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Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le mardi 9 octobre 1984 - Vol. 27 N° 2

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation particulière pour étudier le rapport de la Commission de la représentation sur la réforme du mode de scrutin


Journal des débats

 

(Quatorze heures douze minutes)

Le Président (M. Vaugeois): À l'ordre, s'il vous plaît! La séance est ouverte. M. le secrétaire, voulez-vous nous donner la liste des membres de la commission ainsi que ceux qui s'y ajoutent aujourd'hui.

Le Secrétaire: D'accord. Les membres présents sont: MM. Baril (Rouyn-Noranda-Témiscamingue), De Bellefeuille (Deux-Montagnes), Duhaime (Saint-Maurice), Dussault (Châteauguay), Mailloux (Charlevoix), Marx (D'Arcy McGee), Rivest (Jean-Talon); Mme Saint-Amand (Jonquière) et M. Vaugeois (Trois-Rivières).

Les remplacements annoncés sont les suivants: M. Brassard (Lac-Saint-Jean) est remplacé par M. Beaumier (Nicolet); M. Léger (Lafontaine) est remplacé par M. Blouin (Rousseau); M. Levesque (Bonaventure) est remplacé par M. Côté (Charlesbourg) et M. Payne (Vachon) est remplacé par M. Rochefort (Gouin).

Le Président (M. Vaugeois): Vous avez des choses à ajouter, M. le vice-président?

Organisation des travaux

M. Rivest: Oui. Je voudrais simplement indiquer aux membres de la commission que, de notre côté - je ne sais pas quant au côté ministériel - il y a un certain nombre de députés qui ne sont pas membres de la commission - nombre limité à deux ou trois, je pense - et qui se sont divisé, dans la préparation des travaux de la commission, les divers aspects du rapport du directeur général du scrutin. Étant donné que notre règlement indique que, pour participer aux travaux de la commission, cela requiert à chaque fois l'obtention du consentement, je voudrais demander si la commission accepterait de permettre à un certain nombre de députés - encore une fois, un nombre limité - qui ne sont pas membres de la commission, d'y participer au moment où les travaux seront rendus au sujet qu'ils ont particulièrement étudié, le tout, bien sûr, respectant la parité entre le droit de parole du côté ministériel et celui du côté de l'Opposition.

Le Président (M. Vaugeois): Dans la mesure où il ne peut y avoir d'abus, étant donné qu'il y aura alternance et qu'on respectera ce principe, qu'on s'en tiendra autant que possible aux dix minutes que prévoit le règlement, sauf si une intervention est à ce point magistrale qu'elle nous émerveille tous et que nous en oubliions le temps. Mais, de façon générale, on s'en tiendra aux dix minutes. Encore qu'un membre retrouvera son droit de parole éventuellement, le nombre de fois d'interventions étant illimité, sur cette base... Oui, M. le député de Châteauguay.

M. Dussault: Je voudrais savoir de la part de l'Opposition combien il y a de députés qui viendraient s'ajouter en cours de route. Le danger est qu'on répète les mêmes choses et qu'on ne fasse pas un travail qui soit vraiment productif et intéressant.

M. Rivest: Je peux vous les indiquer: ce sont les députés de Gatineau, de Jeanne-Mance, de Louis-Hébert et de Westmount qui ont, dans le cadre des travaux - c'est pourquoi c'est terriblement difficile - un aspect particulier à examiner. Par exemple, il y a le problème des distorsions que la carte a produites. Un député, dans l'équipe de travail de notre côté, s'est chargé particulièrement de cela. Il voudrait avoir la possibilité d'intervenir à ce moment-là. On ne sait pas à quel moment exactement, selon les travaux de la commission, mais il le fera, bien sûr - j'insiste là-dessus et le président, d'ailleurs, vient de l'indiquer - de façon que cela n'enlève aucun temps à quelque autre membre de la commission du côté ministériel; cela restera à l'intérieur de notre enveloppe, selon la direction de la commission.

Le Président (M. Vaugeois): Je trouve que cette méthode est préférable. Autrement, comme il y a des membres qui pourront s'ajouter en remplacement de quelqu'un qui s'absenterait à une séance ou l'autre, on risque d'avoir à reprendre certains débats. Mais allez-y.

M. Dussault: M. le Président, je voulais m'assurer que les personnes dont il était question sont des personnes présentes qui n'auront donc pas la tentation de répéter des choses déjà dites. Je voudrais que cette liste soit fermée immédiatement. Je ne voudrais pas donner mon consentement pour ouvrir

cette liste ad vitam aeternam.

Le Président (M. Vaugeois): Sur cette base, on va souhaiter la bienvenue à deux députés indépendants, le député de Sainte-Marie et le député de Frontenac. Je présume que les membres présents sont d'accord pour que ces personnes soient membres de notre commission.

M. Rivest: Vous permettez, M. le Président? Pour les noms, il s'agit du député de Gatineau, M. Gratton; du député de Louis-Hébert, M. Doyon; du député de Jeanne-Mance, M. Bissonnet, et du député de Westmount, M. French. Il faudrait ajouter les noms du député de Frontenac, M. Grégoire, et celui du député de Sainte-Marie, M. Bisaillon.

M. Bisaillon: Est-ce que je pourrais vous poser une question? Ce ne sera pas tellement long. Je voudrais seulement savoir si nos noms s'ajoutent en fonction d'une permission de la commission ou en fonction de l'application de l'article 130.

Le Président (M. Vaugeois): Vos noms s'ajoutent certainement en fonction de l'article 129.

M. Bisaillon: Certainement, mais est-ce qu'on peut considérer, M. le Président, que cela pourrait être aussi en fonction de l'article 130? Je voudrais vous rappeler que l'article 130 de notre règlement spécifie qu'un député indépendant peut siéger comme membre d'une commission - sans droit de vote, cependant - sur des projets de lois. Au moment où l'adoption du rapport de la sous-commission avait été faite à la commission de l'Assemblée nationale - vous étiez présent, M. le Président - vous vous souviendrez que j'avais souligné le fait que le texte actuel du règlement 130 ne correspondait pas aux discussions de la sous-commission. Le leader du gouvernement, tout comme le leader de l'Opposition à cette époque, avaient convenu que, sans changer le texte sur des mandats législatifs, c'est-à-dire que, pour toute question traitée par une commission appelée par le leader du gouvernement, un député indépendant pourrait être membre de la commission, selon les règles prévues, c'est-à-dire sans droit de vote, évidemment, mais avec ce que cela suppose comme droits par ailleurs.

Le Président (M. Vaugeois): M. le député, si je consulte à ma droite, on me rappelle le règlement tel qu'il est rédigé. Si je consulte à ma gauche, on s'en remet à l'interprétation que vous faites.

M. Bisaillon: M. le Président, je devrais vous dire qu'il faut toujours se fier à ce qui se passe à gauche.

Le Président (M. Vaugeois): En ce qui vous concerne, c'est ce que j'avais prévu. Si vous me permettez, je vous rappelle le mandat de la commission qui nous vient de la Chambre, sur proposition du leader du gouvernement. Cette commission ne se réunit donc pas aujourd'hui de sa propre initiative, mais sur une proposition d'un membre de l'Exécutif, ce qui explique d'ailleurs la présence parmi nous d'un membre de l'Exécutif. Le mandat de notre commission est de procéder à une consultation particulière pour étudier le rapport et les recommandations de la Commission de la représentation électorale sur la réforme du mode de scrutin déposés à l'Assemblée nationale le 28 mars 1984.

Quand on se rappelle ce mandat qui avait été accordé à la Commission de la représentation électorale, on comprend qu'aussi longtemps que les interventions porteront sur le mode de scrutin ou la réforme du mode de scrutin il sera difficile d'aller à l'encontre du règlement. Le sujet est assez large, mais il reste quand même qu'une approche nous est suggérée, c'est-à-dire de procéder à partir du rapport de la commission qui est ici présente.

Je sais que tout à l'heure, dans une intervention, le député de Saint-Maurice, le ministre qui est actuellement chargé de la question de la réforme électorale, nous proposera peut-être une façon de procéder à l'intérieur des travaux pour un certain ordre. Mais au départ, le président de la commission a souhaité faire un exposé d'introduction. Les porte-parole des deux partis ici présents ont accepté avec plaisir d'entendre, dans un premier temps, M. Côté, le président de la Commission de la représentation électorale. Au départ, j'inviterais M. Côté à nous présenter ses collègues et à faire circuler un document qui, je pense, contient l'essentiel de son intervention de départ.

M. le président Côté, à vous la parole.

Présentation du président de la Commission de la représentation

M. Pierre-F. Côté

M. Côté (Pierre-F.): Je vous remercie, M. le Président. Effectivement, je demanderais qu'on remette à chaque membre un exemplaire de la déclaration - ce sont plutôt des notes d'introduction - que je m'apprête à vous faire. J'aimerais que vous l'ayez en main, ce sera plus facile pour vous de suivre le texte dont je veux vous faire part.

Le Président (M. Vaugeois): Est-ce que quelqu'un s'occupe de votre document, M. Côté?

M. Côté (Pierre-F.): Oui. Apparemment, on l'a serré avec tellement de discrétion qu'on a de la difficulté à le trouver. Je vois qu'on a mis la main dessus, on va vous le distribuer dans deux minutes.

Le Président (M. Vaugeois): Est-ce un document confidentiel?

M. Côté (Pierre-F.): Jusqu'au moment où je vous en ferai part. On le distribue actuellement. Il y en a suffisamment d'exemplaires.

Le Président (M. Vaugeois): Voulez-vous nous présenter vos collègues, s'il vous plaît?

M. Côté (Pierre-F.): D'accord, M. le Président. À ma gauche, M. Marc-André Lessard, un des commissaires. Je vous signale que l'autre commissaire, M. Bourassa, est absent cet après-midi pour des raisons professionnelles. Il m'a prié de l'excuser auprès de vous. C'est absolument impossible pour lui d'être avec nous cet après-midi, mais, dès ce soir, dès la fin de l'après-midi, il se joindra à nous. À ma droite, Me Eddy Giguère, le secrétaire de la commission. À côté de M. Giguère, ce sont des collaborateurs: M. Claude Fournier, le secrétaire exécutif, et M. Jean Lambert, l'adjoint au financement; à l'extrême gauche, M. Dumas, le directeur de la recherche et MM. Poirier et Tremblay qui sont des agents de recherche à mon bureau.

M. le Président, mesdames et messieurs les membres de la commission des institutions de l'Assemblée nationale, nous avons évidemment accepté avec plaisir la demande que vous nous avez adressée par l'intermédiaire du secrétaire de votre commission de venir vous rencontrer pour échanger avec vous sur le contenu du rapport que nous avons remis à l'Assemblée nationale, le 28 mars dernier, sur l'importante question du mode de scrutin.

Il est peut-être opportun, dès le début, de situer la place qu'occupe la Commission de la représentation électorale dans le présent débat. L'Assemblée nationale nous a confié un mandat, nous l'avons réalisé du mieux que nous avons pu et vous nous fournissez ces jours-ci l'occasion d'expliciter de quelle façon nous nous en sommes acquittés et surtout de vous fournir des explications sur le rapport lui-même.

La réforme du mode de scrutin ou le maintien du statu quo est un débat de nature politique et la décision qui sera prise est, elle aussi, politique. Il est bien évident que nous n'avons aucune fonction politique; cela va de soi. Il est impérieux de préserver l'objectivité que requiert l'exercice de nos fonctions. Il serait inconcevable et même regrettable que l'on interprète nos travaux passés ou actuels comme ayant quelque coloration partisane que ce soit. Ce n'est pas là ce qu'on attend de nous; ce n'est pas notre rôle. La compréhension que nous avons de notre rôle est de fournir la meilleure expertise possible afin d'éclairer vos débats.

Les membres de la Commission de la représentation électorale et moi-même, à titre de président et directeur général des élections, sommes comptables de nos actes envers l'Assemblée nationale. Les deux fonctions dans l'exécution du présent mandat sont indissociables. L'Assemblée nationale s'est en effet départie, d'une part, des pouvoirs qu'elle s'était, par tradition, longtemps réservés en exclusivité en matière électorale en faveur d'une personne désignée - la personna designata - à cette fin, soit le Directeur général des élections, et de la Commission de la représentation électorale pour les fins spécifiques du présent mandat.

Notre première allégeance, si je peux m'exprimer ainsi, est donc envers l'Assemblée nationale dont la présente commission sur les institutions est une émanation légitime. Notre responsabilité est de voir à ce que l'Assemblée nationale soit constituée en accord avec les lois et les règlements en vigueur. Mais, lorsque les membres de l'Assemblée nationale nous demandent un avis sur le mode de scrutin actuel et nous permettent de formuler des recommandations, c'est l'électeur qui doit être notre principale préoccupation. Nous devons nous assurer qu'il soit représenté le plus adéquatement possible, c'est-à-dire conformément aux votes exprimés.

Par application de ces principes, nous croirions manquer à une obligation essentielle de nos devoirs envers tous les électeurs en nous abstenant de vous faire part de quelques réflexions qui, je l'espère, seront prises en bonne part. De fait, j'ai beaucoup hésité à vous livrer les réflexions qui suivent, craignant qu'elles n'aient une allure un peu moralisatrice, mais, connaissant votre ouverture d'esprit et votre réceptivité, j'ai quand même décidé de le faire.

La décision que tous les membres de l'Assemblée nationale doivent prendre afin de changer le mode de scrutin actuel place les représentants du peuple dans une situation extrêmement délicate. Malgré vous, vous êtes un peu juges et parties en la matière, sans que vous y puissiez quoi que ce soit. Vous êtes juges parce qu'il vous appartient en dernier ressort de prendre la décision finale pour ou contre un changement en profondeur du mode de scrutin par l'adoption ou non d'une loi à cette fin. Vous êtes également parties parce que directement concernés par un changement en profondeur du mode de scrutin.

Les membres de l'Assemblée nationale occupent toutes et tous leur poste après avoir été démocratiquement élus en suivant des règles établies depuis plusieurs décennies.

Ces règles du jeu vous sont familières. Nous comprenons que vous ressentiez une appréhension bien compréhensible d'être appelés non seulement à étudier mais à vous prononcer pour ou contre un nouveau mode de scrutin, question qui touche les droits fondamentaux de la personne en matière politique.

En somme, ce qui est exigé de vous, c'est d'assumer vos responsabilités législatives dans la perspective non pas nécessairement de vos intérêts immédiats, mais de ceux des électrices et des électeurs. À mon avis, la question fondamentale que le législateur doit se poser est la suivante: La démocratie québécoise, la volonté des électeurs, leur libre choix de leurs dirigeants seront-ils, à l'avenir, mieux servis par le maintien de l'actuel mode de scrutin ou par un changement en profondeur de ce mode? Cette question, vous devez vous la poser et même si vos tâches personnelles, en tant que députés, s'en trouvent un peu modifiées, voire même perturbées, non pas en tant que législateurs pour la collectivité, mais également au niveau des relations que vous entretenez avec les électeurs individuellement.

La commission, pour sa part, en est arrivée à une prise de position, à une réponse face à cette question. Nous recommandons un changement en profondeur du mode de scrutin actuel. Pour vous, pour tous les députés, en arriver à la même conclusion, quel que soit le mode choisi, comporte la responsabilité du geste politique, de son opportunité, de sa nécessité.

C'est un geste, c'est une décision d'une grande portée. Le devoir qui vous incombe est celui de déterminer quel est le mode de scrutin démocratique qui exprime, le plus correctement possible, le choix des électeurs. Vous pouvez en arriver à la conclusion qu'il est préférable de maintenir le mode actuel ou encore qu'il est nécessaire de le modifier pour qu'un autre mode de scrutin reflète plus justement le vote des électeurs.

Je suis convaincu que les membres de l'Assemblée nationale ne me tiendront pas rigueur, ni à mes collègues qu'ils ont bien voulu désigner pour les conseiller en cette matière, de se considérer, en quelque sorte, et jusqu'à un certain point, les porte-parole les plus indépendants possible des électeurs dans les circonstances présentes. Nous exprimons sincèrement ce que nous croyons être le meilleur intérêt des électeurs, suivant la perception que nous en avons eue à l'occasion des audiences tenues dans toute la province et selon nos convictions personnelles qui sont le fruit de cette tournée du Québec.

Dans un premier temps, je crois qu'il est important, pour le bénéfice des membres de cette commission, de résumer brièvement la démarche privilégiée par la commission de la représentation électorale pour remplir de façon adéquate le mandat qui nous a été confié à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 22 juin 1983, à savoir d'étudier les différents modes de scrutin et, le cas échéant, de soumettre une recommandation.

Il nous a semblé d'abord, avant d'entreprendre la consultation, qu'il était important d'évaluer le degré de connaissance de la population sur toute cette question du mode de scrutin. Pour ce faire, un sondage a été réalisé par une maison spécialisée. Les résultats de ce dernier, publiés au mois de septembre 1983 lors d'une conférence de presse, démontraient, en général, que la population était peu familière avec le vocabulaire électoral.

Bien que 75% des répondants se soient déclarés assez satisfaits du mode de scrutin actuel, une fois informés de l'éventualité d'une réforme, plus d'une personne sur deux s'est dite favorable à un changement. Par ailleurs, près de 65% des personnes interrogées considéraient que les changements envisagés devraient être réalisés avant les prochaines élections générales. (14 h 30)

Sur la base de ce sondage, la commission a utilisé de nombreux moyens pour informer adéquatement la population sur l'objet de son mandat. Rappelons à ce propos une brochure d'information tirée à 500 000 exemplaires et distribuée dans près de 2500 endroits. Un document audiovisuel a également été monté et expédié à des établissements d'enseignement et à des câblodistributeurs. Une documentation plus détaillée, qui visait des clientèles plus spécifiques, était aussi disponible sur demande au bureau de la commission.

En plus de tous ces documents, la commission a misé beaucoup sur la collaboration des médias pour informer la population. Nous ne saurions assez insister sur la façon très positive avec laquelle tous les médias ont répondu à nos attentes. L'expérience nous a donné raison, puisque, au cours de la période de septembre 1983 à janvier 1984, 12 quotidiens, 76 hebdos régionaux, deux magazines, 16 stations de télévision, 50 stations radiophoniques ont contribué à faire connaître le mandat et les travaux de la commission. Nous avons aussi adressé environ 7000 lettres d'invitation à autant d'organismes, d'associations, de clubs sociaux et autres pour les inciter à faire connaître leur point de vue.

Dès le début du mois de septembre 1983, un grand nombre d'éditorialistes furent contactés afin de mesurer leur intérêt à rencontrer des représentants de la Commission de la représentation pour expliciter son mandat et la démarche prévue.

Mis à part les briefings de presse qui précédaient l'arrivée des commissaires, nous avons accordé un nombre impressionnant d'entrevues aux médias locaux, soit 114,

aussi bien avant qu'après la tenue d'une audience. Ces entrevues nous permettaient, en plus de publiciser notre mandat, de présenter un bilan sommaire des audiences et ainsi de permettre à la population d'être au fait des grandes orientations qui se dégageaient au fur et à mesure que la consultation avançait.

Enfin, vous vous souvenez qu'une copie des notes sténotypées était adressée à des représentants du Parti libéral du Québec et du Parti québécois chaque semaine, au fur et à mesure du déroulement des audiences. Ces notes totalisent 5400 pages. Elles sont justement derrière moi sur une chaise. Cela donne une idée de ce que représente l'étude de ces notes sténotypées.

Une partie importante de notre mandat était donc de consulter la population. Dès le 14 septembre 1983, la commission était disposée à recevoir, par courrier ou par téléphone, toutes les opinions et annonçait la tenue d'audiences publiques dans l'ensemble du Québec. Du 3 octobre au 21 décembre, la commission visitait 10 villes, tenait 19 journées d'audiences publiques et recevait 185 interventions dont une à huis clos.

Pour compléter ce tableau, mentionnons que j'ai effectué une mission d'étude dans six pays d'Europe, afin de recueillir les opinions de personnalités oeuvrant dans le domaine électoral. Vous avez d'ailleurs déjà en main un compte rendu de cette mission.

L'analyse des mémoires, brochures, appels téléphoniques reçus constitue une pièce très importante du rapport que la Commission de la représentation électorale a déposé le 28 mars 1984, d'où l'utilité d'avoir suggéré au préalable les règles de procédure pour la rédaction de ces mémoires. Dans cette optique, nous proposions, à l'intérieur de la brochure d'information que nous avons distribuée partout à travers le Québec et lors de la conférence de presse du 14 septembre 1983, aux citoyens et organismes intéressés à faire connaître leurs opinions, de suivre le plan suivant: 1- Exposer les avantages et les inconvénients des différents modes de scrutin; (cela incluait évidemment le mode de scrutin actuel). 2- Justifier leur opinion. 3- Exprimer leur position sur certaines questions reliées au mode de scrutin. 4- Faire une synthèse de leur intervention et exprimer leur opinion à l'égard de la pertinence d'effectuer une réforme.

Lors des audiences qui ont été tenues sans formalisme, il a été possible aux commissaires de faire préciser, lorsque cela était nécessaire, certains points de vue en dialoguant avec les intervenants.

L'analyse des prises de position s'est effectuée au moyen d'une grille-synthèse qui résumait chacune des interventions. Après quoi, nous avons dégagé des résultats quantitatifs et qualitatifs. Ainsi, nous avons pu estimer le pourcentage des intervenants désirant une réforme à 57%, identifier les avantages et inconvénients des modes de scrutin traités de même que les caractéristiques éventuelles d'une réforme.

L'analyse de la consultation a incité la commission à rejeter le mode actuel et à proposer une réforme. Si la consultation nous a fourni des indications très précieuses, elle ne pouvait répondre à l'ensemble de nos interrogations sur les modes de scrutin en général. D'où la nécessité de faire exécuter certains travaux afin de compléter et d'orienter de façon plus précise les réflexions des commissaires après la consultation. La plupart de ces travaux ont été réalisés, en grande partie, par le personnel de mon bureau dans des conditions parfois difficiles, compte tenu des courts délais qu'on leur imposait. La commission a aussi demandé au professeur André Bernard une étude sur les relations entre les systèmes parlementaires et les modes de scrutin. Vous avez également une copie de cette étude.

Au moment de l'étude de la motion à l'Assemblée nationale, le 20 juin dernier, annonçant la tenue de la présente commission parlementaire, un représentant du Parti libéral, M. Côté, mentionnait, et je cite: "Cela nous permettra également de savoir quel est le processus normal par après, ce que cela implique sur le plan législatif en termes de changements dans la mesure où, à la suite de cette commission, le gouvernement décidera d'y aller avec une proposition ferme devant l'Assemblée. Cela nous permettra de voir quelles sont les étapes quant à la tuyauterie du système et aussi quant à ce que cela nécessite, sur le plan législatif, comme amendement à toutes nos lois et à tous les ajustements en termes de mode de scrutin".

Pour sa part, le ministre responsable de la réforme électorale, M. Marc-André Bédard, endossait cette déclaration dans les termes suivants: "Peut-être que ce rapport, pour en faciliter l'étude, pourrait être accompagné d'un projet de loi ou d'un avant-projet de loi rédigé soit par la commission ou encore du côté gouvernemental, au niveau de la réforme électorale, qui nous permettrait, non seulement de discuter, d'avoir une idée très précise de ce que sont les recommandations du rapport de la Commission de la représentation électorale, mais en même temps, nous permettrait d'avoir une idée très claire de ce que cela pourrait représenter, comme loi. Avec cela, nous aurions tous les outils pour aller au bout des discussions."

A la suite de ce débat, j'ai reçu du ministre responsable de la réforme électorale, le 12 juillet 1984, une lettre

m'indiquant qu'il serait hautement souhaitable que les membres de la commission parlementaire puissent bénéficier, avant le début de leurs travaux, de toute documentation pertinente et, en particulier, de la documentation à caractère législatif qui pourrait être disponible. Les commissaires avaient d'ailleurs envisagé la possibilité d'inclure ces éléments importants en annexe à leur rapport, mais les courts délais qui nous avaient été impartis ne l'avaient pas permis. C'est pourquoi je transmettais, le 31 juillet dernier, aux membres du conseil consultatif et au ministre responsable de la réforme électorale un document ayant pour titre "La proportionnelle territoriale: conséquences législatives", en priant ce dernier d'en transmettre copie aux membres de la commission parlementaire, ce qui fut fait, m'a-t-on informé. C'est un document de travail qui fait connaître la formulation juridique de la proportionnelle territoriale.

J'ai depuis étudié avec soin les conséquences législatives de la proportionnelle territoriale sur la Loi régissant le financement des partis politiques. Nous aurons certainement l'occasion d'y revenir ces jours-ci.

Ces jours derniers également, j'ai remis au secrétaire de cette commission trois documents de travail dont j'avais fait état dans ma lettre du 31 juillet dernier: un premier intitulé "Systèmes parlementaires et modes de scrutin"; un deuxième résumant ma mission d'étude en Europe en janvier dernier et un troisième sur les opinions émises au moment de la consultation par les intervenants concernant plus particulièrement le mode de scrutin actuel et trois des principales formules proposées à la Commission de la représentation électorale.

Enfin, au cours de l'été 1984, les membres de mon personnel ont réalisé diverses études et simulations rattachées à la formule de rechange que recommande le rapport. Nous avons envisagé diverses solutions au problème que vous aviez vous-même soulevé en mai dernier relativement à la dimension du bulletin de vote. J'ai d'ailleurs à votre disposition un prototype de bulletin de vote qui pourrait être utilisé si nos suggestions étaient agréées. Un calendrier de réalisation de même que les budgets d'implantation ont également fait l'objet d'analyses sérieuses.

La commission s'est toujours donné comme ligne de conduite de ne pas s'engager dans des polémiques publiques en réponse aux critiques qui ont été faites de son rapport. Nous avons même refusé d'accorder toute entrevue que ce soit. Nous avons cru plus déférent d'attendre la tenue d'une commission parlementaire. Vous nous permettrez donc de préciser ici certains points du rapport.

Quelques-uns ont reproché à la commission de ne pas avoir rempli son mandat, entre autres, de ne pas avoir procédé à l'analyse des avantages et des inconvénients du mode de scrutin actuel et des formules de rechange proposées. J'ai déjà répondu à cette question lors de l'étude de mes prévisions budgétaires, le 22 mai dernier, mais on m'autorisera sûrement à rappeler l'essentiel de mes propos.

D'abord, il faut bien situer le mandat confié à la commission en juin 1983 dans le cadre d'une démarche entreprise au Québec depuis déjà plusieurs années. En effet, dès le début des années soixante-dix, plusieurs spécialistes universitaires, des membres de l'Assemblée nationale, les grands partis politiques, de nombreux groupes de pression et bien d'autres encore se sont prononcés sur la question du mode de scrutin: la roue, pour nous, n'était pas entièrement à réinventer. De plus, l'Assemblée nationale a déjà eu en main deux rapports traitant de la même question. L'aspect le plus important et le plus original du mandat confié à la commission reposait sur la consultation de l'ensemble de la population québécoise, opération - je viens d'en parler - qui s'est avérée un succès et qui a soulevé beaucoup d'intérêt. Nous nous devions d'en tenir compte.

C'est pourquoi le rapport de la commission, en plus des 200 pages de la version déposée le 28 mars dernier, comprend également l'ensemble des quelque 6000 pages incluant les notes sténotypées, les mémoires et brochures, sans compter les appels téléphoniques acheminés directement aux bureaux de la commission. Le traitement d'une information aussi dense et diversifiée impliquait nécessairement des choix méthodologiques tout en respectant l'esprit du mandat qui nous avait été confié. C'est ainsi, par exemple, qu'il existe différentes façons d'analyser les avantages et les inconvénients d'un mode de scrutin.

On aurait pu procéder, comme cela a déjà été fait à plusieurs reprises dans le passé, à une énumération systématique des avantages et inconvénients déclarés à chacune des formules proposées. Les commissaires ont convenu qu'il s'agissait là d'un exercice qui n'aiderait pas comme tel l'orientation de leur réflexion et qu'il était préférable de procéder à l'identification et à l'analyse de certains thèmes rattachés à l'étude de tout mode de scrutin en fonction, bien sûr, de leurs conséquences prévisibles possibles. Les thèmes retenus ont été les suivants: représentation des électeurs, délimitation territoriale, rôle du député et vie parlementaire, stabilité gouvernementale et, enfin, rôle des partis politiques. C'est sur la base de ces thèmes, qui correspondent en tout point aux préoccupations majeures des gens qui se sont prononcés devant vous, que l'on a convenu d'analyser les avantages et

les inconvénients des différents systèmes, y compris le mode de scrutin actuel.

C'est pourquoi, il ne faut pas limiter l'analyse des différents modes de scrutin aux quelques pages qui résument, dans le rapport, la position des commissaires; le mode de scrutin actuel et les principales formules de rechange proposées constituent en réalité la toile de fond de tout le rapport.

Les commissaires ont également convenu, comme l'autorisait le mandat, de soumettre aux membres de l'Assemblée nationale une recommandation afin que soit modifié le mode de scrutin présentement en vigueur au Québec: l'honnêteté de la démarche nécessitait, croyons-nous, la formulation de cette recommandation. Je reviendrai un peu plus loin sur quelques-unes des caractéristiques du nouveau mode proposé.

Il convient d'ores et déjà de mentionner - et nous aurons sans doute l'occasion de le rappeler au cours des échanges qui vont suivre - que la commission vous a soumis une seule recommandation formelle, soit celle d'implanter un mode de scrutin proportionnel de type territorial qui colle à sa perception de la réalité québécoise. Compte tenu de la complexité du sujet et des courts délais qui nous étaient impartis, la commission a préféré soumettre des préférences quant aux modalités du nouveau mode proposé. En ce faisant, les commmissaires n'ont pas voulu se dérober à leurs responsabilités. Le rapport qu'ils avaient en main n'est pas du type de ceux qu'on accepte ou rejette dans leur intégralité; il laisse place aux échanges et à la discussion en vue de l'atteinte d'un consensus le plus large possible. (14 h 45)

En somme, comme je vous l'indiquais en mai dernier: On peut, cela va de soi, ne pas être d'accord avec la façon dont nous avons accompli notre mandat. L'on peut, cela va de soi également, ne pas être d'accord avec notre recommandation. Pour notre part, nous sommes convaincus d'avoir bien rempli le mandat que l'Assemblée nationale nous avait confié.

C'est donc à la suite de la consultation tenue dans l'ensemble du Québec, des travaux d'analyse et de ses propres réflexions que la commission en est venue à la conclusion qu'elle se devait de recommander un changement du mode de scrutin au Québec en faveur d'un mode proportionnel: notre recommandation va dans le sens de la volonté exprimée par la majorité de ceux et celles qui se sont prononcés devant nous, et nous avons ajouté à cette recommandation la dimension territoriale.

Le nouveau mode dont nous recommandons l'adoption est un mode proportionnel, c'est-à-dire qu'il attribue à chaque parti un pourcentage de députés correspondant d'assez près au pourcentage de votes que le parti obtient aux élections. C'est un scrutin de liste, en ce sens que les électeurs procèdent, sauf dans certains cas d'exception, à l'élection de plusieurs candidates et candidats inscrits sur des listes qui leur sont soumises par les partis politiques. Dans le cas des candidatures indépendantes, elles sont autorisées et sont traitées, au niveau de l'attribution des sièges, de la même façon qu'un parti politique.

Le nouveau mode proposé est également territorial en ce que le Québec continue d'être divisé en territoires à des fins électorales. Ces territoires varient en dimension et sont évidemment plus grands que les circonscriptions électorales actuelles. Il ne s'agit cependant pas, comme c'est le cas en Israël, par exemple, d'une proportionnelle intégrale qui ferait du Québec une seule et immense circonscription électorale. Il existe une très grande diversité de modes de scrutin proportionnels; c'est pourquoi, il faut être très prudent lorsqu'on les compare entre eux.

À la suite du dépôt du rapport de la Commission de la représentation, certaines personnes se sont interrogées, avec raison sans doute, sur l'opportunité de recommander un changement en faveur d'un mode de scrutin qui soit propre au Québec. Je tiens à vous assurer qu'il ne s'agit pas là d'un objectif que les commissaires s'étaient fixé au départ, mais bien d'une solution qui s'est imposée après avoir conjugué l'ensemble des caractéristiques qui nous sont apparues pertinentes dans la définition de la réalité québécoise.

Ces réalités, quelles sont-elles? En vue des échanges que nous commençons aujourd'hui, vous me permettrez sûrement de les rappeler brièvement. Il s'agit d'abord d'une forte concentration de population dans de grands centres urbains: Montréal, Québec, Chicoutimi-Jonquière, Trois-Rivières-Shawinigan, Hull et Sherbrooke, doublée ailleurs d'une dispersion de la population le long des deux rives du Saint-Laurent, ce qu'on appelle la linéarité du peuplement. La présence de nouveaux groupes ethniques ou linguistiques de même que le pluralisme idéologique manifesté par l'émergence de nombreux partis politiques il y a présentement 17 partis politiques reconnus qui oeuvrent au Québec - reflètent d'autres caractéristiques importantes. Enfin, la volonté exprimée par les premiers arrivants au Québec, soit celle d'avoir voix au chapitre, et le caractère isolé et particulier des Îles-de-la-Madeleine, sont deux critères qui ne sauraient être laissés pour compte lorsqu'on réfléchit à la possibilité de modifier notre mode de scrutin.

Encore une fois, c'est bien la conjugaison de l'ensemble de ces caractéristiques qui nous a inspirés pour

recommander un mode de scrutin qui soit propre au Québec et non chacune d'elles prise isolément. C'est pourquoi, d'ailleurs, après avoir analysé les formules de rechange qui nous ont été proposées, nous n'avons pu en retenir aucune intégralement. Pour notre part, nous croyons que les électrices et les électeurs du Québec sont en droit d'exiger un mode de scrutin qui corresponde à l'évolution de leur vécu et qui traduise d'une meilleure façon l'expression de leur volonté politique dans la composition de l'assemblée chargée de prendre les décisions en leur nom.

Plusieurs ont affirmé, non sans raison, que les mécanismes de notre mode de scrutin actuel ne peuvent rendre compte du pluralisme qui a caractérisé l'évolution de la société québécoise. Enfin, un attachement indu à la tradition et aux coutumes peut risquer un jour de bloquer l'évolution de toute société, aussi démocratique soit-elle.

On a semblé reprocher à la Commission de la représentation d'avoir formulé une recommandation qui ressemble à la représentation proportionnelle régionale modérée (RPRM) endossée par le ministre responsable de la réforme électorale et par d'autres individus ou organismes qui se sont prononcés en faveur de cette formule. Contre cela, nous pouvons vous affirmer qu'en aucun moment la Commission de la représentation n'a eu pour objectif de formuler une recommandation qui ressemble ou encore qui diffère de l'une ou de l'autre des formules qui lui ont été soumises. Notre travail s'est effectué sans préjugé préalable, favorable ou défavorable, à une formule par rapport à une autre.

Pour peu qu'on lise attentivement le rapport, l'on se rendra compte que notre recommandation se distingue de plusieurs façon de la RPRM. Cependant, il faut être conscient qu'un mode de scrutin proportionnel quel qu'il soit, s'il n'est pas intégral, ressemble beaucoup plus à un autre mode de scrutin proportionnel qu'à un mode de scrutin majoritaire ou encore à une formule mixte. Nous croyons que la proportionnelle territoriale, que nous proposons, se marie mieux aux caractéristiques québécoises que nous venons d'identifier que le mode de scrutin actuel, la RPRM ou toute autre formule proposée, particulièrement pour exprimer le pluralisme et la réalité géopolitique du Québec.

Nous n'avons pas la prétention, après tous les débats qui ont eu cours sur ce sujet depuis au-delà de quinze ans, de détenir une "combinaison gagnante" à tout point de vue ou de proposer un mode de scrutin parfait qui rallierait tous les électeurs et tous les élus sans exception. J'aimerais quand même dire quelques mots sur deux thèmes qui sont revenus le plus souvent lorsqu'on a commenté, ces derniers temps, la possibilité de modifier le mode de scrutin actuel en faveur d'un mode proportionnel territorial: la stabilité gouvernementale et la relation électeurs-élus.

Il ne fait pas de doute qu'une certaine forme de stabilité gouvernementale est nécessaire à la définition et à l'atteinte des objectifs collectifs d'une société donnée. Cependant, on est souvent porté, lorsqu'on procède à une analyse comparative un peu rapide des différents modes de scrutin, à identifier les modes de scrutin majoritaires à une stabilité gouvernementale exemplaire alors que les modes de scrutin proportionnels seraient plutôt générateurs d'instabilité chronique. Or, une analyse plus approfondie démontre que le mode de scrutin n'est pas un facteur déterminant de stabilité ou d'instabilité gouvernementale. Si on se réfère à la périodicité des élections comme critère de stabilité, on se rend compte que la durée de vie des gouvernements élus sur la base d'un mode de scrutin proportionnel est à peu près égale, sinon légèrement supérieure, à la durée de ceux qui sont élus sur la base d'un mode de scrutin majoritaire. J'ai à ce sujet, si vous en manifestez l'intérêt, un tableau fournissant un certain nombre d'exemples.

D'autres identifient automatiquement la stabilité gouvernementale à la formation de gouvernements majoritaires. Encore là, il ne faudrait pas oublier que les gouvernements de coalition ne débouchent pas nécessairement sur une instabilité gouvernementale chronique. Il ne faudrait pas non plus identifier instabilité gouvernementale et instabilité politique.

Bien sûr, certaines modalités d'application d'un mode de scrutin, comme par exemple la grandeur de la circonscription et la méthode d'allocation des sièges, peuvent favoriser l'obtention d'une prime plus ou moins grande aux partis vainqueurs, mais la commission est d'avis que ce phénomène d'instabilité gouvernementale est relié plus directement aux systèmes politiques comme tels et à des différences dans la nature des nombreuses composantes reliées à la vie démocratique. Encore une fois, certains pays qui utilisent un mode proportionnel constituent des exemples de stabilité alors que le mode de scrutin majoritaire n'a pas suffi à lui seul à assurer une longue vie à tous les gouvernements qu'il a fait élire.

Quoi qu'il en soit, la Commission de la représentation est évidemment favorable à la stabilité gouvernementale, mais elle croit que cette stabilité doit s'établir et se maintenir à la faveur de la liberté d'expression démocratique de l'ensemble de l'électorat, d'une représentation fidèle et permanente des courants d'opinion et d'une participation collective des citoyens.

Le principe de l'alternance qui assure, en scrutin majoritaire, une certaine forme de stabilité gouvernementale au parti vainqueur,

aux dépens du ou des partis d'opposition, n'est souvent qu'une stabilité artificielle qui ne reflète pas adéquatement les choix exprimés lors d'une élection. La commission ne croit pas que, dans un système démocratique, on puisse justifier une injustice engendrée par le mode de scrutin envers certains électeurs lors d'une élection donnée, par une autre injustice créée lors d'élections subséquentes par le même mode de scrutin envers d'autres électeurs.

En somme, la stabilité gouvernementale ne saurait être assurée uniquement par une prime au parti vainqueur qui déforme les véritables choix exprimés par l'ensemble de l'électorat.

Un autre aspect fondamental lorsqu'on se penche sur l'analyse des différents modes de scrutin, et cet aspect vous concerne au plus haut point, est la relation électeurs-élus. Il s'agit en effet d'une considération des plus importantes parce qu'elle touche une partie essentielle qui est particulièrement valorisée chez vos électrices et électeurs. En fait - et la question est sûrement pertinente - quelles seraient les conséquences de la recommandation que nous formulons sur la relation électeurs-élus?

Il est certain qu'avec l'implantation d'un mode de scrutin proportionnel au Québec, la relation électeurs-élus serait différente. Il existe en effet une grande démarcation entre un mode de scrutin uninominal, où chaque parti ne présente qu'un seul candidat par circonscription, et un mode de scrutin proportionnel où les partis présentent aux électeurs une liste de candidats. Dans la situation actuelle, le député élu représente à lui seul l'ensemble des électrices et électeurs de sa circonscription, relativement petite, alors qu'un scrutin de listes entraîne forcément l'élection d'une équipe de candidats pour représenter à l'Assemblée nationale l'électorat d'une circonscription plus vaste. Deux aspects touchant la relation électeurs-élus ont particulièrement alimenté les réflexions des commissaires dans la formulation de leur recommandation.

D'abord, il nous est apparu très improbable que, dans un mode de scrutin proportionnel, un parti politique présente une liste de candidats qui ne colle d'aucune façon, quant à la profession, le sexe ou l'âge, à la réalité du vécu de la clientèle susceptible d'assurer son élection dans une circonscription donnée. Lors de ma mission d'étude en Europe, on m'a cité le cas d'un haut fonctionnaire qui manifestait l'intention de voir son nom inscrit sur une liste de parti. Il a dû, pour avoir une chance d'être élu, abandonner ses fonctions et retourner dans son milieu d'origine afin de renouer contact et de se faire accepter par ses électeurs.

De plus, nous croyons que, dans un mode de scrutin proportionnel, les partis voudront s'assurer, par voie de réglementation interne, de présenter des listes de candidats qui soient représentatives de l'ensemble du territoire que constituerait la nouvelle circonscription électorale. À titre d'exemple, pourrait-on imaginer, dans une circonscription qui regrouperait la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean, qu'un parti politique propose à l'électorat une brochette de candidats qui seraient tous originaires de Jonquière ou de Chicoutimi, négligeant ainsi complètement toute la partie du territoire entourant le lac Saint-Jean?

Les partis politiques devront s'ajuster par voie de règlements de régie interne. Ils pourraient s'inspirer de ce qui se fait ailleurs et choisir des candidats d'une liste dans des secteurs de désignation donnés. On privilégie ainsi les relations avec les électeurs sur une échelle territoriale restreinte et ceci particulièrement dans les territoires à prédominance rurale.

La commission est donc consciente que le mode, dont elle propose l'adoption, transformerait en profondeur la dynamique des partis politiques. Cependant, on ne saurait concevoir que les partis politiques s'opposent à des changements de structure, si ces derniers vont dans le sens d'une plus grande vigueur démocratique du système politique dans lequel nous évoluons. (15 heures)

Un mode de scrutin proportionnel nécessiterait bien sûr, de la part des élus, un travail d'équipe et un partage des responsabilités et des tâches, compte tenu du fait que les circonscriptions électorales seraient de plus grande dimension. La commission demeure convaincue que même si les modalités du travail sont changées, les élus voudront maintenir une relation personnelle et soutenue avec leurs électeurs, ne serait-ce que pour assurer leur réélection. Pour leur part, les électeurs seraient pratiquement assurés de pouvoir communiquer avec un représentant identifié à leur allégeance politique à l'intérieur de leur circonscription électorale. En cas d'insatisfaction, ils pourraient peut-être nouer contact avec un ou plusieurs autres députés. Cette saine concurrence ne saurait porter atteinte à la qualité des services offerts à l'électorat.

Ces considérations vous étant soumises sur cet important volet de votre rôle, il est tout de même essentiel de se rappeler que la première responsabilité, et de loin la plus importante, d'un membre de l'Assemblée nationale est d'être un législateur, avec tout ce que cela signifie de longs et exigeants travaux que vous accomplissez à l'Assemblée nationale. Il ne faut pas s'illusionner et attendre d'une réforme du mode de scrutin qu'elle modifie à elle seule le rôle du député à l'Assemblée nationale. Ce dernier aspect

relève évidemment beaucoup plus d'une réforme parlementaire. Il s'agit là d'une autre question.

Le présent texte a été soumis aux autres membres de la commission et approuvé par eux. Nous espérons, dans le court laps de temps qui nous était alloué, avoir rempli notre mandat avec toute la neutralité et l'objectivité qu'on est en droit d'exiger de nous. M. Lessard et, ce soir, M. Bourassa sont à votre entière disposition pour répondre à vos questions.

M. le Président, madame, messieurs, merci de votre attention.

Commentaires généraux M. Denis Vaugeois

Le Président (M. Vaugeois): Merci, M. le président. Vous aurez compris que cette commission n'est pas réunie ici pour vous couvrir d'éloges et de félicitations, vous noyer sous les fleurs et ainsi de suite, encore que certains parlementaires s'échapperont sans doute à l'occasion et vous rendront hommage. Je me crois autorisé, comme président de la commisssion - je l'avais fait comme parlementaire au moment de la publication de votre rapport... J'avais trouvé votre rapport intéressant et j'avais suggéré qu'on le lise attentivement et qu'on l'examine avec soin. Aujourd'hui, je pense que, comme entrée en matière, il est absolument légitime que j'utilise cette fonction de président pour vous remercier d'avoir bien reçu le mandat de l'Assemblée nationale et de l'avoir mené à terme dans des délais relativement courts, avec une qualité qui va être discutée aujourd'hui et dont les mérites restent quand même évidents. Les mérites sont importants et ils nous permettent de réfléchir sur l'exercice démocratique auquel nous nous livrons ici depuis près de deux siècles.

Vous terminez sur une phrase qui vous permet un peu de vous laver les mains d'un aspect important, me semble-t-il, encore que vous en traitiez de façon intéressante dans votre rapport. Vous parlez de façon fort intéressante du rôle du député à l'Assemblée nationale, mais vous dites à la fin: "Ce dernier aspect relève évidemment beaucoup plus d'une réforme parlementaire. Il s'agit là d'une autre question." Évidemment, là, vous êtes mal tombé, parce que vous êtes devant un président qui a consacré un certain nombre de mois et d'années à piocher la question de la réforme parlementaire et à croire farouchement que les deux sont liées, voire même indissociables. Les meilleurs arguments pour une réforme du mode de scrutin, ce serait d'avoir un mode de scrutin qui donnerait les députés qui affirmeraient avec le plus de courage, de constance, de force et de vigueur l'indépendance de l'institution où ils vont siéger. Si on avait un mode de scrutin qui nous promettait des députés indépendants capables de faire valoir les droits et les privilèges du Parlement, de contrôler l'Exécutif, de demander des comptes à l'Exécutif, d'examiner la législation en toute indépendance, je pense bien que les parlementaires oublieraient la façon dont ils ont été élus, la façon avec laquelle ils ont le plus de chance d'être réélus et regarderaient drôlement attentivement un mode de scrutin qui donnerait cette race de parlementaires.

Vous vous êtes interrogé sur le rôle des parlementaires de façon intéressante. Je le dis avec beaucoup de sincérité. J'aurais aimé avoir des pages aussi éloquentes sur le rôle du Parlement. Il me semble qu'on ne peut pas éviter cela. Autrement, dans votre exercice, et nous, aujourd'hui et demain, dans les jours qui suivront, dans les débats qui ne manqueront pas de suivre sur la question, il s'agirait de savoir comment les députés sont élus, pour en rester à peu près au même scénario. Le soir de l'élection, on regarde l'écran et on compte les députés de chaque formation politique. Quand on a découvert le parti qui en a fait élire le plus, on vient de trouver le futur chef du gouvernement. À partir de ce moment-là, comme vous l'écririez sans doute, il s'agit d'une autre question. Mais nous savons alors qui sera chef du gouvernement pour un certain nombre d'années, qui, à l'intérieur des cinq ans prévus, dépendent de sa volonté à lui. Il décidera du nombre d'années qu'il restera à l'intérieur des cinq ans. Il choisira les membres de son exécutif. Il aura droit de vie et de mort sur les membres de son exécutif. Il dirigera d'une façon respectable - l'expérience est là pour le démontrer - le Parlement et la majorité parlementaire.

Donc, une fois qu'on peut compter les députés, si on ne s'intéresse pas, en même temps qu'au mode de srutin, à la vie parlementaire, c'est un peu terminé pour trois ans, quatre ans, quatre ans et demi, cinq ans peut-être. Je trouve qu'il est vite dit que de dire que c'est une autre question. Pour moi, c'est la même question. Autrement, pourquoi se préoccuper d'une distorsion? Les lois ne sont pas meilleures, elles ne sont pas plus fortes si elles ont été adoptées par une plus grande majorité ou une moins grande majorité. Pour les parlementaires, il est difficile de faire abstraction de cela.

Quand j'étais allé devant votre commission dans le beau comté de Trois-Rivières - pour rester dans la tradition - je vous avais fait remarquer la fragilité de l'institution parlementaire, en prenant comme exemple votre propre mandat. Je ne peux pas résister à la tentation - on n'est pas payé bien cher comme parlementaires, mais

on a des petites satisfactions comme celle-ci où on abuse d'une fonction qu'on occupe momentanément et temporairement, car nous n'avons pas de permanence - et je profite donc de la circonstance aujourd'hui pour vous rappeler ce que je vous disais à Trois-Rivières, il y a quelques mois: L'origine même de votre mandat montre la fragilité de l'institution.

La loi qui avait créé votre commission ne permettait pas à qui que ce soit de vous donner le mandat que vous avez exercé, celui de l'étude que vous venez de terminer et dont nous allons discuter aujourd'hui. Qu'à cela ne tienne! En quelques minutes, le Parlement a modifié la loi, a procédé aux trois lectures et, avant même que la sanction soit intervenue, on avait profité de cette future loi pour vous donner votre mandat. Tout cela en quelques minutes, le dernier jour de la session.

Quand je lis "le Parlement, à l'unanimité...", je trouve que l'unanimité dans ces cas-là s'exprime drôlement. Je pense qu'il ne faut pas perdre cela de vue. Je ne vous le reproche pas. En un sens, ce n'est pas votre problème; c'est notre problème. Mais c'est vraiment notre problème. C'est pour cela d'ailleurs que vous vous étonnez parfois de la réaction des parlementaires quand on s'attache à une partie de notre fonction qui est celle de la relation électeurs-élus, que nous vivons. Que nous venions de n'importe où, que nous ayons été universitaires huppés, que nous ayons été hommes d'affaires, peu importe; que nous venions de quelque profession, métier ou région du Québec, il y a une chose que nous découvrons rapidement: C'est le contenu, l'importance de la relation avec nos électeurs.

On peut venir d'un milieu qui, au départ, nous portait peu à comprendre l'importance de cette relation, on venait pour faire des lois; on venait pour être ministre, etc. Soudainement, on découvre le gros bon sens populaire; on découvre les attentes de la population; on découvre le poids de l'État sur les individus; on se découvre protecteur du citoyen; on se découvre comme le dernier espoir ou le dernier recours des électeurs. On se rend compte que même si on n'est pas prévu dans le système, on peut aider les gens. On le fait à toutes les semaines sans se préoccuper d'ailleurs de savoir pour qui ont voté ceux qui sont devant nous. Contrairement à ce qu'on pense, ce n'est pas un examen auquel on se livre quand les gens sont devant nous. On ne leur demande pas pour qui ils ont voté. De toute façon, ils nous diront toujours qu'ils ont voté pour nous, même s'ils sont du comté voisin.

Donc, nous ne sommes pas là pour nous livrer à ce genre d'exercice. Tout de suite, nous considérons les gens qui sont devant nous comme des personnes humaines. Nous avons compris rapidement que nous étions très souvent leur dernier recours, leur dernier espoir. C'est pour cela que les parlementaires s'accrochent à cet aspect. C'est aussi pour cela que vous l'avez trouvé comme constance et que vous l'entendrez encore aujourd'hui.

Est-ce que pour autant les parlementaires sont réfractaires à tout changement, à toute réforme du mode de scrutin? Certainement pas. Nous sommes conscients que tout est perfectible et que nous avons vécu dans le passé des distorsions inacceptables. Déjà le Parlement, sur proposition de l'Exécutif, par le travail des partis politiques, par le grand nombre de comités, de caucus, de congrès qui se sont tenus, a amélioré les règles du jeu parlementaire. En termes de financement, nous nous sommes donné des outils pour améliorer la carte.

Il reste une étape à franchir et, à mon avis, elle est intimement liée à la qualité de la vie parlementaire et au rôle qu'on donne au Parlement. Il s'agit de savoir par quoi on commence. Il est évident que, si le rôle du Parlement était davantage affirmé, si on était obligé de s'assurer une façon de recruter les personnes qui deviennent les parlementaires dont nous avons besoin dans le Parlement... Il est certain aussi que, si on se donnait un nouveau mode de scrutin, cela donnerait un type d'élu un peu différent qui pourrait peut-être valoriser davantage l'institution parlementaire. On pourrait prendre un peu de distance devant cette relation électeurs-élus du comté - qui nous rassure au fond, qui donne un sens à notre travail; celui-là, on en est certain; il est tangible - et peut-être qu'on retrouverait le même effet.

Quoi qu'il en soit, M. le président - je ne suis pas ici pour prendre le temps de la commission - je voulais quand même vous faire part de ces réactions et faire comprendre que, bien que nous n'allions pas assez vite au plan de la réforme parlementaire, il s'en est quand même produit une, timide, qui permet à un président de commission d'être autre chose qu'un président de séance. Au cours des séances qui vont nous réunir, le vice-président et moi-même profiterons, bien sûr, de cette nouvelle fonction pour participer aux débats et il n'est pas exclu qu'au terme de ces travaux la commission, retrouvant ses membres habituels, ses membres normaux, décide d'aller plus loin. Ce sera à elle d'en décider; ce sera dans ses privilèges. C'est un pas significatif dans la voie de la réforme parlementaire, parce qu'il y en a une d'amorcée.

À mon avis, l'une des bonnes questions à se poser, c'est: Quel est le mode de scrutin qui peut le mieux soutenir la

réforme, la vigueur, la force du Parlement, à une époque où l'État intervient dans tant de choses? Pour le dire, je suis en très bonne compagnie, je pourrais vous citer tellement d'auteurs. Je vais vous en citer un que je ne connais pas, mais que je lis avec ravissement la plupart du temps: il s'agit du sénateur Pitfield qui a travaillé lui-même très près d'un chef de gouvernement pendant des années et qui a eu des propos, à mon avis, extrêmement éclairants sur le système parlementaire qui est le nôtre actuellement, autant à Ottawa qu'à Québec. Je pourrais citer des universitaires de chez nous: Léon Dion a eu des pages admirables. Des collègues de cette Chambre ont fait plusieurs interventions sur la question. Pour ne pas avoir l'air partisan, j'en citerai un qui a été des rangs de l'Opposition, M. Forget, qui, pendant des années, a eu des propos fort éclairants sur la question.

Depuis des années, les parlementaires s'intéressent encore avec plus de vigueur, plus de persévérance à cet aspect de la question. Nous savons une chose, c'est que le mode de scrutin actuel pourrait être une menace au progrès que nous avons accompli ces derniers temps. Les progrès que nous avons accomplis valorisent les commissions parlementaires, valorisent non pas les députés, mais le Parlement lui-même. La valorisation des députés, non, mais la valorisation du Parlement, par exemple, nous y tenons. Nous savons une chose, c'est que le système actuel pourrait être une menace parce que nous ne sommes pas à l'abri de distorsions extrêmes qui feraient que nous n'aurions pas le nombre de parlementaires nécessaire pour faire fonctionner les nouvelles commissions que nous nous sommes données. Pour nous, c'est une préoccupation.

D'autres aussi nous amènent à être extrêmement sensibles à la question, malgré peut-être l'impression que nous donnons à certains moments d'avoir l'air de tenir à un statu quo, à des valeurs que nous connaissons mieux et que, par le fait même, nous apprécions mieux.

Pour l'instant, je vais demander à un porte-parole de la majorité, le ministre responsable de la réforme électorale, d'intervenir. Ensuite, quelqu'un de l'Opposition pourra le faire. Je pense qu'il serait légitime, M. le président, qu'à ce moment-là vous puissiez vous-même, avant que le jeu de l'alternance commence, commenter ce que vous aurez entendu, le moins important venant d'être dit.

M. Gratton: M. le Président, me permettriez-vous seulement une question, parce que...

Le Président (M. Vaugeois): Nous dérogeons tout de suite... Oui, je le permets.

M. Gratton: II y a une ambiguïté. Vous parlez à M. le président. Dois-je comprendre que vous parlez à M. le Directeur général des élections?

Le Président (M. Vaugeois): Je parle au président de la Commission de la représentation électorale. Je pense que vous êtes ici à ce titre, M. Côté.

Une voix: D'accord.

Le Président (M. Vaugeois): Je pourrais aussi vous appeler M. Côté, mais on me demanderait sans doute si je parle au député de Charlesbourg.

M. Duhaime: On ne serait pas gagnant. Une voix: On verra cela.

M. Yves Duhaime

M. Duhaime: MM. les Présidents, je voudrais très brièvement faire quelques remarques préliminaires au débat que nous abordons aujourd'hui et dire d'abord probablement que cela va de soi - que je suis convaincu de le faire au nom de tous mes collègues membres du groupe ministériel, aussi bien que du groupe parlementaire de l'Opposition, que des députés indépendants. Je suis convaincu que le leader du gouvernement, M. Bédard, le député de Chicoutimi, aurait sans aucun doute aimé être ici à ma place aujourd'hui et continuer ce travail qu'il a entrepris. Je suis convaincu qu'il va nous écouter de son lit d'hôpital et je voudrais lui transmettre en notre nom nos meilleurs voeux pour un prompt rétablissement. (15 h 15)

Ceci étant dit, M. le président Côté, c'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons pris connaissance du rapport qui a été déposé, de même que nous avons entendu les remarques que vous avez faites tout à l'heure. J'enchaîne sur ce que le député de Trois-Rivières disait: "Notre objectif ici, comme élus d'une population, est d'exercer un rôle, bien sûr, un rôle comme représentants, comme législateurs. Nous adoptons les lois, nous adoptons les budgets et la place de l'Assemblée nationale à Québec est un endroit central de notre démocratie parlementaire." Je pense que tout le monde sera d'accord sur ses propos.

Notre objectif est de vivre pleinement ce que j'appellerais une démocratie parlementaire, à partir de la façon d'élire les députés et, ensuite, le fonctionnement de l'Assemblée nationale. Il y a une interrelation très claire et très nette entre la réforme parlementaire comme telle et la réforme électorale. C'est tellement interrelié que cela m'apparaît presque parfois devoir s'analyser d'un seul bloc.

Ce serait vraiment trop long, M. le Président, de refaire tout l'historique des

débats, tant à l'Assemblée nationale qu'en commission parlementaire élue, qu'au sein des grandes formations politiques du Québec depuis 15 ou 20 ans, tant sur le plan de la réforme parlementaire que sur le plan de la réforme électorale. Il faut bien reconnaître cependant que nous avons fait, au fil des années, des progrès majeurs. La Loi électorale qui nous régit aujourd'hui ne ressemble pas beaucoup à celle qui existait avant 1965. Les premières grandes modifications à la Loi électorale actuelle ont été faites en 1964 et ont connu leurs premières applications dans deux élections partielles, une dans mon propre comté de Saint-Maurice et l'autre dans le comté de Terrebonne, si mon souvenir est bon.

Un des éléments de cette réforme à l'époque était que l'Assemblée avait décidé que les bureaux de scrutin se retrouveraient désormais dans les écoles et non plus chez le scrutateur désigné par le parti majoritaire. Aujourd'hui, si on pensait retourner les boîtes de scrutin chez nos organisateurs, je pense que cela ne serait pas accepté dans notre démocratie. Mais, enfin, c'est un détail.

Les listes électorales, leur fabrication, leur confection, leur révision au fil des années ont été modifiées. Plus récemment, depuis que nous sommes au gouvernement, nous avons proposé à l'Assemblée nationale la Loi sur le financement des partis politiques. Sauf erreur, cette loi a été adoptée à l'unanimité.

Il y a eu également la Loi sur la représentation électorale. Ces morceaux très importants ne sont pas des volets épars mais m'apparaissent constituer différentes facettes du fonctionnement du mode de scrutin dans le sens de l'améliorer et de le bonifier.

Parallèlement, l'an dernier, l'Assemblée nationale s'est donnée une nouvelle loi qui fait que les présidents de commission, les vice-présidents de commission ont un statut incomparable avec ce qui pouvait se produire il y a 15 ou 20 ans ou même quelques années à peine. Notre institution a été modifiée, je dirais, de façon très substantielle et très certainement de façon significative.

Aujourd'hui cela peut paraître dans l'ordre normal des choses, mais il y a plusieurs années déjà la télédiffusion des débats n'existait pas. C'est notre gouvernement qui l'a introduite et cela a pris une modification à la Loi sur l'Assemblée nationale. Aujourd'hui, que les débats de l'Assemblée nationale ou que les débats de certaines commissions parlementaires soient télédiffusés et que l'ensemble des citoyens et des citoyennes du Québec puisse suivre les échanges et les débats des parlementaires, cela apparaît au Québec comme étant une chose parfaitement normale.

C'est donc dire que, que ce soit sur le plan de la réforme parlementaire, que ce soit sur le plan de la réforme électorale, des amendements ont été apportés et ces modifications ont, bien sûr, eu un impact important sur ce que j'appellerais les moeurs électorales ou la façon de parler Politique -avec un grand "P" - au Québec.

Il reste un dossier qui est très difficile, qui est complexe, qui est épineux également, et qui fait l'objet des travaux que nous entreprenons aujourd'hui. C'est peut-être le morceau le plus important. Il s'agit du mode de scrutin. Ici, l'histoire des partis politiques peut se ressembler jusqu'à un certain point, parce que nous y travaillons tous depuis de très longues années. Chacun a pu véhiculer à un moment ou à un autre une formule et c'est vous-même, M. le Président Vaugeois, qui l'évoquiez tout à l'heure. Dans le régime actuel, c'est le chef du parti ayant obtenu le plus grand nombre de sièges lors des élections générales qui est appelé à devenir le chef du gouvernement. C'est donc dire que, dans le mode de scrutin actuel, ce n'est pas le nombre de voix ou le nombre des suffrages exprimés par un corps électoral qui désignera le chef du gouvernement, mais c'est le nombre de sièges.

C'est donc dire que le mode électif m'apparaît comme l'élément clé, l'élément fondamental de la représentation à l'Assemblée nationale puisqu'il m'apparaît être le lien direct entre les suffrages exprimés par le corps électoral et le nombre de sièges obtenus par chacun des partis. L'histoire de notre passé politique récent au Québec est notre meilleur témoin. À cause des distorsions, nous avons vécu toute espèce de situations. Une formation politique qui n'avait pas la majorité des voix, mais qui avait la majorité des sièges, a formé le gouvernement, sans que pour autant on remette en cause la légitimité de ce qui s'est produit, tout le monde l'acceptait. Aujourd'hui, avec les changements qui se produisent dans notre société, je crois pouvoir dire que ce serait une situation pour le moins difficile. Si le dernier bloc qu'il reste à attaquer, que j'identifie simplement sous trois mots, mode de scrutin, devait nous voir, de part et d'autre de l'Assemblée nationale, renoncer à ces travaux - je le dis comme je le pense - nous aurions manqué à un devoir important de notre tâche. C'est une constatation depuis au-delà de 15 ans, sinon 20 ans. Tous les premiers ministres au Québec et tous les chefs de l'Opposition officielle ont toujours manifesté cette volonté de changement, cette volonté de corriger les distorsions du mode de scrutin qui nous régit actuellement.

M. le Président, non pas pour rappeler de mauvais souvenirs ou d'étranges souvenirs, mais simplement pour illustrer que cette constatation que je souligne aujourd'hui n'est

pas nouvelle, je voudrais simplement rappeler que le chef du Parti libéral, M. Robert Bourassa, alors qu'il était premier ministre, faisait, devant une commission parlementaire, le 19 janvier 1971, une déclaration ministérielle. Nous sommes aujourd'hui le 9 octobre 1984 et je voudrais faire mienne cette déclaration ministérielle de M. Bourassa. Si vous me le permettez, M. le Président, ce ne sera pas tellement long, je voudrais vous lire les deux premiers paragraphes les plus importants et, ensuite, les deux derniers. C'est rapporté au journal des Débats, 19 janvier 1971, no 2, en commission. C'est donc sous la rubrique B-59 et S-60. Je cite: "Nous sommes d'accord pour dire qu'une réforme en profondeur de notre système électoral devrait porter sur les questions suivantes: le mode de scrutin, la carte électorale, la Loi électorale dans certains de ses aspects, à savoir la liste permanente des électeurs, les dépenses électorales, la question des sondages préélectoraux. Nous avons là un travail considérable à accomplir si nous voulons que, lors des prochaines élections générales, en 1974, la population du Québec puisse disposer d'un système électoral moderne qui respecte au maximum l'expression de la volonté populaire. Alors, autant s'y attaquer dès maintenant." À la toute fin, M. Bourassa disait: "C'est donc convaincu de la nécessité qu'il y a d'opérer une réforme majeure de l'ensemble de notre système électoral que le gouvernement entend poursuivre son objectif, au sujet de la réforme électorale. Cet objectif est d'assurer une meilleure représentativité à notre Assemblée nationale et ce, dans un esprit de justice et d'équité pour tous les groupes d'opinion qui composent la population québécoise. Déjà, les travaux de cette commission nous ont permis de constater qu'il s'agissait d'une préoccupation que nous partageons. Je puis vous assurer que le gouvernement ne ménagera aucun effort afin que, lors des prochaines élections, nous puissions disposer d'un système électoral vraiment moderne et adapté à la nouvelle réalité québécoise."

M. le Président, nous étions en janvier 1971. C'est donc dire que c'est un dossier difficile, qui est complexe, il faut bien le reconnaître. J'ajouterais que le député d'Argenteuil, qui, en décembre 1972, était éditorialiste au journal Le Devoir, a écrit de nombreux articles sur cette question. Je voudrais vous faire part d'un, en tout cas, qui m'apparaît être le plus significatif. C'est un éditorial du 14 décembre 1972 signé par M. Claude Ryan. M. le Président, j'avoue qu'étant nouveau dans ce dossier il y a des écritures qui m'ont frappé de façon plus particulière et celle-ci en est une. Je cite M. Claude Ryan dans le Devoir du 14 décembre 1972: "De tous les systèmes électoraux, la représentation proportionnelle est celui qui réalise le mieux, dans ses résultats concrets, le principe "un homme, un vote." Non seulement permet-elle à chaque citoyen de voter librement et conformément à ses convictions, mais elle assure à chacun que, dans la composition du Parlement, le vote qu'il a déposé aura autant d'importance que les autres." "On pourrait multiplier les exemples montrant la grande souplesse de la formule proportionnelle. Ce serait faire injure à l'intelligence des nombreux pays qui ont adopté cette formule que de croire qu'elle débouche inévitablement sur une fragmentation extrême des forces politiques. La représentation proportionnelle à l'état pur se prête sûrement à des situations ingouvernables. II est toutefois possible -l'expérience de maints pays le prouve - de faire en sorte que ses effets négatifs soient rigoureusement circonscrits." "Pour mettre fin aux injustices du système actuel, l'idéal serait d'instaurer au Québec une véritable représentation proportionnelle comme celle qui existe en Allemagne fédérale. Si M. Bourassa ne veut pas aller aussi loin, qu'il considère au moins la possibilité de formules mitigées de représentation proportionnelle comme celles qu'ont mises de l'avant MM. Gilles Lalande et M. Gabriel Loubier. Et surtout, qu'il n'aille pas remettre à plus tard cette amélioration qui peut très bien être instaurée dès la prochaine élection générale."

M. le Président, nous étions le 14 décembre 1972.

C'est donc dire que cette préoccupation n'est pas nouvelle et nous la vivons encore aujourd'hui. Je voudrais mentionner ce que l'Opposition a retenu dans la dernière version de son programme parce que ce n'est pas inutilement tout à l'heure, dans mes remarques préliminaires, que j'ai identifié le très grand nombre d'amendements et de modifications majeures qui ont été apportés, tantôt à la Loi électorale, tantôt à la Loi sur la représentation électorale, aux listes électorales, au financement des partis politiques. Nous avions cheminé en quelque sorte conjointement. Sauf erreur, toutes ces lois majeures ont été adoptées à l'unanimité des deux côtés de l'Assemblée nationale. (15 h 30)

Voici ce que je retrouve aujourd'hui dans un document qui s'appelle "Le Parti libéral du Québec, la société libérale de demain, 1981" aux pages AG-V-1, AG-V-2, mieux connu comme le livre rouge comme vous l'appelez. Je cite, M. le Président, sous la rubrique des inscriptions politiques: "Un gouvernement du Parti libéral du Québec s'engage, premièrement, à modifier le mode de scrutin aux élections générales de façon que le nombre de députés élus à l'Assemblée nationale en provenance des différents partis politiques reflète davantage la proportion du

suffrage exprimé en faveur de chaque parti." Pour ne pas être en reste, le point 2 est le suivant: "Éliminer, dans la mesure du possible, des obstacles bureaucratiques au droit de vote que placent les procédures actuellement suivies dans l'administration de la Loi électorale." C'est le programme de 1981 et, sauf erreur, il n'aurait pas été modifié, à moins que nos collègues de l'Opposition ne nous en parlent. Je ne suis pas trop au courant de tous les cheminements internes.

Maintenant, qu'en est-il du côté du gouvernement? Je voudrais dire que notre formation politique, depuis sa création, dans la plupart de ses conseils nationaux ou à tout le moins à chacun de ses congrès, s'est penchée sur cette question et, si on m'en donnait le temps, je pourrais - pour la meilleure information de tout le monde -vous faire part des extraits du programme de notre formation politique. Je vais aller à l'essentiel. En 1982, sur les objectifs généraux, "les représentants et les représentantes élus du peuple doivent l'être dans des conditions telles qu'ils et elles représentent bien les opinions et les intérêts des citoyens et des citoyennes tout en restant libres d'agir selon leur mandat et leur conscience. Cela implique que la carte électorale donne à chaque personne la possibilité de faire valoir réellement ses droits; que la répartition des sièges reflète les opinions et les intérêts de la population et qu'aucun groupe ne puisse être en mesure, pour des raisons financières ou autres, d'exercer une domination quelconque sur l'ensemble." Et, sous la rubrique: Objectifs généraux, le programme du Parti québécois se lit comme suit: "Maintenir le mode de scrutin actuel, mais y ajouter un élément de représentation proportionnelle." C'était en 1982.

En 1983, le 23 mars, lors du discours inaugural, le premier ministre rappelait cette volonté de modifier le mode de scrutin. Ces quelques lignes, M. le Président, je voudrais les lire. Je cite le discours inaugural du premier ministre, le 23 mars 1983: "Maintenant, il faut aller plus loin de façon à garantir aux citoyens que la volonté qu'ils expriment au moment d'une élection sera respectée désormais de façon plus rigoureuse lorsqu'il s'agira de déterminer la composition même de l'Assemblée nationale. Nous avons déjà, de ce côté-ci de la Chambre, endossé le principe de cette réforme du mode de scrutin. Il s'agit maintenant de s'entendre sur la meilleure façon de la mettre en pratique. Comme les avis demeurent partagés alors que c'est là un sujet où le consensus est particulièrement souhaitable et aussi pour que les citoyens eux-mêmes, qui sont les vrais détenteurs du pouvoir, aient l'occasion et le temps d'en discuter, la question sera soumise à une commission parlementaire spéciale dont le mandat sera de procéder à une évaluation du mode de scrutin actuel et d'étudier les diverses formules qui pourraient servir à le modifier ou à le remplacer."

Finalement, lors de notre congrès, en juin 1984, le programme a été, en quelque sorte, réajusté et le programme de notre formation politique se lit maintenant comme suit: "Le mode de scrutin visera à assurer une meilleure représentation de la volonté populaire en s'assurant un élément de représentation proportionnelle."

Si j'ai pris le temps de relire au texte ce que contiennent les programmes des deux grandes formations politiques du Québec, c'est que cette volonté de corriger les distorsions d'un mode de scrutin demeure. Aujourd'hui, je dirais que cela demeure de façon aussi actuelle en 1984 que ce qu'on pouvait en dire dans les années 1971, 1972 ou même après.

M. le Président, je voudrais dire que c'est avec la plus grande ouverture d'esprit que notre groupe parlementaire va travailler dans les prochaines heures et dans les prochains jours à scruter, à analyser le rapport en profondeur et aussi à poser des questions pertinentes à M. Côté et à ses deux commissaires adjoints. Ce qui me paraîtrait important de faire, c'est de réitérer cette volonté politique que nous avons remarquée des deux côtés de l'Assemblée nationale au fil des ans.

Je voudrais souligner également que ce rapport déposé par la commission Côté l'est à la suite d'une tournée, mais, comme M. le président Vaugeois le rappelait tout à l'heure, le mandat qui lui a été confié le 22 juin 1983, de mémoire, c'était très certainement dans les dernières heures, sinon les derniers jours de l'Assemblée nationale, et les deux formations politiques se sont entendues sur un texte qui a constitué votre mandat. Cela s'est fait en quelques minutes, nous dit-on, et cela vous a permis de vous mettre à l'oeuvre. Ce qui prouve, M. le Président, que, s'il y a encore aujourd'hui volonté politique de faire cette réforme des deux côtés de l'Assemblée nationale, les parlementaires peuvent y travailler très rapidement.

Aujourd'hui, nous abordons votre rapport. Personnellement, je voudrais vous remercier de l'attention que vous avez apportée à cette tâche. J'ai eu l'occasion de le lire et même de le relire. Ce que je voudrais maintenant proposer à la commission, c'est d'aborder l'étude du rapport aussitôt qu'un de mes collègues de l'Opposition, j'imagine, aura fait une déclaration d'ouverture, pour éviter qu'il n'y ait des redites, pour éviter que nous ne revenions systématiquement sur les mêmes choses. J'ai été frappé par la clarté du plan de votre rapport, qui me paraît une bonne méthode, en deux parties. Dans la première

partie, vous faites un bilan de votre consultation et, dans la seconde partie, vous faites ce que j'appellerais, sous deux chapitres, des recommandations.

Ce que je proposerais à mes collègues de la commission, ce serait d'aborder l'étude de votre rapport dans l'ordre où il nous est présenté dans son texte, c'est-à-dire qu'on pourrait travailler sur la première partie, sur les trois chapitres, la méthodologie... Votre chapitre II porte sur les principaux thèmes rattachés è l'étude d'un mode de scrutin. Le chapitre III nous donne une évaluation ou une étude du mode de scrutin actuel et les différentes formules proposées. Je comprends que ce sont des formules qui vous ont été proposées lors des audiences que vous avez tenues ou des représentations qui vous ont été formulées. Tout cela constituerait un premier bloc. Le deuxième volet, dans la deuxième partie du rapport, est la position de la commission, c'est-à-dire le chapitre IV qui porte sur l'évaluation de la situation et le chapitre V qui est au coeur même de vos recommandations, c'est-à-dire un mode de scrutin reposant sur la proportionnelle territoriale.

Si cette proposition était agréée par l'Opposition, nous serions prêts à procéder de cette façon. Cela nous éviterait de nous promener tantôt en amont, tantôt en aval, de laisser des questions en plan et ensuite d'y revenir. Je voudrais assurer à mes collègues de l'Opposition et aux députés indépendants également que nous avons l'intention, de notre côté en tout cas, non seulement de faire preuve d'une grande ouverture d'esprit dans ce dossier, mais également de permettre la plus large expression d'opinion possible, tant de notre côté, bien sûr, que de la part de tout membre à cette commission parlementaire.

Voilà, M. le Président, ce que je voulais vous dire au début de nos travaux.

Le Président (M. Rivest): Merci, M. le ministre. Est-ce qu'un porte-parole de l'Opposition pourrait réagir sur la proposition que le ministre a faite quant à l'ordre à suivre ou à la façon de procéder? J'aimerais également avoir l'opinion de M. Côté pour savoir si la proposition du ministre ou la procédure qu'il suggère lui convient ainsi qu'aux membres de l'Opposition.

M. Côté (Charlesbourg): M. le Président, je pense qu'on peut s'entendre assez facilement à ce niveau. Nous avions pensé au départ effectivement questionner ou interroger sur la méthodologie pour un premier bloc; un deuxième bloc aurait pu contenir les éléments qui étaient sur la table ou qui étaient appliqués avant même que la commission ait son mandat, à savoir le scrutin uninominal à un tour, la RPRM, représentation proportionnelle régionale

Tiodérée, et la représentation proportionnelle compensatoire; quant au troisième bloc, la proposition de la commission, c'est la représentation proportionnelle territoriale. Je pense que cela va passablement dans la même ligne de conduite que le ministre et on accepte cela.

M. Duhaime: À partir du moment où les sujets que vous venez d'évoquer se recoupent nécessairement sous un chapitre ou sous l'autre, j'ai comme le sentiment qu'on va les aborder immanquablement. Je voulais faire une proposition tout simplement pour prendre le rapport tel qu'il est et y aller par chapitres, parce qu'on se trouve aujourd'hui devant une commission parlementaire qui est, je dirais, inhabituelle dans le sens que normalement, lorsque nous sommes en commission parlementaire, ou bien nous étudions les crédits, ou bien nous étudions un projet de loi et il y a un ministériel qui défend une position devant la commission parlementaire. Aujourd'hui, c'est le président de la Commission de la représentation électorale, à la suite du mandat qui lui a été donné à l'unanimité par l'Assemblée nationale, qui revient devant l'Assemblée nationale, donc, devant cette commission, pour faire rapport en plus du document écrit qui nous a été remis, il y a plusieurs mois. Si on pouvait procéder de cette façon, cela vous conviendrait?

M. Côté (Charlesbourg): Oui, cela va. M. Duhaime: Bon!

Le Président (M. Rivest): La présidence constate qu'il y a, sur la façon de procéder, un accord entre l'ensemble des collègues. Je pense que la préoccupation de tous, c'est que, dès lors qu'on aurait disposé d'un aspect particulier, les parlementaires n'y reviennent pas pour ne pas allonger inutilement les débats sauf, bien sûr, à titre incident. Maintenant, je dois donner la parole au député de Charlesbourg et, par la suite, la commission commencera ses travaux, c'est-à-dire avec l'échange avec le président et directeur du scrutin, M. Côté. M. le député de Charlesbourg.

M. Marc-Yvan Côté

M. Côté (Charlesbourg): J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt ceux qui m'ont précédé, M. le Président. Au moment de la période des questions, lorsque nous aborderons les questions, cela m'aurait tenté de dire au ministre responsable du dossier, frappeur de relève dans ce cas-ci: Quoi de neuf en ce qui vous concerne? Mais, de toute façon, je vais livrer mon texte qui sera distribué pour être bien sûr qu'on se comprend bien.

Cet après-midi, nous nous retrouvons en cette salle, je dois bien l'admettre, un peu malgré nous. Certes, les membres de cette commission ont un mandat bien particulier à accomplir, celui d'étudier le rapport de la Commission de la représentation électorale sur la réforme du mode de scrutin.

Pour nous et pour notre formation politique, il aurait été prioritaire et vraiment plus urgent que les parlementaires se réunissent pour discuter et surtout pour mettre de l'avant des solutions aux problèmes qui se multiplient et qui assaillent un nombre croissant de Québécois.

Nous aurions préféré nous réunir pour analyser avec le gouvernement différentes hypothèses en vue de solutionner la crise aiguë à laquelle sont confrontés quotidiennement les jeunes. Quand on sait que, lors de la récession de 1982, 60% des 145 000 emplois perdus au Québec l'ont été chez les jeunes, que le taux de chômage des jeunes Québécois a atteint en 1983 le niveau de 24,4% chez les hommes et de 20,3% chez les femmes, que ce sont les jeunes moins scolarisés et les moins instruits qui sont les plus vulnérables, on peut légitimement se demander pour quelles raisons, au lieu de discuter des questions prioritaires et qui suscitent, elles, un fort consensus, on entreprend cet après-midi un débat purement idéaliste, purement intellectuel. Pour nous, l'idéal à atteindre, c'est de donner aux jeunes, ces bâtisseurs d'un avenir très prochain, la place de choix qu'ils doivent occuper dans toute société saine et équilibrée. (15 h 45)

Nous préférerions discuter prioritairement de l'ensemble de la situation économique au Québec où le chômage pour les douze mois de 1983 s'élevait à 13,9% comparativement à 11,9% pour l'ensemble du Canada. Nous devrions être là pour aider les 386 000 chômeurs et pour tenter de trouver des avenues au niveau de la création d'emplois. Seulement 73% des 220 000 emplois perdus au Québec ont été récupérés, ce qui signifie qu'aucun nouvel emploi n'a été créé depuis, alors que l'Ontario a récupéré l'ensemble des 219 000 emplois perdus et en a créé 61 000 additionnels.

Nous pourrions insister sur ces priorités et sur certaines autres, mais on nous dira que ce n'est pas le moment. Il faut bien se rendre à l'évidence que le gouvernement péquiste a d'autres préoccupations qu'il juge prioritaires.

Face à l'impopularité qu'il suscite auprès de la population, guidé par des intérêts purement partisans et redoutant la défaite électorale, le gouvernement est beaucoup plus préoccupé et surtout beaucoup plus intéressé à rechercher un moyen qui permettra à certains députés ministériels, tel le député de Montmorency - cela rappellera certainement des souvenirs aux membres du conseil des députés du Parti québécois - de conserver leur siège lors de la prochaine élection générale plutôt que de rechercher un moyen de remettre le Québec au travail.

Outre ces considérations purement électoralistes, quelles autres raisons poussent ce gouvernement à vouloir entreprendre, à la veille de l'élection générale, une telle réforme qui modifiera en profondeur le processus électoral de même que les habitudes et les traditions des Québécois en ce domaine? Ce n'est sûrement pas un mouvement de masse de la part de la population qui est à la base de ce projet de réforme. En juillet 1983, un sondage effectué pour la Commission de la représentation électorale démontrait que 75% des répondants se sont déclarés assez satisfaits du mode de scrutin actuel, alors que 66,6% n'étaient même pas au courant de l'éventualité d'une réforme à ce chapitre. Contrairement à la commission, nous ne croyons pas qu'actuellement cette question nécessite un changement.

Il ne nous a pas paru évident, à la lecture du rapport de la commission, que la population réclame prioritairement un tel changement. Bien sûr, les auteurs du rapport nous font la nomenclature des interventions et de la couverture des médias suscitées par les audiences publiques tenues par la commission l'automne dernier. En tout début de rapport, on souligne un élément de l'ampleur de l'intérêt soulevé par le sujet: il y est fait mention que 202 expressions d'opinion furent expédiées à la commission au moyen d'une formule qui était à l'intérieur d'une brochure d'information tirée à 500 000 exemplaires et disponible dans 2328 points de chute dans l'ensemble du Québec. Cela signifie qu'une réponse seulement a été retournée à la commission par 10 points de chute. Cela ne ressemble en rien à un vif intérêt, bien au contrairel

Une fois de plus, le gouvernement péquiste veut procéder à toute vapeur, comme il a pris l'habitude de le faire lorsqu'il veut imposer un dossier controversé. Il veut faire passer son idée par un prisme déformant, alors que tout projet de réforme électorale devrait être abordé avec prudence, sérieux et faire l'objet d'un large consensus.

À ce sujet, M. Jean-Charles Bonenfant disait en 1971: "Le système doit aussi être accepté de tous. Il faut une sorte d'assentiment. Si vous adoptez un système contre lequel un parti se prononce catégoriquement en Chambre, j'ai l'impression que vous aurez ensuite des difficultés à le faire digérer au public." Dix ans plus tard, en 1981, lors du message inaugural, le premier ministre nous faisait état de son "bon espoir", avant la fin de la session - et, encore là, à l'unisson des partis si possible - de pouvoir proposer cette étape

dont on a tant parlé: celle d'un nouveau mode de scrutin.

On n'insistera jamais assez sur l'aspect fondamental d'une telle réforme que bien des spécialistes avertis apparentent à un changement de nature quasi constitutionnelle. En modifiant la façon dont le peuple souverain désigne ses représentants, on touche à la pierre d'assise de ce qui constitue la légalité d'un gouvernement.

M. Michel Debré, premier ministre de la Ve république, déclarait: "La proportionnelle change très profondément le fonctionnement des institutions. Le mode de scrutin est un élément capital à la fois de l'assise du pouvoir et du maintien des libertés."

Et voilà qu'en période électorale on décide de changer les règles du jeu. Ainsi, même si ce projet de réforme n'émerge nullement d'un choix collectif, le gouvernement semble vouloir aller de l'avant alors qu'il n'arrive même pas à dégager un consensus, d'une part, au sein de sa députation et, d'autre part, parmi sa base militante où la controverse règne et à qui on a demandé de reporter à plus tard la discussion sur le sujet.

Je voudrais rappeler au gouvernement que pour les Québécois, les travailleurs, les chômeurs, les jeunes et les personnes âgées, la priorité c'est l'emploi et l'économie; ce n'est pas la réforme du mode de scrutin.

Nous désirons réitérer d'une façon officielle que l'Opposition ne souscrit aucunement à ce projet de réforme qui, pour le moment, ne s'avère pas prioritaire et qu'elle n'a nullement l'intention d'appuyer le gouvernement péquiste dans sa démarche purement électoraliste.

Lors du dernier conseil général de notre parti politique, les militants ont unanimement adopté une résolution rejetant tout projet de réforme du mode de scrutin. Qu'il me soit permis de vous énoncer cette résolution: "II est résolu que le Parti libéral du Québec s'oppose fermement à toute réforme hâtive du mode de scrutin et cela, à la veille d'une élection, une telle opération étant un détournement de pouvoir" - résolution à laquelle M. Ryan a souscrit.

Depuis quelques mois, on tente de créer une psychose autour du mode de scrutin actuel. On l'accable de tous les maux; on l'afflige des pires situations. On dit de lui que c'est un système peu répandu, malgré le fait que, sur le continent nord-américain, plus de 300 000 000 de citoyens des plus grandes démocraties l'utilisent pour choisir leurs représentants, qu'il déforme la volonté populaire, que les élus sont peu représentatifs et que, comble de malheur, c'est un système anglais, comme le qualifie souvent le secrétariat à la réforme électorale.

Pour ces raisons et certaines autres qu'on peut facilement soupçonner, le gouvernement désire remplacer ce système simple et efficace afin d'implanter au Québec un mode de scrutin complexe auquel serait ajouté un élément assurant la représentation proportionnelle afin que l'Assemblée nationale devienne le reflet de la volonté de la population.

Mais quelle garantie avons-nous que la représentation proportionnelle assurera une plus grande justice électorale et une plus grande efficacité et qu'elle sera mieux adaptée à la réalité québécoise? Le professeur Jacques Cadart de l'Université de Paris affirme à ce sujet: "Pourtant il y a des limites aux effets des modes de scrutin. Il n'est pas possible de tout obtenir de chacun: justice, majorités, multipartisme, stabilité gouvernementale, liberté de l'électeur de choisir ses élus personnellement et de choisir la majorité de la Législature, l'équipe du gouvernement et le programme de ce gouvernement. Seuls les scrutins majoritaires permettent presque tous ces résultats, sauf la justice, selon les proportionnalistes."

Nous voilà donc à étudier le rapport déposé en mars dernier par la Commission de la représentation électorale qui avait reçu le mandat de l'Assemblée nationale d'évaluer et d'analyser d'une façon détaillée le mode de scrutin actuel et d'étudier les différentes formules de réforme du mode de scrutin proposées.

Or, à la lecture de ce document, il nous est apparu évident, comme à maints spécialistes et observateurs, que la commission n'avait pas respecté ou, tout au moins, qu'elle n'avait pas rempli le mandat qui lui avait été confié, préférant préparer sa propre proposition: la représentation proportionnelle territoriale. L'évaluation faite par la commission du mode de scrutin actuel, de ses avantages et de ses inconvénients est très sommaire à ce point qu'on peut s'interroger si cela ne provient pas du fait que la commission a trouvé si peu à redire sur ce sujet. En ce qui concerne l'étude des différentes propositions de rechange formulées - la représentation proportionnelle régionale modérée et la représentation proportionnelle compensatoire - elle n'est que très superficielle.

De la formule Bédard - on pourrait dire du Conseil des ministres - la représentation proportionnelle régionale modérée, on dit qu'elle n'a pas été retenue parce qu'elle s'appuie sur l'existence de régions naturelles ne respectant pas les diversités territoriales du Québec; que son caractère modéré rendrait difficile la percée de formations politiques nouvelles et qu'elle restreindrait la démocratisation des listes alors que, selon la proposition préparée par la commission, le territoire serait divisé d'une façon presque similaire, exception faite de l'île de

Montréal.

Quant à la proportionnelle compensatoire, formule émanant de l'exécutif national du Parti québécois, la commission estime qu'elle "risquerait de créer plus d'inconvénients que d'apporter de solutions aux problèmes engendrés par le mode de scrutin actuel". Ainsi, en l'espace de quelques pages, le procès de ces trois modes de scrutin est fait.

Place maintenant à la proportionnelle territoriale, proposition imaginée par la Commission de la représentation électorale qui semble avoir consenti beaucoup plus d'efforts dans la préparation de celle-ci que dans l'analyse de la formule existante. La proportionnelle territoriale serait, selon ses auteurs, un mode de scrutin moderne et québécois, adapté à la réalité québécoise, un système d'ici et pour ici. Il semble essentiel une fois de plus de bien marquer notre différenciation et notre spécificité. Rien de moins! Comme si la différence pour la différence était une valeur en soi!

À ce propos, l'éditorialiste Jean Paré écrivait en mai dernier: "Le projet de la commission écarte encore un peu plus le Québec du courant principal du continent. Il constitue un élément supplémentaire de l'entreprise forcenée de différenciation et de marginalisation du Québec par les lois, les modèles économiques, les idéologies. Surtout à l'intérieur d'un ensemble politique et économique, il n'est pas indifférent qu'existe une certaine symétrie ou au moins une certaine cohérence des éléments constitutifs."

L'introduction d'un système proportionnel viendrait remplacer une formule efficace, à application et de compréhension faciles par un système d'une rare complexité. Ainsi, l'application de la représentation proportionnelle territoriale diviserait le Québec en 22 ou 24 territoires électoraux regroupant parfois au-delà de 150 municipalités dans lesquels les électeurs se sentiraient perdus n'ayant aucun lien commun entre eux, de telle sorte que tout sentiment d'appartenance serait anéanti.

Le gouvernement désire introduire un élément de proportionnalité au mode de scrutin afin d'obtenir une plus juste représentation des choix des électeurs. À ce stade, je crois que nous devons nous poser une question des plus importantes: Que désire la population? Désire-t-elle avoir une photographie d'un moment bien précis qui, nul doute, évoluera et sera vite dépassé? Ou désire-t-elle s'assurer d'une stabilité gouvernementale et donner elle-même une direction au gouvernement plutôt que cette direction soit assujettie aux ententes de coalition?

À ce propos, de dire Jacques Cadart: "Les électeurs veulent élire des hommes, d'abord, plus qu'être représentés proportionnellement. Ils veulent décider de la politique plus que d'être photographiés comme appartenant à l'une des nombreuses tendances de leur pays. Ils veulent participer au gouvernement de leur nation."

Le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour en donnant de fortes majorités a largement contribué à assurer la stabilité gouvernementale au Québec; ce faisant il a exclu les artifices paralysants des coalitions qui se font aux lendemains de l'élection ne traduisant plus réellement la volonté de la population. Selon une étude américaine comparant les systèmes électoraux de 28 pays, 19 d'entre eux appliquent la représentation proportionnelle mais 13 de ces 19 pays, soit 68%, ont des gouvernements minoritaires et l'administration du pays se fait par le biais de la coalition.

Pour le politicologue, Louis Massicotte, le mode de scrutin actuel amplifie le verdict des électeurs, mais les majorités gouvernementales à l'Assemblée nationale ont tout de même reposé sur des majorités absolues dans le corps électoral 18 fois sur 23 et sur des pluralités électorales dans trois autres cas. On ne relève que deux élections seulement - 1944 et 1966 - où la volonté populaire a été carrément déformée et ce, à cause d'une carte électorale aujourd'hui rénovée. Peut-on donc parler, dans ces conditions, de déformation systématique de la volonté de la population? À l'élection de 1981, notre mode de scrutin a permis à 106 des 122 députés d'être élus avec des majorités absolues. En contrepartie, que nous offre la représentation proportionnelle territoriale?

Nous avons opéré une simulation de l'élection générale de 1976 en appliquant les deux hypothèses de la proportionnelle territoriale. L'opération a consisté, dans un premier temps, à tracer sur la carte électorale de 1976 les territoires électoraux selon les deux hypothèses de la commission. Dans un deuxième temps, les votes exprimés pour chacun des partis lors de cette élection furent répartis selon la méthode D'Hondt et cela en conformité avec le nombre de sièges proposé par territoire.

Alors qu'en page 27 du rapport de la commission on lit que le "mode de scrutin doit également rendre possible la formation de gouvernements suffisamment forts pour assurer la réalisation de grands projets de cette société".

L'application de la proportionnelle territoriale en 1976 aurait engendré, selon les deux formules, l'élection d'un gouvernement péquiste minoritaire. Avec "cette façon d'élire les députés qui rende justice à la démocratie, qui soit en somme le miroir le plus fidèle possible du choix des électeurs", même dans Beauce-Sud, la proportionnelle territoriale n'aurait pas permis l'élection de Fabien Roy. Il en aurait

été ainsi pour l'actuel député de Roberval qui, malgré sa majorité absolue des votes dans son comté, aurait dû se contenter d'être inscrit sur la liste des suppléants alors que le candidat libéral défait aurait été, lui, élu. La commission, en omettant de ne pas citer l'élection de 1976, fausse les règles du jeu et passe sous silence les vices cachés de sa formule. (16 heures)

II importe de mentionner qu'avec la représentation proportionnelle régionale modérée, un gouvernement minoritaire péquiste aurait donc été élu en 1976.

Si les uns ont développé une formule de représentation proportionnelle régionale, les autres un modèle mieux adapté à la réalité québécoise, il y est maintes fois fait référence aux pays européens qui utilisent ce type de mode de scrutin. Certes, il y est fait mention de l'application du système et des résultats obtenus, mais très rarement du cadre géographique et de la densité de population dans lequel il s'applique. Ces aspects du sujet qu'on semble ignorer sont pourtant d'importance.

Le Québec, dont le territoire est trois fois plus grand que la Suède, a une densité quatre fois moins élevée. La densité de la population de la Belgique où l'on retrouve 321,1 habitants par kilomètre carré et celle des Pays-Bas où vivent 418,4 habitants par kilomètre carré n'ont aucune espèce de mesure à ce point de vue avec le Québec où la densité moyenne est de 4,7 habitants par kilomètre carré. La Belgique compte huit villes dont la population est supérieure à 100 000 habitants, les Pays-Bas 18 et la Suède 11, alors qu'au Québec on n'en dénombre que 4.

Je me permets de citer le professeur Jean Meynaud qui affirmait, à propos de l'importation de systèmes électoraux: "Je pense que, de l'étude électorale, la seule chose que l'on puisse dire avec certitude, c'est qu'il est très difficile de transporter dans un pays le système qui a cours dans un autre pays. Je veux dire qu'il y a entre la culture, le système électoral, les institutions, les habitudes, toute une série de liaisons extrêmement subtiles que nous connaissons mal d'ailleurs, et qui font que tel système pris dans un pays et transporté dans l'autre n'y donne pas les mêmes résultats." Et il ajoutait: "L'exigence proportionnelle même ne paraît pas correspondre, si vous voulez, à une demande ici. Ce qu'on demande ici, c'est un régime qui corrige un système, mais l'exigence proportionnelle ne me paraît pas venir du fond d'une large masse de la population. Ici, ce qu'on demande, c'est une correction. On admet que c'est l'uninominal qui doit continuer à régner et je pense que cela correspond malgré tout beaucoup plus à la mentalité québécoise qu'un régime proportionnel."

Vouloir diviser le Québec en 22, 24, 27 ou 29 régions électorales, malgré sa très grande superficie et sa faible densité, c'est faire perdre la dimension humaine à la tâche des députés pour lui coller une dimension bureaucratique et fonctionnariste. Mais c'est surtout noyer les électeurs dans de vastes régions où leurs multiples intérêts divergents auront très peu de lieux communs.

La relation directe et personnelle que permet notre mode de scrutin actuel entre le citoyen et le député ne tiendra plus. Cette relation sera complètement modifiée, comme le dit Jacques Chartron: "Le scrutin majoritaire est aussi le seul système qui met l'élu en prise directe avec le peuple, à la différence de la représentation proportionnelle qui place les élus sous la seule dépendance des partis politiques."

De quelle façon l'électeur pourra-t-il dorénavant se faire entendre? À quelle porte devra-t-il aller frapper? Quelle disponibilité et quel intérêt le député pourra-t-il assurer aux électeurs alors que les territoires seront beaucoup plus vastes et que le nombre d'électeurs aura considérablement augmenté? Certaines circonscriptions regrouperaient au-delà de 150 municipalités. Et ces députés "nouvelle vague" verront-ils leur travail être modifié? Attribuera-t-on à chacun des députés d'une circonscription des dossiers spécifiques? Que deviendra la responsabilité de l'élu face à ses électeurs? Une fois encore, le citoyen aura à faire face aux complexités de l'administration. L'électeur de l'extrémité d'une circonscription aura-t-il à se promener d'un bout à l'autre de celle-ci ou à défrayer les coûts d'appels interurbains pour enfin rejoindre le bon député qui pourra l'aider? La relation élus-électeurs sera totalement diluée. Tandis que les élus d'une même région seront perpétuellement en concurrence entre eux, les électeurs se retrouveront orphelins dans ces immenses entités territoriales.

Un mode de scrutin équitable: la proportionnelle, c'est-à-dire qui rende justice à la démocratie, qui soit en somme le miroir le plus fidèle du choix des électeurs.

On utilise souvent cet argument d'une plus grande justice alléguant que la représentation des diverses tendances et courants idéologiques sera ainsi le fruit d'une plus grande démocratie. À ce sujet, je cite encore Michel Debré qui dit: "Derrière l'apparence de justice de la proportionnelle, il y a une réalité: ce sont les partis qui ont quasiment le monopole de la présentation des candidats et, parce qu'ils ont ce monopole sur les candidats, ils ont aussi l'autorité sur les élus."

Or, il nous apparaît certaines contradictions à cet égard. Est-ce vraiment assurer une plus grande démocratie que d'éliminer la tenue d'élections complémentaires? Comment peut-on croire que

l'Assemblée nationale soit le reflet de la volonté de la population alors qu'un siège laissé vacant serait comblé par un "suppléant" qui n'est rien d'autre qu'un candidat non élu lors de l'élection générale? Ainsi, la population se verrait enlever son droit d'exprimer démocratiquement son choix pour l'élection de son représentant. Elle ne pourrait plus faire connaître au gouvernement son degré de satisfaction ou, comme ce fut le cas à maintes reprises au cours des dernières années, son degré d'insatisfaction. Terminées les punitions infligées au parti ministériel: La proportionnelle au service des politiciens et non à celui des électeurs!

Une plus grande démocratie également parce qu'une juste représentation de l'électorat. Nous ne croyons pas que l'actuel mode de scrutin puisse être mis en cause à cet égard. Bien au contraire, en vertu du système actuel, les groupes minoritaires ont pu faire élire leurs représentants, ce qui deviendrait beaucoup plus difficile et quasiment impossible sous un système de représentation proportionnelle. Étant au départ représentant d'un groupe minoritaire fortement concentré, le candidat aura peu de chance de se faire élire, isolé qu'il sera dans une grande région. Il en ira de même pour les sous-régions qui risquent de ne pouvoir faire élire de représentant. Les populations des régions périphériques seront négligées au profit de celles des centres urbains. Lors des audiences tenues par la commission à Sherbrooke, un intervenant a fait état de sa crainte "que certaines régions peu populeuses et périphériques n'aient jamais de représentation."

En ce qui concerne la représentation des femmes, là aussi il serait faux de prétendre que notre mode de scrutin est une cause directe du faible pourcentage de leur représentativité. Il serait également faux de croire qu'un système proportionnel ferait croître leur nombre à l'Assemblée nationale. Cela est plutôt lié à une question de comportement et de mentalité qu'au mode de scrutin.

Comment la commission de la représentation électorale peut-elle parler du "respect du sentiment d'appartenance" alors que, dans le découpage territorial qu'elle effectue selon ses deux hypothèses et qui s'apparente en bonne partie à celui de la représentation proportionnelle régionale modérée, il y a un déplacement de population de plus de 250 000 dans un cas et d'au-delà de 460 000 dans l'autre?

La principale critique à l'égard du mode de scrutin actuel provient du fait qu'il octroie au parti vainqueur un nombre supérieur de sièges au pourcentage de votes obtenus. Cette distorsion tant décriée par les opposants au système représente, en quelque sorte, une "prime au vainqueur" qui contribue à assurer la stabilité gouvernementale.

Bien que l'écart soit atténué, cette "prime au vainqueur" subsiste tant dans la réforme de la représentation proportionnelle régionale modérée que dans celle de la représentation territoriale.

Selon Douglas Rae, il est démontré que la représentation proportionnelle peut résoudre le phénomène de distorsion, mais à la condition que le nombre de sièges à combler soit élevé. Si la représentation proportionnelle régionale modérée et la représentation proportionnelle territoriale maintiennent ces distorsions c'est que ces deux propositions ne représentent pas une "proportionnelle pure", comme c'est le cas en Israël. Elles combinent plutôt différentes formules.

À titre d'exemple, dans une circonscription électorale où quatre partis politiques s'affrontent pour obtenir les quatre sièges en jeu, il suffirait à un des partis politiques d'obtenir 47,2% des voix pour obtenir trois sièges, c'est-à-dire 75% des postes à combler. Ou encore, dans une région de 122 000 électeurs où trois partis se font la lutte pour trois sièges, le parti "A", qui recueille 48 500 votes, se voit attribuer, avec 40% des électeurs, un siège. Le parti "B", avec 49 500 votes, soit 41%, obtient deux sièges tandis que le parti "C", avec ses 24 000 votes représentant 19%, n'obtient aucun siège.

Quelques mots maintenant sur les campagnes électorales. La substitution de notre mode de scrutin par un système proportionnel viendra également modifier la mécanique des campagnes électorales. D'ailleurs, M. Côté faisait état, tout à l'heure, d'une formule qui était disponible et j'aimerais qu'on en discute éventuellement: au lieu du 4 pouces sur 8 du bulletin de vote, une autre formule. Nous aussi on s'est penché sur des possibilités de solution et cela pourrait peut-être donner un bulletin de vote par lequel les gens pourraient voter effectivement au départ pour un parti politique; par la suite, les candidats de chacun des partis étant inscrits, les électeurs pourraient choisir. Mais où en est - douze pages - finalement la simplicité du système par rapport à tout ce qu'on a défendu depuis quelques années pour tenter de modifier le système électoral, de simplifier et de faciliter l'expression du vote des électeurs?

Actuellement, un candidat doit rejoindre un certain nombre d'électeurs regroupés sur un territoire de superficie moyenne. L'application d'une ou de l'autre des hypothèses de découpage territorial de la proposition de la commission pourrait entraîner le regroupement dans une même circonscription d'au-delà de 100 municipalités. De quelle façon se déroulera la campagne électorale d'un candidat? Quel appui pourra-t-il recevoir de son parti, alors

que plusieurs candidats d'un même parti tenteront de se faire élire dans la même circonscription? Un candidat aura-t-il un seul quartier général pour l'ensemble du territoire, limitant en quelque sorte l'accès aux électeurs du coin? Les autres, résidant trop loin d'un centre d'action, devront-ils plutôt ouvrir des locaux satellites dans la circonscription et à quel coût? Comment se déroulera la journée du vote? Les bureaux de scrutin seront-ils ouverts plus longtemps qu'actuellement? Combien d'officiers d'élections se retrouveront à une même table? Combien de temps prendra le dépouillement du scrutin et l'attribution des sièges? À cause d'une augmentation très considérable des coûts, une élection générale avec un système proportionnel deviendrait presque un luxe, même si on a beau dire que la démocratie n'a pas de prix. Le Québec peut-il se permettre de remplacer un système qui a fait ses preuves par un autre dont on ne peut aucunement prévoir les conséquences et le degré d'applicabilité et qui, par surcroît, serait très coûteux pour les Québécois?

La population, dans tout ce débat, où se situe-t-elle? A-t-elle revendiqué à grands cris l'introduction d'un système proportionnel? Les sondages effectués nous démontrent que la population est satisfaite du mode de scrutin actuel et porte bien peu d'intérêt à ce sujet. La population a d'autres préoccupations qui sont, pour elle, prioritaires, et cela le gouvernement ne devrait pas l'oublier, car notre formation politique se chargera de le lui rappeler.

Introduire la représentation proportionnelle au Québec c'est transformer en profondeur l'ensemble de notre processus électoral. C'est opérer une rupture avec nos traditions et nos habitudes politiques. Même si ce type de représentation nous est présenté sous une forme modérée, elle changera les règles du jeu; le cadre territorial ne sera plus le même, tout comme la relation élus-électeurs. La population devra envisager et accepter la forte possibilité de gouvernements minoritaires engendrant les jeux de coalition. De plus, une représentation proportionnelle, qu'elle soit territoriale, modérée ou autre ne risque-t-elle pas d'être une étape transitoire vers la proportionnelle intégrale, comme ce fut le cas dans plusieurs pays tels que la Belgique, la Suède, la Norvège et l'Autriche. Voilà.

Le Président (M. Vaugeois): Merci. J'avais annoncé, tout à l'heure, qu'après avoir entendu un porte-parole de la majorité et un porte-parole de l'Opposition, nous vous entendrions, M. le président Côté, mais je crois que les deux députés indépendants qui sont avec nous cet après-midi ont également droit, à ce moment-ci, d'intervenir. M. le député de Sainte-Marie.

M. Guy Bisaillon

M. Bisaillon: Je voudrais indiquer à la fois aux membres de cette commission parlementaire et aux membres de la Commission de la représentation électorale, mon attitude au moment où on s'apprête à étudier le rapport de la commission. Je pense que dans l'étude du rapport de la commission, ce qui est beaucoup plus important pour moi, finalement, c'est de pouvoir déceler, à l'intérieur des journées qu'on va passer ensemble, comment le gouvernement entend finalement régler ce problème et quelle attitude il a adoptée par rapport, non seulement au rapport de la commission, mais à cette question de la réforme du mode de scrutin. De la même façon, je voudrais comprendre davantage les arguments qui nous sont présentés par l'Opposition pour repousser, dans un premier temps, le rapport de la Commission de la représentation électorale, mais dans un deuxième temps, toute forme de modification du mode de scrutin. (16 h 15)

Ce à quoi je m'attends, M. le Président, et ce que je crains par-dessus tout, c'est que, finalement, on profite de ces journées pour se gargariser de mots, pour se féliciter sur les bonnes réformes que nous avons adoptées depuis quelques années sans s'attaquer au fond du problème. Il me semble qu'on ne peut pas parler d'une réforme du mode de scrutin à partir d'objectifs mesquins. Ce n'est pas en fonction du nombre de banquettes physiquement disponibles à l'Assemblée nationale qu'on va décider du mode de scrutin qu'on veut bien se donner. Ce n'est pas en fonction non plus des intérêts de tel ou tel député ou de tel ou tel parti politique présent au Parlement au moment où on se parle qu'on peut décider d'une réforme du mode de scrutin. Il me semble qu'on doit avoir en tête des objectifs un peu plus nobles, à plus long terme que ceux qu'on semble viser actuellement.

Le président de la Commission de la représentation électorale, à juste titre selon moi, a souligné que ce dossier de la réforme du mode de scrutin est un dossier qui,comme quelques autres, comporte un certain aspect de conflit d'intérêts pour les parlementaires qui ont à le traiter. On est à la fois juge et partie. Sans porter de jugement et sans présumer des motifs de chacun d'entre nous, on peut penser logique, on peut trouver qu'il est humain qu'un député qui regarde la proposition Côté et qui se rend compte que, dans sa région, par exemple, il y a cinq sièges de disponibles, qu'actuellement il est ministériel, qu'il y a cinq ministres et qu'il est le sixième député, soit contre la réforme, parce que la réforme pour lui veut dire, de façon quasi automatique, son absence du Parlement aux

prochaines élections, comme pour un des cinq ministres, d'ailleurs, puisqu'une bonne répartition dans une région accorderait sûrement un siège à l'Opposition. On peut trouver humaine la réaction du député, mais on peut trouver aussi que c'est un peu illogique qu'on soit placé encore une fois dans cette position.

On est en conflit d'intérêts aussi, M. le Président, à d'autres titres que celui-là. On est en conflit d'intérêts, par exemple, lorsqu'on n'applique pas au niveau national ce que l'on exige au niveau local. On continue de prétendre que les citoyens ne comprendraient pas le nouveau bulletin de vote, alors que nos lois, au niveau municipal, les ont habitués depuis longtemps à voter à la fois pour la mairie et pour des conseillers municipaux. Nos lois ont habitué les citoyens depuis longtemps à des élections à date fixe. Pourtant, ici, on se refuse à l'inclure dans les lois qui nous régissent nous-mêmes.

Nous avons, comme parlementaires, adopté des lois régissant la forme de scrutin au niveau municipal, au niveau scolaire qui comportent des règles que nous ne nous appliquons pas. C'est une façon, selon moi, d'être en conflit d'intérêts aussi. Cette situation dans laquelle nous nous trouvons, il va falloir, un jour ou l'autre et d'une façon ou l'autre, la régler. Or, M. le Président, si ce n'est pas le gouvernement actuel qui le fait, ce ne sera pas non plus le suivant. L'histoire est là pour nous démontrer - les textes que le ministre nous a cités tantôt endossent encore cette position - que ce n'est pas pour demain la veille. Il me semble qu'on pourrait trouver une formule entre nous. Au minimum, si cette commission parlementaire nous amenait à trouver, non pas la formule technique d'un mode de scrutin, mais la formule qui permettrait d'en arriver à adopter un mode de scrutin différent, il me semble qu'on aurait gagné quelque chose.

Il me semble évident que les discours des partis politiques, que les discours des hommes et des femmes politiques, depuis au moins quinze ans, appellent un changement. Il y a des résolutions du congrès du Parti libéral sur le sujet; il y a des résolutions du congrès du Parti québécois sur le sujet. Il y a des déclarations de premiers ministres libéraux; il y a des déclarations du premier ministre du Parti québécois. Il y a des déclarations de partisans, de militants libéraux, comme il y a des déclarations de partisans et de militants du Parti québécois. Une chose est claire, cependant: dans aucun des partis politiques, comme dans aucune des ailes parlementaires, un consensus ne se dégage sur cette question, quoi qu'on en dise. Que les partis en présence au Parlement me présentent une position unique pour leur groupe parlementaire, moi, M. le Président, je veux bien jouer le jeu, mais je demeure convaincu qu'il n'y a pas de consensus dans aucune des ailes parlementaires ni dans aucun des partis politiques. Cela indique aussi la difficulté que nous aurons comme parlementaires à essayer de trouver la formule susceptible de répondre aux véritables besoins et pour cela, je prétends qu'il faut se donner des objectifs.

Le premier objectif, selon moi, ce serait d'abord de réfléchir sur la question suivante: À quoi convie-t-on les citoyens et les citoyennes à chaque élection? Est-ce qu'on les convie à élire un gouvernement ou si on les convie à élire un Parlement? Toute la question est là, selon moi et c'est en cela que je vous rejoins lorsque vous passiez vos commentaires au président de la Commission de la représentation électorale. Le système parlementaire, selon moi, est intimement relié au type de mode de scrutin qu'on va se choisir. Convier les citoyens et les citoyennes à élire un Parlement, ce serait d'abord un objectif et un objectif qui permettrait peut-être de rejoindre les propos du député de Charlesbourg tantôt. Si on élisait d'abord et avant tout des Parlements, les lois qui seraient votées par ces Parlements correspondraient sûrement davantage aux besoins de l'ensemble de la population parce que le Parlement leur ressemblerait plus qu'il ne leur ressemble actuellement. On prétend plutôt qu'il faut continuer à élire des gouvernements.

Là où je trouve qu'il y a une différence, c'est entre la notion de la stabilité gouvernementale et la stabilité politique qui, elle, doit être représentée par un Parlement. En ce qui a trait à la stabilité gouvernementale, il y a beaucoup d'autres façons ou de moyens de l'assurer par des règles internes du Parlement et par des règles internes de la constitution. Au-delà du mode de scrutin, il est possible d'assurer la stabilité gouvernementale tout en élisant des Parlements plus ressemblants à l'ensemble des débats qui se font dans la population. À ce sujet, j'ai reproché à la Commission de la représentation électorale -et je le lui reproche toujours - de nous avoir formulé une recommandation "nouvelle", entre guillemets, d'avoir très bien saisi les consultations qu'elle a menées auprès de la population, d'avoir saisi ce que la population voulait, mais de ne pas avoir tenu compte d'un élément important, c'est-à-dire le Parlement et ceux qui étaient supposés être appelés à voter ses recommandations.

Le président de la Commission de la représentation électorale, lorsqu'il nous a souligné gentiment qu'on était en conflit d'intérêts, aurait dû se passer cette réflexion bien avant de nous formuler une recommandation. Il me semble qu'il aurait dû nous formuler une recommandation qui serait allée chercher les éléments qu'on retrouvait à ce moment-là dans les déclarations des

deux partis politiques les plus forts au Québec et dans les représentations des autres groupes, c'est-à-dire une formule qui pourrait se situer au milieu, qui pourrait allier à la fois le système actuel pour l'instant et nous introduire dans une formule de proportionnelle, ce qui aurait supposé que le décompte des voix ne se fasse qu'au niveau national, bien évidemment. Cette formule mixte aurait peut-être été une façon de nous introduire dans un apprentissage nouveau du mode de scrutin, de mesurer ses effets à la fois sur la relation électeurs-élus et sur le fonctionnement parlementaire comme sur la notion de stabilité gouvernementale. Je regrette que la commission n'ait pas procédé de cette façon, mais je suppose que je dois comprendre dans le texte que le président nous a lu tantôt, à savoir que la formule proposée était discutable, la possibilité d'en arriver éventuellement à une application de la formule qu'il nous propose lui-même.

Je terminerai en soulignant que tous les observateurs politiques et tous les spécialistes de la question vont vous dire que le genre de mesures qui nous est proposé, que le genre d'exercice auquel nous sommes conviés, un gouvernement se doit de le voter dès le début de son mandat. Le Parti libéral, qui avait imploré ce nouveau mode de scrutin entre 1966 et 1970, s'est attaqué à cette question dès 1970. On a vu les ratés que cela a occasionnés. Ils ont eux-mêmes, conscients qu'ils avaient de la difficulté à faire le point à l'intérieur de leur propre groupe parlementaire, procédé exactement comme le Parti québécois le fera plus tard, c'est-à-dire qu'ils se sont "cachés", entre guillemets, derrière une commission de spécialistes qui se sont penchés sur la question. Le Parti québécois avait, lui aussi, imploré une refonte du mode de scrutin bien avant 1976. En 1976, il n'a pas procédé. Il n'a pas procédé non plus en 1981. Lorsqu'il nous arrive avec une possibilité de refonte du mode de scrutin en fin de mandat, il est évident qu'il va se faire accuser de le faire uniquement par calcul électoraliste.

Si cette commission pouvait nous amener à nous pencher honnêtement, sincèrement, sur un mode de scrutin qui répondrait à des objectifs que, conjointement, nous pouvons fixer ensemble et si nous étions d'accord pour appliquer cette formule nouvelle adoptée immédiatement, mais que nous soyons d'accord aussi pour ne l'appliquer qu'à l'élection suivante, c'est-à-dire à la deuxième élection, est-ce que, par le fait même, on ne détruirait pas les arguments qui peuvent valoir de part et d'autre? Tout en se penchant sérieusement sur la question du mode de scrutin, tout en assurant qu'un nouveau gouvernement sera tenu, lui, de faire des élections selon le nouveau mode de scrutin, est-ce qu'on ne pourrait pas laisser les règles du jeu actuel jouer pour la prochaine élection?

Je sais qu'on trouvera toutes sortes d'arguments à cela, mais je me dis que si on veut vraiment procéder, c'est la seule voie qu'il nous reste, c'est la seule voie qu'il reste aux parlementaires, soit celle d'adopter une réforme du mode de scrutin et faire un peu comme on a fait lorsqu'on a adopté la Loi sur la représentation électorale. Pour régler le problème qu'on a toujours eu à déterminer le contour des secteurs de vote, on a finalement fait ce qu'il nous fallait faire, soit de nous décharger de ce problème pour le remettre à une commission indépendante, de faire en sorte que plus jamais, sauf de façon consultative, le Parlement n'ait à régler cette question de la détermination des territoires électoraux, des circonscriptions électorales. C'est maintenant une commission indépendante qui a le pouvoir de se prononcer sur cette question.

Est-ce qu'on ne procéderait pas un peu de la même façon si on convenait de l'urgence d'un changement, de la nécessité d'un changement? Si on convenait ensuite entre nous d'une formule acceptable pour les partis actuellement en présence? Si on convenait aussi qu'à l'avenir il faudra permettre l'arrivée au Parlement de nouvelles formations politiques? Dans un quatrième temps, qu'on s'entende pour que cette nouvelle formule, qu'on pourrait mettre au point ensemble, ne serve pas à la prochaine élection, étant donné le temps qu'il nous reste, mais serve à l'élection ultérieure, cela enlèverait... J'aimerais bien entendre les représentants du Parti libéral sur cette question; eux qui, lorsqu'ils demandaient un système de vote à deux tours, se prononçaient automatiquement, par le fait même, pour un changement du mode actuel. Leur proposition d'un vote de scrutin à deux tours est récente. Ce n'est peut-être pas le parti, mais c'était au moins le chef qui en avait parlé. Je dois me dire que, comme il y a une décision, cela devait être la volonté de l'ensemble du parti.

J'aimerais aussi entendre les membres du gouvernement nous dire s'ils pouvaient ne pas régler cette question morceau par morceau. C'est une nouvelle formule qu'ils ont mise au point. Pourquoi ne le pourrait-on pas? Ce n'est pas le gouvernement mais ce sont ses principaux conseillers.

Le Président (M. Vaugeois): Non.

M. Bisaillon: Pourquoi ne pourrait-on pas régler cette question morceau par morceau? Réglons-en un maintenant et on réglera l'autre à la deuxième élection qui suivra. De toute façon, comme l'exercice auquel on est convié, au-delà de savoir si le gouvernement entend procéder ou pas et de quelle façon, est aussi de discuter non seulement le rapport de la commission mais

ce qui a provoqué ce rapport, je pense qu'on pourrait, par l'étude qu'on va faire, essayer au moins de voir les points qui nous rapprochent plutôt que les points qui nous éloignent, essayer de retrouver à l'intérieur du rapport de la commission les points qui nous unissent plutôt que les points qui nous séparent. En ce sens, la commission aura fait oeuvre utile.

Le Président (M. Vaugeois): Merci, M. le député de Sainte-Marie. Vous avez lancé un certain nombre de questions qui devraient trouver des réponses au cours des prochaines heures. Je pense qu'elles ont été notées. Elles ont donné lieu à un peu d'émotion. Mais pour l'instant, je demanderais à M. Côté, s'il le désire, de réagir aux commentaires qu'il vient d'entendre. (16 h 30)

M. Côté (Pierre-F.): Très brièvement, M. le Président. Au sujet de votre propre intervention, je voudrais seulement vous rappeler l'échange que nous avons eu à ce sujet le 8 novembre, à Trois-Rivières. Je vous avais rappelé - j'ai ici la transcription des notes - que la proposition que vous nous faisiez d'aller un peu plus loin dans nos travaux, au sujet, en particulier, de la recommandation que vous faisiez à ce moment-là... Cela rejoint également, si j'ai bien compris, une remarque qu'a faite M. Bisaillon tout à l'heure, d'aller un peu plus loin en relation avec le parlementarisme. C'est surtout quand vous avez signalé, à la fin de mes remarques d'aujourd'hui, quand je disais qu'il s'agissait là d'une autre question... La seule observation que je voudrais faire à ce sujet, c'est que nous avons compris que le mandat qui nous était confié le 21 juin 1984 était très explicite et très limitatif et qu'il ne nous revenait pas d'aller au-delà de ce mandat. Je voulais seulement apporter cette précision. Nous étions très limités à l'étude des modes de scrutin et nous n'avions pas à faire l'étude du parlementarisme comme tel.

Je veux simplement signaler à M. le ministre Duhaime que je suis d'accord avec la méthode de travail qu'il propose. Quant aux propos tenus par M. le député de Charlesbourg, je pense qu'au cours des échanges il sera possible de lui répondre de façon plus précise parce qu'il y a beaucoup d'avancés auxquels j'aimerais, à tout le moins, apporter certaines nuances. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaugeois): Merci, M. Côté. Vous me rendez nostalgique chaque fois qu'on parle de ces questions, parce que, si on avait vraiment pu débattre le mandat qui vous a été donné, probablement qu'on y aurait ajouté la dimension qu'on vient d'évoquer. Mais il ne sera jamais trop tard pour le faire. Pour l'instant, le député de

Châteauguay a demandé la parole et c'est un peu lui qui va amorcer nos discussions de façon directe. Je l'invite à le faire en tenant compte du cadre qu'on s'est donné, en procédant avec la première partie du rapport de la commission qui s'intitule "Bilan de la consultation" et qui permet d'évoquer la méthodologie, etc.

M. Roland Dussault

M. Dussault: Merci, M. le Président. C'est difficile, évidemment, de couper court avec le style de remarques qui ont été faites jusqu'à maintenant. Je vais enchaîner à partir de cela, si vous le permettez.

D'abord, je voudrais remercier M. le président de la Commission de la représentation ainsi que son équipe pour l'excellente base de travail qu'ils nous ont donnée par le biais du rapport sur la proportionnelle territoriale. Je suis bien à l'aise de le dire, puisque je suis un de ceux qui ont dit depuis longtemps ce qu'ils pensent du changement de mode de scrutin. Je suis pour une représentation proportionnelle modérée et je pense que ce que vous avez offert à la population est intéressant. Je pense que c'est très représentatif; vous avez écouté énormément de gens. Si je me souviens bien, le nombre de personnes ou de groupes qui se sont présentés devant la commission constitue le deuxième record de toutes les consultations qui ont été faites au Québec jusqu'à maintenant. C'est dire comme c'est important, le nombre de personnes qui sont allées vous voir. Il est donc normal que vous ayez essayé de vous appuyer au maximum sur les positions que les gens ont défendues auprès de vous. Dans ce sens, je voudrais dire au député de Sainte-Marie qu'il aurait été bien difficile que vous essayiez de pondre une position qui serait le reflet des différents partis à l'Assemblée nationale puisque, de toute façon, au moment où vous avez fait votre consultation, le Parti libéral ne s'est pas présenté devant vous. Vous ne saviez pas ce qu'étaient les modalités d'une proportionnelle telle que le souhaitait le Parti libéral. Je pense que vous avez bien fait; vous vous êtes appuyés sur la population, sur celle qui est allée vous voir et qui l'a fait massivement. J'ai remarqué particulièrement que les femmes, qui représentant 50% de la population du Québec, se sont énormément déplacées en termes de groupes et de personnes pour aller vous rencontrer. Les positions des femmes vont largement dans le sens d'un changement du mode de scrutin. Il faut le rappeler: c'est 50% de la population du Québec...

Une voix: C'est 52%.

M. Dussault: ...52% - c'est très

important, je pense.

Je voudrais enchaîner un peu dans le même sens que le ministre temporairement responsable du dossier quand il a essayé de comprendre pourquoi, du côté... J'espère que c'est temporaire parce que je souhaite le retour du député de Chicoutimi à son dossier. Je lui souhaite, d'ailleurs, une bonne convalescence. Je trouve dommage que la réflexion du Parti libéral se soit arrêtée avec la venue de son "nouveau ancien" chef. C'est cela qui s'est passé. Il y a un élément que je voudrais apporter parce qu'il n'a pas été soulevé jusqu'à maintenant, c'est la démarche qui avait été commencée au Parti libéral. En avril 1983, on avait donné un mandat à M. Georges Lalande - vous vous rappelez c'était l'ancien député qui avait été élu aux élections partielles et qui avait été battu aux élections générales comme cela se passe toujours - député de Maisonneuve de travailler sur les positions connues, c'est-à-dire la position qu'on disait être celle du gouvernement et celle du Parti québécois, la compensatoire. Il a déposé son mémoire à la Commission de l'animation et de l'organisation du Parti libéral et auprès de groupes restreints de militants comme il l'a dit lui-même dans un rapport qu'il a déposé auprès de ces gens. Curieusement - c'est lui-même qui le dit - ils ont étudié la compensatoire et la RPRM et il dit: "Sauf pour une personne, toutes les personnes consultées se sont déclarées, à des degrés divers, favorables à la RPRM proportionnelle régionale modérée."

Quels sont les objectifs qu'ils ont essayé d'atteindre en prenant position dans cette direction-là? Je vais vous les dire: Corriger les distorsions actuelles de la représentation. Ce n'est pas mauvais. Maintenir le nombre de sièges à l'Assemblée nationale. Je pense que tout le monde parle ce langage-là. Axer la représentation en fonction des régions. Je suis complètement d'accord. Je me dis que si les députés se préoccupent de la régionalisation et de satisfaire les gens en région en tant que régionaux, ce n'est peut-être pas mauvais qu'on ait un fonctionnement qui ressemble un peu à cela aussi. Rendre plus stable le découpage de la carte électorale. Mon Dieu! c'est un objectif que tout le monde vise depuis longtemps. Maintenir les éléments actuels de la stabilité gouvernementale. Je reviendrai là-dessus tout à l'heure. Conserver sinon améliorer la relation députés-électeurs. On est tous d'accord avec cela. Éviter la multiplication artificielle des partis et éviter - je suis un petit peu moins d'accord avec cela mais, de toute façon, c'est une variante sur laquelle on pourrait discuter - un contrôle excessif des directions de partis sur les listes d'électeurs.

Je me dis, M. le Président, qu'avec tous ces objectifs, M. Bourassa est venu contredire cette équipe, ces gens qui pensent au standard de qualité en termes de changement d'un mode de scrutin au Québec au Parti libéral. Il est venu dire, du haut de son autorité: Arrêtez toute la réflexion là-dessus, mes amis, je viens de décider qu'il n'y aura pas de changements.

Je trouve curieux que le Parti libéral aujourd'hui, malgré que M. Bourassa dise: "uniquement après la prochaine élection" toute son argumentation va dans le sens de ne jamais faire de changement au mode de scrutin. Je trouve cela bizarre, il y a des contradictions que ces gens-là devront réussir à clarifier un de ces jours.

Pourquoi, dans le fond, ont-ils cette attitude-là? Je ne donnerai pas mon idée personnelle. Je vais me référer à quelqu'un qui est beaucoup plus objectif que moi. Ces gens-là pensent toujours que je ne suis pas objectif, je vais donc, autant que possible, me référer à quelqu'un que tout le monde trouve objectif - en tout cas le plus objectif possible dans les circonstances, chaque fois -et c'est M. Gilles Lesage, du journal Le Devoir, qui constatait, dans le titre: "La volte-face de M. Bourassa"... Le ministre a bien dit tout à l'heure jusqu'à quel point M. Bourassa avait dit que le changement était important. M. Lesage dit: "Mais à la guerre comme à la guerre, les libéraux ayant le vent dans les voiles et se voyant de retour au pouvoir en force comme en 1973, ne veulent absolument plus modifier un système qui les a bien servis dans le passé et qui risque de renvoyer le PQ dans les limbes électorales." C'est là la motivation de base que voit M. Lesage. Il continue en disant: "II est remarquable qu'aucun député libéral n'ait jugé bon de présenter un mémoire devant les commissaires qui ont dû insister pour que le PLQ fasse connaître ses vues. Il l'a fait en cachette, presque de mauvaise grâce en décembre mais après que M. Bourassa eut bien défini ses règles du jeu." Du haut de son autorité, comme je le disais tout à l'heure. M. Lesage continue: "Plutôt le statu quo qu'une réforme qui n'est pas prioritaire et qui comporte des risques pour l'équité envers les citoyens et la stabilité gouvernementale prétend-il faussement vertueux." Il dit, en terminant la partie que je veux citer: "Selon son habitude, M. Bourassa fait mine de laisser la porte ouverte mais il ne veut aucun changement."

C'est le style qui est encore exercé présentement par le Parti libéral et je trouve cela extrêmement dommage, M. le Président, parce qu'il s'agit des électeurs, il s'agit d'une injustice flagrante que tout le monde décrie chaque fois qu'il y a une élection pendant les premiers jours que dure la lune de miel avec le gouvernement et ensuite plus personne n'en parle. Nous, nous en parlons depuis un certain nombre de mois. On essaie de trouver une solution qui soit

satisfaisante pour tout le monde et pendant ce temps-là, au Parti libéral, on s'en va vers une position. Je vous assure qu'on est capable d'arriver à une position très bientôt mais pendant que nous faisons ce cheminement, du côté libéral ils ont décidé d'arrêter complètement tout le cheminement et de dire: Attendons la prochaine élection. Tandis qu'ici on nous dit: Non, il vaut mieux ne pas faire du tout ce changement-là. C'est très dommage, M. le Président.

Je voudrais continuer sur un élément qu'a avancé le député de Charlesbourg tout à l'heure lorsqu'il parlait du député de Roberval et qu'il disait être battu dans un mode de scrutin à la proportionnelle si, par exemple, on l'avait appliqué la dernière fois. Ce qu'oublie de dire le député de Charlesbourg mais cela fait toute la différence du monde, c'est que lorsque les gens auraient voté dans la grande région du Lac-Saint-Jean, ils auraient d'abord voté pour un parti, ensuite pour des candidats, et c'est le nombre de votes accordés à un parti qui aurait déterminé les chances ou non de se faire élire d'un des candidats qui sont sur le bulletin de vote. Cela est capital. Cela revient à dire que quand les électeurs voteraient, ils connaîtraient les règles et seraient capables d'utiliser les règles pour voter. Ils sauraient quel est l'impact de l'utilisation de la règle établie. Cela me paraît capital et c'est pour cela que j'ai choisi la proportionnelle régionale modérée ou territoriale (parce qu'il y a des choses en commun là-dedans). C'est parce que je considère que l'électeur, quand il votera selon ce mode de scrutin, connaîtra les règles et saura comment les utiliser pour faire valoir son vote, pour influencer son vote, c'est-à-dire qu'il utilisera les règles, s'il le veut, à des fins démocratiques et je trouve cela très sain sur le plan démocratique.

Un autre élément, un élément important, c'est celui de la relation électeurs-élus. On fera valoir toutes sortes de choses pendant les travaux de cette commission, dans les deux ou trois jours qu'ils pourront durer, mais il y a quand même une chose qu'il faut tenir pour acquis: Ce n'est pas une loi et ce n'est pas le Directeur général des élections qui va établir la relation dorénavant entre l'électeur et l'élu; ce sont les partis, les députés indépendants. Ce sont ces gens-là qui détermineront entre eux comment, dorénavant, ils voudront assurer la meilleure qualité de relations entre eux et les électeurs. Cela ne peut pas s'écrire dans une loi. Il y a un paquet de choses qui se font présentement qui n'ont jamais été écrites dans la loi et qui découlent, bien sûr, du mode de scrutin, mais les élus ont adapté leur intervention dans le milieu en fonction de ce qu'ils voulaient donner comme services à la population. Je ne crains pas que l'on soit incapables, soit en se faisant aider par le parti, soit entre nous de l'aile parlementaire, de déterminer quelle est la meilleure règle à suivre pour donner le meilleur service à l'électeur. Je pense qu'on n'est pas manchots. On est capables de faire cela. On a fait la preuve de notre adaptabilité avant. On est encore capables de faire cela. Ce n'est pas un élément qui m'inquiète beaucoup.

Il y a un élément que je voudrais faire ressortir, M. le Président, c'est celui des comtés orphelins. Vous savez que, présentement, par rapport au pouvoir, il y a au moins 40 comtés qu'on dit "orphelins" dans le sens suivant: Quand les électeurs, les organismes ou les organisations de comté veulent référer au gouvernement pour pouvoir arriver à leurs fins, ils sont obligés de passer par quelqu'un d'un autre comté et ils risquent, à ce moment-là, de se faire taxer de "patroneux", de faire du patronage. C'est cela la réalité. Vous savez très bien qu'il y a des partis qui conçoivent avant les élections que certains comtés ne sont pas tellement intéressants à aller chercher, qu'il est très difficile d'aller les chercher parce que la couleur politique est déjà très identifiée. Ces gens-là sont ignorés, et cela fait des électeurs de seconde zone. Je me dis qu'avec un changement du mode de scrutin, enfin on pourra arriver à changer cette dynamique et faire en sorte que tous les électeurs du Québec soient traités exactement sur le même pied. C'est une réalité politique extrêmement importante que j'ai fait valoir lorsque je suis allé rencontrer les membres de la commission et je pense qu'il va falloir répéter cet élément, cet argument, parce qu'il est très important pour la qualité de la vie démocratique au Québec.

Je vais terminer, M. le Président...

Une voix: Consentement.

M. Dussault: ...en demandant à M. le Directeur général des élections, qui est ici comme président de la Commission de la représentation électorale, de bien prendre soin de nous indiquer tout à l'heure, quand il aura l'occasion de le faire, à la suite de ce qu'il nous a dit tout à l'heure... Il nous a dit qu'il avait posé un certain nombre de gestes pour clarifier d'ailleurs leur position, puis il a avancé dans les documents la position défendue par les gens quand ils sont allés s'exprimer devant la commission. J'aimerais qu'il nous dise aussi s'il a d'autres intentions, s'il a posé d'autres gestes plus concrets, s'il a l'intention de poser d'autres gestes plus concrets. Je pense, par exemple, au mode d'expression de la volonté de l'électeur sur un bulletin de vote. On sait qu'il y a différentes formules pour une proportionnelle. Il y a le vote ouvert, le vote fermé, le vote

panaché. Je suis pour le vote panaché pour l'avoir exprimé très clairement. J'aimerais savoir si le Directeur général des élections a l'intention de faire des expériences, d'aller plus loin dans sa recherche pour voir comment tout cela pourrait s'exercer. Il y a une chose que j'aimerais savoir: si on regroupait des électeurs d'une façon artificielle, mais quand même de façon qu'à un moment donné on puisse avoir un point de vue, est-ce que les électeurs choisiraient naturellement d'aller vers le vote fermé, le vote ouvert ou le vote panaché? J'aimerais que le Directeur général des élections nous dise s'il a l'intention de poser des gestes dans une direction comme celle-là. Il me semble que cela nous serait très utile pour y voir clair. (16 h 45)

Une deuxième chose - c'est la dernière, M. le Président - j'aimerais que le Directeur général des élections et président de la Commission de la représentation électorale nous dise - cela m'est apparu une énormité de la part du chef libéral, M. Bourassa - s'il y a quelque chose de fondé dans l'exemple qu'a employé M. Bourassa déjà en disant qu'il ne faudrait vraiment pas aller vers une proportionnelle parce que l'exemple le plus patent de cela c'est Israël, et c'est effrayant sur le plan de l'instabilité gouvernementale.

J'aimerais bien qu'on nous dise ce qu'il y a d'énorme, ce qu'il y a de pas vrai dans cette assertion de M. Bourassa. Il me semble que cela serait bien utile pour nos travaux et pour les auditeurs qui nous écoutent.

Je reviendrai plus tard, évidemment, M. le Président, parce que j'ai encore beaucoup de choses à dire sur cette question. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaugeois): M. Côté, on vous a posé une couple de questions à la fin de l'intervention. Est-ce que vous voulez y répondre maintenant?

M. Côté (Pierre-F.): Oui, je peux essayer, M. le Président. Au sujet de la première question, à savoir si on a l'intention de faire des expériences pour connaître, par exemple, quelle serait la propension ou l'idée des électeurs sur un bulletin de vote sous forme de panachage ou un bulletin de vote sur une liste bloquée, si on a l'intention de faire des simulations, je dois vous dire qu'il faudrait peut-être relier cette question à d'autres propositions du genre qui pourraient surgir lors de nos échanges, parce qu'il me semblerait, de prime abord, que, pour pouvoir effectuer des travaux du genre pour poursuivre des travaux dans ce sens, il faudrait qu'on ait une expression de volonté assez claire de la part de l'Assemblée nationale.

Je dis cela parce qu'il y a quand même une distinction que je fais. J'ai reçu tout simplement aujourd'hui - avec la permission du président, je voudrais en faire part dans le courant de la journée de demain pour pouvoir y jeter un coup d'oeil plus attentivement ce soir - une opinion juridique sur la question de savoir jusqu'où le Directeur général des élections peut se préparer à des changements dans un système, un mode électoral. Cette opinion est assez positive, mais, avant de la commenter ou de la rendre ' publique, je voudrais quand même y réfléchir davantage. Alors, je ne réponds pas...

M. Dussault: Si on me permet, vous faites allusion à votre pouvoir d'expérimentation.

M. Côté (Pierre-F.): C'est cela. C'est pour cela que je ne réponds pas de façon positive ni négative à votre demande. Il faudrait y réfléchir plus attentivement.

Quant à l'évocation que l'on fait parfois de l'État d'Israël, évidemment, la très grande différence qui existe, c'est que l'État d'Israël a un mode de scrutin proportionnel qu'on appelle, comme dans les Pays-Bas, intégral, un mode de scrutin pur. La très grande différence qui existe avec tous les autres modes de scrutin proportionnel, c'est que le pays n'est pas subdivisé en circonscriptions électorales. Le pays constitue une seule circonscription électorale.

Évidemment, cela veut dire que cela introduit une différence qui est fondamentale avec tous les autres modes de scrutin conventionnels parce que, à ce moment... Surtout qu'il n'y a pas de seuil qui exige qu'un parti politique reçoive un certain nombre de votes pour avoir des représentants, de sorte qu'un parti politique qui est très petit, qui a 0,6% des votes, peut avoir des représentants et, comme on le voit en Israël, détenir la balance du pouvoir. Évidemment, ce n'est pas du tout la proposition que nous faisons. La proportionnelle territoriale, par exemple, en Israël, c'est une proportionnelle. La très grande différence, c'est que dans la proposition que nous faisons, nous suggérons de subdiviser le Québec en territoires, en plusieurs territoires, en plusieurs circonscriptions électorales tandis qu'en Israël il n'y a qu'une seule circonscription électorale.

Le Président (M. Vaugeois): Si vous me permettez, M. le président Côté, en Israël, en plus de cela, on respecte tellement les 100% que cela donne 120 députés. Cela veut dire qu'il y a des fractions qui s'additionnent, qui donnent un total de 120 députés pour 100% des électeurs.

Cela va, M. le député de Châteauguay?

M. Dussault: Merci, M. le Président.

M. Côté (Pierre-F.): Avec votre permission, je ne sais pas quel moment cela serait le meilleur...

Le Président (M. Vaugeois): Maintenant, M. Côté.

M. Côté (Pierre-F.): Tout à l'heure, j'y ai fait allusion dans mon texte et je veux simplement vous dire, par exemple, que nous avons, dans le cadre du complément des travaux que nous avons accomplis cet été, à la suite du mandat que nous avons et surtout à la suite de questions qui se sont posées lors de l'étude des prévisions budgétaires, essayé de voir de quelle façon on pourrait avoir un bulletin de vote qui serait compréhensible et accessible pour les électeurs. Effectivement, nous aboutissons à trois propositions qui nous apparaissent assez simples. Je crois qu'on en a suffisamment d'exemplaires pour vous les distribuer et vous pourriez y jeter un coup d'oeil. Nous pourrions échanger là-dessus subséquemment. C'est le principe de celui que nous a montré M. Côté tout à l'heure. La seule chose que je veux vous signaler... Vous allez évidemment voir qu'il y a des noms fictifs, mais il est basé sur la circonscription électorale, dans l'hypothèse 1, de la région de Québec où il y aurait onze candidats.

Il y a trois façons. Il y en a une qui est, selon l'impression actuelle, une impression renversée; il s'agit d'un petit livret. On ne ferait que noircir le cercle pour indiquer son choix. Il y a l'autre qui, au lieu d'être inversée, serait de la même façon, mais, tout simplement, l'endroit où on indique son vote serait une bande noire. Il y a, finalement, une autre façon qui est aussi très simple; c'est la même chose, mais ce serait un dépliant, un bulletin qui se déplie sur lequel on retrouve exactement les mêmes données que dans les autres suggestions.

Le Président (M. Vaugeois): M. le président, si je comprends bien, vous en avez assez d'exemplaires pour l'agrément de chacun des membres de la commission.

M. Côté (Pierre-F.): Oui. On va m'informer à savoir si cela peut se faire ou non. La troisième formule devrait arriver d'une minute à l'autre. Je ne sais pas si c'est rendu. Je sais que, pour les deux premières, nous en avons suffisamment d'exemplaires pour en distribuer.

Le Président (M. Vaugeois): II y aura des questions parce qu'il y a déjà eu de bons échanges là-dessus. Voulez-vous tout de suite, M. le député de Gouin...

M. Rochefort: Je veux simplement qu'on s'entende sur une formule. Ou on y va selon l'ordre des chapitres du document, auquel cas je retiendrai mes questions jusqu'à ce qu'on arrive au chapitre concernant mes centres d'intérêt particuliers, ou on y va tous azimuts, ce que nous faisons depuis environ une demi-heure, et moi aussi je vais m'inscrire dans cette discussion tous azimuts.

Le Président (M. Vaugeois): Puisque vous suggérez qu'on n'aille pas tous azimuts, on va tenir compte de votre commentaire.

M. Rochefort: Auquel cas, est-ce qu'on peut retenir la distribution des bulletins de vote? On le fera au moment où le dernier arrivera.

Le Président (M. Vaugeois): Je pense que cela nous donnerait quand même l'occasion de les examiner. La question a été évoquée dans l'introduction générale. Quand même, les introductions étaient générales. Celle du député de Charlesbourg a été très générale. Elle a même débordé largement le sujet de notre commission.

J'aurais une question à poser au député de Châteauguay avant de vous donner la parole. Vous avez cité un document, tout à l'heure, qui était le rapport Lalande.

M. Dussault: C'est ça, oui. C'est le rapport qui a été déposé à la commission d'animation. On dit: La commission de l'animation et de l'organisation du Parti libéral du Québec.

Le Président (M. Vaugeois): À quel moment?

M. Dussault: C'était...

Le Président (M. Vaugeois): En 1973?

M. Dussault: Le mandat a été donné à M. Lalande en avril 1983. C'est en mai 1983 qu'on a déposé un mémoire à la commission de l'animation et de l'organisation du Parti libéral, auprès d'un groupe de militants. C'est intéressant, effectivement, qu'on laisse ces données parce que c'est très éclairant. Tous, sauf une personne, ont dit qu'ils étaient d'accord avec une formule.

Le Président (M. Vaugeois): J'avais presque l'impression d'entendre, dans le rapport Côté, l'énumération d'un certain nombre de critères.

Une voix: L'étude était d'avril à mai.

Le Président (M. Vaugeois): C'est une étude qui date. Nous sommes conscients de cela.

M. Dussault: Je sais que le mandat a

été donné en avril 1983 et que c'est en mai 1983, qu'on a déposé un mémoire au comité, à la commission de l'animation. Ces gens l'ont étudié.

Une voix: Consentement pour dépôt.

Le Président (M. Vaugeois): Je vois ce que vous allez dire, M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Cette fois, c'est quasiment une question de règlement.

Le Président (M. Vaugeois): D'accord, allez-y.

M. Jacques Rochefort

M. Rochefort: Je ne veux pas débattre le contenu, la forme, le format ou quoi que ce soit des exemplaires de bulletins qu'il est possible qu'on reconnaisse au cours d'un prochain scrutin tenu sur la base de la représentation territoriale, mais j'aurais une demande à faire au président de la Commission de la représentation. Ne serait-il pas possible, pour la séance de demain, qu'on nous fasse le même exercice, quitte à ce que ce soit dactylographié ou photocopié, mais sur la base de la circonscription montréalaise que nous avons utilisée comme référence, mon collègue de Charlesbourg et moi-même, lorsque nous avons discuté cette question lors de l'étude des crédits du bureau du directeur général, du bureau du président de la Commission de la représentation et du financement des partis politiques, de façon que nous puissions vraiment voir jusqu'où cela peut nous mener?

J'ai le sentiment qu'on a une hypothèse de travail qui est réductrice par rapport à jusqu'où cela pourrait nous mener et je demanderais au directeur général s'il n'y a pas un certain nombre de membres de son personnel qui pourraient rapidement - pas besoin de reprendre les explications d'usage de la première page - et simplement nous montrer, en termes de listes de partis, en termes de longueur des listes de candidats, ce que cela aurait pu donner dans la grande circonscription montréalaise qui aurait regroupé 19 des actuelles circonscriptions électorales, tel que vous le proposez dans l'hypothèse 1 ou 2 du découpage, de façon qu'on ait sur la table un document sérieux, complet, pour faire un débat comparatif par rapport au débat que nous avons ouvert, mon collègue et voisin de Charlesbourg et moi-même, lorsque nous avons étudié les crédits du directeur général.

Le Président (M. Vaugeois): Là, je sens...

M. Rochefort: Sinon, M. le Président, je demanderais qu'on m'explique pourquoi, tout à coup, on a changé la localisation de l'expérimentation du type de bulletin.

Le Président (M. Vaugeois): Je sens qu'on peut partir là-dessus.

M. Rochefort: Non, c'est une demande très simple.

Le Président (M. Vaugeois): Un instant, s'il vous plaît! M. Côté, pouvez-vous accéder à la demande du député de Gouin? Est-ce possible pour vous ou s'il suffit d'en faire une description, parce que vous voyez évidement ce qu'il y a derrière la question?

M. Côté (Pierre-F.): Me permettez-vous de répondre d'une autre façon qu'en accédant à la demande...

Le Président (M. Vaugeois): Oui.

M. Côté (Pierre-F.): ...parce que accéder à cette demande demain matin, c'est impossible? C'est une question de temps et de disponibilité du personnel. Tout ce que je peux ajouter, M. le député de Gouin, c'est que, dans l'hypothèse 1, le plus grand nombre de députés est de 14 et, dans l'hypothèse 2, il est de 19. La seule chose que cela ferait en relation avec ce modèle, c'est que cela l'allongerait. On en a fait un, mais cela l'allongerait, cela l'agrandirait, parce que, au lieu d'avoir 11 noms, il y en aurait 19.

M. Rochefort: Dites-vous que vous en avez fait un?

M. Côté (Pierre-F.): On a commencé à voir ce que cela pourrait représenter, mais on ne l'a pas imprimé.

M. Rochefort: Ce serait intéressant qu'on le distribue, qu'on le fasse circuler pour le voir.

M. Côté (Pierre-F.): Je ne crois pas qu'il soit facilement disponible. Tout ce que je peux vous dire, M. le Président, c'est que, dans ce bulletin, il y a 11 noms. En ajoutant 3 autres noms, vous avez le maximum de la première hypothèse.

M. Rochefort: Et la deuxième?

M. Côté (Pierre-F.): En ajoutant 5 autres noms, vous arrivez à 19. Je vous le mentionne; je pourrais vous le donner, mais, visuellement, cela ne fait qu'agrandir le bulletin, c'est tout; le bulletin est un peu plus long. Avec 19 noms, c'est évident que le bulletin, au lieu d'être de cette grandeur, aura cette hauteur, si vous aimez mieux. Il aura 19 noms. C'est la seule différence qu'il y a.

Le Président (M. Vaugeois): D'accord. On aura l'occasion de revenir sur ces questions, mais, tout de même, puisque le député de Gouin accroche ses grelots, on va le laisser tinter encore une fois.

M. Côté (Charlesbourg): Ce ne sera pas long, M. le Président, deux minutes. Je vais offrir de le remettre au député de Gouin, parce que c'est exactement l'exemple que j'avais pris pour constituer le mien. Or, il est ici. Il y a des copies de disponibles si jamais vous en voulez.

Le Président (M. Vaugeois): Vraiment, vous ne pouvez pas refuser cela, M. le député.

M. Rochefort: Je ne demanderai même pas au Directeur général des élections de le valider. Je fais confiance au député de Charlesbourg.

Le Président (M. Vaugeois): Je donne maintenant la parole au député de Gatineau qui va, je pense bien, nous ramener à la méthodologie suivie par la commission et à l'ordre qu'on avait convenu de suivre.

M. Michel Gratton

M. Gratton: Oui, M. le Président, vous avez deviné en effet que j'ai l'intention de suivre l'ordre établi après quand même avoir répondu au député de Châteauguay.

Le Président (M. Vaugeois): Vous avez quatorze minutes pour le faire.

M. Gratton: Oui, merci, sûrement pas quatorze minutes. J'aimerais lui dire de façon très amicale qu'il ne m'a pas rassuré en disant tantôt qu'il en aurait encore beaucoup à dire au cours des travaux de cette commission. Si c'est l'expert dans l'évolution de la pensée libérale par rapport à la réforme du mode de scrutin, je lui demanderais de s'inspirer d'autre chose que du document de M. Lalande dont il nous a parlé. Je l'inviterais surtout à faire pression auprès de son parti politique. Cela fait quand même huit ans que le Parti québécois est au pouvoir. Cela fait plus de huit ans que, dans le programme du Parti québécois, vous avez cette notion de proportionnelle pour élire les membres de l'Assemblée nationale. C'est seulement après huit ans de gouvernement que vous venez nous dire aujourd'hui, non pas: Voici ce que nous proposons; mais: Nous sommes pour le principe et bientôt, très bientôt, on pourra vous proposer une formule.

M. le Président, il serait quasiment temps que le Parti québécois propose sa formule avant qu'il soit trop tard, parce que, normalement, deux mandats d'un gouvernement, cela dure huit ans. Cela fera huit ans exactement le 15 novembre que vous serez là. Si vous ne faites pas votre proposition bientôt, vous aurez manqué le bateau, parce que, que je sache, le Parti québécois aujourd'hui en commission parlementaire n'est pas en train de nous dire qu'il est d'accord avec la proposition contenue dans le rapport du Directeur général des élections, à moins que ce ne soit cela. Le député de Châteauguay m'arrêtera alors tout de suite et on conviendra que c'est là-dessus finalement que le gouvernement a décidé, a tranché, mais ce n'est pas cela. Que je sache, il y a l'exécutif du Parti québécois qui a proposé une formule, il y a un certain nombre de députés qui ont proposé autant de formules qu'il y avait de députés; il y a un comité tripartite de trois députés, trois ministres, trois militants qui s'est réuni 18 fois -apparemment, il y aura peut-être une 19e rencontre - qui a accouché de quoi?

Une voix: Ah!

M. Gratton: Absolument rien, un gros zéro, un gros néant. Le député de Châteauguay vient nous dire: Les gros mauvais libéraux sont contre ce qu'on propose. Qu'est ce que vous proposez? C'est quoi? Dites-le-nous. Le député de Sainte-Marie l'a dit tantôt, essayons de faire un consensus sur quelque chose, mais où vous logez-vous, le Parti québécois? Êtes-vous pour quelque chose? Si oui, quoi? Nous vous disons clairement: On est contre; on est contre la réforme du mode de scrutin à quelques mois d'une élection générale. Nous ne sommes pas les seuls à partager ce point de vue. Ce qui inquiète certains éditorialistes - et c'est tout ce qui les inquiète - c'est de savoir si on ferme la porte à toute réforme éventuelle. (17 heures)

Je vous réfère au texte, à la résolution qui a été votée au conseil général. Ce n'est pas le cas, mais ce qu'on dit, c'est qu'il serait indécent et immoral qu'un gouvernement s'autorise de faire une réforme du mode de scrutin, de "bulldozer" cela à quelques mois d'une élection générale ou, encore pis, qu'il se serve du peu de temps qu'il nous reste pour faire la réforme, pour dire: On reporte l'élection qui, normalement et traditionnellement, devrait avoir lieu au cours des six prochains mois. On se sert de ce prétexte et on reporte cela au printemps 1986. On la connaît, votre stratégie étapiste dans tout ce que vous faites, mais on n'est quand même pas des idiots, n'en déplaise au député de Châteauguay.

Méthodologie utilisée par la CR

Cela dit, j'écouterai avec énormément de soin et d'intérêt ses brillantes

interventions au cours de la commission parlementaire, mais je ne suis pas sûr que je prendrai le temps de répliquer à chacune d'elles, M. le Président. Je m'adresse donc à M. Côté. On sait que la méthode ou le mode de travail qu'on adopte, c'est de s'interroger d'abord sur la première partie du rapport, c'est-à-dire ce qui constitue la démarche de la commission dans l'étude qu'elle a faite. J'aimerais vous poser la question suivante, M. Côté, parce que je traiterai uniquement de la partie du sondage et même des sondages - au pluriel - s'il y en a eu d'autres. À la page 6, la dernière phrase de votre document de cet après-midi, vous nous dites: "Par ailleurs, près de 65% des personnes interrogées considéraient que les changements envisagés devraient être réalisés avant les prochaines élections générales." Est-ce que vous maintenez cette affirmation ou si vous ne sentez pas le besoin de la qualifier?

M. Côté (Pierre-F.): Je vais vous donner, M. le député... J'ai ici un texte qui est un résumé du sondage dont copie, d'ailleurs, avait été distribuée à un très grand nombre de personnes ou à un très grand nombre de députés à l'époque. Si vous me le permettez, je vais vous faire part de certaines données de ce sondage. Dans le texte auquel vous faisiez allusion tout à l'heure, je ne donne que deux chiffres.

M. Gratton: M. le Président, si on me le permettait, M. Côté, j'ai l'intention justement de vous poser un certain nombre de questions très précises sur divers éléments de ce sondage. On parle du sondage que la firme Cossette et Associés a effectué pour le compte de la commission en juillet 1983 et dont les résultats ont été rendus publics en septembre 1983, mais là, la question spécifique ou précise que je vous pose porte sur votre déclaration de cet après-midi, la dernière phrase de la page 6, où vous affirmez: "Par ailleurs, près de 65% des personnes interrogées considéraient que les changements envisagés devraient être réalisés avant les prochaines élections générales." Et là, pour vous permettre de répondre à la question précise que je vous pose, je vous réfère à la page 43 du sondage de Cossette et Associés où on retrouve la question où effectivement 64% des répondants se sont prononcés. La question était celle-ci: "Considérez-vous que ces changements au niveau du mode de scrutin ou du système actuel pour élire des députés à l'Assemblée nationale devraient avoir lieu avant la prochaine élection provinciale?" Oui, 64%; non, 22,1%. Donc, ce sont les 65% dont vous parlez, mais vous dites: "65% des personnes interrogées", alors que la question a été posée seulement à ceux qui étaient d'accord avec un changement. Est-ce que ce n'est pas le cas? Je vous réfère à la page 43 du sondage, question 15a.

M. Côté (Pierre-F.): Oui, je vois bien votre question, M. Gratton. Je cherche un peu parce que, dans tous ces sondages, vous savez évidemment qu'il y a une interprétation. Ce que j'essaie de retrouver, c'est les "totalement" et "assez en accord" et à quelle proportion - parce que je l'avais dans un autre document - cela se référait. Le chiffre de 65% - je dis: "près de 65%", c'est 64%...

M. Gratton: Oui.

M. Côté (Pierre-F.): C'est parce qu'il y a ceux qui n'ont pas répondu, les 13,9%. Donc, c'est pour cette raison que j'ai dit: "près de 65%".

M. Gratton: M. Côté, on s'entend là-dessus. Je l'ai dit: Le pourcentage de 64% est bien le pourcentage de 65% dont vous parlez. Je ne vous chicane pas là-dessus. Je vous demande si ce sont 64% ou 65%, selon le cas, de l'ensemble des répondants ou seulement 65% de ceux qui ont dit oui, qui étaient d'accord sur un changement.

M. Côté (Pierre-F.): C'est le point qu'il faut que je vérifie. Je l'ai quelque part dans ce sondage, mais je ne suis pas capable de trouver la réponse immédiatement.

M. Gratton: On peut regarder cela ensemble parce que c'est extrêmement important. Quand vous nous dites très carrément: "Par ailleurs, près de 65% des personnes interrogées considéraient que les changements envisagés devraient être réalisés avant les prochaines élections générales" et qu'en réalité ce sont seulement 64% de ceux qui avaient dit: Oui, nous sommes d'accord pour qu'il y ait un changement... Comme il y avait seulement 51,5% de tous les répondants qui avaient dit oui - on retrouve cela à la page 33 du sondage, si je ne m'abuse, à la question 11... Voici la question: "Êtes-vous très en accord, assez en accord, peu en accord ou pas en accord du tout à ce qu'il y ait des changements au niveau du mode de scrutin ou du système actuel pour élire des députés à l'Assemblée nationale?" Réponse: Très en accord, 15,7%; assez en accord, 35,8%. On additionne les deux et cela fait 51,5%. C'est une personne sur deux que vous citez à la page 6 de votre texte.

Vous dites: "Une fois informé de l'éventualité d'une réforme, plus d'une personne sur deux - 51,5% - s'est dite favorable à un changement." Effectivement, quand on parle du pourcentage de 65% des personnes interrogées qui sont pour que ces changements soient faits avant la prochaine élection générale, la question 15a le dit

clairement: c'est pour les "totalement" et "assez en accord" seulement.

M. Côté (Pïerre-F.): Je veux vous dire, M. Gratton, qu'immédiatement à la ligne en dessous de la question vous avez la réponse. Le nombre de répondants à la question est de 705; donc, sur 100% des personnes qui ont été questionnées, 64% de celles-ci se sont prononcées pour un changement avant les prochaines élections générales.

Pour déterminer ce que signifie le chiffre de 705, il faut vous référer au sondage à la page 7. Vous allez voir le résultat de la cueillette des données. Vous avez le nombre de cas dans les échantillons et le nombre de cas complétés. Le nombre de cas complétés, ce sont les personnes qui ont été atteintes de façon complète. Cela va de soi. C'est ce que dit le mot. Comme dans tout sondage, vous savez qu'il y a des personnes que l'on veut interroger et qu'on ne peut atteindre pour diverses raisons. Dans ce cas, si je ne me trompe, il y avait eu trois appels téléphoniques. Après trois appels téléphoniques, si cela ne répond pas, dans l'échantillonnage qu'on avait fait des 1273 personnes, on ne poursuit pas la démarche.

On a poursuivi la démarche dans le nombre de ce qu'on appelle dans le sondage "le nombre de cas complétés", soit 705 personnes. À la question 15a, il y a eu un nombre de 705 personnes qui ont répondu à cette question, soit 100%. Donc, des personnes qui ont été interrogées dans l'échantillonnage, il y a 64% d'entre elles qui ont exprimé l'opinion que ce changement ait lieu avant la prochaine élection générale.

M. Gratton: Si tel est le cas, à la page 43, pourquoi mentionne-t-on dans le texte de la question 15a les "totalement" et "assez en accord"? Est-ce pour rien?

M. Côté (Pierre-F.): Non, il y a une explication à cela, que je vais retrouver. Évidemment, cela fait un bout de temps que j'ai vu ce document, mais je vais le retrouver comme j'ai retrouvé l'autre, je l'espère du moins. Qu'est-ce que signifiait cette référence aux termes "totalement" ou "assez en accord"?

M. Gratton: M. Côté, sur le plan de la logique...

M. Côté (Pierre-F.): Il y a eu un regroupement. On l'explique précédemment, mais je ne suis pas capable de mettre la main dessus.

M. Gratton: Oui, mais mis à part les technicités parce que, finalement, un pourcentage n'est pas si compliqué que cela, sur le plan de la logique, est-ce qu'on peut s'imaginer qu'il y ait seulement 51,5% des gens, à la question 2, qui disent: Oui, on est d'accord qu'il y ait des changements, mais qu'il y en ait 64% qui diraient:

On ne veut pas de changements, mais on les veut avant l'élection?

M. Côté (Pierre-F.); Non. Là, c'est l'analyse de tout le sondage qu'il faut faire et qui a été expliquée à quelques reprises. La première chose qu'on a apprise par ce sondage, c'est d'abord que les gens étaient peu familiers avec le vocabulaire électoral. La deuxième - ceci nous est exprimé par la maison de sondages - c'est qu'au fur et à mesure que les questions étaient posées et que les gens réalisaient et comprenaient mieux de quoi il s'agissait il y a eu une progression dans les réponses fournies, de telle sorte qu'au moment où on en est arrivé à la question: Est-ce que vous êtes favorable à ce qu'il y ait un changement avant les prochaines élections? 64% des gens ont dit oui.

M. Gratton: M. Côté, je voudrais comprendre parce que si, au départ, vous faites une affirmation à la page 6 qui ne se vérifie pas dans les chiffres, on va se poser un tas d'autres questions. Si vous voulez bien, on va essayer d'éclaircir celle-là et on pourra passer aux autres après.

Dans votre texte de cet après-midi, au dernier paragraphe de la page 6, vous dites: "Bien que 75% des répondants se soient alors déclarés assez satisfaits du mode de scrutin actuel, une fois informés de l'éventualité d'une réforme, plus d'une personne sur deux..." Quand je regarde à la page 33 du sondage, réponses à la question 11, une personne sur deux, c'est 51,5%. Donc, c'est plus d'une personne sur deux - je suis complètement d'accord - qui s'est dite favorable à un changement. En réalité, il y en a 25,2% qui se sont dites non favorables à un changement et il y en a quelque 22% qui n'ont pas répondu, mais peu importe. Il y en a donc une sur deux qui se dit favorable à un changement au mode de scrutin, à la façon d'élire les députés.

Vous continuez dans votre texte: "Par ailleurs, près de 65% des personnes interrogées considéraient que les changements envisagés devraient être réalisés avant les prochaines élections générales." Il y a 48,5% des gens qui ne sont pas favorables à un changement, qui ne sont pas d'accord avec un changement, mais votre phrase nous dit qu'il y en a parmi ceux-là, même s'ils ne sont pas d'accord avec un changement, qui veulent que ces changements se fassent avant la prochaine élection générale. En toute logique, cela ne tient pas debout. Ce que je vous demande, c'est simplement de confirmer ce que le texte du sondage dit à la page 40 - je m'excuse, à la page 43 - du sondage de Cossette. On y lit, à la question

15a: "Pour les totalement et assez en accord - ce sont les 51,5% qu'on a retrouvés à la page 33, à la question 11 - considérez-vous que ces changements au niveau du mode de scrutin, ou du système actuel pour élire les députés à l'Assemblée nationale, devraient avoir lieu avant la prochaine élection provinciale?" Et il y en a 64% qui ont répondu: Oui. Donc, c'est 64% de 51,5% qui étaient d'accord, ce qui fait - le calcul est rapide à faire - 33% et non 65% des personnes interrogées, comme vous l'affirmez à la page 6, qui sont d'accord avec des changements avant la prochaine élection générale.

Le Président (M. Vaugeois): Est-ce que je peux vous interrompre, M. Côté? Je pense que la question est assez pertinente. J'avais soulevé cette question lorsque j'étais allé vous rencontrer et j'étais resté un peu une patte en l'air avec cela; je n'ai pas eu de réponse. Il me semble qu'on pourrait la mettre en suspens et demander à vos gens d'examiner cela comme il faut.

Dans mon mémoire, je disais ceci: "Selon votre sondage, 82,7% des gens de la région de Trois-Rivières jugent assez bon ou très bon l'actuel mode de scrutin, comparativement à 75,4% dans l'ensemble du Québec. Donc, il y avait plus de gens satisfaits du mode de scrutin dans notre région que pour la moyenne québécoise. Bien sûr, rien n'est parfait et 37,3% des gens de notre région seraient assez ou très en accord pour qu'il y ait des changements au niveau du mode de scrutin. Même s'ils sont satisfaits, ils ne répugnent pas aux changements." (17 h 15)

C'était logique. Il faut bien souligner que cette proportion reste très faible, surtout si on la compare aux résultats obtenus pour l'ensemble du Québec. La logique est encore là. La moyenne du Québec était de 51,5%. Il était donc normal, alors qu'on est au-dessus de la moyenne pour les gens qui sont satisfaits du mode de scrutin, qu'on soit en bas de la moyenne pour les gens qui demandent un changement. Tout à coup, on en arrive à un chiffre plus important de gens qui veulent un changement avant la prochaine élection que ceux qui veulent un changement un jour. Vous avez une explication qui est peut-être la bonne. Peut-être que cette question-là venant à la fin du questionnaire, il y a eu un tel travail d'animation fait par les personnes qui questionnaient qu'à la fin le monde en était rendu à vouloir du changement. Cela révélerait d'autre chose sur le sondage. Je calcule qu'il vaut la peine d'essayer de comprendre un peu ce qui s'est passé, quitte à ce que vous nous donniez des éclaircissements là-dessus demain matin.

M. Gratton: J'accepterais volontiers votre suggestion que M. Côté regarde cela ce soir et qu'il nous donne la réponse soit ce soir ou demain matin, comme vous le suggérez.

Le Président (M. Vaugeois): On pourrait maintenant passer à autre chose, M. Gratton, ou à autre chose sur le sondage.

M. Gratton: Oui, sur le sondage toujours, très rapidement.

Le Président (M. Vaugeois): Êtes-vous d'accord, M. Côté, pour mettre cette question en suspens et peut-être que, demain nous...

M. Côté (Pierre-F.): D'autant plus que la question me semble fort pertinente et que, dans la façon dont M. Gratton la pose, il y a certainement une apparence de contradiction. Je crois avoir un début de réponse à la question, mais je préférerais, à votre suggestion, la compléter pour pouvoir vous donner une réponse plus satisfaisante.

Le Président (M. Vaugeois): D'accord. On passe à d'autres éléments.

M. Gratton: Très brièvement, M. le Président. Pour situer ce fameux sondage, vous l'expliquiez vous-même cet après-midi, il s'agissait, avant d'aborder la consultation qui était la partie inédite du mandat de la commission, c'est-à-dire d'aller consulter la population, dans un premier temps, d'établir, à votre satisfaction, quel était le degré d'entendement, de perception ou d'information de la population et aussi de connaître ses intentions. Le sondage auquel on se réfère, pour le bénéfice de ceux qui nous écoutent, a été effectué en juillet 1983 et les résultats ont été dévoilés en septembre 1983 à l'occasion d'une conférence de presse, si je ne m'abuse.

Vous indiquiez que 75% des répondants se sont déclarés satisfaits du mode de scrutin. En effet, quand on regarde à la page 28, la réponse à la question 2, il y a 14,6% des répondants qui ont dit que la méthode actuelle... La question était: "Considérez-vous que cette méthode assure une très bonne, assez bonne, mauvaise ou très mauvaise représentation de l'ensemble des votes des électeurs?" La réponse: Très bonne, 14,6% des répondants qui ont répondu. Si je me trompe, M. Côté, vous m'interromprez. La réponse: Assez bonne, 60,8%. On regroupe les deux et cela nous fait 75,4%, soit trois sur quatre, comme vous l'avez mentionné dans votre texte.

J'aimerais que vous me confirmiez un fait qui est quand même assez important. On ne doit pas en déduire que les autres 25%, c'est-à-dire la différence entre 100% et

75,4%, donc qu'une personne sur quatre était très insatisfaite parce que, en réalité, c'est seulement 16,1% des répondants qui ont répondu: Mauvaise ou très mauvaise à la question. C'est exact?

M. Côté (Pierre-F.): C'est juste, 8,5% ne se sont pas prononcés.

M. Gratton: Donc, on part de la donnée que 75,4% des gens, au moment du sondage, étaient satisfaits de la façon d'élire les représentants à l'Assemblée nationale et que seulement 16,1% n'étaient pas satisfaits. C'est exact?

M. Côté (Pierre-F.): Oui.

M. Gratton: Bon. Deuxième donnée. On retrouve cela à la page 33 des résultats du sondage. La question 11 se lisait comme suit: "Êtes-vous très en accord, assez en accord, peu en accord ou pas en accord du tout à ce qu'il y ait des changements au niveau du mode de scrutin ou du système actuel pour élire des députés à l'Assemblée nationale?" Il faut faire bien attention là, vous le dites d'ailleurs vous-même dans votre texte lorsque vous dites: "Une fois informé de l'éventualité d'une réforme..." Évidemment, quand on posait la deuxième question et qu'on demandait: "Êtes-vous satisfaits?" et que 75% des gens répondaient: Oui, je suis satisfait... on peut se demander comment il peut y en avoir ensuite 51% qui disent: Oui, on est pour un changement. C'est justement parce que les sondeurs, ayant informé les personnes qui sont questionnées du fait qu'il pourrait y avoir des changements, leur ont demandé ensuite: "Êtes-vous très en accord, assez en accord, peu en accord, etc." Sachant qu'il pourrait y avoir des changements... Je vous demande de me suivre, à la page 33: Très en accord: 15,7%; Assez en accord: 35,8%; Quand on additionne les deux, cela fait 51,5%, ce qui vous faisait affirmer très correctement, à la page 6, qu'il y avait une personne sur deux qui se disait assez en accord avec des changements. Je voudrais qu'on revienne à ceux qui n'étaient pas d'accord du tout, 7,9%, et à ceux qui étaient peu en accord, 17,3%; ce qui fait un total de 25,2% qui n'étaient pas d'accord qu'il y ait des changements. On s'entend là-dessus, M. Côté.

M. Côté (Pierre-F.): Oui, mais il y a une observation que j'ai hâte de vous faire quand même.

M. Gratton: Oui, allez-y.

M. Côté (Pierre-F.): Si vous me le permettez. On peut procéder de la façon que vous faites pour étudier le sondage en prenant, à chacune des pages, les pourcentages qui y sont rapportés. Je peux vous confirmer effectivement que votre lecture des pages est bonne. Ce que je connais de la méthode des sondages: ceux-ci sont complétés - on le voit constamment dans tous les sondages - par l'analyse qu'en fait la firme qui a fait les sondages. Or, cette analyse apparaît au tout début - vous y faites certainement référence à l'occasion - du document qui vous a été remis, qui pondère évidemment. Car il faut toujours se méfier, à mon avis, de toutes les statistiques, de celle-là en particulier. Il paraît que c'est une certaine forme de mensonge, mais on n'a jamais pu le prouver. Je pense qu'il faut quand même tenir compte de l'analyse que la firme elle-même a faite. Une question doit être analysée, si je comprends bien, comme on procède pour un sondage - ce n'est pas ma spécialité - en relation avec une autre question.

M. Gratton: M. Côté, je suis tout à fait d'accord avec vous. Je vous dirai très respectueusement que mon analyse du sondage est effectivement différente de celle de Cossette et Associés, parce que Cossette et Associés avait un mandat de la commission. Avant d'être député - cela peut vous surprendre - j'étais ingénieur-conseil et, parfois, j'étais engagé à titre d'ingénieur-conseil pour prouver le point de vue de mon client, et je trouvais toujours le moyen de le faire.

Cela dit, M. le Président, je terminerai simplement en disant que...

M. Côté (Pierre-F.): Je m'excuse, M. le député, mais je dois tout de suite vous dire que, quand on a donné ce mandat à la firme Cossette et Associés, on n'avait rien à prouver. On lui a simplement demandé de nous indiquer - on pourrait faire référence au mandat même qu'on lui a donné - quelle était la perception des électeurs sur cette question afin de pouvoir nous éclairer dans la démarche que nous entreprenions. Nous n'avions rien à prouver ni à faire prouver à ce moment-là. J'espère que j'ai mal compris ce que vous avez dit tout à l'heure, à savoir que nous avons voulu biaiser de quelque façon le...

M. Gratton: Non, vous m'avez très bien compris, M. Côté. Il n'y a pas de méprise de mon côté.

M. Côté (Pierre-F.): Alors, je vous réponds catégoriquement que ce n'est pas le cas.

M. Gratton: Parfait. M. le Président, je termine en disant simplement, en attendant la réponse que nous apportera M. Côté, ce soir ou demain matin, à la question que je lui posais sur l'affirmation qui, quant à moi,

est erronée, à la page 6 de son document... Et vous semblez partager des appréhensions là-dessus, mes appréhensions là-dessus...

Le Président (M. Vaugeois): Non, M. le député. Ne me faites pas dire autre chose que...

M. Gratton: Je retire mes paroles, M. le Président, mais j'affirme qu'il me semble qu'il y a quelque chose qui cloche. J'aimerais, dans un dernier temps, demander ce qui suit à M. Côté. D'abord, à la page 10 de son texte, au milieu de la page, sous le titre: "Les travaux de la Commission de la représentation électorale", il affirme que l'analyse de la consultation a incité la commission à rejeter le mode actuel et à proposer une réforme. Évidemment, je ne dois pas me tromper, j'imagine, en affirmant que ce n'est pas à partir des données du sondage de Cossette et Associés que vous avez tiré cette conclusion.

M. Côté (Pierre-F.): Je dois vous rappeler, M. Gratton, qu'il semble y avoir une confusion assez grande dans ce que vous comprenez du sondage. Le sondage a été effectué quelques semaines après que nous avons reçu le mandat de l'Assemblée nationale d'effectuer des travaux et de consulter la population sur le mode de scrutin. Pour aborder cette question et comme les délais étaient très courts, nous avons demandé à cette firme, à une firme -c'est celle-ci; cela aurait pu être une autre, n'importe laquelle - de nous fournir des éléments qui pourraient nous aider dans notre démarche. Les résultats de ce sondage -d'ailleurs, nous y faisons référence dans notre rapport comme étant un instrument de travail et non pas un point d'appui - ne sont pas des éléments primordiaux qui sont entrés en ligne de compte dans la recommandation que nous avons soumise dans notre rapport.

Dans notre rapport, ce qui est primordial, ce qui est le plus important, ce qui, je dirais, est le véritable sondage ou un sondage d'une tout autre nature, cela a été la tournée du Québec que nous avons faite; cela a été la consultation que nous avons faite auprès des gens. On peut appeler cela un sondage, si vous voulez; c'est une autre forme de sondage, mais c'est surtout - pour nous c'est le sens fondamental de nos démarches - à partir de ce que nous avons compris de l'analyse des exposés qu'on nous a faits devant la commission que la commission a pris sa décision, a orienté sa réflexion et a soumis sa recommandation.

M. Gratton: M. Côté, est-ce que je dois comprendre de vos paroles que le résultat du sondage comme tel ne vous a influencé en aucune façon? En d'autres mots, ce n'est pas à partir des constatations ou des données du sondage que vous avez conclu qu'on devait rejeter le mode actuel de scrutin et proposer celui que vous avez proposé.

M. Côté (Pierre-F.): Ma réponse est non, surtout si vous maintenez votre affirmation voulant qu'au départ nous ayons biaisé le sondage.

M. Gratton: Non. Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Côté (Pierre-F.): Alors, je vous ai mal compris tout à l'heure.

M. Gratton: J'ai dit que la firme Cossette et Associés a peut-être deviné vos intentions.

M. Côté (Pierre-F.): Il serait intéressant de...

M. Gratton: Cela arrive.

M. Côté (Pîerre-F.): Il serait intéressant de leur poser la question, mais je ne vous cache pas que cela...

M. Gratton: Bien, on peut peut-être le demander. On songera à les inviter à venir témoigner en commission.

M. Côté (Pierre-F.): Vous me prêtez des intentions.

M. Gratton: Une dernière question, M. le Président.

Le Président (M. Vaugeois): Si je comprends bien, vous allez devenir membre à temps plein de notre commission, M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Je laisserai cela à nos vice-présidents.

Le Président (M. Vaugeois): C'est sympathique de voir votre intérêt pour les institutions, vous savez.

M. Gratton: M. le Président, une dernière question. Aux pages 14 et 15, M. Côté, à la toute fin, vous dites et je cite: "L'aspect le plus important et le plus original du mandat confié à la commission reposait sur la consultation de l'ensemble de la population québécoise, opération, je viens d'en parler, qui s'est avérée un succès et qui a soulevé beaucoup d'intérêt. Nous nous devions d'en tenir compte." Je partage votre point de vue.

M. Côté (Pierre-F.): C'est le rapport ou le texte de tout à l'heure?

M. Gratton: Votre texte de cet après-

midi.

M. Côté (Pierre-F.): Vous dites à la page 14?

M. Gratton: La dernière phrase au bas de la page 14. Je répète: "L'aspect le plus important et le plus original du mandat confié à la commission reposait sur la consultation de l'ensemble de la population québécoise, opération, je viens d'en parler, qui s'est avérée un succès et qui a soulevé beaucoup d'intérêt. Nous nous devions d'en tenir compte." Vous affirmez donc, et je ne le conteste pas, qu'il y a eu beaucoup d'intérêt de la population autour de la tournée de consultation, la publication d'annonces dans les journaux, bref, tout le travail de diffusion que la commission a fait pendant son étude.

Ce que je voudrais savoir, c'est ceci. Ayant commencé l'opération par un sondage pour vous informer du pouls de la population avant de commencer vos travaux, en avez-vous commandé d'autres, soit durant vos travaux, soit après vos travaux, soit depuis la fin de vos travaux et jusqu'à maintenant, pour essayer de mesurer, de quantifier l'intérêt de la population dont vous parlez dans votre texte?

M. Côté (Pierre-F.): Je suis content que vous me posiez cette question parce que nous aurions bien aimé pouvoir le faire. Je pense que cela aurait été une bonne chose que nous ayons pu faire d'autres sondages et, en particulier, peut-être avant de conclure notre rapport de façon définitive. La raison pour laquelle nous ne l'avons pas fait est très simple, c'est qu'un sondage est assez coûteux.

Lorsque nous avons entrepris nos travaux, nous avions établi un projet des prévisions budgétaires que j'ai soumis - je le révèle pour la première fois, mais je pense que je dois le dire - à M. le premier ministre et à M. le chef de l'Opposition. Tous les deux, nous avons procédé, je dirais à trois, l'un et l'autre et les deux avec moi, à des échanges sur les prévisions budgétaires que nous envisagions. D'un commun accord, nous en sommes arrivés à la nécessité, étant donné la période que l'on traversait, d'essayer de réviser notre mandat en ayant des coûts les plus bas possible. Ainsi, nous avons atteint nos objectifs de réaliser notre mandat en ne dépassant pas excessivement nos prévisions. Nous les avons dépassées parce qu'il y a eu un plus grand nombre de jours d'audience, mais, si nous avions voulu faire un sondage ou deux autres sondages, cela aurait été vraiment au-delà des engagements que j'avais pris à l'égard et du premier ministre et du chef de l'Opposition.

M. Gratton: Donc, il n'y a pas eu de sondage scientifique fait à la demande de la commission à part celui dont on a parlé.

M. Côté (Pierre-F.): Pas par la commission. (17 h 30)

M. Gratton: Pourriez-vous, M. Côté -vous avez vous-même parlé des montants du budget que vous aviez originalement prévu et de celui que vous avez finalement obtenu avec le consentement de tous les partis -nous parler des montants? Ce sera ma dernière question.

M. Côté, pour que quelqu'un d'autre puisse poser une question, vous pourriez peut-être nous fournir la réponse au début des travaux ce soir. Ce qu'on voudrait, c'est la somme... Vous l'avez?

M. Côté (Pîerre-F.): Oui. M. Gratton: Oui, d'accord.

M. Côté (Pierre-F.): Originalement, les montants que nous envisagions, disons, pour être plus court, étaient le double de ceux dont je vais vous parler. Dans le budget original, nous avions envisagé un montant de 450 000 $: les documents d'information, dépliants et vidéos, publicité, relations publiques pour 300 000 $, 65 000 $ pour la tenue des audiences, les déplacements, les couchers, les repas, etc., 85 000 $ pour l'enregistrement et la transcription des audiences et la publication du rapport. Nous avons par la suite révisé à la hausse ce budget parce que, incidemment, ce qui avait été convenu, dans ce que je vous ai fait part tout à l'heure, entre le premier ministre et le chef de l'Opposition, c'est qu'ils étaient d'accord pour un budget d'environ 500 000 $. Nous avons augmenté ce budget, réajusté ce budget à 475 000 $, le poste de documentation étant plus élevé que prévu.

Effectivement, qu'est-ce que nous avons dépensé? Évidemment, ces prévisions budgétaires étaient basées sur le fait que nous tenions treize jours d'audiences. Or, comme vous le savez, nous en avons tenu 19. Alors, il y a des écarts. Évidemment, nous avons dépensé plus que les chiffres que je viens de vous donner. Ce que j'ai appelé le budget autorisé, dans notre langage - il n'y avait pas d'autorisation formelle, mais pour nous c'était le budget sur lequel on devait se baser - il était de 475 000 $. Cela a coûté 528 966,15 $, ce qui faisait un excédent de 53 966,15 $, mais, si on reporte ce budget qui était prévu pour treize réunions, si on le répartit sur 19 réunions, le budget autorisé -selon le langage que j'emploie - aurait dû être, toutes proportions gardées, si on avait fait les mêmes dépenses, le même ordre de dépenses, de 544 260 $. Comme je vous l'ai mentionné, le budget qui a été effectivement dépensé était de 528 966,15 $, ce qui fait

qu'on a dépensé 15 293 $ en moins que ce qu'on aurait été appelé à dépenser à cause des six réunions supplémentaires.

M. Gratton: En résumé, vous avez obtenu un budget d'environ 475 000 $...

M. Côté (Pierre-F.): Non, non. D'abord, je m'excuse de vous reprendre. Je veux être bien précis. Il n'y a pas d'obtention de budget. Vous savez que je n'ai pas à le faire approuver. Ce qui était mon objectif, c'était...

Une voix: Un consensus.

M. Côté (Pierre-F.): ...Oui, c'était un consensus. En somme, le suivant: Nous avions un mandat qui a été déterminé à la toute fin de la session de l'Assemblée nationale, mandat qui, évidemment... On avait des délais très courts. Nous devions remettre le rapport à la fin du mois d'avril. Nous n'avons demandé qu'une prolongation d'un mois. À cause de la courte période de temps dont nous disposions, du très large mandat et de l'énorme travail que cela comportait, nous nous sommes dit: II faut absolument prendre les moyens d'abord pour informer la population. C'est dans ce secteur qu'on a envisagé des sommes assez considérables. Avant de m'engager et de me faire dire par la suite, comme une autre commission itinérante récemment au pays qui a dépensé 11 000 000 $ et n'a rien soumis, de me faire reprocher de dépenser trop d'argent sans considération, j'ai donc rencontré le premier ministre et le chef de l'Opposition. L'ordre de grandeur qui a été agréé - j'ai à cette fin une lettre dans mes dossiers - était de 500 000 $. Or, nous avons dépassé cet ordre de grandeur d'environ 25 000 $, ce que je ne considère pas exagéré dans les circonstances.

Le Président (M. Vaugeois): Je vous remercie, M. Côté. Dans l'ordre de ceux qui m'ont demandé la parole, il y a le ministre.

M. Duhaime: M. le Président, je voudrais peut-être pour ma part, avant d'entrer dans la méthodologie comme telle, si vous me permettez, dire un mot au sujet de l'intervention du député de Charlesbourg, tout à l'heure. J'ai son texte ici en main. J'avoue que, lorsque je l'ai écouté, cela m'a frappé et, en le relisant, cela me frappe davantage. À la page 23, on a fait beaucoup d'honneur à M. Michel Debré. J'imagine que, pour la petite histoire, il n'a jamais été député de la région parisienne, mais il se faisait élire dans l'île de la Réunion...

M. Côté (Charlesbourg): C'est un fait. M. Duhaime: ...à plusieurs milliers de kilomètres de Paris.

M. Côté (Charlesbourg): Oui.

M. Duhaime: Vous dites, à la page 23... Je pense que, pour la bonne compréhension, je vais lire le dernier paragraphe. "Un mode de scrutin équitable: la proportionnelle: c'est-à-dire qui rende justice à la démocratie, qui soit en somme le miroir le plus fidèle du choix des électeurs." J'imagine qu'à la suite, ce sont vos propres paroles, M. le député de Charlesbourg. "On utilise souvent cet argument d'une plus grande justice alléguant que la représentation des diverses tendances et courants idéologiques seront ainsi le fruit d'une plus grande démocratie. À ce sujet je cite encore Michel Debré qui dit: "Derrière l'apparence de justice de la proportionnelle, il y a une réalité: ce sont les partis qui ont quasiment le monopole de la présentation des candidats et parce qu'ils ont ce monopole sur les candidats, ils ont autorité sur les élus."

Je voudrais porter cela à l'attention de la commission, parce que cet argument me paraît tout à fait réversible. Je pense que quelque Assemblée nationale dans n'importe quel régime démocratique aurait énormément d'hésitation; je serais, au départ, absolument contre le fait qu'un Parlement élu, utilisant sa majorité parlementaire, s'immisce dans la vie intérieure des partis. Ce que vous faites dire ici à Michel Debré semble indiquer que c'est parce qu'il s'agit d'un système proportionnel "que ce sont les partis qui ont quasiment le monopole de la présentation des candidats". Je voudrais simplement rappeler au député de Charlesbourg que, dans le système actuel, notre mode de scrutin, c'est aussi un fait, selon l'intensité de la démocratie qu'on veut vivre dans nos formations politiques, le monopole de la présentation des candidats appartient dans certains cas exclusivement à un chef. Par exemple, à l'époque de l'Union Nationale, le député de Trois-Rivières nommait les candidats, ils les désignait. Il n'y avait pas de convention. Durant les années soixante, lorsque M. Lesage faisait sa campagne électorale, un de ses premiers engagements a été de dire: Les candidats de mon parti seront choisis librement par des conventions. Cela a été le cas de notre formation politique et cela a été le cas de la vôtre également pendant très longtemps.

Or, ce qui m'inquiète un peu, M. le Président - je vous dis cela pour vous faire une mise en garde, M. le député de Charlesbourg, parce que le mode de scrutin actuel ou tout autre mode de scrutin ne peut pas garantir quelque démocratie dans une formation politique; c'est ce que les membres d'une formation politique, leurs dirigeants et leur chef veulent; cela se traduit dans la vie d'un parti politique - et cela se concilie mal avec votre texte, alors

qu'il semblerait que nous aurons une élection partielle dans le comté de Saint-Jacques prochainement, j'imagine - la date n'a pas encore été annoncée - sauf erreur, il n'y a pas eu de convention ou, du moins, il y a eu une mise en nomination, mais un des candidats pressentis s'est fait opposer le droit de veto par M. Bourassa.

Une voix: C'est imposé par en haut. Une voix:Cela fait deux fois de suite.

M. Duhaime: Cela m'agace un peu. J'aimerais avoir votre réaction. Que l'on soit dans un système à la proportionnelle, qu'on soit dans un système mixte, qu'on soit dans un système uninominal ou peu importe, si les règlements, les statuts et la constitution d'une formation permettent au chef de désigner d'office les candidats, vous aurez beau inventer le mode de scrutin que vous voudrez, vous allez toujours vous retrouver avec le monopole de la présentation des candidats entre les mains d'un parti. C'était la première remarque que je voulais faire.

La deuxième - je vais profiter de la présence de notre collègue, le député de Sainte-Marie, qui, bien sûr, est de nature et de par ses fonctions un député de réconciliation, en quelque sorte... Ce qu'il nous propose, c'est très généreux comme formule; c'est de dire: Tentons de voir s'il n'y aurait pas une entente possible sur quelques volets ou quelques paramètres que ce soit et, les deux formations politiques tombant d'accord, faisons quelque chose. Je vous avoue que sur cette perspective je n'ai pas d'hésitation à aller voir plus loin, mais ce qui m'agace un peu dans les propos du député de Sainte-Marie - et je voudrais éclaircir cela - c'est qu'il nous met sur la table le scénario suivant: Votons une réforme maintenant, mais elle sera applicable non pas à la prochaine, mais à l'autre élection générale. J'avoue que cela m'agace pas mal. J'aime autant le dire comme je le pense. Cela consisterait à faire une opération des deux côtés de l'Assemblée nationale ou, majoritairement, à voter une réforme du mode de scrutin et à dire: Puisque nous ne croyons pas que ce soit vraiment utile pour nous qui sommes actuellement membres de l'Assemblée nationale, sautons un tour et ceux qui viendront après nous s'arrangeront avec cette réforme. À partir du moment où une Assemblée nationale, lorsque élue, est souveraine, je ne voudrais pas qu'on perde notre temps. Si on retenait ce scénario, la majorité qui viendrait du prochain scrutin général pourrait tout aussi bien dire: Nous ne sommes pas d'accord avec cela, voter une loi et renvoyer cela aux calendes grecques.

Ce que je veux dire par là, c'est qu'il ne faut pas se laisser prendre au piège de ce que j'appellerais la psychose électorale qu'élaborait éloquemment tout à l'heure le député de Charlesbourg. Il nous dit: Nous sommes en période électorale. Moi, je m'excuse, mais je voudrais simplement vous rappeler que nous ne sommes pas en période électorale et que notre gouvernement, le Parlement actuel, a été élu lors d'élections générales au printemps 1981. Si l'Opposition veut imposer sa propre tradition de mandats de trois ans, je lui répondrai ceci: Si un chef de parti et un premier ministre, avec 102 sièges sur 108 au mode de scrutin que nous connaissons, ne peut pas faire plus de trois ans, sommes-nous obligés d'aller dans les mêmes sentiers?

Il n'y a pas de feu d'artifice dans les discussions que nous avons. Nous proposons essentiellement ceci et, comme dans les premières remarques que je faisais tout à l'heure, j'essaie de voir à cette étape-ci de nos travaux si, de part et d'autre, et indépendamment de ce que contient le rapport Côté, c'est toujours vrai que, des deux côtés de l'Assemblée nationale, il y a une volonté politique affirmée et réaffirmée, pour ne pas dire martelée, quant à ces deux choses: D'abord, que nous avions un mode de scrutin qui créait des distorsions telles que nous voulions les corriger. Cela a toujours été clair pour tout le monde et je pense qu'il ne faut pas céder à la tentation de dire: Maintenant, il ne reste pas suffisamment de temps. S'il ne reste pas suffisamment de temps pour envisager une réforme comme celle-ci, il ne reste de temps pour rien. Du côté de l'Opposition, les sondages de la fin de semaine sont révélateurs. Votre chef perd un point par mois. Alors, on serait tenté de dire: Si cela continue comme cela, dans un an, il en aura perdu 23. Si on veut...

Une voix: Formez votre cabinet des ministres...

M. Duhaime: ...ne pas jouer à la blague avec un dossier comme celui-là... Les gouvernements libéraux que nous avons eus dans la décennie 1970 n'ont jamais pu faire mieux que des mandats de trois ans avec ce que je qualifierais des majorités époustouflantes, principalement, de 1973 à 1976. Mais la question de fond que l'on doit se poser ici est à savoir quand ce sera le temps de modifier le mode de scrutin. On pourrait dire qu'il sera toujours trop tôt ou bien qu'il sera toujours trop tard. (17 h 45)

Le député de Charlesbourg, tantôt, nous a fait un très savant topo sur l'économie. Je serais tenté de lui donner la réplique là-dessus, mais je ne le ferai pas ici. On va se rencontrer les 16 17, 18 octobre, etc. L'Assemblée nationale va reprendre ses travaux. J'imagine que. vous allez déposer une motion de blâme où on aura l'occasion

de débattre le dossier économique. Mais, comme parlementaires, si on examine ce qu'il y a sur nos tables de travail en termes de lois, il faut nécessairement qu'on fasse des choix. Il est évident qu'en début de mandat un gouvernement peut dire: Bon, nous allons nous attaquer à la réforme du scrutin. J'ai écouté votre chef très attentivement, M. Bourassa. Il a dit qu'il serait immoral de faire cela maintenant. Mais la question que je pose est de savoir à quel moment ce serait moral puisque les élections ont eu lieu en avril 1970 et, dès septembre 1970, vous étiez à pied d'oeuvre. De deux choses l'une: Ou bien il est toujours trop tôt ou bien il est toujours trop tard. Lorsque nous n'avons pas la volonté politique de régler un problème, on a toujours des bons prétextes.

Sans m'engager plus loin dans cette direction, je pense que de tenter d'éviter le débat de fond en plaidant que le calendrier parlementaire est maintenant trop court, c'est une ignorance complète de la façon que nous pouvons travailler. J'ai évoqué tantôt que, sur un dossier aussi important, un mandat qui consistait à dire au Directeur général des élections qu'il va y avoir une commission - ce sont des députés qui l'ont mentionné tout à l'heure, je pense même que c'est le président M. Vaugeois - en quelques minutes les parlementaires des deux côtés de l'Assemblée nationale se sont mis d'accord pour dire au Directeur général des élections: Voici votre mandat. Allez dans la population rechercher ce qui vous paraîtrait une volonté quelconque. Et, dans un deuxième temps, l'Assemblée nationale, à l'unanimité, permettait au Directeur général des élections de revenir nous faire des recommandations.

C'est donc dire - je vais m'arrêter ici - que, s'il y a une volonté réelle de corriger ce que, des deux côtés de l'Assemblée nationale, nous constatons comme étant des distorsions graves à notre démocratie parlementaire, je ne vois pas pourquoi on commencerait dans des chinoiseries de délais. Que cela prenne un mois, deux mois pour adopter une loi comme celle-là à l'Assemblée nationale, ensuite en commission parlementaire, il s'agirait plutôt de voir dans quel délai mécanique utile le Directeur général des élections, tout en maintenant le mode de scrutin actuel en vigueur tant et aussi longtemps qu'il n'est pas changé, bien sûr, pourrait procéder à une réforme du mode de scrutin qui pourrait être "opérationnalisée". Si on ne se braque pas sur ces espèces d'échéances, on va être capable d'avancer sur le fond et essayer de voir s'il n'y aurait pas moyen de faire en sorte que le mode de scrutin actuel soit corrigé, modifié, changé, amendé, transformé, de façon à maintenir notre premier objectif qui est de faire en sorte que, lorsque les électeurs et les électrices du Québec votent, leur vote se traduise le plus fidèlement possible à l'intérieur de l'Assemblée nationale.

Là-dessus, je rejoins parfaitement la distinction qui avait été faite: Est-ce que les électeurs et les électrices votent pour élire un Parlement ou pour élire un gouvernement? On vit dans un système où la ligne de démarcation entre les deux n'est pas toujours facile à trancher. Quand on se promène d'un pays à l'autre, on constate que nous vivons ici dans un régime fédéral de monarchie constitutionnelle, avec la reine d'Angleterre qui est reine du Canada. Je vous avoue que, pour un républicain comme moi, c'est dur à prendre. Mais dans les pays où il y a le suffrage universel, dans les républiques, par exemple, on ne parle pas d'instabilité gouvernementale.

M. Bisaillon: Pourquoi?

M. Duhaime: Pourquoi? La réponse est donnée à l'interrogation du député de Sainte-Marie: Les électeurs votent d'abord pour le chef de l'Exécutif, c'est-à-dire le chef du gouvernement. Ils votent également pour composer l'Assemblée nationale. C'est notamment le cas en France. Je me dis qu'il y a très certainement quelque chose qu'on peut faire. Je retiendrais à la volée la proposition du député de Sainte-Marie: Essayons de voir si, de part et d'autre, nous pouvons être cohérents avec nos propres discours et avec nos propres affirmations et de voir si on est en mesure d'établir un cheminement quelconque à ce dossier plutôt que de dire qu'on pense qu'il est trop tard et qu'on ne veut rien savoir de personne.

Le Président (M. Vaugeois): Merci, M. le ministre. Vous êtes fantastique! Vous avez respecté le délai de dix minutes. Le député de Sainte-Marie a demandé la parole. Je pense que ce sera la dernière intervention avant 18 heures. J'espère que cela va porter un peu sur la méthodologie.

M. Bisaillon: Non, M. le Président, mais cela va être très bref, cependant. Je voudrais corriger certains des propos que j'ai tenus tantôt...

Le Président (M. Vaugeois): Ah!

M. Bisaillon: ...puisque j'ai pu induire en erreur, par mes propos, les membres de cette commission, de même que la population qui nous écoutait. J'ai mentionné que le Parti libéral avait déjà reconnu la nécessité d'un changement lorsqu'il mettait de l'avant de nouvelles formules et j'ai mentionné en particulier le mode de scrutin à deux tours. J'ai attribué la paternité de cette solution au chef du Parti libéral, ce en quoi je faisais une erreur. C'est plutôt un rapport d'un comité interne du Parti libéral qui

proposait cela en avril 1983 ou 1984. M. Bourassa, lui, s'est contenté tout simplement de souligner que le système de scrutin à deux tours ne s'appliquait que lorsqu'il y avait plusieurs partis dans une situation multipartiste, que nous ne vivons pas. Comme j'avais accordé la paternité de cette déclaration à M. Bourassa, je voudrais retirer ce que j'ai dit, tout en soulignant cependant que cela me donne raison jusqu'à un certain point. Les débats à l'intérieur du Parti libéral allaient dans le sens d'un changement, peu importe la forme de ce changement.

Le Président (M. Vaugeois): Bon. Est-ce que vous préférez que nous suspendions les travaux maintenant et que nous les reprenions à 20 heures ce soir? D'accord.

Une voix: C'est une bonne idée. (Suspension de la séance à 17 h 48)

(Reprise de la séance à 20 h 10)

Le Président (M. Rivest): La commission reprend ses travaux à l'instant. Je rappelle le mandat de la commission aux membres de ladite commission. Il s'agit de procéder à une consultation particulière pour étudier le rapport et les recommandations de la Commission de la représentation électorale sur la réforme du mode de scrutin. Ce rapport a été déposé à l'Assemblée nationale le 28 mars 1984. Selon l'ordre des travaux de la commission on est encore au chapitre préliminaire au titre de la méthodologie utilisée pour la réalisation du mandat de la commission.

Je pense que lors de la suspension de nos travaux, la parole était au député de Charlevoix. On m'indique que la présidence a également reçu des demandes d'autres collègues: entre autres, le député de Gouin a demandé la parole, le député de Rouyn-Noranda-Témiscamingue, le député de Louis-Hébert et le député de Westmount. Est-ce qu'il y en a d'autres pour l'instant? Non, cela va?

M. de Bellefeuille: Vous voulez dire, M. le Président, sur...

Le Président (M. Rivest): La méthode.

M. de Bellefeuille: ...le chapitre premier?

Le Président (M. Rivest): C'est cela. Voulez-vous vous inscrire, M. le député de Deux-Montagnes?

M. de Bellefeuille: De la façon dont nos débats se sont déroulés, la chose habile à faire serait peut-être de m'inscrire sans respecter l'ordre des chapitres.

Le Président (M. Rivest): La présidence ne peut juger de votre habileté. Elle ne peut que recevoir votre inscription.

M. de Bellefeuille: Je préférerais attendre le chapitre deuxième.

Le Président (M. Rivest): Très bien. La parole est donc au député de Charlevoix, ensuite le député de Gouin, le député de Louis-Hébert, le député de Rouyn-Noranda-Témiscamingue et le député de Westmount.

M. Mailloux: M. le Président, dans ma brève intervention je voudrais revenir sur la tournée de consultation qu'a faite la Commission de la réforme électorale.

Tantôt, en terminant son intervention, le ministre de l'Énergie disait qu'à la suite de la résolution votée unanimement par la Chambre, la commission se devait de parcourir la province et d'aller chercher une majorité dans un sens ou dans l'autre quant à la réforme du mode de scrutin. Je crois que la commission a rempli son rôle et son mandat si on en juge par l'effort qu'elle a déployé pour inviter chacun à se prononcer.

Quand on fait la nomenclature des gestes qu'a posés la commission pour inviter les gens à venir témoigner, on lit dans les documents que 500 000 brochures ont été envoyées dans 2500 endroits du Québec; 7000 lettres d'invitation furent envoyées également invitant les gens et les organismes à venir témoigner. On sait que les grands médias comme les médias en province ont été largement mis à contribution. Les éditorialistes ont été invités à traiter du sujet. On nous dit que 114 entrevues ont été données avant et après les interventions partout en province.

Hors de la volonté de la commission, on doit également se rappeler que fut jeté, je dirais, dans les jambes de la commission en date du 10 août, quelques jours avant que celle-ci n'entreprenne sa tournée provinciale, un document provenant du ministre responsable de la réforme électorale, le député de Chicoutimi, qui soumettait à la province la proportionnelle régionale qui devait, semble-t-il, être la réflexion du ministre responsable de la réforme électorale à ce moment-là et dont on dit dans certains documents - on me corrigera si je fais erreur - que c'est également la position gouvernementale, bien que je n'aie pas vu beaucoup de personnes du Conseil des ministres l'appuyer. Mais, dans un document que je pourrais retracer, on dit que c'est la position gouvernementale. Je dis donc que cette brochure fut envoyée dans les pattes de la commission quelques jours avant qu'elle commence ses interventions partout en province et je pense qu'il n'y a aucun doute

que le ministre responsable de la réforme électorale a certainement dû inviter les partisans du Parti québécois un peu partout au Québec à aller défendre la proposition qui émanait de son bureau.

M. le Président, ce n'est d'aucune façon mon intention de mettre en doute la valeur des interventions de ceux qui sont allés devant la commission. Il y a, à ce titre, diverses interventions remarquables. Je vois le député de Deux-Montagnes; je me rappelle son intervention. C'est mon intention, dans les jours qui vont suivre, de revenir sur l'intervention tout à fait remarquable du président de cette commission, le député de Trois-Rivières, et je sais qu'un député comme celui de Sainte-Marie, qui a des raisons d'invoquer un mode de scrutin autre que celui que nous connaissons, a fait une intervention qui va également dans ce sens-là.

Je sais également, M. le Président, que des gens qui sont habilités en la matière, qu'ils soient politicologues ou professeurs de toutes sortes, sont également allés devant la commission. Malgré tout le respect que j'ai pour les intervenants et pour la commission, comment la Commission de la représentation électorale peut-elle affirmer, à la page 10 de son mémoire du 9 octobre qui nous a été remis ce matin, ce qui suit? Je cite: "L'analyse de la consultation a incité la commission à rejeter le mode actuel et à proposer une réforme."

Comment peut-on raisonnablement prétendre, M. le Président, qu'une majorité des citoyens du Québec, par la bouche de ceux qui se sont présentés ou qui ont envoyé des mémoires, que des 3 500 000 électeurs du Québec, une majorité se serait dégagée, aurait invité la commission à prétendre que 57% ou 58% s'étaient prononcés favorablement pour les électeurs québécois?

Quand on regarde qui a été devant la commission, on constate qu'il y a dix organismes importants qui se sont fait entendre. Bien sûr, il y a 70 mouvements locaux dans les régions qui se sont fait entendre dont on retrace les noms et l'appellation souventefois d'une région à l'autre. Il y a également 82 citoyens, comprenant 17 professeurs ou politicologues, 7 maires, 1 curé ex-député, 7 étudiants, 12 porte-parole du PQ et quelques députés, 5 PQ, 3 libéraux et un autre. Je comprends qu'il y a eu également, à ce que nous dit la commission, 200 envois postaux qui ont été sollicités par les 7000 lettres envoyées, j'imagine, et 31 mémoires d'organismes.

Malgré tout ceci, comment la commission peut-elle prétendre que, majoritairement, alors que personne dans les comtés ne soulève ce sujet... Je mentirais effrontément en disant que non pas chez les dizaines mais chez les centaines de personnes qui viennent nous voir pour toutes sortes de problèmes la réforme du mode de scrutin a été portée à notre attention dans les comtés. On en entend, bien sûr, parler par les éditorialistes, par les politicologues, par les gens qui sont près des milieux politiques, par les tiers partis qui aspirent à une réforme.

M. le Président, je ne vois pas, dans l'analyse qu'on peut faire des interventions qui ont été sollicitées et - je pense que ce n'est pas accuser le Parti québécois de dire quecomme il préconisait une réforme du mode de scrutin, il a invité ses partisans à aller dans la province à travers les régions -je comprends mal et je voudrais que le président de la réforme du mode de scrutin me dise comment on a pu en venir de façon aussi catégorique à une telle conclusion, que, majoritairement, les gens du Québec souhaitaient une réforme électorale. J'ajoute ceci et j'espère ne pas enfreindre le règlement. Dans mon esprit, pour que la commission ait déposé, à la suite de cette conclusion à laquelle elle en était venue, une réforme aussi importante que la proportionnelle territoriale qui, d'ailleurs, ne semble pas épaulée et appuyée par qui que ce soit dans la province, comment je pourrais ne pas penser, personnellement, que les membres de la commission n'étaient pas au préalable très favorables, pour ne pas dire vendus à une réforme du mode de scrutin?

Je voudrais qu'on m'éclaire sur l'analyse qu'a faite la commission des mémoires qu'elle a entendus. Je ne conteste pas du tout la valeur de ceux qui se sont présentés, qui ont envoyé des mémoires, mais je dis que cela ne représente d'aucune façon la volonté de la majorité des citoyens du Québec.

Le Président (M. Rivest): M. le président de la Commission de la représentation électorale.

M. Côté (Pierre-F.): M. le Président, si vous le permettez, je voudrais, au préalable, signaler la présence de M. Guy Bourassa. Comme je l'ai dit, cet après-midi, il se joint à nous ce soir. Je voudrais vous signaler que nous nous étions entendus, les trois commissaires, pour que, pendant ces journées d'audiences, nous nous répartissons la tâche. Si vous ne voyez pas d'objection, il serait de mise, je pense bien, qu'on continue à m'adresser les questions. Comme nous nous sommes répartis les fonctions, je les refilerai, pour ainsi dire, à l'occasion, à l'un ou l'autre de mes collègues. Pour la question qui vient d'être posée par M. le député de Charlevoix, je vais demander tout de suite à M. Lessard de commencer à donner des éléments de réponse.

M. Lessard (André): La question de M. le député de Charlevoix est très bonne. Ma réponse est la suivante. Dans le mémoire,

nous ne disons jamais que la population du Québec en majorité demande une réforme du mode de scrutin. Nous disons, à la page 61, que 57% de ceux qui se sont présentés devant nous se sont manifestés pour une réforme. Nous ajoutons qu'en enlevant les indécis, 23%, cela fait porter le total de ceux qui se sont effectivement prononcés pour ou contre à 74%. Donc, nous n'affirmons jamais que c'est la majorité de la population du Québec. Nous disons que c'est la majorité de ceux qui se sont présentés devant nous. En ce qui concerne l'autre aspect de la question, nous avons procédé honnêtement, franchement, comme à peu près à toutes les commissions qui demandent des interventions. Nous disions aux gens: Voici ce dont nous nous préoccupons. Voici, quand vous pouvez nous rejoindre, où vous pouvez nous rejoindre, etc., nous ne pouvions pas faire enquête à savoir d'où chacun venait ou ne venait pas.

Nous recevions les mémoires. Nous les avons reçus. Ils sont identifiés. Les personnes sont identifiées. Nous avons compté non pas les personnes représentées par les mémoires, mais les interventions elles-mêmes pour ne pas fausser les chiffres avec une association qui a 50 000 membres et une autre qui en a 5 ou 15. Nous n'avons parlé que d'interventions. C'est là-dessus que nous disons: Les interventions devant la commission se traduisent dans un avis favorable à une réforme du mode de scrutin dans la proportion de 57%. C'est la réponse que je peux vous donner.

M. Mailloux: M. le Président, je voudrais revenir sur les premiers mots de mon intervention. Ce n'est peut-être pas le député de Charlevoix qui a fait erreur. Je disais qu'en terminant son intervention l'actuel ministre délégué à la Réforme électorale disait qu'à la suite de la résolution que la Chambre, unanimement, venait d'adopter vous invitant à parcourir la province pour recevoir des mémoires, etc., vous deviez parcourir la province et aller chercher une majorité. Ce sont les paroles du ministre au moment où il a terminé son intervention.

Une voix: Une volonté populaire.

M. Mailloux: Une volonté populaire qui se dégageait de la consultation. On pourra peut-être relire le journal des Débats, mais cela a été sa conclusion que vous deviez aller en province et voir à dégager une majorité populaire.

M. Côté (Pierre-F.): Si vous permettez, ce qu'a pu dire M. le ministre Duhaime...

M. Mailloux: C'est ce qu'il a dit.

M. Côté (Pierre-F.): Non, enfin il faudrait qu'il y réponde lui-même, parce que le mandat de la commission n'était pas du tout dans ce sens. Cependant, j'aimerais relever deux propos que vous avez tenus, M. Mailloux, qui méritent d'être précisés. Vous avez signalé, ce qui était exact, qu'une brochure qui a été distribuée dans un grand nombre d'exemplaires émanait du ministère d'État à la Réforme électorale. Vous avez certainement constaté, en lisant les notes sténotypiques que nous avons envoyées au fur et à mesure, une fois par semaine, je pense, à tous les partis politiques, que, constamment, à toutes les séances, nous nous sommes démarqués de cette brochure. Nous avons beaucoup insisté auprès des intervenants, auprès des médias pour dire qu'il s'agissait là de la prise de position d'un parti politique et non pas de celle de la commission. 11 me semble nécessaire de vous signaler cela, parce que vous avez tout à l'heure, si j'ai bien compris vos paroles - si je ne les ai pas bien comprises, il faudra me corriger - semblé mettre en doute les intentions de la commission. Libre à vous d'essayer d'analyser quelles étaient nos intentions. Je préférerais qu'on nous juge plutôt sur le rapport lui-même que sur les intentions qu'on peut nous prêter.

M. Mailloux: M. le Président, quant aux avis que vous avez donnés à chacune des interventions en province, j'étais au courant que vous avez mis en garde les gens contre la publication sur la proportionnelle régionale qui était envoyée par le bureau du ministre délégué à la Réforme électorale. Cela n'empêche d'aucune façon quand même, malgré les avis que vous avez donnés, que des gens aient été invités par la publication de cette brochure dans tout le Québec à défendre cela.

M. Côté (Pierre-F.): Non pas à notre instigation.

M. Mailloux: Pardon?

M. Côté (Pierre-F.): Non pas à notre instigation.

M. Mailloux: Non, non.

M. Côté (Pierre-F.): D'accord.

M. Mailloux: Je voudrais bien préciser que ce n'est pas cela que j'ai dit d'ailleurs non plus.

M. Côté (Pierre-F.): D'accord.

M. Mailloux: Par contre, vous êtes revenu sur le deuxième point sur lequel j'aurais émis un doute. J'aurais avancé que la commission avait un préjugé favorable à

la réforme du mode de scrutin. Cela, je l'ai dit. Je l'ai dit dans un sens: c'est que pour formuler, à la suite de l'analyse que vous avez faite des mémoires que vous avez présentés, une proposition aussi radicale que la proportionnelle territoriale et dont j'ai dit qu'elle n'était acceptée de presque personne, il fallait absolument que les commissaires soient davantage favorables à une réforme du mode de scrutin.

M. Côté (Pierre-F.): Je demanderais à M. Bourassa de répondre à cela parce que j'ai l'impression que tous les trois serions portés à vous donner la même réponse et M. Bourassa va la fournir.

M. Bourassa (Guy): Le contenu de cette proposition a été le fruit - c'est une intention qu'on peut accepter ou pas - d'un long cheminement et d'une consultation. Il n'y a pas eu de préjugé en aucune façon au début de cette démarche. C'est au cours de cette consultation, face aux opinions entendues, face aux commentaires, aux propositions et aux souhaits énoncés et aussi face aux formules proposées, que les commissaires avec toutes sortes de documents et maints travaux de réflexion en sont arrivés à formuler progressivement une voie vers le changement. Mais cela a été vraiment une longue élaboration qui, d'abord, peut être - je vous donne mon opinion personnelle - a commencé par une sérieuse interrogation par rapport au mode de scrutin actuel. Ensuite, par quoi faut-il le remplacer? Quelles seraient les modalités? On nous a présenté - justement les notes stéréotypées en donnent un vaste éventail -un grand nombre de solutions. Finalement, ces solutions se regroupent autour de trois ou quatre pôles. Il nous est apparu que dans ce vaste ensemble et dans ces divers pôles, il y en avait un qui paraissait plus intéressant et qui tourne autour de la proportionnelle et de la territoriale ou de la région. En fait, il y avait, selon nous, grosso modo trois grandes tendances. Il y en a une que nous avons privilégiée et vers laquelle nous avons concentré nos efforts. Ce n'est pas - je vous demanderais bien de le croire -aucunement par préjugé, mais par un travail de réflexion et d'accumulation de données et de débats autour de ce thème que nous en sommes venus à cette proposition qui peut paraître radicale, mais qui est le résultat d'un long travail.

M. Mailloux: M. le Président, j'aurais une dernière question à poser à M. Côté. Vous avez été mêlé de très près, comme président et vos prédécesseurs, à différents modes de scrutin appliqués dans la province depuis quelques années. Nonobstant les témoignages que vous avez eus et dont on peut prendre connaissance de la part des individus, des organismes et autres, est-ce que l'expérience vécue lors des élections précédentes vous invitait à aller vers une réforme du mode de scrutin? Est-ce que vous aviez décelé tellement d'anomalies qu'il fallait absolument aller vers une réforme du mode de scrutin?

M. Côté (Pierre-F.): Je ne crois pas que je poserais - si je ne réponds pas bien à votre question, vous pouvez me le dire - le problème tout à fait dans les termes que vous...

M. Mailloux: Je m'excuse... M. Côté (Pierre-F.): Oui.

M. Mailloux: ...mais je voulais également vous demander, parce qu'on fait toujours allusion à ceux qui sont intervenus, si vous aviez décelé, depuis que vous êtes Directeur général des élections, une volonté ancrée chez les Québécois, majoritairement, de changement?

M. Côté (Pierre-F.): Je pense qu'il faut bien distinguer. Quant à la première partie de votre question, je ne crois pas que je puisse vous fournir une réponse à partir de la responsabilité que j'ai et que j'ai encore d'appliquer la Loi électorale, à savoir le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Ce n'est pas à partir de cette responsabilité que je peux dire maintenant, à titre de président et de cosignataire d'un rapport en vue de changer le mode de scrutin, que j'en arrive à la conclusion que l'on recommande de changer en profondeur le mode de scrutin. J'en arrive à cette conclusion avec mes collègues à la suite de la consultation et du travail que nous avons accomplis. Si vous me demandez si j'ai cette conviction à partir, comme vous venez de le faire, d'une connaissance personnelle que j'aurais que tous les électeurs du Québec le veulent, je ne puis vous répondre qu'une chose: Nous avons accompli notre mandat de la façon dont nous l'avons fait avec les moyens du bord dans un très court laps de temps. Nous avons invité tout le monde à venir exprimer leur opinion. (20 h 30)

Vous savez, par exemple, que nous avons regretté à plusieurs reprises que les députés eux-mêmes n'aient pas jugé à propos de se présenter devant la commission, du moins pour la majorité d'entre eux. Par ailleurs, cette consultation nous a quand même amenés à avoir une perception de ce que les gens qui ont décidé de s'exprimer devant nous désirent. Nous avons analysé cette perception. Nous l'avons étudiée avec beaucoup de soin et nous nous sommes posé la question fondamentale à savoir est-ce que nous en arrivons à la conclusion, à la suite

de ces audiences, des travaux et des réflexions que nous avons faits, qu'il faut recommander l'adoption d'un nouveau mode de scrutin? Il va de soi - je l'ai mentionné dans mon texte de ce matin - que cette décision ultime vous revient.

Si la consultation que nous avons faite ne semble pas vous donner satisfaction, si la consultation que nous avons faite dans toute la province ne semble pas refléter l'opinion des électeurs, je crois qu'il y a d'autres moyens de le faire. Vous les connaissez comme moi et peut-être qu'il faudrait envisager de les utiliser un jour. Je dis que, dans le cadre du mandat qui nous était confié, de la façon dont nous avons procédé, des gens qui se sont présentés devant nous parce que tout le monde était libre de le faire ou pas - un très grand nombre ont choisi de ne pas le faire, comme je l'ai mentionné, un très grand nombre de députés ont même cru préférable de ne pas le faire tout ce que nous avons fait a été d'exercer notre mandat le plus honnêtement possible, au meilleur de notre connaissance et de livrer la marchandise que vous avez aujourd'hui.

Quant à la solution que nous proposons, je voudrais ajouter: quand vous dites que personne n'en parle ou que personne n'a dit que c'était une trouvaille, bon, c'est possible. Nous ne pensons pas être en possession tranquille de la vérité, vous savez. Nous disons très clairement dans notre rapport qu'il n'y a pas de mode de scrutin parfait. Mais un point est important. J'espère qu'on va y revenir subséquemment. Puisque vous soulevez le problème globalement, cela me permet de dire que le point qui nous semble très important est que nous avons quand même décelé un certain nombre de ce que nous avons appelé des "caractéristiques québécoises", des exigences du contexte du Québec qui nous ont convaincus qu'il fallait que nous soumettions une recommandation de changement et nous avons soumis cette recommandation.

M. Mailloux: M. le Président, je voudrais simplement ajouter un commentaire, auquel vient de se référer d'ailleurs le Directeur général des élections. Quand on regarde les modifications qui ont été apportées aux différents modes de scrutin dans les pays européens industrialisés, on constate que ce n'est en aucune façon par des majorités simples qu'une institution aussi fondamentale que le mode de scrutin a été modifiée, ou presque jamais. Je n'en fais pas une proposition, loin de là. Ce qui m'estomaque comme parlementaire pendant deux décennies dans ce Parlement, c'est que pour nommer un Directeur général des élections, cela prend les deux tiers de la Chambre et que pour changer l'institution fondamentale qu'est le mode de scrutin, on peut procéder par une majorité simple, inviter le parti gouvernemental à le faire -il n'y a pas de problème. Je voudrais bien qu'on me donne des exemples dans le monde entier alors que pour changer une telle institution on a procédé par une simple majorité, comme ce serait le cas. Surtout que pour vous nommer - je ne conteste pas cela - il faut absolument que les deux tiers de la Chambre soient d'accord.

M. Côté (Pierre-F.): Est-ce que vous me permettez un commentaire là-dessus, M. Mailloux?

Je voudrais certainement reprendre une affirmation qui a été faite récemment par un député de votre parti dans le sens que j'aurais fait la déclaration que cela ne prend qu'une majorité simple pour que le mode de scrutin soit modifié. Vous savez à quelle déclaration je fais référence, déclaration qui a été faite par un de vos députés à l'occasion du conseil national de votre parti. Je n'ai pas répondu à ce député non plus qu'à cette déclaration. Je présume que ces paroles n'ont pas été exactement rapportées.

Mais si on suppose, par hypothèse, qu'elles ont été rapportées exactement, ce que j'ai dit à ce député c'est que, quelques jours auparavant, le premier ministre avait déclaré que, s'il le jugeait à propos, il y aurait modification au mode de scrutin à la majorité simple. Or, ceci est un problème qui, à mon avis, relève strictement du droit parlementaire. Le droit parlementaire ou la coutume parlementaire peut en arriver à imposer certaines façons de procéder. Vous devinez facilement qu'il ne m'appartient pas du tout de dire aux membres de l'Assemblée nationale que, dans tel cas, vous devez procéder à la majorité simple et, dans un autre cas, vous devez procéder d'une autre façon, selon l'exemple que vous venez de me donner. C'est aux membres de l'Assemblée nationale de déterminer leurs propres règles du jeu.

M. Mailloux: M. le Président, je m'excuse de poser une question supplémentaire. Nous sommes allés, le député de Charlesbourg, le député de Portneuf et moi-même, devant la commission en tout dernier lieu. En regardant la nombreuse documentation qui nous a été transmise depuis quelques jours, on constate que la plupart des interventions faites devant la commission dans toute la province ont été assez fidèlement rapportées. Non pas que ce soit moi qui aie fait cette demande devant la commission à la toute fin, mais en tant que parlementaire depuis une couple de décennies je vous avais dit, en terminant, par rapport au poste de président général des élections de la province: Avant qu'une institution aussi fondamentale ne soit modifiée, est-ce que le gouvernement ne

pourrait pas être invité à ce que ce soit plus qu'une majorité simple qui en décide? C'étaient mes paroles devant la commission. Je ne blâme pas la commission, mais elles n'ont pas été rapportées.

M. Côté (Pierre-F.): Vous permettez que je précise un point là-dessus, M. le député? Vous avez raison et je vais simplement rappeler ce que j'ai dit constamment pendant la tournée que nous avons faite. Vous avez raison de dire que ce n'est pas rapporté dans le rapport, mais ce que j'ai dit pendant la tournée, c'est ceci: À mon avis, une question comme celle-là, si on me demandait mon opinion, c'est que je serais plutôt d'avis, comme cela se fait dans le domaine de la législation électorale, qu'à tout le moins cela prenne un large consensus.

Le Président (M. Rivest): Je vais accorder la parole au ministre qui voudrait très brièvement faire un commentaire sur une affirmation du député de Charlevoix et, par la suite, la parole sera au député de Gouin.

M. Duhaime: Mon intervention sera très très courte, M. le Président. Le député de Charlevoix me prête des propos que je n'ai aucun souvenir avoir employés cet après-midi, quitte à revoir demain la transcription du journal des Débats. Que je sache, lorsque j'ai évoqué le mandat confié à la commission par l'Assemblée nationale, je me referais toujours à la date du 22 juin 1983 et j'ai insisté sur un point. Si vous me permettez, je vais lire un des paragraphes clés qui est au coeur même de cette résolution. Il y a d'abord les attendus et, ensuite: "Que la commission remette d'ici à huit mois un rapport à l'Assemblée nationale comportant l'analyse détaillée, y compris des avantages et inconvénients de l'actuel mode de scrutin et des différentes formules proposées et, le cas échéant, ses recommandations."

Je n'ai pas souvenir - et, pourtant, j'ai tenu ces propos il y a quelques minutes ou quelques heures à peine - d'avoir parlé d'une majorité. Tant mieux s'il y en avait une, mais ce que j'arrive mal à comprendre, M. le Président, c'est que le député de Charlevoix semble étonné aujourd'hui que le rapport de la Commission de la représentation électorale contienne des recommandations. Qu'on soit d'accord ou non avec les recommandations, ce n'est pas là qu'est le débat pour l'instant. C'était le voeu même de l'Assemblée nationale que la commission revienne avec des recommandations; cela fait partie intégrante de son mandat.

Si le député de Charlevoix veut me préciser demain à quel endroit je l'aurais offensé, je serais très heureux de relire cela avec lui et, si besoin est, je me corrigerai, mais je n'ai pas de souvenir de cela.

M. Mailloux: Je n'ai été offensé d'aucune façon, M. le Président. J'ai simplement voulu répéter la conclusion que donnait le ministre de l'Énergie. Si j'ai fait erreur, en relisant le journal des Débats, demain matin, je m'excuserai. Je ne pense cependant pas avoir fait erreur.

M. Duhaime: Ah bon! Très bien!

Le Président (M. Rivest): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Merci, M. le Président. Je prendrai quelques minutes pour essayer de faire un commentaire sur la nature et la forme que prend le débat depuis quelques heures, quant aux travaux de notre commission. J'avoue que cela correspond un peu aux agacements que soulevait déjà chez moi toute référence qui, jusqu'à aujourd'hui, avait été faite à ce fameux sondage ou aux statistiques très détaillées et très ventilées qu'on a pu faire de la consultation qui a été menée par la Commission de la représentation électorale sur la réforme du mode de scrutin.

Je ne crois pas qu'on soit à l'heure où nous avons à nous demander: Est-ce que, oui ou non, il y a une majorité absolue aux deux tiers; une minorité forte ou faible de la population qui pense que c'est le temps ou que ce n'est pas le temps et qui est d'accord avec telle réforme plutôt que telle autre, de nous dire que si, tout au cours de la consultation, il y a plus de 50,1% des gens qu'on a rencontrés qui nous disaient que cela prend une formule de proportionnelle -il faut donc aller avec la proportionnelle -et qu'inversement, si la proportion avait été de moins de 50%, nous n'aurions pas le droit d'être ici aujourd'hui parce que nous n'aurions pas ce mandat de la population, etc. J'avoue que je suis fort agacé par cette façon d'aborder la question et par cette façon de s'y référer régulièrement dans les interventions, dans les textes même. D'ailleurs dans le rapport, à un certain nombre d'occasions, on y fait référence. J'avoue qu'une des questions que j'avais inscrites... Dans ce sens-là, le document que vous nous avez présenté cet après-midi est clair et j'avais décidé de ne pas poser la question, mais cette insistance à revenir aux résultats du sondage, à revenir aux statistiques qui ont été dressées à partir de la consultation qui a été effectuée, m'amène à me questionner, à savoir: Est-ce que c'est l'opinion des commissaires qui nous est présentée aujourd'hui dans le rapport ou si c'est un bilan de sondages et de consultations qui nous est donné?

Je vous le répète, je considère que votre intervention d'introduction est claire à

cet effet. Vous avez dit qu'effectivement c'était votre opinion, mais qu'elle était appuyée par les consultations et, selon vous, par le sondage. Tant mieux, sauf qu'il me semble que, pour les travaux de la commission, il faut quitter rapidement cette voie parce que si, aujourd'hui, on veut se poser la question: Est-ce que la population souhaite que nous débattions cette question ou pas? il fallait que le Parti libéral, puisque c'est vous qui semblez insister avec le plus d'énergie sur cet aspect de la question, il fallait que vous vous posiez la question quand il y a eu la proposition à l'Assemblée nationale de donner un mandat spécifique à la Commission de la représentation électorale à l'effet de consulter les Québécois sur une réforme éventuelle du mode de scrutin. À partir du moment où on a donné le mandat, ce avec quoi vous vous êtes dits d'accord, on n'est pas réunis ici pour savoir si, effectivement, il y a un sondage qui veut dire plutôt ceci que cela.

Quant à moi, le sondage qui a été fait par la Commission de la représentation électorale est un portrait de confusions, de contradictions, de disponibilités de l'électorat par rapport à cette question. Je suis convaincu qu'aujourd'hui nous pourrions refaire un sondage en demandant aux Québécois: Maintenant, sur telle ou telle formule, laquelle préférez-vous? et on pourrait avoir des résultats tout à fait différents. J'imagine qu'on n'est pas ici pour commencer à prendre des décisions pour le Québec à partir de sondages. Les Québécois ont connu cette forme de gouvernement de 1970 à 1976 et on sait ce qu'ils en ont fait. On voit dans les interventions du député de Charlesbourg, du député de Gatineau et du député de Charlevoix, revenir l'empreinte de Robert Bourassa sur son parti où, maintenant, si le sondage nous dit qu'il faut y aller, on ira et si le sondage nous dit qu'il ne faut pas y aller, on n'ira pas. Je vous dirai que le dernier rouge qui a suivi les sondages aveuglément s'est retrouvé avec 40 députés sur 282 le 4 septembre dernier. Ce n'est pas une façon de gouverner en 1984 quand on est ici non seulement pour refléter des sondages, mais quand on est également ici pour prendre les responsabilités qui nous ont été données par la population dans un mandat très légitime.

Si vous n'êtes pas certains du mandat que vous avez obtenu lors de la dernière élection générale dans vos comtés, c'est vos problèmes. Je pense que la population nous a donné un mandat très clair, très légitime, et c'est sur cette base que nous devons effectuer notre travail. Et lâchez-moi la paix, à savoir si c'est vraiment 56,2% plutôt que 58%, ce qui veut dire ceci ou cela. On n'est pas ici pour interpréter les sondages. On est ici pour étudier un rapport que nous avons commandé à l'unanimité des membres de l'Assemblée nationale. Si on ne voulait pas de rapport, on n'avait qu'à le dire à ce moment-là. Maintenant, on a un rapport et il me semble que le minimum dicte aux parlementaires de ne pas prendre, soit dans un sens ou dans l'autre, aveuglément, un rapport, mais de l'étudier au moins dans un premier temps avec ceux qui ont été mandatés par nous-mêmes pour faire cette consultation dans tout le Québec et, d'autre part, pour réfléchir à l'ensemble de la question, pour faire des recommandations qui vont dans le sens de ce que nous savons. J'espère que, demain matin, on ne rebrassera pas pendant quelques heures, à la suite des demandes de renseignements additionnels de la part du député de Gatineau, les sondages. Il faudrait peut-être interrompre la commission pendant quatre jours pour faire un nouveau sondage pour voir si on peut ou non continuer notre travail. Bon! (20 h 45)

Où va-t-on se rendre avec cela? On a un rapport qu'on a commandé. Étudions-le, puis au bout de la course, au bout de la réflexion, au bout de l'étude du rapport de la commission, chacun tirera ses propres conclusions et vivra avec. Ensuite, il sera jugé par le meilleur sondage qui soit, par l'élection qui suivra. On verra ce que la population va penser de l'attitude, du sens des responsabilités et du sens professionnel avec lequel l'ensemble des parlementaires qui se sont penchés sur la question l'auront fait. Mais, d'ici ce temps, passons à l'étude du rapport. C'est d'ailleurs ce que je compte faire, M. le Président.

Le Président (M. Rivest): J'allais vous y inviter.

M. Rochefort: Je vous demanderais de le faire avec autant d'insistance auprès de ceux et celles qui nous ont fait passer plusieurs heures là-dessus. J'ai passé à peine sept minutes de la commission là-dessus.

Le Président (M. Rivest): Pour être franc avec le député, c'est que la présidence est un peu embarrassée dans la mesure où cette question du sondage a été mentionnée dans les documents du président de la commission. Alors, ils font partie techniquement... Je ne pourrais pas...

M. Rochefort: Mais ils ne font pas partie du rapport, M. le Président. Sauf erreur, vous m'indiquerez à quelle page vous voyez le sondage. Je le cherche et ne le retrouve pas dans le rapport.

M. le Président, ma question donc...

M. Gratton: Si le député de Gouin veut s'intéresser à la grandeur du bulletin de vote, libre à lui. Nous voudrions savoir ce que la population ...

M. Rochefort: Vous direz cela au député de Charlesbourg qui est juste derrière vous. Si vous avez des problèmes de grandeur de bulletin de vote dans votre formation politique, c'est votre droit. Puis, l'autre rapport, je pense que l'intérêt que le député de Gatineau a manifesté jusqu'à maintenant quant à la réforme du mode de scrutin, c'est de répéter comme un perroquet ce que son chef a dit: Non merci. J'ai dépassé cela. Je me suis farci d'un mémoire qui n'a pas été rédigé par des recherchistes, je l'ai défendu, je l'ai présenté et j'ai consacré plusieurs heures à ce dossier qui me semble important puisque l'Assemblée l'a adopté à l'unanimité comme mandat, donc avec l'appui des parlementaires de l'Opposition. Jusqu'à nouvel ordre, j'imagine que lorsque l'Assemblée adopte à l'unanimité quelque chose, au minimum, le leader parlementaire du Parti libéral doit être d'accord puisque c'est lui qui pilote ses députés en Chambre. J'imagine.

M. Gratton: M. le Président, est-ce que...

Le Président (M. Rivest): Je ne voudrais pas...

M. Gratton: Question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Rivest): ...qu'on fasse un débat.

M. Gratton: Non. Il ne s'agit pas d'un débat. Le député de Gouin vient d'affirmer qu'on ne retrouve nulle part dans le rapport du Directeur général des élections des mentions de sondage. Alors, je l'invite à consulter...

M. Rochefort: ...de sondage.

M. Gratton: Le sondage. Les résultats, l'analyse, les résultats. Voulez-vous qu'on vous lise toute la page? Il y a plusieurs pages...

M. Rochefort: Le sondage. Le sondage.

M. Gratton: ...d'analyse du sondage. Bon!

M. Rochefort: Le sondage. D'autre part...

M. Gratton: II n'y en a qu'un.

Le Président (M. Rivest): M. le député de Gouin, vous alliez...

M. Rochefort: Franchement. Je ne pense pas que vous fassiez...

M. Gratton: Parlez-nous du bulletin de vote.

M. Rochefort: Oui. Ou bien, discutez à nouveau avec M. Turner pour savoir comment on devrait analyser les sondages. Vous l'apprendriez peut-être un peu. Écoutez...

M. Gratton: J'imagine que c'est M. Mulroney qui vous le dira, vos nouveaux amis.

M. Rochefort: Écoutez, si M. Mulroney a le goût d'être l'ami du gouvernement qui est actuellement en place au Québec, on va vivre avec cela...

M. Gratton: C'est plutôt l'inverse.

Le Président (M. Rivest): Je m'excuse mais...

M. Rochefort: ...et on va travailler avec lui.

M. Gratton: C'est plutôt l'inverse. Ce sont les péquistes qui voudraient se dire ses amis.

M. Rochefort: Si pour vous, cela vous pose un problème qu'il soit plutôt notre ami, c'est votre choix, mais vous pourrez aussi faire référence à votre chef qui a refusé de s'impliquer dans la bataille au grand dam de plusieurs de vos militants et militantes actifs.

Le Président (M. Rivest): Est-ce que les députés pourraient se lier d'amitié avec la présidence de la commission et discuter du sujet qui nous confronte aujourd'hui?

M. Gratton: Les péquistes sont plus mauvais depuis qu'ils sont fédéralistes.

Le Président (M. Rivest): M. le député de Gouin.

Bilan des interventions

M. Rochefort: Merci. M. le Président, je voudrais aborder le chapitre 2 parce que j'imagine qu'on est toujours dans la première partie. On s'était entendu pour qu'on aborde la première partie "Bilan de la consultation". J'aimerais interroger les membres de la commission sur le bilan des interventions qu'ils font et non pas quantitativement, s'il vous plaît, mais en termes de diversité. Dans le rapport, on dit - on y a fait référence de même que plusieurs parlementaires - que ce qui ressort c'est que globalement le problème majeur qu'on identifie un peu partout au Québec quant au mode de scrutin actuel c'est la distorsion qu'il produit entre le nombre de voies accordées à un

parti politique et le nombre de sièges que chacun des partis obtient à la suite de cette élection quant à la composition de l'Assemblée nationale, quant à sa représentation à l'Assemblée nationale.

J'aimerais que vous nous indiquiez si, d'après vous, à la fois quant à ce que vous avez entendu dans tout le Québec mais, deuxièmement, aussi quant à votre opinion personnelle - cela peut être l'opinion des commissaires comme celle de chacun des commissaires parce que j'imagine que là-dessus il y aurait peut-être place pour l'opinion de chacun - vous croyez qu'effectivement les distorsions sont vues comme un problème plus important que le fait que les tendances politiques du Québec ne soient pas représentées à l'Assemblée nationale?

M. Côté (Pierre-F.): Je demanderais à M. Bourassa de vous répondre, s'il vous plaît.

M. Rochefort: Parce que vous conviendrez avec moi qu'il y a une différence. Les distorsions, c'est une chose, et, deuxièmement, l'ensemble des tendances politiques qu'on retrouve dans notre société en est une autre. Il me semble que souvent les interventions que j'entends ici et là là-dessus me permettent de croire qu'il y a peut-être confusion entre les deux problèmes. Il me semble très important qu'on puisse les distinguer l'un de l'autre. Je répète. Selon vous, quel est le pouls des gens que vous avez rencontrés? Deuxièmement, quelles sont vos opinions quant à l'ordre d'importance des deux problèmes l'un par rapport à l'autre?

M. Bourassa: Je pense bien comprendre l'essentiel de votre question. Quant à bien situer, d'une part, les distorsions et, d'autre part, la représentation des divers courants idéologiques, si on peut dire, dans la population, je crois assez bien représenter l'opinion de la commission en disant que dans le temps nous avons surtout d'abord été frappés par l'insistance sur les distorsions. C'est un phénomène qui nous a été très souvent répété, qu'on a beaucoup analysé et qui est peut-être aussi facilement explicable dans la mesure où c'est un phénomène qui saute aux yeux, si l'on peut dire. On prend quelques chiffres. C'est facile de faire voir que dans un cas comme dans l'autre, d'un côté comme de l'autre, quelles que soient les époques, les distorsions apportent des résultats parfois assez étonnants avec un mode de scrutin comme le nôtre. On pourra même poursuivre jusqu'à la toute dernière élection fédérale. Donc, dans ce bilan, je pense qu'en termes de priorité au moins temporelle les distorsions sont venues d'abord, mais progressivement et de façon, je pense, plus importante dans le bilan, et ça va rejoindre l'opinion personnelle que vous nous demandez... Je pense que, progressivement, nous nous sommes rendu compte, justement de par la consultation, et cela revient un peu à la réponse que j'ai faite tout à l'heure à M. le député de Charlevoix sur le cheminement de ce rapport... Nos interventions, nos échanges avec les intervenants à la commission nous ont fait voir que les distorsions posaient des problèmes non seulement pour des raisons mathématiques, mais aussi parce qu'il y avait des courants importants qui se sentaient lésés.

Pour prendre des cas très évidents, on a beaucoup entendu parler de la non-représentation des femmes. Ce n'est pas une distorsion, si l'on veut, mais au sens strict -en général, quand on parle de distorsion, ce sont des pourcentages qu'on compare. Là on nous a dit de plus en plus fréquemment: Les femmes sont sous-représentées. Je pense que pas beaucoup de personnes n'en discuteront. On nous a dit: Les jeunes - cela aussi nous a été dit très souvent - sont sous-représentés. Plus nous avancions vers les centres urbains - parce que la consultation s'est faite de façon que l'on arrive progressivement dans les centres urbains les plus importants - ce poids des courants idéologiques ou des tendances de l'opinion non représentés est devenu de plus en plus lourd et, je pense, a fortement coloré et même changé les remarques que l'on aurait pu faire au départ sur les distorsions. Alors, je pense que le bilan que l'on peut établir, quand je regarde le chapitre 2 du rapport et surtout le 2.1 sur la représentation des électeurs, c'est beaucoup plus en termes de représentation de ces courants d'opinions, de ces aspirations, de ces mouvements d'idées que strictement de distorsions.

D'autre part, cela m'amène, si vous voulez, à cette opinion que vous avez souhaité obtenir de notre côté, je suis tout à fait convaincu - là encore je me risquerais à croire que c'est aussi l'opinion de la commission en général - que, dans ce débat de la représentativité et de la représentation que donne un mode de scrutin, le second volet que vous avez évoqué est nettement plus important que la distorsion. Ce qui n'est pas pour autant - je voudrais bien être clair - minimisé et laissé de côté, le problème de distorsion, mais c'est peut-être, je dirais, la pointe de l'iceberg et la pointe forcément visible et qui frappe. Dans l'essentiel de la démarche du rapport et dans l'élaboration d'une formule que nous avons recommandée, c'est beaucoup plus la saine représentation de l'opinion démocratique québécoise qui nous a commandés que le simple fait d'éliminer les distorsions. Je ne sais pas si ma réponse vous satisfait et est suffisamment complète.

M. Lessard: En général, ce sont les

mêmes systèmes qui produisent distorsion et mauvaise représentation.

M. Rochefort: Est-ce qu'on peut toutefois convenir ensemble que ce ne sont pas nécessairement les mêmes solutions qui corrigent le problème?

M. Lessard: D'accord là-dessus. Nous ne discutons pas des solutions, mais je vous dis qu'il est difficile de dissocier les deux problèmes. Une des choses assez claires dont je me souvienne, c'est la suivante: les gens parlent peu des distorsions; ils les mentionnent. Pour eux, c'est un problème évident. Ils parlent beaucoup plus des problèmes de mauvaise représentation, c'est-à-dire de la non-représentation des petits partis et de la non-représentation de certains groupes sociaux, parce que c'est plus complexe, moins visible et ils tiennent à mettre cela en évidence et à ce qu'on le voie. D'accord? Dans leur esprit, la distorsion semblait très souvent être tenue pour acquise. C'est une bonne raison, et on la mentionnait sans trop insister. Enfin, c'est un souvenir d'audience. Je ne veux pas faire de calcul.

M. Rochefort: Non, je n'y tiens surtout pas. M. Côté, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Côté (Pierre-F.): Non, je rejoins les opinions exprimées par mes collègues. Si vous voulez avoir une référence cependant, dans le document avec une couverture orange brûlée que vous avez en main, il y a une analyse qui a été faite à ce sujet qui ramasse bien ce qui vient d'être dit dans le sens qu'on a mentionné cela très fréquemment. Finalement, nous avons compris que c'était une évidence telle que c'était un acquis; c'était évident que les distorsions étaient un mal grave du mode actuel. Cependant, évidemment, on a soulevé une série d'autres aspects du problème auxquels il fallait remédier comme ceux de la représentation des idéologies, de la représentation des femmes ou la façon qu'ont les minorités de pouvoir s'exprimer ou non.

M. Rochefort: Seriez-vous d'avis que, si nous devions choisir de ne pas réaliser une réforme qui aurait pour effet de régler tous les problèmes que le mode de scrutin actuel comporte - parce que je crois qu'on peut s'entendre que ce mode de scrutin comporte plusieurs problèmes qui ne sont pas tous d'égale importance - que si nous pouvions apporter une solution qui réglerait l'ensemble des problèmes amenés par le mode de scrutin actuel, celui de la représentation des tendances devrait retenir la priorité par rapport à celui des distorsions qui sont créées?

M. Côté (Pierre-F.): Je me demande quel est le mode, peut-être qu'il y en a un, mais personnellement, je serais porté à croire que cela ne répondrait pas à cette grande préoccupation qui nous a été exprimée et que nous ressentons lorsqu'on entend les représentations qui nous ont été faites.

Il y a un autre point qui nous intrigue également, c'est qu'il y a le fait que cela fait maintenant depuis 1971 qu'on discute de cela et, depuis dix ou quinze ans, qu'on le trouve inscrit dans des programmes de parti et le principal argument qui a été évoqué et qui revient sans cesse a été celui de la distorsion.

M. Rochefort: Des distorsions, effectivement, mais c'est là aussi, comme je vous le disais tantôt, quand je parlais de M. Bourassa. Je crois qu'il y a des gens qui confondent les deux très souvent. Je vous donnerai un exemple qui est relié d'ailleurs à certains éléments qui ont été utilisés par la commission, notamment le slogan "Est-ce que tout le monde peut gagner ses élections?" qui faisait référence à la question: Qui fait son chemin dans la société? qui dit: La personne qui perd dans son comté n'est donc pas représentée à l'Assemblée nationale. Je pense que c'est une erreur que de prétendre une telle chose. Je pense que les électeurs qui ont voté contre moi au dernier scrutin général dans mon comté sont très bien représentés à l'Assemblée nationale, à la fois pour des questions locales, des questions qui n'ont aucune connotation partisane. Lorsque je défends l'ensemble des citoyens de mon comté pour revendiquer, par exemple, un CLSC, ce n'est pas uniquement pour les péquistes, les libéraux aussi y auront accès.

D'autre part, lorsque des questions d'orientation plus fondamentales de société, de programme de parti politique, d'idéologie partisane sont soulevées, elles sont très bien défendues, parce que le chef de l'Opposition a des droits que je n'ai pas et que je n'aurai jamais tant et aussi longtemps que je serai un député sans autre responsabilité. Les critiques officiels de l'Opposition, sur chacun des secteurs de l'activité gouvernementale, ont des droits et des privilèges que je n'ai pas. Donc, les citoyens qui ont voté libéral dans le comté de Gouin, le 13 avril 1981, sont très bien représentés. Oui, d'ailleurs, M. le député de Westmount, M. Richard French, est venu faire du porte-à-porte dans mon comté aux dernières élections. Peut-être qu'un jour cela aura plus de succès. (21 heures)

Farce à part, il est faux de dire que ces gens-là ne sont pas représentés, que ces gens sont mal représentés sur le parquet de l'Assemblée nationale. Ils ont une représentation. Quand le chef de l'Opposition ou le critique officiel de l'Opposition en

matière de santé ou de transport se lève sur une question, il se lève pour, au fond, exprimer l'opinion de tous ceux et de toutes celles qui sont de tendance libérale dans la société et souvent, aussi, l'opinion des citoyens d'une région, non pas uniquement l'opinion des citoyens de son comté. De la même façon, lorsque le premier ministre se lève en Chambre il parle au nom de tous les Québécois et il représente les orientations, les affinités, les attentes, les aspirations de tous ceux et de toutes celles qui ont voté Parti québécois à l'élection précédente et non seulement de ceux qui ont voté du bon bord dans les comtés où nous avons gagné. C'est là que je dis qu'il faut être bien certain qu'on se retrouve dans tout cela.

D'ailleurs, je ne sais pas si vous vous rappelez, M. Côté, mais l'une des premières occasions que nous avions eues de discuter de ces questions, je crois que c'est lorsque vous êtes venu rencontrer notre caucus, comme vous l'aviez fait pour l'aile parlementaire libérale, pour présenter un peu la démarche que vous amorciez. Une des choses que j'avais soulevées à ce moment c'était que, au minimum, si on pouvait clarifier tout ce que le vocabulaire veut dire et ne veut pas dire dans ce dossier, déjà cela me semblerait être une contribution considérable par rapport au dossier qui est actuellement en discussion à cette table, comme vous le dites d'ailleurs, depuis plus d'une dizaine d'années. Donc, il n'est pas vrai que distorsion égale sous-représentation ou non-représentation de l'ensemble ou de certaines tendances idéologiques de notre société. Ce sont deux choses différentes et il faut, quant à moi, qu'on les traite différemment, qu'on les traite séparément, sinon cela donne des résultats comme ceux que, malheureusement, on connaît encore aujourd'hui. Les gens nous parlent de distorsion alors qu'au fond ce qu'ils reprochent...

Prenons, par exemple, un cas précis. Les Québécois sont-ils vraiment outrés que l'Union Nationale n'ait pas eu - elle a eu 4% du vote lors de la dernière élection générale - 4% de l'ensemble des députés pour l'Union Nationale, ou le fait qu'aucun député de l'Union Nationale ne soit là n'est-il pas plus grave que le fait qu'il n'y ait pas eu une représentation totalement proportionnelle aux voix qu'elle avait reçues? Je crois qu'est bien plus importante et bien plus grave l'absence de représentation d'au moins un député pour faire écho, pour être le porte-parole de tous ceux et de toutes celles qui ont voté pour ce parti à la dernière élection plutôt que l'idée d'éliminer totalement la distorsion. C'est vrai pour les nouvelles formations politiques qu'on voit poindre de plus en plus dans notre société: les écologistes, les verts, peut-être un jour le mouvement socialiste et tout cela. C'est là que je trouve important qu'on règle des choses quant aux problèmes qu'on identifie et quant aux solutions qu'on identifie et qu'on s'assure, lorsqu'on prend une expression ou qu'on parle d'un terme, qu'on veut bien dire tous la même chose et qu'on veut surtout dire ce que cela veut dire dans les faits. Il faut éviter la confusion dans le vocabulaire. Il n'est pas vrai que tout le monde - ce n'est pas vrai pour moi ni pour beaucoup ici - a fait douze années de sciences politiques et peut se retrouver facilement. Il faut qu'on soit clair, qu'on soit précis. Cela peut orienter les travaux qui suivront ceux auxquels votre commission s'est adonnée quant aux solutions qui devront être recherchées, quant aux solutions qui devront être retenues et qui devront être implantées lors du prochain scrutin ou de tout autre scrutin qui suivra.

M. Côté (Pierre-F.): Vous me permettez un commentaire, monsieur?

M. Rochefort: Oui.

M. Côté (Pierre-F.): Je trouve que vous placez le problème qu'on est en train d'étudier d'une façon très juste. Vous l'exprimez d'une autre façon qu'on a pu le faire. Mais je trouve que vous touchez au fond du problème. Quand vous vous demandez s'il n'est pas vrai de dire que des personnes sont non représentées ou sous-représentées, on peut se poser la question d'une autre façon aussi. En somme, quel est l'objet d'un mode de scrutin? D'élire des personnes qui vont agir à la place des électeurs pour gouverner et diriger. La question qu'on se pose est à savoir si le mode qu'on a est le meilleur des modes pour assurer la plus juste ou la plus équitable représentation. Est-ce que les gens sont mieux représentés? Est-ce que la volonté des électeurs est mieux exprimée ou se manifeste mieux, est plus équitable selon tel ou tel mode de scrutin?

M. Rochefort: J'ai le goût de dire qu'on n'est pas complètement d'accord, mais je vais aller un peu plus loin. Je crois que j'ai développé ce raisonnement lorsque je me suis présenté devant vous à Montréal. Quand vous dites: Est-ce que les voix seront représentées le plus équitablement possible en termes de sièges de députés de chacune des formations à l'Assemblée nationale, je vous répète que je ne suis pas convaincu que c'est nécessairement un objectif que nous devons viser dans un régime parlementaire de type britannique. Je crois que dans un régime parlementaire de type britannique, le nombre importe peu. Dès le moment où le gouvernement a une majorité plus un des sièges, le gouvernement peut imposer ses vues sur tout, en tout temps, tout au cours de son mandat, que cela aille bien ou pas

pour lui politiquement. L'inverse est vrai. Que l'Opposition soit très forte en nombre de sièges ou pas très forte en nombre de sièges, cela altère rarement la qualité du travail qui est fait par l'Opposition à l'Assemblée nationale.

Cela dit, que des tendances dans la société ne soient pas représentées du tout à l'Assemblée nationale, il y a là un problème véritable qui, quant à moi, devrait retenir la priorité dans l'ordre des problèmes qu'on veut solutionner. C'est d'ailleurs pour cela -en tout cas, on y reviendra peut-être un peu plus loin - que je m'interroge et que j'ai hâte de vous entendre là-dessus. J'ai cherché dans le document du professeur Bernard et je ne l'ai pas trouvé, j'ai hâte de voir quels sont les régimes parlementaires de type britannique qui sont dotés d'un mode de scrutin à la proportionnelle. Je pense qu'il y a peut-être une piste là. Que voulons-nous y faire? Actuellement, il y a combien - je ne sais pas, 48 ou 49 députés chez vous?

M. Côté (Charlesbourg): Bientôt 49. Là, c'est 48, mais bientôt 49.

M. Rochefort: 48 et cela va s'arrêter là, malheureusement. Donc, il y a 48 députés libéraux. Je pense que pour quelques minutes, en tout cas, on peut mettre la partisanerie de côté. Est-ce qu'on peut dire que ces 48 députés font un meilleur ou un moins bon travail que six députés de 1973 à 1976? Est-ce qu'on peut dire qu'ils font la vie plus dure ou moins dure au gouvernement en place et qu'ils assument moins bien leurs responsabilités de contrôle de l'Exécutif? Évidemment, cela pose des problèmes humains considérables. On s'entendra là-dessus. Quand je regarde nos six députés qui ont tenu le fort de 1973 à 1976, leur passage à l'Assemblée nationale à six dans l'Opposition a laissé des traces sur eux de toute évidence, physiquement, mais je ne pense pas que cela ait changé quelque chose quant au travail et quant à la représentation de l'ensemble des électeurs dans tout le Québec qui avaient voté pour l'Opposition ou qui avaient voté pour le gouvernement.

M. Bourassa: Si vous me le permettez, je comprends assez difficilement la distinction que vous faites entre la nécessité de bien représenter les diverses tendances, ce qui vous paraît absolument capital, et la qualité du régime parlementaire. Vous nous citez divers cas où quels que soient les chiffres de l'Opposition ou du parti au pouvoir, le système a ses règles et fonctionne de façon fort claire, mais est-ce qu'on peut vraiment séparer - en tout cas, dans nos travaux, cela nous a préoccupé -ces réflexions ou cet intérêt pour le fonctionnement du régime parlementaire de la qualité des deux tendances principales, des deux ou trois grands partis qui en sont les animateurs, si l'on veut? C'est plus qu'une question de mathématiques. Si, par un meilleur système ou un meilleur mode de scrutin on arrive, soit du côté de l'Opposition, qu'elle soit plus ou moins faible, ou du côté du pouvoir, qu'il soit plus ou moins fort, dans un régime parlementaire si donc par un meilleur mode de scrutin on arrive à mieux représenter l'ensemble des tendances, c'est le fonctionnement interne -et là, je pense que vous vous connaissez beaucoup mieux que moi en la matière -c'est le parti lui-même qui est affecté et c'est aussi le fonctionnement de l'ensemble du système politique qui est affecté. Je pense qu'à ce moment-là les partis se trouvent, me semble-t-il, enfin c'est une hypothèse que je me permets de faire - eux-mêmes en état de réagir à diverses pressions au meilleur sens du terme. Et quand, ensuite, ils abordent le travail strictement parlementaire dans la tradition britannique qui est la nôtre, ils peuvent tenir compte d'un certain nombre de données qu'on laisse présentement assez rapidement de côté.

Pour ma part, il me semble que les deux éléments doivent être réunis, mais il y a bien sûr matière à débat. Je ne vois pas de position - la question que vous avez soulevée est très intéressante - à savoir combien il y a de régimes parlementaires de type britannique où il y a la proportionnelle ou un système semblable...

Une voix: Il y a l'Irlande.

M. Bourassa: II y a l'Irlande, me dit-on, bon.

M. Rochefort: C'est le seul. D'ailleurs, avec un mode proportionnel qui est particulier en soi, je pense qu'il faut le reconnaître.

M. Bourassa: Oui, et ensuite...

M. Rochefort: D'ailleurs, vous me direz probablement qu'ils sont tous particuliers.

M. Bourassa: Tout ce que je veux dire sur cela, c'est qu'on parle du régime parlementaire de type britannique comme d'un monument et c'en est un, mais je voudrais bien aussi qu'on s'entende pour savoir de quoi on parle aujourd'hui quand on parle de ce régime-là. Finalement, il a été adapté à des situations tellement variées que je ne sais plus si on parle toujours de la même chose, quand on parle du régime britannique dans des cas aussi nombreux. Enfin, il y a matière à innovation, je pense.

Ce que je voulais aussi dire, si vous me permettez...

M. Rochefort: Ah! sûrement qu'il y a

matière à innovationl Je pense que les vues du député de Trois-Rivières, telles qu'il les a exprimées aujourd'hui, de même que les miennes, telles que je vous les ai exprimées à la commission, sont claires. Je pense qu'il faut plutôt évoluer du côté d'un régime de type présidentiel où, d'ailleurs, on distinguerait l'élection d'un gouvernement de l'élection d'un Parlement. C'est clair dans mon esprit, mais je n'ai pas compris que c'était nécessairement le mandat qui vous avait été confié.

M. Bourassa: Non.

M. Rochefort: Mais je pense qu'effectivement, en tout cas quant à moi, il faut probablement distinguer la question des distorsions, donc de l'équité entre les votes et la représentation en nombre de sièges à l'Assemblée, de l'absence de représentation ou de la sous-représentation chronique de l'ensemble des tendances idéologiques dans notre société. On aura l'occasion d'y venir un peu plus loin puisque le président me souligne qu'il faudrait que je conclue, ce que je vais faire. Par exemple, si notre préoccupation, notre obsession est de corriger des distorsions, effectivement, je pense qu'il faut aller du côté d'une formule ou d'une autre, mais qui est de type ou de caractère proportionnel.

Par contre, si notre préoccupation principale est d'assurer une meilleure représentation des tendances idéologiques à l'Assemblée nationale, je pense, par exemple, qu'on peut regarder cela plus sérieusement peut-être qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant. Quand je dis "qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant", cela ne s'adresse pas à vous trois; cela s'adresse à tous ceux, au Québec, qui se sont penchés sur les questions de mode de scrutin. Je pense qu'il faut regarder plus sérieusement le mode de scrutin à deux tours, qu'on retrouve en France et qui ouvre beaucoup plus la place aux tendances idéologiques, que d'avoir pour objectif de corriger des distorsions.

Je ne tire pas de conclusion maintenant, même si vous les connaissez, puisque vous avez eu l'occasion de m'entendre là-dessus. Mais, effectivement, je pense qu'il faut les regarder distinctement. Peut-être qu'on prétendra qu'un corrige les deux problèmes, soit celui de la proportionnelle, mais il faut voir lequel des deux on veut régler le plus rapidement possible. C'est pourquoi je dis que les deux problèmes peuvent être regardés séparément, parce qu'ils peuvent amener les gens à apporter des solutions différentes selon ce qu'ils veulent corriger en priorité.

M. Bourassa: C'est notre opinion. La proposition que nous avons faite corrige mieux les problèmes que vous soulevez que le scrutin majoritaire à deux tours.

M. Rochefort: On va rediscuter de cela.

M. Bourassa: C'est sûrement un sujet à débat. Je voudrais aussi ajouter tout simplement qu'il n'y a pas, puisque vous l'avez soulevé, me semble-t-il, d'opposition radicale et absolument naturelle entre l'introduction d'un mode de scrutin proportionnel et le régime parlementaire.

M. Rochefort: Non, je ne prétendais pas qu'il y a opposition entre les deux. Ce que je dis, c'est qu'un régime parlementaire de type britannique ne commande pas, dans son fonctionnement quotidien, la nécessité qu'il y ait une juste proportion entre le nombre de voix obtenues par un parti politique et le nombre de sièges que chacun des partis détient sur le parquet. Je le répète: Dès qu'on a un siège de majorité et dès qu'on a un siège en moins que le parti majoritaire, c'est fini pour cinq ans. On sera le gouvernement et on pourra imposer tout ce qu'on voudra si on a l'appui de la majorité ministérielle. Dans l'Opposition, on aura beau plaider pour quoi que ce soit, on ne pourra jamais triompher à moins d'avoir convaincu la majorité.

Le Président (M. Rivest): Merci, M. le député de Gouin. M. le député de Louis-Hébert. (21 h 15)

M. Doyon: Merci, M. le Président. La commission après avoir fait le tour du Québec et procédé à l'audition de personnes, de groupes ou d'organismes qui ont donné leur opinion sur ce qu'ils pensaient d'une réforme du mode de scrutin... Mon collègue de Charlevoix a eu l'occasion de souligner le fait que nous avions un certain nombre de doutes sur la spontanéité - c'est le moins qu'on puisse dire - de certaines interventions où il nous paraissait évident qu'il y avait eu des invitations de nature plus pressante vers certains groupes plutôt que vers certains autres et que, de cette façon, on pouvait assez facilement - c'est facile à comprendre - obtenir des réactions qui étaient plus de nature à aller dans un sens que dans un autre.

Nous pourrions, au besoin, faire la preuve de ces dispositions ou de ces invitations un peu spéciales. Nous pourrions établir...

M. Rochefort: Je veux juste être certain que j'ai bien entendu ce que le député de Louis-Hébert vient de dire. Est-ce que vous avez bien dit qu'au besoin vous pourriez faire la preuve de ce que vous avancez?

M. Doyon: Quand nous serons rendus là,

oui, M. le Président.

M. Rochefort: Mais vous ne jugerez pas du besoin. Si vous nous offrez le besoin, on en jugera. Sinon, dites-nous...

M. Doyon: J'ai laissé le député de Gouin procéder, alors qu'il a parlé pendant une demi-heure et je demande à obtenir le même droit qui lui a été accordé.

Une voix: Mais vous portez des accusations.

M. Rochefort: On en prend bonne note.

M. Doyon: Pour continuer ce que je disais, la commission a donc procédé à une tournée d'un certain nombre de pays européens de façon à obtenir, de la part de spécialistes, j'imagine, des points de vue qui pouvaient être de nature à éclairer la commission.

Cependant, à l'examen des dates et du rapport du voyage qui nous a été soumis récemment, on doit se rendre compte que des pays ont été plus intéressants que d'autres d'après ce qu'on peut voir du rapport et du temps qui y a été consacré. Je vous soulignerai par exemple qu'en ce qui concerne la République fédérale allemande, la commission a jugé bon d'y consacrer huit jours sur un voyage de 19 jours. La commission a donc passé huit jours à aller d'un endroit à l'autre. On a ici la liste des villes visitées et on voit que les représentants de la commission - je pense que le président M. Côté était là - sont allés à Francfort le 8 janvier, à Bonn le 9, ont passé les 10 et 11 janvier à Wiesbaden, ont été le 12 janvier à Munich et le 13 janvier à Berlin et ont terminé leur voyage en République fédérale allemande le 16 janvier à Hambourg. Par contre, on s'aperçoit qu'à l'intérieur du mandat qui était celui de la commission, c'est-à-dire d'étudier les avantages et les inconvénients du système, donc de regarder comment le système fonctionnait en réalité, la commission a passé une journée seulement en Grande-Bretagne et a consacré seulement douze pages à analyser le résultat de ses consultations en Angleterre alors qu'elle consacre 63 pages à analyser le résultat de ses consultations en République fédérale allemande. J'aimerais savoir de M. Côté comment s'est fait - pour qu'on puisse accorder une certaine crédibilité au rapport du voyage en Europe - le choix des pays.

Bien sûr, selon qu'on décide d'aller dans tel pays ou dans tel autre, selon qu'on décide d'y passer un temps plus ou moins long, selon qu'on décide de faire état ou pas d'un certain nombre de rencontres qu'on a eues et aussi, selon qu'on décide de rencontrer telle ou telle personne, c'est de nature à donner sûrement une coloration au rapport à telle enseigne que je n'hésiterais pas à affirmer qu'un tel voyage pourrait donner des résultats totalement contraires selon la thèse qu'on veut prouver.

On peut obtenir d'un voyage d'une vingtaine de jours en Europe des preuves, des appuis de toute nature qui appuieraient quelque thèse que ce soit. Or, il arrive que dans le rapport qui nous est présenté on se retrouve devant la situation où le système qu'on qualifie parfois avec un grain d'accent péjoratif, le système anglais, le système britannique, on a passé très rapidement là-bas et cela ressemble un peu à ce qu'on déplore aussi dans certaines autres consultations qui ont eu lieu. J'aimerais savoir de M. Côté comment s'est fait le choix des pays qui ont été visités. Comment avez-vous procédé pour décider qui rencontrer? Pourquoi telle personne plutôt que telle autre et pourquoi tel pays plutôt que tel autre? Ne trouvez-vous pas qu'il y a une disproportion entre le temps consacré, par exemple, à l'Angleterre, qui est reconnue comme étant la mère des démocraties, qui a fonctionné avec ce système et qui n'a eu droit, finalement, qu'à une seule journée de toute votre tournée, une seule journée sur 19? Trouvez-vous cela équitable? Trouvez-vous que cela fait le poids quand on sait que la moitié de votre mandat, selon ce qui a été voté par l'Assemblée nationale, c'était de regarder les inconvénients et les avantages du système actuel, du système qu'on appelle anglais, et que, dans un voyage de 19 jours, vous ne consacriez qu'une seule journée à rencontrer des personnes? Il faudra voir qui vous avez rencontré en Angleterre.

M. Côté (Pierre-F.): Je suis un peu surpris, M. le député, de la forme que prend votre question. Je tiens à le préciser et je tiens à attirer l'attention de la présidence là-dessus, parce que si ce en quoi consiste la participation à une commission parlementaire c'est de nous prêter des intentions et de ne pas regarder les faits constamment, je ne sais trop comment nous devons répondre ou réagir. Ce n'est pas la première fois qu'on me prête ou nous prête un certain nombre d'intentions. J'ai dit tout à l'heure qu'on ne prêtait qu'aux riches, j'ai l'impression que nous devons l'être énormément, parce qu'on nous en prête plusieurs.

Cependant, pour répondre de façon plus précise à votre question, je veux vous dire que la décision que la commission a prise que j'accomplisse cette mission en Europe a été prise à la toute dernière minute. Nous avons jugé à-propos de procéder de cette façon, à savoir que je me rende en Europe pour essayer d'avoir l'échantillonnage le plus représentatif possible de divers systèmes. Les pays visités ont été sélectionnés en fonction du mode qu'ils utilisent pour permettre à la

commission d'obtenir cet échantillon. J'aurais évidemment aimé pouvoir en visiter un plus grand nombre. J'aurais évidemment aimé pouvoir rester six et sept jours dans chacun des pays. Si vous regardez le périple, je dois vous avouer que le voyage que j'ai fait, je ne le souhaite pas à beaucoup de gens à cause du très grand nombre de personnes que j'ai rencontrées - je crois avoir rencontré les meilleurs spécialistes dans chacun des pays -et à la vitesse avec laquelle j'ai pu le faire étant donné le court laps de temps dont je disposais.

En ce qui concerne le séjour en Angleterre, je suis passablement surpris de la façon dont vous posez votre question, parce que le mode de scrutin anglais ou britannique, si vous préférez, est le même que le nôtre. Ce que j'ai surtout appris en Grande-Bretagne et ce qui n'est pas rapporté malheureusement dans le rapport qui vous a été soumis à cause d'une difficulté technique... La difficulté technique était la suivante. Je me suis efforcé, avec la permission des personnes que j'ai rencontrées, d'enregistrer les conversations pour ne pas avoir à prendre des notes constamment. Or, malheureusement, quand j'ai rencontré cette personne en Angleterre - on va me donner la référence, la page - mon appareil n'a pas fonctionné. J'ai rencontré - je tiens à le souligner; je l'ai rencontré avec beaucoup de plaisir; je le connais bien - un des plus grands pséphologues au monde; ce néologisme veut dire un spécialiste en droit électoral. C'est lui qui a inventé ce terme. Il s'agit de M. David Butler qui a une réputation qui dépasse largement l'Université d'Oxford où il est professeur.

J'ai également rencontré un député du Parti libéral. J'essaie de retrouver son nom, parce que je l'ai. Je voudrais vous préciser ce qui m'a frappé dans l'entrevue que j'ai eue avec cette personne, une entrevue qui a été assez longue cependant. Ah oui! Voici. J'ai rencontré MM. Holme et Newby. Si je me souviens, c'est la bonne façon de prononcer. M. Holme, ce qui a été intéressant en particulier lors de cette rencontre, ce n'était pas qu'il m'explique le mode de scrutin anglais, c'était qu'il me fasse part - et j'ai rapporté une documentation intéressante à ce sujet - du fort mouvement qui existe actuellement en Angleterre afin d'essayer de modifier le mode de scrutin britannique. Parce que, vous le savez, si mes souvenirs sont exacts, le premier ministre actuel a remporté le pouvoir avec 44,5% des suffrages et dispose de 145 sièges de majorité.

Il y a actuellement en Angleterre une campagne qui s'appelle "The Campaign for Fair Vote" dont M. Holme est le responsable. En fait, il est le directeur de cette campagne. M. Newby - j'ai dit tout à l'heure qu'il était du Parti libéral. Il est du Parti social-démocrate - m'a fait part de ses préoccupations également au sujet du mode de scrutin qu'on retrouve en Angleterre. Mais j'emploierais une expression - et remarquez que j'aurais trouvé très agréable de séjourner plus longtemps à Londres. Dieu sait si c'est une ville qui est agréable mais, faute de temps, je n'ai pu le faire plus longuement. Ce pourquoi je n'ai pas approfondi davantage le mode de scrutin britannique c'est que nous avons exactement le même chez nous. En y restant plus longtemps, j'aurais eu l'impression de dépenser de l'argent à d'autres fins qu'à l'étude parce que j'aurais peut-être trouvé je ne sais trop quoi de différent d'ici puisqu'on a le même mode de scrutin.

Par ailleurs, j'ai passé quelques jours en Irlande. Je ne vous cache pas que ce séjour m'a particulièrement frappé. Je vous avoue bien franchement que, si ce n'était de la difficulté que présentent le compte des bulletins et la façon dont se calculent les bulletins, dont se fait le vote en Irlande, c'est un mode de scrutin que je trouverais très intéressant.

Quant aux autres pays, vous dites que j'ai séjourné longuement en Allemagne. C'est vrai parce que j'avais la possibilité d'y rencontrer et j'y ai rencontré vraiment les meilleurs spécialistes possible. Vous le voyez par la liste des gens que j'ai rencontrés surtout pour essayer de voir comment se marient - c'est un des seuls pays au monde où cela se retrouve - le mode de scrutin majoritaire et uninominal à un tour et le mode proportionnel. En Allemagne, on retrouve un mode de scrutin qui est assez unique. Là encore, c'est une tentation qui m'est passée par l'esprit à savoir qu'on devrait peut-être suggérer d'adopter le mode de scrutin tel qu'on le retrouve en Allemagne. L'inconvénient majeur qu'il présente c'est qu'il faudrait doubler le nombre de députés si on l'appliquait au Québec.

La plus grande conclusion que j'ai retirée ou une des conclusions les plus définitives que j'ai retirées de cette mission c'est que dans chacun des pays que j'ai visités - évidemment, ceci s'applique aussi dans chacun des pays qu'on a pu étudier au bureau - chaque mode de scrutin est particulier aux exigences et à la situation politiques, sociales, économiques de ces pays. Il y a très peu de pays où l'on retrouve un mode de scrutin de type proportionnel qui soit absolument identique d'un pays à l'autre. Il y a toujours un certain nombre de circonstances assez particulières qui ont amené des pays à adopter tel ou tel mode de scrutin. Par exemple, vous savez qu'en Allemagne cela a été imposé par les Américains immédiatement après la dernière Grande Guerre.

Je ne sais pas si cela répond

suffisamment à votre question mais c'est la réflexion que je peux vous livrer concernant cette mission.

Le Président (M. Rivest): M. le député. (21 h 30)

M. Doyon: M. le Président, M. Côté nous explique les raisons de son voyage là-bas. Je souligne en passant qu'on retrouve dans son rapport de voyage le même traitement aussi rapide du système qui est le nôtre, le système uninominal un tour majoritaire, qu'on retrouve de son rapport. Quand il rencontre pendant quelques heures des gens en Angleterre qui vivent depuis des centaines d'années avec ce système... Il y aurait sûrement - il faudrait en convenir assez facilement - quand même un certain nombre d'avantages à ce système pour qu'une démocratie comme la démocratie britannique ait pu survivre et ait pu prospérer avec ce système pendant des centaines d'années.

Pendant une seule journée, vous vous arrêtez en Angleterre et les seules personnes que vous réussissez à voir, ce sont des gens qui sont à la tête d'un mouvement pour dénoncer ce système, pour en promouvoir le changement, l'abolition, ou l'établissement d'un système autre, soit de nature proportionnelle ou autre. Je me dis que quand même, à sa face même, comment peut-on raisonnablement défendre une visite en Angleterre? Finalement, on ne trouve le tour de voir que des personnes qui ne sont pas satisfaites du système. Est-ce qu'on doit en conclure... Le rapport lui-même peut être trompeur là-dessus. Si c'est le cas, peut-être pourriez-vous l'établir. Je parle de l'Angleterre parce que c'est le cas dont on discute. Il semblerait, à la lecture du rapport que vous soumettez, que tout le monde en Angleterre, que les gens que vous avez rencontrés, que vous avez pensé valoir la peine de rencontrer étaient des gens qui mettaient de l'avant l'abolition du système ou son changement. Est-ce que vous n'auriez pas pu trouver quelque part en Angleterre quelqu'un qui aurait pu établir que quand même ce système, que je conçois que vous n'acceptiez pas d'emblée, qui a des défauts, révélait un certain nombre de qualités et que, de la même façon que les gens que vous avez rencontrés ont fait valoir qu'il n'était pas satisfaisant, un certain nombre d'autres personnes parmi les gens que compte l'Angleterre, de nos jours, auraient pu vous faire valoir un point de vue probablement opposé et dont vous auriez pu faire rapport?

Est-ce que cela n'aurait pas été possible? Et est-ce que n'aurait pas été possible aussi le fait que dans vos voyages, vos pérégrinations, vous vous intéressiez à ce qui se passe dans cette grande démocratie qui est au Sud de chez nous et qui s'appelle les États-Unis et qui vivent assez confortablement, merci, d'un système qui semble les satisfaire et qu'il vaudrait peut-être la peine qu'on aille en parler à des gens de là-bas qui font fonctionner de façon satisfaisante, d'une façon acceptable un système qui permet d'élire un gouvernement qui finalement fonctionne? Est-ce que le gouvernement du Canada ne dispose pas quelque part, parmi ses fonctionnaires, parmi les gens qui s'intéressent à la chose publique, de personnes qui croient que le système qui est le nôtre actuellement, avec ses imperfections, qui sont inévitables à tout système, à tout mode de scrutin, qui auraient pu vous faire valoir, si vous aviez voulu vous rendre, par exemple, à Ottawa... Je comprends que cela n'a pas le "glamour" d'aller à Londres, cela n'a pas le "glamour" d'aller à Francfort, cela n'a pas le "glamour" d'aller à Hambourg. Mais Ottawa est un centre important de décisions de nature politique au Canada et il s'y passe des choses. La même chose à Toronto. N'est-il pas possible de s'intéresser à ce qui se passe à Washington? Pourquoi toujours devoir traverser l'océan pour trouver des réponses à des problèmes qui sont des problèmes qui nous sont propres?

Est-ce que les voyages qui sont, admettons-le, utiles, parfois nécessaires ne devraient pas justement être mieux répartis de façon qu'une fois qu'on est sur place, on entende toutes sortes de sons de cloche, pas seulement des sons de cloche qui sont en accord avec une façon de voir les choses qui ont déjà été entendues quelque part lors de la tournée en province, mais aussi d'entendre des personnes qui vivent avec un système qui est le nôtre? Ou encore d'aller entendre à Washington, d'aller entendre aux États-Unis, d'aller entendre quelque part dans les provinces canadiennes des sons de cloche qui auraient pu être discordants par rapport à la thèse que vous proposez, mais qui auraient pu permettre à cette commission de mieux apprécier les choses?

Personnellement, j'aurais été plus rassuré de voir un voyage qui aurait été plus éclectique et qui aurait permis à cette commission d'avoir des sons de cloche de nature diverse, non pas simplement des sons de cloche critiques et dévastateurs vis-à-vis du système uninominal à un tour; des sons de cloche qui auraient pu dire: C'est vrai que... mais d'un autre côté, ce système a un certain nombre d'avantages, et les voici. À la lecture du rapport que vous nous soumettez sur votre voyage, doit-on conclure que, finalement, il y a peu ou pas d'avantages au système qui est le nôtre? Cela serait totalement inexplicable en considérant que les plus grandes démocraties du monde réussissent à se gouverner et à prospérer avec ce système.

M. Côté (Pierre-F.): Je vais passer la parole à M. Bourassa. J'aimerais apporter

seulement quelques précisions, M. le député. Je vous signale qu'en Angleterre, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, j'avais quand même rencontré M. David Butler, qui n'est pas le premier défenseur d'un mode de scrutin proportionnel, d'aucune façon. C'est le plus grand défenseur qu'on puisse trouver du mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Je vous ai signalé que j'ai eu l'occasion de le renconter à Londres.

D'autre part, vous avez fait référence aux États-Unis. Peut-être que vous l'ignorez, mais depuis quelques années déjà, je fais partie d'une association américaine qui regroupe ce qui est l'équivalent ici, au Canada, des directeurs des élections, pour tous les États américains. La prochaine réunion aura lieu au mois de décembre à Seattle. Je me propose d'y être présent, parce que cela fait plusieurs années que j'en suis membre, et je commence à être passablement au courant du système ou du mode électoral américain. Je cherche le nom exact de cette association, c'est le Government Council of Ethic Laws, si je ne me trompe pas dans la désignation, mais j'essaie de la retrouver de façon très précise. En ce qui concerne Ottawa, il va de soi - vous le savez peut-être ou je vous l'apprend si vous ne le savez pas - que j'entretiens des relations constantes et suivies avec le Directeur général des élections, M. Hamel. Nous discutons constamment, parce que, là encore, je fais partie d'un groupement qui se réunit tous les étés et qui regroupe les onze Directeurs généraux des élections qu'il y a au Canada, et nous dialoguons évidemment. Comme, au Canada, c'est le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour, il va sans dire que nos dialogues portent sur ce domaine.

Le Président (M. Rivest): M. Bourassa.

M. Bourassa: Oui, deux brèves remarques préliminaires et peut-être une troisième qui me paraît plus importante à la suite de ce que vient de dire le président de la commission. Je pense qu'il est important de souligner que M. David Butler est, de fait, un des grands spécialistes occidentaux en questions électorales touchant les modes de scrutin et que c'est sûrement un ardent défenseur du mode de scrutin uninominal à un tour. Il a signé, dans un livre paru récemment sous la direction de Jacques Cadart, un article où il fait état d'une profonde réflexion qui est en cours et de la nécessité sans doute d'approfondir les modifications à un tel mode de scrutin. Donc, nous avions une piste, je pense, intéressante et, je crois, axée sur l'un des plus grands noms dans ce domaine. Je pense aussi qu'en ce qui concerne ces études britanniques, il faut bien comprendre que le rapport de cette commission a été appuyé par des travaux faits au cours des années antérieures où déjà on avait - je ne veux pas faire l'historique de tout cela, mais je pense que vous le savez encore mieux que moi -passablement examiné les données touchant le mode de scrutin que nous avons hérité de la tradition britannique.

Quant au système américain, M. Côté a aussi soulevé un certain nombre d'aspects pour montrer qu'il y avait des liens, mais je pense aussi que vous conviendrez aisément que c'était soulever beaucoup de problèmes qui étaient peut-être aussi un peu hors de notre mandat. Bien sûr, il y a un système bipartisan aux États-Unis, uninominal à un tour, mais il y a aussi le régime présidentiel. Je pense que dans le laps de temps dont nous disposions et avec l'information que nous avions déjà, il était pratiquement impossible de faire un travail sérieux où on aurait pu isoler strictement le mode de scrutin et le régime bipartisan d'un régime présidentiel. On risquait fort - je pense qu'aujourd'hui on nous le reprocherait à juste titre - d'oublier qu'il y avait aussi au sud une tout autre forme de gouvernement qui n'est en rien comparable à la nôtre. Je pense que cet aspect, on ne peut guère le négliger.

Ma troisième remarque touche à des aspects que vous avez soulevés dans le rapport, à une ou deux remarques que vous avez faites à propos du rapport et qui m'affectent et me touchent assez directement. Vous dites: D'une part, vous n'acceptiez pas d'emblée le mode de scrutin uninominal à un tour. Je me permettrai de vous répéter - pour moi, c'est une conviction profonde - que ce n'est aucunement le cas. Nous n'étions point au départ, je vous prie de le croire, ni d'emblée pour ni d'emblée contre. Nous cherchions, après le mandat qui nous avait été confié, à consulter la population, à l'informer, à obtenir des points de vue, à faire des études, à réfléchir, mais je pense qu'il serait erroné, pour donner l'allure générale du travail que nous avons fait, de poser au départ que nous n'acceptions pas d'emblée ce mode de scrutin.

Finalement, pour ce qui est de ce mode de scrutin uninominal à un tour, dans le rapport que nous avons déposé, je pense qu'il est un peu trop bref de dire que nous n'y consacrons qu'un ou deux paragraphes, qu'une ou deux pages. Il serait facile de démontrer qu'il y en a facilement une bonne douzaine au chapitre III, au chapitre IV. Le chapitre III, qui porte sur le mode de scrutin actuel pour moitié, le chapitre IV quand on examine les caractéristiques québécoises, ce qui nous amène à réfléchir justement au mode de scrutin actuel par rapport à ces caractéristiques, et tout le chapitre II de ce rapport sur les principaux thèmes rattachés à l'étude des modes de scrutin, sont autant de

lignes de force qui ont commandé notre réflexion sur le mode de scrutin actuel.

Cela a déjà été dit - mais je me permets personnellement de le répéter - en filigrane dans tout ce rapport, la réflexion sur le mode de scrutin actuel est absolument essentielle. Cela aurait été tomber complètement dans l'angélisme que de croire que nous pouvions réfléchir en dehors de cette réalité. Donc, il y a au moins dans ce rapport finalement un très grand nombre de pages - je ne veux pas les quantifier - mais quelque deux ou trois dizaines de pages qui touchent directement à notre mode de scrutin actuel et qui sont une réflexion sur ce mode. Bien sûr, si on ne s'attache qu'à la page 90 où l'on dit qu'on ne l'accepte pas, cela présente une image brève de notre analyse.

M. Lessard: Je voudrais ajouter une remarque à la fin de ceci. Le souvenir le plus clair que je garde de notre orientation vers la proportionnelle territoriale, c'est le suivant: dès la première audience à Québec, nous nous sommes réunis ensuite pour dialoguer. Par la suite, après presque toutes les audiences nous l'avons fait. Je regrette que cela n'ait pas été enregistré. Si vous pouviez écouter cela, vous verriez que nous avons inventé des modes de scrutin assez particuliers à certains moments en réaction aux propos qui nous avaient été tenus dans la journée.

C'est à la fin de ce cheminement, avec des retours et des recommencements, que nous sommes arrivés à formuler cette proposition qui, d'ailleurs - il faut le rappeler - est une proposition en faveur de la proportionnelle avec certains types de divisions territoriales, mais avec toute une série de suggestions que nous appelons des préférences quant aux modes particuliers d'implantation. Ceci est bien la conséquence de notre cheminement, qui n'est pas un cheminement de certitude, mais un cheminement de recherche. Malheureusement je ne peux pas vous donner d'enregistrement, mais je vous rapporte ce que nous avons vécu et qui me semble caractériser le mieux notre cheminement.

Le Président (M. Rivest): M. le député de Deux-Montagnes et, par la suite, j'ai la demande du député de Westmount.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je voudrais faire quelques observations. En premier lieu, je voudrais demander au président, M. Côté, de nous épeler s'il vous plaît ce néologisme qu'il a utilisé non seulement pour satisfaire ma curiosité, mais aussi celle des rédacteurs du journal des Débats. Comment cela s'écrit-il?

M. Côté (Pierre-F.): À la page 23 du rapport, on a essayé de l'écrire à la française. Je me rappelle que M. Butler l'avait écrit plutôt à l'anglaise. C'est...

M. de Bellefeuille: Un pséphologue?

M. Côté (Pierre-F.): Un pséphologue.

M. de Bellefeuille: P-s-é-p-h-o-l-o-g-u-e. Bon!

M. Côté (Pierre-F.): Cela vient de deux mots grecs, logos, la science, et psepha, si je ne me trompe, c'est le scrutin ou... Psepha, c'est quoi?

M. de Bellefeuille: Psepha, c'est le vote.

M. Côté (Pierre-F.): Le vote. Alors, c'est la science du vote. (21 h 45)

M. de Bellefeuille: Enfin... On va supposer. Bon! Merci beaucoup.

Ensuite, M. le président Côté, je voudrais vous inviter à ne pas accorder trop d'importance aux propos du député de Louis-Hébert. Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'étaient des insinuations malveillantes, quand il a parlé de voyages. C'était d'ailleurs, il me semble, un peu contradictoire et un peu incohérent. Il vous a reproché d'être allé à Londres plutôt que de vous être contenté d'aller à Ottawa, qui est évidemment pour lui la source de toute sagesse, et, en même temps, il vous a reproché de ne pas être resté assez longtemps à Londres. Je ne sais pas comment vous auriez pu satisfaire l'insondable volonté du député de Louis-Hébert.

D'autre part, vous avez dit, M. le président Côté, que le député de Louis-Hébert vous prêtait des intentions et, cette fois, c'est beaucoup plus grave que cela. Il a formulé une accusation. Si elle était venue de quelqu'un d'autre, du député de Westmount, du député de D'Arcy McGee, du député de Gatineau, du député de Charlesbourg ou du député de Jean-Talon, j'aurais très vivement protesté. J'en aurais fait vraiment tout un plat. Cela aurait été une situation, à mon avis, très grave, mais comme cela vient du député de Louis-Hébert, c'est moins grave. Il vous a accusé d'avoir mis beaucoup plus d'insistance auprès de certaines personnes et de certains groupes pour obtenir leur témoignage qu'auprès d'autres personnes et d'autres groupes. Je crois que c'est une accusation très grave, mais je n'insiste pas, étant assuré qu'aucun des autres membres de cette commission, même du côté des banquettes de l'Opposition libérale, ne partage ce point de vue et ne voudrait soutenir pareille accusation.

M. Gratton: M. le Président, question

de règlement.

Une voix: Quel règlement?

M. Gratton: Non, mais je ne voudrais surtout pas - on sait qu'on s'est entendu sur la façon de procéder - que le député de Deux-Montagnes nous provoque, parce qu'on devra, évidemment, mettre les points sur les "i", s'il nous y invite.

M. de Bellefeuille: Ceci étant, je voudrais passer rapidement sur une question de chiffres à partir d'une chose que M. Lessard nous a dite plus tôt ce soir, non pas pour chercher la petite bête dans ce que disent les trois membres de la commission, mais tout simplement parce que je pense que l'usage qu'on fait des chiffres, c'est un des problèmes qui existe dans notre société. Je pense qu'il est très bon d'essayer d'y voir clair, pas du tout pour vous critiquer, M. Lessard, mais pour essayer d'y voir clair. Le chiffre particulier auquel je veux m'en prendre, c'est le pourcentage de 74% que vous avez cité. Vous avez dit: II y a tel pourcentage des gens qui sont pour une réforme, il y a tel pourcentage qui sont contre et le reste, ce sont des indécis. Vous avez ajouté: Si on ne tient pas compte des indécis, si on tient compte seulement des gens qui ont formulé une opinion pour ou contre, là, cela donne 74% des gens qui sont pour. Bon! Je prétends que cet usage des chiffres est, pour dire le moins, très marginal. Il est de nature, en réalité, à induire les gens en erreur, d'abord, parce que, si vous employez ce pourcentage de 74%, la plupart des gens qui vont vous entendre vont penser, quoi que vous ajoutiez comme précision, que vous êtes en train de dire que 74% des gens sont pour la réforme alors que ce n'est pas ce que vous avez dit.

Deuxièmement, ce que vous faites, c'est que vous écartez l'avis des gens qui n'ont pas pris position pour ou contre. Or, vous n'avez pas le droit de faire cela, il me semble. Parce que de dire: Je n'ai pas décidé si je suis pour ou contre, ce n'est pas nécessairement le reflet d'un manque d'opinion. Je sais très bien que, dans les sondages sur la popularité des partis politiques, sur les intentions de vote, on fait cela couramment. On attribue les indécis. On dit: II y en a tant pour tel parti, tant pour tel autre parti, tant pour tel troisième parti et puis tant d'indécis. Là, on répartit les indécis entre les trois groupes dans la même proportion que ceux qui ont exprimé une opinion. C'est justifiable. Pourquoi l'est-ce? Parce que, quand on arrive dans le bureau de scrutin, dans l'isoloir, il n'y a plus d'indécis. Ceux qui se rendent au bureau de scrutin ne sont plus des indécis. Il y a peut-être un infime pourcentage d'annulations, mais il n'y a plus d'indécis. Ceux qui sont là se prononcent.

Par conséquent, vous en avez le droit, tout en prévenant les gens que vous faites cela, que vous attribuez les indécis aux différents partis selon la même proportion. Mais, dans ce cas-ci, il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de refléter l'opinion. Or, les gens qui vous ont dit en substance qu'ils ne sont ni pour ni contre la réforme ne sont pas nécessairement des gens qui n'ont pas réfléchi à la question. Ce sont des gens qui ont une opinion qu'ils ne sont prêts à ranger ni dans les pour ni dans les contre. C'est une deuxième raison, me semble-t-il, pour éviter ce genre d'usage des chiffres. Comme nous allons forcément, pendant les travaux de la commission, parler beaucoup des chiffres, je pense qu'il est important de préciser dans quel esprit nous utilisons les chiffres.

Je voudrais maintenant vous entraîner sur une autre question de chiffres.

M. Lessard: Est-ce que je peux répondre à cela?

M. de Bellefeuille: Oui, allez-y d'abord.

M. Lessard: Je suis d'accord avec vos propos. La question est toujours en discussion chez les gens qui font des sondages ou des statistiques. Qu'est-ce qu'on fait des indécis? Il faut le décider dans chaque circonstance.

Tout à l'heure, mon propos n'était pas de donner de l'importance au pourcentage de 74%, mais mon propos était plutôt, en réponse à M. Mailloux, de dire que nous avions trouvé une majorité de 57% des personnes interrogées et non pas de la population totale qui avait dit oui. J'ai cité le pourcentage de 74% en passant. Si je l'ai mal cité, je m'en excuse. J'aurais dû dire: 74% de ceux qui ont pris une décision. Là, cela aurait été exact. Là-dessus, je vous laisse la parole.

M. de Bellefeuille: Alors, là, je considère qu'on a clarifié quelque chose. De façon plus générale, dans la déclaration d'ouverture de M. le président Côté, on a parlé, comme on en parle toujours quand il s'agit de la réforme du mode de scrutin, de la volonté populaire, de la nécessité de respecter la volonté populaire. À partir de cet axiome ou de cette idée sur laquelle je crois qu'il y a un accord assez général, il faudrait voir justement jusqu'où va l'accord.

On dit, par exemple: Si un parti obtient environ 40% des voix, il devrait avoir environ 40% des sièges à l'Assemblée nationale. C'est à peu près cela qu'on dit, n'est-ce pas? On ne dit pas: Exactement. On dit: Environ. Je suis assez d'accord que, si un parti a 40% des voix, il devrait avoir 40% des sièges.

Je voudrais maintenant vous poser la

question suivante. Si un parti a 20%, si un parti a 10%, si un parti a 5%, si un parti a 3%, si un parti a 2%, si un parti a 1%, si un parti a 0,8% - je choisis 0,8% exprès parce qu'au Québec, cela voudrait dire un siège... Le parti qui obtiendrait - si on applique la règle mathématiquement, de façon exacte - 0,8% du vote - ce n'est pas beaucoup, le Parti nationaliste fédéral au Québec a obtenu trois fois cela et le Rhinocéros plus de trois fois cela - cela veut dire un siège. De la même façon, aux dernières élections fédérales, selon cette règle mathématique, si on l'applique exactement, il devrait y avoir aujourd'hui, à la Chambre des communes, selon ce type de justice très mathématique, un ou deux Rhinocéros et un ou deux députés du Parti nationaliste représentant le Québec, selon le pourcentage du vote qu'ils ont obtenu. Je pense qu'on voit qu'il y a quelque chose qui ne marche plus.

Je reviens à cette notion de volonté populaire. Si, partout au Québec, les gens se prononcent à 99,2% contre un candidat, c'est-à-dire qu'ils optent, dans ce pourcentage-là qui est extrêmement fort, pour quelqu'un d'autre que ce candidat, cela veut dire que ce parti est rejeté partout très massivement et que, par conséquent, le respect de la volonté populaire, c'est de se conformer à ce rejet très massif qui s'est manifesté partout. Donc, zéro député.

On monte, à partir de 0,8%, à 2%, ce qui est vraiment mordre la poussière. Un parti dont les candidats à l'échelle du Québec obtiendraient partout 2% du vote, ces candidats ont mordu la poussière partout. Est-ce respecter la volonté populaire de donner 2% des sièges à ce parti-là? Non, je crois que non, je crois que c'est trahir la volonté populaire.

Vous voyez qu'il y a là deux argumentations. Quel est le point de rencontre de ces deux argumentations? Dans quelle mesure est-ce qu'on suit la règle que tel pourcentage de votes doit donner tel pourcentage de sièges? Où cela casse-t-il? À 0,8%, je prétends que cela a cassé depuis longtemps. Je prétends que, déjà, à 2%, cela a cassé. Cela a peut-être déjà cassé à 3%. Où cela casse-t-il?

M. Côté (Pierre-F.): M. Bourassa.

M. Bourassa: Je pense que la question posée, au fond, met bien en évidence deux pôles. Il y a ce qui s'appelle la démocratie idéale où tous seraient représentés selon les voix émises - tous les mouvements, tous les courants seraient représentés - et la démocratie plus ou moins satisfaisante dans laquelle à peu près tous les pays que nous connaissons vivent. Je pense que le problème que cela pose, très réellement, et auquel nous avons été confrontés, c'est le problème du seuil. Je pense que nous sommes tous d'accord ici pour dire qu'il faut poser un seuil et que, précisément, à partir du moment où il s'agit de mieux représenter les tendances de l'opinion, il s'agit tout de suite après... La question qui se pose est de définir quel est le minimum vital en quelque sorte pour qu'un courant puisse avoir revendication d'existence et, à ce moment-là, cela peut prendre toutes sortes de formes. Il y a toutes sortes d'artifices ou de techniques, si on préfère, pour régler ce problème.

Dans notre perspective, sans entrer dans tous ses détails dès maintenant, mais dans la proposition que nous avons formulée, il y a précisément un certain nombre d'aspects qui cherchent à la fois à favoriser une meilleure représentation, mais qui éliminent précisément les cas nombreux d'effervescence, de floraison inutile de mouvements d'opinion. Ce serait, d'une part, au prix d'une démocratie, je pense, mal comprise et, à ce moment-là... Encore une fois, comme vous le disiez dans votre exemple de 0,8%, il a droit à un siège. Donc, c'est nettement inacceptable, mais c'est aussi paralyser tout l'appareil politique. Il y a la représentation démocratique, mais, dans notre rapport, cela a été une constante et une préoccupation majeure de trouver un mode de scrutin qui représente mieux, mais qui puisse aussi permettre de gouverner.

Alors, ma réponse à cela, c'est qu'entre une proportionnelle intégrale qui serait, sur le plan intellectuel, la plus belle des choses, mais sans doute la moins bonne et la pire pratiquement, et l'autre pôle qui est, en quelque sorte, le carcan imposé de certains cadres très rigides, il y a possibilité de définir des modes de scrutin et, à nos yeux, dans cette perspective, la proportionnelle est celui qui va le mieux dans ce sens et qui, quand même, régimente et réglemente ces divers mouvements.

Précisément, on nous a reproché de trop les réglementer. D'ailleurs, une position comme celle-là se prête facilement aux deux types de critiques. On nous accusera de ne pas être assez ouverts, d'être trop proportionnels, mais, en même temps, en obligeant les regroupements alors que d'autres disent déjà qu'en proposant la proportionnelle on laisse encore des portes beaucoup trop ouvertes.

Somme toute, je pense que nous nous entendrions aisément avec vous sur la nécessité de ces seuils. Je pense que cela relève de détails, par exemple, du nombre de circonscriptions que l'on peut retenir sur un territoire, du nombre de députés à élire par circonscription, de la grandeur du territoire, de la fabrication des listes, tout l'ensemble de questions que le rapport considère, mais à titre de préférence parce que, précisément, on peut placer le seuil de façon plus ou

moins élevée selon des préférences qui sont idéologiques ou autrement.

M. de Bellefeuille: Qu'est-ce que vous êtes enclin à faire? Où êtes-vous enclin à situer le seuil comme commission ou vous personnellement?

M. Bourassa: Personnellement, je pense que je pourrais dire, et je crois que cela rejoindrait assez l'opinion de mes collègues qui me corrigeront si ce n'est pas le cas ou qui me compléteront, je crois que ce seuil doit être tout de même assez élevé. Le Québec n'a pas été, dans son histoire politique, un lieu où les courants d'opinion ont une grande facilité d'expression sur la place publique et dans les institutions politiques. Il faut mettre en place des mécanismes qui favorisent un tel mouvement, mais sans passer à un extrême complètement opposé. Je pense que, de ce côté, nous sommes plutôt enclins à une ouverture modérée. Je le dis en toute honnêteté.

M. de Bellefeuille: Merci.

Le Président (M. Rivest): Est-ce que vous avez terminé? Alors, sur cette première partie de nos travaux, il y a encore, pour demain, étant donné qu'il est 22 heures, l'intervention du député de Westmount et ensuite, si les membres de la commission sont d'accord, on va passer au chapitre subséquent du rapport du président, le chapitre 2, en espérant qu'on pourra progresser.

La commission ajourne ses travaux à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 1)

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