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Version finale

31e législature, 2e session
(8 mars 1977 au 22 décembre 1977)

Le jeudi 23 juin 1977 - Vol. 19 N° 133

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition des mémoires sur le projet de loi no 1 - Charte de la langue française au Québec


Journal des débats

 

Audition des mémoires sur

le projet de loi no 1 :

Charte de la langue française

au Québec

(Dix heures quatorze minutes)

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

Je demanderais aux députés, aux invités et à tous de bien vouloir regagner leurs fauteuils pour que nous puissions commencer.

Il s'agit d'une nouvelle séance de la commission parlementaire élue, permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications dont le mandat est d'étudier, après la première lecture, le projet de ioi no 1 intitulé Charte de la langue française au Québec, et tout particulièrement d'entendre des témoins.

Je fais d'abord l'appel des membres de la commission et je demande à chacun des partis de bien vouloir m'indiquer les changements, s'il vous plaît.

M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie) remplacé par M. Charbon-neau (Verchères); M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Ciaccia (Mont-Royal) remplacé par M. Goldbloom (D'Arcy McGee); M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M. Grenier (Mégantic-Compton) remplacé par M. Biron (Lotbinière); M. Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé), M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda).

Pour ce qui est de l'ordre du jour, nous allons ajourner nos travaux à 13 heures et les reprendre, selon l'avis ou la motion du leader parlementaire du gouvernement, après les affaires courantes et la période des questions à l'Assemblée nationale. A 18 heures, nous suspendrons les travaux et les reprendrons — je l'annonce — à 20 heures jusqu'à au moins 23 heures. Je ne puis préjuger du consentement de la commission pour poursuivre après cette heure. Immédiatement, j'appelle...

M. Lalonde: On est prêt à le donner.

Le Président (M. Cardinal): On verra ce soir. Je suis prêt, à mon tour, à appeler nos premiers invités, le Barreau du Québec, mémoire 31. Mme Micheline Audette-Filion, je ne sais pas si c'est vous qui vous exprimez la première.

Vous devez, d'une part, identifier chacun des porte-parole de l'organisme et l'organisme lui-même, et, d'autre part, vous aurez, à compter de ce moment, 20 minutes pour présenter ou résumer votre mémoire, après quoi les députés auront 70 minutes pour vous questionner.

Débat suspendu

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, avant de vous donner la parole, il y a quand même un point de procédure que j'espère pouvoir brièvement régler. Au moment où nous nous réunissons, il y a devant nous une motion sur laquelle le débat a commencé hier soir. Je dois rappeler cette motion avant d'inviter les membres du Barreau à nous présenter leur mémoire. M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, c'est le député de D'Arcy McGee qui avait la parole, à ce moment. Maintenant, je pense qu'avec son consentement, nous pourrions faire la suggestion suivante. Malgré l'importance de la question qui était proposée par la motion, nous pensons qu'il est indiqué, qu'il est préférable d'écouter les témoins qui sont ici ce matin et de suspendre le débat sur cette motion—c'est ce que nous proposons — à plus tard, pas tellement plus tard, on verra quel sera le moment le plus propice pour demander à la commission de continuer.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Marguerite-Bourgeoys, seulement un point. Il n'y avait personne qui avait le droit de parole, parce que personne n'a demandé l'ajournement hier soir. Deuxième point, si la commission m'accorde un consentement unanime, je suspendrai le débat sur cette motion jusqu'au moment où elle sera rappelée par un membre de la commission. M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Merci, M. le Président. Etant donné que l'Opposition officielle a pris une nuit de repos et que la nuit a porté conseil, nous acceptons la suggestion de l'Opposition officielle.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le député de Bourassa.

M. Lalonde: M. le Président, j'aimerais quand même ajouter que je vous ai indiqué hier soir, à 23 heures, ainsi qu'au ministre, mon intention de demander la suspension du débat ce matin.

Le Président (M. Cardinal): C'est exact, sauf que, si j'ai bonne mémoire, ce ne semble pas avoir été enregistré au journal des Débats. De toute façon, je demande à l'Union Nationale, si le consentement est accordé.

M. Biron: Accordé.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Alors, nous suspendons le débat sur cette motion. C'est vraiment une suspension du débat. Je ne sais pas, M. le ministre...

Mme Lavoie-Roux: On verra.

Le Président (M. Cardinal): II se poursuivra au moment où la motion sera rappelée et qu'elle sera jugée acceptable ou recevable à ce moment. De toute façon, présentement, elle est jugée recevable et l'article 160 s'applique. Sans autre forme de procédure... Oui, M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Une directive, M. le Président. Ce que vous deviez rendre hier soir comme jugement, est-ce qu'il sera porté au moment où l'Opposition rappellera la motion?

Le Président (M. Cardinal): Non. J'ai dit hier soir, et ceci est rapporté au journal des Débats, qu'avant 23 heures, je rendrais une décision sur une motion, je pense, du député de...

Mme Lavoie-Roux: L'Acadie.

Le Président (M. Cardinal): ... L'Acadie.

M. Laplante: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): La nuit m'a peut-être porté conseil aussi, mais je ne rendrai pas cette décision ce matin. J'attendrai plus tard dans la journée.

Alors, madame et messieurs les porte-parole du Barreau.

Barreau du Québec

Mme Audette-Filion: M. le Président, M. le ministre, madame et messieurs les membres de la commission de l'éducation, des affaires culturelles et des communications, pour les fins du journal des Débats, mon nom est Micheline Audette-Filion, directeur de la recherche du Barreau du Québec.

Il me fait plaisir de vous présenter les personnes qui m'accompagnent ce matin. A mon extrême droite, Me Yvon Martineau, avocat de Montréal et membre du comité administratif du Barreau; à ma gauche, Me Pierre Panneton, directeur général du Barreau, et, à ma droite, Me Viateur Bergeron, bâtonnier du Québec.

Je dois mentionner tout d'abord que c'est avec plaisir que le Barreau a préparé ce mémoire et se présente ce matin pour la première fois devant une commission de la 31e Législature, fidèle en cela à une tradition de quelques années maintenant et à un souci constant de collaborer avec le législateur à tout projet de loi qui touche l'administration de la justice et les droits des citoyens.

Ce projet de loi est apparu au Barreau très important pour les Québécois; c'est pourquoi c'est le nouveau bâtonnier du Québec, Me Viateur Bergeron, en poste depuis le 3 juin dernier, qui vous présentera le mémoire du Barreau.

Le Président (M. Cardinal): M. le bâtonnier.

M. Bergeron (Viateur): M. le Président, M. le ministre, madame et messieurs les membres de la commission, notre premier point sera le suivant: Nous avons dit, dans l'introduction de notre mémoire, que nous appuyions le but visé par cette loi, soit celui d'assurer à tout citoyen du Québec qu'il puisse vivre en français dans toute la plénitude du mot "vivre", qu'il s'agisse de son travail, de ses communications ou de ses loisirs.

Nous sommes donc d'accord avec les objectifs généraux recherchés par ce projet de loi. Nous avons cependant quelques commentaires et quelques suggestions à faire sur les points suivants: premièrement, la langue de la justice; deuxièmement, le conflit ou, au moins, le conflit apparent entre la Charte de la langue française et de la Charte des droits et libertés de la personne; troisièmement, la législation réglementaire et, quatrièmement, l'appel, c'est-à-dire, prévoir un mécanisme d'appel.

Sur la question de la langue de la justice, notre position est définie dans notre mémoire et elle est bien connue. Nous demandons, premièrement, l'abolition de l'article 11 concernant l'obligation pour les personnes morales de plaider dans la langue officielle seulement.

Nous pensons que cet article n'est pas nécessaire pour la poursuite des objectifs généraux de la charte; cette restriction causera plus d'ennuis qu'elle n'apportera de bienfaits. Je résume brièvement les arguments qui sont dans notre mémoire.

Dans le cas de l'article 12, nous sommes d'accord avec l'idée que tout intéressé ait droit de recevoir des procédures en français et quand je dis recevoir, c'est justement dans ce sens que nous suggérons de modifier la loi pour prévoir que ce n'est pas tout intéressé qui doit, mais plutôt toute personne qui a reçu de la procédure.

Cependant, sur la façon dont ce droit sera exercé, le projet actuellement est silencieux et il nous semble qu'il faudrait prévoir des mécanismes. Faut-il les prévoir dans la loi sur la langue? Faut-il les prévoir au Code de procédure civile? Il appartiendra au législateur souverain de décider dans quel texte il doit les mettre, s'il décide de les mettre. Nous pensons qu'il faudrait prévoir comment ce droit accordé à l'article 12 sera exercé et quels seront les effets de l'exercice de ce droit.

Il est très important qu'une procédure, rédigée en anglais, n'entraîne pas nullité. Il faudrait sans doute prévoir un délai et un mécanisme que nous ne proposons pas de façon précise, mais nous disons qu'il faudrait en prévoir un de sorte que l'on puisse remédier à cette lacune de la procédure adressée en anglais à un francophone qui veut l'avoir en français, sans pour cela mettre en péril les droits des individus concernés et sans ajouter des délais qui pourraient être abusifs ou inutiles.

Evidemment, il peut arriver que des individus ou des avocats de langue anglaise qui ont le droit et l'avantage de vivre au Québec ne soient pas en mesure de rédiger rapidement en français une procédure à la dernière minute.

Nous pensons qu'il ne faut pas les pénaliser,

tout en respectant le droit du francophone de recevoir cette procédure en français.

Quant à l'article 13, je ferai des commentaires sur l'article 13 et l'article 35, paragraphe 1, en même temps, parce qu'évidemment, cela touche la même question. Il s'agit de la rédaction des jugements ou des sentences arbitrales. Nous sommes d'accord sur l'amélioration au livre blanc qui a été apportée dans le projet de loi, c'est-à-dire la possibilité pour un anglophone de rédiger en anglais... ou, en tout cas, cette précision qui ne nous était pas apparue claire dans le livre blanc. Nous sommes également d'accord qu'il y ait une version française authentifiée ou authentique qui en fasse foi. Le seul point sur lequel nous sommes en désaccord est le suivant. Nous croyons qu'en cas de désaccord entre les deux versions, entre la version originale rédigée en langue anglaise et la version française authentique qui l'accompagne, nous devrions donner préséance à la version du rédacteur. De sorte que nous pensons qu'il est plus utile de rechercher la pensée du rédacteur en toute matière, aussi bien dans le domaine des jugements que dans le domaine des conventions collectives.

Cela m'amène à vous parler du conflit, au moins apparent, des deux chartes. Il nous semble que l'article 172 devrait être abrogé ou retiré du projet. La position du Barreau là-dessus date de 1975 et date même d'avant. Elle a été affirmée carrément en 1975 quand on a fait état de la primauté que l'on voudrait accorder à la charte. Dans un mémoire qui avait été présenté à la commission parlementaire dans le temps, le Barreau avait fait état, justement, de la nécessité d'accorder à la Charte des droits et libertés de la personne une véritable primauté sur toute loi. Evidemment, le désir légitime du Barreau avait été, avec beaucoup d'à-propos, repris par l'honorable Jacques-Yvan Morin, qui est maintenant ministre de l'Education, qui était alors chef de l'Opposition officielle, et qui disait à la page 2750 des Débats de l'Assemblée nationale de 1975, que, justement, les propos du Barreau, à cet effet, "C'est ce qui faisait craindre le Barreau du Québec, dans l'une de ses récentes déclarations, que le projet ne demeure une déclaration de beau principe ou un énoncé de voeu pieu. Pourtant, M. le Président, la nécessité d'une loi fondamentale dont les principes primeraient les droits ordinaires et qui ne pourrait être modifiée que par une majorité spéciale ou qualifiée de cette assemblée n'est plus à démontrer." Et il continuait ainsi en démontrant comment la Charte des droits et libertés de la personne doit être vraiment une loi qui prime toutes les autres lois."

Les propos du ministre Morin se continuent à la page 5135 des débats de 1975, en date du 26 juin 1975 — c'est presque un anniversaire — et M. Morin dit: "M. le Président, pour être sérieux, je voudrais que l'on ajoute un paragraphe. Je propose la rédaction suivante, j'en fais une proposition formelle et je tiens à ce que l'on vote: "La présente charte prévaudra sur toute disposition législative à compter de l'adoption par l'Assemblée d'une loi de refonte des statuts du Québec." Cette proposition n'ayant pas reçu l'appui nécessaire, M. Morin revenait un peu plus tard en di- sant: "J'ai le sentiment que nous pouvons affirmer ce principe de la primauté et que même, techniquement, il ne serait pas nécessaire d'attendre une refonte des lois. "Si cette loi était vraiment une charte, et nous espérons qu'on va la traiter comme telle, même s'il y en a qui pensent que ce n'est pas une vraie charte — je parle de la Charte des droits et libertés de la personne — et si la primauté en était affirmée dès maintenant, les autres lois seraient automatiquement interprétées à la lumière de la charte et dans la mesure où les dispositions de lois antérieures ou postérieures seraient incompatibles avec la charte, elles tomberaient. Nous n'avons même pas à attendre une loi de refonte", etc.

Nous soumettons, c'est à la page B-5135 des débats du jeudi, 26 juin 1975... Nous sommes évidemment tout à fait d'accord avec ces affirmations de M. le ministre Morin, alors chef de l'Opposition officielle avec qui nous étions en accord également en 1975. Nous estimons qu'il faut accorder à la Charte des droits et libertés de la personne une véritable primauté. Si, chaque fois qu'on adopte une loi, si importante soit-elle, postérieure à la charte, on y fait accroc, comment pourra-t-on plaider auprès du public que c'est sérieux, la Charte des droits et libertés de la personne si, à tout propos, le gouvernement invoque toujours des raisons pour ne pas la respecter?

Nous soumettons que le législateur, à ce sujet, devrait donner l'exemple du respect de cette charte, votée unanimement, si ma mémoire est bonne, par l'Assemblée nationale en 1975, en troisième lecture.

Notre recommandation dit donc: Retirons l'article 172. Il y a peut-être lieu de faire autre chose. Nous ne nous sommes pas prononcés de façon détaillée là-dessus. Je pense bien qu'il serait utile ou nécessaire de dire que nous réservons notre droit de suggestion pour l'avenir si le gouvernement ou l'Assemblée nationale propose un amendement qui serait possiblement un amendement de la Charte des droits et libertés de la personne elle-même, si l'on suit ce qui nous était apparu comme la meilleure suggestion lorsque nous avons rédigé notre mémoire.

Il faut dire aussi que l'honorable Burns avait également appuyé le point de vue du Barreau en 1975. On trouve cela aux débats de l'Assemblée nationale du 22 janvier 1975, à la page B-312. M. Burns dit en réponse à une question: "Personnellement, je me place dans la position d'un ministre qui présente une loi. Je n'aurais aucune objection à me sentir lié par des lois antérieures, lorsque ces lois sont aussi fondamentales qu'une Charte des droits".

Nous sommes très heureux de reprendre à notre crédit cette affirmation de l'honorable Burns et de la soumettre en tout respect à cette honorable commission.

Je passerai maintenant à la législation réglementaire. Sur ce point, une félicitation d'abord. Nous sommes très heureux que le gouvernement ait accepté, à l'article 65, dé prépublier les règlements. C'est une précaution intéressante, qui a été longtemps plaidée par le Barreau, et nous sommes

très heureux de voir cette suggestion à nouveau incorporée dans l'article 65, premier paragraphe. Nous croyons que l'importance de la législation réglementaire en matière de langue obligera même cette honorable commission à entendre les citoyens sur les projets de règlements, lorsqu'il y a lieu.

Nous voudrions signaler ce qui nous apparaît probablement un oubli involontaire. A l'article 111, premier paragraphe: "L'office peut exiger de toute entreprise de moins de 50 salariés qu'elle procède à l'élaboration et à l'implantation d'un programme de francisation."

Nous n'avons pas d'objection pratique à cet article. Ce qui nous inquiète, ce sont les pouvoirs discrétionnaires accordés à l'office, sans qu'il n'y ait obligation pour le gouvernement ou le législateur d'édicter des règlements qui indiquent d'avance à ces entreprises visées quelles sont les conditions précises selon lesquelles la discrétion de l'office sera exercée.

Nous croyons qu'il faudrait incorporer dans l'article 111 le pouvoir de réglementation déjà prévu à l'article 109 pour les entreprises de plus de cinquante employés de façon que les critères soient connus d'avance.

Enfin, une dernière suggestion qui nous apparaît quand même importante, compte tenu des larges pouvoirs administratifs et discrétionnaires accordés, entre autres, à l'office. Nous pensons qu'il faudrait... Je voudrais signaler aux membres de cette commission que, dans une des versions du mémoire, la recommandation qui est à la page 15 n'est peut-être pas dans le texte que vous avez eu. Elle se lit comme suit: "Créer un tribunal d'appel composé de juges et investi d'un pouvoir de révision et de cassation des décisions administratives autorisées par la loi."

Un peu plus en détail, cela veut dire ceci: — J'ai fait la liste de toute une série de textes où on accorde une large discrétion administrative à l'office. Je vous en fais grâce. C'est simplement pour faire le tour nous-mêmes. Vous avez les articles 23 et 99, 37, 41, 42, etc.— Nous croyons que ces pouvoirs administratifs importants supposent un mode de contrôle. C'est la vieille théorie du contrôle judiciaire et, à ce moment-là, nous croyons qu'il est important que l'on crée un tribunal d'appel composé de juges — nous n'indiquons pas au législateur plus que cela. Il nous fera sûrement des suggestions; le législateur nous a démontré, ces derniers temps, qu'il a beaucoup d'imagination dans ce domaine. Nous attendrons ses suggestions — et investi d'un pouvoir de révision et de cassation. Cela nous paraît essentiel dans le cadre d'une véritable protection à accorder aux citoyens à cause de l'importance des pouvoirs et des décisions qui pourront être rendues par l'office.

Voilà, M. le Président, M. le ministre, madame et messieurs, l'essentiel de notre présentation.

Le Président (M. Cardinal): Merci beaucoup, M. le bâtonnier, d'autant plus que vous n'avez pas pris tout le temps mis à votre disposition. Ce n'est pas du temps accordé en supplément aux membres de la commission. M. le ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier le Barreau pour le mémoire très constructif et positif qu'il vient de nous présenter. Je le remercie également pour l'accord de principe qu'il donne aux objectifs généraux du projet de loi. Nous considérons toujours avec beaucoup d'attention les avis que nous fait parvenir le Barreau, et comme le bâtonnier vient de le souligner lui-même, c'est à la suite de représentations antérieures qu'il nous a faites que déjà nous avions procédé à quelques reformulations de notre avant-projet. C'est avec la même attention que nous considérons toutes les propositions qu'il nous fait aujourd'hui.

J'aborderai immédiatement les recommandations spécifiques qu'ils nous font et, en particulier, celles qui concernent l'article 172. Je remercie le bâtonnier de nous avoir rafraîchi la mémoire par les déclarations de l'honorable Jacques-Yvan Morin, chef parlementaire et chef de l'Opposition officielle du Parti québécois en 1975. Je reprends entièrement à mon compte les déclarations, les énoncés de principe faits à cette date par mon collègue. Ceci correspond en effet, encore aujourd'hui, à la philosophie de la société qui est la nôtre.

Je remarque que Me Jacques-Yvan Morin avait fait à l'époque une motion qui n'avait pas été appuyée par le gouvernement précédent. Il n'en demeure pas moins que le principe qui était à la base de cette motion me semble encore valable et nous essaierons dans toute la mesure du possible de le respecter. Je me suis déjà expliqué à ce sujet. Si nous avons inséré cet article 172 dans le projet de loi, c'est parce que nous voulions signaler que nous étions très conscients de la concordance à effectuer entre ces deux lois, mais que, par ailleurs, dans ce domaine délicat, complexe, nous n'avions pas terminé notre étude. Nous avions une inquiétude, cependant, c'est que certaines dispositions du projet de loi no 1 puissent être rendues inopérantes par certaines actions judiciaires, si ce problème n'était pas résolu avant l'adoption du projet de loi. Nous n'avions pas la prétention d'avoir étudié le problème dans sa complexité et dans son entier et nous attendions les suggestions de spécialistes, de corps tel que le Barreau ou d'organismes tels que la Commission des droits et libertés de la personne, afin de prendre une décision définitive à cet égard.

Nous avons toujours été persuadés cependant que le projet de loi no 1 ne constituait en rien, du moins, pour l'essentiel, une atteinte aux principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne et aux modalités d'application des droits qui y paraissent. C'est encore notre conviction. Je pense qu'à la suite des suggestions qui nous sont faites et qui nous conduiront sûrement à reformuler l'article 172 ou à la remplacer par des articles plus idoines, plus pertinents, cette affirmation que nous faisons s'avérera et que notre philosophie apparaîtra d'une façon plus claire. Je tiens cependant à souligner que, même actuellement, la

Charte des droits et libertés de la personne, par son article 52, laisse la porte ouverte à des modifications.

Ce qui veut dire que même une Charte des droits et libertés de la personne n'est pas sacrée au point qu'on ne s'interdise à jamais de la modifier, car on ne peut figer l'évolution d'une société. Le droit aussi est une discipline qui évolue, qui constate les changements qui s'effectuent au sein d'une société qui les entérine, qui les juge parfois, mais qui les entérine aussi souvent. Je pense que si le législateur a laissé une porte ouverte à l'article 52, c'est précisément pour faire droit à cette évolution nécessaire des sociétés, à telle enseigne que, très prochainement, nous serons obligés, nous présenterons une loi qui nous obligera à modifier l'article 52. Je pense, par exemple, aux modifications que nous voulons présenter prochainement à la Loi des petites créances. C'est un exemple qui pourra se répéter dans l'avenir.

La Charte des droits et libertés de la personne est donc, en ce sens, malgré son caractère extraordinaire, une loi qui est susceptible d'amendement et qu'on ne devrait pas révérer à l'exemple du veau d'or. C'est un instrument essentiel, bien sûr. C'est un gardien des fruits de notre civilisation, mais il reste quand même que nous avons le droit de la regarder et de l'amender lorsque les besoins et les aspirations légitimes des individus et de la société l'exigent.

Par ailleurs, même si la Loi des droits et libertés de la personne porte le nom de charte, elle n'est quand même pas le seul corps législatif qui puisse mériter ce nom. Si nous avons donné le nom de charte à la loi qui prétend défendre et promouvoir le français au Québec, c'est que, précisément pour nous, cette visée nous paraissait essentielle, aussi bien dans les circonstances actuelles que dans une optique plus large et qui s'étend davantage dans le temps.

Il reste, encore une fois, que je reprends pour ma part, à mon compte, la philosophie qui a présidé aux énoncés de Me Jacques-Yvan Morin, dans le temps où il s'exprimait sur ce sujet, et que nous tenterons d'expliciter, à la lumière de ces principes, les préoccupations qui sont les nôtres.

En ce qui concerne l'article 11, j'aurais beaucoup de questions à vous poser. Je voudrais vous demander si, à votre connaissance, il est vrai que tous les avocats au Québec sont bilingues?

M. Bergeron: C'est difficile de... On n'a pas fait de sondage scientifique là-dessus, sauf que, d'expérience, je ne crois pas que l'utilisation très libre, dont j'ai eu connaissance moi-même plusieurs fois en cour et dans les actions judiciaires, de l'anglais et du français ne m'a paru, à moi, gêner aucun confrère depuis 1960, depuis que j'exerce le droit. C'est un témoignage, et les témoignages de beaucoup de confrères autour de moi sont en ce sens. Il y avait quelques petits accrochages, des fois, qui seront corrigés.

Je vous signale, par exemple, que, lorsqu'un juge anglophone rend une décision en anglais, qu'on puisse avoir une copie authentique en français, c'est excellent, parce que, parfois, les fran- cophones se plaignaient, je pense à bon droit, de ne pas avoir une copie du jugement en français et tous les juges ne se sentaient pas aussi libres de s'exprimer, parce que c'est beaucoup plus facile de comprendre.

Les avocats m'ont toujours paru, en tout cas dans le district de Montréal ou dans le district de Hull que je connais mieux, où, d'ailleurs, la question de l'anglais et du français se pose quotidiennement... Vraiment, il s'était développé des mécanismes pratiques de fonctionnement qui ne créent pas de problèmes, de l'avis quasi unanime de tous les confrères.

Alors, nous disons: Cela va bien dans ce domaine. On ne se pile pas sur les pieds. On se respecte. Chacun parle la langue qu'il veut et est compris de l'autre, raisonnablement. C'est bien de prévoir la possibilité d'interprètes. Cela existait déjà. On a toujours pu avoir recours à la possibilité des interprètes.

Alors, on se dit: Pourquoi changer cette chose qui ne semble pas créer de problème et qui semble satisfaire les droits de tout le monde? Si on voulait codifier les coutumes innombrables en vertu desquelles cela se fait, cela serait très difficile, mais nous ne pensons pas qu'il y ait lieu de changer le régime qui ne crée pas de problème, de l'aveu d'à peu près tout le monde.

Evidemment, au Québec, quel que soit le statut politique — et ici, notre intervention est absolument apolitique; nous n'avons pas à prendre partie pour un parti ou pour l'autre et nous nous en abstiendrons absolument... A l'université comme au Barreau, un juriste avocat, notaire ou professeur doit être un bilingue assez parfait à cause du nombre d'ouvrages en anglais dont il doit obligatoirement prendre connaissance et, de plus en plus, avec l'influence américaine qu'on ne peut pas oublier. On ne peut pas rejeter tout ce qui se fait ailleurs. C'est évidemment en langue anglaise que beaucoup de volumes et de sources extrêmement importantes sont disponibles, et la jurisprudence des autres provinces du Canada, la jurisprudence ancienne du Conseil privé, la jurisprudence ancienne de la Cour suprême, lorsque les jugements n'étaient pas rendus dans les deux langues... Donc, il y a une certaine obligation naturelle et normale pour les avocats de connaître l'anglais, de bien le comprendre, de bien le lire et de pouvoir le parler raisonnablement, même s'il le parlent avec un accent et, au Barreau, on n'est pas scrupuleux. Les accents ne nous font pas rire. Alors, que les gens parlent le français ou l'anglais avec un accent, on s'inquiète beaucoup plus du message que de la forme ou de l'accent ou de la prononciation du bonhomme.

Cela a été notre expérience. C'est pourquoi on hésite à introduire des règles qui vont changer le système qui fonctionne bien, avec lequel on s'accommode et, s'il y a des petits accrochages, comme la version française de tout jugement pour tout justiciable qui en veut une ou qu'on en fasse une automatiquement, je suis d'accord. C'est très bien, mais il y a peu de choses à corriger dans ce domaine, il me semble.

M. Laurin: Arrive-t-il que des avocats francophones qui plaident devant les organismes fédéraux, un tribunal fédéral quelconque où la Cour suprême soient obligés de plaider en anglais.

M. Bergeron: J'ai plaidé moi-même à plusieurs reprises devant la Cour suprême du Canada et je ne me suis jamais posé la question. Un juge de la Cour suprême qui est maintenant décédé, qui a été juge en chef, l'honorable Taschereau, m'avait dit: Si tu es francophone et si tu plaides devant la Cour suprême, à moins d'être parfait en anglais, plaide donc dans ta langue. Les juges estiment qu'ils comprennent tous le français et, en fait, je pense qu'ils le comprennent tous très bien et je me suis toujours senti personnellement — je ne peux pas parler pour tout le monde — mais j'ai plaidé avec des conseils, j'ai vu d'autres confrères, je pense qu'actuellement, en tout cas... J'ai plaidé devant la Cour suprême du Canada la semaine dernière en français, en me sentant tout à fait à l'aise. Je pense qu'il en est de même devant la Cour fédérale, d'après le témoignage des confrères que j'entends. Je pense qu'on n'est vraiment jamais, devant les organismes fédéraux, obligé de plaider en anglais, quand on est francophone.

M. Laurin: Avez-vous l'impression que c'est une pratique générale qui est suivie maintenant ou si c'est votre cas personnel? Est-ce que votre cas personnel est imité à peu près par tout le monde?

M. Bergeron: Oui. De plus en plus, les avocats francophones plaident — en tout cas devant la Cour suprême où j'ai vu plus souvent l'affaire — en français, et on conseille à des confrères qui nous posent la question de plaider en français.

M. Laurin: Dans les autres provinces, on sait que parfois des avocats francophones sont obligés de plaider en anglais, que ce soit en Ontario, au Manitoba, par exemple. Je pense à cette fameuse cause qui est présentement en instance où un M. Forest a présenté une plainte. Son avocat francophone a plaidé en anglais, le juge francophone a également rendu son jugement en anglais. Est-ce qu'on pourrait conclure de cette pratique, qui est générale au Manitoba et en Ontario, que le client, du fait qu'il est francophone, mais qu'il est défendu en anglais par un avocat anglophone, ne peut réussir à obtenir de son avocat qu'il plaide dans une langue différente de la sienne, que la qualité de son action soit amoindrie, du fait que l'avocat francophone plaide dans une autre langue que la sienne?

M. Bergeron: On est un peu loin de notre mémoire, mais je vais essayer d'y répondre quand même. Le problème est très différent en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Je ne connais pas beaucoup la situation au Manitoba. Mais j'ai rencontré de nombreux avocats de l'Ontario et de nombreux avocats du Nouveau-Brunswick. Or, ces avocats ont été "entraînés", si on me permet le mot, ont fait leurs études et ont toujours travaillé en anglais. Curieusement, plusieurs avocats francopho- nes, dans ces provinces, pour être très franc, auraient de la difficulté demain à se mettre à plaider en français si on ne met pas à leur disposition des outils comme des lexiques bilingues et différents ouvrages traduits en français ou ayant une version anglaise et une version française, l'une à côté de l'autre parce qu'ils ont toujours travaillé en anglais. Ce n'est pas le cas des avocats francophones ou anglophones au Québec où chacun, de plus en plus, travaille dans les deux langues ou principalement dans sa langue.

De sorte que l'argument que l'on fait dans notre mémoire, c'est là sans doute que vous l'avez pris, de la plus grande facilité pour un avocat anglophone ou francophone de plaider dans sa propre langue, c'est très valable, à notre avis, pour les avocats du Québec qui ont cette tradition de bilinguisme, cette obligation d'être bilingue, et ils sont habitués à s'exprimer dans leur langue.

Pour ma part, je me sens beaucoup plus à l'aise de plaider en français, évidemment, qu'en anglais, et je pense que c'est l'inverse pour un certain nombre de confrères. C'est vrai pour le Québec, mais c'est bien particulier au Québec, à cause de notre tradition de bilinguisme judiciaire pratique, si on peut dire.

M. Laurin: Etant donné que votre suggestion d'abroger l'article 11 impliquerait justement qu'on laisse le libre choix aux parties de plaider dans la langue qui leur convient le mieux, est-ce que je pourrais vous demander votre réaction à la suggestion que la question de ce libre choix soit soumise aux parties, au consensus des parties, à l'instance?

M. Bergeron: C'est l'addition qui a été faite. Le problème de cette addition, c'est que ça nous amène, nous semble-t-il, à une situation impossible. C'est-à-dire que si vous avez un francophone et un anglophone irréductibles, ils ne consentiront jamais. Ou bien, si le francophone consent, il va être obligé de plaider en anglais, parce qu'en somme, si j'ai bien compris le texte, on veut éliminer le bilinguisme judiciaire, à toutes fins pratiques. C'est un choix qu'on peut faire. Mais ça fait en sorte qu'un droit qui m'apparaît plus fondamental, c'est que la personne ne peut pas s'exprimer dans la langue qu'elle connaît le mieux, je parle du français ou de l'anglais, alors que l'autre comprend.

Evidemment, la seule restriction qu'on pourrait peut-être imaginer, c'est lorsque quelqu'un ne comprend absolument pas l'anglais et il pourrait dire: Au Québec, quand on ne comprend absolument pas l'anglais, je voudrais que les débats se fassent en français ou qu'on me les traduise régulièrement, qu'on me mette à l'aise. C'est normal. Il faudrait peut-être prévoir un mécanisme. On pense que l'article, tel que rédigé, va trop loin et que l'addition empire la situation, parce qu'elle crée une situation qui m'apparaît identique à celle que certains juges de l'Ontario m'ont exposée. Cela n'est pas une présentation scientifique, mais ils m'ont dit que, dans certains milieux, lorsque les avocats étaient francophones, l'accusé franco-

phone, que ça se passait au criminel que le juge était francophone et qu'il n'y avait pas d'appel de la décision, parce que s'il y a un appel, il fallait que le procès, en tout cas tout récemment, se fasse en anglais.

Là, tout le monde ayant consenti, on faisait l'affaire en français, parce que ça n'allait pas plus loin que le juge de première instance. C'était exceptionnel, mais ça se faisait de temps en temps. On s'est servi de ça comme exemple pour essayer d'élargir l'expérience des tribunaux bilingues comme on vient de le faire en Ontario, où trois juges vont siéger et présider des procès en français.

Autrement, pour tout le monde, vous pouviez avoir la situation et vous l'avez encore de façon générale, à mon avis, où vous avez tous des francophones qui sont obligés de procéder en anglais. Ici, on aurait l'inverse. Vous pourriez avoir tous des anglophones qui sont obligés de procéder en français de façon maladroite et de façon mal à l'aise et inutilement, nous semble-t-il, parce que les avocats sont suffisamment bilingues pour se débrouiller facilement là-dedans.

En somme, la philosophie qui sous-tend notre mémoire dit: Les objectifs que vous visez, on trouve ça excellent, mais nous ajoutons: Dans certains cas, est-ce que vous n'allez pas un peu loin un peu vite? Si vous essayez le régime sans mettre ça, nous croyons que ça nous semble une aspérité sur laquelle les gens vont s'accrocher en passant, sans nécessité. Enlevons ça et essayons le régime. Il y a déjà beaucoup de choses dans votre projet de loi, si on vivait avec cela un peu. On verra, le législateur est souverain, il pourra réintroduire quelque chose de semblable à n'importe quel moment, si les objectifs visés n'apparaissent pas avoir été atteints.

Si vous me permettez, M. le ministre, j'aimerais vous faire un petit commentaire sur l'article 172 sur lequel vous avez... je suis content que nous soyons d'accord sur les principes, c'est sur la mise en oeuvre que nous différons d'opinion.

M. Laurin: Pour le moment.

M. Bergeron: M. le ministre, pourrais-je vous faire une suggestion relativement à l'article 172? J'en parlais avec mes collègues ce matin, en chemin, et on se disait: II nous semble peu probable — peut-être sommes-nous naïfs — qu'il y ait autant de conflits entre les deux chartes.

M. Laurin: Très certain.

M. Bergeron: Si c'est vrai et comme on présume de la bonne foi, on pourrait présumer que cette situation normale est raisonnable aussi; pourquoi ne pas enlever l'article 172? Laissons le jeu des forces démocratiques et les libertés s'exercer, dans le cadre de ce nouvel objectif. Si vraiment, il y en a qui exagèrent, la Charte des droits et libertés de la personne et la commission pourront allumer le feu rouge, et dire: Non, là, vous ne respectez pas les droits fondamentaux. Vous faites de la discrimination inacceptable à notre point de vue. C'est pour cela que la commission existe.

Laissons-lui jouer son rôle. Dans le cas de l'article 172, ma suggestion serait la même. Vivons avec le projet de loi, sans l'article 172, au moins pour un an. Vous savez, quand le projet de loi 22 a été proposé, je me rappelle avoir entendu beaucoup de confrères dire: "Beaucoup de gens prétendent qu'il y aura toute une série de procès à la suite de l'adoption de cette loi". A ma connaissance, il n'y en a eu qu'un. On ne va pas faire un drame parce qu'une loi a engendré un procès, fût-il important, fût-il sérieux? Cela ne nous paraît pas avoir paralysé la mise en application de la loi 22, telle qu'elle a été adoptée, avec ses grandeurs, ses misères et ses défauts.

Est-ce qu'on ne pourrait pas essayer de vivre sans l'article 172? Il nous semble que cela pourrait permettre au gouvernement de dire: Ecoutez, voyez comment, malgré nos objectifs qui visent à faire en sorte que la majorité francophone se sente chez elle et vive pleinement en français, selon ses désirs, cela n'affecte pas les droits fondamentaux de la personne et ses libertés. La preuve, c'est qu'à la suite des suggestions qu'on nous a faites, on l'a enlevé, l'article 172, laissant à la commission sa pleine chance de jouer son rôle.

C'est une position d'une force extraordinaire pour un gouvernement comme le vôtre et pour une Assemblée nationale comme celle que nous avons au Québec. Il y aurait, j'imagine, une possible unanimité de tous les partis là-dessus. Cela donnerait une grande force aux deux lois, qui n'est pas négligeable. Il n'y a pas de doute, ce sont deux lois très importantes. Est-ce qu'il y en a une qui doit primer? Il nous semble que oui, parce que les droits fondamentaux doivent toujours rester fondamentaux. Il ne faut pas toucher à cela. Il faut trouver tous les moyens de ne pas y toucher. Nous nous permettons cette suggestion, M. le ministre.

M. Laurin: Je vous remercie beaucoup pour cette suggestion. Pour terminer, je voudrais commenter brièvement trois autres recommandations que vous nous faites. Vous nous demandez de préciser le mot "Québécois". Soyez sûr que nous sommes à l'oeuvre et que le projet de loi sera très clair à cet égard.

Vous nous demandez aussi, à l'article 12, de remplacer "tout intéressé" par "celui qui reçoit les avis, citations", cela aussi nous semble être une suggestion très valable et nous allons la prendre en très sérieuse considération.

Enfin, en ce qui concerne l'article 111, qui intéresse les entreprises de moins de 50 employés, il nous paraît, en effet, sérieux d'envisager, là aussi, une réglementation, ne serait-ce que pour apaiser certaines inquiétudes légitimes. Là aussi, je pense bien que nous ferons l'impossible pour suivre votre suggestion.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Merci, M. le Président. M. Bergeron, je désire remercier le Barreau de son mémoire, plus particulièrement, de la présentation

qui en a été faite, sans la formalité qui souvent accompagne une telle présentation, et plus particulièrement dans les réponses que vous avez données ou dans les commentaires que vous avez faits à la suite des remarques du ministre. Vous avez fait preuve d'une rigueur intellectuelle, d'un à-propos qui, je l'espère, et j'en suis presque sûr, ont impressionné tous les membres de cette commission. Je vous en félicite.

Au départ, j'ai trouvé votre mémoire extrêmement pertinent. Ce sont des questions que plusieurs personnes d'ailleurs, et plusieurs groupes — et je ne veux pas vous enlever la paternité de ces idées — ont soulevées, des questions qui inquiètent beaucoup de gens relativement au projet de loi no 1.

Lorsque, à la première page, vous dites que vous êtes d'accord avec les objectifs, il serait intéressant de relever tous les mémoires qui ont été présentés ici par les intervenants et de démontrer jusqu'à quel point l'unanimité est établie là-dessus. Je pense aussi — je ne veux pas parler pour les autres partis politiques — que nous nous entendons sur la pertinence et le bien-fondé des objectifs que l'on recherche, de même les milieux anglophones. C'est sur les moyens qu'on ne s'entend pas toujours et, de plus en plus — je pense qu'il est trop tôt pour faire l'inventaire de cette commission parlementaire — on s'aperçoit qu'une loi touchant la personne de façon aussi intime dans sa façon de s'exprimer, dans la langue qu'elle choisit, dans sa culture, cette loi doit faire preuve de beaucoup de mesures, même si on doit, à ce moment-là, faire preuve... ou se restreindre un peu dans ses envolées émotives, dans le battage publicitaire qu'on est tenté d'en faire, dans le capital politique qu'on est tenté d'en rechercher. Je pense que la responsabilité d'un gouvernement, à ce moment-là, est beaucoup plus liée à la façon, à la mesure avec laquelle il va mettre en oeuvre une loi linguistique.

J'ai eu l'occasion — je pense que c'est au début du discours du budget, je crois que c'était après la publication du livre blanc — de faire un appel au gouvernement avant la publication de son projet de loi, un appel à la tolérance. Un certain climat, une certaine atmosphère dans le livre blanc m'avait inquiété à ce propos-là. J'ai voulu faire l'appel de façon non partisance en mettant peut-être derrière cet appel l'expérience que j'ai vécue dans l'application de la loi 22. Qu'on en pense ce qu'on voudra, cela nous a quand même donné en tout cas, à moi personnellement, une connaissance un peu privilégiée de ce qui arrive quand on essaie d'appliquer une telle loi. Même lorsqu'il n'y a pas d'intolérance, qu'il n'y a qu'apparence d'intolérance, le dialogue est brisé.

Je ne pense pas que le projet de loi no 1 fasse état de cet appel que je lui avais fait. Il contient encore beaucoup de moyens trop abusifs. Je pense que le gouvernement a mis ses gros sabots pour légiférer là-dessus, par inexpérience, ignorance ou intérêts politiques, je l'ignore. Ce n'est pas le but de mon propos de lui prêter des intentions, c'est simplement de juger du résultat. A ce point de vue, votre mémoire et celui de bien d'au- tres ont soulevé des questions extrêmement pertinentes. Déjà en mars, j'avais demandé au gouvernement s'il avait l'intention de mettre de côté la Charte des droits et libertés de la personne. Le livre blanc n'était même pas publié à ce moment-là. J'avais reçu un engagement formel et solennel du ministre de la Justice selon lequel la Charte des droits et libertés de la personne serait respectée. On l'ampute à froid et on me dit: Une fois amputée, elle sera respectée. C'est une réponse qui, de la part d'un ministre de la Justice, n'est pas acceptable et je pense que, surtout depuis la publication... Je pense qu'on doit rendre hommage à la Commission des droits de la personne d'avoir fait, de sa propre initiative, cette étude datée du 6 juin. J'avais demandé au ministre de la Justice de consulter la commission et il avait refusé. Nous devons à la commission sûrement un témoignage de reconnaissance.

Depuis la publication, je pense que le gouvernement s'est rendu compte de l'importance. Vous savez, quand les gens de l'Opposition invoquent des arguments, il arrive quelquefois qu'ils ne sont pas pris très au sérieux, parce qu'on dit: II faut qu'ils soient contre. Cela prend un petit peu plus de temps, à ce moment, pour établir la crédibilité de ces arguments. Il n'y a pas de doute que l'exercice que nous faisons actuellement, y compris votre mémoire ce matin, est un élément essentiel pour faire comprendre au gouvernement le sérieux des objections que nous pouvons avoir.

Quant à votre suggestion pour l'article 172, je serais prêt à l'accepter, oui. J'aimerais peut-être que le ministre, éventuellement — mais je ne peux pas lui poser de questions, la procédure, actuellement, l'empêche — quand il nous dit que le gouvernement est inquiet, que certaines dispositions seraient devenues inopérantes si la Charte des droits et libertés de la personne était demeurée telle quelle... D'un autre côté, on nous dit: On ne viole pas la Charte des droits et libertés de la personne. Alors, il y a une certaine contradiction. Sous réserve de ces questions, je serais d'accord avec vous pour vivre avec la Charte des droits et libertés de la personne et de voir. Au pis aller, au moins, qu'on s'impose le devoir de définir clairement les droits, s'il y a des droits collectifs — il y en a sûrement à définir — et les droits des minorités. C'est la conclusion de la commission des droits et libertés de la personne.

On peut reprocher à ce projet de loi une absence, une façon de libeller les articles, de créer des droits sans obligations tout à fait claires, obligations correspondantes, et surtout de ne pas parler des droits de cette autre réalité québécoise, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, qui est l'existence de minorités. A ce propos, je pense que, si le gouvernement n'accepte pas votre suggestion, je suis de plus en plus optimiste, toutefois, et l'ouverture du ministre ce matin doit être remarquée, peut-être signalée, même par l'Opposition. J'espère et j'engage le gouvernement à faire l'effort de définir... Si on veut changer la Charte des droits et libertés de la personne — je suis d'accord avec le ministre, ce n'est pas immuable — qu'on prenne les façons, les manières de changer une charte,

qu'on consulte tout d'abord la commission des droits et libertés de la personne sur les changements à apporter, qu'on consulte la population, qu'on convoque la commission de la justice et non pas celle de l'éducation.

Je pense que l'aspect fondamental de cette charte est de plus en plus reconnu. Malheureusement, le député de Maisonneuve, que vous mentionniez tantôt, a un peu changé d'idée quant au bill 2. M. le Président, vous allez me rappeler à l'ordre, étant donné qu'on étudie le bill 1. Je crois quand même que les témoignages que vous avez mentionnés sont pertinents.

Sur la traduction des jugements, j'ai bien aimé votre exposé. On a ici un expert, apparemment, en traduction; je ne veux pas lui donner plus de compétence qu'il n'en a, peut-être qu'il en a plus que je ne lui en donne. De toute façon, le député de Deux-Montagnes, on m'a dit qu'il était un expert en traduction. Il nous avait fait une remarque ici, il y a quelques jours, en latin, je ne me souviens pas exactement, mais en traduction libre, je lui demande de me corriger si je fais erreur, ce serait un peut "traduire, c'est trahir", ou quelque chose comme cela.

M. de Bellefeuille: M. le Président, je voudrais seulement apporter un correctif. C'était en italien et non en latin.

M. Lalonde: Ah bon!

M. de Bellefeuille: C'était "traduttore, tradi-tore".

M. Lalonde: Ma connaissance du latin a quelques années et celle de l'italien, encore plus. Traduire, c'est trahir. Je pense qu'en français, c'est assez bien aussi, phonétiquement.

M. Alfred: Traduire, c'est trahir.

M. Lalonde: Traduire, c'est trahir, surtout dans une science aussi inexacte que le droit, où la nuance est un élément essentiel.

Je suis d'accord avec vous que pour le droit fondamental d'une meilleure justice à chaque contribuable, à chaque justiciable, on doit choisir la langue de celui qui a fait le jugement. Je suis tout à fait d'accord avec vous, et j'espère que le ministre vous écoutera aussi.

Quant à l'article 65, oui, je suis prêt à souscrire aux félicitations que vous adressez au gouvernement, quoiqu'elles me semblent se retrouver hors contexte. Parce que même plusieurs lois, en fait, ça devient une habitude, c'est devenu presque une tradition et même la loi 22, qu'on ne mentionne pas ici, parce que c'est sacrilège, prévoyait une prépublication de 90 jours, ce qui est assez exceptionnel. Je dois vous dire que dans la mise en application de cette loi pendant deux ans, les deux ans qui ont été consacrés surtout à la préparation des règlements, cette prépublication de 90 jours a été d'une aide exceptionnelle pour le gouvernement, pour éviter des écueils, etc.

Est-ce que le ministre pourrait changer de 60 à 90 jours, lorsque nous arriverons à l'étude article par article, probablement que nous lui ferons cette suggestion.

Je n'ai pas de questions particulières. Je pense que votre mémoire, sur les sujets que vous soulevez, est extrêmement pertinent et je vous en félicite. Je vous remercie.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Lotbinière.

M. Biron: M. Bergeron, je vous remercie de votre mémoire. Je suis frappé en particulier par l'importance que vous attachez aux droits de la personne, surtout devant les tribunaux. Je ne répéterai pas ce que le député de Marguerite-Bourgeoys a dit tout à l'heure, mais j'ai déjà dit ici que j'ai vécu une expérience à peu près similaire en langue anglaise, toutefois, parce que j'avais accepté de plaider en langue anglaise devant la Cour fédérale. Or, après coup, je me suis aperçu que j'aurais dû plaider en langue française et laisser l'autre partie plaider en langue anglaise aussi. J'ai voulu accélérer les débats, mais ça n'a pas été à mon avantage, à cause des nuances que vous avez mentionnées tout à l'heure, tout ce qu'il y a dans le domaine du droit, en particulier. Alors, je n'ai pu livrer le fond de ma pensée et le fond de mon âme dans mes problèmes particuliers ou dans les réponses que j'avais à apporter aux questions de mon procureur ou du procureur de l'autre partie.

Je suis totalement d'accord avec vous lorsque vous suggérez que le projet de loi no 1 laisse aux individus et même aux personnes morales — à l'époque, je représentais une personne morale, mais comme individu, j'étais là — le droit de répondre ou d'être questionnés dans leur langue devant les tribunaux de notre province, de notre pays.

Je voudrais vous poser quelques questions en particulier pour m'éclairer, car je ne suis pas un juriste. A la page 10 de votre mémoire, vous dites: Nous suggérons que l'article 13 précise plutôt que les deux versions du jugement soient officielles et, en cas de divergence, la version originale prévaut, quelle que soit la langue de cette version. Comme juriste, comment voyez-vous l'ajustement de ces deux versions, en fonction de la langue officielle ou des langues officielles?

M. Bergeron: Vous avez déjà des lois qui sont généralement en deux versions et ça ne pose pas de problèmes irréconciliables. Ce n'est pas si fréquent que ça qu'il y ait une différence entre la version anglaise et la version française. Il y a peu de procès qui ont été faits sur la différence des versions, de toute façon, et je ne pense pas que le fait qu'il y ait deux versions... Je pense que les deux versions devraient être originalement, quant aux originaux, ensemble, dans le dossier de la cour, les parties choisissant de demander les deux versions ou de n'en demander qu'une seule, puisque les deux sont authentiques et officielles. Mais on pourrait adopter le système de la Cour suprême, de la Cour fédérale, quand on publie les jugements, on les publie côte à côte.

C'est avantageux parce qu'on peut tout de suite avoir... C'est une façon de vérifier l'exactitude et la concordance des deux versions quand on les a côte à côte. C'est beaucoup plus facile. Cela pourrait être une façon. Les jugements de la Cour suprême sont rendus selon cette méthode, les jugements officiels. Vous avez les deux versions côte à côte. Quand on a à vérifier si on est d'accord avec le projet de jugement — c'est une procédure particulière où le registraire de la cour nous envoie un projet de jugement, il nous envoie un projet de jugement dans les deux langues, sur la même feuille. Alors, on regarde les deux versions et on a tout de suite, en face de nous, les deux versions, commodément, et on peut voir si c'est conforme à la décision de la cour et si les deux versions concordent. Je pense, en tout cas je n'ai pas eu connaissance, depuis que le système a été mis en place à la Cour suprême qu'un seul débat soit retourné devant la cour quant au sens à donner à cause des versions. Il y en a des débats, mais sur le sens à donner au jugement, mais je n'ai pas eu connaissance... Je ne dis pas qu'il n'y en a pas eu, mais je n'ai jamais entendu dire qu'il y avait eu des débats. Pourtant, je peux dire qu'à l'époque, beaucoup de confrères anglophones avaient fait beaucoup d'objections à ce qu'il y ait deux versions côte à côte, aussi bien dans les lois fédérales que dans les jugements de la Cour suprême, par exemple, en disant: Cela fera l'objet de procès, de discussions et des difficultés énormes. On attend encore les difficultés, à toutes fins pratiques.

M. Biron: C'est peut-être plus facile au niveau fédéral, où on reconnaît officiellement le français et l'anglais comme les deux langues officielles du pays, d'avoir les deux versions, et, s'il y a difficulté d'interprétation, c'est toujours la version originale qui prévaut. Mais, au Québec, y aurait-il possibilité de reconnaître une certaine officialité a l'anglais au point de vue des textes de loi, parce que si on ne reconnaît l'anglais nulle part dans cette charte linguistique, c'est quand même difficile de dire qu'un texte de loi ou qu'une version de jugement originairement en anglais va prévaloir sur la version de jugement en français?

M. Bergeron: Je pense que le ministre a dit à plusieurs reprises que l'anglais n'est pas devenu hors-la-loi, premièrement. Donc, on peut dire dans une loi: Un jugement rédigé en anglais ou une traduction anglaise d'un jugement en français sera officielle. Je ne pense pas que cela crée quelque difficulté que ce soit. C'est parfaitement dans les pouvoirs de l'Assemblée nationale de décréter cela, et je ne crois pas que quiconque pourrait y trouver l'ombre ou un soupçon de matière à procès.

M. Biron: Voudriez-vous voir dans une charte linguistique les droits de l'anglais définis plus clairement parce que, jusqu'à maintenant, les droits de l'anglais ne sont pas définis dans cette charte?

M. Bergeron: Nous n'avons pas étudié du tout cet aspect de la question et je n'aimerais pas vous donner une réponse du bout des lèvres ou sans réflexion sur un problème aussi sérieux que celui que vous soulevez. Nous n'avons pas étudié la question du tout.

M. Biron: Mais en ce qui concerne la langue des tribunaux, la langue de la justice, le fait qu'on ne mentionne à peu près pas l'anglais ou qu'on le laisse de côté dans cette charte, cela ne vous crée pas de problèmes?

M. Bergeron: Là où cela nous crée des problèmes, on l'a signalé. On a dit: Dans tel domaine, par exemple, on voudrait que vous laissiez les parties libres de parler l'anglais. C'est cela que ça veut dire. C'est-à-dire que l'anglais peut être utilisé, selon notre interprétation de la charte, devant les tribunaux, sans aucun problème, à moins d'une interdiction nouvelle qui vienne dire qu'on ne peut pas l'utiliser. Nous avons vu certaines interdictions qui nous apparaissent créer des problèmes. Nous avons suggéré des moyens de les éliminer, mais, pour le reste, je pense qu'il n'y a pas de problème à ce qu'une personne puisse témoigner en anglais, qu'une personne physique ou l'avocat d'une personne physique puisse plaider en anglais et même faire ses procédures en anglais. On n'est pas dans la situation découlant d'une vieille tradition qui reposait, apparemment, sur une ancienne loi dans les provinces de "common law", qui rendait seules possibles les choses en anglais. On espère que jamais on ne se retrouvera dans cette situation et nous avons compris qu'on n'était pas dans cette situation, on est content de ne pas y être et on espère qu'on n'y sera jamais.

Cela pourrait nous poser des problèmes, mais les éléments de problèmes que vous soulevez ne nous apparaissent pas exister dans la charte, car il n'y a pas d'interdiction générale d'utiliser l'anglais, mais il y a des points particuliers sur lesquels on a fait des restrictions. On espère bien qu'on va en enlever le maximum.

M. Biron: Je remarque aussi que vous avez mentionné quelque part que, de plus en plus, les personnes morales sont représentées par un individu. Pouvez-vous expliciter davantage?

M. Bergeron: D'accord, vous avez donné l'exemple où souvent un président-directeur général, qui représente la corporation qu'il gère, qu'il soit de langue anglaise ou de langue française, va se sentir plus à l'aise. C'est le problème du respect de la langue du client. Que les choses se fassent dans la langue du client pour qu'il soit en mesure d'apprécier ce que son avocat fait. Certains clients — cela n'arrive pas toujours — vont vouloir prendre connaissance des procédures, des plaidoiries, des documents pour les apprécier eux-mêmes. Alors, il faut que le document soit fait dans sa langue, sinon, cela va obliger l'avocat à lui faire une traduction ce qui, évidemment, rend les choses onéreuses et c'est une disposition...

Quant aux corporations à personne seule, je

pourrais dire qu'il y a eu depuis longtemps des "corporations solely", comme on les appelait en anglais, et il y a eu au Québec la corporation formée d'un seul individu qui existe encore, la Corporation des évêques catholiques romains du diocèse de... c'est formé d'une seule personne. Au niveau fédéral, il y a aussi de nouvelles corporations commerciales qui peuvent être constituées d'un seul individu.

Mais, vous savez, le problème est beaucoup plus fréquent. Ce n'est pas parce qu'un certain nombre de corporations peuvent être composées d'une seule personne, c'est qu'en pratique, beaucoup de corporations de nature privée, même si elles ne s'appellent pas toujours corporations privées, comme les corporations familiales, sont la propriété d'un seul homme qui détient 90% et plus des actions et qui, par conséquent, est vraiment le propriétaire de la corporation. La corporation et lui, c'est une fiction, vraiment une fiction juridique, c'est la différence entre les deux. Souvent même les banques ne font pas la fiction; elles demandent la signature de l'individu comme personne physique pour garantir toutes les obligations de la corporation. Alors, il y a donc beaucoup de cas dans la réalité, et beaucoup de petites et de moyennes entreprises qui ne font affaires qu'au nom d'un seul individu, à toutes fins pratiques.

M. Biron: Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Saint-Louis ou Mme le député de L'Acadie, comme vous voulez.

Mme Lavoie-Roux: Allez-y.

M. Blank: C'est seulement une constatation. Quand on a discuté de la question de la traduction des jugements, on a parlé d'une loi. J'ai été très surpris de voir cet article dans cette loi, après l'incident qui s'est produit l'année passée devant la commission de la justice où on a étudié la loi qui donnait à l'Editeur officiel du Québec le droit de publier des jugements. Le député de Maisonneuve, leader de l'Opposition officielle à ce moment-là, était venu à la commission avec un amendement exactement dans le sens de l'article 13. Après discussion, lui qui est avocat, qui connaît les nuances des jugements, a dit: Oui, vous avez raison, M. le député de Saint-Louis, les jugements officiels doivent être dans la langue dans laquelle on a rédigé et il a retiré sa motion. Je constate avec surprise que je le retrouve ici.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier les membres du Barreau du mémoire qu'ils ont présenté et, particulièrement, de leur présentation qui, toute profane que je sois dans le domaine juridique, m'a beaucoup intéressée.

Je voudrais vous poser une question qui est une question de profane, mais j'essaie de me faire l'interprète de nombreuses personnes qui sont venues ici devant la commission. Le gouvernement, sans doute parce que, dans son esprit, il croit affirmer d'une façon plus rigoureuse le fait français au Québec, a proposé plusieurs articles dans son projet de loi qui cite uniquement le français. Par exemple, si vous vous référez à l'article 3, en assemblée délibérante, quiconque a le droit d'intervenir et de s'exprimer en français... Vous retrouvez également, je pense que c'est l'article 21 et je le cite de mémoire: Le français est la langue des communications à l'intérieur des services et organismes de l'administration.

La question que je veux vous poser est celle-ci. L'interprétation que le ministre d'Etat au développement culturel semble donner, c'est que le fait d'affirmer seulement le français n'exclut pas l'anglais. Je pense que c'est peut-être tout à fait logique. Mais est-ce qu'une loi ne doit pas être suffisamment claire pour que chez les citoyens qui doivent tenter de l'interpréter, qui doivent s'y référer, elle ne suscite pas continuellement des appréhensions et des anxiétés, à savoir, oui mais, est-ce que ça permet aussi l'utilisation de l'anglais pour la minorité anglophone, ou les gens qui sont de langue maternelle anglaise?

Quant à moi, je pensais qu'une loi devait être assez claire pour que les gens ne se posent pas continuellement la question: Est-ce que ça s'applique ou si ça ne s'applique pas? J'aimerais avoir votre point de vue là-dessus.

M. Bergeron: Ce n'est pas dans le cadre de l'étude proprement dite que nous avons faite. Il y a deux théories: il y a des gens qui veulent tout légiférer, et il y a des gens qui légifèrent le moins possible. Il y a des vertus et des défauts, deux théories. L'interprétation — je parle ici en mon nom personnel — que vous citez et que M. le ministre fait des articles 3 et 21 en disant que ça n'interdit pas l'usage de l'anglais, m'apparaît juridiquement correcte. Si c'est l'interprétation officielle, l'interprétation généralement reçue par tous les membres de l'Assemblée nationale au moment de l'adoption de la loi, il me semble que ça devrait ne pas créer de difficulté.

Un peu dans le même sens que notre suggestion d'effacer l'article 172. Je voudrais suggérer à l'Opposition officielle de dire peut-être les dangers de se mettre à définir les droits, etc. A partir du moment où on commence à définir tout ça, on présume de problèmes, on imagine des hypothèses qui ne seront peut-être pas du tout existantes dans la réalité et qui ne répondront peut-être pas aux problèmes. Il vaut peut-être mieux laisser les choses s'ajuster.

Comme l'a dit M. le ministre Laurin tantôt, j'espère qu'il a raison, souvent le droit constate, après coup; parce que le droit n'est pas nécessairement destiné à créer toujours des réformes ou des révolutions, il est souvent là pour faire l'ensemble des règles, une fois qu'on a évolué ou au fur et à mesure qu'on évolue. Je ne pense pas que ça crée de problème, madame.

Mme Lavoie-Roux: Merci monsieur.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Me Bergeron, je voudrais faire quelques observations et ensuite, vous poser une question. Vu les contraintes qui pèsent sur nous quant au temps, je vais vous demander de me permettre de faire mes observations et de poser la question tout d'un trait, ce qui ne vous empêchera évidemment pas de commenter mes observations si vous le souhaitez avant de répondre à ma question.

La première observation a trait à l'article 172 dont vous recommandez l'abrogation. Vous avez cité Me Jacques-Yvan Morin alors qu'il s'adressait à l'Assemblée nationale en 1975, comme vous l'avez dit, il y a presque exactement deux ans. Cela me rappelle de très vifs souvenirs, parce qu'à l'époque, M. Maurice Champagne-Gilbert, qui était directeur général de la Ligue des droits de l'homme, avait des conversations fréquentes poussées avec le gouvernement de l'époque et en particulier j'imagine, avec le ministre de la Justice, de l'époque. Le point de vue de la Ligue des droits de l'homme, dont j'étais membre et militant, était, bien sûr, qu'il fallait que la Charte des libertés et droits de la personne soit une loi fondamentale et qu'elle prime les autres lois.

M. Champagne-Gilbert faisait rapport de ses rencontres avec les représentants du gouvernement et nous disait: Vous savez, je doute qu'on puisse faire avaler ça par le gouvernement.

Alors les 1000 membres, les militants de la ligue, en assemblée générale, qui était d'ailleurs publique, ont réclamé fortement que le directeur général de la ligue ne lâche pas le morceau et revienne à la charge auprès de Québec.

Nous avons tous pu constater par la suite que cet effort, de la part de la ligue des droits de l'homme et d'un certain nombre d'autres mouvements ou organisations, dans notre société, efforts qui allaient dans le même sens que ceux du parti qui était alors le parti de l'Opposition officielle, ont porté fruit, en sorte que la Charte des droits et libertés de la personne ait une loi fondamentale.

Je dois vous dire, Me Bergeron, que nous sommes, en effet, en train d'étudier, comme l'a indiqué le ministre, l'article 172 et je ne voudrais pas dire que cette étude est terminée quant au parti ministériel, mais je pense que je peux dire qu'elle est terminée quant à moi. Je considère que l'article 172 devrait, à tout le moins, être remplacé et, au fond, j'estime qu'on n'en a pas besoin du tout et qu'on pourrait tout simplement l'abroger, essentiellement pour les raisons que vous avez indiquées.

Deuxièmement, je voudrais faire une petite observation que je ne voudrais, en aucune façon, blessante. Comme beaucoup d'autres groupes, vous êtes venus nous faire, en quelque sorte, la démonstration que l'anglais est indispensable. Je veux tout simplement vous avouer que, chaque fois que cela se produit devant la commission, j'éprouve un certain malaise lorsque, du même souffle, les gens qui s'adressent à nous ne font pas la démonstration que, au Québec, le français est indispensable. Je me demande toujours si c'est parce que les gens n'en sont pas convaincus, ou parce que cela va sans dire.

C'est cela, l'origine de mon malaise et je pense que, de ce malaise même, on peut tirer des constatations, des observations qui, comme beaucoup d'autres, montrent la nécessité de la Charte du français.

J'en viens à ma question, Me Bergeron. Vous avez fait une recommandation relative à un tribunal d'appel. C'est vraiment une question que je vous pose. Cette idée, en soi, paraît, quant aux principes, bien fondée. Je n'ai pas besoin de vous décrire les principes sur lesquels je m'appuie en disant que l'idée paraît bien fondée, vous l'avez fait vous-même. Cependant, nous ne sommes pas toujours sûrs — et là, je me place d'un point de vue général, pas d'un point de vue juridique, je ne suis pas juriste — que la multiplication des recours aux tribunaux ordinaires a pour effet net une plus grande justice. C'est là qu'il y a un doute dans l'application de ces principes.

La question que je veux vous poser, c'est: Dans quelle mesure, considérez-vous que l'ombudsman peut répondre aux besoins dont vous êtes conscients et que vous avez exprimés en proposant la mise sur pied d'un tribunal d'appel?

Le Président (M. Cardinal): Je rappelle au député de Deux-Montagnes qu'il a épuisé son temps. Vous avez le droit de répondre, mais le parti ministériel ne pourra pas répliquer. M. le bâtonnier.

M. Bergeron: Premièrement, je suis un petit peu surpris de votre affirmation suivant laquelle les recours aux tribunaux ordinaires ne sont pas toujours une démonstration d'une véritable justice. J'espère que cela n'est pas exact dans 99% des cas.

Evidemment, j'ai déjà dit, en d'autres lieux, et à des gens ordinaires à qui j'expliquais le fonctionnement des tribunaux, que les tribunaux sont composés d'hommes et qu'ils sont forcément imparfaits, mais que c'est, malgré tout, l'institution la meilleure qu'on a inventée jusqu'à ce jour —j e parle des tribunaux ordinaires — pour faire la paix entre les individus et les groupes, entre le gouvernement et ses gouvernés et que, en somme, votre question pose un problème que j'ai abordé, en passant, avec l'honorable ministre de la Justice et son sous-ministre, hier soir. Justement, il nous semble qu'on a oublié le rôle des tribunaux et à quoi cela sert.

Cette année, comme bâtonnier du Québec, j'ai bien l'intention d'essayer de réapprendre avec mes confrères et de me retremper dans les notions de ce que sont les tribunaux et à quoi ils servent — je parle des tribunaux ordinaires — et de tenter d'enseigner cela aux gens, s'il y a moyen. Evidemment je ne dis pas que les autres organismes quasi judiciaires ne sont pas utiles et sont mauvais, non, je dis qu'il est mauvais de multiplier les instances arbitrales de façon trop considérable et de demander à un confrère de juger un confrère

de même niveau. Il faut respecter la vieille théorie gouvernementale de la division des pouvoirs et, s'il y a des problèmes du côté judiciaire, qu'on ait le courage de les reconnaître et de les corriger.

J'aime mieux corriger les défauts que l'on pourrait trouver dans les organismes judiciaires traditionnels, millénaires, que de créer de nouvelles instances qui n'ont pas encore fait leurs preuves malgré tout. Il faut bien se rappeler que les tribunaux ordinaires ont une indépendance, une impartialité, dont les autres organismes n'ont pas toujours fait la preuve. Je pense que nous préférons, pour nous sentir en sécurité quand on plaide, avoir recours à un tribunal ordinaire, à un pouvoir judiciaire indépendant et impartial. Je ne pense pas que le Protecteur du citoyen puisse jouer un rôle. Le Protecteur du citoyen pourrait jouer un certain rôle, mais il ne fait que des recommandations. Ses recommandations ne lient pas l'administration; elles visent surtout les objections, les critiques ou les problèmes qui découlent de l'administration, des relations d'administration vis-à-vis de ses administrés. Cela a quand même un champ limité.

Je comprends que le Protecteur du citoyen reçoit toutes sortes de plaintes. Evidemment, c'est utile. Nous sommes tout à fait d'accord avec l'institution du Protecteur du citoyen. Il joue un rôle, mais je ne pense pas qu'il puisse remplacer les tribunaux. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Pour terminer, non pas le débat, mais l'audition, M. le député de Marguerite-Bourgeoys avec trois minutes.

M. Lalonde: M. le Président, je veux seulement relever quelques remarques qui ont été faites par le député de Deux-Montagnes. S'il fallait le croire, ce serait la Ligue des droits de l'homme et l'Opposition officielle du temps qui auraient fait que la Charte des droits et libertés de la personne soit une loi fondamentale.

Je voudrais simplement rappeler aux députés que c'est un ministre de la Justice libéral qui a proposé cette loi à un Conseil des ministres libéral, que c'est un ministre libéral qui a déposé à une Assemblée nationale largement libérale ce projet de loi très libéral. C'est la majorité libérale, dans une commission parlementaire à vaste majorité libérale et à l'Assemblée nationale très libérale, qui a adopté ce projet de loi. Toutefois, si la large participation du député de Deux-Montagnes dans ce long processus, en fait, est responsable de sa grande ouverture d'esprit actuellement quant à l'article 172, je suis prêt à la reconnaître en tout temps.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Marguerite-Bourgeoys, j'ai présumé le consentement unanime de la commission pour vous permettre d'aller à l'encontre de l'article 140.

M. Lalonde: Que dit l'article 140? On n'a pas le droit de parler du Parti libéral dans l'article 140, c'est cela?

Le Président (M. Cardinal): Non, non. C'est terminé, alors, M. le bâtonnier, il vous reste quelques secondes ou minutes. Vous n'avez pas le droit de réplique, mais si vous avez quelques commentaires à ajouter, ils seront les bienvenus.

M. Bergeron: Je pense, M. le Président, qu'on a fait vraiment le tour de la question. L'accueil que nous avons reçu aujourd'hui nous encourage à continuer d'étudier les projets de loi de l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le bâtonnier Bergeron. Je remercie aussi Mme Micheline Audette-Filion, Me Yvon Martineau et Me Pierre Panneton. Nous avons été vraiment heureux de vous accueillir. Nous vous remercions de votre contribution, de votre patience et surtout d'être revenus aujourd'hui, après les péripéties d'hier. Merci et j'appelle le prochain organisme.

Bourse de Montréal

Le Président (M. Cardinal): Bourse de Montréal, mémoire 243, j'ai le nom, comme porte-parole, de Me Robert Demers. Me Demers, bonjour!

M. Demers (Robert): Bonjour, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Merci. Si vous voulez bien identifier les porte-parole de la Bourse de Montréal. C'est facile d'identifier la Bourse de Montréal comme telle.

M. Demers: Oui, cela va. J'ai à ma droite, M. Bernard Rosenbloom, vice-président exécutif de la maison F.H. Deacon, Hodeson Inc. et l'un des membres du Conseil des gouverneurs de la Bourse de Montréal; à ma gauche immédiatement, M. Giovanni Giarrusso, vice-président exécutif de la Bourse de Montréal; à sa gauche, M. André De-saulniers, président de la maison McNeil Mantha des agents de change et aussi membre du Conseil des gouverneurs de la Bourse; à sa gauche, M. Tom Price, président de la maison MacDougall MacDougall & MacTier Ltd., et l'un des gouverneurs de la Bourse de Montréal.

Le Président (M. Cardinal): M. Demers, votre patience, hier soir, vous a permis d'apprendre, évidemment, quelle était la procédure précise de cette commission. Vous avez donc 20 minutes, à compter du moment présent pour présenter ou résumer votre mémoire, après quoi, vous aurez les questions des membres de la commission pendant le temps imparti par la motion qui a été acceptée. Alors, Me Demers.

M. Demers: II est divers domaines couverts par la Charte de la langue française qui feront sans doute l'objet et qui ont fait l'objet de représentations de groupes qui sont directement touchés par les mesures proposées. La Bourse de Montréal, par conséquent, a décidé de restreindre

ses observations aux éléments qui préoccupent de façon plus directe la Bourse et ses membres.

Le français, langue officielle du Québec: Dans une société où se côtoient deux groupes linguistiques, il serait idéal que les institutions soient aussi bilingues, reflétant ainsi les caractéristiques linguistiques de la population. Il faut, toutefois, reconnaître que si un tel objectif est louable, il est difficilement réalisable, surtout dans un pays aussi grand que le Canada, avec des concentrations très variables de citoyens appartenant à l'une ou l'autre des principales cultures existant au Canada.

Que le gouvernement du Québec veuille que l'administration et certaines institutions soient uni-lingues et désire que la langue française soit la langue officielle ne nous apparaît pas incompatible avec la réalité canadienne, pour autant que le gouvernement fédéral est et demeure bilingue. L'unilinguisme institutionnel permettrait d'établir des assises solides à la langue française, ce qui pourrait favoriser l'éclosion d'un bilinguisme plus courant à l'intérieur du pays et consolider le bilinguisme du gouvernement fédéral.

Ce type de modèle existe ailleurs. Il est à espérer qu'il puisse mettre un terme à ce que plusieurs considèrent comme un partage inéquitable du fardeau du bilinguisme au niveau des provinces. Il est aussi à espérer qu'une telle mesure puisse mettre un terme aux ressentiments dans certaines provinces face à l'imposition, au niveau provincial, d'un bilinguisme qui ne colle pas à la réalité.

Le livre blanc sur la Charte de la langue française reconnaît l'apport de la communauté de langue anglaise au Québec et l'intérêt pour le Québec de maintenir cette communauté. La conservation et le maintien de toutes les constituantes du Québec nous apparaissent essentiels pour garantir le développement du Québec. Pour conserver et maintenir la communauté de langue anglaise, et l'actif qui en résulte pour le Québec, nous pensons qu'il y aurait lieu d'élargir les dispositions de l'article 23 afin de permettre à la communauté de langue anglaise de conserver ses institutions, même civiles, dans les lieux où elle est majoritaire. Aussi, nous croyons que le droit d'utiliser le français et l'anglais comme langues de communication interne ne devrait pas simplement exister pour les organismes éducationnels, mais aussi pour les organismes municipaux, là où la population anglophone est majoritaire; celle-ci a besoin d'avoir ses assises. L'élargissement que nous recommandons nous paraît parfaitement compatible avec les objectifs du projet de loi no 1.

La langue d'enseignement: Les membres de la Bourse de Montréal travaillent dans un secteur d'activité qui est non seulement provincial, mais national et international. Les actions de la majorité des entreprises cotées à notre Bourse se transigent aussi sur les autres Bourses au Canada. Un bon nombre de ces entreprises ont leurs actions inscrites à New York et sur les principales Bourses d'Europe. Il découle de cet état de chose que nos membres sont continuellement en contact avec d'autres professionnels des principaux marchés financiers du monde.

Le phénomène de l'internationalisation des transactions dans le secteur des valeurs mobilières va grandissant, et il est à prévoir que les rapports qui sont aujourd'hui fréquents sur une base internationale, le seront davantage dans l'avenir. Ce qui est vrai pour nos membres l'est aussi pour les autres entreprises. L'activité de celle-ci n'est pas seulement locale. Elles entretiennent des rapports de plus en plus nombreux avec les autres centres économiques. Il est donc normal que la Bourse soit préoccupée par l'enseignement des langues au Québec.

La Bourse et ses membres prospéreront, dans l'avenir, dans la mesure où ils seront capables de recruter des personnes ayant une formation solide les préparant à faire face au défi à relever dans les marchés financiers. La connaissance de la langue française est un élément de plus en plus essentiel pour poursuivre des opérations au Québec dans notre industrie où l'activité repose sur des communications verbales. Il est donc important que la Bourse et ses membres puissent, dans l'avenir, recruter dans les maisons d'enseignement des finissants qui ont une connaissance de la langue française. En raison du caractère national et international du marché financier, une connaissance de la langue anglaise est non seulement un outil valable, mais essentiel. Les communications avec les marchés financiers de Toronto, New York, Londres et Tokyo se font en anglais. Les communications avec l'Europe se font en anglais ou en français. Ce qui est vrai pour notre secteur d'activité l'est aussi pour les autres entreprises en général.

Le chapitre VIII de la Charte de la langue française est de nature à perpétuer, à notre avis, l'existence de deux sociétés parallèles. Cette situation, qui découle de notre système d'éducation, finit par se refléter dans l'ensemble de la structure industrielle et commerciale du Québec. Nous craignons donc que les mesures proposées ne débouchent pas sur l'unilinguisme institutionnel, mais bien plutôt, pour la majorité de langue maternelle française, sur l'unilinguisme individuel, ce qui limitera grandement les opportunités des Québécois de langue maternelle française dans l'avenir et, par voie de conséquence, le développement économique du Québec.

Les mesures envisagées par le gouvernement ne produiront les effets désirés qu'en autant qu'on renforcera considérablement la qualité de l'enseignement des deux langues.

La langue du commerce et des affaires. Lorsque le gouvernement fixe comme objectif d'assurer le plus tôt possible l'usage du français comme langue des communications et du travail dans les entreprises commerciales faisant affaires au Québec, un tel objectif peut être réaliste. Par contre, la date définitive de la fin de 1983 semble vouloir ignorer la réalité actuelle, le fait que dans certains secteurs, il peut être difficile de réadapter, trouver ou développer le personnel nécessaire pour réaliser cet objectif de la loi dans un délai si court. On peut convertir des machines, en fabriquer de nouvelles, mais, avec les êtres humains, le processus de changement est nécessairement plus lent.

Par conséquent, il nous apparaît que 1983 devrait être un objectif et non une date finale.

Nous aimerions donc voir l'article 95 modifié en conséquence.

Les dispositions concernant les programmes de francisation nous semblent avoir été conçues en faisant abstraction des entreprises de service. Elles ne semblent pas tenir compte suffisamment du fait qu'il existe, et cela est vrai dans notre industrie, de petites et moyennes entreprises qui ont une clientèle majoritairement anglaise. Il y a lieu, à notre avis, de tenir aussi compte du fait que dans plusieurs entreprises de service, les rapports sont verbaux et se font dans la langue choisie par le client. Nous croyons que les programmes de francisation ne devraient pas avoir comme objectif l'utilisation du français dans les communications avec les clients, mais plutôt avoir comme objectif d'assurer que la clientèle puisse être servie en français. Il y a une nuance, et nous pensons que l'article 112d devrait être modifié en conséquence.

Les entreprises commerciales, qui sont connues depuis des années de leur clientèle, qui portent un nom qui est descriptif de leur spécialité, devraient pouvoir continuer à utiliser la raison sociale sous laquelle elles sont connues de leur clientèle. Une raison sociale et l'achalandage qui s'y attache sont importants pour une entreprise. Par exemple, certaines maisons de valeurs mobilières du Québec font affaires à Toronto sous leur nom français. Si le gouvernement veut changer l'état de chose existant au Québec pour l'avenir, ceci est une autre chose; qu'il veuille adopter une disposition ayant des effets sur des entreprises existantes ne nous apparaît pas souhaitable.

Au minimum, nous croyons que pour les entreprises à but lucratif, les dispositions concernant les raisons sociales devraient permettre l'utilisation d'une raison sociale en langue anglaise qui était déjà utilisée lors du passage de la présente loi, pour les messages qui sont adressés aux media d'information qui utilisent la langue anglaise. De même, elles devraient permettre l'usage de raison sociale bilingue pour les contrats, factures, reçus, états, rapports et la correspondance. Nous croyons que l'article 50 pourrait être modifié en conséquence.

Nous ne croyons pas que l'Etat devrait imposer des comités de francisation. Dans certains cas, ceux-ci seraient inutiles parce que l'entreprise répond déjà à tous les objectifs de la loi; dans d'autres cas, à notre avis, ces comités pourraient avoir l'effet contraire à celui que le législateur désire. De plus, il s'agit là d'une incursion dans le domaine de la gérance, et il nous apparaît préférable de laisser à la gérance des entreprises le soin d'atteindre les objectifs fixés par la loi de la manière qu'elle croit la meilleure pour y parvenir.

L'article 114, à notre avis, n'est pas nécessaire pour la mise en application de la loi et devrait être abrogé.

L'un des aspects du projet de loi qui risque d'entraîner des difficultés énormes pour les entreprises, particulièrement celles ayant des opérations à l'extérieur du Québec, est la lourdeur des contrôles proposés. La bureaucratie qui, semble- t-il, sera nécessaire causera des délais, des coûts et des frustrations qui ne sont pas de nature à faciliter l'établissement et le maintien de sièges sociaux au Québec. Les entreprises, pour prospérer, ont besoin d'avoir les coudées franches, de connaître les règles, de vivre dans un climat où il y a le moins d'incertitude possible, ce qui réduit leur risque. Un système qui repose sur un pouvoir discrétionnaire, y compris la menace de révocation de permis, ne favorise pas l'établissement d'un climat favorable à la création et au développement d'entreprises.

Nous vous recommandons fortement d'enlever l'obligation de posséder un certificat de francisation aux articles 106 et suivants. Nous laisserions à l'office les programmes de francisation pour des catégories d'entreprises, après avoir donné aux entreprises l'occasion d'être entendues et nous modifierions donc l'article 110 en conséquence.

Il nous apparaît que les dispositions pénales contenues à l'article 163 devraient être suffisantes pour assurer le respect de la loi.

Nous n'avons pas tenté, dans ce mémoire, d'être exhaustifs mais tout simplement de recommander certains changements qui faciliteraient la période de transition nécessaire à la mise en vigueur du programme visé par la loi, et qui assureraient le développement d'un Québec capable de faire face au défi de l'avenir. Nous croyons que le gouvernement devrait adopter les propositions qui sont faites dans ce mémoire, car elles permettraient d'obtenir l'appui d'un plus grand nombre de citoyens. Un tel appui nous semble bien préférable à la coercition lorsqu'on veut réaliser des réformes importantes.

Merci.

Le Président (M. Cardinal): Merci, Me De-mers, et, comme il est près de midi, je veux souligner deux points avant que nous ne continuions cette audition.

Premièrement, nous siégeons en vertu d'une motion adoptée par l'Assemblée nationale et que la commission ne peut pas modifier, ce qui veut dire qu'à treize heures; je devrai alors quitter ce fauteuil.

Deuxièmement, d'ici treize heures, il reste une heure et une minute, et si d'autres députés ne se présentent pas, les membres de la commission présentement ont 60 minutes pour s'exprimer. C'est donc dire que si j'ai la collaboration de tous, tant des membres de la commission que des invités dans leurs réponses, nous pourrions vous libérer à treize heures.

Si je n'ai pas cette collaboration, nous devrons ajourner nos travaux à treize heures et vous inviter à revenir, mais je ne pourrai pas accepter le consentement de la commission pour continuer après treize heures.

M. Deniers: Soyez assuré de notre collaboration, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Merci beaucoup, Me Demers.

Le ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier la Bourse de Montréal pour le mémoire pondéré et positif qu'elle vient de nous soumettre. Je suis heureux de constater que la Bourse de Montréal reconnaît avec le gouvernement que l'unilinguisme institutionnel permettra d'établir des assises solides à la langue française.

Je suis heureux aussi de constater que la Bourse de Montréal ne s'est pas méprise sur les intentions du gouvernement telles qu'énoncées dans son livre blanc et dans le projet de loi no 1, et qu'elle constate avec raison que le gouvernement reconnaît l'apport de la communauté de langue anglaise au Québec et l'intérêt qu'il y a pour le Québec de maintenir cette communauté.

Il s'ensuit de cette constatation que nous reconnaissons, et j'ai souvent eu l'occasion de m'exprimer à cet égard, que le gouvernement reconnaît la place éminente qu'occupe l'anglais dans certains secteurs de notre activité collective, que le gouvernement reconnaît aussi l'utilité pour ne pas dire la nécessité qu'il y a pour beaucoup de francophones qui désirent s'épanouir dans ces divers secteurs d'avoir une très bonne connaissance de l'anglais, et que le gouvernement entend tout mettre en oeuvre pour assurer cet apprentissage efficace de l'anglais aux générations montantes.

En ce qui concerne les recommandations spécifiques que vous nous faites, j'aimerais d'abord aborder celles qui touchent l'article 95, c'est-à-dire les objectifs de francisation que le gouvernement a fixés aux entreprises. Je me demande s'il n'y a pas un certain malentendu à cet égard. Je m'en suis expliqué devant d'autres groupes qui vous ont précédés à cette commission. Je ne sais pas si vous étiez là lorsque ces explications ont été données, mais je voudrais quand même les répéter.

L'objectif de francisation des entreprises porte évidemment sur les mesures qu'une entreprise met en oeuvre pour atteindre l'objectif tel qu'énoncé à l'article 112. Ceci, pratiquement, comporte l'élément suivant, c'est-à-dire que l'entreprise avant 1983 ait procédé à l'analyse de sa situation linguistique, ait établi son comité de francisation, ait procédé à l'analyse de sa situation linguistique, ait établi son programme de francisation de l'entreprise et ait commencé à appliquer ce programme de francisation. C'est à ce moment-là que l'Office émet son certificat de francisation, qui témoigne justement de la bonne volonté et des efforts de l'entreprise pour atteindre l'objectif fixé par la loi. Ceci ne veut pas dire du tout, cependant, que l'entreprise doit avoir atteint le terme du processus explicité à l'article 112. Le gouvernement est très conscient que, pour certaines entreprises, particulièrement les plus grosses, les plus complexes, celles qui possèdent des établissements de diverses natures, celles dont le siège social est établi à Montréal et qui possèdent de nombreuses succursales à l'étranger, ceci ne veut donc pas dire que le terme du processus, pour ces entreprises, puisse être fixé à 1983. Nous reconnaissons les contraintes au sein desquelles oeu- vrent ces entreprises et il est bien évident que, pour un très grand nombre d'entre elles, le terme du processus ne pourra être atteint avant dix, quinze ou même vingt ans. Mais l'office sera entièrement satisfait, encore une fois, si, dans les sept années qui viennent, toutes les catégories d'entreprises ont procédé à l'établissement du comité, à l'analyse de leur situation, à l'élaboration, à rétablissement du programme et au commencement d'application du programme et ont obtenu leur certificat.

Pour les autres années qui suivront, éventuellement, dans le cas de certaines entreprises, l'office, au fond, ne pourra que les accompagner dans le cheminement d'un processus qui pourra s'étaler sur un nombre d'années variable, selon l'entreprise. Je pense que, si ce malentendu est dissipé, aussi bien à la Bourse de Montréal, plusieurs entreprises n'auront plus d'inquiétude à entretenir à ce sujet.

Il y a une autre de vos recommandations qui porte sur un objet connexe ou similaire, c'est la recommandation que vous nous faites d'amender l'article 112d où vous parlez de clientèle à desservir. Je voudrais vous faire remarquer que l'article 112 est très élaboré, très clair aussi, très explicite et porte sur plusieurs objets. Lorsque le gouvernement pense à la francisation des entreprises, il pense à plusieurs secteurs sur lesquels il convient de porter son attention, comme, par exemple, la connaissance que possèdent de la langue française les dirigeants d'entreprise, la représentation au sein des cadres supérieurs et du conseil d'administration de personnes ayant une connaissance suffisante du français, l'utilisation du français comme langue de communication avec les fournisseurs aussi bien qu'avec les clients, l'utilisation d'une terminologie française, l'utilisation de la langue française en ce qui concerne la publicité de l'entreprise.

C'est donc un programme polyvalent. Les services à la clientèle ne constituent donc qu'un élément de ce vaste programme. Nous sommes bien d'accord avec vous qu'il est logique de s'attendre que l'entreprise desserve sa clientèle dans la langue du client. Il est logique aussi de supposer que, dans un pays comme le Québec, 80% des clients sont de langue française. Mais nous avons constaté, et bien d'autres avant nous, que plusieurs entreprises ne desservaient pas en français cette clientèle et c'est la raison pour laquelle, dans un programme de francisation, il convenait de spécifier ces secteurs.

D'ailleurs, il n'y a pas que le seul article 112 qui se réfère à ce problème, il y a aussi un article ailleurs dans la loi, un article impératif qui donne le droit à tout citoyen, particulièrement francophone, à tout consommateur, de se faire servir en français, nous le répétons, à l'intérieur de l'entreprise, pour les raisons que j'ai signalées tout à l'heure. Mais il ne faudrait pas conclure, de cet article, que l'entreprise n'a pas le droit de servir son client anglophone en anglais. Comme j'ai eu aussi souvent l'occasion de le dire depuis quelques mois, ce qui n'est pas prohibé par la loi est permis et le bâtonnier vient de nous dire, d'ailleurs, que

cette interprétation était correcte et pouvait même s'avérer judicieuse, en ce sens qu'elle fait en sorte que le législateur n'est pas obligé de multiplier les articles dans un projet de loi, ce qui est toujours difficile car, plus on énumère, plus on limite également.

Mais je pense aussi que l'article 112 doit être interprété dans ce sens. Il est orienté vers la correction d'un état de choses en vertu duquel les francophones, en tant que clients, ne pouvaient pas toujours être servis en français par certaines entreprises. Mais la façon dont il est rédigé n'empêche pas, cependant, une entreprise d'utiliser l'anglais avec un client anglophone, surtout un client anglophone qui le demande.

En ce qui concerne maintenant le pouvoir administratif de l'office, là aussi, j'ai déjà eu l'occasion de dire que le gouvernement a cru bon de distinguer entre les fonctions de l'office, créant trois organismes là où il y en avait un seul. Cela peut donner l'illusion que l'appareil administratif vient de se gonfler d'une façon démesurée, du fait que nous mettons trois organismes là où il y en avait un seul.

Mais ce n'est qu'en apparence, puisque, en réalité, nous n'avons fait que donner une existence distinctive à des fonctions qui étaient auparavant, quand même, exercées par la Régie de la langue française.

Si l'on compare les articles ayant trait à ces trois organismes avec ceux qui traitaient de l'office, dans la loi antérieure, on constatera qu'il n'y a pas tellement de différences. Il peut, bien sûr, y avoir des différences, mais, pour l'essentiel, pour la lourdeur bureaucratique que cela peut concerner, il n'y a pas tellement de différences. Nous avons peut-être augmenté le personnel, en ce sens que nous prévoyons des inspecteurs là où la loi antérieure n'en prévoyait pas, malgré que la loi antérieure prévoyait quand même des commissaires-enquêteurs en nombre indéterminé.

Mais, pour l'essentiel, je ne crois pas que les trois organismes créés par la nouvelle loi, si l'on totalise leurs fonctions et le personnel qui sera appelé à remplir ces fonctions, se comparent, tel que vous l'avez souligné, c'est-à-dire, en plus, au point de constituer une énorme machine, à l'ancienne Régie de la langue française.

Mais, encore une fois, comme j'ai déjà eu l'occasion aussi de le souligner, toutes les recommandations, suggestions ou tous les commentaires qui nous sont faits à cet égard seront soigneusement étudiés et nous ferons sûrement en sorte d'alléger, dans toute la mesure du possible, la structure aussi bien que les effectifs des trois organismes dont nous croyons avoir besoin pour une bonne application de la loi.

Pour le reste, je n'ai pas de questions spécifiques à poser à la Bourse de Montréal, lui demandant simplement si elle entend réagir à mes propos.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M.

Robert Demers.

M. Demers (Robert): M. le ministre, je comprends tout à fait bien les explications que vous avez données sur l'article 95 et sur l'article 112d. Malheureusement, ce dont il faut quand même tenir compte, même après avoir entendu les propos du bâtonnier, c'est que, dans le milieu des affaires, les gens ne sont pas des avocats. On lit les textes, on les interprète, on prend des décisions, en fonction de ce qui semble apparaître, à première vue, dans le texte.

Cela m'inquiète beaucoup, parce que j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de méprise sur ces deux dispositions. Par conséquent, s'il y avait moyen de clarifier ces deux dispositions, ce qui est toujours possible, il me semble, cela éviterait beaucoup, à l'avenir, d'avoir à donner des explications et des précisions aux gens qui pourraient être inquiétés par ces dispositions.

En ce qui concerne l'administration ou les mesures administratives, c'est un point qui est peut-être celui qui nous préoccupe le plus, pour mettre en application une loi, il y a divers moyens. Le projet de loi no 1 montre toute une gamme de moyens, pour mettre en application la loi. Il y a, comme moyens, la méthode administrative de demander à des fonctionnaires d'examiner et de recevoir des documents, des informations, des formulaires, de se réunir avec les entreprises, de les aider à préparer des programmes.

Ce que je trouve difficile, dans toute cette méthode, qui est utilisée par d'autres organismes du gouvernement et par d'autres régies, ce sont les coûts que cela fait subir aux entreprises, c'est-à-dire que ces coûts, finalement, sont partagés autant et sont subis autant par les entreprises qui respectent la loi, qui ont parfaitement l'intention d'atteindre les objectifs de la loi, que par les autres, qui auraient de moins bonnes intentions ou qui seraient plus négligentes.

C'est cet aspect qui nous préoccupe. Un régime administratif tel que proposé nous apparaît extrêmement coûteux pour les entreprises. L'avantage d'un système pénal est de garder uniquement des dispositions pénales.

C'est peut-être un système qui est, à court terme, moins efficace, mais qui, à long terme, l'est tout autant, mais qui ne pénalise au fond que ceux qui enfreignent la loi ou qui négligent de la suivre et qui laissent travailler, s'occuper et vaquer à leurs affaires ceux qui suivent la loi.

Pour notre part, s'il y avait moyen de procéder par voie de programmes qui seraient établis par l'office, après consultation des entreprises, de ne pas exiger un processus de permis ou d'enregistrement, cela nous apparaîtrait bien préférable; car je crains que beaucoup d'entreprises et de fonctionnaires auront à examiner des foules de documents qui, finalement, finissent par embrouiller les fonctionnaires plutôt que de leur donner une vision claire des choses.

J'ai été, comme vous le savez, président d'une commission de contrôle et de surveillance du gouvernement du Québec et, ce qui m'a frappé justement, c'est que l'emploi de cette méthode de requérir des enregistrements, de requérir une foule de documentations, finalement, au bout de quelques années, ne donne pas les résultats es-

comptés et, bien souvent, cela empêche l'organisme gouvernemental de voir clairement les situations, de procéder par voie de secteur, d'obtenir et de s'obliger à obtenir les informations par des méthodes autres que des méthodes de production de documentation massive. Bien souvent aussi, la technique administrative est utilisée, parce que, finalement, elle est plus simple, plus rapide que de prendre des poursuites pénales qui sont toujours plus difficiles, qui doivent être faites devant les tribunaux.

Je crains qu'avec les dispositions que vous mettez dans votre loi que vous allez retourner, tout au moins au début, à inciter l'office et les autres organismes à utiliser la méthode administrative pour atteindre les objectifs de la loi. Il m'apparaîtrait préférable qu'on n'y laisse que les dispositions pénales. C'est peut-être le point sur lequel on est le plus sensible. Pour essayer avec le gouvernement d'atteindre les objectifs qui sont fixés dans la loi, je pense bien que je peux dire que tous les membres de la Bourse de Montréal sont prêts à y mettre l'effort, leur génie, leur talents. Mais ce dont ils voudraient bien être assurés, c'est qu'ils ne seront pas aux prises avec toute une procédure, tout un mécanisme, toute une nécessité de réunions, de rencontres, d'explications, de production de documents qui pourraient finalement leur coûter énormément de temps et prendre, au fond, un temps qui serait mieux consacré à essayer d'atteindre les objectifs de la loi.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Merci, M. le Président. M. Oemers et les autres membres de la Bourse, je vous remercie d'avoir décidé de venir éclairer la commission avec votre mémoire et les explications que vous nous donnez.

Vous acceptez, d'une part, l'unilinguisme institutionnel — le ministre l'a souligné avec joie — c'est à la page 2 de votre mémoire que je le lis: "L'unilinguisme institutionnel permettrait d'établir des assises solides à la langue française, etc". Mais comment conciliez-vous cette proposition avec celle qui apparaît au haut de la page 3, à la troisième ligne, au milieu du paragraphe: "...afin de permettre à la communauté de langue anglaise de conserver ses institutions, même civiles, dans les lieux où elle est majoritaire". Est-ce que vous arrêtez l'unilinguisme institutionnel que dans les endroits où il n'y a pas d'anglophones? Parce qu'on ne peut pas avoir ici au Québec, naturellement, l'unilinguisme territorial comme on l'a dans certains autres pays à caractère bilingue ou à plusieurs cultures. Pouvez-vous m'expliquer ce que vous voulez dire?

M. Demers: Vous avez parfaitement raison de souligner qu'à l'article 23, au fond, on recommande une exception au principe pour lequel nous avons dit que nous étions d'accord. Nous disons, dans la dernière ligne, que l'élargissement que nous recommandons nous paraît compatible avec l'objectif que nous avons mentionné au début.

Ce qui nous apparaît, c'est que nous ne voyons pas pourquoi, par exemple, la municipalité de Stanbridge East, je vais prendre celle-là, parce que je la connais, ne pourrait pas avoir, au niveau de son conseil municipal, la possibilité d'opérer, même en langue anglaise. Il me semble, et c'est peut-être parce que nous interprétons mal le projet de loi, que ces exceptions permettraient quand même à la communauté de langue anglaise, qui est importante au Québec, d'avoir certaines assises dans le cadre d'assises qui sont beaucoup plus considérables et qui sont celles de la majorité de langue française. Je ne vois pas que cela créerait ou devrait créer un grand problème.

M. Lalonde: Vous me permettrez, M. Demers, de mentionner, en passant, que votre suggestion à la page 3 semble reprise ou enfin appuyée par une disposition du mémoire de la Commission des droits de la personne du Québec, qui dit à la page 38 en faisant référence toutefois à l'article 21 : "En effet, il faudrait respecter le caractère de certaines collectivités locales où l'on trouve une concentration d'anglophones, par exemple". On poursuit — je cite toujours — S'il est important de reconnaître partout le droit des francophones de s'adresser à l'administration en français, cela ne doit pas conduire à exiger que les anglophones parlent entre eux en français." Est-ce que c'est un peu ce que vous voulez rappeler dans votre proposition à la page 3?

M. Demers: Si vous allez si ma mémoire est bonne, à la dernière partie de l'article 23, on a pris la peine de dire, de préciser: "Dans les organismes scolaires, pour de bonnes raisons, le français et l'anglais peuvent être utilisés comme langues de communication interne des services chargés d'organiser et de donner l'enseignement en anglais". C'est un petit peu en parallèle dans cet article qu'il nous paraît que ce ne serait pas faire une grande exception que de dire que cela peut aussi s'appliquer dans les organismes municipaux où la majorité est de langue anglaise. C'est ce qu'on visait.

M. Lalonde: A ce moment, c'est à l'article 21 plutôt que vous demanderiez un aménagement, parce que c'est l'article 21 qui dit que le français est la langue de communication à l'intérieur des services et organismes de l'administration, l'administration comprenant aussi les organismes municipaux.

M. Demers: Oui, d'accord. Disons que vous avez raison. La source a été prise à l'article 23.

M. Lalonde: Une des difficultés, d'ailleurs, de cette loi, c'est qu'on tente d'implanter l'unilinguisme dans une société pluraliste. De là, le recours à la coercition, parce que si on ne faisait que la promotion du français, langue qui a besoin, justement, de cette promotion de la part de l'Etat, je pense que la preuve n'est plus à faire. Si on n'a recours qu'au rapport Gendron, je pense que c'est assez clair, on trouverait moins de difficultés, je

crois. C'est pour cela que je voulais bien établir avec vous quelle était votre conception de l'unilinguisme institutionnel, alors que, d'autre part, vous reconnaissez qu'à cause du pluralisme linguistique et culturel du Québec et du fait historique de la minorité anglophone, qui est d'ailleurs reconnu par le livre blanc, cette minorité, si on veut qu'elle vive, comme collectivité culturelle, on doit aussi lui reconnaître un certain nombre d'institutions. D'ailleurs, le projet de loi lui reconnaît, d'ailleurs, un système d'enseignement complet.

Je voudrais vous parler des raisons sociales. On n'en a pas parlé beaucoup jusqu'ici, à la commission, et pourtant les dispositions de la loi concernant les raisons sociales sont assez expresses. Il y en a une sur laquelle je voudrais avoir votre avis. Quand on dit, au deuxième paragraphe de l'article 50: Les raisons sociales peuvent comprendre une version dans une autre langue pour utilisation hors du territoire du Québec. Seule la raison sociale française peut être utilisée au Québec. Je dois dire, naturellement, qu'il y a les exceptions qui sont prévues au premier paragraphe, les toponymes, les expressions formées de combinaisons artificielles... qui pourraient aussi être utilisées.

En pratique, en faisant recours à votre connaissance du milieu des affaires, des entreprises, ce n'est pas seulement à vous que je la pose, peut-être que d'autres membres qui vous accompagnent voudraient répondre, comment pensez-vous que c'est possible d'appliquer une telle disposition pour une compagnie, étant donné qu'on fait référence à l'utilisation hors du territoire du Québec, donc ce serait une société qui ferait affaires à l'extérieur du Québec?

M. Demers: Je peux parler pour les membres de la Bourse de Montréal, que je connais particulièrement bien. Presque tous sont dans le premier paragraphe. Donc, ça ne créerait pas de difficultés majeures, mais il y a quand même un bon nombre d'entreprises, membres de la Bourse de Montréal, qui tombent, elles, sous le deuxième paragraphe et c'est celui qu'on visait, le deuxième paragraphe de l'article 50.

Beaucoup de ces entreprises ont des noms descriptifs de leur spécialité. On peut en prendre un au hasard, qui n'est pas une entreprise qui existe, mais, par exemple, "Market Makers Securities". C'est un nom qui indiquerait clairement quelle est la spécialité du courtier, quel est son domaine, quelle est son expertise et, au fond, au bout d'un certain nombre d'années, un tel nom finit par avoir, pour l'entreprise, une valeur certaine. Il y a plus que cela. Je sais que pour beaucoup d'entreprises qui font affaires avec le grand public... pour la Bourse de Montréal, par exemple, notre clientèle est certainement à très grande majorité, probablement à 80%, de langue française. Mais, dans le cas des entreprises qui sont membres de la Bourse de Montréal, plusieurs sont de petites entreprises qui n'ont pas une clientèle majoritairement de langue française. Il y a plusieurs membres de la Bourse de Montréal qui ont une clientèle majoritairement de langue anglaise, par- fois même très majoritairement de langue anglaise et, par conséquent, je trouve que ce deuxième paragraphe de l'article 50 nous apparaît difficile. De l'appliquer pour l'avenir, ça me semble beaucoup moins difficile, mais il y a quand même, dans ce paragraphe, une espèce de rétroactivité sur les entreprises qui sont déjà en affaires, sur les entreprises qui font commerce, sur les entreprises qui sont connues. Nous préférerions de beaucoup que la disposition s'applique pour l'avenir plutôt que pour des entreprises qui ont déjà bâti un achalandage sur leur nom.

M. Lalonde: M. Demers, je voudrais faire une parenthèse. J'aurais désiré commencer de cette façon. Que vous fassiez état... Mais peut-être que M. Giarrusso, qui est quand même à la Bourse depuis un peu plus longtemps que vous, pourrait expliciter là-dessus. Quel est le statut de la langue française à la Bourse de Montréal? Avant de répondre, vous pourrez quand même me laisser, un peu, non pas romancer, mais décrire, d'une façon peut-être un peu moins rigoureuse, que pour la majorité des gens, il y a dix ans, par exemple, la Bourse était ce qu'il y avait de plus bastion du milieu des affaires où la langue anglaise était implantée d'une façon quasiment irréductible. Est-ce que cela a changé? Je sais que vous êtes le deuxième président, je crois, de langue française depuis... En fait, après M. Michel Bélanger, et M. Michel Bélanger, c'était en 1972, je crois, qu'il avait été nommé.

M. Demers: 1973.

M. Lalonde: 1973. Est-ce que la langue française est la langue de communication à la Bourse? Quel est son statut?

M. Giarrusso: Je vais répondre, d'accord. Présentement et depuis plusieurs années, le français est la langue de travail chez nous, à la Bourse. Même avant la venue du président Michel Bélanger. J'aurais un peu de difficulté à vous dire quand on a commencé à envoyer nos communications dans les deux langues, mais ça fait plusieurs années que nous le faisons. Je retournerais quasiment à une dizaine d'années. Je pourrais dire sincèrement que ça fait depuis au moins dix ans que nous communiquons avec nos membres et avec le public dans les deux langues et, depuis au moins cinq ans, on communique beaucoup plus en français à l'intérieur de la bourse, même avec nos employés, qu'en anglais. Je ne sais pas si tu veux expliciter, Robert...

M. Oemers: Je pourrais même ajouter, pour être plus clair, plus précis, que tous nos règlements, toutes nos règles, tous nos communiqués, toutes nos publications, toutes nos formules sont faites en français, sont envoyées en français. Bien sûr, nous les envoyons aussi en anglais. Il y a à cela de bonnes raisons. Nous avons non seulement des membres au Québec, mais nous en

avons depuis Halifax jusqu'à Vancouver. Nous avons des membres à New York. Cela exige une correspondance avec ces membres. Cela exige d'avoir des règlements en anglais, mais je ne connais pas de règlement ou de publication de la Bourse qui aujourd'hui ne soit pas faite en français. Elles sont toutes faites en français.

M. Lalonde: Peut-on conclure que la langue française n'est pas rébarbative au milieu des affaires ou vice-versa? On peut aussi bien faire des affaires dans le milieu de la finance en français. Au fond, cela ne demande pas un génie particulier pour faire des affaires dans le milieu de la finance. Je parle au point de vue linguistique, le génie d'une langue.

M. Demers: Non. Il ne fait aucun doute qu'on peut faire le commerce des valeurs mobilières en français au Québec. La clientèle est française et comme vous le savez, essentiellement, les agents de change ne sont pas des gestionnaires de fonds d'autrui. Ce sont des gens qui conseillent. Ce sont des gens qui aident les investisseurs à gérer leurs propres affaires. Par conséquent, il est normal — et cela se fait — que les agents de change au Québec reflètent de plus en plus leur clientèle. La maison de change qui a le plus d'employés et de loin au Québec est une maison majoritairement de langue française et elle est très bien connue.

Ce qui, par contre, est aussi certain, c'est, étant donné que la plupart des entreprises qui sont cotées à une Bourse sont des entreprises nationales et multinationales, de grandes entreprises publiques, qu'une connaissance de la langue anglaise est aussi fort importante. Si vous voulez interpréter comme il faut l'ensemble de l'information disponible sur une entreprise, il est bien important de connaître la langue anglaise. Quotidiennement, les agents de change communiquent avec New York, avec Toronto, pour acheter et vendre leurs positions. C'est donc essentiel pour eux d'être capables, pour réaliser dans le meilleur intérêt de leur clientèle les ordres qui leur sont donnés, de faire ces transactions en langue anglaise.

Nous utilisons, à la Bourse de Montréal, les deux langues. Il ne fait aucun doute, même si je ne suis président que depuis un an, que la langue principale des communications à l'intérieur de la Bourse aujourd'hui est le français, ce qui montre que vous avez parfaitement raison. On peut tout à fait faire fonctionner une Bourse. On peut tout à fait fonctionner dans le secteur des valeurs mobilières en utilisant la langue française.

M. Lalonde: Merci, M. Demers. Une dernière question. Vous vous inquiétez de l'aspect discrétionnaire de l'office et de la bureaucratie dans l'implantation des programmes, dans l'implantation de toute cette politique de francisation.

Le ministre vous a répondu en justifiant la division de la régie en trois organismes différents. Naturellement, à savoir si cela prend trois organismes pour faire ces trois fonctions, je pense qu'on pourrait en discuter longtemps. C'est une question d'efficacité. Il est fort possible que trois organismes, quoi qu'il y ait peut-être des questions de cohésion... mais il reste qu'à savoir si un programme de francisation est suffisant...

Cela sera jugé, décidé par des fonctionnaires et je le sais... Depuis qu'on a créé au fond... parce que le mécanisme est à peu près le même ou la mécanique employée par le projet de loi no 1 est à peu près la même. Elle a été créée de toutes pièces — elle n'existait nulle part ailleurs — par la régie et par les études qui ont été faites depuis deux ans. Elle a pris corps dans le règlement de francisation.

Ce sont des fonctionnaires qui décideront si telle entreprise qui demande sept ans, par exemple, pour en arriver au point X désiré par la loi, exige une période trop longue ou trop courte, si elle doit faire telle communication en français à partir du mois prochain ou de l'an prochain, selon les... Il y a des coûts d'impliqués et je suis totalement d'accord avec vous...

Ma connaissance un peu de la tendance de la fonction publique. A ce moment-là, les fonctionnaires, en toute honnêteté, ce n'est pas par malice, c'est de l'interventionnisme... On a une loi, on a de beaux règlements et le fonctionnaire va vouloir tout faire, c'est normal. Il faudrait presque constamment le retenir, et c'est de bonne foi. Cela ne vient pas d'une malhonnêteté ou d'une malice quelconque.

Il y avait, dans la loi 22, un appel au ministre pour tenter de tamiser un peu cette tendance, non pas dans l'espoir que tous les certificats de francisation, les émissions ou les suspensions aillent jusqu'au ministre, parce que cela prendrait un ministre seulement pour cela, mais, quand même, pour contenir un peu.

Je suis d'accord avec vous que sans appel, que ce soit au ministre ou à un autre, enfin à quelque chose d'autre, c'est extrêmement dangereux que l'intervention de la bureaucratie dans tous les domaines de l'entreprise, dans toutes les activités de l'entreprise, deviennent très coûteuses. Je pense que le ministre ne vous a pas répondu sur cet aspect discrétionnaire. Vous mentionnez, par exemple, les communications verbales. Si jamais un fonctionnaire, à moins que les règlements en fassent état, décide que les communications verbales doivent être francisées et qu'on essaie d'établir un système d'autodiscipline ou d'auto-surveillance pour surveiller les communications verbales entre les gens dans l'entreprise, à ce moment-là, cela serait catastrophique.

Je voudrais vous parler, en terminant, de 1983. J'ai trouvé cela dans la loi et je trouve cela aussi dans le règlement de francisation des entreprises de la loi 22. A ce moment-là, on avait choisi un calendrier qui se terminait en 1983 pour toute entreprise de 100 employés et plus, en tenant compte des capacités de la régie d'intervenir — dans une certaine mesure, il faut donner des conseils — pour ce nombre d'entreprises possibles, parce que c'était seulement, de l'incitation. Naturellement, cela s'adressait seulement aux entreprises qui voulaient faire affaires avec le gouvernement, etc. 1983... aller plus vite, cela aurait

été presque impossible pour les quelques milliers d'entreprises qui étaient visées à ce moment-là. Or, avec les entreprises de 50 employés et plus, on ajoute, je crois, d'après les statistiques que la Régie de la langue française possède, 3000 à 4000 entreprises, et on conserve la même limite de temps, la même échéance. Alors, je pense qu'on aura des questions à poser au ministre dans l'étude, article par article, à savoir: Est-ce que c'est réaliste de faire cela ou va-t-il falloir créer ce monstre avec des centaines de conseillers techniques de plus à la régie. Merci, M. le Président?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Lotbinière.

M. Biron: Messieurs, je vous remercie, et M. Demers en particulier, pour votre mémoire. Il m'a impressionné, surtout les deux dernières phrases de votre mémoire où vous recherchez exactement ce qu'on recherche. Vous dites: "Nous croyons que le gouvernement devrait adopter des propositions qui sont faites dans ce mémoire, car elles permettraient d'obtenir l'appui d'un plus grand nombre de citoyens". Or, vous cherchez à créer un projet collectif où la grande majorité de nos concitoyens, nos Québécois, nos Québécoises, vont être impliqués, vont se reconnaître. Alors, j'ai été frappé de pouvoir lire cela dans votre mémoire avec énormément de justesse de votre part.

Vous nous parlez aussi du bilinguisme individuel. J'ai été impressionné par votre marché financier en particulier qui ne fait pas tout simplement des affaires au Québec, mais qui doit absolument sortir des frontières du Québec. Vous dites qu'à l'intérieur même de la Bourse, si on veut véritablement faire des affaires avec d'autres provinces, d'autres pays, il faut absolument pouvoir parler anglais; l'anglais est essentiel. J'ai lu cela dans votre mémoire. Vous nous parlez aussi de la qualité de l'enseignement des deux langues, français et anglais. Autrement, vous craignez énormément qu'un unilinguisme chez les francophones fasse des gens qui ne pourront accéder à certains postes, à la Bourse de Montréal en particulier, ou ailleurs. Vous craignez aussi la lourdeur des contrôles. Moi aussi, comme mon ami le député de Marguerite-Bourgeoys, je crains énormément cette lourdeur des contrôles qu'on veut appliquer maintenant avec la loi no 1 et ce monstre administratif. Même si le ministre ne craint pas cette lourdeur des contrôles, cela prouve peut-être sa naïveté ou son manque d'expérience dans l'administration gouvernementale, parce que c'est purement impossible de pouvoir créer tant d'organismes et de surveiller autant d'entreprises avec à peu près la même chose qu'on a ajourd'hui.

Cette bureaucratie, bien sûr, nous occasionnera des délais, des coûts, des frustations et je crois que votre mémoire est juste, sur ce point en particulier.

A la page 6, vous mentionnez quelque chose qui est intéressant. C'est qu'on peut convertir des machines, des bâtisses dans quelques années, mais ça prend beaucoup plus que quelques années pour convertir des hommes. Je crois que c'est votre expérience de l'administration qui vous dit qu'on peut facilement bâtir des bâtisses, acheter de la nouvelle machinerie ou changer cette machinerie, mais, d'après l'expérience des hommes en particulier, ça prend une ou deux générations pour pouvoir bâtir des hommes. A la page 8, vous dites aussi quelques mots à propos de l'utilisation de raisons sociales bilingues pour les contrats ou autrement. Il n'y a pas beaucoup d'entreprises qui, à l'heure actuelle, au Québec, emploient des raisons sociales unilingues. La plupart emploient des raisons sociales bilingues pour faire affaires au Québec ou à l'extérieur parce que la plupart de ces entreprises font affaires à l'extérieur du Québec et c'est plus facile, finalement, d'aller avec les deux langues officielles de notre pays, d'un bout à l'autre, nos raisons sociales, nos contrats, nos rapports généraux.

Vous craignez aussi les comités de francisation vis-à-vis de certaines entreprises où on n'a véritablement pas besoin de comités de francisation. Au Québec, on a beaucoup d'entreprises qui fonctionnent en français avec de l'ajustement bilingue pour ce qu'il faut, pour leurs affaires. Sur cela aussi, je suis d'accord avec vous, on devrait laisser plus de latitude de ce côté.

Avant de vous poser quelques questions, je sais que le ministre a fait plusieurs ouvertures depuis le début de cette commission et a fait beaucoup de voeux pieux. J'aimerais, lorsque le projet de loi no 1 sera réimprimé, voir ces voeux pieux traduits dans des textes de loi afin que, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, M. Demers, je crois, les entreprises voient exactement, dans les textes, où elles peuvent aller. Finalement, après ça, on va prendre la décision. Si le texte n'est pas clair, les entreprises vont attendre que le texte se clarifie avant de pouvoir prendre une décision.

Finalement, cela coûtera énormément d'investissement au Québec. J'ai quelques questions à vous poser. Ma première question concernera tout ce que vous avez répondu tout à l'heure et aussi le fait qu'on emploie beaucoup plus de français à la Bourse de Montréal, depuis dix ans en particulier. Est-ce que vous pensez que le français, avec ou sans la loi no 1, est en voie de disparition au Québec ou en danger de disparition, même si on n'avait pas cette loi no 1?

M. Demers: Bah! vous me posez une question qui n'est vraiment pas du domaine de l'expertise de la Bourse de Montréal. Ce que je peux vous dire, c'est ce qui se passe dans notre milieu. Le fait que le français ait fait des progrès considérables au cours des dix dernières années, cela ne fait aucun doute. La Bourse de Montréal existe depuis au-delà d'un siècle, elle est, depuis une dizaine d'années, tel qu'on l'a mentionné, un organisme qui fonctionne en français, qui envoie à tous ceux qui en font la demande, tant du public qu'à ses membres, qu'à son personnel, des avis émis en français; c'est évidemment un changement qui, dans notre secteur, est considérable.

Je pourrais dire aussi que, pour nos membres qui font affaires avec le public, je sais qu'il y a eu

un effort considérable qui a été fait depuis plusieurs années, et c'est dans leur intérêt, tout simplement parce que nos membres savent pertinemment qu'en tant qu'agents de change, plus ils ont une grande clientèle, plus c'est important.

Peut-être qu'André Desaulniers, qui dirige une maison de courtage, ce qui est bien différent d'une bourse, pourrait aussi vous répondre.

M. Desaulniers (André): Pour une maison de courtage l'intégration au milieu est importante. Par contre, quant au projet de loi, ce que nous recommandons est basé sur quelques contraintes qui font que nous ne vivons pas en vase clos, à cause de la nature même de notre commerce.

Je suis un exemple extrême, ayant 95% de notre clientèle au Québec, où peut-être 85% ou 90% de cette clientèle au Québec est francophone. Je vous parle en volume. En nombre de clients, c'est plus important que cela encore.

Les hésitations, au projet de loi, portent sur les raisons sociales. Je peux vous expliquer, par exemple, qu'il est impossible de dire d'avance, de par la vitesse de nos transactions, par le manque de recul qu'on a pour exécuter une transaction... une transaction que j'exécute maintenant, il est très possible et même probable qu'il y a 30 secondes, je ne savais pas qu'elle allait m'arriver.

Vous avez, à ce moment-là, avantage à nous consentir, au moins aux maisons qui existaient déjà, maintenant avec une raison sociale, de se servir d'une raison sociale bilingue partout. Il serait très fastidieux et tout à fait coûteux de commencer à faire un tri de nos contrats qui sont faits par ordinateurs et qui parviennent dans une maison canadienne-française comme la mienne, qui fait surtout affaires au Québec, qui partent quand même par douzaines, tous les jours, pour Toronto et New York.

S'il faut commencer à avoir un ensemble de papeterie et faire des transactions séparées des contrats séparés, pour Toronto, New-York et Montréal, plutôt qu'à Rimouski, à Toronto ou à Ottawa, on n'en sortira pas. On pense qu'une raison sociale bilingue, pour les nouveaux et la garde de la raison sociale pour les anciens qui, en somme, ne totalisent que quatre membres, je pense, pour qui c'est important, devrait être accordée.

L'autre point qui me semble important comme courtier plutôt que comme administrateur de bourse — parce que je gagne ma vie comme agent de change, même si mes associés trouvent que je passe pas mal de temps à la bourse — c'est la formation du personnel, quand on parle de 1983.

Nous avons, par exemple, dans ma maison, seulement 18 employés, dont quinze sont francophones et trois sont anglophones. Sur ces trois anglophones, j'en ai deux bilingues. J'en ai un qui est bilingue et j'en ai deux qui le sont à demi. Cela en fait un.

Il me serait tout à fait impossible de m'acheter quelqu'un en français, qui sache faire son métier, dans deux de ces trois messieurs. Si je veux avoir un francophone pour les remplacer, cela me demandera probablement entre dix et trente ans. C'est l'expérience de ces messieurs qui sont à peu près depuis vingt ans dans le métier, qui sont à peu près les meilleurs dans leur métier, dans leur spécialité qui fait qu'ils sont tout à fait irremplaçables, à l'heure actuelle.

Remarquez que ces anglophones sont très heureux de recevoir leur chèque de paie avec de l'argent emprunté par moi dans une banque canadienne-française, avec un chèque rédigé en français, tous les vendredis. Ils le prennent avec plaisir. Ils s'intègrent à notre communauté tranquillement, mais sûrement.

Mais c'est impossible de penser, moi qui suis si... enfin, pour ma part, je fonctionne en français. Mais c'est difficile, dans une entreprise de services, de former rapidement du personnel.

Prenez par exemple, les options qu'on a lancées à Montréal où nous espérons être un marché, enfin, aujourd'hui, nous sommes le plus important marché d'options au Canada et nous avons beau chercher des spécialistes, on peut dire... Evidemment, c'est une question de jugement, cela peut dépendre d'un professionnel ou d'un autre, mais la limite des gens compétents dans ce secteur se situe actuellement, si nous sommes optimistes, à la demi-douzaine, dont un est francophone, et si nous voulons former des gens qui sont bons en options, c'est un programme de cinq ou dix ans.

Heureusement, Toronto n'a pas les moyens d'aller plus vite que nous et nous espérons garder cette avance. Nous dirigeons nos efforts pour la formation éventuelle de spécialistes ce qui est déjà commencé, ce qui est déjà fait. Ce ne sont pas seulement des projets, des gens ont été engagés, et ont commencé à travailler. Cela se fait dans le milieu francophone, mais, avant qu'ils ne soient compétents, cela va nous prendre cinq, dix ou quinze ans.

M. Biron: Une dernière question très brève, quelles sont les chances de promotion d'un uni-lingue anglais à comparer à un unilingue français à la Bourse de Montréal ou dans une de vos entreprises?

M. Deniers: Je ne vois pas comment une personne, aujourd'hui, à la Bourse de Montréal, pourrait être unilingue anglais ou unilingue français. Tous nos directeurs de service sont capables de s'exprimer en anglais et en français. Cela découle au fond de la nature même d'une opération comme une bourse. Nous avons, comme je l'ai dit, des membres... J'ai un membre qui est à Halifax, j'en ai un qui est à Ottawa, j'en ai un qui est à Vancouver, j'en ai cinq ou six qui sont à New York, j'ai des gens qui sont partout à travers le Canada. On doit avoir certainement des maisons qui ont des bureaux partout à travers le Canada et c'est difficile pour notre entreprise. Cela exige, par conséquent, d'avoir du personnel qui connaît bien les deux langues et je ne vois pas, chez nous, que ce soit possible de fonctionner autrement.

Pour ce qui est des agents de change, ce serait probablement possible — je pense que c'est encore aujourd'hui tout à fait possible — d'atteindre un poste de cadre chez un agent de change, en étant unilingue de langue anglaise, et même en

étant unilingue de langue française, mais avec des limites dans chaque cas, des limites qui, dans le cas des unilingues de langue anglaise, progressivement, deviennent de plus en plus évidentes. Ce qui me frappe, c'est que, dans la génération montante, les gens sont de plus en plus bilingues. Mais je ne vous cacherai pas qu'il y a à la Bourse de Montréal un grand nombre de dirigeants d'entreprises qui sont unilingues de langue anglaise et qui réussissent très bien à mener leurs affaires, tout simplement parce que nous sommes dans un domaine de finance au fond qui est international, où les principaux centres financiers sont New York, Londres, Tokyo, Toronto, où la langue est essentiellement la langue anglaise. Sur le continent européen, avec la langue anglaise, vous pouvez vous débrouiller à peu près n'importe où, quoiqu'il y ait des centres importants de langue française en Europe. D'ailleurs, la langue première de la Fédération internationale des Bourses de valeurs est la langue française, ce qui n'est pas souvent connu.

Alors, je pense que, pour ce qui est de notre industrie, il est clair, tel que nous l'avons dit dans notre mémoire, que le français est en voie de devenir essentiel et que l'anglais va demeurer, si l'on veut faire une carrière dans la finance, une langue qui est aussi essentielle à connaître.

Le Président (M. Cardinal): J'accepterai une dernière intervention du parti de l'Opposition officielle. Il vous reste deux minutes. De toute façon, comme j'ai rendu la directive, à 13 heures, nous ajournerons sine die. M. le député de D'Arcy Mc-Gee.

M. Goldbloom: Merci, M. le Président. J'aimerais parler brièvement de la question des raisons sociales. Le ministre a parlé à plusieurs reprises de l'article 112. J'aimerais, entre parenthèses, lui donner un petit conseil amical, c'est de ne pas aller en parler à l'extérieur du parlement aujourd'hui.

Une Voix: ...Le règlement 112.

M. Goldbloom: Le 112, ce n'est pas un numéro à promener abondamment à l'extérieur du parlement aujourd'hui.

M. Pauette: On est allé leur parler hier et cela a été très amical. On a même été applaudis.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Encore une fois, je dois rappeler l'article 140, dernière ligne. Le règlement 112 et l'article 112, ce sont deux choses différentes. Nous en sommes à l'article.

M. Goldbloom: Merci, M. le Président. M. De-mers, vous avez parlé de l'opportunité de conserver aux firmes existantes, aux organismes exis- tants leur raison sociale actuelle. Il me semble que ce que vous avez exposé doit avoir une application assez large, parce qu'il me semble que, quand un propriétaire d'entreprise offre cette entreprise en vente, il y a très souvent un élément du prix qu'il demande pour cette entreprise qui est intitulé en anglais "goodwill". C'est la bonne renommée de l'entreprise qui est connue, et l'entreprise est connue par son nom, par sa raison sociale. J'aimerais vous demander si, dans cette recommandation que vous faites, vous étendriez cette pensée à l'ensemble des raisons sociales existantes au Québec, en vertu de cette considération que l'on ne doit pas, par un geste législatif, spolier une entreprise privée, fruit de l'effort et de l'investissement de citoyens.

Si on l'oblige à un changement et si l'on diminue ainsi le degré de connaissance de cette entreprise, on en diminue la valeur actuelle et la valeur à l'occasion de l'offre de vente. Est-ce que je peux vous demander de commenter cette considération?

M. Demers: Oui, je pense que c'est tout à fait ce que nous avons recommandé. Nous avons mentionné qu'une raison sociale et l'achalandage qui s'y attache sont importants pour une entreprise. Cela l'est dans notre milieu; cela l'est évidemment dans les autres entreprises. Cela l'est probablement même plus, suivant le caractère des entreprises, le type de commerce que ces entreprises font. Ce qui nous frappe aussi dans cette disposition, c'est qu'au fond, la disposition législative a un effet rétroactif. Elle va affecter des gens qui, actuellement, ont un actif qui apparaît à leur bilan et dont le nom fait partie de cet actif. Je pense que, pour les entreprises commerciales, pour les entreprises industrielles, on ne peut pas négliger l'importance de la raison sociale. C'est pourquoi la Bourse de Montréal a fait cette recommandation et elle la ferait pour l'ensemble des autres entreprises au Québec, bien certainement.

Le Président (M. Cardinal): Merci. Ne quittez pas, comme on dit à la radio. Le prochain groupe qui viendra après vous sera la Fédération des groupes ethniques du Québec Inc. Est-ce que ce groupe est ici? Bon! Alors, vous serez le premier à être entendu cet après-midi, après les travaux de l'Assemblée nationale.

Me Robert Demers, M. Giarrusso, M. Desaul-niers, M. Price, M. Rosenbloom, au nom de la commission, nos remerciements. Puis-je souligner votre patience? Je soulignerai maintenant votre bon travail dans votre mémoire et vos réponses.

Merci beaucoup.

Les travaux de cette commission sont ajournés sine die, c'est-à-dire que nous attendrons la motion du leader parlementaire du gouvernement pour reprendre nos travaux après 16 heures.

(Fin de la séance à 12 h 58)

Reprise de la séance à 16 h 28

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

C'est une nouvelle séance. Je fais l'appel des membres de la commission et je souligne tout de suite que cette séance se poursuivra ce soir.

M. Alfred (Papineau)...

M. Alfred: Présent.

Le Président (M. Cardinal): ... M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Charbonneau (Verchères), M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M.Vaillancourt (Jonquière), M. Ciaccia (Mont-Royal)...

M. Lalonde: Oui.

Le Président (M. Cardinal): ... M. de Belle-feuille (Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier) remplacé par M. Morin (Sauvé), M. Grenier (Mégantic-Compton), M. Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé) remplacé par M. Shaw (Pointe-Claire), M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda).

J'invite immédiatement le prochain organisme, la Fédération des groupes ethniques du Québec Inc., mémoire 96. Je vous prierais, messieurs, d'identifier votre organisme, de vous identifier et, ensuite, on appliquera les règles ordinaires.

Fédération des groupes ethniques du Québec

M. Baghdjian: C'est la Fédération des groupes ethniques du Québec. Je m'appelle Kévork Baghdjian, président de la fédération. A ma droite, j'ai M. Jan Tesiorowski qui est le vice-président et, à ma gauche, j'ai M. Nicolas Zsolnay qui est le directeur des relations publiques de la fédération.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Nous commençons à 16 h 30. Vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire.

M. Baghdjian: Merci, M. le Président.

Honorables membres de la commission parlementaire, la Fédération des groupes ethniques du Québec regroupe 20 groupes ethniques dont les deux plus grands, la Fédération des Italo-Canadiens et la Communauté hellénique de l'île de Montréal, ont déjà présenté leur mémoire pour ce qui regardait, pour ce qui concernait leurs communautés respectives. Mais ces deux communautés, grecque et italienne, étant affiliées a la fédération, le mémoire que nous avons présenté résume donc en somme le consensus qui s'est réalisé au sein de notre fédération.

Je dois dire ici que la Fédération des groupes ethniques du Québec est le seul organisme hors Québec, peut-être même à travers tout le Canada, qui soit multi-ethnique, multicultural, et dont la langue de travail écrite et orale est le français, parce que nous tenons toutes nos séances en français, tous nos procès-verbaux sont rédigés en français et tous nos prorcès-verbaux restent en français avec tous les rapports que nous dressons toujours en français. C'est donc au nom de cette fédération que je me dois de remercier la commission parlementaire de l'accueil qu'elle a bien voulu réserver à notre mémoire. Je ne voudrais pas vous importuner par la lecture de notre document. Je me contenterai de vous en présenter un exposé succinct, après quoi mes collègues et moi-même nous nous tiendrons à votre disposition pour répondre à vos questions.

A l'occasion de la publication du livre blanc, la Fédération des groupes ethniques du Québec avait déjà pris position en faveur de la francophonie et de la francophonisation. Nous l'avons déclaré tout haut à qui voulait l'entendre, dans notre communiqué du 5 avril 1977, que nous avons joint à notre présent mémoire. D'ailleurs, notre position n'a pas changé depuis le 19 septembre 1975, date à laquelle nous avions fait diffuser par Telbec notre premier communiqué face à la loi 22, un autre document que nous avons joint aussi à l'appui de notre mémoire. Aujourd'hui encore, nous militons pour la francophonie et la francophonisation. Nous sommes pour la primauté incontestable du français au Québec.

Cependant, cela ne nous empêche pas de formuler certaines critiques et certaines réserves quant aux modalités de cette francophonisation préconisée par le projet de loi no 1. En principe, nous sommes contre toute mesure coercitive pour protéger ou imposer une langue et une culture. Nous sommes, par contre, pour toute mesure incitative pour encourager des transformations, pour opérer des réformes linguistiques ou pour édifier des structures nouvelles dans la collectivité, tant au Québec que partout ailleurs.

Ainsi, tout en nous engageant pour la francophonie dans une province à 81% francophone, nous ne pouvons pas ne pas souligner que l'uni-linguisme, s'il était imposé officiellement et appliqué globalement, serait préjudiciable, même et surtout, aux francophones du Québec. C'est la raison principale pour laquelle nous avons suggéré que tout Québécois, au terme de ses études secondaires, puisse manier aussi aisément le français que l'anglais, c'est-à-dire qu'il maîtrise aussi bien la langue officielle que la langue seconde. Article 57.

Pour ce qui est du français, langue de travail, de l'administration et des tribunaux, nous avons insisté surtout sur l'insuffisance du délai de transition souvent trop court pour réaliser cette transformation d'une si grande envergure. Par moments, nous avons été choqués par l'emploi de certains termes tels que la majorité et minorité (cf. préambule) qui nous ont inspiré une appréhension compréhensible tant par l'esprit que par la lettre de la loi projetée.

Nous y avons décelé une certaine catégorisation des citoyens et nous avons été alarmés par l'institutionalisation de la discrimination entre ci-

toyens de diverses origines et de diverses langues. Nous avons consigné cette appréhension à la page 1 de notre mémoire.

Par ailleurs, nous avons constaté, au projet de loi no 1, le manque de la définition du terme "Québécois" et nous avons suggéré que la définition claire, simple et précise que le premier ministre René Lévesque en a donné au colloque des 4 et 5 juin soit adoptée dans ce texte législatif, pour empêcher toute équivoque et tout abus éventuel dans l'interprétation future de la loi en question. Cf. notre préambule, page 2 et l'article 112, page 9.

Nous avons été désagréablement surpris de constater que le législateur avait omis de prévoir des moyens de recours aux tribunaux pour en appeler des mesures injustes possibles et des excès de zèle probables dans l'application de cette loi. Cf. page 4, critiques et amendements de notre mémoire, article 99, page 9 et articles 120 et 144. Car les organismes créés pour l'application et la surveillance de la francophonisation, par le projet de loi no 1, sont dotés d'un pouvoir quasiment absolu de jugement et d'exécution.

Si des tribunaux de recours compétents ne sont pas créés en même temps que ces organismes, nous apréhendons des abus et des injustices, peut-être souvent involontairement commis par des fonctionnaires, mais toujours préjudiciables aux citoyens.

La Fédération des groupes ethniques du Québec, fidèle à sa vocation et selon les dispositions de sa Charte qui la reconnaît comme le défenseur des intérêts des communautés ethniques et le porte-parole de celles-ci auprès des gouvernements fédéral, provincial et municipal, a jugé de son devoir de recommander et de demander même que dans tous ces organismes gouvernementaux et paragouvernementaux, des représentants ethniques soient présents, (articles 69, 121, 151) car il ne serait pas juste que ces postes soient attribués aux seuls Québécois francophones, comme le laisse entendre le projet de loi no 1.

Les Québécois francophones ne sont pas les seuls à constituer le peuple québécois et ils ne peuvent pas et ne doivent pas prétendre avoir le monopole de défendre et de promouvoir le français et la francophonie. Nous voulons contribuer de toutes nos forces, à la francophonisation et à la promotion du français et de la culture française.

Nous avions affirmé ce désir et ce droit, le 24 avril dernier, en présence de l'honorable Dr Camille Laurin, dans la salle des Ukrainiens où, se rendant à notre invitation, M. le ministre avait bien voulu engager un dialogue constructif avec les masses ethniques.

J'avais dit, ce jour-là: "Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas rester indifférents et passifs devant un Québec en devenir. Nous sommes convaincus que rien de positif et de valable ne peut se réaliser au pays sans le concours des ethnies qu'on avait la mauvaise habitude d'appeler les autres et qui constituent aujourd'hui les 12% de la population à l'échelle du Québec et le tiers de la population à l'échelle du Canada".

J'avais ajouté que nous sommes conscients de nos tâches en tant que citoyens à part entière et que nous entendons exercer tous nos droits civiques sans restriction aucune, sans nous dérober à aucune de nos obligations.

C'est toujours dans cet esprit de civisme que nous exigeons la présence de ceux qui ne sont ni francophones, ni anglophones aussi, à l'Office de la langue comme à la Commission de la surveillance et au Conseil consultatif.

C'est également dans le même ordre d'idées que nous avons demandé des précisions, que nous considérons indispensables sur la définition des associations socio-culturelles et des critères de leur représentativité. Notre position a été toujours nette et claire.

Les ethnies ne veulent pas s'enfermer dans des tours d'ivoire, pour dire le mot, dans des ghettos. Elles ne veulent pas non plus vivre en marge de la société, vivre comme une troisième solitude. Elles n'acceptent point de traîner leur existence comme des parasites à la charge de la société, de la collectivité. C'est pour ces raisons d'ordre humain et des raisons d'ordre social et civique que la Fédération des groupes ethniques du Québec demande impérieusement que des représentants ethniques, allophones, soient aussi présents à tous les paliers des organismes chargés de l'application et du contrôle de la Charte du français et, soit dit en passant, même à tous les paliers de la fonction publique. C'est également pour ces raisons que nous sommes devant la commission parlementaire pour répondre à toutes vos questions. Merci de votre attention.

Le Président (M. Dussault): Merci, MM. les témoins. M. le ministre d'Etat, s'il vous plaît.

M. Laurin: Je remercie la fédération pour l'exposé qu'elle vient de nous faire et le mémoire qu'elle nous a présenté, que j'ai lu avec la plus grande attention. J'ai l'impression que ce mémoire a été écrit sous le signe de l'ambivalence. D'une part, la Fédération des groupes ethniques se dit fortement en faveur, non seulement de la francophonie, mais aussi de la francophonisation, mais, d'autre part, j'ai l'impression qu'elle voudrait garder le plus possible de l'état actuel du Québec qui est une bilinguisation marquée dans plusieurs domaines. Ce qui veut dire, au fond, que je constate, aussi bien dans les rencontres que j'ai avec les divers groupes ethniques que dans les mémoires qu'ils nous ont présentés, dans le mémoire que la fédération nous présente aujourd'hui, une certaine méfiance, pour ne pas dire une certaine appréhension, non seulement à l'endroit du projet de loi, mais à l'endroit de l'évolution actuelle, accélérée du Québec vers la définition de son statut de peuple et de nation.

A un autre moment, dans son mémoire, la fédération nous demande de ne pas la tenir responsable pour les facteurs qui sont responsables de son état d'esprit ou de ses tendances actuelles. J'en suis. Je sais, en effet, que la plupart des immigrants, lorsqu'ils sont venus au Québec depuis 40 ou 50 ans, ont eu la certitude d'entrer dans un Canada bilingue et non pas dans un Québec fran-

çais. Je sais aussi qu'ils n'ont pas tardé à se rendre compte, quand ils sont arrivés au Québec, que la puissance économique, qui est tellement importante pour le gagne-pain, appartenait au groupe anglophone, et que l'anglais était la "lingua del pane", l'instrument du succès, du prestige social. En conséquence, beaucoup d'immigrants, pour ne pas dire la plupart, choisissaient, sinon de s'intégrer ou de s'assimiler à cette minorité anglophone, du moins d'entrer dans le secteur scolaire anglophone.

La majorité francophone également n'est pas sans reproche à l'endroit des divers groupes minoritaires, assez souvent cantonnée dans une attitude de refus, de xénophobie et n'a pas toujours fait montre de l'hospitalité qui aurait été désirable, ce qui est, malgré tout, compréhensible, en raison d'un réflexe de défense en face de ces choix qu'effectuaient les immigrants et en raison des tensions ou des conflits qu'ils vivaient eux-mêmes en cherchant à se définir.

Je pense que ceci nous amène au résultat actuel qu'un grand pas reste à faire pour rapprocher ces diverses communautés. Si les groupes ethniques ont souvent l'impression que la majorité ne les comprend pas ou ne les accueille pas comme il se doit, on peut dire aussi que la majorité francophone a souvent l'impression, également, que les groupes ethniques ne connaissent pas sa situation, ne connaissent pas véritablement ses problèmes, en même temps que ses aspirations et ne sont pas d'accord, également, sur son évolution, sur les efforts et la volonté aussi qu'elle a de se définir dans un statut de liberté et d'atteinte d'objectifs qui sont pour elle essentiels.

Et ceci se retrouve peut-être dans la conception qu'ils se font du projet de loi parce que malgré les rencontres que nous avons eues, j'ai souvent l'impression que les minorités ethniques n'ont pas véritablement lu ou compris le projet de loi tel qu'il est ou du moins tel qu'il a été inspiré, tel qu'il se retrouve dans le livre blanc.

J'en prends pour preuve, par exemple, les craintes dont vous faites état aux pages 3 et 4 que vous avez mentionnées vous-même. Je crois que les craintes dont vous faites état à la page 3 sont absolument non fondées.

Il est absolument certain que ce projet de loi n'atteindra sûrement pas les pauvres, les ouvriers non qualifiés et les travailleurs moins éduqués, car si vous relisez le chapitre du livre blanc qui est consacré aux individus, vous verrez que les périodes de transition nécessaires sont accordées. Vous verrez que toute la souplesse désirable y est manifestée à l'endroit, par exemple, des propriétaires d'échoppes ou de petits commerces qui, bien sûr, devront prendre les moyens pour servir leurs clients en français, ce qui est un droit absolument fondamental pour le francophone au Québec, mais qu'ils pourront le faire par personne interposée par le personnel qu'ils pourront engager, tout en prenant le temps nécessaire pour apprendre la langue du pays.

Dans les autres chapitres du livre blanc aussi, je pense que vous verrez que le gouvernement entend faire tous les efforts nécessaires pour favori- ser l'apprentissage du français dans tous les secteurs de la population que constituent les groupes ethniques à l'heure actuelle, aussi bien chez les enfants, par l'accent qu'il veut mettre sur l'enseignement à l'école ou au niveau de l'éducation des adultes.

Je retrouve aussi une trace de cette méfiance, de cette appréhension dans la certitude qu'a la Fédération des groupes ethniques que les fonctionnaires recourront nécessairement à des mesures injustes ou à des excès dans l'application de la loi à l'étude.

Peut-être cela est-il dû à l'expérience passée qu'ont eue plusieurs immigrants dans leur pays d'origine, mais je pense qu'il y a eu assez d'assurance de donnée à cet effet et je pense qu'il faut quand même assez respecter les fonctionnaires qui sont nombreux au Québec comme dans tous les pays pour reconnaître qu'ils se conformeront à l'esprit aussi bien qu'à la lettre de la loi. Avant toute considération sur les recommandations spécifiques que vous faites, il faut parler de ce climat, des conditions qui l'ont créé et des mesures aussi qu'entend prendre aussi bien le gouvernement que la majorité francophone pour combler ce fossé, pour corriger les malentendus, les incompréhensions qui ont pu exister jusqu'ici entre la majorité francophone et les divers groupes ethniques.

Je pense que notre gouvernement a déjà donné la manifestation de cette bonne volonté dans le colloque qu'il a tenu déjà sur les problèmes de l'immigration.

Il le manifestera à nouveau dans l'autre colloque qu'il a l'intention de tenir au mois d'octobre et où nous essaierons tous ensemble de nous pencher sur les problèmes actuels qui s'opposent à l'édification d'une culture québécoise qui ne serait pas seulement francophone, mais qui incorporerait aussi les dynamismes culturels des divers groupes ethniques.

La loi actuelle est conçue dans le même sens. La politique linguistique actuelle est conçue dans le même sens et tout le livre blanc en témoigne d'ailleurs. Je pense qu'en vertu de cette politique, nous sommes prêts à accepter plusieurs des recommandations que vous nous faites, par exemple quant à la représentation des divers groupes ethniques soit dans les organismes administratifs de la régie, soit au conseil consultatif de la langue française, soit dans les autres conseils consultatifs qui existent ou qui seront à créer dans nos divers ministères.

Mais il reste cependant que nous voudrions bien que la loi actuelle, que la politique actuelle, soit comprise et qu'elle soit comprise dans le sens de l'article 43 de la Charte des droits de l'homme qui incite le gouvernement à donner aux minorités culturelles tous les moyens dont elles ont besoin pour favoriser leur épanouissement.

Mais, pour le moment, je pense que nous sommes encore dans une phase de recherche et une phase de malentendus. J'en vois la preuve, par exemple, dans les premières pages du mémoire où vous nous demandez d'accorder plus d'importance au bilinguisme. A première vue, on

peut se demander pourquoi les groupes ethniques, qui disent qu'ils ne sont pas intégrés, ni assimilés à la minorité anglophone, veulent-ils attacher autant d'importance au bilinguisme? On peut se demander ce que cela pourrait leur apporter, aux groupes ethniques, ce maintien du bilinguisme, sinon par les choix implicites ou explicites qu'ils ont déjà faits à l'endroit de cette minorité anglophone qui les domine bien plus qu'ils ne veulent l'avouer.

De la même façon, ils nous demandent des délais plus longs pour l'application de la loi. Il nous semble que les délais que nous accordons sont quand même relativement longs et il importe quand même de reconnaître que tout gouvernement se doit de faire une planification, surtout lorsqu'il s'agit d'application de lois aussi importantes que celle-là. Et je pense que les échéanciers que nous nous sommes fixés, les planifications que nous avons faites tiennent compte de la réalité, à condition, bien sûr, que l'on puisse compter sur la bonne volonté de tous les groupes et de toutes les personnes qui se disent favorables aux objectifs que nous poursuivons.

J'en arrive maintenant aux recommandations spécifiques que vous nous faites. Vous voudriez qu'on ajoute un paragraphe à l'article 52 afin qu'un immigrant ou même un francophone qui irait étudier durant une seule année dans une province anglaise, voisine, puisse revenir au Québec et poursuivre ses études en anglais, et non seulement lui, mais ses frères et soeurs. J'aimerais bien savoir si j'ai bien compris cette recommandation, mais, si je l'ai bien comprise, elle aboutit à détourner la loi de son objectif et elle n'est sûrement pas fidèle à son esprit. Est-ce que vous pourriez commenter cette recommandation?

M. Baghdjian: M. le ministre, avant de répondre à l'article 52, je me dois d'abord de vous remercier pour certaines de nos recommandations que vous avez bien voulu agréer quant à la représentation des éléments ethniques dans les divers organismes que le projet de loi no 1 promet de créer. Ensuite, je dois vous apporter quelques éclaircissements. Premièrement, vous avez parlé de l'orientation des groupes ethniques vers le secteur anglophone et vous les avez directement ou peut-être indirectement, enfin ça n'a pas beaucoup d'importance, accusés de s'être laissés entraîner vers le courant d'anglophonie. Permettez-moi de vous dire ici tout haut qu'il y a des milliers et des milliers d'immigrants qui sont venus au Québec, francophones, c'est-à-dire qu'ils étaient francophones quand ils sont arrivés au Québec et le Québec les a rendus anglophones.

C'est une déclaration peut-être bizarre pour certains d'entre vous.

M. Laurin: J'ai admis cela, M. Baghdjian, qu'il y avait des... que c'était le résultat d'une situation où les francophones aussi bien que les anglophones, ou le pouvoir fédéral, avaient quelque chose à faire, je l'admets.

M. Baghdjian: Donc, c'est une précision im- portante pour nous. L'enseignement étant basé sur la religion, ceux de ces immigrants qui n'étaient pas inscrits sur leur pièce d'identité comme catholiques — il y en avait qui étaient orthodoxes ou protestants — ont été refusés par l'école catholique et, à leur détriment, ils se sont vus dans l'obligation de s'orienter vers le secteur anglophone d'où nous essayons maintenant de les ramener au bercail. Donc, premier détail. Parmi ces immigrants, on peut citer les Roumains, les Hongrois, les Arméniens, les Slovaques, etc.

Deuxièmement, vous avez dit tout à l'heure "nécessairement", vous avez employé le mot nécessairement; dans notre déclaration, nous n'avons pas dit "nécessairement", nous avons dit par le fait des choses, peut-être par l'évolution des choses, par la convergence de certaines circonstances, mais ça ne veut pas dire "nécessairement" que les fonctionnaires seront accusés de parti pris ou d'abus, etc.

Nous avons dit: contre des abus éventuels. C'est évidemment humain; tout fonctionnaire est un être humain et tout être humain est faillible. Il n'est pas quand même infaillible comme homme. Nous avons simplement suggéré qu'il y ait un organisme qui puisse contrôler les agissements de ces fonctionnaires et que ce ne soit pas le ministre, par exemple, comme on l'a proposé ce matin pendant que nous étions ici dans la salle, parce que...

M. Laurin: Le Barreau avait suggéré la même chose.

M. Baghdjian: Le Barreau avait suggéré la même chose. Nous avons voulu qu'il y ait un organisme qui soit représentatif et qui inspire confiance et qui soit le dernier ressort des appels possibles et éventuels. Cela ne veut pas dire que nous accusons les fonctionnaires que vous n'avez même pas encore désignés; nous ne pouvons pas les taxer ni de parti pris, ni de partisanerie, ni d'abus de confiance, ni d'excès. C'est une hypothèse que nous bâtissons contre toute éventualité. C'est la deuxième explication que je vous apporte.

Ensuite, vous avez parlé du livre blanc. Nous avions très hautement apprécié dans le livre blanc les passages qui parlaient de l'institution de chaires de langues ethniques, de cultures ethniques dans les universités. On avait parlé de bourses pour encourager les études ethniques.

On avait parlé de l'enseignement des langues ethniques dans les écoles. On avait même parlé des écoles ethniques.

Or, dans le projet de loi no 1, nous ne trouvons aucune...

M. Laurin: On ne peut pas mettre cela dans la loi, M. Baghdjian. Cela fait partie de la politique des autres ministères qu'ils appliqueront, en temps opportun.

M. Baghdjian: Alors, ce sera dans les règlements?

M. Laurin: Non, dans les politiques de chacun des ministères.

M. Baghdjian: Dans les politiques. D'accord.

Ensuite, vous avez soulevé la question de "notre bilinguisme." Notre bilinguisme, tel que nous l'avons conçu, tel que nous le concevons, tel que nous voulons que vous compreniez tous, ici présents, ce n'est pas un bilinguisme qui s'étendrait à tout le territoire. C'est un bilinguisme qui serait mis en application dans certaines régions où, par exemple, ce serait nécessaire, pour un certain temps, de temporiser là où il y a, par exemple, une majorité forte d'anglophones et où alors, la deuxième langue, c'est-à-dire le bilinguisme serait bienvenu et serait utile dans l'intérêt de tout le monde et pour la paix sociale aussi.

Ceci d'ailleurs, dans notre esprit, je tiens à le préciser aussi, ne serait que provisoire, temporaire, en attendant que le français puisse s'affirmer et puisse aussi prendre la primauté que nous voulons qu'il prenne. Nous sommes prêts à lutter à vos côtés, avec vous, avec tous ceux qui luttent pour la francophonie et la francophonisation pour que le français devienne la langue prioritaire et officielle dans le Québec entier.

Voilà notre point de vue explicité comme je voulais l'expliciter, M. le ministre.

M. Laurin: Je voudrais aussi vous rassurer quant à votre recommandation 24. Je voudrais vous signaler l'article 135 du projet de loi qui dit que le commissaire-enquêteur ne doit recevoir aucune plainte qui soit folichonne ou vexatoire et, en plus, il y a la Loi des enquêtes qui interdit de recevoir des plaintes anonymes. Je pense qu'il y a là des garanties, des sauvegardes qui protégeront quelque citoyen que ce soit, contre l'arbitraire.

J'aimerais aussi, et ce sera ma dernière question, parler de cette recommandation que vous nous faites, où vous exigez que tout francophone qui fréquente l'école francophone, doive posséder, à la fin de ses études secondaires, un diplôme qui atteste de sa connaissance de l'anglais.

Ceci est absolument impossible à accorder, parce qu'on ne peut penser que tous les francophones du Québec doivent être bilingues. Pour beaucoup, pour un bon nombre d'entre eux, en tout cas, la connaissance de l'anglais, tout en étant utile, ne sera pas nécessaire, même si elle peut être absolument indispensable pour un certain nombre de francophones qui, par exemple, voudront faire carrière dans certains secteurs: commerce, sciences, technologie. On ne peut pas présumer de cela que la connaissance de l'anglais sera indispensable pour tous les Québécois francophones.

M. Baghdjian: Je tiens, M. le ministre, à préciser, là aussi, que c'est un souhait que nous formulons et la raison est bien simple. Si nous considérons que l'enseignement du français dans les écoles anglaises va être obligatoire, nous obligeons donc les anglophones à devenir bilingues automatiquement, de par la force des lois.

M. Laurin: C'est normal dans un Québec français.

M. Baghdjian: Excusez-moi, M. le ministre, ce n'est pas la conclusion à laquelle je veux aboutir. Comme nous ne donnons pas une deuxième langue aux francophones qui sont dans les écoles françaises, nous avons peur, nous craignons que, d'ici vingt ans, par exemple, toute la jeunesse francophone du Québec reste unilingue à son détriment, tandis que la jeunesse anglophone deviendrait bilingue. C'est donc en sa faveur. Enfin, nous, francophones, nous serions défavorisés par ce système. C'est notre conviction et c'est là-dessus que nous formulons ce souhait. C'est l'unique raison.

M. Laurin: Mais ce n'est sûrement pas notre conviction, parce que nous savons que la plupart des francophones qui voudront faire carrière dans les secteurs dont je parlais tout à l'heure, qui ont l'ambition de réussir dans ces domaines, voudront acquérir la connaissance de l'anglais, soit à l'école, soit par tous les autres moyens à leur disposition et, d'autre part, nous ne le croyons pas, parce que le gouvernement a aussi, même si l'obtention du diplôme n'est pas requise, il a quand même dis-je, l'intention de procurer aux écoles tous les moyens dont elles ont besoin pour procurer une excellente connaissance de l'anglais.

C'est donc une perspective que je crois très improbable, pour ne pas dire impossible, dans les années qui viennent.

M. Baghdjian: Nous sommes comblés, M. le ministre. C'est le souhait que nous avions à formuler et c'est l'unique raison pour laquelle nous avons mis cette restriction. Nous sommes donc maintenant éclairés. Je vous remercie de ces explications.

Le Président (M. Dussault): Merci, M. le ministre. Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier les représentants de la Fédération des groupes ethniques du Québec d'être venus à la commission parlementaire présenter le point de vue des différentes associations qu'elle regroupe. Je pense que c'est une heureuse coïncidence que nous puissions vous accueillir à l'Assemblée nationale en cette veille de la Saint-Jean et de la Fête nationale, comme on l'appelle maintenant. J'espère que c'est un bon présage dans le sens que vous pourrez vous sentir de plus en plus partie de la communauté francophone et que vous aurez l'occasion, dans les jours qui suivent, de participer à cette fête et de vous sentir accueillis à part entière.

Je suis d'accord avec les appréhensions que vous manifestez vis-à-vis de la définition qu'on a donnée dans la charte au terme "Québécois". Là-dessus, je dois dire, en toute justice, que le ministre d'Etat au développement culturel, comme il l'a d'ailleurs signalé ce matin — je crois que peut-être certains d'entre vous y étaient — a l'intention d'apporter des corrections, mais tel qu'il se présentait, je pense qu'il y a aussi des francophones

qui ont réagi comme vous et qui comprennent facilement que vous vous soyez peut-être, à tort ou à raison, cela peut dépendre de l'interprétation qu'on donne, mais, dans les faits, sentis exclus de cette communauté québécoise.

D'ailleurs, il est assez surprenant qu'on ait été obligé de définir ce terme, parce que je pense que les gens qui sont au Québec, qui vivent au Québec, qui veulent y travailler, qui veulent participer à la vie du Québec, ce sont tous des Québécois et, jusqu'à un certain point, cette définition était superflue; en tout cas, c'est ce que je pense personnellement.

Quand vous parlez des appréhensions et de la méfiance que ceci a créées, malheureusement, non seulement parmi les groupes ethniques, mais même parmi les groupes francophones, je pense que vous avez raison, parce qu'au-delà de la langue, dans certaines déclarations, on a fini par identifier, ou, en certaines occasions, on a identifié ceux qu'on appelait de bons Québécois, de mauvais Québécois, même s'ils étaient tous francophones.

Mais enfin, espérons que ce sont des ambiguïtés passagères et qu'une stabilité plus grande suivra dans les mois, les années qui viennent, et que ce qui, à ce moment, nous trouble un peu tous disparaîtra. En tout cas, c'est le souhait que je fais en cette veille de la Saint-Jean.

Vous avez fait des remarques fort pertinentes et vous proposez des amendements; même si vous ne les formulez pas, vous proposez des amendements à certains articles. Je pense que déjà, ce matin, par exemple aux articles 11, 12 et 13, sur lesquels le Barreau a fait des remarques pertinentes, vous avez eu des réponses assez précises du ministre d'Etat au développement culturel qui s'est dit très sensible, du moins, aux représentations qui étaient faites. Je pense que ce qui vous troublait dans ces points particuliers, c'était la question de la constitutionnalité de ces articles. J'ai l'impression, en tout cas, que le gouvernement va les étudier un peu plus longuement. Une première question que je voudrais vous poser, c'est à l'article 2, page 4. Vous dites: Le droit de tout Québécois d'exiger que communiquent en français avec lui les diverses entreprises exerçant au Québec, à notre avis, mettrait en danger l'existence de nombreuses petites entreprises. Là-dessus, je pense que cette crainte a été exprimée, particulièrement par d'autres groupes ethniques qui se sont dit: On a quand même des entreprises familiales. Ils ont demandé que des corrections soient apportées ou, enfin, certaines garanties. A b), vous dites: "Privera, à la longue, la population francophone de certains services compétitifs". Est-ce que vous pourriez expliciter un petit peu ceci ou nous donner des exemples?

M. Baghdjian: M. Zsolnay, s'il vous plaît.

M. Zsolnay: Notre pensée était que c'est très facile de suggérer qu'une petite entreprise emploie et donne du travail à une personne de plus pour servir le public en français. Des choses comme cela peuvent être dites seulement par des personnes qui n'ont jamais essayé de travailler elles-mêmes dans une petite entreprise ou de faire marcher une petite entreprise. A notre avis, si la période de transition pour les petites entreprises n'est pas plus étendue, un grand nombre de ces petites entreprises feront faillite et fermeront leurs portes, simplement parce qu'elles ne seront pas capables de fonctionner. Si on élimine ces petites entreprises qui sont très nombreuses parmi les ethnies, un jour, on va aboutir à une situation où, si une toilette ne fonctionne pas, on ne trouvera personne pour la réparer, ou bien seulement une entreprise à un coût exorbitant. Comme cela, la compétition de toutes ces petites entreprises qui travaillent sans beaucoup de dépense, les entreprises de familles... Elles sont prêtes à servir d'autres gens, peut-être plus pauvres, des propriétaires de maisons ou d'autres petites entreprises. Nous pensons qu'un grand nombre — je pourrais gager avec n'importe qui — de ces petites entreprises vont disparaître, si on se..., si on les force, par exemple. Une petite entreprise, un petit restaurant, un "signe", pour cela... Nous allons aussi demander une distinction des "signes" temporaires et des "signes" à destination plus ou moins permanente. C'est là que nous ne nous sommes peut-être pas bien compris. Nous préconisons la francisation, nous acceptons la francisation, mais nous avons une réserve. Nous sommes d'accord si, à partir d'aujourd'hui, tout change, mais sans rétroactivité. Alors, on exige que chaque nouveau "signe" soit en français. Chaque nouveau permis qui sera donné à des personnes... Nous disons la même chose que le Barreau et la Bourse. Nous ne représentons surtout pas ceux qui font partie de l'"establishment", parce que ces gens sont représentés par le patronat, par la Bourse — les ethnies, n'est-ce pas — ou bien par les chambres de commerce, par le Board of Trade.

Nous sommes surtout les porte-parole des petits qui ne sont pas montés jusqu'à la Bourse ou bien jusqu'au patronat. Pour ces petits, changer une enseigne qui coûte $500 ou $1000, c'est peut-être dire qu'il faut renoncer à deux années de vacances ou quelque chose comme ça. Il y en a beaucoup comme ça. C'est pour ces gens que nous aimerions parler, parce qu'il y a très peu de personnes qui parlent eux.

Mme Lavoie-Roux: Je pense que je...

M. Zsolnay: II faut toujours regarder toutes nos suggestions. Quand nous demandons un certain délai de grâce, n'est-ce pas, quand nous essayons d'éviter la rétroactivité, nous disons la même chose que ce que le représentant de la Bourse a dit. Nous disons la même chose que ce que le Barreau a dit. Quand le Barreau a demandé les tribunaux, cela a été accepté comme une proposition à considérer. Quand nous demandons la même chose, on dit: Les ethnies se méfient des futurs fonctionnaires. C'est un certain préjugé contre nous qui, malheureusement, existe et je pourrais vous citer jusqu'à demain matin des exagérations de petits fonctionnaires.

Dans une petite entreprise, il y a quelques

jours, on a reçu trois avis pour payer une certaine taxe, à trois différentes adresses: à l'adresse d'il y a trois ans, à l'adresse d'il y a deux ans et à la présente adresse. Ou bien on demande à une autre petite entreprise, en 1976, de payer une taxe de vente de 1972. On l'accuse de ne pas avoir payé ça après quatre ans. Il a fallu faire la preuve qu'on a payé ça il y a quatre ans. Des choses comme ça, je pourrais vous en citer jusqu'à demain matin, parce que je travaille avec de petites entreprises. C'est de là qu'une certaine méfiance... On ne dit pas que c'est par mauvaise volonté, mais tous ces services publics ont augmenté énormément. L'entraînement de ces gens, ou peut-être le contrôle de ces gens, n'est pas efficace comme il l'était il y a dix ou vingt ans. Ce sont nos expériences.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie, monsieur, parce que ce problème que vous signalez a été exprimé aussi en d'autres termes, mais de la même façon, par la communauté grecque. Cela me semble être fondé, en ce qui a trait aux petites entreprises, particulièrement les entreprises familiales.

L'autre question que je voudrais vous poser, c'est: Pouvez-vous me dire si, dans les écoles anglaises où une partie des groupes ethniques se trouve ou même un assez grand nombre d'enfants d'immigrants ou de Néo-Canadiens se trouvent, l'enseignement du français, comme langue seconde, est tel qu'il permet à vos enfants de quitter ces écoles avec une connaissance, disons, d'usage de la langue française?

M. Tesiorowski: La situation est différente aujourd'hui de celle d'il y a dix ans. Il y a dix ans, dans les écoles anglaises, l'enseignement du français était nul. Aujourd'hui, dans les écoles anglaises, ou enseigne très bien le français. Réellement, la très grande majorité des élèves quittant l'école secondaire possède une connaissance suffisante du français. L'enseignement maintenant est bon dans les écoles françaises.

Si vous abordez ce problème, ici, j'aimerais répondre plus tard à M. le ministre pour lui expliquer pourquoi nous tenons à ce bilinguisme. S'il s'agit du niveau scolaire, c'est donc pour donner aux enfants un plus grand capital de connaissances et de compétitivité. C'est uniquement dans ce sens. Comme nous l'avons mentionné ici, tous les trois, à maintes reprises, nous sommes en faveur de la francisation. Nous nous rendons parfaitement compte que nous vivons dans la province où la majorité de la population est francophone. C'est la province française tout court. Mais, en même temps, nous ne pouvons pas oublier que nous vivons dans le contexte nord-américain et, à l'heure actuelle, la vie nous impose cette mobilité. Si nous n'avons pas ce capital, qui s'appelle la langue seconde, en l'occurence ici, la langue anglaise, ces enfants sont amputés, ont des barrières, ont des possibilités d'avancement et de gagner leur vie eux-mêmes. Et même en allant plus loin, la contribution se limitait.

Surtout si on prend l'enseignement en secteur collégial, comme vous le savez très bien, une très grande partie des manuels est en anglais. Donc, si l'élève n'apprend pas suffisamment l'anglais aux niveaux primaire et secondaire, il est incapable de continuer ses études au niveau collégial et surtout universitaire.

C'est l'aspect du bilinguisme au niveau scolaire, le capital que nous voulons donner aux jeunes.

Mme Lavoie-Roux: Quand vous parlez de bilinguisme, vous ne parlez pas d'un bilinguisme total. Vous parlez vraiment de la connaissance d'usage d'une deuxième langue. Est-ce dans ce sens qu'il faut l'interpréter?

M. Tesiorowski: Mais connaissance, une vraie connaissance, et non pas une connaissance superficielle.

Mme Lavoie-Roux: ... d'usage pour pouvoir s'en servir.

M. Tesiorowski: Pour pouvoir travailler, s'exprimer et comprendre une langue seconde.

Mme Lavoie-Roux: Sur cette question de la langue seconde, je dois vous dire qu'elle a été soulevée ici par un grand nombre d'organismes et non uniquement par des groupes des communautés ethniques. Je souriais un peu tout à l'heure quand le ministre d'Etat au développement culturel vous a parlé d'une certaine ambivalence qu'il percevait dans votre mémoire.

Comme on ne peut pas se poser de questions ici, de part et d'autre, on n'a jamais eu la chance non plus de se poser des questions directes sur ce problème de l'enseignement des langues secondes, mais je sens chez lui une certaine ambivalence aussi à cet égard. Parce que, d'une part, il commence par vous dire que tous les francophones ne sont pas obligés d'avoir une connaissance de la langue seconde, mais que d'autre part, à la fin, il vous assure qu'il va prendre les mesures pour bien enseigner la langue seconde. Là aussi se retrouve une ambivalence. L'objectif qu'on doit se fixer et qui est vraiment l'interprétation qu'il faut donner a toutes les réclamations qui sont faites dans ce sens, non seulement de la part de vos communautés, mais aussi de la communauté francophone, est qu'on donne à tous les enfants la chance de pouvoir acquérir cette connaissance de la langue seconde. Enfin, s'il y a des gens qui n'en veulent pas, c'est une autre chose, mais je pense qu'il faut au moins donner aux enfants cette chance et cela ne sera pas le premier pays qui permettra l'enseignement d'une langue seconde, souvent on en permet deux, trois.

Pour notre part — l'Opposition officielle — c'est là un point sur lequel nous essaierons d'obtenir des précisions. Ce sera dans la mesure où le gouvernement pourra assurer cet enseignement non seulement aux groupes ethniques, mais également aux francophones que ce problème de libre choix, ce problème d'ambivalence vis-à-vis de la fréquentation de l'école française ou non, disparaîtra. Et, pour moi, c'est une

responsabilité du gouvernement. Je peux vous dire que nous serons vigilants là-dessus...

A l'article 69, à la page 8, je voulais simplement vous demander pourquoi vous déduisez que seulement des Canadiens français pourraient être nommés — il s'agit de l'office — à l'office. J'ai relu l'article et je ne voyais pas comment vous en arriviez à cette conclusion.

M. Baghdjian: Parce que ce n'est pas explicité dans l'énoncé de l'article. Alors comme le terme Québécois aussi n'est pas clairement défini, comme il faut, nous nous trouvions devant une ambiguïté. Alors, nous avons voulu simplement une précision pour dire qu'on ne devrait pas entendre par Québécois seulement les francophones. Il faudrait aussi entendre tous les Québécois de toute origine, les Canadiens français, les Canadiens anglais et allophones aussi. C'est pour cette raison que dans d'autres articles, nous avons été encore plus formels pour demander une participation directe de la présence de l'élément ethnique pour divers paliers des organismes à créer, soit pour la surveillance et le contrôle et soit aussi pour la Régie de la langue française au Québec.

C'était notre sentiment, une affaire de garantie supplémentaire.

Mme La voie-Roux: Une autre question. Dans plusieurs articles vous insistez et, je pense, avec raison, sur cette présence des groupes ethniques, soit à l'intérieur de l'office, du conseil consultatif ou enfin... Je sais qu'au moment où le gouvernement a formé son Conseil consultatif sur l'immigration à l'automne, il a semblé y avoir une certaine confusion et votre fédération avait fait des représentations parce qu'elle n'était pas consultée. Les canaux de communications ont semblé mal fonctionner. Est-ce que vous avez des suggestions à faire sur la façon dont cette consultation pourrait se faire pour que des groupes ethniques ne se sentent pas frustrés. Là, je ne veux pas porter de jugement sur le bien-fondé des représentations que vous avez faites ou de la position du gouvernement, mais, strictement au plan pratique, est-ce que vous avez des suggestions à faire, à savoir comment on pourrait procéder pour que cette consultation aboutisse à une véritable représentation des groupes ethniques?

M. Baghdjian: II faudrait peut-être répondre à la première partie de votre question, quant à la formation, à la constitution du Conseil consultatif pour l'immigration au sujet de laquelle, nous avons eu des histoires, des démêlés avec l'honorable Couture, ministre de l'Immigration et de la Main-d'Oeuvre du Québec. Nous avons été très désagréablement surpris quand nous avons appris que M. Couture avait déjà mis sur pied un conseil consultatif sans nous pressentir, sans nous consulter. Un mois avant cette conférence de presse, il avait promis qu'il allait consulter les groupes ethniques pour tout ce qui regarderait les ethnies, tout ce qui les toucherait, les intéresserait. Comme nous avons été mis devant un fait accompli, cela nous a très désagréablement surpris.

C'est le deuxième volet de votre question. Qu'est-ce que vous voulez, par exemple, qu'on fasse, quelles sont les suggestions que nous pourrions faire pour être satisfaits, pour ainsi dire? C'est ce que je déduis de ce que vous venez de dire...

Mme Lavoie-Roux: Pour éviter de...

M. Baghdjian: Oui. Alors, évidemment, nous ne voulons et nous ne pouvons pas exiger du gouvernement, quel qu'il soit, le gouvernement d'aujourd'hui ou le gouvernement de demain ou d'après-demain, c'est toujours le gouvernement, n'est-ce pas? on ne peut pas exiger qu'il puisse consulter des centaines de groupes ethniques qui existent au Québec pour trouver une espèce de consensus pour telle ou telle affaire, pour le règlement, par exemple, d'une question en suspens ou pour la constitution d'un comité consultatif ou autre. Mais, quand même, comme le projet de loi no 1 le suggère, on parle d'associations socioculturelles et on ajoute le mot représentativité. Alors, nous voulons que ce terme de représentativité soit tiré au clair, savoir ce qu'on entend par représentativité.

Nous convenons avec M. le ministre d'Etat chargé du développement culturel que toutes les associations qui se disent socio-culturelles ne sont pas représentatives en effet, mais le gouvernement devrait connaître celles qui le sont. Alors, nous entendons qu'au moins un organisme comme le nôtre, qui regroupe 20 différentes ethnies dans son sein, soit sinon consulté, du moins représenté dans des affaires de ce genre, pour que nous puissions, non pas imposer notre volonté, non pas imposer notre candidat, si candidat il y a, mais simplement que nous puissions faire valoir nos points de vue et faire des suggestions constructives, qui seraient conformes aux besoins de nos communautés ethniques que nous connaissons peut-être bien mieux que quiconque. Et, dans ce sens-là, nous pourrions peut-être avancer des propositions et des suggestions qui seraient dans l'intérêt commun et du gouvernement et des gouvernés. C'est cela que nous souhaitons dans l'ensemble. C'est la réponse globale que je donne à la question ou aux questions que vous avez posées, parce que ce sont des questions qui se touchent et qui se complètent. C'est un peu l'esprit dans lequel nous voudrions collaborer. Nous avions eu l'occasion et l'opportunité de le dire en privé à l'honorable Or Laurin quand il avait bien voulu nous recevoir le 7 janvier 1977 dans son bureau, quand il avait entrepris une série de consultations, et il avait pris bonne note de ces suggestions. J'espère bien que ce qui s'est passé à l'Immigration, au Conseil consultatif, ne se passera pas avec d'autres ministères dans d'autres conseils.

Mme Lavoie-Roux: Une dernière question. Le Président (M. Cardinal): Oui, s'il vous plaît!

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous avez fait des études, comme fédération, sur la représenta-

tion des groupes ethniques à l'intérieur de la fonction publique?

M. Baghdjian: Oui.

Mme Lavoie-Roux: Si vous me permettez, je vais terminer. A l'intérieur des conseils d'administration ou bureaux de direction, peu importe le titre qu'on veut lui donner, des syndicats, des associations patronales, des associations professionnelles, des associations de loisir, est-ce que vous avez fait des études dans tous ces domaines? On peut dire bien longtemps qu'on est ouvert aux groupes ethniques et vice versa, que les groupes ethniques veulent participer à la vie québécoise, mais est-ce qu'il y aurait des formules à examiner pour que ce rapprochement se fasse et qu'on ne se retrouve pas dans cinq ans à se reposer les mêmes questions, à exprimer les mêmes sentiments qu'on exprime aujourd'hui?

Alors, ces données permettraient peut-être d'avoir un point de départ et dire là où on peut vraiment faire que les groupes ethniques se sentent membres à part entière, dans toutes ces associations. Ça pourrait peut-être aider.

M. Baghdjian: C'est un plaisir de répondre à cette question très intéressante pour nous. Nous avons entrepris des études dans ce sens-là. Ce ne sont pas des "Gallup", si vous voulez, ce n'est pas sur la base scientifique, mais par nos propres moyens; c'est par des moyens du bord que nous avons fait ces recherches et nous avons abouti au chiffre de 0,4% de la représentativité dans la fonction publique des éléments ethniques, 0.4%. Pas même 1/2%. Donc, c'est la première réponse à la question.

Deuxièmement, excusez l'expression, nous en avons assez soupé des paroles lancées en l'air comme des bulles de savon. Tout le monde parle des ethnies, tout le monde parle de la collaboration avec les ethnies, tout le monde envisage une lune de miel avec les ethnies, mais quand nous apportons des propositions concrètes, quand nous faisons des projets concrets, personne n'est prêt à nous tendre la main, personne n'est prêt à nous écouter. Je pourrais vous citer ici de nombreux exemples, entre autres, l'Office des professions du Québec. Nous avions présenté, à leur demande, des noms de candidats ethniques pour qu'ils soient nommés comme représentants du public dans les diverses corporations. Nous avons eu à nous débattre pas mal avec cette corporation pour obtenir une réponse. Vraiment, la lacune, je souligne le mot parce que moi, dans ma correspondance, j'avais dit, lacune qu'il faudrait combler. Alors, cet office a reconnu qu'il y avait une lacune et il promettait de combler cette lacune.

J'ai le plaisir de vous dire que je suis peut-être le premier, peut-être l'unique représentant du public qui a été nommé tout récemment à la Corporation des chimistes du Québec, après tant de démêlés, n'est-ce pas, après une année de lutte.

Nous avons fait d'autres propositions à divers conseils, personne ne nous a écoutés. Je ne veux pas dévier du sujet, parce que je suis sûr que le président va me couper la parole, mais je pourrais même dire que nous avons présenté tout un programme à la Corporation des Fêtes de la Saint-Jean. Nous avons échafaudé tout un programme, une série d'activités dont, d'ailleurs, nous avons mis au courant le ministère d'Etat au développement culturel qui nous a référés au ministère des Affaires culturelles. Nous avons ensuite été obligés de nous adresser à la Corporation des Fêtes de la Saint-Jean; on n'a même pas accusé réception de nos démarches, ni de nos propositions. On veut envoyer des circulaires partout à tous les groupes ethniques et à toute la société québécoise pour dire que la participation des groupes ethniques est indispensable à la célébration de la Fête de Saint-Jean et que si les groupes ethniques n'y participent pas, il y aura une lacune. C'est beau à dire tout ça, mais je crois que si nous voulions nous placer dans l'optique de la pratique, ceci se résumerait à un grand zéro ou à des bulles de savon, comme je l'ai dit tout à l'heure. Je vois ici que mon collègue, M. Zsolnay, va ajouter quelque chose, si vous le voulez bien.

M. Zsolnay: En Ontario, c'est le contraire. Dans la fonction publique, la participation des ethnies est très élevée et la coopération dans les divers fonctionnements publics est très étroite. Ça se développe d'année en année.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie, messieurs, et je veux vous dire que mon invitation de participer aux Fêtes était quand même très sincère.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Pointe-Claire.

M. Shaw: Merci, M. Baghdjian, ainsi que votre groupe, d'être venus ici pour présenter votre mémoire qui, à mon point de vue, est une excellente présentation qui représente le point de vue de la plupart des Québécois.

On a besoin de clarifier quelques points qui reviennent toujours à la commission parlementaire. Premièrement, je voudrais savoir de votre communauté, des Néo-Canadiens sont ici pour partager toujours avec la communauté anglaise.

Pouvez-vous m'indiquer quelques raisons? Vous avez dit que le système catholique vous a forcé à vous partager avec le système protestant pour votre instruction. Mais est-ce qu'il y a d'autres raisons pour lesquelles les communautés ethniques partagent le système anglais?

M. Baghdjian: Oui, M. le député. Je passe la parole à mon collègue, M. Tesiorowski qui vous répondra sur la question de l'éducation. C'est lui qui est chargé de ce point.

M. Tesiorowski (Jan): C'est non seulement l'éducation que nous devons aborder, c'est l'attitude générale. En se décidant à immigrer, c'est la réaction naturelle et presque physiologique qu'on veut s'intégrer aux milieux où on arrive.

Mais malheureusement, en venant ici, en s'adressant aux groupes canadiens-français — je ne dis pas francophones, parce que je me considère comme un francophone — nous avons trouvé une sorte de mur de non-acceptation. Cela n'existe pas maintenant, bien entendu. Mais il y a quelques années, un de mes amis a voulu envoyer ses enfants à l'école française, c'est un professeur au collège Loyola, on lui a refusé parce qu'il parlait l'anglais et qu'il devait envoyer ses enfants à l'école anglaise.

Il y avait le refus. Le refus qui n'existe pas, bien entendu, maintenant, aux niveaux primaire et secondaire, mais au niveau universitaire, cela existe encore. Si je parle à ce sujet, je prends, dans le mémoire un cas concret:

La fille de mon ami a terminé ses études à Marie-France, avec des notes de 80% et plus. Il a fait une demande d'admission à la faculté d'architecture à l'Université de Montréal et, à la fois, à l'Université McGill. Elle a été refusée carrément à l'Université de Montréal et elle a été acceptée à l'Université McGill.

C'est un cas particulier, mais nous avons une quantité de ces cas. Il y avait une sorte de réserve, une certaine froideur de la part des Canadiens français. Nous ne savons pas pourquoi, mais cela existait.

Imaginez les gens venant dans le pays, voulant s'intégrer, s'approchent de certains groupes et s'ils trouvent une sorte de froideur et que de l'autre côté, ils sont acceptés, automatiquement, ils vont là-bas.

Ensuite, s'il s'agit de la Société Saint-Jean-Baptiste. Je reviens encore à ce sujet. Il y a trois ans, au nom du Congrès polonais, j'ai envoyé une lettre au président de la Société Saint-Jean-Baptiste, en demandant qu'il délègue quelques personnes et nous allons déléguer de notre part, pour qu'on se rencontre et qu'on se parle, parce qu'il y a un certain fossé entre nous. Pour combler ce fossé, il faut d'abord qu'on se parle.

J'ai ici des copies de cette lettre. J'ai envoyé cette lettre le 12 mai 1974. N'ayant pas de réponse jusqu'au 15 août 1974, j'ai envoyé une copie de cette lettre, avec une autre, en disant: Je n'ai pas reçu de réponse, alors, je crains fort que la lettre se soit égarée. Donc, je renouvelle ma démarche. J'attends toujours la réponse.

N'ayant pas reçu de réponse, j'ai alors adressé une lettre identique, une copie, au club Richelieu, le 2 octobre 1974. N'ayant pas de réponse, comme avec la Société Saint-Jean-Baptiste, le 14 novembre, j'envoyais une autre lettre, exactement comme à la Société Saint-Jlean-Baptiste. Jusqu'à maintenant, j'attends la réponse.

Si on se rencontre avec une attitude pareille, je pense que vous ne pourrez pas nous accuser de ne pas entrer dans les milieux canadiens-français.

M. Shaw: J'ai souvent dit la même chose dans cette Chambre, savoir que le vouloir des Néo-Canadiens de partager la vie de la communauté française était là depuis longtemps et c'était parce qu'il y a eu une certaine forme de mur, comme vous le décrivez; c'est la raison principale pour la- quelle ceux-ci se sont rangés du côté de la communauté anglaise.

Deuxièmement — je crois que ce point est très important — beaucoup de Néo-Canadiens sont venus de pays dans lesquels il avaient vécu sous un régime autoritaire. Maintenant, avec le projet de loi no 1, croyez-vous qu'il y a une sensibilisation de l'Office de la langue française à votre endroit, comme prévu dans ce projet de loi?

M. Tesiorowski: Nous n'avons aucune objection à la francisation, mais nous voulons que nos enfants soient munis de la connaissance de l'anglais. S'il y avait, dans les écoles françaises, un enseignement de l'anglais tel que les élèves, en sortant de ces écoles, puissent manier correctement l'anglais, il n'y aurait chez nous aucune objection à envoyer les enfants à l'école française.

M. Shaw: Mais je parle, premièrement, du concept de l'Office de la langue française. Même avec une politique de la langue française, y aurait-il une impression, une sensation, parmi vos concitoyens, que c'est une situation dangereuse et qui peut être abusive?

M. Tesiorowski: Je vous répondrais autrement. Nous trouvons que les méthodes coercitives ne donnent pas les résultats espérés. Je suis ici depuis au-delà qu'un quart de siècle, mais je suis d'origine polonaise: je viens d'un pays qui, durant 127 ans, a été occupé par trois pays. La quatrième génération, c'est-à-dire la génération de mes parents, parlait le polonais comme moi j'ai été éduqué en polonais, parce que nous trouvons qu'il faut avoir la langue non seulement dans la bouche, mais dans les tripes. Si on a la langue dans les tripes, on n'a pas alors besoin de méthodes coercitives. Telle est notre attitude.

M. Shaw: Une dernière question. Nous avons entendu souvent dire que le ministre de l'Education va augmenter les sommes prévues pour l'enseignement de l'anglais dans le système français. A ce moment-ci, je n'ai pas encore entendu dire qu'une directive ait été donnée au système français, mais vous venez de dire que s'il y a assez d'anglais enseigné dans le système français, vous êtes prêts à opter pour le système français.

M. Tesiorowski: A 100%.

M. Shaw: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le député de Pointe-Claire. M. le député de Papineau, vous terminez cette audition.

M. Alfred: Je vous remercie de votre mémoire. Je vous remercie aussi pour ce mémoire écrit dans un français acceptable que je dirais un français pouvant être compris par tous les parlants français, un français québécois, ce qui a montré que vous avez fait l'effort de vous intégrer à la collectivité québécoise. Je vous remercie d'autant plus que moi aussi je suis un Québécois qui a compris

qu'en venant au Québec, il fallait que je m'intègre à la collectivité québécoise. Je vous assure que moi, comme Québécois — cela fait huit ans — j'ai trouvé le sol québécois clément et, nulle part au monde — j'ai été en France, j'ai été partout — je n'ai trouvé un sol aussi clément et aussi accueillant.

Je tiens à vous préciser aujourd'hui que, si Jean Alfred, député de Papineau, a été élu, il a été élu comme un Québécois. J'ai lu votre mémoire, et j'y suis sensible, bien sûr, parce que vous êtes des Québécois, vous êtes venus au Québec. Il y a certaines choses que j'ai beaucoup de difficulté à accepter. Pourquoi avez-vous employé primauté incontestable du français au Québec? Vous savez très bien que nous voulons faire du Québec un Etat français, un pays français. Cela sous-entend-il que vous voulez une sorte de bilinguisme caché? Cela veut-il dire que vous voulez un bilinguisme plus ou moins voilé?

M. Baghdjian: Vous désirez qu'on vous réponde?

M. Alfred: Oui.

M. Baghdjian: Je crois que, jusqu'ici, nous avons eu le courage de toutes nos opinions, M. le député. Ce n'est pas ici devant cette commission que nous allons faire de la cachotterie. Nous n'avons pas peur de nos opinions et nous sommes prêts à crier sur tous les toits ce que nous pensons, parce que nous sommes conscients de vivre dans un pays démocratique, sous un régime démocratique où tous les citoyens sont égaux et tous les citoyens ont les mêmes droits. Ils peuvent jouir des mêmes privilèges. Par conséquent, si nous avions des penchants pour un bilinguisme caché, nous n'aurions pas besoin de le cacher, nous l'aurions dit très ouvertement. Tout à l'heure, répondant à la question de M. le ministre d'Etat chargé du développement culturel, j'ai donné des précisions à ce sujet. Je croyais que ces précisions étaient déjà suffisantes pour répondre à la question que vous venez de poser.

M. Alfred: Vous dites encore ici: Vous êtes contre toute mesure coercitive pour, bien sûr, la francisation du Québec. Or, si vous avez lu comme il faut l'histoire du Québec, cela fait 217 ans que nous nous sommes rendu compte que les mesures incitatives ne donnaient pas grand-chose. Ce sont ces mesures incitatives qui avaient rendu la loi 22 ambiguë. Quand on parle de coercition, cela ne veut pas dire qu'on va mettre les gens au pilori. C'est la raison pour laquelle je ne partage pas tout à fait votre opinion — j'ai le droit aussi de vous le dire — quand vous nous dites que vous êtes pour des mesures incitatives et non coercitives, parce que le temps nous a démontré que les mesures incitatives n'ont pas produit les résultats escomptés.

Vous avez employé deux autres concepts qui, malheureusement... Personnellement, je ne vois pas la discrimination entre les deux concepts employés, majorité et minorité. Ce n'est pas notre faute si, sociologiquement, il y a une majorité de 81% de francophones et 19% d'anglophones et d'allophones. En quoi pouvez-vous dire que ces deux concepts sont discriminatoires?

M. Baghdjian: Je réponds à la première partie de votre question. Vous parlez d'une histoire de 217 ans et vous en arrivez à conclure que les mesures incitatives que vous avez employées n'ont rien donné de positif, ce qui veut dire que vous êtes disposés maintenant à changer de tactique et à passer à l'attaque, c'est-à-dire à prendre des mesures coercitives. C'est à cela que nous nous opposerons, parce que comme je l'ai dit tout à l'heure, nous sommes dans un pays démocratique et nous entendons exercer tous nos droits, premièrement.

Deuxièmement, si les mesures incitatives, au cours de 217 ans n'ont rien donné de positif d'après vous, moi, je conteste ce que vous venez de dire, parce que tout à l'heure, ce matin même, soit dans le mémoire de la Bourse de Montréal, soit dans le mémoire du Barreau, il a été question justement de l'immense progrès réalisé dans la francisation du Québec. Par conséquent, ces mesures incitatives ne sont pas restées vaines et elles ont porté fruit.

Troisièmement, si, même à supposer que ces mesures incitatives étaient restées vaines, cela ne donnerait aucun droit à aucun gouvernement de prendre des mesures coercitives pour régler par la force ce qui n'a pas été réglé par la persuasion. Nous sommes contre la rétroactivité de ces mesures coercitives, mais nous sommes toujours pour la persuasion et nous sommes toujours pour la francisation et la francophonisation, que ce soit clair et bien entendu et nous resterons des partisans de cette théorie.

Pour conclure, je dois dire, M. le député, que vous prêchez à un converti quand vous parlez de l'adaptation et de l'intégration. Il y a à peu près un an et demi de cela, un ministre de l'Immigration du Québec a déclaré dans le centre communautaire Bois-de-Boulogne, en l'occurrence, M. Bienvenue, ancien ministre de l'Immigration, en parlant de ma pauvre personne, que j'avais très bien compris la réalité québécoise, que j'avais très bien agi dans le contexte québécois et que le Québec... Je répète ses mots. Je peux vous montrer son discours, si vous voulez, je peux vous l'envoyer en photocopie, il dit textuellement: Le Québec est reconnaissant au Dr Baghdjian. Par conséquent, ce n'est pas d'hier que date ma francophonie et, sans fausse modestie, M. le député, je porte sur ma boutonnière l'insigne des palmes académiques. Je suis décoré, à titre d'officier, dans l'Ordre des palmes académiques pour services rendus à la culture française par le gouvernement de la République française. Par conséquent, vous prêchez à un converti. Nous sommes tout à fait d'accord et sur la même longueur d'ondes.

M. Alfred: ...

Le Président (M. Cardinal): Très brièvement, M. le député de Papineau.

M. Alfred: Merci beaucoup.

Il y a un concept aussi que vous avez employé et que je trouve très intéressant. Vous ne voulez pas que les minorités s'enferment dans des ghettos. C'était très intéressant, parce que si on veut, par exemple, s'intégrer à la collectivité québécoise, il faut qu'on s'éparpille dans la collectivité québécoise.

Il y a une chose aussi... Par exemple, il y a deux concepts que j'aurais voulu développer, mais je n'ai pas le temps. C'est le concept d'intégration et d'assimilation. Mais il faut vous dire aussi que, malheureusement, si le Québec a connu des difficultés dans l'intégration des immigrants — je vais vous le dire objectivement — c'est que les immigrants venant au Québec ont été trompés par une publicité fallacieuse du fédéral qui ne faisait pas la distinction entre le Québec et le Canada, qui ne disait pas qu'on venait dans un Etat français et, d'une part, étant donné que l'argent est entre les mains du fédéral et qu'on avait un petit ministère de l'Immigration ici, on disposait de peu de revenus pour pouvoir améliorer les COFI, l'accueil pour les immigrants; vous comprenez très bien qu'on s'est bien tiré d'affaires avec le peu de moyens qu'on avait. Depuis que nous avons été élus, nous avons fait mille et une rencontres pour essayer de réparer ce qui a été négatif dans le passé, et nous comptons beaucoup sur les immigrants pour édifier un Québec fort, un Québec vigoureux, un Québec souverain.

S'il y a eu des erreurs dans le passé, nous allons les corriger ensemble, dans l'harmonie et dans le dialogue.

Je vous félicite encore une fois de vouloir quand même travailler à la francisation. Quant au concept de l'apprentissage de la langue seconde... Nous allons laisser aux linguistes et aux pédagogues de préciser quand l'enseignement d'une langue seconde sera rentable pour un francophone ou pour un anglophone.

Le Président (M. Cardinal): Dr Baghdjian, très brièvement, s'il vous plaît.

M. Baghdjian: Si vous me le permettez, je termine simplement en répondant à ces deux points que le député a soulevés et je vous remercie à l'avance de cette bienveillance.

Premièrement, pour ce qui est de l'adaptation, jusqu'ici le problème de l'adaptation, non seulement au Québec, mais à travers tout le Canada, a été très mal posé. Il ne faut pas confondre adaptation, intégration et assimilation.

Nous sommes tout à fait d'accord pour commencer d'abord par l'accueil. Ceci doit commencer par l'accueil à l'arrivée de l'immigrant. Cela doit passer par l'adaptation en deuxième phase. Cela doit arriver à l'intégration en troisième phase et jamais l'assimilation, si vous voulez logiquement parler, parce que humainement parlant, ce n'est pas possible et je crois que dans un pays démocratique, on ne devrait même pas envisager la possibilité d'une assimilation.

Donc, tant que ces trois phases n'ont pas été respectées, il ne peut pas y avoir d'adaptation adéquate que nous souhaitons vous et moi et je crois tous les bien-pensants.

Deuxièmement, pour ce qui est de l'argent du fédéral, je vais vous dire que l'adaptation ne se fait pas seulement par l'argent. Si l'adaptation devait se faire par l'argent, cela serait simplement une cause perdue que vous viendriez plaider ici parce que ce qui s'achète par l'argent se vendra aussi par l'argent. Alors, ce sera au plus offrant. lï y a un an, j'ai mené une bagarre terrible, c'est-à-dire une polémique et non pas avec des poings. Je suis en même temps le secrétaire général de l'Association de la presse ethnique du Québec. Alors, j'ai protesté dans le journal La Presse. Il y a eu des articles et des commentaires parce que cette association travaillait en anglais seulement au Québec. C'est moi qui ai lutté et c'est moi qui ai obtenu gain de cause et maintenant, l'Association de la presse ethnique du Québec est francophone et quelquefois bilingue, mais surtout francophone.

Donc, nous sommes dans le même bain — permettez moi l'expression — nous sommes sur le même front et quand je dis que nous sommes pour la francisation, je vous cite des faits palpables et la réalité pure et simple.

Quant à l'offre de collaboration que vous avez formulée, vous pouvez compter sur la Fédération des groupes ethniques du Québec qui se tient à l'entière disposition des autorités pour collaborer dans la dignité, comme je l'avais souligné en présence de l'honorable Dr Laurin le 24 avril dernier, pour un Québec où il ferait bon vivre tous ensemble, sans distinction aucune et sans discrimination aucune. Merci de votre attention.

M. Alfred: II y a deux secondes, quand je parlais d'argent, non pas comme fin, mais comme moyen, parce que les maisons d'accueil, il faut que cela évolue, il faut faire de l'animation, donc il nous faut des fonds pour les faire évoluer... Donc, comme le fédéral l'accaparait, on ne pouvait pas... De toute façon, je vous remercie et vous êtes un apport positif pour la collectivité québécoise comme j'en suis un. Je vous remercie encore, parce que vous vous êtes exprimé dans un français impeccable, ce qui montre que vous avez été capable de vous intégrer à la collectivité québécoise. Merci beaucoup.

Le Président (M. Cardinal): Dr Kévork Baghdjian, si je prononce bien votre nom...

M. Baghdjian: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): et vos deux collègues, au nom de la commission, je vous remercie beaucoup. Tout d'abord, je le répète, comme je l'ai fait pour d'autres, je vous remercie, de votre patience — vous avez attendu avant de comparaître devant nous — de votre mémoire et de vos réponses. Merci.

M. Baghdjian: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): J'invite immédiatement le groupe suivant, mais auparavant, bien

qu'il ne reste que peu de minutes, je dois souligner que l'organisme suivant était la Confédération des syndicats nationaux. J'ai reçu un avis cet après-midi adressé à Me Jean-Guy Cardinal, vice-président, Assemblée nationale. "Monsieur, — je m'excuse, je vais lire lentement, parce que c'est manuscrit. Il peut y avoir des difficultés. — Suite au retard accusé dans l'audition des mémoires devant la commission parlementaire portant sur le projet de loi 1, nous nous voyons actuellement dans l'impossibilité de demeurer pour la séance de ce soir, compte tenu d'engagements antérieurs. Nous vous prions de n'y voir aucune mauvaise foi, étant donné que nous étions à la disposition de la commission depuis 10 heures hier matin. Nous vous prions de nous reconvoquer le plus rapidement qu'il vous sera possible de le faire, car nous tenons à faire connaître notre position. Veuillez agréer l'expression de nos sentiments les meilleurs. Vice-présidente de la CSN, Francine Lalande." Ceci dit, c'est une note pour M. le ministre.

J'invite la Provincial Association of Protestant Teachers, représentée par M. Donald R. Peacock, s'il est encore ici. M. Peacock, bonsoir. M. Peacock, pour ne pas vous faire perdre de temps, il ne reste même pas deux minutes, je dois suspendre la séance. Est-ce que vous êtes d'accord pour revenir avec nous à 20 heures?

M. Peacock (Donald): Oui, certainement.

Le Président (M. Cardinal): Vous êtes déjà, présent, votre tour est donc assuré. Avant de terminer, madame, messieurs les membres de la commission, je ne veux pas faire de suspense, j'espère que nous pourrons fonctionner. La décision que j'ai promis de rendre hier, je la rendrai, et non seulement j'invite les représentants du PART, mais aussi l'Association québécoise des professeurs de français. Donc, les mémoires 176 et 150 seront entendus, et les travaux de cette commission sont suspendus jusqu'à 20 heures ce soir.

(Suspension de la séance à 17 h 59)

Reprise de la séance à 20 h 9

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

Je constate qu'il y a quorum et je commence immédiatement cette nouvelle audition. C'est une suite de la séance de cet après-midi. Je m'excuse, M. Peacock. Comme je l'ai promis, je vais rendre ma décision sur une motion qui a été présentée hier soir. Cela prendra peu de temps et vous serez le premier entendu après. Je n'ai pas le choix, j'ai fait une promesse et je m'en tiens à cette promesse.

A l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Lavoie-Roux: J'ai au moins vingt minutes!

Décision du président Motion jugée irrecevable

Le Président (M. Cardinal): II a été proposé que M. le ministre de l'Education, député de Sauvé, soit convoqué à la barre des témoins devant la commission. L'article 63 de la Loi de la Législature, qu'a invoqué M. le député de Laval, ne concerne que l'Assemblée nationale, d'après moi, et non les commissions, quant à l'assignation et à la contrainte. D'ailleurs, lors d'un débat assez bref, hier soir, M. le député de Laval et moi avons fait des échanges sur cette analogie entre une cour de droit commun et l'Assemblée nationale et une commission.

L'article 153 du règlement stipule tout simplement la procédure à suivre lorsqu'un témoin a été requis de se présenter devant une commission et qu'il refuse de le faire. A ma connaissance, il n'y a pas encore de refus, puisque non seulement la motion n'est pas adoptée, mais n'a pas encore été jugée ni recevable ni irrecevable.

Je m'excuse, mais j'invoque tout ce qu'on a invoqué. L'article 91 de la Loi de la Législature stipule tout simplement aussi que toute commission siégeant dans l'exercice de ses fonctions peut interroger les témoins sous serment, sur toute matière relative à l'affaire dont elle est saisie.

Ces deux articles ne nous éclairent cependant pas sur la question de la recevabilité de la motion qui est devant nous. Le sens de ces articles se résume aux points suivants:

Premièrement, une commission peut certainement interroger des témoins.

Deuxièmement, elle peut leur faire prêter serment.

Troisièmement, elle dispose de certains recours dans le cas de témoins récalcitrants.

Il n'y a rien, dans tout cela, qui nous indique quand et pourquoi une commission peut convoquer des témoins.

Toutefois, il y a une précision importante que livre l'article 91 de la Loi de la Législature sur les critères qui doivent présider à la convocation des témoins. Ces critères sont les suivants: "II faut que la commission siège dans l'exercice de ses fonctions." J'espère que c'est ce que

nous faisons. "La commission ne peut interroger les témoins que sur la matière relative à l'affaire dont elle est saisie." Tout cela nous ramène à la question du mandat de la commission, en vertu de l'ordre qu'elle a reçu de l'Assemblée nationale. Ce mandat spécial a déjà été défini par l'avis qui a été publié dans la Gazette officielle du Québec le 4 mai 1977 que j'ai lu le premier jour de la première séance de cette commission, et que je répète et qui se lit comme suit: "Avis public est, par les présentes, donné que le projet de loi no 1, intitulé Charte de la langue française du Québec, a été déféré, après la première lecture, pour étude à la commission parlementaire de l'éducation, des affaires culturelles et des communications. Les personnes ou groupes qui désirent se faire entendre devant cette commission ont un délai de trente jours à compter de la date de la présente publication pour déposer au secrétariat des commissions cent exemplaires de leur mémoire."

Lorsqu'on donne un tel avis dans la Gazette officielle s'applique une procédure que j'ai rappelée souvent et qui est clairement et précisément définie par l'article 118a de notre règlement et qui remplace les anciennes règles de pratique.

J'attire l'attention en particulier sur le troisième paragraphe de cet article qui dit que le secrétaire convoque les personnes qui ont déposé des mémoires. J'attire également l'attention sur le paragraphe 5 qui stipule que le président appelle à tour de rôle les personnes convoquées par le secrétaire; ce que j'ai fait à chacune des séances de cette commission.

Il ressort de l'économie générale de cet article 118a, qu'après la première lecture, le mandat de la commission est d'entendre les témoins qui, volontairement — j'insiste sur ce mot — ont accepté de se prévaloir de l'invitation qui leur a été faite par l'avis publié dans la Gazette officielle.

Il s'agit donc d'un mandat spécifique pour entendre les personnes convoquées selon les règles strictes édictées par l'article 118-A. La commission est liée par ce mandat et par les limites imposées par l'article 118-A. Il n'y a que l'Assemblée elle-même qui pourrait modifier, voire élargir son mandat et mettre de côté l'une ou l'autre des règles strictes édictées par l'article 118-A. Dans tout ce contexte, une motion pour obliger une personne à comparaître, qu'elle soit député ou non — c'est mon premier point — n'est pas en principe recevable, même si certaines ont été reçues, à la suite d'un consentement de cette commission, à cause des restrictions du mandat et de l'article 118-A qui impose un cadre sévère, à moins — je le répète — du consentement ou du vote de la commission.

Je n'ai pas besoin de répéter qu'en rendant la décision que je vais rendre dans quelques instants, dans ces circonstances très précises, et j'en fais un cas particulier, je suis très conscient des conséquences d'une telle décision. Je ne mets pas de côté la justesse des opinions de tous les auteurs sur le droit de convoquer des témoins. Je n'écarte pas les articles 63 et 91 de la Loi de la Législature, ni l'article 153 du règlement. Je souli- gne, en passant, que les anciens articles 56 à 62 de la Loi de la Législature ont été abrogés, mais ils ne se prêtent pas au cas spécifique sur lequel j'ai à rendre une décision.

Je suis porté à croire, pour le moment, qu'une demande comme celle formulée, comme celle dans son libellé, qui est sur la table de cette commission, devrait venir de l'Assemblée nationale de sa propre initiative en vertu de l'article 63 de la Loi de la Législature ou d'une demande de notre commission. A ce moment-là, c'est une demande de la commission à la suite d'un consentement ou d'un vote, par le biais d'un rapport spécial, c'est l'article 161 du règlement. Si, après avoir entendu les témoins convoqués, en conformité avec l'article 118-A, alinéa 6, la commission se jugeait suffisamment informée...

De toute façon, j'ajoute ceci: A la Chambre des communes — parce que l'on a invoqué le droit britannique — où l'on suit la coutume anglaise suivante: Un député — je le souligne, en vertu de ce qu'a invoqué hier soir M. le député de Marguerite-Bourgeoys — un député, je suis presque gêné de le souligner, n'est pas une personne comme une autre devant l'Assemblée ou devant une commission, et la coutume anglaise veut que l'on demande au président d'inviter...

Mme Lavoie-Roux: Je m'en doutais.

Le Président (M. Cardinal): ... le député à comparaître devant la commission et s'il refuse l'invitation du président, rapport doit être fait à l'Assemblée qui le décide. Donc, malgré le texte de cette motion, je pourrais dès ce moment rendre ma décision, mais je veux quand même ajouter ceci pour l'information de tous et pour que tout soit clair: On a invoqué le droit britannique. Je soumets à cette commission le volume "Procedure in the Canadian House of Commons", de W.F. Dawson, page 204, qui dit ceci: "A Member of the House is invited to appear, he is not summoned." C'est le point principal.

La motion peut paraître recevable en vertu de tel ou tel argument qui a permis hier soir d'accepter deux motions.

Cependant, elle me paraît, elle peut paraître inadmissible en vertu de l'article 118-A qui parle la convocation des témoins de façon très précise.

Cependant, la commission est maîtresse de ses travaux. Je pourrais me prévaloir de l'article 33, deuxième alinéa, dernière phrase — pour ceux qui aiment les précisions — et inviter la commission à se prononcer elle-même sur la recevabilité par un vote. Je ne le ferai pas. Nous tomberions encore une fois dans la procédurite.

Je n'aime pas invoquer ce fait, mais il y a un précédent qui s'applique exactement au député de Sauvé, qui a déjà été convoqué devant une commission.

M. Laurin: Son voyage!

Le Président (M. Cardinal): C'est cela. Il faut se souvenir alors qu'il s'agit d'un fait très précis et, encore une fois, je veux rendre cette décision sur une situation précise.

J'inviterais, comme président, M. le député de Sauvé, ministre de l'Education et vice-premier ministre, à s'asseoir avec ses collègues et je ferai ici une analogie. On sait que, devant une cour de droit commun, un avocat ne comparaît jamais à la barre. Il est toujours, selon un usage immémorial, invité par le juge à se présenter en dehors de cette barre. Nous savons, avec l'analogie qu'a présentée le député de Laval hier soir, par rapport aux cours de droit commun, que notre collègue, le député de Sauvé, ne devrait pas, en vertu du même raisonnement, être invité de l'autre côté de cette table, mais être invité par le président, avec nous, à cette table.

Il faut se souvenir d'ailleurs qu'à cette occasion, lorsqu'on a invité le député de Sauvé, dans l'Opposition, le président l'a invité à traverser la table des témoins et à s'asseoir avec ses collègues, avec ses pairs.

Je pourrais ajouter d'autres commentaires. Je pourrais inviter le proposeur de la motion à faire des modifications. Tel n'est pas mon rôle. Ma décision est donc la suivante: Telle que libellée, la motion est irrecevable, mais je suis cependant disposé, comme président, à inviter le ministre de l'Education, député de Sauvé, à venir siéger avec nous à cette table.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Oui, Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Si je n'ai pas le droit de parole, je vais attendre.

Le Président (M. Cardinal): Non, c'est cela. Je reprends le débat où il en était. J'avais invité The Provincial Association of Protestant Teachers, mémoire 176, à se présenter devant nous. Vous êtes là. Est-ce que d'autres vous accompagnent, M. Peacock?

M. Peacock (Donald): Non.

Le Président (M. Cardinal): Vous êtes seul, M. Peacock?

M. Peacock: Oui, seul.

Le Président (M. Cardinal): M. Peacock, je vous souhaite la bienvenue et je vous demande d'identifier votre groupe et vous-même et vous aurez ensuite 20 minutes pour présenter votre mémoire. Un instant! Mme le député de L'Acadie, sur une question de règlement, je présume.

Mme Lavoie-Roux: Une question de règlement.

Le Président (M. Cardinal): N'invoquez ni l'article 54 ni l'article 32. Mme le député de L'Acadie, s'il vous plaît.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je vous remercie de votre décision. Je voudrais quand même vous demander, selon ce que vous avez exprimé, s'il vous serait possible d'inviter le député de Sauvé à venir se joindre à nous à un moment que vous jugerez opportun.

Le Président (M. Cardinal): Ce n'est pas une question de règlement; vous me demandez une directive, et je vais répondre immédiatement. Après tout ce que j'ai dit, je m'excuse pour le temps employé, mais je pense que la question était suffisamment importante pour le faire. Je suis disposé personnellement, comme serviteur de cette commission, à inviter personnellement M. le député de Sauvé, le ministre de l'Education, à se joindre à nous à la première occasion possible.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. M. le Président, j'aurais une motion à faire.

Le Président (M. Cardinal): Je vous écoute.

Mme Lavoie-Roux: Elle sera très courte. Pardon?

M. Charbonneau: On ne présage de rien. On a vu cela hier.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre!

Mme Lavoie-Roux: II y avait ici, avant le dîner, trois groupes. J'ignore s'ils sont encore ici, mais, si tel est le cas, M. le Président, sans vouloir créer de précédent, et si je pensais que ceci pouvait être invoqué dans le futur, je ne ferais pas cette motion.

Compte tenu du fait que ces trois groupes sont ici depuis au moins deux jours, j'aimerais proposer que chaque parti envisage la possibilité de diminuer ou de restreindre le temps qui lui est alloué pour ses questions. A tout hasard, je vous suggère, pas tout à fait à tout hasard, mais avec un certain calcul, que le temps du parti ministériel pour ses questions soit réduit de 30 minutes à 20 minutes, celui de l'Opposition officielle, de 20 minutes à 13 minutes et celui de l'Union Nationale, de 10 minutes à 7 minutes, ce qui ferait un total, avec les 20 minutes allouées à la personne pour faire sa présentation, de 60 minutes. C'est uniquement dans le but, compte tenu que c'est une journée importante et que ces gens ont attendu depuis longtemps...

Je voudrais que ceci soit très clair: Je n'ai pas consulté mes collègues qui n'étaient pas là; c'est vraiment, comme dirait quelqu'un, une initiative locale, un PIL.

M. Charbonneau: Du fédéral ou du...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Lavoie-Roux: C'est la proposition que je voulais faire, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Bourassa, sur la recevabilité de la motion ou quoi?

M. Laplante: On ne jouera pas avec les termes de procédurite. J'aurais peur que le député de L'Acadie n'aille chercher d'autres personnes pour parler 20 minutes sur la même motion.

Le Président (M. Cardinal): Ne prêtez pas d'intention.

M. Laplante: J'aurais peur. Personnellement, je refuserais cet accord pour la simple raison qu'on avait du travail à faire hier soir. On a été ici jusqu'à 11 heures. Ils sont venus en force pour parler chacun leur tour. Sept ou huit n'étaient même pas membres de cette commission. Aujourd'hui on essaierait, par un moyen détourné, de nous faire porter l'odieux, parce que d'autres groupes se trouvent encore ici dans cette salle, tandis qu'hier soir, ces trois mêmes groupes attendaient pour se faire entendre et ils n'ont pas pu se faire entendre.

Hier, c'était hier; aujourd'hui, le député de L'Acadie est seul du groupe de l'Opposition officielle. Personnellement, je ne pourrais donner mon consentement sur une telle motion.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, M. le député de Bourassa. Je veux faire rapidement et je ne demanderai pas la permission, l'intention ou l'idée de la commission sur la recevabilité.

Tout de suite, je dis que cette motion est rece-vable. Elle est autant recevable que la motion du député de Taschereau, que l'amendement du député de Marguerite-Bourgeoys et le sous-amendement du député de Beauce-Sud.

Nous avons le droit, dans une autre séance, de modifier une motion déjà adoptée. Je comprends, Mme le député de L'Acadie, que cette motion n'est que temporaire dans son effet.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, absolument...

Le Président (M. Cardinal): Un instant. Mme le député de L'Acadie; ensuite, M. le député de Rosemont.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, je ne veux vraiment pas créer ici quelque retard que ce soit. S'il y a une seule objection de qui que ce soit, c'était simplement s'il y avait encore ici les trois groupes d'hier... C'était pour leur donner une chance et je ne veux vraiment pas provoquer de discussion. Je peux même retirer la proposition si cela doit créer le moindre inconvénient.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rosemont.

M. Paquette: Ce que je voulais dire, M. le Président, c'est dans le même sens. On ne peut pas préjuger que les mémoires devraient prendre moins de temps ce soir que les autres fois. Les mémoires sont tout aussi importants que ceux qu'on a écoutés au début de la semaine.

Mme Lavoie-Roux: Oui.

M. Paquette: Comme vous n'êtes pas nombreux du côté de l'Opposition, probablement que cela va prendre moins de temps; on pourra se discipliner nous aussi et, si on peut faire cela plus vite, on pourra entendre plus de gens.

C'est pour cela que je m'oppose à la motion. Je ne voudrais pas qu'a priori, on présume qu'on n'aura pas de questions a poser sur les mémoires qui nous sont présentés ce soir.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Mme le député de L'Acadie, personnellement, j'ai accepté votre motion. Je me rends compte qu'il n'y a pas de consentement unanime. Je pourrais la mettre en délibération et aux voix, mais nous perdrions la soirée.

Mme Lavoie-Roux: Absolument.

Le Président (M. Cardinal): Dans ce cas-là, je vous suggère de la retirer.

Mme Lavoie-Roux: Je retire ma motion, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Merci. M. Peacock.

M. Dussault: M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Châteauguay.

M. Dussault: Est-ce qu'il est possible de vous demander quels sont les groupes qui sont présents ici ce soir?

Le Président (M. Cardinal): Je n'ai pas besoin de faire l'appel, M. le député de Châteauguay, parce que nous sommes à la suite d'une séance qui a commencé après les affaires courantes, cet après-midi. Je ne voudrais brimer les droits d'aucun.

Cependant, je puis, à la suite de votre question, vous dire que ceux qui sont invités sont les suivants, et je vais en donner la liste: Le PAPT, mémoire 176; l'Association québécoise des professeurs de français, mémoire 150; la Banque Royale du Canada, mémoire 91; et la Fédération des principaux du Québec, mémoire 145.

Je ne ferai pas l'appel puisque nous ne sommes pas au début d'une séance et je ne veux pas que le règlement s'applique pour empêcher quelque invité de se présenter et, de cette façon, perdre leur droit de se faire entendre.

M. le député de Vanier. D'accord? Est-ce que je peux donner la parole à M. Peacock?

Provincial Association of Protestant Teachers

M. Peacock (Donald): Est-ce que je dois parler maintenant, M. le Président?

Le Président (M. Cardinal): Oui, monsieur.

M. Peacock: Parce que je croyais que j'allais mourir de coitus interruptus, si vous aviez continué comme cela.

Le Président (M. Cardinal): Non. A l'ordre, s'il vous plaît! Si vous le permettez, je vous prierais d'identifier votre groupe.

M. Peacock: Don Peacock, je suis président de la Provincial Association of Protestant Teachers, l'Association provinciale des enseignants protestants du Québec.

J'allais vous dire tout à l'heure, M. le Président, qu'il n'y a que deux groupes qui restent pour ce soir, pour votre information.

Le Président (M. Cardinal): C'est possible. Mais je regrette, quand je les appellerai, on verra.

M. Peacock: Tout d'abord, permettez-moi de vous décrire l'association que j'ai l'honneur de représenter.

L'Association provinciale des enseignants protestants du Québec (PAPT) est un organisme encore plus vieux que la Confédération, qui représente environ 6700 enseignants à l'emploi des commissions scolaires protestantes du Québec.

Nous avons des membres à Shawville, à Gaspé, à Schefferville et à Hemmingford, mais la grande majorité de nos membres se trouve dans la région métropolitaine, ce qui reflète la concentration des Québécois anglophones à Montréal et ses environs. A peu près 3500 enseignants de la PAPT travaillent dans l'île de Montréal et 1600 autres dans les banlieues autour de l'île. Au cours des dix dernières années, le nombre de membres francophones est monté en flèche à cause de la demande faite par notre communauté pour des cours d'immersion et, depuis quelque temps, un nombre important de ces enseignants sont d'origine québécoise. Les diverses origines raciales, ethniques et nationales de nos membres, autant que leur religion, si religion il y a, reflètent la nature hétérogène de cette communauté que l'on appelle souvent les anglo-protestants.

Le conseil provincial de la PAPT qui se compose des délégués de nos dix syndicats affiliés a endossé la déclaration sur l'éducation émanant du Positive Action Committee et, en même temps, a réaffirmé notre propre politique sur la langue, après avoir entrepris une consultation, à Montréal, auprès de nos membres sous forme de questionnaire à chacun d'entre eux et, après avoir tenu des réunions générales ou des réunions locales de délégués ailleurs, selon la décision de chaque syndicat.

Nous avons endossé la déclaration du Positive Action Committee parce que nous l'avons trouvée modérée, sans excès de langue ou d'hostilité dans son attitude. Le point majeur que nous voulons souligner, c'est que nous partageons le désir de ce gouvernement de redresser l'équilibre du pouvoir entre les deux langues principales au Canada, parce que nous avons, depuis longtemps, reconnu que la domination économique de la part des

Québécois anglophones est la raison fondamentale des griefs légitimes de la majorité linguistique.

En somme, nous croyons qu'une législation fondamentale dans ce domaine s'est fait attendre et ce, depuis des décades.

Le succès de cette loi qui a pour but d'assurer le respect de la langue française pour ceux qui la parlent dans le domaine des affaires de l'industrie dépend largement de la collaboration et de la volonté de la communauté des affaires, autant que de la fermeté et du réalisme de ceux qui devront l'appliquer. Espérons que nous n'aurons pas à vivre un système répandu de tolérance, ce qui réduirait la loi à une farce ou, de l'autre côté, une croissance rapide de petits fonctionnaires et de paperasse, ce qui écraserait les entreprises de taille moyenne et réduirait leurs profits à un niveau critique. Néanmoins, nous sommes bien conscients du fait que les grosses corporations peuvent facilement prendre les mesures nécessaires pour assurer non seulement que les travailleurs francophones puissent travailler en français, mais aussi que l'accès à tous les niveaux administratifs soit ouvert aux travailleurs francophones qualifiés.

Nous sommes d'avis que la combinaison d'un manque d'accès à un système d'éducation pour les travailleurs francophones et d'un concordat, inavoué mais traditionnel entre les gouvernements antérieurs et le monde des affaires du Québec a été grandement responsable du déséquilibre anormal entre le pouvoir économique des Québécois anglophones et francophones.

Nous avons bien accueilli la révolution tranquille et ses réformes éducatives et nous croyons que la création d'un système d'éducation secondaire et postsecondaire accessible non seulement à une élite, mais à tous les Québécois francophones, quel que soit leur niveau économique et social, de même que les dispositions de la charte conçues pour atteindre les objectifs du chapitre II corrigeront, dans le plus bref délai, cet ancien déséquilibre et rendront le français la langue majoritaire reconnue et respectée au Québec.

Vous avez sans doute remarqué que nous parlons ici de la langue majoritaire. Nous prétendons que l'anglais doit être reconnu comme étant la langue minoritaire la plus utile et la plus importante au Québec et que ceux qui parlent la langue anglaise ne doivent plus être considérés, en bloc, comme les ennemis de la majorité.

Le respect de la majorité doit être assuré et, une fois ceci fait, cette majorité doit se débarasser de tout complexe minoritaire et démontrer un respect réciproque aux minorités linguistiques et culturelles. A cet égard, nous étions très contents d'entendre les paroles du ministre de l'Education, M. Morin, que nous citons: "II y a longtemps que je songe à faire en sorte que l'école publique offre, notamment dans le secteur francophone, un enseignement facultatif de leur langue d'origine aux enfants néo-québécois. Pour avoir beaucoup fréquenté les groupes dits ethniques lorsque j'étais chef de l'Opposition, je suis persuadé qu'une telle mesure ne pourrait que favoriser leur intégration harmonieuse au sein de la société québécoise. Or,

dans mon esprit, intégration ne signifie point assimilation. "A l'élémentaire, cela pourrait, par exemple, se traduire par un enseignement de la langue et de l'histoire du pays d'origine. Au secondaire, cela pourrait prendre la forme de divers cours facultatifs portant sur la littérature, la civilisation ou la géographie." "Dès cette année, en consultation avec les intéressés, commissions scolaires et groupes néoquébécois, le ministère de l'Education explorera donc attentivement les possibilités de bâtir de tels programmes, de sorte que l'on peut prévoir que sera lancé en 1978-1979 un projet pilote dans quelques écoles ou dans quelques commissions scolaires."

Nous voulons simplement ajouter que l'implantation de tels cours imposerait un fardeau additionnel à notre système scolaire et devrait être précédée par la création de cours linguistiques intensifs pour ces enseignants qui devront les dispenser, de même que par une étude sérieuse des problèmes d'organisation impliqués. Cette dernière décennie a vu un changement majeur dans les attitudes de la communauté que nous desservons, ce qui a produit une augmentation dans la quantité et une amélioration dans la qualité de l'enseignement du français et ce, en grande partie, sans l'appui positif ni la reconnaissance de la part du ministre de l'Education. Par exemple, il est extrêmement difficile d'enseigner efficacement une langue seconde dans des classes de plus de quinze élèves; pourtant, la plupart de nos professeurs de français font face à des classes de vingt ou trente élèves.

L'établissement d'un programme de type immersion dans nos écoles élémentaires produit l'effet de deux écoles dans le même bâtiment, ce qui ajoute au nombre du personnel enseignant requis et crée des classes combinées. Bien que tous nos professeurs de français, aujourd'hui, parlent français, le fait demeure qu'il n'y en a pas suffisamment parmi eux qui ont reçu une information théorique et pratique de l'enseignement du français langue seconde.

Etant donné tout cela, les résultats que nous avons obtenus dans notre programme de type immersion ont été vraiment encourageants. Notre population est vraiment convaincue de la valeur de tels programmes: en 1970-1971, seulement 3,35% des enfants de l'inscription élémentaire régulière au Bureau protestant du grand Montréal (PSBGM) suivaient des cours d'immersion. Le chiffre pour l'année courante est 14%. 5,6% des enfants à l'élémentaire au PSBGM sont des francophones qui suivent des cours en français langue première. Ces chiffres ont comme résultat un accroissement dramatique du nombre d'enseignants francophones, 20,3% au PSBGM. Les chiffres pour l'ouest de Montréal (Lakeshore), pour Châteauguay et pous la rive sud sont similaires.

Tout ceci démontre un changement volontaire significatif dans les attitudes de nos communautés. Nous n'avons évidemment pas inclus dans nos chiffres les enfants anglophones envoyés par leurs parents dans les écoles françaises catholi- ques. Nous sommes persuadés que ce changement a beaucoup contribué à rendre nos écoles plus attrayantes pour les immigrants et nous avons besoin d'un appui beaucoup plus considérable de la part du ministère de l'Education si nous voulons rehausser le niveau de notre enseignement du français.

Nous aimerions alors souligner qu'un gouvernement si obsédé par la langue se doit de dépenser beaucoup plus d'argent pour la linguistique. Il nous faut, conséquemment, rappeler respectueusement au ministre de l'Education actuel que l'article 57 du projet de loi no 1 ne garantit rien en lui-même.

Vos enseignants se sont adaptés à la nouvelle situation au Québec et ont fait de leur mieux pour amoindrir la différence entre une école anglaise et une école française. Nous avons pleinement le droit de nous attendre que cet effort volontaire soit reconnu et encouragé de façon positive dans l'avenir.

De surcroît, nous exigeons que ceux parmi nous, à cause d'une diminution de la population ou de changements majeurs dans le programme d'études, trouveront que leurs qualifications particulières ne seront plus requises, aient droit au recyclage gratuit à la priorité d'affectation. La plupart d'entre nous voulons continuer d'enseigner, mais s'il arrivait que cela s'avère impossible, vous ne pouvez pas vous débarasser de nous comme si nous n'étions qu'une machine désuète.

Vos enseignants ont perdu leur bataille pour ce qu'ils croient être leurs "droits acquis" dans le domaine de la classification salariale. Nous ne voulons pas perdre nos "droits acquis" en ce qui concerne la langue. Nous reconnaissons que tous droits individuels et collectifs doivent être circonscrits par les droits d'autrui. Nous reconnaissons également que l'usage de la langue anglaise au Québec a trop souvent été au détriment des Québécois francophones. En autant que ce projet de loi corrigera cet abus, nous vous disons a nouveau que nous l'accueillons avec plaisir.

Cependant, il y a des cas où l'emploi d'une langue autre que le français ne nuirait pas aux intérêts des Québécois francophones. Nous vous suggérons que les communications orales et écrites, destinées à une clientèle dont la langue normale est autre que le français, doivent avoir le droit de continuer. Par exemple, les programmes radiophoniques en italien, en grec, en judaïque ou en ukrainien, ne représentent nullement une menace à la langue française. Si l'on prétend que la proportion de telles communications non françaises au Québec est trop élevée, la solution à ce problème se trouve ailleurs que dans ce projet de loi.

Nous vous proposons également que ces agences de l'administration civile qui desservent une clientèle non francophone doivent jouir de la liberté de communication entre elles, dans la langue de leur clientèle. Egalement, les communications en anglais entre les corps professionnels, les syndicats et les agences municipales ou éducatives desservant une clientèle non francophone doivent aussi continuer et de tels organismes doivent

avoir le droit de communiquer avec leurs membres en anglais ou dans la langue de leurs membres.

L'Office de la langue française doit obligatoirement fournir, sans frais, les versions officielles — les versions françaises officielles — des contrats et autres instruments similaires rédigés entre les organismes à qui l'usage de l'anglais est permis.

Finalement, nous voulons nous adresser à l'épineuse question de la liberté de choix. Pour ceux d'entre vous dont la réaction immédiate est la "loi 63, retour en arrière", nous sommes aussi bien de nous taire. Pour les autres qui, comme nous, croient que les changements majeurs dans l'équilibre du pouvoir linguistique se font attendre longtemps, nous aimerions suggérer respectueusement qu'empêcher l'accès aux écoles anglaises à tous les futurs immigrants représente une sorte de discrimination chronologique et, plus important encore, cela ne doit plus s'avérer nécessaire.

Le Québec a su développer un système public d'éducation qui donne, en effet, quatre choix aux parents: Français, anglais, catholique, protestant. Ceci est un modèle pour toutes les autres provinces du Canada et nous en sommes très fiers. Il y en a plusieurs parmi nous qui préféreraient que les barrières confessionnelles soient enlevées de la vie de nos enfants, mais nous ne pouvons que trop souligner notre conviction que ces barrières sont de nature protectrice et que l'on ne peut pas réduire les tensions et les méfiances intercommunautaires en forçant les divers groupes à vivre ensemble dans les écoles.

C'est notre prétention que la liberté de choix ne constitue pas en elle-même un danger à la langue française dans la région de Montréal. Ce danger provient plutôt du phénomène assez récent par lequel la vaste majorité des immigrants choisissent la langue anglaise. Si nos immigrants italiens et grecs avaient opté pour les écoles françaises, personne n'aurait disputé leur droit de choisir entre les deux langues.

Nous prétendons, de plus, que les immigrants choisissent la langue anglaise parce que leurs enfants sont leur seul patrimoine et qu'ils croient que l'anglais est la clé du succès pour eux.

La francisation du monde des affaires changera cette perception, à un point tel que les restrictions contenues dans l'article 52 seront non seulement punitives, mais superflues. Si ce gouvernement a vraiment l'intention de changer les données économiques qui amènent les immigrants à choisir l'anglais, comment alors peut-il justifier les dispositions de l'article 52, à part de se baser sur la prétention fort douteuse que de telles mesures font un certain bien au psychisme collectif des Québécois francophones?

J'aimerais bien, en ce moment, vous donner quelques statistiques. Ce n'est pas pour lancer une guerre de statistiques. Ce ne sont pas les miennes, mais il faut se baser sur quelque chose de solide et j'ai eu la permission de l'Université McGill de citer quelques statistiques.

Sur la question des immigrants, durant le premier trimestre de 1971, 53,93% des immigrants arrivés au Québec parlaient anglais. Ils ne parlaient pas seulement l'anglais, mais ils parlaient l'anglais, il y avait des bilingues dans ce groupe; 28,3% parlaient français et 32,08% ne parlaient ni l'un ni l'autre. C'est en 1971.

En 1977, durant le premier trimestre? Ceux qui parlaient anglais, 41,87%; ceux qui parlaient français, 44,09%; ceux qui ne parlaient ni l'un ni l'autre, 25,8%. Je ne suis pas un spécialiste en statistiques, mais, pour moi, cela démontre que le problème a beaucoup diminué depuis 1971. Ajoutez à cela que l'émigration, la perte absolue, en termes absolus, causée par l'émigration dans d'autres provinces représente une perte quatre fois plus grande pour les anglophones que pour les francophones et vous allez voir que le grand géant anglais qui allait tout manger à Montréal n'existe pas.

L'autre statistique que j'aimerais bien vous citer est sur l'effet de la diminution de la population à cause d'autres effets, surtout la baisse de la natalité. McGill calcule que, sans le bill 1, dans l'année scolaire 1986-1987, la population scolaire anglophone, non pas seulement protestante, mais anglophone scolaire — serait à 74% de ce qu'elle est cette année, et la population francophone dans les écoles françaises serait de 79%. Avec le bill 1, sans compter ce qui ne peut être calculé, l'effet de l'immigration encore plus massive, on calcule que le chiffre pour les écoles anglaises dans la même année serait à 46% et pour les écoles françaises à 86,7%.

Je ne peux pas affirmer que ces chiffres sont bons, mais ce sont les seuls chiffres que j'ai et je trouve qu'ils sont assez intéressants.

Notre association est opposée à toute forme de discrimination entre les gens, basée sur leur origine nationale, ce qui explique notre apui de toujours à la liberté totale de choix. Nous n'avons aucune envie de prêter des motifs ignobles à ce gouvernement et nous aimerions croire que cette charte n'est pas antianglaise, mais profrançaise. Néanmoins, nous devons demander au ministre, le Dr Laurin, sur quelle base logique autre que la revanche il justifie le refus d'entrée aux écoles anglaises aux enfants de parents venant du reste du Canada ou d'autres pays anglophones.

S'il veut décourager l'immigration des anglophones, qu'il le dise honnêtement. Et si ceci est vraiment son but, pourquoi n'encourage-t-il pas plutôt l'immigration en provenance des pays francophones? Qu'il nous soit permis de dire à ce gouvernement hautement éduqué, bilingue et sophistiqué qu'il est grandement temps qu'au Québec les législateurs commencent à faire confiance à la masse des travailleurs et qu'ils arrêtent de les traiter de façon trop protectrice et paternaliste.

Un miracle s'est produit au Québec. Je parle comme athée. Un miracle s'est produit au Québec et personne parmi l'élite québécoise ne semble s'en être aperçu. Les gens ordinaires du Québec ont quitté leur village, leur paroisse et leur sécurité traditionnelle pour venir s'établir dans les villes industrielles, équipés d'une formation tout à fait inadéquate. Ils ont travaillé en anglais ou en français et ils ont survécu. Aujourd'hui, ils parlent toujours le français et en vertu du fait que leur élite a

cru bon de créer un système public d'éducation adéquat, leurs enfants le parlent mieux, autant dans les relations sociales que dans le domaine technique.

De tels miracles sont rares et doivent nous aider à retrouver notre confiance envers le peuple. Un miracle moindre repose sur la compréhension croissante de la part des Québécois anglophones qui sont une minorité qu'il y a eu trop d'injustices par le passé et que nous devons tous apprendre à vivre ensemble en nous servant du français comme langue commune. Aucun de ces miracles ne sera significatif, à moins que ce gouvernement ne possède la vision et le courage de baser ses politiques sur ces miracles et ainsi réduire les tensions raciales et nous aider tous à créer un modus vivendi nouveau et exaltant.

Wolfe et Montcalm sont morts. Qu'ils reposent en paix, afin que nous puissions vivre en paix et en fraternité. Et, peut-être — je n'ose pas dire davantage — les Ontariens finiront-ils par comprendre que notre cher Québec est le seul modèle pour un Canada qui devient de plus en plus multiculturel. Comme ce gouvernement, nous aussi espérons que, finalement, les adversaires deviendront des partenaires lorsque la majorité sera vraiment "maître chez nous". Merci.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je cède maintenant la parole à M. le ministre.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier le Provincial Association of Protestant Teachers pour son mémoire et surtout en cette veille de la Saint-Jean, saluer son président orphelin qui est avec nous ce soir pour lui souhaiter une bonne fête de la Saint-Jean, en tant que Québécois à un autre Québécois, et le saluer aussi à un autre titre, puisque nous partageons avec lui, sur plusieurs points, la même philosophie sociale et politique. Je crois d'ailleurs que ce mémoire en témoigne et il me fait plaisir de souligner à quel point le président du PAPT semble beaucoup mieux connaître que d'autres groupes anglophones qui sont venus ici l'évolution récente du Québec dans tous les domaines. C'est sûrement une base de dialogue très intéressante et sur laquelle on pourra sûrement bâtir dans l'avenir.

Par exemple, M. Peacodk reconnaît avec nous que la domination économique de la part des Québécois anglophones est la raison fondamentale des griefs légitimes de la majorité linguistique. Je suis heureux aussi de voir qu'il accepte de façon particulièrement favorable les objectifs du projet de loi en ce qui concerne le domaine de la francisation des entreprises. Il est parfaitement d'accord avec nous pour souligner que les grosses entreprises, en particulier, peuvent facilement prendre les mesures nécessaires pour assurer, non seulement que les travailleurs francophones puissent travailler en français, mais aussi que l'accès à tous les niveaux administratifs soit possible aux travailleurs francophones les plus qualifiés.

Par la suite, en page 3, j'aimerais cependant poser une question à M. Peacodk. Quand il dit que la combinaison d'un manque d'accès à un sys- tème d'éducation pour les travailleurs francophones et d'un concordat inavoué, mais traditionnel entre les gouvernements antérieurs et le monde des affaires du Québec a été grandement responsable du déséquilibre anormal entre le pouvoir économique des Québécois anglophones et francophones, à quoi plus précisément fait-il allusion? Je serais intéressé à avoir des illustrations ou des exemples à l'appui de cette affirmation.

M. Peacock: Je suis venu ici il y a vingt ans. Quand je suis arrivé ici, j'ai trouvé tout de suite que, dans l'opinion du public, les écoles protestantes valaient mieux que les écoles catholiques. On ne trouvait pas que c'était vrai, dans le temps. On avait très peur du système secondaire pour les francophones. C'est ce à quoi je fais allusion.

Le Québec a toujours été souverain en éducation. Qu'est-ce que vos anciens rois-nègres, si je me permets l'expression qui vient de quelqu'un d'autre, ont fait avec ce pouvoir? Ils ont créé un système de collèges classiques pour l'élite, les gens riches ou quelques-uns qu'ils ont choisis, ils ont eu une formation politique et légale plutôt que de les former pour entrer dans le monde des affaires. Il y avait même peut-être chez mes camarades que vous connaissez, dans ce temps-là, une certaine répugnance pour le monde des affaires. Cela n'était pas leur affaire, c'était aux Anglais.

Je crois que l'Eglise a contribué un peu à cette idée; je ne peux pas faire des affirmations statistiques sur ça, mais j'ai eu l'impression que les gouvernements d'il y a un siècle n'ont pas vraiment donné à la population francophone, à la population, aux gens ordinaires, l'occasion de choisir eux-mêmes s'ils voulaient entrer dans le monde des affaires, au Parlement de Québec ou rester camionneurs.

Depuis dix ans, ils leur ont donné ce choix et cela a changé énormément le système, mais peut-être souffrez-vous toujours un peu de ce complexe de paternalisme, parce que vous devez protéger votre peuple. Il n'a pas besoin de protection, ces jours-ci. Il a ses écoles et son génie naturel. Je ne peux pas affirmer qu'il y a eu une concordance entre les anciens gouvernements, parce que c'était inavoué, mais j'ai eu nettement l'impression qu'ils parlaient noir à Chicoutimi et blanc à Montréal.

Si vous n'êtes pas d'accord, je ne peux pas vous le prouver.

M. Laurin: Comme beaucoup d'autres groupes, vous soulignez que les anglophones du Québec se sont éveillés avec de plus en plus de vigueur à la nécessité de l'apprentissage de la langue française pour leurs élèves. Vous citez évidemment à l'appui de cette affirmation, de cette prise de conscience les classes d'immersion qui ont actuellement une grande faveur dans le milieu anglophone. Mais M. Fox, hier, en réponse à des questions, nous a dit que les classes d'immersion, même si elles étaient pour lui un instrument valable en milieu anglophone, l'étaient peut-être beaucoup moins en milieu francophone en raison de différences d'environnement.

J'aimerais avoir votre avis là-dessus.

M. Peacock: Je n'apprécie pas beaucoup que le président Charbonneau, par exemple, parle des deux situations en même temps, parce que, moi, je me suis abstenu de faire des commentaires sur la politique de la CEQ dans le système français, parce que si je suppose, si j'ai l'idée que le français est une langue rétrograde et que l'anglais est une langue dominante, avec une langue dominante, il n'y a aucun danger pour les enfants qui parlent cette langue d'entrer en immersion très tôt. Pour les français, je n'ose pas leur dire la même chose, parce qu'il faut bien qu'ici ils apprennent l'anglais d'une façon ou d'une autre. Je ne propose pas que, dans les écoles françaises du Québec, on entre dans un système d'immersion tout de suite. Peut-être que les parents veulent ça, mais il y a peut-être des dangers, parce qu'il faut d'abord, si je comprends bien la pédagogie qu'il y a derrière ça, que l'enfant soit sécure dans sa propre langue avant de commencer à apprendre une autre langue. Etant donné que je ne peux pas affirmer que tous les enfants francophones sont sécures dans leur propre langue, je ne propose pas que le système français adopte le même système, mais ça ne veut pas dire que notre système ne marche pas. Je sais que ça marche.

Je sais très bien que, souvent, les statistiques émanant du Protestant School Board sont un peu "self-serving". Je ne sais pas comment cela se dit en français. Il n'y a pas vraiment de bonnes statistiques; surtout que les professeurs Lambert et Tucker, qui ne sont pas des pédagogues, oublient toujours, dans leur analyse du succès de leur programme sur la rive sud, l'interaction humaine entre le professeur et les enfants.

En tout cas, j'ai deux enfants qui sont passés par le système d'immersion et qui parlent français. Ils ne parlent pas beaucoup, parce qu'ils n'ont pas beaucoup d'occasions, parce qu'il y a très peu de gens à qui ils peuvent parler. Mais ils en sont capables. Pourquoi cela? C'est parce qu'un enfant est bien capable d'apprendre n'importe quoi avant l'âge de neuf ans. Ensuite, paraît-il, ce n'est pas facile d'apprendre une autre langue, cela diminue.

Je connais d'autres enfants qui sont sécures dans leur propre langue et qui sont maintenant potentiellement bilingues.

M. Laurin: J'accueille, par ailleurs, avec un préjugé très favorable, le souhait que vous formulez en page 6; vous souhaitez fortement que la diminution de population scolaire, dans les écoles anglophones, qui arrivera, de toute façon, avec n'importe quelle loi, en vertu de la baisse de la fécondité de nos familles, n'aboutisse pas à cette situation déplorable où un grand nombre d'enseignants anglophones perdraient leur emploi, et vous demandez assez logiquement au gouvernement qu'il adopte des mesures, si jamais cela se produisait, qui permettraient par exemple le recyclage gratuit des enseignants anglophones et une priorité d'affectation.

Serait-il possible que ce recyclage prépare des enseignants anglophones, par exemple, a venir enseigner l'anglais, mais dans les écoles françaises? Si je suis bien informé, on me dit que c'est très difficile, actuellement, pour les écoles françaises, de recruter du personnel enseignant anglophone pour l'enseignement de l'anglais dans les écoles françaises.

Est-ce que vous avez une opinion là-dessus ou des suggestions à nous faire, aussi bien pour le présent que pour l'avenir?

M. Peacock: Non, je n'ai pas de statistiques, M. le ministre. Il y a quand même des professeurs d'anglais dans le système catholique français. Je ne peux pas affirmer s'ils sont bons ou non. On ne veut pas les remplacer. La même chose va pour eux. Il ne faut pas les mettre à la porte, parce que vous les trouvez moins adéquats qu'un anglophone. Non, on ne veut pas les remplacer, surtout que si les statistiques de McGill sont vraies, d'ici dix ans, il y aura seulement 2400 enseignants dans la PART. Vous parlez d'à peu près 4000 personnes. Même si la CEQ était convertie demain à un programme massif d'enseignement de l'anglais langue seconde, je vois mal qu'elle aurait besoin de 4000 personnes, surtout que beaucoup de ces gens-là ne sont pas des spécialistes de l'anglais du tout. C'est encore un point majeur que je veux faire valoir. Il y a amélioration nette dans notre système, parce que nos professeurs parlent français aujourd'hui, nos profs de français. Mais ce n'est pas tout cela. Un professeur de gymnastique ou de géographie qui parle français n'est pas vraiment à cause de cela doué pour enseigner le français langue seconde. Le seul fait que je sois anglophone, cela ne me donne pas automatiquement une qualification pour enseigner l'anglais langue seconde, dans une école française.

M. Laurin: Alors, à quelle mesure pensez-vous, d'une façon plus précise, quand vous mentionnez ces deux éventualités: recyclage gratuit et priorité d'affectation?

M. Peacock: Je crois qu'il devrait y avoir une grande collaboration avec le ministère dans ce domaine du service public. A l'heure actuelle, dans notre contrat, nous avons la sécurité d'emploi qui représente finalement une espèce de congé payé pour les gens. Ce n'est pas cela qu'on cherche.

Je demande au gouvernement de mettre en oeuvre un programme afin que les universités nous offrent gratuitement des programmes de recyclage pour qu'on choisisse une carrière nouvelle, une autre discipline ou même sortir de l'enseignement.

Il appartient au ministre des Affaires sociales et au ministre de l'Education de coopérer ensemble, de nous offrir de tels programmes et d'exercer certaines pressions sur les universités afin qu'elles prévoient des choses de ce genre.

M. Laurin: En tout cas, en ce qui me concerne, c'est une demande qui me paraît tout à fait légitime et qu'il me fera plaisir de transmettre à mes collègues.

J'aimerais aussi évidemment vous poser des questions sur le libre choix que vous semblez fa-

voriser, même si aucun parti politique au Québec, officiellement, n'encourage, ne favorise maintenant le libre choix.

M. Peacock: Le ministre le favorise, à ce qu'on m'a dit. Cela m'encourage énormément.

M. Laurin: Vous me posez d'ailleurs une question directe en page 9 de votre mémoire. Vous me demandez si c'est par vengeance que nous entendons restreindre aux anglophones qui ont reçu leur instruction primaire au Québec le droit à l'école anglaise. Non, ce n'est pas du tout par vengeance. En fait, c'est pour des motifs que vous évoquez vous-même dans votre mémoire, à la page 8, quand vous parlez du phénomène que vous dites assez récent, mais qui dure quand même depuis un bon nombre d'années par lequel la vaste majorité des immigrants choisissent de s'intégrer au secteur scolaire anglophone. A cela, s'ajoute le fait que les statistiques nous révèlent de plus en plus que les effectifs scolaires anglophones, dans les écoles de Montréal en particulier, sont surtout alimentés par des enfants qui viennent des autres provinces du Canada, par rapport à ceux qui viennent de l'étranger, alors qu'il y a 25 ou 30 ans, c'était le phénomène inverse.

Il y a donc des données démographiques assez sérieuses qu'il faut considérer en l'occurrence, en plus du poids économique que vous avez mentionné, évidemment, au début de votre mémoire. C'est donc plutôt pour ces raisons dont les unes sont démographiques, les autres sont politico-économiques que le gouvernement a pensé à restreindre ainsi l'accès à l'école anglaise.

Vous dites au début de la page 9 que cette situation changera rapidement, maintenant que le gouvernement a pris la décision ferme, délibérée de franciser, dans les délais les plus rapides possible, le monde des affaires, en vue de faire du français la langue rentable, la langue utile, la langue indispensable même au point de vue économique. Il est bien évident que, d'ici quelques années, cette perception du changement sera plus vive, aussi bien chez les francophones que chez les allophones, mais nous ne nous faisons quand même pas trop d'illusions à cet égard. Je pense que ce n'est pas pas pour demain que le prima économique passera des mains de la minorité anglophone à la majorité francophone.

On peut étaler cette lente reprise de possession sur des décades, je crois. Ce n'est donc pas pour l'avenir immédiat. Il nous paraît qu'il y aura loin de la coupe aux lèvres. Même si je vous donne raison dans la perspective que vous évoquez, je ne vois ce résultat possible qu'à long terme, mais il faut quand même penser au moyen terme et au court terme aussi. C'est en pesant ces diverses variables, ces diverses perspectives que le gouvernement a pris cette décision qu'il est cependant prêt à reconsidérer, comme je l'ai d'ailleurs déjà dit à quelques reprises, surtout maintenant, au fur et à mesure que nous approchons du débat de deuxième lecture. Mais il reste que, pour toutes ces raisons, d'une part, nous rejetons le libre choix, bien sûr, et, pour le moment, nous avons pensé que cette solution restrictive était justifiée ou justifiable, en raison des circonstances.

A l'appui de votre thèse, vous évoquez également deux miracles qui se seraient produits. Le premier serait un miracle francophone qui a vu un grand nombre de citoyens partir des campagnes et arriver dans les villes pour travailler dans les usines. Vous dites que ces travailleurs francophones sont arrivés maintenant. Je serais porté à dire: Ils sont arrivés, mais dans quel état? Vous dites vous-même, d'ailleurs, qu'ils ont travaillé en anglais ou en franglais. Les conséquences de ce fait d'avoir travaillé en franglais durant si longtemps sont perçues comme une menace sérieuse à la qualité de la langue et même à la culture de ce groupe. Si des mesures énergiques ne sont pas prises précisément au niveau de la francisation des entreprises, on peut entretenir des craintes, non pas quant au maintien de la langue française au Québec, mais quant au maintien d'une langue qui se respecte et d'une culture qui reste dynamique. D'ailleurs, c'est peut-être parce que vous en étiez vaguement conscient que vous avez employé ce verbe "survécu" au lieu du verbe "rayonner" qui aurait pu vous venir au bout de la plume.

Vous parlez aussi de l'autre miracle qui est moindre, mais que vous appelez quand même miracle, qui se serait produit du côté de la minorité anglophone. Vous dites constater une compréhension croissante de la part des Québécois anglophones à l'endroit des francophones, et compréhension croissante aussi de leur part qu'ils sont une minorité. Je pense avec vous qu'il y a , en effet, une évolution en ce sens. Cependant, si j'en crois la plupart des mémoires que les groupes anglophones ont envoyés à cette commission, je pense que le miracle n'est pas encore très vif. Il est peut-être en gestation. Pour moi, il ne s'est pas encore produit, à moins qu'il n'y ait des événements ou des constatations valides et valables que vous ayez faites et qui ne transparaissent pas à travers les opinions officielles des groupes qui sont venus à cette commission.

Donc, sans nier le fait de cette évolution que je constate et que vous êtes peut-être mieux à même que moi de constater, je n'en tirerais peut-être pas des conclusions aussi optimistes que vous à l'heure actuelle, en tout cas, pas assez optimistes au point de justifier à nos yeux un brusque changement de parcours. Je voulais vous soumettre ces considérations et vous demander quels commentaires elles pouvaient évoquer chez vous.

M. Peacock: Si je peux me servir d'un mot de M. Bienvenue, ce n'est qu'un "feeling" de ma part. Vous devez constater quand même que la plupart des mémoires ont été déposés par des membres de l'establishment. Evidemment, comme je l'ai déjà dit, je suis plutôt athée. Je ne crois pas aux miracles de l'establishment; c'est assez rare. Il y a un peuple là-bas. Vous savez, nous avons tous la tendance à parler des anglophones, des francophones, des Grecs, des Ukrainiens, comme si tout le mon-

de était pareil. Il y a au Québec une espèce d'establishment de l'Ontario orientale qui est très arrogante, qui me répugne et qui répugne à la plupart de nos enseignants. Chez les gens ordinaires des classes moyennes, des classes ouvrières, il y a un changement. L'establishment ne change que quand vous le forcez à changer. C'est peut-être une affaire de génération, comme vous avez dit. Peut-être que ce sont les jeunes qui vont changer. Il y a des gens qui sont trop vieux pour changer. En tout cas, il y a une nouvelle génération qui est très ouverte à l'idée de profiter de cette culture populaire française, qui veut apprendre le français, qui veut entrer dans une société où leurs droits seront respectés. Ils veulent parler anglais, mais ils veulent parler français aux Français et accepter que le français soit la langue normale de communication. Cela existe chez les jeunes qui ne sont pas encore touchés par l'arrogance qui vient avec le succès.

M. Laurin: Bon! De toute façon, il y a quand même, en dépit de ces nuances que nous venons d'évoquer de part et d'autre, une conviction et un souhait que je partage avec vous et qu'il me fait particulièrement plaisir d'évoquer en cette vigile de la Saint-Jean, c'est celui et celle que les adversaires présumés deviennent de plus en plus des partenaires pour le reste du chemin qu'il reste à parcourir et pour la maison que nous devons édifier ensemble.

Je vous remercie.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier le président de l'Association provinciale des enseignants protestants d'être venu devant la commission présenter son point de vue.

Je voudrais passer immédiatement à des questions. Vous mettez en garde le ministre de l'Education vis-à-vis de la mise sur pied d'enseignement d'autres langues ou de programmes en d'autres langues que l'anglais ou le français. Je voudrais que vous me disiez... J'avais l'impression qu'à la commission scolaire où vous enseignez — je ne sais pas si vous enseignez — à la commission scolaire du Bureau métropolitain des écoles protestantes, on avait certaines expériences de ce type avec la communauté grecque en particulier. Est-ce que je me trompe ou si c'est le cas? Quel est le succès de cette expérience?

M. Peacock: J'ai l'impression que la plupart de nos jeunes Grecs fréquentent les classes de grec fournies par l'Eglise ou par la société panhel-lénique, la Fédération hellénique de Montréal. Quant à moi, c'est une mauvaise chose que l'école publique ne fournisse pas à ces enfants le moyen de s'identifier. Ce devrait être intégré dans les cours. C'est pourquoi j'approuve ce que propose le ministre Morin. Mais nous avons trop vécu, dans le passé, des expériences où le ministère de l'Education sortait une bonne idée et l'implantait à l'envers. Il décidait que ça devait se passer avant de créer les ressources nécessaires. On ne peut pas tout faire dans une école sans les ressources. C'est tout ce que je veux dire. A l'heure actuelle, je ne suis pas au courant s'il y a maintenant des classes en grec fournies par la commission scolaire protestante de Montréal. Si c'est vrai, c'est une bonne chose, mais, en principe, la plupart de nos Grecs fréquentent les classes privées pour garder leur grec.

Mme Lavoie-Roux: Alors, vous n'êtes pas au courant si, à l'intérieur du PSBGM, il y a des programmes particuliers, je ne veux pas dire que c'est du grec à 80% ou 75% du temps, mais je pensais qu'on avait fait un effort pour tenter de servir certains groupes culturels dans leur langue et leur transmettre certains éléments de leur culture, comme on avait fait avec les groupes noirs, également. Vous n'êtes pas au courant de cette question?

M. Peacock: Je ne crois pas qu'ils aient fait ça, et si vous avez fait mention des Noirs, tout ce qu'ils ont fait, ils ont mis un coordinateur qui devait faire enquête sur les problèmes des Noirs. On a mené une bataille auprès de la commission, il y a cinq, six ans, pour obtenir ce qu'on appelle "Black Studies", mais ça n'a jamais été implanté jusqu'à l'an dernier. Mais c'est un cours d'intérêt très minime, quoi, dans l'école secondaire. On ne fait pas assez pour recevoir nos enfants, parce que le phénomène qui se produit, c'est, par exemple, un jeune Grec qui arrive dans nos écoles, s'il est intelligent et veut apprendre, plus il apprend, plus il se trouve isolé et écarté de ses parents. C'est une tragédie. Le comité anglophone a beaucoup plus d'expérience d'assimiler, d'intégrer les non-anglophones dans leur système, mais ils l'ont fait par une espèce de "melting pot" froid. Vous devez profiter de leur exemple, si vous voulez maintenant recevoir les non-francophones dans votre système, ne faites pas le même... D'après moi, ce qu'on a fait était anti-humain dans le passé. On a demandé à ces jeunes Grecs et à ces jeunes Noirs, jeunes Italiens, n'importe qui, de se transformer en une espèce de "Canadian".

Alors, en perdant ses chères traditions, sa civilisation... Je ne crois pas que le Protestant School Board of Greater Montreal puisse déclarer maintenant qu'il accepte, qu'il a assez de respect pour la langue d'origine des enfants qu'il reçoit. Ce n'est pas vrai.

Mme Lavoie-Roux: Je ne voudrais pas créer une fausse impression. Ces gens ne sont pas venus nous dire cela, mais j'avais fortement l'impression que de tels programmes existaient. Il se peut que je me trompe, c'est pourquoi je vous posais la question et je réalise que vous n'êtes pas au PSBGM.

Du côté, par exemple, des classes des enfants grecs, il y avait des matières qui, justement, tentaient de rejoindre la culture de ces enfants. Je pense que vous n'êtes pas au courant de cela.

M. Peacock: Ces classes sont organisées par la communauté panhellénique pour les Grecs et par le "Board of Black Studies" pour les noirs.

Mme Lavoie-Roux: D'accord. Vous nous avez dit tout à l'heure qu'il y avait à peu près 20% des enseignants qui, maintenant, étaient des francophones, tant au PSBGM, je crois, ou dans la région de Montréal que sur la rive sud ou du côté de Châteauguay. Ces francophones sont-ils des Canadiens français ou sont-ils d'origine européenne? Parce que, pendant une assez longue période, à cause de la fameuse question de la confessionna-lité, je pense qu'au PSBGM — je m'excuse de me référer au PSBGM; ils étaient mes voisins et c'est ceux que je connais davantage — les enseignants venaient davantage de l'Europe que...

M. Peacock: La plupart de nos professeurs de français étaient des anglophones.

Mme Lavoie-Roux: Oui.

M. Peacock: II y a dix ans, avec la libération de l'Algérie et du Maroc et beaucoup de remous au Moyen-Orient, il y a beaucoup de Juifs francophones qui sont venus dans notre système. A ce moment, la commission scolaire protestante a ouvert des écoles de français, langue première. La plupart de leurs professeurs étaient d'origine marocaine, ils étaient des Juifs sefardim... et quelques Français et Belges, d'autres personnes qui étaient des protestants, des non-catholiques.

Depuis trois ou quatre ans, je m'aperçois — ce qui me gêne souvent — que nous avons beaucoup de membres du parti gouvernemental dans nos écoles. Je blague, évidemment. Je suis très content de les voir, mais il y a de plus en plus de Canadiens français, surtout dans les écoles élémentaires, les professeurs de français à l'élémentaire... Je ne peux pas vous donner de chiffres.

Mme Lavoie-Roux: Mais la tendance est dans ce sens.

M. Peacock: De plus en plus. La deuxième vague de francophone qui entrent dans le système protestant sont des francophones du Québec.

Mme Lavoie-Roux: Dans votre mémoire, vous faites allusion au problème de communication entre les syndicats et les professionnels, les enseignants, l'administration, etc. Vous demandez que cette communication puisse se faire en anglais si la commission scolaire est anglaise — je pense que ce n'est pas exactement formulé de cette façon.

Je voudrais vous demander... Dans votre syndicat, vous avez quand même 20% de professeurs qui sont francophones. Vos communications avec ces professeurs se font-elles en français et en anglais?

M. Peacock: Je ne représente pas un syndicat. Jusqu'à cette année, j'ai été président du syndicat de Montréal. Dans mon syndicat à Montréal, on envoyait un bulletin hebdomadaire qui était en français et en anglais. Je n'ose pas dire que toutes les communications étaient en français, mais on voyait un bulletin d'information concret, avec un noyau en français.

J'ai fait des efforts pour que notre publication, notre papier, soit un peu plus francophone. Peut-être doit-on faire notre mea culpa à cet égard. On n'a pas assez fait dans le passé, mais les communications de base ont toujours été en français. Il y avait une communication de base, mais il y a beaucoup d'autres choses qu'on envoyait en anglais. Ils ont été gentils, ils n'ont pas demandé de le faire.

A la PAPT, notre communication hebdomadaire est bilingue et le Sentinel, qui est notre journal, qui paraît à tous les mois, de plus en plus, il y a du français dans cette publication.

On n'a pas fait assez d'efforts. D'accord. Mais, quand même, on leur parle en français, on leur donne le droit de parole dans les réunions générales en français, je réponds toujours en français, mais franchement, Mme Lavoie-Roux, le problème dans la pratique, c'est que la plupart de nos dirigeants dans le PAPT ne parlent pas français. Alors, comme cela, il est un peu difficile de fournir un service à nos syndiqués en français, si les chefs ne parlent pas français. Cela change, peut-être trop lentement, mais cela change.

Mme Lavoie-Roux: M. Peacock, ce n'est pas un blâme que je veux vous lancer, au contraire. C'est simplement pour savoir quelle adaptation tente-on pour s'adapter à cette transformation de l'appartenance linguistique des professeurs à l'intérieur du PAPT. Je peux vous assurer que j'appuie les revendications ou les représentations que l'on fait quant à la langue de communication dans une commission scolaire majoritairement anglophone pour qu'elle puisse continuer, à ses différents niveaux d'administration, d'être l'anglais. Je pense que dans les deux sens il faut tenter de respecter l'appartenance linguistique des individus à l'intérieur des institutions scolaires qui assurent la culture et la communauté anglophone.

Le ministre d'Etat au développement culturel tout à l'heure a fait allusion à votre demande pour que les professeurs soient recyclés, qu'ils aient droit au recyclage gratuit et à la priorité d'affectation. La question précise que je voudrais vous poser, c'est: Est-ce que dans votre convention collective — il y a sans doute une garantie de sécurité d'emploi — mais, est-ce qu'il n'y a pas aussi des dispositions qui prévoient du recyclage?

M. Peacock: Non, pas vraiment. On est toujours disponible à une réaffectation, oui. Mais il faut qu'on mette un peu d'argent dans cette affaire. Il faut qu'on crée des cours spéciaux destinés à ces gens-là. Il n'y a pas assez de fonds. Dans notre sécurité d'emploi, il n'y a pas de fonds pour des cours de recyclage.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que c'est une disposition qui pourrait être mise à l'intérieur des conventions collectives?

M. Peacock: Cela dépend du ministre de l'Education et de la partie patronale en principe, mais espérons qu'il va se rendre compte que d'ici cinq ans il y aura ce problème des deux côtés, d'ailleurs.

Mme Lavoie-Roux: Ce serait peut-être plus facile de le prévoir là qu'à l'intérieur de dispositions introduites dans la charte. Ce serait probablement à l'intérieur des conventions collectives. Cette demande est tout à fait justifiée.

Vous faites allusion à la page 9 à l'esprit revanchard. Vous parlez de revanche, en fait, et vous vous posez la question. Le ministre, évidemment, a dit qu'il ne s'agissait pas de cela et je n'ai aucune raison de mettre en doute ce qu'il dit ni ses intentions. Il reste que j'aimerais vous référer à un article qui a paru aujourd'hui dans le Devoir et qui est intitulé: "Le retour de la pensée mesquine". C'est l'opinion d'une personne, mais je pense que c'est quand même un sentiment éprouvé par plusieurs. Il est intéressant de le lire, uniquement, en tout cas, comme objet de réflexion, sans porter de jugement à l'égard de qui que ce soit. Je pense que c'est quelqu'un qui fondamentalement semble éprouver beaucoup de respect pour la Charte et le projet de loi no 1, mais qui met quand même les individus en garde contre ces sentiments un peu mesquins qui peuvent entourer tout ce débat du projet de loi no 1.

Je vous conseille de le dire. Il est assez intéressant à cet égard. J'ai été contente d'entendre le ministre d'Etat au développement culturel reconnaître qu'il y avait une certaine évolution dans la communauté anglophone, une évolution réelle quant aux aspirations de la communauté francophone. Je pense que c'est peut-être la première fois que je l'entends ici, à cette commission, reconnaître ce fait, même s'il pense que c'est assez minime, mais enfin, au moins, il a un début de reconnaissance. Cela m'étonne toujours pourtant de le voir, avec les antécédents professionnels qu'il a, ne pas réaliser que plusieurs groupes qui viennent ici viennent quand même motivés par des craintes qui peuvent être fondées et le sont certainement quand on voit les restrictions qui sont imposées quant à la langue d'enseignement vis-à-vis des membres réels de la communauté anglophone.

Je pense que ces appréhensions sont fondées. Je pense qu'il y a aussi un sentiment chez la communauté anglophone qui est relié d'une part à la peur du changement, mais aussi relié au fait qu'on ne sait pas quelle sera l'étape suivante. Parce qu'il y a quand même ici des gens, et le ministre s'en est toujours dissocié, je dois le dire bien honnêtement, il y a quand même ici plusieurs groupes qui sont venus demander, dans des délais peut-être différents les uns des autres, l'abolition par exemple du secteur anglophone ou du système d'éducation anglais.

Je pense qu'il faut à ce moment-là comprendre que, quand ces gens viennent ici, ils semblent être vraiment sur la défensive et ne traduisent malheureusement pas cette évolution que, pour ma part, j'ai sentie. Vous avez essayé aussi de l'indiquer, mais là où je différerais un peu d'opinion avec vous, c'est quand vous dites: "II n'y a que chez le peuple qu'on sent cette évolution, on ne la sent pas chez l'establishment."

Moi, la différence que je ferais, c'est qu'il y a une évolution chez le peuple, comme vous dites, il y en a également chez une partie de l'establishment, mais je pense que c'est peut-être plus une question de générations qu'une opposition entre l'establishment et le peuple. Je pense qu'il y a quand même chez les anglophones un grand nombre de professionnels, d'hommes d'affaires, mais plus jeunes, pour qui c'est beaucoup plus facile de s'adapter aux changements qui se produisent au Québec.

Pour ma part, je pense qu'il y en a plusieurs qui viennent ici nier cette évolution, mais, dans les faits, elle existe. Je pense que ceux qui la nient totalement veulent peut-être se fermer les yeux. C'est tout ce que j'ai à dire et je vous remercie encore une fois d'être venu, M. Peacock.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le député de Lotbinière.

M. Biron: M. Peacock, je veux vous remercier d'avoir présenté le mémoire de l'Association provinciale des enseignants protestants du Québec. J'ai vu avec énormément de plaisir que déjà plusieurs mémoires aujourd'hui nous parlent d'un projet collectif ou de vivre ensemble et, à la fin de votre mémoire, vous nous mentionnez que le Québec devrait être un modèle de société pour le Canada, vous mentionnez aussi que nous devrions tous apprendre à vivre ensemble. J'apprécie énormément ce que vous dites à la fin de votre mémoire, car, avec ce projet de charte linguistique, nous sommes véritablement à la recherche d'un projet collectif, d'un consensus commun où, peu importe la langue que l'on parle au Québec, on pourra apprendre à vivre ensemble.

Je remarque aussi votre crainte de la bureaucratie gouvernementale. Plusieurs fois, c'est revenu dans les mémoires au cours de cette commission parlementaire. Je remarque cette différence, ce manque de pouvoir économique pour les francophones du Québec. Vous dites que le système d'éducation du passé a fait en sorte que les gouvernements passés, ne prenant pas leurs responsabilités du côté de l'enseignement de l'économie aux francophones, c'est finalement les anglophones qui ont le pouvoir économique entre les mains.

C'est exactement ce que je pense personnellement. Vous mentionnez aussi que vous vous êtes aperçu vous-même que dans le système francophone, au cours des dernières années, les quinze dernières années, en tout cas, à mon point de vue, on a réussi à enseigner un peu plus de ce pouvoir économique, comment apprendre l'économie, pour nos francophones. On ne peut certainement pas blâmer les anglophones de cela, mais on peut blâmer les gouvernements passés qui n'ont pas pris leurs responsabilités pour enseigner aux francophones les secrets de l'économie.

Vous mentionnez aussi cette volonté, de votre part, à la page 6 de votre mémoire, de l'enseignement des deux langues d'une façon parfaite, soit rehausser le niveau de l'enseignement du français dans les écoles anglaises. Cela rejoint exactement notre programme à nous, en tout cas, et en même temps que de l'autre côté de la médaille, enseigner l'anglais d'une façon parfaite dans les écoles

françaises. Je crois que c'est aussi important pour les francophones de pouvoir maîtriser ces deux langues que pour les anglophones.

J'ai une question à vous poser maintenant. La page 4 de votre mémoire m'a frappé. Le ministre en a dit un mot tout à l'heure lorsque j'ai demandé quelle est la raison qui justifie le ministre Laurin de refuser l'entrée aux écoles anglaises, aux enfants de parents venant du reste du Canada ou d'autres pays anglophones.

Je remarque qu'un peu plus avant dans votre mémoire, vous nous parlez de libre choix et un peu plus à la fin de votre mémoire, en tout cas, au moins, vous vous posez une interrogation, vous dites: Au moins, c'est cela qui aurait dû être. Est-ce que vous pouvez expliciter davantage, parce que je vois que vous avez changé d'opinion en écrivant votre mémoire lentement.

M. Peacock: Je n'ai pas de mandat de marchander sur cette question. Mais quand même il saute aux yeux que de refuser l'accès aux Anglais d'Ontario à nos écoles, d'Angleterre s'il y en a, il y en a très peu qui viennent aujourd'hui, c'est un peu extraordinaire. Moi, j'ai l'impression que ces gens ne viendront pas à l'école française. Ils ne viendront pas au Québec s'ils n'ont pas une école anglaise.

Si je prétends jouer à l'équivoque en posant la question, non. J'ai essayé de convaincre le ministre de la crainte exprimée souvent par les membres du parti gouvernemental, que Montréal sera perdu aux Anglais d'ici quelques années n'est pas vraie, n'est pas justifiée par les statistiques qui démontrent que de plus en plus, des immigrants parlent français. Ceux qui viennent le plus, il y a plus d'immigrants cette année qui parlent français que ceux qui parlent anglais. C'est un changement net depuis six ans.

Il y a deux parties à notre point de vue. D'abord, les Anglais doivent évidemment aller dans les écoles anglaises et tout le monde, je dis qu'on ne peut pas faire une distinction entre un Italien et un anglophone. Si la chose était vraiment si anormale que tous les immigrants continuaient à entrer dans nos écoles, en ce moment, des mesures coercitives seraient justifiées pour sauver la langue française. Mais on n'est pas persuadé, on essaie de persuader le ministre que ce n'est pas vrai.

On trouve que les immigrants s'adaptent beaucoup plus facilement que les Anglais de vieille couche. Ces gens-là, s'ils croyaient que leurs enfants pouvaient réussir en français, ils choisiraient beaucoup plus facilement l'école française. Je crois que c'est une expérience qu'il vaut la peine d'essayer, pour ne pas ôter le libre choix à tout le monde, parce que si vous commencez à faire une distinction entre les gens, vous commencez à faire de la discrimination.

Laissez au bon sens des immigrants et on créerait au préalable des conditions où ils seront incités à entrer dans le système français qui est le système majoritaire. Autant de ce système économique, c'est préjudice en faveur de l'anglais comme langue du travail. Presque une partie de la charte vise à faire exactement cela. Je crois qu'elle va réussir assez vite. J'ai vu l'expérience en Algérie ou ailleurs, où les corporations américaines parlent arabe maintenant.

Non, je n'ai pas changé d'avis. On est pour le libre choix, mais on essaie de démontrer que la panique n'est pas justifiée quand on considère les immigrants.

M. Biron: Quelle est votre réaction à la suite de la publication par le gouvernement canadien, de sa philosophie sur la langue, en nous disant: La liberté de choix, le libre choix, c'est fondamental, dans le genre de société dans laquelle nous vivons. Mais d'une façon temporaire, pour une période de x temps, un gouvernement, pour des raisons particulières, peut suspendre l'application de ce libre choix. Quelle est votre réaction là-dessus?

M. Peacock: Je peux peut-être vous parler en anglais: White man speaks with forked tongue. Vous avez compris? Qu'est-ce qu'on veut dire par là?

Je trouve cela extraordinaire, puisque vous avez fait mention du gouvernement fédéral, que, cette année, il a fait une intervention au Manitoba pour dire que la loi de 1893 était contre la constitution. Si la loi était contre la constitution, elle l'a été en 1893. Je n'attache pas beaucoup d'importance à l'appui du gouvernement fédéral, il joue sur les mots. Si c'est la question fondamentale, c'est une question fondamentale. On ne peut faire des exceptions à un principe fondamental. Je trouve cela ignoble de la part du gouvernement fédéral.

M. Biron: Je vous posais la question, parce que le gouvernement fédéral a rejoint votre philosophie mot à mot, textuellement, mais on dit: D'une façon temporaire; une province peut suspendre l'application de ce droit. C'est pour cela que je vous demande votre réaction là-dessus.

M. Peacock: Monsieur, c'est tellement mélangé — c'est encore une expression anglaise — "you cannot be partially pregnant" ou peut-être l'expression française, il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée.

M. Biron: A la page 3 de votre mémoire, vous nous dites que l'anglais doit être reconnu comme étant la langue minoritaire la plus utile, la plus importante au Québec et vous parlez de la langue majoritaire. Voulez-vous expliciter cela davantage, ce que vous entendez par langue minoritaire et langue majoritaire? Comment voulez-vous voir reconnaître cela légalement dans un texte de loi?

M. Peacock: Je n'ai pas posé de question légale, je ne veux pas jouer sur ces termes légaux. Je voulais dire qu'il y a des gens, dans le Parti québécois, à l'heure actuelle, qui parlent comme si l'anglais doit disparaître, la langue elle-même, c'est la seule solution au problème. J'essaie de vous indiquer que cela est irréaliste. Ce n'est pas l'anglais, comme langue, qui tue le français, c'est

le déséquilibre économique, et ceux qui prônent cette solution radicale ont tort. C'est cela que je voulais indiquer.

L'anglais est ici, les Anglais sont ici. Ce ne sont pas des ennemis. Quelques-uns ont mal agi dans le passé, d'accord, mais oublions notre chère histoire sur cette affaire-là. A partir d'aujourd'hui, on pourrait peut-être recommencer un système basé sur le respect mutuel, parce que la charte doit faire de bonnes choses, elle va corriger ce déséquilibre et ce n'est pas l'anglais comme tel qui doit disparaître. Il y a des gens du parti gouvernemental qui parlent comme si l'anglais était une espèce de maladie contagieuse. J'ai essayé d'indiquer que, quand même, c'est une langue valable, très valable, très importante. Je ne me vante pas, c'est un fait historique, on ne peut pas le faire disparaître.

M. Biron: Voici ma dernière question. A la page 5 de votre mémoire, vous dites: Maintenant, tous nos professeurs de français, aujourd'hui, parlent le français. Cela sous-entend-il qu'il y a quelques années, les professeurs de français ne parlaient pas français, comme dans nos écoles françaises, nous avons des professeurs d'anglais qui ne parlent pas l'anglais? Quelle est votre réaction à cela?

M. Peacock: Quand je suis arrivé ici, je ne comprenais pas qu'on essaie d'enseigner aux enfants, à l'élémentaire — c'est obligatoire — le français en se servant d'institutrices valables qui étaient unilingues. Comme cela, on apprenait une espèce de français perroquet, parce que le professeur devait apprendre par coeur la phrase à répéter et ensuite l'enfant répétait cela à sa façon. C'est ignoble, cela. Il y a vingt ans, c'était comme cela; même il y a dix ans, c'était un peu comme cela. J'ai réalisé un peu que je disais cela, mais, en pleine connaissance de cause, c'est cela que je voulais dire.

Maintenant, il y a une différence quantum, nos profs parlent français. Mais je voulais ajouter à cela que ce n'est pas la seule chose. Il ne faut pas seulement avoir quelqu'un qui parle français. Ces camionneurs parlent français, mais je ne les embaucherais pas comme professeurs de français. Ce sont des gens gentils, mais ils n'ont jamais compris le problème d'apprentissage d'une langue seconde. Il faut plus que cela et il y a très peu de cours linguistiques disponibles pour ces gens et le ministre de l'Education doit s'en occuper.

M. Biron: Vous seriez prêt à faire une suggestion au ministre de l'Education concernant les professeurs d'anglais dans les écoles françaises, au moins, pour qu'ils puissent parler anglais?

M. Peacock: Non, ce n'est pas mon affaire. M. Biron: Merci, M. Peacock.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Merci, M. le député de Lotbinière. Une dernière intervention, le député de Rosemont.

M. Paquette: Merci, M. le Président. Le président de la Provincial Association of Protestant Teachers nous a dit, en présentant son organisme, qu'il était plus vieux que la confédération. Je dirai qu'il est certainement peut-être plus valable aussi, parce que je me réfère principalement aux luttes des enseignants francophones auxquelles vous avez participé, aux luttes de travailleurs aussi, et je vois, dans le contenu de votre mémoire...

M. Peacock: Ce n'était pas une lutte des professeurs francophones, c'était une lutte des professeurs tout court.

M. Paquette: Oui, je suis d'accord avec vous.

Je pense que dans votre mémoire, on sent cette préoccupation et cette perception des choses que nous partageons en bonne partie, c'est-à-dire qu'il y a dans les différentes communautés ethniques, bien sûr, des travailleurs, il y a des hommes d'affaires, il y a des gens de toutes professions. Je pense que vous allez être d'accord avec cela: Vous dites dans votre mémoire: II y a une minorité qui détient les leviers économiques au Québec. Cette minorité est largement anglophone. Est-ce que vous êtes d'accord avec cela? Je pense bien comprendre votre thèse en disant: C'est par la reconquête économique des affaires québécoises par les Québécois — ne distinguons pas l'origine des Québécois — que nous allons régler ce problème de la dévalorisation du français et que nous allons éviter des mesures restrictives dans le domaine de la langue d'enseignement.

Vous avez donné des chiffres concernant l'immigration — je pense que ces chiffres sont confirmés — qui nous montrent qu'il y a eu quand même une évolution, que plus d'immigrants arrivent au Québec et parlent français. Donc, on peut s'attendre à ce que si on laissait le libre choix, il y aurait plus de gens qui s'inscriraient à l'école française. Par contre, il y a d'autres chiffres, qui ne sont pas des sondages, mais un recensement à partir du nombre d'élèves, qui nous montrent qu'en cinq ans, de 1970 à 1975, la proportion des élèves dans les écoles françaises à Montréal a diminué de 63% à 59%. A cause du phénomène de dénatalité, la clientèle des écoles françaises a diminué de 25% à Montréal, alors qu'elle a diminué de 7% ou 8% dans les écoles anglaises. Donc, il y a véritablement un problème. Je partage votre opinion que si on pouvait, comme dans tous les pays normaux, laisser le libre choix... Par exemple, en Ontario, malgré les facilités réduites, un Italien, qui arrive et qui veut inscrire ses enfants à l'école française, peut le faire. Les Ontariens savent très bien qu'il ne le fera pas et qu'il va inscrire ses enfants dans les écoles anglaises, ce qui n'est pas le cas au Québec. Je pense que vous allez être d'accord avec moi là-dessus.

M. Peacock: Je disais qu'à cause de cette anormalité — et Dieu sait qu'il y a quelque chose d'anormal, quelque chose qui cloche ici, au Québec — les immigrants choisissent l'école anglaise. Vous allez faire disparaître cette anormalité avec votre charte, nous l'espérons.

M. Paquette: Je pense que vous êtes d'accord avec nous qu'avant que la charte puisse avoir des effets sur le plan de la langue du travail, il faut compter au moins dix ans. C'est inévitable. Déjà les mesures qui sont prévues dans la charte nous permettent d'être sûr que dans toutes les entreprises, il y aura des programmes de francisation en 1983. Cela ne veut pas dire que ces programmes de francisation seront terminés, loin de là. Alors, entre temps, est-ce que vous ne jugez pas nécessaire de redresser la situation au niveau de l'intégration des immigrants à l'école française? Je ne vous demande pas de nous suivre aussi loin que nous allons dans la loi no 1, mais au moins cette restriction de l'accès à l'école anglaise... Parce que si nous ne restreignons pas l'accès aux écoles anglaises, nous allons nous retrouver dans quelques années au même moment où nous travaillerons à franciser les entreprises, des jeunes vont sortir des écoles et seront intégrés à la communauté anglophone. Ce sont deux mouvements en sens contraire.

M. Peacock: Si c'était le cas, je serais d'accord avec vous, mais j'essaie de vous démontrer que c'est moins le cas que par le passé. Les immigrants s'adaptent beaucoup plus facilement. Je propose la solution d'inciter l'immigration des francophones ici plutôt que de diminuer l'immigration des anglophones. Les chiffres de McGill démontrent en quelque sorte que cette menace que vous voyez d'être noyé par une vague d'anglicisants est moins vraie que vous ne le croyez. C'est tellement primordial de retirer ce libre choix qui est une gloire du Québec. Vous savez, moi aussi, je me sens un peu mal à l'aise en Ontario, à cause de l'attitude envers la langue française. Je suis beaucoup plus Québécois, bien que je ne sois ici que depuis vingt ans. Si on veut résoudre le problème du Canada, on va le résoudre au Québec. Le Québec a une bonne tradition du libre choix qui a causé un problème terrible, il y a dix ans, mais ce problème que je vous propose, est moindre maintenant.

M. Paquette: En tout cas, je pense qu'on diffère d'opinion sur l'évaluation de la situation, en fait, parce que, sur la philosophie, moi, personnellement, j'ai déjà dit, à plusieurs reprises, que j'espérais que, dans quelques dizaines d'années, nous pourrions ne plus avoir besoin d'une loi comme la loi 1, particulièrement dans le domaine de l'enseignement, parce que la société sera devenue française. Ce sera normal d'envoyer ses enfants à l'école française. Mais tout ça dépend aussi, en large mesure, vous en conviendrez, d'une reconquête de l'économie par les Québécois et, pour faire cette reconquête, ça nous prend les instruments, et ces instruments, ce sont des pouvoirs politiques, et nous ne les avons pas; nous devons attendre le référendum qui va nous permettre de nous les donner, ces pouvoirs politiques. Je ne vous ferai pas un discours sur l'indépendance. Je vais vous poser une dernière question...

Mme Lavoie-Roux: On va invoquer quel règlement, M. le Président?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Dernière question, M. le député de Rosemont, et très brièvement.

M. Paquette: C'est au sujet de l'article 23. Vous nous dites: Dans les cas où la langue anglaise ne nuit pas à la langue française — je pense que c'est à la page 7 de votre mémoire — pourquoi ne pas laisser l'usage de l'anglais? Vous parlez d'émissions, de programmes radiophoniques dans les langues des différentes communautés ethniques et, évidemment, aussi en anglais. Vous parlez des agences d'administration civiles qui desservent une clientèle non francophone. Je pense qu'on est d'accord avec tout ça, la communication en anglais dans les corps professionnels. Je pense que la pratique que vous avez mentionnée au PAPT est permise par la loi 1. On demande tout simplement qu'il y ait communication en français, et si un organisme veut communiquer dans une autre langue, il peut très bien le faire, et des communications bilingues dans les organismes où il y a prédominance de gens qui parlent anglais sont tout à fait possibles.

Maintenant, là où je vous suis moins, c'est lors de l'allusion que vous faites aux municipalités et aux cpmmissions scolaires, et je pense que ceci nous amènerait à modifier l'article 23 du projet de loi. Est-ce que vous ne trouvez pas embêtant, au. Québec, que, dans des institutions qui desservent des anglophones, je le reconnais, des hôpitaux, des municipalités, des commissions scolaires, il y ait beaucoup de travailleurs qui soient francophones? Je n'ai pas de chiffres en main, à savoir combien il y en a. Ce sont généralement des gens qui n'ont pas pu poursuivre leurs études très longtemps, qui ne sont pas nécessairement parfaitement bilingues. Vous ne trouvez pas normal que ces gens puissent travailler en français?

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M.

Peacock, très rapidement. Il ne reste qu'une minute et nous voulons absolument entendre le dernier groupe et donner la chance aux porte-parole de se faire entendre.

M. Peacock: Je trouve normal qu'un ouvrier, même s'il travaille pour un organisme anglais, ait le droit de parler français, mais j'aurai un cauchemar si nos commissaires sont forcés de se parler en français. Ils parlent très mal; d'ailleurs, ce n'est pas vraiment bon pour la langue française que les commissaires du Protestant School Board se parlent en français.

M. Paquette: En terminant, je vous remercie d'avoir répondu à mes questions. Je pense qu'on est d'accord sur beaucoup de points, et j'aimerais vous dire que, pour moi aussi, Wolfe et Montcalm sont morts depuis longtemps.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Merci beaucoup, M. Peacock. Merci à votre association.

M. Peacock: Bonne fête!

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Merci aussi de votre patience, et bonne fête, comme à tous les Québécois!

Maintenant, j'inviterais l'Association québécoise des professeurs de français et M. André Gaulin et ceux qui l'accompagnent à se présenter à la table, s'il vous plaît.

Je vous demanderais de bien vouloir nous présenter ceux qui vous accompagnent et vous-même, s'il vous plaît, de même que votre association.

Association québécoise des professeurs de français

M. Borduas (Maurice): Permettez-moi d'abord d'excuser M. André Gaulin, qui devait présenter le mémoire, mais qui a dû nous quitter la semaine dernière pour aller en France représenter officiellement l'Association québécoise des professeurs de français, pour la préparation du congrès de la fédération internationale qui doit se tenir à Bruxelles l'an prochain. L'association, l'AQPF, je vais me permettre d'abréger, je pense, est responsable de l'un des trois thèmes. M. Gilles Dorion, de notre association, et M. André Gaulin sont coresponsa-bles de l'organisation d'un des thèmes du congrès de Bruxelles.

Je peux me présenter en toute humilité le premier,'c'est Maurice Borduas, président national de l'AQPF, et j'ai avec moi, pour m'accompagner, trois des rédacteurs du mémoire, soit, à ma droite immédiate, M. Emise Bessette, président-fondateur de l'AQPF, et M. Christian Vandendorpe, qui est le directeur de la revue Québec Français, l'organe officiel de l'AQPF, et, à l'extrême droite — ça n'a rien à voir avec les positions, sauf celle qu'il occupe actuellement — M. Jean-Louis Laverdière, président ex-officio.

M. Laverdière: Ex-président.

M. Borduas: Alors, ce sont mes collègues et moi-même, M. le Président, madame et messieurs de la commission. Nous sommes très heureux de vous retrouver. Depuis hier matin, nos troupes se sont décimées et malgré l'état de siège, nous avons quand même réussi à pénétrer dans l'enceinte ce soir.

Maintenant que le calme est revenu, nous sommes très heureux de pouvoir vous présenter, en toute quiétude, le mémoire que nous avons demandé à une équipe de bénévoles de l'AQPF de préparer à votre intention.

Si vous le permettez, nous allons commencer. Vous serez privés du feu de la Saint-Jean. Nous vous avions réservé un feu d'artifice dans les préliminaires de notre mémoire.

Alors, je commence par les préliminaires et non pas par le résumé qui précède.

En déposant aujourd'hui devant cette commission parlementaire, nous mettons le point d'orgue à dix années de défense et d'illustration de la langue française. Enfin, la langue est maintenant reconnue par le gouvernement comme une priorité collective, le plus délicat et précieux investissement du capital humain québécois. Enfin le gouvernement du Québec a fait son lit — et ce n'est pas la voie ambiguë de la loi 22-: il a choisi de faire du français la seule langue nationale des Québécois.

Il le fait avec clarté, modération et générosité même pour la minorité anglophone dont la langue avait pris un pouvoir d'attraction assimilateur des groupes allophones. Enfin, le gouvernement du Québec met fin à l'anarchie linguistique instaurée politiquement avec la loi 63 et maintenue jusqu'à ce jour. Le gouvernement a opté pour la solution politique la moins radicale qui puisse être efficace, à savoir l'unilinguisme français au Québec.

Bien sûr, il se trouvera des gens pour crier à la vengeance, à l'intolérance, voire au racisme. Et pourtant, se venge-t-il l'homme qui arrête la gangrène de son propre corps? Est-il intolérant le peuple qui met fin à des mesures discriminatoires dans lesquelles l'ont plongé une situation coloniale? "Si c'est cela faire montre de racisme, tous les peuples en sont coupables qui exigent qu'on parle chez eux leur propre langue." Ainsi pensait André Langevin dans son texte de 1964 intitulé Une langue humiliée. Et il ajoutait: "Je vois mal qu'on puisse considérer comme du fanatisme le refus de se suicider."

Il importait donc que le gouvernement de tous les Québécois joue du scalpel dans le cancer linguistique du Québec. Nous remercions ceux qui expriment aussi clairement la volonté politique d'un peuple à parler français, à vivre en français, à continuer de s'affirmer, dans sa vie américaine tricentenaire, comme un peuple français sur un territoire nommé en français. Quoi que diront les détracteurs de cette loi, il fallait mettre un terme à la route suicidaire du bilinguisme et redonner au français son mordant intérieur, son paysage physique, ses raisons sociales, autant dire son corps et son âme.

Voilà un peuple qui n'a jamais abdiqué et qui n'a pas l'intention de désemparer devant les prophètes de malheur, devant des accusateurs désavoués dans leurs intérêts rapaces vêtus de raisons nobles, devant les tenants de la résignation morbide qui ne serait qu'un amour ambigu de la mort larvée.

Voilà un peuple qui aspire à se remettre au monde, à renaître sans ses difformations historiques, à sortir du long vertige de l'occupation et du délire séculaire qui a engendré la pauvreté et la complainte. Qu'on nous reconnaisse en tant que peuple le droit à la normalité et qu'on nous concède la dignité d'être nous-mêmes, de le dire et de le partager. Loin de se fermer au monde en arrière d'un mur, fût-il de Chine ou de Berlin, ce peuple qui s'affirme français s'ouvre vraiment à la communauté des peuples en brisant avec la peur rentrée, la mort polie, l'aliénation originale. Le poète Miron l'avait affirmé dès 1964: "Je suis jeune et je suis vieux tout à la fois (...) Je n'ai pas l'air étrange, je suis étranger (...) J'ai la connaissance infime et séculaire de n'appartenir à rien. Je suis suspendu dans le coup de foudre permanent d'un arrêt de mon temps historique (...) je ne res-

sens plus qu'un temps biologjque, dans ma pensée et dans mes veines.

Les autres, je les perçois comme un agrégat. Et c'est ainsi depuis des générations que je me désintègre en ombelles soufflées dans la vacuité de mon esprit(...) C'est précisément et singulièrement ici que naît le malaise, qu'effleure le sentiment d'avoir perdu la mémoire(...) Les mots, méconnaissables, qui flottent à la dérive. Soudain, je veux crier. Parfois je veux prendre à la gorge le premier venu pour lui faire avouer que je suis. Délivrez-moi du crépuscule de ma tête(...) Je suis malade d'un cauchemar héréditaire. Je ne me reconnais pas de passé récent. Mon nom est "Amnésique Miron".

L'on ne s'étonnera sans doute pas d'entendre des professeurs de français citer largement un poète national connu internationalement, cela dût-il nous mériter encore l'épithète du député qui nous appelait des "pelleteux de nuages" comme ce premier ministre qui parlait jadis de l'Office de la langue française comme de la "bébelle à Laporte". Le texte du poète traduit le collectif, comme le suicide d'Hubert Aquin trahissait le nôtre, celui que nous tolérions à la petite semaine, car Aquin a fait dire à son héros de Prochain épisode qu'il était du Québec le "reflet désordonné de son incarnation suicidaire". Gaston Miron traduit très bien aussi l'état de désintégration d'une langue supplantée quand il parle des mots méconnaissables. Ce qui faisait dire à un autre écrivain, Pierre Baillargeon, qu'il avait tout le dictionnaire sur le bout de la langue. Les professeurs de français en savent quelque chose.

Une langue ne pousse pas sans culture, pourrait-on dire. Il lui faut un sol, un environnement, un peuple, une civilisation: ce qu'a fort bien illustré le livre blanc. Aussi les professeurs de français se sentent-ils aujourd'hui mieux compris par ce gouvernement. Dans ses Insolences, le frère Untel demandait en 1960 ce que pouvait faire un professeur quand il commençait d'avoir tort contre un milieu et un mode de vie dès quatre heures de l'après-midi, l'heure de fermeture des classes d'avant la révolution tranquille. Les professeurs de français de l'AQPF étaient allés plus loin en publiant en 1970 leur Livre noir sous-titré "De l'impossibilité (presque totale) d'enseigner le français au Québec". Ce qui leur avait valu la mise au ban dans beaucoup de milieux. Aussi, saluons-nous avec grande joie l'envers de notre livre noir, le livre blanc ou la possibilité retrouvée d'enseigner le français au Québec.

Qu'il nous soit quand même encore permis d'indiquer au départ que notre association qui s'occupe de pédagogie a toujours établi un préalable à toute mesure pédagogique de l'enseignement du français au Québec. Ce préalable c'est le règlement politique de la question du français. Nous estimons que la présente loi va faire davantage pour l'enseignement du français au Québec que des constantes injections à fonds perdus de quelques millions de dollars pour renflouer qui serait restée politiquement une langue avariée. Beaucoup de nos étudiants considéraient la langue française comme une langue inutile, ils vi- vaient souvent dans un milieu d'hommes publics que n'inquiétaient ni la langue, ni l'orthographe, ni le langage, ni la culture. Est-ce que les professeurs de français auraient dû porter à eux seuls et contre la société l'utilité, la promotion et la qualité d'une langue? Ceci mis en image donne la société où le patron parle et travaille en anglais, où il n'écrit pas — heureusement pour lui et pour nous peut-être — mais où il s'inquiète que sa petite secrétaire bilingue ne connaisse correctement l'orthographe d'une langue diffamée et condamnée. Pour sauver la face. Et les professeurs étaient ainsi les boucs émissaires d'une démission collective que les opposants à cette loi prêchent à leur insu.

Nous ne pouvions pas enseigner le français sans poser un jugement politique. Nous ne pouvions politiser un débat qui l'était de par sa nature même. Tout comme nous sommes conscients aujourd'hui que le débat politique actuel emprunte souvent les voies obscures de l'appel à la tolérance, aux droits de l'homme, voire au chantage économique pour mieux cacher la domination anarchique d'une minorité et la réalité légitime d'un peuple qui veut être lui-même, qui en prend les moyens en toute assurance et pondération de son jugement.

Nous l'avions noté fermement en 1974 en déposant devant la commission parlementaire sur la loi 22. L'anarchie avait été instaurée politiquement au Québec en 1969 avec la loi 63 qui donnait en pâture aux individus et aux familles un bien collectif inaliénable, fondement même de l'existence d'un peuple, comme a dit Gaston Miron. Nous avons souvent noté aussi, comme professeurs de français, que notre volonté d'affirmer le Québec français se butait à notre historique situation coloniale. Une manifestation évidente de ce colonialisme est la difficulté de parler de la langue de ce pays sans tomber dans la nécessité d'apprendre l'anglais au Québec. Nous aimerions bien que l'on départage les questions à discuter. Que l'on doive constamment dire "et l'anglais" quand nous affirmons notre volonté de parler cette langue internationale et moderne qu'est notre français maternel démontre assez notre situation de prostration coloniale, surtout que l'anglais que l'on veut nous faire apprendre n'a rien à voir avec cette grande langue et culture de Shakespeare. C'est souvent l'anglais multinational des hommes consumés, une langue cassée, soumise, offerte, dégradée et totalement déracinée, une langue tampon, pour ainsi dire, SOS.

A cet égard, nous voudrions profiter de cette charte du français pour inviter tous les Québécois à réfléchir sur la situation linguistique de Montréal tout particulièrement. Nous voudrions frapper l'imagination de tous, surtout de ceux qui ont presque repris récemment, sortie des vieux tiroirs du temps de Saint-Léonard, la thèse éculée d'un Québec binational et biethnique. Montréal reste dans le monde la deuxième ville française par sa population. Il y a plus de parlants français à Montréal qu'à Marseille.

Or, et c'est là le scandale et la démesure intolérable, plus de 500 000 personnes n'y parlent que

l'anglais, la langue de la domination économique du Québec. C'est donc dire qu'à Montréal l'anglais est la langue d'attirance. Combien d'immigrants sont des bilingues anglais-chinois, anglais-italien ou anglais-grec.

Cette situation finit par nous éblouir. Beaucoup de nos hommes publics sont alors portés à faire des affirmations gratuites, telles que le Québec compte 20% d'anglophones, Montréal est une ville bilingue, etc. Dès lors, que se passe-t-il, sinon une réduction historique. En accordant, par exemple, 20% de la population aux anglophones, on leur a concédé 7% d'allophones, dont près de 6% parlent toujours leur langue. Nous parlons encore d'un Montréal bilingue, oui, unilingue anglais à l'ouest et français bilinguisé, massacré, à l'est.

Et ensuite des gens se scandalisent du jouai qu'un numéro récent des Nouvelles Littéraires définissait comme "à la fois code de résistance et maladie du français... pour les riches, procédé littéraire, pour les pauvres, cri du coeur". Qui ne voit pas ici la nécessité linguistique et politique de proclamer alors, — et Montréal en est l'enjeu premier — le Québec comme un territoire unilingue français, sans quoi le bilinguisme ne serait, comme Montréal l'illustre si clairement, qu'une étape de notre assimilation au bloc anglophone minoritaire et tyrannique. Qui n'a donc pas compris, parmi nous, le sort des francophones de Louisiane, de Nouvelle-Angleterre et de plusieurs groupes du Canada qui n'ont d'avenir que dans la mesure où ils pourront trouver appui sur notre territoire unilingue.

Est-il besoin de le rappeler d'ailleurs, le Québec a toujours été depuis l'Acte de Québec un territoire français et les habitants de ce territoire auraient tous dû savoir la langue de notre peuple et communiquer dans la langue commune. Si les anglophones de Montréal se considèrent comme Québécois, il serait peut-être temps qu'ils se mettent à la langue d'usage qu'un demi-million de Montréalais ignorent toujours.

Les anglophones ne peuvent à la fois être pour nous et contre nous. Il serait temps qu'ils comprennent qu'ils sont ici une minorité, il ne leur suffit pas de venir dire en langue anglaise qu'ils sont en faveur de l'épanouissement du français.

Le gouvernement a raison de vouloir renverser le désordre linguistique à Montréal et partout au Québec: l'anglais, langue de nécessité et, à entendre certains, langue de salut collectif, doit redevenir pour le peuple québécois option d'une culture possible. Le français, lui, dépossédé de notre vie économique et politique, doit redevenir pour tous ceux qui vivent sur le territoire du Québec une langue de toute la vie publique, politique, économique et nationale. Faute de quoi, notre travail de professeurs de français deviendra un métier de Sisyphe.

Pourrions-nous rappeler aux membres de cette commission que déjà, dans les années soixante, le rapport Parent indiquait comme point d'appui à la réforme de l'enseignement du français, la motivation socio-économique redonnée aux étudiants du Québec. Et pour cela, le même rapport, dans son deuxième tome, demandait au gouvernement d'adopter des mesures très fermes pour protéger le français, notant l'urgence de le faire alors — il y a plus de dix ans — à Montréal. C'était pour les rédacteurs du rapport une question de justice et d'honneur. Et la commission ajoutait: "Aucun écolier ne prendra le français au sérieux à l'école si, à Montréal particulièrement, les ouvriers, administrateurs et hommes d'affaires sont obligés de parler anglais dans leur travail quotidien ou pour obtenir une promotion. Dans le Québec, une excellente connaissance du français devrait être tout aussi nécessaire pour réussir dans les affaires."

Comme la période de temps, M. le Président, qui nous est répartie est relativement brève et que nous n'aurons pas le temps de lire en entier le mémoire que nous avions préparé à votre intention, nous vous demandons la permission de le déposer, en ajoutant , si vous le permettez, deux très légères corrections à la page 11. Ce sont des corrections du typographe, n'est-ce pas, non pas de l'auteur.

A la page 11, troisième ligne, nous aimerions remplacer le mot "privilège" par "tolérance" c'est-à-dire les individus doivent faire la preuve qu'ils appartiennent vraiment à ce groupe pour se prévaloir de cette tolérance. Au lieu de privilège.

Et, quatre lignes plus loin, soit à la septième ligne de la même page, le critère de l'école des parents, et le texte se lirait comme ceci: "L'article 52 de cette loi introduit un critère nouveau, d'administration relativement aisée, sans doute, mais artificiel et dangereux, à notre avis, le critère de l'école des parents.

Le Président (M. Cardinal): M. Borduas, ceci vous est accordé immédiatement. Votre mémoire sera mis en annexe au journal des Débats.

M. Borduas: Maintenant, est-ce qu'il me reste encore un peu de temps pour donner le résumé des autres parties?

Le Président (M. Cardinal): II vous reste trois minutes.

M. Borduas: C'est juste le temps qu'il me faut, M. le Président. Pour les trois autres parties du mémoire, je ne lirai peut-être pas la conclusion, si je n'en ai pas le temps; elle est quand même magnifique.

Nous prenons, en bas de la page 1 du résumé, ce qui est l'essentiel de ce que nous recommandons à la commission. Dans la partie 1, qui parle de la langue d'enseignement, l'AQPF recommande l'école française pour tous. Elle ne consent d'exemption qu'à la minorité anglophone et à elle seule, ayant résidence au Québec, au moment de la promulgation de la loi.

L'AQPF recommande aussi de revenir aux critères de la langue maternelle pour déterminer l'appartenance aux groupes anglophones. Il s'agit non de mesurer une connaissance suffisante, c'étaient les fameux tests, mais d'identifier la lan-

gue maternelle, ce qui peut se faire simplement au moment de l'inscription par le personnel régulier de l'école. Pour les cas complexes, on peut ajouter le facteur que retient la loi: l'école fréquentée par un parent au Québec.

Quant aux faits invoqués pour ne pas empêcher les enfants d'une même famille de fréquenter l'école anglaise sous prétexte de ne pas la diviser, cela paraît sans aucun fondement.

Enfin, l'Etat québécois devra éviter toute discrimination à l'endroit des immigrants de quelque provenance qu'ils soient. Les immigrants devront donc tous aller à l'école française, peu importe leur langue ou leur culture.

Résumé de la partie 2. J'abrège. L'AQPF recommande que la définition de la norme de la langue française au Québec tienne compte de notre milieu. Eviter de tomber dans un curisme étroit, dans une langue imposée de l'extérieur. Il ne faut pas que soit proposé aux Québécois un modèle perçu comme étranger. Il y a un français correct d'ici et qui devrait être proposé en modèle dans les écoles du Québec.

Evitons donc un modèle étroit et une pédagogie uniquement axée sur la correction. L'AQPF demande aussi que le perfectionnement des enseignants, par l'intermédiaire du PPMF devienne permanent, qu'il soit ouvert à tous les enseignants sans exception avec un temps de libération accru. L'AQPF demande instamment qu'aucun enseignement d'une langue seconde ne soit fait au cours primaire. Il faudrait de plus que l'enseignement des langues secondes soit diversifié et de bonne qualité.

L'AQPF demande encore une politique du livre qui soit claire. Le livre n'est-il pas l'un des supports les plus importants de la langue écrite? L'Etat québécois doit encore voir à ce que soit assurée la diffusion du livre partout au Québec.

Enfin, que la littérature du Québec soit encouragée par un effort financier considérable pour aider les écrivains, les éditeurs et les libraires. En dernier lieu, l'AQPF tient à attirer l'attention tout particulièrement sur la production du manuel scolaire québécois qui devrait être rédigé en français.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Gaulin.

M. Borduas: Je m'excuse, M. le Président, mais, pour les fins de la discussions, je me suis présenté comme Maurice Borduas. C'est un nom qui n'est peut-être pas connu dans certains milieux, mais c'est celui que je porte et que je préfère.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Je veux d'abord vous remercier pour la musique de votre texte qui s'est imposée à mon oreille avec beaucoup plus de force que la fanfare extérieure. Je crois d'ailleurs que ce très beau texte que vous venez de nous lire et qui est un hymne à la dignité, à l'espoir, à la nouvelle dignité, au nouvel espoir des francophones au Québec convient particulièrement en cette vigile de la Saint-Jean.

Je vous remercie aussi pour cette justification littéraire et souvent poétique que vous apportez à l'appui du projet de loi du gouvernement. Contrairement au gouvernement précédent, nous ne méconnaissons pas, nous ne sous-estimons pas l'appui que peuvent apporter les poètes aux politiques gouvernementales, car les poètes sont ceux de notre société qui expriment, la plupart du temps, les vérités les plus profondes sur la structure et l'avenir d'un peuple.

Vous avez dit que le gouvernement vous avait compris. Je peux vous dire aussi que le gouvernement vous a compris. Il se reconnaît en vous de la même façon que vous vous reconnaissez en lui et il me fait plaisir de souligner, en ce 23 juin, qu'il est plaisant pour un pouvoir politique de sentir qu'il fait corps à ce point avec sa communauté littéraire, avec la communauté des professeurs de français, qu'il fait corps en somme avec l'âme et le coeur d'un peuple que vous exprimez et que vous enseignez aussi aux générations montantes.

C'est pour nous un facteur de joie, car il nous donne un très vif sentiment d'appartenance, en même temps qu'une réassurance quant à la justesse de nos politiques, puisqu'elles se situent au coeur du courant collectif.

C'est donc la raison pour laquelle nous considérons avec beaucoup de sérieux les arguments que vous apportez à l'appui du projet de loi et de la politique linguistique du présent gouvernement. Evidemment, votre mémoire déborde de beaucoup le contenu du projet de loi. Vous nous faites des recommandations, par exemple, en ce qui concerne le langage, la langue que vous enseignez. Vous nous prévenez de ne pas devenir les esclaves de la norme.

Vous ne voudriez pas que le gouvernement et l'Office de la langue française imposent ici un français qui ne serait pas d'ici, mais s'attache au contraire à imposer, si on peut imposer une langue, ou du moins, en favoriser l'usage d'un langage qui est accordé à nos propres réalités, à la fois réaliste, souple et accueillant pour nos particularités, mais un français en même temps qui serait correct, un français qui nous ferait les héritiers de la famille linguistique à laquelle nous appartenons et qui nous permettrait la communication facile et intégrale avec toutes les autres communautés francophones au monde. Je pense que c'est là un objectif et une règle que nous partageons. Vous vous inquiétez aussi de la formation des maîtres. Vous voudriez que le PPMF persiste. Je suis bien d'accord avec vous. Vous nous mettez en garde contre une fonctionnarisation, une bureaucratisation trop grande de ces programmes. Vous voudriez que la contribution des professeurs de français y soient majeure, qu'une coordination s'établisse entre les professeurs eux-mêmes, les universités qui sont chargées de la responsabilité effective des programmes, les conseillers pédagogiques dont vous voudriez voir multiplier le nombre dans toutes les commissions scolaires, et finalement, le gouvernement. Je pense que c'est là un idéal de concertation qui va de soi. Il me fera plaisir de transmettre et d'appuyer votre recommandation auprès du ministre de l'Education.

Une autre des recommandations que vous faites, m'apparaît également très importante, c'est la recommandation que vous faites, soit au ministre de l'Education ou aussi au ministre des Affaires culturelles, de pratiquer une politique énergique de diffusion du livre, afin que les écrits de nos poètes, de nos essayistes, de nos romanciers, de nos dramaturges, dans lesquels nous nous reconnaissons, encore une fois, soient diffusés le plus largement possible dans tous les coins du Québec afin que nos générations montantes les connaissent, s'en pénètrent, en comprennant le message et apprennent, s'il est possible de s'exprimer ainsi, leur appartenance. Je pense que cela s'impose, que cela a été trop oublié dans le passé. Je peux vous dire que votre recommandation est déjà la nôtre, puisqu'elle apparaîtra dans le prochain livre blanc sur la politique culturelle que le gouvernement est en train de préparer actuellement.

M. Borduas: Si vous me permettez, à ce moment, nous savons que le ministre de l'Education et vous-même, travaillez en étroite collaboration sur de nombreux documents. C'est peut-être la raison qui nous fait mettre dans notre mémoire des aspects qui s'adressaient peut-être et à votre ministère et au ministère de l'Education, mais en sachant que la commission était l'endroit idéal pour exprimer nos vues.

M. Laurin: Je fais aussi un sort à une autre de vos recommandations qui nous encourage à multiplier, ou plutôt, à encourager la production de manuels scolaires, et particulièrement, de manuels pédagogiques français. Vous demandez au gouvernement de mettre à la disposition d'équipes que les professeurs eux-mêmes pourraient former, l'aide technique dont le gouvernement peut disposer, également les subventions appropriées, afin que le nombre de manuels scolaires pédagogiques se multiplie, surtout face à la prolifération de manuels aussi bien scolaires que pédagogiques de langue anglaise qui pénètrent si facilement à travers nos frontières, malgré tous les filtres que certains essaient de leur opposer. Je pense que si nous voulons vraiment franciser le Québec, aussi bien au niveau de l'entreprise qu'au niveau de l'école, aussi bien pour le présent que pour l'avenir, il importe, en effet, d'adopter une politique énergique et vigoureuse en ce domaine. Je pense qu'elle est souhaitée, non seulement par votre association, mais par la Centrale de l'enseignement du Québec et par beaucoup d'autres voix autorisées de notre milieu.

Cette politique faisait déjà partie de nos énoncés du quatrième chapitre du livre blanc, mais votre plaidoyer de ce soir n'y fait qu'apporter des arguments encore plus étoffés et plus valables et nous encourager davantage dans cette voie.

En ce qui concerne le projet de loi en particulier, j'ai retenu surtout deux recommandations. Vous nous recommandez de persister dans notre volonté de franciser le paysage, la physionomie du Québec, et particulièrement le paysage et la physionomie de Montréal. Vous ne voulez pas qu'une partie de Montréal reste unilingue anglaise et que l'autre partie de Montréal reste ce qu'elle est malheureusement trop souvent, une demi-ville ou une demi-agglomération bilingue.

Je pense que là aussi, et vous êtes probablement un des rares organismes à nous le souligner, vous nous apportez des arguments à l'appui de notre thèse et qui peuvent compter pour beaucoup dans la volonté que nous pouvons avoir de mener cette francisation à bon terme.

J'en viens maintenant à votre recommandation sur la langue d'enseignement. Je suis d'accord avec vous pour souligner l'importance de l'enseignement de l'anglais, incidemment. Comme la CEQ, vous nous recommandez que cet enseignement ne débute qu'à partir du secondaire. Vous nous apportez d'autres raisons que celles que la CEQ nous avait apportées. Comme vous savez, ce n'est pas la politique actuelle du ministère. Je transmettrai au ministre de l'Education votre position là-dessus et il y pensera lorsque viendra le moment de reconsidérer la politique qui est actuellement à l'étude en ce domaine.

Vous nous demandez d'abandonner le critère que nous avons choisi de l'accès aux études primaires en anglais pour les parents, pour un retour au critère de la langue maternelle, ou, du moins, c'est ce que j'ai compris.

Vous nous dites aussi que si nous devions retenir le critère qui est actuellement dans le projet de loi, il ne devrait servir que de critère d'appoint. Remarquez que c'est avec cette idée que nous étions partis. C'est celle-là que nous voulions appliquer. Mais c'est à la suite d'études longues, laborieuses, que nous avons cru qu'il nous fallait abandonner ce critère, parce qu'il nous paraissait conduire d'une façon inévitable aux tests linguistiques, que nous avions dénoncés, d'ailleurs, autant que beaucoup d'autres groupes.

Vous nous dites de revenir quand même, d'examiner à nouveau ce critère de la langue maternelle. Vous nous dites que la vérification en est très simple, par exemple, par une déclaration ou en écoutant l'enfant parler, ou en demandant à un suppléant, durant deux ou trois jours, de demeurer dans une classe et d'entendre parler les enfants.

J'aimerais bien pouvoir vous suivre en ce domaine et penser que la vérification puisse être aussi simple. Mais je vous avoue que vous ne m'avez pas encore convaincu, car ce que nous recherchons, c'est un critère dont la vérification serait objective et uniforme, et qui ne laisserait aucune place ou, du moins, la moins grande place possible à la discrétion et à l'arbitraire. Je sais que cette recommandation que vous nous faites a été reprise par le Conseil supérieur de l'éducation, du moins pour certaines de ses parties. Il va plus loin que vous, évidemment, dans d'autres domaines, mais, pour l'essentiel, c'est la suggestion qu'il nous fait.

D'autres groupes aussi nous la font, et à la suite de ces recommandations, évidemment, nous allons faire un nouvel examen pour voir s'il n'y aurait pas moyen de revenir à ce critère, mais, en-

core une fois, nos doutes persistent quant à la possibilité de vérifier d'une façon objective et uniforme l'application de ce critère.

C'est la principale remarque que j'avais à vous faire là-dessus, mais peut-être auriez-vous quelque chose à ajouter à ce que vous avez déjà dit dans le mémoire à ce sujet.

M. Bessette: Si vous permettez, je vais essayer d'ajouter quelques considérations. Bien sûr, nous aussi, nous sommes assez conscients du fait que ce n'est pas nécessairement très facile, même de faire une simple constatation de la langue maternelle d'un enfant.

Je serai plus précis. Ce n'est pas toujours très facile. Ce n'est pas toujours facile, mais, ce qui nous retient, ce sont les inconvénients de l'abandon de ce critère de la langue maternelle. Je pense que nous nous expliquons assez clairement là-dessus dans le mémoire. Abandonner ce critère, c'est renoncer à un certain moment, au niveau de la mise en application d'une politique telle que celle définie par les objectifs généraux du projet de loi, c'est renoncer, je pense, à l'esprit à partir duquel le projet de loi a surgi.

Devant ce que l'on considère être impossible, identifier la langue maternelle de l'enfant, on se replie, comme vous venez de le dire sur un critère objectif, quasi automatique. Quasi, je dis... Bon.

Nous sommes très conscients de l'utilité pratique du critère de l'école de l'un des parents, mais, encore une fois, de cette manière, nous ne pouvons absolument pas suivre le principe qui nous — puisque nous sommes là, évidemment, pour illustrer nos positions et des positions qui sont définies depuis près de dix ans — a toujours guidés, c'est-à-dire que ce pays est français; dans ce pays, donc, l'école française est le droit de tous, mais aussi le devoir de tous. Il ne pourra y avoir d'école anglaise qu'en termes de tolérance, de dérogation et uniquement pour un groupe bien distinct, bien définissable, qui a des racines historiques, des racines culturelles, un territoire national. C'est ce que nous appelons le groupe culturel anglo-québécois.

Si on ne revient pas au principe de la langue maternelle, on est obligé d'abandonner cette optique qui nous paraît être celle du projet de loi comme celle du livre blanc. C'est ce que nous trouvons gênant.

Bien sûr, peut-être que, pour rester fidèle à cette optique, il faudra, je vais dire, "s'embarrasser" de moyens moins faciles d'application, mais il nous semble encore que l'enjeu en vaut la peine, et l'enjeu est une cohérence qui apparaissait très bien dans le livre blanc et qui apparaît aussi dans le projet de loi no 1, sauf, peut-être, lorsque, justement, on abandonne le critère de la langue maternelle de l'enfant pour celui de l'école des parents.

Je donne un seul exemple.

Il nous apparaît désagréable — c'est le moins que je dirai — que si le projet reste exactement ce qu'il est, des parents francophones aient le droit, obtiennent une tolérance d'envoyer leurs enfants dans les écoles anglaises, et les enfants de leurs enfants jusqu'à la fin du monde, tandis que d'autres parents francophones, simplement parce que — j'allais dire n'ont pas eul'habileté — ils ont eu la conscience de rester fidèles à la francité de ce pays, ces parents francophones, eux, ne peuvent absolument pas user de la même tolérance, de la même dérogation. C'est pourquoi nous parlons de discrimination assez criante entre francophones, puisque ce pays est avant tout francophone, cette loi est avant tout faite pour eux, les francophones, et nous allons, en appliquant strictement le critère — je ne tiens pas ici le critère de la langue de l'école des parents, mais en reconnaissant le droit à l'école anglaise à tous ceux qui y sont déjà engagés — autrement dit, en abandonnant là aussi, sur ce point-là aussi, le critère de la langue maternelle et de l'appartenance culturelle, nous allons récompenser des gens dont nous ne pouvons franchement pas louer la conduite depuis que la loi 63 et la loi 22 leur ont ouvert les portes qui ne devaient pas s'ouvrir. Voilà à peu près l'essentiel de nos considérations, et nous trouvons cela plutôt grave.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière):

Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier les membres de l'Association des professeurs de français du Québec d'être venus présenter leur mémoire qui, comme vous le disiez si bien, est un feu d'artifice en cette veille de la Saint-Jean. C'est presque la nuit de la Saint-Jean, dans une demi-heure ou peu.

J'ai des réactions, pour utiliser un terme du ministre, assez ambivalentes vis-à-vis de votre mémoire. Vous vous en doutez. Quand je lis votre résumé, je me dis: cela va bien. Quand je prends le mémoire lui-même, je suis peut-être un peu plus partagée dans mes sentiments. Même si, avec beaucoup d'humilité, j'essaie de communier au style très poétique de Miron, je dois dire que je peux difficilement m'associer à son pessimisme vis-à-vis de son identité. C'est le message que j'ai reçu de cette partie que vous avez rapportée dans votre mémoire.

Je vous dirai également que je vous trouve très sévères, pour ne pas dire même très durs, vis-à-vis de la communauté anglophone. Ainsi, quand vous dites — vous y faites allusion en page 7, quand vous parlez d'une minorité ou d'un bloc anglophone minoritaire et tyrannique — en page 8: "II est temps qu'ils se mettent à la langue d'usage qu'un demi-million de Montréalais ignorent toujours", je l'ai signalé tout à l'heure, je pense que ce n'est peut-être pas tenir compte de la réalité. Mais enfin ces choses dites, je voudrais quand même vous conseiller la même pièce de réflexion que j'ai suggérée au témoin qui vous a précédé. Comme je le disais, elle vaut ce qu'elle vaut, mais je pense que cela vaut la peine de la lire et d'y réfléchir.

A la page 4, vous dites, au bas de la page, en parlant de l'enseignement du français au Québec,

"ce préalable, c'est le règlement politique de la question du français". Pour moi, ça me semble une constatation un peu trop absolue, parce que je me disais: Heureusement que vous-même, que vos collègues et que tous ceux qui vous ont précédés depuis 1760 n'ont pas attendu que ce préalable ou ce règlement politique de la question du français soit fait dans les termes où vous souhaitez qu'il se fasse, parce que je crains fort que plus personne ne parlerait ou n'écrirait le français au Québec.

Vous dites également, à la page 5, "nos étudiants considéraient la langue française comme une langue inutile, ils vivaient souvent dans un milieu d'hommes publics que n'inquiétait ni la langue, ni l'orthographe, ni le langage, ni la culture". Je voudrais bien croire que ce soit là la raison principale du désintéressement de certains de nos étudiants à l'égard de l'étude du français ou d'une façon générale, peut-être ce que certains considèrent une certaine détérioration de la qualité du français, mais encore là, je pense qu'il y a beaucoup de jugements subjectifs. Mais il reste que si ce que vous appelez, à la page 8, la motivation socio-économique qui sera redonnée aux étudiants du Québec peut accomplir ce qui, à mon point de vue, serait un miracle de les remotiver pour que l'apprentissage de la langue française se fasse dans la sérénité, d'une façon qui serait la plus prometteuse possible pour l'avenir du français au Québec et que ceci, la loi 1 nous l'apporte, je suis totalement d'accord.

Mais je pense qu'il y a beaucoup d'autres facteurs qui interviennent dans cette motivation des étudiants.

Votre première recommandation concerne le critère d'admission à l'école anglaise et je dois vous dire qu'on s'entend presque, sauf dans l'extension qu'on veut donner au critère que l'on a retenu, vous soutenez que le critère retenu par la loi 1 est artificiel et dangereux. J'ai dit qu'il était mécanique et opportuniste, qu'il était une solution facile qui semblait, en tout cas à première vue, facilement applicable. Je pense que ce n'est pas un fondement très solide, parce qu'à mon point de vue, la seule justification pour avoir des écoles anglaises au Québec, c'est qu'il y a une minorité anglophone à qui on reconnaît, historiquement, une contribution à la province et dans ce sens, on parle de droits historiques, et non pas de droits juridiques.

Justement, parce que ce critère un peu artificiel semble, à première vue, résoudre un tas de problèmes, je pense qu'on fait fi, dans l'application, d'un principe plus fondamental, qui est quand même, d'une part, la reconnaissance d'une autre collectivité que vous reconnaissez vous-même et qui, d'autre part, ouvre la porte, je pense, à beaucoup de discrimination. Je me suis fait un peu — d'une façon indirecte — reprocher d'avoir dit que c'était un critère qui était discriminatoire, mais je n'ai pas encore changé d'idée.

Là où je ne suis pas d'accord avec vous, c'est-à-dire où je suis encore d'accord avec vous, c'est quand vous dites que lorsqu'on accorde aux frères et soeurs la permission — je n'ai pas le texte — mais je pense que vous dites aussi que c'est un principe sans fondement quelque part, je suis d'accord avec vous là-dessus. La seule raison pour laquelle je souscris à cette pratique ou à cette ouverture, c'est vraiment pour des raisons humaines ou humanitaires que d'autres jugeront peut-être des raisons de sensiblerie. C'est la seule raison. Mais, au plan des principes, cela ne repose pas sur un fondement, parce que c'est aussi discriminatoire à l'égard des autres qui sont ici depuis plus longtemps, qui ne sont pas allés à l'école, ou même des frères qui ne sont pas passés par l'école anglaise alors que toute la jeune génération la fréquentera. Je pense que vous l'avez examiné d'assez près.

Vous m'apportez un appui considérable, en venant défendre ce point de vue que j'aurai peut-être à défendre dans les mois, pas les mois, j'espère, dans les semaines qui suivent.

M. Guay: C'est à cette heure-ci que ça sort. Mme Lavoie-Roux: J'en ai jamais fait mystère.

Le Président (M. Cardinal): Encore trois minutes et demie.

Mme Lavoie-Roux: Trois minutes et demie? J'ai commencé à moins vingt. Je ne protesterai pas, c'est la veille de la Saint-Jean.

Votre deuxième recommandation... Je ne m'entendrai pas là-dessus, mais je pense qu'il est vraiment temps, vous l'apportez, la CEQ l'a apportée, d'essayer de définir... vous, vous parlez de normes du français, la CEQ a parlé de français standard, et de cette nécessité de ne pas se culpabiliser vis-à-vis la langue que l'on parle et qui peut être différente à certains égards de ce qu'on appelle le français international, etc., mais c'est quand même un débat de fond qu'il va falloir avoir un jour. Il y a les tenants d'une école et de l'autre. Je pense que ce n'est ni l'un ni l'autre. Je pense qu'il doit y avoir — là-dessus je vous laisse le soin de le trouver — des formules ou des moyens termes qui vont rendre justice aux uns et aux autres, selon les besoins de chacun et le milieu dans lequel chacun évolue.

Je trouve cela intéressant et je pense que cela sera certainement une responsabilité que vous aurez de développer cela.

Je vous disais tout à l'heure que vous étiez sévère.

Là on va m'accuser d'être un peu partisane, mais il reste que vous admettrez quand même que le programme de perfectionnement des maîtres de français, de même que l'ajout au service pédagogique des commissions scolaires ou des écoles d'animateurs de pédagogie en français sont quand même des initiatives qui ont été prises par le gouvernement précédent et qui, je pense, indique le souci que d'autres gouvernements ont eu aussi, peut-être grâce aux pressions que vous avez mises sur eux et que d'autres ont mises sur eux, mais quand même, ils ont répondu, dans une certaine

mesure et, je pense que ce que le présent gouvernement continue de mettre de l'avant, c'est le prolongement de ce qui est déjà en place et j'imagine qu'avec le temps ce sera modifié selon les besoins, cela est normal dans une évolution.

De toute façon, je vous remercie encore une fois et je pense que vos recommandations sont intéressantes en regard aussi de la politique du livre que j'ai eu l'occasion de discuter à l'étude des crédits du ministère des Affaires culturelles. J'y ajouterais une autre préoccupation dont j'ai parlé au début des crédits du ministère de l'Education, c'est la question d'examen de nos bibliothèques scolaires, CEGEP, etc., qui, je pense, auraient probablement besoin de renouveau et de mise à jour constante et appropriée aux besoins des étudiants. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Cardinal): Mme le député de L'Acadie, c'est moi qui vous remercie. J'avertis immédiatement les membres de la commission que j'ajournerai à 23 heures sine die.

Or, M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Je voudrais, avant de débuter, remercier le député de L'Acadie qui, par la brièveté de sa présentation me permet de faire quelques remarques, parce que je pense qu'effectivement elle avait commencé à 22 h 50...

Mme Lavoie-Roux: Cela me fait plaisir, M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: Merci. En fait, je ne voudrais pas répéter ce que le ministre et Mme le député ont indiqué, mais il y a une chose sur laquelle je voudrais m'attarder. C'est à la page 8 et à d'autres endroits dans le mémoire. Vous indiquez, à un moment donné, la phrase suivante ou du moins un bout de phrase, parce que cela commence un peu avant "...le Québec a toujours été depuis l'Acte de Québec un territoire français et les habitants de ce territoire auraient dû tous savoir la langue de notre peuple et communiquer dans la langue commune". La remarque que je voulais faire, c'est qu'en lisant cette phrase ou ce bout de phrase, j'ai l'impression que cela témoigne d'une partie de l'ambiguïté qui réside actuellement dans le préambule de la loi. A ce sujet-là, j'aimerais peut-être préciser certains concepts qui, je pense, sont fondamentaux dans une discussion comme celle sur...

Une Voix: ...

M. Charbonneau: Oui, je pense. Vous savez, à 10 h 55...

De toute façon, je pense que ces concepts sont importants, parce qu'ils sont à la base même d'une bonne partie de l'argumentation qu'on peut faire et de la légimité, éventuellement, de la présentation d'une telle loi. Il y a deux notions fondamentales lorsqu'on discute d'une Charte de la langue française au Québec, ce sont des concepts de nation et de peuple.

Me référant à l'étude du professeur, Jacques Brassard, de l'Université de Montréal, je trouve ici, par exemple, que la notion de nation a deux définitions et que la notion de peuple a également deux définitions. Pour certains, la notion de nation trouve son origine dans un sens historique et sociologique et indique, en fait, une communauté humaine le plus souvent installée sur un même territoire et qui, du fait d'une certaine unité historique, linguistique, religieuse ou même économique, est animée d'un vouloir vivre commun. Il y a une autre définition du terme "nation"; cette seconde définition dérive du droit positif vraisemblablement sous l'influence de la pensée anglo-saxonne et qui désigne la nation comme étant une organisation politique qui peut coïncider ou non avec cette communauté.

Un peu plus loin, dans l'étude du professeur Brossard, on trouve également une définition du terme "peuple" qui indique que le mot "peuple" apparaît indiquer que les facultés juridiques ainsi prévues pourront être exercées collectivement par un groupe quelconque de ressortissants étatiques. En fait, ce qu'il semble dire, c'est que la notion de peuple regroupe finalement une notion étatique oui finalement, des gens qui habitent sur un même territoire. Il préfère utiliser le terme "nation" dans son sens premier, qui a un sens sociologique et historique. C'est dans ce sens que nous avons voulu également utiliser le terme "peuple" dans le préambule de la loi. A un moment donné également, dans l'étude du professeur Brossard, on peut trouver une analyse de ce qu'est la notion de peuple québécois et de nation québécoise. On y dit, à un moment donné: Un nombre considérable de Canadiens français au Québec se conçoivent de plus en plus à la fois comme une société distincte, comme une nation originale. C'est dans ce sens que beaucoup de Québécois considèrent que la nation québécoise, finalement, c'est, pour eux, les Canadiens français du Québec ou les francophones du Québec.

Le problème, c'est que tant que certaines ambiguïtés politiques ou certaines structures politiques n'auront pas été précisées, je pense qu'il serait important dans ce genre de discussion que l'on a actuellement autour de la nation, du peuple québécois, de son avenir collectif et de la légitimité, à ce moment de l'histoire du Québec, d'adopter une telle loi, de bien utiliser les termes, parce qu'il y a eu plusieurs mémoires, plusieurs groupes qui sont venus devant nous qui ont, effectivement, noté cette ambiguïté ou, du moins, ont semblé ne pas comprendre la façon dont on utilisait le mot "Québécois" et le terme "peuple québécois".

M. Vandendorpe: Oui, je crois que vous faites allusion au mémoire de M. Gaston Laurion.

M. Charbonneau: Pardon?

M. Vandendorpe: Je crois que vous faites allusion au mémoire de M. Gaston Laurion...

M. Charbonneau: En fait...

M. Vandendorpe: ... qui est d'ailleurs l'ancien président...

M. Charbonneau: ... plusieurs mémoires, surtout de groupes ethniques ou de groupes anglophones nous reprochaient cette ambiguïté. Nous, on dit que s'il existe une nation québécoise dérivée de la nation canadienne-française et qui regroupe des Québécois francophones, on considère qu'il est légitime, parce que cette nation canadienne-française ou franco-québécoise est à 85% regroupée au Québec, que le peuple québécois soit imprégné des caractéristiques nationales de cette nation.

M. Vandendorpe: Oui, on en est bien conscient à l'AQPF et, pour répondre à l'intervention de Mme le député de L'Acadie de tout à l'heure, il est certain que les gouvernements précédents ont entrepris, depuis déjà quand même plusieurs années et sur les recommandations de l'AQPF, un train de mesures visant à améliorer la qualité de l'enseignement du français au Québec. Ces trains de mesures sont notamment l'opération de précision des programmes, qui est actuellement en cours, et le perfectionnement des maîtres.

Maintenant, il y a un élément qui apparaît dans le mémoire de la CEQ et auquel il faudrait que le ministre de l'Education accorde une assez grande attention, c'est la question de la tâche des enseignants de français. Nous ne l'avons pas développé dans notre mémoire, parce que cela a plutôt des implications syndicales, mais, en prenant connaissance du chapitre rédigé par la CEQ sur cette question, nous ne pouvons que marquer, devant la commission, notre parfait accord avec la CEQ sur cette question-là. Il faudrait alléger la tâche des enseignants de français pour leur permettre de travailler davantage à la correction de l'écrit.

Si on veut que les élèves apprennent à écrire à l'école, il faut qu'on les fasse écrire. Je crois que tout le monde reconnaîtra la banalité ou l'évidence de ce propos. Si on les fait écrire, il faut laisser à l'enseignant le temps de corriger les épreuves, et si vous étiez dans une classe, à l'élémentaire, au secondaire et, particulièrement au collégial, vous hésiteriez sans doute beaucoup avant de demander à vos élèves de vous rédiger un texte de une, deux, trois ou dix pages. Quand on a 120 étudiants au niveau collégial ou 300, ça devient vraiment une tâche absolument intolérable.

Il y a un autre aspect qu'il faudrait ajouter et que l'on ne peut absolument pas minimiser, c'est l'aspect du règlement politique de la question du français au Québec. Mme le député de L'Acadie nous trouve pessimistes quand on affirme qu'en 1968, en 1970, nous pouvions parler de l'impossibilité presque totale d'enseigner le français au Québec.

Ce n'est pas un excès de langage. Qu'elle nous croit bien. Ce n'était pas un excès de langage.

Vous avez appris à parler et à écrire le français à une autre époque. En 1970, il était pratiquement impossible d'enseigner le français au Québec, et particulièrement à Montréal, et je crois que la position qui est amorcée par ce gouvernement de donner au français sa véritable place au Québec est un préalable extrêmement important et fondamental pour faciliter et permettre la tâche des enseignants du français.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. Vous avez l'horloge derrière vous, évidemment. Il est 23 heures. Je suis obligé de demander le consentement pour continuer.

Une Voix: Quelques minutes, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Je demande le consentement.

Mme Lavoie-Roux: Ce serait le temps de prendre ma revanche!

M. Paquette: Faites attention. On voulait abolir l'Opposition, sauf vous.

Le Président (M. Cardinal): Très sérieusement. Il est 23 heures passé. Je dois avoir un consentement unanime.

Mme Lavoie-Roux: Je voudrais que ces messieurs terminent leurs interventions, mais qu'il n'y en ait pas d'autres du côté ministériel. D'accord?

Le Président (M. Cardinal): Ce n'est pas un consentement.

Mme Lavoie-Roux: Non?

Le Président (M. Cardinal): Non.

Mme Lavoie-Roux: D'accord...

Le Président (M. Cardinal): Ce que je désirerais, je vais vous le dire précisément. Si on me dit qu'on consent pour cinq minutes ou pour sept minutes ou pour dix minutes, je vais l'accepter.

Mme Lavoie-Roux: Alors, dix minutes. M. Bisaillon: M. le Président... Mme Lavoie-Roux: Cinq minutes.

Le Président (M. Cardinal): Un instant. Oui, M. le député de Sainte-Marie.

M. Bisaillon: Sur cette question, j'ai remarqué tantôt que M. Laverdière, je crois, avait levé la main pour ajouter quelque chose. A ce moment, je consentirais, mais, si c'est pour permettre d'autres interventions, d'autres questions de la part des membres de la commission parlementaire, je ne donne pas mon consentement.

J'accorderai du temps pour permettre à M. Laverdière de...

Mme Lavoie-Roux: Alors, disons dix minutes.

Le Président (M. Cardinal): II est 23 h 1. Puis-je avoir un consentement pour continuer jusqu'à 23 h 10, quelles que soient les modalités de l'emploi du temps?

Mme Lavoie-Roux: Dix minutes?

Le Président (M. Cardinal): C'est neuf minutes. D'accord? Vous pouvez continuer. A 23 h 10, je devrai me lever et tout sera terminé.

M. Laverdière: On n'a pas daigné vous interrompre tantôt, Mme Lavoie-Roux. Maintenant, j'aimerais intervenir en termes d'expériences très pratiques que j'ai de l'enseignement pour avoir enseigné depuis sept ans au secondaire et vous expliquer ce qu'on entend par préalable politique quand on voit notre tâche d'enseignant du français.

L'école, par définition, n'est pas un milieu fermé et les étudiants, je fais cette liaison-là avec la citation qu'on donnait du Frère Untel, les étudiants au sortir d'une classe ou de l'école, sont dans un milieu, lequel milieu, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas à l'heure actuelle, au niveau du monde de la publicité, au niveau des communications, laisse place énormément à l'an-glicisation, peut-être pas en termes d'apprentissage de la langue anglaise, mais en termes de modèles qui leur sont présentés et qui sont souvent des structures anglaises, parce qu'au Québec il n'y a pas de législation à l'heure actuelle, précise sur cela. Qu'on pense en termes d'affichage publicitaire, par exemple, où on n'a qu'à se promener sur le boulevard Sainte-Anne ou à Montréal... On n'a qu'à aller à Montréal pour voir comment la situation est dégradée.

Ce n'est pas sans raison qu'on a signalé qu'en termes de prise de position politique l'île de Montréal représentait pour nous un problème majeur et c'est là que la situation linguistique au Québec se jouait, parce que l'école, il faut le voir, n'est pas un milieu fermé et que les étudiants au sortir ont à travailler avec la réalité pédagogique qu'est le milieu social dans lequel ils vivent, qu'est le milieu familial dans lequel ils vivent. C'est dans ce sens-là qu'au Québec... Ce n'est pas nouveau qu'on puisse le dire en tant qu'association. Depuis dix ans, de par le livre noir qu'on a publié en 1970, on l'affirmait. On n'a pas été écouté à bon droit, on a été mis au ban et c'est un fait. Malgré tout, on n'a pas démissionné, les professeurs de français ont continué, par leur association, à animer les professeurs de français pour que le plus possible il y ait un enseignement de qualité qui se donne en français au Québec.

Mais, on a toujours maintenu cette question-là, ce fondament-là de préalable politique parce que le milieu ambiant est défavorable à un enseignement réel et efficace du français au Québec. En plus, parlons à l'intérieur des classes et c'est lié à la politique, le français, depuis quelques années est devenu une matière parmi tant d'autres. Même au niveau CEGEP, par exemple, depuis quelques années on cherche même à négocier des cours de français, donc à les enlever d'un programme normal qu'un étudiant doit suivre pour les remplacer par certains cours qu'on dit plus utilitaires.

C'est un problème politique, pédagogique, c'est aussi un problème politique. Les étudiants vivent ce problème. Au secondaire, ils en sont conscients, on lutte continuellement pour affirmer que le français doit être une situation normale d'enseignement, comme on lutte aussi face aux professeurs qui enseignent d'autres matières qui sont au niveau secondaire maintenant très spécialisées, malheureusement, pour qu'il y ait un enseignement de qualité qui se donne dans ces matières.

C'est dans ce sens que le préalable politique et pédagogique est important; nous faire nier ça, nous faire oublier ça, pour nous, ça deviendrait une situation complètement suicidaire. Je vous dis que mon intervention vient en termes d'expérience d'enseignant et je ne suis pas le seul, on le multiplie à 1000, 2000 ou 3000 exemplaires, ce témoignage que je vous donne ce soir. Aussi, en termes de perfectionnement, je termine par ça, c'est vrai qu'il y a eu des conseillers pédagogiques, le nombre de conseillers pédagogiques a augmenté. Rappelez-vous que, dans le mémoire de l'AQPF, lors de la première négociation collective, mémoire qu'elle déposait au Conseil supérieur de l'éducation en 1972, on demandait au moins un conseiller pédagogique par grande régionale au Québec.

A l'époque, il y avait, madame, 12 conseillers pédagogiques; en 1974, six ans après le lancement du programme-cadre il y avait 12 conseillers, on les appelait les commis voyageurs, les conseillers pédagogiques. On a voulu régler cette situation ou annoncer au gouvernement qu'il fallait agir, pour que ces conseillers soient réellement des animateurs de français dans le milieu, chose que, malheureusement, ils n'ont jamais été. Ils n'ont été bien souvent que des administrateurs délégués, qui n'animaient absolument pas l'enseignement du français. C'est par une association comme la nôtre, avec des faibles moyens, qu'on a réussi, à l'intérieur de colloques ou de congrès qui réunissaient 650, parfois 700 professeurs de français, à s'interroger, par exemple, sur les apprentissages, l'enseignement de l'oral, l'enseignement de l'écrit, l'enseignement de la littérature.

Mais il n'y a rien de réglé à l'heure actuelle, malgré les petits efforts qui ont été faits par le passé.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Bourassa. Il ne reste que deux minutes, trente secondes.

M. Laplante: Juste trente secondes et cela s'adresse, pour une fois, la veille de la Saint-Jean Baptiste. Il s'agit de félicitations. Je voudrais profiter d'une dernière intervention pour féliciter le député de L'Acadie. Je reconnais en elle une fois de plus son endurance au travail, car toute seule présente sur les huit membres de l'Opposition, vous avez su très bien employer votre temps.

Mme Lavoie-Roux: Ce qui compte, c'est la qualité, M. le député de Bourassa.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le député de Taschereau.

M. Guay: M. le Président, je m'en voudrais de ne pas terminer cette soirée par une motion, qui se li rait ainsi et qui serait adoptée sans débat: "Qu'au moment où nous sommes sur le point d'ajourner nos travaux pour célébrer le 24 juin, cette commission qui a pour but d'entendre les Québécois s'exprimer sur le projet de Charte de la langue française, souhaite au Québec une fête nationale placée sous le signe de la joie, de la fierté, de la dignité et de la confiance dans l'avenir".

Le Président (M. Cardinal): A deux minutes de la fin, je n'ai pas besoin de relire la motion pour prendre du temps. Je pense que j'ai un consentement unanime. La motion est adoptée.

M. le député de Vanier, vous avez deux minutes.

M. Bertrand: M. le Président, très brièvement. Est-ce que, même si ce n'est pas inscrit dans notre livre de règlement, la présidence nous donnerait la permission, en cette vigile de la Saint-Jean-Baptiste, d'embrasser l'Opposition?

Mme Lavoie-Roux: Cela commence à être dangereux. M. le Président, je voulais vous dire que tout à l'heure ce n'était pas un précédent, la motion.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. Le président étant tout à fait neutre, i I se permettra de le faire.

Sur ce, si vous permettez, le délai est expiré. Messieurs, je vous remercie de votre collaboration, au nom de toute la commission. Vous avez été patients, comme nous le sommes d'ailleurs. En cette vigile de ia Saint-Jean, je déclare, à 23 h 10, que les travaux de cette commission sont ajournés sine die.

(Fin de la séance à 23 h 10)

ANNEXE 1

BARREAU DU QUÉBEC

MÉMOIRE

ALA

COMMISSION PARLEMENTAIRE DE L'ÉDUCATION, DES AFFAIRES CULTURELLES ET DES COMMUNICATIONS

SUR

LA CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE AU QUÉBEC (Projet de Loi No 1)

Juin 1977

I INTRODUCTION

Le Barreau du Québec tient tout d'abord à souligner son accord de principe aux objectifs généraux visés par la Charte de la langue française au Québec.

Nous interprétons le but visé par la loi comme étant celui d'assurer que tout citoyen du Québec puisse vivre en français, dans toute la plénitude du mot vivre, qu'il s'agisse de son travail, de ses communications ou de ses loisirs.

D'autre part, le Barreau du Québec n'entend pas traiter dans le présent mémoire de la portée et des effets des dispositions du projet de loi numéro 1 concernant la langue de l'administration, la langue de l'enseignement ou la langue des services ou entreprises, mais se limitera à étudier les dispositions relatives à la langue de la justice ainsi qu'à celles susceptibles d'affecter les droits et libertés des personnes.

Il

RECOMMANDATIONS DU BARREAU Peuple québécois

Nous croyons essentiel que le législateur précise la définition du mot "québécois" partout où il se retrouve dans la loi. Tel que le projet est rédigé, en effet, il semble y avoir contradiction dans le sens à donner au mot "québécois" selon les endroits où il se retrouve. C'est ainsi, par exemple, qu'il est évident que le mot "québécois", dans le préambule du projet de loi, ainsi qu'à l'article 6, s'applique à la

totalité des citoyens du Québec, quelle que soit leur origine linguistique. D'autre part, il nous paraît également évident qu'à l'article 112 b), dans le contexte particulier de cet article, le mot "québécois" ne réfère alors qu'aux francophones.

Nous suggérons donc au législateur de préciser, partout dans la loi, le sens à donner au mot "québécois" au moyen de qualificatifs partout où cela peut s'avérer nécessaire comme, tel que mentionné, à l'article 112 b).

La langue de la justice

Nous n'avons pas l'intention d'entrer dans le débat constitutionnel concernant les articles 11, 12 et 13 en regard de l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Nous sommes conscients qu'il existe deux thèses à ce sujet. Nous soulignons, cependant, que, dans notre opinion, les modifications que nous suggérons auraient certainement pour effet d'enlever tout doute quant à la constitution-nalité desdits articles.

Article 11 "Les personnes morales s'adressent dans la langue officielle aux tribunaux et aux organismes exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires; elles plaident devant eux dans la langue officielle, à moins que toutes les parties à l'instance ne consentent à plaider en langue anglaise".

Le Barreau du Québec recommande la suppression totale de cet article 11 avec lequel nous sommes en désaccord complet. Plusieurs raisons motivent notre recommandation à ce sujet.

Disons tout d'abord que les personnes morales, nécessairement, s'adressent toujours aux tribunaux et plaident toujours devant eux par l'intermédiaire d'avocats, sauf évidemment devant la Cour des petites créances. L'avocat, par définition, au Québec, devra toujours être bilingue, à tout le moins au niveau de la compréhension des textes et de la langue de l'interlocuteur, puisque nous vivons dans un système de droit mixte qui tient ses origines à la fois du droit français et du Common Law. La compréhension des textes de loi, de la doctrine et de la jurisprudence, au Québec, exigera donc toujours le bilinguisme à un degré suffisamment élevé.

Ceci étant dit, nous devons également considérer que les personnes morales, de plus en plus en vertu des nouvelles lois, sont formées d'un seul individu qui peut être soit francophone, soit anglophone. La définition de personne morale, en effet, s'applique tant aux corporations publiques qu'aux corporations privées et mêmes individuelles. A ce titre, la personne morale, qui a une entité juridique propre, peut fort bien être, dans les faits, un individu de langue anglaise. Au départ, nous disons donc que si l'individu ou le citoyen de langue anglaise peut conserver le droit d'utiliser sa langue devant les tribunaux, ne devrait-il pas en être de même de la corporation qu'il constitue?

Mais, ce qui nous paraît le plus important est que le droit est une science ou un art extrêmement précis dont l'application, cependant, est extrêmement nuancée et nécessite dans ses énoncés, une maîtrise absolue de la langue dans laquelle il est énoncé. Il est évidemment beaucoup plus facile d'exprimer les nuances et les subtilités dans la langue même de l'individu qui s'exprime que dans une langue seconde, quel que soit son degré de bilinguisme.

Si le bilinguisme des avocats par la voie desquels les personnes morales doivent plaider et s'adresser aux tribunaux, est tel qu'il permet à chacun de comprendre les allégués et arguments de l'autre partie, quelle que soit la langue utilisée par celle-ci, il n'en est pas nécessairement de même lorsqu'il s'agit d'exprimer sa propre pensée.

Le rôle essentiel de l'avocat étant d'être le porte-parole de son client et de représenter les intérêts de celui-ci, le Barreau croit que l'avocat devrait conserver le droit d'utiliser la langue au moyen de laquelle il pourra le mieux représenter les intérêts de ce client. La partie adverse, quelle qu'elle soit, n'en subirait aucun préjudice puisqu'elle-même est représentée par un avocat suffisamment bilingue pour comprendre les allégués et arguments de son adversaire.

Nous reconnaissons, d'autre part, que le législateur a ajouté à cet article 11 une modification qui n'existait pas dans le Livreblanc. Cette modification, cependant, nous paraît illusoire en pratique. En effet, tel que l'article 11 est actuellement rédigé, les plaidoiries en anglais ne pourraient avoir lieu qu'en autant que toutes les parties à l'instance consentent à plaider en langue anglaise. L'une ou l'autre des parties serait alors susceptible de subir un préjudice; soit que le consentement ne soit pas donné et que les deux soient obligés de plaider en français, soit qu'un consentement soit donné et que l'avocat de langue française doive alors plaider en anglais.

Enfin, une dernière remarque s'impose au sujet de cet article. Nous n'en voyons en effet nullement l'utilité ni la nécessité en regard des objectifs généraux visés par le projet de loi numéro 1, compte tenu de la situation actuelle. Le bilinguisme nécessaire des avocats existe à un degré suffisant pour qu'aucune des parties ne soit pénalisée par le fait que l'une plaide en langue anglaise pendant que l'autre plaide en langue française et vice-versa. Si toutes les parties, d'une part, sont représentées par des avocats de langue anglaise, nous en concluons que cet article n'a aucune nécessité puisque, tel que rédigé, il ne vise pas à interdire l'usage de la langue anglaise au niveau des plaidoiries, même lorsqu'il s'agit de personnes morales.

Dans les circonstances, le Barreau du Québec recommande la suppression pure et simple de l'article 11 ; ce qui peut se faire sans affecter en aucune façon les buts visés par la loi.

Article 12 "Tout intéressé a droit que soient rédigées en français les citations, sommations, mises en demeure et assignations décernées par les tribunaux et les organismes exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires ou expédiées par les avocats exerçant devant eux".

Le Barreau du Québec accepte le principe de l'article 12, tel que rédigé.

Nous croyons, en effet, que si le français est la langue officielle, il est certainement normal que tout citoyen québécois puisse exiger que les procédures qui lui sont signifiées soient rédigées en français.

L'application de ce principe, cependant, nous pose des points d'interrogation. Il n'interdit pas, en effet, la rédaction de telles procédures en anglais. En d'autres mots, il n'impose pas une obligation de rédiger les procédures en français mais confère un droit à celui qui les reçoit, ce avec quoi nous sommes d'accord. par qui ce droit pourra-t-il être exercé?

L'article 12 parle de "tout intéressé" sans définir cependant "l'intéressé". Nous croyons que cette expression devrait être clarifiée et remplacée par les mots "toute partie qui les reçoit", comment s'exercera ce droit?

Le projet de loi est en effet silencieux à ce sujet. Doit-on prévoir que le Code de procédure civile soit modifié pour déterminer la nature du geste ou de la procédure que cet "intéressé" devra ou pourra poser pour manifester son intention d'exiger que les procédures qu'il reçoit soient rédigées en français? Est-ce que ce sera par courrier ou par procédure? La méthode la plus rapide serait évidemment la conversation téléphonique mais elle serait susceptible d'entraîner des difficultés de preuve éventuellement.

Quels seront les effets de l'exercice de ce droit?

S'il était normal de prévoir que les délais sont suspendus pour répondre à ces procédures jusqu'à ce que des procédures rédigées en français aient été adressées ou signifiées à la personne "intéressée", nous devrions nous objecter cependant à ce que le défaut d'adresser ou de signifier des procédures rédigées en français entraîne la nullité de toute procédure. Dans un tel cas, en effet, des droits pourraient être irrémédiablement perdus pour le client pour cause de prescription ou autrement, sans que ce client en soit lui-même responsable. Il peut arriver, en effet, que des procédures doivent être rédigées à la dernière minute pour préserver des droits, et exiger une précision absolue dans les termes, de sorte qu'un avocat de langue anglaise, faute de temps ou pour toute autre cause pourrait rédiger ses procédures de dernière minute en anglais. Son client, qu'il soit un individu de langue anglaise ou de langue française, ou une corporation, ne devrait pas en être pénalisé.

Ce sont les quelques mises en garde que nous désirions faire au sujet de l'article 12. Article 13 "Les jugements rendus au Québec par les tribunaux et les organismes exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires doivent être rédigés en français ou être accompagnés d'une version française dûment authentifiée. Seule la version française du jugement est officielle".

Nous sommes heureux de constater que le législateur a clarifié cette disposition de sorte qu'il est maintenant clair que le jugement peut être rédigé en langue anglaise. Nous sommes d'accord, dans un tel cas, avec l'exigence qu'il soit accompagné d'une version française dûment authentifiée.

Nous ne pouvons pas être d'accord, cependant, avec la précision à l'effet que seule la version française du jugement soit officielle. D'une part l'article 13 ne dit pas qui doit authentifier la version française. D'autre part, si le juge qui a rendu le jugement doit le faire, comment peut-il être convaincu que la traduction est exacte, comment peut-il la corriger si, au départ, il considérait que sa maîtrise de la langue française était insuffisante pour lui permettre de rendre son jugement directement en français?

Enfin, nous sommes tous suffisamment au courant des erreurs inévitables dans les traductions, par notre expérience personnelle en quelque domaine que ce soit, pour pouvoir conclure qu'il peut arriver, à l'occasion, que les versions françaises ne coïncident pas avec la version originale. Les droits des parties pourraient alors en être affectés, dans un sens ou dans l'autre.

Nous suggérons que l'article 13 précise plutôt que: "Les deux versions du jugement sont officielles et, en cas de divergence, la version originale prévaut, quelle que soit la langue de cette version".

Article 35, paragraphe 1 "Lors de l'arbitrage d'un grief ou d'un différend relatif à la négociation, au renouvellement ou à la révision d'une convention collective, la sentence arbitrale doit être rédigée en français ou être accompagnée d'une version française dûment authentifiée. Seule la version française de la sentence est officielle".

L'article 35 du projet de loi devrait également être modifié pour concorder avec les suggestions qui précèdent relativement à l'article 13. Une sentence arbitrale, comme tout autre jugement rendu au Québec, devrait être rédigée en français ou être accompagnée d'une version française dûment authentifiée. Dans le cas d'ambiguité quant à l'interprétation de la sentence, la version originale devrait primer.

Dispositions générales

Trois articles de portée générale dans des domaines qui ont toujours préoccupé le Barreau du Québec retiennent également notre attention dans ce projet de loi.

Article 65, 1er paragraphe "Les projets de règlement du gouvernement et de l'Office de la langue française relatifs à la présente loi ne peuvent être adoptés que moyennant un préavis de soixante jours publié dans la Gazette officielle du Québec et en reproduisant le texte."

Nous ne pouvons que féliciter le législateur qui impose au gouvernement et à l'Office de la langue française l'obligation de prépublier dans la Gazette officielle du Québec tout projet de règlement relatif à la présente loi. Cette prépublication permettra en effet aux intéressés de faire connaître leur point de vue avant l'adoption d'un règlement définitif. Le Barreau du Québec demande, depuis des années, qu'une telle règle soit généralisée à tout projet de règlement et nous sommes heureux de constater que cette recommandation est suivie ici.

Vu l'importance de cette législation fondamentale, ces projets de règlement devraient également être soumis à l'étude de la commission parlementaire.

Article 111,1er paragraphe "L'Office peut exiger de toute entreprise de moins de cinquante salariés qu'elle procède à l'élaboration et à l'implantation d'un programme de francisation".

Si nous n'avons aucune objection à rencontre du principe de cet article, nous ne pouvons que nous inquiéter des pouvoirs discrétionnaires qu'il semble laisser à l'Office. Tel que rédigé, cet article pourrait ouvrir la porte à des décisions arbitraires et nous paraît extrêmement dangereux.

Nous recommandons donc au législateur d'incorporer dans l'article 111 le pouvoir de règlementation prévu par l'article 109 de façon à ce que les critères permettant à l'Office d'exiger l'élaboration et l'implantation d'un programme de francisation d'une entreprise de moins de cinquante salariés, de même que les conditions d'une telle décision de l'Office, soient prévus par règlement du gouvernement.

Article 172

Nous avons objections aux dispositions de l'article 172 qui ont pour effet de modifier l'article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne.

En effet, nous devons réitérer ici, les objections que nous avions faites en 1975 à la restriction qui paraissait déjà dans l'article 52 et qui prévoyait déjà que la Charte pourrait, à l'occasion, ne pas s'appliquer à l'encontre d'une loi postérieure. Si la Charte des droits et libertés de la personne doit avoir une signification réelle, nous ne pouvons concevoir qu'on puisse en suspendre l'application. La Charte consacre et reconnaît des droits fondamentaux. Il nous semble que ces droits, s'ils sont effectivement des droits fondamentaux, devraient être nécessairement respectés dans toute loi postérieure.

Nous avons déjà signifié notre approbation aux objectifs généraux visés par le présent projet de loi. Il se peut que certaines dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne contredisent ces objectifs. Nous suggérerions alors que la Charte des droits et libertés de la personne soit modifiée, si nécessaire, pour la faire concorder avec le but recherché dans la loi numéro 1.

Appel

Enfin, compte tenu de tous les pouvoirs conférés par la présente loi, entre autres à l'Office, le Barreau recommande la création d'un tribunal d'appel, composé de juges et qui serait investi d'un pouvoir de révision et de cassation. Ce droit d'appel nous semble essentiel à la protection des citoyens, vu les nombreuses décisions lourdes de conséquences qui peuvent être rendues sur un plan administratif en vertu de plusieurs dispositions du projet de loi.

III CONCLUSION

Tout en réitérant à nouveau son approbation de principe aux objectifs visés par le projet de loi numéro 1, le Barreau du Québec présente au gouvernement les recommandations suivantes: définir et qualifier dans la loi le sens du mot "québécois" partout où il s'y retrouve; supprimer purement et simplement l'article 11 ou le modifier de façon à ce que les personnes morales puissent s'adresser aux tribunaux,et plaider devant eux, dans l'une ou l'autre langue, selon leur faculté, par la voie de leur procureur; si l'article 12 devait être modifié pour remplacer le mot "intéressé" par les mots "partie à qui elles sont signifiées", en suspendre l'application jusqu'à ce que les dispositions législatives appropriées aient également été adoptées pour prévoir la façon dont cette partie peut exercer son droit et les effets des procédures retenues à cette fin; modifier l'article 13 afin que, tant la version originale anglaise que la version française soient considérées comme officielles et qu'en cas de conflit entre les deux versions, la version originale prévale; faire la concordance à l'article 35 avec la recommandation qui précède quant à l'article 13; prévoir, à l'article 111, que les pouvoirs qui sont conférés à l'Office s'exerceront en vertu de critères et de conditions déterminés par règlement du gouvernement; abroger l'article 172 du projet de loi numéro 1 et modifier, le cas échéant, entre autres, les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne pour qu'elle concorde avec les objectifs visés par la présente Charte.

LE BARREAU DU QUÉBEC Juin 1977.

A N N EX E 2

FÉDÉRATION DES GROUPES ETHNIQUES DU QUÉBEC, INC.

MÉMOIRE

PRÉSENTÉ A LA COMMISSION PARLEMENTAIRE

CHARGÉE D'ÉTUDIER LE PROJET DE LOI NO. I INTITULÉ:

CHARTE DE LA LANGUE FRANÇAISE AU QUÉBEC.

JUIN 1977 PRÉAMBULE

Toutes les lois, par leur nature, se composent de deux éléments: a) l'intention du législateur, b) l'expression de cette intention sous forme écrite et ordonnée.

Le premier élément est forcément d'une importance supérieure, car il formule le cadre et l'esprit de la loi, alors que le deuxième élément joue seulement un rôle méthodique et technique.

Dans cette optique, nous acceptons, en principe, le but visé par le Projet de Loi no. I, qui veut protéger la langue française dans la Province de Québec, mais nous ne pouvons pas admettre toutes les méthodes préconisées dont certaines portent atteinte aux bases de démocratie, de liberté et d'égalité de tous les citoyens devant la loi.

Nos objections touchent trois domaines principaux: 1.- les points qui se rapportent au troisième alinéa du Préambule; 2.- les articles 11, 60 et 61 du Projet de Loi en question; 3.- le côté procédural et moral ainsi que celui de la légalité.

Point 1.- Le troisième alinéa du Préambule stipule: "L'assemblée Nationale entend poursuivre cet objectif dans un climat de justice et d'ouverture à l'égard des minorités qui participent au développement du Québec."

Or, le fait de désigner les citoyens en "majorité" et en "minorités" est discriminatoire dans sa conception même, car il est contraire au principe fondamental de l'égalité des citoyens. Il n'y a pas et il ne peut pas y avoir des catégories de citoyens dans un pays démocratique et civilisé.

A ce propos, nous demandons qu'un article soit ajouté à ce Projet de Loi pour définir le terme de "Québécois" qui est utilisé à maintes reprises dans ce texte législatif.

Nous considérons qu'à défaut d'une définition claire et précise de ce terme, certaines dispositions de la loi en question risqueraient d'être mal interprétées.

D'ores et déjà cette lacune a créé une atmosphère de méfiance, d'appréhension et, parfois, d'animosité chez certains citoyens concernés par la loi. Et ce n'est pas sans raison que certains se montrent réticents.

Pour dissiper toute confusion possible et pour éviter tout abus éventuel, nous recommandons l'adoption de la définition de "Québécois" que l'honorable René Lévesque, notre Premier Ministre, formulait récemment dans son discours au Colloque "Québec - Immigration - Communautés Ethniques" des 4 - 5 juin 1977 et qui se lit comme suit: "Les Québécois sont tous ceux et toutes celles qui vivent au Québec, qui y gagnent leur vie, qui ont ou qui sont en instance d' obtenir le droit de vote". Cf. Le Devoir du 6 juin 1977.

Point 2.- Les articles 11, 60 et 61 du Projet de Loi no. 1 sont en contradiction avec les articles 46 et 133 de l'A.A.N.B., loi qui revêt un caractère constitutionnel donc prioritaire.

Nous considérons que tous les gouvernants ainsi que tous les gouvernés sont obligés de s'y conformer sans aucune exception.

Point 3.- Nous contestons l'article 172 qui se lit comme suit: "L'article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne (1975, chapitre 6) est modifié par l'addition à la fin, après le mot "Charte", des mots "ou à moins qu'il ne s'agisse de la Charte de la langue française au Québec (1977, chapitre... insérer ici le numéro du chapitre du projet de loi no. 1).

Nous espérons que l'Assemblée Nationale jugera les priorités législatives selon leur importance morale et non selon des opportunités politiques.

Ces trois réserves préliminaires susmentionnées concernant l'intention du législateur risqueraient, si on n'en tenait pas compte, de provoquer l'inacceptabilité de nombreux articles du Projet de Loi no. 1.

Critiques et amendements

Aux fins pratiques, nous aimerions souligner quelques principes qui ont motivé nos commentaires et nos suggestions d'amendements. a)La Charte de la langue française serait beaucoup plus juste et beaucoup plus humaine si ses articles restrictifs étaient mis en application progressivement et dans des délais plus étendus qu'envisagés dans le texte actuel. Les dates finales pour compléter le processus de la francisation devraient coincïder avec les dates où les personnes de la langue maternelle non française sortiraient de l'école prémunies d'une connaissance satisfaisante de la langue officielle du Québec.

Un immigrant non-francophone de 40 ou 50 ans a encore 15 ou 25 ans de travail devant lui. Si son employeur devait compléter le programme de francisation dans un délai de 3 à 6 ans, cet immigrant serait probablement voué à un désastre pendant les dernières 10 à 20 années de son existence productive au Québec.

Il est certain que ceux qui seront le plus durement frappés seront les pauvres, les ouvriers non-qualifiés et les travailleurs moins éduqués.

Nous soulignons que ces personnes, futures victimes du changement précipité, n'ont aucune responsabilité pour une situation sociale qu'ils ont trouvée en arrivant au Québec — situation qui fut créée et tolérée par de nombreuses générations qui se sont succédé.

L'impatience et la précipitation qui veulent changer en 3 ou 6 ans non seulement les données linguistiques mais aussi les structures sociales deux fois séculaires, ne nous semblent ni prudentes ni justifiables. b) Nous croyons que le principe du bilinguisme devrait jouer un rôle plus important que celui prévu par le présent texte. Il devrait concerner plus de personnes, englober plus d'institutions surtout pendant les périodes transitoires plus raisonnables. c) Nous demandons que le droit de recours soit plus explicitement reconnu par le Projet de Loi no. 1, qui ne laisse entrevoir que de faibles possibilités d'un appel bien sporadique.

Il s'agit, dans notre esprit, d'un recours aux tribunaux compétents pour en appeler des mesures injustes ou des excès dans l'application de la loi à l'étude.

Nous passons maintenant à la partie critique de notre mémoire pour signaler les lacunes que nous avons pu relever dans le texte en première lecture et proposer des amendements à certains articles.

Art. 2.- Le droit de "...tout Québécois d'exiger que communiquent en français avec lui... les diverses entreprises exerçant au Québec", à notre avis, a- mettra en danger l'existence de nombreuses petites entreprises; b- privera, à la longue, la population francophone de certains services compétitifs.

Nous proposons que les petites entreprises soient exemptés de ces restrictions pour une période de transition d'une dizaine d'années.

Art. 5.- "Les consommateurs... ont le droit d'être... servis en français." Nous formulons les mêmes réserves que pour l'article 2.

Art. 7.- Nous demandons une période de transition plus étendue que celle prévue dans le Projet de Loi no. 1.

Articles 11, 12, 13.- La remarque formulée à l'article 7 est valable aussi pour ces trois articles. Articles 15, 17, 18.- Nous recommandons que le bilinguisme soit appliqué dans toutes les régions dont la population est majoritairement anglophone.

Articles 21, 22.- Nous formulons les mêmes remarques qu'aux articles 15, 17, 18. Art. 23.- Nous souhaitons une période de transition plus étendue. Art. 24.- "Seul le français peut être utilisé dans la signalisation routière."

Nous ne comprenons pas quels seraient les avantages qu'on pourrait escompter de cette restriction.

Un nationalisme muret conscient n'a pas besoin de ces mesures coercitives pour poursuivre et s'épanouir.

A notre avis, les signalisations routières devrainet être bilingues sur les routes internationales et interprovinciales. Il devrait en être de même dans les districts bilingues habités par un nombre considérable d'Anglophones.

Pour toutes ces raisons, nous recommandons l'élimination de cet article.

Articles 25 et 27.- L'intention de ces articles n'est pas clairement reflété par le texte qui nous paraît équivoque. Si l'intention est que "les services... et les ordres professionnels doivent offrir leurs services au public dans la langue officielle" et qu'ils doivent communiquer avec leurs membres ainsi qu'avec le public en français, sans vouloir exclure l'utilisation d'autres langues nous sommes d'accord. Mais si l'intention du législateur est d'exiger uniquement le français comme langue de communication, avec l'exclusion de toute autre langue, nous considérons cette stipulation comme une mesure coercitive et nous la contestons.

Nous recommandons le principe du bilinguisme dans ce secteur aussi.

Art. 32.— Nous sommes d'avis que le système des permis professionnels temporaires "d'au plus d'un an" ne donnent pas les résultats escomptés. Bien rares sont les personnes qui soient capables d'apprendre le français dans un délai d'un an; le problème du renouvellement des permis plonge dans l'incertitude tout candidat et ce harcellement crée une atmosphère d'anxiété et de crispation difficile à supporter.

Nous recommandons l'émission de permis temporaires de 3 à 5 ans, selon les besoins et les qualifications du candidat. On devrait obliger les candidats à passer des examens annuels, successifs et progressifs, sous peine de perdre le permis. On épargnerait ainsi aux candidats les troubles de l'anxiété et de l'incertitude, ce qui faciliterait, par voie de conséquence, leur adaptation et leur intégration dans la société québécoise.

Art. 37.— Nous proposons la suppression pure et simple de cet article.

Nous n'avons jamais connu de législation similaire dans aucun pays démocratique. Un tel article donnerait lieu à des chicanes sans fin et mettrait les entreprises à la merci de la bureaucratie souvent incompétente ou capricieuse.

Art. 41.— Nous acceptons cet article pour les communications écrites seulement. Nous demandons, en conséquence, que les mots "ou parlée" soient supprimés. Art. 43.— Cet article est probablement sans précédent dans les annales de la législation mondiale.

Les gens qui désirent acheter des jouets "anglais" auront un item de plus sur leurs listes d'achat en allant aux Etats-Unis.

Nous recommandons l'élimination de cet article.

Articles 44 et 45.— Nous formulons les mêmes réserves que pour les articles 25 et 27. Nous nous demandons s'il faut interpréter le texte comme "... en français" ou uniquement en français?

Si le législateur entend appliquer uniquement le français, nous demandons que les petites entreprises soient exemptées de cette restriction et qu'une période de transition plus étendue soit reconnue aux autres.

Art. 46.— Nous proposons que les messages, signes, panneaux, enseignes etc. soient répartis en deux catégories distinctes suivant leur caractère permanent ou provisoire.

Pour les messages temporaires ou provisoires, nous considérons que dans une métropole touristique et commerciale comme Montréal ainsi que dans d'autres villes québécoises importantes, l'usage de l'anglais est indispensable tout en reconnaissant au français sa prépondérance.

Pour ce qui est des enseignes, panneaux etc. à titre permanent, nous croyons qu'il faudrait prolonger le délai de transition au-delà des limites prévues par le Projet de loi no. 1 pour les grandes entreprises. Il faudrait aussi reconnaître que ces changements représentent un investissement considérable pour les petites et moyennes entreprises et que celles-ci n'ont souvent pas les moyens de faire face à ces obligations en un si court laps de temps.

Nous recommandons enfin sur ce chapitre que l'usage du français soit obligatoire pour tous genres de publicité.

Art. 48.— Nous souhaitons une période de transition plus étendue pour: a- les personnes morales à but non lucratif, b- les petites entreprises.

Art. 52.— Nous proposons les amendements suivants: a- "les enfants dont le père ou la mère a reçu, au Canada, l'enseignement primaire en anglais." b- que le mot "cadet" soit supprimé. c- qu'on ajoute: "les enfants, résidant avec leurs parents au Canada, qui ont complété au moins une année scolaire en anglais; les mêmes droits s'étendent à leurs frères et soeurs."

Art. 57.— Nous proposons de remplacer "du français" par "de la langue seconde" et l'article se lirait comme suit: "Aucun certificat de fin d'études secondaires ne peut être délivré à l'élève qui n'a de la langue seconde, parlée et écrite, la connaissance exigée par les programmes du ministère de l'éducation."

Art. 59.— Nous recommandons que les Amérindiens et les Inuits, à leur demande, puissent recevoir l'enseignement en anglais.

Art. 60.— Nous demandons que la Charte des droits et libertés de la personne (1975, loi no. 50) fasse exception aux dispositions de cet article.

Art. 61.— Nous demandons la suppression de cet article. Dans le cas contraire, nous recommandons que le bilinguisme soit appliqué dans toutes les régions dont la population est majoritairement anglophone.

Art. 63.— Nous recommandons d'ajouter à cet article "et interprovinciaux" et nous le lirions comme suit: "Rien n'empêche l'emploi d'une langue en dérogation avec la présente loi lorsque les usages internationaux et interprovinciaux le demandent."

Art. 69.— Nous proposons de corriger cet article comme suit: "Les membres du personnel de l'Office sont nommés d'après des critères qui assurent la représentation dans cet Office de toutes les couches sociales du Québec et non pas seulement des Canadiens français. Ces membres sont rémunérés suivant la loi de la fonction publique (1965, 1ère session, chapitre 14). Art. 75.— Nous demandons un mécanisme d'appel pour les items g et h de cet article. Les litiges éventuels devraient être tranchés par les tribunaux compétents et non pas par les fonctionnaires de l'office.

Art. 95.— Nous recommandons une période de transition plus étendue surtout pour les petites entreprises. Le délai de dix ans (1983) accordé par le Projet de Loi no. 1 est vraiment insuffisant.

Art. 99.- Nous demandons que soit reconnu un droit d'appel à ceux qui tomberaient sous le coup de cet article pour éviter des abus de pouvoir éventuels et des mesures arbitraires. Art. 112.- Nous acceptons cet article sous réserve que l'item b soit explicité plus clairement et que le terme "Québécois" soit défini suivant l'interprétation qu'en a donnée le Premier Ministre M. René Lévesque au Colloque" Québec — Immigration — Communautés Ethniques" des 4-5 juin 1977 et qui se lit comme suit: "Les Québécois sont tous ceux et toutes celles qui vivent au Québec, qui y gagnent leur vie, qui ont ou qui sont en instance d'obtenir le droit de vote." Cf. Le Devoir du 6 juin 1977.

Articles 120 à 144.- Nous appréhendons des abus de pouvoir dans la mise en application des dispositions stipulées dans ces articles.

Pour cette raison nous demandons un additif comme suit: a- Les accusations non fondées seront considérées comme une infraction à la loi et seront pénalisées. Les calomniateurs c'est-à-dire les auteurs de fausses accusations seront traduits devant les tribunaux.

b- les accusations anonymes seront refusées et ne seront pas prises en considération. c- l'article 121 devrait être complété et lu comme suit: "Une Commission de surveillance de la langue française est instituée. La Commission de surveillance est dirigée par un président et est formée de commissaires-enquêteurs, d'inspecteurs et de tous autres fonctionnaires et employés jugés nécessaires, qui seront recrutés dans toutes les couches de la société québécoise sans distinction d'origines ethniques ni de religions."

Art. 151.- Cet article réglemente la composition du Conseil consultatif de la langue française et prévoit la nomination d'un président, d'un vice-président et des membres qui seront choisis parmi les candidats présentés par des associations socio-culturelles, des syndicats, les groupes patronaux et les milieux universitaires. Nous remarquons quand même que l'item b de cet article reste ambigu quand il parle de la nomination de "deux personnes choisies parmi celles qui sont recommandées par les associations socio-culturelles représentatives."

Nous demandons que soient définies les qualifications des "associations socio-culturelles" et que les critères de la "représentativité" de ces associations soient précisés.

Quoiqu'il en soit, nous demandons que des représentants ethniques soient présents à ce Conseil Consultatif de la langue française.

Art. 163.- Nous formulons les mêmes réserves que nous avons mentionnées aux articles 120 à 144.

Articles 166, 167, 168.- Nous demandons une période de transition plus étendue. Le délai accordé par le Projet de Loi no. 1 est insuffisant.

Art. 172.- Nous recommandons la suppression de cet article qui met en doute les intentions du gouvernement, car la priorité que le Projet de Loi no. 1 cherche à accorder à la Charte de la langue française sur la Charte des droits et libertés de la personne crée un climat de méfiance latente et d'inquiétude peu propice à la compréhension et à la collaboration dont nous avons tant besoin au Québec.

Le maintien de cet article ne présage rien de positif et il apportera de nouveaux éléments de malaise au tas des tensions inutiles qui nous minent et que nous avons le devoir impérieux d'éviter au Québec.

Fédération des groupes ethniques du Québec Inc., Montréal, juin 1977.

(ANNEXE)

LA FÉDÉRATION DES GROUPES ETHNIQUES FACE A LA LOI 22

Devant l'ampleur que connaît la campagne menée autour de la Loi 22 et, inquiète de l'exploitation que certains cherchent à en faire par des moyens pour le moins inhabituels, la Fédération des Groupes Ethniques du Québec se sent dans l'obligation d'apporter quelques précisions: 1.- En tant que citoyens, nous nous soumettons loyalement à la Loi 22, qui a été votée par l'Assemblée Nationale du Québec. 2.- Nous lançons un appel pressant à tous les Groupes Ethniques et à toutes les Minorités concernées de garder leur sang-froid et de veiller avec vigilance à ne pas glisser dans la voie de l'illégalité et de la désobéissance. 3.- Quant au problème de brûlante actualité la Loi 22, qui nous préoccupe tous au plus haut degré, nous formulons certaines réserves relatives aux modalités de son application. 4.- Nous trouvons l'unilinguisme préjudiciable tant pour la majorité francophone que pour la minorité anglophone. 5.- Nous déplorons les événements regrettables survenus à Saint-Léonard et qui pourraient se reproduire ailleurs. 6.- Nous souhaitons que le Ministre de l'Education et les Autorités compétentes prennent, dans les meilleurs délais, les mesures nécessaires pour résoudre équitablement et humainement ce litige. 7.- Nous demandons, dans l'intérêt du progrès économique et culturel de toute la population du Québec, que l'enseignement du français dans les écoles anglaises puisse assurer aux élèves, à la fin de leurs études, une bonne connaissance de la langue française écrite et parlée.

Parallèlement, nous demandons qu'un élève de l'école française, à la fin de ses études, puisse avoir une bonne connaissance de l'anglais, langue seconde, parlé et écrit.

Ces mesures résoudraient, sans doute, ces problèmes épineux qui déchirent, depuis quelque temps, les diverses Communautés du Québec. Alors, les Québécois de toutes les souches, de toutes les origines ethniques, de toutes les traditions culturelles, continueraient de bâtir ensemble, dans la paix et la compréhension, un Québec où il ferait bon de vivre.

La Secrétaire Le Président.

Mme Janine Barbot. Dr. Kévork Baghdjian.

Montréal, le 19 septembre 1975

Fédération des groupes ethniques du Québec, Inc.

Federation of ethnie groups of Quebec, Inc.

(F E G E Q)

siège social: 203 Ouest. Boulevard Saint-Joseph

Montréal. QUE. H2T 2P9

Tel: 270-3042

Adresse postale:

Casier postal 543. Station Snowdon Montréal. Que. H3X 3T7

Montréal, Le

Communiqué de presse au sujet du Livre Blanc 1.- Nous sommes pour la Francophonie et la francophonisation, ce qui nous incite davantage à prendre position dans ce débat autour du Livre Blanc, qui anime non seulement le Québec mais aussi tout le Canada.

Nous sommes étonnés de constater que ce Livre Blanc, dans son ensemble, est conçu comme si le Québec ne faisait plus partie de la Confédération Canadienne: toutes les dispositions annoncées dans ce document qui se veut une charte, ne tiennent aucun compte de l'interdépendance constitutionnelle et administrative du Québec vis à vis du Gouvernement Central et des autres Provinces comme si le Référendum avait déjà consacré la séparation. "Le Québec ne sera plus considéré comme une partie administrative du Canada, "déclarait l'honorable Dr Camille Laurin. 2.- Nous tenons à préciser que le facteur économique a contribué à l'intégration des immigrants dans le secteur anglophone, mais il est faux d'affirmer gratuitement que l'économie ait constitué ou constitue l'unique mobile qui ait poussé ces immigrants vers les Canadiens Anglais. Cette façon de considérer les immigrants comme des marchandises négociables blesse profondément ceux-ci dans leur dignité. 3.- Nous nous interrogeons sur les mobiles qui ont poussé le Gouvernement à recourir aux moyens coercitifs dans un domaine purement linguistique. Ce n'est pas par des mesures punitives qu'on devrait encourager les Citoyens à s'intégrer dans une société ou dans une autre. 4.- Nous relevons que le Livre Blanc cherche à régler de vieux comptes historiques et politiques par le biais linguistique et culturel. C'est, peut-être, pour cette raison qu'il confond, par moments, culture et langue, la première étant dynamique et la seconde statique. Cette optique pourrait déboucher sur des restrictions que nous appréhendons dans un proche avenir. 5.- Nous ne voudrions pas que la Charte stipule des dispositions rétroactives et prive une certaine catégorie de citoyens des droits qu'on reconnaît aux autres. Tous les immigrants reçus et, à plus forte raison, les citoyens d'origine ethnique, qui se trouveront au Pays à la proclamation de la future Charte, devraient jouir pleinement de la liberté de choisir leur école. Le contraire serait de la discrimination. 6.- Nous sommes pour l'usage du français dans les relations du travail, mais nous nous inquiétons des retombées économiques de cette transformation. Nous appréhendons la fuite des capitaux et le transfert des sièges sociaux, qui ont déjà commencé. 7.- Nous ne serions pas contre l'usage du français dans la Fonction publique si la Loi pouvait ménager certaines Municipalités quasiment non-francophones, mais nous considérons comme un acte anti-constitutionnel le fait de supprimer l'emploi de l'anglais devant les Tribunaux et à l'Assemblée Nationale.

8.- Nous considérons que les restrictions d'unilinguisme imposées à l'affichage et à la publicité gêneraient la promotion de l'industrie touristique et hôtelière et qu'une propagande unilingue dans ce domaine causerait de sérieux préjudices à ce secteur de l'économie.

Nous nous demandons, par ailleurs, en quoi la francisation de certaines localités, de certaines rues... pourrait faciliter ou aider la Francophonie. 9.- En principe, les Canadiens d'adoption accepteraient volontiers d'envoyer leurs enfants à l'école française si, au terme de leurs études secondaires, leurs enfants arrivaient à maîtriser aussi bien le français que l'anglais-deux langues internationales dont la possession est impérative dans le monde d'aujourd'hui.

C'était la position de la Fédération des Groupes Ethniques du Québec que nous avions adoptée le 19 septembre 1975 face à la Loi 22 et nous la maintenons. Mais le Livre Blanc proclame tout haut: "II ne sera plus question d'un Québec bilingue."

Cf Livre Blanc page 37. 10.- Nous nous réjouissons de l'ouverture que fait le Livre Blanc aux Minorités ethniques. Nous retenons avec un intérêt compréhensible que la Charte est contre l'assimilation à vapeur" des immigrants. 11.- Il nous est agréable de lire dans le Livre Blanc qu'"on doit déplorer le peu de soutien offert jusqu'à maintenant par le Gouvernement Québécois aux efforts de nos compatriotes de différentes origines pour conserver leur langue et leur culture d'origine" et d'apprendre que "les efforts privés et communautaires entrepris au sein de ces groupes pour la préservation de leurs valeurs culturelles mériteraient un meilleur encouragement de la part de l'Etat québécois, car c'est l'ensemble de la société qui pourrait en bénéficier." (Livre Blanc page 27)

Nous attendrons que ces écrits se traduisent en actes. 12.- Nous applaudissons au désir du Gouvernement qui favoriserait la participation des Québécois de diverses origines à la Fonction Publique du Québec (Livre Blanc page 65) et nous souhaitons que ce désir ne reste pas un voeu pieux. 13.- Nous sommes pleinement d'accord que le Ministère de l'Immigration informe à l'étranger les immigrants éventuels de la Réalité québécoise et de toutes les particularités inhérentes au Québec afin d'éviter des surprises désagréables aux immigrants et des difficultés inutiles au Gouvernement d'accueil. 14.- Nous sommes entièrement d'accord pour une concertation que prévoit le Livre Blanc. Nous avons toujours préconisé la politique de la main tendue. Nous restons ouverts à tout dialogue positif et constructif. Nous espérons et souhaitons que cette concertation nationale se fasse dans une ambiance de sincérité, dans un climat de détente, dans la dignité.

Dr Kévork Baghdjian, président de la Fédération des Groupes Ethniques du Québec, Inc.

Montréal, le 5 Avril 1977 -30-

Source; Dr K. Baghdjian Tél. 270-3042 et 739-0314

AN NEXE 3

Mémoire

de l'Association québécoise des professeurs de français

à la Commission parlementaire sur le projet de loi no 1

Charte de la langue française au Québec

Juin 1977 PRÉLIMINAIRES

En déposant aujourd'hui devant cette commission parlementaire, nous mettons le point d'orgue à dix années de défense et d'illustration de la langue française. Enfin, la langue est maintenant reconnue par le gouvernement comme une propriété collective, le plus délicat et précieux investissement du capital humain québécois. Enfin, le gouvernement du Québec a fait son lit — et ce n'est pas la voie ambiguë de la loi 22 — :il a choisi de faire du français la seule langue nationale des Québécois. Il le fait avec clarté, modération et générosité même pour la minorité anglophone dont la langue avait pris un pouvoir

d'attraction assimilateur des groupes allophones. Enfin, le gouvernement du Québec met fin à l'anarchie linguistique instaurée politiquement avec la loi 63 et maintenue jusqu'à ce jour. Le gouvernement a opté pour la solution politique la moins radicale qui puisse être à savoir l'unilinguisme français au Québec.

Bien sûr, il se trouvera des gens pour crier à la vengeance, à l'intolérance voire au racisme. Et pourtant se venge-t-il l'homme qui arrête la gangrène de son propre corps? Est-il intolérant le peuple qui met fin à des mesures discriminatoires dans lesquelles l'ont plongé une situation coloniale? "Si c'est cela faire montre de racisme, tous les peuples en sont coupables qui exigent qu'on parle chez eux leur propre langue". Ainsi pensait André Langevin dans son texte de 1964 intitulé "Une langue humiliée". Et il ajoutait: "Je vois mal qu'on puisse considérer comme du fanatisme le refus de se suicider".

Il importait donc que le gouvernement de tous les Québécois joue du scalpel dans le cancer linguistique du Québec. Nous remercions ceux qui expriment aussi clairement la volonté politique d'un peuple à parler français, à vivre en français, à continuer de s'affirmer, dans sa vie américaine tricentenaire, comme un peuple français sur un territoire nommé en français. Quoi que diront les détracteurs de cette loi, il fallait mettre un terme à la route suicidaire du bilinguisme et redonner au français son mordant intérieur, son paysage physique, ses raisons sociales autant dire et son corps et son âme. Voilà un peuple qui n'a jamais abdiqué et qui n'a pas l'intention de désemparer devant les prophètes de malheurs, devant des accusateurs désavoués dans leurs intérêts rapaces vêtus de raisons nobles, devant les tenants de la résignation morbide qui ne serait qu'un amour ambigu de la mort larvée. Voilà un peuple qui aspire à se remettre au monde, à renaître sans ses difformations historiques, à sortir du long vertige de l'occupation et du délire séculaire qui a engendré la pauvreté et la complainte. Qu'on nous reconnaisse en tant que peuple, le droit à la normalité et qu'on nous concède la dignité d'être nous-mêmes, de le dire et de le partager. Loin de se fermer au monde en arrière d'un mur, fût-il de Chine ou de Berlin, ce peuple qui s'affirme français s'ouvre vraiment à la communauté des peuples en brisant avec la peur rentrée, la mort polie, l'aliénation originale. Le poète Miron l'avait affirmé dès 1964: "Je suis jeune et je suis vieux tout à-la fois (...) Je n'ai pas l'air étrange, je suis étranger (...) J'ai la connaissance infime et séculaire de n'appartenir à rien. Je suis suspendu dans le coup de foudre permanent d'un arrêt de mon temps historique (...) Je ne ressens plus qu'un temps biologique, dans ma pensée et dans mes veines. Les autres, je les perçois comme un agrégat. Et c'est ainsi depuis des générations que je me désintègre en ombelles soufflées dans la vacuité de mon esprit (...) C'est précisément et singulièrement ici que naît le malaise, qu'effleure le sentiment d'avoir perdu la mémoire (...) Les mots, méconnaissables, qui flottent à la dérive. Soudain, je veux crier. Parfois je veux prendre à la gorge le premier venu pour lui faire avouer que je suis. Délivrez-moi du crépuscule de ma tête (...) Je suis malade d'un cauchemar héréditaire. Je ne me reconnais pas de passé récent. Mon nom est "Amnésique Miron"."

L'on ne s'étonnera sans doute pas d'entendre des professeurs de français citer largement un poète national connu internationalement, cela dût-il nous mériter encore l'épithète du député qui nous appelait des "pelleteux de nuage" comme ce premier ministre qui parlait jadis de l'Office de la langue française comme de la "bébelle à Laporte". Le texte du poète traduit le collectif, comme le suicide d'Hubert Aquin trahissait le nôtre, celui que nous tolérions à la petite semaine, car Aquin a fait dire à son héros de Prochain épisode qu'il était du Québec le "reflet désordonné et son incarnation suicidaire". Gaston Miron traduit très bien aussi l'état de désintégration d'une langue supplantée quand il parle des mots méconnaissables. Ce qui faisait dire à un autre écrivain, Pierre Baillargeon, qu'il avait tout le dictionnaire sur le bout de la langue. Les professeurs de français en savent quelque chose.

Une langue ne pousse pas sans culture, pourrait-on dire. Il lui faut un sol, un environnement, un peuple, une civilisation: ce qu'a fort bien illustré le livre blanc. Aussi les professeurs de français se sentent-ils aujourd'hui mieux compris par ce gouvernement. Dans ses Insolences, le frère Untel demandait en 1960 ce que pouvait faire un professeur quand il commençait d'avoir tort contre un milieu et un monde de vie dès quatre heures de l'après-midi, l'heure de fermeture des classes d'avant la révolution tranquille. Les professeurs de français de l'AQPF étaient allés plus loin en publiant en 1970 leur livre noir sous-titré "De l'impossibilité (presque totale) d'enseigner le français au Québec". Ce qui leur avait valu la mise au ban dans beaucoup de milieux. Aussi, saluons-nous avec grande joie l'envers de notre livre noir, le Livre blanc ou la possibilité retrouvée d'enseigner le français au Québec. Nous ferons, plus loin, de nombreux commentaires là-dessus.

Qu'il nous soit quand même encore permis d'indiquer au départ que notre Association qui s'occupe de pédagogie a toujours établi un préalable à toute mesure pédagogique de l'enseignement du français au Québec. CE PRÉALABLE, C'EST LE RÈGLEMENT POLfTIQUE DE LA QUESTION DU FRANÇAIS. Nous estimons que la présente loi va faire davantage pour l'enseignement du français au Québec que des constantes injections à fond perdu de quelques millions de dollars pour renflouer une langue qui serait restée politiquement une langue avariée. Beaucoup de nos étudiants considéraient la langue française comme une langue inutile, ils vivaient souvent dans un milieu d'hommes publics que n'inquiétaient ni la langue, ni l'orthographe, ni le langage, ni la culture. Est-ce que les professeurs de français auraient dû porter à eux seuls et contre la société l'utilité, la promotion et la qualité d'une langue? Ceci mis en image donne la société où le patron parle et travaille en anglais, où il n'écrit pas — heureusement pour lui et pour nous peut-être — mais où il s'inquiète que sa petite secrétaire bilingue ne connaisse correctement l'orthographe d'une langue diffamée et condamnée. Pour sauver la face. Et les professeurs étaient ainsi les boucs émissaires d'une démission collective qui les opposants à cette loi prêchent à leur insu.

Nous ne pouvions pas enseigner le français sans poser un jugement politique. Nous ne pouvions politiser un débat qui l'était de par sa nature même. Tout comme nous sommes conscients aujourd'hui que le débat politique actuel emprunte souvent les voies obscures de l'appel à la tolérance, aux droits de l'homme, voire au chantage économique pour mieux cacher la domination anarchique d'une minorité et la réalité légitime d'un peuple qui veut être lui-même, qui en prend les moyens en toute assurance et pondération de son jugement. Nous l'avions noté fermement en 1974 en déposant devant la commission parlementaire sur la loi 22: l'anarchie avait été instaurée politiquement au Québec en 1969 avec la loi 63 qui donnait en pâture aux individus et aux familles un bien collectif inaliénable, "fondement même de l'existence d'un peuple" comme a dit Gaston Miron.

Nous avons souvent noté aussi, comme professeurs de français, que notre volonté d'affirmer le Québec français se butait à notre historique situation coloniale. Une manifestation évidente de ce colonialisme est la difficulté de parler de la langue de ce pays sans tomber dans la nécessité d'apprendre l'anglais au Québec. Nous aimerions bien que l'on départage les questions à discuter. Que l'on doive constamment dire "et l'anglais"! quand nous affirmons notre volonté de parler cette langue internationale et moderne qu'est notre français maternel démontre assez notre situation de prostration coloniale surtout que l'anglais que l'on veut nous faire apprendre n'a rien à voir avec cette grande langue et culture de Shakespeare. C'est souvent l'anglais multinational des hommes consumés, une langue cassée, soumise, offerte, dégradée et totalement déracinée, une langue tampon et S.O.S.

A cet égard, nous voudrions profiter de cette Charte du français pour inviter tous les Québécois à réfléchir sur la situation linguistique de Montréal tout particulièrement. Nous voudrions frapper l'imagination de tous, surtout de ceux qui ont presque repris récemment, sortie des vieux titoirs du temps de St-Léonard, la thèse éculée d'un Québec bi-national et bi-ethnique. Montréal reste, dans le monde, la deuxième ville française par sa population. Il y a plus de parlants français à Montréal qu'à Marseille. Or, et c'est là le scandale et la démesure intolérable, plus de cinq cent mille personnes n'y parlent que l'anglais, la langue de la domination économique du Québec. C'est donc dire qu'à Montréal l'anglais est la langue d'attirance: combien d'immigrants sont des bilingues anglais-chinois, anglais-italien, anglais-grec?

Cette situation a fini par nous éblouir. Beaucoup de nos hommes publics sont alors portés à faire des affirmations gratuites telles que: le Québec compte 20% d'anglophones, Montréal est une ville bilingue... etc. Dès lors, que se passe-t-il sinon une réduction historique. En accordant par exemple 20% de la population aux anglophones, on leur a concédé 7% d'allophones dont près de 6% parlent toujours leur langue. Nous parlons encore d'un Montréal bilingue: oui unilingue anglais à l'ouest et français bilinguisé et massacré à l'est. Et ensuite des gens se scandalisent du jouai qu'un numéro récent des Nouvelles littéraires définissait comme "à la fois code de résistance et maladie du français (...) pour les riches, procédé littéraire, pour les pauvres, cri du coeur". Qui ne voit pas ici la nécessité linguistique et politique de proclamer alors — et Montréal en est l'enjeu premier — le Québec comme un territoire unilingue français sans quoi le bilinguisme ne serait, comme Montréal l'illustre si clairement, qu'une étape de notre assimilation au bloc anglophone minoritaire et tyrannique? Qui n'a donc pas compris parmi nous le sort des francophones de Louisiane, de Nouvelle-Angleterre et de plusieurs groupes du Canada qui n'ont d'avenir que dans la mesure où ils pourront trouver appui sur notre territoire unilingue? Est-il besoin de le rappeler d'ailleurs, le Québec a toujours été depuis l'Acte de Québec un territoire français et les habitants de ce territoire auraient tous dû savoir la langue de notre peuple et communiquer dans la langue commune. Si les anglophones de Montréal se considèrent comme Québécois, il serait peut-être temps qu'ils se mettent à la langue d'usage qu'un demi million de Montréalais ignorent toujours. Les anglophones ne peuvent à la fois être pour nous et contre nous. Il serait temps qu'ils comprennent qu'ils sont ici une minorité: il ne leur suffit pas de venir dire en langue anglaise qu'ils sont en faveur de l'épanouissement du français.

Le gouvernement a raison de vouloir renverser le désordre linguistique à Montréal et partout au Québec: l'anglais langue de nécessité — et à entendre certains, langue de salut collectif — doit redevenir pour le peuple québécois option d'une culture possible. Le français, lui, dépossédé de notre vie économique et politique, doit redevenir pour tous ceux qui vivent sur le territoire du Québec une langue de toute la vie publique, politique, économique et nationale. Faute de quoi, notre travail de professeurs de français deviendra un métier de Sisyphe. Pourrions-nous rappeler aux membres de cette commission que déjà, dans les années soixante, le Rapport Parent indiquait comme point d'appui à la réforme de l'enseignement du français, la motivation socio-économique redonnée aux étudiants du Québec. Et pour cela, le même Rapport dans son deuxième tome demandait au Gouvernement d'adopter "des mesures très fermes pour protéger le français" notant l'urgence de le faire alors — il y a plus de dix ans — à Montréal. C'était pour les rédacteurs du Rapport "une question de justice et d'honneur". Et la Commission ajoutait: "Aucun écolier ne prendra le français au sérieux à l'école si, à Montréal particulièrement, les ouvriers administrateurs, et hommes d'affaires sont obligés de parler anglais dans leur travail quotidien ou pour obtenir une promotion. Dans le Québec, une excellente connaissance du français devrait être tout aussi nécessaire pour réussir dans les affaires".

1. La langue de l'enseignement

L'objet essentiel de cette loi, c'est de reconnaître et d'établir clairement que le Québec est un pays et un Etat français et qu'il doit devenir sur tout son territoire un milieu de vie français. Il découle que dans un Etat ainsi défini et compte tenu des difficultés qui guetteront toujours la langue française, l'école française est le droit et le devoir de tous les citoyens.

Seules les raisons très sérieuses, historiquement fondées, comme la préservation d'une culture minoritaire, longuement enracinée dans le territoire national, peuvent justifier quelque groupe de citoyens bien identifié et circonscrit par ces raisons de déroger à la règle commune. Autrement, le principe même de la loi est dangereusement affaibli et les idées aussi tenaces qu'inacceptables d'un Québec bilingue et du libre choix de la langue d'enseignement refont surface. Or, dans les faits, seule la minorité anglophone du Québec peut fournir des raisons sérieuses d'être exemptée de l'école française. Les raisons invoquées par d'autres groupes, comme les avantages purement pécuniaires, la mobilité continentale de la main-d'oeuvre ou les lacunes de l'école française sont dépourvues de tout fondement solide face aux objectifs poursuivis par cette loi.

La position de l'AQPF a été et est encore de ne concéder leurs propres écoles qu'aux véritables anglo-québécois ayant résidence au Québec au moment de la promulgation de la loi. Plus précisément, parce qu'elle est fondée sur des considérations culturelles et historiques, cette concession est d'abord faite au groupe anglophone. Les individus doivent faire la preuve qu'ils appartiennent vraiment à ce groupe pour se prévaloir de cette tolérance.

Ici se pose le problème des critères d'appartenance à la minorité anglaise. L'article 52 de cette loi introduit un critère nouveau, d'administration relativement aisée, sans doute, mais artificiel et dangereux, à notre avis, le critère de l'école des parents. Ce critère est mal fondé en droit, incohérent par rapport aux objectifs premiers de la loi, d'une libéralité dérogatoire excessive et il sera source de discriminations injustifiables surtout entre membres de la majorité francophone. Jusqu'ici, et pour des raisons qu'on peut qualifier de naturelles, les droits linguistiques se sont fondés sur la langue maternelle, la communauté culturelle, l'homogénéité du territoire. Ces fondements se réfèrent à une appartenance ou culturelle ou politique.

Dans la ligne de ce que nous disions plus haut, il est clair que le critère de l'école des parents ne prouve pas en soit l'appartenance d'un écolier au groupe culturel anglais et ne permet pas d'inférer un droit à la dérogation. Pour être logique, il faut rétablir le critère de la langue maternelle de l'enfant. Il faut préférer à la commodité immédiate et superficielle du critère de l'école des parents, la solidité et la cohérence à long terme du critère de la langue maternelle de l'enfant. Pour être logique, il faut aussi lier le maintien du privilège de dérogation à l'appartenance effective au groupe culturel anglophone de tout enfant qu'on voudra inscrire à l'avenir à l'école anglaise. Et ne pas le lier, par exemple, au fait que ses parents francophones ont fréquenté autrefois l'école anglaise, tout en maintenant le français comme langue maternelle dans leur foyer; on doit dire de même des enfants dont la langue maternelle serait, par exemple, le grec ou l'italien, même si leurs parents ont fréquenté l'école anglaise.

Donc, de façon très générale, le critère de la langue maternelle de l'enfant doit toujours être prépondérant. Dans les cas douteux seulement, le critère de l'école des parents pourrait intervenir par commodité administrative et de façon subordonnée. Pourtant, c'est le contraire qui arrive dans certains cas considérés par l'article 52. Non seulement on crée un fondement nouveau et artificiel, mais on le suppose même pour le substituer carrément au fondement naturel de la langue maternelle. Prenons, par exemple, le cas des enfants francophones et allophones actuellement inscrits à l'école anglaise que leurs parents n'ont même pas fréquentée; prenons surtout le cas des frères et soeurs cadets de ces enfants. Sur ce dernier point, l'article 52 est beaucoup trop large et incohérent, une fois de plus. L'argument de l'unité des familles, s'il est valable en soi, est invoqué par les tenants de l'école anglaise de façon spécieuse qui ne résiste pas à l'analyse. Dans une famille où la langue maternelle des enfants n'est pas l'anglais, ce n'est pas l'anglais qui établit l'unité de la famille. Dans l'impossibilité pratique et politique de donner des écoles de toutes les langues parlées dans ce pays, l'école française ne nuira sûrement pas plus à l'unité des familles que l'école anglaise.

Quant à ceux qui, traumatisés par les tests de l'affreuse loi 22, objecteraient qu'il est trop difficile d'identifier la langue maternelle des enfants, nous répondons qu'il y a toute la différence entre mesurer une connaissance suffisante et identifier la langue maternelle de quelqu'un. Dans ce dernier cas, on n'a pas besoin de tests; il s'agit d'une simple constatation qui peut se faire au moment de l'inscription des élèves en leur adressant la parole et en les écoutant parler. Le personnel des écoles y suffira bien. Et si un contrôle s'avérait nécessaire, rien n'empêche, par exemple, que des suppléants agréés par le MEQ enseignent un jour ou deux dans les classes de commençants des écoles anglaises. La présence de suppléants n'a rien d'insolite ni d'intimidant; elle est fréquente pour bien d'autres causes.

Les futurs immigrants

Pour tous les futurs immigrants, ce doit être l'école française. Ainsi seulement, on évitera toute discrimination entre immigrants de toute provenance; ainsi seulement, l'Etat québécois pourra éviter toute discrimination dans le choix d'immigrants éventuels, sans craindre un déséquilibre linguistique,

culturel et politique à plus ou moins long terme. La loi soumet justement les immigrants des provinces canadiennes à cette règle générale. En effet, ces derniers, s'ils ont le plus souvent l'anglais comme langue, n'appartiennent pas pour autant à la communauté culturelle anglo-québécoise qui se définit, non seulement par la langue anglaise, mais par un enracinement dans le territoire québécois. Il ne faut pas confondre communauté linguistique et communauté culturelle, même si la première est un élément important de la seconde.

2. L'enseignement des langues 2.1. La Norme

En tant que professeurs de français, nous sommes tout particulièrement concernés par la définition que le gouvernement donnera de la norme.

D'abord, il faudrait éviter, au nom de la francisation du Québec, de sombrer dans un purisme étroit et d'entreprendre une vaste opération de normalisation linguistique axée sur un modèle parisien.

En même temps que le Québec prend les moyens de s'assurer la pleine maîtrise de ses institutions, il est temps, croyons-nous, de reconnaître et d'assumer notre situation linguistique. Celle-ci présente sa spécificité qui est liée à l'histoire et à la géographie. Tout comme le français parlé à Bruxelles ou à Genève. Il n'y a pas lieu de s'en culpabiliser collectivement, comme on a trop longtemps eu tendance à le faire, ni de multiplier les tribunes des censeurs. Il serait profondément irréaliste de prétendre amener la population québécoise à adopter comme langue orale courante un modèle verbal perçu comme étranger.

Il ne faudrait pas croire pour autant que nous souhaitons ériger en modèle une variété linguistique que certains censeurs ont eu la malencontreuse idée de désigner sous le terme de "jouai". Nous pensons que ce fut malencontreux parce qu'en nommant ainsi la langue populaire parlée dans certains milieux du Québec, ces personnes ont accrédité l'idée que le jouai constituait une langue fondamentalement différente et autonome alors qu'il n'est que l'une des variations particulières que peut prendre le français parlé ici.

Par ailleurs, il existe aussi un français correct d'ici et c'est ce français qui devrait être proposé en modèle dans les écoles du Québec. Si une norme est indispensable au bon fonctionnement du langage dans une société, il faut aussi que cette norme, pour qu'elle joue vraiment son rôle, soit réaliste et accessible à l'ensemble des individus désireux de la maîtriser. En outre, il faut être conscient qu'il n'existe pas de description exhaustive rigoureuse de la norme et qu'il n'est sans doute pas souhaitable de s'atteler à un tel travail. Tout individu placé en situation de communication exigeant l'utilisation d'une forme prestigieuse de langage s'exprime en fonction de l'image qu'il se fait du "beau français", image qui est la résultante de ses expériences sociales et des modèles linguistiques qu'il a pu intérioriser. Pour cette raison il faut absolument éviter de donner des exemples précis d'une personne maîtrisant le français standard et dont le modèle verbal serait à imiter. Plus un modèle est étroit et rigoureusement défini, plus il limite le jeu de la dynamique individuelle; plus, aussi, il risque de devenir un facteur de sélection et d'exclusion avant d'être finalement rejeté lui-même par la collectivité.

Précisons enfin que, pour nous, la reconnaissance d'une norme implique pas automatiquement une pédagogie de la correction. Nous ne pensons pas que l'enfant a un mauvais langage que l'école devrait extirper à tout prix pour le remplacer par la langue correcte. Les processus qui entrent en jeu dans l'acquisition d'une langue, et en particulier de la langue maternelle, sont beaucoup trop complexes pour pouvoir se réduire à un schéma de la correction, du genre "ne dites pas, mais dites". Il faut laisser aux enseignants de français, au niveau de leur Association professionnelle et en liaison avec les universités, le soin d'élaborer une pédagogie de la langue qui, tout en étant respectueuse de l'enfant, amènera celui-ci, au terme de sa scolarité, à maîtriser le meilleur français possible dans toutes les situations qui l'exigent. 2.2. Le perfectionnement des enseignants

Toute considération sur la norme ou sur la façon d'enseigner le français est finalement subordonnée à la qualité de la formation des enseignants. En raison de l'expansion rapide des réseaux d'enseignement et de la réforme scolaire, beaucoup d'enseignants en exercice se sentent souvent démunis devant les problèmes soulevés par l'enseignement du français. Depuis septembre 1975, ces enseignants, tant à l'élémentaire qu'au secondaire, ont la possibilité de s'inscrire à un programme de perfectionnement (PPMF). Ce programme — lancé un peu à la hâte pour calmer l'émoi suscité par les articles de Lysianne Gagnon — est actuellement offert par les universités de Montréal, Laval, Sherbrooke et les constituantes de l'Université du Québec. Parfaitement d'accord avec le principe d'un perfectionnement dans le milieu, l'AQPF demande que ce programme devienne permanent et qu'il soit progressivement ouvert à tous les enseignants de français.

Une augmentation du temps de libération des enseignants est évidemment souhaitable. En accordant 30 jours de dégagement annuel au lieu de 15 comme c'est le cas actuellement, le PPMF

deviendrait plus attrayant et permettrait un perfectionnement plus approfondi car l'enseignant aurait le temps de faire le lien entre les nouvelles connaissances acquises et sa pratique quotidienne.

L'AQPF insiste également pour que les formules pédagogiques utilisées par les universités soient réellement adaptées aux besoins des enseignants des divers milieux. Compte tenu des difficultés qu'entraîne l'administration d'un programme répondant à ces exigences, nous demandons au Ministre de l'Education de mettre sur pied, en collaboration avec la CEQ, l'AQPF et les quatre universités impliquées, un comité mixte qui se prononcera en dernière instance sur la validité des orientations adoptées par les différents programmes et qui établira les équivalences entre les activités offertes par les quatre universités. Une telle formule nous paraît susceptible d'éviter à l'avenir des décisions odieuses et arbitraires prises par quelques fonctionnaires coupés de la réalité.

Par ailleurs, il est souhaitable que les conseillers pédagogiques en français continuent d'être associés de très près au perfectionnement des enseignants. Mieux vaut travailler en profondeur avec des petits groupes d'enseignants répartis dans plusieurs écoles que de faire un travail superficiel auprès de tous. Le PPMF et les projets de recherche appliquée constituent sans doute le meilleur moyen d'amener enseignants et conseillers à travailler en étroite collaboration tout en utilisant au maximum les ressources des universités. Pour ces raisons, le poste de conseiller pédagogique en français devrait être déclaré permanent et étendu au plus grand nombre possible de Commissions scolaires.

Enfin, nous pensons que les enseignants engagés dans le PPMF seraient les mieux placés pour encadrer les stagiaires en cours de formation, particulièrement au secondaire. Cette formule, si elle était systématisée, présenterait l'avantage d'assurer une plus grande continuité dans l'enseignement dispensé aux élèves dont le professeur est engagé dans le perfectionnement. 2.3. L'enseignement des langues secondes et étrangères 2.3.1. Nous répétons ce que nous avons dit à propos des lois 63 et 22: aucun enseignement d'une langue seconde ne devrait être dispensé au cours primaire, c'est-à-dire avant que les élèves n'aient acquis une connaissance et une maîtrise suffisantes de leur langue maternelle. De multiples enquêtes et rapports ont établi les dangers réels que courraient les élèves qui subiraient un tel apprentissage: la confusion de la pensée de l'enfant, de ses structures linguistiques, de son vocabulaire, par conséquent de son expression. Tant que l'unanimité ne sera pas faite à cet égard, l'Etatdoit interdire ce genre d'enseignement au niveau primaire. 2.3.2. Nous répétons aussi que l'Etat doit diversifier l'enseignement des langues secondes. Si les contingences géographiques nous imposent de penser d'abord à la langue anglaise, rien n'oblige tous les étudiants du niveau secondaire à faire l'apprentissage de cette langue. S'il devrait y avoir une liberté de choix, c'est là qu'elle devrait se trouver!

Inutile d'ajouter qu'autant nous souhaitons pour la langue française un enseignement de la plus haute qualité dispensé par les maîtres les plus qualifiés, autant nous désirons que l'enseignement des langues secondes ou étrangères soit le plus parfait possible. Il est aberrant que l'enseignement des langues secondes/étrangères occupe tant dé temps et ait souvent donné de piètres résultats au Québec. 3. Une politique du livre 3-' Comme le livre est l'un des supports les plus importants de la langue écrite, les professeurs de français estiment qu'il est urgent que l'Etat québécois définisse une politique claire, cohérente et efficace concernant la diffusion du livre de langue française (belge, français, suisse, québécois, etc.) partout au Québec. Non seulement la quantité devrait y trouver son compte, mais aussi la qualité. Le Ministère des Affaires culturelles a décelé de nombreuses "poches" en ce qui touche à la diffusion des imprimés, à cause de l'inexistence de librairies et de dépôts de périodiques et a promis d'instituer un vaste programme visant à éliminer ces poches culturelles. Nous nous en réjouissons. Mais encore faut-il que l'Etat consente un effort financier considérable pour aider les écrivains, les éditeurs et les libraires. En particulier, l'Etat doit viser au développement de la production littéraire québécoise et faire en sorte que la littérature d'ici soit abondamment et largement diffusée. Ce n'est pas tout de montrer un visage français en francisant l'affichage commercial, de permettre à l'ouvrier québécois de travailler en français, il faut que toute la population puisse accéder facilement aux oeuvres littéraires de nos écrivains, et que T'interne" communique avec l'externe", que la pensée complète l'action. 3-2 Un point qui retient particulièrement notre attention à cet égard, c'est la production de manuels scolaires rédigés en français, de quelque discipline que ce soit, et tout spécialement de manuels pédagogiques (grammaires, guides, documents, dictionnaires, instruments de travail divers) touchant à l'enseignement du français. Les principaux concepteurs de ces manuels devraient

être les professeurs de français. Le Ministère de l'Education, dont c'est la responsabilité, devra établir un programme vigoureux et dynamique pour encourager et promouvoi r — par la formation d'équipes spécialisées, une aide technique appropriée et des subventions généreuses — la production des meilleurs instruments pédagogiques qui aideront les professeurs de français et les étudiants dans l'enseignement et l'apprentissage du français. Une fois produits, ces manuels devraient recevoir l'agrément du Ministère et être diffusés dans l'ensemble des Commissions scolaires. Il est certain que les étapes administratives conduisant à l'agrément de ces manuels pédagogiques concernant l'enseignement du français devront être coordonnées de telle sorte que l'accélération des procédures en facilité l'accès.

4. Modifications suggérées

Préambule: L'Assemblée nationale constate que le français est depuis toujours, de droit et de fait, la langue du peuple québécois, etc..

L'Assemblée nationale reconnaît que le territoire du Québec a toujours été de droit un territoire français;

Article 46: Les règlements de l'Office devront veiller soigneusement à conserver alors même qu'il considérera les exceptions, le visage français des agglomérations québécoises et de Montréal en particulier. Par exemple, s'il est opportun de conserver le caractère exotique du Quartier chinois de Montréal, il est impérieux de remplacer son aspect anglo-chinois par un aspect exclusivement franco-chinois, etc.,

Article 151: Ajouter f) Deux personnes choisies parmi celles qui sont recommandées par les groupes représentatifs des professeurs de français.

Article 172: Vu que les dispositions de la loi no 1 ne constituent aucune discrimination basée sur la langue, au sens de l'article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne, cet article n'est peut-être pas nécessaire. Si le gouvernement en jugeait autrement, il vaudrait mieux, semble-t-il, modifier la Charte et libertés dans le sens voulu, plutôt que d'en exempter la Charte de la langue française, afin de conserver à la première toute sa généralité.

Conclusion

Nous ne saurions trop appuyer ce Gouvernement et tous les hommes politiques qui appuieront la loi numéro un jusqu'à son adoption. Cette loi va briser enfin le "né pour un petit pain" dans sa traduction économique, celle qui cède au fatalisme historique, au trac des plats de lentilles et demande "Que pouvons-nous contre deux cent vingt millions d'anglophones"? Tout contre deux cent vingt millions d'anglophones, nous voulons être en terre d'Amérique ce peuple qui vit sa vie et sa culture française, sur ce territoire qui est encore l'Europe et déjà l'Amérique, non pas ce pays ghetto dénoncé, mais le feu et lieu affirmé des échanges culturels. Non, nous ne céderons pas au chantage car nous savons, nous, que nous ne serons vraiment au monde qu'en étant d'abord à nous-mêmes. Et ce n'est pas par "partisanerie" politique que nous nous reconnaissons aujourd'hui dans le Gouvernement qui nous donne la loi numéro un. C'est que, ce faisant, ce Gouvernement s'est reconnu en nous. Nous lui demandons en déposant dans la langue de nos pères de ne pas céder à la peur car comme dit le poète Jacques Brault: "Voici qu'un peuple apprend à se mettre debout

Debout et tourné vers la magie du pôle debout entre trois océans

Debout face aux chacals de l'histoire face aux pygmées de la peur

Un peuple aux genoux cagneux aux mains noueuses tant il a rampé dans la honte

Un peuple ivre de vents et de femmes s'essaie à sa nouveauté".

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