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Version finale

28e législature, 4e session
(25 février 1969 au 23 décembre 1969)

Le jeudi 14 août 1969 - Vol. 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Commission de la Constitution


Journal des débats

 

Commission de la Constitution

Séance du 14 août 1969

(Dix heures cinq minutes)

M. BERTRAND (président de la commission de la Constitution): II est dix heures. Les séances des commissions commencent à temps, d'habitude.

Mes chers collègues, lors de notre dernière séance, le 4 décembre 1968, nous avions convenu, à la suggestion de M. Choquette et d'autres membres de la commission, d'entendre quelques experts, en particulier, M. Jean-Charles Bonenfant, à la fois sur les mécanismes d'amendement et sur le fond même de la constitution interne au cours d'une prochaine séance qui sera également publique.

Ce matin, M. Bonenfant est ici à notre disposition. Nous pouvons, certes, l'interroger sur les mécanismes d'amendements, sur le fond même de la constitution interne mais en particulier nous nous étions entendus, Je crois, sur ce que l'on appelle le régime présidentiel.

M. LESAGE: C'est-à-dire que nous avions convenu d'entendre M. Bonenfant sur ce point.

M. BERTRAND: L'entente sur le régime présidentiel. Nous pouvons y consacrer cette séance de l'avant-midi. M. Bonenfant, je vous remercie d'être présent. Comme M. Morin l'a indiqué dans sa lettre, je crois bien que vers midi et demi nous devrions avoir terminé cette séance. Il nous appartiendra ensuite de fixer la date d'une prochaine réunion.

Alors, bienvenue, M. Bonenfant. J'ignore comment vous voulez procéder. Voulez-vous faire un exposé rapide de ce qu'est le régime présidentiel, après quoi mes collègues pourront probablement vous poser des questions.

M. LAPORTE: M. le Président, pourrais-je vous signaler que M. Lacroix remplace M. Pinard, et que M. Houde remplace M. Paul Gérln-Lajoie?

M. BERTRAND: Nous avons également des changements à faire de notre côté. M. Gabias n'y étant plus. Nous en avons une couple.

M. LESAGE: Je pense que M. Gelly...

M. BERTRAND: Alors, M. Laporte, vous venez de suggérer que...

M.LAPORTE: M. Lacroix et M. Houde fas- sent partie de la commission à la place de M. Pinard et de M. Gérin-Lajoie.

M. BERTRAND: Quant à nous, je m'entendrai avec M. Rémi Paul pour trouver deux de nos collègues, car ce matin une autre commission siège, la commission sur l'étude de la Loi de copropriété. Alors, d'Ici la prochaine séance, nous verrons à remplacer les membres qui sont disparus.

A moins que mes collègues aient d'autres questions à poser à l'ouverture de cette séance, je donne la parole à M. Bonenfant.

M. BONENFANT: Je vous remercie d'abord. Je suis flatté de votre invitation. Evidemment, j'ai l'avantage d'être un témoin tout prêt. Je pense bien que c'est ce qui facilitait les choses. Voici comment je vous propose de procéder.

Je pourrais faire un exposé schématique très rapide en soulignant certains aspects, et ensuite vous pourriez me demander des précisions.

Tout de suite, il y a un choix à faire. Comme M. le président vient de le faire remarquer, au fond, il, y a deux problèmes. Sans avoir l'air pédant, je dirai qu'il y a le problème de la constitution, au sens formel, c'est-à-dire la façon dont on doit la rédiger ou la modifier — ce qui est lié — et, deuxièmement, celui de la constitution au sens matériel, c'est-à-dire ce qu'on doit mettre à l'intérieur de cette constitution.

Dans ce dernier sujet, il y a le problème que vous venez de soulever qui, à mon sens, est fondamental: c'est le problème d'un système présidentiel. Si vous voulez, je peux commencer par ce problème du système présidentiel, d'autant plus qu'on en a beaucoup parlé ces derniers temps. Dans presque tous les partis politiques, certains représentants ont soumis l'idée qu'un régime présidentiel serait peut-être meilleur que le régime que nous avons.

Alors, si vous y consentez, Je pourrai commencer — ce n'est peut-être pas tout à fait logique — en exposant le problème que pose précisément cette question du régime présidentiel. Est-ce que ça vous convient?

M. LE PRESIDENT (Bertrand): Très bien, M. Bonenfant Si vous le permettez, MM. les membres de la commission, à dix heures vingt-cinq, je devrai m'absenter pour aller recevoir le haut-commissaire de la Nouvelle-Zélande. Pendant mon absence, avec votre permission, M. Masse, le nouveau ministre des Affaires intergouvernementales, pourrait me remplacer. Je reviendrai sans délai.

M. BONENFANT: Donc, Je vais parler du régime présidentiel et Je pense que ce qui est important, dès le début, c'est de savoir ce que veulent dire les mots. Très souvent, on discute parce qu'on ne donne pas le même sens aux mots que l'on emploie. Je crois que, lorsqu'on parle du régime présidentiel, ça peut vouloir désigner trois choses qui sont assez différentes.

Premièrement, ça peut désigner un système où le chef symbolique de l'Etat est un président. Par exemple, au lieu d'avoir un lieutenant-gouverneur dans le Québec, on pourrait avoir un président du Québec, en gardant exactement le même système qu'aujourd'hui. Je tiens à vous dire que, personnellement, je suis favorable à un tel système. En effet, je suis contre la monarchie, non pas par sentiment antibritannique, mais parce que Je pense que c'est un système qui est aujourd'hui désuet.

Il reste que, si dans le Québec on veut changer de système, il y a un problème juridique, comme vous le savez. En effet, pour toucher à la fonction du lieutenant-gouverneur, il faut avoir recours à un amendement qui ne peut pas être proposé par la Législature du Québec. Mais Je pense qu'en général, lorsqu'on parle du régime présidentiel, ce n'est pas ça qu'on a à l'esprit. Ce qu'on peut avoir à l'esprit — je saute immédiatement à l'extrême — c'est le régime de type américain. Je dirai qu'entre le régime de type américain et le régime présidentiel qui remplacerait le lieutenant-gouverneur par un président il y a le système français, c'est-à-dire le système de copilotes, où il y a un président ayant certains pouvoirs et un premier ministre.

Donc, pour la clarté de mon exposé, je vais essayer de voir ce qu'est le système américain, quels sont ses avantages et aussi quels sont ses inconvénients. Parce que, dès le début, je tiens à être honnête et à vous dire que je ne suis pas favorable, personnellement, au système de type américain.

Tout de suite, je vous apporte un argument d'autorité, mais je vais essayer ensuite de l'é-tayer par des preuves. Il est assez révélateur de voir que, dans le monde entier, depuis à peu près cinquante ans, aucun pays n'a voulu imiter les Etats-Unis. Tous les nouveaux systèmes politiques qui sont nés s'éloignent du système américain, en général. C'est l'historien américain très célèbre Commager qui faisait remarquer récemment que c'était peut-être humiliant pour les Etats-Unis, mais que personne n'avait vraiment imité leur système politique, ces dernières années. Je pense que les Philippines l'ont imité.

Par ailleurs, tous les nouveaux systèmes politiques qui sont nés sont, soit de type russe — ce qui pose un problème assez spécial, comme vous le savez, à cause de la prédominance du parti — soit des systèmes à responsabilité ministérielle, mais avec certaines modifications comme je souhaiterais qu'il y en ait.

Quelles sont les caractéristiques du système américain? Je pense que les grandes caractéristiques du système américain sont, si on simplifie, l'unité du chef de l'Etat, président élu par un système qui, aux Etats-Unis, est désuet et que tout le monde critique. Deuxièmement, c'est le fait que les ministres ou les membres du cabinet ne sont pas pris dans le corps législatif; troisièmement, ce qui est la différence fondamentale, c'est que la responsabilité ministérielle n'existe pas, c'est-à-dire que l'Exécutif ne peut pas être défait par le pouvoir législatif, et que l'Exécutif est élu à date fixe.

Le premier point est: Y a-t-il avantage à posséder un chef unique de l'Etat? Moi, je crois que, dans l'état actuel des choses, c'est une faiblesse pour un système que le chef de l'Etat soit en même temps le chef politique du parti majoritaire. Comme on le dit d'une façon moqueuse aux Etats-Unis, celui qui déclare la guerre est le même que celui qui lance la première balle lors de l'ouverture des séries mondiales. Je pense que, plus tard, on aura peut-être de l'Etat une idée plus fonctionnelle, mais, pour le moment, les gens ont besoin d'avoir un chef symbolique de l'Etat qui n'a pratiquement pas de pouvoirs, qui ouvre les expositions, qui donne des conseils aux scouts, qui donne des congés dans les collèges, et un chef réel, si vous voulez, qui est le premier ministre. Donc, personnellement, et ce sera peut-être un sujet à discuter plus tard — parce qu'encore une fois je donne mes opinions, mais évidemment j'admet que je me trompe peut-être — Je pense qu'une des premières questions à se poser c'est: dans un système politique, vaut-il mieux avoir deux chefs de l'Etat, le chef symbolique, comme nous l'avons, le lieutenant-gouverneur ou le gouverneur, qui pourrait s'appeler un président ou un premier ministre, ou bien, comme aux Etats-Unis, un chef unique? Donc, c'est le premier problème que cela pose.

Le deuxième problème qui se pose est celui-ci. Je pense que, dans le Québec, c'est important parce que ceux qui souhaitent le régime présidentiel y reviennent souvent. Le cabinet doit-il être formé de personnes puisées, selon la bonne volonté du chef de l'Etat, dans n'importe quel milieu?

Cest un des refrains que vous entendez très souvent; Le système américain permet d'aller chercher le président de telle grande société

pour qu'il puisse être ministre, alors que notre système force à puiser dans le monde politique.

A première vue, ça frappe les gens, mais je crois que le système américain, même dans ce sens-là, n'est pas bon. Cela pose tout le problème de la conception de l'homme politique. Cela a l'air un peu bizarre de le poser devant vous, moi de l'extérieur, mais je pense que l'homme politique moderne est avant tout un généraliste, généraliste intelligent capable de communiquer. Or, je pense que la meilleure façon de former ce généraliste, c'est l'entraînement politique. En d'autres termes, et je ne le dis pas par flagornerie, je crois qu'il est plus difficile d'être un bon homme politique dans notre système de responsabilité ministérielle que dans le système américain. Et je crois qu'il y a eu plus de « nouilles » dans les hommes politiques américains que dans les hommes politiques de type britannique. Par conséquent, je crois que ce n'est pas un avantage aussi considérable que ça de pouvoir aller chercher des membres du cabinet en dehors du milieu politique. Nous verrons qu'il y a peut-être un moyen terme: c'est le système français dont nous parlerons tout à l'heure.

Donc, la deuxième question — vous verrez que dans mon exposé, je vais procéder souvent de cette façon — qu'on doit se poser est peut-être celle-ci: Est-ce qu'il y a avantage à ce que les ministres viennent de milieux étrangers à la politique? On fait remarquer — ç'a été souligné dans un grand magazine américain récemment — que l'avantage du système anglais est de préparer un « shadow cabinet », un cabinet éventuel aussi.

Dans le système britannique et dans le nôtre, un tel peut se préparer pendant des années dans l'Opposition à être ministre des Finances, un autre à être ministre des Terres et Forêts, tandis qu'aux Etats-Unis, c'est toujours de l'improvisation...

M. LEVESQUE (Laurier): Ce n'est pas comme ça du tout que ça se passe.

M. BONENFANT: C'est toujours de l'improvisation. Or, on a fait remarquer que ça prenait à peu près six mois à un membre du cabinet américain pour s'initier. Vous avez vu les débuts de la politique de Nixon; ç'a été un peu lent, mais il commence à être initié.

Donc, c'est le deuxième problème que vous pouvez peut-être vous poser: Est-ce que c'est mieux de puiser les ministres un peu partout ou si c'est mieux de les puiser dans le monde politique? Et je reviens à l'idée qu'il s'agit de savoir ce qu'est un homme politique. Pour moi, c'est un généraliste et c'est peut-être pour ça que, malheureusement, il y a deux professions qui vont toujours triompher dans la politique: les avocats puis les journalistes. Ce sont, à mon sens, les meilleurs généralistes qui puissent exister.

Le troisième — les notaires sont inclus dans les avocats; d'ailleurs, ils pourraient disparaître pour devenir des avocats — ...

M. BERTRAND: Si M. Bellemare était ici, vous auriez une réponse.

M. BONENFANT: Bien, je pense que le cas de M. Bellemare peut s'expliquer de la façon suivante: c'est que son caractère de généraliste, il l'a acquis par la politique, au fond, pendant 25 ans. Je pense qu'il est devenu généraliste.

M. LESAGE: II a toujours regretté de ne pas être avocat.

M. BONENFANT: Si vous voulez souligner le cas de M. Bellemare, je l'ai souvent entendu dire qu'il était bien malheureux de ne pas être avocat.

M. LE PRESIDENT: C'est vrai.

M. PROULX: M. Bonenfant, vous oubliez les professeurs. Il y a douze professeurs brillants parmi nous.

M. BONENFANT: Bien, si vous continuez, vous allez faire entrer tout le monde dans les généralistes. Je pense que toute personne qui abandonne sa profession devient un généraliste, aussi, peut-être. C'est peut-être ça.

Donc, le troisième point dans la constitution américaine qui paraît une supériorité — qui l'est jusqu'à un certain point à mon sens— c'est l'absence de responsabilités, c'est-à-dire le fait que l'exécutif est indépendant du pouvoir législatif. Mais ça, c'est tout à fait spécieux, si on réfléchit un certain temps, on s'aperçoit que ce n'est pas aussi vrai qu'on le pense et on s'aperçoit qu'il y a des inconvénients.

M. LESAGE : Les Etats-Unis, dans le fond, ont appliqué à la lettre la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu.

M. BONENFANT: Ah, bien oui, voici comment le régime est né. C'est peut-être un point qu'il est important de souligner. Lorsqu'on a créé le système américain, à la fin du XVIIIe siècle, on a cru qu'on imitait le système anglais et, il était surtout, inspiré par Montesquieu. On a

voulu réaliser la séparation des pouvoirs qui n'existe plus, vous le savez mieux que moi, dans notre système. On sait ça.

Donc, premièrement, les membres du cabinet doivent voir leur nomination approuvée par le Sénat. Vous savez qu'un président ne choisira pas quelqu'un que le Sénat a dans le nez! il est des présidents qui ont eu des difficultés.

Le deuxième inconvénient du système — à mon sens, il est très important et ]e crois qu'avant d'adopter le système américain dans le Québec, on devrait y penser — c'est le fait que l'exécutif, aux Etats-Unis, est souvent impuissant. C'est une chose qu'on oublie très souvent. On a l'impression d'un président qui est extrêmement puissant. C'est vrai, il l'est en politique extérieure. Mais, en politique intérieure, c'est un homme qui, souvent, est très paralysé. D'abord, il est paralysé lorsque le parti adverse contrôle la Chambre basse et le Sénat. Et c'est arrivé assez souvent dans l'histoire. J'ouvrirai une parenthèse pour dire que si on appliquait le système dans le Québec, avec notre carte électorale, c'est ce que vous auriez à l'heure actuelle. Vous le savez. Et, deuxièmement, il est même paralysé lorsque ses amis contrôlent le pouvoir législatif. Cela a été souligné par les gens de sciences politiques. Les premiers mois de Kennedy n'ont vu aucune loi importante adoptée. Kennedy se trouvait incapable de faire adopter ses lois. Encore aujourd'hui, ces dernières années, le président peut souhaiter la meilleure loi possible. Elle revient diminuée des Chambres. Nous en avons eu un bel exemple: le bill des Droits Civiques.

Je crois que le fait que l'exécutif ne contrôle pas le législatif — car dans la responsabilité ministérielle, il y a un double contrôle — c'est une faiblesse du système américain. Et Je pense que si on adoptait un tel système, ici, dans le Québec, loin d'avoir de l'efficacité, cela paralyserait, au point de vue législatif, le fonctionnement du Québec, quelle que soit l'option politique du Québec, parce que je crois que le problème reste le même dans toutes les options politiques.

Donc, vous voyez que le système américain, à mon sens, ne possède pas tous les avantages qu'on imagine à première vue. Il y a cependant un point qui, à mon sens, est important. C'est que le système américain, avec des élections à date fixe, avec l'absence de ce que j'appellerais le petit jeu, si vous voulez, de la responsabilité ministérielle, semble plus sérieux. Aux Etats-Unis on ne se demande pas: Est-ce que le premier ministre va annoncer des élections? Est-ce qu'il va y avoir des élections cet automne? On ne se demande pas: Est-ce que le gou- vernement va être défait? Je crois que c'est une supériorité du régime américain.

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'on se le demande au Québec?

M. BONENFANT: Je suis un observateur de l'extérieur, que voulez-vous? Mais, précisément, je crois qu'une responsabilité ministérielle modifiée, c'est-à-dire une responsabilité qui ne jouerait que dans quelques occasions qui seraient établies par des textes constitutionnels, une responsabilité ministérielle qui n'empêcherait pas d'établir des élections à date fixe, mais avec une dissolution possible à la demande de la majorité législative. En d'autres termes, nous pouvons garder notre système, mais faire disparaître cette question peut-être un peu ridicule, si vous voulez, du jeu qui était un sport, autrefois. Quand la politique était un sport, c'était amusant, pour le premier ministre, de cacher la date des élections, ce qui permettait au parti au pouvoir de louer les salles avant, etc., etc.

Je pense que cet argument, qui est en faveur des Américains, peut être corrigé. Donc, vous voyez qu'avant d'adopter le système américain que je viens d'esquisser, je crois qu'il faudrait y réfléchir.

II y a troisièmement le système français. Je dis le système français, ce pourrait être le système italien, jusqu'à un certain point. Ce peut être le système, Je dirais, de tous ces pays qui ont adopté la responsabilité ministérielle, avec certaines modifications. Quelles sont les caractéristiques du système français? Je pense que les plus importantes, qui mériteraient qu'on les discute, sont les suivantes: Premièrement, c'est la dualité — une dualité assez spéciale — des chefs de l'Etat.

En France, comme vous le savez, le président a des pouvoirs et le premier ministre en a. C'est ce que les professeurs de sciences politiques appellent les copilotes. Je pense que le système français, à ce point de vue, a des inconvénients considérables. Le président en arrive, surtout lorsqu'il a une forte personnalité — et l'histoire n'est pas loin pour le montrer — à écraser le premier ministre et à en faire un fantoche.

Même dans les événements récents, malgré tout — on le voit dans la dévaluation du franc — on s'aperçoit que c'est le président qui a eu l'influence et que le premier ministre a joué peut-être un rôle assez effacé. A l'époque du général, inutile de vous souligner que le premier ministre n'avait pas une importance considérable.

Par conséquent, cette dualité française mériterait d'être discutée avant qu'on l'accepte. Moi, je crois que le chef théorique de l'Etat doit avoir quelques pouvoirs, plus que notre lieutenant-gouverneur. Cependant, il ne doit pas, à mon sens, avoir les pouvoirs du président de la France. Donc, c'est un des premiers points.

Le deuxième point, qui est peut-être le plus important — je crois que pour les députés, c'est un point important — c'est le fait qu'en France les ministres cessent d'être députés. En d'autres termes — comme le dit la constitution — il y a incompatibilité en France entre le fait d'appartenir au cabinet et le fait d'être député — et le fait de pratiquer une profession. Cest assez amusant parce qu' il y a une incompatibilité qui n'existe pas en France: on peut être maire, on peut être membre d'un conseil général, tout en étant ministre. C'est pour ça que les professeurs de sciences politiques font remarquer que la constitution française n'est pas logique. On dit: Quand vous serez ministre, vous cesserez d'être député, mais on lui permet de rester maire. Par exemple, M. Chaban-Delmas est encore maire de Bordeaux. On lui permet de rester conseiller général, en d'autres termes, de garder des tâches qui sont celles où s'accomplit peut-être le plus de petite politique.

Par conséquent, on sent que c'est dans la nature des choses que celui qui est ministre continue à être en contact avec l'électorat, si vous voulez.

M. PROULX: Est-ce que les ministres sont pris dans la députation, en France?

M. BONENFANT: On peut les prendre à n'importe quel endroit. A ce point de vue là, la réponse est: En Belgique, en Italie, en France, on peut les prendre en dehors de la députation, mais, si on les prend dans la députation en France, ils sont obligés de démissionner et sont remplacés par leur suppléant. C'est assez amusant parce qu'en France, aux élections, on élit le député mais on élit en même temps un suppléant. Le suppléant est là, lui, pour remplacer le député lorsqu'il devient ministre. Il vient de se passer quelque chose d'assez amusant, d'ailleurs, auquel a été mêlé notre ancien ambassadeur, M. Bousquet M. Bousquet était le suppléant de M. Couve de Murville. M. Couve de Murville, cessant d'être ministre, n'est plus député. Il aurait aimé que M. Bousquet démissionne comme suppléant pour que lui puisse se représenter comme député. M. Bousquet a dit: Non, je reste.

M. PROULX: II est têtu, comme le nôtre.

M. BONENFANT: Par conséquent, je crois qu' il y a avantage à ce que les ministres soient députés. Il y a des pays, en Australie et en Allemagne par exemple, où c'est la constitution qui dit que le ministre doit être député.

Evidemment, il y a un argument qui dit que les ministres se trouvent ainsi à avoir trois tâches à accomplir: celle de directeur d'une section de l'administration, celle de membre du cabinet et celle de représentant d'une circonscription.

Je crois qu'une meilleure organisation du pouvoir exécutif, une meilleure organisation du pouvoir législatif, l'utilisation réelle des assistants parlementaires feraient disparaître une foule de ces inconvénients. C'est peut-être un point extrêmement important sur lequel on peut discuter: Est-ce qu'un ministre doit être député? En France, à l'heure actuelle, il y a une forte campagne pour revenir à l'ancien système. Il y a, en particulier, un sénateur, qui est en même temps professeur de sciences politiques, M. Marcel Préleau, qui a fait une grande campagne pour revenir à l'ancien système du ministre-député. Il a fait une remarque qui était peut-être un peu cruelle. Il a remarqué, et il a donné des preuves, que le ministre qui a cessé d'être député pour être ministre continue quand même à s'occuper — vous me permettrez d'utiliser le mot — à s'occuper du « patronage » dans sa circonscription. Il sent qu'il a besoin de surveiller les nominations dans les bureaux de tabac. Il sent qu'il a besoin d'une assise populaire, si vous voulez. C'est une chose qui m'a considérablement frappé.

Donc, en résumé, c'est très schématique, mais je pense que lorsque nous parlons de régime présidentiel, il faut avoir trois choses à l'esprit, qui sont différentes. D'abord, remplacer le lieutenant-gouverneur par un président. Je pense bien que je suis d'accord là-dessus. J'ai toujours été contre la monarchie. Je trouve ridicule que ce soient simplement des rapports sexuels qui donnent un titre politique. Deux-xiêmement, le système américain, je trouve qu'il ne serait pas profitable à notre province. Troisièmement, le système français a peut-être deux aspects intéressants: d'abord, le fait que le président a plus de pouvoirs — je crois que c'est intéressant à étudier — et, deuxièmement, le fait que les ministres ne sont pas députés, qu'ils cessent d'être députés et sont remplacés par leur suppléant. C'est un exposé qui est peut-être schématique, mais je suis à votre disposition pour plus de précisions.

M. CHOQUETTE: M. Bonenfant, je voudrais vous poser une question. A l'intérieur du sys-

tème français, pouvez-vous nous expliquer comment joue le système de la responsabilité ministérielle?

M. BONENFANT: D'une façon schématique, si vous voulez, c'est que, d'abord, fondamentalement, elle existe encore, c'est-à-dire que le pouvoir exécutif est soumis au contrôle du pouvoir législatif. Ce qui veut dire qu'on a le droit d'interroger l'exécutif, qui est censé répondre, et, deuxièmement, qu'un cabinet peut être mis en minorité à la Chambre basse.

Depuis la constitution de 1958 et à cause de la prépondérance du parti gaulliste, il est évident que les occasions ont manqué pour mettre en minorité un gouvernement. Cependant, théoriquement, ce qui arrive, c'est — je n'ai pas la constitution française devant moi, mais j'explique de mémoire — que la mise en question de la responsabilité ministérielle est limitée à certaines occasions et en vertu de procédures précises. Par ailleurs, au cours d'une session, elle ne peut en réalité se poser qu'à quelques reprises.

A ce sujet-là, une proposition a été faite au Parlement canadien par un député. Vous savez qu'à Ottawa il y a beaucoup de projets de loi qui sont présentés par de simples députés, mais qui restent en panne. Un député a donc proposé tout un système que j'ai trouvé, moi, très intéressant. C'est que, par exemple, une fois le gouvernement élu, il faudrait qu'il se présente au moins une fois devant le Parlement et là la question de la responsabilité serait posée. Pendant la session, on ne permettrait qu'à deux ou trois reprises de la poser. Ensuite, on permettrait tout de même au gouvernement de la poser et, troisièmement, on aurait des élections à date fixe. Enfin, on permettrait la dissolution lorsque la majorité de la Chambre le demanderait.

Je pense que ce qui vaudrait la peine d'être étudié, c'est la façon de conserver les avantages de la responsabilité ministérielle sans en subir les inconvénients? Du moins les inconvénients considérables. Parce qu'il y a un autre avantage de la responsabilité ministérielle — je pense bien que vous l'admettrez tous — c'est de maintenir l'ordre à l'intérieur d'un parti politique. Je pense que les partis politiques étant nécessaires, il n'y a pas d'autre solution.

Si vous ne donnez pas le pouvoir de dissolution, vous avez la débandade dans un parti politique. Aux Etats-Unis, pourquoi les partis politiques n'existent-ils véritablement qu'en temps d'élections? C'est parce que précisément le président n'a pas cette férule de la dissolution.

Donc, en France — je rappelle de mémoire — la responsabilité ministérielle ne joue pas, com- me chez nous, au petit hasard. Notre erreur à nous, c'est qu'elle joue en vertu de conventions. Vous savez qu'il n'y a aucun texte de loi; ce sont des conventions. Une convention, c'est toujours dangereux. Comme l'a dit un humoriste anglais, « ce n'est jamais violé, parce que le fait de la violer prouve que cela n'existe pas. »

M. CHOQUETTE: En somme, M. Bonenfant, dans le système français, que se produit-il si le gouvernement est défait sur un projet?

M. BONENFANT: II n'est pas obligé, dans toutes les circonstances, de démissionner, mais, dans certains cas, le président peut ordonner la dissolution.

M. CHOQUETTE: Ah, oui, je comprends.

M. BONENFANT: Cependant, il ne peut pas toujours l'ordonner. Par exemple, je ne me rappelle pas le délai d'une façon précise, mais, si des élections ont déjà eu lieu il y a je crois moins d'un an, il ne pourra pas les ordonner parce que la dissolution se fera automatiquement.

M. LESAGE: M. Bonenfant... M. BONENFANT: Oui.

M. LESAGE: ... vous avez dit,toutà l'heure, que, dans le régime de responsabilité ministérielle auquel vous songiez — un régime de responsabilité ministérielle modifié — le chef de l'Etat, dont vous parliez et qui aurait plutôt un caractère symbolique, pour éviter la dualité, devrait quand même avoir certains pouvoirs. Pourriez-vous nous dire à quels pouvoirs vous pensez, par exemple?

M. BONENFANT: Cest un sujet qui m'intéresse beaucoup. Je crois qu'on devrait lui donner les pouvoirs suivants, et je vais m'expliquer d'abord d'une façon très générale. Premièrement, on devrait lui donner le pouvoir d'empêcher le premier ministre et son gouvernement de violer un principe important de droit constitutionnel. Je vais, tout à l'heure, donner un exemple concret que nous avons peut-être failli vivre il y a quelques années.

Deuxièmement, cependant, moi, Je ferais ce qu'on a fait en Irlande du Sud et non en Irlande du Nord: j'accompagnerais le chef de l'Etat d'un conseil constitutionnel formé de juges en chef et de certains professeurs de droit. Le chef de l'Etat ne pourrait prendre ces décisions-là qu'après avoir consulté son conseil constitutionnel. Qu'est-ce que j'entends par principes de droit

constitutionnel importants? Bien, j'entendrais, premièrement, ceux qui seraient énoncés dans la constitution. Mais, en l'absence de constitution, je vais vous donner un exemple qui aurait pu être vécu il y a deux ans. Vous vous rappelez peut-être qu'après les élections de 1966 il a été question — remarquez bien que c'était peut-être une fausse rumeur, mais le problème s'est posé et à ce moment-là j'ai été consulté — de savoir si M. Johnson, qui venait d'être élu, aurait pu ordonner la dissolution des Chambres sans se présenter devant le Parlement.

Si, par exemple, M. Johnson s'était présenté devant M. Lapointe et lui avait dit: Je demande des élections, quelle aurait été l'attitude constitutionnelle de M. Lapointe? Remarquez bien qu'il aurait pu accorder des élections ou les refuser; ce sont des conventions et on ne sait pas ce qui aurait été vrai. Mais, je pense que cela vaudrait la peine de dire, par exemple — c'est un principe, c'est un exemple que je donne— que tout gouvernement, après les élections, doit forcément se présenter devant la Chambre pour que joue, si nécessaire, le principe de la responsabilité. Eh bien, je crois que si un premier ministre ne faisait pas cela, le chef de l'Etat, devrait avoir les pouvoirs, après consultation d'un conseil constitutionnel, de l'empêcher de violer un principe important de droit constitutionnel. Est-ce que cela vous donne une bonne idée?

M. LESAGE: Oui. C'est un exemple sur ce point-là. Avez-vous d'autres exemples, là, où il y a d'autres pouvoirs?

M. BONENFANT: Je pense que précisément dans la rédaction d'une constitution on devrait se demander quels sont les points sur lesquels le chef théorique de l'Etat — et j'insiste — accompagné d'un conseil constitutionnel, devrait avoir juridiction. Je n'ai pas étudié le détail. L'exemple qui me vient à l'esprit est la violation d'un principe important de droit constitutionnel. Celui que j'avais à l'esprit, qui est hypothétique et c'est pour cela que je l'ai choisi...

M. LESAGE: Oui.

M. BONENFANT: ... c'est ce qui aurait pu se passer après les élections de 1966.

M. LEVESQUE (Laurier): En fait, ce que vous proposez, c'est plutôt un système parlementaire avec un président.

M. BONENFANT: Oui. L'exemple que...

M. LEVESQUE (Laurier): Ce n'est pas un système présidentiel?

M. BONENFANT: Oh non, non.

M. LEVESQUE (Laurier): D'accord.

M. BONENFANT: Je reviens à ma distinction de tout à l'heure. Il y a le président qui est un « dummy » jusqu'à un certain point, si vous voulez, un idole de bois, comme disait Bernard Shaw. Deuxièmement, vous avez un président, comme en France, qui est un copilote. Troisièmement, vous avez le système américain où c'est le chef de l'Etat. Je pense que ce sont les trois options possibles. Cest à l'intêrieur de cela qu'il faut se décider. En somme. Qu'on donne un peu plus de pouvoirs ou un peu moins, là, cela devient une question de dosage, je dirais.

On a dans le monde l'exemple de l'Inde, l'exemple de l'Irlande, l'exemple de l'Allemagne et l'exemple de l'Italie, où il y a un peu plus de pouvoirs.

M. PROULX: L'Espagne?

M. BONENFANT: L'Espagne, c'est tout à fait différent. L'Espagne et le Portugal, j'aime autant ne pas en parler.

M. LEVESQUE (Laurier): Si vous permettez, tout ce que vous décrivez là, ce sont des systèmes qui ne sont pas des systèmes présidentiels. Je veux dire...

M. BONENFANT: Non, non...

M. LEVESQUE (Laurier): ... que peu importe qu'il y ait un président, on peut le nommer comme on veut. Mais c'est un lieutenant-gouverneur avec un petit peu plus de pouvoirs, surtout dans le domaine de... Enfin, à partir de là, s'il a des pouvoirs, qu'est-ce qu'on lui donne?

M. BONENFANT: Je dirai que le seul système présidentiel est le système américain.

M. LEVESQUE (Laurier): Bien, c'est ça.

M. BONENFANT: Il y a peut-être un autre exemple, c'est celui de la Suisse, mais il faut faire attention. La Suisse, dans tous les domaines, il ne faut jamais l'invoquer parce que c'est un cas particulier. En Suisse, vous avez un cabinet nommé par les Chambres; qui n'est pas soumis à la responsabilité ministérielle mais par ailleurs, avec un remplacement chaque année, pratiquement. Donc, le système suisse, qui

fait l'admiration de beaucoup de gens, je pense qu'il fonctionne parce que c'est la Suisse. Le fédéralisme suisse, on dit qu'il fonctionne bien, mais il ne fonctionnerait pas ailleurs. C'est tout. Je crois que le cas de la Suisse est un cas tout à fait spécial au point de vue historique.

M. PROULX: M. Bonenfant, les politicolo-gues français ont toujours critiqué la Ve République. Ils accusaient de Gaulle de s'être fait une constitution £ sa grandeur et à sa taille. Quels sont les reproches majeurs qu'on fait à cette constitution?

M. BONENFANT: Je crois que le premier reproche que l'on peut faire à la constitution française...

M. PROULX: Au point de vue présidentiel.

M. BONENFANT: ... c'est de créer ce que J'appellerais — c'est Duverger qui a utilisé l'expression — le système de copilote. C'est que dans le système français, vous avez un président qui a des pouvoirs — et Dieu sait s'il en a — et il y a un article de la constitution, l'article 16, qui lui permet d'intervenir rigoureusement, et vous avez un premier ministre.

Or, si le président est prestigieux — c'est arrivé, vous le savez, dans l'histoire — s'il est intelligent — ça vient d'arriver dans le cas de la dévaluation du franc — et, surtout, s'il a de l'influence dans certains domaines, le premier ministre a une situation un peu effacée. J'admets que le critère des chansonniers n'est peut-être pas un critère infaillible en politique, mais Dieu sait les moqueries qu'on a pu entendre sur Couve de Murville, précisément, qui a été beaucoup plus prestigieux comme ministre des Affaires extérieures que comme premier ministre. C'est parce qu'il était écrasé par le président.

Je crois que c'est la dualité du système qui est dangereuse.

M. PROULX: Les critiques n'étaient pas réellement fondées au point de vue constitutionnel; elles étaient fondées parce que le président avait une personnalité imposante. Demandez-le aux Français. On reproche strictement 2 cette constitution d'avoir créé un poste à la taille de de Gaulle.

M. BONENFANT: A la taille de de Gaulle. Mais, faites attention, il semble bien que depuis que Pompidou est là, vous avez le même phénomène! Pour la dévaluation du franc, il semble bien que la décision a surtout été prise par le président. Et on dit que c'est le président qui a imposé ses vues au premier ministre.

M. PROULX: C'est donc dire que toutes ces critiques n'étaient pas nécessairement fondées.

M. BONENFANT: Oui, mais ça...

M. PROULX: On disait: Après de Gaulle, qu'arrivera-t-il, qu'arrivera-t-il?

M. BONENFANT: Je pense qu'un système où il y a une dualité est assez dangereux parce que, en définitive, il faut tout de même aboutir à quelqu'un qui décide. Il y en a un qui sera toujours effacé par l'autre. Oui?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Avant 1958, en France, quels étalent exactement les pouvoirs du président?

M. BONENFANT: Ils étaient nuls. Ses pouvoirs étaient nuls. Le président était une sorte d'arbitre. Il portait le pantalon rayé pour ouvrir les expositions de peinture, les expositions de jonquilles. Je dirais que ses pouvoirs étaient à peu près analogues, ou, peut-être un peu supérieurs à ceux de notre gouverneur-général ou de notre lieutenant-gouverneur.

C'est que, précisément, on avait en France, un système où le premier ministre était roi. Mais attentionl Les malheurs du système français, l'instabilité française n'était pas due nécessairement à ça. Elle était due à d'autres phénomènes. Si on invoque l'instabilité, ici, comme raison de changer de régime, je crois que cet argument ne vaut pas. L'instabilité, dans l'histoire du Québec, n'a guère existé. Au contraire, on a eu des gouvernements plutôt stables.

M. LEVESQUE (Laurier): Qu'est-ce que ça va changer?

M. BONENFANT: Précisément, M. Lévesque, je pense que la correction ne doit pas venir de là. La correction doit venir d'une carte électorale plus équitable et, deuxièmement, je crois, d'une loi électorale différente qui serait la loi allemande permettant le double vote, c'est-à-dire le vote pour la circonscription et le vote pour le parti politique, ce qui permettrait d'ajouter les votes obtenus pour la liste politique aux votes obtenus dans les circonscriptions.

Le système allemand avait d'ailleurs été expliqué par M. Boily au congrès de la Fédération libérale, il y a trois ou quatre ans.

Je pense que les malheurs que vous redoutez de l'existence d'un troisième parti ne sont pas dus à ce système-là. L'instabilité qui pourrait résulter d'un troisième parti dans le Québec peut être corrigée autrement.

M. LEVESQUE (Laurier): Je vous ferais remarquer que le mot malheur est de vous, pas de moi.

M. BONENFANT: Je l'ai dit avec un sourire.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Bonenfant, vous avez parlé tout à l'heure de pouvoirs accrus au lieutenant-gouverneur ici, enfin, à un président, appelons-le comme on voudra.

A supposer qu'on se débarrasse de cette exigence de la constitution actuelle qui fait qu'on ne puisse pas toucher à cette idole du lieutenant-gouverneur, quel serait, à votre avis, le mode de nomination, du choix de ce lieutenant-gouverneur ou de ce président?

M. BONENFANT: Il y a deux options possibles. Il y a deux modes d'élection, peut-être un troisième. Mais vous allez voir que le troisième entre dans le deuxième.

Premièrement, le premier mode, c'est l'élection populaire. Il faudrait faire bien attention que l'élection populaire ne se réalise pas dans les circonstances actuelles, parce que je pense que vous auriez le risque d'avoir un chef de l'Etat qui pourrait différer du pouvoir législatif. Et même s'il n'a pas beaucoup de pouvoirs, cela créerait des embêtements. C'est le premier système, c'est le système de vote populaire, comme en France, je ne dirai pas comme aux Etats-Unis, parce que le collège électoral déforme les choses, aux Etats-Unis.

Deuxièmement, c'est le système qui existe en Inde, qui va être utilisé dans une semaine en Inde, qui vient d'être utilisé en Allemagne. C'est l'élection du président par un ensemble de corps législatifs. Par exemple, en Inde, vont élire le président les membres de la Chambre basse, les membres du Sénat et les membres des législatures locales. Par exemple, si vous transposez cela dans le Québec, — ce n'est que de l'hypothèse — on pourrait concevoir un chef théorique de l'Etat qui serait élu par les députés, par les maires des grandes villes, par une sorte de collège électoral, et les préfets.

M. LESAGE: Parce qu'il ne faudrait pas oublier la partie rurale, a on dit les maires des grandes villes il faudrait dire aussi les préfets.

M. BONENFANT: II y a un troisième aspect aussi, ce serait de le faire élire par le corps électoral. Mais là, je voudrais parler d'une chose dont je n'ai pas parlé encore. Je pense qu'un jour vous allez être obligés —vous allez rire de moi, peut-être — vous allez être obligés de faire ressusciter la Chambre haute. En d'autres termes, je crois que nous avons besoin d'une Chambre haute élective, mais élective pour les régions. Et je pense que cela permettrait de faire à la Chambre basse une carte électorale qui serait plus équitable, et de représenter à la Chambre haute les régions avec la représentation proportionnelle, comme en Australie. C'est une de mes marottes, qu'on pourrait ressusciter la Chambre haute, mais une Chambre haute qui aurait du prestige, pas comme l'ancienne. A ce moment-là, je verrais très bien le président élu par cet ensemble que formeraient la Chambre haute et la Chambre basse. Vu qu'il n'aura pas de pouvoirs, ce serait aussi bien de simplifier les mécanismes d'élection pour que cela ne coûte pas cher et que cela ne prenne pas de temps. Parce qu'il ne faut pas perdre de temps autour d'un être qui n'a pas de pouvoirs, après tout.

M. LESAGE : M. Bonenfant, tout à l'heure vous parliez du système allemand où il y a un député d'élu pour chaque circonscription. Et, en plus, il y a des députés qui siègent parce qu'ils sont le choix du parti politique, à partir de sa liste.

M. BONENFANT: Oui.

M. LESAGE: Je voudrais savoir quelle est votre opinion là-dessus. Au lieu de ce deuxième groupe de députés, et pour remplacer une deuxième Chambre, ne pourrait-on pas avoir un système allemand modifié comme suit: Des députés élus pour les circonscriptions électorales, dont le nombre pourrait être réduit, et des députés élus par régions?

M. BONENFANT: Je pense que vous reposez un autre problème. Tout à l'heure, j'ai répondu à M. Lévesque que j'étais en faveur du système allemand. C'est pour éviter ce que M. Lévesque peut redouter, c'est-à-dire qu'il n'y ait pas coincidence entre le résultat électoral global et le résultat parlementaire. C'est d'ailleurs la situation que vous avez à l'heure actuelle. Le système allemand a été inventé afin de permettre — et cela arrive très souvent, permettez à un humble électeur de le dire — quand on vote, on peut le souhaiter, de voter pour un candidat. Par exemple, dans ma circonscription, — j'appartiens à votre circonscription, je ne dirai pas comment je vote —je peux souhaiter voter pour vous ou votre adversaire. Par ailleurs, je peux souhaiter voter pour le parti de M. Lévesque. Or, le système

allemand permet à la personne de voter deux fois. Elle vote, premièrement, pour son député, et, deuxièmement, elle vote pour le parti. Ce qui permet de pondérer le résultat semblable au nôtre, si vous voulez.

Les calculs ont été faits en Allemagne, cela permet de faire coihcider, jusqu'à un certain point, la majorité parlementaire et la majorité globale, générale. C'est pour cela que le système allemand est utilisé. Vous, vous dites: Ne serions-nous pas mieux d'avoir un autre système, où il y aurait des députés élus, comme aujourd'hui, et d'autres élus par des régions? A ce moment-là, vous ne corrigerez pas le défaut de la différence entre la majorité parlementaire et la majorité globale.

M. LESAGE: Le vote populaire.

M. BONENFANT: Le vote populaire. Une chambre régionale... De plus en plus on s'aperçoit que le Québec, au point de vue administratif, à tous les points de vue, devient un ensemble de régions. Au fond c'est assez amusant. On retrouve le problème de M. de Gaulle, le problème du sénat et le problème des régions.

M. CHOQUETTE: Le gouvernement est tombé sur cette question-là.

M. BONENFANT: En France, oui. Mais je crois que ce que proposait le système français était mauvais tel qu'il était proposé, et surtout je pense — ce sont mes idées — que le président n'a pas procédé de la bonne façon. Mais je crois que dans le Québec — c'est peut-être un sujet d'à-côté — il y aurait avantage à avoir une représentation régionale. Et ce qui serait très amusant, c'est que dans cette représentation régionale — c'était une idée de M. Lauren-deau — on pourrait avoir la représentation proportionnelle parce que la responsabilité ministérielle ne jouerait pas à ce niveau-là.

Après tout, ce qui est important pour la démocratie, c'est de représenter tout l'éventail des opinions. C'est pour ça que des systèmes qui se complètent sont très utiles.

M. CHOQUETTE: M. Bonenfant, me permettez-vous de revenir un peu en arrière? Vous avez parlé au début de votre exposé du principe de la responsabilité ministérielle. J'ai l'impression que c'est ce qui fait l'essentiel de la différence entre le système parlementaire tel que nous l'avons et le système présidentiel américain dans sa pureté. On a des systèmes intermédiaires, comme le système français, comme on pourrait avoir un système parlementaire de type britannique comme nous le pratiquons ici au Québec avec une responsabilité ministérielle mitigée parce que nous vivons — tout le monde va l'admettre — ici au Québec et au gouvernement canadien à Ottawa, dans un système où le principe de la responsabilité ministérielle est appliqué de façon draconienne puisque aussitôt qu'une mesure gouvernementale est défaite, cela entraîne tout de suite la chute du gouvernement.

La contrepartie évidemment de ce système, c'est l'alignement systématique des partis ministériel et d'Opposition l'un contre l'autre à la Chambre, n'est-ce pas? Vous avez semblé indiquer tout à l'heure, M. Bonenfant, que vous seriez partisan de mitiger en quelque sorte ce principe de la responsabilité ministérielle qui a un effet assez déplorable, à mon avis, sur la vie parlementaire.

M. BONENFANT: Très bien, je suis de votre avis.

M. CHOQUETTE: Dans quel sens verriez-vous que nous puissions prendre le système que nous avons et mitiger ou diminuer l'importance de cette responsabilité ministérielle de façon à ne pas créer ce climat?

M. BONENFANT: Ma première réponse serait la suivante: Ce serait d'abord de le dire dans des textes. Comme vous le savez, à l'heure actuelle la responsabilité ministérielle n'est basée que sur des conventions constitutionnelles. Or, une convention, on peut toujours la violer. On ne peut pas aller devant un tribunal pour la plaider, et je pense que cela a pu fonctionner dans le système anglais. Mais pour nous qui sommes peut-être un peu plus, j'oserais dire cartésiens, ça ne nous satisfait pas toujours.

Donc, le premier point, la première réponse à votre question est que j'établirais, dans des textes qui feraient partie de la constitution fondamentale, les circonstances dans lesquelles la responsabilité doit jouer. En d'autres termes, pour prendre un exemple d'Ottawa, ce qui s'est passé il y a deux ans quand le gouvernement a été défait, vous aviez dans tous les bureaux de tabac des gens qui disaient: C'est constitutionnel, ce n'est pas constitutionnel. Cela en est devenu ridicule.

Donc, le premier point, je dirais dans quelles circonstances cela doit jouer, selon moi. Je pense que, premièrement, à la suite d'une élection générale il faudrait toujours que ça joue une fois. Aucun doute. Maintenant à l'intérieur d'une session, je permettrais que ça joue un certain

nombre de fois mais que je limiterais les occasions afin de ne pas perdre de temps a des petits jeux, si vous voulez, de cache-cache, savoir si un député est malade, si on va être capable d'en repêcher un autre, etc. Vous savez ce qui s'est passé dans notre histoire du Québec, au début surtout. A l'époque où il y avait des auberges autour du Québec, les députés s'éloignaient. On a prolongé des débats pendant huit heures pour tacher de faire revenir les gens et les faire voter. A Ottawa, M. King a déjà fait sonner les cloches durant quatre heures et demie pour avoir un vote.

Donc, je ferais disparaître tout cet aspect ridicule, si vous voulez, et je limiterais le nombre de fois où la responsabilité peut se poser d'une façon générale.

Un autre point, c'est qu'elle se poserait à chaque fois que le gouvernement consentirait à la poser. En d'autres termes, cela ne deviendrait pas un petit jeu de l'Opposition.

M. CHOQUETTE: C'est-à-dire à chaque fois que le gouvernement mettrait sa tête en jeu sur une mesure.

M. BONENFANT: Le gouvernement dirait: Messieurs, si la mesure est repoussée, je regrette, c'est comme si nous étions défaits. Je pense que pour la discipline du parti — évidemment les gens critiquent les partis politiques mais je crois que c'est encore le meilleur système — le premier ministre doit avoir la discrétion, le pouvoir de dire: Je regrette, messieurs, mais la responsabilité joue et vous vous exposez à avoir des élections si vous ne votez pas. Cela répond-il à votre question?

M. CHOQUETTE: Oui, cela répond très bien à ma question. Il y a le budget évidemment qu'on pourrait inclure... Il y a un certain nombre de mesures fondamentales...

M. BONENFANT: Ecoutez, il n'y a pas un gouvernement qui oserait dire que le budget n'est pas une question fondamentale.

M. CHOQUETTE: Oui, c'est ça. M. BONENFANT: Cela va de soi.

M. LESAGE: M. Bonenfant, une clarification au sujet du système allemand.

M. BONENFANT: Oui.

M. LESAGE: N'y a-t-il pas de danger, dans ce système, que les députés élus pour chaque circonscription jouent, en définitive, un rôle secondaire, parce que les têtes d'affiche du parti seraient sur la liste politique?

M. BONENFANT: J'ai pensé ça...

M. LESAGE: N'est-il pas dangereux qu'à cause d'un manque de motivation on manque de bons candidats dans les circonscriptions?

M. BONENFANT: J'ai pensé ça et, d'après ce que j'ai lu, une fois qu'ils sont élus, on oublie leur origine. Il faut dire qu'il semble... écoutez, là...

M. LESAGE: Oui, mais les têtes d'affiche, le danger, c'est qu'ils ne les oublient pas.

M. BONENF ANT: ... la tête d'affiche aimera peut-être mieux se présenter dans une circonscription. C'est peut-être plus glorieux de se faire élire dans une circonscription que de se faire élire parce qu'on a été désigné par le parti sur une liste. Je ne connais pas suffisamment la réalité politique allemande pour le dire. Ce qui frappe, c'est...

M. LESAGE: Je pense à la réalité politique québécoise.

M. BONENFANT: Faites attention. Moi, j'ai l'impression...

M. LESAGE: Je fais bien attention; je pose des questions.

M. BONENFANT: Moi, je pense que la liaison, surtout pour le député de ville, du député avec sa circonscription — c'est épouvantable de parler dans le temple comme ça; mol, je ne suis pas un député — va avoir tendance à s'amenuiser un peu. Le patronage va disparaître un peu.

M. LESAGE: La tendance est commencée depuis longtemps.

M. BONENFANT: Montréal et Québec, c'est une bonne partie de la province; c'est plus de la moitié de la province à l'heure actuelle. Je ne sais pas, mais j'ai l'impression que, quelle que soit la forme de recrutement, une fois rendu au Parlement, le député va valoir selon ses qualités propres et non pas selon sa provenance.

M. LAPORTE: M. Bonenfant, dans notre système parlementaire, on peut manifestement être ministre sans être député.

M. BONENFANT: Oui, mais là...

M. LAPORTE: Je voudrais que vous nous expliquiez pendant combien de temps, constltution-nellement, cela peut durer. Est-ce qu'il y a des limites?

M. BONENFANT: Je sais que vous avez posé le problème en Chambre. Voici ce que je crois, voici l'opinion que j'ai souvent donnée. Premièrement, ce n'est basé que sur une convention, c'est bien entendu, alors qu'en Australie, avec raison, il y a quelques années, on a adopté un texte de loi exigeant que, dans les six mois, le ministre devienne député ou membre du Sénat. Ici, moi, je crois que la vraie doctrine constitutionnelle est la suivante — du moins, c'est ce que j'enseigne — une fois membre du cabinet, le ministre doit, dans un délai raisonnable, se présenter devant le peuple. Vous allez me dire: Qu'est-ce que c'est que le délai raisonnable? Je pense qu'on ne doit pas dépasser trois ou quatre mois.

M. LAPORTE: Si on le dépasse?

M. BONENFANT: Il n'y a aucune sanction. Vous pouvez l'attaquer politiquement, mais il n'y a aucune sanction. C'est pour ça qu'à mon sens, si on garde le système actuel, ce serait quelque chose à mettre dans la constitution. On devrait dire dans la constitution: Celui qui entre dans le cabinet doit, dans un délai de tant... Le général MacNaughton a été ministre de la Guerre — c'était tout de même un poste important pendant la guerre — pendant près de dix mois sans être député. Il s'est fait battre.

M. LAPORTE: Il a démissionné.

M. BONENFANT: II a démissionné. Mais vous ne pouvez rien faire, sinon le maudire et l'attaquer, si vous êtes dans l'Opposition.

M. LAPORTE: Quel rapprochement constitutionnel faites-vous avec le cas du conseiller législatif, lorsque la Chambre haute existait, qui était ministre d'Etat pendant un, deux, trois ou quatre ans? Il participait, en somme, à la responsabilité du gouvernement, sans être jamais élu.

M. BONENFANT: Le point est assez bien connu. Autrefois, on pouvait, au Canada, être membre de la Chambre haute et être premier ministre à Ottawa. Vous avez eu deux premiers ministres qui étaient membres de la Chambre haute. Ici, 9. Québec, vous en avez eu deux.

Avec les années, la convention s'est établie qu'on ne devait pas être membre de la Chambre haute, mais être membre de la Chambre basse, si on avait un poste important dans le cabinet. Pour prendre un exemple à Ottawa. Comment s'appelait ce multimillionnaire qui est mort il y a quelques années, le sénateur qui a été ministre du Commerce? C'est M. McCutcheon. Il a été ministre du Commerce et ç'a été regardé comme un peu bizarre. Quant à l'exemple québécois, vous me permettrez de ne pas entrer dans les détails; ce n'est pas mes affaires.

M. LESAGE: Non, mais il faut admettre que, lorsque le Conseil législatif existait, il y avait un très grand avantage à avoir, au conseil des ministres, le leader gouvernemental à la Chambre haute...

M. BONENFANT: Cela, c'était entendu.

M. LESAGE: ... pour l apréparation de la législation, etc.

M. BONENFANT: C'est ce que vous avez à Ottawa avec M. Martin à l'heure actuelle.

M. LESAGE: Oui, c'est cela. M. BONENFANT: Exactement.

M. LAPORTE: Mais Je parle de la constitution.

M. LESAGE: Evidemment, à ce moment-là, le leader du gouvernement prend connaissance de la législation qu'il doit présenter, à la deuxième...

M. BONENFANT: Mais ce qu'il ne faut jamais oublier et ce qui nous fait revenir I notre sujet, c'est que tout cela est basé sur des conventions. Si on garde la constitution de type actuel, si on la modifie et si on la rédige, on aurait intérêt à mettre dans des textes ce qui, aujourd'hui, n'est que convention.

M. LAPORTE: Ce qui reviendrait à dire que sauf sur sanction de l'opinion publique, qui s'exprime par des élections, un ministre peut être ministre pendant tout un parlement sans être député dans notre système actuel.

M. BONENFANT: J'airal plus loin, il pourrait être premier ministre. Vous pouvez, encore une fois, l'attaquer; il est sûr qu'au point de vue politique II aura peut-être de la difficulté à se défendre, mais vous ne pouvez pas aller de-

vant un tribunal. Ce qui fait que quelque chose nous oblige Juridiquement, c'est le fait qu'on est capable de le plaider; tandis qu'une convention ne se plaide pas.

M. CHOQUETTE: M. Mackenzie King, il me semble, a été premier ministre; ayant été défait à l'élection, il s'est représenté.

M. BONENFANT: Bien voici. Il a été défait aux élections de novembre 1925 et M. Lapointe a dirigé le gouvernement. Il s'est fait élire au mois de mars.

M. CHOQUETTE: Non, M. Bonenfant. C'est en 1945 que M. Mackenzie King a été défait dans son comté, et il s'est représenté dans son comté en janvier.

M. BONENFANT: Mais cela a été la même chose en 1925. Il avait été défait et c'est M. La-pointe qui a conduit le gouvernement. Vous vous souvenez, avant la crise constitutionnelle de Byng de Vimy, M. King s'est fait élire, cette fois je pense, dans l'Ile du Prince-Edouard.

M. LESAGE: En 1945, il s'était fait élire dans Glengarry.

M. BONENFANT: Oui.

M. LESAGE: D'après mon souvenir, il s'était fait élire avant que la Chambre se réunisse pour la première fois.

M. BONENFANT: Je pense que oui.

M. LESAGE: Je suis convaincu. Nous avions siégé...

M. BONENFANT: C'est pour cela que...

M. LESAGE: ... à la fin de septembre, et l'élection partielle avait été déclarée tout de suite après l'élection générale.

M. BONENFANT: ... j'aime mieux l'exemple de 1925 qui est catégorique. En 1925, il était assis dans les tribunes et il surveillait M. Lapointe qui conduisait le gouvernement. C'est en 1925, avant la crise constitutionnelle de 1926.

M. PROULX: M. Bonenfant...

M. BONENFANT: Oui.

M. PROULX: ... vous dites qu'aux Etats-Unis le président n'a pas beaucoup de pouvoirs législatifs et qu'il est très faible au point de vue de l'imposition de sa volonté. Ne serait-il pas dû au fait que deux Chambres existent? Il y a la Chambre de représentants qui est une espèce de foire. On parle de la nôtre...

M. BONENFANT: Si vous me le permettez, je peux essayer de développer l'idée suivante: quelles sont les raisons de l'incapacité législative du président aux Etats-Unis? Est-ce cela que vous avez à l'esprit?

M. PROULX: Oui.

M. BONENFANT: Je pense que la première raison est la suivante: il est exposé, dans certaines circonstances, et c'est arrivé deux ou trois fois dans l'histoire, à être en face d'une Chambre basse, surtout, et d'une Chambre haute parfois, où ses adversaires sont majoritaires. Donc, vous comprendrez que, forcément, il aura de la difficulté à faire adopter les mesures qu'il propose. Deuxièmement, même si son parti a la majorité dans les deux Chambres, parce qu'il n'y a pas de représentants directs du gouvernement dans les deux Chambres et surtout parce qu'il y a un comité, qui accepte les lois, qui est très important dans les deux Chambres, c'est à ce moment-là qu'on met de côté les projets du président, très souvent.

Cela a été frappant lors des débuts de l'administration Kennedy. Une foule de mesures, que Kennedy croyait utiles et nécessaires, étaient bloquées par ce comité qui ne faisait même pas en sorte qu'elles soient présentées en Chambre. N'oubliez pas qu'aux Etats-Unis vous avez des milliers de projets qui restent à la porte de la Chambre, si vous voulez.

M. PROULX: Mais ce comité-la n'est pas composé des membres nommés par le président. Ce n'est pas lui qui contrôle ses hommes ou qui prépare cette législation.

M. BONENFANT: Justement. Vous tombez... UNE VOIX: C'est la « séniorité ».

M. BONENFANT: Je ne vous dis pas que cela ne peut pas se corriger, mais il est sûr d'un autre côté qu'il y a un autre cran d'arrêt pour le président, c'est le budget. Le président peut avoir les plus belles politiques au monde, par exemple, pour faire disparaître la pauvreté, il sera arrêté par des républicains, même s'il est républicain, ou des démocrates, même s'il est démocrate, qui vont lui couper son

budget. Il est sûr que le système américain paralyse l'Exécutif.

M. LEVESQUE (Laurier): Si vous permettez...

M. LESAGE: Evidemment, à ce moment-là, le danger que vous mentionniez tantôt, à cause du « lobbying », des intrigues de couloir, est le grand danger du patronage par l'administration, sous la direction du président, pour amener les sénateurs et les « congressmen », moyennant faveurs de l'administration...

M. BONENFANT: A faire ce qu'ils veulent.

M. LESAGE: ... à faire ce qu'ils veulent. Disons que la tentation est grande et que...

M. PROULX: Il n'y a pas de danger pour nous au Québec.

M. LESAGE: ... si vous y succombez...

M. LEVESQUE (Laurier): Si vous permettez...

M. LESAGE: Un instant. Disons que le danger est plus grand en vertu du système américain parce que le patronage, c'est reconnu qu'il fleurit aux Etats-Unis.

M. PROULX: Beaucoup plus qu'ici.

M. LEVESQUE (Laurier): Si vous permettez, pourrait-on poser une ou deux questions? M. Bonenfant, très évidemment — c'est son droit comme professeur et comme expert, j'ai déjà lu ses articles — n'est pas particulièrement favorable au système présidentiel.

M. BONENFANT: Non, et je l'ai dit dès le début.

M. LEVESQUE (Laurier): Bon, d'accord. Maintenant, il y a des accommodements. Vous parliez, par exemple, du fait que, dans le système américain, et vous pourriez, jusqu'à un certain point, dire que c'est un peu l'équivalent de vos conventions, dont vous parlez dans notre système. Par exemple, le système de « séniorité », l'« appropriation committee », quand il s'agit de dépenser un budget et le pouvoir même de dépenser, la possibilité pour les comités permanents, à toutes fins pratiques d'enterrer des lois».

M. BONENFANT: Ils le font.

M. LEVESQUE (Laurier): Bien oui, et justement de ne pas les amener en Chambre. Enfin, toutes ces choses-là, autant que je me souvienne, ne sont écrites nulle part; ça devient là aussi des précédents, des règlements internes de la Chambre. Donc, il y a certaines choses dans le système américain qui, si on prenait la même imagination que vous avez prise pour améliorer le système...

M. BONENFANT: Très bien.

M. LEVESQUE (Laurier): ...parlementaire, enfin, et ses conventions, pourraient très bien être aménagées de façon à le rendre beaucoup plus proche de l'efficacité dont vous parlez.

M. BONENFANT: Je crois que vous avez raison à première vue, mais j'apporterai l'argument suivant: Est-ce que ce n'est pas la nature du système américain qui secrète, je dirais naturellement, les abus dont vous parlez? Parce que ce qui fait la différence dans le système américain c'est que l'absence de responsabilité ministérielle, l'absence de possibilité de dissolution ne permet pas de maintenir la discipline dans le parti politique.

M. LEVESQUE (Laurier): Je m'attendais à ce que vous parliez de ça surtout.

M. BONENFANT: Bien, j'en ai parlé tout à l'heure.

M. LEVESQUE (Laurier): Non, mais je veux dire comme...

M. BONENFANT: C'est un argument. Je crois, c'est la raison...

M. LEVESQUE (Laurier): Parce que tous les autres exemples que vous donnez sont fondamentalement nuls.

M. BONENFANT: On peut dire qu'ils peuvent être corrigés.

M. LEVESQUE (Laurier): Il y a des choses qui peuvent facilement être corrigées.

M. BONENFANT: Oui, oui, je suis de votre avis. Mais admettez que ça peut venir naturellement du système.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, bien enfin, comme les abus du système parlementaire peuvent aussi être dans la nature du système... Prenez, par exemple, le « cabinet system »

pour reprendre le Mclntosh qui l'étudie. Lui aussi, est-ce que ce n'est pas dans sa nature même dans le monde moderne, complexe de plus en plus, de devenir une sorte de dictature qui a le danger en plus d'être camouflée à l'occasion?

M. BONENFANT: Oui, mais c'est une dictature qui, en temps de crise, peut être arrêtée.

Il y a tout de même un mécanisme... Ecoutez, on le voit en Angleterre. Dieu sait les fluctuations de M. Wilson. On le voit.

Je pense que notre système, le système qu'on appelle britannique mais qui est tout de même passé dans le monde entier, épouse davantage l'opinion populaire. AuxEtats-Unis, quand on est pris avec un mauvais président, on est pris pour quatre ans.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, mais enfin, il a été élu par tout le monde.

M. BONENFANT: Par un mauvais système à l'heure actuelle.

M. LEVESQUE (Laurier): Bien oui, d'accord.

M. CHOQUETTE: M. Bonenfant, tout à l'heure vous nous parliez de ce qui s'était produit dans les cinquante dernières années. Est-ce que dans les cinquante dernières années on a adopté le système parlementaire tel que nous l'avons dans notre pays?

M. BONENFANT: Bien, certainement. Voici un petit tableau de ce qui s'est passé. Cela a été étudié par beaucoup d'auteurs. Dans les cinquante dernières années, il y a eu l'influence de deux guerres, la guerre qui s'est terminée en 1918-19 et la dernière. On pourrait dire qu'il y a trois sortes de pays, trois sortes de constitutions qui sont nées.

Premièrement, il y a les constitutions inspirées par celle de la Russie soviétique. Je les mets de côté, mais en soulignant tout de même le fait que la responsabilité ministérielle est reconnue dans ces constitutions-là, mais à cause de la prépondérance du parti, tout le mécanisme est faussé. Donc, je mets de côté tous ces pays-là.

Deuxièmement, il y a les pays, les quelques pays qui ont été influencés par les Etats-Unis. Il y a les Philippines qui ont été influencées, il y a les pays d'Amérique du Sud qui existaient déjà, et le seul pays où le système américain fonctionne bien — je prétends qu'il ne fonctionne pas très bien — c'est les Etats-Unis, il ne faut pas oublier que les pays qui se gargarisent de constitution, comme les pays d'Amérique du Sud, sont précisément les pays où ça fonctionne le moins bien. C'est que la « constitu-tionnalite » devient dangereuse à un certain moment, et je crois que c'est le cas de l'Amérique du Sud.

Ce qui veut dire qu'il y a une troisième catégorie de pays qui sont nés des deux guerres. Tous les pays qui sont nés de la désagrégation de l'Empire austro-allemand, Tchécoslovaquie etc, ont adopté un système de responsabilité ministérielle avec quelques petites différences. En particulier au lendemain de la guerre, il y a eu ce que connaissent bien les étudiants, la République de Weimar qui est la constitution par excellence de laboratoire. Malheureusement, elle n'a pas réussi à cause de l'hitlérisme, mais je pense que les Allemands ont repris l'exemple de Weimar et que la constitution allemande à l'heure actuelle est une constitution qui fonctionne joliment bien et qui, au point de vue économique en tout cas, ne les a pas embarrassés. On le voit. Par conséquent, presque tous les pays qui sont nés des deux guerres ont adopté un système qui n'est pas le système américain. Prenons le Japon, par exemple. Le Japon, qui était pourtant influencé par les Américains, a pris un système de type britannique. Fait assez amusant, hier soir je lisais un article d'un bonhomme qui n'est pas content de la constitution du Japon, un Japonais qui disait: Faisons bien attention, n'abandonnons pas ce système de type britannique pour aller au système de type américain, modifions plutôt notre système.

M. LEVESQUE (Laurier): Est-ce que là, vous n'avez pas le cas sui generis d'un empereur qu'il s'agissait de caser quelque part dans les institutions?

M. BONENFANT: Bien oui, mais...

M. LEVESQUE (Laurier): Non, mais on imaginerait difficilement à côté du Mikado un président à la mode américaine! A ce moment-là, votre dualité deviendrait baroque.

M. BONENFANT: Moi, je pense que ce n'est pas la raison. Je pense qu'il y a une autre raison, M. Levesque, c'est que la plupart des juristes japonais avaient été formés en France et en Angleterre et je crois qu'ils ont eu de l'influence dans la rédaction de la constitution.

M. LEVESQUE (Laurier): Mais, il reste quand même qu'après la guerre de 1945, c'est bien connu, les Japonais ont tout laissé tomber, sauf ce symbole national qu'était le Mikado, ce qui prouve à quel point cela était important pour eux.

M. BONENFANT: Qui est une sorte de drapeau.

M. LEVESQUE (Laurier): C'est la seule chose qu'ils ont exigée au moment de la capitulation: la protection, si vous voulez, de la personne sacrée, etc. Enfin, cela vaut ce que cela vaut, mais, pour eux, cela valait beaucoup. Donc, cela compte.

M. BONENFANT: Si vous le permettez, je vais vous lire la fin de l'article de ce juriste japonais. « Nous pensons que l'idéal à poursuivre consisterait à mettre le contenu de modèles britanniques contemporains dans le contenant juridique déjà acquis, c'est-à-dire la démocratisation et la modernisation des partis politiques japonais. Nous ne devrions pas abandonner trop vite ces efforts difficiles, mais primodiaux pour ce que les Anglais ont construit pendant trois siècles. »

M. LEVESQUE (Laurier): Mais, si vous me le permettez, votre exemple historique des 50 dernières années, est-ce que cela ne découle pas d'un climat prédominant? En Europe continentale, tous les pays étaient, je crois, sous l'emprise de la tradition parlementaire. La plupart des autres pays, à part le Japon, qui sont apparus ailleurs qu'en Europe étaient des ex-colonies anglaises ou françaises. Donc, ils ont emboîté le pas. De la même façon, les Philippines, qui étaient sous l'emprise américaine, ont été portées à copier le modèle américain. Jusqu'à un certain point, cela ne découle-t-il pas en grande partie des mentalités qui s'étaient formées?

M. BONENFANT: Je crois que vous expliquez bien la genèse, mais si le système américain était nettement supérieur, même dans les circonstances, est-ce qu'on n'irait pas le chercher? Il y a une réflexion de l'historien américain Commager que je trouve assez frappante. Des 60 Etats qui sont nés depuis 1945, aucun n'a adopté le système américain. C'est tout de même assez frappant.

M. LEVESQUE (Laurier): Sauf que vous avez certaines évolutions qui peuvent être aléatoires, puisqu'on ne sait pas où elles mènent. Enfin, je prends le cas de pays assez instables — ce qui est arrivé au Pakistan, par exemple — où, à l'occasion, on s'aperçoit qu'on passe d'un système à l'autre selon des accidents de parcours, sans savoir où l'on aboutira.

M. BONENFANT: Où vous auriez peut-être raison, c'est qu'il n'y en a pas de système idéal.

Nous devons nous demander, à mon sens, qu'est-ce qui nous convient, pour deux choses. Premièrement, pour avoir une activité législative et une activité de contrôle efficace parce que je crois que le rôle du Parlement, c'est de contrôler, maintenant; deuxièmement — cela a l'air peut-être pompeux — pour que la démocratie se réalise. C'est le seul critère, d'après moi, d'un bon système; ce n'est pas l'imitation d'autrui.

M. LESAGE: L'efficacité et le caractère démocratique. Il faut essayer d'élever les deux au plus haut degré possible, ce qui n'est pas toujours facile.

M. BONENFANT: Je crois que notre système peut devenir efficace avec deux grandes modifications. Au niveau de l'Exécutif, il faut diviser le travail en commissions. Excusez si je me mêle de vos problèmes; vous m'avez fait venir, donc je vais parler. Je pense qu'il serait assez facile de libérer les membres du cabinet de bien des tâches en divisant le travail. Par exemple, je crois que le premier ministre ne devrait même pas être président du Conseil; il devrait être uniquement premier ministre. Deuxièmement, au niveau parlementaire — j'ai travaillé un peu au comité de la réforme parlementaire; je pense que nous avons fait déjà des progrès — il y a des progrès possibles considérables qui permettraient, à mon sens, de faire disparaître bien des choses qui vous fatiguent et qui semblent vous paralyser.

M. LESAGE: M. Bonenfant, vous avez parlé avec un certain enthousiasme, pour ne pas dire avec beaucoup d'enthousiasme de la constitution allemande. Je pense bien que mes collègues de la commission aimeraient vous poser la question que je vais vous poser: Quels volumes ou encore quels documents de référence pourriez-vous nous conseiller de lire pour nous mettre au courant le plus parfaitement possible de cette constitution allemande?

M. BONENFANT: J'ai utilisé, dans ce domaine-là, deux sources de renseignement. Premièrement, je travaille beaucoup avec la Documentation française. C'est une source fantastique de documents. Deuxièmement, j'ai toujours été un lecteur du Monde; j'ai toujours suivi...

M. PROULX: Ce n'est pas trop scientifique pour les députés?

M. BONENFANT: Il n'y a rien de trop scientifique pour les députés, je l'espère. Je ne connais pas d'ouvrage précis. J'ai suivi l'activité

allemande, surtout dans le Monde, à chaque élection allemande. Je parle plus que modestement l'allemand. Je suis allé en Allemagne récemment; malheureusement, je me suis aperçu que mon allemand n'était pas suffisant pour comprendre. Je n'ai pas à la tête d'ouvrages très, très précis; je pourrai vérifier. J'ai pris mes renseignements un peu partout, si vous voulez. D'ailleurs, un de mes premiers contacts a été précisément avec ce que le professeur Boily avait préparé pour l'un des congrès de la Fédération libérale, je crois. Cette étude sur le système électoral avait été présentée il y a quatre ou cinq ans.

Mais je pourrais préparer deux choses, des références en anglais ou en français ou en allemand aussi et peut-être un petit exposé sur le système allemand.

M. LESAGE: M. Morin vient de glisser le mot « Duverger ».

M. BONENFANT: Duverger ne développe pas énormément cet aspect. Il y a à peu près cinq pages dans Duverger sur ça. Dans le gros volume de Thémis sur les institutions politiques qui est, à mon sens, un des bons ouvrages à lire, un excellent ouvrage, à mon sens.

M. LAPORTE: Lequel?

M. BONENFANT: Les institutions politiques dans la collection Thémis.

M. MASSE: Je crois qu'il serait intéressant que vous prépariez pour la commission et les députés une certaine documentation concernant cette question de la constitution allemande.

M. BONENFANT: Si vous voulez. D'abord, vous savez que la meilleure façon d'apprendre une chose, c'est de l'enseigner. Donc, cela me permettra à moi aussi de faire le point, je pense bien. Je serais une page en avant sur vous.

M. LESAGE: Ce serait très apprécié.

M. BONENFANT: Donc, je vais m'en occuper, cela m'intéresse.

M. PROULX: M. Bonenfant, on parle depuis plusieurs années de rapatrier la constitution. Serait-il possible aussi de rapatrier la monarchie au Canada afin que nous ayons notre monarque canadien?

M. BONENFANT: Ecoutez, vous allez vous faire tomber...

M. PROULX: Je pense à Pierre I. Ce ne serait peut-être pas héréditaire, mais on pourrait peut-être trouver des formules.

M. BONENFANT: Si vous permettez, je tiens à vous le dire tout de suite, j'ai toujours été contre la royauté. J'ai été un des premiers à protester contre le serment actuel. J'ai été très heureux de voir naître une forme de serment que j'ai peut-être été l'un des premiers à suggérer. Je pense que le seul argument en faveur de la monarchie — donc je suis contre — c'est de dire que ce n'est pas important. Mais moi, ce n'est pas mon avis parce que, si on s'habitue à ne pas attacher d'importance à des simagrées, on en vient à tout considérer comme des simagrées. Je crois que la mauvaise monnaie corrompt toujours la bonne. C'est pour ça que je voudrais que la monarchie disparaisse.

M. LEVESQUE (Laurier): Les Canadiens français ne sont pas censés être royalistes?

M. PROULX: Vous n'avez pas assisté à l'intronisation du prince de Galles, cette cérémonie extraordinaire?

M. BONENFANT: Oui, je l'ai suivie. J'assiste au carnaval d'hiver aussi.

M. PROULX: C'est un beau film en couleurs que j'ai vu.

M. BONENFANT: Là, je pense qu'on se lance dans un domaine qui n'est pas le mien.

M. LEVESQUE (Laurier): Pour revenir au système présidentiel — sans discuter du pour et du contre — si vous prenez ce système pur, quelles que soient les modalités qu'on puisse éliminer, celui des Etats-Unis, c'est-à-dire un chef...

M. BONENFANT: Le chef réel de l'Etat.

M. LEVESQUE (Laurier): Le chef d'Etat qui est à la fois chef du gouvernement et chef d'Etat, élu par tous et dont le pouvoir exécutif est complet, c'est-à-dire qui a la séparation de son pouvoir exécutif.

M. BONENFANT: D'après vous, recrute-t-il ses ministres où il veut?

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, c'est ça, il a le contrôle de l'exécutif. Deuxièmement, si vous prenez ça, est-ce conciliable? Il s'agit de savoir à quel point les options sont ouvertes pour le

Québec qui est une province dans un pays tel qu'il existe, sans entrer dans plus de détails, est-ce conciliable avec un régime fédéral tel que celui dans lequel nous sommes?

M. BONENFANT: Je crois que c'est conciliable dans un régime fédéral, bien entendu, parce que, précisément, la caractéristique du fédéralisme devrait être de permettre aux parties composantes de se réaliser comme elles le veulent. Précisément, si le Canada demeure ce qu'il est, je verrais très bien le Québec ayant des institutions politiques différentes, même si je ne les crois pas nécessaires.

M. LEVESQUE (Laurier): Est-ce que vous ne venez pas directement, de toute façon à un système confédéral dans le sens strict du mot et non pas à une fédération telle que conçue?

M. BONENFANT: Non, je pense que le caractère confédératif ne naîtrait pas de là, mais de la répartition des compétences.

Si vous permettez, c'est un élément de confédération, mais je pense que l'élément essentiel de confédération se fait au niveau du partage des compétences plutôt qu'au niveau de la différence des institutions.

M. LEVESQUE (Laurier): Quand on voit un système fédéral tel qu'il a existé jusqu'ici, que ce soit ici ou aux Etats-Unis, peu importe les modalités, est-il concevable que le gouvernement central ait un régime d'institutions pendant qu'une partie aussi importante qu'un état ou une province — enfin on ne se chicanera pas sur les notions — a un régime institutionnel totalement différent?

M. BONENFANT: Je le crois, et ça devrait être précisément ça, le fédéralisme. Je pense que si le fédéralisme avait été ainsi, il n'aurait peut-être pas les embêtements qu'il a aujourd'hui.

M. LEVESQUE (Laurier): C'est-à-dire, il aurait été une confédération.

M. BONENFANT: Peut-être, là c'est une question de mots. Où s'arrête la confédération et où commence la fédération? Vous le savez, les auteurs ne l'ont jamais su, ils n'ont jamais été capables de tracer les frontières.

Je pense que ce système serait plus de la nature d'une confédération que d'une fédération.

M. LEVESQUE (Laurier): Ce que je veux dire, c'est que si vous avez un régime prési- dentiel, si le Québec opte pour ça au niveau exécutif, cela implique que vraiment il y a un homme et son groupe qui représentent, comme personne d'autre, l'ensemble de la population du Québec.

M. BONENFANT: Exactement.

M. LEVESQUE (Laurier): Alors, si vous mettez ça en parallèle avec un autre régime qui, lui, maintient le parlementarisme et dont la représentativité est complètement différente, qui recoupe la population québécoise, ça peut faire curieux.

M. BONENFANT: C'est un peu bâtard, je l'admets, mais si vous permettez, je corrigerai un peu votre affirmation,... y représente sa province, mais dans les domaines qui sont de la compétence de la province.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, d'accord, mais ce que je veux dire, c'est que vous avez vraiment un symbolisme d'une force extraordinaire vis-a-vis d'une représentativité complètement diffuse. En tout cas vous n'êtes pas sortis du bois.

M. PROULX: M. Bonenfant, vous avez parlé de recréer au Québec une Chambre haute.

M. BONENFANT: Oui.

M. PROULX: Vous avez dit qu'elle pourrait être législative. Mais, fondamentalement, vous ne croyez pas que l'existence de deux chambres législatives, c'est un peu artificiel, c'est un peu bâtard, qu'on devrait avoir un système électoral qui tienne à la fois compte du vote populaire et du vote pour les partis, et qu'il soit unique, plutôt que d'avoir deux chambres? Fondamentalement, ce n'est pas une faiblesse d'une structure parlementaire.

M. BONENFANT: Je pense que c'est Gambetta qui a dit: « Un système bicaméral, c'est un charriot qui est trainé par deux chevaux qui vont en sens inverse. » Je ne suis pas tout a fait de votre avis, je pense que le bicaméralisme, tout de même, existe dans la plupart des pays du monde." Donc, c'est peut-être un argument d'autorité, mais c'est un argument qui en vaut bien d'autres. Par exemple, aux Etats-Unis, vous avez 49 états qui l'ont, c'est tout de même un début. Je mets de côté la preuve d'autorité, que je n'aime pas.

Deuxième avantage du bicaméralisme, c'est ça qui est important, et c'est à mon sens ce qui

serait important pour le Québec, c'est d'obtenir une représentation diversifiée des éléments.

M. PROULX: Ne pouvons-nous pas l'avoir par le vote populaire ordinaire?

M. BONENFANT: Oui mais vous allez avoir les inconvénients. Je vais vous donner un exemple tiré du Québec. Refaites la carte électorale du Québec en faisant disparaître les circonscriptions privilégiées de l'article 80 et en donnant à Montréal la représentation à laquelle elle a droit. C'est Montréal qui va contrôler la province de Québec. Pour faire une carte électorale équitable, vous êtes obligés de donner à Montréal à la Chambre basse une prépondérance que les régions un peu éloignées n'aimeront pas.

Mais, précisément, pour corriger ce mal-là, si vous avez une Chambre haute vous avez le contrepoids régional, en d'autres termes, vous réaliseriez à l'intérieur du Québec un embryon de fédéralisme. Vous allez dire; Nous avons assez de difficulté avec le fédéralisme général pour ne pas le créer à l'intérieur du Québec. Mais je pense que, de plus en plus, avec la diversité qu'on va rencontrer dans le Québec, avec le caractère régional que prend le Québec, il faudrait tenir compte de cet aspect dans la représentation. C'est pour ça qu'une Chambre haute refaite, à mon sens, avec la représentation proportionnelle, surtout, ça serait un enrichissement pour le pouvoir législatif.

M. LE PRESIDENT (M. Bertrand): M. Bon-enfant, une Chambre haute élective.

M. BONENFANT: Oui.

M. LE PRESIDENT (M. Bertrand): Alors, élue pour une même période de temps.

M. BONENFANT: Non, voici justement un autre argument qui est important. A l'heure actuelle, de quoi se plaint-on? On se plaint que le peuple n'est consulté que par des enquêtes privées. Si vous aviez, précisément, des élections à la Chambre haute, par rotation, ça permettrait périodiquement de prendre le pouls populaire. Cest ce que vous avez en Australie, par exemple. Moi, je crois qu'un conseil législatif électif, avec une autre vision, si vous voulez, que celle d'autrefois, ça serait un enrichissement pour les institutions populaires.

M. LE PRESIDENT (M. Bertrand): Avec une autre vision, lui accorderiez-vous des pouvoirs similaires à ceux...

M. BONENFANT: Non, moi je lui accorde- rais des pouvoirs limités, parce que la véritable représentation doit être la représentation de la Chambre basse. Je lui enlèverais le pouvoir de refuser le budget, comme il l'avait pourtant dans le passé. Deuxièmement, je ne lui permettrais qu'un pouvoir de cran d'arrêt, si vous voulez, ça lui permettrait de faire échec à une mesure pendant une ou deux sessions.

M. LE PRESIDENT (M. Bertrand): Un peu à l'instar des pouvoirs exercés par la chambre des Lords d'Angleterre.

M. BONENFANT: Exactement

M. LEVESQUE (Laurier): ... un conseil économique et social régional?

M. BONENFANT: Non, là, je ne suis pas de votre avis. Conseil régional et non pas économique. Je crois que vouloir remplacer une Chambre haute par un conseil économique, c'est une erreur, qui a été déterminée par le corporatisme d'autrefois. J'y suis opposé énergique-ment parce que la représentation des intérêts économiques, cela doit se faire avant la législation et non pas au niveau du législateur à mon sens. Mais ce serait une chambre régionale, et j'insiste sur le fait que, de plus en plus dans le Québec, vous le savez mieux que moi, se posent des problèmes de régions qui n'ont pas la représentation politique.

M. PROULX: Quand vous parlez de représentation assez annuelle, vous pensez sans doute à la chambre des représentants aux Etats-Unis, où les représentants sont élus tous les deux ans, ce qui permet d'avoir pouls...

M. BONENFANT: Justement, la Chambre américaine n'est pas un bon exemple, parce que la Chambre américaine étant élue pour deux ans, est un des corps législatifs les plus dépréciés au monde. Vous le savez, on dit que la première année, ça consiste à remplir les promesses d'élection, et la deuxième année à faire des promesses pour les prochaines élections. Mais, le défaut de la Chambre américaine, c'est qu'elle est renouvelable en entier tous les deux ans. Tandis que ma Chambre haute serait renouvelable par rotation, un peu comme le Sénat américain, si vous voulez.

M. PROULX: Comme les échevins.

M. BONENFANT: Oui, ça permettrait de tâter le pouls de l'opinion populaire, à mon sens.

M. LE PRESIDENT (M. Bertrand): Je re-

grette infiniment d'avoir été obligé de m'absenter.

Vous avez dit, au début de vos remarques, ce matin, que vous n'étiez pas favorable à un régime présidentiel.

M. BONENFANT: Cela a été catégorique.

M. LE PRESIDENT: Par contre, vous avez apporté une nuance.

M. BONENFANT: Oui.

M. LE PRESIDENT: Vous avez dit que vous seriez favorable à ce que le poste de lieutenant-gouverneur disparaisse et que nous ayons, disons, un président. Ce président-là serait-il élu ou nommé?

M. BONENFANT: Nous avons touché au problème tout à l'heure. A mon sens, il devrait être élu. Je crois qu'il est assez ridicule, même si le fédéralisme subsiste, que le lieutenant-gouverneur soit nommé par Ottawa. Evidemment, une convention commence à s'établir que l'on consulte la province. Mais il reste tout de même qu'il y a certains lieutenants-gouverneurs qui ont été nommés sans aucune consultation. Donc, je ne voudrais pas qu'il soit nommé par Ottawa. S'il n'est pas nommé par Ottawa, à mon sens, il devrait être élu. Voici les solutions que nous avons esquissées tout à l'heure. Il peut être élu par une sorte de vaste collège électoral. Ou bien, il peut être élu par...

M. LE PRESIDENT: Non, je ne veux pas vous obliger à répondre à cette question.

M. BONENFANT: Non, mais nous en avons discuté tout à l'heure.

M. LE PRESIDENT: Vous en avez discuté. Je m'excuse.

M. LACROIX: M. Bonenfant, je crois que le système actuel n'est pas si mal, si on lui apportait des modifications, soit dans la formation de la carte électorale, et dans le rajeunissement des règlements qui régissent actuellement notre Assemblée nationale. Changer seulement pour le plaisir de changer, et changer de noms et dire des mots... Apparemment, le système que nous connaissons actuellement, si on le rajeunissait, si on le modernisait, il pourrait très bien satisfaire aux besoins de la province de Québec.

M. BONENFANT: Je suis entièrement de votre avis et je reposerais le problème autrement. Moi je n'aime pas me griser d'idées. Malgré tout, j'ai l'air d'un théoricien, mais je ne le suis pas. Pourquoi ne se demande-ton pas ce qui ne marche pas dans le système actuel? Au lieu de chercher des modèles théoriques, de quoi n'êtes-vous pas contents à l'heure actuelle? Qu'est-ce qui vous paralyse dans votre travail? Et pour faire disparaître ces inconvénients, qu'est-ce qu'il faut faire? Moi, je crois que c'est comme cela qu'il faut poser le problème. Parce qu'il y a une manie de la constitution dans le monde, et c'est assez bizarre. Ce sont les peuples les moins civilisés qui abusent des constitutions. Il reste qu'à l'heure actuelle, un des peuples qui, à mon sens, est magnifique, c'est le peuple d'Israël. Bien, ils n'en ont pas de constitution en Israël. Ils n'ont pas jugé que c'était important d'en avoir, et Dieu sait s'ils réussissent bien. On n'est pas obligé d'avoir une constitution formelle. On peut se contenter d'une constitution matérielle. Tous les pays en ont. Moi, je pense qu'on devrait se demander ce qui ne va pas. Qu'est-ce qui m'empêche d'être efficace comme gouvernement? Qu'est-ce qui m'empêche de pouvoir réaliser quelque chose? Corrigeons cela et vous allez vous apercevoir qu'il n'y a peut-être pas énormément de choses fondamentales à corriger.

M. LE PRESIDENT: II y a certainement, vous le dites, des choses à corriger. Tous les députés sont à même de le constater. Depuis que nous avons des commissions, qui siègent beaucoup plus régulièrement, les députés prennent beaucoup plus d'intérêt, il n'y a aucun doute, aux travaux de la Chambre. Il s'agit de continuer dans ce sens-là. C'est déjà un rôle important pour le député. Il y a des plaintes des députés au sujet des lois. Les lois leur arrivent quand elles sont toutes préparées. A ce moment-là, vous avez l'exécutif qui prépare, qui élabore des lois à la suite d'études, qui les formule et qui dépose un projet. On n'a pas trouvé de moyens d'associer les députés à ce travail de préparation des lois. A première vue, Je crois, moi, que c'est très difficile à faire. Qu'avez-vous à dire là-dessus?

M. BONENFANT: Bien, j'ai une réponse et c'est un sujet qui m'intéresse. J'ai été beaucoup mêlé au travail de la commission de la réforme parlementaire. Moi, Je pense qu'il y a tout de même un début de réponse. Tout, en politique, vous le savez mieux que moi, ne se règle pas du jour au lendemain. Je pense que, d'abord, le travail en commission s'est nettement perfectionné. Je pense que vos com-

missions sont plus logiques et elles fonctionnent mieux. Mais il reste beaucoup à faire. Il faudrait que, dans bien des cas, les commissions qui ont à étudier des projets techniques aient un personnel technique. Je vais vous donner un exemple que je connais un peu. J'ai fait partie du comité de rédaction de la Loi de la copropriété. C'est un sujet extrêmement technique. Je vous avoue que je n'ai pas tout compris. J'ai lu ensuite les délibérations de la commission qui a étudié cette loi. Eh bien, quand le conseiller juridique était là et donnait des explications, cela me semblait beaucoup mieux fonctionner que lorsque les députés étalent seuls. Parce que, je reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure, le député de qualité est avant tout un généraliste dont le rôle est précisément de digérer les technocrates et de faire digérer les technocrates au public. D'après moi, c'est ça, le rôle de l'homme politique. Je m'excuse d'en parler devant vous. Mais je pense que c'est ça. Le spécialiste en politique...

M. LE PRESIDENT: Vous décrivez pas mal notre rôle. On le vit, nous, quotidiennement et c'est passablement cela.

M. LE SAGE: Au comité de législation du conseil des ministres, il est très difficile de concevoir qu'on puisse faire un travail efficace, bien fait, sans la présence et la contribution constante...

M. LE PRESIDENT: Des experts.

M. LESAGE: ... des experts en la matière et des juristes.

M. BONENFANT: Oui, mais vous voulez, évidemment, c'est le problème que vous me posez; Je me rappelle que M. Lesage me l'avait posé il y a quatre ou cinq ans, savoir ce qu'on doit faire accomplir aux députés? Moi, je crois que le rôle extrêmement important du député d'arrière-plan, qui n'est pas d'arrière-plan, mais le député moyen, si vous voulez, c'est son rôle de contrôle. C'est que, de plus en plus, le rôle du Parlement n'est pas uniquement de légiférer, c'est de contrôler.

M. LE PRESIDENT: Nous l'avons été pendant plusieurs années.

M. PROULX: Je suis patient.

M. BONENFANT: C'est de contrôler...

UNE VOIX: Vous êtes pressé.

UNE VOIX: Vous avez besoin d'être patient.

M. LESAGE: Ce n'est pas tant de le dire, ce qui est important pour arriver...

M. PROULX: Déclaration officielle.

M. LESAGE: ... ce n'est pas tellement de dire qu'on n'est pas pressé, mais de le montrer.

M. LE PRESIDENT: Je voyais dans le sourire de M. Proulx une question à laquelle je réponds.

M. LESAGE: Non, mais je voulais dire à M. Proulx que ce qui est important c'est non pas les échelons en politique...

M. PROULX: C'est comme un ministre qui parle.

M. LESAGE: ... ce n'est pas tant de dire qu'on n'est pas pressé que de faire la preuve qu'on n'est pas pressé par ses actes.

UNE VOIX: Il n'est pas pressé par ses actes.

M. PROULX: Comme chef de parti, vous n'êtes pas pressé, vous non plus.

M. CHOQUETTE: Le principe de la...

M. LE PRESIDENT: Il veut sans doute faire allusion à des gens qui ne sont pas présents dans son parti.

M. LESAGE: Je regardais...

M. LE PRESIDENT: Ne comptons pas votre petit Wagner.

M. LESAGE: Merci, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: Allez-y, M. Bonenfant.

M. BONENFANT: Moi, je crois qu'on doit se demander quel est le rôle d'un parlement moderne. A mon sens, le rôle d'un parlement moderne est triple. Premièrement, son rôle est de légiférer, mais, à mon sens, il va falloir que les parlements modernes légifèrent d'une façon de plus en plus générale pour permettre ensuite une délégation réglementaire. Je pense que dans x années les lois seront moins nombreuses et plus générales et que l'exécutif aura plus de pouvoir réglementaire.

Deuxièmement, cela comporte nécessaire-

ment un rôle de contrôle. Il va falloir — et je sais que cela préoccupe certains députés ici — que toute la législation déléguée, les règlements que vous adoptez soient systématiquement déposés devant des commissions afin de permettre de les critiquer et même de les faire abroger dans certains cas.

En 1965, il y a eu une réunion à Genève sur le rôle du parlementaire et les représentants se sont entendus pour dire que le rôle du député moderne était surtout un rôle de contrôle beaucoup plus que de législateur.

Enfin, troisièmement, je crois que le rôle du parlement est d'être une sorte de forum de la nation, mais il faut faire attention, j'ai l'impression que les moyens comme la télévision et la radio remplacent un peu ce forum-là, à l'heure actuelle.

Donc, le rôle de contrôle est très important et Je pense que le député — je ne sais trop comment l'appeler maintenant — qui veut travailler...

M. LEVESQUE (Laurier): Pas pressé.

M. BONENFANT: ... peut trouver, dans ce rôle de contrôle, une tâche extrêmement importante et féconde pour ses concitoyens.

M. LE PRESIDENT: Je reviens au deuxième problème, je parle du travail des députés, le rôle des ministres. Il ne faut pas avoir été ministre longtemps, qu'on ait appartenu à n'importe quel gouvernement, pour réaliser que la présence du ministre, disons d'une façon assez continue, en Chambre, au moment où il doit, par contre, administrer... Il y a certainement là un problème. De là est venu, chez plusieurs, l'idée d'un régime où on pourrait, je ne dis pas en entier, peut-être partiellement, éviter un peu la présence du ministre en Chambre; de là était venue l'Idée d'un système présidentiel.

M. BONENFANT: Mais vous avez la solution: Utilisez vraiment l'assistant parlementaire. Je pense qu'on n'a pas — à Ottawa comme à Québec, remarquez bien — vraiment utilisé l'assistant parlementaire. Je crois qu'il y aurait moyen d'avoir un véritable assistant parlementaire qui pourrait, en Chambre, remplir une foule de tâches du ministre.

M. PROULX: Je ne voudrais pas paraître intéressé, mais je trouve cette idée-là excellente.

M. LE PRESIDENT: Merci beaucoup, M. Proulx, de cette invitation.

M. LESAGE: L'utilisation d'un adjoint parlementaire dépend beaucoup de la conception que le ministre se fait du rôle de son adjoint.

M. BONENFANT: D'ailleurs, je me rappelle, M. Lesage, que vous avez déjà parlé vous-même de votre rodage à Ottawa. Si d'abord on fait passer les adjoints parlementaires par différents ministères et si la relation humaine, si vous voulez, entre le ministre et son assistant parlementaire est bonne, je crois que cela peut soulager le ministre de son travail.

M. LESAGE: D'accord. Mol, je me souviens très bien que M. Abbott, le ministre des Finances, me confiait même le rôle de présenter, de défendre les résolutions du budget. Je m'Imaginais que c'était parce qu'il avait beacoup d'ouvrage jusqu'au jour où j'ai constaté qu'il était derrière les rideaux. C'était pour voir comment je faisais cela. Mais, quand même, il y a moyen.

M. BONENFANT: Moi, je le crois. Je crois qu'on n'a pas utilisé à fond l'assistant parlementaire.

M. LESAGE: II arrive que des questions soient posées, par exemple, à l'ordre du Jour. Si le ministre est absent, il me semble que l'adjoint parlementaire, s'il y en a un à ce ministère, devrait être en mesure de répondre aux questions administratives. S'il s'agit de questions sur la politique du ministère, pendant l'absence du ministre, l'adjoint parlementaire peut en prendre note et le ministre vient, le lendemain, exposer la politique de son ministère sur la question posée. Ce sont des choses qui peuvent se faire.

M. BONENFANT: Cest ce que je crois. Evidemment, moi, je vois cela de l'extérieur, un peu en profane, mais f ai l'Impression qu'une meilleure utilisation de la fonction d'adjoint parlementaire permettrait de faire disparaître les inconvénients dont parlait le premier ministre tout à l'heure.

M. LACROIX: Tout de même, l'expérience que j'ai vécue en Chambre, c'est que les ministres à peu près les plus compétents, les plus efficaces et ceux qui connaissaient le mieux leur affaire étaient constamment en Chambre. Ceux qui étaient les plus faibles étaient, la plupart du temps, absents.

M. BONENFANT: Vous êtes député, vous

avez le droit de porter un jugement. Moi, je ne porte pas de jugement.

M. LEVESQUE (Laurier): II y a peut-être une autre chose pour nous ramener, quand même, au sujet principal d'aujourd'hui, soit l'évaluation du régime présidentiel; l'autre, on le connaît un peu...

M. BONENFANT: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): ...c'est qu'à moins de devenir caricaturaux, actuellement, on a 108 parlementaires.

M. BONENFANT: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): Avec la population du Québec, supposons qu'on se rendrait à 125 parlementaires — je parle de la même base de population; quand même, c'est assez loin dans l'avenir — vous pouvez présumer que 75 ou quelque chose comme cela sera toujours plus ou moins un maximum et ce sera probablement plus pris de 65 ou de 70.

M. LE PRESIDENT: M. Lévesque, voulez-vous vous rapprocher un peu du micro? On perd beaucoup de vos propos.

M. LEVESQUE (Laurier): ... du côté gouvernemental. Avec un parlement divisé, on peut arriver à une sorte de pluralisme des partis. Cela correspondrait à un pluralisme de notre société aussi.

M. BONENFANT: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): II peut très bien arriver que les gouvernements ne dépassent pas, dans un avenir prévisible, l'équipe parlementaire d'un gouvernement, 70 à peu près. Si vous commencez à prendre des députés comme ministres — dans le régime actuel, cela va jusqu'à une vingtaine et je n'exagère pas — et que vous employez plus intensément les adjoints parlementaires ou quelque chose d'équivalent, vous aboutissez à 40, peut-être davantage, parlementaires qui ont tous des fonctions administratives très précises.

Je reviens au système présidentiel. Il me semble qu'on est porté à comparer un peu superficiellement le monstre de 200 millions d'Américains avec les 6 millions de Québécois. Un des éléments essentiels c'est l'étroitesse, si vous voulez, de la base de choix pour ce genre de travail exécutif. Si vous ajoutez les adjoints, cela me paraît être un argument de plus en fa- veur d'un système présidentiel. J'aime bien votre idée de l'homme politique qui se prépare longuement, mais je ne l'ai pas vue tellement appliquée dans les cabinets depuis quelques années. Le système présidentiel permet, quand même, d'aller dans tous les secteurs de la société et, s'il joue convenablement, de bâtir un Exécutif qui ne vient pas siphonner le parlement. Le parlement peut continuer à jouer son rôle de contrôle d'une façon convenable. Tandis qu'autrement je ne le vois plus.

M. BONENFANT: J'admets que les arguments que vous venez de développer sont assez puissants. Il n'y a pas de système parfait. Si vous le permettez, je réponds par l'argument de l'incapacité de l'Exécutif en face du pouvoir législatif dans le système présidentiel. Je pense qu'il ne faut pas se laisser tromper par l'exemple américain, par la prospérité américaine. Je ne crois pas que la prospérité américaine, les choses merveilleuses que les Américains ont accomplies soient dues au système politique.

M. LEVESQUE (Laurier): Non, mais je vous ai bien dit qu'il ne faudrait pas non plus tomber dans l'extrême qui serait de dire: II y a une équivalence automatique entre le monstre de 200 millions d'Américains, l'incroyable diversité de leurs régions, de leurs intérêts, de leurs intrigues, etc. et une population, quand même beaucoup plus facile à toucher, qui est celle de 6 millions de Québécois.

M. LE PRESIDENT: M. Bonenfant, pour revenir a l'argument de M. Lévesque, vous dites que le rôle du député devient de plus en plus et deviendra encore davantage un rôle de contrôle. Ce contrôle, ne le dépolitise-t-on pas plus dans un système présidentiel où les députés se sentent peut-être un peu plus libres de critiquer la législation que dans notre système actuel.

M. BONENFANT: Je reviens à mon argument. Il est sûr que le système américain a certains avantages. Ce serait stupide de dire qu'il n'en a pas. Mais je pense que le petit avantage que vous gagnez à dépolitiser le rôle du député — si vous le permettez, j'ouvre une parenthèse pour dire qu'à l'intérieur d'une commission le député est un peu plus dépolitisé, je pense que cela a été remarqué à plusieurs reprises...

M. LE PRESIDENT: J'en prends note.

M. BONENFANT: Je crois que ce petit avan-

tage, qui est un avantage que j'admets, n'est pas suffisant dans ma pensée pour équilibrer les désavantages que je vois dans un système américain. Et j'ajouterai une chose que j'ai oubliée. C'est qu'il y a une certaine continuité en politique, aussi, et le meilleur système est peut-être, pour autant qu'il n'a pas de défaut considérable, celui qu'on a déjà pratiqué. Il y a une économie de temps.

Supposons que le Québec décide de se donner un nouveau système. Il y aura une période d'adaptation de quatre ou cinq ans qui, à mon sens, stérilisera jusqu'à un certain point l'activité du Québec. C'est pour cela que j'aime mieux partir d'un système établi et le corriger plutôt que de chercher une formule miraculeuse qui est toujours belle à l'extérieur. Les Américains trouvent que le système britannique est beau...

M. LE PRESIDENT: Le but est beaucoup plus d'essayer de conserver tout ce que nous avons de bon et de trouver ailleurs ce qui peut être bon également.

M. LESAGE: Ou d'inventer.

M. LE PRESIDENT: Ou d'inventer de nouvelles formules.

M. BONENFANT: Si vous permettez...

M. LE PRESIDENT: Ce n'est pas de faire table rase. Il y a des éléments qui sont bons, qui doivent être préservés, mais là où il y a des vices — vous le notiez tout à l'heure — il s'agit d'adopter la meilleure formule pour corriger ces vices. C'est notre but.

M. LESAGE: Mais sans jamais oublier que ce qui doit toujours nous préoccuper, c'est l'efficacité et...

M. LE PRESIDENT: C'est cela.

M. LESAGE: ... la démocratie. Et la balance entre les deux est toujours très difficile à maintenir. Il ne faut pas sacrifier l'une au profit de l'autre.

M. LE PRESIDENT: C'est le but poursuivi.

Il n'y a pas d'idée — quant à moi — fixée à tel ou tel système. J'ai souvent parlé d'emprunter à d'autres systèmes des éléments qui pourraient nous permettre de corriger certains des vices que nous trouvons dans notre système.

M. CHOQUETTE: Je me demande si le pre- mier ministre n'était pas absent lorsque M. Bonenfant a justement...

M. LE PRESIDENT: Je lirai...

M. CHOQUETTE: ... commenté...

M. LE PRESIDENT: Je ne veux pas...

M. CHOQUETTE: Non, non, mais je veux simplement le souligner, parce que cela tombe à point. Cela correspond tout à fait à la question que venait de poser le premier ministre au sujet... M. Bonenfant préconisait, dans le système que nous avons, une responsabilité ministérielle atténuée qui permettrait un rôle plus...

M. LE PRESIDENT: Je le lirai.

M. BONENFANT: Si vous permettez, une responsabilité ministérielle qui serait énoncée dans des termes constitutionnels. J'insiste sur cet aspect.

Mais pour revenir à ce que vient de dire le premier ministre, il y a une série de questions que nous pouvons nous poser. Par exemple, croyez-vous qu'un Etat à deux têtes comme nous en avons un n'est pas mieux qu'un Etat où vous seriez à la fois premier ministre et président? Vous seriez obligé d'aller ouvrir les expositions de coquelicots, et en même temps de diriger la province.

M. LE PRESIDENT: Je vous avoue...

M. BONENFANT: Est-ce que cela n'est pas utile d'avoir un lieutenant-gouverneur...

M. LE PRESIDENT: ... que même quand on a un lieutenant-gouverneur qui participe à toutes ces sortes de cérémonies à caractère social ou autre...

M. BONENFANT: Il en faut.

M. LE PRESIDENT: ... il reste quand même que le premier ministre ou le chef de l'Opposition — le premier ministre entre autres — est obligé d'y aller.

M. BONENFANT: Mais dans un système présidentiel, vous iriez plus souvent.

M. LE PRESIDENT: Oui.

M. LEVESQUE (Laurier): Dans un système présidentiel, je m'excuse, les coquelicots, le

président les passe à d'autres: peut être au vice-président aux Etats-Unis.

M. BONENFANT: II les passe au drapeau; c'est le drapeau qui remplace le chef de l'Etat.

M. LEVESOUE (Laurier): Là, je pense que vous...

M. BONENFANT: Non, non, c'est infiniment important.

M. LEVESQUE (Laurier): ... tordez un peu les choses en fonction de vos préférences, ce qui est parfaitement normal.

M. BONENFANT: Nous aurons de la difficulté à vous convertir.

M. LEVESQUE (Laurier): Bien oui, quand cela paraît trop...

M. PROULX: On a parlé de dépolitiser le rôle du député, surtout peut-être en Chambre. Dans le comté, il est difficile de dépolitiser le rôle du député. Depuis trois ans, c'est difficile. En Angleterre, M. Bonenfant, les députés n'ont-ils pas l'habitude de voter quelquefois contre le gouvernement?

M. BONENFANT: Oui, oui.

M. PROULX: Et au Québec, ce n'est pas une tradition, une convention peut-être...

M. BONENFANT: Vous pouvez la commencer si vous voulez.

M. PROULX: J'ai assez de problèmes à l'heure actuelle, je ne veux pas m'embarras-ser avec d'autres.

M. BONENFANT: Faites attention. Si vous suivez un peu la politique anglaise, il reste tout de même que pour maintenir l'ordre dans son parti, le premier ministre utilise précisément la menace de la dissolution. Je crois que cela fait partie de l'évolution politique de la Grande-Bretagne. Les Anglais sont plus évolués au point de vue de la politique que nous ne le sommes.

M. CHOQUETTE: Le député de Saint-Jean devrait être sensible à cet aspect.

M. PROULX: II ne se fait pas de patronage à Outremont...

M. LE PRESIDENT: Le problème que soulève le député de Saint-Jean est réel. Il est réel. De là vient le fait — on le note déjà — que les travaux qui se font dans les commissions dépolitisent un peu les députés.

M. PROULX: M. le Premier ministre, c'est parce que, souvent, un député peut être complètement contre la politique du gouvernement et il aimerait pouvoir faire, comme dans certains pays, comme en Angleterre, où la tradition veut que l'on puisse voter contre le premier ministre.

M. BONENFANT: Si vous permettez, monsieur...

M. PROULX: Ces traditions-là nous en empêchent et nous sommes toujours sous la menace d'élections subites. Je trouve que c'est...

M. BONENFANT: Ce que j'ai suggéré, comme restriction à la responsabilité ministérielle tout à l'heure, ferait disparaître une grande partie des inconvénients dont vous parlez.

UNE VOIX: C'est cela. Cest cela.

M. BONENFANT: Précisément, je ne voudrais pas qu'on utilise souvent la responsabilité ministérielle, mais elle devrait rester comme une soupape, si vous voulez.

M. PROULX: Cette période de: Toi, tais-toi, ne peut plus exister maintenant. Si on prend une position différente de son gouvernement, on devrait pouvoir l'exprimer en Chambre. Et puis, on pourrait être obligé de démissionner, nous aussi. Il y a le problème des élections générales ou de la démission. On pourrait avoir d'autres attitudes que celles-là.

M. BONENFANT: Modifiez les règles.

M. LESAGE: Est-ce que vous voulez dépolitiser les séances des commissions?

M. PROULX: Non. Je parle surtout pour la Chambre.

M. LESAGE: Les séances de commissions sont passablement dépolitisées.

M. PROULX: Oui, Mais je pense...

M. LESAGE: Sauf quelques exceptions. Les exceptions sont remarquables.

M. PROULX: Oui.

M. LESAGE: C'est lorsque vous présidiez.

M. PROULX: Oui, ah! C'était autrefois. Maintenant j'ai pris de bonnes résolutions.

M. LE PRESIDENT: Vous avez fait des constatations malveillantes.

M. LESAGE: Non, non.

M. LE PRESIDENT: Malveillantes.

M. LESAGE: Non, c'est une constatation de...

M. LE PRESIDENT: Bien oui, mais elle est malveillante.

M. PROULX: Vous parlez d'audace.

M. LE PRESIDENT: Le climat n'était pas tellement dépolitisé.

M. PROULX: M. Lesage... Vous n'êtes pas pressé, vous.

M. LE PRESIDENT: Allez-y, M. Proulx.

M. PROULX: Attendez, le temps Joue contre vous.

M. BONENFANT: Parce qu'en Angleterre c'est comme en France.

M. CHOQUETTE: Le député de Saint-Jean ne comprend peut-être pas qu'il faut choisir entre être assistant parlementaire ou indépendant. C'est le choix qu'il a à faire.

M. PROULX: Etre député d'Outremont, cela ne pose pas de problème.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous n'avons pas la liberté de choix.

UNE VOIX: II n'y a pas de liberté de choix.

M. BONENFANT: Voici, c'est qu'en Angleterre, ces dernières années, on a accepté, en général, que la responsabilité ministérielle ne joue pas toujours d'une façon stupide comme autrefois, si vous voulez. Mais cela revient à ce que je disais tout à l'heure. Je pense que le critère du jeu de la responsabilité ministérielle doit dépendre dans certains cas, de l'acceptation ou du refus du gouvernement.

Je pense que si on mettait dans des textes constitutionnels certaines limites au jeu de la responsabilité ministérielle, certains des incon- vénients que vous déplorez disparaîtraient, si on garde le système de responsabilité ministérielle, évidemment.

M. PROULX: L'expérience a été faite à Ottawa quand le gouvernement Pearson demandait à tous les députés de voter selon leur conscience sur la peine de mort.

M. BONENFANT: C'est déjà arrivé à Québec. Dans le cas du vote des femmes, il y a quelques années, c'est ce qui est arrivé. Chaque année c'était un spectacle de voir comment se partageaient les députés des deux partis. J'ai connu cela dans ma jeunesse et c'était assez amusant de voir ceux qui étaient en faveur du vote des femmes et ceux qui étaient contre. C'est déjà arrivé dans le Québec et cela pourra arriver. Il n'appartient qu'au premier ministre de le décider.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, avez-vous d'autres questions à poser à M. Bonenfant?

M. LEVESQUE (Laurier): J'aurais une simple suggestion à faire. C'est qu'on a abordé un sujet, le régime présidentiel, dont plusieurs, au Parlement, à commencer par le premier ministre lui-même, ont assez souvent parlé, mais c'est resté flou jusqu'ici. Je crois que M. Bon-enfant nous a dit très honnêtement qu'il était venu, dès le début...

M. BONENFANT: Oui et j'étais aussi bien de le dire.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui. D'ailleurs, si vous ne l'aviez pas dit, cela aurait paru quand même. Il nous a dit qu'il est venu comme un adversaire de ce système-là, ce qui nous permet d'avoir un éclairage négatif, extraordinairement étayé, d'ailleurs, d'argumentations. J'aurais une suggestion à faire. La commission ne pourrait-elle pas prévoir — le sujet en vaut la peine — que quelqu'un qui soit favorable, autant que possible... On va attendre qu'il finisse...

M. BONENFANT: S'il vous plaît, j'aurais quelque chose à ajouter.

M. LEVESQUE (Laurier): D'accord. Je voudrais suggérer simplement que la commission trouverait peut-être avantage à inviter, de façon à pouvoir le pousser au pied du mur aussi, et en relisant ce qui est sorti de la séance de ce matin, quelqu'un qui, à qualifications égales ou comparables, défendrait le système présiden-

tiel afin qu'on puisse avoir de façon plus précise les deux côtés de la médaille.

M. BONENFANT: Je ne voudrais pas généraliser, mais il y a un phénomène assez amusant. Il semble que ceux qui s'occupent de sciences politiques à Québec sont plutôt contre le régime présidentiel, et qu'à Montréal on est plutôt en faveur de ce régime. C'est l'éternelle dualité du Québec, je pense.

M. LE PRESIDENT: J'ai ici deux articles... M. BONENFANT: Dans Le Devoir, oui.

M. LE PRESIDENT: ... qui ont été publiés dans Le Devoir.

M. BONENFANT: Qui étaient excellents, d'ailleurs.

M. LE PRESIDENT: Sous la plume de Claude Corbeau et Pierre Laforte.

M. BONENFANT: Oui. J'ai vu les articles. Ils sont excellents.

M. LE PRESIDENT: Ils sont tous deux professeurs à l'Université du Québec, à Montréal, et les deux articles sont favorables.

M. BONENFANT: Oui, je sais. Malgré qu'il y ait des réserves, par moment, par exemple.

M. LE PRESIDENT: Voici ce que nous pouvons faire, M. Lévesque. C'est que, d'abord quant à moi, je voudrais lire les propos de M. Bonen-fant. Nous pourrions peut-être avoir une réunion du comité directeur pour voir un peu quelle marche on pourrait donner à la commission, et nous ferons rapport. Mais j'aimerais savoir s'il y a encore d'autres questions à poser à M. Bonenfant.

M. LESAGE: J'aurais une question. A quel moment, M. Bonenfant, pensez-vous que vous pourrez nous remettre votre papier sur le régime allemand?

M. BONENFANT: A la fin de septembre à peu près.

M. LE PRESIDENT: Fin de septembre.

M. BONENFANT: Ah! dites ce que vous voulez, je vais le faire. Moi, c'est...

M. LESAGE: Non, non, je ne veux pas vous...

M. BONENFANT: Bien, c'est fin d'août, on arrive à la fin d'août.

M. LE PRESIDENT: Fin de septembre, ça nous va. Cela nous donne un mois.

M. LESAGE: C'est-à-dire qu'on arrive au milieu d'août demain.

M. LE PRESIDENT: Oh non!

M. BONENFANT: Oui, c'est vrai, vous avez raison.

M. LE PRESIDENT: Fin de septembre, je pense que c'est très bien.

M. BONENFANT: II y a un autre aspect qui avait été soulevé, je vous le signale, et qui est très intéressant. C'est, si vous rédigez une constitution, comment la rédigerez-vous? Là il y a plusieurs écoles, aussi. Il y a l'école, mol, encore là, je vais être catégorique, moi, je suis contre une constituante. On va me tomber sur le dos dans certains milieux, mais je crois qu'une constituante n'aurait que très peu de succès, de réussite ici. On a l'exemple des conventions américaines qui, depuis quelques années, sont devenues des réunions pour le...

M. LE PRESIDENT: Là n'est pas le problème, d'ailleurs. Vous aviez ce problème-là, qui est fondamental, et vous aviez le deuxième problème.

M. BONENFANT: C'était de savoir comment la rédiger et comment la préserver, si vous voulez.

M. LESAGE: Bien.

M. BONENFANT: Je peux esquisser le sujet, si vous voulez, simplement.

M. LE PRESIDENT: Pas d'objection. M. LESAGE: Oui.

M. BONENFANT: Premièrement, encore là, je suis catégorique, je crois que réunir une constituante, comme on l'a demandé en certains milieux, que vous connaissez, ça ne serait pas pratique. Je crois que les meilleurs rédacteurs — et, encore une fois, ce n'est pas pour vous flagorner — ce sont encore les représentants élus, à condition évidemment qu'ils travaillent en prenant des renseignements, et le reste. Cependant, ce que je verrais assez bien, ca serait, au

cours d'élections qui viendront peut-être un jour, qu'on dise que les députés qui sont élus sont élus presque certainement pour rédiger une constitution.

Donc, à mon sens, la rédaction ne doit pas relever d'un corps parallèle à celui des députés, mais doit relever du corps normal, qui a reçu une certaine délégation pour ce faire, ce qui est déjà arrivé en France, d'ailleurs, au lendemain de la guerre. Deuxièmement, une fois la constitution rédigée, à mon sens, une fois un projet rédigé, je crois — et là ça posera bien des problèmes — qu'elle devrait être soumise à un référendum d'approbation. A ce moment-là, mais, là encore, moi, sur le référendum, j'ai bien des hésitations. Le référendum, ça paraît bien en théorie, mais je vous prie de croire que quand vous êtes obligés de rédiger les questions, vous vous apercevez que ce n'est pas facile, et que demander à l'ensemble de la population de se prononcer sur des problèmes constitutionnels assez compliqués, ça devient assez délicat. Tout de même, je crois que c'est le seul procédé qu'il faudrait utiliser.

Maintenant, dans cette constitution-là, il faudrait mettre des garanties. Il ne faudrait pas qu'on puisse y toucher facilement. Je crois qu'il s'agirait de déterminer pourquoi il faut, à mon sens, certaines précautions.

Je pense qu'une des précautions devrait être analogue à la précaution de rédaction, c'est-à-dire que, pour toucher à des points importants, je pense qu'il faudrait le consentement par référendum. Inutile de vous dire qu'à l'heure actuelle, ça pose un problème constitutionnel, à la suite de la décision dans l'affaire du Manitoba, mais je crois que les problèmes de droit, ça peut toujours être résolu quand on veut les résoudre. Donc, ça esquisse un peu, si vous voulez, ce que j'aurais à dire sur ce sujet. C'est peut-être un peu comprimé, mais...

M. PROULX: M. Bonenfant, j'aurais le problème de faire rédiger cette constitution par des élus. Le seul danger, ça ne serait pas qu'on ferait une constitution à notre mesure.

M. BONENFANT: Pensez-vous que les autres n'en feront pas une I leur mesure?

M. PROULX: Non, mais ils nous font prendre...

M. BONENFANT: Le danger de certains éléments, à l'heure actuelle, c'est qu'ils confondent deux choses. Ils confondent la constitution pour le Québec et leur souhait de système pour tout le Canada. Je crois que ce sont deux problèmes différents.

M. PROULX: Je ne parle pas du Canada.

M. BONENFANT: Non, mais M. Lévesque vient d'acquiescer, je pense qu'il a saisi ce que je voulais dire. C'est que, jusqu'ici, ceux qui ont demandé une constituante le demandaient avec des idées bien arrêtées sur la nature du Québec qui aurait la prochaine constitution. Je crois que c'est dangereux. Ce que j'ai aimé dans les travaux qui ont été faits pour votre commission, par exemple par le professeur Jacques Brossard, c'est qu'ils sont faits en tenant compte de toutes les options possibles. C'est ce que j'ai essayé de faire aujourd'hui. Je pense qu'il est très dangereux de remettre tous ces problèmes-là en disant: Quand le Québec sera indépendant, ou des trucs comme ça. C'est que tout est possible, même à l'intérieur du système actuel. Il faut commencer même à l'intérieur du système actuel.

M. LESAGE: M. Bonenfant, quant à mol, je suis bien d'accord. C'est qu'il appartient aux élus, je pense bien, de rédiger une constitution à partir de tous les principes tels que vous les avez exposés ou modifiés.

Il s'agit pour les élus de se faire aider par des experts etc. Mais simplement ça doit être leur responsabilité. Pour ce qui est du référendum, personnellement je crois qu'il peut être très utile à un moment donné d'y avoir recours en général.

M. BONENFANT: Oui, J'aurai une remarque à faire sur ça. Je pense que le référendum est impossible dans les circonstances actuelles, tant que nous n'aurons pas de listes permanentes, le référendum va devenir une pagaille épouvantable.

M. LESAGE: D'accord.

M. LE PRESIDENT: Pourquoi...

M. BONENFANT: Parce qu'en l'absence de listes électorales, vous êtes obligés d'avoir une campagne de 45 jours.

M. LE PRESIDENT: ... devenir une pagaille? C'est entendu qu'une loi du référendum ne sera pas utilisée quotidiennement d'abord. Il faut partir de cela. Les problèmes importants seront soumis au peuple.

Deuxièmement, nous avons déjà tout un mécanisme électoral qui peut être utilisé indé-

pendamment. On parle de listes permanentes en vue des élections. On en parle depuis des années.

M. BONENFANT: Mais pourquoi ne pas...

M. LE PRESIDENT: Je n'ai aucune objection de principe à des listes permanentes.

M. LESAGE: La principale objection à une liste permanente que j'ai toujours entendue, c'est que même si vous avez une liste permanente ça vous prend encore une période de temps assez longue pour la reviser en vue d'une élection, ou en vue d'un référendum à une date donnée.

M. BONENFANT: Exactement. M. Lesage, vous avez un très bel exemple actuellement dans le Canada. La Colombie-Britannique va voter. En Colombie-Britannique on a pu tenir des élections 35 ou 36 jours après la décision. Tout ce qu'on a en Colombie-Britannique, ce sont des listes permanentes qui sont liées à la démographie.

M. LESAGE : M. Bonenfant, je ne vous donne pas tort, je vous dis quels ont été les arguments invoqués à l'encontre d'une liste permanente. Les arguments invoqués à l'encontre d'une liste permanente ont été surtout des arguments de coût. Je vous dis ce qui a été fait, je ne porte pas de jugement.

M. BONENFANT: Je sais.

M. LESAGE: Voyez-vous, avec la préparation d'une liste électorale, nous y arrivons avec un délai, entre la dissolution et le jour du vote, qui est de 46 jours.

M. BONENFANT: C'est serré.

M. LESAGE: Oui, mais on y arrive en 46 jours. Vous donnez l'exemple de la Colombie canadienne où le délai a été entre 35 et 40 jours. Donc, il n'y a pas une grosse différence.

M. BONENFANT: Oui.

M. LESAGE: Je n'ai pas d'objection à la tenue de listes permanentes et j'aurais d'autant moins d'objection que ces listes pourraient être utilisées plus souvent. Si elles sont utilisées seulement pour les élections générales ou pour des élections partielles, je me demandais si cela en valait la chandelle. Mais si on utilise ces listes pour des référendums, je crois que ça vaudra le coût.

M. BONENFANT: C'est pour ça que je l'ai dit à propos du référendum.

M. LESAGE: Cela vaudrale coût additionnel. Je suis d'accord. Mais j'en arrive à vos référendums.

M. LEVESQUE (Laurier): M. Lesage, à propos de cela, il y a une question que j'ai posée en Chambre et à laquelle je n'ai pas eu de réponse. Je ne sais pas quelle est l'opinion des membres de la commission. On parle d'emploi des listes permanenetes. Maintenant la qualité d'électeur municipal ressemble à peu pris totalement — si la nouvelle loi qui a été proposée est adoptée — à celle d'électeur au niveau québécois si vous voulez. Ce que je me demande — je n'ai pas eu de réponse — c'est pourquoi puisqu'on l'a au niveau provincial, c'est-à-dire le vote à 18 ans, cela m'a l'air d'être la seule exception majeure. S'il y avait cette même définition d'électeur, cela ne pourrait-il pas également servir dans cet immense paquet?

M. LE PRESIDENT: Une raison additionnelle pour établir des listes permanentes.

M. LEVESQUE (Laurier): Je n'ai jamais su pourquoi. J'ai eu une réponse dans le genre: Le comité y a pensé, il a laissé ça de côté. On l'a laissé 21 ans. Pourquoi? Est-ce qu'on le sait?

M. LE PRESIDENT: Dans la ville de Québec, ils ont le vote à 18 ans.

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, il y a plusieurs cas. Pourquoi?

M. LE PRESIDENT: De la part des municipalités, il y a eu des représentations à l'effet qu'on voulait attendre l'expérience dans la ville de Québec. Mais il n'y a pas d'objection de principe à ce que le vote municipal soit exactement suivant les mêmes critères.

M. LEVESQUE (Laurier): Comme dans les mairies, je pense, en France, on aurait vraiment un emploi massif.

M. BONENFANT: En France, on fait des élections dans trois semaines et en Angleterre de même et on évite tous les abus d'une longue campagne. Si vous voulez diminuer les dépenses électorales, c'est un bon moyen aussi.

M. LESAGE: D'accord. Maintenant, M. Bonenfant, au sujet du référendum, ou les référendums, c'est là que j'en arrivais. Croyez-vous

qu'avec notre système qu'un parti au pouvoir serait justifié de tenir un référendum le jour d'une élection générale? C'est ma première question.

Ma deuxième question: De quelles précautions, de quelles garanties devrait être entourée la rédaction de la ou des questions? Faudrait-il faire intervenir, à ce moment-là, le pouvoir judiciaire, comme la cour d'Appel? Vous y avez pensé, j'en suis sûr.

M. BONENFANT: Oui. Premièrement, je crois que, surtout au début, pour éviter des dépenses électorales et surtout si on n'a pas de liste permanente, il serait bien de tenir le référendum à l'occasion des élections. C'est ce qui se fait aux Etats-Unis. Comme vous le savez, les gens ont à voter pour toutes sortes de choses. Par ailleurs, je vois un danger c'est que ça va politiser le référendum.

M. LESAGE: Certainement.

M. BONENFANT: Mais au début, si vous n'avez pas...

M. LESAGE: Sur une question qui serait posée, où les partis s'opposent, moi je crois, que...

M. BONENFANT: Moi, j'aime mieux que ce soit séparé.

M. LESAGE: ... ce serait fausser et la réponse à la question posée au référendum et risquer de fausser le résultat de l'élection, d'un côté ou de l'autre, ou même les deux.

M. BONENFANT: Oui mais à condition que vous possédiez une loi du référendum qui permette d'opérer rapidement. C'est pour ça que j'insistais sur les listes permanentes.

M. LESAGE: Je suis parti de là, M. Bonen-fant.

M. BONENFANT: Très bien.

M. LESAGE: Je vous ai dit que ma seule objection aux listes permanentes ç'avait été le coût mais que cette objection disparaîtrait dès l'instant où ces listes serviraient plus souvent. Donc, j'étais d'accord. Mais à partir de l'existence de listes permanentes, vous comprenez bien le danger que je perçois à la tenue d'un référendum. Lorsqu'on tient des référendums aux Etats-Unis, à l'occasion des élections, les questions posées sont sur des questions strictement de pouvoir administratif.

M. BONENFANT: Oui, doit-on permettre aux noirs d'avoir des habitations?

M. LESAGE: C'est différent et assez anodin, ce n'est pas sur des questions de paix ou de guerre, ce n'est pas sur des questions constitutionnelles, c'est sur des questions administratives.

M. BONENFANT: Il y en a aussi sur des questions constitutionnelles. Il y a un détail qui va peut-être vous amuser, c'est qu'un référendum est une politique qui, généralement, est très conservatrice. Les gens qui votent en référendum sont plus conservateurs que les représentants du peuple.

M. LESAGE: Je le sais, d'ordinaire c'est non. D'ailleurs on sait l'expérience que nous avons.

M. BONENFANT: Cela a été étudié.

M. LESAGE: On vient de l'avoir à Lévis, dans le cas de la construction, c'est-à-dire ce n'était pas... mais, dans les référendums qui sont tenus ici au niveau municipal, il est certain que nous avons connaissance de ce phénomène que vous mentionnez; le conservatisme fondamental de la population...

M. BONENFANT: En Australie aussi.

M. LESAGE: ... qui répond assez régulièrement non et qui veut rester sur les choses acquises, sur les choses établies. Mais disons que ce sont les résultats. Au point de vue...

M. BONENFANT: La rédaction maintenant.

M. LESAGE: ... de la rédaction des questions, c'était ma deuxième question.

M. BONENFANT: Cela, c'est bien difficile. Je me rappelle avoir déjà travaillé à la rédaction de la question, vous vous rappelez peut-être, M. Lesage, c'était à vos débuts, du référendum pour faire disparaître la fameuse classe d'électeurs corporatifs à Montréal.

M. LESAGE: La classe « C ».

M. BONENFANT: Nous étions un petit comité de trois ou quatre; il y avait en particulier, M. Pigeon et nous avons travaillé longtemps avant de réussir à rédiger la question. C'est extrêmement difficile parce qu'on peut suggérer la réponse dans la façon de rédiger la

question. C'est pour ça que je crois que la question devrait être rédigée par un organisme qui n'est pas trop lié au gouvernement. Je reviens à un organisme général qui, d'après moi, dans le Québec, pourrait être utile. C'est une sorte de conseil constitutionnel auquel on pourrait confier...

M. LESAGE: Un conseil d'Etat.

M. BONENFANT: Là un conseil d'Etat pose un problème; moi je suis favorable au conseil constitutionnel.

M. LESAGE: Qu'on l'appelle comme on voudra.

M. BONENFANT: Je pense que ça devrait être rédigé par un organisme composé, par exemple, de juges, certains juges, certains professeurs aussi, qui, d'après moi, sont peut-être dégagés des luttes populaires, si vous voulez.

M. LE PRESIDENT (M. Bertrand): M. Bonen-fant, ne verriez-vous pas, par exemple, une commission comme celle-ci qui, avec des experts, pourrait rédiger la question?

M. BONENFANT: Certainement.

M. LE PRESIDENT (M. Bertrand): En fait, on ne soumettra jamais par voie de référendum un problème qui ne soit pas, disons, devant l'opinion publique, un problème important. Alors, à ce moment-là la Loi du référendum prévoit un mécanisme au moyen duquel la question devrait être formulée par une commission de la Chambre et votée par la Chambre. Il y a peut-être un inconvénient à ça...

M. BONENFANT: C'est d'ailleurs une bonne façon de valoriser les commissions. On parlait de la nécessité de valoriser les commissions. La meilleure façon de valoriser quelqu'un, c'est de le faire travailler, après tout. Je crois qu'une commission qui est bipartite, pourrait faire une rédaction qui serait intelligente.

M. LESAGE: Oui, mais M. Bonenfant, si, en partant de la commission, même si vous avez la majorité gouvernementale, il arrive...

M. BONENFANT: Partout...

M. LESAGE: Bien oui, partout. Mais cela n'arrive pas, si vous faites faire cela par une...

M. BONENFANT: Mais qu'est-ce que vous voulez, M. Lesage? A un moment donné, il faut que ce soit le gouvernement qui triomphe.

M. LE PRESIDENT: C'est ça.

M. LESAGE: D'accord, mais on n'est pas obligé de faire exprès pour faire triompher le gouvernement sur les référendums.

M. BONENFANT: Bien, il y aurait peut-être la soupape suivante: La question ne pourrait être posée au référendum que si elle a fait l'unanimité de la commission. Si elle ne fait pas l'unanimité de la commission, prévoir un mécanisme de rédaction par le juge en chef.

M. LESAGE: Là, très bien. Vous avez une... comment dirais-je?

M. BONENFANT: ... une soupape... M. LESAGE: ... une soupape, oui.

M. BONENFANT: Mais je pense que c'est bon de valoriser les commissions.

M. LESAGE: Oui, oui, j'en suis. Je n'ai pas d'objection au système que vous mentionnez, que, si l'unanimité ne se fait pas lia commission, ce soit référé...

M. PROULX: Est-ce que je pourrais poser une question à M. Lesage, sur le même sujet, pour avoir son opinion? Quels seraient les questions qui pourraient être posées dans un référendum? Quels seraient les sujets ou les thèmes qui seraient fondamentaux, d'après vous?

M. LESAGE: Qu'est-ce que vous en pensez, M. Proulx?

M. PROULX: Bien, je voudrais avoir votre opinion là-dessus.

M. LESAGE: Bien, j'aimerais avoir la vôtre.

M. PROULX: C'est parce qu'on a eu dans l'histoire du Canada, deux grands...

M. LESAGE: M. Bonenfant a donné un exemple tantôt. Il serait bon de soumettre les principaux points de la constitution à un référendum. En principe, j'étais d'accord, à condition que cela soit entouré de certaines garanties...

M. PROULX: On a eu dans l'histoire du Canada, deux grands référendums. Un sur la prohibition en 1904... on peut se demander si c'est

M. Laurier qui a fait passer ce référendum-là. La province de Québec était contre la prohibition. L'Ontario était pour la prohibition. De telle façon que cela a encore divisé et le Québec et l'Ontario. On a fait un autre référendum, durant la guerre, concernant la conscription. Le seul effet a été de diviser encore les Canadiens français et les Canadiens anglais.

M. LESAGE: Oui, je suis bien d'accord.

M. PROULX: Québec a voté contre la conscription. Les Anglais et le reste ont voté pour...

M. LE PRESIDENT: C'est le danger d'un référendum...

M. LESAGE: Oui, oui, c'est le danger des plébiscites...

M. PROULX: Ce que je veux dire, c'est que, dans ces deux cas, cela n'a fait que diviser le Québec et le Canada, et cela n'a absolument rien donné. M. King a imposé quand même la conscription.

M. LESAGE: Oui, mais, M. Proulx, comprenez bien que si vous arriviez, par exemple, aux droits fondamentaux des minorités, jamais vous ne pourriez avoir, à une commission parlementaire, l'unanimité sur le référendum. Parce que c'est là le danger. C'est pour cela que j'ai tellement reproché à M. King — et je m'étais séparé de mon parti — d'avoir tenu un plébiscite sur la question de la conscription. Cela ne pouvait avoir pour effet que de diviser le pays.

M. PROULX: C'est ça.

M. BONENFANT: On cherche un exemple. La résurrection d'un conseil législatif élu pour représenter les régions pourrait être un thème de...

M. LESAGE: Et cela évidemment ne touche pas les droits des minorités.

M. LE PRESIDENT: Non, cela ne se divise pas.

M. BONENFANT: Ce serait peut-être la chose...

M. LESAGE: Sur les référendums, il y a une chose à laquelle il faut faire attention...

M. LE PRESIDENT: Cela dépend des problèmes...

M. LESAGE: ... ce sont les droits des mino- rités. Parce que si nous commencions dans le Québec à tenir des référendums qui toucheraient les droits des minorités, eh bien, je pense que nous poserions un geste qui pourrait avoir pour nous, comme minoritaires dans l'ensemble du Canada, des conséquences extrêmement graves.

M. PROULX: Le danger que je trouverais dans un référendum — M. Bonenfant, dites-mol ce que vous en pensez — c'est qu'on peut « en-carcaner » l'histoire d'une nation ou d'un peuple. C'est ça le problème. On peut...

M. LE PRESIDENT: Par la question qui est posée?

M. PROULX: Oui et non. C'est qu'on ne règle pas l'histoire d'un peuple, l'histoire d'une nation par un référendum. C'est le vrai danger. Je ne parle pas en termes de partis ou en termes de quoi que ce soit. C'est ça. Pour la Chambre haute, d'accord. Mais c'est le danger fondamental de mettre l'histoire d'un peuple, l'histoire d'une nation dans un référendum.

M. LESAGE: Ce n'est pas tant l'histoire... C'est l'avenir...

M. LE PRESIDENT: A ce moment-là, M. Proulx, elle est quand même soumise au jeu des partis politiques. Parce que les partis politiques prônent devant le peuple des idées, des options...

M. CHOQUETTE: Cela fige...

M. LE PRESIDENT: ... Alors, à ce moment-là, l'histoire est soumise au jeu des partis. Quand vous soumettez... Posons le problème comme vous le posez. L'histoire d'un peuple soumise à un référendum par une option. Je crois que c'est peut-être la meilleure manière à ce moment-là.

M. PROULX: C'est que cela peut — pour prendre l'expression heureuse du jeune et brillant député d'Outremont — cela peut figer d'une façon artificielle, mettre dans un carcan l'avenir d'un peuple et d'une nation qui peut s'épanouir d'une autre façon.

M. LE PRESIDENT: Oui...

M. LESAGE: Disons, M. Proulx, que je suis parfaitement d'accord avec vous pour dire que toute tenue de référendum est hérissée de difficultés si elle touche à des questions fondamentales. Et c'est à cause du danger que cela

représente que, tantôt, j'ai demandé à M. Bonenfant de bien vouloir nous décrire certains mécanismes de contrôle, de garanties, de précautions, malgré qu'en principe je sois d'accord.

M. PROULX: Et moi, M. Lesage, comme membre de cette commission, je tiens à exprimer clairement que je vois un grand danger et que je présenterais beaucoup d'objections à jouer l'avenir du Québec par un référendum. Je m'y oppose.

M. LACROIX: Qui exposerait à la population les implications de la question posée dans un référendum?

M. LEVESQUE (Laurier): D'ailleurs, c'est là le problème.

M. LACROIX: Si c'est le gouvernement qui pose la question à la population, naturellement il a tout l'appareil administratif, il a la publicité de tout cela. Mais, ceux qui veulent faire la contrepartie, exposer à la population l'autre côté de la médaille, qui va les aider qui va les financer?

M. BONENFANT: Moi, j'ai de la difficulté à développer mes arguments. Je suis contre le référendum en général.

M. PROULX: Boni

M. BONENFANT: Mais, Je cromprends que le gouvernement aime peut-êtxe avoir dans sa poche, comme instrument, la possibilité d'un référendum. C'est une distinction qu'il faut faire, je crois. Le référendum a réussi dans des pays tout à fait spéciaux; c'est le cas de la Suisse. Mais, la Suisse, comme je le disais tout à l'heure, n'est jamais un exemple en institutions politiques; c'est un cas spécial. Quant aux référendums d'Australie, il y en a eu un certain nombre qui n'ont pas été brillants. En général, moi je crois que le référendum, ce n'est pas une bonne politique. Si on élit des gens, qu'ils prennent leurs responsabilités, c'est tout.

M. LACROIX: C'est cela.

M. CHOQUETTE: c'est de nature de la démocratie athénienne qui existe seulement en théorie.

M. BONENFANT: Oui, mais cela a été fait pour un petit groupe, la démocratie athénienne.

M. CHOQUETTE: C'est cela.

M. BONENFANT: Ce n'est pas de la démocratie, la démocratie athénienne.

M. CHOQUETTE: Oui.

M. BONENFANT: Cela a été fait pour un petit groupe.

M. CHOQUETTE: Bien, oui, justement.

M. BONENFANT: Les esclaves étaient là pour l'étayer.

M. CHOQUETTE: Justement, vous aviez un petit groupe qui vivait grâce aux esclaves qui n'avaient pas un mot à dire, mais le petit groupe, c'est lui qui dirigeait.

M. BONENFANT: Je suis de votre avis. M. CHOQUETTE: Dans le club, cela va bien.

M. LEVESQUE (Laurier): C'est à peu près comme à Outremont.

M. CHOQUETTE: Si le député de Laurier continue, je lui dirai...

M. LE PRESIDENT: Un instant M. Choquette.

M. CHOQUETTE: ... qu'en tant qu'électeur j'aurai à aller le voir et à discuter de la question avec lui.

M. PROULX: On va vous laisser vous faire élire tout seul. Nous n'irons pas dans votre comté.

M. LACROIX: Vous venez de perdre un vote!

M. LEVESQUE (Laurier): Oui, et il a besoin de nous pour le vote.

M. CHOQUETTE: Non, mais j'ai ma date. Cela s'annule.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous parliez de la tenue de référendums. Sans me prononcer sur le sujet, Je suis sympathique à l'idée de référendums à certaines conditions. Cependant, on ne peut pas parler de référendum à l'occasion d'une élection générale.

M. BONENFANT: Parce qu'on a voté sur un ensemble.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Il faut dissocier les problèmes d'administration et les problèmes locaux de certaines grandes questions

qui peuvent être posées à l'occasion d'une élection générale. Le référendum, à ce moment-là, ne pourra être tenu qu'indépendamment du scrutin général et porter sur des questions fondamentales. M. Lesage disait tout à l'heure : Il ne faudrait pas que ce soit le gouvernement qui ait la haute main là-dessus. Forcément, le gouvernement qui pose la question sous forme de référendum met sa tête à prix. Il demande à être jugé sur une question précise et c'est là le sens, l'objet du référendum.

Personnellement, je n'ai pas d'objection à une formule de référendum. Il reste, toutefois, à définir des mécanismes qui permettent, comme le disait tout à l'heure le député des Iles-de-la-Madeleine, à qui que ce soit des citoyens de donner la contrepartie. Si, par exemple, je suis chef de gouvernement et que je décrète un référendum, je dis: Bon, nous sommes pour ou contre telle ou telle chose et je prends tous les moyens d'information pour faire valoir ma thèse. A ce moment-là, le référendum est faussé. Alors, c'est un danger qu'il nous faut prévoir. Je ne sais pas par quel moyen il serait possible d'éviter une difficulté aussi sérieuse qui, elle, met en cause la démocratie.

M. BONENFANT: Oui, j'admets ce que vous dites, mais, ne croyez-vous pas que la discussion est un peu faussée ici parce que certains ont à l'esprit certains référendums sur l'avenir du Québec?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est ça!

M. BONENFANT: Bon! Moi, je laisse de côté ce genre de référendum.

S'il s'agit d'un référendum pour approuver, par exemple, la création d'une institution politique, j'ai peur — et je vais être prudent dans mes paroles — que l'ensemble des votants ne soit malheureusement pas aussi compétent que ses représentants pour décider du problème. Par exemple, s'il est nécessaire de créer une seconde Chambre, je crois — et ce n'est pas pour vous flagorner, je crois que les députés sont plus compétents que l'ensemble de la population pour le décider — qu'il appartient aux députés de l'imposer même, cette seconde Chambre, s'ils la croient bonne.

Le danger c'est que dans toute la discussion on songe à un référendum spécial, disons-le, sur l'avenir du Québec, par exemple. Et là, tout ce que vous venez de dire, je l'admets.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Sur des options constitutionnelles.

M. BONENFANT: Sur des options plus que constitutionnelles, des options fondamentales.

M. LE PRESIDENT: M. Proulx.

M. PROULX: M. Lesage, tout à l'heure, a fait des allusions partisanes. Me permettez-vous d'en faire une?

M. LE PRESIDENT: Si vous me demandez la permission, je vais vous la refuser.

M. PROULX: Non, non.

M. LE PRESIDENT: Si vous la faites, je ne pourrai pas vous en empêcher.

M. PROULX: En 1962, M. Bonenfant, nous avons eu la nationalisation de l'électricité.

M. LESAGE: Cela vous a pris du temps pour y penser.

M. PROULX: Est-ce que cela aurait du être le sujet d'un référendum ou le sujet d'une élection?

M. LESAGE: Vous pensez que M. Bonenfant va vous répondre?

M. PROULX: Je le sais.

M. BONENFANT: J'ai mes idées sur cela.

M. PROULX: Oui? Je sais, monsieur, que vous êtes capable de répondre.

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'on a d'autres questions à poser à M. Bonenfant?

M. LESAGE: Avez-vous déjà pensé à ce que M. Bonenfant a dit tantôt à l'effet que lors de référendums, la réponse négative est une grande tentation pour la population?

M. PROULX: Ah, la chicane est prise, c'est cela que j'ai voulu.

UNE VOIX: C'est bon!

M. LE PRESIDENT: Alors, messieurs, si on n'a pas d'autres questions à poser à M. Bonenfant, nous allons attendre son travail...

M. BONENFANT: Oui, très bien.

M. LE PRESIDENT; ... qui a été commandé pour la fin de septembre.

M. BONENFANT: Oui.

M. LE PRESIDENT: Je suggérerai qu'afin de faire le point sur tous les problèmes qui peuvent se poser, dont celui de la déclaration des droits de l'homme, nous ayons, le 29 août à dix heures, une rencontre des membres du comité directeur pour établir un plan de travail. Ce comité directeur était formé, entre autres, de M. Dozois. Je suggère que M. Masse remplace M. Dozois. Il y a également M. Lesage, M. Bousquet, M. Laporte et le président du comité.

Le 29 août, nous serons en mesure de tracer le programme des prochaines séances. Est-ce que les membres du comité acceptent cette suggestion?

M. PROULX: M. le Président...

M. LE PRESIDENT: Oui, M. Proulx.

M. PROULX: Est-ce que dans le travail qu'on a demandé, M. Bonenfant pourra préparer une bibliographie? Est-ce que cela a été décidé?

M. LE PRESIDENT: Pardon?

M. BONENFANT: Oui. D'ailleurs, je prépare toujours une bibliographie quand je travaille.

M. LE PRESIDENT: Alors, merci infiniment, M. Bonenfant...

M. BONENFANT: C'est moi qui vous remercie.

M. LE PRESIDENT: ... de votre présence et de vos propos. Merci aux membres du comité. Comité directeur vendredi le 29 août à dix heures, à ma salle de conférence.

(Fin de la séance: 12h 15)

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