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Version finale

28e législature, 4e session
(25 février 1969 au 23 décembre 1969)

Le mardi 4 février 1969 - Vol. 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Bill 85 - Loi modifiant la Loi du ministère de l'Éducation, la Loi du Conseil supérieur de l'éducation et la Loi de l'instruction publique


Journal des débats

 

Comité de l'éducation (3)

Séance du 4 février 1969

(Dix heures dix sept minutes)

M. GARDNER (président du comité): A l'ordre! Nous continuerons d'entendre les intéressés au comité de l'éducation. On me dit que M. Gérard Turcotte, secrétaire exécutif de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal serait prêt à présenter son rapport. Le représentant de la société est M. André Paquette, Je crois.

UNE VOIX: C'est ça.

M. André Paquette

M. PAQUETTE: M. le Président, messieurs les membres du comité, je me présente: André Paquette, secrétaire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. J'aimerais vous présenter certains membres de notre conseil d'administration, qui sont ici aujourd'hui: M. Dollard Mathieu, notre président; Mme Sirois, administratrice; Me Laviolette, M. Charest, M. Turcotte et M. Trudeau.

UNE VOIX: M. Trudeau? M. PAQUETTE: M. Trudeau. UNE VOIX: Pierre Elliott?

M. PAQUETTE: Ce n'est pas le même.

Si vous me permettez, je vais procéder à la lecture du mémoire.

La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a l'honneur de vous faire part de ses représentations sur le bill 85 qui, indubitablement, passionne la population.

Les activités de notre société, ces dernières années, ont été polarisées par le problème exact que tente de résoudre ce bill. Qu'on en juge: en 1966 et en 1967, notre société a tenu des journées d'étude ayant pour thème « L'immigration au Québec ». Avant de poursuivre, je tiendrais à vous apporter la précision suivante: le groupe que je représente est la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Il y a d'autres sociétés dans d'autres villes. Il y a même une fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste, mais le mémoire qui vous est soumis présentement est celui de Montréal. Par suite de ces études, nous avons formé une association de sociétés nationales diverses — il y a des Ukrainiens, des Italiens, il y a d'autres sociétés — qui groupe une trentaine de représentants des diverses commu- nautés. A l'intérieur même de notre société, nous avons organisé un comité permanent sur l'immigration. Une soixantaine de personnes, dont la moitié sont des Néo-Québécois, se réunissent une fois par mois pour étudier la situation et pour trouver des solutions.

Nos travaux sur la langue française sont bien connus. En 1965, notre société a chargé huit de ses membres d'étudier le problème posé par le statut de la langue française au Québec. Le rapport soumis fut subséquemment étudié en comité, soumis aux membres en 1967 et présenté sous forme de mémoire à l'honorable premier ministre de cette province, le 18 avril 1967.

Les immigrants

L'enfant de l'immigrant au Québec sera-t-il de langue française? Nous soumettons que c'est là que réside le problème posé par le bill 85, et si les événements de ces derniers mois qui ont provoqué le dépôt de ce bill ont pu inquiéter, ennuyer, troubler et même choquer, il n'en reste pas moins qu'ils ont permis de poser très clairement cette question à laquelle une réponse non moins claire doit être donnée.

Si le Canada était un de ces pays à population stabilisée, d'où l'on part peu et ou l'on immigre peu, les problèmes seraient limités. On a toutefois vu de ces pays qu'autrefois on nous donnait en exemple, comme la Belgique et la Suisse, être agités de véritables convulsions; il n'est donc pas étonnant que nous nous posions des questions.

On immigre beaucoup au Canada, on émigré beaucoup aussi du pays. Pour le Québec les chiffres sont les suivants: il est entré de 1901 à 1961, 1,147,660 immigrants, dont 759,211 sont repartis, de telle sorte que 388,449 de ces personnes se sont établies chez nous. On sait que, pendant les mêmes années, un nombre au moins égal de Québécois ont quitté la province pour s'installer aux Etats-Unis, en Ontario ou dans l'Ouest. Aussi est-il important de se soucier de l'attitude de ces immigrants à l'égard de la langue française. Les statistiques révèlent que:49.3%soit 191,573, ne parlent qu'anglais; 14.3%, soit 55,704, ne parlent que français; 28.4%, soit 110,495, parlent l'une et l'autre langue. Ces données sont tirées du recensement de 1961.

Si l'on s'en rapporte aux statistiques montréalaises récentes, et plus particulièrement aux statistiques scolaires, il semble que le mouvement s'accentue: 74.7% des enfants néo-québécois fréquentaient en 1962-1963 les écoles anglophones de la Commission des écoles catholiques de Montréal, soit 19,291 élèves; ce nombre est monté à 27,194 en 1966-1967.

La totalité, ou presque, des enfants néo-qué-

bécois, de religion protestante ou non catholique, fréquentent les écoles anglophones du Greater Montreal Protestant School Board; les statistiques fédérales révélant que les immigrants qui s'installent au Québec sont à 50% catholiques (194,029), il en résulte donc qu'environ 25,000 enfants néo-québécois de religion non catholique fréquenteraient des institutions protestantes anglophones.

De ces divers chiffres, il ressort donc qu'une minime proportion d'environ 12 ou 13% des enfants néo-québécois fréquentent l'école française.

Nous reproduisons en annexe à ce texte les statistiques publiées par la Commission des écoles catholiques de Montréal, pour bien montrer l'évolution de la fréquentation scolaire des enfants néo-québécois, ainsi que le pourcentage, par groupe d'origine, de fréquentation de l'école française.

Aucune analyse plus poussée n'est nécessaire; les chiffres sont éloquents.

Nous croyons qu'il est très urgent de remédier à cet état de fait qui met en cause le destin du groupe franco-québécois.

Le groupe anglophone

Les membres de nos divers comités, qui ont étudié le problème de l'immigration et celui du statut de la langue française, ont toujours eu pour souci primordial d'éviter de tomber dans quelque piège raciste. La communauté francophone du Québec comporte de nombreux descendants d'origines diverses; Ecossais de la Gaspésie, Irlandais de la région de Québec, Italiens de Montréal, voire Allemands, descendants des régiments saxons installés sur le Richelieu et dont l'un, William Blumhardt, a même fondé le journal La Presse. Le racisme n'a rien à voir dans notre attitude qui est même la négation du racisme. Nous voulons que ces gens qui viennent s'installer parmi nous se joignent à nous qui constituons la forte majorité de la population de la province.

A l'égard de ceux qui ne font pas partie du groupe francophone du Québec, notre attitude est la même. Nous ne sommes pas racistes et, si nous sommes consentants à admettre que puisse se continuer un certain état de fait, vu certains privilèges acquis historiquement, nous nous refusons à faire appel à la généalogie des familles pour déterminer qui pourra se prévaloir du privilège. Ainsi, nous admettons que puissent être considérés comme faisant partie du groupe anglophone tant ceux qui descendent des conquérants de 1760 que ceux qui jusqu'à ce jour se sont assimilés à eux.

Nous demandons toutefois que des mesures correctives soient apportées afin que les anglophones ainsi définis puissent non seulement avoir un « working knowledge of the French language », mais possèdent le français d'une façon parfaite, pour que jamais plus au Québec la majorité de la population ne se fasse répondre par la minorité possédante qu'elle doit travailler dans une langue qui n'est pas la sienne.

Les propositions de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

Le système public de la province de Québec, que devront, sauf exception, fréquenter tous les enfants québécois, doit être un système français où la langue anglaise sera enseignée adéquatement à titre de langue seconde, à compter du secondaire. Dans certaines régions où une très grande concentration d'élèves de langue maternelle non officielle — par ceci, on entend, par exemple, une concentration d'Italiens, d'Ukrainiens ou de Polonais — fréquenterait ces écoles, il serait bon que, deux heures par semaine, des cours soient donnés dans cette langue, tels cours pouvant être de religion ou de langue à proprement parler.

Par cette mesure, nous croyons qu'il serait fait droit à cette représentation souvent entendue et bien fondée que l'apport original des divers groupes ethniques peut constituer un actif pour le Québec; d'autant plus que pourrait ainsi se trouver corrigé le sentiment de dépaysement ou ce fossé entre les générations qui ne peuvent survenir que si la langue utilisée dans la famille ne reçoit aucune considération à l'école. Nous croyons que ces cours devraient être donnés pendant les heures normales de classe, sur une base optionnelle, et devraient comporter l'allocation de crédits, comme toute autre matière, et ce, tant au primaire qu'au secondaire.

Pour les anglophones, des classes ou écoles dépendant du système public général devraient être organisées en remplacement des systèmes actuels. Le français et l'anglais devraient être utilisés dans telles écoles dans la même proportion; certaines matières étant enseignées en français, d'autres en anglais, mais le nombre d'heures d'enseignement dispensé en chaque langue devant être égal. Les examens qui seront appelés à passer les élèves, devront être passés dans la langue qui aura servi à l'enseignement. De plus, dans le cas où des options existeraient on devrait tenir compte de cette règle, il devrait être prévu que les élèves devront choisir les matières d'enseignement en conséquence.

Aux fins de mieux expliciter le terme d'anglophone utilisé antérieurement dans le présent

texte, une définition précise devrait être insérée dans la lot. Nous suggérons, en conformité de nos recommandations la définition officielle: « Enfant de parents anglophones signifie aux fins de la présente loi tout enfant ou descendant d'une personne qui, au moment de la sanction de la présente loi, est, d'une part, citoyen canadien, d'autre part est lui-même de langue maternelle anglaise ou a déjà commencé à envoyer ses enfants dans une institution d'enseignement où la langue de l'enseignement est l'anglais. » (D'autres définitions pourraient être données, cependant nous croyons qu'une définition plus large irait à l'encontre du bien commun).

La langue maternelle pourrait être définie comme étant la première langue apprise à la maison.

Nous croyons de la sorte que seront protégés adéquatement ce qu'on qualifie souvent de « droits acquis ». Quant à l'avenir, les personnes qui choisiront de venir s'établir au Québec sauront que l'école publique, ainsi que l'école privée subventionnée, sont de langue française, la liberté de choix pouvant dès lors s'exercer au départ du pays d'origine.

Ce système, croyons-nous, sauvegardera les privilèges des anglophones établis parmi nous ainsi que ceux des non-anglophones qui se sont assimilés à ce groupe et les droits réels du groupe majoritaire franco-québécois.

Le projet du bill 85.

Le projet de loi, tel que présenté, nous semble inadmissible. 1) D'une part, il ne crée aucune obligation pour ceux qui s'établissent au Québec d'acquérir une connaissance réelle du français. Nous comprenons bien que cet objectif puisse être difficile à réaliser en ce qui concerne les immigrants adultes, ce n'est pas le cas pour les immigrants enfants ou les enfants d'immigrants. Telles personnes devraient obligatoirement, non seulement apprendre le français, mais de plus, être intégrées au groupe français, ce, par l'école. 2) D'autre part, le bill 85 oblige les commissions scolaires qui, jusqu'à ce jour n'y sont pas tenues, d'ouvrir des classes, des écoles anglaises pour tous ceux qui le désirent.

La loi laisserait donc au bon vouloir de chacun l'étude du français mais créerait aux commissaires d'école l'obligation de créer des classes anglaises. Nous ne pouvons accepter cette proposition. Nous comprenons bien que par l'article 22 a, paragraphe h, on espère par voie de réglementation assurer qu'un enseignement adéquat de la langue française soit fourni dans les écoles anglophones. Cependant, l'enseignement de la langue ne nous semble pas devoir suffire. L'intégration des nouveaux arrivants au groupe francophone doit être recherchée et le moyen qui nous semble devoir s'imposer est l'intégration par l'école. Nous répétons ici que pour les futurs arrivés, la liberté de choix doit s'exercer au départ de la terre natale.

Conclusion

Les membres de nos divers comités ont tenté, tout au long de leurs études et recherches, de rendre justice à chacun. Nous croyons que la proposition soumise à votre honorable comité est juste et équitable pour tous. Les anglophones et ceux qui se sont assimilés à eux voient leurs privilèges confirmés, mime s'ils se voient imposer une obligation qui ne nous semble que raisonnable. Par ailleurs, la nation canadienne-française du Québec a aussi droit à ce que justice lui soit rendue. Nous croyons qu'un texte de loi conforme aux principes énoncés dans le présent mémoire lui assurerait cette justice.

M. LE PRESIDENT: Merci, M. Paquette, est-ce que vous êtes prêt à entendre quelques questions?

M. PAQUETTE: Sûrement.

M. LE PRESIDENT: M. le Secrétaire de la province.

M. PAUL: M. Paquette, pourriez-vous nous dire si votre mémoire a fait l'objet de consultations avec les membres de la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec?

M. PAQUETTE: Non.

M. PAUL: Dans votre mémoire, à la page 7, vous parlez d'un enseignement adéquat de la langue seconde à partir du secondaire. Pourriez-vous peut-être étayer cette assertion, nous donner de plus amples explications sur l'application possible de vos recommandations?

M. PAQUETTE: Il est indubitable que l'anglais, tel qu'il est enseigné — ou, en tout cas, de la façon dont je l'ai appris — est pour le moins mal enseigné dans les écoles. Je l'ai appris pendant dix ans, et quand je suis arrivé, à l'âge de 17 ans, dans l'armée, je me suis présenté à Borden et je n'étais pas capable de dire trois mots. Je pense donc qu'il y a des méthodes audio-visuelles qui devraient être utilisées de façon que ce ne soit pas seulement une

connaissance de l'anglais comme langue morte qui devrait être acquise par ceux qui fréquentent l'école française, mais une connaissance réelle.

M. PAUL: Et vous n'émettriez pas d'objection à ce que l'enseignement de l'anglais se fasse au degré primaire?

M. PAQUETTE: Bien, on demande tout simplement sous le secondaire.

M. PAUL: Mais vous n'émettriez pas d'objection à ce qu'il y ait des rudiments de...

M. PAQUETTE: Pas du tout.

M. PAUL: ...la langue anglaise de dispensés.

M. PAQUETTE: Beaucoup de nos membres ont des réticences, mais il n'y en a pas, évidemment à partir du secondaire.

M. PAUL: Bien.

M. LE PRESIDENT: M. Wagner.

M. WAGNER: Me Paquette, dans votre mémoire vous énoncez un principe, que nous accueillons avec beaucoup de soulagement. A la page à, vous dites que les membres de vos comités ont toujours eu pour souci primordial d'éviter de tomber dans quelque piège raciste.

M. PAQUETTE: C'est exact.

M. WAGNER: Alors, nous vous félicitons de cet énoncé de principe, mais, un peu plus loin, à la page 10, vous reprochez au projet de loi le fait de ne créer aucune obligation pour ceux qui s'établissent au Québec d'acquérir une connaissance réelle du français. En proposant que la loi crée une obligation, ne proposez-vous pas en même temps des mesures coercitives pour obliger un groupement à apprendre une langue? Et ainsi, ne tombez-vous pas dans le piège que vous voulez justement éviter?

M. PAQUETTE: Il y a une grande différence. Quand nous parlons du racisme, il me semble que c'est la discrimination vis-à-vis une personne à cause de son origine, quelle qu'elle soit. Maintenant, le groupe génétique ou généalogique selon moi, n'a rien à voir avec la langue. Je ne pense pas que nous tombions dans le piège du racisme en requérant que le français soit obligatoire.

M. WAGNER: Alors, croyez-vous...

M. PAQUETTE: Je pense que nous tomberions dans le piège du racisme, si nous essayions de classifier les gens selon leurs origines. C'est là que je vois le piège.

M. WAGNER: Croyez-vous que, dans un domaine aussi délicat que la langue, vous pouvez prôner des mesures coercitives et une obligation insérée dans la loi en regard du régime démocratique dans lequel nous vivons?

M. PAQUETTE: Sûrement. Je n'y vois absolument aucune objection.

M. WAGNER: Vous ne voyez aucune atteinte à la liberté des citoyens, dans ce domaine-là?

M. PAQUETTE: Bien, écoutez. Le citoyen doit toujours se plier à la loi. Et puis, des mesures coercitives, il me semble que cela existe dans tous les domaines. Circuler à 120 milles à l'heure, ce n'est pas permis. Alors, une loi qui obligerait une connaissance formelle et définitive du français ne me semble pas être quelque chose contre nature. Cela existe dans tous les pays, à ce que je sache, même en Angleterre, et peut-être surtout là, parce qu'en Angleterre, il n'y avait pas que l'anglais qui était originairement parlé, il y a passablement d'autres langues. Je crois que l'anglais y a été imposé. Je n'ai pas critiqué cela. Je demande la même chose ici, nous demandons la même chose ici. Nous sommes prêts à reconnaître les droits acquis de certaines gens, mais je ne crois pas qu'il soit extraordinaire d'imposer une obligation qui me semble bien normale.

M. WAGNER: Mais, parmi les droits acquis, n'y a-t-il pas ce choix de parler la langue?

M. PAQUETTE: Nous sommes prêts à reconnaître que ceux qui ont le droit ont le choix, mais ceux qui ne sont pas encore ici n'ont pas de droits acquis, selon nous. Nous reconnaissons à ceux qui ont de réels droits acquis le droit d'apprendre leur langue, c'est indubitable. Des écoles sont prévues dans le système que nous prônons où l'anglais est plus qu'adéquatement enseigné. Maintenant, pour ceux qui ne sont pas ici, je ne vois pas comment vous pouvez imaginer qu'ils puissent avoir des droits.

M. GRENIER: Je pense que vous répondez à la question du député de Verdun à la page 11, quand vous dites que « la liberté de choix doit s'exercer au départ de la terre natale. »

M. PAQUETTE: Cest ça, exactement.

M. PEARSON: M. Paquette, pour les Français, vous prônez un système où il y aura uniquement du français, mais où l'anglais sera enseigné comme langue seconde à partir du secondaire.

M. PAQUETTE: Oui.

M. PEARSON: Pour les Anglais, vous prônez une espèce de bilinguisme à partir de la première année; 50% des cours en français et 50% des cours en anglais.

M. PAQUETTE: Oui, monsieur.

M. PEARSON: Ce qui veut dire qu'à la sortie du secondaire les anglophones seront de parfaits bilingues.

M. PAQUETTE: C'est ça.

M. PEARSON: N'avez-vous pas l'impression qu'à ce moment-là les francophones seront dans un état d'infériorité, c'est-à-dire qu'ils ne seront pas d'aussi bons bilingues que les Anglais?

M. PAQUETTE: Je pense que le phénomène suivant se passe. Les gens de langue française — qu'ils le veuillent ou non c'est un fait — sont dans un bain d'anglais dans le Québec. Nous ouvrons notre appareil de télévision et, quand le canal 2 ne fait pas notre affaire, nous passons au canal 6. Les enfants regardent les dessins animés en anglais. Du côté anglais, il semble que le phénomène ne joue pas de la même façon. Si on voit les résultats, par ailleurs, on constate que la grande majorité des Canadiens français sont, jusqu'à un certain point, bilingues, alors que les anglophones ont beaucoup de difficultés à l'être. Alors, il faut peut-être créer un bain de français pour eux.

M. PEARSON: Même si les francophones baignent, comme vous le mentionnez, dans un bain anglophone, il y a beaucoup de Français à Montréal dont l'anglais est plutôt un baragouinage.

M. PAQUETTE: Oh! il n'y a pas de doute.

M. PEARSON: Alors, vous donnez aux anglophones la possibilité de devenir de parfaits bilingues et vous n'accordez pas aux francophones cette même facilité, puisque l'anglais ne serait enseigné qu'à partir du secondaire.

M. PAQUETTE: Je tiens pour acquis que ce- lui qui veut apprendre l'anglais n'a aucune difficulté à l'apprendre. C'est un état de fait. Quand on traite de ce problème-là, il ne faut pas seulement le voir théoriquement, il faut le voir en fait aussi.

L'anglais ne me semble pas un problème du tout. D'accord, à l'âge de 17 ans, alors que je n'avais pas mis les pieds en dehors de l'école, je le parlais assez mal, mais, avec les connaissances que f avais de la langue anglaise, cela a pris trois mois au camp Borden et c'était convenable.

M. GRENIER: Ce n'est pas long.

M. PEARSON: Je suis d'accord avec vous, mais qu'est-ce qui va se produire quand deux individus vont se présenter dans une compagnie? Si l'anglophone est parfait bilingue tandis que l'autre est d'un bilinguisme, disons, mitigé, on ne regardera pas si son nom est français ou anglais.

M. PAQUETTE: Oh, écoutez, je pense bien que le bilinguisme n'est pas un problème pour les Canadiens français.

M. LE PRESIDENT: M. le ministre des Affaires culturelles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Paquette, à la page 6 de votre mémoire, vous dites ceci: « Que les anglophones, ainsi définis, puissent non seulement avoir « a working knowledge of the French language », mais possèdent le français d'une façon parfaite pour que jamais plus au Québec la majorité de la population se fasse répondre par la minorité possédante qu'elle doit travailler dans une langue qui n'est pas la sienne. » Quel est votre point de vue sur ce problème de la langue d'usage dans les industries, dans les commerces, etc.?

M. PAQUETTE: Voici, nous avons...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quand vous parlez, évidemment, vous faites une projection dans l'avenir, mais, en ce qui concerne la situation actuelle, quelles sont les solutions que vous envisagez de façon pratique?

M. PAQUETTE: Notre comité n'a traité que du bill 85. Ce que nous avons dit à la page 6 peut être considéré plutôt comme un obiter dictum. Nous n'avons pas étudié les moyens d'instaurer le français comme langue d'usage. Nous croyons qu'un premier pas serait d'assurer à tous, au moins, une bonne connaissance

du français, mais nos études n'ont pas dépassé ce stade.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Et à la fin de la page huit de votre mémoire, vous aviez parlé des droits acquis, vous y dites ceci: Nous croyons de la sorte que seront protégés adéquatement ce qu'on qualifie souvent de droits acquis. Quant à l'avenir, les personnes qui choisiront devenir s'établir au Québec sauront que l'école publique, ainsi que l'école privée subventionnée, sont de langue française, la liberté de choix pouvant dès lors s'exercer au départ du pays d'origine.

Alors, évidemment, cela est une proposition qui concerne aussi l'avenir, mais elle est appuyée sur un postulat, à savoir que le système public d'enseignement du Québec sera un système français et que, partant, l'immigrant, sachant que le système public est ici un système français, il ferait au départ le choix de la langue. C'est ainsi que se trouve protégée sa liberté de choix. Mais il y a d'abord ce postulat. Je ne veux pas dire que nous ne devions pas établir un enseignement public français ou non, mais je demande ceci. En ce qui concerne la situation actuelle, l'école publique, ici, n'est pas strictement française, elle est bilingue en fait.

M. PAQUETTE: D'accord.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, pour les immigrants qui sont déjà installés, comment pouvez-vous satisfaire aux exigences de la liberté de choix, sans procéder autrement que par des mesures coercitives?

M. PAQUETTE: Voici ce que nous proposons. Nous proposons que les droits acquis soit confirmés à ceux qui en ont réellement. Une mesure pour déterminer ceux qui ont des droits, c'est de vérifier s'ils sont citoyens canadiens. Or, tous ceux qui sont citoyens canadiens auront le choix.

Maintenant, quant à ceux qui ne sont pas encore citoyens ou qui ne sont pas encore arrivés au pays, je me demande comment on peut prétendre qu'ils ont des droits. C'est le point que nous soulevons.

La raison pour laquelle nous avons choisi comme critère la citoyenneté, c'est pour éviter de dire: Parmi ceux qui sont d'origine anglaise ou ceux qui sont d'autre origine, ceux qui sont citoyens canadiens ont des droits, nous les reconnaissons. Mais on dit que ce sont des droits. De fait, l'école n'est présentement ni française, ni anglaise, elle est plutôt catholique ou protestante et, selon la religion, les modalités d'ensei- gnement seront établies en français ou en anglais. Je ne pense pas que nous puissions présentement parler d'un système anglais ou français.

La scission est plutôt sur la base religieuse et, à l'intérieur de l'enseignement catholique, il y a des écoles de langue anglaise, ce qui n'est pas le cas, par ailleurs, dans le cas du système protestant.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, M. Paquette, vous dites que les citoyens canadiens, ceux qui sont actuellement canadiens, ont la liberté de choix, ont le droit de conserver ce qu'on appelle les droits acquis.

M. PAQUETTE: C'est cela.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, vous basez votre argumentation sur la citoyenneté.

M. PAQUETTE: Exact.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Et, dans le cas de l'immigrant qui vient ici, a-t-il le choix d'une citoyenneté, puisqu'il n'y a qu'une citoyenneté? Il y a la citoyenneté canadienne, et il n'y a pas de citoyenneté québécoise, que je sache. Alors comment...

M. PAQUETTE: Je suis bien aise de parler des immigrants, parce que c'est un problème familial que je rencontre. Ma femme n'est pas de langue française, elle est Européenne. C'est donc avec beaucoup de sympathie que j'aborde le problème des immigrants.

Les immigrants — il ne faut pas trop s'en faire — viennent ici au Québec, ma foi, ce n'est pas tant pour le Québec, ils viennent en Amérique du Nord, ils s'approchent des Etats-Unis, c'est surtout pour mettre le pied en terre nord-américaine. Il ne faut pas leur concéder plus de droits qu'ils ne devraient en avoir. S'ils veulent aller à l'école anglaise, cela coûte $30 de plus pour aller jusqu'à Cornwall. C'est l'attitude que nous prenons.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais est-ce que c'est vraiment une incitation, dans les circonstances, lorsqu'ils s'établissent au Québec, à ce qu'ils s'intègrent à la communauté française québécoise?

M. PAQUETTE: Une incitation...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ils n'ont pas le choix.

M. PAQUETTE: Ils n'ont pas le choix.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Quand ils arrivent ici, ils sont citoyens canadiens. A ce titre, ils ont le droit de se prévaloir de ce que les autres appellent leurs droits acquis. Et si nous ne leur facilitons pas ici un moyen de s'installer, et si nous leur imposons une langue, est-ce que vous pensez vraiment qu'ils vont venir ici, puisque vous dites qu'ils viennent ici pour s'établir en Amérique?

M. PAQUETTE: Comme je vous le dis, à ce moment-là, ils feront leur choix.

S'ils ne veulent pas aller à l'école française, par ailleurs l'anglais leur sera convenablement enseigné. Ils pourront toujours continuer plus loin dans l'Ouest ou rester à l'Est du Québec. C'est l'attitude que nous prenons. C'est la moindre des choses que quand ils viennent s'établir chez nous, ils respectent un état de fait, qu'ils nous respectent nous-mêmes.

Maintenant, les mesures propres à les inciter par sympathie ou autrement à apprendre le français, sont selon moi absolument illusoires. Parce que, dans la famille de ma femme, ils étaient de langue française en Europe, ils avaient le français comme langue seconde. Arrivés ici, les enfants sont tous à l'école anglaise. Ecoutez, ils ne viennent pas au Québec, ils viennent en Amérique du Nord. Ils ne peuvent pas entrer immédiatement aux Etats-Unis parce qu'il y a des quotas selon les nationalités d'origine. C'est une salle d'attente pour passer la frontière. Il arrive qu'un grand nombre reste ici à force d'attendre. Mais si l'on ouvrait la frontière demain, j'ai l'impression qu'un très grand nombre des nouveaux arrivés passeraient directement.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Dans ces circonstances-là, il est assez difficile de les inciter à s'établir au Québec.

M. PAQUETTE: Les inciter à s'établir au Québec? Il ne me semble pas que ce soit un problème.

Ils quittent pire pour venir ici et, ma foil la rançon qu'ils auraient à payer, si on peut utiliser ce terme-là, quoique je le réprouve, ce serait d'apprendre le français. Il me semble que ce n'est pas si pire que cela. De plus, généralement, ils parlent assez bien dans une certaine limite.

M. LE PRESIDENT: Me Tetley.

M. TETLEY: Est-ce qu'un nombre d'anglophones auraient le droit d'éduquer leurs enfants à l'école française, suivant votre système?

M. PAQUETTE: Sûrement.

M. TETLEY: Ils auraient le droit.

M. PAQUETTE: Sûrement. Ils ont ce privilège d'envoyer leurs enfants dans une école bilingue. Selon moi, ils seraient les bienvenus.

M. TETLEY: Une autre... pardon, M. le Président. Vous donnez le droit aux citoyens de choisir soit la langue française, soit la langue anglaise comme langue d'éducation. Si, par exemple, un Italien vient ici et, après cinq ans, il devient citoyen canadien, aurait-il le droit à ce moment-là de changer le système?

M. PAQUETTE: Non, non. On reconnaît le droit à ceux qui l'ont déjà et ceux qui deviendront citoyens subséquemment. Ecoutez! Ils sont citoyens canadiens mais dans le Québec, il seront soumis à l'école publique, l'école française.

M. TETLEY: Prenez l'exemple de l'enfant qui est né ici d'une famille italienne. De naissance. ..

M. PAQUETTE: ... il est citoyen canadien.

M. TETLEY: ... il est citoyen canadien, comme vous le savez. Donc, il aura le droit?

M. PAQUETTE: Cela dépend. Si son père est citoyen canadien. Ce sont des formalités. Vous posez des cas d'exception. L'attitude que nous prenons est très tranchée. Ceux qui sont citoyens canadiens au moment de la promulgation de la loi, eux, ont des droits. Ceux qui viendront après n'ont pas de droit acquis. Ils ont les droits qu'on leur reconnaît, qu'on leur accorde.

M. TETLEY: C'est la citoyenneté du père ou de la mère plutôt que...

M. PAQUETTE: ... que celle de l'enfant. C'est comme cela qu'on le définit, d'ailleurs.

M. LE PRESIDENT: M. Bousquet.

M. BOUSQUET: D'abord, je dois vous féliciter de ne pas tomber dans le racisme, de ne pas vouloir catégoriser les gens selon leur origine. Je sais que votre attitude contraste étrangement avec ce qu'on voit encore dans les journaux de nos jours, alors que certaines gens veulent pointer du doigt les soixante-dix professeurs français qui viendront au Québec. Ces gens di-

sent que les professeurs en question viennent nous en montrer. On catégorise les gens. Je pense que, de votre côté, vous devez être félicités de ne pas tomber dans les pièges du racisme. De ce côté-là, vous avez des leçons à nous donner.

Je dois vous demander, tout d'abord, ce qui va inciter les immigrants à venir au Québec, plutôt que d'aller dans une autre partie de l'Amérique du Nord, si on leur impose ici l'obligation d'apprendre une autre langue? Alors qu'ils pourraient aller dans une autre partie de l'Amérique du Nord, apprendre une seule langue et consacrer plus de temps à l'étude de leur métier?

M. PAQUETTE: Vous semblez trouver que l'étude du français soit un handicap formidable, eu égard à l'immigration. Il ne me semble pas.

Ceux qui viennent au Canada, en Amérique du Nord, comme je l'ai dit tout à l'heure, le font purement et simplement pour améliorer leur sort. Les Grecs, qui ont un revenu annuel de $300 par année en Grèce ou ailleurs, se trouvent bien quand ils sont ici où ils gagnent, disons, $3,000. C'est la différence entre le niveau de vie de la Grèce et celui de l'Amérique du Nord qui va faire venir les gens ici.

M. BOUSQUET: Oui, mais s'ils peuvent aller en Ontario,,,

M. PAQUETTE: Oui.

M. BOUSQUET: ... ou en Colombie-Britannique et avoir un niveau de vie plus élevé qu'au Québec, pourquoi resteraient-ils au Québec? C'est une question importante, quand même. Ce qu'il s'agit ici de savoir, de déterminer, c'est si l'on perdrait un nombre considérable d'immigrants en voulant imposer le français au Québec.

M. PAQUETTE: Je ne peux absolument pas le dire. Il est probable que cela ne fasse pas l'affaire de certains, comme cela ne fait pas l'affaire d'un bon nombre de gens d'être au Canada, de toute façon. Il ne faut pas s'en faire.

M. BOUSQUET: Oui, oui.

M. PAQUETTE: Il y a dix ans que j'étudie ce problème et je le connais passablement.

M. BOUSQUET: Beaucoup de gens préfèrent aller aux Etats-Unis, d'accord.

M. PAQUETTE: Maintenant, il y en a beau- coup qui arrivent au Canada et vont à Vancouver. C'est leur destination. Ils reviennent au Québec en assez grand nombre. Il y a des pôles d'attraction pour certains groupes. Par exemple, Montréal est un pôle d'attraction certain pour les Hongrois et pour les Italiens. Toronto est en train de le devenir pour les Italiens. Alors, ils vont où leur famille est déjà installée. Je pense que le gros facteur, c'est pour eux de bien gagner leur vie.

Maintenant, il ne faut pas trop s'en faire. L'école française a été l'école type pour les Italiens pendant des années. Jusqu'à 1939, les Italiens de Montréal allaient à l'école française. Ce n'était pas un problème. Cela ne les a pas empêchés de venir; au contraire, ils sont venus en nombre de plus en plus grand.

A la Commission des écoles catholiques de Montréal, sous la poussée du Canon Carter, les écoles pour les Italiens ont été de plus en plus instaurées comme étant de langue anglaise. Mais, jusqu'à 1939, c'était des écoles françaises. Mgr Cimichella, qui était évêque coadjuteur à Montréal, a fait un rapport spécial là-dessus. Je pourrai vous le fournir si cela vous intéresse. Lui-même est allé à l'école française qui était fréquentée en majorité par des Italiens. Il y avait six ou sept écoles. On en a fermé un certain nombre. Pourquoi? Je ne le sais pas.

M. BOUSQUET: Ne serait-ce pas justement parce que les Canadiens français eux-mêmes, en nombre de plus en plus considérable à Montréal, s'anglicisent et que les immigrants suivent le courant?

M. PAQUETTE: Il y a sûrement un phénomène à arrêter. S'il n'y avait pas de problème, on ne présenterait pas de rapport.

M. BOUSQUET: D'accord. Je ne condamne d'aucune façon votre mémoire.

M. PAQUETTE: Non, non, d'accord.

M. BOUSQUET: Je trouve qu'il y a beaucoup d'éléments positifis dans votre mémoire, mais nous sommes ici pour nous faire un peu les avocats du diable. Nous voulons aller au fond du problème.

M. PAQUETTE: Je pense bien que la langue française a à se défendre. Alors, on doit prendre les moyens pour le faire, il me semble.

M. LE PRESIDENT: M. le ministre des Affaires culturelles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Paquette, je reviens à une question que je vous ai posée tout à l'heure au sujet de la citoyenneté. Vous avez dit que vous reconnaissiez des droits acquis au citoyen canadien, âl'heure actuelle. Alors, j'ai fait observer tout à l'heure qu'il n'y avait qu'une citoyenneté ici en vertu du régime sous lequel nous vivons, la citoyenneté canadienne.

Est-ce que l'immigrant qui vient ici, âpartir du moment où il accepte d'être immigrant, n'a pas virtuellement les mêmes droits acquis qu'ont les anglophones qui sont installés ici depuis plus longtemps?

M. PAQUETTE: Pas, si on ne les lui donne pas.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, mais en vertu de la Loi de la citoyenneté canadienne, est-ce qu'il n'a pas virtuellement les mêmes droits?

M. PAQUETTE: La loi de la citoyenneté dépend du gouvernement fédéral, mais la loi de l'éducation dépend du gouvernement provincial. Il ne s'agit pas du tout d'un critère de citoyenneté, selon moi. L'école normale pour tous devant être de langue française; une école de langue anglaise est donnée par exception à ceux qui y ont droit. Ce n'est pas un problème de citoyenneté.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est ce que je voulais vous faire préciser, M. Paquette. Merci bien.

M. LE PRESIDENT: Une dernière question. M. Goldbloom.

M. GOLDBLOOM: Me Paquette, je crois comprendre assez bien le fonctionnement du régime que vous proposez, à son départ, mais je comprends moins bien, avec le passage du temps, comment le système fonctionnerait.

Au départ, vous accordez des droits acquis à ceux qui détiennent déjà la citoyenneté canadienne. Mais avec le passage du temps, avec l'arrivée d'un certain nombre d'immigrants, et surtout avec l'acquisition par ces immigrants de la citoyenneté canadienne, de quelle façon ferez-vous la distinction entre ceux qui l'avaient antérieurement et avaient acquis des droits que vous reconnaissez et ceux qui auraient reçu leur citoyenneté canadienne par la suite, mais qui n'auraient pas eu ces droits acquis et qui, selon le système que vous proposez, ne les auraient jamais?

M. PAQUETTE: Il me semble que c'est très simple. Quand un immigrant est naturalisé, il reçoit un certificat de naturalisation portant la date de l'émission du certificat. C'est aussi simple que ça.

M. GOLDBLOOM: Chacun serait donc obligé de toujours porter sa carte de citoyenneté sur lui?

M. PAQUETTE: Non, ce n'est pas nécessaire.

M. GRENIER: Non.

M. PAQUETTE: D'une façon générale, les immigrants qui sont citoyens canadiens l'ont toujours sur eux et sont fiers de l'avoir. Cest une carte qui est grande comme ça et qui les aide énormément à passer la frontière américaine. Moi, je présente mon certificat de baptême, mais ma femme doit présenter son certificat de naturalisation. Tous les immigrants l'ont. Ce n'est pas un problème et il ne faut pas en créer un avec cela.

M. GRENIER: Je pense que le député voudrait que nous disposions pour quelques minutes d'une pause, parce que nous sommes un peu fatigués.

M. le Président...

M. GOLDBLOOM: M. le Président, je m'excuse, mais je n'ai pas terminé et je suis assez sérieux ici, même si le député de Frontenac ne l'est pas.

M. GRENIER: Ah Seigneur! La question me laissait en douter.

M. GOLDBLOOM: Merci de votre gentillesse.

Me Paquette, je voudrais vous poser une dernière question. Est-ce un régime permanent que vous préconisez ou est-ce qu'avec le passage du temps, avec le passage d'un certain nombre de générations, il y aurait enfin des droits qui pourraient être acquis par ceux qui auraient été ici pendant une certaine période de temps à définir?

M. PAQUETTE: Je pense que le système devrait être permanent du fait que nous ne sommes que à millions sur 200 millions. Si nous n'avions pas à nous défendre continuellement, — ce "n'est pas un reproche, c'est un fait — nous n'aurions pas à imposer de telles règles. Ce n'est pas une question de théorie, c'est une question de fait.

M. BOUSQUET: Justement, je pense que vous touchez au fond de l'affaire: c'est une question de légitime défense. Dans les cas de péril, de légitime défense, un Etat peut avoir le droit de limiter jusqu'à un certain point les droits individuels, ou les droits qu'il accorde à ceux qui viennent...

M. PAQUETTE: Les privilèges.

M. BOUSQUET: Ou les privilèges, justement.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que le député de Frontenac...

M. GRENIER: Pensez-vous que si nous obligeons les immigrants à fréquenter l'école française, les autres provinces seraient assez larges d'esprit pour comprendre que nous voulons les aider en sauvant le bilinguisme au pays ou si elles voudraient nous imiter en rendant les autres provinces unilingues?

M. PAQUETTE: J'ai l'impression que, jusqu'à un certain point, elles sont unilingues. Deuxièmement, il y a un point dans le mémoire sur lequel aucune question n'a été posée. Dans les régions où il y a, par exemple, une forte concentration d'Italiens, nous recommandons que la langue italienne soit enseignée à l'école. Je ne pense pas que ce soit une mesure qui ne soit pas — je ne veux pas faire de politique ici — libérale. Il n'y a pas une province où ça existe.

M. LE PRESIDENT: M. Pearson.

M. PEARSON: Tantôt, vous avez mentionné que le Québec est une espèce de place d'attente pour les immigrants qui veulent aller aux Etats-Unis après coup. Avez-vous des statistiques sur la quantité de francophones ou d'anglophones qui veulent émigrer aux Etats-Unis?

M. PAQUETTE: Non. Les chiffres que j'ai donnés concernent les arrivées et les départs d'immigrants. Il est entré au pays environ 1,300,000 personnes et il en reste à peu près 400,000. Je pense que ce sont les chiffres exacts. C'est dans le mémoire. Sur l'origine des gens, je ne peux vous renseigner.

M. PEARSON: Ce pourquoi je vous pose la question, c'est que je me suis laissé dire — sous toute réserve, je n'ai pas vérifié — qu'au consulat américain de Montréal, l'an dernier, de 80% à 85% de ceux qui voulaient émigrer aux Etats-

Unis étaient des francophones de 30 à 35 ans. Ce serait à vérifier.

M. PAQUETTE: Cela se peut.

Pour l'immigration, il y a un autre problème qui se produit. Je n'ai pas donné les chiffres complets, mais, à un moment donné, j'ai fait une étude là-dessus. Le décantage révélerait que, de fait, depuis 1898, sur les immigrants entrés au Canada, il n'en resterait qu'environ 15,000 à 20,000 par année, à proprement parler.

Quand je dis que c'est une plaque d'attente, voici ce que je veux dire. Aux Etats-Unis, il y a des réglementations sur l'origine de ceux qui peuvent y demander l'entrée. Il y en a qui y entrent directement parce que le quota n'est pas atteint, mais il y en a qui doivent attendre dix ans. En attendant dix ans, ils ont des chances de se fixer ici. Je pense qu'il est très facile pour un Canadien français d'émigrer aux Etats-Unis. Il n'y a pas de problème.

M. LE PRESIDENT: Alors, merci, Me Pa-quette, de votre rapport.

M. PAQUETTE: Merci bien.

M. LE PRESIDENT: Nous continuons maintenant avec M. François-Albert Angers, de la Ligue d'Action nationale, à Montréal. Est-ce qu'il est ici, M. Angers?

M. François-Albert Angers

M. ANGERS: Oui, oui. Alors, M. le Président, Messieurs les membres du comité, je vous présente aujourd'hui, sur la question du bill 85, le mémoire de la Ligue d'Action nationale. Je passe rapidement, tout de suite, sur la première page et demie, qui établit simplement les antécédents de la ligue, son rôle et, par conséquent, les raisons pour lesquelles elle se présente devant vous aujourd'hui.

Je résume rapidement. C'est un organisme qui, depuis 50 ans, s'est consacré à l'étude des questions nationales, à l'élaboration d'une pensée politique et économique nationale. C'est pourquoi, aujourd'hui, le mémoire que je vous présenterai sera dans la ligne de pensée, la ligne de travail de l'Action nationale, c'est-à-dire plus une discussion des principes fondamentaux qui sont en cause dans le problème que vous étudiez que des solutions concrètes et immédiates pour des amendements au bill.

Et c'est ainsi que commence la deuxième partie du mémoire. « En raison même encore une fois du caractère et du rôle que s'assigne l'Action nationale, nous n'entendons pas ici, à

propos du bill 85, présenter des propositions élaborées sur la solution concrète du problème soulevé. Nous nous contentons d'appuyer, en nous ralliant d'une façon générale aux points de vue qu'ils vous ont soumis, des organismes comme l'Association des professeurs de français, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, le Mouvement pour l'intégration scolaire, etc. Avec eux, nous estimons que si le Québec veut s'établir et demeurer vraiment le foyer national des Canadiens français dans le cadre nord-américain, il faut que le régime scolaire général y devienne officiellement et en principe exclusivement français (ce qui n'exclut l'enseignement, avec l'intensité désirée, d'aucune langue seconde, au besoin jusqu'à lui accorder un statut privilégié) quitte aussi à reconnaître ensuite des droits ou privilèges à titre spécial à certains éléments de la population pour des raisons valables. Disons que, plus spécifiquement, et à quelques nuances de détail près, nous faisons nôtre l'opinion exprimée par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal sur ces points.

Nous voulons, nous, plus spécialement insister sur deux points majeurs, deux questions fondamentales, qu'on n'outrepasserait pas impunément, c'est-à-dire sans mettre gravement en danger l'avenir français du Québec. Il est donc extrêmement important que, sur ces deux questions qui se trouvent indissolublement liées en la présente instance, l'inspiration qui sera donnée à la législation envisagée soit sans faille, car la moindre fissure de compromis avalisée par la loi deviendrait un coin qui pourrait conduire à long terme à l'éclatement et à la ruine de nos objectifs d'un Québec français. L'un de ces points, le caractère linguistique officiel du Québec, relève peut-être plus du bon sens, compte tenu de notre position nord-américaine, que d'un principe rigoureux; mais l'autre — la question du droit des parents — met en cause le fondement de tout l'édifice national, et relève d'un principe majeur qui doit être bien compris pour être bien appliqué.

Reconnaître un secteur scolaire anglophone égal en droit au secteur francophone par une charte légale fondée sur des principes de justice ou d'équité c'est, à toutes fins pratiques, consacrer la situation, jusqu'ici ambiguë", d'un Québec qui consent définitivement au bilinguisme officiel. Or, cela ne s'impose ni en justice ni en équité et serait incompatible avec une position qui veut faire du Québec un foyer national canadien-français. En effet, dans de telles conditions le Québec ne pourrait guère que par miracle s'établir dans cette position.

Nous admettons qu'ici la situation est com- plexe, parce qu'en théorie des circonstances concrètes peuvent effectivement être telles que la consécration du bilinguisme officiel, avec ce qu'elle comporte de droits reconnus pour la langue minoritaire, soit sans conséquence pratique pour la prédominance, même absolue, de l'autre langue. Par exemple, on imagine que ce serait la situation dans l'Ontario si on y reconnaissait le bilinguisme officiel, ce dont, d'ailleurs, on paraît encore loin en raison même de ce que cela heurte dans la conscience britannique. L'anglais étant la langue de tout le continent nord-américain, autant que de la très grande majorité des Ontariens, en même temps que de toutes les institutions politiques, sociales et économiques qui sont sous contrôle anglophone à peu près total, la proclamation d'une égalité officielle du droit des deux langues y serait, en réalité, dépourvue de toute valeur pratique quant à la mise en danger de la suprématie de l'anglais. Le principe, étant en quelque sorte dépourvu de sens, peut alors bien servir sans danger de carte de compromis dans quelque autre jeu politique. Par exemple, dans le cadre canadien: forcer le Québec à en faire autant, par ce même jeu des compromis, pour y assurer, en pratique, la prédominance de l'anglais.

En effet, il devrait paraître assez évident, à tous ceux qui ne veulent pas se payer de mots, que la situation serait toute différente au Québec. Donner à la langue anglaise, par la reconnaissance directe ou indirecte du bilinguisme officiel, l'arme de principe du droit à l'égalité, c'est fournir à l'élément anglophone la grosse artillerie nécessaire à ses luttes de principe contre toute législation qui prétendrait établir la priorité du français dans la vie courante du Québec. C'est lui reconnaître son droit de s'y opposer au nom de l'égalité, et par suite de la non-discrimination, c'est établir une légitimité de la totale liberté de l'anglais qui rendrait injuste toute loi prétendant régir les règles du jeu concurrentiel et démocratique dans la situation linguistique.

Or, si le Québec doit être le foyer national canadien-français, il faut que la langue française y devienne la langue courante d'usage partout, comme le français en France, l'anglais en Angleterre ou en Ontario, l'allemand en Allemagne, etc. Il nous semble que c'est là l'évidence même et il nous semble non moins évident que cela ne viendra pas, dans le cadre de notre histoire et du climat anglophone nord-américain, sans une politique linguistique ferme autant que réaliste de la part du gouvernement du Québec. Donc, cela ne viendra pas si

un principe de bilinguisme officiel consacre des droits égaux à l'anglais.

Donc, si au nom de l'art de gouverner, qui est dit l'art du possible, on ne croit pas devoir ou pouvoir légiférer en faveur de la priorité du français d'une façon franche, et cela en raison de facteurs résultant des limites imposées à l'action par la situation politique, le moins est qu'on laisse la situation fluide, ouverte, qu'on s'abstienne a fortiori de consacrer un principe — celui du bilinguisme officiel — qui tendrait à entraver toute action future.

La situation dans le Québec ne justifie pas l'acceptation de cette thèse du bilinguisme officiel que les rapports de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme sont maintenant en train de mettre de l'avant sous prétexte de nous favoriser dans le reste du Canada où l'anglais ne serait, évidemment, jamais en danger, sauf peut-être au Nouveau-Brunswick éventuellement, pour asseoir définitivement les privilèges de l'anglais au Québec afin d'empêcher le français de s'y installer sans conteste.

Les anglophones dans le Québec prétendent justifier cette position en arguant qu'ils sont une ethnie culturelle québécoise ayant elle aussi ses droits à son expansion dans le Québec comme l'ethnie française dans le Canada. Mais, cette prétention est aussi astucieuse que fallacieuse, étant donné que les seules véritables chances de l'ethnie culturelle française sont dans le Québec, alors que celles de l'ethnie culturelle britannique sont déjà solidement établies dans tout le reste du Canada. Ainsi, l'ethnie française ne serait chez elle nulle part, devant accepter la prédominance anglaise dans le Canada en dehors du Québec et la concurrence sur une base de chance égale entre les deux langues, les deux ethnies dans le Québec.

Au moins, cette thèse a-t-elle le mérite de nous ouvrir les yeux sur ce que signifie le bilinguisme officiel dans le Québec, où notre désir d'un foyer national exige, au contraire, que les anglophones acceptent de prendre leur place de groupe minoritaire dans un territoire destiné à exprimer totalement la francophonie. Il n'y aura pas de foyer canadien-français au Québec si nous acceptons qu'il soit le double foyer de deux ethnies parallèles ayant des droits égaux. N'allons pas fermer les yeux sur cette évidence dont les conséquences anglicisantes sont fatales dans le cadre historique où nous vivons.

Le droit des parents, mis de l'avant partout sur ce sujet de la langue à l'école et ratifié par le bill 85, met en jeu des questions d'une ampleur encore plus considérable, puisqu'elles concernent les droits fondamentaux de l'homme et du citoyen face à la collectivité elle-même. Il de- vient donc extrêmement fallacieux, spécieux et captieux quand on le fait intervenir à mauvais escient dans une question propre à soulever toutes les passions de la liberté humaine.

Le droit des parents, dans toutes les matières qui concernent la famille, a beau être un droit fondamental qui leur permet, en particulier, de choisir l'école que fréquenteront leurs enfants, il ne s'ensuit pas que tout dans la vie de famille ou dans l'école relève du droit exclusif des parents. Les parents n'ont tout de même pas droit de vie et de mort sur leurs enfants. On ne leur reconnaît pas ce droit de mort qu'est l'ignorance, en récusant leur droit de ne pas envoyer leurs enfants à l'école. Similairement et tout à fait approprié au débat actuel, on peut dire que le droit des parents en matière d'éducation ne comporte pas le droit de vie et de mort sur les biens que la collectivité elle-même et ses membres en tant que citoyens veulent faire prévaloir pour établir la vie nationale.

A l'intérieur de ces jeux de droits et de libertés réciproques, certaines règles ont été reconnues quioutrepassent toute prétention de restriction: telle, par exemple, la liberté de conscience qu'on ne peut violer sous prétexte de danger pour la vie nationale, encore que cette liberté de conscience n'est absolue qu'intérieurement et ne comporte pas un droit absolu au prosélytisme qui sera conditionné par les exigences de la vie collective et par les règles du jeu démocratique.

Qu'en est-il du droit qu'on invoque pour les parents, par le biais du droit incontestable des parents à l'école de leur choix, d'imposer à l'autorité d'établir ou de subventionner des écoles dans la langue de leur choix?

Si l'on veut attaquer le problème par le fond, il faut d'abord se demander quelle sorte de bien constitue la langue et de qui, par conséquent, relève le droit de son établissement en vertu du bien commun. Or, avant d'être l'instrument de culture qu'elle devient par l'action des intelligences qui la manipulent, la langue est d'abord et essentiellement un moyen de communication, un instrument de facilité collective. L'unité de langue est un bien fondamental et désirable d'une collectivité sur le plan de la vie politique, sociale et intellectuelle, autant que l'unité de la monnaie est un bien désirable et fondamental pour le bon fonctionnement de la vie économique dans une collectivité donnée.

Aussi bien, les problèmes de dualité ou de multiplicité linguistique ne sont-ils tous que des problèmes résultant de situation historique de conquêtes, où des collectivités tribales ou nationales ayant déjà leur langue unique ont été intégrées par domination dans des groupes dont la langue était étrangère à la leur. Les droits lin-

guistiques qui en résultent ne sont nullement de l'ordre du droit des parents, mais bien du droit d'une collectivité à conserver sa culture en dépit des conquêtes qui ne sont pas créatrices de droit, mais seulement de situations de fait. Il nous semble que ces constatations ne souffrent pas contradiction.

De sorte que nulle part au monde où l'on n'a pas à faire face à de telles situations, voit-on qu'on songe à invoquer un tel droit des parents à la langue de leur choix à l'école. On n'aurait pas, en France, l'idée que la venue d'Italiens dans le sud et de Polonais dans le nord, obligeât l'Etat français à accorder aux parents italiens des écoles de langue italienne pour leurs enfants, ni aux parents polonais, des écoles polonaises. C'est la preuve en soi que ce droit comme tel est inexistant, car ce qui relève du droit des parents est forcément valable, revendicable et revendiqué universellement, comme par exemple le droit des parents à l'école confessionnelle.

Le fait est que ce droit des parents à imposer à l'école la langue de leur choix n'a aucun sens. Il n'a aucun sens dans les collectivités normales, parce que la langue est tellement un bien collectif dont l'unité est nécessaire que personne ne songerait à le revendiquer.

Et il n'a aucun sens dans les collectivités anormales — c'est-à-dire dont l'unité linguistique s'est trouvée compliquée de situations historiques contrariantes — parce que son application vraie conduirait à la plus invraisemblable cacophonie.

Nous demandons donc aux membres de notre Assemblée nationale de sortir des équivoques de notre situation ambiguë et de se rendre bien compte de ce qu'ils font. S'il y a un droit des parents à la langue de leur choix, ce droit est absolu comme tout ce qui relève d'un tel principe spécifique de droit, c'est-à-dire que les parents allemands, italiens, polonais, ukrainiens, etc., ont autant droit à l'école allemande, italienne, polonaise et ukrainienne au Québec que les parents français ou anglais.

C'est une seconde preuve, par l'absurde cette fois, que tel droit des parents est inexistant; aussi inexistant, et pour les mêmes raisons sur des plans différents, qu'est inexistant pour le citoyen le droit de revendiquer de l'Etat qu'il lui permette de battre sa propre monnaie. Et c'est parce qu'il est inexistant qu'il n'est nullement injuste de demander à un immigrant qui arrive dans un pays d'abandonner la langue propre de son pays et de consentir à parler dorénavant la langue du pays où il arrive. Remarquez bien qu'il n'en est pas ainsi pour l'école confessionnelle, si on la reconnaît comme droit des parents; tout immigrant qui entre dans un pays garde son droit à réclamer l'école confessionnelle de son choix, et à faire reconnaître ce droit pour sa religion dès que c'est pratiquement possible. Quand on ne veut pas qu'une telle situation prévale, il faut contester le droit des parents, et y substituer comme en certains pays, le droit de l'Etat d'éduquer les enfants selon ce qu'il estime être l'intérêt national. On n'en sort pas autrement: le droit des parents est un droit des parents, et il faut le vivre jusqu'au bout si on l'accepte.

Or dans le domaine du choix de la langue à l'école, un tel droit des parents est inacceptable en vertu des grands principes de droit et de liberté qui régissent le fonctionnement des collectivités. Il est inacceptable parce qu'il est impraticable; et s'il est impraticable, c'est que la langue nationale, donc la langue de l'école, est un bien collectif dont la responsabilité et la garde relèvent de l'Etat, gardien du bien commun de la nation, non pas des parents qui se montreraient insoucieux de ce bien commun national.

Ceci étant bien établi, il faut reconnaître toutefois que l'Etat, lui, peut toujours — sans y être obligé par un principe général qui ne doit pas alors être invoqué — reconnaître des droits à certaines catégories de parents, comme de citoyens, en vertu de la loi et de situations historiques ou concrètes données. Il est bien sûr indéniable que tout en niant le droit des parents — ce qu'il doit faire s'il ne veut pas s'exposer à des revendications de parents non anglophones et non francophones — l'Etat du Québec peut fort bien accorder, pour d'autres raisons, des droits spéciaux aux parents anglophones; ou plus généralement, comme il le fait dans le bill 85, des droits à tous les parents de choisir entre l'école anglaise et l'école française. C'est alors que la question du droit des parents se relie à celle de la reconnaissance du bilinguisme officiel. Car si l'Etat se sent sollicité de consentir à de tels privilèges et droits spéciaux, ce n'est pas en fonction de droits prenant racine dans l'individu, mais bien dans des collectivités réclamant le droit à la survie de leur culture propre. On est donc ramené à la question précédente de la nécessité et de l'opportunité d'accorder le bilinguisme officiel au Québec à cause de la présence d'une minorité anglophone.

Or en accordant aux parents le libre choix Si l'école entre deux langues, la française et l'anglaise, on reconnaît forcément la position d'égalité et d'indifférence de choix absolu entre les deux langues dans l'Etat du Québec. On consacre le bilinguisme officiel au Québec, avec toutes les conséquences que nous avons précédemment indiquées pour la perpétuation de la

prédominance de l'anglais. D'autant plus qu'ici se pose le problème des immigrants qui, devant le libre choix, s'aggrégeront presque forcément toujours au groupe dominant, lequel disposera ainsi de tous les moyens nécessaires pour perpétuer sa situation en dépit de toutes les belles déclarations et les faux espoirs que nous pourrons alors continuer à exprimer.

Il appartient donc à l'Etat du Québec de régler — non plus en vertu du fallacieux argument du droit des parents ou du complexe d'infériorité des relents de conquête, mais du seul intérêt de l'avenir du foyer national canadien-français — la question des droits des anglophones au Québec, en n'oubliant pas que comme ethnie ils ont tout le reste du Canada pour s'épanouir. En la réglant et pour reconnaître les situations que nous voulons reconnaître par esprit d'équité, établissons si l'on veut des situations de privilèges par voies au besoin de garanties juridiques, mais en ayant bien soin de ne pas les asseoir sur la reconnaissance de faux droits.

Il n'est pas nécessaire ni de proclamer, fût-ce indirectement, le bilinguisme officiel au Québec ni d'y consacrer un droit des parents ou de certains parents pour donner à l'anglais une place de langue seconde privilégiée. Il n'est qu'à prescrire les modes administratifs et de fonctionnement de telles écoles, revisables en tout temps. C'est de toute façon la position, que l'on continue de tenir envers le français dans les autres provinces du Canada. Et on sait qu'en septembre dernier, à une réunion nationale de la Canadian School Trustees' Association, la proposition des protestants du Québec pour le reconnaissance du droit des parents à la langue de leur choix, fut unanimement rejetée par tous les membres de l'association hors du Québec. Le principe qui a prévalu, c'est que les immigrants doivent être instruits là ou ils sont, dans la langue de la communauté. Conclusion

La Ligue d'Action nationale souligne donc à l'attention de ce comité:

Premièrement, le grave danger qui menace la communauté québécoise, que nous voulons francophone, foyer national d'une francophonie, si nous nous laissons entraîner à consacrer directement ou indirectement le bilinguisme officiel au Québec;

Deuxièmement, la possibilité et la nécessité de concevoir autrement qu'en fonction soit d'un fallacieux et abusif droit des parents, soit d'une astucieuse prétention de l'ethnie anglophone québécoise à l'égalité culturelle en tant que québé- coise, la reconnaissance de certains droits acquis par la persistance des privilèges dans lesquels s'est établi le conquérant après 1760 et depuis;

Troisièmement, l'exigence, afin de ne pas créer ou perpétuer d'équivoques néfastes pour l'avenir francophone du Québec, de ne pas élargir la reconnaissance de ces droits acquis au-delà de ceux qui peuvent vraiment en invoquer, c'est-à-dire la collectivité anglophone historique qui constitue la descendance des conquérants de 1760;

Quatrièmement, l'urgence d'intégrer progressivement mais systématiquement à la communauté francophone tous les immigrants et descendants d'immigrants, au moins tous ceux qui ne sont pas d'origine britannique;

Cinquièmement, l'urgence non moins pressante d'affirmer les droits de la communauté québécoise francophone à sa sauvegarde, en n'autorisant pas l'accès des écoles anglaises ou bilingues, aux niveaux primaire et secondaire, aux enfants de parents canadiens-français ou d'ascendance non britannique.

En conséquence, la Ligue d'Action nationale demande au comité de recommander au gouvernement le retrait du bill 85 et le renvoi de tous ces problèmes à la commission d'enquête créée pour les étudier.

M. LE PRESIDENT: Merci, M. Angers. M. le ministre de l'Education aurait une question à vous poser.

M. CARDINAL: M. le Président, M. Angers, deux questions. Si je parle de votre texte, qui est très serré et qui conduit aux conclusions qui sont indiquées à la dernière page de votre mémoire, je me pose cependant la question suivante: En supposant que Québec retire le bill 85 et ne pose aucun autre geste dans le domaine linguistique, qu'arrivera-t-il si c'est le gouvernement fédéral qui fait le premier pas et qui adopte par législation une politique de langue. Quelle serait à ce moment-là la position de la Ligue d'Action nationale devant un problème semblable, logiquement et en suivant vos conclusions?

M. ANGERS: Remarquez bien d'abord que si le gouvernement fédéral prend position sur les langues, il ne prendra position que dans les domaines qui concernent le fédéral. Par conséquent, cela laissera ouverte ou cela devrait laisser ouverte la question des écoles pour l'action provinciale.

M. CARDINAL: Est-ce que le rapport Lau-

rendeau-Dunton ne va pas jusqu'au domaine de l'éducation dans ses conclusions?

M. ANGERS: Oui, enfin, à ce moment-là, on admet que ce sont des recommandations faites aux provinces.

M. CARDINAL: Est-ce que le projet d'avoir des districts bilingues ne va pas plus loin que ce qui est fédéral?

M. ANGERS: La question des districts bilingues, je me demande si elle n'est pas mal comprise, d'après le rapport Laurendeau-Dunton. Evidemment, nous avons étudié la question des districts bilingues dans tout le Canada parce que nous avons fait une analyse scientifique de la situation, mais si j'ai bien compris le rapport, la question des districts bilingues ne s'applique pas au Québec, puisque, selon l'esprit du rapport, tout le Québec doit être de bilinguisme officiel, de même que l'Ontario et le Nouveau-Brunswick. Si je comprends bien le rapport Laurendeau-Dunton, les districts bilingues sont pour les provinces où le caractère linguistique bilingue officiel ne sera pas reconnu. Là où c'est officiellement bilingue, c'est partout dans le Québec qu'un nombre suffisant de parents de langue anglaise auraient droit à l'école anglaise et non pas seulement dans les districts dits bilingues.

M. CARDINAL: Je m'excuse, faisons un pas de plus. Si les droits linguistiques sont rattachés aux droits de l'homme, comme semble le laisser entendre le premier ministre du Canada, et que vous avez un jour une charte des droits de l'homme qui donne justement le choix des langues dans tous les domaines, nous ne pouvons plus parler de domaine provincial ou de domaine fédéral.

M. ANGERS: D'après ce que je viens de vous exposer, je ne vois pas comment une charte des droits de l'homme pourra jamais reconnaître à des gens le droit d'avoir la langue de leur choix dans un pays quelconque, parce que c'est invraisemblable et impossible. Tout ce que nous pouvons reconnaître, c'est qu'un individu qui veut, lui, parler une langue soit bien libre de la parler dans sa famille. Quant à imposer la multiplicité des langues dans toutes les écoles de tous les pays, je crois qu'à première vue, justement, nous nous apercevrons que cela n'a pas de sens, parce que la langue n'est pas un bien individuel, mais un bien collectif national. On finira par comprendre, à mon sens, si Pon aborde ce pro- blème d'une façon réaliste, que ce ne serait pas applicable.

Comme j'ai essayé de vous le montrer dans mon mémoire, même si ce droit-là n'existe pas — et ne peut pas exister, parce qu'il ne me parait pas avoir de sens — cela n'empêche pas, évidemment, qu'un Etat particulier puisse le conférer. Alors, là, ça devient une décision à prendre en fonction du bien commun de la collectivité et de sa situation historique. C'est comme ça que je vois le problème.

Pour compléter la réponse que je vous ai faite, je dois dire que l'Action nationale esttout à fait favorable à ce que le gouvernement du Québec agisse au plus vite et proclame la langue française comme seule langue officielle au Québec.

En fait, je l'ai dit dans un des paragraphes: « Si l'art du possible fait que le gouvernement estime que c'est impossible à l'heure actuelle, eh bien, il doit en tout cas, ne pas reconnafire implicitement ou indirectement le principe contraire. Il doit laisser la porte ouverte jusqu'à ce qu'on estime que le moment est venu de consacrer vraiment le caractère du Québec comme communauté francophone n'ayant qu'une langue officielle avec des statuts privilégiés, si on le veut ensuite, pour d'autres langues ».

M. CARDINAL: Merci, M. Angers.

M. LE PRESIDENT: M. le ministre des Affaires culturelles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Angers f ai suivi avec beaucoup d'attention le texte que vous nous avez présenté ce matin; c'est un texte très sérieux qui porte à réflexion.

Maintenant, je voudrais revenir à la question que vous a posée mon collègue, M. Cardinal. Vous nous dites, à la fin de votre mémoire, qu'il serait important que le gouvernement retire le projet de loi numéro 85 et qu'il réfère toute la question à la Commission d'étude de la langue.

Justement, ce qui m'inquiète ce sont les initiatives du gouvernement central en matière linguistique. Vous avez répondu, tout à l'heure, partiellement à la question en disant que le gouvernement central promulguerait une loi qui décréterait un bilinguisme officiel administratif.

Si l'on examine très sérieusement la proposition qui a été faite à Ottawa, il s'agit beaucoup plus d'une déclaration sur les droits fondamentaux que d'un projet de loi sur la consacration du bilinguisme officiel et administratif. Alors, ne pensez-vous pas qu'il est assez dangereux d'attendre que le gouvernement prenne les de-

vants dans un domaine comme celui-là? D'autre part, vous savez comme moi, M. Angers, que lorsqu'on a créé la commission d'enquête Laurendeau-Dunton, cette commission ne devait s'occuper que de la question du bilinguisme dans les services du gouvernement central. On a élargi le mandat de la commission, à telle enseigne que les propositions que nous trouvons dans la partie du rapport qui a été publiée jusqu'à présent couvrent très largement tout le domaine de la langue. Il y a des répercussions directes dans le domaine de l'éducation.

Nous sommes, semble-t-il, dans une situation d'urgence. Comment concilier ces exigences de la proclamation d'une politique linguistique au Québec face aux initiatives du gouvernement central?

M. ANGERS: M. le ministre, pour ma part, je suis tout à fait d'accord sur l'urgence. Je n'ai donc aucune objection, comme je le disais tout à l'heure, à ce que le gouvernement du Québec fasse une législation linguistique le plus tôt possible. Mais, cela ne devrait pas être sous la forme du bill actuel qui est seulement un moyen indirect, lequel moyen indirect, d'ailleurs, proclame le bilinguisme officiel et, au fond, se conforme aux idées de la commission Laurendeau-Dunton. Je ne crois pas que ce soit le moyen approprié.

Si vraiment il y a une situation d'urgence alors, à mon sens, le gouvernement doit passer outre à toutes les situations politiques auxquelles je fais allusion dans mon mémoire et doit s'empresser d'établir d'abord le statut officiel de la langue française d'une façon claire et nette.

Je crois, d'ailleurs, personnellement — je n'ai pas voulu entrer dans vos plates-bandes politiques — qu'une fois que ce sera fait, cela clarifierait énormément la situation, parce que les gens accepteraient cette situation et commenceraient à s'y intégrer. Personnellement, je crois donc que ce serait une bonne chose que le gouvernement du Québec proclame le statut officiel du français au Québec, sous réserve de l'article 133, pour autant que nous sommes dans la constitution, c'est-à-dire des droits très limités que l'article 133 donne à la langue anglaise, et qu'on le fasse au plus vite.

Après quoi, évidemment, le statut scolaire s'établira de lui-même selon les principes que j'ai essayé de vous exposer. Franchement, je suis bien d'accord, mais je ne crois pas que le bill 85 pare à cette urgence. Il pare à une autre urgence, qui est celle des protestations qu'on a fait valoir à partir du moment où une commission scolaire francophone a eu l'audace d'imposer l'unilinguisme français dans son territoire, alors qu'il n'y avait eu aucune réaction dans Québec, quand la commission des écoles protestantes de Montréal appliquait l'unilinguisme anglais d'une façon systématique dans son territoire, et que nous étions obligés de nous battre à mort pour obtenir quelques écoles françaises pour les protestants de langue française.

Il y a là, n'est-ce pas, une situation qui montre que le bill 85 est un bill d'urgence pour régler une situation équivoque dans Québec, beaucoup plus que la situation posée par la loi fédérale et que la réponse à la loi fédérale, ce serait, au plus vite, un statut linguistique officiel de la langue française au Québec. Ce statut à ce moment-là, évidemment, affirmerait clairement que le gouvernement du Québec ne reconnaît pas que la loi fédérale, quelle qu'elle soit, s'appliquera au Québec et qu'elle ne s'appliquera au Québec que dans les institutions fédérales où le gouvernement fédéral a juridiction pour imposer lui-même ses règles.

M. LE PRESIDENT: M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. BOUSQUET: Dans votre mémoire, vous dites qu'il appartient à l'Etat du Québec de régler, en vertu du seul intérêt de l'avenir du foyer national des Canadiens français, la question des droits anglophones du Québec. C'est le principe fondamental, d'après vous. Alors, faut-il ignorer ce qui se passe dans les autres provinces?

M. ANGERS: Ecoutez, on ne l'ignore pas parce que, dans les autres provinces, c'est toujours ce qui s'est fait. Par conséquent, elles ont été logiques et continuent de l'être. La langue, pour elles, dominante et exclusive, c'est l'anglais. Quand les francophones demandent des droits, on finit par leur en reconnaître, à titre spécial, à titre privilégié, en vertu de certaines pressions et de la reconnaissance finale de certaines situations historiques.

J'insiste sur le fait que le mémoire que je viens de vous présenter pose des principes fondamentaux et qu'en ce qui concerne le mode de procéder pour y arriver, nous n'en avons pas parlé ici. Je pense qu'à l'Action nationale, nous ne sommes pas parmi ceux qui sont les plus radicaux et qui voudraient imposer des mesures rigoureuses immédiatement. Je conçois parfaitement qu'il pourrait y avoir des périodes intermédiaires dans le processus par rapport aux immigrants. Mais là, il faudrait que ce soit clair

que ce sont des processus intermédiaires dans un cadre où, officiellement, la situation est très claire et où ce qu'on reconnaît temporairement, ce sont des situations de fait, des situations psychologiques par-dessus lesquelles on ne veut pas passer tout de suite, parce qu'on croit que ce n'est pas juste de passer tout de suite. Il y a dans cela une question d'appréciation que nous reconnaissons au plan de la réalisation politique. Mais nous insistons, pour le moment, qu'à cette période tournante, cruciale de notre histoire de foyer national canadien-français, il faut éviter de poser toute loi qui consacre des principes qui iront contre nos aspirations et notre désir.

M. BOUSQUET: Maintenant, si nous acceptons vos arguments, nous devons cesser de parler des « droits » des minorités. Nous devons parler des « privilèges » des minorités. Est-ce que nous devons bannir de notre langage les mots « les droits des minorités »?

M. ANGERS: Encore une fois, comme j'ai essayé de le montrer dans mon mémoire, les droits qui seront reconnus ne sont pas des droits fondamentaux que nous sommes obligés de reconnaître.

M. BOUSQUET: Est-ce qu'on pourrait dire que ce sont des droits « relatifs »?

M. ANGERS: Ce sont des droits que nous reconnaîtrons nous-mêmes. Nous déciderons que ce sont des droits. Si nous voulons, par exemple dire: Nous reconnaissons qu'à cause de la conquête, à cause du fait que nous vivons avec eux depuis longtemps, nous sommes prêts à aller plus loin que l'attitude stricte du droit qui dit qu'un droit de conquête ne crée aucun droit et ne consacre que des situations de fait.

Alors nous, nous pouvons dire: Nous sommes prêts à aller plus loin que cela. Nous sommes prêts à reconnaître à la communauté britannique anglophone du Québec l'acquisition de droits par la cohabitation. Mais ils sont sous la juridiction non pas de la charte des droits de l'homme, qui n'a rien à faire avec cela, ils sont sous la juridiction de l'Etat du Québec, qui les définira en pensant à l'intérêt général de la collectivité, et l'intérêt général de la collectivité dans Québec, il est francophone.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Angers, j'aurais une autre question à vous poser. Au paragraphe 2 de la page 4 de votre mémoire, vous dites ceci: « Les anglophones dans Québec prétendent justifier cette position en arguant qu'ils sont une ethnie culturelle québécoise ayant, elle aussi, ses droits à son expansion dans Québec, comme l'ethnie française dans le Canada. Mais cette prétention est aussi astucieuse que fallacieuse, étant donné que les seules véritables chances de l'ethnie culturelle française sont dans le Québec, alors que celles de l'ethnie culturelle britannique sont déjà solidement établies dans tout le reste du Canada. Ainsi l'ethnie française ne serait chez elle nulle part, devant accepter la prédominance anglaise dans le Canada en dehors du Québec et la concurrence sur base de chances égales entre les deux ethnies dans Québec. »

M. Angers, ma question est la suivante: On a parlé très souvent ici au Québec, depuis toujours, du problème des minorités. On a tellement insisté qu'on a fini par prendre, si vous voulez, certaines attitudes en vue de protéger les minorités, de les aider, ce qui aurait pu nous empêcher de nous occuper de notre propre affaire dans le Québec. Est-ce que je comprends bien, en lisant ce paragraphe, que nous pouvons l'interpréter comme une sorte de jugement sur l'avenir des minorités en dehors du Québec, les minorités françaises, j'entends?

M. ANGERS: Pas le moins du monde, parce que, justement, le problème de la reconnaissance d'une ethnie parallèle, ce serait la reconnaissance de deux sociétés, ainsi que l'a posée le rapport Laurendeau-Dunton. Or, justement, le problème des minorités n'est pas de cet ordre-là. On ne voit à l'horizon, d'aucune façon — alors, nous pourrions peut-être négocier à ce moment-là, ce serait une base de négociation — mais il ne faudrait pas le donner avant d'avoir négocié, on ne voit nulle part à l'horizon que, dans les provinces, sauf au Nouveau-Brunswick, où c'est un droit, ce n'est pas une question de négociation, on ne voit nulle part dans le reste du Canada que l'on songe à donner aux minorités françaises le statut d'ethnie culturelle ayant le droit de s'épanouir sur le plan parallèle avec l'autre ethnie britannique.

C'est assez amusant comme question, parce qu'au colloque qui a eu lieu la semaine dernière, un Anglais est venu me poser certaines objections de ce genre-là. A un moment donné, il me disait: Qu'est-ce que vous faites des anglophones dans le Québec, avec vos idées? Alors, je lui ai dit: Qu'est-ce que vous faites des minorités françaises dans l'Ontario, avec vos propres idées? Il m'a dit: Les idées anciennes, on n'en veut plus, on veut réparer tout cela. Bon, j'ai dit; « Très bien. Croyez-vous que jamais, dansl'Ontario, on acceptera qu'il y ait une civilisation française qui s'épanouisse sur le même pied que la civilisation

britannique? » Alors, il me dit: « C'est impossible ». Bon, eh bien, alors j'ai dit: « C'est la situation au Québec» C'est aussi impossible dans le Québec que l'ethnie britannique soit considérée, sur le plan parallèle, comme une ethnie culturelle qui a le droit de s'épanouir comme une autre société. »

Comme je le disais dans le mémoire, il faut que les anglopones du Québec acceptent le statut des minorités, qui demande évidemment la reconnaissance de certains droits des minorités en fonction de situations historiques, et j'ajouterais, à ce moment-là, franchement, il ne faut pas en avoir peur, en fonction de ce qu'on sera prêt à accorder à nos propres minorités dans le reste du Canada.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Angers, compte tenu de ce qui se passe en Ontario à l'heure actuelle, vous avez pris connaissance du mémoire que nous avons présenté récemment au gouvernement de l'Ontario sur la situation des francophones là-bas, et, compte tenu des dispositions que semble vouloir prendre le gouvernement de l'Ontario, est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a quelque avenir pour les francophones du côté de l'Ontario, et qu'ils peuvent espérer en somme mener là une vie culturelle qui fasse qu'ils soient vraiment les représentants de la civilisation française dans l'Ontario?

M. ANGERS: Oui, mais enfin, comme groupe minoritaire, dans un ensemble qui restera toujours très britannique au point de vue de la langue d'usage courante. C'est inévitable. Alors, c'est cela que nous appelons une minorité. Ils ont des droits culturels minoritaires, mais ils ne peuvent pas compter avoir une législation qui soit faite selon leur propre mentalité, comme nous le voulons dans le Québec. En somme, ils ne peuvent pas aspirer à la vie nationale complète, et justement, les anglophones dans le Québec n'ont pas plus de raison de nous demander une vie nationale complète.

Or, comme je l'ai dit dans la première partie de mon mémoire, la situation est telle chez nous qu'il y a un état de légitime défense véritable en ce sens qu'au fond, à l'heure actuelle, l'ethnie anglaise dans le Québec est déjà dans une position de société nationale dominante qui exerce une influence considérable à cause de sa pression économique et que, justement, nous ne sommes pas en position de devoir accepter cela, mais de devoir demander que cela soit revisé pour que, d'abord, la communauté francophone ait sa place et que la minorité anglophone n'occupe que la place à laquelle elle a droit.

Je crois que notre mémoire tient compte de ce que vous dites au paragraphe 3, où nous reconnaissons des droits acquis. Nous sommes d'avis que l'on peut reconnaître des droits acquis à la communauté anglophone, celle qui le mérite vraiment, la communauté britannique, justement en raison de ce fait, en raison de notre situation dans le Canada, de l'avenir possible des minorités, des droits que nous réclamons pour les minorités et qui sont équivalents, mais je pense qu'il ne faut pas aller plus loin que l'équivalence.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous parlez des droits acquis de la minorité et vous ajoutez: « celle qui le mérite... » Qu'est-ce que cela veut dire?

M. ANGERS: ... Qui le mérite, c'est-à-dire à laquelle on peut vraiment reconnaître un certain droit à cause de ce fait de conquête, de cette situation historique. Parce que l'immigrant, lui, quand il est venu ici, il a décidé de choisir la langue du pays. Au début, quand il est arrivé, il y a eu un peu d'équivoque mais enfin, si la communauté doit devenir française, il faudra qu'il devienne français. C'est là que je dis qu'il y a une période intermédiaire où les principes étant consacrés, il faudra que l'application soit intelligente. Mais le fait doit être accepté au départ que tout immigrant doit s'intégrer à la communauté francophone et qu'il n'est pas normal que la communauté anglophone au Québec agrège des immigrants à son groupe, sauf peut-être — nous avons apporté une restriction — ceux qui sont de son propre groupe, le groupe britannique, le reste devant être intégré systématiquement et progressivement à la communauté française.

Pour ceux qui arrivent, c'est clair. Cela devrait commencer tout de suite. Même pour les enfants de ceux qui sont déjà établis, cela va aussi bien, parce que je ne vois pas, vous savez, le problème des droits acquis dans ce cas-là. Il n'y a pas tellement de différence entre un Tchèque qui arrive de Tchécoslovaquie, qui a toujours parlé tchèque et qui est obligé de parler français et un immigrant qui est arrivé ici depuis quelques années, qui a commencé par apprendre l'anglais et qui, s'apercevant que la communauté se francise, doit accepter que ses enfants apprennent la langue de la communauté. Il y a eu équivoque, mais cette équivoque ne crée par de droit. Ce n'est pas plus un droit que pour l'immigrant qui vient de l'extérieur, à mon sens. Si on veut le lui reconnaître pour des raisons pratiques, nous pouvons en discuter, mais fondamentalement, il n'y a pas là de droit.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Angers, si vous me permettez une dernière question... A la page 2 de votre mémoire, troisième paragraphe, vous dites: « Quitte à reconnaître ensuite des droits ou privilèges à titre spécial à certains éléments de la population pour des raisons valables »... Est-ce que vous pourriez expliciter un petit peu et surtout nous indiquer de quelle façon pratique cela pourrait se traduire dans les textes de loi ou dans les structures de l'éducation, par exemple?

M. ANGERS: A mon point de vue, la seule raison valable que je vols pour le droit est précisément la situation historique des deux communautés qui ont vécu ensemble, pendant deux cents ans, à la suite d'un événement historique qui s'est appelé la conquête.

A ce moment-là, si les anglophones de cette descendance tiennent à rester anglais, à parler anglais et à garder leurs droits minoritaires, disons que nous, à la Ligue de l'Action nationale, nous sommes prêts à les leur reconnaître. C'est ça que j'appelle un droit valable, un droit qui est fondé sur une longue histoire commune qui a eu ses hauts et ses bas, etc. Ce n'est pas, à mon sens, comme je le disais tout à l'heure, un droit fondamental. C'est une attitude de contrat et d'association que nous ne consentons pas à accepter, mais que, dans les circonstances, plusieurs groupes nationalistes sont prêts à accepter.

Comment cela s'intêgrerait-il dans la législation? Eh bien, c'est par le régime de l'école unique française avec un secteur — si on reconnaît ces droits-là — aux anglophones d'allégeance britannique qui, eux, auraient droit à leurs écoles, un peu comme ils le veulent. Quant aux autres, ils seraient tous dans le secteur unique. J'ajoute même, pour faire comprendre: Quitte même si on devait pour des raisons pratiques maintenir encore pour quelques années des écoles strictement anglaises pour certains groupes afin de leur faire passer la transition. Eh bien, ce sont des questions d'administration et de circonstances. Il faudrait que cela se fasse à l'intérieur du secteur unique et à titre de classes privilégiées, temporaires ou spéciales, justement pour qu'il soit bien clair que c'est un régime temporaire qui tient compte de certaines situations pendant qu'on procède à l'évolution.

Mais l'idéal serait que l'on cesse d'avoir des écoles comme celles-là et que seul le secteur britannique, à mon avis, tant qu'il veut les conserver, garde des écoles anglaises. A ce moment-là, il n'y a pas de difficultés, parce que, précisément, ces gens-là sont faciles à discer- ner; ce sont tous des gens qui viennent de la Grande-Bretagne, de l'Irlande et de l'Ecosse. Il n'y a pas de raisons d'en donner à d'autres.

Remarquez bien que le gouvernement fédéral a fait la même chose dans l'immigration. Il y avait autrefois un principe d'immigration au Canada, qui voulait que l'immigration ne modifie pas l'équilibre culturel du Canada. On l'affirmait avec d'autant plus de force qu'en pratique cela ne fonctionnait pas, parce qu'il n'y avait pas de Français qui immigraient au Canada. On l'affirmait; cependant, on ne l'appliquait pas aux Belges. Dans les règles de l'immigration, seuls les Français de France avaient droit aux avantages d'égalité avec les Britanniques d'Angleterre, à l'entrée au pays. Tout autre francophone qui venait d'ailleurs était traité comme un immigrant complètement étranger.

C'est facile à appliquer, à circonscrire, à condition que nous donnions des définitions précises et que nous sachions exactement ce que nous voulons faire. Si nous sortons de cela, en principe, nous entrons dans l'équivoque de droits difficiles à définir. Ceux qui viennent vont aussi réclamer des droits en disant: Puisque ceux qui sont venus avant nous ont déjà eu ces droits-là, pourquoi nous les refuse-t-on? L'égalité, le choix et ainsi de suite. Il faut que cela soit clair et net.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Afin de sauvegarder l'héritage culturel français et la civilisation française du Québec, vous pensez, M. Angers, que le Québec doit exercer un contrôle sur la croissance démographique de sa population.

M. ANGERS: Cela dépend de ce que nous entendons par contrôle. Il y aura certainement une politique démographique.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Evidemment, cela implique que nous attachions beaucoup d'importance, lorsque nous parlons en terme de croissance démographique, à la qualité des immigrants et à la facilité qu'ils peuvent avoir de s'intégrer dans la communauté francophone.

M. ANGERS: C'est vrai.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ceci, pour les immigrants qui vont venir. Pour ceux du passé, vous n'admettez pas qu'ils aient des droits acquis?

M. ANGERS: Non.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Exception faite des Britanniques, comme vous l'avez dit.

M. ANGERS: Des Britanniques.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, à part les Britanniques, vous n'admettez pas que les Italiens, les Polonais, les Grecs, les Russes, les Allemands aient des droits acquis, depuis le temps qu'ils se sont établis ici.

M. ANGERS: Je ne l'admets pas, et je ne crois pas que ce soit dans leur intérêt, non plus. Après tout, si la communauté doit devenir vraiment francophone, ils sont tout simplement, à l'heure actuelle, dans une impasse psychologique temporaire — qu'il faut reconnaître, qu'il faut traiter avec délicatesse, mais avec fermeté — vers l'inclusion dans la francophonie.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je pense, M. Angers, que vous substituez votre conception de leur intérêt à la conception qu'ils peuvent en avoir. Ces gens-là ne pensent-ils pas, à l'heure actuelle, qu'il est de leur intérêt d'appartenir à une autre communauté culturelle?

M. ANGERS: Non, je ne substitue pas. Je la définis selon l'entité territoriale et nationale où ils vont vivre, comme on la conçoit partout ailleurs, voyez-vous? Encore une fois, ici, il y a des situations équivoques, mais je ne crois pas que dans aucun pays au monde qui a son unité, on pose un problème comme celui-là.

Si nous vivons dans une communauté française, en fonction du principe qu'une communauté doit avoir une seule langue pour communiquer facilement et que c'est la règle générale pour toutes les nations qui n'ont pas eu de problèmes de conquêtes et de mélanges historiques, eh bien, c'est leur intérêt qu'il y ait une seule langue comme c'est leur intérêt qu'il y ait, par exemple, dans l'ordre économique une seule monnaie dans le territoire où ils vivent.

Si, à un moment donné, ils ont des problèmes qui viennent de situations de fait qui leur ont créé des complexes psychologiques, je ne pense pas que ce soit dans leur intérêt, en tant que Québécois. Si vous considérez leur intérêt en tant que voulant s'en aller aux Etats-Unis ou dans le reste du Canada, cela est autre chose. Comme Québécois, comme personnes qui veulent vivre dans le Québec, si nous sommes vraiment décidés à faire du Québec un pays d'expression française, leur intérêt n'est pas de rester bilingues — bien sûr, comme toute personne, ils peuvent apprendre deux langues pour leur culture personnelle — de ne pas comprendre le français et de ne pas être français.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): En somme, c'est l'extension normale, légitime et juridique que vous donnez à la théorie du « Maître chez nous ».

M. ANGERS: La théorie de...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): La théorie du « Maître chez nous ».

M. ANGERS: Si vous voulez, bien sûr.

M. LE PRESIDENT: M. Wagner, une question.

M. WAGNER: M. Angers, j'ai écouté attentivement la lecture de votre mémoire. Même si je ne partage pas du tout votre point de vue, je le respecte.

En arrivant à la conclusion numéro cinq, je vous avoue que j'ai sursauté. Vous voulez que la Législature entérine votre recommandation et refuse à vos concitoyens l'accès des écoles anglaises bilingues aux niveaux primaire et secondaire. Il me semble qu'il y a là une atteinte sérieuse à une des libertés fondamentales de vos concitoyens.

Je voudrais savoir de vous pourquoi d'abord vous refusez à vos concitoyens de langue française cette liberté? Deuxièmement, pourquoi vous suggérez une sorte de discrimination contre ceux d'ascendance non britannique? Pourquoi cette distinction?

M. ANGERS: Bien, pour tout ce que j'ai expliqué depuis tantôt. Je ne crois pas que ce soit leur liberté, justement. A la situation difficile où sont les Canadiens français ce n'est pas de la liberté des Canadiens français de travailler contre l'intérêt national en anglicisant leurs enfants. Ils ne le feraient pas dans un pays français.

Remarquez bien que je vais assez loin dans ce domaine-là. C'est une vieille question qui se discute depuis longtemps. J'ajouterai qu'à ce moment-là, ils ne sont pas conscients du danger que cela présente et que ce n'est pas dans l'intérêt pédagogique de leurs enfants qu'ils le fassent.

Ce vieux débat qui est soulevé, de savoir quand on doit introduire la langue seconde à l'école est une question, n'est-ce pas, qui est débattue dans le monde entier et qui est loin d'être résolue. La thèse qui a toujours été prévalante, avec quelques exceptions depuis quelques années à cause de nouveaux moyens de communication et d'enseignement, c'est qu'on nuit au développement de l'intelligence de l'enfant quand on introduit l'enseignement d'une langue

seconde au primaire et qu'on lui donne un enseignement rigoureusement bilingue au secondaire. A l'université, cela a moins d'importance parce que là l'enfant est formé, l'esprit est formé. A ce moment-là, je le juge en fonction de mes conceptions et de ces conceptions pédagogiques à peu près universelles. Ces parents-là ne comprennent pas l'intérêt de leurs enfants. Ils peuvent leur faire apprendre l'anglais très bien comme langue seconde au secondaire, les perfectionner ensuite dans l'anglais par d'autres moyens. Mais en envoyant leurs enfants à une école anglaise, alors qu'ils sont d'allégeance de langue française, ils leur créent des problèmes psychologiques sérieux.

Si nous étions en France, on dirait tant pis! Quelques parents font cela, mon Dieu! s'ils le veulent! Mais au Québec, cela présente un grave danger parce que les parents le font pour des raisons d'intérêt économique. Ils le font parce que l'anglais est la langue dominante au point de vue québécois.

Comme nous voulons réformer cela aussi, eh bien! en même temps, il faut faire la réforme sur tous les plans et avertir les parents de ce danger-là.

M. WAGNER: En somme,...

M. ANGERS: Ce n'est pas une violation...

M. WAGNER: Vous êtes conséquent avec vos prémisses.

M. ANGERS: Ce n'est pas une violation de la...

M. WAGNER: Vous ne considérez pas que c'est une liberté...

M. ANGERS: Non.

M. WAGNER: ... pour les parents d'envoyer leurs enfants à une école de leur choix.

M. ANGERS: Je crois, au contraire, que c'est une obligation pour les parents...

M. WAGNER: Ah! bon.

M. ANGERS: ... de recevoir leur enseignement dans la langue de la communauté nationale. Remarquez bien que c'est le principe universellement appliqué. L'autre règle de liberté vient de l'équivoque d'une situation particulière qui est la conquête et la dominance économique anglophone dans le secteur français du Canada.

Le problème ne se poserait même pas pour les parents, s'il n'y avait pas cette situation.

Je crois que c'est le rôle de l'Etat, à ce moment-là, de voir à faire en sorte que les parents ne travaillent pas contre l'intérêt national. Remarquez bien — vous le savez comme moi — qu'ici je l'applique sur le plan de la langue mais on ne croit pas violer les droits fondamentaux dans un pays comme la France où on ne reconnaît pratiquement pas le droit des parents, même à l'école parce qu'on y a substitué un autre concept. En France, c'est le concept qui a prévalu quand on a fait la réforme scolaire sous Napoléon, qu'il fallait faire l'unité de la France et créer une pensée nationale. Alors, on a imposé un système d'éducation complet, à ce moment-là, aux parents, au nom de l'intérêt national.

Cela me paraît assez sérieux parce que cela viole la liberté de conscience à un moment donné. Mais, la langue est un instrument de communication nationale. C'est un bien collectif dont l'Etat a le droit et le devoir de protéger l'existence et le fonctionnement. C'est une question de droit.

M.WAGNER: Merci.

M. LE PRESIDENT: M. Pearson.

M. PEARSON: Ne croyez-vous pas que les immigrés anglophones s'établissent plutôt dans la région de Montréal et que les immigrés, autres que les anglophones, qui peuvent s'établir ailleurs baigneront davantage dans une atmosphère française? Et qu'en résumé, le danger existe surtout dans la région de Montréal? Parce que les gens bilingues, on en trouve de moins en moins en allant vers l'Est. En pratique, malgré toute législation, les francophonnes de Montréal sont bilingues en bonne proportion et continueront de l'être.

La législation devrait plutôt insister peut-être — c'est une question que je vous pose — sur le véritable visage français, par exemple la publicité, le travail, la fonction publique, les rapports de tous ceux qui ont des emplois et qui ont affaire au public.

M. ANGERS: Je crois que c'est un à-côté seulement, et que ça ne réussira pas, si la situation fondamentale de principe n'est pas revisée rapidement. On n'arrivera pas à combattre l'influence dominante du fait que, pour travailler, à l'heure actuelle, un Canadien français doit s'imposer l'anglais non pas comme une richesse culturelle mais comme une nécessité de travail. Ce n'est pas par des moyens accessoires de vi-

sage français qu'on réglera le problème. Il va falloir légiférer sagement pour amener ceux qui vivent ici: capital étranger en particulier. D'ailleurs, décréter l'usage de la langue française, langue officielle, ce serait un premier pas. Que voulez-vous? Ceux qui sont ici à l'heure actuelle n'ont pas de raison de donner un visage français au Québec, puisque le Québec est bilingue. Pourquoi ne pas choisir, puisqu'à l'heure actuelle, la situation, sans être définie juridiquement, est de fait une situation de bilinguisme officiel avec domination de l'anglais?

Alors, ils arrivent ici et ils font comme s'ils étaient dans un pays aussi anglais que français, ils établissent tout en anglais. Ils ne font pas cela en France, ils ne font pas cela en Amérique du Sud, ils ne font pas cela dans les pays où ils arrivent et où ils savent que le pays est de telle nature linguistique. Alors, c'est cela qui serait le plus important.

Naturellement, le reste en dérive. La seule situation, ce qui fait l'équivoque, c'est qu'à l'heure actuelle, pour des raisons diverses, on n'a pas proclamé l'unilinguisme officiel français, ce qui n'est pas une obligation pour tout le monde de ne parler que le français, mais la proclamation légale que tout ce qui est officiel est français, et, à partir de ce moment-là, il n'y a pas de climat. Le visage français ne peut pas s'établir. Alors, il faut cela et l'école suivra. Si la langue française est la seule langue officielle au Québec, tout ce que je vous dis, c'est que cela devient tellement normal et nécessaire qu'il ne pourra pas en être autrement. L'école sera française, sauf si l'on concède certains droits à certains groupes. On voudra intégrer les immigrants à la communauté française, parce que nous sommes dans un pays français et que la langue officielle est le français.

Alors, encore une fois, tout ce qui se passe à l'heure actuelle résulte de l'ambigüté de notre situation. Les mesures dont vous parlez seront bien utiles, bien sûr, mais si en même temps que l'on fait cela, on consacre le principe du bilinguisme officiel, on consacre le principe du choix des parents sur une base absolument égale, que voulez-vous? Ces mesures-là seront complètement inefficaces, parce que les parents vont aller vers leurs intérêts économiques, et par conséquent, ils vont continuer à consacrer le caractère effectivement anglophone du Québec.

M. BOUSQUET: Est-ce qu'à votre connaissance, lorsque l'on a limité ou aboli l'usage du français en Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba, la jurisprudence britannique a reconnu le droit des parents canadiens-français à avoir une éducation dans la langue de leur choix?

M. ANGERS: Là, vous me posez une question qui n'est pas tout à fait de mon ressort, elle est du domaine juridique. Je ne me rappelle pas, je ne crois pas.

M. BOUSQUET: On a beaucoup de respect pour la jurisprudence britannique. On nous a appris ça! Alors, ce serait intéressant de savoir ce qu'elle contient à ce sujet.

M. ANGERS: Je ne crois pas que la jurisprudence britannique, en autant que je sache — sous toute réserve, parce que vous me posez une question bien à brûle-pourpoint — je ne crois pas, dis-je, qu'elle ait jamais obtenu ça. D'abord, il n'y avait rien dans la constitution qui l'obligeait à le reconnaître. Les questions des écoles ont toujours été des questions ambiguës de lutte pour le français, par le biais de la confession-nalité.

Alors, même par le biais de la confessionnalité, on a été extrêmement rigide dans la jurisprudence britannique, et il a été très difficile d'établir même des écoles séparées catholiques, qu'on a laissées s'établir sous la domination de l'élément irlandais qui les a anglicisées, etc. Par conséquent, il n'y a pas de droits.

Je crois, d'ailleurs, qu'il y a une décision, dont j'ai vu le texte, de la Cour de La Haye qui, dans le cas de la Belgique...

UNE VOIX: Strasbourg.

M. ANGERS: ... Strasbourg, enfin, a rendu jugement qu'il n'est pas contre les droits d'imposer à l'école la langue du territoire à un enfant de langue étrangère. Je pense que cela s'appliquait aux Flamands ou à je ne sais quoi, mais le jugement a été rendu dans ce sens-là. Vous avez déjà un jugement international dans ce sens-là, que ce n'est pas affecter les droits d'un enfant que de lui imposer la langue du territoire où il vit, même si ce n'est pas sa langue maternelle.

M. LE PRESIDENT: M. Tetley.

M. TETLEY: M. Angers, je voudrais en premier lieu aborder la question d'un citoyen britannique ou anglais, dont le père serait anglais et la mère italienne. L'enfant est-il britannique ou ... ?

M. ANGERS: J'imagine que l'on suivra les règles de droit. Il y en a de prescrites. Dans ce domaine-là, c'est un avocat qu'il faut consulter. Je crois que la citoyenneté du père fait la loi, alors, on suit la loi. Je ne crois pas qu'il y ait de...

M. TETLEY: Vous allez prendre la citoyenneté du père?

M. ANGERS: La citoyenneté du père. M. TETLEY: L'origine du père.

M. ANGERS: L'origine du père. A moins que l'on ne revise les lois. Jusqu'ici, ç'a toujours été cela.

M. LE PRESIDENT: Alors, merci beaucoup, M. Angers, du rapport que vous avez présenté au comité. Je crois qu'il n'y a plus de question. Nous allons maintenant continuer avec un autre rapport, celui du Mouvement pour l'unilinguisme français au Québec. Le porte-parole en est M. Gérard Lachance, je crois. Alors, M. La-chance, si vous voulez vous avancer, s'il vous plaît.

M. BATAILLE: M. Lachance n'a pas pu venir ici aujourd'hui, c'est Mme Monique Lanctot qui va présenter le mémoire, et je vais collaborer. Mon nom est Bataille. Nous avons ici M. Dassylva, qui va aussi répondre aux questions.

M. LE PRESIDENT: Pourriez-vous épeler votre nom, s'il vous plaît?

M. BATAILLE: Mon nom, Bataille. M. PAUL: C'est très figuratif.

Mme Monique Lanctot

MME LANCTOT: Messieurs. Le Mouvement pour l'unilinguisme français au Québec a pris naissance il y a deux ans. Il s'est fusionné en août 1968 avec le Comité de la langue française. Le mouvement a présentement 600 membres et dispose de 10,000 adhérents à la déclaration en faveur de l'unilinguisme français. Le mouvement recrute ses membres dans toutes les classes de la société et de toutes les régions de l'Amérique du Nord. Le mouvement a aussi obtenu la coopération de plusieurs organismes sociaux et culturels de notre société.

Le mouvement s'est limité à être un mouvement d'éducation et d'animation. Il a accordé son appui au MIS. Il a dénoncé mais aussi appuyé, selon les circonstances, les individus et les groupes qui ont pris position sur la langue. Dans les circonstances présentes, le Mouvement pour l'unilinguisme français au Québec considère que le bill 85 va à l'encontre de sa politique de langue et a préparé le mémoire ci-joint.

Chapitre 1

Situation du Québec en Amérique du Nord

On ne peut concevoir une politique linguistique sans se placer dans le contexte québécois. Le Québec est le seul Etat en Amérique du Nord où la population francophone forme le groupe le plus nombreux. Il en découle que les Anglais peuvent disposer de 50 Etats américains ainsi que de 9 provinces canadiennes où ils se sentiront chez eux par la langue alors que nous ne disposons que du Québec. On peut se demander jusqu'où peut aller l'impérialisme anglosaxon, 59 Etats ne lui suffisent pas, lui faut-il encore s'emparer de notre seul Etat?

Lorsque, dans les neuf provinces anglophones du Canada, la minorité canadienne-française est nettement défavorisée socialement, économiquement et culturellement, au Québec, c'est encore un petit groupe d'Anglais non intégrés au groupe français qui domine. L'attraction naturelle se fait vers l'anglais, chez l'immigrant et aussi chez le Canadien français.

A cause du peu d'importance accordé au français dans notre propre Québec, le français est en voie de désintégration et, ne l'oublions pas, c'est l'omniprésence de l'anglais qui en est la cause.

Quand on nous allègue que c'est parce qu'il y a 200 millions d'Américains que nous devons créer un enseignement anglais, que l'anglais doit être la langue véhiculaire, on est en présence d'une aberration mentale et ceux qui en sont atteints sont soit malhonnêtes, soit atteints de dégénérescence mentale avancée.

M. LE PRESIDENT: C'est grave. M. PAUL: Des noms, s'il vous plaît.

MME LANCTOT: C'est justement parce que nous vivons entourés d'anglophones que nous devons être plus sévères face à l'invasion de l'anglais dans l'atmosphère où nous vivons, et prendre des dispositions radicales en ce qui concerne la langue.

Authentiquement Français d'Amérique, nous serions une société autonome et créatrice qui aurait son apport dans le concert des cultures. Bilingue ou bilinguisant, le Québec ne sera qu'une réserve où réside un peuple qui a perdu tout dynamisme.

Chapitre II

Impérialisme culturel anglais

Les citations suivantes nous prouvent que la politique d'anglicisation était concertée. « Le meilleur moyen de résoudre l'opposition des deux groupes français et anglais, c'est de noyer la population française sous le flot continu d'une immigration organisée méthodiquement, contrôlée au départ, accueillie à l'arrivée, assurée d'une situation privilégiée dans la colonie. » Rapport Durham, 1839. « Vers 1900, c'est Sifton et ses amis qui déclenchent une vaste campagne en faveur de l'immigration. Leur formule? Immerger l'élément français dans un milieu anglais de plus en plus considérable, puis le noyer en ajoutant au mélange de plus en plus saturé d'Anglais un élément d'origine étrangère qu'ils s'imaginaient pouvoir assimiler à brève échéance. » Richard Arès. (Sifton était alors ministre de l'Intérieur à Ottawa.)

En 1962, la répartition des bureaux d'immigration est symptomatique. Grande-Bretagne, six bureaux; pays germaniques, douze; Etats-Unis et Commonwealth, six; France, un; pays latins, deux; Amérique latine, aucun.

La décision d'établir des bureaux d'immigration est faite par le gouvernement et n'est pas prise à la légère; c'est une décision concertée. Nous y voyons une politique nettement antifrançaise et une attitude négative envers tout ce qui se rapproche de la langue française, tout ce qui est latin.

Si l'on examine de plus près le taux d'assimilation à l'anglais et au français, nous trouvons que l'anglais a un taux cinquante fois plus élevé que le français. Voici quelques chiffres du recensement de 1961.

Origine de langue: français, 4,250,000; anglais, 567,057. Langue maternelle: français, 4,269,689; anglais, 697,402. Accroissement; français, 19,689; anglais, 130,345. Taux d'accroissement; français, 0.46%; anglais, 23%.

Le pouvoir assimilateur est donc cinquante fois plus élevé chez les Anglais que chez les Français.

L'anglicisation est déjà très avancée, au point où un pourcentage infinie de Latins s'intègre au milieu français et que même les Canadiens français abandonnent leur langue.

Dans une telle situation, l'ouverture de bureaux d'immigration dans les pays francophones est nettement insuffisante et même inutile. Elle aurait été valable il y a cinquante ans peut-être, mais maintenant que la tendance vers l'anglicisation est si forte, on ne peut tolérer cette tendance. Le problème est interne.

Il n'est pas étonnant dans les circonstances que les Anglais se prononcent en faveur du bill 85 qui va permettre de perpétuer cette tendance. Il n'est pas étonnant non plus que les Anglais appuient présentement le bilinguisme « from coast to coast ». Il n'y a plus aucun danger de francisation et puis la motivation économique n'existe même pas à Vancouver ou à Toronto. Chapitre III

Le bill 85, c'est l'institutionalisation du racisme anglais au Québec.

Au Québec, les deux langues sont nettement identifiées à deux sociétés distinctes: la société anglaise qui compte et la société française qui s'identifie à l'ignorance et à l'insignifiance.

Plutôt que de s'intégrer à la société québécoise, le groupe anglais a préféré se tenir à l'écart et institutionaliser cette différence linguistique qui lui permet d'éviter de se contaminer au contact des Canadiens français du Québec.

Nous citons ici un extrait d'un article de Fernand Ouellette, paru dans la revue Liberté, nos 31-32, pages 107-108. « a) Notre ascension collective. « Jusqu'ici, pour un Canadien français, la « mobilité verticale » a toujours été individuelle. Elle n'était d'ailleurs possible que par le bilinguisme qui fut une sorte de lavage de cerveau, une métamorphose de sa mentalité. Car la mobilité verticale individuelle ne menace jamais les privilèges de la société majoritaire. Cette nouvelle élite s'acclimate bien et alors les maîtres peuvent la transplanter ou la surveiller. Or, aujourd'hui, l'on assiste à une prise de conscience collective d'une situation de prolétariat non seulement économique, mais culturel, linguistique. Les Canadiens français veulent que la mobilité verticale s'étendent à tout le peuple. Ils n'acceptent plus que leur langue soit un signe d'infériorité collective. Ceux qui employaient l'expression « speak white » se considéraient eux-mêmes comme des colonisateurs et nous obligeaient à nous considérer nous-mêmes comme des colonisés, comme des nègres blancs. « Peu à peu, nous avons découvert que la vie séparait les races plus qu'elle ne les unissait. Les ghettos se forment par le haut Nous savons maintenant que le véritable problème qui se pose, c'est celui de notre ascension collective. C'est pourquoi, dès que l'on parle d'ascension collective, de la volonté de gagner notre pain dans notre langue, on nous parle de la vocation anglo-saxonne de l'Amérique du Nord, de la culture de ces grands hommes qui, selon

le témoignage d'Arnold Toynbee, « s'isolent dans toutes les capitales et les colonies où ils vivent de crainte d'être contaminés. »

Il y a une citation qui fait suite, au bas de la page: « Les Anglo-Saxons ont l'art de semer des mythes destructeurs dans l'esprit de ceux qui leur sont étrangers. Toutefois, entre eux, ils se contentent des faits. Ainsi, le bilinguisme est un mythe qui ne peut que les servir. Ainsi, on parle de racisme à propos du chanoine Groulx pour mieux affaiblir la portée de son message. Cela, c'est du dialogue de loup devant l'agneau, »

Alors que le MIS préconise une intégration lente et en douceur des enfants, les Anglais s'y opposent. Ils refusent de s'intégrer. Ils veulent maintenir leur ghetto par le haut Ils vont même jusqu'à traiter les Canadiens français de racistes, lorsque l'intégration est tout le contraire du racisme. Les noirs des Etats-Unis ont, eux aussi, lutté pour l'intégration scolaire. Pourquoi se sentent-ils obligés d'accuser? Cest parce qu'ils se sentent coupables, et leur culpabilité, ils la dirigent vers les vaincus.

Le racisme est la contrepartie objective de la situation objective. En quelque sorte si le noir est esclave, c'est qu'il a été maudit. Si l'éducation française engendre l'ignorance, c'est que la langue française est une langue inférieure. Cette attitude se retrouve en fait dans toute la pensée anglo-saxonne et puritaine qui justifie ses crimes à partir de la prédestination. Lors de la formation des Etats-Unis, elle s'adressait au progrès individuel. Ici, elle a pris une attitude collective. Le refus des Anglais de s'intégrer à notre milieu est une attitude nettement raciste; ils veulent maintenir la différence qui leur permet de mieux se distancer de la masse française. Il ne leur suffit pas de jouir d'un privilège; les Anglais veulent légitimer l'injustice de l'oppresseur à l'égard de l'opprimé.

Par delà ses nuances, le bill 85 d'inspiration anglaise est une réaction typiquement raciste de ceux qui veulent légitimer l'injustice et, ainsi, donner bonne conscience aux racistes anglais. Pour comble d'arrogance, ils veulent faire voter par les députés, représentants de la masse canadienne-française, la condamnation de leur propre peuple. Néron au XXe siècle n'aurait certes pas fait mieux.

Chapitre IV

Que désire le peuple et qu'est-ce qu'il faut faire pour le peuple?

Veut-on, oui ou non, vivre en français? C'est la question fondamentale. Deux cents ans de résistance démontrent que nous voulons demeurer français. Malgré l'occupation britannique, malgré le voisinage de deux cents millions d'Anglo-saxons, nous avons quand même réussi à survivre. Ce vouloir vivre collectif dans une culture commune, cela ne veut pas dire végéter. Si, en fait, notre peuple veut vivre en français, il veut aussi progresser.

Dans l'état actuel du Québec, il ne peut progresser en français. Là encore, il va plafonner très vite parce qu'il est Canadien français. Nous voulons progresser en français selon nos propres besoins, sans les contraintes continuelles d'une langue étrangère. Nous voulons nous libérer des contraintes. Nous voulons que notre société devienne une société créatrice, une société qui nous permettra de prendre des initiatives, d'innover dans tous les domaines sans l'imposition quotidienne d'une langue étrangère.

Dans un milieu de bilinguisme, il n'y a pas de coexistence; il n'y a qu'une agression continue de la langue du groupe dominant. Cette agression continue paralyse la langue du groupe dominé qui est aliéné de son pouvoir créateur. Ainsi, notre peuple, continuellement menacé par la langue anglaise qui, dans une atmosphère de bonne entente, s'attaque à notre langue, demeure sur la défensive, plus préoccupé à se protéger qu'à créer. C'est de cela qu'il faut libérer notre peuple afin qu'à l'échelle du monde il devienne un peuple créateur.

Le bill 85 institutionalisant l'agression ne fera qu'accroître notre défensive et l'indépendance intellectuelle de notre peuple. « La domination économique et politique crée une subordination culturelle et la subordination culturelle vient entretenir la subordination économique et culturelle. » La citation est d'Albert Memmi, dans L'Homme dominé.

C'est ça la situation de notre langue et de notre peuple et nous voulons nous en libérer.

Chapitre V

Option des partis face au français.

Tous les partis quels qu'ils soient préconisent dans leur programme soit la priorité du français, soit l'unilinguisme français au Québec. Les trois grands reportages parus récemment dans la Presse sont là pour en témoigner.

Les partis politiques québécois ont maintes fois affirmé que le gouvernement du Québec était l'Etat national des Canadiens français qui ont pour langue nationale le français.

Il ne suffit plus aux partis de se prononcer en faveur du français, il faut réaliser ce qu'on

préconise. Il ne faut surtout pas institutionaliser une situation qui nous mène à la ruine. Le bill 85 est l'institutionalisation de notre déchéance en tant que peuple français.

Nous aimerions citer ici un passage du rapport de la CECM sur l'enseignement des langues aux Néo-Québécois. Ce rapport a été fait en 1962, soit il y a près de sept ans.

Après avoir donné les chiffres de l'anglicisation totale des Néo-Québécois, le rapport, page 31, continue ainsi: « C'est devant une telle situation que la CECM, à la demande du comité catholique du Conseil de l'instruction publique, décidait en mai 1962 de créer une section néo-canadienne. « Ce fut une levée de boucliers de la part de l'élément de langue anglaise: articles et communiqués dans les journaux, téléphones et télégrammes de protestation à la CECM, interventions des « Parents Teachers Associations » auprès des parents néo-canadiens les dissuadant d'accepter ce nouveau programme, visites à domicile, groupes protestataires chez le président de la CECM, refus des professeurs du secteur anglais d'enseigner l'anglais dans les futures classes bilingues, etc. etc. « Pendant ce temps, toute la presse française gardait un mutisme complet, les sociétés nationales et patriotiques paraissaient paralysées et n'osaient pas bouger le petit doigt et l'Etat provincial était, disons, absent. « Et la CECM, seule, face à la farouche opposition du groupe anglais, laissa tomber le projet. Ce n'était pas l'échec de la CECM. C'était la capitulation de l'Etat français du Québec. »

Sept ans plus tard, allons-nous encore plier devant le racisme impérialiste d'un groupe d'Anglais? Allons-nous encore capituler devant le bill 85 qui légitime l'invasion culturelle anglaise au Québec? Ce serait la capitulation devant les « Parents Teachers Associations ».

Chapitre VI

Les solutions possibles

Nous avons vu que l'invasion de l'anglais est due en grande partie à l'existence d'un groupe d'Anglais qui à cause de leur puissance financière et de leurs positions clé dans l'économie québécoise imposent l'anglais à tout un peuple.

Il y a plusieurs solutions possibles et reconnues dans l'histoire présente ou passée. 1- L'intégration des groupes ethniques.

Cela signifie en fait l'unilinguisme français au Québec avec des modalités d'intégration dans le temps. Sous-jacente à l'unilinguisme fran- çais, on retrouve la politique du MIS, qui est une forme édulcorée d'intégration. Cette forme d'intégration est la plus lente et la moins douloureuse. 2- Faire disparaître les causes de l'attraction de la langue anglaise au Québec.

Le rapport de la commission BB paru dernièrement dans la Presse démontre de façon irréfutable que la connaissance de l'anglais est une condition première d'avancement et que c'est par la pression économique et financière que les Anglais du Québec imposent leur langue aux travailleurs québécois.

Il suffirait en fait de rétablir l'équilibre en faisant disparaître la disproportion économique et financière entre les groupes.

Le problème de la langue française comme langue d'usage au gouvernement du Québec ne se pose pas, ou presque pas.

En termes clairs, cela veut dire la confiscation pure et simple des biens des Anglais et leur mise en tutelle. Cela s'est fait dans plusieurs pays du monde.

Troisième solution possible: Eliminer ceux qui par leur intolérance imposent l'anglais au Québec.

Au passage précédent, nous nous en sommes pris aux moyens dont disposent les individus. Un autre moyen serait d'écarter ceux qui limitent notre progrès.

Cela veut dire soit la mise à pied des Anglais qui, par leur présence et leur influence, imposent l'anglais dans leur milieu, soit tout autre moyen. Il va de soi que la mise à pied est sans doute le moyen le plus doux.

Rappelons-nous que lors de la nationalisation de la Shawinigan Power, l'Hydro-Québec a eu vite fait de se débarrasser des directeurs anglais et de « québéciser » les cadres tel que cela s'est pratiqué dans plusieurs pays du Tiers-Monde.

Conclusion

Le MUFQ, (Mouvement pour l'unilinguisme français au Québec) comme son nom l'indique, préconise la francisation du Québec par une politique d'intégration à tous les niveaux. Le MUFQ considère que la politique du MIS devrait être étendue à tout le Québec et qu'elle n'est en fait qu'une petite étape vers la dignité de notre peuple.

Le MUFQ considère que le bill 85 est l'officialisation du racisme anglais, la ségrégation par le haut préconisée par des ultraracistes anglais avec des vues impérialistes sur le Québec.

Le MUFQ s'oppose au bill 85 qui aura pour

effet de creuser le fossé entre les groupes et perpétuera l'intériorisation du groupe canadien-français.

Le MUFQ considère que l'application du bill 85 provoquera l'affrontement des groupes, envenimera les relations et débouchera sur des solutions moins douces. Si les parlementaires ne veillent pas a l'intérêt national des Canadiens français, le peuple du Québec sera amené à le prendre directement en main et il ne se contentera pas de bons voeux. Les solutions, le peuple les prendra lui-même et il ne se contentera pas de l'unilinguisme.

Nous demandons instamment aux députés de rejeter le bill 85 et d'établir dans les faits et les lois le français comme seule langue officielle au Québec. Il n'y a rien qui vous empêche de le faire.

M. LE PRESIDENT: Le ministre de l'Education aimerait poser une question à Mme Lanctot... oui, monsieur?

M. BATAILLE: J'aurais juste une chose à ajouter. Nous n'avons pas lu l'annexe. C'est un document à part du mémoire. Nous avons parlé de 10,000 signatures. C'est cette déclaration-là que les 10,000 personnes ont signée. Si vous voulez que nous la lisions, nous pouvons le faire. Mais vous l'avez sous les yeux.

M. LE PRESIDENT: Ce n'est pas nécessaire, je crois. Merci des précisions.

M. CARDINAL: On pourrait, cependant, la déposer au comité si elle n'est pas lue.

M. LE PRESIDENT: Certainement. Etant donné qu'elle n'a pas été lue, pour qu'elle puisse paraître au journal des Débats, nous pourrons la déposer. (Voir annexe A)

M. CARDINAL: Mme Lanctot, je félicite d'abord votre mouvement d'avoir su faire dire ces choses par une si jolie voix.

MME LANCTOT: Merci.

M. CARDINAL: Deux questions. Ce que vous préconisez, ce que vous prônez, dans le fond, est-ce que vous croyez que cela doive être accordé au peuple du Québec à tout prix? Je donne quelques détails pour que ma question soit bien comprise.

A la lecture récente de certains journaux, il semblerait que le simple nationalisme fasse déjà fuir les capitaux, conduise à l'exode des cadres financiers et industriels et affaiblisse l'économie du Québec. Une solution comme la vôtre, qui est beaucoup plus extreme, devrait-elle donc être, dans ce contexte s'il est exact, je ne dirais pas imposée, mais accordée au peuple du Québec à tout prix, quel que soit le coût qu'il doive supporter pour l'obtenir?

M. BATAILLE: Je vais y répondre, monsieur. Si vous faites référence au rapport de M. Regenstreif — et qui a été peut-être rapporté d'une façon différente selon les journaux — ce qui s'est passé, c'est qu'on disait que les Canadiens anglais enlevaient leurs capitaux. Mais on a mentionné aussi qu'ils étaient immédiatement remplacés par des capitaux américains. Cela est une réponse. D'autre part, je n'ai pas l'impression qu'au Mexique les capitaux américains sont gênés de parler mexicain ou espagnol, selon le cas. Et même au Mexique, ils ont exigé que les Américains parlent espagnol. On essaie de faire peser sur le peuple toutes sortes de menaces. On l'a entretenu je ne sais pendant combien de temps sous diverses formes dans la peur et l'on veut se servir de cette peur de façon démagogique. Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais...

M. CARDINAL: Je poserai la deuxième question. Vous parlez du peuple un moment donné. Est-ce que, vraiment, vous croyez que ce que vous recommandez est ce que désire le peuple du Québec?

M. BATAILLE: Voici. Le peuple du Québec veut rester français, il veut aussi progresser. Or, on a toujours essayé de dissocier le français du progrès. On dit: Si vous voulez progresser, vous ne pourrez pas progresser en française Nous voulons que le peuple progresse en français. D'une part, il est tiraillé de deux côtés: progresser et garder sa culture. La langue ne devrait pas être une limite à son progrès. Le bilinguisme au Québec est une menace contre la société québécoise en tant que société créatrice et avec le développement de l'éducation — et nous en savons quelque chose à tous les niveaux — les moyens de communication vont augmenter et le retard à l'heure actuelle est dû justement à cause de la présence de l'anglais au Québec, au fait que les classes au Québec sont conditionnées à l'anglais et les immigrants qui viennent ici prennent la décision de s'affilier au groupe qui est majoritaire ou minoritaire selon qu'on parle sociologiquement ou qu'on parle quantitativement. Et ils s'associent parce qu'ils sautent par-dessus la classe inférieure qui est la classe canadienne-française. Si vous aviez lu certains journaux italiens,

on répétait le texte du MacLean, on leur disait: Voyez-vous, cela ne sert à rien le français parce que de toute façon, même si vous connaissez le français à niveau égal, vous ne serez pas plus avantagés.

M. CARDINAL: Est-ce que ma question serait indiscrète si je vous demandais si vous êtes vous-même un immigrant?

M. BATAILLE: Oui, monsieur, je suis un immigrant.

M. CARDINAL: De quel pays, s'il vous plaît?

M. BATAILLE: Je suis d'origine belge. Et Il y a des problèmes là aussi.

M. CARDINAL: Merci.

M. LE PRESIDENT: M. le ministre des Affaires culturelles.

M. TREMBLAY: Je crois que nous venons d'entendre la lecture d'un mémoire qui est fort intéressant dans sa formulation, fort bien fait, fort bien écrit, veux-je dire. Il y a dans ce mémoire à la page 4 une affirmation à savoir qu'au Québec les deux langues sont nettement identifiées à deux sociétés distinctes: la société anglaise qui compte, la société française qui s'identifie à l'ignorance et à l'insignifiance. L'écriture, le style du mémoire démontrent le contraire, et surtout le charme et la distinction de la personne qui nous l'a lu, sont une démonstration du contraire. Enfin, ce sont là des aspects accessoires. Mais j'ai l'impression, en écoutant Mlle Lanctot, d'écouter une nouvelle Charlotte Corday, qui nous propose, en fait, une révolution assez brutale qui partirait de la spoliation pure et simple des biens que possèdent les anglophones du Québec. Et l'on ajoute plus loin que si évidemment, on ne procède pas à corriger cette situation dans le sens qui est indiqué au chapitre 6, il se produirait évidemment des affrontements et qu'on déboucherait sur des solutions moins douces.

J'avoue que l'esprit de ce mémoire est assez inquiétant. Je n'hésite pas à qualifier ce mémoire d'extrémiste. C'est d'un extrémisme, à mon sens, qui va à la limite de l'extrémisme.

Naturellement, il ne m'appartient pas de vous dire que vous avez tort ou raison, mais, en ma qualité de parlementaire, je me permets de vous dire que ce mémoire est très inquiétant et fait peser — si tant est qu'il représente l'opinion d'une majorité de la population du Québec — une très sérieuse menace sur la sécurité du Québec.

Est-ce qu'on servira vraiment la langue française et la culture française en incitant, par des propos comme ceux que nous trouvons dans ce mémoire, les Québécois à s'entre-déchirer et à instaurer l'anarchie qui naîtrait nécessairement des mesures que vous préconisez, notamment celle de la confiscation des biens anglophones et celle de leur mise à pied, dont on dit que ce serait la solution la plus douce.

Ce sont les seuls commentaires que je veux faire, M. le Président, parce que je veux m'inscrire en faux contre une proposition aussi vigoureusement extrémiste et qui me semble être la négation absolue de tous les droits, de toutes les valeurs que nous cherchons à défendre.

M. BATAILLE: Je ne sais pas si c'est une question. Je préfère faire une mise au point.

M. le Ministre, nous ne préconisons pas ces solutions-là. Je crois que nous l'avons dit clairement dans la conclusion. Nous disons simplement que ce sont des moyens qui ont été employés dans l'histoire.

Si je me le rappelle, il y a encore quelques siècles, des milliers d'Acadiens ont été déportés. Ce sont des moyens qui ont été employés dans l'histoire, et ils sont inscrits dans plusieurs livres. Je pourrais citer le livre de démographie de M. Alfred Sauvy, qui est une connaissance sur le sujet. Alors, vous pouvez lire au chapitre concerné que ce sont des moyens qui ont été employés.

Nous ne préconisons pas ces moyens-là. Nous préconisons l'unilinguisme. Maintenant, l'unilinguisme est le seul objectif pour faire du Québec une société créatrice. Quant aux étapes, ce serait à envisager.

Il est bien évident que, si du jour au lendemain, l'on décrète l'unilinguisme, l'on ne va pas fusiller toutes les personnes qui parleront anglais. Cela est évident, qu'ils parlent chinois ou n'importe quoi, nous n'allons pas les fusiller.

Nous préconisons l'unilinguisme. Quant aux moyens, c'est à établir dans le temps. Ceux que nous avons cités, ce sont des moyens. Nous ne faisons pas de menace, mais nous disons qu'il y a un danger que nous ne voulons pas voir. Nous voulons l'unilinguisme par étapes, mais nous ne voulons pas que les choses se réalisent. Je crois que tout le monde se rend compte que les choses s'enveniment et que si nous sommes ici, aujourd'hui, c'est que les choses se sont envenimées. C'est à cela que nous voulons répondre, nous ne voulons pas l'anarchie! Nous voulons prévenir l'anarchie avant qu'il ne soit trop tard.

M. PAUL: M. Bataille.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Excusez-moi, un moment, cher collègue.

Je comprends très bien que vous nous dites que ce ne sont pas les solutions que vous préconisez, mais elles apparaissent comme telles, puisque vous les intitulez « Les solutions possibles ». Alors, vous serait-il possible de nous dire quels moyens vous envisagez avant qu'on en vienne à ces solutions absolument brutales?

M. LESAGE: C'est la dernière phrase, je crois, M. Tremblay, de l'avant-dernier paragraphe de la conclusion?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui.

M. LESAGE: « Les solutions, le peuple les prendra lui-même. Il ne se contentera pas d'unilinguisme ».

Je pense bien que ce que M. Tremblay voudrait, et moi aussi, c'est que vous nous explicitiez, que vous nous disiez quelles sont ces solutions, puisque...

M. BATAILLE: Voici...

M. LESAGE: ... vous les mentionnez comme une branche de l'alternative.

M. BATAILLE: Voici, M. le chef de l'Opposition, j'allais dire M. le premier ministre, excusez moi!

M. GRENIER: C'est fini, celai

M. LESAGE: Ce sont des erreurs qui font plaisir...

M. BATAILLE: Il y en a qui me disent que c'est fini à tout jamais. Alors, je m'excuse de l'interruption!

En général, après qu'une chose est partie, cela va beaucoup plus vite. Quelque chose démarre, accélère et il est difficile de l'arrêter. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre que nous ne savons plus ce qui se passera si une politique claire de la langue n'est pas prise pour faire de la nation canadienne-française une nation créatrice. Si c'est laissé un peu dans le désordre, cela fermentera un peu partout il y aura de la confusion. C'est un peu ce que nous voulons dire.

M. LESAGE: C'est un peu vague!

M. BATAILLE: Cela s'est fait un peu partout, monsieur.

M. LESAGE: Ce ne sont pas réellement des solutions.

M. BATAILLE: Ce ne sont pas des solutions. Notre solution, c'est l'unilinguisme français. Il faut voir la situation actuelle, ce qui est prévisible.

M. LESAGE: Qu'est-ce qui, d'après vous, est prévisible?

M. BATAILLE: Ce qu'on vient de dire. Il y a des situations prévisibles, des événements qui peuvent arriver, comme c'est arrivé un peu partout. Je ne peux pas vous dire que c'est ceci qui arrivera, mais, dans le cours de l'histoire, certains événements se produisent et certaines décisions seront prises, un moment donné. Nous ne pouvons pas prévoir ce qui se passera. Nous pouvons dire que plusieurs choses peuvent arriver. Il est important, à l'heure actuelle, de faire du français la seule langue officielle au Québec. Les choses ne sont pas encore envenimées tout à fait; elles le sont déjà assez, cependant. Une fois qu'elles seront beaucoup plus envenimées, ce sera insuffisant même de faire l'intégration scolaire, parce que les esprits seront surchauffés.

M. PAUL: M. Bataille, n'avez-vous pas l'impression qu'en présentant un mémoire comme celui que vous avez présenté aujourd'hui et que personnellement, moi, je condamne — je respecte l'opinion de mes collègues — vous pouvez contribuer à envenimer davantage le climat qui existe au Québec actuellement.

M. BATAILLE: Voici, M. le député. Tout peut y contribuer. On peut accuser tous et chacun de n'importe quoi. Nous ne sommes pas un groupe encore très important, mais il est nécessaire que certaines personnes fassent des mises en garde.

M. PAUL: Mais, est-ce que vous avez le mandat, ce matin, de venir mettre en garde les membres du comité sur une situation peut-être explosive qui peut exister?

M. BATAILLE: Ecoutez, ce n'est pas en cachant les problèmes qu'on les réglera!

M. LESAGE: Vous ne pensez pas que cela frise le chantage?

M. BATAILLE: Nous n'avons pas, nous, d'intérêts personnels à défendre.

M. LESAGE: Vous ne pensez pas que cela frise le chantage, un peu?

M. BOUSQUET: Si nous lisons votre conclusion, il faut dire ceci: « Le mouvement pour l'unilinguisme français au Québec, tel que son nom l'indique, préconise la francisation du Québec par une politique d'intégration à tous les niveaux ». Cela, c'est votre position?

M. BATAILLE: Oui.

M. BOUSQUET: Maintenant, plus loin, vous dites que la position du MIS, d'après vous, ne serait qu'une petite étape vers la dignité de notre peuple. Quelles seraient les autres étapes? Ceci pour préciser votre point de vue et pour donner une chance au coureur.

M. BATAILLE: M. le député, nous sommes pour l'unilinguisme français à tous les niveaux. Le MIS est pous l'intégration scolaire. Pour lui, cela prendra 10 ou 15 ans, mais cela se fera en douceur, comme on dit.

Nous sommes pour l'unilinguisme français au travail. Le français doit devenir la langue indispensable, au travail, dans l'affichage, enfin, partout! Le MIS prend la question de l'école seulement. Peut-être, qu'il ira plus loin, parce qu'on ne peut pas se limiter à l'école. Mais nous, nous prenons tout! Alors, c'est une première étape.

M. BOUSQUET: Et si cette francisation-là ne se réalisait pas à un rythme assez accéléré pour votre mouvement, est-ce que votre mouvement aurait d'autres solutions à suggérer? Est-ce qu'il a pensé à des solutions précises autres que celles préconisées dans 2 et 3?

M. BATAILLE: Vous pouvez trouver un tas de variantes. Nous ne proposons pas 2 et 3. Nous faisons à l'heure actuelle une campagne d'adhésion à notre déclaration ci-jointe — la page jaune que vous avez — c'est la première étape. Evidemment, nous sommes limités financièrement dans les moyens de communication. Une fois que nous aurons atteint un certain nombre d'adhésions ou de signatures, nous viendrons vous voir et vous dire: Nous représentons 50,000 ou 100,000 signataires. A ce moment-là, ce sera vous ou d'autres, je ne sais pas, mais nous verrons ce que vous êtes prêts à faire. De toute façon, vous avez un comité qui étudie la langue à l'heure actuelle et nous sommes intéressés à y participer. Quand le temps viendra, nous envisagerons ce qu'il y a à faire, selon les situations...

M. BOUSQUET: Si vous me permettez un commentaire, je crois bien que le peuple du Québec accepterait difficilement du moins, dans son état d'esprit actuel, les solutions 2 et 3.

M. TREMBLAY: M. Bataille, ce que vous avez dit, et ce que vous venez de dire, l'explication que vous avez donnée, corrige pour une bonne part, enfin, l'esprit du mémoire que vous avez présenté ce matin. Je veux bien vous donner une chance et refuser ce que vous appelez les solutions possibles et dire que, dans votre esprit, peut-être, vous avez voulu évoquer l'éventualité de certains faits qui pourraient se produire. Ce ne sont pas des solutions, parce que des solutions, c'est quelque chose de pratique et ça se traduit en termes législatifs, en termes de structures, etc. Ce ne sont donc pas des solutions que vous proposez là. Vous avez tout simplement évoqué l'éventualité de certains faits qui pourraient se produire.

M. BATAILLE: Est-ce que je réponds?... Oui, c'est cela, M. le ministre.

M. LE PRESIDENT: M. Pearson.

M. PEARSON: Vous mentionniez plus tôt — c'était à la dernière page, à l'avant-dernier paragraphe — que c'étaient des suppositions ou des prévisions de ce qui pourrait se produire dans l'avenir. Par contre, un peu avant, vous mentionniez comme mesure la confiscation pure et simple des biens des Anglais et leur mise en tutelle. A ce moment-là, c'est du socialisme pur et simple. Dans les formules que vous faites signer ici, vous ne mentionnez aucunement ces choses-là. Alors si les gens qui vont signer ces formules-là se donnent ensuite la peine de lire le mémoire qui a été présenté, croyez-vous que vous aurez la même quantité de personnes?

M. BATAILLE: M. le député, nous avons dit tout à l'heure que nous sommes pour l'unilinguisme français. Nous avons parlé des situations qui se sont réalisées ailleurs dans le monde. Je crois qu'il y a plusieurs pays — à peu près quarante pays — qui ne l'ont pas fait intégralement, mais il y en a qui l'ont fait. Nous allons faire signer pour grouper le plus de personnes possible pour l'unilinguisme français. Nous ne les faisons pas signer contre qui que ce soit, nous faisons cela pour le peuple français du Québec. Le mémoire, comme M. le ministre Jean-Noël Tremblay l'a dit, évoque des situations qui peuvent mettre en danger la situation du Québec, mais nous ne préconisons pas ces situations-là.

Nous sommes pour le français seule langue officielle, comme cela se fait partout dans le monde.

M. LESAGE: Est-ce que vous avez fait vos études en Belgique, M. Bataille?

M. BATAILLE: Non, monsieur. M. LESAGE: Ici, au Canada?

M. BATAILLE: Oui, monsieur. Je ne sais pas si je dois répondre aux questions personnelles, mais...

M. LESAGE: C'est parce que je voulais savoir si vous aviez... Il y a un problème en Belgique?

M. BATAILLE: Oui.

M. LESAGE: Je voulais savoir si vous l'aviez vécu. Si vous-même, vous étiez bilingue, si vous parliez flamand.

M. BATAILLE: Je parle un peu flamand, monsieur.

M. LESAGE: Alors...

M. LE PRESIDENT: Nous vous remercions, M. Bataille, ainsi que votre groupe. Le comité s'ajourne à 14 h 30, moment où nous entendrons le Mouvement pour l'intégration scolaire. Reprise de la séance à 14 h 43

M. PROULX (président du comité): La deuxième partie de la quatrième séance du comité est ouverte. M. Lemieux du Mouvement pour l'intégration scolaire, vous avez la parole.

M. Raymond Lemieux

M. LEMIEUX: Je vous remercie, M. le Président, et messieurs les membres du comité. Nous soumettons respectueusement au comité parlementaire de l'éducation de l'Assemblée nationale du Québec notre mémoire sur la langue et l'école publique.

Ce mémoire exprime notre opposition catégorique au bill 85 et propose à son tour la seule vraie solution au problème linguistique de l'école publique.

Nous profitons de l'occasion, en passant, pour prier ce comité de prendre connaissance du rapport du comité interministériel sur la langue qui avait été commandé par le présent gouvernement. Nous demandons que ce document soit intégré au journal des Débats du présent comité.

Je veux attirer l'attention du comité sur le fait que le présent texte a été soumis le dimanche 2 février dernier, à la salle Versailles à Montréal...

M. LESAGE: M. Lemieux, permettez-moi de vous interrompre, simplement une question de procédure. Vous priez le comité de prendre connaissance du rapport du comité interministériel sur la langue qui avait été commandé par le présent gouvernement. Est-ce que vous auriez ce rapport en main?

M. LEMIEUX: Je ne l'ai pas en main, M. le chef de l'Opposition, mais...

M. LESAGE: Nous non plus, et il nous intéresse.

M. LEMIEUX: Je pense que cela intéresserait non seulement les députés mais également la population du Québec Disons que j'ai déjà vu un texte qui ressemblait à ce rapport-là.

M. LESAGE: C'est la première nouvelle que nous en avons. C'est pour cela qu'espérant que vous ayez le texte, je vous le demande.

M. LEMIEUX: Vous savez de quel rapport je veux parler?

M. LESAGE: Non, pas du tout.

M. CARDINAL: M. le Président, apportons une précision,

M. LE PRESIDENT: De quel rapport est-il question, M. Lemieux? Pourriez-vous préciser davantage?

M. LEMIEUX: C'était un comité interministériel qui avait été formé pour étudier la question de la langue en relation avec l'immigration, l'école publique, etc., dont les grands journaux ont fait écho, il y a au moins presqu'un an de cela. Mais c'est un rapport qui, à ma connaissance, n'a pas été officiellement rendu public par le gouvernement.

M. LE PRESIDENT: Si vous voulez continuer, s'il vous plaît.

M. LESAGE: Un instant. M. LE PRESIDENT: Oui.

M. LESAGE: Je voudrais bien savoir si un tel rapport existe et s'il s'agit de quelque chose qui est strictement du domaine interministériel au niveau du cabinet.

M. CARDINAL: M. le Président, à ma connaissance, je n'étais pas là lorsque le rapport dont vous parlez et auquel, je pense, vous faites allusion, a été demandé. Je ne connais pas de rapport de comité interministériel sur les langues dans le sens employé ici. Je sais qu'un document de travail avait été commandé par un ministre avant que je sois au gouvernement, rapport qui a été présenté à ce ministre. Mais vraiment, je ne connais pas de rapport de Comité interministériel sur la question des langues.

M. LEMIEUX: Je ne veux pas insister... M. LE PRESIDENT: Continuez, M. Lemieux.

M. LESAGE: S'il s'agit d'un document privé du cabinet, évidemment je n'insiste pas, mais s'il s'agit d'un document dont des personnes ont pris connaissance... M. Lemieux semble en avoir pris connaissance dans ses grandes lignes.

M. LEMIEUX: J'en ai pris connaissance dans un article du journal La Presse il y a au moins six mois. Je ne peux pas vous en dire plus long pour l'instant.

M. BOUSQUET: A quelle date, s'il vous plaît, M. Lemieux?

M. LEMIEUX: Je n'ai pas la date sous la main.

M. BOUSQUET: Est-ce que vous croyez tout ce qui est écrit dans les journaux?

M. LEMIEUX: Non, loin de là. Cest pour cela que je demanderais au comité ici présent d'enquêter sur cette question. Je sais que vos moyens d'enquête sont plus efficaces que les miens.

M. LE PRESIDENT: Continuez, s'il vous plaît.

M. LEMIEUX: Le dimanche 2 février dernier, à la salle Versailles à Montréal...

M. PAUL: M. le Président, dans le but d'éviter toute confusion... Il semble que M. Lemieux fasse allusion à des questions qui ont été posées en Chambre...

M. LEMIEUX: Non.

M. PAUL: ... par des députés au sujet de la production de certain rapport.

M. LEMIEUX: Je regrette. Je n'ai jamais dit que cela avait été déposé en Chambre.

M. PAUL: Non, non, non. Je ne dis pas que c'est un rapport déposé en Chambre. Je dis qu'il est probable que vous fassiez allusion à certaines questions posées en Chambre par des députés concernant un tel rapport.

M. LEMIEUX: Cest possible.

M. PAUL: Je crois que dans les circonstances, il ne pourrait être question de produire un tel rapport parce que ce serait un instrument de travail pour les membres du cabinet.

M. LEMIEUX: Quant à moi, je n'insiste pas. M. LE PRESIDENT: Continuez.

M. LEMIEUX: Le dimanche 2 février dernier, à la salle Versailles à Montréal avait lieu une assemblée consultative à laquelle avaient été dûment convoqués tous les membres du MIS. A cette occasion, le texte de ce mémoire a été soumis, étudié et adopté par les membres présents, avec les amendements suivants... Si vous me le permettez, nous arriverons dans le texte à ces amendements.

Le MIS est un groupement de citoyens mili-

tants qui veulent « assurer l'avenir français du Québec par l'école française », plus précisément en intégrant progressivement toutes les écoles publiques du Québec à tous les niveaux à un seul système scolaire quant à la langue d'enseignement qui serait le français, en maintenant l'enseignement de l'anglais comme langue seconde.

Notre groupe fut fondé à Saint-Léonard le 1er avril 1968 et compte présentement environ 6,000 membres actifs, répartis surtout dans la région de Montréal, mais également dans tout le territoire du Québec. Outre la région de Montréal où nous maintenons un secrétariat permanent et des structures centrales, nous avons des cadres régionaux à Hull, Rouyn, Matagami, Québec, Portneuf et ailleurs.

Face à l'arrogance de la puissante minorité anglaise et à l'incurie de nos dirigeants, le MIS est un mouvement de base qui regroupe les citoyens pour mener une action directe, principalement auprès de l'opinion publique et des commissions scolaires locales qui ont actuellement le droit et le devoir de décider de cette question.

Conscient qu'il existe plusieurs autres problèmes collectifs graves au Québec en matière politique, économique et sociale, le MIS ne prétend pas les régler tous, mais nous croyons que le problème linguistique est le plus fondamental et nous limitons strictement notre action à cette question particulière de la langue à l'école. Le MIS n'est donc pas et ne sera pas un parti politique électoral. Cette question de la langue et de la culture au Québec doit se situer bien au-delà des intérêts partisans, au niveau même de la nation. Le MIS comme tel n'a pas non plus d'option constitutionnelle. Dans le cadre de la confédération comme de l'indépendance politique, cette question de la langue demeure fondamentale. Bref, les membres du MIS viennent de l'Abitibi à la Gaspésie, du bas jusqu'en haut de l'échelle sociale et de l'extrême-gauche à l'extrême-droite de l'éventail politique. Car cette langue française qui est la nôtre est sans doute le seul point de ralliement et le plus puissant facteur d'unité de l'immense majorité des Québécois, au-delà de toutes nos divergences régionales, sociales et politiques. Si notre peuple constitue une nation, c'est bien notre langue qui la définit et la distingue, étant son âme même.

Quant à nos moyens d'action, ils sont aussi légitimes que l'objectif à atteindre et aussi radicaux que les obstacles à franchir. Ce qui constitue le véritable séparatisme, le plus odieux fascisme et la violence la plus insidieuse au Québec, c'est bien cette imposition antidémocratique de l'anglais par une petite minorité possédante au-dedans, soutenue par une vaste majo- rité au-dehors, sur l'ensemble de la vie québécoise, étouffant ainsi au coeur même de chaque Québécois tout sentiment de dignité et de fierté.

Le Canada n'est pas un pays bilingue. Il ne l'a jamais été, ni de droit, ni de fait. Le sera-t-il jamais? L'Acte de l'Amérique du Nord britannique limite le français au Parlement fédéral, à celui de Québec et à certaines cours de justice. Lorsque le Manitoba s'est joint à la confédération, l'immense majorité de la population était francophone. Aujourd'hui, il n'en est rien, pour les raisons que chacun sait.

Refoulé de l'ensemble de l'Amérique du Nord jusqu'à l'Intérieur de la réserve québécoise, le français ne peut vivre pleinement qu'au Québec, mais à la condition de lui en fournir le cadre, car, aujourd'hui, c'est au Québec qu'il est menacé.

En effet, le Québec a toujours été bilingue à notre détriment, car le bilinguisme du Québec n'a été rien d'autre que l'obligation pour la majorité d'apprendre la langue de la minorité. Nous avons la preuve aujourd'hui que ce bilinguisme ne nous a pas avancés collectivement sur le plan économique. C'est le Québec bilingue qui a un niveau de vie de 25% inférieur à l'Ontario. C'est le Québec bilingue qui a toujours détenu le record de chômage au Canada. C'est le Québécois bilingue qui, à compétence égale, réussit moins bien que le Québécois unilingue anglais! Si le Canada prétend se classer au deuxième rang du monde quant à son niveau de vie, le Québec français se classe probablement au quinzième rang. Ce n'est donc pas le bilinguisme qui a réglé nos problèmes économiques. En somme, loin d'être une supériorité, il n'a été qu'un asservissement. C'est le serviteur, généralement, qui apprend la langue de son maître. Sommes-nous donc vraiment « maîtres chez nous »?

Cette situation québécoise ne fait donc que confirmer ce que l'histoire des peuples enseigne depuis longtemps. On ne peut maintenir à long terme, sur un même territoire, deux langues officielles, soutenues par l'Etat, sur un pied d'égalité, sans que l'une prenne le dessus sur l'autre. Le bilinguisme officiel des institutions publiques ne constitue toujours qu'une phase transitoire du transfert progressif d'une langue dominante à une autre. L'histoire est fluide, mouvante et non figée, statique. Chaque période de cette histoire n'est qu'une phase d'une tendance générale. Cette tendance constante vers l'anglais chez nous est facilement vérifiable, dans la région métropolitaine surtout, mais également dans tout l'Outaouais, dans le Nord-Ouest, dans les Cantons de l'Est et dans tous ces petits centres urbains, répartis à tra-

vers le territoire québécois, qui, bien qu'à très forte majorité francophone, se caractérisent par la domination d'une grande industrie unique et anglaise. D'autre part, notre opposition au bilinguisme officiel de l'Etat n'empêche nullement l'apprentissage individuel d'une langue seconde dont tous les Etats modernes reconnaissent l'utilité.

S'il est vrai que le français s'est bien maintenu chez nous dans le passé et que cette tendance dont je parle ne se dénote que depuis une vingtaine d'années, elle se développe néanmoins à un rythme accéléré et elle est due à trois facteurs nouveaux, qui ne sont pas mauvais en soi, mais qui constituent néanmoins une menace directe à la culture française, à moins de mesures correctives urgentes.

Le premier facteur: l'industrialisation et l'urbanisation. Ce phénomène normal du développement moderne entraîne une concentration de la population dans les villes et dans les industries où l'influence anglo-américaine se fait sentir beaucoup plus que dans les paisibles villages ruraux d'autrefois, entre le champ et le clocher.

La baisse du taux de natalité. Suite normale du premier facteur, ce taux est tombé en vingt ans de 30 par mille à 20 par mille, ce qui est environ le taux moyen de l'Amérique du Nord. La « revanche des berceaux » est donc terminée et l'accroissement naturel de la population n'est plus en soi une garantie de survie.

L'immigration. Les immigrants au Québec ne s'intègrent plus à la majorité francophone et ont un taux de naissance supérieur aux francophones au Québec.

Si donc nous avons démontré une volonté ferme de conserver notre langue et notre culture, alors que nous vivions repliés sur nous-mêmes, pourquoi hésitons-nous aujourd'hui à opérer les corrections urgentes et efficaces comme d'autres peuples l'ont fait pour renverser cette nouvelle tendance anglicisante avant qu'elle ne soit irréversible?

Si le mal est profond, les corrections doivent être à la source. Il ne suffit plus aujourd'hui de changer l'affichage, l'étiquetage, les raisons sociales, bref la façade, pour ne nous donner qu'un « visage » français.

Il ne suffit plus d'exiger d'être servi en français dans les grands magasins de la deuxième ville française du monde, ni d'exiger une police d'assurance rédigée en français. Car les employés qui traitent directement avec le public consommateur ne constituent qu'une fraction marginale de l'ensemble des travailleurs québécois. C'est derrière les portes des grandes usines et des grands secrétariats que le Canadien français doit s'aliéner continuellement pour gagner sa vie et surtout pour monter dans l'échelle sociale.

Les puissantes entreprises économiques nous appartiennent de moins en moins et nous imposent antidémocratiquement la langue de la minorité. Mais l'Etat québécois et ses institutions, dont les structures scolaires, nous appartiennent en propre, cet Etat a le droit, par le jeu démocratique de la majorité, et le devoir, au nom du bien commun et des intérêts supérieurs de la nation, d'assurer l'épanouissement et l'évolution de la culture dominante au Québec, seul endroit en Amérique où l'on puisse encore vivre intégralement en français, à la condition d'en prendre les moyens, sans préjudice aux liens nécessaires avec tous ceux qui nous entourent, ni aux libertés civiles de tous ceux qui vivent parmi nous. Voici donc le système scolaire public que nous proposons pour le Québec, ainsi que les avantages d'un tel système.

Un seul système scolaire public français au Québec.

Nous recommandons l'intégration progressive de toutes les écoles financées par les fonds publics à un seul système scolaire dont la seule langue d'administration et la langue générale d'enseignement seraient le français à tous les niveaux et pour tous les élèves.

L'anglais serait enseigné — et ici, en amendement, le mot « obligatoirement » tombe — comme langue seconde dès l'acquisition jugée suffisante du français. De plus, grâce à la souplesse inhérente au régime actuel de polyvalence, des cours plus intensifs seraient offerts à tout élève qui le désire en langue et en littérature anglaises, en histoire des peuples anglais, etc.

Toute institution privée ne serait subventionnée que dans la mesure où l'enseignement se donnerait en français.

L'application de ce système serait « progressif », année par année, et ne s'adresserait qu'aux enfants n'ayant pas encore commencé leur scolarité. Tout élève déjà à l'école poursuivrait donc son cours, tel que commencé, jusqu'au bout. L'effet de ce changement ne se sentirait donc dans la vie quotidienne que dans une douzaine d'années, le temps qu'il faut pour préparer les modifications nécessaires dans le domaine économique. Car ce n'est pas parce que l'économie est anglaise qu'il faut encourager l'école publique anglaise. Bien au contraire, c'est en rendant l'école publique française pour tous qu'on obligera l'économie à devenir « française ». Cest par l'école qu'on prépare les changements profonds de la société. Si,

aujourd'hui, trop de parents doivent gagner leur vie en anglais, nous devons dès maintenant préparer la vie « française » de nos enfants. — Et la phrase suivante est supprimée. —

Notons tout de suite qu'en matière d'éducation, le Québec est actuellement un Etat aussi souverain que tout autre au monde et que tout ce que nous proposons est conforme à notre constitution actuelle.

Voilà donc la situation normale pour des personnes qui vivent sur le même sol, au sein d'un même Etat, et qui sont soumises au même pouvoir politique.

Voici ce que donnerait un tel système sur le plan de la liberté dont on parle tant. Avec l'application d'un tel système, l'individu resterait libre de choisir entre trois options possibles : 1) L'Amérique anglaise: Celui qui ne désire vraiment pas vivre dans une société française serait parfaitement libre de s'installer ailleurs en Amérique anglaise, s'il n'est pas heureux chez nous. On ne ferait pas un mur de Berlin autour du Québec. Celui qui veut vivre en français n'a pas cet embarras de choix. Il n'a que le Québec; 2) L'école privée: Même au Québec français, ceux qui rejettent la société majoritaire sont libres de fréquenter l'école privée dans la langue de leur choix. Mais ils risquent de s'enfermer eux-mêmes dans un ghetto culturel, en marge de l'évolution de cette société qui les entoure, à leur propre détriment; 3) L'école publique polyvalente: Même à l'intérieur du système public, la liberté de choix demeure sur le plan individuel, car la polyvalence permettrait à chaque élève qui le désire d'opter pour certains cours plus intensifs de la langue de son choix. Le reste de la phrase est supprimé. Ceci garantirait le droit de maîtriser sa langue maternelle sans déranger l'ensemble du système.

Egalité: Le principe fondamental des Droits de l'homme, c'est l'égalité de tous devant la loi et les institutions de l'Etat. Le double système établit des critères antidémocratiques et discriminatoires en classant les enfants par catégories, selon l'origine ethnique, la langue maternelle, la nationalité, la citoyenneté, etc...

Fraternité : L'école publique doit permettre à tous les enfants de participer pleinement à l'évolution du Québec. C'est à l'école que l'enfant apprend à vivre en société. Le cloisonnement en deux systèmes scolaires est une source d'injustices et de conflits, de ségrégation, de séparatisme et de racisme. En ouvrant nos écoles aux enfants de toute origine, nous favorisons l'harmonie sociale au sein d'un même voisinage. L'avenir du Québec est le même pour tous. L'école qui prépare cet avenir doit être la même pour tous.

Unité : Un seul système scolaire public, c'est le plus grand facteur d'unité et de solidarité entre tous les résidents du Québec pour préparer un avenir commun, au-delà, encore une fois, des divergences sociales, politiques et régionales.

Economie et efficacité: Deux systèmes scolaires parallèles chevauchant un même territoire nécessitent un dédoublement des services administratifs et pédagogiques, compliquent le transport, l'achat des manuels, les programmes, les horaires, la répartition équitable des locaux, de l'équipement, des taxes, etc. Là-dessus, je me suis dit qu'un travail utile pour un économiste serait peut-être justement d'étudier ce que cela coûte au Québec. D'autres ont peut-être étudié cette question, semble-t-il, puisque la commission Laurendeau-Dunton recommande de fournir aux provinces l'équivalent de 10% du budget de l'éducation pour installer deux systèmes basés sur deux langues. M. Jean-Louis Gagnon dit que cette estimation de 10% est basée sur ce que cela coûte au Québec. Cela veut dire que depuis cent ans au Québec nous dépensons des millions pour maintenir ce double système. Selon M. Jean-Louis Gagnon, le simple fait de maintenir deux systèmes scolaires coûterait environ $100 millions par année.

Le maintien de l'enseignement public anglais occasionne également pour le Québec une perte totale d'autres millions de dollars dépensés par l'Etat à la faveur de nombreux faux immigrants, d'immigrants de passage qui se servent du Québec comme d'une porte d'entrée pour l'Amérique et qui exigent pour leurs enfants un enseignement anglais pour ensuite s'établir ailleurs. Pendant que le Québec consent actuellement d'énormes sacrifices en consacrant un milliard de dollars par année au relèvement du niveau d'instruction de tous les Québécois, il ne peut plus se payer le luxe d'instruire l'ensemble des Québécois de passage.

Par conséquent, consacrer par une loi de notre Assemblée nationale, l'existence parallèle de deux systèmes scolaires autonomes, c'est pour le Québec se jeter dans la gueule du loup anglo-américain. Car ce système public anglais absorbe premièrement tous les véritables Anglais, deuxièmement la quasi-totalité des immigrants et troisièmement, ce qui est plus grave, un nombre régulièrement croissant d'authentiques Canadiens français. Il est donc évident que ce cloisonnement en deux systèmes

nous défavorise nettement, en encourageant d'une part, par voie de conséquence, l'imposition injuste de l'anglais dans l'économie et le travail et, d'autre part, en encourageant l'exode des meilleures compétences vers l'extérieur. Si le Québec a des problèmes économiques on ne les règlera pas en encourageant nos immigrants a ne faire qu'un stage d'études au Québec, à nos frais, ni en encourageant nos propres citoyens à s'exiler, par le truchement de l'école anglaise, qui devient alors non seulement un cheval de Troie pour angliciser le Québec, mais également un instrument très coûteux de dépeuplement.

D'autre part, le fait d'assurer l'enseignement du français comme langue seconde à l'école anglaise ne fera qu'augmenter le nombre de Québécois dont le français est justement la langue seconde, mais n'assurera pas une société québécoise à la culture dominante française.

Les prétendus droits de la langue anglaise que le bill 85 veut perpétuer au Québec n'ont été acquis que par l'occupation militaire, la colonisation politique et la domination économique.

En résumé, nous considérons que ce projet de loi est nettement contre les intérêts de cette nation dont vous prétendez constituer l'assemblée et que le gouvernement actuel n'a strictement aucun mandat pour poser un geste aussi lourd de conséquence dans un domaine si fondamental. Bien au contraire, le dernier programme soumis au peuple québécois par le parti actuellement au pouvoir, et grâce auquel il fut élu, affirmait que ce parti donnerait au français le statut de langue nationale. Et le principal parti d'opposition affirmait le statut prioritaire du français au Québec.

UNE VOIX: On n'était pas tous d'accord. UNE AUTRE VOIX: On a changé d'idée.

M. LEMIEUX: La création par le présent gouvernement d'une commission d'enquête sur la langue exige qu'aucun geste ne soit posé en ce domaine avant de connaître les conclusions de cette enquête. Au moins ça.

Permettez-nous d'insister sur la valeur primordiale et sur le caractère nécessairement exclusif de cette culture française chez nous, entendue au sens large, le mot culture au sens d'une façon de penser, d'agir et de vivre en société et dont la langue est à la fois le véhicule et la base fondamentale. Comment voulez-vous que l'individu donne à la collectivité le meilleur de lui-même et que cette collectivité le donne au monde si ce n'est dans sa langue, selon son mode d'expression propre? Comment voulez-vous que le Québec bâtisse un avenir dynamique et original, pour lui-même sans être contre les autres, si ce n'est à partir de ce qu'il a de plus distinctif? Et comment voulez-vous que l'homme québécois puisse gravir tous les échelons des structures économiques existantes, si la langue constitue une barrière entre la base et le sommet?

Pour ceux qui font des comparaisons avec une possibilité d'étendre le bilinguisme au reste du Canada, il faut éviter les fausses comparaisons. Un minimum de bilinguisme ailleurs au Canada ne menacera jamais l'image strictement anglaise du Canada, tandis que l'école publique anglaise au Québec, c'est la « créolisation » ou la disparition de notre culture et de notre peuple par voie de conséquence.

Et pour ceux qui craindraient qu'un petit peuple comme le notre pose un tel geste, d'autres petits peuples dans le monde sont aux prises avec les mêmes problèmes linguistiques. Les uns sont en voie d'extinction culturelle, vivant en marge de la civilisation universelle pour n'avoir su réagir à temps. Je donne des exemples: Irlandais, Basques et Gallois. Les autres ont réussi à maintenir et même à réinstaurer la langue nationale par des moyens réalistes semblables. Les Flamands, les Finlandais, les Israéliens et d'autres, et ces langues ont encore bien moins de rayonnement que la notre, la langue française, langue universelle d'une civilisation humaniste, parlée par 200 millions de personnes de toute race et religion, langue officielle en 31 pays sur tous les continents. C'est ainsi qu'une telle politique, loin de nous replier sur nous-mêmes, nous ouvre au contraire la voie vers un véritable rayonnement international.

C'est donc en assurant par des moyens réalistes l'avenir de cette langue au Québec que nous sortirons de la camisole de force du monde anglophone pour établir des liens avec une civilisation vraiment universelle.

L'unilinguisme officiel des institutions avec le bilinguisme relatif des individus, c'est la solution normale, nécessaire et réaliste pour garantir l'avenir français du Québec dans le respect des droits de chacun et, sans doute, le seul moyen de coexistence pacifique entre le peuple français du Québec et les autres peuples de l'Amérique. Je me permets de vous rappeler en passant qu'en l'an 2000, l'Amérique comptera 360 millions d'anglophones et 780 millions de latins.

Merci.

M. LE PRESIDENT: M. Grenier, une question.

M. GRENIER: M. Lemieux, je pense bien que vous devez admettre que les membres du comité, qui se doivent d'accepter, ici, les mémoires, de part et d'autre, peuvent faire des parallèles entre les groupements. Ce matin-du moins, à ma connaissance, vous avez entendu une partie du mémoire présenté par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal; vous avez sans doute entendu le mémoire du MUFQ.

M. LEMIEUX: Excusez-moi. Au deuxième, oui, mais, au premier, non.

M. GRENIER: Oui, à une partie du premier; j'en ai eu connaissance.

Vous représentez tout de même 6,000 membres...

M. LEMIEUX: Oui.

M. GRENIER: ... et le MUFQ dit qu'il en représente 10,000. Comment conciliez-vous...

M. LESAGE: Six cents.

UNE VOIX: Six cents membres et 10,000 signataires.

M. GRENIER: Ce sont plutôt dix mille signataires de la copie que vous nous avez livrée ici. Vous avez des positions qui sont assez renversantes entre les trois mouvements.

Vous dites, à la page 10: « Nous recommandons l'intégration progressive de toutes les écoles financées par les fonds publics à un seul système scolaire dont la seule langue d'administration et la langue générale d'enseignement serait le français, à tous les niveaux et pour tous les élèves. L'anglais serait enseigné obligatoirement comme langue seconde, dès l'acquisition jugée suffisante du français ».

Vous avez dû prendre connaissance de plusieurs autres mémoires qui ont été présentés. Il y en a eu d'assez sérieux qui disaient, par exemple, qu'on devrait avoir l'anglais comme langue seconde au niveau du secondaire. D'après la recommandation que vous faites ici...

M. LEMIEUX: Oui.

M. GRENIER: ... est-ce que vous croyez qu'au niveau du secondaire le fait français serait suffisamment acquis pour imposer l'anglais?

M. LEMIEUX: Je ne suis pas un pédagogue. Je n'ai pas voulu fixer l'année précise où l'enseignement de la langue seconde doit commencer. Cependant, j'ai une opinion là-dessus et je crois, moi aussi, que ça ne doit pas commencer avant le cours secondaire.

Alors l'acquisition jugée suffisante du français, dans mon esprit, serait établie par des pédagogues et par des experts. Cela ne veut pas dire qu'il suffirait que l'enfant puisse parler en français, mais qu'il ait vraiment maîtrisé sa langue maternelle avant de commencer à apprendre la langue seconde.

Je pense qu'il n'y a pas de conflit. Moi aussi, je prétends que ça ne doit pas commencer avant le secondaire. D'ailleurs, on constate que, dans la plupart des pays, c'est le cas. L'UNESCO a fait une étude là-dessus et la plupart des pays commencent l'enseignement d'une langue seconde au secondaire.

M. GRENIER: J'ai manqué le début de votre intervention. Je n'ai pas eu le temps d'en prendre connaissance. Les 6,000 membres que vous représentez ici, sont-ils en général regroupés dans des associations de professeurs?

M. LEMIEUX: Pas nécessairement. Nous avons un grand nombre de professeurs. Nous avons des gens, comme je l'ai dit, de tous les milieux.

M. GRENIER: Est-ce qu'en général c'est groupé par des professeurs associés ou si...

M. LEMIEUX: Non, non, c'est complètement autonome. Sur le plan officiel, nous n'avons aucune affiliation avec un groupe. Nous avons des professeurs comme membres, mais à titre individuel, non pas en tant que professeurs.

M. GRENIER: Maintenant, est-ce que la majorité de vos membres, peu importe l'association, sont recrutés parmi les professeurs québécois ou parmi le peuple tout simplement?

M. LEMIEUX: Non, non, nous avons un certain nombre de membres qui sont des professeurs, mais ce n'est pas un mouvement de professeurs. Moi, je ne suis pas un professeur.

M. GRENIER: Ce n'est pas en majorité des professeurs?

M. LEMIEUX: Loin de là, loin de là. M. GRENIER: Merci.

M. LESAGE: M. Lemieux, comme vous le savez, le parti que je dirige, dans son programme politique, prêche depuis assez longtemps que le français doit être la langue de travail au Québec.

A la page Il de votre mémoire, vous aviez une phrase qui a été biffée. Je n'ai pas voulu vous prendre par surprise; je vous ai rappelé notre programme pour vous demander quelles étaient les considérations qui avaient amené vos membres à demander que cette phrase soit biffée.

M. LEMIEUX: A demander que la phrase soit biffée.

M. LESAGE: Ce qui ne ma fait pas de peine, vous me comprenez.

M. LEMIEUX: Non. Je pense que cela devrait vous faire plaisir.

M. LESAGE: Oui, mais, quand même, j'aimerais savoir quelle a été la discussion, si vous croyez pouvoir le dire.

M. LEMIEUX: Je vais vous le dire. Ceux qui avaient rédigé le mémoire considéraient qu'il ne fallait pas bousculer les choses, qu'il ne fallait pas tout renverser et qu'il fallait y aller, comme quelqu'un le disait tantôt, doucement. Ceux qui gagnent leur vie en anglais aujourd'hui, tant pis pour eux; pensons à leurs enfants et à la génération qui s'en vient, puis essayons de les préparer par l'école à gagner leur vie en français. Or, je constate ceci: à l'assemblée consultative que nous avons eue — cela a été, je dois le dire, une révélation pour moi et pour ceux qui nous prennent pour des extrémistes — nos propres membres du MIS, bien que le MIS soit un mouvement très jeune, veulent aller plus loin que les dirigeants du MIS. Vous le constatez par les amendements; c'est tout simplement cela; ils sont plus pressés.

M. LESAGE: Connaissant vos idées, M. Lemieux, je voyais difficilement que vous croyiez que ce serait une bousculade épouvantable d'adopter, en principe, quitte à le faire graduellement dans les faits, le français comme langue de travail au Québec, ce qui n'est pas nouveau, puisque c'était dans notre programme rendu public en 1966, n'est-ce pas?

M. GRENIER: Maîtres chez nous, cela n'y était pas.

M. LESAGE : Un instant, je parle de la lan- gue. Rien n'empêche que cela a eu cet effet à l'Hydro-Québec.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): On a enrichi des millionnaires.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, à l'ordre!

M. LESAGE: Disons, cependant, M. Tremblay...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): On emprunte maintenant l'argent que vous leur avez donné.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, s'il vous plaît.

UNE VOIX: Revenons au problème du MIS.

M. LESAGE: Non, cela a été emprunté aux Etats-Unis. Bien, ce n'est peut-être pas le problème du MIS; c'est le problème que le MIS nous expose.

M. LE PRESIDENT: C'est le problème du Québec.

M. LESAGE: Au sujet des écoles privées, M. Lemieux, vous avez, à la page 12, une déclaration qui parle de toutes les écoles privées, et françaises, et anglaises. Vous dites, en effet: « Même au Québec français ceux qui rejettent la société majoritaire sont libres de fréquenter l'école privée dans la langue de leur choix, mais ils risquent ainsi de s'enfermer eux-mêmes dans un ghetto culturel. » Croyez-vous, pour un instant, par exemple, que les élèves du séminaire de Québec risquent de s'enfermer dans un ghetto culturel?

M. LEMIEUX: Je regrette, je parle de l'école privée dans l'optique de tout le mémoire. Dans mon esprit, il me semble que c'est clair que je parle d'une école privée anglaise.

M. LESAGE: Je vous demande pardon. Vous dites: « Même au Québec français, ceux qui rejettent la société majoritaire sont libres de fréquenter l'école privée dans la langue de leur choix ». Cest cela qui a amené ma question.

M. LEMIEUX: Oui, ceci n'exclut pas l'école privés française.

M. LESAGE: Vous parlez des écoles privées françaises.

M. LEMIEUX: Quand je parle d'un ghetto

culturel, il me semble évident que je parle de ceux qui ne voudraient pas s'intégrer à l'école publique française et voudraient créer des écoles privées anglaises. C'est tout simplement cela.

M. LESAGE: Oui, mais je pense qu'il faudrait écrire de nouveau votre paragraphe. Vous dites, n'est-ce pas, M. Lemieux: Quelle que soit la langue de l'école privée, on risque de s'enfermer dans un ghetto culturel. C'est la logique de ce que vous dites.

M. LEMIEUX: Alors, si vous me permettez, M. Lesage, ces trois paragraphes-là ont pour but de démontrer que, même avec le système scolaire public français que nous préconisons, l'individu conserve une liberté de choix quant à la langue d'enseignement. Cela est général. Cela me paraît clair. Donc, quand on parle de l'école privée dans l'optique de la langue d'enseignement, on parle de ceux qui voudraient créer des écoles privées dans la langue de leur choix, mais autre que le français.

M. LESAGE: M. Lemieux, si c'est cela que vous voulez dire, je comprends votre argument, mais ce n'est pas ce qui est écrit.

M. LE PRESIDENT: M. Bousquet, s'il vous plaît.

M. BOUSQUET: Voici. Vous affirmez, à la page Il, que tout ce que vous proposez est conforme à notre constitution actuelle.

Avez-vous demandé l'opinion de juristes là-dessus, ou est-ce que c'est tout simplement à la lecture de la constitution que vous en êtes venu à cette conclusion?

M. LEMÎEUX: Non, tout ce que j'en sais, c'est ceci. Nous avons, oui, consulté des conseillers juridiques. D'autres pourront peut-être vous dire le contraire. Je sais qu'il y a eu l'été dernier, dans le cas de Saint-Léonard, un jugement qui a maintenu la position de la Commission scolaire de Saint-Léonard. Je ne suis pas prêt à aller plus loin que ça.

M. BOUSQUET: A la page 16, vous dites que le système public anglais absorbe un nombre régulièrement croissant d'authentiques Canadiens français. Qu'est-ce qui peut bien les pousser à se laisser absorber par ce système?

M. LEMIEUX: Ah mais,...

M. BOUSQUET: Comment se fait-il que, dans une famille, certains vont aller à l'école française, vont s'associer au groupe français et d'autres au groupe anglais? Est-ce qu'il peut y avoir des raisons à ces attitudes différentes?

M. LEMIEUX: La raison fondamentale sur le plan individuel, c'est que le Canadien français, comme l'immigrant qui arrive ici, constate que l'ensemble de la vie économique du Québec se fait en anglais. Je comprends le Canadien français qui, à titre individuel, décide d'envoyer ses enfants à l'école anglaise. Je le comprends et je ne lui jette pas la pierre. Au contraire, c'est la seule solution qui, pour son cas personnel, est logique. Nous, nous ne sommes pas logiques de vouloir maintenir l'école française au Québec, dans le contexte actuel.

M. PAUL: Si je comprends bien...

M. LEMIEUX: Dans le contexte actuel, il a, lui, plus raison que nous.

M. BOUSQUET: Mais, en fait, quelle serait la motivation?

M. LEMIEUX: C'est la motivation économique.

M. BOUSQUET: Economique.

M. PAUL: A ce moment-là, M. Lemieux, je crois que ça impliquerait l'abstention de la part de l'Etat de subventionner les collèges privés.

M. LEMIEUX: Tout notre mémoire ne s'applique qu'à la question de la langue, strictement. Il n'a aucun rapport avec des problèmes d'ordre religieux ou de tout autre ordre.

Quand je parle d'écoles privées, et d'ailleurs, nous disons que l'école privée ne serait subventionnée que dans la mesure où l'enseignement se donne en français, si la moitié des cours se donnait en français, l'Etat subventionnerait 50% du cours etc., mais toujours sur le plan de la langue.

Je n'ai rien à dire dans les autres domaines, en ce qui concerne les écoles privées, confessionnelles ou autres.

M. LE PRESIDENT: M. Pearson.

M. PEARSON: D'après vous, vous pourriez aborder la question des subventions selon la proportion du nombre de cours qui se donneraient en anglais.

M. LEMIEUX: Oui.

M. PEARSON: Parce que, si on se rapporte à nos institutions privées, en vertu du bill 56, je crois, on subventionne à 80%...

M. CARDINAL: ... ce qui fait 60% à 80%, selon nos critères.

M. PEARSON: De 60% à 80%. Alors, pour le secteur public, du côté de la langue, ce serait subventionné à zéro, sauf la proportion des cours de français donnés.

M. LEMIEUX: Oui, dans le contexte d'une loi générale, qui dirait que l'enseignement officiel public au Québec se donne en français. Si vous êtes dans ce contexte-là, à partir de ce moment-là, et sans déranger les autres clauses de la loi, l'institution privée ne serait reconnue par l'Etat que dans la mesure où l'enseignement, à l'institution privée, se donne en français également.

Je ne parle pas du contexte actuel, mais, dans le contexte d'une loi comme celle-là...

M. LESAGE: M. Lemieux, vous êtes au courant, comme je le suis, comme tout le monde l'est, du débat actuel autour des recommandations de la commission Laurendeau-Gagnon-Dunton sur le biculturalisme et le bilinguisme.

Je ne sais si vous avez entendu hier le premier ministre du Canada faire ses commentaires sur ce qui s'est dit à la suite de ou pendant la réunion des premiers ministres et d'autres ministres ainsi que de hauts fonctionnaires des trois provinces des Prairies.

Le premier ministre du Canada semblait, hier, inquiet de l'attitude prise lors de cette réunion concernant les trois provinces des Prairies. Ne croyez-vous pas que tout ce que nous allons faire ici, dans le sens que vous suggérez, est de nature ou serait de nature à empêcher que nous, les Canadiens français, nous remportions le succès en faisant reconnaître les écoles françaises comme des écoles publiques dans les autres provinces, suivant certaines conditions. Nous n'avons pas besoin, je pense bien, ni vous ni moi, d'entrer dans le détail.

M. LEMIEUX: D'accord.

M. LESAGE: Est-ce que cela veut dire que vous croyez que ces minorités de langue française des autres provinces sont perdues d'avance, qu'elles doivent être abandonnées à leur sort, qu'elles sont déjà anglicisées, qu'il n'y a plus rien à faire?

M. LEMIEUX: Voici ce que je crois là-dessus.

D'abord, je me permets de rappeler que M. Trudeau a dit lui-même, et très franchement, qu'il voyait cela d'un mauvais oeil parce que cela pourrait déranger les gens du Québec Cela veut donc dire que, dans son esprit, il ne préconise pas le bilinguisme à travers le Canada pour satisfaire aux exigences des Canadiens français de ces provinces...

M. LESAGE : Ah non, M. Lemieux, un instant, vous exprimez des opinions...

M. LEMIEUX: ... mais pour calmer le Québec.

M. LESAGE: Un instant, vous faites un procès d'intention à M. Trudeau, et je ne crois pas que vous devriez le faire. Tenez-vous en à ses déclarations, et les procès d'intention, vous les ferez devant lui s'il vous plaît. Il n'est pas ici.

M. LEMIEUX: Mais je lis quand même ce qu'il dit dans les journaux.

M. LESAGE : Ce sont des intentions que vous lui prêtez.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je regrette mais je crois que M. Lesage, ayant posé une question à M. Lemieux...

M. LEMIEUX: Et j'aimerais répondre...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux peut fort bien donner une réponse...

M. LESAGE: Oui, mais je demande qu'il n'y ait pas de procès d'intention!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Lemieux peut interpréter une déclaration qui est publique. Il n'est pas plus intéressé que qui que ce soit — pas plus que vous, M. Lesage — à défendre M. Trudeau. Alors, s'il donne une interprétation honnête des propos...

M. LESAGE: Je crois, M. Tremblay, que le moins que nous puissions exiger ici, c'est que les absents soient traités avec un certain degré de justice.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous en prenons acte pour les prochaines élections, M. Lesage...

M. CARDINAL: Il nous faudra attendre longtemps avant qu'il soit présent!

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... et pour la magistrature et les ambassades.

M. LEMIEUX: De toute façon, j'aimerais répondre au fond de la question.

M. LESAGE: Oui, au fond de la question.

M. LEMIEUX: La question du bilinguisme a travers le Canada, c'est cela?

M. LESAGE: Oui, c'est cela.

M. LEMIEUX: Je crois ceci. Les Canadiens français des autres provinces, et les Canadiens français du Québec, je crois qu'ils sont foncièrement d'accord au moins sur un point: c'est que ni les uns, ni les autres ne veulent plus du bilinguisme.

On a nettement l'impression, et cela c'est confirmé... L'autre jour, une enquête avait été effectuée par le Montreal Star qui y consacrait une page complète. Un journaliste en voyage en Saskatchewan et ailleurs dit ceci — alors là, je n'interprète pas, je cite à peu près ses paroles — qu'on a l'impression que le gouvernement fédéral veut imposer un bilinguisme à des gens qui n'en veulent pas. Elle parle des Canadiens français des autres provinces et elle donne des chiffres pour dire que même dans les écoles où il y a un début de bilinguisme dans l'ouest, il y a un plus grand nombre d'Anglo-Canadiens qui y envoient leurs enfant que de Canadiens français.

Je prétends que le Canadien français dans les autres provinces se rend compte lui-même que le bilinguisme n'est pas à son avantage et lui, tend vers l'unilinguisme anglais. Il est trop tard... Voyez-vous, nous ne pouvons pas refaire l'histoire, je crois.

Il y aurait eu un moment où le Canada aurait pu être bilingue « from coast to coast ». Mais je pense que nous ne pouvons pas refaire l'histoire, et je ne fais de reproches à personne. Je constate que le Canada, est anglais et on ne peut pas refaire cela. Même avec un minimum de bilinguisme, le Canada demeurera anglais. La culture fondamentale du Canada sera anglaise. La vie sera vécue en anglais à travers le Canada. On devra gagner sa vie en anglais en Ontario. Cela, nous n'y pouvons rien.

Or, je dis; On ne peut pas se servir de ce moyen qui, d'après moi, est un moyen de chantage pour dire aux Québécois: Eh bien, vous allez être obligés de continuer votre bilinguisme! Remarquez que le Québec a toujours été bilingue. Alors le problème du bilinguisme, justement, c'est l'inverse. Le bilinguisme a plutôt causé un tort énorme aux Québécois. Il s'agit de corriger notre situation. Mais le bilinguisme étendu au reste du Canada, je crois que cela aurait pour seul effet d'encourager les

Canadiens français du Québec à aller, justement, s'étendre à travers le Canada en croyant qu'ils puissent vivre en français là-bas. A long terme, cela deviendrait une espèce de diaspora, une dispersion de tous les Canadiens français du Québec à travers le territoire, à travers 3,000 milles de territoire, et peut-être que dans 2,000 ans, on essayera de reconquérir notre pays natal par les armes comme Israël l'a fait.

M. LESAGE: Oui mais, M. Lemieux, vous comprenez que vous détruisez les espoirs de groupes de Canadiens français...

M. LEMIEUX: J'essaie d'être réaliste.

M. LESAGE: ... particulièrement autour de Winnipeg, autour d'Edmonton. Je ne sais pas si vous les connaissez. Je les connais, je pourrais mettre des noms de gens...

M. LEMIEUX: Oui.

M. LESAGE: ... que vous sacrifiez, que vous semblez être disposé à sacrifier totalement...

M. LEMIEUX: Non.

M. LESAGE: ... à laisser angliciser...

M. LEMIEUX: Oui, mais...

M» LESAGE: ... en n'acceptant pas, en ne maintenant pas au Québec les principes qui nous justifient de réclamer pour ces minorités françaises le même traitement que celui que, à tort, prétendez-vous, nous avons donné à la minorité anglaise.

M. LEMIEUX: Ecoutez, nous avons un problème linguistique au Québec, le Québécois de langue française a de la difficulté à gagner sa vie en français au Québec et à survivre à long terme comme peuple au Québec. Comment voulez-vous, à partir de ce moment-là, prétendre qu'ailleurs au Canada on va pouvoir le faire? On ne peut même pas le faire au Québec. Après cela, on va essayer de le faire ailleurs?

M. LESAGE: M. Lemieux...

M. LEMIEUX: A force de le faire ailleurs, on ne pourra pas le faire ici.

M. LESAGE: M. Lemieux...

M. LEMIEUX: Un dernier point...

M. LESAGE: M. Lemieux, je ne suis absolument pas d'accord sur ce que vous venez de dire, qu'il n'y a pas lieu de croire que nous puissions gagner notre vie — vous vous servez d'un terme très simple, mais évidemment vous simplifiez beaucoup trop les choses — qu'il n'y a pas moyen de progresser globalement comme Canadien français dans la croissance de l'économie québécoise. Je ne suis pas d'accord. Je crois, au contraire, que la participation des Canadiens de langue française à l'économie, au progrès québécois, a commencé et continuera d'être de plus en plus importante. Je suis certain que, tenant compte du fait que nous vivons dans un contexte nord-américain...

M. LEMIEUX: ... toujours toujours...

M. LESAGE: ... que nous fassions n'importe quoi, nous continuerons de vivre dans un contexte nord-américain, et il y a des choses qui se feront en anglais comme il y en a qui se font en allemand, qui se font en italien à Montréal...

M. LEMIEUX: Absolument.

M. LESAGE: Je crois donc que, de plus en plus, la participation financière des Canadiens français à l'entreprise et à la gestion des entreprises sera de plus en plus importante, premièrement en remplaçant graduellement par l'épargne — ce que nous n'avons jamais fait — autant que possible des investissements étrangers, et, deuxièmement, par l'exploitation rationnelle de nos ressources humaines de plus en plus aptes à occuper des postes de gestion. Et je vois la possibilité qu'au Québec la langue de travail, normale, acceptée, soit le français... Et, il me semble que c'est de ce côté-là que nous devons voir l'avenir des nôtres.

M. LEMIEUX: Oui.

M. LESAGE: Mais, pour cela, il n'est pas nécessaire de brimer les droits des autres aux dépens des droits des nôtres ailleurs.

M. LEMIEUX: Alors, voici. Moi je n'ai jamais vu d'une part un Etat qui affirme sa culture nationale, nuire par ce fait-là à ses minorités qui demeurent à l'extérieur de cet Etat-là. Je crois que ce serait un phénomène unique au monde. Je crois que, dans la mesure où un Etat national affirme sa culture nationale chez lui, il renforce. Il encourage les minorités de cette nation-là qui vivent à l'extérieur.

M. LESAGE: Oui, mais... M. LEMIEUX: En général.

M. LESAGE: Mais c'est avec des concessions que l'on protège ces minorités.

M. LEMIEUX: Oui.

M. LESAGE: Par exemple...

M. LEMIEUX: Mais pour le deuxième point...

M. LESAGE: Par exemple vis-à-vis de nos propres minorités.

M. LEMIEUX: Oui, mais nous avons donné l'exemple depuis cent ans, nous avons joué le jeu à plein, et nous avons été les seuls à le jouer. Alors, est-ce qu'au bout de cent ans, on dit: on va l'essayer encore cent ans? Voyez-vous, vous me parlez de l'accession des Canadiens français aux postes de commande. En principe, je suis d'accord. Mais le temps que cela prendra — si jamais cela arrive — je prétends, moi, qu'au moment où nous aurons repris dans une bonne mesure les postes de commande, les centres de décision de notre économie, eh bien, nous ne parlerons plus de culture française au Québec.

M. LESAGE: Non. Je ne sais pas. Il y a quand même des facteurs extrêmement importants et vous avez toutes ces interventions de l'Etat, d'abord dans la gestion — nous n'avons pas besoin de parler de 1'Hydro-Québec, de SOQUEM, de Sidbec, etc. — et nous savons ce qui s'est produit en très peu de temps au point de vue de la participation des Canadiens français dans ces domaines. Vous avez, de plus en plus, du capital canadien-français dans l'entreprise privée qu'il y aurait certainement moyen, dans bon nombre de cas, d'empêcher de se vendre au capital américain — vous savez que c'est un problème — et vous avez, en outre, tout le monde de la coopération...

M. LEMIEUX: Oui.

M. LESAGE: ... qui constitue un facteur de plus en plus valable et important dans l'économie du Québec.

M. LEMIEUX: Moi, je pourrais parler de l'économie très longtemps, car cela m'intéresse beaucoup. Seulement, je vous dis que les chiffres démontrent que, d'année en année, les Canadiens français perdent pied de plus en plus dans le do-

maine économique. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? Nous reculons, nous n'avançons pas.

M. LESAGE: Je ne suis pas d'accord. Si vous regardez les chiffres — et je ne vous donne qu'un exemple, celui du monde de la coopération — vous verrez que les progrès sont spectaculaires. Or, nous pouvons nous attendre qu'ils continuent de l'être. Dans le monde de...

M. LEMIEUX: Dans le domaine des communications...

M. LESAGE: Dans le monde de la coopération, évidemment, ce sont des Canadiens de langue française qui ont les postes de commande.

M. LEMIEUX: Enfin.

M. LE PRESIDENT: M. le ministre de l'Education, s'il vous plaît.

M. CARDINAL: M. Lemieux, d'abord, je suis ici pour vous entendre; je n'essaierai pas de vous convaincre. Disons que votre rapport est rédigé d'une façon pondérée en général. Il y a, cependant, ici et là, quelques phrases qui m'ont frappé. Elles ne sont pas pertinentes, et je me demande pourquoi elles se retrouvent dans ce mémoire qui, d'autre part, est sérieux. Ainsi, quand vous dites: « Cette nation dont vous prétendez constituer l'assemblée », je me demande qui est élu en dehors de cette assemblée pour représenter cette nation. Enfin, c'est une question en passant. Je ne vous demande pas de répondre a cette question.

Ma question est la suivante; Il m'apparaît dans ce mémoire qu'il y a entre deux de ses parties une espèce de paradoxe. D'une part, vous indiquez que la situation présente, de par les incitations de la vie économique, pousse les Canadiens français à devenir bilingues ou à s'angliciser. D'autre part, vous dites que ce n'est pas par l'économie que l'on changera ceci; c'est par l'éducation et sur une période d'environ douze ans, si je me rappelle bien; c'est écrit dans le mémoire. Nous aurons une nouvelle équipe et une nouvelle génération qui imposera le français sur le plan de l'économie. Est-ce qu'il n'y a pas ici une contradiction apparente? En d'autres mots, est-ce que vous croyez vraiment que, même si le système d'éducation était unilingue, les gens — en dehors du système d'éducation, par d'autres moyens qui s'établiraient vu le contexte et vu la vie économique — ne continueraient pas tout simplement à jouer le même jeu?

Comme Me Paquette nous le soulignait ce matin, il n'a pas appris l'anglais à l'école, mais à Borden. Je puis donner publiquement un autre témoignage. Je n'ai jamais, pu parler l'anglais avant de passer par l'armée. Là, on m'a dit: « You must speak English! », et je l'ai appris, rapidement d'ailleurs, parce qu'il faut se débrouiller quand on est pris dans le milieu. Par conséquent, le simple fait de rendre l'école unilingue en conservant la vie économique telle qu'elle est aurait vraiment un effet de francisation sur une période de douze ans ou quelle que soit cette période.

M. LEMIEUX: Ma réponse à cela, c'est ceci. Dans une société, il y a toutes sortes de forces en présence. Il y a une lutte sur tous les plans. Puisque nous possédons très peu sur le plan économique, nous pouvons agir très peu dans ce domaine, actuellement. Puisque l'économie ne nous appartient pas, nous n'avons pas les leviers de commande pour agir directement et efficacement dans le domaine économique actuellement Je constate un fait. Je ne dis pas que c'est bien. Je ne dis pas qu'il ne faudrait pas corriger cela, d'accord? Je constate.

D'autre part, le domaine de l'éducation est un domaine qui nous appartient en propre et que la population du Québec, au moins en principe, peut contrôler directement par le jeu démocratique de la majorité. Voilà un domaine où nous pouvons agir directement. S'il y a des forces en présence dans la société, le domaine de l'Etat, des institutions publiques et du système scolaire peut, peut-être, arriver à équilibrer la force du domaine économique qui est en grande partie, au moins, gérée par une minorité au Québec.

D'autre part, si on veut amener de grands changements dans la société, il me semble que c'est à l'école qu'il faut commencer; ce n'est pas dans la vie de tous les jours. Alors que les bureaux de direction des grosses sociétés sont installés ici au Québec et que leur siège social est au Québec; alors que la majorité des membres de ces bureaux de direction ne s'expriment même pas en français et alors que le nombre de finissants des universités anglaises augmente d'année en année, je ne vois pas du tout comment, même en augmentant le nombre de finissants de nos grandes écoles, on pourra reprendre le dessus.

Vous avez une tendance croissante vers l'anglais dans tous les domaines. Je dis que c'est à l'école, que c'est à la source qu'il faut corriger la situation. Et le jour où, en somme — je serai brutal — il n'y aura plus de finissants qui sortiront des universités anglaises du Québec pour se diriger vers les postes de commande, le jour où tous les finissants du Québec qui sortiront

de l'université auront reçu une formation française pour accéder aux postes de commande dans l'industrie et dans la finance, à ce moment-là nous pourrons penser transformer la langue, et cela est très profond. On parle de la langue de travail. Je ne sais pas si dans votre esprit vous avez à l'idée simplement le niveau inférieur, les gars qui travaillent à la chaîne, mais moi je vois cela du bas jusqu'en haut.

M. LESAGE: Moi aussi, M. Lemieux.

M. LEMIEUX: C'est un changement très profond, parce que cela touche, vous savez, toutes les communications internes des compagnies et jusqu'au bureau de direction. Cela suppose un changement de mentalité et de conception qui sont basées actuellement sur une langue et une culture qui ne sont pas les nôtres. Ce n'est donc qu'après une génération, en passant par l'école et par une formation française que nous pourrons y arriver.

M. CARDINAL: Croyez-vous, M. Lemieux, que même si l'école était unilingue, encore une fois, les gens que nous appellerons de langue anglaise cesseraient de parler anglais et parleraient français s'ils devenaient administrateurs, cadres, directeurs?

M. LEMIEUX: A ce moment-là, c'est une question de degrés. Vous allez me dire: Nous allons imposer un certain enseignement du français à l'école anglaise. Je dis; Ce n'est pas suffisant. Il faudrait que tout le monde au Québec fréquente l'école française. C'est une question de degrés. Il est évident que la transition d'une culture à l'autre ne se fait pas du jour au lendemain, mais d'une génération à l'autre. Oui, j'y crois. Je crois que cela est possible. Je crois que c'est le cas de la majorité des gens qui viennent d'autres pays, d'autres cultures, dans un pays donné. Ils finissent par s'intégrer à la société et je ne vois pas pourquoi il en serait autrement pour la minorité que nous avons chez nous. Mais avec le temps...

M. LE PRESIDENT: M. le ministre des Affaires culturelles.

M. TREM3LAY (Chicoutimi): M. Lemieux, à la page 17 de votre mémoire, vous faites une affirmation au sujet de laquelle je voudrais avoir quelques explications. Vous dites, au deuxième paragraphe: « Les prétendus droits de la langue anglaise que le bill 85 veut perpétuer au Québec n'ont été acquis que par l'occupation militaire, la colonisation politique et la domina- tion économique ». Compte tenu des faits de l'histoire — vous avez dit que nous ne referons pas l'histoire — est-ce que ces droits qui, selon vous, auraient été acquis par l'occupation militaire, la colonisation politique et la domination économique ne sont quand même pas des droits?

M. LEMIEUX: Je crois que si nous voulions qualifier cela d'une étiquette, nous appellerions cela « le droit de conquête ». Et pour ceux qui veulent admettre le droit de conquête, c'est-à-dire que par conquête militaire on puisse faire sa loi, si vous voulez, dans un territoire donné, pour ceux qui admettent cela, je dis que, si ce droit de conquête existe, alors le droit de reconquête existe pour le peuple québécois. Voyez-vous nous n'en finissons plus parce qu'à ce moment-la, la population du Québec, en très grande forte majorité francophone, a le droit de reconquérir justement son territoire sur le plan de la langue, et si l'occupation militaire anglaise a fait l'occupation linguistique du Québec, nous pouvons réoccuper le Québec linguistiquement.

C'est tout ce que...

M. BOUSQUET: Pour quel pourcentage de la population québécoise de langue française croyez-vous parler? En ce sens, quel pourcentage de la population... Je m'excuse... Quel pourcentage de la population partage les idées de votre mémoire, d'après vous, actuellement?

M. LEMIEUX: Je ne risquerais pas un chiffre cet aprês-midi.

M. BOUSQUET: Seriez-vous d'accord pour proposer un référendum sur la question à savoir ce que pensent les Canadiens de langue française?

M. LEMIEUX: Absolument. Non seulement cela, mais je suis profondément convaincu que si vous regardiez un peu en arrière, vous verriez l'accélération des événements qui se déroulent au Québec aujourd'hui. Comme quelqu'un l'a dit ce matin, et je l'ai bien compris, les événements se bousculent. Si le gouvernement du Québec ne prend pas de mesures pour régler ces problèmes-là rapidement et de façon radicale, eh bien, les choses iront encore plus loin.

D'une façon plus précise, si un parti politique quelconque voulait déclencher des élections générales dans quelques mois à venir, avec une campagne électorale axée justement sur ce thème, mon opinion, c'est que je garantis la victoire à ce parti-là. Comprenez-moi, ce n'est pas le MIS qui va... Non.

M. BOUSQUET: Je ne parle pas d'élections.

M. LEMIEUX: Vous me demandez une appréciation de ce que la population pense de cette idée-là.

M. BOUSQUET: Je ne parle pas d'élections. Je suis persuadé que, si la population porte un jugement général sur la politique d'un parti, elle va voter pour l'Union Nationale. Je parle tout simplement d'un référendum sur une question bien précise. Est-ce que les ouvriers, les cultivateurs, les hommes d'affaires canadiens-français, aujourd'hui, veulent l'école unilingue française?

M. LEMIEUX: J'en suis profondément convaincu, parce que la population a des aspirations très profondes de pouvoir vivre en français partout intégralement au Québec et, de là, il n'y a qu'un pas. Je vous donne un exemple de cela.

A un certain moment, le gouvernement du Québec a proposé, par exemple, de nationaliser les compagnies d'électricité. Pouvez-vous me dire, avant que cela soit lancé, combien de gens au Québec étaient pour ou contre cela? C'était à peu près indifférent. Lorsqu'on se lance dans une campagne de publicité, on s'aperçoit que ces initiatives correspondent à des aspirations très profondes qui ne sont peut-être pas explicitées par la population dans un temps donné, mais qui le seraient au moment de ce que vous proposez, un référendum ou une élection.

M. BOUSQUET: Y a-t-il eu un référendum sur la nationalisation de l'électricité?

M. LEMIEUX: Non, ce n'est pas un référendum qui a eu lieu.

M. BOUSQUET: Cela a été une élection, et, à ce moment-là, à cause du « lavage de cerveaux » qu'il y avait eu durant les deux années d'administration libérale...

M. LEMIEUX: Pour vous répondre directement, je suis convaincu qu'avec un référendum cette thèse-là serait approuvée par la population, à condition, bien sûr, que la publicité puisse se faire auparavant et que les gens aient eu le temps de considérer le problème.

M. LESAGE: M. Lemieux, sur cette question de la nationalisation de l'électricité, tout de même, vous semblez...

M. BOUSQUET: Hors d'ordre.

M. LESAGE: Non, un instant, vous semblez dire...

M. LEMIEUX: C'est un exemple.

M. LESAGE : Non, non, c'est à côté de la question, mais vous semblez dire que les gens n'étaient pas sensibilisés à la question, alors que cette question avait été discutée avec beaucoup de passion depuis 1935, depuis les jours du docteur Hamel.

M. LEMIEUX: C'est vrai.

M. LESAGE: Alors, en 1962, cela faisait quand même vingt-sept ans.

M. LEMIEUX: C'est vrai.

M. BOUSQUET: C'est surtout depuis le lac à l'Epaule.

M. LESAGE: Il faut rétablir les faits. Maintenant, je ne crois pas, contrairement à ce que M. Bousquet a laissé entendre — je ne dis pas qu'il l'a dit — que l'on puisse, où que ce soit dans le monde, être justifié de disposer des droits des minorités par un référendum. Si on approuvait ce principe, je pense que ce serait le meilleur moyen, dans quelque pays que ce soit, sur quelque question que ce soit, de faire appel aux passions pour brimer les droits des minorités. J'aime beaucoup mieux ce que vous avez dit, à savoir que l'on doit porter des jugements sur la politique générale d'un gouvernement.

J'ai un souvenir trop aigu du référendum de 1942...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Plébiscite.

M. LESAGE: ... du plébiscite, alors que je m'étais battu contre mon parti pour le « Non ». Je sais qu'on ne dispose pas de questions aussi graves, qui touchent au fondement même des droits humains, par une majorité lors d'un référendum, parce que, là, on risque de brimer les droits et les aspirations des gens.

M. BOUSQUET: D'accord. Disons que, si nous acceptions votre théorie, nous ne pourrions pas, par un référendum, disposer des droits ou des prétendus droits d'un groupe ethnique donné.

M. LESAGE: Je vous ai parlé des minorités.

M. BOUSQUET: Oui, oui. Je dis un groupe ethnique...

M. LESAGE: On ne massacre pas une minorité à coups de référendums.

M. BOUSQUET: Ne peut-on pas...

M. LESAGE: Le gouvernement est élu. C'est à lui de prendre ses responsabilités et il sera jugé sur sa politique.

M. BOUSQUET: Peut-on le faire avec les canons et les baïonnettes?

M. LESAGE s Evidemment, M. Hitler...

M. BOUSQUET: Je sais qu'un référendum est très dangereux,

M. LESAGE: ... avait cru cela. La Russie vis-à-vis de la Tchécoslovaquie, le croit encore.

M. BOUSQUET: Non, pas Hitler. Enfin, on en a des exemples tous les jours, de ce qui se passe dans le monde. Le monde n'a pas changé depuis cent et deux cents ans, on se sert encore de l'épée. Est-ce que le référendum est plus dangereux que l'épée?

M. LESAGE: Mon cher ami, je condamne les deux.

M. BOUSQUET: D'accord.

M. LE PRESIDENT: On va revenir au problème linguistique.

M. LEMIEUX: M. le Président, me permettez-vous une remarque justement sur cette question de référendum?

M. LE PRESIDENT: Allez, allez.

M. LEMIEUX: C'est sur l'affirmation de M. le chef de l'Opposition à l'effet qu'on ne permet pas, disons en bonne société, à une majorité d'opprimer une minorité comme ça. Je ne crois pas me tromper en affirmant ceci: que selon le droit international et des principes reconnus par les Nations Unies — je fais un parallèle — dans les pays en voie d'indépendance politique, lorsque l'on tient un référendum sur cette question-là, on exclut, pour voter à ce référendum, la minorité occupante dans ce pays. Je pense que l'exemple est très bien choisi. C'est exactement le contraire de ce que vous dites.

M. LESAGE: Disons que je ne suis pas d'accord.

M. LEMIEUX: On exclut la minorité occupante lorsqu'il s'agit d'une décision de laquelle dépendra l'avenir de la nation en cause.

M. LESAGE: Je ne considère pas qu'il y a une minorité occupante au Québec.

M. LEMIEUX: Moi, si.

M. LESAGE: Vous, vous le considérez ainsi, c'est de vos affaires. Je respecte votre opinion, M. Lemieux, comprenez-moi bien...

M. LEMIEUX: Linguistiquement.

M. LESAGE: ,.„ mais je ne puis pas la partager.

M. LE PRESIDENT: M. Lemieux, si nous appliquions vos recommandations, serait-ce à dire qu'au mois de septembre, l'an prochain, toutes les classes à partir de la première année seraient toutes en français? Est-ce votre projet?

M. LEMIEUX: Exact.

M. LE PRESIDENT: Vous ne pensez pas que cela peut créer des problèmes majeurs?

M. PAUL: A tous les degrés?

M. LEMIEUX: Problèmes techniques, pratiques?

M. LE PRESIDENT: Pratiques: de manuels, de professeurs, de classes?

M. LEMIEUX: Non, pour ce qui est des professeurs, j'y ai songé. Je sais que, d'une part dans les écoles anglaises publiques, il y a un grand nombre de professeurs non qualifiés parce que la population de langue anglaise souffre d'un manque chronique de professeurs. Il y a également un grand nombre de professeurs canadiens-français dans les écoles anglaises au Québec. Il y en a également un bon nombre qui seraient rendus à l'âge de la retraite et il y en a d'autres qui pourraient être déplacés pour enseigner l'anglais comme langue seconde à l'école française. Donc, ce sont des problèmes techniques qui pourraient être réglés, je crois, assez facilement.

M. LESAGE: Que va-t-il arriver dans certaines écoles de Beaconsfield, de Westmount?

M. LEMIEUX: Aujourd'hui dans ces écoles-là, permettez-moi de vous dire que j'étais...

M. LESAGE: A Notre-Dame-de-Grâce?

M. LEMIEUX: ... J'étais justement à Beaconsfield l'autre soir et c'est d'un chic et du dernier snobisme pour les Anglo-Québécois que de vouloir envoyer leurs enfants à l'école française.

M. LESAGE: Oui, ils les envoient là pour un an ou deux.

M. LEMIEUX: C'est un bon début.

M. LESAGE: C'est très différent de ce que vous proposez, M. Lemieux, je pense. Il faut tout de même être sérieux, et si vous dites qu'à partir du mois de septembre il n'y aura plus de première année en anglais au Québec, eh bien dans dix ans ce sera les dix premières années alors,

M. LEMIEUX : Je regrette, mais il me semble que Beaconsfield et tout l'ouest de l'Ile de Montréal font encore partie du territoire québécois.

M. LESAGE: Oui, d'accord.

M. LEMIEUX: Je ne vois pas pourquoi on ferait des cas d'exception. On n'est pas pour refaire la Confédération au sein du Québec.

M. LESAGE: Alors, si vous voulez, ici à Québec même, prenons la ville de Québec, Sillery, Sainte-Foy, Cap-Rouge, Charlesbourg, enfin le Québec qu'on appelle le Québec métropolitain, qu'on ne détermine pas toujours au point de vue géographique de la même façon, mais je pense que le concept est à peu près le même.

Croyez-vous qu'il serait juste d'exiger ou de décréter qu'à l'école Saint-Patrice, par exemple, à l'avenir les cours seraient français, première année, deuxième année dans deux ans, troisième année dans trois ans?

M. LEMIEUX: Bien, c'est...

M. LESAGE: Et pourtant Dieu sait que les gens de langue anglaise à Québec — là je vous parle de Québec que je connais peut-être un peu mieux parce que j'y ai vécu depuis tant d'années — je n'en connais pas qui ne se débrouillent pas en français, et ils sont, ici à Québec en général — je connais très peu d'exceptions — intégrés à la vie canadienne-française.

M. LEMIEUX: Cela, je le reconnais et je dis que c'est une raison de plus pour qu'ils n'aient plus besoin d'une école dans une autre langue que la langue française.

M. LESAGE: Oui, mais c'est la leur.

M. LEMIEUX: Cela me paraît évident, c'est une raison de plus.

M. LESAGE: Oui, mais c'est la leur. M. LEMIEUX: Bien, c'est la leur...

M. LESAGE: Si j'allais demeurer à Ottawa, par exemple, à Toronto, il me semble que, vivant au Canada, je considérerais que ce n'est que justice élémentaire que mes enfants puissent fréquenter des écoles publiques où l'enseignement se donne dans leur langue maternelle, je ne dis pas qu'ils le feraient, mais qu'ils en aient le droit.

M. LEMIEUX: Vous dites: « C'est la leur ». Eh bien! qu'ils la financent, M. Lesage. C'est ce que tout...

M. LESAGE: C'est justement ce sur quoi nous avons fait porter nos critiques vis-à-vis l'Ontario, vis-à-vis le Nouveau-Brunswick.

M. LEMIEUX: Cest étrange, cela, parce que moi, je n'ai jamais contesté la liberté des parents de choisir la langue d'enseignement de leurs enfants. Mais je dis que l'Etat a le droit de décider, lui, quelles écoles il subventionnera.

M. LESAGE: Bon, très bien.

M. LEMIEUX: Et j'apporte comme appui à ça les décisions... enfin, c'est comme ça dans le monde, que voulez-vous que je vous dise? La cour internationale des droits de l'homme, — ça vous a déjà été signalé —qui siège à Strasbourg, a réglé la question linguistique de la Belgique exactement dans ce sens-là.

M. LESAGE: C'est la cour européenne qui a décidé que vous aviez...

M. LEMIEUX: Non, elle a dit que les droits étaient sauvegardés, puisqu'ils ont le droit de créer des écoles privées.

M. LESAGE: Oui d'accord, mais simplement les situations ne sont pas les mêmes partout. Il faut faire bien attention de... Vous savez qu'un avocat apprend très jeune à savoir qu'un

jugement dans un cas donné est le plus souvent un cas d'espèce.

M. LEMIEUX: De toute façon, je pense qu'il y a beaucoup de parallèles entre la situation du peuple québécois et celle du peuple flamand.

M. LESAGE: Quand vous arrivez devant un tribunal avec une cause qui ressemble à celle sur laquelle vous vous appuyez, on vous dira plus souvent qu'autrement que c'est un obiter dictum. Mais, M. Lemieux, qu'arrive-t-il aux Acadiens et qu'arrive-t-il aux 600,000 Canadiens de langue française qui sont en Ontario, qui continuent de parler français et dont une bonne partie vit dans le nord ou le long des frontières du Québec?

M. LEMIEUX: Je n'ai pas toute la réponse, mais j'en ai une partie. Je pensa que ce serait un excellent domaine où votre nouveau ministère de l'Immigration pourrait mettre l'accent sur le rapatriement des Canadiens français à l'intérieur du Québec.

M. LESAGE: Là, franchement, vous disposez de la liberté des gens d'une façon assez cavalière.

M. BOUSQUET: Je me demande s'ils veulent s'en venir ici. J'ai vécu plusieurs années en Ontario et je me demande vraiment s'ils seraient intéressés à venir vivre au Québec. Je me le demande très sérieusement.

M. LEMIEUX: C'est possible qu'ils veuillent rester là-bas. Je vous assure que moi-même, si je m'en allais, avec ma famille, vivre à Toronto, je ne me battrais pas pour avoir une école française à Toronto.

M. LESAGE: Bien, vous auriez tort. M. LEMIEUX: Je le regrette. M. GOLDBLOOM: M. Lemieux...

M. LEMIEUX: De toute façon, j'ajoute ceci. Ce n'est que depuis que le Québec affirme le fait français au sein du Québec que nos minorités à l'extérieur reprennent vie. Alors, je ne vois pas leur position, je ne vois pas comment l'un peut nuire à l'autre.

M. LE PRESIDENT: Merci, M. Lemieux. M. LEMIEUX: Merci.

M. LE PRESIDENT: Me Groulx, s'il vous plaît, de la Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec.

M. Groulx, vous avez la parole.

Me Yvon Groulx

M. GROULX: M. le Président, MM. les membres du comité de l'éducation. D'abord, afin de ne pas vous faire perdre de temps, je vais vous signaler ceci. Nous avons un mémoire qui est assez long. Cependant, je lirai quelques feuilles qui résument les vingt premières pages et je vous donnerai ensuite lecture au complet des quelque quinze pages qui restent.

Cependant, je demanderais, si vous voulez bien me le permettre, que le texte que je ne lirai pas ainsi que le mémoire qui a déjà été présenté au premier ministre du Québec, le 18 avril 1967, par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, en collaboration avec la Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste, soient déposés en annexe au procès-verbal. Est-ce que c'est possible? Le texte complet et ce mémoire-là.

M. LE PRESIDENT: Accepté? M. PAUL: Accepté. M. LESAGE: Accepté.

M. LE PRESIDENT: Accepté à l'unanimité. (Voir Annexe B)

M. GROULX: Merci, M. le Président et messieurs les membres du comité. Tout le texte ainsi que le mémoire.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que vous avez vos pages bleues? C'est ça.

M. GROULX: Ce que je veux dire, c'est que tout soit déposé, même ce que je ne lirai pas en d'autres termes. Bon, merci.

M. le Président, Messieurs les membres du comité de l'éducation, la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec, incorporée en 1948, groupe dix-huit sociétés diocésaines ou régionales dont l'ensemble des cotisants se chiffre à 225,000. C'est un mouvement nationaliste qui se décrit comme la Société nationale des Canadiens français du Québec.

L'objet de ce mémoire est de présenter le point de vue de l'ensemble des sociétés Saint-Jean-Baptiste affiliées à la fédération concernant le problème de la langue d'enseignement au Québec, problème soulevé par la présentation à l'Assemblée nationale du bill 85.

Lorsque, dans ce document, nous traitons du statut de la langue et de l'intégration des immigrants, nous le faisons en regard de la langue d'enseignement à l'école publique et du projet de loi soumis au comité de l'éducation.

Il nous apparaît indispensable, pour comprendre la situation que veut corriger le bill 85, d'analyser sommairement la marche des événements et de considérer les faits avant d'exprimer notre opinion sur les principes qu'il contient et de formuler nos recommandations.

Quant aux autres aspects et à l'ensemble de la question linguistique, la fédération se propose d'en traiter devant la commission d'enquête sur le statut de langue française au Québec. Elle y présentera un mémoire plus élaboré et plus vaste dans son objet.

Notre mouvement se réjouit de ce que le gouvernement ait créé cette commission d'enquête dont les travaux devraient permettre une étude lucide de la situation actuelle et des possibilités d'avenir du français au Québec.

La marche des événements. Voici le résumé.

La fédération démontre, dans la première partie de ce mémoire, que le cas de Saint-Léonard a été provoqué, premièrement, par l'absence, jusqu'à tout récemment, de politique québécoise dans le domaine de l'immigration et, deuxièmement, par l'absence, jusqu'à ce jour, de politique linguistique globale qui définisse clairement les droits de la langue française au Québec.

Depuis l'adoption d'une loi britannique — l'Acte de l'Amérique du Nord britannique —en 1867, par le parlement impérial de Westminster, la situation juridique de la langue française n'a jamais été précisée ni modifiée par une loi québécoise.

Le cas de Saint-Léonard, à l'analyse, révèle qu'il s'agit d'abord et avant tout d'une offensive de certains éléments de la population pseudoanglophone de cette municipalité scolaire pour obtenir une école unilingue anglaise et refuser l'intégration au milieu francophone en rejetant l'école française décidée par les commissaires qui, à l'automne 1967, avaient pris soin d'indiquer, sans équivoque possible, que cette école diffuserait un enseignement adéquat en langue anglaise. Cette résolution des commissaires, à l'époque, avait été adoptée à l'unanimité.

L'état des faits. Dans une deuxième section du mémoire, la fédération s'attache à l'analyse des faits qui caractérisent la vie collective des Québécois.

La répartition démographique. Elle constate d'abord que le Québec, d'après les chiffres du recensement de 1961, compte une population totale de à,259,211 citoyens dont 81.18% de langue maternelle française, 13.26% de langue maternelle anglaise et à.56% d'autres langues maternelles. Nous n'avons pas de chiffres officiels plus récents en ce qui concerne la langue des citoyens.

La pression anglophone et l'environnement nord-américain. Même s'ils sont en majorité numérique au Québec, les Canadiens français sont en minorité sur l'ensemble du continent nord-américain de langue et de culture anglaises.

Masse énorme de plus de 200 millions d'individus sur laquelle s'appuient les anglophones du Québec pour s'alimenter en ressources économiques, scientifiques et humaines.

Ce fait fausse l'équilibre des forces en présence et interdit, en définitive, qu'il y ait vraiment égalité de chances pour les individus comme pour les collectivités. Grâce à cet appui massif du milieu nord-américain par l'implantation au Québec des institutions financières et économiques, par l'envahissement culturel aussi, grâce également au laisser-faire et à la résignation de la population francophone du Québec, la minorité anglophone a imposé sa langue comme langue de travail, langue de promotion sociale, condition essentielle de promotion économique et instrument de domination du milieu québécois.

Cette situation défavorise la majorité francophone et privilégie la minorité anglophone en lui facilitant, sous tous les rapports, l'accession à la gouverne de l'activité économique et financière car, au Québec — à l'inverse du bon sens et de la justice — la langue de la minorité est à la fois indispensable et suffisante pour y gagner sa vie et s'enrichir, même pour un unilingue anglais, tandis que le Québécois, unilingue français, trouve grand peine à y gagner sa vie.

Québec subit, dans le monde du travail et de l'économique, le régime de la priorité de la langue anglaise qui érige une barrière infranchissable pour ceux qui ne maîtrisent pas cette langue, par sa prépondérance absolue, particulièrement dans la région de Montréal et des principales villes du Québec.

Il en résulte qu'il n'y a pas et qu'il ne peut y avoir d'égalité de chances dans les circonstances actuelles tant pour les collectivités que pour les individus. Il ne peut y avoir égalité de chances que si l'Etat intervient, s'il met fin à sa politique de laisser-faire et de libéralisme en matière de culture, de langue et d'éducation, s'il applique une politique intelligente qui appuie le vouloir-vivre des Franco-Québécois et contrebalance, par son action vigilante et son prestige, l'immense contrainte du milieu unificateur et anglicisant de l'Amérique du Nord.

Quand des rapports engendrent une inégalité

aussi disproportionnée entre deux collectivités et empêchent toute égalité de chances entre citoyens de langue et de culture différentes, on ne peut qu'appliquer le principe de Lacordaire: « Dans la concurrence entre le faible et le fort, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit. » Au Québec, en matière de langue et d'éducation, c'est le laisser-faire et le libéralisme culturel qui engendrent l'injustice et l'iniquité, tandis que la loi peut ordonner les rapports entre les collectivités linguistiques, rétablir l'équilibre et finalement libérer le groupe francophone de l'oppression causée par l'immense disproportion — en nombre et en puissance financière — avec la collectivité nord-américaine qui sert d'appui à la minorité anglo-québécoise.

Il en résulte que le groupe francophone est en perte de vitesse, car la prépondérance absolue de la langue anglaise et sa nécessité vitale pour l'immense majorité des travailleurs, des hommes d'affaires, des industriels et des commerçants incitent nécessairement les Néo-Québécois à s'intégrer au groupe anglophone, d'autant plus que cette intégration leur ouvre toute grande la porte sur l'Amérique du Nord.

En somme, comme je l'ai dit parfois, demander aux immigrants de s'intégrer au groupe français c'est leur donner la clef du Québec, alors que leur demander de s'intégrer au groupe anglophone, c'est leur donner le passe-partout de l'Amérique du Nord.

Les statistiques fédérales nous indiquent que le groupe francophone, en 1961, réussissait tout juste à maintenir le minimum nécessaire à sa survie, soit 100.6%. En 1969, depuis que le Québec connaît le phénomène de la dénatalité, alors que 90% des immigrants s'intègrent au milieu anglophone, la collectivité franco-québécoise a été en danger de minorisation démographique, résultat final du processus de minorisation psychologique, qu'elle connaît déjà depuis longtemps.

Les statistiques publiées dans le mémoire indiquent que le système d'enseignement au Québec et la liberté laissée aux parents de choisir entre l'école française ou l'école anglaise, facilitent l'assimilation accélérée des Néo-Québécois au groupe anglophone et occasionnent le fait que la collectivité franco-québécoise soit en perte de vitesse.

Dans le secteur de l'éducation, le Québec a appliqué une politique inspirée par des sentiments généreux, un libéralisme culturel et un laisser-faire qui souvent était contraire au simple bon sens et à la logique. A titre d'exemples, citons le fait que neuf étudiants néo-québécois sur dix dans la région de Montréal fréquentent l'école anglaise.

La Protestant School Board of Greater Montreal a mis sur pied, à l'automne 1967, un programme en vue de favoriser et d'accélérer l'anglicisation des Néo-Québécois. La section anglaise de la Commission des écoles catholiques de Montréal compte à peine le quart de ses étudiants qui soient vraiment anglophones, c'est-à-dire d'origine britannique ou de langue maternelle anglaise. Situation inadmissible dans un Etat normal.

Je suis même informé qu'en septembre 1968, la Commission des écoles catholiques de Montréal aura ouvert 75 nouvelles classes dont 65 de langue anglaise et 10 seulement de langue française.

Le taux a atteint depuis longtemps la cote d'alarme. Il n'est plus permis aux autorités de continuer une politique de laisser-faire, de libéralisme culturel qui dégénère aussi rapidement en une forme subtile de ségrégation et d'oppression exercée par le milieu anglophone nord-américain. Les statistiques prouvent hors de tout doute que le fallacieux principe du libre choix de la langue d'enseignement pour tous les Québécois conduit à la minorisation graduelle de la collectivité francophone et au renversement des rapports démographiques dans un avenir plus ou moins rapproché.

Je vous reporte maintenant à la page 21 du mémoire: Les faits qu'il faut corriger.

Il découle de l'absence de politique québécoise pour sélectionner et accueillir les immigrants, de l'absence de politique linguistique, de l'application inconditionnelle du principe du libre choix de la langue d'enseignement et de la pratique du laisser-faire et du libéralisme culturel, des conséquences graves qui mettent en cause l'avenir même du Québec en tant qu'Etat français.

Nous le résumons en cinq points: a)l'unilinguisme anglais se perpétue au Québec. Il y a encore 600,000 unilingues anglais au Québec. b) l'anglicisation massive et accélérée des Néo-Québécois. c) l'imposition de la langue anglaise à la majorité francophone dans le monde du travail, des affaires, du commerce, de la finance et de l'industrie comme condition essentielle et effective de promotion sociale et économique et comme instrument de domination économique. d) le système scolaire actuel qui fabrique des unilingues anglais dans une collectivité en majorité francophone.

En contrepartie, on peut se demander s'il y a encore — à toutes fins pratiques — de véritables institutions scolaires secondaires et collégiales vraiment de langue et d'esprit français

par suite de la répartition égale des heures d'enseignement des langues — du français et de l'anglais au secondaire du moins — et de l'introduction abusive de la langue anglaise ou de manuels traduits. e) la baisse constante et tragique du pourcentage des francophones dans le Québec qui conduit inexorablement, sous la pression des facteurs économiques et politiques nord-américains, à la minorisation psychologique des Canadiens français et, éventuellement, à leur minorisation démographique.

Quels remèdes faut-il appliquer?

Tous les programmes des partis politiques en 1966 indiquaient clairement qu'il est devenu important de légiférer pour régler cette question à la fois grave et complexe. On y mentionne que le français doit être une langue prioritaire au Québec, ou langue nationale ou seule langue officielle. Il n'est pas de parti politique qui ait osé nier l'importance du problème si l'on considère la place prépondérante qu'ils y ont accordée dans leur manifeste électoral.

Cependant, il n'est pas suffisant de présenter un programme à l'électorat, encore faut-il que ces propositions se concrétisent dans une ou des législations.

L'objectif qu'il faut atteindre pour normaliser la situation des rapports entre Québécois est celui-là même que définissait l'ex-premier ministre du Québec, Me Daniel Johnson, dans sa dernière conférence de presse: « Faire en sorte que le Québec soit aussi français que l'Ontario est anglais ». Rien de plus normal. Rien de plus logique aussi, sans quoi le Québec est voué inévitablement à perdre son identité, sa personnalité propre comme foyer principal et pivot du Canada français.

Le premier ministre expliquait ainsi aux millions d'auditeurs qui l'écoutaient « qu'en faisant du français la langue d'usage de l'Etat québécois, le gouvernement du Québec pratiquera la même politique en matière linguistique que le gouvernement de l'Ontario qui a dessein de respecter les droits de sa minorité linguistique. La langue d'usage de l'Ontario sera et demeurera l'anglais comme le français le sera au Québec. « Ainsi, ajoutait-il, nous allons voir à ce que tous les anglophones et tous les non-francophones du Québec, aient une chance d'apprendre le « prevallling language », comme on dit en Ontario, et le « prevailing language » en Ontario, on sait ce que c'est. »

Il va sans dire que la politique linguistique au niveau scolaire doit être appuyée, pour être efficace, par une politique globale qui fasse du français la langue d'usage quotidien dans la vie collective des Québécois et la langue de travail dans le monde du commerce de l'industrie, de l'administration, des affaires et des services.

Il importe qu'une législation globale assure à la langue française le rang et le prestige de langue nationale au Québec et, par le fait même, établisse les droits de la majorité.

Dans l'ordre actuel des choses, il est illogique que l'Assemblée nationale adopte d'abord une législation d'exception (le bill 85) sans avoir au préalable défini la politique linguistique de l'Etat du Québec tant dans le domaine des langues officielles que dans le domaine du travail et de l'éducation.

Il n'est pas possible — l'expérience le démontre — d'atteindre cet objectif normal pour un peuple qui se respecte et qui entend prendre les moyens de vivre et de s'épanouir, sans avoir recours à des lois linguistiques. Il n'est pas possible non plus qu'une législation linguistique puisse atteindre son but et être vraiment efficace si elle n'est pas contraignante.

Aucune politique linguistique n'a de chance de succès si elle ne contient pas un élément de coercition qui donne au législateur le moyen de faire respecter sa loi et impose aux citoyens, en plus de l'obligation morale inhérente à toute loi, une obligation formelle qu'ils ne peuvent impunément mépriser.

Le législateur le sait bien puisqu'il introduit dans le bill 85 un élément de coercition en confiant au ministre le pouvoir de mettre en oeuvre les recommandations du comité linguistique du Conseil supérieur de l'éducation et en imposant aux commissaires des écoles publiques l'obligation légale «de prendre les mesures nécessaires pour... » — et je cite dans le mémoire, ici, je vous fais grâce de la citation. Vous connaissez bien le bill 85, sûrement, actuellement —. La loi proposée est à ce point contraignante qu'elle permet à un seul individu de porter plainte auprès du ministre de l'Education dont la décision est sans appel. Il en est de même d'ailleurs de l'obligation, dans le bill 85, pour les écoles anglophones de diffuser un enseignement de la langue française. C'est là une autre contrainte acceptée par la loi.

Si le législateur québécois insère plusieurs éléments de coercition dans le bill 85, c'est qu'il ne peut ignorer — pas plus d'ailleurs que le législateur d'aucun autre pays — l'importance de l'obligation légale faite aux citoyens de se conformer à une directive en matière de langue.

Cette forme de coercition ne brime nullement les droits fondamentaux de l'homme québécois, pas plus que les lois linguistiques de Belgique organisant la coexistance des unilinguismes flamand et wallon n'attentaient aux droits de l'hom-

me belge selon le jugement de la Cour européenne des droits de l'homme. Pas plus que les lois linguistiques de la Suisse ne briment les droits de la personne humaine tout en contraignant le citoyen à adopter la langue du canton où il réside.

La liberté du choix de la langue d'enseignement que l'on veut introduire dans le bill 85 n'existe d'ailleurs nulle part dans le monde anglophone, que ce soit au Royaume-Uni, en Australie, en Nouvelle-Zélande, ou dans tout autre pays de langue anglaise. Même dans l'Ile Maurice — dont la population est d'origine française et francophone en grande partie du moins — le système d'écoles publiques était anglophone au moins jusqu'à tout récemment, jusqu'à l'indépendance. Actuellement, je ne sais pas quel est le régime.

Même en Ontario, en Colombie ou en Nouvelle-Ecosse ou n'importe où au Canada anglais, il n'y a pas de libre choix de la langue d'enseignement. Récemment, les porte-parole du monde de l'éducation au Canada anglais n'ont-ils pas indiqué eux-mêmes qu'il était dérisoire de prétendre au libre choix de la langue d'enseignement de la part des immigrants? Lors du congrès de la Canadian School Trustees' Association, les commissaires ont rejeté une résolution demandant pour les immigrants le droit de choisir la langue d'éducation de leurs enfants. Le français ou l'anglais, d'ailleurs, c'est de cela qu'il était question.

Même aux Etats-Unis, pays des libertés personnelles, pays où la langue et la culture anglaises jouissent au départ d'une supériorité écrasante et d'une avance insurmontable, cette forme de liberté n'existe pas. L'Etat ne reconnaît pas aux parents le privilège de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants qui fréquentent les institutions subventionnées par l'Etat. Qui oserait prétendre qu'à cet égard les législations scolaires américaines briment la liberté des individus et méprisent leurs aspirations culturelles légitimes?

Depuis dix ans, les résolutions réitérées des congrès généraux de la Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste, de ses sociétés affiliées et les attitudes publiques constantes de nos dirigeants appuyés sans équivoque par l'ensemble de nos membres ainsi que les recommandations de nos deux mémoires à la commission Parent et au comité parlementaire de la constitution, réclament avec insistance que le Québec définisse une politique linguistique dans le secteur de l'éducation, politique qui permette d'atteindre trois objectifs majeurs; a) Assurer que tout le système d'enseignement public soit de langue française tout en fai- sant en sorte que les citoyens anglophones puissent fréquenter soit des écoles publiques de langue française, soit des écoles publiques de langue anglaise tenues toutefois de dispenser un bon enseignement du français et tenues d'utiliser la langue française comme langue d'enseignement pour une bonne partie de ses cours, afin que les anglophones qui fréquentent ces institutions acquièrent ainsi une bonne connaissance de la langue de la majorité pour vivre normalement dans un Etat francophone; — il est évident d'ailleurs que l'école publique française diffusera un enseignement adéquat dans la langue anglaise à partir du niveau secondaire. b) Prendre les dispositions requises pour que les immigrants soient intégrés au milieu franco-québécois et que leurs enfants fréquentent l'école publique française et, finalement. c) Organiser l'enseignement de la langue anglaise comme langue seconde afin que sa connaissance soit réellement un apport à la culture des Québécois et un instrument additionnel de rayonnement, et non plus une condition essentielle pour gagner sa vie au Québec.

Nous reconnaissons que, devant la gravité de la situation et à la lumière des exemples cités dans ce mémoire, il serait logique de conclure à l'établissement d'un seul système d'enseignement public pour tous les Québécois, ce système unique devant être de langue française.

Un secteur important des membres les plus dynamiques de nos sociétés partagent cette opinion et ils apportent, à l'appui, des arguments fort valables. Nous ne sommes pas sûrs d'ailleurs que cette solution ne doive pas s'imposer en définitive pour accorder aux francophones des chances au moins égales à celles dont jouissent présentement les anglophones afin d'accéder aux postes de commande et au plus haut niveau de direction dans la vie économique, de permettre en somme aux Franco-Québécois de se comporter en majorité chez eux et d'intégrer les nouveaux venus comme le fait toute majorité normale dans le monde.

Si nous suggérons un régime d'exception pour les anglophones, à titre d'essai et peut-être même d'étape seulement, c'est uniquement en raison du contexte canadien et nord-américain qui dresse, aux yeux d'une forte partie de la population québécoise, un obstacle psychologique insurmontable; c'est en raison aussi des mesures récentes prises à l'extérieur du Québec qui rendent moins écrasante la situation minoritaire de nos compatriotes canadiens-français.

Ce régime d'exception toutefois ne devra pas constituer la reconnaissance de quelque droit linguistique que ce soit en faveur de la minorité tant et aussi longtemps que ce droit ne s'exer-

cera pas dans des conditions de concurrence libre et égale des forces en présence, ce qui ne pourrait se réaliser qu'après l'adoption d'une législation formelle et efficace faisant du français la langue nationale, la seule langue officielle et la langue de travail au Québec.

Cette école pour les anglophones devra, à brève échéance faire la preuve qu'elle peut dispenser à ceux qui la fréquentent une connaissance adéquate de la langue française, écrite et orale, afin que ses diplômés s'intègrent naturellement au Québec français et n'imposent pas leur langue à la majorité francophone tout comme les Franco-Ontariens s'intègrent à l'Ontario sans imposer la langue française à la majorité anglophone. A cette fin, cette école devra modifier radicalement son esprit et son programme afin de prouver qu'elle est capable de réussir ce qu'elle n'a pas fait jusqu'à maintenant: cesser de former des unilingues anglais comme l'ont été et le sont encore la majorité de ses diplômés.

Le bill 85 corrige-t-il la situation?

En regard de la situation que nous avons décrite, basée sur les faits et les données statistiques, il faut se demander si le projet de loi modifiant la loi du ministère de l'Education, la loi du Conseil supérieur de l'éducation et la loi de l'Instruction publique est susceptible d'y apporter un correctif efficace et valable.

Après étude attentive des articles du bill 85, l'analyse de leur portée légale et juridique, nous en sommes venus à la conclusion que le projet de loi ne corrige pas la situation. Au contraire, il l'aggrave singulièrement. a) Le bill 85 crée du droit nouveau en consacrant dans un texte juridique un privilège de la minorité de langue anglaise qui, à la faveur des droits garantis à la minorité protestante dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, a bâti un réseau complet d'institutions d'enseignement de langue anglaise. b) Il transforme désormais en droit un privilège, jusqu'ici accordé par la coutume et la tolérance, des citoyens anglophones de posséder des institutions scolaires de langue anglaise même dans le secteur des écoles publiques catholiques. c) Ce qui est plus grave encore, il étend la reconnaissance de ce droit nouveau à tous les citoyens québécois, sans distinction aucune, d'origine et de culture: qu'ils soient nés au Québec ou qu'ils soient immigrants, même sans être naturalisés Canadiens, il leur accorde la liberté de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants, d'obliger les commissaires des écoles publiques à satisfaire leurs exigences et la possibilité d'avoir recours au ministre de l'Education pour obtenir satisfaction si la commission scolaire s'y refuse. d) Il permet même à tout groupe de parents francophones qui le désirent, pourvu que leurs enfants soient aptes à le faire, la possibilité de choisir la langue anglaise comme langue d'enseignement et d'obliger les commissaires à se conformer à telle exigence pour le moins aberrante. e) Du fait du conditionnement socio-économique du milieu nord-américain en général et du milieu canadien en particulier; du fait qu'il n'y ait pas et qu'il ne peut y avoir, dans les circonstances actuelles, de véritable égalité de chances entre le travailleur, l'homme d'affaires, l'industriel, le commerçant, l'administrateur de langue française et celui de langue anglaise, le bill 85 constitue, malgré la bonne volonté du législateur, une incitation à choisir l'école publique anglaise, défrayée par le produit des taxes des citoyens dont la majorité est de langue et de culture françaises. f) En conséquence — même si ce n'est pas l'intention du législateur — le bill 85 ouvre toute grande aux immigrants la porte sur le Canada anglais et sur l'Amérique anglophone et la referme presque inévitablement sur le milieu social canadien-français. Il contribue à accentuer le processus de minorisation de la collectivité québécoise et le processus de détérioration de la langue et de la culture françaises au Québec, en accordant le droit abusif aux parents du libre choix de la langue d'enseignement pour leurs enfants tant aux anciens qu'aux nouveaux citoyens du Québec et en obligeant les commissaires d'écoles à se conformer à la volonté ainsi exprimée par les parents ou par ceux qui en tiennent lieu. g) Le bill 85, par la consécration de la liberté de choix, alors que la langue anglaise exerce un tel attrait grâce à sa situation privilégiée, équivaudrait à une démission du législateur devant la situation qu'il faut corriger, situation néfaste pour la majorité franco-québécoise.

Tout au plus, le bill 85 contribuera-t-il à augmenter le nombre des Québécois dont la langue seconde sera la langue française, en obligeant les écoles du secteur anglais à diffuser un enseignement de façon à assurer une connaissance d'usage de la langue française.

Les immigrants et le bill 85.

Même si le projet de loi, par ailleurs, accorde la responsabilité au ministre de l'Education, de concert avec le ministre de l'Immigration, de prendre les dispositions nécessaires pour que les personnes qui s'établissent au

Québec puissent acquérir, dès leur arrivée, une connaissance d'usage de la langue française et faire instruire leurs enfants dans des écoles reconnues par le ministère comme étant de langue française, cet article n'a qu'une portée incitative et n'est, en aucune façon, contraignant.

Rien n'oblige les immigrants à opter pour le système d'écoles publiques françaises. Au contraire, il leur suffira d'exiger des écoles uni-lingues anglaises pour que les commissions scolaires soient tenues de se conformer à leur désir, conformément aux dispositions a), b) et c) du dixième article du bill 85. Force nous est de reconnaître que le projet de loi est d'une grande faiblesse au sujet de l'intégration des immigrants, bien qu'il manifeste une bonne intention de la part du législateur.

Sans un article qui contraigne les immigrants à fréquenter les écoles publiques françaises, confessionnelles ou autres, comment les ministres concernés pourront-ils convaincre les immigrants qu'il est de leur intérêt de s'intégrer à la collectivité francophone, quand l'on connaît l'immense pression socio-économique exercée par le milieu nord-américain qui a jusqu'ici favorisé l'intégration de près de 90% des Néo-Québécois au groupe anglophone?

Comme l'affirmait récemment sur les ondes de Radio-Canada, M. Procek de l'université de Montréal, un des responsables des cours d'accueil aux immigrants tchèques venus au Québec, à la suite des événements tragiques en leur pays, les nouveaux venus savaient déjà, par leurs parents ou amis tchèques établis au Québec depuis longtemps, que la puissance financière et économique est entre les mains des Anglo-Saxons et qu'il était nécessaire et préférable dans leur propre intérêt d'apprendre la langue anglaise et de s'intégrer au milieu anglophone. M. Procek affirmait qu'un nombre relativement peu élevé de ses compatriotes tchèques choisissaient l'intégration au groupe francophone et qu'il était lui-même une exception, ayant décidé de faire carrière en langue française. D'ailleurs les statistiques qui ont été publiées par les journaux à la suite de l'immigration intense des tchèques au Canada, sont révélatrices à ce sujet.

Dès lors, il est facile d'en déduire que ce n'est pas simplement par une politique incitative et d'accueil cordial que l'on pourra contrer l'effet corrosif qui résulte d'une situation qui a trop longtemps pourri.

Pour être efficace, une politique d'accueil devra s'appuyer non seulement sur le ministère de l'Immigration, mais aussi sur une politique linguistique globale qui transformera le milieu québécois et une politique de l'éducation qui fasse de la langue française la langue obligatoire d'enseignement pour tous les citoyens, sauf pour les Québécois d'origine britannique ou de langue maternelle anglaise pour lesquels est prévu un régime d'exception que j'ai décrit tout à l'heure.

On ne peut que conclure: le bill 85 ne corrige pas efficacement et fondamentalement la situation, puisque le législateur se contente d'exiger que les anglophones apprennent le français et d'inciter les immigrants à apprendre eux aussi la langue française, tout en laissant le libre choix, à tous les citoyens, entre l'école française ou l'école anglaise. Le bill 85 maintient, confirme et, par certains aspects, consolide des éléments qui sont à l'origine de la situation actuelle.

Pour ces raisons, la Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec recommande au comité de l'éducation de retirer le bill 85.

La Fédération soumet au comité de l'éducation sept propositions pour définir une politique des langues d'enseignement au Québec, afin de remplacer le bill 85 et d'atteindre les objectifs décrits dans les pages précédentes. 1. Que les enfants de tout immigrant qui choisit de s'établir au Québec, doivent fréquenter l'école publique française. 2. Que la connaissance du français écrit et parlé soit essentielle à tout étudiant québécois pour obtenir tout diplôme officiel de l'Etat du Québec, dans toutes les institutions d'enseignement. 3. Que le comité de l'éducation et l'Assemblée nationale refusent — en droit et en pratique — le libre choix de la langue d'enseignement et, en conséquence, que l'école publique pour tous les Québécois soit obligatoirement l'école française, sauf pour les anglophones — c'est-à-dire les citoyens d'origine britannique ou dont la langue maternelle est l'anglais — qui pourront fréquenter des écoles anglaises dispensant un bon enseignement du français et une partie substantielle de ces cours en langue française. 4. Qu'il soit interdit à toute institution publique de langue anglaise de recevoir des élèves qui ne soient pas anglophones, c'est-à-dire d'origine britannique, ou dont les parents sont de langue maternelle anglaise. à. Que les commissions scolaires dont les institutions enfreignent ces normes linguistiques soient privées des octrois et subventions prévus par la loi. 6. Qu'aucune institution privée qui ne se conformerait pas à ces normes linguistiques

puisse bénéficier d'octrois ou des subventions à même les fonds publics. 7. Que les écoles anglaises pour les anglophones seulement ne constituent pas un secteur distinct dans l'ensemble du système d'enseignement au Québec.

En vous soumettant ces propositions pour une législation sur les langues d'enseignement au Québec, la Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec ne fait qu'appliquer les résolutions et les voeux de ses congrès annuels depuis dix ans, dont nous incluons une partie en annexe à ce mémoire. Elle ne fait que renouveler les recommandations qu'elle faisait à la commission d'enquête sur l'enseignement et reprises devant le comité parlementaire de la constitution.

Et voici ces quelques propositions.

S'il se trouve encore dans la province des personnes qui y sont nées, qui y ont toujours vécu et qui sont encore incapables de comprendre et de prononcer un seul mot de français, cela est inadmissible. Si, dans les autres provinces on peut, de par le régime scolaire, obliger l'étudiant à apprendre l'anglais sans profit culturel, pourquoi, dans la province de Québec hésiterions-nous à faire profiter tous les habitants des avantages de la culture française?

Ceci dit, nous croyons que les personnes vivant au Québec et dont la langue maternelle est l'anglais devraient pouvoir parler le français avec une correction correspondant au niveau de leurs études. C'est dire que l'étude du français devrait être obligatoire à tous les niveaux, dans les écoles de langue anglaise, les exigences devenant de plus en plus sévères selon les degrés d'études.

Pour les autres, c'est-à-dire pour les personnes dont la langue maternelle n'est pas l'anglais, elles devraient être tenues de fréquenter les classes françaises, tout en reconnaissant aux Néo-Canadiens le droit de conserver leur langue maternelle.

Ces textes que je vous lis datent de 1962, de la commission Parent.

En d'autres termes, comme l'a décrit la société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, en 1962, dans son mémoire également à la commission Parent, « que l'école publique de la province de Québec soit l'école française et que les écoles destinées aux enfants dont la langue maternelle est l'anglais soient des écoles bilingues d'un type analogue, mais en sens inverse, aux écoles bilingues organisées pour les Canadiens français dans l'Ontario. »

Une législation régissant les langues d'enseignement, basée sur les propositions que nous vous soumettons, permettrait au Québec d'atteindre l'objectif de tout peuple normal qui se respecte, qui entend prendre les moyens d'assurer la vitalité et la diffusion de sa culture car, comme le rappelle le rapport Tremblay: « Une culture n'a de chance de vivre que si elle s'exprime, s'épanouit et se donne ».

Pour le Québec, cet objectif ne peut être autre que celui décrit par Me Daniel Johnson lors de sa dernière conférence de presse, considérée comme son testament politique: Il faut que le Québec soit aussi français que l'Ontario est anglais.

Je vous remercie, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: M. le ministre Cardinal.

M. CARDINAL: Me Groulx, dans votre avant-propos, vous mentionnez que la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec groupent dix-huit sociétés diocésaines ou régionales dont l'ensemble des cotisants se chiffre par 225,000 membres. Dans la liste des groupes et associations qui viennent devant ce comité, nous avons cinq groupes qui portent le nom de la Société Saint-Jean-Baptiste, soit de Montréal ou d'Alma, etc. Lorsque vous vous exprimez au nom de la Fédération, est-ce que vous vous exprimez au nom de toutes ces dix-huit associations ou de la majorité d'entre elles, ou au nom des membres, ou de la majorité des membres? Voici ce que je veux dire: Comment se fait-il que la fédération s'exprime et que certaines sociétés s'expriment aussi? Comme nous n'avons pas encore vu tous les mémoires, ma question n'a pas pour but de vous embarasser. Il me semble y avoir, à première vue, peut-être un dédoublement, ou peut-être parfois des nuances sinon des différences de propositions.

M. GROULX: D'abord, premièrement, il ne s'agit pas d'un dédoublement, il s'agit d'un appui. Deuxièmement, il y a parfois certaines nuances que des sociétés peuvent apporter, comme par exemple, nous avons apporté dans notre texte, nous de la fédération, peut être fidèles à l'ensemble des sociétés. Dans l'expression britannique ou de langue maternelle anglaise, certaines associations vont insister sur « britannique », d'autres vont insister sur « langue maternelle anglaise ». Alors, à mon avis, ce sont des nuances qui ne sont pas l'objet principal du débat. Mais je peux vous dire que, sur le fond, sur les grandes lignes de notre mémoire, sur les conclusions, nous représentons l'opinion de toutes les sociétés Saint-Jean-Baptiste, et je puis dire de l'ensemble des membres parce que, comme je vous l'ai rapporté, nous nous référons

à des résolutions de nos congrès de plusieurs années en arrière, depuis même 1961 au moins, et les membres qui ne seraient pas d'accord, auraient eu le temps depuis de manifester leur dissidence.

M. CARDINAL: D'accord. Me Groulx, une deuxième question: Dans vos sept propositions vous en avez une qui nous intrigue davantage peut-être à cause de sa rédaction. C'est la proposition 4 qui se lit comme suit: « Qu'il soit interdit à toute institution publique de langue anglaise de recevoir des élèves qui ne soient pas anglophones. » C'est une façon de présenter cette question parce qu'elle pourrait se comprendre de deux ou trois angles différents. On pourrait dire: « Qu'il soit interdit à toute personne qui n'est pas britannique ou anglophone, au sens où vous le décrivez dans votre mémoire, de se présenter dans une école anglaise ». Là l'interdiction porte plutôt sur l'école. Est-il possible, dans un système proposé, celui que vous proposez, d'avoir une prohibition semblable?

Si nous prenons les autres propositions, la première proposition établit une obligation, alors que le bill 85 établissait, malgré les critiques qui ont été faites à l'article 1, une incitation aux immigrants de fréquenter l'école publique française.

La proposition 2 ressemble étrangement à ce que nous retrouvons d'ailleurs dans le bill 85 où on exige une connaissance d'usage du français de tout étudiant, etc., pour avoir le diplôme d'études secondaires ou collégiales.

La proposition 3, disons-le, vous est particulière, malgré que nous en ayons des variétés dans d'autres mémoires.

La proposition à, on la retrouve dans le bill 85, sauf qu'il y a des moyens de contraindre les commissions scolaires qui ne suivraient pas la législation proposée.

M. GROULX: Mais, ici, elle est plus large!

M. CARDINAL: D'accord, elle est plus large. Mais enfin ce que je veux dire, c'est qu'en général vos propositions sont des propositions qui ne sont pas d'une nature, je dirais, extrémiste, en ce sens qu'elles n'interdisent pas ou ne semblent pas brimer, ne semblent pas défendre, ne semblent pas interdire quelque chose, tandis qu'en 4, vous avez justement une interdiction. Ma question est celle-ci: Est-ce que vous croyez que, justement, il est possible à un Etat, dans le système que vous préconisez, d'avoir une interdiction semblable au niveau de l'administration scolaire même?

M. GROULX: C'est sûrement possible. Et, d'ailleurs, je vais vous répondre par un exemple concret et présent.

Il y a actuellement une commission scolaire, celle de Jacques-Cartier, qui refuse à l'école anglaise les enfants qui ne connaissent pas l'anglais en entrant à l'école, dont la langue maternelle n'est pas l'anglais. Assez curieusement, l'autre jour à la suite de la présentation d'un mémoire ici, j'écoutais à Montréal, la télévision de langue anglaise afin de connaître la réaction de ces messieurs avec qui j'ai quand même assez souvent à dialoguer. J'ai alors entendu le président de l'Association des parents catholiques du diocèse de Montréal, M. Smith, je pense, qui a d'ailleurs été à l'origine de l'Association des parents de Saint-Léonard, citer le cas de Jacques-Cartier et dire que sans nécessairement appuyer cette attitude, il considérait que c'était peut-être un genre de compromis dont on pouvait discuter. Puisqu'une commission scolaire le fait, puisque l'un des dirigeants du groupe anglophone trouve, sans nécessairement approuver cette attitude, que c'est quand même une attitude qui est discutable et qui peut être considérée, je pense bien qu'il n'y a pas d'objection à ce qu'on puisse le proposer dans un mémoire.

Maintenant, qu'on fasse l'inverse. Qu'aucun enfant ne puisse fréquenter une institution de langue anglaise s'il n'est pas de langue anglaise. Remarquez que c'est un autre...

M. CARDINAL: ... ce qui était proposé par un autre groupe. C'est que vous arrivez, par cette interdiction au niveau de l'administration scolaire, à interdire aux parents de langue française d'envoyer leurs enfants dans des écoles de langue anglaise.

M. GROULX: C'est ce que nous proposons, nous aussi, d'ailleurs.

M. CARDINAL: C'est clair comme ça. M. GROULX: Ah! c'est très clair.

M. LESAGE: Qu'est-ce qui arrive, M. Groulx, par exemple, dans des cas d'exception comme celui des consuls des pays Scandinaves à Montréal qui voudraient envoyer leurs enfants à l'école anglaise?

M. GROULX: Je vous répondrai tout simplement, M. Lesage, que notre projet n'est pas fait pour les cas d'exception du genre.

M. LESAGE: Non, mais alors, qu'est-ce que

vous en faites si vous avez une prohibition qui est absolue?

M. GROULX: Dans ce cas-là, nous aurons la même situation que tous les pays du monde. Ecoutez, je pense bien qu'au Caire, on trouve le moyen...

M. LESAGE: Mais il n'y a pas de système d'enseignement public dans deux langues. Tandis que s'il y a des systèmes d'enseignement public dans les deux langues, comment pouvez-vous refuser le choix aux fils ou aux filles des consuls?

M. CARDINAL: M. le chef de l'Opposition, justement pour compléter votre question, voici ce que veut dire M. Groulx. Je pense que la question de M. Lesage est dans le même sens. Si on prend un mémoire qui nous dit que c'est un système unilingue français ou un système unilingue anglais, il y a une logique dans ces systèmes-là qui fait que telles conclusions en découlent.

M. LESAGE: C'est ça.

M. CARDINAL: Mais à partir du moment où on parle d'un système comme celui que vous préconisez, qui est un système hybride, disons, si vous me le permettez, sans aucune ironie, que si vous amenez une interdiction semblable, ce n'est pas tout à fait la même chose. C'est pourquoi je me demande — et je me posais tantôt précisément la question en tentant d'être clair —. Si dans le système que vous préconisez, cette interdiction est absolue et s'applique en particulier aux enfants des francophones.

M. GROULX: Disons que l'interdiction, c'est pour tous ceux qui ne sont pas de langue maternelle anglaise ou qui ne sont pas des britanniques de langue anglaise. Maintenant quant aux consuls, remarquez que là, c'est une question d'arrangement diplomatique. A mon avis, ce n'est pas le fond du problème. Ce n'est pas ça qui va régler le cas scolaire.

M. LESAGE: Votre interdiction est tellement absolue qu'elle peut nous amener à des choses assez cocasses.

M. GROULX: Je crois que ce sont des cas marginaux qui ne dérangent en rien le système. Maintenant quant au système hybride, il est évident que nous sommes aussi dans une situation hybride. Je vous l'ai dit. Pourquoi proposons- nous ce régime d'exception? C'est à cause du contexte canadien.

M. CARDINAL: Les voyages forment la jeunesse, comme dirait l'Opposition. Il est assez singulier de constater que le lycée français de Londres est un lycée français bilingue où l'enseignement se donne en anglais et en français tandis que le lycée américain de Paris est un lycée anglais où l'enseignement se donne en anglais. Ce sont des cas marginaux, d'accord.

M. GROULX: Ce sont des cas marginaux. Je ne parle pas...

M. CARDINAL: Ce sont des institutions privées qui ne sont pas financées... Mais disons que je dis ceci pas tellement à l'occasion de votre mémoire, mais à l'occasion de ceux qui ont été présentés aujourd'hui.

Lorsqu'on nous cite le Mexique ou autre, etc., il y aurait tellement de nuances à apporter dans ces exemples-là, mais si nous parlons d'opposition simple, je ne connais pas d'exemple qui, en quelque endroit, puisse correspondre à ceci, que ce soit dans les autres provinces du Canada ou dans certains des Etats-Unis d'Amérique. Ce n'est pas que je veuille juger la proposition, c'est que je me demande comment elle se place dans le contexte du mémoire de la Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste.

M. GROULX: C'est-à-dire qu'en Belgique, vous avez la même situation, mais en sens inverse. Ce sont les enfants des parents flamands, par exemple, qui ne peuvent pas fréquenter une école francophone.

M. CARDINAL: C'est présenté sous forme d'obligation?

M. GROULX: A cause de la territorialité, ou en dehors de Bruxelles, à Bruxelles, à cause de l'origine.

M. LE PRESIDENT: M. Wagner.

M. WAGNER: Sur la même question posée par M. Cardinal et par M. Lesage, si vous voulez est-ce que, sur le plan strictement humain et intellectuel, vous ne reconnaissez pas des avantages réels à quelqu'un qui aurait eu une solide formation en français au niveau primaire et secondaire, et qui suivrait des cours dans une université de langue anglaise? Est-ce que vous ne croyez pas qu'il y ait des avan-

tages à obtenir et que cela ne diminue en rien la personne qui suit les cours? Bien au contraire, cela peut ouvrir des horizons et le rendre un meilleur citoyen.

M. GROULX: Nous le disons exactement dans notre mémoire. La maîtrise d'une deuxième langue est un enrichissement, pourvu que ce ne soit pas une obligation pour gagner sa vie. C'est un asservissement, lorsque cela devient une obligation pour gagner sa vie.

M. WAGNER: Mais, c'est sur votre recommandation numéro quatre. S'il est interdit, d'une façon générale, à un étudiant d'entrer dans les universités de langue anglaise, à ce moment-là, comment en arrivera-t-il à obtenir ces avantages?

M. GROULX: Je tiens à dire que cela ne fait pas partie de notre mémoire, ce que vous posez, parce que nous parlons des commissions scolaires et du bill 85, qui ne touche pas à d'autres institutions que les institutions publiques, c'est-à-dire qui dépendent des commissions scolaires.

M. WAGNER: Ah bon! Quand vous dites qu'il soit interdit à toute institution publique de langue anglaise, il faudrait exclure les universités. C'est cela?

M. GROULX: C'est-à-dire que c'est en marge du bill 85, donc, dans le système public qui est concerné par le projet de loi dont nous discutons. D'ailleurs, c'est pour cela qu'au numéro cinq, par exemple, nous disons que les commissions scolaires soient privées des subventions, nous ne parlons pas des universités.

M. BOUSQUET: Mais, dans le cas des universités, vous n'avez pas d'opinion précise?

M. GROULX: Voici. Je peux répondre ce que j'ai dit tout à l'heure à M. Wagner, mais avec, par exemple, la nuance suivante. Il est évident que tant et aussi longtemps que nous aurons deux universités et demie ou et trois quarts de langue anglaise à Montréal, contre une université de langue française, la situation est absolument inadmissible.

M. CARDINAL: Pour revenir à nouveau aux commissions scolaires et essayer de comprendre et de voir jusqu'où nous pouvons aller, supposons que vous ayez une école, parce que vous avez un système unifié des commissions scolaires, une administration scolaire dans votre sys- tème qui soit de langue anglaise, et que des parents français veuillent y envoyer leurs enfants en payant des frais de scolarité, vu que ceci ne serait pas subventionné par l'Etat, est-ce que la prohibition sera telle que ceci aussi sera défendu?

M. GROULX: D'abord, premièrement, au paragraphe sept, nous nous opposons à ce que les écoles anglaises soient dans un secteur distinct. Deuxièmement, si les parents y envoient leurs enfants, ils devront payer et la commission scolaire n'aura pas droit aux subventions pour ces enfants-là.

M. CARDINAL: A ce moment-là, l'enfant pourra y aller, en payant?

M. GROULX: En payant.

M. CARDINAL: Vous donnerez la réponse au consul.

M. GROULX: Bien écoutez, nous avons dit également, au paragraphe six, qu'aucune institution privée ne puisse bénéficier des subventions. Evidemment, nous ne lui défendons pas d'exister, puisque nous en parlons.

M. LE PRESIDENT: Deux questions sur vos première et septième recommandations, que tous les enfants de tout immigrant... En 1967, il est entré au Québec 45,717 immigrants et sur ces 45,000, 10,000 à peu près étaient d'origine britannique ou de possessions, de colonies britanniques, s'il en reste encore. Alors, ces gens-là, est-ce que vous les obligeriez à aller à l'école française?

M. GROULX: Oui, je dois vous dire que l'attitude de la majorité des membres de la société Saint-Jean-Baptiste, lors des débats à ce sujet-là, a été très nette. Cest qu'à partir de l'adoption de la loi, les nouveaux venus au Québec devront aller à l'école française.

M. LE PRESIDENT: Et la dernière recommandation: que les écoles anglaises ne jouissent pas d'un secteur distinct. Cela veut dire qu'à Montréal, vous suggérez qu'il n'y ait qu'une commission scolaire?

M. GROULX: Non, pas nécessairement. Cela veut dire que nous nous opposons à la division du système scolaire suivant la langue, parce que ce serait déplorable.

M. PROULX: Il faudrait en venir à la confes-sionnalité.

M. GROULX: Pas nécessairement. M. PROULX: Alors, quoi?

M. GROULX: A un système français, comme en Ontario. Vous avez un exemple très clair en Ontario. Vous avez les écoles publiques — c'est le secteur principal — et les écoles confessionnelles qui sont séparées. Ni l'un, ni l'autre n'est un secteur français ou anglais comme tel. Les écoles publiques, jusqu'à récemment, étaient uniquement anglaises. Maintenant, il y a des écoles bilingues, remarquez bien, pas des écoles françaises. Il ne faut pas se faire d'illusions.

Il y a des écoles bilingues dans le secteur public, comme il y en a dans le secteur séparé. Mais, ni l'un, ni l'autre n'est un secteur français ou un secteur anglais. C'est un secteur anglais, purement et simplement, à toutes fins pratiques.

Je veux dire qu'il y a des écoles dans ces secteurs qui sont bilingues.

M. PROULX: C'est donc dire que, dans ma ville, par exemple, la ville de Saint-Jean, où nous avons une commission scolaire catholique et une autre protestante, il n'y en aurait plus qu'une: la commission scolaire de Saint-Jean, qui s'occuperait de l'enseignement.

M. GROULX: Je n'ai pas d'objection à ce qu'il y ait deux commissions scolaires, mais ce sera en tant que protestante qu'elle sera distincte.

M. PROULX: Alors, quel est le sens de votre septième recommandation? Voulez-vous me l'expliquer?

M. GROULX: Cela veut dire simplement qu'il n'y aura pas de division des secteurs de l'enseignement suivant la langue.

M. PROULX: Cela serait divisé...

M. GROULX: Selon la confessionnalité ou autrement.

M. PROULX: Alors, confessionnalité.

M. GROULX: Nous ne nous prononçons pas là-dessus ici. Nous nous opposons simplement à la division suivant la langue. En d'autres termes, si vous me permettez une remarque là-dessus, c'est que, depuis sept ou huit ans, on a fait beaucoup état des conséquences du système confessionnel sur l'anglicisation des Québécois ou des Néo-Québécois. Or, nous constatons par les chiffres que les trois quarts des Néo-Québé- cois vont en réalité dans les écoles catholiques. Ils s'anglicisent dans nos écoles catholiques. Ce n'est donc pas le système confessionnel qui les anglicise. Marginalement, oui.

J'entendais Jean-Marc Léger, à la radio, qui disait: Environ 2%. C'est possible, remarquez. Ce serait déplorable, cependant, s'il fallait que nous ayons une division suivant la langue. Nous n'aurions aucun moyen de contrôle.

M. PROULX: Si vous ne voulez pas de secteurs distincts, il y aura, à Montréal, une commission scolaire de Montréal qui s'occupera de l'enseignement, avec un service pour les anglophones et un service pour les francophones.

M. GROULX: Il n'y aura même pas de service pour les anglophones.

M. PROULX: La commission scolaire de Montréal...

M. GROULX: En d'autres termes...

M. PROULX: Ce n'est pas clair dans mon esprit.

M. GROULX: ... à la Commission des écoles catholiques de Montréal, vous avez actuellement une seule commission scolaire qui a des écoles anglaises. En disant des écoles anglaises, il ne faudrait pas que ce soit seulement des écoles unilingues anglaises comme on en a actuellement. Ce système serait étendu à toutes les commissions scolaires quel que soit leur statut. Maintenant, notre propos n'est pas de discuter ici de la division scolaire, sauf pour dire que nous ne voulons pas, en raison du projet de loi, que les écoles anglaises forment un secteur distinct. Ce serait comme en Ontario.

M. BOUSQUET: Justement, pour résumer votre mémoire, pourrait-on dire que vous accepteriez, comme modèle, le système ontarien inversé?

M. GROULX: Pas nécessairement comme modèle, comme exemple.

M. BOUSQUET: Bien, mutatis mutandis, vous accepteriez le système ontarien inversé.

M. GROULX: C'est toujours ce que nous disons. Nous disons qu'il devrait y avoir des écoles bilingues comme les écoles pour les Canadiens français de l'Ontario, mais en sens inverse. D'ailleurs, je ne sache pas une seule province au Canada qui ait un secteur français dis-

tinct, même quand elle accorde quelques droits ou enfin quelques classes françaises.

M. BOUSQUET: Deuxièmement, est-ce que vous ne pensez pas que le nombre de nouveaux immigrants résidant au Québec diminuerait considérablement dans une situation comme celle-là, étant donné que, dans votre mémoire, vous dites que les immigrants considèrent, lorsqu'ils viennent au Québec, qu'ils viennent en somme en Amérique du Nord, et voient le Québec comme une porte de l'Amérique duNord? Est-ce que le nombre d'immigrants venant au Québec ne diminuerait pas considérablement? Je pose cette question objectivement.

M. GROULX: Il n'y a aucune crainte à ce sujet-là pour la raison suivante: les immigrants viendront s'il y a de la place pour eux et s'il y a du travail pour eux. S'il n'y a pas de travail pour eux, même si nous conservons un régime bilingue, les immigrants seront un fardeau pour nous. Je vais vous donner un exemple à ce sujet-là. En Belgique, les immigrants vont en Flandre. La Belgique est un pays qui attire des immigrants qui vont en Flandre. Ils vont donc parler flamand, parce que c'est l'unilinguisme flamand. Pourtant le flamand n'est pas, je pense, la langue la plus attrayante actuellement pour quelqu'un qui vient soit de l'Italie, soit de l'Espagne.

M. BOUSQUET: En somme, le facteur serait la prospérité économique?

M. GROULX: Evidemment.

M. BOUSQUET: C'est cela, le facteur. L'immigrant venant au Canada pourrait penser qu'en se dirigeant vers Toronto il apprendra l'anglais plus rapidement et ainsi il pourra plus rapidement gagner sa vie en Amérique du Nord.

M. GROULX: J'irais même plus loin. Nous ne nous appauvrirons pas en acceptant des immigrants qui plus tard iront enrichir les autres parce que nous en ferons des Québécois.

M. LESAGE: M. Groulx, il y aune des résolutions, je crois, qui avait été adoptée lors d'un de vos congrès annuels — c'est à la page 35 du document que vous avez lu — et elle porte le no 129.

M. GROULX: C'est-à-dire que c'est dans notre mémoire adressé à la commission Parent.

M. LESAGE: Oui, no 129.

M. GROULX: C'est un texte de notre mémoire à la commission Parent.

M. LESAGE: Si vous me permettez, peut-être que devant la commission Parent on vous a demandé des explications, mais comme je n'y étais pas évidemment, vous me permettrez sans doute de vous demander...

M. GROULX: Cest qu'il ne s'agit pas de résolutions de congrès annuels. C'est simplement cette précision...

M. LESAGE: Très bien, oui...de m'expliquer ce que veut dire exactement la deuxième phrase: « Si dans les autres provinces on peut de par le régime scolaire obliger l'étudiant à apprendre l'anglais sans profit culturel, pourquoi dans la province de Québec hésiterions-nous à faire profiter tous les habitants des avantages de la culture française »?

J'admets fort bien la deuxième partie de votre phrase. Vous connaissez mes opinions, vous savez que je crois que tout le monde au Québec devrait avoir une connaissance du français, bénéficier de la culture française, mais vous semblez mettre en doute que le fait d'apprendre l'anglais vous soit une ouverture sur une autre culture. ..

M. GROULX: D'abord, premièrement...

M. LESAGE: ... ce que je ne saurais accepter, parce que lorsque j'ai appris l'anglais j'ai appris la littérature anglaise et j'ai eu l'impression que je me cultivais.

M. GROULX: Premièrement, M. Lesage, je dois d'abord préciser qu'il s'agit d'une référence que nous apportons ici simplement pour démontrer que nos prises de position sont constantes.

M. LESAGE; Oui, mais...

M. GROULX: D'abord ce n'est pas une des conclusions de notre mémoire.

M. LESAGE: Non, je comprends bien. Disons que c'est obscur et que je vous demande de m'éclairer.

M. GROULX: Peut-être. Si vous me permettez, pour cette deuxième partie de la phrase, je pense bien que tout ce qu'on voulait dire à l'époque, c'est ceci: c'est que dans les autres provinces du Canada, les Canadiens français doivent apprendre l'anglais non pas d'abord par profit

culturel mais par nécessité, comme malheureusement ici aussi au Québec nous devons le faire encore.

M. LESAGE: Je vous nommerais des gens qui sont de vos amis, qui sont de mes amis d'Edmonton et de Winnipeg, qui ne seraient absolument pas d'accord avec ce que vous venez d'affirmer.

M. GROULX: Avec ce que je viens de dire ou avec ce qui est écrit ici?

M. LESAGE: Avec les deux. Avec ce que vous venez de dire à l'effet qu'on apprend l'anglais simplement parce que c'est utilitaire de le faire.

M. GROULX: Je n'ai pas dit simplement mais d'abord. D'abord, parce que c'est nécessaire.

M. LESAGE: Oui.

M. GROULX: Parce qu'ils vivent dans un milieu anglais. Il ne faut tout de même pas rêver.

M. LESAGE: Je pense à certains juges...

M. GROULX: C'est ce qu'on m'a dit au cours de l'été dernier.

M. LESAGE: ... des hommes éminents de Saint-Boniface, de Winnipeg, d'Edmonton qui s'inscriraient en faux contre cette affirmation...

M. GROULX: Bien, je serais prêt à discuter avec eux du problème, remarquez.

M. LESAGE: ... et pourtant des grands défenseurs de la langue française.

M. LE PRESIDENT: M. Groulx, je vous remercie beaucoup de votre mémoire, un très bon mémoire.

Y a-t-il d'autres personnes dans la salle qui veulent témoigner? A part M. Gagné, y a-t-il d'autres personnes ou d'autres groupes qui veulent témoigner? C'est fini.

Alors la séance, le comité...

M. LESAGE: Un instant, tous les autres qui avaient été convoqués pour aujourd'hui, M. le Président?

M. LE PRESIDENT: Le comité ajourne sa séance au 20 février, à dix heures.

(Fin de la séance: 17 heures)

ANNEXE A

COMITE POUR L'UNILINGUISME AU QUEBEC

1258, avenue Ducharme Montréal (8)

DECLARATION « Nous, soussignés, demandons au gouvernement du Québec la reconnaissance immédiate du français comme unique langue officielle et légale au Québec. » « Nous affirmons, sur la foi des autorités reconnues, linguistes et sociologues, que cette mesure est la seule capable de mettre un frein à l'assimilation constante et à la mise en minorité graduelle de la population francophone; qu'elle seule peut assurer la constitution d'une norme linguistique véritable, nécessaire à la vie de toute langue; qu'elle seule peut rendre à la population la fierté de parler français; qu'elle seule peut engendrer, dans la masse parlante, les motivations économiques et psychologiques qui lui permettront de reprendre le chemin perdu; qu'elle seule peut faire du Québec une collectivité linguistique normale, semblable à celles de neuf autres provinces au Canada. » « Nous affirmons que tout délai dans l'application de cette mesure constitue une atteinte grave aux droits linguistiques élémentaires de la population francophone et qu'il peut compromettre définitivement l'existence du fait français en Amérique ». « Nous affirmons que la situation culturelle du Québec est plus critique qu'elle ne l'a jamais été par le passé; que, à notre époque d'intense développement industriel et d'intense développement des moyens de communication, les conditions qui, pendant deux siècles, ont permis la survie de la langue française au Québec sont entièrement dépassées et inopérantes; qu'un seul choix est désormais possible: la vie du français ou sa disparition. Il ne peut être question, en aucune façon, de préserver intégralement les privilèges de l'anglais qui, par l'oppression objective qu'ils exercent, ont rendu et rendent chaque jour plus incertain l'avenir de la vie française au Québec . » « Nous affirmons que l'instauration de l'unilinguisme est la seule mesure digne d'un gouvernement qui prétend représenter les droits de la population francophone du Québec, et que tout atermoiement est un acte coupable dont les conséquences seront incalculables. »

J'ai pris connaissance de la déclaration ci-haut et lui donne mon entière approbation.

Signature .........................

Adresse ........................

Téléphone .„.....................

Profession ......................

ANNEXE B

LA FEDERATION DES SOCIETES SAINT-JEAN-BAPTISTE DU QUEBEC

Mémoire au Comité de l'éducation de l'Assemblée Nationale

LE BILL 85

compromet l'avenir du français au Québec et l'avenir du Québec français 4 février 1969

Mémoire au Comité de l'éducation

LE BILL 85 ET LA LANGUE FRANÇAISE AU QUEBEC AVANT-PROPOS

Monsieur le président,

Messieurs les membres du Comité de l'éducation,

La Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec, incorporée en 1948, groupe dix-huit Sociétés diocésaines ou régionales dont l'ensemble des cotisants se chiffre à 225,000. C'est un mouvement nationaliste qui se décrit comme la SOCIETE NATIONALE des Canadiens français du Québec.

Son but est d'unir les Québécois de langue et de culture françaises dans les rangs d'un vaste mouvement afin de travailler à défendre et à promouvoir leurs intérêts nationaux. La Fédération travaille sans relâche à assurer le complet épanouissement de la nation dans tous les domaines: social, économique, culturel et politique. Me Daniel Johnson, en mai 1967, qualifiait la Fédération de « porte-parole valable de la Nation canadienne-française ».

La Fédération croit que l'Etat du Québec est et doit être, dans le plein sens du mot, l'expression politique des Canadiens français. Aussi, sans jamais s'engager dans des luttes électorales, elle n'en a pas moins recours à l'action politique pour réclamer des gouvernants québécois une politique pro-canadienne-française qui favorise le développement harmonieux de la nation, sa libération économique, la protection et la diffusion de sa culture française.

En étroite collaboration avec les dix-huit Sociétés Saint-Jean-Baptiste diocésaines ou régionales qu'elle regroupe en un mouvement de plus en plus unifié — l'ensemble recouvre presque tout le territoire québécois — la Fédération entreprend et dirige des campagnes d'opinion publique afin: a) de renseigner ses 225,000 cotisants et la population tout entière des données très complexes du problème national canadien-français et québécois; b) de diffuser les principes — dans les domaines politiques, sociaux et économiques — qu'elle juge essentiels pour assurer le complet épanouissement de la nation; c) de susciter une action collective — positive et efficace — au service du bien commun.

OBJET DE CE MEMOIRE:

L'objet de notre mémoire est de présenter le point de vue de l'ensemble des Sociétés Saint-Jean-Baptiste affiliées à la Fédération concernant le problème de la langue d'enseignement au Québec, problème soulevé par la présentation à l'Assemblée nationale du Bill 85.

Nos recommandations expriment des attitudes prises par les dirigeants et les membres du mouvement soit dans les congrès officiels, dans des journées d'étude, soit lors de consultation organisée par la Fédération auprès de chacune des Sociétés.

Lorsque, dans ce document, nous traitons du statut de la langue et de l'intégration des immigrants, nous le faisons en regard de la langue d'enseignement à l'école publique et du projet de loi soumis au Comité de l'éducation.

Il nous apparaît indispensable pour comprendre la situation que veut corriger le Bill 85 d'analyser sommairement la marche des événements et de considérer les faits avant d'exprimer notre opinion sur les principes qu'il contient et de formuler nos recommandations au Comité de l'éducation.

COMMISSION D'ENQUETE

Quant aux autres aspects et à l'ensemble de la question linguistique, la Fédération se propose d'en traiter devant la Commission d'enquête sur le statut de la langue française au Québec. Elle y présentera un mémoire plus élaboré et plus vaste dans son objet.

Notre mouvement se réjouit de ce que le Gouvernement ait créé cette commission d'enquête dont les travaux devraient permettre une étude lucide et objective de la situation actuelle et des possibilités d'avenir du français au Québec. à MARCHE DES EVENEMENTS

1- ABSENCE D'UNE POLITIQUE QUEBECOISE D'IMMIGRATION:

Il faut d'abord noter que le Québec a toujours souffert d'une absence de politique d'immigration qui lui aurait permis d'exercer ses pouvoirs constitutionnels en ce domaine de la plus grande importance pour le développement harmonieux d'une société qui a le souci d'orienter sa vie collective, sociale et politique et de suppléer à ses déficiences dans les domaines économiques.

Or, l'absence chronique de politique québécoise d'immigration a laissé le champ libre au gouvernement d'Ottawa qui a réglementé ce secteur à sa guise assumant la réalisation exclusive des programmes dont il était l'instigateur. Les normes établies en fonction des besoins de la fédération canadienne ne correspondaient pas nécessairement aux besoins en main-d'oeuvre de la population québécoise et elles ne tenaient pas compte non plus de la situation démographique et sociologique propre au Québec.

Monsieur Daniel Johnson, s'adressant le 31 mars 1968 à la colonie du Moyen-Orient (Montréal) déclarait: « L'arrivée — je dirais presque massive — d'immigrants au Québec a suscité, comme vous le savez, un certain nombre de problèmes au cours des deux dernières décennies. Je dois admettre que le Québec n'était pas tout à fait prêt pour accueillir convenablement tant de nouveaux citoyens. Mais je vous avouerai que, sur le plan administratif, de sérieuses lacunes sont à l'origine de situations dont nous avons tous souffert; vous, en traversant des périodes d'insécurité qui ont dû, par moment, être assez pénibles; nous, en risquant de perdre à jamais la confiance que vous aviez en nous en venant vous établir ici. Ainsi, à l'avenir, il favorisera la venue au Québec d'immigrants dont la formation ou l'expérience est de nature à combler ses besoins. Dans certains secteurs, il y a pénurie d'hommes compétents; dans d'autres, le marché du travail est sursaturé. Nous procéderons à une enquête auprès des employeurs pour connaître leurs besoins afin de les aider à les satisfaire... De toute façon, nous ne voulons pas que se prolonge au Québec, en ce qui a trait à l'immigration, une situation qui a trop longtemps duré et qui a été nettement préjudiciable au milieu québécois tout entier... »

La création, il y a quelques années, d'une direction générale de l'immigration, transformée récemment en Ministère de l'immigration, contribuera certainement à corriger les déficiences de la situation antérieure à condition que les autorités québécoises agissent avec déligence et assument efficacement leurs responsabilités depuis la sélection des candidats jusqu'à leur intégration au milieu québécois. Aucune phase de cette importante procédure ne doit échapper au nouveau ministère car l'expérience du passé témoigne éloquemment des conséquences graves qui peuvent résulter de la négligence et de l'absence en ce domaine. (1)

Le cas type du conflit scolaire de Saint-Léonard de Port Maurice, en banlieue de Montréal, n'est pas autre chose que la résultante directe de cette absence de politique clairvoyante en matière d'immigration.

2- ABSENCE D'UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE GLOBALE:

L'un des aspects fondamentaux de la situation actuelle du Québec réside dans l'absence de politique linguistique globale.

Depuis nombre d'années les mouvements patriotiques et culturels, avec l'appui fréquent des mouvements ouvriers et sociaux, demandent au Gouvernement de l'Etat du Québec de promulguer une politique qui fasse du français la langue prioritaire, ou la langue nationale ou la langue d'usage ou la seule langue officielle de l'Etat, selon les différentes opinions émises en ces derniers temps. L'ampleur du mouvement en faveur d'une politique linguistique était tel que tous les partis politiques québécois ont inscrit à leur programme électoral de 1966 une mention à ce sujet.

a) programme de l'Union Nationale (page Il)

« DONNER AU FRANÇAIS LE STATUT D'UNE LANGUE NATIONALE: L'Union Nationale reconnaît l'existence des deux langues officielles.

Toutefois, au Québec, il s'agit de mettre en valeur un héritage culturel dans des conditions particulièrement difficiles.

Il faut donc conférer au français, langue de la majorité de la population, le rang et le prestige d'une véritable langue nationale ».

Pour bien comprendre la véritable portée de cette citation, il faut tenir compte de l'ensemble du chapitre du programme de l'Union Nationale, intitulé: « LA NATION ET L'ETAT », où il est écrit aux pages 8 et 9: « L'évolution du droit international, telle que consignée dans la charte des Nations-Unies, reconnaît d'ailleurs à chaque nation, petite ou grande, un titre inaliénable à l'auto-détermination, c'est-à-dire à la maîtrise de son propre destin... Ce qui implique qu'elle possède ou qu'elle se donne les instruments nécessaires à son épanouissement, soit:

Un Etat national qu'elle puisse mettre d'abord à son service comme principe organisateur de sa vie collective.

(1) On consultera avec profit l'ouvrage de M. Rosaire Morin, édité par l'Action Nationale: L'IMMIGRATION AU CANADA. Il démontre comment le jeu de l'immigration a perturbé la vie collective du Québec en accentuant les « différences » entre le milieu mixte montréalais — où 82,6% des immigrants s'établissent — par rapport à la population canadienne-française du Québec. Dans le Montréal métropolitain, 9 étudiants néo-québécois sur 10 choisissent l'école anglaise. « Dans les îles de Montréal et de Jésus, les Britanniques ont réalisé 81,2% de leur assimilation au Québec. »

Un territoire national qui soit son principal foyer et qu'elle puisse aménager en fonction de ses besoins propres.

Une langue nationale qui ait la primauté sur toutes les autres comme langue de la majorité.

b) programme du Parti libéral Québécois (page 13) « LE QUEBEC FRANÇAIS:

Pour conserver au Québec son caractère français, des mesures seront prises qui garantiront la vitalité de la langue en même temps qu'elles permettront à la majorité de la population de vivre en français où que ce soit sur le territoire québécois.

Des mesures seront prises qui assureront au Québec un visage français et à la langue française la place prioritaire qui lui revient dans l'administration et les services publics, dans les relations industrielles, le commerce et, de façon générale, dans tous les secteurs de l'activité humaine.

Donc, sans porter atteinte aux droits indéniables de la minorité anglophone, LA LANGUE FRANÇAISE DEVIENDRA AU QUEBEC LA PRINCIPALE LANGUE DE TRAVAIL ET DE COMMUNICATION. »

Il faut considérer l'ensemble des propositions faites par les leaders du parti, notamment de l'important discours (1) de M. Jean Lesage au début de la lutte électorale de 1966, définissant la politique linguistique des libéraux. « Nous sommes entrés dans une nouvelle période, celle de l'affirmation nationale. Nous avons d'abord réussi à exister, ensuite à grandir. Nous devons maintenant nous épanouir comme peuple. C'est là notre intérêt et notre devoir... Une des façons d'atteindre cet objectif est d'asurer au français la place qui lui revient au Québec... Sur le plan culturel, sur celui de notre personnalité propre, nous devons prendre les moyens pour que la langue française, la langue de la majorité, devienne la principale langue de travail et de communication... Cela est normal. Si nous voulons vivre dignement, cela est nécessaire. Si nous voulons vivre pleinement, cela est essentiel.

Expliquant la politique linguistique, le parti libéral se propose « d'agir sur la qualité de notre français, sur son utilisation et sur le visage français du Québec. » Dans la conclusion de son exposé, M. Jean Lesage affirme: « Nous construisons un Québec fier de sa culture et de sa langue, sûr de lui, confiant dans son avenir. « Nous construisons un Québec plus humain, plus prospère, et plus efficace. » « Comme je l'ai dit, en faisant du français la langue prioritaire, la principale langue de travail et de communication au Québec, nous rendons cet objectif plus facilement réalisable. »

c) programmes du R.N. et du R.à.N.:

Les membres du Comité de l'éducation savent sans doute que les programmes du Ralliement national et du Rassemblement pour l'Indépendance nationale, qui ont participé à la lutte électorale de 1966, proposaient que la langue française soit la seule langue officielle de l'Etat du Québec.

(1) Mai 1966 — Saint-Georges-de-Beauce

d) aucune loi n'a consolidé la position du français:

Malgré les intentions formulées dans les discours officiels et les programmes électoraux, malgré quelques réalisations parcellaires — notamment la création d'un Ministère des Affaires culturelles, d'un Office de la langue française et d'une loi réglementant l'étiquetage des produits alimentaires — il n'y a pas eu et il n'y a pas encore de législation proposée à l'Assemblée nationale pour clarifier et améliorer le statut du français au Québec, pour consolider la position de la langue française et lui servir de point d'appui dans l'élaboration de la société québécoise du présent et de l'avenir.

Depuis l'adoption d'une loi britannique — l'Acte de l'Amérique du nord britannique — en 1867 par le Parlement impérial de Westminster, la situation juridique de la langue française n'a jamais été précisée ni modifiée par une loi québécoise.

Le conflit de Saint-Léonard est aussi la résultante directe de cette absence de politique linguistique qui fasse du français la langue d'usage, la langue nationale et la langue officielle de l'Etat du Québec.

3- SUITE A DIVERSES ETUDES:

Si les partis politiques québécois ont introduit une mention concernant le statut de la langue française dans leur programme respectif, c'est à la suite de nombreuses études faites par les commissions d'enquête gouvernementales, les corps intermédiaires et les associations politiques.

Depuis fort longtemps, les sociétés nationales s'intéressent à l'avenir de la langue française au Québec. Depuis fort longtemps elles réclament une action énergique de l'Etat québécois pour assurer la survie de ce bien national. Elles ont présenté à ce sujet des mémoires à la commission d'enquête sur les problèmes constitutionnels qui a produit le rapport Tremblay ainsi qu'à la commission d'enquête sur les problèmes de l'enseignement qui a produit le rapport Parent.

Elles ont organisé des sessions d'étude, mené des enquêtes dans différents secteurs et, en même temps qu'elles réclamaient l'action de l'Etat, elles ont conduit plus d'une campagne pour l'amélioration de la langue parlée et la refrancisation du Québec, notamment dans les secteurs de l'affichage, des noms des institutions financières et commerciales et de la toponymie.

Elles ont vite constaté que l'action individuelle ou de groupe ne peut donner de résultats tant soit peu valables, si l'Etat n'assume pas sa responsabilité particulière à l'égard de la langue, ne définit pas clairement et courageusement sa politique linguistique et, finalement, n'y met pas le poids d'une législation appropriée.

C'est aussi la constatation des membres de la commission d'enquête sur l'enseignement au Québec, au chapitre de la langue maternelle: « D'énormes forces économiques, scolaires, politiques et linguistiques font pression, depuis près de deux cents ans, sur le groupe canadien-français et sa langue... (1) Le Gouvernement du Québec tout entier doit, tout en veillant à ne pas isoler le Québec en un ghetto, adopter des mesures très fermes pour protéger le français non seulement dans les écoles et universités, mais dans toute la vie publique. C'est particulièrement urgent à Montréal... L'administration provinciale et les services publics, la vie industrielle et commerciale, l'affichage doivent témoigner de ce respect de la langue de la majorité; il y a là une question de justice et d'honneur. » (2)

(1) Volume 3, page 39: « Le français, langue majoritaire au Québec »

(2) Volume 3, page 44: « Motivation socio-économique »

Puis les commissaires affirment: « Aucun écolier ne prendra le français au sérieux à l'école si, à Montréal particulièrement, les ouvriers, administrateurs et hommes d'affaires sont obligés de parler anglais dans leur travail quotidien ou pour obtenir une promotion. » (1)

Ces réflexions confirment ce que déjà, en 1954, affirmait le rapport Tremblay. (2) « Or, la langue maternelle et les traditions nationales ne peuvent être transmises d'une génération à l'autre avec leur pleine valeur culturelle intrinsèque et avec leur pleine efficacité comme régénératrices de la culture que si, dans le milieu où elles se pratiquent, elles sont de nécessité courante. »

En dépit de ces constatations qui datent de plusieurs années, on sait que la situation n'a guère changé et que l'ensemble des milieux socio-économiques de la région de Montréal particulièrement - qui comprend plus de 50% de la population du Québec - et d'autres villes importantes continue d'afficher plus ou moins ouvertement son mépris pour la langue et la culture de la vaste majorité des citoyens. Les analyses d'un prochain chapitre du rapport d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (3) démontrent de façon non équivoque que les résultats de cette attitude constante et intransigeante signifient pour les Québécois de langue française une discrimination au chapitre des salaires et revenus, dans tous les secteurs de la vie économique, tant pour les ouvriers que pour les professionnels, une relative impossibilité d'accéder aux postes de commande et de parvenir au plus haut niveau de l'administration des entreprises.

En 1968, la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec, en étroite collaboration avec la SSJB de Montréal et les Sociétés affiliées, intervenait de nouveau auprès des autorités québécoises et présentait au Premier Ministre d'alors un mémoire sur le statut de la langue française. Son intervention faisait suite aux nombreuses résolutions adoptées dans les congrès nationaux ou régionaux et expédiées chaque année aux différents ministères du Gouvernement québécois qui doivent exercer une action directe et prestigieuse pour améliorer la situation de la langue française au Québec. Ce mémoire reprenait et résumait l'ensemble des recommandations faites jusqu'à ce jour par notre mouvement et suggérait une action concrète, immédiate et efficace.

Mais l'on constate aujourd'hui que, avant de définir une politique linguistique globale qui consacrerait le statut du français au Québec et lui assurerait le prestige qui lui est normalement dû en sa qualité de langue nationale, le Gouvernement a déposé un projet de loi pour accorder un droit nouveau aux citoyens québécois: celui de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants. A ce sujet, nous présentons nos opinions et nos recommandations dans une troisième section de ce mémoire.

4- LE CAS DE SAINT-LEONARD:

La réaction gouvernementale a été provoquée par la situation scolaire de Saint-Léonard de Port-Maurice, en banlieue de Montréal. Mais qu'en est-il au juste de cette situation? Devant la constatation de l'échec du système bilingue d'enseignement en vigueur dans cette municipalité scolaire, les commissaires ont décidé à l'unanimité, le 20 novembre 1967, de reconvertir graduellement les classes dites bilingues en classes françaises à l'intérieur desquelles on diffuserait cependant un enseignement de la langue anglaise dès la première année. Les commissaires ont confié à un comité le soin d'étudier l'applica-

(1) Volume 3, page 44: « Motivation socio-économique »

(2) Rapport de la commission d'enquête sur les problèmes constitutionnels, volume II, page 17: « La province de Québec et le cas canadien-français. »

(3) Analyses publiées dans LA PRESSE, en octobre 1968 sous la signature de Mlle Ly-siane Gagnon.

tion de cette résolution qui affectait une population dont 53,1% était d'origine canadienne-française, 27,6% d'origine italienne et 19,3% d'autres origines (Polonais, Ukrainiens etc.) y compris une minorité de moins de à% d'origine britannique.

Certains leaders du milieu, insatisfaits de la décision de la Commission scolaire, ont décidé de former l'association des parents anglophones de Saint-Léonard et de réclamer, dès l'assemblée de fondation, une école unilingue anglaise pour la rentrée des élèves en septembre 1968 et l'établissement graduel d'écoles unilingues anglaises au fur et à mesure que s'accroît la population dite anglophone.

A l'origine donc du conflit scolaire de Saint-Léonard, nous assistons à une offensive d'un groupe soi-disant anglophone pour obtenir des écoles unilingues anglaises et à un refus catégorique et formel, concrétisé dans les faits en septembre dernier, de l'école française offrant même un enseignement adéquat de la langue anglaise.

Ce n'est que plus tard que les parents canadiens-français ont réagi et formé un mouvement pour l'intégration scolaire des immigrants de la ville de Saint-Léonard.

Le différend devait être soumis à l'opinion publique de cette banlieue qui a eu l'occasion de manifester démocratiquement, lors d'un référendum, son appui au principe de l'intégration scolaire. 76% des votants se sont prononcés en faveur du principe de la langue française comme langue d'enseignement tout en insistant pour que la priorité du français s'accompagne d'un enseignement adéquat de la langue anglaise comme langue seconde.

Le cas de Saint-Léonard n'est que la manifestation publique d'une situation qui ne cesse de pourrir dans la région du Montréal métropolitain, résultant de deux absences chroniques que nous avons soulignées précédemment: absence de politique d'immigration et, à plus forte raison, d'intégration des Néo-Québécois ainsi que l'absence de politique linguistique qui fasse de la langue française la véritable langue nationale des Québécois.

II L'ETAT DES FAITS

1- LA REPARTITION DEMOGRAPHIQUE AU QUEBEC:

Au Québec, vit une population dont l'immense majorité des citoyens est de langue et de culture françaises. Le recensement de 1961, le dernier dont les chiffres complets soient disponibles, établit que sur une population totale de à,259,211 citoyens, 81,18% soit 4,269,689 sont de langue maternelle française en regard de 697,402 citoyens de langue maternelle anglaise et de 292,120 citoyens d'une autre langue maternelle.

2- LA PRESSION ANGLOPHONE ET L'ENVIRONNEMENT NORD-AMERICAIN:

Si les Canadiens français sont en majorité au Québec, ils sont cependant entourés de plus deux cents millions d'anglophones sur le continent nord-américain. Cette masse énorme, d'une puissance économique et financière sans rivalité dans le monde moderne, à la pointe du développement scientifique et technologique, influence quotidiennement la vie collective des Québécois par son envahissement culturel — ses manuels scolaires, ses journaux, ses revues, ses films, ses disques, ses postes de radio et de télévision — et, surtout et principalement, par les puissantes industries et institutions financières qu'elle a implantées chez nous. C'est le fait de notre situation géographique et le prix de notre inféodation à l'économie nord-américaine. Cet immense déséquilibre démographique, culturel et économique, aggravé par le contexte politique du Canada à tra-

dition britannique et à majorité anglo-saxonne, exerce une influence déterminante sur le destin du Québec et nous commande sans cesse d'être vigilants et lucides devant les dangers qu'il comporte pour le développement et l'épanouissement du peuple francoquébécois.

La pression constante du milieu nord-américain fausse, au Québec, le jeu normal des relations entre la majorité de langue française et la minorité de langue anglaise. Les Anglo-québécois entretiennent des contacts quotidiens avec cet immense bloc anglo-canadien et américain, auprès duquel ils s'alimentent en ressources humaines et dans lequel ils se fondent naturellement et sans effort, s'y mouvant à l'aise dès qu'ils franchissent la frontière du Québec.

On sait par ailleurs que, dans le monde moderne, les facteurs économiques exercent une influence prépondérante et souvent décisive dans la vie collective des peuples et conditionnent leur vitalité culturelle. Appuyée par une bourgeoisie puissante qui contrôle l'économie québécoise dans une très forte proportion et exploite ses richesses naturelles, la minorité anglo-saxonne a imposé sa langue avec ses méthodes administratives et ses techniques d'affaires. Or, la domination linguistique dans les affaires, l'industrie, la finance et le commerce au Québec, l'action anglicisante des agences fédérales, le mirage de la prospérité américaine, le libéralisme culturel du Québec en matière d'éducation et sa prodigalité en faveur des institutions d'enseignement de langue anglaise, ont puissamment contribué à affaiblir le groupe francophone et à accélérer l'anglicisation du Québec, particulièrement de la région de Montréal. Les statistiques fédérales nous fournissent là-dessus des indications fort révélatrices comme nous le verrons plus loin.

Cette situation favorise, au détriment de la majorité francophone, l'accession des anglophones aux plus hauts postes dans tous les secteurs de l'activité économique et financière, même lorsqu'ils sont unilingues car, à l'inverse du bon sens et de la justice, l'anglais, langue de la minorité, est à la fois indispensable et suffisant pour vivre dans presque tous les coins du Québec, il est surtout indispensable et suffisant pour y gagner sa vie et s'enrichir. La langue anglaise est, au Québec, à l'heure actuelle, un élément essentiel de promotion sociale et un instrument efficace de domination économique; elle érige une barrière infranchissable qui bloque l'avancement économique et social de tous ceux qui ne la maîtrisent pas; elle protège la situation privilégiée des unilingues anglais. Dans sa vie quotidienne, le Québec subit le régime de la priorité de l'anglais, qui domine le milieu du travail et s'exprime par la prépondérance absolue, dans la région de Montréal, du nombre des Universités et des postes de radio et de télévision et des journaux. L'anglais est une langue rentable partout au Québec. Par contre, l'unilingue français y trouve grand peine à y gagner sa vie.

Il en résulte qu'il n'y a pas et qu'il ne peut y avoir d'égalité de chances dans les circonstances actuelles tant pour les collectivités que pour les individus. Il ne peut y avoir égalité de chances que si l'Etat intervient, s'il met fin à sa politique de laisser-faire et de libéralisme en matière de culture, de langue et d'éducation, s'il applique une politique intelligente qui appuie le vouloir-vivre des Franco-Québécois et contrebalance par son action vigilante et son prestige, l'immense contrainte du milieu unificateur et anglicisant du nord Amérique.

Quand des rapports engendrent une inégalité aussi disproportionnée entre deux collectivités et empêchent toute égalité de chances entre citoyens de langue et de culture différentes, on ne peut qu'appliquer le principe de Lacordaire: « dans la concurrence entre le faible et le fort, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit. » Au Québec, en matière de langue et d'éducation, c'est le laisser-faire et le libéralisme culturel qui engendrent l'injustice et l'iniquité, tandis que la loi peut ordonner les rapports entre les collectivités linguistiques, rétablir l'équilibre et, finalement, libérer le groupe francophone de l'oppression causée par l'immense disproportion — en nombre et en puissance financière — avec la collectivité nord-américaine qui sert d'appui à la minorité anglo-québécoise.

3- LE GROUPE FRANCOPHONE EST EN PERTE DE VITESSE:

Par suite de la disproportion des forces en présence, il n'y a rien d'étonnant à ce que les personnes qui s'établissent chez nous, ici même au Québec, optent plus volontiers pour le groupe anglophone que pour le groupe francophone. De nombreux facteurs influencent ce comportement. L'un des plus évidents réside dans le fait que les immigrants considèrent lorsqu'ils viennent au Québec — ou ailleurs au Canada — comme une arrivée en Amérique du Nord et souvent même comme une première étape nécessaire pour entrer aux Etats-Unis avec un certificat de citoyenneté canadienne. En l'occurence, ces personnes s'Intègrent à la minorité anglophone par intérêt et pour faciliter leur préparation à la vie américaine. Mais ce n'est pas la seule raison. Il y en a bien d'autres, notamment et particulièrement, le fait que l'économie québécoise est vassale de l'économie américaine et anglo-canadienne et que la langue de travail et de promotion économique, au Québec même, est l'anglais. Là encore, l'intérêt commande naturellement aux immigrants de s'assimiler au groupe anglophone.

Ce phénomène met en péril l'avenir du français au Québec et l'avenir même du Québec. Déjà, en 1961, si on analyse les statistiques fédérales, on est bien forcé de constater que le groupe francophone est en perte de vitesse. Me Yves Gabias l'a affirmé devant l'Assemblée Nationale en présentant la loi établissant le Ministère de l'immigration. Il déclarait: « Le pourcentage des francophones baisse considérablement à l'intérieur du Québec et à travers le Canada, diminuant d'autant l'importance de notre groupe et les chances de notre groupe d'obtenir un statut de véritable égalité à travers le Canada. »

Le ministre avait raison de s'inquiéter de cette situation et les statistiques de 1961 le prouvent. Le Père Richard Arès, s.j., dans une étude sur l'évolution démographique et les rapports entre francophones et anglophones, (à) décrivait la situation en ces termes: « La communauté de langue française accusait un déficit de 417,195 par rapport à la communauté d'origine française, c'est-à-dire que cette dernière, au lieu d'être française à 100% ne l'était qu'à 92,5% et ne conservait même pas ses propres effectifs. Pour vous faire saisir la vraie portée de cette première donnée, j'en ajoute deux autres, également fournies par le Bureau fédéral de la statistique: depuis trente ans, ce degré de vitalité de la communauté d'origine française va sans cesse diminuant: de 96,7% qu'il était en 1931. Il est passé, dix ans plus tard, à 95,7%, puis, en 1951, à 94,4% et il n'est plus aujourd'hui que de 92,à%. Par contraste, — et c'est là ma seconde donnée que je voulais signaler - la communauté de langue maternelle anglaise au Canada affichait, en 1961, un surplus de 2,664,865, par rapport à la communauté d'origine britannique, c'est-à-dire que cette dernière était anglaise non seulement à 100% mais à 133,3%, sa puissance assimilatrice s'élevant à 33,3% et sa vitalité à 40,8% degrés de plus que celle de la communauté d'origine française. »

Et au Québec, qu'en est-il? Le Père Arès l'indique: « Situation renversante et bouleversante: c'est la minorité au Québec qui possède la plus grande puissance assimilatrice, une minorité de 10% assimile plus et davantage qu'une majorité de 80%! Comment ne pas se dire que la minorité britannique reçoit au Québec un traitement extrêmement généreux, puisqu'elle y est vivante à 123%, alors que la majorité française réussit à peine à dépasser le minimum nécessaire à sa propre conservation?... soit un degré de vitalité de 100,7%. »

(1) JUSTICE ET EQUITE POUR LA COMMUNAUTE CANADIENNE-FRANÇAISE Editions Bellarmln, 30 mars 1963, pages 9 et 10.

Dans « L'IMMIGRATION AU CANADA », édition de l'Action Nationale, page 75, M. Rosaire Morin arrive à la même conclusion en citant les chiffres qui concernent le Québec: « La comparaison de la langue maternelle avec l'origine ethnique dénote encore cette puissance d'assimilation des Britanniques. » « D'origine britannique, ils sont en 1961, 567,057. Cependant 697,402 citoyens se déclarent de langue maternelle anglaise. C'est un gain net de 130,345 habitants. La population d'origine française se chiffre à 4,241,354 âmes et 4,269,689 ont déclaré la langue française leur langue maternelle. C'est un gain de 27,335 citoyens. La puissance d'assimilation est de 22,9% contre 0,6% en faveur des Canadiens anglais ». « En toute chose, il faut considérer la fin. » Quelle est la situation dans la région de Montréal?

Un rapide coup d'oeil sur les statistiques concernant la région métropolitaine de Montréal — selon les données fédérales — nous convainc rapidement que la situation est grave. Voici un tableau analytique de la population néo-québécoise de la zone métropolitaine selon son origine ethnique, la langue maternelle et la langue officielle, déclarées lors du recensement de 1961.

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4- LE SYSTEME D'ENSEIGNEMENT:

L'une des causes majeures qui facilitent l'assimilation accélérée des Néo-Québécois au groupe anglophone et occasionnent que la collectivité québécoise de langue française soit en perte de vitesse, réside dans le système d'enseignement actuellement en vigueur. Voyons ce qui en est.

Traditionnellement, le système d'enseignement au Québec est confessionnel.

a) le secteur catholique:

Les catholiques ont organisé à la fois des écoles françaises et des écoles anglaises et ces dernières ont même bénéficié d'un traitement de faveur. Cette libéralité à l'égard de la minorité linguistique de langue anglaise a conduit à des injustices pour le groupe majoritaire. Le cas de Saint-Léonard illustre jusqu'où peut conduire une politique inspirée par des sentiments généreux, non par le bon sens et la logique.

Me Daniel Johnson, dans une déclaration à la presse, le mercredi 12 juin 1968, soulignait que la « situation qui sévit à Saint-Léonard polarise un problème sérieux qui a une dimension québécoise », il a dénoncé l'attitude de la C.E.C.M. et d'autres organismes qui n'ont pas fourni aux immigrants l'occasion ni la possibilité de s'intégrer au milieu francophone. « Tout ce qui n'était pas catholique, ajoute le Premier Ministre, était automatiquement rejeté vers les écoles où la langue d'instruction est l'anglais. » Et il rappelle que: « Les Canadiens français ont toujours admis pour les catholiques de langue anglaise, quelle que soit leur origine ethnique, des écoles financées de la même façon que les écoles francophones, alors que, du côté protestant, on a pris beaucoup de temps à admettre quelques écoles françaises. »

On ne saurait mieux résumer la situation qui constitue une grave injustice pour l'ensemble de la population québécoise.

Il suffit de se référer aux statistiques de fréquentation scolaire publiées par la Commission des écoles catholiques de Montréal (C.E.C.M.), pour se rendre compte de la gravité de la situation.

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Québec, malgré les requêtes répétées des francophones sous sa juridiction et les pressions des milieux patriotiques et nationalistes, poussant même son action et son arrogance jusqu'à mettre sur pied, à l'automne 1967, un programme en vue de favoriser et accélérer l'anglicisation des Néo-Québécois.

c) conséquences;

Nous ne traiterons pas ici du rôle néfaste des universités anglophones qui ont constamment refusé de s'intégrer au Québec tout en poursuivant sans relâche l'anglicisation des Néo-Québécois et souvent même des Québécois de langue française. Monsieur Laurier Lapierre, directeur des études sur le Canada français à l'université McGill, qualifiait récemment le système traditionnel d'éducation des anglophones basé sur une « existence de ghetto », ajoutant: « Nos institutions ont lamentablement échoué. Prenez le cas de McGill, l'institution existe depuis longtemps; pourtant il n'a découvert le Canada français que lorsqu'on a commencé à déposer des bombes ». (à)

Si l'on ajoute, aux chiffres de la C.E.C.M., les statistiques de fréquentation scolaire du secteur protestant et autres institutions anglaises, on atteint facilement un taux d'angli-cisation de 90% des Néo-Québécois. C'est d'ailleurs ce qu'affirmait M. René Gauthier, directeur général de l'immigration au secrétariat de l'Etat du Québec, devant les congressistes de l'Association des éducateurs de langue française (A.C.E.L.F.) en août dernier: « L'analyse du recensement de 1961, les diverses enquêtes et les statistiques scolaires indiquent que 90% des immigrants s'intègrent à la communauté anglophone du Québec, soit qu'ils soient déjà de langue anglaise, soit qu'ils optent pour celle-ci. » Cette situation, ajoute-t-il, vient « consacrer en quelque sorte le caractère proprement anormal de la société québécoise. » Le taux a atteint depuis longtemps la cote d'alarme. Il n'est plus permis aux autorités de continuer une politique de laisser-faire, de libéralisme culturel qui dégénère aussi rapidement en une forme subtile de ségrégation et d'oppression exercée par le milieu anglophone nord-américain. Les statistiques prouvent hors de tout doute que le fallacieux principe du libre choix de la langue d'enseignement pour tous les Québécois conduit à la minorisation graduelle de la collectivité francophone et au renversement des rapports démographiques dans un avenir plus ou moins rapproché.

5 — LES FAITS QU'IL FAUT CORRIGER:

Il découle, de l'asbence de politique québécoise pour sélectionner et accueillir les immigrants, de l'absence de politique linguistique, de l'application inconditionnelle du principe du libre choix de la langue d'enseignement et de la pratique du laisser-faire et du libéralisme culturel, des conséquences graves qui mettent en cause l'avenir même du Québec en tant qu'Etat français.

Nous le résumons en cinq points: a) l'unilinguisme anglais qui se perpétue au Québec. Selon le recensement de 1961, 608,645 citoyens ne parlent que l'anglais, dont 510,071 dans la région de Montréal, (18,17% de la population régionale); 29,471 dans la région de l'Outaouais, (13,98% de la population); 21,586 dans l'Estrie, (9,30% de la population). b) l'anglicisation massive et accélérée des Néo-Québécois particulièrement dans la région métropolitaine de Montréal comme on peut le constater par l'étude des statistiques.

(1) Article de M. Joseph McSween, de la P.C. dans Le Devoir, 9 janvier 1968, page 14: « Pour une révolution de la pensée chez les Québécois anglophones ».

c) l'imposition de la langue anglaise à la majorité francophone, dans le monde du travail, des affaires, du commerce, de la finance et de l'industrie comme condition essentielle et effective de promotion sociale et économique et comme instrument de domination économique. d) le système scolaire actuel qui fabrique des unilingues anglais dans une collectivité à majorité francophone et, du fait de cet unilinguisme, force les Franco-québécois à bien posséder la langue de la minorité pour des raisons strictement utilitaires.

En contrepartie, on peut se demander s'il y a encore — à toutes fins pratiques — de véritables institutions scolaires secondaires et collégiales vraiment de langue et d'esprit français par suite de la répartition égale des heures d'enseignement des langues et de l'introduction abusive de la langue anglaise ou de manuels traduits. e) la baisse constante et tragique du pourcentage des francophones dans le Québec qui conduit inexorablement, sous la pression des facteurs économiques et politiques nord-américains, à la minorisation psychologique des Canadiens français et, éventuellement, à leur minorisation démographique.

III

RECHERCHE DE SOLUTIONS

QUELS REMEDES FAUT-IL APPLIQUER?

Tous les programmes politiques indiquent clairement qu'il est devenu important de légiférer pour régler cette question à la fois grave et complexe. Qu'on y mentionne que le français doit être langue prioritaire au Québec, ou langue nationale ou seule langue officielle, il n'est pas de parti politique qui ait osé nier l'importance du problème si l'on considère la place prépondérante qu'ils y ont accordé dans leur manifeste électoral.

Cependant, il n'est pas suffisant de présenter un programme à l'électorat, encore faut-il que ces propositions se concrétisent dans une ou des législations.

1- OBJECTIF; QUE LE QUEBEC SOIT AUSSI FRANÇAIS...

L'objectif qu'il faut atteindre pour normaliser la situation des rapports entre Québécois est celui-là même que définissait l'ex-premier ministre du Québec, Me Daniel Johnson, dans sa dernière conférence de presse: « faire en sorte que le Québec soit aussi français que l'Ontario est anglais ». Rien de plus normal. Rien de plus logique aussi sans quoi le Québec est voué inévitablement à perdre son identité, sa personnalité propre comme foyer principal et pivot du Canada français.

Le premier Ministre expliquait aux millions d'auditeurs qui l'écoutaient que: « En faisant du français la langue d'usage de l'Etat québécois, le gouvernement du Québec pratiquera la même politique en matière linguistique que le gouvernement de l'Ontario qui a dessein de respecter les droits de sa minorité linguistique. La langue d'usage dans l'Ontario sera l'anglais comme le français le sera au Québec »... ... « Ainsi, nous allons voir à ce que tous les anglophones, tous les non-francophones du Québec, aient une chance d'apprendre le « Prevailing Language », comme on dit en Ontario, et le « Prevailing Language » en Ontario, on sait ce que c'est. »

2- UNE POLITIQUE GLOBALE DU FRANÇAIS, LANGUE NATIONALE:

Il va sans dire que la politique linguistique au niveau scolaire doit être appuyée, pour

être efficace, par une politique globale qui fasse du français la langue d'usage quotidien dans la vie collective des Québécois et la langue de travail dans le monde du commerce, de l'industrie, de l'administration, des affaires et des services.

Il importe qu'une législation globale assure à la langue française le rang et le prestige de langue nationale au Québec et, par le fait même, établisse les droits de la majorité.

Dans l'ordre des choses actuelles, il est illogique que l'Assemblée nationale adopte d'abord une législation d'exception (le Bill 85) sans avoir au préalable défini la politique linguistique de l'Etat du Québec tant dans le domaine des langues officielles que dans le domaine du travail et de l'éducation.

3- DES LOIS CONTRAIGNANTES;

Il n'est pas possible — l'expérience le démontre — d'atteindre cet objectif normal pour un peuple qui se respecte et qui entend prendre les moyens de vivre et de s'épanouir, sans avoir recours à des lois linguistiques. Il n'est pas possible non plus qu'une législation linguistique puisse atteindre son but et être vraiment efficace si elle n'est pas contraignante.

Aucune politique linguistique n'a de chance de succès si elle ne contient pas un élément de coercition qui donne au législateur le moyen de faire respecter sa loi et impose aux citoyens, en plus de l'obligation morale inhérente à toute loi, une obligation formelle qu'ils ne peuvent impunément mépriser.

Le législateur le sait bien puisqu'il introduit dans le Bill 85 un élément de coercition en confiant au Ministre le pouvoir de mettre en oeuvre les recommandations du comité linguistique du Conseil supérieur de l'éducation et en imposant aux commissaires des écoles publiques l'obligation légale « de prendre les mesures nécessaires pour que les cours d'études au niveau de la première à celui de la onzième année inclusivement... soient dispensés à tous les enfants domiciliés dans le territoire soumis à leur juridiction s'ils sont jugés aptes à suivre ces cours et si leurs parents ou ceux qui en tiennent lieu sont désireux de les y inscrire. » La loi proposée est à ce point contraignante qu'elle permet à un seul individu de porter plainte auprès du Ministre de l'Education qui « peut l'approuver (la décision de la commission scolaire), la modifier ou l'annuler quatre-vingt-dix jours après avoir demandé l'avis du comité linguistique du Conseil supérieur de l'éducation ou plus tôt, s'il a déjà reçu cet avis. La décision du ministre doit être transmise sans délai à l'intéressé et elle est homologuée par la Cour provinciale à la demande du ministre ou de l'intéressé. » (I)

En conséquence la décision du ministre est donc sans appel, a force de loi et équivaut à un jugement de la cour.

Si le législateur québécois insère un élément de coercition dans le Bill 85, c'est qu'il ne peut ignorer — pas plus d'ailleurs que le législateur d'aucun autre pays — l'importance de l'obligation légale faite aux citoyens de se conformer à une directive en matière de langue.

Cette forme de coercition ne brime nullement les droits fondamentaux de l'homme québécois, pas plus que les lois linguistiques de Belgique organisant la coexistence des unilinguismes Flamand et Wallon n'attentaient aux droits de l'homme belge selon le jugement de la Cour européenne des droits de l'homme. Pas plus que les lois linguistiques de la Suisse ne briment les droits de la personne humaine tout en contraignant le citoyen à adopter la langue du canton où il réside.

(1) Il en est de même de l'obligation, dans le Bill 85, pour les écoles anglophones de diffuser un enseignement de la langue française. C'est là une autre contrainte acceptée par le législateur.

La liberté du choix de la langue d'enseignement que l'on veut introduire dans le Bill 85 n'existe d'ailleurs nulle part dans le monde anglophone, que ce soit au Royaume-Uni, en Australie, en Nouvelle-Zélande, ou dans tout autre pays de langue anglaise (à). Même en Ontario, en Colombie ou en Nouvelle-Ecosse ou n'importe où au Canada anglais. Récemment, les porte-parole du monde de l'éducation au Canada anglais n'ont-ils pas indiqué eux-mêmes qu'il était dérisoire de prétendre au libre choix de la langue d'enseignement de la part des immigrants? Lors du Congrès de la Canadian School Trustees' Association (2), les commissaires ont rejeté une résolution demandant pour les immigrants le droit de choisir la langue d'éducation de leurs enfants.

Même aux Etats-Unis, pays des libertés personnelles, pays où la langue et la culture anglaises jouissent au départ d'une supériorité écrasante et d'une avance insurmontable, cette forme de liberté n'existe pas. L'Etat ne reconnaît pas aux parents le privilège de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants qui fréquentent les institutions subventionnées par l'Etat. Qui oserait prétendre qu'à cet égard les législations scolaires américaines briment la liberté des individus et méprisent leurs aspirations culturelles légitimes?

4- UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE EN EDUC ATION:

Depuis dix ans, les résolutions réitérées des Congrès généraux de la Fédération des Sociétés affiliées et les attitudes publiques constantes de nos dirigeants appuyés sans équivoque par l'ensemble de nos membres ainsi que les recommandations de nos deux mémoires à la Commission Parent et au Comité parlementaire de la constitution, réclament avec insistance que le Québec définisse une politique linguistique dans le secteur de l'éducation, politique qui permette d'atteindre trois objectifs majeurs: a) assurer que tout système d'enseignement public soit de langue française tout en faisant en sorte que les citoyens anglophones puissent fréquenter soit des écoles publiques de langue française, soit des écoles publiques de langue anglaise (3) tenues toutefois de dispenser un bon enseignement du français et tenues d'utiliser la langue française comme langue d'enseignement pour une bonne partie de ces cours afin que les anglophones qui fréquentent ces institutions acquièrent ainsi une bonne connaissance de la langue de la majorité pour vivre normalement dans un Etat francophone; b) prendre les dispositions requises pour que les immigrants soient intégrés au milieu franco-québécois et que leurs enfants fréquentent l'école publique française et, finalement c) organiser l'enseignement de la langue anglaise comme langue seconde afin que sa connaissance soit réellement un apport à la culture des Québécois et un instrument additionnel de rayonnement, non plus une condition essentielle pour gagner sa vie au Québec.

Nous reconnaissons que, devant la gravité de la situation et à la lumière des exemples cités dans ce mémoire, il serait logique de conclure à l'établissement d'un seul système d'enseignement public pour tous les Québécois, ce système unique devant être de langue française.

Un secteur important des membres les plus dynamiques de nos Sociétés partagent cette opinion et ils apportent, à l'appui, des arguments fort valables. Nous ne sommes pas sûrs

(1) Dans l'Ile Maurice — dont la population est d'origine française — le système d'écoles publiques était anglophone au moins jusqu'à tout récemment alors que le Parlement de Londres a accordé son indépendance à cette colonie.

(2) Montréal-Matin, 25 septembre 1968: Selon le Canadien School Trustees' Association, les immigrants n'ont pas à choisir la langue d'enseignement de leurs enfants.

(3) Il est évident que l'école publique française diffusera un enseignement adéquat de la langue anglaise à partir du niveau secondaire.

d'ailleurs que cette solution ne doive pas s'imposer en définitive pour accorder aux francophones des chances au moins égales à celles dont jouissent présentement les anglophones afin d'accéder aux postes de commande et au plus haut niveau de direction dans la vie économique, de permettre en somme aux Franco-Québécois de se comporter en majorité chez eux et d'intégrer les nouveaux venus comme le fait toute majorité normale dans le monde.

Si nous suggérons un régime d'exception pour les anglophones, à titre d'essai et peut-être même d'étape seulement, c'est uniquement en raison du complexe canadien et nord-américain qui dresse, aux yeux d'une forte partie de la population québécoise, un obstacle psychologique insurmontable; c'est en raison aussi des mesures récentes prises à l'extérieur du Québec qui rendent moins écrasante la situation minoritaire de nos compatriotes canadiens-français.

Ce régime d'exception toutefois ne devra pas constituer la reconnaissance de quelque droit linguistique que ce soit en faveur de la minorité tant et aussi longtemps que ce droit ne s'exercera pas dans des conditions de concurrence libre et égale des forces en présence, ce qui ne pourrait se réaliser qu'après l'adoption d'une législation formelle et efficace faisant du français la langue nationale, la seule langue officielle et la langue de travail au Québec.

Cette école pour les anglophones devra, à brève échéance, faire la preuve qu'elle peut dispenser à ceux qui la fréquentent une connaissance adéquate de la langue française, écrite et orale, afin que ces diplômés s'intègrent naturellement au Québec français et n'imposent pas leur langue à la majorité francophone tout comme les Franco-Ontariens s'intègrent à l'Ontario sans imposer la langue française à la majorité anglophone. A cette fin, cette école devra modifier radicalement son esprit et son programme afin de prouver qu'elle est capable de réussir ce qu'elle n'apas fait jusqu'à maintenant: cesser de former des unilingues anglais comme l'ont été et le sont encore la majorité de ses diplômés.

LE BILL 85 CORRIGE-T-IL LA SITUATION?

En regard de la situation que nous avons décrite, basée sur les faits et les données statistiques, il faut se demander si le projet de « loi modifiant la loi du ministère de l'éducation, la loi du Conseil supérieur de l'éducation et la loi de l'instruction publique » est susceptible d'y apporter un correctif efficace et valable?

Après étude attentive des articles du Bill 85, l'analyse de leur portée légale et juridique, nous en sommes venus à la conclusion que le projet de loi ne corrige pas la situation. Au contraire, il l'aggrave singulièrement. a) Le Bill 85 crée du droit nouveau en consacrant dans un texte juridique un privilège de la minorité de langue anglaise qui, à la faveur des droits garantis à la minorité protestante dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, a bâti un réseau complet d'institutions d'enseignement de langue anglaise; b) Il transforme désormais en droit un privilège, jusqu'ici accordé par la coutume et la tolérance, des citoyens anglophones de posséder des institutions scolaires de langue anglaise même dans le secteur des écoles publiques catholiques; c) Ce qui est plus grave encore, il étend la reconnaissance de ce droit nouveau à tous les citoyens québécois, sans distinction aucune, d'origine ou de culture: qu'ils soient nés au Québec ou qu'ils soient immigrants, même sans être naturalisés Canadiens, il leur accorde la liberté de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants, d'obliger les commissaires des écoles publiques à satisfaire leurs exigences et la possibilité d'avoir recours au Ministre de l'éducation pour obtenir satisfaction si la commission scolaire s'y refuse;

d) Il permet même à tout groupe de parents francophones qui le désirent, pourvu que leurs enfants soient aptes à le faire, la possibilité de choisir la langue anglaise comme langue d'enseignement et d'obliger les commissaires à se conformer à telle exigence pour le moins aberrante; e) Du fait du conditionnement socio-économique du milieu nord-américain en général et du milieu canadien en particulier; du fait qu'il n'y ait pas et qu'il ne peut y avoir dans les circonstances actuelles de véritable égalité de chances entre le travailleur, l'homme d'affaires, l'industriel, le commerçant, l'administrateur de langue française et celui de langue anglaise; le Bill 85 constitue — malgré la bonne volonté du législateur — une incitation à choisir l'école publique anglaise défrayée par le produit des taxes des citoyens dont la majorité est de langue et de culture françaises; f) En conséquence — même si ce n'est pas l'intention du Législateur — le Bill 85 ouvre aux immigrants toute grande la porte sur le Canada anglais et sur l'Amérique anglophone et la referme presque inévitablement sur le milieu social canadien-français; il contribue à accentuer le processus de minorisation de la collectivité québécoise et le processus de détérioration de la langue et de la culture françaises au Québec en accordant le droit abusif aux parents du libre choix de la langue d'enseignement pour leurs enfants, tant aux anciens qu'aux nouveaux citoyens du Québec, et en obligeant les commissaires d'écoles à se conformer à la volonté ainsi exprimée par les parents ou ceux qui en tiennent lieu; g) Le Bill 85, par la consécration de la liberté de choix, alors que la langue anglaise exerce un tel attrait grâce à sa situation privilégiée, équivaut à une démission du législateur devant la situation qu'il faut corriger, situation néfaste pour la majorité franco-québécoise.

Tout au plus, le Bill 85 contribuera-t-il à augmenter le nombre de Québécois dont la langue seconde sera la langue française en obligeant les écoles du secteur anglais à diffuser un enseignement « de façon a assurer une connaissance d'usage de la langue française ».

Les immigrants et le Bill 85:

Même si le projet de loi, par ailleurs, accorde la responsabilité au « Ministre de l'éducation, de concert avec le Ministre de l'immigration, de prendre les dispositions nécessaires pour que les personnes qui s'établissent au Québec puissent acquérir, dès leur arrivée, une connaissance d'usage de la langue française et faire instruire leurs enfants dans des écoles reconnues par le ministère comme étant de langue française, » cet article n'a qu'une portée incitative et n'est, en aucune façon, contraignante.

Rien n'oblige les immigrants à opter pour le système d'écoles publiques françaises. Au contraire, il leur suffira d'exiger des écoles unilingues anglaises pour que les commissions scolaires soient tenues de se conformer à leur désir, conformément aux dispositions a) b) et c) du dixième article du Bill 85. Force nous est de reconnaître que le projet de loi est d'une grande faiblesse au sujet de l'intégration des immigrants bien qu'il manifeste une bonne intention de la part du législateur.

Sans un article qui contraigne les immigrants à fréquenter les écoles publiques françaises, confessionnelles ou autres, comment les ministres concernés pourront-ils convaincre les immigrants qu'il est de leur intérêt de s'intégrer à la collectivité francophone quand l'on connaît l'immense pression socio-économique exercée par le milieu nord-américain qui a jusqu'ici favorisé l'intégration de près de 90% des Néo-Québécois au groupe anglophone? Comme l'affirmait récemment sur les ondes de Radio-Canada M. Procek de l'Université de Montréal, un des responsables des cours d'accueil aux immigrants tchèques venus au Québec à la suite des événements tragiques en leur pays, les nouveaux venus savaient déjà par leurs parents ou amis tchèques établis au Québec depuis longtemps que la puissance financière et économique est entre les mains des Anglo-saxons et qu'il était nécessaire et

préférable dans leur propre intérêt d'apprendre la langue anglaise et de s'intégrer au milieu anglophone. (à)

Dès lors, il est facile d'en déduire que ce n'est pas simplement par une politique incitative et d'accueil cordial que l'on pourra contrer l'effet corrosif qui résulte d'une situation qui a trop longtemps pourri. Pour être efficace, une politique d'accueil devra non seulement s'appuyer sur le ministère de l'immigration mais aussi sur une politique linguistique globale qui transformera le milieu québécois et une politique de l'éducation qui fasse de la langue française la langue obligatoire d'enseignement pour tous les citoyens sauf pour les Québécois d'origine britannique ou de langue maternelle anglaise.

Rejet du Bill 85:

On ne peut que conclure: le Bill 85 ne corrige pas efficacement et fondamentalement la situation puisque le législateur se contente d'exiger que les anglophones apprennent le français et d'inciter les immigrants à apprendre eux aussi la langue française tout en laissant le libre choix, à tous les citoyens, entre l'école française ou l'école anglaise. Le Bill 85 maintient, confirme et, par certains aspects, consolide des éléments qui sont à l'origine de la situation actuelle.

Pour ces raisons, la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec recommande au Comité de l'éducation de retirer le « Bill 85 ».

(1) Emission « PRESENT » deuxième édition nationale, le mardi 7 janvier 1969. M. Procek affirmait qu'un nombre relativement pas élevé de ses compatriotes tchèques choisissaient l'intégration au groupe francophone et qu'il était lui-même une exception ayant décidé de faire carrière en langue française.

PROPOSITIONS

La Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec soumet au Comité de l'éducation sept propositions pour définir une politique des langues d'enseignement au Québec, afin de remplacer le Bill 85 et d'atteindre les objectifs décrits dans les pages précédentes. 1- Que les enfants de tout immigrant, qui choisit de s'établir au Québec, doivent fréquenter l'école publique française; 2- Que la connaissance du français écrit et parlé soit essentielle à tout étudiant québécois pour obtenir tout diplôme officiel de l'Etat du Québec, dans toutes les intitutions d'enseignement; 3- Que le Comité de l'éducation et l'Assemblée nationale refusent — en droit et en pratique — le libre choix de la langue d'enseignement et, en conséquence, que l'école publique pour tous les Québécois soit obligatoirement l'école française, sauf pour les Anglophones — c'est-à-dire les citoyens d'origine britannique ou dont la langue maternelle est l'anglais — qui pourront fréquenter des écoles anglaises dispensant un bon enseignement du français et une partie substantielle de ses cours en langue française; 4- Qu'il soit interdit à toute institution publique de langue anglaise de recevoir des élèves qui ne soient pas anglophones, c'est-à-dire d'origine britannique ou dont les parents sont de langue maternelle anglaise; à- Que les commissions scolaires dont les institutions enfreignent ces normes linguistiques soient privées des octrois et subventions prévus par la loi; 6- Qu'aucune institution privée, qui ne se conformerait pas à ces normes linguistiques, puisse bénéficier d'octrois ou des subventions à même les fonds publics; 7- Que les écoles anglaises pour les anglophones seulement ne constituent pas un secteur distinct dans l'ensemble du système d'enseignement au Québec.

CONCLUSION

En vous soumettant ces propositions pour une législation sur les langues d'enseignement au Québec, la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec ne fait qu'appliquer les résolutions et les voeux de ses congrès annuels depuis dix ans, dont nous incluons une partie en annexe à ce mémoire, elle ne fait que renouveler les recommandations qu'elle faisait à la Commission d'enquête sur l'enseignement (1) et reprises devant le Comité parlementaire de la constitution (2). 129- S'il se trouve encore dans la province des personnes qui y sont nées, qui y ont toujours vécu, et qui sont encore incapables de comprendre et prononcer un seul mot de français, cela est inadmissible. Si dans les autres provinces on peut, de par le régime scolaire, obliger l'étudiant à apprendre l'anglais sans profit culturel, pourquoi dans la province de Québec hésiterions-nous à faire profiter tous les habitants des avantages de la culture française? 130- Ceci dit, nous croyons que les personnes vivant au Québec et dont la langue maternelle est l'anglais devraient pouvoir parler le français avec une correction correspondant au niveau de leurs études. C'est dire que l'étude du français devrait être obligatoire à tous les niveaux, dans les écoles de langue anglaise, les exigences devenant de plus en plus sévères selon les degrés d'études. 131- Pour les autres, c'est-à-dire pour les personnes dont la langue maternelle n'est pas l'anglais, elles devraient être tenues de fréquenter les classes françaises, tout en reconnaissant aux Néo-Canadiens le droit de conserver leurs langues maternelles.

En d'autres termes, comme l'a décrit la Société de Montréal en 1962, « que l'école publique de la Province de Québec soit l'école française et que les écoles destinées aux enfants dont la langue maternelle est l'anglais soient des écoles bilingues d'un type analogue, mais en sens inverse, aux écoles bilingues organisées pour les Canadiens français dans l'Ontario. » (3)

Une législation régissant les langues d'enseignement, basée sur les propositions que nous vous soumettons, permettrait au Québec d'atteindre l'objectif de tout peuple normal qui se respecte, qui entend prendre les moyens d'assurer la vitalité et la diffusion de sa culture car, comme le rappelle le rapport Tremblay (4) « une culture n'a de chance de vivre que si elle s'exprime, s'épanouit et se donne ».

Pour le Québec, cet objectif ne peut être autre que celui décrit par Me Daniel Johnson lors de sa dernière conférence de presse, considérée comme son testament politique: « Il faut que le Québec soit aussi français que l'Ontario est anglais ».

LA FEDERATION DES SOCIETES SAINT-JEAN-BAPTISTE DU QUEBEC

Québec, 4 février 1969

(1) Recommandations 129, 130 et 131 dans le mémoire de la Fédération intitulé LES STRUCTURES DE L'ENSEIGNEMENT présenté à la Commission Parent.

(2) Nous incluons, en annexe, des extraits du Mémoire de la fédération au Comité parlementaire de la constitution.

(3) Mémoire de la SSJB de Montréal à la Commission Parent, en 1962, page 80, paragraphe XX

(4) Rapport Tremblay, vol. Il, page 60.

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