble. Nous avons fait savoir au monde que ce coin de terre d'Amérique n'est pas un "no man's land", mais notre pays à nous, les Québécois. Nous avons aussi aidé ceux qui viennent librement s'installer chez nous à nous connaître tels que nous sommes et à comprendre l'avenir que nous voulons nous donner. Voilà ce qu'un visage bilingue ne parvenait pas à accomplir et ce qu'il n'accomplira jamais. Le premier ministre décrivait fort bien cette situation l'an dernier lorsqu'il écrivait, en réponse à la lettre d'un organisme anglophone: "À sa manière, chaque affiche bilingue dit à l'immigrant: il y a deux langues ici, l'anglais et le français, on choisit celle qu'on veut. Elle dit à l'anglophone: Pas besoin d'apprendre le français, tout est traduit."

N'oublions pas que l'affichage exclusivement français a puissamment contribué à faire mieux accepter par les immigrants l'obligation qui leur incombe désormais d'envoyer leurs enfants à l'école française.

Par ailleurs, nous avons vite oublié - je pense surtout ici aux Montréalais bien sûr -les humiliations que nous subissions régulièrement au travail, dans les restaurants, dans les magasins etc., à cause de l'inconscience et aussi de ce qu'il faut parfois bien appeler, hélas, l'arrogance de certains anglophones.

J'aimerais citer ici une anecdote, une histoire qui est arrivée à l'un de mes amis qui demeurait à Ville Émard, c'est arrivé aux

environs de l'intersection du boulevard Lau-rendeau et de la rue Church; cela fait très longtemps de cela, dans les années soixante. Il avait 16 ans, c'était un jeune étudiant timide. Il passe devant une compagnie de plomberie et il aperçoit, bien sûr, à l'époque une immense annonce unilingue anglaise. Il prend son courage à deux mains et frappe à la porte; il demande à la personne qui se présente, qui est un anglophone: "Could you tell me, Sir - dans un anglais un peu laborieux - why there is no two languages on the sign?" Alors, le monsieur lui dit: "Come over here. I will show you something." II ouvre la porte, lui montre quelque chose en l'air. L'étudiant se retourne et reçoit un formidable coup de pied au derrière qui le projette dans la rue et la porte se claque derrière lui. C'étaient des histoires qui se produisaient - évidemment, celle-là est un peu croustillante, un peu typique - souvent dans le milieu francophone. Quand on dit "humiliation", on se réfère à des choses comme cela.

Rappelez-vous les "speak white" et, pis encore, les "sorry, I would like so much". Tout cela, heureusement, est en train de disparaître, mais ne perdons pas de vue que c'est dans la mesure où nous avons commencé à nous affirmer que certaines attitudes de compréhension - souvent sincères, je le reconnais - sont nées dans ce milieu. En abandonnant les positions déjà conquises, nous risquons de faire changer ces sentiments. Après tout, c'est la nature humaine n'est-ce pas?

Parmi les facteurs qui semblent culpabiliser certains francophones, il y a la crainte de se voir taxer d'intolérance. Parmi les arguments que cette crainte leur fait venir à l'esprit, il y a celui du droit de la communauté anglophone d'exprimer sa présence au Québec. Je suis partisan de ce droit, mais j'estime que globalement la communauté anglophone l'exerce déjà bien au-delà de son importance numérique. Au dernier recensement, les anglophones formaient 13,8% de la population québécoise. Ce pourcentage inclut les citoyens de toutes origines, y compris ceux d'ascendance française qui parlent anglais à la maison. Or, la présence de cette communauté se fait sentir de façon massive dans les médias. Par exemple, dans son rapport pour l'année 1982-1983, le Bureau de surveillance du cinéma du Québec déclare avoir autorisé 386 films en français contre 439 en anglais. Que dire des stations de radio et de télévision, des journaux et des magazines locaux et étrangers, de l'impact mondial de la chanson anglaise et de celui des livres anglais qui se vendent souvent pour une fraction du prix du livre français? Non, si j'étais un Anglo-Québécois, je ne m'inquiéterais pas outre mesure pour la survie de ma langue. Cette langue se porte à merveille. Si elle a reculé dans l'affichage, elle fait des progrès constants partout au Québec et dans bien des secteurs.

La semaine dernière, je me trouvais à Saint-Hyacinthe, une ville francophone à 98,3%, un château fort du français, quoi! J'entre dans une librairie, la boutique possède une section de disques et de cassettes préenregistrées, presque tout est en anglais. "Il ne se fait pratiquement rien en français, monsieur", m'explique la libraire. Je monte ensuite dans un autobus, trois adolescentes montent derrière moi en lançant des plaisanteries à voix haute; elles vont s'installer au fond. L'une d'elles tient à la main une radio à transistors, elle l'ouvre et, juste à ce moment, un chanteur américain se lance dans une ballade passionnée. Avec un ensemble parfait et avec un accent parfait, elles accompagnent à tue-tête le chanteur pendant deux bonnes minutes.

Ici, je voudrais ajouter une précision importante. Je ne veux pas que l'on pense que je suis en train de trouver que c'est une chose déplorable que l'on ait accès à la culture américaine. J'ai moi-même des disques américains à la maison, je lis en anglais, j'adore le cinéma américain, j'aime la musique américaine. Non, tout ce que je pense que l'on peut constater, c'est la puissance de pénétration incroyable de cette culture. C'est un fait. C'est un fait dont le législateur doit tenir compte lorsqu'il s'agit de survie et d'épanouissement linguistique au Québec.

Au début de la soirée, je me présente chez un dépanneur. J'éprouve certaines difficultés à faire remarquer ma présence, le patron, un homme dans la cinquantaine, et ses deux fils sont sous l'envoûtement du câble, hypnotisés par la télévision anglaise. Eh oui! francophone à 98,3%, Saint-Hyacinthe. Les citadelles du français se lézardent sans bruit et de plus en plus profondément. Et cela se fait dans chaque cuisine, dans chaque salon, au restaurant, à la brasserie, partout. De 1976 à 1982, la proportion du temps d'écoute de la télévision anglaise chez les Montréalais francophones est passée de 14,2% à 20,5%, soit une augmentation de 1% par année. Mes sources devraient être bonnes puisque je vous rapporte des chiffres divulgués dernièrement par le ministre fédéral des Communications, M. Francis Fox.

Je veux me faire comprendre clairement. Loin de moi l'idée de restreindre l'accès de quiconque aux sources de la culture et de l'information, qu'il s'agisse de l'anglais ou d'une autre langue. Mais je pense que nous avons le droit, nous aussi, Québécois francophones, de faire entendre notre voix et de prendre les moyens pour assurer la survie et la durée de notre présence en Amérique. Un de ces moyens -et, avouons-le, il est plutôt limité - c'est

l'affichage français. À mon avis, les contraintes que les Québécois de toutes origines doivent s'imposer dans ce domaine sont amplement justifiées, car il s'agit pour notre société d'une question de survie. Le petit pays de 5 000 000 de francophones que nous formons ne peut tout simplement pas se permettre de supporter dans toute sa force l'impact formidable d'une langue et d'une culture répandues sur tout un continent et dans tout le monde.

Cela, beaucoup de gens le comprennent. Néanmoins, certains estiment que la liberté d'afficher dans les deux langues, si elle était limitée aux petits établissements, ceux, par exemple, qui emploient moins de cinq employés, ne nuirait pas au visage français du Québec. Cela n'est pas mon avis.

Dans les autres pays, non seulement l'affichage des magasins mais aussi l'étiquetage des produits sont généralement unilingues. Ici, dans le meilleur des cas, l'étiquetage est bilingue. Que nous reste-t-il pour affirmer la prédominance du français au Québec? L'affichage français.

Elles sont très nombreuses les petites entreprises de moins de cinq employés. En fait, ce sont elles qui, essentiellement, forment le visage de nos rues commerciales. Leurs affiches sont généralement moins sobres que celles des grandes sociétés. Une fois bilingues, elles deviendraient les plus visibles.

Bien sûr, si la loi est changée, toutes les petites entreprises ne retourneront pas immédiatement au bilinguisme. Les commerces du centre-ville de Montréal y reviendront très vite. Or, c'est au centre-ville qu'on travaille, c'est au centre-ville et dans les quartiers avoisinants que vit une grande partie des immigrants. Grâce au bilinguisme de l'affichage, il redeviendra possible aux résidents des quartiers et des banlieues de l'ouest de se rendre au travail ou de sortir en ville sans jamais avoir besoin de lire une affiche en français; la version anglaise leur suffira. Dans ces districts, on placera comme autrefois le côté français des affiches dans le sens opposé à la circulation. Dans l'est, quand un commerçant commencera à annoncer en anglais, les autres voudront aussitôt l'imiter pour ne pas lui laisser la clientèle anglaise, si petite soit-elle.

La règle du "moins de cinq employés" peut paraître simple au bureaucrate, mais elle compliquera en diable les choses pour le public, dont la coopération est essentielle à l'application de la loi. Il ne faut pas oublier en effet que la Commission de surveillance de la langue française agit généralement sur réception des plaintes faites par les citoyens. Pour le client ordinaire, il est difficile de distinguer un restaurant de quatre employés d'un autre qui en a sept. Il n'ira quand même pas fouiner dans les cuisines ou surveiller les quarts de travail. La collaboration du public serait ainsi découragée. Peu à peu, l'affichage bilingue s'étendra dans les faits à des entreprises de toutes tailles. Ainsi, il deviendra plus facile à des gens qui, a priori, ne voulaient rien savoir du français, de s'installer et de vivre chez nous.

La radio, la télévision, le cinéma, la presse, l'étiquetage, tout cela est déjà disponible dans l'autre langue, en quantité et en qualité souvent supérieures à celles de leurs équivalents français. Si, en plus, le français devenait inutile pour la lecture des affiches commerciales, dites-moi, dans quel domaine la connaissance de notre langue resterait-elle nécessaire aux anglophones et aux immigrants? Dans les communications verbales, comme avant l'invention de l'imprimerie? Même pas. Allez voir ce qui se passe, malgré la loi 101, en milieu de travail mixte, par exemple, où des statistiques démontrent que les deux tiers des francophones, lorsqu'il s'agit d'un interlocuteur anglais, s'expriment en anglais.

Devant une pareille situation et en supposant qu'on revienne à l'affichage bilingue, la scolarisation française de leurs enfants risquerait d'apparaître de plus en plus injustifiée aux immigrants. Il ne faut pas prendre ces gens pour des nai'fs. S'ils viennent s'établir chez nous, c'est pour se donner les meilleures chances de réussite et de bonheur dans la vie. Grâce à M. Trudeau, la charte canadienne vient de leur ouvrir une porte: il suffit désormais qu'un enfant fasse un court séjour dans une école anglaise à l'extérieur du Québec pour qu'il puisse continuer ensuite ses études en anglais au Québec même, et cela procure le même droit à tous ses frères et soeurs ainsi qu'à leurs descendants. C'est grave.

Par ailleurs, contrairement à la communauté anglophone qui possède un réseau d'institutions puissant et diversifié (radio, télévision, cinéma, hôpitaux, réseau scolaire de la maternelle à l'université, etc.) les autres communautés ethniques se voient privées, par la rédaction actuelle de la charte en ce qui concerne la langue d'affichage, d'un des rares moyens qu'elles auraient de manifester leur présence chez nous.

Si certains assouplissements étaient à faire à la loi 101, il serait plus sage, à mon sens, qu'on regarde de ce côté et qu'on permette une certaine utilisation des langues autres que l'anglais. Est-ce que je parle ainsi par anglophobie? Certainement pas. Est-ce être anglophobe que de constater l'impact écrasant de l'anglais en Amérique et de constater que nous formons, nous Québécois, 2,5% de la population nord-américaine? Il ne me viendrait pas à l'esprit de reprocher aux Anglo-Québécois la prédominance de leur langue dans le monde mais, en même temps,

on ne peut fermer les yeux devant les problèmes qu'entraîne pour nous une telle situation. Je veux bien donner la chance au coureur à condition qu'il ne me coure pas sur le corps. Que voulez-vous, c'est la présence dynamique et triomphante de l'anglais qui menace notre langue et non celle de l'italien et du russe. La russification, c'est plutôt le problème des Ukrainiens. (11 h 15)

La loi 101, c'est pour le peuple du Québec une bouée de sauvetage qui lui permet de rester à flot, une bouée que l'histoire d'ailleurs lui a lancée à la toute dernière minute. Certaines personnes trouvent que la bouée contient trop d'air et voudraient qu'on la dégonfle un peu. Pouvons-nous vraiment nous permettre ce risque?

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: M. Beauchemin, vous êtes écrivain. Vous avez écrit un livre intitulé: Le Matou, dont l'action se déroule sur le plateau Mont-Royal en plein coeur du comté de Mercier, qui est mon comté. Ce livre décrit une réalité très spécifique, très distinctive, très particulière. Il s'est vendu, me dit-on, à bientôt 750 000 exemplaires dont l'immense majorité en dehors du Québec. Ce qui me permet de situer votre importance comme écrivain, pour ceux qui nous écoutent ou regardent et qui n'ont pas la chance, comme moi, de vous connaître un peu, au moins par vos livres. Cela me permet aussi de dire que plus on est spécifique, plus on est international. Par conséquent, je pense qu'un Québec français a plus de chance de faire sa place dans le monde qu'un Québec bilingue.

J'ai toujours vu les écrivains comme étant des sismographes jusqu'à un certain point, c'est-à-dire que vous qui enregistrez des mouvements très profonds que l'immense majorité des gens ne peut pas enregistrer parce qu'elle ne se consacre pas à cette fonction, à ce métier. Ce que vous enregistrez, je pense que ce sont des mouvements sociaux profonds.

Cela m'amène à croire comme vous que, si les anglophones du Québec ne se préoccupent pas du tout ou ont même un certain mépris pour ce que nous appelons les droits collectifs, c'est parce que leurs droits collectifs sont garantis par le géant américain. Ils ont au-dessus de leur tête un immense parapluie culturel, économique, financier qui leur permet de se sentir rassurés quant à leur avenir, à leur survie comme groupe et même comme personne. Ils n'ont pas à se préoccuper de l'avenir de l'anglais, car il est assuré. Ils sont sûrs qu'il y aura toujours de l'anglais dans le monde. C'est ce qui leur donne du temps libre pour se préoccuper des droits des personnes. Quand les droits de la collectivité sont assurés, on n'en parle même plus. On se concentre sur les droits de la personne, ceux de l'individu.

Au contraire, nous, comme il n'y a pas de parapluie - la preuve, les pluies acides -il faut bien se préoccuper de s'en faire un en dessous duquel des individus pourront se développer pleinement. Des Yves Beauchemin pourront écrire en français. Ils pourront partir d'un quartier français de Montréal et rayonner partout dans le monde francophone pour l'instant mais sûrement dans d'autres langues plus tard par les traductions.

C'est la raison pour laquelle il appartenait aux gouvernements du Québec -avec un x et avec un s - à tous les gouvernements du Québec de faire en sorte qu'un parapluie se déploie au-dessus du Québec comme il y en a un au-dessus des anglophones du continent nord-américain et même du monde. C'est ce que M. Robert Bourassa appelle la sécurité culturelle. Elle passait par la loi 22, cette sécurité culturelle et, maintenant, elle passe par la loi 101. Elle passe par un équilibre à trouver entre la coexistence pacifique autant que possible de deux langues au Québec plus plusieurs autres. Je pense que le régime que la loi 101 consacre, reconnaît à la communauté anglaise du Québec le droit - contrairement à ce que disait le député de D'Arcy McGee tout a l'heure - d'afficher en anglais dans toutes ses institutions municipales, scolaires, de services sociaux et de santé. À l'intérieur de ces municipalités, l'affichage institutionnel est permis dans les deux langues. Dans les municipalités où il y a une majorité anglaise, l'affichage public institutionnel est dans les deux langues. Il n'a jamais été question d'effacer, de gommer, d'anéantir, de cacher, comme on l'entend partout de la part de gens qui sont des députés élus ici et qui devraient défendre le Québec. Je ne dis pas qu'on n'a pas le droit de critiquer la loi 101 ou le gouvernement, mais qu'on fasse les nuances qui s'imposent. Si on ne fait pas ces nuances-là, l'impact devient extrêmement négatif; cela force la Chambre de commerce de Montréal, le Board of Trade, à tenter de réparer en dehors du Québec les effets négatifs des propos tenus ici, dans cette Chambre, par certains députés du Québec.

Je pense que ce que vous nous dites sur l'affichage, cela s'ajoute à ce que nous avons entendu de la part de la Commission des droits de la personne il y a quelques jours. La Commission des droits de la personne a réfléchi à partir du principe des droits individuels; vous réfléchissez en tant qu'écrivain, en tant que membre d'une collectivité qui est une espèce menacée en Amérique du Nord, malgré ce que les Bill Johnson peuvent écrire dans le Globe and

Mail. Je pense que, si nous avons recommencé à nous sentir un peu plus sécurisés, c'est grâce aux lois linguistiques en particulier, mais également au développement économique du Québec et aux ressources dont nous sommes dotés. Est-ce que nous serions rassurés à ce jour au point que nous pourrions commencer à retraiter sur l'essentiel? Est-ce que ce qui se passe à Pratt et Whitney et ailleurs n'est pas la preuve qu'il faut continuer?

En terminant, je vous dirai que, si je compare votre analyse de la question de l'affichage avec celle faite par la Commission des droits de la personne du Québec, je tenterai de faire une espèce de mélange des deux. Le danger avec la position des gens de la Commission des droits de la personne du Québec - d'ailleurs, on le leur a dit - c'est que, puisqu'ils disent que la langue du commerçant doit être respectée ainsi que la langue du client du commerçant, au niveau des droits des personnes, cela signifierait que le commerçant pourrait afficher dans sa langue, bien sûr, mais que le consommateur pourrait demander que toute affiche soit dans sa langue. Au niveau strict du droit, en théorie - quand on parle des droits, c'est ce que cela veut dire - quand on veut réduire les droits individuels, on passe pour des gens qui ne respectent pas les droits. En principe, si on applique cette règle-là, cela signifie que l'affichage obligatoire au Québec doit se faire dans 40 langues. Cela mène à l'absurde.

Par conséquent, il faut tenter de trouver un équilibre. C'est à cet équilibre-là, à la découverte de cet équilibre-là, la quête du Graal peut-être, que nous travaillons ensemble. Vos propos sont très éclairants à cet égard. Merci, M. Beauchemin.

Le Président (M. Gagnon): M.

Beauchemin, est-ce que vous avez quelque chose à ajouter aux propos du ministre?

M. Beauchemin: Peut-être une chose, une seule chose. J'ai suivi, bien sûr, comme une grande partie du public, les débats de la commission. J'avais parfois l'impression, à l'écoute de certains mémoires, que le Québec était un malade en convalescence et qu'il était en train de remettre en cause sa guérison. Je pense que, lorsqu'on est en convalescence, il faut laisser la nature réparer les dommages que la maladie - dans notre cas, c'est l'histoire ou la malchance, appeliez cela comme vous le voulez - a faits et non pas tout chambarder inutilement.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Avant de vous laisser la parole, M. le député de Louis-Hébert, comme vous n'étiez pas intervenant ce matin lorsque j'ai fait la nomenclature, je vais demander aux membres de la commission d'accepter le député de Louis-Hébert en remplacement du député Bissonnet de Jeanne-Mance.

M. Godin: À une seule condition... Est-ce que je peux demander au député de Louis-Hébert s'il était présent hier à l'inauguration de la statue de Simon Bolivar?

M. Doyon: Est-ce que je peux répondre à cette question, M. le Président?

Le Président (M. Gagnon): Vous pouvez y répondre.

M. Doyon: J'ai un communiqué de presse qu'il me fait plaisir de lire ici. C'est une réponse très brève, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Si vous le permettez, avant que vous répondiez à la question, M. le député de Louis-Hébert, je vais d'abord m'assurer qu'il y a consentement, et je suis assuré qu'il y a consentement.

M. Doyon: Alors, M. le Président, je peux répondre à la question?

Le Président (M. Gagnon): Oui, allez-y.

M. Doyon: Concernant la question du ministre, il me fait plaisir ici de profiter de l'occasion pour lire le communiqué de presse que j'émets à l'instant.

René Lévesque n'as pas le temps pour l'Assemblée nationale, mais il en trouve pour Bolivar. Après avoir prolongé la fermeture de l'Assemblée nationale pour un cinquième mois consécutif, le 18 octobre dernier...

Le Président (M. Gagnon): Non, non, M. le député de Louis-Hébert, vous avez émis un communiqué de presse. Je présume qu'on aura le plaisir de le lire.

Je voudrais maintenant que vous vous adressiez à notre invité qui est M. Beauchemin.

M. Doyon: M. le Président, je répondais tout simplement à la question du ministre...

Le Président (M. Gagnon): Non, la question était: Est-ce que vous y étiez? Vous avez répondu oui. Alors, j'ai l'impression que vous avez répondu. Maintenant, pour le communiqué de presse, vous ferez la conférence de presse ailleurs.

M. Doyon: Je vais faire cela.

Le Président (M. Gagnon): M.

Beauchemin.

M. Doyon: M. le Président, je veux remercier M. Yves Beauchemin de nous avoir fait part de sa perception de la situation dans laquelle pourrait se trouver le français

advenant des modifications ou des assouplissements.

M. Beauchemin, d'une façon qui peut paraître au premier abord convaincante, exprime de fortes réserves sur quelque assouplissement que ce soit dans le domaine de l'affichage. C'est là son droit le plus strict, comme c'est aussi le droit le plus strict des membres de l'Opposition de ne pas partager sa perception ou son point de vue. M. le Président, au début de son intervention, il raconte une histoire comique où on fait une drôle de traduction de ce qui se passe lors d'une partie de base-bail, avec une "strike", "one strike", etc. Il y a quelque chose de plus récent que cela dont j'ai été témoin hier - M. Beauchemin retourne aux années cinquante - pour vous dire qu'avec des histoires on peut faire à peu près n'importe quoi.

Je recevais hier quelqu'un chez moi qui me disait: Moi, je suis concessionnaire de gros camions-remorques, de tracteurs, je fais la réparation et j'ai reçu du ministère des Transports une invitation à faire une soumission pour réparer un tracteur, un gros camion appartenant au ministère des Transports. Il avait en main cette demande d'invitation à faire une soumission où c'était inscrit: Réparation pour camion de telle marque, telle année, etc., 4 "bearings" -ministère des Transports du Québec - 5 "bushings", 4 "rods", etc. C'était le ministère des Transports du gouvernement du Québec qui demandait des soumissions à un autre Québécois de la ville de Québec. On le faisait avec des mots qui sont traduisibles, qui existent en français, qui sont normalement connus. C'est pour vous dire que même le gouvernement ne respecte pas...

M. de Bellefeuille: C'est la convalescence. Quel drame!

M. Doyon: ...ce qui est à la base même de la promotion de la langue française. Je ne me scandaliserai donc pas lorsqu'une personne qui arbitre une partie de base-bail ne le fait pas non plus, surtout dans les années cinquante. Tout cela pour vous dire qu'avec des anecdotes, on peut arriver à toutes sortes de conclusions.

Le Président (M. Gagnon): M.

Beauchemin.

M. Beauchemin: Mais vous savez, votre anecdote, j'aurais bien aimé l'utiliser moi aussi parce que, dans le fond, ce sont des arguments que vous me fournissez. Cela prouve tout simplement que la loi 101 n'est pas encore allée assez loin que la francisation au Québec est en voie de se faire et n'est pas terminée, tout simplement.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député.

M. Doyon: On s'entend parfaitement là-dessus. J'étais tout simplement en train de faire la preuve... non pas faire la preuve, parce que c'était anecdotique, mais de montrer que le gouvernement du Québec, avant d'exiger de façon réglementaire et par loi un comportement en dehors de tout reproche de la part des citoyens et des citoyennes du Québec, pourrait peut-être faire un sérieux examen de conscience. Je pense que personne ne va trouver à redire là-dessus. De la même façon que M. Beauchemin nous dit qu'en tant qu'écrivain il cherche encore à écrire le plus beau livre qui soit, ce qu'on n'écrit jamais, de la même façon nous sommes à préparer la meilleure argumentation possible et le plus beau discours, que nous ne ferons jamais non plus, parce que nous ne réussirons jamais à convaincre tout le monde. (11 h 30)

Je crois que ce qui ressort de l'intervention de M. Beauchemin, c'est une inquiétude qui peut, à certains égards, être fondée. Il en fait état en citant de Tocqueville: "Les révolutions, en faisant disparaître leurs causes, deviennent inintelligibles." Il dit aussi qu'on semble avoir oublié les raisons qui ont été à la source de la loi 101. Il y a une autre hypothèse qu'il faudrait peut-être analyser. Peut-être oublie-t-on les raisons qui étaient à la source de la loi 101, mais peut-être aussi, je le prétends, que les raisons ou les circonstances ou la situation a changé, ce qui pourrait amener des ajustements. Il reste tout cela à évaluer. On peut fort bien dire que les raisons sont les mêmes, donc, qu'on apporte les mêmes remèdes aux mêmes maux. On peut aussi fort bien argumenter qu'il y a eu une évolution dans le sens positif et qu'à ce moment, la dose de médecine qu'on doit administrer, en admettant qu'il y avait maladie, devrait peut-être être diminuée, devrait peut-être être ajustée, devrait peut-être être un peu diluée.

Je pense qu'en argumentant de cette façon, on a autant de chances d'avoir raison qu'on en a d'avoir raison en disant que finalement les circonstances sont les mêmes et que, si certaines personnes proposent des changements actuellement, c'est qu'on a oublié ce qu'est la situation ou ce qu'elle était. Je pense qu'il est manifeste que des gens, à qui on doit reconnaître beaucoup de crédibilité, sont venus nous dire que la façon dont la loi 101 traitait la question de l'affichage était trop exigeante et que cela devenait "counterproductive", on en retirait plus de désavantages que de bénéfices, en fin de compte. Cela peut ou peut ne pas être le cas, mais je pense qu'on doit reconnaître que des organismes fort crédibles qui ont fait des études sérieuses et qui ne se fient

pas simplement sur une perception personnelle, qui sont représentatifs de l'ensemble du groupe qu'ils représentent, sont venus exprimer des réserves sérieuses et d'une façon pondérée, d'une façon qui devrait nous amener à réfléchir.

Je pense que l'affichage, et cela me semble, jusqu'à un certain point, ressortir du mémoire que nous présente M. Beauchemin, est devenu une question plus symbolique qu'autre chose. En écoutant M. Beauchemin, je me rends compte que finalement, dans son mémoire lui-même, il se trouve à reconnaître que, s'il y a danger pour le français, si le français est menacé de quelque façon que ce soit, ce n'est pas vraiment au niveau de l'affichage. Ce n'est pas cela qui va faire que le français va dépérir, mais plutôt les exemples qu'il apporte, ceux de la télévision, de la câblo-diffusion, de la radio, des disques, des livres anglais. C'est peut-être là qu'est le véritable enjeu. Mais le gouvernement qui ne peut pas ou qui n'a pas le courage d'ajuster ses convictions dans ces domaines vitaux se rabat pour faire le matamore très souvent sur la question de l'affichage, donnant comme cela l'impression de faire beaucoup et agissant sans prendre beaucoup de risques. Je pense qu'on ne doit pas être dupe de cette façon d'agir du gouvernement. L'affichage...

Le Président (M. Gagnon): M. le député, je m'excuse de vous interrompre. Il est vrai que vous n'avez peut-être pas assisté régulièrement à la commission parlementaire. Je vais vous rappeler le mandat de la commission parlementaire. C'est d'entendre tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française. Votre discours, actuellement, je le qualifierais d'un discours de deuxième lecture ou d'un débat. Vous vous adressez au gouvernement alors que j'aimerais qu'on s'adresse à l'invité parce qu'il y a d'autres invités aussi qu'il faudra entendre. C'est dans ce sens. Sans vous rappeler à l'ordre, j'aimerais qu'on s'adresse à l'invité, et qu'on pose des questions à l'invité et le genre de discours que vous êtes en train de faire, on aura sûrement l'occasion de le refaire. Je vous redonne la parole. M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Très brièvement, sur la question de règlement, M. le Président. Je pense qu'il est de coutume qu'un député, membre de la commission, qui veut émettre un commentaire puisse le faire. Même dans les conditions que vous nous expliquiez, loisir est toujours laissé à notre invité de réagir à ces commentaires. Le ministre l'a fait à plusieurs occasions.

Le Président (M. Gagnon): Habituellement, oui, un court commentaire. En tout cas, c'était seulement pour vous rappeler le mandat de la commission. Je vous laisse aller maintenant et, quand M. Beauchemin voudra réagir à vos commentaires, il me fera signe.

M. Doyon: Alors, c'étaient des réactions au mémoire de M. Beauchemin. Il est vrai que je m'adresse à vous, M. le Président, en tant que président de la commission parlementaire, mais finalement, c'est une fiction; je m'adresse à l'intervenant par votre intermédiaire. Pour revenir à l'idée que je développais - et vous m'avez fait un peu perdre le fil, M. le Président - c'est que l'affichage n'est peut-être pas le moyen idéal pour assurer cette prépondérance et cette permanence du français. Il m'apparaît qu'il y a d'autres risques - M. Beauchemin le reconnaît et c'est en filigrane dans son mémoire - beaucoup plus sérieux qui sont ceux de la présence de la langue anglaise dans les médias, dans les divertissements, à la télévision, à la radio, etc., et que l'affichage peut, par l'intervention du gouvernement, servir de paravent, si vous voulez, à une action qui peut sembler vigoureuse, qui peut sembler déterminante, alors que mon propos est à savoir que là n'est pas le cas et qu'on se leurre en faisant cela. Tout comme on se leurre en pensant que l'on protège la langue française en bannissant le mot "stop". Je pense qu'on fait fausse route en agissant de cette façon...

Le Président (M. Gagnon): Merci.

M. Doyon: Je n'ai pas terminé, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Non, mais M. Beauchemin aurait une réaction à cette première série de...

M. Doyon: M. le Président, je termine dans deux secondes et, ensuite, M. Beauchemin...

Le Président (M. Gagnon): Cela va.

M. Doyon: C'est simplement pour qu'on ne se promène pas comme cela. Je disais, en terminant, qu'autant se leurre-t-on en pensant que le français se trouve protégé et sa situation avantagée par le fait qu'on peut bannir des panneaux routiers le mot "stop", de la même façon devrait-on se méfier de se leurrer par un affichage extrêmement restrictif au niveau de la langue française, alors que le véritable bobo, s'il y a bobo, ne se situe pas à ce niveau.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. Beauchemin.

M. Beauchemin: Je remercie le député

de Louis-Hébert pour la longue analyse qu'il a faite de mon rapport, qui témoigne d'une lecture attentive.

Je voudrais, néanmoins, faire les remarques suivantes. On a beaucoup insisté tout à l'heure - probablement parce que je suis écrivain et que les écrivains sont censés être des êtres hyperémotifs, très peu rationnels, enfin voués au culte de l'art - sur la perception personnelle que j'avais de la réalité québécoise au niveau linguistique. Bien sûr, j'ai une perception personnelle comme toute personne qui possède un système nerveux, mais je dois dire aussi qu'il y a des statistiques que j'ai citées, qui ne me sont pas propres, que je n'ai pas inventées, concernant la progression constante de l'écoute de la télévision anglophone chez les francophones de Montréal, c'est-à-dire de 1% par année. C'est quelque chose qui est tout à fait objectif. Quand on dit que les deux tiers des francophones en milieu de travail répondent ou parlent en anglais à un interlocuteur anglophone, ce sont des choses qui font partie de la réalité la plus inquiétante.

On a parlé également des changements que la loi 101 a apportés, changements qui devraient rendre les Québécois francophones plus larges étant donné que le danger semble s'être estompé. Cela me fait penser un peu à quelqu'un qui a des problèmes de foie. Il fait une grosse crise de foie; il est tordu en deux et il se met au régime. Il n'a aucun problème pour se motiver à manger maigre, parce que cela lui fait tellement mal. Et, peu à peu, ses problèmes métaboliques se règlent et, ensuite, la tentation vient de goûter à ces fameux cretons, à ces fameux fromages, à ce fameux brie et tout cela.

C'est un peu cela qui se passe au Québec. Il y avait des problèmes très irritants et très dangereux au niveau linguistique: c'était l'assimilation. La loi 101 a créé des changements, et je dois dire que ce sont des changements qui viennent de la volonté des francophones - ce n'est pas venu du ciel - changements qui ont amélioré la situation. Mais si on se met encore aux fèves au lard, pour utiliser une expression... Ce n'est peut-être pas le meilleur exemple. Mais, si on se remet à la nourriture grasse, la crise de foie va revenir immanquablement.

La loi 101 a apporté des changements dans plusieurs domaines au niveau linguistique et ces changements se sont traduits également par d'autres changements d'attitude chez les francophones et chez les anglophones. Beaucoup d'anglophones sont devenus plus compréhensifs et plus attentifs.

Mais il y a des choses que la loi 101 ne pourra jamais changer, entre autres les médias. Le député de Louis-Hébert semblait vouloir me faire dire que le danger principal qui concerne le Québec reposait dans l'immense force de pénétration des médias anglophones et qu'étant donné ce danger principal, l'affichage bilingue devient un danger très secondaire et qu'on peut presque même l'oublier en tant que danger. La sagesse nous dit que, dans la vie, il faut essayer de changer ce qu'on peut changer et de le modifier, et ce qu'on ne peut pas changer, on doit vivre avec.

La pénétration des médias anglophones au Québec, terre de l'Amérique du Nord, on ne peut rien y changer. On n'est tout de même pas pour se mettre à brouiller les ondes, comme il se fait derrière le rideau de fer, pour pouvoir protéger une culture; cela serait d'ailleurs épouvantable. Ce qu'on peut changer, par contre, ce sont les choses qui se passent chez nous. Une des choses importantes - c'est sur cela que je voulais insister dans mon mémoire - c'est la langue commerciale de l'affichage. Les médias anglophones et leur pénétration massive très diversifiée et très puissante à cause des moyens financiers et du bassin de population qu'ils représentent, il faut apprendre à vivre avec ce phénomème. Notre seule réaction à ce niveau, c'est d'essayer de faire la meilleure radio, la meilleure télévision, les meilleures livres, les meilleurs disques, les meilleurs shows possible. C'est la seule façon. Ce n'est pas en essayant de couper les frontières et de nous priver d'une source de plaisir et de culture qui est très grande. A ce moment, les moyens qu'il nous reste sont forcément en nombre limité. Un de ceux-là, c'est l'affichage. C'est à peu près ce que je voulais répondre.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Est-ce que cela est terminé? Mme la députée de Dorion.

Mme Lachapelle: Je vous remercie d'être venu à la commission parlementaire sur la Charte de la langue française et de nous faire connaître, comme citoyen québécois, votre point de vue. Votre mémoire est court mais précis. Je dois vous dire qu'en tant que Montréalaise je partage et je comprends votre inquiétude en matière d'affichage. C'est pourquoi, après six ans d'application de la loi, nous devons nous réunir en commission parlementaire. Il y a peut-être des exceptions. Il y a des gens qui préfèrent se réunir à la maison et recevoir des soumissionnaires; peut-être qu'il y a de l'intérêt. Nous devons nous consulter, nous devons écouter et réfléchir pour savoir si, oui ou non, nous devons amender la loi. Entre autres, peut-être l'article 48 qui vous intéresse plus qu'un autre.

J'aurais quelques questions à vous poser. Vous dites à la page 2 que vous ne pouvez rester indifférent aux forces qui tendent à infléchir la trajectoire de la francisation. Cependant, vous ajoutez à la page 5 que les francophones se culpabilisent

de crainte de se voir taxer d'intolérance.

Selon vous, comment expliquer cette montée du sentiment de culpabilité et que pourrait-on faire pour la contrer?

M. Beauchemin: À mon sens, cette culpabilité chez les francophones a des raisons avant tout historiques. On a été habitués à vivre en position économique et sociale de dominés. On vivait avec un dominant qui s'est montré, tout dominateur et tout dominant qu'il était, assez civilisé. Québec n'a pas subi tout de même le sort que les Juifs et les Arméniens ont connu. Lorsque des changements importants dans la vie de tous les jours surviennent chez les citoyens québécois, des changements qui affectent leur relation avec les autres, et les relations avec les anglophones entre autres, et lorsqu'on essaie de modifier la perception qu'un Québécois a de lui-même... Vous savez, le Québécois typique, le gars qui travaille fort, qui est modeste, qui a des ambitions limitées, très réalistes, un peu peureux, cela se traduit facilement, par exemple, selon la place qu'on occupe dans la vie économique et si on veut qu'une partie du Québec, des Québécois, fasse des efforts pour qu'il occupe dans son propre pays une place normale, cela crée un certain sentiment d'insécurité. (11 h 45)

Enfin, pour moi, cette question de la loi 101 fait penser à une sorte de psychothérapie collective. Il y a des habitudes, il y a des réflexes qui étaient nocifs pour nous. C'étaient nos habitudes et nos réflexes qui s'exerçaient dans notre psychisme depuis des décennies et des siècles. Quand vient le moment de les changer, certains éprouvent de l'insécurité parce qu'ils sont en territoire nouveau. Il ne sont pas habitués à se voir dans cette position d'égal.

Je dois dire également au sujet des francophones qui s'inquiètent sur la soi-disant intolérance de certains articles de la loi 101, des francophones qui réagissent sur une question quelle qu'elle soit, enfin des citoyens ordinaires, qu'ils sont portés à réagir dans la vie de tous les jours d'une façon plutôt émotive. Si on prenait, comme sujet de débat, l'accueil aux réfugiés et qu'on lançait un sondage dans la population sur l'attitude des gens par rapport aux citoyens haïtiens au Québec, est-ce qu'on est sûr que les gens qu'on verrait dans la rue et qui répondraient à l'interviewer auraient toutes les données du problème et est-ce qu'ils seraient en mesure de mesurer les conséquences des solutions qu'eux-mêmes préconisent?

Les gens en général - tout le monde, y compris moi-même - sont portés à suivre plutôt leur émotivité que leur rationalité. Réagir sur un problème complexe, épineux, aussi plein d'émotivité et douloureux que le problème linguistique au Québec, cela demande beaucoup de travail d'information et beaucoup d'efforts pour essayer de se mettre un peu au-dessus de la question. Alors, lorsqu'on s'adresse aux citoyens par des sondages, ce qu'on obtient, ce sont des réactions instinctives et sincères bien sûr, mais en partie, aveugles. En ce qui a trait à l'affichage, par exemple, je vis à Montréal depuis 1962, j'ai fait mes études en lettres en 1962; je demeurais auparavant dans une ville très française, très francophone, Juliette. C'était irritant pour un francophone de vivre à Montréal à cette époque. On était porté à s'insurger contre une foule de choses parce qu'on était constamment agressé, pas toujours; il ne faut pas exagérer. Je ne veux pas dire non plus qu'à chaque fois qu'on mettait le pied dans un grand magasin sur la rue Sainte-Catherine, on se faisait insulter. Il ne faut pas exagérer non plus. Mais on n'était pas tout à fait chez nous. On était des demi-clients. On voulait bien prendre notre argent, mais pas notre langue. Cela ne marchait pas. On se promenait dans la rue et on ne se voyait pas dans la rue. On regardait les affiches et on ne se retrouvait pas. On était habitué à se voir absent de son propre pays. Dans les quartiers populaires, les quartiers domiciliaires, la situation se rétablissait; mais dès qu'on franchissait une zone commerciale, on devenait comme des fantômes. La loi 101 a corrigé cela, en partie; elle est en train de le corriger. Cest une opération qui est en cours. D'une certaine façon, c'est une opération qui ne se terminera jamais. Comme je le disais tout à l'heure, on sera toujours 2,5% de la population nord-américaine; au pire, on pourra peut-être monter jusqu'à 4%, cela dépend, mais les projections nous disent qu'on sera toujours le petit appendice, le petit bout de la queue du chien quoi!

À mesure que la loi faisait disparaître certains irritants qui avaient fait souffrir si longtemps les Québécois, à Montréal surtout, les gens en venaient à se dire: Cela va bien maintenant à Montréal. Je me sens plus à l'aise quand je vais acheter, quand je me promène dans la rue, quand je fais affaires avec mon garagiste, quand j'ouvre un livre, un catalogue; on pourrait peut-être revenir au bilinguisme dans le fond, essayer de ménager la chèvre et le chou; on pourrait peut-être faire comme si on était 50% du continent nord-américain. On est 2,5%, mais on se promène à Montréal comme si on était 50% du continent nord-américain maintenant. C'est le "fun", c'est tellement agréable. Mais on ne sera jamais 50%. La barrière protectrice de la loi 101, si jamais on la faisait disparaître ou qu'on l'affaiblissait dangeureusement, va nous rappeler cruellement qu'un petit peuple doit prendre pour son avenir des précautions particulières. Ce n'est pas parce que ce petit peuple

n'aime pas ses voisins. Je ne pense pas que l'on puisse accuser les Québécois d'anti-américanisme et d'anglophobie en général. La Floride est devenue presque la province de la province de Québec. Le pourcentage de Québécois bilingues, depuis l'adoption de la loi 101, a augmenté. Le taux de fréquentation des touristes américains au Québec depuis la loi 101 a augmenté. Je n'ai pas du tout l'impression de voir un pays qui est en train de se refermer sur lui-même.

Au Québec, entre 1977 et 1981, le tourisme américain a augmenté de 14,6% au Québec; il a baissé au Canada de 1,9%; il a baissé en Ontario de 11,5%. Pour en revenir à ce que disait tout à l'heure M. le ministre, les autres, nos voisins, sont peut-être beaucoup moins chauvins qu'on le pense. À mesure que l'on devient nous-mêmes avec plus de précision, plus de liberté, de spontanéité et de sérénité, on devient peut-être aussi plus fréquentables et plus aimables. C'est l'attitude des Américains vis-à-vis de nous. Mais l'attitude des Québécois vis-à-vis des anglophones évolue aussi. Le pourcentage des Québécois bilingues a progressé d'environ 3% depuis 1977. C'est donc dire que la loi 101, plutôt que d'installer une sorte de muraille de Chine autour du Québec, au contraire, ouvre les portes. En nous donnant une sécurité, elle nous permet de mieux nous ouvrir aux autres. Elle nous rend plus intéressants -sans vouloir se prendre pour le nombril du monde - pour les autres aussi.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Mme la députée de Dorion.

Mme Lachapelle: J'ai une deuxième question, M. Beauchemin. Vous dites que Ies francophones ont oublié pourquoi ils souhaitaient la loi 101 et pourquoi ils l'ont appuyée. Mais pensez-vous que dans des domaines comme le domaine socioculturel, on pourrait faire en sorte que "je me souviens" redevienne une réalité? Comment?

M. Beauchemin: Je vois la culture québécoise, je vois la langue québécoise, la langue française au Québec - je ne suis pas du tout partisan du jouai ou du régionalisme - en plein épanouissement. C'est un spectable assez étrange d'ailleurs, parce que nous vivons quand même une récession économique qui est dure et qui affecte tous les pays, y compris le Québec bien sûr, on le sait trop. Pour les jeunes générations cependant, les gens qui ont entre 15 et 20 ans aujourd'hui, il semble qu'il y ait des problèmes qui se posent. Le législateur devrait peut-être se pencher sur cela. Je cite de mémoire, je peux mais il me semble avoir lu que 40% des Québécois francophones étudiants considèrent que, pour eux, le français n'est pas une langue plus importante que cela. Ce n'est pas la langue prioritaire. Enfin... C'est un argument que des adversaires pourraient nous retourner.

À mon sens, cela prouve tout simplement une chose. C'est bien sûr qu'il y a plusieurs causes à cela, mais une de ces causes c'est que les jeunes Québécois francophones s'identifient de plus en plus grâce aux médias et que ces médias sont nocivement anglophones. Qu'on pense à la télévision, au câble, aux satellites, aux films, et tout. On voit donc là un des effets dévastateurs du fait de vivre en Amérique du Nord. Comme dans toute chose, dans la vie il n'y a pas seulement des avantages; il y a aussi des inconvénients.

Si, à la vue de ces problèmes, on allait affaiblir ou éliminer les rares instruments de protection qui nous restent, je suis sûr qu'on amplifierait le problème. Si en plus de l'influence... Je le répète, elle n'est pas en soi néfaste, l'influence la pénétration des médias anglophones. Elle est réelle, on doit vivre avec elle et on doit s'en nourrir et s'en enrichir le plus possible. Si on devait affaiblir et percer de trous les rares instruments de protection linguistiques et culturels qui nous restent, le problème des médias se trouverait triplé.

Les tenants du bilinguisme dans l'affichage me font penser à une espèce de symbole. La loi 101 a colmaté des trous dans le bateau. Le bateau a cessé de couler. Les tenants du bilinguisme nous demandent: S'il vous plaît, pourriez-vous ouvrir seulement la moitié des trous? On ne vous demande pas d'ouvrir tous les trous; il n'est pas question de retourner à l'unilinguisme anglais ou même au libre choix, mais seulement d'ouvrir la moitié des trous. Eh bien, je réponds qu'un bateau qui coule lentement est un bateau qui coule quand même.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Mme la députée.

Mme Lachapelle: Troisième et dernière question. Vous soulevez le problème de l'affichage pour les communautés ethniques minoritaires qui n'ont pas, elles, le réseau d'institutions que possède la minorité anglophone. Je rêverais de cela, un quartier comme la rue Jean-Talon où l'affichage serait en italien ou peut-être la rue Hutchison où ce serait en grec. Ce serait charmant mais je trouve que ce serait quand même discriminatoire vis-à-vis des autres, les anglophones. Avez-vous envisagé ce problème?

M. Beauchemin: Je ne vois pas de discrimination là-dedans. Je vais vous expliquer pourquoi. Est-ce que lorsqu'on accorde des billets à prix réduit aux membres des clubs de l'âge d'or pour le cinéma, par exemple, on discrimine tous ceux

qui n'ont pas 60 ans? C'est une faveur qu'on fait à ces gens parce qu'ils ont largement gagné leur vie, rendu beaucoup de services au pays et que la plupart d'entre eux, hélas! sont dans des situations économiques difficiles. C'est bien connu que vieillesse égale souvent pauvreté. Il n'y a personne qui dit que... Parce que moi qui ai 42 ans, quand je vais au cinéma je suis obligé de sortir 6 $ au lieu de 3 $, je ne me sens jamais discriminé. Au contraire, je suis content que ces gens aient cet adoucissement qu'on leur donne à la fin de leur vie.

Je pense qu'il ne faut pas oublier non plus que, contrairement aux autres minorités ethniques, la minorité anglophone est surfavorisée. Faire partie de la minorité polonaise et faire partie de la minorité anglaise sont deux choses. La Pologne, c'est loin, c'est un pays qui a déjà beaucoup de problèmes, et les moyens de conserver l'héritage - un héritage très précieux qu'on a apporté avec soi en terre d'Amérique - ne sont pas multiples. (12 heures)

Je pense que c'est faire preuve de tolérance et d'humanité que de permettre à ces gens, de leur fournir des instruments qui leur permettraient de mieux préserver leur héritage culturel. La communauté anglophone, qui est surfavorisée - ce n'est pas une critique que je fais, tant mieux pour elle; si j'étais anglophone je serais bien content -n'a pas besoin de ces moyens de protection. On pourrait également répondre, en utilisant à peu. près les mêmes mots que la Cour européenne des droits de l'homme lorsqu'elle avait rendu un jugement au sujet de problèmes en Belgique, que les inégalités de droit - si on veut absolument considérer cela comme une inégalité de droit, le libellé de ma proposition à la fin du mémoire -cherchent généralement à corriger des inégalités de fait.

Également, un autre point très important, c'est que pour nous, les langues ethniques autres que l'anglais ne représentent aucun danger. Elles représentent la richesse culturelle. J'adore la littérature étrangère. Je regrette de ne pas pouvoir lire dans cinq ou six langues. Je considère que plus on peut donner de chance à ces cultures pour rester vivaces chez nous, tant mieux, tandis que la culture anglaise représente pour nous une immense richesse autant que les autres. Je ne sache pas que les écrivains britanniques et américains soient moins grands écrivains que les écrivains polonais, russes, tchécoslovaques ou allemands. Des raisons démographiques, historiques font qu'elle représente aussi - je dirais, hélas, mais comment voulez-vous qu'on refasse l'histoire - un danger. Le législateur doit en tenir compte.

Le Président (M. Gagnon): Merci, Mme la députée de Dorion.

Mme Lachapelle: Merci.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: M. le Président, une brève question à M. Beauchemin. Je voudrais tout simplement demander à l'auteur du Matou ce que Ratablavasky pense de l'affichage français.

M. Beauchemin: Si j'étais méchant, je dirais que Ratablavasky est un partisan du bilinguisme. Comme je l'ai identifié au démon, ce serait vraiment faire un trop grand tort aux adversaires du bilinguisme, qui, pour la plupart, je pense, sont sincères et bien intentionnés.

M. de Bellefeuille: Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Gatineau.

M. Gratton: M. Beauchemin, je désire vous remercier au nom de l'Opposition pour la présentation de votre mémoire. Je pense avoir compris que l'argument que vous faites valoir n'emprunte rien à l'anglophobie, à quelque sentiment de vouloir nier les droits de personnes. C'est un point de vue que vous défendez bien, que je ne partage pas, je ne m'en cache pas, mais qui, je pense, méritait c 'être soulevé ici à la commission parlementaire.

Si je ne le partage pas, c'est que je ne partage pas l'analyse que vous faites. Par exemple, quand vous empruntez au premier ministre, à la page 5 de votre mémoire, la réponse qu'il donnait à Alliance Québec, récemment, pour s'opposer à l'affichage bilingue et qu'il disait à sa manière: "Chaque affiche bilingue dit à l'immigrant: II y a deux langues ici, l'anglais et le français, on choisit celle qu'on veut". J'imagine que l'image pourrait être celle-là, mais les autres dispositions de la loi 101 indiquent bien à l'immigrant que tel n'est pas le cas. L'immigrant ne peut pas accéder à l'école anglaise même s'il le désirait à moins de remplir les exigences de la loi 101. Les chances sont très minimes qu'il le puisse.

De la même façon, quand le premier ministre disait: "Elle dit à l'anglophone: -l'affiche bilingue - Pas besoin d'apprendre le français, tout est traduit." L'affichage est traduit, mais ce ne serait pas le cas si on conservait les dispositions de la loi 101 qui, selon moi, doivent être conservées pour pousser plus loin la francisation des entreprises, promouvoir le plus possible le français comme langue de travail, etc. Donc, il me semble que l'affichage doit être le miroir de la société dans laquelle on vit. Je conviens avec vous que la communauté anglophone a beaucoup d'autres moyens de

témoigner de sa présence, de son existence, notamment par les médias. De les contraindre ou de les empêcher de témoigner de leur existence dans l'affichage, selon moi, peut avoir des résultats négatifs pour la francophonie à l'extérieur du Québec, par exemple. Est-ce que ce n'est pas là une des dispositions uniques - comme mon collègue de D'Arcy McGee le soulignait ce matin - au monde? On ne connaît aucun autre exemple du genre où on interdit l'affichage dans une langue quelconque, ailleurs dans le monde. Est-ce que ce n'est pas là une des causes principales de la mauvaise perception qu'ont les anglophones du reste du Canada des intentions de la société québécoise vis-à-vis de sa minorité anglophone? Est-ce que cela n'amène pas certains d'entre eux à réagir de façon négative aux efforts de nos compatriotes francophones du Manitoba, de la Saskatchewan et d'ailleurs qui voudraient avoir un tant soit peu de droits et d'accès à des services dans leur langue?

Quant à moi, tout en comprenant votre raisonnement qui vous amène à conclure qu'on doit conserver l'unilinguisme dans l'affichage, je note en passant les abus où cela nous mène. De faire disparaître le mot "stop" qui est - vous le savez mieux que moi - un mot tout à fait français, de le faire disparaître de la carte, de faire disparaître les enseignes "exit" des gymnases et des endroits publics parce que le mot "exit" n'est pas français et provient d'une autre langue, ce genre de choses-là, lorsque rapportées par les médias anglophones, à tort ou à raison, amènent beaucoup de gens à se poser do sérieuses questions sur les intentions des Québécois vis-à-vis de la minorité anglophone et desservent les intérêts de la francophonie à l'extérieur du Québec.

Je dis en terminant - je suis sûr que j'aurai une réaction - que je vous remercie très sincèrement d'être venu nous rencontrer. J'y ai gagné quelque chose.

Le Président (M. Gagnon): Merci.

M. Beauchemin: Je voudrais remercier le député de Gatineau. J'aimerais répondre à ses propos concernant mon mémoire que l'affichage commercial, dans une société, a un pouvoir tout à fait spécial. Je trouve que dans une ville, cela crée une atmosphère. Les lettres utilisées sont toujours géantes; dans les rues commerciales, les panneaux sont nombreux. Ces panneaux-là se réfèrent toujours à des soucis pratico-pratiques pour les citoyens qui ont constamment à régler des problèmes de la vie quotidienne. Si on change l'affichage, on change l'atmosphère. Si l'affichage devient bilingue, l'atmosphère devient bilingue, ambiguë, floue et cela se répercute dans toutes les autres activités de la vie.

Le député de Gatineau disait tout a l'heure qu'on pourrait se montrer assez large pour l'affichage, étant donné que les immigrants, désormais, fréquentent, selon les impératifs de la loi 101, l'école française obligatoirement. J'ai ici des statistiques qui montrent qu'en 1982-1983 80,8% des cégépiens anglophones choisissent un cégep anglais. En 1976, c'était 86%; cela a baissé un peu mais on est largement au-delà de la proportion numérique que représente la minorité anglaise au Québec. Je suis sûr que, si l'affichage était changé et devenait bilingue, on retrouverait les 86% plus rapidement. Je parle des cégeps.

M. Gratton: Oui, mais on sait que les gens qui sont rendus au cégep aujourd'hui sont ceux qui étaient au primaire et au secondaire avant. Ce qui est important pour l'avenir, c'est de constater la situation au secteur primaire et, dans une moindre proportion, au secteur secondaire. Ce sont ces gens-là qu'on retrouvera au cégep bientôt. Nul doute que ceux qui auront fait la totalité de leur cours au niveau primaire et secondaire en français ne représenteront plus le même phénomène, même s'ils devaient choisir de s'inscrire au cégep anglophone plus tard. Ce ne seront certainement pas des assimilés.

M. Beauchemin: La plupart des gens qui ont fréquenté le réseau scolaire français pendant une partie de leur vie et qui voudront ensuite, comme le libre choix est offert, retourner au réseau anglais, c'est là une preuve qu'aussitôt que la loi suspend une certaine pression, il faut le dire, c'est la force d'attraction de l'anglais qui l'emporte. Cela ne changera jamais. Je ne pense pas que cela change. Je ne vois pas pourquoi cela changerait, je ne vois pas pourquoi les États-Unis, à un moment donné, perdraient les trois quarts de la population ou que nous nous gonflions pour devenir aussi important, au Québec, que le Canada.

Vous référiez tout à l'heure au fait qu'aucun pays au monde n'interdit l'affichage en d'autres langues ou n'oblige l'affichage unilingue dans la langue du pays. Pour moi, la réponse est bien simple, c'est parce que le problème ne se pose pas. Il n'est pas défendu d'afficher en anglais à Paris, mais comme ce n'est pas payant, personne ne le fait. Si cela se fait, c'est pour une toute petite minorité et cela ne représente pas de danger au point de vue culturel.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Un petit commentaire, si vous me le permettez, M. le Président. Il ne faut pas oublier qu'à Paris, il n'y a pas 40% d'Allemands ou d'Italiens. J'imagine que s'il y avait 46% d'Italiens à Paris, il serait

permis d'afficher en italien et en français.

Je pense qu'il y a une mauvaise conception de ce que veut dire permettre l'affichage bilingue. Permettre l'affichage en français et dans une autre langue ne veut pas dire que l'affichage bilingue sera obligatoire. Je ne vois pas d'intérêt pour les gens de Chicoutimi, ou même les gens de Sainte-Foy, ici, d'afficher d'une façon bilingue partout. Pourquoi? Il n'y a pas d'anglophones ou très peu et il y a très peu de magasins dont les propriétaires sont anglophones, etc. Je crois bien que les gens vont afficher d'une façon bilingue, en français et en anglais, où se trouve une forte concentration d'anglophones et peut-être seulement dans certains endroits. Même si on permet cela, ce ne serait pas obligatoire. On pourrait se servir de l'affichage bilingue dans le West Island ou dans mon comté, mais je vois mal qu'on le fasse partout comme dans Charlevoix, à Chicoutimi, en Abitibi, etc. Il y a une différence entre l'obligation d'afficher d'une façon bilingue et la possibilité de le faire le cas échéant.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Gaspé, je m'excuse, je vous avais enlevé votre droit de parole, semble-t-il.

M. Gratton: M. Beauchemin voudrait réagir.

Le Président (M. Gagnon): M.

Beauchemin, oui.

M. Beauchemin: J'aimerais répondre aux dernières remarques qui m'ont été faites. Lorsque vous parlez de Paris, j'ai plutôt la perception contraire. Si, à un moment donné, à Paris ou dans l'ensemble de la France, un glissement démographique important se produisait - vous citez, par exemple 40% -je pense que la réaction du législateur serait de protéger cette culture qui est en voie de disparition, qui est en danger, disons, comme nous le faisons. Lorsque le problème ne se pose pas, lorsqu'il n'y a pas de feu, on n'appelle pas les pompiers, c'est bien sûr. Mais lorsqu'un problème démographique, culturel ou linguistique se pose, les gens réagissent et, à un moment donné, s'aperçoivent que le tapis est en train de leur glisser sous les pieds.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que l'affichage bilingue ne serait pas obligatoire. L'obligation ne viendrait pas de la loi, elle viendrait des faits, elle viendrait du fait que nous sommes le bout de la queue du chien. La force d'attraction de l'anglais - là, je m'en tiens uniquement au côté linguistique, je ne veux même pas toucher au côté économique - est tel que ce bilinguisme se répandrait de lui-même et deviendrait en quelque sorte obligatoire dans les usages et coutumes. (12 h 15)

Une chose que j'ai trouvée un peu étrange dans le mémoire de la Commission des droits de la personne, c'est les nombreuses références à la jurisprudence américaine en ce qui a trait à ce fameux droit de la liberté d'expression qui est un droit fondamental pour la démocratie. On se référait aux États-Unis presque constamment. S'il y a un pays où la langue anglaise est en sécurité, c'est bien là. Donc, le législateur et le citoyen américain se montrent tout à fait tolérants parce que le danger n'existe pas. Les Américains ne sont pas paranoïaques.

Malgré tout, un amendement est actuellement en cours, qui a été voté par le Congrès et le Sénat, en vue d'interdire l'usage officiel de toute autre langue que l'anglais aux États-Unis. Je peux citer un sénateur américain, le sénateur Hayakawa, qui disait, en 1981: "This amendment is needed to clarify the confusing signal we have given in recent years to immigrant groups." Donc, il est partiellement faux de dire qu'aucun pays ne songe à légiférer en ce qui a trait à l'usage linguistique puisqu'un pays qui possède l'hégémonie que l'on connaît songe à le faire, probablement à cause de la grande diffusion actuelle de l'espagnol aux États-Unis. Si les Américains s'inquiètent de l'anglais vis-à-vis de l'espagnol, je pense bien qu'on peut s'inquiéter sans trop de remords du français vis-à-vis de l'anglais chez nous.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Gatineau, ça va?

M. Gratton: Je voulais simplement remercier M. Beauchemin.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: M. Beauchemin, je trouve extraordinaire ce qui se passe ici ce matin pour deux raisons. Voir un citoyen - certains diraient un simple citoyen - comme tout le monde venir ici, devant son Parlement, pour faire part de ses opinions et de ses perceptions, je trouve que c'est une expérience démocratique remarquable, parce que cela démontre à quel point vous tenez à vos idées mais, également, à quel point vous accordez de l'importance aux institutions démocratiques dont le Québec s'est doté au fil des ans et longtemps d'ailleurs avant la Confédération canadienne. Depuis 1792, nous avons un Parlement ici et nous l'avons arraché à la force des bras. Votre présence ici, comme celle, d'ailleurs, de tous ceux qui viennent témoigner, confirme qu'un Parlement est extrêmement important dans

une société.

Je terminerai par un commentaire. L'anglais, comme d'ailleurs les autres langues, il faut en manger, mais il ne faut pas se laisser manger par elles. Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Yves Beauchemin.

J'invite maintenant Logidisque Inc., à prendre place.

Je vous souhaite la bienvenue, M. Vidal, et je vous invite à faire la lecture de votre mémoire.

Logidisque Inc.

M. Vidal (Jean-Pierre): M. le Président, M. le ministre, madame et messieurs les députés, avant de lire le mémoire de la compagnie que je représente, il serait bon que je présente brièvement la compagnie parce que cela expliquera le contexte d'où est jailli ce mémoire. Logidisque est la première compagnie québécoise, et encore maintenant une des très rares à se spécialiser dans la conception, la production et la fabrication de logiciels originaux évidemment conçus et produits au Québec en français. Pour reprendre les termes de M. le ministre tout à l'heure, c'est précisément en étant spécifiques que nous sommes devenus internationaux puisque nous exportons des programmes qui ont été conçus ici en français, qui ne sont pas des traductions et qui ne sont pas non plus des adaptations. Je pense que ce bref préambule peut éclairer le mémoire qui va suivre.

La croyance selon laquelle une langue donnée colle mieux qu'une autre à telle réalité ou pratique humaine reste encore fort vivace bien que l'histoire l'ait constamment démentie. C'est ainsi que le grec fut pendant longtemps la langue de la philosophie avant que, l'Église aidant, le latin ne la supplantât pour céder à son tour la place, au XIXe siècle, à l'allemand. Devant l'étonnante éclosion qu'a connue, à partir des années cinquante, la philosophie en France, pour bon nombre d'étrangers la langue de la philosophie est maintenant le français.

Qu'est-ce à dire sinon que la position dominante d'une langue dans un secteur donné n'est pas dictée de toute éternité mais, provisoire, historique, varie avec l'impact sur le monde que savent ou ne savent pas lui donner ses locuteurs.

Il n'y a pas plus de génie de la langue française qu'il n'y a de génie de la langue anglaise, du moins si l'on entend par génie une aptitude particulière, voire exclusive, à traduire mieux que n'importe quelle autre langue telle ou telle réalité. Croire le contraire, ce serait accréditer l'idée du peuple élu dont le XXe siècle ne nous a que trop montré les innombrables ravages.

Et pourtant, résignation confortable ou rêve mythique d'une histoire définitivement figée, la rumeur veut que l'anglais soit à tout jamais la langue des affaires et, maintenant, celle de la technologie et en particulier de l'informatique.

De la simple reconnaissance du rôle dominant que joue de nos jours l'anglais dans les échanges internationaux (notamment comme langue tierce permettant la communication entre deux locuteurs de langues différentes), rôle qui fut tenu jadis par le latin et naguère par le français, on en vient vite à la postulation diffuse que l'anglais était condamné à ce rôle, indépendamment de toute réalité historique. Par ses caractéristiques spécifiques, l'anglais serait mieux à même que toute autre langue de donner forme idéale aux réalités commerciales, par exemple.

On ne saurait rêver plus belle illustration du syndrome du colonisé: la langue de mon maître est la meilleure et même s'il n'était pas mon maître sa langue serait encore la meilleure.

Faut-il rappeler ici cette anecdote célèbre des émissaires américains envoyés en délégation dans les pays du golfe, au moment du premier choc pétrolier, et se faisant dire poliment que, puisqu'ils étaient les demandeurs et que les négociations se déroulaient en terre arabe, ils allaient devoir se munir d'interprètes. Leurs interlocuteurs qui, incidemment, parlaient parfaitement l'anglais, ne voyaient aucune raison d'avoir recours à cette langue, fût-elle internationale. La langue des maîtres venait de disparaître avec leur maîtrise, du moins dans ce secteur particulier.

Rappelons donc fortement cette évidence trop souvent oubliée: ce n'est pas la langue qui donne la puissance, mais la puissance qui impose une langue et qui l'impose au point de lui donner rang de médium naturel des réalités que contrôle ou crée cette puissance.

Si nous avions pu, quand il en était temps encore, développer une industrie automobile, par exemple, la majeure partie de la population du Québec n'aurait pas parlé, jusqu'à la loi 101 de "windshield", de "choke" et de "break à bras". Je vous fais grâce de la parenthèse.

Car la puissance dont il est question ici ce n'est pas tant celle que l'on veut imposer aux autres. Le Québec n'a ni le goût ni les moyens de l'impérialisme. C'est celle qu'il faut savoir garder sur notre environnement, condition indispensable à la survie et a l'épanouissement d'un peuple.

Cet environnement, il est présentement en train de changer de façon radicale avec l'émergence de ce qu'on s'accorde généralement à appeler la société postindustrielle, société que l'on prévoit de plus en plus basée sur l'information au sens large et, en particulier, sur l'informatique.

Or, l'informatique pose en termes singulièrement aigus la question de la langue. Et les attitudes diverses de ceux qui, par paresse ou désespoir tranquille, consacrent la non-pertinence du français dans ce secteur d'activité, reposent sur les diverses croyances que nous avons énoncées ci-dessus et que l'on peut résumer en une formule: l'anglais serait la langue de l'informatique. C'est parce que nous nous inscrivons en faux contre cette affirmation que nous avons fondé Logidisque, et c'est parce que nous croyons que l'enjeu culturel et économique est crucial pour le Québec que nous continuons inlassablement le combat sur ce front.

Tant que l'informatique n'était l'apanage que de quelques grands prêtres de la technologie installés aux commandes d'appareils énormes utilisés à des fins essentiellement comptables et statistiques, on pouvait peut-être penser, à la limite - et même à l'extrême limite - que le recours à l'anglais ne présentait ni une menace d'acculturation ni une soumission déraisonnable à des intérêts économiques et culturels étrangers. La machine était américaine, on ne l'utilisait qu'à des tâches purement techniques à faible incidence culturelle, et le secteur du logiciel, proportionnellement minime par rapport à la machinerie, ne représentait presque qu'une sorte de mode d'emploi, voire de maintenance de la coûteuse quincaillerie. Dans ce contexte, l'anglais n'était qu'un langage technique, un code censément neutre, une sorte de mathématique sans culture, voie d'accès privilégiée à une puissance technique dont il n'était pas question de devoir se passer. Le recours à cette langue était en outre confiné à un secteur infime de la population, cette caste des grands prêtres de l'informatique dont par ailleurs la formation s'était effectuée en anglais et qui possédaient suffisamment cette langue pour n'avoir pas à craindre d'en être contaminés dans l'usage de leur langue maternelle.

Avec l'avènement, il y a une décennie, de la micro-informatique, les données du problème allaient radicalement changer. Le logiciel échappait de plus en plus aux mathématiques, devenant davantage le produit sans cesse nouveau, sans cesse plus sophistiqué, de la machine que son moyen de production. Comme tel, sa valeur culturelle augmentait sans cesse, au même rythme que son poids économique. Je rappelle à ce propos que, de nos jours, le logiciel représente près de 80% des coûts informatiques. Or, en tant que produit culturel, en tant que projet d'utilisation, d'abord insoupçonné, de la machine, que ce soit à des fins éducatives, ludiques ou utilitaires, le logiciel met en jeu bien plus qu'une technique; il fait appel à toutes les ressources intellectuelles de son concepteur.

Il reflète sa culture, porte témoignage de sa vision du monde, de la place qu'il s'assigne en tant qu'individu, en tant que peuple. La langue de conception, comme la langue d'utilisation, est le lieu où se focalisent, où se mettent en jeu et se redessinent sans cesse ces diverses valeurs.

À l'heure où la micro-informatique pénètre des couches de plus en plus larges de la population de tous les pays, accepter que le poids d'une langue étrangère vienne peser sur les créations par nature spécifiques et personnalisées d'un peuple, au moment même où le nouveau médium s'offre au libre jeu de sa créativité, cela équivaudrait à un véritable suicide collectif.

Mais, dira-t-on, la question n'est pas là. Il est hors de question de permettre la diffusion de produits étrangers dans leur langue originale; ils seront nécessairement traduits, adaptés, recréés. Il y a là un bel optimisme qu'une visite à n'importe quel magasin de micro-ordinateurs suffirait à démentir sans délai. Surtout, en supposant même qu'une telle francisation soit effectivement entrée dans les faits, reste à savoir si elle serait suffisante. Car, suffira-t-il, pour survivre culturellement et même économiquement, de n'être qu'une population de clients, de consommateurs, de récepteurs, notre usage du nouveau médium micro-informatique étant borné dès le départ par les limites qu'aura imposées à cet usage une culture étrangère, limites qu'elle se sera données à elle-même avant de nous les offrir par le biais bienveillant d'une traduction?

La micro-informatique est un outil à saisir, un médium à investir. Sa saisie, son investissement ne peuvent être que spécifiques à une culture, à un peuple, et ce d'autant plus que l'outil en question n'a pas, de par sa nature, d'utilisation spécifique mais s'offre à tous les usages qu'une imagination, une créativité individuelle ou collective veulent bien lui assigner.

Si d'autres conçoivent l'usage, en aurons-nous vraiment la jouissance? Et de quel usage s'agira-t-il? Médium, instrument de communication, producteur d'informations nouvelles et non plus seulement traiteur d'informations existantes, le micro-ordinateur est apte à découper le monde, à agir sur lui, démultipliant ainsi les fonctions traditionnelles de l'intelligence humaine. Allons-nous accepter que notre intelligence ait son centre nerveux à l'étranger? (12 h 30)

Aucune traduction ne saurait nous prémunir contre ce véritable décervelage. Un peuple qui n'aura pas su développer une pensée informatique originale - et comment penser original autrement que dans sa langue? - pourra bien s'accrocher à quelque territoire physique, il ne sera pas plus sur la carte. Parqué dans une réserve culturelle où tout pourra bien dans le meilleur des cas,

aboutir, rien n'en émanera, rien du monde ne portera sa trace, peuple hébété à voir le monde défiler sur l'écran de son moniteur collectif, peuple enfermé, et de son propre chef, dans une caverne platonicienne.

Or, rien ne nous oblige à accepter ce sort. L'anglais n'est pas plus la langue de l'informatique qu'il n'est la langue des affaires. L'anglais est, en fait, la langue du pouvoir économique et culturel. Mais ce serait nier l'histoire que de croire qu'un pouvoir puisse être irrémédiable. Justement, avec la naissance de l'ère des communications, où ce qui a valeur d'usage et d'échange c'est l'information, où la matière première est la matière grise, le pouvoir se redistribue et tous les peuples développés y ont accès.

Mais ce nouveau pouvoir passe par la création de logiciels originaux, pas par la traduction ou l'adaptation de logiciels étrangers. Il va de soi qu'on ne saurait concevoir quelque produit culturel original que ce soit dans une langue étrangère, non pas à cause de l'impossible maîtrise totale de cette langue mais parce qu'on ne peut faire original dans l'environnement des autres, on ne peut être original en étant, au sens propre du terme, "aliéné" ou mettons "assimilé".

Le logiciel spécifiquement québécois existe, la micro-informatique en français est une réalité. Logidisque en donne la preuve quotidienne depuis bientôt deux ans.

Encore faudra-t-il, pour que le Québec y trouve son compte, que cet exemple soit suivi, que d'autres firmes se donnent les mêmes buts et cessent de se contenter de traduire ou d'adapter, pour nos usages de consommateurs, la pensée des autres, là où la nôtre pourrait aussi bien faire l'affaire et même faire des affaires. Encore faudra-t-il aussi que la Charte de la langue française s'applique avec une rigueur extrême dans ce secteur vital de notre culture et de notre économie.

Pour que le logiciel québécois puisse maintenir sa place et même l'étendre, il est indispensable que le gouvernement du Québec lui en donne les moyens. Ces moyens passent par la Charte de la langue française et supposent l'exigence pour tout matériel importé d'un catalogue de logiciels disponibles non seulement français mais de préférence québécois. Ils comportent également l'imposition de l'apprentissage de la programmation en français, pour les francophones, bien sûr, à l'heure où l'école québécoise s'ouvre à la micro-informatique. Car il serait impensable que l'école se fasse l'agent d'une acculturation et d'une impuissance informatique sous prétexte de maîtrise à tout prix des nouvelles technologies. Une telle maîtrise ne serait, en effet, qu'apparente et superficielle, maîtrise d'usager en vérité, maîtrise d'esclave, si tant est qu'un tel paradoxe puisse jamais se fonder.

Encore, faudra-t-il sans doute que, comme envisage de le faire le gouvernement français - on parle en France d'une taxe spéciale, un projet de TVA de 33% - une surtaxe sur les logiciels importés empêche la production québécoise, au moment où elle s'affirme de plus en plus, d'être submergée sous le nombre de logiciels étrangers, fussent-ils traduits ou adaptés.

C'est à ces conditions que le Québec pourra éviter d'être le laissé pour compte de l'ère post-industrielle.

Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: M. Vidal, merci d'abord d'être venu nous faire part de l'expérience de Logidisque Inc. d'une part. D'autre part, je tiens à vous féliciter pour la qualité du style de votre mémoire et sa clarté. Il y a une formulation, entre autres, à la page 9, quand vous parlez de maîtrise d'usager, maîtrise d'esclave, si tant est qu'un tel paradoxe puisse se fonder, qui est d'une clarté fulgurante.

M. Vidal: Merci.

M. Godin: Ces propos devaient être dits, d'autant plus que nous sommes à l'aube de cette mutation sociologique au Québec.

Je reviens à trois points très précis que vous soulevez dans votre mémoire, à la fin. Vous dites que la charte devrait exiger pour tout matériel importé qu'un catalogue de logiciels disponibles soit rendu disponible non seulement français, mais également québécois. Avez-vous une idée de la situation actuelle dans le domaine qu'est le vôtre à l'égard des logiciels et des didacticiels qui sont présentement sur le marché québécois?

M. Vidal: Je peux répondre que dans tous les magasins de micro-ordinateurs qui diffusent ces logiciels, il y a à peu près 80% de produits qui sont de langue anglaise et qui sont américains. Il y a peut-être 10% de produits qui sont des traductions, les autres 10% étant représentés par les produits d'entreprises québécoises de logiciels originaux. Je dois dire que, quand je parlais dans la mémoire de la nécessité que la Charte de la langue française s'applique avec toute sa rigueur dans ce domaine particulier, je visais l'article 54 de la loi qui dit en substance qu'il est interdit - je peux peut-être le lire: "Sauf exception, (...) il est interdit d'offrir au public des jouets ou jeux dont le fonctionnement exige l'emploi d'un vocabulaire autre que français, à moins que le jouet ou jeu ne soit disponible en français sur la marché québécois...". Le législateur dit

bien "le jouet ou jeu"; il ne dit pas que, pour un jeu donné, il faut qu'il y ait l'équivalent français. Le législateur dit, selon l'interprétation - vous me démentirez si je me trompe - que, pour que l'on admette qu'un jeu soit diffusé, il faut que le même jeu soit disponible en français. Ce n'est pas le cas actuellement. Les jeux informatiques, en particulier, sont, pour la plupart, en anglais - et le restent - et sont diffusés actuellement en anglais dans les magasins au Québec.

M. Godin: Donc, ce serait un domaine dans lequel vous croyez que la commission de surveillance dont on dit tant de mal, malgré tout le bien qu'elle fait au français bien sûr, devrait agir de façon urgente, rapide et efficace.

M. Vidal: Je pense effectivement qu'une action s'impose, qui ne devrait pas être au détriment de la minorité anglophone, évidemment, puisqu'il n'est pas question d'interdire aux anglophones l'accès à des jeux dans leur langue. Mais une action s'impose qui devrait exiger que, pour tout matériel importé, il n'y ait peut-être pas le même dans sa version française, mais du moins l'équivalent. Je pense qu'un action s'impose dans ce domaine.

M. Godin: Ce qui est en jeu donc, ce sont les enfants du Québec qui parlent français. C'est leur avenir comme enfants francophones en Amérique du Nord. Dans la plupart des foyers que je connais, ou presque, les enfants branchent sur la télévision leur propre machinerie électronique et jouent - vous avez raison dans la plupart des cas - avec des jeux importés. À votre connaissance, dans 80% des cas, le document d'information qui accompagne ces jeux serait en anglais seulement?

M. Vidal: Ah oui! Nous parlons aussi de jeux qui font apparaître à l'écran des textes. Nous ne parlons pas seulement de jeux strictement vidéo. Dans les jeux qui font apparaître des textes à l'écran, là encore, la très grande majorité fait apparaître des textes anglais. Il y a effectivement un danger dans la mesure où, si la micro-informatique pénètre très tôt les couches les plus jeunes de la population du Québec, c'est par le biais des jeux. Effectivement, on peut craindre une certaine aculturation dans la mesure où la jeunesse du Québec se voit offrir, pour satisfaire sa soif de micro-informatique notamment, des produits qui sont en grande majorité exclusivement unilingues anglais.

M. Godin: Ce qui tend à confirmer que ce qu'il faut protéger ici, c'est un peu aussi le français.

M. Vidal: Oui, je pense, oui. C'est d'ailleurs le sens de notre mémoire. Ce n'est pas du tout une attaque contre qui que ce soit, c'est simplement l'insistance que nous voulons faire porter sur le fait que, dans le secteur de la micro-informatique en général, le français court certains risques.

M. Godin: Dans le deuxième passage de votre mémoire, dans le domaine de l'éducation, vous savez mieux que moi que, bientôt, l'école québécoise va s'ouvrir à la micro-informatique. Je pense que nous pouvons prendre de ce côté l'engagement que, effectivement, cet apprentissage se fera en français. Nous avons d'ailleurs l'intention d'utiliser au maximum le poids économique du Québec, le marché que le Québec représente dans ce domaine pour s'assurer que ce développement se fasse ici, qu'il se fasse en français et que des emplois en découlent pour les gens d'ici. Nous voulons donc cesser d'être une espèce de pays du tiers monde qui recevrait des cadeaux des grandes puissances sans en retirer rien en retour. Comme disait celui qui a précédé M. Beauchemin, il faudrait que les gens acceptent non seulement notre argent, mais notre langue. Donc, soyez-en convaincu.

À la question importante d'imposer une taxe particulière, vous n'êtes pas sans savoir que cette question relève de notre grand frère fédéral. Tout produit importé ne peut faire l'objet d'une taxe que de la part du fédéral, mais je vais quand même voir s'il n'y a pas moyen qu'ensemble, les deux niveaux de gouvernement s'entendent pour assurer précisément le développement d'une industrie québécoise de fabrication de logiciels et de didacticiels de manière que nous ne soyons pas, pour reprendre votre propre mot qui est très fort, des esclaves dans ce domaine.

M. Vidal: Je dois signaler d'ailleurs que cette suggestion que nous formulons est inscrite dans l'ensemble du Canada, puisque ce qui va être protégé aussi, c'est aussi bien la défense d'une certaine culture canadienne qui se cherche et que l'on veut défendre également, puisque cette importation va viser bien sûr les produits américains et également, bien sûr, les produits français, éventuellement.

M. Godin: Merci, M. Vidal.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier M. Jean-Pierre Vidal pour son mémoire. Je crois que c'est important de rappeler qu'il n'y a pas la langue des affaires et la langue de la technologie. Je crois qu'il est important de souligner ce

point. Je ne pense pas que personne de ce côté-ci de la commission parlementaire soutienne qu'il n'y a qu'une langue pour les affaires, pour la technologie, pour la science ou quelque autre domaine. C'est bon que ce point soit apporté à la commission parlementaire. La preuve que ce n'est pas la langue, c'est que les affaires au Québec se font en français. Il y a même des entreprises de haute technologie qui sont implantées au Québec. Je suis certain que les travaux se font en français. Vous avez fait le point que nous devons tous réaliser. J'apprécie les exemples que vous avez donnés de l'histoire. À un moment donné, quand le grec était la langue de la philosophie, l'Église a supplanté cela en changeant la langue de la philosophie pour le latin.

Le fait demeure qu'il faut être équilibré. Il faut éviter les extrêmes dans tous les cas. Vous faites un point assez important aussi quand vous dites à la page 3 de votre mémoire que ce n'est pas la langue qui donne la puissance, mais la puissance qui impose une langue et qui l'impose au point de lui donner le rang du médium naturel des réalités qui contrôlent ou qui créent cette puissance. La position que nous avons prise comme Opposition, c'est précisément cela, de ne pas affaiblir le Québec économiquement, parce que si nous affaiblissons le Québec économiquement, cela aura des répercussions sur la puissance de la langue pour les Québécois. Alors, c'est difficile de faire cet équilibre. Il ne faut absolument pas prendre la position qu'il y a seulement une langue des affaires ou une langue de tout autre secteur, mais je pense qu'il faut aussi réaliser que cela existe, la puissance américaine est là dans le domaine de l'économie, et les suggestions que nous faisons pour améliorer la loi 101 sont dans ce but de maintenir la force économique et l'agrandir au Québec justement pour maintenir la force culturelle et économique du Québec.

Je voudrais vous poser cette question spécifique. Dans le domaine de l'informatique il y a des sociétés qui, du Québec, font affaires non seulement au Québec mais au Canada et aux États-Unis. Un des problèmes qu'elles ont soulevé était la question de l'informatique, des exigences parfois des organismes gouvernementaux. (12 h 45)

Comment pourriez-vous résoudre ce genre de problème? Parce qu'elles veulent faire affaires au Québec, cela prend la langue française, mais tous leurs programmes informatiques qui font affaires avec le reste du Canada ne sont pas en français... Est-ce qu'il y a quelques recommandations, est-ce qu'il y a des solutions à ce problème?

M. Vidal: Je répondrai bien franchement que c'est un problème que nous ne connaissons pas dans la mesure où nous sommes une entreprise québécoise de production de logiciels. Nous faisons affaires avec des anglophones, mais d'entreprise à entreprise. Le problème que peut rencontrer une entreprise, soit parce qu'elle s'informatise, ou qu'elle est elle-même une entreprise d'informatique et qu'elle veut faire venir des cadres anglophones au Québec, c'est un problème que nous ne rencontrons pas. Je ne peux donc en parler autrement qu'en homme de la rue et, sur ce point, je n'ai pas d'opinion particulière. Je ne vis pas ce problème et ma société non plus.

M. Ciaccia: Est-ce que votre société se spécialise dans un domaine particulier?

M. Vidal: Non. Nous produisons des logiciels, donc des programmes pour micro-ordinateurs qui couvrent à peu près toutes les possibilités du micro-ordinateur depuis les programmes de gestion jusqu'aux programmes éducatifs, aux jeux, enfin, tout ce qu'on peut faire avec un micro-ordinateur.

Notre approche est surtout au grand public, c'est-à-dire que nous produisons des biens de consommation et des biens culturels pour le grand public. Voyez-vous, ce n'est pas du tout la même optique que les compagnies auxquelles vous faites allusion.

M. Ciaccia: Est-ce que dans le logiciel, ce qu'on appellerait en anglais le "software", il doit y avoir un marché absolument fabuleux pour les pays francophones? Ce doit être une situation très intéressante de produire le logiciel pour ces différents pays. Est-ce que vous trouvez qu'il y a un avantage pour une compagnie qui se spécialise dans ce domaine comme le vôtre, le logiciel, le "software", d'être au Québec où peut-être on peut prendre avantage des développements dans ce secteur du côté américain, les adapter, utiliser cette expertise et être vraiment en mesure de développer une industrie qui ne sera pas seulement pour le marché québécois mais qui pourrait aussi exister pour le marché international francophone.

M. Vidal: Je répondrais d'abord encore une fois pour citer M. le ministre -que c'est en étant spécifique qu'on est international. Je vais vous révéler un petit fait qui s'est produit récemment. Nous avons participé à une exposition en Europe. Des représentants d'une compagnie anglophone d'Angleterre sont venus voir nos produits, en ont pris connaissance. On leur a fait une démonstration, en français évidemment. On leur a expliqué les points qui étaient peut-être obscurs pour des raisons de langue pour eux. Le produit les a satisfaits et ils l'ont acheté. Il était en français. Donc, ce n'était pas une barrière économique, même pour des

gens de langue anglaise, des Anglais d'Angleterre.

Par ailleurs, en ce qui concerne l'autre partie de votre question, savoir le bénéfice qu'il peut y avoir pour une entreprise de logiciels à être au Québec, je répondrais: oui, il y a un avantage considérable d'être à côté des Américains qui sont évidemment les pionniers dans ce secteur. 11 y a un avantage considérable à profiter de leurs innovations. Je dirais que cet avantage peut devenir un désavantage si - comme vous sembliez le suggérer récemment - l'on se contente de faire de l'adaptation ou de la traduction des produits américains. Je crois que l'avantage est au contraire plus intéressant et va plus loin si, bénéficiant bien sûr des qualités des produits américains, on s'en inspire pour fabriquer des produits qui ne sont pas les mêmes, qui ne sont même pas des adaptations. On s'inspire, si vous le voulez, d'une façon générale des découvertes américaines et, dans ce contexte d'innovation technologique que nous connaissons, nous inscrivons la dimension québécoise par un programme et par un produit original. Je dirais que cet avantage est encore plus grand sur le plan économique dans la mesure où, contrairement aux compagnies qui ne font que traduire des produits américains, nous pouvons également traduire nos produits mais dans l'autre sens. Nous les traduisons en anglais et nous allons sous peu nous attaquer au marché américain. Vous voyez que c'est un avantage à condition de savoir vivre cet avantage de telle façon qu'on ne le laisse pas tourner en un désavantage. Ce que j'appellerais le désavantage de cette proximité des États-Unis ce serait celui qui nous impose presque naturellement d'être des traducteurs alors qu'il n'y a en fait aucune raison pour que nous soyons des traducteurs.

M. Ciaccia: Je ne voulais pas suggérer du tout que le seul moyen ou le meilleur moyen serait strictement en adaptant les programmes américains ou en faisant de la traduction. Ce que je voulais suggérer, c'était de vous demander si l'interface entre l'expertise des francophones en langue française, l'interface avec l'expertise anglaise, américaine en langue anglaise, si en mélangeant ces deux, en ayant accès à ces deux sources au Québec, les deux langues, les deux communautés linguistiques spécialement dans votre domaine, si cela serait un avantage pour une entreprise comme la vôtre qui voudrait non seulement adapter ou faire de la traduction, mais développer de nouveaux systèmes en ayant l'avantage de l'expertise des deux communautés linguistiques.

M. Vidal: Oui, incontestablement. D'ailleurs, nous échangeons avec des spécialistes du même domaine qui sont des anglophones. Nous échangeons en anglais. Pour nous, la question n'est pas là; la question est celle du public québécois. Quel type de produit va-t-on livrer à ce public? Va-t-on permettre à ce public, au moment où l'école l'initie à la programmation, de programmer en français? Cela ne veut pas dire que nous préconisons une sorte de repli sur soi et sur la langue française. Nous préconisons aussi l'enseignement de l'anglais; nous préconisons aussi l'accès des francophones à la culture anglaise, notamment, dans le domaine informatique. Que les étudiants du Québec puissent lire des programmes écrits en anglais, c'est parfait, à la condition qu'ils puissent aussi écrire des programmes en français. Nous ne voulons pas imposer de barrières de ce côté-là. Nous voulons simplement demander qu'on donne aux Québécois la possibilité d'utiliser le français comme langue de programmation, comme langue informatique.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Merci, M. le député de Mont-Royal. M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je voudrais féliciter M. Vidal de la qualité du mémoire présenté par la maison Logidisque. C'est un mémoire qui est rédigé dans une langue particulièrement vigoureuse quand on compare la langue que vous utilisez à celle dans laquelle on couche habituellement les mémoires émanant des milieux d'affaires. C'est sans doute que vous êtes dans un secteur très particulier des affaires, que votre entreprise est en quelque sorte le résultat d'un combat contre les tendances dominantes. Ce sont ces tendances dominantes que vous décrivez en employant des mots très vigoureux comme "syndrome du colonisé", "décervelage", "aliéné". Je crois que c'est une façon très éloquente de décrire certaine mentalité qui risque de nuire beaucoup aux Québécois francophones, la mentalité selon laquelle on considère que la domination culturelle de l'anglais est inscrite dans la fatalité des choses et qu'on n'a qu'à s'y plier et à accepter de vivre perpétuellement en traduction et en adaptation. Vous êtes en train de faire la preuve qu'on peut vivre en créateur dans un état de création et je vous en félicite.

Je voudrais vous poser deux questions. La première est à propos de la situation de l'informatique en France. Vous faites allusion à un projet français d'imposer une taxe et vous nous recommandez d'envisager de faire la même chose, c'est-à-dire une taxe sur l'importation des logiciels. En France, il s'agirait d'un projet de taxe sur la valeur ajoutée de 33%, dites-vous. C'est donc qu'il y a des problèmes semblables en France. Il y aurait peut-être, dans une collaboration avec la France, le risque qu'on trouve toujours

dans ce genre de collaboration, de changer une suggestion pour une autre, enfin, de passer d'un colonialisme culturel à un autre. Il est bien entendu que nous ne préconiserions pas ce genre de choses, mais en évitant toute autre forme de colonialisme, est-ce qu'on peut envisager une collaboration avec la France? Est-ce que vous avez vous-même établi une collaboration avec la France qui pourrait, il me semble, présenter certains avantages?

M. Vidal: Je pense que c'est effectivement possible. Quant à nous, nous diffusons des produits en France. Il y a des produits français qui sont sur le marché québécois. Ils sont marqués par des différences culturelles assez importantes, c'est pour cela que je soucris tout à fait à ce que vous dites. Il n'est pas question de troquer un colonialisme pour un autre mais il nous semble, comme la France fait face aussi aux mêmes problèmes, à savoir que l'informatique a d'abord été anglaise en France aussi, les informaticiens sont programmés en anglais, on observe actuellement en France une réaction face à cette situation qui coïncide un peu avec la nôtre, avec celle que les Québécois peuvent avoir, ce qui fait que des accords avec la France seraient peut-être envisageables effectivement à condition qu'ils n'aboutissent pas, disons, à une soumission aux intérêts culturels et économiques français. Mais je dirais que c'est un problème de diplomatie.

M. de Bellefeuille: Est-ce que vous souhaitez que le gouvernement du Québec intervienne pour favoriser cette collaboration?

M. Vidal: Je pense qu'il appartient au gouvernement de déterminer si c'est souhaitable. Quant à nous, cela nous apparaît intéressant; d'autant plus que, comme je vous l'ai dit, nous exportons déjà en France et nos produits sont perçus en France comme des produits francophones tout à fait acceptables, concurrentiels, intéressants et d'autant plus intéressants qu'ils sont francophones sans être français. Ils remarquent une certaine différence qu'ils ne peuvent pas cerner parce qu'elle n'est pas au niveau de la langue - nous nous efforçons d'adopter une langue la plus soignée possible - mais ils remarquent une différence de conception dans nos produits qui fait que cela ajoute une valeur pour eux, cela ajoute un certain intérêt tout en étant parfaitement acceptable.

M. de Bellefeuille: Ma deuxième question, M. Vidal, est à propos de l'apprentissage de la programmation dans les écoles québécoises. Vous recommandez que cet apprentissage se fasse en français. Nous avons eu l'assurance du ministre que cela se ferait en français. Il n'est pas question d'écarter les assurances du ministre; au contraire, nous les acceptons tous. Cependant, avant d'avoir ces assurances, vous aviez rédigé votre mémoire. En rédigeant votre mémoire, vous disiez, à la page 8, "ils comportent - les moyens - également l'imposition de l'apprentissage de la programmation en français à l'heure où l'école québécoise s'ouvre à la microinformatique". Lorsque vous avez formulé cette recommandation, est-ce parce que vous aviez l'impression que cela ne se ferait pas de cette façon? (13 heures)

M. Vidal: Nous n'étions pas tout à fait sûrs que cela se passe de cette façon. Au moment où le mémoire a été rédigé, le ministre Laurin avait rendu des décisions dans lesquelles il était dit qu'on s'efforcerait - je crois que ce n'était pas tellement plus fort que cela - de faire apprendre la programmation... en tout cas, qu'on exigerait qu'il y ait un basic français et un logo français de langage de programmation disponibles dans les écoles québécoises. Par ailleurs, je dois vous dire que malgré cette assurance, ce qui nous inquiète un peu c'est quand nous constatons, comme n'importe qui ouvrant la télévision dimanche dernier, que dans l'émission Octo-puce - que tout le monde connaît, qui a beaucoup de rayonnement et qui est commanditée par le ministère de l'Éducation, si je ne m'abuse -à un certain moment, l'animateur explique ce que c'est que la programmation et dit au public: Voilà, je vais commencer un programme, je vais dire à la machine: Écrit, et ce qui apparaît alors à l'écran c'est "Print"; c'est un peu gênant et cela nous inquiète un peu. C'est pour cela que nous insistons sur ce point. Nous acceptons les assurances du ministre et nous y croyons, mais je pense qu'il faut tenir à ce que ces assurances soient respectées effectivement.

M. de Bellefeuille: Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Deux-Montagnes. M. le député de Gatineau.

M. Gratton: J'aimerais ramener M. Vidal au premier moyen dont on parlait tantôt: "Celui qui passe par la Charte de la langue française et suppose l'exigence pour tout matériel importé d'un catalogue de logiciels disponible non seulement français mais québécois." Pourriez-vous expliciter davantage? De quoi s'agit-il exactement? Vous avez parlé de l'article 54...

M. Vidal: Oui.

M. Gratton: ...mais est-ce qu'il s'agit

d'interdire quoi que ce soit ou de promouvoir quoi que ce soit?

M. Vidal: Disons que c'est une forme de promotion du français qui, peut-être, malheureusement, doit se doubler d'une interdiction; je dis bien "peut-être". En effet, ce que nous aimerions voir imposé par le législateur, c'est le fait qu'aucune machine ne puisse être importée, tant qu'on ne peut pas faire fonctionner cette machine en français. C'est cela que nous suggérions autrement dit. Évidemment, qu'on puisse faire fonctionner cette machine en anglais pour les anglophones, c'est parfait, mais qu'il y ait des restrictions qui imposent la nécessité pour les constructeurs de cette machine de se mettre en quête de logiciels au moins francophones, avant que cette machine ne soit autorisée. Naturellement, nous savons bien que c'est encore ici une question de juridiction fédérale et c'est dans ce cadre que nous posons cette question.

M. Gratton: J'ai compris, mais, dans la réalité des choses, est-ce que les logiciels québécois ou en français sont suffisamment disponibles présentement pour qu'une telle interdiction ne débouche pas sur un retard inacceptable que les francophones québécois devraient subir? Je vous pose la question de façon tout à fait ouverte, parce que je ne le sais réellement pas.

M. Vidal: Je répondrai que pour certaines machines, pour les appareils les plus répandus, oui le catalogue existant est suffisant. Dans ce domaine, comme vous le savez, les machines poussent comme des champignons.

M. Gratton: Oui.

M. Vidal: Alors, il est évident que d'autres machines ne pourraient surgir sur le marché québécois qu'avec des logiciels anglophones, pendant un certain temps. Par ailleurs, je dois ajouter que si le marché se révèle suffisamment intéressant pour une compagnie - on a eu l'exemple en ce qui concerne le marché de l'éducation au Québec - cette compagnie va s'occuper elle-même, soit, au besoin, de faire traduire les logiciels qui fonctionnent sur sa machine, soit de trouver des logiciels originaux qui fonctionnent également sur sa machine. L'exemple qui me vient en tête c'est celui de la compagnie Commodore qui a fait traduire, en une semaine ou deux, une centaine de didacticiels pour pouvoir intéresser le ministère de l'Éducation à sa machine. Donc, quand la nécessité se fait sentir, quand il y a un marché intéressant, je crois que les constructeurs peuvent répondre à ces exigences et le retard serait relativement minime. D'autant plus que dans un secteur comme la micro-informatique, le retard à la limite va d'une machine à l'autre. Vous avez une machine qui fonctionne avec des logiciels anglais, quinze jours plus tard une autre machine beaucoup plus puissante fonctionne aussi avec des logiciels anglais; il y a déjà une sorte de retard technologique qui est presque permanent. Alors, je pense que le retard qui serait éventuellement imposé par des mesures exigeant du logiciel en français ne serait pas d'un poids économique et culturel très important, compte tenu du fait que, dans ce domaine, on accumule toujours, de toute façon, du retard.

M. Gratton: Je vous remercie. Quant aux autres propositions, je vous avoue franchement que je suis sûr qu'elles méritent d'être considérées très sérieusement. Mais je ne suis sûrement pas en mesure, au nom de l'Opposition, de vous exprimer un point de vue à ce moment-ci. Je voudrais donc simplement vous remercier très sincèrement de nous avoir rappelé ce qu'on a tendance à oublier, tous et chacun, peut-être à cause de la nouveauté relative et de la méconnaissance qu'on a de l'informatique, qu'on ne doit pas se contenter strictement de traduire, ou d'adapter les logiciels qui nous viennent de l'extérieur. Merci de nous avoir rappelé que le logiciel - de m'avoir même même appris, quant à moi spécifiquement québécois existe; que la micro-informatique - cela, on le savait -existe en français. Je pense que votre témoignage à la commission a une très grande valeur à ce point de vue. Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Gatineau. M. le ministre.

M. Godin: M. Vidal, deux questions très concrètes, un peu dans la foulée de ce que le député de Gatineau vient de vous poser comme question. Nous sommes étrangement au même diapason depuis quelques jours ici. J'enchaîne à la suite de ce qu'il vous disait. Est-ce que, si on ajoutait à l'article 54 la mention des logiciels et des didacticiels, cela résoudrait le problème de façon concrète?

Une deuxième question connexe: Est-ce que le délai de traduction ou d'adaptation d'un logiciel et d'un didacticiel, dans une autre langue - car il ne s'en fait pas qu'en anglais - est assez court que cela ne puisse pas priver le consommateur ou l'utilisateur québécois d'un produit de pointe?

M. Vidal: Non. Pour répondre à la première question, M. le ministre, je dirais qu'à première vue, oui, le simple ajout à l'article 54 d'une mention spécifique "Logiciels ou programmes de micro-ordinateurs", me semble devoir être suffisant pour que la Charte de la langue française

puisse s'appliquer efficacement dans ce domaine. Actuellement, ce domaine n'est pas tout à fait visé par l'article 54; mais avec cet ajout, je pense que oui, cela serait suffisant.

Pour répondre à la deuxième question, les traductions de programme d'ordinateur ne sont pas plus longues à faire que les traductions de livre ou d'article; c'est une question de ressources qu'on y met et de la compétence de ces ressources. Je dirais qu'on peut facilement traduire un programme d'ordinateur dans un délai de quelques semaines, sinon un mois, ce qui ne m3 paraît pas un délai trop long.

M. Godin: Une dernière question. Dans votre entreprise, Logidisque, maintenant ou lors de sa fondation, est-ce qu'il s'est fait du recrutement de personnel spécialisé en administration ou en informatique dans des pays étrangers?

M. Vidal: Non. Pour le moment, nous sommes, autant les cadres que les employés, tous francophones québécois.

M. Godin: Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. Merci à la compagnie Logidisque Inc., représentée par M. Jean-Pierre Vidal, de son apport à cette commission.

M. Vidal: Merci.

Le Président (M. Gagnon): À ce moment-ci, nous devrions recevoir le RCM, le Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal. Les gens sont en route, mais à cause du mauvais temps, ils ont été retardés légèrement. Je pense donc que la commission serait d'accord pour suspendre les travaux jusqu'à 14 heures. Cela nous donnerait un certain temps pour prendre une bouchée et on reviendrait à 14 heures et, alors, nos invités seront sûrement arrivés.

M. Gratton: D'accord, M. le Président. M. Godin: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Alors, la commission est suspendue jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 10)

(Reprise de la séance à 14 h 17)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre s'il vous plaît!

La commission des communautés culturelles et de l'immigration poursuit ses travaux afin d'entendre tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française.

Avant de souhaiter la bienvenue au Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal (RCM), je voudrais rappeler aux membres de cette commission que mardi à 10 heures, nous aurons la CECM, le Centre de services sociaux de Ville-Marie, l'Association québécoise des professeurs de français, le Mouvement national des Québécois, M. Pierre Beaudry et Impératif français Inc.

À la suspension de nos travaux, nous attendions les représentants du Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal, qui sont maintenant à la table des invités. Je vous souhaite la bienvenue. Je demande à M. Doré de présenter les personnes qui l'accompagnent et de nous faire lecture du mémoire.

RCM

M. Doré (Jean): M. le Président, je vous présente, à ma gauche, M. Michael Fainstat, conseiller municipal du RCM et chef de l'opposition du RCM au conseil municipal de Montréal. Il y a également dans la salle deux conseillers municipaux de Montréal, du RCM, M. Robert Perreault et M. John Gardiner.

J'ai une autre remarque. Je dois dire qu'on s'excuse d'avoir obligé la commission à siéger cet après-midi. Semble-t-il que ce matin vous auriez pu enchaîner avec notre présentation. Je dois souligner à notre décharge que le télégramme de convocation du Secrétariat des commissions nous avait convoqués pour 15 heures cet après-midi; donc nous ne sommes arrivés que vers 13 heures en fonction de cette échéance.

Une deuxième remarque avant la présentation du mémoire pour simplement dire, M. le Président, que le document dont je vais vous faire lecture ainsi qu'aux membres de votre commission est un document qui remonte déjà... Chez nous, il a été élaboré au mois de mai dernier et adopté par le conseil général du RCM, qui est l'organisme suprême entre les congrès où chaque district électoral, chaque coordonnateur ou coor-donnatrice d'associations locales est représenté; il a été débattu lors de ce conseil général et adopté à l'unanimité moins une abstention.

Depuis sa fondation, en 1974, le RCM s'est voulu et a été le parti de l'ensemble des Montréalais et des Montréalaises. Dès le départ, le RCM a traversé des barrières linguistiques, ethniques et culturelles. Son "membership" a toujours reflété la composition de la population montréalaise. Enfin, par son programme politique, ses engagements électoraux et ses luttes, il a défini une conception de la vie urbaine que partagent un nombre croissant d'électeurs et d'électrices tant francophones qu'anglophones.

Le RCM s'est donné un programme

politique complet et public. C'est sur la base de ce programme qu'une personne adhère à notre parti et c'est en s'engageant à défendre ce programme qu'un membre du RCM peut être élu conseiller ou conseillère municipal.

En aucun moment, depuis neuf ans, les instances du Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal n'ont discuté de la question linguistique, car il leur a semblé que cette question relevait d'abord des partis politiques qui représentent les Montréalais et les Montréalaises à Québec. De la même manière, le RCM ne s'est jamais impliqué dans quelque étape du débat constitutionnel, que ce soit le référendum de mai 1980, le rapatriement de la constitution ou encore le partage des pouvoirs. Le RCM ne s'est jamais prononcé non plus, faut-il le rappeler, sur un enjeu électoral, que ce soit à Ottawa ou à Québec.

Depuis le tout début de sa fondation, le fonctionnement interne du RCM s'est toujours caractérisé par une grande souplesse au niveau de la langue de travail. Le français est la langue de travail et de communication de ses instances. Chacun peut cependant intervenir dans la langue de son choix. Au niveau des districts, cependant, les langues d'usage des associations locales dépendent des membres qui les composent. Là où des anglophones, des italophones ou des membres d'une communauté forment une part importante du "membership", les communications internes reflètent cette diversité. Ainsi, quand le RCM affirme qu'il faut favoriser le nécessaire rapprochement entre les différentes communautés culturelles de Montréal, il s'appuie non seulement sur son programme et sa conception de la vie urbaine, mais également sur sa tradition interne.

Riche de cette expérience, le RCM est conscient de la nécessité de maintenir un équilibre dynamique entre les différentes communautés de notre métropole. Cet équilibre est nécessaire au sein de l'administration municipale, parce qu'aucun parti politique ne saurait accéder au pouvoir, et encore moins l'exercer de manière juste et éclairée, en ne s'appuyant que sur une fraction ethnique ou linguistique de la population montréalaise.

Le RCM n'est pas non plus dupe d'une certaine démagogie qui laisse entendre, par exemple, que la Charte de la langue française serait responsable de tous les maux ou de la plus grande partie des maux économiques de Montréal. Cette vision étriquée de la réalité vise beaucoup plus à camoufler les effets désastreux de certaines politiques qu'à trouver des remèdes efficaces aux problèmes véritables de Montréal.

Le déclin économique de Montréal, faut-il le rappeler, a débuté bien avant que ne se cristallisent les débats linguistiques au

Québec, bien avant l'adoption de la loi 101 et de la loi 22. Ce déclin a des causes historiques, structurelles et conjoncturelles. Toutes les villes du Nord-Est de l'Amérique du Nord ont été affectées lorsque l'activité économique s'est déplacée vers le Sud ' et l'Ouest. Notre infrastructure industrielle montréalaise a beaucoup vieilli depuis 20 ans. C'est un problème grave dont personne, à commencer par l'administration municipale en place depuis 25 ans, n'a semblé se préoccuper.

Par ailleurs, les gouvernements supérieurs, enfoncés trop souvent dans leurs contradictions, ont été peu sensibles au dossier de Montréal. À Québec, on ne semble pas vraiment saisir que Montréal est plus qu'une des dix régions administratives du Québec et mériterait à bien des égards un traitement particulier, bien que des changements se soient fait sentir depuis le sommet économique de 1981. À Ottawa, les politiques fédérales ont favorisé - et ce depuis longtemps - dans les secteurs de pointe, le développement, dans un premier temps, de l'axe Toronto-Windsor, et, plus récemment, de l'axe Ottawa-Toronto, et ce trop souvent au détriment de Montréal.

Malgré la diversité ethnique d'une partie importante de la population qui l'habite, Montréal demeure et doit demeurer une ville à prédominance française. Cette situation reflète la réalité sociale et culturelle du Québec et constitue un atout de premier ordre pour Montréal.

Depuis quinze ans, trois gouvernements successifs du Québec ont tenté, avec les difficultés que l'on connaît, de légiférer sur le plan linguistique. En adoptant la Charte de la langue française, le gouvernement actuel du Québec a donné à la majorité francophone une sécurité linguistique nécessaire mais contraignante, tant d'ailleurs pour la communauté anglophone que pour l'ensemble de la société québécoise. En conséquence, le RCM estime que la langue et la culture française ont besoin, dans le contexte particulier du Québec en Amérique du Nord, d'une protection législative efficace. La reconnaissance de ce principe, quant à nous, apparaît indispensable au développement harmonieux de Montréal et nous semble actuellement acquise pour l'ensemble de la communauté anglophone.

Par ailleurs, le RCM considère que la communauté francophone, de son côté, plus sûre d'elle-même, est disposée à réexaminer à nouveau certains aspects de la Charte de la langue française qui permettraient aux diverses communautés linguistiques et culturelles de renforcer leur sentiment d'appartenance à Montréal.

Les accommodements que nous suggérons s'inscrivent d'ailleurs dans l'esprit d'ouverture aux autres qui se manifeste de plus en plus chez la majorité francophone.

En matière d'affichage commercial, par exemple, l'unilinguisme français, imposé par la Charte de la langue française, a certes contribué à redonner à Montréal le caractère français qui apparaissait menacé, pour certains, il n'y a pas si longtemps.

Mais cette mesure, ajoutée à l'uniformité des politiques de l'administration montréalaise, a pu également contribuer à développer l'impression que Montréal devenait une ville homogène qui ne reflète plus la diversité ethnique et culturelle de la population qui la compose et qui l'enrichit.

Le projet du RCM, fondé sur la conviction que le développement de la ville ne peut se réaliser sans l'implication et la participation de la population, présuppose que chaque citoyen et chaque citoyenne aient un sentiment d'appartenance à la ville et à son quartier.

Pour ce faire, il faut nécessairement que la diversité culturelle de la population montréalaise se manifeste par des signes distinctifs et que chaque quartier reflète bien la culture de la population qui y vit. Or, c'est entre autres par l'affichage extérieur du petit commerce local et de quartier que peut se manifester cette visibilité et cette identité culturelle.

C'est pourquoi nous croyons que les dispositions relatives à l'affichage commercial devraient être modifiées pour que, tout en conservant le caractère prédominant du français dans chaque établissement, l'on permette l'utilisation d'autres langues sur les affiches extérieures des établissements suivants: les petits commerces, tels que définis par la charte; les commerces spécialisés dans la vente de produits typiques d'une nation étrangère ou d'un groupe ethnique particulier; les restaurants, et les entreprises à caractère culturel, librairies, cinémas, théâtres ou autres.

La Charte de la langue française prévoit que la signalisation routière doit se faire en français ou avec des symboles ou pictogrammes. Par ailleurs, la charte prévoit également qu'une autre langue en plus du français peut être utilisée pour des motifs de santé et de sécurité du public.

À notre avis, la ville de Montréal aurait pu manifester plus de souplesse dans l'application de ces dispositions. En plus de la langue française, une deuxième langue aurait pu être utilisée dans l'affichage de la réglementation destinée à protéger la sécurité du public, par exemple, en ce qui concerne l'utilisation des parcs de la ville.

D'autre part, la plupart des grandes villes européennes de l'Ouest et de l'Est ont opté pour la forme pictographique en matière de signalisation routière pour permettre à toute personne, au-delà des barrières linguistiques et culturelles, de circuler en toute sécurité. Montréal doit s'inscrire dans ce courant, non seulement à cause de sa vocation internationale, mais aussi pour permettre aux touristes, quelle que soit leur origine, de s'y retrouver à l'aise.

C'est pourquoi nous croyons que la loi devrait être modifiée pour préciser que la signalisation routière et la réglementation relative à la santé et à la sécurité du public devraient en priorité utiliser dans l'affichage des symboles ou pictogrammes. À défaut de pictogrammes appropriés, la langue française demeurerait la langue d'affichage, sauf s'il s'agit d'une réglementation relative à la santé et à la sécurité du public, auquel cas l'usage d'autres langues devrait être permis, selon l'origine ethnique de la population assujettie à une telle réglementation.

En matière de services a la population, l'administration municipale doit s'assurer que toute la population ait accès à l'information et aux divers services de la ville. Concrètement, cela signifie que la ville devra profiter au maximum des possibilités de l'informatique pour savoir si les citoyens et les citoyennes désirent recevoir les dépliants d'information qu'elle leur fait parvenir rédigés en français seulement ou bilingues. Dans les cas où l'administration souhaiterait faire distribuer de l'information de porte en porte, une version bilingue de la publication pourrait être distribuée dans les secteurs de la ville où réside une proportion significative d'anglophones ou d'allophones. À cet égard, M. le Président, je souligne que c'est la pratique de notre parti d'adopter cette modalité, à savoir que, là où la population est anglophone, allophone ou à forte importance significative, nous distribuons toujours de la documentation à caractère bilingue ou, dans certains cas, multilingue.

Par ailleurs, les services les plus fréquentés de la ville, particulièrement à l'hôtel de ville, devraient disposer du personnel nécessaire d'agents d'information et d'interprètes pour permettre à la fonction publique, presque exclusivement francophone, de desservir ceux qui parlent d'autres langues. Tout en répondant aux besoins de la population, un tel personnel pourrait également être utilisé par les conseillers municipaux dans leur correspondance avec la population non francophone de leur quartier respectif.

Il existe actuellement un déséquilibre important entre la population francophone à 65% de la ville de Montréal et la fonction publique francophone à 97%. Les anglophones et les allophones sont actuellement trop peu représentés et, malgré le faible niveau d'embauche, il est urgent de penser à des correctifs qui pourraient se traduire, par exemple, quant à nous, par la mise sur pied de programmes de redressement ou de ce que d'autres appellent des programmes d'action positive.

Plusieurs organismes, en particulier dans le secteur économique, ont fait savoir que

l'obligation pour des nouveaux arrivants d'envoyer leurs enfants à l'école française posait des problèmes de recrutement aux entreprises qui recherchent des compétences dans le secteur du tertiaire moteur en particulier. La réglementation en vigueur permet déjà à une personne qui vient au Québec pour des fins d'étude et de recherche d'être dispensée pour trois ans, avec prolongation pour une période équivalente, de l'obligation d'envoyer ses enfants à l'école française. Le RCM croit qu'il serait souhaitable d'étudier plus à fond le problème soulevé et d'examiner la possibilité d'étendre cette exception aux personnes recrutées pour permettre et accélérer le développement dans les secteurs de pointe et de nouvelles technologies et où le Québec ne dispose pas encore des compétences nécessaires. (14 h 30)

M. le Président, les propositions que nous mettons de l'avant aujourd'hui concernent des problèmes qui ont une relation directe avec la vie montréalaise dans sa dimension urbaine. Il n'est pas question ici pour le RCM de se prononcer sur des questions qui dépassent, de manière évidente, les préoccupations municipales, comme la langue d'enseignement. Ce débat en est un qui concerne l'ensemble de notre société et non pas uniquement les Montréalais et les Montréalaises. En conséquence, un citoyen ou une citoyenne qui désire faire connaître ses vues ou discuter de ce type de question peut le faire soit au sein d'une des nombreuses formations politiques oeuvrant à l'échelle du Québec ou encore au sein d'un groupe de pression de son choix.

La nature des problèmes discutés au niveau municipal peut apparaître à certains terre à terre. Ce n'est pas une vision que partage le RCM. Pour notre parti, l'action politique municipale est peut-être celle qui touche le plus directement les citoyens et les citoyennes. Son pouvoir d'attraction est et restera considérable pour tous ceux et celles qui ont à coeur d'accroître la qualité de notre vie, qu'ils soient francophones, anglophones ou allophones. Quelle que soit leur langue, les Montréalais et les Montréalaises vivent les mêmes problèmes et veulent profiter ensemble d'un développement économique qui tarde à venir. Le RCM continuera à leur apporter la preuve, jour après jour, que le progrès se conjugue dans toutes les langues, à l'hôtel de ville comme dans les quartiers de Montréal.

Voilà substantiellement, M. le Président, les remarques et suggestions que nous voulions formuler pour tenter d'alimenter et d'enrichir, si on peut le faire, le débat que vous menez depuis quelques semaines déjà et qui se poursuivra la semaine prochaine, si j'ai bien compris, relativement aux assouplissements, accommodements ou amende- ments possibles à la loi 101. Évidemment, je suis entièrement disponible, de même que mon collègue Michael Fainstat, pour répondre à toute question des membres de la commission.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: M. Doré, M. le président, M. Fainstat, chef de l'opposition de Montréal, bienvenue au Parlement du Québec. Votre mémoire vient après celui du maire de Montréal et chef du Parti civique et après celui du GAM que nous avons entendu hier. Je pense que les trois ensemble permettent de faire le point sur certains problèmes vécus dans la ville de Montréal et sur les solutions qui pourraient y être apportées. Donc, à ce point de vue et comme Montréal est 50% de tout le Québec - ce qui n'est pas mince - je pense que ce que vous venez nous dire ici est extrêmement important. J'en profiterai, après avoir pris mes renseignements à la suite des questions posées par le maire Drapeau et par les gens du GAM hier soir, pour faire le point sur un aspect qui a été soulevé dans les mémoires à venir jusqu'à maintenant, quant à la mobilité interne des fonctionnaires de la ville de Montréal qui auraient à répondre à une clientèle qui ne parlerait pas le français ou qui parlerait d'autres langues que le français, en général, j'imagine, l'anglais. L'article 20 de la Charte de la langue française est assez clair. Je vous le lis. Pour être nommé, muté ou promu à une fonction dans l'administration - cela inclut la ville de Montréal - il faut avoir de la langue officielle une connaissance appropriée à cette fonction.

Deuxième alinéa: Pour l'application de l'alinéa précédent, chaque organisme de l'administration - donc, la ville de Montréal établit les critères et modalités de vérification soumis à l'approbation de l'Office de la langue française, à défaut de quoi l'office peut les établir lui-même. En un mot, la ville de Montréal peut, en négociant avec l'Office de la langue française, négocier un certain nombre de postes avec des exigences bilingues.

À ce jour, la ville de Montréal n'a jamais formulé une telle demande auprès de l'Office de la langue française, c'est-à-dire que si, dans un bureau d'aide sociale, tel que mentionné par le mémoire du GAM hier, et dans d'autres cas mentionnés par le maire Drapeau, la ville de Montréal avait demandé qu'il y ait une entente sur un certain nombre de postes bilingues dans l'administration municipale, pour répondre aux besoins de la population dans des quartiers où ils ne sont pas que francophones, une telle entente est possible. En effet, l'office ne peut exiger une personne unilingue que si l'administration

lui prouve que, dans ce poste, l'unilinguisme n'est pas requis, une autre langue est requise. Je le répète, la ville de Montréal n'a jamais formulé quelque demande que ce soit pour que soient définis conjointement un certain nombre de postes qui requéraient l'usage d'une autre langue que le français. Tout ce qui s'est passé, c'est que cinq employés de la ville de Montréal, en six ans, ont porté plainte à l'office parce que la ville de Montréal voulait les obliger à occuper des postes bilingues, alors qu'ils ne voulaient pas changer de poste. Si la ville avait demandé, en vue de répondre aux besoins de ses citoyens, que des postes bilingues soient reconnus comme dans d'autres administrations, cela aurait pu être fait.

D'autre part, je rejoins également la partie de votre mémoire qui porte sur la reconnaissance de la diversité ethnique et culturelle de la ville de Montréal. Par le district, comme on dit chez vous, le comté, comme on dit ici, qui le représente, je suis très familier avec cette diversité ethnique, culturelle et linguistique de la ville de Montréal. De plus, je tiens à souligner que le gouvernement a déjà reconnu cette diversité en créant un ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration et en dotant ce nouveau ministère d'un grand nombre de programmes qui visent précisément à assurer le maintien des langues et des cultures de ces groupes. C'est ainsi que 40 langues sont présentement enseignées dans la ville de Montréal, dans des écoles du samedi, à des jeunes de 80 nationalités qui peuvent se familiariser avec leur langue, l'histoire de leur pays d'origine et leur culture. Donc, des efforts considérables ont déjà été faits de manière que cette diversité ne disparaisse pas, mais, au contraire, qu'elle s'enracine plus profondément.

Dans la même foulée de la création de ce ministère, je dois dire que je m'engage devant vous aujourd'hui à regarder avec beaucoup d'attention votre suggestion quant à ce qui touche l'affichage extérieur de certains commerces de Montréal.

J'ajouterais, en terminant, qu'au-delà de l'affichage, le gouvernement du Québec a aidé au financement d'une quinzaine et bientôt d'une vingtaine de centres communautaires culturels des communautés culturelles à Montréal: les communautés slovaque, arménienne, séfarade, grecque, roumaine, chinoise - la communauté italienne va bientôt nous formuler un projet, me dit-on - haïtienne, vietnamienne, cambodgienne. Donc, déjà des mesures ont été prises pour s'assurer que cette diversité soit présente. Et tous ces édifices - car il s'agit d'édifices -nouveaux ou rénovés ont parfaitement le droit de fonctionner dans la langue de leur choix et d'afficher dans les deux langues à l'extérieur de leurs établissements, à la construction desquels le gouvernement a contribué.

Donc, il y a déjà quand même des décisions qui ont été prises ici par ce gouvernement et qui vont dans le sens de ce que vous demandez. Mais nous allons tenter de raffiner encore plus notre analyse de la question de l'affichage, de telle manière que nous puissions nous brancher bientôt sur cette question qui, je le répète, est extrêmement délicate. Car nous ne voulons pas revenir à la situation qui existait avant. La Commission des droits de la personne a reconnu elle-même ici que la situation qui existait avant était inéquitable pour la francophonie nord-américaine qui est au Québec; qu'il fallait donc intervenir, mais je cherche presque à résoudre la quadrature du cercle, M. Fainstat et M. Doré. Ce n'est pas facile et je vous sais gré de nous avoir fourni des éléments qui ajoutent à notre réflexion sur cette question, ce qu'on appelle en anglais "food for thought". Merci.

M. Doré: J'ai un commentaire relativement aux propositions que l'on met de l'avant sur la question de l'affichage commercial. Dans un premier temps, on a opté pour une suggestion de modification à la loi pour que la proposition que l'on met de l'avant ne s'applique pas uniquement à Montréal, mais puisse avoir une implication générale à l'échelle du Québec. Bref, ce que l'on dit, c'est que, pour le petit commerce, pour la restauration, pour le commerce à caractère culturel, il serait loisible aux propriétaires de ces commerces de pouvoir afficher, outre le français, dont on dit qu'il doit demeurer prédominant, dans une autre langue ou dans d'autres langues. Cela pourrait être trilingue ou quadrilingue, mais cela pourrait être français-anglais, bien sûr. Je pense à la rue Monkland, par exemple, aux petites artères commerciales de Montréal, là où il y a une concentration majoritaire de population.

De ce point de vue, je ne crois pas que cela perturberait l'image globale de la francisation de Montréal, qui est un élément important, non seulement comme reflet de ce qu'est le Québec et de ce qu'est Montréal, c'est-à-dire une province majoritairement française et une ville à majorité française, ce qui est un atout touristique important, mais en même temps pour aussi permettre que la diversité culturelle se voie et soit visible. Qu'on sache que, lorsqu'on passe dans un quartier, on est dans un quartier italien ou dans un quartier portuguais, ou chinois, etc., que cela se reflète et qu'aussi - cela est une dimension importante, là on fera appel un peu à la psychologie - les gens aient vraiment davantage un sentiment d'appartenance à la ville et au quartier.

Il y a eu beaucoup de remarques qui nous ont été faites par des communautés

ethniques et par des anglophones ou des allophones, disant: On n'a plus le sentiment d'appartenance ou on se sent moins partie prenante non seulement de notre quartier, mais, à travers notre quartier, de la ville et souvent un peu de la société québécoise. On pensait que c'était un des moyens par lesquels cela pouvait s'illustrer. L'accommodement que l'on suggère, pense-t-on, pourrait, tout en conservant le caractère prédominant du français, en évitant le retour au bilinguisme intégral dans l'affichage, vu que cela s'appliquerait plutôt aux commerces de quartier et non pas nécessairement aux grands commerces, être une proposition qui mériterait d'être étudiée.

Sur le premier aspect de votre intervention, M. le ministre, j'aimerais laisser la parole à mon collègue, M. Michael Fainstat. Vous avez parlé du problème que pose à Montréal l'application par la ville - quant à nous, dans certains cas - des dispositions actuelles de la Charte de la langue française. On a souligné un peu dans le texte que cela s'appliquait souvent avec un zèle que, dans certains cas, je qualifierais d'intempestif. Je donne comme exemple l'affichage dans les parcs. On ne voit pas pourquoi la ville a mis de l'affichage unilingue dans tous les parcs lorsqu'on dit: II est interdit dans un parc de plaisance ou dans un parc de repos de jouer à ceci, de faire ceci, de faire cela. Dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, c'est une réglementation qui est relative à la santé et à la sécurité du public. On aurait très bien pu à ce moment mettre de l'affichage français et anglais, ou, dans d'autres parcs, français et italien ou français et anglais. Il aurait été possible de le faire. On ne l'a pas fait. Cela crée chez la population anglophone des irritants absolument inutiles qui leur donnent l'impression que la loi veut leur retirer leur sentiment d'appartenance à la ville. De ce point de vue, c'est un des exemples.

Sur le plan de l'embauche, je laisserai à M. Michael Fainstat la possibilité de vous citer un autre exemple.

M. Fainstat (Michael): M. le Président, la question de l'embauche est très importante vu le pourcentage minimal de non-francophones à l'emploi de la ville de Montréal. J'ai soulevé cette question récemment avec le maire à cause d'un grand nombre de plaintes des citoyens. Quand la ville publie des annonces dans les journaux non francophones, dans des hebdomadaires, etc., les règlements, les ordonnances, les avis publics et les appels d'offres, c'est toujours dans la langue du journal. Dans le Monitor et dans la Gazette, c'est en anglais. Mais quand la ville publie les annonces d'emplois, c'est seulement et uniquement en français. Pour les Montréalais de langue anglaise, c'est presque une insulte. C'est une sorte d'invitation de non-participation: vous n'êtes pas les bienvenus.

J'ai vérifié si je ne suis pas correct, vous pourrez toujours me corriger, et la Charte de la langue française exige que la ville publie toutes les annonces d'emplois en français, mais elle ne défend pas que cela soit publié en même temps dans la langue du journal, c'est-à-dire dans le Monitor, dans la Gazette, c'est-à-dire une annonce d'emploi pour un poste vacant en français, comme l'exige la charte, et aussi en même temps en anglais, en grec dans un journal grec, et il en est ainsi pour l'italien, etc. Cela ne se fait pas maintenant. C'est une plainte. Jusqu'à maintenant, on me dit que c'est à cause d'une interprétation de la loi. Selon nous, ce n'est pas nécessaire. Il y a certaines municipalités qui sont déjà allées beaucoup plus loin que ce que la loi exige. C'est un exemple de plaintes et de soupçons des non-francophones qui disent que les emplois publics de la ville de Montréal ne sont pas ouverts aux non-francophones. Ce n'est qu'un commentaire en passant. C'est un débat qui se fait maintenant à l'échelle de la ville de Montréal.

Le Président (M. Gagnon): Avez-vous quelque chose à ajouter, M. le ministre? (14 h 45)

M. Godin: Je n'ai qu'un point. Des renseignements obtenus de Statistique Canada sur la fonction publique du Québec dans son ensemble, incluant les deux réseaux des affaires sociales et de l'éducation, montrent qu'au Québec, dans l'ensemble de ces trois groupes de fonctionnaires dans les secteurs public et parapublic, le pourcentage de personnes émanant des communautés culturelles est d'à peu près 17%, pour un total de 20% dans l'ensemble de la population. La présence est surtout visible dans les réseaux des affaires sociales et de l'éducation, c'est-à-dire là où la population a un contact avec les affaires sociales et l'éducation. Nous sommes à peu près en proportion de la réalité socioculturelle et ethno-culturelle du Québec.

Je vous pose la question: La solution ne serait-elle pas dans l'application par la ville de Montréal d'un programme semblable à ce que l'on appelle "affirmative action", c'est-à-dire un programme de discrimination positive ou de ce que l'on appelle, dans nos lois à nous, une politique d'égalité en emploi qui nous a même amenés à modifier la Charte des droits et libertés de la personne pour nous permettre de recruter des gens répondant à ces trois critères que nous avons dans la loi, c'est-à-dire les femmes, les membres des communautés culturelles et les handicapés? À votre connaissance, la ville de Montréal a-t-elle déjà étudié cette possibilité d'avoir un tel programme au sein de l'administration municipale?

M. Fainstat: Nous avons interrogé le directeur du service du personnel de la ville de Montréal. La ville de Montréal n'a adopté aucune politique de redressement, aucune pour les communautés ethniques, ni pour les anglophones, ni pour les femmes en ce moment. Tout se fait selon les besoins, selon les compétences de la personne. Il n'y a pas un tel programme en ce moment.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. M. le député de Laurier.

M. Sirros: Merci, M. le Président. J'aimerais aussi souhaiter la bienvenue au RCM. En commençant, j'aimerais dire à M. Fainstat que, même quand, un gouvernement a un tel programme et une telle politique, les résultats sont loin d'être assurés. Je pense que l'exemple qu'on a, c'est qu'il y a une politique de la sorte au gouvernement du Québec depuis au-delà de deux ans maintenant et, dans le concret, on attend toujours le redressement de la situation. J'espère que, si on adopte un tel programme, la ville aura plus de succès que le gouvernement actuel. J'ai...

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre, une question de règlement.

M. Godin: Oui, une question de règlement. Il y avait une espèce de paix relative qui régnait jusqu'à maintenant dans cette commission. Je n'ai pas l'intention de répliquer point par point aux accusations d'inaction du député de Laurier, mais je lui remettrai le document et il constatera lui-même qu'il y a eu une augmentation en deux ans et que, deuxièmement, ce qui compte, c'est d'avoir un programme plutôt que de n'en pas avoir. C'est un début et j'aimerais que, lorsque vous en parlez, vous reconnaissiez aussi ce fait que le Québec est le seul gouvernement au Canada à avoir un tel programme. Vous ne dites jamais cela. Vous dites que cela va trop lentement. Je pense qu'en toute justice il faut dire qu'il y en a un, qu'il bouge et qu'on n'a pas encore atteint le résultat prévu.

Le Président (M. Gagnon): Ce n'était pas une question de règlement, effectivement.

M. Sirros: Ce n'était pas une question de règlement, mais, M. le Président, j'aimerais souligner que j'avais même décidé de laisser de côté l'autolouange que le ministre a faite par rapport à tous les programmes que son ministère a appliqués. Je dirai simplement que ces gens ont eu sept ans pour développer les programmes, s'ils existent. Je ne m'attarderai pas. Je n'avais pas l'intention de brimer le calme de la commission, mais je voulais simplement constater que lorsqu'on souhaite qu'un gouvernement adopte une politique, c'est effectivement un pas en avant. Mais je pense que ce qui importe finalement, ce qu'on souhaite en l'adoptant, c'est que cela donne des résultats et, quand on voit qu'après deux ans et demi, on en est toujours au même point, on peut se demander ce que cela apporte de l'adopter.

En ce qui concerne la présentation que vous avez faite, je trouve qu'il y a beaucoup de points là-dedans qui pourraient soulever une discussion qui nous garderait longtemps ici. Encore dans le but de gagner du temps et de ne pas nous garder ici jusqu'à 17 heures, je m'attarderai seulement sur quelques points particuliers que vous avez touchés.

Peut-être en commençant avec une petite précision, une question. À la première page de votre mémoire, vous dites qu'en aucun moment depuis neuf ans vous vous êtes impliqués dans le débat linguistique. Pourtant vous voici ici. Est-ce que je pourrais simplement vous poser cette question: Qu'est-ce qui vous amène finalement, après avoir mis cette question de côté pendant neuf ans et avoir dit que ce n'était pas à vous de discuter de cela, devant la commission? Vous avez certaines recommandations par rapport à la question linguistique. Qu'est-ce qui a changé dans votre perception des choses à Montréal?

M. Doré: Pour répondre à votre question très précisément, je dois dire que, lors de la dernière campagne électorale municipale à Montréal - on n'a donc pas attendu la tenue de la commission parlementaire - je me suis prononcé à titre personnel, parce que le parti politique que je représente n'a pas de position et n'a jamais adopté de position dans son programme. Ce n'est pas sa vocation sur les questions qui dépassent le cadre municipal. Mais j'avais, à titre personnel, lors d'une assemblée avec des représentants de divers groupes ethniques de Montréal, fait la proposition que, quant à moi, je serais prêt à défendre les modifications à la Charte de la langue française en matière d'affichage commercial.

Ce qui est contenu dans le mémoire du RCM était substantiellement ce que j'avais proposé à titre personnel. La raison pour laquelle je l'avais fait, c'est que je sentais très bien, comme je l'ai souligné au ministre tantôt, à travers les discussions que j'avais dans les différents quartiers avec les citoyens et citoyennes de Montréal, qu'effectivement, pour des raisons à la fois réelles - comme barrière réelle, la loi ne permet pas l'affichage - et à la fois psychologiques et vu la nécessité pour l'ensemble des citoyens et citoyennes de Montréal d'être partie prenante aux projets de la ville et à la vie de quartier, il était

peut-être nécessaire d'apporter des assouplissements à la loi dans ce sens. Alors, dans un premier temps, c'est une perception d'un besoin et d'un senti du vécu des Montréalais et des Montréalaises qui m'avait amené à prendre ma position. Après coup, le débat a été amené dans un avis de motion au conseil municipal; on a voté pour un avis de motion qui demandait à la ville de préciser quelle serait la position qu'éventuellement elle défendrait devant une commission parlementaire, de façon que ce soit une position qui puisse être d'abord débattue au conseil municipal. À la suite de cet avis de motion, à l'intérieur du parti, nous avons discuté et préparé démocratiquement dans nos instances une position qui est celle qu'on vous présente aujourd'hui.

Voilà l'origine du pourquoi et je pense que c'était important, dans la mesure où le débat linguistique pouvait être, dans le contexte montréalais, un élément qui empêchait les citoyens et citoyennes de Montréal d'avoir globalement un sentiment d'appartenance et de se sentir complètement partie prenante du projet municipal. Il nous semblait important de pouvoir aborder par la bande cette question, en ne nous limitant qu'aux stricts aspects qui concernent la vie municipale de la vie montréalaise. C'est le sens du mémoire que nous avons présenté devant vous.

M. Sirros: Finalement, si je comprends bien, vous dites que la situation que vous avez vécue à Montréal entre les deux élections vous a fait réaliser qu'il y avait une partie de la population montréalaise qui se sentait un peu mise à l'écart ou que la ville ne reflétait pas sa présence comme telle, et cela - parce que vous vous en prenez aussi à l'administration de la ville -était causé par la loi 101. Alors, vous vous êtes sentis obligés d'aborder la question par la bande, comme vous dites.

Le maire de Montréal est venu ici il y a quelques jours et, ni plus ni moins, ce qu'il réclamait, c'était un statut spécial pour Montréal. À la page 3 de votre mémoire, vous dites qu'à Québec on ne semble pas vraiment saisir que Montréal est plus qu'une des dix régions administratives et mériterait à bien des égards un traitement particulier. Cependant, plus loin, vous semblez aller dans l'autre sens - pas aussi loin que le maire, en tout cas - et, en parlant d'affichage, vous ne réclamez pas tellement un amendement à la loi, mais plutôt une interprétation différente de la loi. Que la loi reste comme telle, mais que l'affichage à l'extérieur des établissements ayant quatre personnes et moins soit permise; si je comprends bien votre point.

La difficulté que j'y vois, c'est de savoir comment vous le justifiez finalement. Comment, premièrement, justifiez-vous le nombre de quatre? Pourquoi mettez-vous comme critère le nombre de personnes oeuvrant dans l'établissement plutôt que les caractéristiques du quartier? Parce que, à d'autres endroits dans votre mémoire, vous parlez du besoin pour la population montréalaise de se sentir partie prenante de la ville de Montréal et que cela reflète leur quartier. Mais, si je l'interprète bien, vous dites, ni plus ni moins: Cela peut le refléter, mais seulement dans les petits commerces. En quelque sorte, cela revient à dire: cela devrait être visible, mais pas trop. Pourriez-vous réagir à cela? Comment arrivez-vous au nombre de quatre et pourquoi ne pas simplement dire que, avec le français prépondérant, l'affichage serait permis dans des quartiers où la population serait d'une autre langue?

M. Doré: D'abord, vous posez le problème. Vous dites: Dans les quartiers où la population serait d'une autre langue. Tout le problème est là. Va-t-on faire du zonage linguistique? Car c'est ce que le sens de votre question pose comme problème. Nous nous sommes heurtés à cette difficulté, nous avons beaucoup discuté de cette question et nous nous sommes dit: Nous ne pouvons pas proposer avec réalisme des amendements à la loi qui ne soient pas d'application générale. Il n'est pas question de se mettre à dire, par exemple - prenons cet exemple - à partir de la rue Saint-Laurent, entre le bas de la ville et à peu près jusqu'à la rue Mont-Royal, comme il y a une population anglophone -population d'origine juive ou autrement -dans ce coin, cela pourrait être anglais-français; à partir de la rue Mont-Royal et quand on entre dans la partie nord où il y a une population plutôt italienne, ce pourrait être italien; sur Monkland, ce pourrait être français-anglais et ailleurs autre chose; nous n'en sortons pas. Alors, nous nous sommes dit: C'est cela qui est important...

M. Sirros: Si je peux mentionner quelque chose.

M. Doré: Oui.

M. Sirros: Est-ce que, finalement, ce n'est pas ce qu'on a fait par rapport à certaines villes elles-mêmes où on a effectivement décidé que Côte-Saint-Luc, par exemple, pourrait avoir ce genre de possibilité?

M. Doré: Non, écoutez, il ne faut pas mélanger les choses.

M. Sirros: Une dernière chose.

M. Doré: Ce dont on parle, on parle d'abord...

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre!

M. Sirros: Je vous soumettrai aussi la possibilité...

M. Doré: Oui.

Le Président (M. Gagnon): M. le député, je m'excuse.

M. Sirros: Seulement pour faciliter un peu le débat...

Le Président (M. Gagnon): Oui.

M. Sirros: ...je vous soumettrai aussi la possibilité d'avoir cette application générale. Les besoins du marché pourraient être une autre façon de régler le problème. J'aimerais seulement avoir vos commentaires là-dessus.

M. Doré: Mon commentaire est le suivant et très simplement.

Le Président (M. Gagnon): M. Doré.

M. Doré: À partir du moment où on rejette le zonage linguistique - parce que c'est la création d'une forme de ghetto à des endroits et on n'en voulait pas - dès que l'on veut quelque chose d'application générale, il faut rappeler... Vous dites: Vous ne proposez pas un amendement à la loi. La loi interdit l'affichage à l'extérieur. Tout ce qu'elle permet, c'est d'afficher dans une autre langue à l'intérieur de petits commerces de quatre employés et moins, mais, quant à l'affichage commercial à l'extérieur, la loi est assez claire, elle ne le permet pas, que ce soient quatre employés ou moins ou autrement. Nous avons pris la définition de la loi de quatre... Enfin! Ce n'est pas inscrit, d'ailleurs, quatre employés et moins. C'est la loi qui dit, que pour le petit commerce, c'est quatre employés et moins. Bon! Là-dessus, on ne dit pas que cela pourrait être six, huit ou dix. Nous sommes réceptifs là-dessus. On n'a pas l'expertise. On n'avait pas l'analyse pour dire: À partir du moment où c'est huit ou dix... Parce que l'autre truc qu'on voulait éviter aussi, c'est qu'on ne veut pas retourner - et c'est un débat important qu'on a fait chez nous - à une "bilinguisation" de tout l'affichage extérieur.

Si on veut respecter à la fois le caractère prédominant de Montréal comme ville francophone et la possibilité pour les différentes communautés qui la composent de pouvoir s'y manifester, il faut trouver un point d'équilibre. Or, le point d'équilibre, c'est le suivant: Dans les quartiers de Montréal où les communautés ethniques anglophones et allophones sont concentrées, on retrouve généralement de petits commerces et rarement de grandes entreprises ou de grands commerces. Pour les petits commerces de quartier, cela pourrait être huit ou dix, si c'est ce qu'on vise. Là-dessus, j'imagine que le gouvernement a en main les analyses qui permettent de déterminer si la loi devrait être étendue à plus. On n'avait pas cette expertise, mais on a dit: Ce petit commerce qu'on exclut actuellement... Dans les petits commerces, on a ajouté les restaurants. À cet égard, on n'a pas parlé de restrictions. On pense que les restaurants pourraient être... Aux entreprises culturelles qui ont dix ou quinze employés, que ce soit une librairie, un théâtre ou ainsi de suite, on pourrait permettre l'affichage extérieur.

C'est la proposition qu'on a mise de l'avant et elle est d'application générale. À la limite, cela voudrait dire - à la limite, dis-je bien - que, dans le quartier Rosemont qui est strictement et pour l'essentiel francophone, mais où il peut y avoir des commerces anglophones ou allophones, si les gens voulaient utiliser l'affichage dans une autre langue, ils pourraient le faire. Il n'y a pas de problème à le faire. Je pense que là, ce serait une question de savoir si la clientèle du coin le justifie et chaque commerçant serait libre de le faire. Cela éviterait des contrôles. Cela éviterait d'être obligé de dire jusqu'à quelle rue ce n'est pas possible et jusqu'à quelle autre rue c'est possible. Il faut que ce soit d'application générale, souple et laissé à l'initiative du commerçant. C'est dans ce sens qu'on a mis de l'avant cette proposition.

M. Fainstat: M. le Président... Le Président (M. Gagnon): Oui.

M. Fainstat: ...puis-je indiquer que, dans mon quartier - j'habite Notre-Dame-de-Grâce qui est un quartier à 80% anglophone ou non francophone, parce qu'il y a des groupes ethniques - notre proposition s'applique, même avec quatre employés, à 80% des commerces. C'est presque une autre image de la rue, si les commerçants le décident. Cela veut dire qu'il y a seulement environ 15% à 20% de gros commerces. Cela veut dire que cela aurait vraiment un effet très visible.

Le Président (M. Gagnon): M. le député.

M. Sirros: Je pourrais revenir en disant: Pourquoi, par exemple, à NDG, le petit magasin, tel que défini par la loi, aurait-il le loisir d'afficher dans une autre langue, alors qu'un magasin qui a dépassé cette limite plus ou moins arbitraire n'aurait pas ce droit?

M. Doré: II n'y a pas de limite. On dit qu'il n'y a pas de limite géographique.

M. Sirros: Non, mais il y a une limite

numérique d'employés...

M. Doré: Une limite d'employés? Oui.

M. Sirros: ...et vous dites vous-même que, dans le quartier qui est non francophone dans une proportion importante, on voudrait donner le droit à un certain type de petites entreprises d'afficher dans une autre langue, pourvu que le français soit prédominant. Là où je ne vous suis plus, c'est quand vous arrêtez et que vous dites: Steinberg, dans NDG, n'aurait pas ce droit.

M. Doré: Ce serait difficile pour Steinberg d'afficher à l'extérieur en anglais. C'est déjà un nom, une marque commerciale anglaise...

M. Sirros: Je prends l'exemple de Steinberg. Tim Horton's.

M. Doré: ...et la loi n'y a pas touché. Il faut être clair là-dessus. Notre parti s'est dit: Ce qu'on vise, c'est de permettre que les gens et les commerçants aient la liberté de s'afficher - tout en conservant le français - dans une autre langue - anglais, italien, portugais, chinois - et que les quartiers reflètent l'identité culturelle de la population. Ce phénomène enrichit le quartier et la ville de Montréal. Mais ce qu'on voulait...

M. Sirros: Jusqu'à un certain point. M. Doré: Oui, c'est cela.

M. Sirros: D'accord. (15 heures)

M. Doré: Quatre... Cela peut être six, cela peut être dix. Il y a un autre problème, là où on doit arrêter et c'est là, je pense, qu'il y a une barrière à tracer en termes de nombre. C'est que si on dit que cela s'applique à tous les commerces, le danger c'est qu'on risque - je donne cet exemple -sur des rues commerciales importantes, par exemple, je donnerais la rue Dorchester, la rue Sainte-Catherine, avec des grands commerces, de revenir à la bilinguisation. Je le dis, et je pense que c'est clair aussi dans les sondages: les citoyens, majoritairement au Québec, sont prêts à des accommodements et ils le disent, mais ils veulent quand même que le caractère majoritairement français du Québec et de Montréal soit conservé, car c'est le reflet de la réalité et c'est un atout pour Montréal. C'est pour cela que l'équilibre n'est pas facile à trouver et qu'on s'est plutôt rabattu sur un amendement à la loi qui permettrait de les réaliser en extensionnant d'ailleurs le nombre de commerces visés par la loi. La loi parle de petits commerces, on en ajoute d'autres. On dit: quant aux chiffres, cela pourrait être plus, mais dans un équilibre qui évite quand même de revenir à une bilinguisation intégrale, surtout à Montréal, mais cela pourrait être ailleurs, cela pourrait être à Sherbrooke, cela pourrait être à Gaspé, là où il y a des populations anglophones importantes. Je pense que c'est cela qu'on visait et qu'on a essayé de tracer comme limite sans tomber dans le piège du zonage linguistique qui crée des ghettos. C'est comme cela qu'on a pu articuler la proposition.

M. Sirros: D'accord. J'aimerais peut-être vous poser la même question que j'ai posée hier soir au GAM qui, encore une fois, a été suscitée par la présentation que le maire avait faite ici. Le maire, en parlant de Montréal, parlait d'une ville internationale francophone. Et je disais que le ministre avait répliqué en disant qu'il voyait Montréal comme la métropole francophone de l'Amérique. Je disais que, pour moi, ces deux notions comportent des éléments très différents de la perception du rôle de Montréal. La première perception est celle qui est plus large, qui accepte le caractère francophone de Montréal, ce que tout le monde accepte; mais elle s'ouvre vers un élargissement par d'autres cultures, par d'autres contacts avec le monde économique au niveau international. L'autre perception comporte des éléments plus restreints. Est-ce que je pourrais avoir votre vision de Montréal par rapport à ces deux perceptions?

M. Doré: D'abord, je dois souligner que le caractère international de Montréal, c'est une chose qui existe et qui était une situation de fait, bien avant la loi 101. Je veux dire: Montréal a toujours été un pôle d'attraction important, non seulement par la majorité francophone; le commerce anglophone, les grandes entreprises anglophones qui ont pris naissance à Montréal, ce n'est pas étranger au fait qu'à Montréal on ait deux grandes universités anglophones, qu'on ait des réseaux complets d'institutions anglophones, que l'on retrouve à Montréal des postes de radio et de télévision qui desservent bien la communauté anglophone et ethnique. C'est le reflet d'une réalité qui doit demeurer parce qu'elle est le reflet de la composition de la population de Montréal.

Ce qui est important, je pense... Montréal est la métropole du Québec, soit; la métropole du Canada, cela demeure à voir et je pense qu'il faut regarder les choses en face et penser que sur le plan économique et financier c'est davantage Toronto qui l'est devenu. On doit peut-être travailler à ce que Montréal le redevienne, mais c'est là la réalité.

Ce qui est important, c'est que Montréal soit une ville à prédominance française, mais à vocation internationale.

Cela, je le crois profondément. On a même ajouté, maintenant, par exemple, le programme du baccalauréat international à Montréal qui confirme cela. On a une contribution importante des communautés ethniques. On a vu des statistiques sur le plan des investissements des immigrants à Montréal, qui ont contribué au développement de Montréal. Je pense que ce qui est important - et le mémoire que l'on soumet va dans ce sens - c'est que la loi permette des accommodements pour que ces deux pâles, à la fois la vocation à prédominance francophone de Montréal... Montréal ville française, deuxième ville française. En fait, il faudrait peut-être dire troisième, en passant, parce que si on regarde Congo Brazzaville, c'est presque eux maintenant qui seraient la deuxième ville française du monde. En tout cas, disons pour le moment, pour les fins de statistiques, Montréal deuxième ville française du monde, à vocation internationale... Je pense qu'il faut que la loi prévoie des accommodements. Quand, par exemple, l'on préconise que Montréal puisse faire de la distribution de matériel d'affichage en français et en anglais dans les quartiers, il est clair qu'il va falloir amender la loi quelque part parce que telle qu'elle est rédigée actuellement, elle ne le permet pas.

Surtout si le gouvernement s'apprêtait à répondre au voeu d'un certain nombre de municipalités à majorité anglophone, de permettre un assouplissement pour refléter la composition de la majorité de la population, il va falloir que cela s'applique aussi pour Montréal, même si Montréal est majoritairement francophone. En ce sens, c'est vrai que ce serait reconnaître la spécificité que peut avoir Montréal par rapport à d'autres villes au Québec et son importance dans le poids démographique et économique. Mais il ne s'agit pas nécessairement pour autant de créer un statut particulier. Je pense qu'on a donné quelques exemples et cela me semble clair - Michael en a fait état - où la ville n'a peut-être pas fait tous les efforts nécessaires, à notre point de vue, qu'elle aurait pu faire malgré la loi 101, pour élargir ses cadres, élargir les postes, élargir l'accueil, être davantage accueillante comme fonction publique à l'ensemble des minorités qui la composent.

On a parlé de l'article 20; on aurait pu parler de l'article 46 qui dit que rien n'empêche une municipalité ou un employeur d'exiger, outre la connaissance du français, la connaissance d'une autre langue, si le poste occupé par la personne l'exige. Il est évident qu'à Montréal, il y a des postes qui exigent la connaissance de l'anglais ou même, dans certains cas, de l'italien ou du grec. Que ce soit un agent de service social, que ce soit un agent d'information, que ce soit, dans certains cas, un inspecteur en bâtiment de la ville qui a affaire dans les quartiers où la population est majoritairement autre que francophone, il faut que ces gens-là puissent se faire comprendre par cette population. Cela, la ville peut déjà le faire. Elle ne le fait pas; elle n'a pas de politique systématique d'accueil, à mon point de vue, dans sa fonction publique. Le reflet en est qu'il y a un déséquilibre absolument flagrant: 97% de la fonction publique montréalaise est francophone alors que la composition de la population est d'environ 65% et 66%, en fait 65% et des virgules. Je pense qu'il y a un déséquilibre que la loi n'aurait pas empêché la ville de corriger si la volonté politique avait été là. De ce point de vue, il faut prendre avec un grain de sel un certain nombre des remarques qui ont été faites par le chef du Parti civique devant vous.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Doré. Merci, M. le député de Laurier. M. le député de Groulx.

M. Fallu: M. le Président, je sais gré aux gens du RCM qui sont devant nous d'avoir, comme ils le disent, évité la démagogie facile en présentant leur analyse linguistique par rapport au développement de Montréal dans le cadre général de l'histoire économique de Montréal depuis ces quelques dernières années. Cela nous est utile parce que, trop souvent, on a voulu se rabattre sur la Charte de la langue française pour excuser beaucoup d'autres dimensions - pour ne pas les qualifier - qui ont nui au développement de Montréal.

Votre mémoire présente un certain nombre d'analyses et de recommandations qui s'adressent, en fait, à la ville de Montréal elle-même. En ce qui a trait, par exemple, à l'affichage par la ville, déjà la charte, me semble-t-il, accorde des possibilités en termes de pictogrammes, ou encore lorsque la santé et la sécurité publique l'exigent. La charte, dis-je, donne à la ville les moyens d'informer la population de façon suffisante, me semble-t-il. Ce que je vois dans votre mémoire à la page 4, c'est au fond une accusation qui est reportée vers la ville elle-même plutôt que vers la charte.

En ce qui a trait à la fonction publique municipale, vous ne traitez que d'un seul aspect, celui de la proportion. Je trouve un peu étrange, et suis tout à fait étonné, d'apprendre que la ville de Montréal ne fait pas d'affichage public pour le recrutement de son personnel en d'autre langue que le français, ce qui est effectivement autorisé par la Charte de la langue française, alors que, par ailleurs, la ville, ayant l'autorité comme administration publique, a néanmoins défini que, par exemple, ses pompiers doivent être bilingues à 100%. C'est un peu étonnant qu'elle n'offre pas ces emplois de façon plus

officielle en anglais, puisque, quand même, la moitié de la communauté anglophone à Montréal est bilingue actuellement, d'après les statistiques. Il me semble qu'il faudrait à nouveau que le RCM fasse valoir ces points de vue auprès du conseil municipal.

Enfin, j'aurais d'autres commentaires dans le même sens. Je suis un peu étonné d'entendre ici ce type de remarques qui s'adressent, en fait, au conseil municipal plutôt qu'à nous. Néanmoins, en ce qui a trait au personnel spécialisé, le maire de Montréal est venu nous dire deux choses. La première, qu'il fallait la clause Canada; et la seconde partie de son mémoire sur ce sujet reflète le vôtre, puisqu'il est dit, mot à mot: "Les règles relatives à la connaissance du français imposée aux professionnels non francophones recrutés à l'extérieur du Québec devraient être assouplies." Je ne sais pas si cela rejoint vos recommandations, mais il me semble que oui, jusqu'à un certain point.

Quant au GAM, ces gens sont venus nous dire que c'était la clause universelle qu'ils souhaitaient. Je ne sais pas s'ils avaient le mandat de leur caucus pour le dire, mais je le suppose.

Néanmoins, ce que vous nous dites, j'aimerais le comprendre peut-être un peu mieux. Vous allez peut-être nous dire que vous nous renvoyez la balle, que vous nous renvoyez l'analyse concrète alors que vous nous apportez une réflexion d'ordre général. Vous dites d'étendre cette exception aux personnes recrutées pour permettre et accélérer le développement des ressources... Actuellement, on sait que c'est trois ans plus une autre période de trois ans possible. Pour vous, qu'est-ce que cela signifie d'étendre cette exception par rapport à la loi actuelle?

M. Doré: M. le député, très concrètement, ce que cela veut dire, c'est qu'actuellement la réglementation nous apparaît un peu restrictive. Elle parle d'études et de recherche. Ce sont les mots utilisés par la réglementation. Or, prenons par exemple, ce qui se passe actuellement. Il y a un centre de biotechnologie financé par le gouvernement fédéral qui va être construit dans un des parcs industriels de Montréal. C'est un centre de recherche, bien sûr, mais un centre de recherche qui devrait normalement déboucher sur des applications concrètes et qui devrait déboucher éventuellement sur la mise en production de dérivés de ces recherches à des fins de production de biens et de services utilisant les techniques de la biotechnologie. Quand on passe à cette étape, éventuellement, il faudrait avoir des centres de transfert de technologie et possiblement l'application dans des PME de ces nouvelles technologies. On ne parle plus de recherche, on ne parle plus nécessairement d'études, on parle de mise en marché, on parle de commercialisation, on parle de techniques de production qui ne sont pas de la recherche et qui ne sont pas des études. Je donne cet exemple, les gens qui actuellement possèdent le "know-how" en matière d'application concrète des techniques de biotechnologie sont particulièrement concentrés en Europe et aux États-Unis et plus particulièrement dans la région de la Californie. On pense à Genetec et à toutes ces entreprises, qui ont le "know-how" technique, soit comment on utilise des recherches purement théoriques, comment on les applique à des fins industrielles, comment on intègre cela dans un processus industriel et comment on en arrive à fabriquer des biens à partir de cela. C'est plus que de la recherche et de l'étude. Il s'agit concrètement de la mise en marché qui est au coeur souvent d'une création de petites et moyennes entreprises.

On pense que la réglementation telle qu'elle est formulée est trop restrictive pour permettre d'aborder ce genre de personnes. Ce sont les remarques qui nous ont été formulées entre autres par des gens dans le milieu des affaires et c'est le sens de la remarque que l'on formulait. Il ne faut pas se priver de compétences qui sont nécessaires au développement économique de Montréal au-delà du fait que la loi 101 peut avoir des perceptions négatives. On ne dit pas que la loi 101 n'a pas été perçue à l'extérieur et n'a pas pu avoir des effets indirects sur l'économie de Montréal. Ce qu'on dit, c'est qu'on n'est pas d'accord avec ceux qui, par contre, en font le bouc émissaire de tous les problèmes ou la cause de tous les maux de Montréal ou d'une grande partie des maux économiques de Montréal. Là-dessus, on ne marche pas dans ce discours parce qu'on pense que les problèmes sont beaucoup plus complexes et beaucoup plus sérieux que simplement cet exutoire trop facile auquel trop souvent des commentateurs et divers intervenants en matière économique ont stigmatisé la loi 101 comme étant la responsable de tous les maux; c'est une excuse un peu facile pour cela. La remarque, on la fait dans ce sens.

Il reste que sur la question d'ensemble de la langue de l'enseignement, on ne s'est pas prononcé comme parti. On pense que c'est une question qui ne regarde pas le conseil municipal de Montréal, qui regarde globalement l'Assemblée nationale du Québec. On a donc refusé d'embarquer dans ce débat, chez nous.

Par contre, les restrictions imposées par la charte, qui, je le souligne, s'appliquent aussi bien aux anglophones qu'aux francophones... Les anglophones ou certains immigrants ont perdu le droit d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Mais à l'inverse les francophones ont également perdu le droit qu'ils avaient dans certains cas d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise. La restriction

s'applique aussi en matière de l'enseignement dans les deux cas. La réglementation telle qu'elle est appliquée nous a été soulignée comme étant peut-être un peu restrictive et c'est en ce sens que l'on voyait des assouplissements.

Sur le premier aspect de votre remarque, il y a peut-être des choses qui, dans le contexte du document qu'on vous a présenté, s'adressent à la ville, mais il y a des choses qui s'adressent également au gouvernement. Lorsque l'on parle par exemple de la nécessité de pouvoir distribuer des publications bilingues, pour que la ville fasse connaître ses services, pour que la ville fasse connaître ses politiques, pour que la ville fasse connaître sa réglementation, je vous souligne qu'actuellement, ce n'est pas possible de le faire dans le contexte de la loi et qu'il faut amender la loi pour y arriver.

Je vous souligne également qu'il nous semblerait que l'affichage dans les centres culturels gérés par la ville, les maisons de la culture, dans les quartiers où l'on dessert des populations anglophones ou allophones, où on annonce des activités sociales, ou je dirais même, à caractère sportif pourrait être fait en français et dans d'autres langues, ce que la loi telle qu'elle est faite actuellement ne permettrait pas de faire.

En ce sens, les remarques ne s'adressent pas uniquement à la ville. On constate des choses en ce qui concerne la ville et dans l'application qu'elle a faite de la charte, mais on constate aussi que la charte comporte des limitations quant à pouvoir assurer que dans l'administration municipale, l'on puisse offrir des services, rejoindre la population quelle que soit son appartenance ethnique ou culturelle. C'est en ce sens-là que l'on a formulé des propositions Michael a peut-être des remarques additionnelles. (15 h 15)

M. Fainstat: Par exemple, quelque chose qui est très près de mon coeur, j'ai ici un dépliant sur la menace nucléaire qui a été distribué à Westmount dans les deux langues. C'est bilingue. J'aurais bien voulu que l'on puisse faire la même chose dans les quartiers multilingues de la ville de Montréal, qu'il y ait des dépliants distribués de porte en porte par la municipalité avec un message sur les deux côtés dans les quartiers avec une forte proportion de non-francophones.

M. Fallu: D'ailleurs, votre président l'a souligné tout à l'heure pour l'activité interne de votre parti, en vertu de l'article 59. Il en va de même pour ce type de dépliant. Pour tout ce qui touche aux messages de type religieux, politique, idéologique ou humanitaire, pour les organismes qui ne sont pas à but lucratif, les formes de multilinguisme sont nommément prévues par les dispositions de la charte à l'article 59.

M. Doré: On appliquait cette politique avant l'adoption de la charte, mais la charte ne nous a pas empêchés de poursuivre. D'accord?

M. Fallu: Oui. Je vous remercie de vos remarques.

M. Doré: De rien.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Merci, M. le Président. Je veux tout simplement dire à M. Doré, entre autres, que nous avions eu l'occasion de nous rencontrer à une émission à Radio-Québec en compagnie du ministre et que je suis très heureux qu'il soit venu expliquer la position de son parti. Cela a été beaucoup plus facile de la comprendre ici que ce ne l'était à cette émission. Cela n'est pas à vous que je le reproche. Je vous remercie, M. Doré, M. Fainstat, et les membres de votre parti, pour la présentation que vous nous avez faite. Vous connaissez la position de notre parti sur l'affichage public. Je vous avoue franchement que les remarques que vous nous faites cet après-midi nous amèneront à réfléchir un peu plus à fond sur la question. Merci.

M. Doré: Merci.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: En terminant, je veux vous remercier et aussi apporter une précision, parce que ce que j'ai dit au sujet des rapports entre l'office et la ville de Montréal n'était pas tout à fait exact. Il y a eu effectivement une première prise de contact entre la ville et l'office pour obtenir un nombre de postes bilingues. L'office a demandé de préciser quels postes et pour quelles raisons, et il n'y a pas eu de développement ultérieur. En vertu de l'article que vous avez cité tout à l'heure où l'employeur peut exiger que certains postes requièrent une autre langue que le français, l'office voulait obtenir une liste précise avec une description des postes pour éviter toute plainte contre la ville de Montréal prise par ses employés. La deuxième étape n'a pas encore été franchie, mais l'office est tout à fait disposé à reconnaître avec la ville de Montréal un certain nombre de postes requérant la connaissance d'une autre langue que le français, mais à condition de savoir d'avance quels postes et quelles sont les descriptions de tâches qui accompagnent ces postes. Merci encore une fois, messieurs.

Le Président (M. Gagnon): Oui, M. Doré.

M. Doré: M. le Président, c'est simplement pour remercier les membres de la commission de leur attention.

Le Président (M. Gagnon): Merci au Rassemblement des citoyens et des citoyennes de Montréal de cet apport à la commission parlementaire.

Sur ce, nous avons terminé l'ordre du jour pour aujourd'hui. Je vous donne rendez-vous au mardi 8 novembre 1983, à 10 heures, pour une autre journée de cette commission.

La commission permanente des communautés culturelles et de l'immigration ajourne donc ses travaux à mardi, 10 heures.

(Fin de la séance à 15 h 19)

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