Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.
(Dix heures treize minutes)
Le Président (M. Vaugeois): À l'ordre, mesdames et
messieurs. Nous allons entreprendre ce qui pourrait être une
dernière séance, dans le cadre du mandat actuel. Il est
évident, déjà, que nous n'aurons pas vidé la
question et que notre commission des institutions aura à s'interroger
elle-même, puisque c'est nettement dans le cadre de son champ de
réflexion, sur l'opportunité de poursuivre la réflexion
sous l'angle restreint qui a été abordé jusqu'à
maintenant, c'est-à-dire le mode de scrutin comme tel, soit sous celui
d'élargir la question dans le sens de plusieurs interventions qu'on a
entendues jusqu'à présent. Revoir les vieilles notions de ligne
de parti, ce qui a été abordé par le député
de Deux-Montagnes; des notions qu'on n'a pas nécessairement
abordées, mais qui sont étroitement liées comme celle de
la responsabilité ministérielle, de la solidarité
ministérielle, de l'indépendance du Parlement, de son rôle
sur le plan législatif, de ses responsabilités de contrôle
de l'administration et des gestes de l'exécutif, etc. Il y a eu
plusieurs remarques dans ce sens et il appartiendra à la commission de
s'interroger sur les suites à y donner au niveau de la commission
elle-même.
Pour l'instant, nous travaillons sur une proposition du leader du
gouvernement et nous devons, autant que possible, profiter de cette
dernière séance pour cerner d'aussi près que possible le
rapport qui est devant nous. Ce document contient une réflexion
importante, en plus de contenir une recommandation précise. J'aimerais
que cette dernière séance nous permette d'étudier plus
à fond les mérites, avantages et inconvénients de la
proposition qui est dégagée, mais aussi des autres qui ont
été esquissées ou qui auraient pu l'être. Parfois,
dans le rapport, on glisse assez rapidement sur certaines autres formules de
mode de scrutin. Il me semble que la circonstance est bonne pour les regarder.
Je connais des collègues, autour de cette table, qui ont personnellement
réfléchi, au-delà de ce qui est esquissé, sur
certaines modalités possibles. Je les invite à les aborder parce
que le rôle d'une commission comme celle-ci est, évidemment,
d'alerter l'opinion publique ou de sensibiliser l'opinion publique. Il n'est
pas certain que l'opinion publique, à ce moment-ci, réclame
à grands cris une réforme du mode de scrutin. Ce n'est
peut-être pas souhaitable. L'opinion publique manifeste ce qu'elle veut
manifester et c'est le bon sens populaire.
Ce qui est important, c'est de saisir chaque occasion qui est offerte de
mieux expliquer le mode de scrutin, la signification d'un mode de scrutin, les
inconvénients et avantages d'un mode pratiqué et d'autres modes
pratiqués ailleurs ou d'autres modes possibles chez nous. Chacune de ces
occasions doit être saisie.
Un certain nombre d'incidents sont survenus dans cette commission, qui
ont au moins l'avantage d'avoir attiré un peu l'attention sur notre
commission qui est en compétition avec deux ou trois autres commissions;
c'est un problème d'aménagement de travaux dont nous souffrons.
Nous avons, cette semaine, trois commissions importantes qui siègent
simultanément. Je n'en suis pas à souhaiter des incidents au
niveau d'une commission pour retenir l'attention sur elle, mais je comprends
une chose, c'est que le sujet que nous abordons ici a son mérite et
qu'il est extrêmement important en régime démocratique. Il
y a au moins une chose, c'est que nous avons retenue l'attention et nous devons
profiter de ce contexte pour, ce matin, dans le peu de temps qu'il nous reste,
aller au coeur de la question.
Je pense qu'hier quelqu'un de l'Opposition voulait intervenir; M.
Gratton a encore quelques minutes à sa disposition; après quoi,
ce pourrait être le député de
Rouyn-Noranda-Témiscamingue, s'il est avec nous.
Quant à la composition de la commission, elle demeure ce qu'elle
a été jusqu'à présent.
J'invite M. le député de Gatineau à terminer son
intervention d'hier.
Distorsions corrigées par la carte
électorale
M. Gratton: Merci, M. le Président. Je tâcherai de
le faire brièvement. En fait, c'est une conclusion que j'aimerais tirer
et qui appellera peut-être un commentaire de la part de nos
invités sur l'échange que nous avions eu hier au sujet des
critères, de l'analyse des thèmes qui ont amené la
commission à rejeter le mode de scrutin
actuel pour proposer un mode de scrutin proportionnel que l'on
connaît.
Des réponses que j'ai obtenues hier, bien sûr, je fais tout
de suite - je l'avais fait hier, d'ailleurs - la différence entre
uniquement les distorsions et tout l'aspect de la représentation des
électeurs. Effectivement, c'est la question que j'aurais dû poser.
J'ai dit hier que le principal, sinon le seul thème réellement
important qui a pesé dans la décision de rejeter le mode de
scrutin actuel, c'est la représentation des électeurs avec, bien
entendu, des incidences des quatre autres.
Je persiste à croire qu'en ce qui concerne la délimitation
territoriale, la stabilité gouvernementale, le rôle des partis
politiques, on pourrait très facilement faire la démonstration,
si on s'en donnait la peine et si surtout on en avait le temps, que le mode
actuel de scrutin sert beaucoup mieux ces thèmes, comporte beaucoup plus
d'avantages que de désavantages qu'un mode de scrutin proportionnel.
J'aimerais attirer l'attention des commissaires sur le fait que, quand
on dit qu'un mode de scrutin proportionnel a des effets
bénéfiques au point de vue de la qualité de la
représentation, ce n'est pas toujours vrai. Évidemment, je pense
que vous serez d'accord avec moi pour dire que plus la circonscription, plus
l'électorat est large dans un mode de scrutin proportionnel, mieux
vraiment la représentativité est assurée.
Donc, en Israël, si on prend cet exemple, on devrait avoir une
représentation exacte ou aussi exacte que possible au Parlement des
intentions de vote. J'attire votre attention sur un article du Time Magazine
d'il y a quelques semaines, le 3 septembre; pendant qu'on discutait et qu'on
négociait la coalition entre le Likud et le Labor Party en Israël,
on faisait état de tractations qui, vous allez le voir, ont des
incidences plutôt négatives sur la qualité de la
représentation. On y lit que l'ancien ministre de la Défense, M.
Ezer Weizman, avait été à l'origine de plusieurs
rencontres entre les deux chefs des principaux partis. M. Weizman était
un des trois députés. On y lit ce qui suit: "Weizman support of
Labor carried a large price tag. Peres promised him his choice of becoming
either Foreign Minister or Finance Minister, along with safe seats for Weizman
and the two other Yahad members in the next Knesset election."
Alors, on voit que non seulement on s'engage à faire des
espèces de négociations en ce qui a rapport à un
Parlement, mais on engage déjà l'électorat à ne pas
avoir la représentation qu'il a choisie nécessairement. On fait
des "deals", en d'autres mots, pour assurer des sièges plus
confortables, en meilleure sécurité, pourquoi? Pour en arriver
à cette coalition qu'on recherche. Je conviens que c'est un exemple
qu'on va chercher loin, mais il illustre bien que, même au niveau de la
représentation, la proportionnelle n'est pas une garantie de
qualité en soi.
M. le Président, je termine en disant que si, effectivement,
finalement les distorsions sont un problème majeur et probablement, en
ce qui me concerne, le problème majeur que l'on rencontre avec le mode
de scrutin actuel, on ne retrouve pas d'exemples en très grand nombre
dans l'histoire du Québec qui nous permettent de conclure que le mode de
scrutin est à l'origine de ces distorsions. Nous avons fait l'exercice
et je pourrai vous faire distribuer le résultat des travaux qu'on a
faits, par exemple, en reportant les résultats de l'élection de
1966. On se rappelle qu'en 1966, plusieurs l'ont souligné, l'Union
Nationale, avec seulement 40,8% du vote populaire, s'était
accaparé de 51,6% des sièges; en d'autres mots, elle avait obtenu
le pouvoir avec une minorité du vote populaire.
Justement, quand on fait l'analyse, on s'aperçoit que, si
l'élection de 1966 avait eu lieu à partir de la carte
électorale qui a ensuite été adoptée - et je pense
que la commission a, d'ailleurs, fait le même exercice - effectivement
les distorsions auraient été beaucoup moins grandes, en tout cas,
on n'aurait pas eu un gouvernement qui jouissait d'un appui minoritaire de la
population. Au contraire, avec une carte électorale qui aurait
été celle de l'élection suivante, c'est-à-dire
après la réforme de la carte, 110 sièges au lieu de 108,
on aurait eu 53,6% des députés qui auraient appartenu au Parti
libéral et 44% au parti de l'Union Nationale. Donc, le gouvernemennt
aurait été libéral, le parti qui avait obtenu le plus de
voix, et les distorsions qui étaient de l'ordre de 12% avec la carte
électorale de 108 circonscriptions auraient été de
moitié, c'est-à-dire seulement de 6,3%.
Je ne veux pas entrer dans les détails, le temps nous presse, M.
le Président, mais je vous fais remarquer qu'on a fait le même
exercice pour l'élection de 1956, le même exercice
également pour l'élection de 1944. Dans les trois cas, on
s'aperçoit qu'effectivement la carte électorale mieux
remaniée, comme elle existe maintenant grâce à la
Commission de la représentation qui en fait une révision
après chaque élection, sans éliminer les distorsions
complètement, les aurait atténuées au point où on
ne peut plus parler de distorsions inacceptables. Il reste toujours l'exemple
de 1973, un exemple flagrant de distorsion, mais, comme je le disais hier, le
moins qu'on puisse dire, c'est que la correction est venue très
rapidement à l'élection de 1976. C'est terminé.
Le Président (M. Vaugeois): Je suis encore sous l'effet de
vos propos, M. le député.
M. Gratton: Cela se voit.
Le Président (M. Vaugeois): Je donne maintenant la parole
au député de Gouin. Est-ce que vous voulez répondre? Je
m'excuse.
M. Bourassa (Guy): Si vous le permettez, oui, peut-être
très brièvement.
Le Président (M. Vaugeois): Est-ce que vous voulez nous
parler d'Israël? Non!
Une voix: Voyons donc!
Le Président (M. Vaugeois): Allez-y, M. Bourassa.
M. Bourassa: Merci. En tant que membre de la commission, je tiens
beaucoup à remercier le député de Gatineau de ses
observations, maintenant et hier, parce que cela fait partie très
précisément de l'ensemble de nos réflexions. Vous avez
émis un certain nombre d'opinions pour lesquelles nous avons le plus
grand respect et nous sommes, justement, là pour en discuter. Je
voudrais peut-être tout simplement rappeler, pour les fins du
débat et de l'amélioration des mécanismes politiques, que
nous avons voulu, dans cette proposition, discuter d'un certain nombre de
critères qui, pour nous, sont intimement reliés. Alors, quand
vous soulevez à juste titre les problèmes de distorsion qui
peuvent être corrigés par la carte électorale, nous sommes
entièrement d'accord. Mais, sans revenir sur tout ce que j'ai dit hier
et que nous avons déjà assez longuement discuté, si on
déborde et si on dépasse le problème de la distorsion pour
aller au problème plus important de la représentation et de
l'Assemblée nationale comme miroir de l'opinion publique, nous pensons
que la carte électorale ne peut pas être le seul mécanisme.
C'est une conclusion à laquelle nous sommes parvenus. Aussi, j'aimerais
ajouter que, dans cette réflexion sur le mode de scrutin, il s'agit
d'arriver aussi à tenir compte de la stabilité gouvernementale,
donc, à mettre ensemble un certain nombre de facteurs qui,
forcément amènent des tiraillements.
Un dernier commentaire, peut-être, par rapport à cette
intervention, si vous me le permettez, sur le cas d'Israël. Je pense que
c'est un aspect extrêmement important, mais qu'il serait peut-être
dangereux d'axer une discussion par rapport à ce cas qui est un cas, je
vous le concède, extrêmement difficile et peut-être le cas
qui est le plus inquiétant. Beaucoup des aspects que vous soulevez et
que l'on pourrait soulever seraient, à mon avis, très justement
débattus, mais ils sont, je pense, très éloignés et
très différents de notre situation. Je pense que nous avons
déjà assez de difficultés avec les mécanismes que
nous avons sans tenter de transposer peut-être le débat dans un
contexte autre.
J'ajouterais aussi que c'est pourquoi, dans ce rapport - et c'est
vraiment ma dernière remarque - plutôt que de parler de
proportionnelle intégrale comme c'est le cas en Israël, nous avons
longuement réfléchi, à travers toute la démarche de
la commission, sur la notion de région que nous avons été
amenés à remettre sérieusement en question pour insister
sur celle de territoire pour assurer une meilleure représentation
idéologique et pour assurer un gouvernement efficace. Je ne voudrais pas
que cet aspect -d'ailleurs, le député de Deux-Montagnes l'a
abordé hier - soit laissé de côté,
c'est-à-dire, pour nous, la nécessité d'élargir la
base traditionnelle du choix des élus. C'est l'essentiel de mes propos
pour l'instant.
M. Gratton: Je veux remercier M. Bourassa. J'aimerais bien qu'on
puisse continuer la discussion, mais je me sens bousculé un peu, tant
par la présidence que par mes collègues. Je les comprends, ils
veulent intervenir, eux aussi. Là, où on diffère
d'opinion, finalement, c'est sur la conclusion qu'on en tire. Sur la
représentation, j'ai cité le cas d'Israël simplement pour
vous démontrer que là, justement, où c'est le miroir
parfait, c'est le summun au point de vue de la proportionnelle, on peut encore
jouer et faire des jeux de tractations qui, finalement, aboutissent à un
résultat contraire à celui qu'on recherche. Vous le disiez
vous-même hier et, au niveau de la relation électeurs et
élus, par exemple, on est bien placés pour savoir que ce que vous
proposez comporterait des désavantages assez importants. La même
chose quant à l'influence des partis politiques.
La conclusion que je tire, c'est que ces désavantages par rapport
à ces éléments ne m'amènent pas à dire: II
faut les accepter pour se débarrasser des inconvénients sur le
plan de la représentation, surtout que les distorsions, qu'on cite
souvent comme exemple des problèmes de représentation qu'on a
avec le mode de scrutin actuel, ont souvent été causées
non pas par le mode de scrutin, mais par la carte électorale. Mais, je
conviens avec vous que votre conclusion est aussi légitime que la
mienne. Je regrette tout simplement qu'on ne puisse pas se convaincre l'un ou
l'autre du bien-fondé de notre point de vue. J'ai terminé.
M. Côté (Pierre-F.): M. le Président,
j'ajouterais juste un point. Il me semble très important que l'on
distingue clairement quand
on parle de différents modes de scrutin proportionnel. Pour
reprendre l'exemple qui a été donné, quand on invoque le
cas d'Israël, à mon avis, il n'y a pas de mesure entre ce que nous
proposons et la situation qui est vécue en Israël. Je me permettrai
peut-être, pour illustrer ma pensée, de prendre une comparaison,
une analogie. Comme toute analogie, cela peut clocher, mais je veux juste
illustrer ma pensée. À mon avis, il y a un très grand
nombre de modes de communication: du cheval à l'avion à
réaction en passant par la bicyclette et jusqu'à la marche. Pour
les modes de scrutin proportionnel, c'est la même chose. Il y en a de
toutes les variétés. Quand on regarde la façon dont ils
sont appliqués à travers le monde et dans tous les pays où
il y en a, il y a une très grande variété.
Le sens même de la proportionnelle, c'est la façon de
répartir les résultats, c'est la façon d'équilibrer
le pourcentage de votes afin que cela se reflète le plus possible dans
le pourcentage de sièges accordés. Nous disons très
clairement que prétendre ou laisser entendre que le mode de scrutin
proportionnel que nous proposons est semblable ou a une relation avec celui
d'Israël est tout à fait inexact. Cela n'est pas du tout notre
façon de concevoir les choses. (10 h 30)
Le Président (M. Vaugeois): Y a-t-il d'autres
interventions sur l'exemple donné? Sinon, je donnerai la parole au
député de Gouin. Cela va? Merci, M. Côté.
Effets de la proportionnelle territoriale à
Montréal
M. Rochefort: Merci, M. le Président. Je voudrais aborder,
puisque c'est probablement la dernière occasion que j'ai d'intervenir au
cours des travaux de cette commission, deux aspects additionnels à ceux
que j'ai abordés jusqu'à maintenant. D'abord, en bon
Montréalais, j'aimerais qu'on discute quelques instants ensemble de
l'application de la proposition qui nous est faite par la commission à
Montréal.
Dans un premier temps, on sait que le mode du scrutin actuel et les
règles retenues par la Commission de la représentation quant
à la délimitation des territoires des circonscriptions
électorales jusqu'à maintenant ont eu pour effet - et c'est une
volonté affirmée avec laquelle j'étais entièrement
d'accord et que je partageais -de faire en sorte que les comtés en
milieu semi-urbain et même en milieu rural, compte tenu des grandes
distances à parcourir, soient un peu moins populeux quant au nombre
d'électeurs, alors qu'on retrouvait un plus grand nombre
d'électeurs dans les circonscriptions montréalaises.
C'était quelque chose qui était bien accepté, d'abord
compte tenu, comme je le disais, des distances que cela implique pour un
député, pour une collectivité et, d'autre part aussi,
quant à moi, puisque nous avions un mode du scrutin qui, de toute
façon, générait des distorsions ce n'était pas un
drame que, dans la façon de découper la carte électorale,
nous convenions tous ensemble, par un consensus qu'on retrouve dans la loi
d'ailleurs, je crois, qu'on pouvait aussi créer des écarts pour
permettre à un député d'avoir un peu moins de contraintes
en milieu semi-rural ou semi-urbain compte tenu des contraintes
géographiques qui étaient déjà très
importantes pour lui.
Toutefois, à partir du moment où on nous propose un mode
du scrutin dont l'objectif avoué est d'éliminer les distorsions,
j'avoue que, tout en étant d'accord pour respecter ce qui se faisait
jusqu'à maintenant, je pense qu'il faut qu'il y ait cohérence
à la fois dans le discours et dans la pratique. Qu'on nous propose un
mode de scrutin à la proportionnelle qui a pour objet premier
d'éliminer des distorsions, mais dont l'aboutissement sera de
créer des écarts en faisant en sorte qu'un électeur
montréalais ait moins de poids politique quant à sa
représentation à l'Assemblée nationale qu'un
électeur en milieu semi-urbain ou rural, là, j'avoue que je ne
m'y retrouve pas et je dis: Soyons cohérents. Ou on élimine les
distorsions avec les problèmes que cela engendre qui, quant à
moi, sont considérables.
Je suis très à l'aise comme Montréalais pour dire
que, le jour où l'on décidera qu'un député en
milieu semi-urbain ou rural le même nombre d'électeurs qu'un
député en milieu fortement urbanisé comme Montréal
ou certains coins de Québec, effectivement, cela posera des
problèmes. À partir du moment où l'on dit: On
élimine les distorsions, c'est notre objectif premier, puisque c'est
cela, l'objectif premier de la proportionnelle, là j'avoue que j'ai de
la difficulté à accepter que ceux qui ont à payer
le prix de cette distorsion, qui est la seule distorsion qu'on accepte, soient
les citoyens montréalais. J'avoue que j'ai de la difficulté
à l'accepter. Puisque j'ai un mandat de citoyens et de citoyennes
montréalais pour les représenter ici et défendre ici leurs
intérêts et non pas les miens uniquement, je pense qu'il y a un
problème de cohérence et qu'il faut trouver une solution autre
que celle de faire payer le prix aux Montréalais de cette nouvelle
distorsion qu'on crée en voulant abolir les distorsions.
M. Lessard (André): Ma première réaction est
la suivante: II n'y a rien qui soit aussi strict que cela dans notre
proposition. Nous ne disons pas: Le seul critère et le
critère absolu de notre
proposition, c'est d'éliminer les distorsions. Nous avons
essayé de trouver la meilleure formule pour produire la meilleure
représentation possible. La représentation peut être
considérée, disons, sous trois angles: l'angle des distorsions,
comme on l'appelle, c'est-à-dire le rapport entre le nombre de
sièges et le nombre de votes. La représentation aussi porte sur
la possibilité des partis d'entrer en Chambre, d'être
représentés en Chambre. Le problème de la
représentation se pose à un autre niveau, celui où vous le
posez précisément, c'est-à-dire la valeur relative des
votes. Est-ce qu'un vote vaut 15 000 personnes à une place et 5000
à l'autre, disons? D'accord?
Ce que nous avons tenté - et je crois que personne ne peut
prétendre autre chose -cela a été de faire un compromis,
le plus heureux possible. On vous laisse en juger. Si nous avions voulu, un peu
selon votre logique que j'admire, c'est-à-dire une logique de
simplicité et d'absolu...
M. Rochefort: Moi, je dirais de rigueur, mais, en tout cas,
j'accepte votre raisonnement.
M. Lessard: Oui. Si nous avions voulu pousser cette logique
à la limite, nous aurions, sans considération de la
réalité, proposé une proportionnelle intégrale de
type Israël. C'est la seule logique. Il faut aller au bout. Or, tout le
problème - et c'est le centre du débat avec M. Gratton depuis
hier - c'est de faire des pondérations entre une multitude de
critères. D'accord? Or, notre proposition, elle n'est pas absolue, elle
ne vise pas à réduire de façon absolue, à
éliminer les distorsions, pas plus qu'à être parfaite quant
à la représentation des partis. J'arrive au point que vous
soulevez, l'inégalité de la valeur des votes entre le rural et
l'urbain. Bon. C'est une option qu'on vous laisse aussi. Oui, nous avons...
M. Rochefort: Je n'ai pas entendu. C'est une option qu'on?
M. Lessard: Qu'on laisse à l'Assemblée
nationale.
M. Rochefort: Vous avez une proposition?
M. Lessard: Oui.
M. Rochefort: Bon, alors, parlez-nous de votre proposition.
M. Lessard: Nous proposons la proportionnelle et nous
suggérons, nous présentons cette proposition sur la base de deux
hypothèses, et nous disons bien "des hypothèses". Un des
arguments, c'est que, étant la commission qui fait la carte
électorale nous ne voulons pas, en faisant une carte que nous voudrions
absolue tout de suite, lier tout le monde avec cela et nous-mêmes
après. D'accord? Nous faisons deux hypothèses pour illustrer le
fonctionnement de notre proposition principale et des diverses
préférences que nous manifestons.
Or, voici une des suggestions que nous faisons: parce que nous voulons
tenir compte du double rôle du député, son rôle de
législateur et son rôle de représentant de ses
électeurs, nous disons: Si nous valorisons seulement le rôle de
législateur, nous poussons à la limite l'égalité de
représentation en Chambre et nous faisons des territoires où la
relation entre députés et électeurs va être
absolument irréalisable. Il faut arriver à un compromis.
D'accord? Il faut arriver à faire que certains territoires aient au
moins les trois députés nécessaires pour une
proportionnelle. Nous disons donc qu'il faut peut-être en arriver
à faire une distinction entre la valeur d'un vote en milieur rural
à cause des difficultés de fonctionnement et la valeur d'un vote
en milieu urbain. C'est, si je me souviens bien, notre première
hypothèse à vingt-deux représentants, c'est-à-dire
à vingt-deux circonscriptions. Nous disons explicitement: Au rural, ce
sera environ 35 000 ou 36 000 par représentant et, en milieu urbain,
autour de 40 000. Je pense que c'est plutôt 35 000.
Mais, dans l'autre proposition, nous tentons d'appliquer le 36 000
partout, c'est-à-dire le critère actuel. Autrement dit, nous
disons: Si, face au problème que nous rencontrons, de la
pondération entre le rôle de législateur du
député et son rôle de représentant, vous voulez
prendre la solution de favoriser un peu celui qui a le plus de
difficulté sur le terrain, la première hypothèse peut vous
donner une idée de ce que cela donne. Si vous préférez ne
pas tenir compte de cette distinction entre les députés ruraux et
urbains, bien, la deuxième hypothèse pourrait vous servir. En
gros, c'est notre raisonnement et, au fond, nous vous posons un problème
en vous faisant des suggestions.
Mais je reviens à l'idée fondamentale de tout mon propos,
c'est qu'il est strictement impossible, dans cet ordre de problèmes, de
vouloir être absolument conséquent par rapport à un
principe simple. On va arriver à des contradictions
épouvantables. Il faut être conséquent avec un principe en
faisant toute une série de compromis. Je pense que l'exposé de M.
Bourassa a été très clair là-dessus, hier.
M. Rochefort: Oui, mais il faut s'assurer qu'en fin de compte la
série de compromis ne soit pas plus grande et avec des effets plus
importants que les solutions qu'on a voulu apporter aux problèmes.
M. Lessard: Je pense...
M. Rochefort: Par exemple, dans un de vos arguments, vous dites:
Oui, mais on est un peu forcé d'arriver à cela, entre autres,
parce qu'il faut s'assurer de pouvoir faire de la proportionnelle partout sur
le territoire et, pour pouvoir arriver à des circonscriptions d'au moins
trois députés dans certains coins du Québec, la
conséquence qui est répercutée sur les milieux fortement
urbanisés est celle-là. Je vous dis: Écoutez, vous nous
avez dit que vous aviez trouvé un modèle qui s'appliquait au
Québec, qui pouvait lui être propre, qui corresponde à ses
caractéristiques, à ses situations particulières. Vous
êtes en train de me dire que parce que, justement, ça ne
s'applique pas aux situations particulières, on est obligé
dès le départ de créer une entorse pour réussir
à avoir des comtés d'au moins trois députés partout
sur le territoire, alors qu'il n'y a peut-être pas suffisamment de
densité de population pour le faire. Auquel cas, je vous dis:
Écoutez, ce n'est peut-être pas vrai que vous avez trouvé
le modèle qui s'applique le mieux aux caractéristiques
géographiques et démographiques du Québec. Il faut
être conscient de cela.
D'autre part, je vous le dis, j'ai toujours accepté,
jusqu'à maintenant, qu'un électeur urbain ait un peu moins de
poids qu'un électeur en milieu rural à cause des contraintes que
nous connaissons tous et que, je crois, nous partageons. Toutefois, dans cette
formule de représentation proportionnelle territoriale, que les
Montréalais soient les seuls - ce qui n'est pas le cas dans le
mode de scrutin actuel et dans la carte électorale actuelle - à
payer le coût du compromis de l'écart et de la distorsion que vous
créez à cause des contraintes que vous vous êtes
posées, j'avoue qu'il y a une question à se poser et une question
de franchise. Je crois qu'il faudra un jour que la commission aille à
Montréal pour expliquer aux Montréalais qu'ils auront moins de
poids politique que partout ailleurs au Québec quant au vieux principe
un homme, un vote.
Vous me dites que les distorsions, ce n'est pas le seul critère,
ce n'est pas le seul objectif. Écoutez, tous ceux qui parlent de
proportionnelle et de distorsions nous parlent avant toute chose
d'établir la proportion la plus proche, la plus parfaite possible entre
le nombre de voix et le nombre de sièges au point qu'on nous dit: C'est
la seule solution. Le ministre nous citait hier ou il y a deux jours un
éditorial de Claude Ryan en 1972 qui disait: La proportionnelle est ce
qui nous permet le mieux d'arriver à un homme, un vote. C'est difficile
à accepter que des citoyens d'une région soient les seuls
à payer une facture de cet ordre.
Regardons concrètement, pratiquement ce que cela veut dire. Il
faut voir ce que c'est dans la pratique politique. Prenons la situation
actuelle du parti ministériel. Aujourd'hui, nous avons peut-être
70, 72 députés. Seulement dix sont de Montréal et, au
Conseil des ministres, il y en a six ou sept sur trente, environ.
Déjà là...
Une voix: Six, ce n'est pas beaucoup.
M. Rochefort: C'est pour cela que je dis six ou sept, d'ailleurs.
Avant, c'était encore pire. Six ou sept sur une trentaine et une dizaine
de députés sur 70 ou 72 dans un caucus ministériel.
Déjà là, il y a une disproportion considérable par
rapport au poids relatif de la population, alors que l'île de
Montréal, la communauté urbaine, c'est un Québécois
sur trois. Déjà là, on a un problème de poids et je
ne suis pas en train de faire porter le blâme à mes
collègues, au contraire, ils ont au moins autant de
légitimité que nous en avons, mais c'est une situation de fait.
Ce n'est pas facile de défendre les intérêts proprement
montréalais à l'Assemblée nationale du Québec
à l'intérieur des caucus ministériels, au Conseil des
ministres et dans l'ensemble de l'appareil politique et administratif, alors
que souvent les députés de plusieurs circonscriptions de type
rural ou de type semi-urbain, sans être de la même région,
ont des vécus, des situations assez comparables les unes aux autres et
pour lesquelles ils peuvent s'associer tous ensemble pour défendre une
certaine préoccupation, un certain nombre d'aspirations, un certain
nombre de situations que leurs concitoyens et concitoyennes vivent. Si vous me
dites qu'en fin de compte un seul groupe paiera l'addition, moi, je dis: Non,
revoyez votre travail quant à cet aspect de la question. (10 h 45)
J'ajouterais un autre volet. Vous nous dites - et je crois que c'est un
des objectifs visés par la commission - que l'objectif premier n'est
sûrement pas de renforcer les partis politiques, mais, au contraire, de
donner encore plus de force dans la mesure du possible aux citoyens et - je
vais en avoir besoin - en même temps au député. Il faut
donner la plus grande légitimité politique au
député pour qu'il ait la meilleure marge de manoeuvre quand il
arrive à l'Assemblée nationale quant à son parti ou quant
à toutes les questions de ligne de parti. D'ailleurs, je crois que vous
le dites à la page 68: "Par ailleurs, on pense que la discipline de
parti, très rigide en scrutin majoritaire, s'exercerait sous une forme
moins stricte." C'est dans cette logique.
Je pense qu'effectivement avoir des circonscriptions à trois,
cinq ou même sept sièges où la population à la fois
vote pour le parti et peut se permettre de magasiner quant au candidat ou aux
candidats qu'elle
souhaite voir la représenter au-delà des partis, c'est une
façon de donner, en tout cas, plus de poids, plus de
légitimité politique au député qu'il n'en avait
dans le mode de scrutin actuel. Sauf qu'on conviendra facilement tous ensemble
que, quand on se retrouve dans une circonscription, par exemple, à 19
sièges, comme ce que vous proposez dans une de vos deux propositions
pour Montréal, il n'est pas vrai qu'on va se retrouver avec une
situation où les élus auront un poids important.
Certains diront que c'est de la démagogie. Je pense que c'est une
façon de regarder l'application concrète de la situation. Quand
on se retrouve devant un tel bulletin sur lequel on retrouve environ 65
candidats de différentes allégeances politiques, il est
évident qu'il est beaucoup plus facile pour un citoyen de choisir le
parti et de ne pas se mettre à aller voir... Le temps que cela
prendrait. En plus, il faut qu'il les connaisse, ces députés,
pour aller choisir et, donc, donner une meilleure légitimité
à un élu plutôt qu'à un autre.
Deuxièmement, dans une circonscription de 19 sièges
où on retrouve environ 60 à 70 candidats au cours d'une
élection générale, comment faire en sorte qu'un, deux ou
trois ou un certain nombre de candidats ou de députés sortants
aient réussi à faire un travail tel qu'ils aient fait leur marque
dans toute la circonscription régionale de l'Est de Montréal qui
comprend l'équivalent de 19 circonscriptions actuelles? Il est clair que
ce ne sera pas en faisant du bureau de comté et en faisant des
rencontres particulières avec des électeurs au cours de
tournées de comté ou en obtenant des choses comme un CL5C ou une
subvention pour une maison de jeunes qu'un député va pouvoir
faire sa marque pour aller chercher des dividendes électoraux, pour
être certain d'être celui de tout son groupe politique qui aura
marqué des points plus que les autres pour se faire élire
à l'élection générale. Il est certain que la
priorité, ce sera de délaisser cela et de plutôt
s'organiser pour avoir une attitude qui nous permette de faire les
médias, de pouvoir atteindre 19 circonscriptions électorales,
donc près de 1 000 000 000 d'électeurs et ce n'est pas en faisant
du bureau de comté qu'on atteint cela.
Donc, ce qu'on fait, c'est qu'on renforce le régime des partis,
on augmente la force des partis et on renforce le vedettariat en politique au
détriment d'un service à l'électeur, au détriment
d'une relation intense, d'une relation étroite entre le
député et ses électeurs quant à
l'accessibilité à sa disponibilité et pas seulement pour
des intérêts électoraux. C'est souvent une "moses" de bonne
façon de faire notre travail. Souvent, on nous dit: Vous allez dans les
épluchettes de blé d'Inde, dans les remises de trophée de
baseball, etc., simplement pour vous faire tirer le portrait dans le journal
local la semaine suivante. Certainement que c'est un des effets du geste. Mais
je peux vous dire que c'est une façon très profitable de
rencontrer les électeurs que de leur donner une possibilité
très simple, très facile de venir faire des commentaires, des
critiques, des suggestions ou d'exposer un problème à un
député au cours d'une soirée. C'est ce qui fait que,
lorsqu'on arrive ici à l'Assemblée nationale, plutôt que de
parler théoriquement ou à partir des recommandations des
fonctionnaires d'un certain nombre de problèmes, on peut en parler,
à partir d'un vécu très particulier, très
précis, très profond que ressentent, que subissent les citoyens
et les citoyennes.
Avec ce qui nous est proposé là, pour Montréal, ce
n'est pas vrai qu'un député va pouvoir percer par son bon travail
auprès des électeurs. La seule façon de percer dans une
circonscription de 19 députés où on se retrouvera avec 60
à 70 candidats, c'est de faire de la télévision. Pendant
que tu fais de la télévision, que tu fais des déclarations
fracassantes et que tu montes des dossiers pour faire des grands discours en
Chambre, tu n'es pas en train de faire un travail à la base.
Le Président (M. Rivest): Juste une remarque, si vous me
le permettez. Étant donné que c'est la dernière
séance, je demanderais à tous les collègues
peut-être de restreindre la longueur de leurs questions parce que la
présidence a beaucoup de demandes - je ne dis pas cela en particulier
pour le député de Gouin - et les députés voudraient
profiter au maximum du temps.
M. Lessard: M. le député de Gouin a émis
plusieurs points de vue sur divers aspects en particulier du rôle du
député. Je ne reviendrai pas immédiatement sur cela. Ce
que je voudrais noter au point de départ, pour rectifier la chose, c'est
que l'argument de départ non pas sur les distorsions, mais sur la valeur
du vote, c'est très différent.
M. Rochefort: Je m'excuse, M. Lessard, c'est la même
chose.
M. Lessard: Non.
M. Rochefort: Bien là, je souhaite que vous nous fassiez
une démonstration. Expliquez-moi c'est quoi, la différence.
N'apprendrais-je que cela pendant la commission, j'aurais été
heureux, j'aurais appris beaucoup.
M. Lessard: La distorsion, c'est le phénomène qui
fait que, lorsqu'on arrive à constituer l'Assemblée après
l'élection, les
partis n'ont pas un nombre de sièges proportionnel au nombre de
votes qu'ils ont obtenus.
M. Rochefort: Comment atteint-on cet objectif? En donnant le plus
possible la même valeur à tous les votes, voyons donc!
Écoutez, là, on va réinventer le bouton à quatre
trous.
M. Côté (Pierre-F.): M. le Président...
Le Président (M. Rivest): Pardon, excusez.
M. Côté (Pierre-F.): M. le Président, je
voudrais qu'on comprenne bien de notre côté les règles du
jeu. Est-ce qu'on donne des observations ou des réponses à la
suite de commentaires ou est-ce qu'on échange constamment avec les
députés? Je voudrais qu'on comprenne bien de quelle façon
on procède.
Le Président (M. Rivest): La prérogative de la
présidence, c'est de donner, justement, l'occasion à nos
invités, c'est-à-dire à votre commission, M. le directeur,
de fournir les explications au complet. Je demanderais aux collègues de
laisser la chance, lorsqu'ils ont fait leur intervention, aux membres de la
Commission de la représentation d'expliquer leur point de vue.
M. Rochefort: Mais vous me permettrez aussi, M. le
Président, d'ajouter à ce que vous dites, que je respecte et
à quoi je me conformerai, que l'objectif aussi de la commission, c'est
de nous permettre de mieux comprendre le dossier puisque la décision
nous reviendra ultimement.
Le Président (M. Rivest): Oui, je comprends.
M. Rochefort: Merci.
M. Côté (Pierre-F.): Je crois que la remarque du
député de Gouin est tout à fait pertinente. Tout ce que je
veux dire en vous demandant cette précision, c'est qu'il nous semble
qu'il faudrait qu'il nous soit loisible, à tout le moins, de terminer
nos phrases.
Le Président (M. Rivest): Pardon?
M. Côté (Pierre-F.): Il faudrait qu'il nous soit
loisible, à tout le moins, de terminer nos phrases.
Le Président (M. Rivest): Oui, c'est ce que j'aurais
voulu.
M. Lessard: Ce que je voulais dire de plus, c'est que, pour que
le débat se déroule un peu clairement, il faut distinguer des
choses. Il est certain que la valeur qu'on donne ou vote, c'est-à-dire
qu'il vaut 36 000 électeurs ou qu'il en vaut 40 000, ce n'est pas tout
à fait sans effet avec le rapport qu'il va y avoir entre le nombre de
votes obtenus par les partis et le nombre de sièges obtenus en Chambre.
Mais les deux choses sont des phénomènes suffisamment
différents, très différents, pour qu'on les distingue et
qu'on ne parle pas de distorsions en croyant couvrir les deux. Nous avons
essayé de faire la distinction autour de phénomènes qui
sont différents et c'est tout ce que je voulais rappeler.
Quant au débat sur la représentation de l'île de
Montréal, je vais laisser la parole au...
M. Rochefort: ...à un Montréalais.
M. Lessard: ...Montréalais de la commission.
M. Rochefort: Là, je ne veux pas vous interrompre, mais
vous voyez, il est un sur trois.
M. Bourassa: Si vous me le permettez, justement, le
Montréalais de la commission voudrait bien parler. Je ne sais pas
à quelle règle mathématique cela répond, mais je
partage tout à fait les opinions, les vues et les préoccupations
que vous avez. Sans retourner bien loin dans mon curriculum vitae, j'ai
déjà fait un bon nombre de travaux sur la politique
montréalaise à tous les niveaux. Je partage aussi votre souci de
rigueur et de représentation des Montréalais. Je pense que c'est
fondamental et que dans toute réforme du mode de scrutin il faut en
tenir compte et que les remarques que vous avez soulevées montrent des
problèmes très réels. Je vous accorde qu'il y a dans ce
que nous proposons des difficultés qui demeurent, mais nous
prétendons que cette proposition de réforme du mode de scrutin,
tel qu'elle divise Montréal présentement selon les deux
hypothèses que nous avons suggérées, réduit les
écarts existant jusqu'à maintenant de la moyenne acceptée
par la loi de plus ou moins 25%.
Si on se réfère aux termes mêmes du rapport aux
pages 193 et 199, on voit que, pour ce qui est de Montréal, ces
écarts joueront autour, si vous me permettez de ne pas m'en tenir aux
décimales, de 15% ou 16%. Il y a sûrement, donc, un écart
qui reste important. Au nom de la stricte démocratie, je vous accorde
qu'il est très regrettable, mais il est, me semble-t-il - non seulement
me semble-t-il, les chiffres sont là pour le démontrer - moins
fort que dans la situation actuelle. C'est une première chose.
Vous disiez tout à l'heure, je pense, qu'on ne peut pas accepter
que les Montréalais paient le prix d'une
démocratisation, d'une modernisation de nos institutions
politiques. Là aussi - ce n'est pas de ma part une position de principe
inutile -je suis tout à fait d'accord avec vous. Je crois que la
proposition que nous faisons fait payer aux Montréalais un prix moindre,
mais je vois mal dans le système où nous vivons comment ce prix
ne pourrait pas exister. L'égalité parfaite est impossible et je
pense que votre souci de rigueur, que je partage entièrement, est aussi
à concilier - et, pour nous, c'est un problème sérieux -
avec la perfection et ce qui est faisable. Pour représenter de
façon intégrale et totale les Montréalais et la
diversité des opinions, il faudrait aller beaucoup plus loin, mais je
pense que là on tomberait dans d'autres pièges qu'on a
évoqués tout à l'heure: proportionnelle intégrale
et tout ce que l'on voudra.
Finalement, sur la grandeur des circonscriptions montréalaises
que vous avez évoquée et les problèmes que cela
soulève: 19 élus par circonscription, c'est, comme dans beaucoup
de ces choses-là, le mauvais côté d'une médaille
qui, selon nous a aussi un très bon côté,
c'est-à-dire de laisser au pluralisme des idéologies, dans une
région comme dans celle de Montréal, qui est, quand même,
un lieu important d'opinions et de mouvements divers, la possibilité de
s'exprimer. Une des meilleures façons de le faire, nous a-t-il paru,
c'est de permettre dans une équipe assez vaste à des
représentants de courants pas minoritaires, mais, qui, quand même,
sont plus ou moins importants d'être élus.
Finalement, donc, il y a quelque chose qui, nous paraît-il,
améliore la situation actuelle par rapport aux écarts, qui
l'améliore en termes de représentation des mouvements d'opinion,
mais qui pose des problèmes réels en termes
d'égalité démocratique. Mais je ne crois pas qu'il existe
nulle part, ni dans les traités de sciences politiques, ni dans les
observations des analystes, une solution parfaite à ce problème.
Elle est sûrement améliorable; nous avons proposé deux
hypothèses. Je pense qu'il y a beaucoup de matières à
discuter, mais je crois que, de ce côté-là, il y a des
éléments d'une réponse qui satisferaient à la fois
vos exigences et les miennes de Montréalais et les exigences de rigueur
que nous partageons, semble-t-il.
Oui, bien sûr, M. le directeur me souligne qu'une des
façons dont on aurait pu aussi aborder et dont on pourrait aussi
discuter du problème, c'est d'augmenter le nombre total des
députés de l'Assemblée nationale pour augmenter le nombre
de députés montréalais. Mais là cela pose une autre
question qui n'est peut-être pas de notre ressort ou, en tout cas, la
décision devient hautement politique. Nous en sommes, pour l'instant,
restés autant que possible aux aspects techniques et c'était
notre mandat.
M. Côté (Pierre-F.): M. le Président, si vous
me le permettez, juste une très brève remarque à la suite
du dernier point que vient de soulever M. Bourassa. Il relève
effectivement de la Commission de la représentation de déterminer
le nombre de sièges et de députés. Je voyais tout de suite
l'objection que vous étiez pour soulever.
M. Rochefort: On se connaît bien.
M. Côté (Pierre-F.): Alors, je veux seulement
préciser ce point.
Ce pourquoi nous nous en sommes tenus, dans les hypothèses de
cartes - parce que, évidemment, cela ne pouvait pas être des
cartes définitives; ce sont des hypothèses de cartes qu'il faudra
étudier, analyser et consulter - à 122 - nous nous sommes
imposé cette obligation de ne pas dépasser le chiffre 122, sauf,
évidemment, les deux exceptions: les Îles-de-la-Madeleine et les
Amérindiens -c'est que, tout au long de la consultation qu'on a faite et
dont on a fait état constamment hier, la très grande
majorité des intervenants nous ont dit: N'augmentez pas le nombre de
députés. On a assez de députés à
l'Assemblée nationale. À partir de là, on s'est dit: Si
nous arrivons avec une proposition - prenons un exemple flagrant, je passe
à l'autre extrême - de solution selon le mode de scrutin allemand
où on aurait dit: Doublons le nombre de députés, les gens
nous auraient dit: Vous n'êtes pas sérieux! Qu'est-ce que cela
veut dire et qu'est-ce que cela coûte? Tous les arguments que les gens
apportent toutes les fois qu'il est question d'augmenter le nombre de
députés.
Je ne dis pas qu'à partir de là la solution pour la
région de Montréal ne serait pas, en définitive,
d'augmenter le nombre de députés, si, finalement, c'était
là l'expression d'opinion d'un très grand nombre de gens. Vous
vous souvenez comment nous avons procédé en 1980. C'est à
la suite de consultations et d'une analyse de la situation. Là, ce sont
des hypothèses de travail qu'on a faites sans formellement consulter les
gens sur les cartes qu'on propose. Pourquoi a-t-on procédé comme
cela? C'est qu'on voulait surtout s'assurer, quant à nous, et
démontrer que la formule que nous proposons, elle est transposable en
quelque sorte et applicable sur la carte du Québec. Je sais que vous
divergez d'opinion avec moi là-dessus, mais, encore une fois, ce sont
des hypothèses et des préférences, ce ne sont pas des
recommandations formelles, ces hypothèses de cartes. (Il heures)
M. Rochefort: M. le Président, j'ai deux commentaires
à faire - ensuite, je laisserai la parole à un de mes
collègues - à la suite
des réponses des trois commissaires, notamment de celles que m'a
fournies M. Bourassa, Guy de son prénom. La première des choses,
oui, je reconnais effectivement que la proposition qui nous est faite
réduit les écarts et la sous-représentation que les
Montréalais et les Montréalaises connaissaient. Mais il faut bien
voir que cette sous-représentation dans le mode de scrutin actuel
n'était pas un phénomène exclusif aux Montréalais
et aux Montréalaises. Il était partagé par d'autres
régions du Québec, alors qu'actuellement c'est vraiment
là, tout en l'ayant réduit, qu'on le retrouve le plus fort, le
plus solidement créé par rapport aux autres régions du
Québec. C'est là que je me dis: Qu'on soit plusieurs à se
partager une facture, cela passe; qu'on soit ceux qui prennent le plus gros
morceau de la facture, pour moi, c'est une autre question, tout en
reconnaissant qu'on réduit effectivement les écarts.
Quant à la question du pluralisme des idéologies, pour
vous montrer que je ne suis pas chauvin, loin de là, là aussi je
ne partage pas complètement les vues de la commission. Je pense qu'il y
a beaucoup d'autres régions du Québec où il y a un
foisonnement, une dynamique, une animation idéologique importante.
Effectivement, je pense qu'une des conséquences des deux propositions de
cartes que vous nous faites, c'est qu'on oriente spécifiquement sur
Montréal l'éclatement de la représentation pour permettre
une meilleure représentation des différentes tendances
idéologiques, comme si on partait d'un postulat ou d'un constat que
c'est à peu près seulement là qu'il y en a. Là
aussi, il me semble qu'il y aurait des correctifs à apporter de
façon qu'on permette aux groupes, aux tendances idéologiques
qu'on retrouve dans plusieurs autres régions du Québec d'avoir la
même possibilité de se voir un jour représentés
à l'Assemblée nationale, ce qui, quant à moi, amène
là aussi des correctifs importants, majeurs, aux propositions de cartes
qui nous sont faites.
C'est, d'ailleurs, un des effets des petites circonscriptions. Plus les
circonscriptions sont petites - et c'est le cas, notamment, des
circonscriptions à trois ou à cinq députés et
même un peu à sept députés - à partir du
moment où on utilise la méthode d'Hondt pour faire la
répartition des sièges, il est clair qu'on favorise grandement,
largement, les grandes formations politiques, les formations politiques
très bien établies. Encore là, on n'atteint pas l'un des
objectifs visés, avoués, qui est celui de favoriser une meilleure
représentation de l'ensemble des tendances politiques, d'ouvrir
l'Assemblée nationale à toutes les formations politiques qui ont
une certaine base électorale plutôt que de la réserver aux
formations qui ont des bases électorales considérables.
Ce sont les derniers commentaires que je ferai, évidemment.
J'aurais aimé, M. le Président, aborder un aspect de la question
qui m'est très cher, qui est la proposition que j'ai faite à la
commission. Je ne crois pas que j'aurai l'occasion de le faire ce matin. Je
souhaite qu'au moins un jour on aura l'occasion d'en reparler puisqu'il me
semble que l'uninominal à deux tours serait probablement la proposition
qui, selon moi, serait la plus facilement faisable et la plus facilement
assimilable par la population du Québec, par les partis et par les
élus. Elle aurait aussi comme avantage de maintenir les acquis, de
maintenir ce que les citoyens souhaitent voir maintenu dans leur mode de
scrutin. Elle aurait aussi pour effet d'assurer une meilleure
représentation des tendances politiques à l'Assemblée
nationale et d'atteindre d'une certaine façon l'objectif de diminuer les
distorsions, les écarts, mais là, plutôt que de confier
cela à une mécanique de répartition des sièges, on
confierait ce rôle aux citoyens et aux citoyennes du Québec
à l'occasion d'un vote dans un deuxième tour de scrutin.
J'aurais souhaité qu'on retrouve plus d'éléments
qui auraient eu pour effet de me convaincre de la non-pertinence ou de la
pertinence de ma proposition dans le rapport. Je vois que cela a
été regardé rapidement. Je vois aussi que, dans les
rencontres qui ont été effectuées par le directeur de la
Commission de la représentation, notamment en France - finalement, c'est
un constat, ce n'est pas un reproche - on a surtout rencontré des
universitaires, des intellectuels, des spécialistes. On n'a pas
rencontré de gens qui vivent, qui travaillent dans les modes de scrutin,
je dirais, au jour le jour, qui auraient peut-être pu aussi nous apporter
un éclairage différent et nous permettre de saisir mieux
l'ensemble des avantages et aussi, évidemment, des inconvénients
d'une telle formule. Mais j'avoue que ma déception quant au sort qui est
fait à la proposition de l'uninominal à deux tours, c'est que,
finalement, j'ai crainte, j'ai peur que cela ait pour effet qu'on ne soit pas
en mesure de réaliser une réforme d'ici au prochain scrutin
général, que, quant à moi, la proposition de l'uninominal
à deux tours pourrait être applicable dès le prochain
scrutin sans rendre la vie difficile à personne et qui marquerait un pas
important en avant quant au du mode de scrutin que nous connaissons
actuellement.
Le Président (M. Vaugeois): Merci, M. le
député de Gouin. Je ne doute pas que beaucoup de personnes
auraient des commentaires à faire sur cette dernière remarque.
Une chose est certaine, c'est qu'elle mériterait d'être
débattue. Il y a une
dynamique propre aux deux tours et, si nous partons d'une situation de
fait, les gens disent: Il y a seulement deux partis politiques ou
généralement deux partis politiques ici, donc, pourquoi deux
tours? Cela se décide au premier tour. Le député de
Charlesbourg évoquait que le scrutin de 1981 avait donné 106
députés sur 122 avec une majorité absolue, mais cela est
fondé sur le mode de scrutin que nous avons actuellement. Je suis de
ceux qui croient que deux tours, cela crée une dynamique
différente. Mais nous ne pouvons pas aller plus loin, M. le
député.
M. Rochefort: Je veux simplement ajouter un commentaire, M. le
Président, à vos propos. C'est vrai qu'en 1981 cela a
été la situation. Je dirai deux choses. D'abord, quand on dit:
Les deux tours devront être appliqués une fois qu'il y aura
plusieurs partis politiques, c'est faux; c'est cela qui va
générer la création d'autres partis politiques.
Deuxièmement, quand on regarde les résultats de 1970, de
1973 et de 1976, c'est un nombre pas si important que cela qui a
été élu majoritairement au premier tour. Même en
1973, la pire distorsion qu'on a connue, il restait 37 députés
à élire dans un deuxième tour, ce qui aurait permis de
rééquilibrer passablement les tendances et les distorsions. Et,
pas par une mécanique, mais par les électeurs; donc, en leur
conservant une pleine souveraineté politique jusqu'au bout du
processus.
Le Président (M. Vaugeois): M. le député de
Gouin, on va vous inviter à joindre les rangs de la commission pour la
suite de ses travaux parce que cela ne se terminera pas tout à fait
aujourd'hui, même si nous cherchons à terminer pour 13 heures.
Nous croyons opportun de réserver environ une demi-heure pour des
porte-parole de chaque côté et peut-être aussi aux
députés indépendants. La présidence aura ensuite
quelques commentaires à faire. Donc,
Il faut réussir, si on veut terminer à 13 heures, à
loger nos interventions d'ici 12 h 30. Il ne s'agit pas de limiter le droit de
parole de quiconque, mais si ensemble on en tient compte, il me semble que,
compte tenu des demandes d'intervention que j'ai notées, on devrait y
parvenir.
Dans l'ordre, il y aurait le député de
Louis-Hébert, qui serait suivi du député de
Deux-Montagnes. Ensuite, le député de D'Arcy McGee pour quelques
interventions et le député de Chauveau. Pour l'horizon
immédiat, c'est ceci: le député de Châteauguay
s'ajouterait à la liste et le député de Westmount que
j'allais oublier qui est d'ailleurs avant le député de D'Arcy
McGee. Exactement. Pourtant, je ne devrais pas vous oublier.
M. le député de Louis-Hébert, vous y allez.
M. Doyon: Merci, M. le Président. Les travaux de cette
commission, à mesure qu'ils procèdent et avancent, nous font nous
rendre compte que ce que nous sommes en train d'étudier, ce que nous
sommes en train de regarder de très près, c'est quelle sorte de
choix nous devons faire en ce qui concerne le modèle qui doit être
celui que nous adopterons pour faire fonctionner le parlementarisme ici au
Québec. Il faut bien réaliser que le choix auquel nous avons
à faire face n'est pas un choix moral, c'est-à-dire qu'il n'y a
pas de bien et de mauvais là-dedans. Il y a, tout simplement, une
question de valorisation de certaines valeurs, de maximisation de certaines
valeurs plutôt que d'autres. Selon qu'on privilégie une valeur
plutôt qu'une autre, on arrive à certains choix.
J'ai été frappé - et je me permets de dire que je
ne suis pas d'accord - par exemple, si ma mémoire est exacte, quand M.
Côté, le directeur de la commission, à une question qui lui
était posée, où on lui demandait: Quelle est, finalement,
la raison fondamentale qui fait que l'écart, la distorsion que vous
voulez faire disparaître doivent disparaître et ne doivent plus se
reproduire dans la majorité des cas à l'Assemblée
nationale a répondu, d'après les notes que j'ai prises, que,
finalement, cela rendrait une plus grande justice à la
démocratie. Ici, on se trouve, parlant de plus grande justice pour la
démocratie, à assimiler le choix qui va être le nôtre
à un choix moral, à un choix entre le bien et le mal, à un
choix entre ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire, entre ce qui est
bon pour la démocratie et ce qui est mauvais pour la démocratie.
Je ne pense pas que ce choix soit basé sur une telle dichotomie du bien
et du mal. On a à décider et je vous soumets que c'est finalement
nous, les élus, avec ce qu'on a de limitations, avec ce qu'on a de
connaissances et aussi avec ce qu'on a de défauts, qui allons devoir
prendre cette décision parce que c'est une décision qui nous
appartient.
Nous sommes prêts à nous faire éclairer au besoin
par des experts, mais nous ne sommes pas prêts à nous faire dire
que nous ne sommes pas en position de prendre la décision, que d'autres
sont mieux placés que nous et que les conflits d'intérêts
qu'on semble vouloir trouver chez nous ne se retrouvent pas ailleurs. Qu'on le
veuille ou pas, on est presque toujours en conflit d'intérêts et,
très souvent, c'est une simple question de degré. Les
députés de l'Assemblée nationale doivent voter leur
salaire, doivent voter leur fonds de retraite, doivent voter la façon
dont ils vont organiser leurs travaux. Ce sont là des circonstances qui
nous mettent possiblement en conflit
d'intérêts, sauf que c'est une décision qu'il nous
appartient de prendre et que nous ne référons pas à
d'autres.
Donc, selon que nous maximisons certaines valeurs plutôt que
d'autres, on en arrive à des choix qui ne sont pas des choix moraux. Si,
par exemple, et c'est fort défendable, on décide de maximiser la
question de la stabilité gouvernementale, de maximiser
l'efficacité des gouvernements, de maximiser la responsabilité
des législateurs ou du lien qui existe entre l'opinion des partis
politiques et l'opinion publique et le gouvernement, on peut arriver à
certaines autres formes de propositions concernant le mode de scrutin qu'on
devrait adopter.
On se rendra jamais assez compte que le problème fondamental
qu'on pose ici, c'est la capacité d'être représenté
en tant que citoyen. À la limite, si on pousse le raisonnement, personne
ne peut être représenté adéquatement par personne
parce que nous avons tous des intérêts qui sont divergents, nous
avons tous des intérêts qui ne sont pas les mêmes que ceux
de notre voisin. À la limite, on devrait revenir à la
démocratie athénienne où les gens votaient directement,
mais cela avait des limites en soi parce qu'on ne pouvait pas gouverner
adéquatement ce qui était une ville à l'époque,
mais qui est devenu un empire quand les gens ne pouvaient pas se rendre
à l'Agora et voter directement. Finalement, le problème
fondamental, c'est celui-ci: est-ce qu'on peut, oui ou non, être
représentés? Si l'on accepte qu'on doit être
représentés, finalement, parce qu'il n'y a pas d'autre moyen de
s'en sortir, la façon de le faire acceptable est celle qui est
considérée comme légitime par la population, est celle qui
donne des résultats qui sont acceptés et qui permet d'atteindre
le but de cette représentation, c'est-à-dire la mise en place
d'un gouvernement qui fonctionne, qui prend des décisions responsables
et dont la responsabilité peut être directement attachée
à telle ou telle personne, à telle ou telle formation
politique.
Je me permets d'attirer l'attention de la commission sur la très
grande importance de la décision que nous serons appelés à
prendre éventuellement. Nous sommes un peu dans le cas des
généticiens; nous jouons avec des éléments
essentiels de ce qui est notre système démocratique. Une fois
qu'on aura accepté un changement de la nature de celui qui est
proposé par la commission, il serait à toutes fins utiles
impossible de faire marche arrière puisque de la façon dont les
engrenages sont faits pour un tel système de représentation, il
est très probablement impossible de faire machine arrière,
même si à l'usage vous vous apercevez rapidement qu'il ne
fonctionne pas. C'est très simple à comprendre. Comment
pourrait-on espérer que des partis politiques qui seraient entrés
ensemble au Parlement grâce à la proportionnelle alors que, sans
la proportionnelle, ils ne sont plus au Parlement, ils ne sont pas
représentés se fassent hara-kiri en acceptant de faire machine
arrière et de revenir à un système majoritaire uninominal
à un tour, par exemple?
Il faut bien se rendre compte - et on n'a peut-être pas assez
insisté sur cela -que, tout comme on peut trouver pour le système
uninominal à un tour des vices qui sont intrinsèques à ce
système, dont possiblement certains incidents de parcours de
surreprésentation, d'écart entre la proportion du vote et la
proportion qu'on retrouve à l'Assemblée nationale, il y a aussi
un certain nombre de vices qui sont intrinsèques à la
proportionnelle. (11 h 15)
Problèmes créés par la
prolifération des petits partis
II faut se rendre compte qu'un de ceux-là, c'est de favoriser,
qu'on le veuille ou pas, par la force même du système, de ce qu'il
est, la naissance de petits partis qui, pour exister, n'ont pas avantage
à se regrouper à l'intérieur d'un grand parti qui, lui,
doit faire toutes sortes de compromis, doit accepter toutes sortes
d'intérêts divergents pour pouvoir survivre et pouvoir
espérer prendre le pouvoir. Mais le représentant d'un parti
minoritaire, composé de personnes qui ont des objectifs et des
intérêts déterminés à défendre, il
faut le réaliser, n'a absolument aucun avantage à
s'intégrer à l'intérieur d'une grande politique
générale dans laquelle il serait noyé, pour la bonne et
simple raison que, ce faisant, il renonce à ses partisans, leur
déplaît et cesse d'être la personne qui, selon eux, peut les
représenter adéquatement.
On se retrouve donc dans une situation où, pour survivre, les
petits partis qui, grâce à la proportionnelle, réussissent
à entrer au Parlement, à l'Assemblée nationale, doivent
envoyer des représentants qui, eux, ne sont aucunement motivés,
à moins d'être suicidaires, à faire des compromis de nature
à les intégrer à l'intérieur d'une grande politique
générale qui ne serait sûrement pas, compte tenu des
intérêts particuliers qu'ils défendent, en accord avec ceux
du parti majoritaire ou du parti qui représente la plus grande partie de
la population. très rapidement nous aurons un foisonnement de partis qui
procéderont de cette façon et qui pourront espérer
survivre en cultivant d'une façon continuelle une clientèle qui
leur est propre, qui leur est acquise, une clientèle de personnes qui
ont des intérêts soit économiques soit sociaux bien
spécialisés et bien déterminés, ces personnes
permettant à ce parti de survivre et d'être
représenté à
l'Assemblée nationale.
En fin de compte, le gouvernement devra être composé de
représentants de ces petits partis et les arrangements devront se faire
non sur une plate-forme politique connue sur laquelle les gens auront
voté, mais sur une série d'arrangements, de compromis, de
maquignonnages qui se feront entre les chefs de parti, entre les têtes de
file des partis, chacun mettant de l'eau dans son vin, chacun trahissant son
programme électoral ou se retrouvant dans la situation où la
seule chose sur laquelle on pourra s'entendre dans un tel gouvernement de
coalition, la seule décision qu'on pourra prendre, ce sera la
décision de ne rien faire.
Quand on nous amène comme exemple, à la suite du voyage
qui a été fait en Allemagne, qu'il y a eu peu de changements dans
le système fiscal, il faudrait voir et évaluer tout cela. Est-ce
vraiment le signe de ce que l'on recherche: peu de changements radicaux,
d'après les renseignements contenus dans le rapport sur le voyage? La
question que je me pose: N'est-ce pas finalement, le signe que les coalitions
ont tout simplement empêché le gouvernement d'agir? Il est
peut-être vrai qu'avec le système qui est le nôtre, en
Angleterre, il y a eu beaucoup de changements concernant la fiscalité,
mais n'est-ce pas attribuable au fait que la population a eu à se
prononcer sur des programmes électoraux qui ont mis au pouvoir un parti
majoritaire qui a été en mesure de les exécuter, de les
réaliser, de les mettre en oeuvre?
Donc, il faut bien se rendre compte que la proportionnelle est loin de
n'avoir que des qualités. Elle contient des germes de difficultés
futures qui sont considérables. Quand on se met le doigt dans cet
engrenage, il faut savoir où on peut aboutir. C'est important
d'être réaliste et d'avoir les yeux ouverts en ce qui concerne
cela. Ce sont des inquiétudes que j'ai personnellement et qui continuent
malgré les explications qui m'ont été fournies par nos
invités.
Il y a aussi toute la question du rôle des partis politiques avec
une proportionnelle qui serait en place. Tout comme les partis politiques
existeront parce qu'ils cultivent une clientèle bien spéciale, ce
seront les gens qui sont les plus actifs dans ce groupement politique, qui sont
les plus présents, qui sont là depuis longtemps, les têtes
d'affiche, qui auront le dernier mot et qui verront qui sera sur la liste.
Peut-on concevoir, à titre d'exemple, dans la région de
Québec, une convention qui choisirait les candidats du Parti
libéral dans une circonscription qui comprendrait 450 000
électeurs? Qui, donc, va décider qui sera sur la liste du Parti
libéral? Pourra-t-on faire une convention électorale qui pourra
faire appel aux militants de toute la région de
Québec, qui sont des dizaines de milliers, et les inviter
à venir choisir les 9, 10, 11 candidats qui seront sur la liste? C'est
impensablel Étant donné qu'il y a une seule circonscription
électorale, comment se fera le choix? Est-ce qu'il se fera par le parti
qui décidera d'autorité que la liste est de telle nature et
comporte tel nom dans tel rang? Vous me direz: Ce sera aux partis politiques de
s'organiser, ce sera à eux de voir à faire peut-être des
miniconventions ici et là pour choisir un représentant du coin de
Sainte-Foy, un représentant peut-être du coin de Charlevoix.
Comment pourrait-on procéder? Est-ce que le système qui est le
nôtre actuellement est tellement mauvais qu'un changement drastique de
cette nature s'impose? Je pense qu'il faut être très très
prudent, être très averti des dangers que cela comporte.
En terminant, M. le Président, vous me permettrez de lire le
dernier paragraphe d'un article - il y en a eu plusieurs qui sont
dévastateurs pour les propositions de la commission - qui a paru dans le
Devoir du 16 septembre 1982. Vous me direz qu'eux, ils n'ont pas eu l'avantage
de la tournée provinciale, etc., mais, quand même, c'est un
article par M. Gérard Loriot, professeur en sciences politiques et
chargé de cours à l'UQAM. Il dit: "Le meilleur mode de scrutin
est celui que les citoyens ont parfaitement intégré, qu'ils
utilisent à leur gré, qu'ils contrôlent efficacement, qui
est simple et qui leur permet de communiquer en direct avec ceux qui les
guident temporairement. Ce mode de scrutin est encore bonifié lorsque le
résultat des élections qu'il organise est considéré
comme légitime, mais il devient supérieur quand il permet
d'identifier les véritables responsables de la gouverne politique sans
intermédiaire, sans camouflage ni coalition artificielle
d'intérêts contradictoires."
Ce dernier point, c'est une remarque que je me permets en terminant, est
extrêmement important. Actuellement, avec le système qui est le
nôtre, au moins quand cela ne fonctionne pas, on sait de qui c'est la
faute, on sait qui blâmer et on sait à qui faire porter la
responsabilité. Dans un système où le gouvernement sera
formé avec des coalitions de personnes, des coalitions de chefs de parti
et de membres de partis différents, la responsabilité sera
nécessairement diluée. On sait très bien que, lorsque la
responsabilité est diluée, ce n'est la responsabilité de
personne. Le programme gouvernemental, la politique gouvernementale devra
être le fruit de compromis continuels entre des intérêts
divergents et des programmes opposés de partis politiques. Quand viendra
le temps de savoir comment il se fait que le gouvernement n'a pas posé
tel ou tel geste, pourquoi il n'a pas agi dans telle ligne, pourquoi cela ne
fonctionne pas
dans tel domaine, chacun des partis aura beau jeu de dire: Moi, j'aurais
bien voulu faire quelque chose, mais je devais composer avec les autres membres
du gouvernement et je n'avais pas le choix. On sait très bien
qu'à ce compte-là la population, par voie de conséquence,
se désintéressera du processus démocratique parce qu'elle
dira: Ce n'est jamais la faute à personne. On se renvoie la balle
continuellement et, à ce moment, qu'est-ce que cela donne d'élire
quelqu'un puisque, finalement, on n'élit personne? Si cette proposition
devait nous amener dans un tel cul-de-sac, il faudrait être très
prudents avant de se prononcer de quelque façon que ce soit et de jouer
les apprentis sorciers.
Le Président (M. Vaugeois): M. le ministre, vous voulez
réagir sur cette intervention?
M. Duhaime: Oui, M. le Président.
M. de Bellefeuille: Vous aviez annoncé...
Le Président (M. Vaugeois): J'ai annoncé...
M. de Bellefeuille: ...un ordre de parole.
Le Président (M. Vaugeois): On a aussi comme principe que,
quand un sujet est abordé, on peut faire un échange sur le sujet.
Alors, si je comprends, M. le ministre, ce serait bref, que ce serait une
question.
M. de Bellefeuille: II arrive, dans les circonstances, que cet
échange ressemble à un droit de parole privilégié
du ministre. Je croyais que nous avions dans la réforme parlementaire
écarté cette habitude.
M. French: Je voudrais appuyer avec enthousiasme l'intervention
du député de Deux-Montagnes. Je ne vois aucun besoin d'avoir une
intervention du ministre. Un député s'est exprimé. Nous
avons ici des gens dont le temps est important et limité. Si tout le
monde peut s'exprimer, c'est parfait. Que le ministre se donne le pouvoir de
commenter tout et chacun, je trouve cela ridicule.
Le Président (M. Vaugeois): Écoutez, moi, je ne
tomberai pas dans le piège de faire un débat sur cette
intervention possible et de se priver du temps que nous voulons pour autre
chose. Mais je me permettrais de faire remarquer, tout de même, que,
depuis le début, ce n'est pas arrivé. S'il y a des gens qui sont
intervenus sur des questions qui étaient abordées, c'est à
peu près tout le monde, sauf le ministre. Je vous donne raison sur le
fond de la chose, mais, jusqu'à maintenant, nous avons laissé
n'importe qui intervenir sur une question qui était abordée pour
une question ou pour un commentaire.
M. French: Ni le député de Deux-Montagnes, ni
moi-même n'avons fait cela.
M. de Bellefeuille: M. le Président, ce n'est pas exact.
Tout à l'heure, après l'intervention du député de
Gouin, j'avais plusieurs points que j'aurais voulu soulever
immédiatement. Je ne l'ai pas fait parce que je me conforme aux
nouvelles règles.
Le Président (M. Vaugeois): Bien. Je vous donne raison et
vous avez la parole.
M. de Bellefeuille: Merci.
Le Président (M. Vaugeois): Vous voulez commenter?
M. Côté (Pierre-F.): Non, je voudrais apporter une
seule précision aux observations qui viennent d'être faites par le
député de Louis-Hébert, quand il a fait
référence à l'article de M. Loriot. Je veux juste rappeler
que M. Loriot est un spécialiste du mode de scrutin actuel.
Immédiatement après la publication de l'article auquel on a fait
référence, nous lui avons demandé de venir devant la
commission et il nous a exposé son point de vue. Évidemment, si
on veut citer plusieurs articles de journaux, on pourrait en invoquer un
certain nombre qui vont dans un sens ou dans l'autre, mais je ne voudrais pas
argumenter de cette façon. Tout ce que je veux dire, c'est que les
considérations du député sont sérieuses et nous
amènent, nous, également, à des réflexions.
Le Président (M. Vaugeois): Je me souviens de la parution
de M. Loriot. La presse, d'ailleurs, avait réagi à ce moment, ce
qui n'est pas toujours le cas. Cela voulait dire, quand même, qu'il y
avait une pensée assez articulée dans cette intervention.
M. Côté (Pierre-F.): Il est évident qu'on
diverge fondamentalement d'opinion avec le député de
Louis-Hébert sur le problème de la représentativité
du pluralisme de la société québécoise. C'est une
question d'opinion.
Le Président (M. Vaugeois): M. le député de
Deux-Montagnes.
M. Duhaime: Je voudrais simplement dire ceci. Il y a beaucoup de
gens qui ont dit que, dans un mode de scrutin nouveau ou en modifiant le mode
de scrutin actuel, on aurait peut-être deux sortes de
députés. Je me sens dans une catégorie assez
spéciale. Je ne sais pas si le fait d'être membre du Conseil des
ministres...
Une voix: Vous êtes à part.
M. Duhaime: Bon. Je ne demande pas un droit de parole
privilégié, en aucune façon. Mais je n'accepterai pas, non
plus, de ne rien dire à la suite d'une intervention que le
député de Louis-Hébert vient de faire où, à
mon sens, il y aurait, au moins, deux choses importantes à relever. Mais
je prendrai la parole cet après-midi, M. le Président. Alors, si
vous voulez m'inscrire en pied de liste, je vais attendre mon tour.
Le Président (M. Vaugeois): Vous êtes
déjà inscrit, M. le ministre. Je constate avec vous qu'il y a
maintenant déjà deux catégories de députés
dans ce Parlement. M. le député de Deux-Montagnes, s'il vous
plaît, et en essayant de vous en tenir comme les autres, au sujet.
M. de Bellefeuille: Ce qui vient de se passer là, je
trouve cela très désagréable. Je ne veux pas faire
l'empêcheur de danser en rond. Je veux être bon collègue.
Mais il me semble que ce n'est pas seulement à moi d'être bon
collègue. Il me semble que la réforme parlementaire va se faire
quand tout le monde acceptera les nouvelles règles et s'y conformera.
Moi, j'ai pris des notes pendant des interventions. C'est à partir de
cela que je vais intervenir maintenant. Je crois que c'est la façon
normale de faire.
Je voulais d'abord dire: Puisque, du côté
ministériel, nous avons manifesté des avis parfois divergents,
cela vaut peut-être la peine d'indiquer, des fois, que des
députés ministériels sont d'accord sur certains points. Je
voudrais indiquer que je suis tout à fait d'accord avec le
député de Gouin sur le sens général de
l'intervention qu'il a faite ce matin et sur deux points en particulier. (11 h
30)
Respect de nos habitudes politiques
Le premier point, c'est au sujet de la représentation des
électeurs de la région de Montréal, enfin de
Montréal comme territoire électoral. Il me semble que cela ne
vaut pas la peine de faire une réforme si, dès le départ,
dans cette réforme, nous acceptons comme règle ou comme principe
en quelque sorte que les électeurs de Montréal vont avoir moins
de poids que les autres électeurs. Cela me paraît absolument
inacceptable. Il me semble que, si on se donne le mal de faire une
réforme - et il est évident qu'on se donne du mal pour la faire -
il faut accepter, au départ, que les électeurs de Montréal
auront exactement le même poids que les autres électeurs du
Québec. C'est le premier point que je voulais indiquer où je suis
tout à fait d'accord avec le député de Gouin.
Le deuxième point, c'est lorsque le député de Gouin
a dit, à propos de la composition des listes territoriales de candidats
pour chaque parti, que ce que la Commission de la représentation nous
recommande aurait pour effet "d'encourager et de stimuler le vedettariat en
politique au détriment de la relation
député-électeurs". Je suis tout à fait d'accord
avec cela. L'expression que j'avais employée dans mon intervention,
c'est que cela créée des baronnies territoriales et cela a
l'effet de créer une nouvelle hiérarchie parmi les
députés d'un parti. Je pense qu'on n'a pas besoin, à notre
époque moderne où nous avons accepté un certain nombre de
concepts plus égalitaires, de ces nouvelles hiérarchies.
Cela dit, je voudrais en quelque sorte -mon intervention ne sera pas
beaucoup plus longue que cela - compléter celle que j'ai faite hier.
Hier, j'ai expliqué qu'il faut éviter que la réforme du
mode de scrutin n'ait pour effet de rendre la ligne de parti et l'esprit de
parti plus rigides qu'ils ne le sont déjà. En particulier, je me
suis élevé contre un aspect de la recommandation qui nous est
faite qui aurait pour effet d'empêcher un député de changer
d'allégeance, c'est-à-dire qu'un député, en vertu
des recommandations qui nous sont faites, ne pourrait pas quitter son parti et
siéger comme indépendant. Il y a une notion philosophique et je
ne m'étendrai pas longtemps là-dessus, parce que, au fond, je ne
suis pas plus philosophe que vous, M. Côté, M. Bourassa et M.
Lessard, mais il me semble qu'un député avant tout, c'est une
personne. Ce n'est pas une étiquette. Les électeurs, en principe,
en tout cas, n'élisent pas une étiquette; ils élisent une
personne. Le fait pour cette personne de perdre l'étiquette partisane,
cela n'abolit pas la personne. La personne reste là. La personne
député doit rester là.
Il y a une chose que je voulais dire hier, mais que j'ai oublié
de dire parce qu'on cherche toujours à raccourcir nos interventions.
J'ai insisté sur le fait que, même s'il faut digérer les
expériences étrangères, il faut trouver quelque chose qui
correspond vraiment à nos moeurs et, jusqu'à un certain point,
à nos habitudes politiques. Je voulais rappeler un
événement de la vie politique québécoise qui a
été extrêmement important, qui a été un point
tournant dans notre vie politique des quinze dernières annnées et
qui n'aurait pas eu lieu si la représentation proportionnelle
territoriale avait été en vigueur. Cet incident, c'est, en
octobre 1969, l'opposition circonstantielle -c'est comme cela que cela s'est
appelé à l'époque - au projet de loi 63 sur la politique
linguistique au Québec. Cela a été le début en
quelque sorte de ce très long débat. L'opposition
circonstantielle était composée de cinq membres de
l'Assemblée nationale du Québec, de cinq députés.
Elle
s'appelait, à ce moment-là déjà,
l'Assemblée nationale du Québec. Elle ne s'appelait plus la
Législature ni l'Assemblée législative, c'était
l'Assemblée nationale. Ces cinq membres de l'Assemblée nationale
étaient M. René Lévesque, qui en est toujours membre; M.
Jérôme Proulx, qui en est également toujours membre; M.
Yves Michaud - je pense que tout le monde connaît M. Michaud M. Antonio
Flamand et M. Gaston Tremblay. Deux de ces députés avaient
quitté le Parti libéral et trois députés, à
ce moment-là, ont quitté l'Union Nationale.
Si, à ce moment-là, en octobre 1969, je le
répète, la proportionnelle territoriale avait été
en vigueur, ces cinq députés n'auraient plus été
membres de l'Assemblée nationale, ayant quitté leur parti, et
n'auraient pas pu constituer cette opposition circonstancielle. Je
répète que cela a été un moment extrêmement
important dans notre histoire politique. Cela a été un point
tournant. Je pense que personne ne peut mettre en doute que cela a
été très important dans notre histoire.
Je cherche à vous montrer, MM. Côté, Bourassa et
Lessard, par cet exemple historique, qu'il est important de ne pas modifier
notre régime électoral d'une façon qui ne correspond pas
à certaines de nos habitudes politiques qui sont valables. Cet exemple
montre bien, je crois, que non seulement au plan des principes, mais au plan
des circonstances politiques il peut être extrêmement
méritoire, en quelque sorte, pour un député de quitter son
parti. Il ne faudrait pas que, parce qu'il quitte son parti, je le
répète, il perde automatiquement, de ce seul fait, sa condition
de député. Cela me paraît, je le répète,
absolument fondamental et je tiendrai à ce que toute réforme du
mode de scrutin maintienne cette possibilité pour la personne
député de continuer à siéger ayant
été choisi par ses électrices et ses électeurs
même si il ou elle décide d'écarter une étiquette
partisane. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Vaugeois): Je vous remercie, M. le
député.
M. le député de Westmount.
M. French: Merci, M. le Président. Je voudrais, aussi
étrange que cela puisse paraître, revenir au directeur et à
ses collègues pour leur poser quelques questions. On sait que le
directeur de la commission a fait un voyage en Europe pour examiner un certain
nombre de modes de scrutin. Si le temps nous le permet, nous aimerions aborder
plus précisément ce qu'il a retiré de ce voyage. D'abord,
il y a une question que je crois important de poser. Quand le voyage en Europe
a-t-il été effectué? Entre quelle date et quelle date?
M. Côté (Pierre-F.): Il a duré trois
semaines. C'est du 6 ou 7 janvier ou 21 janvier, je pense.
M. French: Merci.
M. Côté (Pierre-F.): C'est dans mon rapport.
M. French: C'est parce que vous avez eu un mois de janvier assez
mouvementé. Je crois que vous avez rencontré le premier ministre
au mois de janvier 1984. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en était?
M. Côté (Pierre-F.): J'ai rencontré le
premier ministre à quelle période, dites-vous?
M. French: En janvier 1984, en tout cas autour de Noël
1983.
M. Côté (Pierre-F.): C'est possible que je l'aie
fait. Je le rencontre à l'occasion dans l'exercice de mes fonctions.
À quelle date, de façon précise?
M. French: Dans l'exercice de quelles fonctions? Est-ce dans
celles de Directeur général des élections que vous auriez
rencontré le premier ministre?
M. Côté (Pierre-F.): Je ne fais pas la relation.
Possiblement, très probablement. Habituellement, c'est dans l'exercice
de ces fonctions-là que je le rencontre.
M. French: M. le premier ministre a dit qu'il vous a
rencontré au début de janvier 1984 pour discuter des affaires de
la commission d'étude et non pas, si on se fie à ce que le
premier ministre a dit, des affaires qui avaient trait aux fonctions que vous
exercez depuis quelques années comme Directeur général des
élections.
M. Côté (Pierre-F.): Comme il m'est arrivé de
rencontrer M. Gérard D. Lévesque aussi.
M. French: Est-ce qu'à ce moment-là vous avez
rencontré M. Gérard D. Lévesque?
M. Côté (Pierre-F.): À cette
période-là ou à d'autres, mais j'ai rencontré M.
Lévesque à quelques reprises, oui.
M. French: On parle en plein milieu de la commission
d'étude.
M. Côté (Pierre-F.): Oui, en plein milieu de la
commission d'étude, je me souviens de l'avoir rencontré. Il
faudrait que je le retrouve dans mes dossiers. Je me souviens d'avoir
rencontré le leader de l'Opposition également.
M. French: Quelle était la date précise de vos
rencontres?
M. Côté (Pierre-F.): Écoutez! Il faudrait que
je fasse la recherche dans mes dossiers, parce que vous posez une question...
Je ne vois pas, évidemment, la relation que vous faites entre ces
rencontres et le rapport de la commission. Je voudrais que vous
précisiez.
M. French: Je ne vois pas la relation, non plus, sauf que je
m'interroge sur le fait que le premier ministre a fait part publiquement d'une
rencontre avec vous et je me demande ce qui s'est passé. Je voulais vous
donner l'occasion de nous l'expliquer. M. Lévesque dit, entre autres,
que vous avez discuté des travaux de la commission. Vous l'avez
informé que la commission ferait des recommandations. Vous l'avez
informé que vous seriez prêt en mars. La question que je me pose,
c'est: Est-ce qu'à ce moment-là vous avez rencontré
Gérard D. Lévesque pour lui faire part des mêmes
informations, des mêmes renseignements?
M. Côté (Pierre-F.): Comme je vous le dis, il
faudrait que je vérifie si c'est exactement à la même
période. Tout ce que je peux vous dire, de mémoire, c'est que
j'ai également rencontré M. Lévesque.
M. Gratton: M. Côté, pourriez-vous nous assurer que
vous allez nous fournir l'information parce qu'effectivement les
vérifications qu'on a faites auprès de M. Lévesque nous
indiquent qu'il n'y a pas eu de rencontre à ce moment-là, sauf
erreur? Si vous pouvez nous faire parvenir l'information plus tard parce que la
commission terminera ses travaux ce midi.
M. Côté (Pierre-F.): Je vais essayer de retracer ce
que vous dites. Ce que je veux bien préciser, c'est que, dans l'exercice
normal de mes fonctions, il m'arrive - c'est tout à fait normal et
régulier; mon prédécesseur l'a toujours fait avec onze
premiers ministres - de rencontrer le premier ministre. Qu'il ait
été, à l'occasion de cette rencontre, question des travaux
que nous effectuons, qu'il y ait eu quelques échanges là-dessus,
si M. Lévesque dit qu'il y en a eu, il y en a probablement eu. Moi, je
ne me rappelle pas cela de façon précise parce qu'il y a d'autres
sujets que j'ai abordés avec lui.
Je dis que j'ai également rencontré M. Gérard D.
Lévesque non pas nécessairement avant, après ou
immédiatement à ce moment, mais je l'ai rencontré au sujet
des travaux de la commission sur certains sujets. Et nous avons
également, les trois commissaires, rencontré M. Gérard D.
Lévesque avant d'entreprendre nos travaux, comme on a également
rencontré le premier ministre.
M. French: Je vais retenir, M. le Président, mon droit de
revenir lorsqu'on aura des informations précises, d'abord, sur la date
de la rencontre avec M. Lévesque de janvier 1984 et deuxièmement,
des renseignements...
M. Blouin: Parlez-vous de la rencontre avec M. Gérard D.
Lévesque ou avec M. René Lévesque? De quelle rencontre
s'agit-il, de la rencontre avec M. Gérard D. Lévesque ou avec M.
René Lévesque?
M. Gratton: II n'y en a pas eu.
M. French: Si vous me permettiez de finir, vous l'apprendriez
peut-être, M. le député.
M. Blouin: Ah bon! J'ai hâte.
M. French: Non seulement la date de la rencontre avec M.
René Lévesque, mais aussi les dates des rencontres que vous avez
tenues avec M. Gérard D. Lévesque et on pourra continuer si le
besoin se fait sentir.
M. Côté (Pierre-F.): M. le député, la
seule chose que je veux vous dire, c'est que j'espère avoir
conservé cela. Je n'ai pas toujours l'habitude de conserver en note
toutes les rencontres, toutes les heures et les dates. J'espère
être capable de le retrouver; c'est tout ce que je peux vous dire pour le
moment.
M. French: M. le Président, je ne peux que vous demander
qu'au meilleur de vos connaissances et de vos renseignements vous nous
informiez de ce qu'il en était.
Représentation des femmes et des
minorités
Maintenant, je voudrais parler d'une autre question et c'est celle de la
représentation des femmes et des minorités à partir de vos
recommandations. En effet, je ne réussis pas à saisir
précisément pourquoi certains groupes vous ont informé de
leur appui à votre proposition ou, en tout cas, à un
système semblable parce qu'ils croyaient que cela favorisait une
meilleure représentation des femmes ou des groupes minoritaires. Je ne
réussis pas, non plus, à comprendre pourquoi vous avez
accepté qu'une telle réforme serait susceptible de favoriser ce
genre d'amélioration de notre système. Je pense que tout le monde
sera d'accord pour dire que ce serait une amélioration.
M. Côté (Pierre-F.): M. Bourassa.
M. Bourassa: Si je comprends bien, l'essentiel de votre question,
c'est pourquoi nous avons accepté de rencontrer et d'entendre ces
groupes.
M. French: Pas du tout. Je m'excuse, je n'ai pas demandé
pourquoi vous les avez rencontrés, mais pourquoi vous avez
accepté. Vous auriez pu dire: On accepte que c'est une bonne
idée, mais le système ne fonctionne pas comme cela. Ce n'est pas
du tout pourquoi vous les avez rencontrés.
M. Bourassa: D'accord. Je vais vous répondre en revenant
à un aspect qui a été beaucoup discuté et c'est une
ligne de préoccupation majeure de ce rapport; il s'agit de trouver le
mécanisme le plus souple qui permette à des groupes divers
d'être représentés. Parmi les principaux intervenants,
puisque vous avez évoqué ce cas, plusieurs groupes
représentant les femmes - je n'ai pas fait le décompte - sont
intervenus et de façon à peu près unanime -je ne voudrais
pas faire d'erreur - en tout cas de façon très majoritaire, ces
groupes nous ont dit: Nous souhaiterions que le mode de scrutin soit
transformé et, dans les propositions de transformation et de
modification que nous voyons - je répète encore les propos que
tenaient ces groupes -un mode proportionnel nous paraîtrait valable. Il
est même arrivé, toujours en référence aux groupes
représentant les femmes, si on peut s'exprimer ainsi, que certains de
ces groupes émettent des réserves sérieuses même sur
la proportionnelle en disant: Ce n'est pas certain que cela va améliorer
autant la situation qu'on le souhaiterait, mais il est certain que, pour nous -
c'est ce qui s'est dégagé, je résume à grands
traits la démarche - ce serait une étape et un pas importants.
(11 h 45)
Alors, ces remarques concernant les femmes, donc, souvent
répétées, qui semblaient émaner de groupes divers
qui avaient réfléchi à la question, qui ont
déposé des mémoires, à quelques occasions,
extrêmement bien faits, si vous voulez, se sont ajoutés à
d'autres remarques. Par exemple - vous avez parlé aussi des
minorités, mais je ne pense pas qu'on puisse les qualifier de
minorités - les jeunes ont été un autre groupe social, si
je puis dire, qui est intervenu de la même manière pour nous dire:
Nous pensons que le mode de scrutin devrait être assoupli,
renouvelé pour nous laisser une voix au chapitre.
Alors, pourquoi, donc, avons-nous accepté cela? C'est qu'il nous
a semblé que ces propositions, que ces suggestions et recommandations
venant de leur part s'ajoutaient fort bien à d'autres recommandations et
à d'autres suggestions qu'on entendait dans les diverses régions,
qu'on entendait venant de divers groupes représentant aussi bien des
maires de municipalités que des chambres de commerce, que des centrales
syndicales. En définitive, c'est donc dans cette espèce de
courant très global que les représentations des groupes
féminins et des minorités ont été
considérées par nous-mêmes et incorporées dans ce
rapport.
M. French: Oui, M. Bourassa, cela, j'en suis. C'est sûr
qu'un certain nombre de groupes vous ont dit cela. La question que je pose:
Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment c'est supposé
bénéficier à ces groupes? Non pas qu'ils croient que cela
va leur être bénéfique, j'accepte qu'ils croient cela. Mon
problème, c'est que vous, vous êtes des experts, vous avez
étudié toute une série de choses, vous avez voyagé,
vous avez utilisé les sondages comme d'autres outils, vous avez fait
toute une série de recherches et vous avez consulté des experts.
J'aimerais faire la lumière sur le mécanisme à
l'intérieur du principe de la proportionnelle qui va aider ces groupes;
c'est cela que je ne saisis pas.
M. Bourassa: Je pense qu'on peut y répondre en mettant
l'accent sur un point très précis. Le mode de scrutin que nous
proposons, la proportionnelle territoriale, s'appuyant essentiellement - et
c'est un des éléments clés - sur le scrutin de liste et de
liste ouverte où les choix peuvent même être panachés
d'un parti à l'autre, permettra aux électeurs, justement, de
faire le départage entre les candidatures féminines qui
pourraient leur paraître intéressantes ou les candidatures des
jeunes ou les candidatures d'autres groupements sociaux. Alors, une des
techniques à la base même de tout ce système qui est la
liste constituée au niveau d'une circonscription plurinominale - nous
avons, justement, recommandé, sans en faire une proposition absolument
intouchable, loin de là, qu'elle soit ouverte et même que
l'électeur puisse, encore une fois, panacher d'une liste à
l'autre - est à peu près la réponse à la question
que vous posez, me semble-t-il. Par ce mécanisme, nous pensions offrir,
nous pensions avoir en main un élément qui permettait cette
expression des différents groupes.
M. French: Alors, l'argument se résume à ceci et je
ne veux pas le déformer. Je vais vous inviter à commenter mon
résumé très sommaire. Les comtés dans le
système actuel ne permettent pas l'expression de candidatures
féminines ou de groupes particuliers de la société, mais
les centrales des partis vont être plus susceptibles de favoriser de
telles candidatures. Est-ce qu'on peut le résumer comme cela puisque
les
centrales auront un rôle déterminant dans la confection des
listes?
M. Bourassa: Les centrales?
M. French: Le parti comme expression d'un chef et d'une
permanence et d'une prise sur la confection de la liste?
M. Bourassa: Dans le résumé que vous faites, il y a
un élément que j'ajouterais qui est très important: ce
sont les membres des partis et les électeurs qui auront, à
travers ces listes, des choix qu'ils n'ont pas maintenant et on nous l'a
beaucoup souligné. Dans le mode de scrutin actuel - vous le savez
sûrement beaucoup mieux que moi - il y a un certain type de candidatures,
par exemple, dit-on, les candidatures féminines qui - en tout cas, les
statistiques le montrent - n'ont pas été prédominantes et
si nombreuses que cela; la même chose pour d'autres catégories.
Mais, dans la technique dont je viens de parler, ce ne sont pas que les
centrales des partis, loin de là, ce sont les membres des partis
eux-mêmes qui auront leur mot à dire dans la fabrication de ces
listes. Je pense qu'il faut bien conserver à l'esprit que les listes, ce
n'est pas un exercice intellectuel qui se fait dans un bureau d'universitaires,
sûrement pas, et cela aussi, vous le savez mieux que moi. Ce sont les
dirigeants et les leaders des divers partis qui, dans tous les cas qu'on peut
examiner où un mode de scrutin semblable existe, ont cette
responsabilité de la fabrication d'une liste qui rencontre les besoins
de la population. Donc, il y a - je vous l'accorde -l'action
déterminante de ces dirigeants, mais il y a aussi le poids très
grand des membres du parti dans le choix des membres de cette liste.
Troisièmement, il y a - ce qui est aussi un autre élément
très important dans la démocratie - le choix des électeurs
qui, dans l'ensemble de ces listes, ont un plus grand éventail de
possibilités que maintenant. C'est, je pense, l'essentiel de ce que l'on
peut fournir sur cette question.
M. French: M. Bourassa, ce sont les membres du parti qui
choisissent les candidats dans les comtés respectifs; alors à
l'intérieur d'une convention comment ces membres d'un parti vont-ils se
comporter autrement compte tenu de votre proposition?
M. Bourassa: J'accepte votre postulat que ce sont les membres
d'un parti. Je ne suis pas là pour discuter qui choisissent leur
candidat. Ce que nous pensons c'est qu'à partir du moment où il
s'agit dans un scrutin de liste de choisir plusieurs candidats pour une seule
circonscription c'est un peu une vérité mathématique
élémentaire, dès que le choix est plus que pour une
personne on peut se permettre de la variété. Je m'excuse de le
dire aussi simplement que cela.
M. French: Qui est la personne qui décide: Eh bien, je
peux me permettre de la variété?
M. Bourassa: L'électeur, c'est-à-dire le membre du
parti.
M. French: Oui, mais si les personnes ne sont pas sur la liste du
parti, alors le choix de l'électeur se trouverait insatisfait.
M. Bourassa: Si vous me le permettez, prenons l'exemple qu'on a
beaucoup évoqué d'une circonscription dans la région de
Montréal où il y a 19 candidats à choisir. On a
élevé contre cela des difficultés qui peuvent être
très importantes, mais il m'apparaît évident que dans une
circonscription comme celle-là sur la liste il y a un bon nombre de
groupes, de représentants des femmes, de jeunes et de divers mouvements
qui peuvent arriver à se faire représenter sur la liste en bonne
position et obtenir donc une plus grande chance d'être élus alors
qu'aujourd'hui la règle du jeu dans le mode du scrutin où nous
sommes est beaucoup plus tranchée, si je puis dire. Il y a un candidat
et encore une fois là cela n'est pas une opinion personnelle
l'expérience montre bien que le choix de ce candidat a été
fait de façon qu'il n'y ait pas de lendemain, si on veut. C'est un choix
unique et ensuite l'élection donne des résultats très
stricts, très précis et pas mal rigides. Ce qui veut dire, et les
statistiques le montrent, qu'il y a un certain nombre de femmes. C'est
vous-même qui avez évoqué la représentation des
femmes. Il y a 52% de l'électorat qui viennent nous dire: Nous ne sommes
à peu près pas représentées.
M. French: Personne ne remet en question le problème que
nous avons dans la démocratie actuelle de la représentation
féminine. C'est parce que je suis intéressé à
avancer cette cause que je me pose des questions sur la
légitimité de l'argument avancé pour la proportionnelle
à savoir que cela va augmenter le nombre de femmes en politique.
M. Bourassa: Si vous me le permettez, je pourrais peut-être
tout simplement tâcher de vous résumer la position d'un certain
nombre de ces groupements qui nous disaient: Quand il s'agira de fabriquer dans
un mode proportionnel une liste, nous serons en meilleure position, nous
groupements féminins, sur une liste d'environ dix candidats de
réclamer qu'il y ait trois candidates féminines en bonne
position, alors qu'actuellement où il y a un seul candidat à
choisir nous sommes défavorisées par le système.
M. French: Où cette pression va-t-elle s'exercer lorsque
les listes sont en train de se faire confectionner? Auprès de qui?
M. Bourassa: Auprès de la direction des partis,
auprès...
M. French: Ah voilà! M. Bourassa: Pardon? M.
French: Voilà, c'est cela.
M. Bourassa: Mais ma réponse n'était pas
terminée, auprès des membres du parti. Il y a toute une dynamique
interne dans les partis politiques. Je n'ai pas la prétention de
réduire strictement à la tête du parti. Quand arrivera la
convention où seraient choisis ces dix candidats parmi lesquels il y
aurait tant de candidates, cela ne sera pas que la direction du parti qui aura
droit de parole, me semble-t-il.
M. French: M. Bourassa, je voudrais le croire.
M. Bourassa: J'espère vous en convaincre.
M. French: Excusez-moi.
M. Bourassa: J'espère justement vous en convaincre.
M. French: D'accord. Je voudrais vous donner ma réaction
très honnête face à cela parce que j'aimerais bien que ce
soit le cas et si c'était le cas cela me motiverait d'être
très intéressé par une réforme qui ferait en sorte
que surtout les femmes soient mieux représentées, mais
malheureusement il faut une prise quelque part sur le processus. Il faut une
place où les femmes seraient en mesure d'aller et il faut des gens
à qui s'adresser et que ces gens-là aient aussi une prise sur le
processus interne de chaque parti. Je ne peux qu'imaginer que ce point de
pression serait la centrale des partis politiques. J'ai beaucoup de
difficulté à voir pourquoi ces centrales seraient dans la
réelle politique de tous les jours avec toutes les pressions qu'on y
connaît et pas seulement dans l'empire où on exprime nos souhaits
et nos désirs. La liste ferait-elle en sorte qu'il y aurait une plus
grande possibilité et les gens à la direction du parti ou les
gens avec une prise importante sur la confection des listes seraient-ils
nécessairement plus intéressés à écouter
qu'ils ne le sont aujourd'hui? Après tout, il y a probablement plus de
52% des femmes; malheureusement le processus est ainsi fait qu'une bonne
proportion de ces femmes préfèrent appuyer, à
l'intérieur du parti, un homme comme elles en ont nommé un depuis
cent ans à
Westmount. Je peux regretter cela mais je ne vois pas pourquoi le
système va changer cette réalité de base et je ne vois pas
pourquoi les féministes auraient un meilleur auditoire, plus
réceptif, dans le nouveau système.
M. Bourassa: Je respecte tout à fait votre opinion. Tout
ce que je puis ajouter, c'est que nous pensons que cette proposition a plus de
chance d'ouvrir un certain nombre de possibilités que le système
actuel; lui, on voit bien comment il fonctionne, donne des résultats
quand même très évidents.
M. French: Je dirai tout simplement que cela dépend
ultimement d'une volonté à la direction des partis.
Une voix: Tout à fait.
Le Président (M. Dussault): C'est maintenant au tour de M.
le député de Chauveau.
Proposition d'un système mixte
M. Brouillet: Merci, M. le Président. Messieurs de la
commission, il me fait plaisir d'intervenir aujourd'hui pour la première
fois au cours de ces travaux. Si je n'ai pu le faire avant c'est que
j'étais présent à la commission de l'éducation
concernant le problème de financement des universités.
Le mode du scrutin m'intéresse assez vivement depuis quelques
mois et j'ai tenu à prendre quelque temps pour vous faire part de mes
observations. Il est entendu que lorsque nous abordons cette question de la
réforme du mode de scrutin notre grande préoccupation à
tous c'est de tenter d'améliorer la qualité de la vie
démocratique au Québec. Je crois qu'il y a deux
éléments très importants dont nous devons tenir compte,
dont vous avez d'ailleurs tenu compte et dont l'ensemble des intervenants
tiennent compte aussi. Pour avoir une bonne qualité de
démocratie, cela prend une bonne représentation de l'ensemble de
la population au niveau de l'Assemblée nationale, au niveau des
élus. Mais il y a un autre aspect qui est très important, c'est
l'aspect de la qualité de la relation entre l'électeur et
l'élu. Cela, je crois que vous l'avez très bien reconnu dans
votre mémoire. C'est accepté par tous, je pense bien.
Je dirais que le premier élément, la bonne
représentation, c'est un élément plutôt d'ordre
quantitatif et l'autre, à mon sens, la qualité de la relation,
c'est un élément spécifiquement d'ordre qualitatif.
Personnellement, j'ai plutôt tendance, tout en assurant une certaine
représentation proportionnelle, une certaine proportion d'élus
par rapport au nombre d'électeurs - c'est entendu qu'il faut respecter
cela - à croire
que la dimension de la qualité de la relation pour une
qualité de la démocratie, c'est peut-être à mon sens
la dimension la plus importante. C'est à la lumière, je pense
bien, de ces deux éléments essentiels constitutifs - si vous
voulez - d'une mode de scrutin en vue d'une qualité de démocratie
qu'il faut juger un peu les différents systèmes, juger des
avantages et des inconvénients. C'est d'ailleurs ce que vous avez fait,
je pense, dans votre travail. Je n'ai pas l'intention de poursuivre la
dissection. Cela fait plusieurs jours qu'il se fait de la dissection des
systèmes, dissection du système actuel et dissection de votre
proposition "la proportionnelle territoriale".
Je vais seulement résumer un peu certains éléments
qui ont été dégagés de cette dissection pour me
lancer dans une autre voie. Pour moi le temps de la dissection achève et
disons que dans mon cas je l'ai terminée il y a quelque quinze jours,
trois semaines, un mois et j'ai essayé de penser une formule pour tenter
de sortir de l'imbroglio et de l'impasse où nous nous retrouvons. Je
pense que la commission présente montre que finalement, si l'on reste
sur le statu quo ou sur la proposition que vous avez avancée, la
"proportionnelle territoriale", nous sommes dans une impassse. Je me risquerai
tantôt, sans prétention, à énumérer certains
éléments d'une proposition de réforme qui, j'ose le dire,
rallierait les membres de l'Opposition libérale. Ils sont un peu
distraits là, ils n'ont pas réagi, mais j'espère qu'ils
suivront quand même un peu la représentation que je ferai plus
tard. J'aimerais connaître leur réaction à cela
après et probablement celle de l'ensemble des citoyens du Québec.
(12 heures)
J'aimerais venir un peu à: Pourquoi je suis contre le statu quo
et pourquoi je suis contre la proportionnelle? Dans le statu quo, le
régime actuel, il y a des avantages et à mon sens la
qualité de la relation entre l'électeur et l'élu, elle est
avantagée dans le système actuel. Il y a une difficulté au
niveau de la représentation, d'où les distorsions possibles et,
aussi, le fait qu'il y ait des groupes, des tendances minoritaires qui ne
peuvent pas être présenté. Ce sont les deux
inconvénients majeurs.
Maintenant, si on prend la proportionnelle territoriale, je crois
réellement - il y a eu beaucoup d'interventions qui se sont faites dans
ce sens aujourd'hui, je ne veux pas reprendre ces arguments - que la relation
de l'électeur et l'élu va en prendre un coup. Et l'argumentation
tantôt du vedettariat à l'encontre du contact beaucoup plus
personnel entre l'électeur et l'élu, c'est une menace à
mon sens majeure de votre système. Et c'est surtout pour cela que je
m'oppose à la proportionnelle.
Vous parlez que cela va créer une nouvelle dynamique dans les
partis politiques - c'est vrai - et vous faites allusion à la
nécessité d'un travail d'équipe et d'un partage des
responsabilités. Mais quand on connaît la logique du comportement
et de l'agir d'un homme politique, qui finalement détient son mandat par
une majorité de votes qu'il va chercher dans la population, je crois que
le système de la proportionnelle introduit un élément de
dissension à l'intérieur des membres d'une même
équipe dans une même région. Je suis convaincu de cela et
cela ne servira pas les intérêts de la population.
Déjà, ce genre de rapport partisan entre deux partis de
l'Opposition, très souvent, ne sert pas toujours les
intérêts de la population. Et si vous introduisez à
l'intérieur même des membres d'une même équipe,
même parti, cette même rivalité, cette même
concurrence face à l'électorat, dans un immense territoire, vous
allez avoir tout un système de compétition. Vous allez
peut-être me dire: La concurrence, cela peut être sain, mais dans
un certain niveau la compétition d'un homme politique ne sert pas
toujours les intérêts de la population. Et le gigantisme des
territoires nuit à cette présence et cette qualité de la
relation. On en a fait allusion tantôt. Je trouve que c'est un
inconvénient.
Au niveau de la réforme du Code municipal ou enfin le
système des élections au niveau municipal, on a justement voulu
améliorer la qualité en réintroduisant les quartiers, en
généralisant le système des quartiers pour rapprocher
l'électeur de l'élu, assurer une présence et une
identification de la personne aussi. Dans les immenses territoires, il ne faut
pas penser que cela va être facile de reconnaître et d'identifier
qui va être notre député. On a de la difficulté dans
les circonscriptions qui sont relativement petites aujourd'hui. Au niveau de la
qualité de la relation, j'ai des objections considérables
à cette position.
Maintenant, il n'y a rien d'absolu là-dedans, c'est
évident. Il s'agit de faire la somme des avantages et des
inconvénients. Comme je vous ai dit que je privilégiais
l'élément qualité de la relation, c'est sur cette base que
j'ai essayé de conserver les avantages du système actuel qui
privilégie la qualité de la relation en apportant quelques
correctifs au fait que ce système peut engendrer une disproportion dans
la représentation. Et je pense qu'on peut arriver avec quelque chose qui
ne brusquera pas les traditions électorales de notre milieu, qui va
permettre aux gens de se reconnaître beaucoup plus facilement dans le
système et de s'identifier beaucoup plus facilement à un
candidat.
Je me permets de vous énumérer les principaux
éléments et peut-être qu'après coup on pourra venir
préciser les avantages
au passage et peut-être revenir sur les inconvénients
à la fin, je suppose. Je n'ai pas la prétention que... Il n'y a
aucun système qui n'a pas d'inconvénient. Il s'agit de faire la
somme et de choisir celui qui en a le moins et qui conserve les avantages. Je
conserverais simplement la base actuelle des 122 circonscriptions uninominales.
Déjà, si vous voulez, à partir de là on peut se
rallier beaucoup de personnes.
Et je prévoirais un certain nombre de sièges pour qu'il y
ait une compensation, si nécessaire. On veut réformer parce que
le système actuel engendre des distorsions, mais il n'y a pas toujours
des distorsions. Il y a beaucoup de résultats d'élections sur la
base uninominale qui ne nécessitent pas des correctifs. Pourquoi vouloir
à tout prix corriger des distorsions alors que souvent il n'y en a pas
de distorsion? Donc, je prévoirais un certain nombre de sièges
qui pourraient être éventuellement occupés par l'un ou
l'autre des partis, s'il y a lieu de corriger et s'il y a distorsion. Prenons
comme hypothèse qu'on pense à dix régions, ou le
regroupement dans le territoire du Québec de l'ensemble des 122
comtés en dix régions qui devraient regrouper autour de dix - je
vous dirai tantôt pourquoi - il faudrait que cela gravite autour de
douze, il ne faut pas que cela s'écarte beaucoup de la moyenne de douze
par région - et qu'on prévoie deux sièges dans chacune de
ces grandes régions et qu'on fasse jouer la compensation au niveau de la
région. On pourrait établir des règles pour faire jouer la
compensation. Prenons la règle suivante: Pour qu'un parti puisse
prétendre occuper éventuellement les deux sièges, il
faudrait tout d'abord que dans la région il ait obtenu 30% du vote
populaire et que deuxièmement le fait d'occuper un ou les deux
sièges ne fait pas en sorte que le pourcentage de sièges qu'il
occupe dans la région outrepasse le pourcentage du vote populaire qu'il
a obtenu. Si un des sièges est laissé vacant et qu'un parti dans
la région a obtenu 15% du vote populaire, il pourrait prétendre
occuper ce siège, toujours à la condition que le fait d'occuper
ce siège ne fasse pas en sorte que le pourcentage de sièges
occupés dépasse le pourcentage du vote populaire qu'il a obtenu,
ce qui est fort peu probable parce que, lorsqu'on obtient 15% du vote populaire
en deçà de 30%, c'est assez rare qu'on fait élire un
député dans une région, et cela si nécessaire! II y
a beaucoup de régions qu'il n'y a pas de distorsions, donc cela ne joue
pas. L'avantage c'est qu'on corrige ce qui existe actuellement, c'est qu'il y a
des régions qui n'ont que des députés d'un seul et
même parti. Là, on s'assure qu'au niveau de chacune des
régions il y a la possibilité, si nécessaire, d'avoir au
moins un ou deux députés du parti qui ne sera pas au pouvoir.
Maintenant je ferais jouer une compensation au niveau national. Une fois qu'on
a fait jouer la compensation au niveau régional on se pose la question:
Est-ce qu'il y a encore sur le plan national une grande distorsion? S'il y
avait distorsion au-delà de 10%... Encore là je ne suis pas de
ceux qui disent qu'il faut que la représentation soit absolument
proportionnelle et soit une égalité mathématique. Ce n'est
pas là que la qualité de la démocratie se retrouve, ce
n'est pas là, vous savez, c'est sûr. Pourvu qu'il y ait une
représentation significative des différentes tendances, une
représentation significative du parti qui joue le rôle de
l'Opposition, cela assure la représentation des tendances dans notre
société. Il n'est pas nécessaire d'avoir une
représentation comme on a dit tantôt de chaque individu et de
chaque petite nuance ou tendance, ou de chaque petite opinion
particulière. À ce moment-là il faudrait aller comme
tantôt, revenir à la démocratie agorienne de la
Grèce et on sait ce que cela a donné. C'est impossible à
réaliser dans notre système. Alors, si au niveau national une
fois qu'a joué la compensation régionale, il y a un écart
encore, une distorsion d'environ 10% entre le nombre de sièges,
là il y aurait deux sièges de disponibles pour le parti qui
jouera le rôle de l'Opposition.
Au niveau national, j'introduis un autre élément pour
introduire les tendances minoritaires. On pourrait prévoir facilement
que tout parti qui au niveau national obtient 5% du vote aura droit d'occuper
un siège. Maintenant qui va occuper ces sièges? Comment
désigner les personnes qui vont occuper ces sièges? Je laisserais
encore au jeu du vote uninominal de désigner qui va occuper le
siège. Ne pas compliquer le système, ne pas dire que cela va
être une autre instance qui va décider d'avance qui occuperait ce
siège-là, non! On laisse au jeu du vote uninominal de
décider qui va l'occuper. Vous avez une région donnée, il
y a un parti qui a droit d'occuper un ou deux des sièges, le candidat
qui n'a pas obtenu dans le tour de vote la majorité dans son
comté mais qui a obtenu dans la région le plus haut taux du vote
populaire occupe ce siège. C'est la population qui décide lors
d'un vote uninominal finalement. La légitimité du siège
occupé par cette personne se fonde sur le pourcentage du vote que son
parti qui défend des tendances idéologiques dans le milieu a
obtenu dans la région. Parmi ceux qui n'ont pas obtenu la
majorité dans la circonscription, c'est celui qui a obtenu le plus haut
taux de votes populaires parmi les autres candidats.
Là on évite le problème des deux classes de
députés, parce que, si vous laissez à un parti politique
de désigner finalement qui va occuper ces sièges, vous
introduisez deux classes de députés. En même temps cela
crée une dynamique parce que ceux qui
peuvent occuper un siège doivent s'embarquer dans la lutte
électorale sur un territoire relativement limité à la
mesure humaine d'un homme. On évite ce qu'on a dit tantôt: la
course au vedettariat par le biais des médias et de négliger le
contact avec les gens.
Le système actuel force le candidat à aller vers les gens
et à établir un contact personnel. Tous les candidats qui peuvent
prétendre occuper un siège devront s'engager dans cette forme
d'activité politique et devront apprendre à être
près des gens et aller vers les gens et non pas faire de la politique,
si vous voulez, seulement dans les corridors et à travers les
médias.
De plus, l'objection est que là vous parlez d'augmenter le nombre
de députés. Théoriquement, cela pourrait peut-être
aller à vingt, plus deux ou trois, parce qu'avant qu'il y ait plus de
deux ou trois partis qui obtiennent 5% du vote, disons trois, on pourrait aller
théoriquement à un maximum de 145, mais théoriquement. En
pratique ce ne sera pas cela. Il y a toujours dans l'une ou l'autre des
régions le respect de la proportion. Il n'y aura pas de distorsion selon
les règles établies qui jouera. Il pourrait y avoir entre cinq,
dix ou quinze sièges qui seront occupés: jamais le maximum et
rarement le minimum, entre cela. Pour contrer l'objection du coût,
pourquoi ne déciderions-nous pas dans la loi sur la carte
électorale de figer mais de laisser monter la moyenne? Actuellement elle
est de 36 000, parce que là il y a quand même d'autres dimensions.
La valeur relative du vote de chaque individu, il faut en tenir compte. On ne
peut pas avoir de circonscriptions avec le double du nôtre en
électeurs avec le même nombre de députés. Il faut
éviter cela.
Déjà on a prévu une moyenne par comté avec
un maximum et un minimum. Pourquoi on ne déciderait pas de laisser
monter la moyenne de 36 000 à 40 000, 42 000, 43 000 en ajustant les
minima et les maxima en conséquence? Ce qui nécessiterait
quelques petits ajustements de frontières durant les dix ou quinze
prochaines années aux comtés actuels parce que la
démographie n'évolue pas au même rythme partout, mais on
n'aurait pas ces chambardements qu'on a assez régulièrement.
Il y a encore actuellement des électeurs qui étaient
à la dernière élection dans le comté de
Charlesbourg, qui se trouvent dans le comté de Chauveau et qui se
pensent encore dans le comté de Charlesbourg et vice versa pour La
Peltrie et pour... Cela prend du temps et ce sont des...
Alors, le gros avantage est qu'on assure une stabilité de la
carte électorale. On pare aux inconvénients de laisser gonfler le
nombre des députés en disant: Bien oui, on va laisser monter la
moyenne parce que vous savez qu'on a augmenté de députés
avec le système actuel depuis dix ans. Là on change la
règle pour que les circonscriptions demeurent à 122 malgré
l'augmentation de la population globale du Québec, en laissant augmenter
la moyenne. Le tour est joué en un sens, si vous voulez.
Je me permets d'avancer cette formule et je crois que le parti de
l'Opposition pourrait être assez ouvert sur cette formule-là et je
crois aussi que les membres de notre parti le pourraient. La population se
retrouverait, je crois, avec cela. On répondrait à un besoin que
tous ressentent. Distorsion possible pour éviter que cela se reproduise
dans certains cas, de ne pas compliquer le système alors que cela n'est
pas nécessaire. Vouloir absolument trouver une distorsion alors qu'il
n'y en a pas et quand il n'y en a pas.
On garde le système actuel de ces circonscriptions relativement
petites où la qualité électeur-élu est
sauvegardée et en même temps je crois qu'on pourrait rallier dans
une réforme qui ne chambarde pas nos traditions une majorité de
personnes.
Alors, je vous lance cela comme cela. Je crois qu'il faut penser
à l'autre voie que le statu quo et la proportionnelle, parce que je
crois qu'on s'en va dans une impasse si on reste sur ces deux formules. J'ose
lancer cette proposition que j'ai cogitée et dont j'ai discuté
avec quelques autres et que j'ai remise au comité des neuf qui l'a
analysée. Je ne sais pas ce que cela va donner, mais je pensais que ce
serait peut-être utile de lancer cette formule. Merci bien et j'aimerais
entendre vos commentaires. (12 h 15)
M. Côté (Pierre-F.): Je demanderais à M.
Lessard de faire quelques observations sur votre suggestion.
M. Lessard: Tout ceci nous semble très intéressant
et cela nous semble aussi effectivement simple, mais n'attendez-vous pas que
nous donnions un avis rapide là-dessus parce que recevoir une
proposition comme cela tout d'un coup verbalement et rendre rapidement une
réponse verbale, cela demande un peu de prudence.
Je vois rapidement deux ou trois problèmes. Il y a toujours ce
problème des catégories de députés, des
députés élus directement et choisis comme tels et des
députés qui passent par la proportion. Il y a peut-être une
réponse rapide à cela, c'est effectivement qu'ils sont tous
tirés du scrutin mais ils ne sont pas tous tirés de la même
façon. Il faudrait, je pense, analyser cela. Il faudrait aussi analyser
le problème qui se pose pour la carte. On peut dire qu'on garde la carte
actuelle pour la base, il y aura la carte des régions, c'est à
voir, et aussi il faudrait étudier - là c'est beaucoup plus
compliqué je pense - quelle est la possibilité effective offerte
aux nouveaux
partis et aux groupes qui par ces nouveaux partis pourraient
s'introduire plus facilement dans la politique. À première vue,
ce sont les aspects les plus importants que je voudrais étudier et
considérer avant de donner une réponse. Pour le moment je n'irais
pas plus loin.
Le Président (M. Vaugeois): M. le député de
Chauveau, est-ce que vous avez eu l'occasion de déposer ces
documents?
M. Brouillet: Où, à quel endroit?
Le Président (M. Vaugeois): Ici devant la commission?
M. Brouillet: Ici, non.
Le Président (M. Vaugeois): Est-ce qu'on peut vous inviter
à le faire?
M. Brouillet: Bien certainement. C'est ma copie, il faudrait en
faire faire des photocopies, j'en ai une ici.
Le Président (M. Vaugeois): Nous comprenons donc que vous
déposez le document...
M. Brouillet: Oui.
Le Président (M. Vaugeois): ...et nous nous occuperons de
le faire parvenir aux membres de la commission.
M. Brouillet: Très brièvement, pour la question des
catégories des députés, je suis convaincu que le
système de la proportionnelle est de nature à introduire des
catégories de députés bien plus facilement que le
système que je viens de proposer.
Le Président (M. Vaugeois): On ne commencera pas de
débat sur cela. M. Côté, vous vouliez...
M. Côté (Pierre-F.): Oui, je voulais seulement
ajouter qu'il aurait été également très
intéressant que la prise de position du député ait
été présentée devant la commission.
Le Président (M. Vaugeois): M. Côté, vous
aurez compris que nous nous continuons et que ce que dégage...
M. Côté (Pierre-F.): Non, je fais cette observation
juste pour signaler que je rejoins la remarque de M. Lessard que, pour nous, il
est très difficile de dire cela a tels avantages, tels mérites,
d'en discuter plus à fond. Tout ce que je veux signaler, c'est que je
trouve que les suggestions que vient de faire M. le député
méritent d'être étudiées. Ce sont des
considérations qui sont très sérieuses et méritent
d'être approfondies.
Le Président (M. Vaugeois): D'accord. Et, comme le
suggère le vice-président, nous devons maintenant amorcer
progressivement les manoeuvres d'atterrissage. Nous allons demander au pilote
de D'Arcy McGee de nous aider si l'on veut réussir à poser le
train d'atterrissage sur la piste vers les 12 h 25 ou 12 h 30 et il va nous
falloir votre collaboration.
Mode uninominal ou plurinominal
M. Marx: Merci, M. le Président. On va atterrir bien
tranquillement...
Le Président (M. Vaugeois): En douceur.
M. Marx: ...et en douceur, c'est cela. En lisant les documents de
la commission avec beaucoup d'intérêt j'ai trouvé que vous
avez étudié pas mal en détail le système
électoral de la Belgique. Je trouve cela tout à fait normal et
logique que vous ayez étudié la Belgique étant
donné qu'elle a une population de 10 000 000, c'est une monarchie
constitutionnelle. Qu'on le veuille ou non, nous avons aussi au Québec
une monarchie constitutionnelle. Il y a deux groupes linguistiques en Belgique
et ainsi de suite. Et même après avoir fait lecture de ces
documents et du travail du professeur Bernard, j'ai eu l'impression que vous
vous êtes inspirés du système de la Belgique dans la
proposition que vous avez faite sur la proportionnelle territoriale parce qu'en
Belgique, par exemple, il y trente circonscriptions avec en moyenne sept
sièges par circonscription et on élit deux cent douze
représentants et ainsi de suite. Est-ce que j'ai raison de dire que vous
vous êtes inspirés beaucoup du système de la Belgique dans
votre proposition?
M. Côté (Pierre-F.): En partie, M. le
député, parce que dans ce domaine il n'y a rien de nouveau sous
le soleil, je dirais et, dans le domaine d'un mode de scrutin proportionnel, il
y a des expériences qui, évidemment, sont vécues et ont
été expérimentées dans d'autres pays. Ce fut
d'ailleurs une des raisons de l'accomplissement de cette mission. Vous allez
voir sur place comment cela se suffit, comment se formule un mode de scrutin
proportionnel.
Cependant, une des différences qui est manifeste dans notre
rapport c'est que, si nous avions cru que le système belge devait
être transposé intégralement au Québec, nous
l'aurions dit très clairement. Nous disons, dans notre proposition,
qu'il faut tenir compte de caractéristiques très
québécoises et nous les énumérons, comme vous le
savez.
Évidemment, en Belgique, il y a un
problème dont il faut tenir compte et qui est très
complexe, c'est le problème des relations entre les deux groupes
culturels qui a une grande importance dans la vie politique.
Si je ne me trompe pas le mode d'allocation des sièges en
Belgique est différent de celui qu'on propose et le vote aussi est
différent de celui que l'on propose.
M. Marx: C'est sûr que c'est différent puisque dans
vos propositions il y a des ajustements pour le Québec. C'est assez
proche du système proportionnel qu'ils ont en Belgique. Il y a des
différences, bien sûr, parce que là-bas ils ont deux
Chambres, ils ont un Sénat; nous n'avons pas de Chambre haute au
Québec. En passant j'ai trouvé aussi que le système en
Belgique ne fonctionne pas bien. J'ai lu dans le livre de Cadart que
l'électeur peut voter de sept façons valables: un vote en
tête de liste; un vote de préférence pour un candidat
effectif; un vote de préférence pour un candidat successeur; un
votre de préférence pour un candidat effectif et un candidat
successeur de la même liste; une combinaison de l'une des trois
dernières façons de voter avec un vote en tête de liste
pour le même parti. Cela devient assez compliqué, mais je ne veux
pas vous faire part de tous les problèmes en Belgique. J'ai ici le
compte-rendu que vous avez rendu public vous-même, l'interview
accordé par M. Francis Delpérée. On voit par exemple qu'en
Belgique le système ne favorise pas beaucoup les femmes. Il y a
très peu de députées femmes en Belgique, entre autres.
M. Côté (Pierre-F): Je m'excuse de vous interrompre,
M. le député. Si vous me permettez, à ce sujet, pour moi
c'est un gros point d'interrogation parce que je ne suis pas très
sûr qu'il y ait quelque mode de scrutin que ce soit qui ait, comme vertu
immédiate, de favoriser les candidatures féminines. Je pense que
c'est avant tout le contexte social et la volonté des partis politiques
pour y arriver.
M. Marx: C'est cela. Tout cela pour dire que mon collègue,
le député de Westmount, a raison. Il a dit que le système
proposé ne favorise pas, n'a pas d'influence...
M. Côté (Pierre-F): Cependant, ce que nous disons
dans notre rapport, et je vais être plus précis aussi
là-dessus, c'est que nous croyons que le mode de scrutin proportionnel
favorise davantage l'arrivée, la participation ou les candidatures,
devrais-je dire, des femmes ou d'autres groupes, par exemple, des jeunes, sur
un scrutin de liste que... C'est ce que nous croyons; on peut diverger
d'opinions là-dessus, mais c'est ce que M. Bourassa a explicité
tout à l'heure et je le rejoins là-dessus.
M. Marx: Tout ce que je peux dire sur cette intervention, ce
n'est pas appuyé dans la recherche que vous avez faite,
c'est-à-dire que M. Delpérée n'est pas d'accord et dans
d'autres documents on voit que les gens ne sont pas d'accord avec une telle
prise de position. Aussi on voit que M. Delpérée a dit que la
représentation proportionnelle n'a pas la garantie de protection des
minorités. Il existe toujours une possibilité de les noyer. S'il
y a cette possibilité de noyer les minorités, c'est la même
possibilité en ce qui concerne les jeunes ou les femmes.
Ce n'est pas pire que dans le système actuel et peut-être
que même c'est pire...
M. Côté (Pierre-F.): Remarquez que celle de M.
Delpérée est une opinion. On en retrouve d'autres...
M. Marx: C'est cela. J'ai cité une opinion. Cela n'est pas
toute la vérité de donner une opinion, mais si on me donne le
temps je peux en citer beaucoup d'autres qui disent la même chose et qui
se trouvent dans les documents que vous avez rendus publics. Je n'ai pas sorti
beaucoup de documents que vous avez rendus publics parce que j'ai trouvé
que la pile était assez grande et que vous avez fait des études
assez étoffées.
Pour passer à un autre sujet, c'est très simple, cela m'a
beaucoup frappé que vous n'ayez pas fait d'étude sur ce qui s'est
passé ailleurs au Canda. Depuis 60 ans, sauf le Québec, dans
toutes les autres Législatures provinciales, on avait un système
plurinominal - je pense que c'est cela le mot. Par exemple, j'ai ici et je suis
sûr que que vous avez déjà consulté et vous
êtes au courant de ce qu'il y a dans ce livre "The Election Process in
Canada", by Terence H. Qualtur. À la page 118 et aux suivantes, il parle
de "single and multimember constituencies". Si on regarde cela, on voit qu'il y
avait des régions de plus d'un député en Colombie
britannique, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario, au
Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, dans
l'Île-du-Prince-Édouard, à Terre-Neuve et dans toutes les
Législatures provinciales, sauf au Québec. Cela m'a frappé
qu'on n'ait jamais fait l'expérience au Québec d'avoir des
régions où il y avait plus d'un député. Mais, dans
votre rapport, vous ne faites pas état de cela dans d'autres provinces
canadiennes, quoique vous ayez étudié le système dans les
pays européens.
M. Bourassa: On peut très bien répondre à
cela. C'est un fait qu'il y a eu plusieurs cas dans les provinces canadiennes
et je pense même à l'échelle canadienne globale des
circonscriptions plurinominales qui
élisaient plusieurs députés. D'une part, c'est un
phénomène qu'on retrouve à quelques reprises. Cela n'est
plus tout à fait ce que vous venez d'affirmer à ce sujet. Je
pense par ailleurs que ces cas-là étaient explicables par des
raisons... C'étaient des cas assez particuliers. Pour des raisons
très particulières on laissait dans quelques circonscriptions la
possibilité d'élire deux ou trois députés,
c'était en référence à des circonstances
particulières.
De plus, je pense aussi qu'on a quand même largement
corrigé ces situations au cours des années. De toute
manière, et ce qui me paraît peut-être essentiel dans le
propos que vous avez soulevé, ma première réaction, en
tout cas, est de dire que dans l'ensemble des provinces qui forment le Canada
le mode du scrutin dans ses lignes fondamentales est le même que le
nôtre. Ce que vous soulevez est, me semble-t-il, au niveau d'une
technicité qui permet à certaines circonscriptions pour des
raisons encore une fois particulières d'avoir droit à un certain
nombre de sièges, soit parce qu'elles étaient très
éloignées ou soit parce qu'elles étaient trop petites.
Enfin, on voulait assurer une certaine représentation numérique.
Alors, dans ces cas-là on a plutôt corrigé. D'ailleurs,
nous proposons une technique en quelque sorte avec le facteur plus un qui est
d'accorder à certains territoires un surplus de représentation,
si l'on peut dire, en termes mathématiques, parce qu'on juge que soit
l'éloignement ou soit la faible densité de la population
créent des situations très particulières. Mais je pense
que le cas des circonscriptions plurinominales dont vous parlez s'explique
presque toujours, sinon toujours, par des facteurs très particuliers,
mais qui n'ont rien à voir, me semble-t-il, avec le mode du scrutin
comme tel de façon globale. (12 h 30)
M. Marx: J'ai oublié d'ajouter cela avant, toutes les
provinces, sauf peut-être l'Île-du-Prince-Édouard, ont
abandonné les circonscriptions plurinominales. Dans certaines provinces,
c'était très important et je pense qu'en Nouvelle-Écosse
65% des députés étaient élus dans les comtés
plurinominaux - je cite le livre de Qualtu. En Colombie britannique plus de 25%
des députés étaient élus dans les régions,
les comtés ou les districts plurinoninaux; c'était seulement en
1966, donc il n'y a pas si longtemps. J'imagine qu'il y a encore des
députés vivants en Colombie britannique, en
Nouvelle-Écosse ou au Nouveau-Brunswick qui pourraient vous renseigner,
par exemple, sur le rôle d'un député dans un comté
plurinominal. Quel est le problème? Est-ce que c'est meilleur, qui
représente qui dans le comté ou dans une telle région? Ils
pourraient peut-être vous renseigner sur la confection des listes
électorales et ainsi de suite. Ce sont tous des problèmes
auxquels vous faites état dans votre rapport d'une façon
très détaillée. Vous n'avez pas, il me semble,
étudié ces problèmes dans le contexte des autres provinces
qui ont déjà fait cette expérience.
M. Bourassa: Je suis bien d'accord avec vous dans l'ensemble, ce
serait d'autant plus possible d'explorer cette piste qu'il existe encore en
Colombie britannique des circonscriptions plurinominales.
M. Marx: Cela existe encore en Colombie britannique?
M. Bourassa: Oui.
M. Marx: Dans le document qu'on vous a soumis dans un
mémoire, le professeur - je pense que c'est un professeur - Louis
Massicotte disait que cela n'existait qu'à
l'Île-du-Prince-Édouard.
M. Bourassa: Oui.
M. Marx: On ne va pas...
M. Bourassa: Que cela existe ou que cela ait existé
récemment, ce à quoi vous faites allusion m'apparaît
très intéressant, c'est-à-dire d'aller examiner avec ceux
qui ont vécu ces expériences ce que cela a pu donner comme type
de travail, avantages et inconvénients; je pense que c'est une piste
à approfondir et à explorer très valablement mais, encore
une fois, cela me paraît important de bien distinguer le cas de ces
circonscriptions qui étaient au fond des circonscriptions d'exception.
C'était l'exception à la règle, la circonscription
plurinominale, alors que ce que nous proposons c'est plutôt un mode de
scrutin où la règle sera que toutes les circonscriptions seront
plurinominales. Au Québec, par exemple, d'après l'historique que
j'ai devant les yeux, depuis 1867, et peut-être même un peu plus
tôt, nous n'élisons plus qu'un député par
comté. Auparavant nous avions des circonscriptions que l'on pourrait
qualifier, au meilleur sens du terme, d'exception mais il y a peut-être
deux types de circonscriptions plurinominales. Il y en a qui le sont par
exception alors que pour d'autres le mode proportionnel en fait la
règle, au contraire, la plus générale. Mais cela ne
m'empêche pas, je me permets de le répéter, que...
M. Marx: C'est cela mais, M. Bourassa, j'ai lu quelque part qu'il
y a trois cents systèmes de proportionnelles. Il me semble donc que tout
est exceptionnel, que chaque système proportionnel est exceptionnel.
Vous dites que les comtés, les districts ou régions
plurinominales au Canada étaient des exceptions mais tout est une
exception. Le
député de Chauveau a soulevé une autre
possibilité qui serait une exception, c'est-à-dire que je
comprends ce que vous voulez dire et j'accepte votre observation, mais je pense
que la commission a manqué une dimension en n'ayant pas fait une
étude de ce qui s'était passé dans d'autres provinces et
même au Québec parce que nous avons vécu cette situation,
je pense, au dix-septième siècle. On va chercher loin ce qu'on
fait, en Europe ou en Nouvelle-Zélande, par exemple dans l'étude
du professeur Bernard, mais on n'a pas fait l'étude comme on aurait
dû faire, il me semble, des problèmes qu'on a déjà
vécus soit au Québec ou ailleurs où que les gens ont
vécus dans d'autres provinces, c'est tout.
M. Bourassa: On peut très bien admettre qu'on peut
invoquer le temps mais aussi peut-être que d'autres raisons
d'organisation du travail ont fait que cet aspect n'ait pas été
abordé, je vous l'accorde entièrement, mais j'aimerais bien
souligner, encore une fois, que tous ces éléments auxquels vous
faites allusion relevaient quand même d'un mode de scrutin uninominal
à un tour qui est celui que nous avons. Cela n'empêche pas que le
débat pourrait sûrement être élargi.
M. Marx: Une dernière remarque par analogie, je veux
souligner aussi que les villes de Montréal, Laval et Québec
utilisaient le système plurinominal pour l'élection des
conseillers municiaux jusqu'en 1978, et ça a été aboli par
le gouvernement en place.
Le Président (M. Vaugeois): Merci, tout cela était
bien intéressant. Le député de Châteauguay, qui a
demandé la parole, nous dit qu'en deux ou trois minutes il va
régler ses questions.
M. Dussault: Ce sera bref, M. le Président. En fait, je
voulais intervenir sur deux questions qui ont été l'objet d'un
débat tout à l'heure. Je regrette de ne pas avoir pu le faire
à ce moment-là, je suis sûr que la commission aurait
gagné plus de temps si on avait généralisé cette
pratique. C'est pour cela, M. le Président, que vous allez vous occuper
activement de faire triompher le point de vue qu'il serait
préférable de fonctionner ainsi plutôt que de
compartimenter.
Le Président (M. Vaugeois): Cela aurait donné
satisfaction au ministre également, tout à l'heure.
M. Dussault: C'est cela. C'est l'esprit de la réforme
parlementaire, c'est pour ça que c'est important.
Le Président (M. Vaugeois): Je le crois comme vous, M. le
député.
M. Dussault: M. le Président, une question était
celle des femmes. Je n'aurai pas à parler longuement là-dessus
parce qu'elle a été amenée sur le tapis par M. le
député de Westmount avec un intérêt certain.
Cependant, je pense qu'il y a un petit aspect qu'on aurait pu faire ressortir
et qui aurait peut-être permis de réconcilier davantage les
membres de la commission et M. le député de Westmount, c'est la
question de savoir qui va choisir les candidats à l'élection et
la lutte qui va exister au moment où ça va se passer. C'est
évident que ce sont les militants des partis qui vont faire le choix des
candidats. La variété dont parlait M. Bourassa tout à
l'heure, c'est une réalité avec laquelle on va travailler quand
les militants choisiront les candidats.
C'est évident, cependant, qu'à la prochaine
élection où s'appliquerait un tel système ce n'est pas ce
qu'on vivrait, c'est évident. À partir du moment où il y a
encore 122 députés qui sont connus, ce sont les gens qui ont plus
de chances, évidemment, de se faire valoir auprès des militants
des partis que de nouveaux candidats. C'est évident qu'à cette
élection les femmes qui comptent beaucoup, pour un très grand
nombre - on l'a vu dans les mémoires - sur un changement du mode de
scrutin, sur une proportionnelle, particulièrement pour arriver à
des résultats, ne seront pas aussi favorisées qu'elles le
souhaiteraient. À la longue - c'est comme ça qu'il faut le voir,
il ne faut pas penser qu'on va atteindre tous les objectifs d'un coup sec -
c'est un résultat qu'on va atteindre. Cela m'apparaissait important de
faire valoir cela.
Ma deuxième question, c'était sur la carte
électorale. J'ai écouté bien attentivement le
député de Gouin expliquer son point de vue, tout à
l'heure, où il faisait valoir que les territoires tels que
découpés par la commission étaient trop grands et que
ça aurait un effet négatif sur le rôle des
députés. J'ai tendance à penser qu'avec les territoires
tels que découpés, en tout cas, ceux qui donnent 19
députés à élire dans une circonscription
régionale territoriale, ce n'est pas là l'objectif à
atteindre, je ne peux pas être tout à fait d'accord avec la
commission là-dessus.
D'un autre côté, je pense qu'un argument que le
député de Gouin n'a pas fait valoir, ce qu'il faudrait faire
ressortir, c'est que les députés seront appelés à
jouer un rôle de plus en plus différent à mesure que le
temps va passer. Tout le monde parle de décentralisation - les milieux
le souhaitent - et les pouvoirs rattachés à cela, on dit qu'il
faudrait qu'ils soient accompagnés d'argent, mais tôt ou tard
l'Assemblée nationale aura à déléguer des
pouvoirs davantage plus grands aux milieux.
À partir de ce moment-là, le rôle des
députés va changer inévitablement. Les
députés de la région de Montréal, du fait qu'ils
sont dans une ville, dans un territoire où il y a une grande
municipalité - plusieurs députés sont de la région
de Montréal -n'ont pas à jouer le rôle que l'on joue dans
une circonscription comme la mienne. Dans les petites circonscriptions
où il y a 42 municipalités, le député joue un
rôle un peu semblable au mien, mais bien différent de celui
joué par les députés montréalais. Je me dis que,
déjà, la tendance est à l'effet que le
député de la région de Montréal n'a pas à
s'impliquer dans de petits dossiers, il a davantage à s'impliquer dans
des orientations. C'est le rôle d'avenir du député. Dans ce
sens, je me dis que, quand vous aurez retouché votre territoire
électoral, la formule sera devenue beaucoup plus acceptable pour le
député montréalais. C'est ce que je voulais dire, M. le
Président.
Conclusions
Le Président (M. Vaugeois): M. le président
Côté, si vous voulez réagir à cette intervention ou
si vous voulez réagir aux travaux de la commission, c'est la
dernière occasion que vous avez de le faire. À partir de
maintenant, nous donnerons le droit de parole aux députés des
deux partis.
M. Pierre-F. Côté
M. Côté (Pierre-F.): Non, je ne crois pas, M. le
Président, que j'aie des commentaires particuliers à faire, sauf
ceux de remercier les membres de la commission des débats que nous avons
eus. Nous croyons avoir reçu, comme cela a été
mentionné à plusieurs reprises, un mandat de l'Assemblée
nationale, un mandat qui a été accordé à
l'unanimité des membres. Nous l'avons réalisé au meilleur
de notre connaissance. On nous a fait certaines observations qui, pour
certaines d'entre elles, sont exactes, sur la façon, par exemple, dont
nous avons accompli le travail; en particulier on a fait des commentaires sur
les missions d'étude ou d'autres missions d'étude qu'on devrait
entreprendre. Je pense que, si jamais il y a d'autres d'entreprises, ce serait
intéressant de se faire accompagner d'un certain nombre de
députés pour n'oublier aucun coin de la planète, mais,
ceci étant dit, je crois que pour notre part nous avons accompli le
travail de façon consciencieuse, avec toute l'intégrité
dont nous sommes capables, de façon responsable également. Nous
avons soumis un rapport qui est le résultat de nos travaux. Comme je
l'ai dit au début de mon intervention, dès le début des
séances de la commission, la responsabilité ultime ne nous
appartient évidemment pas. C'est la vôtre. Il s'agit maintenant
pour les députés de décider quelle suite ils entendent
donner, s'il y en a une, au rapport que nous avons soumis là-dessus. Je
vous remercie.
Le Président (M. Vaugeois): M. le député de
Sainte-Marie.
M. Guy Bisaillon
M. Bisaillon: M. le Président, au terme des travaux de
cette commission, je voudrais indiquer aux membres de la commission que peu
importe l'évaluation qu'on pouvait faire de certains points de leur
rapport... J'ai eu l'occasion de souligner, par exemple, que j'étais en
désaccord avec ce qui touchait la partie des candidats ou des
députés indépendants. J'aurais pu aussi mentionner le fait
que j'aurais préféré qu'une compensation se fasse au
niveau national plutôt qu'au niveau régional, mais, peu importe
tout cela, j'aurais été prêt personnellement à
endosser un projet de loi qui se serait inspiré largement de la
proposition de la commission à partir de l'évaluation que je
faisais que cela nous sortait au moins du système actuel et que cela
nous permettait d'entrer dans un système nouveau où on tenait
davantage compte des électeurs et des électrices et aussi des
besoins nouveaux du Québec. On pourra sûrement, un jour, trouver
une formule qui, non seulement corrige les distorsions et les injustices du
système actuel, mais qui, en plus, tienne compte de besoins nouveaux et
différents, une formule qui soit amenée de façon
peut-être plus positive. Je pense que le mérite de la commission
aura été au moins de souligner les difficultés qu'on vit
dans le régime actuel. Le mérite de la commission aura
été aussi, non seulement de consulter les groupes et les citoyens
intéressés, mais en plus de sensibiliser aussi une autre partie
de la population au problème que pose notre mode de scrutin actuel.
Pour avoir dirigé une commission spéciale comme vous
l'avez déjà fait vous aussi, j'ai cependant beaucoup de sympathie
envers les membres de la commission parce que je pense qu'ils ont pu prendre
conscience pendant les travaux de cette commission que ce n'est pas pour demain
et que leur rapport, malheureusement, va passer à l'histoire, mais je
doute fort qu'il soit appliqué dans les délais qui nous
permettraient de tenir une prochaine élection dans un système
différent et même une élection ultérieure. Je pense
que c'est réaliste de le comprendre. On demande aux administrateurs
d'être imputables de leurs gestes; je pense qu'il faudrait aussi demander
aux hommes politiques de l'être. Le gouvernement est très fautif
sur cette question. Près de six mois après avoir reçu le
rapport de la commission à partir d'un
mandat - il n'est pas inutile de le répéter -un peu
arraché à l'Assemblée nationale dans les
négociations de fin de session, après deux engagements à
l'intérieur de messages inauguraux, près de six mois après
le dépôt du rapport de la commission, on n'a pas eu de proposition
gouvernementale. On a même la nette impression qu'il n'y a pas de
position de prise et la seule position nouvelle qui nous est venue du
côté ministériel nous est venue du député de
Chauveau et même pas du ministre à qui on avait imposé la
tâche de représenter le gouvernement à cette commission. Je
trouve cela déplorable et j'espère que, lors du message inaugural
de la semaine prochaine, le premier ministre fera sur cette question ce qu'il a
déjà fait sur d'autres et qu'il mettra le poing sur la table. Il
l'a déjà fait sur des questions qui étaient, à mon
sens, beaucoup moins importantes que la question qu'on discute actuellement.
(12 h 45)
Je ne comprends pas le premier ministre - qui a acquis depuis longtemps
cette réputation et qui a fait, effectivement, de l'amélioration
de notre système politique et de la démocratie au Québec
son cheval de bataille - de ne pas nous donner à nous,
Québécois, ce dernier élément qui nous manque.
Après avoir corrigé le financement des partis politiques,
après avoir amélioré la Loi électorale,
après avoir fait en sorte qu'on ait des mécanismes plus normaux
et décents de détermination de la carte électorale, il
nous manque ce morceau pour vraiment aller de l'avant et répondre aux
besoins futurs du Québec. Je pense que toute la responsabilité,
maintenant que les commissaires ont eu l'occasion de nous présenter en
commission leur rapport, repose dans les mains du gouvernement. On ne peut
demander, ni à l'Opposition, ni à des tiers, même
mandatés par l'Assemblée nationale pour étudier une
question, de prendre en charge une responsabilité qui, jusqu'à
nouvel ordre, demeure la responsabilité du gouvernement.
Le Président (M. Vaugeois): M. le député de
Frontenac, vous voulez une minute ou deux, si j'ai bien compris?
M. Gilles Grégoire
M. Grégoire: Deux minutes, M. le Président. Je ne
suis pas intervenu dans le débat, parce que j'ai cru comprendre
dès le départ que, ni l'Opposition, ni le gouvernement ne voulait
se ranger du côté de la proposition formulée par la
commission qui nous a fait son rapport avec la proportionnelle territoriale. Au
contraire, j'ai même senti chez les députés du parti au
pouvoir de nombreuses réticences, de nombreuses objections que je crois
valables.
Comme le disait le député de Sainte-Marie, à la
toute dernière minute, on a eu un commencement de proposition par le
député de Chauveau. Je me demande si cela n'aurait pas dû
être fait avant et si le gouvernement n'aurait pas avancé beaucoup
plus en faisant sa proposition avant, de telle sorte qu'on aurait pu
l'étudier, sachant d'avance que l'autre n'était pas
acceptée, puisque le ministre n'a pas cru bon de la défendre
lui-même en aucune occasion et que les députés du parti au
pouvoir l'ont même critiquée à maintes reprises. Alors, je
n'ai pas cru bon d'intervenir pendant cette commission parce que je voyais bien
que les jeux étaient faits, que c'était un refus global de la
recommandation qui nous était soumise. Fort heureusement, à la
dernière minute, le député de Chauveau nous a
proposé une nouvelle solution. S'il y a une réforme à
faire, il faudra que le gouvernement prenne des décisions à un
moment donné.
Le Président (M. Vaugeois): Vous me permettrez de vous
faire remarquer, M. le député, que vous êtes parlementaire
depuis assez longtemps pour avoir vous-même des opinions là-dessus
et vous n'en avez pas exprimé. Vous avez exprimé des commentaires
sur le comportement des autres, mais ce serait intéressant aussi de vous
entendre un jour vous exprimer sur le mode de scrutin. Mais ce ne sera pas
aujourd'hui.
M. Grégoire: Non, j'ai cru comprendre...
Le Président (M. Vaugeois): Mais si la commission continue
ses travaux, par exemple, nous vous invitons, d'ores et déjà,
à venir nous faire part de votre expérience et de votre point de
vue personnel sur le sujet.
M. Grégoire: J'ai cru comprendre, d'ailleurs, que le but
de la commission était d'étudier le rapport qui nous était
présenté.
Le Président (M. Vaugeois): C'est ce que nous avons
fait.
M. Grégoire: Et sachant qu'il était
condamné, je n'ai pas cru bon d'y ajouter quoi que ce soit.
Le Président (M. Vaugeois): Très bien. Mais on vous
invite déjà aux travaux de la commission qui continuera
certainement à réfléchir sur cette question. M. le
député de Charlesbourg.
M. Marc-André Côté
M. Côté (Charlesbourg): Merci, M. le
Président. La motion adoptée le 22 juin 1983 confiait, notamment,
à la Commission de la représentation le mandat de soumettre
un
rapport comportant l'évaluation détaillée de
l'actuel mode de scrutin et l'analyse des différentes formules
proposées et, le cas échéant, ses recommandations. La
commission n'était donc pas tenue de formuler ses recommandations. Elle
a jugé bon de le faire après les discussions qu'on a eues,
principalement - et peut-être pas uniquement - en se basant sur la
tournée effectuée au Québec.
À l'analyse des 5404 pages du relevé de la tournée,
je pense qu'il y a des constatations à faire. La commission a
définitivement rempli admirablement son mandat en informant la
population, puisqu'une brochure a été expédiée ou
déposée en 500 000 exemplaires dans 2500 points de chute environ.
Il a été adressé 7000 lettres d'invitation à des
organismes dans le but d'entendre leur opinion sur la réforme du mode de
scrutin. Vous avez donné 114 entrevues à la presse et 29
rencontres de presse qui ont donc permis de sensibiliser l'ensemble de la
population du Québec dans les différentes régions du
Québec au travail ou à la réforme du mode de scrutin. Je
pense que de ce côté-là le travail a été tout
à fait exemplaire. Vous l'avez fort bien dit au début de la
commission, si le budget avait été supérieur, il y aurait
peut-être eu autre chose à faire dans ce sens-là.
Lorsqu'on regarde les résultats de la tournée je pense
qu'il faut le faire à partir de deux moyens: sur le plan quantitatif et
sur le plan qualitatif. Effectivement, sur le plan quantitatif, force nous est
d'admettre que 202 expressions d'opinion sur 500 000 brochures
distribuées dans tout le Québec, c'est quand même peu
d'intérêt; 185 intervenants sur 7000 invitations à part
celles lancées sur le plan public, c'est quand même aussi un
pourcentage assez faible. Dans les coupures de presse on constatait que les
lignes ouvertes auxquelles vous avez participé n'attiraient pas non plus
une grande foule. À titre d'exemple, à Sept-Îles, dans 75
minutes d'émission, cinq personnes ont cru bon appeler pour traiter de
la réforme du mode de scrutin.
Sur le plan qualitatif je pense qu'il faut regarder un
élément où la représentation proportionnelle
modérée était la proposition retenue par le Conseil des
ministres. À l'analyse et après lecture des 185 mémoires
on peut s'entendre sur le fait qu'effectivement au départ on avait dit
qu'il y avait 33% des gens intervenus qui étaient pour, avec
réticence dans plusieurs cas, la formule RPRM. Pour notre part, on en
concluait, après analyse, que 20% et 13% avaient des réserves,
quand même de taille dans certains cas. J'ai retenu quelques exemples un
petit peu partout dans la province. Par exemple, dans le cas de M. Bruno Jean,
de Rimouski, le 18 octobre, à la page 171, il disait: "Ce ne sera pas
pire que le système métrique, on est en train de s'y habituer."
Je pense que les sondages nous démontrent très bien que le
système métrique a beaucoup de difficultés à
être absorbé par la population.
À Gaspé, M. Jocelyn Lachance nous disait à la page
65 du mémoire, le 17 octobre: "Compte tenu du temps que j'ai eu pour
réfléchir au mode électoral, j'ai essayé de m'en
tenir à des principes. La mécanique des modalités. J'avais
tendance à faire confiance à toute l'équipe qui vous
supporte."
À Trois-Rivières, M. Quintin nous disait le 8 novembre,
à la page 130: "Beaucoup d'entre nous ou d'autres ont été
obligés de se préparer à la dernière minute."
Quant à Chicoutimi, en date du 1er novembre 1983, à la
page 179, M. Eric Jacques, même s'il dit appuyer le projet sans
réserve, précise: "Disons qu'on pourrait mettre certaines petites
réserves parce que, évidemment, c'est un peu complexe et la
période de temps qu'on a eue pour disséquer tout ça ne
nous permettait peut-être pas d'aller en profondeur autant qu'on aurait
voulu."
Enfin, deux autres petites citations qui démontrent que des gens
ont été aussi actifs. Je voudrais vous citer les propos tenus par
M. J. Fernand Tremblay, le 1er novembre 1983 à Chicoutimi, que l'on
retrouve à la page 7: "Ici je voudrais remercier M. Michel Patenaude
pour avoir pris la peine de venir nous rencontrer pour exposer le projet
gouvernemental et répondre à nos questions. Ces réponses
nous ont permis d'enrichir nos connaissances et notre dossier. Nous aurions
aimé, comme nous le faisons habituellement, prendre le temps de
consulter nos 232 membres corporatifs sur la question.
L'échéancier proposé par la commission ne nous a pas
permis de faire l'excercice."
De Mme Jocelyne Murray, de l'AFEAS, de Sept-Îles: "Nous avons
été contactées à l'AFEAS par M. Patenaude au niveau
du ministère pour venir donner notre idée sur la proportionnelle
électorale. Si je ne m'abuse, M. Patenaude travaille au
secrétariat de la réforme électorale."
Vous vous êtes donc basé sur cette tournée, sur ces
résultats, pour tenter de conclure à la nécessité
d'un changement. Je pense qu'il y avait aussi d'autres moyens. Dans un premier
temps vous en avez employé un autre, celui des sondages qui
témoignaient très bien - dans le cas du sondage que vous avez
fait - que 75% des gens étaient assez satisfaits du système
actuel et que 66% n'étaient pas au courant des changements
envisagés.
Comme l'a évoqué aussi mon collègue de Charlevoix
hier, il y a le fait que les députés circulent, parlent avec des
gens et, très rarement, des gens sont venus aux bureaux des
députés ou à des rencontres
sociales nous dire: Oui, on veut une réforme du mode de scrutin.
En parcourant tout ce qui a pu être publié dans les journaux
depuis belle lurette, on constate une chose. C'est que très peu de gens
se sont servis de l'opinion du lecteur pour exprimer leur opinion, que ce soit
positivement ou négativement, sur la réforme du mode de
scrutin.
Devant tout cela, la commission a quand même - c'était son
droit - décidé de nous proposer une formule qui est la
représentation proportionnelle territoriale. Après analyse, il
nous apparaissait assez évident que c'était une formule qui avait
comme base d'inspiration la formule utilisée en Belgique, à
l'exception, comme vous l'avez fort bien dit tout à l'heure, de la
méthode de vote et du décompte des votes, l'attribution des
sièges. Il faut se rappeler qu'en Belgique, de 1919 à 1984, sauf
en 1950, cela a été dans tous les cas des gouvernements de
coalition. Je pense qu'on a fait état des difficultés que
rencontrent des gouvernements et des obligations que cela comporte face au
gouvernement de coalition. De 1944 à 1977, la moyenne de vie des
gouvernements est de seize mois incluant la période de 1950 à
1954 d'un gouvernement majoritaire. Ce qui veut dire que seize mois, cela peut
provoquer une certaine instabilité au niveau gouvernemental et c'est
là, selon nous, des points quand même très importants.
Force nous est donc d'admettre, puisque d'autres l'ont fait auparavant,
qu'il n'y a pas de consensus sur le rejet du système uninominal. Force
nous est d'admettre également qu'il n'y a pas de consensus sur la
formule de remplacement. Je souligne l'initiative du député de
Chauveau qui a déposé ce matin une proposition qui mérite
certainement qu'on s'y arrête et on pourra ultérieurement en
discuter et échanger concernant cette formule qui, je pense, est quand
même très neuve et différente de ce qu'on a vu
jusqu'à maintenant.
Quant à nous, on l'a clairement exprimé par une
résolution qui a été adoptée par notre conseil
général il y a peu de temps, nous ne souscrivons pas à une
réforme du mode de scrutin avant les prochaines élections. Je
pense que c'est suffisamment clair qu'on puisse le répéter et
vous le redire. Au moment où nous en sommes rendus, je suis d'avis, avec
le député de Sainte-Marie, que c'est maintenant au gouvernement
de poser les prochains gestes. Là-dessus, je pense que la parole lui
appartient.
Le Président (M. Vaugeois): M. le ministre.
M. Yves Duhaime M. Duhaime: M. le Président,
brièvement, vous allez me permettre de noter que, ce matin, les travaux
de notre commission ont pris une allure parlementaire et que nous aurions
très bien pu fonctionner sur ces lignes qui traduisent le sérieux
de nos travaux ce matin à partir du début de nos travaux
parlementaires jusqu'à la fin.
Je ne peux pas passer sous silence l'incident d'hier où,
malheureusement, à mon point de vue, le député de
Charlesbourg, le porte-parole officiel de l'Opposition, pour marquer un point,
j'imagine, nous a mené une charge de cavalerie sur ce que j'appellerais
l'intégrité et la crédibilité d'une de nos
institutions importantes dans notre démocratie parlementaire. La
méthode utilisée, avec des documents qui sont, à mon point
de vue, de nature privée, qui viennent - je suis prêt à
parier qu'on ne saura jamais comment... Il y a une chose qu'on sait de la
bouche du Directeur général des élections. C'est qu'il a
l'impression que ce document lui a été volé. Je pense que
vous avez bien fait de vous raviser. Ce que je veux souligner, cependant, c'est
que nous vivons dans un contexte nouveau de commission parlementaire. Quand je
parle de raviser, je parle de vous raviser dans vos attitudes. C'est ce que je
veux dire. (13 heures)
Une voix: C'est votre conclusion.
M. Duhaime: Je considère que c'est un
procédé très dangereux, parce que, d'une part, tout membre
d'une commission parlementaire, comme député élu, tire
partie de l'immunité parlementaire. On parle beaucoup de scrutin. On
parle de la réforme parlementaire. Je vous soumets, M. le
Président, que cela pourrait faire partie de nos réflexions
également, afin qu'on réussisse à cadrer ce que que
j'appellerais les effets exagérés de l'utilisation de
l'immunité parlementaire en commission.
Je veux faire un deuxième point, M. le Président. Je pense
que nous avons franchi, depuis ces deux derniers jours, une étape
très importante dans nos réflexions sur un dossier qui est
très difficile - tout le monde le reconnaît - et que nous avons
pris connaissance du rapport. Personne ne pourra blâmer le gouvernement
d'avoir pris beaucoup de place à cette commission parlementaire.
C'était bien intentionnel également de laisser toute la latitude
possible aux parlementaires des deux côtés de l'Assemblée
nationale de s'exprimer sur cette question et de non pas venir en commission,
parce que, d'abord, ce n'était pas le moment, avec une proposition.
Je pense pouvoir dire, M. le Président, sans qu'un grand
débat ne soit suscité, qu'autant le Parti libéral du
Québec que le Parti québécois ne s'entendent pas non pas
depuis hier, mais depuis de très longues années sur deux choses.
Nos deux formations politiques reconnaissent que nous vivons un
mode de scrutin qui crée des distorsions énormes qui,
certaines années, ont même fait en sorte qu'une formation
politique qui n'avait pas une majorité de voix s'est retrouvée
avec une majorité de sièges. Les distorsions, je pense bien que
cela a meublé toujours le discours depuis quinze ans. C'est un fait. Je
suis prêt à me rallier là-dessus et à dire: C'est
vrai que le mode de scrutin, à l'heure actuelle, crée des
distorsions.
La deuxième chose que j'ai cru sentir dans les
déclarations des députés des deux côtés, des
chefs de l'Opposition, aussi bien que des chefs de gouvernement, c'était
cette volonté de corriger les distorsions. La question c'est: Comment?
Je voudrais faire référence aux notes sténographiques du
21 décembre 1983, devant la Commission de la représentation. Il y
avait trois porte-parole de l'Opposition effectivement, M. Mailloux, M.
Pagé et M. Côté. À la page 20 de la transcription,
on lit ceci: C'est M. Pagé qui parle. Je vais le citer à partir
de la ligne 12 de la page 20. "Nous avons effectivement dans le programme de
notre formation politique - c'est le 21 décembre 1983 -l'intention
d'intervenir dans le sens d'un mode de scrutin beaucoup plus
représentatif de la volonté des électeurs et des
électrices. Alors, essentiellement, notre parti continue à
s'activer à cet égard. Vous devez constater, de plus, que des
événements importants ont été vécus dans
notre parti au cours de l'année 1983. Il en découlera
évidemment une interaction assez vigoureuse des différentes
commissions et des différents groupes qui travaillent au niveau de la
commission politique. Et je suis persuadé qu'au moment du prochain
congrès plénier conviant les membres de notre parti, un peu plus
tard dans l'année 1984, nous serons en mesure d'adopter une position
définitive, tant qu'à nous à cet égard."
Je crois déceler là, M. le Président, une
volonté manifeste que ce dossier de la réforme du mode de scrutin
doit demeurer un dossier vivant, un dossier ouvert et un dossier actif. Je
voudrais dire aux membres de cette commission que, dans les prochains jours, le
gouvernement fera connaître son point de vue sur les séquences
futures. Ce sera bien sûr le point de vue du gouvernement avec ce
dossier. Je pense que le discours inaugural pourrait être une excellente
occasion pour que le chef du gouvernement donne la position du parti
ministériel.
Il me reste, M. le Président, à remercier M.
Côté, de même que MM. les commissaires Bourassa et Lessard
d'abord d'avoir fait cette tournée, d'avoir accepter ce mandat unanime
de l'Assemblée nationale, d'avoir rédigé un rapport, d'y
avoir fait des recommandations comme le mandat de l'Assemblée nationale
les y invitait et de s'être prêtés à cet exercice,
parfois difficile, de venir rencontrer les parlementaires en commission. Je
vous remercie, M. le Président.
M. Denis Vaugeois
Le Président (M. Vaugeois): Merci. Il me reste quelques
mots à ajouter. Tout à l'heure, dans un échange, M.
Bourassa a fait allusion à notre mode de scrutin depuis les
débuts et à certaines modifications qui y avaient
été apportées. Entre autres, il y a des circonscriptions
qui ont déjà élu deux députés, etc. Cela
m'amenait à me rappeler que, au fond, notre mode de scrutin a environ
l'âge de notre Parlement. Pour l'essentiel, on vit avec le même
mode de scrutin depuis 1792. Curieusement, si on s'arrête à
l'observer, il a évolué sans lui-même évoluer. Ce
qui est arrivé, c'est que des partis politiques sont nés et ont
développé un rôle qui s'est toujours accentué et qui
a donné naissance à la ligne des partis, ce qui n'existait pas en
1792, en 1830 et qui existait à peine à la fin du XVlIIe
siècle. La montée de l'administration publique est une autre
donnée importante qui va modifier d'ailleurs la naissante
responsabilité ministérielle. Je pourrais continuer comme cela,
mais je veux seulement suggérer qu'au fond le mode de scrutin peut
rester le même mais que d'autres éléments peuvent
évoluer et faire changer sa portée.
En 1792, en 1800, en 1830 et en 1850, on ne pouvait parler de
distorsion. La distorsion n'est pas inhérente au mode de scrutin.
D'autres facteurs provoquent les problèmes dont nous héritons. On
s'est attaqué à réévaluer le mode de scrutin pour
corriger des effets qui ne sont pas strictement liés au mode de scrutin,
mais qui sont liés à d'autres éléments qui sont
apparus et qui se sont développés depuis l'exercice de la vie
parlementaire que nous menons dans ce pays. Il y a là des avenues
à explorer pour la commission des institutions. Déjà, nous
avons indiqué notre désir de regarder des choses comme la ligne
de parti, la notion de solidarité ministérielle, la notion de
responsabilité ministérielle. On pourrait s'attarder
également à examiner notre mode de scrutin qui, à travers
le temps, donnait des effets différents parce que d'autres choses
changeaient autour. Pour ma part, je vais suggérer que notre commission
des institutions puisse peut-être prendre le temps d'examiner ces
questions et de chercher à éclairer l'Assemblée
nationale.
On a fait reproche tout à l'heure au gouvernement de ne pas avoir
réagi en dedans de X mois. Je veux bien qu'on fasse tous les reproches
possibles au gouvernement sauf que, de temps en temps, on revendique pour
l'Assemblée nationale le pouvoir d'initiative, des droits, des
privilèges et des
pouvoirs. Alors que nous sommes très nettement en face d'un
mandat qui venait de l'Assemblée nationale, quelles que soient les
circonstances que j'ai moi-même déplorées, il reste quand
même un fait, c'est que cela venait de l'Assemblée nationale.
L'Assemblée nationale a cette capacité et ce pouvoir d'initiative
qui se précise toujours. Nous allons devoir apprendre, comme
parlementaires, à exercer notre pouvoir d'initiative et à ne pas
toujours attendre tout du gouvernement. On ne peut guère espérer
que l'Exécutif cède, malgré ces pressions, des pouvoirs
à l'Assemblée nationale. C'est une lutte de pouvoirs entre deux
institutions de notre régime politique. L'Assemblée nationale
doit prendre sa place, elle doit affirmer sa place. Je souffre mal d'entendre
un reproche pur et simple, encore qu'on peut le formuler, j'en conviens, mais
il reste qu'il ne faudrait pas s'en laver les mains. Nous avons à faire
face à nos propres responsabilités à cet égard.
L'expression "s'en laver les mains" me ramène au début de
notre commission alors que je reprochais pratiquement à la commission
qu'a présidée M. Côté de s'être lavé
les mains d'une partie importante de la question, celle de la réforme et
de l'évolution du Parlement. Nous ne reviendrons pas au point de
départ, mais j'en profite pour remercier la commission que vous avez
présidée, vos collègues et ceux qui vous ont soutenus dans
votre travail; quelle que soit l'issue qui guette votre recommandation, votre
travail d'animation et d'information de la population, qui était une
partie de votre mandat, aura été accompli.
Il est certain que nos institutions ont vieilli, que nos institutions
ont mal vieilli. Suffisamment de gens autorisés le disent, le pensent.
Ce qui arrive chez nous, au Québec, est vrai à Ottawa, est vrai
dans la plupart des Parlements du monde. Votre tournée a dû vous
amener à constater que plusieurs Parlements dans le monde sont malades.
Nous avons à veiller à la santé des Parlements, du
nôtre en particulier. À cet égard, vous avez joué un
rôle très important en contribuant à attirer l'attention de
la population sur l'institution parlementaire qui est la base de notre vie
démocratique.
Je remercie tout le monde et je donne rendez-vous aux membres de cette
commission à une date qui reste à déterminer.
(Fin de la séance à 13 h 10)