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Version finale

31e législature, 2e session
(8 mars 1977 au 22 décembre 1977)

Le mardi 21 juin 1977 - Vol. 19 N° 128

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition des mémoires sur le projet de loi no 1 - Charte de la langue française au Québec


Journal des débats

 

Audition des mémoires sur

le projet de loi no 1 :

Charte de la langue française

au Québec

(Dix heures neuf minutes)

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

Je demanderais à tous les gens de regagner leurs fauteuils.

A l'ordre, je vous en prie! J'ai constaté le quorum. Il est par la suite présumé. Je fais l'appel des membres de la commission: M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Chevrette (Joliette-Montcalm) remplacé par M. Cnarbonneau (Verchères); M. Ciaccia (Mont-Royal), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M. Grenier (Mégantic-Compton) remplacé par M. Bi-ron (Lotbinière); M. Bisaillon (Sainte-Marie) remplacé par M. Gravel (Limoilou), M. Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé), M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda).

Nous avons encore les représentants de la Banque de Montréal pour lesquels il reste une trentaine de minutes. Ensuite, le Conseil du patronat, mémoire 7; la Fédération des travailleurs du Québec, mémoire 128; Bell Canada, mémoire 65; Conseil des hommes d'affaires québécois, mémoire 4; Protestant School Board of Greater Montréal, mémoire 23.

Il reste présentement, pour les membres présents de la commission, 32 minutes pour terminer l'étude du mémoire de la Banque de Montréal.

J'invite les représentants de la Banque de Montréal à s'approcher.

La parole est à Mme le député de L'Acadie.

Banque de Montréal (suite)

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je yeux d'abord remercier le président de la Banque Je Montréal qui s'était déplacé hier et les autres représentants de la Banque de Montréal pour être venus faire valoir leur point de vue devant cette commission parlementaire.

Je pense que leur mémoire, contrairement à quelques autres que nous avons entendus, se situe vraiment dans un esprit de conciliation et de représentation raisonnable qui veut expliquer aux membres de cette commission les impératifs de fonctionnement auxquels ils sont soumis.

Très brièvement, je voudrais d'abord leur dire que je reconnais, et ils ne sont pas les premiers à le signaler, le pouvoir illimité qui est accordé à l'Office de la langue française et surtout l'absence de pouvoirs d'appel en cas de conflit. Si on tient compte de la formation aussi de l'Office de la lan- gue française dont un seul homme sera responsable, je pense qu'il y aurait certainement lieu, et j'ose espérer que le gouvernement révisera la formation de cet office...

Vous avez également soulevé des difficultés concernant les étudiants des écoles secondaires. Je ne sais pas si le ministre d'Etat au développement culturel a voulu blaguer, mais il a mentionné la possibilité qu'on ait des classes d'accueil. Evidemment, dans l'esprit du gouvernement actuel, les gens qui viennent de l'extérieur de la province, même si le Québec n'est pas indépendant, sont des immigrants. Je pense qu'il faudrait peut-être réfléchir un peu moins superficiellement à ce problème, quand il arrive des étudiants qui sont en secondaire 3, 4, 5 ou à leur dernière année de secondaire. Je pense qu'on pourrait peut-être tenter de trouver d'autres formules d'accommodement plutôt que d'envoyer dans des classes d'accueil des gens qui sont tout aussi canadiens que leurs concitoyens du Québec.

Je voudrais d'abord vous demander d'expliquer ce que le président de la banque a laissé entendre hier. Quelle est la nature de ce problème qu'il a souligné, à savoir la concurrence avec les banques dont les sièges sociaux se trouvent à l'extérieur du Québec? De quelle façon voyez-vous que ceci puisse être une difficulté dans la conservation, par exemple, du siège social à Montréal? Quelle est la nature et l'extension de ce problème de concurrence pour la banque de Montréal? Je ne sais à qui adresser ma question...?

Le Président (M. Cardinal): M. de Jocas.

M. de Jocas: Je vous transmets les excuses de M. McNeil qui, pour des raisons qui ont été expliquées hier, n'a pas pu être ici ce matin; il le regrette.

Ce domaine de la concurrence au sein de l'industrie bancaire est un point majeur sur lequel on ne pourrait suffisamment appuyer. Il y a une très grande concurrence au sein des banques, au sein des grandes banques nationales, au sein des banques mondiales; il y a un degré d'expertise qui est requis. Beaucoup sont à la recherche des mêmes talents et la disponibilité des candidats est relativement restreinte dans certains domaines. Dans la mesure où il y aurait au Québec des contraintes qui nous empêcheraient d'attirer chez nous, une banque nationale et internationale avec son siège social à Montréal, ces gens compétents, pour des raisons extérieures aux opérations de la banque, tel que souligné dans notre mémoire, avec la possibilité d'intégrer les familles dans des conditions qui leur conviennent au Québec, nous sommes en position concurrentielle désavantageuse. J'ai mentionné hier qu'il y avait eu déjà des manifestations de ce phénomène et nous craignons que la loi no 1 telle que proposée ne fasse qu'empirer cette situation. C'est pourquoi nous proposons certains assouplissements, pour faciliter l'intégration de cette haute technologie de l'extérieur dont nous

avons besoin pour notre siège social, soient considérés.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. de Jocas. Hier, le ministre d'Etat au développement culturel a semblé vouloir minimiser la valeur de vos représentations en établissant ce qui m'a paru une espèce de parallèle entre les opérations de la banque Canadienne Nationale et les opérations des autres banques, en particulier la vôtre. Sans vouloir entrer dans des comparaisons qui, pourraient être un peu délicates, je voudrais quand même savoir d'une façon objective quel est le volume de vos opérations qui se font à l'extérieur du Québec et est-ce que le volume des opérations de la Banque Canadienne Nationale est du même ordre de grandeur?

M. de Jocas: Les comparaisons entre des institutions sont souvent difficiles, pour ne pas dire odieuses. La Banque de Montréal a un actif —je ne voudrais pas que ces chiffres soient pris comme précis — de $22 milliards, dont 85% seraient à l'extérieur du Québec, dont 25% du $22 milliards seraient des opérations internationales. Donc, un chiffre d'affaires très important.

En ce qui a trait à la Banque Canadienne Nationale, je crois que son actif est aux alentours du $6 milliards et je serais porté à croire que ses affaires internationales sont relativement faibles. On sait, par contre, qu'elle fait des efforts pour les étendre.

Mme Lavoie-Roux: D'ailleurs, ce n'est pas une question — je veux bien être précise ici — d'opposer les deux banques. Mais il reste que quand on veut examiner une situation et les représentations qui nous sont faites d'une façon objective, c'est quand même utile d'avoir des points de comparaison. C'était le sens de ma question.

M. de Jocas: Je voudrais peut-être ajouter, madame, à cette question, que présentement, nous avons des employés ou des représentants, soit des agences ou bureaux de représentation, dans 24 pays du monde. En plus, nous faisons affaires avec une foule d'autres pays, sous forme de prêts ou de transactions de toutes sortes.

C'est ce réseau mondial, qui est dirigé à même, en majeure partie, du siège social, qui nous préoccupe.

Mme Lavoie-Roux: Vous signalez, quelque part, dans votre mémoire, que vous envoyez des Québécois à l'extérieur du Québec, pour prendre de l'expérience, voir d'autres milieux de travail. Est-ce que ceci se fait sur une base d'échanges réguliers avec vos employés d'autres succursales, comme à Toronto, où vous avez une partie de votre siège social? Est-ce que le fait de la non-venue au Québec de personnes de l'extérieur du Québec rendrait également plus difficile cette formation à l'extérieur du Québec, de Québécois, ou si cela ne joue pas dans les échanges?

M. de Jocas: Nous croyons qu'il y a avantage pour les francophones québécois d'aller à l'extérieur. De fait, nous avons eu, à certaines périodes, des programmes d'incitation pour que de jeunes Québécois puissent aller travailler à d'autres endroits du pays ou même à l'extérieur du pays, l'objectif étant évidemment que cette expérience serve à leur progression de carrière. Ces derniers éventuellement reviendront au Québec, avec un bagage de connaissances suffisant pour accéder à des postes supérieurs.

Nous avons un nombre significatif de nos cadres intermédiaires et séniors qui ont, à la Banque de Montréal, fait un séjour à l'extérieur du Québec et qui sont revenus.

Le projet de loi nous cause des préoccupations, en ce sens que nous craindrions que l'occasion qui serait offerte aux francophones de pouvoir parfaire leurs connaissances de l'anglais pour pouvoir accéder à des postes supérieurs serait peut-être rendue plus difficille, si on restreint la possibilité dans le milieu de travail, de pouvoir, en même temps que travailler en français pour les activités du Québec, aussi perfectionner leur connaissance de l'anglais dans le domaine bancaire ou dans le domaine des affaires.

Mme Lavoie-Roux: Pourriez-vous me dire quelle est la proportion d'employés de la Banque de Montréal, au Québec, au siège social, qui, pour pouvoir fonctionner avec l'extérieur, doit fonctionner en anglais? Enfin, grossièrement, quelle est cette proportion, un ordre de grandeur?

M. de Jocas: D'abord, il faut différencier les deux groupes, ceux qui sont au siège social et ceux qui sont dans les activités de la division, de notre réseau de succursales au Québec. Je ne pense pas que je puisse dire qu'il y ait des exceptions dans toutes nos succursales. Il y a obligation de transiger avec l'extérieur, pour des clients de l'extérieur qui font affaires avec nous dans différentes régions du Québec. Il y a un besoin de cette connaissance de l'anglais.

Maintenant, au jour le jour, dans la grande majorité de leurs transactions, tout se fait en français. Ce besoin n'est pas un impératif. Quand on parle du siège social, tel que l'a souligné M. McNeil hier, à toutes fins pratiques, on transige non pas au niveau des opérations du Québec, mais au niveau des opérations nationales et internationales. L'anglais, à quelques exceptions près, est nécessaire pour tous les employés, ce qui ne veut pas dire qu'entre eux, à l'intérieur, il n'y a pas une utilisation courante et constante du français, mais il est essentiel que la très grande majorité connaisse l'anglais.

Mme Lavoie-Roux: Alors, qu'ils soient dans les succursales ou qu'ils soient dans le siège social.

M. de Jocas: Je dis que la succursale, comme entité, doit avoir une capacité anglaise, ce qui ne veut pas dire que tous les employés doivent

connaître l'anglais. De fait, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Nous avons énormément de nos employés qui sont unilingues francophones, sans inconvénient, mais, au sein de la succursale, le directeur ou son adjoint sera bilingue.

Mme Lavoie-Roux: A quel niveau de fonctionnement l'absence de la connaissance de l'anglais va-t-elle devenir un handicap à la promotion d'un employé à la Banque de Montréal?

M. de Jocas: Vous aimeriez savoir jusqu'à quel niveau un unilingue francophone pourrait se rendre?

Mme Lavoie-Roux: Oui.

M. de Jocas: Au siège social, pas loin, c'est acquis. Dans les succursales, je dirais qu'il pourrait se rendre au niveau de directeur adjoint d'une succursale, responsable de l'administration. Ceci présuppose évidemment qu'il sera appuyé par un collègue qui pourra, lui, s'occuper de cette correspondance, de ces instructions, de ces clients qui voudraient faire affaire avec cette succursale et qui sont anglophones.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie, M. de Jocas. Seulement, une toute dernière question. On a aussi des préoccupations vis-à-vis des francophones des autres provinces. Dans quelle mesure tentez-vous, pour servir votre clientèle francophone des autres provinces, de leur offrir aussi des services en français?

M. de Jocas: Au niveau des succursales qui ont une clientèle francophone, ils ont à leur disposition tout le matériel et toute la documentation que la banque produit pour le Québec, autrement dit toutes les formules bilingues...

Mme Lavoie-Roux: Ils ont cela dans les autres...

M. de Jocas: Toutes les succursales, que ce soit à Falher, en Alberta, ou à Saint-Boniface, au Manitoba, ou au Nouveau-Brunswick.

Mme Lavoie-Roux: Merci bien, M. de Jocas.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Lotbinière.

M. Biron: M. de Jocas, je vous remercie pour votre mémoire. Je l'ai lu avec attention ce matin. Je souligne d'excellents points de présentation au point de vue de l'efficacité économique. Vous avez répondu tout à l'heure à une question de Mme le député de L'Acadie, sur les chances d'un unilingue français d'atteindre le poste — la musique va nous accompagner toute la journée aujourd'hui — d'un unilingue français, dis-je, d'atteindre un poste de directeur adjoint d'une succursale. Quelles sont par contre les chances d'un unilingue anglais au Québec d'obtenir une promotion à l'intérieur de la banque?

M. de Jocas: Présentement, elles sont moins bonnes qu'elles n'ont déjà été. Il demeure que, puisque la langue principale de la banque, dans son contexte global, est l'anglais, un unilingue anglophone, au Québec, dans quelques cas, peut encore occuper des postes de directeur de grande succursale, compte tenu de la composition de la clientèle actuelle. Mais, de la même façon, cet unilingue anglophone devra être solidement appuyé, et il l'est, d'adjoints qui sont francophones ou bilingues.

M. Biron: Au Québec même, quel est à peu près le pourcentage d'unilingues anglophones, à comparer aux unilingues francophones que vous avez dans votre banque, sans compter le siège social, au niveau de la grande région du Québec?

M. de Jocas: De moins en moins. Nous mentionnons dans notre mémoire que la banque a fait un progrès significatif, délibéré, qui a précédé de longtemps la loi 22 ou toute autre pour franciser ses opérations et, présentement, à la division du Québec, nous estimons avoir à peu près 90% des postes qui sont occupés par des francophones. C'est une tendance qui ira en s'accroissant.

Ce n'est pas le chiffre magique de 90%. L'objectif idéal serait de 100%, et on espère l'atteindre dans une période de temps raisonnable.

M. Biron: Vous dites 90% de francophones ou 90% de parlant français, c'est-à-dire anglophones ou francophones, mais qui peuvent s'exprimer en français?

M. de Jocas: Puisque nous n'avons pas encore fait l'analyse précise qui sera requise, de fait, des capacités linguistiques de nos employés, nous n'avons simplement qu'une indication des langues qui leur sont familières. Ce chiffre de 90% concernerait, à quelque pourcentage près, des francophones bilingues. Il y a nécessairement un petit pourcentage d'anglophones bilingues.

M. Biron: Mais vous avez quand même un petit pourcentage d'anglophones unilingues, au niveau de la région de Québec...

M. de Jocas: Oui. Sûrement.

M. Biron: ...ou de la province de Québec. Vous nous avez dit, tout à l'heure, que votre banque faisait affaires dans 24 pays du monde. Quelle est la langue que les différents pays emploient lorsqu'ils communiquent avec le siège social?

M. de Jocas: L'anglais.

M. Biron: Vous faites affaires avec des pays comme la France, je suppose, ou...

M. de Jocas: La France, la Hollande, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, le Japon. Nous faisons affaires avec énormément de pays et nous avons des bureaux dans ces pays.

M. Biron: Y a-t-il des divisions régionales dans ces pays ou est-ce simplement la succursale qui fait affaires directement avec le siège social?

M. de Jocas: Dans ce mécanisme de décentralisation auquel on a fait allusion hier, nous avons établi, pour notre département international, des bureaux divisionnaires de la même façon qu'on en a établi au Canada pour nos opérations canadiennes. Les quartiers-généraux pour l'Europe et l'Afrique sont à Londres et pour l'Asie, à Hong Kong... à Singapour, pardon. On a un bureau à Hong Kong, mais c'est à Singapour qu'il y a une administration centrale pour toute cette partie du continent.

M. Biron: Mais la langue que vous employez à partir de ces différents pays avec le siège social est l'anglais?

M. de Jocas: Seulement l'anglais.

M. Biron: Merci. Vous parlez aussi un peu plus loin dans votre mémoire, du nom de la Banque de Montréal qui est très bien connu en anglais. Vous dites: Cela nous causera des problèmes s'il faut l'employer en français, mais je suppose que ce que vous avez voulu dire, c'est l'employer uniquement en français. L'employer de façon bilingue, à la fois la version française et la version anglaise, il n'y aurait pas de problèmes.

M. de Jocas: Je crois qu'il serait un peu exagéré de prétendre que si on dit "Banque de Montréal", les anglophones ne comprendront pas "Bank of Montreal". C'est simplement parce que nous employons les deux noms depuis 160 ans. Il ne fait aucun doute qu'au Québec on emploie "Banque de Montréal" couramment. Qu'on soit restreint à utiliser exclusivement le nom "Banque de Montréal" au Québec pour des transactions qui se font nécessairement avec une clientèle anglophone, nous trouvons que c'est un impératif qui n'est peut-être pas nécessaire, d'autant plus que la loi fédérale des banques qui nous régit nous autorise précisément à employer le nom "Bank of Montreal" et "Banque de Montréal".

M. Biron: Vous êtes d'accord pour continuer d'employer le bilinguisme au Québec, le français et l'anglais. Vous n'avez pas d'objection?

M. de Jocas: Absolument pas.

M. Biron: Comment voyez-vous maintenant la participation des travailleurs dans le programme de francisation de votre entreprise, puisque vous dites: On va continuer de se franciser? La francisation, c'est irréversible, mais cela incombe à la direction de rendre compte de l'exploitation de l'entreprise. Vous ne voyez pas du tout de participation des travailleurs ou si...

M. de Jocas: Non. Ce n'est absolument pas dans ce sens-là. Quant à imposer à l'entreprise l'obligation de constituer un comité de francisa- tion qui inclurait ce qu'on appelle les salariés — je me considère salarié aussi, alors, je ne sais pas si la définition du salarié, s'applique. Alors, j'imagine qu'on parle des échelons inférieurs — nous calculons que la responsabilité de l'administration de l'entreprise relève de la direction et que c'est la direction qui devrait avoir le loisir de constituer son programme de francisation tel qu'elle l'entend.

M. Biron: D'accord, merci. Vous parlez aussi de la possibilité, pour vos travailleurs ou vos gestionnaires, de faire partie d'une association provinciale. Vous dites: Si cet individu ne peut communiquer avec cette association dans sa langue, en anglais pour les Anglais, ou s'il ne peut recevoir de la documentation rédigée au moins partiellement en langue anglaise, il se sentira lésé et défavorisé par rapport à ses confrères. Dans quel but voulez-vous que vos gestionnaires participent à des associations de comptables ou d'avocats?

M. de Jocas: De fait, nous avons été heureux, hier, d'entendre le ministre dire que l'interprétation qui a été donnée à cette clause était peut-être fausse et qu'il y aura possibilité pour les associations de communiquer avec leurs membres en anglais. Le fait nous préoccupe peut-être plus que ces mêmes professionnels devront obtenir un certificat. Beaucoup d'entre eux sont unilingues anglophones ou sont peut-être bilingues mais pas francophones, et leurs services sont requis pour des tâches très spécifiques et souvent strictement à l'intérieur de la corporation et non pas pour faire affaires avec l'extérieur, avec notre clientèle, etc. Nous avons donc une certaine inquiétude que ces professionnels, qui ne sont peut-être pas en nombre suffisant ou qui n'existent peut-être pas suivant la spécialité recherchée au Québec, ne puissent pas venir travailler à l'intérieur d'une entreprise comme la nôtre à moins d'avoir un certificat. Cela nous inquiète.

M. Biron: Vous mentionnez aussi que si les gens qui viendront d'autres provinces, des anglophones, ne peuvent envoyer leurs enfants dans des écoles anglaises, si ce principe se continue, cela risque de nous priver de services de personnes compétentes venant de l'extérieur, et vous ajoutez à ce sujet: Et c'est déjà commencé. Est-c eque vous pouvez expliciter davantage ce qui est déjà commencé?

M. de Jocas: Oui. En fait, cela a été mentionné hier, à la lumière du climat qui existe depuis quelques années et au sujet des lois proposées sur la langue au Québec, nous avons ressenti une certaine inquiétude auprès d'employés de l'extérieur à qui on a demandé de venir à Montréal. Nous avons été incapables de convaincre certains d'entre eux de venir travailler à Montréal.

La préoccupation principale était l'éducation de leurs enfants ou l'obligation dans laquelle ils seraient d'acquérir une connaissance du français. Alors, selon l'âge des enfants, comme le mention-

nait tout à l'heure madame, cela devient critique pour une famille, si les parents sentent que les enfants qui peuvent être au secondaire III ou IV, qui peuvent avoir plus ou moins de facilité déjà dans leurs études, de venir ici et d'avoir cette contrainte additionnelle d'avoir une connaissance suffisante du français pour obtenir les diplômes. Et le processus est déjà commencé. Nous avons, de fait, récemment voulu faire ou offert de faire une mutation à Montréal à un groupe de nos employés qui travaillent dans nos centres de données à Toronto et plusieurs, pour des raisons de langue, ont catégoriquement refusé de venir.

M. Biron: Je vous remercie. Voici ma dernière question là-dessus. Vous dites aussi, en tenant compte que vous avez de la difficulté à attirer vos employés à Montréal au siège social, que, dans le cas où le texte définitif de la loi ne tiendra pas compte des réalités nord-américaines et des réalités des banques, l'exploitation au Québec d'un siège social d'une banque deviendrait une activité coûteuse et difficile à assurer pour ne pas dire impossible. Est-ce que cela veut dire que, si on ne tient pas compte de tous ces problèmes, de toutes ces réalités-là, la Banque de Montréal, en particulier, sera dans une situation tellement difficile qu'un jour ou l'autre, le siège social devra quitter le Québec?

M. de Jocas: C'est une question de degré, de temps, mais, comme je le mentionnais tout à l'heure, s'il faut que, pour concurrencer les autres banques qui auraient leur siège à l'extérieur de Montréal, nous ayons un coût additionnel, à la longue, tout cela s'ajoute et se reflète au niveau des résultats. Nous serions donc dans un désavantage de rentabilité qui pourrait être plus ou moins marqué. Ce n'est pas une question de vie ou de mort, mais ce serait quand même une contrainte qui nous préoccupe. Alors, cela ne serait pas une situation à court terme, mais, sûrement, à moyen terme, nous aurions là des contraintes de coûts qui nous désavantageraient vis-à-vis de nos grands concurrents. Je crois que le ministre a déjà indiqué, de fait, qu'il avait été prévu qu'il y aurait peut-être certains assouplissements au projet de loi, ce qui nous rassure.

Pour répondre à cette inquiétude au sujet des sièges sociaux, je crois qu'il est important de noter que les sièges sociaux sont un apport signifitif à l'économie d'une région. Sans vouloir porter atteinte à d'autres sièges sociaux, à d'autres entreprises, les sièges sociaux sont quand même des entreprises, des centres qui emploient pas mal de monde, qui engendrent une activité économique significative, qui ne sont pas des pollueurs, qui ne demandent pas de subventions et qui sont des centres de décision très importants. Alors, nous' pensons que la présence des sièges sociaux n'est pas petite.

Elle est très importante et il est regrettable que chaque fois qu'on en parle, on semble vouloir dire que c'est de la menace, que c'est du chantage. Mais pour nous qui sommes banquiers ou qui en voyons beaucoup, c'est la réalité. On le voit de façon peut-être exagérée, mais de façon très réaliste.

M. Biron: Je vous remercie.

Le Président (M. Cardinal): Avec six minutes pour le parti de l'Opposition officielle, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Quand nous apportons des critiques au projet de loi, quant à la question des sièges sociaux que vous venez de mentionner, le ministre et le parti ministériel nous répondent toujours en nous disant qu'ils ont fait des stipulations, des prévisions spéciales, pour les sièges sociaux et que cela ne devrait pas affecter les sièges sociaux. Par exemple, j'attire votre attention sur l'article 58, qui prévoit que les articles sur la langue d'enseignement ne s'appliqueront pas pour ceux qui sont de passage au Québec, pour un temps limité.

Est-ce que vous voulez nous expliquer, au point de vue de la pratique, si cet article vous satisfait, ou encore comment peut-il vous affecter?

M. de Jocas: II faudra attendre la réglementation. L'article, certainement, nous inquiète. Il est assez difficile de dire: Les employés de passage. Dans des développements de carrière, il arrive souvent qu'on demande à un employé de l'extérieur de venir au siège social et peut-être qu'il y passe un an, deux ans ou trois ans. Mais au bout de trois ans, le plan voudra peut-être qu'il y reste pour un autre trois ans ou qu'il y termine sa carrière. Les choses ne sont pas précises à ce point dans la mutation.

M. Ciaccia: Dans la pratique, ce n'est pas une question que des employés viennent pour un temps limité. Ce n'est pas ainsi que la carrière d'un individu se déroule.

M. de Jocas: Je crois que les banquiers ont la réputation de déménager leurs gens trop souvent. Nos objectifs sont toujours de ralentir ce processus. Mais personne n'accède à un poste croyant qu'il y terminera ses jours. On évolue, d'un poste à un autre, et c'est ainsi d'ailleurs que les promotions et l'avancement se produisent.

M. Ciaccia: Beaucoup d'autres mémoires de la part d'hommes d'affaires ont manifesté des inquiétudes sur la question des sièges sociaux. On avait même posé la question à l'Association des manufacturiers du Québec. Selon cette dernière, le projet de loi décourageait certainement les sièges sociaux de s'implanter au Québec.

Si le projet de loi n'était pas amendé et que la Banque de Montréal ou d'autres compagnies jugeaient bon de déménager parce qu'elles ne pourraient pas fonctionner d'après leurs normes, est-ce que cette industrie serait remplacée dans votre cas, par d'autres et comment cela pourrait-il aider les Québécois de langue française? Est-ce que je pourrais avoir vos commentaires à ce stade, s'il vous plaît?

M. de Jocas: C'est d'abord une question hypothétique.

M. Ciaccia: Oui, c'est hypothétique, mais c'est hypothétique dans plusieurs mémoires qui nous ont été présentés.

M. de Jocas: Oui. Vous nous demandez si nous croyons que, si le projet de loi n'est pas amendé et qu'il est adopté dans sa forme présente, la perte de sièges sociaux qui en résulterait serait compensée par l'arrivée de nouveaux sièges sociaux ou de nouvelles activités économiques?

M. Ciaccia: Dans votre cas particulier, si — c'est très hypothétique — ...

M. de Jocas: Oui.

M. Ciaccia: ...la Banque de Montréal déménageait, est-ce que ce serait remplacé par une autre institution financière équivalente?

M. de Jocas: Par ce qui a été dit avant de l'activité de la banque, seulement 15% de nos affaires sont au Québec, je ne vois pas comment — je répète que c'est très hypothétique — si l'activité du siège social était obligée de partir du Québec, nous pourrions la remplacer. Je crois qu'il demeurerait ici nécessairement une administration importante pour nos affaires québécoises.

M. Ciaccia: Ce serait alors une perte tant pour les gens de langue française que pour ceux de langue anglaise?

NI. de Jocas: Théoriquement, oui.

M. Ciaccia: Pour tous les Québécois. Quand vous parlez du climat d'incertitude et du nom de votre banque, est-ce que, en dehors du Québec, vous employez le nom que je vois, la First Canadian Bank? Est-ce l'intention, au cas où il y aurait des difficultés ici, de changer votre nom? Quel est le but de...

M. de Jocas: M. le député, je vois que vous lisez aussi les journaux.

M. Ciaccia: Oui, et je voyage en dehors du Québec aussi.

M. de Jocas: Cette First Canadian Bank, la Première banque canadienne a, de fait, pris naissance, je crois, vers les années soixante-six, quand la banque a jugé qu'il était peut-être approprié de changer son image, de rajeunir son image et, ici, il y en a plusieurs qui peut-être se rappellent qu'avant cela, on se référait à la Banque de Montréal comme ma banque, "my bank". Maintenant, on a pris le nom de First Canadian Bank, la Première banque canadienne, je ne voudrais me référer qu'aux discours qu'ont prononcés notre président du conseil et notre président à notre dernière assemblée annuelle; ils ont catégoriquement nié les intentions de la banque de changer son nom à ce sujet.

M. Ciaccia: Merci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le député de Beauce-Sud.

M. Roy: Je n'ai rien à demander, M. le Président. Je vous remercie quand même.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le député de Verchères.

M. Charbonneau: M. le Président, j'aimerais approfondir avec vous certains aspects qu'on a développés un peu plus tôt. Vous avez dit que vous avez des succursales bancaires dans plusieurs pays à l'étranger. Est-ce que vous pouvez nous indiquer certains de ces pays, les plus importants?

M. de Jocas: Les Etats-Unis, évidemment... M. Charbonneau: Oui.

M. de Jocas: ...l'Angleterre, la France, la Hol-lance, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, le Japon.

M. Charbonneau: Et lorsque vous envoyez finalement... Par exemple, prenons l'hypothèse où un cadre supérieur anglophone est envoyé à Paris ou au Japon, comment est-ce que cela se passe? Lorsque ce cadre arrive en France ou au Japon, dans quelle langue fait-il instruire ses enfants? Dans quel système d'éducation fait-il instruire ses enfants?

M. de Jocas: Je dois peut-être préciser qu'il y a peut-être un sens pratique aussi quand nous décidons d'envoyer des gens en poste à l'étranger, voulant que normalement, on tâchera qu'ils aient une connaissance de la langue du pays. Alors, si on envoie des employés en France...

M. Charbonneau: Je parle des enfants des employés. Par exemple, un cadre supérieur peut très bien être bilingue, parler français et anglais, si vous l'envoyez à Paris, mais ce n'est peut-être pas le cas nécessairement de ses enfants.

M. de Jocas: Oui.

M. Charbonneau: Ordinairement, selon votre expérience, est-ce que vous avez des statistiques pour nous indiquer quels sont les systèmes d'instruction qu'utilisent vos employés à l'extérieur du Canada?

M. de Jocas: Je regrette, je n'ai pas la réponse. On n'a pas de statistiques ou d'études...

M. Charbonneau: Ne penseriez-vous pas que ce serait une bonne idée finalement d'approfondir cette question, surtout dans le débat actuel?

M. de Jocas: Je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire si cela serait une bonne idée. Je ne sais pas si cela nous apporterait quelque chose.

M. Charbonneau: Plusieurs témoins — plusieurs mémoires l'ont indiqué également — sont venus devant nous pour faire remarquer que le bilinguisme individuel, la possession d'une ou de plusieurs langues secondes, était une chose extrêmement importante dans le monde moderne, et en particulier dans le monde des affaires, est-ce que vous êtes d'accord avec cela?

M. de Jocas: Absolument.

M. Charbonneau: Dans ce cas, est-ce que vous ne trouveriez pas normal et intéressant pour justement arriver à cet objectif, qu'un cadre anglophone unilingue qui vient travailler à Montréal, au siège divisionnaire, puisse bénéficier pour ses enfants, d'un système d'instruction français, pour faire en sorte que lorsqu'il retournera à Toronto, à Vancouver ou à New York, il puisse dire à ses voisins: Ecoutez, contrairement à tous vous autres, mes enfants parlent français, ils l'ont appris au Québec.

M. de Jocas: Je crois que dans la pratique, vous trouverez qu'il existe beaucoup de ces cas. Il y a présentement énormément de cadres anglophones unilingues qui travaillent à Montréal, qui sont très réalistes et, justement, tirent avantage du fait qu'ils sont ici pour faire apprendre le français ou envoyer leurs enfants dans des écoles françaises.

M. Charbonneau: Est-ce que cet aspect de la question a été envisagé par les gens qui, dernièrement, semble-t-il, ont eu une sainte frousse du Québec et de Montréal, et pour des raisons linguistiques et scolaires, comme vous nous l'avez indiqué, ont refusé de venir à Montréal? De votre part, les avantages qui peuvent s'ensuivre au Québec, à ce propos, ont-ils été mis en relief?

M. de Jocas: J'ai l'impression que les gens qui avaient à faire face à cette situation ont évalué leur position, tous les impératifs que cela représentait. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, si on parle d'enfants qui arrivent au Québec et qui commencent leur éducation, c'est une chose que quand on parle de cadres d'âge moyen qui ont des enfants peut-être à des âges critiques, qui pourraient avoir certaines difficultés scolaires. Ils sont beaucoup plus soucieux de les voir terminer leurs études entreprises que d'y ajouter une dimension qui pourrait leur...

M. Charbonneau: En fait, ils sont plus préoccupés de finir leurs études que de devenir bilingues, parce que peut-être pour eux, ce n'est pas important?

M. de Jocas: Peut-être, à ce stade, oui.

M. Charbonneau: Est-ce que vous ne croyez pas que la disposition de l'article 58 qui permet, malgré tout, une période de trois ans, où des gens pourraient venir ici, s'adapter finalement et terminer leur cours, s'ils sont rendus à un niveau où...

M. de Jocas: Si on parle de personnes qui viennent travailler à la banque au Québec, dans les opérations du Québec, je serais porté à être d'accord. Si on parle de personnes qui travaillent à l'extérieur, à qui on demande de venir au siège social, de passage, parce que le siège social, comme on l'a déjà souligné avec force, c'est le centre administratif de nos opérations mondiales, cela peut devenir plus difficile à convaincre de l'utilité... On parle de bilinguisme ici, pensant qu'on parle du français et de l'anglais, mais il y a quand même du bilinguisme autre. Nous avons beaucoup de nos employés qui sont bilingues, qui parlent espagnol et anglais, qui parlent allemand et anglais. Il y en a à Montréal, il y en a ailleurs.

M. Charbonneau: Remarquez que si on part du principe qu'une langue seconde est toujours utile... J'ai souvent écouté des entrevues à la télévision ou de gens qui, justement, étaient des cadres supérieurs, des espèces d'itinérants dans le monde, qui avaient l'avantage d'envoyer leurs enfants à différents systèmes d'instruction et qui, après quelques années, pouvaient s'enorgueillir d'avoir des enfants qui parlaient trois ou quatre langues. Ou le bilinguisme est une bonne chose, pas uniquement pour les Québécois, ou c'est une mauvaise chose pour tout le monde.

M. de Jocas: Je crois que c'est une bonne chose pour tout le monde.

M. Charbonneau: Bon.

M. de Jocas: Mais, ce que je voudrais souligner, c'est que, quand on parle d'un siège social, il ne faut pas conclure que le bilinguisme qui est souhaitable pour l'ensemble de la population, ce soit nécessairement le français et l'anglais. Des gens qui sont au siège social d'une banque internationale qui a ses quartiers-généraux à Montréal, peuvent être bilingues, trilingues, quadrilingues, sans, malheureusement, avoir le français.

M. Charbonneau: Dans ce cas, si on prend le siège social de la Banque de Montréal, qui est à Montréal, quel est le pourcentage des postes de votre siège social à Montréal où il n'est pas nécessaire de parler le français?

M. de Jocas: Pas nécessaire de parler le français? Tous. A toutes fins pratiques, tous.

M. Charbonneau: Ce que je ne comprends pas, c'est que j'ai ici un rapport sur la politique linguistique des multinationales, qui a été soumis au gouvernement et qui fait suite à un voyage d'étude en Europe du Conseil de l'alimentation du Québec, qui a étudié le fonctionnement linguistique des multinationales. On y dit par exemple ici: "S'il s'agit de multinationales comme Uniliver ou Gloria, il y a une pratique établie et rigidement observée. Les communications administratives avec la hiérarchie suprême ou mondiale se font en anglais exclusivement, même s'il s'agit de multinationales hollandaises, allemandes, italiennes. Ces

opérations en anglais d'un secteur très restreint de l'ensemble du mécanisme administratif d'un bureau-chef d'une multinationale à Paris n'affectent en rien l'image, l'environnement ou le caractère globalement français de cette entreprise". Si c'est vrai pour des multinationales américaines ou de cet ordre qui, je pense, se comparent avantageusement avec la Banque de Montréal, personnellement, je me pose la question: Pourquoi ne serait-ce pas également vrai pour la Banque de Montréal?

M. de Jocas: Vous devrez admettre que cela dépend du domaine dont on traite. L'industrie n'est pas la même. Si vous voulez me dire que le Québec est un voisin de la France, on est quand même dans un contexte nord-américain. Il ne faut pas faire de comparaisons trop poussées.

M. Charbonneau: D'ailleurs, vous dites à un certain moment, à la page 10 de votre mémoire, qu'il y a certains droits qui sont retirés par le projet de loi no 1. Pourriez-vous préciser quels sont les droits qui, à votre avis, sont retirés?

M. de Jocas: Le droit d'appel semble être retiré du projet de loi no 1.

M. Charbonneau: Est-ce le seul droit qui, à votre avis, est retiré?

M. de Jocas: Le droit d'utiliser son nom en anglais au Québec.

M. Charbonneau: Et encore?

M. de Jocas: Le droit d'envoyer ses enfants a l'école anglaise.

M. Charbonneau: Vous considérez que c'est un droit acquis alors que cela n'existe nulle part ailleurs au monde?

M. de Jocas: Dans le contexte de notre siège social, c'est une inquiétude pour nous.

M. Charbonneau: Vous indiquez ici, à un certain moment... Il y a une question que je me pose. Ne trouvez-vous pas que l'analyse de la situation économique des francophones au Québec indique qu'on ne peut plus se fier à la bonne volonté pour s'assurer qu'on n'exigera la connaissance de l'anglais que pour des fonctions nécessitant absolument l'anglais? Ne trouvez-vous pas que, finalement, on l'a expérimentée suffisamment longtemps, cette notion de bonne volonté, pour comprendre qu'aujourd'hui on ne peut plus s'en contenter?

M. de Jocas: Non. Je ne serais pas d'accord avec cet énoncé. Il me semble qu'il y a eu plus que de la bonne volonté. Il y a eu des gestes. Il y a eu une prise de conscience, il y a eu énormément de fait pour atteindre ou viser vers l'atteinte des objectifs que, je crois, l'ensemble de la société, que ce soient les banques ou autres considère valable, la francisation de plus en plus grande de nos opérations au Québec.

M. Charbonneau: D'accord. Mais je vous souligne des chiffres qui ont été préparés à la suite d'études gouvernementales ou autres. Par exemple, on dit que 35% de la main-d'oeuvre francophone se trouvait, en 1971, dans des activités de travail en situation soit de bilinguisme assez poussé, 32%, soit d'unilinguisme anglais.

On ajoute un peu plus loin "...pour le groupe majoritaire fortement regroupé sur son territoire que constituent les francophones et même en tenant compte de la pression de l'anglais en Amérique du Nord — je pense qu'on ne peut pas la nier — il semble exagéré qu'une aussi forte proportion de la main-d'oeuvre francophone soit soumise à un emploi aussi élevé d'une autre langue que sa langue maternelle..." et on ajoute "...surtout si l'on retient et on accepte comme norme de l'emploi des langues au travail pour des pays ou des régions de taille et de structure économique analogue que 10% à 15% des employés ont à connaître et à utiliser pour les communications externes une autre langue que la langue nationale."

Ici, notre situation est de 35%. Il me semble qu'il y a une marge un peu trop élevée et anormale pour les 35% de gens qui sont pratiquement obligés de parler anglais, alors que partout dans le monde le pourcentage de gens qui sont effectivement obligés de travailler en anglais n'est que de 10 à 15%. Probablement qu'on retrouve cette concentration de 10% à 15% plus dans les sièges sociaux que dans d'autres types de travaux ou d'emplois dans une société.

Ne considérez-vous pas que malgré toute la bonne volonté, il y a encore un écart inadmissible au Québec comparativement à ce qu'il y a ailleurs dans le monde?

M. de Jocas: On est parti de loin et il serait peut-être dramatique de vouloir que cet écart se rétrécisse trop vite, mais je crois que le progrès qui a été fait... D'abord, on ne peut pas se porter garant, nous de la banque, de tout le monde, mais je craindrais beaucoup plus qu'on veuille en faire trop trop vite et qu'on risque d'engendrer... ou de nuire à la compétence des francophones qui, de fait, méritent, de par leurs efforts, de par leur travail, de par leur orientation, d'accéder de plus en plus à des postes supérieurs dans les entreprises et cela se fait... Il faut reconnaître ce qui s'est fait et non pas regretter ce qui ne s'est pas fait il y a peut-être 20 ans.

M. Charbonneau: Dans une autre partie de votre mémoire, vous indiquez qu'il serait préférable que la responsabilité entière des programmes de francisation revienne à la direction de l'entreprise. Alors la question que j'ai à vous poser est celle-ci: Dans ce cas, comment peut-on avoir des garanties que ce programme de francisation sera mené à terme, sera bien mené alors qu'effectivement l'entreprise que vous représentez ne croit pas à la francisation, entre autres, du siège social, particulièrement du siège social?

M. de Jocas: Je crois que c'est peut-être mettre des intentions à...

M. Charbonneau: Mais vous nous avez dit tantôt qu'il n'est pas nécessaire et utile d'avoir le français dans un siège social.

M. de Jocas: Je ne pense pas avoir employé le mot utile.

M. Charbonneau: Nécessaire, sans doute.

M. de Jocas: Nécessaire, non. C'est tout à fait juste. Il n'est pas nécessaire, mais il est utile et souhaitable qu'il y ait de la francisation. Certainement. Mais ce n'est pas nécessaire, au niveau du siège social.

M. Charbonneau: Justement parce que vous considérez que ce n'est pas nécessaire, ne trouvez-vous pas que, collectivement, les citoyens, par l'intermédiaire de leur Etat, doivent se garantir que cela soit plus que nécessaire, que le nécessaire soit exploité au maximum?

M. de Jocas: Je crois que si nous examinons... Nous avons, de fait, fait une évaluation assez sommaire. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, nous n'avons pas fait une analyse détaillée et approfondie des langues parlées par nos employés, mais nous savons, par contre, que présentement quelque 50% de nos employés au siège social — je dis bien au siège social — sont bilingues, anglais et français. La majorité, évidemment, de ces 50% sont des francophones. Cela représente une augmentation d'à peu près 10% par rapport à ce qui existait il y a quelques années.

Alors, il y a quand même une réalité. On vit au Québec et on se sert des talents qui existent autour de nous, mais notre recherche n'est pas d'aller chercher des francophones pour occuper des postes. Nous prenons les gens disponibles, qui ont la compétence qu'on recherche et qui, préférablement, sont bilingues et parlent français, mais ce n'est pas la condition d'embauche au siège social.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Verchères, une dernière et très brève question, s'il vous plaît.

M. Charbonneau: Ce serait plutôt pour faire une dernière remarque. Personnellement, je comprends très bien l'intention de la Banque de Montréal. Je suis assez sensible, je pense, à certaines des remarques que vous avez formulées, mais je crains, par ailleurs, qu'une telle attitude d'un siège social ou d'une entreprise à Montréal, au Québec, ne perpétue les espèces de ghettos dans lesquels se sont enfermés, en grande partie, les anglophones de notre société au Québec.

Je vis dans un comté où il y a une portion importante qui est occupée par des anglophones. Ils sont tous concentrés dans un même milieu tant géographique qu'humain et je ne peux pas faire autrement que de constater que ces gens-là se sont carrément isolés parce que, justement, il n'était pas nécessaire pour eux de parler français au Québec, dans une société majoritairement francophone. Ils vivaient dans un monde à part et, aujourd'hui, quand on se parle, ces groupes-là et nous, nous ne pouvons pas nous comprendre parce que nous ne parlons pas en fonction des mêmes schemes. On n'a même pas la même analyse de la réalité. C'est ce que je crains, finalement, dans cette attitude. Par ailleurs, j'ai pris bonne note et je pense que l'ensemble, du côté ministériel, a pris bonne note de vos remarques et j'espère que, de votre côté, vous allez revoir l'analyse que vous faites en fonction de certains articles qui prévoient, à mon sens, beaucoup d'aménagement et beaucoup de souplesse quant au fonctionnement des sièges sociaux. Je pense que, malgré certaines attaques, ce n'est pas d'une façon cavalière qu'on a indiqué, dans le projet de loi, qu'on considérait la situation des sièges sociaux comme étant une situation particulière qui méritait d'être une exception à la règle.

Le Président (M. Cardinal): M. de Jocas, un instant, s'il vous plaît. Théoriquement, vous n'avez pas droit de réplique et, de fait, les réponses des porte-parole de la Banque de Montréal ont été très longues et nous avons vraiment dépassé le temps du débat. Cependant, je vous permets un très bref commentaire, très bref. Je vous en prie.

M. de Jocas: D'accord. Je voudrais simplement noter que la Banque de Montréal apprécie le fait qu'elle ait pu présenter ce mémoire et exposer, comme nous l'avons fait...

Le Président (M. Cardinal): Ecoutez, il faudrait bien s'entendre. Je m'excuse. Ce n'est pas terminé. Il y a M. le député de Beauce-Sud qui a encore cinq minutes. Et Mme le député de L'Acadie qui a environ deux minutes. Mais le total du temps de l'audition de ce mémoire dépasse vraiment de beaucoup le temps attribué par la motion. C'est pourquoi je me suis permis de vous interrompre. Je vais donner la parole au député de Beauce-Sud, avec cinq minutes, comme il le sait, et nous terminerons avec Mme le député de L'Acadie.

M. Roy: Merci, M. le Président. Comme je ne pourrai pas, évidemment, dans le court laps de temps que j'ai à ma disposition, aborder des questions de fond, je me limiterai à poser quelques questions techniques pour avoir une opinion plus éclairée et une meilleure connaissance de l'institution bancaire qui se présente devant la commission parlementaire ce matin. Vous avez parlé d'un actif de $22 milliards, si ma mémoire est bonne. Est-ce qu'il s'agit de l'actif canadien ou de votre actif international?

M. de Jocas: 25% serait international.

M. Roy: Sur les $22 milliards comme tels, 25%.

M. de Jocas: Oui. A peu près. J'ai mentionné $22 milliards. C'est un chiffre approximatif.

M. Roy: Ce qui veut dire que l'actif canadien serait de l'ordre de $17 milliards.

M. de Jocas: Oui.

M. Roy: Pour l'actif québécois, est-ce que vous avez des données qui nous permettent de comparer, de détailler l'ensemble de votre actif canadien par province? Est-ce que vous avez des données là-dessus?

M. de Jocas: Nous en avons sûrement. Evidemment, il y a des aspects concurrentiels dans tout cela, mais quand même. Je crois avoir mentionné un peu plus tôt qu'à peu près 15% à 16% de nos activités étaient des activités québécoises.

M. Roy: Des activités qui se comparent également avec l'actif, j'imagine? C'est proportionné à l'actif?

M. de Jocas: Oui; évidemment, il y a ce fameux phénomène du siège social qui apporte une activité économique où il se trouve. Il peut être jugé comme par accident au Québec, mais il est quand même au Québec, parce que le siège social est ici. Alors, c'est une question de statistique, d'activité économique, qui est assez délicate parce qu'on peut jouer sur des chiffres, mais je crois que nous pouvons dire qu'à la Banque de Montréal, il y a un équilibre satisfaisant de nos opérations bancaires au Québec; autrement dit, notre actif et notre passif sont assez bien équilibrés et, s'il devait y avoir un débalancement, ce serait plutôt parce que nous avons plus de prêts au Québec que nous avons de dépôts.

M. Roy: Maintenant, je vois que ces 15%, si on les compare au pourcentage de la population québécoise, par rapport à la population canadienne qui est de 27%, 28%, il y a quand même une marge assez appréciable. J'aimerais vous poser une deuxième question. Vous avez déclaré que, sur un nombre de 1240 succursales, vous en avez 215 dans la province. De ces 215 succursales, est-ce que vous êtes en mesure de nous dire combien sont situées dans l'agglomération de Montréal et combien de succursales relèvent du bureau de Québec?

M. de Jocas: Toutes les succursales au Québec relèvent d'un bureau divisionnaire.

M. Roy: Vous avez deux bureaux, un à Québec et un à Montréal...?

M. de Jocas: Non, nous avons un bureau divisionnaire à Montréal, situé à l'extérieur du siège social, et nous avons des directeurs régionaux. D'abord, nous avons deux vice-présidents qui sont responsables chacun, grosso modo, de l'est et de l'ouest de la province, à peu près également divisé. Chacun de ces vice-présidents a sous lui des directeurs régionaux responsables d'un certain nombre de succursales et deux de ces directeurs régionaux ont leurs bureaux ici à Québec.

M. Roy: Est-ce que vous êtes en mesure de nous dire combien il y a de succursales dans le Montréal métropolitain et combien ailleurs au Québec?

M. de Jocas: Nous avons à peu près 110 succursales dans le grand Montréal, ce qui laisserait 105 succursales pour le reste de la province, réparties à travers la province.

M. Roy: En sommes, vous êtes une institution bancaire beaucoup plus centrée dans les centres urbains que dans les régions éloignées du Québec?

M. de Jocas: Je crois qu'un réseau de 105 succursales est quand même important.

M. Roy: Cela représente à peu près deux succursales, au maximum par comté quand même.

M. de Jocas: Oui, mais est-ce que vous voudriez suggérer qu'on ferme les succursales de Montréal pour établir un meilleur équilibre?

M. Roy: Non, je ne vous fais pas de suggestion, je vous interroge sur les structures de votre institution bancaire. Vos institutions sont beaucoup plus centrées à Montréal, mais il y a évidemment de grands centres qui ont plusieurs succursales. Cependant lorsqu'on parcourt le Québec, on se rend compte qu'il y a très peu de succursales dans les régions rurales comme telles, très peu. En somme, cela me fait dire que vous êtes beaucoup plus une banque qui fait affaires avec le grand monde économique, donc avec le monde anglophone du Québec. Vous êtes une institution bancaire qui dessert une clientèle beaucoup plus anglophone que francophone, dans son ensemble.

M. de Jocas: Non, je ne suis pas d'accord pour dire que c'est ce que nous sommes, voulant laisser entendre par là que c'est ce que nous voulons être. Ce n'est pas juste. Peut-être le sommes-nous, peut-être avons-nous une prépondérance d'entreprises anglophones qui font affaires avec nous depuis très longtemps. C'est vrai, mais notre objectif est assurément d'être la banque de tout le monde.

M. Roy: Oui, je comprends, mais entre ce qu'on souhaite et ce qu'on retrouve dans la réalité, il y a parfois une large marge. Ma question concernait beaucoup plus la réalité que les souhaits ou les voeux.

M. de Jocas: Mais la réponse à votre question serait peut-être d'inciter certains de nos compétiteurs francophones à fermer quelques-unes de leurs succursales pour qu'on puisse prendre leur place.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Beauce-Sud, j'ai attendu que vous ayez fini votre phrase, je sais que vous n'aimez pas être interrompu. Votre temps est écoulé, mais si vous avez un dernier commentaire, je vous le permettrai.

M. Roy: J'ai minuté, M. le Président, et j'ai terminé.

Le Président (M. Cardinal): Mme le député de L'Acadie, avec deux minutes, s'il vous plaît.

Mme Lavoie-Roux: Je m'excuse, c'est le député de Jacques-Cartier.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Jacques-Cartier, d'accord.

M. Saint-Germain: J'aimerais revenir, M. le Président, sur ces questions des ordres professionnels. Vous dites que vos employés qui font partie d'un ordre professionnel font face à certains inconvénients au Québec avec la loi sur la langue. Pourriez-vous nous donner des exemples pratiques? A titre d'exemple, je vois ici un comptable en poste à notre siège social à Montréal. C'est un comptable qui a été employé en dehors de la province, je suppose. De quelle façon... il y a là un inconvénient...

M. de Jocas: II faut peut-être regarder dans l'exemple cité le terme comptable dans son sens beaucoup plus large. On a des inquiétudes à différents niveaux; on ne parle pas nécessairement de beaucoup de monde, mais on parle des gens hautement spécialisés, nous avons par exemple... Nous sommes en train d'instaurer un système d'informatique très grand, un réseau très vaste et très complexe, et qui requiert des spécialistes qui ne sont pas nécessairement disponibles au Québec, même pas au Canada. Nous en avons besoin pour mettre au point nos systèmes. C'est ce genre de professionnels qui nous préoccupent.

Dans le domaine des transactions internationales, il y a certains spécialistes professionnels qui ont acquis de l'expérience à l'extérieur du Canada que nous voudrions attirer chez nous pour compléter les services que nous offrons déjà. Encore là, c'est un exemple de situation qui nous préoccupe.

M. Saint-Germain: Lorsque vous engagez ces comptables, entre autres, est-ce que, nécessairement, ils ont l'obligation de signer des documents? Cela ne les empêche pas de faire l'ouvrage ou de prendre les responsabilités que vous leur demandez, si ce sont des spécialistes. Dans ces conditions, j'imagine bien que le comptable puisse aller en Ontario ou dans une autre province, pour les règlements, les examens, les conditions d'admission, ce n'est réellement pas limité à la langue. Je suppose que ces mêmes comptables, s'ils voyagent à travers le monde, ne font pas toujours partie des ordres de leur profession, à chaque endroit où ils sont employés?

M. de Jocas: La langue qu'ils devront connaître en venant chez nous sera nécessairement l'anglais.

M. Saint-Germain: Je parle de faire partie de l'ordre. Il me semble que...

M. de Jocas: S'ils ne peuvent pas avoir leur certificat les autorisant à pratiquer leur profession au Québec, j'imagine qu'il en résultera qu'ils ne pourront pas travailler chez nous. Est-ce qu'ils peuvent exercer leur profession sans avoir la permission de travailler au Québec?

M. Saint-Germain: Mais vous parlez aussi des architectes, entre autres. Vu que la banque n'est pas dans le domaine de la construction, de l'investissement domiciliaire, j'entends, dans la construction, surtout l'entretien ou la location, je vois mal comment il se fait que vous pouvez avoir besoin de tellement d'architectes, il y en a déjà au Québec, soit de langue anglaise...

M. de Jocas: C'est surprenant, mais nous avons quand même...

M. Saint-Germain: ...ou de langue française et ceux que vous avez comme architectes peuvent certainement s'associer et travailler en coopération avec les architectes qui sont déjà à votre emploi et qui, eux, font partie de l'Ordre des architectes du Québec...

C'est un peu la même chose, vous parlez aussi de l'ordre...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Jacques-Cartier, je m'excuse. Voyez-vous...

M. Saint-Germain: Je termine. Je voudrais simplement faire remarquer aue vous parlez des professionnels en gestion financière. Je ne crois pas qu'il y ait d'ordre, au Québec, spécifiquement pour la gestion financière; je pense que ce n'est même pas considéré comme une profession au Québec, ou du moins, avec un titre exclusif et avec des responsabilités bien déterminées.

M. de Jocas: Ces mêmes professionnels dans la gestion financière sont souvent des professionnels, ce sont soit des ingénieurs, etc., qui font partie d'un ordre et qui, d'après l'article de la loi, ne pourraient pas, sans l'obtention d'un certificat, pratiquer leur profession, ou ne pourraient pas transiger avec leur association, en anglais.

Je crois que dans le contexte d'une banque, ce ne sont quand même pas les considérations les plus importantes de notre préoccupation, mais elles sont quand même réelles. On les a simplement notées.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Merci beaucoup, M. de Jocas, ainsi que vos collègues, porte-parole de la Banque de Montréal. Vous avez été patients, vous êtes revenus ce matin, malgré les difficultés que nous connaissons. Merci aussi aux membres de la commission.

J'invite Immédiatement le Conseil du patronat du Québec, qui est représenté, je pense, par M. Pierre Des Marais II.

Bonjour M. Des Marais. Suivant les règles de cette commission qui me lie, à la suite d'une motion, vous devez tout d'abord vous identifier, identifier le groupe que vous représentez, identifier les gens qui vous accompagnent et vous aurez ensuite 20 minutes pour exposer votre mémoire ou en faire un résumé. M. Des Marais.

Conseil du patronat du Québec

M. Des Marais (Pierre): M. le Président, M. le ministre, madame et messieurs, je vais d'abord présenter les gens qui sont avec moi. A ma droite, M. Ghislain Dufour, qui est vice-président exécutif du Conseil du patronat; à ma gauche, M. Edmond Ricard, qui est président de l'Imperial Tobacco, qui est un membre corporatif du Conseil du patronat; à sa gauche, M. Aimé Gagné, qui est vice-président de la Société d'électrolyse et de chimie d'Alcan, qui est aussi un membre corporatif du Conseil du patronat; à la droite de M. Dufour, M. Roger Martin, qui est vice-président, relations industrielles, de Domtar Limitée, qui est un membre...

Une Voix: ...M. Des Marais...

M. Des Marais: J'arrive. ...qui est membre corporatif...

Une Voix: N'allez pas trop à droite.

M. Des Marais: ...et à sa droite, un nouveau membre...

Une Voix: Un nouveau membre.

M. Des Marais: ...nous tentons de recruter depuis quelque temps et qui enfin s'est joint à nous et qui a vu la lumière. Je suis Pierre Des Marais II, président du Conseil du patronat du Québec.

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, il est 11 h 20, à l'horloge officielle. Vous devrez donc terminer pour 11 h 40. Ensuite, il y aura 70 minutes pour les questions des membres de la commission. M. Des Marais.

M. Des Marais: M. le Président, nous avons fait parvenir copie du mémoire et notre intention, ce matin, c'est de passer à travers les sept premières pages du mémoire — vous avez reçu aussi un résumé du mémoire — et de passer ensuite au résumé pour la deuxième partie.

Le Président (M. Cardinal): Puis-je tout de suite vous faire une suggestion? Vous avez le droit de demander que ce qui ne sera pas lu soit déposé et reproduit en annexe au journal des Débats.

M. Des Marais: M. le Président, je vous remercie et j'en fais la demande.

Le Président (M. Cardinal): C'est accordé, M. Des Marais.

M. Des Marais: Le Conseil du patronat du Québec a été créé en 1969. Les membres qui élisent son conseil d'administration sont 125 associations patronales professionnelles (verticales) et interprofessionnelles (horizontales) qui représentent tous les genres d'entreprises économiques privées ou parapubliques du Québec.

La création du CPQ est une conséquence, entre autres choses, de l'évolution de la société politique contemporaine, société dans laquelle l'Etat veut s'adresser à des porte-parole autorisés de chacun des groupes sociaux importants.

Contre la dispersion traditionnelle des groupes patronaux, le CPQ a pour tâche de coordonner les activités des diverses associations patronales et de dégager par la consultation une philosophie commune. Le CPQ est ainsi devenu, au cours des années, un lieu de concertation où se rencontrent des représentants des entreprises du Québec dans toute leur diversité.

Dès sa première année d'existence, le CPQ a été confronté avec les problèmes linguistiques du Québec et c'est au terme de cette première année qu'il soumettait un mémoire à la commission Gendron. Par la suite, il devait recueillir les diverses opinions qui se formaient dans les entreprises à partir du rapport de cette commission, puis à l'occasion de la discussion d'une première loi sur les droits linguistiques et enfin lors des multiples consultations qui ont influencé la réglementation consécutive à cette loi sur la langue.

D'une chose à l'autre, depuis 1969, le débat sur les questions linguistiques du Québec n'a jamais cessé et c'est par une réflexion continue que les opinions ont pris leur forme définitive. Les positions que le CPQ exprime aujourd'hui ne sont pas improvisées, elles sont le fruit d'une analyse détaillée de toutes les hypothèses imaginables et de toutes les contraintes qu'impose la réalité.

Ses positions sont cohérentes et fermes, parce qu'elles ont été longuement mûries dans des débats difficiles.

Les principes qui ont guidé l'analyse que le CPQ a faite de la réalité linguistique du Québec peuvent se résumer en trois propositions:

La promotion du français... Le CPQ est d'accord avec l'idée générale d'une action concertée entre l'Etat, les entreprises et les citoyens en vue de promouvoir l'usage du français au Québec et de parvenir à en faire la langue principale dans les activités économiques et culturelles.

La promotion des francophones: Le but concret que poursuit le CPQ à travers la promotion du français, c'est d'abord et avant tout la promotion des francophones. Ce sont les intérêts concrets des citoyens du Québec, dont la majorité sont des francophones, c'est leur bien-être et leur progrès que le CPQ veut défendre.

La promotion économique du Québec. C'est pourquoi les moyens proposés pour assurer l'évolution linguistique désirable doivent tenir compte des conditions de la vie et du développement éco-

nomique d'un Québec intégré à l'économie nord-américaine.

Quant à l'attitude générale vis-à-vis du projet de loi no 1, en premier lieu, la reconnaissance du bien-fondé des principes. Dans la mesure où l'intention du projet de loi no 1 est d'inscrire dans la vie concrète du Québec une présence toujours plus active du français et des francophones, le Conseil du patronat l'appuie fermement. En particulier, il est d'accord sur les objectifs généraux suivants: droit de la majorité francophone de parler sa langue au travail et d'être servie dans sa langue; caractère fondamentalement français de l'Etat du Québec; nécessité de donner, par l'affichage et les autres textes exposés à la vue du public, une image fidèle de la réalité du Québec et, enfin, le respect des minorités.

Choix des moyens. Cependant, dans le choix des moyens pour atteindre ces objectifs, le CPQ croit que la promotion du français ne peut pas être considérée comme un absolu, et que d'autres objectifs sociaux — les libertés démocratiques fondamentales, le progrès économique, le respect des minorités — doivent fixer les limites de l'intervention directe de l'Etat dans la vie des citoyens.

En particulier, nous voulons noter, d'abord, trois idées générales à propos du choix des moyens: Tenir compte des facteurs autres que la langue dans la définition d'une politique linguistique. Le projet de loi no 1 porte sur la promotion du français. Elle veut généraliser l'usage du français dans toute la vie publique du Québec. Dans le choix des moyens, cependant, le législateur doit tenir compte des autres facteurs parmi lesquels est situé le facteur langue dans la vie d'une société donnée. Notamment, la promotion de la langue française doit être dans le concret réalisée en tenant compte des conditions du développement économique, des relations commerciales et technologiques du Québec, avec l'ensemble de l'économie nord-américaine, du droit des citoyens du Québec de conserver et de développer les niveaux de vie auxquels ils sont habitués et les biens que leur procure l'intégration économique du Québec au continent nord-américain. Malgré que le législateur veuille parler spécifiquement du français au Québec, nous croyons qu'il ne peut aborder cette question dans l'abstrait.

Dans une loi qui parle spécifiquement du français, il paraît au premier abord naturel de ne pas spécifier les droits que l'on veut reconnaître, par ailleurs, aux anglophones, ni non plus la nécessité pour un bon nombre de francophones du Québec, d'avoir une bonne connaissance de l'anglais. Mais le fait de faire ces autres aspects de la réalité linguistique du Québec crée une ambiguïté qui affaiblit, à notre avis, la Charte de la langue française. Dans le concret, la place du français au Québec ne peut pas ne pas être relative à la place de l'anglais dans la science, la recherche et le commerce international, et à la place de l'anglais dans les relations du Québec avec le monde économique auquel il est intégré. Ne pas tenir compte de cet aspect des choses dans la rédaction de la charte, c'est simplement rendre cette charte abstraite et irréaliste. Enfin, si on considère, non pas le français séparément, mais les francophones, il est loin d'être assuré que l'on travaille pour leur plus grand bien, en réduisant leur monde culturel. Par contre, pour les anglophones qui, par l'effet de la loi, deviendraient bilingues, il s'agirait pour eux d'un développement culturel majeur. L'intention du législateur est respectable: Faire porter le poids du bilinguisme par la minorité et non par la majorité comme dans n'importe quel pays du monde. Cette considération est incomplète, car la situation géographique du Québec place le Québécois francophone en position de minoritaire dès qu'il sort de son territoire, et l'unilinguisme français devient alors un obstacle majeur à la participation des Québécois francophones à la vie scientifique et économique internationale.

La promotion du français dans la vie économique du Québec ne se fera pas sans la collaboration continue des nombreux agents économiques. Dès l'abord, la charte semble supposer que cette collaboration ne peut pas être obtenue par la concertation. Des objectifs généraux sont fixés, puis une machine administrative énorme serait mise en place pour imposer une réglementation; ensuite, on parle d'enquêtes, de poursuites judiciaires, d'amendes et enfin d'interdiction d'exister pour les organismes qui ne respecteraient pas les objectifs fixés. Cette façon d'aborder la promotion d'une valeur culturelle de la part d'un gouvernement qui veut parler au nom d'une majorité, semble montrer un esprit défaitiste. En même temps que la loi affirme défendre les droits légitimes de la majorité, dans le respect des droits de la minorité, elle semble affirmer que la majorité n'a pas les moyens de convaincre la minorité de la légitimité de ses objectifs. Il paraîtrait plus naturel d'essayer d'abord une démarche fondée sur la confiance réciproque et appelant la collaboration.

A rencontre de certaines propositions de l'actuel projet de loi, pour tenir compte de la situation concrète dans laquelle doit s'inscrire notre volonté collective de promouvoir l'usage du français, le CPQ veut présenter quatre propositions principales:

La première, la langue de l'école et mobilité des personnes de compétence nationale et internationale: Concevoir un régime scolaire qui rend toujours possible le recrutement national et international des compétences nécessaires à l'amélioration de la gestion de nos entreprises, à la recherche et à l'innovation technologiques.

Les permis: Eviter que l'obtention d'un permis quelconque soit conditionnelle à des considérations discriminatoires autres que celles pour lesquelles il a été spécifiquement créé (règle commerciale, contrôle financier, sécurité, santé, protection du public, etc.).

Les sièges sociaux: S'assurer que les sièges sociaux de sociétés faisant affaires à l'extérieur du Québec trouvent au Québec des conditions favorables à leur développement; de même, s'assurer que les sociétés nationales ou internationales dont le siège social est à l'extérieur du Québec, aient avantage à faire du Québec leur principale place d'affaires pour le Nord-Est américain.

Quatrièmement, les responsabilités de l'entre-

prise. Définir le rôle et la composition de "comités de francisation" dans les établissements industriels de façon à ne pas introduire artificiellement des principes de gestion contraires à ceux habituellement utilisés dans notre milieu. Un "comité conjoint" ne peut être que consultatif si l'entreprise, selon la loi, est tenue responsable de sa francisation.

Ce sont là les quatre points majeurs que le CPQ a retenus des multiples consultations qu'il a faites auprès de ces membres. Une large unanimité s'est exprimée à propos de l'importance primordiale de ces quatre points pour la vie de l'entreprise au Québec. Ce souci n'est pas particulier à un type d'entreprise seulement. Sur l'ensemble des entreprises qui font la vie économique du Québec, celles qui sont en contact direct avec les centres de recherche et de développement internationaux et qui ont des rapports quotidiens avec Toronto, New York, Londres ou Paris représentent évidemment un nombre limité. Malgré cela, tous les chefs d'entreprises sont conscients que même une petite entreprise locale est dépendante du bon fonctionnement de l'ensemble du réseau économique. De plus, l'espoir de la petite entreprise locale est de se développer jusqu'à entretenir elle-même des relations commerciales internationales. Enfin, l'un des apports de l'Etat pour aider la PME à se développer est de lui faciliter l'accès à des marchés internationaux. Ainsi, dans toute la vie économique du Québec, au niveau de l'Etat autant que de l'entreprise, dans la petite entreprise autant que dans la grande, est présent ce souci de tirer, pour nous-mêmes, le meilleur profit possible de notre intégration à l'économie internationale. Les préoccupations qu'exprime le CPQ à propos des conditions favorables au développement des entreprises sont donc largement partagées par l'ensemble des gestionnaires des entreprises québécoises, quelle que soit la stature de ces entreprises.

Ce n'est pas le but du CPQ dans ce mémoire de proposer au gouvernement la forme précise que devrait prendre la loi sur les droits linguistiques au Québec. Il veut faire part au gouvernement de ses objectifs et il fait confiance aux juristes et au législateur pour donner sa forme définitive à la loi. Nous passons quand même en revue, chapitre par chapitre, l'actuel projet de loi, non pas pour en faire une analyse juridique, mais pour avoir l'occasion de préciser les idées générales qui précèdent.

A ce moment-ci, M. le Président, je voudrais aller au résumé des recommandations à la page 2: Les principales préoccupations du CPQ. A rencontre de certaines propositions de l'actuel projet de loi, pour tenir compte de la situation concrète dans laquelle doit s'inscrire notre volonté collective de promouvoir l'usage du français, le CPQ veut présenter quatre propositions principales. La première, langue de l'école et mobilité des personnes de compétence nationale et internationale.

Excusez-moi, M. le Président, je suis en train de répéter le résumé des dernières recommandations. Je vais plutôt aller à la page 3 du petit document.

Dans cette analyse, le CPQ note, entre autres choses, l'inexactitude et les dangers d'une définition du "peuple québécois" qui tient compte de la langue seulement; l'utilité d'une version anglaise, non seulement des lois, mais aussi des projets de loi et des règlements; la nécessité d'assurer la concordance des lois fédérales et provinciales sur l'étiquetage; le caractère inutilement restrictif de certaines propositions s'appliquant aux organismes au service de la communauté anglophone du Québec; les responsabilités trop nombreuses et trop compliquées accordées à un seul organisme, l'Office de la langue française, qui est destiné à devenir un monstre administratif. Cependant, les remarques les plus importantes du CPQ portent sur les sujets qui auront des répercussions directes sur la vie économique ou sur la vie des entreprises. Ce sont les suivantes:

Premièrement, l'usage de l'anglais dans les centres de recherche et de développement. Le Québec a déjà au-delà de 200 centres de recherche et de développement hautement spécialisés. Il a intérêt non seulement à maintenir vivants ces centres, mais aussi à faciliter leur développement. Or, le personnel des centres de recherche et de développement se recrute partout dans le monde et la langue commune de ces scientifiques, c'est l'anglais. Les lois du Québec n'y peuvent rien.

Deuxièmement, ne pas confondre les problèmes de relations de travail et les problèmes inhérents à l'application d'une loi sur la langue. L'article 36 est inutilement contraignant pour les employeurs. Nous ne nous opposons pas au principe de cet article. Nous trouvons cependant malsain de faire arbitrer une présumée infraction à la loi sur la langue par un commissaire-enquêteur en vertu du Code du travail. Outre le fait que, dans une telle orientation, le fardeau de la preuve relèvera de l'employeur, cette disposition confond les problèmes de relations de travail et les problèmes inhérents à l'application de la loi no 1.

Une telle confusion ne servirait ni la cause du français, ni les intérêts des syndiqués. Les infractions présumées à la loi sur la langue pourraient devenir, dans certains cas, des armes de harcèlement dans un conflit ouvrier rendant ainsi les relations de travail plus compliquées et faisant de la loi sur la langue une arme dans une lutte qui n'a aucun rapport avec la promotion du français.

Pourquoi ne pas prévoir tout simplement que les infractions au chapitre VI de la loi sur la langue seraient traitées comme n'importe quelle autre infraction à la loi, avec les mêmes risques de poursuite.

Troisièmement, la langue de l'école. Le CPQ ne peut accepter que les enfants de personnes de langue anglaise qui viendront s'installer au Québec après l'entrée en vigueur de la loi ne puissent inscrire leurs enfants à l'école anglaise. Rien ne nous paraît justifier, tant au plan de la promotion du français que sur le plan économique, une telle décision.

Outre que nous devons reconnaître le besoin de la communauté anglophone québécoise de se ressourcer à l'extérieur du Québec pour s'épanouir, il nous est essentiel de reconnaître aussi

qu'en empêchant les anglophones qui viendront s'installer au Québec d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, nous nous créons à nous-mêmes des difficultés économiques très réelles. Comment en effet, serait-il possible, dorénavant de déplacer des cadres de Toronto, de Vancouver, de Londres ou de New York vers Montréal, quand on songe que, dans la recherche de personnel de compétence internationale, Montréal est en concurrence avec toutes les grandes villes nord-américaines?

La loi actuellement doit donc aborder toute cette question de la langue d'enseignement avec une grande ouverture d'esprit. Elle doit tenir compte de la réalité géographique dans laquelle se situe le Québec et des énormes ressources en capital humain et financier dont elle priverait le Québec si elle était trop coercitive. A cet égard, le législateur doit être le porte-parole de toute la collectivité québécoise, et non seulement du groupe majoritaire.

Quatrièmement, les pouvoirs discrétionnaires de l'Office de la langue française.

Nous ne pouvons accepter que le législateur accorde autant de pouvoirs discrétionnaires à un organisme administratif de l'Etat comme l'Office de la langue française. En fait, cet office aurait un droit de vie et de mort sur toute entreprise du Québec puisqu'il déciderait à partir de sa propre réglementation si l'entreprise obtiendra les permis exigés par les autres lois du Québec pour des raisons de protection du public, de sécurité industrielle, d'éthique commerciale, etc. Cette seule idée, d'ailleurs, que la réglementation de l'Office de la langue supplanterait toutes les autres considérations quand il s'agit d'accorder des permis dans notre société par ailleurs surréglementée (permis de construire, permis de vendre l'alcool, permis d'exploiter un commerce, etc.), nous paraît être énorme et disproportionnée et peut-elle être même non fondée en justice? L'exigence d'un permis qui a été imposé par le législateur pour, par exemple, délimiter le territoire dans lequel une entreprise peut exercer ses activités pourrait-elle en toute justice être détournée de sa fin par une nouvelle loi ou même par un règlement d'un organisme administratif de l'Etat?

Cinquièmement, le droit d'appel. Selon le texte actuel du projet de loi, aucun recours contre l'Office de la langue française n'est possible ni au ministre, ni à un tribunal d'appel. Une telle situation est totalement inacceptable.

Sixièmement, le statut particulier des sièges sociaux d'entreprises nationales ou internationales et des sièges régionaux des entreprises internationales.

Les réserves que fait l'article 113 à l'égard des sièges sociaux sont déjà excellentes en soi. Cependant, elles ne nous paraissent pas aller assez loin. En plus des sièges sociaux eux-mêmes, il faut considérer divers cas particuliers comme, par exemple, le siège canadien d'une société internationale ou le siège régional pour l'Est du Canada d'une société nationale ou internationale. En général, il faut souhaiter que la loi soit assez souple pour permettre une analyse précise de chaque genre d'entreprises, et pour adapter les programmes de francisation à diverses situations.

Septièmement, pour impliquer les employés dans la francisation des entreprises, l'information et la consultation.

Le Conseil du patronat est d'accord avec l'idée d'impliquer les employés dans la francisation des entreprises. Cependant, il trouverait nuisible — et pour la saine gestion des entreprises et pour l'objectif même de la francisation — d'introduire, par le biais de la loi sur la langue, un nouveau partage du pouvoir au sein des entreprises, partage du pouvoir auquel ne correspond pas le partage réel des responsabilités. Cette intervention directe de la loi sur la langue dans le mode de gestion des entreprises créerait plus de difficultés qu'elle ne servirait la cause du français.

En particulier, quand le projet de loi propose de faire nommer certains membres du comité par les syndicats, il ne tient manifestement pas compte de la complexité de la situation syndicale dans nombre d'entreprises, et, en fait, propose, à notre avis, un moyen inapplicable. Que fera l'entreprise qui, par exemple, fait affaires avec une dizaine de syndicats, dont certains sont des rivaux irréconciliables?

D'autre part, comment peut-on accepter qu'un comité, dont une partie des membres n'a de compte à rendre à personne à l'intérieur de l'entreprise, et qui ne peut pas être tenu responsable de la bonne marche ou des difficultés de l'entreprise, reçoive de l'extérieur le mandat de déterminer la politique de l'entreprise sur des sujets pouvant s'étendre à toutes ces activités. En contrepartie du retrait des trois articles portant sur les comités de francisation, le législateur devrait, à notre avis, exiger des entreprises dans la loi elle-même d'informer constamment les travailleurs de la progression des travaux de francisation de l'entreprise. Il pourrait même prévoir la mise sur pied de comités consultatifs à l'image de quantité de comités de ce type qui existent déjà dans l'entreprise.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Merci, M. Des Marais II, M. le ministre.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier le Conseil du patronat pour le mémoire intéressant, vigoureux et en même temps ouvert qu'il vient de nous présenter. Ce mémoire, évidemment, s'inscrit dans la même continuité que ceux que nous avons entendus aujourd'hui et hier. Hier, c'était celui de l'Association des manufacturiers et celui de la Banque de Montréal. Il s'inspire de la même philosophie, mais il a cependant le mérite de mettre l'accent sur des points différents, parfois semblables et parfois différents.

Etant donné l'importance que joue dans notre société québécoise, le Conseil du patronat, il est évident que j'ai étudié avec la plus grande attention chacune des 23 pages du mémoire du Conseil du patronat. Je voudrais d'abord poser une première question. Est-ce que vous pourriez me dire la proportion de membres francophones du

Conseil du patronat et, deuxièmement, la proportion du nombre d'entreprises où le capital-actions est majoritairement anglophone?

M. Des Marais: M. le Président, M. le ministre, il est difficile de répondre exactement à cette question. Il faut se rappeler que le Conseil du patronat est une confédération d'associations patronales. Alors, comme telles, nos 125 associations sont des associations patronales à partir des principales, comme la Chambre de commerce, l'Association des manufacturiers canadiens, le Board of Trade, qui regroupent aussi des associations sectorielles comme dans le meuble. En conséquence, le conseil est formé principalement de ces gens-là. Alors, il faudrait aller à l'intérieur de chacune de ces associations pour répondre à votre question, ce que nous ne pouvons pas faire. Nous avons par ailleurs des entreprises qui sont membres directement et qui sont représentées par un bureau des gouverneurs qui lui-même délègue quatre membres au conseil d'administration, qui, lui, est composé des représentants des associations et qui participe en particulier à la vie financière du Conseil du patronat. On a déjà fait le décompte mais, malheureusement, nous n'avons pas le détail avec nous. Nous pourrions vous le faire parvenir. C'est un document public. Au niveau des entreprises, qui n'ont pas, je le répète, la responsabilité de la direction du CPQ, c'est peut-être moitié moitié, des entreprises dites anglophones et des entreprises dites francophones.

M. Laurin: Si on pense au capital-actions, est-ce qu'il serait exagéré de dire que le capital-actions des entreprises participant à votre conseil se situe aux alentours de 75%, 80% anglophone?

M. Des Marais: Cela représente, en fait, la réalité québécoise, par les entreprises. Encore une fois, il est difficile, à mon avis, de comparer le Conseil du patronat à une société habituelle, telle qu'on les connait, puisque le contrôle, de fait, existe par les représentants des associations qui, selon les associations... Evidemment, si c'est le Board of Trade, ce sera hautement anglophone, si c'est la Chambre de commerce de Montréal, ce sera hautement francophone.

M. Laurin: Je voudrais d'abord vous dire, en parlant de vos considérations générales, l'accord que provoquent chez moi la plupart des principes que vous mentionnez au départ. Je suis heureux de me rendre compte que le Conseil du patronat est d'accord avec l'idée générale d'une action concertée entre l'Etat, les entreprises et les citoyens, en vue de promouvoir l'usage du français au Québec et de parvenir à en faire la langue principale dans les activités économiques et culturelles.

Je suis également très heureux de constater que le Conseil du patronat désire d'abord et avant tout la promotion des francophones ainsi que la promotion économique du Québec, qu'il désire une présence toujours plus active du français et des francophones et qu'il reconnaît le caractère fondamentalement français de l'Etat du Québec. C'est là une très bonne base de départ pour notre coopération et notre collaboration.

Je suis aussi d'accord avec le Conseil du patronat qu'il faut, dans l'élaboration de toute politique, tenir compte des autres facteurs parmi lesquels est situé le facteur langue dans une société donnée, et en particulier des relations commerciales et technologiques du Québec avec l'ensemble de l'économie nord-américaine et du droit des citoyens du Québec de conserver et de développer le niveau de vie auquel ils sont habitués. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle nous déplorons tellement l'inflation actuelle, le taux de chômage et les fermetures d'usines qui se multiplient.

Nous voulons également tenir compte avec vous du pluralisme de la société québécoise. Vous avez bien reconnu qu'il est naturel que la loi, qui s'appelle Charte du français au Québec, ne puisse spécifier, en raison du droit parlementaire britannique, les droits que l'on veut reconnaître par ailleurs aux anglophones. Je ne pense pas qu'il faille en conclure que nous voulons taire les aspects de la réalité linguistique du Québec, ni la place de l'anglais dans la science, la recherche et le commerce international. Il n'est pas possible d'oublier la place de l'anglais au Québec, pas plus à cette commission qu'ailleurs, puisqu'on nous le rappelle constamment et parfois même je dirais, ad nauseam. Il n'est donc vraiment pas possible de l'oublier. D'ailleurs, même si la loi, conformément au principe du droit parlementaire britannique n'en parle pas, le livre blanc, lui, en a beaucoup parlé et il a même établi, comme deuxième principe de notre politique, le respect des minorités et, comme quatrième principe, l'utilité pour ne pas dire la nécessité pour les francophones d'apprendre l'anglais comme deuxième langue au Québec.

En ce sens, je ne pense pas que notre politique soit abstraite et irréaliste. Je ne crois pas non plus que le gouvernement veuille réduire en quoi que ce soit le monde culturel des francophones, non seulement nous voulons respecter les minorités, mais nous voulons qu'elles se développent d'une façon dynamique et nous voulons surtout que le monde francophone s'ouvre sur le monde. Et c'est même la raison pour laquelle nous voulons plus de pouvoirs, aussi bien économiques que politiques, pour pouvoir nous ouvrir à toutes les autres nations du monde et nouer nos relations commerciales aussi bien que culturelles avec les autres pays, de façon à apporter nous-mêmes notre contribution au patrimoine universel.

Peut-être voulons-nous faire porter le poids du bilinguisme par la minorité, mais vous dites que c'est ainsi que ça se fait dans tous les pays. Et en un sens, c'est parfaitement normal, mais il faut reconnaître et nous le reconnaissons, comme je viens de le dire, que les francophones aussi au Québec, de par leur situation particulière, sont déjà bilingues dans une proportion de 60% et nous entendons bien faire en sorte que ce pourcentage, non seulement se maintienne, mais s'améliore, étant donné notre situation particulière.

Nous ne voudrions pas, nous non plus, que la situation géographique du Québec place le Québécois francophone en position de minoritaire, dès qu'il sort de son territoire. Je vous fais remarquer que c'est déjà le cas depuis de très nombreuses années que le Québécois francophone, en vertu de l'anglicisation massive du reste du Canada, se retrouve souvent en position minoritaire dès qu'il sort du Québec. Je dirais même que même au Québec, le Québécois francophone s'est souvent trouvé minoritaire, au travail en particulier; on a même pu dire qu'il était un colonisé de l'intérieur et qu'il devait tenter de corriger cette situation pour participer d'une façon pleine, entière, dynamique, positive au développement de son propre pays.

Ce que nous entendons instaurer, ce n'est pas l'unilinguisme français, ou plutôt, oui, en un sens, mais il faudrait préciser. Quand nous parlons d'unilinguisme français, nous ne parlons pas d'unilinguisme généralisé, mais d'unilinguisme institutionnel, un peu comme M. Trudeau parle du bilinguisme institutionnel. Nous ne voulons pas parler de l'unilinguisme personnel au niveau de la langue que chaque individu connaît.

Je pense que si l'on fait cette distinction, il est parfaitement compatible de préconiser un unilin-guisme institutionnel tout en favorisant l'apprentissage d'une deuxième langue par les individus.

Je veux aussi vous assurer que le gouvernement est très conscient qu'il a besoin de la collaboration continue des nombreux agents économiques et nous pensons, dans ce domaine, comme dans d'autres, que la concertation s'impose.

Mais nous pensons que l'objectif de la concertation ne rend pas inutile une politique axée sur une certaine législation. La loi est un des instruments privilégiés qui peut s'ajouter à la concertation dans l'élaboration des politiques d'un pays, que ce soit dans le domaine de la langue ou de n'importe quel autre.

Ce n'est donc pas pour punir ou pour se venger que le gouvernement pense à une pareille législation. C'est dans un but positif, ouvert sur l'avenir, non pas dans un esprit défaitiste, mais dans une optique résolue, déterminée, qui s'appuie sur une conscience des problèmes de la communauté...

Je suis également d'accord sur les principales préoccupations du Conseil du patronat, telles qu'énoncées aux pages 5 et 6, et en particulier sur les quatre principes que vous énoncez. Mais là aussi, il faut peut-être nuancer ou préciser.

Par exemple, en ce qui concerne la langue de l'école et la mobilité des personnes de compétence nationale et internationale, je pense que l'article 58, s'il est bien compris, rend possible le recrutement national et international des compétences nécessaires. Quant aux permis, j'ai déjà dit hier que ce sujet était à l'étude et qu'un comité nous ferait rapport bientôt à ce sujet. Mais j'ai déjà dit qu'il n'était pas question de retirer à une entreprise son permis de fonctionnement pour quelque raison que ce soit.

Quant aux sièges sociaux, nous entendons bien leur donner les conditions favorables à leur développement et nous pensons que l'article 113 pourra assurer ces conditions favorables. Il est peut-être difficile dans une loi, d'être très précis à cet égard, parce qu'il y a beaucoup de variétés de sièges sociaux et même dans les règlements, il est parfois difficile de tenir compte de toute cette diversité. Mais ce dont je veux vous assurer, c'est de notre attitude ouverte, flexible et souple à cet égard, dans le respect, cependant, des exigences légitimes du peuple hôte qui, en l'occurrence, est le Québec.

De la même façon, nous entendons respecter les responsabilités de l'entreprise et nous ne voulons pas introduire artificiellement des principes de gestion. Mais je ne crois pas que l'article 114, qui touche la participation des associations de salariés à la francisation des entreprises, constitue une dérogation à ces principes de gestion, si l'on se rappelle que la participation des salariés à ces comités ne dépassera jamais le tiers des membres, laissant ainsi entière, la responsabilité principale de la gestion.

Je voudrais maintenant passer à la deuxième partie de votre mémoire et commenter certaines des recommandations particulières que vous nous faites. Vous dites bien, en ce qui concerne le préambule, que seule une interprétation littérale pourrait laisser entendre que le gouvernement exclut du peuple québécois nombre de citoyens québécois. Cette interprétation littérale est contredite par chacune des pages du livre blanc. Mais j'ai déjà dit que s'il y avait encore des ambiguïtés à ce sujet, elles seraient corrigées dans la version définitive du projet de loi.

En ce qui concerne votre désir de voir préciser davantage la définition d'une entreprise, je pense que si vous regardez le règlement que nous avons déposé récemment, vous y trouverez une définition de l'entreprise et j'espère que cette définition apaisera les inquiétudes qui pourraient vous rester à cet égard.

En ce qui concerne la langue des ordres professionnels, je pense que vous avez très bien compris que l'article 27 ne prohibe en aucune façon l'usage complémentaire de l'anglais. Sur ce point, les ordres professionnels adopteront la politique qui leur semble la plus opportune, mais ce que nous avons voulu bien spécifier dans la loi cependant, c'est que le français ne soit pas oublié comme il l'a souvent été, même récemment, par certaines ordres professionnels, mais, encore une fois, vous avez bien compris le sens de l'article 27, qui n'entend prohiber en aucune façon l'usage complémentaire de l'anglais.

J'ai été intéressé évidemment par vos recommandations en ce qui concerne les centres de recherche et de développement. Comme vous le savez peut-être, l'association qui regroupe les principaux centres de recherche et de développement s'est déjà présentée à la commission. J'ai eu avec cette association, un dialogue long, étoffé, cons-tructif, et j'aimerais vous référer au journal des Débats. Si vous lisez le rapport de nos délibérations, vous verrez que nous tentons de tenir compte des contraintes particulières au sein desquelles ont à oeuvrer ces centres de recherche,

tout en faisant cependant la part aux intérêts et besoins légitimes du pays hôte encore une fois et de la majorité des habitants, des citoyens qui l'habitent.

Vous ne voudriez pas, conformément à ce que d'autres ont dit, que les professionnels invités à travailler dans ces centres soient assujettis à l'article 30. J'ai déjà eu l'occasion de m expliquer là-dessus hier. Je pense, pour ma part, qu'il est difficile d'être absolument sûr qu'un professionnel n'ait pas de contact avec le public, car les collègues avec lesquels il travaille, les techniciens avec lesquels il peut être appelé à collaborer font partie aussi de la population et tout professionnel, et surtout les professionnels peuvent toujours être appelés, à un moment donné, à rencontrer, d'une façon plus ou moins assidue, les salariés, les membres, les travailleurs de l'entreprise. Ils peuvent avoir des contacts plus ou moins nombreux avec eux de par leur rôle important de supérieurs qu'ils jouent dans l'entreprise; de plus, on ne peut dissocier la vie personnelle du professionnel de sa vie proprement professionnelle, et je pense qu'il est tout à fait légitime d'espérer qu'un professionnel qui vient habiter durant quelques années un pays s'intéresse à sa vie sociale, à sa vie culturelle et participe dans toute la mesure du possible à la vie de la communauté qui le reçoit et avec laquelle il peut avoir des contacts enrichissants.

De toute façon, nous considérons à nouveau ces suggestions qui nous viennent de votre milieu.

Pour ce qui concerne les articles 36 et 37, évidemment, je ne m'attendais pas que le Conseil du patronat soit d'accord sur ces articles du projet de loi, mais je ne crois pas, pour ma part, à cette confusion dont vous parlez. Je ne crois pas que ces articles deviennent une arme de harcèlement dans un conflit ouvrier, une arme dans une lutte qui n'a aucun rapport avec la promotion du français. Cela peut faire partie évidemment de votre philosophie, telle qu'alimentée par certaines luttes que vous avez connues dans le passé, je le comprends.

Mais il faut quand même reconnaître que ces articles ont été insérés dans la loi, en vertu d'une situation dont des milliers de citoyens francophones ont eu à souffrir dans le passé, situation en vertu de laquelle on exigeait d'eux, d'une façon indue et excessive, la connaissance d'une autre langue pour des métiers qui, évidemment, à la simple description des tâches, ne comportaient pas la nécessité de cette langue.

J'aimerais que vous reconnaissiez, en tout cas, la légitimité de notre intention à cet égard. Je me demande s'il est opportun de faire un procès d'intention aux centrales syndicales à cet égard. De toute façon, nous les entendrons et nous verrons ce qu'elles ont à dire là-dessus. De toute façon, l'intention du législateur n'est pas de provoquer d'autres conflits, mais simplement d'instaurer un climat de justice et, au contraire, d'améliorer un climat social qui a pu être perturbé dans le passé, en raison précisément des abus que je viens de souligner.

Quant à laisser à l'employeur carte blanche, liberté complète pour les descriptions de tâches qui devraient servir de base à l'application de cet article, comme je l'ai déjà dit hier, à la lumière de ce qui s'est fait dans le passé, de ce qui se fait encore dans le présent, le gouvernement hésiterait beaucoup à lui laisser cette entière liberté, car nous avons l'impression, en tout cas, qu'une action collective s'impose à cet égard.

Vous revenez aussi sur l'utilisation des raisons sociales, comme beaucoup d'autres l'ont fait avant vous. Cette francisation des raisons sociales qui avait déjà été commencée avec la loi antérieure, nous paraît nécessaire à poursuivre pour la francisation du visage extérieur du Québec. Il me semble qu'en ces matières, il y a d'autres exemples qui nous sont donnés par d'autres pays. Je pense, par exemple, à la compagnie Exxon, qui a une raison sociale spécifique aux Etats-Unis et qui a une raison sociale différente dans d'autres pays, dont le Québec, puisqu'au Québec, on ne parle pas d'Ex-xon, mais on parle d'Esso. Je ne fais que mentionner cet exemple pour montrer qu'il y a possibilité d'adapter la politique selon les caractéristiques ou contraintes des divers pays où oeuvrent les multinationales. Je pense, par exemple, à IBM qui, en France, s'appelle IBM France. Je pense que la loi est assez libérale, en ce qui concerne les diverses méthodes d'appellation des raisons sociales, puisque nous acceptons les patronymes, nous acceptons les sigles, nous acceptons les combinaisons de lettres. Je pense qu'il y a là assez de souplesse et de flexibilité pour permettre que le principe que nous énonçons soit observé, tout en permettant aux compagnies de poursuivre leurs intérêts, leurs préoccupations spécifiques.

En matière scolaire, je vois avec plaisir que vous avez abandonné la thèse du libre choix, qui était la vôtre jusqu'à cette année. C'est réconfortant de voir que le Conseil du patronat peut lui . aussi réviser ses positions et changer d'idée. Je crois que c'est là un augure intéressant pour l'avenir. Quant à la suggestion très précise que vous nous faites, elle nous est faite, évidemment, par d'autres organismes. Il y a, bien sûr, une discrimination possible que certains groupes ethniques pourront nous souligner, à cet égard. C'est ce que le gouvernement actuel a voulu éviter, à la suite des représentations qui ont été faites au précédent gouvernement. Il reste que nous allons étudier cette suggestion que vous nous faites.

En ce qui concerne les organismes administratifs. Vous parlez de monstres administratifs, vous parlez de machines énormes. Ce n'est pas l'intention du gouvernement de gonfler d'une façon démesurée les effectifs des divers organismes qui sont prévus. Nous ne croyons pas, d'ailleurs, si nous comprenons bien notre loi, que cela s'avère nécessaire, et je ne crois pas qu'une augmentation de 50 ou 60 cadres, par exemple, qui, même à certains égards avait été prévue par le gouvernement antérieur, constitue une hypertrophie telle que vous puissiez la craindre à ce point.

Quant à la distinction, quant à la multiplicité des organismes, je pense que, là-aussi, il ne faudrait pas y voir plus qu'il n'y a. Car, déjà, la Régie de la langue française poursuivait simultanément plusieurs objectifs, dont celui de la surveillance de

la loi aussi bien que de la promotion du français, aussi bien que des recherches dans plusieurs domaines. Ce que nous avons fait dans la présente loi, c'est d'attribuer chacune des fonctions antérieurement exercées par la régie à un organisme différent pour fins de clarté et aussi pour éviter certains inconvénients que la régie nous a elle-même soulignés. Par exemple, il pouvait s'avérer que la régie se trouve à la fois dans une situation de juge et de partie lorsque d'une part elle tentait de promouvoir le français par des rencontres, des négociations, et, ensuite, elle intervenait comme juge pour décider si telle ou telle entreprise s'était plus ou moins conformée aux objectifs qui avaient été conçus ou élaborés en commun. Cela créait, à l'intérieur même de la régie, et aussi dans le monde de l'entreprise, des malaises qui ne sont pas nécessaires et que nous avons tenté d'éviter par une distinction entre les fonctions, une distinction plus nette entre les fonctions assumées par tel ou tel organisme. Et, de la même façon, pour le conseil consultatif, nous avons voulu lui confier la fonction étude générale de la situation du français au Québec. Et il est possible que nous lui confiions d'ailleurs plus de responsabilités que ce qui est prévu au texte actuel du projet de loi pour tenir compte de certaines objections tout à fait légitimes que vous nous manifestez et que d'autres groupes, avant vous, ont manifestées.

C'est vous dire que, sur ce point, nous adopterons toute la souplesse désirable. Je n'ai pas tellement de questions à vous poser, en fait, Je retiens de votre mémoire qu'il nous offre une base de collaboration possible pour l'avenir. Cette collaboration, pour notre part, non seulement nous la désirons, mais nous la croyons essentielle, sur ce plan comme sur d'autres car, je l'ai souvent dit, les agents économiques que vous représentez, de par l'importance qu'ils jouent dans notre société, nous les considérons comme des partenaires autant respectés qu'essentiels à ce progrès économique que nous désirons avec autant d'intensité que vous. Je voudrais donc vous remercier très chaleureusement pour le mémoire que vous nous avez présenté.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Alors, M. Des Marais.

M. Des Marais: M. le Président...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Brièvement, puisque M. le ministre a écoulé le temps du parti ministériel, nous passerons par après à l'Opposition officielle. Vous pouvez y aller de cinq minutes de commentaires, si vous voulez.

M. Des Marais: Je voudrais d'abord remercier le ministre pour la compréhension du mémoire qui est la sienne. Je suis content qu'en venant ici aujourd'hui, en déposant notre mémoire, on puisse clarifier certaines situations qui ne représentaient pas la réalité entre le gouvernement, le ministre en particulier, et le Conseil du patronat. Je suis content de voir que c'est assez clair dans notre mémoire, que c'est compris par le ministre que nous voulons collaborer, que nous poursuivons de façon générale les mêmes objectifs, que nous avons certaines restrictions sur des moyens, pour des raisons d'ordre professionnel.

Il y en a deux sur lesquelles je voudrais revenir, au sujet desquelles le ministre a indiqué qu'il ne partageait pas notre opinion. C'était sur la question des représentants des associations d'employés accrédités à l'intérieur du comité de francisation. Je demanderais peut-être, dans une minute, si c'est possible, avec votre permission, M. le Président, à M. Martin de nous expliquer la situation telle qu'elle existe à la Domtar, ce que cela ferait si la loi était appliquée comme elle est exprimée à l'article 114.

M. Martin (Roger): M. le Président, à la société Domtar, chez nous, nous avons quelque 7000 employés au Québec et nous avons négocié au-delà de 40 conventions collectives de travail avec autant de syndicats relevant d'un grand nombre de fédérations dont la plupart sont affiliées soit à la CSN, soit à la FTQ.

Nous avons aussi, au siège social et dans nos usines, un nombre important de salariés qui ne sont pas syndiqués. Nous voyons immédiatement dans la façon de procéder pour choisir le tiers des salariés qui devraient faire partie du comité un problème assez important, d'une part. D'autre part, la loi telle que proposée ferait en sorte que les non-syndiqués ne seraient pas représentés, étant donné que nous avons des syndicats en place et cela ferait en sorte qu'une entreprise aussi complexe et diversifiée que la nôtre aurait à "codécider" avec un comité de francisation, à "codécider" des budgets et des programmes qu'il nous faudrait mettre en place au niveau des activités de la Domtar au Québec.

Dans notre cas, c'est d'autant plus difficile que, premièrement, au niveau de nos usines, c'est déjà francisé — les opérations se font en français — que le bilinguisme est maintenant au niveau des directeurs d'usine et qu'à toutes fins utiles, ie progrès à être réalisé se situe au niveau du siège social où les employés ne sont pas syndiqués.

M. Des Marais: A l'article 36, je me permets d'insister malgré l'avis du ministre sur le principe: S'il faut le faire, fort bien, mais on ne fait de procès d'intention à personne. D'autre part, quand on dit qu'on s'en va chez le commissaire-enquêteur, on se pose réellement des questions. Si la loi est là, qu'elle soit appliquée de façon habituelle et non par le chemin du Code du travail et des commissaires-enquêteurs.

M. Laurin: ...à expliquer les modalités, mais cela viendra dans un règlement ultérieur.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Merci, M. le Président. M. Des Marais, je voudrais remercier le Conseil du patronat pour avoir présenté un mémoire aussi étoffé,

aussi positif sur le projet de loi no 1. Vous illustrez bien, dans votre mémoire, les écueils inévitables que l'on doit affronter lorsqu'on veut faire limplanta-tion de l'unilinguisme dans une société pluraliste. Je pense que c'est l'erreur fondamentale de ce projet de loi et je pense que cette erreur est aussi la source d'autres aspects de ce projet de loi qui ont été déplorés par plusieurs des intervenants. C'est la coercition parce que, lorsqu'on veut faire de l'unilinguisme dans une société pluraliste, nécessairement, on doit l'imposer et y mettre des dents.

J'ai vu avec beaucoup de satisfaction l'attitude plus réaliste du Conseil du patronat relativement à la question linguistique. Il est tout indiqué aussi de souligner que quelques-unes de vos interrogations sont partagées par des gens qui ne représentent pas nécessairement des intérêts économiques anglophones, pour employer les termes du ministre. Il a tenté, par sa première question, de déterminer que le Conseil du patronat représentait davantage le capital anglophone que le capital francophone. D'ailleurs, c'est assez difficile de savoir ce qui est un capital anglophone ou francophone. Il faudrait aller jusqu'à sonder les reins et les coeurs des actionnaires des différentes compagnies. Ce serait un exercice assez odieux.

Ainsi, votre interrogation, au sujet du préambule, sur l'usage du terme "peuple québécois" et votre interrogation relativement à la définition des droits des minorités ont été partagées par nulle autre que la Commission des droits de la personne qui, que je sache, n'est pas constituée d'inféodés de "l'establishment" anglophone.

La Commission des droits de la personne, si je peux citer son mémoire du 6 juin, disait à la page 19: II découle de cette critique — après avoir fait la critique de l'approche du projet de loi, compte tenu du pluralisme de la société québécoise — il découle de cette critique de fond, concernant la vision de la société québécoise que semble sous-tendre le projet de loi no 1, la nécessité de reconnaître explicitement les droits des minorités et plus précisément leurs droits linguistiques. Un peu plus loin, au bas de cette page, la commission continue: "Comme nous l'avons dit plus haut, la commission croit qu'il faut considérer ces droits comme des droits fondamentaux, même si cela n'a été fait jusqu'ici dans aucun code ou charte des droits". Et plus loin, à la page 20: "II s'ensuit que leurs droits doivent être précisés de façon claire."

Je n'accepte par la raison qui a été mentionnée par le ministre de façon assez rapide tantôt selon laquelle le droit parlementaire britannique interdirait au législateur d'ainsi définir, dans la Charte de la langue française, les droits des minorités. Je pense que c'est une raison absolument pas valide. J'aimerais qu'à d'autres étapes le ministre nous explique en quoi le droit parlementaire britannique nous empêcherait d'inscrire dans une loi les droits des minorités. Vous pouvez être sûr que l'Opposition officielle fera en sorte d'avoir ces réponses.

Vos remarques concernant, par exemple, l'article 23, sont partagées aussi par la Commission des droits de la personne, à savoir que — et je cite votre mémoire à la page 10 —"Que la langue de l'administration dans les commissions scolaires dont les administrés sont anglophones soit à peu près exclusivement le français, que les commissions scolaires de langue anglaise communiquent entre elles en français, etc., nous paraît une façon de brimer inutilement les droits de la minorité anglophone..."

Alors, je voulais simplement bien préciser que votre mémoire, pour nous qui allons être appelés à discuter de ce projet de loi, est un apport positif et il sera, j'en suis sûr — je ne vais pas jusque dans les détails, le temps m'en empêche — ... Vous avez posé des questions que d'autres n'ont pas encore posées. Elles nous seront extrêmement utiles concernant des dispositions tout à fait particulières.

Je voudrais vous poser une question. Vous semblez — en fait vous le faites clairement — favoriser une approche de collaboration et d'incitation. Je cite, à la page 5: "Compter sur la collaboration et l'incitation, non sur la coercition."

Est-ce que vous croyez qu'une telle approche, d'après l'expérience que vous avez pu glaner au cours des dernières années dans le milieu des affaires, est-ce que cette approche est valide d'après vous et est-ce qu'elle peut permettre d'obtenir les résultats escomptés, soit la francisation massive du milieu des affaires? Je demanderais s'il est possible de commenter la réponse de l'un d'entre vous.

M. Des Marais: M. le Président, à notre avis, la réponse est oui. Il est bien évident qu'il y aura toujours des cas d'exception et qu'on pourra toujours souligner que l'entreprise X, Y ou Z ne se conforme, ni à l'esprit, ni à la lettre de la loi; mais selon notre expérience à la suite de notre étroite participation aux travaux de la régie au cours des dernières années, les entreprises, sentant une pression morale, de fait, qui découlait de la loi 22, avaient mis en place les mécanismes nécessaires pour se conformer et atteindre le but proposé et par cette loi et par la loi 22.

Si ce mécanisme, amélioré à l'usage, continue à fonctionner, on se retrouverait exactement au même endroit où veut nous amener cette législation qui est beaucoup plus coercitive et qui, à notre avis, va créer plus de problème qu'une approche incitative.

M. Lalonde: Alors, sans vous le faire dire, je conclus que la loi qui existe actuellement... parce que vous savez qu'avec le tapage de publicité qu'on s'est offert depuis le 1er avril, on semble vouloir faire croire qu'avant le 15 novembre, c'était le déluge. Il reste qu'actuellement et depuis deux ou trois ans, une loi existe qui fait du français la langue officielle au Québec. Certaines dispositions de cette loi ont créé certains problèmes, mais d'autres et entre autres celle qui était ma préoccupation première en ce qui concerne l'application, avait quand même produit des résultats.

On peut reprocher au gouvernement et au ministre en particulier de ne pas avoir fait l'effort de faire l'inventaire de ce qui avait été accompli de-

puis trois ans et d'avoir simplement repoussé du revers de la main une démarche qui n'avait pas encore peut-être produit tous les effets — il faut compter sur le temps — mais qui était en voie de régler bien des problèmes en ce qui concerne la langue.

Le ministre — je vais terminer là-dessus pour laisser plus de temps à mes collègues — vous a dit, en ce qui concerne votre interrogation sur le mot entreprise, aux articles 2 et 4 dans la définition des droits fondamentaux, que les règlements qui ont été rendus publics définissaient le mot entreprise. Je pense qu'il faudrait que le ministre reconnaisse que ces règlements et je le vois, j'en ai une copie devant moi, réfèrent aux articles 109, 110, 111 et 114, et non pas aux articles 2 et 4. Je suis d'accord avec vous qu'il y a une contradiction en particulier entre l'article 4 qui, en définissant la loi fondamentale immédiatement, semble contredire les autres articles qui prévoient la francisation évolutive des entreprises.

Je regrette de ne pas être d'accord avec le ministre, mais je ne pense pas que sa réponse à votre question soit valide.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Lotbinière.

M. Biron: M. Des Marais, je vous remercie d'avoir présenté ce mémoire pour nous éclairer dans les décisions que nous sommes appelés à prendre concernant cette charte linguistique. Il y a quelque chose qui m'a frappé dans votre mémoire à la page 4; vous parlez véritablement d'une réalité linguistique au Québec et vous dites qu'on a oublié le fait qu'il y a quand même, au Québec, une place pour l'anglais. Est-ce que vous pourriez nous expliciter un peu plus profondément votre philosophie là-dessus, sur la place que vous voudriez voir prendre à l'anglais dans cette charte linguistique ou la reconnaissance que vous voudriez lui voir avoir?

M. Des Marais: M. le Président, on l'a mentionné tantôt et le ministre nous a répondu qu'on pense, compte tenu de la réalité du Québec en Amérique du Nord, que la définition de la place de l'anglais au Québec ne nous apparaît pas très clairement et une certaine protection de l'anglais ne nous apparaît pas clairement.

Nous laisserons au législateur et aux légistes le soin de déterminer si cela fait ou pas partie d'une législation. Réellement, je ne peux pas faire de commentaire là-dessus.

D'autre part, quand on va un peu plus loin, dans l'application de la loi, en particulier, par exemple, au niveau des sièges sociaux, on pense que cela doit être élargi plus que ce qui est indiqué dans la loi, pour permettre aux sièges sociaux, comme on l'indique dans notre mémoire, de pouvoir non seulement demeurer au Québec, mais peut-être même venir s'y installer et travailler dans la réalité qui est la leur.

J'entendais tantôt les représentants de la Banque de Montréal répondre à certaines ques- tions dans le détail et je partage cette opinion que cela représente la réalité des sièges sociaux. En conséquence, il faut prévoir une place à l'anglais qui, à notre avis, est plus clairement définie qu'elle ne l'est actuellement, dans la loi.

M. Biron: Je vous remercie. Je rejoins moi aussi votre opinion là-dessus. Les sièges sociaux représentent énormément pour l'économie du Québec. Il faudrait les inviter à venir au Québec au lieu de les éviter. Il faut véritablement qu'ils se sentent chez eux ici, puisqu'ils nous aident à promouvoir l'économie du Québec.

Vous avez noté l'ouverture d'esprit nouvelle du ministre pour recevoir les suggestions, moi aussi, je l'ai notée. Je suis très heureux. J'espère que cela va être mieux que des voeux pieux et que cela va se traduire dans les faits lorsque le projet de loi sera réimprimé et qu'on pourra voir véritablement ses intentions se manifester dans la loi.

Je rejoins aussi votre préoccupation lorsque vous nous parlez d'un monstre administratif à venir. Connaissant comme moi, vous aussi, l'efficacité des bureaucrates et des technocrates de Québec, vous craignez énormément ce monstre administratif. Moi aussi, je voudrais voir cela beaucoup plus clair, qu'on sache exactement ce que cela va coûter aux Québécois, ce monstre qu'on est en train de bâtir.

Vous nous mentionnez aussi votre crainte de voir qu'il n'y a aucun recours à un tribunal d'appel devant la réglementation ou l'énorme disproportion qu'il y aura entre les droits de l'administration provinciale vis-à-vis des droits des citoyens ou des entreprises. Moi aussi, je m'inquiète là-dessus.

Quant à votre suggestion d'éclaircir davantage — on nous parlait tout à l'heure des sièges sociaux — que ce soit beaucoup plus clair, l'article 113, je suis d'accord qu'on mette cela plus clair et qu'on sache où nous mène cette loi. Je suis d'accord et je suis heureux de voir que, pour la francisation de l'entreprise, vous voulez aller plus avant et surtout vous faites une suggestion qui mérite d'être retenue, à la page 5 de votre résumé, à la fin de la page 5. Vous voulez une participation, mais une participation des comités, sur une base consultative avec les entreprises.

Est-ce qu'il y a des comités qui existent dans plusieurs de vos entreprises? Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu plus?

M. Des Marais: Je vais demander à M. Dufour de répondre, M. le Président.

M. Dufour (Ghislain): II y en a qui sont actuellement obligatoires en vertu de la loi. C'est le cas de la Loi des établissements industriels et commerciaux, dans le cas de la sécurité. Mais, dans bon nombre de conventions collectives, déjà, vous prévoyez un certain type de comités. Et, en dehors de la convention collective, vous avez des comités d'entreprises, vous avez des comités de "griefs", parce que s'il n'y a pas de convention collective, cela n'est pas censé être des griefs.

Donc, vous avez, à l'intérieur de l'entreprise, déjà structurés, toute une série de comités qui

existent. Je voudrais juste attirer l'attention sur le fait que notre préoccupation vis-à-vis du comité de francisation qui est suggéré dans la loi, ce n'est pas tellement en fonction de l'article 114. C'est en fonction de l'article 116. On dit bien, dans l'article 116: "Dans l'affirmative, l'entreprise charge son comité de francisation d'établir le programme voulu." Ce n'est plus un comité consultatif. On parle beaucoup des articles 114 et 115. Ce n'est pas tellement important. C'est l'article 116 qui, finalement, est important.

Ce n'est même plus un comité consultatif, ou même, avec un certain pouvoir, comme on le conçoit dans la Loi des établissements industriels et commerciaux, par exemple. C'est vraiment décisionnel.

M. Biron: Le ministre a noté tout à l'heure que vous avez laissé de côté cette philosophie de la liberté de choix de l'école. Mais est-ce que vous pourriez nous expliciter ce que vous désirez pour l'école aujourd'hui? Est-ce que vous voulez l'école française unilingue française? Ou si vous voulez véritablement, si vous avez confiance que, dans la prochaine loi, on mette aussi un article qui oblige le gouvernement à enseigner l'anglais comme langue seconde dans toutes nos écoles françaises?

M. Dufour: Sur cette question de l'enseignement de la langue seconde, je pense qu'il y avait peut-être une certaine incompréhension du ministre, de ce qu'on voulait dire. On disait qu'on trouvait naturel, peut-être qu'on n'en parle pas, mais on disait que le fait de ne pas en parler, cela devenait automatiquement irréaliste.

On était d'accord et on suggérerait un amendement pour que, dans le projet de loi no 1, on prévoie l'enseignement de la langue seconde aux francophones.

M. Biron: Vous voudriez en faire une obligation pour le ministre de l'Education ou pour le gouvernement d'enseigner une bonne qualité et une bonne quantité d'anglais aux francophones afin de leur donner l'égalité des chances partout?

M. Des Marais: Oui.

M. Biron: II me restait une question, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): S'il vous plaît.

M. Biron: Vous ne mentionnez pas de statistiques dans votre mémoire, mais on a parlé beaucoup de statistiques et on revient toujours à 1966-1971. Est-ce que vous êtes au courant s'il y a des statistiques de 1976 pour prouver le taux de francisation des entreprises ou le taux de bilingui-sation des anglophones du Québec?

M. Des Marais: M. le Président, c'est à dessein, dans notre mémoire, que nous nous sommes tenus loin des statistiques. Evidemment, on peut les bâtir et on est sûr que cela avance. Une première statistique serait...

M. Dufour: En fait, comme le président le mentionne, il n'y a aucune statistique dans notre mémoire, parce qu'on n'a pas voulu entrer dans le débat des statistiques, mais notre collègue ici, de chez Domtar, peut vous donner une expérience vécue de 1975.

M. Martin (Roger): J'ai plus précis, M. le Président. J'ai ici des chiffres de 1977, allant d'une période de 1961 à 1977, au niveau des directeurs d'usines au Québec, notre pourcentage est passé de 17% à 72%; au niveau des directeurs régionaux au Québec, de 17% à 64%; au niveau des membres de la haute direction de 0% à 21% et, au niveau des administrateurs, de 11% à 22%.

M. Biron: C'est votre entreprise, c'est Domtar?

M. Martin: Ce sont des statistiques de mon entreprise.

M. Biron: Est-ce qu'on pourrait avoir quelque chose du Conseil du patronat, éventuellement, là-dessus, au cours des prochains mois? Non?

M. Des Marais: Possiblement. M. Biron: Merci.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Beauce-Sud.

M. Roy: Merci, M. le Président. Je pense qu'il convient de remercier bien sincèrement le Conseil du patronat pour la présentation de cet excellent mémoire. Je dis bien un excellent mémoire, parce qu'il constitue, je pense, une approche très réaliste de la situation qui prévaut et des inquiétudes qui sont manifestées par le monde de l'économie, le monde de l'entreprise en général et il serait, je pense, mesquin, de vouloir rattacher ce mémoire à un mémoire qui représente les buts exclusifs du monde anglophone des affaires.

J'ai eu des contacts personnels avec certains hommes d'affaires du Québec qui font affaires non seulement dans le Québec, mais à l'extérieur du Québec. J'ai été en mesure de me rendre compte qu'ils partagent à peu près les mêmes inquiétudes.

Je veux cependant souligner le fait que le ministre a tenté ce matin de rassurer le Conseil du patronat par l'attitude qu'il a adoptée et je pense qu'il convient de noter une différence marquée par rapport aux observations qu'il avait faites lors de la publication du point de vue et d'un mémoire signé par 326 personnes.

M. le Président, à cause de la limite de temps que j'ai, je ne pourrai malheureusement pas poser des questions. J'en aurais eu cependant à poser au Conseil du patronat, mais je veux attirer l'attention du ministre sur certaines dispositions du mémoire pour lesquelles j'ai déjà fait des observations sur ce point, lorsqu'on parle du pouvoir de

réglementation, de la bureaucratie et de la technocratie de l'Etat.

Le ministre nous a dit qu'il avait l'intention d'apporter certaines modifications, qu'il n'y avait pas de danger. J'aimerais dire au ministre que ce n'est pas la première fois que j'entends un ministre nous rassurer vis-à-vis du pouvoir de réglementation énorme qu'on retrouve dans certaines lois-cadres, mais que, malgré les assurances que les ministres nous ont données, tant en commission parlementaire qu'à l'Assemblée nationale, les faits ont toujours démontré que ce pouvoir de réglementation avait toujours conduit à des abus. J'aimerais, M. le Président, attirer l'attention des membres de la commission quand même sur le fait qu'il y a 23 articles de ce projet de loi qui se réfèrent au pouvoir de réglementation.

Je dirais même que c'est un des projets de loi qui comporte le plus de références au pouvoir de réglementation qui n'a presque jamais été présenté à l'Assemblée nationale, du moins depuis 1970. Comme c'est une attitude nouvelle, j'oserais dire que c'est peut-être le projet de loi qui comporte le plus de références à un pouvoir de réglementation comme jamais il n'en fut présenté à l'Assemblée nationale. A cause du caractère même du projet de loi, cela constitue un élément que nous aurions tort de négliger. C'est pourquoi j'aimerais demander au ministre, et je vais me limiter à une seule question, s'il a l'intention de revoir ce pouvoir de réglementation de la loi, de préciser davantage la loi, de façon à réduire le pouvoir de réglementation.

J'aimerais que le ministre ce matin nous indique clairement ses intentions de ce côté, puisque cela fait quelques mémoires qui nous sont présentés, non seulement du côté patronal, mais aussi d'autres groupes très favorables au projet de loi qui se sont déclarés également inquiets du pouvoir de réglementation contenu dans la loi. J'aimerais que le ministre nous éclaire un peu ce matin sur les intentions qu'il entend adopter face à ces dispositions.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Beauce-Sud, vous avez procédé de façon fort habile en vous adressant au ministre par l'intermédiaire du président. Je voudrais souligner que le ministre n'est pas obligé de répondre, parce qu'il ne fait pas un discours présentement, ni aucune intervention. S'il désire le faire, je lui cède la parole.

M. Laurin: Je partage la préoccupation du député de Beauce-Sud, tout en reconnaissant que l'évolution de notre société fait en sorte qu'on ne peut guère éviter les réglementations. Je partage encore une fois sa préoccupation et je l'ai transmise au comité de révision qui tente actuellement de diminuer le nombre de réglementations dans toute la mesure du possible. J'espère pouvoir avant longtemps le rassurer lui aussi à ce sujet.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Beauce-Sud...

M. Roy: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): ...il vous reste encore du temps.

M. Roy: M. le Président, ce que j'aurais à dire serait trop long.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Merci, M. le député de Beauce-Sud. Mme le député de L'Acadie, il reste dix minutes à votre parti.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. D'abord, je veux remercier le Conseil du patronat d'être venu à la commission parlementaire et d'avoir persévéré, en dépit de l'approche pour le moins négative que le ministre au développement culturel a eue à votre égard.

Je voudrais d'abord signaler, comme je l'ai fait pour la Société Saint-Jean-Baptiste, la qualité du français de votre mémoire. Je suis fort heureuse de voir, même si certains parmi vous sont les malheureux inféodés dont parlait le ministre d'Etat au développement culturel, qu'au moins vous ne perdez pas la langue française, et que même plus, vous êtes soucieux de la qualité de cette langue.

A la page 8 de votre mémoire, vous vous souciez du fait que dans la loi, on ne retrouve aucune mention des droits fondamentaux des minorités. Enfin, le projet de loi no 1 est tout à fait muet là-dessus. Je pense qu'il serait peut-être bon pour le gouvernement de mettre de côté ce qui m'apparaît comme une sorte de vanité c'est-à-dire de ne pas parler des autres, mais uniquement des francophones dans ce projet de loi. C'est peut-être une sorte de narcissisme, je ne sais pas. Je pense que ce projet de loi devrait susciter la collaboration de tous les éléments de notre société. On préfère accroître leur résistance et compromettre la réalisation d'objectifs autour desquels on pourrait établir un consensus. D'ailleurs, vous-mêmes en avez fait la démonstration à la page 3 où vous énoncez très bien les objectifs du Conseil du patronat qui sont, je pense, les objectifs de l'ensemble des Québécois, quelle que soit leur origine.

Je voudrais simplement, compte tenu du peu de temps qui reste à notre parti, mentionner votre remarque de la page 19 touchant l'article 112, où vous vous préoccupez de ce que sera la représentation des Québécois au sein des conseils d'administration.

Je pense que cette préoccupation, d'autres l'ont et, dans le mémoire de la Commission des droits de la personne du Québec, on lit ceci: L'article 112 pose le problème de l'interprétation — à la page 55 — pose le problème de l'interprétation du mot "Québécois" dans le paragraphe b) et je cite: "II faudrait le remplacer par résidants du Québec ayant une connaissance d'usage du français, langue officielle. Dans le contexte de l'article, Québécois est trop facilement confondu avec le groupe majoritaire francophone du Québec, ce qui peut prêter à confusion, dans la mesure où on pourrait conclure qu'il est le seul à vraiment pou-

voir contribuer à la francisation des entreprises, les autres groupes ethniques, même parlant français, étant exclus. Alors, je pense que la remarque que vous faites sur l'article 112 trouve un appui solide dans les représentations de la Commission des droits de la personne du Québec."

Vous vous inquiétez des minorités. Vous vous inquiétez de l'enseignement de la langue seconde. Et je pense qu'il y a un fondement véritable à vos inquiétudes parce que, d'abord, la loi est muette là-dessus et, si vous vous référez au livre blanc, il y a sans doute un principe touchant les minorités, il y a aussi un principe touchant l'enseignement d'autres langues que le français, mais là, encore une fois, c'est entouré de précautions oratoires, pour dire le moins, ainsi on lit: "Lorsque la langue et la culture nationales ne sont pas menacées, l'existence des groupes culturels minoritaires vigoureux et actifs est un apport." Quant à la langue seconde, vous avez également cette même restriction. On dit: "C'est d'ailleurs dans la mesure où la survie de la langue française sera assurée ici que les programmes d'enseignement d'une deuxième langue pourront être envisagés dans leur juste perspective et devenir réellement efficaces."

Ce que je voudrais savoir du gouvernement, c'est: Est-ce que, simplement, l'adoption de la loi va nous amener dans cet état de béatitude où les restrictions qu'il exprime n'existeront plus? Je suis d'accord avec vous que la loi devrait être basée sur la confiance, devrait être basée sur la concertation et que, à mes yeux, comme, il semble, aux yeux de plusieurs qui se sont présentés devant cette commission, le projet de loi tel qu'il existe est vraiment très ambigu quant aux intentions du gouvernement au sujet des minorités et également de l'enseignement des autres langues.

Ce sont les seules remarques que je voulais faire et je vous remercie encore une fois de toutes les observations que vous avez apportées qui sont très claires, qui sont rigoureusement appuyées et qui, je pense, seront un appui dans les efforts que nous tenterons de faire pour que, malgré tout, cette loi devienne une pièce de législation qui pourra amener le plus grand consensus pour faire du Québec un Québec français, mais dans le respect le plus complet possible de tous ceux qui acceptent de vivre avec nous et de travailler avec nous. Je vous remercie.

Le Président (M. Cardinal): Merci, madame. M. le ministre.

M. Laurin: Le député de L'Acadie m'a posé une question. Je voudrais simplement lui dire que la béatitude n'est pas pour demain. Nous prévoyons encore des passages difficiles, mais c'est pour les faciliter que nous voulons adopter cette loi. Mais la béatitude, ce n'est qu'au ciel que nous la trouverons.

Mme La voie-Roux: Si on s'y rend.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le député de Jacques-Cartier, il reste deux minutes à votre parti.

Ecoutez, s'il faut rétablir le débat dans son cadre, je vais accorder plus de deux minutes, vous le savez. Bon. Mais nous avons commencé à 11 h 22. M. le député de Jacques-Cartier, quand votre temps sera terminé, je vous en informerai.

M. Saint-Germain: M. le Président, je vous remercie. La loi va défendre aux Canadiens des autres provinces et aux gens de culture anglaise des autres pays le libre choix aux enfants de formation et de culture anglaise ici au Québec. Lorsqu'on connaît un peu cette province et la nécessité pour les industries de toujours aller chercher sur les marchés canadiens ou les marchés étrangers la main-d'oeuvre nécessaire à leur propre développement, et quand je parle des entreprises québécoises, j'inclus aussi ces entreprises qui sont dominées par des francophones parce que même les francophones sont obligés de faire appel à des gens de l'extérieur pour le bon fonctionnement et le progrès de leur industrie...

J'entendais M. Gignac, je crois, président de Sidbec, qui répondait — on lui avait posé la question ici a une commission afin de savoir si la main-d'oeuvre et les professionnels à l'emploi de Sidbec étaient en majorité du Québec et de langue française — il y a deux ans: On ne fait pas de l'acier avec du français ou de l'anglais. On le fait avec des gens qui savent faire de l'acier.

Alors, dans ce contexte, chez vous, vos membres ont-ils déjà senti que ce manque de choix pour les familles de culture anglaise est déjà un inconvénient à l'heure actuelle, au moment où on se parle?

M. Des Marais: La réponse est oui. Nous avons eu des exemples — et nous avons été informés — de sociétés qui avaient à muter des cadres, en particulier, au Québec. Evidemment, la loi n'est pas adoptée et, réagissant à un projet de loi ou à une explication peut-être incomplète, ces gens ne voulaient pas venir au Québec dans les circonstances actuelles. Je pense que si la loi est amendée dans le sens que le ministre a indiqué, cela va peut-être se replacer, mais si le projet de loi était adopté tel que présenté, cela créerait des problèmes très très sérieux au niveau des entreprises où la mobilité est importante.

Dans l'ordre, ce sont les cadres ou les employés eux-mêmes qui ont peut-être le moins de résistance. Mais aux alentours des employés, ce sont les épouses et les enfants qui, ne connaissant pas exactement dans quel climat ils seront édu-qués ou dans quel climat ils vivront, ont une résistance à venir au Québec. Nous avons parmi plusieurs de nos membres, des entreprises qui nous ont fait part de problèmes qu'elles ont vécus depuis l'annonce de la loi no 1.

M. Saint-Germain: L'économie du Québec est relativement peu développée par rapport à celle de l'Ontario ou du moins... Alors, il y a certainement ici, au Québec, de la place pour toute une série d'entreprises dominées par des francophones — cela me semble être évident — et qui feraient simplement concurrence à nos collègues de

langue anglaise établis ici ou sur le marché international. Je crois que toutes ces lois sur les langues qu'on a adoptées ces dernières années laissent entendre — et je crois que c'est mauvais pour la jeunesse — que c'est par de telles lois qu'on va réellement établir la société québécoise francophone, l'établir dans une stabilité durable et avec beaucoup de confiance dans l'avenir.

Il me semble que si nous sommes aujourd'hui au point où on doit tellement légiférer sur la question de la langue, une des raisons de base, c'est l'absence des francophones dans le monde de l'industrie, de la finance et du commerce. Vous savez comme moi, puisque vous êtes francophone et que vous êtes dans le milieu, qu'il serait inutile de faire tout l'historique de cette évolution du Canadien français au Québec, mais, pour nous, francophones, il est facile de comprendre, par notre échelle des valeurs passées, le pourquoi de cette absence. Ceci dit, je crois fermement que la façon la plus efficace d'établir la priorité française au Québec et en particulier dans le monde de l'industrie serait de voir de nos jeunes se lancer dans l'entreprise, car il me semble évident que, pour un jeune Canadien français aujourd'hui, qui veut étudier, qui est ambitieux, qui est énergique, qui conserve sa crédibilité, il y a là un champ que bien des jeunes pourraient lui envier. C'est peut-être regrettable — je ne veux pas vous faire de reproche — que même les hommes d'affaires négligent ce point de vue particulier. Je me demande si ce n'est pas dommageable que les hommes d'affaires comme les gouvernements, laissent voir par leur action, à la jeunesse francophone du Québec, que c'est la seule solution à leurs problèmes. J'aimerais bien avoir vos commentaires là-dessus, si possible, M. Des Marais.

M. Des Marais: M. le Président, je ne crois pas que ce soit l'opinion ou la réaction du monde des affaires. Au contraire, notre mémoire en est la preuve, et les relations que nous entretenons avec les jeunes, par exemple, au niveau des écoles d'enseignement supérieur dans le domaine des affaires, indiquent exactement tout le contraire. Nous tentons de démontrer aux jeunes qui sont dans ces institutions ou qui veulent s'y diriger et que nous devons aller recruter, qu'il y a, pour un jeune francophone bilingue et compétent, éduqué, un avenir plus grand que pour un jeune Canadien qui serait unilingue.

M. Saint-Germain: On s'est peut-être...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Saint-Germain: Seulement pour terminer. On s'est peut-être mal compris, M. Des Marais, ou peut-être me suis-je mal exprimé, mais je crois qu'il faudrait dire à nos jeunes que, s'ils veulent, comme élément francophone au Québec, réellement assurer leur culture comme individus et comme groupe, c'est en se lançant dans les affaires et en faisant leurs preuves que c'est la façon la plus efficace de l'assurer. Tout ceci peut se faire sans loi, sans restriction, dans le libre exercice de nos libertés de groupe et de nos libertés individuelles.

M. Des Marais: Si vous me permettez, je voudrais rappeler qu'il existe, en particulier à Montréal, une institution qui s'appelle l'Ecole des hautes études commerciales, qui fait très bien son travail et sous la direction d'une personne qui est extrêmement compétente.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Des Marais. Il reste deux minutes au député de Rosemont.

M. Ciaccia: Une question de règlement, M. le Président, et une directive en même temps.

Est-ce que vous n'aviez pas dit au début que le ministre avait pris tout le temps du côté ministériel et, maintenant, vous allouez deux minutes de plus. Est-ce que l'Opposition officielle aura aussi deux minutes?

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mont-Royal, je ne pense pas avoir dit, à aucun moment, que le ministre ait pris tout le temps. J'ai même indiqué le contraire. On reverra le journal des Débats...

M. Ciaccia: J'ai un témoin à ma droite.

Le Président (M. Cardinal): De toute façon, écoutez, M. le député...

M. Ciaccia: ...en tout cas, je me soumets à votre décision.

Le Président (M. Cardinal): ...de Mont-Royal, écoutez, je pense que j'ai été assez flexible et généreux envers chacun des partis. J'ai même indiqué à quel moment vous aviez terminé. C'est déjà dépassé depuis quatre minutes...

M. Lalonde: Cela nous fait quand même plaisir d'écouter le député de Rosemont.

Le Président (M. Cardinal): ...mais je ne lui laisse que deux minutes, vraiment, parce que je souligne tout de suite, à l'occasion de l'intervention du député de Mont-Royal, que je devrai ajourner les travaux de cette séance à 13 heures. M. le député de Rosemont, brièvement, s'il vous plaît.

M. Paquette: M. le Président, je tiens d'abord à dire que, du côté ministériel, si on accueille plus favorablement ce mémoire que d'autres, c'est qu'on n'y retrouve pas ce langage excessif; on entend parfois le projet de loi qualifié de répressif, punitif et même raciste.

Je pense que le mémoire apporte un appui aux objectifs du projet de loi. Cependant, il me reste une impression ambiguë quand je regarde les quelque 27 recommandations que vous nous faites. Elles vont toutes dans le même sens, en fait, atténuer, diluer le projet de loi, l'article 13, "admettre comme version officielle la version anglaise", "permettre l'utilisation du français et de

l'anglais en ce qui concerne les articles 14 à 22", etc.

Je me demande si, dans les faits, vous ne cherchez pas à revenir à un bilinguisme qu'on retrouvait dans la loi 22. Je regarde en particulier l'évolution de votre position sur la langue d'enseignement. Comme le ministre, je suis heureux de constater l'évolution, mais je tiens à vous dire que vous donnez l'impression d'être toujours un débat linguistique en retard.

Lors du débat de la loi 22, vous étiez pour le libre choix et, là, vous voulez nous amener une espèce de bilinguisme de fait. J'aurais aimé pouvoir démontrer ça en vous posant des questions, article par article, mais je n'ai le temps que de vous poser une seule question. Concernant l'article 37, en haut de la page 13, vous déplorez que le fardeau de la preuve relève de l'employeur en ce qui concerne les postes qui nécessiteront dans l'entreprise une autre langue que le français. Je comprends que ça pose certains problèmes, ça ajoute des responsabilités aux entreprises.

Vous n'avez pas l'impression que cette disposition est quand même plus juste que de demander au travailleur individuel, démuni, de faire la preuve de l'inverse, c'est-à-dire que l'emploi qu'il postule ne nécessite pas la connaissance de l'anglais? Quelle est votre réaction?

M. Dufour: Vous avez mentionné l'article 37, mais vous voulez parler de l'article 36.

M. Paquette: Je pense aux deux en fait. Les deux sont liés, mais, à l'article 37, on dit: "II incombe à l'employeur de prouver que la connaissance de l'autre langue est nécessaire".

M. Dufour: On l'a dit dans le texte, on accepte, en principe, le contenu de cet article. La seule chose, c'est une question de procédure, purement et simplement. Bien diviser les problèmes de langue et les problèmes de relations de travail, et on dit: S'il y a des problèmes d'application de cet article, qu'on ait des poursuites, en vertu de la loi. On va plus loin et on dit: La possibilité d'appel devrait être devant la Commission des droits de la personne. A ce moment-là, vous entrez carrément dans les droits de la personne.

C'est purement une distinction très nette entre des problèmes de relations de travail et des problèmes d'administration de la loi en général. Vous avez, dans le cas, des expériences qui se vivent tous les jours, en vertu des articles 14 à 18, pour des problèmes très particuliers d'activités syndicales, de congédiements, l'ensemble des plaintes pour activités syndicales, qui ne se retrouvent absolument pas comme conception dans le problème qu'on aborde ici. Ce sont deux choses totalement différentes et c'est le mécanisme qu'on conteste, non pas le principe de l'article 36 comme tel.

Le Président (M. Cardinal): Je voudrais mentionner que je n'ai pas dit que le temps était écoulé pour le parti ministériel. Mais j'accepte la parole du député de Mont-Royal. Ayant été rem- placé et la présidence étant indivisible, en conséquence, j'accorde au parti de l'Opposition officielle une minute et je donne la parole au député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci beaucoup, M. le Président de la commission. Malgré la musique qui semble accompagner les politiques d'un bon gouvernement, j'essaierai de faire une très brève intervention.

M. Charbonneau: ...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Ciaccia: M. le Président, je voudrais simplement faire remarquer que la réaction du ministre semble poser certaines questions aux invités qui viennent ici et qui ne sont pas d'accord avec le projet de loi. On se demande pourquoi avoir une commission parlementaire pour écouter les représentations des différents témoins, des différents invités? C'est bien beau que, de ce côté-ci de la table, on fasse ressortir certains aspects de votre mémoire qui semblent être positifs.

Mais il me semble que, de l'autre côté, il peut y avoir une réaction positive à plusieurs des recommandations que vous avez faites pour faire certains amendements. On donne toujours comme raison: Ce n'est pas l'intention du gouvernement... Vous avez souligné... J'aurais aimé avoir d'autres commentaires sur les articles 58, 30, 36, 37, 114, mais la réaction est toujours la même. Cela fait deux semaines que nous sommes ici et on les entend toujours: Ce n'est pas nécessaire. C'est normal, sans expliquer la nécessité, sans définir la normalité qui semble des fois... Je voulais seulement...

Pour conclure, M. le Président, j'espère que les autres invités qui sont dans la salle et qui ont des critiques sur le projet de loi ne se sentent pas trop découragés. Essayez encore. Peut-être qu'on aura un succès éventuellement.

Le Président (M. Cardinal): M. Des Marais, vous n'avez pas le droit de réplique. Vous n'êtes pas obligé de répondre, mais vous avez le droit d'ajouter un commentaire si vous le jugez à propos.

M. Des Marais: M. le Président, un bref commentaire. Le député de Rosemont a mentionné que nous étions peut-être une loi en retard. Je regrette, je pense que notre évolution est normale. Je voudrais rappeler aux membres de cette commission que nous vivons dans la réalité quotidienne que nous représentons et c'est à travers ces yeux que nous faisons des représentations qui ont été les nôtres aujourd'hui.

Le Président (M. Cardinal): Merci, aux porte-parole du Conseil du patronat du Québec. Je souligne, en terminant, que les prochains invités sont les porte-parole de la Fédération des travailleurs du Québec, mémoire 128.

Les travaux de cette commission sont ajournés sine die, ce qui veut dire, en pratique, si on veut parler un langage compréhensible, que nous reviendrons ici après les affaires courantes et la période des questions de l'Assemblée nationale, soit un peu après 16 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 58)

Reprise de la séance à 16 h 42

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

Je demanderais aux gens de regagner leurs fauteuils. C'est une nouvelle séance. Je dois faire l'appel des membres de la commission. L'on voudra bien m'indiquer les remplacements, s'il y a lieu. M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Gravel (Limoilou), M. Charbonneau (Verchères), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier) remplacé par M. Boucher (Rivière-du-Loup); M. Grenier (Mégantic-Compton), M. Guay (Taschereau) remplacé par M. Michaud (Laprairie); M. Lalonde (Marquerité-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé), M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda).

Nous commençons une nouvelle séance. L'ordre du jour est le suivant: la Fédération des travailleurs du Québec, mémoire 128; Bell Canada, mémoire 65; Conseil des hommes d'affaires québécois, mémoire 4; Protestant School Board of Greater Montreal, mémoire 23.

Messieurs les représentants de la Fédération des travailleurs du Québec, je vous... Oui, M. le député de Vanier.

M. Bertrand: Est-ce que vous avez reçu un renseignement suivant lequel l'Opposition boycottait la séance de cet après-midi?

Le Président (M. Cardinal): Non, M. le député de Vanier. Je constate simplement qu'il y a quorum et qu'il est temps de commencer. Alors, je demanderais aux porte-parole de la Fédération des travailleurs du Québec de bien vouloir s'identifier, s'il vous plaît.

Fédération des travailleurs du Québec

M. Laberge (Louis): M. le Président, MM. de l'Opposition, pardon, sans aucun préambule, je vais vous présenter André Messier, vice-président de la FTQ; Fernand Daoust, secrétaire général de la FTQ; Mona-Josée Gagnon qui est responsable à la FTQ de toute cette question de la langue; Yvon Thiboutot, de l'Union des artistes; et Norman La-brie, des Travailleurs unis de l'automobile, des travailleurs de la General Motors, qui ont déjà eu à souffrir justement, du manque de législation au point de vue de la langue de travail.

La Fédération des travailleurs du Québec représente environ 350 000 travailleurs qui sont membres de sections locales québécoises, de syndicats canadiens et internationaux, ces derniers recrutant leurs membres aux Etats-Unis ou au Canada. Non seulement la FTQ est-elle reliée à des structures syndicales à dimension nord-américaine, mais encore l'immense majorité des travailleurs québécois à l'emploi de multinationa-

les opérant au Québec sont-ils membres de nos syndicats.

La FTQ est le seul organisme habilité à parler au nom de l'ensemble des membres québécois de ces syndicats, qui viennent de secteurs industriels très variés, qui nous sont majoritairement affiliés, et vous en avez ici la nomenclature dans les principaux secteurs où nous avons des membres, par exemple, mines et métallurgie, 40 000 travailleurs, etc.

Malgré que la FTQ recrute ses affiliés dans des secteurs extrêmement diversifiés, c'est un point de vue qui fait l'objet d'un large consensus que nous présentons aujourd'hui à cette commission de l'Assemblée nationale chargée d'étudier le projet de loi no 1.

Le conseil général de la FTQ, réuni le 12 mai dernier...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. Laberge. Pour des fins de procédure, je considère que nous commençons cette audition à 16 h 45. Vous avez 20 minutes, à moins que la commission n'en décide autrement.

M. Laberge (Louis): Et vous me faites grâce de ces 30 secondes que vous venez de...

Le Président (M. Cardinal): Oui.

M. Laberge (Louis): Merci, M. le Président.

M. Charbonneau: M. le Président, est-ce que je pourrais demander au témoin, M. Laberge, s'il utilise le résumé ou le mémoire lui-même?

M. Laberge (Louis): Oui, je vais essayer... M. Charbonneau: Ah bon!

M. Laberge (Louis): ... de couper au plus court possible pour vous permettre le plus de questions possible.

M. Charbonneau: C'est parce qu'on voudrait suivre. D'accord.

M. Laberge (Louis): Alors, le conseil général s'est prononcé le 12 mai dernier, endossant globalement le projet de loi no 1 et, pour nous, ce n'est pas d'hier que nous sommes intéressés au français, langue de travail. En fait, dès 1963, les métallos d'Atlas Steel ont joué, en quelque sorte, un rôle de précurseurs en revendiquant et en obtenant le droit de faire du français la langue des relations de travail. Il y a eu d'autres membres de syndicats affiliés chez nous, comme les membres des Travailleurs unis de l'automobile en 1970, ouvriers de la General Motors, qui ont eu à faire une grève sur cette question. Il y en a eu plusieurs autres dont Tolhurst, United Aircraft, etc.

En 1971, la FTQ a présenté un mémoire à la commission Gendron et, en 1974, nous présentions notre point de vue au gouvernement au cours du débat sur le projet de loi 22.

La FTQ condamnait alors la démarche adoptée par le précédent gouvernement, ce qui justifie probablement son absence, dans la préparation de la loi 22, notamment dans les aspects suivants: le caractère non universel de la législation sur la francisation des milieux de travail, action strictement incitatrice et assortie de nombreuses tolérances injustifiées et arbitraires, imprécision des objectifs et des normes utilisés, danger d'institutionnalisation du bilinguisme. Le règlement sur la francisation des entreprises, qui couronnait en quelque sorte, la loi 22, se révéla être de la même encre que la loi et tout aussi inacceptable aux yeux de notre centrale.

Il nous est rarement arrivé à la FTQ de pouvoir exprimer un accord aussi total face à un projet de loi. Nous retrouvons dans le projet de loi no 1, au chapitre de la langue de travail, de la francisation des entreprises, les éléments de politique très précis que nous réclamions en 1971 et l'ensemble de la démarche du gouvernement répond exactement à nos souhaits.

Dans ce bref mémoire, la FTQ s'attachera à étudier les aspects du projet de loi concernant spécifiquement notre pratique quotidienne, donc la francisation des milieux de travail, la langue de travail et des relations de travail, l'application des objectifs mis de l'avant ainsi que les problèmes reliés à la conception des droits individuels et collectifs.

Soit dit en passant, nous regrettons un peu le charriage qui s'est fait au sujet du projet de loi. Nous n'avons pas du tout été surpris de voir l'opposition quasi unanime, du moins vastement majoritaire, du milieu patronal, contre le projet de loi, influencé qu'il était par le pouvoir économique qui domine le Québec. En fait, nous avons applaudi et nous continuons d'applaudir le gouvernement d'avoir eu le courage de trancher dans le vif du sujet et non pas de quémander des faveurs.

Il ne s'agit pas de remplacer les patrons anglophones par des patrons francophones. Il s'agit tout simplement d'amener l'entreprise à respecter la langue de la majorité et pour nous, c'est essentiel, c'est indispensable et, évidemment, nous avons quelques observations à faire, entre autres, sur l'article 172. Nous trouvons un peu malheureux cet accroc du gouvernement. Nous savons que le gouvernement est foncièrement démocrate. Lorsqu'il formait l'Opposition, nous étions d'accord pour faire de la Charte des droits et libertés de la personne une charte de droits fondamentaux et nous croyons que le gouvernement pourrait passer autour de ce problème dont se sont servis les opposants au projet de loi no 1 en amendant la Charte des droits et libertés de la personne plutôt qu'en faisant de cette Charte des droits, des droits non fondamentaux.

Enfin, il y a quand même une distinction à faire.

Ce n'est pas vrai qu'en respectant le droit de la majorité on peut se faire accuser de discriminer la minorité. Pour nous, l'accès à des droits démocratiques fondamentaux comme les droits judiciaires, les droits sociaux, etc., tant que c'est reconnu

et la Charte sur la langue le reconnaît, il n'y a pas de discrimination. Il importe toutefois que ce principe soit appliqué judicieusement et que les exigences tiennent compte de la nature de l'emploi. Tant que les minorités pourront avoir le droit à leurs associations culturelles, sociales, politiques et éducatives, il n'y a pas de discrimination. D'ailleurs aucune convention internationale ne pourrait justifier un réseau scolaire public fonctionnant dans une autre langue que celle de la majorité, ni consacrer le droit des minorités et des individus les composant à l'accès de tels réseaux. La Charte de la langue définit donc un traitement extrêmement avantageux pour les minorités du Québec, et particulièrement la minorité anglophone. Consacrer en droits les privilèges de la minorité serait porter atteinte, compte tenu de la conjoncture, aux droits collectifs de la majorité dont la position nous semble actuellement pius menacée que celle de la minorité anglophone.

Le droit de travailler en français, nous croyons, est un droit fondamental. Il y a des années que nous nous battons à ce sujet et en fait je n'ai pas besoin, je pense bien, de vous informer là-dessus. Vous êtes tous parfaitement au courant que les travailleurs francophones au Québec ont toujours eu le petit bout du bâton et, à compétence égale, le travailleur unilingue anglophone a toujours eu plus de chance d'obtenir des promotions. Il y a des membres du Conseil du patronat qui nous ont donné quelques chiffres ce matin, alors que la représentation aux hauts postes était passée de 11 à 22, c'est-à-dire qu'avant il y avait un représentant sur 11, aujourd'hui ils en ont deux. Cela fait 22%, mais cela fait très petit. Je pense que tout le monde est au courant de cela et on ne se fera pas charrier et on demande à tous les travailleurs québécois de bien regarder la réalité en face. On est rendu à calculer le nombre d'emplois qui seront perdus ou récupérés selon que le gouvernement adoucira ou n'adoucira pas certains chapitres de la loi. Cela c'est du charriage. C'est vraiment aller beaucoup trop loin et ce n'est pas vraiment collaborer pour essayer de régler une fois pour toutes le problème de la langue au Québec.

Quant à la langue des associations de salariés, là aussi non seulement vous voulez vous rendre incitatifs, mais vous voulez contraindre les associations de salariés à communiquer avec leurs membres au Québec dans la langue officielle.

Nous représentons les syndicats nationaux et internationaux, nationaux dans le sens de canadien, c'est à ce point de vue-là qu'il devrait y avoir le plus de problème. On a fait énormément de chemin depuis quelques années, mais il y en a encore à faire et nous ne nous opposons absolument pas à ce que le gouvernement contraigne les associations.

Le chemin qui reste à faire se fera plus vite et c'est tout. On est entièrement d'accord. On est aussi entièrement d'accord pour que le gouvernement contraigne les entreprises, parce que l'incitation n'a absolument rien donné, on en a parlé déjà. On a eu des luttes là-dessus, ça n'a vraiment rien donné. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu d'améliorations au Québec, bien sûr, il y a eu des améliorations. Les entreprises qui ont bien voulu améliorer le sort des travailleurs francophones dans leurs entreprises, sans la charte sur la langue, continueront de le faire ou devraient continuer de le faire.

Enfin, j'espère qu'on va arrêter de toujours nous dire que des banques vont partir du Québec. Il n'y a rien de plus facile à remplacer qu'une banque. La Banque de Montréal a beau faire des affaires internationales, les déposants sont ici, au Québec. Je pense qu'on pourrait se parler un peu là-dessus. En tout cas, j'espère que ce n'était qu'une allusion et que ce n'est vraiment pas une menace qu'elle compte mettre à exécution, parce qu'on a fini de se faire charrier sur ces questions. Langue des relations de travail. Les articles 34 et 35 du projet de loi sont conformes aux positions exprimées par les représentants syndicaux au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Vous avez donné un certain délai pour que ça se fasse et nous croyons que c'est réaliste. L'article 40, toutefois, nous laisse un peu perplexe. Pour nous, ce n'est pas juste de faire des finasseries sur cette question, mais on trouve un peu dangereux le principe d'inclure, par une loi, des clauses dans une convention collective. Ce qu'on suggérerait pour remplacer cette chose, parce que le Conseil du patronat nous disait ce matin que la langue, c'est une chose et les relations de travail, c'est une autre chose... Bien non, ce n'est pas divisé comme ça. Les relations de travail en français, c'est une seule et même chose.

Selon nous, les travailleurs devraient avoir les mêmes recours que les autres citoyens qui ne sont pas des travailleurs syndiqués, mais par contre, devraient aussi avoir droit de recours à la formule de grief. Les articles 33, 36, 37 et 38 du chapitre 6 de la loi 1 peuvent être l'objet d'un grief au sens du Code du travail, au même titre que le texte d'une convention collective. S'il y avait une clause à cet effet dans le projet de loi no 1, ça suffirait pour qu'on puisse se servir et de la formule des griefs et de l'appel normal des autres citoyens.

Les travailleurs non francophones, il faut bien le reconnaître, nous avons une responsabilité collective à leur endroit, car ils n'ont pas joui, comme les cadres, de régime favorisant leur apprentissage du français. Les compagnies ont payé pour les cadres, mais pas pour les travailleurs ordinaires. Nous encourageons, nous, des cours intensifs de français et cela devrait être gratuit, cela devrait être dans les CEGEP, etc.; on devrait améliorer prioritairement les cours de français dispensés dans le réseau scolaire anglais public et, évidemment, forcer le réseau privé subventionné à respecter des normes très strictes et à mettre sur pied des mesures visant à francophoniser rapidement les immigrants s'installant au Québec.

Evidemment, nous savons que le gouvernement va vouloir protéger les droits acquis. Nous savons aussi qu'il y aura évidemment des questions où cela deviendra un peu plus difficile, un peu plus épineux. Est-ce qu'on devra reconnaître les droits acquis d'un travailleur qui empêche, de par sa fonction, la francisation d'un groupe d'au-

très travailleurs? Cela est à voir, mais, de toute ta-çon, nous savons que le gouvernement voudra appliquer ses règlements avec toute la souplesse nécessaire. La souplesse nécessaire ne veut pas dire la mollesse que nous avons déjà condamnée. Il y a un juste milieu.

Je vais laisser au secrétaire général de la FTQ le soin de parler de l'application de la loi et des organismes mis en place.

M. Daoust (Fernand): Le projet de loi propose la mise sur pied d'un Office de la langue française, ainsi que d'un Conseil consultatif de la langue française. La FTQ veut émettre certaines réserves et suggestions sur la conception du rôle et des fonctions de ces organismes.

La direction de l'Office de la langue française.

Le mode de direction prévu pour l'organisme-clé dans l'application de la Charte, est une direction unique. Nous croyons qu'un tel choix, s'il devait être maintenu, serait susceptible d'engendrer une certaine méfiance, voire une cer-tainte crainte, au sein de la population, et tout particulièrement des groupes directement concernés.

L'office aura en effet à prendre des décisions de la plus haute importance, en vertu des dispositions de la section III du chapitre III du projet de loi, qui touche la procédure d'émission des certificats de francisation. C'est la nature même de ce champ d'intervention qui milite, selon nous, en faveur d'une nouvelle orientation.

Le premier ministre lui-même, peu après son élection, parlait de mettre sur pied une administration publique transparente. Nous lui empruntons cette expression et demandons au gouvernement de s'orienter vers un comité de direction composé de trois personnes, formule qui nous apparaîtrait plus apte à répondre à cet objectif de transparence.

Soulignons qu'à la FTQ, nous avons eu, là-dessus, un long débat. Nous avions deux objectifs qui s'articulaient au départ de façon contradictoire. D'une part, nous voulions que la direction de l'office en soit une qui ne puisse être accusée d'autocratisme, ou encore susceptible d'être étroitement contrôlée par le pouvoir politique et prêtant le flanc à des accusations de partisanerie ou d'arbitraire. D'autre part, nous trouvions essentiel que le mode de direction choisi pour l'office n'implique pas la mise en place d'un appareil de décision lourd qui entraînerait des lenteurs, des difficultés de fonctionnement, voire des blocages dans un domaine aussi délicat que l'octroi ou le retrait des certificats de francisation.

Il nous apparaît donc que notre position respecte tant l'objectif d'efficacité et de célérité que celui de transparence. Les trois personnes choisies par le gouvernement seraient à temps plein à l'office. Nous suggérerions un comité formé d'un président réputé pour sa compétence et son objectivité et de deux vice-présidents venant respectivement du monde des affaires et des milieux syndicaux.

Le conseil consultatif. Nous sommes d'accord avec la création d'un tel organisme qui constituerait un carrefour d'opinions des groupes les plus touchés par la francisation de la société québécoise. La liste proposée dans le projet de loi nous apparaît offrir des garanties de représentativité suffisantes.

Soulignons toutefois qu'en ce qui concerne les représentants du monde syndical à cet organisme, la FTQ a pour politique de pouvoir choisir elle-même son ou ses représentants aux organismes ainsi mis sur pied par le gouvernement. De plus, nous souhaiterions avoir le pouvoir d'exiger que nos représentants soient démis de leurs fonctions si, pour quelque raison que ce soit, ils ne nous apparaissent plus aptes à jouer le rôle de représentants de la FTQ.

Nous souhaitons enfin une précision du mandat du conseil consultatif afin qu'on puisse lui faire jouer un rôle privilégié dans certains domaines d'application de la loi.

Il nous semble en effet que les décisions de l'office qui seront les plus déterminantes, l'émission ou le refus des certificats permanents ainsi que la décertification, devraient être systématiquement transmises pour information et avis au conseil consultatif, dans les cas où des parties concernées, les employeurs, le syndicat ou des groupes d'employés, seraient en opposition. Cette procédure n'entraverait en rien le fonctionnement efficace et rapide de l'office en ce domaine, ce qui nous semble prioritaire, mais instituerait une forme de recours, non formelle il est vrai, qui nous semble tout aussi importante. Les avis du conseil seraient, bien entendu, rendus publics. Nous aimerions voir dans l'article 147 précisé en ce sens, et recommandons également que les règlements définissant les modalités d'application de la loi soient soumis au conseil.

En vertu de notre proposition, les groupes concernés seraient assurés d'avoir, dans cet organisme que serait le conseil, un témoin impartial et représentatif qui serait saisi au fur et à mesure des dossiers litigieux et qui soumettrait des avis parfaitement indépendant du pouvoir politique. Il est évident que des cas litigieux se présenteront. Qu'il s'agisse d'une entreprise qui a à se plaindre de la rigueur de l'office ou encore de représentants d'un syndicat siégeant à un comité de francisation qui considèrent que l'office a fait montre d'une indulgence excessive envers leur employeur, il est indispensable, selon nous, qu'une seconde autorité puisse être saisie des représentations des intéressés.

Il nous apparaît que la Charte de la langue est une loi fondamentale pour notre avenir collectif et que ce caractère fondamental requiert, ou tout au moins rend hautement souhaitable la présence vigilante et signifiante d'un organisme détaché du gouvernement, d'un organisme à travers lequel toute la population établirait un consensus symbolique.

L'émission des certificats de francisation: La FTQ a suivi avec attention les essais prudents du précédent gouvernement en matière de certificat de francisation. Ce fut une longue épopée, allant d'une loi votée en 1974 à des règlements qui ne furent approuvés qu'en septembre 1976. Chemin faisant, le gouvernement libéral avait abondam-

ment consulté les milieux d'affaires, ignoré les milieux syndicaux et profondément adouci ses exigences. Nous félicitons le gouvernement actuel pour avoir inséré dans son projet de loi des éléments essentiels et fondamentaux de sa politique en matière de francisation des entreprises. La loi 22 était vide à cet égard et la réglementation tardive, si elle ne corrigeait pas certaines lacunes, apporta des éléments qui auraient davantage convenu à la loi de par leur nature.

Je vais sauter tout de suite, compte tenu du temps qui nous est consacré, aux comités de francisation et à leur rôle et fonctionnement. Nous faisons état du rôle méprisant de l'ancien gouvernement à l'égard des travailleurs et nous félicitons le gouvernement actuel d'intégrer les syndicats, leurs représentants, les travailleurs dans le processus de francisation. Selon nous, les travailleurs ont non seulement le droit et le devoir de s'informer des politiques patronales en matière de francisation, mais ils ont aussi la tâche de participer activement à l'élaboration des programmes de francisation et à leur application. Ce sont les travailleurs qui seront, au premier chef, affectés par ces programmes dans leur vie de tous les jours. Nous espérons que les employeurs ne tenteront pas de contourner la loi et de court-circuiter ces comités.

En ce qui a trait à la représentation syndicale et ouvrière à ces comités, nous souhaitons que les comités puissent être constitués d'au moins deux représentants des travailleurs. C'est une politique que nous avons, et qui est universelle, que les travailleurs ne participent pas à des comités quels qu'ils soient, à moins d'avoir une représentation qui ne soit pas unique; j'entends un travailleur, un représentant patronal et un représentant d'un autre organisme. Selon nous, la loi pourrait être amendée afin de prévoir qu'il y aurait, au tiers de leur représentation, au moins deux représentants des travailleurs dans chacun des comités. Pour ce qui est des critères de représentativité, les objections qu'on a pu formuler ce matin nous semblent facilement surmontables.

Le mandat des comités. Nous croyons que non seulement les comités devraient voir à l'élaboration et devraient être consultés ou faire partie plutôt du comité de francisation, mais la loi devrait prévoir aussi qu'ils seraient impliqués dans la surveillance de l'application des programmes de francisaton.

Le Président (M. Cardinal): M. Daoust, je m'excuse. Grâce aux 30 secondes accordées au début à M. Laberge, il vous resterait 30 secondes, à moins que des membres de la commission ne fassent, comme ceci s'est produit à quelques reprises...

Une Voix: Accordé.

Le Président (M. Cardinal): ... et ne vous accordent un temps à déterminer d'avance cependant.

M. Bertrand: On peut le prendre à même le temps de l'Opposition...

Le Président (M. Cardinal): Non. Vous savez que le précédent, c'est qu'un parti accorde un temps limité, et je demande aux membres de la commission quel temps ils désirent accorder.

M. de Bellefeuille: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: ... est-ce qu'il me serait permis de demander à M. Laberge s'il croit pouvoir terminer en dix minutes?

M. Laberge (Louis): Certainement.

M. de Bellefeuille: Vu la réponse de M. Laberge, M. le Président, je cède volontiers, au nom de mes collègues, dix minutes à nos témoins.

Le Président (M. Cardinal): Consentement unanime? Alors, vous avez dix minutes de plus.

M. Daoust: Je voudrais aborder le problème des sanctions à l'endroit des entreprises. La charte de la langue permet le recours à trois types de sanctions que nous approuvons. La plus forte réside, bien sûr, dans l'article 106, et nous espérons que le gouvernement résistera aux demandes d'assouplissement dont il est inondé. La FTQ considère qu'une entreprise qui ne respecte pas le peuple québécois ne devrait pas faire affaires au Québec. Nous sommes, de plus, convaincus que lorsque la loi sera en vigueur, les entreprises se plieront à la loi, car elles trouvent leurs profits chez nous, quoiqu'elles en disent. La sanction morale qui consiste à faire connaître le nom des entreprises récalcitrantes peut également, dans certains cas, être très dure, car susceptible d'entraîner, s'il y a lieu, un boycottage populaire.

Enfin, la FTQ est d'accord avec les amendes. A l'échelle d'une grosse entreprise, ces amendes sont hautement symboliques, mais nous trouvons que le principe des amendes contribue à donner du sérieux à la charte.

Conclusion: En matière de politique linguistique, les travailleurs ont placé leur confiance dans votre gouvernement. Nous espérons que vous ne modifierez pas votre projet de loi dans le sens d'un assouplissement pour les entreprises. Telle qu'elle est, la charte permet toute la souplesse d'application requise, et la FTQ est confiante que c'est l'attitude qu'adoptera le gouvernement. Nous avons toujours dit, à la FTQ, que c'était la responsabilité du gouvernement du Québec de permettre aux Québécois de travailler en français et qu'il n'était pas question de demander à des groupes de travailleurs de lutter sur le plan local pour faire reconnaître des droits nationaux. Votre gouvernement assume sa responsabilité. Comme centrale syndicale, nous sommes prêts à assumer la nôtre et à inciter nos affiliés à travailler concrètement dans leur milieu de travail à l'application et au respect de la charte.

Une des tâches qui nous semblent prioritaires dans la conjoncture actuelle, c'est d'analyser et de

démystifier les clameurs d'épouvante des milieux d'affaires et de dénoncer le chantage éhonté que, dans certains cas, les employeurs utilisent contre les travailleurs. Ce sont là des clameurs peu représentatives, qui font fi du respect auquel ont droit, après tant d'années d'oppression, les travailleurs francophones, cette collectivité dont la situation socio-économique se dégrade lentement et cela, malgré les francophones de service répartis ici et là dans la grande entreprise, et malgré les sondages que les organismes patronaux utilisent pour manipuler à leur profit l'opinion publique. Mais les travailleurs comprennent que cet acharnement patronal révèle des zones de résistance profonde à la francisation des opérations industrielles et que la Charte de la langue française au Québec est la seule capable de les vaincre une fois pour toutes, avec le concours de tous les travailleurs du Québec, qui ont compris les enjeux profonds de cette lutte.

M. Laberge (Louis): Avec votre permission, nous allons demander à M. Yvon Thiboutot de vous présenter l'addenda que l'Union des artistes a voulu ajouter à notre mémoire.

Le Président (M. Cardinal): Accordé. Il vous reste encore huit minutes.

Union des artistes

M. Thiboutot (Yvon): Merci, M. le Président. L'Union des artistes, représentant syndical des artistes-interprètes professionnels francophones, manifeste son adhésion au projet de loi no 1, la Charte de la langue française au Québec. C'est notre conscience collective et notre volonté culturelle qui expriment ici leur satisfaction devant la détermination du présent gouvernement qui, par la voix du ministre responsable Camille Laurin, entend légiférer sur l'un des droits fondamentaux du peuple québécois et ainsi assurer, de façon démocratique, l'identité culturelle de la majorité des citoyens du Québec.

Nous croyons justes et raisonnables les dispositions relatives au français, langue de travail et des communications, langue de l'enseignement et de l'administration, même si pour nous, artistes-interprètes francophones, le français a toujours été la langue de travail et la langue d'usage par le fait même de notre métier, nous sommes toutefois conscients de l'urgence d'imposer une limite nécessaire à la pénétration dans notre vie quotidienne d'une autre culture, fort valable et fort riche, mais qui, du seul fait de sa domination sur le continent nord-américain, risque dangereusement d'émietter la nôtre par le simple pouvoir coercitif du nombre.

La plus insouciante promenade au coeur de nos villes ou d'agglomérations à vocation commerciale ou industrielle nous impose cette conclusion. Cette politique positive du présent gouvernement ne nous empêche pas pour autant de souligner que ce projet de loi, tout en assurant la reconnaissance officielle de la langue française, reste fort discret sur un corollaire aussi fondamental qu'urgent: une énergique politique culturelle.

Il est certes prioritaire de légiférer sur la langue, mais il serait utopique de croire que cette seule législation produira un effet d'entraînement suffisant dans le domaine culturel. Si la langue est un prérequis essentiel au développement d'une identité, c'est la culture vivante qui en est la source principale d'énergie.

Vous admettrez sans doute qu'une culture qui se veut le reflet d'un peuple ne peut se contenter d'importations. Un produit culturel étranger, en aussi bon français fût-il traduit, ne devient pas pour autant un apport au patrimoine culturel québécois. Qu'on nous comprenne bien. Nous ne sommes en rien opposés à l'ouverture de nos frontières aux cultures étrangères. Bien au contraire, mais l'identité culturelle des Québécois ne saurait se satisfaire de la traduction de la pensée des autres cultures. Il est devenu nécessaire d'établir une démarcation raisonnable entre la réalité actuelle décevante et notre préoccupation d'assurer aux créateurs et aux interprètes québécois la part qui leur revient dans la définition et l'affirmation de nos valeurs. Certes, cela ne se fera pas en appliquant une simple politique restrictive, mais en stimulant la création et la diffusion d'oeuvres originales que le public québécois est en droit d'attendre et d'apprécier. Ce parti pris culturel que nous entendons défendre est lié à cet autre parti pris, nettement syndical et tout autant justifié, du droit au travail et à l'expression pour tous les artistes-interprètes du Québec.

Pour sa part, l'Union des artistes entend bien respecter la volonté de ses membres et participer à l'élaboration et à la mise sur pied de toutes politiques touchant au domaine artistique et culturel. Cette détermination s'exprime aujourd'hui sur la question de la langue et c'est grâce à l'expérience quotidienne de porte-parole (au sens littéral du terme) de la culture d'ici que nous croyons que les remarques précédentes méritent d'être prises en considération.

En conclusion, nous réaffirmons notre appui au projet de loi no 1 et nous demandons du même souffle qu'une politique culturelle souple et énergique vienne le plus tôt possible l'encadrer et l'orienter. Si cette politique culturelle n'est pas définie à très court terme, le projet de loi sur la langue n'aura été que la première réplique d'un texte prometteur, mais inachevé.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Thiboutot. Avez-vous d'autres remarques à ajouter ou est-ce terminé? Dans ce cas, il reste 23 minutes au parti ministériel.

Le ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: J'espère que vous ne vous sentez pas trop orphelins si, seul, le gouvernement a pu vous entendre!

Je regrette d'autant plus que l'Opposition soit absente, parce qu'elle aurait sûrement eu besoin de se faire éclairer par les exposés que vous avez faits. Elle aurait sûrement profité des mises au

point vigoureuses, mais très justes que vous avez faites également. Ce sera pour une autre occasion. J'espère qu'elle pourra lire l'exposé remarquable que vous venez de faire.

Evidemment, le gouvernement se réjouit de l'appui global et total que vous faites au projet de loi sur la langue. Venant de 350 000 travailleurs qui constituent la chair et le coeur du peuple québécois, cet appui constitue pour nous la meilleure preuve que le gouvernement ne s'est pas trompé dans la voie qu'il a choisie pour assurer la défense et la promotion des travailleurs du Québec et, en particulier, des travailleurs francophones du Québec.

Vous faites une réserve sur l'article 172. J'avais déjà indiqué que cet article n'était que provisoire, car nous avons toujours été convaincus que la loi ne témoignait d'aucune discrimination à l'endroit de qui que ce soit, de quelque langue que ce soit, de quelque minorité que ce soit, car comme vous l'avez si bien dit, respecter la majorité ce n'est pas faire montre de discrimination à l'endroit de la minorité. Mais maintenant que nous avons presque tous les avis et opinions que nous avions sollicités, il nous sera possible de formuler l'article d'une façon claire, évidente, qui prouvera qu'il est parfaitement possible de concilier les principes qui animent la Charte du français et ses modalités d'application avec les principes qui doivent nous guider dans la défense des droits de la personne.

Vous avez remarqué, à juste titre, que le gouvernement avait imposé une contrainte aux associations de salariés qui ne communiquent pas encore en français d'une façon constante avec leurs employés. Je me réjouis que vous acceptiez cette contrainte et ceci me donne l'occasion de signaler que cette contrainte n'a jamais été signalée par d'autres groupes avant vous. C'est la première fois qu'un groupe la signale et la soulève. Il faudrait se demander pourquoi cette contrainte appliquée à l'endroit d'une association syndicale n'a jamais été montée en épingle par quelque groupe que ce soit.

J'accueille avec sympathie votre demande de révision de l'article 40. J'aimerais vous poser une question à ce sujet. Je n'ai pas saisi tout à fait l'essentiel de votre contre-suggestion.

M. Laberge (Louis): Vous voulez cela maintenant?

M. Laurin: Oui.

M. Laberge (Louis): Enfin, l'article 40 dit que le texte de la loi, en ce qui a trait à la langue de travail, devrait être considéré comme faisant partie intégrante des conventions collectives. Les conventions collectives résultent évidemment de discussions entre deux parties. Cela résulte en quelque sorte d'une épreuve de force entre deux parties. Pour nous, cela est sacré, mais il nous semble qu'il y aurait moyen de donner ce recours à la formule des griefs en disant tout simplement que les articles — je les ai énumérés —34, 35, 36, 37 et 38, pourraient faire partie de la formule des griefs, comme si elle faisait partie de la convention collective. Quelque chose dans ce sens. Cela éviterait de discuter. Comme vous l'avez remarqué, on n'a pas voulu monter cela en épingle, on l'a seulement mentionné, parce que cela nous semblerait préférable.

M. Laurin: Quant à vos suggestions sur la structure des organismes, là aussi je pense qu'elles sont très opportunes et pertinentes. Je voudrais vous dire que ce qui nous a conduits à diviser les fonctions des organismes et en particulier à confier la direction de l'office à un président, c'est que nous avons constaté qu'à l'intérieur de l'ancienne régie, il y avait des problèmes qui se posaient en ce qui concerne la ligne d'autorité.

La ligne d'autorité n'était pas toujours claire, ferme, et ceci posait des problèmes à certains égards, des problèmes de fonctionnement, des problèmes d'efficacité. Mais nous avons voulu remédier à ces failles. De la même façon, nous pensons que la plupart des problèmes d'administration courante n'ont pas à être refilés constamment à un conseil d'administration et réglés par lui. La plupart de ces problèmes d'administration courante sont habituellement réglés par un directeur général et n'ont pas à être envoyés à un plus haut palier.

Il reste que nous allons étudier la suggestion que vous nous faites, en raison des arguments que vous nous présentez, en ce qui a trait à la structure du comité de direction, qui serait composée de trois personnes.

Nous sommes aussi d'accord avec vous pour étendre la compétence du conseil consultatif qui peut-être, de par sa composition, reflète davantage la structure de la société, et qui pourrait jouer le rôle, soit de conseiller sur les politiques générales, les normes d'application de la loi et qui pourrait peut-être aussi jouer le rôle de chambre de compensation lorsqu'il s'élève des doléances ou des griefs venant de quelque secteur que ce soit touché par la loi. C'est une suggestion qui nous apparaît très utile et que nous examinerons comme il se doit.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le ministre, si vous permettez, je fais vérifier si les cloches nous appellent pour un vote ou pour le quorum. Si c'est pour un vote, il faudra suspendre, si c'est pour le quorum, chacun des membres en décidera.

M. le ministre.

M. Laurin: Pour le reste, je laisserai à mes collègues le soin de vous poser des questions, tout en entérinant au passage les remarques que vous énoncez sur le comté de francisation, dont je me réjouis que vous l'approuviez. Je crois, comme vous, que le comté de francisation doit jouer un rôle, aussi bien au niveau de l'élaboration que des politiques linguistiques d'une entreprise, que de leur application. Nous étudierons la suggestion que vous nous faites que le nombre de représentants des salariés ne soit jamais inférieur à deux. Quant aux objections que ce comité de francisa-

tion a soulevées, peut-être que certains de mes collègues voudront poser des questions à ce sujet.

Nous sommes bien d'accord avec vous qu'il faut analyser, démystifier les clameurs qu'a provoquées la présentation du projet de loi et qui, au fond, ne témoignent que de la solide résistance au changement qui existe à cet égard dans certains secteurs de l'opinion.

J'ai été très sensible au témoignage de l'Union des artistes, non seulement en raison de l'appui qu'elle apporte au projet de loi, mais en raison de l'accent qu'elle met sur la politique culturelle, politique culturelle qu'il importe d'élaborer et d'établir au plus tôt. Je suis bien d'accord avec eux qu'il faut que le peuple québécois développe une culture vivante et non pas une culture importée, et non pas une culture traduite, et qu'elle doit, en même temps, accorder, dans le concret, en pratique, à tous les artisans de la culture, le droit au travail, bien sûr, le droit à l'expression, mais aussi le droit à la création, qui est lié de très près au droit à l'expression.

Je pense que je peux tout de suite vous dire que le gouvernement s'est déjà préoccupé de cette question et que, déjà, depuis trois mois, des comités sont à l'oeuvre pour élaborer cette politique culturelle, que nous en verrons les premiers fruits très bientôt, dans un mois ou deux, que d'autres fruits seront visibles à l'automne et qu'il s'agit là, pour le gouvernement, d'une entreprise à long terme qu'il a décidé de mener avec toute la vigueur, la résolution et l'optimisme également, qui le caractérisent.

Pour le reste, je pense que je laisserai à mes collègues le soin de vous poser les questions nécessaires.

Le Président (M. Cardinal): II restera dix minutes au parti ministériel. Mme le député de L'Acadie. Mais auparavant, si vous permettez, pour qu'il n'y ait pas de difficulté de procédure, au début de chaque commission, en vertu de l'article 142, des remplacements peuvent être effectués.

Je dois donc considérer que les membres de la commission sont ceux qui sont membres permanents et ceux qui ont été remplacés au début de cette séance. Mais en vertu d'une motion adoptée par cette commission, tous les députés ont droit de parole, mais ceux qui ne sont pas membres de la commission n'ont pas droit de vote, ni de soulever d'autres problèmes. Mme le député de L'Acadie, s'il vous plaît.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président, je voudrais d'abord expliquer, si vous me le permettez, la raison de notre absence au début de la présentation de ce mémoire.

Le Président (M. Cardinal): Mme le député, il faudrait que vous souleviez une question de règlement, ou un autre moyen, parce que ce n'est pas conforme au règlement.

Mme Lavoie-Roux: Si on ne peut pas donner d'explications, je leur donnerai privément.

M. Ciaccia: Question de règlement, M. le Président. Je pense que Mme le député de L'Acadie, dans sa réaction aux travaux et à la présentation des invités, a le droit de donner des explications sur la raison pour laquelle elle n'était pas ici, présente, au début des travaux de cette commission. Je pense que cela fait partie du droit de parole qu'a un membre de la commission. Cela n'outrepasse pas le mandat de la commission et je crois que c'est une question de politesse de sa part, même, de vouloir expliquer aux invités qui ne savent pas pourquoi nous n'étions pas ici. Ils peuvent se faire une idée, ils ne le savent pas. C'est à titre d'information. Je demande très respectueusement que Mme le député ait le droit de faire cette intervention.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mont-Royal, je vais vous répondre immédiatement. Oui, M. le député de Rosemont.

M. Paquette: Je ne sais pas si on pourrait, par consentement unanime, permettre au député d'expliquer...

Le Président (M. Cardinal): Ce serait beaucoup plus simple justement. Ce que je voulais dire, Mme le député de L'Acadie, c'est que j'aurais préféré tout simplement, qu'en dehors de l'exposé concernant le mémoire, vous indiquiez, soit au moyen d'une question de règlement ou d'une demande de directive, votre absence ou l'absence des membres d'une ou de plusieurs oppositions.

Ayant le consentement, je vous cède la parole et j'enlèverai même ce temps de vos questions aux invités.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je n'aurais vraiment pas su quel article invoquer.

M. Bertrand: 54.

Mme Lavoie-Roux: 54, merci. Ah! non, 54, c'est...

Je voulais simplement expliquer aux représentants de la FTQ et d'ailleurs à tous les autres invités qui devront subir certains retards d'ici la fin de la journée, nous aurions souhaité être ici, nous avons toujours été très ponctuels pour recevoir les invités.

Nous travaillions de l'autre côté, dans l'intérêt des autres groupes qui vont venir. On veut nous imposer une façon de travailler qui, à notre point de vue, n'est pas satisfaisante, et c'est la raison pour laquelle nous étions absents. Je ne m'étends pas davantage sur ces détails. Je veux simplement vous présenter mes excuses, c'est vraiment bien involontaire de notre part.

Je veux d'abord, en premier lieu, remercier les représentants de la FTQ d'être venus présenter un mémoire à la commission parlementaire pour l'étude du projet de loi 1. Je pense que cela s'inscrit dans une longue tradition de la FTQ, qui s'est toujours fort préoccupée des questions linguistiques.

Si je ne suis pas d'accord avec l'interprétation

que vous donnez au préambule, un peu comme le ministre d'Etat au développement culturel a parfois tendance à le faire avec ceux qui ne sont pas d'accord avec le projet de loi no 1, il reste que votre mémoire est intéressant à plusieurs points de vue. Là-dessus, je pense reconnaître certaines positions des membres de l'exécutif de la FTQ, de faire porter leur accent sur la langue de travail, et qu'ils considèrent que c'est vraiment dans la mesure où on pourra franciser la langue de travail et lui donner un plein épanouissement, que bien d'autres mesures coercitives ou restrictives qui sont imposées, comme, par exemple, dans le domaine de l'école, qui demeure toujours un point si difficile et si sensible à régler... ces mesures devraient, avec le temps, devenir beaucoup moins nécessaires. Je reconnais là, en particulier, de la part du secrétaire de la FTQ, une préoccupation de longue date.

Je reconnais également comme très positives les remarques que vous faites dans le chapitre qui a trait à l'organisation de l'Office de la langue française, où j'y retrouve un souci démocratique qui est tout à l'honneur, je pense, de la FTQ, et également cette préoccupation qu'elle a d'étendre peut-être le mandat du conseil consultatif, dans le sens qu'il puisse même permettre un droit d'appel ou un droit de recours là où il y a des litiges. Vous reconnaissez par le fait même le pouvoir vraiment illimité qu'on reconnaissait à une seule personne dans la création et la formation de l'Office de la langue française, ce qui, je pense, était vraiment au détriment de la démocratie.

Je pense que, venant de votre organisme, je suis sûre — peut-être que, déjà, le ministre, pendant votre absence, est intervenu sur ce point — on trouvera peut-être une oreille plus sensible, chez le ministre, qu'il n'a semblé en prêter à d'autres organismes qui sont venus devant nous.

Je voudrais seulement vous poser quelques questions. La première: En page 3, à la fin du premier paragraphe, vous dites: "La francisation du Québec ne doit pas se négocier. A nous toutefois d'en amoindrir les coûts sociaux". Je me demande si vous pourriez développer cette idée un peu, s'il vous plaît?

M. Daoust: Je vais répondre à votre question, mais, préalablement, je dois vous dire qu'à l'égard de la langue d'enseignement, la FTQ fera connaître ses positions lors de la présentation du mémoire du Mouvement du Québec français, dont nous faisons partie. Le MQF se présentera devant cette commission, je pense, mardi prochain, nous l'accompagnerons et nous appuyons le mémoire qui vous sera soumis par le MQF.

Une autre remarque à l'égard de l'Office de la langue et du conseil consultatif. Le ministre nous a fait état du cheminement qui est le sien à l'égard de changements qui pourraient peut-être se faire dans le texte initial de loi. Nous estimons qu'une direction unique peut provoquer des problèmes extrêmement graves; nous l'avons dit dans notre mémoire; nous parlons d'autocratie. Nous voulons dégager cette responsabilité de toute subjectivité.

Le président de l'office sera investi de pou- voirs immenses et il nous semble normal qu'il puisse les partager au niveau d'une direction quelque peu collégiale. Nous retenons, par ailleurs, les objections que vous avez formulées à l'égard de la ligne d'autorité de l'ancienne Régie de la langue française et il y a lieu d'apporter des correctifs.

Pour ce qui est du conseil consultatif, nous souhaitons qu'il soit ainsi nanti de pouvoirs beaucoup plus larges que ceux qu'on retrouve dans le projet de loi. Je voudrais souligner que, pour nous, ce n'est pas une instance d'appel des décisions de l'office, c'est un lieu de réexamen des décisions de l'office où les administrés, quels qu'ils soient, que ce soient les employeurs ou les syndicats, pourront se présenter et faire prévaloir leur point de vue à l'égard de l'émission ou de la non-émission de certificats de francisation.

Nous souhaitons aussi que l'office puisse procéder à l'examen préalable des règlements et nous suivons quelque peu la logique contenue dans une autre loi, celle qui constitue le Conseil supérieur de l'éducation où, à son article 28, il est mentionné que tous les règlements émanant du ministère de l'Education, du ministre de l'Education, doivent, avant qu'ils ne fassent l'objet d'une approbation par le lieutenant-gouverneur en conseil, faire l'objet d'une approbation ou d'un examen, tout au moins, ou d'un avis par les membres du Conseil supérieur de l'éducation, et les règlements sont décrits ou la nature de ces règlements, on la retrouve à l'article 28 dans les paragraphes a), b), c), d) du même article, Cela nous semble fondamental qu'un avis puisse être donné avant qu'un règlement ne fasse l'objet d'une décision officielle de la part du lieutenant-gouverneur en conseil.

Vous souhaitez que nous explicitions notre pensée à l'égard de cette phrase où on mentionne que la francisation du Québec ne doit pas se négocier et que, toutefois, il nous appartient à tous d'en amoindrir les coûts sociaux.

Nous ne souhaitons pas cette politique de quémandage dont nous avons été les victimes collectivement au Québec et que nous retrouvions dans l'esprit même et dans les textes de la loi 22. Pour nous, il faut qu'il y ait la plus grande lucidité, la plus grande clarté et la plus grande précision dans les objectifs gouvernementaux. On les retrouve dans le projet de loi. C'est d'une limpidité inouïe dans la plupart des formulations qu'on retrouve, là où il est question de francisation des entreprises. Il n'y a pas de possibilités d'interprétations multiples. Ce ne sont pas des voeux pieux, mais ce sont là des objectifs formels que la société québécoise se donne. C'est pour cela qu'on parle de non-négociation. Le pouvoir politique affirme la volonté des Québécois de franciser les milieux de travail. Cette affirmation ne doit subir aucune espèce de négociation. Elle doit faire l'objet d'une adhésion. Chez nous, évidemment, l'adhésion, le consensus est extrêmement large — on le mentionne dans notre document — à l'égard de toutes ces dispositions du projet de loi, en ce qui a trait, entre autres, à la francisation des entreprises.

Par ailleurs, il faut en amoindrir les coûts so-

ciaux. On parle de flexibilité, de souplesse, d'application différenciée ou circonstanciée, selon les cas. On peut imaginer de multiples hypothèses d'entreprises où il faudra tenir compte d'une réalité qui est nôtre, québécoise, canadienne, nord-américaine, et qui pourraient justifier plus de souplesse dans certains cas, compte tenu des objectifs qui, eux, ne peuvent pas souffrir de négociations. Quand on parle d'amoindrir les coûts sociaux, on estime que, tant au niveau de l'Office de la langue et de sa direction qu'au niveau du conseil consultatif, les représentants du milieu pourraient, à certains moments tout au moins, avertir ou, pour le moins, informer le gouvernement du Québec, le ministre de tutelle de l'office et du conseil consultatif, de certains problèmes difficiles à surmonter. Par ailleurs, on estime, et on le dit dans notre mémoire, qu'il est virtuellement possible de franciser tous les milieux de travail. Il peut y avoir des exceptions, sans aucun doute. On n'est pas complètement hostile à ce que certains emplois puissent exiger et justifier la connaissance d'une autre langue que le français. Les comités de francisation où on retrouve une présence syndicale, une présence des travailleurs, seront les premiers à se plier à de telles exigences. Incidemment, on a insisté, ce matin, vous avez entendu le Conseil du patronat qui nous a parlé des comités de francisation. Il voudrait plutôt des comités consultatifs. Nous autres, on s'y oppose formellement. La consultation — et Dieu sait qu'on l'a vécue et qu'on la vit encore! — dans le milieu des relations de travail, avec toutes les faiblesses que cela peut véhiculer, cela ne donne absolument rien qui vaille. C'est frustrant et cela ne provoque que des situations conflictuelles qui, par ailleurs, peuvent se régler à l'intérieur de comités véritablement décisionnels. A l'égard des comités de francisation, nous saluons avec émerveillement, il faut le dire, la décision gouvernementale d'innover dans ce domaine et de permettre à des travailleurs de pouvoir s'asseoir au sein d'une entreprise; ils sont au tiers — il ne faudrait pas que les gens s'énervent un peu trop: on est loin de la cogestion — et donc, toujours minoritaires dans ces comités de francisation. Ce qu'on a dit et je le répète, c'est qu'on souhaiterait que ces comités de francisation, au-delà de l'analyse et de l'élaboration — et cela nous semble important; j'insiste là-dessus — puissent agir comme chiens de garde, tout au long du processus, qui peut durer des années et des années, dans l'application des programmes de francisation qui recevront un accord de principe de l'Office de la langue.

L'amoindrissement des coûts sociaux, c'est donc une invitation à une certaine souplesse, mais cette souplesse n'est aucunement dans notre esprit synonyme de complaisance. On peut être souple, tout en faisant état des objectifs qui sont inscrits dans le projet de loi, sans être timoré ou être complaisant à l'égard des détenteurs du pouvoir économique.

Mme Lavoie-Roux: Un autre point sur lequel je voudrais faire des observations, c'est d'abord votre préoccupation de prévoir. On sent vraiment que vous êtes un organisme — et c'est là votre fonction — qui se préoccupe du bien-être des travailleurs, particulièrement des périodes de transition possibles et même pour certains cas où ce ne serait pas réaliste de demander la connaissance du français à certains travailleurs qui n'ont pas affaires avec le public. Vous proposez même certaines mesures qui pourraient aider les cas où les travailleurs ne parlent pas français, tels des cours intensifs de français pour les adultes, améliorer les cours de français, etc.

Est-ce que vous croyez, compte tenu de votre connaissance du monde des travailleurs et, par exemple, au point de départ, du peu de scolarisation de certains travailleurs, particulièrement des travailleurs immigrés, que cette disposition que vous suggérez, soit des cours intensifs de français pour les adultes, puisse être mise en application? Vous mentionnez à l'intérieur des services d'éducation des adultes, CEGEP, etc... Est-ce que vous les voyez aussi à l'intérieur de l'industrie, parce qu'il me semble que ce sera difficile de motiver certains à aller dans les CEGEP et les commissions scolaires? Est-ce que je me trompe là-dessus?

M. Laberge (Louis): En fait, pour être parfaitement honnête avec vous, on l'avait dans notre mémoire. On l'a fait sauter pour ne pas donner d'autres arguments qui auraient favorisé l'extension de la période de discussion. On se disait: Cela va donner encore d'autres arguments au monde patronal. Il va dire: Un instant! Si vous nous demandez d'enseigner le français à tous les travailleurs anglophones, là vous charriez. Cela va coûter énormément cher.

On sait que ça s'est fait dans le cas des cadres. Le demander, l'exiger pour les travailleurs, cela aurait certainement été souhaitable. Mais on ne voulait pas, et c'est pour ça qu'on l'a finalement fait sauter de notre mémoire, on ne voulait pas que ça serve d'argument pour empêcher l'adoption de la loi no 1.

Nous croyons que les travailleurs... Enfin, c'est assez difficile d'exiger d'un travailleur de 60 ans, qui n'a jamais su apprendre le français, que, du jour au lendemain, ou dans une période de trois à six mois, il devienne capable de dialoguer avec les travailleurs sous ses ordres, en français. C'est pour ça qu'on prévoit, dans certains cas, qu'il y aura des accommodements qui seront faits. Mais il faut toujours tenir compte des objectifs et il ne faut jamais perdre ça de vue. Encore une fois, souplesse, mais non pas mollesse.

Mme Lavoie-Roux: Alors, je vois que votre respect des individus est plus grand que celui de certains ministres qu'on a vu à l'Assemblée nationale, et je m'en réjouis.

M. Alfred: Question de règlement...

Mme Lavoie-Roux: II ne faut pas vous énerver.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre, s'il vous plaît!

Une Voix: De quoi on parle?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Daoust: II faudrait peut-être ajouter que nous sommes particulièrement conscients de ce problème, parce que le "membership" de la FTQ est constitué à environ 15% d'anglophones ou d'allophones. La moitié de ces 15% est constituée d'anglophones, dans le sens le plus large du mot, le plus complet du mot plutôt, et l'autre moitié de travailleurs allophones, grecs, portugais... On les retrouve dans le vêtement et dans certaines industries.

Nous, on estime que l'entreprise a un coût économique à payer pour la francisation et cela peut aller jusqu'à des cours de français qui soient donnés sur les lieux du travail, sauf que l'entreprise dans le passé a toujours favorisé ses cadres, personnel de maîtrise, les cadres à tous les niveaux et les travailleurs à la base ont été largement laissés pour compte dans les efforts de francisation des entreprises.

Ils ont un coût économique au même titre que nous avons payé et subi — quand je dis nous, je parle de l'ensemble des travailleurs francophones au Québec — le coût terriblement élevé de l'absence de politique de francisation dans les entreprises. Il y a des centaines, des milliers de travailleurs qui ont été privés de promotion, qui se sont sentis bloqués dans leur épanouissement personnel parce que le pouvoir économique faisait que la langue de travail, à plusieurs niveaux dans l'entreprise, était l'anglais. Il est temps que l'entreprise ne repose pas exclusivement sur la collectivité pour faire assumer ses coûts, mais qu'elle en prenne elle-même une large responsabilité puisque c'est elle qui les a largement provoqués.

Mme Lavoie-Roux: Je voudrais demander au président de la FTQ... Je trouve que c'est quand même dommage que vous l'ayez retiré de votre mémoire original que je n'avais pas vu. Peut-être qu'on pourrait envisager des formules où l'éducation des adultes se déplacerait vers des industries où les ouvriers se trouvent en assez quand nombre.

Une autre question que je voudrais poser...

M. Laberge (Louis): Si vous en faisiez une condition pour votre acceptation, je pense qu'on se rendrait à vos désirs!

Mme Lavoie-Roux: II y a une autre préoccupation et rapidement comme cela, étant donné que j'ai eu certains dérangements... Vous parlez de la confidentialité dont devraient être entourés certains ouvriers qui portent plainte au sujet de la francisation. Je pense que c'est certainement un point qui mérite d'être examiné, mais je voudrais vous demander, comme organisation syndicale, dans la mesure où vous pouvez vous détacher, vous dissocier du rôle que vous assumez en priorité à l'égard des travailleurs, une question: Nous avons eu ici, non seulement des organisations pa- tronales, mais plusieurs personnes qui ont fait des représentations au sujet de la participation des ouvriers au comité de francisation et qui ont dit: Ceci pourrait peut-être être une porte ouverte pour des griefs qui ne seraient pas nécessairement reliés au problème de francisation, mais qui seraient utilisés pour faire valoir d'autres points de vue. C'est une question difficile peut-être à vous poser, mais comme je pense que vous avez à juste titre fait voir le besoin des travailleurs, je me demande si vous êtes aussi capable de vous placer pour examiner d'autres dimensions du problème. Ceci peut-il être une difficulté à l'intérieur d'une industrie?

M. Laberge (Louis): Notre très longue expérience dans le domaine des relations de travail nous permet de vous répondre, sans aucune espèce d'hésitation, qu'il n'existe aucun danger.

Le monde patronal saura nous remettre à notre place dès qu'on voudra se servir d'un comité pour discuter d'autre chose que ce comité peut discuter. D'ailleurs, les nombreuses actions devant les tribunaux concernant des griefs que nous essayons de soulever de par la formule des griefs en font foi.

Je pense que vous pouvez vous fier sur eux.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le député de Lotbinière.

M. Dussault: M. le Président...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Sur une question de règlement?

M. Dussault: Ce sont les propos de Mme le député de L'Acadie sur le retard des oppositions qui m'amènent à poser une question de privilège.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Châteauguay, il n'y a aucune question de privilège en commission parlementaire.

M. Dussault: Vous me direz quel règlement. Cela m'importe peu.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): En fait...

Mme Lavoie-Roux: L'article 54.

M. Dussault: II y a des faussetés qui ont été dites, M. le Président. C'est la raison pour laquelle je pose une question de privilège.

Mme Lavoie-Roux: Une question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Quel article, Mme le député?

Mme Lavoie-Roux: Article 54. Est-ce que le député était en Chambre pour savoir ce qui s'y est passé ou...

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): S'il vous plaît! A l'ordre!

M. Dussault: Je suis allé vérifier, M. le Président. J'ai des nouvelles là-dessus, qui sont différentes de ce que madame disait.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Châteauguay, vous ne ...

Mme Lavoie-Roux: Je soulève une question de privilège, moi aussi.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II n'y a pas de question de privilège en commission parlementaire. M. le député de Lotbinière.

M. Oussault: J'y reviendrai, M. le Président.

M. Biron: M. le Président, je voudrais m'excuser moi aussi, comme Mme le député de L'Acadie, pour mon retard, auprès du président de la Fédération des travailleurs du Québec. Je vais m'excuser pour une deuxième raison aussi. J'ai pensé que sa souplesse et l'esprit de démocratie, cela manquait un peu des fois dans la FTQ, mais c'est rien à côté de ce que j'ai vu du leader parlementaire du gouvernement aujourd'hui. Ceci dit, M. le Président, je vous remercie de votre mémoire. Je l'ai lu ce midi. Vous n'avez pas assisté, de l'autre côté, vous auriez dû être là tout à l'heure.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): A l'ordre, s'il vous plaît! Je demanderais à tous les députés de s'en tenir au mandat de la commission, qui est de discuter du bill no 1.

M. Ciaccia: Une question de règlement, ou une directive, M. le Président. Est-ce que je pourrais demander au président de la commission de rappeler à l'ordre les députés ministériels? Chaque fois que quelqu'un de ce côté-ci dit quelque chose et que cela ne fait pas leur affaire, ils interrompent. Ils n'ont pas le droit, d'après les règlements, d'interrompre. Je vous demanderais, si vous le voulez bien, de les ramener à l'ordre.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je pense, M. le député de Mont-Royal, qu'en demandant au député de s'en tenir au mandat de la commission, je faisais référence à tous les membres de la commission. M. le député de Lotbinière.

M. Biron: Merci, M. le Président. Je remarque, M. le Président, que vous avez 350 000 travailleurs, membres de la Fédération des travailleurs du Québec. M. le secrétaire général nous a dit tout à l'heure qu'il y avait à peu près 15% d'anglophones ou d'allophones. C'est réparti dans une quinzaine de fédérations différentes. C'est cela?

M. Laberge (Louis): Réparti dans quelque 80 syndicats différents, le Syndicat international des métallos, le Syndicat canadien de la fonction publique, le Syndicat des employés de service, etc.

M. Biron: Est-ce qu'il y a des syndicats qui sont à peu près uniquement anglophones ou si...

M. Laberge (Louis): Non. Nous n'avons pas de syndicat uniquement anglophone. Nous avons peut-être quelques sections locales dont les membres sont majoritairement anglophones, mais nos syndicats comme tels sont très certainement, largement, majoritairement francophones.

M. Biron: D'accord. Quelle est la réaction à votre mémoire de vos 15% de travailleurs anglophones?

M. Laberge (Louis): Nous l'avons dit dans notre mémoire. Evidemment, vous étiez pris avec des problèmes de l'autre côté, ce qu'ont connu d'autres députés avant vous sous d'autres gouvernements, ceci dit en passant. Nous avons eu de vastes consultations auprès de tous nos membres. Nous avons discuté de ces questions en congrès de la FTQ où au-delà de 1000 délégués étaient présents; ils venaient de tous les secteurs, y compris de ces secteurs. Cela a fait l'objet de débats depuis de nombreuses années. On l'a dit tantôt. C'est en 1969 qu'on a déjà adopté des résolutions sur le français langue de travail. Alors, il y a eu une évolution constante évidemment, mais c'est à l'unanimité que le conseil général de la FTQ, qui est l'organisme suprême entre les congrès, a endossé ce projet de mémoire. Nous avons tenu des réunions dans une quinzaine de régions du Québec où toutes ces questions ont été débattues, et on n'a pas voulu dire que c'était unanime chez nous, parce que ce serait charrier.

Ce n'est certainement pas unanime, mais c'est très largement majoritaire.

M. Biron: Vos 15% de travailleurs anglophones, est-ce que ces gens sont bilingues ou sont à peu près uniquement unilingues.

M. Laberge: Pour vous donner une petite idée, on a encore au congrès de la FTQ, la traduction simultanée. Lors du dernier congrès, je pense qu'on a réussi à distribuer cinq appareils pour écouter la traduction, sur au-delà de 1000 participants.

M. Biron: Surtout parmi les dirigeants; mais à la base même des 15%, vous avez seulement, 1% ou 2% qui seraient uniquement unilingues anglais?

M. Laberge: C'est assez difficile de vous donner des chiffres, mais très peu.

M. Biron: Merci. Voulez-vous m'expliciter, parce que je pense que c'est intéressant pour vous qui êtes président d'une fédération de travailleurs aussi importante au Québec, la différence qu'il y a entre le droit au travail pour un travailleur québécois et le droit au travail en français?

M. Laberge: La première préoccupation est

évidemment d'avoir un job, évidemment. Mais une fois qu'on a dit ceci, il faut quand même reconnaître qu'au Québec, un travailleur francophone qui obtenait une promotion, je ne parle pas de devenir un petit "pusher", un "lead-hand" qu'on appelait, mais pour avoir des promotions en dehors de ça, il devait avoir non seulement compétence égale, mais il devait être encore plus compétent en plus d'être bilingue, parce que les unilingues anglais ont toujours eu un accès beaucoup plus facile aux promotions dans les cadres intermédiaires et supérieurs. Je pourrais vous donner des exemples assez édifiants là-dessus, que ce soit à la société General Motors, que ce soit à la société Canadair que ce soit à la société United Aircraf, je pourrais multiplier les exemples où on retrouvait un très faible pourcentage de francophones. En fait, il y a évidemment quelques années de ça, dans le temps où je connaissais très bien la Canadair, je ne crois pas qu'il y avait plus de 1% des cadres intermédiaires et supérieurs qui étaient francophones.

M. Biron: Maintenant, à l'heure actuelle, cela a changé depuis quelques années?

M. Laberge: Oui, il y a eu amélioration, bien sûr. Comme M. Martin, du Conseil du patronat nous le disait ce matin, à un moment donné, c'est passé de 11 à 22, c'est-à-dire qu'il y avait un francophone sur 11 membres de la direction, il y en a maintenant 2. Cela a augmenté, mais il y a encore du chemin à faire.

M. Biron: Est-ce que la plupart de vos conventions collectives sont négociées exclusivement en français à l'heure actuelle?

M. Laberge (Louis): On a dû faire des batailles marquantes. En fait, dès 1969, il y a des métallos de l'Atlas Steel qui ont fait une bataille là-dessus pour obtenir le privilège de négocier en français et pour les employés de General Motors, il y a cinq ou six ans, un des points majeurs de leur grève était justement de pouvoir discuter de leurs griefs en français. Cela aussi a changé au niveau du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Les représentants du monde patronal et les représentants du monde syndical sont tombés d'accord sur une formule pour faire du français la langue, non pas de la négociation, on laisse cela un peu aux parties, mais au moins pour que le texte officiel de la convention sera le français et seul ce texte sera vraiment la langue officielle, car il y a toujours de petites différences entre deux textes, etc.

Il y a eu amélioration, mais nous, on ne croit pas que ce soit la responsabilité d'un groupe de travailleurs, dans une entreprise donnée, d'être obligés de faire des luttes sur une responsabilité collective du peuple québécois.

M. Biron: Est-ce qu'aujourd'hui, vous diriez qu'il y a 85%, ou plus, ou moins, de conventions collectives qui sont uniquement en français, le texte de la convention même, ou si vos conventions sont encore bilingues?

M. Laberge (Louis): Je pense que ce serait fort exagéré de dire 85% uniquement en français. Ce serait fort exagéré. Je pense qu'on est très loin de cela. Très loin.

M. Biron: Cela veut dire qu'il y a peut-être 50% ou 60%?

M. Laberge (Louis): Evidemment, le dépôt se fait en français depuis quelques années. Mais uniquement en français, non. Je pense que cela est bien en deçà de cela.

M. Biron: Est-ce que vous en avez uniquement en anglais?

M. Laberge (Louis): Uniquement en anglais, c'est fort possible. On a encore des documents officiels uniquement en anglais. D'ailleurs, on en fait état dans notre mémoire. Il y a eu énormément d'améliorations au niveau de nos syndicats affiliés depuis quelques années, mais il y a encore des membres, chez nous, qui ont de la difficulté à obtenir les documents officiels en français. Nous sommes d'accord avec le projet de loi no 1, qui dit que les associations de salariés devront communiquer avec leurs membres en français au Québec. On est d'accord. Le bout de chemin qu'il nous reste à faire, on le fera plus vite, c'est tout.

M. Biron: Est-ce que vous diriez que, depuis une dizaine d'années, il y a eu une amélioration moyenne ou une grande amélioration, du côté des relations ouvrières, à partir de l'anglais au français?

M. Laberge (Louis): II y a eu une amélioration plutôt moyenne, grâce à des luttes acharnées, épouvantables, qu'on a été obligé de mener. D'ailleurs, on l'avait dit au gouvernement du temps, on trouvait cela terrible que des groupes de travailleurs soient obligés de prolonger des grèves de plusieurs semaines, parce qu'ils ne pouvaient même pas discuter leurs griefs en français, comme cela était le cas à la General Motors, à la United Aircraft ou à d'autres endroits. On trouvait cela terrible.

Il est bon qu'une fois pour toutes, on règle ce problème. Il me semble qu'il y a d'autres problèmes qu'on doit régler.

M. Biron: Je vous remercie. Mon collègue, le député...

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez, M. le député de Lotbinière, il ne reste même pas une minute — enfin, j'accorderais une minute — au parti de l'Union Nationale, mais vu l'heure qu'il est et à cause du règlement, article 31, au sujet duquel j'ai rendu une directive hier, je devrai vraiment suspendre à 18 heures. Je vais demander aux porte-parole du groupe qui est devant nous, la FTQ, s'ils sont disposés à revenir avec nous à 20 heures. Cette fois-là, il n'y aura pas d'incident de procédure au salon vert, à l'Assemblée nationale.

II reste présentement dix minutes au parti ministériel. Je n'ai pas fait le calcul... Il reste cinq minutes au parti de l'Opposition officielle et une minute au parti de l'Union Nationale. Cela fait un total d'environ seize minutes, plus vos interventions. Je vous demande votre opinion avant la suspension.

M. Laberge (Louis): II reste combien de temps?

Le Président (M. Cardinal): Environ 17 minutes.

M. Laberge: 17 minutes. Evidemment, on aurait préféré pouvoir vider notre sac maintenant, mais si vous nous demandez de revenir...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le député de Vanier.

M. Bertrand: Le consentement unanime n'est pas possible.

Le Président (M. Cardinal): L'article 31 me paraît vraiment impératif. Vous savez ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale tantôt. Cela a été la raison pour laquelle, d'ailleurs, les partis de l'Opposition s'y sont opposés. Je ne voudrais certainement pas créer un nouveau débat de procédure à cette commission. J'aimerais mieux que nos invités reviennent plutôt que nous discutions pendant 17 minutes de la procédure. Je leur demande à nouveau quelle est leur intention.

M. Laberge (Louis): Vous savez que nous sommes toujours là, même quand il y en a qui souhaiteraient nous voir ailleurs.

Le Président (M. Cardinal): Sur ce, il n'est pas tout à fait 18 heures, mais comme je n'aime pas couper les délibérations, les travaux de cette commission sont suspendus jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 heures)

Reprise de la séance à 20 h 7

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

Je vais demander aux députés de regagner leurs fauteuils. Nous avons quorum. C'est la même séance qui se continue. Il n'y a donc pas de procédure préliminaire. Je demande aux représentants de la FTQ de se présenter et j'accorde la parole à Mme le député de L'Acadie. Il reste... Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, j'aurais une question de règlement à soulever, parce que cela concerne les travaux de cette commission.

Vous vous souvenez que le jour de l'ouverture de nos travaux à cette commission, il y a deux semaines, nous avions présenté quelques motions qui concernent les travaux de la commission. Dans le but de hâter le commencement des auditions, nous avions convenu de reporter à plus tard certaines autres motions que nous avons à présenter à cette commission. Alors, dans le but d'aider le président, comme naturellement, président de la commission et la commission parlementaire dans l'organisation de ses travaux, j'aimerais aviser la commission et le président que demain soir, à la séance qui sera tenue conformément à l'avis que nous avons reçu du leader parlementaire du gouvernement cet après-midi, nous aurons quelques motions à présenter. Je vous en donne avis maintenant, M. le Président, pour que vous puissiez organiser les travaux de cette commission, de façon à ne pas convoquer trop d'intervenants.

Je n'ai pas d'idée naturellement, de quelle façon le débat sur ces motions se déroulera; cela dépend en grande partie de la capacité du gouvernement, du ministre et des députés ministériels, de comprendre et d'admettre le bien-fondé de nos motions. Mais quand même, par courtoisie à l'égard de nos invités, je pense qu'en vous donnant avis — ce n'est pas prévu par le règlement, c'est strictement par courtoisie — 24 heures à l'avance, cela pourra aider le président qui a reçu une sorte de mandat unanime de la commission quant à la convocation, l'aider à faire en sorte que les débats sur nos motions, demain soir, n'aient pas comme effet de faire de l'obstruction ou, enfin, de faire attendre les intervenants qui auraient autrement été convoqués à cette commission pour demain soir.

Alors, peut-être que ces motions seront traitées de façon rapide. Je ne sais pas. Je sais que le règlement prévoit que des droits de parole sont prévus pour chacun des députés. C'est dans le domaine des possibilités que ça prenne quelque temps, et j'aimerais, maintenant, ayant été avisé de notre intention de présenter quelques motions qui concernent les travaux de cette Chambre, je ne peux naturellement pas vous dire ce qu'elles seront, et vous ne pouvez pas, M. le Président, déterminer si elles sont recevables, parce que vous ne les connaissez pas, mais tout ça est dans le domaine, naturellement, de l'hypothèse. Quand même, je pense que comme Opposition officielle, c'est de notre devoir, pour aider les travaux de la Chambre, de vous en donner avis d'avance, afin que vous fassiez en sorte que, demain soir, il n'y ait pas trop de personnes qui soient ici pour attendre d'être entendues, parce que je pense que nous aurons à délibérer pendant un certain temps quand même sur un certain nombre de motions.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, si vous permettez... Oui, d'accord, madame.

Mme Lavoie-Roux: Je voudrais ajouter un point. C'est que j'ai également remarqué — je ne sais pas si c'était une entente à laquelle nous sommes arrivés ou vous en avez simplement décidé vous-même, ce qui est certainement votre droit — que demain, au lieu de cinq groupes, vous en avez convoqué six. Il s'agit d'organismes assez considérables. Même si nous siégeons demain soir, il faut quand même compter que demain midi nous écoutons la séance du matin d'une heure. Je pense que ceci justifie d'autant plus les remarques du député de Marguerite-Bourgeoys pour que vraiment nous évitions des incidents qui pourraient être désagréables pour les invités.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, Mme le député de L'Acadie.

M. le député de Marguerite-Bourgeoys, je vous remercie de l'avis que vous me donnez et qui n'est pas nécessaire en vertu du règlement, parce qu'en commission parlementaire toute motion peut être faite sans être annoncée, sauf le problème de la recevabilité.

Je dois cependant souligner, pour rétablir certains faits, que j'ai considéré le pouvoir qui m'a été accordé le premier vendredi des séances de cette commission comme terminé, et je l'ai indiqué. Depuis vendredi de l'autre semaine, je m'en suis tenu aux règlements et à la convocation de sept jours. Ce n'est pas le président de la commission qui a convoqué cinq, six ou sept organismes ou individus. J'ai repris l'usage qui voulait que le secrétariat de la commission, avec le ministre ou les collaborateurs du ministre, établissent la liste des organismes convoqués, c'est-à-dire que je ne tiens pas responsable le ministre d'Etat au développement culturel, mais je n'ai plus cette responsabilité depuis la semaine dernière où il y avait du temps à rattraper.

Bien sûr, si les motions sont recevables, nous devrons les débattre selon les délais prévus à l'article 160 qui a été invoqué au début et qui donne un droit de parole aux députés et aux représentants ministériels, droit de parole limité, mais quand même qui prend un certain temps...

M. Lalonde: A tous les députés...

Le Président (M. Cardinal): Oui, à tous les députés parce qu'une deuxième motion a été adoptée à cette commission qui fait que tous les membres de l'Assemblée nationale, non pas 110 comme on vient de le dire, parce que cela exclut le

président et les deux vice-présidents, peuvent intervenir, sans que la commission n'ait à accorder aucune permission.

Je prends note de ce fait ainsi que le ministre et je demande au ministre d'Etat au développement culturel s'il a quelque chose à ajouter...

M. Laurin: On s'ajustera.

Le Président (M. Cardinal): Alors, nous tenterons de nous ajuster dans la mesure du possible et, très sincèrement, je vous remercie de votre avis. Je me préparerai en conséquence et ceci dit, sans aucun sens qui ne soit perçu sur le plan politique, mais uniquement sur le plan de la conduite de ces travaux.

Y a-t-il d'autres interventions?

Une Voix: Le respect des droits.

Le Président (M. Cardinal): Justement, c'est purement une question de respect des droits des députés. J'ai dit au début que c'était un exercice patient de la démocratie. Nous le continuerons et sur ce, je rappelle que Mme le député de L'Acadie a le droit de parole...

Mme Lavoie-Roux: Je m'excuse. J'avais déjà parlé. Je pense que c'est...

Le Président (M. Cardinal): En fait, c'était votre parti...

Mme Lavoie-Roux: Oui.

Le Président (M. Cardinal): II reste cinq minutes au parti de l'Opposition officielle. C'est le député de Jacques-Cartier qui demande la parole?

M. Saint-Germain: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Saint-Germain: Nos invités ont mentionné, un peu avant l'heure du dîner, qu'il se pourrait qu'il y ait des répercussions au point de vue du développement économique avec l'application d'une telle loi et ils ont d'ailleurs, si je ne m'abuse, conseillé au gouvernement, sans être permissif, d'avoir au moins une certaine capacité d'adaptation dans l'application de certains articles dans certains domaines donnés. Nous avons eu ici des représentations, entre autres, de laboratoires de recherche du Québec, de recherche scientifique, nous avons eu aussi des représentations de sièges sociaux et de certaines industries qui sont tout de même des industries en production, qui, au point de vue de la productivité, ont nécessairement besoin de citoyens étrangers ou du moins de citoyens qui demeurent actuellement en dehors du Québec. Comme vous défendez les droits des travailleurs et comme vous avez aussi mentionné cet après-midi que le besoin fondamental pour un individu, un travailleur, c'est d'avoir un emploi, je sais pertinemment que vous êtes très sensibilisé au développement industriel de la province. Ceci dit, je me demande si vous ne pourriez pas élaborer un peu là-dessus, parce que cela me semble extrêmement important, considérant qu'il se fait un consensus, à mon avis, au point de vue de la primauté du français au Québec et ceci, dans tous les partis politiques et dans tous les milieux dans la province. Il semble qu'on discute plutôt de la façon de procéder pour arriver à des buts où un consensus a été atteint. Ceci dit, je me demande si vous pourriez expliciter un peu ce point de vue.

M. Laberge (Louis): Ce que nous croyons, c'est que ce qui a nui le plus au développement économique, cela a été cette période où on parlait de droits, de privilèges et personne ne savait où on s'en allait. Le plus vite possible on tranchera la question, sans devenir arbitraire, bien sûr, ni injuste, le plus vite possible on tranchera la question, le plus vite tout le monde saura à quoi s'attendre et nous croyons que ce sera une aide précieuse pour le développement futur qui se fera peut-être de façon différente. Mais il y a des choses quand même qu'on ne peut passer sous silence.

J'écoutais très attentivement ce matin les représentants de la Banque de Montréal qui nous parlaient de certains experts ne parlant pas français qui avaient refusé de venir au Québec devant le climat, il ne l'a pas dit, mais c'est le climat qui existe depuis le 15 novembre apparemment. Moi, je pensais que le pire climat avait existé en 1972, c'est du moins ce qu'on nous avait dit à maintes reprises. Mais, apparemment, pour certains, c'est depuis le 15 novembre 1976. Cela, je pense que c'est vraiment profiter d'une situation malheureuse. Je ne crois pas, et on a lu bien attentivement le projet de loi no 1, qu'on puisse y retrouver quelque empêchement que ce soit pour une entreprise qui a besoin de lumière de l'extérieur de les amener. Et, comme le député de Verchères, M. Charbonneau, je pense, a posé la question: Quand vous nommez ou envoyez des représentants en France, qu'arrive-t-il de leurs enfants? Il a dit: Je ne peux répondre à cette question. Bien sûr, il pouvait répondre à la question. Les enfants des gens qui vont en France vont à l'école française ou on leur paie des cours privés. Enfin, nous sommes bien placés pour savoir que, dans bien des cas, il y a des entreprises qui dépensent des sommes assez rondelettes pour faire venir des gens d'ailleurs, d'en dehors du Québec, et cela se fait couramment. C'est sans critique que nous disons cela. On sait que cela se fait. A ce moment-là, on dépense même pour déménager le chat, le chien, le serin et le perroquet.

Non, mais c'est un fait. Pourquoi est-ce que ce serait un empêchement, si, à un moment donné, ces gens décident que le réseau d'éducation publique du Québec ne fait pas leur affaire, à payer des cours privés aux enfants que ces gens peuvent avoir? C'est drôle, mais ces gens, apparemment, sont des gens à grosses familles et ça devient une objection majeure. Je pense que ça, c'est peut-être un peu de démagogie. Je ne pense pas que la situation soit aussi terrifiante ni terrible que ça.

Nous crayons que ce que le français, langue de travail, veut tout simplement dire, c'est qu'à partir de maintenant, au Québec, où à partir de demain ou d'après-demain, un travailleur unilin-gue français pourrait gagner sa vie dans sa langue. C'était rendu que ce n'était même pas le cas pour le balayeur. Je suis allé à Toronto dernièrement et je m'adressais dernièrement aux délégués du Conseil du travail de Toronto. Je leur ai posé la question: Est-ce que vous croyez que c'est raisonnable que, pour balayer le plancher dans nos usines, il faille que les Québécois sachent l'anglais? Et il n'y avait aucune réaction. J'ai reposé la question: Est-ce que l'anglais est nécessaire pour balayer les planchers? Aucune réaction.

J'ai dit: Si cela a l'air nécessaire comme cela en a l'air, les unilingues anglais balaieront le plancher demain.

J'ai exagéré, évidemment, mais c'était pour démontrer le ridicule de la situation. Il y a des emplois au Québec où l'anglais continuera d'être la langue de travail, sans aucun doute. Je pense à l'expert, au technicien, au supertechnicien qui, quelque part, est en communication constante avec Vancouver. Je sais bien que moi, si je m'en allais travailler à Vancouver, je ne m'attendrais pas d'aller travailler là en français, et si j'avais des enfants qui fréquentaient l'école, je sais qu'ils fréquenteraient l'école anglaise. La "patente" que les Français, dans les autres provinces, ont le droit d'envoyer leurs enfants à l'école française, c'est beau dans les discours et dans les communiqués de presse, mais en réalité, ce n'est pas la situation. On sait cela.

En d'autres mots, on sait qu'il y a des accommodations qui devront être faites. On sait que dans certains cas, cela va perturber les relations entre certains travailleurs et certains cadres à l'échelle inférieure. C'est peut-être un peu moins vrai à l'échelle intermédiaire ou à l'échelle supérieure. Là, on est moins en contact avec les autres.

Il me semble qu'on devrait arrêter de charrier sur cette question. Le plus vite on va en arriver là, le plus vite tout le monde va être à l'aise, sachant très exactement à quoi s'en tenir et le plus vite on pourra corriger des choses qui doivent être corri gées. En d'autres mots, nous autres, on ne veut pas, bien sûr, qu'il y ait un tas de gens qui perdent leurs emplois, parce qu'on décide demain que le français est la langue de travail. Mais s'il fallait que ce soit cela le prix à payer, on le paierait. Mais il y aura d'autres coûts, sans aucun doute.

M. Saint-Germain: Très bien, vous avez donné votre philosophie, votre façon de voir. Mais ne pourriez-vous pas être plus précis, relativement à certaines industries, à certaines entreprises ou groupes d'entreprises du Québec, comme ies laboratoires de recherche ou les sièges sociaux, par exemple?

M. Laberge (Louis): II est bien connu que toutes les recherches scientifiques sont faites en anglais, comme la pasteurisation et une couple d'autres comme cela. Mais pour être plus sérieux dans ma réponse, il y aura des problèmes, c'est sûr. Je connais des industries où le comité de francisation — et c'est pour cela que c'est important qu'il y ait des travailleurs qui siègent sur ce comité — fera face à des situations bien précises. Je pourrais mentionner Canadair.

Il a été un temps où, travailler en français, à Canadair, c'était impossible. Enfin, tous les manuels étaient anglais et tout le reste était anglais. Les expressions comme les "boulons" et tout le reste, cela nous semblait ridicule dans le temps, mais pourtant, avec le temps, c'est devenu plus familier. Mais il peut y avoir des occasions où Canadair recevant un sous-contrat d'une compagnie anglaise ou américaine, le coût pour faire la traduction des manuels, des données, des "bleus", des dessins et de tout le reste pourrait devenir tellement fantastique que cela voudrait probablement dire la perte de ce contrat.

S'il y a un comité de francisation, s'il y a des gens qui essaient d'administrer une loi qui est claire avec des objectifs précis, ils prendront ce cas en considération, mais il y a d'autres entreprises... Puis-je vous rappeler Air Canada? Qu'un mécanicien soit de langue française ou anglaise, j'ai travaillé dans l'aéronautique et je peux vous dire qu'il y a des mécaniciens aussi talentueux de langue française que de langue anglaise... Il n'y a aucune raison au monde pour qu'à Air Canada tout se fasse en anglais. Il y a eu de ces cas où l'exagération était évidente, où il n'y a eu aucun progrès, malgré qu'il y ait eu du progrès ailleurs. Il faut reconnaître cela, il y a eu des progrès ailleurs.

C'est pour cette raison qu'on dit: II faut que la loi soit claire, soit précise, que les objectifs soient bien définis, mais il faut aussi que l'application se fasse avec souplesse; mais — on le dit tout de suite — l'appliquer avec de la souplesse ne veut pas dire l'appliquer avec mollesse.

M. Saint-Germain: Quand vous dites l'appliquer avec souplesse, est-ce que les endroits où elle devrait être appliquée avec souplesse devraient être dans les règlements, dans la loi, ou laissés à la discrétion de ceux qui auront à appliquer la loi?

M. Laberge (Louis): Les comités de francisation et le conseil consultatif où un tas d'organismes vont être représentés, c'est à cela qu'ils devraient servir. Je suis convaincu qu'il y a des endroits où la loi devra être appliquée avec plus de souplesse qu'à d'autres, je suis convaincu de cela. Vous allez me dire: Nommez-m'en. Il faudrait commencer à les regarder cas par cas, mais je suis convaincu qu'il y a des endroits où la loi devrait être appliquée avec plus de souplesse, mais pourvu encore une fois... C'est cela qui devient important. On peut faire accepter un tas de choses aux travailleurs, pourvu qu'ils soient bien informés et pourvu qu'ils comprennent pourquoi des choses sont faites.

En siégeant dans les comités de francisation, ils auront à leur disposition un tas d'information qu'ils n'auraient pas autrement. On sait ce que c'est dans l'entreprise.

Je prends plusieurs de vos collègues à l'As-

semblée nationale, des chefs d'entreprise, et ils vont vous le dire. Ce n'est pas vrai que les chefs d'entreprise ont le temps de penser qu'à un moment donné, il peut manquer une certaine information à leurs travailleurs, concernant quelque chose qui n'est peut-être pas primordial à leurs yeux, du moins, dans l'immédiat pour le succès de l'entreprise, mais il reste que ce sont des choses quand même importantes. En ayant des représentants des travailleurs à ces comités de francisation, il y a des choses qu'ils vont mieux comprendre et qu'ils seront mieux préparés à accepter. Maintenant, je ne peux pas vous donner de cas d'espèce, sauf peut-être dans le cas des télécommunications où il est bien évident que celui qui sera chargé de communiquer directement avec l'Angleterre... malgré, je pense, qu'il y a plus d'Anglais en Angleterre qui parlent un très bon français qu'il n'y a de Québécois anglophones qui parlent le français.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Jacques-Cartier, très brièvement, s'il vous plaît!

M. Saint-Germain: Si mes collègues n'ont pas d'autres questions, j'aurais terminé. Je vous remercie.

Le Président (M. Cardinal): Merci. Alors, M. le député de Lotbinière, avec une minute environ.

M. Biron: M. le Président, merci. J'ai retenu tout à l'heure de M. Laberge, qui parlait d'exagération, qu'il ne voulait pas d'exagération, moi non plus, ni d'un côté, ni de l'autre. Je voudrais qu'on trouve le juste milieu, un projet collectif où tous nos Québécois, nos Québécoises pourront se reconnaître. Il faut éliminer surtout les positions extrémistes. C'est important. Aussi bien du côté français comme du côté anglais, il faut éliminer ces positions. J'ai ici devant moi — seulement pour vous donner un exemple de ce qui peut se passer lorsqu'on veut prendre une position extrémiste — un contrat qui est rédigé par une firme de Toronto. Je donne le nom A & A Records and Tapes, Limited. Ce sont des gens qui cherchent à travers le Québec et le Canada à vendre des franchises pour leurs disques ou pour leurs cassettes. Alors, dans un contrat de sept pages, il y a un seul paragraphe en français. C'est là que je dis que c'est extrémiste au possible. Je vous lis le paragraphe: "L'acheteur de la franchise reconnaît avoir exigé que ce contrat soit rédigé dans la langue anglaise seulement et exige, de plus, que tout document se rapportant, ayant trait, ou suite au présent contrat, y compris sans restriction, tout bon de commande, facture et reçu, soit rédigé dans la langue anglaise seulement." C'est le seul paragraphe en français dans ce contrat. Mieux que cela, lorsque la même entreprise, une fois qu'elle a vendu une franchise à un acheteur Jos Bleau ou autrement, l'acheteur s'en va dans un centre commercial et à cet endroit, i! essaie de passer un contrat pour avoir quand même un petit magasin. Sur le contrat du centre commercial, il faut que le vendeur de la franchise signe, et pour plaire au vendeur de la franchise, encore une fois, le contrat est en anglais, et il y a un seul paragraphe en français qui dit: Le locataire et le garant reconnaissent avoir exigé que le bail et tous les écrits s'y rapportant soient rédigés dans la langue anglaise. C'est la seule phrase française qu'on y lit. C'est un centre commercial de Montréal qui fait cela, Place Versailles, Inc. Vous le connaissez, à Montréal?

Quand on parle de positions extrémistes, c'en est une position extrémiste du côté anglophone, et il faut que cela cesse; mais cela ne nous donne pas une excuse non plus pour prendre une position extrémiste de l'autre côté. Des choses comme cela... je comprends des francophones de s'insurger et de critiquer et de chialer. Je les comprends. Quand on met la main là-dessus, on bout et on se fâche, nous autres aussi. Des positions comme celles-là il faut définitivement y mettre fin. Alors, comme la loi va pouvoir mettre fin à cela maintenant avec le bill 1, quand une entreprise de Toronto qui fait affaires à Montréal et dont c'est la seule condition de vente, autrement... Le type qui m'a remis cela, n'a pas voulu signer le contrat. La compagnie A & A Records and Tapes, Limited a dit: Si tu ne veux pas signer cela, c'est dommage, on ne fait pas de contrat ensemble. C'est une condition sina qua non. Il faut que tu le signes comme cela et on va faire des affaires en anglais exclusivement.

Je ne veux pas traiter toutes les entreprises sur le même pied que A & A Records & Tapes, Limited. Mais on voit quand même que c'est vraiment pousser trop loin et ça, ça nous fait choquer. Ce ne sont pas toutes les entreprises qui sont comme ça, heureusement!

M. Laberge (Louis): Cet après-midi, vous me posiez la question, à savoir s'il y a des conventions collectives unilingues anglaises. J'ai dit: "Je crois qu'il y en a, mais, vous en nommer, ce serait peut-être un peu plus difficile". Justement, M. La-brie, qui nous accompagnait, me fait part d'une chose. Voici une convention collective en anglais seulement, qui a été signée le 7 décembre 1976. On a pas encore la convention collective en français. Là, ça fait déjà quasiment six mois et demi. Dans combien de mois l'aura-t-on? Dieu seul le sait. La dernière fois, cela avait pris deux ans et trois ou quatre mois. Cela n'a pas d'allure.

Pour ma part, je sais que les membres de langue française, dans la très grande majorité, comprennent très bien l'anglais et peuvent même s'exprimer quelque peu en anglais. Mais de là à comprendre une clause aussi technique qu'une clause de convention collective ou un article de statut de syndicat, il y a une différence, il y a toute une marge, et c'est contre ça que les travailleurs se sont élevés depuis déjà un bon bout de temps et c'est ça qui doit cesser, à un moment donné. Il faut trancher dans le vif du sujet, avec le moins de répercussions économiques possible évidemment.

M. Biron: Je vous remercie. Ce que j'ai cité tout à l'heure, ce n'est pas vieux. Cela date de juin 1977. Je voudrais quand même que le ministre se

penche sur ce problème en particulier, des entreprises de Toronto, qui voudront faire signer des contrats de franchise à un individu québécois en disant: Le contrat, c'est ça. C'est rédigé en anglais tout le long avec une clause comme ça. Je pense que ça vaut la peine de voir si, au point de vue légal, ces gens-là ont actuellement le droit de le faire ou si l'acheteur n'ira pas dire: Je demeure à Toronto pour les fins de ce présent document. Je pense que ça vaudrait la peine de l'étudier convenablement, quand on a un contrat de sept pages avec un seul paragraphe en français qui nous dit que c'est l'anglais qui est la langue officielle.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. Daoust, vous aviez demandé la parole. Je m'excuse.

M. Daoust: Oui, je voulais reprendre certaines parties de l'exposé du député de Jacques-Cartier au sujet des répercussions économiques. C'est entendu qu'il y aura des répercussions économiques. Selon nous, elles seront minimes, et je pense qu'il faut faire un parallèle entre les répercussions économiques et les incroyables tensions entre les divers groupes ethniques au Québec, qui n'ont pas atteint à ce moment-ci à une connotation explosive, mais qui pourraient, à plus ou moins long terme, provoquer des perturbations sociales qui, elles, provoqueraient des drames sur le plan économique, à moins qu'une loi sans extrémisme — c'est notre prétention à l'égard du projet de loi qui est déposé devant vous — ne soit adoptée dans les plus brefs délais. Il y a trop d'espoirs qui ont été contenus au Québec. Il y a trop de frustrations qui se manifestent. Il y a trop de drames individuels vécus par les francophones qui pourraient éventuellement provoquer ces drames qu'on n'ose même pas appréhender, mais qui le seraient, à moins de cette volonté manifeste d'un gouvernement qui tâcherait de régler le problème une fois pour toutes. C'est ce qui justifie notre appui quasiment inconditionnel au projet de loi qui est devant nous.

Le Président (M. Cardinal): Vous n'aviez plus que quelques secondes, mais je vais vous les accorder quand même.

Le député de Jacques-Cartier. Quelques secondes...

M. Saint-Germain: Vous avez bien raison. Cela fait combien d'années qu'on parle de la langue au Québec et même sous trois gouvernements? On ne semble pas avoir réussi à résoudre le problème, mais, pendant ce temps, on a fouetté à blanc, si vous voulez, le nationalisme canadien-français et on a eu des réactions extrêmes dans d'autres milieux opposés. Je suis complètement de votre avis. Ce n'est pas une situation qu'on peut vivre éternellement.

D'ailleurs, pendant qu'on discute de tout ceci, il y a des problèmes extrêmement importants au Québec qu'on laisse de côté et ces problèmes qu'on oublie sont réels ou ne le sont pas. S'ils sont réels, ils réapparaîtront toujours parce qu'on peut masquer la réalité des choses, mais la réalité des choses réapparaît toujours à un certain moment.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Vanier. Vous allez terminer cette audition.

M. Bertrand: Avant de commencer, une petite parenthèse sur les dernières remarques du député de Lotbinière. Il décrivait un texte de contrat pour l'obtention d'une franchise qui était rédigé presque uniquement en anglais et il décrivait cette situation comme une situation d'extrémisme et il disait qu'il ne fallait pas tomber non plus dans l'extrémisme contraire.

Je pense que le choix des mots est important là-dedans et qu'il décrivait beaucoup plus une situation inacceptable qu'il s'agit de convertir en situation acceptable. Je pense que, si ce texte avait été rédigé uniquement en français, cela ne serait pas pour autant de l'extrémisme; cela serait tout simplement une situation acceptable dans le contexte du marché québécois pour une telle entreprise qui veut faire affaires avec des clients québécois.

Quant au mémoire présenté par la Fédération des travailleurs du Québec, je voudrais d'abord dire ma très grande satisfaction de noter que c'est peut-être un des bons mémoires qui, tout en affirmant de façon très solide les droits de la majorité francophone, se montre en même temps extrêmement tolérant et respectueux face aux minorités et est empreint— cela m'a surpris jusqu'à un certain degré, je vous le dirai — de beaucoup de modération, de souplesse et de suggestions fort positives, entre autres sur la constitution de l'Office de la langue française, sur le comité consultatif, sur l'apprentissage de la langue française. Même, ce mémoire se permet une petite remarque, je pense, adressée a bon droit à ceux qui ont rédigé le projet de loi, à l'article 112, qui dit que, pour atteindre les objectifs, il faut augmenter le nombre de Québécois a tous les niveaux de l'entreprise, comme si le mot "Québécois" ne pouvait refléter que les francophones à l'intérieur du Québec! Au contraire, comme vous l'avez signalé avec beaucoup de justesse, tous les citoyens résidant sur la terre québécoise doivent être considérés comme des Québécois et non pas seulement les francophones.

Alors, à tous ces points de vue, je voudrais simplement vous féliciter pour votre excellent mémoire et vous poser un certain nombre de questions. Entre autres, aux pages 8 et 9 de votre mémoire, je lis certaines lignes et je voudrais vous poser une ou deux questions.

A la page 8, vous dites: "...le gouvernement a choisi, par l'article 172, de modifier la Charte des droits et libertés de la personne. Cette modification, en supposant qu'elle soit la conséquence d'une analyse fondée en droit, constitue en fait une attaque au caractère semi-fondamental de la Charte des droits." Et, à la page 8, vous dites, à la fin du deuxième paragraphe: "II nous apparaîtrait plus conforme au respect des droits démocratiques qui a toujours animé ce parti maintenant au

gouvernement d'amender plutôt la Charte des droits, dans un processus législatif indépendant de la législation linguistique."

Ma première question est de vous demander ce que cela veut dire exactement cette expression que la Charte des droits et libertés de la personne constitue en fait une charte au caractère semi-fondamental? Deuxièmement, qu'est-ce que cela pourrait vouloir dire, à votre avis, "incorporer à la Charte des droits et libertés de la personne un ou plusieurs articles faisant référence à des droits collectifs"?

M. Laberge (Louis): Une loi qui parle de principes semi-fondamentaux est une loi subrogée par une autre loi, comme c'est le cas, actuellement. Ce qu'on dit, nous, c'est que le Parti québécois, qui était l'Opposition dans le temps, la FTQ et un tas d'autres organismes tant syndicaux que nationaux voulaient faire de la Charte des droits de l'homme une loi qui contienne des principes fondamentaux. Ce qu'on dit, c'est: Pourquoi ne mentionnerait-on pas dans la Charte des droits des énoncés de principes en ce qui a trait aux droits de la collectivité qui ne soient pas nécessairement discriminatoires vis-à-vis des droits individuels, au lieu de subroger la Charte des droits, du moins une partie, à une autre loi. Le principe en jeu, si on en atténue les principes fondamentaux, certains principes fondamentaux par cette loi-ci, la question pourrait facilement se poser... Combien d'autres lois viendront aussi réduire le caractère fondamental des principes énoncés dans la Charte des droits?

M. Bertrand: Est-ce que je vous comprendrais bien, est-ce que je vous interpréterais bien, M. Laberge, si je disais qu'à votre point de vue, selon la Charte des droits et libertés de la personne individuelle à certains articles et comme personne collective à d'autres articles?

M. Laberge (Louis): Je pense que le droit collectif doit aussi être mentionné dans la Charte des droits, oui. Par exemple, si vous me le permettez, si la loi no 1 défendait à tous les autres Québécois, les allophones, leurs associations culturelles, leurs droits d'échanger entre eux dans leur langue, ces choses-là, je pense que cela deviendrait de la discrimination. Ce serait attaquer les droits de la personne. Mais qu'on proclame bien haut le droit de la majorité de s'exprimer dans sa langue, je ne crois pas que cela puisse être interprété, sauf par ceux qui veulent charrier, comme de la discrimination.

M. Bertrand: Est-ce que vous aviez réfléchi à une proposition possible de texte pouvant s'incorporer à la Charte des droits et libertés de la personne ou est-ce uniquement sous forme de principe que vous avez discuté cela?

M. Laberge (Louis): Je pense qu'il serait assez facile de demander à des gens qui s'y connaissent mieux que nous de préparer des textes bien pré- cis, si c'est cela dont vous avez besoin, mais on se fiait à vos connaissances très larges.

M. Bertrand: Merci beaucoup, M. Laberge. Aux pages 2 et 3 de votre mémoire, il est dit à un moment donné: "La première constatation, c'est que, malgré des améliorations notoires sur le plan de la francisation qu'ont vécu les employés de plusieurs grandes entreprises installées au Québec, cela n'a pas suffi pour changer de façon durable et profonde les règles du jeu en faveur de la majorité". A la page 3, vous dites: "La FTQ félicite le gouvernement d'avoir su introduire ces éléments de nature dirigiste, car le passé nous a prouvé qu'ils étaient nécessaires. Nous voyons dans cet interventionnisme et cette coercition une condition de départ à la francisation réussie du Québec". A la page 25, à la fin, vous dites: "La loi 22 était remarquablement vide à cet égard — on parle de la francisation des entreprises — et la réglementation tardive, si elle ne corrigeait pas certaines lacunes, apporta des éléments qui auraient davantage convenu à la législation de par leur nature".

J'ai quelques petites questions. Premièrement, vous semblez donc conclure que les méthodes incitatives n'ont pas été suffisantes, même s'il y a eu des améliorations, et vous le notez, pour permettre de vraiment dire que le français est devenu la langue de travail. Deuxièmement, vous vous ralliez à une position qui soit plus coercitive, plus dirigiste et troisièmement, vous notez que le bill 22 n'a pas eu les effets bienheureux que certains auraient voulu lui voir.

Ce matin, l'ex-solliciteur général a fait mention, à un moment donné, qu'on aurait pu donner sa chance au bill 22 et que si on avait poursuivi avec le bill 22, sans doute qu'on aurait eu d'ici quelques mois, ou quelques années, des résultats qui n'auraient pas nécessité l'utilisation de méthodes plus dirigistes — j'emploie vos termes — ou plus coercitives, que l'emploi des méthodes incitatives, si on avait donné sa chance au bill 22, nous aurait permis de réaliser les objectifs qui étaient de faire du français la langue du travail. Je voudrais avoir votre opinion là-dessus.

M. Laberge: Je pense qu'il est assez clair, depuis nombre d'années, disons, sans vouloir me reporter d'une façon très exacte dans le temps, depuis une dizaine d'années, quelles sont les aspirations des Québécois au point de vue de la langue, c'est assez clair.

Je pense que tous les employeurs qui ont compris les aspirations naturelles des Québécois de pouvoir travailler dans leur langue se sont rendus à l'évidence et ont fait des progrès dans leurs entreprises. Je pense que les autres, il faut les amener à les faire, c'est aussi simple que ça. Moi je me souviens que le premier ministre du temps, Robert Bourassa, on l'avait appelé et il s'était directement impliqué; il n'avait pas hésité et il nous a avoué sa totale incapacité de forcer General Motors; les gars étaient en grève et il n'y avait que ça qui retardait, depuis quelques semaines, le retour

des gens au travail. Il s'était trouvé totalement impuissant.

Ceux qui ont voulu être incités par les mesures incitatives de toutes les lois et de toutes les discussions qui ont suivi depuis quelques années au Québec, je pense qu'ils l'ont fait. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas d'autres qui ne sont pas encore prêts à faire des pas, mais je pense qu'il y a des employeurs qui ne les feront jamais. D'ailleurs, vous avez vu la répugnance à peine voilée d'un certain représentant du patronat ce matin, lorsqu'il s'est agi d'avoir des représentants des travailleurs aux comités de francisation; c'était quasiment scandaleux qu'un gouvernement ait le culot de proposer quelque chose comme ça. Vous avez vu ça chez le porte-parole de la Banque de Montréal. Il ne savait plus comment appeler ça, un ouvrier, il trouvait ça trop bas, un salarié, il a cru nous relever en s'abaissant à se décrire comme salarié. Il aurait pu rester dans sa niche, ça ne nous dérangeait pas du tout.

Mais c'est une répugnance à peine voilée. C'est de ça justement qu'on a soupé. C'est pour ça que nous, jamais cela ne nous est arrivé d'être aussi globalement en faveur d'un projet de loi, avec toutes les nuances qu'on a déjà décrites, qu'on a répétées et on est prêt à continuer à travailler dans ce sens. On ne veut faire mourir personne, ni disparaître aucune entreprise. Mais le moment est venu pour les Québécois de pouvoir dire à tout le monde qu'ils peuvent gagner leur vie dans leur langue.

M. Bertrand: Une dernière petite question, M. Laberge. Est-ce qu'à votre connaissanoe, il existe plusieurs entreprises au Québec, enfin, il en existe pour sûr, mais est-ce qu'il existe un grand nombre d'entreprises où la très grande majorité des employés sont des anglophones ou même des entreprises où 80%, 85%, 90% des employés sont des anglophones?

M. Laberge: II y en a parmi les entreprises les plus payantes. Non, il ne faut pas se payer de mots, il y a eu des chasses gardées, il y en a même dans l'industrie de la construction.

M. Bertrand: Comment transposer le problème de la francisation dans ces entreprises?

M. Laberge: Evidemment, il va y avoir quelques flammèches, mais on a des pompiers. Non, non, encore une fois, il ne faut pas se payer de mots. Une fois que la loi sera adoptée, que les objectifs bien clairs seront déterminés et compris par tout le monde, la majorité des flammèches vont disparaître d'elles-mêmes, il y en aura quelques-unes, sans aucun doute. C'est là qu'on demandera au gouvernement d'agir avec souplesse, bonne entente et compréhension.

Mais nous sommes convaincus que, dans la vaste majorité des cas, la transition va se faire sans trop de mal.

M. Bertrand: En terminant, je voudrais simplement, M. le Président, souligner qu'un des mé- moires, je pense que c'est à la page 11, fait référence à un fait, et je trouve ça heureux, parce qu'on tend à l'oublier dans ce débat sur la question linguistique. Depuis le début, en commission parlementaire, on s'arrête la plupart du temps à parler des droits de la minorité anglophone ou des minorités, des différents groupes ethniques à l'intérieur du Québec, comme si on ne réalisait pas que le vrai problème n'est pas de cet ordre. Je pense que la Charte de la langue française voit son existence nécessitée par le fait que la bataille à mener n'est pas celle d'une minorité anglophone qui verrait ses droits brimés à l'intérieur du Québec, mais bien d'une minorité francophone qui, à l'intérieur de l'Amérique du Nord, a de la difficulté à se maintenir comme collectivité.

Je pense que, lorsqu'on se le refait dire, à l'occasion, comme vous le faites, dans votre mémoire, à la page 11, ça nous ramène dans les justes proportions que doit avoir ce débat sur la question linguistique.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le député de Vanier.

M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: M. le Président, est-ce qu'il reste du temps au parti ministériel?

Le Président (M. Cardinal): Non.

M. de Bellefeuille: Même pas une minute?

Le Président (M. Cardinal): II ne reste de temps à personne.

M. de Bellefeuille: Une minute?

Le Président (M. Cardinal): Non, je regrette...

M. de Bellefeuille: J'aurais voulu M. le Président, que vous me permettiez...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Deux-Montagnes...

M. de Bellefeuille: ... avec le consentement unanime, dire pourquoi je voulais intervenir?

M. Lalonde: Non, pas de consentement. M. de Bellefeuille: Merci, M. le député.

Le Président (M. Cardinal): Sur ce, j'accorderai quand même, non pas une réplique...

M. de Bellefeuille: J'aurais voulu, M. le Président, profiter de l'occasion pour permettre à Normand Labrie de la General Motors, d'expliquer un peu plus complètement ce qui s'est passé là. M. le député de Marguerite-Bourgeoys m'en a empêché, je l'en remercie.

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Question de règlement, quand même.

M. de Bellefeuille: Oui, oui.

M. Lalonde: Si le monsieur qui a été mentionné par le député de Deux-Montagnes avait eu l'intention d'intervenir, il y a quand même une heure et demie au moins que nous avons entretenu une conversation avec les représentants de la FTQ. Les remarques du député de Deux-Montagnes, je pense, ne sont pas tout à fait bienvenues. Il semble vouloir faire penser que j'ai bâillonné le représentant de la General Motors, j'aurais été intéressé de savoir ce qu'il avait à dire. Il avait une heure et demie pour le faire.

M. de Bellefeuille: M. le Président, le député vient de me prêter des intentions, ce qui n'est pas permis par le règlement.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! Justement, j'étais pour interrompre le député de... A l'ordre, s'il vous plaît! J'étais pour interrompre le député de Marguerite-Bourgeoys. On le sait, en vertu d'une décision rendue par un président, le 8 mars 1976, il n'y a pas de question de privilège en commission parlementaire. Je ne voudrais pas que ni le député de Deux-Montagnes, ni celui de Marguerite-Bourgeoys le fasse sous le couvert d'une question de règlement.

Messieurs, est-ce que vous auriez un mot très bref à ajouter? Ce n'est pas une réplique, je vous le dis.

M. Laberge (Louis): Très bref, oui. Je tiens à remercier la commission parlementaire d'avoir bien voulu prendre le temps, tout d'abord, de lire le mémoire, parce que, apparemment, tous les membres l'ont lu. On regrette que certains incidents vous aient forcés à vous abstenir de notre lecture efficace du résumé de notre mémoire.

Il reste ceci, je pense que le moment est vraiment propice à la discussion et à l'adoption d'une telle Charte du français.

Je trouve inacceptable qu'au Québec, des partis politiques de bonne foi se croient obligés de faire toutes sortes de pirouettes en temps électoral, sur une question aussi fondamentale que celle de la langue. Je tiens à le souligner, ce ne sont pas des remarques acrimonieuses que je fais. Des partis politiques de bonne foi, qui se font charrier par des groupes fortement minoritaires, dans certains comtés, cela est inacceptable. Le moment est propice — à ce moment-ci, il n'est pas question d'élections — nous pouvons discuter de ce projet de loi qui devrait devenir loi incessamment, afin que, comme l'ont souligné M. Biron et d'autres, on puisse commencer à s'occuper des autres problèmes et Dieu sait que nous en avons.

En terminant, nous souhaitons au gouvernement tout le courage nécessaire pour continuer dans l'adoption de cette loi, de mettre les objectifs bien précis, bien clairs, et en gardant toujours cette pensée démocratique vis-à-vis de l'implantation de la loi. Avec des gens de bonne foi, on peut faire un tas de concessions, que l'on peut difficilement faire avec des gens qui ne sont pas de bonne foi, sans être taxé de mollesse.

Encore une fois, nous espérons que vous appliquerez la loi avec souplesse, non pas avec mollesse.

Le Président (M. Cardinal): M. Laberge, sur un des points que vous avez mentionnés, c'est sûr qu'il y a toujours, dans cette vie parlementaire, des incidents de parcours. C'est prévu dans le système que l'on appelle démocratique et je dois le faire respecter. Je remercie M. Laberge, M. Daoust, M. Thiboutot et ceux et celles qui les accompagnent pour leur exposé et pour avoir répondu aux questions des membres de la commission. Le ministre et les députés tiendront compte de ce mémoire.

Merci! J'appelle immédiatement le prochain organisme. Il s'agit de Bell Canada, mémoire 65. J'inviterais les porte-parole de cet organisme à se présenter devant nous.

M. De Granpré, bonsoir. Est-ce vous qui présentez le mémoire?

M. De Granpré (Jean): Oui, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Est-ce que vous pourriez identifier non pas votre organisme, je pense que tout le monde en parle tous les jours et s'en sert pour parler, mais ceux qui vous accompagnent ainsi que vous-même, s'il vous plaît?

Bell Canada

M. De Granpré: M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission, je suis Jean De Granpré, président du conseil d'administration et le chef de la direction de Bell Canada; à ma droite M.Raymond Cyr, qui est le vice-président exécutif pour la région du Québec, et, à ma gauche, M. Paul Hurtubise, qui est le chef du contentieux pour la région du Québec.

Le Président (M. Cardinal): M. De Granpré, justement à la suite de cette identification, puis-je vous poser une question qui va paraître technique? Est-ce que vous représentez Bell Canada en entier ou la division du Québec?

M. De Granpré: Ou...

Le Président (M. Cardinal): Est-ce que vous représentez Bell Canada en entier ou uniquement la division du Québec?

M. De Granpré: Bell Canada en entier.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, je m'en doutais, mais je voulais l'entendre, pour les fins du journal des Débats et de la commission.

M. De Granpré, vous savez que vous avez vingt minutes. Je sais que votre mémoire est important. Je viens, à la minute, d'en recevoir copie.

Vous avez vingt minutes pour le lire ou pour en faire un résumé, à la suite de quoi la députation a 70 minutes pour vous interroger ainsi que vos collègues.

M. De Granpré: Merci, M. le Président. Je ferai un résumé du mémoire et je répondrai aux questions par la suite. Je demanderai à mes collègues également s'ils ont quelque chose à ajouter aux remarques que je ferai.

Le Président (M. Cardinal): Je vous adresse une dernière question avant que vous ne commenciez. Si vous ne lisez qu'une partie du mémoire, désirez-vous que le mémoire soit annexé en entier au journal des Débats?

M. De Granpré: Oh! je ne vois aucune objection à ce qu'il soit annexé au journal des Débats.

Le Président (M. Cardinal): C'est votre droit de le demander.

M. De Granpré: Si vous avez besoin de mon consentement, je vous le donne.

Le Président (M. Cardinal): C'est accordé, monsieur. Allez-y.

M. De Granpré: La compagnie que j'ai la responsabilité de diriger se présente devant cette commission dans un esprit de collaboration, pour jeter un éclairage particulier sur un sujet d'une importance capitale pour les Québécois d'expression française.

J'ai l'impression, à lire les mémoires qui ont été présentés et à écouter les représentations qui vous sont faites, que l'avenir de mes compatriotes dépend du réalisme qui sera apporté à la solution des problèmes soulevés par le projet de loi no 1.

Si l'économique est laissée pour compte, il n'y aura pas de progrès social et il n'y aura pas de progrès culturel. Je pense que, sur ce point, je rejoins le groupe qui m'a précédé ici et qu'il faudra beaucoup de souplesse si on veut concilier les divers points de vue qui s'affrontent.

Bell est une entreprise bien particulière et je voudrais vous la présenter sous ses aspects les plus divers pour que vous puissiez voir jusqu'à quel point il y a moyen, avec le temps, avec la patience et avec de la bonne volonté, de franciser une opération et que, malgré tous les efforts pour franciser d'autres aspects de l'exploitation, il n'y a pas possibilité de le faire.

Bell est à la fois une entreprise de télécommunications, et une compagnie de portefeuille ou un "holding company" qui a près de 70 filiales, qui sont dispersées a travers le monde.

Tout d'abord, en termes d'actif, Bell Canada et ses compagnies affiliées représentent le plus important groupe industriel canadien et le plus grand fournisseur de services de télécommunication au Canada.

Notre actif est de plus de $8 milliards. Le groupe compte plus de 80 000 employés. Les revenus consolidés en 1977 dépasseront les $3,5 milliards.

Notre exploitation, soit comme fournisseur d'équipements ou comme consultant, s'étend à travers le monde. Nous comptons quelque 225 000 actionnaires dont seulement 7% environ sont des francophones. La compagnie mère de ce groupe, Bell Canada, dessert la majeure partie du Québec et de l'Ontario et environ la moitié des territoires du Nord-Ouest.

En 1977, elle investira environ $1 milliard pour continuer à offrir les services à ses abonnés. Pour des fins administratives, Bell Canada est divisée en deux régions distinctes, la région du Québec, la région de l'Ontario. Le siège social de l'entreprise, lequel constitue une entité administrative distincte des administrations régionales, est en grands partie situé à Montréal. Aujourd'hui, le siège social fournit à lui seul 1700 emplois à Montréal, et ses dépenses annuelles en salaires et autres coûts reliés aux salaires sont de l'ordre de $55 millions. Le budget total du siège social se chiffre par $75 millions.

La région du Québec, pour sa part, compte 16 000 employés et le montant annuel versé en salaires s'élève à $214 millions. Dans cette région, particulièrement touchée par le projet de loi no 1, plusieurs dispositions ont déjà été prises depuis plusieurs années pour modifier graduellement les activités et donner à la langue du travail un caractère français. Des changements ont été réalisés à l'intérieur d'un cadre et de structures définies, mais avec une préoccupation constante, celle de ne léser personne de ses droits.

La filiale Télébec qui a également son siège social à Montréal est une entreprise exclusivement locale. Malgré qu'elle soit un siège social, étant donné la nature de ce siège social qui ne dessert que la province de Québec, Télébec est une exploitation exclusivement francophone à 99,9%. Lorsque vous regardez l'autre bras de l'entreprise Northern Telecom, vous avez un problème différent. Northern Telecom est établie à Montréal depuis 95 ans. Ses origines remontent à 1882, alors que Bell Canada fondait à Montréal une entreprise de fabrication avec treize employés. Aujourd'hui, la compagnie est une société par actions, multinationale, mais sous contrôle canadien, fabriquant des équipements et des services de télécommunication d'une technologie de pointe. Elle est le plus grand fabricant d'équipements de télécommunication du Canada et le deuxième en importance en Amérique du Nord. L'effectif de l'entreprise se chiffre par 17 000 employés au Canada sur un total de 25 000.

Il y a dix ans, Northern Telecom était essentiellement un manufacturier fournissant des équipements de télécommunication au marché domestique, principalement en Ontario et au Québec pour le compte de sa société mère, Bell Canada. Aujourd'hui, la compagnie vend ses produits à des entreprises téléphoniques, des gouvernements, des institutions militaires, des hôpitaux, des entreprises privées et beaucoup d'autres entreprises publiques, ainsi qu'à des particuliers dans toutes les provinces du Canada et dans presque 40 pays, y compris le marché américain, réputé le plus vaste et le plus concurrentiel au monde.

II y a dix ans, les implantations de Northern Telecom se trouvaient surtout au Québec et en Ontario. Aujourd'hui, nous avons vingt-six usines dans neuf provinces canadiennes, douze autres dans neuf Etats américains et une dans chacun des pays suivants: Brésil, Irlande, Malaisie, Turquie. Il y a huit de ces usines au Québec.

Aucune des usines de Northern Telecom au Canada n'est autonome ou indépendante. Toutes les usines dépendent de l'ensemble et toutes sont reliées entre elles avec les usines de Northern Telecom aux Etats-Unis, en Europe, en Asie. L'intégration de l'entreprise et les exigences du marché interdisent l'isolation d'une partie de la compagnie et son fonctionnement en tant qu'entité séparée.

Des composants fabriqués dans des usines du Québec servent aux autres usines du Canada, d'Europe, d'Asie et des Etats-Unis. Inversement, les usines du Québec utilisent des composants provenant d'autres provinces. La direction de nos usines québécoises est en rapport constant avec des fournisseurs, des clients et d'autres usines de Northern Telecom en Amérique du Nord ou outre-mer.

Lorsqu'il s'agit de la troisième branche de l'entreprise, il faut regarder les laboratoires de recherche Bell-Northern. Northern Telecom a dépensé, en 1976, $61,5 millions en recherche, dont treize millions et un tiers au Québec. Ces frais de recherche au Québec sont deux fois et demie plus importants que ceux du Centre de recherche industrielle du Québec.

Une bonne connaissance de l'anglais est essentielle à nos scientifiques, ingénieurs et techniciens de la recherche et du développement, tant pour nos cadres intermédiaires et supérieurs que pour ceux qui travaillent au niveau des laboratoires. L'anglais est également la langue la plus usuelle en science et en littérature scientifique. L'usage de l'anglais dans les sciences est reconnu. La plupart des colloques scientifiques internationaux se font en anglais. Les données scientifiques des banques d'ordinateurs sont d'abord mises en mémoire en anglais, même dans les pays non anglophones. Les scientifiques dont la langue maternelle n'est pas l'anglais choisiront néanmoins souvent cette langue pour communiquer entre eux.

Simplement pour vous donner un exemple de ce qui se passe dans nos laboratoires, il y a près de 41 races différentes qui travaillent dans les laboratoires et, apparemment, leur seul moyen commun ou leur seul rapport commun, si vous voulez, c'est la communication en langue anglaise.

Les séminaires que nous offrons aux délégués de l'Argentine, de la Belgique, du Brésil, du Danemark que nous avons reçus au cours de l'année dernière, ont, à peu près sans exception, été donnés en anglais. Les séminaires qui ont été donnés récemment au Danemark et auxquels M. Cyr participait se sont donnés à peu près exclusivement en langue anglaise.

Ceci dit, je voulais vous brosser un tableau aussi rapide que possible pour vous donner plus de temps pour la période des questions. Tout ceci pour vous dire que la même administration, avec la même bonne volonté, a été capable de produire une situation telle que la partie téléphonie dans la région du Québec a été francisée à peu près à 95%. Des chiffres exacts apparaissent à notre mémoire où, à la page 6, vous verrez que, pour la région du Québec, le vice-président exécutif est un francophone. Il est à mes côtés. Les quatre vice-présidents qui sont en charge de la zone de Québec ou de la zone provinciale, de la zone de Montréal ou ceux qui font du travail "staff" avec M. Cyr sont également des francophones. 94,7% des cadres sont bilingues et peuvent donc s'exprimer en français.

Je pense que nous nous présentons avec une feuille de route qui est certainement bien recommandable.

Mais lorsque vous parlez de la technologie, lorsque vous parlez de cette technologie de pointe où il doit y avoir des contacts quotidiens, entre les chercheurs qui ne sont pas nécessairement dans le Québec, qui peuvent être en Ontario ou qui peuvent être en Californie ou qui peuvent être ailleurs, il ne peut plus y avoir cette même accélération du processus de francisation.

De la même façon, est-il difficile d'accélérer le processus de francisation au niveau des laboratoires eux-mêmes, à telle enseigne que, même dans la région du Québec, alors que nous avons fait des efforts considérables pour franciser la région, il est difficile d'imbriquer la région du Québec dans la mise en place de la nouvelle technologie, parce qu'au moment de la mise en place de cette nouvelle technologie, il y a des contacts constants avec les laboratoires ou avec la région de l'Ontario.

Revenant au projet de loi comme tel, nous devons avouer que nous sommes un peu inquiets de nous présenter devant cette commission de l'Assemblée nationale sans avoir vu les règlements. Les deux règlements qui ont été produits ne m'ont pas particulièrement illuminé, et les règlements qui viendront par la suite viendront sûrement compléter cette série de règlements qui donneront un peu de chair au projet de loi.

Nous sommes également inquiets de voir jusqu'à quel point les règlements peuvent être adoptés sans une participation de ceux qui sont impliqués dans leur application et nous sommes également inquiets de voir jusqu'à quel point l'office et les bureaucrates qui administreront la loi auront également le pouvoir d'adopter des règlements au lieu de laisser le pouvoir de réglementation entre les mains des législateurs.

Ce que nous nous demandons, c'est pourquoi un projet de loi comme celui qui est à l'étude devient-il soudainement nécessaire alors que, sûrement dans la compagnie au sein de laquelle j'oeuvre et dans certaines autres compagnies dans lesquelles je suis impliqué, il y a eu des progrès considérables, nonobstant ce que d'autres peuvent avoir dit à ce sujet? Et l'aspect coercitif de la loi, l'aspect revendicateur de la loi, la mise au rancart de certains droits qui étaient prévus dans la

Charte des droits et libertés de la personne de la province de Québec me laissent et nous laissent également songeurs.

J'ai exprimé assez souvent mes opinions au sujet du problème de la loi ou d'un manque de réalisme dans l'introduction d'un projet de loi en ce qui concerne les sièges sociaux que ce n'est pas nécessaire que je répète à nouveau mes appréhensions. Ce que je peux vous dire est qu'à l'heure actuelle, il y a non seulement des demandes de transfert au Québec qui sont refusées, même pour des promotions, mais il y a également des demandes de sortie du Québec, et il y en a également, non seulement de la part de francophones, mais de la part d'anglophones, une difficulté de recruter des gens de l'extérieur pour leur donner une chance de participer à la vie au niveau du siège social. Ce sont tous ces aspects qui m'inquiètent, parce que je pense que j'ai exactement les mêmes objectifs, à long terme, que tout le monde, et c'est d'améliorer le sort de mes compatriotes.

Je suis inquiet parce que je pense que la méthode qu'on veut suggérer, le chemin qu'on veut nous indiquer ne travaillera pas dans le meilleur intérêt de mes compatriotes, mais travaillera à mon sens au désavantage de ceux qui resteront.

Ceci dit, je demanderai à mes collègues d'ajouter quelques mots, s'ils le croient nécessaire, sinon, nous pourrons répondre aux questions. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): II vous reste cinq minutes, si vous voulez les prendre.

M. Cyr: Je voudrais simplement parler brièvement de la région du Québec comme telle. M. De Granpré a mentionné que nous comptons maintenant au-delà de 16 000 employés. La langue française est utilisée presque totalement. On compte maintenant plus de 86% de francophones, quoique j'aie encore à connaître la définition d'un francophone ou d'un anglophone. Il y a des anglophones supposément de troisième génération qui parlent très bien français, qui sont nés au Québec. Est-ce que ce sont des francophones ou des anglophones? Dans notre classification, nous y sommes allés par la consonance des noms. Cela peut encore jouer de vilains tours. De toute façon, dans la région du Québec, la majorité, c'est-à-dire 100% de nos employés, comprend le français et près de 96% ou 97% peut le parler suffisamment pour entretenir des conversations. Le tout s'est fait avec le temps.

Ce qui nous préoccupe ou ce qui me préoccupe, moi qui suis de la région du Québec, c'est ce qu'on voit se développer par rapport à un siège social ou à la région de l'Ontario. Je dois dire que c'est depuis beaucoup plus longtemps que le 15 novembre. La loi no 1, je pense, est une manifestation additionnelle, c'est-à-dire qu'on voit peu à peu la région du Québec, qui peut très bien fonctionner en français, devenir isolée de tout ce que M. De Grandpré a défini comme étant la technologie. Il est essentiel pour nous que les employés qui travaillent dans le domaine de la technologie — ce ne sont pas tous les employés, mais ceux qui travaillent dans ce domaine — puissent avoir une connaissance suffisante de l'anglais pour être capables d'oeuvrer de façon satisfaisante. Malheureusement, certaines des propositions qui ont été mises de l'avant... J'entendais le mémoire de la CEQ qui recommandait d'abolir totalement l'enseignement de l'anglais à l'élémentaire. Cela me semble une position qui va à l'encontre de ce que je considère justement comme un facteur de promotion des francophones.

M. De Grandpré: Me permettrait-on, M. le Président, et je demanderai à mon collègue, M. Hur-tubise, s'il a quelque chose à ajouter par la suite. Je voudrais renvoyer les membres de la commission à l'annexe 2 du mémoire qui, à mon sens, est significative. J'aurais pu prendre exclusivement des sociétés dont les sièges sociaux sont à Montréal, mais j'ai voulu les prendre presque exclusivement à Toronto, parce que je ne voulais pas qu'on commence une autre bataille sur ce qui s'est passé à Montréal.

Je voulais tout simplement mettre en évidence ceci: Le profil des gens qu'on retrouve aujourd'hui, à la tête de grandes entreprises comme Cominco, qui est à Vancouver, Marathon Realty, qui est à Toronto, Pancanadian Petroleum, qui est à Calgary, Massey Ferguson, Imperial Oil, Moore Corporation, Inco et la Banque de Commerce qui sont à Toronto, de même que la Banque Toronto Dominion et Noranda, le profil, donc, qu'on a tracé de tous ces chefs d'entreprises démontre de façon éclatante que tous ces gens-là ont circulé à travers le monde souvent, sûrement, en tout cas à travers l'Amérique du Nord et le Canada, avant d'atteindre le niveau qu'ils ont atteint aujourd'hui. Je voulais vous démontrer le sens de la mobilité que l'on requiert au niveau du siège social.

Quand vous voyez des listes où les gens sont allés de Vancouver à Brocheville, à Montréal, à Yellowknife, à Winnipeg pour finalement aboutir à Toronto et d'autres qui ont encore eu des vies moins sédentaires — je vois que M. Taylor, de Pancanadian Petroleum est né en Angleterre, il a étudié en Oklahoma et il a travaillé en Ontario, finalement à Calgary, Edmonton, Lloydminster et finalement, il a abouti à Calgary — je pense que le contexte qu'on retrouve dans le projet de loi no 1 va empêcher la mobilité des cadres et empêchant cette mobilité, va empêcher certains francophones de participer à la vie des grandes entreprises canadiennes.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous remercie beaucoup, M. De Grandpré. Votre temps est malheureusement expiré et je céderai maintenant la parole à M. le ministre.

M. Laurin: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord remercier M. Jean De Grandpré dont je me plais à reconnaître le brio ainsi que le dynamisme et la vigueur d'expression, de nous avoir présenté ce mémoire long, élaboré, intéressant, malgré le désaccord et l'opposition fondamentale qu'il dit avoir à l'endroit du projet de loi.

J'aimerais évidemment faire précéder mes questions et mes remarques par des considérations générales, comme la compagnie Bell l'a fait elle-même. Malgré ce désaccord et cette opposition, il y a peut-être des points sur lesquels on peut s'entendre. Le gouvernement, par exemple, comme Bell Canada, n'accepte pas que soient brimés les droits linguistiques des individus et qu'on crée différentes catégories de citoyens avec des droits différents. C'est précisément pour cette raison que le gouvernement a choisi de présenter cette loi 1, parce qu'il s'agissait ici, pour nous, de protéger les droits linguistiques de la majorité francophone québécoise qui, comme on nous l'a amplement démontré, depuis plusieurs années et encore une fois à l'occasion de cette commission, ont été brimés justement dans des droits, des besoins aussi, des aspirations tout à fait légitimes. Et il nous a semblé que la loi qui libère se devait de redresser une situation au bénéfice des droits individuels d'une très large portion de citoyens francophones.

Je suis aussi d'accord avec Bell Canada qu'il ne faut pas brimer non plus les droits linguistiques de la minorité anglophone. Nous pensons qu'il deviendra clair que nous n'entendons, en aucune façon, brimer les droits linguistiques des individus anglophones. On peut peut-être leur demander de renoncer à certaines habitudes, de procéder à certains ajustements, mais nous ne croyons pas brimer les droits d'une minorité et des individus qui composent cette minorité quand on leur laisse tous leurs droits fondamentaux lorsqu'ils sont bien définis et qu'on leur laisse également tout un réseau institutionnel qui donne le cadre à leur vie collective dans lequel ils continueront de pouvoir vivre et de s'épanouir.

De toute façon, la preuve reste à faire que nous portons atteinte aux droits fondamentaux strictement définis, encore une fois, et, pour notre part, nous serons très heureux d'engager ce débat, le moment venu, à l'Assemblée nationale. Je comprends que Bell Canada ne peut estimer qu'un tel projet de loi ne soit pas nécessaire. Si j'en juge par les statistiques que Bell Canada vient de nous donner en ce qui concerne la région du Québec, je suis d'accord avec elle que si toutes les entreprises s'étaient comportées comme Bell Canada, en ce qui concerne leurs usines ou leurs sièges régionaux situés au Québec, une pareille loi ne serait pas nécessaire.

Mais peut-être que Bell Canada n'a pas raison d'extrapoler ses constatations faites sur ses propres usines ou sièges régionaux, à l'ensemble des entreprises québécoises. Je pense qu'il y a assez de témoignages qui nous ont été donnés que, malgré des progrès certains qui ont été effectués au cours des dernières années, il y a encore non seulement beaucoup de terrain à couvrir, mais également beaucoup de résistance à vaincre et, malheureusement, ces résistances appellent, de la part du législateur soucieux du bien commun, des interventions importantes.

Il ne nous viendrait pas non plus à l'idée de contester la place éminente de l'anglais dans la vie industrielle, commerciale, financière, scientifique du Québec. Nous nous en sommes expliqués à plusieurs reprises.

Mais je ne crois pas que votre associé avait raison de dire que la Centrale d'enseignement du Québec, pour une part, qui a pour mission de former nos jeunes, s'oppose à l'enseignement de l'anglais. Pas plus tard qu'hier, la Centrale d'enseignement du Québec est venue nous dire, au contraire, qu'elle estimait cet enseignement, cet apprentissage absolument essentiel, mais que c'est précisément pour en donner aux francophones une meilleure connaissance qu'elle différait avec certains tenants de thèses actuellement populaires sur le meilleur moment et sur les meilleures techniques pour donner à cet enseignement toute son efficacité.

Si j'ai bien compris le témoignage de la Centrale d'enseignement du Québec, si elle veut que l'anglais soit enseigné seulement à partir du secondaire, c'est que, précisément, s'appuyant sur des recherches sérieuses, elle estime, d'un point de vue pédagogique, que c'est là le meilleur moment, à la condition que l'enseignement soit intensif et bien fait, pour que l'apprentissage de l'anglais soit efficace.

Il ne nous viendrait pas non plus à l'idée de contester le conditionnement énorme que font subir à la population du Québec et à la population francophone les institutions commerciales, scientifiques, financières, industrielles du Canada. Nous sommes très conscients que nous ne constituons qu'un îlot en Amérique du Nord, que nous vivons dans un régime capitaliste, que la richesse des provinces voisines, et surtout de notre voisin du sud, pèse d'un poids très lourd sur les décisions que nous pouvons prendre sur le cadre de l'action où nous pouvons situer les nôtres.

Mais il reste malgré ce poids, cette contrainte, ce conditionnement que nous admettons, que nous respectons, que nous ne pouvons pas souscrire à cette idée que toute revendication est inutile ou injustifiée. Je pense qu'en cette matière, il y a eu plusieurs mouvements de revendication sur lesquels nous pouvons prendre modèle et qui étaient justifiés. Que l'on pense, par exemple, au mouvement ouvrier de revendication, qui, au départ, était très mal vu par les entreprises, et qui, pourtant, s'est développé et a amené des progrès, des changements certains, au moins pour une vaste majorité de personnes qui ont vu leurs aspirations légitimes reconnues.

Je pense aussi que si les femmes avaient laissé l'oppression masculine se perpétuer, s'appesantir sur elles sans qu'elles ne protestent d'une façon de plus en plus vive, au cours des années, la condition féminine n'aurait pas fait le progrès légitime qu'elle a fait au cours des dernières années, pour la plus grande justice à accorder à cette moitié de l'humanité tellement importante.

Il en est de même des francophones. Je pense qu'il y a un mouvement de revendication parfaitement justifié, qui n'a que trop tardé au sein de la majorité francophone. Je pense que ces revendications, si elles sont contenues dans de justes li-

mites, si elles s'inscrivent sous le signe de la raison et du réalisme, ne peuvent pas être balayées d'un revers de la main et doivent être reconnues.

On fait beaucoup état des résistances qu'opposent, par exemple, les cadres, les sièges sociaux ou des entreprises qui s'opposent à ce mouvement de revendications, à ces réclamations d'une plus grande justice, mais je me demande s'il faut toujours donner raison à des cadres anglophones, soit québécois, soit provenant des autres provinces ou des autres pays, qui ne comprennent pas notre situation, qui ne l'ont jamais connue, qui la voient à travers le prisme déformant de leaders qui ne les comprennent pas plus et qui ont intérêt à ne pas les comprendre, ou à travers le prisme déformant de certains media qui s'étendent à l'échelle canadienne. Parce que ces cadres sont importants, jouent un rôle majeur dans nos industries, est-ce qu'il faudrait toujours leur donner raison sur tous les arguments qu'ils utilisent? Je ne le crois pas.

Je pense que, comme pour tous les autres mouvements de revendication, si cette revendication est légitime, ordonnée, mesurée, réaliste, si elle est transmise comme il se doit par les organes d'information, par les leaders de nos grandes entreprises, en particulier, les cadres des autres provinces—comme j'ai eu l'occasion de m'en rendre compte récemment à Toronto où j'ai eu à répondre durant quatre heures aux questions de plusieurs des cadres majeurs des grandes entreprises canadiennes — finiront par comprendre la justesse, la légitimité de nos revendications, mettront de l'eau dans leur vin, consentiront eux aussi à des compromis que leur dictent la justice aussi bien que la raison et je pense qu'à ce moment-là il sera possible d'en arriver à une compréhension bilatérale et non pas unilatérale, comme celle qu'on nous demande.

On a souvent demandé, depuis 200 ans, aux Québécois francophones de se tenir bien tranquilles, en retour des emplois qu'on leur offrait et en retour d'un certain niveau de vie assez élevé, mais toujours moins élevé que celui des anglophones. On leur a toujours demandé de rester bien tranquilles s'ils voulaient continuer à profiter des avantages qu'on leur consentait.

Je pense que cette époque est terminée au Québec. Nous ne voulons pas, bien sûr, faire du bruit pour rien, mais nous ne voulons pas non plus rester tranquilles dans le sens ancien du terme. Ce n'est pas à une continuation de la révolution tranquille que nous entendons nous adonner, mais simplement à la mise au point de notre situation et des réformes qui nous paraissent s'imposer pour que la majorité québécoise ait droit, elle aussi, comme citoyens à part entière, à tout ce que les autres citoyens du Canada et aux citoyens anglophones qui ont eu la belle part au Québec depuis très longtemps ont droit, c'est-à-dire à tous les avantages que donne l'appartenance à un pays, à un continent qui regorge de richesses, qui est à la fine pointe du progrès.

C'est dans cette optique, M. le Président, que je voudrais maintenant commenter quelques-unes des recommandations que nous fait la compagnie

Bell Canada, brièvement, parce que j'ai malheureusement pris un peu trop de temps déjà.

Je voudrais dire à Bell Canada que nous ne considérons pas du tout comme immigrants tout Canadien anglophone originaire ou en provenance d'une autre partie du Canada. Ce n'est que dans le domaine scolaire, comme c'est le droit pour toute province, exercé auparavant par la plupart des autres provinces canadiennes, que nous faisons une distinction spécifique entre les Québécois anglophones et les résidants, les citoyens des autres provinces canadiennes; mais les anglophones qui sont ici depuis 200 ans ne sont sûrement pas, à nos yeux, des immigrants, ni les Italiens, ni les Grecs, ni les Portugais qui se sont joints à eux au fil des ans. Tout résidant du Québec est un citoyen à part entière que nous entendons bien considérer comme tel.

Bell Canada nous recommande aussi de ne pas fixer de temps, en ce qui concerne l'exemption de l'article 58. Je crois comprendre ce qui sous-tend pareille demande, mais, encore une fois, les règlements ne sont pas parus. Même lorsqu'ils auront été publiés, il reste que si cet article a été fait pour des personnes qui sont de passage au Québec, il deviendrait antinomique ou contradictoire qu'on ne fixe aucune limite de temps. On pourrait étendre, bien sûr, la durée de temps, la période de temps pour laquelle une permission serait accordée, mais on ne peut quand même pas l'allonger jusqu'à l'infini. Nous entendons aussi agir avec la plus grande tolérance à l'endroit de toutes les entreprises anglophones ou étrangères qui ne pourraient respecter les délais prévus. Il faut bien s'entendre ici. Quand nous parlons d'un délai de cinq ans, 1983, c'est six ans, en fait, il ne s'agit que de l'obtention d'un certificat de francisation obtenu après analyse de la situation linguistique et établissement d'un programme, mais il a toujours été clair dans notre esprit que l'accomplissement de ce programme de francisation, jusqu'à son processus terminal, peut prendre beaucoup plus que sept ans, peut s'étaler sur dix ans, dans certains cas, même 15 ou 20 ans, par exemple, dans certains cas d'industries très spécialisées qu'on a soumis à notre attention. Je pense qu'il y a peut-être ici plus un malentendu qu'autre chose. C'est avec une infinie souplesse que nous aborderons les situations particulières à chaque entreprise.

Bell Canada nous recommande aussi d'éliminer toute notion de permis temporaire. Je pense qu'il est quand même important qu'un professionnel qui arrive dans un pays finisse par être capable d'apprendre la langue du pays, ne serait-ce que pour profiter de cette appartenance plus ou moins passagère à un milieu qui est quand même un milieu de grande civilisation. Nous accorderons quand même l'attention qu'il se doit à cette demande de Bell Canada, mais aussi à la lumière de toutes les représentations qui nous ont déjà été soumises par d'autres associations, et surtout par les ordres professionnels eux-mêmes. Nous verrons, nous entendrons ce qu'ils ont à dire ou à écrire. Nous verrons, à ce moment, si d'autres mesures s'imposent.

Quant à la permission qu'auraient les ordres professionnels d'émettre des communiqués bilingues, j'ai déjà dit à quelques reprises, et je l'ai répété hier soir, que ce qui n'est pas interdit par la loi est permis. Il n'y a donc rien dans la présente loi qui interdise à un ordre professionnel de communiquer en anglais avec ses membres anglophones.

Vous demandez également de laisser aux entreprises le soin de déterminer les besoins de personnel bilingue. Je pense que c'est précisément là l'objet de l'article 37, lorsque nous demandons à l'employeur de prouver que la connaissance d'une autre langue est nécessaire. Je pense que l'initiative revient alors à l'entreprise, et, dans la plupart des cas, surtout si cela est fait de bonne foi, je ne vois pas que cela devrait causer tellement de problèmes.

Vous nous demandez aussi de préciser les termes "Québécois", "travailleur", "affichage" et le reste. Je pense que nous pourrons, en effet, préciser ces termes dans les amendements qui sont présentement à l'étude.

Vous nous demandez de prévoir un mécanisme simple et précis pour permettre à une personne d'exercer le droit conféré par l'article 12; c'est à la lecture de votre mémoire que j'ai pris cette recommandation que vous n'avez pas répétée ce soir. Je pense qu'il s'agit là d'une suggestion très valable et je pense que nous pourrons vous donner satisfaction sur ce point. Vous nous demandez aussi que l'on évite tout caractère rétroactif en ce qui concerne l'émission de nouvelles raisons sociales.

Ce n'est pas notre intention de faire une loi rétroactive à cet égard; nous pensons que l'article 49, tel qu'il est libellé actuellement, n'a pas de caractère rétroactif, mais, puisque vous nous le dites, nous allons l'examiner à nouveau et nous ferons en sorte d'en éliminer toute trace ou tout soupçon de rétroactivité. Quant à la demande que vous nous faites de repenser et de redéfinir tout le concept institutionnel de l'office, plusieurs recommandations nous ont été faites en ce sens. Nous les prenons en très bonne part, et il est très possible, en effet, que, dans les amendements que nous préparons, nous puissions, là aussi, vous donner satisfaction, en tout cas sur des points importants.

Dans la conclusion de votre mémoire, vous donnez au Québec, vous assignez au Québec un rôle extrêmement noble et très important, par exemple quand vous nous dites que le rôle du Québec est d'interpréter l'Amérique aux Européens et l'Europe aux Américains. C'est une belle formule, mais je me méfie de formules qui confieraient des missions justement trop nobles au Québec et qui lui feraient oublier ses devoirs plus proches et plus précis. Je pense qu'il n'appartient pas plus au Québec d'interpréter l'Amérique aux Européens qu'il n'appartient aux Américains eux-mêmes ou aux Canadiens anglophones eux-mêmes de le faire, eux qui sont aussi venus de l'Europe un jour.

Je pense que chacun peut se passer du Québec pour ce rôle de courroie de transmission. Je pense que le rôle du Québec est beaucoup plus important; c'est de développer le pays qui nous a été donné, pour le plus grand bénéfice et le plus grand bonheur des citoyens qui y habitent et, en particulier, de sa majorité francophone qui a un redressement, un rattrapage à effectuer.

Evidemment, cette mission est difficile et ample dans la période que nous traversons, et ici je rejoins une des préoccupations dont vous nous avez fait part au tout début de votre mémoire, quand vous nous disiez qu'il ne fallait pas séparer l'économique du culturel. Nous n'entendons pas, non plus, séparer l'économique du culturel. Nous savons très bien qu'une législation linguistique n'a qu'une valeur d'appoint, qu'elle peut s'avérer nécessaire pour corriger une situation qui a besoin d'être redressée dans l'immédiat, mais que le véritable fondement du progrès aussi bien linguistique que culturel d'un peuple, c'est une économie solide, qui se développe dans toutes les directions.

Bien sûr, on peut différer d'avis sur les modalités, mais peut-être pas tellement qu'il n'y paraît à première vue, car je suis convaincu que c'est par une concertation du genre de celle que nous tentons depuis quelques mois entre les divers agents de l'économie, dont vous êtes un partenaire respecté et essentiel, que nous arriverons à développer au maximum ce potentiel économique que nous avons à travers les difficultés, les tensions que peuvent provoquer nos divergences occasionnelles, parfois justifiées, de part et d'autre, mais divergences, cependant qui, aussi bien pour vous que pour nous, ne nous empêchent pas de garder bien présents à l'esprit les impératifs que nous ne pouvons absolument pas oublier. Et c'est au nom de ces impératifs que je veux vous répéter, en terminant, que nous ferons montre de tout le réalisme et de toute la souplesse possibles, et particulièrement en ce qui concerne la situation des sièges sociaux. Il paraissait difficile, dans la loi, d'être très spécifique en ce qui concerne la situation des sièges sociaux, étant donné leur diversité d'un secteur à l'autre et d'une structure à l'autre. Mais nous sommes très conscients que, particulièrement en ce qui concerne les sièges sociaux, le problème de la mobilité des cadres, le problème de la prééminence continentale, sinon mondiale, de l'anglais nous imposent des contraintes que nous entendons respecter, encore une fois, au nom du réalisme.

Et je suis convaincu, pour ma part, que vous n'aurez pas plus à craindre dans ce domaine l'action de l'Office de la langue française que vous avez eu à craindre l'action de la Régie de la langue française.

Comme vous le savez, nous avons envoyé une mission en Europe qui vient de revenir. J'attends son rapport. Comme dans cette mission, étaient représentés des membres importants de la communauté commerciale et financière du Québec, je suis presque convaincu à l'avance que les recommandations qu'on nous fera seront empreintes de réalisme, de souplesse et j'entends bien que le gouvernement aussi bien que le futur office s'en inspirent.

Encore une fois, je veux vous remercier du mémoire que vous nous avez présenté et du bilan impressionnant également que vous nous avez présenté sur votre compagnie. Je souhaite d'ailleurs à cette compagnie tout le succès dans les années qui viennent.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M.

De Grandpré, avez-vous des remarques à formuler?

M. De Grandpré: Non. Evidemment, ce n'est pas possible de répondre à tous les aspects de la présentation du ministre, mais qu'il me soit permis d'attirer l'attention de la commission sur l'article 4 du projet de loi qui, à mon sens, est d'une portée tellement générale que c'est un nid à chicane. Si on veut avoir la souplesse, la tolérance et le réalisme dont le ministre a fait mention tantôt, il va sûrement, à mon sens, y avoir des modifications importantes à apporter à cet aspect du projet de loi parce qu'autrement, on se lance dans des difficultés interminables.

M. Laurin: D'accord.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, nous voyons à mesure que se succèdent devant cette commission parlementaire les représentants de divers groupes, de divers secteurs d'activité au Québec, que tous s'accordent sur les objectifs de la loi, mais pas sur les moyens. Dans une question aussi délicate que la langue, c'est l'excès qui est l'écueil. On voit de plus en plus que souplesse n'est pas mollesse, mais elle est plutôt sagesse.

Tantôt, le ministre disait que dans son esprit, que dans l'esprit du gouvernement, la tolérance serait la règle, mais je pense que la tolérance doit être inscrite dans la loi. Elle ne doit pas être laissée à la discrétion de fonctionnaires. J'espère que les amendements qui seront apportés ou les révisions qui seront faites de ce projet de loi feront état de cette approche du ministre.

M. De Grandpré, vous déplorez, comme bien d'autres et je prends à témoin le texte qui est au bas de la page 8 de votre mémoire... "Si la loi 22 n'existait pas, on pourrait accepter le principe d'une loi concernant la langue. Mais ce n'est pas le cas". C'est une citation pour le journal des Débats.

Donc, vous déplorez comme bien d'autres que ce gouvernement ait négligé de faire l'inventaire du statut de la langue française en 1977, le bilan en 1977 de la langue française, après la loi 22.

Beaucoup, de façon indirecte, ont fait cette remarque, ont reconnu cet hiatus et combien d'excès, de plus en plus, à mesure que les mémoires s'ajoutent les uns aux autres, on voit jusqu'à quel point ce sont les excès inscrits dans le projet de loi qui illustrent la sagesse et la souplesse de la philosophie qui sous-tend la loi sur la langue officielle actuellement en vigueur.

En ce qui concerne vos remarques à propos de la Charte des droits et libertés de la personne, le ministre a eu l'occasion, à plusieurs reprises, de dire que l'article 172 n'était là que pour poser le problème.

Je pense que si c'est la façon dont le gouvernement s'y est pris pour poser le problème le droit d'une question aussi fondamentale que les droits des personnes, il s'agit là d'une des improvisations les plus irresponsables qu'on puisse imaginer d'un gouvernement qui se dit respectueux de la démocratie. Le ministre dit que la preuve reste à faire que les droits fondamentaux des minorités peuvent être brimés par ce projet de loi. Pourtant, je suis sûr que, maintenant, au moment où on se parle, le ministre a eu le loisir de lire l'étude qui a été faite et qui est très étoffée de la Commission des droits de la personne. J'espère que le ministre l'étudiera et réfléchira sur le bien-fondé de ce mémoire qui demande entre autres le retrait de l'article 172 et la définition claire et sans équivoque des droits linguistiques des minorités et des individus qui la composent.

Le ministre s'est fait féministe tantôt dans ses remarques, en évoquant la situation de la femme qui a dû revendiquer ses droits. J'ai beaucoup de difficulté à le prendre au sérieux quand on sait que ce gouvernement, sûrement à la recommandation du ministre, a limogé les trois femmes qui étaient à la Régie de la langue française, dont le mandat se terminait au début de novembre l'an dernier et qui ont été remplacées par trois hommes. Il n'y a plus de femmes à la Régie de la langue française actuellement. Alors, on me permettra de prendre avec un grain de sel ces remarques concernant la situation de la femme.

M. De Grandpré, vous dites, à la page 8 de votre mémoire, au deuxième paragraphe: "C'est pourquoi imposer le français d'une façon aussi radicale par un projet de loi à caractère aussi coercitif nous semble une méthode vouée à l'échec et contraire aux meilleurs intérêts de ceux qu'on veut aider". Pouvez-vous préciser les raisons, le pourquoi, de cette conclusion qui est quand même assez définitive de votre part?

M. De Grandpré: La philosophie que j'ai et qui ne semble pas être celle adoptée par le gouvernement lors de la présentation de la Charte de la langue française, c'est que je crois fermement à la conclusion de mon rapport que les francophones québécois sont capables de rayonner à travers le monde, comme n'importe quel autre citoyen du monde. Ceci étant dit, il faut leur donner l'occasion de pénétrer au sein de grandes entreprises, que ce soient des entreprises nationales canadiennes, internationales canadiennes ou internationales étrangères, de façon à faire valoir un point de vue qui est toujours un point de vue personnel. On arrive dans une entreprise avec son bagage d'éducation, son bagage familial, son bagage de préjugés, parce que, quoi qu'on en dise, tout le monde, nous avons des préjugés; mais si on veut rendre possible l'accès à des postes clés qui demandent nécessairement une connaissance extrêmement poussée de la langue seconde, je pense qu'on ferme les portes à nos concitoyens et

que, fermant les portes à nos concitoyens au lieu de les aider à s'élever dans le milieu international des affaires, puisque c'est cela qu'on veut faire éventuellement avec le projet de loi, si on leur ferme les portes, je dis qu'on présente un projet de loi qui est contraire aux meilleurs intérêts de ceux qu'on veut aider. C'est pour cela que j'ai conclu de la sorte.

M. Lalonde: Vous ajoutez, M. De Grandpré, à la page 9: "On semble créer avec cette charte différentes catégories de citoyens". Vous vous référez à la charte de façon générale. Est-ce que vous pourriez indiquer de façon plus précise quelles sont les dispositions de la loi qui créeraient ainsi différentes catégories de citoyens?

M. De Grandpré: II y a sûrement l'article qui traite de la langue d'enseignement où on crée sûrement trois genres de citoyens, l'article 52. On y parle des gens qui peuvent avoir accès à l'enseignement en anglais en disant: "Les enfants dont le père ou la mère a reçu au Québec l'enseignement primaire seulement en anglais"; deuxièmement, on parle, au sous-alinéa b), des enfants qui, à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi, sont domiciliés au Québec, et j'insiste sur le mot "domiciliés", nous en faisons mention dans l'annexe de notre mémoire parce que, comme vous le savez, le mot "domicile" a un caractère bien spécifique en droit. Si on pensait avoir des difficultés avec les tests linguistiques qui étaient dans la loi 22, on s'embarque dans des tests beaucoup plus compliqués quand on veut savoir si quelqu'un est un résidant ou si quelqu'un est domicilié à tel ou tel endroit.

M. Lalonde: Vous vous référez sûrement au concept juridique de domicile qui est beaucoup plus exigeant que le concept de résidence.

M. De Grandpré: Si mon souvenir est exact, le domicile est composé de deux choses, premièrement, de la résidence plus l'intention d'en faire son principal établissement, à moins que le texte de loi ait été amendé depuis quinze ans, quand je l'ai regardé la dernière fois. Ceci étant dit, pour établir le domicile, il faut avoir non seulement de la preuve orale, mais souvent de la preuve écrite. Je m'imagine que les complications des tests linguistiques étaient de la petite bière comparée aux tests qu'on va demander pour établir le domicile.

Finalement, on parle des gens qui vivent au Québec au moment de l'entrée en vigueur de la loi, des gens qui viendront par la suite, qui sont, à mon sens, encore des Canadiens. Tant et aussi longtemps que le Québec fera partie intégrante du Canada, je pense que si on commence à mettre des barrières, à savoir si les gens qui nous arrivent de l'extérieur du Québec doivent être traités différemment, nous créons encore un autre genre de citoyens, et j'en oublie peut-être.

M. Lalonde: Vous vous référez à l'article 58 qui, de toute évidence, a été proposé par le gouvernement pour traiter la situation particulière des gens qui viendraient au Québec temporairement. On peut référer au caractère de mobilité qu'on exige en particulier pour les sièges sociaux. Vous vous déclarez insatisfait de cet article. Est-ce que vous pourriez suggérer un amendement, ou de quelle façon pensez-vous qu'on pourrait améliorer cet article pour traiter cette situation, en supposant que tous les articles qui précèdent demeureraient les mêmes?

M. De Grandpré: Je n'ai pas pensé particulièrement à l'article 58. Parce que je pense qu'il faut lire notre mémoire dans son ensemble. Notre position est que, premièrement, il nous semble non essentiel ou non requis à ce stade-ci de l'évolution de la francisation des entreprises et de la vigueur de la culture des Québécois d'expression française. C'est un peu ce qui me laisse, peut-être pas inquiet, mais songeur quand, d'une part, on parle de la vigueur de la culture des Québécois francophones à l'heure actuelle, qu'il s'agisse d'art plastique ou qu'il s'agisse d'art lyrique ou qu'il s'agisse de théâtre ou de littérature et que dans la même phrase on enchaîne pour dire que la culture francophone au Québec est en danger. J'ai l'impression qu'il y a un peu une contradiction.

Ceci étant dit, quant à l'article 58, je pense qu'il n'est pas possible, dans le contexte dans lequel la recommandation a été faite de prévoir au moment de l'arrivée d'un individu, combien de temps il sera chez nous.

M. Lalonde: J'avais interprété votre remarque qui a été faite par d'autres. On ne sait pas exactement si c'est limité au moment où il arrive. Est-ce que c'est pratique?

M. De Grandpré: J'ai l'impression que ce n'est pas possible, parce que ce qui pouvait être au début une mutation de deux ou trois ans ou de dix-huit mois, peut, à cause de circonstances qui sont complètement hors du contrôle des gestionnaires de l'entreprise, s'étendre sur une période de cinq ans ou de six ans. Comment est-ce qu'on défait tout ce qu'on a voulu faire au début, si, après, on lui dit qu'on lui donne une extension de deux ou trois ans et qu'il est encore ici après quatre ans? Qu'est-ce qu'on fait de cet individu? Je pense que ce n'est pas pratique pour s'attaquer au problème.

M. Lalonde: M. De Grandpré, étant donné le temps limité, je ne poserai plus de questions. Je veux simplement vous remercier d'avoir pris la peine de préparer — je veux remercier la compagnie Bell Canada — ce mémoire, de l'avoir présenté ici. Je voudrais, en terminant, vous inviter, quel que soit le sort du projet de loi dans sa forme actuelle, et aussi en tenant compte du fait que le français est la langue officielle au moment où on se parle, de continuer votre effort de francisation, parce qu'étant donné l'importance de Bell Canada dans l'économie du Québec, non seulement par le nombre d'employés, mais aussi par la nature de ses opérations, vous avez sûrement une responsabilité particulière dans le leadership dans — je ne sais pas si vous avez un terme français plus

conforme à la loi 22 — la francisation des entreprises.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: Merci, M. le Président. Je partagerai mon temps de parole avec mon voisin, le député de Pointe-Claire. J'aurais tout simplement deux ou trois brèves questions, M. De Grandpré.

Tout d'abord, je suis très content de voir le poste que vous occupez au sein de votre compagnie. Vous nous avez fait, au début, un résumé très positif, un très beau bilan. Par contre, quand on regarde ce mémoire, vous émettez beaucoup de réserves, beaucoup de restrictions et vous avez beaucoup de points d'interrogation.

Mais si ma mémoire est bonne — je peux me tromper, vous n'aurez qu'à me corriger — est-ce que vous n'auriez pas déclaré, au cours de l'hiver, que, advenant que le projet de loi no 1 soit voté, Bell Canada déménagerait son siège social en dehors du Québec?

M. De Grandpré: Non, je n'ai pas fait cette déclaration. Dans la déclaration que j'ai faite, si vous vous référez à la conférence que j'ai prononcée devant la Chambre de commerce, j'ai tout simplement invité les autorités gouvernementales à regarder avec beaucoup de réalisme le problème des sièges sociaux, parce que, imposer d'une façon coercitive l'usage du français au niveau des sièges sociaux, sans tenir compte du contexte nord-américain et mondial dans lequel les sièges sociaux fonctionnent, c'était ni plus ni moins que d'inviter les sièges sociaux à laisser la province et laisser la ville de Montréal, et qu'on ne pouvait pas s'offrir un tel luxe, parce que toute l'économie du Québec allait en être perturbée.

Ce qui m'inquiétait, ce qui m'inquiète encore, ce n'est pas le départ des sièges sociaux. Les gens qui partiront continueront à gagner leur vie là où le siège social ira s'établir. Ce qui m'inquiète, ce sont les Québécois qui vont rester en arrière et qui ne pourront pas suivre les sièges sociaux.

Je pense à tout le monde, que ce soient des vendeurs dans les magasins, que ce soient des mécaniciens, que ce soient des vendeurs dans l'immeuble, que ce soient des plombiers ou des mécaniciens, ou des menuisiers, ou des camionneurs. Lorsque vous enlevez la plus grosse industrie de la ville de Montréal, ce sont sans aucun doute les sièges sociaux, c'est celle qui paie sûrement en moyenne des salaires plus élevés que n'importe quelle autre industrie.

Si vous extrayez de l'économie de la ville de Montréal et de la province un élément aussi important, vous risquez de créer non seulement des perturbations économiques, mais des perturbations sociales, c'est cela que j'ai dit.

M. Le Moignan: Je vous remercie, c'est parce qu'il m'était resté un doute.

M. De Grandpré: Vous n'êtes pas les seuls à être mal cités, vous savez, les gens qui sont dans la politique. On m'a cité comme ayant fait du "blackmail", dit toutes sortes de choses, mais, dans le fond, j'essayais de voir les choses avec beaucoup de réalisme et je pense que, là où je suis, non seulement à la compagnie, mais ailleurs dans le monde des affaires, si je n'avais pas parlé à ce moment-là, on aurait pu m'en faire le reproche plus tard en disant: Vous, vous le saviez; vous, vous étiez un francophone et vous, vous vous êtes tu au mauvais moment, et c'est pour cela que j'ai parlé.

M. Le Moignan: Une dernière question, M. De Grandpré. Vous dites, à la page 8, que le projet de loi est défaitiste, comme si la situation au Québec était devenue tellement intenable qu'il faille s'entourer de protection. Je pense qu'il y a un réflexe de défense qui est d'après moi tout à fait légitime. Si on regarde les statistiques, je ne les ai pas de mémoire, mais si on compare 1961, 1971 et 1976, je crois que les Canadiens français ont reculé, si on compare à la moyenne du Canada les statistiques québécoises. Ensuite, vous dites que...

M. De Grandpré: Je ne comprends pas le sens. Reculé comment?

M. Le Moignan: C'est-à-dire que nous avons baissé. Nous étions peut-être 25% et peut-être qu'aujourd'hui nous ne sommes simplement que 20% ou 18%.

M. De Grandpré: Au point de vue de la proportion de la population totale?

M. Le Moignan: Totale. M. De Grandpré: Ahbon!

M. Le Moignan: Même dans le Québec, je pense qu'il y avait un danger aussi, parce que si les immigrants qui entrent par milliers passent tous à l'école anglaise, ici encore, nous ne sommes pas protégés, à mon point de vue. Je pense que le projet de loi est très bien conçu dans le sens que les futurs immigrants seront intégrés à la communauté française, mais ce qui m'intrigue le plus, vous dites plus haut que le projet de loi risque d'être défavorable à la culture française qu'on veut nous mettre en serre chaude et qu'on veut nous couper de la réalité économique.

Est-ce que le projet de loi no 1 serait un obstacle à ce que les Canadiens français s'introduisent un peu plus dans les affaires? C'est sur ce point de vue que j'aimerais avoir un éclaircissement.

M. De Grandpré: Sans aucun doute. M. Le Moignan: Comment pouvez...

M. De Grandpré: Sans aucun doute, le projet de loi no 1, tel que conçu et non pas tel que présenté tantôt par le ministre, parce que j'ai vu beaucoup plus de flexibilité et beaucoup plus de tolérance dans les paroles du ministre tantôt que

dans le projet de loi et, actuellement, je suis obligé de regarder le projet de loi, mais, heureusement, il y a une transcription de ce qui se dit. Alors, cela restera pour la postérité.

Dans le projet de loi, tel que conçu, il ne fait aucun doute dans mon esprit que les francophones du Québec vont être desservis, parce que si les centres de décision, par la force des choses, glissent graduellement vers l'extérieur du Québec, la pénétration à l'intérieur de ces centres de décision, au niveau des sièges sociaux, ne sera plus aussi facile pour les Québécois de langue française.

M. Le Moignan: Merci.

M. De Grandpré: Je suis convaincu que si Bell Canada n'avait pas été à Montréal, je ne serais pas aujourd'hui le chef de la direction de la plus grande industrie du Canada, c'est cela que je veux dire.

M. Le Moignan: Pour ma part, j'ai fini, je vous remercie.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. M. De Grandpré, on dit que, d'une façon, l'un des buts du projet de loi est de promouvoir l'emploi des francophones, en plus de la question de la langue, pour permettre aux francophones d'obtenir de meilleurs postes dans l'entreprise, dans le monde des affaires. On dit cela d'un côté et, de l'autre côté, je remarque que, quand les francophones qui ont obtenu ces postes dans le monde des affaires, comme vous-même, quand ils viennent ici pour essayer, d'une façon ou d'une autre, de critiquer le projet de loi, mais de le critiquer d'une façon positive, immédiatement, j'ai l'impression qu'on ne semble pas accepter ces remarques, que ce soit le ministre ou que ce soit le côté ministériel.

On essaie de montrer ces gens, comme vous-mêmes, comme étant trop associés à l'"establishment", et même on utilise des mots de l'"establishment". Est-ce que je pourrais avoir, si c'est possible, vos commentaires sur ce phénomène? Parce que j'ai l'impression que tous ceux qui viennent ici — vous n'êtes pas les premiers — du monde des affaires, qui essaient d'apporter des commentaires positifs... Parce qu'on ne met pas en doute le but de la loi, on conteste les moyens. Je voudrais vous poser quelques questions là-dessus. Immédiatement, on semble cesser le dialogue du côté du gouvernement. On n'essaie pas d'ouvrir le dialogue et de vous demander: Pour les articles 36, 37, peut-être qu'on pourrait faire autre chose. Quelles suggestions avez-vous? Immédiatement, on tient pour acquis que toute la vérité est chez ceux qui ont rédigé le projet de loi. Est-ce que je pourrais avoir vos commentaires sur cela, s'il vous plaît?

M. De Grandpré: La question que vous me posez est pour moi difficile, parce que je n'ai pas assisté à toutes les séances de la commission. J'en ai lu certains extraits dans les journaux. Malheureusement, je suis plus souvent absent de la province de Québec que je n'y suis, parce que mes fonctions me demandent de parcourir le monde. Il n'y a pas de doute dans mon esprit que c'est difficile pour certains groupes de la population au Québec d'accepter que quelqu'un puisse réussir dans le monde des affaires, être à la fois un francophone convaincu, avoir marié une francophone, avoir fait éduquer ses enfants au primaire et au secondaire en français, avoir réussi à pénétrer à l'intérieur des conseils d'administration non seulement de Bell ou de Northern ou de compagnies canadiennes, nationales et internationales, mais même à l'intérieur des conseils d'administration des multinationales américaines. Tout à coup, j'ai l'impression que, par un phénomène que je ne peux pas m'expliquer, je suis soudainement avec ("establishment" avec un grand E, le E majuscule de ('"Establishment". J'ai eu beaucoup de plaisir, il y a quelques années, avec 175 étudiants de l'Association internationale des étudiants, qui comprenaient des Chinois, des Russes, et tout ce que vous voudrez. Evidemment, ils étaient pas mal plus à gauche que je ne pouvais l'être. Je leur ai demandé si j'étais passé à ('"establishment" quand j'ai commencé à travailler à $3 par semaine. A ce moment, on m'a dit que non. L'année suivante, j'étais sûrement passé à ('"establishment", parce que j'avais eu 100% d'augmentation et j'ai eu $6 par semaine. Après cela, j'ai monté à $18 par semaine; après cela, à $25 par semaine; après cela, à $35 par semaine. Je me demande encore quand j'ai traversé la ligne. Je ne l'ai pas vue. Si quelqu'un pouvait me dire un jour: Vous avez traversé la ligne à tel moment, quand vous avez accepté d'être administrateur de la compagnie, ou quand vous avez accepté d'être président de la compagnie, ou quand vous avez accepté d'être président du conseil et chef de la direction de la compagnie... Je pense que les gens qui me feraient cette accusation auraient de la difficulté à prouver le changement qui s'est effectué chez moi entre le 31 décembre 1972 et le 1er janvier 1973. C'est à ce moment-là que j'ai traversé la ligne.

M. Ciaccia: Je voudrais me référer à l'article qui parle d'un office. On a fait la comparaison avec la régie, mais je crois que les pouvoirs ne sont pas tout à fait les mêmes. Est-ce que je pourrais avoir vos commentaires sur les pouvoirs qui sont contenus dans les articles 36 et 37, quant à la question d'engager du personnel bilingue? Je devrais faire remarquer que chaque fois qu'on pose des questions de ce genre — je voudrais le souligner pour les membres du parti ministériel — on semble nous accuser de vouloir protéger les intérêts ou de protéger la langue anglaise ou les anglophones.

Mais je vous demande, pas de ce point de vue, mais du point d'un homme d'affaires, quand un office ou quand un fonctionnaire a le droit d'émettre des permis qui peuvent décider si une entreprise va survivre ou non, ou si vous devez obtenir la

permission d'engager quelqu'un qui va être bilingue, est-ce que vous voyez ça d'une façon pratique? Est-ce qu'il y aurait des questions, même à part le pouvoir des fonctionnaires, de délais, de donner tellement de pouvoir à un office, de tentations, de décisions, est-ce que je pourrais avoir vos commentaires à ce sujet? On me fait remarquer que c'est ma dernière question.

M. De Grandpré: Je pourrais vous parler des articles 36, 37. Vous m'avez parlé des pouvoirs de la commission. Pour revenir aux articles 33, 34, 35 et 36, qui ont trait aux conventions collectives et à la langue qui doit être utilisée, je pense que là, il y a un manque de réalisme et un manque de souplesse. J'inviterais le ministre à examiner la situation de plus près, parce que, tout en reconnaissant fort bien que lorsque la majorité des employés est d'expression française, que la convention puisse être en français, ça me semble être élémentaire. Je n'ai aucune difficulté à accepter ça. Là où j'ai plus de difficulté à l'accepter, c'est qu'il y a des associations qui, par définition, doivent être des associations anglophones. Je pense, par exemple, au Protestant School Board of Greater Montreal, qui doit avoir des négociations collectives avec ses enseignants, qui sont, par définition, des enseignants de langue anglaise, et je vois mal comment les termes généraux qu'on utilise dans les articles dont je faisais mention tantôt puissent s'appliquer à ce genre de négociations, pas plus d'ailleurs que dans certaines entreprises où tous les employés sont tous, parce que ça peut être une entreprise qui, autrefois, était une entreprise familiale, etc., de langue anglaise. Là encore, j'ai de la misère à voir comment est-ce qu'on pourrait insérer les articles 33, 34, 35, 36 dans le contexte que je viens de décrire.

Quant aux pouvoirs extraordinaires qu'on donne aux gens qui seront chargés de l'application de la loi, d'avoir le droit de vie et de mort, parce que c'est à peu près ça que ça veut dire dans la plupart des circonstances, je pense que l'absence d'appel et l'absence de recours et l'autoritarisme que la loi suggère comme étant le point nécessaire pour la rendre efficace, me semblent tout à fait exagérés, compte tenu des circonstances. Je pense que c'est ce genre de législation qui effraiera non seulement les gens qui sont ici, mais, ce qui est plus difficile à quantifier, c'est de voir combien d'entreprises ne viendront pas.

Celles qui s'en vont, on peut les décompter. On dit: Elles étaient 150. Aujourd'hui, il en reste 15. On en a donc perdu 135, mais celles qui ne viendront jamais, et c'est là qu'est le danger, seront une perte irréversible pour le Québec.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Pointe-Claire. Quatre minutes...

M. Shaw: M. de Grandpré, sur la question de la francisation de votre compagnie, Bell Canada, pouvez-vous me dire combien de postes techniques seront transférés du Québec, disons à Ottawa, à cause de ce programme de francisation?

M. De Grandpré: Non. Il n'y a pas eu de transfert à Ottawa à cause du programme de francisation jusqu'à maintenant. Si vous faites référence aux transferts des gens qui travaillaient dans la technologie au niveau du siège social il y a quelques années, ceux-là ont été transférés à Ottawa pour des raisons administratives et d'efficacité administrative, puisque les laboratoires de Bell Northern étaient à Ottawa et qu'il devait y avoir des contacts quotidiens entre les gens qui travaillaient au laboratoire et ceux qui étaient en charge de la technologie à l'intérieur du siège social d'une entreprise. Il nous a fallu faire un transfert de tout ce groupe qui s'occupait de la technologie et de l'application de la technologie à la fois dans l'entreprise comme entreprise de télécommunication et dans l'entreprise de fabrication comme Northern Télécom. C'est ce jeu qui a voulu qu'un certain nombre d'employés qui étaient auparavant au siège social soient transférés auprès des laboratoires de Bell Northern à Ottawa.

M. Shaw: Pour continuer sur le même sujet, maintenant, même avec l'adoption d'une loi comme le bill 1, prévoyez-vous pouvoir engager du personnel unilingue français à tous les niveaux?

M. De Grandpré: Ce n'est pas possible. Comme le mémoire l'indique, le siège social doit être le reflet de l'entreprise nationale ou internationale dirigée à ce niveau. Nos revenus provenant du Québec, uniquement dans le domaine des télécommunications, comme services sont à peu près de l'ordre de 35%. En dehors du Québec, ils sont de 65%. Si je fais erreur, M. Cyr me corrigera sûrement. Il me semble que c'est le dernier chiffre que j'aie entendu. Quand j'occupais sa fonction, c'était à peu près de 40%-60%, mais graduellement, il y a eu une détérioration des proportions en faveur de l'Ontario.

Il ne sera pas possible de trouver les compétences nécessaires seulement à l'intérieur du Québec — ce n'est pas possible — pour deux raisons. Elles ne sont pas là à l'heure actuelle dans la région du Québec et deuxièmement, il ne serait pas possible non plus qu'un siège social ne soit que le reflet unique de la région du Québec. Cela serait impensable que le siège social d'une entreprise multinationale ne soit le reflet que d'une partie des opérations et je m'explique.

Ce n'est pas par discrimination ou tout simplement par mauvaise volonté que ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible parce que nous ne pourrions pas recruter les compétences en dehors du Québec. Lorsque vous voulez recruter des diplômés universitaires, que ce soit aux Etats-Unis, au Canada, en Europe ou même en Orient, il vous faut leur donner un genre de profil de carrière.

Si vous leur dites: Si vous voulez entrer au niveau du siège social et si tout le monde peut exiger conformément à l'article 4 que le travail se fasse en français, ils vous diront immédiatement qu'ils iront chercher ailleurs, et ils iront trouver de l'emploi dans une autre entreprise qui n'a pas les

mêmes contraintes. Pour cette raison, je pense que, là encore, il y a aura érosion ou un effritement de l'ampleur des sièges sociaux dans le Québec, à moins que des changements importants ne soient apportés au projet de loi.

M. Shaw: Mais ceux qui sont Québécois d'expression française, qui sont éduqués ici au Québec, même au niveau universitaire, est-ce que vous prévoyez que ces gens-là peuvent fonctionner dans votre compagnie seulement en français?

M. De Grandpré: Dans la région de Québec? M. Shaw: Même dans la région du Québec?

M. De Grandpré: Dans la région du Québec, seulement à un niveau de cadres moyens. Du moment que le francophone arrive à un niveau de cadre dépassant le cadre moyen, je pense qu'on peut peut-être trouver, par exception, des unilin-gues francophones, qui soient des surintendants, mais quand vous les amenez à un stade de gérant de district, qui est le troisième niveau, contremaître, surintendant, gérant de district, et que le gérant de district doit rencontrer des gérants de district lors de conférences ou de séminaires dans toute l'entreprise, il lui faut, à ce moment-là, devenir bilingue et il ne pourrai fonctionner comme unilingue francophone.

M. Shaw: Vous êtes conscient, M. De Grandpré...

Le Président (M. Cardinal): Une dernière question, M. le député de Pointe-Claire.

M. Shaw: Oui, une dernière question. Vous connaissez, M. De Grandpré, les compagnies d'expertise comme Northern Telecom. Croyez-vous que ces compagnies peuvent prévoir de l'expansion au Québec si la pression sur la communauté anglaise du Québec continue ou prévoyez-vous que l'exode de ces compagnies va augmenter?

M. De Grandpré: Le mot "exode" a été utilisé à plusieurs reprises dans les journaux, dans certains articles, et je pense que cela ne se produira pas sous forme d'exode massif. Je pense que ce sera plutôt par effritement ou par érosion graduelle et, à un moment donné, on sera à regarder de plus près l'établissement d'un secteur et, à ce moment-là, on dira: Le secteur ici ne pourra pas fonctionner avec une pleine efficacité au niveau de la province de Québec et, à cause de cela, on ira le placer ailleurs. C'est toujours dans cette perspective que je disais tantôt et que je redis de nouveau, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, que, dans mon esprit, c'est un projet de loi qui joue contre les francophones du Québec qu'on voudrait aider.

M. Shaw: Merci, M. De Grandpré.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Jacques-Cartier, trois minutes.

M. Saint-Germain: M. le Président, j'entendais le ministre faire des comparaisons avec l'évolution du statut de la femme et les unions ouvrières, et il comparait ceci à une évolution qui lui permettrait de justifier le bill no 1. On peut retourner, je pense bien, facilement ses arguments en sens opposé et dire que le statut de la femme évolue déjà depuis des décennies et qu'il continuera à évoluer, probablement aussi longtemps qu'il a évolué dans le passé. Pour ce qui regarde l'établissement des unions dans nos sociétés, c'est à chiffrer avec des décennies. L'évolution est loin d'y être terminée, cela se continuera ainsi dans les décennies à venir. On peut prévoir que, dans ces deux champs d'évolution, il y aura autant d'évolution dans le futur qu'il y en a eu dans le passé. Je crois qu'il ne faut pas être grand philosophe pour en arriver à ces conclusions. Pour ce qui regarde la présence des francophones dans l'industrie, étant francophones vous-mêmes, vous connaissez pertinemment l'évolution historique du Québec.

Vous savez que c'est tout récemment qu'on s'est aperçu de l'importance, au niveau de notre groupe, d'avoir une présence en relation de notre nombre dans le monde des affaires, de l'industrie, du commerce, de la technique et des sciences. Cette évolution, malheureusement, est toute récente.

De croire qu'avec une loi donnée, on va nécessairement solutionner le problème, je crois que c'est un manque de connaissance de l'humanité et des hommes comme tels. On ne peut pas changer la face des choses dans une génération, surtout dans un champ d'évolution aussi complexe que l'industrie, la finance et le commerce et cette évolution, pour les francophones, se fera avec les années, quelles que soient les lois et les législations qu'on pourra mettre en application. Elle se continuera longtemps et probablement que ce combat sera sans fin, car nous serons toujours obligés de vivre dangereusement en Amérique du Nord et qu'il appartiendra à chaque génération de défendre ses intérêts particuliers et ses intérêts du groupe.

Nous serons toujours appelés, je pense bien, en Amérique du Nord, à vivre dangereusement. Ceci dit, vous travaillez en affaires, surtout dans les champs d'activité qui vous caractérisent, vous subissez au jour le jour la compétition, les problèmes d'administration, les problèmes humains et c'est avec cette expérience journalière que vous arrivez à bâtir des théories d'ensemble ou à faire des synthèses des problèmes auxquels vous devez faire face. Il y a d'autres personnes qu'il ne faut pas nécessairement sous-estimer et qui par formation ou par expérience personnelle, sont habituées à faire des schémas intellectuellement. Et ce schéma étant bien construit, on croit qu'il est logique que les gens ou des groupes de gens s'adaptent aux schémas qu'on a intellectuellement construits.

C'est un peu le monde à l'envers et je sais bien qu'à la direction de Bell Canada ou Northern Telecom, ce n'est pas votre façon de procéder.

Ceci dit, vous avez décrit l'évolution du français à Bell Canada. Je sais, par expérience personnelle, puisque j'ai déjà travaillé pour cette compagnie après mon cours supérieur, je me souviens très bien, dans le temps, que tout se faisait très bien en anglais, exclusivement en anglais et lorsqu'on voit la situation du français au Bell actuellement, on admet aisément l'évolution qui y a pris place et ceci est tout à fait à l'avantage et honore la direction de Bell Canada dans le passé.

Ceci dit, vous n'avez pratiquement élaboré en ce qui regarde Telecom. Comme je représente le comté de Jacques-Cartier, vous savez qu'à La-chine et aux environs, Telecom est un employeur très important. Il y a eu, à ce sujet, toutes sortes de rumeurs qui ont circulé et qui circulent encore. Vous avez mentionné dans les statistiques, tout à l'heure, que le nombre d'employés qu'il y a au Québec aujourd'hui, en ce qui regarde Telecom, du moins au niveau du pourcentage, est en diminution par rapport à ce qu'il était antérieurement.

J'aimerais que vous explicitiez un peu la situation de Telecom surtout en relation directe avec la loi que nous étudions aujourd'hui, quel sera le bien ou les inconvénients que Telecom pourrait en subir. Pourriez-vous nous expliquer ce point, un peu du moins, je ne vous demande pas d'être dans le secret des dieux, mais je crois que vous rendriez service à la population du Québec si vous pouviez en quelques mots projeter le futur de Telecom dans cette province.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, avant que vous ne répondiez, M. De Grandpré, vous avez déjà dépassé votre temps, M. le député de Jacques-Cartier, ce sera votre dernière question M. De Grandpré.

M. De Grandpré: Vous avez touché plusieurs points et qu'il me soit permis de dire devant la commission ce que j'ai déjà dit. On vit la génération de ce que j'appelle le café instantané. Il y a un problème qui a évolué et qui a pu se détériorer ou s'améliorer au cours de décennies et même peut-être de plusieurs décennies et on pense que du jour au lendemain, la solution devra être instantanée.

C'est pour cela que je l'appelle la solution du café instantané.

De temps immémorial, il était difficile de faire pénétrer des francophones à l'intérieur des grandes entreprises. Les enfants qui se lançaient dans les affaires ou dans le commerce et qui avaient le malheur de ne pas faire des notaires, des avocats, des médecins ou des curés, c'étaient des gens qui se salissaient les mains dans l'argent et je n'invente rien.

Le résultat, c'est que, même récemment, depuis que je suis à Bell Canada, j'ai déjà offert des postes à quatre Québécois francophones au niveau de la haute direction de l'entreprise, et j'ai reçu quatre réponses négatives, parce qu'on ne voulait pas être un numéro dans l'entreprise, qu'on ne voulait pas perdre ses libertés, qu'on voulait être capable de partir pour ses vacances au moment où on en avait le goût, etc.

L'absence de francophones au niveau de la grande entreprise a créé un vacuum qui a été immédiatement rempli par ceux qui étaient prêts à entrer dans la grande entreprise. Première constatation.

Deuxième constatation, c'est que Northern Telecom, qui a passé du niveau d'une entreprise qui faisait à peu près $300 millions à $400 millions d'affaires, il y a une dizaine d'années, et qui est maintenant rendue à $1,2 milliard cette année, ne peut pas rester à la fine pointe de la technologie et ne peut pas subir la concurrence des grands comme Erikson, Simmons, Nippon Electric et General Telephone & Electronics, et, pour ce faire, doit se lancer dans la recherche et dépenser des sommes considérables pour maintenir l'avance technologique qu'elle a dans certains domaines.

L'an dernier, le groupe a dépensé près de $100 millions pour la recherche et le développement. Un montant de cette envergure ne peut pas être dépensé si on ne regarde que le marché canadien. Il nous faut donc pénétrer les marchés étrangers. L'attitude des étrangers par rapport aux produits canadiens n'est pas différente de l'attitude des Canadiens vis-à-vis des produits étrangers. On ne veut pas tellement l'importation des produits. On n'a pas objection à l'importation de la technologie. C'est ce qui nous a forcés à établir aux Etats-Unis, en Irlande, en Turquie et ailleurs, des filiales, ou des succursales, ou des divisions — dans certains cas, ce sont des divisions, dans d'autres cas, ce sont tout simplement des filiales — de façon à élargir la base de nos ventes et à dépasser le milliard de dollars, pour nous permettre de dépenser encore plus d'argent dans la recherche et le développement et, évidemment, proportion gardée, la part du Québec est une proportion moindre de ce qu'elle était il y a quinze ans ou il y a vingt ans.

Si nous n'avions pas agrandi notre champ d'activité, si nous n'avions pas créé des centres de production à l'extérieur du Québec, nous n'aurions pu soutenir la concurrence et nous serions disparus de la carte, même au Québec. Je pense que c'est quand on regarde le problème dans toute son ampleur, qu'on regarde les investissements en recherche et en développement, qui sont essentiels, si on veut continuer à survivre contre les grands concurrents du monde, qu'on doit accepter, non pas que le Québec perde sa place, mais que le Québec gagne en s'en allant sur les marchés extérieurs. Parce que General Motors, parce que Chrysler Corporation, parce que IBM vont s'établir dans les pays étrangers, cela n'enlève rien à Détroit ou cela n'enlève rien à New-York. Plus vous aurez des grands centres d'opération à travers le monde, plus vous aurez des positions importantes à offrir à ceux qui seront au siège social, soit au Québec, si on les garde ici, ou ailleurs.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Châteauguay, vous terminez cette audition.

M. Dussault: Merci, M. le Président. M. De Grandpré, vous avez un nom évocateur, si on pense à l'histoire de ce pays, qui était le nôtre, histoire qui n'est pas étrangère d'ailleurs, à la situation que nous vivons maintenant.

De Grandpré, cela veut dire quelque chose à passablement de monde.

M. De Grandpré: Je vous ferai remarquer que ce n'est pas mon nom, que mon nom, c'est Du-teau.

M. Dussault: Pourquoi disait-on De Grandpré?

M. De Grandpré: Parce que, à un moment donné, il y avait beaucoup de Duteau et il y en a qui se sont installés dans le coin de Saint-Cuthbert et dans le coin de Maskinongé que certains de vous connaissent et qui, éventuellement, sont devenus de grands propriétaires terriens dans ce coin-là. On a dit: Ce sont les Duteau dits De Grandpré...

M. Dussautl: Ah bon!

M. De Grandpré: ...et, au bout de quelques années, on a laissé tomber le Duteau et la famille dont je suis est ici depuis 300 ans.

M. Dussault: D'accord. Je pourrais faire ma généalogie qui pourrait être aussi longue d'ailleurs.

Si vous me permettez, je voudrais d'abord faire une petite remarque maligne. Vous avez parlé tout à l'heure d'une ligne, en parlant "d'establishment", et vous dites que vous ne l'avez pas vue, si vous l'avez dépassée. Peut-être que, dans le fond, vous ne l'avez pas encore dépassée, cette ligne-là.

Je voudrais aussi faire ressortir une phrase qui, dans le mémoire, est passé inaperçue et qui, venant de Bell Canada, prend beaucoup de signification pour nous ici, autant de l'Opposition que du parti ministériel. On parle, à un moment donné, d'un ralentissement économique continental. Je trouve cela intéressant que vous l'ayez fait remarquer dans votre mémoire.

Je voudrais maintenant revenir au bilan dont parlait le député de Marguerite-Bourgeoys. Il parlait d'un bilan qu'on n'avait pas en arrivant ici, au Parlement, au moment où on a voulu préparer le projet de loi no 1. Je tiens à faire remarquer au député de Marguerite-Bourgeoys que la Régie de la langue française nous a fait connaître les résultats qu'on avait atteints avec la loi 22, résultats qui étaient insatisfaisants à son point de vue et nous disait qu'on atteindrait davantage de résultats si on avait une plus grande volonté politique. Je pense que c'est important de le faire remarquer.

Vous parlez de catégories de citoyens relativement à l'article 52 alors que la Commission des droits de la personne nous disait, dans un rapport très récent, que, dans le projet de loi no 1, relativement à la langue de l'enseignement, il n'y avait pas de discrimination. Est-ce que vous continuez toujours à nous dire qu'il y a discrimination dans le projet de loi no 1 relativement à la langue d'enseignement?

M. De Grandpré: Je crois qu'il y a sûrement une discrimination quand des citoyens d'un même lieu géographique, qui paient des impôts à un même gouvernement, n'ont pas l'accès au même réseau scolaire selon leur date d'arrivée dans le lieu géographique.

M. Dussault: Justement, la Commission des droits de la personne dit qu'il n'y a pas de discrimination, parce que le choix ou, en fait, le lieu où on tranche la question, c'est justement une question de lieu, au niveau de l'éducation des parents, qui ne contredit en rien l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne.

M. De Grandpré: Je vous ferais remarquer que ce n'est pas exact quant au paragraphe ii de b).

M. Dussault: "dont le père ou la mère est, à ladite date, domicilié au Québec et a reçu, hors du Québec, l'enseignement primaire en anglais". Il me semble que cela confirme ce que je vous disais.

Il est question de lieu et de niveau d'éducation des parents. Du côté de la Commission des droits de la personne, il n'y a pas de discrimination. Maintenant, je voudrais savoir, à la page 19 de votre mémoire, au chapitre des ordres professionnels, on dit que l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne relié à l'article 17 de la même loi démontre jusqu'à quel point le projet de loi 1 viole cette charte dans l'esprit et dans la lettre, est-ce que vous pourriez nous dire, précisément, en quoi cette loi no 1 viole la charte?

M. De Grandpré: L'article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne réfère aux articles 9 et 38, de 9 à 38. L'article 52 se lit comme suit: "Les articles 9 à 38 prévalent sur toute disposition d'une loi postérieure qui leur serait contraire, à moins que cette loi n'énonce expressément s'appliquer en lieu de la charte." Quand je regarde l'article 17, il est dit que "nul ne peut exercer de discrimination dans l'admission, la jouissance d'avantages, la suspension ou l'expulsion d'une personne, d'une association d'employeurs ou de salariés ou de toute corporation professionnelle ou association de personnes exerçant une même occupation." Ceci dit, je pense que...

M. Dussault: M. de Grandpré, vous ne parlez pas de la même chose que moi. Ce que vous dites, c'est quelque chose qui est relatif à l'article 172 sur lequel, d'ailleurs, le ministre a dit qu'on se penchera à la lumière du rapport de la Commission des droits de la personne. M. De Grandpré, est-ce que vous pourriez me dire la proportion d'employés québécois et ontariens qu'il y a dans la compagnie comme telle, Bell Canada, je ne parle pas des filiales, je parle uniquement de la compagnie Bell Canada?

M. De Grandpré: II y a 51 000 ou 52 000 employés à Bell Canada et il y en a à peu près 16 000 qui oeuvrent dans la région du Québec. Il y en a 1700 qui oeuvrent au siège social à Montréal. Les autres sont de l'extérieur du Québec. Alors, la proportion que j'indiquais tantôt de 35%-65%, comme étant la proportion des activités de la compagnie dans le Québec et à l'extérieur du Québec, on la retrouve là également, dans la proportion des employés en Ontario et au Québec. Si vous regardez également la page...

M. Dussault: Vous permettez que je vous pose une question additionnelle là-dessus?

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Châteauguay, six secondes, s'il vous plaît!

M. De Grandpré: La page 6...

M. Dussault: D'accord. Pour terminer, si vous me le permettez, parce que c'est complet en ce qui me concerne. Je voudrais savoir si cette proportion respecte la proportion au Québec des francophones et des anglophones engagés par la compagnie Bell Canada?

M. De Grandpré: Sans aucun doute. La proportion des francophones dans la région du Québec est supérieure à la proportion des francophones dans la province de Québec.

M. Dussault: Nous sommes 80% de francophones et 20% qu'on dit anglophones. C'est la même proportion qui est respectée au niveau du nombre de vos employés.

M. De Grandpré: Oui, je pense que nous sommes...

M. Dussault: Je parle de Bell Canada comme tel.

M. Cyr: Oui, il faudrait faire la distinction, parce qu'évidemment, Bell Canada ne couvre pas tout le territoire de la province, en particulier, ne couvre pas la Gaspésie, la Côte-Nord et l'Abitibi-Témiscamingue.

M. Dussault: Même là, dans le territoire que vous couvrez au Québec...

M. Cyr: Ce sont des territoires qui sont à prédominance francophone.

La proportion, dans le territoire de Bell Canada, de la région du Québec, de ce qu'on peut appeler des francophones avec ce que j'ai mis comme question tout à l'heure si on veut définir un francophone, est de 83%, je pense, à la fin du mois de mai.

M. Dussault: Je vous remercie.

Le Président (M. Cardinal): Merci à tous. Merci, M. De Grandpré, merci à ceux qui vous accompagnaient comme porte-parole de Bell Ca- nada. Cette audition a commencé à 20 h 57. Je pense que nous avons accordé à ce mémoire tout le temps qu'il mériterait. Merci...

M. Ciaccia: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: ...est que je pourrais vous demander une directive, s'il vous plaît?

Le Président (M. Cardinal): Oui.

M. Ciaccia: Est-ce que je peux vous demander de donner une directive au ministre, de prendre bien note des remarques de M. De Grandpré et de faire les changements qui s'imposent au projet de loi no 1?

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mont-Royal, non, je ne peux pas faire ça. Le député de Rouyn-Noranda, l'autre soir, m'a presque accusé de participer au débat. Alors, je ne ferai certainement pas ça. Votre message a été fait par mon intermédiaire au ministre.

M. le député de Pointe-Claire.

M. Shaw: Une question de directive, M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Pointe-Claire.

M. Shaw: II ne nous reste seulement que dix minutes. Je crois que ce serait peut-être mieux de garder pour demain les prochains...

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le député de Pointe-Claire. Nous verrons cela. Il faut d'abord que le prochain organisme que je vais inviter se présente devant nous, soit déjà devant nous pour qu'on décide de son sort. C'est une question préalable et normale.

Merci aux gens de Bell Canada. J'invite le Conseil des hommes d'affaires québécois à se présenter à cette table, mémoire no 4. C'est une question de consentement.

Est-ce que c'est Me André J. Bélanger?

Conseil des hommes d'affaires québécois M. Bélanger (André): Oui, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Me Bélanger, je vais vous prier, avant que nous décidions de la question du député de Pointe-Claire, d'identifier votre groupe, ceux qui vous accompagnent et vous-même et, ensuite, nous nous entendrons sur la façon de procéder, s'il vous plaît.

M. Bélanger: M. le Président, nous représentons le Conseil des hommes d'affaires québécois, dont je suis le président. Je m'appelle André J. Bélanger et je suis accompagné de MM. André Au-clair et André Charbonneau.

Le Président (M. Cardinal): Merci, monsieur.

Je reviens à la question du député de Pointe-Claire et je vous la pose, à vous. Est-ce que vous préférez commencer — nous ajournerons nos travaux normalement à 23 heures — ou si vous êtes d'accord pour revenir devant nous demain matin, à 10 heures. Et là, c'est une promesse, parce qu'il n'y aura pas de réunion au salon vert. Il n'y aura donc pas de procédure, nous commencerons dès le début?

M. Bélanger: M. le Président, nous serions prêts à commencer ce soir pour autant que cette commission nous permette de poursuivre — je pense à l'unanimité, à ce moment-ci — au-delà du temps requis; à défaut de cela, je dois par ailleurs vous informer que déjà, pour comparaître aujourd'hui, nous avons dû laisser d'autres occupations. J'ai dû, moi-même, quitter un procès en cours assez important, qui doit reprendre demain matin. Il nous est déjà très difficile demain matin, nous préférerions, si c'était possible, qu'une date ultérieure soit fixée ou que nous soyons reconvoqués, suivant les informations que vous pourriez nous fournir?

Le Président (M. Cardinal): Si je vous comprends bien, ou bien vous demandez à la commission — là, vous avez raison. Je suis obligé de demander le consentement — de présenter dès ce soir votre mémoire et, le cas échéant, les questions de la députation pourraient venir, éventuellement à une date ultérieure, ou bien si ce consentement n'est pas obtenu, de vous convoquer à nouveau.

M. Bélanger: C'est-à-dire que ce que nous voudrions, par exemple, s'il y avait consentement, qu'on termine vers minuit ou à minuit et qu'ensuite, nous n'ayons pas à revenir. A défaut de cela, je pense que, compte tenu de l'heure, il est plutôt inutile de scinder, d'autant plus que ce que nous voudrions communiquer à la commission n'apparaît pas en entier dans le mémoire qui a été produit, qui est le fondement de notre position quant à des précisions, quant au texte de loi lui-même, quant à diverses modifications et également quant à certaines précisions sur les prises de position qui ont pu être adoptées jusqu'à maintenant.

Compte tenu de tout cela, nous préférerions que le tout soit fait dans un seul temps, de façon que la commission puisse juger plus adéquatement notre mémoire.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Il me serait difficile de demander à la commission de siéger jusqu'à minuit. De toute façon, à minuit, tout serait terminé. Je demande simplement à la commission quelle est son intention...

M. Ciaccia: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: On ne veut pas causer d'ennuis aux invités, mais je vous ferais remarquer que le leader du gouvernement nous a imposé une cé-dule assez difficile. Il est allé contre les coutumes et usages du Parlement en nous obligeant à siéger le mercredi soir. Cela fait depuis lundi, 15 heures, que nous siégeons. Nous devons reprendre les travaux demain à dix heures. Je regrette, mais j'aimerais être en mesure de préparer un peu le travail de l'Opposition officielle. Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir donner mon consentement pour siéger après 23 heures ce soir.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Dans ce cas, comme il n'y a pas consentement unanime, je pense que vous préféreriez être convoqué à nouveau.

M. Bélanger: Oui, pour autant que nous en ayons une certaine garantie. Je vois le ministre hésiter. Je pense...

Le Président (M. Cardinal): Personnellement, je ne peux pas donner de garantie. Je regrette infiniment, mais j'ai déjà mentionné à plusieurs reprises qu'il n'y avait pas de rendez-vous devant une commission parlementaire, même si on avait de nombreuses occupations à l'extérieur.

Nous-mêmes, les députés qui sommes ici présents, employons treize heures par jour et plus à cette commission et nous-mêmes avons de nombreux rendez-vous.

M. Bélanger: Nous le savons, M. le Président. M. Paquette: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Le député de Rosemont.

M. Paquette: J'aurais une autre suggestion à vous faire. Je ne sais pas si les députés de l'Opposition seraient d'accord, puisque cela prendrait également le consentement unanime, je pense. Comme on n'est pas sûr de pouvoir revoir nos invités et comme ils ont attendu toute la journée et comme leur mémoire a une certaine importance, comme tous ceux qui nous sont présentés, qu'on se contente peut-être, de l'audition du mémoire ce soir et qu'on termine à 11 h 15.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rosemont, si Me André Bélanger est d'accord, je demanderai le consentement.

M. Bélanger: M. le Président, ce que nous demanderions, de toute façon, pour ce soir, c'est de nous remettre à demain matin. Nous allons aviser immédiatement après si nous pouvons être présents ou non. Je comprends qu'il y a quand même plusieurs autres organismes qui seront là demain matin. Nous ferons tout en notre possible pour que la comparution ait lieu si vraiment il n'y a pas d'autre solution.

Le Président (M. Cardinal): Me Bélanger, sur cette question, je puis répondre immédiatement.

Le règlement me permet d'ajourner immédiatement à demain 10 heures et de vous demander d'être là demain matin à 10 heures.

M. Bélanger: Le règlement vous le permet, si j'ai bien compris.

Le Président (M. Cardinal): Oui.

M. Bélanger: C'est la suggestion que je vous formule.

Le Président (M. Cardinal): Est-ce que la commission est d'accord? Alors, Me Bélanger, représentant le Conseil des hommes d'affaires québécois, l'on vous invite à être avec nous demain matin à 10 heures. Les travaux de cette commission sont ajournés à demain 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 56)

ANNEXE 1

Mémoire du Conseil du patronat du Québec

MÉMOIRE A LA COMMISSION PARLEMENTAIRE DE L'EDUCATION, DES AFFAIRES CULTURELLES

ET DES COMMUNICATIONS

SUR LE PROJET DE LOI NO 1 INTITULÉ

"CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE AU QUÉBEC"

Première partie — Considérations générales 1. Le Conseil du Patronat du Québec a été créé en 1969. Les membres qui élisent son Conseil d'administration sont 125 associations patronales professionnelles (verticales) et interprofessionnelles (horizontales), représentant tous les genres d'entreprises économiques, privées ou para-publiques, du Québec. La création du C.P.Q. est une conséquence, entre autres choses, de l'évolution de la société politique contemporaine, société dans laquelle l'Etat veut s'adresser à des porte-parole autorisés de chacun des groupes sociaux importants. Contre la dispersion traditionnelle des groupes patronaux, le C.P.Q. a pour tâche de coordonner les activités des diverses associations patronales et de dégager par la consultation une philosophie commune. Le C.P.Q. est ainsi devenu un lieu de concertation où se rencontrent des représentants des entreprises du Québec dans toute leur diversité. 2. Dès sa première année d'existence, le C.P.Q. a été confronté avec les problèmes linguistiques du Québec, et c'est au terme de cette première année qu'il soumettait un mémoire à la Commission Gendron. Par la suite, il devait recueillir les diverses opinions qui se formaient dans les entreprises à partir du rapport de cette commission, puis à l'occasion de la discussion d'une première loi sur les droits linguistiques et enfin lors des multiples consultations qui ont influencé la réglementation consécutive à cette loi sur la langue. D'une chose à l'autre, depuis 1969, le débat sur les questions linguistiques du Québec n'a jamais cessé, et c'est par une réflexion continue que les opinions ont pris leur forme définitive. Les positions que le C.P.Q. exprime aujourd'hui ne sont pas improvisées: elles sont le fruit d'une analyse détaillée de toutes les hypothèses imaginables et de toutes les contraintes qu'impose la réalité. Ces positions sont cohérentes et fermes, parce qu'elles ont été longuement mûries dans des débats difficiles. 3. Les principes qui ont guidé l'analyse que le C.P.Q. a faite de la réalité linguistique du Québec peuvent se résumer en trois propositions: a) PROMOTION DU FRANÇAIS

Le C.P.Q. est d'accord avec l'idée générale d'une action concertée entre l'Etat, les entreprises et les citoyens en vue de promouvoir l'usage du français au Québec et de parvenir à en faire la langue principale dans les activités économiques et culturelles. b) PROMOTION DES "FRANCOPHONES"

Mais le but concret que poursuit le C.P.Q., à travers la promotion du français, c'est d'abord et avant tout la promotion des "francophones". Ce sont les intérêts concrets des citoyens du Québec — dont la majorité sont des francophones — c'est leur bien-être et leur progrès que le C.P.Q. veut défendre. c) PROMOTION ÉCONOMIQUE DU QUÉBEC

C'est pourquoi, les moyens proposés pour assurer une évolution linguistique désirable doivent tenir compte des conditions de la vie et du développement économiques d'un Québec intégré à l'économie nord-américaine.

4. Attitude générale vis-à-vis du projet de loi no 1

A) Reconnaissance du bien-fondé des principes

Dans la mesure où l'intention du projet de loi no 1 est d'inscrire dans la vie concrète du Québec une présence toujours plus active du français et des francophones, le Conseil du Patronat l'appuie fermement. En particulier, il est d'accord avec les objectifs généraux suivants: droit de la majorité francophone de parler sa langue au travail et d'être servie dans sa langue caractère fondamentalement français de l'Etat du Québec nécessité de donner, par l'affichage et les autres textes exposés à la vue du public, une image fidèle de la réalité du Québec respect des minorités

B) Sur le choix des moyens

Cependant, dans le choix des moyens pour atteindre ces objectifs, le C.P.Q. croit que la "promotion du français" ne peut pas être considérée comme un absolu et que d'autres objectifs sociaux — les libertés démocratiques fondamentales, le progrès économique, le respect des minorités — doivent fixer les limites de l'intervention directe de l'Etat dans la vie des citoyens.

En particulier, nous voulons noter d'abord trois idées générales à propos du choix des moyens: a) tenir compte des facteurs autres que la langue dans la définition d'une politique linguistique

Le projet de loi no 1 porte sur la "promotion du français", elle veut généraliser l'usage du français dans toute la vie publique du Québec. Dans le choix des moyens, cependant, le législateur doit tenir compte des autres facteurs parmi lesquels est situé le facteur "langue" dans la vie d'une société donnée. Notamment, la "promotion de la langue française" doit être, dans le concret, réalisée en tenant compte des conditions du développement économique, des relations commerciales et technologiques du Québec avec l'ensemble de l'économie nord-américaine, du droit des citoyens du Québec de conserver et de développer le niveau de vie auquel ils sont habitués et les biens que leur procure l'intégration économique du Québec au continent nord-américain. Malgré que le législateur veuille parler spécifiquement du français au Québec, nous croyons qu'il ne peut aborder cette question dans l'abstrait. b) tenir compte du pluralisme de la société québécoise

Dans une loi qui parle spécifiquement du français, il paraît au premier abord naturel de ne pas spécifier les droits que l'on veut reconnaître par ailleurs aux anglophones, ni non plus la nécessité pour bon nombre de francophones du Québec d'avoir une bonne connaissance de l'anglais. Mais le fait de taire ces autres aspects de la réalité linguistique du Québec crée une ambiguïté qui affaiblit la "Charte de la langue française". Dans le concret, la place du français au Québec ne peut pas ne pas être relative à la place de l'anglais dans la science, la recherche et le commerce international, et à la place de l'anglais dans les relations du Québec avec le monde économique auquel il est intégré. Ne pas tenir compte de cet aspect des choses dans la rédaction de la "Charte", c'est simplement rendre cette Charte abstraite et irréaliste. Enfin, si on considère non pas "le français" séparément, mais les "francophones", il est loin d'être assuré que l'on travaille pour leur plus grand bien en réduisant leur monde culturel. Par contre, pour les "anglophones " qui, par l'effet de la loi, deviendraient bilingues, il s'agirait d'un développement culturel majeur. L'intention du législateur est respectable: faire porter le poids du bilinguisme par la minorité, et non pas par la majorité, comme dans n'importe quel pays du monde. Mais cette considération est incomplète, car la situation géographique du Québec place le Québécois francophone en position de minoritaire dès qu'il sort de son territoire, et l'unilinguisme français devient alors un obstacle majeur à la participation des Québécois francophones à la vie scientifique et économique internationale. c) Compter sur la collaboration et l'incitation, non sur la coercition

La promotion du français dans la vie économique du Québec ne se fera pas sans la collaboration continue des nombreux agents économiques. Dès l'abord, la Charte semble supposer que cette collaboration ne peut pas être obtenue par la concertation. Des objectifs généraux sont fixés, puis une machine administrative énorme serait mise en place pour imposer une réglementation; ensuite on parle d'enquêtes, de poursuites judiciaires, d'amendes et, enfin, d'interdiction d'exister pour les organismes qui ne respecteraient pas les objectifs fixés. Cette façon d'aborder la "promotion" d'une valeur culturelle de la part d'un gouvernement qui veut parler au nom d'une majorité, semble montrer un esprit défaitiste. En même temps que la loi affirme défendre les droits légitimes de la majorité, dans le respect des droits de la minorité, elle semble affirmer que la majorité n'a pas les moyens de

convaincre la minorité de la légitimité de ses objectifs. Il paraîtrait plus naturel d'essayer d'abord une démarche fondée sur la confiance réciproque et appelant la collaboration. 5. Principales préoccupations du C.P.Q.

A rencontre de certaines propositions de l'actuel projet de loi, pour tenir compte de la situation concrète dans laquelle doit s'inscrire notre volonté collective de promouvoir l'usage du français, le C.P.Q. veut présenter quatre propositions principales: 1- langue de l'école et mobilité des personnes de compétence nationale et internationale concevoir un régime scolaire qui rend toujours possible le recrutement national et international des compétences nécessaires à l'amélioration de la gestion de nos entreprises, à la recherche et à l'innovation technologique; 2- les permis éviter que l'obtention d'un permis quelconque soit conditionnelle à des considérations discriminatoires autres que celles pour lesquelles il a été spécifiquement créé (règle commerciale, contrôle financier, sécurité, santé, protection du public, etc.); 3- les sièges sociaux s'assurer que les sièges sociaux de sociétés faisant affaires à l'extérieur du Québec trouvent au Québec des conditions favorables à leur développement; de même, s'assurer que les sociétés nationales ou internationales, dont le siège social est à l'extérieur du Québec, aient avantage à faire du Québec leur principale place d'affaires pour le nord-est américain; 4- les responsabilités de l'entreprise définir le rôle et la composition des "comités de francisation" dans les établissements industriels de façon à ne pas introduire artificiellement des principes de gestion contraires à ceux habituellement utilisés dans notre milieu. Un "comité conjoint" ne peut être que consultatif, si l'entreprise, selon la loi, est tenue responsable de sa francisation. 6. Ce sont là les quatre points majeurs que le C.P.Q. a retenus des multiples consultations qu'il a faites auprès de ses membres. Une large unanimité s'est exprimée à propos de l'importance primordiale de ces quatre points pour la vie de l'entreprise au Québec. Ce souci n'est pas particulier à un type d'entreprises seulement. Sur l'ensemble des entreprises qui font la vie économique du Québec, celles qui sont en contact direct avec les centres de recherche et de développement internationaux et qui ont des rapports quotidiens avec Toronto, New York, Londres ou Paris représentent évidemment un nombre limité. Malgré cela, tous les chefs d'entreprises sont conscients que même une petite entreprise locale est dépendante du bon fonctionnement de l'ensemble du réseau économique. De plus, l'espoir de la petite entreprise locale est de se développer jusqu'à entretenir elle-même des relations commerciales internationales. Enfin, l'un des apports de l'Etat pour aider la PME à se développer est de lui faciliter l'accès à des marchés internationaux. Ainsi, dans toute la vie économique du Québec, au niveau de l'Etat autant que de l'entreprise, dans la petite entreprise autant que dans la grande, est présent ce souci de tirer, pour nous-mêmes, le meilleur profit possible de notre intégration à l'économie internationale, Les préoccupations qu'exprime le C.P.Q. à propos des conditions favorables au développement des entreprises sont donc largement partagées par l'ensemble des gestionnaires des entreprises québécoises, quelle que soit la stature de ces entreprises. 7. Ce n'est pas le but du C.P.Q. dans ce mémoire, de proposer au gouvernement la forme précise que devrait prendre la loi sur les droits linguistiques au Québec. Il veut faire part au gouvernement de ses objectifs et il fait confiance aux juristes et au législateur pour donner sa forme définitive à la loi. Nous passons quand même en revue, chapitre par chapitre, l'actuel projet de loi, non pas pour en faire une analyse juridique, mais pour avoir l'occasion de préciser les idées générales qui précèdent.

Deuxième partie — analyse du projet de loi Préambule "La langue française est depuis toujours la langue du peuple québécois", dit le texte actuel.

Cette proposition définit "le peuple" par la langue seulement. Dans son sens littéral, elle exclut du "peuple québécois" nombre de citoyens québécois. Dans un texte de loi, une formule aussi vague, pouvant se prêter à des interprétations contraires à la Charte des droits et des libertés de la personne, n'est pas satisfaisante. Le français est la langue de la "majorité des citoyens du Québec": Voilà un fait indiscutable, et qui explique que, dans le 3e paragraphe du même préambule, on puisse parler de "justice à l'égard des minorités" au Québec.

Chapitre II — droits linguistiques fondamentaux

Le chapitre II énumère certains droits linguistiques fondamentaux de la majorité francophone, mais ne mentionne aucun "droit fondamental" des minorités. Pourtant, le préambule de la loi avait annoncé spécifiquement l'intention du législateur d'instaurer "un climat de justice et d'ouverture à l'égard des minorités". Le fait de taire toute référence à l'existence de minorités crée une ambiguïté à propos des intentions réelles du législateur.

En général, les formules utilisées dans ce chapitre sont trop vagues pour trouver une application concrète précise. Qu'est-ce qui est inclus dans l'expression "les diverses entreprises exerçant au Québec?" Les nombreuses associations, syndicales notamment, qui n'ont pas de statut juridique sont-elles des "entreprises exerçant au Québec?" D'autre part, on parle, dans ce chapitre-ci, des "travailleurs", terme qui n'a pas de définition juridique. Le projet de loi parlera, par la suite, de "salarié", sans que l'on puisse établir s'il s'agit toujours du "salarié" au sens du Code du travail. Enfin, on parlera encore de "membres du personnel". Cet terminologie imprécise rendra l'interprétation de la loi difficile.

Chapitre III — la langue de la législation

Le projet de loi ne prévoit pas que les projets de loi seront présentés accompagnés d'une version anglaise. Or, dans notre système parlementaire, c'est à propos des projets de lois que la participation des citoyens est la plus importante. Pourquoi exclure, du processus démocratique de préparation des lois, une minorité de citoyens importante en nombre, importante historiquement, importante par son expérience et importante également par sa contribution économique?

Nulle part également il n'est prévu une version anglaise des différentes réglementations publiées dans la Gazette officielle, soit au moment de la consultation, soit au moment de leur application. Mais avec le technique des lois-cadres, la réglementation est souvent aussi importante que la loi. La version anglaise de la loi, sans la version anglaise de la réglementation, n'est pas toujours suffisante.

Nous considérons que ce chapitre devrait énumérer les textes officiels qui doivent être accompagnés d'une version anglaise, à savoir non seulement les lois, mais aussi les projets de lois, les règlements et avis dans la Gazette officielle.

Pour ce qui est de l'interdiction qui est maintenant faite aux personnes morales de plaider devant nos cours de justice dans la langue de leur choix, elle nous paraît une contrainte inutile. Nous nous interrogeons également sur l'article 13 qui veut que seul le texte français des jugements rendus au Québec soit officiel. Comment la version française d'un jugement rédigé en anglais peut-elle être considérée comme plus officielle que l'originale?

Ne s'agit-il pas là plus d'une volonté de restreindre l'usage de la langue anglaise, même dans des cas d'exception, que de la volonté de "promouvoir" le français?

Chapitre IV — la langue de l'administration

Article 15—16

Même si la langue officielle des textes et documents de l'administration est le français, bon nombre de ces textes et documents devraient être disponibles dans une version anglaise.

C'est le cas surtout lorsqu'il s'agit, par exemple, de documents portant sur des questions techniques ou sur la protection de l'environnement, et, à cet égard, l'article 16 devrait être élargi.

D'autre part, il nous paraîtrait plus juste de prévoir spécifiquement que les services de l'Etat s'adressant directement à un citoyen puissent être donnés à ce citoyen en anglais, à sa demande.

Article 23

Que la langue de l'administration dans les commissions scolaires dont les administrés sont anglophones, soit à peu près exclusivement le français, que les commissions scolaires de langue anglaise communiquent entre elles en français, etc., nous paraît une façon de brimer inutilement les droits de la minorité anglophone au Québec, sans pour autant promouvoir une utilisation du français plus satisfaisante pour les francophones.

En fait, la difficulté de cet article vient, non pas du fait d'imposer un certain usage du français dans les organismes publics au service des Québécois anglophones, mais du fait de vouloir imposer à ces organismes l'usage exclusif du français (sauf si la santé et la sécurité publique sont en cause). Que signifie, par exemple, l'affichage exclusivement français dans une école anglaise? Que signifie encore l'interdiction d'engager un professeur unilingue anglais pour enseigner l'anglais dans une école anglaise?

Chapitre V — la langue de certains organismes para-publics

Lorsque la loi précise que les ordres professionnels doivent communiquer en français avec leurs membres et le public, nous comprenons que d'aucune façon on n'entend prohiber l'usage complémentaire de l'anglais. Si tel est le sens de la loi, elle ne crée en principe aucune difficulté.

A souligner ici que, dans leurs communications avec leurs différents publics, bon nombre d'entreprises, d'associations ou d'ordres professionnels utilisent le français, mais en présentant sur le même document une version anglaise. Nous nous demandons si un tel procédé continuera d'être acceptable au sens de la loi no 1. Nous croyons que le procédé qui consisterait à faire tout document en français et à ajouter, dans certains cas, un autre document donnant la version anglaise, compliquerait inutilement les formules administratives et certaines communications de masse.

Article 30

Le Québec a déjà au-delà de 200 centres de recherche et de développement hautement spécialisés. Il a intérêt, non seulement à maintenir vivants ces centres, mais aussi à faciliter leur développement. On reproche aux pays les plus avancés dans la recherche scientifique de se contenter de fabriquer dans leurs succursales étrangères les produits qu'ils ont mis au point, et de ne pas exporter la recherche de pointe qui leur assure leur puissance future. Si le Québec a un pas de fait dans le sens d'une participation au développement scientifique et technologique mondial, il serait ridicule qu'il se place lui-même, par simple négligence, dans la position d'un pays totalement dépendant.

Or le personnel des centres de recherche et de développement se recrute partout dans le monde, et la langue commune de ces scientifiques, c'est l'anglais. Les lois du Québec n'y peuvent rien.

Nous considérons donc qu'une exception devrait être faite pour tous les centres de recherche et de développement, et que les professionnels invités à travailler dans ces centres ne devraient pas être assujettis à l'article 30. On pourrait spécifier que, lorsqu'un professionnel n'agit que pour un seul employeur et qu'il n'a pas de lien avec le public, l'article 30 ne s'applique pas.

Chapitre VI — la langue de travail

Article 36—37

Les articles 36 et 37 sont inutilement contraignants pour les employeurs. Nous ne nous opposons pas au principe de l'article 36. Nous trouvons cependant malsain de faire arbitrer une présumée infraction à la loi sur la langue par un commissaire-enquêteur en vertu du Code du travail. Outre le fait que dans une telle orientation, le fardeau de la preuve relèvera de l'employeur, cette disposition confond les problèmes de relations de travail et les problèmes inhérents à l'application de la loi no 1. Une telle confusion ne servirait ni la cause du français ni les intérêts des syndiqués. Les infractions présumées à la loi sur la langue pourraient devenir, dans certains cas, des armes de harcèlement dans un conflit ouvrier, rendant ainsi les relations de travail plus compliquées et faisant de la loi sur la langue une arme dans une lutte qui n'a aucun rapport avec la promotion du français. Pourquoi ne pas prévoir tout simplement que les infractions au chapitre VI de la loi sur la langue seraient traitées comme n'importe quelle autre infraction à la loi, avec les mêmes risques de poursuite.

Quant à l'article 37, il ne pourra qu'engendrer un fouillis administratif. Cet article obligerait l'Office de la langue française à avoir la description de tâches d'à peu près tous les emplois du Québec, entreprise par entreprise. Il s'agirait là d'une situation intolérable. Ce que nous proposons plutôt, c'est que la loi reconnaisse le principe qu'il est interdit à tout employeur d'exiger, pour l'accès à un emploi ou à un poste, la connaissance d'une autre langue que le français, à moins que l'accomplissement de la tâche nécessite la connaissance de cette autre langue. Il incombera à l'employeur de prouver que la connaissance de l'autre langue est nécessaire, à partir de ses propres descriptions de tâches et par l'analyse de ses besoins.

Dans le cas des articles 36 et 37, on devrait prévoir des recours devant un tribunal d'appel. La procédure alors proposée pourrait être du même type que celle que l'on trouve dans la Charte des droits et des libertés de la personne.

Chapitre VII — la langue du commerce et des affaires

Articles 41 — 42

Signalons immédiatement que cette partie de la loi semble être en contradiction avec certaines législations fédérales. En réalité, s'il n'y a pas de concordance entre les lois fédérales et les lois provinciales sur l'étiquetage, on place les entreprises dans la situation absurde d'être nécessairement dans l'illégalité, quoi qu'elles fassent. De plus, la proposition actuelle qui autorise l'Office de la langue française à réglementer toute la question de l'utilisation de la langue française et des autres langues obligera les entreprises à revoir tout ce qu'elles ont déjà fait pour se conformer aux règlements des gouvernements en ce domaine.

Comme il semble que la question relative à l'étiquetage ne crée actuellement aucun problème quant à la promotion réelle du français, n'y aurait-il pas lieu de continuer tout simplement dans le sens de la réglementation actuelle? Autrement, nous pourrions facilement en arriver à une situation où chaque entreprise devrait procéder à deux types d'étiquetage, l'une pour les produits distribués au Québec, l'autre pour les produits distribués ailleurs au Canada.

Article 46

L'article 46 pose le principe de l'affichage commercial uniquement en français. Une telle orientation peut être discriminatoire. N'est-il pas logique en effet qu'un client puisse être informé dans sa langue? Par ailleurs, des exceptions seront prévues dans la réglementation de l'Office de la langue française. Le paragraphe b) de cet article semble permettre toutes sortes d'exclusions. En effet, selon la définition que l'on donnera des mots "étranger", "particulier", et "groupe restreint", il sera possible d'obvier à l'aspect discriminatoire de cet article. Pour comprendre la portée réelle de cet article, donc, il faudrait connaître les règlements qui le préciseront. Et nous revoilà devant cette fâcheuse technique des lois-cadres par lesquelles de législateur délègue ses responsabilités aux technocrates de l'Etat.

Notons que toutes les grandes métropoles ont des "quartiers chinois", des "quartiers grecs", des "quartiers italiens", etc., qui se reconnaissent justement par l'usage de diverses langues dans l'affichage commercial. Ces quartiers sont un enrichissement pour une métropole. Le texte actuel de la loi pourrait avoir pour effet de détruire ces particularités, si la réglementation qui en sera tirée est très restrictive. Il vaudrait mieux, à notre point de vue, que le législateur définisse plus clairement ses intentions et laisse moins de marge d'interprétation aux concepteurs de la réglementation.

Articles 48—49—50

L'article 48 prévoit que seules les raisons sociales de langue française pourront être utilisées au Québec. Est-ce à dire que, sur les étiquettes, la version anglaise ne pourra apparaître? Si tel est le cas, l'entreprise ayant des marchés extérieurs devra adopter deux méthodes de marketing et deux séries d'étiquettes. En a-t-on estimé les coûts?

Enfin, l'un des problèmes dans la formulation française des raisons sociales vient des noms déjà anciens et connus internationalement. Quelles règles s'appliqueront dans ces cas? Une compagnie américaine, allemande ou hollandaise ne pourrait-elle pas utiliser son nom international au Québec? Une compagnie québécoise faisant affaire depuis nombre d'années sur le marché financier de New York devra-t-elle avoir un nom au Québec et un autre à New York?

Chapitre VIII — la langue d'enseignement

Le C.P.Q. ne peut accepter que les enfants de personnes de langue anglaise, qui viendront s'installer au Québec après l'entrée en vigueur de la loi, ne puissent inscrire leurs enfants à l'école anglaise. Rien ne nous paraît justifier, tant au plan de la promotion du français que sur le plan économique, une telle décision.

Outre que nous devons reconnaître que, pour s'épanouir, la communauté anglophone québécoise a besoin de se ressourcer à l'extérieur du Québec, il nous est essentiel de reconnaître aussi que, en empêchant les anglophones qui viendront s'installer au Québec d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, nous nous créons à nous-mêmes des difficultés économiques très réelles. Comment en effet serait-il possible dorénavant de déplacer des cadres de Toronto, de Vancouver, de Londres ou de New York vers Montréal, quand on songe que, dans la recherche de personnel de compétence internationale, Montréal est en concurrence avec toutes les grandes villes nord-américaines?

La loi actuelle doit donc aborder toute cette question de la langue d'enseignement avec une grande ouverture d'esprit. Elle doit tenir compte de la réalité géographique dans laquelle se situe le Québec, et des énormes ressources en capital humain et financier dont elle priverait le Québec si elle était trop coercitive. A cet égard, le législateur doit être le porte-parole de toute la collectivité québécoise, et non seulement du groupe majoritaire.

Le C.P.Q. avait soutenu, depuis 1969 jusqu'à cette année, la thèse du libre choix de la langue d'enseignement. A la suite de l'analyse des diverses propositions présentées au cours des dernières années à ce sujet, et au terme d'une nouvelle consultation de ses membres, le Conseil d'administration du C.P.Q. a adopté, en mars de cette année, une position révisée comportant les trois éléments suivants: 1- "Liberté de choix de la langue d'enseignement pour tous les résidents canadiens actuels" 2- "Après la promulgation de la loi, tous les nouveaux immigrants au Québec, autres que ceux d'ascendance anglophone ou francophone, devront s'intégrer à l'école francophone, sous réserve cependant qu'il est essentiel que les programmes scolaires soient restructurés pour dispenser un meilleur enseignement de la langue seconde, tant française qu'anglaise, aux étudiants des deux réseaux scolaires." 3- "Des dispositions de "résistence temporaire" devront être prévues."

Chapitre IX — dispositions diverses

Article 61

L'article 61 pose à nouveau le problème d'une version anglaise de la réglementation et des avis publiés dans la Gazette officielle. Nous répétons notre idée qu'une mauvaise information des citoyens québécois de langue anglaise ne contribue pas à la promotion du français et brime inutilement un groupe important de citoyens, qui doivent rester des citoyens à part entière.

Titre II — l'office de la langue française et la francisation Chapitre II — l'office

Nous ne pouvons accepter que le législateur accorde autant de pouvoirs discrétionnaires à un organe administratif de l'Etat, comme l'Office de la langue française. En fait, cet Office aurait un droit de vie et de mort sur toute entreprise du Québec, puisqu'il décidera à partir de sa propre réglementation si l'entreprise obtiendra les permis exigés par les autres lois du Québec pour des raisons de protection du public, de sécurité industrielle, d'éthique commerciale, etc. Cette seule idée, d'ailleurs, que la réglementation de l'Office de la langue supplanterait toutes les autres considérations quand il s'agit d'accorder des permis dans notre société par ailleurs surréglementée (permis de construire, permis de vendre de l'alcool, permis d'exploiter un commerce, etc.), nous paraît être énorme et disproportionnée. Peut-elle être même fondée en justice? L'exigence d'un permis qui a été imposée par le législateur pour, par exemple, délimiter le territoire dans lequel une entreprise peut exercer ses activités, pourrait-elle en toute justice être détournée de sa fin par une nouvelle loi ou même par un règlement d'un organe administratif de l'Etat?

De plus, selon le texte actuel du projet de loi, aucun recours contre cet Office n'est possible, ni au ministre, ni à un tribunal d'appel. Une telle situation est totalement inacceptable. On peut se demander pourquoi le gouvernement, qui veut instituer un droit d'appel contre les décisions de la Commission des accidents du travail devant le tribunal des Affaires sociales (Bill 5), ne prévoit pas, au nom des mêmes principes, un tribunal d'appel dans les questions aussi importantes pour l'entreprise que celles soulevées dans la loi no 1. Les questions qui sont ici mises en cause sont beaucoup plus importantes que celles qui relèvent 3e l'impôt: pourtant les décisions des services de l'impôt peuvent faire l'objet d'un appel.

Chapitre III — francisation des services et entreprises

Dans ses grandes lignes, et à condition d'introduire sous une forme ou une autre un droit d'appel, le C.P.Q. reconnaît comme valable le contenu des articles 95 à 112, sous réserve des commentaires majeurs suivants:

Article 95

Est-ce que l'échéance de 1983 prévu à l'article 95 est vraiment réaliste?

Article 106

L'article 106, paragraphe a), ne saurait d'aucune façon être acceptable pour les entreprises, lorsqu'il y est question des permis. Comme nous avons dit déjà, l'obtention d'un permis quelconque ne doit pas être conditionnel à des considérations discriminatoires autres que celles pour lesquelles il a été spécifiquement créé (règle commerciale, contrôle financier, sécurité, santé, protection du public, etc.).

Si l'Office ou le gouvernement le voulait, il serait possible, par le seul refus de certains permis, de mettre en cause l'existence même des entreprises.

Article 112

L'article 112 prévoit l'augmentation du nombre de Québécois au sein des conseils d'administration. Une telle proposition est ambiguë. Quel degré de francisation et de francophonisation des conseils d'administration veut-on atteindre? Et si "Québécois" veut dire: tout résident actuel du Québec, dont les anglophones à qui on n'entend pas nécessairement demander, compte tenu de certaines circonstances, l'apprentissage du français, de quelle façon s'établit l'équilibre avec cette autre partie de la phrase qui dit: "de manière à assurer la généralisation de l'utilisation du français?"

Il faudra, à ce sujet, tenir compte des entreprises nationales qui, même si leur siège social est au Québec, font la majorité de leurs affaires en dehors du Québec, et ont des actionnaires dans tout le pays et à l'étranger. De façon générale, les lois et règlements sur l'ethnie des membres du conseil d'administration doivent quand même être respectueux de la liberté des actionnaires, si l'on ne veut pas que les entreprises privées du Québec soient dans une situation défavorable par rapport à leur concurrents canadiens ou américains.

Article 113

Les réserves que fait cet article à l'égard des sièges sociaux sont déjà excellentes en soi. Cependant, elles ne nous paraissent pas aller assez loin. En plus des sièges sociaux eux-mêmes, il faut considérer divers cas particuliers comme, par exemple, le siège canadien d'une société internationale ou le siège régional pour l'est du Canada d'une société nationale ou internationale. En général, il faut souhaiter que la loi soit assez souple pour permettre une analyse précise de chaque genre d'entreprises, et pous adapter les programmes de francisation à diverses situations.

L'usage de l'anglais est essentiel pour toutes les entreprises dont le siège social ou régional est au Québec, de même que pour toutes celles qui entretiennent des relations avec l'extérieur du Québec.

Pour cette raison, il ne saurait être question de les assujettir au même programme de francisation et de francophonisation que l'on entend élaborer pour les établissements du Québec qui n'ont pas de relations importantes avec l'étranger.

Nous suggérons fermement ici que les dispositions actuellement applicables aux sièges sociaux, soit en vertu de l'ancienne législation, soit en vertu de l'ancienne réglementation, continuent de s'appliquer.

Le contenu tant de l'ancienne loi que de l'ancienne réglementation avait fait l'objet de mille et une discussions qui avaient permis de rendre applicables les programmes de francisation des sièges sociaux et des centres de recherche et de développement, sans pour autant compromettre la situation économique de ces entreprises.

Les articles 114—115—116

Le Conseil du Patronat est d'accord avec l'idée d'impliquer les employés dans la francisation des entreprises. Cependant, il trouverait nuisible — et pour la saine gestion des entreprises et pour l'objectif même de la francisation — d'introduire, par le biais de la loi sur la langue, un nouveau partage du pouvoir au sein des entreprises, partage du pouvoir auquel ne correspond pas le partage réel des responsabilités. Cette intervention directe de la loi sur la langue dans le mode de gestion des entreprises créerait plus de difficultés qu'elle ne servirait la cause du français.

En particulier, quand le projet de loi propose de faire nommer certains membres du comité par les syndicats, il ne tient manifestement pas compte de la complexité de la situation syndicale dans nombre d'entreprises, et, en fait, propose un moyen inapplicable. Que fera l'entreprise qui, par exemple, fait affaire avec une dizaine de syndicats, dont certains sont des rivaux irréconciliables?

Mais revenons au principe fondamental mis en cause. Comment peut-on accepter qu'un comité, dont une partie des membres n'a de compte à rendre à personne à l'intérieur de l'entreprise, et qui ne peut pas être tenu responsable de la bonne marche ou des difficultés de l'entreprise, reçoive de l'extérieur le mandat de déterminer la politique de l'entreprise sur des sujets pouvant s'étendre à toutes ses activités? Cette orientation est purement et simplement inacceptable pour la très grande majorité des entreprises du Québec. Quoi qu'on puisse dire en théorie sur le dévouement des syndicats pour les bonnes causes, nous avons appris par l'expérience qu'il arrive à des syndicats d'exploiter tous les avantages qu'ils ont dans une entreprise à des fins de revendications économiques. Les intentions n'y changeront rien: dans les faits, il arrivera que la langue devienne un prétexte parmi d'autres pour atteindre des objectifs sans rapport avec la promotion du français. Nous serions les plus heureux du monde si nous pouvions compter, en tout temps, sur un absolu respect des règles établies dans les relations entre l'entreprise et les représentants des salariés. Mais ce serait de l'angélisme que de discuter sur cette base. Nous comprenons mal qu'un gouvernement qui a le double souci de défendre la langue française et de restaurer la paix industrielle veuille introduire une question aussi explosive que la langue dans un cadre aussi profondément conflictuel.

En contre-partie au retrait de ces trois articles, le législateur devrait exiger des entreprises, dans la loi elle-même, d'informer constamment les travailleurs de la progression des travaux de francisation de l'entreprise. Il pourrait même prévoir la mise sur pied de comités consultatifs à l'image de quantité de comités de ce type qui existent déjà dans l'entreprise.

Titre III — La commission de surveillance et les enquêtes

Quel que soit le contenu de la loi et de la réglementation sur la langue, il faudra, bien sûr, que l'Etat possède des moyens de surveillance et de contrôle. Est-il nécessaire d'imaginer, pour ce faire, une commission autonome qui aura tendance à se développer pour elle-même, indépendamment de son utilité réelle? Est-il nécessaire de prévoir dès le point de départ un organisme de ce genre, comme si l'on savait d'avance que la loi sera difficile d'application et exigera une surveillance tâtillonne? En fait, l'Office ne peut accomplir sa tâche sans relation directe avec les divers organismes qu'il réglemente et sans une connaissance exacte de la réalité. Pourquoi les moyens de l'Office ne seraient-ils pas suffisants?

Mais, quoi qu'il en soit des techniques d'enquête, il est inadmissible que les décisions administratives qui pourraient se fonder sur ces enquêtes ne puissent pas donner lieu à un appel. Les meilleurs enquêteurs du monde peuvent ne pas voir certains aspects de la réalité. Les personnes en cause ont droit de se faire entendre, de contester le bien-fondé d'un rapport d'enquête ou d'en appeler d'une décision administrative faisant suite à un rapport d'enquête. Le projet de loi no 1 doit reconnaître ces droits fondamentaux.

Titre VI — Dispositions transitoires et finales

L'article 167 de cette section est discutable. En effet, on accorde une plus longue période pour se conformer à la loi à ceux qui n'ont rien fait en ce domaine depuis le 31 juillet 1974. Le moins que l'on puisse demander est que toutes les entreprises soient mises sur le même pied.

C.P.Q.

Montréal, juin 1977

ANNEXE 2

Mémoire présenté par

La Fédération des travailleurs du Québec

A la Commission parlementaire

Chargée d'étudier

Le projet de loi no 1

Préambule

Les organisations patronales mènent la marche dans la bataille contre le projet de loi no 1, contre l'affirmation linguistique du peuple québécois. Il fallait s'y attendre. La fureur du patronat est d'autant plus grande que le nouveau Gouvernement du Québec a rompu avec la pratique établie: plus de rencontres de couloir; plus de négociation privée des projets de loi linguistiques avec les maîtres du Québec avant d'en saisir la population.

Tirant profit de la situation économique pénible du Québec, les groupes patronaux cherchent à effrayer les travailleurs québécois, et pratiquent un chantage éhonté. Que n'a-t-on pas entendu? Exode de capitaux, fermetures d'usines, marges de profit rasées par le coût des opérations de francisation, compétences qui ne parlent qu'anglais, pertes d'emplois et chômage endémique... Comme si l'absence de politique de francisation nous avait valu le plein emploi...

Et voilà que défilent les enquêtes, les sondages effectués auprès des directions d'entreprises. Voilà qu'en nombres précis les emplois se perdent et se retrouvent selon que le projet de loi sera ou non adouci. Comme si nous étions en face de pronostics objectifs, indépendants des opinions et des intérêts des directeurs d'entreprises, en-dehors de la campagne organisée contre le projet de loi no 1 qui agite le Québec...

La Fédération des travailleurs du Québec appuie profondément le projet de Charte de la langue française au Québec, et nous lançons un appel aux travailleurs québécois pour qu'ils ne se laissent pas prendre au jeu des sondages alarmistes, des déclarations catastrophistes. Notre appui au projet de loi est inconditionnel, et les réserves mineures que nous émettons ne font que témoigner de l'éclairage particulier que nous donne notre champ d'activité.

Le débat public qui s'est engagé autour du Livre Blanc puis du projet de loi nous a permis d'assister à la solidarisation instinctive et immédiate des petits et grands patrons francophones avec le grand patronat anglophone. Bien peu nombreux sont les représentants francophones du monde patronal qui se démarquent de la campagne d'opinion anti-bill 1. Face aux intérêts économiques qui possèdent le Québec à l'étouffer, l'absence d'autonomie de notre bourgeoisie locale est flagrante.

La FTQ possède un certain nombre de convictions en matière de francisation des entreprises, que nous voulons énumérer. La première, c'est que malgré des améliorations notoires, sur le plan de la francisation, qu'ont vécues les employés de plusieurs grandes entreprises installées au Québec, cela n'a pas suffi pour changer de façon durable et profonde les règles du jeu en faveur de la majorité.

La seconde, c'est que tous les secteurs industriels sont virtuellement francisables. Nous reconnaissons que dans certains secteurs, le processus peut être plus long, plus complexe. Nous reconnaissons aussi que, pour certaines opérations, dans certaines entreprises, l'idéal de francisation défini dans la charte pourra difficilement être atteint, et qu'il faudra alors viser au niveau de francisation maximale qu'il sera possible d'atteindre.

Nous sommes enfin convaincus que le Gouvernement adoptera une attitude souple et qu'il saura, devant des contraintes inévitables, faire preuve de compréhension. Nous sommes tout aussi convaincus que nombre de témoignages patronaux entendus à ce jour déculpent les problèmes, déforment la réalité. Ce n'est pas en plein débat que nous pourrons collectivement y voir clair. La seule chose à faire, c'est d'adopter une loi énergique, complète, précise, laissant place à des accommodements qu'il sera bien temps, plus tard, d'accepter d'introduire dans des cas particuliers. La francisation du Québec ne doit pas se négocier. A nous toutefois d'en amoindrir les coûts sociaux.

Nous savons gré au Gouvernement du Québec d'avoir brisé, dans sa charte linguistique, avec la tradition de quémandage et surtout de laisser-faire des précédents gouvernements. Le patronat a vu, avec raison, dans quelques articles du projet de loi, des intrusions inédites au Québec dans le fonctionnement interne des entreprises, dans ces droits de gérance sacrés auxquels les syndicats se heurtent continuellement. La FTQ félicite le Gouvernement d'avoir su introduire ces éléments de nature dirigiste, car le passé nous a prouvé qu'ils étaient nécessaires. Nous voyons dans cet interventionnisme et cette coercition une condition de départ à la francisation réussie du Québec.

Pour nous, le respect de la langue et de la culture de la majorité est une responsabilité sociale de l'entreprise. Il y en a d'autres, tout aussi importantes; qu'il s'agisse de la santé des travailleurs ou de leur droit à travailler dans leur langue, si les entreprises se refusent à assumer ces responsabilités, l'Etat doit les y contraindre.

Les acteurs dans ce débat linguistique sont bien identifiés, et les enjeux sont clairs. Les travailleurs et leurs représentants n'ont choix que d'appuyer le Gouvernement dans cette difficile mais nécessaire opération de francisation qui origine de la situation de domination économique du Québec, et qui provoque les grenouillages désespérés de ceux qui ont quelque chose à y perdre. Ce n'est pas une

révolution; la langue du pouvoir économique ne changera pas pour autant. Il s'agit tout simplement d'obliger les détenteurs de capitaux à respecter la dimension culturelle et linguistique des travailleurs majoritairement francophones du Québec. Pour la FTQ, c'est une décision historique dont nous soulignons l'importance.

INTRODUCTION

La Fédération des travailleurs du Québec représente environ 350,000 travailleurs qui sont membres de sections locales québécoises de syndicats canadiens et internationaux, ces derniers recrutant leurs membres aux Etats-Unis et au Canada. Non seulement la FTQ est-elle reliée à des structures syndicales à dimension nord-américaine, mais encore l'immense majorité des travailleurs québécois à l'emploi de multinationales opérant au Québec sont-ils membres de nos syndicats.

La FTQ est le seul organisme habilité à parler au nom de l'ensemble des membres québécois de ces syndicats, qui viennent de secteurs industriels très variés et qui nous sont majoritairement affiliés:

Malgré que la FTQ recrute ses affiliés dans des secteurs extrêmement diversifiés, c'est un point de vue qui fait l'objet d'un large consensus que nous présentons aujourd'hui à cette commission de l'Assemblée nationale chargée d'étudier le projet de loi numéro 1.

Réuni le 12 mai dernier, le Conseil général de la FTQ — instance suprême entre nos congrès — approuvait dans son ensemble la Charte de la langue française au Québec. L'intérêt de la FTQ pour la question linguistique n'est toutefois pas si récent, puisque dès 1969 nous réclamions, par une résolution adoptée en congrès, une politique visant à faire du français la langue de travail. Nous avons d'ailleurs

toujours considéré, à la FTQ, que la francisation des milieux de travail, serait le pivot de la francisation de la société québécoise, et c'est donc sur cet aspect, qui nous touche de près, que nous nous sommes attardés lors de nos interventions publiques.

Plusieurs groupes de travailleurs affiliés à la FTQ ont mené des luttes pour obtenir le droit de néqocier ou travailler en français. Les métallos d'Atlas Steel jouèrent un rôle de précurseurs, lorsqu'en 1963 ils revendiquèrent—et obtinrent — de faire du français la langue des relations de travail. Les membres des Travailleurs unis de l'automobile, en 1970, ouvriers de General Motors à Sainte-Thérèse, contribuèrent beaucoup à faire ressortir l'impuissance du Gouvernement du Québec face au colonialisme linguistique dont nous étions l'objet. Il y eut d'autres conflits, d'autres groupes de travailleurs qui essayèrent de faire respecter, sans appui gouvernemental, les droits du français au travail; il y eut Tolhurst, United Aircraft, le PSBGM, et beaucoup d'autres.

En 1971, la FTQ présentait un mémoire à la Commission Gendron dans lequel nous définissions avec précision les éléments constitutifs d'une telle politique de francisation. En 1974, nous présentions notre point de vue au Gouvernement au cours du débat sur le projet de loi 22.

La FTQ condamnait la démarche adoptée par le précédent gouvernement dans la préparation de la loi 22, notamment dans les aspects suivants: caractère non universel de la législation sur la francisation des milieux de travail, action strictement incitatrice et assortie de nombreuses tolérances injustifiées et d'arbitraire, imprécision des objectifs et des normes utilisés, danger d'institutionnalisation du bilinguisme... Le règlement sur la francisation des entreprises qui couronna en quelque sorte la Loi 22 se révéla être de la même encre que la loi et tout aussi inacceptable aux yeux de notre centrale.

Il nous est rarement arrivé, à la FTQ, de pouvoir exprimer un accord aussi total face à un projet de loi. Nous retrouvons dans la Loi numéro 1, au chapitre de la langue de travail et de la francisation des entreprises, les éléments de politique très précis que nous réclamions en 1971, et l'ensemble de la démarche du Gouvernement répond exactement à nos souhaits.

Dans ce bref mémoire, la FTQ s'attachera à étudier les aspects du projet de loi qui concernent spécifiquement notre pratique quotidienne, donc la francisation des milieux de travail, la langue du travail et des relations de travail, l'application des objectifs mis de l'avant, ainsi que les problèmes reliés à la conception des droits individuels et collectifs.

1. Discrimination, droits individuels et droits collectifs

En tant que centrale syndicale, et à ce titre préoccupés par le respect des droite fondamentaux des citoyens du Québec, nous ne pouvons pas rester indifférents au débat mettant en cause la Charte des droits de la personne et la Charte de la langue française au Québec.

Autant il nous apparaît qu'il s'agit là d'un débat important et que des esprits ouverts ne peuvent esquiver, autant nous nous élevons contre l'utilisation abusive et déformatrice des principes démocratiques fondamentaux à laquelle se livrent des adversaires du projet de loi numéro 1. Là où il y a traitement différencié de groupes ou d'individus, il n'y a pas nécessairement discrimination, et il est impossible de faire avancer le débat sans définir au préalable les concepts en cause. 1.1 Le problème de l'article 172

Faisant l'analyse que la mention du critère linguistique comme motif de discrimination allait ou était susceptible d'aller contre le projet de loi numéro 1, le Gouvernement a choisi, par l'article 172, de modifier la Charte des droits et libertés de la personne. Cette modification, en supposant qu'elle soit la conséquence d'une analyse fondée en droit, constitue en fait une attaque au caractère semi-fondamental de la Charte des droits. Les adversaires du projet de loi ont rapidement profité de l'occasion pour déclarer, article 172 à l'appui, que la Charte de la langue, dans sa globalité, violait les droits démocratiques fondamentaux, ce qui est faux et excessif. La FTQ, de même que le Parti Québécois du temps où il était dans l'opposition, réclamait que la Charte des droits ait un caractère fondamental; nous avons de plus dénoncé le Gouvernement Libéral lorsqu'il a, dans des législations punitives à l'endroit d'organisation syndicales, passé outre à la Charte en se prévalant de l'article 52 de ce document législatif, et nous avons de plus réclamé l'amendement de lois antérieures à la Charte qui violaient les droits fondamentaux qu'elle reconnaissait.

Dans la ligne de ces positions, la FTQ ne peut pas approuver le moyen utilisé par le Gouvernement pour contrer le problème apparent ou réel de non-concordance entre ces deux Chartes, car il contribue à relativer le caractère semi-fondamental de la Charte des droits. Il nous apparaîtrait plus conforme au respect des droits démocratiques qui a toujours animé ce parti maintenant au Gouvernement d'amender plutôt la Charte des droits, dans un processus législatif indépendant de la législation linguistique. 1.2 Une définition de la discrimination

L'actuel débat autour des droits de la majorité et de ceux de la minorité nous a permis de nous rendre compte à quel point le cas de la société québécoise était particulier. L'articulation des

droits reconnus des minorités avec le droit d'un peuple majoritaire à protéger son identité est particulièrement pénible au Québec.

D'une part, la minorité anglophone détient une position de domination économique; d'autre part, et conséquemment, la minorité anglophone jouit de privilèges institutionnalisés, qu'elle est venue à considérer comme des droits, les autres minorités ethniques ne jouissant pas de ces privilèges. Les multiples déclarations internationales sur les droits fondamentaux mentionnent comme critère de détermination de la discrimination celui de la langue, de même que notre Charte des droits à l'article 10. Les droits des minorités de protéger leur identité, leur culture et donc leur langue sont également reconnus.

Il nous apparaît que le projet de loi no 1 ne contribue en rien à nier à des membres des minorités linguistiques l'accès à des droits démocratiques fondamentaux (droits judiciaires, sociaux, etc..) et qu'il n'y a donc là rien de discriminatoire, nonobstant la maladresse de l'article 172. Le fait d'avoir des exigences de connaissance de la langue française pour un emploi dans l'administration publique, par exemple, n'est qu'une qualification exigée de bonne foi, compte tenu de la langue de la majorité; il importe toutefois que ce principe soit appliqué judicieusement, et que les exigences tiennent compte de la nature de l'emploi.

De même, nous pensons qu'un traitement discriminatoire à l'endroit de la minorité anglophone ou de toute autre minorité ethnique serait de leur refuser le droit d'avoir leurs associations culturelles, sociales, politiques et éducatives. Aucune convention internationale ne pourrait d'ailleurs justifier un réseau scolaire public fonctionnant dans une autre langue que celle de la majorité, ni consacrer le droit des minorités et des individus les composant à l'accès à tel réseau. La Charte de la langue définit donc un traitement extrêmement avantageux pour les minorités du Québec, et particulièrement la minorité anglophone. Consacrer en droits les privilèges de la minorité serait porter atteinte, compte tenu de la conjoncture, aux droits collectifs de la majorité, dont la position nous semble actuellement plus menacée que celle de la minorité anglophone.

2. Les droits conférés aux travailleurs 2.1 Le droit de travailler en français

La FTQ appuie globalement l'énoncé des droits linguistiques fondamentaux du Chapitre II du projet de loi, et particulièrement l'article 4 sur le droit de travailler en français. Le caractère fondamental et universel conféré à ce droit légitime au Québec était indispensable. De même, nous appuyons l'article 33 sur la possibilité "d'exiger que soient rédigées en français les communications écrites" adressées par l'employeur. Toutefois, il va de soi pour la FTQ que seul le travailleur syndiqué pourrait véritablement et impunément se prévaloir de cet article de la loi, la solution à ce problème résidant dans d'autres législations. Nous notons de plus la souplesse de l'article 33 qui n'empêche nullement l'usage d'une langue autre que le français, et qui exclut les communications verbales.

Nous applaudissons également aux articles 36 et 37 (1), qui reprennent des demandes déjà formulées par la FTQ, et qui empêchent les employeurs de se livrer à des pratiques discriminatoires à l'endroit des travailleurs francophones dans la distribution des affectations. Nous apprécions particulièrement que le fardeau de la preuve retombe sur l'employeur. Ces dispositions peuvent apparaître dures pour un observateur de l'extérieur ou ignorant des réalités du monde du travail québécois. Compte tenu des réalités économiques dans lesquelles nous vivons, et de la sujétion collective des travailleurs francophones, nous croyons que ces dispositions sont actuellement indispensables, tout en espérant que le jour où elles seront superflues ne soit pas trop lointain. 2.2 Langue des associations de salariés

La FTQ appuie l'article 39 du projet de loi no 1, qui consacre le droit aux salariés d'exiger de leurs associations qu'elles communiquent avec eux dans la langue officielle.

Nous pouvons affirmer, à la FTQ, que l'immense majorité de nos affiliés qui, répétons-le, sont reliés à des organisations nord-américaines et canadiennes, ont pris des mesures pour rendre justice à leurs membres québécois et leur donner des services dans leur propre langue. Il nous faut reconnaître que, dans certains cas, des travailleurs québécois éprouvent encore quelques difficultés à se procurer — par exemple — certains documents officiels dans leur langue, ou encore certains services spécialisés.

Cela ne nous empêche pas d'approuver la démarche du Gouvernement, et d'être d'accord avec l'introduction d'une certaine coercition auprès des associations de salariés. En ce qui concerne nos affiliés, nous considérons que la plus grande partie du chemin de la francisation est faite; la loi no 1 nous aidera à parcourir le chemin qui nous reste, en établissant clairement, aux yeux de tous nos camarades syndiqués américains et canadiens, que le Québec est un territoire français. 2.3 Langue des relations de travail

Les articles 34 et 35 du projet de loi sont conformes aux positions exprimées par les représentants syndicaux au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Le Gouvernement a pris soin de donner un délai avant l'application de ces articles (juin 1978), qui stipulent que seule la version française des documents est officielle; ce délai est inspiré par le réalisme.

Nous apprécions enfin l'article 38 du projet de loi qui protège de toute interprétation des articles précédents les droits acquis des salariés et de leurs associations. Cette précision répond à une de nos préoccupations fondamentales. 2.4 L'intégration dans les conventions collectives

L'article 40, tel que libellé au projet de loi, sur l'intégration dans les conventions collectives du chapitre sur la langue du travail, a soulevé des débats à la FTQ. Malgré que nos militants comprennent et partagent l'objectif poursuivi par le Gouvernement, il est difficile pour eux de ne pas être craintifs face au principe que cette modalité met en cause.

Les conventions collectives que nos syndicats signent sont le résultat d'une négociation fondée sur un rapport de force; chaque convention constitue fondamentalement un ensemble de clauses que chaque partie a choisi d'y voir. La FTQ ne peut donc pas accepter cet article tel que libellé, car il constitue un précédent allant contre l'esprit de notre droit du travail, sans compter que ce précédent pourrait être invoqué éventuellement pour imposer une autre clause aux syndicats, laquelle ne susciterait pas un accord aussi unanime que les dispositions de cet actuel projet de loi.

D'autre part, nous saisissons bien l'intention du Gouvernement, qui est de permettre aux syndicats de régler des différends relatifs à la langue de travail par l'intermédiaire de la procédure de griefs, ce qui accélère les procédures et décharge d'autant l'appareil administratif que le Gouvernement mettra en place pour surveiller l'application de la loi. La FTQ est parfaitement d'accord avec cet objectif, à cette nuance près:

Le travailleur plaignant ou le groupe de travailleurs plaignants ne doivent pas être obligés d'utiliser le recours du grief et peuvent choisir d'utiliser prioritairement les autres recours prévus par la loi. Le syndicat est maître des griefs et peut préférer pour des raisons financières ou stratégiques ne pas utiliser la procédure de griefs. Pour assurer le respect de la loi et des droits individuels, il faut donc que les travailleurs syndiqués aient un égal accès aux autres recours.

(1) Article 36; interdiction de congédiement ou rétrogradation.

Article 37: obligation pour l'employeur de justifier l'imposition de la connaissance de la langue anglaise comme critère d'embauche.

Compte tenu de cette importante nuance, La FTQ demande au Gouvernement de modifier légèrement son orientation en donnant aux syndicats le droit de poser un grief sur le chapitre sur la langue du travail sans l'inclure dans les conventions collectives. Selon nous, ceci pourrait se faire par le biais d'une nouvelle formulation de l'article 40, qui pourrait être la suivante: "Les articles 33, 36, 37 et 38 du Chapitre VI de la Loi 1 peuvent être l'objet d'un grief au sens du Code du travail, au même titre que le texte d'une convention collective." 2.5 Les travailleurs non francophones

La FTQ donne son appui au projet de loi no 1 en étant consciente des problèmes pratiques que suscitera l'application de la loi. Nous sommes particulièrement sensibles aux problèmes qui peuvent se poser dans les milieux de travail où les minorités ethniques sont importantes. 2.5.1 L'apprentissage du français

Le projet de loi no 1, de par sa précision et sa fermeté, annonce l'époque où les cadres, dont les fonctions les amènent à communiquer avec de larges fractions du personnel, devront parler le français: les anglophones devront donc, à l'avenir, posséder une connaissance suffisante du français pour avoir accès aux promotions. Tout cela nous semble normal et acceptable. L'expérience de francisation des années passées dans plusieurs entreprises nous a donné de nombreux exemples d'entreprises donnant à leurs cadres la possibilité d'apprendre le français sur les heures de travail, sans perte de salaire. Nous croyons que les entreprises multiplieront pour les cadres les occasions d'apprendre le français dans les meilleures conditions. On peut cependant douter fortement que de semblables mesures seront prises à l'avantage des travailleurs de la base non francophones, qui n'auront pas accès à cette possibilité d'enrichissement personnel, et qui risqueront de voir leur échapper un certain nombre d'emplois qui leur étaient auparavant accessibles. L'ignorance de la langue française par bon nombre de travailleurs québécois et néoquébécois est un fait acquis et est la résultante d'un ensemble de facteurs. Délaissant les facteurs individuels, nous voyons trois grandes raisons à cette situation. La plus importante est sans doute l'attraction exercée par la langue anglaise qui est la langue de la domination économique, du succès financier et du prestige social: les plus récentes statistiques ont confirmé cette évidence. Le système scolaire de son côté, n'a pas su donner une connais-

sance d'usage de notre langue aux anglophones et allophones. Nos précédents gouvernements, enfin, ont négligé d'apporter des mesures correctrices à la situation de domination de la langue de la majorité, et ce faisant, n'ont pas su assumer cette responsabilité que nous avions collectivement de donner à la fois des raisons et des possibilités aux non-francophones d'apprendre notre langue.

C'est pourquoi le présent Gouvernement, qui veut réparer les torts passés, devrait envisager un certain nombre de mesures dans le domaine de la francophonisation, et notamment les suivantes: prévoir des cours intensifs de français pour les adultes dans les services d'éducation aux adultes des commissions scolaires et cégeps, cours qui devraient être gratuits; améliorer prioritairement les cours de français dispensés dans le réseau scolaire anglais public, et obliger le réseau privé subventionné à respecter des normes très strictes; mettre sur pied des mesures visant à francophoniser rapidement les immigrants s'instal-lant au Québec. 2.5.2 La protection des droits acquis

La FTQ, en même temps qu'elle réaffirme sa foi dans la protection des droits acquis de tous les travailleurs, reconnaît que ce principe risque de provoquer des problèmes, aussi inévitables que complexes, dans les milieux de travail.

Ainsi, un travailleur allophone qui occupe un poste-clé et qui empêche pratiquement l'instauration du français langue de travail pour tout un groupe de travailleurs devrait être obligé d'apprendre le français et de l'utiliser quotidiennement.

Ce principe devrait toutefois être tempéré par certains éléments; on ne peut, pensons-nous, obliger un travailleur à apprendre le français alors qu'il approche de l'âge de la retraite, ou s'il est dépourvu d'un minimum de qualifications indispensables à l'apprentissage d'une autre langue.

Cet exemple recouvre une quantité de problèmes individuels, qu'il ne faudrait pas toutefois monter en épingle. Règle générale, ce ne seront pas les travailleurs de la base qui feront les frais de la francisation des entreprises: ce seront les entreprises elles-mêmes, ainsi que leurs cadres. Les problèmes d'application pratiques qui risquent de se poser ne minimisent en rien l'appui que la FTQ donne au projet de loi no 1; autant les problèmes seront différents, autant des solutions diverses s'imposeront dans la pratique.

Nous croyons à la FTQ qu'il faudra accepter de considérer des exceptions à la règle; il est évident que cela impliquera de minimiser ou retarder quelque peu, dans quelques secteurs ou entreprises, l'impact de la Charte de la langue. Il n'y a guère d'autre choix; l'application souple des principes de la loi, en matière de francisation des entreprises, ne met pas en péril l'objectif général poursuivi, et ne sera que la manifestation d'un pragmatisme indispensable.

Loin de nous l'idée de recommander des amendements à la loi ouvrant davantage la porte à des exceptions. Telles quelles, les ouvertures nous apparaissent suffisantes pour permettre une application nuancée pendant une période de transition qui variera selon les secteurs.

3. L'application de la Loi, les organismes mis en place

Le projet de loi propose la mise sur pied d'un Office de la langue française ainsi que d'un Conseil consultatif de la langue française. La FTQ veut émettre certaines réserves et suggestions sur la conception du rôle et des fonctions de ces deux organismes. 3.1 Direction de l'Office de la langue française

Le mode de direction prévu pour l'organisme-clé dans l'application de la charte est une direction unique. Nous croyons qu'un tel choix, s'il devait être maintenu, serait susceptible de générer une certaine méfiance, voire une certaine crainte, au sein de la population et tout particulièrement des groupes directement concernés. L'Office aura en effet à prendre des décisions de la plus haute importance, en vertu des dispositions de la section III du Chapitre III du projet de loi, qui touche la procédure d'émission des certificats de francisation. C'est la nature même de ce champ d'intervention qui milite, selon nous, en faveur d'une nouvelle orientation.

Le Premier Ministre lui-même, peu après son élection, parlait de mettre sur pied une administration publique transparente. Nous lui empruntons cette expression et demandons au Gouvernement de s'orienter vers un comité de direction composé de trois personnes, formule qui nous apparaîtrait plus apte à répondre à cet objectif de transparence.

Nous avons eu, à la FTQ, un long débat sur le mode de direction de l'Office. Nous avions deux objectifs qui s'articulaient au départ de façon contradictoire. D'une part, nous voulions que la direction de l'Office en soit une qui ne puisse pas être accusée d'autocratisme, ou encore susceptible d'être étroitement contrôlée par le pouvoir politique et prêtant le flanc à des accusations de partisanerie ou d'arbitraire. D'autre part, nous trouvions essentiel que le mode de direction choisi

pour l'Office n'implique pas la mise en place d'un appareil de décision lourd, qui entraînerait des lenteurs, des difficultés de fonctionnement, voire des blocages, dans un domaine aussi délicat que l'octroi ou le retrait des certificats de francisation.

Il nous apparaît donc que notre proposition respecte tant l'objectif d'efficacité et de célérité que celui de transparence. Les trois personnes choisies par le Gouvernement seraient à plein temps à l'Office. Nous suggérerions un comité formé d'un président réputé pour sa compétence et son objectivité, et de deux vice-présidents venant respectivement du monde des affaires et des milieux syndicaux. 3.2 Composition du Conseil consultatif de la langue française

La FTQ est d'accord avec la création d'un organisme de nature consultative qui constituerait un carrefour d'opinions des groupes les plus concernés par la francisation de la société québécoise. La liste proposée dans l'article 151 nous apparaît offrir des garanties de représentativité suffisantes.

En ce qui concerne les représentants du monde syndical à cet organisme, nous rappelons que la FTQ a pour politique de pouvoir choisir elle-même son ou ses représentants aux organismes ainsi mis sur pied par le Gouvernement. De plus, nous souhaiterions avoir le pouvoir d'exiger que nos représentants soient démis de leurs fonctions si, pour quelque raison que ce soit, ils ne nous apparaissent plus aptes à jouer leur rôle de représentants de la FTQ. 3.3 Pour une précision du mandat du Conseil consultatif

Considérant la représentativité du Conseil consultatif de la langue française, la FTQ souhaiterait que sa fonction soit davantage précisée et qu'on lui fasse jouer un rôle privilégié dans certains domaines d'application de la loi.

Il nous semble en effet que les décision de l'Office qui seront les plus déterminantes, soit l'émission ou le refus d'émission de certificats permanents ainsi que la décertification, devraient être systématiquement transmises pour informations et avis au Conseil consultatif, dans les cas où des parties concernées (employeur, syndicat, employés...) seraient en opposition. Cette procédure n'entraverait en rien le fonctionnement efficace et rapide de l'Office en ce domaine, ce qui nous semble prioritaire, mais instituerait une forme de recours, non formelle il est vrai, qui nous semble toute aussi importante; les avis du Conseil seraient bien entendu rendus publics. Nous aimerions donc voir l'article 147 précisé en ce sens, et recommandons également que les règlements définissant les modalités d'application de la loi soient soumis au Conseil.

En vertu de notre proposition, les groupes concernés seraient assurés d'avoir, dans cet organisme que sera le Conseil, un témoin impartial et représentatif qui serait saisi au fur et à mesure des dossiers litigieux, et qui soumettrait des avis parfaitement indépendants du pouvoir politique. Il est évident que des cas litigieux se présenteront. Qu'il s'agisse d'une entreprise qui a à se plaindre de la rigueur de l'Office, ou de représentants d'un syndicat siégeant à un comité de francisation qui considèrent que l'Office a fait montre d'une indulgence excessive envers leur employeur, il est indispensable qu'une seconde instance puisse être saisie des représentations des intéressés. Il nous apparaît que la Charte de la langue est une législation fondamentale pour notre avenir collectif et que ce caractère fondamental requiert, ou tout au moins rend hautement souhaitable, la présence vigilante et signifiante d'un organisme détaché du Gouvernement, d'un organisme à travers lequel toute la population opérerait un consensus symbolique.

La FTQ souhaite donc voir le Conseil consultatif jouer, en matière d'émission, de non-émission et de retrait des certificats de francisation, un rôle analogue à celui joué par la Commission des droits de la personne, qui par ses interventions alimente les débats publics, sans pour autant s'immiscer dans les processus législatifs ou administratifs et dont la présence constitue un acquis pour la démocratie.

4. Emission des certificats de francisation

La FTQ a suivi avec attention les essais prudents du précédent Gouvernement en matière de certificats de francisation. Ce fut une longue épopée, allant d'une loi votée en 1974 à des règlements qui ne furent approuvés qu'en septembre 1976; chemin faisant, le Gouvernement Libéral avait abondamment consulté les milieux d'affaires, ignoré les milieux syndicaux, et profondément adouci ses exigences.

La FTQ félicite l'actuel Gouvernement pour avoir inséré dans son projet de loi les éléments essentiels et fondamentaux de sa politique en matière de francisation des entreprises. La Loi 22 était remarquablement vide à cet égard, et la réglementation tardive, si elle ne corrigeait pas certaines lacunes, apporta des éléments qui auraient davantage convenu à la législation de par leur nature. 4.1 L'importance des critères

La FTQ appuie globalement les objectifs de francisation énoncés à l'article 95 de la Charte et élaborés à l'article 112. Les citoyens du Québec avaient le droit de savoir quels étaient les objectifs de francisation fixés aux entreprises et par suite les critères utilisés par le Gouvernement; les

travailleurs avaient le droit de savoir quelles exigences ils pourraient avoir à l'endroit de leur employeur en matière de francisation.

Les réponses sont données et c'est déjà énorme, puisque la Loi 22, et la réglementation à sa suite, n'énonçaient que des "champs" ou "niveaux" de francisation et ne décrivaient pas d'objectifs susceptibles de donner suite à la détermination de normes.

Non seulement les réponses sont-elles données, mais encore sont-elles claires, précises, simples, et viennent-elles sanctionner ce qui aurait dû l'être depuis longtemps: au Québec, la règle générale, c'est de travailler en français. Nous touchons ici, avec l'article 112, au coeur de notre devenir collectif, au coeur de la francisation du Québec.

Quelques-uns se sont interrogés sur le sens qu'il faut donner à l'expression "Québécois", telle qu'utilisée à l'article 112 de l'alinéa b). La FTQ, qui s'est toujours opposée à une politique de quotas, favorisant plutôt des politiques, contraignantes s'il le fallait, d'utilisation du français à tous les niveaux hiérarchiques, ne s'oppose pas à ce que le Gouvernement exige qu'un nombre raisonnable de citoyens du Québec occupe des postes-clés. Nous serions cependant en désaccord avec une exigence de nommer des Québécois francophones d'origine à ces postes-clés. Pour nous, ce qui importe, c'est que ces Québécois puissent s'exprimer couramment en français, et non pas qu'il s'agisse de leur langue maternelle. Les équivoques au sujet de ce terme "Québécois" devraient donc être dissipées; et il devrait être très clair que tous les citoyens du Québec méritent le titre de Québécois. 4.2 Rôle du certificat de francisation

La FTQ appuie le choix du Gouvernement d'avoir défini comme règle universelle pour les entreprises d'une certaine importance la possession d'un certificat de francisation, le retrait des avantages consentis par le Gouvernement jouant le rôle de pénalités pour les entreprises récalcitrantes. La Loi 22 ne faisait pas de la possession des certificats une règle générale mais ne consentait certains avantages qu'aux entreprises détentrices de certificats. Au niveau des principes, au niveau de ce qui fait l'esprit d'une loi, la différence apparaît majeure à la FTQ: nous sortons enfin de la politique du quémandage.

Les alinéas a) et b) de l'article 106 ont fait frémir les milieux d'affaires. Quant à nous, à la FTQ, nous sommes d'accord avec cette liste; nous sommes d'autant plus d'accord que tous les trous et finasseries de la réglementation libérale nous étaient familiers — ex.: remplacer "administration" par "gouvernement", etc... — . La liste de l'article 106 de la Charte est complète; nous souhaitons que la réglementation à venir précise avec réalisme les ambiguïtés qui subsistent encore (par exemple sur la nature des permis dont il est question). 4.3 Une nécessaire souplesse

De nombreuses déclarations du ministre d'Etat au Développement culturel assurent la population du Québec que la Charte sera appliquée avec souplesse, particulièrement dans le domaine délicat de la francisation des entreprises. Cette souplesse dans l'application est pour nous indispensable, et la FTQ l'a signalé à de multiples reprises. Nous comprenons qu'une volonté de souplesse s'inscrit fort difficilement dans une loi. Plusieurs détracteurs de la Charte de la langue française semblent avoir sauté par-dessus l'article 113 du projet, qui mentionne spécifiquement le cas des "sièges sociaux" et des "relations de l'entreprise avec l'étranger"; nous y voyons, quant à nous, la preuve de la volonté de réalisme et de souplesse qui anime le Gouvernement.

5. Les comités de francisation: Rôle et fonctionnement

La FTQ se réjouit tout particulièrement de l'obligation que fait aux entreprises le projet de loi no 1 de constituer des comités de francisation à participation syndicale. Le précédent Gouvernement avait choisi de mettre à l'écart du processus de francisation les instances syndicales locales et avait dans son Règlement sur la francisation des entreprises (septembre 1976), statué de la façon suivante: "La Régie et le ministre doivent respecter le caractère confidentiel de tout programme de francisation proposé ou approuvé. "L'entreprise doit cependant informer ses employés de la politique linguistique qu'elle s'est engagée à mettre en application par son programme de francisation."

Le présent Gouvernement a choisi de rompre avec cette attitude méprisante à l'égard des travailleurs et nous l'en félicitons. Nous croyons profondément que les travailleurs ont le droit et le devoir non seulement de s'informer des politiques patronales en matière de francisation mais aussi de participer activement à l'élaboration des programmes de francisation et à leur application. Ce sont les travailleurs qui seront au premier chef affectés par ces programmes, dans leur vie de tous les jours, et nous espérons que les employeurs ne tenteront pas de contourner la loi et de court-circuiter ces comités.

La FTQ a quelques recommandations à formuler, qui visent à permettre une meilleure participation des travailleurs aux comités de francisation, ainsi qu'un meilleur fonctionnement de ces derniers.

5.1 Création des comités

Nous recommandons au Gouvernement de prévoir la formation d'un comité de francisation dans les cas des entreprises de cinquante salariés ou plus, plutôt que dans le cas des entreprises de cent employés ou plus. Dans la mesure où le projet de loi demande aux entreprises d'au moins cinquante employés de justifier de la possession d'un certificat de francisation, nous trouvons plus logique d'établir une règle de fonctionnement équivalente pour la création des comités. 5.2 Représentation syndicale et ouvrière

Dans la mesure où aucun article de la loi ne prévoit la taille de ces comités — et il ne nous apparaît pas nécessaire de le faire —, la représentation syndicale pourrait être limitée à une (1) personne sur un comité de trois (3). Le mouvement syndical a toujours été méfiant face à ce genre de situations qui peut placer le représentant des travailleurs dans des situations très difficiles; c'est pourquoi la loi devrait être modifiée de la façon suivante: les représentais des travailleurs aux comités de francisation ne devront jamais être moins de deux (2); la réglementation devrait stipuler que l'attribution des postes de représentants des travailleurs au sein des comités devrait être fonction de critères de représentativité des divers services de l'entreprise et catégories de travailleurs. Par exemple, il ne devrait pas être possible d'ignorer le syndicat des employés de bureau au profit de celui des employés de la production ou vice-versa; dans le cas d'entreprises non-syndiquées, les représentants des travailleurs devraient faire partie du personnel syndicable en vertu de la jurisprudence établie. 5.3 Mandat des comités

Le mandat des comités de francisation, tel que défini aux articles 115 et 116 (analyse de la situation, rapport, établissement du programme de francisation), devrait être élargi pour inclure la surveillance de l'application du programme.

Le Comité de francisation devrait avoir une existence légale équivalente à l'échéancier de francisation que contient le programme que l'entreprise doit appliquer. La loi devrait éclaircir cet aspect car on laisse entendre que le rôle du comité se termine avec l'établissement du programme. 5.4 Réunions des comités

Notre centrale, à partir de l'expérience syndicale dans les comités conjoints de sécurité, soumet une recommandation qui, à notre sens, éliminerait au départ quelques possibilités de ratage:

Les réunions des comités de francisation devraient avoir lieu pendant les heures de travail et être rémunérées, pour ce qui est des représentants des travailleurs, au taux normal.

6. Recours et sanctions 6.1 Les travailleurs syndiqués

Nous sommes entièrement d'accord avec l'article 36, qui permet de traiter un congédiement pour non connaissance d'une autre langue que le français de la même façon qu'un congédiement pour activités syndicales. Nous avons également déjà exprimé notre accord sur l'utilisation de la procédure de griefs, dans la mesure où cela n'oblige pas le syndicat à utiliser la procédure de griefs de façon prioritaire ou unique.

Dans le cas où un syndicat voudrait porter plainte devant la Commission de surveillance, l'article 133 nous semble susceptible de causer des problèmes. La FTQ approuve bien sûr le principe de l'action de groupe, mais nous voudrions voir spécifiée la possibilité qu'un organisme représentatif des plaignants porte plainte; dans notre cas, ce pourrait être le syndicat local, le syndicat à l'échelle du Québec ou de la région, le regroupement régional (conseil de travail), ou encore la FTQ elle-même. La Charte des droits renferme une telle disposition (article 70) et nous voudrions voir le Gouvernement s'en inspirer. 6.2 Les travailleurs non-syndiqués et la Commission de surveillance

Dans le même esprit, et dans le but de rendre plus accessible le recours à la Commission de surveillance par des travailleurs, et particulièrement par des non-syndiqués, nous recommandons au Gouvernement de prévoir des dispositions de nature à protéger les travailleurs-plaignants; nous pensons spécifiquement aux éléments suivants: possibilité de conserver l'anonymat du plaignant (cf. article 71 — Charte des droits); principe d'impunité (cf. article 32 — Loi du salaire minimum)

6.3 Sanctions à l'endroit des entreprises

La Charte de la langue française permet le recours à trois (3) types de sanctions, que nous approuvons. La plus forte sanction réside bien sûr dans l'article 106, et nous espérons que le Gouvernement résistera aux demandes d'assouplissement dont il est inondé; la FTQ considère qu'une entreprise qui ne respecte pas le peuple québécois ne devrait pas faire affaire au Québec. Nous sommes de plus convaincus que, lorsque la loi sera en vigueur, les entreprises se plieront à la loi, car elles trouvent leur profit chez-nous, quoi qu'elles en disent.

La sanction morale qui consiste à faire connaître le nom des entreprises récalcitrantes peut également, dans certains cas, être très dure, car susceptible d'entraîner, s'il y a lieu, un boycottage populaire.

La FTQ est enfin d'accord avec les amendes. A l'échelle d'une grosse entreprise, ces amendes sont hautement symboliques, mais nous trouvons que le principe des amendes contribue à donner du sérieux à la Charte.

CONCLUSION

En matière de politique linguistique, les travailleurs ont placé leur confiance dans votre Gouvernement. Nous espérons que vous ne modifierez pas votre projet de loi dans le sens d'un assouplissement pour les entreprises. Telle qu'elle est, la Charte permet toute la souplesse d'application requise, et la FTQ est confiante que c'est l'attitude qu'adoptera le Gouvernement.

Nous avons toujours dit, à la FTQ, que c'était la responsabilité du Gouvernement de permettre aux Québécois de travailler en français, et qu'il n'était pas question de demander à des groupes de travailleurs de lutter sur le plan local pour faire reconnaître des droits nationaux. Votre Gouvernement assume sa responsabilité; comme centrale syndicale, nous sommes prêts à assumer la nôtre, et à inciter nos affiliés à travailler concrètement, dans leurs milieux de travail, à l'application et au respect de la Charte de la langue.

Une des tâches qui nous semblent prioritaires, dans la conjoncture actuelle, c'est d'analyser et de démystifier les clameurs d'épouvante des milieux d'affaire, et de dénoncer le chantage éhonté que dans certains cas les employeurs utilisent contre les travailleurs. Ce sont là des clameurs peu représentatives, qui font fi du respect auquel ont droit, après tant d'années d'oppression, les travailleurs francophones; cette collectivité dont la situation socio-économique se dégrade lentement, et cela malgré les"francophones de service" répartis ici et là dans la grande entreprise, et malgré les sondages que les organismes patronaux utilisent pour manipuler, à leur profit, l'opinion publique. Mais les travailleurs comprennent que cet acharnement patronal révèle des zones de résistance profonde à la francisation des opérations industrielles, et que la Charte de la langue française au Québec est la seule capable de les vaincre une fois pour toutes, avec le concours de tous les travailleurs du Québec qui ont compris les enjeux profonds de cette lutte.

ANNEXE 3

Mémoire présenté par

Bell Canada Sur le projet de loi numéro 1

intitulé "Charte de la langue française au Québec"

1. Remarques préliminaires

Le projet de loi No 1 est le quatrième d'une série de lois tendant à accélérer le processus de francisation du Québec. Il vient après les lois 85, 63 et 22.

Evidemment l'objectif visé ne peut que recevoir l'appui de la population en général et de Bell Canada en particulier. C'est d'ailleurs dans cet esprit que notre entreprise a voulu dans le passé non seulement se conformer aux politiques des gouvernements et de la majorité, mais a même fait des efforts pour les devancer. Soucieuse de s'identifier à la communauté qu'elle dessert, elle a voulu s'adapter, bien avant la législation, au mode de vie de la majorité de ses employés, de ses abonnés et de ses actionnaires du Québec.

C'est dans un esprit de collaboration que nour présentons ce mémoire, laissant de côté toute question juridictionnelle concernant l'application totale ou partielle d'un tel projet de loi à Bell Canada.

C'est cependant avec un sentiment d'inquiétude que nous nous présentons devant cette Commission. En effet, devant la portée de la loi, il nous est difficile de faire valoir un point de vue complet sans avoir pris connaissance des règlements qui expliciteront les aspects ambigus du projet de loi. Nous déplorons donc qu'on ne donne pas aux citoyens tous les éléments nécessaires à une discussion entière.

Quoi qu'il en soit, nous pouvons assurer nos représentants de l'Assemblée nationale qu'au cours de la dernière décennie, des efforts considérables ont été déployés pour donner au français la place qui lui revient dans le monde du travail au Québec et dans la pratique courante des affaires, compte tenu des circonstances particulières du milieu montréalais.

Permettez-nous d'établir en quelques mots l'image de Bell Canada.

Tout d'abord, en termes d'actifs, Bell Canada et ses compagnies affiliées représentent le plus important groupe industriel canadien et le plus grand fournisseur de services de télécommunications au Canada. Notre actif est de plus de $8 milliards et le Groupe compte 80 000 employés. Les revenus consolidés en 1977 dépasseront les $3.5 milliards. Notre exploitation, soit comme fournisseur d'équipement ou comme consultants, s'étend à travers le monde. Bell Canada compte quelque 225 000 actionnaires, dont seulement environ 7% sont des francophones.

La compagnie-mère de ce Groupe, Bell Canada, dessert la majeure partie du Québec et de l'Ontario, et environ la moitié des Territoires du Nord-Ouest. En 1977, elle investira environ $1 milliard pour continuer à offrir le service à ses abonnés. Pour des fins administratives, Bell Canada est divisée en deux régions distinctes: la Région du Québec et la Région de l'Ontario. Elle a son siège social à Montréal, lequel constitue une entité administrative distincte des administrations régionales. Le siège social fournit à lui seul 1700 emplois à Montréal et ses dépenses annuelles en salaires et autres coûts reliés aux salaires sont de l'ordre de $55 millions. Le budget total du siège social se chiffre à $75 millions à Montréal.

La Région du Québec compte, pour sa part, 16 000 employés et le montant annuel versé en salaires s'élève à $214 millions. Dans cette Région, plus particulièrement touchée par le projet de loi "1", plusieurs dispositions ont été prises pour modifier graduellement les opérations et donner à la langue du travail un caractère français. Les changements ont été réalisés à l'intérieur d'un cadre et de structures définis, mais avec une préoccupation constante: celle de ne léser personne de ses droits.

Bell Canada peut soutenir aujourd'hui qu'elle a réussi à traduire dans ses opérations à la Région du Québec le désir de la majorité de faire du français la langue du travail et ce, sans coercition et sans injustice.

2. Situation linguistique à Bell Canada:

A Bell Canada, nous nous sommes donc appliqués, depuis plus d'une décennie, à poursuivre avec détermination un programme significatif de promotion du français au sein de nos divers services.

Dans la conduite de nos affaires, nous avons toujours été conscients que, bien que nous acheminions des millions d'appels de nos abonnés chaque jour, nous servons ces derniers un à la fois. Nous avons pu planifier notre évolution linguistique en tenant compte de ce facteur de service et nous avons adopté la langue choisie par chacun des abonnés et des actionnaires pour communiquer avec eux.

Pour ce qui est des communications à l'intérieur de la compagnie, nous avons francisé les formulaires, les instructions et les avis au personnel. Nos Services linguistiques, qui constituent l'un des groupes les plus importants du secteur privé au Canada, avec une quinzaine de traducteurs et cinq reviseurs, ont accompli un travail énorme. Ses membres sont des diplômés universitaires spécialisés en traduction et collaborent étroitement avec ce qui fut l'Office de la langue française, puis la Régie, ainsi qu'avec les universités et les différents groupes de linguistes du pays. Le Centre de terminologie de Bell Canada a préparé pour les employés un glossaire des télécommunications qui a été mis à la disposition des différents groupes et organismes intéressés à ce domaine.

La traduction ne constitue cependant qu'une étape du processus de francisation. Nous avons encouragé très fortement tous nos cadres à rédiger leurs documents en français. Déjà, la plupart des documents nécessaires à l'administration de la Région du Québec sont conçus en français et ne font l'objet d'aucune traduction subséquente.

Des Canadiens d'expression française oeuvrent à tous les échelons de la direction. Ainsi, le président du conseil d'administration est d'expression française, comme le sont aussi, à la Région du Québec, le vice-président exécutif, les quatre autres vice-présidents et 85% des cadres, tandis que 94.7% des cadres sont bilingues et peuvent donc s'exprimer en français.

Nous tenions à tracer ce portrait pour démontrer de façon incontestable qu'une entreprise peut, avec le temps et dans le cadre de ses opérations locales, s'ajuster à la réalité linguistique d'un milieu sans contrainte législative et surtout, comme nous le mentionnions au début, sans violer les droits des individus qui y travaillent. Les entreprises de haute technologie, ou à ramifications internationnales, ne pourront s'adapter aussi facilement.

3. Remarques générales sur le projet de loi

Bell Canada se présente devant cette Commission pour indiquer qu'elle juge qu'un tel projet de loi n'est pas nécessaire dans le contexte actuel. De plus, elle veut exprimer son profond désaccord avec certaines modalités qui y sont prévues.

La situation de la langue française a grandement évolué au Québec. Des progrès énormes ont été accomplis par les entreprises elles-mêmes et dans l'esprit des gens. C'est pourquoi imposer le fran-

çais d'une façon aussi radicale, par un projet de loi à caractère aussi coercitif, nous semble une méthode vouée à l'échec et contraire aux meilleurs intérêts de ceux qu'on veut aider.

Le projet de loi risque, à long terme, d'être défavorable à la culture française qu'on veut mettre en serre chaude et qu'on coupe de toute réalité économique. Il s'avère défaitiste, comme si la situation au Québec était tellement intenable qu'il faille s'entourer de protection. Si la loi 22 n'existait pas, on pourrait accepter le principe d'une loi concernant la langue. Mais ce n'est pas le cas.

Notre opposition fondamentale à la Charte de la langue française concerne la politique mise de l'avant dans le projet de loi "1", qui consiste à brimer les droits linguistiques des individus.

Il est difficile d'admettre que ce soit le gouvernement qui contredise la Charte des droits et libertés de la personne adoptée par l'Assemblée nationale en juin 1975. L'article 10 de cette loi stipule que "toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la LANGUE, l'origine ethnique ou nationale ou la condition sociale".

On semble créer, avec cette Charte, différentes catégories de citoyens, avec des droits différents, selon qu'ils sont francophones, non-francophones, Québécois ou Canadiens-français. Qu'un gouvernement de tous les Québécois suggère des classes différentes basées sur la langue ou l'ethnie est inadmissible.

Les termes utilisés dans le texte de loi prêtent à confusion dans plusieurs cas. Nous avons relevé en plusieurs endroits des imprécisions qui rendent le projet de loi difficile à interpréter.

Nous avons donc annexé un document à notre mémoire, traitant de cet aspect. Comme la Charte touche des droits fondamentaux, nous demandons instamment au gouvernement d'apporter les précisions requises.

4. Langue de l'enseignement:

Les personnes oeuvrant dans ce secteur commenteront à fond les dispositions qui les concernent.

Cependant, certains aspects de ce chapitre touchent Bell Canada à la fois comme citoyen et comme entreprise et nous aimerions souligner deux points qui, selon nous, devraient être modifiés.

A. Les "immigrants" canadiens anglophones:

En tant que citoyen, Bell Canada s'oppose au fait de considérer comme immigrant tout Canadien anglophone originaire ou en provenance d'une autre partie du Canada. Ce principe constitue, à notre avis, un geste de provocation inutile et exagéré.

Tout en ne privant pas le Québec de l'apport nécessaire de nouveaux immigrants au secteur francophone, une loi moins rigide à l'égard des Canadiens anglophones des autres provinces contribuerait, à notre avis, à résorber un certain sentiment de crainte qui prévaut actuellement dans le milieu anglophone, à travers tout le pays.

Nous ne pensons d'ailleurs pas que la majorité des Québécois soit aussi intolérante que le projet de loi le suggère; au contraire, une tradition de grande liberté a toujours marqué la vie québécoise et les habitudes de ses citoyens. Toute législation devrait refléter et encourager cette tradition.

B. Le recrutement de personnel en provenance de l'extérieur du Québec:

L'article 58 du projet de loi prévoit que le chapitre relatif à la langue d'enseignement ne s'applique pas aux personnes de passage au Québec ou qui y séjournent pour un temps limité. Mais notre expérience d'administrateurs démontre qu'il est très difficile de fixer d'avance la durée de séjour d'un employé en stage dans un service ou un autre, parce que plusieurs facteurs entrent en ligne de compte.

Vous comprendrez les problèmes qu'une telle contrainte cause à une entreprise oeuvrant dans d'autres provinces, en Angleterre ou aux Etats-Unis. Nous voulons continuer à recruter du personnel compétent n'importe où à l'intérieur de notre entreprise et à l'extérieur, quand ces personnes répondent aux critères de qualification et de qualité qui nous sont nécessaires pour combler un poste en particulier.

Le Québec ne peut certes fournir tout le personnel compétent et la main-d'oeuvre qualifiée. Au surplus une entreprise de dimension inter-provinciale, ou internationale, doit refléter ce caractère multinational ou transnational et doit, de ce fait, avoir accès, hors du Québec, à des personnes spécialisées, surtout en certains domaines techniques. Nous sommes convaincus qu'il sera de plus en plus difficile d'obtenir l'apport d'administrateurs et de professionnels venant de l'extérieur du Québec à cause de restrictions au niveau scolaire pour les enfants de ces familles. Nous comprenons fort bien l'intention du législateur d'appliquer des mesures qui inciteront les enfants vivant au Québec à fréquenter plutôt l'école française. En ce sens, l'amélioration du système d'enseignement nous paraît le moyen tout indiqué d'inciter les parents à choisir le système scolaire francophone.

Mais une limitation injustifiée quant au droit d'accès à l'école anglaise pour les enfants en provenance de l'extérieur du Québec nous paraît discriminatoire et entraînera, à long terme, des

conséquences coûteuses pour tous. Quant à l'enseignement de la langue seconde dans les écoles publiques francophones, il est nettement déficient. Aussi serait-il irréaliste d'ignorer totalement la langue anglaise dans le contexte économique et géographique où nous vivons.

A cet égard on devrait améliorer d'une façon sensible l'enseignement du français dans le secteur anglophone.

5. Francisation des entreprises:

A. Programme et pénalités:

Le gouvernement semble vouloir limiter à cinq ans la période de francisation des entreprises et cette limite paraît raisonnable à Bell Canada, pour la Région du Québec, d'autant plus que de grandes étapes ont été franchies en ce domaine.

Cependant, certaines entreprises ne pourront faire face à toutes les exigences de la loi. Imposer des sanctions allant jusqu'au retrait de permis émis par l'administration publique équivaudra à faire disparaître ces entreprises, avec toutes les conséquences qui en découlent. Bell Canada comprend la volonté ferme du gouvernement de faire respecter la loi, mais s'oppose au caractère fortement coercitif de la Charte et souligne les effets redoutables qui peuvent en résulter. L'économie québécoise a besoin d'impulsions continuelles et non de restrictions, surtout en ces années où l'ensemble du continent fait face à un ralentissement des affaires. Réagir avec sévérité et sévir contre les entreprises anglophones ou étrangères qui n'ont pu s'intégrer au milieu dans le délai imparti nous semble inéquitable et nous souhaiterions une plus grande tolérance à l'égard de ces personnes.

B. Les sièges sociaux:

Les sièges sociaux comptent parmi leur personnel un nombre élevé d'employés natifs d'autres provinces ou d'autres pays. Ce phénomène est normal, puisqu'un siège social est le reflet intégral de la compagnie nationale ou multinationale et de toutes les cultures au sein desquelles elle exerce son activité.

En ce qui concerne Bell Canada, les personnes recrutées à l'extérieur du Québec pour poursuivre leur carrière au siège social proviennent souvent de milieux anglophones et ne possèdent peu ou pas la langue française. Il nous est donc impossible d'imposer, sans plus, à tous les membres du personnel qui viendront travailler au siège social, une langue de travail qu'ils ne connaissent pas. Nous avons placé en annexe un profil de la mobilité et des origines des chefs de grandes entreprises canadiennes. La plupart des sièges sociaux sont situés à Toronto. Ce profil démontre que les chefs d'entreprise, aujourd'hui à Toronto, n'ont pas toujours été là et qu'une grande mobilité est essentielle.

Cette question est suffisamment importante pour nous permettre de proposer que les sièges sociaux de toutes les entreprises ou, à tout le moins, ceux des entreprises à vocation interprovinciale ou internationale, soient exclus des dispositions de la loi relatives à un programme de francisation. Toute situation contraire serait inutilement contraignante, sans compter la lourdeur administrative qui découlerait des dispositions présentement suggérées.

L'article 112 (b), en ce qui concerne l'élection des administrateurs, démontre une incompréhension des mécanismes actuellement en vigueur pour la sélection des membres des conseils d'administration.

Ainsi, à Bell Canada, 7% des actionnaires francophones sont représentés par 30% des administrateurs (6/20).

A la Northern Telecom, où la proportion des actionnaires francophones est plus difficile à déterminer mais où elle semble se situer entre 3% et 5%, les Québécois d'expression française ont 25% des sièges au Conseil (4/16).

En d'autres termes, nous demandons un plus grand réalisme vis-à-vis cette question, d'autant plus que l'apport des sièges sociaux est important au Québec et constitue un avantage économique dont il faut tenir compte.

Cette position très ferme de la compagnie en ce qui concerne son siège social n'implique pas nécessairement l'adoption d'un unilinguisme étroit.

Bell Canada veut tendre, au niveau d'un siège social installé au Québec, à un bilinguisme institutionnel respectant les actionnaires, les abonnés et toutes les personnes appelées à communiquer avec elle. 6. Les ordres professionnels:

Nous suggérons d'éliminer toute notion de permis temporaires rattachés aux ordres professionnels. Quant aux professionnels diplômés d'une autre province ou d'un autre pays, ils devraient pouvoir obtenir un permis au Québec tenant compte de leur dossier universitaire et des exigences linguistiques de leur fonction.

Dans ce même esprit, les communiqués des ordres professionnels à leurs membres devraient respecter cet apport étranger. Agir autrement rendrait difficile le recrutement d'experts dans les laboratoires ou dans les entreprises transnationales ou de haute technologie.

L'article 10 de la Charte des droits de la personne relié à l'article 17 de la même loi démontre jusqu'à quel point le projet de loi "1" viole cette Charte, dans l'esprit et dans la lettre.

7. Relations de travail:

Ce point particulier est l'un des plus délicats à traiter. Alors que des problèmes économiques assez graves touchent le Québec, l'entreprise a besoin de réalisme et de latitude pour recréer un climat économique sain.

Il nous semble donc essentiel que l'entreprise puisse exercer son droit de gérance, assumer ses responsabilités et déterminer elle-même la nature des postes nécessaires au fonctionnement des affaires.

Elle devra absolument conserver le droit d'établir des postes bilingues au sein de sa structure pour répondre aux exigences de la clientèle qu'elle dessert. Selon nous, le gouvernement devrait envisager une solution plus réaliste en ce domaine, en permettant aux entreprises de déterminer elles-mêmes les besoins de personnel bilingue, sous réserve peut-être que l'Office de la langue française puisse intervenir dans les cas de plaintes pour abus.

Nous souhaitons enfin que le gouvernement examine avec réalisme toute mesure qui viendra s'ajouter aux négociations déjà délicates des conventions collectives.

8. Comité de francisation

L'article 114 du projet de loi indique que les entreprises de cent salariés et plus doivent instituer des comités de francisation.

Permettez-nous ici de formuler un seul commentaire à ce sujet. Il est du devoir de l'employeur de faire respecter la loi. Etant donné les pénalités assez rigoureuses déjà inscrites dans ce projet de loi, il nous semble inutile d'ajouter à tout le mécanisme de contrôle un autre droit de surveillance, cette fois de la part des représentants des syndicats. Nous croyons donc que l'employeur devrait conserver toute responsabilité à l'égard de la loi.

9. La langue de la justice;

Nous croyons que le législateur devrait permettre aux personnes morales de s'adresser aux tribunaux et de plaider en français ou en anglais selon la langue la plus susceptible de faire apparaître le droit.

10. Affichage commercial;

L'article 46 veut que l'affichage commercial se fasse uniquement en français, sous réserve des exceptions prévues aux règlements de l'Office de la langue française.

La lourdeur administrative qu'implique une telle directive nous porte à suggérer une mesure qui nous semble plus juste, soit la prééminence ou l'égalité du texte français, permettant également l'affichage dans une autre langue.

Des raisons de sécurité rendent justifiable l'affichage dans plus d'une langue dans le cas des entreprises qui, comme la nôtre, assurent des services essentiels.

11. Adoption de la loi et règlements:

Le projet de loi présenté devant l'Assemblée nationale ne comporte que les grandes lignes touchant la Charte du français. Les citoyens comme les entreprises qui voudront se conformer à cette loi n'en connaîtront la portée réelle que lorsque seront édictés les règlements adoptés en conformité des pouvoirs législatifs délégués.

Il nous semble dangereux et guère démocratique de procéder de la sorte. En effet, le projet de loi est déféré en Commission parlementaire et chaque citoyen peut exprimer son point de vue et faire les recommandations qu'il croit nécessaires. Toutefois, cette procédure n'est pas prévue pour l'adoption des règlements, malgré l'étendue des pouvoirs de réglementation. Nous croyons que devrait être soumis pour discussion en Commission parlementaire tout projet de règlements se rapportant au texte de la loi avant son adoption.

Nous remarquons que l'Office de la langue française possédera elle-même d'importants pouvoirs de réglementation outre ceux qui sont dévolus au Lieutenant-gouverneur en Conseil. Cette proposition ne nous paraît guère recommandable. D'une part, il nous semble que le législateur devrait lui-même légiférer dans de nombreux domaines couverts par ce projet de loi, au lieu de s'en remettre constamment à d'autres organismes pour édicter des règles touchant des droits fondamentaux. D'autre

part, il nous paraît éminemment souhaitable que dans tous les cas où le législateur doit déléguer des pouvoirs législatifs, seul le Lieutenant-gouverneur en Conseil soit habilité à le faire, sauf en ce qui concerne les règles de procédure des divers organismes institués. Cette solution empêcherait de diluer le pouvoir réglementaire dans un domaine aussi fondamental, faciliterait aux citoyens la connaissance des dispositions normatives, éliminerait énormément les risques de contradictions, éviterait qu'un organisme soit appelé à interpréter ses propres règles de droit substantif et, enfin, permettrait la procédure d'examen des projets de règlements en Commission parlementaire, ainsi que nous le proposons.

12. Conclusion:

Bell Canada a voulu exprimer ces commentaires en tenant compte le moins possible de l'émoti-vité qui a entouré la publication du Livre Blanc et du projet de loi.

Elle l'a fait en se basant sur l'expérience administrative d'une compagnie de service public habituée à transiger avec des abonnés de diverses cultures, à majorité francophone au Québec, mais en tenant compte d'une minorité desservie depuis un très grand nombre d'années.

Le Québec a un rôle à jouer: celui d'être la plaque tournante de deux cultures en Amérique. Il doit interpréter l'Amérique aux Européens et l'Europe aux Américains. La philosophie de ce projet de loi va à rencontre de cette mission. Les grands perdants seront les Québécois francophones qui resteront sur place. Les autres pourront participer au monde nord-américain et international.

Une fois ces remarques formulées, un souhait s'adresse au législateur: qu'il rende un verdict équitable envers les Québécois et satisfasse leurs revendications légitimes en tenant compte de l'esprit de justice dont il devrait être animé dans la conduite des affaires de l'Etat.

Par la suite, chacun pourra se consacrer aux autres problèmes économiques qui se posent à la société québécoise.

Annexe 1

Commentaires de Bell Canada concernant la rédaction du projet de Loi no 1

Certains termes et certaines expressions utilisés dans le projet de loi numéro 1 portent à confusion ou seront difficilement applicables à l'ensemble des situations visées. Cela rendra difficile l'interprétation ou la mise en application de cette loi.

Nous donnons ci-après quelques exemples des difficultés que nous venons de mentionner:

Article 2: "québécois": Ce même terme est employé aux articles 2, 6 et 112(b) pour désigner, semble-t-il, des personnes différentes. Nous croyons qu'il serait utile d'être plus rigoureux dans l'emploi de ce terme, d'autant plus qu'il ne semble pas avoir une définition reconnue de tous au plan juridique.

Article 3: "assemblée délibérante": dans leur sens littéral, ces termes réfèrent à des situations tellement nombreuses et variées qu'il nous est impossible de penser que l'on pourra sérieusement appliquer une telle disposition. Il nous paraîtrait, plus utile de référer à "toute assemblée tenue légalement".

Article 4: "travailleurs": le projet de loi emploie indifféremment divers termes pour désigner, semble-t-il, les mêmes personnes ou groupes de personnes. Ainsi, nous retrouvons le terme "travailleurs" à l'article 4, le terme "personnel" aux articles 33 et 112 (a) et (f) et enfin, le terme "salarié" aux articles 36, 38, 39, 106, 109 et 114.

Nous croyons qu'un même terme devrait être employé dans la mesure où le législateur veut identifier les mêmes personnes ou groupes de personnes.

Article 11: "s'adressent" et "plaident": nous ne comprenons pas exactement ce que vise le législateur. Nous présumons que ces termes veulent référer uniquement aux procédures et nous croyons qu'il serait utile de préciser ces termes en conséquence.

Article 12: droit à une rédaction en français de diverses procédures: cette disposition va susciter des batailles de procédures inutiles si le législateur ne prévoit un mécanisme, simple mais précis, pour permettre à une personne d'exercer un droit conféré par cet article sans encourir des difficultés quant à d'autres dispositions de procédure, notamment celle concernant les délais. Par exemple, lorsqu'une personne qui se voit signifier un bref d'assignation rédigé en langue anglaise voudra demander un document rédigé en langue française, cette personne ne devrait pas être soumise au délai de dix (10) jours pour comparaître avant que la procédure rédigée en langue française ne lui soit soumise, si telle est l'intention du législateur. Article 46: "affichage": la définition de ce terme est tellement vague et générale qu'elle englobe

probablement toute chose pouvant être qualifiée de "texte", contrairement à ce qui nous paraît être l'intention du législateur. Cette définition rend d'ailleurs presqu'inutile l'article 41; nous suggérons que le terme "texte" que l'on retrouve a l'article 46 soit remplacé par le terme "affiche" afin de donner plus de cohérence au chapitre VII.

Article 49: "la personnalité juridique ne peut être conférée...": nous croyons que cette disposition, telle que rédigée, pourrait avoir un effet rétroactif non voulu en ce qu'il pourrait affecter des compagnies qui existent présentement. Nous croyons que le législateur pourrait être plus explicite et prévoir, par exemple, que "le Lieutenant-gouverneur ne pourra conférer la personnalité juridique aux requérants pour lettres patentes à moins..."

Article 52: "domicilié": ce terme a un sens précis en droit civil et pourra facilement susciter des controverses, sinon des injustices, pour les personnes qui voudront se prévaloir des exceptions prévues à cet article. Nous proposons que ce terme soit remplacé par le terme "résidant". Article 68: "l'Office est dirigé par un président...": cet énoncé nous laisse croire que le président de l'Office incarne tous les pouvoirs réglementaires et administratifs dévolus à cet organisme. Nous ne croyons pas que le législateur ait voulu créer une telle situation juridique et il nous paraît nécessaire que soit repensé et redéfini dans la loi tout le concept institutionnel de l'Office de la langue française.

Article 106a): "permis": ce terme est très vague et général et peut s'appliquer à tout "permis" émis par l'Administration, tel que ce dernier terme est défini au projet de loi numéro 1. Ceci risque d'anéantir la capacité d'exploitation des entreprises visées par l'article 106. A notre avis, ce terme devrait être éliminé ou, à tout le moins, défini, afin d'éviter les conséquences considérables qui pourraient découler de l'application de la loi dans sa rédaction présente.

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