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(Quatorze heures douze minutes)
Le Président (M. Vaugeois): À l'ordre, s'il vous
plaît! La séance est ouverte. M. le secrétaire, voulez-vous
nous donner la liste des membres de la commission ainsi que ceux qui s'y
ajoutent aujourd'hui.
Le Secrétaire: D'accord. Les membres présents sont:
MM. Baril (Rouyn-Noranda-Témiscamingue), De Bellefeuille
(Deux-Montagnes), Duhaime (Saint-Maurice), Dussault (Châteauguay),
Mailloux (Charlevoix), Marx (D'Arcy McGee), Rivest (Jean-Talon); Mme
Saint-Amand (Jonquière) et M. Vaugeois (Trois-Rivières).
Les remplacements annoncés sont les suivants: M. Brassard
(Lac-Saint-Jean) est remplacé par M. Beaumier (Nicolet); M. Léger
(Lafontaine) est remplacé par M. Blouin (Rousseau); M. Levesque
(Bonaventure) est remplacé par M. Côté (Charlesbourg) et M.
Payne (Vachon) est remplacé par M. Rochefort (Gouin).
Le Président (M. Vaugeois): Vous avez des choses à
ajouter, M. le vice-président?
Organisation des travaux
M. Rivest: Oui. Je voudrais simplement indiquer aux membres de la
commission que, de notre côté - je ne sais pas quant au
côté ministériel - il y a un certain nombre de
députés qui ne sont pas membres de la commission - nombre
limité à deux ou trois, je pense - et qui se sont divisé,
dans la préparation des travaux de la commission, les divers aspects du
rapport du directeur général du scrutin. Étant
donné que notre règlement indique que, pour participer aux
travaux de la commission, cela requiert à chaque fois l'obtention du
consentement, je voudrais demander si la commission accepterait de permettre
à un certain nombre de députés - encore une fois, un
nombre limité - qui ne sont pas membres de la commission, d'y participer
au moment où les travaux seront rendus au sujet qu'ils ont
particulièrement étudié, le tout, bien sûr,
respectant la parité entre le droit de parole du côté
ministériel et celui du côté de l'Opposition.
Le Président (M. Vaugeois): Dans la mesure où il ne
peut y avoir d'abus, étant donné qu'il y aura alternance et qu'on
respectera ce principe, qu'on s'en tiendra autant que possible aux dix minutes
que prévoit le règlement, sauf si une intervention est à
ce point magistrale qu'elle nous émerveille tous et que nous en
oubliions le temps. Mais, de façon générale, on s'en
tiendra aux dix minutes. Encore qu'un membre retrouvera son droit de parole
éventuellement, le nombre de fois d'interventions étant
illimité, sur cette base... Oui, M. le député de
Châteauguay.
M. Dussault: Je voudrais savoir de la part de l'Opposition
combien il y a de députés qui viendraient s'ajouter en cours de
route. Le danger est qu'on répète les mêmes choses et qu'on
ne fasse pas un travail qui soit vraiment productif et intéressant.
M. Rivest: Je peux vous les indiquer: ce sont les
députés de Gatineau, de Jeanne-Mance, de Louis-Hébert et
de Westmount qui ont, dans le cadre des travaux - c'est pourquoi c'est
terriblement difficile - un aspect particulier à examiner. Par exemple,
il y a le problème des distorsions que la carte a produites. Un
député, dans l'équipe de travail de notre
côté, s'est chargé particulièrement de cela. Il
voudrait avoir la possibilité d'intervenir à ce moment-là.
On ne sait pas à quel moment exactement, selon les travaux de la
commission, mais il le fera, bien sûr - j'insiste là-dessus et le
président, d'ailleurs, vient de l'indiquer - de façon que cela
n'enlève aucun temps à quelque autre membre de la commission du
côté ministériel; cela restera à l'intérieur
de notre enveloppe, selon la direction de la commission.
Le Président (M. Vaugeois): Je trouve que cette
méthode est préférable. Autrement, comme il y a des
membres qui pourront s'ajouter en remplacement de quelqu'un qui s'absenterait
à une séance ou l'autre, on risque d'avoir à reprendre
certains débats. Mais allez-y.
M. Dussault: M. le Président, je voulais m'assurer que les
personnes dont il était question sont des personnes présentes qui
n'auront donc pas la tentation de répéter des choses
déjà dites. Je voudrais que cette liste soit fermée
immédiatement. Je ne voudrais pas donner mon consentement pour
ouvrir
cette liste ad vitam aeternam.
Le Président (M. Vaugeois): Sur cette base, on va
souhaiter la bienvenue à deux députés indépendants,
le député de Sainte-Marie et le député de
Frontenac. Je présume que les membres présents sont d'accord pour
que ces personnes soient membres de notre commission.
M. Rivest: Vous permettez, M. le Président? Pour les noms,
il s'agit du député de Gatineau, M. Gratton; du
député de Louis-Hébert, M. Doyon; du député
de Jeanne-Mance, M. Bissonnet, et du député de Westmount, M.
French. Il faudrait ajouter les noms du député de Frontenac, M.
Grégoire, et celui du député de Sainte-Marie, M.
Bisaillon.
M. Bisaillon: Est-ce que je pourrais vous poser une question? Ce
ne sera pas tellement long. Je voudrais seulement savoir si nos noms s'ajoutent
en fonction d'une permission de la commission ou en fonction de l'application
de l'article 130.
Le Président (M. Vaugeois): Vos noms s'ajoutent
certainement en fonction de l'article 129.
M. Bisaillon: Certainement, mais est-ce qu'on peut
considérer, M. le Président, que cela pourrait être aussi
en fonction de l'article 130? Je voudrais vous rappeler que l'article 130 de
notre règlement spécifie qu'un député
indépendant peut siéger comme membre d'une commission - sans
droit de vote, cependant - sur des projets de lois. Au moment où
l'adoption du rapport de la sous-commission avait été faite
à la commission de l'Assemblée nationale - vous étiez
présent, M. le Président - vous vous souviendrez que j'avais
souligné le fait que le texte actuel du règlement 130 ne
correspondait pas aux discussions de la sous-commission. Le leader du
gouvernement, tout comme le leader de l'Opposition à cette
époque, avaient convenu que, sans changer le texte sur des mandats
législatifs, c'est-à-dire que, pour toute question traitée
par une commission appelée par le leader du gouvernement, un
député indépendant pourrait être membre de la
commission, selon les règles prévues, c'est-à-dire sans
droit de vote, évidemment, mais avec ce que cela suppose comme
droits par ailleurs.
Le Président (M. Vaugeois): M. le député, si
je consulte à ma droite, on me rappelle le règlement tel qu'il
est rédigé. Si je consulte à ma gauche, on s'en remet
à l'interprétation que vous faites.
M. Bisaillon: M. le Président, je devrais vous dire qu'il
faut toujours se fier à ce qui se passe à gauche.
Le Président (M. Vaugeois): En ce qui vous concerne, c'est
ce que j'avais prévu. Si vous me permettez, je vous rappelle le mandat
de la commission qui nous vient de la Chambre, sur proposition du leader du
gouvernement. Cette commission ne se réunit donc pas aujourd'hui de sa
propre initiative, mais sur une proposition d'un membre de l'Exécutif,
ce qui explique d'ailleurs la présence parmi nous d'un membre de
l'Exécutif. Le mandat de notre commission est de procéder
à une consultation particulière pour étudier le rapport et
les recommandations de la Commission de la représentation
électorale sur la réforme du mode de scrutin
déposés à l'Assemblée nationale le 28 mars
1984.
Quand on se rappelle ce mandat qui avait été
accordé à la Commission de la représentation
électorale, on comprend qu'aussi longtemps que les interventions
porteront sur le mode de scrutin ou la réforme du mode de scrutin il
sera difficile d'aller à l'encontre du règlement. Le sujet est
assez large, mais il reste quand même qu'une approche nous est
suggérée, c'est-à-dire de procéder à partir
du rapport de la commission qui est ici présente.
Je sais que tout à l'heure, dans une intervention, le
député de Saint-Maurice, le ministre qui est actuellement
chargé de la question de la réforme électorale, nous
proposera peut-être une façon de procéder à
l'intérieur des travaux pour un certain ordre. Mais au départ, le
président de la commission a souhaité faire un exposé
d'introduction. Les porte-parole des deux partis ici présents ont
accepté avec plaisir d'entendre, dans un premier temps, M.
Côté, le président de la Commission de la
représentation électorale. Au départ, j'inviterais M.
Côté à nous présenter ses collègues et
à faire circuler un document qui, je pense, contient l'essentiel de son
intervention de départ.
M. le président Côté, à vous la parole.
Présentation du président de la
Commission de la représentation
M. Pierre-F. Côté
M. Côté (Pierre-F.): Je vous remercie, M. le
Président. Effectivement, je demanderais qu'on remette à chaque
membre un exemplaire de la déclaration - ce sont plutôt des notes
d'introduction - que je m'apprête à vous faire. J'aimerais que
vous l'ayez en main, ce sera plus facile pour vous de suivre le texte dont je
veux vous faire part.
Le Président (M. Vaugeois): Est-ce que quelqu'un s'occupe
de votre document, M. Côté?
M. Côté (Pierre-F.): Oui. Apparemment, on l'a
serré avec tellement de discrétion qu'on a de la
difficulté à le trouver. Je vois qu'on a mis la main dessus, on
va vous le distribuer dans deux minutes.
Le Président (M. Vaugeois): Est-ce un document
confidentiel?
M. Côté (Pierre-F.): Jusqu'au moment où je
vous en ferai part. On le distribue actuellement. Il y en a suffisamment
d'exemplaires.
Le Président (M. Vaugeois): Voulez-vous nous
présenter vos collègues, s'il vous plaît?
M. Côté (Pierre-F.): D'accord, M. le
Président. À ma gauche, M. Marc-André Lessard, un des
commissaires. Je vous signale que l'autre commissaire, M. Bourassa, est absent
cet après-midi pour des raisons professionnelles. Il m'a prié de
l'excuser auprès de vous. C'est absolument impossible pour lui
d'être avec nous cet après-midi, mais, dès ce soir,
dès la fin de l'après-midi, il se joindra à nous. À
ma droite, Me Eddy Giguère, le secrétaire de la commission.
À côté de M. Giguère, ce sont des collaborateurs: M.
Claude Fournier, le secrétaire exécutif, et M. Jean Lambert,
l'adjoint au financement; à l'extrême gauche, M. Dumas, le
directeur de la recherche et MM. Poirier et Tremblay qui sont des agents de
recherche à mon bureau.
M. le Président, mesdames et messieurs les membres de la
commission des institutions de l'Assemblée nationale, nous avons
évidemment accepté avec plaisir la demande que vous nous avez
adressée par l'intermédiaire du secrétaire de votre
commission de venir vous rencontrer pour échanger avec vous sur le
contenu du rapport que nous avons remis à l'Assemblée nationale,
le 28 mars dernier, sur l'importante question du mode de scrutin.
Il est peut-être opportun, dès le début, de situer
la place qu'occupe la Commission de la représentation électorale
dans le présent débat. L'Assemblée nationale nous a
confié un mandat, nous l'avons réalisé du mieux que nous
avons pu et vous nous fournissez ces jours-ci l'occasion d'expliciter de quelle
façon nous nous en sommes acquittés et surtout de vous fournir
des explications sur le rapport lui-même.
La réforme du mode de scrutin ou le maintien du statu quo est un
débat de nature politique et la décision qui sera prise est, elle
aussi, politique. Il est bien évident que nous n'avons aucune fonction
politique; cela va de soi. Il est impérieux de préserver
l'objectivité que requiert l'exercice de nos fonctions. Il serait
inconcevable et même regrettable que l'on interprète nos travaux
passés ou actuels comme ayant quelque coloration partisane que ce soit.
Ce n'est pas là ce qu'on attend de nous; ce n'est pas notre rôle.
La compréhension que nous avons de notre rôle est de fournir la
meilleure expertise possible afin d'éclairer vos débats.
Les membres de la Commission de la représentation
électorale et moi-même, à titre de président et
directeur général des élections, sommes comptables de nos
actes envers l'Assemblée nationale. Les deux fonctions dans
l'exécution du présent mandat sont indissociables.
L'Assemblée nationale s'est en effet départie, d'une part, des
pouvoirs qu'elle s'était, par tradition, longtemps
réservés en exclusivité en matière
électorale en faveur d'une personne désignée - la personna
designata - à cette fin, soit le Directeur général des
élections, et de la Commission de la représentation
électorale pour les fins spécifiques du présent
mandat.
Notre première allégeance, si je peux m'exprimer ainsi,
est donc envers l'Assemblée nationale dont la présente commission
sur les institutions est une émanation légitime. Notre
responsabilité est de voir à ce que l'Assemblée nationale
soit constituée en accord avec les lois et les règlements en
vigueur. Mais, lorsque les membres de l'Assemblée nationale nous
demandent un avis sur le mode de scrutin actuel et nous permettent de formuler
des recommandations, c'est l'électeur qui doit être notre
principale préoccupation. Nous devons nous assurer qu'il soit
représenté le plus adéquatement possible,
c'est-à-dire conformément aux votes exprimés.
Par application de ces principes, nous croirions manquer à une
obligation essentielle de nos devoirs envers tous les électeurs en nous
abstenant de vous faire part de quelques réflexions qui, je
l'espère, seront prises en bonne part. De fait, j'ai beaucoup
hésité à vous livrer les réflexions qui suivent,
craignant qu'elles n'aient une allure un peu moralisatrice, mais, connaissant
votre ouverture d'esprit et votre réceptivité, j'ai quand
même décidé de le faire.
La décision que tous les membres de l'Assemblée nationale
doivent prendre afin de changer le mode de scrutin actuel place les
représentants du peuple dans une situation extrêmement
délicate. Malgré vous, vous êtes un peu juges et parties en
la matière, sans que vous y puissiez quoi que ce soit. Vous êtes
juges parce qu'il vous appartient en dernier ressort de prendre la
décision finale pour ou contre un changement en profondeur du mode de
scrutin par l'adoption ou non d'une loi à cette fin. Vous êtes
également parties parce que directement concernés par un
changement en profondeur du mode de scrutin.
Les membres de l'Assemblée nationale occupent toutes et tous leur
poste après avoir été démocratiquement élus
en suivant des règles établies depuis plusieurs
décennies.
Ces règles du jeu vous sont familières. Nous comprenons
que vous ressentiez une appréhension bien compréhensible
d'être appelés non seulement à étudier mais à
vous prononcer pour ou contre un nouveau mode de scrutin, question qui touche
les droits fondamentaux de la personne en matière politique.
En somme, ce qui est exigé de vous, c'est d'assumer vos
responsabilités législatives dans la perspective non pas
nécessairement de vos intérêts immédiats, mais de
ceux des électrices et des électeurs. À mon avis, la
question fondamentale que le législateur doit se poser est la suivante:
La démocratie québécoise, la volonté des
électeurs, leur libre choix de leurs dirigeants seront-ils, à
l'avenir, mieux servis par le maintien de l'actuel mode de scrutin ou par un
changement en profondeur de ce mode? Cette question, vous devez vous la poser
et même si vos tâches personnelles, en tant que
députés, s'en trouvent un peu modifiées, voire même
perturbées, non pas en tant que législateurs pour la
collectivité, mais également au niveau des relations que vous
entretenez avec les électeurs individuellement.
La commission, pour sa part, en est arrivée à une prise de
position, à une réponse face à cette question. Nous
recommandons un changement en profondeur du mode de scrutin actuel. Pour vous,
pour tous les députés, en arriver à la même
conclusion, quel que soit le mode choisi, comporte la responsabilité du
geste politique, de son opportunité, de sa nécessité.
C'est un geste, c'est une décision d'une grande portée. Le
devoir qui vous incombe est celui de déterminer quel est le mode de
scrutin démocratique qui exprime, le plus correctement possible, le
choix des électeurs. Vous pouvez en arriver à la conclusion qu'il
est préférable de maintenir le mode actuel ou encore qu'il est
nécessaire de le modifier pour qu'un autre mode de scrutin
reflète plus justement le vote des électeurs.
Je suis convaincu que les membres de l'Assemblée nationale ne me
tiendront pas rigueur, ni à mes collègues qu'ils ont bien voulu
désigner pour les conseiller en cette matière, de se
considérer, en quelque sorte, et jusqu'à un certain point, les
porte-parole les plus indépendants possible des électeurs dans
les circonstances présentes. Nous exprimons sincèrement ce que
nous croyons être le meilleur intérêt des électeurs,
suivant la perception que nous en avons eue à l'occasion des audiences
tenues dans toute la province et selon nos convictions personnelles qui sont le
fruit de cette tournée du Québec.
Dans un premier temps, je crois qu'il est important, pour le
bénéfice des membres de cette commission, de résumer
brièvement la démarche privilégiée par la
commission de la représentation électorale pour remplir de
façon adéquate le mandat qui nous a été
confié à l'unanimité par l'Assemblée nationale le
22 juin 1983, à savoir d'étudier les différents modes de
scrutin et, le cas échéant, de soumettre une recommandation.
Il nous a semblé d'abord, avant d'entreprendre la consultation,
qu'il était important d'évaluer le degré de connaissance
de la population sur toute cette question du mode de scrutin. Pour ce faire, un
sondage a été réalisé par une maison
spécialisée. Les résultats de ce dernier, publiés
au mois de septembre 1983 lors d'une conférence de presse,
démontraient, en général, que la population était
peu familière avec le vocabulaire électoral.
Bien que 75% des répondants se soient déclarés
assez satisfaits du mode de scrutin actuel, une fois informés de
l'éventualité d'une réforme, plus d'une personne sur deux
s'est dite favorable à un changement. Par ailleurs, près de 65%
des personnes interrogées considéraient que les changements
envisagés devraient être réalisés avant les
prochaines élections générales. (14 h 30)
Sur la base de ce sondage, la commission a utilisé de nombreux
moyens pour informer adéquatement la population sur l'objet de son
mandat. Rappelons à ce propos une brochure d'information tirée
à 500 000 exemplaires et distribuée dans près de 2500
endroits. Un document audiovisuel a également été
monté et expédié à des établissements
d'enseignement et à des câblodistributeurs. Une documentation plus
détaillée, qui visait des clientèles plus
spécifiques, était aussi disponible sur demande au bureau de la
commission.
En plus de tous ces documents, la commission a misé beaucoup sur
la collaboration des médias pour informer la population. Nous ne
saurions assez insister sur la façon très positive avec laquelle
tous les médias ont répondu à nos attentes.
L'expérience nous a donné raison, puisque, au cours de la
période de septembre 1983 à janvier 1984, 12 quotidiens, 76
hebdos régionaux, deux magazines, 16 stations de
télévision, 50 stations radiophoniques ont contribué
à faire connaître le mandat et les travaux de la commission. Nous
avons aussi adressé environ 7000 lettres d'invitation à autant
d'organismes, d'associations, de clubs sociaux et autres pour les inciter
à faire connaître leur point de vue.
Dès le début du mois de septembre 1983, un grand nombre
d'éditorialistes furent contactés afin de mesurer leur
intérêt à rencontrer des représentants de la
Commission de la représentation pour expliciter son mandat et la
démarche prévue.
Mis à part les briefings de presse qui précédaient
l'arrivée des commissaires, nous avons accordé un nombre
impressionnant d'entrevues aux médias locaux, soit 114,
aussi bien avant qu'après la tenue d'une audience. Ces entrevues
nous permettaient, en plus de publiciser notre mandat, de présenter un
bilan sommaire des audiences et ainsi de permettre à la population
d'être au fait des grandes orientations qui se dégageaient au fur
et à mesure que la consultation avançait.
Enfin, vous vous souvenez qu'une copie des notes
sténotypées était adressée à des
représentants du Parti libéral du Québec et du Parti
québécois chaque semaine, au fur et à mesure du
déroulement des audiences. Ces notes totalisent 5400 pages. Elles sont
justement derrière moi sur une chaise. Cela donne une idée de ce
que représente l'étude de ces notes
sténotypées.
Une partie importante de notre mandat était donc de consulter la
population. Dès le 14 septembre 1983, la commission était
disposée à recevoir, par courrier ou par téléphone,
toutes les opinions et annonçait la tenue d'audiences publiques dans
l'ensemble du Québec. Du 3 octobre au 21 décembre, la commission
visitait 10 villes, tenait 19 journées d'audiences publiques et recevait
185 interventions dont une à huis clos.
Pour compléter ce tableau, mentionnons que j'ai effectué
une mission d'étude dans six pays d'Europe, afin de recueillir les
opinions de personnalités oeuvrant dans le domaine électoral.
Vous avez d'ailleurs déjà en main un compte rendu de cette
mission.
L'analyse des mémoires, brochures, appels
téléphoniques reçus constitue une pièce très
importante du rapport que la Commission de la représentation
électorale a déposé le 28 mars 1984, d'où
l'utilité d'avoir suggéré au préalable les
règles de procédure pour la rédaction de ces
mémoires. Dans cette optique, nous proposions, à
l'intérieur de la brochure d'information que nous avons
distribuée partout à travers le Québec et lors de la
conférence de presse du 14 septembre 1983, aux citoyens et organismes
intéressés à faire connaître leurs opinions, de
suivre le plan suivant: 1- Exposer les avantages et les inconvénients
des différents modes de scrutin; (cela incluait évidemment le
mode de scrutin actuel). 2- Justifier leur opinion. 3- Exprimer leur position
sur certaines questions reliées au mode de scrutin. 4- Faire une
synthèse de leur intervention et exprimer leur opinion à
l'égard de la pertinence d'effectuer une réforme.
Lors des audiences qui ont été tenues sans formalisme, il
a été possible aux commissaires de faire préciser, lorsque
cela était nécessaire, certains points de vue en dialoguant avec
les intervenants.
L'analyse des prises de position s'est effectuée au moyen d'une
grille-synthèse qui résumait chacune des interventions.
Après quoi, nous avons dégagé des résultats
quantitatifs et qualitatifs. Ainsi, nous avons pu estimer le pourcentage des
intervenants désirant une réforme à 57%, identifier les
avantages et inconvénients des modes de scrutin traités de
même que les caractéristiques éventuelles d'une
réforme.
L'analyse de la consultation a incité la commission à
rejeter le mode actuel et à proposer une réforme. Si la
consultation nous a fourni des indications très précieuses, elle
ne pouvait répondre à l'ensemble de nos interrogations sur les
modes de scrutin en général. D'où la
nécessité de faire exécuter certains travaux afin de
compléter et d'orienter de façon plus précise les
réflexions des commissaires après la consultation. La plupart de
ces travaux ont été réalisés, en grande partie, par
le personnel de mon bureau dans des conditions parfois difficiles, compte tenu
des courts délais qu'on leur imposait. La commission a aussi
demandé au professeur André Bernard une étude sur les
relations entre les systèmes parlementaires et les modes de scrutin.
Vous avez également une copie de cette étude.
Au moment de l'étude de la motion à l'Assemblée
nationale, le 20 juin dernier, annonçant la tenue de la présente
commission parlementaire, un représentant du Parti libéral, M.
Côté, mentionnait, et je cite: "Cela nous permettra
également de savoir quel est le processus normal par après, ce
que cela implique sur le plan législatif en termes de changements dans
la mesure où, à la suite de cette commission, le gouvernement
décidera d'y aller avec une proposition ferme devant l'Assemblée.
Cela nous permettra de voir quelles sont les étapes quant à la
tuyauterie du système et aussi quant à ce que cela
nécessite, sur le plan législatif, comme amendement à
toutes nos lois et à tous les ajustements en termes de mode de
scrutin".
Pour sa part, le ministre responsable de la réforme
électorale, M. Marc-André Bédard, endossait cette
déclaration dans les termes suivants: "Peut-être que ce rapport,
pour en faciliter l'étude, pourrait être accompagné d'un
projet de loi ou d'un avant-projet de loi rédigé soit par la
commission ou encore du côté gouvernemental, au niveau de la
réforme électorale, qui nous permettrait, non seulement de
discuter, d'avoir une idée très précise de ce que sont les
recommandations du rapport de la Commission de la représentation
électorale, mais en même temps, nous permettrait d'avoir une
idée très claire de ce que cela pourrait représenter,
comme loi. Avec cela, nous aurions tous les outils pour aller au bout des
discussions."
A la suite de ce débat, j'ai reçu du ministre responsable
de la réforme électorale, le 12 juillet 1984, une lettre
m'indiquant qu'il serait hautement souhaitable que les membres de la
commission parlementaire puissent bénéficier, avant le
début de leurs travaux, de toute documentation pertinente et, en
particulier, de la documentation à caractère législatif
qui pourrait être disponible. Les commissaires avaient d'ailleurs
envisagé la possibilité d'inclure ces éléments
importants en annexe à leur rapport, mais les courts délais qui
nous avaient été impartis ne l'avaient pas permis. C'est pourquoi
je transmettais, le 31 juillet dernier, aux membres du conseil consultatif et
au ministre responsable de la réforme électorale un document
ayant pour titre "La proportionnelle territoriale: conséquences
législatives", en priant ce dernier d'en transmettre copie aux membres
de la commission parlementaire, ce qui fut fait, m'a-t-on informé. C'est
un document de travail qui fait connaître la formulation juridique de la
proportionnelle territoriale.
J'ai depuis étudié avec soin les conséquences
législatives de la proportionnelle territoriale sur la Loi
régissant le financement des partis politiques. Nous aurons certainement
l'occasion d'y revenir ces jours-ci.
Ces jours derniers également, j'ai remis au secrétaire de
cette commission trois documents de travail dont j'avais fait état dans
ma lettre du 31 juillet dernier: un premier intitulé "Systèmes
parlementaires et modes de scrutin"; un deuxième résumant ma
mission d'étude en Europe en janvier dernier et un troisième sur
les opinions émises au moment de la consultation par les intervenants
concernant plus particulièrement le mode de scrutin actuel et trois des
principales formules proposées à la Commission de la
représentation électorale.
Enfin, au cours de l'été 1984, les membres de mon
personnel ont réalisé diverses études et simulations
rattachées à la formule de rechange que recommande le rapport.
Nous avons envisagé diverses solutions au problème que vous aviez
vous-même soulevé en mai dernier relativement à la
dimension du bulletin de vote. J'ai d'ailleurs à votre disposition un
prototype de bulletin de vote qui pourrait être utilisé si nos
suggestions étaient agréées. Un calendrier de
réalisation de même que les budgets d'implantation ont
également fait l'objet d'analyses sérieuses.
La commission s'est toujours donné comme ligne de conduite de ne
pas s'engager dans des polémiques publiques en réponse aux
critiques qui ont été faites de son rapport. Nous avons
même refusé d'accorder toute entrevue que ce soit. Nous avons cru
plus déférent d'attendre la tenue d'une commission parlementaire.
Vous nous permettrez donc de préciser ici certains points du
rapport.
Quelques-uns ont reproché à la commission de ne pas avoir
rempli son mandat, entre autres, de ne pas avoir procédé à
l'analyse des avantages et des inconvénients du mode de scrutin actuel
et des formules de rechange proposées. J'ai déjà
répondu à cette question lors de l'étude de mes
prévisions budgétaires, le 22 mai dernier, mais on m'autorisera
sûrement à rappeler l'essentiel de mes propos.
D'abord, il faut bien situer le mandat confié à la
commission en juin 1983 dans le cadre d'une démarche entreprise au
Québec depuis déjà plusieurs années. En effet,
dès le début des années soixante-dix, plusieurs
spécialistes universitaires, des membres de l'Assemblée
nationale, les grands partis politiques, de nombreux groupes de pression et
bien d'autres encore se sont prononcés sur la question du mode de
scrutin: la roue, pour nous, n'était pas entièrement à
réinventer. De plus, l'Assemblée nationale a déjà
eu en main deux rapports traitant de la même question. L'aspect le plus
important et le plus original du mandat confié à la commission
reposait sur la consultation de l'ensemble de la population
québécoise, opération - je viens d'en parler - qui s'est
avérée un succès et qui a soulevé beaucoup
d'intérêt. Nous nous devions d'en tenir compte.
C'est pourquoi le rapport de la commission, en plus des 200 pages de la
version déposée le 28 mars dernier, comprend également
l'ensemble des quelque 6000 pages incluant les notes sténotypées,
les mémoires et brochures, sans compter les appels
téléphoniques acheminés directement aux bureaux de la
commission. Le traitement d'une information aussi dense et diversifiée
impliquait nécessairement des choix méthodologiques tout en
respectant l'esprit du mandat qui nous avait été confié.
C'est ainsi, par exemple, qu'il existe différentes façons
d'analyser les avantages et les inconvénients d'un mode de scrutin.
On aurait pu procéder, comme cela a déjà
été fait à plusieurs reprises dans le passé,
à une énumération systématique des avantages et
inconvénients déclarés à chacune des formules
proposées. Les commissaires ont convenu qu'il s'agissait là d'un
exercice qui n'aiderait pas comme tel l'orientation de leur réflexion et
qu'il était préférable de procéder à
l'identification et à l'analyse de certains thèmes
rattachés à l'étude de tout mode de scrutin en fonction,
bien sûr, de leurs conséquences prévisibles possibles. Les
thèmes retenus ont été les suivants: représentation
des électeurs, délimitation territoriale, rôle du
député et vie parlementaire, stabilité gouvernementale et,
enfin, rôle des partis politiques. C'est sur la base de ces
thèmes, qui correspondent en tout point aux préoccupations
majeures des gens qui se sont prononcés devant vous, que l'on a convenu
d'analyser les avantages et
les inconvénients des différents systèmes, y
compris le mode de scrutin actuel.
C'est pourquoi, il ne faut pas limiter l'analyse des différents
modes de scrutin aux quelques pages qui résument, dans le rapport, la
position des commissaires; le mode de scrutin actuel et les principales
formules de rechange proposées constituent en réalité la
toile de fond de tout le rapport.
Les commissaires ont également convenu, comme l'autorisait le
mandat, de soumettre aux membres de l'Assemblée nationale une
recommandation afin que soit modifié le mode de scrutin
présentement en vigueur au Québec: l'honnêteté de la
démarche nécessitait, croyons-nous, la formulation de cette
recommandation. Je reviendrai un peu plus loin sur quelques-unes des
caractéristiques du nouveau mode proposé.
Il convient d'ores et déjà de mentionner - et nous aurons
sans doute l'occasion de le rappeler au cours des échanges qui vont
suivre - que la commission vous a soumis une seule recommandation formelle,
soit celle d'implanter un mode de scrutin proportionnel de type territorial qui
colle à sa perception de la réalité
québécoise. Compte tenu de la complexité du sujet et des
courts délais qui nous étaient impartis, la commission a
préféré soumettre des préférences quant aux
modalités du nouveau mode proposé. En ce faisant, les
commmissaires n'ont pas voulu se dérober à leurs
responsabilités. Le rapport qu'ils avaient en main n'est pas du type de
ceux qu'on accepte ou rejette dans leur intégralité; il laisse
place aux échanges et à la discussion en vue de l'atteinte d'un
consensus le plus large possible. (14 h 45)
En somme, comme je vous l'indiquais en mai dernier: On peut, cela va de
soi, ne pas être d'accord avec la façon dont nous avons accompli
notre mandat. L'on peut, cela va de soi également, ne pas être
d'accord avec notre recommandation. Pour notre part, nous sommes convaincus
d'avoir bien rempli le mandat que l'Assemblée nationale nous avait
confié.
C'est donc à la suite de la consultation tenue dans l'ensemble du
Québec, des travaux d'analyse et de ses propres réflexions que la
commission en est venue à la conclusion qu'elle se devait de recommander
un changement du mode de scrutin au Québec en faveur d'un mode
proportionnel: notre recommandation va dans le sens de la volonté
exprimée par la majorité de ceux et celles qui se sont
prononcés devant nous, et nous avons ajouté à cette
recommandation la dimension territoriale.
Le nouveau mode dont nous recommandons l'adoption est un mode
proportionnel, c'est-à-dire qu'il attribue à chaque parti un
pourcentage de députés correspondant d'assez près au
pourcentage de votes que le parti obtient aux élections. C'est un
scrutin de liste, en ce sens que les électeurs procèdent, sauf
dans certains cas d'exception, à l'élection de plusieurs
candidates et candidats inscrits sur des listes qui leur sont soumises par les
partis politiques. Dans le cas des candidatures indépendantes, elles
sont autorisées et sont traitées, au niveau de l'attribution des
sièges, de la même façon qu'un parti politique.
Le nouveau mode proposé est également territorial en ce
que le Québec continue d'être divisé en territoires
à des fins électorales. Ces territoires varient en dimension et
sont évidemment plus grands que les circonscriptions électorales
actuelles. Il ne s'agit cependant pas, comme c'est le cas en Israël, par
exemple, d'une proportionnelle intégrale qui ferait du Québec une
seule et immense circonscription électorale. Il existe une très
grande diversité de modes de scrutin proportionnels; c'est pourquoi, il
faut être très prudent lorsqu'on les compare entre eux.
À la suite du dépôt du rapport de la Commission de
la représentation, certaines personnes se sont interrogées, avec
raison sans doute, sur l'opportunité de recommander un changement en
faveur d'un mode de scrutin qui soit propre au Québec. Je tiens à
vous assurer qu'il ne s'agit pas là d'un objectif que les commissaires
s'étaient fixé au départ, mais bien d'une solution qui
s'est imposée après avoir conjugué l'ensemble des
caractéristiques qui nous sont apparues pertinentes dans la
définition de la réalité québécoise.
Ces réalités, quelles sont-elles? En vue des
échanges que nous commençons aujourd'hui, vous me permettrez
sûrement de les rappeler brièvement. Il s'agit d'abord d'une forte
concentration de population dans de grands centres urbains: Montréal,
Québec, Chicoutimi-Jonquière, Trois-Rivières-Shawinigan,
Hull et Sherbrooke, doublée ailleurs d'une dispersion de la population
le long des deux rives du Saint-Laurent, ce qu'on appelle la
linéarité du peuplement. La présence de nouveaux groupes
ethniques ou linguistiques de même que le pluralisme idéologique
manifesté par l'émergence de nombreux partis politiques il y a
présentement 17 partis politiques reconnus qui oeuvrent au Québec
- reflètent d'autres caractéristiques importantes. Enfin, la
volonté exprimée par les premiers arrivants au Québec,
soit celle d'avoir voix au chapitre, et le caractère isolé et
particulier des Îles-de-la-Madeleine, sont deux critères qui ne
sauraient être laissés pour compte lorsqu'on
réfléchit à la possibilité de modifier notre mode
de scrutin.
Encore une fois, c'est bien la conjugaison de l'ensemble de ces
caractéristiques qui nous a inspirés pour
recommander un mode de scrutin qui soit propre au Québec et non
chacune d'elles prise isolément. C'est pourquoi, d'ailleurs,
après avoir analysé les formules de rechange qui nous ont
été proposées, nous n'avons pu en retenir aucune
intégralement. Pour notre part, nous croyons que les électrices
et les électeurs du Québec sont en droit d'exiger un mode de
scrutin qui corresponde à l'évolution de leur vécu et qui
traduise d'une meilleure façon l'expression de leur volonté
politique dans la composition de l'assemblée chargée de prendre
les décisions en leur nom.
Plusieurs ont affirmé, non sans raison, que les mécanismes
de notre mode de scrutin actuel ne peuvent rendre compte du pluralisme qui a
caractérisé l'évolution de la société
québécoise. Enfin, un attachement indu à la tradition et
aux coutumes peut risquer un jour de bloquer l'évolution de toute
société, aussi démocratique soit-elle.
On a semblé reprocher à la Commission de la
représentation d'avoir formulé une recommandation qui ressemble
à la représentation proportionnelle régionale
modérée (RPRM) endossée par le ministre responsable de la
réforme électorale et par d'autres individus ou organismes qui se
sont prononcés en faveur de cette formule. Contre cela, nous pouvons
vous affirmer qu'en aucun moment la Commission de la représentation n'a
eu pour objectif de formuler une recommandation qui ressemble ou encore qui
diffère de l'une ou de l'autre des formules qui lui ont
été soumises. Notre travail s'est effectué sans
préjugé préalable, favorable ou défavorable,
à une formule par rapport à une autre.
Pour peu qu'on lise attentivement le rapport, l'on se rendra compte que
notre recommandation se distingue de plusieurs façon de la RPRM.
Cependant, il faut être conscient qu'un mode de scrutin proportionnel
quel qu'il soit, s'il n'est pas intégral, ressemble beaucoup plus
à un autre mode de scrutin proportionnel qu'à un mode de scrutin
majoritaire ou encore à une formule mixte. Nous croyons que la
proportionnelle territoriale, que nous proposons, se marie mieux aux
caractéristiques québécoises que nous venons d'identifier
que le mode de scrutin actuel, la RPRM ou toute autre formule proposée,
particulièrement pour exprimer le pluralisme et la réalité
géopolitique du Québec.
Nous n'avons pas la prétention, après tous les
débats qui ont eu cours sur ce sujet depuis au-delà de quinze
ans, de détenir une "combinaison gagnante" à tout point de vue ou
de proposer un mode de scrutin parfait qui rallierait tous les électeurs
et tous les élus sans exception. J'aimerais quand même dire
quelques mots sur deux thèmes qui sont revenus le plus souvent lorsqu'on
a commenté, ces derniers temps, la possibilité de modifier le
mode de scrutin actuel en faveur d'un mode proportionnel territorial: la
stabilité gouvernementale et la relation
électeurs-élus.
Il ne fait pas de doute qu'une certaine forme de stabilité
gouvernementale est nécessaire à la définition et à
l'atteinte des objectifs collectifs d'une société donnée.
Cependant, on est souvent porté, lorsqu'on procède à une
analyse comparative un peu rapide des différents modes de scrutin,
à identifier les modes de scrutin majoritaires à une
stabilité gouvernementale exemplaire alors que les modes de scrutin
proportionnels seraient plutôt générateurs
d'instabilité chronique. Or, une analyse plus approfondie
démontre que le mode de scrutin n'est pas un facteur déterminant
de stabilité ou d'instabilité gouvernementale. Si on se
réfère à la périodicité des élections
comme critère de stabilité, on se rend compte que la durée
de vie des gouvernements élus sur la base d'un mode de scrutin
proportionnel est à peu près égale, sinon
légèrement supérieure, à la durée de ceux
qui sont élus sur la base d'un mode de scrutin majoritaire. J'ai
à ce sujet, si vous en manifestez l'intérêt, un tableau
fournissant un certain nombre d'exemples.
D'autres identifient automatiquement la stabilité gouvernementale
à la formation de gouvernements majoritaires. Encore là, il ne
faudrait pas oublier que les gouvernements de coalition ne débouchent
pas nécessairement sur une instabilité gouvernementale chronique.
Il ne faudrait pas non plus identifier instabilité gouvernementale et
instabilité politique.
Bien sûr, certaines modalités d'application d'un mode de
scrutin, comme par exemple la grandeur de la circonscription et la
méthode d'allocation des sièges, peuvent favoriser l'obtention
d'une prime plus ou moins grande aux partis vainqueurs, mais la commission est
d'avis que ce phénomène d'instabilité gouvernementale est
relié plus directement aux systèmes politiques comme tels et
à des différences dans la nature des nombreuses composantes
reliées à la vie démocratique. Encore une fois, certains
pays qui utilisent un mode proportionnel constituent des exemples de
stabilité alors que le mode de scrutin majoritaire n'a pas suffi
à lui seul à assurer une longue vie à tous les
gouvernements qu'il a fait élire.
Quoi qu'il en soit, la Commission de la représentation est
évidemment favorable à la stabilité gouvernementale, mais
elle croit que cette stabilité doit s'établir et se maintenir
à la faveur de la liberté d'expression démocratique de
l'ensemble de l'électorat, d'une représentation fidèle et
permanente des courants d'opinion et d'une participation collective des
citoyens.
Le principe de l'alternance qui assure, en scrutin majoritaire, une
certaine forme de stabilité gouvernementale au parti vainqueur,
aux dépens du ou des partis d'opposition, n'est souvent qu'une
stabilité artificielle qui ne reflète pas adéquatement les
choix exprimés lors d'une élection. La commission ne croit pas
que, dans un système démocratique, on puisse justifier une
injustice engendrée par le mode de scrutin envers certains
électeurs lors d'une élection donnée, par une autre
injustice créée lors d'élections subséquentes par
le même mode de scrutin envers d'autres électeurs.
En somme, la stabilité gouvernementale ne saurait être
assurée uniquement par une prime au parti vainqueur qui déforme
les véritables choix exprimés par l'ensemble de
l'électorat.
Un autre aspect fondamental lorsqu'on se penche sur l'analyse des
différents modes de scrutin, et cet aspect vous concerne au plus haut
point, est la relation électeurs-élus. Il s'agit en effet d'une
considération des plus importantes parce qu'elle touche une partie
essentielle qui est particulièrement valorisée chez vos
électrices et électeurs. En fait - et la question est
sûrement pertinente - quelles seraient les conséquences de la
recommandation que nous formulons sur la relation
électeurs-élus?
Il est certain qu'avec l'implantation d'un mode de scrutin proportionnel
au Québec, la relation électeurs-élus serait
différente. Il existe en effet une grande démarcation entre un
mode de scrutin uninominal, où chaque parti ne présente qu'un
seul candidat par circonscription, et un mode de scrutin proportionnel
où les partis présentent aux électeurs une liste de
candidats. Dans la situation actuelle, le député élu
représente à lui seul l'ensemble des électrices et
électeurs de sa circonscription, relativement petite, alors qu'un
scrutin de listes entraîne forcément l'élection d'une
équipe de candidats pour représenter à l'Assemblée
nationale l'électorat d'une circonscription plus vaste. Deux aspects
touchant la relation électeurs-élus ont particulièrement
alimenté les réflexions des commissaires dans la formulation de
leur recommandation.
D'abord, il nous est apparu très improbable que, dans un mode de
scrutin proportionnel, un parti politique présente une liste de
candidats qui ne colle d'aucune façon, quant à la profession, le
sexe ou l'âge, à la réalité du vécu de la
clientèle susceptible d'assurer son élection dans une
circonscription donnée. Lors de ma mission d'étude en Europe, on
m'a cité le cas d'un haut fonctionnaire qui manifestait l'intention de
voir son nom inscrit sur une liste de parti. Il a dû, pour avoir une
chance d'être élu, abandonner ses fonctions et retourner dans son
milieu d'origine afin de renouer contact et de se faire accepter par ses
électeurs.
De plus, nous croyons que, dans un mode de scrutin proportionnel, les
partis voudront s'assurer, par voie de réglementation interne, de
présenter des listes de candidats qui soient représentatives de
l'ensemble du territoire que constituerait la nouvelle circonscription
électorale. À titre d'exemple, pourrait-on imaginer, dans une
circonscription qui regrouperait la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean,
qu'un parti politique propose à l'électorat une brochette de
candidats qui seraient tous originaires de Jonquière ou de Chicoutimi,
négligeant ainsi complètement toute la partie du territoire
entourant le lac Saint-Jean?
Les partis politiques devront s'ajuster par voie de règlements de
régie interne. Ils pourraient s'inspirer de ce qui se fait ailleurs et
choisir des candidats d'une liste dans des secteurs de désignation
donnés. On privilégie ainsi les relations avec les
électeurs sur une échelle territoriale restreinte et ceci
particulièrement dans les territoires à prédominance
rurale.
La commission est donc consciente que le mode, dont elle propose
l'adoption, transformerait en profondeur la dynamique des partis politiques.
Cependant, on ne saurait concevoir que les partis politiques s'opposent
à des changements de structure, si ces derniers vont dans le sens d'une
plus grande vigueur démocratique du système politique dans lequel
nous évoluons. (15 heures)
Un mode de scrutin proportionnel nécessiterait bien sûr, de
la part des élus, un travail d'équipe et un partage des
responsabilités et des tâches, compte tenu du fait que les
circonscriptions électorales seraient de plus grande dimension. La
commission demeure convaincue que même si les modalités du travail
sont changées, les élus voudront maintenir une relation
personnelle et soutenue avec leurs électeurs, ne serait-ce que pour
assurer leur réélection. Pour leur part, les électeurs
seraient pratiquement assurés de pouvoir communiquer avec un
représentant identifié à leur allégeance politique
à l'intérieur de leur circonscription électorale. En cas
d'insatisfaction, ils pourraient peut-être nouer contact avec un ou
plusieurs autres députés. Cette saine concurrence ne saurait
porter atteinte à la qualité des services offerts à
l'électorat.
Ces considérations vous étant soumises sur cet important
volet de votre rôle, il est tout de même essentiel de se rappeler
que la première responsabilité, et de loin la plus importante,
d'un membre de l'Assemblée nationale est d'être un
législateur, avec tout ce que cela signifie de longs et exigeants
travaux que vous accomplissez à l'Assemblée nationale. Il ne faut
pas s'illusionner et attendre d'une réforme du mode de scrutin qu'elle
modifie à elle seule le rôle du député à
l'Assemblée nationale. Ce dernier aspect
relève évidemment beaucoup plus d'une réforme
parlementaire. Il s'agit là d'une autre question.
Le présent texte a été soumis aux autres membres de
la commission et approuvé par eux. Nous espérons, dans le court
laps de temps qui nous était alloué, avoir rempli notre mandat
avec toute la neutralité et l'objectivité qu'on est en droit
d'exiger de nous. M. Lessard et, ce soir, M. Bourassa sont à votre
entière disposition pour répondre à vos questions.
M. le Président, madame, messieurs, merci de votre attention.
Commentaires généraux M. Denis
Vaugeois
Le Président (M. Vaugeois): Merci, M. le président.
Vous aurez compris que cette commission n'est pas réunie ici pour vous
couvrir d'éloges et de félicitations, vous noyer sous les fleurs
et ainsi de suite, encore que certains parlementaires s'échapperont sans
doute à l'occasion et vous rendront hommage. Je me crois
autorisé, comme président de la commisssion - je l'avais fait
comme parlementaire au moment de la publication de votre rapport... J'avais
trouvé votre rapport intéressant et j'avais suggéré
qu'on le lise attentivement et qu'on l'examine avec soin. Aujourd'hui, je pense
que, comme entrée en matière, il est absolument légitime
que j'utilise cette fonction de président pour vous remercier d'avoir
bien reçu le mandat de l'Assemblée nationale et de l'avoir
mené à terme dans des délais relativement courts, avec une
qualité qui va être discutée aujourd'hui et dont les
mérites restent quand même évidents. Les mérites
sont importants et ils nous permettent de réfléchir sur
l'exercice démocratique auquel nous nous livrons ici depuis près
de deux siècles.
Vous terminez sur une phrase qui vous permet un peu de vous laver les
mains d'un aspect important, me semble-t-il, encore que vous en traitiez de
façon intéressante dans votre rapport. Vous parlez de
façon fort intéressante du rôle du député
à l'Assemblée nationale, mais vous dites à la fin: "Ce
dernier aspect relève évidemment beaucoup plus d'une
réforme parlementaire. Il s'agit là d'une autre question."
Évidemment, là, vous êtes mal tombé, parce que vous
êtes devant un président qui a consacré un certain nombre
de mois et d'années à piocher la question de la réforme
parlementaire et à croire farouchement que les deux sont liées,
voire même indissociables. Les meilleurs arguments pour une
réforme du mode de scrutin, ce serait d'avoir un mode de scrutin qui
donnerait les députés qui affirmeraient avec le plus de courage,
de constance, de force et de vigueur l'indépendance de l'institution
où ils vont siéger. Si on avait un mode de scrutin qui nous
promettait des députés indépendants capables de faire
valoir les droits et les privilèges du Parlement, de contrôler
l'Exécutif, de demander des comptes à l'Exécutif,
d'examiner la législation en toute indépendance, je pense bien
que les parlementaires oublieraient la façon dont ils ont
été élus, la façon avec laquelle ils ont le plus de
chance d'être réélus et regarderaient drôlement
attentivement un mode de scrutin qui donnerait cette race de
parlementaires.
Vous vous êtes interrogé sur le rôle des
parlementaires de façon intéressante. Je le dis avec beaucoup de
sincérité. J'aurais aimé avoir des pages aussi
éloquentes sur le rôle du Parlement. Il me semble qu'on ne peut
pas éviter cela. Autrement, dans votre exercice, et nous, aujourd'hui et
demain, dans les jours qui suivront, dans les débats qui ne manqueront
pas de suivre sur la question, il s'agirait de savoir comment les
députés sont élus, pour en rester à peu près
au même scénario. Le soir de l'élection, on regarde
l'écran et on compte les députés de chaque formation
politique. Quand on a découvert le parti qui en a fait élire le
plus, on vient de trouver le futur chef du gouvernement. À partir de ce
moment-là, comme vous l'écririez sans doute, il s'agit d'une
autre question. Mais nous savons alors qui sera chef du gouvernement pour un
certain nombre d'années, qui, à l'intérieur des cinq ans
prévus, dépendent de sa volonté à lui. Il
décidera du nombre d'années qu'il restera à
l'intérieur des cinq ans. Il choisira les membres de son
exécutif. Il aura droit de vie et de mort sur les membres de son
exécutif. Il dirigera d'une façon respectable -
l'expérience est là pour le démontrer - le Parlement et la
majorité parlementaire.
Donc, une fois qu'on peut compter les députés, si on ne
s'intéresse pas, en même temps qu'au mode de srutin, à la
vie parlementaire, c'est un peu terminé pour trois ans, quatre ans,
quatre ans et demi, cinq ans peut-être. Je trouve qu'il est vite dit que
de dire que c'est une autre question. Pour moi, c'est la même question.
Autrement, pourquoi se préoccuper d'une distorsion? Les lois ne sont pas
meilleures, elles ne sont pas plus fortes si elles ont été
adoptées par une plus grande majorité ou une moins grande
majorité. Pour les parlementaires, il est difficile de faire abstraction
de cela.
Quand j'étais allé devant votre commission dans le beau
comté de Trois-Rivières - pour rester dans la tradition - je vous
avais fait remarquer la fragilité de l'institution parlementaire, en
prenant comme exemple votre propre mandat. Je ne peux pas résister
à la tentation - on n'est pas payé bien cher comme
parlementaires, mais
on a des petites satisfactions comme celle-ci où on abuse d'une
fonction qu'on occupe momentanément et temporairement, car nous n'avons
pas de permanence - et je profite donc de la circonstance aujourd'hui pour vous
rappeler ce que je vous disais à Trois-Rivières, il y a quelques
mois: L'origine même de votre mandat montre la fragilité de
l'institution.
La loi qui avait créé votre commission ne permettait pas
à qui que ce soit de vous donner le mandat que vous avez exercé,
celui de l'étude que vous venez de terminer et dont nous allons discuter
aujourd'hui. Qu'à cela ne tienne! En quelques minutes, le Parlement a
modifié la loi, a procédé aux trois lectures et, avant
même que la sanction soit intervenue, on avait profité de cette
future loi pour vous donner votre mandat. Tout cela en quelques minutes, le
dernier jour de la session.
Quand je lis "le Parlement, à l'unanimité...", je trouve
que l'unanimité dans ces cas-là s'exprime drôlement. Je
pense qu'il ne faut pas perdre cela de vue. Je ne vous le reproche pas. En un
sens, ce n'est pas votre problème; c'est notre problème. Mais
c'est vraiment notre problème. C'est pour cela d'ailleurs que vous vous
étonnez parfois de la réaction des parlementaires quand on
s'attache à une partie de notre fonction qui est celle de la relation
électeurs-élus, que nous vivons. Que nous venions de n'importe
où, que nous ayons été universitaires huppés, que
nous ayons été hommes d'affaires, peu importe; que nous venions
de quelque profession, métier ou région du Québec, il y a
une chose que nous découvrons rapidement: C'est le contenu, l'importance
de la relation avec nos électeurs.
On peut venir d'un milieu qui, au départ, nous portait peu
à comprendre l'importance de cette relation, on venait pour faire des
lois; on venait pour être ministre, etc. Soudainement, on découvre
le gros bon sens populaire; on découvre les attentes de la population;
on découvre le poids de l'État sur les individus; on se
découvre protecteur du citoyen; on se découvre comme le dernier
espoir ou le dernier recours des électeurs. On se rend compte que
même si on n'est pas prévu dans le système, on peut aider
les gens. On le fait à toutes les semaines sans se préoccuper
d'ailleurs de savoir pour qui ont voté ceux qui sont devant nous.
Contrairement à ce qu'on pense, ce n'est pas un examen auquel on se
livre quand les gens sont devant nous. On ne leur demande pas pour qui ils ont
voté. De toute façon, ils nous diront toujours qu'ils ont
voté pour nous, même s'ils sont du comté voisin.
Donc, nous ne sommes pas là pour nous livrer à ce genre
d'exercice. Tout de suite, nous considérons les gens qui sont devant
nous comme des personnes humaines. Nous avons compris rapidement que nous
étions très souvent leur dernier recours, leur dernier espoir.
C'est pour cela que les parlementaires s'accrochent à cet aspect. C'est
aussi pour cela que vous l'avez trouvé comme constance et que vous
l'entendrez encore aujourd'hui.
Est-ce que pour autant les parlementaires sont réfractaires
à tout changement, à toute réforme du mode de scrutin?
Certainement pas. Nous sommes conscients que tout est perfectible et que nous
avons vécu dans le passé des distorsions inacceptables.
Déjà le Parlement, sur proposition de l'Exécutif, par le
travail des partis politiques, par le grand nombre de comités, de
caucus, de congrès qui se sont tenus, a amélioré les
règles du jeu parlementaire. En termes de financement, nous nous sommes
donné des outils pour améliorer la carte.
Il reste une étape à franchir et, à mon avis, elle
est intimement liée à la qualité de la vie parlementaire
et au rôle qu'on donne au Parlement. Il s'agit de savoir par quoi on
commence. Il est évident que, si le rôle du Parlement était
davantage affirmé, si on était obligé de s'assurer une
façon de recruter les personnes qui deviennent les parlementaires dont
nous avons besoin dans le Parlement... Il est certain aussi que, si on se
donnait un nouveau mode de scrutin, cela donnerait un type d'élu un peu
différent qui pourrait peut-être valoriser davantage l'institution
parlementaire. On pourrait prendre un peu de distance devant cette relation
électeurs-élus du comté - qui nous rassure au fond, qui
donne un sens à notre travail; celui-là, on en est certain; il
est tangible - et peut-être qu'on retrouverait le même effet.
Quoi qu'il en soit, M. le président - je ne suis pas ici pour
prendre le temps de la commission - je voulais quand même vous faire part
de ces réactions et faire comprendre que, bien que nous n'allions pas
assez vite au plan de la réforme parlementaire, il s'en est quand
même produit une, timide, qui permet à un président de
commission d'être autre chose qu'un président de séance. Au
cours des séances qui vont nous réunir, le vice-président
et moi-même profiterons, bien sûr, de cette nouvelle fonction pour
participer aux débats et il n'est pas exclu qu'au terme de ces travaux
la commission, retrouvant ses membres habituels, ses membres normaux,
décide d'aller plus loin. Ce sera à elle d'en décider; ce
sera dans ses privilèges. C'est un pas significatif dans la voie de la
réforme parlementaire, parce qu'il y en a une d'amorcée.
À mon avis, l'une des bonnes questions à se poser, c'est:
Quel est le mode de scrutin qui peut le mieux soutenir la
réforme, la vigueur, la force du Parlement, à une
époque où l'État intervient dans tant de choses? Pour le
dire, je suis en très bonne compagnie, je pourrais vous citer tellement
d'auteurs. Je vais vous en citer un que je ne connais pas, mais que je lis avec
ravissement la plupart du temps: il s'agit du sénateur Pitfield qui a
travaillé lui-même très près d'un chef de
gouvernement pendant des années et qui a eu des propos, à mon
avis, extrêmement éclairants sur le système parlementaire
qui est le nôtre actuellement, autant à Ottawa qu'à
Québec. Je pourrais citer des universitaires de chez nous: Léon
Dion a eu des pages admirables. Des collègues de cette Chambre ont fait
plusieurs interventions sur la question. Pour ne pas avoir l'air partisan, j'en
citerai un qui a été des rangs de l'Opposition, M. Forget, qui,
pendant des années, a eu des propos fort éclairants sur la
question.
Depuis des années, les parlementaires s'intéressent encore
avec plus de vigueur, plus de persévérance à cet aspect de
la question. Nous savons une chose, c'est que le mode de scrutin actuel
pourrait être une menace au progrès que nous avons accompli ces
derniers temps. Les progrès que nous avons accomplis valorisent les
commissions parlementaires, valorisent non pas les députés, mais
le Parlement lui-même. La valorisation des députés, non,
mais la valorisation du Parlement, par exemple, nous y tenons. Nous savons une
chose, c'est que le système actuel pourrait être une menace parce
que nous ne sommes pas à l'abri de distorsions extrêmes qui
feraient que nous n'aurions pas le nombre de parlementaires nécessaire
pour faire fonctionner les nouvelles commissions que nous nous sommes
données. Pour nous, c'est une préoccupation.
D'autres aussi nous amènent à être extrêmement
sensibles à la question, malgré peut-être l'impression que
nous donnons à certains moments d'avoir l'air de tenir à un statu
quo, à des valeurs que nous connaissons mieux et que, par le fait
même, nous apprécions mieux.
Pour l'instant, je vais demander à un porte-parole de la
majorité, le ministre responsable de la réforme
électorale, d'intervenir. Ensuite, quelqu'un de l'Opposition pourra le
faire. Je pense qu'il serait légitime, M. le président,
qu'à ce moment-là vous puissiez vous-même, avant que le jeu
de l'alternance commence, commenter ce que vous aurez entendu, le moins
important venant d'être dit.
M. Gratton: M. le Président, me permettriez-vous seulement
une question, parce que...
Le Président (M. Vaugeois): Nous dérogeons tout de
suite... Oui, je le permets.
M. Gratton: II y a une ambiguïté. Vous parlez
à M. le président. Dois-je comprendre que vous parlez à M.
le Directeur général des élections?
Le Président (M. Vaugeois): Je parle au président
de la Commission de la représentation électorale. Je pense que
vous êtes ici à ce titre, M. Côté.
Une voix: D'accord.
Le Président (M. Vaugeois): Je pourrais aussi vous appeler
M. Côté, mais on me demanderait sans doute si je parle au
député de Charlesbourg.
M. Duhaime: On ne serait pas gagnant. Une voix: On verra
cela.
M. Yves Duhaime
M. Duhaime: MM. les Présidents, je voudrais très
brièvement faire quelques remarques préliminaires au débat
que nous abordons aujourd'hui et dire d'abord probablement que cela va de soi -
que je suis convaincu de le faire au nom de tous mes collègues membres
du groupe ministériel, aussi bien que du groupe parlementaire de
l'Opposition, que des députés indépendants. Je suis
convaincu que le leader du gouvernement, M. Bédard, le
député de Chicoutimi, aurait sans aucun doute aimé
être ici à ma place aujourd'hui et continuer ce travail qu'il a
entrepris. Je suis convaincu qu'il va nous écouter de son lit
d'hôpital et je voudrais lui transmettre en notre nom nos meilleurs voeux
pour un prompt rétablissement. (15 h 15)
Ceci étant dit, M. le président Côté, c'est
avec beaucoup d'intérêt que nous avons pris connaissance du
rapport qui a été déposé, de même que nous
avons entendu les remarques que vous avez faites tout à l'heure.
J'enchaîne sur ce que le député de Trois-Rivières
disait: "Notre objectif ici, comme élus d'une population, est d'exercer
un rôle, bien sûr, un rôle comme représentants, comme
législateurs. Nous adoptons les lois, nous adoptons les budgets et la
place de l'Assemblée nationale à Québec est un endroit
central de notre démocratie parlementaire." Je pense que tout le monde
sera d'accord sur ses propos.
Notre objectif est de vivre pleinement ce que j'appellerais une
démocratie parlementaire, à partir de la façon
d'élire les députés et, ensuite, le fonctionnement de
l'Assemblée nationale. Il y a une interrelation très claire et
très nette entre la réforme parlementaire comme telle et la
réforme électorale. C'est tellement interrelié que cela
m'apparaît presque parfois devoir s'analyser d'un seul bloc.
Ce serait vraiment trop long, M. le Président, de refaire tout
l'historique des
débats, tant à l'Assemblée nationale qu'en
commission parlementaire élue, qu'au sein des grandes formations
politiques du Québec depuis 15 ou 20 ans, tant sur le plan de la
réforme parlementaire que sur le plan de la réforme
électorale. Il faut bien reconnaître cependant que nous avons
fait, au fil des années, des progrès majeurs. La Loi
électorale qui nous régit aujourd'hui ne ressemble pas beaucoup
à celle qui existait avant 1965. Les premières grandes
modifications à la Loi électorale actuelle ont été
faites en 1964 et ont connu leurs premières applications dans deux
élections partielles, une dans mon propre comté de Saint-Maurice
et l'autre dans le comté de Terrebonne, si mon souvenir est bon.
Un des éléments de cette réforme à
l'époque était que l'Assemblée avait décidé
que les bureaux de scrutin se retrouveraient désormais dans les
écoles et non plus chez le scrutateur désigné par le parti
majoritaire. Aujourd'hui, si on pensait retourner les boîtes de scrutin
chez nos organisateurs, je pense que cela ne serait pas accepté dans
notre démocratie. Mais, enfin, c'est un détail.
Les listes électorales, leur fabrication, leur confection, leur
révision au fil des années ont été
modifiées. Plus récemment, depuis que nous sommes au
gouvernement, nous avons proposé à l'Assemblée nationale
la Loi sur le financement des partis politiques. Sauf erreur, cette loi a
été adoptée à l'unanimité.
Il y a eu également la Loi sur la représentation
électorale. Ces morceaux très importants ne sont pas des volets
épars mais m'apparaissent constituer différentes facettes du
fonctionnement du mode de scrutin dans le sens de l'améliorer et de le
bonifier.
Parallèlement, l'an dernier, l'Assemblée nationale s'est
donnée une nouvelle loi qui fait que les présidents de
commission, les vice-présidents de commission ont un statut incomparable
avec ce qui pouvait se produire il y a 15 ou 20 ans ou même quelques
années à peine. Notre institution a été
modifiée, je dirais, de façon très substantielle et
très certainement de façon significative.
Aujourd'hui cela peut paraître dans l'ordre normal des choses,
mais il y a plusieurs années déjà la
télédiffusion des débats n'existait pas. C'est notre
gouvernement qui l'a introduite et cela a pris une modification à la Loi
sur l'Assemblée nationale. Aujourd'hui, que les débats de
l'Assemblée nationale ou que les débats de certaines commissions
parlementaires soient télédiffusés et que l'ensemble des
citoyens et des citoyennes du Québec puisse suivre les échanges
et les débats des parlementaires, cela apparaît au Québec
comme étant une chose parfaitement normale.
C'est donc dire que, que ce soit sur le plan de la réforme
parlementaire, que ce soit sur le plan de la réforme électorale,
des amendements ont été apportés et ces modifications ont,
bien sûr, eu un impact important sur ce que j'appellerais les moeurs
électorales ou la façon de parler Politique -avec un grand "P" -
au Québec.
Il reste un dossier qui est très difficile, qui est complexe, qui
est épineux également, et qui fait l'objet des travaux que nous
entreprenons aujourd'hui. C'est peut-être le morceau le plus important.
Il s'agit du mode de scrutin. Ici, l'histoire des partis politiques peut se
ressembler jusqu'à un certain point, parce que nous y travaillons tous
depuis de très longues années. Chacun a pu véhiculer
à un moment ou à un autre une formule et c'est vous-même,
M. le Président Vaugeois, qui l'évoquiez tout à l'heure.
Dans le régime actuel, c'est le chef du parti ayant obtenu le plus grand
nombre de sièges lors des élections générales qui
est appelé à devenir le chef du gouvernement. C'est donc dire
que, dans le mode de scrutin actuel, ce n'est pas le nombre de voix ou le
nombre des suffrages exprimés par un corps électoral qui
désignera le chef du gouvernement, mais c'est le nombre de
sièges.
C'est donc dire que le mode électif m'apparaît comme
l'élément clé, l'élément fondamental de la
représentation à l'Assemblée nationale puisqu'il
m'apparaît être le lien direct entre les suffrages exprimés
par le corps électoral et le nombre de sièges obtenus par chacun
des partis. L'histoire de notre passé politique récent au
Québec est notre meilleur témoin. À cause des distorsions,
nous avons vécu toute espèce de situations. Une formation
politique qui n'avait pas la majorité des voix, mais qui avait la
majorité des sièges, a formé le gouvernement, sans que
pour autant on remette en cause la légitimité de ce qui s'est
produit, tout le monde l'acceptait. Aujourd'hui, avec les changements qui se
produisent dans notre société, je crois pouvoir dire que ce
serait une situation pour le moins difficile. Si le dernier bloc qu'il reste
à attaquer, que j'identifie simplement sous trois mots, mode de scrutin,
devait nous voir, de part et d'autre de l'Assemblée nationale, renoncer
à ces travaux - je le dis comme je le pense - nous aurions manqué
à un devoir important de notre tâche. C'est une constatation
depuis au-delà de 15 ans, sinon 20 ans. Tous les premiers ministres au
Québec et tous les chefs de l'Opposition officielle ont toujours
manifesté cette volonté de changement, cette volonté de
corriger les distorsions du mode de scrutin qui nous régit
actuellement.
M. le Président, non pas pour rappeler de mauvais souvenirs ou
d'étranges souvenirs, mais simplement pour illustrer que cette
constatation que je souligne aujourd'hui n'est
pas nouvelle, je voudrais simplement rappeler que le chef du Parti
libéral, M. Robert Bourassa, alors qu'il était premier ministre,
faisait, devant une commission parlementaire, le 19 janvier 1971, une
déclaration ministérielle. Nous sommes aujourd'hui le 9 octobre
1984 et je voudrais faire mienne cette déclaration ministérielle
de M. Bourassa. Si vous me le permettez, M. le Président, ce ne sera pas
tellement long, je voudrais vous lire les deux premiers paragraphes les plus
importants et, ensuite, les deux derniers. C'est rapporté au journal des
Débats, 19 janvier 1971, no 2, en commission. C'est donc sous la
rubrique B-59 et S-60. Je cite: "Nous sommes d'accord pour dire qu'une
réforme en profondeur de notre système électoral devrait
porter sur les questions suivantes: le mode de scrutin, la carte
électorale, la Loi électorale dans certains de ses aspects,
à savoir la liste permanente des électeurs, les dépenses
électorales, la question des sondages préélectoraux. Nous
avons là un travail considérable à accomplir si nous
voulons que, lors des prochaines élections générales, en
1974, la population du Québec puisse disposer d'un système
électoral moderne qui respecte au maximum l'expression de la
volonté populaire. Alors, autant s'y attaquer dès maintenant."
À la toute fin, M. Bourassa disait: "C'est donc convaincu de la
nécessité qu'il y a d'opérer une réforme majeure de
l'ensemble de notre système électoral que le gouvernement entend
poursuivre son objectif, au sujet de la réforme électorale. Cet
objectif est d'assurer une meilleure représentativité à
notre Assemblée nationale et ce, dans un esprit de justice et
d'équité pour tous les groupes d'opinion qui composent la
population québécoise. Déjà, les travaux de cette
commission nous ont permis de constater qu'il s'agissait d'une
préoccupation que nous partageons. Je puis vous assurer que le
gouvernement ne ménagera aucun effort afin que, lors des prochaines
élections, nous puissions disposer d'un système électoral
vraiment moderne et adapté à la nouvelle réalité
québécoise."
M. le Président, nous étions en janvier 1971. C'est donc
dire que c'est un dossier difficile, qui est complexe, il faut bien le
reconnaître. J'ajouterais que le député d'Argenteuil, qui,
en décembre 1972, était éditorialiste au journal Le
Devoir, a écrit de nombreux articles sur cette question. Je voudrais
vous faire part d'un, en tout cas, qui m'apparaît être le plus
significatif. C'est un éditorial du 14 décembre 1972 signé
par M. Claude Ryan. M. le Président, j'avoue qu'étant nouveau
dans ce dossier il y a des écritures qui m'ont frappé de
façon plus particulière et celle-ci en est une. Je cite M. Claude
Ryan dans le Devoir du 14 décembre 1972: "De tous les systèmes
électoraux, la représentation proportionnelle est celui qui
réalise le mieux, dans ses résultats concrets, le principe "un
homme, un vote." Non seulement permet-elle à chaque citoyen de voter
librement et conformément à ses convictions, mais elle assure
à chacun que, dans la composition du Parlement, le vote qu'il a
déposé aura autant d'importance que les autres." "On pourrait
multiplier les exemples montrant la grande souplesse de la formule
proportionnelle. Ce serait faire injure à l'intelligence des nombreux
pays qui ont adopté cette formule que de croire qu'elle débouche
inévitablement sur une fragmentation extrême des forces
politiques. La représentation proportionnelle à l'état pur
se prête sûrement à des situations ingouvernables. II est
toutefois possible -l'expérience de maints pays le prouve - de faire en
sorte que ses effets négatifs soient rigoureusement circonscrits." "Pour
mettre fin aux injustices du système actuel, l'idéal serait
d'instaurer au Québec une véritable représentation
proportionnelle comme celle qui existe en Allemagne fédérale. Si
M. Bourassa ne veut pas aller aussi loin, qu'il considère au moins la
possibilité de formules mitigées de représentation
proportionnelle comme celles qu'ont mises de l'avant MM. Gilles Lalande et M.
Gabriel Loubier. Et surtout, qu'il n'aille pas remettre à plus tard
cette amélioration qui peut très bien être instaurée
dès la prochaine élection générale."
M. le Président, nous étions le 14 décembre
1972.
C'est donc dire que cette préoccupation n'est pas nouvelle et
nous la vivons encore aujourd'hui. Je voudrais mentionner ce que l'Opposition a
retenu dans la dernière version de son programme parce que ce n'est pas
inutilement tout à l'heure, dans mes remarques préliminaires, que
j'ai identifié le très grand nombre d'amendements et de
modifications majeures qui ont été apportés, tantôt
à la Loi électorale, tantôt à la Loi sur la
représentation électorale, aux listes électorales, au
financement des partis politiques. Nous avions cheminé en quelque sorte
conjointement. Sauf erreur, toutes ces lois majeures ont été
adoptées à l'unanimité des deux côtés de
l'Assemblée nationale. (15 h 30)
Voici ce que je retrouve aujourd'hui dans un document qui s'appelle "Le
Parti libéral du Québec, la société libérale
de demain, 1981" aux pages AG-V-1, AG-V-2, mieux connu comme le livre rouge
comme vous l'appelez. Je cite, M. le Président, sous la rubrique des
inscriptions politiques: "Un gouvernement du Parti libéral du
Québec s'engage, premièrement, à modifier le mode de
scrutin aux élections générales de façon que le
nombre de députés élus à l'Assemblée
nationale en provenance des différents partis politiques reflète
davantage la proportion du
suffrage exprimé en faveur de chaque parti." Pour ne pas
être en reste, le point 2 est le suivant: "Éliminer, dans la
mesure du possible, des obstacles bureaucratiques au droit de vote que placent
les procédures actuellement suivies dans l'administration de la Loi
électorale." C'est le programme de 1981 et, sauf erreur, il n'aurait pas
été modifié, à moins que nos collègues de
l'Opposition ne nous en parlent. Je ne suis pas trop au courant de tous les
cheminements internes.
Maintenant, qu'en est-il du côté du gouvernement? Je
voudrais dire que notre formation politique, depuis sa création, dans la
plupart de ses conseils nationaux ou à tout le moins à chacun de
ses congrès, s'est penchée sur cette question et, si on m'en
donnait le temps, je pourrais - pour la meilleure information de tout le monde
-vous faire part des extraits du programme de notre formation politique. Je
vais aller à l'essentiel. En 1982, sur les objectifs
généraux, "les représentants et les représentantes
élus du peuple doivent l'être dans des conditions telles qu'ils et
elles représentent bien les opinions et les intérêts des
citoyens et des citoyennes tout en restant libres d'agir selon leur mandat et
leur conscience. Cela implique que la carte électorale donne à
chaque personne la possibilité de faire valoir réellement ses
droits; que la répartition des sièges reflète les opinions
et les intérêts de la population et qu'aucun groupe ne puisse
être en mesure, pour des raisons financières ou autres, d'exercer
une domination quelconque sur l'ensemble." Et, sous la rubrique: Objectifs
généraux, le programme du Parti québécois se lit
comme suit: "Maintenir le mode de scrutin actuel, mais y ajouter un
élément de représentation proportionnelle." C'était
en 1982.
En 1983, le 23 mars, lors du discours inaugural, le premier ministre
rappelait cette volonté de modifier le mode de scrutin. Ces quelques
lignes, M. le Président, je voudrais les lire. Je cite le discours
inaugural du premier ministre, le 23 mars 1983: "Maintenant, il faut aller plus
loin de façon à garantir aux citoyens que la volonté
qu'ils expriment au moment d'une élection sera respectée
désormais de façon plus rigoureuse lorsqu'il s'agira de
déterminer la composition même de l'Assemblée nationale.
Nous avons déjà, de ce côté-ci de la Chambre,
endossé le principe de cette réforme du mode de scrutin. Il
s'agit maintenant de s'entendre sur la meilleure façon de la mettre en
pratique. Comme les avis demeurent partagés alors que c'est là un
sujet où le consensus est particulièrement souhaitable et aussi
pour que les citoyens eux-mêmes, qui sont les vrais détenteurs du
pouvoir, aient l'occasion et le temps d'en discuter, la question sera soumise
à une commission parlementaire spéciale dont le mandat sera de
procéder à une évaluation du mode de scrutin actuel et
d'étudier les diverses formules qui pourraient servir à le
modifier ou à le remplacer."
Finalement, lors de notre congrès, en juin 1984, le programme a
été, en quelque sorte, réajusté et le programme de
notre formation politique se lit maintenant comme suit: "Le mode de scrutin
visera à assurer une meilleure représentation de la
volonté populaire en s'assurant un élément de
représentation proportionnelle."
Si j'ai pris le temps de relire au texte ce que contiennent les
programmes des deux grandes formations politiques du Québec, c'est que
cette volonté de corriger les distorsions d'un mode de scrutin demeure.
Aujourd'hui, je dirais que cela demeure de façon aussi actuelle en 1984
que ce qu'on pouvait en dire dans les années 1971, 1972 ou même
après.
M. le Président, je voudrais dire que c'est avec la plus grande
ouverture d'esprit que notre groupe parlementaire va travailler dans les
prochaines heures et dans les prochains jours à scruter, à
analyser le rapport en profondeur et aussi à poser des questions
pertinentes à M. Côté et à ses deux commissaires
adjoints. Ce qui me paraîtrait important de faire, c'est de
réitérer cette volonté politique que nous avons
remarquée des deux côtés de l'Assemblée nationale au
fil des ans.
Je voudrais souligner également que ce rapport
déposé par la commission Côté l'est à la
suite d'une tournée, mais, comme M. le président Vaugeois le
rappelait tout à l'heure, le mandat qui lui a été
confié le 22 juin 1983, de mémoire, c'était très
certainement dans les dernières heures, sinon les derniers jours de
l'Assemblée nationale, et les deux formations politiques se sont
entendues sur un texte qui a constitué votre mandat. Cela s'est fait en
quelques minutes, nous dit-on, et cela vous a permis de vous mettre à
l'oeuvre. Ce qui prouve, M. le Président, que, s'il y a encore
aujourd'hui volonté politique de faire cette réforme des deux
côtés de l'Assemblée nationale, les parlementaires peuvent
y travailler très rapidement.
Aujourd'hui, nous abordons votre rapport. Personnellement, je voudrais
vous remercier de l'attention que vous avez apportée à cette
tâche. J'ai eu l'occasion de le lire et même de le relire. Ce que
je voudrais maintenant proposer à la commission, c'est d'aborder
l'étude du rapport aussitôt qu'un de mes collègues de
l'Opposition, j'imagine, aura fait une déclaration d'ouverture, pour
éviter qu'il n'y ait des redites, pour éviter que nous ne
revenions systématiquement sur les mêmes choses. J'ai
été frappé par la clarté du plan de votre rapport,
qui me paraît une bonne méthode, en deux parties. Dans la
première
partie, vous faites un bilan de votre consultation et, dans la seconde
partie, vous faites ce que j'appellerais, sous deux chapitres, des
recommandations.
Ce que je proposerais à mes collègues de la commission, ce
serait d'aborder l'étude de votre rapport dans l'ordre où il nous
est présenté dans son texte, c'est-à-dire qu'on pourrait
travailler sur la première partie, sur les trois chapitres, la
méthodologie... Votre chapitre II porte sur les principaux thèmes
rattachés è l'étude d'un mode de scrutin. Le chapitre III
nous donne une évaluation ou une étude du mode de scrutin actuel
et les différentes formules proposées. Je comprends que ce sont
des formules qui vous ont été proposées lors des audiences
que vous avez tenues ou des représentations qui vous ont
été formulées. Tout cela constituerait un premier bloc. Le
deuxième volet, dans la deuxième partie du rapport, est la
position de la commission, c'est-à-dire le chapitre IV qui porte sur
l'évaluation de la situation et le chapitre V qui est au coeur
même de vos recommandations, c'est-à-dire un mode de scrutin
reposant sur la proportionnelle territoriale.
Si cette proposition était agréée par l'Opposition,
nous serions prêts à procéder de cette façon. Cela
nous éviterait de nous promener tantôt en amont, tantôt en
aval, de laisser des questions en plan et ensuite d'y revenir. Je voudrais
assurer à mes collègues de l'Opposition et aux
députés indépendants également que nous avons
l'intention, de notre côté en tout cas, non seulement de faire
preuve d'une grande ouverture d'esprit dans ce dossier, mais également
de permettre la plus large expression d'opinion possible, tant de notre
côté, bien sûr, que de la part de tout membre à cette
commission parlementaire.
Voilà, M. le Président, ce que je voulais vous dire au
début de nos travaux.
Le Président (M. Rivest): Merci, M. le ministre. Est-ce
qu'un porte-parole de l'Opposition pourrait réagir sur la proposition
que le ministre a faite quant à l'ordre à suivre ou à la
façon de procéder? J'aimerais également avoir l'opinion de
M. Côté pour savoir si la proposition du ministre ou la
procédure qu'il suggère lui convient ainsi qu'aux membres de
l'Opposition.
M. Côté (Charlesbourg): M. le Président, je
pense qu'on peut s'entendre assez facilement à ce niveau. Nous avions
pensé au départ effectivement questionner ou interroger sur la
méthodologie pour un premier bloc; un deuxième bloc aurait pu
contenir les éléments qui étaient sur la table ou qui
étaient appliqués avant même que la commission ait son
mandat, à savoir le scrutin uninominal à un tour, la RPRM,
représentation proportionnelle régionale
Tiodérée, et la représentation proportionnelle
compensatoire; quant au troisième bloc, la proposition de la commission,
c'est la représentation proportionnelle territoriale. Je pense que cela
va passablement dans la même ligne de conduite que le ministre et on
accepte cela.
M. Duhaime: À partir du moment où les sujets que
vous venez d'évoquer se recoupent nécessairement sous un chapitre
ou sous l'autre, j'ai comme le sentiment qu'on va les aborder immanquablement.
Je voulais faire une proposition tout simplement pour prendre le rapport tel
qu'il est et y aller par chapitres, parce qu'on se trouve aujourd'hui devant
une commission parlementaire qui est, je dirais, inhabituelle dans le sens que
normalement, lorsque nous sommes en commission parlementaire, ou bien nous
étudions les crédits, ou bien nous étudions un projet de
loi et il y a un ministériel qui défend une position devant la
commission parlementaire. Aujourd'hui, c'est le président de la
Commission de la représentation électorale, à la suite du
mandat qui lui a été donné à l'unanimité par
l'Assemblée nationale, qui revient devant l'Assemblée nationale,
donc, devant cette commission, pour faire rapport en plus du document
écrit qui nous a été remis, il y a plusieurs mois. Si on
pouvait procéder de cette façon, cela vous conviendrait?
M. Côté (Charlesbourg): Oui, cela va. M. Duhaime:
Bon!
Le Président (M. Rivest): La présidence constate
qu'il y a, sur la façon de procéder, un accord entre l'ensemble
des collègues. Je pense que la préoccupation de tous, c'est que,
dès lors qu'on aurait disposé d'un aspect particulier, les
parlementaires n'y reviennent pas pour ne pas allonger inutilement les
débats sauf, bien sûr, à titre incident. Maintenant, je
dois donner la parole au député de Charlesbourg et, par la suite,
la commission commencera ses travaux, c'est-à-dire avec l'échange
avec le président et directeur du scrutin, M. Côté. M. le
député de Charlesbourg.
M. Marc-Yvan Côté
M. Côté (Charlesbourg): J'ai entendu avec beaucoup
d'intérêt ceux qui m'ont précédé, M. le
Président. Au moment de la période des questions, lorsque nous
aborderons les questions, cela m'aurait tenté de dire au ministre
responsable du dossier, frappeur de relève dans ce cas-ci: Quoi de neuf
en ce qui vous concerne? Mais, de toute façon, je vais livrer mon texte
qui sera distribué pour être bien sûr qu'on se comprend
bien.
Cet après-midi, nous nous retrouvons en cette salle, je dois bien
l'admettre, un peu malgré nous. Certes, les membres de cette commission
ont un mandat bien particulier à accomplir, celui d'étudier le
rapport de la Commission de la représentation électorale sur la
réforme du mode de scrutin.
Pour nous et pour notre formation politique, il aurait été
prioritaire et vraiment plus urgent que les parlementaires se réunissent
pour discuter et surtout pour mettre de l'avant des solutions aux
problèmes qui se multiplient et qui assaillent un nombre croissant de
Québécois.
Nous aurions préféré nous réunir pour
analyser avec le gouvernement différentes hypothèses en vue de
solutionner la crise aiguë à laquelle sont confrontés
quotidiennement les jeunes. Quand on sait que, lors de la récession de
1982, 60% des 145 000 emplois perdus au Québec l'ont été
chez les jeunes, que le taux de chômage des jeunes
Québécois a atteint en 1983 le niveau de 24,4% chez les hommes et
de 20,3% chez les femmes, que ce sont les jeunes moins scolarisés et les
moins instruits qui sont les plus vulnérables, on peut
légitimement se demander pour quelles raisons, au lieu de discuter des
questions prioritaires et qui suscitent, elles, un fort consensus, on
entreprend cet après-midi un débat purement idéaliste,
purement intellectuel. Pour nous, l'idéal à atteindre, c'est de
donner aux jeunes, ces bâtisseurs d'un avenir très prochain, la
place de choix qu'ils doivent occuper dans toute société saine et
équilibrée. (15 h 45)
Nous préférerions discuter prioritairement de l'ensemble
de la situation économique au Québec où le chômage
pour les douze mois de 1983 s'élevait à 13,9% comparativement
à 11,9% pour l'ensemble du Canada. Nous devrions être là
pour aider les 386 000 chômeurs et pour tenter de trouver des avenues au
niveau de la création d'emplois. Seulement 73% des 220 000 emplois
perdus au Québec ont été récupérés,
ce qui signifie qu'aucun nouvel emploi n'a été créé
depuis, alors que l'Ontario a récupéré l'ensemble des 219
000 emplois perdus et en a créé 61 000 additionnels.
Nous pourrions insister sur ces priorités et sur certaines
autres, mais on nous dira que ce n'est pas le moment. Il faut bien se rendre
à l'évidence que le gouvernement péquiste a d'autres
préoccupations qu'il juge prioritaires.
Face à l'impopularité qu'il suscite auprès de la
population, guidé par des intérêts purement partisans et
redoutant la défaite électorale, le gouvernement est beaucoup
plus préoccupé et surtout beaucoup plus intéressé
à rechercher un moyen qui permettra à certains
députés ministériels, tel le député de
Montmorency - cela rappellera certainement des souvenirs aux membres du conseil
des députés du Parti québécois - de conserver leur
siège lors de la prochaine élection générale
plutôt que de rechercher un moyen de remettre le Québec au
travail.
Outre ces considérations purement électoralistes, quelles
autres raisons poussent ce gouvernement à vouloir entreprendre, à
la veille de l'élection générale, une telle réforme
qui modifiera en profondeur le processus électoral de même que les
habitudes et les traditions des Québécois en ce domaine? Ce n'est
sûrement pas un mouvement de masse de la part de la population qui est
à la base de ce projet de réforme. En juillet 1983, un sondage
effectué pour la Commission de la représentation
électorale démontrait que 75% des répondants se sont
déclarés assez satisfaits du mode de scrutin actuel, alors que
66,6% n'étaient même pas au courant de l'éventualité
d'une réforme à ce chapitre. Contrairement à la
commission, nous ne croyons pas qu'actuellement cette question nécessite
un changement.
Il ne nous a pas paru évident, à la lecture du rapport de
la commission, que la population réclame prioritairement un tel
changement. Bien sûr, les auteurs du rapport nous font la nomenclature
des interventions et de la couverture des médias suscitées par
les audiences publiques tenues par la commission l'automne dernier. En tout
début de rapport, on souligne un élément de l'ampleur de
l'intérêt soulevé par le sujet: il y est fait mention que
202 expressions d'opinion furent expédiées à la commission
au moyen d'une formule qui était à l'intérieur d'une
brochure d'information tirée à 500 000 exemplaires et disponible
dans 2328 points de chute dans l'ensemble du Québec. Cela signifie
qu'une réponse seulement a été retournée à
la commission par 10 points de chute. Cela ne ressemble en rien à un vif
intérêt, bien au contrairel
Une fois de plus, le gouvernement péquiste veut procéder
à toute vapeur, comme il a pris l'habitude de le faire lorsqu'il veut
imposer un dossier controversé. Il veut faire passer son idée par
un prisme déformant, alors que tout projet de réforme
électorale devrait être abordé avec prudence,
sérieux et faire l'objet d'un large consensus.
À ce sujet, M. Jean-Charles Bonenfant disait en 1971: "Le
système doit aussi être accepté de tous. Il faut une sorte
d'assentiment. Si vous adoptez un système contre lequel un parti se
prononce catégoriquement en Chambre, j'ai l'impression que vous aurez
ensuite des difficultés à le faire digérer au public." Dix
ans plus tard, en 1981, lors du message inaugural, le premier ministre nous
faisait état de son "bon espoir", avant la fin de la session - et,
encore là, à l'unisson des partis si possible - de pouvoir
proposer cette étape
dont on a tant parlé: celle d'un nouveau mode de scrutin.
On n'insistera jamais assez sur l'aspect fondamental d'une telle
réforme que bien des spécialistes avertis apparentent à un
changement de nature quasi constitutionnelle. En modifiant la façon dont
le peuple souverain désigne ses représentants, on touche à
la pierre d'assise de ce qui constitue la légalité d'un
gouvernement.
M. Michel Debré, premier ministre de la Ve république,
déclarait: "La proportionnelle change très profondément le
fonctionnement des institutions. Le mode de scrutin est un
élément capital à la fois de l'assise du pouvoir et du
maintien des libertés."
Et voilà qu'en période électorale on décide
de changer les règles du jeu. Ainsi, même si ce projet de
réforme n'émerge nullement d'un choix collectif, le gouvernement
semble vouloir aller de l'avant alors qu'il n'arrive même pas à
dégager un consensus, d'une part, au sein de sa députation et,
d'autre part, parmi sa base militante où la controverse règne et
à qui on a demandé de reporter à plus tard la discussion
sur le sujet.
Je voudrais rappeler au gouvernement que pour les
Québécois, les travailleurs, les chômeurs, les jeunes et
les personnes âgées, la priorité c'est l'emploi et
l'économie; ce n'est pas la réforme du mode de scrutin.
Nous désirons réitérer d'une façon
officielle que l'Opposition ne souscrit aucunement à ce projet de
réforme qui, pour le moment, ne s'avère pas prioritaire et
qu'elle n'a nullement l'intention d'appuyer le gouvernement péquiste
dans sa démarche purement électoraliste.
Lors du dernier conseil général de notre parti politique,
les militants ont unanimement adopté une résolution rejetant tout
projet de réforme du mode de scrutin. Qu'il me soit permis de vous
énoncer cette résolution: "II est résolu que le Parti
libéral du Québec s'oppose fermement à toute
réforme hâtive du mode de scrutin et cela, à la veille
d'une élection, une telle opération étant un
détournement de pouvoir" - résolution à laquelle M. Ryan a
souscrit.
Depuis quelques mois, on tente de créer une psychose autour du
mode de scrutin actuel. On l'accable de tous les maux; on l'afflige des pires
situations. On dit de lui que c'est un système peu répandu,
malgré le fait que, sur le continent nord-américain, plus de 300
000 000 de citoyens des plus grandes démocraties l'utilisent pour
choisir leurs représentants, qu'il déforme la volonté
populaire, que les élus sont peu représentatifs et que, comble de
malheur, c'est un système anglais, comme le qualifie souvent le
secrétariat à la réforme électorale.
Pour ces raisons et certaines autres qu'on peut facilement
soupçonner, le gouvernement désire remplacer ce système
simple et efficace afin d'implanter au Québec un mode de scrutin
complexe auquel serait ajouté un élément assurant la
représentation proportionnelle afin que l'Assemblée nationale
devienne le reflet de la volonté de la population.
Mais quelle garantie avons-nous que la représentation
proportionnelle assurera une plus grande justice électorale et une plus
grande efficacité et qu'elle sera mieux adaptée à la
réalité québécoise? Le professeur Jacques Cadart de
l'Université de Paris affirme à ce sujet: "Pourtant il y a des
limites aux effets des modes de scrutin. Il n'est pas possible de tout obtenir
de chacun: justice, majorités, multipartisme, stabilité
gouvernementale, liberté de l'électeur de choisir ses élus
personnellement et de choisir la majorité de la Législature,
l'équipe du gouvernement et le programme de ce gouvernement. Seuls les
scrutins majoritaires permettent presque tous ces résultats, sauf la
justice, selon les proportionnalistes."
Nous voilà donc à étudier le rapport
déposé en mars dernier par la Commission de la
représentation électorale qui avait reçu le mandat de
l'Assemblée nationale d'évaluer et d'analyser d'une façon
détaillée le mode de scrutin actuel et d'étudier les
différentes formules de réforme du mode de scrutin
proposées.
Or, à la lecture de ce document, il nous est apparu
évident, comme à maints spécialistes et observateurs, que
la commission n'avait pas respecté ou, tout au moins, qu'elle n'avait
pas rempli le mandat qui lui avait été confié,
préférant préparer sa propre proposition: la
représentation proportionnelle territoriale. L'évaluation faite
par la commission du mode de scrutin actuel, de ses avantages et de ses
inconvénients est très sommaire à ce point qu'on peut
s'interroger si cela ne provient pas du fait que la commission a trouvé
si peu à redire sur ce sujet. En ce qui concerne l'étude des
différentes propositions de rechange formulées - la
représentation proportionnelle régionale modérée et
la représentation proportionnelle compensatoire - elle n'est que
très superficielle.
De la formule Bédard - on pourrait dire du Conseil des ministres
- la représentation proportionnelle régionale
modérée, on dit qu'elle n'a pas été retenue parce
qu'elle s'appuie sur l'existence de régions naturelles ne respectant pas
les diversités territoriales du Québec; que son caractère
modéré rendrait difficile la percée de formations
politiques nouvelles et qu'elle restreindrait la démocratisation des
listes alors que, selon la proposition préparée par la
commission, le territoire serait divisé d'une façon presque
similaire, exception faite de l'île de
Montréal.
Quant à la proportionnelle compensatoire, formule émanant
de l'exécutif national du Parti québécois, la commission
estime qu'elle "risquerait de créer plus d'inconvénients que
d'apporter de solutions aux problèmes engendrés par le mode de
scrutin actuel". Ainsi, en l'espace de quelques pages, le procès de ces
trois modes de scrutin est fait.
Place maintenant à la proportionnelle territoriale, proposition
imaginée par la Commission de la représentation électorale
qui semble avoir consenti beaucoup plus d'efforts dans la préparation de
celle-ci que dans l'analyse de la formule existante. La proportionnelle
territoriale serait, selon ses auteurs, un mode de scrutin moderne et
québécois, adapté à la réalité
québécoise, un système d'ici et pour ici. Il semble
essentiel une fois de plus de bien marquer notre différenciation et
notre spécificité. Rien de moins! Comme si la différence
pour la différence était une valeur en soi!
À ce propos, l'éditorialiste Jean Paré
écrivait en mai dernier: "Le projet de la commission écarte
encore un peu plus le Québec du courant principal du continent. Il
constitue un élément supplémentaire de l'entreprise
forcenée de différenciation et de marginalisation du
Québec par les lois, les modèles économiques, les
idéologies. Surtout à l'intérieur d'un ensemble politique
et économique, il n'est pas indifférent qu'existe une certaine
symétrie ou au moins une certaine cohérence des
éléments constitutifs."
L'introduction d'un système proportionnel viendrait remplacer une
formule efficace, à application et de compréhension faciles par
un système d'une rare complexité. Ainsi, l'application de la
représentation proportionnelle territoriale diviserait le Québec
en 22 ou 24 territoires électoraux regroupant parfois au-delà de
150 municipalités dans lesquels les électeurs se sentiraient
perdus n'ayant aucun lien commun entre eux, de telle sorte que tout sentiment
d'appartenance serait anéanti.
Le gouvernement désire introduire un élément de
proportionnalité au mode de scrutin afin d'obtenir une plus juste
représentation des choix des électeurs. À ce stade, je
crois que nous devons nous poser une question des plus importantes: Que
désire la population? Désire-t-elle avoir une photographie d'un
moment bien précis qui, nul doute, évoluera et sera vite
dépassé? Ou désire-t-elle s'assurer d'une stabilité
gouvernementale et donner elle-même une direction au gouvernement
plutôt que cette direction soit assujettie aux ententes de coalition?
À ce propos, de dire Jacques Cadart: "Les électeurs
veulent élire des hommes, d'abord, plus qu'être
représentés proportionnellement. Ils veulent décider de la
politique plus que d'être photographiés comme appartenant à
l'une des nombreuses tendances de leur pays. Ils veulent participer au
gouvernement de leur nation."
Le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour en donnant de
fortes majorités a largement contribué à assurer la
stabilité gouvernementale au Québec; ce faisant il a exclu les
artifices paralysants des coalitions qui se font aux lendemains de
l'élection ne traduisant plus réellement la volonté de la
population. Selon une étude américaine comparant les
systèmes électoraux de 28 pays, 19 d'entre eux appliquent la
représentation proportionnelle mais 13 de ces 19 pays, soit 68%, ont des
gouvernements minoritaires et l'administration du pays se fait par le biais de
la coalition.
Pour le politicologue, Louis Massicotte, le mode de scrutin actuel
amplifie le verdict des électeurs, mais les majorités
gouvernementales à l'Assemblée nationale ont tout de même
reposé sur des majorités absolues dans le corps électoral
18 fois sur 23 et sur des pluralités électorales dans trois
autres cas. On ne relève que deux élections seulement - 1944 et
1966 - où la volonté populaire a été
carrément déformée et ce, à cause d'une carte
électorale aujourd'hui rénovée. Peut-on donc parler, dans
ces conditions, de déformation systématique de la volonté
de la population? À l'élection de 1981, notre mode de scrutin a
permis à 106 des 122 députés d'être élus avec
des majorités absolues. En contrepartie, que nous offre la
représentation proportionnelle territoriale?
Nous avons opéré une simulation de l'élection
générale de 1976 en appliquant les deux hypothèses de la
proportionnelle territoriale. L'opération a consisté, dans un
premier temps, à tracer sur la carte électorale de 1976 les
territoires électoraux selon les deux hypothèses de la
commission. Dans un deuxième temps, les votes exprimés pour
chacun des partis lors de cette élection furent répartis selon la
méthode D'Hondt et cela en conformité avec le nombre de
sièges proposé par territoire.
Alors qu'en page 27 du rapport de la commission on lit que le "mode de
scrutin doit également rendre possible la formation de gouvernements
suffisamment forts pour assurer la réalisation de grands projets de
cette société".
L'application de la proportionnelle territoriale en 1976 aurait
engendré, selon les deux formules, l'élection d'un gouvernement
péquiste minoritaire. Avec "cette façon d'élire les
députés qui rende justice à la démocratie, qui soit
en somme le miroir le plus fidèle possible du choix des
électeurs", même dans Beauce-Sud, la proportionnelle territoriale
n'aurait pas permis l'élection de Fabien Roy. Il en aurait
été ainsi pour l'actuel député de Roberval
qui, malgré sa majorité absolue des votes dans son comté,
aurait dû se contenter d'être inscrit sur la liste des
suppléants alors que le candidat libéral défait aurait
été, lui, élu. La commission, en omettant de ne pas citer
l'élection de 1976, fausse les règles du jeu et passe sous
silence les vices cachés de sa formule. (16 heures)
II importe de mentionner qu'avec la représentation
proportionnelle régionale modérée, un gouvernement
minoritaire péquiste aurait donc été élu en
1976.
Si les uns ont développé une formule de
représentation proportionnelle régionale, les autres un
modèle mieux adapté à la réalité
québécoise, il y est maintes fois fait référence
aux pays européens qui utilisent ce type de mode de scrutin. Certes, il
y est fait mention de l'application du système et des résultats
obtenus, mais très rarement du cadre géographique et de la
densité de population dans lequel il s'applique. Ces aspects du sujet
qu'on semble ignorer sont pourtant d'importance.
Le Québec, dont le territoire est trois fois plus grand que la
Suède, a une densité quatre fois moins élevée. La
densité de la population de la Belgique où l'on retrouve 321,1
habitants par kilomètre carré et celle des Pays-Bas où
vivent 418,4 habitants par kilomètre carré n'ont aucune
espèce de mesure à ce point de vue avec le Québec
où la densité moyenne est de 4,7 habitants par kilomètre
carré. La Belgique compte huit villes dont la population est
supérieure à 100 000 habitants, les Pays-Bas 18 et la
Suède 11, alors qu'au Québec on n'en dénombre que 4.
Je me permets de citer le professeur Jean Meynaud qui affirmait,
à propos de l'importation de systèmes électoraux: "Je
pense que, de l'étude électorale, la seule chose que l'on puisse
dire avec certitude, c'est qu'il est très difficile de transporter dans
un pays le système qui a cours dans un autre pays. Je veux dire qu'il y
a entre la culture, le système électoral, les institutions, les
habitudes, toute une série de liaisons extrêmement subtiles que
nous connaissons mal d'ailleurs, et qui font que tel système pris dans
un pays et transporté dans l'autre n'y donne pas les mêmes
résultats." Et il ajoutait: "L'exigence proportionnelle même ne
paraît pas correspondre, si vous voulez, à une demande ici. Ce
qu'on demande ici, c'est un régime qui corrige un système, mais
l'exigence proportionnelle ne me paraît pas venir du fond d'une large
masse de la population. Ici, ce qu'on demande, c'est une correction. On admet
que c'est l'uninominal qui doit continuer à régner et je pense
que cela correspond malgré tout beaucoup plus à la
mentalité québécoise qu'un régime
proportionnel."
Vouloir diviser le Québec en 22, 24, 27 ou 29 régions
électorales, malgré sa très grande superficie et sa faible
densité, c'est faire perdre la dimension humaine à la tâche
des députés pour lui coller une dimension bureaucratique et
fonctionnariste. Mais c'est surtout noyer les électeurs dans de vastes
régions où leurs multiples intérêts divergents
auront très peu de lieux communs.
La relation directe et personnelle que permet notre mode de scrutin
actuel entre le citoyen et le député ne tiendra plus. Cette
relation sera complètement modifiée, comme le dit Jacques
Chartron: "Le scrutin majoritaire est aussi le seul système qui met
l'élu en prise directe avec le peuple, à la différence de
la représentation proportionnelle qui place les élus sous la
seule dépendance des partis politiques."
De quelle façon l'électeur pourra-t-il dorénavant
se faire entendre? À quelle porte devra-t-il aller frapper? Quelle
disponibilité et quel intérêt le député
pourra-t-il assurer aux électeurs alors que les territoires seront
beaucoup plus vastes et que le nombre d'électeurs aura
considérablement augmenté? Certaines circonscriptions
regrouperaient au-delà de 150 municipalités. Et ces
députés "nouvelle vague" verront-ils leur travail être
modifié? Attribuera-t-on à chacun des députés d'une
circonscription des dossiers spécifiques? Que deviendra la
responsabilité de l'élu face à ses électeurs? Une
fois encore, le citoyen aura à faire face aux complexités de
l'administration. L'électeur de l'extrémité d'une
circonscription aura-t-il à se promener d'un bout à l'autre de
celle-ci ou à défrayer les coûts d'appels interurbains pour
enfin rejoindre le bon député qui pourra l'aider? La relation
élus-électeurs sera totalement diluée. Tandis que les
élus d'une même région seront perpétuellement en
concurrence entre eux, les électeurs se retrouveront orphelins dans ces
immenses entités territoriales.
Un mode de scrutin équitable: la proportionnelle,
c'est-à-dire qui rende justice à la démocratie, qui soit
en somme le miroir le plus fidèle du choix des électeurs.
On utilise souvent cet argument d'une plus grande justice
alléguant que la représentation des diverses tendances et
courants idéologiques sera ainsi le fruit d'une plus grande
démocratie. À ce sujet, je cite encore Michel Debré qui
dit: "Derrière l'apparence de justice de la proportionnelle, il y a une
réalité: ce sont les partis qui ont quasiment le monopole de la
présentation des candidats et, parce qu'ils ont ce monopole sur les
candidats, ils ont aussi l'autorité sur les élus."
Or, il nous apparaît certaines contradictions à cet
égard. Est-ce vraiment assurer une plus grande démocratie que
d'éliminer la tenue d'élections complémentaires? Comment
peut-on croire que
l'Assemblée nationale soit le reflet de la volonté de la
population alors qu'un siège laissé vacant serait comblé
par un "suppléant" qui n'est rien d'autre qu'un candidat non élu
lors de l'élection générale? Ainsi, la population se
verrait enlever son droit d'exprimer démocratiquement son choix pour
l'élection de son représentant. Elle ne pourrait plus faire
connaître au gouvernement son degré de satisfaction ou, comme ce
fut le cas à maintes reprises au cours des dernières
années, son degré d'insatisfaction. Terminées les
punitions infligées au parti ministériel: La proportionnelle au
service des politiciens et non à celui des électeurs!
Une plus grande démocratie également parce qu'une juste
représentation de l'électorat. Nous ne croyons pas que l'actuel
mode de scrutin puisse être mis en cause à cet égard. Bien
au contraire, en vertu du système actuel, les groupes minoritaires ont
pu faire élire leurs représentants, ce qui deviendrait beaucoup
plus difficile et quasiment impossible sous un système de
représentation proportionnelle. Étant au départ
représentant d'un groupe minoritaire fortement concentré, le
candidat aura peu de chance de se faire élire, isolé qu'il sera
dans une grande région. Il en ira de même pour les
sous-régions qui risquent de ne pouvoir faire élire de
représentant. Les populations des régions
périphériques seront négligées au profit de celles
des centres urbains. Lors des audiences tenues par la commission à
Sherbrooke, un intervenant a fait état de sa crainte "que certaines
régions peu populeuses et périphériques n'aient jamais de
représentation."
En ce qui concerne la représentation des femmes, là aussi
il serait faux de prétendre que notre mode de scrutin est une cause
directe du faible pourcentage de leur représentativité. Il serait
également faux de croire qu'un système proportionnel ferait
croître leur nombre à l'Assemblée nationale. Cela est
plutôt lié à une question de comportement et de
mentalité qu'au mode de scrutin.
Comment la commission de la représentation électorale
peut-elle parler du "respect du sentiment d'appartenance" alors que, dans le
découpage territorial qu'elle effectue selon ses deux hypothèses
et qui s'apparente en bonne partie à celui de la représentation
proportionnelle régionale modérée, il y a un
déplacement de population de plus de 250 000 dans un cas et
d'au-delà de 460 000 dans l'autre?
La principale critique à l'égard du mode de scrutin actuel
provient du fait qu'il octroie au parti vainqueur un nombre supérieur de
sièges au pourcentage de votes obtenus. Cette distorsion tant
décriée par les opposants au système représente, en
quelque sorte, une "prime au vainqueur" qui contribue à assurer la
stabilité gouvernementale.
Bien que l'écart soit atténué, cette "prime au
vainqueur" subsiste tant dans la réforme de la représentation
proportionnelle régionale modérée que dans celle de la
représentation territoriale.
Selon Douglas Rae, il est démontré que la
représentation proportionnelle peut résoudre le
phénomène de distorsion, mais à la condition que le nombre
de sièges à combler soit élevé. Si la
représentation proportionnelle régionale modérée et
la représentation proportionnelle territoriale maintiennent ces
distorsions c'est que ces deux propositions ne représentent pas une
"proportionnelle pure", comme c'est le cas en Israël. Elles combinent
plutôt différentes formules.
À titre d'exemple, dans une circonscription électorale
où quatre partis politiques s'affrontent pour obtenir les quatre
sièges en jeu, il suffirait à un des partis politiques d'obtenir
47,2% des voix pour obtenir trois sièges, c'est-à-dire 75% des
postes à combler. Ou encore, dans une région de 122 000
électeurs où trois partis se font la lutte pour trois
sièges, le parti "A", qui recueille 48 500 votes, se voit attribuer,
avec 40% des électeurs, un siège. Le parti "B", avec 49 500
votes, soit 41%, obtient deux sièges tandis que le parti "C", avec ses
24 000 votes représentant 19%, n'obtient aucun siège.
Quelques mots maintenant sur les campagnes électorales. La
substitution de notre mode de scrutin par un système proportionnel
viendra également modifier la mécanique des campagnes
électorales. D'ailleurs, M. Côté faisait état, tout
à l'heure, d'une formule qui était disponible et j'aimerais qu'on
en discute éventuellement: au lieu du 4 pouces sur 8 du bulletin de
vote, une autre formule. Nous aussi on s'est penché sur des
possibilités de solution et cela pourrait peut-être donner un
bulletin de vote par lequel les gens pourraient voter effectivement au
départ pour un parti politique; par la suite, les candidats de chacun
des partis étant inscrits, les électeurs pourraient choisir. Mais
où en est - douze pages - finalement la simplicité du
système par rapport à tout ce qu'on a défendu depuis
quelques années pour tenter de modifier le système
électoral, de simplifier et de faciliter l'expression du vote des
électeurs?
Actuellement, un candidat doit rejoindre un certain nombre
d'électeurs regroupés sur un territoire de superficie moyenne.
L'application d'une ou de l'autre des hypothèses de découpage
territorial de la proposition de la commission pourrait entraîner le
regroupement dans une même circonscription d'au-delà de 100
municipalités. De quelle façon se déroulera la campagne
électorale d'un candidat? Quel appui pourra-t-il recevoir de son parti,
alors
que plusieurs candidats d'un même parti tenteront de se faire
élire dans la même circonscription? Un candidat aura-t-il un seul
quartier général pour l'ensemble du territoire, limitant en
quelque sorte l'accès aux électeurs du coin? Les autres,
résidant trop loin d'un centre d'action, devront-ils plutôt ouvrir
des locaux satellites dans la circonscription et à quel coût?
Comment se déroulera la journée du vote? Les bureaux de scrutin
seront-ils ouverts plus longtemps qu'actuellement? Combien d'officiers
d'élections se retrouveront à une même table? Combien de
temps prendra le dépouillement du scrutin et l'attribution des
sièges? À cause d'une augmentation très
considérable des coûts, une élection générale
avec un système proportionnel deviendrait presque un luxe, même si
on a beau dire que la démocratie n'a pas de prix. Le Québec
peut-il se permettre de remplacer un système qui a fait ses preuves par
un autre dont on ne peut aucunement prévoir les conséquences et
le degré d'applicabilité et qui, par surcroît, serait
très coûteux pour les Québécois?
La population, dans tout ce débat, où se situe-t-elle?
A-t-elle revendiqué à grands cris l'introduction d'un
système proportionnel? Les sondages effectués nous
démontrent que la population est satisfaite du mode de scrutin actuel et
porte bien peu d'intérêt à ce sujet. La population a
d'autres préoccupations qui sont, pour elle, prioritaires, et cela le
gouvernement ne devrait pas l'oublier, car notre formation politique se
chargera de le lui rappeler.
Introduire la représentation proportionnelle au Québec
c'est transformer en profondeur l'ensemble de notre processus électoral.
C'est opérer une rupture avec nos traditions et nos habitudes
politiques. Même si ce type de représentation nous est
présenté sous une forme modérée, elle changera les
règles du jeu; le cadre territorial ne sera plus le même, tout
comme la relation élus-électeurs. La population devra envisager
et accepter la forte possibilité de gouvernements minoritaires
engendrant les jeux de coalition. De plus, une représentation
proportionnelle, qu'elle soit territoriale, modérée ou autre ne
risque-t-elle pas d'être une étape transitoire vers la
proportionnelle intégrale, comme ce fut le cas dans plusieurs pays tels
que la Belgique, la Suède, la Norvège et l'Autriche.
Voilà.
Le Président (M. Vaugeois): Merci. J'avais annoncé,
tout à l'heure, qu'après avoir entendu un porte-parole de la
majorité et un porte-parole de l'Opposition, nous vous entendrions, M.
le président Côté, mais je crois que les deux
députés indépendants qui sont avec nous cet
après-midi ont également droit, à ce moment-ci,
d'intervenir. M. le député de Sainte-Marie.
M. Guy Bisaillon
M. Bisaillon: Je voudrais indiquer à la fois aux membres
de cette commission parlementaire et aux membres de la Commission de la
représentation électorale, mon attitude au moment où on
s'apprête à étudier le rapport de la commission. Je pense
que dans l'étude du rapport de la commission, ce qui est beaucoup plus
important pour moi, finalement, c'est de pouvoir déceler, à
l'intérieur des journées qu'on va passer ensemble, comment le
gouvernement entend finalement régler ce problème et quelle
attitude il a adoptée par rapport, non seulement au rapport de la
commission, mais à cette question de la réforme du mode de
scrutin. De la même façon, je voudrais comprendre davantage les
arguments qui nous sont présentés par l'Opposition pour
repousser, dans un premier temps, le rapport de la Commission de la
représentation électorale, mais dans un deuxième temps,
toute forme de modification du mode de scrutin. (16 h 15)
Ce à quoi je m'attends, M. le Président, et ce que je
crains par-dessus tout, c'est que, finalement, on profite de ces
journées pour se gargariser de mots, pour se féliciter sur les
bonnes réformes que nous avons adoptées depuis quelques
années sans s'attaquer au fond du problème. Il me semble qu'on ne
peut pas parler d'une réforme du mode de scrutin à partir
d'objectifs mesquins. Ce n'est pas en fonction du nombre de banquettes
physiquement disponibles à l'Assemblée nationale qu'on va
décider du mode de scrutin qu'on veut bien se donner. Ce n'est pas en
fonction non plus des intérêts de tel ou tel député
ou de tel ou tel parti politique présent au Parlement au moment
où on se parle qu'on peut décider d'une réforme du mode de
scrutin. Il me semble qu'on doit avoir en tête des objectifs un peu plus
nobles, à plus long terme que ceux qu'on semble viser actuellement.
Le président de la Commission de la représentation
électorale, à juste titre selon moi, a souligné que ce
dossier de la réforme du mode de scrutin est un dossier qui,comme quelques autres, comporte un certain aspect de conflit
d'intérêts pour les parlementaires qui ont à le traiter. On
est à la fois juge et partie. Sans porter de jugement et sans
présumer des motifs de chacun d'entre nous, on peut penser logique, on
peut trouver qu'il est humain qu'un député qui regarde la
proposition Côté et qui se rend compte que, dans sa région,
par exemple, il y a cinq sièges de disponibles, qu'actuellement il est
ministériel, qu'il y a cinq ministres et qu'il est le sixième
député, soit contre la réforme, parce que la
réforme pour lui veut dire, de façon quasi automatique, son
absence du Parlement aux
prochaines élections, comme pour un des cinq ministres,
d'ailleurs, puisqu'une bonne répartition dans une région
accorderait sûrement un siège à l'Opposition. On peut
trouver humaine la réaction du député, mais on peut
trouver aussi que c'est un peu illogique qu'on soit placé encore une
fois dans cette position.
On est en conflit d'intérêts aussi, M. le Président,
à d'autres titres que celui-là. On est en conflit
d'intérêts, par exemple, lorsqu'on n'applique pas au niveau
national ce que l'on exige au niveau local. On continue de prétendre que
les citoyens ne comprendraient pas le nouveau bulletin de vote, alors que nos
lois, au niveau municipal, les ont habitués depuis longtemps à
voter à la fois pour la mairie et pour des conseillers municipaux. Nos
lois ont habitué les citoyens depuis longtemps à des
élections à date fixe. Pourtant, ici, on se refuse à
l'inclure dans les lois qui nous régissent nous-mêmes.
Nous avons, comme parlementaires, adopté des lois
régissant la forme de scrutin au niveau municipal, au niveau scolaire
qui comportent des règles que nous ne nous appliquons pas. C'est une
façon, selon moi, d'être en conflit d'intérêts aussi.
Cette situation dans laquelle nous nous trouvons, il va falloir, un jour ou
l'autre et d'une façon ou l'autre, la régler. Or, M. le
Président, si ce n'est pas le gouvernement actuel qui le fait, ce ne
sera pas non plus le suivant. L'histoire est là pour nous
démontrer - les textes que le ministre nous a cités tantôt
endossent encore cette position - que ce n'est pas pour demain la veille. Il me
semble qu'on pourrait trouver une formule entre nous. Au minimum, si cette
commission parlementaire nous amenait à trouver, non pas la formule
technique d'un mode de scrutin, mais la formule qui permettrait d'en arriver
à adopter un mode de scrutin différent, il me semble qu'on aurait
gagné quelque chose.
Il me semble évident que les discours des partis politiques, que
les discours des hommes et des femmes politiques, depuis au moins quinze ans,
appellent un changement. Il y a des résolutions du congrès du
Parti libéral sur le sujet; il y a des résolutions du
congrès du Parti québécois sur le sujet. Il y a des
déclarations de premiers ministres libéraux; il y a des
déclarations du premier ministre du Parti québécois. Il y
a des déclarations de partisans, de militants libéraux, comme il
y a des déclarations de partisans et de militants du Parti
québécois. Une chose est claire, cependant: dans aucun des partis
politiques, comme dans aucune des ailes parlementaires, un consensus ne se
dégage sur cette question, quoi qu'on en dise. Que les partis en
présence au Parlement me présentent une position unique pour leur
groupe parlementaire, moi, M. le Président, je veux bien jouer le jeu,
mais je demeure convaincu qu'il n'y a pas de consensus dans aucune des ailes
parlementaires ni dans aucun des partis politiques. Cela indique aussi la
difficulté que nous aurons comme parlementaires à essayer de
trouver la formule susceptible de répondre aux véritables besoins
et pour cela, je prétends qu'il faut se donner des objectifs.
Le premier objectif, selon moi, ce serait d'abord de
réfléchir sur la question suivante: À quoi convie-t-on les
citoyens et les citoyennes à chaque élection? Est-ce qu'on les
convie à élire un gouvernement ou si on les convie à
élire un Parlement? Toute la question est là, selon moi et c'est
en cela que je vous rejoins lorsque vous passiez vos commentaires au
président de la Commission de la représentation
électorale. Le système parlementaire, selon moi, est intimement
relié au type de mode de scrutin qu'on va se choisir. Convier les
citoyens et les citoyennes à élire un Parlement, ce serait
d'abord un objectif et un objectif qui permettrait peut-être de rejoindre
les propos du député de Charlesbourg tantôt. Si on
élisait d'abord et avant tout des Parlements, les lois qui seraient
votées par ces Parlements correspondraient sûrement davantage aux
besoins de l'ensemble de la population parce que le Parlement leur
ressemblerait plus qu'il ne leur ressemble actuellement. On prétend
plutôt qu'il faut continuer à élire des gouvernements.
Là où je trouve qu'il y a une différence, c'est
entre la notion de la stabilité gouvernementale et la stabilité
politique qui, elle, doit être représentée par un
Parlement. En ce qui a trait à la stabilité gouvernementale, il y
a beaucoup d'autres façons ou de moyens de l'assurer par des
règles internes du Parlement et par des règles internes de la
constitution. Au-delà du mode de scrutin, il est possible d'assurer la
stabilité gouvernementale tout en élisant des Parlements plus
ressemblants à l'ensemble des débats qui se font dans la
population. À ce sujet, j'ai reproché à la Commission de
la représentation électorale -et je le lui reproche toujours - de
nous avoir formulé une recommandation "nouvelle", entre guillemets,
d'avoir très bien saisi les consultations qu'elle a menées
auprès de la population, d'avoir saisi ce que la population voulait,
mais de ne pas avoir tenu compte d'un élément important,
c'est-à-dire le Parlement et ceux qui étaient supposés
être appelés à voter ses recommandations.
Le président de la Commission de la représentation
électorale, lorsqu'il nous a souligné gentiment qu'on
était en conflit d'intérêts, aurait dû se passer
cette réflexion bien avant de nous formuler une recommandation. Il me
semble qu'il aurait dû nous formuler une recommandation qui serait
allée chercher les éléments qu'on retrouvait à ce
moment-là dans les déclarations des
deux partis politiques les plus forts au Québec et dans les
représentations des autres groupes, c'est-à-dire une formule qui
pourrait se situer au milieu, qui pourrait allier à la fois le
système actuel pour l'instant et nous introduire dans une formule de
proportionnelle, ce qui aurait supposé que le décompte des voix
ne se fasse qu'au niveau national, bien évidemment. Cette formule mixte
aurait peut-être été une façon de nous introduire
dans un apprentissage nouveau du mode de scrutin, de mesurer ses effets
à la fois sur la relation électeurs-élus et sur le
fonctionnement parlementaire comme sur la notion de stabilité
gouvernementale. Je regrette que la commission n'ait pas procédé
de cette façon, mais je suppose que je dois comprendre dans le texte que
le président nous a lu tantôt, à savoir que la formule
proposée était discutable, la possibilité d'en arriver
éventuellement à une application de la formule qu'il nous propose
lui-même.
Je terminerai en soulignant que tous les observateurs politiques et tous
les spécialistes de la question vont vous dire que le genre de mesures
qui nous est proposé, que le genre d'exercice auquel nous sommes
conviés, un gouvernement se doit de le voter dès le début
de son mandat. Le Parti libéral, qui avait imploré ce nouveau
mode de scrutin entre 1966 et 1970, s'est attaqué à cette
question dès 1970. On a vu les ratés que cela a
occasionnés. Ils ont eux-mêmes, conscients qu'ils avaient de la
difficulté à faire le point à l'intérieur de leur
propre groupe parlementaire, procédé exactement comme le Parti
québécois le fera plus tard, c'est-à-dire qu'ils se sont
"cachés", entre guillemets, derrière une commission de
spécialistes qui se sont penchés sur la question. Le Parti
québécois avait, lui aussi, imploré une refonte du mode de
scrutin bien avant 1976. En 1976, il n'a pas procédé. Il n'a pas
procédé non plus en 1981. Lorsqu'il nous arrive avec une
possibilité de refonte du mode de scrutin en fin de mandat, il est
évident qu'il va se faire accuser de le faire uniquement par calcul
électoraliste.
Si cette commission pouvait nous amener à nous pencher
honnêtement, sincèrement, sur un mode de scrutin qui
répondrait à des objectifs que, conjointement, nous pouvons fixer
ensemble et si nous étions d'accord pour appliquer cette formule
nouvelle adoptée immédiatement, mais que nous soyons d'accord
aussi pour ne l'appliquer qu'à l'élection suivante,
c'est-à-dire à la deuxième élection, est-ce que,
par le fait même, on ne détruirait pas les arguments qui peuvent
valoir de part et d'autre? Tout en se penchant sérieusement sur la
question du mode de scrutin, tout en assurant qu'un nouveau gouvernement sera
tenu, lui, de faire des élections selon le nouveau mode de scrutin,
est-ce qu'on ne pourrait pas laisser les règles du jeu actuel jouer pour
la prochaine élection?
Je sais qu'on trouvera toutes sortes d'arguments à cela, mais je
me dis que si on veut vraiment procéder, c'est la seule voie qu'il nous
reste, c'est la seule voie qu'il reste aux parlementaires, soit celle d'adopter
une réforme du mode de scrutin et faire un peu comme on a fait lorsqu'on
a adopté la Loi sur la représentation électorale. Pour
régler le problème qu'on a toujours eu à déterminer
le contour des secteurs de vote, on a finalement fait ce qu'il nous fallait
faire, soit de nous décharger de ce problème pour le remettre
à une commission indépendante, de faire en sorte que plus jamais,
sauf de façon consultative, le Parlement n'ait à régler
cette question de la détermination des territoires électoraux,
des circonscriptions électorales. C'est maintenant une commission
indépendante qui a le pouvoir de se prononcer sur cette question.
Est-ce qu'on ne procéderait pas un peu de la même
façon si on convenait de l'urgence d'un changement, de la
nécessité d'un changement? Si on convenait ensuite entre nous
d'une formule acceptable pour les partis actuellement en présence? Si on
convenait aussi qu'à l'avenir il faudra permettre l'arrivée au
Parlement de nouvelles formations politiques? Dans un quatrième temps,
qu'on s'entende pour que cette nouvelle formule, qu'on pourrait mettre au point
ensemble, ne serve pas à la prochaine élection, étant
donné le temps qu'il nous reste, mais serve à l'élection
ultérieure, cela enlèverait... J'aimerais bien entendre les
représentants du Parti libéral sur cette question; eux qui,
lorsqu'ils demandaient un système de vote à deux tours, se
prononçaient automatiquement, par le fait même, pour un changement
du mode actuel. Leur proposition d'un vote de scrutin à deux tours est
récente. Ce n'est peut-être pas le parti, mais c'était au
moins le chef qui en avait parlé. Je dois me dire que, comme il y a une
décision, cela devait être la volonté de l'ensemble du
parti.
J'aimerais aussi entendre les membres du gouvernement nous dire s'ils
pouvaient ne pas régler cette question morceau par morceau. C'est une
nouvelle formule qu'ils ont mise au point. Pourquoi ne le pourrait-on pas? Ce
n'est pas le gouvernement mais ce sont ses principaux conseillers.
Le Président (M. Vaugeois): Non.
M. Bisaillon: Pourquoi ne pourrait-on pas régler cette
question morceau par morceau? Réglons-en un maintenant et on
réglera l'autre à la deuxième élection qui suivra.
De toute façon, comme l'exercice auquel on est convié,
au-delà de savoir si le gouvernement entend procéder ou pas et de
quelle façon, est aussi de discuter non seulement le rapport de la
commission mais
ce qui a provoqué ce rapport, je pense qu'on pourrait, par
l'étude qu'on va faire, essayer au moins de voir les points qui nous
rapprochent plutôt que les points qui nous éloignent, essayer de
retrouver à l'intérieur du rapport de la commission les points
qui nous unissent plutôt que les points qui nous séparent. En ce
sens, la commission aura fait oeuvre utile.
Le Président (M. Vaugeois): Merci, M. le
député de Sainte-Marie. Vous avez lancé un certain nombre
de questions qui devraient trouver des réponses au cours des prochaines
heures. Je pense qu'elles ont été notées. Elles ont
donné lieu à un peu d'émotion. Mais pour l'instant, je
demanderais à M. Côté, s'il le désire, de
réagir aux commentaires qu'il vient d'entendre. (16 h 30)
M. Côté (Pierre-F.): Très brièvement,
M. le Président. Au sujet de votre propre intervention, je voudrais
seulement vous rappeler l'échange que nous avons eu à ce sujet le
8 novembre, à Trois-Rivières. Je vous avais rappelé - j'ai
ici la transcription des notes - que la proposition que vous nous faisiez
d'aller un peu plus loin dans nos travaux, au sujet, en particulier, de la
recommandation que vous faisiez à ce moment-là... Cela rejoint
également, si j'ai bien compris, une remarque qu'a faite M. Bisaillon
tout à l'heure, d'aller un peu plus loin en relation avec le
parlementarisme. C'est surtout quand vous avez signalé, à la fin
de mes remarques d'aujourd'hui, quand je disais qu'il s'agissait là
d'une autre question... La seule observation que je voudrais faire à ce
sujet, c'est que nous avons compris que le mandat qui nous était
confié le 21 juin 1984 était très explicite et très
limitatif et qu'il ne nous revenait pas d'aller au-delà de ce mandat. Je
voulais seulement apporter cette précision. Nous étions
très limités à l'étude des modes de scrutin et nous
n'avions pas à faire l'étude du parlementarisme comme tel.
Je veux simplement signaler à M. le ministre Duhaime que je suis
d'accord avec la méthode de travail qu'il propose. Quant aux propos
tenus par M. le député de Charlesbourg, je pense qu'au cours des
échanges il sera possible de lui répondre de façon plus
précise parce qu'il y a beaucoup d'avancés auxquels j'aimerais,
à tout le moins, apporter certaines nuances. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Vaugeois): Merci, M. Côté.
Vous me rendez nostalgique chaque fois qu'on parle de ces questions, parce que,
si on avait vraiment pu débattre le mandat qui vous a été
donné, probablement qu'on y aurait ajouté la dimension qu'on
vient d'évoquer. Mais il ne sera jamais trop tard pour le faire. Pour
l'instant, le député de
Châteauguay a demandé la parole et c'est un peu lui qui va
amorcer nos discussions de façon directe. Je l'invite à le faire
en tenant compte du cadre qu'on s'est donné, en procédant avec la
première partie du rapport de la commission qui s'intitule "Bilan de la
consultation" et qui permet d'évoquer la méthodologie, etc.
M. Roland Dussault
M. Dussault: Merci, M. le Président. C'est difficile,
évidemment, de couper court avec le style de remarques qui ont
été faites jusqu'à maintenant. Je vais enchaîner
à partir de cela, si vous le permettez.
D'abord, je voudrais remercier M. le président de la Commission
de la représentation ainsi que son équipe pour l'excellente base
de travail qu'ils nous ont donnée par le biais du rapport sur la
proportionnelle territoriale. Je suis bien à l'aise de le dire, puisque
je suis un de ceux qui ont dit depuis longtemps ce qu'ils pensent du changement
de mode de scrutin. Je suis pour une représentation proportionnelle
modérée et je pense que ce que vous avez offert à la
population est intéressant. Je pense que c'est très
représentatif; vous avez écouté énormément
de gens. Si je me souviens bien, le nombre de personnes ou de groupes qui se
sont présentés devant la commission constitue le deuxième
record de toutes les consultations qui ont été faites au
Québec jusqu'à maintenant. C'est dire comme c'est important, le
nombre de personnes qui sont allées vous voir. Il est donc normal que
vous ayez essayé de vous appuyer au maximum sur les positions que les
gens ont défendues auprès de vous. Dans ce sens, je voudrais dire
au député de Sainte-Marie qu'il aurait été bien
difficile que vous essayiez de pondre une position qui serait le reflet des
différents partis à l'Assemblée nationale puisque, de
toute façon, au moment où vous avez fait votre consultation, le
Parti libéral ne s'est pas présenté devant vous. Vous ne
saviez pas ce qu'étaient les modalités d'une proportionnelle
telle que le souhaitait le Parti libéral. Je pense que vous avez bien
fait; vous vous êtes appuyés sur la population, sur celle qui est
allée vous voir et qui l'a fait massivement. J'ai remarqué
particulièrement que les femmes, qui représentant 50% de la
population du Québec, se sont énormément
déplacées en termes de groupes et de personnes pour aller vous
rencontrer. Les positions des femmes vont largement dans le sens d'un
changement du mode de scrutin. Il faut le rappeler: c'est 50% de la population
du Québec...
Une voix: C'est 52%.
M. Dussault: ...52% - c'est très
important, je pense.
Je voudrais enchaîner un peu dans le même sens que le
ministre temporairement responsable du dossier quand il a essayé de
comprendre pourquoi, du côté... J'espère que c'est
temporaire parce que je souhaite le retour du député de
Chicoutimi à son dossier. Je lui souhaite, d'ailleurs, une bonne
convalescence. Je trouve dommage que la réflexion du Parti
libéral se soit arrêtée avec la venue de son "nouveau
ancien" chef. C'est cela qui s'est passé. Il y a un
élément que je voudrais apporter parce qu'il n'a pas
été soulevé jusqu'à maintenant, c'est la
démarche qui avait été commencée au Parti
libéral. En avril 1983, on avait donné un mandat à M.
Georges Lalande - vous vous rappelez c'était l'ancien
député qui avait été élu aux
élections partielles et qui avait été battu aux
élections générales comme cela se passe toujours -
député de Maisonneuve de travailler sur les positions connues,
c'est-à-dire la position qu'on disait être celle du gouvernement
et celle du Parti québécois, la compensatoire. Il a
déposé son mémoire à la Commission de l'animation
et de l'organisation du Parti libéral et auprès de groupes
restreints de militants comme il l'a dit lui-même dans un rapport qu'il a
déposé auprès de ces gens. Curieusement - c'est
lui-même qui le dit - ils ont étudié la compensatoire et la
RPRM et il dit: "Sauf pour une personne, toutes les personnes consultées
se sont déclarées, à des degrés divers, favorables
à la RPRM proportionnelle régionale modérée."
Quels sont les objectifs qu'ils ont essayé d'atteindre en prenant
position dans cette direction-là? Je vais vous les dire: Corriger les
distorsions actuelles de la représentation. Ce n'est pas mauvais.
Maintenir le nombre de sièges à l'Assemblée nationale. Je
pense que tout le monde parle ce langage-là. Axer la
représentation en fonction des régions. Je suis
complètement d'accord. Je me dis que si les députés se
préoccupent de la régionalisation et de satisfaire les gens en
région en tant que régionaux, ce n'est peut-être pas
mauvais qu'on ait un fonctionnement qui ressemble un peu à cela aussi.
Rendre plus stable le découpage de la carte électorale. Mon Dieu!
c'est un objectif que tout le monde vise depuis longtemps. Maintenir les
éléments actuels de la stabilité gouvernementale. Je
reviendrai là-dessus tout à l'heure. Conserver sinon
améliorer la relation députés-électeurs. On est
tous d'accord avec cela. Éviter la multiplication artificielle des
partis et éviter - je suis un petit peu moins d'accord avec cela mais,
de toute façon, c'est une variante sur laquelle on pourrait discuter -
un contrôle excessif des directions de partis sur les listes
d'électeurs.
Je me dis, M. le Président, qu'avec tous ces objectifs, M.
Bourassa est venu contredire cette équipe, ces gens qui pensent au
standard de qualité en termes de changement d'un mode de scrutin au
Québec au Parti libéral. Il est venu dire, du haut de son
autorité: Arrêtez toute la réflexion là-dessus, mes
amis, je viens de décider qu'il n'y aura pas de changements.
Je trouve curieux que le Parti libéral aujourd'hui, malgré
que M. Bourassa dise: "uniquement après la prochaine élection"
toute son argumentation va dans le sens de ne jamais faire de changement au
mode de scrutin. Je trouve cela bizarre, il y a des contradictions que ces
gens-là devront réussir à clarifier un de ces jours.
Pourquoi, dans le fond, ont-ils cette attitude-là? Je ne donnerai
pas mon idée personnelle. Je vais me référer à
quelqu'un qui est beaucoup plus objectif que moi. Ces gens-là pensent
toujours que je ne suis pas objectif, je vais donc, autant que possible, me
référer à quelqu'un que tout le monde trouve objectif - en
tout cas le plus objectif possible dans les circonstances, chaque fois -et
c'est M. Gilles Lesage, du journal Le Devoir, qui constatait, dans le titre:
"La volte-face de M. Bourassa"... Le ministre a bien dit tout à l'heure
jusqu'à quel point M. Bourassa avait dit que le changement était
important. M. Lesage dit: "Mais à la guerre comme à la guerre,
les libéraux ayant le vent dans les voiles et se voyant de retour au
pouvoir en force comme en 1973, ne veulent absolument plus modifier un
système qui les a bien servis dans le passé et qui risque de
renvoyer le PQ dans les limbes électorales." C'est là la
motivation de base que voit M. Lesage. Il continue en disant: "II est
remarquable qu'aucun député libéral n'ait jugé bon
de présenter un mémoire devant les commissaires qui ont dû
insister pour que le PLQ fasse connaître ses vues. Il l'a fait en
cachette, presque de mauvaise grâce en décembre mais après
que M. Bourassa eut bien défini ses règles du jeu." Du haut de
son autorité, comme je le disais tout à l'heure. M. Lesage
continue: "Plutôt le statu quo qu'une réforme qui n'est pas
prioritaire et qui comporte des risques pour l'équité envers les
citoyens et la stabilité gouvernementale prétend-il faussement
vertueux." Il dit, en terminant la partie que je veux citer: "Selon son
habitude, M. Bourassa fait mine de laisser la porte ouverte mais il ne veut
aucun changement."
C'est le style qui est encore exercé présentement par le
Parti libéral et je trouve cela extrêmement dommage, M. le
Président, parce qu'il s'agit des électeurs, il s'agit d'une
injustice flagrante que tout le monde décrie chaque fois qu'il y a une
élection pendant les premiers jours que dure la lune de miel avec le
gouvernement et ensuite plus personne n'en parle. Nous, nous en parlons depuis
un certain nombre de mois. On essaie de trouver une solution qui soit
satisfaisante pour tout le monde et pendant ce temps-là, au Parti
libéral, on s'en va vers une position. Je vous assure qu'on est capable
d'arriver à une position très bientôt mais pendant que nous
faisons ce cheminement, du côté libéral ils ont
décidé d'arrêter complètement tout le cheminement et
de dire: Attendons la prochaine élection. Tandis qu'ici on nous dit:
Non, il vaut mieux ne pas faire du tout ce changement-là. C'est
très dommage, M. le Président.
Je voudrais continuer sur un élément qu'a avancé le
député de Charlesbourg tout à l'heure lorsqu'il parlait du
député de Roberval et qu'il disait être battu dans un mode
de scrutin à la proportionnelle si, par exemple, on l'avait
appliqué la dernière fois. Ce qu'oublie de dire le
député de Charlesbourg mais cela fait toute la différence
du monde, c'est que lorsque les gens auraient voté dans la grande
région du Lac-Saint-Jean, ils auraient d'abord voté pour un
parti, ensuite pour des candidats, et c'est le nombre de votes accordés
à un parti qui aurait déterminé les chances ou non de se
faire élire d'un des candidats qui sont sur le bulletin de vote. Cela
est capital. Cela revient à dire que quand les électeurs
voteraient, ils connaîtraient les règles et seraient capables
d'utiliser les règles pour voter. Ils sauraient quel est l'impact de
l'utilisation de la règle établie. Cela me paraît capital
et c'est pour cela que j'ai choisi la proportionnelle régionale
modérée ou territoriale (parce qu'il y a des choses en commun
là-dedans). C'est parce que je considère que l'électeur,
quand il votera selon ce mode de scrutin, connaîtra les règles et
saura comment les utiliser pour faire valoir son vote, pour influencer son
vote, c'est-à-dire qu'il utilisera les règles, s'il le veut,
à des fins démocratiques et je trouve cela très sain sur
le plan démocratique.
Un autre élément, un élément important,
c'est celui de la relation électeurs-élus. On fera valoir toutes
sortes de choses pendant les travaux de cette commission, dans les deux ou
trois jours qu'ils pourront durer, mais il y a quand même une chose qu'il
faut tenir pour acquis: Ce n'est pas une loi et ce n'est pas le Directeur
général des élections qui va établir la relation
dorénavant entre l'électeur et l'élu; ce sont les partis,
les députés indépendants. Ce sont ces gens-là qui
détermineront entre eux comment, dorénavant, ils voudront assurer
la meilleure qualité de relations entre eux et les électeurs.
Cela ne peut pas s'écrire dans une loi. Il y a un paquet de choses qui
se font présentement qui n'ont jamais été écrites
dans la loi et qui découlent, bien sûr, du mode de scrutin, mais
les élus ont adapté leur intervention dans le milieu en fonction
de ce qu'ils voulaient donner comme services à la population. Je ne
crains pas que l'on soit incapables, soit en se faisant aider par le parti,
soit entre nous de l'aile parlementaire, de déterminer quelle est la
meilleure règle à suivre pour donner le meilleur service à
l'électeur. Je pense qu'on n'est pas manchots. On est capables de faire
cela. On a fait la preuve de notre adaptabilité avant. On est encore
capables de faire cela. Ce n'est pas un élément qui
m'inquiète beaucoup.
Il y a un élément que je voudrais faire ressortir, M. le
Président, c'est celui des comtés orphelins. Vous savez que,
présentement, par rapport au pouvoir, il y a au moins 40 comtés
qu'on dit "orphelins" dans le sens suivant: Quand les électeurs, les
organismes ou les organisations de comté veulent référer
au gouvernement pour pouvoir arriver à leurs fins, ils sont
obligés de passer par quelqu'un d'un autre comté et ils risquent,
à ce moment-là, de se faire taxer de "patroneux", de faire du
patronage. C'est cela la réalité. Vous savez très bien
qu'il y a des partis qui conçoivent avant les élections que
certains comtés ne sont pas tellement intéressants à aller
chercher, qu'il est très difficile d'aller les chercher parce que la
couleur politique est déjà très identifiée. Ces
gens-là sont ignorés, et cela fait des électeurs de
seconde zone. Je me dis qu'avec un changement du mode de scrutin, enfin on
pourra arriver à changer cette dynamique et faire en sorte que tous les
électeurs du Québec soient traités exactement sur le
même pied. C'est une réalité politique extrêmement
importante que j'ai fait valoir lorsque je suis allé rencontrer les
membres de la commission et je pense qu'il va falloir répéter cet
élément, cet argument, parce qu'il est très important pour
la qualité de la vie démocratique au Québec.
Je vais terminer, M. le Président...
Une voix: Consentement.
M. Dussault: ...en demandant à M. le Directeur
général des élections, qui est ici comme président
de la Commission de la représentation électorale, de bien prendre
soin de nous indiquer tout à l'heure, quand il aura l'occasion de le
faire, à la suite de ce qu'il nous a dit tout à l'heure... Il
nous a dit qu'il avait posé un certain nombre de gestes pour clarifier
d'ailleurs leur position, puis il a avancé dans les documents la
position défendue par les gens quand ils sont allés s'exprimer
devant la commission. J'aimerais qu'il nous dise aussi s'il a d'autres
intentions, s'il a posé d'autres gestes plus concrets, s'il a
l'intention de poser d'autres gestes plus concrets. Je pense, par exemple, au
mode d'expression de la volonté de l'électeur sur un bulletin de
vote. On sait qu'il y a différentes formules pour une proportionnelle.
Il y a le vote ouvert, le vote fermé, le vote
panaché. Je suis pour le vote panaché pour l'avoir
exprimé très clairement. J'aimerais savoir si le Directeur
général des élections a l'intention de faire des
expériences, d'aller plus loin dans sa recherche pour voir comment tout
cela pourrait s'exercer. Il y a une chose que j'aimerais savoir: si on
regroupait des électeurs d'une façon artificielle, mais quand
même de façon qu'à un moment donné on puisse avoir
un point de vue, est-ce que les électeurs choisiraient naturellement
d'aller vers le vote fermé, le vote ouvert ou le vote panaché?
J'aimerais que le Directeur général des élections nous
dise s'il a l'intention de poser des gestes dans une direction comme
celle-là. Il me semble que cela nous serait très utile pour y
voir clair. (16 h 45)
Une deuxième chose - c'est la dernière, M. le
Président - j'aimerais que le Directeur général des
élections et président de la Commission de la
représentation électorale nous dise - cela m'est apparu une
énormité de la part du chef libéral, M. Bourassa - s'il y
a quelque chose de fondé dans l'exemple qu'a employé M. Bourassa
déjà en disant qu'il ne faudrait vraiment pas aller vers une
proportionnelle parce que l'exemple le plus patent de cela c'est Israël,
et c'est effrayant sur le plan de l'instabilité gouvernementale.
J'aimerais bien qu'on nous dise ce qu'il y a d'énorme, ce qu'il y
a de pas vrai dans cette assertion de M. Bourassa. Il me semble que cela serait
bien utile pour nos travaux et pour les auditeurs qui nous écoutent.
Je reviendrai plus tard, évidemment, M. le Président,
parce que j'ai encore beaucoup de choses à dire sur cette question.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Vaugeois): M. Côté, on vous
a posé une couple de questions à la fin de l'intervention. Est-ce
que vous voulez y répondre maintenant?
M. Côté (Pierre-F.): Oui, je peux essayer, M. le
Président. Au sujet de la première question, à savoir si
on a l'intention de faire des expériences pour connaître, par
exemple, quelle serait la propension ou l'idée des électeurs sur
un bulletin de vote sous forme de panachage ou un bulletin de vote sur une
liste bloquée, si on a l'intention de faire des simulations, je dois
vous dire qu'il faudrait peut-être relier cette question à
d'autres propositions du genre qui pourraient surgir lors de nos
échanges, parce qu'il me semblerait, de prime abord, que, pour pouvoir
effectuer des travaux du genre pour poursuivre des travaux dans ce sens, il
faudrait qu'on ait une expression de volonté assez claire de la part de
l'Assemblée nationale.
Je dis cela parce qu'il y a quand même une distinction que je
fais. J'ai reçu tout simplement aujourd'hui - avec la permission du
président, je voudrais en faire part dans le courant de la
journée de demain pour pouvoir y jeter un coup d'oeil plus attentivement
ce soir - une opinion juridique sur la question de savoir jusqu'où le
Directeur général des élections peut se préparer
à des changements dans un système, un mode électoral.
Cette opinion est assez positive, mais, avant de la commenter ou de la rendre '
publique, je voudrais quand même y réfléchir davantage.
Alors, je ne réponds pas...
M. Dussault: Si on me permet, vous faites allusion à votre
pouvoir d'expérimentation.
M. Côté (Pierre-F.): C'est cela. C'est pour cela que
je ne réponds pas de façon positive ni négative à
votre demande. Il faudrait y réfléchir plus attentivement.
Quant à l'évocation que l'on fait parfois de l'État
d'Israël, évidemment, la très grande différence qui
existe, c'est que l'État d'Israël a un mode de scrutin
proportionnel qu'on appelle, comme dans les Pays-Bas, intégral, un mode
de scrutin pur. La très grande différence qui existe avec tous
les autres modes de scrutin proportionnel, c'est que le pays n'est pas
subdivisé en circonscriptions électorales. Le pays constitue une
seule circonscription électorale.
Évidemment, cela veut dire que cela introduit une
différence qui est fondamentale avec tous les autres modes de scrutin
conventionnels parce que, à ce moment... Surtout qu'il n'y a pas de
seuil qui exige qu'un parti politique reçoive un certain nombre de votes
pour avoir des représentants, de sorte qu'un parti politique qui est
très petit, qui a 0,6% des votes, peut avoir des représentants
et, comme on le voit en Israël, détenir la balance du pouvoir.
Évidemment, ce n'est pas du tout la proposition que nous faisons. La
proportionnelle territoriale, par exemple, en Israël, c'est une
proportionnelle. La très grande différence, c'est que dans la
proposition que nous faisons, nous suggérons de subdiviser le
Québec en territoires, en plusieurs territoires, en plusieurs
circonscriptions électorales tandis qu'en Israël il n'y a qu'une
seule circonscription électorale.
Le Président (M. Vaugeois): Si vous me permettez, M. le
président Côté, en Israël, en plus de cela, on
respecte tellement les 100% que cela donne 120 députés. Cela veut
dire qu'il y a des fractions qui s'additionnent, qui donnent un total de 120
députés pour 100% des électeurs.
Cela va, M. le député de Châteauguay?
M. Dussault: Merci, M. le Président.
M. Côté (Pierre-F.): Avec votre permission, je ne
sais pas quel moment cela serait le meilleur...
Le Président (M. Vaugeois): Maintenant, M.
Côté.
M. Côté (Pierre-F.): Tout à l'heure, j'y ai
fait allusion dans mon texte et je veux simplement vous dire, par exemple, que
nous avons, dans le cadre du complément des travaux que nous avons
accomplis cet été, à la suite du mandat que nous avons et
surtout à la suite de questions qui se sont posées lors de
l'étude des prévisions budgétaires, essayé de voir
de quelle façon on pourrait avoir un bulletin de vote qui serait
compréhensible et accessible pour les électeurs. Effectivement,
nous aboutissons à trois propositions qui nous apparaissent assez
simples. Je crois qu'on en a suffisamment d'exemplaires pour vous les
distribuer et vous pourriez y jeter un coup d'oeil. Nous pourrions
échanger là-dessus subséquemment. C'est le principe de
celui que nous a montré M. Côté tout à l'heure. La
seule chose que je veux vous signaler... Vous allez évidemment voir
qu'il y a des noms fictifs, mais il est basé sur la circonscription
électorale, dans l'hypothèse 1, de la région de
Québec où il y aurait onze candidats.
Il y a trois façons. Il y en a une qui est, selon l'impression
actuelle, une impression renversée; il s'agit d'un petit livret. On ne
ferait que noircir le cercle pour indiquer son choix. Il y a l'autre qui, au
lieu d'être inversée, serait de la même façon, mais,
tout simplement, l'endroit où on indique son vote serait une bande
noire. Il y a, finalement, une autre façon qui est aussi très
simple; c'est la même chose, mais ce serait un dépliant, un
bulletin qui se déplie sur lequel on retrouve exactement les mêmes
données que dans les autres suggestions.
Le Président (M. Vaugeois): M. le président, si je
comprends bien, vous en avez assez d'exemplaires pour l'agrément de
chacun des membres de la commission.
M. Côté (Pierre-F.): Oui. On va m'informer à
savoir si cela peut se faire ou non. La troisième formule devrait
arriver d'une minute à l'autre. Je ne sais pas si c'est rendu. Je sais
que, pour les deux premières, nous en avons suffisamment d'exemplaires
pour en distribuer.
Le Président (M. Vaugeois): II y aura des questions parce
qu'il y a déjà eu de bons échanges là-dessus.
Voulez-vous tout de suite, M. le député de Gouin...
M. Rochefort: Je veux simplement qu'on s'entende sur une formule.
Ou on y va selon l'ordre des chapitres du document, auquel cas je retiendrai
mes questions jusqu'à ce qu'on arrive au chapitre concernant mes centres
d'intérêt particuliers, ou on y va tous azimuts, ce que nous
faisons depuis environ une demi-heure, et moi aussi je vais m'inscrire dans
cette discussion tous azimuts.
Le Président (M. Vaugeois): Puisque vous suggérez
qu'on n'aille pas tous azimuts, on va tenir compte de votre commentaire.
M. Rochefort: Auquel cas, est-ce qu'on peut retenir la
distribution des bulletins de vote? On le fera au moment où le dernier
arrivera.
Le Président (M. Vaugeois): Je pense que cela nous
donnerait quand même l'occasion de les examiner. La question a
été évoquée dans l'introduction
générale. Quand même, les introductions étaient
générales. Celle du député de Charlesbourg a
été très générale. Elle a même
débordé largement le sujet de notre commission.
J'aurais une question à poser au député de
Châteauguay avant de vous donner la parole. Vous avez cité un
document, tout à l'heure, qui était le rapport Lalande.
M. Dussault: C'est ça, oui. C'est le rapport qui a
été déposé à la commission d'animation. On
dit: La commission de l'animation et de l'organisation du Parti libéral
du Québec.
Le Président (M. Vaugeois): À quel moment?
M. Dussault: C'était...
Le Président (M. Vaugeois): En 1973?
M. Dussault: Le mandat a été donné à
M. Lalande en avril 1983. C'est en mai 1983 qu'on a déposé un
mémoire à la commission de l'animation et de l'organisation du
Parti libéral, auprès d'un groupe de militants. C'est
intéressant, effectivement, qu'on laisse ces données parce que
c'est très éclairant. Tous, sauf une personne, ont dit qu'ils
étaient d'accord avec une formule.
Le Président (M. Vaugeois): J'avais presque l'impression
d'entendre, dans le rapport Côté, l'énumération d'un
certain nombre de critères.
Une voix: L'étude était d'avril à mai.
Le Président (M. Vaugeois): C'est une étude qui
date. Nous sommes conscients de cela.
M. Dussault: Je sais que le mandat a
été donné en avril 1983 et que c'est en mai 1983,
qu'on a déposé un mémoire au comité, à la
commission de l'animation. Ces gens l'ont étudié.
Une voix: Consentement pour dépôt.
Le Président (M. Vaugeois): Je vois ce que vous allez
dire, M. le député de Gouin.
M. Rochefort: Cette fois, c'est quasiment une question de
règlement.
Le Président (M. Vaugeois): D'accord, allez-y.
M. Jacques Rochefort
M. Rochefort: Je ne veux pas débattre le contenu, la
forme, le format ou quoi que ce soit des exemplaires de bulletins qu'il est
possible qu'on reconnaisse au cours d'un prochain scrutin tenu sur la base de
la représentation territoriale, mais j'aurais une demande à faire
au président de la Commission de la représentation. Ne serait-il
pas possible, pour la séance de demain, qu'on nous fasse le même
exercice, quitte à ce que ce soit dactylographié ou
photocopié, mais sur la base de la circonscription montréalaise
que nous avons utilisée comme référence, mon
collègue de Charlesbourg et moi-même, lorsque nous avons
discuté cette question lors de l'étude des crédits du
bureau du directeur général, du bureau du président de la
Commission de la représentation et du financement des partis politiques,
de façon que nous puissions vraiment voir jusqu'où cela peut nous
mener?
J'ai le sentiment qu'on a une hypothèse de travail qui est
réductrice par rapport à jusqu'où cela pourrait nous mener
et je demanderais au directeur général s'il n'y a pas un certain
nombre de membres de son personnel qui pourraient rapidement - pas besoin de
reprendre les explications d'usage de la première page - et simplement
nous montrer, en termes de listes de partis, en termes de longueur des listes
de candidats, ce que cela aurait pu donner dans la grande circonscription
montréalaise qui aurait regroupé 19 des actuelles
circonscriptions électorales, tel que vous le proposez dans
l'hypothèse 1 ou 2 du découpage, de façon qu'on ait sur la
table un document sérieux, complet, pour faire un débat
comparatif par rapport au débat que nous avons ouvert, mon
collègue et voisin de Charlesbourg et moi-même, lorsque nous avons
étudié les crédits du directeur général.
Le Président (M. Vaugeois): Là, je sens...
M. Rochefort: Sinon, M. le Président, je demanderais qu'on
m'explique pourquoi, tout à coup, on a changé la localisation de
l'expérimentation du type de bulletin.
Le Président (M. Vaugeois): Je sens qu'on peut partir
là-dessus.
M. Rochefort: Non, c'est une demande très simple.
Le Président (M. Vaugeois): Un instant, s'il vous
plaît! M. Côté, pouvez-vous accéder à la
demande du député de Gouin? Est-ce possible pour vous ou s'il
suffit d'en faire une description, parce que vous voyez évidement ce
qu'il y a derrière la question?
M. Côté (Pierre-F.): Me permettez-vous de
répondre d'une autre façon qu'en accédant à la
demande...
Le Président (M. Vaugeois): Oui.
M. Côté (Pierre-F.): ...parce que accéder
à cette demande demain matin, c'est impossible? C'est une question de
temps et de disponibilité du personnel. Tout ce que je peux ajouter, M.
le député de Gouin, c'est que, dans l'hypothèse 1, le plus
grand nombre de députés est de 14 et, dans l'hypothèse 2,
il est de 19. La seule chose que cela ferait en relation avec ce modèle,
c'est que cela l'allongerait. On en a fait un, mais cela l'allongerait, cela
l'agrandirait, parce que, au lieu d'avoir 11 noms, il y en aurait 19.
M. Rochefort: Dites-vous que vous en avez fait un?
M. Côté (Pierre-F.): On a commencé à
voir ce que cela pourrait représenter, mais on ne l'a pas
imprimé.
M. Rochefort: Ce serait intéressant qu'on le distribue,
qu'on le fasse circuler pour le voir.
M. Côté (Pierre-F.): Je ne crois pas qu'il soit
facilement disponible. Tout ce que je peux vous dire, M. le Président,
c'est que, dans ce bulletin, il y a 11 noms. En ajoutant 3 autres noms, vous
avez le maximum de la première hypothèse.
M. Rochefort: Et la deuxième?
M. Côté (Pierre-F.): En ajoutant 5 autres noms, vous
arrivez à 19. Je vous le mentionne; je pourrais vous le donner, mais,
visuellement, cela ne fait qu'agrandir le bulletin, c'est tout; le bulletin est
un peu plus long. Avec 19 noms, c'est évident que le bulletin, au lieu
d'être de cette grandeur, aura cette hauteur, si vous aimez mieux. Il
aura 19 noms. C'est la seule différence qu'il y a.
Le Président (M. Vaugeois): D'accord. On aura l'occasion
de revenir sur ces questions, mais, tout de même, puisque le
député de Gouin accroche ses grelots, on va le laisser tinter
encore une fois.
M. Côté (Charlesbourg): Ce ne sera pas long, M. le
Président, deux minutes. Je vais offrir de le remettre au
député de Gouin, parce que c'est exactement l'exemple que j'avais
pris pour constituer le mien. Or, il est ici. Il y a des copies de disponibles
si jamais vous en voulez.
Le Président (M. Vaugeois): Vraiment, vous ne pouvez pas
refuser cela, M. le député.
M. Rochefort: Je ne demanderai même pas au Directeur
général des élections de le valider. Je fais confiance au
député de Charlesbourg.
Le Président (M. Vaugeois): Je donne maintenant la parole
au député de Gatineau qui va, je pense bien, nous ramener
à la méthodologie suivie par la commission et à l'ordre
qu'on avait convenu de suivre.
M. Michel Gratton
M. Gratton: Oui, M. le Président, vous avez deviné
en effet que j'ai l'intention de suivre l'ordre établi après
quand même avoir répondu au député de
Châteauguay.
Le Président (M. Vaugeois): Vous avez quatorze minutes
pour le faire.
M. Gratton: Oui, merci, sûrement pas quatorze minutes.
J'aimerais lui dire de façon très amicale qu'il ne m'a pas
rassuré en disant tantôt qu'il en aurait encore beaucoup à
dire au cours des travaux de cette commission. Si c'est l'expert dans
l'évolution de la pensée libérale par rapport à la
réforme du mode de scrutin, je lui demanderais de s'inspirer d'autre
chose que du document de M. Lalande dont il nous a parlé. Je
l'inviterais surtout à faire pression auprès de son parti
politique. Cela fait quand même huit ans que le Parti
québécois est au pouvoir. Cela fait plus de huit ans que, dans le
programme du Parti québécois, vous avez cette notion de
proportionnelle pour élire les membres de l'Assemblée nationale.
C'est seulement après huit ans de gouvernement que vous venez nous dire
aujourd'hui, non pas: Voici ce que nous proposons; mais: Nous sommes pour le
principe et bientôt, très bientôt, on pourra vous proposer
une formule.
M. le Président, il serait quasiment temps que le Parti
québécois propose sa formule avant qu'il soit trop tard, parce
que, normalement, deux mandats d'un gouvernement, cela dure huit ans. Cela fera
huit ans exactement le 15 novembre que vous serez là. Si vous ne faites
pas votre proposition bientôt, vous aurez manqué le bateau, parce
que, que je sache, le Parti québécois aujourd'hui en commission
parlementaire n'est pas en train de nous dire qu'il est d'accord avec la
proposition contenue dans le rapport du Directeur général des
élections, à moins que ce ne soit cela. Le député
de Châteauguay m'arrêtera alors tout de suite et on conviendra que
c'est là-dessus finalement que le gouvernement a décidé, a
tranché, mais ce n'est pas cela. Que je sache, il y a l'exécutif
du Parti québécois qui a proposé une formule, il y a un
certain nombre de députés qui ont proposé autant de
formules qu'il y avait de députés; il y a un comité
tripartite de trois députés, trois ministres, trois militants qui
s'est réuni 18 fois -apparemment, il y aura peut-être une 19e
rencontre - qui a accouché de quoi?
Une voix: Ah!
M. Gratton: Absolument rien, un gros zéro, un gros
néant. Le député de Châteauguay vient nous dire: Les
gros mauvais libéraux sont contre ce qu'on propose. Qu'est ce que vous
proposez? C'est quoi? Dites-le-nous. Le député de Sainte-Marie
l'a dit tantôt, essayons de faire un consensus sur quelque chose, mais
où vous logez-vous, le Parti québécois? Êtes-vous
pour quelque chose? Si oui, quoi? Nous vous disons clairement: On est contre;
on est contre la réforme du mode de scrutin à quelques mois d'une
élection générale. Nous ne sommes pas les seuls à
partager ce point de vue. Ce qui inquiète certains éditorialistes
- et c'est tout ce qui les inquiète - c'est de savoir si on ferme la
porte à toute réforme éventuelle. (17 heures)
Je vous réfère au texte, à la résolution qui
a été votée au conseil général. Ce n'est pas
le cas, mais ce qu'on dit, c'est qu'il serait indécent et immoral qu'un
gouvernement s'autorise de faire une réforme du mode de scrutin, de
"bulldozer" cela à quelques mois d'une élection
générale ou, encore pis, qu'il se serve du peu de temps qu'il
nous reste pour faire la réforme, pour dire: On reporte
l'élection qui, normalement et traditionnellement, devrait avoir lieu au
cours des six prochains mois. On se sert de ce prétexte et on reporte
cela au printemps 1986. On la connaît, votre stratégie
étapiste dans tout ce que vous faites, mais on n'est quand même
pas des idiots, n'en déplaise au député de
Châteauguay.
Méthodologie utilisée par la CR
Cela dit, j'écouterai avec énormément de soin et
d'intérêt ses brillantes
interventions au cours de la commission parlementaire, mais je ne suis
pas sûr que je prendrai le temps de répliquer à chacune
d'elles, M. le Président. Je m'adresse donc à M.
Côté. On sait que la méthode ou le mode de travail qu'on
adopte, c'est de s'interroger d'abord sur la première partie du rapport,
c'est-à-dire ce qui constitue la démarche de la commission dans
l'étude qu'elle a faite. J'aimerais vous poser la question suivante, M.
Côté, parce que je traiterai uniquement de la partie du sondage et
même des sondages - au pluriel - s'il y en a eu d'autres. À la
page 6, la dernière phrase de votre document de cet après-midi,
vous nous dites: "Par ailleurs, près de 65% des personnes
interrogées considéraient que les changements envisagés
devraient être réalisés avant les prochaines
élections générales." Est-ce que vous maintenez cette
affirmation ou si vous ne sentez pas le besoin de la qualifier?
M. Côté (Pierre-F.): Je vais vous donner, M. le
député... J'ai ici un texte qui est un résumé du
sondage dont copie, d'ailleurs, avait été distribuée
à un très grand nombre de personnes ou à un très
grand nombre de députés à l'époque. Si vous me le
permettez, je vais vous faire part de certaines données de ce sondage.
Dans le texte auquel vous faisiez allusion tout à l'heure, je ne donne
que deux chiffres.
M. Gratton: M. le Président, si on me le permettait, M.
Côté, j'ai l'intention justement de vous poser un certain nombre
de questions très précises sur divers éléments de
ce sondage. On parle du sondage que la firme Cossette et Associés a
effectué pour le compte de la commission en juillet 1983 et dont les
résultats ont été rendus publics en septembre 1983, mais
là, la question spécifique ou précise que je vous pose
porte sur votre déclaration de cet après-midi, la dernière
phrase de la page 6, où vous affirmez: "Par ailleurs, près de 65%
des personnes interrogées considéraient que les changements
envisagés devraient être réalisés avant les
prochaines élections générales." Et là, pour vous
permettre de répondre à la question précise que je vous
pose, je vous réfère à la page 43 du sondage de Cossette
et Associés où on retrouve la question où effectivement
64% des répondants se sont prononcés. La question était
celle-ci: "Considérez-vous que ces changements au niveau du mode de
scrutin ou du système actuel pour élire des députés
à l'Assemblée nationale devraient avoir lieu avant la prochaine
élection provinciale?" Oui, 64%; non, 22,1%. Donc, ce sont les 65% dont
vous parlez, mais vous dites: "65% des personnes interrogées", alors que
la question a été posée seulement à ceux qui
étaient d'accord avec un changement. Est-ce que ce n'est pas le cas? Je
vous réfère à la page 43 du sondage, question 15a.
M. Côté (Pierre-F.): Oui, je vois bien votre
question, M. Gratton. Je cherche un peu parce que, dans tous ces sondages, vous
savez évidemment qu'il y a une interprétation. Ce que j'essaie de
retrouver, c'est les "totalement" et "assez en accord" et à quelle
proportion - parce que je l'avais dans un autre document - cela se
référait. Le chiffre de 65% - je dis: "près de 65%", c'est
64%...
M. Gratton: Oui.
M. Côté (Pierre-F.): C'est parce qu'il y a ceux qui
n'ont pas répondu, les 13,9%. Donc, c'est pour cette raison que j'ai
dit: "près de 65%".
M. Gratton: M. Côté, on s'entend là-dessus.
Je l'ai dit: Le pourcentage de 64% est bien le pourcentage de 65% dont vous
parlez. Je ne vous chicane pas là-dessus. Je vous demande si ce sont 64%
ou 65%, selon le cas, de l'ensemble des répondants ou seulement 65% de
ceux qui ont dit oui, qui étaient d'accord sur un changement.
M. Côté (Pierre-F.): C'est le point qu'il faut que
je vérifie. Je l'ai quelque part dans ce sondage, mais je ne suis pas
capable de trouver la réponse immédiatement.
M. Gratton: On peut regarder cela ensemble parce que c'est
extrêmement important. Quand vous nous dites très
carrément: "Par ailleurs, près de 65% des personnes
interrogées considéraient que les changements envisagés
devraient être réalisés avant les prochaines
élections générales" et qu'en réalité ce
sont seulement 64% de ceux qui avaient dit: Oui, nous sommes d'accord pour
qu'il y ait un changement... Comme il y avait seulement 51,5% de tous les
répondants qui avaient dit oui - on retrouve cela à la page 33 du
sondage, si je ne m'abuse, à la question 11... Voici la question:
"Êtes-vous très en accord, assez en accord, peu en accord ou pas
en accord du tout à ce qu'il y ait des changements au niveau du mode de
scrutin ou du système actuel pour élire des députés
à l'Assemblée nationale?" Réponse: Très en accord,
15,7%; assez en accord, 35,8%. On additionne les deux et cela fait 51,5%. C'est
une personne sur deux que vous citez à la page 6 de votre texte.
Vous dites: "Une fois informé de l'éventualité
d'une réforme, plus d'une personne sur deux - 51,5% - s'est dite
favorable à un changement." Effectivement, quand on parle du pourcentage
de 65% des personnes interrogées qui sont pour que ces changements
soient faits avant la prochaine élection générale, la
question 15a le dit
clairement: c'est pour les "totalement" et "assez en accord"
seulement.
M. Côté (Pïerre-F.): Je veux vous dire, M.
Gratton, qu'immédiatement à la ligne en dessous de la question
vous avez la réponse. Le nombre de répondants à la
question est de 705; donc, sur 100% des personnes qui ont été
questionnées, 64% de celles-ci se sont prononcées pour un
changement avant les prochaines élections générales.
Pour déterminer ce que signifie le chiffre de 705, il faut vous
référer au sondage à la page 7. Vous allez voir le
résultat de la cueillette des données. Vous avez le nombre de cas
dans les échantillons et le nombre de cas complétés. Le
nombre de cas complétés, ce sont les personnes qui ont
été atteintes de façon complète. Cela va de soi.
C'est ce que dit le mot. Comme dans tout sondage, vous savez qu'il y a des
personnes que l'on veut interroger et qu'on ne peut atteindre pour diverses
raisons. Dans ce cas, si je ne me trompe, il y avait eu trois appels
téléphoniques. Après trois appels
téléphoniques, si cela ne répond pas, dans
l'échantillonnage qu'on avait fait des 1273 personnes, on ne poursuit
pas la démarche.
On a poursuivi la démarche dans le nombre de ce qu'on appelle
dans le sondage "le nombre de cas complétés", soit 705 personnes.
À la question 15a, il y a eu un nombre de 705 personnes qui ont
répondu à cette question, soit 100%. Donc, des personnes qui ont
été interrogées dans l'échantillonnage, il y a 64%
d'entre elles qui ont exprimé l'opinion que ce changement ait lieu avant
la prochaine élection générale.
M. Gratton: Si tel est le cas, à la page 43, pourquoi
mentionne-t-on dans le texte de la question 15a les "totalement" et "assez en
accord"? Est-ce pour rien?
M. Côté (Pierre-F.): Non, il y a une explication
à cela, que je vais retrouver. Évidemment, cela fait un bout de
temps que j'ai vu ce document, mais je vais le retrouver comme j'ai
retrouvé l'autre, je l'espère du moins. Qu'est-ce que signifiait
cette référence aux termes "totalement" ou "assez en accord"?
M. Gratton: M. Côté, sur le plan de la
logique...
M. Côté (Pierre-F.): Il y a eu un regroupement. On
l'explique précédemment, mais je ne suis pas capable de mettre la
main dessus.
M. Gratton: Oui, mais mis à part les technicités
parce que, finalement, un pourcentage n'est pas si compliqué que cela,
sur le plan de la logique, est-ce qu'on peut s'imaginer qu'il y ait seulement
51,5% des gens, à la question 2, qui disent: Oui, on est d'accord qu'il
y ait des changements, mais qu'il y en ait 64% qui diraient:
On ne veut pas de changements, mais on les veut avant
l'élection?
M. Côté (Pierre-F.); Non. Là, c'est l'analyse
de tout le sondage qu'il faut faire et qui a été expliquée
à quelques reprises. La première chose qu'on a apprise par ce
sondage, c'est d'abord que les gens étaient peu familiers avec le
vocabulaire électoral. La deuxième - ceci nous est exprimé
par la maison de sondages - c'est qu'au fur et à mesure que les
questions étaient posées et que les gens réalisaient et
comprenaient mieux de quoi il s'agissait il y a eu une progression dans les
réponses fournies, de telle sorte qu'au moment où on en est
arrivé à la question: Est-ce que vous êtes favorable
à ce qu'il y ait un changement avant les prochaines élections?
64% des gens ont dit oui.
M. Gratton: M. Côté, je voudrais comprendre parce
que si, au départ, vous faites une affirmation à la page 6 qui ne
se vérifie pas dans les chiffres, on va se poser un tas d'autres
questions. Si vous voulez bien, on va essayer d'éclaircir
celle-là et on pourra passer aux autres après.
Dans votre texte de cet après-midi, au dernier paragraphe de la
page 6, vous dites: "Bien que 75% des répondants se soient alors
déclarés assez satisfaits du mode de scrutin actuel, une fois
informés de l'éventualité d'une réforme, plus d'une
personne sur deux..." Quand je regarde à la page 33 du sondage,
réponses à la question 11, une personne sur deux, c'est 51,5%.
Donc, c'est plus d'une personne sur deux - je suis complètement d'accord
- qui s'est dite favorable à un changement. En réalité, il
y en a 25,2% qui se sont dites non favorables à un changement et il y en
a quelque 22% qui n'ont pas répondu, mais peu importe. Il y en a donc
une sur deux qui se dit favorable à un changement au mode de scrutin,
à la façon d'élire les députés.
Vous continuez dans votre texte: "Par ailleurs, près de 65% des
personnes interrogées considéraient que les changements
envisagés devraient être réalisés avant les
prochaines élections générales." Il y a 48,5% des gens qui
ne sont pas favorables à un changement, qui ne sont pas d'accord avec un
changement, mais votre phrase nous dit qu'il y en a parmi ceux-là,
même s'ils ne sont pas d'accord avec un changement, qui veulent que ces
changements se fassent avant la prochaine élection
générale. En toute logique, cela ne tient pas debout. Ce que je
vous demande, c'est simplement de confirmer ce que le texte du sondage dit
à la page 40 - je m'excuse, à la page 43 - du sondage de
Cossette. On y lit, à la question
15a: "Pour les totalement et assez en accord - ce sont les 51,5% qu'on a
retrouvés à la page 33, à la question 11 -
considérez-vous que ces changements au niveau du mode de scrutin, ou du
système actuel pour élire les députés à
l'Assemblée nationale, devraient avoir lieu avant la prochaine
élection provinciale?" Et il y en a 64% qui ont répondu: Oui.
Donc, c'est 64% de 51,5% qui étaient d'accord, ce qui fait - le calcul
est rapide à faire - 33% et non 65% des personnes interrogées,
comme vous l'affirmez à la page 6, qui sont d'accord avec des
changements avant la prochaine élection générale.
Le Président (M. Vaugeois): Est-ce que je peux vous
interrompre, M. Côté? Je pense que la question est assez
pertinente. J'avais soulevé cette question lorsque j'étais
allé vous rencontrer et j'étais resté un peu une patte en
l'air avec cela; je n'ai pas eu de réponse. Il me semble qu'on pourrait
la mettre en suspens et demander à vos gens d'examiner cela comme il
faut.
Dans mon mémoire, je disais ceci: "Selon votre sondage, 82,7% des
gens de la région de Trois-Rivières jugent assez bon ou
très bon l'actuel mode de scrutin, comparativement à 75,4% dans
l'ensemble du Québec. Donc, il y avait plus de gens satisfaits du mode
de scrutin dans notre région que pour la moyenne
québécoise. Bien sûr, rien n'est parfait et 37,3% des gens
de notre région seraient assez ou très en accord pour qu'il y ait
des changements au niveau du mode de scrutin. Même s'ils sont satisfaits,
ils ne répugnent pas aux changements." (17 h 15)
C'était logique. Il faut bien souligner que cette proportion
reste très faible, surtout si on la compare aux résultats obtenus
pour l'ensemble du Québec. La logique est encore là. La moyenne
du Québec était de 51,5%. Il était donc normal, alors
qu'on est au-dessus de la moyenne pour les gens qui sont satisfaits du mode de
scrutin, qu'on soit en bas de la moyenne pour les gens qui demandent un
changement. Tout à coup, on en arrive à un chiffre plus important
de gens qui veulent un changement avant la prochaine élection que ceux
qui veulent un changement un jour. Vous avez une explication qui est
peut-être la bonne. Peut-être que cette question-là venant
à la fin du questionnaire, il y a eu un tel travail d'animation fait par
les personnes qui questionnaient qu'à la fin le monde en était
rendu à vouloir du changement. Cela révélerait d'autre
chose sur le sondage. Je calcule qu'il vaut la peine d'essayer de comprendre un
peu ce qui s'est passé, quitte à ce que vous nous donniez des
éclaircissements là-dessus demain matin.
M. Gratton: J'accepterais volontiers votre suggestion que M.
Côté regarde cela ce soir et qu'il nous donne la réponse
soit ce soir ou demain matin, comme vous le suggérez.
Le Président (M. Vaugeois): On pourrait maintenant passer
à autre chose, M. Gratton, ou à autre chose sur le sondage.
M. Gratton: Oui, sur le sondage toujours, très
rapidement.
Le Président (M. Vaugeois): Êtes-vous d'accord, M.
Côté, pour mettre cette question en suspens et peut-être
que, demain nous...
M. Côté (Pierre-F.): D'autant plus que la question
me semble fort pertinente et que, dans la façon dont M. Gratton la pose,
il y a certainement une apparence de contradiction. Je crois avoir un
début de réponse à la question, mais je
préférerais, à votre suggestion, la compléter pour
pouvoir vous donner une réponse plus satisfaisante.
Le Président (M. Vaugeois): D'accord. On passe à
d'autres éléments.
M. Gratton: Très brièvement, M. le
Président. Pour situer ce fameux sondage, vous l'expliquiez
vous-même cet après-midi, il s'agissait, avant d'aborder la
consultation qui était la partie inédite du mandat de la
commission, c'est-à-dire d'aller consulter la population, dans un
premier temps, d'établir, à votre satisfaction, quel était
le degré d'entendement, de perception ou d'information de la population
et aussi de connaître ses intentions. Le sondage auquel on se
réfère, pour le bénéfice de ceux qui nous
écoutent, a été effectué en juillet 1983 et les
résultats ont été dévoilés en septembre 1983
à l'occasion d'une conférence de presse, si je ne m'abuse.
Vous indiquiez que 75% des répondants se sont
déclarés satisfaits du mode de scrutin. En effet, quand on
regarde à la page 28, la réponse à la question 2, il y a
14,6% des répondants qui ont dit que la méthode actuelle... La
question était: "Considérez-vous que cette méthode assure
une très bonne, assez bonne, mauvaise ou très mauvaise
représentation de l'ensemble des votes des électeurs?" La
réponse: Très bonne, 14,6% des répondants qui ont
répondu. Si je me trompe, M. Côté, vous m'interromprez. La
réponse: Assez bonne, 60,8%. On regroupe les deux et cela nous fait
75,4%, soit trois sur quatre, comme vous l'avez mentionné dans votre
texte.
J'aimerais que vous me confirmiez un fait qui est quand même assez
important. On ne doit pas en déduire que les autres 25%,
c'est-à-dire la différence entre 100% et
75,4%, donc qu'une personne sur quatre était très
insatisfaite parce que, en réalité, c'est seulement 16,1% des
répondants qui ont répondu: Mauvaise ou très mauvaise
à la question. C'est exact?
M. Côté (Pierre-F.): C'est juste, 8,5% ne se sont
pas prononcés.
M. Gratton: Donc, on part de la donnée que 75,4% des gens,
au moment du sondage, étaient satisfaits de la façon
d'élire les représentants à l'Assemblée nationale
et que seulement 16,1% n'étaient pas satisfaits. C'est exact?
M. Côté (Pierre-F.): Oui.
M. Gratton: Bon. Deuxième donnée. On retrouve cela
à la page 33 des résultats du sondage. La question 11 se lisait
comme suit: "Êtes-vous très en accord, assez en accord, peu en
accord ou pas en accord du tout à ce qu'il y ait des changements au
niveau du mode de scrutin ou du système actuel pour élire des
députés à l'Assemblée nationale?" Il faut faire
bien attention là, vous le dites d'ailleurs vous-même dans votre
texte lorsque vous dites: "Une fois informé de
l'éventualité d'une réforme..." Évidemment, quand
on posait la deuxième question et qu'on demandait: "Êtes-vous
satisfaits?" et que 75% des gens répondaient: Oui, je suis satisfait...
on peut se demander comment il peut y en avoir ensuite 51% qui disent: Oui, on
est pour un changement. C'est justement parce que les sondeurs, ayant
informé les personnes qui sont questionnées du fait qu'il
pourrait y avoir des changements, leur ont demandé ensuite:
"Êtes-vous très en accord, assez en accord, peu en accord, etc."
Sachant qu'il pourrait y avoir des changements... Je vous demande de me suivre,
à la page 33: Très en accord: 15,7%; Assez en accord: 35,8%;
Quand on additionne les deux, cela fait 51,5%, ce qui vous faisait affirmer
très correctement, à la page 6, qu'il y avait une personne sur
deux qui se disait assez en accord avec des changements. Je voudrais qu'on
revienne à ceux qui n'étaient pas d'accord du tout, 7,9%, et
à ceux qui étaient peu en accord, 17,3%; ce qui fait un total de
25,2% qui n'étaient pas d'accord qu'il y ait des changements. On
s'entend là-dessus, M. Côté.
M. Côté (Pierre-F.): Oui, mais il y a une
observation que j'ai hâte de vous faire quand même.
M. Gratton: Oui, allez-y.
M. Côté (Pierre-F.): Si vous me le permettez. On
peut procéder de la façon que vous faites pour étudier le
sondage en prenant, à chacune des pages, les pourcentages qui y sont
rapportés. Je peux vous confirmer effectivement que votre lecture des
pages est bonne. Ce que je connais de la méthode des sondages: ceux-ci
sont complétés - on le voit constamment dans tous les sondages -
par l'analyse qu'en fait la firme qui a fait les sondages. Or, cette analyse
apparaît au tout début - vous y faites certainement
référence à l'occasion - du document qui vous a
été remis, qui pondère évidemment. Car il faut
toujours se méfier, à mon avis, de toutes les statistiques, de
celle-là en particulier. Il paraît que c'est une certaine forme de
mensonge, mais on n'a jamais pu le prouver. Je pense qu'il faut quand
même tenir compte de l'analyse que la firme elle-même a faite. Une
question doit être analysée, si je comprends bien, comme on
procède pour un sondage - ce n'est pas ma spécialité - en
relation avec une autre question.
M. Gratton: M. Côté, je suis tout à fait
d'accord avec vous. Je vous dirai très respectueusement que mon analyse
du sondage est effectivement différente de celle de Cossette et
Associés, parce que Cossette et Associés avait un mandat de la
commission. Avant d'être député - cela peut vous surprendre
- j'étais ingénieur-conseil et, parfois, j'étais
engagé à titre d'ingénieur-conseil pour prouver le point
de vue de mon client, et je trouvais toujours le moyen de le faire.
Cela dit, M. le Président, je terminerai simplement en disant
que...
M. Côté (Pierre-F.): Je m'excuse, M. le
député, mais je dois tout de suite vous dire que, quand on a
donné ce mandat à la firme Cossette et Associés, on
n'avait rien à prouver. On lui a simplement demandé de nous
indiquer - on pourrait faire référence au mandat même qu'on
lui a donné - quelle était la perception des électeurs sur
cette question afin de pouvoir nous éclairer dans la démarche que
nous entreprenions. Nous n'avions rien à prouver ni à faire
prouver à ce moment-là. J'espère que j'ai mal compris ce
que vous avez dit tout à l'heure, à savoir que nous avons voulu
biaiser de quelque façon le...
M. Gratton: Non, vous m'avez très bien compris, M.
Côté. Il n'y a pas de méprise de mon côté.
M. Côté (Pierre-F.): Alors, je vous réponds
catégoriquement que ce n'est pas le cas.
M. Gratton: Parfait. M. le Président, je termine en disant
simplement, en attendant la réponse que nous apportera M.
Côté, ce soir ou demain matin, à la question que je lui
posais sur l'affirmation qui, quant à moi,
est erronée, à la page 6 de son document... Et vous
semblez partager des appréhensions là-dessus, mes
appréhensions là-dessus...
Le Président (M. Vaugeois): Non, M. le
député. Ne me faites pas dire autre chose que...
M. Gratton: Je retire mes paroles, M. le Président, mais
j'affirme qu'il me semble qu'il y a quelque chose qui cloche. J'aimerais, dans
un dernier temps, demander ce qui suit à M. Côté. D'abord,
à la page 10 de son texte, au milieu de la page, sous le titre: "Les
travaux de la Commission de la représentation électorale", il
affirme que l'analyse de la consultation a incité la commission à
rejeter le mode actuel et à proposer une réforme.
Évidemment, je ne dois pas me tromper, j'imagine, en affirmant que ce
n'est pas à partir des données du sondage de Cossette et
Associés que vous avez tiré cette conclusion.
M. Côté (Pierre-F.): Je dois vous rappeler, M.
Gratton, qu'il semble y avoir une confusion assez grande dans ce que vous
comprenez du sondage. Le sondage a été effectué quelques
semaines après que nous avons reçu le mandat de
l'Assemblée nationale d'effectuer des travaux et de consulter la
population sur le mode de scrutin. Pour aborder cette question et comme les
délais étaient très courts, nous avons demandé
à cette firme, à une firme -c'est celle-ci; cela aurait pu
être une autre, n'importe laquelle - de nous fournir des
éléments qui pourraient nous aider dans notre démarche.
Les résultats de ce sondage -d'ailleurs, nous y faisons
référence dans notre rapport comme étant un instrument de
travail et non pas un point d'appui - ne sont pas des éléments
primordiaux qui sont entrés en ligne de compte dans la recommandation
que nous avons soumise dans notre rapport.
Dans notre rapport, ce qui est primordial, ce qui est le plus important,
ce qui, je dirais, est le véritable sondage ou un sondage d'une tout
autre nature, cela a été la tournée du Québec que
nous avons faite; cela a été la consultation que nous avons faite
auprès des gens. On peut appeler cela un sondage, si vous voulez; c'est
une autre forme de sondage, mais c'est surtout - pour nous c'est le sens
fondamental de nos démarches - à partir de ce que nous avons
compris de l'analyse des exposés qu'on nous a faits devant la commission
que la commission a pris sa décision, a orienté sa
réflexion et a soumis sa recommandation.
M. Gratton: M. Côté, est-ce que je dois comprendre
de vos paroles que le résultat du sondage comme tel ne vous a
influencé en aucune façon? En d'autres mots, ce n'est pas
à partir des constatations ou des données du sondage que vous
avez conclu qu'on devait rejeter le mode actuel de scrutin et proposer celui
que vous avez proposé.
M. Côté (Pierre-F.): Ma réponse est non,
surtout si vous maintenez votre affirmation voulant qu'au départ nous
ayons biaisé le sondage.
M. Gratton: Non. Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Côté (Pierre-F.): Alors, je vous ai mal compris
tout à l'heure.
M. Gratton: J'ai dit que la firme Cossette et Associés a
peut-être deviné vos intentions.
M. Côté (Pierre-F.): Il serait intéressant
de...
M. Gratton: Cela arrive.
M. Côté (Pîerre-F.): Il serait
intéressant de leur poser la question, mais je ne vous cache pas que
cela...
M. Gratton: Bien, on peut peut-être le demander. On songera
à les inviter à venir témoigner en commission.
M. Côté (Pierre-F.): Vous me prêtez des
intentions.
M. Gratton: Une dernière question, M. le
Président.
Le Président (M. Vaugeois): Si je comprends bien, vous
allez devenir membre à temps plein de notre commission, M. le
député de Gatineau.
M. Gratton: Je laisserai cela à nos
vice-présidents.
Le Président (M. Vaugeois): C'est sympathique de voir
votre intérêt pour les institutions, vous savez.
M. Gratton: M. le Président, une dernière question.
Aux pages 14 et 15, M. Côté, à la toute fin, vous dites et
je cite: "L'aspect le plus important et le plus original du mandat
confié à la commission reposait sur la consultation de l'ensemble
de la population québécoise, opération, je viens d'en
parler, qui s'est avérée un succès et qui a soulevé
beaucoup d'intérêt. Nous nous devions d'en tenir compte." Je
partage votre point de vue.
M. Côté (Pierre-F.): C'est le rapport ou le texte de
tout à l'heure?
M. Gratton: Votre texte de cet après-
midi.
M. Côté (Pierre-F.): Vous dites à la page
14?
M. Gratton: La dernière phrase au bas de la page 14. Je
répète: "L'aspect le plus important et le plus original du mandat
confié à la commission reposait sur la consultation de l'ensemble
de la population québécoise, opération, je viens d'en
parler, qui s'est avérée un succès et qui a soulevé
beaucoup d'intérêt. Nous nous devions d'en tenir compte." Vous
affirmez donc, et je ne le conteste pas, qu'il y a eu beaucoup
d'intérêt de la population autour de la tournée de
consultation, la publication d'annonces dans les journaux, bref, tout le
travail de diffusion que la commission a fait pendant son étude.
Ce que je voudrais savoir, c'est ceci. Ayant commencé
l'opération par un sondage pour vous informer du pouls de la population
avant de commencer vos travaux, en avez-vous commandé d'autres, soit
durant vos travaux, soit après vos travaux, soit depuis la fin de vos
travaux et jusqu'à maintenant, pour essayer de mesurer, de quantifier
l'intérêt de la population dont vous parlez dans votre texte?
M. Côté (Pierre-F.): Je suis content que vous me
posiez cette question parce que nous aurions bien aimé pouvoir le faire.
Je pense que cela aurait été une bonne chose que nous ayons pu
faire d'autres sondages et, en particulier, peut-être avant de conclure
notre rapport de façon définitive. La raison pour laquelle nous
ne l'avons pas fait est très simple, c'est qu'un sondage est assez
coûteux.
Lorsque nous avons entrepris nos travaux, nous avions établi un
projet des prévisions budgétaires que j'ai soumis - je le
révèle pour la première fois, mais je pense que je dois le
dire - à M. le premier ministre et à M. le chef de l'Opposition.
Tous les deux, nous avons procédé, je dirais à trois, l'un
et l'autre et les deux avec moi, à des échanges sur les
prévisions budgétaires que nous envisagions. D'un commun accord,
nous en sommes arrivés à la nécessité, étant
donné la période que l'on traversait, d'essayer de réviser
notre mandat en ayant des coûts les plus bas possible. Ainsi, nous avons
atteint nos objectifs de réaliser notre mandat en ne dépassant
pas excessivement nos prévisions. Nous les avons dépassées
parce qu'il y a eu un plus grand nombre de jours d'audience, mais, si nous
avions voulu faire un sondage ou deux autres sondages, cela aurait
été vraiment au-delà des engagements que j'avais pris
à l'égard et du premier ministre et du chef de l'Opposition.
M. Gratton: Donc, il n'y a pas eu de sondage scientifique fait
à la demande de la commission à part celui dont on a
parlé.
M. Côté (Pierre-F.): Pas par la commission. (17 h
30)
M. Gratton: Pourriez-vous, M. Côté -vous avez
vous-même parlé des montants du budget que vous aviez
originalement prévu et de celui que vous avez finalement obtenu avec le
consentement de tous les partis -nous parler des montants? Ce sera ma
dernière question.
M. Côté, pour que quelqu'un d'autre puisse poser une
question, vous pourriez peut-être nous fournir la réponse au
début des travaux ce soir. Ce qu'on voudrait, c'est la somme... Vous
l'avez?
M. Côté (Pîerre-F.): Oui. M. Gratton:
Oui, d'accord.
M. Côté (Pierre-F.): Originalement, les montants que
nous envisagions, disons, pour être plus court, étaient le double
de ceux dont je vais vous parler. Dans le budget original, nous avions
envisagé un montant de 450 000 $: les documents d'information,
dépliants et vidéos, publicité, relations publiques pour
300 000 $, 65 000 $ pour la tenue des audiences, les déplacements, les
couchers, les repas, etc., 85 000 $ pour l'enregistrement et la transcription
des audiences et la publication du rapport. Nous avons par la suite
révisé à la hausse ce budget parce que, incidemment, ce
qui avait été convenu, dans ce que je vous ai fait part tout
à l'heure, entre le premier ministre et le chef de l'Opposition, c'est
qu'ils étaient d'accord pour un budget d'environ 500 000 $. Nous avons
augmenté ce budget, réajusté ce budget à 475 000 $,
le poste de documentation étant plus élevé que
prévu.
Effectivement, qu'est-ce que nous avons dépensé?
Évidemment, ces prévisions budgétaires étaient
basées sur le fait que nous tenions treize jours d'audiences. Or, comme
vous le savez, nous en avons tenu 19. Alors, il y a des écarts.
Évidemment, nous avons dépensé plus que les chiffres que
je viens de vous donner. Ce que j'ai appelé le budget autorisé,
dans notre langage - il n'y avait pas d'autorisation formelle, mais pour nous
c'était le budget sur lequel on devait se baser - il était de 475
000 $. Cela a coûté 528 966,15 $, ce qui faisait un
excédent de 53 966,15 $, mais, si on reporte ce budget qui était
prévu pour treize réunions, si on le répartit sur 19
réunions, le budget autorisé -selon le langage que j'emploie -
aurait dû être, toutes proportions gardées, si on avait fait
les mêmes dépenses, le même ordre de dépenses, de 544
260 $. Comme je vous l'ai mentionné, le budget qui a été
effectivement dépensé était de 528 966,15 $, ce qui
fait
qu'on a dépensé 15 293 $ en moins que ce qu'on aurait
été appelé à dépenser à cause des six
réunions supplémentaires.
M. Gratton: En résumé, vous avez obtenu un budget
d'environ 475 000 $...
M. Côté (Pierre-F.): Non, non. D'abord, je m'excuse
de vous reprendre. Je veux être bien précis. Il n'y a pas
d'obtention de budget. Vous savez que je n'ai pas à le faire approuver.
Ce qui était mon objectif, c'était...
Une voix: Un consensus.
M. Côté (Pierre-F.): ...Oui, c'était un
consensus. En somme, le suivant: Nous avions un mandat qui a été
déterminé à la toute fin de la session de
l'Assemblée nationale, mandat qui, évidemment... On avait des
délais très courts. Nous devions remettre le rapport à la
fin du mois d'avril. Nous n'avons demandé qu'une prolongation d'un mois.
À cause de la courte période de temps dont nous disposions, du
très large mandat et de l'énorme travail que cela comportait,
nous nous sommes dit: II faut absolument prendre les moyens d'abord pour
informer la population. C'est dans ce secteur qu'on a envisagé des
sommes assez considérables. Avant de m'engager et de me faire dire par
la suite, comme une autre commission itinérante récemment au pays
qui a dépensé 11 000 000 $ et n'a rien soumis, de me faire
reprocher de dépenser trop d'argent sans considération, j'ai donc
rencontré le premier ministre et le chef de l'Opposition. L'ordre de
grandeur qui a été agréé - j'ai à cette fin
une lettre dans mes dossiers - était de 500 000 $. Or, nous avons
dépassé cet ordre de grandeur d'environ 25 000 $, ce que je ne
considère pas exagéré dans les circonstances.
Le Président (M. Vaugeois): Je vous remercie, M.
Côté. Dans l'ordre de ceux qui m'ont demandé la parole, il
y a le ministre.
M. Duhaime: M. le Président, je voudrais peut-être
pour ma part, avant d'entrer dans la méthodologie comme telle, si vous
me permettez, dire un mot au sujet de l'intervention du député de
Charlesbourg, tout à l'heure. J'ai son texte ici en main. J'avoue que,
lorsque je l'ai écouté, cela m'a frappé et, en le
relisant, cela me frappe davantage. À la page 23, on a fait beaucoup
d'honneur à M. Michel Debré. J'imagine que, pour la petite
histoire, il n'a jamais été député de la
région parisienne, mais il se faisait élire dans l'île de
la Réunion...
M. Côté (Charlesbourg): C'est un fait. M.
Duhaime: ...à plusieurs milliers de kilomètres de Paris.
M. Côté (Charlesbourg): Oui.
M. Duhaime: Vous dites, à la page 23... Je pense que, pour
la bonne compréhension, je vais lire le dernier paragraphe. "Un mode de
scrutin équitable: la proportionnelle: c'est-à-dire qui rende
justice à la démocratie, qui soit en somme le miroir le plus
fidèle du choix des électeurs." J'imagine qu'à la suite,
ce sont vos propres paroles, M. le député de Charlesbourg. "On
utilise souvent cet argument d'une plus grande justice alléguant que la
représentation des diverses tendances et courants idéologiques
seront ainsi le fruit d'une plus grande démocratie. À ce sujet je
cite encore Michel Debré qui dit: "Derrière l'apparence de
justice de la proportionnelle, il y a une réalité: ce sont les
partis qui ont quasiment le monopole de la présentation des candidats et
parce qu'ils ont ce monopole sur les candidats, ils ont autorité sur les
élus."
Je voudrais porter cela à l'attention de la commission, parce que
cet argument me paraît tout à fait réversible. Je pense que
quelque Assemblée nationale dans n'importe quel régime
démocratique aurait énormément d'hésitation; je
serais, au départ, absolument contre le fait qu'un Parlement élu,
utilisant sa majorité parlementaire, s'immisce dans la vie
intérieure des partis. Ce que vous faites dire ici à Michel
Debré semble indiquer que c'est parce qu'il s'agit d'un système
proportionnel "que ce sont les partis qui ont quasiment le monopole de la
présentation des candidats". Je voudrais simplement rappeler au
député de Charlesbourg que, dans le système actuel, notre
mode de scrutin, c'est aussi un fait, selon l'intensité de la
démocratie qu'on veut vivre dans nos formations politiques, le monopole
de la présentation des candidats appartient dans certains cas
exclusivement à un chef. Par exemple, à l'époque de
l'Union Nationale, le député de Trois-Rivières nommait les
candidats, ils les désignait. Il n'y avait pas de convention. Durant les
années soixante, lorsque M. Lesage faisait sa campagne
électorale, un de ses premiers engagements a été de dire:
Les candidats de mon parti seront choisis librement par des conventions. Cela a
été le cas de notre formation politique et cela a
été le cas de la vôtre également pendant très
longtemps.
Or, ce qui m'inquiète un peu, M. le Président - je vous
dis cela pour vous faire une mise en garde, M. le député de
Charlesbourg, parce que le mode de scrutin actuel ou tout autre mode de scrutin
ne peut pas garantir quelque démocratie dans une formation politique;
c'est ce que les membres d'une formation politique, leurs dirigeants et leur
chef veulent; cela se traduit dans la vie d'un parti politique - et cela se
concilie mal avec votre texte, alors
qu'il semblerait que nous aurons une élection partielle dans le
comté de Saint-Jacques prochainement, j'imagine - la date n'a pas encore
été annoncée - sauf erreur, il n'y a pas eu de convention
ou, du moins, il y a eu une mise en nomination, mais un des candidats
pressentis s'est fait opposer le droit de veto par M. Bourassa.
Une voix: C'est imposé par en haut. Une voix:Cela fait deux fois de suite.
M. Duhaime: Cela m'agace un peu. J'aimerais avoir votre
réaction. Que l'on soit dans un système à la
proportionnelle, qu'on soit dans un système mixte, qu'on soit dans un
système uninominal ou peu importe, si les règlements, les statuts
et la constitution d'une formation permettent au chef de désigner
d'office les candidats, vous aurez beau inventer le mode de scrutin que vous
voudrez, vous allez toujours vous retrouver avec le monopole de la
présentation des candidats entre les mains d'un parti. C'était la
première remarque que je voulais faire.
La deuxième - je vais profiter de la présence de notre
collègue, le député de Sainte-Marie, qui, bien sûr,
est de nature et de par ses fonctions un député de
réconciliation, en quelque sorte... Ce qu'il nous propose, c'est
très généreux comme formule; c'est de dire: Tentons de
voir s'il n'y aurait pas une entente possible sur quelques volets ou quelques
paramètres que ce soit et, les deux formations politiques tombant
d'accord, faisons quelque chose. Je vous avoue que sur cette perspective je
n'ai pas d'hésitation à aller voir plus loin, mais ce qui m'agace
un peu dans les propos du député de Sainte-Marie - et je voudrais
éclaircir cela - c'est qu'il nous met sur la table le scénario
suivant: Votons une réforme maintenant, mais elle sera applicable non
pas à la prochaine, mais à l'autre élection
générale. J'avoue que cela m'agace pas mal. J'aime autant le dire
comme je le pense. Cela consisterait à faire une opération des
deux côtés de l'Assemblée nationale ou, majoritairement,
à voter une réforme du mode de scrutin et à dire: Puisque
nous ne croyons pas que ce soit vraiment utile pour nous qui sommes
actuellement membres de l'Assemblée nationale, sautons un tour et ceux
qui viendront après nous s'arrangeront avec cette réforme.
À partir du moment où une Assemblée nationale, lorsque
élue, est souveraine, je ne voudrais pas qu'on perde notre temps. Si on
retenait ce scénario, la majorité qui viendrait du prochain
scrutin général pourrait tout aussi bien dire: Nous ne sommes pas
d'accord avec cela, voter une loi et renvoyer cela aux calendes grecques.
Ce que je veux dire par là, c'est qu'il ne faut pas se laisser
prendre au piège de ce que j'appellerais la psychose électorale
qu'élaborait éloquemment tout à l'heure le
député de Charlesbourg. Il nous dit: Nous sommes en
période électorale. Moi, je m'excuse, mais je voudrais simplement
vous rappeler que nous ne sommes pas en période électorale et que
notre gouvernement, le Parlement actuel, a été élu lors
d'élections générales au printemps 1981. Si l'Opposition
veut imposer sa propre tradition de mandats de trois ans, je lui
répondrai ceci: Si un chef de parti et un premier ministre, avec 102
sièges sur 108 au mode de scrutin que nous connaissons, ne peut pas
faire plus de trois ans, sommes-nous obligés d'aller dans les
mêmes sentiers?
Il n'y a pas de feu d'artifice dans les discussions que nous avons. Nous
proposons essentiellement ceci et, comme dans les premières remarques
que je faisais tout à l'heure, j'essaie de voir à cette
étape-ci de nos travaux si, de part et d'autre, et indépendamment
de ce que contient le rapport Côté, c'est toujours vrai que, des
deux côtés de l'Assemblée nationale, il y a une
volonté politique affirmée et réaffirmée, pour ne
pas dire martelée, quant à ces deux choses: D'abord, que nous
avions un mode de scrutin qui créait des distorsions telles que nous
voulions les corriger. Cela a toujours été clair pour tout le
monde et je pense qu'il ne faut pas céder à la tentation de dire:
Maintenant, il ne reste pas suffisamment de temps. S'il ne reste pas
suffisamment de temps pour envisager une réforme comme celle-ci, il ne
reste de temps pour rien. Du côté de l'Opposition, les sondages de
la fin de semaine sont révélateurs. Votre chef perd un point par
mois. Alors, on serait tenté de dire: Si cela continue comme cela, dans
un an, il en aura perdu 23. Si on veut...
Une voix: Formez votre cabinet des ministres...
M. Duhaime: ...ne pas jouer à la blague avec un dossier
comme celui-là... Les gouvernements libéraux que nous avons eus
dans la décennie 1970 n'ont jamais pu faire mieux que des mandats de
trois ans avec ce que je qualifierais des majorités
époustouflantes, principalement, de 1973 à 1976. Mais la question
de fond que l'on doit se poser ici est à savoir quand ce sera le temps
de modifier le mode de scrutin. On pourrait dire qu'il sera toujours trop
tôt ou bien qu'il sera toujours trop tard. (17 h 45)
Le député de Charlesbourg, tantôt, nous a fait un
très savant topo sur l'économie. Je serais tenté de lui
donner la réplique là-dessus, mais je ne le ferai pas ici. On va
se rencontrer les 16 17, 18 octobre, etc. L'Assemblée nationale va
reprendre ses travaux. J'imagine que. vous allez déposer une motion de
blâme où on aura l'occasion
de débattre le dossier économique. Mais, comme
parlementaires, si on examine ce qu'il y a sur nos tables de travail en termes
de lois, il faut nécessairement qu'on fasse des choix. Il est
évident qu'en début de mandat un gouvernement peut dire: Bon,
nous allons nous attaquer à la réforme du scrutin. J'ai
écouté votre chef très attentivement, M. Bourassa. Il a
dit qu'il serait immoral de faire cela maintenant. Mais la question que je pose
est de savoir à quel moment ce serait moral puisque les élections
ont eu lieu en avril 1970 et, dès septembre 1970, vous étiez
à pied d'oeuvre. De deux choses l'une: Ou bien il est toujours trop
tôt ou bien il est toujours trop tard. Lorsque nous n'avons pas la
volonté politique de régler un problème, on a toujours des
bons prétextes.
Sans m'engager plus loin dans cette direction, je pense que de tenter
d'éviter le débat de fond en plaidant que le calendrier
parlementaire est maintenant trop court, c'est une ignorance complète de
la façon que nous pouvons travailler. J'ai évoqué
tantôt que, sur un dossier aussi important, un mandat qui consistait
à dire au Directeur général des élections qu'il va
y avoir une commission - ce sont des députés qui l'ont
mentionné tout à l'heure, je pense même que c'est le
président M. Vaugeois - en quelques minutes les parlementaires des deux
côtés de l'Assemblée nationale se sont mis d'accord pour
dire au Directeur général des élections: Voici votre
mandat. Allez dans la population rechercher ce qui vous paraîtrait une
volonté quelconque. Et, dans un deuxième temps,
l'Assemblée nationale, à l'unanimité, permettait au
Directeur général des élections de revenir nous faire des
recommandations.
C'est donc dire - je vais m'arrêter ici - que, s'il y a une
volonté réelle de corriger ce que, des deux côtés de
l'Assemblée nationale, nous constatons comme étant des
distorsions graves à notre démocratie parlementaire, je ne vois
pas pourquoi on commencerait dans des chinoiseries de délais. Que cela
prenne un mois, deux mois pour adopter une loi comme celle-là à
l'Assemblée nationale, ensuite en commission parlementaire, il s'agirait
plutôt de voir dans quel délai mécanique utile le Directeur
général des élections, tout en maintenant le mode de
scrutin actuel en vigueur tant et aussi longtemps qu'il n'est pas
changé, bien sûr, pourrait procéder à une
réforme du mode de scrutin qui pourrait être
"opérationnalisée". Si on ne se braque pas sur ces espèces
d'échéances, on va être capable d'avancer sur le fond et
essayer de voir s'il n'y aurait pas moyen de faire en sorte que le mode de
scrutin actuel soit corrigé, modifié, changé,
amendé, transformé, de façon à maintenir notre
premier objectif qui est de faire en sorte que, lorsque les électeurs et
les électrices du Québec votent, leur vote se traduise le plus
fidèlement possible à l'intérieur de l'Assemblée
nationale.
Là-dessus, je rejoins parfaitement la distinction qui avait
été faite: Est-ce que les électeurs et les
électrices votent pour élire un Parlement ou pour élire un
gouvernement? On vit dans un système où la ligne de
démarcation entre les deux n'est pas toujours facile à trancher.
Quand on se promène d'un pays à l'autre, on constate que nous
vivons ici dans un régime fédéral de monarchie
constitutionnelle, avec la reine d'Angleterre qui est reine du Canada. Je vous
avoue que, pour un républicain comme moi, c'est dur à prendre.
Mais dans les pays où il y a le suffrage universel, dans les
républiques, par exemple, on ne parle pas d'instabilité
gouvernementale.
M. Bisaillon: Pourquoi?
M. Duhaime: Pourquoi? La réponse est donnée
à l'interrogation du député de Sainte-Marie: Les
électeurs votent d'abord pour le chef de l'Exécutif,
c'est-à-dire le chef du gouvernement. Ils votent également pour
composer l'Assemblée nationale. C'est notamment le cas en France. Je me
dis qu'il y a très certainement quelque chose qu'on peut faire. Je
retiendrais à la volée la proposition du député de
Sainte-Marie: Essayons de voir si, de part et d'autre, nous pouvons être
cohérents avec nos propres discours et avec nos propres affirmations et
de voir si on est en mesure d'établir un cheminement quelconque à
ce dossier plutôt que de dire qu'on pense qu'il est trop tard et qu'on ne
veut rien savoir de personne.
Le Président (M. Vaugeois): Merci, M. le ministre. Vous
êtes fantastique! Vous avez respecté le délai de dix
minutes. Le député de Sainte-Marie a demandé la parole. Je
pense que ce sera la dernière intervention avant 18 heures.
J'espère que cela va porter un peu sur la méthodologie.
M. Bisaillon: Non, M. le Président, mais cela va
être très bref, cependant. Je voudrais corriger certains des
propos que j'ai tenus tantôt...
Le Président (M. Vaugeois): Ah!
M. Bisaillon: ...puisque j'ai pu induire en erreur, par mes
propos, les membres de cette commission, de même que la population qui
nous écoutait. J'ai mentionné que le Parti libéral avait
déjà reconnu la nécessité d'un changement lorsqu'il
mettait de l'avant de nouvelles formules et j'ai mentionné en
particulier le mode de scrutin à deux tours. J'ai attribué la
paternité de cette solution au chef du Parti libéral, ce en quoi
je faisais une erreur. C'est plutôt un rapport d'un comité interne
du Parti libéral qui
proposait cela en avril 1983 ou 1984. M. Bourassa, lui, s'est
contenté tout simplement de souligner que le système de scrutin
à deux tours ne s'appliquait que lorsqu'il y avait plusieurs partis dans
une situation multipartiste, que nous ne vivons pas. Comme j'avais
accordé la paternité de cette déclaration à M.
Bourassa, je voudrais retirer ce que j'ai dit, tout en soulignant cependant que
cela me donne raison jusqu'à un certain point. Les débats
à l'intérieur du Parti libéral allaient dans le sens d'un
changement, peu importe la forme de ce changement.
Le Président (M. Vaugeois): Bon. Est-ce que vous
préférez que nous suspendions les travaux maintenant et que nous
les reprenions à 20 heures ce soir? D'accord.
Une voix: C'est une bonne idée. (Suspension de la
séance à 17 h 48)
(Reprise de la séance à 20 h 10)
Le Président (M. Rivest): La commission reprend ses
travaux à l'instant. Je rappelle le mandat de la commission aux membres
de ladite commission. Il s'agit de procéder à une consultation
particulière pour étudier le rapport et les recommandations de la
Commission de la représentation électorale sur la réforme
du mode de scrutin. Ce rapport a été déposé
à l'Assemblée nationale le 28 mars 1984. Selon l'ordre des
travaux de la commission on est encore au chapitre préliminaire au titre
de la méthodologie utilisée pour la réalisation du mandat
de la commission.
Je pense que lors de la suspension de nos travaux, la parole
était au député de Charlevoix. On m'indique que la
présidence a également reçu des demandes d'autres
collègues: entre autres, le député de Gouin a
demandé la parole, le député de
Rouyn-Noranda-Témiscamingue, le député de
Louis-Hébert et le député de Westmount. Est-ce qu'il y en
a d'autres pour l'instant? Non, cela va?
M. de Bellefeuille: Vous voulez dire, M. le Président,
sur...
Le Président (M. Rivest): La méthode.
M. de Bellefeuille: ...le chapitre premier?
Le Président (M. Rivest): C'est cela. Voulez-vous vous
inscrire, M. le député de Deux-Montagnes?
M. de Bellefeuille: De la façon dont nos débats se
sont déroulés, la chose habile à faire serait
peut-être de m'inscrire sans respecter l'ordre des chapitres.
Le Président (M. Rivest): La présidence ne peut
juger de votre habileté. Elle ne peut que recevoir votre
inscription.
M. de Bellefeuille: Je préférerais attendre le
chapitre deuxième.
Le Président (M. Rivest): Très bien. La parole est
donc au député de Charlevoix, ensuite le député de
Gouin, le député de Louis-Hébert, le député
de Rouyn-Noranda-Témiscamingue et le député de
Westmount.
M. Mailloux: M. le Président, dans ma brève
intervention je voudrais revenir sur la tournée de consultation qu'a
faite la Commission de la réforme électorale.
Tantôt, en terminant son intervention, le ministre de
l'Énergie disait qu'à la suite de la résolution
votée unanimement par la Chambre, la commission se devait de parcourir
la province et d'aller chercher une majorité dans un sens ou dans
l'autre quant à la réforme du mode de scrutin. Je crois que la
commission a rempli son rôle et son mandat si on en juge par l'effort
qu'elle a déployé pour inviter chacun à se prononcer.
Quand on fait la nomenclature des gestes qu'a posés la commission
pour inviter les gens à venir témoigner, on lit dans les
documents que 500 000 brochures ont été envoyées dans 2500
endroits du Québec; 7000 lettres d'invitation furent envoyées
également invitant les gens et les organismes à venir
témoigner. On sait que les grands médias comme les médias
en province ont été largement mis à contribution. Les
éditorialistes ont été invités à traiter du
sujet. On nous dit que 114 entrevues ont été données avant
et après les interventions partout en province.
Hors de la volonté de la commission, on doit également se
rappeler que fut jeté, je dirais, dans les jambes de la commission en
date du 10 août, quelques jours avant que celle-ci n'entreprenne sa
tournée provinciale, un document provenant du ministre responsable de la
réforme électorale, le député de Chicoutimi, qui
soumettait à la province la proportionnelle régionale qui devait,
semble-t-il, être la réflexion du ministre responsable de la
réforme électorale à ce moment-là et dont on dit
dans certains documents - on me corrigera si je fais erreur - que c'est
également la position gouvernementale, bien que je n'aie pas vu beaucoup
de personnes du Conseil des ministres l'appuyer. Mais, dans un document que je
pourrais retracer, on dit que c'est la position gouvernementale. Je dis donc
que cette brochure fut envoyée dans les pattes de la commission quelques
jours avant qu'elle commence ses interventions partout en province et je pense
qu'il n'y a aucun doute
que le ministre responsable de la réforme électorale a
certainement dû inviter les partisans du Parti québécois un
peu partout au Québec à aller défendre la proposition qui
émanait de son bureau.
M. le Président, ce n'est d'aucune façon mon intention de
mettre en doute la valeur des interventions de ceux qui sont allés
devant la commission. Il y a, à ce titre, diverses interventions
remarquables. Je vois le député de Deux-Montagnes; je me rappelle
son intervention. C'est mon intention, dans les jours qui vont suivre, de
revenir sur l'intervention tout à fait remarquable du président
de cette commission, le député de Trois-Rivières, et je
sais qu'un député comme celui de Sainte-Marie, qui a des raisons
d'invoquer un mode de scrutin autre que celui que nous connaissons, a fait une
intervention qui va également dans ce sens-là.
Je sais également, M. le Président, que des gens qui sont
habilités en la matière, qu'ils soient politicologues ou
professeurs de toutes sortes, sont également allés devant la
commission. Malgré tout le respect que j'ai pour les intervenants et
pour la commission, comment la Commission de la représentation
électorale peut-elle affirmer, à la page 10 de son mémoire
du 9 octobre qui nous a été remis ce matin, ce qui suit? Je cite:
"L'analyse de la consultation a incité la commission à rejeter le
mode actuel et à proposer une réforme."
Comment peut-on raisonnablement prétendre, M. le
Président, qu'une majorité des citoyens du Québec, par la
bouche de ceux qui se sont présentés ou qui ont envoyé des
mémoires, que des 3 500 000 électeurs du Québec, une
majorité se serait dégagée, aurait invité la
commission à prétendre que 57% ou 58% s'étaient
prononcés favorablement pour les électeurs
québécois?
Quand on regarde qui a été devant la commission, on
constate qu'il y a dix organismes importants qui se sont fait entendre. Bien
sûr, il y a 70 mouvements locaux dans les régions qui se sont fait
entendre dont on retrace les noms et l'appellation souventefois d'une
région à l'autre. Il y a également 82 citoyens, comprenant
17 professeurs ou politicologues, 7 maires, 1 curé
ex-député, 7 étudiants, 12 porte-parole du PQ et quelques
députés, 5 PQ, 3 libéraux et un autre. Je comprends qu'il
y a eu également, à ce que nous dit la commission, 200 envois
postaux qui ont été sollicités par les 7000 lettres
envoyées, j'imagine, et 31 mémoires d'organismes.
Malgré tout ceci, comment la commission peut-elle
prétendre que, majoritairement, alors que personne dans les
comtés ne soulève ce sujet... Je mentirais effrontément en
disant que non pas chez les dizaines mais chez les centaines de personnes qui
viennent nous voir pour toutes sortes de problèmes la réforme du
mode de scrutin a été portée à notre attention dans
les comtés. On en entend, bien sûr, parler par les
éditorialistes, par les politicologues, par les gens qui sont
près des milieux politiques, par les tiers partis qui aspirent à
une réforme.
M. le Président, je ne vois pas, dans l'analyse qu'on peut faire
des interventions qui ont été sollicitées et - je pense
que ce n'est pas accuser le Parti québécois de dire quecomme il préconisait une réforme du mode de scrutin, il a
invité ses partisans à aller dans la province à travers
les régions -je comprends mal et je voudrais que le président de
la réforme du mode de scrutin me dise comment on a pu en venir de
façon aussi catégorique à une telle conclusion, que,
majoritairement, les gens du Québec souhaitaient une réforme
électorale. J'ajoute ceci et j'espère ne pas enfreindre le
règlement. Dans mon esprit, pour que la commission ait
déposé, à la suite de cette conclusion à laquelle
elle en était venue, une réforme aussi importante que la
proportionnelle territoriale qui, d'ailleurs, ne semble pas
épaulée et appuyée par qui que ce soit dans la province,
comment je pourrais ne pas penser, personnellement, que les membres de la
commission n'étaient pas au préalable très favorables,
pour ne pas dire vendus à une réforme du mode de scrutin?
Je voudrais qu'on m'éclaire sur l'analyse qu'a faite la
commission des mémoires qu'elle a entendus. Je ne conteste pas du tout
la valeur de ceux qui se sont présentés, qui ont envoyé
des mémoires, mais je dis que cela ne représente d'aucune
façon la volonté de la majorité des citoyens du
Québec.
Le Président (M. Rivest): M. le président de la
Commission de la représentation électorale.
M. Côté (Pierre-F.): M. le Président, si vous
le permettez, je voudrais, au préalable, signaler la présence de
M. Guy Bourassa. Comme je l'ai dit, cet après-midi, il se joint à
nous ce soir. Je voudrais vous signaler que nous nous étions entendus,
les trois commissaires, pour que, pendant ces journées d'audiences, nous
nous répartissons la tâche. Si vous ne voyez pas d'objection, il
serait de mise, je pense bien, qu'on continue à m'adresser les
questions. Comme nous nous sommes répartis les fonctions, je les
refilerai, pour ainsi dire, à l'occasion, à l'un ou l'autre de
mes collègues. Pour la question qui vient d'être posée par
M. le député de Charlevoix, je vais demander tout de suite
à M. Lessard de commencer à donner des éléments de
réponse.
M. Lessard (André): La question de M. le
député de Charlevoix est très bonne. Ma réponse est
la suivante. Dans le mémoire,
nous ne disons jamais que la population du Québec en
majorité demande une réforme du mode de scrutin. Nous disons,
à la page 61, que 57% de ceux qui se sont présentés devant
nous se sont manifestés pour une réforme. Nous ajoutons qu'en
enlevant les indécis, 23%, cela fait porter le total de ceux qui se sont
effectivement prononcés pour ou contre à 74%. Donc, nous
n'affirmons jamais que c'est la majorité de la population du
Québec. Nous disons que c'est la majorité de ceux qui se sont
présentés devant nous. En ce qui concerne l'autre aspect de la
question, nous avons procédé honnêtement, franchement,
comme à peu près à toutes les commissions qui demandent
des interventions. Nous disions aux gens: Voici ce dont nous nous
préoccupons. Voici, quand vous pouvez nous rejoindre, où vous
pouvez nous rejoindre, etc., nous ne pouvions pas faire enquête à
savoir d'où chacun venait ou ne venait pas.
Nous recevions les mémoires. Nous les avons reçus. Ils
sont identifiés. Les personnes sont identifiées. Nous avons
compté non pas les personnes représentées par les
mémoires, mais les interventions elles-mêmes pour ne pas fausser
les chiffres avec une association qui a 50 000 membres et une autre qui en a 5
ou 15. Nous n'avons parlé que d'interventions. C'est là-dessus
que nous disons: Les interventions devant la commission se traduisent dans un
avis favorable à une réforme du mode de scrutin dans la
proportion de 57%. C'est la réponse que je peux vous donner.
M. Mailloux: M. le Président, je voudrais revenir sur les
premiers mots de mon intervention. Ce n'est peut-être pas le
député de Charlevoix qui a fait erreur. Je disais qu'en terminant
son intervention l'actuel ministre délégué à la
Réforme électorale disait qu'à la suite de la
résolution que la Chambre, unanimement, venait d'adopter vous invitant
à parcourir la province pour recevoir des mémoires, etc., vous
deviez parcourir la province et aller chercher une majorité. Ce sont les
paroles du ministre au moment où il a terminé son
intervention.
Une voix: Une volonté populaire.
M. Mailloux: Une volonté populaire qui se dégageait
de la consultation. On pourra peut-être relire le journal des
Débats, mais cela a été sa conclusion que vous deviez
aller en province et voir à dégager une majorité
populaire.
M. Côté (Pierre-F.): Si vous permettez, ce qu'a pu
dire M. le ministre Duhaime...
M. Mailloux: C'est ce qu'il a dit.
M. Côté (Pierre-F.): Non, enfin il faudrait qu'il y
réponde lui-même, parce que le mandat de la commission
n'était pas du tout dans ce sens. Cependant, j'aimerais relever deux
propos que vous avez tenus, M. Mailloux, qui méritent d'être
précisés. Vous avez signalé, ce qui était exact,
qu'une brochure qui a été distribuée dans un grand nombre
d'exemplaires émanait du ministère d'État à la
Réforme électorale. Vous avez certainement constaté, en
lisant les notes sténotypiques que nous avons envoyées au fur et
à mesure, une fois par semaine, je pense, à tous les partis
politiques, que, constamment, à toutes les séances, nous nous
sommes démarqués de cette brochure. Nous avons beaucoup
insisté auprès des intervenants, auprès des médias
pour dire qu'il s'agissait là de la prise de position d'un parti
politique et non pas de celle de la commission. 11 me semble nécessaire
de vous signaler cela, parce que vous avez tout à l'heure, si j'ai bien
compris vos paroles - si je ne les ai pas bien comprises, il faudra me corriger
- semblé mettre en doute les intentions de la commission. Libre à
vous d'essayer d'analyser quelles étaient nos intentions. Je
préférerais qu'on nous juge plutôt sur le rapport
lui-même que sur les intentions qu'on peut nous prêter.
M. Mailloux: M. le Président, quant aux avis que vous avez
donnés à chacune des interventions en province, j'étais au
courant que vous avez mis en garde les gens contre la publication sur la
proportionnelle régionale qui était envoyée par le bureau
du ministre délégué à la Réforme
électorale. Cela n'empêche d'aucune façon quand même,
malgré les avis que vous avez donnés, que des gens aient
été invités par la publication de cette brochure dans tout
le Québec à défendre cela.
M. Côté (Pierre-F.): Non pas à notre
instigation.
M. Mailloux: Pardon?
M. Côté (Pierre-F.): Non pas à notre
instigation.
M. Mailloux: Non, non.
M. Côté (Pierre-F.): D'accord.
M. Mailloux: Je voudrais bien préciser que ce n'est pas
cela que j'ai dit d'ailleurs non plus.
M. Côté (Pierre-F.): D'accord.
M. Mailloux: Par contre, vous êtes revenu sur le
deuxième point sur lequel j'aurais émis un doute. J'aurais
avancé que la commission avait un préjugé favorable
à
la réforme du mode de scrutin. Cela, je l'ai dit. Je l'ai dit
dans un sens: c'est que pour formuler, à la suite de l'analyse que vous
avez faite des mémoires que vous avez présentés, une
proposition aussi radicale que la proportionnelle territoriale et dont j'ai dit
qu'elle n'était acceptée de presque personne, il fallait
absolument que les commissaires soient davantage favorables à une
réforme du mode de scrutin.
M. Côté (Pierre-F.): Je demanderais à M.
Bourassa de répondre à cela parce que j'ai l'impression que tous
les trois serions portés à vous donner la même
réponse et M. Bourassa va la fournir.
M. Bourassa (Guy): Le contenu de cette proposition a
été le fruit - c'est une intention qu'on peut accepter ou pas -
d'un long cheminement et d'une consultation. Il n'y a pas eu de
préjugé en aucune façon au début de cette
démarche. C'est au cours de cette consultation, face aux opinions
entendues, face aux commentaires, aux propositions et aux souhaits
énoncés et aussi face aux formules proposées, que les
commissaires avec toutes sortes de documents et maints travaux de
réflexion en sont arrivés à formuler progressivement une
voie vers le changement. Mais cela a été vraiment une longue
élaboration qui, d'abord, peut être - je vous donne mon opinion
personnelle - a commencé par une sérieuse interrogation par
rapport au mode de scrutin actuel. Ensuite, par quoi faut-il le remplacer?
Quelles seraient les modalités? On nous a présenté -
justement les notes stéréotypées en donnent un vaste
éventail -un grand nombre de solutions. Finalement, ces solutions se
regroupent autour de trois ou quatre pôles. Il nous est apparu que dans
ce vaste ensemble et dans ces divers pôles, il y en avait un qui
paraissait plus intéressant et qui tourne autour de la proportionnelle
et de la territoriale ou de la région. En fait, il y avait, selon nous,
grosso modo trois grandes tendances. Il y en a une que nous avons
privilégiée et vers laquelle nous avons concentré nos
efforts. Ce n'est pas - je vous demanderais bien de le croire -aucunement par
préjugé, mais par un travail de réflexion et
d'accumulation de données et de débats autour de ce thème
que nous en sommes venus à cette proposition qui peut paraître
radicale, mais qui est le résultat d'un long travail.
M. Mailloux: M. le Président, j'aurais une dernière
question à poser à M. Côté. Vous avez
été mêlé de très près, comme
président et vos prédécesseurs, à différents
modes de scrutin appliqués dans la province depuis quelques
années. Nonobstant les témoignages que vous avez eus et dont on
peut prendre connaissance de la part des individus, des organismes et autres,
est-ce que l'expérience vécue lors des élections
précédentes vous invitait à aller vers une réforme
du mode de scrutin? Est-ce que vous aviez décelé tellement
d'anomalies qu'il fallait absolument aller vers une réforme du mode de
scrutin?
M. Côté (Pierre-F.): Je ne crois pas que je poserais
- si je ne réponds pas bien à votre question, vous pouvez me le
dire - le problème tout à fait dans les termes que vous...
M. Mailloux: Je m'excuse... M. Côté (Pierre-F.):
Oui.
M. Mailloux: ...mais je voulais également vous demander,
parce qu'on fait toujours allusion à ceux qui sont intervenus, si vous
aviez décelé, depuis que vous êtes Directeur
général des élections, une volonté ancrée
chez les Québécois, majoritairement, de changement?
M. Côté (Pierre-F.): Je pense qu'il faut bien
distinguer. Quant à la première partie de votre question, je ne
crois pas que je puisse vous fournir une réponse à partir de la
responsabilité que j'ai et que j'ai encore d'appliquer la Loi
électorale, à savoir le mode de scrutin majoritaire uninominal
à un tour. Ce n'est pas à partir de cette responsabilité
que je peux dire maintenant, à titre de président et de
cosignataire d'un rapport en vue de changer le mode de scrutin, que j'en arrive
à la conclusion que l'on recommande de changer en profondeur le mode de
scrutin. J'en arrive à cette conclusion avec mes collègues
à la suite de la consultation et du travail que nous avons accomplis. Si
vous me demandez si j'ai cette conviction à partir, comme vous venez de
le faire, d'une connaissance personnelle que j'aurais que tous les
électeurs du Québec le veulent, je ne puis vous répondre
qu'une chose: Nous avons accompli notre mandat de la façon dont nous
l'avons fait avec les moyens du bord dans un très court laps de temps.
Nous avons invité tout le monde à venir exprimer leur opinion.
(20 h 30)
Vous savez, par exemple, que nous avons regretté à
plusieurs reprises que les députés eux-mêmes n'aient pas
jugé à propos de se présenter devant la commission, du
moins pour la majorité d'entre eux. Par ailleurs, cette consultation
nous a quand même amenés à avoir une perception de ce que
les gens qui ont décidé de s'exprimer devant nous
désirent. Nous avons analysé cette perception. Nous l'avons
étudiée avec beaucoup de soin et nous nous sommes posé la
question fondamentale à savoir est-ce que nous en arrivons à la
conclusion, à la suite
de ces audiences, des travaux et des réflexions que nous avons
faits, qu'il faut recommander l'adoption d'un nouveau mode de scrutin? Il va de
soi - je l'ai mentionné dans mon texte de ce matin - que cette
décision ultime vous revient.
Si la consultation que nous avons faite ne semble pas vous donner
satisfaction, si la consultation que nous avons faite dans toute la province ne
semble pas refléter l'opinion des électeurs, je crois qu'il y a
d'autres moyens de le faire. Vous les connaissez comme moi et peut-être
qu'il faudrait envisager de les utiliser un jour. Je dis que, dans le cadre du
mandat qui nous était confié, de la façon dont nous avons
procédé, des gens qui se sont présentés devant nous
parce que tout le monde était libre de le faire ou pas - un très
grand nombre ont choisi de ne pas le faire, comme je l'ai mentionné, un
très grand nombre de députés ont même cru
préférable de ne pas le faire tout ce que nous avons fait a
été d'exercer notre mandat le plus honnêtement possible, au
meilleur de notre connaissance et de livrer la marchandise que vous avez
aujourd'hui.
Quant à la solution que nous proposons, je voudrais ajouter:
quand vous dites que personne n'en parle ou que personne n'a dit que
c'était une trouvaille, bon, c'est possible. Nous ne pensons pas
être en possession tranquille de la vérité, vous savez.
Nous disons très clairement dans notre rapport qu'il n'y a pas de mode
de scrutin parfait. Mais un point est important. J'espère qu'on va y
revenir subséquemment. Puisque vous soulevez le problème
globalement, cela me permet de dire que le point qui nous semble très
important est que nous avons quand même décelé un certain
nombre de ce que nous avons appelé des "caractéristiques
québécoises", des exigences du contexte du Québec qui nous
ont convaincus qu'il fallait que nous soumettions une recommandation de
changement et nous avons soumis cette recommandation.
M. Mailloux: M. le Président, je voudrais simplement
ajouter un commentaire, auquel vient de se référer d'ailleurs le
Directeur général des élections. Quand on regarde les
modifications qui ont été apportées aux différents
modes de scrutin dans les pays européens industrialisés, on
constate que ce n'est en aucune façon par des majorités simples
qu'une institution aussi fondamentale que le mode de scrutin a
été modifiée, ou presque jamais. Je n'en fais pas une
proposition, loin de là. Ce qui m'estomaque comme parlementaire pendant
deux décennies dans ce Parlement, c'est que pour nommer un Directeur
général des élections, cela prend les deux tiers de la
Chambre et que pour changer l'institution fondamentale qu'est le mode de
scrutin, on peut procéder par une majorité simple, inviter le
parti gouvernemental à le faire -il n'y a pas de problème. Je
voudrais bien qu'on me donne des exemples dans le monde entier alors que pour
changer une telle institution on a procédé par une simple
majorité, comme ce serait le cas. Surtout que pour vous nommer - je ne
conteste pas cela - il faut absolument que les deux tiers de la Chambre soient
d'accord.
M. Côté (Pierre-F.): Est-ce que vous me permettez un
commentaire là-dessus, M. Mailloux?
Je voudrais certainement reprendre une affirmation qui a
été faite récemment par un député de votre
parti dans le sens que j'aurais fait la déclaration que cela ne prend
qu'une majorité simple pour que le mode de scrutin soit modifié.
Vous savez à quelle déclaration je fais référence,
déclaration qui a été faite par un de vos
députés à l'occasion du conseil national de votre parti.
Je n'ai pas répondu à ce député non plus
qu'à cette déclaration. Je présume que ces paroles n'ont
pas été exactement rapportées.
Mais si on suppose, par hypothèse, qu'elles ont été
rapportées exactement, ce que j'ai dit à ce député
c'est que, quelques jours auparavant, le premier ministre avait
déclaré que, s'il le jugeait à propos, il y aurait
modification au mode de scrutin à la majorité simple. Or, ceci
est un problème qui, à mon avis, relève strictement du
droit parlementaire. Le droit parlementaire ou la coutume parlementaire peut en
arriver à imposer certaines façons de procéder. Vous
devinez facilement qu'il ne m'appartient pas du tout de dire aux membres de
l'Assemblée nationale que, dans tel cas, vous devez procéder
à la majorité simple et, dans un autre cas, vous devez
procéder d'une autre façon, selon l'exemple que vous venez de me
donner. C'est aux membres de l'Assemblée nationale de déterminer
leurs propres règles du jeu.
M. Mailloux: M. le Président, je m'excuse de poser une
question supplémentaire. Nous sommes allés, le
député de Charlesbourg, le député de Portneuf et
moi-même, devant la commission en tout dernier lieu. En regardant la
nombreuse documentation qui nous a été transmise depuis quelques
jours, on constate que la plupart des interventions faites devant la commission
dans toute la province ont été assez fidèlement
rapportées. Non pas que ce soit moi qui aie fait cette demande devant la
commission à la toute fin, mais en tant que parlementaire depuis une
couple de décennies je vous avais dit, en terminant, par rapport au
poste de président général des élections de la
province: Avant qu'une institution aussi fondamentale ne soit modifiée,
est-ce que le gouvernement ne
pourrait pas être invité à ce que ce soit plus
qu'une majorité simple qui en décide? C'étaient mes
paroles devant la commission. Je ne blâme pas la commission, mais elles
n'ont pas été rapportées.
M. Côté (Pierre-F.): Vous permettez que je
précise un point là-dessus, M. le député? Vous avez
raison et je vais simplement rappeler ce que j'ai dit constamment pendant la
tournée que nous avons faite. Vous avez raison de dire que ce n'est pas
rapporté dans le rapport, mais ce que j'ai dit pendant la
tournée, c'est ceci: À mon avis, une question comme
celle-là, si on me demandait mon opinion, c'est que je serais
plutôt d'avis, comme cela se fait dans le domaine de la
législation électorale, qu'à tout le moins cela prenne un
large consensus.
Le Président (M. Rivest): Je vais accorder la parole au
ministre qui voudrait très brièvement faire un commentaire sur
une affirmation du député de Charlevoix et, par la suite, la
parole sera au député de Gouin.
M. Duhaime: Mon intervention sera très très courte,
M. le Président. Le député de Charlevoix me prête
des propos que je n'ai aucun souvenir avoir employés cet
après-midi, quitte à revoir demain la transcription du journal
des Débats. Que je sache, lorsque j'ai évoqué le mandat
confié à la commission par l'Assemblée nationale, je me
referais toujours à la date du 22 juin 1983 et j'ai insisté sur
un point. Si vous me permettez, je vais lire un des paragraphes clés qui
est au coeur même de cette résolution. Il y a d'abord les attendus
et, ensuite: "Que la commission remette d'ici à huit mois un rapport
à l'Assemblée nationale comportant l'analyse
détaillée, y compris des avantages et inconvénients de
l'actuel mode de scrutin et des différentes formules proposées
et, le cas échéant, ses recommandations."
Je n'ai pas souvenir - et, pourtant, j'ai tenu ces propos il y a
quelques minutes ou quelques heures à peine - d'avoir parlé d'une
majorité. Tant mieux s'il y en avait une, mais ce que j'arrive mal
à comprendre, M. le Président, c'est que le député
de Charlevoix semble étonné aujourd'hui que le rapport de la
Commission de la représentation électorale contienne des
recommandations. Qu'on soit d'accord ou non avec les recommandations, ce n'est
pas là qu'est le débat pour l'instant. C'était le voeu
même de l'Assemblée nationale que la commission revienne avec des
recommandations; cela fait partie intégrante de son mandat.
Si le député de Charlevoix veut me préciser demain
à quel endroit je l'aurais offensé, je serais très heureux
de relire cela avec lui et, si besoin est, je me corrigerai, mais je n'ai pas
de souvenir de cela.
M. Mailloux: Je n'ai été offensé d'aucune
façon, M. le Président. J'ai simplement voulu
répéter la conclusion que donnait le ministre de
l'Énergie. Si j'ai fait erreur, en relisant le journal des
Débats, demain matin, je m'excuserai. Je ne pense cependant pas avoir
fait erreur.
M. Duhaime: Ah bon! Très bien!
Le Président (M. Rivest): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort: Merci, M. le Président. Je prendrai quelques
minutes pour essayer de faire un commentaire sur la nature et la forme que
prend le débat depuis quelques heures, quant aux travaux de notre
commission. J'avoue que cela correspond un peu aux agacements que soulevait
déjà chez moi toute référence qui, jusqu'à
aujourd'hui, avait été faite à ce fameux sondage ou aux
statistiques très détaillées et très
ventilées qu'on a pu faire de la consultation qui a été
menée par la Commission de la représentation électorale
sur la réforme du mode de scrutin.
Je ne crois pas qu'on soit à l'heure où nous avons
à nous demander: Est-ce que, oui ou non, il y a une majorité
absolue aux deux tiers; une minorité forte ou faible de la population
qui pense que c'est le temps ou que ce n'est pas le temps et qui est d'accord
avec telle réforme plutôt que telle autre, de nous dire que si,
tout au cours de la consultation, il y a plus de 50,1% des gens qu'on a
rencontrés qui nous disaient que cela prend une formule de
proportionnelle -il faut donc aller avec la proportionnelle -et qu'inversement,
si la proportion avait été de moins de 50%, nous n'aurions pas le
droit d'être ici aujourd'hui parce que nous n'aurions pas ce mandat de la
population, etc. J'avoue que je suis fort agacé par cette façon
d'aborder la question et par cette façon de s'y référer
régulièrement dans les interventions, dans les textes même.
D'ailleurs dans le rapport, à un certain nombre d'occasions, on y fait
référence. J'avoue qu'une des questions que j'avais inscrites...
Dans ce sens-là, le document que vous nous avez présenté
cet après-midi est clair et j'avais décidé de ne pas poser
la question, mais cette insistance à revenir aux résultats du
sondage, à revenir aux statistiques qui ont été
dressées à partir de la consultation qui a été
effectuée, m'amène à me questionner, à savoir:
Est-ce que c'est l'opinion des commissaires qui nous est
présentée aujourd'hui dans le rapport ou si c'est un bilan de
sondages et de consultations qui nous est donné?
Je vous le répète, je considère que votre
intervention d'introduction est claire à
cet effet. Vous avez dit qu'effectivement c'était votre opinion,
mais qu'elle était appuyée par les consultations et, selon vous,
par le sondage. Tant mieux, sauf qu'il me semble que, pour les travaux de la
commission, il faut quitter rapidement cette voie parce que si, aujourd'hui, on
veut se poser la question: Est-ce que la population souhaite que nous
débattions cette question ou pas? il fallait que le Parti
libéral, puisque c'est vous qui semblez insister avec le plus
d'énergie sur cet aspect de la question, il fallait que vous vous posiez
la question quand il y a eu la proposition à l'Assemblée
nationale de donner un mandat spécifique à la Commission de la
représentation électorale à l'effet de consulter les
Québécois sur une réforme éventuelle du mode de
scrutin. À partir du moment où on a donné le mandat, ce
avec quoi vous vous êtes dits d'accord, on n'est pas réunis ici
pour savoir si, effectivement, il y a un sondage qui veut dire plutôt
ceci que cela.
Quant à moi, le sondage qui a été fait par la
Commission de la représentation électorale est un portrait de
confusions, de contradictions, de disponibilités de l'électorat
par rapport à cette question. Je suis convaincu qu'aujourd'hui nous
pourrions refaire un sondage en demandant aux Québécois:
Maintenant, sur telle ou telle formule, laquelle préférez-vous?
et on pourrait avoir des résultats tout à fait différents.
J'imagine qu'on n'est pas ici pour commencer à prendre des
décisions pour le Québec à partir de sondages. Les
Québécois ont connu cette forme de gouvernement de 1970 à
1976 et on sait ce qu'ils en ont fait. On voit dans les interventions du
député de Charlesbourg, du député de Gatineau et du
député de Charlevoix, revenir l'empreinte de Robert Bourassa sur
son parti où, maintenant, si le sondage nous dit qu'il faut y aller, on
ira et si le sondage nous dit qu'il ne faut pas y aller, on n'ira pas. Je vous
dirai que le dernier rouge qui a suivi les sondages aveuglément s'est
retrouvé avec 40 députés sur 282 le 4 septembre dernier.
Ce n'est pas une façon de gouverner en 1984 quand on est ici non
seulement pour refléter des sondages, mais quand on est également
ici pour prendre les responsabilités qui nous ont été
données par la population dans un mandat très
légitime.
Si vous n'êtes pas certains du mandat que vous avez obtenu lors de
la dernière élection générale dans vos
comtés, c'est vos problèmes. Je pense que la population nous a
donné un mandat très clair, très légitime, et c'est
sur cette base que nous devons effectuer notre travail. Et lâchez-moi la
paix, à savoir si c'est vraiment 56,2% plutôt que 58%, ce qui veut
dire ceci ou cela. On n'est pas ici pour interpréter les sondages. On
est ici pour étudier un rapport que nous avons commandé à
l'unanimité des membres de l'Assemblée nationale. Si on ne
voulait pas de rapport, on n'avait qu'à le dire à ce
moment-là. Maintenant, on a un rapport et il me semble que le minimum
dicte aux parlementaires de ne pas prendre, soit dans un sens ou dans l'autre,
aveuglément, un rapport, mais de l'étudier au moins dans un
premier temps avec ceux qui ont été mandatés par
nous-mêmes pour faire cette consultation dans tout le Québec et,
d'autre part, pour réfléchir à l'ensemble de la question,
pour faire des recommandations qui vont dans le sens de ce que nous savons.
J'espère que, demain matin, on ne rebrassera pas pendant quelques
heures, à la suite des demandes de renseignements additionnels de la
part du député de Gatineau, les sondages. Il faudrait
peut-être interrompre la commission pendant quatre jours pour faire un
nouveau sondage pour voir si on peut ou non continuer notre travail. Bon! (20 h
45)
Où va-t-on se rendre avec cela? On a un rapport qu'on a
commandé. Étudions-le, puis au bout de la course, au bout de la
réflexion, au bout de l'étude du rapport de la commission, chacun
tirera ses propres conclusions et vivra avec. Ensuite, il sera jugé par
le meilleur sondage qui soit, par l'élection qui suivra. On verra ce que
la population va penser de l'attitude, du sens des responsabilités et du
sens professionnel avec lequel l'ensemble des parlementaires qui se sont
penchés sur la question l'auront fait. Mais, d'ici ce temps, passons
à l'étude du rapport. C'est d'ailleurs ce que je compte faire, M.
le Président.
Le Président (M. Rivest): J'allais vous y inviter.
M. Rochefort: Je vous demanderais de le faire avec autant
d'insistance auprès de ceux et celles qui nous ont fait passer plusieurs
heures là-dessus. J'ai passé à peine sept minutes de la
commission là-dessus.
Le Président (M. Rivest): Pour être franc avec le
député, c'est que la présidence est un peu
embarrassée dans la mesure où cette question du sondage a
été mentionnée dans les documents du président de
la commission. Alors, ils font partie techniquement... Je ne pourrais
pas...
M. Rochefort: Mais ils ne font pas partie du rapport, M. le
Président. Sauf erreur, vous m'indiquerez à quelle page vous
voyez le sondage. Je le cherche et ne le retrouve pas dans le rapport.
M. le Président, ma question donc...
M. Gratton: Si le député de Gouin veut
s'intéresser à la grandeur du bulletin de vote, libre à
lui. Nous voudrions savoir ce que la population ...
M. Rochefort: Vous direz cela au député de
Charlesbourg qui est juste derrière vous. Si vous avez des
problèmes de grandeur de bulletin de vote dans votre formation
politique, c'est votre droit. Puis, l'autre rapport, je pense que
l'intérêt que le député de Gatineau a
manifesté jusqu'à maintenant quant à la réforme du
mode de scrutin, c'est de répéter comme un perroquet ce que son
chef a dit: Non merci. J'ai dépassé cela. Je me suis farci d'un
mémoire qui n'a pas été rédigé par des
recherchistes, je l'ai défendu, je l'ai présenté et j'ai
consacré plusieurs heures à ce dossier qui me semble important
puisque l'Assemblée l'a adopté à l'unanimité comme
mandat, donc avec l'appui des parlementaires de l'Opposition. Jusqu'à
nouvel ordre, j'imagine que lorsque l'Assemblée adopte à
l'unanimité quelque chose, au minimum, le leader parlementaire du Parti
libéral doit être d'accord puisque c'est lui qui pilote ses
députés en Chambre. J'imagine.
M. Gratton: M. le Président, est-ce que...
Le Président (M. Rivest): Je ne voudrais pas...
M. Gratton: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Rivest): ...qu'on fasse un
débat.
M. Gratton: Non. Il ne s'agit pas d'un débat. Le
député de Gouin vient d'affirmer qu'on ne retrouve nulle part
dans le rapport du Directeur général des élections des
mentions de sondage. Alors, je l'invite à consulter...
M. Rochefort: ...de sondage.
M. Gratton: Le sondage. Les résultats, l'analyse, les
résultats. Voulez-vous qu'on vous lise toute la page? Il y a plusieurs
pages...
M. Rochefort: Le sondage. Le sondage.
M. Gratton: ...d'analyse du sondage. Bon!
M. Rochefort: Le sondage. D'autre part...
M. Gratton: II n'y en a qu'un.
Le Président (M. Rivest): M. le député de
Gouin, vous alliez...
M. Rochefort: Franchement. Je ne pense pas que vous
fassiez...
M. Gratton: Parlez-nous du bulletin de vote.
M. Rochefort: Oui. Ou bien, discutez à nouveau avec M.
Turner pour savoir comment on devrait analyser les sondages. Vous l'apprendriez
peut-être un peu. Écoutez...
M. Gratton: J'imagine que c'est M. Mulroney qui vous le dira, vos
nouveaux amis.
M. Rochefort: Écoutez, si M. Mulroney a le goût
d'être l'ami du gouvernement qui est actuellement en place au
Québec, on va vivre avec cela...
M. Gratton: C'est plutôt l'inverse.
Le Président (M. Rivest): Je m'excuse mais...
M. Rochefort: ...et on va travailler avec lui.
M. Gratton: C'est plutôt l'inverse. Ce sont les
péquistes qui voudraient se dire ses amis.
M. Rochefort: Si pour vous, cela vous pose un problème
qu'il soit plutôt notre ami, c'est votre choix, mais vous pourrez aussi
faire référence à votre chef qui a refusé de
s'impliquer dans la bataille au grand dam de plusieurs de vos militants et
militantes actifs.
Le Président (M. Rivest): Est-ce que les
députés pourraient se lier d'amitié avec la
présidence de la commission et discuter du sujet qui nous confronte
aujourd'hui?
M. Gratton: Les péquistes sont plus mauvais depuis qu'ils
sont fédéralistes.
Le Président (M. Rivest): M. le député de
Gouin.
Bilan des interventions
M. Rochefort: Merci. M. le Président, je voudrais aborder
le chapitre 2 parce que j'imagine qu'on est toujours dans la première
partie. On s'était entendu pour qu'on aborde la première partie
"Bilan de la consultation". J'aimerais interroger les membres de la commission
sur le bilan des interventions qu'ils font et non pas quantitativement, s'il
vous plaît, mais en termes de diversité. Dans le rapport, on dit -
on y a fait référence de même que plusieurs parlementaires
- que ce qui ressort c'est que globalement le problème majeur qu'on
identifie un peu partout au Québec quant au mode de scrutin actuel c'est
la distorsion qu'il produit entre le nombre de voies accordées à
un
parti politique et le nombre de sièges que chacun des partis
obtient à la suite de cette élection quant à la
composition de l'Assemblée nationale, quant à sa
représentation à l'Assemblée nationale.
J'aimerais que vous nous indiquiez si, d'après vous, à la
fois quant à ce que vous avez entendu dans tout le Québec mais,
deuxièmement, aussi quant à votre opinion personnelle - cela peut
être l'opinion des commissaires comme celle de chacun des commissaires
parce que j'imagine que là-dessus il y aurait peut-être place pour
l'opinion de chacun - vous croyez qu'effectivement les distorsions sont vues
comme un problème plus important que le fait que les tendances
politiques du Québec ne soient pas représentées à
l'Assemblée nationale?
M. Côté (Pierre-F.): Je demanderais à M.
Bourassa de vous répondre, s'il vous plaît.
M. Rochefort: Parce que vous conviendrez avec moi qu'il y a une
différence. Les distorsions, c'est une chose, et, deuxièmement,
l'ensemble des tendances politiques qu'on retrouve dans notre
société en est une autre. Il me semble que souvent les
interventions que j'entends ici et là là-dessus me permettent de
croire qu'il y a peut-être confusion entre les deux problèmes. Il
me semble très important qu'on puisse les distinguer l'un de l'autre. Je
répète. Selon vous, quel est le pouls des gens que vous avez
rencontrés? Deuxièmement, quelles sont vos opinions quant
à l'ordre d'importance des deux problèmes l'un par rapport
à l'autre?
M. Bourassa: Je pense bien comprendre l'essentiel de votre
question. Quant à bien situer, d'une part, les distorsions et, d'autre
part, la représentation des divers courants idéologiques, si on
peut dire, dans la population, je crois assez bien représenter l'opinion
de la commission en disant que dans le temps nous avons surtout d'abord
été frappés par l'insistance sur les distorsions. C'est un
phénomène qui nous a été très souvent
répété, qu'on a beaucoup analysé et qui est
peut-être aussi facilement explicable dans la mesure où c'est un
phénomène qui saute aux yeux, si l'on peut dire. On prend
quelques chiffres. C'est facile de faire voir que dans un cas comme dans
l'autre, d'un côté comme de l'autre, quelles que soient les
époques, les distorsions apportent des résultats parfois assez
étonnants avec un mode de scrutin comme le nôtre. On pourra
même poursuivre jusqu'à la toute dernière élection
fédérale. Donc, dans ce bilan, je pense qu'en termes de
priorité au moins temporelle les distorsions sont venues d'abord, mais
progressivement et de façon, je pense, plus importante dans le bilan, et
ça va rejoindre l'opinion personnelle que vous nous demandez... Je pense
que, progressivement, nous nous sommes rendu compte, justement de par la
consultation, et cela revient un peu à la réponse que j'ai faite
tout à l'heure à M. le député de Charlevoix sur le
cheminement de ce rapport... Nos interventions, nos échanges avec les
intervenants à la commission nous ont fait voir que les distorsions
posaient des problèmes non seulement pour des raisons
mathématiques, mais aussi parce qu'il y avait des courants importants
qui se sentaient lésés.
Pour prendre des cas très évidents, on a beaucoup entendu
parler de la non-représentation des femmes. Ce n'est pas une distorsion,
si l'on veut, mais au sens strict -en général, quand on parle de
distorsion, ce sont des pourcentages qu'on compare. Là on nous a dit de
plus en plus fréquemment: Les femmes sont
sous-représentées. Je pense que pas beaucoup de personnes n'en
discuteront. On nous a dit: Les jeunes - cela aussi nous a été
dit très souvent - sont sous-représentés. Plus nous
avancions vers les centres urbains - parce que la consultation s'est faite de
façon que l'on arrive progressivement dans les centres urbains les plus
importants - ce poids des courants idéologiques ou des tendances de
l'opinion non représentés est devenu de plus en plus lourd et, je
pense, a fortement coloré et même changé les remarques que
l'on aurait pu faire au départ sur les distorsions. Alors, je pense que
le bilan que l'on peut établir, quand je regarde le chapitre 2 du
rapport et surtout le 2.1 sur la représentation des électeurs,
c'est beaucoup plus en termes de représentation de ces courants
d'opinions, de ces aspirations, de ces mouvements d'idées que
strictement de distorsions.
D'autre part, cela m'amène, si vous voulez, à cette
opinion que vous avez souhaité obtenir de notre côté, je
suis tout à fait convaincu - là encore je me risquerais à
croire que c'est aussi l'opinion de la commission en général -
que, dans ce débat de la représentativité et de la
représentation que donne un mode de scrutin, le second volet que vous
avez évoqué est nettement plus important que la distorsion. Ce
qui n'est pas pour autant - je voudrais bien être clair - minimisé
et laissé de côté, le problème de distorsion, mais
c'est peut-être, je dirais, la pointe de l'iceberg et la pointe
forcément visible et qui frappe. Dans l'essentiel de la démarche
du rapport et dans l'élaboration d'une formule que nous avons
recommandée, c'est beaucoup plus la saine représentation de
l'opinion démocratique québécoise qui nous a
commandés que le simple fait d'éliminer les distorsions. Je ne
sais pas si ma réponse vous satisfait et est suffisamment
complète.
M. Lessard: En général, ce sont les
mêmes systèmes qui produisent distorsion et mauvaise
représentation.
M. Rochefort: Est-ce qu'on peut toutefois convenir ensemble que
ce ne sont pas nécessairement les mêmes solutions qui corrigent le
problème?
M. Lessard: D'accord là-dessus. Nous ne discutons pas des
solutions, mais je vous dis qu'il est difficile de dissocier les deux
problèmes. Une des choses assez claires dont je me souvienne, c'est la
suivante: les gens parlent peu des distorsions; ils les mentionnent. Pour eux,
c'est un problème évident. Ils parlent beaucoup plus des
problèmes de mauvaise représentation, c'est-à-dire de la
non-représentation des petits partis et de la non-représentation
de certains groupes sociaux, parce que c'est plus complexe, moins visible et
ils tiennent à mettre cela en évidence et à ce qu'on le
voie. D'accord? Dans leur esprit, la distorsion semblait très souvent
être tenue pour acquise. C'est une bonne raison, et on la mentionnait
sans trop insister. Enfin, c'est un souvenir d'audience. Je ne veux pas faire
de calcul.
M. Rochefort: Non, je n'y tiens surtout pas. M.
Côté, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Côté (Pierre-F.): Non, je rejoins les opinions
exprimées par mes collègues. Si vous voulez avoir une
référence cependant, dans le document avec une couverture orange
brûlée que vous avez en main, il y a une analyse qui a
été faite à ce sujet qui ramasse bien ce qui vient
d'être dit dans le sens qu'on a mentionné cela très
fréquemment. Finalement, nous avons compris que c'était une
évidence telle que c'était un acquis; c'était
évident que les distorsions étaient un mal grave du mode actuel.
Cependant, évidemment, on a soulevé une série d'autres
aspects du problème auxquels il fallait remédier comme ceux de la
représentation des idéologies, de la représentation des
femmes ou la façon qu'ont les minorités de pouvoir s'exprimer ou
non.
M. Rochefort: Seriez-vous d'avis que, si nous devions choisir de
ne pas réaliser une réforme qui aurait pour effet de
régler tous les problèmes que le mode de scrutin actuel comporte
- parce que je crois qu'on peut s'entendre que ce mode de scrutin comporte
plusieurs problèmes qui ne sont pas tous d'égale importance - que
si nous pouvions apporter une solution qui réglerait l'ensemble des
problèmes amenés par le mode de scrutin actuel, celui de la
représentation des tendances devrait retenir la priorité par
rapport à celui des distorsions qui sont créées?
M. Côté (Pierre-F.): Je me demande quel est le mode,
peut-être qu'il y en a un, mais personnellement, je serais porté
à croire que cela ne répondrait pas à cette grande
préoccupation qui nous a été exprimée et que nous
ressentons lorsqu'on entend les représentations qui nous ont
été faites.
Il y a un autre point qui nous intrigue également, c'est qu'il y
a le fait que cela fait maintenant depuis 1971 qu'on discute de cela et, depuis
dix ou quinze ans, qu'on le trouve inscrit dans des programmes de parti et le
principal argument qui a été évoqué et qui revient
sans cesse a été celui de la distorsion.
M. Rochefort: Des distorsions, effectivement, mais c'est
là aussi, comme je vous le disais tantôt, quand je parlais de M.
Bourassa. Je crois qu'il y a des gens qui confondent les deux très
souvent. Je vous donnerai un exemple qui est relié d'ailleurs à
certains éléments qui ont été utilisés par
la commission, notamment le slogan "Est-ce que tout le monde peut gagner ses
élections?" qui faisait référence à la question:
Qui fait son chemin dans la société? qui dit: La personne qui
perd dans son comté n'est donc pas représentée à
l'Assemblée nationale. Je pense que c'est une erreur que de
prétendre une telle chose. Je pense que les électeurs qui ont
voté contre moi au dernier scrutin général dans mon
comté sont très bien représentés à
l'Assemblée nationale, à la fois pour des questions locales, des
questions qui n'ont aucune connotation partisane. Lorsque je défends
l'ensemble des citoyens de mon comté pour revendiquer, par exemple, un
CLSC, ce n'est pas uniquement pour les péquistes, les libéraux
aussi y auront accès.
D'autre part, lorsque des questions d'orientation plus fondamentales de
société, de programme de parti politique, d'idéologie
partisane sont soulevées, elles sont très bien défendues,
parce que le chef de l'Opposition a des droits que je n'ai pas et que je
n'aurai jamais tant et aussi longtemps que je serai un député
sans autre responsabilité. Les critiques officiels de l'Opposition, sur
chacun des secteurs de l'activité gouvernementale, ont des droits et des
privilèges que je n'ai pas. Donc, les citoyens qui ont voté
libéral dans le comté de Gouin, le 13 avril 1981, sont
très bien représentés. Oui, d'ailleurs, M. le
député de Westmount, M. Richard French, est venu faire du
porte-à-porte dans mon comté aux dernières
élections. Peut-être qu'un jour cela aura plus de succès.
(21 heures)
Farce à part, il est faux de dire que ces gens-là ne sont
pas représentés, que ces gens sont mal représentés
sur le parquet de l'Assemblée nationale. Ils ont une
représentation. Quand le chef de l'Opposition ou le critique officiel de
l'Opposition en
matière de santé ou de transport se lève sur une
question, il se lève pour, au fond, exprimer l'opinion de tous ceux et
de toutes celles qui sont de tendance libérale dans la
société et souvent, aussi, l'opinion des citoyens d'une
région, non pas uniquement l'opinion des citoyens de son comté.
De la même façon, lorsque le premier ministre se lève en
Chambre il parle au nom de tous les Québécois et il
représente les orientations, les affinités, les attentes, les
aspirations de tous ceux et de toutes celles qui ont voté Parti
québécois à l'élection précédente et
non seulement de ceux qui ont voté du bon bord dans les comtés
où nous avons gagné. C'est là que je dis qu'il faut
être bien certain qu'on se retrouve dans tout cela.
D'ailleurs, je ne sais pas si vous vous rappelez, M. Côté,
mais l'une des premières occasions que nous avions eues de discuter de
ces questions, je crois que c'est lorsque vous êtes venu rencontrer notre
caucus, comme vous l'aviez fait pour l'aile parlementaire libérale, pour
présenter un peu la démarche que vous amorciez. Une des choses
que j'avais soulevées à ce moment c'était que, au minimum,
si on pouvait clarifier tout ce que le vocabulaire veut dire et ne veut pas
dire dans ce dossier, déjà cela me semblerait être une
contribution considérable par rapport au dossier qui est actuellement en
discussion à cette table, comme vous le dites d'ailleurs, depuis plus
d'une dizaine d'années. Donc, il n'est pas vrai que distorsion
égale sous-représentation ou non-représentation de
l'ensemble ou de certaines tendances idéologiques de notre
société. Ce sont deux choses différentes et il faut, quant
à moi, qu'on les traite différemment, qu'on les traite
séparément, sinon cela donne des résultats comme ceux que,
malheureusement, on connaît encore aujourd'hui. Les gens nous parlent de
distorsion alors qu'au fond ce qu'ils reprochent...
Prenons, par exemple, un cas précis. Les Québécois
sont-ils vraiment outrés que l'Union Nationale n'ait pas eu - elle a eu
4% du vote lors de la dernière élection générale -
4% de l'ensemble des députés pour l'Union Nationale, ou le fait
qu'aucun député de l'Union Nationale ne soit là n'est-il
pas plus grave que le fait qu'il n'y ait pas eu une représentation
totalement proportionnelle aux voix qu'elle avait reçues? Je crois
qu'est bien plus importante et bien plus grave l'absence de
représentation d'au moins un député pour faire
écho, pour être le porte-parole de tous ceux et de toutes celles
qui ont voté pour ce parti à la dernière élection
plutôt que l'idée d'éliminer totalement la distorsion.
C'est vrai pour les nouvelles formations politiques qu'on voit poindre de plus
en plus dans notre société: les écologistes, les verts,
peut-être un jour le mouvement socialiste et tout cela. C'est là
que je trouve important qu'on règle des choses quant aux
problèmes qu'on identifie et quant aux solutions qu'on identifie et
qu'on s'assure, lorsqu'on prend une expression ou qu'on parle d'un terme, qu'on
veut bien dire tous la même chose et qu'on veut surtout dire ce que cela
veut dire dans les faits. Il faut éviter la confusion dans le
vocabulaire. Il n'est pas vrai que tout le monde - ce n'est pas vrai pour moi
ni pour beaucoup ici - a fait douze années de sciences politiques et
peut se retrouver facilement. Il faut qu'on soit clair, qu'on soit
précis. Cela peut orienter les travaux qui suivront ceux auxquels votre
commission s'est adonnée quant aux solutions qui devront être
recherchées, quant aux solutions qui devront être retenues et qui
devront être implantées lors du prochain scrutin ou de tout autre
scrutin qui suivra.
M. Côté (Pierre-F.): Vous me permettez un
commentaire, monsieur?
M. Rochefort: Oui.
M. Côté (Pierre-F.): Je trouve que vous placez le
problème qu'on est en train d'étudier d'une façon
très juste. Vous l'exprimez d'une autre façon qu'on a pu le
faire. Mais je trouve que vous touchez au fond du problème. Quand vous
vous demandez s'il n'est pas vrai de dire que des personnes sont non
représentées ou sous-représentées, on peut se poser
la question d'une autre façon aussi. En somme, quel est l'objet d'un
mode de scrutin? D'élire des personnes qui vont agir à la place
des électeurs pour gouverner et diriger. La question qu'on se pose est
à savoir si le mode qu'on a est le meilleur des modes pour assurer la
plus juste ou la plus équitable représentation. Est-ce que les
gens sont mieux représentés? Est-ce que la volonté des
électeurs est mieux exprimée ou se manifeste mieux, est plus
équitable selon tel ou tel mode de scrutin?
M. Rochefort: J'ai le goût de dire qu'on n'est pas
complètement d'accord, mais je vais aller un peu plus loin. Je crois que
j'ai développé ce raisonnement lorsque je me suis
présenté devant vous à Montréal. Quand vous dites:
Est-ce que les voix seront représentées le plus
équitablement possible en termes de sièges de
députés de chacune des formations à l'Assemblée
nationale, je vous répète que je ne suis pas convaincu que c'est
nécessairement un objectif que nous devons viser dans un régime
parlementaire de type britannique. Je crois que dans un régime
parlementaire de type britannique, le nombre importe peu. Dès le moment
où le gouvernement a une majorité plus un des sièges, le
gouvernement peut imposer ses vues sur tout, en tout temps, tout au cours de
son mandat, que cela aille bien ou pas
pour lui politiquement. L'inverse est vrai. Que l'Opposition soit
très forte en nombre de sièges ou pas très forte en nombre
de sièges, cela altère rarement la qualité du travail qui
est fait par l'Opposition à l'Assemblée nationale.
Cela dit, que des tendances dans la société ne soient pas
représentées du tout à l'Assemblée nationale, il y
a là un problème véritable qui, quant à moi,
devrait retenir la priorité dans l'ordre des problèmes qu'on veut
solutionner. C'est d'ailleurs pour cela -en tout cas, on y reviendra
peut-être un peu plus loin - que je m'interroge et que j'ai hâte de
vous entendre là-dessus. J'ai cherché dans le document du
professeur Bernard et je ne l'ai pas trouvé, j'ai hâte de voir
quels sont les régimes parlementaires de type britannique qui sont
dotés d'un mode de scrutin à la proportionnelle. Je pense qu'il y
a peut-être une piste là. Que voulons-nous y faire? Actuellement,
il y a combien - je ne sais pas, 48 ou 49 députés chez vous?
M. Côté (Charlesbourg): Bientôt 49. Là,
c'est 48, mais bientôt 49.
M. Rochefort: 48 et cela va s'arrêter là,
malheureusement. Donc, il y a 48 députés libéraux. Je
pense que pour quelques minutes, en tout cas, on peut mettre la partisanerie de
côté. Est-ce qu'on peut dire que ces 48 députés font
un meilleur ou un moins bon travail que six députés de 1973
à 1976? Est-ce qu'on peut dire qu'ils font la vie plus dure ou moins
dure au gouvernement en place et qu'ils assument moins bien leurs
responsabilités de contrôle de l'Exécutif?
Évidemment, cela pose des problèmes humains considérables.
On s'entendra là-dessus. Quand je regarde nos six députés
qui ont tenu le fort de 1973 à 1976, leur passage à
l'Assemblée nationale à six dans l'Opposition a laissé des
traces sur eux de toute évidence, physiquement, mais je ne pense pas que
cela ait changé quelque chose quant au travail et quant à la
représentation de l'ensemble des électeurs dans tout le
Québec qui avaient voté pour l'Opposition ou qui avaient
voté pour le gouvernement.
M. Bourassa: Si vous me le permettez, je comprends assez
difficilement la distinction que vous faites entre la nécessité
de bien représenter les diverses tendances, ce qui vous paraît
absolument capital, et la qualité du régime parlementaire. Vous
nous citez divers cas où quels que soient les chiffres de l'Opposition
ou du parti au pouvoir, le système a ses règles et fonctionne de
façon fort claire, mais est-ce qu'on peut vraiment séparer - en
tout cas, dans nos travaux, cela nous a préoccupé -ces
réflexions ou cet intérêt pour le fonctionnement du
régime parlementaire de la qualité des deux tendances
principales, des deux ou trois grands partis qui en sont les animateurs, si
l'on veut? C'est plus qu'une question de mathématiques. Si, par un
meilleur système ou un meilleur mode de scrutin on arrive, soit du
côté de l'Opposition, qu'elle soit plus ou moins faible, ou du
côté du pouvoir, qu'il soit plus ou moins fort, dans un
régime parlementaire si donc par un meilleur mode de scrutin on arrive
à mieux représenter l'ensemble des tendances, c'est le
fonctionnement interne -et là, je pense que vous vous connaissez
beaucoup mieux que moi en la matière -c'est le parti lui-même qui
est affecté et c'est aussi le fonctionnement de l'ensemble du
système politique qui est affecté. Je pense qu'à ce
moment-là les partis se trouvent, me semble-t-il, enfin c'est une
hypothèse que je me permets de faire - eux-mêmes en état de
réagir à diverses pressions au meilleur sens du terme. Et quand,
ensuite, ils abordent le travail strictement parlementaire dans la tradition
britannique qui est la nôtre, ils peuvent tenir compte d'un certain
nombre de données qu'on laisse présentement assez rapidement de
côté.
Pour ma part, il me semble que les deux éléments doivent
être réunis, mais il y a bien sûr matière à
débat. Je ne vois pas de position - la question que vous avez
soulevée est très intéressante - à savoir combien
il y a de régimes parlementaires de type britannique où il y a la
proportionnelle ou un système semblable...
Une voix: Il y a l'Irlande.
M. Bourassa: II y a l'Irlande, me dit-on, bon.
M. Rochefort: C'est le seul. D'ailleurs, avec un mode
proportionnel qui est particulier en soi, je pense qu'il faut le
reconnaître.
M. Bourassa: Oui, et ensuite...
M. Rochefort: D'ailleurs, vous me direz probablement qu'ils sont
tous particuliers.
M. Bourassa: Tout ce que je veux dire sur cela, c'est qu'on parle
du régime parlementaire de type britannique comme d'un monument et c'en
est un, mais je voudrais bien aussi qu'on s'entende pour savoir de quoi on
parle aujourd'hui quand on parle de ce régime-là. Finalement, il
a été adapté à des situations tellement
variées que je ne sais plus si on parle toujours de la même chose,
quand on parle du régime britannique dans des cas aussi nombreux. Enfin,
il y a matière à innovation, je pense.
Ce que je voulais aussi dire, si vous me permettez...
M. Rochefort: Ah! sûrement qu'il y a
matière à innovationl Je pense que les vues du
député de Trois-Rivières, telles qu'il les a
exprimées aujourd'hui, de même que les miennes, telles que je vous
les ai exprimées à la commission, sont claires. Je pense qu'il
faut plutôt évoluer du côté d'un régime de
type présidentiel où, d'ailleurs, on distinguerait
l'élection d'un gouvernement de l'élection d'un Parlement. C'est
clair dans mon esprit, mais je n'ai pas compris que c'était
nécessairement le mandat qui vous avait été
confié.
M. Bourassa: Non.
M. Rochefort: Mais je pense qu'effectivement, en tout cas quant
à moi, il faut probablement distinguer la question des distorsions, donc
de l'équité entre les votes et la représentation en nombre
de sièges à l'Assemblée, de l'absence de
représentation ou de la sous-représentation chronique de
l'ensemble des tendances idéologiques dans notre société.
On aura l'occasion d'y venir un peu plus loin puisque le président me
souligne qu'il faudrait que je conclue, ce que je vais faire. Par exemple, si
notre préoccupation, notre obsession est de corriger des distorsions,
effectivement, je pense qu'il faut aller du côté d'une formule ou
d'une autre, mais qui est de type ou de caractère proportionnel.
Par contre, si notre préoccupation principale est d'assurer une
meilleure représentation des tendances idéologiques à
l'Assemblée nationale, je pense, par exemple, qu'on peut regarder cela
plus sérieusement peut-être qu'on ne l'a fait jusqu'à
maintenant. Quand je dis "qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant", cela ne
s'adresse pas à vous trois; cela s'adresse à tous ceux, au
Québec, qui se sont penchés sur les questions de mode de scrutin.
Je pense qu'il faut regarder plus sérieusement le mode de scrutin
à deux tours, qu'on retrouve en France et qui ouvre beaucoup plus la
place aux tendances idéologiques, que d'avoir pour objectif de corriger
des distorsions.
Je ne tire pas de conclusion maintenant, même si vous les
connaissez, puisque vous avez eu l'occasion de m'entendre là-dessus.
Mais, effectivement, je pense qu'il faut les regarder distinctement.
Peut-être qu'on prétendra qu'un corrige les deux problèmes,
soit celui de la proportionnelle, mais il faut voir lequel des deux on veut
régler le plus rapidement possible. C'est pourquoi je dis que les deux
problèmes peuvent être regardés séparément,
parce qu'ils peuvent amener les gens à apporter des solutions
différentes selon ce qu'ils veulent corriger en priorité.
M. Bourassa: C'est notre opinion. La proposition que nous avons
faite corrige mieux les problèmes que vous soulevez que le scrutin
majoritaire à deux tours.
M. Rochefort: On va rediscuter de cela.
M. Bourassa: C'est sûrement un sujet à débat.
Je voudrais aussi ajouter tout simplement qu'il n'y a pas, puisque vous l'avez
soulevé, me semble-t-il, d'opposition radicale et absolument naturelle
entre l'introduction d'un mode de scrutin proportionnel et le régime
parlementaire.
M. Rochefort: Non, je ne prétendais pas qu'il y a
opposition entre les deux. Ce que je dis, c'est qu'un régime
parlementaire de type britannique ne commande pas, dans son fonctionnement
quotidien, la nécessité qu'il y ait une juste proportion entre le
nombre de voix obtenues par un parti politique et le nombre de sièges
que chacun des partis détient sur le parquet. Je le
répète: Dès qu'on a un siège de majorité et
dès qu'on a un siège en moins que le parti majoritaire, c'est
fini pour cinq ans. On sera le gouvernement et on pourra imposer tout ce qu'on
voudra si on a l'appui de la majorité ministérielle. Dans
l'Opposition, on aura beau plaider pour quoi que ce soit, on ne pourra jamais
triompher à moins d'avoir convaincu la majorité.
Le Président (M. Rivest): Merci, M. le
député de Gouin. M. le député de
Louis-Hébert. (21 h 15)
M. Doyon: Merci, M. le Président. La commission
après avoir fait le tour du Québec et procédé
à l'audition de personnes, de groupes ou d'organismes qui ont
donné leur opinion sur ce qu'ils pensaient d'une réforme du mode
de scrutin... Mon collègue de Charlevoix a eu l'occasion de souligner le
fait que nous avions un certain nombre de doutes sur la
spontanéité - c'est le moins qu'on puisse dire - de certaines
interventions où il nous paraissait évident qu'il y avait eu des
invitations de nature plus pressante vers certains groupes plutôt que
vers certains autres et que, de cette façon, on pouvait assez facilement
- c'est facile à comprendre - obtenir des réactions qui
étaient plus de nature à aller dans un sens que dans un
autre.
Nous pourrions, au besoin, faire la preuve de ces dispositions ou de ces
invitations un peu spéciales. Nous pourrions établir...
M. Rochefort: Je veux juste être certain que j'ai bien
entendu ce que le député de Louis-Hébert vient de dire.
Est-ce que vous avez bien dit qu'au besoin vous pourriez faire la preuve de ce
que vous avancez?
M. Doyon: Quand nous serons rendus là,
oui, M. le Président.
M. Rochefort: Mais vous ne jugerez pas du besoin. Si vous nous
offrez le besoin, on en jugera. Sinon, dites-nous...
M. Doyon: J'ai laissé le député de Gouin
procéder, alors qu'il a parlé pendant une demi-heure et je
demande à obtenir le même droit qui lui a été
accordé.
Une voix: Mais vous portez des accusations.
M. Rochefort: On en prend bonne note.
M. Doyon: Pour continuer ce que je disais, la commission a donc
procédé à une tournée d'un certain nombre de pays
européens de façon à obtenir, de la part de
spécialistes, j'imagine, des points de vue qui pouvaient être de
nature à éclairer la commission.
Cependant, à l'examen des dates et du rapport du voyage qui nous
a été soumis récemment, on doit se rendre compte que des
pays ont été plus intéressants que d'autres d'après
ce qu'on peut voir du rapport et du temps qui y a été
consacré. Je vous soulignerai par exemple qu'en ce qui concerne la
République fédérale allemande, la commission a jugé
bon d'y consacrer huit jours sur un voyage de 19 jours. La commission a donc
passé huit jours à aller d'un endroit à l'autre. On a ici
la liste des villes visitées et on voit que les représentants de
la commission - je pense que le président M. Côté
était là - sont allés à Francfort le 8 janvier,
à Bonn le 9, ont passé les 10 et 11 janvier à Wiesbaden,
ont été le 12 janvier à Munich et le 13 janvier à
Berlin et ont terminé leur voyage en République
fédérale allemande le 16 janvier à Hambourg. Par contre,
on s'aperçoit qu'à l'intérieur du mandat qui était
celui de la commission, c'est-à-dire d'étudier les avantages et
les inconvénients du système, donc de regarder comment le
système fonctionnait en réalité, la commission a
passé une journée seulement en Grande-Bretagne et a
consacré seulement douze pages à analyser le résultat de
ses consultations en Angleterre alors qu'elle consacre 63 pages à
analyser le résultat de ses consultations en République
fédérale allemande. J'aimerais savoir de M. Côté
comment s'est fait - pour qu'on puisse accorder une certaine
crédibilité au rapport du voyage en Europe - le choix des
pays.
Bien sûr, selon qu'on décide d'aller dans tel pays ou dans
tel autre, selon qu'on décide d'y passer un temps plus ou moins long,
selon qu'on décide de faire état ou pas d'un certain nombre de
rencontres qu'on a eues et aussi, selon qu'on décide de rencontrer telle
ou telle personne, c'est de nature à donner sûrement une
coloration au rapport à telle enseigne que je n'hésiterais pas
à affirmer qu'un tel voyage pourrait donner des résultats
totalement contraires selon la thèse qu'on veut prouver.
On peut obtenir d'un voyage d'une vingtaine de jours en Europe des
preuves, des appuis de toute nature qui appuieraient quelque thèse que
ce soit. Or, il arrive que dans le rapport qui nous est présenté
on se retrouve devant la situation où le système qu'on qualifie
parfois avec un grain d'accent péjoratif, le système anglais, le
système britannique, on a passé très rapidement
là-bas et cela ressemble un peu à ce qu'on déplore aussi
dans certaines autres consultations qui ont eu lieu. J'aimerais savoir de M.
Côté comment s'est fait le choix des pays qui ont
été visités. Comment avez-vous procédé pour
décider qui rencontrer? Pourquoi telle personne plutôt que telle
autre et pourquoi tel pays plutôt que tel autre? Ne trouvez-vous pas
qu'il y a une disproportion entre le temps consacré, par exemple,
à l'Angleterre, qui est reconnue comme étant la mère des
démocraties, qui a fonctionné avec ce système et qui n'a
eu droit, finalement, qu'à une seule journée de toute votre
tournée, une seule journée sur 19? Trouvez-vous cela
équitable? Trouvez-vous que cela fait le poids quand on sait que la
moitié de votre mandat, selon ce qui a été voté par
l'Assemblée nationale, c'était de regarder les
inconvénients et les avantages du système actuel, du
système qu'on appelle anglais, et que, dans un voyage de 19 jours, vous
ne consacriez qu'une seule journée à rencontrer des personnes? Il
faudra voir qui vous avez rencontré en Angleterre.
M. Côté (Pierre-F.): Je suis un peu surpris, M. le
député, de la forme que prend votre question. Je tiens à
le préciser et je tiens à attirer l'attention de la
présidence là-dessus, parce que si ce en quoi consiste la
participation à une commission parlementaire c'est de nous prêter
des intentions et de ne pas regarder les faits constamment, je ne sais trop
comment nous devons répondre ou réagir. Ce n'est pas la
première fois qu'on me prête ou nous prête un certain nombre
d'intentions. J'ai dit tout à l'heure qu'on ne prêtait qu'aux
riches, j'ai l'impression que nous devons l'être
énormément, parce qu'on nous en prête plusieurs.
Cependant, pour répondre de façon plus précise
à votre question, je veux vous dire que la décision que la
commission a prise que j'accomplisse cette mission en Europe a
été prise à la toute dernière minute. Nous avons
jugé à-propos de procéder de cette façon, à
savoir que je me rende en Europe pour essayer d'avoir l'échantillonnage
le plus représentatif possible de divers systèmes. Les pays
visités ont été sélectionnés en fonction du
mode qu'ils utilisent pour permettre à la
commission d'obtenir cet échantillon. J'aurais évidemment
aimé pouvoir en visiter un plus grand nombre. J'aurais évidemment
aimé pouvoir rester six et sept jours dans chacun des pays. Si vous
regardez le périple, je dois vous avouer que le voyage que j'ai fait, je
ne le souhaite pas à beaucoup de gens à cause du très
grand nombre de personnes que j'ai rencontrées - je crois avoir
rencontré les meilleurs spécialistes dans chacun des pays -et
à la vitesse avec laquelle j'ai pu le faire étant donné le
court laps de temps dont je disposais.
En ce qui concerne le séjour en Angleterre, je suis passablement
surpris de la façon dont vous posez votre question, parce que le mode de
scrutin anglais ou britannique, si vous préférez, est le
même que le nôtre. Ce que j'ai surtout appris en Grande-Bretagne et
ce qui n'est pas rapporté malheureusement dans le rapport qui vous a
été soumis à cause d'une difficulté technique... La
difficulté technique était la suivante. Je me suis
efforcé, avec la permission des personnes que j'ai rencontrées,
d'enregistrer les conversations pour ne pas avoir à prendre des notes
constamment. Or, malheureusement, quand j'ai rencontré cette personne en
Angleterre - on va me donner la référence, la page - mon appareil
n'a pas fonctionné. J'ai rencontré - je tiens à le
souligner; je l'ai rencontré avec beaucoup de plaisir; je le connais
bien - un des plus grands pséphologues au monde; ce néologisme
veut dire un spécialiste en droit électoral. C'est lui qui a
inventé ce terme. Il s'agit de M. David Butler qui a une
réputation qui dépasse largement l'Université d'Oxford
où il est professeur.
J'ai également rencontré un député du Parti
libéral. J'essaie de retrouver son nom, parce que je l'ai. Je voudrais
vous préciser ce qui m'a frappé dans l'entrevue que j'ai eue avec
cette personne, une entrevue qui a été assez longue cependant. Ah
oui! Voici. J'ai rencontré MM. Holme et Newby. Si je me souviens, c'est
la bonne façon de prononcer. M. Holme, ce qui a été
intéressant en particulier lors de cette rencontre, ce n'était
pas qu'il m'explique le mode de scrutin anglais, c'était qu'il me fasse
part - et j'ai rapporté une documentation intéressante à
ce sujet - du fort mouvement qui existe actuellement en Angleterre afin
d'essayer de modifier le mode de scrutin britannique. Parce que, vous le savez,
si mes souvenirs sont exacts, le premier ministre actuel a remporté le
pouvoir avec 44,5% des suffrages et dispose de 145 sièges de
majorité.
Il y a actuellement en Angleterre une campagne qui s'appelle "The
Campaign for Fair Vote" dont M. Holme est le responsable. En fait, il est le
directeur de cette campagne. M. Newby - j'ai dit tout à l'heure qu'il
était du Parti libéral. Il est du Parti social-démocrate -
m'a fait part de ses préoccupations également au sujet du mode de
scrutin qu'on retrouve en Angleterre. Mais j'emploierais une expression - et
remarquez que j'aurais trouvé très agréable de
séjourner plus longtemps à Londres. Dieu sait si c'est une ville
qui est agréable mais, faute de temps, je n'ai pu le faire plus
longuement. Ce pourquoi je n'ai pas approfondi davantage le mode de scrutin
britannique c'est que nous avons exactement le même chez nous. En y
restant plus longtemps, j'aurais eu l'impression de dépenser de l'argent
à d'autres fins qu'à l'étude parce que j'aurais
peut-être trouvé je ne sais trop quoi de différent d'ici
puisqu'on a le même mode de scrutin.
Par ailleurs, j'ai passé quelques jours en Irlande. Je ne vous
cache pas que ce séjour m'a particulièrement frappé. Je
vous avoue bien franchement que, si ce n'était de la difficulté
que présentent le compte des bulletins et la façon dont se
calculent les bulletins, dont se fait le vote en Irlande, c'est un mode de
scrutin que je trouverais très intéressant.
Quant aux autres pays, vous dites que j'ai séjourné
longuement en Allemagne. C'est vrai parce que j'avais la possibilité d'y
rencontrer et j'y ai rencontré vraiment les meilleurs
spécialistes possible. Vous le voyez par la liste des gens que j'ai
rencontrés surtout pour essayer de voir comment se marient - c'est un
des seuls pays au monde où cela se retrouve - le mode de scrutin
majoritaire et uninominal à un tour et le mode proportionnel. En
Allemagne, on retrouve un mode de scrutin qui est assez unique. Là
encore, c'est une tentation qui m'est passée par l'esprit à
savoir qu'on devrait peut-être suggérer d'adopter le mode de
scrutin tel qu'on le retrouve en Allemagne. L'inconvénient majeur qu'il
présente c'est qu'il faudrait doubler le nombre de députés
si on l'appliquait au Québec.
La plus grande conclusion que j'ai retirée ou une des conclusions
les plus définitives que j'ai retirées de cette mission c'est que
dans chacun des pays que j'ai visités - évidemment, ceci
s'applique aussi dans chacun des pays qu'on a pu étudier au bureau -
chaque mode de scrutin est particulier aux exigences et à la situation
politiques, sociales, économiques de ces pays. Il y a très peu de
pays où l'on retrouve un mode de scrutin de type proportionnel qui soit
absolument identique d'un pays à l'autre. Il y a toujours un certain
nombre de circonstances assez particulières qui ont amené des
pays à adopter tel ou tel mode de scrutin. Par exemple, vous savez qu'en
Allemagne cela a été imposé par les Américains
immédiatement après la dernière Grande Guerre.
Je ne sais pas si cela répond
suffisamment à votre question mais c'est la réflexion que
je peux vous livrer concernant cette mission.
Le Président (M. Rivest): M. le député. (21
h 30)
M. Doyon: M. le Président, M. Côté nous
explique les raisons de son voyage là-bas. Je souligne en passant qu'on
retrouve dans son rapport de voyage le même traitement aussi rapide du
système qui est le nôtre, le système uninominal un tour
majoritaire, qu'on retrouve de son rapport. Quand il rencontre pendant quelques
heures des gens en Angleterre qui vivent depuis des centaines d'années
avec ce système... Il y aurait sûrement - il faudrait en convenir
assez facilement - quand même un certain nombre d'avantages à ce
système pour qu'une démocratie comme la démocratie
britannique ait pu survivre et ait pu prospérer avec ce système
pendant des centaines d'années.
Pendant une seule journée, vous vous arrêtez en Angleterre
et les seules personnes que vous réussissez à voir, ce sont des
gens qui sont à la tête d'un mouvement pour dénoncer ce
système, pour en promouvoir le changement, l'abolition, ou
l'établissement d'un système autre, soit de nature
proportionnelle ou autre. Je me dis que quand même, à sa face
même, comment peut-on raisonnablement défendre une visite en
Angleterre? Finalement, on ne trouve le tour de voir que des personnes qui ne
sont pas satisfaites du système. Est-ce qu'on doit en conclure... Le
rapport lui-même peut être trompeur là-dessus. Si c'est le
cas, peut-être pourriez-vous l'établir. Je parle de l'Angleterre
parce que c'est le cas dont on discute. Il semblerait, à la lecture du
rapport que vous soumettez, que tout le monde en Angleterre, que les gens que
vous avez rencontrés, que vous avez pensé valoir la peine de
rencontrer étaient des gens qui mettaient de l'avant l'abolition du
système ou son changement. Est-ce que vous n'auriez pas pu trouver
quelque part en Angleterre quelqu'un qui aurait pu établir que quand
même ce système, que je conçois que vous n'acceptiez pas
d'emblée, qui a des défauts, révélait un certain
nombre de qualités et que, de la même façon que les gens
que vous avez rencontrés ont fait valoir qu'il n'était pas
satisfaisant, un certain nombre d'autres personnes parmi les gens que compte
l'Angleterre, de nos jours, auraient pu vous faire valoir un point de vue
probablement opposé et dont vous auriez pu faire rapport?
Est-ce que cela n'aurait pas été possible? Et est-ce que
n'aurait pas été possible aussi le fait que dans vos voyages, vos
pérégrinations, vous vous intéressiez à ce qui se
passe dans cette grande démocratie qui est au Sud de chez nous et qui
s'appelle les États-Unis et qui vivent assez confortablement, merci,
d'un système qui semble les satisfaire et qu'il vaudrait peut-être
la peine qu'on aille en parler à des gens de là-bas qui font
fonctionner de façon satisfaisante, d'une façon acceptable un
système qui permet d'élire un gouvernement qui finalement
fonctionne? Est-ce que le gouvernement du Canada ne dispose pas quelque part,
parmi ses fonctionnaires, parmi les gens qui s'intéressent à la
chose publique, de personnes qui croient que le système qui est le
nôtre actuellement, avec ses imperfections, qui sont inévitables
à tout système, à tout mode de scrutin, qui auraient pu
vous faire valoir, si vous aviez voulu vous rendre, par exemple, à
Ottawa... Je comprends que cela n'a pas le "glamour" d'aller à Londres,
cela n'a pas le "glamour" d'aller à Francfort, cela n'a pas le "glamour"
d'aller à Hambourg. Mais Ottawa est un centre important de
décisions de nature politique au Canada et il s'y passe des choses. La
même chose à Toronto. N'est-il pas possible de s'intéresser
à ce qui se passe à Washington? Pourquoi toujours devoir
traverser l'océan pour trouver des réponses à des
problèmes qui sont des problèmes qui nous sont propres?
Est-ce que les voyages qui sont, admettons-le, utiles, parfois
nécessaires ne devraient pas justement être mieux répartis
de façon qu'une fois qu'on est sur place, on entende toutes sortes de
sons de cloche, pas seulement des sons de cloche qui sont en accord avec une
façon de voir les choses qui ont déjà été
entendues quelque part lors de la tournée en province, mais aussi
d'entendre des personnes qui vivent avec un système qui est le
nôtre? Ou encore d'aller entendre à Washington, d'aller entendre
aux États-Unis, d'aller entendre quelque part dans les provinces
canadiennes des sons de cloche qui auraient pu être discordants par
rapport à la thèse que vous proposez, mais qui auraient pu
permettre à cette commission de mieux apprécier les choses?
Personnellement, j'aurais été plus rassuré de voir
un voyage qui aurait été plus éclectique et qui aurait
permis à cette commission d'avoir des sons de cloche de nature diverse,
non pas simplement des sons de cloche critiques et dévastateurs
vis-à-vis du système uninominal à un tour; des sons de
cloche qui auraient pu dire: C'est vrai que... mais d'un autre
côté, ce système a un certain nombre d'avantages, et les
voici. À la lecture du rapport que vous nous soumettez sur votre voyage,
doit-on conclure que, finalement, il y a peu ou pas d'avantages au
système qui est le nôtre? Cela serait totalement inexplicable en
considérant que les plus grandes démocraties du monde
réussissent à se gouverner et à prospérer avec ce
système.
M. Côté (Pierre-F.): Je vais passer la parole
à M. Bourassa. J'aimerais apporter
seulement quelques précisions, M. le député. Je
vous signale qu'en Angleterre, comme je vous l'ai dit tout à l'heure,
j'avais quand même rencontré M. David Butler, qui n'est pas le
premier défenseur d'un mode de scrutin proportionnel, d'aucune
façon. C'est le plus grand défenseur qu'on puisse trouver du mode
de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Je vous ai signalé
que j'ai eu l'occasion de le renconter à Londres.
D'autre part, vous avez fait référence aux
États-Unis. Peut-être que vous l'ignorez, mais depuis quelques
années déjà, je fais partie d'une association
américaine qui regroupe ce qui est l'équivalent ici, au Canada,
des directeurs des élections, pour tous les États
américains. La prochaine réunion aura lieu au mois de
décembre à Seattle. Je me propose d'y être présent,
parce que cela fait plusieurs années que j'en suis membre, et je
commence à être passablement au courant du système ou du
mode électoral américain. Je cherche le nom exact de cette
association, c'est le Government Council of Ethic Laws, si je ne me trompe pas
dans la désignation, mais j'essaie de la retrouver de façon
très précise. En ce qui concerne Ottawa, il va de soi - vous le
savez peut-être ou je vous l'apprend si vous ne le savez pas - que
j'entretiens des relations constantes et suivies avec le Directeur
général des élections, M. Hamel. Nous discutons
constamment, parce que, là encore, je fais partie d'un groupement qui se
réunit tous les étés et qui regroupe les onze Directeurs
généraux des élections qu'il y a au Canada, et nous
dialoguons évidemment. Comme, au Canada, c'est le mode de scrutin
majoritaire uninominal à un tour, il va sans dire que nos dialogues
portent sur ce domaine.
Le Président (M. Rivest): M. Bourassa.
M. Bourassa: Oui, deux brèves remarques
préliminaires et peut-être une troisième qui me
paraît plus importante à la suite de ce que vient de dire le
président de la commission. Je pense qu'il est important de souligner
que M. David Butler est, de fait, un des grands spécialistes occidentaux
en questions électorales touchant les modes de scrutin et que c'est
sûrement un ardent défenseur du mode de scrutin uninominal
à un tour. Il a signé, dans un livre paru récemment sous
la direction de Jacques Cadart, un article où il fait état d'une
profonde réflexion qui est en cours et de la nécessité
sans doute d'approfondir les modifications à un tel mode de scrutin.
Donc, nous avions une piste, je pense, intéressante et, je crois,
axée sur l'un des plus grands noms dans ce domaine. Je pense aussi qu'en
ce qui concerne ces études britanniques, il faut bien comprendre que le
rapport de cette commission a été appuyé par des travaux
faits au cours des années antérieures où
déjà on avait - je ne veux pas faire l'historique de tout cela,
mais je pense que vous le savez encore mieux que moi -passablement
examiné les données touchant le mode de scrutin que nous avons
hérité de la tradition britannique.
Quant au système américain, M. Côté a aussi
soulevé un certain nombre d'aspects pour montrer qu'il y avait des
liens, mais je pense aussi que vous conviendrez aisément que
c'était soulever beaucoup de problèmes qui étaient
peut-être aussi un peu hors de notre mandat. Bien sûr, il y a un
système bipartisan aux États-Unis, uninominal à un tour,
mais il y a aussi le régime présidentiel. Je pense que dans le
laps de temps dont nous disposions et avec l'information que nous avions
déjà, il était pratiquement impossible de faire un travail
sérieux où on aurait pu isoler strictement le mode de scrutin et
le régime bipartisan d'un régime présidentiel. On risquait
fort - je pense qu'aujourd'hui on nous le reprocherait à juste titre -
d'oublier qu'il y avait aussi au sud une tout autre forme de gouvernement qui
n'est en rien comparable à la nôtre. Je pense que cet aspect, on
ne peut guère le négliger.
Ma troisième remarque touche à des aspects que vous avez
soulevés dans le rapport, à une ou deux remarques que vous avez
faites à propos du rapport et qui m'affectent et me touchent assez
directement. Vous dites: D'une part, vous n'acceptiez pas d'emblée le
mode de scrutin uninominal à un tour. Je me permettrai de vous
répéter - pour moi, c'est une conviction profonde - que ce n'est
aucunement le cas. Nous n'étions point au départ, je vous prie de
le croire, ni d'emblée pour ni d'emblée contre. Nous cherchions,
après le mandat qui nous avait été confié, à
consulter la population, à l'informer, à obtenir des points de
vue, à faire des études, à réfléchir, mais
je pense qu'il serait erroné, pour donner l'allure
générale du travail que nous avons fait, de poser au
départ que nous n'acceptions pas d'emblée ce mode de scrutin.
Finalement, pour ce qui est de ce mode de scrutin uninominal à un
tour, dans le rapport que nous avons déposé, je pense qu'il est
un peu trop bref de dire que nous n'y consacrons qu'un ou deux paragraphes,
qu'une ou deux pages. Il serait facile de démontrer qu'il y en a
facilement une bonne douzaine au chapitre III, au chapitre IV. Le chapitre III,
qui porte sur le mode de scrutin actuel pour moitié, le chapitre IV
quand on examine les caractéristiques québécoises, ce qui
nous amène à réfléchir justement au mode de scrutin
actuel par rapport à ces caractéristiques, et tout le chapitre II
de ce rapport sur les principaux thèmes rattachés à
l'étude des modes de scrutin, sont autant de
lignes de force qui ont commandé notre réflexion sur le
mode de scrutin actuel.
Cela a déjà été dit - mais je me permets
personnellement de le répéter - en filigrane dans tout ce
rapport, la réflexion sur le mode de scrutin actuel est absolument
essentielle. Cela aurait été tomber complètement dans
l'angélisme que de croire que nous pouvions réfléchir en
dehors de cette réalité. Donc, il y a au moins dans ce rapport
finalement un très grand nombre de pages - je ne veux pas les quantifier
- mais quelque deux ou trois dizaines de pages qui touchent directement
à notre mode de scrutin actuel et qui sont une réflexion sur ce
mode. Bien sûr, si on ne s'attache qu'à la page 90 où l'on
dit qu'on ne l'accepte pas, cela présente une image brève de
notre analyse.
M. Lessard: Je voudrais ajouter une remarque à la fin de
ceci. Le souvenir le plus clair que je garde de notre orientation vers la
proportionnelle territoriale, c'est le suivant: dès la première
audience à Québec, nous nous sommes réunis ensuite pour
dialoguer. Par la suite, après presque toutes les audiences nous l'avons
fait. Je regrette que cela n'ait pas été enregistré. Si
vous pouviez écouter cela, vous verriez que nous avons inventé
des modes de scrutin assez particuliers à certains moments en
réaction aux propos qui nous avaient été tenus dans la
journée.
C'est à la fin de ce cheminement, avec des retours et des
recommencements, que nous sommes arrivés à formuler cette
proposition qui, d'ailleurs - il faut le rappeler - est une proposition en
faveur de la proportionnelle avec certains types de divisions territoriales,
mais avec toute une série de suggestions que nous appelons des
préférences quant aux modes particuliers d'implantation. Ceci est
bien la conséquence de notre cheminement, qui n'est pas un cheminement
de certitude, mais un cheminement de recherche. Malheureusement je ne peux pas
vous donner d'enregistrement, mais je vous rapporte ce que nous avons
vécu et qui me semble caractériser le mieux notre
cheminement.
Le Président (M. Rivest): M. le député de
Deux-Montagnes et, par la suite, j'ai la demande du député de
Westmount.
M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je voudrais
faire quelques observations. En premier lieu, je voudrais demander au
président, M. Côté, de nous épeler s'il vous
plaît ce néologisme qu'il a utilisé non seulement pour
satisfaire ma curiosité, mais aussi celle des rédacteurs du
journal des Débats. Comment cela s'écrit-il?
M. Côté (Pierre-F.): À la page 23 du rapport,
on a essayé de l'écrire à la française. Je me
rappelle que M. Butler l'avait écrit plutôt à l'anglaise.
C'est...
M. de Bellefeuille: Un pséphologue?
M. Côté (Pierre-F.): Un pséphologue.
M. de Bellefeuille: P-s-é-p-h-o-l-o-g-u-e. Bon!
M. Côté (Pierre-F.): Cela vient de deux mots grecs,
logos, la science, et psepha, si je ne me trompe, c'est le scrutin ou...
Psepha, c'est quoi?
M. de Bellefeuille: Psepha, c'est le vote.
M. Côté (Pierre-F.): Le vote. Alors, c'est la
science du vote. (21 h 45)
M. de Bellefeuille: Enfin... On va supposer. Bon! Merci
beaucoup.
Ensuite, M. le président Côté, je voudrais vous
inviter à ne pas accorder trop d'importance aux propos du
député de Louis-Hébert. Le moins qu'on puisse dire, c'est
que c'étaient des insinuations malveillantes, quand il a parlé de
voyages. C'était d'ailleurs, il me semble, un peu contradictoire et un
peu incohérent. Il vous a reproché d'être allé
à Londres plutôt que de vous être contenté d'aller
à Ottawa, qui est évidemment pour lui la source de toute sagesse,
et, en même temps, il vous a reproché de ne pas être
resté assez longtemps à Londres. Je ne sais pas comment vous
auriez pu satisfaire l'insondable volonté du député de
Louis-Hébert.
D'autre part, vous avez dit, M. le président Côté,
que le député de Louis-Hébert vous prêtait des
intentions et, cette fois, c'est beaucoup plus grave que cela. Il a
formulé une accusation. Si elle était venue de quelqu'un d'autre,
du député de Westmount, du député de D'Arcy McGee,
du député de Gatineau, du député de Charlesbourg ou
du député de Jean-Talon, j'aurais très vivement
protesté. J'en aurais fait vraiment tout un plat. Cela aurait
été une situation, à mon avis, très grave, mais
comme cela vient du député de Louis-Hébert, c'est moins
grave. Il vous a accusé d'avoir mis beaucoup plus d'insistance
auprès de certaines personnes et de certains groupes pour obtenir leur
témoignage qu'auprès d'autres personnes et d'autres groupes. Je
crois que c'est une accusation très grave, mais je n'insiste pas,
étant assuré qu'aucun des autres membres de cette commission,
même du côté des banquettes de l'Opposition libérale,
ne partage ce point de vue et ne voudrait soutenir pareille accusation.
M. Gratton: M. le Président, question
de règlement.
Une voix: Quel règlement?
M. Gratton: Non, mais je ne voudrais surtout pas - on sait qu'on
s'est entendu sur la façon de procéder - que le
député de Deux-Montagnes nous provoque, parce qu'on devra,
évidemment, mettre les points sur les "i", s'il nous y invite.
M. de Bellefeuille: Ceci étant, je voudrais passer
rapidement sur une question de chiffres à partir d'une chose que M.
Lessard nous a dite plus tôt ce soir, non pas pour chercher la petite
bête dans ce que disent les trois membres de la commission, mais tout
simplement parce que je pense que l'usage qu'on fait des chiffres, c'est un des
problèmes qui existe dans notre société. Je pense qu'il
est très bon d'essayer d'y voir clair, pas du tout pour vous critiquer,
M. Lessard, mais pour essayer d'y voir clair. Le chiffre particulier auquel je
veux m'en prendre, c'est le pourcentage de 74% que vous avez cité. Vous
avez dit: II y a tel pourcentage des gens qui sont pour une réforme, il
y a tel pourcentage qui sont contre et le reste, ce sont des indécis.
Vous avez ajouté: Si on ne tient pas compte des indécis, si on
tient compte seulement des gens qui ont formulé une opinion pour ou
contre, là, cela donne 74% des gens qui sont pour. Bon! Je
prétends que cet usage des chiffres est, pour dire le moins, très
marginal. Il est de nature, en réalité, à induire les gens
en erreur, d'abord, parce que, si vous employez ce pourcentage de 74%, la
plupart des gens qui vont vous entendre vont penser, quoi que vous ajoutiez
comme précision, que vous êtes en train de dire que 74% des gens
sont pour la réforme alors que ce n'est pas ce que vous avez dit.
Deuxièmement, ce que vous faites, c'est que vous écartez
l'avis des gens qui n'ont pas pris position pour ou contre. Or, vous n'avez pas
le droit de faire cela, il me semble. Parce que de dire: Je n'ai pas
décidé si je suis pour ou contre, ce n'est pas
nécessairement le reflet d'un manque d'opinion. Je sais très bien
que, dans les sondages sur la popularité des partis politiques, sur les
intentions de vote, on fait cela couramment. On attribue les indécis. On
dit: II y en a tant pour tel parti, tant pour tel autre parti, tant pour tel
troisième parti et puis tant d'indécis. Là, on
répartit les indécis entre les trois groupes dans la même
proportion que ceux qui ont exprimé une opinion. C'est justifiable.
Pourquoi l'est-ce? Parce que, quand on arrive dans le bureau de scrutin, dans
l'isoloir, il n'y a plus d'indécis. Ceux qui se rendent au bureau de
scrutin ne sont plus des indécis. Il y a peut-être un infime
pourcentage d'annulations, mais il n'y a plus d'indécis. Ceux qui sont
là se prononcent.
Par conséquent, vous en avez le droit, tout en prévenant
les gens que vous faites cela, que vous attribuez les indécis aux
différents partis selon la même proportion. Mais, dans ce cas-ci,
il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de refléter l'opinion. Or, les gens
qui vous ont dit en substance qu'ils ne sont ni pour ni contre la
réforme ne sont pas nécessairement des gens qui n'ont pas
réfléchi à la question. Ce sont des gens qui ont une
opinion qu'ils ne sont prêts à ranger ni dans les pour ni dans les
contre. C'est une deuxième raison, me semble-t-il, pour éviter ce
genre d'usage des chiffres. Comme nous allons forcément, pendant les
travaux de la commission, parler beaucoup des chiffres, je pense qu'il est
important de préciser dans quel esprit nous utilisons les chiffres.
Je voudrais maintenant vous entraîner sur une autre question de
chiffres.
M. Lessard: Est-ce que je peux répondre à cela?
M. de Bellefeuille: Oui, allez-y d'abord.
M. Lessard: Je suis d'accord avec vos propos. La question est
toujours en discussion chez les gens qui font des sondages ou des statistiques.
Qu'est-ce qu'on fait des indécis? Il faut le décider dans chaque
circonstance.
Tout à l'heure, mon propos n'était pas de donner de
l'importance au pourcentage de 74%, mais mon propos était plutôt,
en réponse à M. Mailloux, de dire que nous avions trouvé
une majorité de 57% des personnes interrogées et non pas de la
population totale qui avait dit oui. J'ai cité le pourcentage de 74% en
passant. Si je l'ai mal cité, je m'en excuse. J'aurais dû dire:
74% de ceux qui ont pris une décision. Là, cela aurait
été exact. Là-dessus, je vous laisse la parole.
M. de Bellefeuille: Alors, là, je considère qu'on a
clarifié quelque chose. De façon plus générale,
dans la déclaration d'ouverture de M. le président
Côté, on a parlé, comme on en parle toujours quand il
s'agit de la réforme du mode de scrutin, de la volonté populaire,
de la nécessité de respecter la volonté populaire.
À partir de cet axiome ou de cette idée sur laquelle je crois
qu'il y a un accord assez général, il faudrait voir justement
jusqu'où va l'accord.
On dit, par exemple: Si un parti obtient environ 40% des voix, il
devrait avoir environ 40% des sièges à l'Assemblée
nationale. C'est à peu près cela qu'on dit, n'est-ce pas? On ne
dit pas: Exactement. On dit: Environ. Je suis assez d'accord que, si un parti a
40% des voix, il devrait avoir 40% des sièges.
Je voudrais maintenant vous poser la
question suivante. Si un parti a 20%, si un parti a 10%, si un parti a
5%, si un parti a 3%, si un parti a 2%, si un parti a 1%, si un parti a 0,8% -
je choisis 0,8% exprès parce qu'au Québec, cela voudrait dire un
siège... Le parti qui obtiendrait - si on applique la règle
mathématiquement, de façon exacte - 0,8% du vote - ce n'est pas
beaucoup, le Parti nationaliste fédéral au Québec a obtenu
trois fois cela et le Rhinocéros plus de trois fois cela - cela veut
dire un siège. De la même façon, aux dernières
élections fédérales, selon cette règle
mathématique, si on l'applique exactement, il devrait y avoir
aujourd'hui, à la Chambre des communes, selon ce type de justice
très mathématique, un ou deux Rhinocéros et un ou deux
députés du Parti nationaliste représentant le
Québec, selon le pourcentage du vote qu'ils ont obtenu. Je pense qu'on
voit qu'il y a quelque chose qui ne marche plus.
Je reviens à cette notion de volonté populaire. Si,
partout au Québec, les gens se prononcent à 99,2% contre un
candidat, c'est-à-dire qu'ils optent, dans ce pourcentage-là qui
est extrêmement fort, pour quelqu'un d'autre que ce candidat, cela veut
dire que ce parti est rejeté partout très massivement et que, par
conséquent, le respect de la volonté populaire, c'est de se
conformer à ce rejet très massif qui s'est manifesté
partout. Donc, zéro député.
On monte, à partir de 0,8%, à 2%, ce qui est vraiment
mordre la poussière. Un parti dont les candidats à
l'échelle du Québec obtiendraient partout 2% du vote, ces
candidats ont mordu la poussière partout. Est-ce respecter la
volonté populaire de donner 2% des sièges à ce
parti-là? Non, je crois que non, je crois que c'est trahir la
volonté populaire.
Vous voyez qu'il y a là deux argumentations. Quel est le point de
rencontre de ces deux argumentations? Dans quelle mesure est-ce qu'on suit la
règle que tel pourcentage de votes doit donner tel pourcentage de
sièges? Où cela casse-t-il? À 0,8%, je prétends que
cela a cassé depuis longtemps. Je prétends que,
déjà, à 2%, cela a cassé. Cela a peut-être
déjà cassé à 3%. Où cela casse-t-il?
M. Côté (Pierre-F.): M. Bourassa.
M. Bourassa: Je pense que la question posée, au fond, met
bien en évidence deux pôles. Il y a ce qui s'appelle la
démocratie idéale où tous seraient
représentés selon les voix émises - tous les mouvements,
tous les courants seraient représentés - et la démocratie
plus ou moins satisfaisante dans laquelle à peu près tous les
pays que nous connaissons vivent. Je pense que le problème que cela
pose, très réellement, et auquel nous avons été
confrontés, c'est le problème du seuil. Je pense que nous sommes
tous d'accord ici pour dire qu'il faut poser un seuil et que,
précisément, à partir du moment où il s'agit de
mieux représenter les tendances de l'opinion, il s'agit tout de suite
après... La question qui se pose est de définir quel est le
minimum vital en quelque sorte pour qu'un courant puisse avoir revendication
d'existence et, à ce moment-là, cela peut prendre toutes sortes
de formes. Il y a toutes sortes d'artifices ou de techniques, si on
préfère, pour régler ce problème.
Dans notre perspective, sans entrer dans tous ses détails
dès maintenant, mais dans la proposition que nous avons formulée,
il y a précisément un certain nombre d'aspects qui cherchent
à la fois à favoriser une meilleure représentation, mais
qui éliminent précisément les cas nombreux
d'effervescence, de floraison inutile de mouvements d'opinion. Ce serait, d'une
part, au prix d'une démocratie, je pense, mal comprise et, à ce
moment-là... Encore une fois, comme vous le disiez dans votre exemple de
0,8%, il a droit à un siège. Donc, c'est nettement inacceptable,
mais c'est aussi paralyser tout l'appareil politique. Il y a la
représentation démocratique, mais, dans notre rapport, cela a
été une constante et une préoccupation majeure de trouver
un mode de scrutin qui représente mieux, mais qui puisse aussi permettre
de gouverner.
Alors, ma réponse à cela, c'est qu'entre une
proportionnelle intégrale qui serait, sur le plan intellectuel, la plus
belle des choses, mais sans doute la moins bonne et la pire pratiquement, et
l'autre pôle qui est, en quelque sorte, le carcan imposé de
certains cadres très rigides, il y a possibilité de
définir des modes de scrutin et, à nos yeux, dans cette
perspective, la proportionnelle est celui qui va le mieux dans ce sens et qui,
quand même, régimente et réglemente ces divers
mouvements.
Précisément, on nous a reproché de trop les
réglementer. D'ailleurs, une position comme celle-là se
prête facilement aux deux types de critiques. On nous accusera de ne pas
être assez ouverts, d'être trop proportionnels, mais, en même
temps, en obligeant les regroupements alors que d'autres disent
déjà qu'en proposant la proportionnelle on laisse encore des
portes beaucoup trop ouvertes.
Somme toute, je pense que nous nous entendrions aisément avec
vous sur la nécessité de ces seuils. Je pense que cela
relève de détails, par exemple, du nombre de circonscriptions que
l'on peut retenir sur un territoire, du nombre de députés
à élire par circonscription, de la grandeur du territoire, de la
fabrication des listes, tout l'ensemble de questions que le rapport
considère, mais à titre de préférence parce que,
précisément, on peut placer le seuil de façon plus ou
moins élevée selon des préférences qui sont
idéologiques ou autrement.
M. de Bellefeuille: Qu'est-ce que vous êtes enclin à
faire? Où êtes-vous enclin à situer le seuil comme
commission ou vous personnellement?
M. Bourassa: Personnellement, je pense que je pourrais dire, et
je crois que cela rejoindrait assez l'opinion de mes collègues qui me
corrigeront si ce n'est pas le cas ou qui me compléteront, je crois que
ce seuil doit être tout de même assez élevé. Le
Québec n'a pas été, dans son histoire politique, un lieu
où les courants d'opinion ont une grande facilité d'expression
sur la place publique et dans les institutions politiques. Il faut mettre en
place des mécanismes qui favorisent un tel mouvement, mais sans passer
à un extrême complètement opposé. Je pense que, de
ce côté, nous sommes plutôt enclins à une ouverture
modérée. Je le dis en toute honnêteté.
M. de Bellefeuille: Merci.
Le Président (M. Rivest): Est-ce que vous avez
terminé? Alors, sur cette première partie de nos travaux, il y a
encore, pour demain, étant donné qu'il est 22 heures,
l'intervention du député de Westmount et ensuite, si les membres
de la commission sont d'accord, on va passer au chapitre subséquent du
rapport du président, le chapitre 2, en espérant qu'on pourra
progresser.
La commission ajourne ses travaux à demain, 10 heures.
(Fin de la séance à 22 h 1)