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Version finale

32e législature, 5e session
(16 octobre 1984 au 10 octobre 1985)

Le mercredi 6 février 1985 - Vol. 28 N° 18

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude détaillée du projet de loi 42 - Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles


Journal des débats

 

(Quatorze heures onze minutes)

Le Président (M. Beauséjour): La commission de l'économie et du travail est réunie pour poursuivre l'étude article par article du projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Conformément à l'entente intervenue entre les membres de la commission et conformément aussi à la motion adoptée le 28 novembre dernier, il est convenu que l'audition du président de la Commission des affaires sociales aura lieu cet après-midi. Elle durera au maximum trois heures, soit une heure laissée à ce dernier pour faire un exposé, s'il le juge nécessaire, et deux heures réparties également entre les députés du parti ministériel et ceux de l'Opposition afin de discuter avec le président de la Commission des affaires sociales.

Avant de procéder et de vous donner la parole, je voudrais demander à M. le secrétaire de nous indiquer s'il y a des changements.

Le Secrétaire: Oui, M. le Président, il y a deux remplacements pour cette séance. M. Bourbeau (Laporte) est remplacé par M. Maltais (Saguenay) et M. Maciocia (Viger) est remplacé par Mme Saint-Amand (Jonquière).

Consultation particulière

Le Président (M. Beauséjour): Je donnerais tout de suite la parole à M. le juge Gilles Poirier.

Commission des affaires sociales

M. Poirier (Gilles): M. le Président, M. le ministre, messieurs et Mme la députée, je vous remercie de l'invitation que vous m'avez transmise de rencontrer les membres de votre commission et de vous exposer mon point de vue sur certains aspects du projet de loi que vous étudiez et qui concernent la commission que j'ai l'honneur de présider. Vous me permettrez de vous présenter mes deux collègues, Me Céline Turcotte, vice-présidente, au bureau de la commission, à Québec, et Me Daniel Harvey, vice-président de la commission, au bureau de Montréal.

Certains parmi vous connaissent la Commission des affaires sociales, soit par la lecture du rapport annuel que celle-ci doit déposer devant l'Assemblée nationale, soit à l'occasion de l'étude de ses crédits devant la commission parlementaire, à l'époque, de la main-d'oeuvre et de la sécurité du revenu, qui a probablement changé de nom, soit à l'occasion de demandes qui vous sont adressées, dans vos bureaux de député, par différents bénéficiaires des lois sociales au sujet desquels la commission entend des appels, des demandes ou des requêtes.

C'est avec la réserve que commande ma fonction, vous le comprendrez bien, que je me présente devant vous. Je ne veux pas soulever de polémique avec mes propos, mais plutôt faire état, franchement, de la situation à la Commission des affaires sociales telle que je la perçois en toute objectivité.

Il m'apparaît utile au départ de décrire, même sommairement, la nature, l'organisation, le fonctionnement et les juridictions de la Commission des affaires sociales.

La Commission des affaires sociales est un tribunal administratif d'appel dont les décisions sont finales et sans appel. À ce titre, elle exerce des fonctions quasi judiciaires et se doit de respecter les principes de justice naturelle qui ont été élaborés, à l'égard des organismes quasi judiciaires, par la jurisprudence des tribunaux de droit commun. Elle est d'ailleurs assujettie au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure. Il est peut-être "intéressant" de vous indiquer que la Commission des affaires sociales a subi, jusqu'à ce jour, avec succès, le test de la constitutionnalité. En effet, dans deux jugements de la Cour supérieure, la commission a été déclarée constitutionnelle. L'un de ces jugements est cependant en appel.

La Commission des affaires sociales est un tribunal administratif qui ne fait que de l'adjudication. Ce n'est donc pas un organisme de régulation comme certains autres organismes quasi judiciaires. Elle n'a pas le pouvoir d'adopter des règlements, sauf évidemment en ce qui concerne ses règles de preuve et de procédure - les règlements adoptés par d'autres organismes ou le gouvernement - dont elle devra juger de l'application à l'occasion de certains litiges portés devant elle. Elle est, en ce sens, ce que certains auteurs en droit administratif qualifient comme étant un véritable tribunal administratif. Elle est aussi un organisme indépendant sur le plan décisionnel et son

budget est voté annuellement par l'Assemblée nationale.

La commission est un organisme multidisciplinaire. Elle est composée de membres-avocats et d'assesseurs-médecins, psychiatres, travailleurs sociaux ou personnes issues d'autres milieux socio-économiques. Pour les appels, les demandes, les requêtes qu'elle entend, la commission fonctionne en banc9 qui sont composés dans tous les cas d'au moins un avocat et, dans les divisions autres que le régime de rentes, d'un ou deux assesseurs. Donc, la règle, nécessairement un avocat et/ou un ou deux assesseurs.

Les membres avocats sont polyvalents et peuvent siéger indifféremment dans toutes les divisions. Par contre, les assesseurs sont assignés à des divisions spécifiques. Le titre des divisions donne une idée assez exacte des juridictions qui ont été confiées à la commission, sans qu'il soit nécessaire de faire davantage état des diverses lois concernées.

Ainsi, à l'origine, en 1975, celle-ci comportait quatre divisions: la division de l'aide et des allocations sociales, la division du régime de rentes, la division des services de santé et des services sociaux et la division de la protection du malade mental. En 1977, le législateur ajoutait la division des accidents du travail et, en 1979, la division de l'assurance automobile.

Dans ces six divisions, la commission peut entendre au total 34 catégories différentes d'appels, requêtes ou demandes. Du 1er août 1975 au 31 mars 1984, la commission s'est vu saisir de 28 897 requêtes, demandes ou appels. Elle a rendu 14 905 décisions au cours de la même période, un certain nombre de dossiers ayant été réglés par voie de désistement ou de règlement entre les parties. Pour la seule année 1983-1984, la commission a rendu 2871 décisions, soit 1183 en aide sociale, 65 en protection du malade mental, 20 en services de santé, 280 en régime de rentes, 1033 décisions en matière d'accidents du travail et 290 en matière d'assurance automobile.

La commission est actuellement composée de 23 membres-avocats et de 29 assesseurs. Tous les membres-avocats exercent leur fonction à temps plein et de façon exclusive. Parmi les assesseurs, 9 médecins sont aussi à temps plein et il en est de même pour les 7 assesseurs de la division de l'aide et des allocations sociales. Sur 29 assesseurs, la commission compte donc 15 assesseurs à temps plein.

La commission est itinérante. Bien qu'elle possède deux secrétariats, un à Montréal et l'autre à Sainte-Foy, elle siège dans toutes les régions économiques du Québec. Les rôles d'audition sont construits de telle façon qu'à l'intérieur de chaque période de trois mois toutes les régions, dans les six divisions, sont parcourues par des bancs de la commission pour un minimum d'une fois et parfois plusieurs fois. Avec le nombre actuel de membres et d'assesseurs, la commission peut constituer, chaque semaine d'audition, cinq bancs en aide sociale, un banc en régime de rentes, cinq bancs en accidents du travail, un en assurance automobile, un en services de santé et deux en protection du malade mental.

Les rôles d'audition prévoient l'audition de six causes par jour, par banc, pour les divisions: aide sociale, régime de rentes, accidents du travail, assurance automobile, à raison de trois jours par semaine, de sorte qu'environ 216 dossiers sont au programme chaque semaine et 5832 par année. Mais comme elle fait face à un gros problème de remises, 29%, la commission réussit à procéder dans 4141 dossiers, effectivement. Je reviendrai d'ailleurs sur cette question tantôt.

Il y a lieu de préciser aussi que, suivant la loi de la commission, celle-ci doit procéder à des auditions dans tous les cas qu'elle entend les parties avec leurs témoins et qu'elle procède de novo, c'est-à-dire qu'elle doit recevoir toute preuve supplémentaire apportée par les parties et reliée évidemment à l'objet de l'appel, cependant. Ses décisions doivent être rendues par écrit et être motivées. Elles sont publiées dans des recueils de jurisprudence administrés par SOQUIJ.

Voilà, dans ses grandes lignes, une description de ce qu'est la Commission des affaires sociales, description, je pense, qu'il faut avoir à l'esprit pour analyser la situation actuelle en matière d'accidents du travail.

Sauf dans la division des accidents du travail, je pense que c'est important de le souligner, la commission n'accuse pas de retard appréciable dans l'audition des appels qui sont interjetés auprès d'elle. Ainsi, dans les divisions de l'aide et des allocations sociales, du régime de rentes, de l'assurance automobile, des services de santé et des services sociaux, de la protection du malade mental, la commission contrôle la situation et répond adéquatement à la demande et cela, depuis la création de la commission.

Par contre, dans la division des accidents du travail, la situation est problématique et a finalement toujours été difficile. Ainsi, en novembre 1984, il existait encore 4330 appels en suspens dans la division des accidents du travail auxquels il faut ajouter un résidu de 625 appels, dont l'audition avait été remise à la demande de l'une ou l'autre des parties.

La commission a commencé à entendre des appels dans cette division en octobre 1977. Depuis cette date, le rythme de l'augmentation des déclarations d'appel qui, je le rappelle, avaient été prévues, à l'origine, à 400 cas par années environ, a

varié de la façon suivante: 1977-1978, 87; 1978-1979, 306; 1979-1980, 1028; 1980-1981, 2357; 1981-1982, 1441; 1982-1983, 1805; 1983-1984, 2428. Il faut noter que, pour l'année 1983-1984, le nombre d'appels reçus constituait une augmentation de 33% comparativement à l'exercice 1982-1983.

Pour l'année 1984-1985 que nous vivons, la situation s'aggrave plus encore. D'avril à octobre 1984, 1870 déclarations d'appel ont été reçues, soit une moyenne de 267 par mois. Si cette moyenne se maintient - elle se vérifie, en fait, en janvier - le nombre d'appels atteindra 3205 pour le présent exercice. C'est donc dire qu'en deux ans la commission aura reçu plus de 5600 appels dans cette division.

À l'évidence, la commission ne réussit pas à disposer, dans un délai raisonnable, de ce flot d'appels reçus. Dans la région de Montréal, le délai peut atteindre deux ans -en vérifiant hier, on en arrive à un délai de 21 mois dans la région de Montréal - alors qu'il peut dépasser un an dans la région de Québec.

Dans ses rapports annuels et dans des communications écrites et verbales, la commission a alerté les autorités gouvernementales sur cette situation et a tenté de trouver des solutions. Plusieurs causes expliquent cette situation.

L'insuffisance des effectifs à la commission. Les appels dans cette division devaient au départ, selon la loi, être entendus par des bancs composés de deux membres-avocats et d'un assesseur-médecin. C'est d'ailleurs la règle prévue dans la loi. Avec le nombre de membres et d'assesseurs qui prévalait en 1977, la commission ne pouvait constituer plus d'un banc par semaine pour entendre les appels reçus dans cette division sans compromettre l'audition des appels dans les autres divisions, ce que la commission n'a jamais voulu faire. En conséquence, la commission ne pouvait inscrire plus de 325 appels par année dans la division des accidents du travail.

Depuis 1980, le nombre de membres-avocats a été porté de 14 à 20 et, en décembre 1981, la loi sur la commission a été amendée de manière à autoriser le président à réduire le quorum prévu de trois personnes dans cette division à deux personnes, soit la proportion un avocat et un médecin maintenue. De même, le nombre d'assesseurs-médecins a été augmenté et six assesseurs-médecins à temps plein ont été engagés à partir de 1982 et en 1983, de sorte que la commission a pu compter sur sept médecins à temps partiel et six médecins à temps plein pour couvrir la division des accidents du travail, mais aussi celle de l'assurance automobile et des services de santé et des services sociaux pour lesquels les assesseurs-médecins sont également assignés.

Avec ces mesures, la commission a pu commencer à constituer quatre et parfois cinq bancs par semaine, au lieu d'un seul, dans la division des accidents du travail, à partir du rôle d'avril 1982. Ainsi, en 1982-1983, la commission a pu étudier, toujours dans la division des accidents du travail seulement, 1703 appels et, en 1983-1984, 1941 appels.

Il faut aussi ajouter, et j'y ai fait allusion tantôt, que plus du quart des appels, 29%, ainsi inscrits au rôle sont remis à la demande de parties pour les raisons suivantes: expertises médicales attendues, maladie, témoins manquants, procureurs ou représentants qui ne peuvent procéder, etc. Quand la remise est demandée et finalement accordée, il est souvent trop tard pour remplacer l'appel inscrit par un autre, la commission devant adresser un avis d'un mois pour une audition et les rôles étant constitués deux mois à l'avance.

Pour remédier à ce problème de remises, la commission a effectué des conférences préparatoires avec les parties et a tenté d'être plus sévère avec celles-ci, mais elle n'a pas pu améliorer sensiblement la situation. La commission a donc augmenté le nombre de cas par jour d'audition pour compenser les remises. (14 h 30)

Avant janvier 1985, la commission inscrivait au rôle 15 appels par semaine; maintenant, depuis janvier 1985, elle inscrit 18 appels par semaine, par banc, en raison de 5 bancs par semaine. Je dois préciser que, depuis la fin de janvier 1985, la commission a commencé à constituer sept et huit quorums par semaine dans la division des accidents du travail. Il faut reconnaître que, malgré ces mesures adoptées trop tardivement, la commission n'a pas réussi à réduire le nombre des appels qui restaient en suspens, le rythme d'augmentation des appels s'accentuant toujours davantage et le solde accumulé étant trop considérable.

Trois autres membres-avocats et trois autres assesseurs-médecins, tous à temps plein, se sont ajoutés récemment par décision du Conseil des ministres, de sorte que le nombre de bancs, comme je l'ai indiqué tantôt, a pu être porté, à compter de la fin de janvier 1985, à huit par semaine.

Le projet de loi 42, même s'il prévoit le transfert de la juridiction de la Commission des affaires sociales en accidents du travail à un nouvel organisme d'appel, précise que les appels en suspens demeurent à la Commission des affaires sociales. La commission doit donc disposer de 4900 appels en suspens et ceux qui pourraient être interjetés dans les mois à venir, selon la loi actuelle des accidents du travail.

Le gouvernement vient tout juste d'autoriser encore la commission à augmenter ses effectifs, pour cependant une période de

deux ans, de quatre nouveaux membres et quatre nouveaux médecins, de manière à constituer douze bancs par semaine en accidents du travail et afin de disposer d'ici à deux ans du nombre d'appels en suspens.

Bref, le retard de la Commission des affaires sociales dans la division des accidents du travail s'explique surtout par l'insuffisance de ses effectifs au cours de ces dernières années. Mais aussi, on peut avancer d'autres raisons qui expliquent cette situation.

Le nombre des appels: si l'addition de nouveaux effectifs n'a pas suivi le rythme de l'augmentation des appels, c'est que, dès 1980, les autorités gouvernementales ont manifesté l'intention de proposer l'adoption d'une nouvelle loi sur les accidents du travail qui devait contenir, dans une certaine mesure, le flot des contestations et régler en particulier le problème de l'application de l'article 38, paragraphe 4, de la Loi sur les accidents du travail concernant la diminution réelle de capacité de travail, matière qui génère évidemment beaucoup d'appels à la Commission des affaires sociales.

La Loi sur la Commission des affaires sociales avait même été amendée en 1980, l'article 22.1, pour autoriser le président et les vice-présidents à retourner à la Commission de la santé et de la sécurité du travail les dossiers des appelants dont la diminution réelle de capacité de travail n'avait pas été évaluée. Ainsi, par ordonnance, nous avons retourné, en 1981, 795 dossiers a la CSST pour une nouvelle décision. Beaucoup de ces dossiers reviennent, semble-t-il, encore en appel auprès de la commission parce que le travailleur accidenté n'est pas satisfait du nouveau pourcentage d'incapacité qui lui a été alloué par la CSST, même avec la nouvelle formule développée par la CSST dans une directive qui n'a jamais pris la forme d'un règlement et qui ne peut, légalement, lier la Commission des affaires sociales en appel.

On devait également trouver un règlement plus satisfaisant des contestations au niveau des agents d'indemnisation et des bureaux de révision de la CSST, de manière à limiter, dans une certaine mesure aussi, le nombre des appels interjetés à la commission.

En attendant un règlement de ces problèmes, des appels étaient interjetés chaque mois auprès de la commission au rythme que j'indiquais plus avant.

Dans l'état actuel des choses, pour répondre, d'une part, aux appels qui sont interjetés et pour disposer, d'autre part, du cumul des appels en suspens, la commission -comme je l'ai indiqué tantôt - devrait constituer douze bancs par semaine dans cette seule division des accidents du travail.

De cette façon, la commission pourra prévoir 6264 appels et disposer de 4448 dossiers par année, si le pourcentage des remises, 29%, se maintient et ne peut être amélioré.

La commission doit donc compter sur deux autres années au minimum pour se mettre à jour dans cette division et cela à compter de l'entrée en fonction des nouveaux membres et assesseurs.

Voilà la situation telle qu'elle se présente actuellement à la Commission des affaires sociales dans la division des accidents du travail. Je vous indique respectueusement que, pour les raisons indiquées, on ne peut donc tenir la commission responsable de cette situation.

Le recours en appel: l'expérience vécue à la commission, dans cette division des accidents du travail, indique qu'outre l'addition de nouveaux effectifs, qui ne devraient pourtant pas dépasser un certain seuil, il faut améliorer la loi de telle sorte que celle-ci facilite le règlement de la grande majorité des litiges à la satisfaction des parties au sein de l'organisme de première instance; autrement, l'instance d'appel ne pourra jamais suffire à la tâche. On constate que la situation vécue dans la division des accidents du travail ne se reproduit pas dans les autres divisions de la commission.

L'appel - cela est vrai dans le secteur administratif et le secteur judiciaire - ne doit pas avoir pour objet de faire reprendre par un second organisme toutes les décisions administratives rendues par le premier; autrement, le premier organisme n'obtiendra jamais la crédibilité nécessaire pour atteindre l'efficacité recherchée et l'organisme d'appel sera tôt engorgé, encore qu'il faudra le structurer par des équipes semblables à celles du premier organisme.

Il m'apparaît que l'appel doit concerner certaines matières importantes susceptibles d'être traitées adéquatement par un organisme d'appel. En d'autres termes, l'appel doit avoir un caractère normatif. Le but de l'appel est de dégager une jurisprudence qui doit guider l'organisme de première instance dans son action. Le rôle de l'organisme d'appel est principalement de vérifier l'application des lois et des règlements et non de substituer sa discrétion à celle qui est attribuée à l'organisme de première instance. Ou bien faut-il encadrer la discrétion de l'organisme de première instance par des règlements susceptibles d'application et d'interprétation par l'organisme d'appel?

Il importe de bien mesurer aussi l'opportunité de confier certaines matières au processus d'appel. Il est aussi important de ne pas attribuer à l'organisme d'appel un rôle qui n'est pas le sien. On risque autrement de se retrouver avec un organisme d'appel aussi considérable, par ses juridictions et par le personnel requis, que l'organisme

de première instance.

C'est dans cette perspective que je voudrais maintenant aborder la question du transfert de juridiction proposée par le projet de loi 42. On m'a indiqué que vous désiriez connaître mon point de vue à cet égard et vous savez que cette proposition affecte évidemment la juridiction de la commission.

Au moment où l'Assemblée nationale s'apprête à remplacer la loi actuelle des accidents du travail par une nouvelle loi qui a pour objet de substituer au régime actuel d'indemnisation un nouveau régime de remplacement du revenu et de régler plus convenablement les litiges et maintenant que les effectifs de la Commission des affaires sociales commencent à être comblés plus adéquatement, on envisage de transférer la juridiction d'appel de la commission en matière d'accidents du travail à un nouvel organisme.

Le nouveau projet de loi sur les accidents du travail s'inspire dans une certaine mesure de la Loi sur l'assurance automobile en ce qui a trait au régime de remplacement du revenu. Or, la Commission des affaires sociales, outre sa division des accidents du travail, entend depuis 1979 les appels interjetés à l'encontre des décisions de la Régie de l'assurance automobile. Le rythme des appels se situant aux environs de 450 par année, la Commission des affaires sociales n'accuse pas de retard dans ce domaine.

Il s'agit, dans les deux cas, de mesures de sécurité du revenu qui relèvent d'avantage du droit social que du droit du travail. Il en est de même du régime de rentes et de l'aide et des allocations sociales.

C'est une des raisons pour lesquelles, semble-t-il, les autorités gouvernementales, en 1977, avaient décidé de confier la juridiction d'appel en matière d'accidents du travail à la Commission des affaires sociales plutôt qu'à d'autres organismes spécialisés en droit du travail. L'expérience acquise par la commission et la jurisprudence cohérente qu'elle a développée dans le domaine de la sécurité du revenu et plus particulièrement dans le domaine des accidents du travail et celui de l'assurance automobile sont de toute évidence appréciables.

Sur ce plan, je ne peux que vous référer à des études indépendantes qui ont été effectuées par des spécialistes et qui contiennent des appréciations favorables sur la Commission des affaires sociales: le volume "La Commission des affaires sociales: tribunal administratif d'appel", publié par le Laboratoire de recherche sur la justice administrative de la faculté de droit de l'Université Laval; le volume de la Commission de réforme du droit portant sur la Commission fédérale des pensions et la Commission des affaires sociales; le "Traité de droit de la santé et des services sociaux" du Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal.

Dans l'ensemble, à travers les brefs d'évocation qui ont été intentés contre la commission, le rôle et le fonctionnement de la commission ont été aussi appréciés favorablement par les tribunaux supérieurs. En conséquence, il m'apparaît que la Commission des affaires sociales devrait continuer à assumer, à tout le moins, la juridiction qui lui a été confiée dans le domaine des accidents de travail - y compris la nouvelle loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles - si les autorités gouvernementales lui octroyaient les ressources et les outils nécessaires.

Dans les matières qui seraient confiées au nouvel organisme d'appel, outre les appels émanant de la nouvelle loi sur tes accidents du travail et les maladies professionnelles, il est aussi question des appels en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. La Commission des affaires sociales a déjà juridiction, suivant cette dernière loi, en matière de retrait préventif, quant à l'aspect de l'indemnisation accordée, et de la destitution du médecin responsable des services de santé dans l'établissement.

En matière de réadaptation, la commission exerce déjà une juridiction d'appel, mais sur des aspects spécifiques et bien réglementés en vertu de la Loi sur l'assurance automobile et de la loi concernant les personnes handicapées. Quant aux autres matières qui ne concernent pas la sécurité du revenu, mais plutôt la santé et la sécurité du travail, qui ne peuvent actuellement faire l'objet d'un appel et que le projet de loi veut soumettre à un processus d'appel, il faut reconnaître que la Commission des affaires sociales n'a pas d'expérience spécifique dans ce domaine. Mais, sous réserve des remarques que je formulais concernant la nature et le rôle d'un organisme d'appel, la commission pourrait être saisie de certaines de ces matières, si évidemment elle obtenait les ressources nécessaires.

Je suis en effet frappé par la similitude des caractères que l'on veut attribuer au nouvel organisme d'appel avec ceux de la Commission des affaires sociales: organisme déjudiciarisé, accessible, peu formaliste, multidisciplinaire. Quant aux deux caractéristiques que l'on dit lui manquer, l'adaptation à la culture des parties et la régionalisation, il y aurait lieu de faire les remarques suivantes.

La Commission des affaires sociales a déjà une certaine affinité avec le monde du travail par sa juridiction, en matière des accidents du travail et des maladies professionnelles, où elle entend quand même des appels depuis 1977, et en matière de retrait préventif. Certains des membres et assesseurs-médecins ont une expérience du

monde du travail ou de la santé et de la sécurité du travail et ont été nommés par le gouvernement à cause de cette expérience. Il semble que les travailleurs, malgré les délais prévalant actuellement, voudraient bien conserver, en matière de réparation, un droit d'appel ultime à la Commission des affaires sociales.

Quant à la régionalisation, si elle est justifiée au niveau de l'organisme de première instance que constitue la CSST, elle m'apparaît beaucoup moins fondée au niveau d'un organisme d'appel. Ce qui importe c'est que l'organisme d'appel puisse siéger systématiquement dans toutes les régions économiques du Québec, suivant les besoins. (14 h 45)

Je crois que le fonctionnement actuel de la Commission des affaires sociales, laquelle effectue des auditions dans toutes les régions, en partant de ses bureaux de Québec et de Montréal, offre plus d'avantages: une meilleure utilisation des membres et des assesseurs qui assument une tâche plus équivalente et mieux répartie; la possibilité de mariages de juridictions dans les régions où il y a moins d'appels dans une juridiction spécifique et de constituer une équipe volante pour répondre plus rapidement aux appels urgents, ce que fait la commission, en matière d'aide sociale et en matière de protection du malade mental; une meilleure cohérence dans la jurisprudence qui s'élabore pour l'ensemble du territoire et un souci de traiter également les bénéficiaires de toutes les régions, étant donné la rotation dans la désignation des membres et des assesseurs; finalement, des économies au plan du personnel et des locaux nécessaires, en dépit des frais de déplacement versés aux membres et aux assesseurs qui voyagent.

A-t-on songé à régionaliser d'autres organismes d'appel comme le Tribunal du travail ou le Tribunal de l'expropriation?

Avant de terminer, je voudrais attirer votre attention sur des dispositions transitoires du projet de loi qui peuvent créer, en plus d'une plus grande confusion dans les recours, une situation qui risque de durer longtemps. Le projet de loi prévoit laisser les dossiers d'appel en attente à la Commission des affaires sociales malgré la création d'un nouvel organisme d'appel. De plus, tout accident survenu antérieurement à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi demeure régi par la Loi sur les accidents du travail et sujet à la révision administrative de la CSST et à un appel à la Commission des affaires sociales. Outre les 4900 appels en suspens, combien d'appels seront interjetés dans le cas des dossiers actuellement en attente devant les bureaux de révision?

Donc, même avec l'adoption de la nouvelle loi, il est à prévoir que la Commission des affaires sociales continuera à entendre pendant plusieurs années des appels en vertu de la loi actuelle des accidents du travail. Je vous ai indiqué que, pour disposser de ce solde d'appels en suspens et de nouveaux appels résultant d'accidents survenus antérieurement à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, les autorités gouvernementales ont décidé d'augmenter le nombre de membres et assesseurs-médecins pour une période de deux ans.

Pendant cette période, qui risque, à mon avis, de s'allonger si des appels sont interjetés, deux organismes d'appel vont siéger en parallèle, la Commission des affaires sociales avec, évidemment, ses vieux dossiers et ses délais et le nouvel organisme avec une nouvelle loi et aucun retard. Ajoutez à cela la CSST qui aura à répondre de ses dossiers devant deux organismes d'appel, pour ne pas parler des bénéficiaires.

Il faut savoir qu'il peut s'agir très souvent des mêmes appelants qui exercent dans le temps plusieurs recours: droit à la compensation, indemnité pour incapacité temporaire, indemnité pour incapacité permanente, réclamations suivant l'article 38.4 de la loi actuelle, aggravation ou rechute, nouvel accident.

Certaines décisions du nouvel organisme devront dépendre des décisions de la commission portant sur ces matières pour statuer sur les nouvelles matières: réadaptation, prévention, etc.

Il en résultera une confusion, des délais encore plus grands et une insatisfaction plus marquée de la part des parties. Des décisions contradictoires pourront émerger. Exemple: la Commission des affaires sociales pourrait décider qu'une maladie professionnelle résulte du travail, suivant l'ancienne loi, alors que le nouvel organisme, à la suite d'une aggravation ou d'une rechute, pourrait décider pour le même accidenté que tel n'est pas le cas, ou inversement.

J'attire votre attention sur le fait que le projet de loi prévoit que les victimes d'actes criminels et de sévices continueront à être régies par la Loi actuelle sur les accidents du travail et à interjeter des appels à la Commission des affaires sociales. Pourquoi ne pas assujettir ces victimes au nouveau régime de remplacement du revenu comme les victimes d'accidents d'automobile et dorénavant d'accidents du travail? Autre source de confusion à prévoir dans les recours et de mécontentement!

Toutes ces raisons militent, à mon sens, pour le maintien, à tout le moins, de la juridiction de la Commission des affaires sociales en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles, pour autant que la commission obtienne les ressources et les outils nécessaires. La confusion qui pourrait subsister dans les recours m'apparaît beaucoup moins grande que la solution proposée dans le projet de loi.

En terminant, je suggère respectueuse-

ment.

Que toutes les matières concernant l'indemnisation des travailleurs victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, l'indemnisation des retraits préventifs demeurent de la juridiction de la Commission des affaires sociales car il s'agit de mesures de sécurité du revenu;

Que, si jugés opportuns, les recours en matière de réadaptation, d'assistance médicale, de prévention, de cotisation, classification, imputation des coûts soient aussi confiés à la Commission des affaires sociales, car il s'agit de mesures complémentaires au nouveau régime envisagé de remplacement du revenu des travailleurs accidentés;

Que l'on envisage de confier plutôt les recours en matière d'inspection, de droit de refus de travailler en cas de danger, d'ouverture ou de fermeture d'établissement à d'autres instances actuellement existantes: commissaires du travail, Tribunal du travail, Commission des normes du travail, etc., en attendant la réforme envisagée des tribunaux administratifs.

Que, subsidiairement, ces derniers recours soient confiés è la Commission des affaires sociales dont la fonction serait alors élargie à des mesures de sécurité du travail plutôt qu'à un nouvel organisme d'appel;

Et enfin que les ressources et les outils nécessaires soient accordés à la Commission des affaires sociales pour lui permettre de disposer adéquatement et dans des délais enfin raisonnables de ces nouvelles juridictions.

Je vous remercie de votre attention et de l'occasion que vous m'avez donnée de vous soumettre avec franchise mon point de vue sur ces questions.

Le Président (M. Beauséjour): Je vous remercie. À moins que vous n'ayez d'autres commentaires à apporter qui ne font pas l'objet de votre document, nous pourrions tout de suite passer à la période de questions des membres de la commission.

M. le ministre.

Discussion générale M. Raynald Fréchette

M. Fréchette: M. le Président, permettez-moi quelques remarques et quelques observations préliminaires dont la première, évidemment, pour remercier le juge Poirier, de même que ses deux vice-présidents, Me Turcotte et Me Harvey, de s'être aimablement prêtés à l'invitation qu'on leur a transmise de venir nous fournir les renseignements qui sont utiles pour les fins des travaux que nous sommes à mener actuellement. Il est assez rare, M. le juge, que ce soient les avocats qui questionnent le juge, mais il semble bien que, dans ce cas-ci, ce soit le mécanisme qui va finir par jouer.

M. Bisaillon: Vous n'insultez pas tout le monde, on n'est pas tous avocats.

M. Fréchette: Non, je regarde autour de la table, et il semble qu'on s'entend bien.

Juste un commentaire sur une de vos observations qu'on retrouve à la page 7, dans lequel vous nous manifestez votre évaluation quant au fait que ce n'est pas la Commission des affaires sociales qui est, pour utiliser le terme que vous avez vous-même utilisé, "responsable" de la situation que vous nous avez décrite. Soyez bien convaincu qu'aucun des membres... Je n'ai pas d'autorité ni de mandat pour parler pour les uns et les autres, mais je serais étonné que l'un ou l'autre d'entre nous n'en vienne effectivement à la conclusion qu'il y a une responsabilité de quelque nature qu'elle soit de la part de la commission elle-même.

L'exercice auquel nous nous livrons cet après-midi a un seul et unique objectif, soit celui de nous éclairer de la meilleure façon possible quant à des décisions importantes que nous allons devoir prendre, sinon dans les heures, du moins dans les quelques jours qui sont devant nous. C'était essentiellement et uniquement la raison pour laquelle nous avons souhaité que vous puissiez venir jeter cet éclairage.

Au-delà de ça, le seul intérêt qui nous guide - je pense que vous devez sans doute être animé par le même sentiment - c'est l'intérêt de ceux et celles qui, finalement, font appel à ces organismes-là.

Une observation que je retrouve et que vous nous avez livrée d'ailleurs, mais qu'on retrouve dans votre mémoire, et qu'il est important pour moi de retenir: vous émettez l'opinion que, s'il existait des mécanismes qui permettraient de régler un certain nombre de litiges à la source ou à l'intérieur même de l'organisme dont ils proviennent, cela pourrait, de toute évidence, avoir comme effet de libérer le rôle dont vous venez de nous parler. Avez-vous en tête des appréciations ou des évaluations quant à la forme ou à la nature que pourrait avoir une semblable institution à l'intérieur des organismes qui sont finalement la source de l'alimentation de votre Commission des affaires sociales?

M. Poirier: Vous permettez?

M. Fréchette: Oui, allez, bien sûr.

M. Poirier: Si vous me permettez, juste une petite remarque peut-être au sujet de votre première observation. J'ai tenu cependant à expliquer un peu le pourquoi du retard de la commission parce que, compte

tenu des lettres ou des appels que nous recevons des comtés, c'est la grande question qu'on nous pose: Pourquoi cela prend-il autant de temps? C'est la raison pour laquelle j'ai voulu expliquer à quoi est dû le retard qui est principalement un problème d'effectif.

Pour revenir sur cette question, je n'ai pas envisagé de mesures spécifiques, sauf que je peux vous donner l'expérience de la commission dans d'autres divisions. Je regarde dans le domaine de l'aide sociale, qui en a quand même un volume considérable. La commission reçoit en appel à peine 1000 demandes par année, ce qui veut dire qu'au niveau des agents du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu et au niveau des bureaux de révision, ces gens ont développé une forme de relation avec les parties ou des mécanismes de conciliation et, je dirais, une certaine crédibilité qui fait que beaucoup de cas sont tamisés et réglés à ce niveau. Il y a évidemment aussi la présence, par exemple - je le souligne entre parenthèses - de l'aide juridique en matière d'aide sociale où la commission recevait auparavant 50% d'appels en matière de tarifs. La commission ne reçoit plus d'appels en matière de tarifs. Les avocats de l'aide juridique indiquent clairement que, de toute façon, le maximum étant la, cela ne donne rien d'aller en appel. Donc, il y a une crédibilité, il y a un fonctionnement qui a été développé avec les bénéficiaires au sein des agents de première instance et au sein des bureaux de révision.

Au niveau de la CSST, cette forme de mécanisme existe aussi et les bureaux de révision, me semble-t-il, de la façon qu'ils étaient composés à une certaine époque, meublaient cette crédibilité-là. Si on remplace cela par une formule de révision administrative, je ne sais pas quelle crédibilité cela va développer au niveau des parties. En d'autres termes, il faut permettre avant l'appel la possibilité qu'un réexamen soit fait avec tous les éléments en première instance et essayer de limiter les appels aux cas qui nécessitent le développement d'une norme quelconque jurisprudentielle et autre.

Dans votre projet de loi - je ne voudrais pas entrer dans les détails du projet de loi parce que, sur le contenu même du projet de loi, évidemment, je n'ai pas fait une étude en profondeur - tout le problème de l'aspect médical et de la contestation de l'aspect médical, vous semblez y trouver des solutions. Je ne sais pas si elles seront retenues, mais, en tout cas, il y a des éléments de solution. Il est sûr que, si des éléments comme cela sont réglés à ce niveau-là, évidemment, on ne viendra pas en appel avec ces matières.

M. Fréchette: Je reviens maintenant à la page 4 de votre mémoire où vous nous indiquez que, dans les autres matières que les appels en matière d'accidents du travail, le délai n'accuse pas de retard appréciable. Pourriez-vous préciser quelle peut être la moyenne de ce délai avant de procéder à l'audition pour les matières qui proviennent des autres juridictions? (15 heures)

M. Poirier: Pour procéder à l'audition, cela se fait très rapidement. En matière d'aide sociale, les gens peuvent être entendus à l'intérieur de trois mois, selon la date de l'entrée de l'appel. Comme les rôles sont préparés deux mois d'avance, évidemment, si l'appel entre à la fin d'un mois, il peut se retrouver sur le troisième. Il faut compter que la décision, dans la très grande majorité des cas - je ne dis pas qu'il n'y a pas des cas conjoncturels plus longs - c'est à l'intérieur de trois mois. On peut donc dire que, dans six mois, il peut être entendu et recevoir sa décision.

M. Fréchette: Toujours à la même page et en revenant aux chiffres qui y sont indiqués, je comprends qu'actuellement... Enfin, qu'on me permette l'expression, le "case load" en matière d'appels provenant de la Loi sur les accidents du travail est de 4330 dossiers. Vous prévoyez également des inscriptions pour... D'avril à octobre 1984, 1870 déclarations d'appels ont été reçues, soit une moyenne de 267 par mois. Si cette moyenne se maintient, le nombre d'appels atteindra 3205 pour le présent exercice et, en deux ans, 5600. C'est le rythme de croisière que vous prévoyez. Encore là, on n'est qu'en matière d'indemnisation. Si je comprends bien, la juridiction de votre commission dans cette matière concerne ou bien le droit à l'indemnisation ou alors, si le droit a déjà été reconnu et qu'il n'en ait pas fait appel, le quantum. Vous ne traitez pas actuellement de dossiers, par exemple, de réadaptation. Vous ne traitez évidemment pas de droit de retour au travail, cela n'existe pas encore, de dossiers d'assistance médicale. Vous ne traitez pas non plus de dossiers en matière de cotisation, ni non plus de dossiers en matière... Enfin, d'aucune autre matière que celle dont on vient de parler, c'est-à-dire ce droit à l'indemnisation ou alors le quantum.

M. Poirier: Si vous me permettez, il faut peut-être ajouter les retraits préventifs.

M. Fréchette: Ah oui!

M. Poirier: II faut peut-être ajouter la diminution de capacité de travail, à moins que vous ne le compreniez dans le quantum qui génère la plupart de nos appels, le problème de 38.4. Il faut aussi ajouter les appels - et ils sont de plus en plus nombreux; je n'ai pas évalué exactement le

chiffre - en matière de victimes d'actes criminels.

M. Fréchette: D'accord.

M. Poirier: Alors, c'est en gros les matières, mais vous avez raison de dire que, dans les autres matières, on n'a pas de juridiction actuellement.

M. Fréchette: M. le Président, M. le juge Poirier, si on va à la page 5 de votre présentation, vous indiquez à la fin de la page, à l'avant-dernier paragraphe, qu'en 1982-1983 la commission a pu inscrire au rôle 1703 appels et, en 1983-1984, 1941. Je comprends que, lorsque vous faites référence à la possibilité d'inscrire au rôle pour fins d'auditions... Suis-je exact d'évaluer? Remarquez que je pourrais faire le calcul rapidement, mais, en vous le demandant, on va avoir la réponse plus vite. À cause de toutes les circonstances que vous nous avez expliquées, la commission, dans l'état actuel des choses, a de la difficulté à inscrire un nombre de causes qui soit l'équivalent des inscriptions en appel qui vous arrivent.

M. Poirier: Si vous me le permettez, actuellement, nous n'aggravons pas le retard accumulé. Cela veut dire que nous répondons aux appels. Ce ne sont pas nécessairement les appels qui entrent, mais, en chiffres, on ne l'aggrave pas trop considérablement, me dit mon vice-président. Mais il est possible que cela s'aggrave, s'il y a plus d'appels qui entrent. Mais c'est exact qu'on a actuellement de la difficulté à entamer le solde des appels en suspens. On répond à peine aux appels qui entrent, et même encore, il faut reconnaître que, pour les appels qui entrent, je ne suis pas sûr, si le rythme d'augmentation des appels continue, qu'on va y réussir.

M. Fréchette: Vous avez aussi une préoccupation, me semble-t-il, en tout cas, fondamentale quant à la nécessité de libérer dans les meilleurs délais ces 4300 ou 4900 dossiers dont on parle. Toutes choses étant normales, quelle est la prévision quant au délai ou au temps nécessaire pour procéder effectivement à libérer ces dossiers qui sont actuellement accumulés?

M. Poirier: Voyez-vous, tout dépend du nombre de membres et d'assesseurs. J'ai prévu qu'avec douze bancs par semaine - ce qui implique les dernières augmentations d'effectifs qui ont été accordées, mais uniquement pour une période de deux ans, ce qui veut dire qu'il va falloir le vérifier -avec douze quorums par semaine, la commission va inscrire 6264 cas. Évidemment, on n'entendra pas les 6264 cas, parce qu'à cause des remises nombreuses qu'on a essayé de toute façon de contrôler, de toutes les manières, nous allons procéder dans 4448 cas. Alors, il faut compter deux années complètes à partir du moment où tout le monde va être entré en fonction et va être, évidemment, en mesure de siéger; deux années pour disposer de ce solde.

M. Fréchette: Est-ce que je dois comprendre, M. le juge, que la procédure du greffe fait en sorte que ce sont les dossiers qui sont inscrits les premiers qui sont ' auditionnés les premiers aussi?

M. Poirier: Oui.

M. Fréchette: Alors, à partir de l'évaluation que vous venez de faire et en considérant strictement ce que vous avez déjà comme travail, cela prendra deux ans à libérer les 4900 dossiers dont on parle et, pendant que vous allez travailler à libérer ces 4900 dossiers, vous pourriez recevoir environ 5000 nouveaux appels. Exact?

M. Poirier: Oui, je l'ai indiqué, c'est deux ans. Voyez-vous, 21 mois d'attente à Montréal, plus d'un an à Québec. Évidemment, en disposant, dans les deux années qui viennent, du solde des appels, on va graduellement améliorer la situation. Mais il est possible que cela prenne quatre ans finalement, avant de pouvoir avoir un rythme normal.

M. Fréchette: Maintenant, vous procédez aussi à identifier, de façon très précise, de façon expresse, les causes du phénomène. C'est ce qu'on voulait aussi savoir, ce sur quoi on voulait être renseigné.

Il y a manifestement un manque de ressources. Cela a l'air clair à la seule audition des chiffres que vous nous soumettez. Il y a également le phénomène des remises, une proportion de 29% des dossiers qui entrent chez vous, pour les motifs que vous indiquez, les expertises médicales ne sont pas complétées, les procureurs ne sont pas prêts à procéder, enfin pour toute espèce de motifs, qui sont l'objet de remises. Et ce qui devient davantage inquiétant, c'est que vous nous avez dit avoir fait des efforts pour tenter de corriger cette situation-là; malgré les efforts que vous avez faits, il semble bien qu'il va falloir vivre avec la situation d'une façon presque désespérée. Avez-vous identifié des motifs pour lesquels les efforts que vous avez mis à essayer de faire en sorte que des remises ne soient pas accordées en aussi grand nombre... Pourquoi est-ce que cela se produit comme cela?

M. Poirier: Je ne réussis pas à expliquer le phénomène. Je me suis informé dans d'autres milieux. Je ne sais pas quelle

est la situation au niveau des bureaux de révision; mais on m'a dit qu'au niveau de ces derniers, c'était autour de 29% ou 30% de remises.

M. Fréchette: Ah, le phémonène existe!

M. Poirier: À la Régie de l'assurance automobile, au niveau des bureaux de révision, c'est autour de 30%. À la Régie du logement, partout, c'est un peu la même chose. Je vous avoue que je ne comprends pas. Même chez nous, il y a des personnes qui attendent deux ans et qui, au moment où on fixe l'audition, nous demandent une remise parce qu'elles ne sont pas prêtes. Il y a une campagne qu'il faudrait sûrement entreprendre auprès des parties. Je vais vous donner un exemple. Peut-être à cause du temps que cela prend avant de venir devant la Commission des affaires soiales, les bénéficiaires bougent au moment où ils reçoivent leur avis de convocation. S'ils ont besoin d'un médecin, d'un procureur ou de discuter avec leur représentant syndical, c'est au moment où ils reçoivent l'avis de convocation. Il est déjà trop tard. Très souvent, le représentant syndical ou le procureur nous appelle en disant: Écoutez, ils sont venus nous voir il y a une semaine. Je ne suis pas vraiment en mesure de faire une représentation adéquate devant la commission. Il y aurait, à ce moment-là, toute une campagne d'information, pour convaincre un peu les gens. Cela est une des grosses raisons. On n'est pas prêt, même si cela fait deux ans.

Remarquez que, dans la lettre d'accusé de réception de l'entrée d'appel, déjà, au départ, on indique aux gens: Prenez donc les mesures nécessaires pour vous préparer si vous pensez que vous avez besoin de consulter des spécialistes au plan médical; rencontrez votre représentant syndical ou votre procureur. On leur dit cela au départ. Malgré cela, on a ce rythme d'appels. Évidemment, il y a des remises qui sont explicables, maladie ou autres raisons, mais la grande partie des remises, c'est parce qu'on n'est pas suffisamment prêt à procéder à l'appel.

Une voix: II y a les avocats.

M. Poirier: II y a les avocats, les représentants syndicaux, les parties qui ne sont représentées par personne; c'est tout le monde.

M. Fréchette: Maintenant, quel est le sort réserv.é à une cause dans laquelle il y a eu une remise? Est-ce qu'elle revient au pied du rôle?

M. Poirier: On la met au pied du rôle, sauf qu'il peut arriver, exceptionnellement, qu'elle repasse parce que l'implication du nombre d'appels a un effet sur le personnel. Le nombre d'analystes aussi doit être augmenté et il arrive, à certaines périodes, selon les régions, que l'analyste qui prépare le dossier pour l'audition ne puisse pas avoir tous les dossiers prêts, ou encore, dans certains cas, je tiens à le souligner, on attend les dossiers de la CSST. Dans ces cas, qu'est-ce que vous voulez, on met des cas qui ont été remis déjà, mais c'est quand même exceptionnel. Il est remis au pied du rôle et il attend.

M. Fréchette: Maintenant, à la page 8 de votre mémoire, au premier paragraphe, vous dites que l'expérience vécue à la commission dans cette division des accidents du travail indique qu'outre l'addition de nouveaux effectifs, et là vous ajoutez une parenthèse, en parlant des effectifs, qui ne devraient pourtant pas dépasser un certain seuil... Est-ce que vous pourriez être un peu plus explicite à cet égard et nous dire ce à quoi vous vous référez quand vous parlez du seuil?

M. Poirier: À l'origine, la commission était composée de 15 personnes dont 7 membres et 8 assesseurs. Avec les années et à cause, particulièrement, de la division des accidents du travail, et si on donne suite... On n'a pas le choix, il va falloir qu'on procède, nous allons avoir 27 commissaires-avocats et 29 assesseurs. Je me dis, à un moment donné, qu'il faut qu'on se demande ce qu'on veut faire avec un organisme d'appel. Si on veut en faire un monstre... Au point où cela continue, je me demande si, éventuellement, il ne faudra pas doubler la commission. Parce que, malgré tous les efforts qu'on a pu faire, on en est rendu à un point où on se pose la question: Comment va-t-on s'en sortir? C'est beau d'augmenter les effectifs, mais je pense que cela devrait atteindre un certain seuil pour une raison bien simple. Je pense qu'un organisme d'appel, particulièrememnt dans le domaine du droit administratif, est valable dans la mesure où les gens peuvent se parler entre eux, peuvent se rencontrer, peuvent discuter, peuvent échanger un peu leur expérience. Nous, actuellement, on fait de l'adjudication. On entend des cas à tour de bras, excusez l'expression. À un moment donné, on essaie, malgré tout, d'avoir une certaine cohérence dans notre jurisprudence; c'est un tribunal dont les décisions sont finales. Cela a des conséquences, le fait que les décisions sont finales.

Il faut une certaine concertation entre nous. Il faut que ce soit un mécanisme où on a le temps de consulter la doctrine, etc. Si cela devient aussi considérable que d'autres organismes de première instance, j'ai l'impression qu'on va manquer le coup. En

d'autres termes, il faut se poser la question de savoir ce qu'on veut comme organisme d'appel. Si cela dépasse un certain seuil qui est X... Moi, je dis que le seuil est dépassé. Au point où on en est, avec 23 membres, 29 assesseurs, cela devient un organisme considérable qui fait qu'à mon sens, pour certaines personnes, c'est peut-être moins valable, moins intéressant que quand on était une vingtaine de personnes. Alors, il faut se poser la question à savoir quels recours on veut soumettre au processus d'appel. Que ce soit nous, que ce soit un autre organisme, vous allez avoir le même problème.

M. Fréchette: Mais déjà, dans l'état actuel des choses, votre évaluation c'est que, si le seuil n'est pas déjà dépassé, il est très sérieusement sur le point d'être atteint, c'est le moins qu'on puisse dire. Et vous avez atteint ce seuil à partir des actuelles juridictions qui sont les vôtres; de sorte qu'en gardant toujours à l'esprit que vous êtes un tribunal ou une commission d'adjudication, si la juridiction de l'organisme était élargie pour lui donner, par exemple, l'autorité de juger de matières de réadaptation, de juger de matières de cotisation, de classification, de fermeture d'usines, on dépasserait très sérieusement le seuil. C'est une conclusion que je me permets de tirer à partir de vos observations et corrigez-moi si je ne fais pas une analyse juste de la situation. (15 h 15)

M. Poirier: À moins que le rythme d'appel ne soit moins considérable. Si, évidemment, la loi est plus claire, si la réglementation est plus valable, si les mécanismes de première instance jouent davantage... Je n'ai pas fait de comparaison entre les accidentés d'automobile et les accidentés du travail. Il est quand même drôle de constater qu'on a 450 appels en matière d'assurance automobile. Pourtant, c'est vaste la possibilité d'appel en matière d'assurance automobile. Comment expliquer cela? Est-ce normal 3000 appels en matière d'accidents du travail? Peut-être que c'est normal et peut-être qu'il n'y a rien à faire et que cela va toujours être cela. Il y a d'autres questions qu'il faut peut-être se poser sur cela.

M. Fréchette: Cela s'explique peut-être aussi par le nombre de réclamations qui sont dirigées vers l'un ou l'autre des deux organismes. Les renseignements que j'ai, c'est qu'il y a, bon an mal an, quelque 50 000 réclamations qui vont à la Régie de l'assurance automobile et il y en a quelque 300 000 qui vont à la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Cela peut-être ici un autre élément dont il faudrait tenir compte dans le dossier.

M. le Président, je suppose que mon temps est sur le point d'être écoulé. Je voulais simplement en arriver - parce que je veux laisser tout le temps nécessaire à mes collègues de continuer à obtenir des éclaircissements - aux conclusions auxquelles en arrive M. le juge Poirier et c'est ce qu'on lui demandait très précisément, son opinion sur les dispositions qui sont contenues dans le projet de loi 42. À votre opinion, c'est que toute matière d'indemnisation, en d'autres mots que la juridiction que vous avez actuellement en matière d'accidents du travail vous soit conservée et, même en conservant strictement cette juridiction, il va falloir songer sérieusement à augmenter les ressources. Deuxièmement, vous vous déclarez également disposé avec votre organisme à assumer l'adjudication des problèmes de réadaptation, d'assistance médicale, de prévention, de cotisation, de classification, d'imputation des coûts. Vous ajoutez qu'il s'agit de mesures complémentaires au nouveau régime envisagé de remplacement du revenu des travailleurs accidentés.

M. le juge, pouvez-vous nous indiquer si, dans l'état actuel des choses, vos assesseurs, autant avocats que médecins, ont une expérience de ces matières dont on parle - par exemple la réadaptation, la cotisation, la classification de l'employeur - ou s'il faudra procéder à renseigner à cet égard ou à donner une formation à cet égard ou alors à faire le choix de nouveaux assesseurs avec des disciplines spécialisées en ces matières?

M. Poirier: C'est possible. Il faudra examiner si cela prend vraiment, en matière de classification, une catégorie spéciale de gens. Je vous avoue que je ne pourrais pas vous répondre. Il faudra analyser cela. Mais cela n'est pas impossible que les assesseurs soient autres que des médecins, selon ces matières. Ce sont des matières complémentaires et cela dépend aussi du nombre d'appels que peuvent générer ces matières. Les matières de cotisation, de classification, je ne sais pas du tout s'il y a beaucoup de contestations dans ce domaine. Remarquez que j'ai mis les mots "si jugés opportuns".

M. Fréchette: Oui, d'accord. J'ai très bien compris cela.

M. Poirier: C'est sûr que, sur cela, il faut peut-être analyser un peu quel genre de recours devrait être porté en appel.

M. Fréchette: Oui.

M. Poirier: La réadaptation générale, vous allez mettre un organisme d'appel pardessus nous et il va peut-être aussi y avoir d'autres décisions qui vont être rendues.

M. Fréchette: J'ai très bien compris la nature de la réserve que vous mettiez en utilisant les mots "si jugés opportuns", c'est très clair.

La troisième conclusion à laquelle vous en arrivez, c'est que, dans les autres matières comme, par exemple, l'inspection, le droit de refus de travailler en cas de danger, d'ouverture ou de fermeture d'établissement, ces matières devraient être dirigées vers des instances qui existent déjà et vous vous référez nommément aux commissaires du travail, au Tribunal du travail ou à la Commission des normes. La conclusion qui se dégage de la vôtre, c'est qu'au moins pour ces matières vous êtes d'avis que cela ne serait pas votre organisme, à vous, qui devrait être saisi de l'adjudication de ces litiges. C'est cela?

M. Poirier: C'est ça.

M. Fréchette: Merci. C'est complet pour moi. Je vous remercie encore, M. le juge, madame, monsieur.

Le Président (M. Beauséjour): La parole est maintenant au député de Viau.

M. William Cusano

M. Cusano: Merci, M. le Président. J'aimerais, premièrement, remercier, M. Poirier, Mme Turcotte et M. Harvey d'avoir accepté de venir témoigner ici, devant la commission de l'économie et du travail. J'aimerais faire quelques remarques, M. le Président, avant de poser des questions à nos invités.

On a entendu dire encore aujourd'hui que ce projet de loi propose de mettre sur pied, en remplacement de la division des accidents du travail de la Commission des affaires sociales, un tribunal quasi identique. En effet, le chapitre prévoyant sa constitution, sa juridiction, ses pouvoirs, ne semble rien changer à la situation actuelle. On est porté à croire que les concepteurs de ce projet de loi - et je cherche encore aujourd'hui à savoir qui sont les concepteurs de ce projet de loi - veulent changer les personnages, tout en gardant une structure identique.

La perception que nous avons, nous du Parti libéral, ainsi que plusieurs intervenants, c'est que la Commission des affaires sociales a développé, au cours des dernières années, une expertise non négligeable. Ces milliers de cas, et le témoignage d'aujourd'hui de M. Poirier le précise, en matière d'accidents du travail lui ont permis justement une approche, je crois, humaine et équitable, tout en étant rigoureusement juridique. Les seuls critiques - et vous l'avez mentionné, M. Poirier - que je reçois dans mon comté, en ce qui concerne la Commission des affaires sociales, c'est la question du retard. Sur ce point-là, je vais y revenir par une question, un peu plus tard, mais ma première question d'ordre général est la suivante. Puisqu'on propose dans le projet de loi, justement, d'enlever cette division des accidents du travail, j'aimerais savoir, puisque aujourd'hui on en est rendu à l'étude d'une réimpression d'un projet de loi qui lui-même était, selon les dires, la sixième ou septième version d'un avant-projet de loi qui se promenait dans les milieux concernés, j'aimerais savoir si ces concepteurs du projet de loi vous ont consulté sur le projet de loi 42.

M. Poirier: Oui, je dois dire que j'ai eu l'occasion de rencontrer M. le ministre Fréchette sur évidemment la partie qui concerne, je dirais, la juridiction de la Commission des affaires sociales. Sur l'ensemble des autres dispositions du projet de loi, j'ai déjà eu l'occasion, dans le passé, selon les versions, de m'exprimer peut-être surtout sur des aspects techniques, non pas sur des questions de mérite, d'opportunité de telle ou telle mesure.

M. Bisaillon: Après ou avant la consultation?

M. Poirier: Là, je ne pourrais pas vous le dire de mémoire. En tout cas, la rencontre avec M. le ministre, je pense que c'est après le dépôt; avec les gens de la CSST, c'est possible que ce soit avant le dépôt, c'était à l'étape de projet préliminaire. Mes remarques portaient uniquement sur des aspects très techniques concernant les délais d'appel, des choses comme cela. Cela ne portait pas sur le mérite même de la loi.

M. Cusano: M. Poirier, si j'interprète bien vos paroles, est-ce que je dois comprendre qu'en aucun moment on ne vous a indiqué, justement, qu'on avait l'intention de créer un autre organisme et de soustraire de la Commission des affaires sociales la division qui est chez vous présentement?

M. Poirier: Non, je pense qu'à l'occasion de la rencontre avec M. Fréchette celui-ci nous avait indiqué qu'il envisageait de former une nouvelle forme d'appel quelconque et c'est à cette occasion que je lui ai exprimé mon point de vue qui est à peu près, finalement, les remarques que je vous transmets aujourd'hui.

M. Cusano: Qui n'a pas été retenu tel quel. C'est bien. L'autre question, M. Poirier. Les rapports annuels, les chiffres que vous avez donnés aujourd'hui et les témoignages que nous avons parlent, justement, de ce nombre de cas en attente qui semble empirer d'année en année.

Certains intervenants ont mentionné que ces retards s'expliquent principalement par trois phénomènes, le premier étant un phénomène que vous avez expliqué assez bien tout à l'heure. C'est la question du manque de personnel à la Commission des affaires sociales.

Le deuxième phénomène qui est soulevé et qui est reconnu, c'est le refus de la part de la CSST d'appliquer ce qu'on connaît tous, dans le jargon, comme le fameux article 38.4. Même après, si je me rappelle bien, la décision Valade, la commission n'appliquait pas l'article 38.4 comme elle le devait.

Le troisième phénomène - c'est là que j'aimerais avoir votre commentaire - qui, d'après moi, est le problème fondamental, c'est cette insatisfaction de la part des accidentés des bureaux de révision de la CSST. J'ai l'impression que les bureaux de révision ne font que prendre les directives de la CSST pour réviser un cas et non la loi elle-même. Est-ce que je me trompe en faisant cette analyse de ce troisième phénomène?

M. Poirier: Écoutez, je ne pourrai pas vous répondre là-dessus. Je ne le sais pas vraiment. Tout ce que je constate, c'est que, sur le problème de l'article 38.4, évidemment, ce ne sont pas les dispositions de la loi qui sont appliquées. Quant à leurs directives, qu'est-ce que vous voulez, la Cour supérieure a reconnu qu'ils avaient le droit de suivre leurs directives. Alors, c'était un peu étonnant, mais il reste que les directives lient la CSST, mais ne lient pas la Commission des affaires sociales.

En d'autres termes, on applique deux lois différentes. C'est pour cela que ça génère des appels. Qu'est-ce que vous voulez? C'est quelque chose qui ne fonctionne pas. C'est sûrement un des phénomènes qui provoquent des appels. Les bureaux de révision sont liés par des directives, par une certaine réglementation interne. Je ne peux pas dire que c'est mauvais, sauf que ce ne sont pas les mêmes règlements que les nôtres, ce n'est pas la même loi.

Alors, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. D'ailleurs, je. pense que c'est ça que vous voulez corriger, en apportant des amendements ou en prévoyant une nouvelle loi. C'est un des phénomènes qui est aberrant, au niveau d'un organisme d'appel où on rend des décisions qui, à toutes fins utiles, ne sont pas applicables à la CSST.

M. Cusano: Lorsqu'on parle de cette question de directives et des bureaux de révision, en ce qui me concerne, lorsque le projet de loi propose une révision administrative, je pense qu'on peut, dans ce sens, s'attendre qu'il y aura même plus de directives qui vont être considérées par ces révisions administratives et qui vont être faites par les mêmes personnes qui vont avoir rendu la décision, en première instance. Alors, ça cause un problème. Je ne sais pas si vous voulez faire un commentaire sur cet aspect.

M. Poirier: Sur la révision administrative, je ne le sais pas. Vous savez, ça va dépendre un peu comment ça va être assumé, comment ça va être perçu par les gens, qu'est-ce qui va se régler à ce niveau, parce qu'il y a eu une évolution dans d'autres matières. Je regarde la matière d'aide sociale. C'est vrai qu'il y a une tradition qui date quand même de plusieurs années. C'est une certaine forme de révision administrative, mais qui s'est faite un peu plus, peut-être, en concertation avec les parties. (15 h 30)

Je sais que les représentants des bénéficiaires, les procureurs interviennent auprès des bureaux de révision. Tantôt, on en parlait, en matière d'accidents du travail, il y a peut-être un certain nombre de réclamations... C'est assez étonnant de constater qu'en matière d'aide sociale il y a beaucoup plus de demandes d'aide sociale qu'il peut y en avoir d'accidentés du travail et on se retrouve avec seulement 1000 appels, en fin de compte. Donc, le système fait en sorte que les problèmes se règlent à un certain niveau. Il y a des appels qui sont portés à la commission en matière d'aide sociale pour des problèmes qui méritent d'être soumis en appel tandis qu'en matière d'accidents du travail on vient en appel parce qu'on est insatisfait de tout le système, finalement. Évidemment, au niveau de la commission, on essaie de les régler, mais ce n'est pas possible, il y en a trop.

M. Cusano: Une autre question. Selon des témoignages que nous avons entendus ici, à différentes commissions, on nous a indiqué - et je peux aussi le confirmer, justement, par des cas de comté - qu'il y a un grand écart, lorsqu'on parle du DAP, du déficit anatomophysiologique, entre la décision de la CSST ou des bureaux de révision et celle de la Commission des affaires sociales. On nous a donné des témoignages ici, en commission parlementaire, que des cas de DAP de 15% sont passés à 65% et 75%. Je ne sais pas si c'est la règle générale. Vous savez, dans nos bureaux de comté, on reçoit seulement ceux qui sont insatisfaits. Alors, ceux qui sont contents, ceux qui sont heureux de la décision ne viennent pas voir leur député pour lui dire: On est heureux.

On a l'impression, justement, qu'il y a un écart énorme. Est-ce que vous pourriez nous indiquer pourquoi il y a cet écart? Est-ce que la formule qui est employée, par

exemple, à la CSST, le calcul mathématique pour déterminer ce montant, est le même que chez vous? Si c'est la même formule qui est acceptée, il ne devrait pas y avoir d'écart. Qu'est-ce qui cause cet écart?

M. Poirier: Vous savez, ce n'est pas tellement au niveau du DAP, c'est-à-dire du déficit anatomophysiologique. Le barème, en fait, est le même. C'est le barème qui lie à la fois la CSST et la commission. C'est au niveau de la diminution réelle de la capacité qui tient compte du barème. La CSST applique une directive qui n'a jamais pris la forme d'un règlement, directive qui, selon les réclamants qui viennent devant nous, complète le montant accordé pour le DAP d'un pourcentage qu'eux considèrent nettement insuffisant, ce qu'on appelle, nous, l'IRT, c'est-à-dire l'inaptitude à reprendre le travail. C'est ce qui génère beaucoup d'appels. La commission n'étant pas liée par cette directive - entre parenthèses, on nous avait indiqué qu'un jour cela deviendrait un règlement, celui-là ou un autre, je ne sais pas - Comme la commission n'est pas liée, elle s'inspire de la doctrine et de la jurisprudence. Là-dessus, vous avez des auteurs français, américains qui, finalement, en arrivent à des barèmes ou plutôt à une appréciation de la diminution de capacité qui est largement plus généreuse que celle qui est appliquée à la CSST dans ses directives. C'est ce qui provoque...

M. Cusano: À ce moment, je dois présumer que des présidents de commission doivent se parler une fois de temps en temps. Je me demande...

M. Poirier: Ce ne sont pas les présidents qui doivent se parler. C'est le législateur qui doit parler, à un moment donné, et dire: Écoutez, c'est cela votre loi.

M. Cusano: Oui.

M. Poirier: On va l'appliquer. Dans le moment, on nous dit, dans la loi: La diminution de capacité doit s'apprécier non seulement en fonction de la lésion, mais en fonction de l'effet dans son travail. Quand on entend des preuves de gens qui ont des 15% et qu'on fouille dans le dossier de la CSST, on constate que les propres gens de la CSST nous disent que ce bonhomme est un invalide, il ne pourra rien faire. Alors, on lui accorde 100%. Vous feriez la même chose.

M. Cusano: Une autre petite question. En regardant, justement, la nouvelle loi, si on tient pour acquis que le projet de loi serait adopté tel qu'écrit et que, justement, il y aurait cette fameuse commission qui aura à recevoir tous les appels... J'ai fait un petit travail, ce matin, M. le ministre, et j'ai calculé qu'il y aurait 310 articles dans ce projet de loi qui pourraient être contestés devant cette commission. À ce moment-ci, je ne sais pas exactement comment poser la question au juge Poirier, mais, du côté des coûts et du personnel, dans l'hypothèse que tout vous serait confié, en considérant toute l'expertise que vous avez, quel coût cela entraînerait-il si le projet de loi était retenu tel quel?

M. Poirier: Je ne l'ai pas évalué parce que ce n'est pas une hypothèse envisagée dans le projet de loi. Tout ce que j'ai évalué, ce sont évidemment les implications à la commission de l'addition des quatre nouveaux membres et nouveaux assesseurs, de sorte que notre budget va dépasser les 4 000 000 $ au prochain budget. Mais je n'ai vraiment pas évalué les impacts financiers. Je pense que je n'avais pas à le faire non plus.

M. Cusano: Non, mais on doit présumer qu'ils vont certainement être très élevés. En tout cas, vous n'avez pas fait l'évaluation exacte, j'aurais une dernière petite question parce que j'aimerais laisser à mes confrères l'occasion de vous poser des questions. Vous avez apporté un élément qui, je pense, n'a pas été trop débattu en deuxième lecture, mais c'est un problème qui sera très grave, en parlant des mesures transitoires. Vous allez certainement avoir ou vous prévoyez qu'il va y avoir des jugements contradictoires de la Commission des affaires sociales et du nouveau tribunal. Pour moi, c'est plus qu'une vision, c'est une réalité. Comment résoudre ce problème? Avez-vous envisagé que cela va causer des problèmes au niveau social lorsque le citoyen en question se sentira lésé parce qu'il est allé à un tribunal et non à l'autre? Avez-vous envisagé une espèce de solution? Ce n'est pas une autre commission pour régler les contradictions, mais de quelle façon cela pourrait-il être réglé?

M. Poirier: II y a deux solutions: ou bien la commission conserve la juridiction même en vertu de la nouvelle loi, ou bien, si on crée un nouveau tribunal et que ce tribunal doit entendre des appels en matière d'accidents du travail, qu'on lui passe les 4900 dossiers en suspens depuis plusieurs années et, évidemment, il les entendra.

M. Cusano: Je vous remercie.

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Bisaillon: Qu'est-ce qui se passe avec vous, M. le Président?

Le Président (M. Beauséjour): Oui, M. le député de Sainte-Marie, sur une question...

Pour ce qui est des droits de parole, j'ai pris en note chaque député qui m'a indiqué avoir l'intention de parler. Je vais leur accorder la parole à tour de rôle et c'est pourquoi je donne la parole...

M. de Bellefeuille: M. le Président, je cède volontiers l'ordre des interventions à mon collègue, le député de Sainte-Marie, si vous voulez bien retenir mon nom dans la liste.

Le Président (M. Beauséjour): Je peux le retenir à la fin, mais, si je vais à la suite, la parole est au député de Saguenay. Est-ce que vous laissez la parole à un autre?

M. Maltais: M. le Président, je pense qu'une petite coutume avait été établie qu'après le député de Viau on s'en allait directement au député de Sainte-Marie. Je reprendrai après le député de Sainte-Marie, je suis bien d'accord.

Le Président (M. Beauséjour): Est-ce que le député de Nelligan consent aussi à laisser son temps de parole au député de Sainte-Marie?

M. Lincoln: Au député de Sainte-Marie, pas nécessairement mon temps de parole, mais l'ordre de parole.

Le Président (M. Beauséjour): Mais l'ordre, d'accord.

M. Lincoln: Oui.

Le Président (M. Beauséjour): Si vous êtes d'accord, je vous décale d'endroit.

M. Lincoln: M. le Président, est-ce que vous pourriez nous dire combien de temps il va nous rester afin qu'avec nos collègues on puisse distribuer l'enveloppe d'une façon équitable? Cela m'est égal l'ordre des paroles; ce n'est pas très important, mais...

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Viau a pris dix-sept minutes et le ministre vingt-sept minutes. Alors, calculez environ une heure; enlevez cela et cela vous donne le temps...

M. Cusano: Cela fait une heure de ce côté-ci de la table et non pas...

Le Président (M. Beauséjour): C'est cela. Il y a dix-sept minutes de prises.

M. Lincoln: II reste environ 40 minutes.

Le Président (M. Beauséjour): 43 minutes.

M. Lincoln: Peut-être qu'on pourrait se diviser dix minutes chacun ou quelque chose comme cela. D'accord.

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Sainte-Marie.

M. Guy Bisaillon

M. Bisaillon: M. le Président, en remerciant mes collègues de l'Opposition de me permettre d'intervenir maintenant, je peux effectivement assurer que je vais essayer de prendre dix minutes, quitte à revenir dans un deuxième tour par la suite, parce qu'il me restera sûrement des questions.

Je voudrais tout de suite indiquer au président de la Commission des affaires sociales que je suis non seulement heureux d'avoir finalement l'occasion de discuter avec lui et ses collègues du rôle de la Commission des affaires sociales, mais d'autant plus heureux qu'il nous ait remis un document où il ne s'est pas contenté, comme on le fait malheureusement trop souvent, de nous faire un portrait de la situation. Il nous a, en même temps, donner son opinion, l'opinion d'un organisme mandaté par l'Assemblée nationale, par le gouvernement pour traiter des lois sociales, pour se prononcer sur les lois sociales au Québec depuis plusieurs années. Il nous a, en même temps, donner son opinion sur la façon dont la loi qui est actuellement en discussion devrait être aussi traitée. Je suis d'autant plus heureux de cette position du président de la Commission des affaires sociales qu'on nous avait jusqu'à maintenant laissé l'impression que la Commission des affaires sociales était loin d'être intéressée à continuer le mandat qui lui avait déjà été confié dans le passé. C'est une impression que les parlementaires conservaient et qui n'était pas de nature, je pense, à aider la discussion du projet de loi article par article.

Ceci étant dit, M. le Président, j'ai évidemment, vous le saurez à l'avance, un bon paquet de questions à poser au président de la commission. Dans son mémoire, le président nous a parlé de la nomination d'assesseurs et de commisssaires à la Commission des affaires sociales. On remarquera que l'on se trouve dans une drôle de situation qui nous est amenée à la fois par l'attitude de la CSST, mais aussi par l'approche gouvernementale où, pour étudier comment on peut appliquer ou faire reconnaître les droits qu'un certain nombre de lois accordent aux travailleurs et aux travailleuses, on est obligé de se poser des questions sur le coût d'application du respect de ces droits. C'est un peu comme si, aujourd'hui, on se posait la question à savoir combien d'articles du Code criminel il faudrait enlever pour faire diminuer d'un juge, combien d'articles du Code civil il

faudrait qu'on enlève pour faire diminuer de 3000 poursuites par année. Ce n'est pas cela qui est concerné actuellement. Ce qui est concerné, ce sont les droits qu'on veut faire reconnaître aux travailleurs, comment ces droits seront le mieux défendus, comment leurs intérêts seront les mieux défendus.

Je voudrais d'abord savoir du président de la Commission des affaires sociales comment sont nommés actuellement les membres de la commission, quel est le processus de nomination des membres, soit assesseurs, soit commissaires, à la Commission des affaires sociales. Je vais vous laisser une série de questions, si vous me permettez, et vous pourrez par la suite me répondre en vrac, si vous le désirez.

Deuxièmement, ce processus de nomination étant connu, vous nous avez parlé aussi du mode de fonctionnement des commissaires et des assesseurs, une fois qu'ils étaient nommés. Vous nous avez parlé de banc à trois et, pour ce qui est des accidents du travail, de banc à deux, depuis des amendements à la loi en 1981. Je voudrais vous demander si vous jugez toujours utile, sur l'ensemble des questions qui sont contenues dans le projet de loi 42 -je tiens pour acquis que, normalement, la Commission des affaires sociales devrait continuer à entendre des appels de la loi 42 - compte tenu des objets de la loi 42, est-ce qu'il serait utile, nécessaire et même essentiel que cela soit toujours des bancs à deux? Et pour l'ensemble des questions dont il est fait mention au projet de loi 42, est-ce que, par exemple, un certain nombre de questions ne pourraient pas être entendues par un membre de la Commission des affaires sociales? Est-ce que cela ne serait pas un moyen d'accélérer le processus d'audition à la commission?

Troisièmement, les rapports avec la CSST. Vous nous avez dit dans votre mémoire qu'un certain nombre d'auditions étaient retournées à la CSST pour qu'il y ait une réévaluation, pour qu'on procède à une réévaluation, donc, retournées, si j'ai bien compris, avec un mandat, avec des normes, en disant: On ne trouve pas l'évaluation que vous avez faite suffisante. Mais vous nous indiquiez que ces cas vous revenaient à la Commission des affaires sociales parce que l'évaluation qui avait été faite n'était pas à la satisfaction du plaignant ou de la plaignante, du travailleur ou de la travailleuse accidentée. Je voudrais savoir combien de causes sont réentendues à la Commission des affaires sociales parce que -moi, je le qualifie à ma façon - la "job" est mal faite -à un niveau, parce que c'est de cela qu'il est question. Cela peut être dit bien élégamment, mais je comprends qu'un bon nombre d'appels sont entendus parce qu'à un premier niveau le travail n'est pas fait correctement ou qu'on se fie à une instance d'appel. Combien y a-t-il de ce genre de causes?

(15 h 45)

Quatrièmement, on a parlé du travail bien fait à une instance ou a une autre. Les causes entendues par la Commission des affaires sociales font jurisprudence, jusqu'à un certain point. Vous nous avez parlé de concertation entre les différents commissaires parce que c'étaient des décisions finales et qu'il fallait, à un moment donné, s'assurer qu'il y ait une cohérence dans les décisions de la commission. Est-ce que je dois comprendre que, même si vous vous êtes prononcés sur des cas, à la Commission des affaires sociales, des cas identiques peuvent vous revenir par d'autres plaignants parce que votre décision dans un cas n'aurait pas été retenue, par exemple, pour d'autres cas, dans l'application d'autres cas par la CSST ou par les bureaux de révision? Est-ce que c'est une situation qui se produit? Si, par exemple, on respectait, au niveau de la première instance, la jurisprudence de la commission, à combien évaluez-vous la diminution de causes d'appel, si c'est le cas? Je pense que cela devrait pouvoir l'être.

Cinquièmement, vous nous avez indiqué que vous siégiez - je ne sais pas comment cela s'appelle, comment les avocats appellent cela, l'ordre des causes...

Une voix: Le rôle.

M. Bisaillon: Le rôle fixait trois jours par semaine d'auditions. Je comprends donc qu'il reste deux jours par semaine que les commissaires utilisent pour voyager ou bien rendre leurs décisions. On n'a pas parlé du temps entre l'audition et la décision. Pourriez-vous me parler de ce délai? Quel délai s'écoule-t-il entre l'audition d'une cause et le prononcé de la sentence? Est-ce que les deux jours, s'il n'y avait pas de voyages, pourraient être davantage utilisés afin de raccourcir les délais pour rendre des sentences?

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Sainte-Marie, c'est qu'avec le temps que le président va avoir à répondre vos dix minutes...

M. Bisaillon: Vous m'en voulez, vous, M. le Président?

Le Président (M. Beauséjour): Pardon?

M. Bisaillon: Vous m'en voulez, vous?

Le Président (M. Beauséjour): Non.

M. Bisaillon: Non.

Le Président (M. Beauséjour): Je veux

juste respecter...

M. Bisaillon: Je termine juste par une dernière question qui a rapport aux délais...

Le Président (M. Reauséjour): D'accord.

M. Bisaillon: ...et je reviendrai dans un deuxième temps, M. le Président. On parlait du temps pour rendre la sentence. Est-ce que vous pourriez nous faire aussi un ratio du temps d'audition par rapport au temps pour rendre la sentence? Autrement dit, un commissaire peut entendre une cause et peut mettre, admettons, trois jours pour entendre la cause qui est devant lui. Quel est le prorata entre le temps pris pour l'audition d'une cause et le temps pris pour rendre la décision sur cette cause? Jusqu'à un certain point, le processus de mise en commun de l'ensemble des commissaires ne peut-il pas, à un certain moment, alourdir le processus? Est-ce qu'il n'alourdit pas le processus? Est-ce qu'il n'y aurait pas moyen, à l'interne, de raccourcir les délais si le processus de mise en commun entre les commissaires était allégé?

J'ai beaucoup d'autres questions, M. le Président, mais je reviendrai par la suite dans un deuxième tour.

Le Président (M. Beauséjour): M. Poirier.

M. Poirier: Je ne sais pas combien j'ai de temps pour répondre, mais je vais essayer de le faire brièvement. Vous m'arrêterez si...

Le Président (M. Beauséjour): Dix minutes.

M. Poirier: La nomination des membres et des assesseurs se fait par le gouvernement. Dans le processus, le président est impliqué dans le sens qu'à certains moments on a fait des concours, compte tenu du nombre de commissaires qu'on avait à désigner. Il n'y a pas de processus décrit dans la loi comme, semble-t-il, dans le projet que vous avez. Ce ne sont pas des concours obligatoires; il n'y a pas de processus comme tel. Tout ce que la loi prévoit, c'est qu'ils sont nommés par le gouvernement. Dans la pratique, à certaines époques, compte tenu du nombre de personnes, cela s'est fait par concours, mais pas nécessairement dans tous les cas. Cela s'est fait soit par des recommandations des différents collègues que je soumettais au ministre concerné qui est, en l'occurrence, le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, soit qu'on me demandait de rencontrer certains candidats qui pouvaient être acheminés autrement et que je rencontrais. Dans le processus, le président a toujours été impliqué.

Finalement, à la suite des rencontres, je faisais une recommandation. Il n'y a pas de processus formel écrit autrement que ce qui s'est fait en pratique.

Bancs à deux. Oui, c'est possible d'avoir des bancs qui ne sont pas composés de deux; il s'agirait tout simplement de le prévoir dans la loi. Déjà, quand je vous ai indiqué que ce sont des quorums à deux qui fonctionnent, c'est-à-dire à trois ou à deux, je vous ai parlé de la règle générale, mais dans différentes matières... En matière, par exemple, de permis, dans les services de santé et dans les services sociaux, la loi prévoit qu'un commissaire peut siéger. Donc, c'est possible de le faire. En matière, par exemple, de contestation d'élections, dans tout le réseau des services de santé et des services sociaux, c'est un seul commissaire, c'est un commissaire-avocat. Alors, c'est possible de le prévoir. Sauf que, pour certaines matières, je pense qu'il est important qu'on respecte l'économie de la Loi sur l'aide sociale, où on a voulu un mariage des deux formations, c'est-à-dire que la formation juridique soit présente, pour évidemment toutes les questions de procédure de preuve, mais que la dimension sociale ou médicale ou autre soit également respectée. Je pense que c'est cela qui fait, à mon avis, l'intérêt de la Commission des affaires sociales.

Alors, dans certaines de ces matières, je pense qu'il est non seulement important, mais nécessaire qu'en plus d'un avocat il y ait soit un médecin ou soit un autre spécialiste. Voilà pour les bancs.

Le retour des dossiers. Je n'ai malheureusement pas noté, sur les 791 dossiers qui ont été retournés à la CSST, combien finalement sont en appel. Malheureusement, je n'avais pas prévu votre question là-dessus, je n'ai pas la statistique. Mais c'est un peu compréhensible - là, je rejoins un peu la jurisprudence quant à votre dernière question - que les gens viennent en appel; je vais vous expliquer pourquoi. Quand la commission retourne le dossier sur l'article 38.4 à la CSST, cette dernière rend sa nouvelle décision en fonction de sa directive concernant la diminution de capacité de travail. Or, cette directive n'est pas un règlement et, si la personne n'est pas satisfaite, elle vient en appel devant la commission. La commission n'étant pas liée par cette directive, elle s'inspire de la doctrine en général qu'on voit dans le contexte nord-américain. Il est vrai que la jurisprudence développée par la commission là-dessus est plus généreuse que l'application de la directive.

C'est dans ce sens-là que je dis que la jurisprudence de la commission n'est pas respectée. Je ne blâme pas la CSST, c'est plutôt dans le sens que celle-ci agit, en matière de diminution de capacité de travail,

dans un processus de réglementation qui est différent de celui que nous appliquons en appel.

M. Bisaillon: Mais la CSST, étant placée devant un jugement que vous avez rendu...

M. Poirier: Ah oui! Dans le cas...

M. Bisaillon: ...devrait probablement savoir que, la prochaine fois, vous ne vous dédirez pas et que vous allez dire la même chose. A ce moment-là, au niveau de son bureau de révision ou de sa décision administrative, elle devrait normalement aller dans le sens du jugement déjà rendu, ce qui sauverait un appel.

M. Poirier: En fait, c'est tout le problème de l'article 38.4. Il faudrait qu'une attitude soit prise, soit législativement ou de façon réglementaire, pour que, de part et d'autre, aussi bien la CSST que la commission, on applique la même loi. Cela rejoint et c'est dans ce sens-là que je faisais allusion à la jurisprudence.

Maintenant, le temps de l'audition. Pour les auditions, la commission fixe six cas par jour. Alors, c'est assez rare qu'un cas dépasse une journée. Cela peut arriver qu'un cas va dépasser une journée, mais c'est quand même assez rare. Par contre, après la période d'audition, je dirais que - je n'ai malheureusement pas apporté les chiffres là-dessus; vous me corrigerez si je fais erreur -dans 85% des cas, la décision peut sortir à l'intérieur des trois mois après l'audition. Dans les 15% qui durent plus de trois mois, les appels ne sont pas toujours vraiment encore en délibéré, même si l'audition a eu lieu. Par exemple, il y a une argumentation écrite des parties, de l'avocat ou du représentant syndical. Il y a des dossiers à compléter. Par exemple, il arrive très souvent que l'accidenté, malheureusement, a de la difficulté à avoir son dossier de l'hôpital et la commission considère que c'est nécessaire d'avoir celui-ci. Si l'accidenté a de la difficulté à l'obtenir, la commission va émettre une ordonnance pour aller chercher le dossier. Alors, il y a toute une série de choses qui peuvent, à un moment donné, retarder, dans les 15%, la prise de décision.

Je pense que cela retouche un peu vos deux dernières questions.

M. Bisaillon: Le processus...

Le Président (M. Beauséjour): M. le député...

M. Bisaillon: II y a un aspect de la question auquel on n'a pas répondu.

M. Poirier: Lequel?

M. Bisaillon: Le processus de fonctionnement entre les commissaires.

Le Président (M. Beauséjour): Mais, M. le député de Sainte-Marie, je voudrais juste avoir le consentement des autres membres.

M. Bisaillon: Ce n'est pas une nouvelle question, M. le Président, c'est une question que j'ai posée et à laquelle je n'ai pas eu de réponse.

Le Président (M. Beauséjour): Oui.

M. Bisaillon: Est-ce que je peux l'avoir, s'il vous plaît, M. le Président? On est censé être ici pour cela, avoir des réponses.

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Sainte-Marie, vous avez vos autres collègues qui en ont le droit aussi. Vous avez un certain temps qui est limité pour chacun.

M. Bisaillon: M. le Président, je veux bien qu'on se limite, mais je ne voudrais pas limiter le juge dans ses réponses, quand même.

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Sainte-Marie.

M. Bisaillon: Que je sois limité à dix minutes, je veux bien, mais qu'on ne limite pas M. le juge dans la longueur de ses réponses. On est ici jusqu'à 18 heures et on va être ici encore demain matin si on veut, M. le Président. Il n'y a rien qui nous presse. Cela ne siège pas avant le 12 mars.

Le Président (M. Beauséjour): Vous êtes bien gentil de vous adresser à moi, mais, à un moment donné, allez donc jaser avec vos voisins. C'est que le temps que vous prenez pour vos questions...

M. de Bellefeuille: Consentement, M. le Président.

Le Président (M. Beauséjour): Cela ne me dérange pas. Si les autres membres sont d'accord que vous preniez plus de temps, cela sera l'équité pour chacun des membres de l'Opposition.

M. Cusano: M. le Président.

M. Bisaillon: Ce n'est pas moi qui prends le temps. J'ai posé des questions en dix minutes et maintenant on va laisser M. le juge répondre. Si une question prend deux minutes et que M. le juge, cela lui prend une demi-heure à répondre, on va écouter M. le juge pendant une demi-heure. On ne l'a pas fait venir pour rien, quand même.

M. Cusano: M. le Président.

Le Président (M. Beauséjour): Oui.

M. Cusano: Si vous permettez, en ce qui nous concerne, on n'a aucune objection à ce que le député de Sainte-Marie prenne le temps nécessaire, du moment que mes collègues auront l'occasion de poser des questions à l'intérieur de la période de dix minutes qu'on a établie.

Le Président (M. Beauséjour): Cela fait quinze minutes. Cela ne me dérange pas qu'on dépasse les quinze minutes pour le député de Sainte-Marie, si vous êtes d'accord.

M. Fréchette: Je n'ai pas d'objection non plus, M. le Président, sauf qu'on avait tous assez fermement convenu, et M. le juge était informé de cela, que l'enveloppe globale était de trois heures. Qu'on se débatte à l'intérieur de cela maintenant; je n'ai pas d'objection à ce qu'on fasse les accommodements qu'on voudra.

M. Bisaillon: C'est cela. Pas plus de trois heures, mais...

Le Président (M. Beauséjour): D'accord. M. Poirier, sur la dernière question.

M. Poirier: Ma réponse, c'est que ce ne sont pas les consultations entre collègues qui retardent les décisions, cela peut même aider. Parce que si, sur un problème particulier, les collègues se concertent, cela peut peut-être, à première vue, retarder quelque peu le dossier en litige, mais cela va faire avancer d'autant plus les dossiers à venir là-dessus. Ce qui prend le temps, c'est évidemment la rédaction, l'analyse du dossier; c'est le délibéré, dans le fond, qui prend le plus de temps, beaucoup plus que l'audition.

Le Président (M. Beauséjour): Maintenant, la parole est au député de Deux-Montagnes.

M. Pierre de Bellefeuille

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. M. le juge, dès le moment où nous avons pu prendre connaissance du projet de loi, j'ai été, pour ma part, étonné de l'orientation que prenait le gouvernement, par rapport à l'audition des causes d'appel, en proposant de créer un nouvel organisme, alors que pas mal de gens se plaignent du trop grand nombre d'organismes gouvernementaux déjà existants. L'explication qu'on nous donnait, c'était que votre commission était débordée. Il m'a semblé, à ce moment, que c'était vraiment la mauvaise solution, la mauvaise réponse au problème, et de deux façons.

La première façon, c'est que cela créait un dédoublement - et vous en avez parlé dans vos remarques - qui serait assez ennuyeux parce qu'il y aurait, comme vous l'expliquez, deux tribunaux administratifs qui statueraient sur le même genre de questions parallèlement et cela risquait de créer des jurisprudences différentes et de compliquer les questions très considérablement. L'autre raison, c'est que la façon que le gouvernement proposait, cela consistait en quelque sorte à refuser de régler votre problème, à refuser de régler le problème de l'accumulation des cas en retard à la Commission des affaires sociales. C'était aussi, il me semblait, très déplorable comme attitude. Il me paraissait, au contraire, que le gouvernement, face à cette situation d'accumulation de retards, en particulier dans le secteur des accidents du travail, devant votre commission, devait proposer les moyens de régler ce problème plutôt que de mettre le problème de côté et de créer, en fonction de la nouvelle loi, un nouveau tribunal administratif. (16 heures)

L'opinion que vous nous livrez sur cette question me paraît tout à fait bien fondée telle que vous l'exprimez à la page 10 et dans les pages suivantes. Il vous apparaît que la Commission des affaires sociales devrait continuer à assumer la juridiction qui lui a été confiée dans le domaine des accidents du travail, y compris la nouvelle Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles, si les autorités gouvernementales lui octroyaient les ressources et les outils nécessaires. Comme le député de Sainte-Marie, je ne crois pas que la question des ressources et des outils remette en question les grands objectifs que votre commission poursuit. On ne va pas vous retirer des secteurs de compétence tout simplement parce que vous n'avez pas le nombre d'assesseurs ou le nombre d'avocats voulu.

Ceci étant dit, je voudrais donc vous féliciter de la position que vous prenez devant la commission et exprimer le souhait que le gouvernement en tienne compte. Quand je dis en tienne compte, je ne veux pas dire jeter un oeil dessus et l'écarter, mais je veux dire modifie sa loi. Il me paraît tout à fait indiqué que le gouvernement se rende compte qu'il a choisi une mauvaise solution et qu'il doit modifier sa loi de façon qu'il n'y ait dans ce domaine qu'un seul tribunal administratif pour éviter le double emploi et le dédoublement et de façon aussi, par des moyens administratifs, à régler le problème de l'accumulation des retards dans ce secteur de votre compétence.

Ceci dit, je voudrais tout simplement vous poser une seule question, M. le juge. À la page 13 des notes de vos remarques, il y a la conclusion 1, 2, 3, 4 et 5 - cela

continue à la page suivante - au bas de la page 13, je cherche à comprendre ce que vous entendez dans le quatrième paragraphe. Vous avez d'abord dit, dans le troisième paragraphe, que vous suggérez qu'on envisage de confier plutôt les recours en matière d'inspection, de droit de refus de travailler en cas de danger et d'ouverture et de fermeture d'établissement à d'autres instances actuellement existantes - et là vous en mentionnez - en attendant la réforme envisagée des tribunaux administratifs. Et quatrièmement, vous dites que, subsidiairement, ces derniers recours soient confiés à la Commission des affaires sociales. Qu'est-ce que vous entendez par "subsidiairement"?

M. Poirier: Si la troisième proposition n'était pas retenue, je prétends qu'il est encore préférable de confier ces recours à la Commission des affaires sociales qu'à un nouvel organisme d'appel, pour autant évidemment qu'on lui donne les ressources voulues. Même si je reconnais que la commission n'a pas d'expertise dans ce secteur, je soutiens que c'est encore préférable de confier cela à la Commission des affaires sociales, toujours aussi dans l'éventualité d'une réforme des tribunaux administratifs. Il y a des juridictions - je ne voudrais pas ouvrir une porte trop grande sur cela - à la commission sur lesquelles on pourrait également s'interroger et qui ne pourraient pas être confiées à d'autres organismes. Cela devrait être fait dans une réforme globale des tribunaux administratifs. Si, évidemment, on ne peut pas confier certaines de ces juridictions, qu'on les confie à la commission, en lui donnant les ressources voulues. Éventuellement, on fera les réformes quant aux différentes juridictions qui sont plus spécifiques au droit du travail et quant à d'autres qui sont plus spécifiques au droit social.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Saguenay.

M. Ghislain Maltais

M. Maltais: Merci, M. le Président. Je dois d'abord remercier M. le juge Poirier d'être venu ici. Vous êtes ici cet après-midi et il y a eu un long débat avant que vous arriviez à cette table. Mais c'est sans doute parce que la fonction que vous occupez a une importance capitale, je pense, pour nos concitoyens.

Tout au long de votre mémoire, vous nous avez expliqué un peu le rôle et le fonctionnement de la Commission des affaires sociales. On voit par l'application et par le travail que vous faites que vous êtes devenu sans contredit au Québec la plus haute instance de tribunal au niveau des indemnités versées soit à des accidentés de la Commission des accidents du travail, soit à ceux qui sont couverts par la Régie de l'assurance automobile, soit à ceux qui sont couverts par la Régie des rentes. Cela contrôle quand même une très grande partie des Québécois qui ont des indemnités de remplacement du revenu, ainsi de suite, au cours des différents accidents couvrant principalement nos lois sociales au Québec.

Comme vous le dites dans votre mémoire, vous avez développé une expertise au niveau des indemnités versées à nos concitoyens. Je pense que c'est très valable, depuis 1977, que vous ayez fait ce travail pour l'ensemble de nos concitoyens. Il y a un facteur qui a prédominé tout le temps, nous l'avons vu, par l'expérience du vécu quotidien dans nos comtés. C'est qu'à peu près pas de gens sont contre les verdicts ou très peu de gens viennent critiquer les verdicts de la commission. Ce sont surtout les délais qui sont critiqués. Vous nous dites pourquoi maintenant, chose qu'on savait un petit peu, mais on ne savait pas pourquoi, précisément, il y avait tant de délais.

J'aimerais savoir, de votre part, si vous pouvez me confirmer, oui ou non, que vous êtes quand même le plus haut tribunal ou le tribunal le plus habilité au niveau des indemnités qui sont versées à la plus grande masse de Québécois, compte tenu de ceux qui sont couverts par les régimes sociaux. Je pense que c'est important pour moi de savoir cela, dans un premier temps.

M. Poirier: Le texte de loi l'indique. En fait, toutes les mesures de sécurité du revenu en matière d'aide sociale, régime de rentes, assurance automobile, sont évidemment confiées en appel à la Commission des affaires sociales. Le secteur de la sécurité du revenu qui y échappe, c'est évidemment l'assurance-chômage qui n'est pas de la juridiction du Québec.

M. Maltais: D'accord. Maintenant, vous nous avez dit aussi, dans votre mémoire, que, pour les retards causés, tout le processus de retards, vous aviez quand même certaines solutions à apporter qui pourraient rendre cela plus efficace, donner des résultats dans des délais plus raisonnables à la population, ce qui veut dire - je ne veux pas d'approfondissement - qu'une amélioration sensible, sans être extrêmement onéreuse, pourrait permettre à l'ensemble de nos concitoyens touchés par ces lois-là d'avoir des résultats plus rapides. Cela ne prendrait peut-être pas un an, deux ans; cela pourrait peut-être prendre six mois pour avoir des tribunaux assez nombreux pour vous permettre de juger le plus de causes possible

et rendre vos verdicts. Je pense que c'est ce que vous nous dites dans vos recommandations.

M. Poirier: II faut être réaliste. Je précise que, dans la division des accidents du travail, avec l'addition du personnel que nous allons avoir, je vais être en mesure de constituer douze bancs par semaine. Mais, avec douze bancs par semaine... Remarquez, douze bancs par semaine alors que je constitue cinq bancs par semaine en aide sociale. C'est plus que le double. Alors, avec douze bancs par semaine en accidents du travail, il faut compter deux ans avant de reprendre le retard. Alors, ce n'est pas six mois, mais deux ans.

M. Maltais: D'accord. Maintenant, j'ai une dernière question, M. le juge. Si, par exemple, pour une raison quelconque, on enlevait cette expertise à la Commission des affaires sociales et si on la transférait à une autre commission - on l'appellera comme on voudra - est-ce que, d'après vous, ce ne serait pas priver un peu certains de nos concitoyens d'expertises qui se sont bâties depuis des années? Cela ne se bâtit pas du jour au lendemain, je pense, une expertise comme celle-là.

M. Poirier: Écoutez, je l'ai un peu indiqué tantôt, dans le mémoire. Je pense que la commission, sur ce plan-là... Je me référais à des études indépendantes, qui n'ont pas été alimentées du tout par l'intérieur de la commission, aux volumes de Patrice Garant et autres qui en ont fait l'analyse et qui considèrent que la commission... Parce qu'elle existe quand même depuis 1975 dans le domaine de la sécurité du revenu. Je pense que là - et je ne voudrais pas que cela soit perçu comme de la vantardise -elle a obtenu une crédibilité qui est enviable.

M. Maltais: Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Beauséjour): La parole est maintenant au député de Nelligan.

M. Dussault: M. le Président, est-ce qu'il n'y a pas reconnaissance quand même d'un droit à l'alternance dans nos travaux de la commission?

M. Lincoln: Allez-y!

Le Président (M. Beauséjour): À moins qu'il n'y ait consentement, étant donné qu'il y a une heure de chaque côté.

M. Bisaillon: La procédure, on l'étudié ensemble.

M. Dussault: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Beauséjour): ...mais dans le respect des règlements.

Une voix: Allez-y! Allez-y!

M. Bisaillon: ...tout le monde, M. le Président, d'abord et avant tout. La personne avant toute chose!

M. Dussault: On a été très bon, on en a laissé passer trois, M. le Président.

Le Président (M. Beauséjour): C'est parfait. M. le député de Châteauguay.

M. Roland Dussault

M. Dussault: M. le Président, je voudrais aborder la partie de l'exposé de M. le juge où, à la page 12, il dit: "Même avec l'adoption de la nouvelle loi, il est à prévoir que la Commission des affaires sociales continuera à entendre pendant plusieurs années des appels en vertu de la loi actuelle des accidents du travail."

Si je comprends bien, vous aviez donc à l'esprit, comme on doit l'avoir, je pense bien, que, pendant un bon bout de temps, beaucoup de cas seront regardés en fonction de la loi qui est en vigueur. Au moment où la nouvelle loi sera votée, tous les cas nouveaux seront regardés en fonction de la loi 42. Cela veut dire que, pour un bon bout de temps, il y aura beaucoup de travail à faire sur les anciens cas, en vertu de l'ancienne loi.

Est-ce que je dois comprendre que si, par exemple, on vous laissait tous les cas anciens et qu'on vous donnait les cas nouveaux, il faudrait, de toute façon, dans votre organisation, qu'à toutes fins utiles vous fassiez une division des anciens cas et une division des nouveaux cas? Tout ça pour demander: Est-ce que les spécialistes - parce qu'il y en a de formés maintenant pour ça, des gens sur lesquels on peut compter avec pas mal de sécurité, je pense bien - est-ce que ces gens, à toutes fins utiles, ne seront pas tout simplement obligés d'étudier tous les anciens cas pendant qu'on sera en train de former de nouveaux spécialistes pour les nouveaux cas? Est-ce que c'est ça la réalité qu'on va vivre?

M. Poirier: Si on parle de réparations comme telles, je considère que le quorum -si cela demeure à la Commission des affaires sociales - qui va entendre un nouveau cas en vertu de la nouvelle loi et qui a, pendant des années, entendu des cas suivant l'ancienne loi, à mon sens, m'apparaît, en tout cas, mieux préparé à interpréter les dispositions de la nouvelle loi, sans oublier toute la situation vécue par le travailleur et les indemnités qui sont versées en vertu de l'ancienne loi. Il m'apparaît, en tout cas,

qu'il va perdre moins de temps qu'un nouvel organisme qui va commencer totalement avec une nouvelle loi et qui, à ce moment, va évidemment rendre des décisions en fonction d'une situation, d'une loi qui est tout à fait différente de l'ancienne, sur ce plan.

Maintenant, je me dis: Pour la Commission des affaires sociales, même s'il y a probablement des différences, l'économie de la loi ressemble drôlement à l'économie de la Loi sur l'assurance automobile. Or, dans ce secteur du remplacement du revenu, la commission entend des appels depuis 1979. Donc, il existe, au plan de l'expertise des assesseurs, une expérience, un contenu qui fait qu'en siégeant dans différentes divisions, l'assurance automobile, le service de santé et les accidents du travail, à mon sens, ça la prépare davantage à entendre des situations dans tel domaine donné.

Personnellement, je trouve que c'est plus avantageux de cette façon. Remarquez, è mon sens, c'est l'un ou l'autre, je trouve, personnellement. Ou bien c'est nous, ou bien c'est eux. Mais qu'ils prennent tout pour que la cohérence et le suivi des dossiers soient les mêmes. Imaginez-vous, on est en mesure d'expliquer à un accidenté qui va venir devant nous, si c'est en vertu de la nouvelle loi, que là, pour telle partie, ça va être en vertu de la nouvelle loi.

Dorénavant, s'il a deux accidents à des dates différentes, il vient chez nous pour l'un et il va à l'autre organisme pour l'autre. Qu'est-ce qui me dit qu'il ne viendra pas chez nous pour les deux? On va être obligé de lui expliquer la situation. On va dire: Pauvre monsieur, pour cette partie, c'est nous, pour l'autre partie, allez-vous-en à l'autre. Cela va créer toutes sortes de confusions.

M. Dussault: Je pense, M. le juge, M. le Président, que, pour la question de savoir qui sont les gens les mieux préparés à regarder les cas, même selon la nouvelle loi, c'est encore ceux qui y travaillent présentement, j'en suis convaincu.

Ma préoccupation va aller davantage dans le sens: Est-ce qu'on peut se permettre de se passer, pour la nouvelle loi, de ces spécialistes? À cause de cela, je me dis qu'il va falloir faire l'effort d'envoyer tout ça à une place ou à une autre place. Je pense que c'est un cheminement qu'on arrive à faire facilement.

La question que je me posais et à laquelle je vous demanderais davantage de répondre, c'était: Est-ce que les gens qui sont en place, si on vous remettait ces cas entièrement, auraient à alterner régulièrement pour étudier des cas selon l'ancienne loi et selon la nouvelle loi? C'est ce que je voulais savoir. À toutes fins utiles, est-ce que vous serez obligés de faire, dans votre division, deux divisions, une pour les anciens cas et une pour les nouveaux cas? Parce que, si vous me dites que c'est ce que ça amène, ça va influencer mon jugement quant à savoir si je dois transmettre un nouveau dossier à un nouvel organisme ou si on va tout vous renvoyer à vous. (16 h 15)

M. Poirier; Je vous l'ai indiqué un peu tantôt dans ma réponse. Je conçois mieux, à mon sens, qu'un quorum va entendre des cas à la fois en vertu de la nouvelle loi et en vertu de l'ancienne loi. D'autant plus que, pratiquement parlant, c'est le même accidenté et c'est le même dossier qui va cheminer à la CSST. Alors, il m'apparaît beaucoup plus logique, même au plan des gens concernés, aussi bien au niveau des adjudicateurs que des appelants, employeurs ou accidentés, il m'apparaît que cela va être beaucoup plus facile de faire le cheminement pour toute l'histoire occupationnelle d'un accidenté en vertu de l'ancienne loi ou en vertu de la nouvelle loi.

M. Dussault: Je vous remercie.

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Nelligan.

M. Clifford Lincoln

M. Lincoln: M. le Président, je voudrais, en premier lieu, demander au juge: Si j'ai bien compris votre allocution et votre mémoire, un des gros problèmes qui semblent exister lorsque des dossiers arrivent à la commission d'appel, c'est qu'il y a un manque de cohérence entre le tribunal de première instance, le bureau de révision, et la commission d'appel, parce qu'il n'y a pas de critères établis selon des règlements et une formule cohérente pour les deux.

M. Poirier: C'est exact.

M. Lincoln; Alors, est-ce que ce serait possible d'évaluer ceci. Si, par exemple, il y avait une formule cohérente, soit la formule MacBride ou une autre, entre les deux, qu'est-ce que cela aurait fait? Je sais que c'est une question très difficile, mais il y a sûrement un barème ou des statistiques qui démontrent lesquels de ces cas ont été rejetés, ont eu à repartir ou ont été retardés parce qu'ils n'étaient pas cohérents avec le tribunal de première instance. Pouvez-vous nous donner une idée de quelle façon cela aurait allégé votre travail s'il y avait eu une formule cohérente dès le départ? Je sais que c'est une question très difficile, mais est-ce que vous pouvez nous dire combien significatif cela aurait été?

M. Poirier: Je pense que cela aurait sûrement généré moins d'appels s'il y avait

eu évidemment une forme, une réglementation ou des critères plus valables. De part et d'autre, je pense que cela aurait sûrement généré moins d'appels. Sans entrer dans le détail des cas qu'on entend et sans vouloir discuter des décisions de la commission, il faut quand même reconnaître une chose - c'est connu et public - la directive de la CSST accorde des pourcentages très peu élevés qui s'ajoutent au DAP. Évidemment, il y a tous les cas de 40% de DAP et plus. Automatiquement, la CSST les porte - je ne me souviens pas si c'est 40%; c'est peut-être 50% - à 100%. Mais, pour tous les cas entre 10%, 40% et 45%, les directives de la CSST font en sorte que vous ajoutez 5%, 6%, 7%, 8% - je ne connais pas le maximum, mais je ne sais pas si cela peut dépasser 20% - alors que des fois la commission, dans des cas de DAP de 20%, selon la situation vécue de l'accidenté et aussi le dossier de la CSST, avec les analyses qui ont été faites par les agents de réadaptation, a considéré que ces gens-là étaient totalement incapables à 100%. Alors, c'est sûr que cela a généré des appels qui auraient pu se régler autrement si les critères et la norme avaient été réglementés.

M. Lincoln: Si on changeait le mécanisme d'appel, en substituant le présent mécanisme d'appel de la Commission des affaires sociales par un autre mécanisme selon la loi 42, cela ne réglerait pas grand-chose, toute autre considération mise à part, si on ne solutionnait pas ce problème de base de toute façon.

M. Poirier: C'est sûr que cela ne le règle pas, sauf que vous le réglez par la nouvelle loi. Je ne sais pas si c'est satisfaisant ou insatisfaisant, mais vous réglez, par le projet de loi, tout le problème de l'article 38.4.

M. Lincoln: Oui, mais, à ce moment-là, on apporte d'autres problèmes.

M. Poirier: C'est une autre économie. C'est une autre loi.

M. Lincoln: Vous avez 5000 cas qui sont en suspens et que vous aurez à régler si le mécanisme de la présente loi est mis en vigueur selon des mesures transitoires.

M. Poirier: De toute façon.

M. Lincoln: En plus, il y aura, dans les deux prochaines années, que ce soit vous ou un autre tribunal d'appel, 10 000 cas en tout à voir, si on ajoute tous les appels, selon les présentes statistiques.

M. Poirier: Oui. Si vous ajoutez aux 5000 en suspens les 3000 de cette année et s'il y en a encore 3000 l'an prochain, on va dépasser les 10 000, il n'y a pas d'erreur.

M. Lincoln: II y aura 11 000 appels. Admettons que vous gardiez le mécanisme présent - ce qu'on souhaite très fortement -et qu'il y ait un total pour les prochains deux ans de 11 000 appels à régler. Vous avez parlé de douze bancs pour les prochains... Est-ce que je comprends bien que ces douze bancs vont pouvoir solutionner seulement les cas en suspens?

M. Poirier: Non, c'est-à-dire qu'il faut évidemment disposer du solde des appels. Il faut comprendre que les auditions sont prévues en fonction de la date d'entrée des appels. Forcément, les 4000 dossiers en suspens, sauf exception, devraient normalement passer avant, ensuite les appels de l'année 1983-1984 et ceux de l'année 1984-1985. Je ne sais pas si je réponds à votre question.

M. Lincoln: D'accord. Disons que le mécanisme actuel est préservé, que, pour la loi 42, le ministre "sees the light" et qu'il laisse la Commission des affaires sociales continuer. Pendant les prochains deux ans, vous allez avoir, disons, 11 000 cas. Pour régler les cas en suspens et pour arriver à jour, combien de bancs vous faudra-t-il au total, d'après vous?

M. Poirier: Ce que j'ai évalué avec les douze bancs, c'est une évaluation pour disposer, dans deux ans, du solde des appels.

M. Lincoln: C'est-à-dire que ce sera beaucoup plus que douze.

M. Poirier: Dans deux ans, à ce moment, on va être en mesure, graduellement, de suffire à la tâche des appels qui entrent dans l'année, si toutes les choses restent égales.

M. Lincoln: C'est cela que je voulais vous demander. Disons que vous avez douze bancs d'appels. Si on laissait le mécanisme actuel, est-ce qu'il vous faudrait des bancs additionnels pour ces deux ans ou si vous allez garder les douze bancs et ensuite cela va servir pour l'avenir?

M. Poirier: Est-ce que vous parlez dans le cadre de l'actuelle Loi sur les accidents du travail?

M. Lincoln: Admettons que la loi actuelle soit modifiée pour garder le mécanisme d'appel à la Commission des affaires sociales.

M. Poirier: Tout dépend de l'économie de la Loi sur les accidents du travail. Si

c'est la loi actuelle des accidents du travail et que, finalement, elle génère 3000 appels par année, c'est évident qu'avec douze quorums on va être capable de passer à travers. Je pense que je comprends.

M. Lincoln: Moi, je vous dis...

M. Poirier: Je vais vous expliquer. Avec douze quorums...

M. Lincoln: Est-ce que je peux resituer ma question? Je dis que si, demain matin, la loi 42 était adoptée, mais qu'en l'adoptant on laissait le mécanisme d'appel à la Commission des affaires sociales, vous auriez les cas en suspens qui sont déjà en appel, qui dépendraient de la loi actuelle; la nouvelle loi, ce seraient les nouveaux cas qui vont arriver avec la nouvelle loi. Qu'est-ce qui arrive? Parce que vous avez à faire une espèce de rattrapage pour ces quelque 5000 cas en suspens et vous avez les nouveaux qui vont arriver. Combien de bancs vous faut-il pour tout cela si la loi 42 vient chez vous?

M. Poirier: C'est parce que, dans votre question, il faudrait préciser certaines choses. Cela dépend des recours qui pourraient être assumés à la Commission des affaires sociales. Si c'est simplement dans le domaine de la réparation, dans ce domaine, avec douze quorums, douze bancs, on peut prévoir 6264 cas. Là-dessus, si le problème des remises reste le même, il y a 4448 cas dont on va disposer. Si la nouvelle loi génère moins d'appels, ce que je souhaite - je pense qu'avec la nouvelle loi, si elle améliore l'ancienne, les problèmes devraient se régler davantage au niveau des organismes de première instance, donc on devrait avoir moins d'appels - j'ai l'impression qu'avec douze quorums, à un moment donné, on va en avoir trop.

M. Lincoln: Je sais que ce sont des questions bien difficiles, mais j'en arrivais à vos conclusions. On voit vos conclusions 1 et 2. Est-ce que, dans le no 2, admettons qu'on dise qu'on va garder la Commission des affaires sociales pour les appels sur des questions sociales, sur des questions humanitaires, sur toutes les questions concernées ici, est-ce que vous pensez que c'est nécessaire, pour les appels de cotisation, de classification, d'imputation de coûts, de faire cela par le truchement de la Commission des affaires sociales? Si on pouvait retirer cela et le donner à un mécanisme plus technique, comme celui d'un bureau de révision quelconque, est-ce que cela ne solutionnerait pas beaucoup de problèmes ou bien si vous trouvez que cela devrait appartenir à votre commission aussi?

M. Poirier: Écoutez, j'ai marqué dans ma recommandation, dans ma conclusion: "si jugés opportuns."

M. Lincoln: Non, mais qu'en pensez-vous?

M. Poirier: J'ai l'impression que, si cette juridiction nous était confiée, il serait possible que nous soyons obligés d'augmenter un peu le nombre de membres et d'assesseurs, peut-être même des assesseurs de catégories différentes, autres que des médecins. Cela est possible.

M. Lincoln: Mais, est-ce que vous ne pensez pas que cela aurait été plus logique pour vous de garder des affaires beaucoup plus importantes qui sont citées dans 1 et une partie de 2 et de laisser les affaires techniques comme les cotisations, classifications et imputations de coûts à un commissaire ou des commissaires, ou à un autre système quelconque qui réglerait cela beaucoup plus vite? Est-ce que cela ne serait pas une partie de la solution?

M. Poirier: Cela dépend un peu, finalement, du nombre d'appels que cela va générer. Je me dis que, dans ces matières, je n'ai pas fait l'évaluation des recours possibles, mais, si la nouvelle loi améliore un peu les litiges dans ces secteurs, je ne prévois pas qu'on doive augmenter considérablement les effectifs de la commission pour y faire face. Si la nouvelle loi, en améliorant la réparation, ensuite en créant des recours en matière de réadaptation, solutionne quand même la majorité des problèmes au premier niveau, j'ai l'impression qu'on n'aura peut-être pas a augmenter considérablement la commission. Où c'est une grande inconnue, c'est peut-être davantage dans le 3, où on n'est pas en mesure, parce qu'on n'a pas l'expertise nécessaire, d'évaluer combien d'appels cela peut générer.

Ceci étant dit, il faut que je renouvelle la remarque. Il faut peut-être se poser la question: Est-ce que, dans toutes ces matières, il devrait nécessairement y avoir un processus d'appel si la loi prévoit un règlement de ces litiges au niveau de première instance?

M. Lincoln: La commission est présentement itinérante. Selon le projet de loi 42, elle va avoir un siège fixe. Le projet de loi 42 ne prévoit pas de commissions itinérantes comme à présent. Est-ce que vous pourriez-nous dire quel est votre choix? Est-ce qu'il y a des avantages à avoir des commissions itinérantes pour couvrir toutes les régions? Est-ce que ce système ne devrait pas continuer?

M. Poirier: Personnellement, je trouve

qu'au niveau d'un organisme d'appel c'est préférable d'avoir un organisme centralisé comme le nôtre, mais itinérant. Les commissaires siègent dans toutes les régions économiques du Québec. L'option prise dans le projet de loi, c'est de régionaliser l'organisme d'appel. Personnellement, j'ai des inquiétudes devant la régionalisation d'un organisme d'appel.

M. Lincoln: Donc, cela est une question importante. Vous voudriez garder le mécanisme qui est suivi actuellement.

M. Poirier: C'est cela.

M. Lincoln: Et peut-être perfectionné, s'il y a lieu, mais le même système, le même principe.

M. Poirier: C'est cela.

M. Lincoln: Dernière question et je termine. Est-ce que vous faites des comparaisons avec... par exemple, je sais qu'on compare toujours avec ce qui se fait ailleurs, mais, histoire d'avoir une espèce de système de comparaison, je sais que l'Ontario a un système de première instance et ensuite un bureau d'appel où l'appel est final, comme le vôtre. Est-ce qu'on connaît le nombre de cas, le système qui existe là-bas? Est-ce qu'on sait un petit peu ce qui se passe?

M. Poirier: Dans le domaine de la réparation, je pense que c'est seulement dans la province de Québec qu'il existe un organisme d'appel. En matière de sécurité du revenu, il existe dans les autres provinces et nous avons des contacts fréquents avec les autres provinces là-dessus, particulièrement en matière d'aide sociale. Dans chacune des autres provinces, il y a un mécanisme d'appel, sauf qu'au Québec il y a quelque chose de particulier. C'est qu'au Québec on a créé un organisme d'appel de la sécurité du revenu où la dimension juridique est importante et les dimensions sociales, médicales et autres sont représentées par le fait que les quorums sont composés d'un avocat et d'un assesseur. Dans la plupart des autres provinces, en matière de sécurité du revenu, il n'y a absolument aucun avocat. Ce sont des laïques, suivant l'expression consacrée.

M. Lincoln: Merci.

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Beauharnois.

M. Fréchette: M. le Président, est-ce que, depuis le 22 décembre, en Ontario... Depuis le 22 décembre, peut-être.

M. le Président, on a l'habitude, à cette heure-ci, généralement, de prendre un petit peu de répit. Alors, je suggère que, pour une quinzaine de minutes, on puisse suspendre nos travaux.

Une voix: Consentement.

Le Président (M. Beauséjour): Consentement. Alors, c'est suspendu pour quinze minutes.

(Suspension de la séance à 16 h 30)

(Reprise à 17 heures)

Le Président (M. Beauséjour): La commission reprend ses travaux et la parole est au député de Beauharnois.

M. Laurent Lavigne

M. Lavigne: Merci, M. le Président. J'aurais une question et j'aimerais savoir finalement ce que M. le juge en pense. Actuellement, ce qui nous préoccupe, c'est de savoir si on doit maintenir les deux organismes comme tels, soit la CAS d'un côté et la CSST de l'autre, en essayant d'améliorer, bien sûr, les services offerts à leur clientèle, en ajoutant du personnel ou en modifiant la loi existante. Il y aurait une autre approche et c'est là-dessus que j'aimerais avoir l'opinion du juge, à savoir s'il n'y aurait pas possibilité d'imaginer que la CAS ramasse tous les effectifs de la CSST. On pourrait, par le fait même, couvrir tout ce qui touche les recours en matière d'inspection: le droit de refus au travail, la fermeture et l'ouverture d'établissements, tout ce champ d'activités qui ne se trouve pas couvert par votre organisme présentement. Il pourrait l'être en supposant que votre organisme recueille tous les effectifs ou le personnel ou les compétences et les expertises de la CSST, ou l'inverse, peu importe, mais on unifierait, dans un seul organisme, tous ces services.

J'aimerais savoir, M. le juge, si cette approche est imaginable. Je pense qu'il y aurait peut-être un élément de réponse. Je m'inquiéterais peut-être, s'il fallait qu'on fasse cela. Ce serait bien sûr le droit d'appel parce qu'il y aurait à ce moment-là un jugement de première instance. Si on en arrivait à réaliser cela, il faudrait peut-être prévoir de permettre quand même à l'accidenté évalué par cet organisme qu'il puisse aller, s'il est mécontent de l'évaluation qu'on a faite de son cas, se faire évaluer par une instance supérieure, en fait en appel. Je ne sais pas ce que vous pensez de cela.

M. Poirier: Moi, je pense qu'il faut distinguer les niveaux d'intervention. Au

niveau de l'application quotidienne de toutes les mesures prévues par la nouvelle loi, y compris la réparation, il est important qu'il y ait un organisme de première instance avec la possibilité d'une révision à l'intérieur de cet organisme-là, révision que je souhaite la plus adéquate possible, la plus crédible possible. Je ne pense pas qu'on doive prendre tous les effectifs de la CSST et les envoyer à la Commission des affaires sociales. Cela ne règle pas le problème, cela le déplace tout simplement. C'est important qu'il y ait un organisme à la base, qui est le principal organisme qui applique cette loi.

L'organisme d'appel, c'est un organisme d'appel, ce n'est pas une régie, ce n'est pas un deuxième organisme qui vient refaire tout ce que le premier organisme a fait, parce qu'à ce moment-là - comme je l'ai expliqué un peu dans mon exposé - vous allez être obligés de grossir considérablement l'organisme d'appel qui va être finalement un organisme aussi considérable que le premier. Je pense que ce n'est pas la voie. Il faut que l'organisme d'appel fasse un travail d'appel et non pas un travail de première instance et même pas un travail de révision. Il faut que ce soit un organisme d'appel sur les matières importantes qui doivent obtenir une décision finale sur un aspect normatif et de jurisprudence.

Ceci étant dit, je pense que la Commission des affaires sociales oeuvrant déjà depuis 1977, depuis 1975 même pour les autres matières: régime de rentes, etc., a une expertise dans le domaine de la sécurité du revenu. Si la nouvelle loi améliore quand même la possibilité de régler le plus possible les litiges au niveau des organismes de première instance, il m'apparaît que la commission sera en mesure de continuer dans cette voie-là pour les nouvelles mesures qui sont reliées à la sécurité du revenu. Je pense que c'est surtout dans ce secteur-là que la commission, à mon sens, a pris son expertise. En disant sécurité du revenu, je n'exclus pas pour autant la santé et la sécurité du travail, parce que beaucoup de ces mesures de sécurité du revenu sont construites à partir, évidemment, de notions de santé et de sécurité du travail, comme les retraits préventifs, et tout l'aspect de l'indemnisation et de la prestation suit. C'est pour cela que, dans mon exposé, je disais que ce que je privilégierais, c'est que la réparation et toutes les matières connexes continuent à être confiées à la Commission des affaires sociales et toutes les autres, qui sont plutôt des mesures proprement dites de droit du travail, devraient être envoyées devant les organismes de droit du travail.

Ce que je voulais ajouter aussi là-dessus, c'est qu'il faudrait cependant s'entendre, à un moment donné, pour dire: Qu'est-ce que ça va faire, l'organisme d'appel? Là-dessus, il faut peut-être s'interroger pour savoir quels sont les recours qui doivent être offerts en appel, dans certaines des matières. Personnellement, je ne suis pas en mesure de porter un jugement là-dessus, à savoir si l'assistance médicale, la réparation, la prévention, les cotisations, tout ça doit aller en appel. Je ne suis pas en mesure de me prononcer là-dessus. Mais je m'interroge à savoir si, globalement, tous ces recours doivent être adressés à un organisme d'appel, parce que ça ne réglera pas plus le problème. Si vraiment il y a un mécontentement au premier niveau et que vous créez un organisme d'appel aussi considérable qui reprend toutes les décisions de la CSST, les reproches, semble-t-il, qu'on fait à la CSST, on va les faire à l'organisme d'appel.

Il faudrait, à ce moment, s'entendre pour dire: Écoutez, telle matière, ce n'est peut-être pas normalement un processus qui devrait entraîner un appel en bout de piste.

C'est pour ça que je faisais une certaine réserve en disant: "si jugés opportuns". Mais il m'apparaissait que tout le domaine de la réparation, surtout sous l'angle d'une nouvelle formule qui est du remplacement du revenu, c'est exactement, finalement, l'expertise que la Commission assume, particulièrement dans le domaine de l'assurance automobile qui, je comprends, a moins de cas et génère moins d'appels.

Mais peut-être que la loi, étant plus claire et la réglementation plus satisfaisante, en somme, pour les parties impliquées, fait en sorte que les appels sont interjetés pour des choses qui méritent de venir en appel. C'est finalement la solution que, personnellement, dans mon exposé, je privilégierais.

M. Lavigne: J'aimerais, M. le juge, comme dernière question, au point 4 de votre conclusion, que vous puissiez nous commenter davantage les quatre lignes du point 4, quand vous dites ces "derniers recours" énumérés au point 3. "Que, subsidiairement, ces derniers recours soient confiés à la Commission des affaires sociales dont la fonction serait élargie à des mesures de sécurité du travail plutôt qu'à un nouvel organisme d'appel." Voulez-vous commenter ça, s'il vous plaît?

M. Poirier: C'est dans un deuxième temps. Tout en reconnaissant et en souhaitant que, s'il doit y avoir des appels dans ces matières, ça devrait être dirigé devant certains organismes existants, si ce n'est pas une solution qui est acceptable ou faisable, je me dis, au lieu de créer un autre organisme, à la rigueur qu'on envoie ça à la Commission des affaires sociales, mais encore faudrait-il, à ce moment-là, qu'on lui donne les outils nécessaires et les effectifs voulus.

Le Président (M. Béauséjour): M. le député de Sainte-Marie.

M. Bisaillon: Merci, M. le Président. M. le juge, lorsque vous entendez des causes d'accidents du travail, actuellement, est-ce que vous facturez la CSST?

M. Poirier: Non.

M. Bisaillon: Donc, le coût des appels entendus, actuellement, par la Commission des affaires sociales, c'est l'ensemble de la société qui l'assume?

M. Poirier: C'est-à-dire que le budget de la commission est voté par l'assemblée annuelle.

M. Bisaillon: Par l'Assemblée nationale. M. Poirier: Par l'Assemblée nationale.

M. Bisaillon: Je vous pose la question, parce que...

M. Poirier: Parce que je viens souvent à la commission parlementaire, annuellement, pour le budget!

M. Bisaillon: ...en date du mois de juin 1984, j'ai ici un bulletin qui est le bulletin du Conseil du patronat du Québec. C'est le volume 15, no 154. Sur ce bulletin, le Conseil du patronat du Québec fournit des renseignements à ses membres sur le projet de loi 42. Je vous en lis une partie. "Alors même qu'il annonçait le report à l'automne de la discussion du projet de loi réécrit le ministre informait le Conseil du patronat de son intention et celle du gouvernement d'accéder à la demande du patronat et d'instituer un droit d'appel de l'ensemble des décisions de la commission, à l'extérieur de celle-ci." On comprends qu'il s'agit, par commission, de la CSST. "Il s'agissait là d'un point majeur pour le CPQ, ce qui l'a d'ailleurs conduit à s'adresser directement au premier ministre pour réclamer un tel droit d'appel et préciser que, s'il était institué, l'appel soit entendu devant une instance autre que la Commission des affaires sociales." "Pour le CPQ, de telles questions..." -là, il avait fait l'élaboration d'un certain nombre de questions - "...n'ont rien à voir avec la philosophie qui préside aux décisions de la Commission des affaires sociales. Le ministre du Travail et le gouvernement auraient entendu les demandes patronales dans ce dossier. Un droit d'appel serait institué et un tribunal spécial mis sur pied, même si les coûts devront en être assumés par la CSST."

Ce que je voudrais savoir de votre part, M. le juge, lorsqu'on parle d'un tribunal administratif, c'est quelles sont les implications au fait de faire assumer les coûts des jugements par les parties impliquées plutôt que de continuer à procéder comme on procède actuellement.

Deuxièmement, c'est quoi la philosophie tellement spéciale qui préside aux décisions de la Commission des affaires sociales? Qu'est-ce qu'il y a de particulier dans l'attitude de la Commission des affaires sociales qui ferait en sorte que les intérêts des travailleurs et des travailleuses, si je comprends bien, seraient privilégiés par rapport aux intérêts du patronat? Est-ce qu'il y a quelque chose de véridique là-dedans? Est-ce que vous tenez davantage compte de l'intérêt des administrés plutôt que de l'administration?

M. Poirier: Sur la première partie concernant le financement, tout ce que je peux vous dire là-dessus, c'est que le budget de la commission est voté par l'Assemblée nationale. C'est finalement exactement la même chose pour les tribunaux de droit commun, en tout cas les tribunaux de droit commun québécois, qui sont financés à même les budgets votés annuellement par l'Assemblée nationale. Personnellement, je trouve que c'est préférable parce qu'à mon sens ce n'est pas uniquement une question d'indépendance factuelle. C'est une question d'image qu'on donne. Nous, on prétend que, finalement, il n'y a aucun des organismes qui vient devant nous qui finance la commission d'une façon ou d'une autre, ce qui donne, dans tous les cas, l'image, à mon sens, d'une indépendance peut-être plus grande.

Sur le deuxième aspect, la philosophie de la commission. La commission se considère comme un tribunal administratif indépendant. Évidemment, sur le plan de l'indépendance, à plusieurs occasions, on n'a même pas eu besoin de l'affirmer; forcément, par l'agissement de la commission, je pense que l'organisme a été perçu comme un organisme indépendant. Cela nous apparaît important d'être perçu comme un organisme indépendant des parties. C'est tellement vrai que, dans la division, par exemple, de l'aide sociale, la commission se refuse de siéger dans les édifices du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, non parce qu'on pense que cela va affecter notre indépendance réelle, mais parce que l'image qu'on projette vis-à-vis des gens qui viennent devant nous, c'est important. On va préférer siéger à l'hôtel de ville, au palais de justice quand c'est possible, mais c'est de moins en moins possible pour les tribunaux administratifs parce qu'il n'y a pas de place, on va louer un bureau quelque part plutôt que d'aller siéger dans les organismes gouvernementaux.

La philosophie. Deuxième chose, c'est que la commission considère que c'est la

première fois que des bénéficiaires de lois sociales ont l'occasion de présenter, devant un organisme indépendant, une dernière fois leur point de vue. Là-dessus, je pense que la commission a une attitude d'accueil. Les auditions durent peut-être plus longtemps au niveau de la Commission des affaires sociales parce que c'est la dernière fois qu'ils viennent devant un organisme indépendant. On sent, de la part des parties, qu'elles veulent qu'on les écoute. On les écoute. On entend une preuve. On facilite même les questions pour qu'elles puissent exposer l'ensemble de leur point de vue. Donc, on est accessible, sur ce plan, pendant l'audition vis-à-vis des gens.

Deuxièmement, c'est un tribunal administratif, donc qui se distingue des tribunaux de droit commun. C'est moins judiciaire. C'est moins légaliste. Je ne dirais pas "légaliste" parce que je pense qu'il faut quand même qu'on ait une rigueur au plan juridique dans l'interprétation des lois et des règlements. On a moins tendance à donner de l'importance...

Une voix: C'est moins avocassier.

M. Poirier: ...aux objections, à la procédure, pour que les gens qui viennent devant nous ne sentent pas qu'il y a des obstacles avant de les entendre, parce qu'ils ne sont pas censés avoir le droit de dire telle chose, etc.

Troisième aspect, c'est qu'il y a un dénominateur commun: ce sont des mesures de sécurité du revenu. Forcément, dans les mesures de sécurité du revenu, ce sont des gens qui sont pris avec un certain nombre de problèmes. Je regarde l'aide sociale, je regarde le régime de rentes, je regarde l'assurance automobile et je pense qu'à ce moment, dans les mesures de sécurité du revenu, il faut leur indiquer un peu l'économie de ces lois, l'économie de ces règlements. On leur explique très souvent: Dans votre problème, monsieur, à notre niveau, en appel, on peut vous aider jusqu'à telle mesure, mais, sur le reste, il faut que vous vous adressiez à tel ou tel autre service, de sorte que ce n'est pas uniquement judiciaire. On essaie d'indiquer aux gens d'autres avenues possibles. (17 h 15)

De plus, pour revenir à la question des employeurs, permettez-moi de répondre là-dessus que c'est évident qu'à court terme, dans une certaine mesure, je comprends la critique des employeurs parce que, dans l'application de l'article 38.4, c'est évident qu'il y a " beaucoup de décisions où on a donné raison aux accidentés, mais je pense que c'était notre devoir de le faire parce qu'à notre sens la loi n'était pas appliquée. C'est sûr qu'à ce moment-là on a dû coûter cher aux employeurs. Mais cela n'a pas été notre préoccupation. Je pense qu'on a essayé de rendre justice aussi bien à l'égard des travailleurs qu'à l'égard des employeurs, compte tenu des situations concrètes qu'on avait. Dans le cas de l'application de l'article 38.4, il nous apparaissait que la loi n'était pas appliquée.

M. Bisaillon: Un dernier petit bout de question, M. le Président. Vous nous avez parlé d'une procédure de novo. J'aimerais que vous m'expliquiez cela et que vous me disiez quels sont les motifs de la commission en permettant, par exemple, le témoignage d'experts après une audition. Qu'est-ce que cela ajoute de plus et qu'est-ce qui arriverait si cet aspect était enlevé?

M. Poirier: Le procédé de novo est qu'il y a d'abord le dossier de l'administration qui a servi de base à la décision portée en appel. Ce dossier contient, par exemple, en matière d'accidents du travail, des expertises soit de l'employeur, soit de l'accidenté, ou encore des expertises qui ont été commandées par la CSST. Ce dossier est adressé à chacune des parties. À l'audition, il se peut que certaines des expertises qui ont été soumises au bureau de révision ne soient pas satisfaisantes, aussi bien du côté de l'employeur que du côté de l'accidenté. On permet, étant donné que c'est un dernier débat final devant un organisme indépendant, que certaines de ces preuves puissent être reprises, mais avec cependant une réserve: nous n'acceptons pas de preuves complètement nouvelles au plan médical. Il faut que la preuve médicale soit reliée à l'incident concerné.

On a été amenés à faire cela parce qu'on s'est rendu compte que, dans beaucoup de cas, on avait le sentiment qu'on ne rendait justice ni à l'une ni à l'autre des parties si on s'en tenait exclusivement au dossier. Si on s'en tenait au dossier comme tel, il y a fort probablement un nombre considérable d'appels qu'on pourrait rejeter et je pense qu'on ne rendrait justice ni aux appelants ni à l'employeur. Dans les autres divisions... C'est exactement le même phénomène en matière d'aide sociale. On reprend de novo, c'est-à-dire qu'à ce moment-là on reprend toute la situation à la lumière de ces faits et on essaie de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu. C'est cela le procédé de novo.

M. Bisaillon: Le projet de loi prévoit un arbitrage médical. À un moment donné vous avez dû prendre connaissance du type d'arbitrage médical prévu dans le projet de loi. Que pensez-vous de ce type d'arbitrage médical et pensez-vous que la CAS pourrait jouer un rôle là aussi?

M. Poirier: Je dois vous dire que je

n'ai pas vraiment réfléchi sur le problème spécifique de l'arbitrage médical. La seule chose que je peux vous dire, c'est qu'on note un problème là-dessus au niveau de la Commission des affaires sociales comme, probablement, à d'autres niveaux. C'est sûr que, s'il y avait un mécanisme quelconque qui permettrait d'avoir finalement un arbitrage médical qui lierait les parties, cela éviterait peut-être une partie du processus de novo qu'on est obligé d'accepter, parce qu'on se rend compte que les preuves médicales existantes sont insatisfaisantes. Mais, sur le mécanisme comme tel, quelle devrait être la formule? Je n'ai pas suffisamment réfléchi pour vous donner une solution.

M. Bisaillon: Dans l'ensemble des autres dossiers que vous avez à traiter, par exemple au plan de l'assurance automobile ou dans d'autres types de dossiers, n'avez-vous pas comme tendance de tenir d'abord pour acquis le rapport du médecin traitant ou est-ce que forcément vous le remettez en cause?

M. Poirier: On ne met pas en cause nécessairement le rapport du médecin traitant, mais, comme on siège en appel et que, effectivement, il arrive des fois que le rapport du médecin traitant est contesté par la preuve d'une autre expertise médicale, on a développé un processus de prépondérance dans la preuve, pas une prépondérance en termes de chiffres, deux contre deux, trois contre un, mais on essaie de vérifier lequel de ces rapports est vraiment prépondérant, dans le sens que c'est lui qui, finalement, est le plus adéquat. Il nous est arrivé souvent de donner raison plutôt à la preuve soumise par un médecin traitant, qui a suivi, par exemple, un bénéficiaire d'aide sociale inapte au travail depuis cinq ans, par rapport au spécialiste qui arrive, à un moment donné, de façon ponctuelle pour dire: Monsieur, à telle date, je pense que vous n'aviez pas de problème. Cela nous arrive, cela dépend. C'est une question de mesurer et cela appartient à chacun des quorums, qui est composé, comme je l'ai dit, d'un avocat ou d'un médecin, dans la division des accidents du travail, d'un avocat ou d'un travailleur social, dans les autres divisions, de mesurer un peu, finalement, la force de tel rapport par rapport à tel autre. On ne peut pas dire qu'on part avec l'idée qu'on rejette les rapports des médecins traitants. On les analyse en fonction de la preuve et évidemment de la contestation qui est faite.

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Quelques petites questions au deuxième tour. Je voudrais demander à M. le juge Poirier comment la Commission des affaires sociales s'y prend pour vérifier la constance de sa jurisprudence. Parce que cela fait plusieurs années qu'elle existe et, dans le secteur qui nous occupe, cela fait plusieurs années qu'elle établit de la jurisprudence. Quel moyen avez-vous, opérationnellement, pour vérifier la constance de votre jurisprudence?

M. Poirier: D'abord, la commission s'est donné des outils. Les décisions de la commission sont publiées dans des recueils de décisions qui sont administrés par SOQUIJ. Il y a trois recueils de décisions qui sont publiés par année...

M. de Bellefeuille: Je m'excuse, administrés par...

M. Poirier: SOQUIJ, Société québécoise d'information juridique. C'est un organisme gouvernemental...

M. de Bellefeuille: Merci.

M. Poirier: ...qui publie d'ailleurs aussi les décisions des tribunaux de droit commun. En plus, la commission a implanté un processus d'échanges des décisions entre les différents quorums, une forme un peu semblable à ce qui existe en matière civile, on l'appelle l'Express Jurisprudence.

Deuxièmement, la commission a à son service quatre conseillers juridiques: deux au bureau de Québec, deux au bureau de Montréal, auxquels les commissaires font régulièrement appel pour creuser certaines questions, ramasser la jurisprudence à la fois de la commission et des tribunaux de droit commun, etc.

Troisièmement, ces conseillers juridiques constituent aussi des dossiers sur certaines matières qui ont été souvent décidées par la commission. En plus, il y a des rencontres informelles, forcément, qui existent entre les différents quorums, tant au bureau de Montréal qu'au bureau de Québec, où on expose un peu les cas qu'on a entendus et on essaie de voir de quelle façon tel autre quorum les traiterait ou comment ils les ont traités, etc. En plus de cela, il y a des rencontres un peu plus formelles qui réunissent l'ensemble des membres et des assesseurs de la commission, à l'occasion de journées mensuelles ou de collogues, où on aborde un certain nombre de zones grises qui existent dans certaines des lois ou des règlements et on essaie d'élaborer un certain consensus là-dessus. Cependant, au départ, il est entendu que le quorum qui entend l'appel reste maître en définitive de la décision à rendre. C'est de cette façon qu'on essaie d'établir une certaine cohérence que, je pense, on a acquise à la commission.

M. de Bellefeuille: Merci. Dans un autre domaine, est-ce que vous pouvez nous dire, M. le juge, quelle est la proportion des cas qui vous viennent de la CSST, qui a rendu une décision non favorable au travailleur ou à la travailleuse et qui est renversée par vous, de façon à donner justice au travailleur ou à la travailleuse?

M. Poirier: D'après les statistiques de notre dernier rapport annuel en matière d'accidents du travail, pour l'année 1983-1984, sur les 1033 décisions dont j'ai parlé, il y a 509 décisions de la commission qui ont accueilli l'appel. Il y a 524 décisions qui ont rejeté l'appel.

M. Bisaillon: Et les boss ne sont pas encore contentsl

M. Poirier: Maintenant, si l'on compare à d'autres divisions, vous allez voir les matières où en fait le procédé de novo a de l'importance. Par exemple, en matière d'aide sociale, parce que c'est une reprise du cas, dans le fond, on a un peu les mêmes proportions. En aide sociale, allocations sociales, il y a 515 appels qui ont été accueillis et 568 rejetés. Par contre, si je regarde le régime de rentes qui est un régime très réglementé avec une loi extrêmement sévère quant aux critères d'invalidité, il y a 27 appels accueillis, 253 rejetés. Dans ce cas, le processus de novo joue beaucoup moins parce que les exigences de l'invalidité sont tellement fortes que, finalement, le processus de novo joue beaucoup moins. En assurance automobile, peut-être à cause du fait que les dossiers sont plus récents et que les dossiers avec les preuves qui sont dans les dossiers impliquent moins de preuves nouvelles, c'est-à-dire ce que j'appelle le processus de novo, vous avez 152 décisions où on a accueilli l'appel et 188 où on a rejeté l'appel.

M. de Bellefeuille: 188 rejetés.

M. Poirier: Où on a rejeté l'appel.

M. de Bellefeuille: D'autre part, dans le cas de décisions de la CSST favorables aux travailleurs mais qui vous arrivent constestées par l'employeur.

M. Poirier: Je pense qu'on n'a pas ces chiffres. Les chiffres que nous avons, ce sont les appels accueillis et les appels rejetés par rapport aux décisions rendues. Je n'ai malheureusement pas de statistiques sur cela. Il faudra peut-être se poser la question à savoir s'il faut avoir des statistiques sur cela. C'est délicat, on essaie d'envisager cela avec le plus de neutralité possible et on ne voudrait pas essayer de déterminer si notre bilan est plus favorable à telle partie qu'à telle autre.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le juge.

Le Président (M. Beauséjour): M. le député de Nelligan.

M. Lincoln: Je veux poser une question au juge par rapport au mécanisme d'appel qui est prévu dans le projet de loi 42. Si je comprends bien les dispositions nouvelles de la loi, les décisions de la commission incluant les avis de classification, cotisation, imputation des coûts, pourront faire l'objet d'une révision administrative d'abord et ensuite iront en appel. Mais s'il y a une décision par rapport au retour au travail et sur une question d'ordre médical qui est rattachée au rapport de retour au travail, on ne peut pas aller en révision administrative et on doit aller directement en appel, d'après ce que je comprends. Puisqu'on a parlé dans votre mémoire et qu'on a discuté de la question de la coordination entre le tribunal de première instance et la Cour d'appel, selon vous, est-ce que cela va aider d'aller directement en appel pour toutes les questions de retour au travail ou si cela aura pour effet de retarder la machine encore plus du fait que vous aurez à agir en tribunal de première instance et en tribunal d'appel en même temps? (17 h 30)

M. Poirier: Dans les matières de sécurité du revenu, ce que je peux vous dire, c'est qu'il existe un premier palier de révision, peut-être justement parce qu'on a craint que cela amène un flot trop considérable d'appels au niveau de l'organisme d'appel. L'autre raison, dans les matières de sécurité du revenu, c'est que je pense qu'il est normal qu'on laisse à l'organisme, qui a comme première tâche de verser les prestations, la possibilité de revérifier si ses agents ne se sont pas trompés dans l'application des lois et des règlements. Alors, en principe - je ne peux peut-être pas répondre pour le cas spécifique que vous soulevez - je pense que c'est bon qu'il y ait une possibilité de révision à l'intérieur de l'organisme avant qu'il y ait un appel.

Maintenant, dans le cas spécifique, il faudrait peut-être que je regarde la situation de plus près. Mais ce que je vous dis, d'après l'expérience de la commission dans les matières de sécurité du revenu, c'est qu'il existe toujours un mécanisme de révision; ce dernier permet de régler une multitude de cas, ce qui, finalement, n'amène pas les bénéficiaires à venir en appel. Il faut aussi peut-être penser que l'organisme d'appel... Si le bénéficiaire est en mesure, par un régime de révision administrative ou une autre audition, disons, à l'intérieur de l'organisme, de régler sa

situation, évidemment, il vient de raccourcir considérablement les délais qu'entraîne nécessairement tout le processus jusqu'à l'appel.

Le Président (M. Beauséjour): Est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission qui ont des questions?

M. Fréchette: Pas quant à moi.

Le Président (M. Beauséjour): Alors, nous pouvons conclure. Je demanderais au député de Viau s'il a...

M. Cusano: M. le Président, tout simplement...

Conclusions

Le Président (M. Beauséjour): Juste un instant, à moins que le juge Poirier ait des derniers commentaires à formuler avant que je laisse la parole aux deux représentants.

M. Gilles Poirier

M. Poirier: La conclusion que j'amènerais, c'est qu'il est évident que, dans le contexte actuel, si la Commission des affaires sociales obtenait comme juridiction l'ensemble de tout ce qui est prévu dans la loi, il faudrait probablement grossir considérablement ses effectifs.

Je pense que la question qu'il faut peut-être se poser, en tout cas que je me pose comme président d'organisme, c'est qu'il faut peut-être analyser, comme je l'ai indiqué au début, le rôle qu'on veut faire jouer par l'organisme d'appel. Si, finalement, l'organisme d'appel est à la fois un organisme d'appel et une régie, c'est une autre question. Mais si vraiment c'est un organisme d'appel, tel qu'on le conçoit normalement en droit administratif, je pense qu'il faut certainement envisager l'opportunité de soumettre au processus d'appel toute une série de matières. Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, je pense que c'est à vous de l'analyser.

C'est un petit peu la conclusion à laquelle j'en arriverais.

Le Président (M. Beauséjour): Merci, M. le juge. La parole, pour conclure, revient au député de Viau.

M. William Cusano

M. Cusano: Merci, M. le Président. J'aimerais seulement exprimer à M. Poirier nos remerciements pour une présentation qui, j'espère, servira à éclairer le ministre et, comme mon collègue l'a dit, à permettre au ministre de peut-être voir la lumière dans ce projet de loi. Au nom de ma formation politique, je vous remercie de votre témoignage.

Le Président (M. Beauséjour): Merci. M. le ministre.

M. Raynald Fréchette

M. Fréchette: M. le Président, je voudrais simplement ajouter aux remarques que vient de formuler mon collègue de Viau à l'endroit du juge Poirier, de Mme Turcotte et de M. Harvey, et inviter aussi mes collègues de l'Opposition à m'éclairer si les conclusions auxquelles on pourrait en arriver n'étaient pas suffisantes. Je voudrais simplement indiquer que le juge Poirier a jeté un éclairage très important sur les décisions que nous nous apprêtons à prendre. Il est clair qu'à partir de cette évaluation globale, autant celle que l'on retrouve dans l'argumentation écrite qui nous a été déposée que dans celle des autres argumentations que l'on retrouve dans les réponses qu'il nous a soumises, il est très clair que nous allons devoir faire des choix qui sont, à cet égard ou à ce stade, des choix d'ordre strictement politique, il me semble. C'est-à-dire qu'il appartient maintenant au législateur, à partir de l'éclairage qu'il vient de recevoir, de faire ces choix.

Nous avons été particulièrement, et entre autres choses, sensibilisés à des phénomènes devant lesquels nous ne pouvons pas rester indifférents, il me semble. Par exemple, le phénomène de la nécessité, quelles que soient les décisions qui pourraient être prises, de compléter ce que je pourrais appeler le réseau de ressources humaines pour en arriver à compléter et à atteindre un rythme de croisière qui pourrait se garder à l'intérieur de délais qui n'ont pas l'allure de dénis de justice, à proprement parler. Cela est un des aspects importants.

L'autre phénomène qui est préoccupant, et il est davantage préoccupant vu que les efforts que vous avez faits, que vous avez mis pour essayer de faire disparaître cette difficulté n'ont pas semblé donner les résultats que vous souhaitiez, vous comprenez que je fais référence évidemment au phénomène des remises. Je ne sais pas s'il existe des moyens au-delà de ceux que vous avez déjà essayés qui pourraient faire en sorte que ce phénomène diminue. C'est un autre aspect de la question, en tout cas, qu'il faut très sérieusement considéré.

M. le Président, à ce stade, retenez que je ne suis pas en train de vous dire quel serait le cheminement ni non plus la décision finale éventuelle qui pourrait être retenue. Mais un aspect de votre argumentation sur lequel j'ai retenu bien des suggestions intéressantes, c'est cette possibilité de trouver, à l'intérieur même du mécanisme, une modalité ou un mode d'opération qui ferait en sorte que le nombre d'appels

pourrait être diminué dès la source. Par exemple, est-ce qu'à ce stade-ci je le mets sur la table pour que peut-être on puisse y réfléchir un peu? Est-ce que, par exemple, à l'origine des dossiers d'appel, s'il y avait un mécanisme qui retiendrait la même philosophie que celle qu'on retrouve dans l'organisme en termes de parité, cela ne pourrait pas permettre de faire en sorte qu'un certain nombre de dossiers se règlent dès cette étape? Ce à quoi je pense - vous l'avez peut-être deviné déjà - c'est qu'on a parlé de révision administrative, on a parlé de disparition des bureaux de révision.

Encore une fois, je veux être prudent à cet égard, cela n'est pas une politique gouvernementale que je suis en train d'annoncer mais une réflexion qui chemine. Est-ce qu'un organisme ou une structure, quelle qu'en soit la nature, qui aurait la juridiction d'entendre, en toute première instance, les litiges, organisme où siégeraient un représentant de l'accidenté, un représentant de l'employeur et une tierce personne neutre, qui procéderait à une première évaluation, cela n'aurait pas pour effet effectivement de sabrer un peu dans le nombre d'appels? Je comprends qu'en pratique cela ne devrait pas arriver souvent, mais prenons le cas où un organisme tripartite, composé de la façon dont je viens d'en parler, rendrait une décision unanime, est-ce que celui qui aurait le goût d'en appeler à une autre instance, à partir d'une décision unanimement rendue, ne devrait pas y réfléchir très sérieusement avant d'entamer la procédure d'appel qui l'amènerait devant une autre instance? Je pense que l'on doit continuer la réflexion à cet égard. Ce mécanisme dont je vous parle est, à toutes fins utiles, la réplique de ce conseil arbitral que l'on retrouve dans l'application de la loi sur l'assurance-chômage. C'est exactement ce mécanisme auquel je pense actuellement, qui risque bien sûr de s'alourdir en cours de route, qui risque peut-être de se judiciariser, mais qui au moins respecte le principe fondamental de l'audi alteram partem. C'est une espèce de mécanisme ou d'institution où toutes les parties seraient représentées et qui pourrait, en première analyse, évaluer les cas pour lesquels il y aurait des appels de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

Quant à l'autre aspect, la commission d'appel à proprement parler, je l'ai dit il y a un instant, nous sommes, de toute évidence, le nez collé dans la vitre, dans le sens qu'il faut faire des choix. La première réflexion qui me vient à l'esprit, à la suite encore une fois des informations que vous nous formulez, c'est que, ou bien il faut rester dans le statu quo, penser à l'amélioration de vos ressources humaines pour vous permettre de libérer les dossiers qui sont déjà là et de faire face à ceux qui continuent d'arriver à un rythme tel que, s'il n'y a pas quelque chose qui se fait dans ce sens-là, vous n'arriverez jamais à vous libérer des inscriptions en appel. C'est ou bien le statu quo avec une action dans ce sens-là et on oublie toutes les autres matières. On oublie toutes les autres matières. Elles se régleront au niveau, si encore c'est retenu, de cette instance dont je viens de parler et il n'y aura pas d'appel de la décision de cette instance.

C'est, à ce stade-ci, en tout cas, ce à quoi je pense. On ne peut pas séparer l'ensemble du dossier. Cela ne me créerait pas d'embêtements de garder le phénomène de la réparation à la Commission des affaires sociales, le phénomène de la réparation se référant à des questions de droit à l'indemnité, à des questions de quantum et à des questions de quantum aussi en matière de retrait préventif. Mais, attention, on ne va pas commencer à distribuer toute espèce de juridiction. Je vous signale que ce n'est pas une décision encore, mais c'est...

Ou bien c'est cela avec l'augmentation des ressources, et les autres matières, cotisation, classification, droit de retour au travail, réadaptation, toutes les autres matières qu'on a identifiées, on en disposera par l'organisme dont je vous parle et, encore une fois, les décisions de cet organisme ne seraient pas "appelables".

Je vous réitère, je réitère aux membres de la commission que je ne suis pas en train d'annoncer des décisions, je ne suis pas en train non plus d'élaborer une politique gouvernementale à cet égard-là, mais je suis en train de vous communiquer, à ce stade-ci, la réflexion que j'ai amorcée depuis qu'on entend le juge et qu'on va devoir continuer, bien sûr, jusqu'à ce que cette commission-ci prenne une décision.

Le Président (M. Beauséjour): Merci, M. le ministre. Je voudrais en profiter pour remercier M. le juge Poirier de la réflexion qu'il a apportée à la commission et pour remercier aussi les personnes qui l'accompagnent. Je veux remercier aussi chaque collègue de la commission de la collaboration qui a prévalu aujourd'hui et qui continuera demain, je suppose. Et je vous suggérerais qu'on ajourne nos travaux à demain, à moins que vous ne teniez absolument à ce que l'on continue jusqu'à 18 heures l'étude article par article.

M. Cusano: Consentement.

Le Président (M. Beauséjour): Vous avez un consentement. D'accord. Alors, la commission de l'économie et du travail ajourne ses travaux à demain matin, 10 heures.

(Fin de la séance à 17 h 44)

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