Journal des débats de la Commission de la culture et de l’éducation
Version préliminaire
42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)
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Le
jeudi 23 septembre 2021
-
Vol. 45 N° 94
Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français
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11 h (version non révisée)
(Onze heures vingt-quatre minutes)
La Présidente (Mme Thériault) :
À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la
séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte.
La commission est réunie afin de
poursuivre les auditions publiques dans le cadre des consultations
particulières sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue
officielle et commune du Québec, le français.
M. le secrétaire, y a-t-il des
remplacements?
Le Secrétaire
: Oui,
Mme la Présidente. Mme IsaBelle (Huntingdon) est remplacée par M. Lévesque
(Chapleau); Mme Rizqy (Saint-Laurent) est remplacée par M. Barrette
(La Pinière); Mme St-Pierre (Acadie) est remplacée par M. Birnbaum
(D'Arcy-McGee); Mme Dorion (Taschereau) est remplacée par Mme Ghazal
(Mercier) et Mme Hivon (Joliette) est remplacée par M. Bérubé
(Matane-Matapédia).
La Présidente (Mme Thériault) :
Parfait. Merci. Donc, ce matin, nous entendrons les témoins suivants : l'Association
des commissions scolaires anglophones du Québec, ils sont avec nous au
Parlement, ainsi que M. André Binette qui, lui, sera en visioconférence.
Donc, sans plus tarder, je vais souhaiter
la bienvenue aux représentants de l'Association des commissions scolaires
anglophones du Québec. Je vais vous inviter à vous présenter et procéder à
votre exposé d'une durée d'environ 10 minutes. Allez-y.
M. Lamoureux (Dan) : O.K.
Merci beaucoup. Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les députés,
merci d'avoir accepté de nous recevoir sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français.
Je suis Dan Lamoureux, président de l'Association des commissions scolaires
anglophones du Québec, et je suis accompagné de Russell Copeman, notre directeur
général.
The members school boards
at the Quebec Anglo School Boards, QESBA, serves some 100,000 students in
roughly 330 elementary, high schools, adult and vocational centers throughout
Québec. We have English schools from Chibougamau in the North, to Franklin near the US border in the South, and from
Témiscamingue in the West to l'Îles-de-la-Madeleine in the East.
Our comments on Bill 96
cover two broad things, those related directly to the education provisions of
the bill and those which are more generally of concern to the English-speaking
community of Québec, in which school boards play a major role. But,
first, some general observations.
M. Copeman (Russell) : Nous
avons compris depuis longtemps que l'une de nos grandes responsabilités
consiste à préparer nos élèves de manière adéquate pour vivre et travailler au
Québec. Les commissions scolaires anglophones du Québec ont été les pionniers
de l'enseignement de la langue seconde au Canada. L'immersion en français, très
répandue dans nos écoles, fut développée et d'abord introduite dans la
commission scolaire South Shore Protestant Regional School Board, au milieu des
années 1960. Plus de 50 ans plus tard, la majorité de nos élèves sont
inscrits dans une forme quelconque de programme intensif de français langue
seconde, et plusieurs commissions scolaires comptent des élèves qui réussissent
les cours de français langue maternelle au secondaire. Tous ceux qui sont diplômés
des écoles secondaires anglophones québécoises sont considérés, par le
gouvernement du Québec, d'avoir une connaissance…
M. Copeman (Russell) :
...dans une forme quelconque de programme intensif de français langue seconde,
et plusieurs commissions scolaires comptent des élèves qui réussissent les
cours de français langue maternelle au secondaire. Tous ceux qui sont diplômés
des écoles secondaires anglophones québécoises sont considérés, par le gouvernement
du Québec, d'avoir une connaissance adéquate du français parlé et écrit.
Le projet de loi n° 96 représente une
révision majeure de la Charte de la langue française et du régime linguistique
qui en résulte. Si l'intention du gouvernement du Québec était de contribuer au
renforcement des valeurs communes des Québécois en actualisant la Charte de la
langue française, le projet de loi n° 96 n'a pas
réussi à le faire. Des sondages d'opinion démontrent une profonde division,
pardon, de l'appui envers ce projet de loi chez les Québécois d'expression
française et anglaise. Nous avons connu de nombreuses années de ce qui est
qualifié de «paix linguistique» au Québec. Le projet de loi n° 96, de même
que d'autres mesures législatives récentes ont beaucoup divisé les Québécois et
fragilisé cette paix linguistique. Une telle situation ne favorise ni une
appréciation mutuelle ni le renforcement des valeurs communes du Québec.
En matière d'admissibilité à
l'enseignement en anglais, le projet de loi n° 96 modifie la Charte de la
langue française en la durée des autorisations temporaires de recevoir
l'enseignement en anglais. Le projet de loi propose que l'autorisation
d'admissibilité d'un enfant à charge d'un ressortissant étranger qui séjourne
au Québec de façon temporaire est valide pour une période de trois ans et ne
peut être renouvelée. Il s'agit là d'un changement majeur. À l'heure actuelle,
bien que les autorisations d'admissibilité temporaire soient valides pour trois
ans, elles peuvent être renouvelées à condition que le statut, au Québec, des
parents ou de l'étudiant ne change pas. Le nombre d'élèves qui fréquentent les
écoles anglophones en vertu d'une autorisation d'admissibilité temporaire
représente un très faible pourcentage des élèves dans les écoles publiques au
Québec.
• (11 h 30) •
L'ACSAQ a demandé à nos neuf commissions
scolaires membres le nombre d'élèves inscrits durant la dernière année scolaire
en vertu d'une autorisation d'admissibilité temporaire. Le total d'élèves
inscrits dans les écoles publiques anglophones en vertu de ces autorisations
temporaires au cours de la dernière année scolaire se chiffrait à 4 108.
Or, de ce nombre, 926 s'avéraient des exemptions temporaires pour les membres
des forces armées canadiennes, et non, par définition, de ressortissants
étrangers. Ainsi, le nombre d'étudiants étrangers fréquentant les écoles
publiques anglophones l'an dernier était seulement 3 182. Ce chiffre ne représente
que 0,33 % des effectifs scolaires au Québec, mais donne un
peu d'oxygène à notre système scolaire, dont les effectifs scolaires ont été
réduits de 60 % depuis 1975. Cette nouvelle restriction qui limite
la durée des autorisations d'admissibilité temporaire entraînera
certainement...
11 h 30 (version non révisée)
M. Copeman (Russell) : ...des effectifs
scolaires au Québec, mais donne un peu d'oxygène à notre système scolaire, dont
les effectifs scolaires ont été réduits de 60 % depuis 1975. Cette
nouvelle restriction qui limite la durée des autorisations d'admissibilité
temporaire entraînera certainement une diminution des inscriptions dans notre
réseau.
De
plus, elle peut avoir une incidence négative sur la capacité d'attirer les
ressortissants étrangers qui peuvent souhaiter que leurs enfants fréquentent
une école anglophone pendant leur séjour temporaire au Québec.
Étant
donné le nombre relativement faible d'élèves touchés, étant donné que ces
autorisations d'admissibilité temporaire ne confèrent aucun droit acquis de
fréquenter une école anglophone de façon permanente, étant donné que les élèves
étrangers inscrits dans les écoles anglophones reçoivent un excellent
enseignement du français, la proposition du projet de loi n° 96 de limiter
à un maximum de trois ans les autorisations d'admissibilité temporaire à
l'enseignement en anglais des ressortissants étrangers semble être une solution
à la recherche d'un problème.
S'il
est important pour le Québec d'être compétitif pour attirer des ressortissants
étrangers possédant des talents spécifiques vers le Québec, sur une base
temporaire et pour toutes les raisons exposées ci-haut, cette mesure ne doit
pas être adoptée.
L'ACSAQ
recommande que cette modification soit retirée du projet de loi et qu'elle
laisse ouverte la possibilité de renouveler les autorisations d'admissibilité
temporaire à l'enseignement en anglais pour la durée complète des séjours
temporaires.
La
Charte de la langue française établit les exigences en matière de langue de communication
de l'administration publique. En ce qui concerne les commissions scolaires,
elle établit les circonstances selon lesquelles le français et l'anglais
peuvent être utilisés et quand l'anglais peut être utilisé seul, par exemple,
dans nos communications d'ordre pédagogique.
Il
n'est pas très clair si le projet de loi n° 96
modifie les exigences pour les commissions scolaires en matière de langue de
communication avec les personnes morales tels les entreprises, les associations
et nos partenaires communautaires. Des précisions à cet égard seraient
bienvenues.
Les
Québécois sont fiers, à juste titre, de notre Charte des droits et libertés de
la personne, qui est progressive, complète, innovatrice.
Or,
de notre avis et de celui de plusieurs juristes, la suspension de ces droits
fondamentaux doit se faire avec prudence et prévoir un champ d'application
limité.
Le
projet de loi n° 96 incorpore les dispositions de dérogation québécoises
et fédérales dans les chartes des droits et libertés directement dans la Charte
de la langue française et les applique à tous les articles de cette charte. Le
recours global et préventif aux dispositions de dérogation mettra tous les
articles de la Charte de la langue française à l'abri de contestations
judiciaires en vertu des chartes des droits. La raison...
M. Copeman (Russell) :
…française et les applique à tous les articles de cette charte. Le recours
global et préventif aux dispositions de dérogation mettra tous les articles de
la Charte de la langue française à l'abri de contestations judiciaires en vertu
des chartes des droits.
La raison d'invoquer les dispositions de
dérogation pour chacune des dispositions du projet de loi n° 96 et…
conséquemment, pardon, la totalité de la Charte de la langue française, n'a pas
été clairement expliquée. Cette mesure prive tous les Québécois et Québécoises
de la protection de nos droits fondamentaux.
L'ACSAQ maintient que les
articles 118, 199 et 200, invoquant les dispositions de dérogation dans la
charte québécoise des droits et libertés de la personne et de la Charte
canadienne des droits et libertés soient retirés du projet de loi.
M. Lamoureux
(Dan) : We have presented to you the main
thrust of our brief, those more specific to education, however, we have
outlined other issues in more detail in our written submission.
The Québec English School
Boards Association believes in the need to promote and protect the French
language in Québec and indeed throughout Canada. We are the pioneers of French
emersion. We ensure the success in French for all our students and prepare them
to live and work in Québec with pride. But that protection and promotion of the
French language should not be done by setting aside the fundamental rights of Quebeckers or by potentially infringing on our constitutional
rights.
Tel que nous avons
exposé dans notre mémoire, le projet de loi n° 96 doit être modifié.
Nous serons maintenant heureux de répondre
à toutes vos questions ou à vos commentaires. Merci.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci beaucoup. Donc, avant de céder la parole au ministre, je veux tout
simplement souligner le fait que M. Russ Copeman a été député de
Notre-Dame-de-Grâce, ici, au parlement, aussi. On reçoit beaucoup de députés,
ces temps-ci, donc je voulais souligner votre présence. C'est un féru de nos
règles parlementaires, M. le ministre. La parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Merci,
Mme la Présidente. Salutations à M. Lamoureux, M. Copeman,
bienvenue à l'Assemblée nationale. C'est toujours un plaisir de vous voir,
M. Copeman, revenir à l'Assemblée nationale.
D'entrée de jeu, je tiens à le dire et à
le réitérer, et je l'ai dit au moment du dépôt du projet de loi, il n'y a rien,
dans le projet de loi n° 96, qui fait en sorte de porter atteinte aux
droits et aux institutions de la communauté anglophone.
So as I say before, when
I tabled that bill, there is nothing in the Bill 96 that affects the
rights of the English-speaking community, here in Québec, or the institutions,
and I want to reassure that.
Aussi, j'ai
également dit que, dans le projet de loi n° 96, on conférait davantage de
droits, également, à la communauté anglophone en faisant en sorte que des
ayants droit, qui allaient à l'école anglophone, anglaise, au primaire et au
secondaire, allaient avoir une priorité au cégep afin justement de pouvoir
poursuivre dans leur langue leurs études supérieures pour faire en sorte qu'ils
puissent accéder à leurs propres institutions, aux institutions de la
communauté anglophone…
M. Jolin-Barrette : ...en
faisant en sorte que des ayants droit qui allaient à l'école anglophone,
anglaise, au primaire et au secondaire, allaient avoir une priorité au cégep
afin, justement, de pouvoir poursuivre dans leur langue leurs études
supérieures pour faire en sorte qu'ils puissent accéder à leurs propres institutions,
aux institutions de la communauté anglophone.
So, as I said before, when
I tabled that bill, we give more rights to the English speaking community to
make sure that the members of the English community will be able to study in
their own language in… in elementary school, in high school and also in cégep
in their own language. So, that bill doesn't affect anything about the
English-speaking community rights or institutions.
Ceci étant dit, Mme
la présidente, je vous remercie pour la présentation de votre mémoire. D'entrée
de jeu je voudrais vous demander est-ce que votre organisation reconnaît que le
français est en déclin au Québec.
M. Copeman (Russell) : M.
le ministre, nous ne sommes pas des démographes ni des sociologues. Et on l'a
dit dans le mémoire, qu'on n'embarquerait pas dans une discussion sur le
relatif déclin du français. On n'a qu'observé entre autres que par certaines
mesures, entre autres si on prend la langue parlée à la maison plus
fréquemment, le Québec n'a jamais été autant français qu'il l'est aujourd'hui. Est-ce
qu'il y a des situations sur l'île de Montréal, est-ce qu'il y a des situations
ailleurs? Possiblement, mais ce n'est pas notre domaine d'expertise. Nous
sommes ici pour en parler des implications du projet de loi n° 96 sur le
réseau scolaire.
M. Jolin-Barrette :
Donc, je comprends que vous ne niez pas qu'il y a un déclin du français. Parce
que dans la société québécoise, il y a pas mal un consensus à l'effet qu'effectivement,
et les études statistiques démontrent, que ça soit de l'OQLF, que ça soit du Conseil
supérieur de la langue française, démontrent qu'il y a un déclin du français,
que le français continue à décliner si aucune mesure n'est prise. Alors, je
comprends que votre organisation n'est pas un spécialiste des données démographiques,
mais est-ce que votre organisation reconnaît ce déclin-là?
M. Copeman (Russell) : M.
le ministre, c'est à peu près la même question. Et je vous donne à peu près la
même réponse.
M. Jolin-Barrette :
D'accord.
M. Copeman (Russell) : Je
pense que M. Churchill a dit : «There are three types of statistics.
There are statistics, damned statistics and lying statistics». Alors, on peut
quasiment tout dire avec des statistiques, là. Ce n'est pas notre domaine.
Notre domaine, c'est de représenter les positions des commissions scolaires sur
le projet de loi n° 96. Et là, si vous me permettez, quand vous dites, M.
le ministre, et avec respect, qu'il n'y a rien qui affecte les institutions de
la communauté anglophone, nous plaidons que la limite sur trois ans des
admissibilités temporaires va affecter nos institutions. Ça va diminuer nos
inscriptions. Si ce n'est pas... Si ce n'est pas affecter des institutions, je
ne sais pas qu'est-ce que c'est.
M. Jolin-Barrette :
Est-ce que vous croyez... Parlons-en de la notion de trois ans. Parce
qu'actuellement...
M. Copeman (Russell) : ....que
la limite sur trois ans des admissibilités temporaires va affecter nos institutions.
Ça va diminuer nos inscriptions. Si ce n'est pas affecter des institutions, je
ne sais pas qu'est-ce que c'est.
M. Jolin-Barrette : Est-ce
que vous croyez... Parlons-en de la notion du trois ans, parce qu'actuellement,
la structure de la Charte de la langue française fait en sorte qu'une personne
en situation temporaire qui vient au Québec... Je suis une personne immigrante.
Je choisis de venir au Québec de façon temporaire avec un permis de travail
temporaire. Mes enfants peuvent aller à l'école anglaise tout le long de leur
parcours scolaire, hein? Ça veut dire que, si les enfants commencent le
primaire ici, ils peuvent poursuivre parce que ça peut être renouvelé tant que
le permanentisation de la personne n'est pas effectuée.
• (11 h 40) •
Et même s'il y a permanentisation, en
raison de la Loi constitutionnelle de 1982, en raison de la charte des droits
et libertés que M. Trudeau père a mis en place, ça fait en sorte que... le
parcours authentique fait en sorte que les personnes immigrantes se voient
doter d'un droit pour faire en sorte qu'eux vont conserver le droit d'aller à
l'école anglaise, et leurs enfants également, dans le futur, et leurs
petits-enfants vont avoir le droit d'aller à l'école anglaise, ce qui est en
contravention directe avec l'esprit même de la Charte de la langue française,
le fait de dire qu'au Québec, on accueille les immigrants en français dans les
institutions francophones.
Donc, je vous pose la question. L'idée,
avec la limitation de trois, c'est de faire de permettre... une personne qui
vient travailler temporairement au Québec, parce qu'elle va retourner, de, oui,
lui permettre d'étudier... que ces enfants, pour une période temporaire, soient
trois ans à l'école. Mais, si elle renouvelle son permis et qu'elle vient
s'établir durablement dans la société québécoise, qu'elle s'intègre dans les institutions
francophones, comme c'est l'objectif de la Charte de la langue française.
Alors, ma question pour vous : Êtes-vous d'accord qu'au Québec, les
enfants des personnes immigrantes qui choisissent le Québec s'intègrent en
français, comme le prévoit la Charte de la langue française?
M. Copeman (Russell) : M. le
ministre, vous avez soulevé une apparence de contradiction entre le
renouvellement des permis temporaires et les objectifs de la charte. Si c'est
une contradiction, c'est une contradiction qui existe depuis le début de la
charte. Ce n'est pas nouveau.
M. Jolin-Barrette : Et donc,
s'il y a contradiction, est-ce qu'on doit perpétuer ce trou dans la Charte de
la langue française? Est-ce que vous êtes d'accord avec moi, M. Copeman,
que les personnes immigrantes qui choisissent de venir immigrer au Québec
doivent s'intégrer, peu importe leur provenance dans le monde, là, hein? Toute
personne immigrante qui vient s'établir au Québec devrait-elle fréquenter les institutions
francophones parce qu'elle vient au Québec et que l'objectif de la Charte de la
langue française, c'est qu'elle puisse étudier dans les institutions francophones?
Et c'est de cette façon-là qu'on a réussi à augmenter le taux de transfert
linguistique pour faire en sorte d'assurer la pérennité de la langue française
au Québec par le biais de l'immigration.
M. Copeman (Russell) : Mais la
situation que vous avez décrite, M. le ministre, concernant la possibilité pour
la personne d'avoir des droits de fréquenter pour les enfants et petits
enfants, de un, il faudrait que cette personne-là devienne citoyenne
canadienne, parce que, sans la citoyenneté canadienne...
M. Jolin-Barrette :
...immigration.
M. Copeman (Russell) : Mais la
situation que vous avez décrite, M. le ministre, concernant la possibilité pour
la personne d'avoir des droits de fréquenter pour les enfants et petits
enfants, de un, il faudrait que cette personne-là devienne citoyenne
canadienne, parce que, sans la citoyenneté canadienne, cette voie n'est pas
ouverte à la personne.
Deuxièmement, nous, on prétend que les
écoles anglophones... on dit anglophones, on ne devrait pas, hein, on s'entend,
on devrait dire les écoles anglaises, là, mais même nous, on fait cette
erreur-là, mais les écoles anglaises sont parfaitement capables de faire en
sorte de préparer les jeunes pour s'intégrer à la société québécoise pour
apprendre le français et pour parler le français. Si vous me demandez :
Est-ce que les immigrants doivent aller dans les écoles françaises? La réponse,
c'est oui, mais on parle d'une situation temporaire d'un très petit nombre.
Si... Non, mais si vous dites, M. le ministre, que 3 000 personnes
vont perturber ultimement ceux qui restent, ceux qui deviennent citoyens, ceux
qui choisissent de rester au Québec, si vous me dites que — ça, c'est
beaucoup de «si», là — après tout ça, quelques milliers de personnes
vont perturber l'équilibre linguistique au Québec, on n'est pas d'accord et on
pense que ces gens-là devraient être capables d'avoir ce permis-là renouvelé.
M. Jolin-Barrette : Bien,
dans un premier temps, c'est plusieurs milliers de personnes, et je tiens à
réitérer que l'exception pour les diplomates étrangers et pour les militaires
canadiens, ça, ça va demeurer et ça va continuer de s'appliquer, le
renouvellement. Mais vous nous dites : Écoutez, on est capable, dans les commissions
scolaires anglophones, de franciser les nouveaux arrivants. Bernard Tremblay,
le président de la Fédération des cégeps disait, et je le cite : J'ai des
témoignages de direction générale de cégeps anglophones qui me disent : Le
français des anglophones qui ont fréquenté des commissions scolaires
anglophones au Québec est épouvantable, ils ne parlent pas français ou à peu près
pas. Alors, ça, c'est ce que M. Tremblay dit. Et moi, je m'inscris en faux
avec ce que vous dites parce que ça va à l'encontre de la Charte de la langue
française de dire : Les personnes immigrantes pourront fréquenter les
écoles anglaises du Québec d'une façon permanente.
Et je vous réitérerais aussi, parce que,
bon, j'ai eu un petit passé au ministère de l'Immigration, il y a beaucoup de
personnes en situation temporaire qui deviennent immigrants permanents, et qui
obtiennent leur résidence permanente, et qui obtiennent leur citoyenneté. Et
c'est même une volonté du gouvernement du Québec de faire en sorte que les gens
arrivent dans une situation temporaire pour venir notamment répondre à la
pénurie de main-d'oeuvre, viennent contribuer à la société québécoise, mais en
s'intégrant en français à la société québécoise. Et c'est ça, le pacte social
que nous avons au Québec de faire en sorte d'assurer la pérennité et la
vitalité de la langue française, de faire en sorte que les personnes
immigrantes puissent s'intégrer, au Québec, en français.
M. Copeman (Russell) : Je ne
commenterai pas nécessairement le commentaire de...
M. Jolin-Barrette : …société québécoise,
mais en s'intégrant en français à la société québécoise. Et c'est ça le pacte
social que nous avons au Québec de faire en sorte d'assurer la pérennité et la
vitalité de la langue française, de faire en sorte que les personnes immigrantes
puissent s'intégrer au Québec en français.
M. Copeman (Russell) : Je ne
commenterai pas nécessairement le commentaire de…
M. Jolin-Barrette :
M. Tremblay?
M. Copeman (Russell) :
M. Tremblay, sauf pour vous dire que le gouvernement du Québec reconnaît
que les élèves qui sont diplômés du secondaire V des écoles anglaises au Québec
sont réputées d'avoir une connaissance adéquate du français parlé et écrit. La
preuve de ça, c'est que ces gens-là sont exemptés des tests linguistiques pour
les professionnels. Alors, si le gouvernement du Québec, depuis 30 ans,
plus, reconnaît que les diplômés des écoles anglophones secondaires sont
réputés d'avoir une connaissance adéquate du français et de l'anglais, je pense
qu'on devrait prendre ça pour acquis. Par ailleurs, M. le ministre, mes
trois enfants, tous des gradués des écoles de la commission scolaire
English-Montréal pourraient être ici avec nous et discuteraient avec vous dans
un français peut-être pas impeccable, mais sûrement fonctionnel.
M. Jolin-Barrette : Mais ça,
c'est très bien puis je vous en félicite. Mais fondamentalement, fondamentalement,
il y a un enjeu parce que vous nous dites : Écoutez, ça fait 30 ans
que ça fonctionne de même.
M. Copeman (Russell) : Ça
fonctionne bien.
M. Jolin-Barrette : Non, non,
mais ça fonctionne comme vous voulez que ça fonctionne, puis vous êtes d'accord
avec le statu quo. Moi, ce que je vous dis, c'est qu'il y a un enjeu, puis il y
a un enjeu pour faire en sorte que les personnes immigrantes s'intègrent en
français. Puis la meilleure façon, et M. Rocher nous l'a dit également,
pour le taux de transfert linguistique, c'est de faire en sorte de les amener
dans le réseau francophone pour faire en sorte que, d'une façon durable, ils
apprennent le français.
Peut-être avant de céder la parole à mes collègues,
j'aurais une question, parce que la commission scolaire English-Montréal est
membre de votre organisation, ils ont nié, dans une résolution qu'ils ont adoptée,
le concept de nation au Québec, je serais curieux de savoir qu'est-ce que
l'association pense de cette position-là qui, par la suite, on a constaté que
la commission scolaire English-Montréal s'est rétractée, mais je pense que
c'était un commentaire malheureux de leur part et également déplorable. Alors,
je voudrais savoir, votre organisation, qu'est-ce qu'elle en pense?
M. Copeman (Russell) : Bien,
je pense que de l'aveu même du président de la commission scolaire
English-Montréal, cette résolution initiale était mal avisée. C'est un constat
qu'on partage, et le conseil des commissaires de la commission scolaire
English-Montréal, manifestement, sont venus à conclusion que la résolution
était mal avisée, parce qu'ils l'ont résiliée. Alors, pour moi, c'est la fin de
l'histoire.
M. Jolin-Barrette : Parfait.
Je vous remercie beaucoup pour votre présence à la commission parlementaire. Je
sais que mon collègue de Sainte-Rose souhaite vous poser des questions.
La Présidente (Mme Thériault) :
Oui. Et M. le député de Sainte-Rose, il vous reste 3 min 30 s à
l'échange.
M. Skeete : Merci beaucoup,
Mme la Présidente. Vous avez…
M. Copeman (Russell) : …que la
résolution était mal avisée, parce qu'ils l'ont résiliée. Alors, pour moi c'est
la fin de l'histoire.
M. Jolin-Barrette : Parfait.
Je vous remercie beaucoup pour votre présence en commission parlementaire. Je
sais que mon collègue de Sainte-Rose souhaite vous poser des questions.
La Présidente (Mme Thériault) :
Oui, et M. le député de Sainte-Rose, il vous reste 3 minutes 30 à
l'échange.
M. Skeete : Merci beaucoup, Mme
la Présidente. Vous avez parlé, tantôt, que vous n'êtes pas démographe et que
vous ne voulez pas vous éparpiller dans des domaines qui ne touchaient pas
l'éducation. En regardant votre mémoire, je constate que vous parlez ici
d'accès à la justice, modifications constitutionnelles. En quoi le présent projet
de loi affecte votre quotidien à l'intérieur de ces juridictions-là,
juridiques, constitution, dérogations, etc.?
M. Copeman (Russell) : Alors, M.
le député, nous avons quelques préoccupations, et c'est évidemment une question
d'interprétation. Quand il y a un amendement constitutionnel à la constitution
du Canada qui indique que le français est la seule langue officielle du Québec,
est-ce qu'il n'y a pas possibilité ou une apparence de conflit potentiel avec
la section 133 de l'acte constitutionnel de 1982 qui indique, en autres,
que le français et l'anglais peuvent être utilisés dans la législature et dans
les tribunaux? Alors, on pose la question, M. le député, et je pense que vous
allez constater, dans les jours qui suivent, qu'il y a, effectivement, une
différence d'interprétation, parfois, dans ces choses-là. En termes d'accès à
la justice, la même chose, la disposition de la loi 96 qui indique qu'il
faut que ce soit le ministre de la Justice et le ministre responsable de la
Langue française, en l'occurrence la même personne, pour l'instant, qui doit
autoriser si les juges peuvent avoir une connaissance de l'anglais. Nous
craignons que ça peut restreindre le bassin de juge avec une connaissance
suffisante de l'anglais pour entendre des causes, et ça, je vois le ministre de
la Justice qui fait signe que non, tant mieux. Qu'on nous éclaircisse ça, aucun
problème, mais c'est une préoccupation majeure, et ça, c'est également un droit
constitutionnel.
• (11 h 50) •
M. Skeete : Mais vous savez
comme moi, certainement, par vos nombreuses années à ce parlement que la clause
dérogatoire ne touche pas tous les paragraphes de la constitution. On parle,
ici, de 2 et de 7 à 15. Donc, en quoi votre inquiétude, sur ces clauses-là,
pourrait affecter le service rendu aux Québécois d'expression anglaise?
M. Copeman (Russell) : Mais
c'est l'utilisation de la clause dérogatoire pour toutes les dispositions de la
loi 96, et par le biais de 96 à toutes les dispositions de la Charte de la
langue française…
M. Skeete : Ça vous affecte
dans votre mandat, votre mission à l'éducation?
M. Copeman (Russell) : Bien,
si on interprète, M. le député, possiblement qu'il y a conflit entre…
M. Copeman (Russell) : ...de la
loi n° 96, et par le biais de n° 96,
à toutes les dispositions de la Charte de la langue française...
M. Skeete : Puis ça, ça vous
affecte dans votre mandat, votre mission à l'éducation?
M. Copeman (Russell) : Bien,
si on interprète, M. le député, possiblement qu'il y a conflit entre des articles
du projet de loi n° 96. Et si quelqu'un veut tenter de contester ces articles-là en vertu de la charte québécoise ou en vertu de la charte canadienne, ils ne pourront pas le faire à cause de la clause
dérogatoire. Et nous, on pense que, dans une société de droit, les citoyens, les organismes devraient avoir la possibilité de contester des lois, comme a fait l'ACSAQ, avec succès, par ailleurs, récemment.
La Présidente (Mme
Thériault) : Et ceci met fin à l'échange. Donc,
je vais me tourner maintenantdu côté del'opposition
officielle. Mme la députée de
Marguerite-Bourgeoys, la parole est à vous.
Mme David :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lamoureux. Bonjour, M. Copeman,
rebienvenue à l'Assemblée nationale. Écoutez, je vais revenir sur ce qui vous
préoccupe le plus, c'est-à-dire la question des enfants de ressortissants
étrangers. Moi qui pensais avoir l'exemple parfait, je pense que ça
reste un exemple intéressant, Kamala Harris, qui est venue passer cinq ans et
qui est repartie. Je pensais que c'était ça, l'exemple type. Donc, je vais vous
poser un certain nombre de questions, peut-être complémentaires à celles du
ministre.
Il y a quatre... parce que ce n'est pas
simple, hein, ça, on navigue dans des choses, là, compliquées... il y a quatre
catégories de personnes qui séjournent temporairement. Il y a les
ressortissants étrangers. Je pense que c'est la seule catégorie visée par,
justement, l'article 56. Il y a les citoyens canadiens qui séjournent au Québec
pour y étudier ou y travailler. Les ressortissants affectés au Québec à titre
de représentants d'un pays — alors, ça, c'est vraiment la diplomatie — ou
d'un organisme international étranger. Là, je ne suis plus trop sûre si c'est
l'ONU ou, etc. Et les membres des Forces armées canadiennes.
Alors, vous, vous mentionnez, dans votre
mathématique, d'ailleurs bien expliquée, qu'il y a donc 4 108, selon votre
analyse, là, votre sondage interne des commissions scolaires... 4 108 des
quatre catégories, dont on soustrait une seule catégorie, qui est les
militaires. Vous ne soustrayez pas les représentants diplomatiques ou organisme
international étranger? Ça a peut-être...
M. Copeman (Russell) : C'est
parce qu'on n'avait pas ces chiffres, Mme la députée, c'est tout.
Mme David : O.K. Donc, c'est
minimalement, disons, 4 108 moins 926, mais ça pourrait être moins
1 500, disons, plutôt que 926. C'est ça?
M. Copeman (Russell) : Tout à
fait.
Mme David : O.K. Donc, c'est
le total moins une des trois autres catégories qui seraient exemptés. Il reste
donc les enfants. Comme Kamala Harris... Sa mère, à l'époque, dans les années
70... Et elle, elle a diplômé en 1980. Elle a donc... Comme on avait dit, là,
dans les journaux quand, évidemment, Joe Biden a été élu, Kamala Harris... Montréal
célèbre l'assermentation de...
Mme David : ...les
enfants, comme Kamala Harris, sa mère, à l'époque, dans les années 70, et
elle, elle a diplômé en 1980. Elle a donc, comme on avait dit, là, dans les
journaux quand, évidemment, Joe Biden a été élu... Kamala Harris... Montréal
célèbre l'assermentation de Kamala Harris. Elle a passé cinq ans.
Et là, bon, tout le monde était bien fier,
mais c'est parce que sa mère était chercheure, invitée à statut de chercheure à
l'Université McGill. Elle y est restée cinq ans et elle a décidé de repartir
avec Maya et Kamala après cinq ans. D'ailleurs, Kamala a même passé un an, si
je me souviens bien des articles, là, un an dans un système francophone puis,
après ça, elle est allée à l'école Royal.... Royal quelque chose, là... de Montréal.
Alors, elle était dans le secteur public et puis après elle est repartie.
Ça, c'est un exemple à peu près typique
d'un ressortissant étranger? Parce que, là où je suis mêlée puis où je pensais
comprendre avec votre mémoire... Vous dites bien que, dès que la mère de
Kamala, pour continuer notre exemple, aurait décidé : J'aime tellement
être à McGill, belle carrière, j'adore la ville, etc., je demande mon CSQ, certificat
de sélection du Québec. Kamala finit son année, admettons qu'on est au mois
d'avril, elle finit son année, mais elle est obligée d'être soumise à la
loi 101. Même si le CSQ prend un an, deux ans, trois ans avant d'arriver,
dès le jour où elle dépose sa demande, elle est obligée de passer au système francophone
parce que là elle est considérée comme quelqu'un qui veut rester au Québec.
M. Copeman (Russell) : La
pratique veut, Mme la députée, que dès une personne qui séjourne de façon
temporaire au Québec fait application, soit pour un certificat de sélection de
Québec ou pour statut de réfugié, à la fin de cette année scolaire là, si cette
personne a des enfants à charge, ils doivent s'inscrire dans des écoles
françaises. Doivent.
Alors, la situation dont parle le ministre
va venir possiblement, quand ces personnes-là deviennent citoyennes, quand ils
ont des enfants, et possiblement les enfants vont avoir le droit de fréquenter
s'ils ont fait la majorité de leur enseignement en anglais au primaire. C'est
assez compliqué, là, on s'entend.
Mme David : C'est là
qu'intervient la fameuse notion de parcours authentique? Si Kamala... Si sa
mère était restée 10 ans au lieu de cinq ans, Kamala aurait pu rester
10 ans selon la loi 101 actuelle. C'est ça?
M. Copeman (Russell) :
Oui, mais, pour que les enfants de Mme Harris a droit à s'inscrire dans
les écoles anglophones, la situation décrite par le ministre, il faudrait que
Mme Harris devienne citoyenne canadienne et, deux, qu'elle a passé la
majorité de son éducation en anglais au primaire. Là, on est dans beaucoup de
«si», Mme la députée, là. On soustrait, on soustrait, on soustrait...
M. Copeman (Russell) :
...situations décrites par le ministre, il faudrait que Mme Harris
devienne citoyenne canadienne, et, deux, qu'elle a passé la majorité de son éducation
en anglais au primaire. Là, on est dans beaucoup de «si»,
Mme la députée, là. On soustrait, on soustrait, on soustrait.
Mme David : Et il reste
peut-être quelques dizaines, centaines de...
M. Copeman (Russell) : Je
l'ignore. Par ailleurs, on a fait une demande d'accès à l'information au ministère
de l'Éducation pour avoir plus de détails sur ces sujets-là, demande qui a été
faite le 3 août. Alors, le ministère avait jusqu'à 30 jours au
maximum de répondre à cette question en vertu de la Loi sur l'accès à
l'information. Et nous sommes le 23, et il n'y a toujours pas de réponse du
ministère. Alors, je ne peux pas vous éclairer plus parce qu'on n'a pas ces
détails-là.
Mme David : O.K. Et je
comprends que ça, c'est la partie qui vous inquiète le plus dans... ou qui vous
affecte le plus parce que vous dites : On n'a déjà plus beaucoup
d'étudiants, d'élèves, on en perdrait encore plus. Et si on trouvait les bons
chiffres, ce serait vraiment bien qu'il y ait une réponse de cette demande
d'accès à l'information. On pourrait peut-être travailler avec des vrais
nombres, des vraies quantités d'étudiants. Et peut-être qu'à ce moment-là le
ministre montrerait une certaine ouverture à un problème qui ne semble pas si
répandu.
M. Copeman (Russell) :
Incluant le nombre de personnes qui séjournent temporairement, qui deviennent
citoyens...
Mme David : Citoyens, qui
demandent le...
M. Copeman (Russell) : ...qui
demandent le... Moi, je n'ai pas ces chiffres. J'ai toujours cru...
Mme David : O.K., merci.
M. Copeman (Russell) : ...que
c'est important pour les parlementaires de travailler avec les faits.
Mme David : Vous avez raison,
mais je veux laisser la parole à mon collègue de D'Arcy-McGee, un comté que
vous connaissez, quand même, et pour poser...
M. Copeman (Russell) : Comté
voisin.
Mme David : Voilà.
La Présidente (Mme Thériault) :
...député de D'Arcy-McGee, vous avez 4 min 15 s.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, M. Lamoureux, M. Copeman, ça m'a fait plaisir
d'entendre votre présentation, surtout d'avoir comblé les fonctions de
M. Copeman pour une dizaine d'années moi-même, dont, tout au long du
temps, j'étais très fier de voir les écoles anglaises du Québec comme vecteur
de la francisation, et vous en avez parlé un petit peu.
Je permets de noter aussi notre déception
de savoir que nous n'êtes qu'un de quatre groupes issus de la communauté québécoise
de langue anglaise qui aurait été convoqué à ces audiences, il y en avait
plusieurs autres qui auraient souhaité avoir l'opportunité.
• (12 heures) •
Je veux revenir à la page 15 de votre
mémoire, vous en avez fait référence lors de vos remarques, et je vous
cite : «Enfin, il n'est pas très clair si le projet de loi n° 96
modifie les exigences pour les commissions scolaires en matière de langue de
communication avec les personnes morales». Malgré les petites déclarations du
ministre, je crois que c'est une préoccupation que nous aurions entendue
souvent et dont a fait écho, lors d'une rencontre que j'ai eue avec Kathy
Korakakis, présidente du English Parent's Committee Association, et je me
permets de la citer parce qu'elle aurait aimé comparer devant ces audiences
aussi, et elle note : «Specifically, it is unclear to… whether important
documents regarding a child's education are going to made solely made available
in French with no option for English even in the English educational system…
12 h (version non révisée)
M. Birnbaum : ...English Parent's Committee Association, et je me permets de la
citer parce qu'elle aurait aimé comparaître devant ces
audiences aussi, et elle note : «Specifically, it is unclear to EPCA
whether important documents regarding a child's education are going to be
solely made available in French, with no option for English even in the English
educational system. We fear that this will create barriers for English only...
parents to play an active part in their child's education. In turn, this lack
of involvement from parents, caused by such an unequal system will have drastic
negative effects... impacts on our students. And this will be particularly
exacerbated for those students who have IEPs — des plans individuels
de l'éducation — and other vulnerable members of our school
communities.»
I wonder if... si
je peux vous inviter d'élaborer là-dessus, vos inquiétudes précises en ce qui a
trait au projet de loi devant nous.
La Présidente (Mme Thériault) :
...pour le faire.
M. Copeman (Russell) : M. le
député, nous ne partageons pas nécessairement exactement la même lecture de
Mme Korakakis en ce qui concerne la communication avec les parents ou les
étudiants parce que l'article 28 de la charte existe toujours sans être
modifié, c'est-à-dire que la commission scolaire peut communiquer pour des
raisons pédagogiques en anglais seulement. Alors, je pense que c'est assez
clair. Si ça ne l'est pas, il faudrait que quelqu'un nous le dise. Mais, à
notre lecture, c'est assez clair.
La question est plus avec les personnes
morales, comme le English Parent's Committee Association, comme nos syndicats,
comme d'autres partenaires communautaires qui sont des personnes morales.
Est-ce qu'on aura toujours la capacité, selon le projet de loi n° 96, de
communiquer avec eux en anglais, que ce soit français et anglais ou anglais
seul, à la limite? Et ça, ce n'est pas très clair. Et nous l'avons même examiné
avec des avocats puis... deux avocats, trois opinions, hein? Alors, on a eu
trois opinions. On aimerait avoir une opinion pour savoir l'intention du
législateur.
La Présidente (Mme Thériault) :
...c'est beau? Il vous reste 40 secondes, c'est beau?
M. Birnbaum : Ah! je n'avais
pas compris.
La Présidente (Mme Thériault) :
Il vous en reste 30 maintenant.
M. Birnbaum : Je vous invite
de parler un petit peu de vos inquiétudes de façon générale. N'y a-t-il
pas — ce que j'entends souvent — un sentiment d'appartenance
à notre Québec et à l'avenir de la langue française au Québec et notre rôle
là-dedans qui n'est pas reflété dans les constats ni les articles de ce projet
de loi là?
La Présidente (Mme Thériault) :
10 secondes.
Une voix
: ...
La Présidente (Mme Thériault) :
Et je vais devoir couper le micro, les 10 secondes sont passées, désolée.
Une voix
: M. le député...
La Présidente (Mme Thériault) :
Non, je ne peux pas vous laisser répondre, désolée, le temps est passé, malheureusement.
Donc, je vais me tourner vers la députée de Mercier pour
2 min 45 s.
Mme Ghazal : Merci. Bonjour,
messieurs. Merci pour votre présentation. Je voudrais vous...
La Présidente (Mme Thériault) :
…couper le micro. Les 10 secondes sont passées. Désolée.
Une voix
: M. le député…
La Présidente (Mme Thériault) :
Je ne peux pas vous laisser répondre. Désolée. Le temps est passé, malheureusement.
Donc, je vais me tourner vers la députée
de Mercier, pour vos 2 min 45 s.
Mme Ghazal : Merci. Bonjour,
messieurs. Merci pour votre présentation. Je voudrais vous poser une question
sur la disposition de dérogation. Le ministre veut l'appliquer partout, sur
tous les articles. Si, par exemple, il décidait de ne l'appliquer que sur quelques
articles uniquement, en expliquant pourquoi, seriez-vous toujours contre?
M. Copeman (Russell) : Je
pense, ça dépend du contexte, Mme la députée. Je peux vous citer le… très
brièvement, dernier jugement du juge Blanchard.
Mme Ghazal : J'ai peu de
temps, donc je ne sais pas…
M. Copeman (Russell) : Je
comprends. «Par définition, dans une société soucieuse de respecter les droits
fondamentaux qu'elle accorde à ses membres, l'utilisation de la clause de
dérogation devrait se faire de façon parcimonieuse et circonspecte.»
Mme Ghazal : Donc, vous n'êtes
pas contre, en principe. Très bien, merci. J'avais une autre question aussi.
Il y a, aujourd'hui, une jeune leader
anglophone interviewée dans LaPresse qui disait qu'elle
était inquiète que le projet de loi n° 96 nous fasse retourner dans
l'antagonisme des deux solitudes, qu'elle a un sentiment, comme beaucoup
d'anglophones du Québec, jeunes anglophones du Québec, un sentiment
d'appartenance à la culture française du Québec.
Il y a M. Guy Rocher, hier, qui nous
disait qu'on avait des préjugés mutuels, les anglophones, les francophones, et
qu'il comptait sur les anglophones du Québec pour nous protéger contre le
«Québec bashing» dans le reste du Canada qui ne nous connaissent pas.
J'aimerais savoir comment est-ce que vous
voyez votre rôle dans cette responsabilité de nous unir ensemble au Québec
aujourd'hui. Comment est-ce que vous voyez ça pour la paix linguistique?
M. Copeman (Russell) : Bon, en
30 secondes, Mme la députée.
Mme Ghazal : Je ne sais pas.
Moi, j'aimerais ça en avoir plus, mais…
M. Copeman (Russell) :
M. Lamoureux, moi, ses enfants, mes enfants, nous sommes des Québécois à
part entière. Nous avons décidé de s'implanter au Québec, de rester au Québec.
Mes trois enfants sont au Québec, ce qui est relativement rare dans la
communauté anglophone, de trouver la totalité des enfants d'une deuxième
génération toujours au Québec. Parce qu'on aime le Québec, parce qu'on veut
rester au Québec. La loi n° 96 ne nous unit pas comme
Québécois et Québécoises. Je ne peux que le constater. Alors, peut-être, je
supplie aux parlementaires de prendre ça en considération quand on discute des
dispositions individuelles du projet de loi.
Mme Ghazal : Le ministre a une
responsabilité, nous avons une responsabilité ici, les membres de la
commission, comme parlementaires. Moi, j'avais envie de savoir, autre que de
nous dire que vos enfants sont ici, vous, qu'est-ce qui pourrait être fait…
qu'est-ce que vous, vous pouvez faire, cet appel des jeunes anglophones du
Québec qui disent : On voudrait même avoir plus de français, par exemple,
dans nos cours, on aimerait être beaucoup plus bilingues…
La Présidente (Mme Thériault) :
Et malgré l'importance de la question, on a déjà dépassé 10 secondes, donc
je dois mettre fin à l'échange. Désolée.
M. le député de Matane-Matapédia pour
votre…
Mme Ghazal : …qu'est-ce qui
pourrait être fait? Qu'est-ce que vous, vous pouvez faire… cet appel des gens,
les anglophones du Québec, qui disent : On voudrait même avoir plus de
français, par exemple, dans nos cours, on aimerait être beaucoup plus
bilingues?
La Présidente (Mme Thériault) :
Et malgré l'importance de la question, on a déjà dépassé 10 secondes. Donc, je
dois mettre fin à l'échange, désolée. M. le député de Matane-Matapédia, pour
votre temps.
M. Bérubé : Merci. Dans ce
pays, l'anglais n'est pas menacé, le français est menacé. Au Québec, le
français est menacé. Vous n'avez pas voulu intervenir sur cette question-là.
Manifestement, vous n'avez pas d'opinion là-dessus. Vous représentez vos
membres, soit. Au Parti québécois, on souhaite colmater une brèche dans la loi
101 qui permet aux enfants de résidents temporaires d'aller à l'école en
anglais. Et ce phénomène-là, il a une augmentation significative :
2 010 élèves en 2010 puis maintenant 4 428 en 2019. Nous sommes
d'avis qu'il faut s'intégrer dans la langue officielle, dans la langue commune.
Si on allait en Allemagne, ça serait en allemand; si on allait au Brésil, ça
serait en portugais. Pourquoi ça serait différent au Québec?
Tout à l'heure, vous nous avez dit :
Mais ça nous cause préjudice. Comment? Le financement? L'influence de la
communauté anglophone à Montréal et au Québec? J'aimerais vous entendre
là-dessus.
M. Copeman (Russell) : Les
chiffres dont vous parlez, M. le député, nous ne les avons pas outre que par le
biais du Devoir.
M.
Bérubé
: Ah!
Bien, j'ai une autre source que je vais vous fournir.
M. Copeman (Russell) : Bien,
magnifique, parce que, nous, on a fait une demande d'accès à l'information pour
valider ces sources-là, ces informations-là, et on n'a pas obtenu réponse dans
les délais normaux. Alors, c'est difficile de commenter, outre le fait… Dans
l'article du Devoir, on parle que les séjours temporaires, au total, ont
triplé depuis 2010, triplé, et les demandes d'autorisation temporaire à
l'enseignement en anglais ont doublé.
M.
Bérubé
: Mais
ce n'est pas ça, ma question. Pourquoi vous voulez qu'ils aillent dans votre
réseau au lieu du réseau de la langue commune et la langue officielle au
Québec? Vous contestez ça?
M. Copeman (Russell) : Non. On
pense que pour certaines catégories de personnes qui viennent au Québec de
façon temporaire, que ça serait utile et intéressant de les permettre d'envoyer
leurs enfants à l'école en anglais, comme Dr. Gopalan Harris a fait avec Kamala
et Maya.
M.
Bérubé
: Ah!
mais là, cessez de prendre cet exemple-là, il y en a bien d'autres. Je veux
dire…
M. Copeman (Russell) : Oui.
C'est intéressant comme exemple.
M.
Bérubé
: Tant
qu'à ça, vous savez qu'il y aurait une belle unité si tout le monde parlait
anglais aussi, mais ça enlèverait quand même pas mal de l'unicité du Québec.
Alors, si le Québec est francophone, et c'est la langue officielle, et que
l'accueil ne se fait pas automatiquement en français, c'est qu'on fait un autre
choix qui n'est pas le mieux. Mais, quand vous dites que ça cause préjudice,
c'est soit le financement, soit l'influence de la communauté anglophone. Mais,
dans les deux cas, et comme vous ne voulez pas indiquer que le français est
menacé, moi, ça me cause problème, et je vais mener cette bataille-là. Et le ministre,
qui se targue d'avoir un projet de loi qui est modéré, malgré que c'est modéré,
vous êtes quand même contre. Imaginez, ça pourrait être bien pire, parce qu'il
y a d'autres mesures qui devraient être prises, quant à moi, si on est sérieux
pour stopper le déclin du français. Nous, nous le réalisons. Je vous fournirai également
des chiffres sur ce déclin, puis peut-être que vous aurez une opinion plus
ferme là-dessus, nouvelle.
La Présidente (Mme Thériault) :
Et ça met fin à l'échange. Donc, nous allons suspendre quelques instants. Merci
d'être venus en commission…
M.
Bérubé
:
...mesures qui devraient être prises, quant à moi, si on est sérieux, pour
stopper le déclin du français. Nous, nous le réalisons. Je vous fournirais également
des chiffres sur ce déclin, peut-être que vous aurez une opinion plus ferme
là-dessus, nouvelle.
La Présidente (Mme Thériault) :
Ça met fin à l'échange. Donc, nous allons suspendre quelques instants. Merci
d'être venu en commission parlementaire, nous suspendons nos travaux quelques
instants. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 9)
(Reprise à 12 h 12)
La Présidente (Mme Thériault) :
Nous reprenons maintenant nos travaux. Donc, nous recevons M. André Binette. M.
Binette, vous avez à peu près 10 minutes pour nous présenter votre mémoire
et votre point de vue. Par la suite, il y aura des échanges avec le ministre et
les représentants des différentes oppositions. La parole est à vous.
M. Binette (André) : Mme la
Présidente, je vous remercie pour l'invitation de cette commission à exprimer
un avis sur les aspects constitutionnels du projet de loi n° 96.
C'est à la fois un honneur et une responsabilité. Je reformulerai brièvement
les principaux éléments de mon mémoire, en ajoutant quelques commentaires.
Dans la première moitié de mon mémoire,
j'aborde trois questions distinctes : les règles d'interprétation
judiciaire de la Charte de la langue française, les pouvoirs d'inspection de l'Office
québécois de la langue française et les droits ancestraux autochtones de nature
linguistique.
Sur le premier point, j'estime que la jurisprudence
claire et ferme de la Cour suprême du Canada relative à l'article 133 de la Loi
constitutionnelle de 1867 ne permet pas à l'Assemblée nationale de dire aux
tribunaux d'accorder la primauté à la version française des lois du Québec.
Cette jurisprudence établit une symétrie rigoureuse entre les statuts de
l'anglais et du français devant les tribunaux, à l'Assemblée nationale et au
Parlement du Canada, ce qui est l'un des éléments principaux de l'entente politique
qui est le fondement de la création du Canada. La Cour suprême a constamment
préservé avec vigilance les termes de cette entente. L'article 5 du projet de
loi est donc inconstitutionnel à mes yeux et devrait être retiré.
Qui plus est, l'article 5 n'est pas nécessaire,
parce que le projet de loi contient une autre nouvelle règle d'interprétation,
qui se trouve à l'article 63 et qui, elle, est valide. Cette seconde règle
demande aux tribunaux, de manière identique dans les deux versions officielles,
d'interpréter la Charte de la langue française de manière à atteindre ces objectifs
de promotion du français. Cette seconde règle est suffisante à mes yeux.
Sur le deuxième point, relatif aux
pouvoirs d'inspection, je souligne les limites des clauses dérogatoires. Même
si celles-ci sont valides, elles ne peuvent prémunir, à mon avis, les lois du Québec
contre les contestations judiciaires, des actes abusifs ou disproportionnés des
représentants de l'État en regard des chartes des droits. Les chartes des
droits continueront de s'appliquer aux actes administratifs qui découlent des
pouvoirs accordés par la Charte de la langue française. Les clauses
dérogatoires protègent les lois au nom du principe constitutionnel de la souveraineté
parlementaire, qui est un élément central de la Constitution canadienne. La souveraineté
parlementaire ne peut pas, à mon avis, immuniser les actes des inspecteurs qui
contreviennent aux chartes des droits, parce que ce serait contraire au
principe encore plus fondamental...
M. Binette (André) : …protège
les lois, au nom du principe constitutionnel de la souveraineté parlementaire
qui est un élément central de la Constitution canadienne. La souveraineté
parlementaire ne peut pas, à mon avis, immuniser les actes des inspecteurs qui
contreviennent aux chartes des droits, parce que ce serait contraire au
principe encore plus fondamental de la primauté du droit. Je suis convaincu que
les avocats de la défense au Québec seront du même avis.
En ce qui concerne les droits
linguistiques autochtones, je vous renvoie à mon mémoire, en ajoutant ce qui
suit : Il y a quelques années, il se trouvait à l'Assemblée nationale au
moins un député autochtone et quelques-uns au niveau fédéral. Ce député avait
selon moi le droit constitutionnel ancestral de s'exprimer dans la langue de sa
nation d'origine à l'Assemblée nationale et que ses propos soient traduits aux
frais de l'État, de manière qu'ils soient compris par tous les parlementaires.
Il en est de même des témoins autochtones devant une commission parlementaire
telle que celle-ci. Cela est vrai, même si l'article 133, le règlement de
l'Assemblée nationale, où les lois du Québec ne le prévoient pas. J'ai appris
récemment que 35 langues autochtones peuvent être traduites par les interprètes
officiels de la Chambre des communes. Si ce n'est pas déjà le cas, j'estime que
l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 exige que des mesures
semblables soient prises pour les langues des 11 nations autochtones reconnues
par l'Assemblée nationale.
La deuxième moitié de mon mémoire porte
sur la tentative d'inscrire la nation québécoise et sa langue commune de
manière unilatérale dans la Constitution canadienne. J'estime que cette
tentative est vouée à l'échec, parce que l'article 159 du projet de loi
est inconstitutionnel pour le motif principal suivant : L'article 159
n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 de la Loi
constitutionnelle de 82 qui permet à l'Assemblée nationale de modifier la
constitution du Québec unilatéralement. La constitution du Québec existe depuis
1867 mais elle n'est pas codifiée. À titre de comparaison, les constitutions
québécoise et britannique ne sont pas du tout codifiées, la Constitution
canadienne l'est partiellement et les constitutions française et américaine le
sont entièrement. Les autres provinces peuvent, comme le Québec, codifier leur
constitution, mais la constitution du Québec est la seule constitution provinciale
à être aussi celle d'une nation, ce qui lui donnera un contenu différent, ce
qui lui donne déjà, à mon avis, un contenu différent.
L'article 90 de la Loi
constitutionnelle de 1867 a la particularité exceptionnelle de faire à la fois
partie des constitutions des provinces et du Canada, alors que ces
constitutions sont distinctes pour le reste et ne sont pas de même nature
juridique, comme on peut le voir clairement dans d'autres fédérations.
L'article 159 repose sur le postulat erroné que, puisque l'article 90
recoupe la constitution provinciale, il peut être modifié par l'Assemblée
nationale agissant seule au moyen de l'article 45. C'est l'inverse qui est
vrai. Lorsqu'une disposition de la constitution du Québec, à mon avis, fait
aussi partie de la Constitution du Canada, elle ne peut être modifiée que par
une procédure de…
M. Binette (André) :
...recoupe la constitution provinciale, il peut être modifié par l'Assemblée
nationale agissant seule au moyen de l'article 45. C'est l'inverse qui est
vrai. Lorsqu'une disposition de la constitution du Québec, à mon avis, fait
aussi partie de la Constitution du Canada, elle ne peut être modifiée que par
une procédure de modification multilatérale, qui est, dans ce cas, la procédure
la plus exigeante de l'article 41 de loi constitutionnelle de 82, qui
requiert l'unanimité fédérale-provinciale.
L'article 159 se trompe de
constitution, il manque de réalisme constitutionnel. Les éléments qu'il cherche
à ajouter à la Constitution canadienne et que je propose de développer ne
peuvent être ajoutés qu'à une constitution nationale du Québec qui serait
codifiée. Si l'article 159 est adopté, je prévois qu'il sera immédiatement
contesté et que le Procureur général du Québec ne pourra éviter un revers
cuisant devant les tribunaux. Je ne peux concevoir que la Cour suprême du
Canada voudra reconnaître sa validité puisqu'il modifie considérablement
l'architecture constitutionnelle dont elle est la gardienne.
Les reconnaissances de la nation
québécoise par le premier ministre du Canada et la Chambre des communes ne sont
nullement déterminantes dans ce débat juridique. Je rappelle que la
demi-douzaine de jugements les plus fondamentaux de la Cour suprême depuis 50
ans ont tous, sans exception, été des rebuffades du gouvernement fédéral du
moment, y compris, quoi qu'on en dise, le renvoi sur le rapatriement de 1981.
C'est doublement vrai en matière autochtone.
• (12 h 20) •
J'ouvre ici une parenthèse. Je laisse ici,
dans mon mémoire, la version de l'article 90 du 1867. Cette version
n'existe pas sur le plan juridique, ce qui est contraire à l'article 55 de
la Constitution de 1982 qui ordonnait au gouvernement canadien de traduire,
dans les meilleurs délais, la Constitution de 1867 et de donner à la version
française une pleine valeur juridique égale à la version originale anglaise. Au
moment où la nation québécoise exerce son droit à l'autodétermination interne
pour renforcer la protection du français, il serait justifié, après 40 ans, que
le Procureur général du Québec demande à la Cour supérieure un jugement
déclaratoire qui constatera ce manquement constitutionnel majeur par le
gouvernement du Canada. Le gouvernement du Québec ne ferait la preuve ainsi que
de sa cohérence et de son respect pour la primauté du droit. Je referme la
parenthèse.
Je conclus en vous exprimant ma lecture
fondamentale du droit constitutionnel canadien. Le Canada est un État
multinational composé de la nation canadienne, de la nation québécoise et des
nations autochtones. La Constitution du Canada est la constitution de la nation
canadienne, qui a été imposée à deux reprises à la nation québécoise en 1867 et
en 1982. Elle a aussi été imposée aux nations autochtones en 1867. La
Constitution de 1982 n'a reconnu les droits de celles-ci que de manière partielle
et tronquée.
Chaque nation possède un droit inhérent à
l'autodétermination. Il a beaucoup été question du droit à l'autodétermination
externe dans les deux référendums sur la souveraineté, mais, dans la vie de
tous les jours, le droit à l'autodétermination interne est beaucoup plus
concret...
M. Binette (André) : …les
droits de celle-ci que de manière partielle et tronquée.
Chaque nation possède un droit inhérent à
l'autodétermination. Il a beaucoup été question du droit à l'autodétermination
externe dans les deux référendums sur la souveraineté, mais dans la vie de tous
les jours le droit à l'autodétermination interne est beaucoup plus concret.
Toutes les lois majeures du Québec, du Code civil à la loi 21 et au projet
de loi n° 96, sont des expressions du droit à l'autodétermination interne
de la nation québécoise. Ce droit à l'autodétermination interne n'a pas été
respecté par la nation canadienne en 1867 et en 1982.
Ceux et celles qui veulent garder le
Canada uni ont une immense tâche constitutionnelle qui les attend d'urgence,
celle de rédiger des constitutions pour chacune des nations qui forment le
Canada et de les réconcilier entre elles. S'ils n'acceptent pas cette tâche ou
s'ils échouent à la remplir, les tensions constitutionnelles s'accroîtront
continuellement et la question de l'autodétermination externe se posera presque
sûrement à nouveau. Pour bien la remplir, il ne faut surtout pas confondre les
constitutions de différentes nations.
La question de la coexistence des nations
au sein d'un même État est universelle. Elle est, avec la crise climatique qui
pourrait d'ailleurs l'aggraver, l'une des plus grandes questions du
XXIe siècle. Je vous remercie de votre attention.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci, M. Binette, pour votre présentation. Donc, sans plus tarder, nous
allons aller avec le bloc d'échanges avec le ministre. Vous avez
16 minutes et quelques secondes, M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour, M. Binette. Merci d'être présent et de
participer à nos travaux.
Écoutez, moi, je trouve ça très
intéressant vos propos, qui relèvent du droit constitutionnel, et je suis
convaincu que mes collègues sont tout aussi passionnés. Avec ce que vous avez
dit, je suis en désaccord avec certaines parties, mais, si vous voulez, on va
explorer d'une façon plus profonde.
Essentiellement, ce que je retiens notamment
de votre propos relativement à la constitution, notamment la constitution québécoise.
Vous, ce que vous souhaitez, c'est que le Québec se dote de sa propre
constitution. Vous dites, dans le fond : La constitution canadienne, la
loi constitutionnelle de 1867, la loi constitutionnelle de 1982, le Québec n'a
pas été consulté, donc ça appartient à la nation canadienne cette
constitution-là. Et nous-mêmes, nous devrions nous doter de notre propre
constitution, ici au Québec, qui est composé notamment, bon, de la loi 21,
de la Charte de la langue française, du projet de loi n° 96, qui va y être
ajouté, de la Loi sur l'Assemblée nationale. Est-ce que je comprends bien?
M. Binette (André) : Oui. Je
précise que toutes les provinces peuvent faire la même chose, mais que dans le
cas exceptionnel du Québec, nous avons affaire à une nation qui est différente
de la nation canadienne, donc on parle ici d'une constitution provinciale qui
est aussi une constitution nationale.
Cette constitution nationale pourrait
reprendre toutes les principales dispositions des principales lois du Québec.
Ce n'est pas une opération juridique particulièrement complexe, mais il suffit
de faire un arbitrage, je dirais, pour intégrer tout ça. Alors, on parle de la
loi n° 99 d'abord, qui a été validée par la Cour
d'appel cette année et qui contient une affirmation du droit du peuple
québécois à l'autodétermination, et évidemment de toutes les lois dont vous
avez parlé, y compris le Code civil, la Loi sur l'Assemblée nationale, la Loi
électorale, on pourrait reprendre…
M. Binette (André) : …parle de
la loi n° 99 d'abord, qui a été validée par la Cour
d'appel cette année et qui contient une affirmation du droit du peuple québécois
à l'autodétermination, et évidemment de toutes les lois dont vous avez parlé, y
compris le Code civil, la Loi sur l'Assemblée nationale, la Loi électorale, on
pourrait reprendre les principales dispositions. Je souligne aussi que la
constitution du Québec existe déjà, que selon les tribunaux, par exemple, la
Charte des droits et libertés de la personne a déjà une valeur
constitutionnelle, ce qui veut dire qu'elle est au-dessus des lois du Québec,
mais en dessous de la Constitution canadienne, ce qui en fait une catégorie
intermédiaire qui serait justement celle de la constitution du Québec.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je
vais passer sur un autre sujet, M. Binette. Tout à l'heure, vous l'avez abordé rapidement.
Une des craintes de certains groupes, c'est l'utilisation des dispositions de
dérogation, les dispositions de souveraineté parlementaire, et tout à l'heure
vous avez dit un élément qui est intéressant. M. Copeman vient de passer pour l'Association
des commissions scolaires anglophones, il dit : Bien, écoutez, le fait
d'utiliser les dispositions de souveraineté parlementaire empêche de contester
la loi. Alors… Or, vous, vous dites, sur les pouvoirs de l'OQLF : S'il y avait
abus de pouvoir, les citoyens pourraient tout de même s'adresser aux tribunaux.
Oui.
M. Binette (André) : Oui. Il
y a une distinction très claire en droit constitutionnel entre la validité
d'une loi et la validité des actes administratifs qui en découlent. On peut
contester par exemple une fouille ou une perquisition d'un douanier ou d'un
policier sans nécessairement contester le Code criminel ou les dispositions de
la loi qui autorise la fouille. Donc, cette distinction-là va demeurer même si
on utilise une clause dérogatoire. Même s'il n'y a pas encore de la
jurisprudence sur la question, je me sens en terrain ferme, en terrain sûr en
vous disant cela, je pense que cette distinction-là est trop bien établie entre
la validité d'une loi et celle des actes administratifs qui en découlent.
Alors, on sait que les autorités administratives peuvent parfois aller trop
loin, peuvent parfois prendre des moyens abusifs ou disproportionnés, et là je
pense qu'on peut rassurer quelque peu la communauté anglophone en lui disant
que ces recours-là vont demeurer.
M. Jolin-Barrette : Et ça, ce
que vous dites, c'est fort important, parce que bien souvent on agite un
épouvantail relativement à justement cette validité constitutionnelle là en
disant : Bien, le législateur, de façon préventive, utilise les dispositions
de souveraineté parlementaire, mais là vous venez, par votre argumentaire très
bien explicité, de dire : Attendez. Non, vous pouvez tout de même
contester s'il y a un abus de pouvoir aussi. Donc, ça maintient et ça garantit
les droits des citoyens.
Sur un autre point, est-ce que le projet
de loi n° 96 contrevient aux droits des nations
autochtones?
M. Binette (André) : Non. Ce
n'est pas une question de validité du projet de loi no 96, c'est une question
d'applicabilité constitutionnelle dans certains cas ou dans certaines… pour
certaines personnes ou certaines institutions. C'est une
autre… — comment dire? — un autre raisonnement, une autre
distinction qui est bien établie en droit constitutionnel.
Pour ce qui est des droits des nations
autochtones, j'ai cité, là… donc, j'ai mentionné des situations concrètes dans
mon mémoire, j'en ai ajouté une autre dans mon allocution de tantôt. Je pense
que ce qu'il faut retenir essentiellement, c'est que nous avions deux ou trois
éléments majeurs en droit…
M. Binette (André) :
...Pour ce qui est des droits des nations autochtones, j'ai cité, là, donc,
j'ai mentionné des situations concrètes dans mon mémoire. J'en ai ajouté une
autre dans mon allocution de tantôt.
Je pense que ce qu'il faut retenir, essentiellement,
c'est que nous avions deux ou trois éléments majeurs en droit linguistique
constitutionnel, l'article 133 et le partage des compétences en matière
linguistique, qui a donné, d'une part, la Loi sur les langues officielles du Canada
et la loi 101 au Québec. Rien n'est remis en question par les droits
ancestraux autochtones sur ce plan, mais il faut faire de la place, il faut
leur faire de la place, à ces droits ancestraux autochtones.
Donc, ça veut dire qu'il y a certains
droits qui s'ajoutent, qui sont garantis par la Constitution canadienne depuis
1982, des droits ancestraux autochtones que toutes les nations autochtones
détiennent au Québec, malgré les différences entre leurs statuts juridiques, qui
sont par ailleurs considérables.
Donc, c'est... et je termine là-dessus en
disant : Il faut quand même se rappeler que ce ne sont pas toutes les
langues autochtones qui sont des langues vivantes. Alors, il y a une grande
inégalité de fait dans la pratique des langues autochtones au Canada et au
Québec. Alors, à un extrême, vous avez la langue mohawk, qui est peu parlée,
qui est enseignée, mais qu'on veut promouvoir. Mais, à l'autre extrême, les
Attikameks sont la communauté autochtone au Canada qui parle le plus sa propre
langue à l'intérieur de sa communauté. Je pense que 90 % ou plus des
Attikameks parlent leur langue.
Donc, il y a inégalité de fait, une
inégalité sociologique, mais une égalité juridique sur le plan des langues
autochtones.
M. Jolin-Barrette : O.K.
M. Binette, pouvez-vous nous parlez de votre expérience avec les
communautés autochtones, le droit autochtone? Je pense que c'est un de vos
champs de pratique. Pouvez-vous nous parler de votre expérience relativement
aux droits autochtones?
M. Binette (André) : En
gros, j'ai partagé la moitié de ma carrière entre, je dirais, le service...
comme conseiller juridique du gouvernement du Québec et l'autre moitié dans le
secteur privé comme conseiller juridique des nations autochtones.
J'ai eu des contacts approfondis avec
chacune des 11 nations autochtones du Québec, mais j'ai travaillé surtout
avec trois d'entre elles : les Innus sur la Côte-Nord, les Inuits dans
l'Arctique québécois et les Anishnabe algonquins dans l'ouest du Québec. J'ai
également été brièvement conseiller juridique de l'Assemblée des Premières
Nations.
Je précise évidemment que je ne suis pas
un porte-parole des autochtones et que je ne partage pas nécessairement les
vues exprimées par les chefs ou l'Assemblée des Premières Nations.
Cependant, mon expérience professionnelle
m'a donné un autre regard, une autre perspective, qui est sensible à
l'affirmation des droits autochtones et qui cherche à concilier ces droits
autochtones avec les compétences du Québec.
M. Jolin-Barrette : Je
comprends que vous avez été notamment leur conseiller juridique et vous les
avez représentées devant les tribunaux?
M. Binette (André) :
Exactement, devant les tribunaux... des dossiers constitutionnels majeurs, soit
en droit environnemental autochtone, soit en droit... je dirais, en droit qui
conteste parfois ou qui... affrontait le Procureur général du Québec devant les
tribunaux.
• (12 h 30) •
M. Jolin-Barrette : O.K.
Peut-être, avant de céder la parole à mes collègues, j'aurais une question sur
les éléments rattachés à la francophonie canadienne que nous insérons dans le
projet de loi. Je veux avoir votre avis, notamment sur le fait qu'on va
permettre aux communautés francophones hors Québec, incluant les...
12 h 30 (version non révisée)
M. Binette (André) :
…Procureur général du Québec, devant les tribunaux.
M. Jolin-Barrette : O.K. Peut-être,
avant de céder la parole à mes collègues, j'aurais une question sur les
éléments rattachés à la francophonie canadienne que nous insérons dans le projet
de loi. Je voudrais avoir votre avis, notamment sur le fait qu'on va permettre
aux communautés francophones hors Québec, incluant les Acadiens, d'avoir la
possibilité de venir étudier au même coût que les Québécois au Québec dans les
institutions s'il n'y a pas d'institution d'enseignement supérieur qui offre
les cours dans leur province d'origine. Qu'est-ce que vous pensez des mesures
et du rôle que l'État québécois doit jouer en termes de support pour les
communautés francophones et acadiennes du Canada?
M. Binette (André) : Je suis
moi-même d'origine franco-ontarienne, j'ai choisi de faire mon cours de droit à
l'Université Laval plutôt qu'à l'Université d'Ottawa et de m'intégrer dans la
fonction publique du Québec, mais je demeure sensible tant aux réalités
autochtones qu'aux réalités, je dirais, des francophones hors Québec. Donc,
j'appuie toute mesure du gouvernement du Québec visant à promouvoir l'aide aux
communautés francophones hors Québec, je crois que ces mesures sont
parfaitement valides et justifiées.
M. Jolin-Barrette : Peut-être
une sous-question par rapport à ça. Pour les communautés francophones hors
Québec, certains disent : Écoutez, si le Québec met de l'avant des mesures
comme celle-ci, là, pour permettre aux francophones du Canada et aux Acadiens
d'étudier dans leur langue dans leur programme de leur choix au Québec. Est-ce
que vous pensez que ça a un impact négatif pour les communautés francophones
hors Québec et acadiennes, le fait que le Québec, justement, met de l'avant des
mesures comme ça pour les francophones hors Québec? Quelle doit être la
position du Québec par rapport aux autres gouvernements comme ça pour justement
appuyer ces communautés francophones et ne pas leur nuire, parce que, souvent,
dans… au cours de l'histoire, les 40, 50 dernières années, peut-être parfois
que les communautés francophones ont perçu un désintéressement du Québec, et ce
n'est pas le choix que je fais, que le gouvernement du Québec fait, on veut
être en support. Alors, pouvez-vous nous renseigner là-dessus?
M. Binette (André) : En tant
que juriste, il est bien clair que les provinces n'ont pas une compétence
extraterritoriale. Cependant, ça s'applique seulement au pouvoir législatif. Au
pouvoir exécutif… le pouvoir peut… le pouvoir exécutif, lui, peut offrir des
programmes qui peuvent s'étendre à l'extérieur du Québec, au même exercice, le
pouvoir de dépenser provincial, par exemple, pour la représentation dans les
autres provinces ou à l'étranger. Mais je… ce qu'on peut reprocher au Québec,
dans certaines provinces, y compris par peut-être chez certains francophones,
c'est qu'ils interviennent… ils tendent à exercer une compétence
extraterritoriale. Mais je pense qu'autrefois on parlait de la nation
canadienne-française, que c'est d'un océan à l'autre, aujourd'hui on parle
d'une nation québécoise qui tend la main à des communautés francophones ou qui
leur offre un soutien, mais aux États-Unis aussi, qui ont besoin de cette aide,
qui ont besoin de ce soutien culturel. Et je pense que dans la plupart des cas
cette aide sera la bienvenue, elle est parfaitement justifiée à mes yeux.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
Binette, pour votre passage en commission parlementaire. Je vais céder la
parole au député de…
M. Binette (André) : …à des
communautés francophones, qui leur offrent un soutien, mais aux États-Unis
aussi, qui ont besoin de cette aide, qui ont besoin de ce soutien culturel. Et
je pense que dans la plupart des cas, cette aide sera la bienvenue et elle est parfaitement
justifiée à mes yeux.
M. Jolin-Barrette : Merci,
M. Binette pour votre passage en commission parlementaire. Je vais céder
la parole au député de Saint-Jean et au député de Chapleau.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. Donc, M. le député de Saint-Jean, vous avez 5 min 40 s.
M. Lemieux : Merci beaucoup,
Mme la Présidente. Bonjour, M. Binette.
M. Binette (André) : Bonjour.
M. Lemieux : Je suis content
que la conversation ait dérivé vers les francophones du reste du Canada. D'abord
parce que je ne suis pas constitutionnaliste, même si j'aime ça — n'importe
quel journaliste dans les années 1970, 1980, 1990, étaient obligés d'aimer
ça — je ne suis pas avocat non plus puis je ne suis pas d'accord avec
vous. Alors, par rapport à ce que vous énoncez comme opinion sur la validité et
l'à-propos d'inclure dans la Constitution, et la force que ça aurait la
dimension québécoise de la langue française, même si je vois où vous voulez
aller avec la constitution éventuellement québécoise, et ça aussi, je trouve ça
intéressant. Mais revenons, donc ou continuons avec la partie hors Québec parce
que c'est vrai, il n'y a pas de compétence extraterritoriale, une province,
c'est une province. Mais les Québécois, de par leur nature parce qu'ils sont la
nation francophone au Canada, ont une influence, une influence directe puis
indéniable, ils ont aussi une responsabilité. Est-ce qu'on peut, à l'égard des
autres francophones du reste du Canada et des Acadiens, est-ce que ça, ça peut
venir aider le Québec à aider les autres francophones d'un point de vue légal quand
même?
M. Binette (André) : Je suis d'accord
avec ça. Je pense que le Québec est libre de se donner cette responsabilité politique,
même si elle n'existe pas dans la Constitution canadienne. Rien n'empêche que
sur le plan politique, ça puisse se faire.
Et deuxièmement, je pense que, dans la
plupart des cas, elle sera la bienvenue. Donc, je pense que, même si les
définitions des nations ont changé, comme je le disais tantôt, les nations se
définissaient autrefois sur une base ethnique, donc c'était la nation canadienne-française,
descendante des colons français. Aujourd'hui, les nations, comme la Cour
d'appel l'a reconnu au printemps dernier dans l'affaire sur la loi n° 99,
se définissent sur une base territoriale, c'est-à-dire tous les habitants d'un
territoire, le Québec, quelles que soient leurs origines ethniques ou
culturelles. Donc, mais rien n'empêche que dans ces agissements avec des
membres de la nation canadienne, qui sont aussi une des minorités francophones
à l'extérieur du Québec, que le Québec agisse en leur offrant son soutien.
M. Lemieux : Plus que moral,
oui. Et mes 15 années au Canada anglais, en particulier en Acadie et dans
l'ouest, me disent que vous avez le doigt sur le bon levier par rapport à
l'aide dont ils ont besoin et la responsabilité plus que morale qu'on a.
Il y a… Et là je vais dans l'ensemble,
sans essayer de jouer au fin finaud avec la Constitution, mais je vous emmène quand
même dans une partie, une nouvelle partie du droit qu'on aura avec la loi n° 96,
si… qu'elle est adoptée comme elle est présentée…
M. Lemieux : ...ils ont besoin
et la responsabilité plus que morale qu'on a.
Il y a... et là je vais dans l'ensemble,
sans essayer de jouer au fin finaud avec la Constitution, mais je vous amène
dans une partie, une nouvelle partie du droit qu'on aura avec la loi n° 96, si tant est qu'elle est adoptée comme elle est
présentée, où il y a une notion de droits collectifs. Parce qu'on ajoute, dans
le préambule de la Charte de la langue française, ce que je vous appelle une
notion, là, en termes vulgarisés, sur le droit collectif. Est-ce que ça a des
assises, ça? Est-ce que c'est une notion qui est bien développée et qui est
intégrée dans le droit ailleurs dans le monde?
M. Binette (André) : Oui,
mais pas assez, au Canada, et je pense que c'est un travers, un défaut du droit
constitutionnel canadien, de la jurisprudence canadienne. Et si on se reporte à
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, par exemple, il y
a une pondération beaucoup plus importante entre les droits collectifs et les
droits individuels. Ici, on fait... on donne une importance à mon avis parfois
excessive aux droits individuels, en ne tenant pas compte de la légitimité des
droits collectifs, qui sont aussi des droits humains fondamentaux, j'insiste
sur ce point.
M. Lemieux : Est-ce qu'il
reste le temps pour aller au député de Chapleau, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Thériault) :
1 min 45 s.
M. Lemieux : D'accord. Merci...
La Présidente (Mme Thériault) :
M. le député de Chapleau, la parole est à vous.
M. Lévesque (Chapleau) : ...Mme
la Présidente. Merci, M. Binette. Merci de votre présentation. Peut-être, rapidement,
là, revenir sur les concepts de nation au Canada dont vous avez fait mention. D'abord,
la nation canadienne, la nation québécoise, les nations autochtones. Juste une clarification,
dans la nation canadienne, vous incluez donc les communautés francophones
minoritaires hors Québec. Est-ce que c'est bien ça ou il y a des distinctions à
faire pour ces groupes-là, là, dans le cas de la nation canadienne?
M. Binette (André) : Si on ne
définit les nations que sur une base territoriale, comme c'est le cas dans la
sociologie moderne, dans la science politique moderne et même, de plus en plus,
dans le droit constitutionnel moderne, selon la Cour d'appel, il est clair que
les francophones hors Québec font partie de la nation canadienne.
Il est clair aussi qu'il y a des membres
de la nation canadienne au Québec, parce qu'on peut s'identifier, c'est un
choix subjectif en grande partie. Alors, le premier ministre Trudeau peut dire
qu'il appartient à la fois à la nation canadienne et à la nation québécoise,
mais parfois il y a peut-être un conflit d'allégeance qui lui fait privilégier
la nation canadienne. Donc, là-dessus, il y a un élément psychologique.
M. Lévesque (Chapleau) :
D'accord. Vous avez parlé, donc, des fameux droits collectifs, bon, inscrits à
la charte. Associez-vous ça également avec la notion de souveraineté
parlementaire? Est-ce qu'il y a un lien à faire avec ces clauses? Est-ce que
vous avez vu ce type d'application ailleurs dans le monde, également?
M. Binette (André) : Non,
parce que le concept de souveraineté parlementaire est propre au régime
constitutionnel de type britannique, qui ne privilégie pas, au contraire, la
notion de droits collectifs. Donc, faire ce lien-là, à mon avis, le Québec est
peut-être le seul endroit au monde où on peut le faire. Ce lien-là est plus...
à mon avis, est tout à fait justifié, mais c'est par l'entremise de la clause
dérogatoire, par l'entremise de la souveraineté parlementaire que l'Assemblée
nationale peut, en toute légitimité, en droit constitutionnel canadien...
M. Binette (André) : ...faire
ce lien-là... À mon avis, le Québec est peut-être le seul endroit au monde où
on peut le faire. Ce lien-là est plus... à mon avis, est tout à fait justifié.
Mais c'est par l'entremise de la clause dérogatoire, par l'entremise de la
souveraineté parlementaire que l'Assemblée nationale peut en toute légitimité,
en droit constitutionnel canadien, rétablir ou affirmer les droits collectifs
de la nation québécoise, tout en équilibrant...
• (12 h 40) •
La Présidente (Mme Thériault) :
Je dois mettre fin...
M. Binette (André) : Oui?
M. Lévesque (Chapleau) :
Merci.
La Présidente (Mme Thériault) :
Malheureusement, je dois mettre fin à l'échange. Donc, je vais aller…
maintenant aller du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de
Marguerite-Bourgeoys.
Mme David : Merci beaucoup.
Merci, Pr Binette. Écoutez, j'ai beau être une universitaire qui a fait
carrière toute ma vie à l'Université de Montréal, ce n'était pas en droit,
c'était en psychologie. Alors, je mets tous mes neurones en action pour essayer
de bien suivre ce que vous avez dit et travailler avec ces notions
constitutionnelles.
Ce que je comprends... Parce que je vais
essayer de vulgariser, parce que ce n'est pas toujours évident, hein? On parle
avec des constitutionnalistes, puis ils ne disent malheureusement pas tous la
même chose. On voudrait bien que ce que vous dites soit partagé par tout le
monde et qu'il y ait un seul discours, mais je comprends bien qu'il n'y a pas
un seul discours. À preuve, le ministre se fait dire qu'il erre en mettant
l'article 159. Une fois qu'on a dit ça, je pense que vous êtes assez clair
qu'il erre en disant : Vous vous trompez de constitution. Là, je mets au
défi pas mal de monde dans la salle et dans la population pour comprendre de
quoi vous parlez, évidemment, parce qu'il se trompe de constitution, on est un
petit peu mêlés. On comprend Constitution canadienne; on comprend qu'il y a
l'article 45 qui est là; il y a le supralégislatif; il y a le quasi
constitutionnel; il y a la loi ordinaire, toutes des notions avec lesquelles
j'essaie de composer moi-même. Mais, une fois qu'on a dit tout ça, vous dites
une chose et ce qui me semble être un peu son contraire. Alors, je vais essayer
de comprendre, mais vous me pardonnerez mes propres errances.
Alors, vous dites que l'article 159, là,
il faudrait l'enlever; il faudrait l'enlever, puis là vous dites comme Benoît
Pelletier, vous dites : Il faudrait repartir, commission itinérante,
commission parlementaire qui va partout au Québec, qui fait une tournée et qui,
là, crée une vraie constitution du Québec. Ce que le ministre ferait, ce n'est
pas… ça ne marche pas. Ça ne marche pas, et malgré tout ce qu'on dit depuis le
mois de… le 14 mai. Au Canada, il y a une motion du Bloc québécois, tous les
partis ont embarqué. Le ministre Procureur général à l'époque, M. Lametti, a
dit : Oui, oui, oui, mes juristes ont dit que c'était tout à fait
faisable. Alors là, il y a… j'imagine qu'il y a quelques juristes à Ottawa,
quand même, là, qui ont regardé ça, que le procureur en chef du Canada doit avoir
son équipe de juristes qui en connaissent un peu aussi dans la constitution.
Alors, eux autres disent : C'est correct. Autre débat le 22 mai. On ouvre
notre Presse, on a le ministre Procureur général du Québec qui
dit : Ça va avoir une immense portée constitutionnelle, puis d'autres
répondent, comme Benoît Pelletier ou d'autres : Non, non, non, pas tant
que ça. C'est une loi ordinaire, c'est quasi constitutionnel, ce n'est pas…
Mme David : …c'est correct.
Autre débat le 22 mai, on ouvre notre Presse, on a le ministre,
Procureur général du Québec, qui dit : Ça va avoir une immense portée
constitutionnelle, puis d'autres répondent, comme Benoît Pelletier ou
d'autres : Non, non, non, pas tant que ça, c'est une loi ordinaire, c'est
quasi constitutionnel, ce n'est pas supralégislatif. Là, on part dans tous les
adjectifs. Alors là, autres lieux de réflexions, de dissensions et de lectures
pour la pauvre profane que je suis, puis là, vous, vous dites : Non, non,
non, ça ne marche pas, ce n'est même pas le bon chemin, il s'est trompé de
constitution, mais, page 19, si l'article 159 était valide. Donc, ça, vous
réfléchissez, là. J'imagine, vous vous dites : S'il était valide, ça veut
dire qu'il aurait été contesté jusqu'en Cour suprême et puis que finalement on
va dire : Ah! le ministre avait raison. Ça, c'est… on sera tous peut-être
à la retraite à ce moment-là. Vous dites : Mais tant qu'à faire ça, bien
rajoutons des choses, et c'est là que, moi, je suis encore plus mêlée, parce
que vous dites : Retirons l'article mais ajoutons Q3, Q4, Q5. Alors, à la…
le fait que la seule langue officielle… la nation québécoise détient… Bon, vous
rajouteriez même quelque chose : Les Québécoises et Québécois forment une
nation. Vous rajouteriez au Q1 : «La nation québécoise détient de manière
inhérente le droit à l'autodétermination», puis vous rajoutez ce que… là, je
suis mêlée dans qui propose, là, le ministre m'aidera, il y en a un qui est
venu, je ne sais plus lequel, qui a dit : L'État québécois est démocratique.
Ah! non, ça, ce n'était pas dit — j'espère qu'on est démocratiques et
laïques — quelqu'un l'a proposé jusqu'à maintenant…
Une voix : …
Mme David : Pardon? Bien, Me
Rousseau, voilà. Q4 : L'État québécois respecte les droits des personnes
des nations autochtones, de la minorité anglophone et des autres minorités de
manière compatible avec les caractéristiques fondamentales du Québec. On est
loin, il me semble, de la langue française. Les lois du Québec s'interprètent
de manière à assurer cette compatibilité, Q4, et Q5, puis là, vraiment, j'ai
été bien étonnée : La loi sur le drapeau du Québec adoptée le 21 janvier
1948 fait partie depuis le jour de son adoption de la constitution du Québec.
Là, vous m'avez tellement perdue dans vos positions que je vous donne
l'occasion de peut-être faire un cours de droit très, très, très accéléré pour
nous dire : Est-ce qu'on scrape tout ça finalement, puis on repart avec
une tournée du Québec? Benoît Pelletier dit : Attention, c'est quelque
chose, faire ça, ça prend l'unanimité si possible, de tout le monde. Moi,
j'aimerais ça, participer à ça, ça serait passionnant, mais j'ai l'impression
qu'on n'est plus du tout dans les objectifs du p.l. n° 96. Je suis
désolée, j'ai pris cinq minutes pour essayer moi-même de me démêler puis de
pouvoir expliquer ma question. Je vous en donne autant si vous en avez besoin
pour expliquer votre réponse.
M. Binette (André) : Bien, la
question est excellente. Après mes suggestions pour 90, Q 1 à 5,
j'ajoute : Tous ces articles pourraient validement faire partie de la
constitution du Québec sans faire partie de la Constitution du Canada. En fait,
ma position, c'est, comme je l'ai précisé aujourd'hui, elles ne peuvent faire
validement partie que de la constitution du Québec codifiée, elles ne peuvent
pas faire validement partie de la Constitution du Canada. Alors, pour moi, le
gouvernement du Québec vient d'ouvrir une porte tellement grande que ça dépasse
de loin le cadre de la Loi n° 96 sur la Langue française…
M. Binette (André) : …du Canada.
En fait, ma position c'est, comme je l'ai précisé aujourd'hui, elles ne peuvent
faire validement partie que de la constitution du Québec codifiée, elles ne
peuvent pas faire validement partie de la Constitution du Canada.
Alors, pour moi, le gouvernement du Québec
vient d'ouvrir une porte tellement grande que ça dépasse de loin le cadre de la
loi n°96 sur la langue française. On a ouvert une porte constitutionnelle
entièrement nouvelle. Il n'est pas étonnant que ça suscite un immense point
d'interrogation et que les avis soient très divergents.
Par ailleurs, moi, j'ai passé toute ma
carrière, que ce soit au Procureur général du Québec ou chez les nations
autochtones, à contester les avis du Procureur général du Canada. Ça ne
m'impressionne pas du tout que les juristes fédéraux disent que c'est valide.
Comme je l'ai dit dans mon mémoire, la demi-douzaine de jugements
constitutionnels fondamentaux, les plus fondamentaux depuis 50 ans, ont tous
été des rebuffades servies au gouvernement fédéral du moment à la Cour suprême
du Canada, donc, y compris dans le renvoi sur le rapatriement de 1981.
Donc, et en matière autochtone, c'est
doublement vrai, là, on parle d'une vingtaine de jugements majeurs. J'ai déjà
confronté une avocate autochtone fédérale en lui disant : L'histoire de la
jurisprudence autochtone en droit autochtone, c'est l'histoire des défaites du
procureur général du Canada devant les tribunaux. Elle n'a pu que le confirmer.
Donc, ça ne m'impressionne pas du tout,
les prises de position politiques, les avis juridiques fédéraux ne préjugent en
rien du débat judiciaire à venir. Et je pense que les implications ne sont pas
encore pleinement comprises de l'article 90-Q, parce qu'on pourrait avoir un
article 90-A, Alberta, un article 90-CB, Colombie-Britannique, un article 90-O,
Ontario, jusqu'aux 10 provinces. Chaque province pourrait ajouter 20 pages, au
moins, il n'y a pas de limite de quantité à la Constitution du Canada. La
Constitution du Canada, donc, aurait 200 pages de plus, et ce qui n'était pas
du tout envisagé par ses auteurs ni par la Cour suprême jusqu'ici. À mon avis,
elles diraient : Holà! Ça, c'est modifier l'architecture de l'ensemble de
la Constitution, allez donc faire votre propre constitution provinciale à la
place.
Mme David : C'est passionnant.
Est-ce que je passerais mon examen constitutionnel, je ne suis pas sûre, mais
j'ai compris qu'il y avait beaucoup, beaucoup de divergence d'opinions, et
c'est normal, on est en science ou on est en science juridique, comme on dit.
La médecine peut avoir aussi... des fois, on a-tu un cancer, on n'a pas de
cancer, oui, un dit l'autre, l'autre dit non, etc. Mais je comprends que c'est
une grande porte qui a été ouverte, cet article QC-90... non, 90-Q 1 et 2, et
qu'on va avoir des heures de plaisir. Je vous remercie, je vais passer la
parole à mon collègue le député de D'Arcy-McGee.
La Présidente (Mme Thériault) :
Et, M. le député, vous avez 2 min 40 s.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Merci, M. Binette, pour votre présentation. J'aimerais vous
entendre un petit peu plus sur les pouvoirs de perquisition des inspecteurs du
gouvernement. Dans un premier temps, je diffère avec vous, selon mes
discussions, cette commission risque d'entendre beaucoup de groupes québécois
francophones qui auraient des questionnements là-dessus aussi. Alors, moi, je
ne situe pas ce débat sur le plan...
M. Birnbaum : …J'aimerais vous
entendre un petit peu plus sur les pouvoirs de perquisition des inspecteurs du gouvernement.
Dans un premier temps, je… avec vous, selon mes discussions, cette commission
risque d'entendre beaucoup de groupes québécois francophones qui auraient des
questionnements là-dessus aussi, alors, moi, je ne situe pas ce débat sur le
plan communauté linguistique.
Vous constatez que, de votre lecture, si
j'ai bien compris, les articles 111 et 112 n'ont pas besoin d'être à
l'abri des défis judiciaires, c'est-à-dire que, pour vous, la clause
dérogatoire, ce n'est pas nécessaire pour que ces articles soient valides. Et
je ne parle pas de ce que je trouve un petit peu auxiliaire, votre point, que,
oui, des poursuites peuvent se faire sur le plan pratique, je ne parle pas de
ça. De votre avis, 111 et 112 — deux choses — sont tout à
fait recevables sans avoir recours à la protection de la clause dérogatoire,
dans un premier temps?
Deuxième temps, j'aimerais, avec respect,
vous faire sortir de votre zone de confort, est-ce que vous trouvez que ces
pouvoirs sont raisonnables et nécessaires?
M. Binette (André) : Je
conviendrais, d'emblée, qu'ils sont importants, qu'ils ne peuvent être maniés
qu'avec un grand doigté et un grand discernement. On a vu, par exemple, certaines
enquêtes policières provinciales mener à des abus récemment, donc, et ces
abus-là peuvent être contestés devant les tribunaux. Donc, je ne dis pas que
les pouvoirs importants qui sont accordés à l'office sont inconstitutionnels.
• (12 h 50) •
Je ne dis pas non plus qu'il faut
nécessairement une clause dérogatoire pour les valider. Ce que je dis… Et je
dis aussi que… Je dis, cependant, que la jurisprudence sur les effets des
clauses dérogatoires est encore peu abondante, peu détaillée parce qu'elle a peu
été utilisée au Canada. Et qu'entre autres la jurisprudence sur la distinction
entre la validité des lois et la validité des inspections n'est pas encore
développée. Mais je m'appuie, je dirais, sur des raisonnements juridiques
fondamentaux pour arriver à la conclusion que j'ai présentée aujourd'hui.
Ce qui est clair, c'est que la
Constitution, que ce soit l'article 33 de la Charte canadienne ou
l'article, je crois, 52 de la Charte québécoise ne permet des clauses
dérogatoires qui protègent les lois, ou des dispositions des lois, elle ne
permet pas des clauses dérogatoires qui vont jusqu'à protéger des actes
abusifs. Il y a déjà eu une clause dérogatoire abusive dans le passé, la clause dérogatoire à la Loi sur les mesures de guerre…
dans la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970, qui dérogeait à la
Déclaration canadienne des droits de 1960 jusqu'à protéger les droits abusifs,
même brutaux, de l'autorité policière. Une telle clause dérogatoire serait
inconstitutionnelle aujourd'hui, à mon avis.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci beaucoup, M. Binette. Donc, sans plus tarder, Mme la députée de
Mercier, pour vos 2 min 45 s.
Mme Ghazal : Merci. Merci
beaucoup, M. Binette, pour votre présentation. Moi non plus, je ne pense
pas que je vais réussir votre examen sur la Constitution, mais ce n'est pas
grave, j'ai quand même une question dans le peu de temps que j'ai. Vous dites
que les droits ancestraux des autochtones sont garantis par la Constitution de…
La Présidente
(Mme Thériault) : ...M. Binette. Donc, sans plus tarder, Mme
la députée de Mercier, pour vos 2 min 45 s.
Mme Ghazal : Merci. Merci
beaucoup, M. Binette, pour votre présentation. Moi non plus, je ne pense
pas que je vais réussir votre examen sur la Constitution, mais ce n'est pas
grave, j'ai quand même une question dans le peu de temps que j'ai.
Vous dites que les droits ancestraux des autochtones
sont garantis par la Constitution de 1982, mais est-ce que le projet de loi n° 96 ne serait pas une opportunité pour promouvoir et
reconnaître les langues autochtones un peu plus? Et comment est-ce qu'on peut
le faire avec le projet de loi n° 96?
M. Binette (André) : Bon,
j'ai proposé certaines choses dans mon mémoire et dans mon allocution, qu'ils
s'appliqueraient... Les droits ancestraux vont s'appliquer, quoi que dise le projet
de loi n° 96. Donc, ils existent indépendamment du projet de loi n° 96,
mais on pourrait préciser... dans la loi n° 96, que
ces droits ancestraux s'appliquent à l'Assemblée nationale et à la loi 101
un peu davantage, et donner quelques exemples particuliers, que j'ai donnés
dans mon mémoire, en ce qui concerne, par exemple, les contrats avec les
institutions autochtones, les ententes intergouvernementales avec les nations autochtones
dans les deux langues, français et autochtone, les droits de témoin à l'Assemblée
nationale, etc.
Donc, moi, je... Tout ça va s'appliquer,
même si on ne le dit pas dans le projet de loi n° 96. Mais ça vaut mieux
si on le disait. Puis ça irait mieux si on le disait, ce serait plus généreux
et plus ouvert.
Mme Ghazal : O.K., je
comprends. Puis vous, vous êtes en faveur d'une constitution interne plutôt
qu'une constitution de pays, comme Québec solidaire le propose. Il y a même des
fédéralistes qui sont pour une constitution interne.
Est-ce que vous ne trouvez pas — et
là c'est peut-être une question politique — vous ne trouvez pas que
ça nuirait à la souveraineté d'avoir une constitution interne du Québec?
M. Binette (André) : Pas
du tout. Du point de vue souverainiste, ça peut être un préalable très
intéressant.
Pour ce qui est de... Pour un fédéraliste
qui veut, lui, changer la Constitution canadienne, ça peut être l'occasion de
dire : Bien, nous, on veut abolir la monarchie au Québec. On met ça dans
la constitution du Québec et on déclenche une réouverture de la Constitution
canadienne par l'obligation de négocier.
Et, pour un fédéraliste que j'appelle plus
orthodoxe qui veut respecter le cadre constitutionnel canadien, c'est quand
même un moyen de renforcer l'identité nationale québécois.
Donc, moi, je pense que, dans tous les
cas, on est gagnant et qu'on peut aller chercher des consensus étendus au
Québec.
Mme Ghazal : O.K., merci.
J'ai peut-être un peu de temps pour l'article 65 du projet de loi
n° 96, qui fait en sorte que la charte s'applique aux entreprises
fédérales. Ça, ça ne peut pas être contesté par le fédéral? Dès que la loi est
votée, les entreprises fédérales au Québec... la charte s'applique.
M. Binette (André) :
Bon, l'application des lois provinciales aux entreprises fédérales, c'est un
chapitre de la jurisprudence constitutionnelle en soi.
Grosso modo, si je vulgarise rapidement,
là, les lois générales provinciales s'appliquent aux entreprises fédérales,
sauf si elles visent leurs fonctions essentielles. Alors, là, en ce moment,
jusqu'ici l'état du droit, c'était que la loi 101... fonctions essentielles des
entreprises fédérales. Cependant, certaines entreprises fédérales comme
Radio-Canada ou TVA peuvent volontairement appliquer la loi 101.
Maintenant, le fédéral peut modifier...
M. Binette (André) : ...l'état
du droit, c'était que la loi 101... touchait aux fonctions essentielles
des entreprises fédérales. Cependant, certaines entreprises fédérales comme Radio-Canada
ou TVA peuvent volontairement appliquer la loi 101. Maintenant, le fédéral
peut modifier sa position là-dessus.
La Présidente (Mme Thériault) :
Et je dois mettre fin à l'échange. Donc, nous allons aller du côté du député de
Matane-Matapédia. La parole est à vous.
M. Bérubé : Bienvenue,
M. Binette. Alors, selon vous, on ne sera pas capable d'inscrire que le Québec
est une nation, que le français est la seule langue officielle du Québec dans
la Constitution canadienne. Ai-je bien compris?
M. Binette (André) : Exact.
M. Bérubé : Merci. Le gouvernement
du Québec a choisi de faire une promotion assez débridée de ce qu'il considère
comme étant un coup de génie et d'en faire la promotion. C'est une douche
froide assez importante que vous envoyez. Nous, ça ne nous impressionnait pas
tant que ça, on ne cherche pas vraiment à intégrer la Constitution canadienne,
on cherche à en sortir.
Mais pouvez-vous nous indiquer pourquoi
l'espoir que le ministre fonde en ce geste symbolique, inspiré d'un intervenant
qu'on verra cet après-midi, Me Patrick Taillon, pour vous, est voué à
l'échec?
M. Binette (André) : Bon, là,
il faut se rappeler que l'article 45 de la loi constitutionnelle de 82 est
la disposition sur laquelle s'appuie le gouvernement actuellement pour
introduire l'article 159 dans la Constitution canadienne. Donc, qu'est-ce
que dit l'article 45? C'est qu'une province peut modifier sa constitution
interne.
Cet article-là ne date pas de 82, il
existe depuis 1949 et à l'époque de ce qu'on a appelé alors le
minirapatriement, qui a mis fin à la juridiction des tribunaux britanniques au
Canada. Et donc il existe quand même une pratique importante de cette
disposition-là depuis 1949. À mon avis, c'est pour ça que j'ai fait référence à
la Loi sur le drapeau, dès le départ, Maurice Duplessis a compris qu'on pouvait
utiliser ce nouveau pouvoir pour modifier la constitution interne, et le
drapeau en est un exemple à mes yeux.
M. Bérubé : M. Binette,
si vous faites cette interprétation, il est possible qu'au gouvernement on
l'ait fait aussi. Où résiderait l'intérêt du gouvernement du Québec à proposer
une telle chose s'il sait que c'est voué à l'échec?
M. Binette (André) : Bien,
moi, je pense que c'est très attrayant à première vue, c'est tellement
innovateur que ça éblouit un peu, même les constitutionnalistes, et puis qu'il
y a un petit peu de pensée magique là-dedans, en toute franchise et en tout
respect.
M. Bérubé : Pas d'autre
question, Mme la Présidente, ça résume assez bien l'opération.
La Présidente (Mme Thériault) :
Parfait. Donc, M. Binette, je vous remercie de votre participation à nos
travaux.
Et je vais maintenant suspendre les
travaux de la commission jusqu'à 14 heures. Merci. Bon appétit, tout le
monde.
(Suspension de la séance à 12 h 57)
14 h (version non révisée)
(Reprise à 14 h 2)
La Présidente (Mme Thériault) :
À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, la Commission de la culture et de l'éducation
reprend ses travaux. Nous poursuivons les auditions publiques dans le cadre des
consultations particulières sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue
officielle et commune du Québec, le français. Cet après-midi, nous entendrons
les témoins suivants : M. Patrick Taillon et M. Frédéric Lacroix
seront tous les deux présents dans notre salle de commission et nous
terminerons avec M. Pierre Curzi, ancien député de Borduas, qui, lui, sera
en visioconférence.
Donc, sans plus tarder, M. Taillon,
bienvenue à l'Assemblée nationale. Je vais vous demander de procéder à votre
présentation, d'une durée d'approximativement 10 minutes, avant de faire
les échanges avec les parlementaires…
La Présidente (Mme Thériault) :
…Lacroix seront tous les deux présents dans notre salle de commission, et nous
terminerons avec M. Curzi, ancien député de Borduas, qui lui sera en
visioconférence.
Donc, sans plus tarder, M. Taillon,
bienvenue à l'Assemblée nationale. Je vais vous demander de procéder à votre
présentation d'une durée d'approximativement 10 minutes avant de faire les
échanges avec les parlementaires.
M. Taillon (Patrick) :
Bonjour. Merci, Mme la Présidente. Je voudrais remercier les membres de la
commission pour cette invitation. Comme professeur de droit constitutionnel,
moi, je suis particulièrement interpellé par, évidemment, les aspects
constitutionnels du projet de loi. Ils sont nombreux.
Le projet de loi n° 96 consacre de
nouveaux droits fondamentaux, et surtout, il hisse autant que possible au
sommet de la hiérarchie, au sommet de notre hiérarchie des normes, ce projet de
société particulier qui consiste à protéger et vivre en français, notamment,
par l'octroi d'un statut quasi constitutionnel à la Charte de la langue
française, un statut à l'égal de la charte québécoise par la modification de la
charte québécoise à son préambule, une disposition interprétative qui s'ajoute,
et surtout, un droit de vivre en français, qui est consacré parmi la partie de
cette charte qui a la plus grande portée, et aussi par la mention explicite à
l'article 9.1, que l'importance accordée au Québec à la protection du français,
est un motif de justification qui doit être pris en considération par les
tribunaux lorsqu'il est question de concilier, pondérer, limiter, encadrer les
droits des uns et les droits des autres. Il y a aussi le recours à la
dérogation aux chartes canadienne et québécoise qui participent à cette volonté
de hisser ses droits au sommet de la hiérarchie des normes et qui représentent
un message clair envoyé à l'endroit des tribunaux. Ce n'est pas la négation ou
le rejet des droits fondamentaux, bien au contraire, c'est seulement la volonté
du Parlement québécois d'avoir, en cette matière, le dernier mot, et d'exercer
ce pouvoir, cette capacité reconnue par la Constitution canadienne et par la
charte québécoise d'établir l'équilibre approprié entre les différents droits
et libertés et les autres objectifs d'intérêt public.
Autrement dit, si la théorie du dialogue
entre les juges et le législateur a un sens, une théorie que cite abondamment
la Cour suprême, bien, l'utilisation de la dérogation, c'est une manière pour
les parlementaires de répondre, de répliquer, de dialoguer avec la
jurisprudence de la Cour suprême qui s'est élaborée depuis les dernières
décennies.
Cela dit, moi, je veux surtout utiliser cette
déclaration d'ouverture pour me concentrer sur un aspect précis du projet de
loi, trop souvent mal compris, qui est la modification apportée au texte de la
Loi constitutionnelle de 1867, et qui est opéré par le biais de la procédure de
l'article 45 de 1982. Je veux insister ici sur deux points. Premièrement,
pourquoi et comment ce changement est-il possible? Puis, deuxièmement, quel
effet que ça va avoir, quelle portée, quelles conséquences juridiques peut-on
déceler un peu par rapport à ce changement?
Alors, d'abord, pourquoi ce changement…
M. Taillon (Patrick) : ...45 de
1982. Je veux insister ici sur deux points. Premièrement, pourquoi et comment
ce changement est-il possible? Puis deuxièmement quel effet que ça va avoir,
quelle portée, quelles conséquences juridiques peut-on déceler un peu par
rapport à ce changement?
Alors, d'abord, pourquoi ce changement est
possible? Il faut comprendre que ce changement découle de la spécificité de la Constitution
canadienne, de ce qui fait qu'elle est extrêmement différente de d'autres
constitutions ailleurs dans le monde. Trois constats, on a affaire à une constitution
de la fédération qui en comprend plusieurs autres, donc des constitutions
entremêlées où il y a la constitution du grand Canada, une constitution de la
fédération, qui comprend plusieurs entités, 10 entités provinciales et une
entité fédérale. Or, ces constitutions, elles ne sont pas étanches, elles sont
entremêlées, profondément entremêlées, et elles sont aussi profondément
dispersées.
La Cour suprême nous l'a dit à plusieurs
reprises, vous avez ici un extrait de l'arrêt SEFPO où elle le dit, dans ce
cas, elle parle de la constitution de l'Ontario : Il n'y a pas de document
unique, elle se trouve dans plusieurs sources, dans une variété de dispositions
dans du droit non écrit. La Cour suprême dit la même chose en 1981, mais cette
fois de la grande constitution, celle de toute la fédération. Elle dit
aussi : Pas de document unique, profondément dispersé, profondément
entremêlé.
Et donc on se retrouve avec une
constitution dispersée, entremêlée. Et comme le dit la Cour suprême dans
l'arrêt Blaikie à propos de certaines questions linguistiques, il y a, dans la
Constitution canadienne de la fédération du Canada, qui comprend les 11 entités
qui composent la fédération, des dispositions qui sont indivisibles,
indissociables, qui font à la fois partie de la constitution du Québec et à la
fois partie de la constitution de la fédération dans son ensemble. Et c'est
cette caractéristique, le fait que c'est profondément entremêlé plutôt
qu'étanche qui fait en sorte que, lorsque le Québec modifie sa propre
constitution, il modifie aussi celle de la fédération puisque certaines
dispositions se trouvent à être dans la Loi constitutionnelle de 1867.
Donc, cette façon de faire, elle n'est pas
nouvelle, c'est très important. Elle a des racines historiques profondes. Dès
1867 — le témoin précédent a mentionné 1949, mais en vérité c'est
1867 — les Britanniques vont dire : Bien, pour modifier les
règles constitutives du Canada et de ses entités, il y a la loi britannique qui
opère ces changements, mais par exception il y a des sujets pour lesquels vous
pouvez agir seul. Vous avez à l'écran une série d'exemples, de sujets pour
lesquels on peut exercer ce pouvoir unilatéral. Certains, c'est un pouvoir...
Dans certains cas, c'est un pouvoir unilatéral fédéral, dans certains cas,
c'est un pouvoir unilatéral provincial. En vertu de ce pouvoir, cette capacité,
le Québec...
M. Taillon (Patrick) : ...agir
seul. Vous avez à l'écran une série d'exemples, de sujets, pour lesquels on
peut exercer ce pouvoir unilatéral. Certains... c'est un pouvoir... Dans
certains cas, c'est un pouvoir unilatéral fédéral; dans certains cas, c'est un
pouvoir unilatéral provincial. En vertu de ce pouvoir, cette capacité, le Québec
a modifié la composition même de son Parlement en abrogeant — ce
n'est pas un petit changement mineur — sa Chambre haute, l'une des
composantes de ce Parlement à l'origine de la fédération. Donc, depuis toujours,
le constituant britannique a voulu et prévu cette possibilité. Et, même en
1982, on aurait pu oublier ces dispositions, on aurait pu les abroger, mais le
constituant de 1982 a, au contraire, pris le temps de réécrire ces articles-là,
les déplacer puis les coller bien comme il faut à côté des autres procédures de
modification, pour montrer qu'elles forment un tout puis qu'elles sont
intimement associées les unes aux autres.
• (14 h 10) •
Cette compétence de l'article 45,
c'est une compétence profondément hybride. On sait qu'en vertu de cette
compétence-là on peut adopter des lois ordinaires — c'est la petite
boule de billard verte à l'écran — comme par exemple les lois
électorales. On peut aussi adopter des lois quasi constitutionnelles,
comme la Charte québécoise ou, à Ottawa, la Loi sur les langues officielles. Et
on sait qu'on peut aussi modifier certains aspects de la Constitution
supralégislative, ne serait-ce que les dispositions de la Constitution de 1867,
modifiables en vertu de l'article 45. Donc, on a une compétence
profondément hybride et qui côtoie d'autres compétences, celles des
articles 38 à 43, où là, pour ces questions-là, il faut l'accord du reste
du Canada, du fédéral, d'un certain nombre de provinces. Donc, 45 permet
certaines choses, c'est un carré, un domaine de compétences limité, mais, à
l'intérieur de ce domaine de compétences, le Québec peut agir.
Alors, comment on fait pour identifier,
lorsque le Québec modifie la loi suprême du Canada, le morceau de la
Constitution de la fédération qu'il peut modifier? Bien, le texte de la
Constitution lui-même et la jurisprudence nous fournissent assez clairement les
balises.
D'abord, vous voyez à l'écran,
l'article 52 de 1982 définit clairement c'est quoi la Constitution suprême
du Canada. Quelles sont ses normes qui sont supralégislatives? Et on nous dit
tous les textes figurants à l'annexe. À l'annexe, on voit ici clairement que
c'est l'ensemble de la Loi constitutionnelle de 1867, comme c'est l'ensemble de
la loi constitutionnelle sur le Manitoba ou celle sur l'Alberta, peu
importe — je pourrais vous énumérer des exemples pendant
longtemps — qui fait partie de ce qui est enchâssé dans la
Constitution. On ne dit pas seulement certains morceaux du texte de 1867, on
dit bien la totalité de 1867.
Alors, dans le texte de 1867, vous avez ce
sous-titre sur les constitutions provinciales qui est enchâssé évidemment via
52. Et même avant 1982, les normes qui…
M. Taillon (Patrick) :
…certains morceaux du texte de 1867, on dit bien la totalité de 1867.
Alors, dans le texte de 1867, vous avez ce
sous-titre sur les constitutions provinciales qui est enchâssé évidemment via
52, et, même avant 1982, les normes qui composaient les lois suprêmes du Canada,
les lois supralégislatives faisaient aussi l'objet d'une définition à travers l'article
7 du Statut de Westminster ou à travers la Loi sur la validité des lois
coloniales de 1865. Donc, ce n'est pas nouveau dans cette approche britannique
de dire : Bien, ce qui s'impose à vous, ce qui est supralégislatif est
défini.
La Cour suprême, sous la plume du juge
Major, est venue définir comment on fait pour distinguer lorsque le Parlement
du Québec agit comme législateur ordinaire des situations où le législateur
québécois met son chapeau ou sa casquette de pouvoir constituant de la
fédération. L'extrait de la Cour suprême est assez clair, on nous dit :
«L'article 45 permet de modifier la Constitution de la province.», donc un
objet limité et précis. La citation se poursuit, hein : «Ce pouvoir doit
être lu en corrélation avec le paragraphe 52.» Donc, le mot «constitution»,
ici, c'est au sens du paragraphe 52, paragraphe 1, de 1982, donc cette
Constitution au sens de loi supralégislative, au-dessus des autres lois. Et on
nous dit : La façon de savoir, lorsque le Parlement d'une province veut
agir ainsi, c'est qu'il le fasse avec une intention claire, en le disant,
expressément. Donc, par mention expresse, un Parlement, qu'il soit britannique,
fédéral ou provincial, peut, s'il agit à l'intérieur de sa compétence, modifier
le morceau qui le concerne de la loi suprême de la fédération.
Cette définition de la Constitution, qu'on
trouve à l'article 52, qu'on trouvait avant dans d'autres dispositions, elle
n'est toutefois pas exhaustive. La jurisprudence dit clairement que d'autres
normes font aussi partie de cette Constitution suprême. N'empêche que ce sont
ces spécificités typiquement canadiennes, c'est-à-dire les constitutions
dispersées, entremêlées et définies en partie par une définition qui dit
expressément ce qui est enchâssé qui font en sorte qu'aujourd'hui le projet de
loi n° 96 est une façon appropriée de venir réécrire,
modifier, ajouter, bonifier le texte de la Constitution de 1867.
Qu'est-ce que ça va changer? Qu'est-ce que
ça peut avoir comme portée et comme conséquences? Bien là, il faut nuancer le
bilan. Une minute?
La Présidente (Mme Thériault) :
30 secondes.
M. Taillon (Patrick) :
30 secondes. Très bien. Sur le...
M. Jolin-Barrette : Vous
pouvez le laisser sur mon temps...
La Présidente (Mme Thériault) :
Parfait...
M. Taillon (Patrick) : Très
bien. Je prends une minute, pas plus, pour dire que la question de savoir
qu'est-ce que ça va changer, elle appelle à deux précisions. La première, bien,
sur le plan des normes, de la place de ce que l'on adopte dans la hiérarchie
des normes, ça va faire partie de la constitution du Québec et de la fédération
canadienne, parce qu'il n'y a pas de hiérarchie à l'intérieur de la Constitution,
la Cour suprême l'a déjà dit. Et surtout, dans des affaires qui concernaient
les...
M. Taillon (Patrick) : ...la
première, bien, sur le plan des normes, de la place de ce que l'on adopte dans
la hiérarchie des normes, ça va faire partie de la constitution du Québec et de
la fédération canadienne, parce qu'il n'y a pas de hiérarchie à l'intérieur de
la Constitution. La Cour suprême l'a déjà dit. Et surtout, dans des affaires
qui concernaient les privilèges parlementaires des assemblées provinciales, la Cour
suprême a clairement dit que ce n'est pas parce que c'est modifiable
unilatéralement par les provinces que ce n'est pas pour autant supralégislatif,
ça a le même rang, à l'égal de la charte canadienne, même si c'est modifiable
seulement par les provinces.
Toutefois, sur le plan du contenu,
l'instrument qu'est l'article 45 ne permet pas d'introduire tous les
changements possibles et imaginables. Donc, sur le plan du sens, du contenu, il
y a des limites qui s'imposent, qui encadrent l'action de Québec. Québec ne
pourrait pas contredire les autres dispositions de la Constitution de cette
façon.
Et surtout, j'insiste là-dessus et je
m'arrête, sur le plan du sens, le Parlement peut modifier le texte, mais le Parlement
québécois, malheureusement, c'est un des problèmes du fédéralisme canadien, ne
contrôle pas le choix des juges qui vont interpréter et qui vont donner suite à
cela. Donc, qu'est-ce que les juges vont accorder comme signification au fait
que le Québec forme une nation et le fait qu'il a pour langue officielle le
français? Ça, c'est un univers de possibilités sur lesquelles on peut spéculer.
Certainement que ça va produire des effets, mais jusqu'où? Ces effets peuvent
être atténués ou, au contraire, valorisés et encouragés par les tribunaux. Merci.
Je m'arrête ici.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci, Pr Taillon. Le ministre vous a alloué généreusement
3 min 20 s de plus. Donc, M. le ministre, il vous reste
13 min 15 s.
M. Jolin-Barrette : Merci
beaucoup. M. le professeur Taillon, merci beaucoup d'être présent aujourd'hui
et d'avoir fait cette démonstration pédagogique en 10 minutes pour bien
expliquer aux parlementaires de quoi il s'agit au niveau de la modification
constitutionnelle.
Une courte question. À la fin de votre intervention,
vous avez dit : Il existe une problématique dans le fédéralisme canadien,
du fait que ce n'est pas le législateur québécois ou le gouvernement québécois
qui choisit les juges qui interpréteront les dispositions. Pouvez-vous
rapidement expliquer quelle est cette problématique?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
ce que je veux dire, c'est que dans une fédération, ça prend un arbitre pour
trancher les litiges entre le fédéral et les provinces. Un des problèmes du
fédéralisme canadien, c'est que le choix de l'arbitre, il est unilatéralement
fait par l'un des partenaires. Et donc ça, c'est un problème que l'accord du
lac Meech voulait atténuer, ça n'a pas été adopté. Et ça, ça contribue à faire
en sorte qu'évidemment, les juges, individuellement, ils font leur travail au
mieux... du mieux qu'ils peuvent, mais quelle importance ils accorderont à
cette autodéfinition du Québec, ça, on ne peut pas le savoir. Et le fait qu'ils
sont sociologiquement choisis par l'un des partenaires de la fédération, ça
vient structurellement introduire un certain biais qui joue parfois en défaveur
des intérêts du Québec.
D'autres vous diront par contre que, même
avant que le Québec s'affirme comme nation dans la Constitution, il y avait
déjà des traces dans la jurisprudence que la Cour suprême reconnaît la
spécificité du Québec. C'est certain que de l'affirmer noir sur blanc, comme ça
avait été le cas avec les droits ancestraux des peuples autochtones, qui
avaient été déjà reconnus au début des années...
M. Taillon (Patrick) : ...des intérêts
du Québec. D'autres vous diront par contre que, même avant que le Québec
s'affirme comme nation dans la Constitution, il y a déjà des traces dans la
jurisprudence que la Cour suprême reconnaît la spécificité du Québec. C'est
certain que de l'affirmer noir sur blanc, comme ça avait été le cas avec les
droits ancestraux des peuples autochtones qui avaient été déjà reconnus au
début des années 70 par la Cour suprême, quand on est venu l'inscrire dans le
texte, c'est venu donner un élan, c'est venu encourager les juges à aller plus
loin dans cette direction-là. Je pense qu'on est dans une dynamique similaire
ici.
M. Jolin-Barrette : Donc,
pour vous, le fait d'insérer l'article 159, c'est légal et légitime, et le
Parlement québécois est tout à fait en droit de faire ce que nous faisons dans
le projet de loi?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
le citoyen que je suis va vous dire que c'est légitime puis le professeur de
droit va vous dire qu'effectivement c'est une procédure qui est parfaitement
conforme à la Constitution, qui a déjà été utilisée. Et la seule nouveauté ici
par rapport à ce qu'on a déjà vu dans le passé, c'est une nouveauté un peu
esthétique ou légistique, dans le sens où un réflexe peut-être, les mots sont
chargés, mais je vais dire autonomiste ou nationaliste incitait un peu le
Québec, par exemple en 68, à faire nos affaires séparément, dans un autre texte
que celui de 1867. Donc, on a abrogé certaines dispositions de 1867, mais
esthétiquement, dans le passé, on mettait ça ailleurs. Mais le ailleurs est
quand même... Puisque les sources constitutionnelles sont dispersées, le
ailleurs est quand même constitutionnel.
Et là le génie de ce projet de loi, c'est
de venir maximiser la visibilité de cette modification constitutionnelle faite
par le Québec en la mettant dans un texte qui a une plus grande visibilité dans
la fédération. C'est un peu comme si le fédéralisme canadien, c'était une tour
à condos, ça va de soi que chaque unité peut modifier et rénover l'intérieur de
son propre condo, ça va de soi que les balcons sont encadrés par des règles
communes. Mais là, d'une certaine façon, avant, on rénovait, mais là, cette
fois-ci, on rénove, mais on le met bien visible dans la fenêtre. Il n'y a
personne qui pourra lire le texte de 1867 sans savoir que le Québec forme une
nation.
Et c'est là que le changement du projet de
loi n° 96 se démarque de façon très utile et très pertinente de la manière
dont on avait fait les choses en 1968 où on avait mis ça dans un texte qui ne
bénéficie pas de la même visibilité. Mais juridiquement, c'est la même chose.
• (14 h 20) •
M. Jolin-Barrette : Dans le
projet de loi n° 96, on a introduit la notion de droit collectif.
Qu'est-ce que vous pensez de ça? Et est-ce que ça existe déjà, des droits
collectifs?
M. Taillon (Patrick) : Oui.
Bien, il faudrait avoir une philosophie ou une idéologie libertarienne pour
croire que les droits n'existent que pour les individus qui vivent comme des
atomes isolés. Donc, les droits fondamentaux, il y a plusieurs générations de
droits fondamentaux. Certains ont des dimensions plus individuelles que d'autres.
Mais il existe, et c'est reconnu dans les pactes internationaux sur les droits
et libertés, des droits qui ont des dimensions plus collectives.
Et les droits fondamentaux, ce sont des
objectifs que l'on se donne comme société, ce n'est jamais des absolus, ce sont
des choses que l'on...
M. Taillon (Patrick) : …ont des
dimensions plus individuelles que d'autres. Mais il existe, et c'est reconnu
dans les pactes internationaux sur les droits et libertés, des droits qui ont
des dimensions plus collectives.
Et les droits fondamentaux, ce sont des objectifs
que l'on se donne comme société, ce n'est jamais des absolus, ce sont des
choses que l'on concilie avec toute sorte d'objectifs d'intérêt public, donc,
quand on appelle ça des droits collectifs, ou des objectifs constitutionnels,
ou des valeurs constitutionnelles communes. Ça, c'est un choix de mot qui
m'importe peu, mais il est clair qu'une constitution, ça établit un équilibre
entre toute sorte de préoccupation.
Et le projet de loi n° 96, notamment
ses modifications à la charte québécoise, elle vient dire qu'au Québec dans
l'équilibre des droits, au sommet de notre hiérarchie des normes, il y a des
préoccupations qui sont d'ordre individuelles et il y a des préoccupations qui
sont d'ordre collectives, et les unes et les autres sont toutes aussi importantes
et doivent être conciliées les unes avec les autres.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je
dois vous demander ce que vous pensez des dispositions de souveraineté parlementaire
qu'on est venus insérer au sein du projet de loi n° 96.
M. Taillon (Patrick) : Bien,
c'est le propre de la tradition juridique britannique d'avoir une foi dans…
avoir confiance dans les élus. Et le Canada, le Québec, nous sommes un peu les
héritiers de cette tradition qui veut que le Parlement est souverain, du moins,
à l'intérieur de ses compétences. Et progressivement, le Canada a choisi, et le
Québec aussi, de mettre des garanties au-dessus de la volonté du Parlement,
mais ce choix-là, il s'est toujours accompagné d'un compromis, c'est-à-dire de
préserver la capacité des parlementaires de répliquer, d'utiliser, si
nécessaire, cette capacité de dérogation, cette souveraineté parlementaire qui
subsiste. Alors, moi, je ne crois pas que la dérogation ce n'est ni… je ne
crois pas que c'est mauvais ou que c'est bien, ça dépend de ce qu'on en fait.
Et, en réalité, il s'agit d'un mécanisme
qui permette aux élus de dire : Voici, on veut le dernier mot, on veut
établir nous-mêmes l'équilibre entre les droits et les autres objectifs d'intérêt
public. Si le législateur, quand il le fait, il établit un équilibre qui est
raisonnable, qui est approprié, qui est dans l'intérêt public, tant mieux, ça
veut dire que la dérogation a été bien utilisée et peut-être même elle va
empêcher que les juges, dans leur exercice de leur pouvoir tout à fait prévu
par la Constitution, eux aussi, ils pourraient commettre certains abus ou
certains déséquilibres. Donc, d'utiliser la dérogation, ça peut-être une bonne
façon pour les élus de répliquer à une jurisprudence en établissant une
solution pertinente. Mais si, lorsqu'on utilise la dérogation, on utilise ce
pouvoir de manière abusive, bien là, le pouvoir devient en soi plus néfaste.
Donc, tout est dans la solution qui est établie, ce qu'on fait avec le pouvoir
de dérogation.
Moi, en ce qui me concerne, considérant la
manière dont les tribunaux ont joué dans la version initiale de la Charte de la
langue française, je n'ai pas de problème avec l'idée que le Parlement dise
cette fois, envoie un message très clair aux tribunaux pour dire :
Écoutez, il ne s'agit pas d'une loi comme les autres. Il s'agit d'une loi qui
est au coeur de la spécificité du Québec puis d'un projet de société
particulier en Amérique du Nord. Nous, on veut mettre cette loi au sommet de la
hiérarchie…
M. Taillon (Patrick) :
...de la Charte de la langue française, je n'ai pas de problème avec l'idée que
le Parlement dise cette fois, envoie un message très clair aux tribunaux pour
dire : Écoutez, il ne s'agit pas d'une loi comme les autres. Il s'agit
d'une loi qui est au coeur de la spécificité du Québec puis d'un projet de société
particulier en Amérique du Nord. Nous, on veut mettre cette loi au sommet de la
hiérarchie des normes, et on vous envoie le message que vous ne touchez pas à
ça. Vous faites preuve d'une plus grande retenue. Et il faut reconnaître au
législateur en cette matière la plus grande marge de manoeuvre possible.
M. Jolin-Barrette :
Est-ce que le recours aux dispositions de souveraineté parlementaire signifie
qu'une loi est discriminatoire?
M. Taillon (Patrick) :
Comme j'essayais de le dire, peut-être maladroitement, ça dépend du contenu de
la loi, ça aussi. Si la loi est utilisée pour promouvoir des droits, bien, au
contraire, c'est une loi qui favorise les droits, là, et si à l'inverse la loi
est utilisée pour les restreindre. Et on voit d'ailleurs dans cette crise
sanitaire qu'on a souvent adopté des normes sur des décrets, peut-être bientôt
une loi à l'Assemblée nationale, sans utiliser la clause dérogatoire pour
limiter les droits. Donc, il n'y a pas de lien. On peut utiliser une loi sans
dérogation, sans disposition de souveraineté parlementaire, pour reprendre
votre expression qui est tout à fait pertinente. Donc, on peut... On peut
restreindre les droits sans utiliser la dérogation et on peut légiférer avec
dérogation sans restreindre les droits. Tout dépend de ce que le législateur
fait lorsqu'il utilise cette souveraineté parlementaire.
Par contre, lorsqu'on légifère avec la
dérogation, je pense que ça demande de la part des parlementaires, justement,
une attention particulière puisque ça limite la capacité du juge d'intervenir
par la suite pour venir rectifier des choses. Mais si les parlementaires
souhaitent exercer ce pouvoir de dernier mot qui a toujours existé dans la
tradition britannique et qui subsiste à travers cette disposition-là,
l'article 33 de la charte canadienne et l'article 52 de la charte
québécoise, bien, ça peut être tout à fait pertinent et salutaire. Tout dépend
de ce qu'on en fait.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Quelle est votre opinion des nouveaux fondamentaux qu'on vient insérer dans la
Charte de la langue française et le fait également de rendre exécutoire les
droits fondamentaux qui étaient déjà prévus à la Charte de la langue française?
M. Taillon (Patrick) :
Bien, je pense que ça participe à ce qui risque d'être la vision des droits
fondamentaux de demain. C'est-à-dire que dans le passé on associait beaucoup
les droits fondamentaux à l'individu, c'était la première génération de droits.
On voit qu'au contraire à mesure ou... De toute façon, les droits, ils n'ont
pas une définition préexistente, hein? Quand on consacre des droits
fondamentaux, ce qu'on consacre en réalité, ce une mission que l'on accorde au
juge d'agir comme un peu gardien de ces droits-là puis de les concilier les uns
avec les autres. Et à mesure où on consacre certains droits fondamentaux, bien,
c'est normal, légitime et pertinent d'en ajouter d'autres pour s'assurer que,
justement, le résultat global soit équilibré.
Et on le voit de plus en plus, certains
droits économiques et sociaux, certains droits culturels, là, ici, dans une
société comme la nôtre, d'accorder un droit fondamental de vivre en français,
c'est tout à fait cohérent avec le projet de société puis la spécificité du Québec.
Et je pense que c'est important dans cette dynamique...
M. Taillon (Patrick) : ...et on
le voit de plus en plus, certains droits économiques et sociaux, certains
droits culturels. Là, ici, dans une société comme la nôtre, d'accorder un droit
fondamental de vivre en français, c'est tout à fait cohérent avec le projet de société
puis la spécificité du Québec, et je pense que c'est important, dans cette
dynamique qui existe entre les législateurs et le juge, de venir dire que ces dispositions
en matière de langue, c'est d'abord et avant tout la concrétisation d'un droit,
et non pas simplement des restrictions, des règles pointues ou des
aménagements. Donc, ça permet de donner à la loi un sens particulier et
cohérent avec l'ensemble du dispositif constitutionnel.
M. Jolin-Barrette : Je vous
remercie grandement. Je sais que j'ai des collègues qui veulent vous poser des questions.
La Présidente (Mme Thériault) :
Donc, pour le député de Sainte-Rose, vous avez 2 min 15 s.
M. Skeete : Merci beaucoup, Mme
la Présidente. Pr Taillon, merci beaucoup. J'ai quelques questions en rafale,
en espérant avoir le temps de conclure. Il y a des gens, dans la société
civile, qui disent qu'il y a des aspects dans ce projet de loi là qui vont
enlever des droits, notamment la communauté d'expression anglaise, qui dit que
ça peut affecter l'accès à la santé ou l'accès à la justice. Vous voyez quoi,
vous, dans ces interprétations-là?
M. Taillon (Patrick) : Bien, d'abord,
le domaine qui est plus le mien, là, sur le plan des droits qui sont
supralégislatifs, les droits qui sont dans la Constitution, il n'y a rien dans
ce projet de loi qui vient restreindre les droits historiques de la communauté
anglo-québécoise tels qu'ils sont consacrés à l'article 133 de 1867. Et si
c'était le cas, bien, ce serait justement une possibilité pour les tribunaux
d'intervenir, parce que le domaine d'application de l'article 45, il est
circonscrit. Donc, sur le plan des droits constitutionnels, dire que le Québec
forme une nation et qu'il a pour langue officielle le français, ça n'enlève
rien par rapport à ce que la Constitution offre comme droits à la communauté
historique anglophone.
Après, en ce qui concerne les autres
mesures détaillées du projet de loi, moi, je n'ai pas vu, là, d'exemple
particulier, mais mon attention s'est surtout tournée vers les droits qui sont
garantis dans la Constitution. Dans le pacte de 1867, lorsqu'on a négocié ce
compromis qui veut qu'il y aura un législateur majoritairement francophone au
Québec, mais, en contrepartie, il y aura des droits historiques protégés pour
la minorité anglophone, tels qu'on les voit à l'article 133, le projet de loi n° 96 ne touche pas du tout à ces questions-là.
M. Skeete : Puis en quoi la
vision ou la perspective des Québécois d'expression anglaise et de la majorité
francophone par rapport au Code civil versus le common law... en quoi ce regard
historique vient teinter un peu la vision du droit commun versus le droit
individuel?
M. Taillon (Patrick) : Bien, la
spécificité du Québec tient à plusieurs piliers. La tradition juridique
civiliste en est un, elle modifie notre rapport au texte, elle nous incite à
aimer mettre les choses plus clairement. Elle nous a peut-être même empêchés de
voir la vraie nature de la Constitution canadienne, comme je disais, dispersée,
entremêlée, et, etc. Mais oui, ça fait partie des ingrédients qui peuvent
expliquer culturellement que l'on a un rapport au droit légèrement différent,
en effet.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. Donc, je me tourne maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys, pour votre échange de 11 minutes.
• (14 h 30) •
Mme David : Merci...
14 h 30 (version non révisée)
M. Taillon (Patrick) : …la
Constitution canadienne, comme je disais, dispersée, entremêlée, et, etc. Mais
oui, ça fait partie des ingrédients qui peuvent expliquer culturellement que
l'on a un rapport au droit légèrement différent, en effet.
La Présidente (Mme Thériault) : Merci.
Donc, je me tourne maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys, pour votre échange de 11 minutes.
Mme David : Merci, Mme la
Présidente. Merci, Pr Taillon. On se retrouve. Vous étiez venu pour la loi
n° 21?
M. Taillon (Patrick) : Entre
autres, et aussi pour la loi sur la succession… d'évolution au trône, je pense.
Mme David : Oui, mais, disons
que, moi, c'est parce que je vous ai connu à la loi n° 21.
M. Taillon (Patrick) :
D'accord.
Mme David : Et donc on se
retrouve. Écoutez, c'est difficile sans mémoire écrit, puis je ne suis pas une
spécialiste, là, au niveau… comme vous. On a eu un autre constitutionnaliste ce
matin. Ce n'est pas facile, mais je vais prendre la dernière partie puis je
vais essayer de remonter le fil de votre intervention en commençant par la fin.
J'ai vraiment bien entendu que vous avez
dit : Il faut une attention particulière demandée aux parlementaires quand
il y application de dispositions de dérogation. Si vous-même, vous étiez un
parlementaire, là, sans formation constitutionnelle et tout
ça — comme nous, humbles mortels — comment vous
appliqueriez cette attention-là? Donnez-nous un cours d'attention sur les
dispositions de dérogation.
M. Taillon (Patrick) : Bien,
elle n'est pas… Ce n'est pas particulièrement différent de ce que font les
tribunaux, eux-mêmes, lorsqu'ils analysent la conciliation des droits. C'est
extrêmement difficile, on le vit dans le dossier des manifestations devant les
écoles où il y a un vrai droit, celui de manifester, qui est en tension avec un
autre droit, tout aussi réel, qui est d'aller à l'école sans se faire déranger
ou de pratiquer son métier.
Mme David : Dans le p.l.
n° 96, particulièrement, là.
M. Taillon (Patrick) : Oui.
Oui, bien sûr. Donc, je pense que les principaux critères, c'est d'identifier
les droits et les intérêts qui sont en présence, des droits et intérêts des
individus, qui peuvent voir dans ces dispositions-là un fardeau, une
contrainte, etc., par opposition à ceux qui… les droits des individus et de la
collectivité, et de voir dans quelle mesure l'équilibre qui est proposée par le
projet de loi est raisonnable. Puis parmi les indications qui peuvent aider à
voir si c'est raisonnable, c'est de se demander — ça, c'est
exactement de la façon dont les tribunaux procèdent — est-ce que le
législateur pourra atteindre son objectif — puis l'objectif est
ambitieux ici, là, c'est promouvoir la protection du français, freiner son
déclin. Est-ce qu'il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de solutions de rechange?
Et parmi ces solutions de rechange, est-ce qu'il y en a qui seraient plus
respectueuses des droits et d'autres qui le seraient moins? Et le tribunal va
arriver à la conclusion qu'il faut retenir pas la moins pire des solutions,
mais parmi les moins pires. Donc, ça, c'est les techniques qui sont
employées par les tribunaux. Je ne pense pas que c'est la seule manière de
concilier les droits puis d'évaluer. Les parlementaires peuvent s'en inspirer,
mais moi je n'ai pas une conception du savoir juridique qui serait un savoir
exclusivement réservé à des gens ayant eu une formation. Au contraire, quand il
est question de droits fondamentaux, il est question du pacte fondamental qui
encadre notre société. Et, si on ne peut pas avoir un débat démocratique sur
ces droits que l'on veut se reconnaître réciproquement ou si ce débat n'est
réservé qu'à des gens qui ont un savoir…
M. Taillon (Patrick) : ...qui
serait un savoir exclusivement réservé à des gens ayant eu une formation. Au
contraire, quand il est question de droits fondamentaux, il est question du
pacte fondamental qui encadre notre société. Et, si on ne peut pas avoir un
débat démocratique sur ces droits que l'on veut se reconnaître réciproquement
ou si ce débat n'est réservé qu'à des gens qui ont un savoir particulier, bien,
moi, je suis plutôt inquiet, je crois qu'il faut avoir une délibération
démocratique. Et la meilleure façon, c'est de cumuler les préoccupations si on
est centrés seulement... Pardon.
Mme David : O.K. Alors, je
vous arrête. Je sais qu'il faut interrompre n'importe quel professeur, mais en
droit encore plus. Je vais oser un exemple, O.K., où il faudra porter une
attention particulière, parce que plusieurs constitutionnalistes et juristes de
haut niveau m'ont apporté et ont apporté publiquement des inquiétudes.
Les droits d'inspection de l'OQLF où même
votre prédécesseur, le Pr Binette, disait : C'est des droits vraiment
très, très, très beaucoup plus élargis qu'ils le sont dans la charte actuelle.
Beaucoup de juristes ont dit : Attention, il y a même des arrêts de la
Cour suprême, il y a quelque chose qui dit, par exemple, le droit à la vie
privée dans les ordinateurs, ça n'existait pas en 76, lors de la charte, hein,
on s'entend, 77. Et là, maintenant, il y a eu un certain nombre de jugements
là-dessus en disant : Un ordinateur portable, vous allez repartir avec
votre ordinateur, il peut y avoir des rendez-vous chez le médecin, il peut y avoir
des choses, vous ne voulez certainement pas qu'un inspecteur de l'OQLF voie.
Mais, quand il a le droit de regarder et que c'est permis par la loi, puis il
ne fait pas ça pour rien non plus, là, mais il a le droit, clash annoncé, droit
à la vie privée, mais il y a dérogation quand même.
Puis là je veux vous entendre là-dessus
parce qu'il y en a qui disent : Peut-être qu'on devrait enlever, pour cet
article-là, la disposition de dérogation. Or, ce n'est pas ça qui arrive, là,
c'est comme — ça sera une autre de mes questions — tous
azimuts pour protéger des droits collectifs de langue. On s'entend, la langue,
c'est important. Mais sur ça en particulier, pourquoi on mettrait une
dérogation?
M. Taillon (Patrick) :Mais
c'est un bel exemple parce que vous montrez qu'il y a plusieurs intérêts en
présence. Moi, je pense qu'il faut clairement distinguer la capacité de
déroger, d'affirmer cette souveraineté parlementaire. Elle ne vaut que pour la
loi, elle ne vaut pas pour l'administration. Et je pense que, lorsqu'on applique
les chartes, il y a une distinction qui est faite entre les lois et les
règlements, les règles de droit, puis le comportement de l'État, le
comportement du policier ou, dans ce cas-ci, de l'inspecteur.
Et j'ai plutôt tendance à penser que le
comportement de l'inspecteur ne peut pas être... Seul le législateur peut
déroger. Et donc, pour valider un comportement d'inspecteur, il faudra ou il
faudrait le rattacher quand même assez explicitement à son fondement
législatif. Puis le comportement de l'inspecteur doit s'exercer dans le respect
de la finalité de la loi. Donc, je pense que ça pourrait être une manière
d'atténuer la chose.
L'autre manière d'atténuer la chose, et le
Parlement est souverain, bien, c'est peut-être d'apporter des précisions à cette
disposition. C'est vrai que du moment...
Mme David : ...vous me
proposez...
M. Taillon (Patrick) :
...assez explicitement à son fondement législatif. Puis le comportement de
l'inspecteur doit s'exercer dans le respect de la finalité de la loi. Donc, je
pense, ça pourrait être une manière d'atténuer la chose.
L'autre manière d'atténuer la chose, et le
Parlement est souverain, bien, c'est peut-être d'apporter des précisions à
cette disposition. C'est vrai que du moment...
Mme David : Bien, je
comprends, vous me proposez déjà un amendement...
M. Taillon (Patrick) : Du
moment où le législateur décide de déroger, c'est qu'il décide de lui-même
établir l'équilibre des droits.
Mme David : Savez-vous ce
que me proposent plusieurs juristes?
M. Taillon (Patrick) : Je
vous...
Mme David : Je le
dévoile, là, bon, on est là pour discuter, de dire : Ça n'a aucun bon sens
qu'il n'y ait pas de mandat, au moins qu'un juge puisse de prononcer avec un
mandat de... l'équivalent d'un mandat de perquisition.
M. Taillon (Patrick) :
Oui. Bien généralement...
Mme David : Parce que,
avec la dérogation, ce n'est pas permis.
M. Taillon (Patrick) :
Généralement, lorsqu'il est question de vie privée, c'est soit le consentement
de l'individu à y renoncer. Nos étudiants sont très vites sur le piton pour
renoncer à leur vie privée dans différentes applications. Et sinon l'autre
solution, c'est généralement qu'un tiers, le juge, vienne juger la
raisonnabilité de la chose. Donc, c'est une suggestion qui est intéressante, en
effet.
Mme David : Ah! Bien, je
suis contente, venant de vous. Alors, je comprends que la dérogation n'est pas
nécessairement tous azimuts, tous les articles de la charte, pour tous les
articles de la loi... de la loi n° 96, qu'on a beau
dire que c'est l'ordre collectif versus l'ordre individuel, vous dites bien, ça
prend un équilibre. Mais si ça prend un équilibre, pourquoi on choisit que
l'entièreté du collectif dans cette loi-là s'applique? Donc, on applique les
dispositions de dérogation au maximum, là. Les articles 2 à je ne sais pas
quoi puis, bon, des deux chartes, là, sont là au complet, pour tous les
articles. Pourquoi alors on dit que c'est un équilibre entre collectif et
individuel? On vient de donner un exemple sur les inspections.
M. Taillon (Patrick) :
Donc, le... Est-ce que le Parlement du Québec pourrait procéder de façon plus
chirurgicale? Oui. En procédant comme ça, c'est un peu comme si, d'une certaine
manière, le but du législateur était de hisser la Charte de la langue française
à l'égal du reste de la Constitution. Hein, si... Si la charte canadienne dit
des choses, puis vous enchâssez dans la Constitution canadienne le contraire,
bien, la charte canadienne n'a pas vocation à s'appliquer au reste de la
Constitution. La dérogation, ça produit un peu cet effet-là, mais effectivement
il est important que le législateur s'assure de la raisonnabilité puis de la
pertinence de sa loi. Et s'il veut déroger d'une manière plus chirurgicale,
bien, il est tout à fait possible de retirer certaines dispositions du domaine
d'application de la dérogation. Au lieu de dire : La dérogation vaut pour
tout le projet de loi n° 96, il pourrait valoir pour tout le projet de loi
n° 96, sauf l'article numéro machin. C'est tout à fait possible.
Mme David : O.K. Et le
ministre écoute évidemment. Donc, on comprend que ça serait une possibilité
puis qu'on pourrait pousser, entre guillemets, cette idée-là, d'avoir pour
certains articles qui contreviennent plus manifestement à des dangers de
non-respect du droit à la vie privée, tel que mentionné dans des jugements
d'ailleurs, dont un, si je me souviens bien en 2016, de la Cour suprême...
Mme David : ...on comprend que
ça serait une possibilité puis qu'on pourrait pousser, entre guillemets, cette
idée-là d'avoir, pour certains articles qui contreviennent plus manifestement à
des dangers de non-respect du droit à la vie privée, tel que mentionné dans des
jugements d'ailleurs, dont un, si je me souviens bien, en 2016, de la Cour
suprême, ce n'est pas rien, là, mais c'est dans le domaine pénal et non pas
civil, mais quand même la personne a droit que l'inspecteur ne voit pas qu'elle
a un rendez-vous chez l'oncologue par exemple.
• (14 h 40) •
M. Taillon (Patrick) : Oui.
Donc, il revient au législateur de choisir quelles dispositions du projet de
loi entre dans le domaine de la dérogation. Donc, c'est un choix législatif
d'en étendre ou d'en restreindre la portée.
Mme David : Il y a une autre question
qui me... C'est parce que là, vous employez plein de mots, là, puis le ministre
aussi, puis tout ça. La souveraineté parlementaire, là, ça, là, je n'ai pas vu
ça bien, bien dans le projet de loi, c'est comme nouveau. Souveraineté
parlementaire égale-t-elle disposition de dérogation?
M. Taillon (Patrick) : Bien, en
fait, c'est qu'historiquement, au Royaume-Uni, le Parlement est souverain. Il
peut tout faire, il n'y a pas de loi au-dessus du Parlement britannique. Au
Québec, lorsqu'on a adopté la charte québécoise, on a respecté ce modèle-là. On
a dit : Il y a des normes au-dessus de la volonté du Parlement québécois,
de la charte québécoise, mais, si le Parlement québécois est insatisfait de la
manière dont c'est interprété, on a la capacité de modifier cette charte ou d'y
déroger expressément.
Le Canada dans son ensemble, la
fédération, en 1982, il a fait un pas de plus pour s'éloigner du modèle de
souveraineté parlementaire. Il y avait huit provinces canadiennes, dont le
Québec, qui s'opposaient à cela, parce qu'elles étaient conscientes que ça
allait opérer un transfert de pouvoir considérable du législateur vers le juge.
Et le compromis qui a été fait, compromis qui a rallié sept des huit provinces
qui s'opposaient, c'est de maintenir cette souveraineté parlementaire comme un
outil disponible au besoin à travers cette capacité de dérogation là.
Donc, est-ce qu'il subsiste... est-ce que
le Canada est pays qui pratique la souveraineté parlementaire? Bien, c'est à
l'origine de son système et, par différents choix, ce principe-là s'est
effrité, mais il subsiste, notamment à travers de l'article 33 de la
charte canadienne, comme un instrument qui permet au législateur, lorsqu'il le
souhaite, de réaffirmer cette souveraineté parlementaire.
La Présidente (Mme Thériault) :
Et je dois maintenant faire une petite intervention pour passer la parole à Mme
la députée de Mercier.
Mme Ghazal : Merci, Mme la
Présidente. Merci beaucoup pour votre présentation. Évidemment, c'est super
intéressant, là, cette idée-là d'ajouter nation, langue française commune dans
la Constitution, là, dans notre partie, avec l'article 45. Vous en faites
beaucoup la promotion. Puis Québec solidaire, on est pour ça. Tout à l'heure,
il y a un constitutionnaliste avant vous, M. Binette, qui nous a dit qu'on
est trop éblouis par cette nouvelle idée, puis peut-être qu'à un moment donné
on va se calmer, ce qui n'est pas votre cas.
Mais moi, j'ai une question. Tu sais, à
Québec solidaire, on est indépendantistes. Pourquoi ajouter une ligne dans une
constitution qu'on n'a pas signée? C'est quoi, la prochaine étape? Est-ce que
ça ouvre la porte après ça de dire : Bien, on va la signer, puisqu'il y a
l'affirmation du fait que le Québec...
Mme Ghazal : ...moi, j'ai
une question. Tu sais, à Québec solidaire, on est indépendantistes. Pourquoi
ajouter une ligne dans une constitution qu'on n'a pas signée? C'est quoi, la
prochaine étape? Est-ce que ça ouvre la porte après ça de dire : Bien, on
va la signer, puisqu'il y a l'affirmation du fait que le Québec est une nation?
Il n'y a pas de danger que, par ce geste, que je veux qualifier de pseudo affirmation
nationale, qu'on donne de la légitimité à la Constitution canadienne?
M. Taillon (Patrick) :
Très pertinent. Je dirais, en rafale, d'une part, on modifie 1977, c'est 1982
qu'on n'a pas signé, mais je conviens qu'à un moment c'est l'ordre
constitutionnel canadien.
Mais surtout je pense qu'il faut à un
moment donné faire le constat que, lorsqu'on procède par un paquet de
changements constitutionnels, comme Meech, comme Charlottetown, dans le but de
se réconcilier, là, le grand soir... ce qui ferait en sorte que, là, la
Constitution deviendrait acceptable, bien, on est un peu condamné à l'échec parce
que, là, on cumule les obstacles procéduraux, puis ça devient une camisole de
forme.
À l'inverse, lorsque, par exemple, le gouvernement
du Parti québécois en 1997, il est allé avec une mesure précise, les commissions
scolaires, lorsqu'avec le projet de loi n° 96, on y va sur un truc précis,
la nation et la langue, bien, on a un peu plus de chances de succès.
C'est sûr qu'on peut ne pas vouloir jouer
dans le film de la Constitution canadienne, mais, en attendant peut-être un
autre grand soir, ça permet au Québec de défendre ses intérêts par rapport à la
fois au fédéral, par rapport aussi à la dynamique constitutionnelle qui joue
devant nos tribunaux, en posant ce qui nous tient à coeur au sommet de la
hiérarchie des normes.
Mme Ghazal : Mais... puis
ça, c'est peut-être une question politique, ça ne vient pas un peu conforter
les Québécois en disant : Bien, tu sais, comme... On a beaucoup de valeurs
refuges, bien là, on se réfugie là-dedans en attendant, puis ça peut créer ça
en disant : Bien, pourquoi faire la souveraineté puis faire
l'indépendance?
M. Taillon (Patrick) :
Bien, je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il ne faut pas sous-estimer les
effets positifs. Ce n'est pas parce que c'est un bon coup que ça règle tout. Le
fédéralisme canadien continue à avoir des problèmes, des dysfonctionnements.
Mais moi, je me réjouis que l'on s'attaque un par un à ces problèmes et que, en
tout cas, du moins, sur ce coup-là, le Québec gagne, alors qu'il a si souvent
perdu. Est-ce qu'après c'est suffisant pour dire que tout est parfait? Au
contraire.
La Présidente
(Mme Thériault) : Je dois malheureusement passer la parole
maintenant au député de Matane-Matapédia.
M. Bérubé : Merci, Mme la
Présidente. Me Taillon, c'est un plaisir de vous accueillir.
Je pense qu'on peut dire sans se tromper
que vous avez certainement été une source d'inspiration pour le ministre, pour
son projet de loi, en janvier dernier dans une entrevue avec Marco
Bélair-Cirino, où vous nous indiquiez qu'il était possible de modifier la
Constitution canadienne et y ajouter des éléments dans l'espace qui appartient
au Québec. Et, comme le projet de loi du ministre est arrivé après, j'aime à
penser que vous l'avez influencé. Donc, ceux qui trouvent que c'est un bon coup
doivent d'abord vous féliciter vous.
Et, sur la base de... Moi, c'est sur la
base de l'applicabilité de la chose qu'on va pouvoir dire si c'est un bon coup.
Plusieurs personnes, dont moi, sont plutôt sceptiques quant à ce que ça
représente versus les véritables mesures qui devraient être mises en place. Par
exemple, moi, je trouve que c'est une diversion sur la vacuité de plusieurs
éléments du projet de loi.
Alors, Me Binette, qui est un peu dans...
M. Bérubé : …pouvoir dire si
c'est un bon coup. Plusieurs personnes, dont moi, sont plutôt sceptiques quant
à ce que ça représente versus les véritables mesures qui devraient être mises
en place. Par exemple, moi, je trouve que c'est une diversion sur la vacuité de
plusieurs éléments du projet de loi.
Alors, Me Binette, qui est un peu dans le
même type d'actions que vous, c'est-à-dire que c'est un prof de droit… en fait,
c'est un avocat en droit constitutionnel, il est beaucoup moins optimiste que
vous. Alors, est-ce que, raisonnablement, vous croyez que ça peut se retrouver
dans la Constitution canadienne?
M. Taillon (Patrick) : Bien
oui, puisque c'est… la Constitution canadienne est un objet entremêlé,
dispersé, et donc ça en fait partie. Quelles seront les suites que va donner
les juges à ça? Ça, il faudra voir. Mais surtout, avec égards pour mon collègue
et ami André Binette, il ne faut pas faire l'erreur de définir, peut-être qu'on
aimerait que ce soit comme ça, mais ce n'est pas ça, la réalité. L'objet
«constitution québécoise» n'est pas un objet totalement étanche, distinct et
séparé de l'objet «constitution de la fédération». C'est entremêlé. On fait
partie de la même tour, de la même…
M. Bérubé : Donc, ce n'est pas
quelque chose d'acquis, c'est une hypothèse. On n'a aucune garantie, parce
qu'on se heurte, encore une fois, aux juges qu'on ne nomme pas, et c'est ça,
accepter le régime canadien. Je ne l'accepte pas, ça fait assez longtemps qu'on
se connaît, vous connaissez mes opinions là-dessus. Je soupçonne les vôtres
aussi. Mais je dois vous dire que je demeure sceptique.
Ceci étant dit, vous êtes allés beaucoup
plus loin. Si c'était seulement de vous, on ajouterait beaucoup plus
d'éléments. Vous avez parlé d'États associés, par exemple, de l'existence de
son Parlement. J'imagine que vous avez eu cette discussion-là avec le ministre.
Pourquoi, selon vous, il a décidé de ne pas aller plus loin?
La Présidente (Mme Thériault) :
En 20 secondes.
M. Taillon (Patrick) : Oui,
moi, j'ai proposé de traduire… d'imposer notre vocabulaire, notre manière de
décrire les institutions, tel qu'il ressort de la Révolution tranquille, de
cesser de se faire appeler province. On est un État membre de la fédération.
M. Bérubé : Vous avez proposé
ça?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
je l'ai proposé dans mes écrits, c'est publié.
M. Bérubé : Mais ce n'est pas
dans le projet de loi.
M. Taillon (Patrick) : Ce
n'est pas dans le projet de loi.
M. Bérubé : …c'est là qu'on
l'apprend.
M. Taillon (Patrick) : Je
salue le fait que le projet de loi introduit une numérotation précise qui crée
un espace pour peut-être des changements futurs.
M. Bérubé : J'espère qu'il
vous écoutera, parce que vous l'avez proposé, puis ce n'est pas dans le projet
de loi. Nous, on ne considère pas qu'on est une province.
La Présidente (Mme Thériault) :
Et je dois mettre fin à cet échange.
M. Bérubé : Merci.
La Présidente (Mme Thériault) :
Donc, je vais suspendre les travaux quelques instants pour permettre à l'autre
groupe de prendre place. Donc, merci, Pr Taillon, de vous être joint à nos
travaux. Nous suspendons.
(Suspension de la séance à 14 h 47)
(Reprise à 14 h 52)
La Présidente (Mme Thériault) :
À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous allons
poursuivre les travaux de la commission, et nous recevons M. Frédéric Lavoie...
Lacroix, pardon. Donc, M. Lacroix, vous avez une dizaine de minutes pour faire
votre exposé. Vous pouvez enlever votre masque, évidemment, puisque vous faites
l'exposé, et par la suite il y aura des échanges aussi, donc sentez-vous libre
de ne pas le remettre, puisque vous répondrez aux questions des parlementaires.
Donc, la parole est à vous.
M. Lacroix (Frédéric) : C'est
bon. Donc, merci, tout d'abord, aux membres de cette commission sur l'étude du
projet de loi n° 96, la Loi sur la
langue officielle et commune du Québec, le français, de me recevoir.
Donc, je m'appelle Frédéric Lacroix, je suis l'auteur d'un livre intitulé Pourquoi
la loi 101 est un échec, publié chez Boréal l'année passée. Et je suis
aussi l'auteur d'un livre, à sortir le 7 octobre, qui s'intitule Un «libre
choix» ? : cégeps anglais et étudiants internationaux; détournement,
anglicisation et fraude, édité par le Mouvement Québec français.
Donc, dans mon premier livre, je conclus
que, globalement, la loi 101 est un échec, en ce sens qu'elle n'atteint pas et
n'a jamais atteint les objectifs que s'étaient fixés ses concepteurs. Donc,
l'objectif principal de la charte était d'arrêter l'évolution démographique qui
se dessinait pour l'avenir pour le Québec, évolution qui allait conduire à un
recul du poids démographique relatif des francophones au Québec. Pour ce faire,
il faudrait hausser les... linguistiques des immigrants allophones vers le
français de 25 % à 80 % ou 85 %, environ. La commission Gendron
écrivait, en 1972, qu'il fallait viser à faire du français la langue commune
des Québécois, une langue que tous connaissent, de telle sorte qu'elle puisse
servir de moyen de communication entre Québécois de toute langue et de toute
origine. Cette notion de langue commune est extrêmement importante. Donc, je
salue le fait que cette notion de trouve maintenant dans le titre même du projet
de loi et que l'article 1 du projet de loi n° 96 vienne modifier...
M. Lacroix (Frédéric) : …de
telle sorte qu'elle puisse servir de moyen de communication entre Québécois de
toute langue et de toute origine. Cette notion de langue commune est extrêmement
importante donc je salue le fait que cette notion se trouve maintenant dans le
titre même du projet de loi et que l'article 1 du projet de loi n° 96
vienne modifier la charte en ce sens.
L'axe principal du projet de loi n° 96
me semble être l'exemplarité de l'État et me semble être une tentative pour
restreindre le bilinguisme systémique de l'État québécois, bilinguisme qui a
été réimposé par les tribunaux fédéraux après 1977. Cela me semble être un
axe d'intervention incontournable car le français ne peut être à la fois la
langue officielle et une langue sur deux, une langue optionnelle pour l'État
québécois même.
Mais débilinguiser l'État québécois ne
sera pas, je crois, une mince affaire alors que le bilinguisme est rendu quasi
universel chez les francophones, qu'il est profondément entré dans les moeurs
et que les jeunes en particulier sont de plus en plus intéressés à utiliser
l'anglais dans leur vie quotidienne, selon Statistique Canada. Dans ce
contexte, comment va-t-on pouvoir restreindre l'offre active de service en
anglais? Je crains qu'on se retrouve avec une situation où les services en
anglais ne seraient théoriquement pas disponibles pour tous, tout en l'étant en
pratique, cela serait dommageable pour le statut du français.
Aucun livre blanc n'a été déposé
préalablement au projet de loi n° 96. Le diagnostic linguistique établi
par le gouvernement n'est donc pas du domaine public, donc quel est-il?
Normalement, les objectifs que vise un projet de loi sont proportionnés aux
besoins, mais on ne connaît ni les uns, ni les autres, ni les objectifs visés,
ni le constat précis qui motive l'action. En entrevue, M. le ministre
Jolin-Barrette a affirmé : Un des objectifs sera d'augmenter le transfert
linguistique des immigrants à 90 % vers le français, c'est le plus grand
défi que nous ayions, et je suis parfaitement d'accord là-dessus.
Un objectif subsidiaire devrait être
d'arrêter l'anglicisation des jeunes francophones à Montréal. Les projections…
linguistiques effectuées par Statistique Canada nous annoncent que les
francophones ne constitueront plus que 69 % de la population du Québec,
selon la langue maternelle, et 73,6 %, selon la langue d'usage, la langue
parlée à la maison, en 2036. Il s'agit d'une chute de 10 points et de
8 points par rapport à 2011. Donc, ça, c'est en 25 ans
seulement. En 2006 et 2016, on a aussi mesuré un doublement des
jeunes francophones à Montréal.
Donc, on peut dire que, démographiquement
parlant, le groupe de langue française est en chute libre, au Québec. Ce qui
nous guette, c'est la mise en minorité des francophones sur de larges pans du
territoire québécois, donc à Montréal, dans la région métropolitaine de
Montréal, à Laval, à Gatineau. Cette mise en minorité aura, a déjà d'immenses
conséquences politiques.
Donc, est-ce que le projet de loi
n° 96 va arriver à déjouer le scénario que nous peint Statistique Canada?
La réponse me semble être non, premièrement, parce que la sélection de
l'immigration est exclue de son champ d'action. Nous savons que la sélection d'immigrants
déjà francisés à l'étranger est le levier qui a permis de hausser les
transferts linguistiques vers le français de 20 % à 55 %, donc,
en 2016. Pour arriver à 90 %, il faudrait n'accepter…
M. Lacroix (Frédéric) : …premièrement,
parce que la sélection de l'immigration est exclue de son champ d'action. Nous
savons que la sélection d'immigrants déjà francisée à l'étranger est le levier
qui a permis de hausser les transferts linguistiques vers le français de 20 à
55 %, donc, en 2016. Pour arriver à 90 %, il faudrait n'accepter au
Québec que des francotropes ou des gens ayant une excellente maîtrise du
français avant l'arrivée, et ce, pour toutes les catégories d'immigrants
temporaires ou permanents.
Deuxièmement, parce que le projet de loi
n° 96 est d'une timidité excessive concernant la surcomplétude
institutionnelle, dont jouissent les institutions de langue anglaise au Québec.
Le réseau collégial anglophone au Québec est dimensionné au double du poids
démographique des anglophones, et nos réseaux universitaires, au triple de ce
poids. Le projet de loi n° 96 aura très peu d'impact sur les flux
monétaires allant soutenir l'expansion d'institutions anglaises au Québec.
Le gouvernement s'apprête même à financer
un agrandissement royal de 100 millions de dollars pour Dawson et à faire
don du Royal Victoria à McGill. Deux projets qui viendront rehausser la
surcomplétude institutionnelle des institutions anglophones à Montréal.
Donc, les mesures du projet de loi
n° 96, à mon avis, seront mises en échec par ces investissements. Le
gouvernement défait avec l'argent ce qu'il tente de faire avec le droit. Je ne
comprends pas, en particulier, l'hésitation à imposer les clauses scolaires de
la loi 101 au niveau collégial. À mon avis, l'impérieuse nécessité de
cette mesure crève les yeux.
L'article 88.0.4 imposant une croissance
contingentée au réseau collégial anglais est deux fois moins costaud que la
mesure proposée par le Parti libéral du Québec, soit le gel des places dans les
cégeps anglais.
Et cette mesure ne fera rien pour contrer
l'écrémage des meilleurs étudiants, effectué par les cégeps anglais, qui
représente l'autre problème majeur affectant le collégial.
Avec l'écrémage, le Québec finance le
déclassement symbolique du français comme langue d'étude au collégial.
L'anglais va rester la langue d'étude de l'élite. Cela est très lourd de sens.
En contingentant les places en anglais, le
gouvernement du Québec jette les bases pour une contestation permanente de la
clause 88.0.4. Cette politique ne sera pas acceptée socialement à mon avis.
Une autre solution pour contrer
l'écrémage, mais partielle, serait de faire en sorte que le recrutement et la
sélection des étudiants admis aux cégeps anglais ne soit pas du ressort des
directions des cégeps anglais. L'ensemble des cégeps montréalais, incluant
Dawson, devrait être intégré dans le Service régional d'admission du Montréal
métropolitain. Un système panquébécois d'admission au collégial pourrait
également être créé. Une sélection aléatoire des postulants au collégial
anglais devrait être effectuée pour éliminer l'écrémage, appliquée par les
directions des cégeps anglais. Et, bien sûr, à mon avis, les étudiants
scolarisés en anglais au primaire et au secondaire devraient être priorisés
lors de l'admission.
• (15 heures) •
Également, les mesures du p.l. n° 96
devraient cibler les cégeps privés non subventionnés. Ce réseau a connu une
croissance exponentielle dans les dernières années et accueille des milliers
d'étudiants internationaux qui étudient en anglais au Québec, ce qui contribue
fortement à l'anglicisation…
15 h (version non révisée)
M. Lacroix (Frédéric) : ...à
mon avis, des étudiants scolarisés en anglais au primaire et au secondaire
devraient être priorisés lors de l'admission.
Également, les mesures du p.l. n° 96 devraient cibler les cégeps privés non subventionnés.
Ce réseau a connu une croissance exponentielle dans les dernières années et
accueille des milliers d'étudiants internationaux qui étudient en anglais au
Québec, ce qui contribue fortement à l'anglicisation de la région de Montréal.
Ces étudiants internationaux socialisés en anglais constituent une partie
croissante des candidats à l'immigration au Québec. Il est, à mon avis,
contreproductif de socialiser les futurs immigrants en anglais au Québec et de
tenter de les franciser ensuite en leur offrant des cours de français même
gratuits.
Plus largement, le gouvernement du Québec
devrait axer sa politique linguistique sur l'usage du français et non sur sa
simple connaissance. Ça, c'est un point crucial, à mon avis.
Donc, à mon avis, le p.l. n° 96
dans sa forme actuelle ne permettra pas de hausser les substitutions
linguistiques des allophones à hauteur de 90 % du total, ce qui est
pourtant l'objectif qui semble être visé. Donc, il ne va pas déjouer le
scénario que nous annonce Statistique Canada pour l'avenir. Le français va
continuer à reculer au Québec.
Donc, le p.l. n° 96
dans sa forme actuelle pourrait avoir pour effet de rendre plus confortable le
chemin de la minorisation, qui est celui qu'emprunte maintenant la majorité
francophone au Québec. Merci.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci beaucoup, M. Lacroix, pour votre présentation. Donc, sans plus tarder,
nous passons au premier bloc d'échange avec le ministre.
M. Jolin-Barrette : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour, M. Lacroix. Merci d'être présent parmi nous et de
nous présenter votre mémoire sur le projet de loi n° 96.
D'entrée de jeu, je tiens à souligner la
qualité de votre travail relativement à votre livre que vos avez écrit l'an
passé, Pourquoi la loi 101 est un échec. Bon, sur la question du
titre, je ne suis pas tout à fait en accord. Je considère que la loi 101 a
amené des avancées significatives par rapport à l'état du français. Mais je
dois dire que, dans votre livre, vous réussissez à résumer, notamment avec des
tableaux... d'illustrer très bien un portrait de la situation du français au
Québec. Et, au-delà du fait que vous émettez certaines réserves, si je peux
dire, sur le projet de loi que le gouvernement du Québec a déposé, les
conclusions que vous amenez dans le cadre de votre livre font état de la
démonstration du déclin du français.
Alors, je crois que votre ouvrage fait
oeuvre utile dans le cadre du débat linguistique. Je tiens à vous remercier
puis à vous féliciter pour ça. Puis je vais lire avec intérêt votre prochain
livre qui va sortir prochainement.
Dans votre intervention, tout à l'heure,
vous avez parlé du bilinguisme systématique ou institutionnel de l'État
québécois. Dans le projet de loi, on amène un volet sur la question de
l'exemplarité de l'État. Le gouvernement du Québec a adopté le décret,
l'article 1 de la loi n° 104 récemment. Ça
faisait 20 ans. Comment expliquez-vous que l'État québécois lui-même n'a
pas été exemplaire et que ça a pris le projet de loi n° 96 pour avoir des
dispositions sur l'exemplarité de l'État?
M. Lacroix (Frédéric) :
Pourquoi...
M. Jolin-Barrette : …et j'ai…
Le gouvernement du Québec a adopté le décret, l'article 1 de la loi n° 104, récemment. Ça faisait 20 ans. Comment
expliquez-vous que l'État québécois lui-même n'a pas été exemplaire et que ça a
pris le projet de loi n° 96 pour avoir des dispositions sur l'exemplarité
de l'État?
M. Lacroix (Frédéric) :
Pourquoi l'État québécois n'a pas été exemplaire? Bien, le bilinguisme a été
réintroduit à grande échelle par Robert Bourassa, là, au début des
années 90, qui a changé plusieurs articles dans la loi 101. Puis
après ça il y a eu un désintérêt pour la question, donc il y a eu un
grignotement par la base, là, ça, c'est mon interprétation de ce qui s'est
passé, puis la question n'a pas été prise au sérieux, à mon avis. Donc, moi, je
salue l'intervention sur l'exemplarité de l'État. Je pense que c'est absolument
nécessaire.
Mais, à mon avis, ça va être un travail
titanesque de rentrer le génie dans la bouteille, dans le contexte où le
bilinguisme anglais-français est en train de devenir universel au Québec, puis
en particulier dans le contexte où les jeunes veulent de plus en plus pratiquer
leur anglais. Ça, c'est Statistique Canada qui nous apprend ça. Donc, les
jeunes qui passent par l'anglais intensif au primaire, par exemple, l'immersion
anglaise au secondaire, bon, l'univers numérique, qui est très anglicisant,
comment on va arriver à les convaincre que, s'ils sont employés de l'État, ils
doivent offrir un service en français seulement? Ça va être difficile.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Hier, on a eu le démographe Patrick Sabourin, qui est venu faire une
présentation, et certains de mes collègues autour de la table ont tenté de
discréditer l'indicateur qu'il considérait comme le plus important, soit la
langue parlée à la maison. Qu'est-ce que vous pensez de cet indicateur-là, la
langue parlée à la maison, et est-il important de s'en préoccuper et de
l'utiliser comme valeur de référence pour évaluer la situation du déclin du
français?
M. Lacroix (Frédéric) : Oui,
bien, donc il y a un consensus chez les démographes à l'effet que la langue
parlée à la maison, la langue d'usage, est l'indicateur le plus important pour
prédire la vitalité future d'un groupe linguistique. Il faut rappeler que cet
indicateur-là, dans le recensement canadien, nous vient de la commission
Laurendeau-Dunton des années 60, donc une commission extrêmement
importante, le plus important travail intellectuel sur la question jamais fait
au Canada, qui a demandé au gouvernement d'insérer une question sur la langue
d'usage, donc ce qui a été fait en 1971, donc c'était la conclusion, une des
conclusions de cette commission.
Marc Termote, qui est un démographe bien
connu, qui a travaillé avec l'OQLF depuis longtemps, a dit… Son opinion, c'est
que la langue d'usage, c'est un indicateur incontournable et que… Par exemple,
on nous parle souvent de la langue d'usage public, à ne pas confondre avec la
langue d'usage ou la langue parlée le plus souvent à la maison. Donc, la langue
d'usage public, donc la langue parlée, par exemple, dans les dépanneurs, serait
un indicateur sur lequel il faudrait se rabattre. On nous dit souvent ça, on
entend ce discours-là. À mon avis, c'est complètement farfelu. Puis
M. Termote a dit que se baser sur un indicateur comme la langue d'usage
public, c'était renoncer à toute analyse…
M. Lacroix (Frédéric) :
...la langue parlée, par exemple, dans les dépanneurs serait un indicateur sur
lequel il faudrait se rabattre. On nous dit souvent ça. On entend ce
discours-là. À mon avis, c'est complètement farfelu. Puis M. Termote a dit
que se baser sur un indicateur comme la langue d'usage public, c'était renoncer
à toute analyse démolinguistique. Donc, c'est son opinion. C'est dans un des articles
qu'il a écrit pour l'OQLF en 2008. Donc, il n'y a pas de doute à avoir qu'il
faut avoir cet indicateur, là, parmi la batterie d'indicateurs. Il peut y en
avoir d'autres. Cependant, celui-là est crucial.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Sur la question... Dans votre mémoire, je crois, vous faites référence à
l'épisode de Mme France Boucher à la tête de l'OQLF et relativement au
fait, et je l'ai dit hier, que des études de l'OQLF n'ont pas été rendues
publiques pendant des années, et que les indicateurs, également, étaient
sélectionnés pour avoir un beau portrait de la situation.
Alors, dans le projet de loi, ce qu'on
propose, c'est de mettre des dates dans... pour que l'OQLF produise des rapports,
et avec des rapports intérimaires aux deux ans à travers les différents rapports
qui sont rendus, mais aussi d'avoir un commissaire à la langue française qui va
être nommé par l'Assemblée nationale et qui va pouvoir surveiller les données statistiques,
les indicateurs qui vont être choisis par l'OQLF pour que ça soit fait en
concertation, justement, pour que peu importe les gouvernements qui vont passer
au Québec, que la population puisse avoir un juste portrait.
Est-ce que vous croyez que ces dispositions-là,
par rapport aux institutions qu'on vient créer dans le projet de loi, sont
suffisantes par rapport notamment à l'indépendance qu'il va y avoir sur la
production des rapports, sur l'état de situation de la langue française au Québec?
M. Lacroix (Frédéric) :
Oui. Un des problèmes de l'OQLF, pendant longtemps, c'était que les nominations
étaient politiques. Donc, la personne nommée avait, selon ma compréhension des
choses, pour mission implicite de ne pas faire de vagues sur la question
linguistique. Puis... Donc, il y a des études, comme une étude... une étude de
projection, là, démolinguistique de Marc Termote qui a été camouflée par
l'office pendant de nombreux mois. Ça a pris l'intervention des médias pour que
les données soient dévoilées. Bien sûr, l'étude n'était pas positive pour l'évolution
du français à Montréal. Et c'était il y a 15 ans. Donc...
Puis un des problèmes aussi de l'OQLF,
c'est que, bon, un rapport quinquennal... Ils pondent un rapport quinquennal.
Puis ce rapport-là, c'est des centaines de pages, des milliers de chiffres.
C'est complètement incompréhensible. Puis souvent il n'y a pas de synthèse.
Puis à mon avis ce que ça prend, c'est un suivi. Il ne faut pas changer. Ça
prend un suivi linguistique de la situation, avec les mêmes paramètres à chaque
fois calculés de la même façon pour qu'on puisse faire un suivi dans le temps.
Ça, c'est très important. Puis ça prend une synthèse qui soit accessible et
compréhensible au public.
Donc, en écrivant mon livre, j'ai voulu
faire cette synthèse, mais c'était le travail en fait de l'office. Donc, ça
prend une synthèse simple et accessible. Puis donc, dans mon mémoire, j'ai
quelques suggestions pour le commissaire, donc, ce commissaire-là, d'avoir une
compétence reconnue sur la question...
M. Lacroix (Frédéric) : …au
public. Donc, en écrivant mon livre, j'ai voulu faire cette synthèse, mais
c'était le travail, en fait, de l'office, donc ça prend une synthèse simple et
accessible. Puis donc, dans mon mémoire, j'ai quelques suggestions pour le
commissaire, donc ce commissaire-là d'avoir une compétence reconnue sur la
question. Donc, ce n'est pas dans le libellé, je crois bien.
Puis, comme disait mon confrère Sabourin,
hier, une des faiblesses majeures qu'on a, c'est la production de savoir dans
ce domaine. Il y a peu de recherches quantitatives qui est faite, maintenant,
ça, c'est une lacune majeure à mes yeux. Une autre lacune majeure, c'est que le
Québec n'effectue pas de recensement. Je sais que c'est dans la Constitution
canadienne, mais, à mon avis, le Québec devrait procéder à quelque chose qui
ressemble au recensement sur son territoire afin de collecter ses propres
données pour éviter les changements de questions ou les changements
d'indicateurs qui sont faits par Statistique Canada, qui nuisent considérablement
au suivi de la situation linguistique.
• (15 h 10) •
M. Jolin-Barrette : O.K.
Peut-être une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Vous
avez abordé la question des cégeps et vous avez dit : Probablement que
cette… la proposition dans le cadre du projet de loi n° 96 sera mal
acceptée par la population. Parce que, notamment, vous dites : Ça va
amener un écrémage, et les gens vont vouloir accéder aux cégeps en anglais, et
là il va y avoir un bassin restreint de personnes qui vont y accéder. Entre…
vous êtes d'avis qu'on devrait étendre la loi 101 aux cégeps, pour les
francophones et les allophones. Entre cette possibilité-là, et la possibilité
que je propose, et celle de ne rien faire, de laisser les cégeps, donc c'est
les trois possibilités qui existent, là, dans l'univers présentement, est-ce
que vous croyez que ce que nous proposons va, sur le plus long terme, avoir un
impact sur la fréquentation scolaire des cégeps?
M. Lacroix (Frédéric) : Bien,
je pense que ça ne va pas changer la dynamique linguistique à Montréal, si
c'est ça, la question. Est-ce que ça va arrêter le déclin du français à
Montréal? Est-ce que ça va arrêter l'anglicisation des jeunes francophones à
Montréal? À mon avis, non. Ça va freiner l'accélération du déclin du français,
si vous me suivez.
Puis je pense que vous devriez y aller
pour un gel. O.K., la loi… faire tomber le libre choix, c'est une
impossibilité, je comprends, donc ça doit être un gel franc des places et non
pas une croissance contingentée qui est une mesure bancale, à mon avis.
Puis l'autre problème majeur, puis ce qui
est peut-être un problème plus important que celui des effectifs, c'est
l'écrémage, donc le déclassement symbolique du français. Tout le monde sait,
tous les étudiants sur l'île de Montréal savent que s'ils veulent voir un
avenir prometteur, ils doivent aller à Dawson et John-Abbott, puis après à
McGill et Concordia. Donc, le français est déclassé symboliquement, puis ça,
c'est très lourd de conséquences. Donc, à mon avis, vous devriez introduire une
clause de sélection aléatoire des postulants, puis que, donc, les directions
des cégeps anglais ne puissent pas…
COPIE NON
RÉVISÉE
À TITRE
D'INFORMATION SEULEMENT
Commission
permanente de la culture et de l'éducation
210923 15.12
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R-095 CCE
Page 1
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M. Lacroix (Frédéric) : …avoir
un avenir prometteur, ils doivent aller à Dawson et John-Abbott, puis après à
McGill et Concordia. Donc, le français est déclassé symboliquement, puis ça,
c'est très lourd de conséquences. Donc, à mon avis, vous devriez introduire une
clause de sélection aléatoire des postulants pour que, donc, que les directions
des cégeps anglais ne puissent pas sélectionner seulement la crème et l'élite
académique. Donc, s'il y avait un gel, puis une sélection aléatoire des
postulants, déjà on rétablirait, un peu plus, l'équilibre.
M. Jolin-Barrette : Je vous
remercie pour votre présence en commission parlementaire.
M. Lacroix (Frédéric) :
Merci.
La Présidente (Mme Thériault) :
Merci. Donc, je vais céder la parole au député de Saint-Jean, et vous avez un
peu moins de 5 minutes et 30 secondes.
M. Lemieux : Merci beaucoup,
Mme la Présidente. Bonjour, M. Lacroix. C'est assez phénoménal, quand on
est assis de ce côté-ci, puis qu'on voit les témoins se succéder, jusqu'à quel
point la perspective fait une énorme différence. Je me suis retenu d'essayer de
faire un débat de constitution avec un constitutionnaliste, mais j'aurais bien
aimé parler plus longtemps, tout à l'heure, avec un avocat qui nous expliquait
des choses qui me semblaient très terre à terre.
Quand vous arrivez avec votre livre, le
titre, forcément, choque, mais en même temps, ça me rappelle qu'hier, Guy
Rocher, était… je ne veux pas rien lui faire dire, là, il l'a dit avec
suffisant d'éloquence, mais juste pour le répéter, je lui demandais où on en
serait si, après quarante quelques années, il n'y avait pas sa charte, la
charte du Dr Laurin, mais qu'il a coécrite, disons, et il me disait :
Bien, vous savez, il faut qu'on s'ajuste. Il faut qu'on s'ajuste avec la
mondialisation, avec le temps qui passe, avec tout le reste. Et ça m'a frappé
jusqu'à quel point, effectivement, il ne s'est pas passé grand-chose depuis
quarantaine quelques années. Elle ne peut bien pas marcher, elle n'était pas
capable de suivre, la loi 101, si je résume seulement le titre de votre
livre.
Ce qu'on est en train de faire, en ce
moment, c'est l'actualiser. Vous allez me dire que ce n'est pas assez,
vous l'avez éloquemment expliqué. Mais à quelque part, ça va dans la même
direction, c'est la même volonté : protéger la loi, protéger le français
pour l'avenir, puis s'ajuster. Expliquez-moi pourquoi on est toujours maladroit
dans notre façon d'aborder les leviers qu'on a avec le français, parce qu'à
chaque fois ils explosent dans les mains de ceux qui les manipulent.
M. Lacroix (Frédéric) : Bien,
c'est sûr que c'est une question très, très sensible. Je vous rappelle que
quand M. Laurin a déposé la charte, il a dit que la charte était le
commencement des actions du gouvernement du Québec en faveur du français, puis
ce ne fut pas le cas, ça a été le début et la fin, en même temps, des actions
pour le français. Donc, si on se met dans la perspective du projet de loi
actuel, si le projet de loi actuel est le commencement des actions, à ce
moment-là c'est un excellent projet de loi. Si c'est le commencement et la fin,
s'il n'est suivi de rien d'autre, pendant 40 ans, à ce moment-là il va
arriver ce que Statistique Canada nous prédit, mais si c'est le début, c'est un
bon premier projet de loi. Donc, j'en appelle d'autres. Donc, pourquoi on est
gêné? Bien, je pense qu'il faut dire les choses telles qu'elles sont…
M. Lacroix (Frédéric) :
…pendant 40 ans, à ce moment-là, il va arriver ce que Statistique Canada
nous prédit. Mais si c'est le début, c'est un bon premier projet de loi, donc
j'en appelle d'autres. Donc, pourquoi on est gênés? Bien, je pense qu'il faut
dire les choses telles qu'elles sont. Donc, il ne faut pas être gêné de dire
les choses telles qu'elles sont puis il faut se fier aussi au meilleur résultat
objectif sur la question pour se dégager des impressions subjectives. Moi, ça,
c'est quelque chose de très important, je crois. Malheureusement, comme je le
disais, bien, la recherche en ce domaine est parcellaire puis souvent
insatisfaisante. Donc, ça, c'est une lacune qu'il faut combler, à mon avis.
M. Lemieux : …vous entendait, tout
à l'heure, expliquer, en partie, pourquoi on n'avait pas eu plus de chiffres et
de rapports de l'OQLF, comme si ça allait de soi. Il y a quelque chose de
profondément choquant à vous entendre expliquer, bon… tu sais. Mais au final, on
a travaillé là-dessus un peu hier, et le ministre expliquait jusqu'à quel
point, malgré le fait que c'est encore Statistique Canada qui pose les
questions, donc on vit avec les réponses posées par quelqu'un d'autre, mais au
final qu'on allait quand même, avec la vision du projet de loi n° 96,
essayer d'aller s'assurer de meilleurs encadrements de la recherche. Ça fait
partie de la solution beaucoup plus qu'on le pense. Quand on se réveille après
10 ans, pas de chiffres à se dire : Mon Dieu! Comment ça qu'on est
rendus là? Bien, c'est parce qu'on ne l'a pas regardé pendant 10 ans.
Alors, la recherche, ce n'est pas le nerf de la guerre, ce n'est pas ça qui va
tout changer, mais c'est ce qui nous donne la garantie d'être capable de suivre
le changement.
M. Lacroix (Frédéric) : Oui.
Moi, il y a beaucoup de questions que je me pose dans ce domaine auxquelles je
n'ai pas la réponse. Donc, il y a beaucoup d'études que je me dis : Ah! ça
serait vraiment bien de savoir ça, mais on ne l'a pas. Donc, oui, c'est le nerf
de la guerre, à mon avis, puis il faut que ça soit de la recherche indépendante
faite — j'oserais presque dire — de bonne foi.
M. Lemieux : Francisation
Québec… En terminant, parce qu'effectivement, il y a plusieurs façons de
prendre le taureau, et il n'a pas juste une corne, là. Francisation Québec,
moi, en tout cas, à sa face même, m'apparaissait un effort concerté et organisé
qui a plus de chance de fonctionner?
M. Lacroix (Frédéric) : Oui,
je suis d'accord. C'est une bonne mesure, c'est une bonne idée de tout
regrouper là. Mais il ne faut pas s'imaginer qu'en faisant ça on va venir agir
sur les substitutions linguistiques en faveur du français, parce que, ce qui
vient agir là-dessus, c'est la sélection de l'immigration. On sait que la
francisation… si on regarde la francisation qui se fait sur le sol, au Québec,
là, donc les immigrants arrivent, puis on enlève ceux qui sont francisés à
l'étranger, la francisation est d'à peu près 38 % en faveur du français
seulement, en 2016, à peu près 62 % en faveur de l'anglais. Donc, de tous
les allophones, les immigrants, tous les immigrants allophones, leurs enfants,
etc., 62 % font des substitutions linguistiques vers le français sur le
sol. Donc, le facteur qui permet de rehausser ça, c'est la sélection de
francotropes.
M. Lemieux : Mme la
Présidente… passer au prochain…
M. Lacroix (Frédéric) : …en
2016, à peu près, 62 % en faveur de l'anglais. Donc, de tous les allophones,
les immigrants, tous les immigrants allophones, leurs enfants, etc., 62 %
font des substitutions linguistiques vers le français sur le sol. Donc, le
facteur qui permet de rehausser ça, c'est la sélection de francotropes.
M. Lemieux : Mme la
Présidente… passer au prochain. Merci beaucoup, M. Lacroix.
La Présidente (Mme Thériault) :
Pas de problème. Merci. Donc, sans plus tarder, Mme la députée de
Marguerite-Bourgeoys pour vos 11 minutes.
Mme David : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, M. Lacroix. J'ai passé… Je l'ai dit, hier, à
Guillaume Rousseau, mais je le dis à vous aussi, j'ai passé beaucoup, beaucoup
de temps, très annoté, de votre livre, je l'ai lu trois fois plutôt qu'une,
avec quand même un certain nombre de réactions.
Si je peux résumer, il y a un concept qui
vous est très, très cher. Je ne sais pas si c'est de vous qu'il vient, le
concept de surcomplétude institutionnelle, mais vous avez l'air à y tenir comme
à la prunelle de vos yeux. Ce concept-là, vous l'appliquez aux collèges, aux
universités, aux institutions de santé anglophones, particulièrement,
évidemment, par rapport à francophones, peut-être plus précisément à la grande
communauté urbaine de Montréal, je pourrais dire, même Montréal. Et je vous
cite à la page 16 de votre mémoire, vous dites : «Si on souhaite
réellement redonner de l'oxygène au français comme langue de travail, il faut,
de un, réduire sérieusement la surcomplétude institutionnelle des institutions
anglophones au Québec». Pour avoir lu votre livre, comme je vous dis,
attentivement, vous y allez de façon quand même assez radicale.
Il faudrait vraiment définancer ce qui est
au-delà du poids démographique de la communauté anglophone, et vous appliquez
ça, collèges, universités, hôpitaux. Alors, j'aimerais ça vous entendre plus
sur l'application de votre surcomplétitude institutionnelle.
• (15 h 20) •
M. Lacroix (Frédéric) : Oui.
Bien, je réfute l'étiquette de radical, en premier lieu. À mon avis, c'est la
situation actuelle qui est radicale. Et le sous-financement chronique des
institutions de langue française, ça, on en parle peu. Mais l'envers de la
médaille, c'est que le réseau institutionnel de langue française au Québec est
en état d'asphyxie chronique, les cégeps, les universités et les hôpitaux.
Donc, je pense qu'on peut renverser la perspective.
Puis la compétition institutionnelle, ce
n'est pas mon invention. C'est un concept qui a été inventé par Raymond Breton,
un sociologue de l'University of Toronto, dans ses études doctorales, puis
c'est un concept, comme je l'écris dans le livre, qui a été reconnu en droit
canadien lors de la cause Montfort, puis depuis lors, il a été utilisé à sept
reprises, donc, devant les tribunaux, souvent avec succès. Donc, ce n'est pas
du tout un concept farfelu ou tiré par les cheveux. Puis ce que ce concept-là
exprime, c'est que c'est... l'ampleur du réseau institutionnel a une incidence
directe sur la vitalité linguistique d'une communauté.
Donc, ce que je propose dans mon livre, ce
n'est pas d'enlever des droits aux anglophones, ce n'est pas de fermer des
institutions anglophones. C'est de rétablir un équilibre de financement entre
les deux réseaux. Donc, ce que...
M. Lacroix (Frédéric) :
...a une incidence directe sur la vitalité linguistique d'une communauté. Donc,
ce que je propose dans mon livre, ce n'est pas d'enlever des droits aux anglophones,
ce n'est pas de fermer des institutions anglophones, c'est de rétablir un
équilibre de financement entre les deux réseaux.
Donc, ce que je propose, en fait, c'est
qu'il y ait une équité de financement entre les deux groupes linguistiques au
Québec. Cette équité, à l'heure actuelle, n'existe pas. Donc, les francophones
sont pénalisés.
Mme David : Les
financements des réseaux sont équitables, dans le sens où c'est fait par le
nombre d'étudiants. Il y a beaucoup moins d'étudiants à McGill qu'il y en a à
l'Université de Montréal. Ils ont décidé de limiter leur admission. Donc, ce
n'est pas sur la question de l'argent subventionné, de l'argent qui vient du
gouvernement dans les institutions, ça va en fonction du nombre d'étudiants.
M. Lacroix (Frédéric) :
Non.
Mme David : Alors, si on
descend le nombre d'étudiants, par exemple, c'est... je pense, c'est ce que
vous voulez faire, dans les cégeps anglophones, qu'est-ce qu'on fait? Guillaume
Rousseau proposait de privatiser, c'est-à-dire que les non-ayants droit, comme
il qualifiait correctement, là, au sens légal, paieraient des droits,
évidemment, majorés puisqu'ils ne seraient pas subventionnés, le collège, ou
l'université, ou les hôpitaux ne seraient pas subventionnés pour ces
étudiants-là. Est-ce que vous êtes d'accord avec lui?
M. Lacroix (Frédéric) :
Ce que le concept de complétude institutionnelle exprime, c'est qu'il y a un
lien entre la vitalité d'une langue, donc les substitutions linguistiques vers
cette langue, et l'ampleur du réseau institutionnel. Donc, moi, c'est ce que
j'affirme. Ce lien-là, je pense, est indéniable.
Donc, à savoir si on veut faire quelque
chose ou on ne veut rien faire, ça, c'est du domaine du politique. Donc, c'est
à vous de décider.
Puis ça, c'est... Une des inéquités de
financement, c'est celle-là. Mais il y a une autre inéquité de financement,
donc, je l'ai démontrée, au niveau universitaire, c'est par étudiant. Donc, il
y a aussi une inéquité de financement par étudiant Donc, au niveau
universitaire, par étudiant équivalent temps plein, par EETP, les universités
de langue anglaise, par exemple, je l'ai calculé pour les fonds
d'immobilisation, ont 56 % de plus de fonds d'immobilisation par étudiant
que les universités de langue française sur l'île de Montréal.
Donc, il y a deux inéquités. Il y a une
inéquité au niveau de la complétude institutionnelle puis il y a aussi celle
qui frappe l'étudiant même. Donc, j'ai écrit un article là-dessus dans L'Aut'Journal,
Québec préfère les universités anglaises. Je vous invite à le lire.
Mme David : J'ai lu
aussi, je pourrais discuter longuement de tout ça, mais je vais passer la
parole à mon collègue.
La Présidente
(Mme Thériault) : ...M. le député de La Pinière, il vous
reste 5 min 45 s.
M. Barrette : Merci, Mme
la Présidente. M. Lacroix. Vous avez dit une chose qui m'a beaucoup
étonné. Et la raison pour laquelle ça m'a étonné... ça vient simplement du fait
que j'ai deux jeunes adultes qui sont rendus au sortir de l'université. Tous
les étudiants au Québec à Montréal savent que, si on veut avancer dans la vie,
c'est les premiers mots que vous avez dits, là, il faut aller à Dawson ou à
John-Abbott. Moi, les deux miens, là, ne m'ont jamais demandé ça. Vous tenez
cette donnée-là d'où, que tout le monde, là, c'est de connaissance commune,
pour avancer dans la vie, il faut passer par Dawson ou John-Abbott?
M. Barrette : ...au sortir de
l'université, tous les étudiants au Québec, à Montréal, savent que si on veut
avancer, dans la vie, c'est à peu près les mots que vous avez dits, là, il faut
aller à Dawson ou à John-Abbott. Moi, les deux miens, là, ne m'ont jamais
demandé ça. Vous tenez cette donnée-là d'où, que tout le monde, là... c'est de
connaissance commune, pour avancer dans la vie, il faut passer par Dawson ou
John-Abbott.?
M. Lacroix (Frédéric) : Bien,
c'est ce que beaucoup d'étudiants m'ont dit. Évidemment, il n'y a pas d'étude
là-dessus. Il y a une étude, à vrai dire, qui sont les statistiques d'admission
de Dawson, qui a été publiée par le Journal de Montréal. Dawson reçoit
11 500 demandes d'admission par année et accepte seulement 30 % des
étudiants. Donc, l'écrémage effectué par Dawson est phénoménal. 11 500,
c'est une grande proportion des étudiants au collégial à Montréal. Donc, mon
affirmation, je pense, n'est pas complètement farfelue.
M. Barrette : Je ne vous dis
pas qu'elle est farfelue, je vous dis qu'elle n'est pas fondée, tout
simplement, ce n'est pas la même chose, elle n'est pas fondée sur des analyses
rigoureuses.
M. Lacroix (Frédéric) :
J'aimerais justement qu'on les fasse.
M. Barrette : Bon. Très bien.
Maintenant, vous dites également, attendez juste un petit instant, vous dites
une chose qui m'étonne beaucoup : L'écrémage se fait seulement du côté
anglais. De votre côté, là, il n'y a pas d'écrémage du côté francophone.
M. Lacroix (Frédéric) : Non,
parce que si on regarde la cote R des étudiants admis, si vous consultez le
graphique dans mon livre, c'est très clair, là, il y a un sucroît, dans les
cotes R élevées, qui est très significatif du côté anglophone.
M. Barrette : Mais là ça
devient une question de ratio. Il y a plus d'établissements francophones. Et
des établissements francophones, par définition, sélectionnent eux aussi.
Sélectionnant, il y a un écrémage, là. Parce qu'évidemment que c'est une
question de numérateur et de dénominateur, là, vous avez plus de cégeps
francophones, au Québec, que d'anglophones, ça dilue le nombre d'étudiants. Et
à mon sens, c'est inexact de dire que les cégeps francophones n'écrèment pas.
Je ne vous dis pas que les cégeps francophones sont égaux, je dis qu'il en
existe du côté francophone aussi.
M. Lacroix (Frédéric) : C'est
une question de proportion...
M. Barrette : Bien oui, c'est
ce que je dis.
M. Lacroix (Frédéric) :
...donc, les cégeps... bien, évidemment que les cégeps admettent des étudiants
ou non, mais la sélection effectuée par les cégeps anglais est beaucoup plus importante,
ça, c'est démontré hors de tout doute.
M. Barrette : Vous nous dites,
si je comprends bien, votre choix politique, si vous aviez le pouvoir de le
faire, sur l'argument de la surcomplétude des institutions anglophones, je vais
prendre mon domaine, en santé, vous, votre approche est une approche
proportionnelle. Vous êtes dans une approche de règle de trois. Essentiellement,
vous considérez qu'il y a trop d'argents qui vont dans les institutions dites anglophones,
parce qu'ils sont moins nombreux, ils devraient en avoir moins. Donc, vous
prônez un définancement de ces institutions-là.
M. Lacroix (Frédéric) :
Encore là, ce n'est pas mon approche, c'est quelque chose qui est bien établi.
Puis encore là, la solution doit être politique. Moi, je n'ai pas de solution,
là-dessus à vous offrir, il y a une multitude d'avenues possibles pour assurer
une équité de financement, donc c'est à vous.
M. Barrette : Bon. Comment
pouvez-vous affirmer qu'il y a une surcomplétude, particulièrement dans le
réseau de la santé, alors que, dans mon expérience, je ne...
M. Lacroix (Frédéric) : ...il
y a une multitude d'avenues possibles pour assurer une équité de financement,
donc c'est à vous.
M. Barrette : Bon. Comment
pouvez-vous affirmer qu'il y a une surcomplétude, particulièrement dans le réseau
de la santé, alors que, dans mon expérience, je ne connais pas d'institution
qui, dans leur financement public, par gestes posés en termes de santé, il y a
un financement différencié entre les anglophones et les francophones?
M. Lacroix (Frédéric) : La question,
c'est... La distinction qu'il faut faire dans les services de santé, c'est
celle entre la langue de travail et celle de la langue des services.
M. Barrette : Je m'excuse de
vous interrompre. Vous avez abordé la question sous l'angle du financement.
Moi, je veux bien aller sur la langue d'usage, et ainsi de suite, on va
s'entendre là-dessus, même je vous le dis tout de suite à l'avance. Mais, sur
le financement, d'où sortez-vous la donnée selon laquelle il a plus d'argent
pour un service donné dans hôpital anglophone que dans un hôpital francophone
dans la région de Montréal?
M. Lacroix (Frédéric) : Je
n'ai pas dit ça. Je n'ai jamais dit ça. Je n'ai jamais dit qu'il y avait plus
d'argent dans un hôpital anglophone. Le financement se fait à l'acte, là, on le
sait. J'ai dit que la dimension du réseau de langue anglaise dépasse de loin la
taille de la démographie de la communauté de langue anglaise, ce n'est pas du
tout la même chose.
Puis, par institution anglophone, ce que
j'entends par là, c'est la langue de travail, donc pas la langue de service. On
pourrait très bien avoir un réseau de la santé au Québec où la langue du
travail soit le français mur à mur puis qui offre des services en anglais.
Donc, ça, il n'y aurait aucun problème avec ça. La communauté anglophone aurait
des services de santé dans sa langue. Ça, c'est une possibilité.
M. Barrette : Peut-être que je
vous ai mal compris, mais vous avez fait le parallèle aussi, à un moment donné,
en termes de financement par étudiant. Bon, reprochez-moi de faire un parallèle
avec par unité de soin. Je ne vois pas ça, moi, je ne vois pas...
M. Lacroix (Frédéric) : Je
n'ai jamais dit qu'il y avait une différence de financement par unité de soin
pour la santé, j'ai dit pour les universités, il y en a une, et c'est démontré.
M. Barrette : Et elle vient
d'où, d'après vous? Est-ce qu'elle vient de la portion publique ou elle vient
de la philanthropie?
M. Lacroix (Frédéric) : Elle
vient de la portion publique en partie, en partie. Oui, il y a un déséquilibre
dans le financement public assuré par le gouvernement du Québec. Il y a un
déséquilibre aussi massif de la part du fédéral, mais ça, c'est une autre
question. Il y a un déséquilibre dans les fonds du gouvernement du Québec même.
M. Barrette : Sur la base de
la proportionnalité, votre argument, c'est la proportionnalité.
M. Lacroix (Frédéric) : Non,
non, vous m'avez mal suivi. C'est sur la base par étudiant.
M. Barrette : Mme la
Présidente, je pense que j'ai fini, hein?
La Présidente (Mme Thériault) :
Oui, vous venez de terminer le temps. Donc, sans plus tarder, je me tourne vers
la députée de Mercier pour vos 2 min 45 s.
Mme Ghazal : Merci, merci.
Finalement, j'ai eu le temps de vous poser une question. Tout à l'heure, je
n'étais pas certaine, mais je vais devoir quitter tout de suite après.
Écoutez, dans votre mémoire, vous n'en
parlez pas vraiment, mais, dans votre libre, que j'ai, bon, aussi lu et étudié,
vous dites, à la page 76, qu'«il faut une réduction durable de
l'immigration afin de ralentir le recul du français». Quand vous dites
«immigration», est-ce que vous parlez de tous les types d'immigration? Parce
qu'on sait il y a une volonté du gouvernement à augmenter l'immigration des
travailleurs étrangers temporaires qui peut-être éventuellement pourraient
vouloir rester ici. Donc, de quelle immigration vous parlez? Toute
l'immigration?
• (15 h 30) •
M. Lacroix (Frédéric) : Là,
la question de l'immigration, c'est un sujet complexe qui se prête mal à une
réponse...
15 h 30 (version non révisée)
Mme Ghazal : …tous les types
d'immigration? Parce qu'on sait… il y a une volonté du gouvernement à augmenter
l'immigration des travailleurs étrangers temporaires, qui peut-être éventuellement
pourraient vouloir rester ici. Donc, de quelle immigration vous parlez? Toute l'immigration?
M. Lacroix (Frédéric) : Là,
la question de l'immigration, c'est un sujet complexe qui se prête mal à une
réponse simple. Donc, ce qu'on sait, c'est qu'à cause de l'ampleur des…
linguistiques qui sont faits vers l'anglais, à mon avis, le niveau actuel d'immigration
est excessif. Donc, on n'arrive pas à intégrer ces immigrants-là. Donc, la
question pourrait être : Bon. Si on acceptait seulement des immigrants
francotropes, est-ce que la question des seuils serait aussi importante? À mon
avis, non. Si les immigrants étaient largement francisés ou francotropes,
l'acuité de la question des seuils se poserait de… la question se poserait de
façon moins aiguë.
Quant au type d'immigration, oui, je pense
que la question de l'immigration temporaire est très, très importante, puis
elle n'est pas… elle ne semble pas être sur l'écran radar quand on parle de
l'immigration. Donc, ce qu'il faut considérer, c'est l'immigration temporaire
et permanente à la fois, parce que les deux ont un impact sur la vitalité du
français, puis on sait que les flux d'immigrants temporaires au Québec sont en augmentation
exponentielle.
Mme Ghazal : Énorme, oui.
M. Lacroix (Frédéric) : Donc…
C'est ça, donc en particulier dans les universités de langue anglaise, bon,
mais pas seulement. Donc, cette immigration-là a un impact.
Mme Ghazal : Donc, vous ne
faites pas beaucoup confiance à notre système d'intégration au Québec des
immigrants au français.
M. Lacroix (Frédéric) : Bien,
on sait que l'intégration sur le sol se fait à plus de 60 % en anglais.
Donc, si on accepte des gens qui ne sont pas francisés d'avance, on sait qu'à
60 % et plus, ils vont faire des transferts linguistiques vers l'anglais
dans l'avenir.
Mme Ghazal : On ne peut pas
faire un effort pour changer une fois qu'ils sont ici. Mais, comme j'ai peu de
temps, pour les étudiants internationaux, dans l'article aujourd'hui du Devoir,
vous disiez que la solution serait que… d'exiger que les candidats à la
résidence permanente aient suivi un programme d'études en français. Donc, un
étudiant international qui fait ses études en anglais, qui veut après ça rester
ici faire la résidence permanente, là, il va falloir qu'il continue ou qu'il
fasse un autre programme en français? J'essaie juste de comprendre votre
solution.
M. Lacroix (Frédéric) : Bien,
lors de la réforme du Programme de l'expérience québécoise, donc, il y a eu une
levée de boucliers, on se rappelle, en particulier du cégep de Matane, qui
s'est opposé à la réforme parce qu'il a beaucoup d'étudiants internationaux,
puis, moi, j'ai trouvé ça malheureux que le projet… cette réforme-là ne fasse
pas la distinction entre les étudiants qui sont scolarisés en anglais ou en
français, parce qu'à ce moment-là, ceux qui sont au cégep de Matane, à un
moment donné, c'est une bonne chose.
La Présidente (Mme Thériault) :
…fin, malheureusement. Donc, M. le député de Matane-Matapédia, nous parlions de
votre belle région, la parole est à vous.
M.
Bérubé
: Mme
la Présidente, notre invité me fournit une tribune exceptionnelle pour dire que
c'est une bonne chose de fréquenter le cégep de Matane et que ce cégep a bien
fait de mener la bataille qui a amené au recul qu'on connaît pour des raisons
évidentes. Donc, la capacité d'intégrer en français dans…
La Présidente (Mme Thériault) :
...M. le député de Matane-Matapédia, nous parlions de votre belle région. La
parole est à vous.
M. Bérubé : Mme la Présidente,
notre invité me fournit une tribune exceptionnelle pour dire que c'est une
bonne chose de fréquenter le cégep de Matane et que ce cégep a bien fait de
mener la bataille qui a amené un recul qu'on connaît pour des raisons
évidentes. Donc, la capacité d'intégrer en français dans la région de Matane,
c'est fantastique et je vous dirais que c'est un succès que je salue, celui de
l'intégration sur les études internationales.
Ceci étant dit, vous avez parlé de
l'exemplarité de l'État ou le ministre en a parlé tout à l'heure. Puis
j'ajouterais la donnée de cohérence de l'État. Vous avez évoqué que le
gouvernement ne peut pas poser des gestes qui vont à l'encontre de ces volontés
en matière de langue. Alors, je vous offre cette tribune pour expliquer au
ministre surtout, parce que, moi, je suis convaincu, pourquoi les annonces
successives quant à Dawson et Royal Victoria vont à l'encontre de tout ce que
le gouvernement veut faire en matière de langue et en quoi ça contribue à faire
de l'anglais la langue de prestige, la langue de référence en plein coeur de
Montréal. Je vous offre tout le temps qu'il me reste pour vous exprimer à ce
sujet.
La Présidente (Mme Thériault) :
...
M. Lacroix (Frédéric) : Oui,
donc l'essayiste Marc Chévrier a qualifié le français au Québec de langue
infantile. Puis, à mon avis, c'est un terme très exact parce que les closes
scolaires de la Loi 101 s'appliquent seulement au primaire, au secondaire
et cessent au collégial. Donc, on considère qu'à partir du collégial, il y a un
libre marché bilinguistique que l'État doit financer sans limites. Donc, au
cégep et à l'université, l'État québécois est intégralement bilingue, il
finance les études à 100 % selon les volontés de l'étudiant. Cette
politique-là est à mon avis en contradiction totale avec la volonté de faire du
français la langue commune et la langue officielle.
Si... Moi, j'aimerais ça parler de Dawson
très longtemps, j'ai beaucoup de choses à dire sur ce sujet-là. Dawson, c'est
le plus gros cégep au Québec et cinq fois plus gros que la moyenne des cégeps.
Puis moi, je ne comprends pas qu'on finance une expansion, c'est vraiment une
expansion, un agrandissement et non une simple mise à niveau parce que c'est un
nouveau bâtiment de six étages qui va accueillir des nouveaux programmes. Donc,
quand on nous parle de mises à niveau, c'est faux.
Quant à donner le Royal Victoria à McGill,
bien, il faut comprendre que McGill University, l'Institution royale pour
l'avancement du savoir et l'hôpital, ce n'est pas la même entité. L'hôpital,
c'est du domaine public, McGill, c'est une corporation privée. Donc, ce qu'il
se passe, c'est que le gouvernement transfère un bien public à une corporation
privée. Puis, à mon avis, c'est quelque chose qui ne se fait pas, qui ne doit pas
se faire.
Donc, on joue souvent sur les mots en
parlant du Royal Vic en disant : Bien, c'est déjà à McGill. Non, ce n'est
pas déjà à McGill.
La Présidente (Mme Thériault) :
Je dois mettre fin à l'échange. Donc, je vous remercie, M. Lacroix,
d'avoir accepté de venir nous rencontrer cet après-midi. Donc, je vais
suspendre quelques instants pour laisser l'autre groupe se préparer et de venir
nous rejoindre. Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 36)
La Présidente (Mme Thériault) :
...pour laisser l'autre groupe se préparer et de venir nous rejoindre. Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 36)
(Reprise à 15h39)
La Présidente
(Mme Thériault) : Donc, nous reprenons les travaux de la Commission
de la culture et des... de la culture, des communications et de l'éducation.
Bienvenue à M. Curzi aux travaux de la commission en tant qu'ex-député de
Borduas. C'est un plaisir de vous revoir. Et sans plus tarder, vous savez
comment ça fonctionne, vous avez 10 minutes pour nous faire votre exposé,
et il y aura des échanges après avec les députés. La parole est à vous.
• (15 h 40) •
M. Curzi (Pierre) :
Merci, Mme la Présidente. D'abord, je veux saluer M. le ministre, vous-même, M.
le ministre, et les députés qui sont présents à cette commission-là. Ma
présentation va être relativement courte, je pense. Il y a... En 2010, j'étais
député à l'Assemblée nationale, et du Parti québécois, député de Borduas. Et
j'avais le dossier de la langue. À cette époque-là, c'est donc... Je vous parle
du printemps 2010, j'ai publié une première étude qui s'appelait Le
grand Montréal s'anglicise, une esquisse de la situation du français au
Québec. Ensuite, à l'hiver 2011, j'ai publié une autre étude qui
s'appelait L'application de la Charte de la langue française au
collégial : un prolongement nécessaire. Ça vous indique déjà où je
vais aller. Puis enfin j'ai une autre étude qui s'intitulait L'effet
anglicisant du déséquilibre du financement des universités.
En 2012, j'étais député indépendant. Et
avec Éric Bouchard et avec les juristes de l'Assemblée nationale, j'ai déposé
un projet de loi, le projet de loi n° 593, qui était à toutes fins
pratiques une réécriture complète de la loi 101. Évidemment, comme député
indépendant, ce projet de loi là a été immédiatement tabletté et il s'est perdu
quelque part dans les oubliettes. Je vous dis tout ça non pas par vantardise ou
par orgueil, mais je le dis parce que c'était il y a 10 ans. Et depuis
10 ans, honnêtement, il n'y a pas eu de geste structurant pour contrer ce
qu'on avait déjà décrit à l'époque, il y a 10 ans, comme une situation
alarmante, une situation inquiétante, c'est-à-dire l'anglicisation du Grand
Montréal et on aurait pu ajouter de la région de l'Outaouais et des régions
frontière du Québec.
Or, je dis tout ça parce que je veux me
féliciter et féliciter le ministre. Quand j'ai vu le projet de loi n° 96
apparaître, j'étais heureux. Et je le remercie et je veux remercier son équipe
et l'ensemble des gens qui ont travaillé sur ce projet de loi n° 96 là...
M. Curzi (Pierre) : …et des
régions frontières du Québec. Or, je dis tout ça parce que je veux me féliciter
et féliciter le ministre. Quand j'ai vu le projet de loi n° 96 apparaître,
j'étais heureux, et je le remercie, et je remercie son équipe, et l'ensemble
des gens qui ont travaillé sur ce projet de loi n° 96 là parce qu'il
contient un grand nombre de mesures extrêmement importantes et structurantes.
Vous l'avez sous les yeux, je ne veux pas
en faire tout un retour exhaustif, mais, quand même, le fait d'inscrire la
nation et la langue commune à l'intérieur de la constitution, ce n'est pas
banal. Rendre les droits fondamentaux exécutoires, et certains nouveaux droits
comme le droit à l'apprentissage du français, et d'autres droits, c'est
extrêmement important. Créer un ministère et un poste de commissaire, créer
Francisation Québec, voilà autant de créations qui peuvent aider grandement la
situation du français. Remettre en place le critère de la prédominance du
français, voilà qui n'est pas banal, et j'y reviendrai parce que je voudrais
préciser, en mon sens, où devrait aller cette prédominance-là, jusqu'où elle devrait
aller.
L'exemplarité de l'État, voilà un
phénomène extrêmement important, parce que s'il y a une chose sur laquelle un
gouvernement peut agir, c'est sur son propre comportement. Et ce n'est pas le
seul atout, c'est le fait que le comportement du gouvernement soit exemplaire
va aussi, en quelque sorte, soulever ou enlever une charge sur les personnes
qui sont toujours en… qui doivent appliquer la loi. Et je parle aux soldats de
la fonction publique qui, eux, vont être en contact avec les personnes à qui
elles devront expliquer, par exemple, que ça doit se passer en français. Donc,
c'est très important.
Une certaine stabilisation de la
fréquentation des cégeps anglophones. Mais ça, je vais y revenir très
immédiatement. Et la justice et la législation en français. Donc, il y a un
ensemble de mesures, un projet de loi qui m'apparaît cohérent puis qui
m'apparaît intelligent, qui m'apparaît tenir compte des différents aspects de
la loi 101, une oeuvre majeure après avoir adopté la Charte de la langue
française. C'est peut-être le moment.
Et je dis que si cette… ce projet de loi
là, dès son adoption, était mis en oeuvre immédiatement, s'il était mis en
oeuvre avec une extrême rigueur, s'il était mis en oeuvre avec beaucoup de
vigueur, s'il entraînait le nombre de personnes nécessaires pour l'adopter puis
le mettre en oeuvre et s'il avait l'ensemble des budgets qui sont nécessaires
pour le faire, nous aurions progressé, nous aurions progressé d'une façon
importante. Nous aurions commencé à contrer le phénomène de l'anglicisation,
particulièrement dans le Grand Montréal.
Mais, et là c'est évidemment le sens de
mon intervention, je crois que ce ne sera pas suffisant. Je crois clairement
que ce ne sera pas suffisant. Ce projet de loi là, il manque quelques…
M. Curzi (Pierre) : ...et à
contrer le phénomène de l'anglicisation, particulièrement dans le Grand
Montréal. Mais, et là c'est évidemment le sens de mon intervention, je crois
que ce ne sera pas suffisant. Je crois clairement que ce ne sera pas suffisant.
Ce projet de loi là, il manque quelques gestes extrêmement structurants pour le
rendre vraiment efficace et qu'on soit vraiment dans une dynamique où on va
essayer de renverser une tendance extrêmement inquiétante. Et ça, je pense que
tout le monde est prêt à le reconnaître, on l'a vu, ces derniers mois, on a vu,
tout d'un coup, une espèce de réveil de conscience sur ce qui est en train de
se passer.
Quelles sont ces mesures plus
structurantes qui devraient être adoptées? La première, la plus évidente, et je
lisais M. Guy Rocher, qui en a parlé, c'est évidemment que lorsqu'on a fait un
parcours au primaire et au secondaire en français, on doit aller au cégep en
français. Le fait d'imposer, et je dis bien imposer la fréquentation du cégep
français aux gens qui ont un parcours d'études en français va avoir des effets
extrêmement structurants, non seulement sur la fréquentation des cégeps,
évidemment, mais aussi sur la fréquentation des universités. Et par le fait
même sur le financement des universités, qui est actuellement grandement
favorable au système universitaire anglais, alors qu'il devrait être en fait
beaucoup plus favorable au système universitaire français. Cette
fréquentation-là du cégep en français est, à mon sens, un incontournable, et
cette commission devrait vraiment s'attarder à en faire un objet absolument
nécessaire du projet de loi. Je sais que ce n'est pas une mesure populaire, et
on va se buter à de très nombreux préjugés, mais il n'empêche, elle m'apparaît,
quant à moi, absolument fondamentale.
Maintenant, quelles sont les autres
mesures? On parle... Il y a actuellement, dans l'exemplarité de l'État, dans la
langue du commerce... Évidemment, tantôt, j'ai oublié de dire, vouloir
franciser les entreprises de 25 à 50, ça tombait sous le sens, et en fait le
projet de loi le recommande. L'exemplarité de l'État pourrait être, à mon sens,
plus significative, et je m'explique. Quand je lis le projet de loi, on parle
de l'accès au marché public comme étant une exigence de cette loi, autrement dit...
Et là je trouvais que «marché public» une notion qui m'échappait un peu. J'ai
demandé des précisions, on m'a dit : Ça s'applique aux entreprises qui ont
25 employés et plus, donc les grandes entreprises et celles qu'on veut
franciser. Là, je ne suis pas entré dans l'article par article, je ne sais pas
s'il y a des articles que je ne connais pas, mais il me semble qu'on devrait
étendre cet article-là, cette notion-là de marché public à l'ensemble des
dollars qui sont dépensés par l'ensemble des ministères, par l'ensemble des
organismes qui dépendent des ministères et par aussi les sociétés d'État. Et je
pense à Hydro-Québec, je pense à la SAQ, je pense à la SQDC, l'ensemble des
sociétés d'État, lorsqu'elles dépensent...
M. Curzi (Pierre) : ...des
dollars qui sont dépensés par l'ensemble des ministères, par l'ensemble des organismes
qui dépendent des ministères et par aussi les sociétés d'État. Et je pense à l'Hydro-Québec,
je pense à la SAQ, je pense que la SQDC, l'ensemble des sociétés d'État,
lorsqu'elles dépensent, ne devraient le faire, parce qu'il s'agit d'argent
public, qu'envers des entreprises, des organismes, j'irais jusqu'à... quasiment
jusqu'à... pas des individus, mais jusqu'à des petites entreprises, des
contrats, toute dépense devrait être liée à un processus de francisation de
ceux qui vont bénéficier de cet argent public. Je ne sais pas comment cela
s'exprimerait concrètement dans le projet de loi, mais ça me semble être un
incontournable.
Une autre mesure qui me semble devoir être
encore renforcée c'est l'affichage en français. Là, on rétablit enfin le
critère de la nette prédominance du français. Mais il y a un aspect où on n'ose
pas... qu'on n'ose pas trop toucher, ce sont les marques de commerce. On sait
que, dans les marques de commerce, on doit maintenant y adjoindre une
expression française qui définit le genre de commerce. Moi, je pense qu'il faut
aller jusqu'à un affichage quasiment unilingue français, c'est-à-dire qu'on
respecte la marque de commerce, parce qu'on peut difficilement faire autrement
dans notre contexte, mais on adjoint une définition ou un contenu nettement
prédominant de la langue française, même à la langue de commerce.
• (15 h 50) •
Je sais que c'est une exigence forte, et
que plusieurs entreprises ont commencé à se conformer à ce qui a été décidé,
voté en 2016, mais je crois qu'on doit faire un pas de plus pour qu'il n'y ait
pas d'ambiguïté sur le visage français. C'est à cette condition-là qu'on va
pouvoir commencer à envoyer un message vraiment général qu'au Québec et à
Montréal, ça se passe en français, et sortir de cette espèce d'ambiguïté qui
fait que, quand on arrive à l'aéroport, quand on est à Montréal, on ne sait
plus trop... en fait, on sait très bien que c'est un endroit bilingue. Et moi,
je pense que le bilinguisme, dans le cas d'une langue commune, est un danger
extrêmement inquiétant.
Bon, la dernière mesure, là, qui me vient,
peut-être qu'il y en aurait d'autres, mais disons la dernière mesure qui me
vient, c'est cette espèce de, ah!, laxisme sur le fait que les municipalités,
quand il y a moins de 50 % d'anglophones devraient renoncer au bilinguisme
et carrément adopter le français comme la langue de leurs communications.
Maintenant, ça, ce sont les mesures qui, à
mon sens, doivent impérativement être renforcées dans le projet de loi. Ce
n'est pas simple et je sais que le projet de loi, il est menacé par différents
pièges. Puis j'ai tenté d'essayer de voir un peu quels étaient les pièges d'un
projet de loi, s'il n'est pas appliqué, s'il n'est pas structuré encore plus
fermement et s'il n'est pas appliqué...
M. Curzi (Pierre) : ...je
sais que le projet de loi, il est menacé par différents pièges. Puis j'ai tenté
d'essayer de voir un peu quels étaient les pièges d'un projet de loi si n'est
pas appliqué... s'il n'est pas structuré encore plus fermement et s'il n'est
pas appliqué avec toute la vigueur nécessaire. Et j'en vois plusieurs.
Quand on crée un ministère, quand on crée
un poste de commissaire, quand on crée Francisation Québec, on est menacé par
la fonction publique, on est menacé par l'enlisement bureaucratique dans
lesquels les organismes peuvent tomber.
On est menacé aussi par un
changement : changement de ministre, changement de parti au pouvoir. Donc,
on peut revenir sur certaines décisions. Comment éviter ces pièges-là? C'est
important.
La Présidente
(Mme Thériault) : M. Curzi?
M. Curzi (Pierre) : Oui?
La Présidente
(Mme Thériault) : Je vais devoir presque vous interrompre, parce
que vous avez déjà pris deux minutes de plus que le ministre vous a offert
gracieusement. Donc, je pense que vous allez pouvoir continuer dans vos idées
lors de vos échanges avec le ministre et les parlementaires.
M. Curzi (Pierre) : Oui.
J'excuse d'avoir pris deux minutes.
La Présidente
(Mme Thériault) : Il n'y a pas de problème.
M. Curzi (Pierre) : Je
veux juste... Il y avait une phrase de Falardeau, avec laquelle je voulais
terminer, mais que vous connaissez sûrement, qui dit: «On va toujours trop loin
pour ceux qui ne vont nulle part.» Moi, je pense que dans ceci il faut aller un
peu trop loin. Et je le dis en tant qu'être modéré et citoyen qui n'est pas du
tout extrémiste.
La Présidente
(Mme Thériault) : M. le ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette :
Merci, Mme la Présidente. M. Curzi, bonjour. C'est un plaisir de vous accueillir
en commission parlementaire. Et je tiens à vous saluer. Vous êtes mon
prédécesseur, mon ancien député également. Puis là maintenant, bien, on
n'habite pas loin l'un de l'autre dans la même circonscription. Alors, c'est
toujours un plaisir de vous revoir.
Écoutez, pour la question des marques de
commerce, il y a un enjeu de partage des compétences. Donc, la marque de
commerce relève du fédéral en termes d'affichage. Alors, nous, notre compétence
vise, au Québec, à pouvoir encadrer. Donc, c'est ce qu'on a fait dans le projet
de loi n° 96 avec la nette prédominance notamment en lien avec les marques
de commerce. Donc, il y a un enjeu constitutionnel sur cet élément-là.
Hier, on a reçu, M. Curzi, on a reçu
M. Sabourin, le démographe. Et il nous disait : On a constaté, à
partir du début des années 90, un déclin du français. Ensuite, il nous a
dit : À partir du début des années 2000, on a constaté une
accélération du déclin du français.
Alors, vous, à l'époque, 2008, 2009, 2010,
2011, vous publiez vos études, donc Le grand Montréal s'anglicise et,
par la suite, L'application de la Charte de la langue française du
collégial :un prolongement nécessaire, des études qui étaient
fouillées, que vous avez faites avec les propres ressources que vous aviez à l'époque
dans l'opposition, de bonnes études.
Qu'est-ce qui explique à l'époque que vous
étiez comme un seul chevalier à tirer à sonnette d'alarme sur le déclin du
français et que les partis successifs qui ont été au pouvoir n'ont pas donné
suite, notamment à vos propositions?
M. Curzi (Pierre) :
D'abord, préciser que, quand j'ai fait ces études-là, je les ai faites à partir
de la toute petite équipe et des maigres ressources que j'avais comme député...
M. Jolin-Barrette :
...sonnette d'alarme sur le déclin du français, et que les partis successifs
qui ont été au pouvoir n'ont pas donné suite notamment à vos propositions?
M. Curzi (Pierre) : D'abord,
préciser que, quand j'ai fait ces études-là, je les ai faites à partir de la
toute petite équipe et des maigres ressources que j'avais comme député. Ce ne
sont donc pas des études qui ont été financées et appuyées d'une façon
vigoureuse par le Parti québécois, dont je faisais partie.
Les raisons pour lesquelles je crois qu'on
n'a pas donné suite c'est essentiellement parce que le sujet, à l'époque,
n'était pas très intéressant, et je crois qu'il n'était pas intéressant au
niveau électoral. C'est essentiellement parce qu'il y a beaucoup de résistance
à toucher à la langue française. Ce n'était pas payant au niveau électoral. Et
aussi, il y a des raisons... Par exemple, prenons la grande région de Montréal.
On sait que ça a toujours été représenté, puis on connaît, là, le contexte,
par, souvent, les libéraux, dans des comtés qui étaient acquis aux libéraux, et
souvent, cette élection-là, dans ces comtés-là, était le fait d'une majorité
d'anglophones dans un comté. Je pense que la règle, c'était, quand il y a plus
que tant de pour cent d'anglophones dans un comté, inévitablement, ce comté-là
devient un comté libéral. Donc, il n'y avait pas d'intérêt, à Montréal,
électoral. Ce n'était pas une bataille à gagner.
Mais dans d'autres régions du Québec, le
phénomène, quand on parle de la langue, il est beaucoup moins sensible. Et là
on se bute à toutes sortes de préjugés, et dont le principal, c'est qu'on ne
peut pas vivre et réussir au Québec si on ne connaît pas la langue anglaise, ce
avec quoi je suis partiellement d'accord. C'est-à-dire que je pense
qu'individuellement la connaissance de l'anglais et du français sont des
incontournables en Amérique du Nord, dans notre... Mais je crois qu'il faut
absolument qu'on puisse vivre, travailler, créer une famille, bref, vivre
complètement dans notre langue. C'est... Et le préjugé de croire que, sans une
connaissance, donc, acquise dans les cégeps anglophones, par exemple, ou à
l'université... nous privera des meilleurs emplois, je pense qu'on est dans des
préjugés complètement. Il y a ces phénomènes-là.
S'ajoute à cela que probablement que...
les effets, par exemple, d'une certaine immigration, qui était plus francophone
à l'époque, qui est devenue de moins en moins francophone. Bref, il y avait
plusieurs facteurs objectifs qui faisaient qu'on ne percevait pas encore à quel
point la situation allait rapidement se dégrader. Donc, il y avait une question
de perception, une question politique puis une question, encore importante, de
préjugés.
À cette époque, il faut se souvenir que
plusieurs des personnes, qui sont d'accord maintenant avec le fait que le cégep
doit être fréquenté par les allophones et les francophones, s'y opposaient. Ils
trouvaient que c'était une mesure radicale. Pourtant, ça m'apparaissait, moi, à
cette époque-là, une mesure absolument essentielle, parce qu'elle a un effet
constructeur ou destructeur, selon qu'on l'applique ou pas.
Voilà, c'est un peu ma réponse...
M. Curzi (Pierre) : ...les
allophones et les francophones s'y opposaient, ils trouvaient que c'était une
mesure radicale. Pourtant, ça m'apparaissait, moi, à cette époque-là, une
mesure absolument essentielle, parce qu'elle a un effet constructeur ou
destructeur, selon qu'on l'applique ou pas. Voilà, c'est un peu ma réponse.
M. Jolin-Barrette :
Trouvez-vous qu'on a un certain enjeu, sociétalement... Vous venez de le dire,
là, individuellement, c'est positif de parler plusieurs langues, de parler français,
anglais, espagnol, mandarin, portugais. Mais parfois, lorsqu'on entend dire,
pour des plus jeunes : Si tu veux réussir, si tu veux avoir une carrière,
il faut que tu aies étudié dans une autre langue que le français, il faut que
tu puisses travailler dans une autre langue que le français, pour
l'émancipation de la nation et même comme individu, ce n'est pas problématique,
ça, ce message-là qui est véhiculé, de dire : Si tu veux réussir dans la
vie, il faut que tu parles anglais? Comme nation, comme société, là, on ne
devrait pas se dire : Du berceau à la tombe, on devrait pouvoir vivre en français
sur le territoire québécois et réussir notre vie en français?
M. Curzi (Pierre) : Oui, je
suis totalement d'accord avec vous, c'est clair qu'on devrait. Mais pour que
cela puisse se passer, il faut vraiment qu'il y ait une volonté très claire
d'avoir une langue commune qui soit le français. Pourquoi avoir une langue
commune? Parce que si, dans tous les secteurs de l'activité humaine, le
travail, principalement, mais aussi la culture, les loisirs, les voyages... si
on a une langue commune et que cette langue commune là est bien installée, ce
réflexe-là de penser qu'on ne pourra pas vivre sans connaître une autre langue
va tranquillement s'effacer. Et chez les jeunes, actuellement, et c'est une
menace majeure, il y a le fait que l'on ne peut pas vivre en français
uniquement.
Le résultat de ça, actuellement, on peut
le voir, c'est qu'il va y avoir une dégradation des deux langues. On voit déjà
que la langue française n'est peut-être pas maîtrisée comme elle devrait
l'être, même après un parcours en français dans notre système d'éducation. Et
pour ces gens-là qui, rapidement, choisissent d'aller vers une autre langue,
dans ce cas-ci, d'aller vers l'anglais, leur connaissance de l'anglais
demeurera aussi approximative. De telle sorte qu'on risque... si on n'a pas une
langue commune très forte et très bien établie, on risque d'avoir une méconnaissance
à la fois du français et de l'anglais.
• (16 heures) •
J'ajoute à cela, probablement, le critère
le plus important, c'est que la langue, au Québec, situation très spécifique
sur ce territoire très précis de l'Amérique, la langue est porteuse de la
culture. Et quand on adopte une autre langue que le français, on adopte ipso
facto aussi une autre culture. Déjà qu'on ne peut pas ignorer la culture
d'expression anglaise, et c'est très bien, mais quand on commence à utiliser
l'anglais comme moyen d'étude, inévitablement, cette connaissance-là, cette
pratique-là va nous amener à adopter une...
16 h (version non révisée)
M. Curzi (Pierre) : ...aussi
une autre culture. Déjà qu'on ne peut pas ignorer la culture d'expression
anglaise, et c'est très bien, mais, quand on commence à utiliser l'anglais
comme moyen d'étude, inévitablement, cette connaissance-là, cette pratique-là
va nous amener à adopter une autre culture, risque de nous inciter à travailler
à la fois dans les deux langues ou aussi en anglais. Et au final elle risque
d'entraîner une absence de cohésion sociale parce qu'utiliser communément, dans
l'ensemble, une autre langue que la nôtre, fréquenter une autre culture que
celle qui nous définit, en particulier avec cette langue-là majoritairement,
risque d'amener une sorte de dégradation de nos valeurs communes.
Et on commence à le voir, on commence à
voir l'importation, par exemple, de certains courants qui sont surtout des
courants américains. On commence à les voir importer. Là-dedans, il y a du bon
et du moins bon. Je ne suis pas fermé à ce qui nous vient des États-Unis, mais
on sait très bien que, tout à coup, face à nos valeurs, il y a une
confrontation. Et, à mon sens, cette confrontation-là est une menace à
l'ensemble de nos valeurs communes.
On le voit avec, par exemple... avec la
pandémie. La pandémie était une situation d'urgence et tout le monde a adopté
des contraintes, a accepté de se contraindre, et plusieurs contraintes étaient
très exigeantes. Tout le monde l'a fait parce qu'on s'est dit : Le bien
collectif, la santé collective doit primer sur mes préférences individuelles.
Moi, je crois qu'actuellement, au niveau
de la langue, dans la grande région de Montréal, on est dans une situation
pandémique. Si on n'agit pas avec beaucoup de fermeté, et même ça peut sembler
brutal pour certains, ça va être perçu comme ça, si on ne le fait pas, on
risque de laisser ce virus-là se répandre. Et c'est un virus qui n'est pas...
ce n'est pas moral, mon appréciation du virus, c'est juste l'évolution normale
des langues. Une langue minoritaire dans un contexte majoritairement autre va
toujours devoir utiliser des moyens beaucoup plus forts, pas seulement pour se
protéger, mais surtout pour fleurir, pour être porteuse de la culture et
porteuse des valeurs intrinsèques à cette nation-là.
M. Jolin-Barrette : Une
dernière question, courte question, puis je veux céder la parole à mes
collègues. Je prends la balle au bond, vous venez de parler beaucoup de
culture, de langue. Il y a d'autres intervenants avant vous qui ont fait le
même parallèle, l'importance de lier les deux. Je vous poserais la question. Un
des défis de l'État québécois, de la nation québécoise, c'est de bien intégrer
les personnes qui font le choix du Québec, les personnes immigrantes en
français au Québec. Et là on a des discussions hier à l'effet des effets
délétères du multiculturalisme canadien, donc le modèle d'intégration canadien.
Croyez-vous que l'État québécois doit définir son propre modèle d'intégration
par rapport au multiculturalisme canadien pour avoir un effet structurant sur
l'intégration en français...
M. Jolin-Barrette : ...des
effets délétères du multiculturalisme canadien, donc le modèle d'intégration canadien.
Croyez-vous que l'État québécois doit définir son propre modèle d'intégration par
rapport au multiculturalisme canadien pour avoir un effet structurant sur l'intégration
en français, et à la culture québécoise, et aux valeurs communes, comme vous
l'énoncez?
M. Curzi (Pierre) : Oui,
bien, évidemment, je le crois. J'ai toujours été un pourfendeur de cette notion
de multiculturalisme canadien parce que je crois que ça nous a profondément
desservis.
Je voyais aussi les prétentions de l'UMQ,
je pense, qui disait : Oh! comment allons-nous nous adresser en français
six mois après que quelqu'un soit arrivé d'un pays où on ne connaît pas du tout
le français? Mais, en même temps, on regarde cette notion-là puis on se
dit : Mais si on ne leur parle pas français après six mois, dans quelle
langue allons-nous leur parler? Est-ce qu'on va leur parler dans les quelques
mots d'anglais qu'ils connaissent?
Notre modèle d'intégration nous appartient
complètement. Et il faut se méfier de plusieurs dérives qu'on peut voir. On en
voit, par exemple, avec toute l'admission des étudiants étrangers. Dieu sait
qu'on est d'accord pour qu'il y ait des étudiants étrangers, mais Dieu sait
aussi qu'on voit très bien qu'il y a une très forte concentration de ces
étudiants-là qui vont vers le système anglais, où ils acquièrent des fois la
résidence, et ça leur permet d'introduire par ce biais-là des gens qui vont
s'intégrer à la minorité anglophone.
Donc, il y a plusieurs petits phénomènes
dont... Il faut absolument que Francisation Québec... Maintenant, comment
allons-nous réussir? Là, le projet de loi va vers la francisation des petites
entreprises. On sait que c'est souvent là que les premiers emplois des gens qui
arrivent se trouvent. Donc, c'est déjà un gain. Il faut maintenir ce gain-là.
Mais les autres visages, c'est comment permettre de ne pas, en quelque sorte,
aller d'aucune façon à l'encontre des droits fondamentaux d'une minorité
anglophone au Québec, ça, je respecte ça complètement, mais comment désamorcer
pour nous-mêmes le fait que le bilinguisme comme langue commune est une
aberration? Ça n'a jamais marché dans aucun pays et ça ne marchera jamais.
Il y a une volonté des Québécois qui doit
être mobilisée, elle doit être aussi forte, et on doit avoir le même souci de
la santé collective culturelle et des valeurs québécoises, et ça passe
inévitablement par une langue commune.
Je me suis un peu répété, là, je n'ai
peut-être pas répondu exactement à votre question. Mes excuses.
M. Jolin-Barrette : C'est
parfait. Je vous remercie pour votre présence en commission.
La Présidente (Mme Thériault) :
Bien, merci. Il reste à peine une minute, donc M. le député, à peine une
minute, oui. Donc, M. le député de Saint-Jean, question-réponse.
M. Lemieux : Je vais prendre
moins d'une minute, Mme la Présidente, pour saluer M. Curzi d'abord, lui
dire qu'il semble dangereusement en forme, et c'est une très bonne chose. Il y
a quelqu'un, sûrement… J'en connais un au bout de la salle, là, qui va vous parler
de cégeps. Avec le ministre, vous avez parlé d'affichage. Ce qui me surprend,
c'est...
La Présidente (Mme Thériault) :
…une minute, oui. Donc, M. le député de Saint-Jean, question, réponse.
M. Lemieux : Alors, je vais
prendre moins d'une minute, Mme la Présidente, pour saluer M. Curzi d'abord,
lui dire qu'il semble dangereusement en forme, mais c'est une très bonne chose.
Il y a quelqu'un, sûrement… J'en connais un au bout de la salle, là, qui va
vous parler de cégeps. Avec le ministre, vous avez parlé d'affichage. Ce qui me
surprend, c'est jusqu'à quel… pas surprend, mais ce qui me réjouit, c'est jusqu'à
quel point il y a beaucoup de points positifs auxquels vous vous ralliez avec
toute votre passion, et effectivement il y en a beaucoup, là. Je veux dire, il
y en a même que vous n'avez pas abordés, vous n'avez pas eu le temps, mais la
partie sur le droit au travail en français et tout ça. Mais ça fait partie d'un
tout, puis c'est en vous écoutant que je me rends compte que quelque part, on a
un sapré bon projet de loi. Merci beaucoup, M. Curzi, et je vous souhaite…
Je l'ai remarqué, vous avez écouté
d'autres témoins avant vous. Il y en a encore pour deux semaines. J'espère que
vous serez des nôtres.
M. Curzi (Pierre) : Avec
plaisir.
La Présidente (Mme Thériault) :
Donc, maintenant, je vais aller du côté de l'opposition officielle. Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys, pour vos 11 minutes.
Mme David : Merci beaucoup.
Bonjour, M. Curzi, contente de vous entendre et, comme dit le député de Saint-Jean,
avec toute votre verve et votre passion. Alors, c'est formidable de se taper
des commissions parlementaires à distance comme ça. Bien, bravo! Merci beaucoup.
Moi, j'étais curieuse, justement… D'abord,
vous dites que vous avez-vous-même fait tout un projet de loi. Dieu sait qu'on
sait ce que c'est dans l'opposition, on l'a tous été ici à tour de rôle. Alors,
faire un projet de loi comme ça, j'imagine que ça a quand même été une tâche
assez considérable. Et, quand vous comparez le produit actuel avec ce que vous
avez… ce qui est sur la table, ce qui est proposé avec ce que, vous, vous aviez
proposé, qu'est-ce qui… quelles sont les différences majeures ou quelles sont
les avancées, ou peut-être les reculs aussi, par rapport à ça?
M. Curzi (Pierre) : Bien, je
n'y ai pas vu beaucoup de reculs, puis je trouve qu'entre le projet de loi n° 593, que j'avais concocté avec Éric Bouchard puis avec
les juristes de l'Assemblée nationale, à titre de député indépendant, je vous
le ferai remarquer — j'avais beaucoup de temps, les députés
indépendants ont beaucoup de temps — à titre de député indépendant,
je trouve… je retrouve le même esprit qu'il y avait quand on a fait ce
travail-là, qui est un travail complexe, ardu, parce qu'on sous-pèse, et dans
ce cas-ci, là, il s'agissait d'écrire les articles en langage juridique, donc
c'était exigeant. Je retrouve le même esprit dans le projet de loi n° 96. Et une des qualités de ce projet de loi, c'est que
je le trouve bien articulé. Visiblement, on a bien réfléchi à quelle serait
l'application de plusieurs mesures les unes avec les autres. Il y a de la
conjonction là-dedans, il y a une intelligence de ce qu'un projet de loi peut
et doit faire. Alors, je retrouve… Ce qu'il y avait de plus dans le projet de
loi n° 593, c'est que je n'avais aucune contrainte de
la part d'un caucus, je n'en étais plus, donc je n'étais pas restreint. Je
n'avais pas de contrainte non plus au sujet d'un jugement moral sur ce que je
recommandais, et ça menait à des recommandations plus fortes…
M. Curzi (Pierre) : ...de plus
dans le projet de loi n° 593, c'est que je n'avais aucune contrainte de la
part d'un caucus, je n'en étais plus, donc je n'étais pas restreint, je n'avais
pas de contrainte non plus au sujet d'un jugement moral sur ce que je recommandais,
et ça menait à des recommandations plus fortes.
• (16 h 10) •
Disons, comme le cégep français, c'était
dans le document. L'affichage, bon, je pense qu'on n'allait pas jusqu'à
l'affichage unilingue, mais il y avait... on donnait, par exemple... Je vous
donne un exemple qu'il y avait. On donnait à l'OQLF... Là, dans cas-ci, on
redéfinie les pouvoirs de l'OQLF. Nous, dans le projet de loi qu'on avait, on
donnait même un pouvoir d'amendes. On disait : L'OQLF va pouvoir donner
une amende, faire son rôle, qu'on lui a toujours reproché, de police de la
langue. Oui, police de la langue, mais avec la possibilité de donner une
contravention. Donc, autrement dit, essayer de tuer ces délais, là, qui sont de
porter une cause devant le DPCP puis attendre des mois.
En même temps, je vous dis ça en sachant
pertinemment qu'on n'est pas, comment dire, fasciste, là. Moi, je ne suis pas
un fasciste de la langue, je ne suis pas un ayatollah, je comprends les
réticences. Mais je me dis, en même temps, une loi, elle a pour but de nous
encadrer et, comme je le disais tantôt, d'éviter que ce soit les soldats, le
monsieur ou le commis ou la personne qui doit répondre à quelqu'un directement
ou au téléphone, par écrit et qui, lui, doit porter la responsabilité
d'appliquer la loi. Je pense qu'une loi doit être suffisamment forte pour que
qui que ce soit se sente encadré.
On ne demande pas, par exemple, aux
infirmières de discuter quand elles nous donnent le vaccin, elles nous donnent
le vaccin. La consigne est claire. Et moi, je pense qu'actuellement, au niveau
de la langue, on a vachement besoin d'une deuxième dose.
Mme David : Ou d'une
troisième.
M. Curzi (Pierre) : Ou d'une
troisième.
Mme David : Merci. Je vais
passer la parole à mon collègue de D'Arcy-McGee et après de....
La Présidente (Mme Thériault) :
Il reste sept minutes au bloc de l'opposition officielle.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, M. Curzi. C'est drôle, dans une vie antérieure, j'ai
eu à répondre à vos questions en commission parlementaire. Je crois que c'était
le projet de loi n° 14. En tout cas, un plaisir de vous retrouver.
Ça m'intrigue, il y a deux cibles dont on
parle, et j'aimerais les qualifier avec vous. Dans un premier temps, et
Frédéric Lacroix, qui vous précédait, était du même avis, il parlait presque d'une
menace du fait qu'il y a une croissance d'étudiants de l'ordre international
qui viennent au Québec, et davantage qu'il y en a plusieurs qui décident de
rester chez nous.
Deux choses. Premièrement, moi, j'aurais
cru qu'on se réjouirait d'un tel phénomène. Dans un deuxième temps, je me
demande si c'est votre expérience. Je ne suis pas dans les données, mais de mon
expérience, tellement souvent, quand je rencontre un de ces étudiants,
étudiantes internationaux, ça me touche de voir comment ils sont en amour avec
notre langue commune, comment ils se donnent...
M. Birnbaum : ...si c'est votre
expérience, je ne suis pas dans les données. Mais de mon expérience, tellement
souvent, quand je rencontre un de ces étudiants, étudiantes internationaux, ça
me touche de voir comment ils sont en amour notre langue commune, comment ils
se donnent le devoir de s'immerser et d'apprendre la langue française. Alors,
pour mon premier... j'aimerais savoir si, en quelque part, vous voyez comme un
atout au lieu d'un obstacle ces étudiants internationaux.
Deuxième chose, quand je parle de cible,
on parle beaucoup évidemment des établissements d'enseignement supérieur,
surtout, attachés à la communauté québécoise d'expression anglaise. Est-ce que
vous écartez la capacité de ces établissements d'être vecteurs de la francisation?
Une deuxième fois, je me permets une anecdote qui m'a touché, qui a touché
beaucoup de Québécois. Lors de cette terrible tragédie à Dawson, la tuerie à
Dawson, où il y avait des élèves avec des noms comme Papadopoulos, Hernandez...
des gens issus de partout qui faisaient des témoignages touchants en français,
plusieurs, plusieurs. Donc, ma question : Est-ce qu'à la fois ces
étudiants internationaux, à la fois ces établissements issus de la communauté
québécoise de langue anglaise peuvent être des vecteurs positifs de
francisation ici, au Québec?
M. Curzi (Pierre) : Pour
répondre à votre première question, moi, je suis aussi heureux que vous l'êtes
quand je vois des étudiants internationaux venir au Québec et y faire leurs
études. Au contraire, on sait qu'au Québec on a besoin d'avoir à la fois des
gens qui vont travailler, mais aussi on a besoin des intelligences, on a besoin
du savoir. Alors, je n'ai aucun préjugé. Le seul problème, c'est qu'ils
s'intègrent à une communauté minoritaire ici, pour le moment, anglophone. Et à Montréal,
ils ont un effet, et ce n'est pas un reproche, mais ils ont un effet
anglicisant extrêmement important. Au centre-ville, quand vous allez autour de
McGill, Concordia, vous vivez dans un milieu où, franchement, là, c'est un
bilinguisme de plus en plus anglais, bon.
Est-ce que les... Je connais beaucoup,
comme vous, des gens qui ont suivi le parcours d'études, par exemple, à McGill,
plusieurs de mes amis, et ce sont des gens qui possèdent très bien le français
et qui travaillent en français, chez qui, en tout cas, le passage par le système
universitaire de qualité anglophone n'a pas, en quelque sorte, changé leur
nature. Mais je ne crois pas que le système scolaire anglophone soit en mesure
de franciser vraiment. Non pas parce qu'il n'en a pas la capacité, on a vu
beaucoup d'efforts faits du côté du système d'études anglophone, beaucoup de
gens ont bien appris le français...
M. Curzi (Pierre) : ...changer
leur nature. Mais je ne crois pas que le système scolaire anglophone soit en
mesure de franciser vraiment, non pas parce qu'il n'en a pas la capacité. On a
vu beaucoup d'efforts faits du côté du système d'étude anglophone, beaucoup de
gens ont bien appris le français à l'intérieur de ce système-là. Ce n'est donc
pas uniquement leur système. Il y a deux facteurs qui jouent. Le premier, c'est
que, s'il n'y a pas un environnement extrêmement... s'il n'y a pas une langue
commune qui fait que le français est inévitable dans tous les gestes de tous
les jours et qu'il n'est pas dominant, je crois que, quelle que soit
l'influence du cégep, ça soit insuffisant. Donc, c'est ça, ma réponse. Bien,
voilà. Je vous ai senti un peu distraite...
La Présidente (Mme Thériault) :
Et pour le temps qu'il reste, 2 min 15 s, c'est le député de
La Pinière qui va échanger avec vous.
M. Barrette : Bonjour,
M. Curzi. Je pense que vous ne serez pas surpris de mon commentaire. Quand
on a un projet de loi d'une telle envergure et potentiellement d'un aussi grand
impact, on recherche l'adhésion du maximum de personnes possibles, puisqu'il
est impossible d'avoir tout le monde, là, mais on recherche le maximum de
personnes possibles.
Dans des échanges que ma collègue de
Marguerite-Bourgeoys a eus avec le Pr Taillon cet après-midi, je ne sais
pas si vous avez eu la chance de suivre tout l'après-midi, on a abordé la
question des clauses dérogatoires et la possibilité de nuancer, ou de baliser,
ou d'encadrer la clause dérogatoire. Alors, ici, on a un projet de loi qui met
de l'avant des clauses dérogatoires qualifiées de préventives, mais qui sont
mur à mur.
Alors, dans l'esprit de ce que je viens de
dire, là, en introduction, ne trouvez-vous pas que, s'il y avait, je dis bien
s'il y avait, à y avoir des clauses dérogatoires, elles devraient être nuancées
ou encadrées — choisissez le mot qui vous
conviendrait — dans le cadre de ce projet de loi là?
La Présidente (Mme Thériault) :
Et vous avez un peu plus d'une minute pour répondre à la question.
M. Curzi (Pierre) : Oui, je
serai prêt. S'il n'y avait pas eu la mise en pièces de la loi 101 par la
Cour suprême au fil des ans de telle sorte qu'il ne restait qu'un pauvre
squelette inopérant, je pourrais être d'accord avec vous. Malheureusement, je
crois qu'on doit se prémunir complètement par des clauses dérogatoires qui sont
essentielles préventivement parce que la contestation risque d'être très forte.
L'autre argument sur lequel je veux
revenir, c'est celui de l'équilibre. Bien sûr que la tentation est grande de
dire : On va adopter un projet de loi qui va susciter l'adhésion du plus
grand nombre. Dans ce cas-ci, je crois que ce serait une démission
gouvernementale. Pour un gouvernement qui est majoritaire, qui a une volonté
nationaliste et qui a une volonté légitime que la langue commune s'exerce sur ce
territoire-là et pour cette nation, je pense qu'il faut avoir le courage
d'aller vers des mesures qui ne seront peut-être pas les plus populaires...
M. Curzi (Pierre) : ...un gouvernement
qui est majoritaire, qui a une volonté nationaliste et qui a une volonté
légitime que la langue commune s'exerce sur ce territoire-là et pour cette
nation. Je pense qu'il faut avoir le courage d'aller vers de mesures qui ne
seront peut-être pas les plus populaires, qui vont certainement être attaquées,
être contestées. Mais je crois, et en toute honnêteté, là, et avec tout le
respect que j'ai pour la démocratie et pour la vie des gens, je crois que c'est
nécessaire.
La Présidente (Mme Thériault) :
Et je dois mettre fin à l'échange. Donc, sans plus tarder, nous allons du côté
de la députée de Mercier.
Mme Ghazal : Merci. Merci beaucoup,
M. Curzi, pour votre présentation si passionnée. Vous, évidemment, vous
êtes un artiste, donc vous êtes amoureux de la culture, vous avez été président
de l'Union des artistes, et quand on aime quelque chose, on a envie de le
partager. Et donc on parle de langue française, vous l'avez dit, on ne peut pas
la séparer de la culture québécoise. Et moi, j'ai envie de savoir comment
est-ce qu'on peut transmettre la culture, pas juste l'apprentissage du
français, mais la culture québécoise aux jeunes immigrants et aux moins jeunes?
J'ai visité une école, mon ancienne école secondaire à Laval qui, aujourd'hui,
contrairement à l'époque où je l'ai visitée, est constituée, je ne sais pas, à
97 % de jeunes issus d'immigration. J'étais dans une classe d'accueil,
puis une des jeunes d'origine afghane, ça fait deux ans qu'elle est en classe
d'accueil, donc son français était franchement bon, et elle me disait :
Mais, madame, je ne suis jamais en contact avec des Québécois. Comment
voulez-vous qu'on apprenne le français? Je ne parle jamais le français à part
en classe. On est gêné quand on sort avec mes amis qui ne sont pas des francophones,
qui ne sont pas des Québécois, parce qu'elle ne se considère pas encore
Québécoise. On est gêné de parler français.
Puis moi, je me dis : Qu'est-ce qu'on
doit faire pour pas seulement leur apprendre le français, mais la culture? Je
ne sais pas, est-ce qu'il y a des artistes qui peuvent venir dans les écoles
pour leur faire aimer le théâtre québécois, le cinéma, etc.? J'ai envie de vous
entendre là-dessus plus... pas comme ancien député, mais comme acteur, artiste,
ancien président de l'Union des artistes.
• (16 h 20) •
M. Curzi (Pierre) : Oui,
bien, vous touchez à quelque chose d'extrêmement sensible parce que c'est
complexe. Arriver à rejoindre des gens qui viennent de multiples pays, de
multiples cultures et essayer de leur faire aimer une culture alors qu'on n'est
plus là, comment on fait? Il y a eu... la première chose, puis on commence à le
voir, il y a de plus en plus maintenant, on le voit à la télévision, il y a de
plus en plus de gens de diverses origines qui commencent à incarner des
personnages importants, qu'ils se voient d'abord, qu'ils puissent se voir.
On sait par ailleurs que les pratiques ont
changé. Il y a beaucoup de jeunes maintenant qui regardent moins la télévision,
qui regardent leurs réseaux sociaux et qui vont consommer. Et quand ils
consomment sur les réseaux sociaux, sur Internet, là, le modèle qu'on pourrait
leur proposer, d'identification, il n'est plus là ou il est là, mais il
s'exprime dans une autre langue. Ils vont fréquenter, je ne sais pas, le rap,
mais ils vont le faire en anglais parce que la majorité des rappeurs... il y a
des rappeurs québécois qui rappent en français et il faut qu'ils se déploient.
Donc, c'est un travail lent. Mais la condition de base... il y a... vous
touchez à d'autres problèmes...
M. Curzi (Pierre) : ...il
est là, mais il s'exprime dans une autre langue. Ils vont fréquenter, ne le
sais pas, le rap, mais ils vont le faire en anglais parce que la majorité des
rapeurs... Il y a des rapeurs québécois qui rapent en français, et il faut
qu'ils se déploient. Donc, c'est un travail lent. Mais la condition de base, il
y a... Vous touchez à d'autres problèmes aussi, le fait qu'on ait déserté l'île
de Montréal. Les... Moi, je vis dans une banlieue. Et c'est à 99 % blanc
francophone et même blanc... Je le déplore. J'aimerais... Je m'emporte. Mais
c'est certain qu'il y a un problème sociologique, mais, moi, je pense qu'une
des conditions, c'est justement de rétablir une langue commune. Puis après,
bien, tranquillement de permettre que chacun puisse s'identifier tel qui est à
des modèles qu'on leur proposera.
Mme Ghazal : Ça prend du
temps. Merci.
La Présidente
(Mme Thériault) : Et je dois mettre fin à cet échange. Donc, sans
plus tarder, M. le député de Matane-Matapédia, pour le dernier bloc de notre
après-midi.
M.
Bérubé
:
Merci. Je veux saluer mon ancien collègue, que je retrouve avec plaisir, lui
dire qu'il est toujours aussi cohérent et que les travaux qu'il a menés dans le
passé ont certainement influencé notre formation politique. Et j'aurais bien
aimé, moi, et j'en fais l'aveu public, qu'il reste avec nous. Et peut-être que
c'est lui, le ministre responsable de la langue, qui aurait présenté ce projet
de loi dans un gouvernement, celui de Mme Marois. Mais c'est mon souhait.
On ne peut pas refaire l'histoire, mais j'aurais aimé ça.
Ceci étant dit, en mai dernier, un texte
du Journal de Montréal qui s'appelle Réforme de la
loi 101 : une occasion ratée selon Pierre Curzi, l'essentiel du
reproche que l'ancien député de Borduas porte à l'égard du gouvernement, c'est
sur la loi 101 au cégep, de ne pas faire preuve de cohérence, de ne pas
faire preuve de la nécessaire audace. On dit la même chose. Ce n'est pas... Ça
ne doit pas être consensuel, ça doit être nécessaire. Le défi est là. Oui, ça
va faire du bruit. Guy Rocher nous a dit la même chose hier. Alors, ce n'est
toujours bien pas une idée extrémiste. Le premier ministre m'a dit ça, moi, en
Chambre. C'est extrémiste de promouvoir que la loi 101 s'applique aux
cégeps. Alors, pourquoi c'est si nécessaire? Et je vous laisse la tribune, cher
Pierre.
M. Curzi (Pierre) :
Bien, écoute. Bonjour, M. le député. Parce que... Je pense que c'est nécessaire
parce que c'est l'effet constructeur. Admettons que tous ceux qui suivent un
parcours au primaire et au secondaire en français soient obligés d'aller au
cégep en français. Ça veut dire qu'ils vont devoir mieux connaître leur langue
puisque plus ça va aller, plus ils vont avoir besoin de cette connaissance-là
pour réussir dans leurs études. Ça, c'est une première chose.
Ça va avoir un effet sur la fréquentation,
le nombre de personnes qui vont aller à l'université en français. Le nombre de
personnes qui fréquentent le système universitaire francophone est une des
conditions de financement de ces universités-là. Donc, on commencerait à
rétablir une sorte d'équilibre entre le financement des universités
francophones et le financement des universités anglophones. Oui. Pardon?
M.
Bérubé
:
Ce n'est pas une idée extrémiste.
M. Curzi (Pierre) :
Alors, là, je reviens à...
M. Curzi (Pierre) :
...Donc, on commencerait à rétablir une sorte d'équilibre entre le financement
des universités francophones et le financement des universités anglophones.
Oui? Pardon?
M. Bérubé : Ce n'est pas
une idée extrémiste.
M. Curzi (Pierre) :
Alors là, je reviens à ce point-là. Moi qui suis... Je considère que je suis un
citoyen modéré et j'ai un total respect de la démocratie. Et, si l'ensemble des
Québécois décidaient du jour au lendemain qu'ils vont abandonner la langue
française parce qu'ils veulent vivre en anglais, si c'était une décision totalement
démocratique, je l'entérinerais. Le Québec ne disparaîtrait pas pour autant.
Mais on sait pertinemment qu'il y a quelque
chose de précieux, de particulier, de spécifique dans ce territoire-là puis
aussi dans d'autres provinces du Canada, dans les communautés francophones. Il
y a là une richesse qu'on qualifie et que j'ai longtemps défendue comme étant
l'effet de la diversité, une diversité de langues...
La Présidente
(Mme Thériault) : Et M. Curzi...
M. Curzi (Pierre) :
...une diversité de cultures, une diversité de valeurs. Voilà ce qui enrichit
une société...
La Présidente
(Mme Thériault) : Et je dois mettre fin aux échanges sur ces
paroles...
M. Bérubé : Merci,
Pierre.
La Présidente
(Mme Thériault) : ...ayant déjà dépassé le temps. Donc,
M. Curzi, merci pour votre passage en commission parlementaire.
Et, sans plus tarder, j'ajourne les
travaux jusqu'au mardi 28 septembre 2021 à 9 h 45. Bonne fin de
semaine, tout le monde, et bon retour à Montréal.
(Fin de la séance à 16 h 26)