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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le mercredi 18 septembre 1996 - Vol. 35 N° 38

Consultation générale sur l'avant-projet de loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative


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Table des matières

Auditions


Intervenants
M. Roger Paquin, président
M. Paul Bégin
M. Normand Jutras
M. Thomas J. Mulcair
M. Roger Lefebvre
Mme Fatima Houda-Pepin
M. André Boulerice
M. Geoffrey Kelley
M. François Beaulne
* M. Claude Masse, Barreau du Québec
* M. Gilles Pépin, idem
* M. Daniel Chénard, idem
* M. Michel Laroche, APAQ
* M. Romain Girard, idem
* M. Guy Poliquin, idem
* Mme Francine Guérin, OEAQ
* M. Mathieu L'Écuyer, idem
* M. Jacques Meunier, bureau du Protecteur du citoyen
* M. Patrick Robardet, idem
* M. Bernard Gagnon, UMQ
* Mme Nicole Archambault, Conférence des juges administratifs du Québec
* Mme Lise Lambert, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures six minutes)

Le Président (M. Paquin): La commission des institutions reprend ses travaux. Il s'agit d'une consultation générale et d'auditions publiques sur l'avant-projet de loi intitulé Loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative. La séance est ouverte.

Est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Ciaccia (Mont-Royal) est remplacé par M. LeSage (Hull); et M. Fournier (Châteauguay) par M. Kelley (Jacques-Cartier).

Le Président (M. Paquin): Alors, nous allons prendre connaissance de l'ordre du jour. D'abord, nous recevons le Barreau du Québec, puis l'Association des propriétaires d'autobus du Québec et l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec ce matin; cet après-midi, le Protecteur du citoyen, l'Union des municipalités du Québec et la Conférence des juges administratifs du Québec.

Nos premiers invités, c'est le Barreau du Québec. Nous disposons d'une heure: une vingtaine de minutes pour la présentation, 20 minutes de chaque côté pour des questions. Advenant que vous ne preniez pas tout le temps qui vous est réservé, on le répartit de façon à ce qu'il y ait plus de questions et, donc, que vous ayez quand même l'occasion de fournir vos points de vue. Me Masse est là. Alors, est-ce que vous voulez nous présenter les personnes qui vous accompagnent?


Auditions


Barreau du Québec

M. Masse (Claude): Merci, M. le Président, merci de nous souhaiter la bienvenue à cette commission parlementaire. Je voudrais vous présenter la délégation du Barreau du Québec: à ma gauche, M. le professeur Gilles Pépin, très longtemps professeur à l'Université de Montréal et spécialisé en droit administratif; à ma droite, Me Daniel Chénard, qui pratique dans le secteur depuis maintenant plus de 20 ans; et, membre du Service de la recherche et de la législation du Barreau du Québec, Me Marc Sauvé m'accompagne également.

M. le Président, je crois que vous n'avez eu le texte que ce matin. Je n'ai pas l'intention de lire les 32 pages du mémoire, mais de prendre un certain nombre de morceaux choisis pour pouvoir lancer, d'entrée de jeu, la présentation du Barreau du Québec, d'autant plus que je suis le troisième bâtonnier en trois ans à venir finalement défendre désespérément et avec acharnement les mêmes principes fondamentaux que nous défendons et que je rappelle rapidement.

Nous avions, dans les mémoires passés – pour ceux qui étaient là, ils s'en souviendront – défendu que le projet de loi ne devait absolument pas comprendre des amendements à la Charte des droits et libertés de la personne, ce que la loi d'application fait. Deuxièmement, nous défendons le principe, depuis maintenant de nombreuses années, à l'effet que les commissaires du nouveau Tribunal et juges du Tribunal administratif doivent être détenteurs de la plus complète indépendance. Il est clair qu'au niveau du principe du processus de nomination et de renouvellement des mandats on va faire face à des problèmes fondamentaux. Troisièmement, nous défendons depuis longtemps le principe d'un droit d'appel. Nous allons vous suggérer, comme nous l'avons fait dans le passé, la constitution d'une division particulière de la Cour du Québec qui serait en mesure d'entendre l'essentiel des appels du nouveau Tribunal administratif. Et enfin, c'est avec étonnement que nous avons constaté que le gouvernement du Québec s'apprête à retirer de la juridiction du Tribunal administratif du Québec près de 40 % de sa juridiction à l'égard de la CALP. La CALP semble sortir de la réforme. Nous avons entendu depuis au moins deux ans le ministre de la Justice parler de – et il nous a convaincus – la nécessité d'une approche complète et globale. Nous avons compris, depuis le mois de juin dernier, que le gouvernement s'apprête à retirer la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles du nouveau Tribunal en lui confiant une fonction de paritarisme qui est tout à fait contraire aux principes de justice fondamentale que nous défendons depuis de nombreuses années.

Le 19 juin dernier, M. le Président, le ministre de la Justice du Québec déposait à l'Assemblée nationale l'avant-projet de loi intitulé Loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative. Cette pièce législative comportant près de 700 articles ne constitue pas une simple loi d'application. Généralement, une loi d'application ne fait pas l'objet de grands débats de société ou d'importantes discussions sur la place publique, puisque, par définition, elle n'a pour fonction que de mettre en oeuvre les principes adoptés dans une loi-cadre.

(10 h 10)

L'avant-projet de loi d'application sur la justice administrative constitue une exception à notre avis malheureuse à cette règle, et pour plusieurs raisons. D'abord, l'avant-projet de loi comporte des dispositions qui visent à modifier la Charte québécoise des droits de la personne, et nous allons en reparler tantôt. Deuxièmement, l'avant-projet de loi supprime l'expression «quasi judiciaire» dans plusieurs lois québécoises et modifie ainsi la portée des textes législatifs visés, ce qui est fondamental et très important, selon nous. Troisièmement, l'importance de la juridiction du Tribunal administratif du Québec n'apparaît véritablement qu'à la lecture des dispositions de l'avant-projet de loi. Quatrièmement, la déjudiciarisation du processus décisionnel de certains organismes soulève la question de savoir si un recours adéquat devant un tribunal administratif est toujours prévu en contrepartie. Et, en dernier lieu – on pourra en reparler lors de la période de questions, M. le Président, je ne m'appesantirai pas sur la question – l'avant-projet de loi comporte des aspects omnibus.

Avant de formuler nos observations en regard de chacun de ces aspects de l'avant-projet de loi, nous croyons utile de faire part aux membres de la commission des institutions de certains commentaires généraux sur l'ensemble de la réforme proposée. Pour le Barreau, une véritable réforme de la justice administrative doit s'articuler autour de certains objectifs généraux, notamment, premièrement, l'indépendance et l'impartialité des décideurs. Le Barreau a toujours été d'avis, et il l'est encore, que la pierre angulaire de toute réforme en matière de justice administrative doit reposer sur l'indépendance et l'impartialité des personnes exerçant des pouvoirs judiciaires. Les membres des tribunaux administratifs doivent donc détenir un statut leur garantissant l'indépendance nécessaire à l'exercice de leurs fonctions. Nous avons noté les améliorations en termes de conditions de nomination des nouveaux membres, mais les processus de renouvellement et de discrétion politique qui sont laissés au gouvernement sont, quant à nous, dans le projet de loi, tout à fait inacceptables.

Deuxièmement, la formation et la discipline des membres des tribunaux administratifs. Le Barreau reconnaît la nécessité d'une multidisciplinarité au sein des tribunaux administratifs. Toutefois, dans l'intérêt du justiciable, le Barreau a toujours considéré que les membres des tribunaux administratifs appelés à trancher des questions de droit doivent être des membres du Barreau du Québec. Rien n'empêche, par ailleurs, qu'un supplément de formation puisse être exigé des avocats siégeant au sein de ces organismes. En outre, le Barreau s'est toujours montré favorable à la formation d'un conseil des tribunaux administratifs pour les questions de nomination, de sélection, de déontologie et de discipline des membres des tribunaux administratifs, spécialement lorsqu'ils exercent des pouvoirs judiciaires, de même que pour conseiller le gouvernement sur l'adoption de règles de preuve et de procédure applicables devant ces tribunaux.

Troisièmement, la procédure. Le Barreau du Québec est depuis longtemps favorable à l'adoption de règles minimales et appropriées de procédure applicables généralement devant les tribunaux administratifs, spécialement lorsqu'ils exercent des pouvoirs judiciaires, afin que l'absence de rigidité que doivent avoir ces tribunaux ne conduise pas à une absence de rigueur dans leurs décisions.

Quatrièmement, reconnaissance du rôle de l'avocat. L'avocat, comme représentant des justiciables, doit demeurer présent devant les tribunaux administratifs. Les membres du Barreau, à cause de leur formation et de leur spécialisation, de leurs expériences et de leur encadrement, sont les personnes les plus aptes à protéger adéquatement les droits substantifs et procéduraux des justiciables.

Cinquièmement, le contrôle judiciaire de surveillance et d'appel. Le Barreau est favorable au maintien du pouvoir de surveillance de la Cour supérieure sur les tribunaux administratifs. Ce pouvoir est d'ailleurs enchâssé dans la Constitution. En outre, dans l'intérêt des justiciables et compte tenu des limites du pouvoir de surveillance, le Barreau est d'avis qu'un appel devant une cour de justice des décisions des tribunaux administratifs doit être aménagé, surtout lorsqu'ils exercent des pouvoirs judiciaires. La justice administrative ne doit pas devenir une justice sans appel.

Il faut déplorer la façon dont le gouvernement s'y prend pour faire adopter la législation pertinente. On demande aux intéressés de commenter des textes, y compris certains amendements, sans leur donner un délai suffisant compte tenu de l'ampleur de la réforme et sans tenir compte de l'avant-projet de loi d'application de 652 articles, silencieux toutefois sur le droit transitoire à venir. Cet avant-projet de loi d'application est sans doute lui-même susceptible d'être remanié. Rappelons aussi que des projets de règlement d'application, nécessaires à la bonne compréhension du projet de loi n° 130, n'ont pas encore été déposés. Cette approche législative mouvante et compartimentée est inacceptable, pour le moins peu transparente, et permet difficilement à l'ensemble des intervenants de se faire une idée claire et précise du projet gouvernemental.

La réforme proposée n'est pas conforme aux objectifs du Barreau du Québec, principalement en ce qu'elle propose des règles générales et minimales de procédure, notamment au titre I du projet de loi n° 130, dont il n'est pas facile de mesurer le champ d'application et le contenu. Bien que le ministre de la Justice ait remplacé par de nouvelles dispositions le texte initial des articles 1 à 12 du projet de loi n° 130, le Barreau est toujours d'avis que les articles en cause seraient à l'origine de bien des difficultés d'application et, en conséquence, de litiges que devraient trancher les cours de justice. La procédure applicable aux décisions à portée individuelle prises par les autorités administratives du Québec demeurerait un sujet fort complexe.

Par ailleurs, la distinction entre les fonctions administratives et les fonctions juridictionnelles, possiblement intellectuellement séduisante, peut d'ailleurs difficilement regrouper l'ensemble disparate et multiforme d'activités confiées aux autorités administratives. Les tribunaux judiciaires n'essaient plus aujourd'hui de classer ou de classifier de la sorte les pouvoirs décisionnels de ces autorités lorsqu'ils sont aux prises avec des litiges relatifs à la procédure applicable. Ils ont réalisé depuis plusieurs années qu'il n'y avait pas nécessairement d'équation entre la qualification d'une décision à portée individuelle et l'impact que celle-ci peut avoir en réalité sur les droits, les obligations, les intérêts, les espérances légitimes des personnes concernées.

Aux sérieuses préoccupations qu'éprouve le Barreau à la lecture des nouveaux articles 1 à 12 du projet de loi n° 130 s'ajoute un sujet de stupéfaction lorsqu'il constate, à la lecture de l'avant-projet de loi d'application, article 113, que le ministre de la Justice propose que les articles de la Charte des droits et libertés de la personne qui reconnaissent des droits fondamentaux aux Québécois et aux Québécoises soient modifiés de façon à ne pouvoir être désormais invoqués que devant les autorités administratives exerçant une fonction dite juridictionnelle et non plus, comme aujourd'hui, quasi judiciaire, parce que – nous allons insister là-dessus et nous souhaitons en discuter avec vous – il existe une différence fondamentale entre la fonction dite juridictionnelle, qui n'est définie nulle part, et la fonction quasi judiciaire. Le Barreau s'oppose avec vigueur à cette diminution des droits fondamentaux garantis par la Charte.

La création du Tribunal administratif du Québec, titre II du projet de loi n° 130, semble justifiée, et les règles de procédure et de preuve applicables devant lui sont généralement satisfaisantes. Mais la juridiction fort étendue du Tribunal, mise en lumière par les nombreuses dispositions de l'avant-projet de loi d'application qui lui sont consacrées et qui forme l'assise première de sa compétence d'attribution, fait ressortir davantage la non-conformité du projet de loi n° 130 à deux objectifs proposés par le Barreau. En effet, les membres du Tribunal ne jouiraient pas de toute l'indépendance nécessaire à l'exercice de leurs fonctions, et le ministre de la Justice est toujours d'avis qu'il ne convient pas que les décisions du Tribunal puissent faire l'objet d'un appel à une cour de justice.

Par ailleurs, contrairement au voeu exprimé par le Barreau, le Conseil de la justice administrative, au titre III du projet de loi n° 130, exercerait un rôle certes important, mais fort limité, à telle enseigne que l'on peut se demander s'il convient de donner le nom de Conseil de la justice administrative à une institution ayant uniquement pour mission, à toutes fins utiles, de proposer un code de déontologie pour les membres du Tribunal administratif du Québec, et non pour l'ensemble des organismes juridictionnels, et d'en assurer l'application. On est loin du rôle de réflexion et de recommandation sur la justice administrative suggéré par le Barreau dans de nombreux mémoires antérieurs.

Je passe aux commentaires particuliers et, M. le Président, je veux insister tout particulièrement sur les modifications proposées par l'avant-projet de loi à la Charte des droits et libertés de la personne. L'article 56.1 de la Charte des droits et libertés de la personne ne définit pas actuellement le mot «tribunal». Il précise que ce mot inclut certains organismes, qu'il énumère, et ajoute qu'il vise aussi une personne ou un organisme exerçant une fonction quasi judiciaire. La présence de l'expression «quasi judiciaire» a certes favorisé une interprétation large du mot «tribunal», encore que la règle d'interprétation voulant que les dispositions relatives aux droits fondamentaux des personnes soient interprétées libéralement aurait pu conduire à un semblable résultat.

L'amendement proposé ne définit pas davantage le mot «tribunal», mais, sous prétexte d'inclure dans la portée du mot, il exclut en réalité des organismes et des personnes. S'il était adopté, l'amendement ferait en sorte qu'un coroner, un commissaire-enquêteur sur les incendies, une commission d'enquête ne serait plus un tribunal aux fins de certains articles de la Charte, sauf pour l'article 38 – et, selon le mémoire qu'elle vous a présenté, la Commission des droits est tout à fait d'accord avec notre interprétation à cet égard – et il en irait de même des autres personnes ou organismes de l'ordre administratif à moins qu'ils n'exercent une fonction dite juridictionnelle dans l'avant-projet de loi.

(10 h 20)

Les expressions «ordre administratif» et «fonction juridictionnelle», de droit nouveau, ne sont pas définies dans l'avant-projet. On peut penser que font partie de l'ordre administratif toutes les autorités que l'on peut placer sous le chapeau de l'administration publique, autre expression non définie, et qu'une fonction juridictionnelle est exercée lorsqu'une personne tranche un litige entre des parties en se fondant sur des normes de droit préexistantes, au terme d'un processus contradictoire, définition de la fonction dite judiciaire. La fonction juridictionnelle est différente de la fonction quasi judiciaire, sa portée est plus limitée, et la Commission des droits est tout à fait d'accord à cet égard avec nous.

Ce n'est certes pas pour redire la même chose en d'autres mots que le législateur modifierait l'article 56.1. En d'autres mots, M. le ministre, si vous prétendez que la modification ne change rien, nous vous proposons très fermement de garder la même notion de quasi judiciaire, d'autant plus qu'il aurait lui-même insisté, dans la Loi sur la justice administrative, pour opposer la fonction juridictionnelle à une fonction administrative visant les décisions aujourd'hui qualifiées de quasi judiciaires. Le Barreau n'est pas informé que le libellé actuel de l'article 56.1 soit à l'origine de difficultés compromettant à ce point le fonctionnement de l'ordre administratif – l'administration publique – qu'il serait nécessaire de réduire, comme il l'a proposé, la portée des droits fondamentaux que l'on sait. Et, pour reprendre une vieille maxime anglaise: «If it works, don't fix it».

On ne saurait prétendre que la modification de l'article 56.1 de la Charte ne serait pas préjudiciable aux personnes étant donné que ces dernières trouveraient dans la Loi sur la justice administrative, qui est le projet de loi n° 130, une matière autre que juridictionnelle, des garanties procédurales équivalentes à celles que leur retirerait l'amendement proposé. On sait que les articles 2 à 7 du projet de loi n° 130 contiennent des règles propres aux décisions qui relèvent de l'exercice d'une fonction administrative, tandis que les articles 8 à 12 énoncent des règles propres aux décisions qui relèvent de l'exercice d'une fonction juridictionnelle. La fonction administrative, telle qu'esquissée dans le projet de loi n° 130, semble bien inclure la fonction dite, aujourd'hui, quasi judiciaire. La Charte des droits et libertés ne s'appliquerait plus aux autorités administratives – l'ordre administratif – lorsqu'elles adopteraient des décisions non juridictionnelles, mais les personnes concernées auraient effectivement droit désormais à la protection procédurale des articles 2 à 7 de la Loi sur la justice administrative. Cette protection procédurale non négligeable, nous le reconnaissons, ne remédierait pas, toutefois, aux sérieux désavantages de l'amendement proposé à l'article 56 de la Charte.

Premièrement, la portée du contenu des articles 2 à 7 du projet de loi n° 130 n'est guère précise et ne concerne essentiellement, de toute façon, que le droit d'être entendu de façon adéquate, objet de l'article 23, en partie, de la Charte, tandis que l'amendement proposé à l'article 56.1 vise aussi d'autres droits fondamentaux.

Deuxièmement, les articles 2 à 7 du projet de loi n° 130 ne s'appliqueraient pas à l'ensemble des autorités administratives, mais uniquement à celles – et c'est important – qui font partie de l'administration gouvernementale, à savoir les ministères et certains organismes gouvernementaux. Ne sont pas incluses des institutions comme le gouvernement, les corporations municipales, les commissions scolaires, la Commission d'accès à l'information, la Commission de la fonction publique, la Commission des droits de la personne – ça, c'est un beau paradoxe – et des droits de la jeunesse. Les décisions non juridictionnelles de ces institutions – on note tout spécialement le gouvernement – seraient non seulement soustraites de la portée des articles 2 à 7 du projet de loi n° 130, mais aussi des articles 9, 23, 34 et 38 de la Charte des droits et libertés. Et, à cet égard, les parties du rapport Garant qui portaient sur l'exclusion de la Charte, nous vous le soulignons fortement puisque le ministère semble s'inspirer beaucoup du rapport Garant à cet égard, ne concernaient que l'article 23 et en aucune façon les articles 9, 34 et 38. De sorte qu'il nous semble que l'avant-projet de loi donne une extension démesurée aux recommandations qui étaient faites dans le cadre du rapport Garant.

M. le Président, vous me soulignez à juste titre qu'il ne me reste que trois minutes. Je voudrais traiter, avant de passer à la conclusion, d'un argument qui nous a été présenté, à l'effet que, actuellement, bon nombre de décisions administratives ne sont pas sujettes à un droit d'appel. Il faut situer cet argument dans le contexte global de la réforme de l'avant-projet qui ramène au Tribunal administratif du Québec, au niveau tribunal, des juridictions qui appartiennent actuellement à la Cour du Québec.

Le Barreau désire ajouter ici une autre considération à l'ensemble des observations qu'il a formulées en février dernier à propos de l'importance d'un droit d'appel à une cour de justice. S'il est vrai que les décisions de certains tribunaux administratifs ne peuvent actuellement être portées en appel – la Commission des affaires sociales, par exemple, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles – il ne faudrait pas oublier, toutefois, que de nombreux recours qui seraient confiés au Tribunal administratif sont actuellement du ressort d'une cour de justice, spécialement la Cour du Québec, et qu'il peut arriver que les jugements rendus puissent être portés en appel devant la Cour d'appel, notamment en matière d'évaluation foncière et en matières très importantes d'expropriation, de valeurs mobilières, de transport, de sociétés de fiducie et d'épargne. Faut-il comprendre que c'est à tort que le législateur a voulu, avant 1996, que certains recours relèvent en définitive d'une cour de justice, souvent un banc de trois juges, plutôt que d'un tribunal administratif?

J'attire votre attention, M. le Président, et je termine là-dessus, sur notre conclusion. Bien qu'il ait été depuis longtemps favorable à une réforme des tribunaux administratifs, particulièrement dans le but d'améliorer le statut de leurs membres et de doter ces organismes de règles de procédure appropriées, connues et le plus souvent possible uniformes, le Barreau s'oppose à la réforme actuellement proposée. Il trouve fort complexes les règles de procédure applicables, selon le projet de loi n° 130, aux décisions administratives de l'administration gouvernementale et craint toujours qu'elles soient à l'origine d'un happening procédural, source de litiges guère utiles.

À cet égard, la proposition énoncée dans l'avant-projet de loi d'application visant à retirer aux personnes les droits fondamentaux que leur garantit, en matière quasi judiciaire, la Charte des droits et libertés est pour lui une cause de stupéfaction. Il s'oppose farouchement à cette initiative. Le Barreau n'est pas informé qu'il y aurait nécessité de ce faire – et le ministre, jusqu'à maintenant, ne nous a pas, nous, convaincus de la nécessité de ce faire – bien qu'il ne doute pas que le fonctionnement de l'administration publique s'en trouverait facilitée. De l'avis du Barreau, cette considération ne doit cependant pas avoir préséance sur les droits fondamentaux des personnes.

Le Barreau est toujours d'avis, surtout après avoir pris connaissance des dispositions de l'avant-projet de loi d'application qui précisent davantage l'importante juridiction du Tribunal administratif du Québec, que les membres de cet organisme juridictionnel ne jouissent pas encore de toute l'indépendance nécessaire à l'exercice de leurs fonctions et qu'il est nécessaire que les décisions du Tribunal administratif du Québec puissent faire l'objet d'un appel approprié à une cour de justice. Et, en matière administrative, vous savez mieux que nous que, s'il est important de préserver l'indépendance des décideurs par rapport au gouvernement, c'est bien dans un cadre administratif, où de simples justiciables sont amenés à faire trancher des litiges contre ce même gouvernement – celui-ci ayant la possibilité de renommer, après cinq ans, à bon plaisir pour l'essentiel, les membres du nouveau Tribunal qui ont à trancher des litiges qui opposent des justiciables au gouvernement – que cette indépendance est fondamentale et particulièrement importante. Il propose qu'une chambre administrative de la Cour du Québec soit chargée de cette responsabilité.

Le ministre de la Justice déclarait aux membres de la Société de droit administratif du Québec, le 2 mars 1995, que la réforme proposée, et je cite, «ne devra pas desservir le citoyen face à l'État», fin de citation. Le Barreau estime que certains éléments fondamentaux de cette réforme desservent ou compromettent les droits des personnes; il ne peut donc y souscrire. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Merci, Me Masse. Est-ce que quelqu'un de la formation... Oui, M. le ministre.

M. Bégin: Alors, merci, MM. du Barreau, de votre mémoire. D'avance, je mentionne que les questions que je poserai pourront paraître échevelées, puisque le fax retransmettant le mémoire du Barreau est rentré à mon bureau à 19 h 15 hier soir. Nous étions ici jusqu'à 22 heures et j'avais des rendez-vous, évidemment, pris de 8 heures à 10 heures, donc j'ai fait une lecture de votre document, mais pas aussi détaillée que j'aurais voulu le faire. Je souligne ce fait parce que vous vous plaignez de ne pas avoir eu le temps de préparer adéquatement vos rapports, vos procédures et les mémoires déposés.

Je rappelle à tout le monde... Je pense que, si je parle aux membres de la commission, ils vont se rappeler que ça fait très longtemps et très souvent qu'on siège sur la justice administrative. C'est la troisième commission parlementaire sur le sujet, la première ayant eu lieu en février 1995, et je vois le député de Frontenac qui opine de la tête. Je pense qu'il y a eu beaucoup de temps qui s'est passé entre le rapport Garant lui-même, les premières annonces, et le moment où on s'est présentés en commission parlementaire. J'aurais apprécié pouvoir étudier votre mémoire comme j'ai pu le faire pour les autres et, en conséquence, être en mesure d'être un peu plus pointu.

(10 h 30)

Première impression. Plusieurs volets sont touchés, plusieurs, je dirais même les plus importants, ont trait à des sujets qui relèvent de la loi n° 130 et non pas de la loi d'application comme telle. Quand on pense au Conseil de la magistrature, l'appel, la CALP, ce sont tous des sujets qui sont traités dans le projet de loi n° 130.

En ce qui concerne le projet de loi d'application, il y a cette question de l'article 56. Quant au reste, c'est généralement un survol des choses. On mentionne, entre autres, des oublis, mais ils sont très peu nombreux; on parle de quelques articles spécifiques qui ont trait au quasi-judiciaire. Donc, c'est un peu la suite de l'article 56. Entre autres, quant aux oublis, on a un petit passage au bas de la page 10, un autre à la page 18 et on a quelques éléments qui sont touchés, à part de ça, dans le mémoire. Donc, c'est plus un mémoire qui touche 130, qui touche... le projet de loi d'application ou l'avant-projet de loi d'application.

J'ai retenu aussi – vous avez conclu sur ça – que le Barreau s'oppose à la réforme actuellement proposée encore sur la base des principes qui sont là et non pas sur la loi d'application, même si, j'en conviens avec vous, vous avez développé largement sur la question de la Charte, qui est un élément important. Cependant, quand j'ai lu l'ensemble du document, quand on parle des articles 2 à 7, des articles 8 à 12 et qu'on parle des concepts de fonction administrative, de fonction juridictionnelle quasi judiciaire, je pense que peut-être on a oublié – en tout cas, c'est mon impression – le point de départ de la réforme, qui est un élément important de la réforme, c'est la déjudiciarisation. Je pense... J'aimerais vous entendre, voir si vous êtes toujours d'accord sur la déjudiciarisation. Et, deuxièmement, j'aimerais que vous me disiez si effectivement les articles 2 à 7 feraient en sorte que les organismes qui, dans certains cas, actuellement, agissent de façon – et là je ne ferai pas de chicane – quasi judiciaire ou juridictionnelle, qui agissent comme un tribunal, dorénavant, au premier stade, devront se comporter autrement. Je voudrais savoir si, pour vous, justement, 2 à 7, c'est de la déjudiciarisation – et c'est ce qu'on appelle, si je comprends bien le sens des mots, ne pas agir de manière judiciaire.

Alors, si c'est ça... Et j'ai cru comprendre, mais ce n'était pas élaboré longuement, que vous assimilez 2 à 7 au quasi-judiciaire dans certaines circonstances. J'avoue honnêtement que j'ai eu de la misère à comprendre comment on pouvait fonctionner administrativement de 2 à 7, c'est-à-dire sans le processus judiciaire, le prévoir de manière fonctionnelle ou quasi judiciaire de 8 à 12 et dire qu'on est encore en quasi-judiciaire dans 2 à 7. Et, ça, ça ressort quand on parle de la présence du Barreau et du rôle du Barreau. C'est l'impression qui se dégage. En tout cas, j'aimerais vous entendre là-dessus. J'ai l'impression que vous craignez qu'au niveau de la première décision l'avocat n'ait plus de rôle à jouer et qu'il faudrait réintroduire la présence de l'avocat agissant dans son forum naturel qui est celui d'un tribunal.

J'aimerais vous entendre là-dessus, parce que, si vous me dites oui à cette réponse, je comprendrai que vous voulez dire qu'en tout temps l'avocat voudra agir, même au niveau d'une première décision, de façon judiciaire ou quasi judiciaire, c'est-à-dire dans un forum contradictoire avec toutes les règles de preuve que ça comporte. Si, par contre, vous me dites que 2 à 7, c'est agir de façon administrative et qu'il peut y avoir un avocat, mais qu'on n'agit pas de manière juridictionnelle ou quasi judiciaire, là je pourrai peut-être comprendre. Mais je vous avoue qu'à ce stade-ci, au point de départ... Et je pense que c'est fondamental, parce que le projet de loi vise à rendre la justice plus accessible, moins complexe pour le citoyen, moins judiciarisée pour le citoyen et, par le fait même, nous pensons, moins coûteuse. Quand je lis votre document, j'ai l'impression que, sans le dire, vous vous opposez, en fait, aux articles 2 à 7.

Le Président (M. Paquin): Me Masse.

M. Masse (Claude): M. le ministre, je vais demander à M. le professeur Pépin de répondre à votre question sur les articles 2 à 7. Mais, pour ce qui est des délais d'envoi de notre mémoire à la commission parlementaire, je dois dire qu'on s'excuse, on a travaillé tout l'été sur le projet de presque 700 articles, la matière est complexe. Ce à quoi nous faisions allusion, c'est à deux choses. Vous vous souviendrez que vous avez déposé votre projet de loi n° 130 le 18 décembre, je pense, et que le président de l'Assemblée nationale a demandé des commentaires pour le 18 janvier. Ça nous apparaissait un bel exemple de télescopage du processus. Ensuite, pour ce qui est des modifications au projet de loi n° 130 et de l'avant-projet, si j'ai bien compris, elles étaient déposées le 29 mai pour avoir des réactions une semaine plus tard.

Dans ce processus, il nous apparaît paradoxal, et nous protestons encore de la chose, qu'une loi d'application propose des changements à la Charte. Il nous semble qu'on est en train vraiment de tenter de passer à la pièce une réforme qui – nous l'avons toujours appuyée – a de bons aspects, mais qui, sur des principes fondamentaux... Et je les répète, M. le ministre, il n'y a rien de nouveau là-dessus. Premièrement, on ne doit pas toucher aux chartes des droits et libertés en matière... ce que vous qualifiez de quasi judiciaire; deuxièmement, les décideurs doivent être indépendants non seulement au moment de leur nomination, mais au moment de leur renouvellement après cinq ans; troisièmement, il doit y avoir appel des décisions du TAQ devant, nous vous le suggérons, la Cour du Québec; et, quatrièmement, nous ne comprenons toujours pas pourquoi, en cours de route, cette excellente réforme avec d'excellents motifs a été amputée de 40 % de son champ d'application, lors du retrait, en vertu de l'article 16, de la CALP. C'est ce à quoi je faisais allusion, M. le ministre. Et, pour ce qui est des articles 2 à 7, je vais laisser M. le professeur Pépin répondre.

M. Bégin: Juste une petite remarque. Je note que vous dites que c'est une excellente réforme. Pourtant, vous vous y opposez.

M. Masse (Claude): L'objectif est excellent, mais pas de nous passer à la pièce des petits morceaux de réforme inacceptables. Les principes fondamentaux... Je vous ai énuméré deux fois, M. le ministre, quatre principes fondamentaux. Ils sont fondamentaux.

L'indépendance des décideurs face à l'administration, c'est fondamental. Que quelqu'un ne puisse pas, après cinq ans de bons et loyaux services, être sûr qu'il va être renommé parce qu'il ne sait pas comment le gouvernement va juger l'impact budgétaire de ses décisions, ça, c'est fondamental, ce n'est pas un détail; c'est la troisième fois que le Barreau du Québec revient là-dessus. Même si nous appuyons une réforme générale, M. le ministre, on ne peut pas accepter une pareille absurdité dans un système judiciaire. Pour le reste, je laisse le professeur Pépin répondre.

Le Président (M. Paquin): Me Pépin.

M. Pépin (Gilles): Oui. Alors, là on s'engage sur des questions techniques, mais fort importantes. Quand on lit le projet de loi n° 130, il apparaît que le gouvernement perçoit que les fonctions de l'administration publique peuvent se diviser en deux classes, en deux catégories: les administratives et les juridictionnelles. Donc, les articles 2 à 7, c'est un effort de déjudiciarisation des fonctions administratives et, à mon avis, elles comprennent... la notion de fonction administrative s'applique aux décisions non juridictionnelles et ça comprend les quasi judiciaires, mais laissons faire. Donc, il y a un effort de déjudiciarisation indéniable. Le libellé de ces articles-là nous inquiète; à notre avis, il est source de difficultés dans sa formulation.

Deuxièmement, ces articles-là ne visent qu'une partie des autorités administratives, celles que l'on peut réunir sous le chapeau de l'administration gouvernementale. Donc, c'est une réforme partielle, c'est un effort de déjudiciarisation partiel, c'est un effort – mais là ça se peut que ce soient des querelles d'école, mais les juges trancheront – qui nous apparaît ambigu.

Et, surtout, on revient toujours sur le même thème, si les justiciables ou les administrés, comme on dit dans la loi, pouvaient toujours, en cas de difficulté d'interprétation, de restriction inattendue, compter au moins sur la protection des droits fondamentaux garantis par la Charte, adoptée en 1975... Le législateur de l'époque a jugé opportun d'intégrer dans la Charte l'expression «quasi judiciaire», une expression qui a ses lettres de noblesse. Elle a été inventée par les juges pour se porter à la défense des administrés qui étaient aux prises, au cours des siècles derniers, avec une administration puissante. Ce sont les juges qui ont inventé cette notion-là dans le but de protéger les personnes. Le législateur l'a fait sienne dans de nombreuses lois, cette expression «quasi judiciaire», source de protection pour les individus. Le législateur l'a jugée d'une telle importance qu'il l'a placée dans la Charte des droits et libertés de la personne. Et voilà que le gouvernement voudrait, du revers de la main, la balayer en disant: Ce n'est pas grave, on va mettre le mot «juridictionnelle». Donc...

Je reviens à votre question principale, 2 à 7, effort de déjudiciarisation certainement, mais le Barreau juge que c'est ambigu, c'est difficile et, surtout, qu'en cas de difficulté le justiciable ne peut plus miser, en matière administrative au sens de la loi 130, sur la protection de la Charte. Si la Charte était toujours présente tel que libellé actuellement, on... en tout cas, moi, je verrais d'un moins mauvais oeil les difficultés que j'entrevois dans le texte des articles 2 à 7. Mais l'abolition de la protection de la Charte fait en sorte que les articles 2 à 7 se présentent sous un nouveau jour.

(10 h 40)

Le Président (M. Paquin): M. le député de Drummond.

M. Jutras: Oui. Moi, j'ai plusieurs questions à vous poser suite à la présentation de votre mémoire. Vous invoquez souvent, M. le bâtonnier, la question de l'indépendance des décideurs. C'est vrai que c'est très important. Hier, il y a quelqu'un qui venait devant la commission puis qui nous donnait l'exemple de... La personne est congédiée du gouvernement du Québec, elle porte une plainte en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail, puis le commissaire du travail a à décider puis il est à l'emploi du gouvernement. On comprend les situations embarrassantes que ça crée autant pour l'administré que même aussi, je dirais, pour le décideur, parce qu'il peut se retrouver coincé.

Mais il y a eu une évolution dans le projet de loi. On a fait certains amendements au niveau de la nomination de ceux que j'appelle les décideurs, les membres du Tribunal administratif. Mais le Barreau propose quoi? Il va jusqu'où, là-dedans? Est-ce que vous verriez un processus de nomination à vie, comme pour les juges des cours du Québec, de la Cour supérieure?

M. Chénard (Daniel): Si je peux me permettre une réponse. Nous avons présentement, dans le spectre des tribunaux administratifs, différentes formules. Il y a certaines instances, certains tribunaux administratifs qui ont des mandats de courte durée. Dans certains cas, ce sont des mandats de trois ans. Alors, vous pouvez avoir, par exemple, un évaluateur agréé qui a un cabinet qui fonctionne et qui est invité à devenir membre du Bureau de révision pour un mandat de trois ans. C'est une décision lourde à prendre sur le plan professionnel. Or, cette personne-là, si elle n'a qu'un mandat de trois ans, elle peut être dans une situation extrêmement précaire pour reprendre des activités professionnelles à la fin de son mandat. Par contre, vous avez d'autres personnes au Bureau de révision qui sont des membres qui sont là depuis plus longtemps, qui ont été nommées sans qu'il y ait un terme à fixer. Il y a différentes générations.

L'exemple du Bureau de révision est peut-être l'exemple le plus positif que je connaisse de gens qui font de la justice administrative et qui ont pu se comporter d'une façon indépendante parce qu'ils avaient l'impression d'être indépendants. Ils étaient soulagés de cette servitude d'avoir à négocier un renouvellement de mandat, et ainsi de suite. Je sais que la question est épineuse parce que souvent les milieux patronaux et syndicaux, face à la CALP, disaient, face à des questions comme ça: On est contre la permanence parce que, s'ils ne sont pas bons, on va être pris avec.

Le problème est le suivant. C'est: Est-ce qu'on veut traiter la question de l'indépendance puis de l'impartialité d'un juge administratif de cette manière, en disant: S'il n'est pas bon, on va s'en débarrasser après quatre ans, après cinq ans, après six ans? Je pense qu'il y a moyen d'avoir des critères sérieux au niveau du comportement, au niveau de l'appréciation du travail, qu'il puisse être encadré. D'ailleurs, la loi n'est pas toute mauvaise, M. le ministre. Il y a d'excellentes choses dans votre loi. Mais, au niveau de cette progression, il y a eu une amélioration au niveau de l'encadrement de la fonction.

Sans le nommer, je peux vous donner l'exemple suivant. Un président d'une commission d'un tribunal administratif québécois me rapportait l'anecdote suivante d'un diplômé universitaire qui avait une formation en administration, en droit, et le reste, qui avait fait un stage même en Europe; il demandait au président à quel endroit se trouvait le bureau du personnel pour remplir une demande de candidature. Et ce président disait: Écoutez, ça ne fonctionne pas comme ça. La personne disait naïvement: Ça fonctionne comment? Où on peut déposer sa candidature pour être membre de votre tribunal?

Je pense qu'il y a une certaine nécessité d'ouverture que votre loi va peut-être permettre, mais il y a nécessité, je pense, de faire une réflexion fondamentale sur ce problème des très courts mandats. La révision de votre projet de loi a mis fin aux mandats ponctuels de très courte durée. C'est une excellente chose. Mais il y a lieu de réfléchir là-dessus, entre une permanence qui peut être excessive, mais qui n'est pas nécessairement un péché mortel non plus... Parce que, dans certains cas, moi, j'ai vu des commissaires siéger au Bureau de révision, dont M. Yvon Bock, entre autres, pendant de très nombreuses années, puis ils ont fait de l'excellent service.

Alors, il ne faut pas avoir, disons, la crainte d'avoir des juges administratifs qui sont là en permanence, mais je pense qu'il faut avoir la crainte d'avoir des juges administratifs qui sont en transit.

Le Président (M. Paquin): La dernière réponse, pour les fins d'enregistrement, a été donnée par Me Daniel Chénard.

Il reste deux minutes à la formation gouvernementale. Est-ce que...

M. Masse (Claude): M. le député, si je peux me permettre d'ajouter une réponse, on n'exige pas...

Le Président (M. Paquin): Oui. Un instant, s'il vous plaît, Me Masse.

M. Masse (Claude): Oui.

M. Bégin: Je voudrais profiter des deux minutes qui restent, si vous me permettez, M. le Président, pour la formation.

Le Président (M. Paquin): Alors, il y a une préséance...

M. Bégin: Oui.

Le Président (M. Paquin): ...là. Alors, M. le ministre.

M. Bégin: Hier, en terminant avec Me Pierre Lemieux, qui abordait la question de la Charte, je lui ai demandé: Me Lemieux, si on enlevait la modification à l'article 56, qu'est-ce que vous diriez, à l'égard du projet de loi? Il a dit: Je serais entièrement d'accord et ça pourrait fonctionner très bien.

Je dois vous dire que j'ai posé cette question-là parce que j'avais déjà lu son document. J'avais lu également celui du Protecteur du citoyen. J'avais lu également ceux qui sont venus en première place, hier – c'était qui déjà? – l'ANCAI et également la Commission des services juridiques. Je vous avoue honnêtement que j'avais cheminé de telle manière que je disais que, fort probablement, si on pouvait répondre qu'on peut fonctionner, contrairement à ce que j'avais appréhendé, sans la modification, je serais prêt à renoncer à cette modification à la Charte.

Je voudrais vous demander: Si tel était le cas, seriez-vous d'accord qu'on puisse fonctionner correctement avec le projet de loi?

Le Président (M. Paquin): Me Masse.

M. Masse (Claude): Je vais laisser M. le professeur Pépin répondre.

M. Bégin: ...donner une partie de la réponse en disant: Moi, je pense que. Mais là j'aimerais ça, entendre la position du Barreau.

Le Président (M. Paquin): D'accord. Donc, je vais donner la parole à Me Pépin et je vous donnerai la parole aussi. Alors, dans quel ordre vous la voulez?

M. Pépin (Gilles): C'est évident que ce serait un changement important, non négligeable. Donc, le justiciable aurait toujours la protection... l'administré, pardon, pourrait toujours compter sur la protection de la Charte si jamais il y avait des difficultés. Mais les ambiguïtés que je décèle dans les articles 2 à 7, bon, bien, si jamais elles se confirment, la personne pourra toujours invoquer la Charte pour éventuellement dire: J'ai droit à plus que ce qui est prévu aux articles 2 à 7. Mais il resterait encore toujours, M. le ministre, le problème du statut des membres du Tribunal administratif, et puis le statut...

M. Bégin: Ce n'est pas ça, là.

M. Pépin (Gilles): Mais je ne nie pas...

M. Bégin: Je parle de la Charte.

M. Pépin (Gilles): ...que ce serait une modification importante. Elle ne répond pas à toutes – moi, là, je ne parle pas au nom du Barreau, je vais laisser le bâtonnier le faire – mes préoccupations en ce qui a trait aux articles 2 à 7, mais ce serait un changement important.

Le Président (M. Paquin): Alors, en 30 secondes, Me Masse.

M. Masse (Claude): Même réponse.

Le Président (M. Paquin): Bon. Alors, nous en sommes maintenant à la formation de l'opposition. Est-ce que le critique désire prendre la parole à ce moment-ci?

M. Mulcair: Oui. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Alors, M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, M. le bâtonnier, Me Chénard, professeur Pépin et aussi Me Sauvé, merci beaucoup d'être venus. Merci pour votre présentation.

M. le bâtonnier, je tiens à dire, dès le départ, que j'ai beaucoup apprécié votre bref rappel du programme qu'on suit avec le projet de loi n° 130 depuis le début, parce que j'ai entendu le ministre dire depuis le début: Écoutez, on a écouté les gens souvent et longtemps et je ne vois pas de quoi vous venez vous plaindre en ce qui concerne le délai qui vous a été imparti pour répondre. Moi, je vous comprends là-dessus. Pour ce qui est du projet de loi d'application notamment, il fallait aller regarder, pour chaque article, pour chaque disposition, les faits réels.

On a eu l'occasion, avec le ministre, lorsqu'on a regardé certains aspects, de lui faire voir que... Une mention, par ailleurs, anodine, de dire: L'autorité municipale compétente transmet copie de tel dossier dans une situation d'évaluation foncière. Mais le dossier peut être 12 boîtes. Est-ce que c'est vraiment des choses auxquelles on a pensé? Est-ce que, pour chaque mesure, chaque disposition, on peut validement affirmer, si on a fait le test suivant: Est-ce que le citoyen sort avec plus ou avec moins, au bout du compte? C'est vraiment ça, la seule question importante qu'il faut se poser. C'est pour ça que j'apprécie aussi votre manière de vous concentrer sur l'effet du projet de loi n° 130 et de la loi d'application en regard des droits des citoyens.

J'ai aussi noté les termes très clairs, on ne saurait être plus clair, que vous utilisez pour exprimer votre opposition à la réforme. Quand j'entends un bâtonnier du Québec parler du fait qu'il est stupéfait et parler de l'absurdité de certains aspects de la loi, et que, par ailleurs, j'entends le ministre dire: Ah! je vous entends dire que c'est une excellente réforme, moi, je dis que, pour moi, c'est du déjà vu dans cette commission parlementaire et je suis très content que vous ayez pu mettre les pendules à l'heure tout de suite après que le ministre eut décidé que vous aviez dit que sa réforme était excellente, malgré ce que vous veniez de dire et ce qui était convenu en toutes lettres dans votre rapport.

(10 h 50)

J'aimerais... Je sais que plusieurs de mes collègues ont aussi des questions. Je vais tenter de me concentrer juste sur un aspect qui vient d'être soulevé par le ministre à la toute fin. Quand cette question-là a effectivement été soulevée, à la fin de la journée hier, avec Me Pierre Lemieux, à savoir si le fait d'enlever la modification de la Charte ne venait pas régler les problèmes, le ministre s'est empressé de nous dire, une fois que Me Lemieux avait dit ça: Vous voyez, il est d'accord. Vous aussi, de l'opposition, vous êtes d'accord. J'ai dit: Écoutez, moi, je voudrais bien aller étudier le problème un petit peu plus. Une des choses dont je me suis inspiré pour faire cette analyse était un autre mémoire du professeur Pierre Lemieux, de l'Université Laval, déposé en janvier 1996. Il disait ceci, c'est aux pages 20, 21 et 22 de son mémoire – je ne les lirai pas toutes, mais je vous lirai de brefs extraits – «Lorsque nous sommes en présence d'une personne ou d'un organisme exerçant une fonction quasi judiciaire, il s'agit d'un tribunal au sens de la Charte québécoise et, dès lors, l'article 23 de la Charte s'applique.» Il continue en disant: «Référant à ce que nous avons écrit précédemment, nous constatons que les mots "quasi judiciaires" employés à l'article 56.1 de la Charte des droits couvrent un champ beaucoup plus vaste que celui créé par l'article 2.2°. À ce moment-là, la définition de "fonction juridictionnelle" employée dans le projet de loi est un sous-ensemble du grand ensemble "quasi judiciaire". Ce qui signifie que nous pouvons retrouver des décisions quasi judiciaires qui ne sont pas visées par l'article 2, paragraphe 2 mais par l'article 2, paragraphe 1, lequel les qualifie de décisions administratives sans pour autant en changer la nature juridique.»

Il dit: «Rapidement, nous voudrions mentionner qu'il est possible qu'une décision résultant de l'exercice d'une fonction administrative au sens de l'article 2, paragraphe 1 soit, aux fins de l'application des articles 23 et 56.1 de la Charte, considérée comme une décision quasi judiciaire.» Il donne l'exemple de révocation de permis.

Et il continue en disant: «Dès lors, la procédure suivie ne sera pas celle prévue à l'article 4 et suivants du projet de loi, mais celle de l'article 23 de la Charte qui est similaire à celle qui est prévue aux articles 8 et suivants de la loi. Si la Charte n'existait pas, il serait peut-être possible d'affirmer que le législateur, par la Loi sur la justice administrative, a décidé d'écarter la «common law» en supprimant la qualification des actes [...]. Modifier l'article 23 de la Charte n'est pas, à notre avis, une solution à envisager.» Donc, ça, c'était avant de voir ce qu'il y avait dans l'avant-projet. «Nous avons appris, au fil du temps, à utiliser les articles 23 et 56. La jurisprudence nous a donné les balises nécessaires pour ce faire. De plus, l'article 23 couvre un champ juridique très large» et il s'en réjouit.

Il termine en disant qu'à la lecture de 2 et 8, un administré non-spécialiste pourrait conclure que c'est simplement en présence d'une décision juridictionnelle rendue en appel que les procédures doivent être conduites dans le respect du devoir d'agir de façon impartiale et en audience publique, ce qui serait complètement faux vu l'article 23 de la Charte et la jurisprudence de la Cour suprême.

Alors, moi, j'ai du mal, justement, à cadrer ce que le professeur Lemieux a dit en janvier avec sa réponse à la même question que le ministre vous a posée tantôt, parce qu'il me semble, à première vue, que l'idée de supprimer la modification de la Charte va néanmoins laisser entière la question de la primauté de la règle de droit contenue à la Charte et aux articles liminaires de la Loi sur la justice administrative. J'aimerais bien vous entendre là-dessus.

Le Président (M. Paquin): Me Masse.

M. Masse (Claude): M. le député, le premier point, c'est que, si on veut changer quelque chose d'important, il nous semble que le gouvernement, en tout respect, doit nous expliquer là où il veut aller. Bon, si «juridictionnelle», c'est la même chose, dans son esprit, que «quasi judiciaire», il doit nous le dire. S'il veut le définir autrement, il doit le définir. L'article 8 du projet de loi n° 130 ne le définit pas clairement. S'il y a une différence entre les deux, il doit nous dire non seulement pourquoi, mais il doit nous dire quels sont, à son avis, les organismes qui sont visés par ça.

Je dois vous avouer que, depuis plusieurs mois, ce jeu de cache-cache commence à devenir embêtant au plan de la clarté des intentions ministérielles. Et je le dis, là, en toute sympathie pour ceux qui veulent mener une réforme. Il y a là, me semble-t-il, surtout en regard des impacts essentiels des articles 9, 23, 34 et 56 de la Charte, un débat fondamental de démocratie. Ce n'est pas à nous à tenter de savoir ce que ça veut dire, de toutes les manières possibles. C'est vraiment au gouvernement de nous expliquer – je le dis, là, en tout respect, M. le ministre – pourquoi vous voulez faire ce changement, où vous voulez aller, s'il y a une distinction entre le quasi-judiciaire et le juridictionnel, et laquelle. Nous, on pense qu'il y en a une, et il y en a une fondamentale. Maintenant, si nous nous trompons, j'aimerais bien qu'on entende, sur la place publique, dans un exposé d'intention du ministre ou du gouvernement, des précisions à cet égard. Il nous semble que le débat démocratique, M. le Président, actuellement, est sur une pente que je qualifierais d'extrêmement dangereuse. Et je pense que c'est au ministre de nous dire là où il veut aller, s'il y a une différence, pourquoi et laquelle.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Oui. Merci, M. le Président. Je pense qu'une partie de la réponse à la question du bâtonnier se retrouve dans la transcription des audiences d'hier soir de cette commission, alors que le ministre disait ceci, toujours en échange avec le professeur Pierre Lemieux... Le ministre a dit: Donc, vous nous dites essentiellement que, si on veut que l'acte de l'administration ne soit pas judiciarisé, de nature quasi judiciaire, il faudrait donc qu'on apporte un amendement à la Charte parce que, avec la Charte telle qu'elle est formulée actuellement, si on veut que cet acte de révoquer le permis ne soit pas un acte quasi judiciaire, avec tout ce qu'il comporte... Puis – je me permets d'ouvrir une parenthèse – on voit bien la mentalité. La mentalité de la machine bureaucratique, c'est: Avec tout ce que ça comporte comme embêtements pour les bureaucrates. On va être obligés de leur accorder leurs droits, on va être obligés de les entendre, ça risque même d'être public. Alors, si on veut que cet acte de révoquer le permis ne soit pas un acte quasi judiciaire avec tout ce qu'il comporte, il faut modifier la Charte.

C'est vraiment, en très peu de mots, à notre sens, et d'une manière très claire, une indication de l'intention que vous recherchez, et on a pris la peine de le sortir dès qu'on l'a entendu hier soir parce qu'on avait trouvé, effectivement, que c'était la première fois qu'on entendait le ministre être si clair dans ses intentions, qui sont de dire: La Charte accorde des droits; on trouve que la Charte est un empêcheur de tourner en rond lorsqu'on veut faire notre réforme parce que ça donne des droits aux citoyens et on veut les diminuer pour pouvoir, sous le couvert de la célérité, etc. Mais, en fait, ce qu'on est en train de faire, c'est peut-être, si je peux le dire en boutade, c'est de rendre des décisions injustes plus humainement. C'est peut-être à ça que ça réfère, en fin de compte.

Le Président (M. Paquin): Me Masse.

M. Masse (Claude): M. le député, je pense qu'on peut demander certainement à un des trois grands spécialistes en droit administratif de l'histoire du Québec de répondre à la question: Est-ce que le problème des décisions strictement administratives... Est-ce qu'il y a un problème face à la Charte? Autrement dit, est-ce qu'il est nécessaire de faire la distinction qu'on retrouve dans l'avant-projet de loi, de prendre la voie du juridictionnel par rapport au quasi-judiciaire? Donc, la question que ça pose, c'est: Est-ce que les décisions purement administratives sont actuellement l'objet d'embûches, de difficultés inconsidérées face à la Charte? Je lui passe la parole.

Le Président (M. Paquin): Je comprends que c'est Me Pépin.

M. Pépin (Gilles): Ha, ha, ha! Avec votre permission, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): On l'avait deviné à l'introduction des «trois grands». Alors, on s'est dit: Tiens, Me Pépin va parler.

M. Pépin (Gilles): C'est évident que la Charte ne s'applique pas aux décisions administratives. Elle ne s'applique qu'aux tribunaux même si l'expression n'est pas définie. Mais ça comprend les organismes qui exercent des pouvoirs quasi judiciaires. Donc, elle ne s'applique pas. Il y a eu des décisions à cet effet, elle ne s'applique pas aux décisions administratives. Je sais bien que le problème, c'est l'ambiguïté, les difficultés de l'expression «quasi judiciaire», mais je ne peux que me répéter: Cette expression-là a été utilisée par les juges et l'expression a été reprise par le législateur autrefois, enchâssée dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec parce que ce qualificatif, cette expression est source de protection pour les citoyens et les citoyennes lorsqu'ils sont en relation avec les puissantes autorités administratives de l'État moderne. Alors, on ne joue pas avec un mot aussi important et qu'on a jugé suffisamment important pour l'enchâsser dans la Charte des droits et libertés de la personne. La Charte ne s'applique pas aux décisions administratives.

Le Président (M. Paquin): J'ai deux autres demandes de votre part: il y a le député de Frontenac et la députée de La Pinière. Est-ce qu'il y en a un que c'est exactement sur le même sujet? Alors, M. le député de Frontenac.

(11 heures)

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Messieurs du Barreau du Québec, je vous salue à mon tour. Je voudrais avoir votre avis sur les intentions du Barreau dépendamment du changement de cap. S'il n'y avait pas de changement de cap du côté du gouvernement du Québec, compte tenu de votre position qui apparaît dans votre mémoire, de façon très explicite, répétée ce matin avec des détails additionnels, vous jugez les intentions du législateur, du ministre de la Justice, dans sa réforme, très sévèrement. Vous rejoignez dans ce sens-là, sous bien des aspects, la position de l'opposition officielle, exprimée par notre porte-parole, M. le député de Chomedey. Je ne veux pas entrer dans le détail, vous l'avez très bien expliqué, M. le bâtonnier.

Moi, ce que je voudrais vérifier avec vous, c'est: Où en est l'information du Barreau à travers les 16 000 ou 17 000 avocats et avocates au Québec? Et, je vous le dis tout de suite, j'ai l'impression... Parce que je voyage, moi, un petit peu partout au Québec et je vérifie avec mes collègues du Barreau quelle est leur évaluation de la démarche gouvernementale. Pour plusieurs avocats et avocates, ça apparaît comme étant quelque chose de souhaitable parce que depuis longtemps on parle d'une réforme des tribunaux administratifs. Je vous le dis très clairement, j'ai l'impression que les avocats et avocates du Québec ne sont pas, mais pas du tout, bien informés, ne connaissent pas la position du Barreau, ne connaissent pas le contenu du mémoire que vous avez déposé ce matin, ne comprennent pas les pièges que l'on retrouve dans la réforme et ne sont sûrement pas au fait des commentaires comme ceux que vous faites à la page 30 lorsque vous indiquez que «la déjudiciarisation systématique du processus décisionnel de certains organismes produirait des effets inacceptables». C'est gros, ça. Et vous avez raison.

Moi, je suis préoccupé par l'information qui m'apparaît ne pas avoir été diffusée au niveau des membres du Barreau, partout au Québec. Peut-être que ça a été fait. En fait, je vous questionne et, en même temps, je commente. Et la question que je vous pose, M. le bâtonnier: À partir d'aujourd'hui... Parce que vous avez réalisé que le ministre a indiqué que peut-être il reculerait quant à son intention de modifier 56 de la Charte. Mais vous avez tout à l'heure répondu: Oui, ça serait un pas dans la bonne direction, mais ça ne serait pas un recul total comme on le souhaiterait, ça ne serait pas suffisant.

Alors, deux questions: À partir de ce matin face à la réaction du ministre – mais, moi, je vous suggère de bien comprendre que le ministre ne reculera pas – qu'est-ce que vous avez l'intention de faire? Et est-ce que vous avez l'intention – ça m'apparaît extrêmement important pour les justiciables d'abord et évidemment, en même temps, pour les membres du Barreau – compte tenu de l'importance de cette réforme-là, de façon exceptionnelle, d'informer les membres du Barreau soit en réunion spéciale générale pour que les avocats et les avocates du Québec connaissent bien la position du Barreau, sachent ce qui se passe et, surtout, ce qui ne se passe pas?

Le Président (M. Paquin): M. Masse.

M. Masse (Claude): M. Lefebvre, nous réitérons le fait que nous avons toujours jugé qu'une réforme s'imposait. La réforme vise une simplification du processus, une clarification des règles procédurales, un ménage dans l'ensemble des juridictions, mais ça ne doit pas être fait au prix des quatre problèmes fondamentaux qu'on a évoqués tantôt.

Vous avez tellement raison... Je ne dis pas que le ministre est imperméable à toutes modifications, je pense qu'il représente un gouvernement, et ce n'est sans doute pas très facile de véhiculer une réforme, alors que certains, visiblement, n'étaient pas d'accord avec ces objectifs, à l'égard de la CALP notamment, on peut le penser. C'est tellement important, ce que vous dites, que le Barreau du Québec a convoqué pour le 18 octobre prochain, en collaboration avec le CRDP de l'Université de Montréal, une conférence publique sur les enjeux techniques et politiques de tout le projet de loi – à laquelle, d'ailleurs, vous êtes tous invités, le 18 octobre, à l'Université de Montréal. Une pleine journée avec les textes et une discussion; on va avoir une quinzaine de conférenciers avec débat public sur l'ensemble de la réforme.

Il est évident que, pour le public en général, et pour les membres en particulier, même les spécialistes en droit administratif, l'absence d'exposé d'intention, l'absence d'approche globale de la réforme – c'est un reproche qu'on a fait tantôt et on peut le déplorer – fait en sorte que les enjeux sont mouvants actuellement.

Vous remarquerez également, M. le député Lefebvre et ex-ministre de la Justice, que l'éditorial du Journal du Barreau de cette semaine, la livraison qui va vous être faite la semaine prochaine, porte sur la réforme des tribunaux administratifs. Nous allons avoir des volets spéciaux dans les prochaines semaines. Mais vous pensez bien qu'avant de décortiquer les quelque 700 articles de la loi d'application, qui est plus une annexe du projet de loi n° 130, à notre sens, qu'une véritable loi d'application, il nous fallait vraiment comprendre de quoi il s'agissait.

Donc, on est en mouvement de ce côté-là et on veut provoquer un débat public. Je veux dire, si l'ensemble des justiciables et des avocats du Québec acceptent que 56 soit amendé, on va s'incliner. Mais on pense, sans doute comme vous, que le débat public n'a pas encore eu lieu et on veut porter ce problème-là à l'attention du public.

Me Chénard, M. le Président, voulait également répondre.

Le Président (M. Paquin): Alors, vous pouvez utiliser la dernière minute qu'il nous reste.

M. Chénard (Daniel): Merci. Simplement comme complément de réponse. Moi, je siège au Comité sur les tribunaux administratifs du Barreau de Montréal et sur le Comité que préside Me Pépin, le Comité sur les tribunaux administratifs du Barreau du Québec. J'ai vu plusieurs de mes confrères et consoeurs, et il faut reconnaître, sans faire à nouveau de chronologie là-dessus, que la réforme va très vite. Depuis décembre dernier qu'on essaie de lire ce que l'on nous met dans les mains, de comprendre les amendements qui sont faits et aussi de faire les ajustements, les ajustements dans le sens suivant. Le rapport Garant, dans l'esprit de certains, était une espèce de pensée législative qu'on attribuait à l'opposition – maintenant devenue l'opposition, elle était au pouvoir à l'époque, parce que, en 1994, quand Patrice Garant a déposé son rapport, c'était une étude commandée par le gouvernement libéral. Donc, pour certains, ils me disaient: Bien, écoutez, c'est une réforme qui n'aura pas de suite, il y a un changement de gouvernement.

On n'a pas eu l'occasion d'avoir un livre blanc sur la justice administrative qui puisse compléter la pensée politique du gouvernement, de telle manière qu'on apprend un peu comme dans une mini-série où on s'en va avec ça. Parce que, moi, je veux dire, écoutez, ça fait plusieurs heures que je consacre bénévolement à étudier les textes législatifs. Vous en faites trop. Parce que, en fait, le droit administratif, c'est censé être simple, souple et pas compliqué. Là, on est rendu, avec les règlements qui s'en viennent, à 1 000 articles. Je me demande comment l'Éditeur officiel du Québec va vendre ça, cette loi-là. La Loi sur la fiscalité municipale coûte déjà 32 $ et il faut l'acheter à chaque année parce qu'il y a des amendements deux, trois fois par année.

Alors, je pense que ce qui est important – et c'est l'idée du colloque que le Barreau va mettre sur pied – c'est de permettre aux confrères et aux consoeurs de comprendre un peu où s'en va cette réforme. Parce que, une question très simple, à titre d'exemple, dans la loi n° 130, on se demandait, et c'était une question mystère: Est-ce que les décisions du Tribunal administratif du Québec sont finales et sans appel? Y aura-t-il un appel? On l'a su par la loi sur l'application qu'il n'y en aurait pas. Alors, quand on dit qu'il y a un morcellement, peut-être que ce n'est pas compris ou que ce n'est peut-être pas perçu comme ça de l'interne, mais c'est l'impression qu'on a de l'externe. Alors donc, c'est difficile à suivre.

Le Président (M. Paquin): Alors, deux remarques. La première, c'est que cela épuise le temps qui est prévu. Deuxième remarque, c'est qu'il y a quatre députés qui voulaient toujours poser des questions. Je vous soumets que par l'article 155 quelqu'un pourrait demander une dérogation, à défaut de quoi l'audition serait terminée.

Une voix: Cinq minutes et cinq minutes.

Le Président (M. Paquin): Alors, est-ce qu'il y a consentement pour cinq minutes de chaque côté? Bon, d'accord.

Alors, j'indique qu'il y a la députée de La Pinière, le député de Chomedey, le député de Drummond et le ministre qui ont demandé la parole. Si vous m'y autorisez et si on a la collaboration de tout le monde, deux minutes et demie à chacun, ça va, ça? Alors, j'irai par alternance, M. le ministre.

M. Bégin: Non, vous pouvez commencer par...

Le Président (M. Paquin): Alors, M. le député de Drummond.

M. Jutras: Bien, moi, il y avait la question du droit d'appel du TAQ, qui est aussi une question qui est bien importante. Vu que je n'avais pas pu poser mes questions, j'ai continué de lire votre mémoire. Je vois que, finalement, ce que vous proposez, c'est un appel devant la Cour du Québec, une chambre qui serait spécialisée dans les questions administratives.

M. Masse (Claude): Et on pourra avoir, dans plusieurs cas, sauf l'expropriation et l'évaluation foncière, un appel sur permission, entendu par un banc de trois juges, donc spécialisé.

M. Jutras: Oui, mais ce que vous proposez, c'est un appel de plein droit?

M. Masse (Claude): Dans certains domaines, notamment l'expropriation, il nous apparaît tout à fait essentiel et fondamental que ce soit de plein droit. Dans d'autres aspects de la juridiction du TAQ, on pourrait limiter ce droit d'appel à des cas de permission. La juridiction qui est proposée est tellement vaste qu'on n'entrera pas dans le détail ici. Mais il est clair qu'il y a un mélange de permission d'appel et d'appel de plein droit. Mais la permission d'appel pourrait éviter, justement, qu'on se retrouve devant des appels à 10 000, à 15 000 ou à 20 000 décisions par année, et la Cour du Québec pourrait se saisir elle-même – ce qui est d'ailleurs le propre d'un tribunal d'appel – des questions qu'elle juge importantes, surtout à l'égard des faits.

(11 h 10)

Donc, on n'est pas du tout arrêté à une vision de plein droit, pas du tout. Mais il nous faut un appel possible de ces décisions-là, ça nous apparaît essentiel.

Le Président (M. Paquin): Alors, Mme la députée de La Pinière. Je vais gérer les deux minutes et demie de façon à ce que chacun ait sa possibilité. Donc, Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: D'accord. Alors, Me Masse, messieurs du Barreau, merci beaucoup pour l'excellent mémoire et la présentation que vous nous avez faite, qui est assez étoffée, et des quatre arguments que vous avez évoqués et qui sont très pertinents.

Comme on est à court de temps, celui sur lequel j'aimerais quand même réagir, c'est dans l'avant-dernière page de votre mémoire, quand vous dites: «La proposition énoncée dans l'avant-projet de loi d'application visant à retirer aux personnes les droits fondamentaux que leur garantit en matière quasi judiciaire la Charte des droits et libertés est pour lui une cause de stupéfaction; il s'oppose farouchement à cette initiative.» Je suis très heureuse d'entendre ça, parce que, en fait, ce n'est pas juste une cause de stupéfaction pour moi, c'est une cause d'inquiétude.

Je suis très inquiète de voir que le gouvernement puisse envoyer un message dans la population pour dire que, par un simple déplacement sémantique, en remplaçant le concept de «quasi judiciaire» par celui de «juridictionnelle» ou par un simple souci de déjudiciarisation, le gouvernement peut sabrer dans la Charte québécoise des droits et libertés. C'est un message très inquiétant à envoyer dans la population, sachant que la Charte constitue un consensus. C'est une loi qui est d'ordre supérieur, et on ne peut pas l'attaquer au gré des allégeances politiques par un simple déplacement sémantique, comme on essaie de le faire dans le projet de loi qui nous est présenté.

Alors donc, je tenais à vous féliciter pour le travail très sérieux que vous avez fait pour décortiquer ce projet de loi, avec tout ce que cela pose comme problème et complexité. Et je tenais quand même à vous dire que, de ce côté, on est plus que stupéfaits, on est très inquiets. Pas seulement dans ce projet de loi, mais dans aucun autre projet de loi, ce gouvernement ne devrait tenter d'atteindre à la Charte québécoise des droits et libertés.

Le Président (M. Paquin): Alors, succinctement, Me Masse.

M. Masse (Claude): ...

Le Président (M. Paquin): C'était succinct. M. le ministre.

M. Bégin: M. le Président, je ne peux pas laisser passer sous silence la dernière intervention de Me Chénard. Des coups de gueule, on peut en faire, mais, quand on est devant une commission parlementaire, je pense que la vérité a ses droits.

Si vous avez considéré qu'on ne pouvait pas donner suite à un projet de loi qui venait de l'opposition, vous avez fait une erreur de jugement. Mais, moi, je n'ai pas ces partisaneries-là. Je pense qu'il y a une réforme qui devait être faite, qui était demandée depuis 25 ans. J'ai pris que ce document était bon, je l'ai rendu public et j'ai par la suite déposé un projet de loi. J'accepte mal qu'on fasse des coups de gueule comme ça. J'apprécie la lutte honnête, franche, mais pas des commentaires de ce genre. Je dis que le Barreau, en ce faisant, essaie de dévier le débat de ce qu'il est.

Nous sommes ici pour étudier un projet de loi qui vise à favoriser l'accès des citoyens à la justice, de la rendre plus simple, moins coûteuse. J'accepte mal qu'on dise qu'on joue à cache-cache, qu'on ne donne pas le temps au Barreau d'étudier les choses quand la réforme, au dire de tout le monde, y compris du Barreau dans son mémoire, c'est une question qui se discute depuis 25 ans et qu'enfin on peut en parler, qu'on donne trois commissions parlementaires et qu'on est là pour une commission parlementaire pas pour dire qu'on n'a pas eu le temps de se préparer, mais pour dire en quoi le projet de loi n'est pas bon.

Alors, là-dessus, je m'excuse, vous vous êtes fait plaisir, mais ce n'est pas comme ça que je conçois le rôle du Barreau face à une commission parlementaire.

Alors, je tenais à vous le dire, parce qu'on peut en accepter, des choses, mais pas n'importe quoi.

Le Président (M. Paquin): Me Chénard... Me Masse.

M. Masse (Claude): M. le Président, je pense que tout le monde est à même de juger le commentaire du ministre. S'il y a détournement de débat, je pense que ça en est un bel exemple.

Je veux simplement protester de la chose suivante. On a eu les amendements du projet de loi n° 130 le 29 mai et on nous demandait de réagir en dedans de 10 jours. Je m'élève encore, M. le ministre, contre cette manoeuvre. Et, je l'ai dit, il a fallu que j'intervienne personnellement au cabinet du premier ministre pour qu'on ait le temps de vous répondre durant la période de l'été. Alors, je comprends vos contraintes, je sais que votre fonction n'est pas facile, mais il n'est pas question ici de faire dévier le débat.

Je vous rappelle en terminant que vous devez, je pense, loyalement nous expliquer, comme citoyens, pourquoi fondamentalement vous changez «quasi judiciaire» par «juridictionnelle». On ne trouve pas ça nécessairement dans le rapport Garant, et je pense que le rapport Garant ne visait que l'article 23 et non pas les articles 9, 23, 34 et 56...

M. Bégin: Me Masse, la très grande majorité...

M. Masse (Claude): Je vais finir, si vous voulez.

M. Bégin: Pardon, excusez-moi.

M. Masse (Claude): Je vous demande au nom des 17 000 avocats du Québec d'expliquer l'intention du gouvernement là-dessus. C'est une question fondamentale. Il n'y a personne qui a envie de faire dévier le débat. Ça, je vous l'assure.

M. Bégin: Me Masse, je vous rappelle que les amendements qui vous ont été déposés le 10 mai étaient le produit d'une commission parlementaire où il y avait eu des commentaires disant de modifier telle, telle, telle disposition. C'était le reflet d'une commission parlementaire; c'était la suite de cette commission parlementaire là, et je pense qu'on disait: Vous nous avez dit telle chose, nous l'avons reproduite de telle manière, croyez-vous que c'est bon?

Alors, avant de dire que vous n'avez pas eu le temps, Me Masse, je pense qu'il faut dire la vérité.

M. Chénard (Daniel): M. le Président, est-ce que je peux avoir un droit de réplique, s'il vous plaît?

Le Président (M. Paquin): Oui, 15 secondes, 20 secondes.

M. Chénard (Daniel): Oui.

M. Lefebvre: M. le Président...

Le Président (M. Paquin): Oui.

M. Lefebvre: ...avec votre permission.

Le Président (M. Paquin): Oui, sur un point d'ordre, M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Je souhaiterais, M. le Président, qu'on donne à M. le bâtonnier pas 15 secondes, mais le temps de pouvoir répondre au ministre pour qu'on sorte d'ici, à tout le moins, avec une satisfaction relative d'avoir été entendu.

Le Président (M. Paquin): D'accord.

M. Lefebvre: Alors, du côté de l'opposition, on donne au bâtonnier le temps qu'il faut pour répondre au ministre, en autant évidemment que ce soit raisonnable.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac, je comprends que vous m'appelez à de la souplesse...

M. Lefebvre: S'il vous plaît.

Le Président (M. Paquin): ...à utiliser 155...

M. Lefebvre: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): ...d'y aller de façon discrétionnaire.

M. Lefebvre: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Alors, d'accord. À ce moment-là, vous pouvez intervenir, Me Chénard.

M. Chénard (Daniel): Merci, M. le Président. Lorsque j'ai fait référence au rapport Garant, je voulais simplement indiquer que c'était, finalement, l'outil principal qu'on pouvait utiliser pour comprendre la réforme. Quand le ministre mentionne qu'il a utilisé le rapport Garant comme étant un excellent outil, je connais personnellement le professeur Garant, c'est un excellent juriste, je n'irai jamais dire que ce qu'il y avait dans ce rapport était totalement farfelu. Au contraire, c'était un excellent document.

Ce que je voulais indiquer, et ce n'était pas un coup de gueule, c'est simplement une remarque de quelqu'un qui, comme citoyen, consacre son temps à participer à des comités pour tenter d'éclairer le législateur et l'administration, c'est que c'eût été plus facile de comprendre, étant donné le hiatus politique entre le rapport Garant et la réforme actuelle, qu'il y ait un document général nous décrivant un peu les étapes qui nous attendaient. C'était simplement le sens de la remarque. Je ne voulais pas en faire... Je ne voulais pas enterrer le rapport Garant, au contraire, je trouvais que c'était un document de base, comme il y en a eu plusieurs auparavant, le rapport Ouellette, le rapport Dussault auquel a participé le professeur Pépin... Il y a eu plusieurs documents importants depuis une vingtaine d'années, et je pense que, tous ces documents-là, on les utilise comme points de référence dans cette réforme.

Le Président (M. Paquin): Alors, j'entends qu'on a complété un peu ces questions historiques et on va terminer sur le fond. M. le député de Chomedey, votre deux minutes et demie.

M. Mulcair: M. le Président, étant donné la tournure des remarques du ministre, je vous avoue que, plutôt que d'y aller sur la question technique que j'allais poser au Barreau – je vais peut-être me permettre de la poser par écrit – je vais dire ceci. Comme avocat moi-même et comme parlementaire, je tiens à remercier le Barreau pour sa présence aujourd'hui et pour tout son travail au cours de l'été, parce que je sais ce que cela représente.

Du côté de l'opposition, on a un service de recherche qui est excellent, mais on n'est pas capable, justement, d'aller vérifier, dans tous et chacun des cas, exactement le vécu, exactement par quoi ça va se traduire dans le cas de chaque loi, devant chaque commission existante, ce que ça va signifier pour le citoyen et si, au bout du compte, il va en sortir gagnant, ou s'il va perdre des droits, ou s'il va être dans une situation moins avantageuse que celle qui prévaut actuellement.

C'est le travail que le Barreau est en train d'offrir de faire. Que le ministre utilise des termes qui sont les siens, moi, je vous avoue que je ne le comprends pas. Un ordre professionnel – et le Barreau n'a jamais fait d'autre chose ici, aujourd'hui – existe pour une seule raison – le ministre devrait le savoir, c'est lui de responsable de l'application des lois professionnelles – c'est la protection du public. C'est ce que vous êtes venus faire aujourd'hui. De tenter de transformer ça en d'autre chose... Parfois, dans certains dossiers, on peut effectivement se permettre d'imaginer qu'il pourrait y avoir un intérêt personnel ou ce que d'aucuns appellent corporatiste derrière. Comment est-ce qu'il peut y en avoir de ça ici, aujourd'hui? Comment est-ce qu'il peut être question d'autre chose que l'intérêt du public? Moi, je vous avoue... Je pense que c'est de la frustration qui émane d'un ministre qui travaille mal ses dossiers, qui n'aime pas les analyses, qui n'aime pas la recherche, qui aime – coup de gueule pour coup de gueule – y aller de l'avant parce qu'il a déjà fait son idée et qu'il ne veut écouter personne.

Alors, c'est faux de dire qu'il y a eu tellement de consultations, et tout ça. C'est parce que, sur l'avant-projet de loi, vous êtes venus le dire aujourd'hui qu'il y a déjà des choses qui n'étaient pas prévisibles avec le projet de loi n° 130, qu'il en est sorti des questions de principe importantes, et, maintenant, il faut regarder tout le reste.

(11 h 20)

Je vous remercie comme avocat, je vous remercie comme parlementaire. Vous faites un excellent travail de protection du public, et ne vous laissez pas impressionner par ce qui vient de se dire de l'autre côté de cette table.

Le Président (M. Paquin): Le mot de la fin, Me Masse, brièvement.

M. Masse (Claude): Je veux vous remercier. Vous avez tous noté, au cours des années, parce qu'on se connaît relativement bien, que le Barreau du Québec n'a pas d'attitude partisane, sans être dépourvu de tout intérêt, bien sûr. On a 17 000 membres à défendre en même temps que l'intérêt public et il est clair que certaines décisions peuvent avoir une influence. Je vous fais remarquer qu'on n'a pas insisté aujourd'hui sur les modifications de l'article 128 de la Loi sur le Barreau, mais la définition de «quasi judiciaire» ou de «tribunal» a une importance considérable pour nous.

Ce dont je veux vous assurer, c'est de notre pleine collaboration, et, je vous le dis, l'échange de ce matin a été franc et loyal, M. le ministre, il vient du fond du coeur. Nous sommes vraiment inquiets et nous voulons vous passer le message. Nous avons peur que les enjeux extrêmement importants de cette législation ne soient pas vus par le public et ne soient pas discutés.

Par exemple, quand on regarde toute l'évolution de l'attitude législative et judiciaire à l'égard de l'expropriation, quand on voit que la plupart des garanties en matière d'expropriation tombent dans l'avant-projet et qu'il n'y a aucune espèce d'explication de la raison d'être de ça, il se peut qu'on doive couper des droits, mais qu'on le fasse démocratiquement, qu'on le fasse ensemble, et ça doit être fait comme ça. Mais de continuellement devoir rechercher quelle est l'intention réelle du législateur, ça, c'est quelque chose qui ne devrait pas, pour une réforme importante comme celle-là, avoir lieu.

Donc, j'assure... Écoutez, même il se peut que la prochaine fois, M. Mulcair, vous soyez totalement en désaccord avec le Barreau, c'est arrivé, mais je peux vous assurer de notre pleine collaboration, de notre collaboration non partisane et le plus possible dénuée de tout intérêt. Je vous remercie infiniment.

Le Président (M. Paquin): Alors, Me Sauvé, Me Chénard, Me Pépin, Me Masse, merci.

J'invite maintenant l'Association des propriétaires d'autobus du Québec à vouloir prendre place.

(Consultation)

Le Président (M. Paquin): M. Michel Laroche, c'est ça? Alors, M. Michel Laroche, président de l'Association des propriétaires d'autobus du Québec et président de Limocar inc., voulez-vous nous présenter les personnes qui vous accompagnent? Par la suite, vous disposerez d'une vingtaine de minutes pour présenter votre position et chaque côté de cette table aura une vingtaine de minutes pour vous poser des questions. Alors, M. Laroche.


Association des propriétaires d'autobus du Québec (APAQ)

M. Laroche (Michel): Bonjour, M. le Président. M. le ministre de la Justice, M. Bégin, MM. et Mmes les membres de la présente commission sur la Loi sur la justice administrative, mesdames et messieurs, bonjour.

Je vous présente mon équipe, qui est aujourd'hui Romain Girard, directeur général de l'Association, et Me Guy Poliquin, conseiller juridique.

Le transport par autobus, que nous représentons, est une activité commerciale particulière qui s'apparente à la fois au transport de marchandises et de biens, mais, surtout, c'est un service public relevant d'un contrat social entre l'entreprise, la collectivité desservie et le législateur.

Encore en 1996, l'offre de services en transport public est effectuée dans le cadre de permis ou de contrats avec des organismes publics. Ces permis et ces contrats sont obtenus à travers nombre de règles et de procédures qui toutes, de près ou de loin, réfèrent au législateur. Ces quelques énoncés sont vrais autant en transport scolaire versus commissions scolaires, transport adapté versus organismes publics, transport interurbain versus Commission des transports de Québec, transport urbain versus CIT ou municipalités, transport par abonnement versus la CTQ. Ces services sont exploités en conformité avec le droit et les obligations plus générales de sécurité, de fiscalité, de droit de travail et autres.

Nos membres sont concernés par l'ensemble des réorganisations du droit administratif, mais continueront à exercer des activités spécifiques qui doivent relever d'instances particulières. Le présent mémoire vous en fournira plus précisément les détails. Romain va vous en faire la lecture. Merci.

M. Girard (Romain): Bonjour, messieurs; bonjour, mesdames. D'abord, laissez-moi vous remercier d'avoir accepté de recevoir l'Association pour présenter son mémoire qui...

Le Président (M. Paquin): Simplement mentionner qu'il s'agit de M. Romain Girard, pour les fins de la transcription.

M. Girard (Romain): Donc, laissez-moi vous remercier de nous recevoir pour présenter un mémoire qui est d'un intérêt bien pointu par rapport à l'ensemble des débats qui relèvent de cette loi sur la justice administrative.

Les clients, ou les justiciables, ou les administrés dont on parle sont des entreprises qui ont des responsabilités de services publics. Ce sont des entreprises de transport et, en ce sens, nous sommes bien pointus.

L'APAQ, fondée en 1926, regroupe l'ensemble des transporteurs par autobus et par autocars de tous les secteurs d'activité du Québec, soit les secteurs du transport interurbain, du transport urbain, du transport aéroportuaire, nolisé, touristique, par abonnement et scolaire. Le réseau de transport interurbain et de transport nolisé est un élément essentiel du développement socioéconomique et offre des services à près de 7 000 000 de passagers annuellement et à plus de 800 municipalités au Québec.

Soucieux de leur responsabilité sociale, les transporteurs interurbains offrent, depuis juin 1996, à leur clientèle à mobilité réduite le plus grand réseau de transport accessible au Canada, et ce, grâce à la collaboration des deux paliers de gouvernement pour l'installation d'élévateurs pour les personnes ayant des problèmes de mobilité.

Les transporteurs scolaires, pour leur part, membres de l'APAQ, sont aussi un apport important à la société québécoise et transportent plus de 200 000 élèves quotidiennement, ce qui équivaut à 100 000 000 d'élèves transportés.

Lors de la commission parlementaire sur le projet de loi concernant la Loi sur la justice administrative, en février, l'Association a soutenu que l'intention du ministère des Transports du Québec de maintenir une réglementation économique était compromise avec les dispositions de ladite loi, qui assimilait l'émission d'un permis de transport par autobus à l'exercice d'une fonction administrative.

Le ministre de la Justice a immédiatement reconnu que l'application des critères d'intérêt public prévue au Règlement sur le transport par autobus nécessitait pour la Commission des transports du Québec l'exercice d'une fonction dite juridictionnelle en première instance et a maintenu, dans le présent avant-projet de loi, le pouvoir de la Commission des transports du Québec de procéder par auditions publiques pour les causes où il y a des oppositions.

Après avoir pris connaissance de l'avant-projet de loi concernant la loi d'application sur la justice administrative, nous constatons que les modifications à la Loi sur les transports apparaissant aux articles 592 à 617 de l'avant-projet de loi n'altèrent pas les pouvoirs de la Commission des transports du Québec qui lui permettent d'exercer des fonctions juridictionnelles lors de l'émission de permis de transport. Et nous nous en déclarons satisfaits.

Par ailleurs, les modifications à l'article 56 de la Charte des droits et libertés de la personne nous inquiètent dans la mesure où nous ne sommes pas assurés du droit de chaque partie d'obtenir une décision d'un tribunal indépendant et impartial que doit garantir la Charte des droits et des libertés.

Plus spécifiquement, nous désirons formuler quelques commentaires concernant les règles de pratique, la révocation des permis de transport, le recours devant le Tribunal administratif du Québec et, finalement, l'implantation du contrôle de la cote de sécurité qui est confié à la Société de l'assurance automobile du Québec.

Donc, les règles de pratique. L'article 593 de l'avant-projet de loi supprime le pouvoir de réglementer du gouvernement, d'édicter des règles de pratique pour la Commission des transports du Québec. Nous nous étonnons que le gouvernement accepte de ne plus réglementer les règles de pratique d'un tribunal, puisque la jurisprudence a clairement établi que ce pouvoir réglementaire doit être spécifiquement prévu dans sa loi habilitante, en l'occurrence la Loi sur les transports.

L'article 5 de ladite loi qui confère les pouvoirs réglementaires au gouvernement a dû être modifié à de nombreuses reprises pour permettre à ce dernier de réglementer des aspects qui n'étaient pas prévus à la loi. La suppression de ce pouvoir du gouvernement ne nous semble pas opportune.

La révocation des permis. L'article 609 de l'avant-projet de loi modifie l'article 37.2 de la Loi sur les transports, qui accorde le droit à un titulaire de permis de se faire entendre lors du renouvellement de ce dernier si celui-ci est modifié, suspendu ou révoqué. Avec la modification, on permet au titulaire de permis de présenter ses observations. On ne précise pas comment et sous quelle forme seront présentées ces observations.

(11 h 30)

Étant donné que le transporteur a pu se faire entendre en audition publique lors de l'obtention de son permis, il nous semble pour le moins cohérent qu'il puisse également se faire entendre en audition publique lorsqu'on veut modifier, suspendre ou révoquer cedit permis. Les mêmes commentaires s'appliquent dans le cas de l'article 610 de l'avant-projet qui modifie l'article 40 de la Loi sur les transports et qui doit accorder au transporteur le droit de se faire entendre en audition publique afin d'assurer une protection totale et entière de ses droits.

Le recours devant le Tribunal administratif du Québec. Dans notre mémoire à la commission des institutions concernant le projet de loi n° 130, nous avions demandé que les décisions de la Commission des transports du Québec, étant à caractère juridictionnel, soient susceptibles d'appel à la Cour d'appel du Québec. Dans un but d'efficacité, l'article 618 de l'avant-projet de loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative prévoit que toute décision de la Commission peut être contestée devant le Tribunal administratif. Dans ce contexte, l'industrie du transport par autobus pourrait se satisfaire de ce recours, pourvu qu'on ne reprenne pas là l'ensemble de la preuve et qu'aucun témoin ne puisse y être entendu, devant ce Tribunal administratif.

Le recours sur toute question de droit ou de fait. L'article 14 du projet de loi sur la justice administrative prévoit que le Tribunal administratif a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait. Étant donné que la Commission des transports du Québec exerce elle-même des fonctions juridictionnelles et procède par auditions publiques lors de l'émission des permis, il n'est pas pertinent que le Tribunal administratif du Québec reprenne l'ensemble de la preuve en procédant par un procès de novo. Les parties concernées ayant pu faire leur preuve et leur représentation lors de l'audition publique en première instance, il n'y a pas lieu de reprendre l'ensemble de la preuve si on souhaite atteindre les objectifs d'efficacité et de rapidité, d'autant plus que la Cour d'appel du Québec a reconnu au cours des années que la Commission des transports du Québec a démontré une bonne appréciation des faits dans les causes qui l'ont concernée jusqu'à maintenant. Pour éviter des recours futiles devant le Tribunal administratif du Québec, nous croyons que ces derniers devraient être bien circonscrits.

À cet égard, le recours d'une décision de la Commission de protection du territoire agricole prévu à l'article 21.0.9 de la Loi modifiant la Loi sur la protection du territoire agricole adoptée en juin 1996 nous semblerait bien approprié pour expliquer ou pour encadrer le recours d'une décision de la Commission des transports du Québec. Cet article 21.0.9 se lit comme suit:

«Le tribunal d'appel a compétence pour décider de toute question de droit ou de fait.

«À moins d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait déterminante dans la décision contestée, le tribunal d'appel ne peut réévaluer l'appréciation que la Commission a faite de la demande sur la base des critères dont elle devait tenir compte.

«L'appel d'une décision suspend de plein droit toute nouvelle demande visant l'obtention des mêmes conclusions, jusqu'à ce que la décision en appel soit rendue.»

Nous recommandons que l'article 618 soit modifié pour y ajouter ce texte en l'adaptant au Tribunal administratif du Québec.

Préséance aux affaires de transport. Nous avons mentionné dans notre mémoire que la décision de la Commission des transports du Québec s'applique généralement à l'ensemble de la population contrairement à des décisions comme la Commission de la santé et de la sécurité du travail ou de la Société de l'assurance automobile du Québec, qui concernent habituellement des individus. Dans ce contexte, les décisions de la Commission des transports du Québec contestées devant le Tribunal administratif du Québec devraient jouir d'une préséance dans l'audition des recours afin que l'ensemble du public ne soit pas affecté par des délais qui pourraient lui être préjudiciables. C'est pourquoi nous recommandons que les recours prévus au paragraphe 30° de l'annexe V, concernant la section des affaires économiques, de la Loi sur la justice administrative soient traités en priorité au Tribunal administratif du Québec.

L'implantation du contrôle de la cote de sécurité. La Société de l'assurance automobile du Québec est à compléter les règles concernant un système de cote de sécurité qui s'appliquera à l'ensemble de véhicules commerciaux. L'implantation d'une cote de sécurité pour les utilisateurs de véhicules commerciaux s'inscrit dans un processus de réciprocité avec les autorités des autres provinces et des différents États américains qui visent à assurer une plus grande sécurité sur les routes en Amérique du Nord.

Nous profitons de l'occasion pour réitérer l'importance de conserver à la Commission des transports du Québec l'exercice de fonctions juridictionnelles qu'elle pourrait utiliser dans l'appréciation des affaires concernant le maintien, la suspension ou le retrait du droit de circuler des transporteurs québécois qui serait une conséquence de l'administration de la cote de sécurité. Vu son expertise et son expérience dans tous les secteurs du transport routier, la Commission des transports du Québec demeure, quant à nous, l'organisme le plus apte à exercer cette nouvelle responsabilité. La cote de sécurité est nécessaire dans l'atteinte des objectifs de sécurité routière, mais tout transporteur est en droit d'obtenir une décision quant à son droit de circuler sur les routes du Québec venant d'un tribunal impartial, indépendant et compétent.

En conclusion, l'industrie du transport par autobus est satisfaite que le ministère de la Justice ait reconnu à la Commission l'exercice de fonctions juridictionnelles afin d'atteindre les objectifs de la Loi sur les transports. Sans ce pouvoir, la Loi sur la justice administrative aurait eu pour effet de déréglementer un secteur d'activité pour lequel le ministère des Transports du Québec venait de reconnaître l'importance de maintenir une réglementation économique et dont le principal objectif est d'assurer une qualité et une fréquence de services en région.

Il nous semble important, en terminant, que le concept de recours de pleine juridiction prévu à l'article 13 de la loi qui définit les pouvoirs des tribunaux administratifs soit précisé afin que, par ailleurs, le simple justiciable ou le spécialiste en droit puisse comprendre ce nouveau concept qui apparaît pour la première fois en notre droit québécois. Mesdames et messieurs, merci.

Le Président (M. Paquin): Ça complète? Alors, du côté ministériel, M. le ministre.

M. Bégin: Merci de votre présentation. Elle permettra, je pense, de reprendre un peu la discussion que nous avons eue hier avec les gens de l'ANCAI et peut-être aussi de voir que... Je crois qu'il y a, entre nous, une incompréhension à un niveau ou l'autre. Vous nous dites que vous êtes d'accord. Je suis normalement très satisfait d'entendre ça, mais je crois que cette entente repose sur un malentendu, et je vais vous expliquer pourquoi.

Si je vous ai bien compris, vous nous dites: Nous voudrions que, en appel devant le Tribunal administratif, il n'y ait pas de témoin, qu'il n'y ait pas d'enquête, mais qu'il y ait uniquement plaidoyer ou plaidoirie sur des questions de fait ou de droit, mais uniquement de l'argumentation. Est-ce que je me trompe?

M. Poliquin (Guy): Oui. C'est exactement ça.

M. Bégin: C'est ça? Bon. Par ailleurs...

M. Poliquin (Guy): Puisqu'il y a déjà eu un débat de fond...

M. Bégin: Oui. Bon, c'est ça. D'autre part, vous dites – et c'est pour ça que je veux être certain qu'on s'entende bien parce que, à vous écouter, je ne suis pas sûr qu'on s'est entendus sur tout: Ce n'est pas nécessaire, puisque, devant la Commission des transports, il y aurait – et là, c'est là que c'est important – un débat contradictoire comme il existe présentement, c'est-à-dire avocats, témoins, interrogatoires, contre-interrogatoires; ensuite, de l'autre côté, de la même façon. Est-ce que je vous comprends bien en disant ça?

M. Poliquin (Guy): C'est bien ça.

M. Bégin: C'est bien ma crainte que là... C'est là, je pense, qu'on ne s'entend pas bien.

Ce qu'on disait hier avec l'ANCAI, c'est que, devant la Commission des transports, il y a une personne qui vient demander, mettons, un permis. C'est des situations qui se présentent régulièrement. Cette personne a une relation avec l'État en lui demandant un permis. Il a des représentations à faire, ce demandeur de permis, et ça peut être lui-même, accompagné de bien d'autres personnes, qui va venir dire des choses qui vont, j'imagine, militer en faveur de l'émission d'un tel permis. Cependant, il y a aussi qu'on peut vouloir – et non seulement on peut, mais on veut – entendre d'autres personnes qui pourraient avoir des prétentions inverses. Je pense que c'est un descriptif général de ce qui se passe devant la Commission.

Nous voulons que le processus devant la Commission ne soit pas un débat judiciaire ou quasi judiciaire, mais qu'il soit un débat plus informel respectant les règles que l'on retrouve aux articles 2 à 7. Ce qui veut dire que c'est une audition publique, mais ce n'est pas un procès. Je le dis comme ça, lentement, parce que je pense qu'il y a eu méprise au départ.

M. Poliquin (Guy): C'est ça qu'on avait compris.

M. Bégin: Bon, O.K. Alors, en vous entendant, je ne vous fais pas grief, mais je me rends bien compte que peut-être on a dit les mêmes mots, mais on n'a pas dit les mêmes choses. En apparence, on était sur une entente.

Donc, ce qui veut dire que, devant la Commission des transports, le processus ne se déroule pas tout à fait comme présentement. Les mêmes personnes sont présentes, je pense qu'il se dit les mêmes choses, sauf que ça ne se fait pas selon les mêmes règles de fonctionnement. Ce qui fait que, au lieu d'être devant un tribunal quasi judiciaire ou judiciaire, on est devant un organisme de l'administration qui a une décision à prendre qui affecte cette personne, mais on n'est pas en présence d'un procès. Ce qui fait la différence, c'est que, après, s'il y a un appel, c'est là que le débat, véritablement, que vous connaissez, contradictoire au sens d'un débat judiciaire ou quasi judiciaire, a lieu, et c'est les règles de 8 à 12 qui s'appliquent à ce moment-là. Alors, on a une nuance. Je pense qu'il faut comprendre ça, sinon on ne parle pas la même langue. Et là je vois que, même si vous me dites: On est d'accord, dans le fond, on n'est pas d'accord. On se comprend?

M. Poliquin (Guy): On n'est pas d'accord concernant l'approche que vous avez.

M. Bégin: C'est ça. C'est ça.

(11 h 40)

Le Président (M. Paquin): S'il vous plaît, aux fins de l'enregistrement, la voix qui a dit: «C'est ça qu'on avait compris», c'est Me Guy Poliquin, qui est également l'intervenant qui discute actuellement avec le ministre. Alors, Me Poliquin.

M. Poliquin (Guy): Bon. Ce que nous avions compris lors de la dernière commission parlementaire est bien à l'effet qu'on pourrait avoir la possibilité de fonctionner devant la Commission des transports dans le cas de causes contestées, dans des auditions publiques. Et, si je comprends bien, ça indiquait – et je me souviens très bien, en tout cas, de l'échange que nous avons eu à l'époque – que vous reconnaissiez que, à toutes fins pratiques, il ne pouvait pas être fait autrement, puisque, dans ce cas-là, c'est là que le débat doit se faire. Le débat ne doit pas exister en appel. Le débat, il doit exister en première instance. La façon dont les articles sont prévus à la loi n° 130, bien, c'est justement ça qu'on est venu dénoncer en disant: Écoutez, si on procède de cette façon-là, vous allez faire en sorte de déréglementer un secteur du transport que le ministre des Transports vient exactement de confirmer. Parce que le processus d'appréciation de la preuve et de l'intérêt public, il doit se faire en première instance.

La procédure qui est prévue dans la loi n° 130 prévoit tout simplement que c'est une forme administrative qu'on applique. Alors, je le sais qu'on est un petit peu différents. Il y en a très peu de tribunaux, actuellement, de type administratif qui exercent des fonctions quasi judiciaires de cette nature-là. Il y en a peu au Québec. Sauf que, si, effectivement, selon ce que vous dites actuellement, on devait procéder de façon administrative, on vous dirait: Si on doit procéder comme ça, vous venez déréglementer le règlement sur le transport par autobus, et ça, je pense que vous venez en contradiction avec la position du ministre des Transports, qui vient de nous dire qu'il va maintenir une réglementation dans le secteur des transports.

Alors, quand on s'est parlé, je pense qu'on s'était compris, parce que la base même de notre mémoire était là-dessus, en disant: Écoutez, si on fonctionne de façon administrative, oublions tout ça, il n'y en aura plus, de transport par autobus. Ça va être simplement une demande qui est faite devant un organisme administratif, et on va remplir les papiers, et on va compléter les petits éléments qui sont sur le papier, et «approved» ou «not approved». C'est tout simplement ça. Mais ce n'est pas ça, en matière de transport par autobus, c'est un débat – je vais faire une nuance – dans les causes contestées qui est nécessaire et essentiel.

Dans le cas d'un grand nombre de décisions qui sont rendues actuellement par la Commission, il y a un certain nombre de décisions qui sont – permettez-moi le terme – purement administratives: des demandes de décision sur des tarifs, sur des parcours, sur des demandes qui ne sont pas opposées. Je pense que, dans ce contexte-là, il y a un formulaire qui est complété par la personne qui fait la demande, qui remplit les différents critères, qui fournit les documents attestant... Il n'y a pas d'opposition à cette demande-là. Elle rend une décision administrative.

Mais, dans le cas d'une demande d'un service de transport interurbain entre Québec et Chicoutimi alors qu'il y a déjà un transporteur qui donne ce service-là, la Commission doit apprécier, en vertu de l'article 12 du règlement, si cette demande-là vient affecter la qualité ou le maintien des services qui sont existants. Mais ça ne peut pas se faire, ça, de nature administrative. Elle doit entendre des témoins. Elle doit d'abord entendre le demandeur, qui va faire une preuve, qui va venir dire: Moi, j'ai des équipements, j'ai du personnel compétent, j'ai une solidité financière, je suis solvable, je pense que le service que je vais faire va être rentable. Et, sixièmement, il va venir dire à la Commission: Le service que je veux implanter là, il ne viendra pas compromettre l'existence des services qui sont en jeu.

On ne peut pas fonctionner de façon administrative de cette façon-là. Il faut qu'il y ait un débat. Il faut que la preuve soit appréciée par quelqu'un qui vienne trancher, à savoir, oui, il y a une discrétion, à savoir la preuve qui a été faite devant moi fait en sorte que, oui, je peux accorder le permis, ou non, ou je peux l'accorder en partie. Mais on ne peut pas fonctionner d'une façon strictement administrative. Si on agit de cette façon-là, bien, oublions la Loi sur les transports et oublions le Règlement sur le transport par autobus, on va s'en retourner chez nous, tout simplement.

M. Bégin: Me Poliquin, vous soulevez la question, chez vous, ce sont les critères de l'intérêt public. C'est ça?

M. Poliquin (Guy): Uniquement.

M. Bégin: O.K. Alors, je lis un passage du mémoire du Barreau, à la page 25, qui dit: «Il n'empêche que l'on apprend, en parcourant l'avant-projet de loi d'application, qu'il pourrait arriver que des pouvoirs d'intervention du Tribunal administratif soient restreints.» Et je lis une clause, Loi sur les valeurs mobilières – je sais que ce n'est pas vous, mais, quand même, pour comprendre le concept: «Dans son appréciation des faits ou du droit, le Tribunal administratif du Québec ne peut substituer son appréciation de l'intérêt public à celle que la Commission des valeurs mobilières avait pour mission de considérer pour prendre une décision.» Autre chose, Loi sur la Régie des alcools, des courses et des jeux: «Lorsqu'il décide du sort d'un recours contre une décision de la Régie, le Tribunal administratif – donc, on est exactement dans le même contexte, c'est le Tribunal administratif et non pas la Commission des Transports – ne peut, lorsqu'il apprécie les faits ou le droit, substituer son appréciation de l'intérêt public et – puis là il y a un autre concept qui s'ajoute dans ce cas-là – de la tranquillité publique que la Régie avait pour mission de considérer pour prendre sa décision.»

Je vous pose la question: Si une clause semblable est indiquée à l'égard du Tribunal administratif lorsqu'il se prononce en appel d'une décision de la Commission des transports, à l'effet qu'il ne peut pas substituer son appréciation de l'intérêt public comme tel – donc, je comprends laissant à la Commission le soin seule d'apprécier cette question-là et de ne pas pouvoir la faire renverser en appel – en ayant un processus pour arriver à découvrir le point de vue des parties qui est différent, qui n'est pas nécessairement le format tribunal, mais qui permet d'atteindre les mêmes résultats, est-ce que vous maintenez toujours votre appréciation?

Le Président (M. Paquin): Me Poliquin.

M. Poliquin (Guy): Vous me posez une question...

M. Bégin: Est-ce que vous permettez de donner du temps de réflexion? Vous dites: L'intérêt public...

M. Poliquin (Guy): Oui, bien, je l'ai, le texte. Tantôt, j'étais présent à la présentation du Barreau, et j'ai eu une copie de leur mémoire.

M. Bégin: Oui, mais ils n'ont pas abordé cette question-là. L'intérêt public, vous dites, ça, c'est quelque chose qui revient à l'appréciation de la Commission des transports. Ça, c'est le coeur même de la chose. Bon. Par le biais d'une clause qui serait identique à celle-là, mais qui mettrait la Commission des transports plutôt que Régie des alcools ou encore les... Parce que c'est le même problème qui se pose: deux commissions qui entendent, puis, après ça, il y a un appel, et là on met une clause qui dit: Oh! Oh! L'intérêt public, ce n'est pas un tribunal administratif qui va le rendre, c'est l'organisme premier. C'est la Commission des transports, la Régie des alcools, la Commission... la première, j'oublie son nom, et elles seules, en entendant les gens d'une manière moins formaliste, peuvent trancher ça. Par contre, il peut y avoir des questions de fait, des questions de droit qui peuvent être tranchées en appel.

Ce qui fait que, dans le fond, vous avez exactement la même chose qu'aujourd'hui, sauf que votre processus, devant la Commission comme telle, n'est pas le même. On ne procède pas de la même façon techniquement, si vous me permettez cette expression, parce que c'est limité.

M. Poliquin (Guy): Je vous répondrai que, dans la mesure des demandes qui sont faites à la Commission des transports du Québec où il y a une contestation, ça ne peut pas se faire autrement que dans un débat où on va pouvoir, de part et d'autre, faire valoir son point de vue. Je pense qu'il n'y a pas d'autre façon de le faire. Je pense, par ailleurs, qu'il y a quand même un grand nombre, M. le ministre, de décisions qui sont de nature administrative qui sont rendues par la Commission. Je pense que, là où il doit y avoir une appréciation de l'intérêt public, ça ne peut pas se faire autrement que par audition publique et que par un processus où les parties auront la possibilité de se faire entendre et de se faire valoir.

M. Bégin: Moi, ce que je dis, c'est la même chose que vous, mais c'est le format, la manière de le faire. L'opposant peut venir dire: Je m'oppose. La seule nuance, quand vous êtes devant un tribunal, vous savez comment les règles sont strictes, et c'est ça qu'on a, actuellement, chez vous, un débat comme devant un tribunal, avec tout ce que ça comporte, bon, le bien... Cependant, nous – en tout cas, je vous le soumets – on pense qu'il est possible de simplifier cette approche en entendant les personnes, mais en n'étant pas nécessairement dans un format judiciaire. Votre appréciation. Là, on peut être pour ou être contre, mais c'est ça la question qu'on a.

(11 h 50)

M. Poliquin (Guy): Ma première réaction est que je ne pense pas, en tout cas, que mes gens souhaitent cette façon-là. Je vais vous faire un aparté. Bon, vous savez fort bien que, dans le transport, on a vécu une grande déréglementation. Vous savez, de façon générale, dans le transport par camionnage, que ce secteur d'activité là est déréglementé. Ce qui s'en vient éventuellement au niveau du transport par autobus, c'est en grande partie un maintien de la réglementation dans les services de transport interurbain. Donc, il faut comprendre que, avec déjà les services qui sont desservis actuellement, les demandes qui peuvent concerner les services de transport par autobus sont quand même relativement limitées.

Donc, dans ce contexte-là, compte tenu que la réglementation actuelle ne peut pas faire en sorte de permettre l'appréciation des critères d'intérêt public que sous une autre forme qu'un débat... Vous me parlez de forme allégée. Bon, je veux bien être ouvert à une forme d'allégement dans la procédure, mais il faudrait que vous nous expliquiez un peu plus précisément quelle serait cette forme allégée de procédure. Est-ce que ce que vous me dites dans ce contexte-là, c'est que c'est uniquement une présentation de chacune des parties? Est-ce qu'on aura droit au contre-interrogatoire? Écoutez, vous me faites une proposition qui est pour le moins imprécise et vague. Nous, on vous dit, en tout cas dans le contexte actuel, que, sur ces questions-là qui sont fondamentales quant à l'établissement des critères d'intérêt public, on n'a pas le choix de fonctionner autrement que par un processus d'auditions publiques et par la possibilité de contre-interrogatoire des parties qui sont impliquées.

Mais ce nombre de causes là, en définitive, n'est pas un nombre important de causes. On s'en va dans le transport nolisé, par rapport à une proposition au plan national, sur une forme de déréglementation d'ici la fin du siècle. Ce qu'on va maintenir comme réglementation économique avec des critères applicables de façon précise va être constitué en grande partie sur les services interurbains, qu'on pense, en tout cas que le ministre des Transports pense qu'on doit protéger. Moi, je pense que la meilleure façon de le protéger, c'est d'assurer la possibilité d'avoir à l'entrée un contrôle par un processus de débat contradictoire. Je pense qu'il n'y a pas d'autre façon de régler cette situation-là.

On peut, par ailleurs, voir quelles seraient les règles de procédure. Vous enlevez le pouvoir au gouvernement de légiférer sur les règles de procédure dans la Loi sur les transports. Je ne comprends pas. C'est-à-dire que je le comprends dans la mesure de ce que vous venez de me dire, vous êtes conséquent, mais, moi, dans l'approche que nous avons, on ne le comprend pas, parce que c'est fondamental à l'exercice du droit d'un tribunal d'avoir des règles de procédure. Alors, c'est certain que, si vous me dites que vous voulez enlever ce pouvoir juridictionnel à la Commission, il n'y en a plus, de règles de procédure. Nous, on pense qu'il faut qu'il y ait des règles de procédure, parce que tout tribunal, normalement, a des règles de procédure, puis le gouvernement... Puis je peux vous dire que, par expérience dans ce secteur d'activité depuis de nombreuses années, il y a eu de nombreuses causes qui ont été soulevées en appel parce que, justement, on n'avait pas prévu des pouvoirs spécifiques, et on a dû légiférer à de nombreuses reprises pour faire en sorte de donner le pouvoir à la Commission d'avoir tel ou tel type de pouvoir d'intervention.

Or, moi, je vous dis: Écoutez, je pense que, dans le contexte où nous sommes, nous n'avons pas le choix de conserver ce pouvoir de délibération contradictoire au niveau de la Commission en première instance. Et vous comprendrez les autres remarques que nous avons, que nous ne souhaitons pas qu'on reprenne le débat. Si on a eu déjà un premier débat contradictoire en première instance, on ne veut pas recommencer un procès de novo au niveau du Tribunal administratif.

M. Bégin: Comme vous dites, je suis conséquent avec moi-même, mais vous l'êtes également avec vous-même.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Poliquin (Guy): Bien, selon ce qu'on avait compris...

M. Bégin: C'est pour ça que j'ai voulu éviter qu'on ait une méprise. Il me semblait, de façon évidente, en lisant votre mémoire, qu'il y avait méprise, là. Il ne s'agit pas de savoir qui a raison, qui a tort, mais on ne parlait pas la même langue, en tout cas, on ne disait pas les mêmes choses avec les mêmes mots. Alors, je voulais qu'on ait un débat, et je pense que, là, vraiment, vous avez exposé...

M. Poliquin (Guy): Ce qui n'empêche pas, M. le ministre, sur un certain nombre – je ne sais pas si, dans la législation, on peut le prévoir – sur les questions qui seraient d'ordre strictement administratif, qu'un processus puisse s'opérer et que, dans le cas où il y a nécessairement besoin d'une audience publique formelle, on maintienne un processus avec des règles de procédure et qu'on respecte la réglementation qui est en vigueur et que le ministre des Transports souhaite maintenir.

M. Bégin: Me Poliquin, je pense qu'au moins on a éclairci une ambiguïté qui existait. Vous ouvrez une porte dans vos propos. Nous sommes au niveau d'un avant-projet de loi.

M. Poliquin (Guy): Oui.

M. Bégin: C'est justement pour permettre des échanges comme ceux-là qu'on fait une consultation à ce stade-ci. Ça nous permettra de continuer avec la Commission les discussions qui ont eu lieu avec un éclairage qui sera plus direct parce qu'on utilisera les mêmes mots pour dire les mêmes choses, et je pense que ça vaut la peine. Je vous soulevais la clause en question parce que ça change un peu la dynamique avec l'incapacité du Tribunal administratif en appel de juger de l'intérêt public. Ça ramène le débat au niveau de la Commission. Je pense que c'est là que vous voulez l'avoir.

M. Poliquin (Guy): Oui.

M. Bégin: Ça m'apparaît la clé de la boîte de sardines, le point le plus important. Là, on a des questions procédurales, des façons de faire, ça peut se discuter, et je pense qu'on devrait effectivement continuer cette discussion-là.

Le Président (M. Paquin): Alors, merci. Nous en sommes maintenant à la période de temps réservée à l'opposition. Il y a deux députés qui ont demandé la parole, d'abord le critique et député de Chomedey suivi du député... de la députée de La Pinière.

M. Boulerice: «Le député», c'est acceptable.

Le Président (M. Paquin): C'est néanmoins le député de Chomedey qui a la parole.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Alors, M. Laroche, M. Girard, Me Poliquin, c'est seulement la deuxième fois que j'ai l'occasion d'entendre votre Association faire une présentation, la première était beaucoup plus technique et générale en ce qui regarde les débuts de ce processus. Aujourd'hui, je dois vous dire, et ce, devant votre président, que, M. Girard et M. Poliquin, vous m'avez vraiment impressionné comme parlementaire avec votre présentation.

J'ai un bon collèque avec qui j'ai eu le plaisir de travailler pendant de nombreuses années au ministère de la Justice et à l'Office des professions. Lorsqu'il était au ministère de la Justice, il était le directeur de la Direction de la recherche, du temps qu'il se faisait de la recherche au ministère de la Justice. Il disait toujours, face à une présentation comme celle que vous venez de faire: Vous parlez comme un grand livre. Alors, je dois vous dire que c'est exactement mon impression après vous avoir entendus.

M. Boulerice: Un grand livre ouvert.

M. Mulcair: Son expression à lui, c'était ça: Vous parlez comme un grand livre. M. Girard et Me Poliquin, vos réponses et votre présentation étaient un délice, et je vais relire les transcriptions avec volupté. C'est exactement ce pourquoi on tient ces commissions parlementaires là. Vous êtes venus expliquer de quoi il s'agit dans votre domaine. Sans jeu de mots, il paraît clair que c'est ça qui manque souvent dans le projet de loi et le projet de loi d'application, c'est une appréciation de la réalité de la chose dans chaque domaine particulier. En d'autres mots, on parle de choses qu'on ne connaît pas ou, si on veut être un peu plus direct, on ne sait pas de quoi on parle.

Quand vous avez donné vos exemples clairs, simples de contrats de transport entre Québec et Chicoutimi – si ma mémoire est bonne, c'était Chicoutimi, la ville dans votre exemple... non, Rimouski, je ne me souviens plus...

Une voix: Rimouski.

M. Mulcair: ...Rimouski – ah! un débat là-dessus – quand vous avez donné cet exemple-là et pourquoi il faut que les gens soient entendus, que les garanties procédurales prévues aux termes de la Charte soient conservées, c'était en peu de mots, mais c'était très clair. On a été capable, avec l'image de l'exemple que vous veniez de donner, de comprendre, de mettre une idée claire sur tout ce qui est juste des mots couchés sur des bouts de papier si on n'a pas ces exemples-là. Alors, au nom de notre formation politique, je tiens à vous remercier énormément pour cette excellente présentation.

(12 heures)

Vous avez entendu – peut-être, vous l'avez mentionné, que vous étiez là pour la présentation du Barreau – le bâtonnier, qui a utilisé effectivement cette bonne vieille expression «If it ain't broke, don't fix it». Et je pense que c'est un peu ça que vous êtes en train de nous dire, ici aussi, aujourd'hui. C'est que c'est bien beau de vouloir harmoniser, de sortir un modèle uniformisé de la manière de rendre cette justice-là, mais vous êtes en train, par la même occasion, de nous dire: Écoutez, là, on ne veut pas perdre les éléments qui fonctionnent bien à l'heure actuelle. D'ailleurs, je trouve ça presque rafraîchissant d'entendre un conseiller juridique puis des gens dans un domaine comme le vôtre, qui font des représentations régulièrement, venir nous dire: Il y a certains aspects du système qu'on ne veut pas perdre, on ne veut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

Alors, merci encore une fois pour cette excellente présentation. En regard justement de ces observations-là, peut-être que, Me Poliquin, vous avez des remarques à nous faire?

M. Poliquin (Guy): Oui, j'aurais peut-être une courte remarque. Nous avons touché un domaine très pointu. Nous touchons, dans la loi d'application, sept ou huit articles. Suite à la présentation du Barreau, je dois quand même leur dire, aux gens du Barreau, que ça devait constituer une oeuvre colossale, de faire la vérification de l'ensemble de toutes les lois concernées.

Pour nous, qui ne touchions qu'un secteur très limité, on a dû faire une recherche quand même assez pointue. Si j'avais dû me taper le travail de passer à travers l'ensemble, c'eût été considérable.

M. Mulcair: Je pense que, maître, vous êtes juste en train de...

M. Poliquin (Guy): Et ça demandait un examen très judicieux de chacune des clauses...

M. Mulcair: Juste dans votre propre domaine.

M. Poliquin (Guy): ...juste dans notre secteur.

M. Mulcair: Alors, vous imaginez la réaction du Barreau, justement, représentant les 17 000 avocats du Québec. C'est un peu ça qu'ils sont venus dire ce matin. Eux, ils doivent faire cette vérification-là dans tous les domaines, y compris le vôtre. Évidemment, lorsqu'il existe une association comme la vôtre, vous pouvez apporter votre collaboration. Mais, dans bien d'autres cas, ils sont obligés d'aller vérifier sur le champ, avec les praticiens voir exactement de quoi ça retourne, pour revenir à ma phrase de tantôt, pour savoir de quoi on parle.

J'aimerais revenir sur un aspect technique qui a été discuté hier avec Me Lemieux. Vous nous avez peut-être entendus faire brièvement référence à ça, tantôt, avec le Barreau. La question suivante a été posée à Me Lemieux, hier soir: Si on enlève la modification à 56.1 de la Charte et qu'on garde tout le reste tel quel, est-ce qu'on a réglé notre problème? Moi, je vais vous soumettre un cas concret pour votre appréciation. Je sais que c'est un exercice qui est assez ardu, mais on va essayer de voir, juste pour avoir... Je vois que vous connaissez bien le sujet. Alors, je vais quand même essayer de voir avec vous.

On est dans un exemple de révocation de permis. D'accord? Avec le projet de loi n° 130, c'est une décision administrative, c'est soumis aux articles 2 à 7. En vertu de la «common law», c'est une décision quasi judiciaire, soumise aux articles 23 et 56.1 de la Charte. Si on n'amende pas la Charte des droits... Parce que le ministre propose de l'amender, tout le monde est contre, et le ministre dit: Bien, si je n'amende pas la Charte, est-ce que j'obtiens le résultat escompté?

Si on ne l'amende pas, notre interprétation, c'est qu'on est face à la situation suivante: en vertu de 130, ça demeure administratif; en vertu de la Charte, c'est interprété, aux termes de la jurisprudence de la «common law», comme étant quasi judiciaire. Il y a un conflit. Laquelle des deux lois va prévaloir si on se fait révoquer un permis? L'exemple pourrait être, donc, que la personne se fait révoquer son permis en vertu de 130, utilisant 2 à 7 comme procédure. Elle embauche un bon avocat, comme vous ou Me Poliquin, et elle va devant les tribunaux pour dire: Hé! Ho! Je me suis fait révoquer mon permis, mais on n'a pas respecté la Charte. Pour moi, c'est évident que la Charte prévaut. Mais je ne pense pas, donc, avec cet exemple-là, qu'on puisse dire qu'on a réglé quoi que ce soit, si on garde tout le reste tel quel et qu'on n'amende pas... En tout cas, je pense qu'on est dans une situation où ça va prendre beaucoup plus de réflexion. J'aimerais juste avoir votre réaction là-dessus.

Le Président (M. Paquin): Me Poliquin.

M. Poliquin (Guy): Nous avons soulevé, dans notre mémoire, la question des révocations. Et je reviens à M. le ministre en mentionnant qu'il faut qu'il y ait effectivement des modifications à ce niveau-là, au moins pour prévoir les mêmes règles de procédure et qu'on puisse procéder, comme on a procédé et comme on pourrait continuer de procéder, par un processus en délibération contradictoire en première instance. Il va de soi qu'on devrait, au niveau d'une demande de révocation ou de modification de permis, pouvoir jouir des mêmes droits qu'on avait quand on a émis le permis. Ça, ça me semble, en tout cas... j'ai dit «cohérent», dans le texte. Ça me semble d'une évidence...

M. Mulcair: Normal.

M. Poliquin (Guy): ...même. Ceci dit, nous avons soulevé très brièvement, au début de notre mémoire, la question de l'article 56 quant à la Charte des droits, parce que ça soulève, pour nous, comme individus, comme entreprise, effectivement un problème et ça nous inquiète de voir que les droits garantis par la Charte pourraient ne plus être garantis.

Écoutez, j'ai entendu le débat avec le Barreau. Je pense que c'est une question relativement importante et je pense qu'on devra la clarifier. Est-ce qu'on doit simplement l'enlever du texte comme tel? Bon, c'est sûr que, si on l'enlève, il faudra probablement trouver une nouvelle formulation, mais il est définitif que, la façon dont elle est rédigée actuellement, nous, ça ne nous satisfait pas complètement. Et je pense que ça demande révision, définitivement.

Une voix : Ça demande?

M. Poliquin (Guy): Révision. Disons que je n'ai pas la compétence de M. Pépin ou d'autres grands légistes au gouvernement du Québec, mais, à première vue, il me semble qu'il y a une situation qui est inquiétante à ce niveau-là et je crois qu'on doit prendre en considération les remarques que le Barreau a faites à cet égard-là.

Le Président (M. Paquin): Mme la députée de La Pinière, suivie du député de Jacques-Cartier...

Mme Houda-Pepin: Oui.

Le Président (M. Paquin): ...s'il reste du temps.

Mme Houda-Pepin: Alors, MM. les représentants de l'Association des propriétaires d'autobus du Québec, je voudrais vous remercier pour le mémoire et la présentation assez éloquente que vous nous avez faite. Le mémoire est concis, mais il est très précis. Je pense que les arguments que vous avez apportés nous ont permis, nous, parlementaires, en tout cas, de connaître un peu comment le projet de loi que nous sommes en train d'étudier pourrait affecter directement les entreprises de transport et le monde que vous représentez.

Je suis, pour ma part, très satisfaite de voir que, à la page 3 de votre mémoire, vous êtes revenus sur l'article 56 de la Charte, et vous l'avez réitéré aussi dans votre présentation. Cela témoigne de l'importance que les Québécois, de toute origine et de tout horizon économiques et sociaux, accordent à la question de la Charte comme instrument qui garantit les droits fondamentaux de tous les Québécois.

À la page 5, vous énoncez une recommandation. Vous recommandez «que les recours prévus au paragraphe 30° de l'annexe V, concernant la section des affaires économiques, de la Loi sur la justice administrative soient traités en priorité par le Tribunal administratif du Québec». Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus? Pourquoi? Et peut-être donner des exemples...

M. Poliquin (Guy): Oui.

Mme Houda-Pepin: ...qui pourraient nous expliquer?

M. Poliquin (Guy): Cela est très simple. Dans un premier temps, si le ministre de la Justice consent à conserver des pouvoirs de fonctions juridictionnelles à la Commission des transports en première instance, le débat aura eu lieu avec toutes les parties en présence. Donc, on se dit que, s'il doit y avoir recours devant le Tribunal administratif, il doit être limité à des questions précises, des questions de droit ou de fait, qui ont un aspect déterminant sur la décision qui aura été rendue. Dans ce contexte-là, quant à la préséance, donc, à partir de ce moment-là, on pense que ces recours-là sont plus expéditifs parce qu'ils sont limités uniquement à une question débattue sans audition de témoins. Donc, à toutes fins pratiques, ça se limite à des recours d'appel, comme devant la Cour d'appel ou des tribunaux d'appel d'autres ordres. Donc, c'est des recours, en principe, qui peuvent être entendus avec une certaine célérité et où les décisions également peuvent être rendues assez rapidement.

(12 h 10)

Mais la raison fondamentale à l'effet que ces recours-là doivent être priorisés est à l'effet que ça comporte... On n'est pas, comme je le dis, dans une affaire qui concerne un individu sur son droit d'appeler de son permis de conduire. Non pas que je pense que ce ne n'est pas important pour cet individu-là, mais, quand une décision peut concerner toute une région de la province à desservir un secteur d'activité, bien, on pense que ça devrait être priorisé par le Tribunal afin de faire en sorte qu'on puisse être entendu dans des délais le plus courts possible afin qu'une population ou des populations de certaines régions puissent être en droit d'avoir un service, le cas échéant, si on veut leur donner un service puis que l'autorité ne souhaite pas le leur donner, ou vice versa. On pense que c'est là l'importance de prioriser ces recours-là, parce qu'il y a une urgence d'agir. Je pense que c'est aussi clair que ça, là. C'est que, pour reprendre mon exemple, entre Québec-Chicoutimi, si un transporteur fait une demande ou si le transporteur qui donne ce service-là s'est vu modifier ou révoquer son permis, bien, on pense que c'est important qu'une décision intervienne le plus tôt possible pour faire en sorte qu'on sache à quoi s'en tenir afin que le public soit pénalisé le moins possible dans ce débat-là.

Mme Houda-Pepin: Merci.

M. Poliquin (Guy): Est-ce que ça répond bien à votre question?

Mme Houda-Pepin: Oui, c'est très bien. Merci.

Le Président (M. Paquin): Peut-être une sous-question à cet égard là. Donc, c'est à cet effet-là que vous souhaitez une formulation qui pourrait ressembler à ce qu'il y a dans la loi qui modifie la loi sur le zonage agricole, l'article 21.09, par exemple, qui baliserait à condition que ce soit un recours rapide. C'est bien ça?

M. Poliquin (Guy): Le recours rapide est une condition additionnelle, là, en ce sens que tout ça s'enchaîne, là, dans la mesure où c'est bien évident que, si on a un appel d'une décision rendue par un tribunal qui exerce des fonctions juridictionnelles en première instance, on doit, à mon avis, limiter le débat en appel, et ce débat-là, en appel, il doit être entendu par priorité.

Le Président (M. Paquin): Et l'article 21.09 vous paraît une bonne formulation.

M. Poliquin (Guy): Bien, écoutez, cette formulation-là vient d'être adoptée par le gouvernement. Si le gouvernement a pensé que c'était bon actuellement, on pense qu'il devrait pouvoir encore penser que c'est bon.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Paquin): Alors...

M. Poliquin (Guy): Bien, en tout cas... Ha, ha, ha!

Le Président (M. Paquin): Alors, M. le député de Jacques-Cartier, ce n'est pas amputé sur votre temps; vous avez la parole.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Merci aux membres de l'Association des propriétaires d'autobus du Québec pour votre présentation. J'ai beaucoup aimé la notion de débat que vous avez introduite dans nos discussions ce matin, c'est-à-dire qu'il faut vraiment éclairer la question avant de prendre une décision au lieu... Dans la formulation, quand je lis, dans le projet de loi, que la personne administrée doit avoir l'occasion de présenter ses observations et de produire des documents pour compléter ce dossier, ça, ce n'est pas un débat. Ça, c'est vraiment le langage pour compléter un dossier, alors pour s'assurer que toutes les boîtes sont cochées sur une feuille de papier pour assurer qu'on a tout ce qu'il faut dans un dossier. Ça, ce n'est pas un débat, et je pense que c'est très important. Et, quand le ministre a mentionné, dans le document du Barreau, la notion de l'intérêt public et peut-être qu'on peut exempter ça, est-ce que j'ai raison de croire que ce n'est pas suffisant parce qu'il y a d'autres types de décisions prises par la Commission des transports qui sont aussi importantes?

Je parle de la révocation du permis. Vous avez mentionné, dans votre mémoire, les transporteurs scolaires; aussi, il y a une question de révocation de permis. C'est très important pour votre membre propriétaire de défendre ses intérêts. C'est très important pour moi, comme parent, de m'assurer que mes enfants doivent être transportés à l'école dans un autobus sécuritaire, et tout ça. Alors, on a tous intérêt, en première instance, à avoir le débat au complet au lieu de prendre une décision soit en faveur de la compagnie ou en faveur d'une révocation. Et, si c'est le cas, les parents seront dans l'incertitude pour un autre quatre à six mois en attendant un appel à la TAQ. Alors, je pense qu'on a, dans tout le dossier des révocations de permis, tout intérêt à faire le débat en première instance, comme vous avez suggéré. Est-ce que je me trompe ou est-ce que la notion d'intérêt public, ce n'est pas suffisant parce qu'il y a d'autres matières qui sont décidées au niveau de la Commission et qui sont très importantes aussi?

M. Girard (Romain): Pour situer la réponse à cette question, je vais me reculer d'un cran. La Loi sur les transports, elle établit, dans le fond, que ce qui est important, c'est le service public qu'on va donner à la population par le biais d'une entreprise privée. On donne un service public qui est indispensable au développement d'une région, à l'accès à l'école d'un élève, au maintien en région d'une clientèle âgée ou étudiante. Il y a des choix de développements régionaux qui doivent être atteints, qui doivent être satisfaits par le service de transport public donné par l'entreprise privée. C'est un des exemples à plusieurs niveaux parce qu'on a utilisé comme exemple uniquement le transport interurbain, dans un exemple Québec–Chicoutimi. On parle aussi de la desserte urbaine dans la ville de Roberval ou on va parler de la desserte urbaine dans une ville comme Drummondville.

Ce qui nous importe, c'est de faire admettre que la première décision rendue sur un choix de services publics tienne compte des critères d'intérêt de ce service public pour la population cible, pour la population qui a un besoin. Il nous apparaît donc que le débat de l'intérêt des citoyens doit être fait en première instance.

Dans certains débats, au cours des dernières années, nous avons vu apparaître la clientèle ayant besoin de services de transport accessibles. Sont très présentes, actuellement, dans les débats dits d'intérêt public à la Commission les instances municipales ou les instances suprarégionales, les MRC au supramunicipal, parce qu'elles expriment des choix. Un exemple bien simple: une entreprise de transport interurbain qui va au Lac-Saint-Jean. Je connais des citoyens et des élus municipaux qui ont intérêt à ce que, à Iberville, l'autobus tourne à droite pour aller d'abord à Alma. D'autres vont avoir intérêt à ce que l'autobus tourne d'abord à gauche pour aller à Roberval. Pour eux, c'est un choix de développement régional. Ils veulent être avant l'autre, ça se comprend. Et ce débat-là doit être amené devant l'instance qui va, la première, rendre une décision. Parce que, si la première instance rendant une décision n'a pas ces enjeux de clientèles ou de régions ou de municipalités, d'office, on ira en deuxième instance et, d'office, on congestionnera le système juste un peu plus.

Ce qu'on veut, c'est que, en première instance, on puisse débattre de cela parce que ce n'est pas... Les enjeux des transporteurs ou des transporteurs par autobus ne sont pas d'abord des enjeux de fait ou de droit, ce sont des enjeux de services publics. Si les entreprises de transport par autobus n'ont pas cette première mission, bien, elles n'ont pas, techniquement, à être réglementées comme elles le sont actuellement. La réglementation nous impose des critères à l'entrée pour nous empêcher de nous concurrencer; elle nous impose de ne pas majorer nos tarifs indûment, pour faire que le client ne subisse pas les effets négatifs d'un dit monopole; elle nous impose une procédure pour modifier nos horaires et pour nous interdire de sortir comme bon nous semble des marchés non lucratifs. Tout ça, ça doit, je pense, être soumis dans une première instance et, actuellement, il y a une instance qui le fait et qui le fait bien, avec laquelle l'industrie a développé une habitude d'échanges. Elle comparaît en région, elle est présente sur les territoires où il y a des enjeux, et ceci nous apparaît souhaitable.

Le Président (M. Paquin): Merci, M. Girard. Une petite question? Oui? Non? Alors, merci beaucoup, M. Romain Girard, M. Michel Laroche et Me Guy Poliquin.

Je demanderais à l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec de se présenter maintenant à la table. Et, pendant qu'ils le font, je voudrais consulter les membres de cette commission. Il est... S'il vous plaît, je n'ai pas suspendu les travaux. Alors, si vous voulez faire ça discrètement.

Je consulte donc les membres de cette commission à l'effet que nous allons dépasser l'heure permise. En vertu de l'article 144, y a-t-il consensus pour que nous le fassions jusqu'à ce que nous ayons terminé d'entendre l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec? Oui, M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Il y a peut-être consensus, mais, nous, il y en a deux qui vont disparaître ici. Des députés, nous, à 13 heures, on disparaît, point final.

Le Président (M. Paquin): Alors, est-ce que je comprends qu'il y a consensus pour qu'on termine? Nous allons donc prolonger... Oui, mais... Y a-t-il objection de la commission pour que nous continuions et que nous terminions d'entendre l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec? ce matin jusqu'à 13 h 15, 13 h 20?

M. Bégin: Juste une observation. Je demanderais, de la part des membres de la commission, si je pouvais m'absenter. Je dois être au Conseil des ministres à 13 heures; j'ai deux présentations à faire. Alors, je pourrais...

Une voix: Quinze minutes, 15 minutes, 15 minutes.

Le Président (M. Paquin): Quinze, 15, 15? Ça va?

M. Bégin: Sans vouloir priver personne de son droit.

(12 h 20)

Le Président (M. Paquin): Alors, disons que nous comprenons tous que nous devons être concis, que nous déborderons le moins possible et que nous allons accommoder tout le monde. Voilà mon interprétation de ce que nous venons de faire.

Une voix: Ça, c'est un bon président.

Le Président (M. Paquin): Alors, je prierais donc Mme Francine Guérin, présidente, de me présenter la personne qui l'accompagne et de commencer.


Ordre des évaluateurs agréés du Québec (OEAQ)

Mme Guérin (Francine): M. le Président, M. le ministre, Mme et MM. les membres de la commission, j'ai avec moi aujourd'hui M. Mathieu L'Écuyer, qui présidait, disons, le comité qui s'est penché sur le projet de loi n° 130 et sur la loi d'application.

Je tiens à vous remercier de permettre à l'Ordre de venir donner son avis sur, justement, ce projet de loi et sa loi d'application. Comme vous le savez peut-être, je tiens à vous le rappeler, l'Ordre des évaluateurs agréés regroupe un peu plus de 1 000 membres qui oeuvrent dans divers domaines d'évaluation et tout domaine qui touche l'immobilier. Plusieurs de ces membres sont experts, à titre de témoins experts, devant les tribunaux. On a aussi plusieurs de ces membres qui sont soit membres ou assesseurs de ces divers tribunaux. L'Ordre, comme n'importe quel ordre professionnel, d'ailleurs, sa mission première est de protéger le public. Il est aussi de notre devoir de normer et de réglementer la pratique de l'évaluation. C'est dans ce sens aussi que, pour nous, c'est d'intérêt de s'assurer que le cadre dans lequel oeuvrent les évaluateurs agréés permet à ceux-ci de rendre un service de qualité aux contribuables. Je vais laisser la parole à M. L'Écuyer, pour qu'il vous fasse part du mémoire.

Le Président (M. Paquin): M. L'Écuyer.

M. L'Écuyer (Mathieu): Merci, Mme la présidente. M. le Président, M. le ministre, Mme et MM. les membres de la commission – vous me direz, M. le Président, si on est hors d'ordre – nous comptons profiter de l'opportunité qui nous est offerte par l'étude de l'avant-projet de loi sur l'application de la justice administrative pour discuter également de l'avant-projet de règlement sur la procédure de recrutement et de sélection des membres aptes à être nommés membres du Tribunal administratif du Québec et sur la procédure de renouvellement du mandat des membres.

Je vous dirai simplement qu'au moment où cet avant-projet de règlement là nous a été communiqué, lors des dernières auditions en commission parlementaire, et qu'on nous avait sollicité un avis, nous n'avions évidemment pas eu le temps de faire une réflexion sur ça. Dans la mesure où c'est un élément qui fait partie de l'architecture de la réforme qui est envisagée, on estime que c'est opportun aussi qu'on vous livre certaines réflexions là-dessus.

Le Président (M. Paquin): ...c'est pertinent, puisqu'il s'agit d'une dimension corollaire. Donc, vous pouvez y aller.

M. L'Écuyer (Mathieu): Merci, M. le Président. Également, dans la mesure aussi où la loi d'application ne prévoit pas les dispositions transitoires et finales, on aurait certaines pistes ou certaines réflexions aussi à vous présenter sur cette question-là, même si, évidemment, ce n'est pas la législation dont la commission est actuellement saisie. Dans la mesure où nous estimons qu'il y a des enjeux véritables qui se trouvent au niveau des dispositions transitoires et finales et que... Enfin, même si le texte de législation n'est pas encore connu à ce moment-ci, nous aimerions exprimer certains commentaires sur des enjeux qu'on estime importants à l'intérieur de cette législation-là qui est nécessairement à venir.

Alors, sur l'absence des mesures transitoires, tel que rédigé, le projet de loi d'application ne propose aucune modalité pour disposer, par exemple, des dossiers pendants. Vous allez comprendre comment on se situe, nous autres, particulièrement dans la partie juridictionnelle. Évidemment, ce qui intéresse particulièrement l'Ordre, c'est la chambre des affaires immobilières au sein du Tribunal administratif du Québec. Alors, le propos est davantage dans cette circonstance-là.

Alors, le projet de loi d'application ne propose aucune modalité pour disposer des dossiers pendants. Cela peut avoir des conséquences majeures, nous semble-t-il, sur les garanties de justice auxquelles le public a droit et sur la qualité de l'administration. Par exemple, en considérant les modifications à venir, notamment concernant le droit d'appel, et dans la perspective où certaines causes pendantes ne seraient pas traitées au Tribunal administratif du Québec, certaines décisions pourraient rester appelables, alors que d'autres ne le seraient pas. Une telle justice à deux vitesses, qui s'étendrait sur quelques années, causerait un préjudice tant aux justiciables qu'à l'appareil de l'État, nous semble-t-il. Alors, dans la mesure où l'objectif de la nouvelle loi est d'améliorer, évidemment, les conditions existantes, de procurer quelque avantage, nous vous suggérons qu'il serait opportun de considérer l'application la plus rapide possible de la législation à venir. En fait, comme ce qu'il avait été décidé pour la loi d'application, par exemple, du Code civil.

L'Ordre des évaluateurs agréés du Québec considère que les dispositions transitoires et finales devraient prévoir que les expropriations commencées en vertu des dispositions législatives remplacées ou abrogées par la nouvelle loi devraient être continuées devant le TAQ. Alors que, normalement, toute affaire n'ayant pas été traitée en vertu des dispositions législatives antérieures le serait dès lors en vertu de la nouvelle loi, le cas des dossiers en délibéré peut apparaître plus délicat.

Là-dessus, évidemment, dans la mesure où, encore là, on ne connaît pas les dispositions transitoires, on savait, par exemple, que, lorsqu'il y a eu des transferts de juridiction ou des successions – on cite dans notre mémoire le cas, par exemple, du Tribunal de l'expropriation, qui a succédé à la compétence de la Régie des services publics et du Bureau des expropriations de Montréal – on avait prévu à ce moment-là que les choses déjà instruites seraient décidées par la nouvelle instance. Nous croyons qu'on pourrait... Il y a eu déjà aussi ce genre de disposition transitoire là, par exemple, quand le Bureau de révision de l'évaluation foncière, qui était un organisme, à l'époque, régional, est devenu un organisme provincial. On a repris les causes pendantes et on a habilité le nouvel organisme à disposer des recours pendants. Évidemment, nous ne savons pas actuellement quelles sont les intentions gouvernementales à cet égard-là, mais nous suggérons comme piste qu'on devrait prévoir – si, évidemment, on maintient l'architecture actuelle de la législation prévue – l'application la plus rapide de la législation à venir.

Nous voudrions également vous parler du règlement sur la procédure de recrutement et de renouvellement du mandat des membres du Tribunal administratif du Québec. Nous allons... Il faudrait peut-être voir un lien aussi entre le droit d'appel qui, à date, n'est pas prévu dans la législation et la qualité de la tenure, ou la qualité des mandats qui seront octroyés aux membres du TAQ. Vous avez entendu tout à l'heure le Barreau vous dire: Écoutez, c'est inquiétant qu'éventuellement des décideurs administratifs aient décidé, en dernière instance, des questions comme l'indemnité finale en expropriation ou d'importantes révisions en évaluation foncière. On pourrait même ajouter maintenant qu'il y a aussi l'octroi de... Vous avez... Il y a les recours des députés, éventuellement, sur la valeur de leur propriété, lorsqu'ils devront se déplacer, qui va aller aussi à la section des affaires immobilières.

Les gens, évidemment... On peut penser que le public puisse être inquiété par le fait qu'on puisse, comme le prévoit actuellement le règlement sur la procédure, en particulier la partie qui concerne le renouvellement des mandats des membres... que le public en général ou les administrés plus particulièrement puissent être inquiets que le gouvernement se réserve une marge de manoeuvre très importante, par exemple, en particulier par le texte de l'article 25, deuxième alinéa de ce règlement, qui, après qu'on aura vérifié la capacité, par exemple, d'un décideur de disposer d'une question, on se réserve aussi d'examiner l'opportunité de favoriser la présence de nouveaux membres. Nous, nous voyons là une ouverture dans laquelle le gouvernement s'autorise une marge de manoeuvre qui ne limite pas suffisamment sa discrétion pour se mettre à l'abri de décisions éventuellement arbitraires ou abusives.

Évidemment, on ne peut pas... on ne reviendra pas sur le fait... On avait déjà fait des représentations en disant qu'on croyait que la tenure des membres du Tribunal administratif devait être consignée dans la loi plutôt qu'avoir des garanties procédurales au niveau d'un règlement. Je comprends que ce n'est pas l'objet de la présente consultation, mais, si on essaie de bonifier le projet actuel puis qu'on s'en tient au scénario dans lequel ces dispositions-là se trouvent au niveau réglementaire, il nous apparaît impératif que le gouvernement limite sa discrétion.

(12 h 30)

On a un petit exemple qu'on vous donne dans notre mémoire; on voit ça de cette façon-là, peut-être d'une façon caricaturale: Le gérant d'une équipe de hockey qui détiendrait le pouvoir de congédier l'arbitre, peu importe que ce soit à la fin du match ou à la fin de la saison, alors qu'il jugerait opportun de nommer un nouvel arbitre, n'aurait-il pas de meilleures chances de remporter la partie? C'est le genre de question, croyons-nous, que les justiciables pourront se poser lorsqu'ils se présenteront devant un décideur administratif qui est investi quand même d'une responsabilité énorme, dans la mesure où, selon le scénario actuel évidemment, on dit: Bien, ce sera la décision finale, quitte à ce que la révision se fasse au niveau interne.

Puisqu'il est question de pouvoir discrétionnaire, nous exprimons également notre inquiétude quant au sort réservé aux personnes compétentes en place actuellement. En effet, l'absence de dispositions transitoires et la fragilité du processus décisionnel font craindre que ce vacuum soit l'occasion de décisions qui ne soient pas nécessairement à l'avantage du public.

Par ailleurs, si le climat d'incertitude et de spéculation devait se prolonger, nous doutons que la sérénité nécessaire à un exercice décisionnel de qualité puisse subsister bien longtemps. On comprend évidemment que le processus législatif ne peut pas se faire d'une façon instantanée, mais le fait, par exemple – et ça, je tiens ça pour l'avoir entendu de mes oreilles – que les décideurs actuellement en place ne connaissent pas le sort qui leur est réservé est une source d'inquiétude. Je ne dirais pas que ça compromet l'intégrité du processus décisionnel actuel, mais disons que ce n'est rien pour assurer une sérénité dans le contexte actuel.

Sur les questions relatives plus précisément à l'avant-projet de loi de l'application, vous me permettrez peut-être de ne pas citer comme tels les articles, mais simplement de référer... En fait, il n'y a pas d'articles parce que ce n'est pas prévu dans l'application actuelle. On se posait la question, chez nous: Les recours en cassation du rôle d'évaluation, qui sont toujours sous la juridiction de la Cour du Québec, dans la mesure où il s'agit essentiellement de décisions administratives et spécialisées, pourquoi cette compétence-là ne serait pas rapatriée au sein du Tribunal administratif du Québec? Il y a peut-être là des difficultés constitutionnelles. Là-dessus, je ne voudrais pas m'avancer sur un terrain avec lequel je suis moins familier, mais on sait que, par exemple, la compétence actuelle du Bureau de révision de l'évaluation foncière découle de la compétence qu'avaient les conseils municipaux de procéder à l'homologation ou à la révision des rôles d'évaluation et que cette compétence-là est antérieure même à la Constitution de 1867.

À tout événement, je ne veux pas faire d'argumentation constitutionnelle ici, mais on se posait la question et on se demandait jusqu'à quel point il n'était pas opportun que cette décision-là – qui est précisément de la même nature que les autres décisions administratives... Avant de décider si on casse un rôle totalement ou une seule inscription, il faut bien comprendre que c'est opportun de savoir, de connaître le contexte. J'imagine que ce n'est pas facile pour un tribunal judiciaire qui n'a pas cette expertise-là de décider de ces questions-là.

Sur le pouvoir d'adjudication des frais, on a constaté que les amendements proposés actuellement à la Loi sur la fiscalité municipale et à la Loi sur l'expropriation faisaient disparaître ponctuellement, bien précisément, la juridiction qui était octroyée à ces deux organismes ou tribunaux-là d'adjuger des frais taxables, dont des honoraires. Ça nous inquiétait. Nous estimions évidemment qu'il y a une procédure bien connue, bien établie en matière d'expropriation, à l'effet que, évidemment, la décision unilatérale de l'État de priver un citoyen de son bien, il est bien établi que des honoraires, par exemple, d'experts-évaluateurs qui sont requis à ce moment-là peuvent être octroyés à titre de dommages. Il nous semblait opportun que le Tribunal administratif du Québec soit habilité à octroyer des dépens, incluant nommément les frais d'expertise en ces matières-là.

Évidemment, peut-être en débordant aussi le cadre tout simplement de la section des affaires immobilières, on soutient également qu'un administré face à l'État devrait pouvoir obtenir des services professionnels pour poser des questions éventuellement sur la décision administrative qu'il conteste, pour se mettre à égalité avec l'État, dans la mesure où il aurait besoin de consulter d'autres professionnels. On pense évidemment à des évaluateurs agréés, mais ça peut être aussi d'autres professionnels: des psychiatres, des médecins, des travailleurs sociaux. Il nous semblerait normal que le Tribunal administratif du Québec soit habilité à octroyer des dépens, incluant des honoraires professionnels pour que les citoyens puissent se mettre à la même hauteur que l'administration lorsqu'ils contestent la décision de l'administration.

Alors, on indique que c'est le cas, de façon mitigée, actuellement, par exemple, au Bureau de révision de l'évaluation foncière, où le Bureau peut adjuger les dépens d'une affaire, notamment des frais de sténographie. Il y a, par ailleurs, une prohibition, actuellement, à octroyer des honoraires d'expertise d'évaluateur. Nous estimons qu'il sera opportun de confier cette compétence-là, actuellement, au TAQ, à la division des affaires immobilières, en vertu, justement, d'un principe d'accessibilité selon lequel les citoyens peuvent disposer de la même expertise que l'État pour contester, éventuellement, une décision spécialisée. Nous mentionnons qu'actuellement, par ailleurs, il y a des barrières qui ne permettent pas, pour un petit contribuable, de se voir pénaliser par ces frais-là. Évidemment, ce genre de cran d'arrêt là devrait être maintenu.

Rapidement, sur d'autres éléments, parce que le président m'indique que le temps s'écoule. Alors, je vais vous entretenir brièvement des décisions de la Commission municipale en vertu de l'article 204, paragraphe 10 de la Loi sur la fiscalité municipale. On prévoyait, avant ça, que cette juridiction-là était de la Commission municipale, on la transfère maintenant aux autorités locales, c'est-à-dire aux municipalités, mais on supprime complètement toute procédure. Avant ça, évidemment, la Commission municipale devait prendre une décision sur consultation de la corporation municipale; et, à défaut par la corporation municipale de fournir un avis dans un certain délai, la corporation municipale était réputée renoncer à faire valoir son point de vue et la Commission procédait. Il nous semblait que, dans la mesure où l'autorité municipale n'est pas assujettie à la première partie de la loi n° 130, c'est-à-dire au devoir d'agir équitablement pour les organismes, parce que ça ne s'étend pas évidemment à l'administration décentralisée, il fallait qu'il y ait des garanties procédurales qui soient octroyées pour les organismes sans but lucratif qui allaient réclamer des statuts fiscaux particuliers en vertu de cette disposition-là. Même s'il y a un appel qui est prévu au TAQ, il faudrait absolument, nous semble-t-il, qu'il y ait une mesure qui prévoit qu'à défaut par une municipalité de disposer d'une demande de cet ordre-là dans un certain délai on puisse, par exemple, saisir le TAQ sans être obligé de prendre un recours, un contrôle judiciaire ou un mandamus.

Alors, en conclusion, je ne reviendrai peut-être pas... je vais vous laisser... C'est des points qu'on avait déjà soumis, peut-être, dans des mémoires antérieurs. Peut-être simplement vous indiquer que l'Ordre est à votre disposition pour tenter de bonifier ou d'améliorer le produit actuel et dans la mesure évidemment où le plus tôt possible l'ensemble des pièces législatives qu'il comporte sera connu, le plus tôt, évidemment, on pourra apporter un apport utile pour tenter de l'améliorer.

Le Président (M. Paquin): Merci, M. L'Écuyer. M. le ministre.

M. Bégin: Alors, merci infiniment pour votre mémoire. Vous soulevez des points nouveaux, intéressants, et je pense que c'est l'objectif même de notre processus.

Je commencerai par la fin, 204. Je pense qu'il est intéressant, le fait que vous souleviez qu'il faille un délai pour prendre la décision pour le conseil municipal avant d'aller à la Commission municipale comme telle... j'ai dit la Commission, c'est la corporation municipale, il faut qu'il y ait un délai rapide et qu'elle se prononce. Là, est-ce qu'elle devrait avoir... L'application des articles 2 à 7, je pense que c'est intéressant de poser la question. Par la suite, appel devant la Commission ou le Tribunal, à ce moment-là, on suivra les règles normales de fonctionnement. Je pense que c'est intéressant.

Deuxièmement, vous abordez deux questions, la même question, mais pour deux aspects, celle des mesures transitoires à l'égard des personnes et à l'égard des décisions. Sur la question des décisions, j'apprécie beaucoup que vous nous ayez référé à 1973, à la loi d'expropriation – parce qu'on est passé justement d'un régime où il y avait beaucoup de décisions qui étaient éparpillées partout au niveau des différents organismes, particulièrement à Montréal – et qu'on ait réglé le problème. Et, à moins que je me trompe, ça s'est bien passé, ces choses-là, ça a été assez efficace. Il y a eu une décision qui a monté jusqu'en Cour suprême, mais ce n'était pas sous cet aspect-là, c'était sous... Je ne me rappelle plus laquelle, mais c'était monté jusqu'à la Cour suprême. Mais ce n'était pas une question de mesures transitoires, une question d'interprétation.

(12 h 40)

Pour les personnes, bien sûr, ce que vous dites est important aussi. À quel moment la loi sera-t-elle adoptée? À quel moment le règlement pourra-t-il être en vigueur? À quel moment procédera-t-on de telle ou telle manière? C'est important. Vous posez la question à juste titre de ceux et celles dont le mandat est expiré. Je pense qu'on a là un bel exemple d'une décision qui devra être prise. Alors, je pense qu'on va la prendre rapidement, et, si on n'est pas en mesure de le faire, il faudra prévoir toutes les mesures transitoires formellement et on donnera – là-dessus, je pense que c'est capital – le temps et l'occasion de se pencher ne serait-ce que sur ces volets-là qui n'ont jamais fait l'objet, je pense, à ma connaissance, d'aucune note quelque part. Je n'ai entendu personne en parler. Je peux me tromper, mais je ne crois pas.

Une voix: ...

M. Bégin: Non. Sur les mesures transitoires à l'égard des personnes et à l'égard des dossiers. Je crois que vous êtes les premiers à faire la chose et il faudra évidemment qu'on se penche là-dessus. C'était moins important au départ, mais là ça devient de plus en plus important. On le comprend, tout le monde.

Donc, ça, c'est les volets majeurs que vous soulevez. Je ne voudrais pas être... Entre-temps, vous nous dites à nouveau que le mode qui est fixé à l'article 25 du règlement n'est pas satisfaisant. J'ai entendu ce que vous disiez là-dessus, on aura d'autres occasions, puisque ces choses-là reviendront plus tard au niveau de la loi n° 130.

Le pouvoir d'adjudication des frais, je vous avoue honnêtement que je n'ai pas nécessairement bien suivi votre raisonnement. Vous nous dites qu'en matière d'expropriation, vu que c'est l'État qui prend le bien d'une personne et qu'il ne peut pas, à toutes fins pratiques, contester, il est normal qu'il soit remplacé dans l'état réel qu'il était, c'est-à-dire non seulement la valeur de sa propriété, mais les coûts que ça lui a occasionnés pour être capable de faire établir la valeur et qu'il retrouve 100 %. Donc, on sait que les frais de l'avocat de l'exproprié de même que ses frais d'expert sont payés par l'expropriant, de sorte que, quand l'indemnité arrive, en principe en tout cas, si vous avez bien fait votre travail, l'indemnité est bien à 100 % de la valeur du bien. Mais, à l'égard des autres, j'avoue honnêtement que c'est une approche nouvelle. Pourriez-vous me reprendre? Je n'ai pas bien saisi ce que vous vouliez faire.

M. L'Écuyer (Mathieu): Ça touche plus particulièrement les questions de contestation de l'évaluation municipale. Évidemment, la décision unilatérale administrative qui est prise, c'est de cotiser sur une certaine valeur qui est inscrite à un rôle d'évaluation. Alors, il y a une décision administrative qui est prise par un évaluateur municipal qui consiste à inscrire une valeur à un rôle et, à un moment donné, il y a des recours qui sont ouverts. Évidemment, on ouvre ces recours-là à la division... à la section, devrais-je dire, des affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec, qui succède au BREF.

Je vais prendre plus particulièrement l'exemple du Bureau de révision de l'évaluation foncière, que je connais bien. Des corporations municipales peuvent se plaindre, à un moment donné, d'avoir à répondre sur simple inscription – parce que la procédure est très sommaire, puis elle va le demeurer, pour saisir le Tribunal – à d'importantes contestations qui peuvent être plus ou moins fondées, plus ou moins légitimes et qui sont plus ou moins suivies par des contribuables. Je ne voudrais pas relancer ici les... Il a été question, à un moment donné, de ce qu'on a appelé l'industrie de la contestation. Je ne voudrais pas alimenter ce ballon-là, mais ce qui était ressenti à certains égards, par exemple, par l'administration décentralisée, c'est: Vous nous forcez à faire des travaux internes extraordinaires, alors qu'à un moment donné les contestations ne sont pas véritablement suivies.

Le principe du pouvoir d'adjudication des frais pour le Tribunal est le suivant: Si, effectivement, il y a une matière – ça, je pense que pour les plaideurs ça devrait être quelque chose avec lequel ils devraient être assez familiers – dans laquelle on demande une révision, puis qu'on a raison sur une question qui demande une étude spécialisée – ça peut être une étude spécialisée en matière d'évaluation foncière ou une étude spécialisée en d'autres manières, mais tenons-nous-en en matière d'évaluation foncière – et qu'on établit techniquement qu'il y a une erreur administrative dans la «cotité» dans laquelle on a décidé de taxer quelqu'un, pourquoi l'État décentralisé ou la municipalité ne devrait-elle pas se voir adjuger des frais d'expertise pour l'erreur dans la décision administrative qui a été prise et vice versa?

S'il y a des gens qui logent des plaintes futilement, qui exigent que des travaux d'expertise soient faits au niveau de l'administration d'une façon importante et que ces gens-là ne soutiennent pas, d'une façon sérieuse, leur contestation, pourquoi les demandeurs de demandes de révision d'une décision administrative futiles ou non fondées ne se verraient-ils pas aussi octroyer, adjuger des frais contre eux dans la mesure où ils ont fait fonctionner la machine inutilement ou d'une façon futile?

Alors, c'est un peu ça, l'idée qui est derrière ça. C'est: Dans la mesure où, à la section des affaires immobilières, on va loger des contestations sur les décisions administratives qui ont été prises, ces décisions administratives là impliquent une connaissance technique qui est nécessaire pour les contribuables. Évidemment, il y a des choses qui sont tout à fait factuelles, qui sont très simples, là, mais, quand il est question d'appréciation, quand il est question de mettre en oeuvre le métier d'évaluateur agréé pour examiner une question, bien, on croit qu'il serait logique que fassent partie, éventuellement des frais taxables des honoraires d'expertise. Je ne sais pas si la réponse vous...

M. Bégin: Je comprends mieux.

Le Président (M. Paquin): Ça va, à ce moment-ci? On va y aller par alternance, de façon à favoriser l'équilibre. Il y a sept minutes d'utilisées sur votre côté, on y va sur votre côté, à ce moment-ci, puis on continuera tantôt. On verra, on s'ajustera. M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Alors, Mme Guérin, M. L'Écuyer, merci beaucoup pour votre présentation et votre présence ici aujourd'hui.

Deux questions courtes. Dans un premier temps, vous mentionnez à la page 8 de votre mémoire l'absence, pour l'instant, des évaluateurs agréés des mandats. Est-ce que vous avez une indication que cela risque de changer ou c'est l'information que vous avez qu'on... Moi, j'attendais que vous en parliez un petit peu avec le ministre, mais, vu que la question n'a pas été sur la table, moi, j'aimerais bien savoir si vous avez des indications de votre inclusion éventuellement.

M. L'Écuyer (Mathieu): Bien, écoutez, j'ai compris hier, en assistant aux travaux de la commission, que vous aviez adopté un certain nombre d'articles. Je ne sais pas jusqu'à quel point les... et ça incluait l'article 64 du projet de loi n° 130.

Évidemment, on essaie de se situer, nous, correctement dans le débat. C'est quelque chose qui nous tenait à coeur. On a fait des représentations lors du projet de loi n° 130 là-dessus. Évidemment, ce n'est pas un enjeu, actuellement, dans la loi d'application, mais ça demeure pour nous, évidemment, une préoccupation certaine.

Ce qu'on indiquait, vous vous rappellerez, en février dernier, c'est que nous estimions qu'il était important pour la cohérence et l'harmonie de l'organisme, du Tribunal qu'on veut instituer que l'ensemble de ses membres, indépendamment de leur profil professionnel, puissent occuper des charges administratives. Je sais que ça n'a pas nécessairement été reçu, même de votre côté, avec enthousiasme par l'ensemble de la députation, mais nous croyons toujours que c'est un principe qui est fondamental.

Évidemment, quand on regarde là où on se situe dans le cadre de la réforme, vous dites: Bien, là, on est au niveau juridictionnel; là, c'est le Tribunal; là, il faut vraiment répéter les schémas des tribunaux judiciaires qu'on connaît, le décideur, c'est un juge, c'est un avocat, puis, après ça, c'est autre chose, puis il n'est pas question d'associer d'autres professionnels à part entière dans le TAQ. Nous vous soumettons respectueusement que c'est une erreur sur la base de ce qui se passe actuellement dans certains organismes dans lesquels il y a d'autres professionnels qui sont associés à la gestion du tribunal. Ça crée une synergie, ça crée un modèle différent de celui des tribunaux judiciaires. On pense que c'est une formule gagnante. Évidemment, la formule qu'on a là, c'est la formule...

Je ne voudrais pas revenir trop lourdement sur le modèle, sur les représentations qu'on avait faites en février dernier, mais c'est le modèle d'organisation de la Commission des affaires sociales bonifié, entre guillemets, c'est-à-dire que le modèle de 1973 de la Commission des affaires sociales avait été remanié par le projet de loi 105 qui avait été justement déposé par le gouvernement précédent et qui n'a pas abouti, qui n'a pas donné lieu à une sanction. On avait prévu, par exemple, que les membres qui étaient des assesseurs au niveau de la Commission des affaires sociales devenaient des membres à part entière, mais en réservant toujours les mandats de président ou de vice-président de section aux membres avocats de l'ancienne Commission. Ce n'est pas le cas actuellement dans la gestion du Bureau de révision de l'évaluation foncière, où, comme je vous l'ai déjà mentionné, il y a des évaluateurs agréés qui sont vice-présidents et qui agissent au niveau de la gestion du tribunal. C'est fort utile quand on est dans un contexte spécialisé et que nos interlocuteurs sont justement des gens qui exercent un métier bien précis de dresser des rôles d'évaluation. Ce n'est pas parce qu'on a fait, avec égard, un premier cycle en droit qu'on comprend nécessairement toutes ces réalités-là. Alors, c'est important si on a des sources vives qui peuvent alimenter ce nouvel organisme là. Je pense qu'on ne devrait pas s'en priver.

(12 h 50)

M. Mulcair: Une question d'ordre un peu plus général maintenant. Comme vous sans doute, j'ai remarqué qu'il y avait différents intervenants dans le dossier, dont une personne bien en vue à Montréal qui a commenté assez négativement la disparition du Bureau de révision de l'évaluation foncière, et je parle de M. Picher, dans La Presse . Moi, j'aimerais avoir votre réaction générale là-dessus. Est-ce que, malgré tout ce qu'on vient de dire, vous conservez vous-même, comme ordre professionnel et comme genre d'expérience dans un domaine particulier, une certaine crainte que, peut-être, malgré les changements qui se veulent meilleurs dans l'intérêt du public, on perde un peu l'efficacité d'un système spécialisé avec le fait de l'embarquer dans cette mégastructure? Au fur et à mesure que ça avance, est-ce que vous partagez un peu les préoccupations de M. Picher ou vous êtes toujours assez confiant que ça devrait aller de l'avant dans cette formule-là?

M. L'Écuyer (Mathieu): Évidemment, vous référez à quelque chose qui me concerne personnellement. L'article de M. Picher touchait une révision faite par le Bureau de révision de l'évaluation foncière dans lequel je présidais la division de jugement. Évidemment, ce n'était pas nécessairement... Ce que M. Picher disait, sauf erreur, c'est qu'on avait un organisme qui fonctionnait bien, qui avait des connaissances spécialisées et qui prenait le temps d'écouter l'administration et d'écouter les contribuables. Quand on est dans le domaine des révisions en matières spécialisées, on est toujours à deux niveaux. Il est clair qu'on ne peut pas demander à un contribuable seul de faire une démonstration théorique d'une désuétude fonctionnelle incurable, notamment. Évidemment, le contribuable, lui, explique ça de la façon qu'il le voit, et l'instance spécialisée le traduit éventuellement à l'administration, puis lui dit: Est-ce que vous avez tenu compte de telle chose? Moi, j'ose croire que cette expertise-là, elle serait fondue à l'intérieur du Tribunal administratif du Québec dans la mesure où on garderait comme membres – je ne voudrais pas que ce soit négatif – des membres de professions qui ont des connaissances spécialisées, professionnelles dans des secteurs qui intéressent les différentes sections du Tribunal.

À présent, qu'est-ce que ça va donner au niveau administratif? Évidemment, l'article de M. Picher n'était pas nécessairement en lien avec la réforme dont on parle ici et qui est envisagée. Ça nous apparaît, en tout cas, quant à nous, qu'il faut maintenir ces créneaux spécialisés là. Et il faudrait que la réforme le maintienne à tous les niveaux. Oui, bien sûr.

Le Président (M. Paquin): Mme Guérin.

Mme Guérin (Francine): Je pense que ce que M. Mulcair voulait justement mentionner, c'est peut-être un article subséquent qui faisait mention, justement, des nombreux articles qui sont à l'intérieur du Tribunal administratif. Et c'était la crainte de M. Picher. J'ai eu l'occasion de lui parler avant-hier sur un autre sujet et je l'ai abordé avec lui. C'était sa crainte. Plus ça devient une grosse boîte, plus il y a de la bureaucratie, plus il y a des pouvoirs aussi qui peuvent s'exercer à l'intérieur de ça.

Moi, je lui faisais part que, nous, en tant qu'ordre, ce n'est pas nécessairement une des préoccupations, d'une part, que nous avons. Nous ne craignons pas, en autant que la section immobilière à l'intérieur du Tribunal soit, à ce moment-là, représentée par des spécialistes, comme on l'a vraiment représenté dans notre mémoire, et tout ça... Pour nous, ce n'est pas une crainte, en autant que tous les processus, justement, de recrutement de personnes qui seront comme membres au Tribunal seront faits d'une façon transparente, équitable et suivie par, vraiment, des applications à l'intérieur d'une loi, et tout ça. Pour nous, ce n'est pas un problème. On pense que ça sera aussi efficace que le Bureau de révision. Mais il faudra effectivement qu'on s'assure qu'il y ait les spécialistes en place, comme on les a présentement au Bureau de révision.

Le Président (M. Paquin): Un autre député voudrait prendre la parole, poser des questions? Alors, je constate qu'il n'y a plus de questions. Un commentaire de clôture de votre part?

M. L'Écuyer (Mathieu): Eh bien, écoutez, on pourrait simplement renouveler le voeu qu'on faisait tout à l'heure. Dans le mandat que nous avons de protéger le public, on nous demande de présenter des commentaires sur des projets de législation. On comprend qu'il y a des contraintes administratives qui peuvent faire qu'il y ait des parties de législation qui ne soient pas encore disponibles, mais nous souhaitons évidemment que, le plus tôt possible, ces parties-là soient connues non seulement en regard de la réforme envisagée, mais pour la sécurité du système actuel, parce que ça peut compromettre une certaine sérénité dans le processus actuel.

M. Bégin: Merci beaucoup.

Le Président (M. Paquin): Alors, Mme Guérin, M. L'Écuyer, je vous remercie beaucoup.

La commission des institutions suspend ses travaux jusqu'à cet après-midi, 15 heures, même lieu.

(Suspension de la séance à 12 h 56)

(Reprise à 15 h 10)

Le Président (M. Paquin): À l'ordre s'il vous plaît! La commission des institutions reprend ses travaux. Il s'agit d'une consultation générale et d'auditions publiques sur l'avant-projet de loi intitulé Loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative.

Nos premiers invités de cet après-midi, c'est le Protecteur du citoyen. Me Jacques Meunier, adjoint au Protecteur du citoyen, et Me Patrick Robardet, directeur des Affaires juridiques.

Alors, Me Meunier, vous disposez d'une vingtaine de minutes pour la présentation, qui seront suivies de deux périodes de 20 minutes, de part et d'autre de cette table, pour poser des questions. Alors, vous pouvez y aller.


Protecteur du citoyen

M. Meunier (Jacques): Merci, M. le Président. En procédant à une consultation générale dans le cadre de ses travaux législatifs, la commission des institutions visait à permettre aux intéressés d'exprimer leur opinion sur l'avant-projet de loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative. Compte tenu de l'objectif ainsi poursuivi par la commission, nous croyons important de lui souligner combien il a été difficile pour les intéressés de se faire une opinion sur les textes en cause. Non seulement sommes-nous en présence d'un avant-projet de loi, c'est-à-dire d'un texte encore préliminaire et sans dispositions transitoires et finales, mais, au moment de l'analyser, il nous a été pratiquement impossible de connaître la version à jour de tous et chacun des éléments de cette loi sur la justice administrative dont l'avant-projet de loi veut permettre l'application.

En effet, le texte du projet de loi sur la justice administrative devant l'Assemblée nationale est toujours celui que le ministre de la Justice présentait le 15 décembre 1995. Certes, une épaisse liasse de modifications nous a-t-elle été remise le printemps dernier, mais de nombreux autres papillons ont vu le jour au cours des nuits chaudes de l'été; papillons parfois majeurs que la commission a adoptés dès la reprise de ses travaux législatifs.

Nous avons donc été appelés à commenter, au cours de l'été, un avant-projet de loi d'application d'une loi dont le texte nous échappait en grande partie. En d'autres mots, même si toute comparaison peut parfois s'avérer boiteuse, nous nous sommes retrouvés dans la fâcheuse position du peintre à qui l'on demande de peindre une fleur en plein processus d'épanouissement: chaque fois qu'il se tourne vers le modèle, celui-ci n'est plus le même. C'est donc avec beaucoup de réserve que nous vous invitons à lire notre mémoire et nous vous prions d'avance de nous excuser si certains de nos commentaires se révèlent maintenant inopportuns en raison de modifications que vous avez déjà jugé bon d'apporter au projet de loi n° 130.

Ce mémoire que nous vous avons transmis souligne de nombreux pas en avant marqués par l'évolution du projet de loi n° 130 et la présentation de l'avant-projet de loi d'application. Il fait également état de difficultés qui perdurent et de ce qui nous apparaît comme certains reculs en matière de justice administrative.

Compte tenu du temps à notre disposition ainsi que de l'objectif de vos travaux, nous nous arrêterons principalement, aujourd'hui, à ces difficultés et éléments de recul qui, croyons-nous, doivent continuer de faire l'objet de discussion.

Me Patrick Robardet, qui m'accompagne et qui a procédé à l'analyse de l'avant-projet et qui a pu parcourir, au cours des derniers jours, puisque nous avons eu les modifications seulement tout récemment, les papillons adoptés en début de mois, nous présentera ses commentaires sur le sujet. Me Robardet.

M. Robardet (Patrick): M. le Président, je vais diviser ma présentation... Vous avez notre mémoire, donc je ne lirai pas le mémoire. Je voudrais simplement vous rappeler que nous vous proposons des considérations générales sur le fond de la réforme. J'examinerai ensuite quelques commentaires particuliers, pour arriver enfin à notre proposition finale, qui est de publier un code de la justice administrative, une fois que l'ensemble des textes aura été adopté, afin de faciliter l'accès aux textes, la compréhension des textes et, donc, rendre mieux service à la population, au citoyen de façon générale, une fois que l'ensemble de la réforme aura été adoptée et mise en application.

Tout d'abord, d'un point de vue des considérations générales sur le fond de la procédure, j'aimerais rappeler quelques idées essentielles. Comme Me Meunier vient de le dire, l'avant-projet de loi accentue certains défauts importants déjà signalés précédemment à propos du projet de loi n° 130 et des modifications avancées par le ministre de la Justice en juin dernier. Il s'agit essentiellement de l'ambiguïté de certaines notions telles que l'ordre administratif ou voire la fonction juridictionnelle, dans certains cas.

Notamment, la question qui est posée, c'est de savoir si la notion de fonction juridictionnelle remplace adéquatement la notion de fonction quasi judiciaire, et ceci, du point de vue de l'article 23 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, que l'avant-projet propose de modifier, ainsi que, par exemple, l'article 29.1 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics, qui attache la transparence et l'accès aux documents à l'exercice d'une fonction quasi judiciaire. Alors, la question que nous soulevons, c'est de savoir si la disparition de la notion de fonction quasi judiciaire et son remplacement par celle de fonction juridictionnelle risque, peut-être ou non, de soulever des difficultés, donc, pour le citoyen.

Deuxième observation générale. À la lecture du document, il nous paraît quelque peu illusoire de croire qu'on peut régler toutes les questions en changeant de vocabulaire. Je pense que la réalité est un peu plus complexe que cela, quoique le changement de terminologie puisse être utile pour passer un message dans certains cas et puisse faire démarrer, si on veut, un changement de culture et de compréhension de la justice administrative. Nous continuons de penser qu'il est peut-être illusoire de croire que le changement de vocabulaire en soi permet de régler les grandes questions.

Toujours d'un point de vue général, une caractéristique de l'avant-projet est qu'il appelle un bilan des gains et des reculs au plan de la justice administrative, car, comme Me Meunier l'a dit, il y a de très bons points, des points très positifs dans l'avant-projet, mais il y a aussi des reculs. Il ne m'appartient pas d'examiner les gains, donc les éléments positifs, je vais mettre malheureusement plus l'accent sur les reculs, c'est-à-dire sur les points que nous considérons comme étant plutôt négatifs.

Alors, les reculs les plus significatifs, à notre avis, portent sur l'exécution de la décision administrative malgré sa contestation, sur la transparence de l'action administrative, sur l'accès à la justice administrative et sur certains avantages liés aux procédures d'urgence. Les reculs se constatent aussi en matière de... la modification proposée à la Charte québécoise des droits et libertés, la modification de l'article 56. Donc, je vais examiner brièvement ces points.

En ce qui concerne la modification proposée à l'article 56 de la Charte des droits et libertés de la personne, nous vous proposons une solution aux difficultés que nous avons identifiées. Fondamentalement, elle se résume à ceci: Dans l'article actuel, changer les mots «quasi judiciaire» par «juridictionnelle» et de laisser l'article 56 dans sa forme actuelle en ayant changé les mots. Au lieu d'avoir «une personne ou un organisme qui exerce une fonction quasi judiciaire», mettre «une personne ou un organisme, peut-être de l'ordre administratif, qui exerce une fonction juridictionnelle».

En d'autres termes, par rapport à l'article 113 de votre avant-projet de loi, nous vous proposons de conserver le premier paragraphe et d'éliminer le deuxième paragraphe de votre article 113. Nous pensons en effet que cette proposition suffirait à ce que le coroner, la commission d'enquête ou le Commissaire aux incendies fasse partie des tribunaux visés par l'article 56 sans avoir à modifier le texte de façon plus radicale.

Pourquoi nous proposons cette solution de rechange? C'est parce que nous pensons qu'il n'est pas opportun de modifier trop radicalement un texte aussi fondamental que la Charte québécoise des droits et libertés sans avoir évalué au préalable et de manière complète l'impact d'un tel changement sur l'ensemble des lois et du droit, notamment, surtout, si l'on veut garder une forte cohérence à l'ensemble des dispositions de la Charte et à son application.

Un deuxième motif nous pousse à proposer cette solution de rechange. Comme vous le savez, il existe actuellement un fort courant qui veut que les chartes, aussi bien la Charte québécoise que la Charte canadienne, soient mises en oeuvre par le plus grand nombre possible d'organismes pour éviter, justement, d'avoir à recourir aux tribunaux judiciaires comme moyen de mettre en oeuvre les chartes ou d'obtenir l'interprétation, donc, de ces chartes. Nous pensons que l'article 56 a pour conséquence de réduire le nombre de personnes et d'organismes susceptibles de veiller au respect des droits et garanties consacrés par la Charte québécoise, alors qu'il existe un fort courant, justement, qui favorise l'application des chartes le plus près possible du citoyen au premier niveau décisionnel.

Nous avons constaté que, dans les papillons qui ont été adoptés récemment, vous avez, M. le ministre, proposé un article, 114.1, qui rend obligatoire l'application, donc, de l'article 95 du Code de procédure civile dans le cas des procédures devant le Tribunal administratif du Québec si une personne veut contester la constitutionnalité d'une loi en regard des textes constitutionnels actuels. Nous voyons mal dans quelle mesure on voudrait, d'un côté, favoriser la compétence du Tribunal administratif du Québec pour régler des débats, ou des questions constitutionnelles, ou des questions de chartes et, dans le même temps, retirer cette possibilité à d'autres organismes par le biais de la déjudiciarisation, alors que le courant actuel, notamment les interprétations de la Cour suprême en matière de Charte canadienne, est de favoriser le plus grand nombre possible d'organismes quant à l'application de la Charte. On a vu des causes récentes qui permettent, par exemple, à un arbitre de convention collective d'appliquer soit la Charte canadienne, soit la Charte québécoise. Or, nous pensons que la modification à l'article 56 aurait un effet négatif sur ce plan.

(15 h 20)

J'en arrive maintenant, rapidement, aux commentaires particuliers. Je voudrais tout d'abord signaler, de manière positive toujours, qu'en matière de justice douce et de déjudiciarisation, vos propositions, les propositions de l'avant-projet de loi vont dans le sens de ce que le Protecteur du citoyen soutient depuis longtemps, à savoir qu'il faut multiplier et introduire des méthodes de justice souples, ce qu'on appelle la justice douce, pour tenter de régler, de la façon la plus simple et la plus rapide possible, un nombre maximum de différends ou de litiges.

Je me permets donc de souligner, suite aux papillons, l'introduction des dispositions des articles 121.1 et suivants dans le projet de loi n° 130, qui créent un mécanisme de conciliation devant le Tribunal administratif du Québec. Je pense que c'est un point qui est important à souligner. C'est un pas très positif dans le sens revendiqué par le Protecteur du citoyen, donc vers une plus grande alternative au niveau des modes de règlement des conflits.

Cependant, en matière de qualité de la justice administrative, j'aimerais faire quelques commentaires en ce qui concerne la rapidité de cette justice, l'exécution de la décision administrative contestée, l'accès à la justice administrative et la portée du recours devant le Tribunal administratif du Québec.

Rapidement, en ce qui concerne la rapidité de la justice administrative, nous avons voulu résumer nos commentaires par deux idées: d'une part, le souci de consacrer la célérité et la rapidité de l'action administrative réserve parfois des surprises; et le deuxième commentaire, c'est que la suppression de certaines mesures d'urgence risque de ralentir la procédure administrative.

En ce qui concerne l'exécution de la décision contestée, un commentaire plus significatif doit être avancé. Nous pensons que l'article 7 de l'avant-projet de loi constitue un recul très significatif au plan des droits sociaux. Quelle est la portée de l'article 7 de l'avant-projet de loi? La portée est de renverser la règle actuelle de l'article 362 de la Loi sur les accidents du travail, qui prévoit qu'une décision d'un bureau de révision a effet immédiatement, malgré l'appel, sauf dans certains cas limités.

Selon l'avant-projet de loi, désormais, le recours devant le Tribunal administratif du Québec suspendrait automatiquement l'exécution de la décision d'un bureau de révision. Nous pensons qu'il y a sur ce point un recul injustifié d'un point de vue social. En effet, si la proposition était adoptée, elle aurait pour effet de pénaliser le travailleur qui obtient gain de cause. La raison en est très simple, c'est que le résultat à escompter d'une telle modification est que l'employeur qui serait perdant, donc, en l'occurrence, serait alors incité à contester systématiquement devant le Tribunal administratif du Québec, de manière à provoquer la suspension de l'exécution de la décision. Un second effet préjudiciable en résulterait, c'est que le travailleur, lui, serait obligé de demander l'exécution. Donc, il y aurait, de ce fait même, un certain nombre d'effets négatifs cumulatifs, à savoir que la proposition pourrait avoir pour effet d'encourager la contestation, d'alourdir la procédure et d'augmenter les coûts de la justice administrative, notamment du point de vue du travailleur.

Il suffit de penser, par exemple, à un travailleur qui obtiendrait gain de cause suite à un accident de travail, dans le sens où il se verrait accorder une indemnité de remplacement du revenu. S'il y a appel, à ce moment-là le travailleur ne pourrait plus bénéficier du versement de l'indemnité de remplacement du revenu. Il serait obligé de demander l'exécution de la décision dans le cadre de l'appel. Vous savez que les délais en matière d'application de la Loi sur les accidents du travail sont parfois très longs. Donc, ceci ne ferait qu'accentuer le caractère préjudiciable, à notre avis, de la proposition.

Troisièmement, on peut aussi ajouter que l'on voit mal comment, dans un projet de loi portant sur la justice administrative, on introduit une modification à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, qui nous paraît d'un domaine relativement étranger à la justice administrative, en tout cas, d'un point de vue de la procédure proprement dite.

Ceci m'amène à souligner que le projet de loi d'application n'est pas, à certains égards, un véritable projet de loi d'application, puisqu'il sert aussi à modifier d'autres lois sans, comme on le dit, annoncer la couleur, donc sans avertissement préalable quant aux modifications qui sont apportées à ces lois. Par exemple, un travailleur ne pourrait pas soupçonner, en lisant l'avant-projet de loi, que la Loi sur les accidents du travail risque d'être modifiée.

En ce qui concerne l'accès à la justice administrative, nous voudrions soulever un point, à savoir que la question des frais et des coûts de participation à une procédure de décision individuelle ou d'élaboration de politique générale devrait faire l'objet d'un examen approfondi pour l'ensemble de la justice administrative, et ce, malgré le recul que nous avons constaté sur certains points dans l'avant-projet de loi.

En ce qui concerne maintenant la portée du recours devant le Tribunal administratif, j'aimerais tout d'abord rappeler le point suivant: quand le groupe de travail sur la justice administrative a été constitué et qu'ensuite il a remis son rapport, un grand nombre de personnes, dont nous-mêmes, étions restés sous l'impression que la déjudiciarisation annoncée serait, malgré ses mérites, compensée, entre guillemets, par l'introduction d'un recours général devant le Tribunal administratif du Québec. En d'autres termes, l'existence d'un recours général servirait à compenser la perte de garanties découlant du caractère judiciaire ou quasi judiciaire d'un pouvoir ou d'une fonction.

Or, cet espoir, semble-t-il, risque de ne pas se concrétiser pour trois raisons. D'abord, le recours devant le Tribunal administratif du Québec ne sera pas un recours général, puisque la réforme n'envisage pas que toutes les décisions administratives puissent faire l'objet d'un recours devant ce Tribunal. Ce Tribunal, en fait, hérite seulement des compétences actuelles d'autres organismes. Il n'y a pas d'extension, d'élargissement d'un droit de recours par la création du Tribunal administratif du Québec. Donc, nous sommes très loin d'un droit d'appel général devant ce Tribunal.

Deuxièmement, dans certains cas, l'avant-projet de loi réduit les motifs d'intervention du Tribunal administratif du Québec par rapport aux appels actuels. Je soulignerais simplement que certaines des dispositions visent à empêcher le Tribunal, par exemple, de statuer sur la dimension d'intérêt public de certaines décisions.

Troisièmement, dans d'autres cas, l'avant-projet de loi réduit, par rapport au projet de loi sur la justice administrative, le projet de loi n° 130, les redressements que le Tribunal administratif du Québec pourra accorder. Je vais insister plus particulièrement sur ce point, en matière, donc, de réduction des redressements actuellement disponibles.

Le projet de loi n° 130 contient un article 14 qui nous donne un principe général. L'article 14 du projet de loi n° 130 attribue de manière générale au Tribunal administratif du Québec le droit de confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, de rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu. Il s'agit d'un principe général dont on peut souligner le caractère positif. Cependant, l'avant-projet de loi bat en brèche ce principe à plusieurs reprises en introduisant des dérogations expresses à l'article 14 qui ont pour effet d'empêcher le Tribunal administratif du Québec de modifier la décision contestée ou de rendre la décision qui aurait dû être prise en premier lieu. Il nous faut ici souligner que ces dérogations ne peuvent pas être considérées comme de simples mesures d'application. Ce sont des mesures qui mettent en cause le principe même, positif toujours, contenu dans l'article 14.

Un dernier point avant de conclure sur la transparence administrative, notamment sous l'angle de la réduction de la transparence administrative. Il s'agit de l'article 257 de l'avant-projet de loi. Cet article 257 propose d'ajouter une nouvelle disposition à la Loi sur l'immigration au Québec relativement aux dispositions prises par le ministre de refuser une demande de certificat de sélection ou de certificat d'acceptation. Selon la proposition, le ministre serait dispensé des obligations de préavis en cas de décision défavorable prévue à l'article 6 de la Loi sur la justice administrative, c'est-à-dire le projet de loi n° 130.

(15 h 30)

Je pourrais arrêter ici mon commentaire pour souligner deux choses. Après avoir lu les papillons, l'article 6 qui nous a servi à rédiger notre commentaire ne correspond plus à l'article 6 du texte que vous discutez pour approbation, adoption en commission, puisqu'il s'agit maintenant d'un nouvel article qui s'appelle l'article 5. Il y a eu renumérotation. Premièrement.

Le deuxième commentaire que je pourrais faire, c'est que les cas de dispense ou de dérogation à l'obligation de préavis en cas de décision défavorable sont prévus dans le nouvel article 6 du projet de loi n° 130. Or, l'article 257 de l'avant-projet de loi propose d'introduire une dérogation particulière dans la Loi sur l'immigration au Québec, dont les conditions sont différentes de celles prévues dans le nouvel article 6 du projet de loi n° 130.

On se retrouve donc, pour savoir si le ministre de l'Immigration chargé de l'application de la Loi sur l'immigration peut être dispensé de l'obligation du préavis, à regarder normalement dans le projet de loi n° 130, puisque le projet de loi n° 130 est censé nous donner un principe général. Or, en fait, la solution dépend d'une disposition particulière contenue dans la loi particulière, la Loi sur l'immigration au Québec.

Donc, voici un exemple du problème qui a été soulevé tout à l'heure, à savoir la difficulté de comprendre très exactement à quel texte s'adresser parfois pour comprendre quel est le projet dont on discute véritablement. J'ai pris cet exemple volontairement.

Ce qui m'amène à conclure sur la proposition que nous formulons dans le mémoire, à savoir publier un code de la justice administrative en raison de la confusion qui découle, dans une certaine mesure, de la manière choisie pour faire avancer la réforme, bien que cette réforme soit nécessaire, de notre justice administrative.

Alors, nous proposons cette idée de compiler, dans un texte, dans un document, dans un code, si on peut appeler ça un code, pour faciliter la compréhension du fonctionnement de la nouvelle justice administrative – puisqu'on peut effectivement appeler le projet, de façon globale, comme étant la nouvelle justice administrative de demain – réunir l'ensemble des textes une fois adoptés dans un document unique qui constituerait la source, effectivement, de l'information dans le but de comprendre le fonctionnement et les grands principes de la nouvelle justice administrative. Ceci pour éviter que les citoyens ne soient obligés de recourir à plusieurs sources pour comprendre le fonctionnement de la nouvelle justice administrative.

M. le Président, je vous remercie.

Le Président (M. Paquin): Du côté ministériel, M. le ministre.

M. Bégin: Je voudrais d'abord vous remercier infiniment pour le travail que vous avez fait. C'est exact que les conditions pour un travail comme celui-là ne sont pas nécessairement idéales, mais je rappelle qu'au printemps je mentionnais qu'il fallait, pour être en mesure d'avoir une loi d'application qui soit plus facilement travaillable, qu'on ait d'abord adopté les principes dans la loi, parce que la loi d'application découle de ce qu'on a adopté. En tout cas, on a vécu avec la difficulté, et je comprends ce que vous dites, ce que vous avez rencontré.

Ceci étant dit, je partirai avec ce que vous êtes venu dire à la fin concernant un code unifié de l'ensemble de la réforme. Je comprends bien quand vous me parlez d'un code de justice administrative, mais je me demande jusqu'où je vais quand je dis que j'ai modifié, par exemple, 25, 30, 40, 60 lois. Est-ce que ça inclut qu'on reprenne tout ça dans un même bouquin ou bien s'il y a une méthode différente?

J'avoue, en même temps, que j'ai eu de la difficulté à percevoir votre concept formellement. Parce que, loin d'être en désaccord, en principe, j'ai toujours travaillé avec des codes: le Code civil, le Code de procédure, le Code municipal, la Loi sur les cités et villes, qui était son équivalent, et toutes les lois particulières... Alors, ça, je comprends ça assez bien. Mais, dans votre cas, il y a tellement de lois en cause que je me demande comment vous le voyez concrètement.

Le Président (M. Paquin): Me Robardet.

M. Robardet (Patrick): M. le Président, je vous remercie. Il n'est pas nécessaire, peut-être, de tout codifier comme, par exemple, on codifierait le Code civil. Mais on peut, je pense, envisager une codification administrative qui serait un recueil avec un cahier à anneaux, par exemple, où il y aurait l'essentiel des textes.

Le problème qui se pose, c'est que le Tribunal administratif du Québec va continuer à appliquer des lois qui sont réparties dans l'ensemble des 16 volumes actuels des Lois refondues. Je pense qu'il est déraisonnable, dans une certaine mesure, d'exiger du citoyen qu'il passe à travers ces 16 volumes pour savoir quelles sont les lois que le TAQ va devoir appliquer. Il y a sûrement une méthode plus pratique, même si elle est purement administrative, de colliger l'ensemble de l'information pour qu'elle soit accessible pour tout le monde.

M. Bégin: Ça pourrait bien être, à la limite, des extraits de certaines lois qui seraient dans un même volume: les lois de l'éducation, les lois applicables en matière municipale. Je comprends mieux ce que vous vouliez dire.

Vous proposez, en quelque sorte, pour solutionner le problème de l'article 56, de supprimer... en fait, de garder l'amendement qui est proposé dans le premier paragraphe, réintroduire les mots «coroner», «commissaire-enquêteur», mais de remplacer le mot «quasi judiciaire» par «juridictionnelle». Vous pensez que, à ce moment-là, on aurait une solution qui soit acceptable au sens que, oui, la terminologie, même si vous n'y attachez pas une importance définitive mais une certaine importance... Vous pensez que, en changeant ça, on arriverait à concilier à la fois l'absence de modifications importantes à la Charte et, d'autre part, réconcilier avec le nouveau vocabulaire pour qu'on introduise vraiment le concept de juridictionnel et non plus de quasi judiciaire que nous avons dans nos lois. Est-ce que je vous interprète bien?

M. Robardet (Patrick): Effectivement, c'est ça.

M. Bégin: C'est ça? Bon. Hier, en fin de journée, vous n'étiez pas présent, j'ai parlé à Me Pierre Lemieux, qui avait fait une représentation assez complète, même qu'elle portait exclusivement sur l'article 56 et l'article 23, et je lui ai posé, à la fin de son intervention, comment il réagirait si, effectivement, il n'y avait pas d'amendement formel à la Charte. Il a dit tout à fait qu'il vivrait très bien avec l'existence même du mot «quasi judiciaire» et du mot «juridictionnelle» dans la Loi de la justice administrative, sans problème majeur. Là, vous ajoutez une pierre de plus: introduire le mot.

Le Président (M. Paquin): Me Meunier.

M. Meunier (Jacques): Sans doute que nous autres aussi on pourrait vivre avec ça, mais, disons, de la même façon qu'on peut vivre avec la notion nouvelle qui vient du projet de loi n° 130.

M. Bégin: Je comprends, parce que c'est très important, cette question-là. Elle a été soulevée, je l'ai dit ce matin, par l'ANCAI; elle a été soulevée par vous; elle a été soulevée par le Barreau ce matin, on l'a vu, et il y en a un autre organisme... Il y a Me Lemieux, la Commission des services juridiques l'a évoqué dans son mémoire. Donc, c'est un problème qu'on doit solutionner.

Vous parlez de l'appel, vous avez mentionné les mesures d'urgence, mais il me semble que je n'ai pas entendu de votre part – peut-être que j'ai été distrait au moment où vous l'avez mentionné – en quoi on affectait les mesures d'urgence, la rapidité. Pouvez-vous reprendre cet exposé-là? Parce que j'ai cherché... Le premier coup où vous l'avez mentionné, j'ai pensé à l'article 110. Est-ce que ça, c'est ces cas qu'on amène de manière urgente devant le Tribunal parce qu'elles ont un caractère particulier ou si c'est autre chose? Je vous avoue que je ne vous ai pas suivi.

M. Robardet (Patrick): Ce dont il s'agit, c'est que plusieurs articles de l'avant-projet de loi – je vous ai donné les articles, c'est 347, 391, 475 et 624, c'est à la page 13, en haut, de notre mémoire – abrogent les dispositions qui prévoient actuellement que des recours sont instruits et jugés d'urgence, alors que, dans l'article 121 du projet de loi n° 130, ces mêmes recours ne figurent pas parmi les recours que le projet de loi n° 130 dit être jugés d'urgence. En fait, il y a une perte...

M. Bégin: Je comprends que vous proposez qu'ils soient réintroduits, ces cas-là, parce que vous jugez que chacun d'entre eux mérite effectivement d'être toujours considéré et d'être traité comme matière d'urgence. C'est ça?

M. Robardet (Patrick): Dans deux cas, je pense que la question mérite d'être posée et résolue en faveur de la restitution, du rétablissement de l'urgence. Il s'agit de l'appel qui est formé contre le refus par le Fonds d'aide aux recours collectifs d'une demande qui a été faite en vertu de la Loi sur le recours collectif, d'une part. On peut comprendre que les gens veuillent que cette question-là soit tranchée rapidement. Deuxièmement, il s'agit de la requête qui peut être présentée devant le Tribunal relativement à la suspension ou à la révocation d'un agrément délivré à un organisme qui a pour mission de défendre les droits de l'enfant, de promouvoir ses intérêts ou d'améliorer ses conditions de vie, en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse. Là encore, je pense que les intérêts de l'enfant méritent que la question, à savoir si l'organisme peut continuer ou non à délivrer ces services, devrait être tranchée le plus rapidement possible pour que les services puissent continuer à être donnés ou, inversement, que l'enfant soit mis ailleurs, dans un autre établissement par exemple.

M. Bégin: Il y a différents objectifs au projet de loi n° 130, mais, entre autres choses, il y a une dimension très importante qui est celle d'une volonté de déjudiciariser le processus. Je pense que c'est un élément clé de la réforme. Les articles 2 à 7 de la loi n° 130 vont dans ce sens-là.

(15 h 40)

Je sais que, dans un processus comme celui qu'on suit, on est porté généralement à regarder – vous l'avez dit vous-même tout à l'heure – le côté négatif parce qu'on veut bonifier le texte. Mais, d'un autre côté, à un moment donné, on ne sait plus si ce qui est là, l'objectif, quand même, au-delà des critiques, rencontre les visées que nous avions.

Est-ce que vous avez vu que les amendements... Parce que vous étiez venus une première fois, vous aviez fait des critiques sur le projet de loi n° 130. Il y a eu des amendements qui vous ont été envoyés. Est-ce que la nouvelle formulation de ces articles-là va dans le sens que le Protecteur du citoyen désirait?

M. Meunier (Jacques): Globalement, j'aurais tendance à dire oui. Évidemment, on a fait quelques réserves dans les commentaires qu'on a faits, mais on a toujours considéré que les modifications qui avaient été apportées étaient mélioratives.

M. Bégin: Donc, globalement, la direction est bonne.

M. Meunier (Jacques): Oui, la direction est certainement bonne.

M. Bégin: O.K.

M. Meunier (Jacques): L'objectif, on le partageait entièrement.

M. Bégin: oui.

Le Président (M. Paquin): Me Robardet désire ajouter un mot.

M. Robardet (Patrick): Merci, M. le Président. J'aimerais simplement, dans le sens de ce qui vient d'être dit, souligner que, par rapport à l'objectif de déjudiciarisation, l'article 4, donc, nouveau que vous proposez, qui prévoit, dans son paragraphe premier, que la justice administrative, en fait, doit suivre des règles simples, souples, sans formalisme et avec respect, prudence et célérité, conformément aux normes d'éthique, etc., traduit bien ce que vous recherchez, quel est l'objectif de la déjudiciarisation. Je ne pense pas qu'on puisse être contre le fait qu'un organisme doive fonctionner de façon simple, souple et sans formalisme.

M. Bégin: Sans faire du coq-à-l'âne, je passerais à un élément que vous avez soulevé et qui avait déjà été discuté ce matin, c'est celui de la réduction... en fait, vous l'avez énoncé comme ça, comme une réduction du pouvoir du Tribunal administratif quand il s'agit de l'intérêt public. Je ne sais pas si vous étiez présents, ce matin? Non. Il y a eu un débat qui s'est produit à peu près de la manière suivante: le Barreau a énoncé qu'il y avait des réductions concernant l'intérêt public dans deux cas et il a cité des dispositions, je les ai ici. Par ailleurs, plus tard, dans un autre débat, c'était la Commission des transports qui disait: Oui, mais, écoutez, si vous mettez un débat au niveau du Tribunal et que le débat se fait sur un plan procédural complet, ça veut dire qu'il pourrait réviser la question de l'intérêt public. Alors, nous soumettons, disait-il, que c'est vraiment à la Commission de déterminer ce qu'est l'intérêt public. Autrement dit, il disait le contraire de ce que vous mentionnez, que cette question de la notion de l'intérêt public devrait se situer au niveau de la première instance, mais non révisée par le tribunal d'appel, que ce soit plutôt les questions de droit et de fait qui fassent l'objet de l'appel. Quelle est votre réaction là-dessus? Parce que vous semblez dire que vous ne voudriez pas qu'on le limite et que vous allez dans le sens contraire de la Commission des transports.

M. Meunier (Jacques): Il est évident que les principaux intéressés ont toujours un point de vue qu'il ne faut pas négliger. Le sens de notre revendication, quant à l'idée de donner au Tribunal le droit de pouvoir se prononcer même sur des questions d'intérêt public, c'est justement pour assurer le droit d'appel. Autrement, si le Tribunal n'a pas ce pouvoir-là, ça équivaut à une certaine négation d'un droit d'appel de la décision de la Commission.

M. Bégin: Permettez, juste vous référer aux dispositions spécifiques... Une lecture qui est courte, c'est le mémoire du Barreau, pages 25 et 26. La première, c'est sur la Loi sur les valeurs mobilières. On dit: «Dans son appréciation des faits ou du droit, le Tribunal administratif du Québec ne peut substituer son appréciation de l'intérêt public à celle que la Commission des valeurs mobilières avait pour mission de considérer pour prendre une décision.» La deuxième, c'était la Loi sur la Régie des alcools, des courses et des jeux: «Lorsqu'il décide du sort d'un recours contre une décision de la Régie, le Tribunal administratif du Québec ne peut, lorsqu'il apprécie les faits ou le droit, substituer son appréciation de l'intérêt public – là, on avait ajouté un élément additionnel – et de la tranquillité publique que la Régie avait pour mission de considérer pour prendre sa décision.»

Alors, actuellement, vous avez, donc ces deux restrictions-là. Vous dites: On ne devrait pas le faire. Par contre, la Commission des transports dit: Hé! Il faut absolument que ça reste au premier niveau et que le tribunal d'appel n'ait pas à se prononcer sur cette question de l'appréciation de l'intérêt public. J'aimerais bien vous entendre là-dessus, parce que c'est une question qui m'apparaît fondamentale.

M. Robardet (Patrick): M. le Président, j'aimerais prendre un troisième exemple, qui est celui de l'article 325 de l'avant-projet de loi, qui porte sur les pouvoirs du président de l'Office de la protection du consommateur.

Alors, la disposition actuelle autorise le président à refuser de délivrer des permis, si, à son avis, il existe des motifs raisonnables de croire que ce refus est nécessaire pour assurer, dans l'intérêt public, l'exercice honnête et compétent des activités commerciales visées par la loi. Alors, il y a appel de cette décision par la Cour du Québec qui peut confirmer, modifier ou infirmer une décision qui lui est soumise et rendre la décision qui aurait dû être rendue, sans aucune limite quant à son pouvoir d'appréciation. C'est l'article 347 actuel de la Loi sur la protection du consommateur.

M. Bégin: L'article 340?

M. Meunier (Jacques): L'article 347, de la loi actuelle...

M. Robardet (Patrick): De la loi actuelle, de la Loi sur la protection du consommateur.

Dans l'avant-projet de loi, l'article 397 propose d'introduire un nouvel article dans la Loi sur la protection du consommateur qui vise à empêcher le Tribunal administratif du Québec, lorsqu'il apprécie les faits ou le droit, de substituer son appréciation de l'intérêt public à celle du président de l'Office de la protection du consommateur. Notre pensée se résume dans notre mémoire, à la page 18, de la façon suivante: Dans les différentes hypothèses qui ont été envisagées – et je vais insister surtout sur celle-ci – c'est qu'empêcher le Tribunal de substituer son appréciation de l'intérêt public à celle du président de l'Office de la protection du consommateur a pour effet de limiter la portée de la contestation et de placer le président dans une certaine mesure en situation de non-imputabilité, alors que l'intérêt public fait partie des considérations essentielles prises en compte par lui pour statuer dans les matières que la loi soumet à son autorité.

Alors, empêcher le Tribunal administratif du Québec de considérer la dimension intérêt public revient en fait à soustraire à son examen la nature même, l'essence même de la décision du président qui, lui, tient compte essentiellement de l'intérêt public.

Nous pensons aussi dans un deuxième temps que la notion d'intérêt public n'est pas une notion entièrement suggestive, elle comporte un certain élément objectif qui peut être débattu, discuté dans le cadre d'une discussion organisée et que cette discussion organisée peut avoir lieu dans le cadre de l'audience devant le Tribunal administratif du Québec.

Par ailleurs, les recours en contestation des décisions du président de l'Office de la protection du consommateur ne font pas partie de ceux qui devaient être instruits et jugés d'urgence. Dans un tel cas, on voit mal, en fait, quel serait le dernier recours pour le citoyen privé justement d'un permis par refus du président. Doit-il aller en Cour supérieure contester sur la dimension d'intérêt public le refus du président? Je vois mal comment le citoyen devrait être forcé à un tel recours, alors que, comme vous aviez insisté à plusieurs reprises, le recours au Tribunal administratif du Québec vise à faciliter l'accès à la justice administrative. Pour cette raison, nous pensons qu'il faut rétablir le principe et que l'intérêt public devrait faire partie du dossier discuté en appel devant le TAQ.

Le Président (M. Paquin): Est-ce que ça complète?

M. Bégin: Oui. Je reviendrai tout à l'heure.

Le Président (M. Paquin): Il reste effectivement quelques minutes. Alors, on va passer à des interventions du côté de l'opposition. M. le critique, vous voulez intervenir? M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Il me fait plaisir d'accueillir les personnes représentant le Protecteur du citoyen. On les voit souvent pendant la saison des commissions parlementaires sur de très nombreux projets de loi, et c'est toujours un plaisir d'entendre leurs observations.

Je vais commencer avec une question assez technique qui fait suite à celle du ministre. Le ministre a cité le professeur Lemieux, qui, en réponse à une question posée par le ministre, avait indiqué effectivement que, selon lui, si on ne modifiait pas la Charte des droits et libertés de la personne, on pourrait peut-être vivre avec le reste de la loi telle quelle. Nous avons vérifié la version de janvier 1996 du rapport de M. Lemieux et il y avait, à notre point de vue, une contradiction entre les deux.

Je vais vous soumettre le cas suivant, le cas d'un retrait de permis...

M. Bégin: De... Excusez.

M. Mulcair: D'un retrait de permis.

M. Bégin: Ah! de permis.

M. Mulcair: À l'heure actuelle, une telle décision serait qualifiée de quasi judiciaire, attirant ici, en vertu de la «common law», l'application des articles 23 et 56.1 de la Charte.

Cependant, si on restait avec le projet de loi tel que libellé ici, on serait devant une situation où il s'agirait donc d'une décision juridictionnelle. Les articles 2 à 7 viendraient cerner les droits et obligations respectifs des parties, donc du citoyen, et les droits garantis par la Charte sont évacués.

Que se passe-t-il concrètement avec quelqu'un qui se fait retirer son permis devant une instance qui ne respecte pas la Charte, mais qui respecte les articles 2 à 7? À notre sens – et c'est la conclusion à laquelle on est arrivés avec Me Pépin et le Barreau ce matin – ce qui se passe, c'est que cette personne-là a un seul recours, c'est de tenter de trouver un avocat pour aller prouver que ses droits en vertu de la Charte ont été bafoués. Ce serait ça, le résultat concret, si on donnait suite à la proposition du ministre simplement d'abolir la modification proposée à la Charte conservant le reste de son projet de loi tel quel. J'aimerais vous entendre là-dessus.

(15 h 50)

M. Meunier (Jacques): J'ai un peu de difficultés avec le problème, parce que déjà je ne suis pas nécessairement certain qu'on puisse trancher de façon absolue la qualification à donner à la décision de retrait d'un permis. Je pense, par exemple, à certaines décisions qui ont été rendues par les tribunaux considérant qu'il s'agissait de pénalités administratives. Il n'est peut-être pas certain qu'il s'agissait vraiment d'une décision quasi judiciaire.

M. Mulcair: Est-ce que vous auriez l'obligeance de me donner la citation de la jurisprudence à laquelle vous faites référence?

M. Meunier (Jacques): Bien, c'est-à-dire que je ne fais pas une référence précise, mais je pense, entre autres, à l'arrêt Wigglesworth, de 1987, la Cour suprême...

M. Mulcair: Oui, je connais bien l'arrêt Wigglesworth.

M. Meunier (Jacques): ...concernant la «double jeopardy»...

M. Mulcair: Oui.

M. Meunier (Jacques): ...où il est question, justement, de pénalité administrative et de peine qui...

M. Mulcair: Quel rapport?

M. Meunier (Jacques): Pardon?

M. Mulcair: Quel rapport avec l'exemple?

M. Meunier (Jacques): C'est parce que la révocation d'un permis...

M. Mulcair: Oui.

M. Meunier (Jacques): ...vous avez parlé de suspension ou de retrait d'un permis.

M. Mulcair: Révocation d'un permis, oui.

M. Meunier (Jacques): Vous aviez employé... Bon. Je pense qu'on peut peut-être débattre longtemps, à savoir s'il s'agit d'une décision quasi judiciaire ou non.

M. Mulcair: Ah oui?

M. Meunier (Jacques): Bien, disons que, quand on regarde le Code de la sécurité routière et le rôle joué par la Société de l'assurance automobile concernant le retrait d'un permis, c'est une décision purement administrative.

M. Mulcair: Si on parle de...

M. Meunier (Jacques): Elle reçoit un avis, en fait, du greffe comme quoi une personne a été déclarée coupable d'un acte criminel parmi les sept, huit actes criminels qui sont prévus au Code de la sécurité routière et, automatiquement, elle retire le permis. Mais ce n'est peut-être pas l'exemple...

M. Mulcair: Quelqu'un qui est camionneur artisan...

M. Meunier (Jacques): Oui.

M. Mulcair: ...exploitant une ligne d'autobus ou propriétaire d'une entreprise fabriquant le vin, nécessitant, dans les deux premiers cas, un permis en vertu de la Loi sur le ministère des Transports et les autres lois de ce ministère, et, dans l'autre, un permis spécifique en matière de sécurité publique, si je ne me trompe pas, concernant la fabrication d'alcool. Cette personne-là se fait retirer son permis, à l'heure actuelle, elle aurait droit à une audience, les garanties prévues aux articles 23 et 56 s'appliquent: droit à une audience publique, certains droits en garantie procéduraux. Si on qualifie ça, dorénavant, de «juridictionnelle», on perd ces droits-là. Ce recours-là, en vertu de la Charte, ne serait applicable qu'une fois la décision dite juridictionnelle rendue et on serait obligé, par la suite, d'aller plaider devant les tribunaux que nos droits, aux termes de la Charte, n'ont pas été respectés.

Ce que le ministre est en train de vous suggérer lorsqu'il dit: On enlève la modification de la Charte, il est en train de nous dire: Je garde le mot «juridictionnelle», je garde le reste tel quel. C'est ça qu'il est en train de nous demander.

M. Meunier (Jacques): C'est-à-dire que, si on comprend bien – de toute façon, c'est là le sens de notre proposition – notre proposition se limitait à dire: Enlevez le deuxième paragraphe de l'article proposé et limitez-vous à, au fond, changer le vocabulaire, à dire que la décision de l'ordre administratif est rendue dans l'exercice d'une fonction juridictionnelle, au lieu d'être dans l'exercice d'une fonction quasi judiciaire.

L'article lui-même, présentement, la notion de tribunal dans la Charte n'est pas très, très précise. C'est, au fond, la jurisprudence. C'est, au fond, la doctrine qui finalement permet d'arriver à certains critères qui permettent de qualifier ce qu'est une décision quasi judiciaire par rapport à une décision administrative. C'est, au fond, le même phénomène qui va se passer...

M. Mulcair: Oui.

M. Meunier (Jacques): Oui.

M. Mulcair: Me Meunier, vous venez de parler de jurisprudence. Arrêtons là pour deux secondes. Vous êtes d'accord avec moi, n'est-ce pas, que le droit régissant ces questions-là, le droit administratif au Québec est régi par la «common law». On est d'accord là-dessus. On est d'accord là-dessus?

M. Meunier (Jacques): Oui, oui.

M. Mulcair: Bon. Donc, la jurisprudence, que ce soit de la House of Lords, d'un tribunal de New South Wales, de l'Ontario ou de Chicoutimi concernant le droit administratif, cette jurisprudence s'applique ici au Québec. Il y a une volumineuse jurisprudence concernant la définition de la notion de quasi judiciaire, «quasi-judicial».

M. Meunier (Jacques): Si je peux intervenir tout de suite, il y a beaucoup de jurisprudence qui a dit: «It was just like quicksand», que c'était à peu près indéfinissable – dans Coopers & Lybrand – qui est toujours citée comme étant la décision où la Cour suprême aurait tenté de définir ce qu'est la notion de fonction quasi judiciaire. Moi, je le sais, je l'ai peut-être relu 18 fois, puis je vous avouerai franchement que j'ai toujours considéré que je n'étais pas plus avancé. En 1987, quand il a été question de modifier, dans la Loi sur le Protecteur du citoyen, le terme «exercice d'une fonction quasi judiciaire», on a décidé carrément d'abandonner ce terme-là pour référer plutôt à un processus judiciaire. Il a fallu justement fouiller toute la jurisprudence de l'époque, toute la doctrine de l'époque pour essayer de voir comment on pourrait arriver à quelque chose.

Mais tout ça pour dire que, au fond, l'introduction, dans l'article 56, de l'expression «exercice d'une fonction juridictionnelle» va poser un peu le même problème. Il reste que, la question qu'on peut se poser... D'ailleurs, c'est une des remarques qu'on a faites concernant le fait que l'expression «fonction juridictionnelle» n'était peut-être pas des plus précises, était peut-être même un peu floue. Il est certain que c'est le temps qui nous dira si, exactement, ça correspond à la notion de fonction quasi judiciaire, c'est-à-dire que les tribunaux ont tenté de définir avec le temps, ou si, effectivement, ça couvre plus large ou plus étroit.

M. Mulcair: Me Meunier, sauf tout le respect que je vous dois...

M. Meunier (Jacques): Oui.

M. Mulcair: ...vous êtes vraiment en train de nous proposer de plonger la tête la première dans le «quicksand» dont vous venez de parler. Vous êtes en train de dire qu'il y a un problème d'imprécision dans la notion de quasi judiciaire, donc que ce n'est pas grave si on l'abolit et qu'on le remplace par quelque chose qui n'est absolument pas inconnu, au Québec, dans notre jurisprudence, qui est la notion de juridictionnel. Je vous avoue que je ne vous suis pas du tout. Je ne suis pas du tout votre raisonnement.

M. Meunier (Jacques): C'est certain que d'employer l'expression «exercer une fonction quasi judiciaire», juste ces quelques mots là, ça ne peut pas mettre une étiquette sur tous les actes posés par différents organismes administratifs. Tout ce que je dis, c'est que l'utilisation de l'expression «fonction juridictionnelle» pose le même problème. Mais ça fait depuis que la Charte existe qu'on vit avec ce problème-là, et je ne suis pas certain qu'on complique le problème beaucoup plus qu'on ne le ferait en maintenant «quasi judiciaire» tout en ayant une loi sur la justice administrative qui, elle, aurait abandonné cette terminologie-là. C'est juste ça que je dis.

Le Président (M. Paquin): Ça va? Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président. Alors je voudrais à mon tour, Me Meunier et Me Robardet, vous remercier pour la présentation de votre mémoire.

Je vais à la page 21, où vous parlez de la transparence administrative et vous soulignez, à juste titre, que l'article 257 de l'avant-projet de loi propose d'ajouter une nouvelle disposition à la Loi sur l'immigration au Québec, relativement aux décisions prises par le ministre de refuser une demande de certificat de sélection ou de certificat d'acceptation.

De fait, quand on regarde le texte de l'article 257 de l'avant-projet de loi, on peut lire: La Loi sur l'immigration au Québec est modifiée par l'ajout, après l'article 3.2.1, du suivant:

«3.2.1.1 Le ministre est dispensé des obligations prévues à l'article 6 de la Loi sur la justice administrative pour rendre une décision refusant une demande de certificat de sélection ou de certificat d'acceptation.»

Par cet exemple que vous soulignez, vous apportez une illustration concrète des inquiétudes qui ont été exprimées, même ce matin, par les organismes que nous avons entendus avant vous, et, pour ma part, je suis également très inquiète de voir qu'on pourrait, en fait, rendre une justice qui apparemment est juste, mais, finalement, ça pose des problèmes au niveau du justiciable.

Il faut rappeler aussi, en passant, que les certificats de sélection sont émis après qu'un candidat à l'immigration a fait une demande de l'étranger en vertu de la loi canadienne de l'immigration et en vertu d'un certain nombre de critères de sélection qu'il doit remplir, et, lorsque ce candidat ou cette candidate se destine au Québec, elle est prise en charge par les services de l'immigration du Québec qui lui délivrent, le cas échéant, un certificat de sélection, si elle est acceptée.

(16 heures)

Alors, je donne un exemple. Deux familles qui viendraient, mettons, de Hong-kong, qui se destineraient à l'immigration au Canada: une choisit d'aller en Ontario; l'autre choisit de venir au Québec. Alors, celle qui va aller en Ontario... Comme le Québec est la seule province qui a des pouvoirs, qui exerce des pouvoirs en matière d'immigration, elle va recevoir un papier où on ne lui explique pas les motifs pour lesquels on lui refuse un certificat de sélection, alors que l'autre candidat, qui, lui, se destine à une autre province, peut peut-être se faire refuser, mais en lui expliquant pourquoi on ne l'accepte pas. Quand on connaît la grille d'évaluation pour immigrer au Canada, un candidat peut se faire refuser l'acceptation, mais, s'il sait pourquoi, il peut revenir à la charge et fournir soit les éléments d'information manquants au dossier ou les preuves qu'on lui demande. Alors, je trouve qu'en plus du manque de transparence au niveau de la justice, on crée deux niveaux de justice au Canada.

M. Robardet (Patrick): Pour répondre à votre question, Mme la députée, notre position se résume à ceci: nous sommes en faveur de la motivation de la décision initiale, ne serait-ce que parce que, un, cela assure évidemment une plus grande transparence de la décision initiale, mais, surtout, c'est que la motivation permet à la personne visée par le refus de comprendre le pourquoi de la décision, possiblement d'y adhérer et d'accepter le refus et, donc, d'éviter ultérieurement une contestation qui pourrait s'avérer inutile. Alors, pourquoi expliquer le refus au niveau de l'appel quand on peut expliquer le refus quand on émet la première décision? C'est à la fois une question de transparence, de simplicité et d'efficacité aussi.

Mais au chapitre de la réduction de la transparence administrative, nous avons trouvé plusieurs exemples. La Loi sur l'immigration n'en est qu'un; il y a aussi la Loi sur les biens culturels et la Loi sur la qualité de l'environnement. Dans les trois cas, on ne voit pas pourquoi on forcerait le citoyen à faire des démarches pour obtenir les motivations et l'explication relatives à une décision quand, en fait, l'auteur de la décision, l'administration, peut attacher des motifs à la décision, donc la faire comprendre tout de suite et éviter la multiplication et des recours inutiles.

Évidemment, il y a des différences. Ça peut varier d'une province à une autre, mais ce n'est pas une question qui, à mon avis, relève de mon appréciation.

Mme Houda-Pepin: Mais je vous signale ça comme exemple concret.

M. Robardet (Patrick): Oui, oui.

Mme Houda-Pepin: Je veux dire, il faut aussi se positionner de l'autre côté, du côté du candidat qui, lui, se destine au Québec, qui ne sait pas pourquoi on le refuse et qui n'a pas accès à cette information, et de quelqu'un d'autre qui sait pourquoi on le refuse. On va lui dire, par exemple: Bien, la qualité de votre anglais n'est pas assez correcte – quelqu'un qui se destine en Ontario – votre niveau de connaissance de la langue n'est pas suffisant. On sait qu'il faut avoir la langue. C'est un critère d'exclusion. La personne peut aller apprendre l'anglais et revenir à la charge, se prévaloir et pouvoir obtenir l'immigration. La personne qui serait dans le même cas ne saurait pas pourquoi on la refuse au Québec. Je trouverais ça complètement aberrant. En tout cas, c'est mon point de vue.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Mes Meunier et Robardet, je vous salue. Je voudrais aborder avec vous deux un seul dossier, celui du Comité des orphelins et orphelines institutionnalisés de Duplessis. On a eu, hier, le témoignage des représentants du Comité des enfants de Duplessis et je n'ai pas à revenir sur cette situation extrêmement pénible, douloureuse que vivent tous ceux et celles que l'on retrouve à l'intérieur de ce Comité-là.

M. Roy, qui parlait au nom du Comité, nous a résumé le mémoire qu'il avait sous les yeux. Si vous permettez, M. le Protecteur adjoint, je voudrais vous rappeler les faits et vous demander, en conclusion, où en est le dossier au niveau du Protecteur du citoyen.

Dans le mémoire des enfants de Duplessis – et ça a été explicité par M. Roy – on nous indique, à la page 2, que plus de 300 plaintes ont été évaluées par la Direction des affaires pénales et criminelles au ministère de la Justice en collaboration, sûrement, avec la Sûreté du Québec, puis on en est arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas lieu de porter plainte dans aucun des dossiers soumis.

Cependant, parce qu'ils et elles sont tenaces, on a décidé d'y aller, sauf erreur, par le biais de la plainte privée au pénal, et le tribunal a donné raison à un des plaignants en 1996.

Parallèlement à la décision des affaires criminelles et pénales, les recours collectifs ont été également rejetés, de sorte que les représentants de l'association nous ont indiqué hier espérer, évidemment, une intervention du Protecteur du citoyen le plus rapidement possible, parce qu'ils attendent depuis longtemps, puis aussi dans le sens qu'ils souhaitent, à savoir que le Protecteur du citoyen indique qu'il y a recours, quel serait...

Et j'arrive à ma question: Quand le Protecteur du citoyen entend-il rendre sa décision dans ce dossier-là? Et, accessoirement, je voudrais vous poser les questions suivantes: Est-ce qu'il est de la compétence du Protecteur du citoyen, s'il arrivait à la conclusion qu'il doit y avoir des interventions pour indemniser ces enfants de Duplessis, d'indiquer de quelle façon les différentes personnes que l'on retrouve à l'intérieur de l'association peuvent poursuivre? Est-ce que le Protecteur du citoyen a le pouvoir non seulement d'indiquer qu'il doit y avoir réparation, mais a également le pouvoir de conseiller un citoyen ou une citoyenne du Québec ou une association qui représente un ensemble de citoyens et de citoyennes, comme dans le présent cas, de leur indiquer les avenues à suivre, que ce soit en matière pénale, criminelle ou en matière civile? En deux mots, quand le Protecteur entend-il se prononcer? Et, Me Meunier, je voudrais...

Le Président (M. Paquin): Le temps étant épuisé, peut-être très, très brièvement, là.

M. Lefebvre: Je conclus. Je voudrais que vous m'indiquiez quel est le pouvoir en cette matière du Protecteur du citoyen. Est-ce qu'il peut agir, autrement dit, un petit peu pas mal comme conseiller juridique de l'association, leur indiquer la démarche à suivre?

Hier, j'ai parlé, entre autres, de l'indemnisation des victimes d'actes criminels qui pourrait être – il m'apparaît, là, moi – la voie à suivre. On sait que cette loi-là permet à des victimes d'être indemnisées en autant qu'il y a une victime, qu'il y a faute et parce qu'on ne connaît pas le responsable ou encore que le responsable est insolvable, etc. Alors, quand et...

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac, on dépasse déjà largement, peut-être permettre de répondre...

M. Lefebvre: Oui, oui, mais je ne pense pas que ça change la face du Québec si je prends 30 secondes de plus, M. le Président. Si vous me permettez, là, je conclus...

Le Président (M. Paquin): Non, je vous les accorde, mais c'est parce que je voudrais donner du temps aussi aux gens pour répondre.

M. Lefebvre: D'accord. Quand? Et est-ce que le Protecteur du citoyen a le pouvoir d'agir un peu comme conseiller juridique dans un cas comme celui-là?

M. Meunier (Jacques): D'abord, sur votre première question, le Protecteur du citoyen vise présentement l'objectif de prendre une position officielle dans le dossier des orphelins de Duplessis d'ici la fin d'octobre ou, au plus tard, dans les premières semaines de novembre. Je ne vous apprends rien en vous soulignant que c'est un dossier qui implique beaucoup de monde, qui est très complexe et qui demande, chez nous, des ressources dont on ne dispose pas nécessairement beaucoup. Alors, ça, c'est en réponse à votre première question.

Quant à la deuxième question, ce que je peux dire, c'est que, évidemment, le Protecteur du citoyen, outre son pouvoir d'enquête, a un pouvoir uniquement de recommandation. Les opinions du Protecteur du citoyen qu'il peut donner aux intéressés comme telles n'ont aucune autorité législative. Le Protecteur du citoyen ne peut pas changer la Loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels, ne peut pas changer les dispositions du Code civil concernant la prescription, ou des choses semblables.

Alors, les conclusions du Protecteur du citoyen viseront évidemment à faire avancer ce dossier-là qui semble bloqué, qui ne semble pas trouver les issus que vous souhaiteriez, je pense, tous pouvoir lui accorder.

(16 h 10)

Le Président (M. Paquin): M. le ministre.

M. Bégin: Merci. Je reviendrais peut-être un peu là où on a quitté tout à l'heure, quand vous parliez avec Me Mulcair concernant la notion de quasi judiciaire.

M. Mulcair: M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Oui.

M. Bégin: Ah! le député de Chomedey. Ah! je lui avais donné un titre qu'il n'aime pas: maître. Alors, je m'excuse, je retire mes mots pour dire «député de Chomedey».

Le Président (M. Paquin): Effectivement, je pense qu'il faut appeler chacun par son titre. Je m'excuse de l'avoir échappé.

M. Bégin: Le vieux fond de la pratique qui revient.

Donc, dans ce débat tout à l'heure, le député de Chomedey vous amenait à considérer des définitions rendues par des cours suprêmes de pays étrangers, mais il oubliait peut-être de référer à des concepts que nous avons dans nos décisions judiciaires. Vous avez référé, vous, à Coopers & Lybrand, qui est censée être la décision, et je suis assez d'accord avec vous que, quand on a fini de la lire, chacun peut y trouver son compte, un peu comme dans une auberge espagnole: il y a de tout pour tout le monde, mais il n'y a rien pour personne.

Cependant, j'ai ici une citation qui est plus récente, qui est modestement de notre Cour d'appel, qui est de 1994, et où on lit deux passages, vous me permettrez de le souligner, de les citer: «On ne saurait contester que la Régie constitue d'abord et avant tout un prolongement ou une projection de l'État, dont elle reçoit, serait-ce même dans une mission de protection de l'intérêt public, le mandat de contrôler un secteur déterminé des activités économiques. Son rôle premier est de contrôler le domaine de la vente d'alcool sous toutes ses formes, ce qui inclut la délivrance, le renouvellement, la suspension et la révocation des permis aux conditions et dans les limites prescrites par la loi.» Factuel.

La Cour ajoute «que l'exercice de ces pouvoirs est de nature strictement administrative [...], que la décision de la Régie de refuser la délivrance d'un permis pour cause d'intérêt ou de tranquillité publique paraît relever directement de sa fonction régulatrice et administrative comme mandataire de l'État [...] et que la décision qui décide que tel ou tel fait, geste ou acte est de nature à porter atteinte à la tranquillité publique est de nature politique – «policy» – et quasi législative ne requérant donc pas de la part des régisseurs le degré d'indépendance et d'impartialité exigé d'une commission remplissant des fonctions purement juridictionnelles».

Donc, on a ici, pour la première fois tout au moins, l'utilisation du concept de «purement juridictionnel». C'est un terme qui a été utilisé par la Cour d'appel du Québec, et je pense que c'est important. Mais il me semble qu'on retrouve ce que vous énonciez tout à l'heure, entre les concepts de justice – voyons, je cherche mon expression – de «quasi judiciaire», de «juridictionnelle», et aussi de «fonction administrative».

Est-ce que vous êtes d'accord avec cette appréciation que je fais du passage de la décision de Procureur général du Québec et la Régie des permis d'alcool du Québec contre 2747-3174 Québec inc., de 1994? C'est, en fait, la cause qu'on appelle «La petite maison», tout le monde, dans le jargon.

M. Meunier (Jacques): Jugement du juge Beauregard...

M. Bégin: Pardon?

M. Meunier (Jacques): Le jugement du juge Beauregard.

M. Bégin: Oui.

M. Meunier (Jacques): C'est évident que je partage la lecture que vous en faites. Je pense que c'est assez clair dans ce jugement. Il reste à savoir ce qui en suivra.

M. Bégin: Non, non, évidemment, il y a toujours la Cour suprême qui va...

M. Meunier (Jacques): C'est ça.

M. Bégin: ...se prononcer cette année, en cours d'année, on pense, en tout cas, on espère tous. Peut-être qu'il y aura une décision.

Mais ce que je voulais faire ressortir, c'est que ces concepts-là sont quand même existants; ils ne sont pas nouveaux et ce n'est pas le quasi-judiciaire, c'est le juridictionnel, la fonction juridictionnelle qui est utilisée. Et c'est des concepts aussi qui sont québécois et qui sont de la politique jurisprudentielle que nous avons développée au cours des années.

M. Meunier (Jacques): Je crois devoir ajouter aussi qu'il ne faut pas conclure que, nécessairement, parce que des organismes ne seront pas dans l'exercice d'une fonction juridictionnelle qu'ils s'empresseront de déroger aux chartes. Évidemment, notre préoccupation est quand même, en fait, de s'assurer que certains droits qui sont dans les chartes pourront être exercés par les citoyens et ne courront pas le risque de se faire opposer à un refus. Par exemple, dans certains cas, quant au droit à l'assistance d'un avocat, est-ce qu'il va devoir se développer un grand litige devant l'organisme, à savoir s'il agit dans l'exercice d'une fonction administrative ou dans l'exercice d'une fonction juridictionnelle parce que le tribunal refuse au citoyen X ou Y de se présenter assisté d'un avocat, tu sais? C'est là qu'était notre préoccupation. Dans la mesure où on se rapproche le plus possible de la disposition actuelle tout en évitant des conflits d'interprétation par des terminologies différentes, bien, je pense qu'on pourrait quand même vivre avec ça.

Le Président (M. Paquin): Alors, Me Robardet, Me Meunier, on a dépassé le temps de chaque côté de façon à peu près équitable et on vous remercie pour cette fort intéressante présentation au nom du Protecteur du citoyen.

Je prierais l'Union des municipalités du Québec de bien vouloir prendre place, s'il lui plaît. L'Union des municipalités du Québec est représentée par Me Jean-François Arteau, qui est conseiller aux services communautaires, et Me Bernard Gagnon, maire de Saint-Basile-le-Grand, responsable du dossier de la justice administrative. Lequel d'entre vous commence?


Union des municipalités du Québec (UMQ)

M. Gagnon (Bernard): Je ferai la présentation, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Alors, Me Bernard Gagnon prend la parole.

M. Gagnon (Bernard): M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, ça nous fait énormément plaisir, au nom de l'Union des municipalités du Québec, d'avoir accepté votre invitation aujourd'hui.

M. Bégin: Pouvez-vous parler un petit peu plus fort? Je ne vous entends pas.

M. Gagnon (Bernard): Oui. Ça nous fait énormément plaisir, au nom de l'Union des municipalités du Québec, d'avoir accepté votre invitation aujourd'hui et de se présenter pour indiquer le point de vue de l'Union sur cet avant-projet de loi. Je crois, M. le Président, que tous ont reçu copie du mémoire qui a été déposé la semaine passée, comme tel.

Alors, comme vous le savez, l'Union des municipalités du Québec est le principal regroupement de municipalités locales, de MRC, de communautés urbaines du Québec. Ses quelque 250 municipalités membres, implantées dans toutes les régions, comme vous le savez, représentent près de 80 % de la population totale du Québec et gèrent une proportion encore plus imposante des budgets municipaux: 89 %. L'UMQ représente également, comme vous le savez, les trois communautés urbaines ainsi que 33 MRC au Québec.

La mission de notre Union consiste à représenter les intérêts de ses membres et de leurs citoyens ainsi qu'à promouvoir l'institution municipale en tant que palier local de gouvernement élu au suffrage universel. L'Union se veut également un carrefour de la réflexion municipale québécoise et favorise à cette fin la formation des élus municipaux et la diffusion de l'information, notamment par le biais de sa revue, de ses assises annuelles et du grand forum de la gestion municipale qui est organisé depuis presque trois ou quatre ans maintenant. Enfin, reflétant en cela l'évolution de la pensée et de l'action municipale des dernières années, l'Union mène divers mandats de services auprès de ses membres, favorisant ainsi la saine gestion des deniers publics.

L'UMQ désire remercier les membres de la commission des institutions de lui permettre d'exprimer ses commentaires relativement à l'avant-projet de loi sur la Loi d'application de la Loi sur la justice administrative.

Alors, depuis une cinquantaine d'année, le gouvernement du Québec a institué un nombre important de tribunaux administratifs auxquels il a confié une diversité de responsabilités. La croissance des biens et des services réclamés de l'État par les citoyens et l'augmentation significative des relations qui pouvaient être entretenues entre ceux-ci ont amené le gouvernement à ne plus laisser au libre arbitre de ses citoyens le règlement des conflits relatifs à des domaines particuliers, ce qui entraîna la création d'une pléthore de tribunaux spécialisés que l'on désigna à titre de tribunaux administratifs.

La pratique a démontré que ces tribunaux ont eu tendance à dépasser le mandat qui leur avait été initialement confié. Aussi, les idées maîtresses à l'origine de leur création, soit celles d'accessibilité, de souplesse dans la procédure et d'audition par des spécialistes d'un conflit n'occupent plus la première place qu'elles devraient occuper. Il est en effet permis d'affirmer que le citoyen fait dorénavant face, selon ce que M. le juge Jean Beetz a déjà prononcé, «à une véritable mosaïque légale dont la bigarrure peut difficilement être dépassée», ou encore, selon les auteurs du rapport Ouellette, déposé au ministère de la Justice en 1987, «à une véritable soupe à l'alphabet».

À la suite de pressions exercées par les divers groupes et par des citoyens qui ont eu à se présenter devant de tels tribunaux administratifs, le gouvernement du Québec a mandaté divers spécialistes de la question afin d'obtenir des études sur l'état actuel des tribunaux administratifs de même que des propositions devant mener à une réforme en profondeur de leur mode de fonctionnement, notamment quant à la procédure de nomination de ses membres.

(16 h 20)

Ainsi, comme vous le savez, dès 1987, le rapport du groupe de travail présidé par Me Yves Ouellette était déposé au ministère de la Justice. Plus récemment, un groupe de travail a été constitué sur certaines questions relatives à la réforme de la justice administrative et dont les travaux furent consignés dans un document intitulé «Une justice administrative pour le citoyen», appelé «rapport Garant».

L'Union a exprimé ce commentaire lors des consultations particulières sur la justice administrative qui avait été tenues par cette commission des institutions à la suite du dépôt du rapport du groupe présidé par le professeur Garant. Les membres de la commission se rappelleront que l'Union des municipalités du Québec souscrivait à l'ensemble des objectifs poursuivis par les auteurs du rapport et particulièrement à celui qui concerne la recherche de l'adéquation entre les fonctions attribuées à un organisme de l'administration et les pouvoirs et devoirs nécessaires et appropriés à leur accomplissement, le tout concourant, bien sûr, à des décisions rendues dans les meilleurs délais et au meilleur coût possible pour l'ensemble des citoyens.

L'UMQ assurait alors le gouvernement du Québec de sa collaboration entière à la réforme de la justice administrative et soulignait que la primauté du citoyen, leitmotiv des municipalités, participait d'un processus décisionnel efficace permettant de faire valoir ses droits et d'obtenir une décision de qualité dans un délai raisonnable.

Quant aux commentaires sur les principes de l'avant-projet de loi, l'avant-projet de loi concernant la Loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative concrétise et assure la mise en oeuvre, dans les diverses lois particulières, des principes établis par la Loi sur la justice administrative. On se souviendra que ces principes étaient ceux de l'affirmation de la spécificité de la justice administrative, de sa qualité, de sa célérité et de son accessibilité aux citoyens.

L'UMQ souscrit à ces principes et se montre satisfaite de cette intention législative qui répond en partie aux demandes formulées depuis plusieurs années par les municipalités quant à l'assurance de leur autonomie administrative et fiscale dans le respect de l'adéquation souhaitable entre le palier de décision, le palier de prestation et le palier de financement d'un service public.

L'UMQ croit que la justice administrative doit être de procédure souple et non formaliste afin de permettre à tout intéressé de présenter ses observations et d'obtenir une décision de qualité rendue dans un court délai. L'Union aimerait souligner que les municipalités du Québec disposent déjà d'un tel forum où la procédure est réduite et où l'accessibilité est grande, notamment par la souplesse des heures de séances; il s'agit, bien sûr, des cours municipales. Ces instances judiciaires témoignent de la possible réalisation des objectifs poursuivis par la réforme de la justice administrative. L'Union encourage, en ce sens, le prochain Tribunal administratif du Québec à prendre exemple, entre autres, sur ces cours de justice, en permettant par exemple aux administrés de présenter leurs observations lors de séances tenues en soirée.

Le groupe de travail sur certaines questions relatives à la réforme de la justice administrative avançait plusieurs avantages à la déjudiciarisation de certains domaines. Parmi ces avantages, on retrouvait l'élimination des incertitudes entourant et découlant de la qualification des pouvoirs de même qu'une souplesse et une adaptation des règles de procédure aux impératifs de l'action administrative. L'UMQ convient que l'avant-projet de loi concernant la Loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative vise à obtenir les avantages décrits plus haut.

Au niveau des commentaires plus spécifiques sur cet avant-projet de loi, bien qu'elle souscrive aux actions de mise en oeuvre, l'UMQ ne se prononce pas sur l'ensemble du projet de loi. Elle se limite à traiter les parties qui la concernent, bien sûr, directement.

Selon nous, l'avant-projet de loi de la Loi sur l'application sur la Loi sur la Justice administrative vise principalement la procédure et l'endroit où les recours existants peuvent être exercés. Il harmonise et uniformise les mots, expressions et concepts reliés à l'exercice d'un recours administratif.

Plus particulièrement, même si l'avant-projet de loi devait avoir pour objet uniquement la mise en oeuvre de la Loi sur la justice administrative, il contient aussi, et il faut le noter, des dispositions de fond, de droit substantif, qui affectent la fiscalité municipale relativement, entre autres, et plus particulièrement aux exemptions de taxes des immeubles utilisés par des organismes à but non lucratif.

Actuellement, la Loi sur la fiscalité municipale prévoit que certains immeubles sont exempts de toutes taxes foncières, municipales ou scolaires, de taxes d'affaires, de surtaxes et, bien sûr, en donne une liste. Selon les dispositions existantes, la liste des immeubles exempts de taxes peut être modifiée par la Commission municipale du Québec. Ces exemptions ont des effets sur les revenus des municipalités, même si elles découlent d'une décision administrative rendue par un organisme du gouvernement.

L'avant-projet de loi de la Loi sur l'application sur la Loi sur la justice administrative prévoit le transfert de cette responsabilité aux municipalités locales. Désormais, donc, les organismes sans but lucratif qui désirent être exemptés de taxes foncières ou qui désireront dans un proche avenir être exemptés de taxes foncières, de taxes d'affaires, de surtaxes ou autres devront s'adresser à la municipalité qui décidera selon les critères fixés par la loi et après avoir entendu, bien sûr, les personnes intéressées. La même procédure s'appliquera pour la révocation de ses exemptions.

Par contre, et il faut le souligner, c'est un des éléments importants de notre présentation d'aujourd'hui, ce transfert de compétences aux municipalités locales est assujetti à un droit d'appel devant le Tribunal administratif du Québec. Pourquoi donc transférer cette compétence et, du même souffle, l'assujettir à une forme de tutelle? Il en serait autrement si le gouvernement en assumait les conséquences et compensait les municipalités pour les revenus perdus.

Dans la Loi sur la fiscalité municipale, le législateur a prévu quels étaient les immeubles qui étaient exempts de taxes foncières, municipales et scolaires, de taxes d'affaires ou de surtaxes. Nous présumons que ces organismes sont considérés d'intérêt public et qu'ils se doivent donc d'être protégés par le législateur. Les autres organismes qui ne méritent pas la protection du législateur parce qu'ils fournissent des services de nature plus locale ne devraient-ils pas relever de la compétence exclusive des municipalités locales qui en font, bien sûr, les frais?

Nous croyons que le législateur devrait laisser aux municipalités locales la compétence exclusive pour reconnaître ces organismes et les corporations sans but lucratif qui respectent les critères fixés par la loi et qui devraient être exemptés de taxes.

Même si ce transfert de compétence devrait faire l'objet d'une loi de modification, à notre point de vue, et non d'une loi d'application, nous considérons qu'il est important d'en traiter immédiatement, compte tenu, bien sûr, qu'il aura des effets sur les finances municipales. Toute exemption de taxes constitue un manque à gagner, une charge supplémentaire pour l'ensemble des contribuables d'une municipalité locale.

Depuis plusieurs années, le gouvernement et les municipalités se sont entendus sur le principe suivant: le gouvernement compense en partie les municipalités pour des immeubles qu'il exempte de taxes. Ce principe découle du fait que le gouvernement considère que certains immeubles ou certains organismes fournissent des services au public en général et que ces services s'adressent non seulement aux citoyens de la municipalité, mais aussi aux personnes résidant dans toute la région.

Par conséquent, tous les autres organismes non reconnus par le gouvernement devraient être considérés comme fournissant des services de nature locale ou, dans certains cas, intermunicipale, ou même au niveau d'une MRC. La municipalité devrait alors avoir compétence exclusive pour les reconnaître et exempter de taxes les immeubles qu'ils utilisent.

L'UMQ a toujours prôné que le citoyen doit occuper une place centrale dans le monde municipal, et, en ce sens, un des objectifs de notre Union est de permettre aux citoyens d'obtenir les meilleurs services possibles aux meilleurs coûts. À cet égard, l'UMQ s'interroge quant à savoir si ce transfert de responsabilités sans compensation financière, toujours dans le contexte où il y a un droit d'appel, coûterait en définitive moins cher aux contribuables. En effet, la Commission municipale du Québec, qui exerce présentement cette fonction, possède une expertise qui, avant d'être acquise par les municipalités locales, nécessiterait des investissements importants en termes de temps et d'argent qui excéderaient des sommes pouvant être éventuellement économisées par le gouvernement, bien sûr, en diminuant, par exemple, le nombre des commissaires siégeant à la Commission municipale du Québec. Les municipalités devront vraisemblablement mobiliser les ressources humaines afin de procéder à l'analyse des demandes d'exemptions et peut-être tenir des séances spéciales du conseil municipal afin de rendre compte de leurs décisions. Bien sûr, le système actuel prévoit que la Commission municipale du Québec consulte la municipalité concernée avant de rendre une décision, et cette consultation nécessite l'accomplissement d'un certain nombre de travail par la municipalité. Mais, à l'évidence, si cette dernière devait dorénavant rendre la décision, le travail serait de nature différente et entraînerait une augmentation du coût des ressources affectées à son accomplissement. Or, comme il en fut convenu à l'accord sur la décentralisation, si, après analyse, on arrivait à la conclusion que le transfert coûte plus cher aux citoyens que le système actuel, on devrait donc conserver le système actuel.

Au niveau des conclusions, M. le Président, l'UMQ s'étonne que la proposition de transfert de responsabilités se fasse par l'intermédiaire d'un avant-projet de loi plutôt que, comme s'y sont engagés successivement deux premiers ministres, dans le cadre déterminé par l'accord sur la décentralisation. Ce transfert de responsabilités avec lequel l'UMQ est d'accord doit être accompagné de compensations financières sans quoi il devient illusoire de pouvoir penser offrir ce service aux citoyens à moindre coût. À moins, bien sûr, qu'il n'existe pas de droit d'appel et que la seule décision des municipalités puisse être rendue pour exempter un organisme de ses taxes.

(16 h 30)

De plus, afin d'outiller le monde municipal pour qu'il s'acquitte efficacement de cette nouvelle charge, l'Union demande que soit modifiée la Loi sur la fiscalité municipale pour permettre l'adoption par une municipalité locale d'un règlement-cadre qui contiendrait des règles précises gouvernant la reconnaissance d'immeubles ou activités exempts de taxe foncière ou d'affaires et permettrait de décider, en bloc et de façon exclusive, des demandes qui seraient déposées au conseil municipal.

Le défi du gouvernement du Québec est celui de l'adéquation entre les gestes de mise en oeuvre de la réforme de la justice administrative et les objectifs poursuivis par cette réforme. Ce qu'il faut rechercher avant tout, c'est l'efficacité et la souplesse dans la prestation du service à rendre au citoyen.

En conséquence et en conclusion, l'UMQ recommande: que la mise en oeuvre, dans les diverses lois particulières, de ces principes ait pour objectif d'offrir au citoyen un meilleur service à un moindre coût, objectif reconnu et affirmé dans l'accord sur la décentralisation du mois d'octobre 1995; que l'analyse du transfert de responsabilités à l'égard de l'exemption de taxe foncière et d'affaires se fasse dans le respect des conditions que l'on retrouve à l'accord sur la décentralisation signé par le premier ministre en octobre 1995, bien sûr dans l'optique où on maintient le pouvoir d'appel devant les tribunaux administratifs; et, toujours dans cette même optique, que cet éventuel transfert de responsabilités soit accompagné de compensations financières adéquates, puisqu'il pourrait résulter un manque à gagner d'une décision autre que locale ou municipale; dans le contexte où, effectivement, il n'y aurait plus ce droit d'appel, que les municipalités locales aient, sous réserve des immeubles désignés par le gouvernement dans la loi, compétence exclusive pour décréter que certains autres immeubles ou parties d'immeubles sont exempts de taxes lorsqu'ils sont à l'usage du public et qu'ils sont utilisés par des organismes ou des corporations sans but lucratif à des fins culturelles, scientifiques, récréatives, charitables ou sociales; que les municipalités locales aient le pouvoir de fixer le pourcentage d'exemption, la durée de l'exemption et les mécanismes de son renouvellement; que les municipalités locales aient le pouvoir, au lieu d'accorder des exemptions, de conclure des ententes avec ces organismes afin de leur accorder des subventions pour leur permettre d'acquitter tout ou partie de leurs taxes. À cet égard, on peut tout simplement signaler des exemples de ces organismes charitables qui pourraient être installés sur le territoire d'un municipalité, mais rendre des services charitables à l'ensemble d'une collectivité qui déborderait largement le cadre d'une municipalité.

Alors, la municipalité sur le territoire de laquelle cette institution-là est installée pourrait octroyer un crédit de taxe, alors que les autres municipalités pourraient octroyer – sur lequel l'immeuble n'est pas installé – une subvention équivalant à la portion des services rendus sur leur territoire.

Finalement, que les municipalités locales aient le pouvoir de décréter, par règlement, les conditions requises pour obtenir une exemption ou obtenir un renouvellement, de fixer d'autres critères en sus de ceux prévus par la loi et même de prévoir l'octroi automatique d'exemptions ou d'un renouvellement. M. le Président, je vous remercie.

Le Président (M. Paquin): M. Gagnon, je vous remercie. Du côté... Oui, M. le ministre.

M. Bégin: M. le maire, M. Arteau, je vous remercie infiniment de votre présentation. Vous avez un regard qui est nouveau par rapport à l'ensemble des interventions que nous avons eues jusqu'à présent et, dans ce sens-là, c'est extrêmement intéressant. J'aborderai deux questions avec vous.

La première, que l'on retrouve à la page 5 de votre mémoire, qui dit, et c'est souligné en noir: «L'Union encourage, en ce sens, le prochain Tribunal administratif du Québec à prendre exemple sur ces cours de justice en permettant, par exemple, aux administrés de présenter leurs observations lors de séances tenues en soirée.» Je voudrais vous poser une question: Est-ce que vous croyez... Je ne sais pas si vous avez à votre disposition le projet de loi n° 130 devant vous. L'avez-vous? Il y a l'article 124, et je voudrais en faire lecture pour voir si, pour vous, c'est suffisant ou si vous voulez aller plus loin que ce qui est mentionné là. Excusez, j'ai dit 124, mais c'est 125: «Dans la mesure du possible, le Tribunal favorise la tenue de l'audience, à une date et à une heure où les parties et, s'il y a lieu, leurs témoins peuvent être présents sans inconvénient majeur pour leurs occupations ordinaires.»

Est-ce que c'est assez pour vous, là, ou bien si vous aimeriez qu'on aille encore plus loin, comme on le fait, par exemple, pour les cours municipales qui doivent siéger – et c'est dans la loi – de moitié, des fois, le jour, de moitié le soir?

M. Gagnon (Bernard): Oui. Le tout est une question, bien sûr, de préférence comme telle. Il est bien clair que l'obligation est toujours une source de résultats, dans ces décisions-là, comme telle, et le fait de rendre d'une façon obligatoire ces sessions, par exemple, en soirée fait en sorte, bien sûr, de les rendre plus nombreuses comme telles. Il est bien clair que des occupations ordinaires, auxquelles on fait référence à l'article 125, devraient, à mon point de vue, rendre obligatoires ces sessions-là ailleurs que dans les périodes normales d'ouverture des bureaux, c'est-à-dire de 9 heures à 17 heures.

M. Bégin: Merci. Deuxième question, c'est sur l'aspect de l'exemption de taxes. Vous abordez, en fait, deux ordres de problèmes différents: d'une part, la technique, comment on déterminera si un immeuble est ou non exempt de taxes, et le reste, c'est, je pense, un peu plus de la nature de la fiscalité municipale, au sens le plus strict, celui où on dit qui va payer quoi si on accorde telle chose. Je pense que ce volet-là, si vous me permettez... Je comprends très bien, ayant pratiqué toute ma vie en droit municipal, ce que vous dites, mais je pense qu'on déborde un petit peu le débat.

Pour bien permettre à tout le monde de comprendre de quoi nous parlons ensemble, permettez-moi de lire l'article 204 et le paragraphe pertinent:

«Sont exempts de toute taxe foncière, municipale ou scolaire:

«10° un immeuble qui appartient à une institution ou à un organisme et à l'égard duquel la Commission reconnaît l'institution ou l'organisme, après consultation de la municipalité locale, en raison du fait que l'immeuble remplit l'une des conditions suivantes – «la Commission» étant, dans le cas présent, la Commission municipale du Québec:

«a être à l'usage du public et utilisé sans but lucratif principalement à des fins culturelles, scientifiques, récréatives, charitables ou sociales;

«b être utilisé par une institution ou un organisme qui est un organisme de charité enregistré aux fins de la Loi sur les impôts, pour y faire la charité ou pour y exercer des activités administratives dans la poursuite de cet objectif.»

Ça, c'est ce que la loi dit. Donc, il y a certains immeubles, de façon générale, au Québec, dans toutes et chacune des municipalités où ils se trouvent, qui sont exempts de taxes, sauf que ça ne dit pas lesquels, dans chaque municipalité précisément, celui-là ou celui-là. Donc, il y a des critères qui sont imposés par la loi pour savoir si, oui ou non, l'organisme, d'abord qui est sans but lucratif, parce que, s'il est à but lucratif, c'est fini, il n'y a pas droit, mais s'il est sans but lucratif: l'étape suivante.

Jusqu'à aujourd'hui, la mécanique prévoyait que c'était la Commission municipale qui déterminait si, oui ou non, tel organisme bénéficiait d'exemptions. Pour prendre sa décision, et avant de la prendre, la Commission municipale devait avoir l'avis des municipalités locales. D'après vous, est-ce que... puis rencontre les critères de la municipalité. Certaines s'en occupaient beaucoup, d'autres peu, mais, en tout cas, elles donnaient un avis.

Ce que nous visons à faire, c'est dire: Au lieu que ce soit d'abord la Commission municipale, la première intéressée, c'est la municipalité locale. On la consulte puis c'est elle qui est proche de l'organisme, qui le connaît bien et qui est capable de vérifier aussi si les critères énoncés dans la loi sont bons. Donc, on dit: On va donner, en première instance, le pouvoir à la municipalité. Elle sait, elle, si elle accorde l'exemption, que ce sera elle-même qui paiera de toute façon le déboursé, puisqu'il n'y aura pas d'entrée d'argent à l'égard de cet immeuble-là. Alors, si une décision est favorable à l'organisme public, on sait que ça va arrêter là. C'est clair. Ils vont être contents puis tout le monde va être heureux. Inversement, si vous dites non, est-ce que l'organisme doit se satisfaire? Vous dites: Peut-être que oui, vous. Nous, on a dit: Oui, mais il faudrait peut-être permettre à cet organisme-là d'aller en appel de votre décision devant non plus la Commission municipale, mais devant la section, la division du Tribunal administratif. Je pense que c'est la mécanique que nous avons voulu instaurer et, dans ce sens-là, je pense qu'il n'y a pas de coûts reliés à ça pour les municipalités. La décision d'exempter, c'est la loi qui la prévoit. Elle la prévoit actuellement puis elle la permettra dans le futur. Mais ce que nous voulons toucher, c'est qui va décider, en fonction de la loi et de la situation réelle, si, oui ou non, l'organisme aura droit à l'exemption de taxes.

Dans ce sens-là, j'aimerais vous entendre me dire, sur cette mécanique-là, ce que vous en pensez, parce que vous avez débordé en disant: Oui, mais si on accorde une exemption, il faudrait que ce soit l'État qui paie. Mais, ça, je pense que je ne voudrais pas l'aborder pour le moment. Qu'est-ce que vous dites de ce que je viens de décrire comme mécanique?

(16 h 40)

M. Gagnon (Bernard): C'est au niveau du résultat, M. le ministre. Je pense qu'il faut bien voir qu'à partir du moment où une décision, quelle qu'elle soit, relativement à une exemption de taxes, est prise comme telle, ceux qui auront à subir le manque à gagner, ce sont les municipalités, comme telles, sur le territoire duquel ces immeubles-là sont installés.

Comme on le mentionne, ce qui est important pour nous, c'est que, si on doit être consultés relativement à ça, ce qu'on vous dit aujourd'hui, c'est que nous devrions avoir le pouvoir décisionnel, puisque, à ce moment-là, si effectivement il y a un manque à gagner, ce sont les municipalités qui auront à décider de cette question-là comme telle. Actuellement, les municipalités peuvent être consultées, bien sûr, peuvent donner leur point de vue, leur avis, mais, à la limite, s'il y a des décisions ou des recommandations qui ne sont pas reçues favorablement, il y a toujours un droit d'appel qui existe et, à ce moment-là, un organisme administratif – maintenant, c'est la Commission municipale du Québec, je crois, dans l'avant-projet de loi, c'est un tribunal administratif – prendrait une décision qui aurait effectivement un impact sur les revenus de taxes des municipalités. C'est dans ce contexte-là que l'on vous indique tout simplement que l'avant-projet de loi crée une dynamique qui fait en sorte, encore une fois, que les décisions qui touchent le monde municipal et qui ont trait à ses revenus peuvent être prises par des organismes qui sont autres que municipaux. Et les représentations qui vous sont faites ici aujourd'hui sont à l'effet de dire: S'il y a une délégation, ou un nouveau mandat, ou une nouvelle juridiction qui est confiée aux municipalités, qu'on nous la confie au complet pour qu'une décision puisse être rendue comme telle et, à ce moment-là, on ne sera pas placés dans une situation où on aura à dire: Nous avons un manque à gagner, puisque la décision procédera effectivement de la propre décision municipale, comme telle.

Si, à l'inverse, cette décision-là vient d'un autre palier de gouvernement, suite à une décision contraire ou différente de celle de la municipalité, on sera placés dans une situation où on aura un manque à gagner comme tel. Et c'est sur cette mécanique-là qu'on vous fait les représentations aujourd'hui pour maintenir au niveau local l'exclusivité de ces décisions d'exempter des organismes charitables, entre autres au niveau local, au niveau de l'ensemble de la taxation.

M. Bégin: Alors, je comprends que vous voudriez que ça arrête au niveau de décision du conseil municipal sans appel au Tribunal administratif du Québec.

M. Gagnon (Bernard): Oui, puisque les effets seront sentis ou ressentis uniquement au niveau local.

M. Bégin: Je veux juste qu'on se comprenne, là. Je ne dis pas que je suis en accord ou en désaccord avec ce que vous dites...

M. Gagnon (Bernard): Non, non.

M. Bégin: ...mais je comprends que vous voudriez que ça reste au premier niveau.

Deuxième chose, vous dites, à la page 5 – c'est dans le résumé, mais je pense que c'est vos conclusions: «Que les municipalités locales aient le pouvoir de fixer le pourcentage d'exemption, la durée de l'exemption et les mécanismes de son renouvellement.»

Vous comprenez, en tout cas, que, en disant ça, on n'est pas dans le cadre de notre débat. Là, vous dites à l'État: Nous voudrions être capables de décider si, oui ou non, les immeubles bénéficient d'une exemption totale, partielle, etc. Donc, vous voulez qu'on sorte de la Loi sur la fiscalité municipale l'exemption totale de certains immeubles, si je vous comprends bien. Est-ce que je me trompe?

M. Gagnon (Bernard): Mais c'est dans la logique de l'appartenance, au niveau local, de l'ensemble des décisions relativement à des exemptions de taxes pour des immeubles situés sur notre territoire. Ça procède de la même logique, c'est bien sûr.

M. Bégin: Mais vous comprenez que ça n'a pas en soi trait à la justice administrative. Ça a trait à la fiscalité municipale, mais pas à la justice administrative.

M. Gagnon (Bernard): Bien, c'est dans le mécanisme. À partir du moment où, dans la loi d'application, on dit que l'on a un droit d'appel...

M. Bégin: Le droit d'appel, c'est comment on fixe qui a droit ou pas, mais, au point de départ, la Loi sur la fiscalité municipale a décidé que des immeubles bénéficient d'une exemption totale – pas partielle ou moyenne, c'est totale. Puis, si l'organisme rencontre l'un ou l'autre des deux paragraphes, il y a droit automatiquement.

Là, ce que vous me dites, c'est qu'on voudrait, si je vous comprends bien, d'abord, que ça n'aille pas au Tribunal, mais que la municipalité puisse dire à un organisme: Bon, bien, toi, je t'accorde 100 %. Toi, je t'accorde 30 %. Toi, je te refuse complètement. C'est ça que vous me dites, là.

M. Gagnon (Bernard): C'est exact, oui.

M. Bégin: Bon. Mais... O.K. Alors, vous ne voudriez plus que l'État fixe que certains immeubles bénéficient d'une exemption de taxes, mais vous voudriez avoir le pouvoir de décider vous-mêmes que certains immeubles, effectivement, en bénéficieront et dans quelle proportion.

M. Gagnon (Bernard): C'est exact.

M. Bégin: Ça, je vous soumets humblement, là, que c'est de la fiscalité.

Le Président (M. Paquin): M. le ministre, avant que vous alliez...

M. Bégin: Oui.

Le Président (M. Paquin): ...sur un autre sujet, il y a le député de Frontenac qui voulait poser une sous-question...

M. Bégin: O.K., mais j'ai terminé...

Le Président (M. Paquin): ...ponctuelle.

M. Bégin: ...moi.

M. Lefebvre: Moi, c'est...

M. Bégin: J'ai terminé. En fait, c'étaient les deux points que je voulais aborder. Allez-y.

M. Lefebvre: Non. Laissez aller le ministre, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): D'accord.

M. Bégin: Non, mais j'ai terminé. C'étaient, moi, les points que j'avais, là. Je regardais mon texte pour voir, puis je me rends compte que j'ai fait le tour...

Le Président (M. Paquin): Alors, pour ce qui est...

M. Bégin: ...de mon problème.

Le Président (M. Paquin): ...des questions du côté de l'opposition, j'ai, dans l'ordre, le député de Chomedey, le député de Frontenac...

M. Lefebvre: Ça va.

Le Président (M. Paquin): ...et le député de Jacques-Cartier. Alors, M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Oui. Ça me fait plaisir d'accueillir les représentants de l'Union des municipalités du Québec. Surtout avec le maire de Laval comme président, je dois toujours être très attentif à toutes vos revendications...

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Mulcair: ...et vos présentations. Mais, avant d'aller sur la question de la compensation, j'avais une question vraiment technique que je voulais vous poser.

L'article 116 du projet de loi n° 130, qui a été légèrement modifié voilà deux semaines, prévoit que l'autorité administrative dont une décision est contestée doit, dans un certain délai, transmettre une copie du dossier relatif à l'affaire. D'accord? Là, on a biffé la référence à «municipalité», puis, dorénavant, ça va se lire: «L'organisme municipal responsable de l'évaluation est tenu de transmettre une copie des documents pertinents à la contestation dans les 10 jours de la réception de l'avis d'audience.»

Avez-vous fait une analyse, un calcul des coûts qui peuvent être impliqués dans cette obligation-là? Parce que, d'après certains experts que j'ai consultés dans le domaine, le dossier lui-même et les documents pertinents à la contestation ou ce qui peut être plus large que juste le dossier... Parce que le législateur ne parlant jamais pour rien dire, il est censé y avoir une différence lorsqu'on dit, au début, «le dossier» et, après, «les documents pertinents». Donc, on peut présumer que c'est parfois plus, peut-être aussi parfois moins, mais le fait est que, selon les experts que j'ai consultés, un tel dossier peut être énorme. On a soulevé cette question-là avec le ministre lorsqu'on a regardé les amendements. On lui a dit que, d'après les informations dont on disposait, ça pouvait être une charge administrative très lourde et les coûts y afférents pouvaient être très importants. Alors, je voulais juste savoir si vous aviez eu l'occasion de jeter un coup d'oeil là-dessus.

M. Gagnon (Bernard): Globalement, je pense que peut-être Me Arteau aura des précisions à faire là-dessus, mais certainement que les personnes que l'on a pu consulter d'une façon sommaire relativement à ça ont indiqué également que les coûts étaient importants. Mais est-ce qu'il y a des évaluations précises? Je n'ai pas cette information-là. Je n'ai pas l'information.

M. Mulcair: Lorsque vous parlez d'une compensation monétaire pour certaines autres nouvelles obligations qui seraient imposées aux termes de la loi, est-ce que vous mettriez sans cesse dans le même panier... Est-ce que vous diriez: Écoutez, vous êtes en train de nous demander des choses qu'on n'avait pas à faire auparavant?

M. Gagnon (Bernard): Là, vous parlez de l'article 116...

M. Mulcair: Oui.

M. Gagnon (Bernard): ...au niveau de...

M. Mulcair: Oui. Pas 116 $. Oui. Ha, ha, ha!

M. Bégin: Projet de loi n° 130.

M. Mulcair: Du projet de loi n° 130, tel que modifié.

M. Gagnon (Bernard): Oui. Nécessairement, oui. Oui, parce qu'il y a des coûts qui sont afférents à ça.

M. Mulcair: Exact. Et la dernière question que j'ai – parce que j'ai plusieurs de mes collègues qui aimeraient aussi vous poser des questions – vous êtes en train de dire que, vraiment, vous êtes d'accord avec une réforme, et cette réforme est vraiment conditionnelle à l'obtention de cette compensation monétaire, si je vous entends bien quand vous dites ça...

M. Gagnon (Bernard): Oui, vous entendez effectivement très bien.

M. Mulcair: O.K.

M. Gagnon (Bernard): L'objectif, bien sûr... La conséquence qu'on a vue dans cet avant-projet de loi là, qui était une loi non pas de droit substantif mais d'application, on y a vu une conséquence importante au niveau d'un pouvoir toujours tutellisé, c'est-à-dire une décision qui, bien que le monde municipal soit consulté, appartiendra finalement à une instance administrative ou un tribunal différent, qui aura comme effet, effectivement, de réduire les revenus de taxation des municipalités.

M. Mulcair: Merci beaucoup. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Alors, je veux saluer les représentants de l'Union des municipalités du Québec et, très rapidement, aborder un petit peu dans le sens de M. le ministre. Lorsque vous demandez des pouvoirs exclusifs aux municipalités pour pouvoir exempter certains immeubles sur le territoire desdites municipalités, je voudrais que vous me rassuriez sur un pouvoir énorme que vous demandez là, puis qui risque de tomber dans l'arbitraire. Autrement dit, si je comprends bien, vous voulez le pouvoir exclusif et, si je comprends bien également, les décisions du pouvoir municipal ne sont appelables ni devant la Commission municipale ni non plus devant – à titre d'exemple – le BREF, le Bureau de révision. Alors, je voudrais que vous me répondiez à ces deux questions-là. Est-ce que je me trompe? Est-ce que j'interprète mal ou si c'est ce que vous demandez?

M. Gagnon (Bernard): Oui. D'abord, il y a un mot qui me fait...

M. Lefebvre: Qui vous chatouille.

M. Gagnon (Bernard): Oui, oui, oui, le mot «arbitraire».

M. Lefebvre: Oui.

M. Gagnon (Bernard): Je pense que ce n'est pas parce qu'un pouvoir est municipal qu'il est arbitraire comme tel.

M. Lefebvre: Mais, quand je veux dire «arbitraire», c'est qu'il ne peut pas être révisé d'aucune façon.

M. Gagnon (Bernard): Oui, oui. C'est ça.

M. Lefebvre: Parce que c'est une décision politique d'un conseil municipal.

M. Gagnon (Bernard): Écoutez, dans ça, il y a quand même des balises établies dans la loi, bien sûr, et il y a des conséquences. Les balises se retrouvent à l'intérieur de la loi, je pense qu'il faut bien voir ça, comme tel, et les conséquences sont uniquement d'ordre municipal. Le manque à gagner, il faut bien le mentionner, est d'ordre municipal. Dans ce sens-là, si nous avons à prendre des décisions quant à notre assiette de revenus, bien sûr, on aimerait être ceux qui avons la totalité de cette décision-là comme telle, bien sûr avec des balises, mais pas se soumettre nécessairement à un pouvoir autre que municipal qui affecterait les revenus comme tels. C'est dans ce sens-là que la réclamation de l'exclusivité du pouvoir, ce n'est pas une volonté de ne pas avoir de balises, mais c'est une volonté d'être en mesure, en tant que pouvoir local, de prendre des décisions sur des immeubles situés au niveau local et qui affecteraient, à la limite, les revenus municipaux, et uniquement les revenus municipaux.

(16 h 50)

M. Lefebvre: J'ai compris que vous ne vous objectez évidemment pas à ce que subsistent les critères, sinon ce serait... Mais je maintiens que ça m'apparaît inquiétant que vous réclamiez un pouvoir absolu, final et définitif. Vous me répondez, mais on verra de quelle façon on évalue tout ça.

L'autre questionnement que je veux vous soulever, c'est le suivant: Quelle est la garantie d'uniformité, dans un territoire donné, d'une telle démarche? On se souvient que les MRC, à l'époque, il y a un certain nombre d'années, on leur avait confié, aux MRC, à cause, justement, de cet objectif d'uniformité du développement du territoire... Est-ce que vous ne considérez pas qu'il y a risque que ce principe d'uniformité, dans une MRC précise, soit attaqué, si, par hypothèse, il n'y a pas d'autre pouvoir que le pouvoir municipal local, et local seulement, sans aucune ligne tracée par le pouvoir régional, aujourd'hui représenté par les MRC? Parce que je pense qu'on s'entend là-dessus, M. le Président, l'importance de l'uniformité des décisions municipales en telle matière, sinon il y a un risque d'avoir des bouleversements assez considérables dans un territoire précis. Si une municipalité développe une approche, une jurisprudence, des précédents complètement différents en telle matière de la municipalité voisine, je pense qu'on peut s'entendre que ça représente des risques assez considérables. Alors, quelle est la garantie, où est la garantie d'uniformité, dans un territoire donné, quant à ce que vous demandez comme pouvoir exclusif?

M. Gagnon (Bernard): C'est toute la question de l'autonomie et de l'uniformité, bien sûr. Dans le système actuel, je comprends que l'autonomie est sacrifiée à l'uniformité de la décision comme telle et que, finalement, le point de vue local, qui aura à souffrir et à payer, en somme, des conséquences d'une telle décision, sera sacrifié...

M. Lefebvre: Ça a peut-être du bon sens. Moi, je fais juste questionner.

M. Gagnon (Bernard): ...au niveau de l'uniformité. Alors, je pense que le mémoire qui est là plaide l'autonomie des municipalités en cette matière-là, d'autant plus qu'elle est la seule entité qui aura à souffrir de la conséquence de la décision comme telle. Et, dans ce sens-là, il nous est apparu que l'uniformité pourrait, à la limite, ne pas tenir compte de l'ensemble des volontés locales relativement à certaines situations très précises qui concernent, d'une façon importante, surtout aujourd'hui, en 1996, les revenus des municipalités. Dans ce sens-là, nous avons préféré affirmer l'autonomie, bien sûr, des municipalités en ces matières-là que de rechercher nécessairement une uniformité de décisions, même régionales, en ces matières, préférant laisser à l'ensemble des collectivités locales le soin d'affirmer leur propre caractère, de prendre leurs propres décisions en ces matières-là.

M. Lefebvre: Autrement dit, M. le Président – puis je termine là-dessus – ce que je soulève comme inquiétude, vous l'avez évalué et vous arrivez quand même, dans la balance des avantages et des inconvénients, aux conclusions auxquelles vous arrivez dans votre mémoire.

M. Gagnon (Bernard): C'est exact.

M. Lefebvre: Je vous remercie.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Je veux aborder la même question parce que je me rappelle, quand j'ai travaillé au cabinet du ministre des Affaires municipales, qu'il y a un litige qui avait duré, je pense, huit ou 10 ans, qui touchait trois de vos membres, les villes de Montréal, Laval et Côte-Saint-Luc, concernant une exemption pour le YMHA. La Commission municipale a accordé une exemption de taxes au YMCA, mais pas au YMHA. Il y avait des appels, c'est allé en Cour d'appel, de mémoire, à la Cour supérieure du Québec, la Commission municipale. En tout cas, c'était vraiment un dossier très, très complexe. Alors, de dire qu'une ville peut trancher sur un litige comme ça, sans appel, je trouve ça difficile à accepter parce que j'ai vu ce dossier, c'était un dossier fort complexe. Peut-être que les villes ont eu raison de prendre l'opposition, la Commission municipale, et tout ça. Mais je pense que le droit d'appel était fondamental. Et, à la fin du processus, on a donné raison au YMHA qu'il n'y avait pas de logique à accorder une exemption au YMCA, qui était sensiblement le même genre d'organisation, sans accorder la même exemption au YMHA. Alors, de dire qu'il n'y a pas d'appel me laisse un petit peu inquiet, surtout parce que la ville doit à la fois juger tout ça, mais doit payer les conséquences. Alors, si la ville décide d'exempter un organisme ou quelque chose comme ça, c'est un manque à gagner pour la ville.

Je soulève ça parce que, encore une fois, dans ma région, dans l'ouest de l'île de Montréal, il y a deux communautés religieuses qui cherchent en ce moment un terrain. Les villes vont dire très poliment: Mais on ne veut pas mettre ça dans un quartier résidentiel parce qu'il y aura trop de circulation. Alors: Non. Mais on ne veut pas mettre ça dans notre zone industrielle non plus parce qu'il y a un manque à gagner. Alors, vous devrez attendre et peut-être qu'une église, un jour, fera faillite, ou quelque chose comme ça, alors vous pourrez installer votre communauté religieuse dans une ancienne église ou quelque chose comme ça. Je pense qu'il faut avoir, tôt ou tard, un moyen de dire que ça, c'est des citoyens du Québec qui ont également un droit. Ce ne sont pas des chrétiens, ce sont d'autres religions, mais ils ont quand même le droit de s'associer, d'avoir une bâtisse pour leurs activités religieuses et communautaires.

Alors, dans la formule que vous avez proposée ici, il n'y a pas d'appel. Alors, peut-être que, pour une raison ou pour une autre, une ville a pris une décision qui est préjugée, peut-être qu'il y a quelque chose comme ça. Ça peut arriver. Alors, je ne sais pas, c'est une interrogation du fait qu'on ne peut pas aller en appel. Comment, dans les exemples que j'ai cités, est-ce qu'on peut s'assurer que les décisions sont prises d'une façon impartiale, continue, des autres pressions qui sont exercées sur les municipalités?

M. Gagnon (Bernard): Je peux répéter tout simplement ce que j'ai mentionné. À partir du moment où on veut prendre une décision qui a des effets pécuniaires pour une organisation, ici une organisation municipale, c'est bien clair que l'on affecte, ce faisant, l'ensemble de ses revenus d'une façon qui ne lui permet pas de retirer, en termes de taxation, l'ensemble des revenus auxquels elle est en droit d'espérer. C'est donc, dans une certaine mesure, de venir prendre des décisions sur le territoire d'une localité en fonction d'un manque à gagner provenant de certains immeubles, sans nécessairement que la collectivité locale où l'immeuble serait ou pourrait être installé soit d'accord avec ça et sans tenir compte du fait que c'est uniquement cette municipalité locale qui aura à souffrir des conséquences d'une telle décision. Alors, il y a là possiblement un élément important dont il faudrait tenir compte.

Certainement, je suis sensible à ce que vous mentionnez relativement à un minimum d'assurance au niveau d'un minimum de règles à respecter. Ça paraît tout à fait naturel, normal. Je pense que les règles de justice naturelles continuent toujours de s'appliquer comme telles. Mais, par-delà ces règles minimales là comme telles, le pouvoir décisionnel, puisqu'il affecte uniquement les revenus des municipalités, devrait demeurer local.

M. Kelley: Merci.

Le Président (M. Paquin): Est-ce qu'un député désire poser une question? Le temps n'est pas totalement épuisé. Je constate qu'il n'y a plus de question. Sans doute la limpidité de vos propos, M. le maire...

Alors, je tiens à vous remercier, Me Arteau et Me Gagnon, d'avoir fait la présentation au nom de l'Union des municipalités du Québec, et j'invite la Conférence des juges administratifs du Québec à bien vouloir prendre place.

(17 heures)

Alors, j'ai le nom de Me Nicole Archambault, présidente, qui est accompagnée de deux personnes. Si vous voulez présenter les personnes qui vous accompagnent. Nous disposons d'une heure, un tiers du temps vous étant dévolu et le reste pour poser des questions, de parts égales, de chaque côté de cette table.


Conférence des juges administratifs du Québec

Mme Archambault (Nicole): D'accord. Alors, je vais vous présenter les deux personnes qui m'accompagnent: Me Lise Lambert, qui est une ex-présidente de la Conférence et toujours membre de la Conférence; et Me Jean Bisson, qui est l'actuel vice-président de la Conférence des juges administratifs du Québec.

Alors, je remercie la commission de nous avoir invités à soumettre nos commentaires sur l'avant-projet de loi sur la loi d'application. J'ai l'impression de me répéter en vous disant que la Conférence des juges administratifs du Québec regroupe la majorité des personnes qui exercent, à titre exclusif et à temps plein, des fonctions d'adjudication et de régulation en matière administrative. Elle compte actuellement près de 150 membres qui se sentent, évidemment, bien visés, au premier plan, par la réforme.

La Conférence a comme objectifs principaux d'assurer et de préserver la crédibilité, le respect, l'impartialité et l'efficacité des tribunaux et organismes administratifs du Québec, de promouvoir les intérêts collectifs de ses membres et de favoriser leur excellence.

Depuis sa fondation, la Conférence a toujours participé aux débats sur la réforme de la justice administrative. Aussi souhaitons-nous que, dans la démarche entreprise pour réformer et moderniser le réseau des tribunaux administratifs, les législateurs prennent en compte l'expertise développée par des contacts quotidiens qu'entretiennent nos membres avec les citoyens.

C'est parce que l'on a considéré, après le dépôt du projet de loi n° 130 et des modifications qui ont suivi en juin dernier, que la réforme de la justice administrative était bien enclenchée, mis à part le problème encore en suspens des renouvellements de contrats, que l'on a présenté notre mémoire aujourd'hui à la commission pour s'assurer que tout le secteur de la justice administrative va être couvert et que, finalement, la réforme – bien enclenchée, on doit le dire – ne couvrira pas qu'une partie des adjudicateurs qui rendent des décisions autres que purement administratives dans le secteur de la justice administrative.

Alors, nos remarques portent sur deux points principaux. Évidemment, notre première remarque va porter sur la modification du champ d'application de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et notre deuxième remarque va porter aussi sur un questionnement sur le statut des membres des organismes qu'on soustrait à l'application de la Charte et qui rendent des décisions autres que purement administratives, quotidiennement.

J'en reviens à la première, la modification du champ d'application de la Charte. Alors, la société québécoise s'est dotée d'une Charte des droits et libertés de la personne qui constitue un des fondements de notre collectivité. Or, l'article 113 de l'avant-projet de loi a pour conséquence de restreindre les garanties accordées par la Charte québécoise en matière de justice. La garantie d'être entendus par une personne indépendante et impartiale est retirée aux administrés qui se présentent devant une autorité administrative exerçant des fonctions quasi judiciaires. Cette garantie fondamentale ne s'applique plus, dans le cas de l'ordre administratif, que lorsqu'il y a exercice de fonctions juridictionnelles au sens de l'article 8 de la Loi sur la justice administrative.

Alors, la portée de ces restrictions. Bien, pour pouvoir mesurer cette portée-là, il est important d'essayer de voir les distinctions, de définir les fonctions quasi judiciaires versus les fonctions juridictionnelles. Vu que ce n'était pas facile, depuis le début de la journée, bien, on a tenté une définition, on ne vous le cachera pas, à partir de ce qu'on a lu dans le rapport Garant et des lectures, disons, complétées par nos lectures personnelles. Mais l'expression «fonction, acte ou décision quasi judiciaire», c'est utilisé de manière courante dans la jurisprudence. Encore aujourd'hui, malgré qu'on ait mis dans le vent le mot «fonction juridictionnelle», les tribunaux continuent toujours à utiliser les termes «fonction quasi judiciaire». Je ne pense pas qu'on ait vu, récemment, l'utilisation des mots «fonction juridictionnelle» pour qualifier des actes de l'administration.

Alors, la jurisprudence définit la décision quasi judiciaire comme une décision fondée sur une règle de droit préétablie, prise dans l'exercice d'une fonction administrative de régulation, de surveillance et de contrôle et qui porte atteinte aux droits ou privilèges et obligations d'un administré, cette décision-là étant prise par un organisme tenu, pour la prendre, d'agir selon un processus assimilable au processus judiciaire. La distinction entre «droit» et «privilège» – parce qu'on a fait longtemps grand cas de ça, «droit» versus «privilège» – bien, c'est de moins en moins étanche, et la Cour suprême a élargi la notion d'atteinte en exigeant simplement que le citoyen soit touché par la décision.

En traduisant cette définition dans la réalité québécoise, la Conférence des juges administratifs a adopté une définition pragmatique qui est: L'exercice, à titre exclusif et à temps plein, des fonctions d'adjudication ou de régulation. La Conférence compte parmi ses membres des représentants de 20 organismes qui répondent à cette définition. Vous en avez une liste en annexe du mémoire. Ces organismes participent de la justice administrative québécoise, et il ne fait pas de doute qu'ils sont tous visés par l'actuel article 56 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Pour sa part, l'expression «fonction juridictionnelle» est rarement employée. On en avait d'ailleurs, je pense, longuement parlé, dans notre mémoire du printemps, de l'introduction de cette nouvelle notion là en matière de justice administrative. La Cour suprême ne mentionne cette expression qu'à deux reprises. De plus, la traduction anglaise de l'expression «fonction juridictionnelle» utilisée est «adjudication function».

La seule indication plus concrète nous vient de l'article 8 des modifications déposées le 14 juin 1996 au projet de loi sur la justice administrative. La décision juridictionnelle – et là je cite – en matière administrative serait celle «prise par le Tribunal administratif du Québec ou par un autre organisme de l'ordre administratif également institué pour trancher des litiges opposant un administré à une autre autorité administrative ou à une autorité décentralisée». Or, une analyse primaire nous permet de déduire qu'une quinzaine d'organismes administratifs regroupant plus d'une centaine d'adjudicateurs ne seraient pas couverts par cette définition.

La substitution du mot «quasi judiciaires» par les mots «fonctions juridictionnelles» dans la définition du mot «tribunal» de l'article 56 de la Charte prive donc, à notre sens, le citoyen de droits fondamentaux et diminue les garanties assurées par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Une chose qu'il faut bien réaliser, c'est que les garanties d'indépendance et d'impartialité sont des garanties qui avaient été accordées au citoyen non pas en faveur des juges administratifs ou pour garantir des fonctions à des juges administratifs. C'est un droit qui a été accordé au citoyen, et, si l'on veut que le citoyen, pour qui très souvent le seul contact avec la justice se fera via les institutions administratives, soit convaincu que la décision l'affectant est la meilleure dans les circonstances, l'on doit nécessairement légiférer de sorte qu'il ne puisse mettre en doute la crédibilité, la fiabilité, l'impartialité et l'indépendance, qui sont les caractéristiques fondamentales de la justice, quelles que soient les instances auxquelles on s'adresse pour faire décider de ces droits et obligations.

Dans une allocution du 18 mai 1995, lors du colloque organisé par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles pour souligner son dixième anniversaire, le ministre de la Justice reprend en ses termes les commentaires que la très grande majorité des intervenants avaient émis lors des audiences de la commission des institutions en mars 1995, et je cite: «Les mêmes intervenants ont cependant insisté sur le fait que la déjudiciarisation ne doit pas conduire à une justice administrative à rabais et ne doit en aucune façon entraîner la perte de droits pour les citoyens ni en réduire le niveau de protection dont ils peuvent bénéficier.» Alors, c'étaient nos commentaires écrits sur la Charte.

Maintenant, quant au statut des juges administratifs qui siègent actuellement ou qui entendent actuellement des causes dans des organismes qui ne sont pas visés par la définition de «fonctions juridictionnelles», mais qui rendent quand même, à notre sens, des décisions que les tribunaux ont, jusqu'à maintenant, reconnues comme étant des actes quasi judiciaires, le groupe de travail sur les tribunaux administratifs soulignait avec beaucoup de justesse qu'on ne peut envisager une réforme des tribunaux administratifs sans chercher à concevoir des institutions qui inspireront le plus grand degré de confiance possible aux justiciables pour lesquels elles sont créées. Et cette confiance, elle devra aussi se manifester à l'égard des membres des tribunaux administratifs qui animeront et incarneront ces institutions.

L'opinion publique est unanime, et les audiences que la présente commission a tenues au cours du printemps dernier en sont témoins: le processus de sélection et de nomination de ses membres est le principal reproche adressé à l'ordre administratif. En diminuant les garanties assurées par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne pour un certain nombre – et même un bon nombre, la moitié à peu près – des adjudicateurs actuellement en poste dans les organismes, l'exécutif sera justifié de poursuivre son mode de nomination actuel. Le nouveau statut des juges administratifs prévu à la Loi sur la justice administrative ne s'applique, en effet, qu'aux membres du Tribunal administratif du Québec, soit à environ 150 personnes sur les quelque 300 qui, à titre de membres d'organismes multifonctionnels ou de régulation, rendent quotidiennement des décisions quasi judiciaires.

(17 h 10)

Il y a maintenant une scission complète de la justice administrative en deux parties: la juridictionnelle et l'administrative. Si le citoyen est entendu par un adjudicateur qui exerce une fonction administrative au sens du projet de loi n° 130, il n'a plus droit à un tribunal indépendant et impartial.

Un aparté, ici, pour dire que, si, le même citoyen, son dossier, par exemple une demande de permis, est étudié ou analysé par un fonctionnaire, ici, il n'y a aucune discrétion exercée, et tous les documents sont fournis, la décision déjà... Dans la plupart de nos organismes, il y a ce qu'on appelle les membres du personnel désigné qui sont aptes à signer ces décisions-là. Alors, dans ces cas-là, bien, on peut dire que, jusqu'à un certain point, le citoyen est mieux protégé parce que le fonctionnaire a une permanence d'emploi dans la fonction publique lorsqu'il rend cette décision-là, alors que, s'il y a un problème à ce niveau-là, le dossier va être soumis à des régisseurs, des commissaires ou, bon, dépendamment des organismes... et, à ce moment-là, bien, ils n'auront pas de protection, de garantie d'indépendance et d'impartialité, ces gens-là n'ayant aucun statut, actuellement, ni dans la loi n° 130 ni dans – en tout, dans ce qu'on a vu – la loi d'application. Alors, même si ces garanties peuvent être modulées pour tenir compte de la nature des fonctions exercées, elles doivent néanmoins exister de façon minimale pour tout organisme qui prétend rendre justice.

De plus, la Conférence constate que la réforme tant attendue est devenue source d'insécurité dans les tribunaux et organismes administratifs. Les nouvelles nominations et les renouvellements de mandats sont effectués pour une durée d'un an. L'on doit constater que la brièveté des mandats n'est pas une mesure pour augmenter la crédibilité de la justice administrative. Au surplus, de plus en plus de juges administratifs agissent alors que leurs mandats sont expirés ou sur le point de le devenir.

Bien sûr, la Conférence des juges administratifs reconnaît et a toujours reconnu que le gouvernement a besoin de flexibilité, mais il n'est pas nécessaire de généraliser la précarité des mandats et de maintenir cet état d'insécurité en ne faisant pas connaître dès maintenant les dispositions transitoires et finales devant assurer la concrétisation de la réforme.

En conclusion, j'ajouterai que la réforme de la justice administrative a pour objet d'affirmer la spécificité de la justice administrative et d'en assurer la qualité, la célérité et l'accessibilité au citoyen. Après tant d'années d'attentes successives et d'espoirs, devons-nous le dire, la Conférence constate que, pour assurer la déjudiciarisation du processus, bien, on a privé les Québécois de leur droit à être entendus par un tribunal indépendant et impartial. Cette diminution des garanties reconnues par notre Charte des droits et libertés de la personne permet de réformer une partie de la justice administrative dite juridictionnelle et de légitimer l'absence de réforme pour l'autre partie de la justice administrative. Croyant toujours à la nécessité de la réforme, la Conférence des juges administratifs est toujours prête à travailler à son élaboration et à l'élaboration d'une réforme de toute la justice administrative. Elle remercie le ministre de la Justice et les membres de la commission des institutions de l'avoir écoutée.

Le Président (M. Paquin): Merci, Me Archambault. Alors, du côté ministériel, M. le ministre.

M. Bégin: Alors, merci, Me Archambault ainsi qu'aux autres membres qui vous accompagnent. Deux choses, parce qu'on a quand même brassé plusieurs sujets et on sait à peu près de quoi on parle. On s'en est même parlé en dehors des travaux. Je vous référerais à la page 8 de votre document, où vous dites: «Il y a maintenant une scission complète de la justice administrative en deux parties: la juridictionnelle et l'administrative. Si le citoyen est entendu par un adjudicateur qui exerce une fonction administrative au sens du projet de loi n° 130, il n'a plus droit à un tribunal indépendant et impartial.» J'aimerais ça que vous m'expliquiez pourquoi quelqu'un qui serait nommé pour agir comme il a été nommé aujourd'hui et qui agirait selon les articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 cesserait d'être quelqu'un d'indépendant et d'impartial. J'aimerais ça comprendre ça.

Mme Archambault (Nicole): Au sens de la Charte.

M. Bégin: Oui, mais qu'est-ce que vous voulez dire par là?

Mme Archambault (Nicole): Ce qu'on a dit dans la première partie de notre mémoire, en fait, c'est qu'on croit que les citoyens, que le droit à être entendu de façon impartiale et indépendante, bon... Là, on modifie 56, mais, finalement, c'est l'article 23 de la Charte qui est l'article important. Alors, on pense que, pour arriver à trouver une solution à un problème, peut-être, de procédure, on s'attaque à des droits fondamentaux.

M. Bégin: Ce que vous dites, moi, si je le comprends, c'est que la personne qui procède selon 2, 3, 4, 5, 6 et 7 n'agit pas de manière indépendante et impartiale. C'est ce que je lis dans votre texte, ce que je comprends de votre texte.

Mme Archambault (Nicole): Bien, il faut le lire en regard de la Charte. C'est des droits garantis par la Charte.

M. Bégin: Non, mais vous répétez les mêmes mots, là. Mais le concept qui est derrière, vous voulez dire que c'est parce qu'il n'a pas été nommé selon les règles des juges ou bien si c'est parce que, se comportant selon 2, 3, 4, 5, 6 et 7, ce n'est pas un tribunal indépendant et impartial? Et, si c'est ça votre réponse, j'aimerais que vous me disiez comment ça s'exerce.

Mme Archambault (Nicole): Bien, exactement.

M. Bégin: Dans le concret, là.

Mme Archambault (Nicole): O.K. Dans le concret, c'est que, à partir des textes de loi qu'on a devant nous, on a, bon, d'accord, pour le Tribunal administratif, les gens qui sont des adjudicateurs dans les organismes qu'on envisage d'assujettir ou qui deviendront membres du Tribunal administratif du Québec.

M. Bégin: Oui.

Mme Archambault (Nicole): Bon, il y a toute une procédure de sélection, de nomination. Il y a des améliorations à venir, on espère, en matière de renouvellement, ce que tout le monde... On l'a entendu plusieurs fois depuis le matin. Mais ces gens-là vont, évidemment... Puis, en plus, via la modification qui est faite à l'article 56 – exerçant des fonctions juridictionnelles – bon, ils vont devoir donner les garanties constitutionnelles prévues par la Charte.

M. Bégin: Je ne comprends pas.

Mme Archambault (Nicole): Il y a, par ailleurs, les gens qui exercent des fonctions purement administratives, qu'on a dans tous nos organismes, qui sont extrêmement importants parce qu'il y a beaucoup de permis qui sont émis grâce à ces gens-là qui analysent les dossiers, lorsqu'il n'y a aucun problème dans le dossier, que toutes les normes réglementaires, que tous les documents sont fournis, qui sont des fonctionnaires ayant la permanence d'emploi, qui rendent ces décisions-là en vertu des lois et qui sont habilités à le faire.

Il reste un autre groupe d'à peu près 150 adjudicateurs actuellement répartis dans une quinzaine d'organismes – et on est trois exemples vivants de ces membres d'organismes là – qui ne sont pas visés, qui ne sont pas intégrés au Tribunal administratif du Québec et à notre sens qui n'exercent pas non plus des fonctions purement administratives parce que nous exerçons des fonctions où il y a toujours appréciation d'une discrétion, ne serait-ce qu'appréciation, par exemple, de ce qu'est l'intérêt public, appréciation de questions d'opportunité, appréciation de la tranquillité publique, et ce n'est pas purement administratif. Ça se fait selon des processus.

Je conviens bien que ça n'a pas à se faire et qu'il faut éviter que ça se fasse selon le modèle du processus judiciaire habituel, mais il y a beaucoup, actuellement, d'expériences-pilotes, qui ne sont même plus des expériences maintenant, qui sont rendues implantées dans les organismes. Nous, on agit différemment et sans référer à un processus judiciaire et où on rend des décisions qui pourraient être tout autant des décisions juridictionnelles – appelez-les «juridictionnelles» ou «quasi judiciaires» par opposition aux décisions purement administratives où il n'y a aucune discrétion d'exercée. C'est ça qu'on veut dire. On veut dire que ce groupe d'adjudicateurs là qui sont actuellement au moins 150 dans 15 organismes du Québec, bien, finalement, ils ne savent pas où ils s'en vont, eux autres, dans toute cette réforme-là. On n'a pas les mesures transitoires. Peut-être seront-ils...

M. Bégin: Ça, c'est l'autre volet.

Mme Archambault (Nicole): Peut-être est-ce que ça sera prévu par les...

M. Bégin: Ça, c'est l'autre volet qu'on abordera par la suite. Quand vous dites – juste pour vous taquiner un peu – qu'ailleurs il n'existe pas l'utilisation de la fonction juridictionnelle – je vous réfère à la décision qui concerne la Régie et La Petite Maison, en Cour d'appel, en 1994 – pourtant la Cour d'appel dit: «Remplissant des fonctions purement juridictionnelles». Alors, il y a au moins cet exemple-là que vous pourriez ajouter.

J'avoue qu'une personne qui agit de manière administrative... Vous me dites: Il faut qu'elle bénéficie de la Charte. Donc, il faudrait qu'elle se comporte comme un tribunal. Alors, quelqu'un qui agit de façon purement administrative devrait, selon ce que je comprends...

Mme Archambault (Nicole): Pas du tout.

M. Bégin: Bon. Alors, si on regarde la fonction administrative et que le processus se déroule en plus selon 2, 3, 4, 5, 6 et 7, est-ce que je vous comprends bien quand vous dites que ce ne serait pas un tribunal indépendant et impartial? On n'aurait pas à dire qu'il doit se comporter comme un juge. Êtes-vous d'accord là-dessus?

Mme Archambault (Nicole): Peut-être en donnant un exemple...

M. Bégin: Non, mais est-ce que c'est ça? Oui?

Mme Archambault (Nicole): Si on rend une décision purement administrative...

M. Bégin: Bon, et puis...

Mme Archambault (Nicole): ...et, généralement, ce qu'on considère être des décisions...

M. Bégin: Arrêtons, juste parce qu'il faut aller tranquillement parce qu'on ne se comprend pas autrement.

Mme Archambault (Nicole): ... – oui – purement administratives...

M. Bégin: Admettons que la Cour suprême dirait demain matin que, quand vous révoquez un permis, vous agissez de manière purement administrative. O.K.? À date, la Cour d'appel, c'est ce qu'elle dit. Mais mettons que la Cour suprême dirait ça demain matin. Donc, vous agiriez dans une fonction purement administrative. Vous fonctionneriez selon 2, 3, 4, 5, 6 et 7. Je veux savoir, parce que c'est là qu'est le coeur de toute l'affaire...

(17 h 20)

Mme Archambault (Nicole): Mais juste...

M. Bégin: ...est-ce que vous devez vous comporter comme un tribunal impartial et indépendant ou pas?

Mme Archambault (Nicole): Bien, de la même façon...

M. Bégin: Parce que, moi, ma réponse, c'est non, mais j'aimerais avoir la vôtre.

Mme Archambault (Nicole): Bon, si c'est purement administratif, en tout cas, à notre sens à nous, dépendamment... On ne peut pas revoir ce que sera la décision de la Cour suprême.

M. Bégin: Non, non, mais on a la Cour d'appel qui dit actuellement que c'est ça.

Mme Archambault (Nicole): Ce qu'on a en vue, finalement, c'est le meilleur service possible au citoyen qui vient devant nous, et, pour lui rendre le meilleur service, droit ou pas... Juste pour expliquer la situation peut-être, il y a des cas où, bon, c'est facile, on constate, on rend la décision. Dans les autres cas où, finalement, on rend des décisions qu'on voudrait dire être purement administratives, là on peut parce que, la Cour suprême, elle va se prononcer sur un type d'audition qui n'est même plus le type d'audition, dans bien des cas, ou le type de décision qu'on rend dans d'autres matières.

M. Bégin: Me Archambault...

Mme Archambault (Nicole): Ça va être un débat interminable.

M. Bégin: ...je m'excuse de vous interrompre. C'est parce qu'on peut parler longuement, mais là on peut peut-être avancer de manière plus efficace.

Mme Archambault (Nicole): Oui, oui.

M. Bégin: La Cour suprême dit: En procédant de la manière décrite dans la cause en question, c'est une fonction purement administrative. Si vous procédez selon une autre manière, vous êtes juridictionnel. Là, on peut se poser la question – et là c'est 8 et suivants: Est-ce que la Charte s'applique ou pas? Est-ce qu'on est en présence d'un organisme exerçant une fonction juridictionnelle et est-ce que, à ce moment-là, il doit suivre les règles prévues? Et c'est là, je pense, qu'est le noeud du problème. C'est pour ça... Je ne veux pas vous empêcher de dire ce que vous avez à dire, mais je veux qu'on règle ce problème spécifique, parce que, quand vous me dites dans votre phrase – c'est pour ça que je la reprends: «Il y maintenant une scission [...]. Si le citoyen est entendu par un adjudicateur qui exerce une fonction administrative au sens du projet de loi n° 130 – là, les mots ne sont pas légers – il n'a plus droit à un tribunal indépendant et impartial.»

Une voix: C'est vrai.

Mme Archambault (Nicole): Bien, ça, je vous l'ai précisé, c'est vrai compte tenu de la modification qui est faite à l'article 56 de la Charte. Il n'a pas le droit d'exiger... S'il n'est pas satisfait de la décision qu'on rend ou qu'il considère qu'on n'a pas bien agi...

M. Bégin: Exact.

Mme Archambault (Nicole): ...il ne pourra pas faire reconnaître son droit en vertu...

M. Bégin: Et on considère à ce moment-là qu'il n'est pas juridictionnel ou quasi judiciaire.

Mme Archambault (Nicole): C'est ça.

M. Bégin: Donc, c'est ça.

Mme Archambault (Nicole): C'est ça.

M. Bégin: Bon. Alors, quand on parle de déjudiciarisation, faire sortir le tribunal de la décision administrative, vous admettrez avec moi que c'est ça qu'on vise à faire et qu'on réussit à faire à ce moment-là. D'accord?

Mme Archambault (Nicole): Ça, là, on est tout à fait d'accord. Moi, personnellement, en tout cas, et je pense bien que, à la conférence... D'ailleurs, dans beaucoup d'organismes, des expériences...

M. Bégin: Bon. O.K.

Mme Archambault (Nicole): ...ont commencé dans ce sens-là. Le modèle judiciaire, bon, appliqué avec des procès qui durent 10, 15, 20 jours de temps de la même façon, c'est sûr que – je pense qu'on l'a déjà dit à la conférence, on l'a déjà indiqué dans des mémoires – il faut mettre fin à ça. Sauf que je pense qu'il faut reconnaître aussi que, peut-être que depuis que la réforme est dans l'air, il y a beaucoup de...

M. Bégin: De changements qui se produisent.

Mme Archambault (Nicole): ...changements qui sont intervenus dans les différents organismes. Il y en a qui ont déjà, bon, modifié leurs règles de procédure pour pouvoir s'adapter...

M. Bégin: Allant dans le sens de la réforme.

Mme Archambault (Nicole): ...pour aller dans le sens de la déjudiciarisation...

M. Bégin: C'est ça.

Mme Archambault (Nicole): ...peut-être pas de la réforme telle quelle, ici, là, mais pour aller dans le sens de la déjudiciarisation. Ça, c'est clair.

M. Bégin: Alors, si je comprends bien...

Mme Archambault (Nicole): Pour permettre d'entendre les gens, que les gens disent tout ce qu'ils ont à dire, qu'il y ait des opposants, qu'il n'y en ait pas et que, finalement, bon, bien, ils aient une décision qui les satisfasse.

M. Bégin: O.K. Je passe complètement dans un autre domaine. Vous avez soulevé la question des mandats qui sont expirés ou en voie de l'être pour le mode de nomination, et tout ça. Je vais vous poser une question: Qu'est-ce que vous feriez, actuellement, pour les personnes qui sont là? On a dit que ça n'avait aucun sens, le mode de nomination et de renouvellement et qu'on devait le changer à mort. On dit également: Vous avez amélioré sensiblement le projet, mais ça n'a pas encore tout le sens qu'on voudrait apporter. Qu'est-ce qu'on ferait actuellement?

Mme Archambault (Nicole): Bien, nous autres...

M. Bégin: Est-ce qu'on nomme selon l'ancienne méthode? Est-ce qu'on attend? Est-ce qu'on utilise ce qui n'est pas encore en vigueur? Qu'est-ce que vous suggérez de faire?

Mme Archambault (Nicole): Actuellement, en tout cas, au moins dans les organismes où il y a... Il y a deux organismes qui, à notre connaissance, ont à peu près une vingtaine d'adjudicateurs actuellement et qui sont en instance de renouvellement de contrat depuis plusieurs mois, sinon... peut-être pas plusieurs années, mais des mois qui finissent par s'accumuler à des années. Or, parmi ces 40 membres là d'organismes, si on faisait le décompte – il y en a sûrement plus ailleurs, là, c'est parce que c'est deux blocs – il y a des gens qui sont extrêmement compétents, qui travaillent depuis 10, 15 ans. Il y en a, pour un groupe – bon, c'est à peu près la procédure qui est proposée dans le projet de loi – qui avaient été choisis via des concours publics en 1980, et, à ce moment-là, bien, ça serait une indication que la réforme, vraiment, veut reconnaître les compétences si ces gens-là étaient renommés.

M. Bégin: Mais de façon générale?

Mme Archambault (Nicole): Pardon?

M. Bégin: Donc, en principe, on devrait renouveler tout le monde ou bien on devrait exercer...

Mme Archambault (Nicole): Pas tout le monde. On a dit qu'il y avait quand même, en termes de renouvellement... Bon, on veut que ça soit bonifié. Je pense que tout le monde demandait que ça soit bonifié. Je pense que, tout le monde, on avait également dit dans nos autres mémoires que c'est sûr qu'on n'exige pas le renouvellement de gens qui seraient incompétents. Il y a des fiches d'évaluation, il y a des mécanismes qui sont sûrement en place pour permettre d'évaluer les gens. Il y a des consultations qui peuvent être faites auprès des milieux concernés, des gens qui vont régulièrement devant ces tribunaux-là, et il y a des moyens de savoir de façon bien sûre si les gens qui ont oeuvré dans ces organismes-là depuis cinq ou 10 ans étaient vraiment des adjudicateurs sérieux et estimés de ceux qui plaidaient devant eux.

M. Bégin: Si je vous comprends bien, selon, évidemment, l'évaluation qui pourrait être faite, ça veut dire qu'on devrait, jusqu'à ce que la loi soit en vigueur et que le règlement de l'application le soit, procéder aux nominations, aux renouvellements ou aux non-renouvellements selon les anciens modèles. C'est ça?

Mme Archambault (Nicole): Bien, il nous semble que ça serait nous montrer que, la réforme, vraiment, on la veut – et, nous, on la veut – mais qu'on n'est pas les seuls à la vouloir et que, si c'est ce qu'on propose, de renouveler les gens, puis qu'on dit aux gens: Pour les compétents, il n'y aura pas de problème, bien, qu'on le manifeste tout de suite que, pour les compétents, il n'y aura pas de problème.

M. Bégin: Est-ce qu'on a encore un petit peu de temps?

Le Président (M. Paquin): Oui, il vous reste du temps.

M. Bégin: Imaginons un scénario simple. J'essaie de voir parce que vous allez dans une direction, mais il faut voir ce qui arrive demain matin si on le fait. Imaginons que, demain matin, il y a cinq adjudicateurs, dans un organisme, dont le mandat est expiré, puis je réponds à vos voeux et j'en renouvelle trois et j'en «non-renouvelle» deux. À date, on sait ce qui s'est passé, là, il y a un an ou environ. Qu'est-ce qui arrive d'après vous? Est-ce que c'est acceptable ou bien si c'est la descente en flammes parce qu'on n'a pas appliqué les nouvelles méthodes ou qu'on n'a pas...

Mme Archambault (Nicole): Bien, vos deux autres, actuellement, est-ce qu'ils sont dans des organismes où ils continueraient encore à travailler sans... ou ils ne seraient pas remplacés?

M. Bégin: Non, non, j'ai dit que c'était non renouvelé, donc remplacé par d'autres personnes.

Mme Archambault (Nicole): Mais, actuellement, moi, je me dis: C'est le principe général, puis il ne s'agit pas de faire des cas particuliers. Il y a un principe de base, c'est que, depuis plusieurs années, et, bon, ça, c'est... Bon, je pense que, à une commission parlementaire, quand on avait parlé de ces fiches d'évaluation là, il y avait bien des gens qui avaient été surpris, mais ça fait sept, huit, neuf ans certain que ça existe, ces fiches d'évaluation là. On nous les a rendues aux membres des tribunaux administratifs, dans le temps, comme devant servir au moment des renouvellements de contrats. Ces fiches-là sont faites annuellement et, bon, c'est l'occasion pour... Bon, évidemment, elles sont faites par les présidents d'organismes, mais il y a des consultations qui peuvent être faites auprès des présidents d'organismes. C'est envoyé au Conseil exécutif. Toutes ces fiches-là sont envoyées là annuellement, et ça devait servir, justement, quand arriveraient les cas de renouvellement de mandat pour pouvoir...

Bon, moi, pour en avoir fait de ces fiches-là pendant les dix ans de temps que j'ai été à la Régie du logement, je sais très bien qu'il y a des fiches d'évaluation qui étaient telles que, bon, ça n'aurait pas débouché sur un renouvellement de mandat puis d'autres, oui. Alors, je prends pour acquis que tout le monde faisait ses fiches d'évaluation de la même façon et que, à un moment donné, bien, quand on... C'est un des éléments. Je pense qu'il y a d'autres types de vérifications qui peuvent être faites également, là, parce que je comprends bien que, à un moment donné, on ne peut pas être dans tous les tribunaux en même temps. Mais des consultations du milieu... Les milieux sont tellement spécialisés dans les tribunaux où on oeuvre que ce n'est pas long une consultation d'un milieu donné pour... Et là, bien, s'il y a des éléments de deux parties, bien, évidemment, il faut avoir des consultations des gens des deux côtés de la médaille. Mais je pense, en tout cas, que, en autant que les membres sont concernés, que les adjudicateurs sont concernés, actuellement, c'est sûr que ça serait une indication qu'il y a vraiment une volonté. Bien, on ne doute pas de la volonté de faire la réforme. On comprend qu'il y a des embûches, mais ça serait une indication qu'il y a plus qu'une volonté de passer par-dessus bien des embûches et ça serait un signal qui serait donné que la réforme va se faire.

M. Bégin: Je vous avoue que je suis un peu étonné par ce que vous venez de dire: Il y aurait une indication d'une volonté de ne pas procéder à l'adoption du projet de loi n° 130 en ne renouvelant pas les gens actuellement?

(17 h 30)

Mme Archambault (Nicole): Non, non.

M. Bégin: Non?

Mme Archambault (Nicole): Non, non, non. C'est-à-dire, actuellement, c'est que, tant que ça ne se fait pas, tant qu'il n'y a pas de renouvellement, on se dit: Est-ce que c'est sérieux, ça, ce qui est dedans, dans le projet de loi, sur les renouvellements de mandats? Ce n'est pas la première fois qu'on voit ça. Dans la Loi sur la Régie du logement, en 1980, il y en avait un, article, qui disait qu'on pouvait faire des concours, un règlement pour nommer les gens à la suite d'un concours. Il y en a eu. Il n'y a pas eu de règlement, mais il y a eu un concours qui a été fait. Il y a une vingtaine de membres, il y a au moins 35 régisseurs à la Régie du logement qui ont été choisis à la suite d'un concours.

M. Bégin: Je vais vous répondre: Il y a une volonté, certainement, d'aller de l'avant, parce que je trouve qu'on passe pas mal de temps pour entendre du monde, depuis deux ans, à la commission. Je peux vous dire que, oui, il y a certainement une volonté d'aller de l'avant. Maintenant, encore faut-il traverser toutes les étapes et y arriver. C'est ce qu'on est en train de faire actuellement. Mais je peux vous dire que, s'il n'y a pas de volonté, je ne sais pas ce qu'on fait ici. J'aimerais mieux avoir moins d'auditions comme celle-là qui demandent... Remarquez, je pense que j'ai dû faire à peu près pas loin de 90 heures assis dans une chaise ici pour écouter les gens, pour avancer, ce n'est certainement pas pour laisser mourir. Mais je comprends ce que vous dites: il faut que ça aboutisse.

Mme Archambault (Nicole): Ça serait une indication, en tout cas, pour les gens en place. On l'espère, on l'attend, on sait qu'elle va venir, mais ça serait une concrétisation, ça serait une première étape, en tout cas, qui nous ferait dire: La voilà, la réforme.

M. Bégin: Merci.

Le Président (M. Paquin): Ça va, de ce côté-là? Alors, du côté de l'opposition, j'ai déjà la députée de La Pinière qui demande la parole. M. le critique, vous voulez prendre... Alors, M. le critique, M. le député de Chomedey, suivi de la députée de La Pinière.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. M. Bisson, Mme Archambault, Mme Lambert, bienvenue et merci encore d'avoir consacré autant de temps bénévole pour aider les membres de cette commission dans leurs délibérations. Votre mémoire est très intéressant et se concentre sur les deux points que le ministre vient de soulever avec vous, à savoir les questions concernant l'application de la Charte des droits et libertés et son impact possible dans la réforme telle que proposée, et la nomination et reconduction.

J'aimerais vous poser la même question, en fait, sur les deux, puis le ministre a un peu abordé la question sur un des deux sujets. Votre analyse est excellente, je la partage à plusieurs égards. Peut-être en raison de la délicatesse de votre position étant donné vos fonctions, vous vous arrêtez un peu à court, mais, pour vraiment nous aider, l'analyse doit se compléter avec des suggestions concrètes. Et j'aimerais vraiment savoir c'est quoi, selon vous, la solution idéale. Vous étiez là, Mme Archambault, vous avez entendu les débats depuis ce matin, si je ne me trompe pas, avec le Barreau, et tout.

Mme Archambault (Nicole): Oui, très intéressants.

M. Mulcair: Donc, pas besoin de vous faire une longue explication. C'est quoi, la solution à l'égard des articles 56.1 et 23 de la Charte et le «juridictionnelle» et «quasi-judiciaire»? C'est quoi, votre meilleure solution à nous proposer?

Mme Archambault (Nicole): Je ne sais pas si j'ai une solution, mais ma lecture, en tout cas après avoir entendu les gens toute la journée puis avoir entendu les interventions de part et d'autre, c'est que, finalement, j'ai appris beaucoup aussi... ça va me permettre de réaliser certaines choses. C'est qu'il me semble que, finalement... D'abord, je ne comprends pas pourquoi on ne reconnaît pas qu'il y a d'autres adjudicateurs que ceux qu'on a associés au Tribunal administratif du Québec, qui rendent des décisions tout aussi importantes, qui vont impliquer tout autant de gens. Quand il y a des oppositions où il y a des montants d'argent, il faut reconnaître ça et ne pas essayer de minimiser ça. Ce que je comprends, c'est qu'on le fait pour des raisons, pour...

Je comprends le problème qu'il faut arriver avec un texte de loi qui va faire qu'on a un objectif: on veut déjudiciariser la justice administrative. Et, là-dessus, on en est, on participe nous-mêmes, chacun dans notre tribunal, au mouvement de déjudiciarisation. On siège avec des gens autour des tables, des opposants. On se retire, à un moment donné, pour laisser les gens discuter entre eux puis essayer d'en arriver à une solution. On revient un moment plus tard pour dire: Bon, bien, c'est correct. Très souvent, on entérine, à ce moment-là, des ententes parce que les gens ont discuté entre eux, même si c'étaient des opposants tout à fait au départ.

Et, même, actuellement, on réussit à intégrer des avocats à ce processus-là. Donc, à avoir réussi à expliquer aux avocats – à certains avocats, je ne dis pas à tous – quelle était la mission de la justice administrative ou du droit administratif, ce qu'on recherchait quand on convoquait des citoyens devant nous... Finalement, très souvent, les avocats sont assis autour de la table, eux aussi, puis discutent, émettent leur point de vue à un moment donné, mais il n'y a pas un interrogatoire ou contre-interrogatoire puis objection sur telle question. Parce que, finalement, moi aussi, j'en conviens, très souvent, on est moins informé à la fin de l'audition que si on a pu participer dans un débat ouvert puis qu'on a écouté tout le monde. Je comprends très bien que l'objectif...

M. Mulcair: Mme Archambault, je veux juste piquer un bout de votre phrase: J'ai écouté votre réponse, mais je me sens moins informé qu'au début. C'est quoi, la réponse que vous nous proposez en ce qui concerne la problématique discutée depuis ce matin? Vous avez votre expérience, vous représentez 150 membres, qu'est-ce que vous proposez aux membres de cette commission et aux législateurs du Québec?

Mme Archambault (Nicole): Bon. Ce serait d'abord de maintenir le droit ou de reconnaître le droit des citoyens d'être entendus par un tribunal indépendant et impartial et par des gens qui sont indépendants et impartiaux...

M. Mulcair: On ne modifie pas 56.1..

Mme Archambault (Nicole): ...ne pas modifier l'article 56...

M. Mulcair: O.K., 56.1.

Mme Archambault (Nicole): ...dans le sens de retirer le quasi-judiciaire. Après toute la journée, on est encore plus mêlés sur la définition du quasi-judiciaire qu'on l'était ce matin.

M. Mulcair: Je ne pense pas.

Mme Archambault (Nicole): Mais, en tout cas, que ça soit n'importe quoi...

M. Bégin: C'était déjà mêlé, pour être plus...

Mme Archambault (Nicole): ...c'est qu'on reconnaisse... Définissez-la comme vous voulez, la fonction qu'on exerce, mais que la fonction qu'on exerce en regard du citoyen... Le citoyen qui se présente devant nous, il a le droit et il s'attend de se présenter devant quelqu'un qui est totalement indépendant, impartial, qui va l'écouter, qui va rendre la décision la plus éclairée. C'est ça qu'on voudrait voir.

M. Mulcair: Si vous avez assisté aux débats, vous avez deviné la prochaine partie de ma question. Je viens de vous entendre: Ne touchez pas à 56.1. Je suis d'accord avec vous là-dessus. Maintenant, le ministre a eu l'occasion de répéter à plusieurs reprises – après son échange avec Me Lemieux hier – qu'il pouvait vivre avec la solution qui consistait juste à ne pas toucher 56.1. Est-ce que vous êtes là ou est-ce que, selon vous... Vous avez entendu nos exemples. On parlait d'une personne qui se faisait retirer son permis qui impliquait son droit de gagner sa vie, application d'une règle de loi affectant les lois. On décide, pour les fins de notre conversation, d'appeler ça quasi judiciaire. Il pourrait, n'est-ce pas, y avoir un conflit si on ne modifie la Charte et on reste avec la procédure prévue de 2 à 7. Il y a un conflit possible parce que, dans un cas, on va dire: C'est juridictionnel. Qu'est-ce qu'on fait?

Mme Archambault (Nicole): Là, je parle en mon nom personnel. Après avoir écouté, disons, la discussion avec le Protecteur du citoyen, moi, je pense que ce qui est important, c'est qu'on reconnaisse à tous les adjudicateurs, quels qu'ils soient, membres d'organismes qui rendent des décisions autres que le purement administratif dans... On peut jouer sur les mots du purement administratif...

M. Mulcair: ...la décision de vos 150 membres affectée par une discussion qui a lieu en dehors de leurs délibérations. Ce n'est pas bien, ça.

Mme Archambault (Nicole): Non, non. Bien non! Ha, ha, ha! En tout cas, c'est pour ça que je vous dis que je parle... j'ai pu entendre aujourd'hui... Mais je pense que c'est important. Qu'on l'appelle... Changez-le pour «fonction juridictionnelle», «fonction quasi judiciaire», j'en suis même... Personnellement, je dirais, j'aimerais peut-être mieux voir «fonction juridictionnelle», parce que je me dis: On recommence sur un autre pied avec la justice administrative actuellement. Changeons-le, ce vocabulaire-là, maintenant qu'on en discute depuis un an, mais qu'on reconnaisse qu'il s'applique à tous, par exemple, que c'est la même chose et que c'est ce qu'on a défini, jusqu'à un certain point.

Là, si on se dit que la seule chose qui fait qu'on ne veut pas l'appeler «quasi judiciaire», c'est parce qu'on pense que les tribunaux vont nous obliger à agir selon un processus judiciaire, et le vrai processus judiciaire, comme devant les tribunaux, moi, je pense qu'il y a possibilité de convaincre un juge que, quand on agit de la façon dont on agit, le citoyen, ses droits, en vertu de la Charte, de l'article 23, sont respectés et que ce n'est pas parce qu'on ne contre-interroge pas ou qu'on ne permet pas un contre-interrogatoire ou un interrogatoire à la façon dont ça se fait devant les tribunaux que, là, on n'a pas agi... si la loi nous dit qu'il faut qu'on agisse quasi judiciairement, qu'on ne l'a pas fait.

Mais, si on veut tous éviter ça, recommençons à neuf, mais intégrons tous ceux qui font ce travail-là. On s'évite d'avoir le problème de cette distinction-là qu'on ne sait pas trop... qui est tout à fait fictive. Parce que, dans les faits, qu'on travaille au Tribunal administratif ou dans... Vous avez entendu, ce matin, les gens du transport, du secteur des autobus. Dans tous les tribunaux administratifs – prenez-les l'un après l'autre, on connaît tous chacun le nôtre – ce sont des spécialisations et c'est clair que, en première instance, c'est là que les gens... Bon, ce matin, les gens vous disaient justement qu'ils ne voulaient pas aller discuter des questions d'intérêt public devant...

M. Mulcair: Oui, vous parlez de la représentation faite par l'association dans le domaine de l'autobus, oui.

Mme Archambault (Nicole): C'est ça, ils voulaient nécessairement que ça se fasse devant la Commission des transports, qui avait l'expertise pour le faire. C'est comme ça dans tous les organismes administratifs, c'est des secteurs spécialisés. Alors, à partir de ce moment-là, c'est pour ça que... Finalement, des types de décisions de cet ordre-là se rendent partout. C'est pour ça qu'on peut poser la question: Pourquoi vouloir à tout prix maintenir cette distinction via la fonction? Qu'il y ait des gens qui soient au Tribunal administratif du Québec, qu'il y ait une fusion, un organisme, bon, mais qu'il y ait des gens, mettons, à la Commission des transports qui puissent également être qualifiés et qui sont des gens qui rendent des fonctions juridictionnelles, qu'à la Régie des alcools, des courses et des jeux il soit reconnu qu'on rend des fonctions juridictionnelles. À la Régie du logement, bien là, ça sera peut-être dans la suite de la réforme, parce que, pour le moment, ils ne sont pas visés, mais on va parler des statuts de ces membres-là à un moment donné aussi.

(17 h 40)

M. Mulcair: O.K. Mais, justement, j'apprécie l'occasion de vous avoir là – alors, je m'empresse vraiment, j'ai plusieurs de mes collègues qui veulent poser des questions – je veux vous poser une question sur votre deuxième volet, donc: C'est quoi, la solution en ce qui concerne la reconduction?

Oublions pour l'instant les gens qui sont déjà en place, dont vous êtes. Vous comprenez bien, pour les fins de la discussion, je ne vous vise pas, vous. Présumons qu'on trouverait une solution pour ça. Mais ce que je veux savoir, avec la formule qui est proposée dans la loi – cinq ans renouvelable – vous dites que ce n'est pas ça. Moi, j'ai tendance à être d'accord avec vous là-dessus aussi. À mon sens, et je le dis depuis le premier jour de nos études sur le projet de réforme du droit administratif ici, au Québec, je dis qu'il y a un problème, à mon sens, il y a une émulation du système des tribunaux de droit commun avec ce genre de concentration. On n'est plus dans le genre d'exemption reconnue par la Cour suprême dans des arrêts comme Valente; on est en train d'attirer, peut-être, l'application de ces règles-là. Je pense qu'on s'en va vers du trouble si on ne clarifie pas ça, et je le dis depuis le début.

Mais je veux savoir: Est-ce que la solution pour vous, c'est l'inamovibilité ou est-ce qu'il y a quelque chose entre cinq fois renouvelable et l'inamovibilité qui existe?

Mme Archambault (Nicole): Ça, en fait, il faudrait peut-être se référer à notre dernier mémoire, où on en a traité longuement. On ne demande pas l'inamovibilité, sauf... Parce que, à partir du moment où quelqu'un est sélectionné à partir de méthodes de sélection, quand même, qui nous apparaissaient... évidemment, il reste à voir les règlements. Mais la méthode de sélection comme telle était quand même bien élaborée dans le projet de loi n° 130, quitte à ce qu'elle soit complétée par les règlements. Mais, à partir du moment où quelqu'un a été sélectionné... Un mandat, un minimum de cinq ans pour un premier mandat, ne serait-ce que prendre le temps de vraiment connaître le secteur, à moins qu'on arrive avec déjà l'expertise d'un secteur...

Mais, après ça, à partir du moment où la personne formée, choisie, d'abord, selon des critères objectifs, selon des critères qui ont été sérieux, qui ont été questionnés, elle a été rencontrée en entrevue puis, finalement, elle est sur une liste d'éligibilité, puis elle est nommée à un endroit, à moins que... Ça peut toujours arriver, ça, on peut se tromper, à un moment donné, dans un jury de sélection, mais, normalement, la moyenne va faire que, pour au moins 90 % à 95 % des gens qui vont avoir été sélectionnés, on ne devrait même pas se poser de question au moment du renouvellement, en ce sens que, là, il y a des processus qui sont mis en place pour vérifier, bon, comment ces gens-là travaillent pendant le temps qu'ils travaillent. Là, même les juges des tribunaux judiciaires, maintenant, ont des méthodes aussi de suivre le travail qui se fait.

Alors, ce n'est pas pire au Tribunal administratif qu'ailleurs. À partir de ce moment-là, la personne, normalement, si elle a fait un bon travail pendant ces cinq ans-là, elle va être renouvelée. Et là il y a la procédure de non-renouvellement. Donc, advenant le cas où quelqu'un ne serait pas renouvelé, qu'on l'avise qu'elle ne sera pas renouvelée, qu'elle puisse se faire entendre devant le Conseil de la magistrature. Mais la norme, si on a une étape de sélection qui est sérieuse, va faire en sorte que les gens vont être renouvelés et qu'ils vont acquérir une expertise dans un secteur spécialisé. Et ce n'est pas facile, pour quelqu'un qui arrive de l'extérieur dans un organisme ou un tribunal administratif, aujourd'hui – vous êtes bien placé pour le savoir...

M. Mulcair: Je le sais très bien, oui, oui.

Mme Archambault (Nicole): ...avec une expertise bien pointue, et les gens qui se présentent devant nous, eux autres, ils l'ont déjà, cette expertise-là.

M. Mulcair: Oui, tout à fait.

Mme Archambault (Nicole): Et, quand on la maîtrise bien et qu'on rencontre des citoyens qui viennent devant nous pour faire régler leur cas, si on réussit à parler le même langage qu'eux, déjà, c'est un atout pour la justice administrative parce que les gens savent que, finalement, la personne qui va rendre la décision en connaît suffisamment ou autant qu'eux pour pouvoir rendre une décision éclairée.

M. Mulcair: Mme Archambault, une dernière question. À la page 4 de votre mémoire, le dernier paragraphe, vous dites: «Une analyse primaire nous permet de déduire qu'une quinzaine d'organismes administratifs regroupant plus d'une centaine d'adjudicateurs ne seraient pas couverts par cette définition.» Est-ce que vous avez déjà fourni cette liste-là par le passé? Est-ce que vous auriez l'obligeance...

Mme Archambault (Nicole): C'est pour ça qu'on a indiqué «primaire» là, parce que, comme je vous le dis, nous autres, c'est la rentrée en septembre et...

M. Mulcair: Ce n'est pas grave, même si c'est primaire, ça peut quand même aider les membres de cette commission. Est-ce que vous auriez la gentillesse de partager avec nous cette liste?

Mme Archambault (Nicole): Oui.

M. Mulcair: Merci bien.

Le Président (M. Paquin): Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président. Alors, Me Archambault, Mme Lambert, M. Bisson, merci pour la présentation que vous nous avez faite. Je constate effectivement que vous avez eu beaucoup de patience à écouter les mémoires des autres. Ce qui m'inquiète, c'est que le concept n'est pas plus clair depuis que vous êtes arrivés.

Concernant les membres du Tribunal administratif du Québec, vous avez dit qu'ils sont autour de 150 personnes, il y a combien de femmes?

Mme Archambault (Nicole): La proportion sur le nombre...

Mme Lambert (Lise): C'est environ... J'ai déjà fait une étude il y a quelques années et, dans les tribunaux administratifs, les femmes étaient beaucoup plus nombreuses qu'ailleurs. À cette époque-là, dans les années quatre-vingt-dix, elles étaient déjà entre 30 % et 40 %. Alors, c'était déjà une situation qui... C'était déjà très bien dans les tribunaux administratifs du côté de la présence féminine, il faut dire.

Dans la présence aussi des communautés culturelles dans les tribunaux administratifs, il y a une assez bonne représentation. Chez nous, sur neuf membres, il y a deux membres des communautés culturelles. Alors, c'est, je pense, de ce côté-là...

Mme Houda-Pepin: Les efforts ont été faits.

Mme Lambert (Lise): Les efforts ont été faits, je crois, de ce côté-là dans les tribunaux administratifs...

Mme Houda-Pepin: D'accord.

Mme Lambert (Lise): ...et possiblement que, si nous avons une réforme où les gens compétents et performants vont pouvoir être nommés, je pense qu'à ce moment-là ça va donner une chance aussi aux femmes de pouvoir continuer à oeuvrer dans ces tribunaux-là.

Il y a un taux de roulement, par contre, effarant dans les tribunaux administratifs. Il y a moins de cinq... Les gens sont remplacés environ à 15 % par année, minimum. Ce qui veut dire qu'au bout de cinq ans, lorsqu'on regarde nos membres et qu'on leur fait lever la main, c'est curieux, mais je vais dire comme on dit, les visages changent à une vitesse étonnante. De ce côté-là, il n'y a, disons donc, que quelques membres qui totalisent plus de... Quand un membre totalise plus de 15 ans, c'est très rare dans les tribunaux administratifs actuellement. Leur nombre n'est pas vraiment beaucoup. Et, lorsqu'on fait la moyenne d'âge d'expérience dans chaque tribunal, je sais que, chez nous, c'est moins de cinq ans et, là-dessus, il y a trois membres qui ont 15 ans d'expérience. C'est donc dire que les autres sont vraiment à moins de cinq ans. Alors, c'est la situation dans les tribunaux administratifs qui est généralement celle-là.

Mme Houda-Pepin: Très bien, je vous remercie. À la page 9 de votre mémoire, vous dites que «la Conférence constate que le principal moyen de déjudiciarisation proposé est de priver les Québécois de leur droit à être entendus par un tribunal indépendant et impartial». Et vous ajoutez: «Cette diminution des garanties reconnues par notre Charte des droits et libertés de la personne permet de réformer une partie de la justice administrative dite juridictionnelle et de légitimer l'absence de réforme pour l'autre partie de la justice administrative.»

Je voudrais savoir quels sont les éléments de réforme que vous auriez souhaité voir dans le projet de loi en matière de justice administrative. Parce que, depuis qu'on a entamé cette discussion...

Mme Lambert (Lise): La réponse est très claire là-dessus. Si elle l'est moins sur d'autres aspects, sur ce point la réponse est très claire. Pour l'ensemble de la justice administrative, même pour ceux qu'on qualifie de purement administratifs et qu'on veut, en quelque sorte, soustraire à la Charte, dans notre esprit, il faut absolument que le Conseil de la justice administrative puisse s'appliquer, que les normes de nomination et de sélection puissent s'appliquer pour que cette justice qu'on appelle administrative puisse en quelque sorte avoir des normes de qualité. C'est absolument indispensable. Alors, sur cet aspect-là, je pense que c'est du côté de la nomination, du renouvellement et du Conseil de la justice administrative, et ça va être d'autant plus important que les membres de ces organismes-là, vu qu'ils ne seront pas astreints à la Charte des droits et libertés, soient astreints à un code de déontologie.

Alors, c'est pour ça que, dans notre esprit, le Conseil de la justice administrative, pour l'ensemble des 300... et les 15 organismes que nous a demandés M. Mulcair... Nous sommes des représentants de chacun de ces organismes-là, alors on peut vous les énumérer, même très rapidement, c'est très facile à voir. C'est entendu qu'on peut, je veux dire, faire des distinctions assez subtiles pour savoir s'ils exercent vraiment des fonctions juridictionnelles, étant donné que c'est un nouveau nom, mais, suivant les définitions qui nous sont données, je veux dire, pour nous, c'est assez facile de voir que plusieurs de ces organismes-là... et qu'il faut absolument qu'il y ait une réforme du côté du mode de nomination, de renouvellement, et, au Conseil de la justice administrative, ces gens-là en dépendent aussi.

(17 h 50)

Alors, c'est pour ça qu'on dit qu'en nous enlevant de la Charte des droits et libertés et comme on ne sera pas du tout dans la réforme des tribunaux administratifs, pour tous ceux qui sont qualifiés de purement administratifs, bien, de ce côté-là, ça peut amener des problématiques pour nos justiciables. Il peut y avoir une perte de confiance dans les organismes où les normes d'indépendance et d'impartialité ne sont pas données.

Mme Houda-Pepin: O.K.

Le Président (M. Paquin): Vous disposez toujours d'une minute.

Mme Lambert (Lise): Ça peut être une très grande problématique...

Mme Houda-Pepin: D'accord.

Mme Lambert (Lise): ...parce que je vois difficilement des administrés qui nous confient des choses importantes faire confiance à des membres qui ne seront plus régis par la Charte des droits et libertés. Ce n'est pas en faveur des juges administratifs, c'est même un peu... On voit tous les avantages pour nous, actuellement, qu'on nous enlève ce fardeau des chartes; c'est, jusqu'à un certain point, un fardeau. Notre conduite est examinée par les – il faut le dire – journaux, par les médias et ce n'est pas toujours très intéressant de se faire examiner sur la place publique. Alors, là, comme les conditions d'indépendance et d'impartialité ne s'appliqueront plus, nous sommes très positifs, nous voyons que nous n'aurons plus ces soucis aussi de répondre devant la Cour supérieure des questions d'indépendance et d'impartialité.

Cependant, nous sommes très préoccupés parce que nous croyons que ce n'est peut-être pas le style de justice qu'il faut donner à chacun de nos justiciables. Il nous semble que la personne qui va venir devant nous va être inquiète, qu'elle va se demander par quoi nous sommes régis et qu'elle ne se satisfera pas de notre devoir de fonctionnaire, en quelque sorte, d'agir de façon non arbitraire, comme pour toute personne qui se présente devant un fonctionnaire. C'est que, lorsqu'on fait les distinctions entre les deux, entre la fonction juridictionnelle et la fonction administrative, ce qui va arriver, c'est que les membres de tribunaux administratifs vont devenir comme des fonctionnaires, et, à ce moment-là...

Le Président (M. Paquin): Merci.

Mme Lambert (Lise): ...avec seulement des obligations de fonctionnaires. Et je crains, pour ma part, que les justiciables vont ressentir un profond malaise devant des personnes qui n'auront pas des obligations d'indépendance et d'impartialité et devant lesquelles ils n'auront que des garanties de n'importe quel fonctionnaire, c'est-à-dire d'une personne honnête et respectueuse pour eux.

Le Président (M. Paquin): Nous avons dépassé le temps qui était réservé à l'opposition. Il reste du temps du côté ministériel, est-ce qu'il y a des députés qui ont des questions à ce moment-ci? M. le ministre?

Mme Houda-Pepin: Peut-être une petite sous-question.

M. Bégin: Peut-être une question. Est-ce que vous avez...

Le Président (M. Paquin): S'il reste du temps, j'y reviendrai.

M. Bégin: Oui, il reste du temps, alors...

Mme Houda-Pepin: En rapport avec ce qui a été dit, juste une question de clarification.

M. Bégin: Combien de temps reste-t-il?

Le Président (M. Paquin): Il reste neuf minutes, alors une ou deux minutes pour la députée de...

Mme Houda-Pepin: Très courte.

M. Bégin: Je vais vous en prêter une.

Mme Houda-Pepin: Merci, vous êtes bien gentil. Justement, puisqu'on a parlé de mode de nomination des juges administratifs, à la page 7 de votre mémoire vous y faites référence et vous dites que, dans l'opinion publique, c'est le problème qui est le plus apparent, le reproche qu'on vous fait le plus. Comment voyez-vous un mode de nomination des juges qui soit crédible et dont la crédibilité, évidemment, rehausserait la qualité de la justice et la fonction du juge administratif?

Mme Archambault (Nicole): Je n'ai pas le mémoire, le dernier mémoire où on l'indiquait exactement. Un minimum, c'est d'abord qu'il y ait un schéma de qualités, d'aptitudes de ce que ça prend, qu'il y ait une analyse qui soit faite, ce que ça prend pour remplir la fonction, qu'on ait des avis publics dans les journaux indiquant qu'il y a des postes disponibles dans les tribunaux administratifs, que les gens puissent se présenter sur ces concours-là et qu'ils soient rencontrés par des jurys de sélection qui les évaluent et qui établissent une liste d'éligibilité de gens aptes à remplir la fonction.

Le Président (M. Paquin): Alors, M. le ministre, il nous reste exactement cinq minutes.

M. Bégin: Merci. Alors, la question, et je comprendrai que ça soit difficile pour vous d'y répondre, mais, quand même, j'ose la présenter: Est-ce que vous avez regardé le projet de loi n° 131? Vous seriez des administrateurs publics. Il y a l'éthique et la déontologie. Alors, quel serait, par rapport à ce que vous venez de dire... Me Lambert, peut-être, là: Êtes-vous en mesure d'élaborer par rapport à l'effet qu'aurait, justement, ce que vous venez de dire face au projet de loi n° 131? L'administrateur public, les règles de déontologie et d'éthique, l'obligation d'agir d'une certaine façon, par exemple ce qui est dans la fonction publique, les règles, là, alors comment vous voyez ça par rapport à ce que vous avez dit tout à l'heure?

Mme Lambert (Lise): Oui, c'est une question très intéressante que vous posez là. C'est d'ailleurs un peu le problème qu'on se pose à l'interne, c'est-à-dire: À quoi allons-nous être astreints? Est-ce que ça va être en tant que juges administratifs que nous allons avoir un code de déontologie? Et est-ce qu'on va avoir à répondre au Conseil de la justice administrative ou est-ce que, en vertu du nouveau projet de loi de l'Exécutif, on va être visés?

Le projet de loi de l'Exécutif est très intéressant, M. le ministre, c'est un bon pas, sauf que je dois vous dire, pour l'avoir étudié, que ça ne répondra pas à plusieurs des questions qui hantent les juges administratifs du côté de leur éthique et que, de ce côté-là, il faut absolument, dans mon esprit, qu'il y ait quelque chose de beaucoup plus spécialisé. Il faudrait, entre autres, un conseiller à la déontologie qu'on puisse consulter notamment dans votre ministère. C'est-à-dire que, lorsqu'on écrit... Pour ma part, j'ai déjà fait des demandes de déontologie au ministère de la Justice sur certaines situations particulières, et nous ne recevons aucune réponse sur ces questions qu'on nous pose, qu'on pose à l'administration, et on s'adresse, par la suite, à l'Exécutif qui, non plus, n'ont pas de réponse.

Alors, c'est une situation extrêmement déplorable, parce que nous remarquons, dans le public, une soif de transparence, un désir d'augmenter le niveau, je dirais, de qualité. Et, pour ça, bien, il faut avoir des guides. C'est pour ça que je vous incite fortement à penser à nous en tant qu'adjudicateurs qui ne seront pas dans le Tribunal administratif du Québec, pour qu'on puisse... Si vous ne le faites pas dans cette loi-là, faites-le au moins dans votre projet de loi sur l'éthique, tout au moins qu'on sache à qui nous référer, à qui poser nos questions et qu'on ait des réponses avant d'attendre d'être devant les tribunaux judiciaires pour savoir quelles réponses on doit avoir.

M. Bégin: Mme Lambert...

Mme Lambert (Lise): Parce que les problèmes de déontologie des tribunaux administratifs ne sont pas les mêmes que ceux de l'ordre judiciaire.

M. Bégin: C'est ça.

Mme Lambert (Lise): Vous savez que, comment on lit, là, ce n'est pas la même chose. C'est des problèmes de nature... qu'on connaît tous nos justiciables et que, souvent, vous savez, si on a des justiciables comme, par exemple dans le secteur de l'autobus, vous les avez entendu ce matin, ils sont au nombre... Vous savez, dans l'autobus, j'ai environ 130 justiciables. Je dois vous dire que je les connais tous par leur nom, ils n'ont pas besoin de s'identifier quand ils rentrent puis qu'ils viennent plaider devant moi. Il y en a certains que j'ai entendus 14 fois en un an et demi et j'ai dû dire 14 fois non. Bien, dans ce temps-là, je me pose la question: Quand est-ce qu'il faut que je leur donne congé de ma personne? Alors, c'est des questions qui, bien entendu, n'affectent pas du tout les tribunaux judiciaires. Ça ne peut pas arriver, une pareille affaire, qu'il entende 14 fois une personne en un an et demi qui doive lui dire 14 fois non. Et là on se pose des questions, vous savez.

Alors, quand vous dites qu'il faut des mécanismes, je pense que, oui, et ça presse. Et je peux vous dire que c'est très regrettable quand on s'adresse à des autorités et que, par les questions qu'on pose, on nous dit qu'ils n'ont pas actuellement l'autorité pour nous répondre, que c'est notre conscience...

M. Bégin: Me Lambert, Me Lambert, permettez-moi...

Le Président (M. Paquin): Je devrai interrompre les travaux dans une minute...

M. Bégin: O.K.

Le Président (M. Paquin): ...donc un petit mot bref de chaque côté.

Mme Lambert (Lise): Excusez-moi.

M. Bégin: Oui. Me Lambert, je suis très content. J'hésitais à poser ma question parce que je me doutais bien que j'ouvrais une grande porte. Mais je suis content de l'avoir fait en vous entendant, parce que je comprends votre message de la manière suivante: il y aura des adjudicateurs qui seront au Tribunal administratif, il y aura la déontologie, le Conseil de la justice administrative. Problème réglé. Actuellement, il n'y a rien et on l'aura. Il y aura des administrateurs publics, il y aura – on l'espère, vous l'espérez – le projet de loi n° 131 sur l'éthique et la déontologie qui s'appliquera aux administrateurs publics. Vous dites: Parfait. On ne l'a pas actuellement, on l'aura dorénavant.

Vous ajoutez, je pense, autre chose. Vous dites: Cependant, concernant les adjudicateurs qui seraient des administrateurs, mais qui ne seraient pas dans le Tribunal, il va falloir qu'il y ait un casier particulier pour dire: Là, on a besoin, peut-être, d'un support différent, ou de règle, ou de façon de faire en tout cas, je n'ai pas le mot exact, qui...

(18 heures)

Mme Lambert (Lise): Exactement. Un conseiller à la déontologie. J'appellerais ça comme ça, M. le ministre.

M. Bégin: À la déontologie. J'apprécie beaucoup vos commentaires. Merci beaucoup.

Le Président (M. Paquin): Il me fait plaisir de vous remercier, Me Bisson, Me Lambert, Me Archambault de la Conférence des juges administratifs du Québec. La commission des institutions ajourne ses travaux au mardi 24 septembre 1996, à 10 heures.

(Fin de la séance à 18 h 1)


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