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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le jeudi 30 mars 2000 - Vol. 36 N° 58

Consultation générale sur le projet de loi n° 99 - Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec


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Table des matières

Auditions


Autres intervenants

M. Roger Bertrand, président
M. Jacques Côté, président suppléant
M. Joseph Facal
M. Michel Morin
M. Benoît Pelletier
M. Roger Paquin
M. Geoffrey Kelley
M. Marc Boulianne
M. Jacques Dupuis
*M. Gilles Grenier, PQ
*Mme Marie Malavoy, idem
M. Jacques Gauthier, Conseil des Innu du Nitassinan
*M. Armand McKenzie, idem
*M. Jean-Charles Piétacho, idem
*M. Léo Mark, idem
*M. Jean Lemoine, Génération Québec
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Neuf heures trente-trois minutes)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission des institutions reprend ses travaux dans le cadre de la consultation générale et des auditions publiques sur le projet de loi n° 99, Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Non, M. le Président, il n'y aucun remplacement.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, nous avons à l'ordre du jour proposé pour cette journée tout d'abord, à 9 h 30, une rencontre avec les représentants du Parti québécois (permanence nationale). Suivront Mme Andrée Lajoie, ensuite les représentants du Conseil des Innu du Nitassinan. Nous allons suspendre, en principe, à 12 h 30 pour reprendre à 15 heures avec M. François Rocher. Suivront les représentants de Génération Québec et, à 17 heures, M. Nelson Michaud, pour ajourner, en principe, vers 17 h 30.

Est-ce que cet ordre du jour est adopté?

Des voix: Adopté.


Auditions

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Adopté. Alors, nous allons donc procéder avec nos premiers invités. J'inviterais donc les représentants du Parti québécois, représentés notamment par M. Gilles Grenier, deuxième vice-président du Conseil national, et Mme Marie Malavoy, conseillère au Conseil exécutif national, à bien vouloir s'avancer et prendre place. Je rappelle que nous avons réservé une période d'une heure pour cette rencontre, dont une vingtaine de minutes pour la présentation de votre mémoire ou de votre point de vue, et par la suite nous passerons à la période d'échange. Alors, sans autre forme d'introduction, je vous cède la parole.


Parti québécois (permanence nationale) (PQ)

M. Grenier (Gilles): Alors, bonjour, M. le Président, bonjour, M. le ministre, bonjour, MM. les parlementaires. Mon nom est Gilles Grenier. Je suis deuxième vice-président du Parti québécois à l'exécutif national et je suis accompagné, à ma gauche, de Mme Marie Malavoy, qui est certainement assez bien connue des parlementaires et qui est conseillère au même exécutif national. Très rapidement, je pense que le mémoire que nous avons produit dans un premier temps sera résumé, mais on va également sortir, Marie Malavoy et moi, du texte qui vous a été soumis, mais dans la même optique, la même veine.

Abusif et mal avisé, le projet de loi du gouvernement du Canada perpétue l'affrontement entre Ottawa et Québec. Il équivaut, s'il devait un jour être appliqué, à une tutelle de l'Assemblée nationale, en voulant faire du Parlement fédéral le juge de la clarté de la question et du résultat référendaire, à l'encontre des prérogatives de l'Assemblée nationale. Le gouvernement Chrétien enfreint les principes mêmes qu'il dit vouloir défendre. C'est en substance ce que M. Claude Ryan a déclaré lors de sa comparution devant le comité de la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-20. Le Parti québécois appuie la position de M. Ryan en regard de la gravité du geste posé par le gouvernement Chrétien. Il est normal d'appuyer cette position de M. Ryan, ex-chef du Parti libéral, qui reflète le large consensus québécois dénonçant cet autre coup de force du gouvernement fédéral et qui nie littéralement les principes fondamentaux de la démocratie.

Nous saluons l'initiative du gouvernement du Québec, qui répond à ce projet de loi fédéral par un projet de loi. Le gouvernement québécois devait réagir sur le même ton au même niveau qu'Ottawa. Cette réponse du gouvernement du Québec réaffirme le droit du Québec de choisir librement et démocratiquement son avenir politique. Ce droit repose sur un large consensus au Québec et le projet de loi n° 99 reflète ce consensus. C'est dans cet esprit que nous avons proposé, à la fin de notre mémoire, la seule phrase suivante: «Que tous les parlementaires de l'Assemblée nationale réaffirment le droit du Québec de choisir lui-même son avenir politique en adoptant à l'unanimité ce projet de loi n° 99.» Pour la suite des choses, il y aura Mme Marie Malavoy qui aura une intervention, et je conclurai.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme Malavoy.

Mme Malavoy (Marie): Merci, M. le Président. J'aimerais reprendre finalement un peu les explications qui permettent de comprendre pourquoi cette proposition que M. Grenier vient de vous soumettre, essentiellement parce que nous pensons qu'il est de la responsabilité des élus de l'Assemblée nationale d'adopter une position de rassembleurs. Les élus représentent le peuple du Québec et c'est aux élus de défendre l'intégrité des institutions démocratiques et de défendre les droits du peuple du Québec. Et nous faisons nôtre la proposition qui est dans le projet de loi, le texte du projet de loi n° 99, que j'aimerais tout simplement rappeler.

Dans les dispositions finales, à la fin du projet de loi, on trouve ces deux petits paragraphes que je voudrais vous relire, même si je sais bien que vous les connaissez déjà fort bien, que: «L'État du Québec et l'Assemblée nationale ne sont liés en ce qui concerne l'exercice du droit fondamental et inaliénable du peuple québécois à disposer de lui-même que par les dispositions de la présente loi et des autres lois applicables de l'Assemblée nationale. Aucun autre Parlement ou gouvernement ne peut réduire les pouvoirs, l'autorité, la souveraineté et la légitimité de l'Assemblée nationale.» Nous pensons qu'il est fort important d'insister sur ces dispositions finales et de rappeler ce que le projet de loi affirme très clairement, que le peuple du Québec dispose du droit de décider de lui-même, de son avenir, rappeler aussi que l'exercice de ce droit fondamental doit se faire à partir des institutions politiques propres à ce peuple et qui sont une longue tradition démocratique. Nous nous vantons à travers le monde d'être une des plus anciennes démocraties du monde, nous avons une tradition de parlementarisme britannique, je pense, qui est fort respectable et qui nous permet, depuis que nous existons, de bien représenter les besoins et les droits du peuple du Québec.

Le projet de loi réaffirme aussi que, lors d'un référendum sur l'avenir politique du Québec, la règle qui prévaudra, c'est celle bien entendu qui est reconnue par l'ONU et qui est la règle du 50 % plus une voix. C'est d'ailleurs la règle qui jusqu'ici a permis à nos adversaires politiques de dire qu'ils avaient gagné quand nous avons perdu et c'est la même règle qui devrait donc s'appliquer et qui devrait être aussi bonne, si nous parvenons comme nous le souhaitons à gagner un prochain référendum.

J'aimerais dire quelques mots, dans cette foulée, de la portée du projet de loi C-20. Ce qui est le plus grave à nos yeux, c'est que le projet de loi C-20 s'attaque aux fondements mêmes de la démocratie. D'abord, il remet en question cette règle démocratique du 50 % plus un dont je viens de parler. De cette façon, d'une certaine manière, il placerait Ottawa au-dessus de l'ONU, comme si Ottawa pouvait édicter des règles qui vont au-delà de ce que les Nations unies elles-mêmes défendent. Et, ce qui est grave aussi, c'est qu'il donnerait une sorte de droit de vote aux parlementaires du Canada anglais.

(9 h 40)

Et je vous fais une petite simulation. Cela veut dire que, même si la question qui était soumise à l'Assemblée nationale du Québec, la question référendaire, même si elle était adoptée à l'unanimité des parlementaires québécois... ce qui n'est pas une absurdité... On pourrait très bien imaginer que les parlementaires québécois à l'unanimité conviennent d'une question. Je le souhaite, là, puis je pense que ce n'est pas une chose qui devrait être impossible à concevoir. Donc, même si on était unanime sur la définition de la question, même si la majorité de la population répondait oui à cette question, même si une majorité de parlementaires québécois à la Chambre des communes, qui nous représente, était en faveur de cette même question, malgré tout, la Chambre des communes pourrait bloquer l'avenir démocratiquement choisi par le peuple québécois.

Et j'aimerais attirer l'attention sur un aspect du projet de loi C-20 qui me semble particulièrement, je dirais, dangereux et qui nous a fait sursauter quand on l'a lu. J'en donne deux exemples qui sont peut-être les plus visibles. Un premier exemple qui concerne ce qu'on appelle l'examen de la clarté de la question. C'est l'article 1, paragraphe 5°. On dit ceci, on dit que, dans le fond, la Chambre des communes tiendrait compte de l'avis des partis politiques, elle tiendrait compte des résolutions, déclarations des gouvernements, des Assemblées législatives des provinces et territoires du Canada, mais aussi de tout autre avis qu'elle estime pertinent. Et ce libellé «tout autre avis qu'elle estime pertinent» revient au moment de parler de la clarté de la question, revient également dans les mêmes termes au moment de se prononcer sur la question de la majorité claire.

Ce que ça veut dire, c'est que, même si le Parlement du Québec, qui représente l'ensemble de la population québécoise, parvenait à s'entendre, même si le peuple du Québec votait, à l'occasion d'un référendum, en fonction de l'avenir du Québec, cela voudrait dire que n'importe quel groupe pris on ne sait où, «tout autre avis qu'elle estime pertinent» pourrait venir influencer cette question. Et ça nous semble très grave que le projet de loi C-20 dise des phrases comme ça: «Tout autre avis.» Ça veut dire qu'il n'y a pas de fin aux gens qui pourraient essayer de contrer ce que nous aurions nous-mêmes déterminé comme peuple.

Ça me permet donc simplement de redire que le projet de loi fédéral, tel qu'il est là, il donne aux parlementaires fédéraux, dont les trois quarts sont du Canada anglais, un droit de veto sur l'avenir du Québec. C'est un geste grave qu'une majorité d'intervenants québécois a fortement dénoncé, dont les centrales syndicales, le mouvement étudiant, la Fédération des femmes du Québec et l'ancien chef du Parti libéral du Québec, dont on évoquait tout à l'heure les paroles, M. Claude Ryan. M. Ryan a qualifié ce projet de loi de «régime de tutelle», et nous sommes d'accord avec lui. Nous pensons que la loi n° 99 est une absolue nécessité, et nous tenons à vous dire donc que, pour toutes les raisons que j'ai évoquées, nous appuyons très fortement son adoption.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Grenier.

M. Grenier (Gilles): Essentiellement, à notre point de vue, le projet de loi C-20 est une sorte de réponse du gouvernement du Canada à une déception de la décision de la Cour suprême qui a été rendue dans le renvoi relatif à la sécession du Québec. Sans faire l'exégèse de cette décision fort complexe et pour laquelle il pourrait y avoir toutes sortes de discussions, il y a au moins deux points que nous voudrions relever.

Le premier point, c'est que la Cour, au-delà de toute considération, a rappelé quand même l'importance du fait qu'il s'agissait là de questions politiques, et elle s'est faite humble, à la page 271, au paragraphe 100, lorsqu'elle dit: «Le rôle de notre Cour dans ce renvoi se limite à identifier les aspects pertinents de la Constitution dans leur sens le plus large. Nous avons interprété des questions comme se rapportant au cadre constitutionnel dans lequel des décisions politiques peuvent, en dernière analyse, être prises. À l'intérieur de ce cadre, les rouages du processus politique sont complexes et ne peuvent être déterminés que par le moyen de jugements et d'évaluations d'ordre politique. La Cour n'a aucun rôle de surveillance à jouer sur les aspects politiques des négociations constitutionnelles. De même, l'incitation initiant la négociation, à savoir une majorité claire en faveur de la sécession en réponse à une question claire, n'est assujettie qu'à une évaluation d'ordre politique, et ce, à juste titre.»

Juste un peu plus loin, elle rappelle, dans le même paragraphe, la page suivante, qu'«il incombait plutôt aux élus de s'acquitter de leurs obligations constitutionnelles d'une façon concrète et qu'en dernière analyse seuls leurs électeurs et eux-mêmes seraient en mesure d'évaluer.» Ce premier point nous rappelle donc que le débat est essentiellement un débat politique. Or, le gouvernement du Canada, par cette loi, réalise indirectement le fait de normer, de normativer à nouveau un débat politique, donc de le rendre justiciable, et la Cour suprême l'avait pourtant invité à ne pas le faire.

Le deuxième point qui me semble intéressant, c'est ce projet de loi C-20, quand on regarde en particulier le paragraphe 4°, petit b de l'article 1, où on décrète à l'avance que ne serait pas claire toute question qui fait référence à un accord notamment de politique ou économique avec le Canada, donc voulant tuer dans l'oeuf toute idée ou question qui toucherait au partenariat. La Cour, pages 266 et 267, rejette deux propositions extrêmes. Elle dit: «Cette première proposition consiste à dire que les autres provinces et le gouvernement fédéral auraient l'obligation légale de donner leur assentiment à la sécession d'une province sous réserve seulement de la négociation de détails logistiques de la sécession.» La Cour, à l'évidence, s'adressait aux tenants de la souveraineté du Québec, puisqu'à la page suivante elle dit: «Nous ne pouvons accepter ce point de vue pour des raisons à la fois théoriques et pratiques. À notre avis, le Québec ne pourrait prétendre invoquer un droit à l'autodétermination pour dicter aux autres parties les conditions d'une sécession. Ce ne serait pas là une négociation.» Or, qui tue d'avance toute négociation si ce n'est le gouvernement du Canada, par le projet de loi C-20 et par le fait qu'il indique, dans une espèce de présomption, que ne pourrait être claire toute question touchant le partenariat. «À l'inverse, nous dit la Cour, le paragraphe 92, il nous est aussi impossible d'accepter la proposition inverse selon laquelle une expression claire de la part de la population du Québec d'une volonté d'autodétermination n'imposerait aucune obligation aux autres provinces ou au gouvernement fédéral.»

Or, que fait le gouvernement du Canada dans le projet de loi C-20 sinon créer une multitude d'embûches pour en arriver à déterminer comment pourrait s'amorcer une négociation. À cet égard, le professeur M. Benoît Pelletier avait écrit dans La Revue du Barreau , en 1997, avant la décision de la Cour suprême, la thèse suivante. Il était en faveur – et je ne veux pas discuter de la proposition juridique là-dessus – du fait que la procédure d'amendement qui lui apparaissait la plus plausible, la plus logique était la 750 et, dans sa conclusion, il termine ainsi: «En d'autres termes, pour légitime qu'elle soit, l'idée voulant qu'il y ait lieu d'appliquer cette procédure dans le cas de la sécession du Québec, elle pourrait très bien être inopportune dans les faits – et il met en italique «dans les faits» – puisqu'elle pourrait empêcher nos acteurs politiques de réagir adéquatement face à la situation. Cette idée pourrait aussi en venir à nier concrètement le droit des Québécois de s'autodéterminer, même si ce droit devait par hypothèse être fermement exprimé autour d'un projet clair, sans compter que le fait de trop insister sur l'application de la procédure de modification constitutionnelle canadienne dans le contexte de la sécession du Québec pourrait avoir pour conséquence d'empêcher tant les Québécois que les autres Canadiens de faire preuve éventuellement, si besoin était, d'une flexibilité et d'une imagination opportune et créatrice. Dès lors, n'est-il pas préférable de revenir aux principes de l'adhésion volontaire au Canada dans le respect des valeurs démocratiques?»

Et c'est un peu ce que nous venons faire ce matin, inviter les parlementaires à se souder autour d'un débat qui se situe au-dessus d'une ligne partisane et qui est en quelque sorte la défense de l'institution même, des institutions mêmes, de la démocratie elle-même. Et je vais terminer sur une note... Et pour les gens du Parti québécois qui me connaissent, je ne peux pas m'empêcher de faire certaines rimes. Alors, je vais terminer un peu et ce sera juste avant ma conclusion: Car cet idéal politique pour lequel nous oeuvrons tous à la fois se nourrit de et incarne l'idéal démocratique en lequel nous avons foi. Au-delà de considérations personnelles, au-delà de notre immédiat débat existentiel, au-delà de motifs conjoncturels, nous ne pouvons qu'être profondément attristés de tout geste de détournement institutionnel, comme s'apprête à faire le gouvernement du Canada. La Chambre des communes, dans un geste qu'elle voulait d'éclat, a voté à la vapeur une loi pour la démocratie, un déshonneur qui desservira davantage le Canada qu'elle ne fera peur aux Québécois et Québécoises, car il s'agit d'une camisole de force législative qu'elle tisse, et c'est de leur propre mouvement qu'elle le limite en transposant dans l'ordre normatif, juridique ce qui est essentiellement politique. Elle prépare pour les Canadiens de tristes lendemains, car ils verront à l'usage que ce pétard va sauter mais dans leur visage.

(9 h 50)

Ce refus obstiné, insensé, inscrit dans la loi de toute question à saveur de partenariat, c'est pour le Canada se condamner à l'avance à favoriser notre internationale émergence, là où ultimement, de toute façon, se réglera le différend. Il y a des moments où l'intérêt commun des Québécoises et des Québécois prime sur toute autre considération politique. L'appui au projet de loi n° 99 en réponse au projet de loi C–20 fait partie de ces moments qui façonnent notre histoire. Dès le dépôt du projet de loi d'Ottawa, nous, au Parti québécois, nous avons adopté une position de mains tendues et d'ouverture pour que le projet de loi n° 99 soit adopté à l'unanimité par les membres de l'Assemblée nationale. Le clivage partisan devrait être mis de côté lorsque le respect de la volonté populaire est nié et que l'intérêt supérieur du peuple québécois est compromis.

Rappelons-nous de l'épisode de l'après-Meech, où le Parti québécois tendait la main au gouvernement de Robert Bourassa afin de trouver au-delà des lignes partisanes des solutions pour débloquer l'avenir politique du Québec. D'ailleurs, à l'invitation du Parti libéral du Québec, le Parti québécois avait participé à la commission Bélanger-Campeau sur l'avenir politique du Québec et en avait signé les recommandations finales. Devant cette tentative d'intimidation d'Ottawa, les élus de l'Assemblée nationale devraient s'élever au-dessus de la mêlée.

Comme le soulignait le premier ministre, M. Lucien Bouchard, lors de son allocution à la nation le 15 décembre dernier... et je cite: «Il y a maintenant près de 40 ans qu'au Québec des citoyens en nombre croissant pensent que notre avenir serait mieux assuré si nous devenions souverains. Il y a aussi beaucoup de citoyens qui croient que le Québec devrait demeurer au sein du Canada, mais à la condition que la fédération canadienne soit profondément réformée pour mieux respecter l'identité québécoise.» Ce débat n'est pas nouveau, mais, depuis le début, nous savons tous qu'il appartient aux Québécoises et aux Québécois de décider seuls du choix à faire. Les parlementaires de l'Assemblée nationale ont donc la possibilité, par une position unanime, de joindre leur voix à celle du peuple québécois qu'ils représentent en réaffirmant notre droit inaliénable de décider de notre avenir politique selon les règles fondamentales de démocratie. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Grenier, merci, Mme Malavoy. M. le ministre responsable des relations intergouvernementales canadiennes et député de Fabre, vous avez la parole.

M. Facal: Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Mme Malavoy, bonjour, M. Grenier. Je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale. Je vous remercie infiniment pour votre contribution à nos travaux. Je ne m'attends évidemment pas à provoquer quelque effet de surprise en vous disant que je suis en parfait accord avec votre mémoire. De surcroît, comme nous sommes des compagnons engagés dans la même cause et partageons très exactement la même vision de l'avenir du Québec, je craindrais de ne donner des apparences de complaisance si, en tant que parrain du projet de loi, je vous questionnais trop longuement. J'aurais l'impression de me livrer un peu avec vous à des figures imposées. Je me contenterai donc de vous remercier pour votre contribution et je préfère davantage laisser mon collègue de Dubuc approfondir la suite de vos échanges.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): Alors, merci, M. le Président. Mme Malavoy, M. Grenier, bonjour. Vous dénoncez naturellement C-20 et vous appuyez très fortement le projet de loi n° 99. Est-ce que certains amendements, d'après vous, à ce projet de loi seraient nécessaires? Et je vous pose cette question dans l'optique dont plusieurs intervenants devant cette commission sont venus nous parler, de la formation d'une assemblée constituante. J'aimerais peut-être vous entendre à ce sujet-là pour avoir votre opinion.

M. Grenier (Gilles): La position du Parti québécois, au moment où on se parle, n'est pas d'orienter les débats vers une constituante. Nous pensons que, si 99 existe, c'est qu'il y a C-20. C'est pour ça qu'on appuyait le gouvernement du Québec de répondre par une loi à une autre loi. Et il a toujours été dit qu'on n'aurait pas fait 99 s'il n'y avait pas l'attaque C-20.

Donc, ce qui nous apparaît urgent et réel, au moment où on se parle, à partir de 99, c'est une position unanime de la défense de la démocratie québécoise. Se lancer dans une constitutionnalisation de cette démocratie, c'est nécessairement entrer dans un débat extrêmement intéressant et riche, mais où vont se confronter des opinions divergentes sur les manières de réaliser la constitution et sur qu'est-ce qu'on doit mettre ou ne pas mettre dans la constitution. C'est donc quitter notre point de vue, le débat fondamental du cri du coeur qu'on pense que le Québec doit faire. Et on pense que ce n'est pas l'occasion. L'occasion, elle viendra sans doute lorsque nous aurons dit oui. Et à ce moment-là, oui, une constitution serait intéressante comme élément rassembleur du peuple pour définir la marche à suivre de la présouveraineté. C'est une opinion que nous lançons.

Mais il est prématuré de vouloir transformer un débat qui est un cri du coeur et qui est une réponse à C-20 en une mécanique complexe de détermination d'une constitution. Parce que c'est très complexe, déterminer une constitution, tant dans les droits qu'on doit garantir que dans leur formulation. Et Dieu sait que l'on perd beaucoup plus de temps – 80 %, dirait Pareto – à discuter de la forme que du fond. Alors, imaginez les débats qu'entraînerait une transformation de cette assemblée en une constituante pour essayer de définir ce projet commun. Il serait plus divisif à ce stade-ci de le faire et nous voulons être inclusifs. Et, pour être inclusif, il faut arriver à une sorte de dénominateur commun, et ce dénominateur commun, il est indiqué dans la citation que j'ai faite du professeur Pelletier, à l'époque, député de Chapleau, qui est: «Oui, c'est politique, oui, il faut s'en aller plutôt au-dessus de la mêlée, oui, il ne faut pas trop embrouiller les choses au moment où on se parle, oui, laissons les cartes ouvertes pour l'avenir.» Constitutionnaliser dès maintenant, ce serait de s'en aller trop rapidement, à notre point de vue, vers un aspect plus rigide des choses. Tenons-nous au-dessus de la mêlée. C'est une invitation que je vous fais dans ce sens-là. Et la position du Parti québécois au moment où je vous parle est celle-ci: Si elle évolue dans l'avenir, bien, on verra comment elle va évoluer, mais, pour l'instant, c'est notre position.

M. Côté (Dubuc): En somme, si j'ai bien compris, c'est que vous êtes en accord avec le projet de loi tel que libellé et ce que vous demandez au gouvernement, c'est d'essayer de rechercher l'unanimité de tous les partis politiques?

M. Grenier (Gilles): Je ferais une nuance à ce que vous dites. C'est qu'il y avait effectivement deux volets à votre question. Le premier, c'est la constitutionnalisation des choses. Est-ce qu'il y a des amendements qui pourraient être faits à 99? Nous, on ne voulait pas en proposer. Maintenant, il pourrait y en avoir. Je pense que le gouvernement, je pense que les parlementaires que vous êtes pouvez très bien voir s'il est complet ou suffisamment complet, si un article pourrait être retouché ou pas. Nous, ce n'est pas ce qui importe. Ce qui importe, c'est l'unanimité d'une position des parlementaires dans un dénominateur commun de défense de la démocratie québécoise lorsque celle-ci est attaquée par une loi du gouvernement du Canada.

M. Côté (Dubuc): Je vous remercie.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Morin: Oui, merci, M. le Président. Mme Malavoy, M. Grenier, bienvenue. À la page 8 de votre mémoire, dans le dernier paragraphe, vous dites, à propos du projet de loi C-20, qu'il «déforme de façon grossière l'avis de la Cour suprême et qui, d'autre part, lui permet d'échapper à son obligation de négocier au lendemain d'un oui». J'aimerais ça vous entendre là-dessus, que vous élaboriez un peu. Qu'est-ce que vous entendez par «de façon grossière»? De m'éplucher ça un peu.

M. Grenier (Gilles): Quand on lit C-20 et qu'on voit la technique qui est utilisée, c'est-à-dire par touches qui ne sont pas des touches fines d'impressionnistes mais qui sont des touches assez carrées... Exemple: toute question portant sur le partenariat est à l'avance décrétée non claire. Il faut que le référendum que nous allons tenir, si on s'en tenait au libellé de la loi, porte essentiellement sur un mandat négocié sans requérir à la population qu'elle déclare sans détour qu'elle veut que la province cesse de faire partie.

Donc, on voit... Alors que la Cour suprême nous dit: Écoutez, c'est un projet sérieux, la sécession, ça doit être clair de votre côté, les souverainistes, mais ça a une obligation de négocier, l'autre bord. Le gouvernement du Canada s'est fait dire, et je l'ai dit tout à l'heure: Deux positions extrêmes sont à rejeter, c'est-à-dire la simpliste, qui serait, de notre part, de dire: Nous, tout ce qu'on veut négocier, c'est la dette et l'institution centrale, si on en veut une ou pas, puis être très minimalistes là-dessus. La Cour suprême nous dit qu'on rejette ça. Alors, pourtant, quand on lit C-20, par toutes les petites embûches, parfois écrites assez grossièrement, comme je viens de le dire, de façon très crue, oui, effectivement, ça coupe dès le départ une offre qu'on pourrait faire, de partenariat.

Deuxièmement, maintenant, si on avance un peu plus loin et qu'on faisait quand même un référendum portant sur le partenariat, on nous dit: Écoutez, il y aura toute une mécanique de consultation de l'ensemble de la population canadienne et qui ferait en sorte que le 750 serait effectivement préférable à toute autre procédure d'amendement, puisque c'est complexifier énormément la démarche et c'est de la figer dans le temps. En l'annonçant maintenant dans une loi, on la fige dans le temps, alors que, y compris pour les Canadiens, moi, il me semble que, si, avec mon esprit, j'étais plutôt Ontarien, je voudrais que le jeu reste ouvert au maximum. Parce qu'une négociation suppose au départ qu'il y a projet donc qui commence, on ne sait pas comment il va finir, il y a toutes sortes de démarches entre les deux et il y a un espace de négo. Ici, on a fermé l'espace de négociation. On cherche à fermer l'espace de négociation, mais la négociation, c'est plus fort. Les faits sont plus têtus que le droit. La réalité du peuple québécois sera plus forte qu'un texte juridique.

(10 heures)

M. Morin: Peut-être un complément de question suite à ce que vous venez de dire. Quand vous dites «sans détour», «les embûches», est-ce que vous pensez que la Cour suprême ou le gouvernement fédéral sont aussi suspicieux quand c'est le temps de reconnaître la souveraineté d'un autre pays, exemple, la Slovanie? Est-ce que leurs critères d'évaluation vis-à-vis la souveraineté de ces pays-là passent par un élan ou, comment dire, par une grille d'analyse très pointue pour reconnaître la souveraineté des pays qui y ont accédé soit après un référendum ou soit après une élection?

M. Grenier (Gilles): Bien humblement, je n'ai pas fait d'études historiques ou comparatives ou quoi que ce soit du comportement du gouvernement du Canada de façon systématique. Ce que j'en sais, c'est une connaissance donc superficielle rapportée par les médias, généralement, ou dans quelques auteurs sur la manière dont, par exemple, on a reconnu la validité de certaines questions référendaires qui pouvaient porter sur autre chose qu'une sécession pure, où on a reconnu des pourcentages de différentes variétés sans avoir de grille d'analyse qui semblait, en tout cas, ressortir. Mais, bien honnêtement, je ne m'aventurerai pas sur un terrain, puisque je n'ai qu'une connaissance superficielle des choses.

M. Morin: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, M. le porte-parole de l'opposition officielle et député de Chapleau.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, M. le Président. M. Grenier, Mme Malavoy, bonjour. Je vous remercie de votre présentation. J'ai lu par ailleurs votre mémoire avec intérêt. J'ai quelques questions spécifiques à vous poser.

M. Seymour est venu ici récemment comparaître, donc, devant cette commission et a proposé qu'à l'occasion d'un futur référendum le contenu du partenariat qui serait offert au reste du Canada ne soit pas explicité et finalement ne soit pas, si je puis dire, rendu public. Pour rendre justice à sa thèse, je vais vous expliquer un peu le raisonnement qui est derrière ça, c'est qu'à son avis le partenariat, de toute façon, fait l'objet de négociations, on ne connaît pas à l'avance l'ensemble des données qui donc seraient celles qui prévaudraient dans une telle négociation, que la dernière fois, en 1995, le Parti québécois et l'Action démocratique du Québec ont fait erreur en proposant un partenariat et en proposant surtout un contenu pour le partenariat en le rendant trop explicite, et que ça jetait un peu de confusion dans l'esprit du public, et qu'en conséquence donc, la prochaine fois, mieux vaudrait ne pas expliciter sur cette offre de partenariat qui serait faite au reste du Canada. Qu'est-ce que vous pensez de cette thèse?

M. Grenier (Gilles): C'est délicat de répondre à une thèse dont on n'a que des résumés, sans doute très corrects, mais souvent ça demande réflexion. Ce que je vous dirais là-dessus, moi, je suis représentant d'un parti politique, et on est venus ici demander aux parlementaires de se lever un peu au-dessus de ces questions partisanes pour défendre la démocratie, mais sans... Et j'ai voulu éviter... En tout cas, je n'ai pas voulu inviter la commission à aller dans un débat, par exemple, de fond sur la constitutionnalisation de 99. De la même manière, j'aurais certaines réserves à entrer à fond dans un commentaire d'une thèse, puisque je suis de ceux qui croient qu'on doit garder à ce stade-ci le maximum d'ouverture et de portes ouvertes pour l'avenir.

Il y aura un référendum, nous ne savons pas quand. Nous, de notre côté, nous travaillons pour qu'il soit le plus tôt possible. Nous prendrons acte à ce moment-là de ce que l'on croira être la température du Québec autant dans la façon de formuler la question que de formuler un partenariat ou de ne pas formuler de partenariat. Le prochain référendum, je ne sais pas sur quoi il va porter et je ne voudrais pas à l'avance déterminer ce sur quoi il devrait porter. Maintenant, il y aura référendum, et il portera au minimum sur la souveraineté du Québec. Quant au reste, il est très possible – et là je suis dans les hypothèses – qu'on conclue dans quelques mois qu'effectivement on ne fait pas de référence au partenariat, satisfaisant en cela les voeux de C-20. C'est très possible, ça, en stratégie politique. Mais vous ne me ferez pas commenter une position de M. Seymour, que je respecte par ailleurs, davantage que cela ce matin.

M. Pelletier (Chapleau): Est-ce que je comprends qu'il pourrait ne pas y avoir d'offre de partenariat dans un futur référendum?

M. Grenier (Gilles): Vous pouvez comprendre qu'au moment où se parle je pense qu'on doit garder à tous égards au Québec toute ouverture sur tout élément de stratégie qui soit. Et je pense qu'au parti le message qu'on donne à nos militants et militantes, nous autres, c'est de dire: Oui, on va faire un référendum, oui, sur la souveraineté. Quant au reste, on verra. On verra.

Vous savez, Bourassa disait, et il n'est pas le seul à le dire: Six mois en politique, c'est très long. C'est très, très long, six mois en politique, alors, quand même je vous dirais aujourd'hui quel serait le libellé de la question, je serais mal avisé de le faire, elle ne tiendrait pas compte de la conjoncture au moment où elle sera posée. Quel sera le contenu de l'offre de partenariat? Nous serions mal avisés de le faire, puisque ça ne tiendrait pas compte de la conjoncture qui existera au moment où aura lieu le débat. Et je pense qu'en politique il faut tenir compte du degré, je dirais, de dévolution de cette opinion publique en général pour regarder quelle est la meilleure option qui pourrait satisfaire les intérêts supérieurs du Québec, puis, là-dessus, ce que vous devriez faire comme parlementaires dans cette commission, c'est davantage essayer de réaffirmer ce droit que fait 99 de permettre au peuple québécois d'être seul à décider de son avenir, et cela, c'est une position de principe. Comment va s'articuler maintenant cette expression? Il y aura un débat, vous y participerez possiblement, et il en sortira ce qu'il en sortira.

M. Pelletier (Chapleau): Oui, mais vous devez aussi comprendre qu'on fait déborder, dans ces travaux, nos réflexions sur l'ensemble, finalement, de la question nationale depuis le début de cette commission parlementaire, et ce, de part et d'autre.

À cet égard, j'ai une deuxième question à vous poser. Plusieurs témoins qui sont venus ici, plusieurs témoins même d'allégeance souverainiste, nous ont dit qu'il serait opportun de faire une offre au reste du Canada qui viserait la réforme du fédéralisme canadien. Appelez ça comme vous voudrez, appelez ça une dernière chance, appelez ça finalement un élément de stratégie, appelez ça prendre la température de la population, peu importe l'expression que vous voulez choisir, plusieurs témoins sont venus nous dire: Faisons une autre offre de réforme du fédéralisme canadien. Et certains, même, ont poussé jusqu'à dire: Si ça ne marche pas, on tirera notre révérence ou finalement on fera un référendum sur la souveraineté pure et simple. D'autres ne sont pas allés jusqu'à cette conclusion ultime, mais c'était quand même étonnant de voir jusqu'où plusieurs prônaient, dans le contexte actuel, qu'il y ait une offre qui soit faite par les Québécois, vraisemblablement dans un contexte référendaire, une offre, donc, de réforme du fédéralisme canadien.

Alors, étant donné que vous venez de dire qu'à peu près tout est sur la table et que vous ne fermez aucune porte, je voulais savoir qu'est-ce que vous pensez d'une telle proposition.

(10 h 10)

Mme Malavoy (Marie): Si vous me permettez, je vais commencer la réponse, et puis M. Grenier continuera. Je pense qu'il est clair pour le Parti québécois que nous fermons effectivement cette porte d'une réforme du fédéralisme comme si le fédéralisme pouvait de lui-même se renouveler. Je pense que, s'il y a une leçon à tirer de C-20 au-delà du contenu même du projet de loi, sur le simple fait de son existence, s'il y a une leçon à tirer au Québec, c'est qu'il n'y a aucun espoir de voir respecter par le fédéral l'existence même du peuple québécois et son droit à décider de lui-même. C'est une preuve que, dans les attitudes récentes du gouvernement fédéral, le blocage est de plus en plus manifeste et que, si des gens continuent de rêver à une réforme du fédéralisme, ce qui, au plan du rêve, est tout à fait compréhensible... Moi, je comprends que des gens qui sont plutôt d'allégeance fédéraliste rêvent de cela, mais je pense que notre histoire récente nous fait la démonstration du contraire et que C-20 est comme le dernier clou sur le cercueil des possibilités de réforme du fédéralisme. Alors, le Parti québécois, donc, a vraiment fermé cette porte-là.

Pour le reste, on est obligés de se retrouver finalement devant des positions plus radicales, mais finalement plus simples. Plutôt que de continuer d'attendre de l'extérieur quelque chose qui ne viendra pas, je pense que nous avons à nous prendre en main nous-mêmes. Et nous avons surtout, par le biais et par la voix des gens qui ont été élus par les Québécoises et les Québécois, à prendre nos responsabilités et à dire ce que dit, je crois, fort bien la loi n° 99: C'est à nous de décider ce qui est de notre avenir. Je comprendrais mal que des parlementaires puissent finalement jouer contre eux-mêmes et contre le respect même de ce qu'ils représentent dans la société québécoise, de défendre les intérêts des gens du Québec. Je comprendrais mal qu'ils laissent à un autre Parlement le soin de diminuer la portée de leurs pouvoirs et je pense qu'en ce sens le Parti québécois a des idées relativement claires.

M. Grenier (Gilles): J'avais, avec votre permission, deux remarques que je pourrais faire. C'est que vous avez ouvert la porte, M. le député de Chapleau, en disant: Les autres vous faisaient parfois sortir du cadre plus étroit du cri du coeur que je veux vous inviter à faire. Je vous dirais: C'est possible que les autres le fassent, mais nous, du Parti québécois, l'invitation qu'on vous a faite dans le mémoire et qui est simple, elle tient en trois lignes écrites en caractères gras, page 10, et que j'ai lues tout à l'heure au début, c'est: Trouvons ce dénominateur commun que d'autres de différents partis politiques avant nous et avant vous ont réussi à faire en d'autres circonstances.

Quant à l'autre volet à l'effet de dire que tout était sur la table, j'ai bien précisé que, quant à ce que le référendum porterait sur la souveraineté, ça m'apparaît très clair et, à cet égard, j'endosse entièrement ce que dit Mme Marie Malavoy. Mais je n'ai pas voulu m'aventurer davantage sur tout élément d'ordre stratégique qui pourrait découler de cette prise de position de principe.

M. Pelletier (Chapleau): Oui, c'est vrai que vous avez dit que ça serait un référendum sur la souveraineté minimalement. C'est vrai, je dois dire que vous avez tenu ces propos-là. Mon but, ce n'est pas de déformer les propos de qui que ce soit, c'est de mieux comprendre, en fin de compte, où le Québec s'en va, parce que ceux dont je parlais, ce n'est pas de gens qui rêvent d'une réforme du fédéralisme, ce n'est même pas de gens qui souhaitent qu'il y ait une réforme du fédéralisme canadien vraisemblablement, ce sont des souverainistes qui, par stratégie, veulent qu'il y ait une offre faite au reste du Canada en vue de la réforme du fédéralisme canadien, qui souhaitent que cette offre soit rejetée et qui souhaitent revenir par la suite avec un référendum portant cette fois-ci sur la souveraineté ou la souveraineté-partenariat, peu importe, et ils en font une condition gagnante de cette offre-là qui serait faite au reste du Canada, de cette offre, en fait, astucieuse dans leur vue de l'esprit, en ce qui concerne la réforme du fédéralisme canadien. Mais je ne parlais pas de gens qui rêvent d'une réforme du fédéralisme. Je suis sûr qu'ils ne rêvent pas à ça, ils rêvent du jour où le Québec va être souverain. Mais, pour y parvenir, ils proposent une voie, et cette voie-là, c'est de faire d'abord une offre de renouvellement du fédéralisme canadien au reste du Canada en souhaitant d'emblée que cette offre-là ne fonctionne pas. Qu'est-ce que vous pensez de cette stratégie?

Mme Malavoy (Marie): Je crois bien savoir, M. le député de Chapleau, à quoi vous faites référence, et il y a effectivement des discussions sur ce sujet-là parmi des souverainistes. Il y en a eu récemment, il y en aura probablement régulièrement. Notre position au Parti québécois, là-dessus, est assez claire. D'abord, peut-être que je pourrais l'illustrer simplement à travers la formulation même de votre question, je pense que nous ne serions pas crédibles, comme Parti québécois, de dire: Laissons une dernière chance au fédéralisme. La façon même dont vous formulez votre question, en utilisant, je crois, un adjectif comme «astucieuse» ou... bon, vous le sentez vous-même, vous ne pensez pas que des souverainistes pourraient être crédibles en défendant une telle thèse.

Je crois effectivement que nous avons une thèse, une option qui est simple. Nous avons tout lieu de croire que nous avons épuisé tous les autres moyens de tenter de nous entendre avec le reste du Canada, et je fais partie de la génération qui aura vécu, depuis un peu plus de 30 ans, vraiment beaucoup de ces tentatives et je pense qu'il faut tirer un trait, et il ne faut pas que, comme souverainistes, nous nous transformions en stratèges, en hauts stratèges, pour essayer par des voies détournées d'obtenir ce que nous voulons obtenir par une voie claire, directe et limpide qui est un appel au peuple du Québec pour qu'il se prononce sur son avenir.

M. Pelletier (Chapleau): Une dernière question, M. le Président, si vous me permettez. Quand M. Parizeau est venu témoigner devant cette commission, M. Parizeau a affirmé qu'il est vrai que le territoire du Québec peut être appelé à être redéfini en faveur des autochtones en ce qui concerne la frontière du Québec et des États-Unis. M. Parizeau n'a pas vu de menace, si je peux dire... bon, utilisons l'expression partitionniste en ce qui concerne le Nord du Québec, puisque, à ce moment-là, il faisait référence au traité de la Baie-James et disait que les autochtones ont cédé leurs droits de propriété au gouvernement du Québec sur de vastes parties du territoire du Nord québécois, mais il admettait néanmoins que, en ce qui concerne la frontière du Québec et des États-Unis, certains problèmes territoriaux pouvaient se soulever et qu'effectivement, donc, il était possible que la souveraineté du Québec ou la sécession du Québec s'accompagne d'une redélimitation territoriale en faveur des autochtones.

Par ailleurs, on sait que M. Duceppe lui-même, le chef du Bloc québécois, à la dernière élection fédérale, a proposé que les problèmes territoriaux avec les autochtones, dans le contexte de l'accession du Québec à la souveraineté, soient réglés par un tribunal international, admettant par le fait même qu'il pouvait effectivement y avoir, donc, une redélimitation du territoire du Québec qui soit sollicitée par les autochtones et qui accompagne en quelque sorte une démarche sécessionniste québécoise. Or, j'aimerais vous entendre sur ces deux propositions.

M. Grenier (Gilles): D'abord, la question des autochtones en général. Je voudrais rappeler à cette commission que le Parti québécois et le gouvernement qui en est issu manifestent toujours une grande ouverture envers leurs demandes. Manifester une grande ouverture à leurs demandes ne veut pas toujours dire accéder ou agréer sans négociation, cela est sûr, mais c'est probablement au Québec où l'on retrouve chez ces gens-là, historiquement, des gains assez substantiels en faveur de la reconnaissance de leurs propres droits d'être reconnus comme peuple. Et, à cet égard, le programme actuel du Parti québécois continue et continuera à manifester cette ouverture en faveur de la question autochtone.

Quant à la question du territoire, elle est plus technique, elle est plus spécifique. Je ne commenterai pas ce que M. Parizeau a dit, parce que, sur une question aussi technique, il peut y avoir des nuances que vous ne pouvez pas rapporter. Pas parce que vous ne voulez pas, là, mais parce que vous connaissez très bien ces questions qui sont nécessairement difficiles. Quant à d'autres hypothèses qui pourraient aussi être soulevées par d'autres politiciens, il y en aura toujours d'autres, mais nous avons toujours eu une position sur le territoire, et Mme Malavoy pourra l'expliciter.

Mme Malavoy (Marie): Bien, je voudrais simplement rappeler qu'en 1991 il y a une commission de l'Assemblée nationale qui avait sollicité l'avis d'un certain nombre d'experts, de cinq experts de différents pays, les États-Unis, l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, et on leur a demandé de se pencher sur la question territoriale. Ce que, moi, j'en ai retenu, et tout en étant bien modeste dans ma compréhension de ce rapport-là, c'est que, si le Québec accédait à la souveraineté, automatiquement les principes du droit international s'appliqueraient et protégeraient les frontières du Québec. Et donc on avait pris la peine, il y a quelques années, de demander un avis pour s'assurer que justement il ne puisse pas y avoir tentative de découpage du Québec en petits morceaux, moi, il me semble que, sur la base de cet avis, on est capables de continuer à procéder et à souhaiter un référendum sur la souveraineté.

(10 h 20)

M. Pelletier (Chapleau): Est-ce que vous voulez dire que M. Parizeau et M. Duceppe ont tort?

Mme Malavoy (Marie): Pas plus que mon collègue, je ne voudrais interpréter les paroles de personnes dont je n'ai pas lu les textes ou que je n'ai pas entendues. Je suis persuadée que la question territoriale demeurera une question importante, discutée de toutes sortes de manières. Ce que je vous dis simplement, c'est que, pour le Parti québécois que nous représentons, à ce moment-ci l'avis de ces experts est un peu comme la base, si vous voulez, sur laquelle nous fondons notre avis, mais nous n'avons pas fouillé la question plus avant et, si c'était nécessaire, on le ferait. Mais, dans le cadre d'une réflexion sur la loi n° 99 on s'en tient, nous, aux grands avis qu'on a déjà en main.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, madame, monsieur.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. M. le député de Saint-Jean.

M. Paquin: Alors, est-ce qu'il reste un peu de temps? Combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il reste 10 minutes aux ministériels.

M. Paquin: Alors, disons que ce que je voudrais mentionner, c'est que le cas des Mohawks, en l'occurrence, ou des Kanienkehakas, est un cas très particulier et qui s'oppose indépendamment du statut actuel du Québec ou Canada. Les Mohawks n'ont jamais, en aucune circonstance, reconnu ni au Canada, ni au Québec, ni aux États-Unis leur représentation territoriale. C'est de là que vient le problème très particulier de cette nation dont le territoire chevauche l'Ontario, l'État de New York et le Québec et, en conséquence, et le Canada et les États-Unis. Alors, je pense qu'il faut situer dans son contexte cet aspect-là, mais ce qu'il y a de plus important, c'est donc le fait que le territoire du Québec n'est pas divisible sans son consentement avant, tant que nous sommes dans le régime constitutionnel actuel, et qu'il ne l'est pas non plus après sans son consentement en vertu des règles internationales. Et je pense que c'est ce que Mme Malavoy nous indiquait.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Merci, M. le député Saint-Jean. Est-ce qu'il y a d'autres interventions? Ça va? Alors, il me reste donc, au nom des membres de la commission... Oui, madame...

Mme Malavoy (Marie): Est-ce que vous nous donneriez juste un mot de conclusion?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): En réplique à l'intervention du député de Saint-Jean, c'est tout à fait possible. Enfin, allez-y.

Mme Malavoy (Marie): Enfin...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): L'idée de la commission, ce n'est pas de fermer les débats, mais de les rendre les plus ouverts possible.

Mme Malavoy (Marie): Simplement un mot de conclusion, parce que nous représentons un parti qui a donc des milliers de membres, comme les partis politiques le souhaitent, et je voudrais tout simplement mentionner que ce qui se discute autour de ce projet de loi n° 99 nous apparaît comme étant extrêmement important. Ça n'a probablement pas dans le grand public la résonance d'autres types de projets de loi qui vont toucher la vie de gens dans leur quotidien, mais nous y accordons une extrême importance, et c'est simplement un voeu finalement... Pas un voeu, mais simplement pour renchérir sur l'idée que vous partagez, j'en suis certaine, que ce qui se discute à cette commission, ce qui se discutera à l'Assemblée nationale est important pour l'ensemble du peuple québécois. Et, pour tous les gens que nous représentons, nous voulons simplement vous dire à quel point nous accordons du poids, de l'intérêt, de l'importance à la réflexion que vous menez.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il me reste donc à vous remercier, Mme Malavoy, remercier M. Grenier également à titre de représentants du Parti québécois pour votre contribution à nos travaux.

Je rappelle que la commission des institutions est réunie afin de procéder à la consultation générale et aux auditions publiques sur le projet de loi n° 99, Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec. Nous en sommes maintenant à la deuxième partie de cet ordre du jour, c'est-à-dire à rencontrer Mme Andrée Lajoie que j'invite à bien vouloir s'avancer, s'il vous plaît.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme Lajoie, pendant que vous vous assoyez, que vous vous installez à la table, je rappelle que nous avons consacré 60 minutes à la présente rencontre et que, selon la formule habituelle, nous vous réservons une période d'au maximum 20 minutes pour la présentation de votre point de vue ou de votre mémoire. Par la suite, nous passerons à la période d'échanges. Alors, bienvenue encore une fois, Mme Lajoie, vous avez la parole.


Mme Andrée Lajoie

Mme Lajoie (Andrée): Alors, je vous remercie, M. le Président, messieurs, puisqu'il n'y a pas de dames membres de cette commission. Rituel pour rituel, je vais vous préfacer ces remarques par mon caveat habituel. Contrairement au groupe qui me précède, je ne représente pas de personnes, pas de parti politique surtout, et je n'ai jamais fait partie d'aucun parti politique. Ce n'est pas mon intention de le faire dans l'avenir. Bon.

Cela dit, le projet de loi n° 99 sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec ne surgit pas du néant, c'est visible dans toutes les interventions, il émerge d'un contexte juridico-politique auquel il faut faire référence avant de s'attaquer à son contenu, et ce contexte comporte deux textes visant à encadrer la démarche québécoise: l'un émane de la Cour suprême du Canada, c'est le renvoi sur la sécession; l'autre, c'est le projet de loi fédéral C-120 sur la clarté.

Alors, je pense qu'il faut essayer de saisir la portée juridique de ces documents-là pour cerner dans un exercice, si futile soit-il, quelle est la marge de manoeuvre en droits positifs lue à partir d'une position archipositiviste et montrer que cette marge de manoeuvre est beaucoup plus grande que ce que l'on pense, même dans cette lecture étroite.

Alors, quant au renvoi, que j'aborde en premier lieu, on en a surtout retenu des éléments comme son affirmation de la légitimité de la démarche québécoise et l'obligation de négocier qu'enclencherait pour les autorités politiques du reste du Canada un vote favorable à la souveraineté à condition, chacun le sait, qu'il s'agisse d'une question claire et d'une majorité claire.

Mais, ce sur quoi je voudrais revenir pour le moment, c'est deux autres éléments qui ont rapport à sa portée et qui éclairent justement la légitimité parfaite et la légalité parfaite de la démarche du Québec dans le projet de loi n° 99. D'abord, il s'agit d'un avis, et cet avis n'est qu'une opinion de la Cour. Tous les étudiants de première année le savent, cela ne lie personne, mais, même si tous les étudiants de première année le savent, il y a des gens heureux qui ne sont pas obligés de manger du droit constitutionnel au petit déjeuner le matin – je voudrais bien en faire partie de temps en temps – et, pour ceux-là, je vais rappeler que le juge Lamer lui-même, en entrevue au Devoir – c'était le 11 janvier dernier – a répété que l'opinion de la Cour, qu'elle émettait dans un avis consultatif, ne liait pas et n'exigeait pas d'être suivie. Ensuite, dans la même entrevue, le juge Lamer a pris soin de noter que la Cour a décidé de laisser aux élus et à la communauté internationale le soin de déterminer la clarté et le contenu de la négociation. C'est donc important qu'il ait souligné que, en finale, c'est la communauté internationale qui décidera.

(10 h 30)

Maintenant, un autre élément qui est peut-être passé largement inaperçu à ceux qui n'ont pas l'obligation d'analyser ces textes, c'est que le renvoi n'emmène pas cette obligation de négocier en l'air, comme ça, à partir de rien, il la fonde dans le principe de la démocratie. Il la fonde de la façon suivante, il dit que la sécession serait une modification constitutionnelle et que toute modification constitutionnelle au Canada... Il dit cela dans plusieurs paragraphes, les paragraphes 84, 87, 88, 92 et 104. Il dit donc que ces modifications constitutionnelles dont chaque participant à la Confédération peut prendre l'initiative, a le droit de prendre l'initiative... et c'est ce droit qui impose l'obligation réciproque, dit-il au paragraphe 69. C'est donc que les obligations de clarté qu'impose le principe de démocratie à tout texte qui modifie la Constitution ne se limitent absolument pas à la sécession et ne peuvent pas contraindre le Québec à rédiger une question qui ne porte que sur la sécession. Au contraire, le principe de démocratie que la Cour elle-même place au fondement de cette obligation de clarté, elle l'impose à tout autre élément de modification de la Constitution.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Pendant que vous vous servez, j'aimerais juste mentionner qu'il y a un membre féminin, effectivement, de la commission en la personne de Mme Signori, mais qu'elle n'a pu malheureusement se joindre à nous ce matin, Mme la députée de Blainville. Vous disiez tout à l'heure qu'il n'y avait pas de femme membre de la commission; il y en a une. Malheureusement, ses obligations l'amènent ce matin ailleurs. Voilà. Ha, ha, ha!

Mme Lajoie (Andrée): C'est tout à fait compréhensible. Je m'excusais de dire simplement: Bonjour, messieurs. Parce qu'une fois que c'est écrit dans les rapports de commission parlementaire, n'est-ce pas, on pourrait m'accuser de sexisme, ce qui n'est pas le cas.

Donc, revenant à ce principe de démocratie, j'en conclus qu'on ne peut pas tirer de l'avis de la Cour, en aucune façon, le sens que le Québec ne pourrait poser de questions que sur la sécession. J'ajoute que le principe démocratique dont la Cour dit qu'il est au fondement de la Constitution canadienne n'a pas surgi au fondement de la Constitution canadienne en 1999 ou 1998, quand la Cour a réfléchi à son avis sur la sécession. Il était là, on l'espère, au départ. Et alors, moi, je me poserais des questions sur, par exemple, la Loi constitutionnelle de 1982. Elle était donc, elle aussi, obligée à une obligation de clarté.

Et il y avait pourtant là-dedans des expressions comme «société libre et démocratique», dont la Cour a donné depuis trois définitions différentes, sans parler des droits ancestraux qui ne sont toujours pas définis, deux expressions sur lesquelles je travaille depuis plus de 10 ans. Moi, ça me permet de gagner ma vie, je ne suis pas contre. Mais de là à dire que la clarté c'est l'univocité, c'est autre chose. Je n'irai pas plus loin sur la question de la clarté. Je m'y suis étendue longuement quand j'ai témoigné devant la commission parlementaire fédérale sur C-20. Si on veut y revenir dans les questions, je serais prête à vous indiquer ce que j'en pense. Mais, question de temps, je voudrais souligner un troisième élément de l'avis sur la sécession, c'est un obiter, un obiter qu'on trouve à l'article 90 de cet avis et qui porte sur le désaveu, le pouvoir de désaveu que... Pardon, il est à l'article 55, mais le pouvoir de désaveu, lui, était à l'article 90 de la Loi constitutionnelle de 1867 et il permettait au gouverneur général, pas au Parlement, au gouverneur général de désavouer des lois. Ça s'est produit un très grand nombre de fois et puis c'est tombé en désuétude. Et dans l'avis sur la sécession, la Cour constate que c'est tombé en désuétude, que ce désaveu n'existe plus maintenant. Mais elle le dit dans un aparté qu'on appelle, en droit, un obiter.

Pourtant, il y a peu de chance ni pour que la Cour revienne sur cet obiter ni encore moins pour que la gouverneur général décide d'utiliser le pouvoir de désaveu. Mais ce qui est certain, en tout cas, même si, là, il peut rester quelque doute, c'est que le Parlement ne peut pas, lui, s'approprier le pouvoir de désaveu sans passer par une modification constitutionnelle, parce que, le pouvoir de désaveu, il est accordé au gouverneur général et pas au Parlement. Alors, le Parlement ne peut pas avoir voulu contraindre ou désavouer ou se permettre de désavouer dans l'avenir une loi de l'Assemblée nationale ou une question choisie par le peuple québécois.

Je passe rapidement sur... Je passe à la loi sur la clarté. C'est le deuxième texte qui «contextue» d'une certaine façon la loi n° 99, à laquelle je viens aussitôt après. Il découle de ce que je viens d'illustrer que le Parlement ne peut pas contraindre l'Assemblée nationale québécoise, qui est souveraine, et que tout ce que peuvent décider les acteurs politiques du ROC, c'est à quelles conditions eux considéreraient que leur obligation de négocier est enclenchée. Et, s'ils erraient au plan politique, parce que ce n'est pas une question juridique là-dessus, c'est à la communauté internationale de départager les choses par la suite.

Alors, à partir de là, on peut donc dire que le projet de loi n° 99 est conforme à la Constitution et que les autorités du Québec peuvent l'appliquer en temps et lieu en donnant effet à une majorité de 50 plus un, plutôt que... dans le cas contraire, ce serait donner effet à une minorité de 50 moins un – il faut toujours se le rappeler – et en choisissant une question qui soit claire pour ses «adressataires». C'est aux «adressataires» d'un énoncé de décider s'il est clair et non pas aux témoins externes. Alors, je m'arrête un instant avant de passer au contenu du projet de loi n° 99, pour dire: Bonjour, madame, ce que je n'ai pas pu faire tout à l'heure.

Alors, le contenu du projet de loi n° 99, il porte sur la souveraineté du peuple, la légitimité de l'État, l'exclusivité et l'étendue des compétences et il est précédé de considérants évidents, de sorte qu'on se prend à regretter et à s'étonner que des projets de loi comme C-20, le discours idéologique qui l'accompagne ait obligé l'Assemblée législative à réitérer son adhésion à des choses qu'en d'autres lieux on appellerait «la tarte aux pommes» et «la maternité». Ce sont des choses absolument évidentes. Il n'y a qu'une disposition du projet de loi n° 99 qui me pose problème, et je crois que c'est une question de maladresse de rédaction. C'est l'article 9, je crois, il se lit: «L'État peut aménager, développer et administrer ce territoire et plus particulièrement en confier l'administration déléguée à des municipalités ou d'autres entités mandatées par lui, le tout conformément à la loi, y compris dans le respect des droits des nations autochtones du Québec.» Il me semble que ce paragraphe de rédaction très maladroite, je le répète, comporte une contradiction interne d'abord et puis est en contradiction aussi avec les politiques énoncées et les politiques pratiquées par le Québec, qui sont beaucoup plus généreuses que cela.

Alors, s'agissant d'abord de la contradiction interne, je pense qu'on ne peut pas en même temps prétendre confier de l'administration déléguée à des peuples autochtones dont on respecterait en même temps les droits. Parce que leurs droits ne leur sont pas délégués, leurs droits préexistent. Ils sont autonomes, ils sont indépendants de la Constitution canadienne. Et nous sommes ici en situation de pluralisme juridique. J'y reviendrai dans un instant. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Mais, heureusement, c'est certainement une maladresse parce que...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): ...

Mme Lajoie (Andrée): Oui?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Cinq minutes.

(10 h 40)

Mme Lajoie (Andrée): Oui, j'en ai pour moins que ça. C'est certainement une maladresse parce que les politiques québécoises sont beaucoup plus généreuses que cela. À Kahnawake, récemment, où, dans le cadre d'une recherche portant sur une loi fédérale confirmant l'accord sur la gestion des terres autochtones, on a demandé aux gens à Kahnawake, on ne leur a pas parlé de ce qui se passait avec le Québec, on leur a demandé: Pourquoi n'avez-vous signé l'accord portant sur la gestion des terres? Et la réponse a été la suivante: On a signé avec le Québec – la question ne portait pas là-dessus – parce que le Québec reconnaît notre juridiction. On n'a pas signé avec Ottawa parce qu'ils veulent faire semblant de nous la déléguer. Bon. Ça, c'est la politique comme elle est appliquée actuellement dans les ententes récentes de Kahnawake. Mais c'est une politique qui a été énoncée à plusieurs reprises: il y a eu la déclaration de 1985 où il y avait 15 principes de déclaration des droits des autochtones, dont le préambule comportait... Malheureusement, je crois que n'ai pas la citation ici, mais il y avait là le maintien des coutumes et des traditions, incluant leur propre système juridique et la possession du contrôle sur les terres, sur le territoire. Donc, c'était déjà tout autre chose.

Il y a aussi le préambule, cette fois, de la Loi sur l'avenir du Québec où l'on pouvait lire: «Notre avenir commun est entre les mains de tous ceux pour qui le Québec est une patrie. Parce que nous avons à coeur de conforter les alliances et les amitiés du passé, nous préserverons les droits des premières nations et nous comptons définir avec elles une alliance nouvelle.» Il y a eu aussi une déclaration dans la déclaration de principe de Kahnawake, qui dit: «Fiers de leur culture, de leur langue, de leurs coutumes, règles et traditions, le Québec et Kahnawake entendent négocier dans le respect mutuel de leur identité nationale de même que de leur histoire et de leur occupation du territoire.» Alors, c'est assez différent de ce qu'on lit à l'article 9 de la loi 99.

Je ne proposerai pas de rédaction, ce n'est pas mon métier, mais je pense que la moindre des choses serait de faire un article distinct de l'article 9 qui traite des droits des autochtones ailleurs que dans le contexte de la délégation municipale ou autre et qui vise à non pas préserver les droits des autochtones – ce qu'ils savent très, très bien faire eux-mêmes – mais à les respecter, ce qui nous revient à nous, de façon à continuer, au fond, la politique actuelle et à énoncer dans le projet de loi n° 99 la réalité concrète de ce qui se passe sur ce plan-là. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, Mme Lajoie, pour cette intervention dans le cadre de nos travaux. M. le ministre.

M. Facal: Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Lajoie, bienvenue à l'Assemblée nationale. Je vous remercie beaucoup pour votre contribution aux travaux. J'ai lu avec le plus vif intérêt votre mémoire. Je dois dire qu'en disant tout à l'heure que ce n'est pas votre métier de rédiger des articles de loi, vous me coupez partiellement l'herbe sous le pied, parce que, ayant pris connaissance de vos commentaires très pertinents sur l'article 9, je m'apprêtais à vous demander si vous ne pourriez pas nous suggérer un libellé qui tiendrait la route. Ha, ha, ha!

Mme Lajoie (Andrée): Ha, ha, ha! Écoutez, c'est rare que les avocats refusent des mandats, n'est-ce pas? Je serais d'accord pour réfléchir sur des textes qu'on me présenterait, pour collaborer, mais je n'ai pas de rédaction à proposer comme tel. Mais vous avez ma collaboration si... Mais ce qui serait important, ce serait d'avoir celle par exemple de l'Assemblée des premières nations ou de tout autre groupe représentant les autochtones, qui voudrait...

M. Facal: Parce que je dois vous dire que nous avons, en tout cas de ce côté-ci, sans vouloir manquer de déférence à l'endroit de ceux et celles qui ont choisi une voie autre, un intérêt particulier pour ceux qui se donnent la peine d'examiner le projet de loi article par article, dans la mesure où nous travaillons ici dans une perspective de bonification à 99.

Maintenant, vous soutenez que le gouvernement fédéral lui-même reconnaît qu'il ne peut contraindre l'Assemblée nationale et que c'est pour cela que C-20, d'une certaine façon, procède indirectement. À cet égard, vous allez devoir m'aider à dissiper, m'aider à comprendre ce qui m'apparaît comme une évidente contradiction dans les propos de M. Dion. Je m'explique. Depuis le début, le parrain du projet de loi C-20 nous dit: C-20 ne vise qu'à contraindre le gouvernement fédéral et non l'Assemblée nationale. Ayant pris acte de cette position, le gouvernement du Québec, quand il a comparu devant le comité parlementaire de la Chambre des communes chargé d'étudier C-20, a pris au mot M. Dion et a dit: En effet, l'Assemblée nationale déterminera elle-même la question, fixera la majorité requise au seuil connu de 50 % plus un et procédera. J'avais à peine terminé de prononcer la phrase que M. Dion disait: Ah! si le gouvernement du Québec fait cela, il se mettra hors de l'État de droit et fera la preuve qu'il veut entraîner le peuple québécois dans une démarche sécessionniste ne tenant pas compte, faisant fi de la primauté du droit.

Il m'apparaît qu'il y a là une profonde contradiction. Comment peut-on dire: Nous ne souhaitons pas encadrer l'Assemblée nationale, et en même temps riposter à l'énoncé selon lequel en effet l'Assemblée nationale ne se sent d'aucune façon contrainte, qu'agir sans contrainte équivaudrait à nier le droit? Il m'apparaît qu'il y a là une profonde contradiction, à moins évidemment que mon point de vue partisan colore ma perception.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Mme Lajoie.

Mme Lajoie (Andrée): Je ne sais pas si...

M. Facal: Sommes-nous ou ne sommes-nous pas contraints, selon vous?

Mme Lajoie (Andrée): Bon, alors, la réponse à votre dernière question, c'est: Je crois avoir montré que, même dans une lecture tout à fait positiviste des éléments constitutionnels pertinents au Canada, nous ne sommes pas contraints. Point. Pour le reste, je ne sais pas si c'est votre partisanerie ou la sienne, mais vous êtes en politique, et je ne vous apprendrai pas que ce n'est pas la première contradiction, sans doute, de M. Dion ni d'un politicien en général. Ce sont des choses qui arrivent. M. Dion a déjà été professeur de science politique, il n'était pas professeur de droit constitutionnel. L'État de droit est un concept qui traverse les deux disciplines. Il a peut-être un autre sens dans la sienne, sûrement, et il l'accommode à ses intérêts politiques, et, mon Dieu, lui aussi a le droit de faire ça, je suppose, c'est le jeu qu'il joue.

M. Facal: Maintenant, je ne suis pas juriste moi non plus, alors pardonnez-moi le caractère un peu large de ma question. Vous écrivez que le projet de loi n° 99 vous apparaît, je vous cite, «parfaitement conforme non seulement à la Constitution, mais respecte». Et je vous fais grâce de la suite. Vous soutenez donc que le projet de loi n° 99 vous apparaît parfaitement conforme à la Constitution.

Mme Lajoie (Andrée): Sous réserve de 9.

(10 h 50)

M. Facal: Sous réserve de 9. Exact. Alors, vous avez ici, je crois, un profond point de divergence avec l'opposition officielle, qui, elle, depuis quelques jours, sème des doutes sur la légalité de certaines dispositions de 99, sans que pour l'instant je n'aie réussi à savoir lesquels. Alors, l'opposition s'expliquera tout à l'heure elle-même, elle en est bien capable, mais je voudrais que, de la façon la plus succincte possible, vous me disiez, selon vous, sur quoi repose votre conviction que 99 tient la route, à la lumière de l'actuelle Constitution.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Mme Lajoie.

Mme Lajoie (Andrée): Oui, je ne peux évidemment pas me prononcer sans connaître les dispositions que l'opposition, dites-vous, considérerait inconstitutionnelles ni surtout sans savoir sur quels motifs elle s'appuierait. Moi, j'avais l'impression que, si je reprends les éléments, bon, il s'agissait de l'affirmation de la souveraineté du peuple québécois de... Attendez que je m'y retrouve, j'ai fait la liste quelque part. Bon, la souveraineté du peuple québécois, la légitimité de l'État québécois, l'exclusivité de ses compétences et leur étendue, précédée de considérants assez évidents, il me semblait que rien de cela ne pouvait être mis en doute dans un pays démocratique. Mais il faudrait que je sache sur quoi on se fonde et qu'est-ce qu'on vise, pour répondre à la question. En ce moment, je ne peux pas.

Le Président (M. Côté, Dubuc): M. le ministre.

M. Facal: Bien, personnellement, je n'ai pas d'autres commentaires, dans la mesure où d'une certaine façon je me rends compte que, bien involontairement – bien involontairement – je me suis d'une certaine façon indirectement servi de Mme Lajoie pour poser une question à l'opposition officielle. Ce n'était pas mon intention, mais j'attends toujours de savoir si l'opposition officielle, dont on se rappellera qu'hier le chef du Parti Égalité s'est réjoui de voir émerger des convergences entre lui et l'opposition officielle relativement à la légalité de 99... j'attends toujours qu'elle jette un peu plus de lumière sur son affirmation et qu'elle nous dise quels articles lui apparaissent à ce point contestables. Mais je remercie infiniment Mme Lajoie pour son témoignage.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Alors, merci, M. le ministre. Je vais maintenant passer la parole au député de Saint-Jean.

M. Paquin: Merci. Depuis quelques jours, et en particulier hier après-midi, on a parlé de la notion de constituante. Je voudrais d'abord préciser que ce concept de constituante n'est pas une idée du Parti québécois comme tel ou un concept que nous avons avancé de ce côté-ci. Mais, dans la réflexion que nous faisons dans le but de bonifier le projet de loi et de faire en sorte qu'il soit le plus rassembleur possible et qu'il permette à tous les groupes de tous les horizons de pouvoir s'y reconnaître et y adhérer de façon à ce que nous puissions parler ensemble d'une seule voix, nous avons, suite au fait qu'on nous en a parlé beaucoup, commencé à réfléchir là-dessus. Et je pense que c'est opportun de le faire.

Alors, ce que les groupes nous proposent, c'est de dire: Indépendamment du statut constitutionnel actuel de l'État du Québec, il y a un certain nombre de prérogatives et il y a un certain nombre de dimensions collectives que nous vivons et que nous reconnaissons, que nous aurions peut-être intérêt à dégager et à rendre plus claires, et cela, quel que soit le statut de l'État du Québec et les orientations de son avenir. Mais ça pourrait nous aider à voir clair. L'avantage qu'y voient les groupes qui sont intervenus à cet effet-là, c'est celui de non seulement participer à une large réflexion, mais d'y associer le plus grand nombre de représentants des différents courants de la société et même le plus grand nombre de citoyens.

Alors, je ne sais pas si vous avez déjà réfléchi à cette question de constituante pour l'État du Québec, et, le cas échéant, j'apprécierais si vous pouviez nous donner une vision d'une façon dont on pourrait l'organiser pour qu'elle soit représentative et qu'elle nous permette d'atteindre un certain nombre d'objectifs que vous pourriez considérer opportuns d'examiner.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Mme Lajoie.

Mme Lajoie (Andrée): Bon, je dirai qu'en général, quand on parle à un constitutionnaliste d'ajouter une entreprise à l'entreprise constitutionnelle, jamais personne est contre, mais je ne crois pas que c'est un point de vue qui doit être retenu. Ce n'est pas la question juridique qui est en cause ici, c'est une décision politique et, moi, je ne fais pas de politique et je ne suis pas capable de... Je suis indépendantiste, mais je n'ai jamais fait partie d'aucun parti politique et je serais très embêtée de mesurer l'opportunité politique d'un tel geste, parce que c'est dans ce cadre-là que ça doit être évalué par les politiciens, pas par moi. Je regrette de ne pouvoir vous aider.

M. Paquin: Mais il demeure que je pense que ce que nous suggèrent les gens qui parlent de ça, c'est peut-être de faire en sorte que ce ne soit pas que des politiciens partisans qui soient parties justement à la discussion là-dessus, mais qu'il y ait des experts d'autres horizons qui ne veulent pas, pour des raisons d'éthique ou pour des raisons professionnelles, s'inscrire dans des courants partisans, puissent néanmoins y aller d'une contribution éminemment documentée et professionnelle et enrichir le débat. Peut-être que, dans une constituante, vous auriez une voix qui vous permettrait d'exprimer votre expertise.

Mme Lajoie (Andrée): Écoutez, il y a deux questions différentes. La première, c'est sur l'opportunité de tenir une constituante et je croyais que c'était la question que vous me posiez. Et je dis que la décision de tenir une constituante, c'est une décision d'opportunité politique qui doit être prise par le gouvernement et les hommes et les femmes politiques et sur laquelle je n'ai vraiment honnêtement pas d'opinion. Maintenant, s'il y avait une constituante, c'est évident qu'elle devrait être ouverte à toutes les participations possibles. Mais je ne veux pas me prononcer sur l'opportunité de la question.

M. Paquin: Merci.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Autre question? Alors, je vais passer maintenant la parole au représentant de l'opposition, le député de Chapleau.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Lajoie. Merci de votre exposé, merci de votre mémoire aussi. Je dois dire que j'ai beaucoup aimé votre mémoire. J'ai trouvé que vous avanciez là-dedans, en fin de compte, des points de vue qui sont nouveaux pour cette commission, oui, oui...

Mme Lajoie (Andrée): Après toutes ces... Bravo!

M. Pelletier (Chapleau): ...mais malgré qu'on soit, en fin de compte, à la toute fin du processus d'audition des témoins, je dois vous dire qu'il y a des aspects dans votre mémoire qui abordent, en tout cas, l'examen de la loi sur la clarté sous un angle. Personne ne l'a présentée sous cet angle-là ici, jusqu'à présent, et je vais vous dire ce que j'en comprends et, par la suite, vous aurez l'occasion de me corriger si je fais erreur.

Alors, ce que je comprends... parce que ça me semble être important pour le débat, c'est que, dans le fond, il y a deux façons de voir le projet de loi C-20, qu'on appellera, pour les fins de la cause ici, la loi sur la clarté, entre guillemets, si on veut. Il y a deux façons de voir ça: soit sous un angle juridique, soit sous un angle politique. Si on regarde le projet de loi C-20 sous un angle juridique, ce projet de loi là n'affecte pas les pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec, lesquels sont protégés par la Constitution canadienne, découlent de la Constitution canadienne, n'empêche pas le Québec techniquement de poser dans un référendum la question qu'il souhaite poser, n'empêche pas le Québec de déterminer lui-même dans la Loi sur la consultation populaire les modalités de la tenue du référendum et donc finalement n'empêche pas le Québec par ailleurs de revendiquer toute l'autorité, tous les pouvoirs, toutes les prérogatives dont il jouit en vertu de la Constitution canadienne ou en vertu des conventions constitutionnelles. Est-ce que là-dessus je vous comprends bien?

Mme Lajoie (Andrée): Oui. Je crois que c'est bien ce que je pense.

(11 heures)

M. Pelletier (Chapleau): Si on regarde maintenant le projet de loi C-20 sous un angle politique, il me semble que ce projet de loi là envoie un mauvais message, pour dire le moins, puisque c'est un message qui nous laisse croire que le fédéral veut faire obstacle au droit des Québécois de choisir leur avenir. On s'entend là-dessus?

Mme Lajoie (Andrée): On s'entend là-dessus. Et je dirai que c'est moins le projet de loi lui-même, si on le lit avec attention, que le battage idéologique qui l'entoure qui est, comme vous le dites, clairement destiné à envoyer un message qui cherche à effrayer les Québécois. Parce que, je vous répète, il y a des gens heureux qui au petit déjeuner, le matin, contrairement à vous et moi, ne sont pas obligés de se pencher sur le droit constitutionnel, et pour ces gens-là, quand on dit «déterminer» et des gros mots comme ça, on ne voit pas que c'est un message que le Parlement s'adresse à lui-même – et j'oserai aller plus loin – que le Parti libéral fédéral s'adresse à lui-même sur qu'est-ce que c'est qu'on devrait faire devant un référendum. Ça a l'air de vouloir dire: Si le Québec ne fait pas ça, ce n'est pas bien. Et c'est ça que la population comprend. Et, comme en général la population cherche à respecter la constitution et la loi en général, eh bien, c'est en effet un message qui cherche à brouiller les cartes.

M. Pelletier (Chapleau): Mais je vais vous dire, Mme Lajoie, cette distinction entre la dimension juridique et la dimension politique du projet de loi C-20, c'est la première fois en cette commission qu'elle est faite, et c'est la première fois en cette commission qu'elle est faite aussi clairement.

Et vous me permettrez d'ailleurs de dire, M. le Président, que cette distinction, elle est tellement fondamentale qu'elle explique à mon sens le témoignage qu'ont rendu M. Gil Rémillard et M. Claude Ryan devant la commission fédérale qui porte sur l'analyse du projet de loi sur la clarté. M. Rémillard, qui est un juriste de formation, a examiné le projet de loi C-20 sous un angle juridique et sous un angle technique; il a dit: Il n'y a rien dans ce projet de loi C-20 qui affecte l'autorité ou les pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec, laquelle garde l'ensemble de sa marge de manoeuvre.

M. Ryan, qui est un homme politique et qui est un acteur politique, qui est bien entendu bien au fait des questions constitutionnelles et d'un bon nombre de questions juridiques mais qui n'a pas une formation juridique en tant que telle, a abordé le projet de loi C-20 sous un angle politique et a conclu que politiquement l'Assemblée nationale du Québec était mise en tutelle par ce même projet de loi.

C'est ce qui explique que, par rapport au projet de loi C-20, deux personnes puissent avoir finalement des perceptions différentes, des perceptions distinctes qui néanmoins peuvent se fusionner en un point de vue global lorsqu'on prend soin de mettre ensemble la dimension juridique et la dimension politique du problème. Vous êtes d'accord avec moi, madame?

Mme Lajoie (Andrée): Écoutez, vous m'auriez dit qu'un jour on réconcilierait M. Rémillard avec M. Ryan et que c'est moi qui ferais ça, vraiment...

M. Pelletier (Chapleau): Bien, là...

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Lajoie (Andrée): Je vous crois, j'en suis heureuse.

M. Pelletier (Chapleau): Vous me croyez sur parole?

Mme Lajoie (Andrée): Oui, je vous crois sur parole.

M. Pelletier (Chapleau): Alors, je vous remercie, madame, et vous me permettrez une allusion politique en terminant, que vous pourrez commenter si vous voulez mais que vous n'êtes pas obligée de commenter. Dans un article de La Presse , donc, du 28 mars dernier, un article de Denis Lessard, on conclut en disant ceci, on dit: «Déjà, Alliance Québec a annoncé que, dès l'adoption du projet de Québec, il serait contesté en cour. Le projet de loi n° 99 est très vulnérable devant les tribunaux, convient-on rapidement du côté souverainiste. Il est plein de choses correctes politiquement mais qui, sous l'angle juridique, s'appuient difficilement sur la constitution actuelle.» C'étaient les souverainistes qui parlaient à ce moment-là. Alors, si le ministre a des questions à poser, qu'il les pose aux souverainistes eux-mêmes.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Mme Lajoie, est-ce que vous avez des commentaires?

Mme Lajoie (Andrée): Non, je n'ai pas de commentaires.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Bon. Alors, si vous n'avez pas de commentaires...

Mme Lajoie (Andrée): Je ne lis pas La Presse et je n'ai pas de télévision.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Alors, je vais passer la parole au ministre pour ses remarques finales.

M. Facal: Moi, madame, vous parliez tout à l'heure de ces gens heureux parce que le matin ils ne s'infligent pas du droit constitutionnel. Laissez-moi vous dire qu'assurément ne pas lire La Presse est une des explications de votre bonheur. Moi, je me l'inflige tous les matins. Tous les matins, je m'en tape six, y compris bien entendu les sources anonymes de deux lignes invoquées par le député de Chapleau.

J'ajouterai là-dessus seulement ceci. J'ai pris bonne note de l'explication séduisante soumise par le député de Chapleau pour donner sens à cette apparente divergence de vues entre M. Rémillard et M. Ryan. Elle me donne à penser que c'est peut-être cette même explication qui aide à comprendre ce qu'ont dit non pas sous le couvert de l'anonymat mais en leur nom propre les députés de Laurier-Dorion, de Jacques-Cartier, de Notre-Dame-de-Grâce, de Viger, de Westmount–Saint-Louis qui, eux, ayant été fort sympathiques à l'endroit de C–20, sont peut-être un peu, comme M. Rémillard, des juristes qui s'ignorent.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Alors, merci, M. le ministre. Mme Lajoie, il me reste à vous remercier pour votre contribution aux travaux de cette commission.

J'inviterais maintenant les membres du Conseil des Innu du Nitassinan à bien vouloir se présenter.

Alors, je suspends pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 5)

(Reprise à 11 h 18)

Le Président (M. Côté, Dubuc): À l'ordre! La commission des institutions reprend ses travaux. Je rappelle le mandat de cette commission qui est de poursuivre les auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 99, Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec. J'invite maintenant M. Jacques Gauthier, du Conseil des Innu du Nitassinan, ainsi que les membres qui l'accompagnent à prendre place, s'il vous plaît.

Alors, M. Gauthier, bienvenue à cette commission. Je vous rappelle que vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire; par la suite, il y aura un échange de 20 minutes avec le parti ministériel et un échange de 20 minutes avec le parti de l'opposition. J'aimerais également que vous nous présentiez les gens qui vous accompagnent.


Conseil des Innu du Nitassinan

M. Gauthier (Jacques): Jacques Gauthier. Je vais vous présenter les gens qui m'accompagnent. À ma droite, c'est Me Armand McKenzie, de Matimekush-Lac John, et, à ma gauche, ici, c'est le chef Jean-Charles Piétacho, de Ekuanitshit, et M. Léo Mark, chef, Unamen Shipit, de La Romaine.

(11 h 20)

Le Président (M. Côté, Dubuc): Merci. Vous avez la parole.

M. McKenzie (Armand): M. le Président, la façon dont nous allons procéder, pour être bien clair quant à nos intentions, c'est d'abord que nous allons parler dans notre langue, et puis les chefs ont exprimé le désir de s'exprimer dans la langue innue. Et puis, par la suite, on procédera en français. Donc, c'est seulement pour vous avertir, par respect pour vous, pour les gens du Parlement, de l'Assemblée nationale ici, du Parti québécois et du Parti libéral, que nous allons nous exprimer dans notre langue pour commencer.

M. Gauthier (Jacques): (S'exprime dans sa langue).

M. Piétacho (Jean-Charles): (S'exprime dans sa langue).

M. Mark (Léo): (S'exprime dans sa langue).

Une voix: Alors, merci.

M. McKenzie (Armand): Si vous me permettez, je vais faire une brève traduction. De toute façon, nous allons pouvoir reprendre les propos plus en détail de ce que les chefs ont dit.

(S'exprime dans sa langue).

Alors, sans plus tarder je fais la traduction. C'est avec une certaine réticence ou un certain, je ne dirais pas effroi, mais avec une certaine crainte que nous venons ici, pour la raison suivante: c'est que c'est votre institution, c'est l'institution des Québécois et Québécoises. Vous avez une législature, et puis c'est votre loi dont vous faites l'analyse. Évidemment, nous, nous ne nous sentons pas liés d'aucune façon par cette juridiction que vous vous donnez et également par les retombées ou les conclusions des analyses que vous allez faire.

Nous sommes un peuple, nous sommes Innus et nous n'abandonnerons jamais d'être Innus. Nous serons toujours Innus, peu importe les décisions et les choix que vous prenez. Nous avons parlé dans notre langue pour démontrer le caractère distinctif de notre société, le caractère distinctif de notre peuple, et nous le faisons pour que jamais vous n'oubliiez qu'avant vous ici, sur cette terre d'Amérique, il y avait les peuples autochtones, avant vous nous étions là et nous serons encore là peu importe les décisions que vous prenez.

Certains des chefs ont exprimé leur opposition à votre projet, au projet du Parti québécois, certains ont déploré le manque ou l'absence du gouvernement fédéral ici même et certains ont dit qu'au moment où vous analysez ou au moment où vous allez prendre des décisions quant à votre avenir collectif l'opinion internationale vous questionnera, vous questionnera quant au traitement que vous allez nous réserver, autant au Québec que le Canada.

Sans plus tarder donc, je vais faire une brève lecture, je ne pense pas que nous disposions du temps nécessaire pour faire la lecture au complet. De toute façon, M. le Président, vous m'indiquerez. Je vais essayer de sortir dans les grandes lignes les points que nous voulons souligner devant vous.

Dans son rapport portant sur les traités entre les États et les peuples autochtones, le rapporteur spécial des Nations unies, M. Miguel Alphonso Martinez, a indiqué qu'il existait et qu'il existe encore dans l'histoire de nombreux exemples montrant que le droit a été mis au service du colonialisme, tolérant ainsi la discrimination à l'encontre des peuples autochtones au lieu de leur rendre justice et de leur réserver un traitement équitable. Voilà comment on peut décrire le projet de loi n° 99 du gouvernement québécois. En assujettissant le droit à l'autodétermination des peuples autochtones au droit des Québécois de décider de leur avenir politique, le gouvernement de Lucien Bouchard met en jeu la légitimité et la légalité du projet politique des Québécois.

L'histoire des relations internationales montre sans ambiguïté les dangers que représente ce type particulier de raisonnement qui projette dans le passé l'actuel statut des peuples autochtones assujettis à l'ordre interne en se confinant derrière des arguments juridiques découlant du droit positif et d'autres théories coloniales prônées par les puissances coloniales européennes et ceux qui les perpétuent. L'ensemble de ces théories, qualifiées d'illégitime et racistes par des experts du droit international, ont toutes pour objectif un seul résultat: la négation du droit à l'autodétermination des peuples autochtones et de leur droit fondamental de conserver leur territoire et leurs ressources.

Or, cela va à l'encontre de l'ensemble des relations juridiques formelles qui existaient entre les Européens et les peuples autochtones. En fait, les Européens étaient pleinement conscients du fait qu'ils négociaient et nouaient des relations contractuelles avec des nations souveraines, avec toutes les implications juridiques que cette expression comportait à l'époque. Cela est encore tout aussi vrai aujourd'hui, indépendamment de la prédominance aujourd'hui des notions plus restreintes et imposées par les États d'autoadministration autochtone, autonomie autochtone, nations autochtones – parce qu'on parle, ici, souvent... le gouvernement du Québec fait souvent référence à des nations plutôt qu'à des peuples autochtones – et partenariat autochtone, ou encore d'autonomie au sein du Québec ou d'autodétermination au sein du Québec.

(11 h 30)

Dans le cours de l'histoire, comme souligné plus haut, les nouveaux arrivants ont malgré tout cherché à dépouiller les peuples autochtones des attributs de leur souveraineté, et en particulier de la juridiction sur leurs terres, de la reconnaissance de leur forme d'organisation sociale et de leur statut en tant que sujets de droit international. En considérant le droit à l'autodétermination des peuples autochtones dans un contexte contemporain actuel, il n'est pas inutile de souligner l'incohérence patente – l'incohérence patente – de la position qui transpire à travers le projet de loi n° 99 en utilisant le droit des peuples de disposer d'eux-mêmes pour légitimer la décision prise par les représentants du gouvernement du Québec de faire sécession, en revendiquant pour eux, seulement pour eux, le statut de nation pleinement souveraine tout en s'opposant à ce que ce même droit soit seulement mentionné lors de débats sur les questions autochtones. Voilà bien un exemple de la pratique du deux poids, deux mesures qui sera, à notre avis, et vous le savez trop bien, difficilement justifiable sur le plan international.

De plus, cette question autochtone ne peut être écartée par ceux qui voudraient l'éviter et elle se présente de façon de plus en plus évidente sous le droit des peuples autochtones à l'utilisation, à la jouissance, à la préservation et à la transmission aux générations futures de leurs terres ancestrales dans la paix, sans ingérence extérieure, conformément à leurs propres usages, coutumes et règles de vie sociale.

Dans le cadre de l'analyse du rapport du Canada quant à la mise en oeuvre du Pacte international des droits civils et politiques, en avril 1999, le Comité des droits de l'homme des Nations unies est revenu sur la question autochtone en constatant que la situation des autochtones reste le problème le plus pressant auquel sont confrontés les Canadiens. Les internationalistes experts des questions de droits humains ont complété leurs vues sur cette question en indiquant, et je souligne, que «dans le respect de leur droit à l'autodétermination – dans le respect de leur droit à l'autodétermination, c'est le Comité des droits de l'homme des Nations unies qui dit ça – les peuples autochtones devraient être en mesure de disposer librement de leurs richesses et ressources naturelles, et qu'ils ne peuvent être privés de leurs propres moyens de subsistance».

À l'instar d'internationalistes autochtones, comme Mme Dalee Sambo, de l'Indian Law Resource Center, nous sommes également d'avis qu'il y a effectivement une évolution progressive importante des droits humains fondamentaux des peuples autochtones en droit international. Les gouvernements, quels qu'ils soient, auront l'obligation de se conformer à ces développements positifs que nous retrouvons de plus en plus devant les organes de surveillance des Nations unies, que ce soit le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, le Comité des droits de l'homme, le Comité des droits économiques et sociaux, qui ont tous analysé les différentes normes internationales relatives aux droits de l'homme en les appliquant à la situation des peuples autochtones. Le gouvernement, la Législature de la province de Québec, ni même d'ailleurs le Canada, ne peuvent rejeter du revers de la main les avis et les expertises en droit international fournies par l'Organisation internationale des Nations unies. Je suis à la page 4.

À notre avis, il ne peut y avoir de sécession sans le consentement des peuples autochtones. Nous répétons, il ne peut y avoir de sécession sans le consentement des peuples autochtones. C'est notre opinion quant à vos débats. La sécession du Québec ne peut être légale et être réaliste en vertu du droit domestique et international qu'avec la participation pleine et entière et le consentement des peuples autochtones. Je pense que vous devez, le parti ministériel, avoir l'humilité de reconnaître cet état de fait, que vous ne pouvez faire cette sécession qu'avec la participation pleine et entière et le consentement des peuples autochtones.

Sans la réalisation de cette condition sine qua non, tout projet de sécession du Québec, aussi légitime soit-il, serait voué à l'échec en raison du refus par Québec de reconnaître ce postulat fondamental: la nécessité d'un consentement des peuples autochtones dont leurs territoires nationaux seraient affectés par le projet sécessionniste.

Le droit à l'autodétermination des peuples autochtones, l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et les obligations des fiduciaires de la couronne, de même que la Proclamation royale de 1763, les droits issus de traités des peuples autochtones, le principe constitutionnel de la démocratie, le respect des droits fondamentaux humains interdisant les actes néocoloniaux sont quelques éléments qui militent pour la participation pleine et entière et le consentement des peuples autochtones dans toute démarche qui viserait à porter atteinte à leurs territoires nationaux.

Sur le droit à l'autodétermination, brièvement, ce que je peux dire, c'est que la Déclaration sur les droits des peuples autochtones des Nations unies prévoit que «les peuples autochtones ont le droit de disposer d'eux-mêmes» et, «en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel».

L'existence du droit des peuples. En droit international, ce droit à l'autodétermination est censé être exercé par des peuples, à l'intérieur d'États souverains existants et conformément au principe du maintien de l'intégrité territoriale de ces États. Lorsque cela n'est pas possible, un droit de sécession autochtone peut naître dans les circonstances exceptionnelles qui, à notre avis, peuvent trouver application si nous devions nous retrouver dans une situation où... les peuples autochtones ayant exercé leur droit à l'autodétermination seraient inclus de force dans le projet politique québécois.

Par ailleurs, un autre argument qui milite en faveur de notre droit de décider, quant à vos débats, c'est l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et les obligations de fiduciaires de la couronne. À son article 35, la Loi constitutionnelle de 1982 confirme et reconnaît aux peuples autochtones leurs droits existants ancestraux et issus de traités. En droit canadien, cette reconnaissance représente l'aboutissement d'une longue lutte pour les peuples autochtones. Elle constitue également la reconnaissance par la couronne de l'antériorité de la présence des peuples autochtones sur le territoire canadien.

L'objectif du paragraphe 35 est de concilier la présence antérieure des peuples autochtones en Amérique du Nord avec l'affirmation de la souveraineté de la couronne. Il ressort clairement de cet énoncé que le paragraphe 35 doit reconnaître et confirmer les deux aspects de cette préexistence, à savoir l'occupation du territoire, d'une part, et l'organisation sociale antérieure et les cultures distinctives des peuples autochtones habitant ce territoire, d'autre part.

Or, le territoire des peuples autochtones que nous représentons est un territoire non cédé, n'ayant fait l'objet d'aucune renonciation par les peuples autochtones. Le peuple innu a un territoire national innu, c'est Nitassinan. Sur ce vaste territoire...

Le Président (M. Côté, Dubuc): M. McKenzie, je vous rappelle qu'il vous reste deux minutes.

M. McKenzie (Armand): Très bien. Sur ce vaste territoire couvrant toute la péninsule du Québec-Labrador, la nation innue a des droits inhérents ancestraux fondés sur l'occupation et la possession de son territoire traditionnel. Ces droits inhérents ancestraux au territoire innu font maintenant l'objet d'une protection constitutionnelle, et, avant toute atteinte à ces droits, quel que soit le gouvernement provincial, cette atteinte doit être justifiée. Nous pensons que l'inclusion forcée de ces territoires par une loi de la Législature provinciale du Québec dans un État indépendant québécois nécessite le consentement des nations autochtones.

Par ailleurs, dans la conduite – si vous me donnez un peu de temps encore, M. le Président – des parties dans une négociation visant la sécession du Québec, le gouvernement du Canada a une obligation de fiduciaire exigeante à l'égard des peuples autochtones. Sa conduite devra être évaluée de façon stricte, d'une façon où il devra respecter le droit des peuples autochtones de décider de leur droit à l'autodétermination. Par ailleurs, c'est appuyé par la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones, qui s'est penchée tant sur le plan intérieur que sur le plan international sur cette question quant à la portée de l'obligation de fiduciaire.

La Proclamation royale de 1763 – si vous me permettez, M. le Président, en termes clairs, et c'est la Cour suprême du Canada qui le dit: De vastes étendues de territoire, y compris de larges portions du territoire qui comprend aujourd'hui le Québec, ont été réservées pour l'usage des peuples autochtones. Les peuples autochtones ont le droit à la possession entière et paisible de ces territoires.

(11 h 40)

Avant la sécession du Québec, le territoire national des peuples autochtones dans la province de Québec est protégé par la Constitution. Après la sécession, le droit international protège les droits inhérents des peuples autochtones à leur territoire traditionnel. Par ailleurs, les droits issus des peuples autochtones, les droits issus de traités des peuples autochtones, nous faisons référence ici aux Cris et aux Inuits, nous appuyons chacun des arguments qu'ils soulèvent pour fonder leur droit de décider de leur avenir collectif et chacun des arguments qui se trouvent dans le traité qu'ils ont signé. Si le Québec devait faire sécession malgré ce traité, il y aurait, de la part du Québec, dénonciation de ce traité, le Québec renoncerait alors aux avantages découlant du traité, incluant la certitude juridique entourant le débat de l'existence ou de l'inexistence des droits territoriaux autochtones sur les parties nordiques de la province de Québec.

Quant aux principes constitutionnels de la démocratie, nous avons voté, nous avons eu notre propre référendum en 1995, les Cris et les Inuit ont eu le leur, et, de façon majoritaire, avec des chiffres allant à 95 %, les peuples autochtones de ces régions ont indiqué qu'ils refusaient l'inclusion forcée de leur peuple et de leur territoire traditionnel dans un État indépendant québécois.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Je vous inviterais à conclure, M. McKenzie, s'il vous plaît.

M. McKenzie (Armand): Très bien. L'annulation d'une volonté exprimée aussi clairement par les peuples autochtones par un vote provincial en faveur de la sécession aurait pour effet de porter atteinte au principe constitutionnel de la démocratie. Par ailleurs, le projet de loi n° 99 visant la sécession du Québec assujettit le droit à l'autodétermination des peuples autochtones au droit des Québécois de décider de leur avenir politique. Bref, le postulat fondamental derrière cette loi est le suivant: les Québécois vont décider, et le territoire et les autochtones n'ont qu'à suivre. Il est bien dangereux pour quelque chef de gouvernement non autochtone de prôner pareille hérésie, car ce serait là, à notre avis, aller à l'encontre du droit international portant sur le respect des droits fondamentaux humains interdisant les actes néocoloniaux.

Je conclus là-dessus. Le Québec prônerait-il le néocolonialisme à l'égard de peuples autochtones en ne reconnaissant pas ces derniers comme des peuples pouvant disposer d'eux-mêmes et de leurs territoires nationaux? Malheureusement pour le Québec, comme l'a si candidement exprimé l'ex-premier ministre du Québec, M. Jacques Parizeau, il n'y a pas de «painkiller» pour les peuples autochtones. À défaut de considérer les peuples autochtones comme des participants égaux dans le débat entourant la sécession du Québec, à défaut d'obtenir leur consentement et si le Québec devait considérer ces peuples comme des objets et non comme sujets de droit international, nous serions alors dans une situation de néocolonialisme autorisant les peuples autochtones à faire sécession et à demander la libre association avec le Canada. Voilà, M. le Président.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Alors, merci, M. McKenzie. Nous en sommes maintenant rendus à la période des échanges. Je cède la parole à M. le ministre, député de Fabre.

M. Facal: Merci beaucoup, M. le Président. Je vous souhaite, messieurs, la bienvenue à l'Assemblée nationale du Québec. Je vous remercie beaucoup pour votre contribution. Vous avez dit tout à l'heure, M. McKenzie, que c'est avec réticence que vous veniez ici. Je suis très heureux que vous ayez surmonté cette réticence et que vous soyez venus. Votre témoignage est très important pour nous. On peut juger importante et pertinente une contribution même si on est en désaccord avec elle. Et vous ne serez pas étonnés que je vous dise que je suis en assez profond désaccord avec plusieurs de vos affirmations, que j'accueille cependant avec tout le respect et toute la déférence qu'elles méritent.

Permettez-moi quelques courts commentaires. Je crois que l'on peut dire que l'argument central de votre mémoire est à l'effet que fonder l'accession du Québec à la souveraineté sur le droit à l'autodétermination du peuple québécois tout en niant du même souffle le droit à l'autodétermination des peuples autochtones serait, selon vous, un bel exemple de deux poids, deux mesures. C'est, je crois, le coeur de votre position. Il y a là, vous me permettrez de vous le dire en toute amitié, une confusion que je voudrais dissiper.

Le gouvernement du Québec ne soutient pas que le droit, que du droit à l'autodétermination du peuple québécois découle automatiquement un droit à la sécession. Ce n'est pas la thèse du gouvernement du Québec. Avant, pendant et après le renvoi en Cour suprême, le gouvernement du Québec a toujours tenu la même position, à savoir que la question de l'avenir du Québec est une question politique, non juridique. Et c'est précisément ce qui explique pourquoi le Québec a choisi de ne pas plaider en Cour suprême ni d'accorder de légitimité à l'ami de la Cour.

Ce que le gouvernement du Québec a dit, dit et continuera à dire est que, si la volonté démocratique de l'ensemble de la population habitant le territoire du Québec est claire, si le processus démocratique en place est transparent et s'il y a reconnaissance internationale de l'effectivité de la souveraineté du Québec, le droit en prendra acte, comme cela a été le cas lors des autres cas récents d'accession à la souveraineté. Le droit, en ce sens, notamment le droit international, n'interdit ni n'encourage les sécessions; il en prend acte lorsqu'elles surviennent.

Vous me direz: Oui, mais, à ce moment-là, pourquoi, vous, gouvernement souverainiste, citez si fréquemment l'avis de la Cour suprême? Nous le citons lorsqu'il s'agit, pour nous, d'illustrer à quel point à bien des égards – à bien des égards – l'avis de la Cour suprême confirme des éléments importants de la doctrine qui est la nôtre depuis maintenant un quart de siècle, à savoir notamment que l'option de la souveraineté est légitime, qu'il y aurait inévitablement des négociations après un Oui et que la communauté internationale serait appelée à jouer un rôle important dans l'évaluation du bon déroulement de ce processus.

Maintenant, en opposant, comme vous le faites, le droit à l'autodétermination des peuples autochtones au droit à l'autodétermination du peuple québécois, vous définissez donc implicitement le peuple québécois comme les non-autochtones. À cet égard, je veux rappeler que le gouvernement du Québec n'a jamais cru bon de se lancer dans la recherche d'une définition précise de qui est un Québécois et a toujours nettement rejeté les définitions à caractère ethnique de ce qu'est un Québécois. Le gouvernement du Québec s'est toujours contenté de dire que faisaient partie du peuple québécois, entendu dans un sens civique et territorial, toutes les personnes, sans distinction aucune, qui habitent le territoire du Québec et qui, de près ou de loin, participent au développement de notre collectivité. En ce sens, nous disons que le peuple québécois est composé bien sûr d'une majorité francophone mais aussi d'une communauté anglophone à laquelle sont reconnus des droits historiques, explicitement définis et reconnus, qu'il inclut les nations autochtones et qu'il inclut également les gens nés à l'extérieur du Québec, que l'on appelait jusqu'à tout récemment les membres des communautés culturelles et que l'on tend maintenant à appeler les Québécois issus de l'immigration.

(11 h 50)

La reconnaissance du fait que les premières nations sont effectivement des nations n'est pas incompatible avec une définition territoriale du peuple québécois incluant tout le monde, y compris ceux qui peuvent avoir envie de rejeter leur appartenance au peuple québécois. Je n'espère pas vous convaincre, je veux simplement que vous compreniez clairement notre position.

Vous évoquez ensuite votre droit à une participation pleine et entière – ce sont vos propres mots – au débat sur l'avenir du Québec. J'en suis. Vous devez être des participants pleinement et entièrement à ce débat sur l'avenir du Québec, il vous concerne. J'ai cependant évidemment, et je n'ai pas besoin de développer longuement, un problème avec la notion de consentement si pour vous «consentement» est synonyme de «droit de veto».

Pour ce qui est maintenant de la question de l'intégrité du territoire québécois, il m'apparaît aussi problématique que vous invoquiez le droit international sans en même temps reconnaître qu'aucune règle de droit international n'accrédite les scénarios partitionnistes en cas d'accession démocratique d'un État jadis fédéré au statut d'État souverain. Vous noterez d'ailleurs, à cet égard, que la position du gouvernement du Québec là-dessus est similaire à celle du gouvernement du Canada, car, en effet, quand le gouvernement du Canada a été appelé à prendre position, sur le plan international, sur d'autres cas d'accession à la souveraineté par des États jadis membres d'une fédération, toujours, le gouvernement fédéral a déclaré appuyer le principe de la stabilité des frontières préexistantes et toujours il a dit s'opposer à une modification unilatérale ou par la force de celle-ci.

Sans doute que le cas le plus récent est celui de la dissolution de ce qui s'est appelé jusqu'à récemment la Yougoslavie. Je vous renvoie, par exemple, à cet égard, à ce que disait la secrétaire au Affaires extérieures du Canada à l'époque, Mme Barbara McDougall, quand elle disait, le 7 octobre 1991, je cite: «Le Canada s'oppose toujours aussi fermement au recours à la force pour régler les différends politiques et pour réaliser des gains territoriaux. Aucun gain territorial et aucune modification de frontières réalisés par la force en Yougoslavie ne sont acceptables.» J'ose espérer que le gouvernement fédéral appliquerait à l'endroit du cas québécois la même logique qu'il a appliquée lorsqu'est venu pour lui le moment de prendre position sur d'autres cas d'accession récents à la souveraineté.

Vous évoquez aussi dans votre mémoire la déclaration de l'Organisation des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je veux simplement bien rappeler que ce texte n'a pas encore été adopté par les Nations unies et qu'il s'agit d'un document en voie d'élaboration et discuté dans un groupe de travail.

Évidement, dans la mesure où – je m'approche de ma conclusion – vous rejetez en bloc le projet de loi n° 99, vous comprenez qu'il m'apparaîtrait futile d'essayer de vous demander en quoi nous pourrions le modifier pour le rendre plus acceptable à vos yeux. C'est son essence même que vous rejetez. J'en prends acte avec respect et avec déférence.

Je veux simplement, en conclusion, vous dire qu'en dépit de tout ce qui nous oppose le gouvernement du Québec entend continuer avec les moyens qui sont les siens, et avec sans doute bien des imperfections, à travailler pour concrètement améliorer la situation des autochtones au-delà de divergences qui demeurent fondamentales, d'interprétation de questions juridiques ou constitutionnelles. Vous savez qu'à cet égard le ministre Chevrette a proposé que soit créé un lieu politique permettant d'approfondir nos échanges, nos discussions. Et vous me permettrez de penser qu'il s'agit là d'un pas, ô certes, encore trop timide mais assurément d'un pas dans la bonne direction.

Et je termine en disant, sans probablement un grand espoir de vous convaincre, qu'il n'a jamais été, il n'est pas, il ne sera pas dans l'intention du gouvernement du Québec d'utiliser le projet de loi n° 99 pour tenter d'exercer sur qui que ce soit quelque forme de domination que ce soit. Nous voyons et continuerons à voir dans le projet de loi n° 99 une façon d'affirmer les droits du Québec pris dans son intégralité face à l'initiative fédérale contenue dans le projet de loi C-20. Cela étant dit, je vous remercie infiniment pour votre contribution et je suis très heureux, malgré tout, que vous soyez venus nous exposer votre point de vue. Je vous remercie.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Alors, merci, M. le ministre. M. McKenzie, est-ce que vous avez des commentaires?

M. McKenzie (Armand): Une brève réaction. Évidemment, c'est dommage – c'est des amis, j'ai des amis ici, dans cette Assemblée – de voir des divergences d'opinions aussi fondamentales sur ces questions de droits humains fondamentaux. Je vous remercie de votre grande plug, M. le ministre, sur le message que vous allez donner.

Évidement, nous, nous nous adressons aux gens du Québec, aux Québécois, Québécoises qui nous regardent. Et puis le territoire qui est ici, dont je vais remettre copie à votre Assemblée, ce territoire est un territoire innu qui a été confirmé par la Proclamation royale de 1763. C'est un territoire qui n'a fait l'objet d'aucune cession et qui comprend l'île d'Anticosti, l'Est du Québec, le Labrador et le nord de la Côte-Nord, et puis c'est sur cette base que votre gouvernement négocie avec nous aujourd'hui. Et ce territoire-là, avant la sécession, est protégé par la Constitution du Canada. Et, après la sécession ou pendant, c'est le droit international qui en jugera.

(12 heures)

Vous me permettrez, M. le ministre, d'être en profond désaccord avec vos syllogismes. Je maîtrise très peu la langue française, ça fait que, je pense, on parle ici de syllogisme parce que vous vous donnez le mandat de nous représenter et de dire que le gouvernement du Québec est un territoire civique, sans distinction des gens qui habitent ce territoire-là. En aucun moment, aucun temps, le peuple innu ou les autres peuples autochtones ont donné un mandat à l'Assemblée nationale, à la Législature de la province de Québec ou encore au gouvernement du Parti québécois de nous représenter et de nous enlever ce droit à l'auto-identification que nous avons. Nous ne sommes pas Québécois. (S'exprime dans sa langue)

Vous ne pouvez pas dire que je fais partie de votre peuple québécois s'il y a un peuple québécois au sens du droit international. Vous ne pouvez pas dire ça, je ne vous ai pas donné le mandat. Et je ne peux pas vous enlever ce droit à l'auto-identification que vous avez.

Comprenez-nous bien, nous ne voulons nullement attaquer les Québécois et les Québécoises. Nous comprenons le désir des Québécois et des Québécoises de vouloir trouver un arrangement constitutionnel plus satisfaisant dans la relation qu'ils entretiennent avec les autres provinces et le gouvernement fédéral. Nous respectons donc les aspirations du Québec quant à son désir de redéfinir son avenir et ses relations politiques avec les autres provinces. Toutefois, nous refusons que l'établissement de ces nouvelles relations et arrangements se fassent au détriment de nos droits ancestraux relatifs au territoire de même qu'au détriment de nos droits constitutionnels. Nos territoires historiques et traditionnels transcendent les frontières de la province de Québec et s'y étendent au-delà, y compris au Labrador.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Alors, merci, M. McKenzie. Il resterait environ 45 secondes, M. le député de Saint-Jean, pour une courte question.

M. Paquin: Bien, ma question ne serait pas courte, alors je vais donner mes 45 secondes au critique de l'opposition.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Alors, nous allons passer maintenant la parole à l'opposition officielle. M. le député de Chapleau.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, M. le Président. Messieurs, bonjour. Merci de votre présentation. Je suis accompagné aujourd'hui notamment du député de Jacques-Cartier qui est le porte-parole de l'opposition officielle, le porte-parole du Parti libéral du Québec en ce qui concerne les affaires autochtones.

J'ai remarqué que, dans votre mémoire, il y avait plusieurs expressions fortes sur lesquelles je vais vouloir vous entendre. D'abord, vous affirmez qu'il ne peut y avoir de sécession sans le consentement des peuples autochtones. Vous faites également référence à un référendum que vous avez tenu parallèlement au référendum de 1995 et où la question référendaire se lisait comme suit: «Êtes-vous d'accord que le peuple innu et son territoire traditionnel soient associés à un éventuel État québécois indépendant? À cette question 99 % des électeurs innus avaient répondu non. Le message était donc clair: nos communautés refusaient l'inclusion forcée de leur peuple et de leur territoire traditionnel dans un État québécois indépendant, tout comme, avec d'autres peuples autochtones, elles le refusent encore aujourd'hui.» Ce sont des affirmations très fortes.

Il y a un autre paragraphe aussi très, très fort à la page 13 de votre mémoire où vous dites ceci: «Or, le projet de loi n° 99 visant la sécession du Québec assujettit le droit à l'autodétermination des peuples autochtones au droit des Québécois de décider de leur avenir politique. Bref, le postulat fondamental derrière cette loi est le suivant: les Québécois vont décider, et le territoire et les autochtones n'ont qu'à suivre. Il est bien dangereux pour quelque chef de gouvernement non autochtone de prôner pareille hérésie, car ce serait là, à notre avis, aller à l'encontre du droit international portant sur le respect des droits fondamentaux humains interdisant les actes néocoloniaux.» Ça, c'est quand même très fort. «Le Québec prônerait-il le néocolonialisme à l'égard des peuples autochtones en ne reconnaissant pas ces derniers comme des peuples pouvant disposer d'eux-mêmes et de leurs territoires nationaux? Malheureusement, pour le Québec, comme l'a si candidement exprimé l'ex-premier ministre du Québec, M. Jacques Parizeau, il n'y a pas de "painkiller" pour les peuples autochtones. À défaut de considérer les peuples autochtones comme des participants égaux dans le débat entourant la sécession du Québec, à défaut d'obtenir leur consentement et si le Québec devait considérer ces peuples comme des objets et non comme sujets de droit international, nous serions alors dans une situation de néocolonialisme autorisant les peuples autochtones de faire sécession et de demander la libre association avec le Canada.»

Ce sont des affirmations très fortes: néocolonialisme; vous faites référence au fait que vous ne voulez pas être inclus de façon forcée dans un Québec souverain. Je lis ça un peu dans le contexte où, dans le journal Le Devoir du mardi 31 mai 1994, un article de Maurice Girard, on retrouve l'affirmation suivante: «Le gouvernement d'un Québec souverain pourrait avoir recours aux forces de l'ordre pour imposer son autorité sur les autochtones et autres groupes dissidents, affirme le whip du Parti québécois à l'Assemblée nationale. Dans une interview à La Presse canadienne , M. Jacques Brassard a déclaré – ex-ministre, bien entendu, des Affaires intergouvernementales canadiennes – qu'un gouvernement du Parti québécois à la tête d'un Québec souverain disposerait de certains outils pour garantir l'intégrité de son territoire et asseoir son autorité à l'intérieur de ses frontières. "Le Québec devra exercer son autorité effective, ça veut dire évidemment que le gouvernement a les moyens de maintenir l'ordre public", a-t-il fait valoir à La Presse canadienne avant de préciser: "ça veut dire les lois, les tribunaux et les forces policières, qui sont aussi des institutions, des instruments d'un État".» Bon.

J'aimerais vous entendre commenter tout cela. Vous faites des affirmations qui sont très, très fortes. Vous connaissez assez le point de vue du gouvernement – enfin, tel que ce point de vue là était exprimé par l'ex-ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes – j'aimerais vous entendre sur ces questions.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Alors, M. McKenzie, vous avez la parole.

M. McKenzie (Armand): M. Pelletier, ça me fait plaisir de vous revoir. Je pense que la question ne devrait pas être adressée à nous, la question devrait être adressée à vos collègues d'en face et de savoir comment ils entendent exercer cette effectivité ou appliquer cette effectivité. Je connais les opinions que vous avez citées. Les passages et les commentaires que vous avez cités, je les ai lus et je les ai entendus, et est-ce toujours la position du Parti québécois? Est-ce qu'il partage encore ces positions-là qui sont exprimées?

M. Pelletier (Chapleau): On pourra peut-être poser la question au ministre de la Sécurité publique qui est présent à ces audiences, mais c'est surtout vous que je veux entendre. On n'est pas ici pour s'interpeller d'un parti à un autre, c'est surtout vous que je veux entendre. Est-ce que vous êtes en train de nous dire que, si le Québec s'acheminait dans la voie de la sécession, vous feriez tout en sorte – bien, feriez tout en sorte dans la mesure de la légalité, entendons-nous là-dessus – pour continuer à être rattachés au Canada? Est-ce que c'est ce que vous êtes en train de nous dire, ou que vous feriez tout en sorte pour, je ne sais pas, moi, composer votre propre pays distinctement d'un Québec souverain?

(12 h 10)

M. McKenzie (Armand): Je pense que le message que nous adressons aux Québécois et aux Québécoises aujourd'hui, le gouvernement du Québec, le gouvernement du Parti québécois doit avoir l'humilité de reconnaître qu'il a besoin des peuples autochtones dans tout projet de sécession. Il doit avoir cette humilité-là que les peuples autochtones doivent être des partenaires égaux et qu'ils doivent avoir la capacité de décider de leur avenir politique, de leur statut politique. Nous ne sommes pas des objets qu'on peut transférer d'une juridiction à une autre. C'est arrivé dans le passé, en 1927, en 1949, et nous n'espérons pas que ça se répète, que ces erreurs historiques se répètent. Et je crois que nous allons travailler avec les autres peuples autochtones qui vivent dans la province de Québec pour s'assurer que notre droit de décider comme peuple soit reconnu et soit entendu, que ce soit ici, ailleurs au Canada ou aux Nations unies. Et, aux Nations unies – parce que nous faisons constamment des représentations à ce niveau-là – la situation des peuples autochtones est considérée et va être considérée s'il devait y avoir un projet de sécession ou un acte de sécession de la part du gouvernement québécois et du Parti québécois.

Et nous savons pertinemment, pour avoir discuté avec des représentants de la France, que la question autochtone est un talon d'Achille pour le gouvernement du Parti québécois qui vise à faire sécession. C'est un talon d'Achille, et nous prendrons donc tous les moyens, toutes les mesures possibles pour que notre droit comme peuple de décider soit respecté. Nous sommes un peuple, nous sommes un peuple qui peut décider.

Et Jean-François Lisée, dans son dernier bouquin, Sortie de secours , mentionne que les Québécois reconnaissent ce droit-là aux autochtones de décider et, lui-même, il indique, l'ancien conseiller du premier ministre Bouchard, que la question autochtone sera abordée. Et nous le savons parce que nous sommes à Genève, à New York, à Vienne pour discuter de ces questions-là, et c'est ce que nous allons faire.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Alors, M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci beaucoup, M. le Président. Bienvenue aux membres du Conseil des Innu et, entre autres, Me McKenzie.

Moi, je pense qu'on a ici un certain problème d'écoute. Quand le ministre prend 15 minutes pour poser une question, c'est parce qu'il ne veut pas écouter la réponse des témoins, ce que je trouve malheureux. Moi, je me rappelle, au printemps passé, on a plaidé, les membres de l'opposition officielle, longuement qu'on puisse écouter les représentants de la nation innue sur la question des... le projet de loi sur les études environnementales pour le projet des chutes Churchill. Et nous avons plaidé pendant des heures, avec le ministre de l'Environnement, d'avoir une occasion pour au moins consulter les personnes qui vont être affectées par le projet des chutes Churchill, qui peuvent avoir un mot à dire sur comment on va baliser les études de l'impact environnemental sur leur territoire, et il y avait un refus catégorique de ce gouvernement de suspendre quelques heures pour aménager le travail de notre commission, la commission de l'aménagement du territoire, pour les écouter.

Alors, il y a un problème d'écoute, et c'est malheureux parce qu'on est devant une situation et une relation... Et c'est une remarque bipartisane, parce que, depuis 20 ans et plus, les gouvernements du Québec ont essayé d'arriver à une entente avec la nation attikamek, avec les Montagnais à l'époque, la nation innue aujourd'hui. Je sais, aujourd'hui, il y a maintenant les deux tables qui essaient de faire un progrès. Moi, je suis du côté de l'opposition, alors je n'ai pas les rapports de comment ça va, vos délibérations avec Louis Bernard et la table qui est établie, mais vous avez cité dans votre mémoire l'arrêt Delgamuukw qui nous incite à retourner aux tables de négociations et c'est vraiment par là qu'on va établir les liens plus solides entre le gouvernement du Québec et la nation innue.

Et vous avez mentionné tantôt, Me McKenzie, le besoin des autochtones pour un projet de sécession, mais je pense qu'on peut aller beaucoup plus large que... Soit on parle du développement hydroélectrique, on parle de la gestion de nos forêts, on parle de beaucoup de dossiers, je pense qu'on est venu maintenant où il faut mettre un petit peu de chair autour des os, d'avoir une véritable cogestion. Alors, soit en parlant du progrès qui est fait aux tables, je sais que ça a fait les manchettes en fin de semaine, vous êtes cités parce qu'il y a peut-être un progrès un petit peu plus prononcé sur la table de négociations avec vos voisins à l'ouest, mais comment est-ce qu'on peut sortir d'ici? Parce que, 20 ans après, moi, comme député qui représente un comté très loin de la nation innue, moi-même, je sens une certaine frustration que, 20 ans après, on n'est pas encore plus avancés. Mais, quand je regarde chez vous, ça doit être encore plus prononcé, la frustration des membres de la nation innue, alors avez-vous des pistes de solution, des rayons d'espoir que vous pouvez partager avec nous autres aujourd'hui?

Le Président (M. Côté, Dubuc): M. McKenzie, ou M. Gauthier, ou d'autres.

(Consultation)

M. Piétacho (Jean-Charles): (S'exprime dans sa langue).

Comme Armand disait, je ne suis pas à l'aise dans la langue seconde parce que j'aime trop ma langue. Quand je parle dans ma langue, je peux m'exprimer mieux, je peux... Quand je suis entré ici, j'avais une certaine préoccupation, des craintes, parce que dans le passé on est venus ici quelquefois faire des présentations et, encore une fois, on doit faire une autre présentation. Et pourtant les préoccupations qu'on a déposées ici, que ce soit nous en tant que dirigeants innus, que ce soit d'anciens leaders, que ce soit des aînés, des ancêtres, la préoccupation principale des gens que je représente, elle est fort simple pour nous, peut-être difficile pour vous, lorsqu'on parle de reconnaissance des droits, la reconnaissance des droits territoriaux, ça, je pense que c'est la base. Si vraiment on veut qu'il y ait un avancement dans le dossier autochtone, c'est la base.

Je pense, on pourrait parler ici au niveau d'outils qu'on pourrait avoir. On parle beaucoup de financement, d'administration publique, ça, je pense, pour nous, oui, c'est un outil qu'on peut utiliser, mais, si on pouvait se parler sur la base vraiment de gouvernement à gouvernement... Et, lorsque vous nous demandez ce que vous n'avez jamais demandé dans le passé, nous, on dit: Dans le futur, il n'y en a aura jamais pour nous dans la communauté. Lorsque la communauté a été créée, lorsque vos machines sont arrivées dans la communauté et qu'elles ont terrassé les tentes pour tracer vos routes, je pense, jamais plus, ça, on doit l'accepter.

(12 h 20)

Et, moi, simplement je dis: Ce que le document explique, c'est assez clair, je pense. Je ne sais pas pourquoi je dois encore une fois être ici à réexpliquer ce que vous comprenez très bien. Je pensais, moi, en tout cas, que le gouvernement du Québec comprendrait les aspirations innues, puisqu'il a les mêmes aspirations envers un autre gouvernement. Et je pense que quelqu'un me disait aussi que nos opinions étaient diamétralement opposées, et il reste que c'est la base, que, nous, nous avons décidé dans le passé, là, de s'asseoir à des tables de négociations. Juste le fait d'être à une table de négociations, ça a été une décision qui est lourde de conséquences. Est-ce qu'il y a une reconnaissance envers un autre gouvernement? Mais ça, je pense que le pas a été franchi, et on est encore à des tables de négociations aujourd'hui.

Et, simplement pour réitérer ce que je veux dire, c'est la reconnaissance des droits territoriaux, la reconnaissance des droits humains du peuple innu. Ça, je pense que c'est une base. Elle est là, je pense que c'est cette base-là qu'on défend, les principes pour qu'il y ait, comme vous me demandez, un avancement. Et moi, c'est important de le dire, là, le développement dans nos territoires, le développement qui s'est fait sans le consentement des gens du peuple innu, je pense que, ça, moi, à titre de dirigeant, de leader innu, je l'ai dit, on n'acceptera jamais, jamais plus.

Le Président (M. Côté, Dubuc): Alors, merci, M. Piétacho. Ceci met fin à notre période d'échanges. Alors, je voudrais vous remercier, M. McKenzie, M. Gauthier, M. Piétacho, M. Mark, pour votre contribution aux travaux de la commission. Et, sur ce, je suspends nos travaux jusqu'à 15 heures, cet après-midi. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 23)

(Reprise à 15 h 7)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission des institutions reprend ses travaux dans le cadre de la consultation générale et des auditions publiques sur le projet de loi n° 99, Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec.

Nous en sommes donc à la première rencontre, à la première période de cet après-midi, avec M. François Rocher. Je vous souhaite la bienvenue, M. Rocher. Nous avons donc une heure de réservée pour la rencontre, 20 minutes maximum pour la présentation. Alors, vous avez la parole.


M. François Rocher

M. Rocher (François): Je vous remercie. J'aimerais d'abord remercier les membre de la commission de m'avoir invité à présenter un mémoire portant sur le projet de loi n° 99. J'aimerais aborder deux choses dans mon intervention cet après-midi.

Évidemment, on ne peut pas comprendre le projet de loi n° 99 sans faire référence au projet de loi fédéral C-20, et j'aimerais glisser quelques mots sur ce projet de loi, question de le mettre en contexte et de voir si la réponse mise de l'avant par le projet de loi n° 99 répond aux problèmes qu'on peut déceler dans le projet de loi C-20. Ensuite, j'aimerais, dans un deuxième temps, vous faire quelques commentaires concernant le projet de loi n° 99 qui est à l'étude ici.

Donc, la réplique québécoise à la loi fédérale doit à mon avis tenir compte de ce qui est au coeur de l'initiative fédérale. La judiciarisation de la question nationale québécoise n'est qu'apparente, puisque, derrière les termes juridiques, ce sont les notions de peuple, de nation, de démocratie et de fédéralisme qui sont remis en cause.

Le titre du projet de loi fédéral illustre à merveille la nature du débat politique et la rhétorique politicienne qui l'alimente. Il s'agit, comme on le sait tous, d'une législation portant sur la clarté. Il s'oppose à toute démarche qui serait, aux yeux du gouvernement canadien, jugée ambiguë ou confuse. En d'autres termes, il s'agit, du moins en apparence, de codifier la vertu. Or, à mon avis nul ne s'est jamais fait le porte-parole de la confusion dans le camp souverainiste.

Mais nous ne saurions être insensibles à l'utilisation du vocabulaire. S'opposer au projet de loi fédéral, c'est en quelque sorte s'opposer à une démarche claire portant à la fois sur la question et la majorité requise, ce qui contribue évidemment à mettre les détracteurs de l'initiative fédérale dans l'embarras. Au plan de la propagande politique, le gouvernement canadien part indubitablement avec une longueur d'avance. Opposer à l'initiative fédérale des considérations portant sur les droits fondamentaux des Québécois nous conduit à entrer dans un débat où chacun refuse de parler le langage de l'autre.

Le problème central tient au fait que le gouvernement canadien, et plus particulièrement le parti gouvernemental, se fait l'unique juge de ce qui constitue une question et une majorité claires. En ce qui concerne la clarté de la question, le projet de loi C-20 précise les conditions selon lesquelles la question serait recevable. Une approche plus contraignante est adoptée en ce qui concerne l'évaluation de la clarté de la majorité. Sans fixer un seuil minimum qui devrait être atteint pour juger de celle-ci, il est limpide qu'une majorité absolue ne serait pas suffisante, le projet fédéral énonçant aussi des éléments qui devront être pris en compte dans l'évaluation de la clarté de la réponse.

(15 h 10)

Finalement, le projet de loi C-20 énonce que toute sécession devrait faire l'objet d'un amendement constitutionnel requérant la participation de l'ensemble des provinces canadiennes. Il est cependant clair que cette participation se traduirait par la nécessité d'obtenir un consentement unanime des provinces. Étant donné que plusieurs éléments de la Constitution actuelle devraient être modifiés pour tenir compte du fait que le Québec ne fait plus partie du Canada, il ne fait aucun doute que la sécession du Québec nécessiterait un amendement ne pouvant être obtenu qu'avec l'appui unanime des législatures provinciales et du Parlement canadien.

Ce qu'il importe de souligner ici, c'est que les dispositions mentionnées dans le projet de loi fédéral définissent les circonstances à partir desquelles le Parlement canadien accepterait de négocier les termes de la souveraineté du Québec. En d'autres mots, le projet de loi C-20 énonce comment le gouvernement fédéral a interprété les propos de la Cour suprême dans son renvoi sur la sécession du Québec. Cette interprétation est sujette à caution, au nom même des principes énumérés par la Cour suprême du Canada, notamment au chapitre du fédéralisme et de la démocratie.

Des propos tenus par la Cour suprême, il me semble que l'on doive retenir deux éléments. Comme elle le mentionnait ailleurs dans son avis, la démocratie signifie davantage que la règle de la majorité. En cela, elle a tout à fait raison. Au-delà du pourcentage requis pour accepter le résultat référendaire, la démocratie exige une volonté ferme et non équivoque de la part des acteurs politiques de discuter, de débattre, de délibérer, donc un processus continu de discussion et d'évolution. Le cadre dans lequel ces discussions devraient être tenues est précisé par la cour. Les négociations qui suivraient – l'accent est de moi – un tel vote porteraient sur l'acte potentiel de sécession et sur ses conditions éventuelles.

Dans un premier temps, nulle part dans son renvoi la Cour suprême n'autorise ni ne défend l'idée selon laquelle le Parlement canadien se doit de déterminer unilatéralement les conditions permettant la tenue de telles négociations. Celles-ci doivent être déterminées par tous les acteurs politiques après la tenue d'un vote portant sur la sécession. En fait, procéder comme veut le faire le gouvernement canadien contrevient au principe démocratique qui exige une délibération de bonne foi par tous les acteurs politiques.

Or, s'il est une chose qui ressort du projet de loi C-20, c'est la démarche unilatérale du gouvernement fédéral qui s'octroie la responsabilité de rejeter une question référendaire qu'il jugerait non conforme au principe de clarté sans tenir compte de la volonté exprimée par l'Assemblée nationale et aussi des débats qui ne manqueraient pas de survenir, d'avoir lieu dans l'espace politique québécois.

En d'autres termes, en vertu des principes démocratiques, c'est aux Québécois et aux Québécois seuls de définir le libellé de la question. Si celle-ci apparaît ambiguë aux yeux de la population ou de ses représentants, ils auront l'occasion de le manifester dans l'espace public québécois. Et c'est à la lumière de ces débats que le gouvernement fédéral pourra a posteriori porter un jugement sur sa soi-disant clarté, mais cela n'autorise sûrement pas ce dernier à porter un jugement ex cathedra avant même qu'aient lieu les délibérations politiques dans le cadre des institutions politiques québécoises. Procéder autrement revient à court-circuiter l'esprit du /renvoi qui invite plutôt les acteurs politiques à évaluer dans quelle mesure les résultats référendaires constituent un rejet clairement exprimé par le peuple du Québec de l'ordre constitutionnel existant.

Donc, l'intention du gouvernement fédéral est nettement de nature politique en ce sens qu'elle vise essentiellement à faire connaître aussi bien au Québec que dans le reste du Canada la légitimité du Parlement canadien d'intervenir dans le processus devant conduire à la sécession du Québec, et ce, avant même que l'Assemblée nationale n'ait pu adopter le libellé de la question référendaire, et évidemment avant la tenue d'un référendum au Québec sur cette question. Il s'agit pour le gouvernement fédéral d'asseoir sa légitimité politique sur des assises juridiques, mais ces assises sont fragiles, pour ne pas dire inexistantes. Le Parlement canadien ne peut, en vertu de la Constitution canadienne, interférer dans le processus législatif de l'Assemblée nationale. Le ferait-il qu'il réintroduirait le pouvoir de désaveu que la Cour suprême a reconnu comme étant tombé en désuétude.

L'intention fédérale est donc ailleurs et elle est uniquement de nature politique. Le projet de loi C-20 ne fait qu'autoriser le Parlement canadien à se départir de l'obligation de négocier ou de négocier les termes de la sécession qui découlent du renvoi de la Cour suprême rendu public en août 1998. Il s'agit donc de déstabiliser politiquement la démarche de l'Assemblée nationale en insistant sur les difficultés de l'entreprise et, d'autre part, en diffusant le message selon lequel les Québécois ne sont pas les seuls à prendre part au débat.

Mais la perspective est encore plus ambitieuse. Il s'agit aussi de faire savoir aux Québécois que le Parlement canadien est le garant de leur désir de demeurer citoyens canadiens. C'est la raison pour laquelle il entend et il prétend agir légitimement au nom des Québécois; ce à quoi je m'oppose.

Par-delà le fait que le projet de loi interprète à sa manière l'avis de la Cour suprême et que l'on peut s'interroger sérieusement sur la validité de cette interprétation, il n'en demeure pas moins que le gouvernement fédéral a apaisé les craintes qui se sont manifestées dans le reste du Canada à l'endroit du projet souverainiste. Et là je ne m'étendrai pas longtemps là-dessus, ne serait-ce que pour souligner que, si le projet de loi C-20 a été si bien reçu, c'est justement parce qu'il permettait d'apaiser les craintes de réaffirmer la légitimité du geste fédéral et évidemment des institutions politiques canadiennes.

Cela étant dit, on ne saurait prétendre que, si l'initiative législative fédérale est perçue comme étant légitime au Canada anglais, elle vienne par le fait même invalider le droit du Québec à décider seul de la nécessité de consulter sa population et des modalités devant être suivies dans la démarche conduisant à la redéfinition de son avenir politique. Cela force au contraire l'Assemblée nationale à réitérer avec vigueur qu'en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution il lui revient d'être le premier lieu d'exercice du pouvoir en ce qui concerne la démarche à suivre touchant son avenir politique, tout en respectant les principes énumérés dans le renvoi de la Cour suprême. Ce qui m'amène à aborder de manière plus précise le projet de loi n° 99.

La nouvelle législation fédérale fait en sorte qu'il est dorénavant, dans la pratique, impossible pour le Québec d'accéder à sa pleine et entière souveraineté en se conformant à la Constitution canadienne. Celle-ci impose une formule d'amendements si rigide que toute négociation des termes d'une éventuelle sécession du Québec ne peut qu'aboutir à un échec. Cette démarche ne peut que contribuer à cristalliser le conflit avec le Québec. Devant le refus de réouvrir les négociations constitutionnelles qui viseraient à accommoder le Québec, le Canada s'est enfermé dans le statu quo constitutionnel. Pour certains, ce refus d'envisager de nouvelles formes d'accommodement démontrerait, entre autres, que le Québec n'est pas libre au sein de la fédération canadienne.

Ainsi, et je cite, «un membre qui cherche à se voir reconnaître en tant que nation est libre dans la mesure où les possibilités de discussions, négociations et amendements ne sont pas bloqués, en pratique, par des contraintes arbitraires. La Constitution d'une société où sévit pareil blocage doit être considérée comme une camisole de force ou comme une structure de domination.» Ces termes sont tirés d'un article publié récemment par un politologue du Canada anglais établi à l'heure actuelle à Victoria qu'on ne peut pas soupçonner d'accointance nationaliste.

Le fait que le Québec s'est vu imposer des amendements constitutionnels sans son consentement en 1982, que la formule d'amendement fait en sorte qu'il est impossible de modifier la Constitution de façon à ce que le Québec soit reconnu comme nation et finalement le fait que toute sécession devrait être encadrée par l'actuelle formule d'amendement amène mon collègue James Tully à conclure que le Canada demeure une société où liberté, justice et stabilité seront partiellement absentes, contribuant de la sorte à ce que les Québécois s'identifieront davantage à leur propre société sans avoir la possibilité de développer un sentiment d'appartenance équivalent envers le Canada.

Dans ce contexte, l'Assemblée nationale se doit de répliquer sans équivoque aux problèmes soulevés par le projet de loi C-20, et le projet de loi n° 99 me semble une réponse pondérée et appropriée dans les circonstances. Elle a par ailleurs le grand mérite d'être de portée générale. Contrairement au projet de loi C-20 qui se limite à n'aborder que le processus pouvant mener à la sécession du Québec, le projet de loi n° 99 réitère solennellement les prérogatives de l'Assemblée nationale à l'égard de toute question relative à l'avenir du peuple québécois.

(15 h 20)

Il est essentiel de rappeler que le peuple québécois peut disposer de lui-même, comme l'affirme l'article premier du projet de loi n° 99. Il est aussi essentiel de rappeler, comme le fait l'article 10, qu'aucun autre Parlement ou gouvernement ne peut réduire les pouvoirs, l'autorité, la souveraineté et la légitimité de l'Assemblée nationale. Ces rappels bien qu'incontournables sont-ils suffisants dans les circonstances?

Il est clair à mon avis que le droit à la sécession n'est pas absolu et que l'obligation de négocier est réciproque. Réaffirmer l'autorité de l'Assemblée nationale me semble indispensable mais insuffisant dans les circonstances actuelles.

Le gouvernement fédéral a par son projet de loi imposé en quelque sorte les termes du débat, et la réponse de l'Assemblée nationale doit aller au-delà d'une réaffirmation de l'autorité et de la légitimité des institutions politiques québécoises. Il est particulièrement difficile pour les citoyens de s'opposer à l'idée d'une question et d'une majorité claires. Bien que ce soient les termes que l'on retrouve dans le renvoi, on peut présumer que les juges de la Cour suprême avaient en tête une définition usuelle de cette notion – les constitutionnalistes savent fort bien que les juges s'inspirent largement des dictionnaires.

«Clair» signifie familièrement «facile à comprendre». Cela ne me semble pas trop limitatif. Il y a des réalités complexes qui demeurent néanmoins intelligibles. Cela ne limite pas le libellé d'une éventuelle question aux seules notions de souveraineté ou de sécession. En d'autres termes, une question peut être claire tout en incluant d'autres éléments que la seule référence à la sécession du Québec.

Une question peut demeurer claire tout en étant complexe dans la mesure où elle demeure facile à comprendre. Si le gouvernement fédéral refusait de négocier les termes de la sécession en refusant de reconnaître la clarté de la question, ce serait à la communauté internationale de juger de sa conduite et de sa bonne foi. Il faudrait que le projet de loi n° 99 fasse référence au fait que la clarté de la question sera déterminée par l'Assemblée nationale et les partis politiques qui y sont représentés.

Par ailleurs, je ne vois pas la pertinence d'exiger une majorité qualifiée lors d'un vote à l'Assemblée nationale portant sur la question référendaire. Ce n'est au Parlement canadien d'interférer dans la rédaction du libellé de la question. Cette prérogative relève seule de l'Assemblée nationale. Accepter qu'il en soit autrement correspondrait à nier l'autorité de l'Assemblée nationale.

Même si je souscris au principe énoncé dans l'article 2 du projet de loi n° 99, il n'en demeure pas moins que tout changement au régime politique et au statut juridique du Québec impliquerait des négociations avec des représentants de la majorité légitime du reste du Canada. En d'autres termes, le Québec ne pourrait ni déclarer unilatéralement sa souveraineté ni dicter aux autres parties de la fédération les termes de la sécession ou de toute autre modification constitutionnelle souhaitée. Ceux-ci devront faire l'objet de négociations conduites de bonne foi de part et d'autre. La légitimité de la démarche québécoise serait mieux comprise et acceptée dans le reste du Canada si l'Assemblée nationale prenait en considération cette dimension dans l'actuel projet de loi.

Je propose donc bien humblement qu'un nouvel article soit ajouté au chapitre II où il serait dit quelque chose comme: Après un vote portant sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec ayant respecté les conditions spécifiées à l'alinéa 4, l'État du Québec engagera des négociations ou fera une offre de négociation sur cette question avec les représentants de la majorité légitime du reste du Canada. Cet ajout ne modifierait en rien ni l'esprit ni la portée de l'actuel projet de loi n° 99, mais aurait l'avantage de reconnaître le fait que le Québec respecterait le principe fédéral au coeur du régime politique canadien. Il s'agirait d'une marque de reconnaissance et de respect à l'endroit du reste du Canada avec qui le Québec aura, peu importe les choix retenus quant à son avenir, à maintenir des relations cordiales.

Finalement, je voudrais insister sur une dimension qui relève davantage de la dynamique politique. Compte tenu de l'importance des enjeux politiques associés à l'initiative législative fédérale en ce qui concerne notamment la quasi mise en tutelle de l'autorité de l'Assemblée nationale eu égard à sa capacité d'adopter sans interférence extérieure la question qu'elle entendrait soumettre à la consultation populaire et à la majorité requise pour procéder à des changements de nature constitutionnelle et compte tenu de la portée générale des dispositions du projet de loi n° 99, il est impératif que la légitimité des institutions politiques québécoises soit défendue et appuyée par tous les partis politiques siégeant actuellement à l'Assemblée nationale du Québec.

En d'autres termes, question d'être on ne peut plus clair, au-delà de la question de la sécession sur laquelle il n'est pas nécessaire que tous les partis partagent le même point de vue, il n'en demeure pas moins que le projet de loi n° 99 se porte à la défense des institutions politiques québécoises sévèrement attaquées par l'initiative fédérale qui cherche à imposer – pour reprendre à nouveau les termes du professeur Tully – une structure de domination incompatible avec les principes du fédéralisme.

Il serait difficile de justifier un tel renoncement aux valeurs que les Québécois ont défendues depuis des décennies. Il y a des moments dans l'histoire où les intérêts supérieurs du Québec – pour reprendre une expression qu'on a utilisée abondamment – transcendent les lignes partisanes. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Rocher. M. le ministre, vous avez la parole.

M. Facal: Merci beaucoup, M. le Président. Bienvenue à l'Assemblée nationale, M. Rocher. Je vous remercie beaucoup pour votre contribution. J'en ai pris connaissance avec le plus vif intérêt. Je partage, pour l'essentiel, l'analyse que vous faites.

Il m'apparaît en effet évident que C-20 vise à mettre une distance entre le gouvernement fédéral et un avis de la Cour suprême, qui, à au moins quatre égards, donne au gouvernement fédéral des éléments qu'il ne souhaitait pas recevoir, soit, en tout premier lieu, la reconnaissance que le territoire canadien est divisible sur la base des territoires des provinces, la reconnaissance de la légitimité de l'option souverainiste, l'obligation de négocier d'égal à égal et l'admission qu'en cas de mauvaise foi lors des négociations la reconnaissance d'un Québec souverain par la communauté internationale pourrait s'en trouver facilitée.

Vous montrez bien également que la rigidité de l'actuelle formule d'amendement rend illusoire des réformes constitutionnelles du fédéralisme canadien, et à vrai dire ceux qui nous pressent, ou plutôt ceux qui estiment que les progrès de la fédération canadienne doivent prendre la forme d'ententes administratives, en fait nous disent implicitement qu'ils reconnaissent que la voie constitutionnelle est bloquée.

Vous nous pressez également, au nom de la légitimité des institutions politiques québécoises, d'adopter 99 à l'unanimité, et soyez assuré que – en tout cas de ce côté-ci – c'est notre souhait le plus cher. Vous faites enfin une distinction extrêmement intéressante, parce que cette question est souvent présentée de façon réductrice et outrancièrement simplifiée, vous illustrez bien qu'une chose peut être complexe et en même temps intelligible.

J'ai aussi beaucoup apprécié votre suggestion d'amendement, et c'est là-dessus que j'ai besoin d'avoir un éclairage. Vous suggérez un nouvel article, vous nous le soumettez, mais je ne suis pas sûr de bien comprendre la portée qu'il faut donner exactement à l'expression «engagera des négociations sur cette question avec les représentants de la majorité légitime du reste du Canada.» Vous savez que nous, du gouvernement du Québec, avons toujours dit: Au lendemain d'un oui, nous souhaitons l'ouverture de négociations. Mais nous nous interdisons de dire qui devrait être de l'autre côté de la table. Ce n'est pas à nous de dire au reste du Canada comment il doit organiser son équipe de négociateurs.

(15 h 30)

Comment vous voyez la séquence des événements à ce moment-là? Que faut-il entendre par «les représentants de la majorité légitime du reste du Canada» quand on sait que l'actuel gouvernement fédéral a été élu avec 38 % du vote, que des amendements à C-20 introduits par le NPD et auxquels M. Dion a agréés font maintenant aux représentants des nations autochtones une place dans le processus, que les gouvernements des provinces disent: Nous aussi, on veut y être, et qu'il serait concevable que des gens dans le reste du Canada disent: Non, des élus québécois de la Chambre des communes ne seraient peut-être pas les mieux placés pour négocier en notre nom? À qui ferions-nous face à ce moment-là?

M. Rocher (François): Je suis conscient de la complexité de la chose et je me suis posé la même question lorsque j'ai rédigé cette section. Il y a deux problèmes qui se posent. Le premier, c'est, comme vous l'avez souligné dans votre intervention: ce ne sont pas aux Québécois à déterminer qui devrait s'asseoir à la table des négociations pour le Canada anglais. Par ailleurs, évidemment il y a eu tout un débat au Canada anglais, qui portait sur cette question-là: Qui va pouvoir parler au nom des Canadiens anglais ou, enfin, des autres provinces advenant un référendum positif?

Il y a même des collègues politologues du Canada anglais qui sont allés aussi loin que de dire que le Canada devrait se reconstituer avant d'aborder la question avec le Québec. Donc, c'est une question complexe, et les termes que j'utilise, les représentants de la majorité légitime du reste du Canada, sont tirés mot à mot du renvoi de la Cour suprême, qui n'a pas été capable, en fait, les honorables juges ont été incapables de déterminer eux-mêmes qui seraient les acteurs politiques à ce moment-là.

Donc, puisque la démarche politique, comme on le sait tous, fait grande place à la dynamique mais aussi aux acteurs politiques, telle que la situation va se présenter ou se présenterait dans des circonstances comme celles-là, je pense qu'une expression aussi large que les représentants de la majorité légitime du reste du Canada, ce qui implique que c'est eux qui définiraient et qui nommeraient leurs porte-parole selon les mécanismes qui leur conviendraient, donc cette ouverture me semble assez large pour ne pas paraître contraignante lorsque cela peut être lu au Canada anglais. En d'autres mots, pour être plus précis, longtemps on a reproché à la démarche souverainiste de définir les termes précis du partenariat et je pense que, là, on en est rendu à une étape différente où on reconnaît généralement qu'on peut faire une offre de partenariat. Mais ce qui devra faire l'objet du partenariat sera le fruit d'une négociation à deux.

Eh bien, c'est un peu la même chose ici. Je pense qu'il serait très mal perçu dans le Canada anglais si le Québec définissait d'entrée de jeu quels seraient les acteurs politiques avec qui il entend négocier. Et donc, cette formule-là permet au Canada d'identifier en fait leurs porte-parole, lorsqu'on y sera rendu. Ça m'apparaît beaucoup moins limitatif en tout cas que de dire que ce sera avec le gouvernement fédéral – je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure option – ou que ce sera avec le fédéral et les 10 provinces, ou le fédéral, les provinces, les autochtones ou le fédéral, les provinces, les autochtones et les représentants de groupes de femmes, et ainsi de suite. Là, on ouvre une question, à l'heure actuelle, impossible à résoudre.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci, M. le Président. Bienvenue, M. Rocher, à la commission. Pour le projet de loi C–20, je pense que c'est clair, vous le mentionnez, ça vise à subordonner le Québec à l'autorité du gouvernement fédéral. C'est très clair aussi pour le projet de loi n° 99. Alors, vous le dites qu'il affirme sans ambiguïté le droit du peuple québécois de se définir. Mais là vous avez une interrogation ou une inquiétude, à moins que j'ai mal compris, vous dites que c'est un discours qui va soulever des difficultés sur le plan politique parce qu'il exclut la prise en compte du sentiment d'appartenance de bien des Québécois envers le Canada.

Est-ce que vous pouvez expliciter qu'est-ce que ça veut dire? Est-ce que vous tenez compte du partenariat? Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus? Est-ce que le fait de définir son avenir exclut automatiquement la prise en compte du sentiment d'appartenance à certains Québécois envers le Canada?

M. Rocher (François): Sans vouloir tomber dans le jeu de mots, il y a des choses qui peuvent apparaître confuses, c'est-à-dire que, par exemple, le ministre Dion peut dire: «Un vote sur la souveraineté, c'est demander aux Québécois de renoncer au Canada.» Il l'a répété dans plusieurs discours qu'il m'a été donné de lire. Et donc, sur cette base-là, il essaie d'établir la légitimité de l'intervention fédérale auprès des Québécois. Moi, ce que je dis, c'est que, compte tenu des institutions du régime politique dans lequel on vit, c'est aux institutions politiques du Québec à définir les mécanismes et les termes du débat, d'accord, et donc, dans la mesure du possible, de clarifier le problème de la double légitimité. C'est-à-dire qu'il faut clairement faire savoir aux Québécois que, compte tenu de la démarche qui porte sur l'avenir politique du Québec, c'est aux parlementaires québécois, aux institutions légitimes du Québec de définir la démarche. Et à ce niveau-là, le gouvernement fédéral évidemment, compte tenu du fait qu'on vit dans une fédération, intervient au Québec, mais intervient au Québec dans des domaines qui ne relèvent pas de cette question-là. J'espère que je réponds clairement à votre question.

M. Boulianne: Je comprends ce que vous voulez dire, oui. Mais je ne sais pas si c'est une contradiction ou j'ai mal compris... Alors, vous, à un moment donné, vous dites que l'approche fédérale cherche à subordonner l'existence du peuple québécois à un diktat. Vous semblez dire que c'est légitime, dans sa perspective. Est-ce que, à partir de là, ce n'est pas antidémocratique, même si c'est légitime dans sa perspective, d'accepter, d'admettre, de soumettre un peuple à un diktat comme le fait le fédéral?

M. Rocher (François): D'accord. Je pense comprendre votre question. Je vais me situer. Moi, bien que citoyen québécois, j'enseigne à l'Université Carleton, qui est située à Ottawa. Et donc, mes interlocuteurs principaux, les gens avec qui je discute, ce ne sont pas des Québécois, ce sont à 99 % des Canadiens anglais, donc ce sont les gens que je fréquente. Et, lorsque j'aborde avec eux la question du projet de loi C-20, presque unanimement, avec quelques exceptions, mais presque unanimement, les gens disent: Oui, le gouvernement fédéral doit légitimement intervenir là-dessus parce que la décision qui serait prise par les Québécois nous affecterait, et donc, légitimement, on doit être en mesure de définir les règles qui devraient être suivies pour négocier avec les Québécois. C'est sur cette base-là que la légitimité de l'intervention fédérale est comprise.

Moi, ce que je leur réponds, c'est que cette position de principe, elle est juste, mais elle n'est pas reflétée dans le texte du projet de loi C-20 qui, loin de définir les règles qui seront suivies après un référendum victorieux, nous définit plutôt les règles auxquelles devra se soumettre l'Assemblée nationale du Québec. Et je leur dis: Vous avez tout à fait raison de trouver la démarche, l'idée, le principe du gouvernement fédéral juste, équitable à votre endroit, mais il est tout à fait inique, injuste, inéquitable, dans la mesure où ce que vous cherchez, les assurances que vous cherchez ne se retrouvent pas dans le projet de loi C-20. Ce que le projet de loi C-20 fait en réalité, c'est qu'il subordonne l'autorité de l'Assemblée nationale à la décision prise par le parti gouvernemental qui siège à la Chambre des communes. Or, ce que vous faites, ce n'est pas établir les règles qui seront suivies à la suite d'un vote positif à une question portant sur la souveraineté, mais vous subordonnez, vous mettez une chape de plomb, vous établissez, comme pour reprendre les termes de James Tully, une structure de domination sur l'Assemblée nationale et sur les institutions politiques québécoises et sur le peuple québécois dans son ensemble. Lorsque je leur dis ça, évidemment ils réalisent que, entre leur désir, leur souhait... Je ne ferai pas de psycho-analyse de leur malaise profond... ça a cet effet rassurant mais qui n'a rien à voir avec le contenu du texte.

(15 h 40)

M. Boulianne: J'aurais une autre question, M. le Président. À la fin de votre mémoire, je pense que vous n'êtes pas le seul à l'avoir souligné, vous demandez aux partis politiques – et M. le ministre en a parlé – de transcender la ligne de parti, la ligne partisane, ce que le Parti libéral ne fait pas à date, et de donner préséance aux intérêts supérieurs du Québec, ce que le Parti libéral n'a pas fait encore à date.

Alors, est-ce que vous accordez beaucoup d'importance à cette unanimité?

M. Rocher (François): Je pense que le message serait nettement plus clair, mieux perçu s'il n'y avait pas de divisions partisanes sur un vote portant sur ce projet de loi là. En 1982, ce qui a précédé le rapatriement de la Constitution, le fait qu'il y a eu un vote unanime des partis à l'Assemblée nationale – je ne dis pas de tous les députés – pour s'opposer au rapatriement, je pense que ça a eu un impact symbolique très fort, puisqu'il a montré que, au-delà des divisions partisanes, au-delà des projets politiques qui ne vont pas dans la même direction, l'institution politique démocratique était protégée.

Et je pense que, en ce qui concerne le projet de loi n° 99, son adoption par un vote unanime des partis – il y a peut-être des membres qui dans un parti pourraient ne pas appuyer ça – un vote unanime des partis m'apparaît important, puisqu'il permettrait de faire comprendre aux Québécois que le C-20 est une attaque à la légitimité, au bien-fondé et, en fait, à l'héritage démocratique que les Québécois partagent depuis maintenant au-delà de 200 ans. Ne pas le faire, c'est entériner la subordination de l'Assemblée nationale au diktat fédéral, c'est accepter les termes de cette mise en tutelle des prérogatives de l'Assemblée nationale.

M. Boulianne: Merci beaucoup.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le porte-parole de l'opposition officielle.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, M. le Président. Bonjour, M. Rocher, merci d'être ici. La question que je voudrais vous poser, c'est la suivante. On a eu une proposition jusqu'à présent par l'un des invités, qui visait à faire en sorte que le projet de loi n° 99, disons, soit davantage nourri, soit davantage, si je peux dire, complet et que dans ce projet de loi là soit défini carrément le type de démarche que le gouvernement du Québec envisage en termes d'accession à la souveraineté. Et c'est une proposition qui nous a été faite et qui retient l'attention, en tout cas, semble-t-il, d'un certain nombre de souverainistes. Je voulais savoir ce que vous en pensez. Qu'est-ce que vous pensez de l'idée que le projet de loi n° 99 soit donc complété avec des informations additionnelles, des détails additionnels qui, en fin de compte, paveraient un peu la voie de l'accession du Québec à la souveraineté?

Je pose la question parce qu'on sait que le fédéral, dans le projet de loi C-20, nous dit comment lui se comporterait dans un contexte de tentative par le Québec d'accéder à la sécession. Alors, certains souverainistes nous disent: Le Québec devrait en faire autant et devrait déjà donc coucher sur papier dans le projet de loi n° 99 les grandes lignes d'une éventuelle démarche sécessionniste. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Rocher (François): D'abord, ma lecture du projet de loi C-20 est un peu différente. À mon avis, C-20 ne dit pas ce que le gouvernement fédéral va faire. Le C-20 nous indique plutôt ce que le gouvernement fédéral n'a pas l'intention de faire. Et il n'a pas l'intention de négocier si la question est jugée ambiguë parce qu'elle inclurait autre chose que la seule référence à la séparation ou à la sécession. D'ailleurs, même le terme «sécession» – j'ouvre une parenthèse ici – est perçu comme étant ambigu chez certains. Bien, je vous dis ça parce que j'en parlais récemment avec quelqu'un qui me disait qu'il y avait confusion entre «sécession» et «succession» dans la tête de certains, donc... Je ferme la parenthèse.

Mais ce que je veux dire par là, c'est que C-20 nous dit davantage ce que le gouvernement fédéral n'entend pas faire plutôt que la démarche qu'il entend suivre après un vote positif des Québécois, qui ferait en sorte qu'ils entérineraient une démarche conduisant à l'accession du Québec à la souveraineté, puisqu'on nous dit: On va négocier si la question respecte nos conditions et si, à nos yeux, la majorité nous apparaît claire. Mais, quant à la démarche qu'il suit, là, ses questions de principes, on n'en sait pas tellement plus dans C-20.

Donc, moi, je pense que, puisque C-20 fondamentalement est un projet de loi qui vise à subordonner les prérogatives de l'Assemblée nationale, puisque c'est ça, le fond du débat, la réponse doit être à la mesure de l'attaque qui nous est faite, si on veut. En d'autres mots, je ne vois pas la pertinence, à l'heure actuelle, de détailler la démarche qui devrait être suivie pour soit définir la question autrement que répéter que c'est la prérogative de l'Assemblée nationale, ou les démarches qui devraient être suivies, visant à entamer les détails des pourparlers avec le gouvernement fédéral, en d'autres mots, sur quoi les négociations devraient porter. Je pense que le débat politique est assez clair au Québec et a été assez actif au Québec au cours des deux dernières décennies pour savoir exactement ce sur quoi ça va porter.

Cependant, j'aimerais dire à M. Pelletier que, dans le mémoire que je vous ai déposé, je vous encourage tout de même à inclure dans le projet de loi n° 99 des éléments qui auraient pour effet de rassurer les Québécois quant au fait qu'il y a un engagement à adopter une question qui sera claire, en d'autres mots, qui sera compréhensible. Je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas, puisque, être clair, c'est, à mon avis, quelque chose qui a caractérisé la démarche souverainiste depuis le début des années soixante-dix. Et je suggère aussi, en guise de démarche qui respecte et qui reconnaît le fait que «it takes two to tango», d'inclure des dispositions où on affirmerait que l'État du Québec ferait aussi une offre de négociations, justement parce que je pense qu'on reconnaît tous que le Québec ne peut pas dicter aux autres parties de la Fédération les termes de la sécession. Ça fait partie des négociations et il y aura négociation. L'idée de négociation est présente dans la démarche souverainiste depuis le tout début et donc le fait de faire référence à cela n'est pas incompatible avec l'esprit et la lettre du projet de loi n° 99. Mais aller au-delà de ça, pour répondre à la question de M. Pelletier, préciser les termes, les détails concernant toute la démarche devant conduire à l'accession du Québec à la souveraineté, fournir des informations additionnelles ne m'apparaît pas pertinent à l'heure actuelle, compte tenu de ce à quoi on a à répondre aujourd'hui, c'est-à-dire à l'initiative fédérale.

M. Pelletier (Chapleau): Alors, merci, M. Rocher. Merci de votre présence et de votre mémoire.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): J'aimerais, à mon tour, donc au nom des membres de la commission, M. Rocher, vous remercier pour votre participation et votre contribution à nos travaux. Merci.

Je rappelle que la commission des institutions est réunie afin de procéder à une consultation générale et aux auditions publiques sur le projet de loi n° 99, Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec. Nous allons consacrer la prochaine période à une rencontre avec les représentants de Génération Québec, représentée notamment par son président, Jean Lemoine. Est-ce que M. Lemoine est disponible? Sinon, nous allons suspendre quelques minutes.

(Suspension de la séance à 15 h 50)

(Reprise à 15 h 54)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, la commission donc reprend ses travaux toujours dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 99. Nous avons le plaisir de recevoir les représentants de Génération Québec, dont son président M. Jean Lemoine. Je rappelle que nous avons une heure à consacrer à la présente rencontre, dont une vingtaine de minutes pour la présentation proprement dite de votre mémoire ou de votre point de vue. Alors, M. Lemoine, vous avez la parole, et je vous demanderais d'emblée de nous présenter les personnes qui vous accompagnent.


Génération Québec

M. Lemoine (Jean): Tout à fait. Alors, d'abord je tiens à m'excuser en mon nom personnel parce que j'étais pour 17 heures, on nous avait dit d'arriver une heure à l'avance, alors nous arrivons à l'instant, une heure à l'avance. Effectivement, c'était une invitation pour 16 heures. Alors, à mes côtés, Christine Mitton, membre du conseil d'administration de Génération Québec, et Louis Fortier, membre du comité consultatif de Génération Québec.

Alors, nous vous remercions beaucoup de l'invitation que vous nous avez faite de participer à la présente commission et on est conscient que vous avez passé de nombreuses heures à entendre de nombreuses organisations et de nombreux témoins et on croit savoir que vous en êtes à la toute fin de vos travaux, alors nous vous félicitons, nous vous remercions de la patience de nous écouter ici. Je vais tout de suite...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): L'attention et la disponibilité des membres de la commission sont toujours aussi vives, aussi présentes.

M. Lemoine (Jean): Je vous remercie. Permettez-moi d'abord de présenter rapidement Génération Québec. Génération Québec a été créée en 1995 et regroupe 500 jeunes professionnels, gens d'affaires, cadres, entrepreneurs et universitaires qui veulent prendre une part active aux réflexions et aux débats quant au devenir de la société québécoise dans une perspective souverainiste.

Les membres de Génération Québec oeuvrent généralement dans le milieu des affaires. Déjà engagés dans leur milieu de travail respectif, ils n'hésitent pas à s'impliquer en politique de façon bénévole. Beaucoup d'entre eux ont, dans le cadre de leurs professions, des contacts avec l'étranger. Ils sont donc en mesure de juger et de constater l'importance pour le Québec d'assumer pleinement sa destinée et que ceci s'impose encore davantage dans le cadre actuel de la mondialisation de l'économie. Nous croyons, chez Génération Québec, dans la capacité du Québec à assumer pleinement ses choix tant au plan politique, social qu'économique. Nous croyons également qu'il est possible et souhaitable de conjuguer un développement économique ordonné à une justice sociale favorisant le plein épanouissement de chaque citoyen.

Je vais aller immédiatement au vif du sujet concernant évidemment le projet de loi n° 99. On sait tous que le projet de loi n° 99 répond évidemment à l'initiative fédérale du projet de loi C-20 et je vais d'abord donc m'adresser... ou aborder cette problématique. Depuis qu'il a été mis à l'ordre du jour par les premiers indépendantistes dans les années soixante, le débat sur la question du régime politique du Québec, la question nationale, a toujours été mené sur un mode binaire. D'un côté, on a évoqué, du côté indépendantiste, qu'il était légitime et naturel pour un peuple de se prendre en main et d'assumer la plénitude de ses pouvoirs politiques. Il s'agit là d'une proposition qui se suffit à elle-même, qui s'adresse aux aspirations humaines les plus profondes. De l'autre, par ailleurs, on a toujours évoqué sous plusieurs formes un discours qui revenait à ceci: Il est dangereux, faites attention de remettre en cause un régime politique où les Québécois ont été bien servis après tout et de renoncer à la sécurité actuelle pour l'aventure souverainiste. Il s'agit essentiellement ici dans cette optique de semer l'inquiétude dans l'esprit des gens et de les inciter à croire qu'en renonçant à l'ordre actuel ils prennent un risque qui pourrait les mener à des profondeurs abyssales que personne n'est en mesure de mesurer actuellement.

Les exemples du genre abondent dans les dernières années. J'ai regardé récemment le film Le confort et l'indifférence , sur le référendum de 1980. J'ai été surpris de voir à l'époque tout le débat qu'on faisait sur la capacité de l'État du Québec de pouvoir payer les pensions de vieillesse. C'était vraiment un grand argument à l'époque. Je pense qu'on peut dire que les choses ont évolué beaucoup. Mais, si on retient donc que les choses ont évolué, le fondement de la position, s'il n'a pas changé – la position fédérale, j'entends – il est devenu de plus en plus difficile avec le temps de faire et d'inquiéter la population québécoise sur la capacité du peuple du Québec à devenir souverain.

De nouveaux arguments doivent donc être servis et le projet de loi C-20 s'inscrit dans cette logique. Comme pour les tentatives passées, le gouvernement fédéral cherche à intimider cette portion de la population qui pourrait être séduite par la souveraineté mais qui hésite à s'engager. Sans avoir quelque prétention à l'exactitude statistique, il nous apparaît raisonnable de considérer qu'il peut s'agir là d'environ 20 % des électeurs potentiels. Cette intimidation des lecteurs québécois est de deux ordres. Premièrement, on veut nous laisser croire qu'advenant une victoire du Oui il ne s'agirait pas d'une véritable victoire. À cet égard, le projet de loi sur la clarté vise véritablement à créer la confusion. Le deuxième type d'intimidation est plus vicieux, plus difficile à définir. Il s'appuie sur un certain discours dont se servent à satiété les ténors fédéralistes pour justifier dans l'opinion leurs prises de position de plus en plus agressives. Ce discours peut se résumer comme suit: Les séparatistes, pour faire plus rigoureux, les sécessionnistes, ont le projet de briser, de détruire le Canada. Ils veulent sortir du Canada et ils nient la dimension canadienne des Québécois, et d'autres formules négatives du même acabit.

(16 heures)

Ce discours postule qu'il ne peut y avoir d'autre Canada que la structure politique actuelle avec son Parlement fédéral et ses législatures provinciales. On refuse d'admettre que l'accession du Québec au statut d'État souverain est la très logique association qui s'ensuivrait très certainement avec le reste du Canada, si les deux parties vont dans le sens de leurs intérêts respectifs bien compris, puisse justement s'inscrire dans une perspective canadienne.

Il est donc ici nécessaire devant ce projet de loi C-20 de répliquer pour l'Assemblée nationale et avec la plus grande énergie quant à deux principes fondamentaux qui sont remis en cause. D'abord, la prérogative de l'Assemblée nationale du Québec de proposer au peuple du Québec une démarche politique originale dans le sens qui origine véritablement des membres de l'Assemblée nationale, sans être dictée par d'autres institutions, et ensuite le pouvoir du peuple du Québec de décider de son avenir selon la règle de la majorité absolue, qu'on appelle souvent la règle du 50 %, mais c'est véritablement de la majorité absolue qu'on parle ici. Les deux attaques de C-20 remettent en question pour nous-mêmes et pour les générations à venir des traditions qui vont à l'essence même de notre expérience démocratique.

J'aborde d'abord la question de la majorité absolue. En annonçant, par l'article 2 du projet de loi C-20, sa volonté de donner à la Chambre des communes la prérogative en cas de victoire par la majorité absolue ou par 50 % plus un du Oui au prochain référendum, alors, par l'article 2, on le sait, il veut déterminer la suffisance ou la majorité claire nécessaire, évidemment le gouvernement fédéral cherche essentiellement à s'assurer de créer la confusion en cas de victoire du Oui. Il faut bien sûr comprendre qu'il aurait été périlleux d'un point de vue juridique et politique que la Chambre des communes détermine maintenant unilatéralement une autre majorité que celle du 50 %. Alors, il est bien plus confortable de dire: On va attendre le résultat et on déterminera après. Ça ajoute à la confusion. Et on voit très mal, nous, chez Génération Québec, comment on peut contribuer à assurer la clarification du processus.

Malheureusement, à force de passes savantes, il y a risque d'échapper le ballon. Et c'est ce qui est en train de se passer ici, car la règle de la majorité absolue qui est remise en question par cet article 2 du projet de loi C-20 n'en est pas une avec laquelle on peut se permettre de jouer sans danger. À cet égard, le gouvernement du Québec et surtout l'Assemblée nationale et tous ses députés ont, devant le peuple et les générations qui viennent, une responsabilité comme il s'en présente peu dans l'histoire des peuples. Chez Génération Québec, nous estimons qu'il est impératif pour tous les députés de tous les partis de redire haut et fort les principes sous-jacents de ce débat. On a souvent entendu parler de la santé de notre démocratie, de son ancienneté, de notre Loi électorale, mais toutes ces belles institutions perdraient beaucoup de leur sens si la majorité absolue devait cesser de s'appliquer. Et nous incitons nos parlementaires à expliquer plus à fond cet enjeu.

Par exemple, nous déplorons n'avoir jamais entendu d'où nous vient ce principe de 50 % plus un. Peut-être y aurait-il lieu, à cet égard, d'inclure dans le préambule quelques considérants qui viendraient étayer le si important article 4 du projet de loi n° 99, le projet de loi que nous étudions aujourd'hui. Ces considérants pourraient réitérer le principe de l'égalité de chaque citoyen et de chaque citoyenne devant la loi et devant les autres citoyens et citoyennes.

C'est un peu amusant ici, peut-être l'avez-vous déjà entendu, mais j'ai trouvé tout récemment dans le bouquin de M. Lisée une citation à propos de la majorité du 50 % plus un et qui vient de Pierre Trudeau en 1958. Alors, je me fie à M. Lisée pour la citation. Alors, M. Trudeau, un intellectuel, Trudeau, comme il le décrit, en 1958, écrivait: «La démocratie prouve vraiment sa foi dans l'homme en se laissant ainsi guider par la règle du 51 %, car, si tous les hommes sont égaux et si chacun est le siège d'une dignité suréminente, il suit inévitablement que le bonheur de 51 personnes est plus important que celui de 49. Il est donc normal que, ceteris paribus et compte tenu des droits inviolables de la binarité, les décisions voulues par les 51 l'emportent.» Alors, je veux dire, évidemment ce n'est pas pour dire que c'est l'autorité suprême, mais le principe du 50 % plus un ou la majorité absolue est fondamental. Et c'est véritablement un enjeu très important qui est remis en cause ici par C-20 et qui doit être traité par l'Assemblée nationale. Et nous avons compris évidemment que c'était l'un des objectifs principaux du projet de loi n° 99 et nous y souscrivons tout à fait.

Je vais passer maintenant aux prérogatives de l'Assemblée nationale, un autre aspect extrêmement important. Dans la mesure où il y a un aspect du projet de loi C-20 qui est plutôt choquant, c'est cette démarche systématique – j'en ai parlé tout à l'heure – de faire de l'option souverainiste la destructrice du Canada, cette volonté de faire du gouvernement fédéral le seul dépositaire de ce que doit être le Canada, et ça se formalise ou ça se met en oeuvre dans C-20 dans ces conditions qui sont faites pour déterminer quelle serait une question acceptable, faire partie du Canada, cesser de faire partie du Canada, etc.

Il est pourtant facile d'établir qu'historiquement le Canada n'a pas toujours été et ne doit pas être nécessairement un État fédéral où toutes les provinces sont égales. Il est certainement possible d'avancer que la souveraineté du Québec est le premier pas vers l'élaboration d'un nouvel ensemble politique canadien, comme peut l'être, par exemple, l'Union européenne, formé de deux États souverains dont l'interaction pourrait servir de modèle au monde entier, à l'heure où les entités étatiques multinationales sont souvent confrontées à des tensions internes. Il est légitime de soutenir que les traditions démocratiques canadiennes et québécoises sont notre meilleur rempart pour éviter les dérives qui peuvent résulter de telles tensions. Dans ce sens, le fait, pour le Canada et le Québec, de réaménager à l'instigation de la composante québécoise leurs institutions politiques dans la paix et avec des objectifs de respect des libertés individuelles et d'efficacité économique s'inscrit très bien dans la tradition canadienne.

Alors, ici, à Québec, parce que, évidemment, c'est du projet de loi n° 99 qu'on parle, nous disons aux députés de l'Assemblée nationale, les souverainistes comme les fédéralistes, qu'ils et qu'elles doivent aborder leur responsabilité de protéger le Canada de cette dérive provoquée par cette classe politique qui est au pouvoir à Ottawa et qui s'éloigne de la tradition du dialogue chère aux Canadiens pour adopter le credo de l'autorité et de la puissance.

Les députés de l'Assemblée nationale ont tous des électeurs qui trouvent importante leur identité canadienne, qui sont fiers de leur identité canadienne, et les députés de l'Assemblée nationale ne devraient pas, disons-nous, abandonner au gouvernement ou au Parlement fédéral l'autorité de déterminer seul qu'est-ce qui est à faire partie du Canada, qu'est-ce qui est une question acceptable, qu'est-ce qui est une question qui mène à la sécession.

Ces valeurs fondamentales dont nous nous réclamons se sont manifestées très clairement au Canada par la reconnaissance de facto de l'autorité de l'Assemblée nationale de soumettre au peuple du Québec un projet politique original à deux reprises déjà. C'est bien cela que nie le projet de loi C-20, notamment par son article 1.4. Encore ici, l'adhésion de tous les députés de l'Assemblée nationale au projet de loi n° 99 est une condition nécessaire de la résistance.

Alors, compte tenu que le projet de loi n° 99 vise à protéger deux principes fondamentaux qui vont au coeur même de la pratique politique et démocratique du Québec, il est nécessaire qu'il soit approuvé par toutes les formations politiques présentes à l'Assemblée nationale et adopté par le plus grand nombre de députés possible.

Alors, essentiellement, pour terminer – je termine maintenant – le message que nous venons vous porter de Génération Québec aux députés de l'Assemblée, aux membres de cette commission, il est de deux ordres, c'est: de protéger ces deux principes fondamentaux, et nous croyons que le projet de loi n° 99 est efficace à cet égard, protéger les deux principes de vote à la majorité absolue pour déterminer le résultat d'un référendum et enclencher le processus qui aurait été annoncé à la population; et, deuxièmement, l'autorité absolue de l'Assemblée nationale de choisir cette question à être désignée à la population québécoise, toujours évidemment, cette Assemblée nationale, en ayant à l'esprit des considérations de clarté, des considérations d'absence d'ambiguïté mais en se réservant à elle et non à d'autres l'autorité de faire cette détermination. Je vous remercie.

(16 h 10)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Lemoine, au nom de Génération Québec. M. le ministre.

M. Facal: Merci, M. le Président. Madame, messieurs, bienvenue à l'Assemblée nationale. Je vous remercie pour votre contribution. J'ai pris connaissance avec un grand intérêt de votre mémoire. Vous ne serez évidemment pas étonnés que je vous dise que je partage l'essentiel de votre analyse. Je ne voudrais donc pas enfoncer des portes ouvertes en posant des questions dont je peux à peu près prévoir les réponses en raison de la communauté de vues qui est la nôtre. Aussi, j'irai vraiment à l'essentiel ou plutôt à ce qui m'interpelle le plus, qui est carrément le dernier paragraphe de votre texte.

Vous dites: «Au-delà du projet de loi n° 99, d'autres mesures devront être envisagées tant les enjeux sont graves.» Vous piquez ma curiosité. Est-ce que Génération Québec a des suggestions à faire sur d'autres fronts que le Québec pourrait ouvrir pour défendre sa démocratie? Qu'est-ce que vous avez en tête quand vous dites: «Ne nous limitons pas à 99.»?

M. Lemoine (Jean): En fait, ce n'est pas tant que nous ayons ici des choses à suggérer que 99 s'inscrit dans un processus. Le projet de loi n° 99 doit être adopté, et il va falloir évidemment... On parle ici de référendum. En fait, s'il devait s'avérer qu'on ait un projet de loi C-20 qui soit adopté à Ottawa, le projet de loi n° 99 qui soit adopté à Québec, C-20 malheureusement adopté à Ottawa avec un accord que je trouve beaucoup plus important que je ne l'aurais cru de la classe politique en général... Et on aurait pu s'attendre à ce que ce soit le Parti libéral du Canada seulement, mais les réformistes, même les néo-démocrates, semble-t-il, vont dans ce sens-là, ce qui est extrêmement préoccupant, en tout cas, de mon point de vue à moi. Et on doit féliciter les conservateurs pour leur courage là-dessus. Mais s'il fallait qu'on aille vers deux lois, l'une vis-à-vis de l'autre... Ça a déjà été évoqué, dans le mémoire on fait référence à un référendum. Il s'agit ici de questions assez fondamentales pour que la population soit consultée directement par la voie d'une élection anticipée ou par la voie d'un référendum.

Évidemment, des référendums à répétition, on n'est pas sûr que ce soit ça, la meilleure chose. Mais on parle de quelque chose qui n'est pas secondaire, ici. On parle de l'autorité pour le Québec de faire ses choix, et ça, ça a été dit... je ne me rappelle pas des célèbres paroles de M. Bourassa au lendemain de Meech, mais c'est quelque chose auquel, je crois, une forte majorité de Québécois tient, et C-20 s'y attaque. Et le danger qu'on voit évidemment, c'est que, par une certaine lassitude, on soit tenté de considérer que la question n'est pas si importante. Mais elle l'est, elle l'est maintenant, elle le sera dans l'avenir. Et, là-dessus, l'Assemblée nationale, les députés de l'Assemblée nationale devront réagir et, s'il le faut, aller à la population. Parce que, là, je veux dire, des lois, on pourra en faire 25 l'une contre l'autre puis s'embarquer des lois l'une vers l'autre.

Et ici, l'autre solution, le recours aux tribunaux qui a souvent été évoqué, on en a usé amplement. Mais ces questions-là, et je pense que la Cour suprême le dit elle-même, c'est aux politiques de les régler. Et les politiques, ils répondent des électeurs. Alors, ultimement, quand on dit que c'est aux politiques, que c'est aux acteurs politiques de les régler, bien, c'est aux acteurs politiques d'aller voir ce que les électeurs en pensent.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Oui, M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): Oui. Merci, M. le Président. Alors, M. Lemoine, M. Fortier, Mme Hudon, bienvenue. Vous estimez que le projet de loi C-20 illustre une certaine dérive provoquée, et là je vous cite, «par une classe politique outaouaise qui s'éloigne de la tradition du dialogue chère aux Canadiens pour adopter le credo de l'autorité et de la puissance». J'aimerais que vous précisiez votre pensée à cet égard, surtout en ce qui concerne la «tradition du dialogue chère aux Canadiens». J'aimerais que vous donniez plus de détails sur ça.

M. Lemoine (Jean): Bien, ce qu'on entend ici, on fait référence en fait... Il y a déjà eu un référendum en 1980, un référendum en 1995. Sans aller dans le détail de qui a fait quoi, il s'agit, au niveau des peuples, il s'agit, au niveau de la politique, d'un dialogue. Il s'agit évidemment de soumettre deux visions à la population, qui tranche. Et elle l'a fait de façon claire à deux reprises, et ça n'a pas été remis en cause, et les acteurs politiques en ont pris acte de chaque côté.

Peut-être, pour remonter un peu plus loin, si on faisait l'histoire du Canada, on pourrait toujours trouver des exemples de situations où le dialogue n'a pas été si productif et où il y a eu des impositions de la majorité vis-à-vis de la minorité. Mais, de façon générale, les Canadiens, et j'entends les Canadiens du reste du Canada, ont toujours été fiers de leur image de peuple de paix. Les Casques bleus, au Canada, c'est quelque chose d'important. Lester B. Pearson qui a gagné le prix Nobel de la paix, c'est quelque chose de fondamental, ça a été la première figure politique ayant une dimension internationale. Alors, il y a vraiment une tradition de dialogue, de paix, de recherche du consensus ou de recherche d'une solution négociée dont on peut se réclamer pour soumettre que...

En fait, je dis ça, mais c'est tout à fait ce que constate la Cour suprême dans son avis – pas dans son jugement mais dans son avis récent – et c'est sur cette base qu'elle dit que, si la population d'une province s'exprime pour la sécession, eh bien, il y a une obligation de négocier et d'engager un dialogue à l'avance, alors que C-20 essaie de détourner cette constatation, cette tradition-là pour mettre les bâtons dans les roues, mettre les conditions très hautes, dire aux Québécois: Essayez-vous pas, vous allez voir, on va vous avoir sur la question de la clarté, on va la trouver pas assez claire, on va se réserver le droit de voir si la majorité va être suffisante, puis vous savez bien qu'on va vous dire que la majorité ne sera pas suffisante, etc. Ça, c'est une démarche d'intimidation – c'est ce qu'on dit – qui est un autre Canada. Et, nous, nous croyons qu'au Québec l'Assemblée nationale doit essayer d'aller chercher l'autre, la première vision. Je veux dire, c'est quelque chose qui est... Il y a plusieurs Canada, mais il y en a un qui respecte l'autodétermination du Québec. C'est ce que j'entends.

M. Côté (Dubuc): Oui. À deux autres endroits dans votre mémoire, entre autres à la page 6, vous employez des termes qui m'apparaissent quand même graves. Et j'emploie le mot «grave», là, comme «sérieux». Vous dites, entre autres: «...article 2 du projet de loi C-20 n'en est pas une avec lequel on peut se permettre de jouer sans danger» lorsque vous parlez de la majorité absolue. Et, à la page 7, vous dites également: «Un peuple à qui l'on ne reconnaît pas l'égalité de chaque citoyen voit donc une partie de ses citoyens en état de sujétion, et lorsqu'une partie du peuple n'est pas libre, c'est le peuple en entier qui abdique sa liberté.

Alors, je pense que ce sont des affirmations qui sont quand même sérieuses, comme je vous ai dit, je les trouve quand même importantes. Avec ces affirmations-là, est-ce que vous croyez que le gouvernement devrait porter le débat au-delà du projet de loi n° 99, c'est-à-dire que d'autres gestes devraient être portés? Et je pense, par exemple, à porter le débat sur la scène internationale. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus.

(16 h 20)

M. Lemoine (Jean): La question est intéressante et mérite d'être réfléchie. Ultimement, évidemment, comme on l'a dit, c'est assez sérieux pour ne jamais qu'aucune solution ne soit exclue d'emblée. Et je sais qu'il y a des groupes... par exemple, la Société Saint-Jean-Baptiste a porté la question sur la scène internationale en faisant des annonces spectaculaires dans des journaux à grand déploiement. Ceci étant dit, je trouverais ça triste qu'on ait à aller sur la scène internationale et je préférerais, on préférerait certainement régler ça ici, en famille, mettons, hein, pour prendre une expression plutôt consacrée. Mais certainement, ce n'est pas exclu. Mais je vous le dis, c'est une question intéressante qui mériterait certainement une réflexion plus approfondie, qu'on n'a pas faite à l'heure actuelle.

M. Côté (Dubuc): Je vous remercie.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Saint-Laurent.

M. Dupuis: Mme Mitton, M. Lemoine et M. Fortier, bienvenue, merci pour votre présentation. Ma question va s'adresser plus particulièrement à M. Lemoine, parce que je sens que vous allez vouloir répondre à celle-là personnellement, étant donné que vous êtes le président de votre mouvement. Il y a eu un événement qui s'est produit dans la mouvance souverainiste, le 8 février de l'an 2000, lorsque M. Lisée a décidé de quitter le cabinet du premier ministre dans les circonstances que vous connaissez et que nous connaissons tous et par la publication du livre dont vous avez cité des extraits tantôt. Et je souhaite vraiment que ma question ne vous force pas à emprunter le titre du livre de M. Lisée pour ne pas y répondre, c'est-à-dire la sortie de secours. Et, au fond, pour éclairer ce qu'on pourrait convenir d'appeler entre nous, cet après-midi, la petite histoire de la question de la publication du livre de M. Lisée, j'aimerais certains éclaircissements de votre part.

Il a été dit, à l'époque, les médias ont rapporté que le groupe Génération Québec avait été rencontré peu après la sortie du livre de M. Lisée par un ministre du gouvernement qui aurait tenté de discuter avec vous et de vous inciter à ne pas adhérer à la thèse de M. Lisée ou à la thèse que M. Lisée défendait dans son livre. Alors, moi, j'aimerais ça savoir qui vous a rencontrés puis ça s'est passé comment, tout ça, là.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lemoine (Jean): Alors, je n'ai pas de difficulté, encore que je doute de la pertinence de la question par rapport à la loi n° 99, parce qu'on était invités pour parler de la loi n° 99. Mais je ne vais pas faire de sortie de secours, pour reprendre votre expression. Nous n'avons, enfin, moi, je n'ai jamais rencontré et je n'ai pas... personne ici n'a rencontré de ministre, et nous n'avons jamais eu d'instructions, de recommandations, d'indications, de suggestions, d'incitations quelconques de prendre quelque position. Nous avons rencontré effectivement M. Lisée. Il y a des gens chez nous qui sont attirés, qui sont séduits par sa... Bien, en fait, tous sont séduits par son analyse, qui conforte dans l'esprit de tous la nécessité, effectivement, de la souveraineté, mais certains sont également séduits par la proposition qu'il fait. Nous l'avons rencontré, à sa demande, nous avons écouté avec attention ce qu'il a dit et nous avons déterminé que Génération Québec, un groupe souverainiste, ne prendrait pas de position sur la stratégie qui est proposée par M. Lisée. O.K.? Pas de position sur la stratégie proposée par M. Lisée. Ça ne veut pas dire que nous ne voulons pas qu'il parle ou qu'il fasse valoir ses vues.

En fait, nous avons déjà préparé une conférence-débat, que j'annonce, qui va avoir lieu le 29 avril, où il est invité par nous et où il nous a indiqué son acceptation d'y participer. Également, va être présent M. Alain Dubuc, éditorialiste à La Presse , qui n'est pas reconnu non plus pour être un fervent souverainiste susceptible de se faire indiquer par quelque ministre que ce soit qu'est-ce qu'il doit penser. Et nous allons également avoir Pierre Paquette qui, à titre de vice-président du Bloc québécois, a eu l'occasion au cours des dernières années de réfléchir énormément et de participer énormément au renouveau du débat sur le devenir de la nation québécoise. Alors, j'espère avoir répondu à votre question assez précisément.

M. Dupuis: En partie, M. Lemoine. J'imagine que vous êtes ou qu'il doit y avoir dans votre groupe des juristes, des avocats qui font partie de votre groupe et je suis persuadé que vous êtes des partisans de la règle audi alteram partem: il faut entendre l'autre partie. Vous indiquez que vous avez rencontré M. Lisée. Moi, je me souviens avoir lu que vous aviez aussi rencontré un conseiller du bureau du premier ministre relativement, toujours au sujet de la sortie du livre de M. Lisée. Est-ce que vous êtes en mesure de confirmer ça que vous avez rencontré des conseillers du bureau du premier ministre, à l'époque?

M. Lemoine (Jean): J'ai souvent rencontré des conseillers du bureau de plusieurs ministres et du bureau du premier ministre mais...

M. Dupuis: Mais à cette occasion-là.

M. Lemoine (Jean): ...pas à cette occasion. Je réponds, monsieur, je réponds. Je pense avoir répondu assez franchement à cette question-là, exactement et directement à ce que vous me dites. Et je suis très à l'aise de répondre, parce que l'article de journal auquel vous faites référence était très vague, ne m'a jamais cité. Le seul qui m'a cité – parce qu'on m'a posé la seule fois la question, et j'y ai répondu directement – c'était M. Venne du Devoir , et il m'a très bien cité dans cet article-là.

Par ailleurs, à la question que vous me posez, non, je n'ai rencontré aucun conseiller du premier ministre à cette époque-là pour me dire quelle position ou pour discuter du livre de M. Lisée. Et, pour être très, très clair, très précis, lorsque nous avons rencontré M. Lisée, je n'avais rencontré aucun conseiller du premier ministre.

M. Dupuis: Alors, à l'intérieur de votre mouvement, vous l'avez dit vous-même, il y a eu quand même, à cette époque-là, des discussions entre les tenants de la thèse Lisée – pour employer une expression qu'on peut comprendre tous les deux – et les tenants de la thèse orthodoxe, si vous voulez, du mouvement souverainiste orthodoxe. Il a dû y avoir des discussions, parce que je pense que vous avez fait effectivement une déclaration publique peut-être une semaine à peu près après la sortie du livre de M. Lisée. Si je me souviens, M. Lemoine, de l'entrevue que vous avez donnée à M. Venne, c'est à peu près une semaine après?

M. Lemoine (Jean): C'était le lendemain de la rencontre que nous avons eue avec M. Lisée et c'était effectivement à peu près une semaine... encore que je ne puisse dire la date exacte de la sortie du livre de M. Lisée. Les discussions qui ont eu lieu sont, au sein du conseil d'administration, sur l'opportunité de prendre une position en faveur ou contre, et il a été décidé de ne pas prendre position en faveur ou contre. C'est ça qui a été décidé par le conseil d'administration.

M. Dupuis: O.K. Et est-ce que vous dites que cette décision qui a été prise l'a été prise parce qu'il y avait effectivement autour de la table, quand vous en avez discuté... Vous en avez discuté une ou deux fois ou plusieurs fois, je ne le sais pas, vous le direz si vous sentez le besoin de le dire. Mais il doit y avoir eu, j'imagine, des tenants d'une thèse et de l'autre thèse qui se sont colletaillés, mais de façon très civile, on s'entend, intellectuellement, lors de ces discussions-là. J'imagine.

M. Lemoine (Jean): Bien, je ne sais pas si c'est vraiment pertinent pour moi ici de faire état de discussions du conseil d'administration de Génération Québec sur la question de la prise de position par rapport au livre de M. Lisée. Je trouve ça un petit peu malheureux, là, encore que je suis prêt à le faire, mais il m'apparaît que le projet de loi n° 99 est important, puis c'était là-dessus qu'on venait parler aux membres de l'Assemblée nationale. Ceci étant dit...

(16 h 30)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Lemoine, s'il vous plaît. Par rapport à votre préoccupation, je vous indique et j'indique aux membres, effectivement, au député de Saint-Laurent que nous sommes probablement à la limite de ce qui apparaît être pertinent à ce moment-ci, et donc je souhaiterais qu'on ne franchisse pas cette limite et qu'on revienne directement au propos, c'est-à-dire le projet de loi n° 99. Néanmoins, je vous laisserai répondre à cette question.

M. Lemoine (Jean): Bien, je n'ai pas vraiment rien à ajouter. J'ai dit qu'il y a des membres qui ont été séduits, ça a été discuté, et on a décidé de ne pas prendre position. Ça finit là.

M. Dupuis: À la suite de ces discussions-là, est-ce que vous avez eu, au sein du mouvement, des défections ou des gens qui se sont éloignés de votre mouvement?

M. Lemoine (Jean): Non. La réponse est non.

M. Dupuis: O.K. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Est-ce qu'il y a d'autres questions relativement... Ça va. Alors, il me reste donc à vous remercier, M. Lemoine de même que les personnes qui vous accompagnent, pour votre contribution à nos travaux. Merci.

M. Lemoine (Jean): Je vous remercie.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, nous allons enchaîner avec notre troisième invité cet après-midi, M. Nelson Michaud, toujours dans le cadre, donc, de cette consultation générale et de ces auditions publiques sur le projet de loi n° 99.

Alors, M. Michaud, je vous invite à vous approcher, tout en se rappelant que nous avons 30 minutes de consacrées à la présente rencontre, dont une dizaine de minutes pour la présentation de votre propos. Par la suite, nous passerons aux échanges, et ceci toujours dans le cadre de cette consultation générale sur le projet de loi n° 99, Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec. Vous avez la parole.


M. Nelson Michaud

M. Michaud (Nelson): Je vous remercie beaucoup, M. le Président, et je remercie les membres de cette commission de m'avoir invité à venir participer à vos travaux.

Le mémoire que j'ai présenté soulève certains points qu'il me fera plaisir de discuter avec vous, mais, avant de passer à la partie discussion en tant que telle, peut-être qu'il serait intéressant de revenir sur les principales conclusions auxquelles je suis arrivé au bout de la réflexion que j'ai faite dans le cadre de l'étude de ce projet de loi là.

Les deux premières conclusions auxquelles je suis arrivé touchent le projet de loi présentement à l'étude en tant que tel. Tout d'abord, la première est à l'effet que le catalyseur du projet de loi n° 99, c'est-à-dire le projet de loi fédéral C-20, à mon avis, est tout à fait inacceptable pour plusieurs raisons non seulement du point de vue du Québec, mais je pense que ça devrait être le cas aussi pour la plupart des provinces canadiennes. On a longtemps épilogué sur les différentes raisons du caractère inacceptable de ce projet de loi là, je pense qu'on peut reprendre chacun des articles, et on peut trouver matière à une critique assez sérieuse, assez sévère, du projet de loi. En un mot, comme en mille, je dirais que je me rallie au consensus assez général qui semble se dégager à ce niveau-là, au niveau du Québec, pour ce qui est des inquiétudes, à tout le moins, que ce projet de loi là peut soulever.

Un des éléments les plus graves, à mon avis – et ça touche votre rôle à tous en tant que parlementaires – est l'attaque ouverte vis-à-vis de l'autonomie des assemblées législatives un peu partout au Canada et de l'Assemblée nationale du Québec en particulier. Quoique dans la Constitution canadienne il y ait déjà certains éléments qui permettent d'aller en ce sens, là, ici, on y va de manière très explicite. Ce projet de loi là institue de facto un régime politique extrêmement centralisateur qu'on n'a jamais pu établir dans les lois canadiennes à l'heure actuelle.

La deuxième conclusion à laquelle je suis arrivé est que la réponse proposée par le gouvernement du Québec à cette loi-là est, à mon avis, inadéquate. Elle est inadéquate pour différentes raisons. Je dirais que, malgré la solennité dont on veut imprégner la démarche et peut-être à cause de cette solennité-là, des questions très importantes subsistent. On fait allusion, entre autres, aux droits fondamentaux dans le projet de loi, et c'est textuellement écrit. Alors, ce qui est fondamental est essentiel, c'est non discutable. Or, avec la stratégie adoptée par le gouvernement, il semble évident qu'il y aura éventuellement division du vote. Alors, si c'est essentiel, la division du vote pourrait être un signal que le gouvernement ne veut pas envoyer. Alors, en ce sens-là, on peut se poser la question: Pourquoi aller avec une semblable stratégie?

Deuxièmement, une telle déclaration de principe, à mon avis, doit être inattaquable. Ce sont les droits fondamentaux des gens du Québec, des parlementaires québécois qui sont mis en code, et on dit en quelque sorte que, si quelqu'un enfreint ce code-là, il sera hors-la-loi. Or, quand on regarde la formulation du projet de loi à l'heure actuelle, je crois que, si on le compare avec la Constitution canadienne que l'on a – quoique le Québec n'ait pas été signataire, je pense qu'à maintes reprises on a pu établir que le Québec était lié par cette constitution-là – il y a des éléments qui sont à tout le moins inquiétants dans le projet de loi. Et, à prime abord, je ne suis pas un constitutionnaliste, je suis d'abord politologue et historien, mais, même à ça, on voit qu'il y a des choses qui entrent en parfaite contradiction avec la Constitution canadienne, de sorte que, du jour au lendemain, on pourrait se retrouver avec une contestation de cette loi-là devant les tribunaux. Et qu'est-ce qui arriverait en conséquence si les tribunaux devaient dire que cette loi-là est inconstitutionnelle? Ça voudrait dire que ça ouvre la porte pour dire: Bon, bien, ces droits-là ne sont pas si fondamentaux. Est-ce vraiment ce que l'on veut? Je ne le crois pas.

Et, finalement, c'est au niveau de la portée. Comment est-ce que le projet de loi pourrait rendre illégal un geste posé par le gouvernement fédéral dans les sphères de juridiction que ça touche? On peut aussi s'interroger. Alors, en procédant par une loi, on s'expose justement au jugement des tribunaux et avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir. Or, la loi telle que présentée, comme je le disais, porte flanc à de très sérieuses possibilités d'attaque en vertu de la Constitution canadienne. Et puis, malgré le bien-fondé et les grands sentiments, j'imagine, qui sont derrière ce projet de loi là, il semble que la voie législative, à mon avis, ne soit pas la voie la plus appropriée pour discuter de cette question. Donc, c'est pour cette raison que je suggère dans mon mémoire d'y aller par voie de motion. Ça pourrait être une excellente réponse à apporter. Et pourquoi pas si la loi fédérale est aussi mauvaise pour le Québec? Et, à mon avis, elle l'est. Et elle est aussi facilement contestable, pourquoi ne pas la contester justement? Ce serait peut-être la meilleure défense que l'on pourrait offrir aux institutions québécoises.

La troisième conclusion à laquelle j'arrive est que tout cet exercice s'attaque aux symptômes d'un problème plutôt qu'à ses causes. Oui, il faut de temps en temps traiter les symptômes, mais il y a certains symptômes que, si on laisse traîner, on se retrouve avec des mauvaises surprises. Donc, je crois qu'il est important que la réflexion s'oriente vers la perception de la réalité des institutions canadiennes et québécoises, c'est-à-dire qu'on se retrouve dans un régime où on a des forces centralisatrices très présentes, on a certaines forces qui sont complètement à l'opposé, les forces souverainistes, et au centre, oui, il y a vraiment masse critique de forces fédéralistes qui sont plus ou moins écoutées.

L'autre jour, le ministre Dion était à Halifax et il faisait état de ces souverainistes mous ou fédéralistes mous, disant qu'il ne connaît personne de mou au Canada, tout le monde a une opinion ou n'en a pas, et ce sont des indécis. Bon, je ne suis pas tout à fait d'accord avec ça. Quand on regarde les différentes études qui sont faites, les différents sondages qui sont conduits, l'histoire aussi qui nous apprend que de tout temps, on a voulu avoir au Québec une véritable fédération – c'était le cas en 1867, ça s'est répété à plusieurs reprises – lorsqu'on regarde ce qui s'est passé au début des années quatre-vingt – les promesses fédérales étaient en vue d'un renouvellement de la Constitution, ça a été renouvelé bien sûr, mais pas nécessairement selon ce qu'on avait compris au Québec; ce n'est pas à vous, parlementaires, que je vais expliquer ça – ce sont tous des éléments qui nous amènent à conclure que nous sommes en présence d'un noyau de gens qui sont à la recherche d'une voie qui sera exprimée.

Comment cette voie-là sera exprimée? Il y a plusieurs manières de le faire. Maintenant, est-ce que ce sera fait dans l'immédiat? Je ne le sais pas. Il faudrait que des efforts soient fournis en ce sens-là. Quand tout est blanc, quand tout est noir, c'est facile à décrire. Le langage de l'intelligence artificielle est un langage binaire – zéro, un – ça va bien. Quand on arrive avec trois morceaux, là c'est plus difficile de jongler avec tout ça. Alors, ces trois éléments-là sont les principales conclusions auxquelles je suis arrivé. Je suis ouvert à vos questions, ça va me faire plaisir d'en discuter. Ou, s'il y avait d'autres éléments à l'intérieur de mon mémoire que vous aimeriez discuter, ça me fera plaisir aussi d'y répondre.

(16 h 40)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien, M. Michaud, merci. M. le ministre.

M. Facal: Bonjour, M. Michaud. Bienvenue parmi nous. Je vais vous le dire d'entrée de jeu, une demi-heure avec vous, ce ne sera malheureusement pas assez parce que j'ai vraiment trouvé votre mémoire extrêmement intéressant. Ce qui ne veut pas dire, loin de là, que je sois d'accord en tous points avec vous. Loin de là, mais je l'ai trouvé très étoffé, très bien articulé, fort intéressant et je vous en remercie.

Écartons d'emblée les questions qui m'apparaissent, je vous le dis en toute franchise, moins intéressantes. Vous dites, par exemple, que, pour ce qui est de la critique de C-20, vous vous ralliez au consensus québécois. Fort bien, adjugé. Vous dites ensuite que 99 ne vous apparaît pas la riposte la plus appropriée, que vous auriez préféré une motion. Alors, vous allez évidemment faire très plaisir à l'opposition officielle qui nous rabat les oreilles constamment avec le fait qu'elle aurait estimé qu'une motion, c'est assez. À cela, évidemment, j'ai toujours l'habitude de répondre que, quand un tank fonce sur vous, on ne riposte pas avec un tire-pois et que, lors du rapatriement unilatéral de la Constitution, en 1981, l'Assemblée nationale avait voulu s'opposer avec une motion. Une motion fut adoptée, et on a évidemment vu le puissant effet dissuasif qu'elle a eu sur M. Trudeau et son ministre à la Justice du temps, M. Chrétien. On se rappellera également que l'opposition officielle du temps, incarnée par le même parti qu'aujourd'hui, n'avait même pas été capable de faire l'unanimité dans ses rangs sur une motion visant à s'opposer au rapatriement unilatéral de la Constitution.

Quand vous dites en plus que 99 pourrait peut-être, peut-être, être vulnérable au plan juridique à la lumière de la Constitution de 1982, de la même manière que vous dites qu'à bien des égards la loi fédérale C-20 pourrait, elle aussi, être contestable devant les tribunaux, je crois que, dormez en paix, d'après ce que j'ai cru comprendre, l'une et l'autre seront contestées devant les tribunaux par les citoyens. Nous aurons donc l'occasion de vérifier en pratique comment se déroulent les choses. Bon.

Ce qui est vraiment le plus intéressant, à mon avis, dans votre mémoire, c'est ce que vous appelez le quiproquo canado-québécois, et, à cet égard, la phrase qui résume le mieux votre quiproquo, c'est celle de la page 15, quand vous dites, je vous cite: «Nous ne sommes pas tant en présence de forces dites fédéralistes – Ottawa, anglophones – qui s'opposent à une volonté souverainiste – Québec, francophones – que nous sommes en fait en présence de forces unitaristes – Ottawa, Ontario – qui s'opposent à un désir d'union véritablement fédérale – entre parenthèses, vous ajoutez Québec à qui pourraient se joindre plusieurs autres provinces.» Fin de la parenthèse.

Donc, dans le fond, ce que vous nous dites, c'est que, si le Canada avait été à l'origine un régime vraiment, purement fédéral, nous n'en serions pas là aujourd'hui. C'est-à-dire, s'il s'était agi d'une association d'États souverains dans leurs champs de compétence respectifs sans intrusion unilatérale de l'autre gouvernement, nous n'en serions pas là aujourd'hui. Peut-être. Peut-être, bien que vous sachiez comme moi que, pour le principal fondateur du régime fédéral, le premier ministre Macdonald, le Canada ne fut un régime fédéral que par défaut. Que par défaut, ce n'était pas son premier choix, il savait que les francophones n'accepteraient pas de se fondre dans un régime unitaire.

Et là, évidemment, pour revenir, si je vous comprends bien, à l'essence du fédéralisme, vous dites que la solution passerait par «un mécanisme – page 19 – qui empêche les empiétements unitaristes dans les champs de compétence provinciale». Alors, c'est là-dessus que je veux vous entendre. Vous savez qu'au Québec, évidemment, l'opposition officielle propose, au contraire, des ententes administratives parce qu'elle sait très bien qu'en raison de la rigidité de la formule d'amendement des changements véritablement constitutionnels sont, à toutes fins utiles, impossibles. Alors, à quoi ressemblerait ce genre de mécanisme qui pourrait empêcher les intrusions du gouvernement fédéral? Qu'est-ce que vous avez en tête?

M. Michaud (Nelson): Bien, à mon avis, il y a deux niveaux où est-ce que cela peut se passer. Il y a un niveau purement constitutionnel. Les pouvoirs de désaveu, etc., tous ces pouvoirs-là sont des pouvoirs qui permettent justement certaines intrusions. Alors, si on pouvait un jour mettre ces pouvoirs-là de côté qui sont désuets de toute façon, on ne les utilise plus... Mais la menace planant toujours sur la tête de tout le monde fait en sorte que ça rend le climat un peu plus difficile.

Maintenant, l'autre grand problème... Et je ne suis pas le seul à penser ça, il y a une étude qui a été publiée fin décembre, début janvier, par un collègue qui est à l'Université Queen's, donc, à ce que je sache, pas vraiment dans un milieu très souverainiste. C'est quelqu'un qui a fait son doctorat à UBC, donc aussi, venant de la Colombie-Britannique, ce n'est pas le milieu où est-ce que c'est le plus souverainiste, mais ce qu'il dit, et étude à l'appui, c'est le fameux pouvoir fédéral de dépenser qui fait en sorte que, du jour au lendemain, le gouvernement fédéral peut entrer dans des champs de compétence provinciale. Alors, c'est vraiment à ce niveau-là.

Au niveau des ententes administratives, on est dans un régime fédéral. Donc, si on veut que ça fonctionne, il faut se donner des balises. S'il n'y avait pas de Code de la route, tout le monde roulerait moitié à gauche, moitié à droite, en sens inverse, à 200 ou à 50.

M. Facal: Mais, M. Michaud, vous concevez avec moi que la limitation du pouvoir fédéral de dépenser, c'est l'une des revendications historiques traditionnelles du Québec et que, dans le Canada réel, dans le Canada d'aujourd'hui, nous sommes plus éloignés que jamais de la mise en place de la moindre limitation à ce pouvoir fédéral de dépenser.

Permettez-moi simplement de prendre les trois derniers discours du trône fédéraux et de vous faire la liste des intrusions du gouvernement fédéral dans les champs de compétence des provinces: prestation nationale pour enfants, 2,8 milliards; soins à domicile, assurance médicaments, plan d'action national en matière de compétences et d'apprentissage, commerce électronique – donc droit civil – bourses du millénaire, Fondation canadienne pour l'innovation, nutrition prénatale – le gouvernement fédéral, maintenant, fait dans la nutrition prénatale – les chaires universitaires, les sans-abri. Et, notez bien, dans tous les cas, ce sont des transferts directs à des individus et à des organismes, donc pour lesquels il n'y a pas de droit de retrait avec pleine compensation.

Non seulement cela, le gouvernement fédéral a maintenant obtenu, avec l'union sociale, le blanc-seing dont il avait besoin, avec l'appui de six provinces pouvant ne représenter que 15 % de la population, pour obtenir la légitimation politique qu'il recherche depuis 1945 de ses intrusions dans les champs de compétence des provinces. Alors, ce que vous dites est peut-être séduisant, mais ça m'apparaît désincarné et décroché du Canada réel d'aujourd'hui. M. Chrétien, qui ne semble pas à la veille de partir, a dit à M. Charest que le magasin était fermé.

M. Michaud (Nelson): Votre liste est une liste que je connais déjà d'avance. C'est un fait que, si on regarde l'attitude, à l'heure actuelle, du gouvernement fédéral... Et on regarde ce qui se passe aujourd'hui dans le nord de Toronto en matière de santé, on n'a pas à chercher très loin pour avoir un bel exemple. À ce niveau-là, je crois qu'une des grandes erreurs qui sont véhiculées, c'est d'incarner un débat Québec-Ottawa, ce qui est tout à fait faux, car de plus en plus d'autres provinces – et peut-être celles auxquelles on ne penserait pas – se posent des questions vis-à-vis de ce pouvoir fédéral de dépenser, en ce sens où – présentement, j'enseigne à l'Université Dalhousie à Halifax, comme vous savez – la Nouvelle-Écosse songe très sérieusement à avoir son propre impôt. Pourquoi? Parce que la province reçoit présentement un pourcentage de l'impôt perçu par le fédéral, et, comme l'impôt fédéral diminue, les fonds alloués à la Nouvelle-Écosse vont diminuer.

(16 h 50)

Le Nouveau-Brunswick, province voisine, voisine du Québec aussi, on se retrouve devant des livres comptables qui nous apprennent que plus de 50 % des revenus du Nouveau-Brunswick viennent d'Ottawa, donc inquiétude. Si Ottawa envoie moins d'argent, qu'est-ce qui va se passer?

Alors, toute cette croyance que le pouvoir fédéral de dépenser est appuyé unanimement par les neuf autres provinces canadiennes, c'est vraiment une croyance. De plus en plus, il y a lieu de faire une étude plus approfondie de la situation réelle, et, en ce sens-là, le Québec, à mon avis, aurait tout avantage à s'allier avec d'autres provinces pour défier le gouvernement fédéral actuel. Parce que, si on regarde les programmes politiques des autres partis...

M. Facal: M. Michaud, ce que...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le ministre, avant de vous permettre de continuer, le temps est écoulé pour le ministériel, j'aurais besoin du consentement.

M. Facal: Ah, une courte question, et nous retournerons la pareille.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien.

M. Facal: Ce que vous dites, M. Michaud, est extrêmement intéressant. Ce que vous dites en fait, c'est que vous relatez le film que fut l'union sociale. Je ne vous referai pas toute l'histoire, mais je vous rappelle simplement que, quatre jours avant que tous les premiers ministres des provinces aient été conviés à dîner au 24, Sussex Drive, quatre jours avant, nous étions, tous les gouvernements des provinces, à Victoria. C'était un dimanche. Nous sortons de là, tous, avec un consensus apparemment en béton sur la limitation du pouvoir fédéral de dépenser, incluant la possibilité d'un droit de retrait avec pleine compensation financière. En l'espace de trois jours, il a suffi de quelques coups de téléphone bien placés de M. Chrétien pour que toutes, toutes les provinces abandonnent le Québec qui, lui, est resté tout seul sur sa banquette d'autobus avec la même position qu'il avait au début. Alors, quand vous venez me parler d'un Québec faisant front commun avec les autres provinces, voilà un film dans lequel, M. Michaud, nous avons déjà joué.

Alors, je reviens à ma question, ce que vous dites est théoriquement séduisant, mais je vous soumets que le Canada réel d'aujourd'hui est un Canada en profonde mutation, que, dans le reste du Canada, au-delà de ce que peuvent dire des gouvernements provinciaux en voie de municipalisation accélérée, il y a une population canadienne qui, elle, voit dans le gouvernement fédéral son gouvernement national et qui donc, elle, est favorable à un activisme du gouvernement fédéral et à sa présence dans des champs de compétence provinciaux, alors que, au plan identitaire, les Québécois, y compris les fédéralistes, font une autre lecture et tendent à voir dans le gouvernement du Québec leur gouvernement national. Il y a donc là deux points de vue irréconciliables. C'est ça, à mon sens, le Canada d'aujourd'hui.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Michaud.

M. Michaud (Nelson): Je ne qualifierai pas ces points de vue là d'irréconciliables, et la raison sur laquelle je m'appuie pour dire ça, il s'agit de regarder les résultats des deux dernières élections fédérales. Le gouvernement actuel, à Ottawa, a reçu un appui massif de l'Ontario, alors qu'il est pratiquement absent des autres provinces. Alors, quand vous dites que les inquiétudes des gouvernements provinciaux ne se reflètent pas dans la population et que la population est prête à vouloir un gouvernement central fort et omnipotent et omniprésent, comment, à ce moment-là, ce désir-là ne se traduit pas par une volonté électorale? C'est là où je me dis: Il doit y avoir nécessairement une adéquation entre la volonté populaire exprimée par le vote, qui, à mon avis, est l'élément le plus fondamental dans nos démocraties pour exprimer ce que l'on désire, et les délégués qu'ils envoient à Ottawa. Comme les gens qui sont envoyés à Ottawa des autres provinces, outre l'Ontario, sont majoritairement de partis dont les programmes sont beaucoup plus accommodants, beaucoup moins centralisateurs, à ce moment-là je crois que c'est facile d'avoir une lecture qui nous dit que les gouvernements provinciaux ont des inquiétudes, et ces inquiétudes-là reflètent les inquiétudes de leurs populations telles qu'exprimées par leur vote fédéral.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le porte-parole de l'opposition officielle.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, M. le Président. M. Michaud, merci d'être ici. Merci pour votre présentation. Merci aussi pour votre mémoire. Le ministre a dit à maintes reprises qu'il avait été séduit par votre thèse. Visiblement, il n'a pas été séduit au point de succomber...

M. Facal: Ah non, non.

M. Pelletier (Chapleau): ...mais, en ce qui me concerne, je considère que, d'abord, c'est l'un de meilleurs mémoires qui ont été soumis à cette commission jusqu'à présent. Et je dois vous dire qu'on est quand même à la toute fin de nos travaux, donc c'est tout à votre honneur. C'est probablement le mémoire le plus pondéré et c'est probablement le mémoire qui s'avance sur le plus grand nombre de terrains qui, jusqu'à présent, ont été inexplorés par nos autres invités. Et, comme le disait M. le ministre d'ailleurs, je suis persuadé que 30 minutes avec vous ne seront pas assez et que finalement il aurait fallu vous consacrer beaucoup plus de temps.

Je note que vous faites une critique quand même sévère du projet de loi C–20, le projet de loi fédéral. Je dois vous dire que l'opposition officielle – vous le savez probablement déjà, mais il est bon de le rappeler – s'est opposée à ce projet de loi dès le moment où on en a appris l'existence, la connaissance, et s'opposait même à l'idée que le fédéral fasse une telle initiative, avant que le projet de loi C–20 n'ait été rendu public. Donc, de tout temps, nous avons fait connaître finalement notre opposition à ce projet de loi. Bon.

Je remarque par ailleurs que l'essence de votre thèse est fondée sur le fait que, dans le fond, une motion n'est pas attaquable devant les tribunaux, alors qu'une loi l'est. Et, si j'ai bien compris votre propos, vous craignez que la loi n° 99 soit non seulement contestée devant les tribunaux, mais par ailleurs que certaines de ses dispositions soient déclarées invalides ou inconstitutionnelles par les organes judiciaires, ce qui enverrait un très mauvais message aux Québécois et aux Québécoises. Est-ce que je vous ai bien compris? Et, si oui, voulez-vous expliciter? Sinon, voulez-vous me corriger?

M. Michaud (Nelson): Je crois que vous avez très bien compris l'essence de la critique que je fais du projet de loi n° 99. J'ajouterais cependant à votre interprétation de mes propos que ce n'est pas seulement un mauvais signal envoyé aux Québécois, mais à l'ensemble des Canadiens aussi par rapport au Québec, premièrement, et, deuxièmement, par rapport à l'ensemble des autres provinces. Parce que, bon, je reviens au cas du pouvoir fédéral de dépenser, ce n'est pas à vous que je vais apprendre que, dans la Constitution canadienne, il n'est nulle part écrit noir sur blanc que le pouvoir fédéral de dépenser sera au gouvernement fédéral. C'est par biais d'interprétations successives de jugements à partir d'une cour de la Colombie-Britannique qu'on en est arrivés là. Et, quand on regarde qu'est-ce qu'il en est exactement, bien c'est peut-être même à la limite de l'interprétation possible. Alors, si une cour décide de juger inconstitutionnels certains éléments du projet de loi n° 99, dans un premier temps, ça veut dire carrément qu'un droit fondamental que l'on veut protéger ne l'est plus. Et, s'il ne l'est plus, c'est peut-être qu'il n'est pas si fondamental que ça. Alors, les opposants de ce projet de loi là, les opposants de l'option unitariste pourront dire: Bon, bien, ce n'est pas un élément fondamental.

L'autre chose qui est aussi très importante, c'est que, si ce projet de loi là se retrouve devant les tribunaux, est contesté, la partie adverse gagne, bien, ce sont les pouvoirs mêmes de l'Assemblée nationale qui, par un jugement, deviennent soumis de facto au pouvoir fédéral, et je ne crois pas que c'est ce que l'on veut pour l'Assemblée nationale du Québec.

(17 heures)

M. Pelletier (Chapleau): Oui, mais enfin certains pourraient vous dire qu'un jugement d'un tribunal qui déclarerait nulles certaines dispositions de la loi n° 99 pourrait alimenter la ferveur nationaliste au Québec et constituer une condition gagnante pour un autre référendum.

M. Michaud (Nelson): Écoutez, si c'est la stratégie que le gouvernement désire employer, on verra si elle rapporte les fruits qu'il espère. Ce serait répondre vraiment du tac au tac à la petite stratégie du fédéral qui dit: Bon, bien, la ferveur nationaliste est au plus bas au Québec, selon ce qu'on en croit par les sondages qu'on lit dans les journaux, les sondages maison aussi sans aucun doute, donc allons-y, c'est le temps de mettre le couvercle sur le bocal et puis de sceller ça ad vitam aeternam. Bon, est-ce que c'est comme ça qu'on bâtit vraiment des conditions gagnantes de part ou d'autre? À mon avis, ce n'est peut-être pas le meilleur moyen de rallier des gens à une cause, en les faisant s'opposer à une autre.

M. Pelletier (Chapleau): Je ne sais pas si c'est la stratégie du gouvernement, mais, jusqu'à présent, il se moque de tous ceux qui viennent avancer l'hypothèse que certaines dispositions de la loi n° 99 puissent être illégales ou inconstitutionnelles. Ils font la sourde oreille à ces représentations-là ou ils s'en moquent, alors j'imagine qu'il doit y avoir une stratégie qui justifie une telle attitude.

Cela étant dit, j'aimerais vous entendre sur l'opportunité que justement, avant qu'elle soit adoptée, avant qu'elle ne devienne loi, le gouvernement du Québec soumette un renvoi à la Cour d'appel du Québec pour cerner la légalité et la constitutionnalité du projet de loi n° 99. Qu'est-ce que vous pensez de l'opportunité d'un tel avis, donc, de la Cour d'appel qui nous permettrait de savoir, avant que ça devienne une loi, quel est le caractère constitutionnel ou inconstitutionnel des dispositions du projet de loi n° 99?

M. Michaud (Nelson): Chose certaine, ça pourrait permettre d'avoir une lecture beaucoup plus claire par des experts sur la question. Est-ce que ce serait constructif? Bien, il faudrait voir quelles seraient les retombées possibles des différents jugements qu'on pourrait potentiellement obtenir. Bien honnêtement, ce n'est pas une des options que j'ai étudiées à fond, et je serais mal à l'aise de m'aventurer sur un terrain sans y avoir réfléchi adéquatement.

M. Pelletier (Chapleau): Dans les explications que vous avez fournies au ministre tout à l'heure, j'ai noté que d'abord vous ne définissez pas le Canada anglais, comme on l'appelle habituellement. Ce qui est d'ailleurs une très mauvaise expression parce qu'elle ignore la présence des minorités francophones qui vivent dans les autres provinces canadiennes et dont le ministre, d'ailleurs, a la responsabilité en tant que ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, mais enfin, prenons l'expression pour ce qu'elle vaut, pour ce qu'elle est, vous avez défini, donc, le Canada anglais, entre guillemets, comme n'étant pas un bloc monolithique et vous avez semblé dire qu'il était possible d'avoir des alliances avec les autres provinces canadiennes qui soient porteuses, qui soient fructueuses et que finalement c'était l'un des signes nouveaux les plus révélateurs du fédéralisme canadien. Est-ce que je vous ai bien compris à cet égard? Et, sinon, veuillez me corriger.

M. Michaud (Nelson): Oui, je crois que vous m'avez bien compris, dans le sens où la possibilité d'alliances, elle est là. Elle a été essayée à plusieurs reprises, j'en conviens, mais elle n'a jamais été essayée dans un cadre clairement défini. Qu'on regarde – puis j'y fais allusion dans mon mémoire – l'accord du lac Meech, qu'on regarde l'accord de Charlottetown, qu'on regarde différents processus qui ont été amenés, il y a toujours eu un... j'appellerais ça un flou artistique assez important pour faire en sorte que des segments vitaux ne puissent adhérer à l'ensemble du processus. Que ce soit par les signaux qu'on envoyait, que ce soit par le processus même qui était adopté, il y avait toujours assez de brèches dans lesquelles on pouvait avoir des opposants qui s'infiltrent et fassent tout éclater.

À mon avis, la possibilité de certaines alliances existe. La possibilité d'une concertation, elle est non seulement évidente, elle est nécessaire. Maintenant, comment la construire, comment s'assurer qu'elle portera des fruits, c'est tout un défi, j'en conviens. Il appartiendra aux leaders politiques en place d'élaborer, de faire le réseautage nécessaire, d'en arriver à pratiquement des pré-ententes, si on veut, qui pourront être soumises à des corps constitués qui pourront à leur tour se pencher dessus et faire en sorte qu'on en arrivera à une proposition définitive et concrète.

À l'heure actuelle, toutes les tentatives qui ont été faites ont eu un caractère un tant soit peu discrétionnaire, que ce soit le rapatriement unilatéral de 1982, l'accord du lac Meech où on a senti que tellement de gens étaient exclus, l'accord de Charlottetown où tellement de gens étaient inclus qu'on trouvait toujours quelque chose à dire. Quand on mettait dans la balance ce qui faisait notre affaire puis ce qui faisait l'affaire des autres, les autres l'emportaient toujours plus que soi-même, donc la réaction, ça a été: On n'en veut pas, d'où l'alliance un peu forcée par les circonstances qu'on a vue entre des ultrafédéralistes et les ultrasouverainistes et ceux que j'appelle les unitaristes. À ce moment-là, ça devient une dynamique dans laquelle on est voué à l'échec d'entrée de jeu, à mon avis. Mais, lorsqu'on met les cartes sur table clairement – et, en ce sens-là, la clarté est nécessaire – on doit pouvoir s'attendre à des résultats plus concrets.

M. Pelletier (Chapleau): Je vais lire des passages... J'ai combien de minutes, M. le Président, en passant?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il vous reste environ quatre minutes, en ajoutant à votre temps déjà prévu, l'équivalent des cinq minutes...

M. Pelletier (Chapleau): O.K. Merci. Je vais lire, M. le Président, des passages du mémoire de M. Michaud, d'abord pour qu'il puisse les commenter et également pour le bénéfice de la population en général. Alors, je cite: «Il est permis d'en douter parce que le risque de contestation de la loi n° 99 par Ottawa ou par une partie intéressée à défendre les intérêts d'Ottawa est réel. Certains articles de la loi semblent en effet aller à l'encontre de dispositions constitutionnelles déjà existantes et, de ce fait, risquent de s'exposer à une contestation juridique.»

Et là, parmi ces dispositions qui risquent d'être attaquées devant les tribunaux, vous mentionnez l'article 10 du projet de loi n° 99. J'aimerais que vous nous disiez en quoi l'article 10, selon vous, pourrait faire, donc, l'objet d'une contestation judiciaire qui amènerait une déclaration d'invalidité.

M. Michaud (Nelson): Bien, c'est un article qui va tout à fait à l'encontre des pouvoirs de réserve et de désaveu qui sont dans la Constitution canadienne. Cet article-là dit, en quelque sorte, que l'Assemblée nationale est suprêmement souveraine en tout et partout, alors que ces pouvoirs-là existent justement pour contrer ce genre de lecture qu'on pourrait faire des pouvoirs de l'Assemblée législative des provinces et de l'Assemblée nationale du Québec.

Donc, à mon avis, il apparaît clairement que cet article-là, nommément, arrive à l'encontre de ce qui existe déjà dans la Constitution canadienne, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas. Ce sont deux pouvoirs... Je me souviens lorsqu'il avait été question de les retirer. Ça faisait partie des packages, entre guillemets, lors des pourparlers constitutionnels d'il y a une dizaine d'années, et la réaction qu'on avait à ce moment-là, c'était: Qui va se soucier de ça? C'est la dernière chose dont on veut entendre parler. Mais ces pouvoirs-là sont toujours en place, c'est la loi par laquelle on vit à l'heure actuelle au Canada. Donc, à mon avis, c'est clairement en opposition.

M. Pelletier (Chapleau): Un autre passage, et je cite: «Il se pourrait donc que la loi n° 99 soit invalidée par des tribunaux qui considéreraient que certaines de ses dispositions vont à l'encontre de celles contenues dans la Constitution canadienne.» Vous ajoutez par la suite: «Quelle que soit l'avenue choisie pour dénoncer la loi québécoise, force est de constater que, dans l'état constitutionnel actuel, il serait très difficile pour le Québec de maintenir sa position. Une semblable rebuffade est-elle véritablement ce que le gouvernement du Québec souhaite quant à l'acceptation des principes fondamentaux qu'il désire protéger par la loi?» Et vous ajoutez plus loin: «Dans cet esprit, à la suite des auditions tenues par les parlementaires, l'utilisation d'une motion reflétant les propos du projet de loi pourrait être aussi, voire plus efficace qu'un projet de loi contestable.»

(17 h 10)

Alors, c'est vraiment la voie de la motion que vous semblez privilégier. Vous savez que le Parti libéral du Québec, l'opposition officielle, a proposé une motion à l'Assemblée nationale à l'automne 1999 rejetée à trois reprises par le gouvernement. Est-ce que cette motion vous semble acceptable? C'est une motion qui, d'abord, réitérait l'autorité et la légitimité de l'Assemblée nationale; deuxièmement, le principe démocratique du 50 % plus un; et, troisièmement, s'appuyait sur le renvoi de la Cour suprême du mois d'août 1998. Qu'est-ce que vous pensez d'une telle motion?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Vous avez donc le plaisir de répondre à la dernière question, ce faisant.

M. Michaud (Nelson): Ça me fera effectivement plaisir. Je crois qu'effectivement les principaux éléments que l'on retrouve dans le projet de loi étaient déjà dans la motion. La formulation peut être amendée, la formulation peut être changée, mais effectivement je crois qu'un projet de loi contestable... Et, je reviens à ce que je disais tout à l'heure, on traite de choses tellement importantes, ce sont, au dire même du gouvernement, des droits fondamentaux, ce sont des principes fondamentaux, ils doivent être exprimés de façon inattaquable, et, en ce sens-là, la motion, qui va rester à l'intérieur de l'Assemblée nationale... Et je ne crois pas que M. Chrétien puisse nier l'importance qu'une motion ait, qu'il agisse ou non. C'est de la politique, qu'il dira, mais l'Assemblée nationale, par une motion unanime, pourrait accomplir davantage, je crois, qu'un projet de loi qui serait jeté aux orties.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, il me reste là-dessus, M. Michaud, à vous remercier pour votre contribution à nos travaux. Et, ceci étant, nous avons complété l'ordre du jour pour ce jeudi 30 mars 2000, j'ajourne donc les travaux de la commission des institutions au mardi 4 avril, 9 h 30. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 12)



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