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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le jeudi 5 octobre 2000 - Vol. 36 N° 93

Consultation générale sur les impacts du projet de Zone de libre-échange des Amériques


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Table des matières

Auditions

Autres intervenants

 
M. Roger Bertrand, président
M. Henri-François Gautrin, vice-président
M. Normand Jutras
M. Marc Boulianne
Mme Fatima Houda-Pepin
M. Benoît Pelletier
M. François Beaulne
M. Jacques Côté
M. Christos Sirros
* M. Alain Marcoux, PDS
* M. Nabil N. Antaki, CACNIQ
* M. Alain Létourneau, idem
* Mme Danielle Létourneau, idem
* M. Michel Kelly-Gagnon, IEDM
* M. Michel Boucher, idem
* M. Christian L. Van Houtte, Association de l'aluminium du Canada
* M. Claude A. Gagnon, idem
* M. Marcel Ostiguy, Aliments Carrière inc.
* M. Paul Périgny, idem
* Mme Annie Thibault, idem
* Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

heures trente-quatre minutes)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): La commission des institutions reprend ses travaux dans le cadre de la consultation générale et des auditions publiques relativement aux impacts du projet de libre-échange des Amériques.

Tout d'abord, M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Pour la séance, M. Ouimet (Marquette) est remplacé par Mme Houda-Pepin (La Pinière); et, en vertu de l'application de l'article 130 du règlement, M. Morin (Nicolet-Yamaska) est remplacé par M. Beaulne (Marguerite-D'Youville); M. Dupuis (Saint-Laurent) par M. Sirros (Laurier-Dorion).

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. À l'ordre du jour, pour ce jeudi 5 octobre, tout d'abord, nous rencontrerons les représentants du Parti de la démocratie socialiste à 9 h 30; ensuite, à 10 h 30, le représentant du Centre d'arbitrage commercial, national et international du Québec. Nous poursuivrons, à 11 h 30, avec l'Institut économique de Montréal et ses représentants. Une suspension à 12 h 30. Nous reprenons à 14 heures avec les représentants de l'Association de l'aluminium du Canada. Nous poursuivons, à 15 heures, avec MM. Sylvain Leduc et Michel Paradis. Par la suite, à 15 h 45, M. James Archibald et, à 16 h 30, les représentants d'Aliments Carrière inc. Et nous terminerons à 17 h 15 avec M. Marc-André Carle, pour ajourner vers 18 heures. Est-ce que cet ordre du jour est adopté?

M. Gautrin: Adopté, M. le Président.

Auditions

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Adopté. Alors, nous passons donc à la première rencontre. Donc, M. Alain Marcoux, membre de l'exécutif du Parti de la démocratie socialiste. M. Marcoux, nous avons réservé une heure. Donc, une vingtaine de minutes pour la présentation, au maximum, et nous passerons ensuite aux échanges.

Parti de la démocratie socialiste (PDS)

M. Marcoux (Alain): Merci. Je voudrais remercier les membres de la commission de nous avoir accueillis pour pouvoir présenter notre mémoire.

D'entrée de jeu, on aimerait souligner que, comme le précise le document de consultation de l'Assemblée nationale sur le projet de Zone de libre-échange, pour nous, le projet de Zone de libre-échange est un ALENA 2, étant entendu que de nombreuses dispositions de l'ALENA vont bien au-delà de celles de l'OMC.

Pour nous, aussi, poser la question de la pertinence de cette Zone de libre-échange, c'est faire un bilan du libre-échange réellement existant, comme ça s'est déroulé dans les années quatre-vingt-dix dans les Amériques.

Tout comme les parlementaires de la Conférence parlementaire des Amériques de juillet dernier, le Parti de la démocratie socialiste remarque le peu d'impacts positifs, sinon l'absence réelle d'impacts sur la pauvreté et l'équité dans le monde, de la croissance économique et commerciale des dernières années. Un peu comme le soulignait le président sortant de cette Conférence, en proportion autant qu'en chiffres réels, il y a aujourd'hui plus de pauvres et moins d'équité un peu partout dans le monde, même là où il semble y avoir une prospérité apparente.

Dans les Amériques, actuellement, plus de la moitié des 780 millions d'habitants souffrent gravement de la pauvreté, au point où plusieurs en sont encore incapables de satisfaire leurs besoins élémentaires en eau potable, en alimentation et en santé quotidienne. Même la Banque mondiale disait dernièrement que l'Amérique latine ne se porte pas mieux qu'il y a 20 ans. C'est dire que c'est à peu près depuis le tournant que, nous, on qualifie de néolibéral, du début des années quatre-vingt, dont les accords de libre-échange en sont la codification.

Le bilan est-il différent pour le Québec? Là est la question. À en croire le document de consultation, il semblerait que ça soit le cas. Depuis l'Accord de libre-échange de 1989, puis ensuite l'ALENA, on souligne à gros trait que les exportations du Québec ont connu une croissance fulgurante: de 44 % du PIB en 1988, elles ont grimpé à 57 % en 1998. Matériel de communication, avionnerie et autres produits de haute technologie ont été les fers de lance de cette croissance.

Nul doute pour nous que Nortel Networks, Bombardier, Pratt & Whitney et autres transnationales ont été les grands gagnants de cette ère-là de libre-échange. Mais qu'en est-il de la population en général, c'est-à-dire de l'immense majorité de la population du Québec? Depuis l'Accord de libre-échange de 1989, le coefficient d'inégalités sociales, ce qu'on appelle le coefficient Gini, au Canada a augmenté d'environ 10 %. Au Québec, dans la même période, selon Statistique Canada, le taux de faibles revenus a augmenté de 15 %. On pourrait, comme ça, sortir des statistiques qui nous amèneraient à prouver un peu le sens de nos dires, qui vont dans le sens de dire que le libre-échange n'a pas profité à la majorité de la population.

Est-ce que c'est uniquement un phénomène d'exclusion qui n'affecterait pas les travailleurs moyens, donc qui affecterait seulement une partie des exclus de la population? Eh bien, non. Les gains moyens réels du travail au Québec, en ce moment, et au Canada stagnent depuis 20 ans, alors qu'entre 1950 et 1970 ils avaient augmenté de 90 %.

Faut-il rappeler que derrière cette stagnation salariale là se cache aussi une dégradation des conditions de travail, spécialement pour les femmes, et le travail est devenu de plus en plus précaire et flexible. Pour ceux et celles qui ont un emploi stable, l'intensité et les longues heures de travail provoquent de plus en plus de stress et d'autres problèmes.

Si le capital des entreprises sort gagnant de l'ère de libre-échange que le projet de ZLEA veut étendre à l'ensemble des Amériques, il en est autrement pour l'ensemble des peuples de l'Amérique latine, mais aussi au nord, actuellement, qui ont vécu des expériences de libre-échange. Faut-il s'étonner que l'actuelle période de prospérité, qui dure depuis huit ans, ait causé beaucoup plus de mal que de bien à la grande majorité de la population du Québec et aussi des Amériques?

En fait, il faut plutôt s'étonner que le libre-échange ait été capable d'assurer une quelconque croissance de la richesse, même si les taux de croissance, actuellement, de la productivité ont été beaucoup plus bas dans la période actuelle néolibérale que durant les trente glorieuses de 1945 à 1975. Par exemple, le taux de croissance annuel de la productivité du travail est passé de 3,2 % au Canada de 1961 à 1978 à seulement 1 % de 1978 à 1998; c'est tiré de Statistique Canada.

n(9 h 40)n

Car comment augmenter la production quand les salaires stagnent et que l'exclusion augmente? La réponse: C'est par une montagne de dettes, tant pour financer les gouvernements que pour soutenir la consommation privée et même les investissements, car les profits de plus en plus sont canalisés, et les épargnes, vers les placements spéculatifs et les investissements qui sont non productifs.

Si la montagne de dettes permet de financer un minimum de croissance, elle ne fait par contre qu'accroître les inégalités sociales et la pauvreté. Jusqu'ici, la stratégie de l'endettement fonctionne, mais elle fonctionne au prix d'une aggravation des contradictions sociales qu'elle visait pourtant à résoudre. Ces endettements accentuent les inégalités sociales et la pauvreté.

Quant au miracle américain ? parce que c'est, en fait, là-dessus souvent qu'on se base pour montrer l'exemple de réussite du libre-échange ? bien, effectivement, sur fond de croissance aux États-Unis, il y a un fond de croissance des inégalités, il s'explique en grande partie par la capacité des États-Unis de drainer une grande partie de l'épargne mondiale au rythme de 300 milliards par année pour un endettement total, à la fin de 1999, de 2 billions de dollars américains. À s'endetter à ce rythme-là, c'est clair que n'importe quel pays assurerait une croissance. Mais quel autre pays peut s'assurer une situation de cet ordre-là sans en payer le prix fort de taux élevés d'intérêt?

C'est intéressant aussi de montrer ce que le libre-échange apporte, mais aussi la situation dans laquelle on se retrouve, parce que c'est les pays de l'Amérique latine qu'on veut aussi englober dans cette zone de libre-échange là. Pour 1999 seulement, les pays du Sud ont transféré 115 milliards de dollars américains au profit du Nord, et ça, c'est en sortie de fonds seulement. Puis ça, c'est la Banque mondiale qui le dit. C'est l'équivalent ni plus ni moins d'un plan Marshall, et ça, avec l'extension de la ZLEA, on ne peut que penser que ça va s'aggraver.

D'autre part, actuellement, la situation que je viens de présenter fait en sorte que ça donne le moyen aux États-Unis de se servir de leur immense marché interne, qui est le cinquième au niveau mondial, pour rendre dépendants plusieurs autres pays-clés qui exportent aux États-Unis beaucoup plus qu'ils importent. On pense au Japon, à la Chine, au Mexique, mais aussi au Québec et au Canada. Cette manne, effectivement, a rejailli sur le Québec en ce moment, en particulier pour les entreprises qui en profitent. Le Québec exporte aux États-Unis le quart de sa production nationale. En fait, le Québec exporte aux États-Unis presque le huitième de son PIB, sans importations étasuniennes équivalentes. Le peuple québécois devient de plus en plus dépendant du marché américain sans bien sûr que l'inverse ne soit vrai.

Le système de libre-échange actuellement est viable en Amérique du Nord, ici, parce qu'il est dopé par un endettement généralisé qui croît plus rapidement que la production. Cet endettement aussi explique à quel point le capital financier aujourd'hui s'avère un outil particulièrement efficace de contrôle des populations. D'une part, il entretient un minimum de croissance économique dans un environnement d'inégalité et de pauvreté, en accroissant donc ces contradictions-là, et mène de plus en plus à une exclusion d'une partie de la population.

On pourrait penser que les gouvernements de la zone de l'ALENA ont maîtrisé la croissance de l'endettement parce qu'ils sont parvenus à dégager des surplus en appliquant de dures politiques de déficit zéro. Ce serait ignorer actuellement le problème important d'endettement privé que vivent les ménages autant que celui des entreprises.

Que l'on songe actuellement, au Québec, que les contribuables paient 20 milliards de plus en impôts en 1999 qu'en 1993 aux deux paliers supérieurs de gouvernements mais que tout est allé au service de la dette. Donc, les dépenses sociales, malgré l'inflation et l'augmentation de la population, les besoins croissants, tout est allé au service de la dette, pas un sou donc n'est allé aux programmes sociaux.

Certes, les profits des entreprises et les revenus spéculatifs actuellement sont au rendez-vous pour ces 5 % à 10 % de la population qui détiennent des actifs financiers qui en valent la peine, mais les années quatre-vingt-dix auront été une décennie de privations et d'insécurité pour une partie de plus en plus grande de la population.

L'Assemblée nationale, dans son document de consultation, nous propose le choix entre le libre-échange sans entrave, donc aller vers un État minimum contrôlé par des mécanismes d'arbitrage non transparents, ou opter pour un système de libre-échange à visage humain où l'État, dirigé par un Parlement élu, canaliserait les forces du marché. Ce choix est, pour nous, en complet porte-à-faux, puisque ni l'une ni l'autre des possibilités proposées ne s'enracine dans une compréhension de la réalité du système de libre-échange tel qu'il existe présentement.

Une simple lecture attentive des journaux permet de comprendre qu'il n'y a pas de libre-échange au sein d'un libre marché. La réalité, c'est le règne du renard dans le poulailler. Il y a un affrontement titanesque entre quelques grandes places financières à l'ombre desquelles rivalisent quelques centres financiers nationaux, comme Toronto, ou régionaux, comme Montréal. Derrière cette hiérarchie de places financières, en compétition les unes contre les autres, se profilent quelques grandes transnationales qui, celles-ci, sont en étroite relation avec l'exécutif ministériel, les ministres seniors.

Les banques et transnationales ne souhaitent pas un État minimum ? ce discours-là ne sert qu'à justifier le démantèlement de l'État-providence qui a été conquis par une série de luttes dans les dernières années ? mais un État qui intervient lourdement pour les aider à être gagnantes dans la compétition mondiale.

Certes, le libre-échange libéralise la circulation des capitaux sous forme d'argent, de marchandise, déréglemente les communications, l'environnement, facilite la division internationale du travail. Par contre, il réglemente de plus en plus sévèrement l'immigration, il fait perdre de plus en plus le caractère universel des programmes sociaux. De plus en plus, aussi, l'aide est directe aux entreprises par le biais de dépenses fiscales qui ne sont pas comptabilisées dans le budget ou ça généralise par le biais de congés fiscaux, comme, par exemple, la Cité du multimédia, au niveau du commerce électronique, la zone franche à Mirabel, pour une éventuelle usine de semi-conducteurs. Donc, ce n'est pas vrai qu'on parle d'un État minimum, mais c'est un État qui recentre son activité pour aider les entreprises actuellement à mieux compétitionner dans ce marché-là.

Ce gouvernement mondial d'accords de libre-échange et d'institutions sert de plus en plus à mettre les différents peuples ? et là, à travers les Amériques maintenant ? en compétition les uns contre les autres, surtout le Nord contre le Sud. On nous amène dans une dynamique que les anglophones appellent «the race to the bottom», la course vers le fond du baril. Reste finalement un rôle pour les Parlements élus qui, bien sûr, ne semblent rien diriger dans tout ce qui se négocie actuellement. Et, dans tous ces sommets, je pense que ce qui se caractérise, c'est l'absence de connaissances des négociations, l'absence aussi de suivi de ces questions-là, l'ignorance pour une majorité des élus et, d'autre part, les Parlements sont tenus complètement à l'écart.

Comment comprendre que, dans les préparatifs du Sommet des Amériques, l'America's Business Forum ait un pouvoir d'intervention que n'ont pas, par exemple, les centrales syndicales ou d'autres organisations de travailleurs, si ce n'est que par des forums sur la société civile, mais noyés à travers d'autres choses? Donc, ils jouent un rôle prédominant, comme ils l'ont joué dans le cas de la négociation de l'ALENA.

Pour nous, discuter de l'extension de la Zone de libre-échange des Amériques et de ses impacts, ça ne peut pas être déconnecté du bilan que nous tirons du libre-change, du premier accord de 1989 et de l'ALENA par la suite qui, comme on l'a exposé dans les dernières minutes, n'ont profité qu'à une minorité de la population. Effectivement, les entreprises pourront tirer un bilan positif, en général, de l'ALENA; ce n'est pas le cas pour la majorité des gens. Pour nous, ce n'est pas l'idée d'être contre les échanges commerciaux. Tout dépend des types d'accords qui sont négociés. Et là, quand on parle de l'accord de l'ALENA, ce n'est pas qu'un accord commercial, c'est un instrument de domination politique par le milieu économique.

L'ALENA ? et ça, on trouve intéressant de l'apporter ici, aujourd'hui, à la commission ? a été la grande inspiration du défunt AMI, l'Accord multilatéral sur l'investissement, et c'est un accord qui a été décrié et qui, finalement, a été rejeté par une série de contradictions internes entre les États, mais aussi parce qu'il y a eu une sensibilisation de la population qui se montrait contre. Et ce qui est bizarre, c'est que, nous, actuellement, on est à l'intérieur d'un accord qui reprend sensiblement les mêmes types de clauses, et il ne semble pas y avoir de débats sur cette question-là, et on parle aujourd'hui de l'étendre à l'ensemble des Amériques.

Pour nous, donc, il n'y a pas d'autres solutions par rapport au bilan que nous en tirons que de rejeter tout accord de libre-échange, actuellement, comme il est proposé avec la ZLEA. On doit faire un profond bilan de l'ALENA et on demande que les institutions actuellement de Bretton Woods, comme le FMI et la Banque mondiale, soient défaites.

On ne peut pas parler non plus de fonder une Amérique prospère sans parler de la question de la dette des pays du tiers-monde. Actuellement, comme je l'ai présenté dans l'exposé, il y a un transfert important de richesses du Sud vers le Nord. Donc, comment penser à un développement durable pour ces gens-là?

Enfin, pour nous, le libre-échange, comme on l'exposait tout à l'heure, c'est le cadre qui a permis dans les dernières années l'application d'une politique néolibérale. Pour nous, le coup de barre doit être donné pour ramener un réinvestissement dans les dépenses sociales et non à ce que tout l'argent des taxes et des impôts, à cause d'une période de prospérité actuellement, pour une certaine partie des gens, soit canalisé uniquement vers le paiement de la dette. Je vous remercie.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Marcoux. Nous allons donc passer à la période d'échanges. M. le député de Drummond.

M. Jutras: Oui. Bonjour, M. Marcoux, et bienvenue à cette commission. Il y a un élément que vous soulevez, dans votre mémoire, et qui a été assez souvent discuté, à date, dans la présente commission, c'est, entre autres, les effets des deux accords consentis: l'Accord de libre-échange et l'ALENA.

Effectivement, on a tenté de cerner les effets de ces accords-là, puis je vais vous dire qu'on est encore dans le flou. C'est difficile de savoir qu'est-ce qui en est exactement. Ce qu'on nous a dit, à date, et vous rejoignez cette opinion-là, jusqu'à un certain point, de dire que, oui, il y a eu une augmentation des exportations, il y a eu une augmentation, dans un sens, des affaires.

n(9 h 50)n

Mais, cependant, quand on veut voir qu'est-ce qu'il en est des conditions pour les travailleurs, là, c'est plus flou, et même les centrales syndicales qui sont venues, à date, nous parlaient peut-être d'une certaine détérioration, mais, en tout cas, ce n'était pas argumenté. Puis je pense que c'est difficile de l'argumenter, également.

Vous, vous tracez un bilan très négatif de ces deux accords-là. Vous dites: Oui, il y a eu une croissance, mais, par contre, ça s'est fait sur le dos des travailleurs. Vous parlez d'un coefficient d'inégalité sociale qui a augmenté. Vous parlez d'un taux de faibles revenus après impôt qui a augmenté seulement de 15 %.

Mais ce sur quoi j'aimerais vous entendre, c'est: Comment pouvez-vous... Vous constatez une certaine situation, mais vous reliez ça à ces deux accords-là, et c'est le lien de causalité qui, à mon avis... En tout cas, il y a peut-être un maillon faible, je le dis en tout respect, dans votre mémoire à cet égard-là. Comment pouvez-vous dire que certaines choses que l'on constate... Effectivement, on parle de plus en plus des riches qui sont plus riches et des pauvres qui sont plus pauvres, là, dans toutes nos sociétés, mais comment pouvez-vous dire que, ça, c'est une résultante de ces deux accords-là?

M. Marcoux (Alain): Je l'ai présenté un peu. Peut-être que ce n'était pas assez clair dans mon exposé, mais, pour nous, ces accords de libre-échange là, il faut les placer dans une période historique aussi. Dans la dernière conjoncture, les dernières années, ces accords de libre-échange là se sont posés comme un cadre visant à permettre, oui, effectivement, la circulation des marchandises mais surtout à mettre en compétition. Parce que l'objectif, c'est quand même ça pour les entreprises, c'est de pouvoir aller s'installer là où elles le veulent et retrouver des coûts d'implantation et des conditions d'exploitation de leur capital qui sont plus intéressants. Et ça, le libre-échange le fait très bien, il le fait très bien en mettant en compétition, donc, des États qui ont des programmes sociaux, des niveaux d'infrastructures sociales différents.

Dans cette course folle là, l'objectif est d'aller au plus bas dénominateur. Ce n'est pas vrai que les entreprises vont aller s'installer là où il va y avoir les conditions de travail les plus élevées. Et ça, actuellement, le libre-échange l'a prouvé, il l'a prouvé en termes de fait. Donc, pour nous, effectivement, l'Accord de libre-échange, c'est le cadre qui a permis cet approfondissement-là de dégradation des conditions de travail.

Au niveau environnemental aussi, c'est très important de voir... Bon, on cite effectivement très, très souvent le cas d'Ethyl Corporation comme étant un cas pathétique des accords de libre-échange sur l'environnement. Mais il y a aussi tout dernièrement le cas de l'exportation de déchets en Mauricie où, de façon laconique, le ministre de l'Environnement dit: Nous, on ne peut rien faire actuellement; c'est l'Accord de libre-échange. Donc, ça, c'est des coûts sociaux au niveau de l'environnement qui sont liés à l'Accord de libre-échange dans lequel il n'y a aucune comptabilité qui est faite de ça, actuellement, lorsqu'on fait le bilan du libre-échange.

M. Jutras: Moi, je vous suis bien, M. Marcoux, quand vous nous dites qu'il y a eu une augmentation des exportations. Puis une chance qu'il y a eu ça parce que c'était un des buts visés. Alors, si ça ne s'était pas réalisé, il y aurait un sérieux problème.

Mais je vous repose ma question parce que vous avez répondu, à mon avis, au premier élément que j'ai soulevé mais vous n'avez pas répondu au deuxième élément: Comment pouvez-vous conclure, comme vous le faites à la page 1 de votre mémoire... Quand vous dites que le coefficient d'inégalité sociale a augmenté, que le taux de faibles revenus après impôt a augmenté de 15 %, comment pouvez-vous dire que, ça, ça résulte de ces deux accords-là? C'est là que, comme je vous disais tantôt, le lien de causalité, je le cherche. Vous faites ce constat-là, mais comment peut-on dire que ces éléments-là résultent de ces deux accords-là?

M. Marcoux (Alain): En fait, nous, on part des données, actuellement, on part des données sociales qui ne vont qu'en se détériorant. On regarde la situation des dernières années et on fait un parallèle, et ça, je pense que ce n'est pas sorcier de faire le parallèle entre l'entrée en vigueur des accords de libre-échange et le tournant très néolibéral qui s'est fait dans la majorité des pays industrialisés, au Nord actuellement, que ce soit aux États-Unis et aussi au Canada. Et l'application de ces politiques néolibérales a eu les effets dont on parle. Mais le cadre dans lequel ça s'est situé, c'est dans le cadre des accords de libre-échange. L'approfondissement de ces politiques néolibérales s'est fait dans le cadre des accords de libre-échange et ils l'ont favorisé. En ce sens-là, il y a un lien de causalité qui n'est peut-être pas direct entre l'ALENA... mais le cadre des accords de libre-échange pousse les gouvernements, donc, vers une course vers le fond du baril et, en ce sens-là, ils sont une résultante à leur niveau de l'approfondissement et de la dégradation des conditions de vie des gens ici.

M. Jutras: Dans votre mémoire aussi vous rejetez, vous, carrément tout accord de libre-échange, autant ceux qui sont en vigueur que ceux qui pourraient être conclus éventuellement. Est-ce que ? ça aussi, ça a été discuté à date devant la présente commission, puis je le dis en tout respect ? ce n'est pas utopique de penser ça? Parce que, comme je vous le dis, à date, cette question-là a été soulevée puis ce qu'on nous a dit, c'est qu'il s'agissait là d'un mouvement irréversible et qu'on ne pouvait pas contrer ce mouvement-là. Et comme disent les Français: Il faut faire avec. Il faut composer avec ça et il faut peut-être atténuer les conséquences ou faire en sorte que les conditions des travailleurs s'améliorent chez nous. Mais est-ce que ce n'est pas se battre contre un moulin à vent? Est-ce que vous pensez sérieusement qu'effectivement on pourrait contrer ces accords-là et contrer cette internationalisation-là des relations commerciales que l'on vit? Et ça, ce n'est pas juste dans les Amériques, c'est dans l'Europe, c'est à travers le monde. Qu'est-ce que vous dites là-dessus?

M. Marcoux (Alain): J'aimerais débuter en disant que, lorsque se négociait l'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI, ça semblait utopique aussi de dire que cet accord-là, on pouvait tout simplement le tasser puis dire qu'on le rejette, et il est tombé. Donc, en ce sens-là, il n'y a rien d'utopique dans ce monde-ci.

Deuxièmement, pour nous, il n'y a rien de naturel dans le mouvement, actuellement, de mondialisation des marchés. On ne parle pas de sciences de la nature, on parle... il n'y a pas comme quelque chose qui est au-dessus, qui serait inscrit dans les lois de la nature, c'est le fruit des décisions politiques des gouvernements. Et, en ce sens-là, ce n'est pas une marche dans laquelle on n'a pas le choix et dans laquelle on est entraîné. C'est le choix conscient, et même inconscient à certains moments, des gouvernements, des États, de laisser aller les choses. Il y a toute une série de mesures qui ont été prises de déréglementation des flux de capitaux, de déréglementation des marchandises et, actuellement, si les États acceptent qu'on négocie à quelque part dans un sommet et que les gens d'affaires puissent faire passer leur programme, parce que c'est leur programme à eux et que les Parlements ne sont pas au courant, mais pour moi, ça, c'est une démonstration très flagrante qu'on n'assiste pas là à un phénomène naturel, mais à un phénomène où il y a des choix et des non-choix des États qui sont faits de laisser aller les choses comme elles sont.

Donc, la circulation des marchandises, les échanges marchands ont toujours existé et vont toujours continuer à exister. Ce n'est pas contre ça qu'on en a, c'est contre le fait que ces échanges-là se font au détriment des gens, les négociations se font en catimini, les Parlements ne sont pas consultés, et ça, ils en tiennent une part de responsabilité parce qu'ils sont quand même des élus. Et, en ce sens-là, ce n'est pas contre les accords marchands comme ils se font présentement et à qui ils profitent.

Rien contre la circulation des marchandises, mais pour que les formations sociales, les États puissent conserver leur propre système de protection sociale et que l'objectif ne soit pas celui qui est défendu actuellement par le Forum des gens d'affaires des Amériques. C'est très clair pour eux, c'est un libre-échange dont l'objectif est d'avoir les meilleures conditions de rendement de leur capital, et ça ne se fait pas par une augmentation des conditions de travail et des conditions de vie, ça se fait par une diminution, donc la course vers le bas. En ce sens-là, on ne s'en va pas vers un chemin naturel, mais c'est des choix conscients et des non-choix des États qui nous amènent vers cette situation-là.

n(10 heures)n

M. Jutras: Mais advenant le cas, partant des éléments de réponse que vous me donnez, où, effectivement, les Parlements seraient davantage impliqués ? et c'est ce qu'on fait, nous, on dit que ça concerne nos gens, ça concerne nos commettants, ça nous concerne, on veut s'impliquer davantage... Et vous dénoncez aussi le fait, puis plusieurs l'ont fait avant vous, que les négociations se font en catimini, on ne sait même pas qu'est-ce qui se passe derrière ces portes closes là, de sorte que certains soulevaient ici le paradoxe de dire: Bien, est-ce qu'on sait de quoi on parle? Même à la présente commission, là, à la limite, ça va jusque-là.

Mais advenant le cas où cette roue-là, on réussirait à la renverser et à faire en sorte que le processus devienne davantage ouvert à tout le monde, on sache davantage ce qui se passe, les Parlements soient davantage impliqués et les Parlements pourraient dire oui à ces accords-là, mais moyennant certaines conditions, est-ce que votre position demeure la même à ce moment-là? Qu'est-ce que vous dites?

M. Marcoux (Alain): Ce que vous nous amenez là, c'est un élément, je dirais, de démocratie fondamentale. Effectivement, que les Parlements soient concernés, soient les principaux meneurs de ces discussions-là, ça va de soi pour nous. Mais, derrière le projet de zone de libre-échange, même si les Parlements sont consultés, derrière, il y a un projet politique qui est le projet du monde des affaires, qui n'est pas le projet d'améliorer les conditions de vie actuellement. Et les accords mêmes, en ce qu'ils constituent, les différents articles de ces accords-là visent à avoir le moins de barrières à la circulation de capitaux mais aussi à leur rendement, et ça se réalise par des exemples concrets. Et ceux qu'on trouve actuellement les plus flagrants, c'est ceux de l'environnement.

Les exemples concrets qu'on a eus, là, Ethyl Corporation, ou l'exemple des exportations de déchets, c'est des exemples de cas où, actuellement, l'objectif, c'est de ne laisser aucun obstacle à la rentabilisation du capital. Et, lorsque les États vont passer des règles ou des normes au profit de leurs populations, eh bien, là, les entreprises peuvent poursuivre les gouvernements parce qu'ils ont mis des obstacles au rendement de leurs capitaux. Ça, c'est des objectifs qui sont complètement inacceptables, ils briment les droits des sociétés, actuellement, à se donner leur propre système social, leurs propres conditions de vie et leurs propres programmes sociaux.

En ce sens-là, c'est les objectifs mêmes des accords de libre-échange qui visent donc la course vers le bas. C'est pour ça que non seulement, oui, la question de la démocratie, ça a un caractère fondamental, mais c'est l'objectif même des accords de libre-échange qui est poursuivi. C'est le projet du monde des affaires derrière ça mais ce n'est certainement pas un projet d'amélioration des conditions de vie.

M. Jutras: Alors, je pense que mon collègue de Frontenac a des questions. Je vais lui laisser la parole.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci. Ça fait suite d'ailleurs à mon collègue de Drummond. Alors, bienvenue à la commission, M. Marcoux.

Vous dites que la solution réside dans la révolution sociale qui va briser le capital financier, puis vous amenez aussi que, ça, ça va permettre, par exemple, à des élus de se faire entendre mieux que les élus actuels.

J'aimerais ça, savoir de quelle façon, dans la pratique, dans le concret, on va aboutir à cette révolution sociale là. Puis, un peu comme mon collègue disait, est-ce que ça, éventuellement, pourrait permettre quand même d'aller vers le libre-échange, ou de toute façon, le libre-échange est condamné, selon vos propos?

M. Marcoux (Alain): En fait, actuellement, il y a une série d'éléments qui, pour nous, est fondamentale quand vous parlez de révolution sociale. Actuellement, pour nous, on mène une campagne pour un réinvestissement important dans les programmes sociaux. Quand je parlais tout à l'heure du 20 milliards de plus en impôts payés au fédéral et au provincial, en 1999, dont pas un sou est allé de plus dans les programmes sociaux ? la majorité est allé au paiement de la dette, par des formules comptables qui sont difficiles même à retrouver dans les budgets du gouvernement du Québec ? pour nous, de mobiliser les gens pour un réinvestissement, c'est une des façons de répondre donc au néolibéralisme et au libre-échange.

D'autre part, actuellement, le débat qui se porte sur le Code du travail, l'objectif est de plus en plus de favoriser la flexibilité du travail, mettre des barrières à la syndicalisation. Pour nous, combattre ça, c'est aussi une façon de combattre le libre-échange et le néolibéralisme; il y a un lien entre les deux. C'est en ce sens-là que c'est un autre projet de société, complètement, qui est avancé.

M. Boulianne: Quand vous parlez ? vous permettez, M. le Président? ? que la solution, encore, ça serait des élus redevables au peuple des travailleurs, est-ce que vous en déduisez qu'actuellement les élus ne sont pas redevables aux travailleurs?

M. Marcoux (Alain): Non seulement actuellement ils ne sont pas tellement redevables, mais, deuxièmement, ils ne savent même pas ce qui se négocie et ils n'ont aucun contrôle là-dessus. Donc, comment pourraient-ils être redevables auprès de la population lorsqu'ils ne sont que, actuellement, des pantins? Je m'excuse de le dire comme ça, mais, actuellement, les États, les parlements ne sont même pas des lieux où se discutent ces projets de société là. Et comment ces élus-là pourraient-ils être redevables face à leur population alors qu'ils n'en sont même pas les conducteurs?

Le train, actuellement, est conduit par l'American Business Forum, le milieu des affaires. Comment les parlementaires pourraient-ils être redevables dans un contexte comme ça? Ils ne sont même pas les acteurs de la mondialisation; ils en sont, en partie, les victimes mais les victimes consentantes.

M. Boulianne: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): À un point tel qu'on s'étonne même, dans certains milieux, de l'initiative de la commission.

M. Marcoux (Alain): Ha, ha, ha!

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Moi aussi, je vous souhaite la bienvenue à cette commission. Je voudrais d'abord vous poser une question assez simple: Est-ce que vous reconnaissez que, malgré toute la diminution des barrières à la libre circulation des biens, c'est-à-dire la diminution des tarifs douaniers, des choses de ce type-là, est quelque chose qui a augmenté la création de richesse? Je dis bien au niveau de la création de richesse. Je pense que ces deux affaires-là se ressemblent.

M. Marcoux (Alain): O.K. Ça a effectivement favorisé les exportations, ça a favorisé la liberté de commerce, ça a favorisé la création de richesse, mais la création de richesse pour qui?

M. Gautrin: C'est exactement ma deuxième question.

M. Marcoux (Alain): C'est ça, oui.

M. Gautrin: Alors, une fois qu'on... Et c'est ça, la difficulté que j'ai à vous suivre. À mon sens, les accords de libre-échange favorisent la création de richesse. Le vrai problème que vous soulevez ? parce que vous soulevez un problème qui est réel ? c'est: À qui va bénéficier cette création de richesse et comment on va partager cette création de richesse?

Ce que vous nous dites, si je comprends bien l'analyse que vous avez faite, c'est de dire: Le partage de la richesse créée par l'ALE et aussi par l'ALENA n'a pas été équitable et actuellement a enrichi les riches, si je caricature un petit peu, et a appauvri les pauvres. Est-ce que je comprends votre point de vue?

M. Marcoux (Alain): Oui, tout à fait. Mais c'est parce que, en fait, il faut voir qui conduit ces projets d'accord de libre-échange là, dans quel intérêt? Le projet des accords de libre-échange, l'objectif qui est poursuivi, à ce que je sache, ce n'est pas la redistribution de la richesse.

M. Gautrin: Mais, attendez, si on s'entend que c'est la création de richesse et que ça crée de la richesse, ça, c'est un premier point.

La manière dont on va redistribuer la richesse créée, ça, c'est une autre discussion et un autre débat ? je pense que vous êtes d'accord avec moi ? et qui peut se faire au niveau des états nationaux.

n(10 h 10)n

La deuxième question que je voulais aborder avec vous: Vous avez soulevé, et c'est une préoccupation que, du moins, on partage ici, qui est la question de l'environnement, c'est-à-dire les risques qu'il peut y avoir à abaisser les normes environnementales et créer, en quelque sorte, excusez-moi le terme, des poubelles dans certains endroits.

Est-ce que les accords internationaux, je pense, par exemple, les accords de Kyoto, les accords de Rio, où, au début, les États essaient de se mettre ensemble, avec difficulté je n'en disconviens pas, ne sont pas un pas dans la bonne direction à ce moment-là pour protéger une notion qui, malgré tout, est transfrontalière: la situation de l'environnement, que vous le vouliez ou non, l'air circule, les rivières circulent, etc.?

M. Marcoux (Alain): Le coeur du problème, il se situe à l'intérieur même des accords de libre-échange, parce que, malgré même tous les beaux pactes ou les accords qu'il pourrait y avoir des volontés de les dépolluer, dans les accords mêmes, actuellement dans l'ALENA, les articles prévoient que, si un État passe des lois ou des normes qui vont à l'encontre des profits des entreprises, donc qui briment la capacité de profits, les entreprises peuvent poursuivre les gouvernements.

On a le cas d'Ethyl Corporation qui a... En ce sens-là, malgré tous les bons principes et les accords, si on a de ce type de clause là dans nos accords de libre-échange, bien, ça ne sert à rien, ce ne sont que des voeux pieux.

M. Gautrin: Je vais aborder la troisième question que je voulais aborder avec vous qui était... Dans les accords de libre-échange, il y a aussi, toujours, les mécanismes qui sont prévus pour dans les cas où on ne respecte pas ou on pense que l'autre partie n'a pas respecté l'accord.

La grande question qui s'est posée, c'est: Est-ce que des individus, voire des corporations... Puisque j'imagine que, ni vous ni moi, on n'aurait pas les moyens pour pouvoir aller devant ces mécanismes internationaux. Est-ce que, dans votre esprit, s'il y a accord de libre-échange, le fait que ce ne soit pas uniquement les États qui peuvent aller plaider devant les tribunaux, les mécanismes de règlement de conflits, mais que les individus puissent y aller est un élément dangereux et qui risque à ce moment-là de mettre en cause la juridiction de chaque État?

M. Marcoux (Alain): En effet, ça remet en cause même le principe de la politique.

M. Gautrin: Oui.

M. Marcoux (Alain): Ça remet en cause le principe même de la politique où c'est les Parlements qui décident. C'est que, là, on remet, dans des instances qui ne sont pas élues, le droit de décider sur des choses qui concernent les populations, et en ce sens-là, pour nous, c'est très, très, très dangereux.

M. Gautrin: Oui, mais je voudrais parce que, à mon sens ? c'est à ça que je voulais arriver avec vous ? le point de difficulté, d'après moi, n'est pas qu'il y ait des accords de libre-échange, n'est pas qu'on facilite la libre circulation des marchandises, mais c'est que la juridiction des élus va être transférée implicitement à des tribunaux internationaux qui vont avoir la possibilité de contraindre les populations. Et je pense que vous partagez un peu ce point de vue là.

M. Marcoux (Alain): On partage ça, oui.

M. Gautrin: Je vous remercie. J'aurais d'autres questions, mais je pense que ma collègue ? il nous reste peu de temps ? veut intervenir aussi.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président. M. Marcoux, merci pour la présentation que vous nous avez faite. Vous avez argumenté en faisant un lien de cause à effet entre le libre-échange et la perte des gains pour les classes moyennes et les classes les plus défavorisées, et entre autres, ce qui m'a intéressée dans votre mémoire, c'est que vous rappelez la situation des femmes, en particulier, puis vous nous interpellez en disant qu'il faut appuyer les revendications de la Marche mondiale des femmes. Évidemment, comme députées, comme parlementaires, on est quelques-unes à être impliquées dans ce mouvement-là et à l'appuyer au niveau du terrain.

Mais, étant donné que vous avez préparé un mémoire fort documenté, surtout avec des chiffres, je voulais savoir si vous avez pris la peine d'analyser les coûts des revendications que le Mouvement des femmes met de l'avant dans le cadre de la Marche des femmes. Vous nous dites: «Il faut appliquer les revendications québécoises de la Marche des femmes de l'an 2000.»

À ma connaissance, il y en a une vingtaine. Je voudrais vous énumérer quelques-unes qui ont un lien direct avec la lutte à la pauvreté, notamment l'imposition fiscale progressive des entreprises et des individus. On demande un régime universel d'allocations familiales et une allocation supplémentaire pour les familles pauvres; un barème plancher à l'aide sociale en dessus duquel aucune ponction, coupure, saisie ou pénalité ne puisse être faite; l'augmentation du salaire minimum pour 40 heures-semaine et l'adoption d'une loi-cadre visant l'élimination de la pauvreté.

Est-ce que vous vous êtes penchés sur ce que ça peut représenter comme coûts pour la société québécoise?

M. Marcoux (Alain): Concrètement, en termes de chiffres concrets, non. On ne peut pas vous dire un chiffre concret. Chose est certaine, c'est que c'est des milliards de dollars, et les revendications de la Marche des femmes est un contre-projet actuellement à ce qui se passe, depuis les dernières années, en termes de démantèlement de nos programmes sociaux et ça demande un réinvestissement vraiment massif dans les programmes sociaux et c'est de l'ampleur de milliards effectivement.

Mme Houda-Pepin: O.K.

M. Marcoux (Alain): Et, nous, on pense que, actuellement, les montants qui sont versés en impôts et en taxes pour le paiement de la dette devraient servir pour répondre à ces demandes sociales là qui sont faites par une série de groupes qui vivent concrètement la situation d'appauvrissement depuis plusieurs années, et ce sont des mesures pour nous, donc, d'amélioration des conditions de vie. Mais ce sont vraiment des milliards de dollars, et ça demande une autre politique budgétaire, complètement.

Mme Houda-Pepin: D'accord. Un autre point: à la page 5 de votre mémoire, vous parlez du mirage de la nouvelle économie. Et vous dites entre autres, que, dans le domaine des technologies de l'information, qui est un créneau porteur au niveau des investissements, de la création d'emplois et des emplois de qualité, soit dit en passant, vous estimez que le libre-échange a été en fait un frein au développement de ce secteur-là de la nouvelle économie. Est-ce que vous pouvez élaborer davantage là-dessus?

M. Marcoux (Alain): Oui. En fait, le système de libre-échange actuellement mais surtout les politiques néolibérales qui sont appliquées dans le cadre de ces accords-là font en sorte actuellement que la demande solvable, donc la capacité pour une série de gens de s'acheter les fruits de ce développement de la nouvelle technologie n'est tout simplement pas là, et qu'on parle, en partie, au Nord mais, en partie, au Sud aussi, les conditions actuelles, la possibilité d'une troisième révolution technologique, donc l'élargissement à une consommation de masse de ces nouveaux produits de la nouvelle technologie, ne sont actuellement même pas réunis pour une consommation.

Si on pense aux années cinquante où le réfrigérateur, les électro-ménagers, toutes ces inventions-là de cette période de révolution industrielle là ont rapidement été, grâce à toute une série de conjonctures de l'après-guerre, mais ont été répandues à une consommation de masse, en tout cas, dans nos pays du Nord. Actuellement, la situation n'est pas non plus réunie pour avoir ça dans nos pays non seulement ici, mais dans le reste de l'Amérique.

Donc, les politiques actuelles font en sorte que la demande solvable n'est pas réunie pour une possibilité d'extension de toutes ces découvertes là qui, en fait, pour beaucoup ? il faut le dire ? ne sont pas... On parle beaucoup de l'entreprise privée, mais dans le cas d'Internet et dans plusieurs autres cas, ce sont les pouvoirs publics qui ont poussé Internet, c'est le Ministère de la défense américain. Donc, les pouvoirs publics ont beaucoup créé et poussé ces nouvelles découvertes au niveau de la nouvelle technologie de l'information.

Mme Houda-Pepin: Oui. On convient que le premier ordinateur a été aussi développé par le gouvernement américain; il a servi au recensement. Donc, ça prend, dans ce domaine-là, un investissement important pour aider au démarrage d'un secteur nouveau. Mais, au niveau des applications, une fois que cette technologie est simplifiée, elle devient quand même accessible à tout le monde.

Je vous avoue que je suis un peu restée perplexe par rapport à cette analyse que vous faites, parce que je travaille dans ce domaine des technologies de l'information et je suis en contact avec des jeunes à peu près de votre âge, de votre génération qui, eux, me disent que c'est un secteur porteur pour l'économie du Québec. Le libre-échange a été pour quelque chose dans le développement transfrontalier de ces technologies, d'aider les entreprises québécoises aussi à se développer, et il y a beaucoup de jeunes qui trouvent que c'est quelque chose de très positif pour l'économie du Québec.

Alors, quand je lis que le libre-échange non seulement n'a pas été pour quelque chose dans le développement de ce secteur, mais que, en plus, ça a été une entrave, je cherche à comprendre en quoi est-ce qu'il a été entravé. Si vous faites le lien avec les relations Nord-Sud, c'est un fait qu'il y a des technologies, sans parler des technologies de l'information, mais d'autres technologies dans tous les secteurs: l'agriculture, bioalimentaires, pharmaceutiques et autres où la technologie est davantage avancée dans les pays du Nord ? pas seulement nous, mais en Europe, par exemple ? par rapport aux pays du Sud, et ça prend un certain temps avant que cette technologie-là se rende aussi communément auprès des consommateurs des pays du Sud.

Mais l'analyse que vous faites, là, je n'arrive pas à la comprendre.

M. Marcoux (Alain): En fait, ce que j'essayais de vous amener, c'est que, actuellement, puis là, je le prends du point de vue des Amériques parce qu'on se situe dans le cadre d'un projet de zone...

Mme Houda-Pepin: Oui.

n(10 h 20)n

M. Marcoux (Alain): Une très grande partie de la population en Amérique latine n'a même pas le téléphone présentement, et actuellement, leurs conditions de vie se dégradent année après année, et même ici, au Nord. Donc, ces conditions-là ne favorisent pas une demande solvable qui permettrait une extension de ces découvertes technologiques là à l'ensemble de la population.

Actuellement, donc, pour une grosse partie de la nouvelle économie, qu'on appelle, il reste que ça se situe au Nord et ça se situe dans une certaine couche de la population. Il n'y a pas une extension, encore... il y a une extension effectivement mais qui ne va pas au-delà des possibilités qu'il pourrait y avoir, parce qu'une grande partie des gens ne sont tout simplement pas capables. Qu'on pense du sud des États-Unis aller jusqu'en Argentine, une grande partie des gens n'ont même pas le téléphone. Donc, pensons en termes de consommation à grande échelle des fruits de ces recherches-là et de ces développements technologiques là.

Donc, ils sont limités par l'application des politiques dans le cadre des accords de libre-échange, qui sont des politiques néolibérales, qui appauvrissent les gens. Donc, dans le cadre d'une autre politique où les revenus des gens augmenteraient, les fruits de cette recherche-là pourraient profiter et être consommés; actuellement, ils ne peuvent pas. En ce sens-là, le libre-échange et les politiques néolibérales qui y sont associées, pour nous, sont une entrave au développement de cette troisième révolution technologique, que nous voyons.

Mme Houda-Pepin: Qu'est-ce que ça prendrait, pour vous, pour que le libre-échange soit avantageux pour les pays du Sud et pour les classes défavorisées, même dans les pays du Nord? Qu'est-ce que ça prendrait?

M. Marcoux (Alain): En fait, actuellement, pour les classes défavorisées ou les peuples en Amérique latine, ils supportent le poids, à chaque année ? ici, on en a fait part dans le mémoire ? d'un transfert de la richesse incroyable. À chaque année, c'est l'équivalent du plan Marshall. Seulement ça pèse tellement lourdement sur les États du Sud et sur l'application de leurs politiques, ça fait en sorte que, malgré les accords de libre-échange et les exportations qui augmentent, ça pèse sur les États, ça pèse sur la population. Donc, ça ne fait que les appauvrir.

Une des priorités, c'est l'annulation de la dette des pays du tiers-monde. On ne peut pas penser à un rééquilibrage de la richesse dans les Amériques puis penser à un développement de l'Amérique latine, en termes d'élévation des conditions de vie, en acceptant seulement que ces États-là supportent le poids d'une dette incroyable et qui a été plusieurs fois remboursée; ça, il faut le dire.

C'est un transfert de richesse vers le Nord important et qui handicape grandement la possibilité de ces populations-là, au Sud, de se donner un système de protection sociale et des conditions de vie décentes.

Mme Houda-Pepin: Mais, si on fait abstraction du libre-échange, est-ce que les pays du Sud vont être en mesure d'assurer un développement plus équitable?

M. Marcoux (Alain): Dans le cadre du...

Mme Houda-Pepin: Le fait de s'enfermer, chacun dans son propre territoire, est-ce que ça pourrait aider davantage, selon vous, les pays du Sud à se développer de façon beaucoup autocentrée, avec un développement tourné vers les besoins de la population, au lieu de servir de vache à lait, comme vous le dites, pour les pays du Nord?

Est-ce que vous envisagez une telle solution?

M. Marcoux (Alain): La question, pour nous, ce n'est pas de s'enfermer.

Mme Houda-Pepin: Non.

M. Marcoux (Alain): Il ne faut pas essayer de nous faire qu'on est contre les échanges marchands. La question, ce n'est pas de s'enfermer. Mais la question, c'est la possibilité, pour les États, de pouvoir se donner leur propre politique de développement.

Actuellement, avec les accords de libre-échange, il devient de moins en moins possible, pour les États et particulièrement les États du Sud, de se donner leur propre politique de développement au niveau de l'agriculture, par exemple. De plus en plus, ce qui va se développer et ce qui se développe, puis l'expérience de l'ALENA, au Mexique, en est un bon exemple, c'est l'appropriation des terres des paysans par des grandes multinationales américaines, et toutes les formes communautaires qui étaient données de propriété de la terre, au Mexique, ont été complètement évacuées et même enlevées, au Mexique, suite à l'ALENA, et actuellement, on se retrouve avec des gens qui, avant, travaillaient la terre, et là actuellement, la travaillent pour des multinationales américaines et qui n'ont pas de politique de développement autonome au niveau agriculture. Donc, c'est un très bon exemple.

En ce sens-là, c'est cette capacité-là, pour les États, de pouvoir avoir des politiques propres dans leurs propres domaines, et si ça veut dire, dans certains cas, de limiter, par exemple, les importations venant du Nord, au niveau de certains produits, pour pouvoir développer leur propre économie, bien, ça sera leur choix.

Mais, l'objectif, pour nous ? on le répète encore, ce n'est pas qu'on est contre les échanges de marchandise ? c'est les capacités pour les États de pouvoir se donner leur propres politiques et ne pas se faire dicter, par des instances qui sont hors des États élus, ce qu'ils doivent faire et ce qui est bon ou pas pour eux.

Mme Houda-Pepin: Il y en a qui pensent qu'on donne beaucoup trop d'importance au facteur extérieur, notamment la thèse de la dépendance que vous avez élaborée dans votre mémoire vis-à-vis des pays du Nord et que finalement, les États dont vous parlez, ceux qui vont faire leur propre développement, ont aussi une grande responsabilité dans le sous-développement des pays du Sud, justement parce que là-bas aussi, il y a un régime avec des classes sociales, avec une classe bourgeoise commerçante multinationale, dans le cas du Mexique, du Brésil, etc., et que ces gens-là n'ont pas nécessairement intérêt pour que la richesse soit répartie et qu'elle rejoigne les classes défavorisées. Donc, ce n'est pas nécessairement le lien des échanges internationaux, notamment le libre-échange, qui est la cause essentielle de l'appauvrissement de ces pays-là.

M. Marcoux (Alain): En partie, je vous donnerais raison au sens où ces États-là aussi appliquent leurs propres politiques et ils en sont les propres décideurs. Alors, en ce sens-là, s'ils appliquent des politiques...

Mme Houda-Pepin: ...il y a une dynamique intérieure aussi qui joue.

M. Marcoux (Alain): Oui, sauf que si ces États-là appliquent des politiques qui vont beaucoup plus loin actuellement en termes de régression que ce que nous on a au Nord, c'est parce que, actuellement, pour que les entreprises là-bas... Parce que ces entreprises-là font face à une compétition et à la compétition des entreprises du Nord, qui sont extrêmement grosses et importantes, et vont prendre des décisions qui vont encore plus loin pour permettre la compétition avec les entreprises du Nord. Et, en ce sens-là, le rôle de relation, de domination du Nord, par ses entreprises sur le Sud, a aussi un poids sur les États du Sud. C'est sûr qu'ils sont responsables aussi de leurs choix politiques, mais ils sont situés dans un contexte dans les Amériques mais aussi au niveau mondial, où, lorsqu'on parle de libre-échange, il faut le dire, c'est le libre-échange mais c'est en fait le projet des grandes entreprises américaines. Il faut regarder le commerce mondial: c'est le commerce des entreprises, c'est le commerce des multinationales américaines qui, actuellement dans le Sud et particulièrement en Amérique latine, ont une présence très forte, et en ce sens-là, ils sont aussi un des responsables des dégradations des conditions de vie dans le Sud.

Mme Houda-Pepin: Je vous remercie.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, il nous reste donc à remercier M. Marcoux, un membre de l'exécutif du Parti de la démocratie socialiste, pour sa contribution à nos travaux. Merci encore une fois.

M. Marcoux (Alain): Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): J'inviterais maintenant les représentants du Centre d'arbitrage commercial, national et international du Québec à bien vouloir s'avancer, notamment son président, M. Nabil Antaki.

Je rappelle que la commission des institutions est réunie afin de procéder à une consultation générale, de même qu'à des auditions publiques sur les impacts, les effets du projet d'établissement d'une zone de libre-échange des Amériques, et que nous avons le plaisir de recevoir, comme deuxième groupe aujourd'hui, les représentants du Centre d'arbitrage commercial, national et international du Québec.

M. Antaki, je vous rappelle que nous avons réservé une période d'une heure pour la présente rencontre, en principe, une vingtaine de minutes pour la présentation. Vous avez la parole. Je vous inviterais, bien sûr, à nous présenter les personnes qui vous accompagnent.

Centre d'arbitrage commercial, national
et international du Québec (CACNIQ)

M. Antaki (Nabil N.): Merci, M. le Président. Je suis Nabil Antaki. Je suis professeur de droit à l'Université Laval, depuis au-delà d'une trentaine d'années, et j'ai eu l'occasion d'enseigner le commerce international à différents endroits, dans différents pays.

En tant que président du Centre d'arbitrage commercial, national international du Québec, je suis ici, aujourd'hui, accompagné de Me Danielle Létourneau, qui est vice-présidente et directrice générale du Centre. Me Létourneau est spécialisée en commerce international de propriétés intellectuelles.

Je suis aussi avec Me Alain Létourneau, de Pépin & Létourneau, le cabinet d'avocats de Montréal. Me Létourneau est un ancien bâtonnier et il a une expertise particulière. Il est membre du conseil des experts du Centre d'arbitrage.

Nous attendons tout à l'heure ? on regrette, il était à Montréal, il n'a pas eu le temps, il est en route probablement ? Jean Morency. Me Morency, de Pothier & Delisle, à Québec, est membre du conseil d'administration du Centre.

n(10 h 30)n

Nous n'allons pas tous parler dans les 20 minutes, mais Me Létourneau et moi, nous allons vous présenter le mémoire et répondre à vos questions.

Alors, d'abord permettez-moi de vous remercier de l'intérêt que vous avez porté à notre mémoire. Nous avons été touchés par le fait qu'on a été invités puis nous espérons pouvoir apporter quelque chose de positif. Je vous demanderais aussi de m'excuser, ma voix est complètement enrouée: c'est la grippe.

La question qui nous intéresse en tant que centre d'arbitrage... on pourrait se demander pourquoi un centre d'arbitrage vient devant une commission. Je dois vous dire que nous pensons pouvoir apporter une contribution. La partie qui nous intéresse sont les moyens de faciliter et de promouvoir l'utilisation de l'arbitrage et les autres moyens de règlement pour résoudre les différends d'ordre privé dans le cas de la Zone de libre-échange. Je pense, pour commencer, que je prendrai deux minutes pour parler du CACNIQ, acronyme pour le Centre d'arbitrage, ensuite de soulever quelques difficultés ou quelques avantages que nous voyons, et finalement nous avons quelques propositions ou quelques recommandations à faire.

En ce qui concerne le Centre d'arbitrage, c'est une corporation sans but lucratif qui a été fondée en 1986, à la suite d'un événement majeur qui était un colloque international à la ville de Québec, qui a attiré au-delà de 150 experts du monde entier. Nous avons été, comme centre, nous avons et nous continuons à être appuyé financièrement et moralement par les trois gouvernements des trois paliers. Nous avons géré, comme centre, 233 dossiers d'arbitrage et de médiation pour plus de 211 millions de dollars de réclamations variant de 3 000 $ à 43 millions. Et le gouvernement du Québec nous a confié, en exclusivité par la loi, certains dossiers. Les courtiers, la Bourse et les associations de construction nous ont donné aussi une exclusivité des dossiers.

Au niveau international, nous sommes la seule institution du Québec à être membre de la Fédération internationale des institutions d'arbitrage, et les critères sont assez élevés. Au niveau de la zone, nous avons pris l'initiative, malgré qu'on soit très petit, d'avoir un représentant permanent à Bogota qui amène beaucoup, beaucoup d'eau au moulin. C'est un Canadien de Québec qui s'est installé il y a une trentaine d'années là-bas et il nous est très utile. Et nous avons CAMCA. Alors CAMCA, je vais arrêter une seconde, c'est un Centre d'arbitrage et de médiation pour les Amériques, qui est un «joint venture» ou une collaboration entre les quatre grands centres de la zone de libre-échange, c'est-à-dire Québec, Colombie-Britannique, Mexico et les États-Unis.

Nous avons une certaine expérience au niveau de l'ALENA et ceci nous amène à parler: Pourquoi proposer des avenues d'arbitrage ou de médiation? Je pense que nous sommes bien placés pour le faire. D'abord, et je commence par le fait que, et j'insiste, nous avons le privilège d'avoir un des meilleurs systèmes judiciaires au monde. Souvent, on ne le sait pas, souvent on ne l'avoue pas, mais nous avons un excellent système judiciaire. Malgré l'excellence de ce système judiciaire, malgré l'excellence de la législation, le système judiciaire n'est pas toujours adéquat ou n'est pas toujours assez rapide ou n'est pas toujours... il est fait pour tout le monde. Il n'est pas fait pour des personnes spécialisées ou des entreprises spécialisées et ceci fait que le rapport du Comité de révision de la procédure civile, qui est actuellement en consultation, montre qu'il y a certaines difficultés. Si on fait les statistiques, il faut, pour une affaire importante qui va jusqu'à la Cour d'appel, de quatre à cinq ans en moyenne pour se terminer. Le taux d'accessibilité de la justice au Québec est de 40 000 $. En dessous de 40 000 $, il n'est pas rentable d'aller devant les tribunaux.

Devant le Centre d'arbitrage et par l'arbitrage, notre expérience, c'est que les dossiers de moins de 1 million se terminent en moins de 5,5 mois et que les dossiers de plus de 1 million se terminent, en moyenne, en 9,6 mois, de A à Z, exécutés volontairement par les parties. Déjà, je pense que nous avons un premier élément. En ce qui concerne l'accessibilité, l'accessibilité devant un centre d'arbitrage comme le nôtre est de 10 000 $ plutôt que de 40 000 $. Donc, il y a beaucoup plus d'entreprises qui peuvent le faire.

Les difficultés, maintenant, quand on va en international ? et là j'aborde le problème international ? sont de deux ordres. On a 90 % ou 80 % de nos activités avec le nord des États-Unis, et, lorsqu'on va aux États-Unis, la difficulté, c'est l'agressivité des tribunaux américains, l'agressivité de la profession juridique américaine, les coûts exorbitants des procédures, le «discovery», qui est une procédure américaine particulière. Notre estimation, et ma pratique privée, puis Me Létourneau pourra me corriger, c'est que, pour aller aux États-Unis ou en Amérique latine, où le problème est différent, le problème est beaucoup plus déontologique en Amérique latine, le seuil d'accessibilité est de 140 000 $ à 200 000 $, de 150 000 $ à 200 000 $ pour que ça vaille la peine d'aller devant un tribunal américain ou mexicain. Nos entreprises, nos PME, qui sont déjà sous-financées, qui sont à leurs premières expériences à l'extérieur, perdent leur chemise. Il n'est pas possible pour elles d'aller... Nous avons des quantités de dossiers de personnes qui, pour 50 000 $, 60 000 $, 70 000 $, ne sont pas capables d'aller chercher leurs crédits aux États-Unis ou en Amérique latine. Lorsqu'on va aux solutions, les solutions, je pense, commencent par la formation. L'Amérique latine demande de la formation, l'Amérique latine mange de la formation. Nous avons des demandes continuelles. Ils ont besoin de formation, de juges. Ils sont conscients de leurs lacunes. Ils ont besoin de lois, ils ont besoin de juges, ils ont besoin d'arbitres et de médiateurs. Nous sommes particulièrement bien placés, au Québec, avec l'expertise du Québec, avec l'approche latine, pour pouvoir offrir ce service-là. Et je crois qu'on peut faire comme les Français font avec les pays de l'Est, c'est-à-dire rentrer l'économie par la formation. C'est une première idée.

La deuxième. Il faut offrir des services de proximité à nos entreprises, des services d'accompagnement à nos entreprises. Elles ne sont pas capables d'aller seules en Amérique latine, beaucoup plus qu'ailleurs. Parce que, si on a un produit d'exportation, il faut avoir un bon produit, il faut avoir une bonne force de vente, nous avons des équipes de vente, et il faut avoir un bon service après vente. Ce qu'on oublie, c'est le comptant. Et vous savez très bien que ceux qui vendent nos produits, ce sont les gens du marketing et les gens de l'industriel, ce ne sont pas les avocats. Les avocats ne sont pas consultés. Nous n'avons pas une tradition de consultation d'avocats par les PME. Et, lorsqu'elles ont un problème, ils vont voir soit le notaire qui a fait le mariage ou le divorce, soit l'avocat à qui on a demandé: Est-ce que tu connais un avocat? Et dans les deux cas, ces gens-là ne sont pas des spécialistes de la matière. Et là on a un deuxième problème. Et ce que nous pensons, c'est que le gouvernement du Québec devrait, à ce niveau-là, encourager les entreprises à recourir à ce genre de service et encourager les personnes qui donnent ce service à pouvoir le donner. Nous pourrons parler de détails tout à l'heure.

n(10 h 40)n

Nous avons une problématique spécifique aussi au niveau législatif et nous allons la développer tout à l'heure. Nous avons deux sortes de difficultés. Nous avons les conventions internationales, qui sont des outils pour nos entreprises, comme la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements, ce qu'on appelle la Convention de Washington, en 1965, et la Convention interaméricaine sur l'arbitrage. Ce sont des outils. Tous les pays du monde ont signé CIRDI, qui est la Convention de Washington, sauf nous. Et, lorsqu'on vient regarder les raisons ? j'ai travaillé pendant trois ans sur cette loi CIRDI avec des comités du fédéral ? c'est qu'il y a toujours une ou deux ou trois provinces qui, pour des raisons diplomatiques ou politiques, le bloquent. Le Québec fait partie souvent de ces provinces qui bloquent les conventions internationales pour des raisons que je ne discute pas ici, qu'elles soient valables ou pas, ce n'est pas mon rôle. Mais on enlève des outils d'intervention.

L'autre difficulté, c'est que, lorsque nous adoptons les conventions internationales, et ça, c'est un problème de registre, nous avons le souci de les maquiller, de les intégrer dans notre législation, soit le Code civil, soit le Code de procédure civile. En faisant ça, les gens qui les ont négociées, de l'international, pendant 10 ou 15 ou 20 ans ne les reconnaissent plus. Au lieu de prendre la convention puis de dire aux gens: Écoutez, ça, c'est une loi internationale, nous la rentrons une partie dans le Code de procédure, une partie dans le Code civil et nous demandons aux gens d'aller chercher. Ça fait un très beau texte conforme à nos traditions de rédaction, mais ça ne facilite pas les affaires pour les gens et les consultants de l'extérieur.

Nous avons aussi deux problèmes de freinage. Le premier, c'est les lois professionnelles du Québec qui, malheureusement, sont encore trop dirigées vers la protection des intérêts professionnels de certaines corporations et qui, de ce fait, limitent l'accès des arbitres, des médiateurs et des conseillers juridiques extérieurs. On fait partie des minorités dans ce monde qui n'acceptent pas qu'un conseiller, qu'un professeur de droit ou un juriste étranger vienne présider un arbitrage ou accompagner son client au Québec. Il y a une latitude, on permet, on tolère. Mais, légalement, ce n'est pas très clair, et j'ai annexé ici un élément. Le deuxième, il ne relève pas du Québec, à mon avis, mais du fédéral. Mais j'aimerais attirer votre attention là-dessus. C'est qu'on est un des rares pays où ? et je vais être corrigé et complété par Me Létourneau ? actuellement, lorsqu'un avocat veut aller aux États-Unis, il doit avoir un permis particulier, un visa particulier pour être arbitre ou faire de l'arbitrage. Sinon, on nous suggère fortement de ne pas dire que nous allons faire des affaires aux États-Unis, que nous allons aux États-Unis... Alors, vous avez vos bagages, vous avez votre ordinateur et vous prétendez que vous allez là-bas pour faire du tourisme, ce qui évidemment nous met dans une situation un peu délicate. Tout le monde ne le fait pas. Sinon, il faut demander un visa particulier, et un visa n'est pas valable pour une période...

Alors, ça, c'est le genre de difficultés qui, à mon avis... Si on veut introduire le commerce, on ne peut pas reculer. Nous allons faire partie du monde, nous devons faire partie du monde dans l'intérêt de tout le monde, y compris du Québec, et je crois qu'il faudrait absolument, à ce niveau-là, trouver les moyens de le faire. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Antaki, il vous restait cinq minutes. Je vous ai fait signe, mais il vous reste quand même un peu de temps, si quelqu'un d'autre voulait intervenir.

M. Antaki (Nabil N.): Je pense que Me Létourneau pourrait compléter, si vous permettez.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Me Létourneau. Ce signe, ce n'était pas pour arrêter. Ha, ha, ha!

M. Antaki (Nabil N.): Non, non, j'ai compris. Non, non, absolument. Mais je vous remercie, j'ai ma montre devant moi.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien.

M. Létourneau (Alain): Je me présente devant vous aujourd'hui pas comme avocat, mais plutôt comme...

Une voix: Allié.

Mme Létourneau (Alain): ...allié du Centre depuis toujours et aussi parce que j'ai été membre du comité nord-américain qui s'occupait de négocier la libre circulation des services juridiques entre les États-Unis, le Canada et Mexico, un comité qui a, je dirais, lamentablement achoppé, malheureusement.

Si on regarde le côté du droit, je vous dirais: Le droit, ça ne sera jamais une fin, ça n'est qu'un moyen. Il faut donner au commerce les bons moyens, il faut donner des moyens qui vont les suivre. Le commerce s'en va à l'international. Je crois que le commerce qui n'ira pas à l'international se cloisonne. Donc, il faut qu'il y ait une globalisation aussi au niveau juridique, et le problème est évident. Je vous dirai: En tant que membre de ce comité sur l'ALENA et la libre circulation des services juridiques, j'ai vu durant les négociations les Mexicains paniquer à la pensée que les Américains pourraient rentrer à Mexico City. Tout a bloqué. Et il faut les comprendre. Je vous dirais: Si je regarde mon expérience ici ? j'ai été pendant des années et des années un avocat de compagnie d'assurances ? les compagnies d'assurances n'étaient pas intéressées et ne sont toujours pas intéressées à assurer les compagnies qui font affaire aux États-Unis parce qu'elles ont peur de la justice américaine, parce que, pour elles, les coûts sont aberrants et les verdicts disproportionnés. Il est évident que, si on n'a pas les moyens d'avoir un arbitrage chez nous, on est face à ce système qui coûte très cher et qui en plus amène toutes sortes de jugements avec, comme vous le savez, les dommages punitifs et des verdicts qui sont devant jury ou autre. Il faut pouvoir venir chez nous pour se protéger.

Actuellement, lorsqu'on veut faire une entente avec les Américains, à cause des obstacles à un arbitrage facile ici, il devient naturel pour un compétiteur ou la contrepartie étrangère de nous dire: Bon, bien, alors ça va se faire chez nous, parce que chez nous, l'arbitrage, c'est facile. Il faut donc qu'on facilite l'arbitrage chez nous pour que cet obstacle-là disparaisse et qu'on puisse dire: Ça va se faire chez nous, ça va se faire selon notre système à nous, selon notre philosophie. On a une superbe philosophie. Je vous dirais: Lorsque curieusement le comité de l'ALENA a négocié, il y avait un endroit où personne n'avait d'objection à la libre circulation, c'était l'arbitrage. Que ce soit le Bar Mexicana, que ce soit l'American Bar Association ou la Fédération des professions juridiques qui regroupe tous les barreaux canadiens, tous ces gens-là étaient d'accord pour que, en matière d'arbitrage, il y ait une libre circulation.

Il existe actuellement un protocole d'entente entre tous les territoires et provinces canadiennes pour la libre circulation des avocats. Ce protocole est signé par toutes les sociétés juridiques, par tous les barreaux, mais il n'est pas en vigueur. Il n'est pas en vigueur parce que les lois des différentes provinces et des différents territoires n'ont pas été modifiées pour permettre que ce protocole, qui est accepté, entre en vigueur. Les amendements présentés par le Barreau du Québec, à ma connaissance, sont actuellement et depuis quelques années, devant l'Office des professions et ils sont bloqués là. Si on avait ces modifications-là qui permettraient la libre circulation canadienne... ce qu'on va permettre là va permettre la libre circulation internationale. Ces sont les mêmes règles finalement. Je vous dirais: Il serait important, comme le dit M. Antaki, qu'on ouvre les portes pour que nos commerçants, pour que les gens qui produisent notre produit national brut puissent, quand ils le veulent, avoir accès à une justice qui répond à leur philosophie et non pas de se retrouver dans un pays étranger. Je ne suis pas contre l'étranger, loin de là.

Je vous dirais d'ailleurs que, quand on a négocié l'ALENA, alors, par exemple, l'État de New York nous disait: Arrêtez de faire des chichis, arrêtez de vouloir avoir des protocoles, venez chez nous, vous n'avez pas besoin de permis. Quand vous venez chez nous, vous apportez des affaires; quand vous apportez des affaires, tout le monde s'enrichit. Vous ne nous enlevez pas du travail, vous en apportez. Ça, c'était l'attitude de New York. Inutile de vous dire que les Américains, avec cette attitude-là, veulent tout. Eux, quand on parle de libre circulation des services, ils veulent avoir le droit de s'associer, ils veulent avoir le droit d'acheter les cabinets, ils veulent avoir le... Les Mexicains ne veulent rien savoir de tout ça. Mais, quand on va au fond des choses et qu'on dit aux Américains: Parfait, si on joue le jeu, vous nous apportez 52 signatures des 52 États, la réponse, c'est non. Non, il y a une trentaine d'États qui vont signer; les petits États ne signeront pas. Alors, la crainte des Mexicains, on la retrouve dans les petits États américains, on la retrouve dans les petites provinces et les territoires canadiens. Je ne sais pas si c'est vrai ou si c'est juste de la paranoïa, mais il y a quand même cette crainte de la justice étrangère. Il y a cette crainte de savoir comment opère commercialement un autre, la philosophie.

n(10 h 50)n

Et je vous dirais que je pense qu'il est important que nos gens se sentent à l'aise, se sentent libres d'aller de l'avant et qu'ils soient capables de mettre une clause d'arbitrage puis qu'ils sachent que l'arbitrage peut se faire ici et qu'on ne leur dira pas: Ça ne donne rien, il n'y a pas moyen d'aller chez vous, on ne peut pas amener nos avocats, on ne peut pas amener nos arbitres, on ne peut pas rien faire. Je vous dirais: Ouvrons les portes. Quand ces gens-là viennent ici, ils ne nous enlèvent pas des affaires, ils en apportent.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci pour votre présentation. Avant de passer la parole à notre collègue le député de Drummond, quand vous nous parlez d'un protocole ou d'une entente qui...

M. Létourneau (Alain): Protocole interjuridictionnel.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Oui, c'est ça. Est-ce qu'il serait possible d'en avoir copie ou d'avoir une référence précise?

M. Létourneau (Alain): Oui, vous avez simplement à communiquer... Bien, enfin, je pourrais le faire pour vous si vous voulez, si vous me donnez à qui je dois l'envoyer. Mais il suffit de communiquer avec la Fédération des professions juridiques du Canada, dont le bureau d'affaires est d'ailleurs au Québec. C'est à la Maison du Barreau sur la rue Saint-Laurent à Montréal. Ils sont au quatrième étage et la personne en charge est Diane Bourque. Vous pouvez communiquer avec elle par courriel, elle va vous le faire parvenir.

Une voix: On s'en occupera.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): J'apprécie. M. le député de Drummond, vous avez la parole.

M. Jutras: Alors, bonjour, madame, bonjour, messieurs. Bienvenue à cette commission. Je dois vous dire que j'ai trouvé votre mémoire bien intéressant parce que vous soulevez là une possibilité qui est bien intéressante pour le Québec. Je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous dites qu'on a un des meilleurs systèmes législatifs et un des meilleurs systèmes judiciaires au monde. On a une magistrature qui est indépendante. Et aussi, un autre avantage qu'on a, c'est que le fait de retrouver une tradition de droit civil ici et une tradition de droit britannique, c'est considéré, par bien des juridictions, comme étant un avantage.

Alors, ce que vous soulevez, c'est intéressant parce que vous dites: Bien, dans notre système de droit, on pourrait en tirer avantage et faire en sorte que, somme toute, le Québec prenne la pole au niveau de la formation et même au niveau de l'arbitrage. Moi, je suis de ceux qui pensent que, effectivement, au même titre qu'au cours des dernières décennies on a exporté le génie québécois, bon, on pourrait faire la même chose avec notre système de droit et il y a des avenues très intéressantes qui se présentent à nous à cet égard-là. Et là-dessus, je trouve votre mémoire des plus intéressants. Cependant, parce que, ce que vous nous dites: On pourrait exporter de la formation, on pourrait même donner de la formation ici puis créer une chaire dans une université quelconque puis on formera des juristes à l'égard de ce qui se passe dans un Accord de libre-échange. Ça, c'est très intéressant.

Par ailleurs, aussi, dans votre même mémoire, vous soulevez la difficulté, quand vous dites: Bon, bien, les PME du Québec ? et je réfère à la page 11 de votre mémoire ? soit qu'elles font affaire avec des entreprises américaines puis là il y a de fortes chances que la partie américaine tente d'imposer un arbitrage aux États-Unis. Par ailleurs aussi, vous nous parlez des PME du Québec qui, elles, font affaire avec des entreprises de la ZLEA puis encore là vous dites: Encore là peut-être qu'on va plus penser à localiser des arbitrages au Mexique ou éventuellement aux États-Unis, à la frontière mexicaine, de sorte que vous soulevez aussi tout de suite la difficulté, dire: Bien, les Américains qui sont puissants, qui sont forts, qui sont omniprésents... Alors, on sent qu'eux autres aussi vont voir l'intérêt qu'il y a. Ce que vous soulevez, dans votre mémoire: On n'est pas les seuls à le voir comme intérêt, les Américains le voient aussi et même d'autres pays le voient.

Alors, ma question, c'est la suivante: Cette avenue-là que vous soulevez, qui est tout à fait pertinente, qui est tout à fait intéressante, comment peut-on tirer le mieux notre épingle du jeu dans ce sens-là et effectivement amener ça ici? On a certains avantages, mais, moi, je voudrais vous entendre davantage là sur les moyens. Est-ce que c'est réaliste et quels sont les moyens pour qu'effectivement ça, ça se fasse chez nous?

M. Antaki (Nabil N.): Vous avez entièrement raison: on a un problème majeur, c'est-à-dire que, entre nous et l'Amérique latine ou l'autre Amérique, il y a les États-Unis. Et les États-Unis, c'est un gros morceau au niveau financier et à tous les niveaux.

Il y a un autre élément que nous ne soulevons pas. Nous, on aime bien notre neige. On est bien content de la voir après quatre ou cinq mois d'été, mais nous avons, au niveau professionnel, une situation qui est tout à fait... Enfin, géographiquement, nous sommes loin et, sur le plan physique, l'activité est saisonnière à ce niveau-là. On a eu beaucoup de difficultés. Par exemple, à un moment donné, on avait beaucoup d'appui de certains pays arabes. De la minute où on leur disait de venir ici, ils voulaient venir ici en juillet, août, point. Ils ne veulent pas voir de la neige, ça ne les intéresse pas du tout, du tout, du tout, ils préfèrent Monaco. On a ce problème-là.

La réponse, à mon avis, c'est qu'on a aussi énormément d'atouts. Il va de soi qu'une affaire qui est entre le Nouveau-Mexique et le Mexique ne viendra pas ici, elle va rester au Sud. Les activités d'abord américaines-canadiennes, américaines-Québec, Me Létourneau me disait que 90 % étaient entre la Nouvelle-Angleterre et nous, beaucoup plus qu'ailleurs, je pense. Ça, c'est très facile, simplement en leur disant qu'avec la différence du dollar et la rapidité ils vont réussir. Les Américains vont insister pour que ce soit chez eux dans la mesure où ils ont le bon côté du bateau. Dans la mesure où c'est des entreprises canadiennes qui peuvent dicter la loi quand c'est possible, on est capable de les amener ici.

Lorsque notre transaction est avec le Mexique ou avec les autres, l'arbitrage peut se faire à Montréal et peut se faire là-bas à mon avis, mais ce qui est essentiel, c'est que les professionnels du Québec soient impliqués et que le droit du Québec ou que le droit de proximité de nos entreprises, que ces entreprises puissent être, même si elles vont au Mexique ou en Argentine, qu'elles puissent être accompagnées par leurs conseillers, et ça, ça se prépare. Ce n'est pas difficile, ce n'est pas impossible. C'est compliqué et je vous dis: Où est l'exemple? Lorsque nous allons pour des réunions de l'ALENA, ici, nous payons nos propres frais, c'est le gouvernement canadien, ce n'est même pas le Québec, donc je suis... Chaque participant au comité, sauf les officiels, paie sa participation personnelle et prépare son travail personnel. On arrive là-bas, on n'a pas de... La délégation a une personne qui nous assiste. Les Américains arrivent avec six ou sept secrétaires, 10 ou 12 dactylos, 15 ou 20... en fait, l'équipe complète. Veux veux pas, nous comptons sur les études qu'ils nous préparent, veux veux pas, nous comptons sur ce qu'ils nous donnent. Ce n'est pas facile. Mais ça indispose et les Québécois et les Mexicains de se sentir dans cette situation-là, et je crois qu'il y a une alliance naturelle qui est très facile à organiser, mais qui est longue.

M. Jutras: Je me suis informé durant la présentation de votre mémoire... le Barreau n'a pas déposé de mémoire et ne se fera pas entendre, je pense. Il ne sera pas entendu? Non? Qu'est-ce qu'il en est au niveau de la position du Barreau? Savez-vous où il loge?

M. Létourneau (Alain): Sur l'arbitrage?

M. Jutras: Sur l'arbitrage et sur la question de la modification des lois professionnelles, là, parce que, là, présentement... Vous en parlez vous autres mêmes dans votre mémoire, dire qu'il faut être membre du Barreau pour agir ici.

M. Létourneau (Alain): Écoutez, ça fait une couple d'années que je ne suis plus directement très actif au niveau du Barreau, mais jusqu'à il y a à peu près un an ou deux, j'y étais. À ce moment-là, le Barreau était totalement en faveur de ce protocole dont je vous ai parlé, il en était même signataire et faisait des pieds et des mains pour que les lois soient modifiées en ce sens. Définitivement, à ma connaissance, le Barreau est un supporteur de l'arbitrage, parce que les membres du Barreau ne sont pas sans reconnaître que ce système juridique que nous avons est, comme on l'a dit, un des meilleurs au monde et qu'il l'est... reste passablement embouteillé. Donc, si on peut avoir une justice, comme on dit, plus rapide en parallèle pour des clients commerçants qui parfois ne veulent pas gâter leurs relations d'affaires, bien souvent, l'arbitrage c'est surtout ça.

n(11 heures)n

Donc, je dirais, à ma connaissance, que le Barreau est totalement en faveur. Je ne peux pas parler pour le Barreau, je ne suis pas leur représentant. Je suis membre, mais je ne suis pas un représentant du Barreau aujourd'hui, mais je vous dirais, ce que j'en ai connu, le Barreau était 100 % en faveur de l'arbitrage, et je ne pense pas que nos gens s'objectent. Je connais de mes confrères qui sont arbitres ailleurs. Entre autres, j'en connais un, actuellement, justement, il fait de l'arbitrage aux États-Unis. On dit que ce n'est pas facile d'entrer, mais je sais qu'il est là, lui. J'aurais pu lui demander, mais je n'ai pas eu le temps.

Et vous parliez tout à l'heure: Comment faire? Quels sont les moyens? Je vous dirais: Pensez au cinéma. Regardez l'industrie du cinéma au Québec actuellement, on a quoi? On a rien, c'est les Américains qui viennent ici. Mais on leur a fourni les moyens, à des taux bas, parce que, ici, ça coûte moins cher, dans des villes non violentes, avec une table... Autrement dit, ils viennent ici parce que ça les intéresse de venir ici. On ne coûte pas cher et on donne des services de première classe. Ma réponse, c'est: On n'a qu'à donner un service extraordinaire. Londres avait développé et, pendant des années, a été le centre de l'arbitrage international parce que c'est là que ça se faisait et que ça se donnait, qui était la qualité du service.

On a un système unique. On est le seul système juridique au monde bilingue. Ça n'existe pas ailleurs. Ça existe en théorie, mais il n'y a qu'au Québec où vous pouvez rentrer devant un tribunal où vous pourriez être et où on peut s'adresser à la cour dans une des deux langues officielles, et c'est les langues, pour l'instant, du commerce. On peut s'adresser en français ou en anglais, le juge le comprend. Le témoin a le droit de témoigner dans sa langue, l'avocat doit le contre-interroger dans sa langue. C'est évident que si vous voulez aller en italien, là, j'ai besoin d'un interprète qui pourra être italien-anglais ou italien-français, selon que l'avocat ou que la partie le choisira. On a cette qualité extraordinaire d'être bilingues et pourquoi pas, tant qu'à y être, polyglottes? Je vous dirais, si je regarde ma famille, je suis le seul dans ma famille qui ne parle pas l'espagnol. Tous mes enfants parlent couramment l'espagnol à différents niveaux. Pourquoi pas? On a juste à offrir le service et on va tout rafler.

M. Jutras: Peut-être une dernière question, parce que j'ai peut-être d'autres collègues... Quand vous proposez votre mode d'arbitrage ? et je sais que, à date, au Québec, il y a plusieurs expériences dans ce domaine-là ? est-ce que la décision, à ce moment-là, qui est rendue par le conseil d'arbitrage, elle est finale et sans appel? Est-ce que c'est ce que vous recommandez?

M. Létourneau (Alain): En principe, oui.

M. Jutras: Oui. Parce que, sans ça, ça veut dire que, bon, on fait l'arbitrage puis, après ça, on se retrouve devant les tribunaux et on suit tout le processus. Donc, on vient juste de rajouter... de sorte que, dans la rédaction des clauses, ce que vous dites, les parties peuvent recourir à l'arbitrage, mais la décision qui sera rendue, elles sont liées par cette partie-là sans autre recours.

M. Létourneau (Alain): C'est exact, et c'est ce qui fait que, quand on va en arbitrage ? et j'y vais encore et j'y vais souvent ? une grande partie du temps est consacrée à choisir un arbitre parce qu'on veut avoir un arbitre qui a soit les connaissances ou dont on veut un peu connaître la philosophie. Si on tombe dans un domaine particulier, on va aller lire les écrits qu'il a pu faire pour savoir si sa philosophie n'est pas trop à l'extrême droite, ou à l'extrême gauche, ou bleue, ou verte. Ça se fait.

C'est évident que quand on va devant un juge, j'ai un excellent juriste. Mais je peux avoir un ou une juge qui fut un avocat ou une avocate de droit familial puis je suis dans un problème de droit intellectuel. Il a tout ce qu'il faut comme support et connaissances puis il a l'habitude, mais il est évident que, si je pouvais choisir un juge qui a fait une carrière en droit intellectuel, je serais mieux. Inversement, si je m'en vais en droit familial, j'aimerais mieux quelqu'un qui a fait du droit familial toute sa vie.

Il y a donc un avantage à l'arbitrage, c'est que vous choisissez, les parties choisissent quelqu'un qui a la connaissance du milieu. Si je m'en vais arbitrer le prix d'un copeau de bois, ça serait peut-être important que j'aie un peu une connaissance de l'industrie du bois, pas juste superficielle. Alors, c'est une grande qualité, l'arbitrage, et, si on fournit tout le milieu pour que ces gens-là viennent, il n'y a pas de limite.

M. Antaki (Nabil N.): Si vous permettez?

Une voix: Allez-y.

M. Antaki (Nabil N.): Il y a une question de confiance dans le système. Ce qui a fait la crédibilité du Centre, et on est connus... Vous savez, nul n'est prophète dans son pays, c'est ce qu'on dit, mais on est connus dans le monde entier. Le Centre est dans tous les traités internationaux, maintenant, sur l'arbitrage international. Il est installé au niveau international. Pourquoi? C'est probablement au niveau de la confiance. Lorsqu'on a eu notre premier arbitrage, c'était le pont de Québec. Le gouvernement, tout à fait à raison d'ailleurs, a dit: Bien, écoutez, je ne vous connais pas, je ne vous fais pas confiance, je ne veux pas que l'arbitrage soit définitif et je ne veux pas qu'il soit exécutoire. Si ce n'est pas raisonnable... C'est quoi, raisonnable? Quand quelqu'un demande un million puis l'autre offre 100 000 $, qu'est-ce qui est une décision raisonnable? Bon. Alors, finalement, on a eu d'excellents experts, ils ont choisi les parties, deux ingénieurs et un juriste, ils ont été sur les lieux, la décision, peu importe le coût ou le résultat, était suffisamment raisonnable, bien construite pour qu'on n'aille pas en appel, et elle a été exécutée.

Alors, si on regarde la structure, ce qui caractérise le Centre par rapport à d'autres institutions, y compris au Canada, on a, au départ, une secrétaire juridique qui reçoit le texte, qui est bilingue ? tous les services sont trilingues ? on a un greffier de 15 ans d'expérience. La difficulté qui se pose, elle va au comité des litiges où il y a sept personnes qui sont des spécialistes de l'arbitrage. Lorsqu'on a une difficulté supplémentaire, on va au niveau suprême qui est le Conseil des experts où Me Létourneau siège. Avec tout ça, c'est très rare qu'on puisse faire beaucoup d'erreurs à ce niveau-là, et ça construit la crédibilité.

Le juge Malouf nous a dit ? et je pense que c'est intéressant: Écoutez, quand vous avez une affaire, on vous dit que c'est final... Parce qu'une des objections, c'est de dire: Écoutez, c'est final et sans appel, pour certains. Il dit: C'est très rare d'aller en appel, mais, lorsque vous avez une affaire, vous pouvez choisir trois juges de la Cour suprême qui sont à la retraite, ou deux juges et un ingénieur, ou un ingénieur, un comptable et un avocat. Il n'y a plus beaucoup d'erreurs, et vous avez la décision de la Cour d'appel en première instance et une seule fois. Donc, tous les cas qui ont été devant les tribunaux, on a maintenu la sentence. Il y a eu six ou sept cas sur les 200, et on a maintenu la sentence et on a des fleurs qui sont rentrées des tribunaux en disant: Écoutez, vous avez une bonne procédure. Ça, ça va faciliter la réponse à ce genre de question. C'est-à-dire il y a une crédibilité qui est montée au niveau des années, et les gens ne sentent pas le besoin d'aller devant des...

Mme Létourneau (Danielle): Est-ce que je peux me permettre juste un commentaire, M. le Président? C'est que quand on rencontre également les entreprises québécoises comme Bombardier ou Hydro-Québec, ce n'est même plus la question: Est-ce qu'on utilise ou pas l'arbitrage? Ça fait déjà partie, pour certaines grandes entreprises au moins, de leur politique de règlement des litiges, alors, pour des raisons différentes d'une entreprise à l'autre. Alors, même si l'arbitrage, dans certains cas, pour certaines entreprises, ne devrait pas être le moyen le mieux utilisé, mais plutôt la médiation, il y a des raisons particulières qui s'appliquent à ça, et, dans un cas comme Bombardier, elle, elle va utiliser l'arbitrage justement parce qu'il y a une épée de Damoclès. Et c'est surtout avec leurs fournisseurs, moins avec leurs clients parce qu'ils ont moins le pouvoir de négociation pour inscrire la clause d'arbitrage, en tout cas pour le Centre d'arbitrage du Québec, mais ce qui va venir avec le temps, d'ici les trois ou quatre prochaines années, on l'espère. Alors, c'est déjà intégré dans la... En tout cas, ça commence à l'être de façon... oui.

M. Jutras: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Frontenac, on aurait le temps pour une brève question ou une brève réponse.

n(11 h 10)n

M. Boulianne: Merci, M. le Président. Juste pour bien comprendre, quand vous parlez du freinage exercé par les lois professionnelles du Québec, bon, puis que vous voulez faire modifier... Vous dites que, bon, c'est un freinage, mais, par contre, un peu plus loin dans votre mémoire, vous dites que ça peut avoir des résultats positifs étant donné que ça peut empêcher les arbitres internationaux de venir cueillir la manne au Québec et au Canada. Est-ce qu'il n'y a pas une contradiction, là?

M. Antaki (Nabil N.): Je me suis mal exprimé... j'ai dû mal m'exprimer. La minute où, nous, on restreint l'accès de ces personnes-là pour venir faire des arbitrages ici... Vous savez, en commerce international, dans toutes les professions, je présume, il y a de la réciprocité d'une certaine façon. Alors, lorsque nous avons des conseillers juridiques qui ont à choisir un endroit pour faire de l'arbitrage et qu'on leur dit: Écoutez, pour aller au Canada, vous ne pouvez pas y aller, c'est compliqué, ils vont aller ailleurs et ils vont éviter d'inviter des Canadiens ou des Québécois pour aller dans leurs arbitrages. Autrement dit, la réciprocité ne joue pas, et ce que nous prétendons, c'est que... Recevons ces gens-là ici puis donnons-leur leurs services, donnons-leur un tapis rouge puis qu'ils nous invitent avec le tapis rouge chez eux. C'est ça, le commerce de demain.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Chapleau.

M. Boulianne: ...merci.

M. Pelletier (Chapleau): Merci, M. le Président. Madame, messieurs, merci de votre présence ici aujourd'hui. Merci aussi de votre mémoire. Le Centre d'arbitrage commercial a une très bonne réputation, vous l'avez mentionné, à travers le monde. Vous avez dit: Nul n'est prophète en son pays, mais je suis tout à fait conscient que ce Centre-là a aussi une excellente réputation au Canada et au Québec depuis sa création en 1986, et je dois vous en féliciter, vous tous et toutes, pour avoir, comme cela, mis sur pied un organisme dont, aujourd'hui, je pense que l'ensemble de la population du Québec peut être vraiment fière.

Je suis par ailleurs tout à fait convaincu des bienfaits de l'arbitrage des différends commerciaux, notamment en ce qui concerne les différends commerciaux d'ordre privé, et j'ai compris que, dans votre mémoire, vous lanciez un appel au gouvernement du Québec. Ce que j'ai compris ? et, en fin de compte, j'essaie ici de dégager un peu l'esprit de certaines de vos revendications, de vos demandes, de vos recommandations, sur lesquelles je reviendrai d'ailleurs un peu plus en détail dans un instant ? c'est que vous demandiez au gouvernement du Québec de l'encouragement dans un premier temps, y compris, mais non pas exclusivement un encouragement de type financier, et que vous demandiez également du gouvernement du Québec que le Centre bénéficie d'une certaine reconnaissance officielle sinon d'une reconnaissance officielle certaine. Alors, je dois vous dire que, par rapport à ces demandes-là, je ne peux que vous appuyer. Et je peux vous dire par ailleurs que j'espère que votre message sera compris par le gouvernement du Québec et par les gens qui forment actuellement le parti ministériel.

J'ai par ailleurs compris dans votre mémoire que vous vouliez accentuer vos activités de formation des juges et des professionnels en matière d'arbitrage. Alors, la première question que je vais vous poser, c'est de savoir: Est-ce que vous avez de telles activités de formation actuellement? Quelle en est l'ampleur? Et qu'est-ce que vous attendez du gouvernement du Québec, plus particulièrement en ce qui concerne justement la formation des juges et des professionnels?

M. Antaki (Nabil N.): Merci. Ça fait toujours plaisir de voir que le travail est vu. Il n'y a pas une semaine où nous n'avons pas des demandes d'un pays africain, ou d'un pays de l'Amérique latine, ou d'un pays de l'Europe de l'Est pour des gens qui veulent venir ici suivre des cours de formation et savoir comment on gère des dossiers d'arbitrage. Il n'y a pas une semaine où nous n'avons pas des demandes de professeurs d'université qui veulent venir ici passer des stages et rester... Évidemment, on est une très petite équipe puis on ne peut pas offrir tout ça à tout le monde, mais la demande est là.

Il y a deux façons d'aborder la question. Nous avons été dans des colloques, mais je ne parle pas de colloques et de conférences. Il y a deux façons d'aborder la question, ou bien nous envoyons une équipe, genre ? je l'ai proposé et je vais vous dire que, au niveau de la francophonie, l'idée a plu beaucoup ? arbitres du monde, un peu comme les Médecins sans frontières, francophonie, pour aller là où il y a une difficulté. Ces gens-là, parfois, ne savent pas négocier ensemble, ne savent pas parler ensemble. Comme il y a des médecins sans frontières, on peut envoyer une équipe de professionnels et une équipe de spécialistes québécois qui vont sur place et qui aident. Alors, on peut aller sur place en Amérique latine et on peut recevoir ici des 30 ou 40 personnes. Je sais que, en Colombie, je sais qu'au Mexique c'est la Banque mondiale, avec notre argent à nous et à d'autres, qui offre de l'argent pour qu'on forme ces gens-là sur place. Alors, soit vous allez sur place et vous atteignez un grand nombre de personnes ? et on a la capacité de faire des missions sur place ? soit vous les amenez ici et vous accentuez la fidélisation de ces gens-là lorsqu'ils viennent ici. Dans les deux cas, nous avons au-delà de 200 ou 300 arbitres disponibles. Nous avons des professeurs d'universités, nous avons un appui tout à fait possible. Le côté humain, le côté sérieux existe au Québec, et nous avons un catalyseur qui est le Centre.

Il reste évidemment que, avec nos moyens... On a un bureau à Québec, un bureau à Montréal, on donne l'impression d'être grands, mais, en fait, on est très petits, avec un budget qui, à peine, nous permet... Nous n'avons pas de cash flow, on fonctionne de jour en jour. Donc, oui, nous attendons de l'aide parce que nous savons que nous sommes capables de rendre... L'aide, maintenant, Me Létourneau est en train de travailler là-dessus, puis on aura l'occasion éventuellement de faire des demandes au niveau gouvernemental.

M. Pelletier (Chapleau): De l'aide pour la formation justement des juges et des professionnels.

M. Antaki (Nabil N.): Pour la formation des juges. Il y a un énorme potentiel en Amérique latine pour de la formation des juges. Et, quand on rentre dans le droit, vous rentrez dans l'économie, et c'est ce qu'on essaie de faire. Écoutez, donnez-nous les moyens d'aller sur place, là-bas. On a des ententes avec des universités qui ne veulent que le faire, ils nous demandent la permission de mettre notre nom sur les colloques parce que le nom a une valeur actuellement. Je pense qu'il y a de la clientèle.

M. Pelletier (Chapleau): J'ai noté...

Une voix: ...

M. Pelletier (Chapleau): Oui, pardon, madame? Ça va?

Une voix: Ça va.

M. Pelletier (Chapleau): J'ai noté que l'une de vos recommandations porte sur le point suivant. Vous demandez que le Québec incite les entreprises du Québec et, quand ceci est possible, exige d'elles de prévoir des clauses de médiation et d'arbitrage sous la responsabilité du Centre et leur assure une aide financière à titre incitatif.

M. Antaki (Nabil N.): Oui évidemment, ça mérite une explication. En Colombie-Britannique... Moi, je suis pour la liberté absolue, sinon je ne serais pas ici. Je suis pour la liberté des entreprises, de choix. Surtout quand on a un bon système juridique, il n'y a pas de raison de sortir du système juridique. Ce n'est pas la même situation lorsqu'on va à l'étranger, et il y a beaucoup de pays qui considèrent... Lorsqu'on voit une entreprise actuellement avec une clause d'arbitrage, elle a une valeur économique. Alors, si cette clause d'arbitrage a une valeur économique, si nous savons que notre marge de bénéfices dans un contrat d'exportation est petite, que la concurrence est énorme, une des conditions qu'on peut demander aux entreprises, c'est d'être efficaces, et une des efficacités, c'est de mettre une clause d'arbitrage et de la reconnaître. Maintenant, évidemment, nous prêchons pour la paroisse du CACNIQ qui, à notre avis, est la seule capable d'offrir le service.

M. Pelletier (Chapleau): Parce que vous comprenez comme moi que ce n'est pas facile d'exiger des entreprises...

M. Antaki (Nabil N.): Je vais vous donner un exemple qui m'avait choqué dans le temps et avait choqué et le gouvernement du Québec et une entreprise du Québec. Je ne l'ai pas mise ici par pudeur dans le mémoire, c'est une entreprise du Québec qui avait un logiciel, qui a vendu le logiciel aux États-Unis, et il y avait une aide gouvernementale du Québec. L'entreprise de Santa Barbara avait exigé que toute difficulté soit réglée en Californie, selon le droit de la Californie. Le résultat a été qu'il y a eu un différend entre le gouvernement du Québec, financier, et l'entreprise de Sainte-Foy, et l'arbitrage devait se faire entre le gouvernement du Québec et l'entreprise de Sainte-Foy à Santa Barbara, en droit américain, et ça, je trouve que c'est inadmissible pour un pays qui veut être un pays.

M. Pelletier (Chapleau): Oui, bien là je pense que vous venez de toucher à un très gros point qui va effectivement amener les membres de cette commission à réfléchir parce que, sur votre proposition... enfin, la faisabilité de votre proposition parce que c'est vrai que ce que vous venez de mentionner est tout à fait inouï, qu'un litige, donc, entre le gouvernement du Québec et une entreprise du Québec soit réglé aux États-Unis.

M. Antaki (Nabil N.): Parce qu'il y a eu une cascade contrats qui, finalement, a fait que la clause applicable était le droit américain en Californie.

M. Pelletier (Chapleau): Je pense qu'il va falloir, en tout cas, qu'on se penche là-dessus.

La dernière question que je voulais vous poser en ce qui me concerne, c'est la suivante. Vous vous voulez être reconnus comme le seul centre d'arbitrage par rapport aux entreprises du Québec. Alors, évidemment ça peut poser un problème pour le gouvernement du Québec, j'en suis conscient, de reconnaître l'existence d'un seul centre, alors que, éventuellement, d'autres centres pourraient aussi vouloir se former, être créés. Et, d'autre part, ça m'amène à une sous-question: Entreprises du Québec, est-ce que ça inclut, à votre avis, les entreprises à charte fédérale?

n(11 h 20)n

M. Antaki (Nabil N.): À mon avis, les deux réponses, pour moi, sont évidentes et simples, mais je comprends très bien qu'elles ne le soient pas. Je ne distingue pas du tout, du tout. Une entreprise qui fait affaire au Québec, à mon avis, a droit aux services juridiques du Québec. Maintenant, je n'entre pas dans la distinction: Est-ce que ces entreprises fédérales ont droit à des subventions ou pas? Ce que j'essaie de dire ici, c'est que lorsqu'il y a une subvention du Québec, essayons de leur fournir le meilleur service, à ces entreprises-là, pour qu'elles puissent vivre. Alors, la technicité, est-ce que c'est une charte fédérale ou pas, je préfère ne pas l'aborder même si j'ai une réponse personnelle.

Par contre, la première question était au niveau d'être le seul centre.

M. Pelletier (Chapleau): ...centre.

M. Antaki (Nabil N.): Nous sommes le seul centre, de fait.

M. Pelletier (Chapleau): Actuellement, oui.

M. Antaki (Nabil N.): De fait, nous sommes le seul centre. De droit, par contre, on a parfois des difficultés. Une soumission de la Société de l'assurance automobile demandait de la médiation. Nous sommes subventionnés par le gouvernement du Québec, nous sommes un centre connu, avec un siège social qui se maintient difficilement à Québec, mais on est à Québec comme siège social. Dans la soumission, il était dit que tout le monde pouvait soumissionner, sauf une corporation sans but lucratif. Nous étions les seuls exclus. Il est inadmissible qu'on exclue une corporation sans but lucratif qui est un vrai tribunal et qu'on privatise le droit en l'envoyant à tort et à travers dans l'entreprise privée. Entre la privatisation entière et le monopole sur le droit, sur les juges et sur la cour, il y a une limite qui est une institution qui est indépendante et reconnue. Et, dans ce sens-là, à mon avis, on ne peut pas, d'une part, subventionner et, d'autre part, retirer le travail en disant: Vous êtes les seuls à ne pas être... Ce n'est pas voulu, ce n'est pas conscient, le Centre n'est pas visé, sauf que les dédales de l'administration font qu'on fait une soumission, puis on ne réalise pas les conséquences à un moment donné. Alors, c'est dans ce sens-là que je me demande s'il n'y a pas quelque chose à faire.

M. Pelletier (Chapleau): O.K. Alors, bravo encore pour votre intervention. J'ai bien saisi votre message et j'espère que le gouvernement du Québec, lui aussi, le saisira et saura réagir, disons, à un certain nombre de vos recommandations sinon à toutes celles-ci. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Ça me fait plaisir de vous accueillir et de... Je vous connais bien, mon défunt père ayant été membre de votre Centre. J'aurai une question extrêmement brève.

M. Antaki (Nabil N.): Il m'a appris beaucoup, votre père, monsieur.

M. Gautrin: Merci. Parmi les groupes de travail actuellement dans la ZLEA, il y a un groupe de travail qui porte sur le règlement des différends. Le mandat du groupe de travail sur le règlement des différends, et je vais vous le donner... Il y en a plusieurs, mais il y en a un qui dit: Concevoir les moyens de faciliter et de promouvoir l'utilisation de l'arbitrage et des autres moyens de règlement pour résoudre les différends d'ordre privé dans le cadre de la ZLEA.

Alors, ma question, c'est: Est-ce que vous êtes associés d'une manière ou d'une autre dans ce groupe qui est présidé par le Costa Rica et dont la vice-présidence est au Pérou? Est-ce que votre Centre d'arbitrage, qui est le seul centre canadien, si je ne m'abuse, actuellement est associé par le négociateur canadien qui nous représente?

M. Antaki (Nabil N.): Pas du tout.

M. Gautrin: Aucunement?

M. Antaki (Nabil N.): Pas du tout. Ce qui nous a amenés à venir ici... D'ailleurs, je dois le mentionner, nous avons avec nous Me Nathalie Gagnon qui nous a aidés à ce niveau-là, au niveau de repérer des informations. Ce qu'on a vu, c'est précisément cette référence-là et c'est ce qui nous a amenés à venir ici. Nous ne sommes aucunement impliqués, nous n'avons pas été invités.

M. Gautrin: Mais j'en prends note. Je trouve que vous devriez être impliqués au minimum par nos porte-parole au sein de ces négociations, et sachez que la commission, ici, va probablement en prendre note.

M. Antaki (Nabil N.): C'est un peu ce service-là qu'on demandait. C'est ça, ce qu'on demandait, la reconnaissance ou l'implication dans les activités.

M. Gautrin: Je vous remercie. Je pense que ma collègue de La Pinière a une question.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président. Alors, à mon tour, je vous souhaite la bienvenue. On a très peu de temps. L'une de vos recommandations dans votre mémoire vise à inciter les ministères, les autorités fédérales à négocier l'assouplissement des règles de déplacement des professionnels étrangers et canadiens de l'arbitrage aux frontières avec les États-Unis.

Nous avons eu en commission parlementaire la Chambre des notaires qui, comme vous, est impliquée un peu dans ce domaine extraterritorial. Ils sont préoccupés par l'exercice de la profession juridique, surtout le conseiller juridique étranger, et je ne pense pas que vous soyez sur la même longueur d'onde avec la Chambre des notaires concernant cette recommandation-là. Et, comme on n'a pas entendu le Barreau du Québec, je ne sais pas ce que le Barreau du Québec pense de cette recommandation-là. Ça aurait été utile d'avoir leur opinion. Mais la Chambre des notaires, elle, a été assez explicite, que, en fait, le fameux permis auquel vous avez fait allusion tantôt... Ils disent: «Il est utile de rappeler qu'un permis de conseiller juridique étranger permet uniquement à son détenteur de conseiller ses clients sur le droit international ou le droit d'un pays où il est admis à exercer.» Et la Chambre des notaires, en fait, entend établir un profil minimal de connaissances juridiques pour les conseillers étrangers qui veulent oeuvrer dans ce domaine. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Létourneau (Alain): Je peux vous répondre, si vous voulez, un peu parce que ça rejoint ce que nous avons négocié. Lorsque les professions du monde, si on peut dire, d'Amérique se sont réunies tantôt à Chicago, tantôt à Mexico, occasionnellement à Vancouver, pour ce comité sur l'ALENA, on avait défini comme avocat un notaire parce que, effectivement, il n'y a pas de notaires aux États-Unis. Donc, ce que fait un notaire au Canada, c'est un avocat qui le fait aux États-Unis. Au Mexique, c'est légèrement différent, il y a l'Association des notaires mexicains, et ça a créé à ce moment-là un certain nombre de problèmes parce que les notaires mexicains n'avaient pas été invités. Il a donc fallu que la Chambre des notaires nous passe le message et que nous demandions au Bar Mexicana de bien vouloir s'assurer que la Chambre des notaires y serait.

Et toute cette négociation visait à permettre la libre circulation, mais on n'en était qu'au premier échelon, c'est-à-dire ce qu'on appelait ? parce qu'on était évidemment tout en anglais, puisqu'il fallait avoir une langue commune ? les «foreign legal consultants» ou, si vous voulez, les consultants en droit étranger. Donc, votre humble serviteur vivant au Mexique et étant conseiller en droit québécois, Code civil, au Mexique, il n'y a pas de quoi vivre gras.

Une voix: Sauf en hiver.

M. Létourneau (Alain): Sauf en hiver, oui.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Létourneau (Alain): Alors, c'était évident que quand on parlait de libre circulation, il y avait un problème, parce que, pour avoir un permis de libre circulation, il fallait quand même s'assurer que les gens qui viendraient ici, par exemple, soient contrôlés au point de vue éthique professionnelle pour ne pas que les citoyens du Québec ou du Canada en subissent les conséquences. Il fallait créer un fonds d'indemnisation, il fallait s'assurer que ces gens-là étaient assurés. L'assurance n'existe pas au Mexique. Aux États-Unis, elle existe, elle n'est pas obligatoire. Au Canada, elle est obligatoire. Et, évidemment, à ce moment-là, justement, la Chambre des notaires a dit: Oui, mais ce qui relève chez nous de notre droit exclusif, distinct du droit du Barreau, doit être contrôlé par nous. Donc, on avait au Québec effectivement deux organismes de contrôle, ça devenait compliqué. Effectivement, c'était particulier parce que l'avocat américain, selon qu'il voulait venir ici faire du droit immobilier, qui relevait de ce segment notarial, devait faire application à la Chambre des notaires, alors que, s'il venait dans un autre secteur, il faisait application au Barreau.

Je vous dirais: Je ne sais pas quelle est la position du Barreau là-dedans, mais, sachant que le Barreau et la Chambre sont un peu ce que j'appellerais les frères ennemis depuis bien des années, vous allez probablement avoir un peu de tiraillement, ça, j'en suis convaincu.

M. Antaki (Nabil N.): Si vous permettez, une seconde.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Oui, en terminant.

n(11 h 30)n

M. Antaki (Nabil N.): Si vous permettez. Les chambres professionnelles ont le devoir de protéger les intérêts qu'on doit protéger. Malheureusement ? mon opinion personnelle, ce n'est ni la Chambre ni le Barreau ? elles vont au-delà et de loin au-delà en fermant les portes radicalement devant les personnes qui sont venues et qui sont qualifiées pour travailler dans ce pays. Et ça, je pense qu'on a un problème au niveau d'un excès de monopole, puis je parle en mon nom personnel.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il me reste, au nom des membres de la commission, à remercier les représentants du Centre d'arbitrage commercial, national et international du Québec: M. Antaki, Mme Létourneau et...

M. Létourneau (Alain): Létourneau.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): ...M. Létourneau.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Antaki (Nabil N.): Merci, M. le Président.

Des voix: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): La commission des institutions va poursuivre ses travaux avec...

Je vais suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 11 h 31)

 

(Reprise à 11 h 32)

Le Président (M. Gautrin): On pourrait recommencer nos travaux. On a changé de présidence mais ça fait partie des travaux parlementaires.

Alors, je demanderais maintenant à l'Institut économique de Montréal de bien vouloir se présenter. Je comprends que vous êtes représentés par M. Kelly-Gagnon, c'est bien cela, M. Patrick Lachance et M. Boucher? M. Boucher vient-il? Ah! vous êtes là? Excusez-moi.

Alors, je vais vous donner la parole. Vous êtes M. Kelly-Gagnon, si je comprends bien?

Institut économique de Montréal (IEDM)

M. Kelly-Gagnon (Michel): Oui.

Le Président (M. Gautrin): J'imagine que M. Lachance n'a pas pu se présenter?

M. Kelly-Gagnon (Michel): Exact. Eh bien, en fait, c'était une question d'allocation des ressources.

Le Président (M. Gautrin): Je comprends bien.

M. Kelly-Gagnon (Michel): L'Institut économique de Montréal est une gigantesque organisation qui compte trois employés, et donc, nous avons voulu éviter de déplacer les deux tiers de l'organisation.

Le Président (M. Gautrin): Je comprends facilement. Alors, vous connaissez un peu nos règles: vous avez 20 minutes, en principe, pour présenter votre mémoire, et le temps après sera partagé équitablement entre chacune des formations politiques pour vous poser des questions sur votre mémoire.

Je vous donne la parole, monsieur.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Donc, je me nomme Michel Kelly-Gagnon; je suis le directeur exécutif de l'Institut économique de Montréal. Je suis accompagné par le professeur Michel Boucher qui est professeur à l'École nationale d'administration publique et également membre du Conseil scientifique de l'Institut économique de Montréal. Essentiellement, le Conseil scientifique a pour fonction de réviser les études de l'Institut pour s'assurer qu'elles rencontrent les plus hauts standards scientifiques et pour nous servir à titre de conseil.

Je porte à votre attention que l'auteure du rapport, Mme Norma Kozhaya, économiste, a accouché de façon prématurée, hier: le bébé se porte bien, et nous tenterons de faire honneur à son rapport, mais donc, je n'en suis pas l'auteur.

Le Président (M. Gautrin): Permettez à la commission de transmettre tous nos voeux pour cette nouvelle naissance.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Voilà! Merci. Donc, l'Institut économique de Montréal est un institut de recherche et d'éducation indépendant, non partisan et sans but lucratif qui oeuvre à la promotion de l'approche économique dans l'étude des politiques publiques. L'Institut économique de Montréal a débuté ses opérations au 1er juin 1999. L'année dernière, il a opéré sur la base d'un budget annuel de 220 000 $; il compte trois employés à temps plein. Il ne reçoit pas de subvention gouvernementale, n'en demande pas et n'en veut pas.

Avant d'entrer dans le contenu même du rapport dans son contexte, afin de s'assurer que nous ne manquions pas de temps, je vais me permettre de vous faire la lecture du résumé afin de s'assurer que le noyau dur soit bien transmis. Évidemment, dans le résumé, il n'y a pas de notes de bas de page mais tous les détails et les références voulues se retrouvent dans le corps du texte ainsi qu'en annexe.

Je me permets également de souligner à la commission qu'une partie importante de notre rapport est en fait inspirée d'un rapport produit par deux économistes de la Banque mondiale, soit M. David Dollar et Art Kraay donc de la Banque mondiale, qui ont produit un rapport, en mars 2000, dont le titre est assez explicite: Growth is good for the poor. Et nous avons été impressionnés par ce papier qui, même si les auteurs l'ont modestement désigné comme étant un papier préliminaire, nous avons cherché, et depuis mars 2000, nous n'avons pas identifié quelque donnée ou quelque contre-argumentation qui viendrait détruire l'argumentation développée par Dollar & Kraay.

Autrement dit, ce que j'essaie de vous dire, en tout cas, c'est que, pour moi, à l'heure actuelle, c'est un rapport dont la commission devrait s'inspirer pour aller chercher des données objectives et si jamais vous avez connaissance d'autres données qui viendraient les contredire, nous sommes tout à fait ouverts à les connaître, mais nous les avons cherchées et nous ne les avons pas trouvées, à ce jour.

Donc, le résumé. Un argument central contre la mondialisation veut qu'elle menace les emplois et les salaires des ouvriers des pays industrialisés, tout en détériorant la situation des plus pauvres de notre planète. Mais il se trouve que cet argument n'est généralement pas corroboré par les données empiriques et par la théorie économique. Parce que, ça, c'est des choses, moi, je vous dirais, qu'on entend ad nauseam et je vous dirais peut-être même ad vomitam, et à un certain point, on les entend tellement souvent, entre autres parfois dans certains médias, que ça finit par être pris pour des réalités, et l'évidence empirique, qu'on va regarder tout à l'heure, semble ne pas corroborer cela et il me semble que, si on veut avoir une discussion honnête et rationnelle sur tout ce débat-là, il faut essayer, le plus possible, de se baser sur des faits.

D'abord, l'expérience de l'ALENA montre que la libéralisation des échanges n'a pas entraîné une baisse de l'emploi. Au contraire, l'emploi, au Canada, a augmenté de 10 % depuis sa mise en oeuvre. Il a augmenté de 22 %, au Mexique, et de 7 %, aux États-Unis, pour la même période.

Ici, un commentaire qui se retrouve dans le corps de l'étude mais que je vais faire tout de suite par lien logique: nous admettons que, identifier un lien de cause à effet entre la croissance de l'emploi... autrement dit, je cite ces faits-là, mais je ne prétends pas que la totalité de la création d'emplois est due au traité de libre-échange. C'est toujours difficile d'identifier qu'est-ce qui cause quoi, mais je fais quand même mettre en lumière ce fait-là pour dire que, quand même, dans la globalité, l'emploi n'a pas diminué depuis la mise en oeuvre de ce traité, il a augmenté. C'est le point qu'on essaie de faire ici.

De plus, les données montrent qu'en général les pays qui sont les plus ouverts au commerce ont connu des taux de croissance annuelle allant jusqu'au double de ceux qui étaient restés fermés au cours de la dernière décennie. Donc, l'ouverture au commerce extérieur, en général, favorise la croissance. Et je fais le lien, parce que donc, une fois qu'on dit: L'ouverture favorise la croissance, ce qu'il faut c'est se demander, c'est: Qu'est-ce que favorise la croissance? C'est la suite logique. Et là j'en arrive à l'étude de la Banque mondiale.

Elle a examiné, de façon empirique et rigoureuse, le lien entre le revenu des pauvres ? et les pauvres étant définis dans cette étude-là comme étant le dernier rang «quintile», c'est-à-dire les 20 % les plus pauvres des pays étudiés versus le revenu global ? et on s'est demandé: Qui bénéficie de la croissance? Et la réponse, c'est: les pauvres autant que les riches. En effet, il y a une relation de un pour un, une relation proportionnelle. Autrement dit, l'affirmation selon laquelle les pauvres s'appauvrissent et les riches s'enrichissent, en raison du libre-échange, ne semble pas corroborée par la réalité.

n(11 h 40)n

Par ailleurs, le rapport sur le développement humain des Nations unies montre que la part des gens avec le développement humain moyen a augmenté de 55 %, en 1975, à 66 %, en 1997, et que la part de ceux avec un développement humain faible est tombée de 20 % à 10 %, rapport des Nations unies qui est cité en annexe. Et ça aussi, je veux vous mettre en... parce qu'il y a toute sorte de groupes des fois qui citent des chiffres en nombre absolu. Et là ils disent, exemple: Il y avait 60 millions de personnes qui vivent dans une extrême pauvreté. Et ensuite, ils disent: Il y a 80 millions maintenant qui vivent dans une extrême pauvreté. Ils utilisent ça pour dire que la situation se dégrade. Mais, ce qu'il faut voir, c'est l'augmentation de la population. Pour avoir un regard honnête sur l'évolution de la situation, il faut le faire en termes relatifs en fonction de l'évolution du nombre d'habitants qui peuplent la planète et non pas en chiffres absolus parce que, avec des chiffres absolus, on peut arriver à toutes sortes d'autres conclusions qui, à mon avis, sont moins honnêtes.

Ensuite, maintenant, j'en arrive au coeur même du mémoire. Il y a, en introduction, toute une série qu'on a volontairement mise au niveau des concepts et des principes généraux du libre-échange. On n'aura pas le temps de les regarder, en commission ici, mais je pense que c'est toujours bon de revenir à la base. Il y a, dans les cinq ou six premières pages, un exposé des principes de base sur le libre-échange, c'est-à-dire essentiellement l'avantage absolu et l'avantage comparatif, parce que les gens ont de la facilité à comprendre que, si un pays produit mieux qu'un autre dans un domaine x, il va pouvoir se spécialiser et gagner ? bon, la notion d'avantages absolus. Mais, des fois, c'est intéressant de voir que même, un pays qui serait désavantagé dans tous les domaines par rapport à un autre pays ? ce qui est plutôt hypothétique mais même si ça devait arriver ? a quand même un intérêt à faire l'échange, parce que celui qui est le plus performant devrait quand même se concentrer dans les domaines où il est relativement plus performant. Et ça, c'est un élément parfois qu'on oublie dans les discussions sur le libre-échange.

Maintenant, je voudrais en arriver à la page 6, in fine, où on note que plusieurs études démontrent que les firmes et les secteurs avec un niveau élevé d'investissements directs étrangers, eh bien, la productivité et les salaires payés sont plus élevés. Et ceci est vrai, autant dans les pays développés que dans les pays en voie de développement, parce qu'il y a toujours cette idée de dire entre autres: Ah! les méchants Américains... J'entendais des gens tout à l'heure, en commission, qui arrivent, puis que c'est terrible. Quand on veut être rigoureux et qu'on regarde les données, là où il y a des investissements qui viennent de l'étranger, les salaires, en général, sont plus élevés que ce qu'offrent les salaires dans les industries semblables, les industrie locales. Donc, avant de penser que l'investissement étranger est une mauvaise chose, il faudrait peut-être bien regarder la situation.

Ensuite de ça, je voudrais passer à d'autres arguments qui sont utilisés contre le libre-échange. Le double argument concerne le fait que les salaires sont plus faibles dans les pays en voie de développement, ce qu'on appelle le «cheap labor». D'un côté, la question est de savoir si les salaires plus faibles dans les pays en voie de développement ne vont pas détruire et causer une pression à la baisse des salaires dans les pays les plus industrialisés, et de l'autre, on se demande si le commerce international ne conduit pas une exploitation des pays pauvres et de leur main-d'oeuvre, ce qui serait immoral.

Eh bien, la première réponse est non, parce que les salaires plus faibles dans les pays en voie de développement sont, en général, accompagnés d'une productivité du travail plus faible, entre autres, parce que ces travailleurs, dans ces pays, sont moins dotés de capital et sont moins bien formés que dans les pays industrialisés. Vu cette différence de productivité dans les emplois perdus dans un pays riche, il y a plus d'emplois créés dans un pays pauvre.

Les défenseurs des pays pauvres devraient se réjouir du libre-échange plutôt que de les combattre. Et, ici, je vais me permettre de citer in texto, à la page 31 du rapport de Dollar & Kraay, si je peux trouver, ou peut-être que c'est 27... À tout événement, je le déposerai en annexe. Et pour ceux qui voudraient consulter le rapport de Dollar & Kraay dans son intégral, il se trouve sur notre site Internet qui est le www.iedm ? pour Institut économique de Montréal ? point org.

Le Président (M. Gautrin): Est-ce que vous auriez l'amabilité de le répéter parce qu'on notait ça?

M. Kelly-Gagnon (Michel): Oui: iedm.org. Mais, si vous voulez avoir accès au texte rapidement, il est sur le site.

Le Président (M. Gautrin): Parfait.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Je vais passer rapidement parce que «time flies». Je voudrais en arriver à la page 10 du rapport où on note que, parmi les études qui ont été réalisées à date sur l'ALENA, même celles opposées au libre-échange reconnaissent que les conditions de travail et les salaires dans les «maquiladoras» ? qui sont les usines d'assemblage possédées par les Américains au Mexique ? sont, en général, mieux que ceux des industries locales mexicaines.

Il est également intéressant de noter que l'apport des petites et moyennes entreprises dans le commerce international est quand même important, et selon les pays, quand on regarde les tableaux qui sont en annexe, on voit que les PME réussissent à intervenir quand même de façon intéressante au niveau des PME.

Maintenant, je voudrais revenir à cette étude de la Banque mondiale. Elle est basée sur 370 observations en provenance de 125 pays, et les données ont été recueillies sur quatre décennies. Donc, on a quand même des échantillonnages qui sont intéressants, et les méthodes reconnues de régression et de calcul ont été respectées. Les graphiques les plus pertinents sont cités en annexe du mémoire. Ce sont les graphiques 3.1 et 3.2.

Maintenant, ce qu'il faut admettre, c'est que, si on a une croissance du revenu proportionnelle, dans les pays où il y a et où il existe un grand écart entre les riches et les pauvres, la croissance ne vient pas régler ce problème-là. Donc, Dollar & Kraay ne prétend pas nécessairement que la libéralisation vient réduire l'écart mais il vient, à tout le moins, démontrer que l'écart n'augmente pas. Évidemment, aussi, ce que démontre l'étude, c'est que, en période de crise, quand on regarde l'évolution du revenu, l'impact d'une crise économique sur l'évolution du revenu est le même dans l'ensemble des strates de la population.

Évidemment, encore là, en termes absolus, si vous êtes pauvre, vous pouvez vous retrouver dans une situation où la perte relative que vous allez subir, vous allez en souffrir plus grandement, d'où l'importance d'avoir un filet social qui peut être adapté à ce niveau-là.

Par contre, il reste qu'il y a un lien direct ? encore une fois, c'est cité en annexe ? entre la libéralisation et la croissance, et on démontre que la croissance favorise l'augmentation des revenus et l'indice de qualité de vie au niveau des pauvres.

Maintenant, je voudrais traiter d'une question aussi qui suscite généralement beaucoup d'intérêt. C'est la question de l'environnement. J'en arrive à la page 14 du mémoire.

Les économistes Grossman et Krueger, de l'Université Princeton, ont montré que la croissance économique ne nuit pas nécessairement à l'environnement. La croissance du PIB s'accompagne d'une diminution des différents indices de qualité environnementale jusqu'à un certain point. Mais, au-delà de ce point, la plupart des indices s'améliorent, d'où un effet positif de la croissance sur l'environnement. C'est ce que la directrice de Reason Foundation résumait en une phrase, en disant: Richer means cleaner.

Évidemment, ici, je vais déborder, je vais donner ma propre explication de ces données-là. Je ne dis pas que ça se retrouve dedans, mais j'essaie de faire un raisonnement logique ici.

Si vous êtes un riche Américain du sud de la Californie, vos préoccupations pour essayer de regarder la qualité de l'air, pour essayer d'aller sauver les bélugas ou les phoques ou quelque chose du genre, est d'un autre ordre que si vous êtes dans un contexte où vous avez de la difficulté à nourrir vos enfants et que vos enfants sont susceptibles de mourir de malnutrition.

Donc, quand on arrive à un niveau de revenu élevé ? là, ça, c'est mon explication, peut-être qu'elle est bonne, peut-être qu'elle n'est pas bonne ? mais, ce qu'on sait statistiquement, c'est que, quand le revenu, en dollars de 1985, dépasse 8 000 $US, ensuite, la courbe des indicateurs économiques s'améliore.

Alors, nous, on dit: Si vous êtes préoccupé de l'environnement...

Le Président (M. Gautrin): Non, des indicateurs environnementaux.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Environnementaux, pardon. Donc, de ce qui précède, on peut dire que les bénéfices du libre-échange semblent importants, autant pour les pays riches que pour les pays pauvres et autant pour les pauvres que pour les riches de ces pays.

n(11 h 50)n

Une plus grande prospérité peut être atteinte en permettant à chacun d'exploiter ses capacités et ses avantages relatifs, qu'ils soient en termes de ressources naturelles, de main-d'oeuvre, de capital physique ou de capital financier, et ce, sans considération aux limites géographiques, plutôt que d'isoler les pays pauvres. Car, parfois, certains s'entourent d'une rhétorique pour prétendre qu'ils sont des défenseurs des pays pauvres alors qu'ils sont, d'abord et avant tout, des défenseurs d'intérêts corporatistes, et il faut faire attention à cette rhétorique qui est souvent enrobée de bons sentiments mais qui ne représente pas nécessairement la réalité.

Il faut reconnaître les coûts transitionnels potentiellement générés par la mondialisation et la question de la distribution des bénéfices. Cependant, ces problèmes peuvent vraisemblablement être traités par des moyens plus efficaces que par des approches protectionnistes. C'est là un défi qu'il nous faudra relever.

Et enfin, je me permets de noter, pour le Québec et pour le Canada, que nous devrions, même si ce n'est pas directement dans l'objet de la commission, aussi nous préoccuper du libre-échange à l'intérieur même du Canada, car il existe encore beaucoup de barrières interprovinciales au commerce, et négocier des accords de libre-échange avec le Chili, c'est peut-être plus «fashion», c'est peut-être plus prestigieux, mais, en termes de création d'emplois et de prospérité, on devrait aussi penser à négocier de vrais accords de libre-échange avec l'Ontario, car, en 1997, les échanges commerciaux interprovinciaux représentaient presque la totalité de tous... étaient presque égaux que la totalité des échanges commerciaux effectués entre le Canada et l'extérieur du monde, et donc, il ne faut pas, dans un contexte de Zone de libre-échange des Amériques, oublier l'importance d'un libre-échange canadien. Merci.

Le Président (M. Gautrin): Merci, M. Kelly-Gagnon. On va commencer la période des échanges, et je passerai la parole à M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Merci. En lisant votre rapport et en écoutant votre présentation, je me suis senti revenir à mes cours d'économie 101 et puis de sciences politiques élémentaires, surtout lorsque vous invoquez les noms d'Adam Smith et puis de Ricardo. J'ai de la difficulté à vous suivre. Je dois avouer que des présentations ou des réflexions théoriques sont très intéressantes. Mais, lorsqu'on cherche à les appliquer à la réalité, il faut quand même constater qu'il y a des embûches et qu'il existe des contraintes.

Lorsque vous prétendez que la libéralisation des échanges ? en invoquant Adam Smith, entre autres ? se traduit automatiquement par l'augmentation de la richesse et que vous semblez en déduire que cette création de richesse est automatiquement également distribuée, j'ai de la difficulté à vous comprendre, et je m'explique.

En 1997, il y a presque 1 000 parlementaires de l'ensemble des Amériques qui se sont réunis à Québec, dans le contexte de la Conférence parlementaire des Amériques, pour manifester leur souhait et leur désir d'être impliqués dans le processus de l'intégration des Amériques, en particulier pour s'assurer que ce processus-là créerait des richesses ? bien sûr, nous en convenons ? mais pour s'assurer que cette création de richesses serait balisée, serait encadrée et serait assortie du respect des questions environnementales, des droits humains, de la répartition de la richesse, de la spécificité culturelle de chacune des composantes.

Parmi ces 1 000 députés, il y en avait qui étaient économistes, il y en avait qui étaient banquiers, il y en avait qui oeuvraient dans le secteur économique depuis longtemps. Moi-même, avant d'être ici, j'étais banquier. Vous ne me direz pas que 1 000 parlementaires se sont réunis ici, à Québec, parce que, dans les milieux d'où ils proviennent, ils constatent l'automatisme que vous défendez ici. S'ils se sont réunis et s'ils ont souhaité que l'expérience soit poursuivie, ce qui a effectivement été fait, c'est parce que, dans la réalité et dans la vraie vie de tous les jours, cette création de richesse ne se traduit pas par une distribution automatique de cette richesse. D'ailleurs, je pense que vous l'admettez, en quelque sorte, vous-même lorsque vous parlez de reconnaître les problèmes des coûts transitionnels, de transition.

J'aimerais que vous élaboreriez sur ces coûts transitionnels. Quels sont-ils, d'abord? Et, deuxièmement, s'il y a des coûts transitionnels, c'est parce que l'automatisme n'est pas là. Alors, je voudrais que vous nous expliquiez ça un peu plus, là.

Le Président (M. Gautrin): M. Kelly-Gagnon.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Oui. Alors, je vous remercie de votre question. D'abord, à la page 17 du mémoire, nous citons en bibliographie toute une série d'études empiriques récentes qui ne datent pas d'il y a 200 ans, mais qui sont des études qui ont été en général réalisées entre 1995 et l'année 2000 et qui comportent moult données. Donc, je soutiendrais avec respect que notre exposé n'est pas un exposé théorique mais, au contraire, un exposé profondément ancré dans les données les plus solides et les plus récentes disponibles, qui se trouvent à la page 17, et plusieurs autres études semblables se trouvent également en annexe du rapport Dollar & Kraay que nous avons cité.

Ceci étant dit, si vous avez connaissance d'autres références que nous aurions oubliées ou omises, je vous dis en toute cordialité: Nous serions extrêmement heureux d'en prendre connaissance, et, si elles nous apportent des faits nouveaux ou des éclairages nouveaux, nous ferons amende honorable. Donc, peut-être que, sûrement, les 1 000 prestigieux parlementaires dont vous parlez auraient des études à leur disposition que nous n'avons pas trouvées, et auquel cas ça me fera plaisir de les analyser. Il faut parfois distinguer entre ce qui est politiquement populaire, et peut-être, d'autres aspects.

Maintenant, sur la question des coûts transitionnels, je vais laisser le professeur Boucher répondre. Je vais simplement faire un commentaire, qui est que: si, à un certain moment, il y a une entreprise qui ferme ses portes, au Québec, pour aller s'établir aux États-Unis ou au Mexique, même si le niveau de l'emploi global augmente, pour le travailleur qui, lui, a perdu son emploi, le fait que, au global, il y ait 9 % plus d'emplois, lui, personnellement, il l'a perdu, son emploi, à 100 %, et, s'il est âgé ou s'il est dans une condition où c'est plus difficile pour lui de faire un recyclage, ça peut constituer un drame humain véritable. Pour moi, une de ces situations qui peut être déplorable, c'est celle-là, et elle arrive, et c'est un fait de la vie. Maintenant, il peut y avoir des mesures, à la fois privées et publiques, qui peuvent venir aider à faire face à ce genre de problèmes là.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Professeur Boucher.

M. Boucher (Michel): Ce que je voudrais, c'est, tout d'abord, rappeler certaines choses. Ce que la théorie économique dit lorsqu'il y a des échanges, c'est qu'elle dit que, au total, l'ensemble de la production réelle entre les deux pays va augmenter. Elle ne dit absolument pas qui va y gagner, et personne ne le sait. Vous n'avez qu'à prendre un cas extrême présentement: vous avez eu un accroissement du prix du pétrole. Et qui paie la note? C'est vous et moi. Vous et moi, ce qu'on aimerait, c'est qu'on ait un prix du pétrole le plus bas possible.

Donc, inférer que, lorsqu'il y a de l'ouverture d'une économie, ça peut modifier la redistribution des revenus, pour moi, c'est une évidence, parce que personne ne le sait. Et, entre guillemets, si j'étais capable de le savoir, ça ferait longtemps que je ne serais pas ici puis je serais milliardaire, un.

Maintenant, l'autre élément, sur les coûts de transition ? et ça a été brièvement mentionné par Kelly-Gagnon ? c'est que, dans une économie, vous avez des gens qui ont du capital humain ? donc une instruction, une habilité, des talents ? qui sont spécialisés à un secteur de l'industrie. Ensuite, vous avez du capital aussi qui est spécialisé. Si vous ouvrez les frontières et que, pour un ensemble de circonstances ? je vais mettre la chose au plus facile: ce secteur d'activité là, au Québec ou au Canada, était protégé ? c'est évident que, du jour au lendemain, vous ne pouvez pas faire une pirouette et dire que vous étiez un économiste et devenir un avocat du jour au lendemain, ce n'est pas possible. Donc, une partie de votre habilité que vous aviez développée va devenir caduque. Ça veut dire que la valeur de votre capital va tomber à nulle, il va falloir recapitaliser sous d'autres formes. Et il n'y a personne, il n'y a absolument personne dans ce bas monde qui va dire que ce que je viens de dire est faux.

n(12 heures)n

C'est pour ça que vous n'avez qu'à regarder comment s'est fait l'ALENA. L'ALENA, il y a eu un ensemble de procédures graduelles, et les réductions de tarifs ont été graduelles pour permettre aux gens de s'ajuster. Alors, c'est ça, et l'idée, c'est que, surtout pour une petite économie comme le Québec et le Canada ? vous savez que le Canada est peut-être le pays qui est le plus ouvert sur le commerce extérieur ? il nous faut des structures... au niveau du travail comme au niveau de la libéralisation du capital et le mouvement des personnes d'une province à une autre, il nous faut des structures extrêmement souples. Et, plus vous alourdissez vos structures ? et Kelly-Gagnon a fait mention des barrières interprovinciales ? plus le libre-échange, lorsqu'il va venir chez nous, va être pénible, et c'est ça qui est le point.

Regardez sur un cas qui vous touche directement parce que vous êtes des élus et vous êtes touchés... regardez le conflit qu'a le Canada avec l'Organisation mondiale du commerce et les barrières que l'on a créées sur les produits agricoles. Vous avez maintenant des entreprises québécoises, il y en a une qui... J'ai vu les journaux en fin de semaine, il y en a une qui a été obligée d'être vendue parce qu'elle ne peut plus exporter son fromage, parce que nous avons une double tarification du prix du lait. Alors, c'est ça qui est l'idée. Le but de la présentation aujourd'hui, c'est d'essayer de montrer que, oui, les petits pays sont les plus grands gagnants du commerce international.

Maintenant, l'envers du décor, ça implique des responsabilités. Pour être capable d'en profiter, il vous faut absolument avoir des ressources qui sont les plus mobiles et essayer d'avoir un environnement qui va permettre à tout le monde de réaliser son bonheur. Parce que, c'est ça, la raison d'être des institutions, c'est de permettre à des individus de gagner honorablement leur vie, d'avoir une famille et d'être capables de se réaliser.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, monsieur. M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Bon. Disons que ça ne me convainc pas tellement, mais il reste que, quand on regarde l'intégration la plus poussée au plan commercial, mobilité, tout ce que vous voulez, c'est la Communauté économique européenne. Or, malgré les théories de la main invisible d'Adam Smith, il demeure qu'une des conditions qui a fait que le Marché commun européen non seulement a pris de l'ampleur, mais est devenu l'unité la plus intégrée à ce niveau-là, c'est parce que, en particulier, il existait des mesures pas de péréquation, mais de rééquilibrage entre les différents partenaires advenant que l'un des partenaires se trouve désavantagé. Or, le Marché commun européen est celui qui est le plus ouvert en termes de mobilité des capitaux, de la main-d'oeuvre, complètement intégré. Plus intégré que ça, ça devient un pays unique quasiment. Malgré tout, les Européens se sont dotés de mécanismes de compensation et de rééquilibrage envers les différents membres.

Ne trouvez-vous pas que c'est là un aveu que la main invisible d'Adam Smith, en ces matières, n'est pas suffisante pour régler les problèmes?

M. Boucher (Michel): Regardez...

Le Président (M. Gautrin): Professeur Boucher.

M. Boucher (Michel): ...il y a une chose que vous allez devoir apprendre qui est la suivante. En physique, les étudiants en physique apprennent qu'il n'y a pas de friction. Ça veut dire que quelqu'un, en génie mécanique...

M. Beaulne: On parle d'êtres humains, pas de physique.

M. Boucher (Michel): Excusez, monsieur, laissez-moi parler, s'il vous plaît. Bien, à partir de ça, les gens apprennent en physique ou en mécanique que les moteurs ont une durée infinie. C'est faux, donc on est obligés d'y mettre de l'huile. Et, moi, je n'ai jamais... et jamais je n'aurai cette prétention de dire que tout est automatique. C'est faux. Vous qui êtes un banquier, vous le savez quels sont les coûts de transaction qu'il y a entre vous et vos clients. Alors, ce que je suis en train de vous dire, c'est que si comme banquier vous aviez à faire des prêts, vous étiez obligé de connaître votre clientèle, de savoir le niveau de risque, ainsi de suite. Dans la vie économique, c'est la même chose, la transition, ça existe. C'est tellement vrai que vous n'avez... Je répète ce que je viens de dire, l'ALENA. Or, la grande question aussi, l'autre élément, c'est qu'il y a du progrès lorsque l'ensemble des bénéfices est supérieur aux coûts. Ce que vous faites, vous mettez l'accent ? qui est de bon aloi parce que vous êtes un politicien, qui est de mettre sur les coûts ? mais vous ne mettez pas l'accent sur les bénéfices.

Puis, d'autre part, je clos sur ça, c'est évident que, si du jour au lendemain ? je vais vous donner un exemple ? on décidait de permettre à tous les économistes américains de venir enseigner au Québec, je perdrais ma job parce que, en général, l'ensemble du milieu concurrentiel américain a fait que je serais minoritaire. Or, c'est partout, c'est ça qui est le point.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Est-ce qu'il me reste du temps?

Le Président (M. Gautrin): Oui.

M. Beaulne: Avez-vous des questions...

M. Boulianne: J'en ai une, moi.

Le Président (M. Gautrin): Alors, M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci. Vous dites que ? bienvenue à la commission ? le libéralisme des échanges, évidemment, entraîne une augmentation, une croissance, une croissance de l'emploi, une croissance de la productivité. Selon les études du MIC ? puis je pense que vous le reconnaissez aussi ? ce n'est pas nécessairement une augmentation des salaires. La rémunération ne suit pas nécessairement l'augmentation. Puis vous dites un peu plus loin dans votre mémoire que, dans les pays pauvres, le fait, par exemple, d'avoir une main-d'oeuvre à bon marché, c'est un avantage pour eux autres. Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus?

M. Boucher (Michel): Regardez...

Le Président (M. Gautrin): Professeur Boucher.

M. Boucher (Michel): ...le tout est... Regardez bien, je vais vous donner un cas. Est-ce que vous pensez que Gretzky était bon parce qu'on lui avait donné un gros salaire ou c'est parce qu'il avait un gros salaire qu'il était bon? Alors, c'est ça qui est le point. Ça veut dire que ce que vous observez dans un milieu concurrentiel ? et c'est ce qu'on vit présentement au Québec, là, et au Canada ? c'est que petit à petit il y a des sources additionnelles de biens et services qui peuvent être produits à l'extérieur du Canada et qui viennent concurrencer les travailleurs québécois ou canadiens. Et, tant et aussi longtemps qu'il va y avoir quelqu'un qui va déterminer ce que vont être les prix sur le marché international ? donc, des gens qui vont être relativement plus productifs ? c'est évident que si vous avez des secteurs d'activité économique au Québec qui les concurrencent, il va falloir qu'ils aient une productivité. Si leur productivité n'est pas aussi bonne avec une dotation de capital, c'est évident que leur rémunération n'augmentera pas.

Par contre, si vous êtes capable de vous spécialiser, comme ça s'est produit... Regardez qu'est-ce qui s'est passé lors de l'Accord de libre-échange, on avait mis un X sur tout ce qui est meuble et on avait dit: C'est foutu, foutu. Qu'est-ce qui s'est passé? Les gens ont été extrêmement brillants ? à la grande surprise du monde, mais, pour ceux qui font de l'analyse économique, c'était comme une vérité de La Palice ? les gens se sont spécialisés, ce qui a fait que maintenant nos entreprises de meubles, sur lesquelles tout le monde avait mis un grand X, se sont spécialisées et font des choses extrêmement pointues et ont augmenté le niveau d'emploi.

C'est ça qui est le point, c'est que plus vous libéralisez, plus il y a de concurrents, plus il y a un fin finaud qui va trouver une technique de produire quelque chose à un prix plus faible. Et, si votre marché en général n'est pas fluide, ça va vous prendre du temps pour vous ajuster puis, quand vous allez le réaliser, il va peut-être être trop tard. Et c'est ça qui est le point. Moi, tout ce que j'essaie de faire, c'est de vous vendre l'idée que le libre-échange, c'est très bon pour les pays ou les provinces. D'autre part, l'odieux est sur nous, il faut continuellement s'ajuster pour être aussi efficace que les autres. C'est ça qu'il y a, c'est que plus vous êtes lent à vous ajuster, plus vous allez payer la note.

Le Président (M. Gautrin): Il reste trois minutes aux ministériels, mais la députée La Pinière doit nous quitter un peu plus tôt. Donc, peut-être qu'on pourrait lui passer la parole?

M. Boulianne: Allez-y, Mme la députée de La Pinière, on est généreux ce matin.

Mme Houda-Pepin: Oh! que c'est gentil. Merci beaucoup. Alors, M. Kelly-Gagnon et M. Boucher, bienvenue à la commission. Merci pour le mémoire. Ça nous a au moins fait réaliser que l'économie n'est pas une science exacte ? on peut s'entendre là-dessus? ? et que, par conséquent...

Le Président (M. Gautrin): Aucune science n'est une science exacte.

n(12 h 10)n

Mme Houda-Pepin: Oui, on peut aller jusque-là. Mais disons que dans cette commission nous avons entendu des mémoires où les gens nous disaient que le libre-échange, ça conduisait automatiquement à l'appauvrissement des pays libre-échangistes et davantage pour les pays du Sud. Vous, vous nous dites que le libre-échange est bénéfique et pour les pays du Nord, et pour les pays du Sud, et pour les riches, et pour les pauvres. Donc, j'imagine que la réalité, c'est quelque part entre les deux. À ce jour, on n'a pas d'étude sérieuse qui nous prouve effectivement, hors de tout doute, d'abord le lien de causalité, de cause à effet entre le libre-échange et tous les avantages que vous avez énumérés, d'une part, ou tous les désavantages qu'on nous a énumérés avant vous. Donc, en attendant d'avoir un bilan objectif du libre-échange, il est très difficile pour nous, comme parlementaires, d'adhérer à une ou l'autre des thèses, et on est autorisés aussi d'être sceptiques par rapport à ça.

Mais j'aimerais quand même vous entendre sur la question de l'impact sur l'environnement. Vous avez mentionné ça dans votre mémoire, mais vous n'avez pas nécessairement abouti à une conclusion. C'est quoi, l'impact du libre-échange sur l'environnement et sur le développement durable?

Le Président (M. Gautrin): Oui, M. Kelly... Gagnon-Kelly, excusez-moi.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Nous n'avons pas la prétention d'avoir une conclusion définitive à offrir là-dessus, c'était un commentaire qui a été ajouté en «footnote». Mais il restait quand même que cette étude de Princeton était intéressante dans la mesure où elle montrait un lien statistique fort entre la hausse des revenus et l'amélioration des indices économiques. C'est tout ce qu'on avait voulu citer. À savoir exactement quelles devraient être les politiques économiques ou quel est l'avenir de l'environnement de l'Amérique du Nord, ce n'est pas un aspect qui a été étudié en détail, alors je vais m'abstenir de faire des commentaires.

Je voudrais revenir sur la question des revenus, par contre. Il y a un autre document qui a été réalisé ? parce que, disons, peut-être l'Institut économique de Montréal, ce n'est pas suffisant ou pas respectable ? il y a une étude qui a été réalisée par 55 instituts à travers le monde. Eux travaillent à partir de données économiques depuis 1965, et le nom de l'ouvrage c'est The World Freedom Economic Index. Et, dans l'édition de l'année 2000, on regarde, à l'aide du coefficient de Gini, qui est un outil économique pour aider à étudier la distribution du revenu... D'abord, ce qu'on fait, c'est qu'on note les pays de un à 10 en fonction de leur niveau de liberté économique, et il y a 27 critères qui sont utilisés pour déterminer si un pays est plus ou moins libéral, comme les politiques monétaires, les tarifs, etc. Donc, on note les pays. Et, quand on distribue ces pays-là en fonction de rangs «quintiles», ce dont on se rend compte, c'est que les pays qui ont la distribution du revenu la plus égalitaire, c'est ceux qui se trouvent dans le deuxième rang «quintile» en termes de liberté économique.

Donc, on semble dire quand même... 55 instituts à travers le monde semblent dire qu'une liberté économique ? peut-être pas totale, mais, en tout cas, avec celle qui se trouve dans le deuxième rang «quintile» ? favorise une distribution du revenu qui est plus égalitaire, que, par contre, ceux qui ne sont pas du tout libres économiquement, qui sont, disons, dans le cinquième rang «quintile», ce n'est pas eux qui sont les plus égalitaires. Alors...

Mme Houda-Pepin: Oui. Alors, sur ce point-là, si je comprends ce que vous dites, le libéralisme non seulement amène la croissance et le développement, mais il amène aussi la répartition équitable de la richesse.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Absolument. Et, si vous ne voulez pas me croire, je vous invite à regarder l'étude, elle est là, c'est...

Mme Houda-Pepin: Non, non, c'est ça. Je m'excuse.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Les données sont là.

Mme Houda-Pepin: Oui, d'accord. Je ne veux pas... Je ne suis pas ici pour vous croire ou pas vous croire, on est en période de questions-réponses pour mieux comprendre et on est là parce qu'on veut être mieux éclairés sur les enjeux du libre-échange. Donc, si le libre-échange conduit à une croissance économique et à une meilleure répartition des richesses, comment expliquez-vous le niveau de pauvreté, quand même, qui est croissant? La semaine prochaine, là, le 9 mars va donner lieu à un mouvement, le mouvement des femmes, le mouvement qui est un mouvement mondial. La Marche des femmes contre la pauvreté, elle est menée ici, au Québec, elle est menée partout, dans différents pays du monde. Ce n'est quand même pas des gens qui se sont illusionnés, c'est une réalité, ça, la pauvreté. Qu'est-ce qu'il manque, selon vous, pour que la richesse soit équitablement répartie, puisque le libre-échange mène ? et vous l'avez bien démontré ? a la croissance économique?

M. Kelly-Gagnon (Michel): Attention...

Le Président (M. Gautrin): M. Gagnon-Kelly.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Oui, ce que j'ai cité, j'ai cité le World Freedom Economic Index qui, comme je vous ai dit, tient compte de 27 paramètres, dont les politiques de libéralisation des échanges sont un parmi 27. Et je vous dis que, dans les pays qui se situent dans le deuxième rang quintile en termes de liberté économique, c'est là où, en fonction de l'index de Gini, on retrouve une distribution qui est plus égalitaire. Alors, moi, c'est l'affirmation que je vous fais. Pour le reste, sur la Marche des femmes ou le reste, je voudrais m'abstenir de faire des commentaires sur des domaines qui seraient peut-être à l'extérieur de mes champs de compétence.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Est-ce que...

Mme Houda-Pepin: Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Gautrin): Merci. Est-ce que les ministériels vous voulez... Oui, M. le député de Dubuc. Et, moi, j'aurais après une question, mais la présidence passe toujours ses questions la dernière.

M. Côté (Dubuc): Oui, je vais être très court, M. le Président. Merci. Alors, messieurs, bienvenue à cette commission. Vous avez posé... Je pense que vous posez un acte de foi envers le libre-échange, est-ce que vous seriez pour l'inclusion dans cet accord de clauses sociales pour protéger certains droits des travailleurs?

M. Kelly-Gagnon (Michel): Comme Institut, nous avons comme politique de ne faire de commentaires que ce sur quoi nous avons effectué une recherche, donc je vais m'abstenir de commentaires au niveau de l'Institut. Je peux vous donner mon opinion personnelle. Donc, ça n'engage en rien l'Institut, c'est mon opinion personnelle. Il faut voir de quelles clauses sociales on parle et il faut voir si... Souvent, moi, ce que j'ai vu par le passé, c'est que certaines de ces clauses sociales là étaient, en fait, utilisées comme prétexte pour réduire le niveau de compétitivité des travailleurs dans les autres pays. Autrement dit, pour se parler très franchement, les syndiqués des pays riches faisaient pression pour qu'on instaure certaines normes susceptibles de faire que l'aspect concurrentiel qu'aurait eu un pays en voie de développement soit moins réel, et, moi, je serais contre toute mesure qui serait susceptible d'empêcher la possibilité aux pays du Tiers-Monde de faire croître leurs revenus. Ceci étant dit, si on peut trouver des clauses sociales bien libellées, bien travaillées, qui permettent à la fois de faire une protection légitime sans empêcher la compétitivité des pays en voie de développement, je ne vois pas pourquoi on s'y opposerait.

M. Côté (Dubuc): Merci.

Le Président (M. Gautrin): Moi, je voudrais aborder avec vous une question qui n'est pas dans votre document, mais je voudrais profiter aussi de l'expertise que vous avez pour l'aborder. Et je poursuivrai un peu les questions qui ont été soulevées par le député de Dubuc.

Il existe dans les pays dits riches des freins au libéralisme économique que nous nous sommes donnés: par exemple, une politique sociale; par exemple, aussi des questions sur l'environnement, c'est-à-dire des contraintes environnementales qui sont parfois beaucoup plus rigides que ce qu'on trouve dans d'autres pays qui sont en voie de développement. Dans le cadre d'un accord comme la ZLEA, certaines personnes qui sont venues témoigner devant nous viennent nous dire: Attention! dans un moment où on libéraliserait complètement les échanges, la tendance, ça serait peut-être d'abaisser ce que nous avons dans les pays dits riches, dont le Québec et le Canada, à savoir notre filet de protection sociale, nos réglementations environnementales, qui sont malgré tout des freins, en quelque sorte, au développement de l'économie.

Que je pense, par exemple, voyez-vous, monsieur, aux taxes sur la masse salariale, les taxes sur la masse salariale qui sont importantes au Québec mais nous permettent quand même d'avoir une politique sociale qui, jusqu'à maintenant, correspond à un consensus dans notre société. De la même manière, nous avons des normes, des règlements sur les questions environnementales relativement rigides qui correspondent aussi à un certain consensus dans notre société. Des gens qui sont venus témoigner devant nous disent: Oui, il y a des gains évidents sur le plan économique à avoir une libéralisation des échanges, mais est-ce qu'il n'y aurait pas un pendant, une tendance de nos entreprises à dire: Diminuez aussi vos normes, tant environnementales que sociales, de manière à ne pas injustement pénaliser nos entreprises? Donc, on a un peu, d'après les gens qu'on a eus devant nous, cette crainte, et je ne sais pas si vous avez réfléchi sur ces questions-là.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Alors, je vais faire un tout petit commentaire puis, ensuite, je vais céder la parole à mon collègue Michel Boucher. Lors du débat sur le traité de libre-échange ? je parle de celui entre le Canada et les États-Unis...

Le Président (M. Gautrin): ...

n(12 h 20)n

M. Kelly-Gagnon (Michel): ...voilà ? ces arguments avaient été invoqués. Et, sans faire de commentaires définitifs sur la valeur ou l'absence de valeur des arguments-là, ce que je constate, c'est que depuis 1988, alors qu'on avait mentionné qu'il y aurait ce nivellement-là avec les États-Unis, à ce jour, à ma connaissance, de façon substantielle, ça ne s'est pas produit. Est-ce que...

Le Président (M. Gautrin): Si vous me permettez une remarque ? les gens qui ont témoigné devant nous l'ont fait valoir, j'écouterai après ce que le professeur Boucher dira ? les États-Unis sont quand même un pays qui, par rapport au Canada, a un peu le même niveau de développement social. La situation se pose de manière différente lorsqu'on parle dans une zone de libre-échange américaine avec certains pays du Sud.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Non, mais je ne nie pas ça, mais je vous dis, quand on analyse le discours, si vous revenez aux coupures de presse de 1987...

M. Gautrin: Absolument. Je suis d'accord avec vous.

M. Kelly-Gagnon (Michel): ...les gens mentionnaient que le système de santé «as we know, made in Canada» allait disparaître, etc. C'est le seul parallèle que je vous ai fait.

Le Président (M. Gautrin): Oui, je comprends.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Il est peut-être boiteux, mais bon...

Le Président (M. Gautrin): Non, non, je comprends. Je ne veux pas vous... Professeur.

M. Boucher (Michel): Je voudrais répliquer de la manière suivante. Kelly-Gagnon en a fait mention, c'est que l'environnement, c'est un bien supérieur. Ça veut dire que c'est un bien que, vous et moi, nous revalorisons au fur et à mesure que nous sommes riches. Or, vous n'avez qu'à regarder, prenez ? parce que c'est une des matières que j'enseigne ? la comparaison entre les Canadiens puis les Américains. Pour les Américains, le Canada, c'est un dépotoir pour les États-Unis. Ça veut dire que les Américains, eux, étant donné qu'ils revalorisent beaucoup plus l'environnement que nous parce qu'ils sont plus riches... Ce n'est pas parce qu'ils sont plus intelligents que nous autres, c'est qu'ils sont plus riches. Ça veut dire qu'un bon matin ils se permettent des niveaux de dépollution et de la qualité de l'environnement que, nous, nous ne pouvons pas nous permettre parce que nous ne sommes pas riches. Donc, un économiste comme moi va vous dire ce qu'il faut: Si vous voulez revaloriser votre sécurité sociale, votre environnement, il faut devenir le plus riche possible. Et ça, c'est une vérité de La Palice.

Maintenant, il y a un point que vous avez raison de mentionner, c'est que, avec l'Accord de libre-échange que vous allez avoir graduellement, qui va se faire, il est évident que nos politiques sociales ? et je les mets en général parce que je ne veux pas entrer dans les détails ? vont révéler les prix ou les préférences que les Canadiens se donnent, donc d'avoir, par exemple, un filet social meilleur que les Américains. Donc, c'est le prix que nous sommes prêts à payer pour nous distinguer des Américains. Donc, il va falloir, si on veut garder une très bonne sécurité sociale, sacrifier quelque chose. Or, c'est ça qui est le point. Or, un économiste comme moi va vous dire ce qu'il vous faut si vous voulez ? et je vais le transposer comme ça parce que je le donne à mes étudiants ? favoriser la langue française, il faut être riche. Plus on va être riche, plus les gens vont revaloriser la langue française. Or, ce qu'il faut si vous voulez avoir le plus beau «safety net» de la terre, il vous faut être riche. Parce que ça va devenir des contraintes, et c'est ça qui est le point. Ça veut dire que, si un bon matin, nous avons une sécurité sociale québécoise ou canadienne extrêmement lourde, là, vous avez raison, ça va affecter le comportement de nos entreprises. Qu'est-ce que vous voulez, si on décide, étant donné que nous sommes des gens très charitables, de monter le salaire minimum à 20 $... Qu'est-ce que vous voulez...

Le Président (M. Gautrin): Ça aura quelques effets sur l'emploi.

M. Boucher (Michel): C'est ça qui est le point, mais la question est pertinente. Regardez, votre question est pertinente, et, jusqu'à présent, nous savons que le libre-échange va avoir un impact sur vos politiques sociales parce que vous allez avoir des coûts de production plus élevés. C'est pour ça que ce qu'ont essayé de faire les Européens, c'est de mettre une norme. Ça veut dire de mettre la norme non pas sur le plus petit commun dénominateur, mais sur le plus haut commun dénominateur ? entre guillemets, excusez l'expression ? et vous vous ramassez avec des taux de chômage en Allemagne à 9 %. C'est ça qui est le point.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Je vais reprendre mon chapeau de président et donner une dernière question au député de Frontenac.

M. Boulianne: Une question. Alors, je m'excuse de mon ignorance, j'aurais dû poser cette question-là au début: Est-ce que vous pouvez nous parler de l'Institut économique de Montréal, nous faire un historique? Est-ce que vous avez des membres, vous avez des institutions? Comment ça fonctionne?

Le Président (M. Gautrin): Alors, à la fin vous pouvez faire votre plaidoyer publicitaire.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Oui. Alors donc, comme je l'ai mentionné, il s'agit d'un organisme à but non lucratif financé à l'aide de donations par des individus, des fondations ? les fondations représentent plus que la majorité de nos revenus ? et par des entreprises. Et, donc, essentiellement, nous essayons d'avoir une approche des politiques publiques qui se veut peut-être différente de ce qui existe et, donc, non pas meilleure, mais différente parce qu'on voulait essayer de ne pas dupliquer, par exemple, ce qui existe déjà dans les facultés d'économie, on ne voulait pas non plus dupliquer ce qui existe déjà au niveau de l'IRPP, donc on essaie «a different beat».

M. Boulianne: Ce que je voulais savoir, c'est qui en fait partie, c'est quoi, la composition. Tantôt, vous l'avez expliqué, ça, qui fait partie de...

M. Kelly-Gagnon (Michel): Alors, au niveau... Bien, le conseil d'administration est composé de six personnes à l'heure actuelle, donc c'est un petit conseil d'administration. Il y a Yves Guérard, qui est l'ancien président de Ernst & Young au niveau actuariel. Il y a Richard Carter, qui est le numéro deux ou le numéro trois chez Cognicase et qui était avant à la Banque Nationale. Notre chairman est M. Andrien Pouliot, qui est de la famille Pouliot qui était autrefois propriétaire de CTV et de Télévision Quatre Saisons, maintenant propriétaire d'Entourage. Nous avons M. Kantardjieff, qui est un chirurgien du cerveau, mais aussi un érudit d'à peu près tous les sujets qu'on peut imaginer. Et M. Kantardjieff étant originaire de Bulgarie, il a eu l'occasion de vivre de façon directe certains types de politiques économiques. Il y a M. Maddocks, qui est un retraité de l'industrie du textile. Et nous avons M. Yves Séguin, qui est le vice-président de la Banque de Montréal au niveau, je crois, de la Banque privée des affaires. Donc, c'est la composition du conseil d'administration. Et le conseil scientifique est composé d'une vingtaine d'académiques, dont un prix Nobel d'économie.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Eh bien, écoutez, je vous remercie d'avoir bien voulu éclairer la commission. Et, sur ce, je suspends nos travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 28)

 

(Reprise à 14 h 8)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission des institutions reprend ses travaux dans le cadre de la consultation générale et des auditions publiques concernant les impacts du projet de zone de libre-échange des Amériques. Nous avons, en ce début d'après-midi, le plaisir de recevoir les représentants de l'Association de l'aluminium du Canada, M. Christian L. Van Houtte, président, et M. Claude A. Gagnon, directeur principal, affaires gouvernementales.

Alors, messieurs, nous avons réservé une période d'une heure pour la présente rencontre, dont une vingtaine de minutes pour la présentation, à la suite de quoi nous passerons aux échanges. Alors, M. le président, vous avez la parole.

Association de l'aluminium du Canada

M. Van Houtte (Christian L.): Merci, M. le Président. Messieurs, bon après-midi. Par un temps splendide comme ça, je pense que vous faites preuve d'un grand courage d'être ici, une belle journée d'automne. Je vous remercie, au nom...

M. Gautrin: La vie parlementaire est une vie monacale.

M. Van Houtte (Christian L.): Je voudrais d'abord remercier les membres de la commission de nous accueillir aujourd'hui et de nous permettre de vous faire part de nos vues sur un sujet aussi complexe que celui de la Zone de libre-échange des Amériques.

J'ai suivi, comme bien d'autres, en partie les travaux de votre commission et j'ai particulièrement été impressionné par la présentation du professeur Dorval Brunelle, de l'Université du Québec à Montréal.

Une voix: ...

n(14 h 10)n

M. Van Houtte (Christian L.): Voilà. Grand spécialiste des accords internationaux, M. Brunelle a fait ressortir les avantages d'une zone de libre-échange, tout en insistant sur les embûches d'un tel projet et le contrôle théorique et économique que risquent d'exercer les États-Unis. Quel que soit le type d'accord, il est essentiel que les mécanismes d'application prévoient des rapports de force équilibrés qui permettent aux parties de conserver leur identité et leurs caractéristiques particulières. Des intervenants avant nous ont tout aussi souligné le grand secret qui entoure les négociations et le rôle peut-être trop important des fonctionnaires dans l'élaboration des textes. Les élus que vous représentez semblent avoir un rôle marginal dans cette démarche et, selon nous, c'est regrettable. Nous reconnaissons également que le gouvernement du Canada est le négociateur central et nous voulons vous assurer que les remarques que nous vous faisons aujourd'hui seront également transmises aux autorités fédérales pour qu'elles puissent les transmettre bien sûr à leurs négociateurs.

Vous connaissez tous l'industrie de l'aluminium et son importance pour le Québec, tant en termes d'emplois que d'investissements et de retombées économiques. Contrairement à bien d'autres présentations que vous avez reçues au cours des derniers jours, notre présentation est très concrète. Elle représente un segment de l'industrie que vous n'avez peut-être pas encore eu l'occasion d'aborder.

Ce préambule étant dit, pour nous, l'aluminium est une «commodity», au sens anglais du terme, dont le prix de référence est négocié chaque jour à la Bourse des métaux de Londres. Rien ne ressemble plus à un lingot d'aluminium qu'un autre lingot d'aluminium. Dans notre secteur, les frontières sont quasi inexistantes. La bauxite, notre matière première, se trouve dans tous les pays tropicaux, de l'Australie à la Jamaïque, de la Guinée au Brésil. Une fois la bauxite raffinée, transformée en alumine, cette dernière est acheminée sur les océans du monde vers les usines d'électrolyse, vers les alumineries, et nous les connaissons bien, au Québec. Il y a présentement, dans le monde, 197 alumineries. La plus petite se trouve en Chine et produit annuellement 2 400 tonnes. La plus grande se trouve en Sibérie et produit 850 000 tonnes par année. La moyenne, au Québec, est de l'ordre de 250 000 tonnes. Il y a des usines qui font 410 000, 420 000 tonnes puis il y a des usines plus petites. Une moyenne d'à peu près de 250 000 t.

Longtemps troisième producteur mondial, le Canada vient tout récemment de reculer au quatrième rang, derrière les États-Unis, la Russie et la Chine. Les bouleversements géopolitiques des nations influencent les priorités de développement des pays et des entreprises. L'intégration des moyens de production et des phénomènes de rationalisation conduit à des restructurations chez les grands producteurs mondiaux. La compagnie américaine Alcoa, premier producteur mondial, détient maintenant 44 % de la production canadienne suite à l'achat d'Alumax, en 1997, et de Reynolds Métal, cette année. Alcan, second producteur mondial, vient tout juste de conclure l'achat d'Algroup, une multinationale suisse. Le parachèvement et la mise en opération prochaine de l'usine d'Alma, un investissement de 2,9 milliards, ajouteront près de 300 000 tonnes à la production mondiale d'aluminium. Toutes nos entreprises d'aluminium de première fusion établies au Québec sont d'envergure internationale. Le mémoire que nous avons soumis et que vous avez reçu donne les indications supplémentaires sur les aspects économiques et commerciaux de notre secteur et décrivent avec plus de détails l'importance et la contribution des entreprises à l'économie du Québec.

Compte tenu de ces quelques remarques, nous avons dans notre mémoire soumis un certain nombre de recommandations qui se veulent des recommandations concrètes d'un grand secteur industriel. La première, c'est la réponse à la dépendance. Une récente étude, que vous avez sans doute lue, ou dont vous avez pris connaissance, du Centre for Strategic and International Studies, de Washington, disait que l'élargissement d'une zone de libre-échange à l'ensemble des Amériques contribuerait à réduire la dépendance du Canada et du Québec envers les États-Unis. Cette dépendance, en ce moment, nous favorise, mais nous croyons qu'à moyen terme l'élargissement d'une zone de libre-échange réduirait grandement cette dépendance et permettrait donc une plus grande stabilité au cas où éventuellement il y aurait des récessions ou un recul économique chez nos voisins du Sud. Donc, je pense que cette dépendance que nous avons maintenant envers les États-Unis devrait être réduite, et une belle occasion, c'est d'emblée accepter ou promouvoir une zone de libre-échange.

Il y a maintenant dans le monde des bouleversements qui font en sorte que les tarifs douaniers prennent aussi, dans certains cas, une importance particulière, et c'est un peu la deuxième recommandation de notre mémoire. Nous sommes des libres-échangistes, comme représentants de sociétés internationales, nous souhaitons l'abolition des tarifs douaniers parce que, selon nous, ils contribuent par des moyens artificiels à réduire ou à limiter l'utilisation de certains produits par rapport à d'autres.

On peut prendre un exemple que nous mentionnons dans notre mémoire. Par exemple, l'Union européenne impose un tarif douanier de 6 % sur une certaine quantité d'aluminium produit dans certains pays, dont le Canada, les États-Unis et l'Australie. Ce tarif douanier fait en sorte que l'aluminium transformé ou vendu en Europe est plus cher que l'aluminium que l'on retrouve dans des pays autres. Et vous allez voir, dans le mémoire, nous faisons référence à la consommation per capita, et on se rend rapidement compte que la consommation d'aluminium per capita en Europe est de beaucoup inférieure à celle des pays où il n'y a pas de tarifs douaniers. Pour nous, les tarifs douaniers donc devraient disparaître parce que l'implantation de nos usines et les produits que nous vendons et que nous transformons se transportent d'une partie du globe à l'autre.

Il y a une expression anglaise qui dit que la situation de «global producer for global customer»... nous sommes des producteurs globaux pour des clients globaux. Nos produits, fabriqués ici, au Québec, ou ailleurs dans le monde transitent partout et la seule façon, selon nous, de garder une compétitivité égale, c'est d'abolir éventuellement l'ensemble de ces tarifs douaniers. Les tarifs douaniers aussi ne doivent pas être directement ou indirectement la source de mesures qui favorisent un matériau par rapport à un autre. On a vu également que certains matériaux subsituts produits dans certains pays pourraient avoir un avantage par rapport à d'autres par l'imposition de tarifs douaniers ciblés sur un produit. Selon nous, c'est inacceptable et nous souhaitons que, dans les négociations de l'accord, l'on prévoie rapidement l'abolition de tarifs douaniers entre les nations pour qu'il y ait une plus grande libre circulation des biens et des services.

La troisième recommandation que nous faisons touche les droits de propriété intellectuelle. Certains des intervenants devant votre commission ont peut-être soulevé ce point-là, probablement sous un angle différent du nôtre. Nos membres et les entreprises que nous représentons investissent des sommes considérables en recherche, en développement, en amélioration de procédés, vont s'établir dans différents pays du monde soit pour l'extraction de la bauxite, de l'affinage de l'alumine, l'électrolyse ou la transformation et il est important de s'assurer que les procédés que nous mettons en marche dans ces pays soient protégés par des ententes internationales visant la protection des droits de propriété. Et ça s'applique bien sûr aussi aux brevets. Plusieurs procédés sont brevetés en Europe ou aux États-Unis ou au Canada, et malheureusement on se rend compte que, dans certains pays, on copie facilement; il n'y a aucune protection accordée à ceux qui vont éventuellement investir. Et ça, c'est une préoccupation importante parce que, pour les entreprises, quelles qu'elles soient, et pour les centres de recherche qui travaillent en collaboration avec nous, ce phénomène de non-protection des droits de propriété des brevets a une importance considérable sur le choix des endroits où nous irons nous établir.

Une autre préoccupation bien sûr touche l'environnement et le développement durable. Plusieurs intervenants vous ont fait part de leurs craintes sans doute au niveau environnemental. On l'a vécu et on l'a vu dans l'accord de libre-échange Canada?États-Unis?Mexique, dans certains cas, la Commission de coopération environnementale a dû se pencher sur des dossiers. La position de l'Association et de ses membres est qu'on ne devrait pas pouvoir utiliser dans un pays, un pays tiers, une technologie qui n'est pas acceptable chez nous. Les critères devraient être les mêmes. Nous pensons que, si c'est bon ici, ça devrait être bon ailleurs, en Amérique du Sud ou n'importe où dans un pays en voie de développement. Et cette politique-là, nous l'appliquons régulièrement bien sûr quand les membres investissent en Afrique ou dans d'autres parties du monde. On a toujours voulu avoir les meilleures technologies disponibles. Et on ne voudrait pas qu'un accord de libre-échange des Amériques fasse en sorte que l'on puisse construire ou exploiter des usines dans des conditions environnementales différentes parce que ce sont des pays en voie de développement.

n(14 h 20)n

Là-dessus, je pense que c'est une préoccupation importante et elle touche directement ou indirectement la santé et la sécurité des employés qui travaillent dans ces usines-là et les gens qui vivent autour de nos usines. Les standards que nous avons établis, nous voulons qu'ils soient répétés, qu'ils soient reproduits dans les pays en voie de développement, et c'est comme ça, je pense, qu'on va réussir d'abord à améliorer la qualité de développement dans un contexte de développement durable et, d'autre part, à pouvoir aussi développer ou faire connaître notre technologie ou la technologie qui a été développée ici, au Québec. Nous souhaitons que ces préoccupations-là soient prises en compte dans les négociations de l'accord. Nous souhaitons également que, dans l'étude des conséquences environnementales, on tienne compte du cycle de vie des produits. C'est, selon nous, un aspect important qui touche directement à l'environnement. On reproche souvent au secteur de l'aluminium d'être un secteur énergivore. Il faut beaucoup d'énergie pour produire une tonne d'aluminium, vous le savez. Par contre, une des caractéristiques principales, sinon la principale, de l'aluminium, c'est sa grande recyclabilité. Nous pouvons facilement recycler l'aluminium à l'infini.

Et l'utilisation de l'aluminium dans des produits de consommation a un rôle important, croyons-nous, sur l'environnement. D'abord, au Québec, l'aluminium que nous produisons est de l'aluminium produit à partir de l'hydroélectricité, donc beaucoup moins polluant que d'autres sources, et, d'autre part, si on utilise, par exemple, l'aluminium dans l'industrie de l'automobile, pour chaque tonne d'aluminium utilisée dans l'industrie de l'automobile, on économise sur la durée de vie du véhicule 20 tonnes de CO2 équivalent. Donc, plus les véhicules sont légers, plus les moteurs peuvent être petits, plus la consommation est réduite et donc il y a un avantage environnemental important.

La même chose s'applique, M. le Président, dans les canettes d'aluminium, où là aussi la canette que vous achetez aujourd'hui au dépanneur, vous la buvez, vous la retournez et, en moyenne dans les 45 à 60 jours qui suivent, elle a été récupérée, elle a été broyée, refondue, refaite en canette et revient sur le marché. Donc, il y a un taux de récupération, il y a un taux de recyclage absolument important et c'est une industrie qui se développe de façon croissante: 40 % de la demande mondiale de l'aluminium provient de l'aluminium de seconde fusion, de recyclage. Et ça, c'est un phénomène, je pense, particulier à l'industrie de l'aluminium.

Alors, voilà les trois ou quatre recommandations que nous vous soumettons. Mon collègue Claude Gagnon va poursuivre avec quelques autres, si vous le permettez, et après ça on pourra discuter, si vous le souhaitez.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Gagnon.

M. Gagnon (Claude A.): Merci. Bon après-midi, M. le Président, mesdames et messieurs. Alors, en plus des dimensions que vient de mentionner M. Van Houtte, nous avons proposé trois autres avenues qui pourraient améliorer non seulement notre position concurrentielle, mais aussi répondre en partie à certains objectifs sociaux. Pour nous, il est clair que nos entreprises et nos gouvernements ont ainsi l'opportunité d'assumer un leadership beaucoup plus fort que notre importance relative en termes de population et de poids économique au niveau des Amériques et vous comprendrez pourquoi en entendant ma conclusion.

Alors, première avenue: nous croyons que l'amélioration des systèmes de justice et de lutte à la corruption doit être une priorité. Alors, déjà pour y faire face, plusieurs entreprises multinationales se sont donné des règles de fonctionnement basées sur un système de valeurs modernes. Souvent efficaces et pratiques, ces règles ou codes de conduite définissent la conduite des affaires pour les employés, les consultants et les entrepreneurs engagés par l'entreprise, peu importe le pays où ils oeuvrent. La mise en place et le contrôle requis est un travail considérable et parfois un choc important pour certaines cultures. Cela ne devrait pas nous empêcher de mettre en place ce que nous appelons des règles de fonctionnement opérationnel d'entreprises sans frontières. Alors, voilà pour une première avenue.

Pour une deuxième, il est évident au niveau domestique comme à l'international qu'une responsabilisation plus grande des parties est l'outil essentiel face à la mondialisation des marchés. À ce propos, nous croyons que la stabilité opérationnelle dans nos entreprises améliorerait la compétitivité de celles-ci. Certaines entreprises se sont déjà donné des règles de fonctionnement qui visent essentiellement la poursuite des opérations sur une base continue et permanente. Cette stabilité opérationnelle implique les employés bien sûr dans la réalisation des objectifs d'affaires et associe leur participation aux bénéfices de l'entreprise. Ces organisations peuvent dès lors assurer un approvisionnement constant à leurs clients qui tient compte des impératifs du juste-à-temps et de la révolution des communications. Alors, quoique ici le leadership appartienne encore aux entreprises dans cette deuxième avenue, vous comprendrez que les gouvernements ont aussi un rôle important à jouer.

Finalement, une troisième ou une dernière recommandation, je devrais dire, que nous avons soumise, c'est celle qui dit que les gouvernements vont devoir avoir la conviction et le courage d'harmoniser les règles et les standards de façon à permettre aux entreprises d'exercer leurs activités dans un climat de sécurité juridique. Vous le savez, il y a là un énorme défi. Pour n'en nommer qu'un, pensons seulement au danger des droits compensatoires en matière de politique commerciale discriminatoire. Alors, plusieurs exemples récents ici, au Canada, ont d'ailleurs retenu dernièrement notre attention. Voici donc trois autres recommandations concrètes qui pourraient nous aider à améliorer cette éventuelle zone de libre-échange des Amériques.

Et, en conclusion, nous disions que ce qui est important, c'est de poursuivre des objectifs de libéralisation du commerce, tout en respectant les valeurs canadiennes de protection de l'environnement, de normes de travail, de lutte à la corruption et du partage des gains. Aussi, ce qui est aussi important, c'est non pas, d'aucuns l'ont dit, le peu ou le pas d'influence que nous avons sur ces négociations, mais l'opportunité qui nous est donnée de se préparer à la venue inévitable d'une plus grande zone de libre-échange, et ce, dans un premier temps avec les Amériques. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci M. Gagnon. Merci, M. Van Houtte. Peut-être une petite précision avant de passer à la période de questions. Votre Association, ses membres, est-ce que ce sont les grands producteurs d'aluminium primaire ou si ça inclut également les entreprises qui sont impliquées dans la transformation?

n(14 h 30)n

M. Van Houtte (Christian L.): Non, l'Association que je représente est sans doute l'une des plus petites en termes de membres. Avec les acquisitions récentes, nous comptons trois membres, Alcan bien sûr, Alcoa et Aluminerie Alouette, qui est un consortium établi à Sept-Îles sur la Côte-Nord. Donc, ces trois sociétés exploitent 10 alumineries au Québec, une en Colombie-Britannique qui est exploitée, qui appartient à Alcan, et donc c'est exclusivement l'aluminium primaire.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): C'est embêtant de vous parler d'augmenter votre membership, là.

M. Van Houtte (Christian L.): Écoutez, si on pouvait avoir un peu plus...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): À la blague.

M. Van Houtte (Christian L.): ...d'énergie, peut-être qu'on attirerait d'autres membres.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, tout d'abord, notre collègue M. le député de Dubuc avec une première question.

M. Côté (Dubuc): Merci, M. le Président. Alors, messieurs, bienvenue à cette commission. J'ai lu avec intérêt le rapport, le mémoire que vous avez présenté parce que j'ai moi-même dans mon comté deux alumineries, dont Laterrière et ville de La Baie. Alors, c'est pour ça que je me suis intéressé particulièrement à votre mémoire, et vous comprendrez que cela est d'une importance capitale.

Vous parlez de stabilité opérationnelle, et encore là je reconnais certains termes, parce que nous avons... Vous savez qu'à Jonquière il y a eu des ententes, des conventions signées, justement pour la stabilité opérationnelle. Par contre, à d'autres endroits, comme à La Baie, les travailleurs ne sont pas syndiqués. En rapport avec cette stabilité opérationnelle là, d'autres qui sont venus avant vous devant cette commission ont proposé que certaines clauses sociales soient incluses dans l'accord de libre-échange. J'aimerais que vous me disiez si vous ne voyez pas une contradiction entre la stabilité opérationnelle, les clauses sociales incluses, ou, si, pour vous, c'est un complément. Alors, je voudrais peut-être que vous expliquiez davantage sur ça, sur ce point.

M. Van Houtte (Christian L.): Écoutez, je vais demander tout à l'heure à M. Gagnon de compléter ma réponse, mais, d'entrée de jeu, je vous dirai que, pour nous, la stabilité opérationnelle, c'est essentiel parce que c'est ça qui nous permet de fournir à nos clients mondiaux un produit de qualité, livré à temps, etc.

Mais l'établissement de clauses sociales, je n'ai pas pris connaissance des mémoires précédents et des demandes qui ont été faites à cet effet. Néanmoins, je pense que ce que l'on cherche, ce n'est pas des conventions collectives de 25 ans où tout le monde s'astreindrait à des conditions qui pourraient éventuellement devenir défavorables. Ce qu'on souhaite, c'est une plus grande participation peut-être, parce que, si on veut élargir nos opérations, si on veut élargir notre économie, il faut travailler en partenariat, il faut impliquer nos employés, il faut impliquer nos cadres, il faut leur faire comprendre à tous, à la population également, pourquoi c'est important de poser tel geste à tel moment, pourquoi c'est important, pour l'économie du Québec, pour l'économie d'une région, pour le bien-être d'une usine particulière ? à Laterrière ou à La Baie ? d'avoir des mécanismes qui permettent d'être capable de répondre aux besoins de nos clients.

Les grandes entreprises, vous le savez, signent des contrats internationaux à long terme d'approvisionnement dans tous les secteurs, pas seulement dans le nôtre. Et le client, en bout de ligne, lui, ce dont il veut s'assurer, c'est de recevoir chaque semaine, chaque jour, chaque mois une quantité déterminée de produit. Cette stabilité opérationnelle, il faut que les gens la vivent de deux façons: d'abord, reconnaître ce besoin du client qui, dans le fond, nous fait vivre et le fait vivre et, d'autre part, qu'ils soient capables de reconnaître aussi les critères de qualité reliés à ce que le client désire. Souvent, on produit quelque chose, on fabrique quelque chose, et on ne sait pas où ça s'en va, on ne sait pas comment ça sera utilisé.

À partir du moment où on peut travailler avec les représentants des employés, avec les employés eux-mêmes, avec les populations, pour dire: Écoutez, il y a un avantage ? par exemple, on parle du libre-échange des Amériques ? pour le Québec à se positionner de telle et telle façon, je pense que ça doit être partagé. Et c'est dans ce sens-là qu'on parle. C'est plus une stabilité opérationnelle, une stabilité sociale, entre guillemets, un partenariat, un partage des gains ? je pense que c'est l'expression que M. Gagnon a utilisée tout à l'heure. C'est dans ce sens-là que l'on voit ça.

M. Côté (Dubuc): Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Je vais aborder avec vous une dimension de votre mémoire; mes collègues aborderont d'autres dimensions. Ce n'est pas parce que je ne suis pas intéressé aux autres questions, mais on se partage un peu le travail.

Je vais aborder la question de la propriété intellectuelle. Vous avez clairement soulevé la question de dire: La propriété intellectuelle... Comme toutes les alumineries produisent les mêmes choses essentiellement, ce qui nous distingue de nos concurrents, c'est nos éléments où on peut avoir nos processus de fabrication, nos processus d'innovation qui nous permettent peut-être de produire à meilleur coût, d'une manière un peu plus performante que nos voisins. Face à ça, vous êtes inquiets quant au fait que dans certains pays les propriétés intellectuelles ne sont pas nécessairement respectées.

J'ai un certain nombre de questions par rapport à l'OMC, parce que vous êtes quand même un joueur important sur le plan mondial, on se comprend bien. Alors, dans les négociations de l'OMC, il y avait à l'époque un Conseil des droits de propriété intellectuelle qui avait été constitué dans l'Uruguay Round pour surveiller en quelque sorte la protection des droits individuels. Est-ce que ceci a fonctionné ou pas?

Deuxième question ? je les énumère toutes et, après, vous pourrez répondre. Là, on est en train d'ouvrir une nouvelle négociation sur l'ensemble des Amériques. Est-ce que vous verriez que, dans cette négociation, il y ait par exemple un mécanisme, un tribunal ou une commission chargée de surveiller la propriété intellectuelle, c'est-à-dire un seul lieu d'appel plutôt que de se référer à chaque fois aux juridictions nationales pour la propriété intellectuelle?

Troisième question. Vous savez que, dans les négociations, il y a un groupe de négociation qui s'occupe de la propriété intellectuelle, il est présidé par le Mexique et le vice-président est le Paraguay actuellement. Est-ce que vous avez une chance, vous, comme vous représentez pour le Canada une des industries majeures, je dirais, sur le plan de l'exportation du Canada, de pouvoir faire valoir votre point de vue à l'intérieur de ce comité?

Et, quatrième question ? je m'excuse de les poser tout de suite, toutes ensemble ? est-ce que vous iriez ? parce que, moi, j'irais jusque-là ? jusqu'à dire que, les brevets, au lieu d'avoir des mécanismes nationaux de brevets, on puisse avoir dans une négociation d'un accord international un seul mécanisme qui décernerait les brevets à l'intérieur d'une zone de libre-échange?

Vous comprenez mes quatre questions?

M. Van Houtte (Christian L.): Tout à fait, oui. Je peux peut-être commencer par la dernière. Ça serait probablement très souhaitable qu'il y ait ce type de mécanisme pour l'ensemble des pays régis par l'accord. Est-ce que c'est réalisable? Je ne le sais pas. Mais, si vous me demandez si on serait en faveur de ça, ma réponse est oui.

M. Gautrin: Mais est-ce que vous pouvez le faire savoir à nos négociateurs, compte tenu du poids que vous avez?

M. Van Houtte (Christian L.): Absolument, absolument. Et, comme je vous le disais tout à l'heure, les représentations que nous faisons auprès de votre commission seront également transmises au niveau fédéral. Et vous comprenez bien qu'on n'est pas les seuls secteurs préoccupés par ce phénomène.

M. Gautrin: Oui, je comprends.

M. Van Houtte (Christian L.): Votre deuxième question faisait état des mécanismes à développer ? vous avez parlé de ceux de l'OMC ? de développer un mécanisme peut-être plus global. Ce que nous souhaiterions, peu importe la forme que ce mécanisme prenne, que ce soit à l'intérieur de l'OMC ou à l'intérieur de la ZLEA, ce qui est important, c'est qu'il y ait des décisions rapides. Trop souvent, on se sert de moyens juridiques ou autres pour retarder les décisions, les commissions se réunissent, les décisions sont longues, et au moment où la décision est rendue, qu'elle soit favorable ou défavorable, bien souvent, le mal est fait. Et ce que l'on souhaite, dans tous les cas, c'est des décisions rapides et exécutoires pour au moins protéger.

n(14 h 40)n

On a vu dans certains pays d'Europe de l'Est, pendant des années, des copies identiques de certaines technologies et on n'avait évidemment à l'époque aucun recours, et je ne suis pas sûr aujourd'hui qu'on a encore des recours, compte tenu du climat juridique qui prévaut dans ces pays-là. Mais il y a des préoccupations importantes et ça limite le développement et ça met sur la défensive les entreprises qui font affaire avec ces pays-là. Alors, si on établit une zone de libre-échange, il faudrait, comme on dit en chinois, qu'il y ait un «level playing field», que l'ensemble des normes soient les mêmes pour tous, que ce que l'on a dans un pays, on puisse le retrouver dans un autre. Ça ne veut pas dire que les pays doivent renoncer à leurs caractéristiques ou à leurs particularités, ça veut dire qu'il y a un certain nombre de critères internationaux qui s'appliquent, dans notre cas, à des droits de propriété.

M. Gautrin: Est-ce que vous iriez jusqu'à avoir un mécanisme... Vous savez que, dans la ZLEA, il y a toutes sortes de mécanismes pour faire respecter l'accord et il y a, spécifiquement sur tout ce qui touche la propriété intellectuelle, une forme de tribunal ? si tant est que le mot puisse avoir un sens ? international pour s'assurer du maintien et de la défense de la propriété intellectuelle.

M. Van Houtte (Christian L.): Oui. D'abord, je dois vous dire que nous n'avons pas vu l'accord.

M. Gautrin: Moi non plus.

M. Van Houtte (Christian L.): Vous non plus. Alors, vous dites qu'il y a des mécanismes dans l'accord...

M. Gautrin: Bien, disons que, si tant est qu'il y ait une... Je vais vous dire. Il y a quand même un comité, qui s'appelle «sur le règlement des différends», qui a deux fonctions: une fonction de mettre sur pied un mécanisme d'arbitrage quand il y a un conflit entre deux entreprises et aussi une manière de pouvoir régler les différends, si différends il y a. Dans ce cadre-là, je vois si on pourrait avoir une possibilité pour, dans cette commission, s'assurer d'avoir un mécanisme très rapide pour régler les différends...

M. Van Houtte (Christian L.): Voilà.

M. Gautrin: ...en cas de propriété intellectuelle, parce que, moi aussi, je suis très préoccupé par cette question-là, qui touche votre secteur, mais qui touche d'autres secteurs encore beaucoup plus...

M. Van Houtte (Christian L.): Oui, oui, c'est dans le secteur pharmaceutique ou dans tout...

M. Gautrin: Dans tout le secteur de l'informatique, par exemple, à quel point ça peut être dramatique.

M. Van Houtte (Christian L.): Absolument, absolument. Et ça, c'est important. Les entreprises vont être réticentes à aller ailleurs, vont être réticentes à faire affaire avec certains pays...

M. Gautrin: Oui, je comprends.

M. Van Houtte (Christian L.): ...s'il n'y a pas cette standardisation des règles du jeu.

M. Gautrin: Écoutez, je vous remercie. Je pense que mes collègues veulent intervenir aussi sur d'autres points.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: M. le Président, je vous remercie. Merci pour le mémoire. M. Gagnon, j'ai été impressionnée par les propos que vous avez tenus, particulièrement quand vous avez abordé la question de la lutte à la corruption, qui, comme on le sait, est un fléau au niveau des relations Nord-Sud en particulier. Souvent, on a tendance à dire que les gouvernements du Sud sont corrompus, sauf que, pour qu'ils soient corrompus, il faut qu'il y ait quelqu'un qui les corrompe. Et j'ai été surprise d'apprendre que les multinationales se sont donné un code d'éthique. Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus? Ça implique qui? Qui en est responsable au niveau de l'application? Et ça se présente comment?

M. Gagnon (Claude A.): Bien, je ne peux que parler de l'expérience que je connais, étant un employé d'Alcan, mais je sais très bien qu'il y a un mouvement au niveau des grandes entreprises multinationales depuis plusieurs années pour développer justement ce qu'on appelle un «code de conduite». Je ne sais pas si vous avez déjà vu à quoi ça ressemble, mais, si ça vous intéresse...

Mme Houda-Pepin: Oui.

M. Gagnon (Claude A.): ...je pourrais même laisser à M. le Président une copie d'un exemple qui est l'exemple Alcan. Mais on l'a fait en collaboration avec d'autres entreprises, il y a trois ans maintenant, et je sais qu'il y a plusieurs autres multinationales qui, de plus en plus, adoptent ces codes de conduite.

Ce n'est pas, à ma connaissance, structuré, organisé, ce sont des initiatives que de plus en plus d'entreprises prennent. Ce qu'on dit, finalement, c'est que voilà là un exemple de démarches qui peuvent être prises tout de suite dans toutes nos compagnies, dans toutes nos entreprises pour se préparer à la venue éventuelle d'une zone de libre-échange des Amériques où, justement, on pourra mieux faire face à ces situations-là si les initiatives sont prises maintenant. C'est ce qu'on dit.

Mme Houda-Pepin: Mais, actuellement, est-ce que c'est en application quelque part, est-ce que c'est quelque chose qui fonctionne déjà? Ou est-ce que c'est un document que vous avez élaboré en prévision de... mais qui n'est pas encore mis en pratique?

M. Gagnon (Claude A.): C'est très pratique, madame. Chaque année, au mois de décembre, je dois passer à travers le document et signer un engagement de ma part comme quoi j'ai respecté chacune des règles de conduite de ce document-là, et cette revue-là est faite avec mon patron. Ce n'est que par la suite que l'ensemble des recommandations qui sont faites sont soumises au président. Donc, c'est très actuel chez nous, c'est un processus très, très, très rigoureux.

Mme Houda-Pepin: Est-ce que c'est quelque chose qui est limité au secteur de votre industrie ou est-ce que les autres multinationales aussi adhèrent et adoptent ce type de code de conduite?

M. Van Houtte (Christian L.): La majorité des grandes multinationales ont un tel code de conduite. Étant donné leur représentation à travers la planète, elles doivent donner des lignes de conduite à leurs cadres, à leurs employés, à leurs dirigeants. Et, comme le disait M. Gagnon, dans bien des cas, c'est un processus très, très rigide et très contraignant: le directeur général ou le vice-président doit signer à chaque année qu'il s'est engagé, qu'il a respecté les critères et les normes qui sont établis dans ce code de conduite, qu'il n'y a pas dérogé. Et ça, cette contrainte-là en elle-même prévient bien des abus, je pense. Et il y a plusieurs compagnies, je ne les connais pas toutes évidemment, qui ont ce type de code de conduite. Et ce code de conduite, il est recommandé par l'OCDE, entre autres, qui favorise l'implantation de telles normes pour éviter la corruption, les abus, les pots-de-vin, etc.

Mme Houda-Pepin: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Oui. Merci, M. le Président. Bienvenue. Moi, je serais peut-être intéressé à avoir un portrait un peu plus pointu de la situation de l'aluminium dans la zone concernée au niveau du libre-échange des Amériques. Ce que je veux dire par ça, c'est... Les usines de transformation, par exemple, de l'aluminium, elles sont situées où dans cette zone-là, ou en dehors des États-Unis puis du Mexique? Quel pourcentage ça peut représenter au niveau des ventes additionnelles? Est-ce que vous avez des concurrents, par exemple, et qui sont-ils, au Brésil? Je pense au Brésil qui a une industrie de fabrication automobile où, j'imagine, ils utilisent aussi l'aluminium. Est-ce que c'est quelque chose qui touche véritablement les intérêts potentiels de l'industrie canadienne? Et quelles sont vos craintes dans cette négociation-là? Je pense à toute la question de l'énergie, par exemple. Comment vous voyez la détermination des prix énergétiques et les liens qui peuvent être faits avec des subventions déguisées? Je ne sais pas si vous me saisissez, là.

M. Van Houtte (Christian L.): Oui, oui.

M. Sirros: Juste élaborer un peu sur cette question-là pour qu'on saisisse un peu mieux l'impact d'un accord de libre-échange des Amériques sur l'industrie.

M. Van Houtte (Christian L.): Écoutez, je n'ai pas tous les chiffres, je pourrai vous les fournir dans les prochains jours. Mais, globalement, succinctement, le plus grand producteur, ce sont les États-Unis. Les États-Unis produisent dans l'aluminium primaire à peu près 3 millions de tonnes, 3,3 millions de tonnes métriques par année. Ils sont les plus grands producteurs au monde, suivis de la Russie, de la Chine et du Canada avec 2,3 millions de tonnes. Au niveau de la transformation, il est sûr qu'une très, très grande partie de la transformation de l'aluminium est faite aux États-Unis, près des marchés. Alors, il y a beaucoup d'aluminium produit aux États-Unis ou produit au Canada qui est transformé aux États-Unis.

Le Mexique commence à se développer au niveau de la transformation, surtout dans le secteur de l'automobile. Il y a certaines entreprises qui se sont établies là-bas parce que des grands producteurs d'automobiles ont eu des chaînes de montage, Volkswagen, entre autres, et d'autres. Donc, il y a eu des usines qui se sont établies. À ma connaissance, ce sont souvent des filiales de compagnies américaines ou européennes qui se sont établies là pour servir du «just in time» aux fabricants d'automobiles.

n(14 h 50)n

Ensuite, la problématique change en Amérique du Sud. Le Venezuela a une industrie de l'aluminium très importante. Ils ont de la bauxite, ils ont de l'alumine. Donc, ils affinent la bauxite en alumine et ils ont des installations de production d'aluminium importantes qui appartiennent à l'État. Et, depuis plusieurs années, le gouvernement vénézuélien tente de privatiser une grande partie des installations du pays encore là pour des raisons juridiques dans bien des cas. Il y a plusieurs sociétés internationales qui se sont intéressées à l'achat des actifs vénézuéliens mais, à chaque fois, les démarches ont avorté parce que le climat politique, géo-économique, etc. a fait en sorte que ce n'était pas propice. Alors, le Venezuela, ils ont même leurs sources d'énergie hydroélectrique. Je pense qu'il y a un potentiel important au niveau de la production.

Le Brésil, bien là, c'est tout un autre marché que vous connaissez bien: une population immense, en pleine expansion, avec des ressources naturelles importantes de l'hydroélectricité, mais aussi une croissance économique qui est fulgurante. Donc, ils ont eux aussi des choix à faire entre l'établissement d'alumineries ou l'établissement d'autres types d'industries peut-être moins énergivores, et on se concentre maintenant beaucoup plus sur la transformation. Alcan est présent au Brésil, Alcoa est présent au Brésil, plusieurs sociétés sont présentes là-bas dans des marchés de transformation. Dans le Mercosur, dans tout ce qui se passe en Amérique du Sud, ça revêt un aspect important. Les pays du bout du continent, l'Argentine, sont encore des joueurs plus marginaux, mais en fait les grands joueurs, c'est le Brésil, le Venezuela et le Mexique.

M. Sirros: Comment est-ce qu'un accord de cette nature-là risque de mettre en péril un peu les usines de production d'aluminium que nous avons ici? Vous nous parlez du Brésil et du Venezuela qui sont près des marchés. Le problème qu'on a toujours eu ici, c'est qu'on produit de l'aluminium, mais pour le transformer on l'envoie là où est la population. Là, vous me parlez d'une situation où les deux sont plus près. Quel impact ça peut avoir sur notre industrie à nous?

M. Gagnon (Claude A.): Jusqu'à maintenant, les investissements qui ont été faits au Venezuela ont été faits par le gouvernement, au Brésil par les industries privées comme nous et d'autres producteurs d'aluminium. Qu'est-ce que l'entente de libre-échange va permettre? Elle va permettre d'avoir une circulation de ces produits-là vraiment libre entre le Canada et le Brésil, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui pour toutes sortes de raisons, toutes sortes de limitations de part et d'autre. Et en termes d'impact sur la production de métal primaire, c'est évident qu'il n'y en aura pas, mais en termes d'impact sur le développement des marchés de transformation, ça va être énorme, nous croyons. Et c'est là qu'il pourrait y avoir un intérêt pour le Canada.

M. Sirros: J'ai cru comprendre en vous écoutant que c'est plus vers l'Europe que ce serait intéressant de voir un abaissement des tarifs afin de percer davantage le marché au niveau de l'utilisation de l'aluminium dans des matériaux, dans des produits de consommation. Et donc, d'un côté, ici, vous dites: Au niveau de notre production, à nous, ça ne risque pas de changer grand-chose, la Zone de libre-échange des Amériques. Mais j'ai cru comprendre aussi que, de l'autre côté, ce serait plus au niveau de l'abaissement des tarifs pour le métal primaire vers l'Europe qui serait intéressant pour l'industrie de l'aluminium ici.

M. Van Houtte (Christian L.): Au niveau du Québec, c'est sûr que l'accord éventuel ne fera pas augmenter la production d'aluminium ou ne fera pas baisser la production d'aluminium. Je pense que là où on peut tirer, comme économie, comme province, des avantages, c'est au niveau de l'expertise, du know-how que nous possédons. Par exemple, plus on va ouvrir les marchés, plus on va permettre à des grandes sociétés, selon des règles déterminées dont on vient de parler, de s'établir au Pérou ou en Bolivie ou dans des endroits où il y a à la fois des ressources naturelles, de l'électricité, une proximité de marchés et la possibilité pour nous et nos équipementiers, les gens qui fabriquent des équipements, qui fournissent des biens et des services, d'aller nous installer là-bas et de développer des marchés. Donc, il y a des créneaux de possibilités pour l'exportation de connaissances et de produits vers ces pays-là.

En retour, ces pays-là vont nous permettre aussi d'avoir accès à leurs marchés. Si on leur vend notre technologie, si on s'implante avec des technologies de pointe, ils nous ouvrent évidemment les portes de leurs marchés, et c'est des marchés énormes. Et on a le même phénomène en Asie, avec la Chine en ce moment ou les Indes. Les sociétés veulent s'établir là parce qu'il y a des ressources, parce qu'il y a des marchés, parce qu'il y a un potentiel énorme. Et ça nous rapporte en ce sens que le Québec est capable de se positionner pas seulement en augmentant sa production de lingots, mais en pouvant envoyer à l'étranger des ingénieurs, des techniciens, des spécialistes en environnement, en procédé, etc. qui vont ouvrir ces usines-là et, par la suite, les gérer, les opérer avec une technologie et des pièces de rechange qui sont faites ici. Il y a tout le secteur des équipementiers qui n'est pas à négliger là-dedans.

M. Sirros: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, avant de passer à une dernière question du député de Frontenac, j'aurais peut-être une précision pour laquelle j'aimerais avoir une réponse. En ce qui regarde les codes de conduite, j'ai remarqué que le document que vous nous avez déposé, M. Gagnon, date de 1996. Est-ce que ces codes-là évoluent avec le temps? Est-ce qu'il y a une révision, une évaluation même de ces règles-là qui ferait en sorte qu'on améliore ou on cherche à améliorer constamment ces règles?

M. Gagnon (Claude A.): Oui, c'est exact, M. le Président, les documents que vous avez datent de 1996. Ils étaient une mise à jour d'un document précédent qu'on avait qui datait de je ne me souviens pas trop quand, là, début des années quatre-vingt-dix, je crois, et lorsqu'il a été publié, ça a pris deux ans de révision. Alors, ce n'est pas évident de faire un consensus d'un document du genre à travers des directeurs généraux de l'ensemble des opérations à travers le monde. Alors, c'est là qu'on a toujours les problèmes de chocs de culture dont je parlais. Le travail était tellement considérable qu'il avait été déterminé, à ce moment-là, qu'on ne ferait pas de révision plus souvent qu'à tous les cinq ans, des périodes d'environ cinq ans. Donc, ça veut dire que ce document-là, on devrait recommencer à travailler dessus, en temps normal, au cours de l'an prochain.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Et comment se fait l'évaluation d'un ensemble de règles données en vue éventuellement d'une amélioration ou d'un ajustement des règles? Est-ce qu'elle se fait à l'interne? Est-ce qu'il y a, je ne sais pas, des audits ou peu importe de ce genre de règles et d'applications?

M. Gagnon (Claude A.): C'est fait à l'interne avec un encadrement d'experts dans le domaine externe. Ce ne sont pas de véritables audits, là, comme on pourrait y penser. Je ne dis pas que ça ne viendra pas là, ça a été considéré, mais, pour le moment, ce sont des spécialistes, des consultants qui le font pour plusieurs compagnies, qui encadrent la démarche à l'interne.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien, merci. M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci, M. le Président. Alors, bienvenue, messieurs, à la commission. Je veux revenir sur le sujet qu'a abordé mon collègue de Laurier-Dorion: les tarifs douaniers. Alors, vous mentionnez que c'est une anomalie, je pense, surtout en ce qui concerne l'Union européenne. Mais est-ce que, en abolissant le tarif douanier, ça ne risque pas de causer d'autres problèmes au niveau de certaines usines, d'ailleurs d'entraîner des pertes de revenus, des fermetures et des pertes d'emplois?

M. Van Houtte (Christian L.): Les tarifs douaniers, d'abord, que l'Union européenne impose, ces tarifs-là ne sont pas imposés sur tout l'aluminium qui rentre en Europe. Il y a le traité de Lomé qui exclut de ces tarifs douaniers les pays africains qui sont des anciennes colonies: belge, française, portugaise, espagnole, etc. Donc, il y a toute une série d'exceptions qui font qu'il y a probablement 50 % ou 60 % de l'aluminium qui rentre en Europe qui n'est pas sujet à ce 6 %. D'autre part, il y a tout l'aluminium qui vient de Russie, qui transite par la Norvège ou par le port de Rotterdam qui, lui aussi, est exclu. Donc, en fait, on se retrouve, en théorie, avec l'aluminium qui vient d'Amérique du Nord, d'Australie, d'Amérique du Sud, qui, lui, est sujet à un tarif.

Alors, est-ce que ça peut causer des pertes d'emplois en Europe? Je ne pense pas, parce que l'Europe a besoin d'aluminium, est obligée d'importer de l'aluminium, n'en produit pas suffisamment, l'Europe importe. Donc, il n'y aurait pas de pertes d'emplois. Mais, pour des raisons politiques, qu'il serait peut-être trop long d'expliquer ici, il y a certains pays, à l'intérieur de l'Union européenne, qui ont défendu et qui défendent encore l'imposition d'un tarif en espérant possiblement, lors d'une négociation commerciale, obtenir quelque chose en retour, mais, ça, ça va se négocier ailleurs.

M. Boulianne: Même si on importe puis on doit importer, il y a quand même un retard, je pense que vous le mentionnez. Est-ce que ça ne serait pas dû aussi à la conservation des produits de substitution?

n(15 heures)n

M. Van Houtte (Christian L.): Je ne pense pas. Écoutez, nous, on a toujours eu ce tarif-là comme étant une mesure, d'abord, à l'origine, pour évidemment favoriser leur secteur industriel. Depuis plusieurs années, l'Europe doit importer, donc ça ne fait qu'augmenter leurs coûts. C'est sûr que ça a un impact sur le marché. C'est sûr que les produits de consommation, produits de l'aluminium sur lequel un tarif de 6 % a été imposé, coûtent plus cher que les autres. Et ça, c'est sûr que si l'industrie de l'acier ou l'industrie du plastique est plus présente, bien il y en a qui en bénéficient. Il y a des raisons, je veux dire, politiques ou économiques qui font en sorte que certains pays veulent maintenir des tarifs. Maintenant, plus le commerce se globalise, moins c'est justifié, et il s'agit de voir comment, dans les accords mondiaux, on peut éliminer ces barrières-là.

Il n'y a pas si longtemps, ici, au Québec, et on en parle un peu dans notre mémoire... on était, jusqu'à tout récemment, le troisième plus important producteur d'aluminium au monde, et des ententes, au Québec, limitaient l'utilisation de la canette d'aluminium. Ça vient d'être éliminé il y a à peine un an. La boisson gazeuse et la bière ne pouvaient pas produire ou mettre sur le marché plus que 37,5 % de contenants en aluminium, et on était le troisième plus grand producteur au monde. Et on se faisait dire partout: Bien, écoutez, comment se fait-il que le Québec et le Canada soient un grand producteur d'aluminium, et vous-même, dans votre propre pays, vous limitez l'utilisation de l'aluminium? Et il a fallu 10 ans au gouvernement pour éliminer cette barrière-là. Donc, il y a plein de barrières tarifaires ou non tarifaires indirectes qui limitent l'utilisation d'un produit, ou sa fabrication, ou son commerce, et l'exemple des canettes d'aluminium ici est tout récent.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Peut-être une brève question.

M. Sirros: ...il y a d'autres exemples de ce genre de règlement ailleurs dans les Amériques, Nord et Sud qui, actuellement, limitent l'utilisation de l'aluminium comme substance de substitution à d'autres...

M. Van Houtte (Christian L.): Absolument. En Ontario, il y a eu un droit additionnel sur la canette d'aluminium pour la bière sous un couvert environnemental, mais dans un but totalement protectionniste. Aux États-Unis, à ma connaissance, non.

M. Sirros: Pour protéger quel secteur, quelle industrie?

M. Van Houtte (Christian L.): Bien, écoutez, ce qu'on veut, c'est simple, c'est... Aux États-Unis, près de 60 %, 65 % de la bière est vendu en canette d'aluminium. Les grandes brasseries américaines ont un pouvoir énorme de production. Elles peuvent, sans faire d'investissements, sans avoir de personnel supplémentaire, fournir le marché canadien de Saint-Jean, Terre-Neuve, à Victoria. Ils ont les moyens de production pour le faire. Or, l'industrie canadienne brassicole a essayé de trouver des moyens pour se protéger de ça. Ça a été la bouteille en vitre, d'une part, qui est relavée, recyclée ou peu importe, mais ça a été aussi la mise sur pied de tout un système complexe, administré jusqu'à tout récemment par RECYC-QUÉBEC, qui fait en sorte que, si on veut vendre quelque chose, il faut obtenir un permis, il faut être capable de récupérer ces bouteilles. Donc, tout un système fort complexe qui fait en sorte que, dans le fond, on bloque indirectement la venue de compétiteurs potentiels. Alors, en Ontario, c'est exactement ça. Ici, le 37,5 % qui s'appliquait sur les boissons gazeuses et la bière, c'est carrément ça, sous un couvert environnemental.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il me reste donc, au nom des membres de la commission, à vous remercier, M. Van Houtte de même que M. Gagnon, pour votre contribution à nos travaux au nom de l'Association de l'aluminium du Canada. Merci.

M. Van Houtte (Christian L.): Merci, madame. Merci, messieurs.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors nous poursuivons nos travaux dans le cadre de ces auditions publiques sur les impacts du projet de Zone de libre-échange des Amériques et nous en sommes à entendre maintenant MM. Sylvain Leduc et Michel Paradis, personnes que j'inviterais à bien vouloir s'avancer, s'il vous plaît.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, MM. Leduc et Paradis, je vous indique que vous avons réservé une période de 45 minutes pour cette rencontre, dont 15 minutes, à peu près, pour la présentation de votre mémoire proprement dit, et par la suite nous passerons aux échanges. Alors, je ne sais lequel de M. Leduc et de M. Paradis sera le porte-parole.

MM. Sylvain Leduc et Michel Paradis

Une voix: M. Leduc. Bonjour.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Leduc. Bon, vous avez la parole.

M. Leduc (Sylvain): Bonjour. Pour le déroulement de notre présentation, on va commencer par une introduction remerciements, ensuite la présentation de nous, qui nous sommes, présentation de ce qui n'a pas été traité. Ensuite, ça va être la présentation de la question qui a été traitée; on a élaboré quelques constats. Ensuite, M. Paradis va faire une brève allocution sur la consolidation du processus intégratif, et la conclusion... je vais revenir en conclusion. Et ensuite ça va être, je pense, la période de questions, c'est ça?

Bien, pour introduction, on aimerait vous remercier, M. le Président et MM. et Mmes les commissaires, pour notre présence ici. C'est avec un grand plaisir qu'on a accepté l'invitation qui nous a été faite. C'est intéressant de pouvoir discuter avec des gens comme vous, de ce niveau-là. On aimerait que ce 45 minutes soit plus une discussion qu'un exposé magistral. On n'est pas nécessairement des théoriciens, mais plutôt des praticiens.

Pour commencer, bien, moi, je suis un jeune avocat et conseiller en affaires internationales, particulièrement pour l'Amérique latine. J'ai acquis une expérience de terrain au Mexique. J'ai obtenu une bourse du ministère du Commerce international du Canada. Par la suite, j'ai travaillé avec des PME au Mexique et des PME québécoises. Ensuite, j'ai fait mon stage du Barreau du Québec au Mexique. Ça me donne une expérience de terrain. Depuis 1999, je suis de retour au Québec et j'essaie de vivre de ça, du libre-échange, si on peut dire. Je le répète, je ne suis pas un théoricien, je suis plutôt... j'essaie de prendre des aspects pratiques. Je n'aide pas les grandes entreprises, c'est plutôt des PME.

M. Paradis, mon collègue, est juriste et bachelier en sciences politiques. Il a oeuvré dans le secteur du marketing pendant plus de trois ans et il est président fondateur de l'Institut Fidelium dont la mission est d'effectuer des recherches socio-politico-juridico-économiques. Il occupe présentement le poste de vice-président en vente et opération au sein d'une jeune entreprise oeuvrant dans le domaine de la santé. J'espère que ce n'est pas trop rapide.

Présentation de ce qui n'a pas été traité. Quand on a reçu le document, on a pris connaissance de ce document-là puis on était très emballés par l'opportunité qui s'offrait à nous de donner notre point de vue sur un sujet d'une telle importance. Nous avons débuté nos réflexions par l'élaboration d'une structure parlementaire supranationale ayant des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires. Pour nous, c'était clair, un parlement supranational, le Parlement des Amériques, devait être au coeur de nos propos. Nous allions vous soumettre une structure supranationale avec répartition des pouvoirs, et tout ça. Toutefois, on n'a pas succombé à l'envie. C'est pour ça que je vous disais: Présentation de ce qui n'a pas été traité. Pourquoi qu'on n'a pas traité ça? Parce que, à notre avis, on n'en est pas là dans le processus. À notre avis, encore il est prématuré pour nous de discuter de ça et d'émettre une telle opinion avec toute la répartition des pouvoirs et ces choses-là. Par contre, il est vrai qu'il faut songer à ces questions-là dès aujourd'hui.

Mais on s'est posé, on s'est dit aussi... Sachant que c'était inévitable et qu'on n'avait pas le pouvoir de décision, nous nous sommes demandé sur quoi nous pourrions avoir un certain impact. Bien, la question qu'on s'est posée, c'est: Qu'est-ce que nous pouvons faire et qu'est-ce que le Québec peut faire pour profiter de cette future Zone de libre-échange? C'est là que je vous dis que, présentation de la question, on s'est attardé sur une question qui était au document: Devrions-nous développer les débouchés commerciaux en Amérique latine suivant la logique de la diversification des marchés d'exportation ou ne voudrait-il pas mieux concentrer nos efforts envers notre principal partenaire commercial qui est les États-Unis? Cette réponse, on dit: Oui, nous devrions diversifier les marchés d'exportation.

n(15 h 10)n

On a essayé de recenser un peu ce qui s'était fait. Dans un premier temps, on salue les initiatives du gouvernement, entre autres dans une vision... tout ça en lien avec la Zone de libre-échange. En tout cas, j'imagine, avec la Zone de libre-échange des Amériques. Premièrement, je pense que le gouvernement a mis sur pied des cours d'espagnol pour les gens au secondaire; ensuite, la Décennie québécoise des Amériques. Premièrement, je pense que le gouvernement a mis sur pied des cours d'espagnol pour les gens au secondaire; ensuite, la Décennie québécoise des Amériques, c'est un organisme que le gouvernement a fondé; l'Office Québec-Amériques pour la jeunesse qui vient d'être fondé dernièrement; et puis la stratégie d'exportation du gouvernement du Québec.

Avec tout ça, on s'est dit: Oui, mais notre défi, qu'est-ce qu'on pouvait faire de plus? Pour répondre à cette question, on s'est interrogé et nous avons émis quelques constats, tout ça dans la perspective de la Zone de libre-échange. Pour définir le cadre des négociations de cette Zone de libre-échange là, on a émis quelques constats.

L'étendue territoriale, parce que là on voulait voir quel rôle on pouvait jouer, on s'est mis en perspective de voir ça. L'étendue territoriale est déterminée, c'est la Zone de libre-échange des 34 pays d'Amérique latine. Les dates d'échéance, à ce qu'on sache, c'est 2005. Ensuite, les discussions, le pouvoir. Bien, les pouvoirs, c'est au niveau des pouvoirs exécutifs. Le législatif et le judiciaire, jusqu'à maintenant, ne semblaient pas avoir un rôle important. On a considéré aussi que le niveau du gouvernement, bien, qui avait les pouvoirs, c'était le niveau fédéral. On considère que les provinces, États différents, ou comtés, municipalités, ou même la société civile n'avaient qu'un pouvoir de recommandation puis que les thèmes qui étaient abordés, bien c'étaient des thèmes à caractère économique essentiellement. D'après ce qu'on peut avoir comme information, c'est uniquement à caractère économique. En tout cas, d'après ce qu'on a.

C'est là qu'on a dit: Étant donné ce qui précède, la société civile peut à juste titre ? on s'incluait dans la société civile ? ne pas se sentir impliquée dans le processus décisionnel parce que les décisions semblent toutes avoir été prises. On a élaboré vraiment un cadre et puis on est pris... bien, pris ou pas pris avec ça. Là, on s'est dit: Il y avait peut-être un groupe pour tenter d'inclure et d'impliquer le plus possible la société civile et particulièrement les jeunes. Je pense que c'est un groupe qui n'est pas représenté. En tout cas, selon un peu nos recherches, s'il est représenté, ce ne sont pas les jeunes entrepreneurs. Parmi ces jeunes, c'est eux qui auront, à notre avis, un rôle déterminant dans l'acceptation populaire du processus d'intégration.

Et, suite à ça, on n'a pas été jusqu'à faire des recommandations, on vous suggère seulement de favoriser toute initiative provenant de la société civile évidemment et, d'autre part, bien, des jeunes gens d'affaires. On ne représente pas des groupes, mais, avec notre expérience personnelle, je pense que c'est ce groupe-là qui était sous-représenté.

Après ces quelques constats, je vais laisser mon collègue vous entretenir sur le processus de consolidation.

M. Paradis (Michel): Donc, à savoir si le processus intégratif est incontournable, eh bien, par l'énoncé des constats que mon collègue vous a mentionnés, vous conviendrez avec moi qu'il nous faut répondre oui à cette interrogation. En fait, au-delà des constats qui nous touchent directement, les faits sociohistoriques le démontrent depuis presque un siècle, qu'il s'agisse du processus intégratif européen, qu'il s'agisse des regroupements de grands syndicats européens qui, ensemble, agissent de manière plus concertée ou encore des entreprises, une seule variable lourde en ressort, à savoir la manifestation d'une intégration tous azimuts touchant l'ensemble des acteurs socio-politico-économiques. Cette intégration implique un fait indéniable consolidé par les ententes internationales, c'est-à-dire une évacuation progressive des barrières tarifaires. Ce faisant, on constate que, pour les grandes entreprises, cette évacuation progressive des barrières tarifaires leur donne une plus grande liberté au niveau de leurs opérations et surtout en ce qui concerne leurs exportations.

Ainsi, face à ces faits, si nous répondons que nous souhaitons... qu'une diversification avec les pays d'Amérique latine est un choix que nous croyons judicieux, dans le cas du Québec il faut surtout s'attarder au questionnement qui devrait être: Comment pouvons-nous tirer profit de ce processus de changement? En ce sens, nous constatons que le Québec a fait des gestes excessivement intéressants, comme a su le mentionner avec justesse mon collègue. Par ailleurs, tous ces gestes doivent être mis sur un même axe, à savoir la croissance de la richesse en territoire québécois. Et, pour ce faire, une seule solution nous apparaît efficace, c'est-à-dire faciliter toutes les initiatives privées qui vont en ce sens, car il s'agit en fait du rôle du secteur privé de faire ces actions.

Pourquoi? Car, dans un processus de changement sans précédent, seul le privé nous apparaît être l'entité capable d'agir avec souplesse et rapidité ? souplesse et rapidité. Comprenons bien que ces deux qualités sont les clés du succès qui sont maintenant de mise dans ce nouveau marché international. Par ces deux qualités mises de l'avant, il faut mettre en place les outils nécessaires pour permettre la croissance de la richesse, et nous savons que la croissance de la richesse au Québec se fait excessivement par la PME. La PME permet la croissance de la richesse par ses exportations. Pour exporter, il faut répondre aux besoins d'autrui, il faut le connaître. Pour le connaître, il faut le rencontrer et discuter, bref avoir les moyens d'entrer en contact. En ce sens, tout incitatif de l'État doit donc se limiter à faciliter et non d'organiser, sinon il serait un frein au développement, et, dans un cadre de globalisation et d'intégration, l'État ne peut plus se permettre ce genre d'actions. Ainsi, le gouvernement du Québec sera excessivement plus efficace et permettra une réelle croissance de la richesse à l'intérieur de ses frontières s'il accompagne une initiative et non pas la coordonner.

Alors, pour terminer, je laisse maintenant à M. Leduc le soin de conclure notre présentation pour ensuite répondre à vos questions.

M. Leduc (Sylvain): Bien, en conclusion, c'est que le Québec se doit de mettre en évidence et promouvoir les initiatives personnelles issues des PME dont l'objectif est de faciliter les échanges de biens, de services, d'information. La force économique du Québec se retrouve grandement dans ces PME, et il faut donner les moyens à ces entreprises de s'épanouir dans ce processus intégratif et non seulement les multinationales et/ou les États-Unis d'Amérique. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Merci, donc, M. Leduc, et merci, M. Paradis, pour cette présentation. Nous passons à la période d'échanges. M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Beaulne: Merci, M. le Président. Vous avez soulevé des points fort intéressants et vous parlez du rôle du Québec comme État et, à la fois, du rôle du Québec comme facilitateur dans la promotion des investissements puis des exportations en Amérique latine.

Concernant le rôle du Québec, à la page 10 vous dites: Il «doit jouer sur la force du droit pour maintenir un certain avantage comparatif, et c'est en prenant l'initiative sur sa place au sein d'institutions chapeautées par le traité de la Zone de libre-échange que le Québec pourra sortir gagnant de toutes ces transformations.» Quand vous dites ça, vous voulez dire quoi exactement? Est-ce que vous iriez jusqu'à dire que le Québec doit être, comme gouvernement, comme État, directement présent aux instances administratives, politiques ou autres qui pourront surgir de cette Zone de libre-échange ou si vous voulez dire que nous devons nous contenter du processus de consultation habituel qui existe présentement entre le gouvernement fédéral et le Québec et les autres provinces sur les questions de commerce extérieur?

M. Leduc (Sylvain): C'est assez difficile de répondre à cette question-là. J'étais dans un autre forum puis j'ai soulevé cette question-là, l'ai demandé, en parlant de régionalisation, et puis le problème, c'est... On va prendre le cas du Mexique, 31 États, un district fédéral, aux États-Unis, 50 États, le Canada et les différentes provinces, on se ramasserait à une table avec ces 100 intervenants-là. C'est un petit peu difficile, avoir tout ce monde-là avec des intérêts différents. C'est difficile de répondre à la question. On m'avait remis cette perspective-là de 100 personnes à une table, et puis, si on multiplie avec les 34 États ? on prend l'Argentine, le Brésil qui ont, eux aussi, des provinces ou des États, dépendant du système ? on se retrouve à être pas mal. On n'a pas vraiment de réponse.

Suite à ça, on a eu beaucoup d'interrogations. Je pense qu'on est venus ici pour essayer d'avancer et soumettre des choses, avoir un peu plus d'information et une réponse. Je vous remets cette interrogation-là: Est-ce qu'on va se ramasser à 100 personnes juste dans le cas des trois pays qui sont le Mexique, le Canada et les États-Unis, sans compter les autres? C'est ça qui va être difficile parce que chacun va vouloir... chaque province ou État va vouloir jouer son rôle. Donc, je ne sais pas si...

M. Beaulne: Je comprends, à partir du moment où vous faites cet énoncé-là... Vous comprendrez que, nous, en tant que parti souverainiste, on s'est penchés sur cette question-là. Et vous connaissez très bien la position de M. Landry à cet effet, qui dit que justement la mondialisation des échanges et l'effondrement des frontières militent d'autant plus pour que le Québec soit souverain, de manière à pouvoir participer directement, comme État, à ces organismes internationaux où ses intérêts sont en jeu. Alors, c'est la raison pour laquelle je vous posais cette question-là: Est-ce que vous allez jusqu'à rejoindre la pensée de M. Landry en affirmant ça? Si ce n'est pas le cas, alors il faudrait peut-être préciser un peu qu'est-ce que vous voulez dire quand vous faites une affirmation comme celle-là. C'est pour ça que je vous pose la question.

n(15 h 20)n

M. Paradis (Michel): Bien, écoutez, il faut bien comprendre que, lorsqu'on parle de jouer sur la force du droit, le Québec, bien sûr, est une province, entité publique, bien sûr, mais il fait partie du cadre fédéral. Bon. Quoi qu'on fasse, la date butoir pour la consolidation du processus intégratif, c'est 2005. Il s'agirait ici de spéculer. Bien sûr, la force de droit, le Québec peut agir en concert avec ses partenaires provinciaux, il peut agir de concert avec le Parlement fédéral, il y a quand même des champs d'intérêt qui sont communs, ne serait-ce que, par exemple, la protection d'ordre culturel.

Donc, je pense que c'est en ce sens-là que le tout a été fait, en tenant compte qu'en date du 5 octobre 2000 que fait-on? Et surtout le lendemain, le 6 octobre. Qu'est-ce qu'on fait pour la PME? Parce que tout l'esprit du document a été axé là-dessus, permettre à la PME de jouer un rôle des plus importants et des plus actifs. Malheureusement, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, on ne la voit pas, on n'a pas entendu nécessairement des jeunes entrepreneurs qui pouvaient vraiment s'exprimer là-dessus. Écoutez, s'ils sont entrepreneurs, ils travaillent, donc à ce moment-là on ne peut pas les entendre. Il faut avoir un forum, et c'est en ce sens-là, faciliter la communication.

Si on regarde un peu le document, dans le fond, au niveau des conclusions, là, lorsqu'on parle de faciliter les choses, c'est peut-être là-dessus qu'il faut porter attention: Que peut-on faire pour la PME? Et je pense que, dans un cadre de globalisation d'échanges, ne serait-ce que le rôle de l'Internet, par exemple, qui est implicite à tout ça, qui entre dans ce cadre-là, il faut vraiment... toute action posée par l'État se doit d'être focussée en fonction de ça, faciliter les choses. En fin de compte, là, c'est peut-être le message qu'on veut laisser aux membres de la commission ici.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci, M. le Président. Alors, bienvenue à la commission. Je vous félicite pour votre mémoire, surtout à la page 3, je pense que vous êtes un de ceux qui veulent que les jeunes soient impliqués. Je pense que c'est majeur, et vous leur prêtez un rôle majeur aussi dans le processus d'intégration.

Moi, ma question concerne la question que vous vous posez au début, lorsque vous dites: Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux plutôt concentrer nos efforts exclusivement avec notre partenaire principal les Américains, les États-Unis? Est-ce que vous ne croyez pas qu'on perd beaucoup à se limiter exclusivement aux États-Unis quand on peut, dans un libre-échange, commercer avec 34 pays, faire des échanges que les pays n'ont pas. Est-ce que ce n'est pas trop limitatif?

M. Leduc (Sylvain): Pour répondre, c'est ça, effectivement, on doit aller vers ce processus-là. On croit... peut-être mal articulé, mais on croit que, oui, il faut vraiment aller vers le processus pour... On est dépendants à quoi? 84 %, 85 % de nos exportations s'en vont vers les États-Unis, et puis le reste, bien, c'est réparti dans le monde, et en plus l'Amérique latine comprise. Donc, on se doit d'aller un peu plus vers l'Amérique latine effectivement.

M. Boulianne: Est-ce que je comprends de faire ça exclusivement avec les États-Unis, c'est une prémice qu'il faut faire avant d'aller vers le libre-échange, complètement, des Amériques?

M. Leduc (Sylvain): Je ne vous suis pas sur est-ce qu'on doit... On fait déjà affaire avec l'Amérique latine...

M. Boulianne: Oui, c'est ça.

M. Leduc (Sylvain): ...on fait déjà affaire avec les États-Unis. On dépend beaucoup des États-Unis.

M. Boulianne: Donc, il faut mettre l'accent sur les États-Unis, c'est ce que vous dites?

M. Leduc (Sylvain): Il faut mettre l'accent sur l'Amérique latine.

M. Boulianne: L'Amérique latine?

M. Leduc (Sylvain): L'Amérique latine. Devrions-nous développer des débouchés commerciaux en Amérique latine? Oui.

M. Boulianne: O.K.

M. Leduc (Sylvain): À cette question-là, oui.

M. Boulianne: C'est bien. Maintenant, j'avais une deuxième question. Vous dites que la coopération ne va pas nécessairement avec l'intégration. C'est des concepts qui... Vous l'avez, à la page 6: «Il est faux de parler de coopération lorsque nous parlons d'intégration.» Est-ce que vous pouvez élaborer?

M. Paradis (Michel): Oui, parce que le processus intégratif, en fait, là, le but ultime derrière tout ça, c'est un processus de concentration. Intégration veut dire aussi... Parce que, écoutez... Je vais le lire avec vous: «Il est faux de parler de coopération lorsque nous parlons d'intégration. Il faut bien comprendre que la coopération n'a pas pour but de porter atteinte à l'indépendance des partenaires.» Parce que, indubitablement, l'intégration, c'est une perte de souveraineté. Alors, à partir... à ce moment-là, s'il y a perte de souveraineté, le concept de coopération, qui, en principe, est celui de respecter l'entité de manière entière, ne s'applique pas. Parce que, quelquefois, il y a des gens... Surtout au niveau universitaire, quelquefois, on fait un peu le mélange des choses, et je pense et je maintiens que c'est excessivement important de faire la distinction entre les deux. Coopération, c'est de respecter l'intégrité de l'autre de manière entière. Intégration, il y a inévitablement fusion. On ne peut pas faire les étapes intégration économie, intégration politique et intégration monétaire. On s'en va vers ça, donc il faut vraiment faire une dichotomie entre les deux. C'était strictement ça, le but.

M. Boulianne: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond.

M. Jutras: Bonjour. Ma première question, c'est à M. Paradis. Qu'est-ce que c'est que l'Institut Fidelium?

M. Paradis (Michel): Ah, grand Dieu! L'Institut Fidelium, c'est un jeune institut, comme la personne qui vous parle, et, écoutez, c'est, bon, depuis maintenant près de trois ans que ça a été sur pied et dont l'objectif est de pouvoir travailler avec des entreprises, essayer de faire de la recherche pour elles pour connaître un peu c'est quoi, le marché, qu'est-ce qu'elles veulent développer. Donc, c'est véritablement l'objectif qu'on fait. On débute bien sûr, mais, quand même, c'est l'objectif de l'Institut, c'est vraiment un institut de recherche spécifiquement et uniquement, là.

M. Jutras: Et, quand vous parlez de développer des marchés, rechercher les marchés, c'est au niveau de l'exportation que vous entendez?

M. Paradis (Michel): Oui. Bien, par exemple, le cas de 1997 où, dans le Bas-Saint-Laurent d'où je suis originaire, bon, il y avait un genre de projet pour les acériculteurs de pouvoir peut-être essayer d'exporter le produit de l'érable. Donc, ça a été un peu de regarder avec eux qu'est-ce qui était possible. Donc, c'est un cas particulier parmi d'autres, là.

M. Jutras: Oui. Dans votre mémoire, ce que l'on retient principalement, vous nous dites: Bon, bien il y a là une opportunité intéressante pour les PME. Et, d'ailleurs, ça nous a été dit beaucoup que... Et, d'ailleurs, les deux accords conclus à date, l'Accord de libre-échange, l'ALENA, ça a permis énormément l'expansion des exportations, et je pense qu'effectivement, oui, ça a été bénéfique pour les PME.

Et vous nous dites dans votre mémoire que notre rôle, le rôle du gouvernement, ce n'est pas d'organiser, c'est de faciliter. Et de ce que je comprenais des interventions de Me Leduc tantôt, c'était de dire: Bon, bien, entre autres, votre rôle, c'est... tout ce que vous pouvez faire ? et si jamais je vous interprète mal, Me Leduc, vous me reprendrez, là ? pour faciliter, entre autres, les exportations, bien allez-y dans ce sens-là. Mais, quand vous dites de faciliter et non pas d'organiser, qu'est-ce que vous nous dites par rapport à des représentations qui nous ont été faites à l'effet qu'il faudrait que l'on soit vigilants quant à l'inclusion dans ces accords-là de la protection de droits, de certains droits au minimum, de la protection de normes environnementales, de la protection de certaines façons de faire? Qu'est-ce que vous dites là-dessus, vous autres? Est-ce que vous dites: Écoutez, c'est le libre marché, c'est la libre entreprise, et laissez faire ça, ou vous nous dites qu'on a quand même un rôle par rapport à ces éléments-là?

M. Leduc (Sylvain): Moi, je ne peux pas aller jusqu'à faire la vente. Vous comprenez? On peut accompagner des entreprises, mais ne pas aller jusqu'à faire la vente, c'est ça, ne pas devenir représentants de vente, là. Concrètement, c'est ça, de ne pas prendre une entreprise puis l'amener en voyage, puis aller faire la vente pour elle, signer le contrat, et puis tout ça, il y a quand même... L'entreprise se doit de voler par elle-même pour être autonome à un certain moment donné, parce que je crois qu'à la longue les gens perdent l'autonomie. Tout le temps, on va attendre, on attend toujours qu'est-ce que le gouvernement va faire pour nous. Qu'est-ce que le gouvernement va faire pour nous? Je pense qu'on a eu cette culture-là, bonne ou mauvaise. On se doit d'intervenir dans certains secteurs, mais toujours de dire: On va attendre que le gouvernement prenne l'initiative, et puis là il va faire la vente pour nous, vous voyez, il ne faut pas... Je pense qu'une certaine partie des gens sont... À mon avis, c'est un avis personnel, les gens sont là, ils vont attendre l'initiative du gouvernement, que ce soit dans... Je pense, essayer de forcer les gens à être un peu plus autonomes et de ne pas... Je ne sais pas si ça répond...

M. Jutras: C'est-à-dire que ça, oui, je le comprends bien. Ce que vous nous dites, c'est que ce n'est pas au gouvernement à faire les ventes, ce n'est pas au gouvernement à se substituer aux PME, par exemple, mais notre rôle est de mettre en place des conditions qui favorisent les exportations, qui favorisent le marché, etc. Ça, je le comprends bien quand vous dites cela, mais ma question, elle va plus loin que ça, et ce que... C'est parce que certains nous ont fait des représentations disant que, dans ces accords-là, il faudrait, vu qu'on a des pays avec des économies qui sont très différentes, voire disparates, des économies qui sont très faibles, des pays en voie de développement, des pays pauvres, et, par contre, vous avez à côté comme les États-Unis qui sont très riches... Finalement, on compare Haïti avec les États-Unis, là. Alors, certains nous disent qu'il faudrait être vigilant et voir à l'inclusion, dans ces accords-là, de la protection de normes minimales en matière environnementale, par exemple, en matière de droit du travail, d'accès à la syndicalisation, de défense du travail des enfants, etc.

Qu'est-ce que vous nous dites par rapport à ça? Est-ce que vous nous dites même qu'on n'a pas à mettre notre nez là-dedans quand vous dites: Votre rôle est de faciliter, ou vous nous dites qu'il faudrait quand même qu'on regarde ça de près?

n(15 h 30)n

M. Paradis (Michel): Je vais vous répondre en fonction de la grille d'analyse sur laquelle, nous, on s'est basés pour faire le mémoire. Nous autres, l'optique, bien sûr, c'est la PME. L'État québécois, bien sûr, comme les autres États, a un rôle à jouer dans les secteurs que vous avez mentionnés. Et on dirait même, jusqu'à un certain point, que, écoutez, ne serait-ce que de faciliter le travail de certaines entreprises, par exemple, un commissaire industriel qui avait pour but d'aider les entreprises à aller exporter les produits de biens et services de certaines entreprises d'ici à l'extérieur, il n'y a aucun problème. L'objectif et le message qu'on veut faire comprendre ici, c'est que, dans la mesure où le législateur est composé d'hommes et de femmes, par sa nature même, il ne peut pas répondre à tous les besoins parce que, si c'était le cas, l'État serait parfait, mais l'État ne l'est pas, et heureusement d'ailleurs, parce que c'est ça qui permet finalement à l'initiative privée de pouvoir combler ne serait-ce que sporadiquement, ne serait-ce que temporairement, un besoin particulier.

Ce que nous disons, c'est qu'en fonction des petites et moyennes entreprises, toute initiative personnelle qui pourrait permettre de combler un besoin particulier, ce qu'on dit, c'est: Que l'État facilite la chose, qu'il... Comment dire? Nous ne croyons pas qu'il serait juste que l'État prenne sur lui de dire si l'initiative est privée; nous n'avons qu'à l'intégrer dans le processus administratif ou quoi que ce soit. Laissons-le faire. Parce que, avec tous les changements qui se produisent présentement au niveau international, un État qui ne met pas en évidence les qualités de souplesse et d'efficacité, parce que, de par sa structure même, une administration publique... Et c'est bien que ce soit comme ça parce que ses besoins sont différents de ceux auxquels une entreprise privée se doit de répondre. Donc, sa structure ne lui permet pas d'être souple, et cette qualité-là est essentielle. Qu'est-ce qui peut être souple? C'est le privé. Et c'est en ce sens-là que nous disons: Ne voyons pas Dieu et diable, mais visons la complémentarité et l'efficacité au bout de tout ça. Parce que, au Québec, si on ne met pas l'emphase sur ces critères-là, c'est bien triste à dire, mais on va sortir perdant du libre-échange. Ça, c'est clair. Donc, à votre réponse... il faut y répondre sous cet angle-là. Pour la PME, le 6 octobre, que peut-on faire? Ce n'est que ça.

M. Leduc (Sylvain): Moi, ce que je veux dire, c'est: il ne faut pas penser que les gens qui sont là-bas, eux, au niveau... J'ai suivi un peu les débats puis c'étaient ces questions-là qui revenaient au niveau des normes du travail, au niveau des questions de l'environnement, au niveau des questions des produits. Je ne crois pas que les gens vont prendre un retour à l'arrière. Je crois que les gens vont vouloir augmenter le niveau. Je ne sais pas, je suis peut-être optimiste de penser ça, de me dire: Les gens vont vouloir avoir une meilleure qualité de vie, partout. Je pense que je suis optimiste de me dire ça. Je ne vois pas le côté plutôt noir. Je pense que, d'avoir ces normes-là et que les gens les respectent toutes... Il ne faut pas avoir peur de dire qu'on a des normes élevées et puis d'amener tous les gens vers les normes élevées, pas aller vers un abaissement des normes, que les normes soient élevées. On ne reviendra pas, par exemple, à la télé noir et blanc. Je ne pense pas que ces gens-là n'ont plus... L'expérience que j'ai vécue au Mexique, les gens que je côtoyais, bien, ils veulent tous aller de l'avant. Il y a des problèmes de contamination, de pollution énormes à Mexico. Les gens ne veulent pas ça. Ils voient des photos d'ici, le cadre, ces gens-là veulent tous ça. De là à ce qu'ils soient capables et le temps que ça va prendre pour acquérir ça, ça peut être long, mais je pense que tout le monde vise ça. Je ne sais pas si ça répond à votre question.

M. Jutras: Mais qu'est-ce que vous dites ? je vais vous reposer la question autrement ? par exemple, au propriétaire d'une PME ici, au Québec ? et un exemple qu'on a pris ici à date, devant la commission ? qui n'est pas dans le domaine de la nouvelle économie, qui produit comme depuis 50 ans des robinets de cuisine et qui, là, lui, apprend que, dans tel pays en voie de développement, dans tel pays pauvre, il y a une usine qui va s'ouvrir puis qui va en produire des robinets de cuisine puis qu'il va y avoir, entre autres, des enfants qui vont travailler là puis qui vont travailler là à 0,50 $ de l'heure? Et là, lui, ce directeur de PME ici, au Québec, il dit: Bien, moi, comment je vais faire pour concurrencer, alors que mes gens sont payés à 15 $ l'heure avec des charges sociales en plus qui sont de l'ordre de 20 %? Vous, vous dites: Donnez la chance, laissez aller puis ça va être bon pour les PME. Mais, en tout cas, lui, ce propriétaire de PME là, il est inquiet dans ce contexte-là.

M. Leduc (Sylvain): Moi, je peux vous répondre qu'ils n'iront pas ouvrir une entreprise de robinets parce que... Je vous reviens à un exemple, ils n'iront pas ouvrir pour des télés noir et blanc. Les gens vont vouloir faire des télécouleurs. La bagarre ne se fera pas pour des produits de consommation rapide, du cheap, là. Je ne pense pas que la bagarre va se faire sur le cheap. C'est un petit peu ce que je vous disais, le côté optimiste ou le côté positif. Moi, je pense que les gens vont vouloir acquérir une meilleure qualité de vie, donc des produits un peu plus de luxe. La réponse à ça, je ne crois pas que l'entreprise va décider, qu'elle soit partout, d'ouvrir des robinets si le marché n'est pas là. Concrètement, c'est ça. Est-ce qu'elle va ouvrir des robinets? Prenons l'exemple de la télé noir et blanc. Quand même que l'usine s'ouvrirait au Nicaragua ou peu importe avec une technologie qui est de fabriquer des télés noir et blanc, je ne pense pas que...

M. Jutras: Non, mais je ne pense pas non plus que, dans la brousse, ils vont ouvrir une usine qui va fabriquer des pompes à eau à bras, mais je pense qu'un robinet de cuisine, ça reste un robinet de cuisine et, si quelqu'un peut le produire à 0,50 $ l'heure puis l'autre le produit à 15 $ l'heure, moi, je pense que ce directeur de PME là, en tout cas, il nous soumet des inquiétudes, lui. Alors, ma question, c'est: Qu'est-ce que vous lui dites?

M. Leduc (Sylvain): Moi, je lui dis qu'il doit... je pense que les forces et faiblesses du Québec... je pense qu'on est l'endroit le mieux placé en Amérique pour profiter de cette zone de libre-échange là, un, au niveau du bilinguisme, même trilinguisme, avec ce que le gouvernement a mis comme proposition de devenir trilingue, je pense, au secondaire; on a un double système de droit, civil et «common law», qui sont en même temps un double système de mesures qui peut être important; biculturalisme même avec les immigrants un peu plus... on a une conception latine des affaires; au niveau des ressources naturelles, bien là c'est vraiment assez formidable; au niveau des ressources humaines, les robinets, je ne crois pas, si ça fait 50 ans et le même produit est là depuis 50 ans, je pense que les ressources humaines n'iront pas copier ce produit-là. Je ne crois pas qu'ils vont aller copier ce produit-là, ils vont innover. Mais, nous, on a la population, la population est éduquée, est compétente. On a une population dite du savoir. Les virages technologiques qu'on prend, ça doit paraître, ça.

Notre fabricant de robinets, qu'est-ce qu'il doit faire, lui? Il doit peut-être produire un meilleur robinet. On a une capacité d'adaptation assez énorme au Québec, et je pense qu'on ne vise pas là-dessus. On a une capacité d'innovation et de créativité, il faut viser là-dessus ? je vais arriver avec les faiblesses ? un esprit de combativité et de fougue qu'on a ici, il faut miser là-dessus. Au niveau de la société, la perception que cette zone-là a de nous, ils ont une très bonne perception de nous. Quand on arrive partout, notre carte... qu'on dise qu'on est Canadien ou du Québec, les gens, ils l'ont, notre perception, nos valeurs sont mises de l'avant. Notre système, notre stabilité politique, ça, ça va de l'avant, c'est des cartes à jouer, puis notre ouverture sur le monde.

Je pense, de l'autre côté, que la faiblesse, c'est notre peur de la comparaison, avoir toujours des exemples comme ça ? je m'excuse, le terme va être peut-être fort ? un certain misérabilisme. On doit combattre ça. Il faut viser l'excellence, toujours viser l'excellence. Votre robinet, là, moi, ce que je vous dis: Fabriquez un meilleur robinet. Il n'y en aura plus de compétition. Si vous fabriquez le meilleur robinet, si ça fait 50 ans qu'il y a le même robinet, c'est parce qu'il doit y avoir quelque chose, il le fabrique bien. Il n'y a pas personne qui va aller refabriquer un autre robinet comme ça. Pourquoi? Il y a un marché couvert et puis se lancer là-dedans, ça va être assez difficile. Je pense qu'il faut cultiver l'excellence. On entend toujours les commentateurs du négatif, mais je pense qu'il est temps de sortir les commentateurs du positif. Dans des cas comme ça, qu'est-ce qu'il va faire? On revient à la force: nos ressources humaines. Les gens ont l'esprit d'initiative, de créativité, bien, foncez là-dessus. Je pense qu'on l'a, ça. Ce qu'on peut avoir comme problème, c'est un petit peu notre situation géographique.

M. Jutras: Vous n'avez pas besoin de me vendre le génie québécois, j'y crois.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Leduc (Sylvain): Mais on dirait, par ces commentaires-là, quelquefois que non. On a la peur de la peur, la peur de la comparaison. On a un génie et puis il est temps... Je ne comprends pas. Je pense que c'est nous qui avons peur. On sent la peur puis ça n'a aucun sens. Je ne comprends pas. C'est eux qui devraient avoir peur, c'est nous qui avons en principe la technologie. Si on a la technologie de l'environnement, qu'est-ce qu'on attend pour aller frapper à leurs portes? Il faut que leur niveau de vie augmente. C'est tout pour nous permettre, nous, d'aller faire des ventes là.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Nous aurions le temps pour une autre question. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Oui, peut-être un peu dans le même sens. Est-ce que, selon vous, nos PME actuelles, elles ont une capacité de production qui va leur permettre de tirer profit d'une ouverture au-delà des États-Unis? Actuellement, on sait que 85 % de nos exportations sont aspirées par les États-Unis. La proximité au niveau même, entre guillemets, culturel dans le sens de «on se connaît mieux», est-ce qu'on a tiré le maximum de profits de ça déjà pour qu'on puisse envisager vraiment d'aller envahir les marchés brésiliens, vénézuéliens, etc., ou est-ce qu'on risque d'ouvrir plus le marché américain à une compétition d'autres vis-à-vis nos produits à nous? Quel est le niveau d'intérêt actuellement, selon vous, des PME pour une ouverture plus grande?

M. Leduc (Sylvain): Est-ce qu'on a la capacité de production? C'est ce que vous demandez? Est-ce qu'on a la capacité de production pour affronter des nouveaux marchés ou est-ce qu'on est saturé avec.. Est-ce que c'est ça, votre question?

n(15 h 40)n

M. Sirros: Oui, d'une part, c'est ça. Ça, c'est la première question. Deuxième, c'est: Quel est le niveau d'intérêt, selon vous, que les PME québécoises ont pour ouvrir le marché américain à la libre concurrence des pays du Sud?

M. Paradis (Michel): Moi, je vous dirais strictement, là, par expérience, que, lorsqu'on a fait couvrir la possibilité: Est-ce que c'est quelque chose que tu as déjà envisagé? Non. Mais, lorsqu'on en parle un peu plus... pourquoi pas? Alors, on se rend bien compte d'une chose, c'est que, de plus en plus... De un, la plupart des gens se rendent compte que l'abolition des barrières, que ce soit la facilité de communication... bien des gens, de plus en plus, se rendent compte que, dans le fond, une barrière, que ce soit au Mexique, que ce soit au Chili ou ailleurs, ça devient quasi virtuel. Mais, dans les faits, lorsqu'on approfondit un peu plus, on se rend bien compte que, oui, si j'avais la possibilité, oui, ce serait quelque chose que j'aimerais. Et je pense que cette dépendance ou cet état de fait est tellement comme ancré que, à un moment donné, lorsqu'on secoue un peu et lorsqu'on creuse davantage, oui, l'intérêt est là. Ça, je peux vous le consolider, absolument.

M. Leduc (Sylvain): En réponse à votre première question au niveau de la capacité de production, dépendant des entreprises, effectivement, la PME a des difficultés, encore là avec les ressources financières et les ressources humaines, à avoir des gens de qualité, et tout ça. Ça, je pense que c'est reconnu. Mais je ne crois pas qu'il y en a qui vont refuser... Moi, je fais juste une question comptable, là: Est-ce qu'ils vont refuser de faire des ventes? On va en finir comme ça. Est-ce que ces entreprises-là vont refuser des ventes, si on leur donne une possibilité d'un vrai marché, de dire: On augmente la production? Je ne le sais pas, ce n'est pas toutes les entreprises qui roulent à plein rendement, là, sur trois tours, si on peut dire, dont la machine fabrique et produit à 100 % de sa capacité.

Je ne le sais pas, leur dire: Écoutez, il y a un marché, là. Je ne dis pas que... je ne vous donne pas un produit en particulier, là, mais il y a un marché pour toi, là. Par exemple, au Mexique, es-tu capable de... Ouf! laissez-moi vous dire que la compagnie va tourner sur un autre tour, là, elle va travailler six jours.

M. Sirros: Incidemment, avez-vous réfléchi un peu sur les structures qui seraient nécessaires, peut-être, pour accompagner l'intégration économique, pour régler les litiges, etc.? Vous avez parlé, il me semble, dans votre introduction, des instances supranationales.

M. Leduc (Sylvain): Oui, au départ, quand on a... mais là c'est vraiment... on ne voulait pas aborder cette question-là parce qu'on ne croit pas qu'on soit rendu là, nous. Ce qui est présentement dans la zone de libre échange, ce qui se traite, ce qu'on sait, parce qu'il y a de l'information... C'est évidemment difficile à avoir, étant donné qu'on est uniquement la société civile. Peut-être pour en revenir à ce que monsieur tantôt demandait, un rôle plus actif pour avoir l'information, ça serait... ce qu'il en est: l'accès au marché, l'investissement, les services, les marchés publics, les règlements des différends, l'agriculture, le droit de la propriété intellectuelle, subventions, droits antidumping et compensateurs et les politiques de concurrence, c'est ce qui est parlé présentement.

Si on fait un comparant avec ce qui se fait... l'Union européenne, les institutions qui ont été mises de l'avant sous l'Union européenne, bien là on a... si je peux le trouver, bien, toute la structure est mise en place. On a même un groupe, de mémoire, là, pour... c'est le dernier groupe, des gens de la société civile. Ce n'est pas ce nom-là, je pense que c'est le Comité des régions. Évidemment, on prend ce qui a été fait pour essayer de le transposer. Puis, quand on a peur aussi sur les sujets... il faudrait que je fouille... Pour ce qui est des questions d'accès aux marchés, les gens, ce que j'entendais, c'est qu'il y avait une certaine peur de ce qui était ? on n'avait pas les accords ? à être négocié, et tout ça. Les cadres sont quand même assez établis en raison de l'OMC et la plupart des pays ont adhéré. Donc, le cadre devrait être sensiblement le même.

Pour ce qui est de la structure supranationale que, nous, parlements des Amériques... l'idée, c'était de faire contrepoids évidemment à l'Union européenne, parce que ? ça, c'est une pensée personnelle ? d'ici quelques années, là, ce n'est pas appuyé sur rien, mais il va y avoir probablement des grands blocs et ça va être la bagarre entre les grands blocs. C'est une vision. Peut-être que mes enfants vont voir ça ou que j'aurai le plaisir, quand je serai vieux, de voir ça.

M. Paradis (Michel): Et peut-être pour conclure, je dirai simplement que bien sûr on a un peu touché à la question, mais je crois qu'il y aurait peut-être intérêt à pouvoir, disons, apporter un critère un peu nouveau au caractère législatif d'un Parlement supranational, ne serait-ce que par la diversité de l'ensemble des populations qui regroupent les deux Amériques. Ça, ça impliquerait une recherche plus poussée, mais disons que c'est une piste de réflexion qu'on avait débuté à structurer il y a à peu près maintenant deux mois.

M. Sirros: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, M. Leduc, M. Paradis, j'aimerais vous remercier pour votre présence et votre contribution à nos travaux.

(Changement d'organisme)

J'inviterais maintenant M. James Archibald, directeur du Département de langues et de traduction à l'Université McGill à bien vouloir s'avancer s'il vous plaît, toujours dans le cadre de cette série de consultations et d'auditions publiques sur les impacts du projet de Zone de libre-échange des Amériques. M. Archibald, nous avons prévu une période de 45 minutes pour la présente rencontre. Alors, nous allons vous réserver une quinzaine de minutes pour la présentation de votre propos, à la suite de quoi nous passerons aux échanges.

M. James Archibald

M. Archibald (James): Merci, M. le Président. Je vous ai déjà fait parvenir un mémoire et donc je vous fais grâce d'une lecture du mémoire. Je veux simplement faire quelques petits commentaires, si vous voulez, pour vous donner la toile de fond, ce qui a pu en fait nous permettre de pondre cette petite réflexion sur la question.

Nous sommes très impliqués dans l'enseignement de la langue et de la culture, de la langue de spécialité et de la culture de spécialité, et nous avons formé depuis peu de temps en fait des associations à l'échelle internationale pour regarder certains enjeux dans ce contexte. Et cela se fait évidemment dans le cadre de l'ALENA et évidemment, puisque nous parlons ici d'une zone de libre-échange à plus grande échelle, cette réflexion pourrait aussi s'étendre à ces questions de la Zone de libre-échange.

Dans nos discussions avec nos collègues de l'École des HEC, du Modern Institute of International Studies, du American Graduate School of Management, Thunderbird, et d'autres encore, nous arrivons, malgré nos différences d'origine et nos différentes perspectives, quand même à un point de vue qui est relativement commun. Et ce qui est intéressant, c'est que nous voyons de part et d'autre que cette question de culture à l'intérieur de la discussion du développement d'une zone de libre-échange est une question excessivement importante non pas sur le plan seulement du commerce extérieur, mais aussi sur le plan de la gestion de nos organismes à l'intérieur du pays et du développement ou de l'évolution, si vous voulez, de l'identité nationale par rapport à ces questions culturelles. Or, cette zone qui est proposée met en jeu évidemment la question de langue et la question de culture. Dans nos groupes qui se sont penchés sur cette question, la notion de culture va au-delà de ce que l'on entend habituellement par «culture», nous allons au-delà de la notion pure et simple de produit culturel national et nous nous penchons évidemment sur la question de la culture d'entreprise. Est-ce que le Québec a un savoir-faire? Est-ce que le Québec a une façon d'opérer, si vous voulez, sur ces marchés qui est distincte et qui nous distingue des autres intervenants? Qu'est-ce que nous avons à contribuer dans ce sens-là et comment peut-on voir ces questions-là de près?

n(15 h 50)n

En lisant le document de consultation, nous nous sommes étonnés de voir que cette notion de peur, cette notion de protection, cette notion de repli sur soi revient constamment sur le tapis et, en effet, dans nos discussions, nos discussions se sont orientées plutôt dans un autre sens, dans un sens de promotion, dans un sens presque, je dirais, d'agression culturelle, d'aller au-delà des frontières du pays et de faire une promotion très énergétique de ce qui représente à la fois le produit culturel, la langue nationale et la façon de faire qui distingue souvent l'entreprise québécoise qui réussit dans un marché à l'extérieur du pays. Je suis certain que vous avez eu moult exemples de ce genre de succès, etc. On les connaît tous. Alors, c'est cette question-là qui nous préoccupe évidemment et par ailleurs il y a la question des rapports entre la communication et la culture, parce que, à notre ère, évidemment nous nous lançons dans une situation où cette question du réseau d'information devient de plus en plus importante, n'est-ce pas?

J'ai cité cet exemple de Cuba parce qu'il y a eu, à l'époque, au pays, le même genre de réflexe: la peur de l'invasion culturelle américaine venue de l'étranger, etc. Il faut envisager certains moyens de se protéger contre ce type d'invasion. Enfin, c'est un genre de leitmotiv qui revient partout. On a cité ça comme exemple. Mais est-ce que nous voulons nous protéger de ce système nerveux central du capitalisme américain, comme disent les Cubains? Ou est-ce qu'on veut voir comment on peut participer de plain-pied à ce type d'évolution? Et je crois que, dans le fond, si on regarde les histoires de succès de l'entreprise québécoise et de l'entreprise canadienne, il y a plusieurs exemples de succès sur le plan justement de cette entreprise, sur le plan de la technologie. Et donc, il y a évidemment à la fois le danger et les possibilités de succès qu'il faut regarder de très près. Ce qui nous a paru important, c'est simplement de lancer peut-être un appel en disant qu'il faudrait éviter ce que Thévenet appelait dans ces travaux sur la culture d'entreprise le «nombrilisme», n'est-ce pas? Il faut carrément quitter cette mentalité et s'acheminer vers une mentalité d'expansion et utiliser le patrimoine national qui est à la fois le produit culturel, la langue et la culture d'entreprise propres au pays, comme un genre de réservoir national qui nous permet de prendre ce pas vers l'expansion internationale. Donc, il faut prendre l'offensive et il ne faut pas rester sur ses arrières dans ce sens-là.

Et c'est intéressant parce que, lorsque nous avons partagé ce genre de réflexion avec nos collègues français qui travaillent aussi dans ces mêmes marchés... et je parle, en particulier, de mon collègue, l'attaché culturel de l'ambassade de France à Mexico, où nous avons pu, à Thunderbird, réfléchir vraiment profondément sur cette question-là. Et le portrait qu'il a dressé de l'entreprise française, par exemple, à l'étranger, est très différent du portrait que l'on peut dresser de l'entreprise québécoise et qui fait de l'expansion à l'étranger.

Je cite un exemple... et d'ailleurs nos amis français étaient vraiment dans l'horreur d'entendre cet exemple, mais je crois que l'exemple est probant quand même. L'exemple a été cité par Michel Bichot, qui est le président de la NIFAX, au Mexique, qui représente un groupe bancaire, et il dit ceci... Et il y a des différences culturelles, par exemple, entre la culture d'entreprise mexicaine et la culture d'entreprise française, évidemment vu du point de vue de la recherche de Thévenet, du point de vue de la recherche de Sainsaulieu, etc. Il dit: Quels sont les points de base, en fait? La différence dans la notion de temps; la ponctualité; la transparence comptable ? combien de livres avez-vous; l'utilisation des titres ? au Mexique, tout le monde est «licenciado», tandis qu'ici on est beaucoup plus modeste, n'est-ce pas; la notion de hiérarchie ? on est beaucoup plus collectiviste, beaucoup plus terre-à-terre, dans notre culture d'entreprise au Québec, tandis que la culture d'entreprise mexicaine est beaucoup plus hiérarchisée; la question de la proximité entre les personnes dans les échanges commerciaux, ce qui touche les négociations, les rapports humains de tous les jours.

Alors, Bichot a conclu en disant ceci: Les problèmes qui existent sont des problèmes d'hétérophobie, l'hétérophobie des cadres français lorsqu'ils se trouvent à l'étranger. Bichot estime que cette peur de l'autre prend racine dans des attitudes racistes des cadres français qui gardent leur eurocentrisme même après plusieurs années de séjour à l'étranger, n'est-ce pas? Alors, évidemment nos amis français n'ont pas beaucoup aimé cette situation et vous comprenez pourquoi.

Par contre, je crois que c'est une leçon pour nous parce que l'un de nos produits d'exportation, c'est notre façon de faire notre culture d'entreprise. Et, pour reprendre le terme que notre ami Poulet a utilisé, il explique que, qu'est-ce qui rapproche l'entreprise de culture francophone et l'entreprise dans les pays latino-américains, c'est ce qu'il appelle la «latinité». Ça me rappelle ce que les Cubains appellent la «cubanidad». Mais c'est une notion qui permet à l'entreprise québécoise de faire l'interface plus facilement avec des entreprises à l'étranger parce qu'il y a une certaine souplesse et il y a une certaine question de valeurs qui s'intègre dans le moyen de faire de l'expansion à l'extérieur du pays. Donc, il faut voir cela, n'est-ce pas, comme une sorte de ressource nationale, de réservoir où on peut puiser pour justement faire avancer notre carte.

Donc, le problème se complique un petit peu à partir de là parce qu'il y a tout le problème... et j'ai cité rapidement un texte de Habermas, qui réfléchit longuement sur cette question-là, et c'est la question justement du degré d'autonomie dont jouit l'État souverain ou quasi souverain à l'intérieur de ce type de situation. Et voilà le propre, en fait, de la problématique du Québec dans ce genre de situation à laquelle on fait face actuellement. Jusqu'où on peut être autonomiste et jusqu'où on participe à une oeuvre commune, etc. Et donc, c'est un débat qui est purement politique dans le fond, dans un certain sens, mais c'est aussi un débat pratique sur le plan de la façon dont on peut faire l'interface à la fois sur le plan des institutions et sur le plan des organismes.

Donc, le choix qui semble se dresser ici, c'est un choix qui touche à la fois à cette question d'autonomie, parce qu'on doit savoir jusqu'où on peut aller dans la situation actuelle et comment peut-on utiliser cette situation-là pour faire avancer une certaine perspective ou une certaine orientation politique. Et, d'autre part, il s'agit de savoir si on veut garder les anciennes valeurs d'arrière-garde où on se replie sur soi, c'est le genre de nombrilisme culturel, etc., qui prévaut dans certains milieux, n'est-ce pas, ou est-ce que, carrément, on quitte cette étape-là, on dit que c'est d'ores et déjà révolu, et on reprend une nouvelle attitude expansionniste et on y va à fond de train pour promouvoir justement des liens entre nos entreprises qui ont une culture distincte, propre à la culture du Québec comme entité politique ou, comme on disait en anglais, comme «polity», et, par cet effet même dans une société qui, dans le fond, est une société postnationale, pour reprendre la notion de Habermas, carrément participer à un effort d'extériorisation et de développement très énergétique de ces marchés à l'étranger. Et c'est le genre de défi qui semble se dresser devant nous.

Dans ces remarques, je n'ai pas été très pratique, parce que évidemment vous vous penchez sur la question du pratico-pratique de la promotion des PME et des industries, etc. Mais, nous, comme universitaires, venant des États-Unis, du Mexique, il y avait des collègues de l'UNAM, à Mexico, il y avait des collègues de la Universidad Veracruzana, à Mexico aussi, des collègues américains et des collègues canadiens. Et c'est le genre de réflexions que nous avons faites sur cette question-là que j'ai voulu partager avec vous, sans arrière-pensée. Mais je crois qu'on a voulu mettre sur la table un certain nombre de questions pour fins de réflexion. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Merci, M. Archibald. Nous passons donc à la période d'échanges, de questions. M. le député de Drummond.

n(16 heures)n

M. Jutras: Ce que vous nous proposez dans ce que vous nous dites, c'est l'ouverture au monde, et vous dites que nous n'avons pas à craindre cela parce que nous avons déjà une culture d'entreprise, chez nous, qui est spécifique et qui crée envie même, jusqu'à un certain point, et qu'avec ces outils-là: Bravo! allons de l'avant et, somme toute, nous ne pouvons que gagner. Vous ne dites pas ça comme tel, mais en tout cas, vous avez confiance.

M. Archibald (James): C'est un message optimiste, quoi. Ha, ha, ha!

M. Jutras: Oui, c'est un message très optimiste et c'est un message de confiance avec un grand C.

Mais j'essaie de voir, dans votre mémoire, cet optimisme-là, qui vous habite, je comprends qu'il vous habite même par rapport à ce qu'on appelle «nos produits culturels». Je vous comprends bien, ça va jusqu'à là. Oui? Votre réponse...

M. Archibald (James): Oui. Si je puis répondre...

M. Jutras: Oui, allez-y.

M. Archibald (James): J'étais concret. Je viens de rentrer d'un voyage en Argentine et en Uruguay. J'ai été frappé par une chose: nous ne sommes pas très forts sur le terrain, et c'est malheureux parce que la concurrence est très forte sur le terrain. Quand on est absent des marchés, évidemment, les absents ont tort et les autres vont finir par ramasser les contrats, etc.

Pour le marché uruguayen, qui est un marché tout petit dans le contexte latino-américain, mais, par contre, pour le marché uruguayen qui est un marché très francophile, à cause de ses antécédents très eurocentriques, etc., donc ce n'est pas très difficile de vendre en fait un produit ou un lien qui a une certaine saveur francophone, n'est-ce pas? Entre parenthèses, ils construisent un nouveau lycée français à Montevideo, un très grand immeuble, il y a 3 000 étudiants. Nous n'avons pas de représentant du Québec en Uruguay. Nous avons un contractuel ou plutôt une contractuelle, qui travaille à temps partiel pour essayer de développer un certain lien culturel, un certain lien d'affaires, etc.

L'Ambassade du Canada à Montevideo est une sorte d'opération fantôme. Il y a, bien sûr, un ambassadeur, il y a quelques employés, mais on envoie des gens de Buenos Aires pour faire le travail là, deux, trois jours par semaine. Et donc, on a l'impression, quand on voit ce genre de situation de l'extérieur, qu'il n'y a pas vraiment d'engagement sur le terrain. Par contre, quand on parle aux Uruguayens qui sont en général surtout dans les milieux intellectuels, qui sont très favorables en fait à nos produits culturels, à nos produits commerciaux, on a l'impression qu'il y a loin entre la coupe et la lèvre, et c'est un peu décevant. Parce que nous, du côté universitaire, on s'intéresse à faire la promotion d'un certain type de produit culturel qui est l'enseignement.

Inutile de vous cacher que nous sommes là, pourquoi? Pour recruter des étudiants, pour les facultés d'études supérieures dans les universités canadiennes et québécoises, n'est-ce pas? Il y a une ouverture très favorable là. Par contre, les mécanismes de base ne sont pas là encore parce que les États n'ont pas investi encore suffisamment d'énergie et de temps pour développer cette base. Par contre, c'est faisable, et c'est là ce qui nous inquiète un petit peu, dans ce sens-là. Donc, le message optimiste, c'est que les marchés sont là mais il faut quand même s'équiper pour les exploiter.

M. Jutras: Vous nous faites une comparaison avec l'Uruguay, mais les craintes qui nous ont été exprimées à date, entre autres quant à nos produits culturels, sont toujours, finalement, par rapport aux États-Unis où, là, on craint une invasion de la culture américaine et un écrasement des autres cultures par cette domination, là, en tout cas, cette omniprésence de la culture américaine. Et on nous a donné souvent l'exemple ici, à plusieurs reprises, entre autres au niveau du cinéma, où nos propres écrans ici, au Québec, reçoivent, je pense, c'est 90 % ou 95 % du produit américain.

Vous, par rapport à ce phénomène-là, pas juste par rapport au cinéma américain, mais par rapport à cette omniprésence et cette omnipuissance aussi, que je pourrais dire, de la culture américaine, est-ce que vous demeurez toujours aussi optimiste?

M. Archibald (James): Évidemment, il y a ce phénomène que l'on a identifié à plusieurs reprises comme l'hégémonie culturelle américaine, etc., dans les marchés. J'ai déjà dit à un certain nombre de vos collègues qu'il y a toujours moyen de se protéger. Tout État national a le pouvoir de se protéger. On n'a qu'à citer l'exemple de Sports Illustrated ou les magazines américains, etc., la question de contrôle du cinéma, de l'importation du cinéma, la question de sous-titrage, de doublage, ainsi de suite, le problème des logiciels. Donc, il y a toujours des moyens législatifs ou des moyens réglementaires pour se protéger.

L'État a quand même un certain nombre de pouvoirs, sauf quand on se lance dans une zone de libre-échange ou dans une entente de ce genre-là, là, il faut définir les enjeux, il faut carrément baliser le terrain un petit peu, n'est-ce pas? Donc, l'un n'empêche pas nécessairement l'autre. Et, comme vous le savez fort bien, il y a une entente franco-québécoise en ce qui concerne cette question de diversité culturelle.

Or, je ne vois absolument pas de contradiction entre le fait de s'ouvrir des marchés à l'extérieur, de faire une promotion très forte de notre produit culturel, etc., à l'étranger, par tous les moyens dont on peut disposer ? voir les écrits de Louis Dollet là-dessus ? et en même temps, de participer justement à cet effort supranational.

C'est contradictoire. C'est exactement ce que Bernier a dit d'ailleurs dans son article sur la même question: On est dans une situation contradictoire. On fait la promotion d'un côté, on se protège de l'autre, mais c'est la vie, quoi!

M. Jutras: Alors, est-ce que vous...

M. Archibald (James): C'est Ionesco qui l'a dit d'ailleurs. Ha, ha, ha!

M. Jutras: Pardon?

M. Archibald (James): Ionesco l'a dit: C'est le propre de la vie. C'est une contradiction.

M. Jutras: Oui. Alors, allez-vous jusqu'à dire que, même les produits culturels devraient faire partie de l'accord de la ZLEA, par exemple, être intégrés à l'intérieur de cela? Ou par contre, prenez comme l'Union des artistes est venue nous dire, et je ne dis pas que c'est leur position officielle, parce que c'est dans le cours de l'échange que l'Union des artistes a dit, mais je répète bien que ce n'était pas nécessairement leur position officielle, parce qu'ils s'exprimaient en disant: On pourrait conclure un autre accord quant aux produits culturels et exclure ça comme tel d'un accord de la ZLEA. Qu'est-ce que vous dites là-dessus?

M. Archibald (James): Oui. En effet, quand on s'est réuni à Thunderbird, à Paris, à Montréal, etc., pour voir ce genre de questions avec nos collègues, et l'une des choses évidemment qu'on a déplorée, c'est que l'ALENA passe presque sous silence plusieurs questions de type culturel, n'est-ce pas? Nous, on s'est dit que, ma foi, si on décide de s'ouvrir ces marchés à l'extérieur, ne restons pas quiets sur cette question-là.

Soyons francs, mettons les cartes sur la table et faisons l'argumentation suivante: Oui, on participe au développement de ces marchés-là sur un plan supranational. Par contre, rien n'empêche de prendre certaines positions, primo, pour promouvoir la production nationale par le biais des subventions, par le biais d'appui, par le biais de promotion nationale, etc., et en même temps, de prendre certaines mesures de protection. Rien n'empêche l'autre, n'est-ce pas?

n(16 h 10)n

Je crois que nous avons devant nous une opportunité, parce que si ces questions-là étaient nébuleuses sous l'Accord de l'Amérique du Nord avec le Mexique et les États-Unis, maintenant, puisque il y a moyen de négocier de nouveau, il faut mettre ça sur la table. Les exemples de succès ne sont quand même pas légion, mais, enfin, il y a quelques exemples de succès. Par exemple, le Cirque du soleil, c'est un exemple très intéressant. La promotion du livre à l'extérieur du pays. L'État peut toujours jouer un rôle très important là-dedans.

Moi, je suis spécialisé dans le domaine de la traduction. Alors, si vous regardez tous les logiciels de traduction, tous les produits de traduction assistée, il y a moyen, n'est-ce pas, de prendre une place très importante dans ce marché-là, et votre gouvernement a, d'ailleurs, déjà appuyé une industrie québécoise dans ce sens-là quand M. Landry a donné une subvention très importante à Alis Technologies qui a un produit tout à fait concurrentiel sur le marché international et qui est un produit culturel, profondément culturel, à la fois, comme produit et comme façon de faire.

M. Jutras: Est-ce que je vous comprends bien, est-ce que je vous résume bien, parce que je voudrais bien vous citer ou en tout cas bien vous évoquer? Vous nous dites: Pas nécessairement un accord à part mais ça pourrait être dans l'accord sur la ZLEA mais avec, franchement, des conditions qui sont mises sur papier et qui disent que, par exemple, des mesures de protection à l'intérieur d'un État par rapport à la culture, elles sont permises. Est-ce que je vous...

M. Archibald (James): Tout à fait, tout à fait.

M. Jutras: Oui. Ça va. Merci.

M. Archibald (James): C'est curieux d'être d'accord, n'est-ce pas?

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Laurier-Dorion?

M. Sirros: Merci, M. le Président. Mais, dans le même sens, vous avez commencé en disant: Bon, il ne faut pas avoir peur, il faut prendre l'occasion qui se présente par la négociation d'un tel accord et prendre l'offensive finalement, puis sortir de notre nombril puis aller sur le marché international.

Mais, du même coup, vous dites finalement, et c'était le sens de ma question aussi: Ça, dans la mesure où on peut avoir une exception culturelle, dans la mesure où on peut effectivement négocier une exception culturelle à l'intérieur de ces ententes qui permettent que l'État utilise des instruments d'aide à la production des entités ou des produits culturels. Parce que, sans ça, le risque, qui nous a été mis de l'avant aussi par l'Union des artistes, c'est que, finalement, on n'aura pas de produits qui vont se produire pour concurrencer. Est-ce que, pour vous, c'est un sine qua non?

M. Archibald (James): Non, parce que je crois que... Je m'inspire des travaux de Thévenet, par exemple, sur la question de culture dans le cadre de l'entreprise, et vous avez une échelle. Il n'y a rien de noir et blanc dans ce genre de situation, et vous le savez mieux que moi. Et, à l'une des extrémités de l'échelle, vous avez ce qu'il a appelé «le nombrilisme culturel», n'est-ce pas, où, carrément, on ferme les portes de tous les côtés, on regarde à l'intérieur et on se protège, on se replie sur soi, etc.

M. Sirros: ...ailleurs, puis c'est ça.

M. Archibald (James): Cette époque est révolue. Ça ne marche plus, n'est-ce pas?

M. Sirros: Oui.

M. Archibald (James): L'autre extrême évidemment, c'est le laisser-aller total où vous vous exposez carrément à un risque. Mais tout cela doit être dosé, n'est-ce pas? Et, lorsque vous vous asseyez, comme si vous étiez dans une négociation syndicale, à la table, entre les deux extrêmes, il y a quand même un terrain d'entente au milieu qui est raisonnable. Et je crois que c'est vers ça qu'il faudrait s'orienter, cette zone raisonnable, parce que le Québec est distinct, le Québec est différent. C'est l'Accord Québec-Canada qui le dit, ce n'est pas moi qui l'invente, n'est-ce pas? Et, puisque il est distinct et, puisque aussi, selon l'entente franco-québécoise, on fait la promotion des diversités culturelles, il faut, lorsque nous avons l'occasion de négocier, à l'intérieur de ces négociations, prendre les mesures pour mettre en place les protections nécessaires mais ne pas exagérer au point où nous avons peut-être exagéré, par le passé, en adoptant ce point de vue extrémiste de nombrilisme, n'est-ce pas? Donc, vous n'êtes peut-être pas satisfait de cette réponse, mais il faut chercher un juste milieu dans cette affaire.

M. Sirros: D'accord, mais, dans le contexte de l'ALENA, à l'heure actuelle...

M. Archibald (James): Je peux vous citer un exemple?

M. Sirros: Oui, allez-y!

M. Archibald (James): Parce que j'ai l'Uruguay frais dans la mémoire. Un de mes collègues à l'Université de la République, en Uruguay, c'est un linguiste, un sociolinguiste qui a beaucoup étudié la période de la dictature et la façon dont le pays s'est remis après la dictature, n'est-ce pas? et l'un des exemples qu'il cite pour montrer cette attitude, c'est que, pendant la dictature, on a monté à Montevideo une pièce française, Huis clos, de Jean-Paul Sartre. Alors, vous comprenez les raisons politiques pour lesquelles on peut monter cette pièce de Jean-Paul Sartre, à l'époque, à Montevideo. Mais le professeur Achugar explique que la traduction du titre avait toute une portée politique dans le sens que la traduction en espagnol de Huis clos était A puertas cerradas, À portes fermées. Donc, on n'a pas pris le terme juridique et on a pris un terme compris par le public en général. Et le professeur Achugar explique que c'est pour montrer justement cette différence d'attitude dans la société où on se replie et on se ferme, on reste à l'intérieur avec des portes fermées, de façon volontaire, et l'autre partie après la dictature, c'est d'ouvrir les portes grande ouvertes et de regarder le monde et de faire un peu comme le président Batlle fait maintenant et dire: Bon, on veut regarder les marchés d'exportation, on veut s'extérioriser et on veut conclure des ententes avec des pays à l'étranger pour mieux avancer le développement de notre pays.

C'est deux attitudes différentes, et c'est comme ça que le professeur Achugar a symbolisé justement cette différence. Évidemment, on ne sort pas de la dictature ici, loin de là, parce que c'est un pays éminemment démocratique, mais je crois qu'on sort d'une période où on était un peu nombriliste. Et je crois que cette opportunité de la zone de libre-échange nous ouvre une voie où on peut vraiment ouvrir les portes grande ouvertes, ne pas se promener sans se protéger mais où on a une nouvelle ouverture sur le monde. Je crois que c'est très important de voir ce shift presque tectonique dans la mentalité. Je m'excuse de cette envolée lyrique. Ha, ha, ha!

M. Sirros: Non, moi, j'avais en tête, en vous écoutant, l'ALENA et toute la question culturelle où on a négocié en pensant qu'on avait négocié des exceptions culturelles. On s'est rendu compte qu'il n'y a pas d'exceptions culturelles dans l'ALENA. Puis on a vu tout de suite que, aussitôt que les intérêts commerciaux importants ont été touchés par une tentative, par exemple, d'invoquer l'exception culturelle afin de protéger un produit culturel canadien, bien, les États-Unis ont vite protesté et ils ont eu raison.

Donc, ce n'est que dans la mesure, pour l'instant tout au moins, que les États-Unis ne portent pas un très grand intérêt à ces produits parce qu'ils ne touchent pas fondamentalement beaucoup leur intérêt pour l'instant qu'on a le sentiment d'avoir une certain sécurité. Là, on est en train d'ouvrir ça plus largement.

Quel est votre... Et je partage avec vous cette nécessité d'avoir une attitude optimiste et d'ouverture. Mais, du même coup, ça prend un certain nombre de protection minimale, si vous voulez, parce que, sinon, effectivement, on est face à une situation où la concurrence, par le poids des acteurs, n'est pas...

M. Archibald (James): Je crois qu'en fait vous avez déjà vécu un exemple semblable; je n'ai pas besoin d'inventer un autre exemple. Personne ne peut contester le pouvoir économique international de Microsoft. Par contre, Mme Beaudoin a très bien expliqué à Microsoft qu'il y a certaines règles du jeu et que Microsoft doit respecter ces règles du jeu si Microsoft veut exploiter le marché québécois, et Microsoft s'est plié.

Je crois qu'il faut poser un certain nombre de gestes, et les gens avec lesquels vous négociez à la table ne sont pas entièrement bêtes. Je crois qu'ils vont comprendre les enjeux et les intérêts des partis; c'est ça, une négociation. Il ne s'agit pas simplement de se plier et de se laisser envahir, n'est-ce pas, mais il faut établir les règles du jeu. Alors, voilà l'exemple dont d'ailleurs nous avons parlé avec Mme Beaudoin à plusieurs reprises. Mais c'est là le type de geste que l'on peut poser. Et, si on le fait dans le cadre d'une instance supragouvernementale, bien, pourquoi pas?

M. Sirros: D'accord.

n(16 h 20)n

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, s'il n'y a pas d'autres questions, il me reste à remercier notre invité, M. James Archibald, directeur du Département de langues et de traduction de l'Université McGill. Merci, donc, pour votre contribution à nos travaux.

M. Archibald (James): Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Nous allons suspendre nos travaux pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 16 h 21)

(Reprise à 16 h 31)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission des institutions reprend ses travaux dans le cadre de la consultation générale et des auditions publiques sur les effets du projet de Zone de libre-échange des Amériques.

Nous avons le plaisir de recevoir les représentants d'Aliments Carrière inc., notamment son président-directeur général, M. Marcel Ostiguy, que je salue, de même que M. Périgny, Paul, directeur des ventes à l'international, et de Mme Annie Thibault, agronome et analyste au commerce international.

Nous avons réservé une période de 45 minutes pour cette rencontre. Alors, une quinzaine de minutes pour la présentation et ensuite on passe aux échanges. Vous avez la parole.

Aliments Carrière inc.

M. Ostiguy (Marcel): Merci, M. le Président. Merci, chers membres de l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Vous êtes M. Périgny, j'imagine.

M. Ostiguy (Marcel): Non, je suis...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Ostiguy. Bon. O.K.

M. Ostiguy (Marcel): Oui. On pense toujours que le président est le plus âgé mais, chez nous, c'est le contraire. Ha, ha, ha!

Une voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Bon, alors, M. Ostiguy, soyez le bienvenu.

M. Ostiguy (Marcel): Mon nom est Marcel Ostiguy. Je suis dans la transformation des légumes depuis le début de 1974, et chaque été, quand j'étais étudiant, je travaillais à la conserverie du village, à Saint-Césaire, et j'ai tellement aimé ça que je l'ai achetée, une fois que j'ai eu fini mes études.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): ...l'histoire. Ha, ha, ha!

M. Ostiguy (Marcel): Oui. Aliments Carrière est une entreprise spécialisée dans la transformation des légumes. Son siège social est situé à Saint-Denis sur le Richelieu, dans le comté de Verchères. Nous avons, aujourd'hui, six usines, une à Bedford, une à Sainte-Martine, une à Saint-Césaire, à Saint-Denis, une en Nouvelle-Écosse, à Berwick et une, depuis l'été 1999, à Strathroy, en Ontario.

Aliments Carrière est né d'un regroupement de la famille Ostiguy et de la famille Carrière, en 1987, qui avaient regroupé leurs investissements, leurs compagnies dans le secteur des légumes de transformation. En 1992, nous nous étions fixé l'objectif d'être le meilleur et le plus important transformateur de légumes au Québec. En 1996, nous nous sommes donné l'objectif d'être le plus important et le meilleur transformateur de légumes au Canada, ce que nous sommes aujourd'hui. Et, au cours de la dernière année, nous nous sommes fixé comme objectif, pour les prochaines années, de devenir un joueur majeur dans la transformation des légumes en Amérique du Nord.

Aliments Carrière fait affaire avec environ 850 producteurs agricoles situés dans la grande région, là, de la Vallée-du-Richelieu, du Yamaska, dans la région de Châteauguay, Sainte-Martine. En Nouvelle-Écosse, c'est une région plus petite, dans la région de la Annapolis Valley. À Strathroy, c'est un peu à l'ouest de London, en Ontario, qui est une région très fertile aussi.

Nous avons 650 employés permanents, nous utilisons environ 1 500 employés saisonniers. Nos ventes sont environ de 230 millions annuellement, dont environ 30 % à l'exportation. Nous exportons, spécialement vers les États-Unis, 40 % de nos légumes surgelés et environ 20 % de nos légumes en conserve sont exportés dans les Caraïbes, en Angleterre, en Allemagne et en Afrique du Nord.

Alors, c'est ce qui compose, rapidement, Aliments Carrière. Alors, je vais demander à M. Périgny, qui a été le premier à recevoir, du Club export, l'honneur d'être la personnalité à l'exportation... Paul est un pionnier de l'exportation. C'est un jeune homme qui aura, dans quelques jours, 74 ans. Il est encore celui qui montre aux jeunes comment se comporter dans les foires alimentaires, autant en Europe qu'aux États-Unis et dans les Caraïbes. Et vous avez devant vous un homme d'expérience qui a encore le feu sacré et qui est sûrement, pour les prochaines années, un atout exceptionnel pour Carrière.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Vous avez la parole.

M. Périgny (Paul): Comme vous pouvez voir, je ne suis pas prêt à prendre... on ne m'autorise pas à prendre ma pension de sitôt.

Mon expérience en alimentation date depuis 1951. On a introduit les produits au Québec, en Ontario, au Canada; dans toute la côte est des États-Unis, en Angleterre, en Allemagne; au Moyen-Orient, dans les Caraïbes, en Amérique centrale, ce qui inclut aussi le Mexique. Dans ces pays-là, on a une présence à l'heure actuelle.

L'orientation future, nécessairement, c'est l'Asie, parce que les négociations qu'il y a eu avec la communauté urbaine n'ont pas été qu'est-ce qui était de plus favorable pour le Canada et les États-Unis. L'orientation future, comme je disais, c'est l'Asie: Taïwan, Japon, Corée et Hong-Kong où il y a une masse de population qui veut s'alimenter selon nous.

Nous avons vécu l'Accord de libre-échange avec les États-Unis ? l'ALENA ? et puis, aujourd'hui, on voudrait vous présenter un mémoire sur la situation qui se dresse à l'horizon.

Si vous permettez, je vais vous lire le mémoire que vous avez, puis, si vous avez des questions, vous pouvez les poser à n'importe quel temps; on est ici pour vous répondre.

La situation, c'est que nul doute que l'accès à cet immense marché et l'uniformisation des taux de douanes seront bénéfiques aux productions agricoles québécoises et canadiennes.

Les pays des Caraïbes et leurs voisins ont des goûts et normes semblables aux Canadiens. La venue de l'industrie du tourisme et de la télévision par satellite a créé une demande pour les légumes transformés nord-américains. L'alimentation de tous ces pays semble en voie d'harmonisation, d'où une ouverture de marché très intéressante.

Les banques canadiennes sont présentes dans ces pays et nos gouvernements sont bien représentés. La problématique: comme vous pouvez voir, il y a des tarifs douaniers de 20 % qui existent à l'heure actuelle. En plus de ça, on nous met un «value-added tax» ? qu'on appelle un VAT ? de 15 %. Les taux d'échange varient entre chaque pays ? on parle d'Amérique centrale et des Caraïbes, à l'heure actuelle.

Les taux de transport sont très élevés. Ça nous coûte 2 100 $ pour envoyer un container dans ces pays-là, tandis qu'on en paie 900 $ pour envoyer en Europe et en Asie.

Les normes sanitaires. La réglementation sur ce sujet diffère de pays en pays, et ce qui est très important, c'est le dumping social. Les mesures sociales de ces pays-là sont loin d'être semblables aux nôtres; elles sont très différentes.

On se dirige vers un marché de 827 millions d'habitants dont 344 millions parlent l'espagnol, 300 millions parlent anglais et 173 parlent le portugais, et seulement 10 millions qui parlent le français, d'où un danger évident pour la disparition du français, et peut-être aussi, de l'anglais. On verra peut-être une loi 102 prochainement.

L'avantage, c'est: on a un accès à un marché de 800 millions de personnes. Les lois, les normes, les coutumes et la religion ? on doit dire les religions ? sont semblables aux nôtres.

Comme recommandations, nous demandons une uniformisation des normes sanitaires, phytosanitaires et environnementales; une harmonisation des tarifs douaniers, une imposition des tarifs sur les prix FOB usine. Parce que, présentement, on paie des taux de douanes sur des transports, sur les coûts de transport ? on croit que c'est injuste; l'harmonisation ou l'annulation de la taxe sur la valeur ajoutée; une utilisation d'une seule monnaie de commercialisation étant le dollar US.

n(16 h 40)n

Aujourd'hui, il faut transiger avec ces pays-là avec à peu près sept à huit monnaies différentes. On réussit à se faire payer en dollars américains, mais je crois que, dans les négociations, c'est une chose à voir.

Aussi, avoir des taux de transport plus compétitifs, en raison de l'augmentation de la circulation maritime dans ces régions. C'est une clause qu'on pourrait peut-être discuter un peu plus tard.

Une structure de mise en marché, ce qui veut dire que c'est de centraliser les enregistrements de produits et la protection des marques de commerce, l'étiquetage dans les langues officielles, l'uniformisation des codes à barres et de l'information nutritionnelle; l'utilisation d'un seul système de poids et mesures, parce que, avec les Américains, ils ont un système de poids qui est complètement différent du nôtre. Les Américains ont un système avoirdupoids. Nous, ici, on est retourné au système métrique. Dans ces pays-là, ils ont encore l'ancien système anglais. Ça fait qu'il faudrait qu'il y ait une uniformisation.

Dumping social: très important. La mise en place des droits compensatoires et des «levies» envers les pays dont les normes sociales seraient peu ou non conformes. On comprend ce qu'on veut dire par le dumping social, hein?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il y aura peut-être quelques questions là-dessus tantôt.

M. Périgny (Paul): D'accord. Un marché de 807 millions d'habitants dont 344 millions parlent l'espagnol, 300 parlent l'anglais, on croit qu'il faut essayer de protéger notre langue maternelle qui est le français, et surtout une langue du commerce qui est l'anglais.

En conclusion, face à la mise en place des différents blocs commerciaux tels que l'Union européenne et leur continuelle expansion, la création du ZLEA est une nécessité afin d'assurer la continuité et la progression de l'économie agroalimentaire du Québec. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Bien.

M. Ostiguy (Marcel): Peut-être, M. le Président, j'aimerais passer un commentaire avant d'aller à la période de questions. Historiquement, plusieurs conserveries, au Canada, vendaient à 100 % leur production en Angleterre, en Allemagne, au début des années soixante-dix. Probablement vers les années 1973, 1974, le marché européen s'est fermé. Le marché européen a débuté avec des tarifs douaniers assez importants, des «levies», ce qui fait qu'aujourd'hui c'est excessivement difficile de vendre en Europe.

Je pense que les producteurs agricoles français sont excessivement protectionnistes, je dirais même trop protectionnistes. Je pense qu'ils sont en train de créer un déséquilibre à travers le monde par leurs revendications excessives. Et, pour nous qui vivons en Amérique, qui vivons au Canada, dans un grand pays mais disons dans un pays à petite consommation, il faut absolument trouver des débouchés et nous pensons que les débouchés sont en Amérique.

Nous vivons en Amérique; 83 % de notre commerce se transige avec les États-Unis, mais nous sommes très ouverts. Je pense que l'avenir est d'avoir une entente de libre-échange à travers les Amériques. Mais, ce qu'on vient de vous proposer, il y a des points majeurs auxquels il faut porter attention si on ne veut pas se retrouver, à un moment donné, sans marché ou à peine à peu près le marché canadien.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Dans le cadre de ce marché des Amériques, vous voyez vos concurrents où, aux États-Unis surtout ou même en Amérique du Sud?

M. Ostiguy (Marcel): Bien, présentement, les concurrents d'Aliments Carrière sont de grandes corporations américaines, parce que, au Québec, Aliments Carrière est le seul qui transforme des pois et le seul qui transforme du maïs. Nous avons, en quelques années, pris une place excessivement importante sur la scène canadienne. Alors, présentement, nos grands concurrents sont des grandes corporations américaines qui ont des chiffres d'affaires de sept à 10 fois plus que nous. C'est des Friday, Chiquita Bananas. C'est des Seneca, des Agrilink, des Del Monte-U.S., des Nabisco maintenant qui vient d'être absorbée par Philip Morris. Alors, c'est des entreprises qu'on a, l'un à 30 milliards, l'autre... Pour le moment, ce sont nos concurrents. Ce sont nos concurrents vers les Caraïbes, ce sont nos concurrents vers le Mexique.

L'avantage que nous avons, le fleuve Saint-Laurent; l'Atlantique, c'est un avantage pour aller vers une quantité importante de ces pays-là. Les légumes en conserve, qui ont souvent été discrédités, sont encore un moyen exceptionnel. La conserve est un moyen exceptionnel de conserver et de vendre dans ces pays-là, parce que des frigidaires, des congélateurs, ça n'existe pas. Ce n'est vraiment pas des pays qui peuvent recevoir facilement des produits surgelés. Or, avec une usine de conserves dans les Maritimes et trois usines au Québec sur quatre qui transforment les légumes en conserves, nous avons un avantage, je pense, exceptionnel. Puis il faut réaliser que les meilleures terres agricoles ? et ça, chez nous, face aux employés, je le répète souvent ? entre Montréal, New York, Boston et Philadelphie, les bonnes terres agricoles, les bonnes terres fertiles sont dans la vallée du Richelieu et du Yamaska, dans la grande région de Saint-Hyacinthe, dans la grande région de Châteauguay et de Sainte-Martine. Et une usine doit être située tout près de ses approvisionnements. Chez nous, trois heures après la récolte, mon objectif est d'avoir stérilisé ou fini la surgélation. Alors, ça, c'est un avantage qu'on ne pourra jamais nous enlever: nous avons des terres fertiles, nous avons le climat pour produire.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): D'où l'importance de surveiller l'étalement urbain.

M. Ostiguy (Marcel): Oui, et de voir à la protection de la zone verte.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond.

M. Jutras: Alors, vous êtes donc très optimiste, vous, par rapport à la ZLEA. Vous y voyez beaucoup d'avenir pour une entreprise comme la vôtre. Et, quand vous nous parlez de vos concurrents américains, qui ont des chiffres d'affaires, nous dites-vous, de six fois, 10 fois le vôtre, vous ne craignez pas cela. Vous dites: L'avenir est beau pour nous.

M. Ostiguy (Marcel): Bon. Je vais commencer, et je pense que les trois, on va pouvoir répondre à cette question-là. J'ai été habitué, depuis 1974, à être le plus petit. Alors, je suis parti du plus petit et je suis devenu le plus important au Québec, je suis devenu le plus important au Canada. Alors, faire face à des gros, ça fait partie de ma culture, ça fait depuis ces années-là que je vis cette situation-là.

Ce que je dis: Pour continuer à développer une entreprise comme Aliments Carrière, ça me prend des débouchés et mes débouchés ne sont pas en Europe. L'Europe a presquement fermé ses frontières dans le secteur où nous vivons, dans tout, je considère, l'agroalimentaire. Alors, je pense que c'est une opportunité que s'offre à nous ce libre-échange à travers les Amériques.

Nous, on dit: On avait déjà commencé à avoir des courtiers aux États-Unis, à partir de 1982. Quand est arrivé le libre-échange en 1989, nous étions prêts. C'est pour ça qu'aujourd'hui 40 % de nos légumes surgelés, 20 % de nos légumes en conserve se vendent aux États-Unis. Nous avons, depuis trois ans, mis une structure de vente dans les Caraïbes, mis une structure de vente au Mexique.

C'est bien sûr qu'il y a pour moi de l'optimisme mais il y a des craintes, des craintes qui sont ce qu'on vient de vous exposer. Je pense qu'il faut vraiment établir les mêmes règles du jeu, spécialement au niveau sanitaire, au niveau phytosanitaire puis au niveau environnemental. Nous, au Québec, les normes, c'est 30 PPM, les eaux usées pour retourner dans les rivières. Je m'en vais en Belgique, ils ont 200 PPM, et je m'en vais dans certains pays d'Amérique du Sud, où il n'en ont pas, de normes. Alors, tout ça influence nos coûts de production; la sanitation, l'hygiène, la salubrité influencent les coûts. Dans cette négociation qui est déjà commencée, il va falloir tenir compte des points que M. Périgny vous a énumérés, ce domaine qu'on vient de vous dire, et je pense que toutes les normes au niveau humain...

Nous, on est une société, au Québec, au Canada, je pense, où l'humain a pris une place excessivement importante, où la société protège l'humain. Ce n'est pas évident, je pense, dans tous ces pays-là. Puis là je le dis tout de suite, je ne suis pas un expert. Je ne suis pas un docteur en sciences politiques et je ne suis pas un expert dans... Mais il ne faudra pas nous situer avec des normes, au Canada, à un niveau très élevé puis accepter que des produits de pays dont les normes sont très basses puissent entrer facilement chez nous.

Mais Annie est une jeune femme qui a travaillé chez nous comme stagiaire, qui a fait des études en agroéconomie ici, à Laval, qui est maintenant agronome depuis vendredi et qui travaille pour nous une journée par semaine et qui poursuit des études aux Hautes Études en économie internationale. Alors, elle a sûrement ? puis on l'a amenée parce que je pense que c'est important d'intégrer les jeunes ? une opinion sur la question que vous venez de poser.

n(16 h 50)n

Mme Thibault (Annie): Qu'est-ce que je pense, c'est que, pour Aliments Carrière, c'est très bien d'ouvrir ses horizons puis de se préparer à la ZLEA, parce que, justement, ici, on le voit un peu avec les distributeurs, puis ce n'est pas toujours évident d'avoir le prix que Aliments Carrière désire. Alors, à ce moment-là, se fermer sur seulement, disons, un marché comme les États-Unis, on le voit, ce n'est pas bien de juste prendre un client puis de miser tout sur ce client-là. Alors, pourquoi ne pas s'ouvrir sur les autres pays autour de nous? Et justement, comme on l'écrivait, c'est que ces cultures-là, ils nous ressemblent. Tous les pays qui sont sur le continent américain, à la base, on se ressemble, on a des goûts similaires. Alors, pourquoi ne pas, disons, se rassembler, parce qu'on voit que l'Union européenne le fait. L'Union européenne, ils sont rendus à 15 mais ils veulent ouvrir aux PECO, ils veulent ouvrir aux pays de l'Afrique du Nord.

Alors, pourquoi dire: Bon, nous, on ne s'ouvre pas? Alors, moi, je pense que c'est vraiment bien de dire: On s'ouvre, mais justement d'harmoniser les choses, de bien se préparer adéquatement puis de voir les avantages à bien harmoniser les choses.

C'est sûr que si, disons, on mettait des exemples: harmonisation des normes sanitaires, etc... Juste un exemple, en ce moment, les étiquettes. Quand on exporte dans chacun des pays, il faut savoir qu'est-ce qui se passe, même sur chacune des îles des Caraïbes ou au Mexique, etc., il faut vraiment s'informer qu'est-ce qu'il faut mettre sur nos étiquettes, etc.

Alors, la création de la ZLEA, c'est tout à fait génial, entre autres, pour ça, si ça pouvait se réaliser, bien sûr. C'est que si on a une étiquette, on peut exporter partout, parfaitement, avec la même étiquette, puis on met les quatre langages, parce qu'en Union européenne c'est carrément ce qu'on fait. On va dans un supermarché français puis les étiquettes ont environ cinq langues différentes. Alors, si on était capables de prendre ce tournant-là, mais de tout le temps bien se préparer et de dire: On harmonise, je pense qu'on peut gagner. Entre autres, à Aliments Carrière, c'est sûr que, pour nous, ça serait très bénéfique.

M. Périgny (Paul): Il y a deux points que j'aimerais apporter. C'est que vendre dans les Caraïbes, c'est un peu comme vendre chez nous, parce que l'influence anglaise est encore très présente. Comme notre formation, ici, est d'origine britannique, c'est facile. En Amérique centrale, c'est encore plus facile parce que nos amis... Vous savez, dans la vente, il faut utiliser tous les points de vente possibles. Nos amis américains n'ont pas la cote d'amour là-bas. Ça fait que, nous, comme Canadiens, c'est assez facile, les portes s'ouvrent assez facilement et même très facilement. Mais, encore là, il faut être compétitifs.

Une autre chose, c'est que, aux tables de négociations, je suis d'accord que c'est peut-être à négocier à d'autres niveaux, mais, nous, ce qu'on voudrait demander, c'est qu'il y ait des gens de l'industrie qui soient là et puis de toujours... Les Européens nous ont donné une leçon incroyable. Eux, ils ont négocié mais ils ont négocié avec des «levies», c'est-à-dire des leviers; c'est des portes de sortie. Ils se sont gardé un droit d'imposer une douane sur des produits qui pourraient être compétitifs. Nous, on n'a pas ça. Si vous regardiez la charte des taux, le tableau des taux de douane que, nous, on a négociés, c'est incroyable, on est à peu près à 50 %... nos taux de douane sont à peu près entre 40 % et 50 % meilleur marché que les Européens nous ont négociés. Il y a eu des lacunes à quelque part. On n'était pas là quand ça s'est négocié, mais je pense qu'il y a eu des gens qui étaient très généreux, et puis ça n'a pas été à notre faveur du tout.

Une autre chose aussi. C'est que, quand on négocie, on devrait aussi avoir une porte pour les valeurs monétaires. Quand ça a été négocié avec les Européens, on négociait avec des francs, avec des deutsches marks. Là, on est arrivé avec l'euro. Il faut négocier maintenant en euro mais l'euro s'est dévalué de 1,18 $ à quelque 0,80 $. Ça fait que ça joue contre les Nord-Américains. C'est des points qui devraient être pris en ligne de compte quand vous négociez. D'accord?

M. Jutras: Une dernière question, et je vais laisser la parole à mes collègues. Quand vous parlez de dumping social, là, je crois comprendre que ce que vous voulez dire, c'est qu'ils ont des normes, par exemple, dans le domaine des relations de travail qui sont bien en deçà de ce qu'on retrouve ici, la syndicalisation, le travail des enfants, etc. C'est à ça que vous faites référence, n'est-ce pas?

M. Périgny (Paul): Oui.

M. Jutras: Quand vous dites, dans vos recommandations: mise en place de droits compensatoires envers les pays dont les normes sociales seraient peu développées et non conformes, j'aimerais ça vous entendre un peu plus là-dessus, voir comment ça fonctionnerait et comment seraient établis ces droits-là, ils seraient payés à qui. Je voudrais vous entendre...

M. Périgny (Paul): C'est ça, votre «levy». Eux, appellent ça un «levy», un levier. C'est que c'est un droit, que vous vous gardez, de pouvoir imposer. Si ces gens-là ont des salaires souvent de 0,50 $ de l'heure ou d'une piastre par jour, mais, nous, ici, il faut payer combien?

M. Ostiguy (Marcel): Ça peut varier entre 10 et 25 piastres de l'heure. Un employé, ici, va gagner 100 $ par jour; là-bas va gagner, dans certains pays, 2 $, 3 $ par jour. Alors, on est très, très différent.

M. Jutras: Oui.

M. Périgny (Paul): C'est ce qu'on appelle de se garder des droits compensatoires.

M. Jutras: Mais là, ça fonctionnerait comment, ça, là?

M. Périgny (Paul): En imposant, comme on se fait imposer en Europe à l'heure actuelle, un «levy».

M. Ostiguy (Marcel): Oui. En tout cas, personnellement, je n'ai pas réfléchi jusqu'à l'application. Ce qu'on vous dit: Il faut, dans les négociations qui ont lieu entre des pays pour avoir un libre-échange à travers les Amériques, ne pas oublier que tous les pays ne sont pas rendus au même niveau de développement social, au même niveau de développement économique. Il ne faudrait pas, dans notre générosité, se retrouver à concurrencer des organisations ou des pays dans lesquels les mêmes règles ne seraient pas identiques.

Comment ça pourrait s'appliquer? Ce que Paul vous dit: Il y a certains pays européens qui ont un tarif douanier et ils ont un «levy». Le «levy» sert à imposer une surtaxe à certains produits qui proviennent de certains pays.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): Oui, merci, M. le Président. Alors, madame, messieurs, bonjour. Je voudrais féliciter madame pour son diplôme en agronomie.

Mme Thibault (Annie): Merci.

M. Côté (Dubuc): C'est toujours rafraîchissant de voir des jeunes qui réussissent et qui envisagent l'avenir avec optimisme. Je vous souhaite une brillante carrière.

Si je résume votre mémoire, c'est que vous êtes en faveur de la ZLEA, sauf que vous nous dites: Bien, oui, on est en faveur mais à condition qu'on demeure concurrentiel, qu'il n'y ait pas de limites à nos... qu'il y ait certaines limites mais qu'elles ne viennent pas être défavorables à l'exploitation de nos entreprises.

Vous proposez, dans vos recommandations, l'utilisation d'une seule monnaie de commercialisation, le dollar américain. Ce n'est pas le cas présentement? Lorsque vous vendez à l'extérieur du Québec, ça ne se passe pas tout avec le dollar US?

M. Ostiguy (Marcel): Ce que vous dites, c'est très, très vrai: l'utilisation du dollar américain est de plus en plus répandue. Lorsqu'on vend présentement en Europe, c'est facturé en dollars américains. C'est bien sûr que tout ce qu'on vend, notre principal pays où on exporte, c'est les États-Unis. Donc, c'est facturé en dollars US. Lorsqu'on vend dans bien des pays des Caraïbes, de l'Amérique centrale, on utilise des courtiers et nous les facturons en dollars US.

M. Côté (Dubuc): O.K. Ma deuxième question: pourquoi vous dites que ça vous coûte 2 100 $US versus 900 $ pour l'Europe? Je parle des pays des Caraïbes. Est-ce que c'est à cause de la distance ou...

M. Périgny (Paul): C'est un certain contrôle... Écoutez, demandez-nous pas pourquoi, on ne le sait pas. Quand on vient pour négocier, c'est ça, les taux. Les compagnies sont... Je ne dirais pas...

Mme Thibault (Annie): Ce sont les compagnies de transport qui fixent ça, puis c'est à cause que le trafic maritime, selon qu'est-ce que je m'étais fait expliquer, c'est qu'il est moins achalandé. Alors, à ce moment-là, vu qu'il est moins achalandé, bien, il est plus élevé, ou bon, il y a moins de facilité, etc. Mais là, si le commerce s'agrandit, bien là, à ce moment-là, il y a des bonnes chances que justement ce tarif-là diminue énormément. Mais c'est à cause que, bon, c'est moins bien répandu ou c'est des plus petites compagnies de transport, etc. Mais, si, disons, il y a une grande hausse d'exportation ou de commerce, c'est certain que les prix vont diminuer. Alors, à ce moment-là, ça serait intéressant justement. Et, avec la ZLEA, on pourrait peut-être rentrer ça dans les négociations.

M. Ostiguy (Marcel): Le commerce avec l'Europe... Je vais vous donner un exemple. Notre balance commerciale avec la France est de 500 millions déficitaire. Moi, j'ai déjà dit à un ministre: Vous devriez fermer les portes de la Société des alcools tant que les producteurs agricoles français n'entendent pas raison, ne laissent pas nos produits québécois, nos produits canadiens entrer en France.

n(17 heures)n

Pourquoi les taux de transport sont aussi élevés? C'est qu'il y a des bateaux qui retournent vers l'Europe, il y a des bateaux qui retournent... Envoyer un conteneur de 40 000 lbs en Russie, je pense que ça coûte à peu près 1 200 $CAN. Les taux de transport vers l'Europe sont très, très faibles. Ça nous coûte, par camion, un 40 000 lbs pour livrer... Sysco?Détroit, ça coûte à peu près 1 200 $. Ça nous coûte 900 $, envoyer le même conteneur en Angleterre. Alors, il y a des tarifs très, très bas pour... Alors, probablement que les bateaux n'ont pas de marchandise lorsqu'ils retournent vers l'Europe.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Oui.

M. Côté (Dubuc): Bien, une dernière petite question. Quelle est l'importance du dollar canadien versus le dollar américain dans les chiffres d'affaires de votre compagnie pour les exportations? Est-ce que c'est beaucoup avantageux ou c'est avantageusement moyen?

M. Périgny (Paul): D'être payés en dollars américains?

M. Ostiguy (Marcel): Je vais répondre, j'ai bien compris votre question. Lorsqu'on s'en va aux États-Unis, personnellement, moi, je fais des «costs» comme si le dollar était à 0,75 $. Présentement, on a un avantage avec un dollar qui est à 0,67 $, 0,66 $... marché américain qui est le principal marché, à l'exception du... après celui du Canada. Quand je vais en Europe, présentement, le dollar canadien a pris de la force face au mark allemand. J'ai vu dans ma vie le mark allemand à 0,43 $ du dollar canadien, au début des années quatre-vingt, il me semble. Je l'ai vu presque à parité, il y a quelques années, et, présentement, de mémoire, le mark allemand se situe à environ 0,70 $ du dollar canadien. Présentement, le dollar canadien, à l'exception du dollar américain, notre dollar est très fort face aux monnaies européennes. Et ce qui nous désavantage, c'est qu'on a un très bon client depuis une dizaine d'années dans le maïs, en Angleterre, qui nous demande une réduction de prix de 15 %, ce qui est impossible, les marges ne le permettent pas. Mais notre dollar est très fort sur la scène internationale, le dollar canadien.

M. Côté (Dubuc): Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Nous passons maintenant aux questions des porte-parole de l'opposition. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: J'aimerais peut-être revenir sur la question de ce que vous avez appelé le «dumping social» puis la protection que vous réclamez, et les comparaisons que vous avez faites avec le marché européen ou l'Union européenne. Est-ce que ces tarifs douaniers, par contre, je suppose au niveau de l'Union européenne, sont mis vis-à-vis les pays en dehors de l'Union européenne? Et, si c'est le cas, dans un contexte de négociation d'une zone de libre-échange des Amériques, où finalement on va créer une zone de libre-échange entre nous, à moins d'avoir à faire face à des situations qui sont en deçà des normes universelles ? travail des enfants, par exemple, travail forcé ? je vois difficilement comment on pourrait exiger, vis-à-vis ces pays, des droits compensatoires.

Comment est-ce qu'on va exiger, si on est dans une zone de libre-échange, et supposons qu'il n'est pas question de travail des enfants, il n'est pas question de travail forcé, que les normes minimales dans la Déclaration universelle des droits humains soient respectées? Mais là ils ont un taux de salaire de 1 $ l'heure, par jour, peu importe; nous, c'est à 15 $. Quelle serait la logique qui nous amènerait à exiger des droits compensatoires, à ce moment-là?

M. Périgny (Paul): Quelle serait la logique que les Européens utilisent à l'heure actuelle pour nous imposer un «levy»?

M. Sirros: Leur logique, c'est qu'ils imposent un «levy» en dehors de leur union de libre marché.

M. Périgny (Paul): Oui.

M. Sirros: Alors, nous, on va inclure...

M. Périgny (Paul): Je comprends votre point.

M. Sirros: ...les Caraïbes, Venezuela, Brésil, on va les inclure dans notre zone de libre-échange. On vient de s'enlever la possibilité de...

Mme Thibault (Annie): Oui, mais c'est que l'Union européenne, c'est une zone d'intégration économique. Alors, ça fait que, eux, ils fixent un tarif pour tous les pays à l'extérieur. Mais, dans la zone de libre-échange, c'est que ce n'est pas tous les pays qui vont... Ils peuvent, disons, dire: Moi, je fixe ce tarif-là pour tous les pays à l'extérieur. Mais entre eux, ça peut être différent. C'est ça la différence entre une zone de libre-échange et une zone d'intégration économique. Alors, nous, ça va être une zone de libre-échange. Alors, on n'est pas obligé de fixer le même tarif envers tout le monde. Comme, disons, dans l'ALENA justement, notre tarif...

M. Sirros: Non, mais on est obligés d'éliminer les tarifs entre nous.

Mme Thibault (Annie): Oui, on est obligés de les éliminer niveau après niveau. Mais le Canada, si, disons, il veut protéger une production à laquelle il tient davantage, bien, il peut mettre un tarif qui va être plus élevé que le Mexique, que ce qu'il va mettre sur cette même production-là. C'est comme par niveau.

M. Sirros: Pas à terme. À terme...

Mme Thibault (Annie): Oui, à terme, oui, mais c'est que, là, ça va aller par échelon. Disons, la zone, ça va aller à long terme. Alors, c'est toujours par échelon.

M. Sirros: Donc, vous voulez une période d'adaptation, là, de...

Mme Thibault (Annie): Bien, dans toute zone de libre-échange, il y a des durées d'adaptation. Comme, disons, la zone de libre-échange entre le Mexique et l'Union européenne, il y a une zone d'adaptation jusqu'en 2007, et le Mexique, il va diminuer. En ce moment, le Mexique a moins diminué ses tarifs douaniers que l'Union européenne parce qu'il veut se protéger davantage. Leurs niveaux de tarifs douaniers ne sont pas les mêmes et le Mexique a davantage de temps pour les diminuer, ces tarifs-là, justement parce qu'il est un vis-à-vis de 15. Alors, l'Union européenne est prête à les diminuer plus rapidement, elle.

Alors, c'est pour ça que, dans une zone de libre-échange, il y a moyen de... Selon les pays, s'ils veulent se protéger davantage sur un point, ils peuvent mettre un tarif à différents niveaux, comparé à son voisin dans la même zone.

M. Sirros: Bon, laissez-moi poser la question au niveau de l'ALENA, qui appuie le Mexique à l'heure actuelle.

Mme Thibault (Annie): Oui.

M. Sirros: C'est quoi, la situation actuelle? On sait qu'au Mexique, par exemple, les salaires journaliers ou horaires sont beaucoup plus bas qu'ici et il y a certainement des producteurs qui sont vos compétiteurs au Mexique. Est-ce que nous avons des douanes, à l'heure actuelle, vis-à-vis le Mexique, des tarifs douaniers?

Mme Thibault (Annie): Je vais vous dire ça, je les ai justement.

M. Périgny (Paul): C'est que, nous, en Amérique du Nord, ici on est des privilégiés, parce que la transformation de légumes que nous faisons à l'heure actuelle, en grande partie, ne peut être récoltée que dans une certaine partie de l'Amérique du Nord.

M. Sirros: O.K.

M. Périgny (Paul): Ces pays-là, s'ils veulent consommer nos produits, se doivent d'importer nos produits. C'est un avantage qu'on a à l'heure actuelle, et je vous le concède. Mais, en ce qui concerne... je comprends que ça sera plus difficile, mais il doit certainement y avoir un moyen de se protéger contre ces entraves-là qui peuvent nuire à notre développement. Je peux-tu revenir à un point qu'un monsieur a posé tout à l'heure? C'est que la facturation et le paiement se font en dollars américains, mais les négociations se font toujours en argent du pays. Quand on négocie en Angleterre, on parle de livres sterling; quand on parle en Europe, on parle de l'euro; quand on est à Trinidad, on parle de TTD; quand on est ailleurs, on parle de pesos. On le transforme en dollars américains, mais les négociations avec l'acheteur se font selon l'argent du pays ou selon le prix qui est marqué sur sa tablette.

Mme Thibault (Annie): Puis, moi, je peux vous répondre justement par rapport aux tarifs Mexico-Canada. On voit ici ? j'ai la charte ? le Canada, seulement dans le maïs en grain, en 1999, envers le Mexique, c'était gratuit. Ils disaient: On n'a pas de droits de douanes. Mais le Mexique, lui, en 1999, imposait 6 % au Canada puis il pouvait se le permettre parce qu'il disait: Moi, je veux protéger ma production, je mets 6 %. Un autre exemple, c'est dans les patates. Eux, ils ont mis 20 %, alors que, nous, c'est gratuit, puis on est dans l'ALENA. Alors, eux ont décidé de mettre des tarifs différents de nous. Alors, à ce moment-là, nous, si on exporte nos patates au Mexique, bien, on a 20 %, alors que, eux, s'ils viennent ici, ont zéro.

M. Sirros: Et ça, c'est censé disparaître, j'imagine, à un moment donné?

Mme Thibault (Annie): C'est à long terme. Quand ils signent, c'est toujours à long terme. Ici, justement, le Mexique avait une position un petit peu plus difficile, mais c'est toujours le joueur qui est dans une position moins facile qui a le plus de temps pour s'ajuster et diminuer ses tarifs douaniers.

M. Ostiguy (Marcel): Moi, je pense que l'Union européenne a un statut vraiment différent qu'aura le statut de libre-échange à travers les Amériques. Le plus gros transformateur de légumes en Europe est Bonduelle, mais Bonduelle, qui a des usines au nord et au sud de la France, lui, il est à quelques heures de l'Allemagne, il est à peu près à 10, 12 heures de camion d'une population de 350 millions. À travers les Amériques, nous qui sommes situés au nord, pour rejoindre le 300 millions, si on veut viser la côte ouest américaine, c'est trop loin, le coût de transport est trop important. Alors, on n'a pas la même géographie. Au départ, les pays membres de l'Union européenne ont des économies un peu plus équilibrées que les économies que nous avons.

n(17 h 10)n

Il faut dire que l'économie de notre voisin américain, c'est l'économie forte à travers le monde. C'est le joueur le plus puissant, c'est celui qui peut imposer et qui impose la loi. Ça a été vraiment le gardien économique, le gardien du dollar. Le dollar a remplacé l'once d'or. Alors, on a une situation très différente. Mais je pense qu'on ne peut pas dire: On ne veut pas du libre-échange à travers les Amériques. Il faut être ouvert, il faut l'aborder d'une façon très analytique, il faut être prudent, mais je pense qu'on s'en va dans cette direction-là. Si on veut se développer, il faut qu'on ait des clients, il faut que nous ayons un marché qui soit accessible. Et je ne pense pas que notre marché, ça va être l'Union européenne. Notre marché sera ici, en Amérique. C'est pour ça que, nous, chez Carrière, on dit: On est ouverts à ça. C'est pour ça qu'on a déjà installé des courtiers dans les Caraïbes, au Mexique et on essaie de développer ces marchés-là.

M. Sirros: Mais là vous touchez un petit peu à ma deuxième question, parce que vous avez mentionné tantôt une liste de concurrents. On voit qu'il s'agit surtout, et beaucoup, de concurrents multinationaux qui finalement sont un peu partout. Donc, ils ont des usines de production à travers le monde. Vous, vous avez installé un réseau de courtiers, pour l'instant tout au moins, vers le sud où vous cherchez à agrandir votre marché. Étant donné que vous êtes dans un domaine où il y a quand même une limite à la production, ultimement, ça vous amène à envisager des installations dans ces pays-là également, dans une logique d'expansion, là?

M. Ostiguy (Marcel): Ce que vous dites est une analyse très, très bien. Je ne pense pas qu'une entreprise pourra être un joueur majeur à travers les Amériques à partir uniquement du Canada. Je pense que, à court terme, Aliments Carrière ne pourra pas demeurer un joueur important si on n'a pas des installations, au départ, à court terme, sur les deux côtés de la frontière. Si on veut continuer chez nous à conquérir des marchés aux États-Unis, il faudra être aux États-Unis. Au départ, en 1992, on disait qu'on voulait être le joueur majeur au Québec. On a réorganisé une industrie qui était excessivement malade, qu'on disait qui s'en allait vers la fermeture. On a réussi à lui redonner vie puis à lui donner une meilleure structure. On a fait la même chose ensuite au Canada, mais ce n'est pas assez. Puis il faut réaliser qu'au Canada la distribution est la plus concentrée de tous les pays industrialisés au monde. Au Canada, les deux plus grands contrôlent 62 % de la distribution alimentaire. Les cinq plus grands contrôlent plus que 85 % de la distribution alimentaire. Et, pour les entreprises de la grosseur d'Aliments Carrière, ça devient très, très difficile et nous sommes très vulnérables face à ces grands de la distribution. Alors, il faut s'étendre un petit peu géographiquement.

Et, si je pousse votre raisonnement un petit peu plus loin, je pense qu'à long terme ? à long terme, c'est dans cinq à sept ans ? il faudra définitivement avoir quelque chose au Mexique ou à quelque part en Amérique du Sud, une usine de brocoli et de chou-fleur, une usine où on pourra aller transformer des légumes qui ne sont pas facilement transformables à cause du climat, à cause du sol, à cause de certaines variables que l'on ne contrôle pas.

M. Sirros: Je vous souhaite bonne chance.

M. Ostiguy (Marcel): Merci.

M. Sirros: Sincèrement.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il me reste à remercier les représentants d'Aliments Carrière inc., notamment son président, Marcel Ostiguy, pour votre contribution à nos travaux. Merci encore une fois.

M. Ostiguy (Marcel): Alors, on vous remercie de votre temps. Merci beaucoup. Espérons que ça vous a aidés.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Sûrement. Certainement. Alors, la commission poursuit ses travaux dans le cadre de cette consultation générale et de ses auditions publiques sur les impacts du projet de Zone de libre-échange des Amériques. Nous en sommes rendus à rencontrer M. Marc-André Carle, que j'aimerais inviter à bien vouloir s'avancer. Nous avons également réservé, M. Carle, pour cette rencontre, une période 45 minutes, et nous allons vous consacrer, en toute équité, une quinzaine de minutes pour la présentation de votre propos. Par la suite, nous passerons, selon la formule bien connue, aux échanges. Alors, soyez le bienvenu, vous avez la parole.

M. Marc-André Carle

M. Carle (Marc-André): Merci, M. le Président. Avant de commencer mon exposé, j'aimerais tout d'abord remercier la commission, d'une part, d'avoir, je dirais, pris ce mandat d'initiative d'étudier plus en profondeur le phénomène d'intégration à l'échelle des Amériques, plus particulièrement la ZLEA, et aussi de m'avoir convoqué aux audiences publiques.

Au départ, je dois dire que j'avais une vision, quand j'ai commencé à écrire le mémoire, un peu plus fermée de la ZLEA que j'en ai une présentement. J'ai eu à faire quand même beaucoup de recherches et ça m'a amené un peu à ouvrir ma vision sur le sujet. Je pensais au départ me concentrer plutôt sur les aspects économiques et je me suis rendu compte que c'était d'abord et avant tout un phénomène socioéconomique. Donc, l'aspect social était au moins aussi important, en tout cas, dans la ZLEA, selon mon point de vue, que les aspects économiques. Ça s'inscrit évidemment dans le processus de mondialisation, ou ce qu'on appelle globalisation aussi, qui affecte à peu près toutes les sociétés, et évidemment le Québec et le Canada n'y échappent pas. Donc, à ce moment-là, le système d'éducation et même le système de santé, les entreprises, à peu près tout se transforme pour essayer de faire face tant bien que mal à une situation ou à un contexte futur qu'on ne connaît pas énormément, qu'on peut seulement faire des hypothèses dessus, qui est un monde beaucoup plus mondialisé et énormément intégré au point de vue économique.

Tout d'abord, j'aimerais ça apporter une précision que je pense qui n'était pas vraiment présente dans mon mémoire, c'est que je considère que justement l'intégration se fait non seulement entre les pays, mais aussi à l'intérieur de chacun des pays. On voit justement, comme je le disais, des entreprises qui vont se concentrer, qui vont se fusionner. Il va y avoir beaucoup d'acquisition dans des marchés qui sont prévus ou qui sont promis à beaucoup d'avenir justement pour essayer de faire face à des joueurs qui sont de plus en plus gros et je dirais de mieux en mieux équipés pour faire face à la concurrence. On voit ça aussi dans le domaine des médias. On peut penser à l'acquisition de Vidéotron où est-ce qu'il y a des gros joueurs comme Rogers, il y a Quebecor Média maintenant, qui dominent une part importante du marché. On voit ça aussi au niveau social. Je dirais qu'il y a une polarisation, il y a un écart qui se creuse entre les riches et les pauvres, entre les différentes classes sociales et aussi à l'aspect économique où est-ce qu'on dit que l'écart entre les pays développés et sous-développés est extrêmement important. Il y a aussi justement, ce dont je vous parlais, le phénomène de concentration des entreprises, puis on se retrouve un peu avec des PME surtout au Québec qui se ramassent dans des marchés ailleurs ou qui sont dominées par des multinationales ou par des très grandes entreprises. Donc, il y a vraiment un contraste très important entre ces deux réalités-là.

Évidemment, je dirais, l'aspect politique n'y échappe pas non plus, à l'échelle même mondiale, puis surtout en Amérique centrale et en Amérique du Sud. On peut l'observer ici un peu. Je dirais, il y a ce que je pourrais appeler le «présidentialisme» qui se crée ici. De plus en plus, le pouvoir exécutif est puissant, est important, se donne lui-même des mandats, et, de moins en moins, le pouvoir législatif a une autonomie et un pouvoir de décider des orientations. On voit ça justement lors de la signature des accords où est-ce que le pouvoir exécutif finalement dispose d'une grande autonomie ou, quand il ne la possède pas, généralement, il la prend. On voit ça pas nécessairement aussi au niveau politique seulement au sein des gouvernements ou au sein des instances législatives, on voit ça aussi au niveau des centrales syndicales. Je dirais même chose au niveau des partis politiques, à l'intérieur des partis politiques et aussi même au niveau de fédérations étudiantes. J'ai un peu plus travaillé là-dessus, j'ai quand même une bonne expérience sur le sujet. Par exemple, quand j'ai fait le Forum étudiant ici, en janvier dernier, on a pris quelques votes sur des choses qui avaient déjà été adoptées justement au niveau de la ligne de parti, puis la ligne de parti, de plus en plus, est dictée par des gros joueurs. En tout cas, dans notre cas, c'était le cas.

Donc, on est loin justement du vote où est-ce que chaque député vote selon sa libre conscience. Dans notre cas, généralement, même pour une question aussi capitale que le budget que j'avais présenté, c'est notre leader parlementaire qui a crié: Adopté, et ça a été fini. Flow! on a un budget pour l'année prochaine. Ce qui est inquiétant à ce niveau-là, c'est qu'il y a beaucoup d'acteurs qui analysent soit mal la situation, je ne sais pas, je ne veux pas leur faire un procès d'intention, ou qui utilisent les chiffres pour vendre chacun leurs intérêts. Je trouve que ça manque un peu de rigueur et que c'est très dangereux au point de vue social. Par exemple, je prends un exemple, il y en a beaucoup, l'AMEQ, qui s'est présentée ici la semaine dernière si je ne m'abuse, qui arrive ici et qui vous présente énormément de statistiques économiques au niveau de la hausse des exportations, le PIB qui augmente, la croissance économique qui est importante, et évidemment c'est des chiffres qui sont réels et ça nous montre, à tout le moins, qu'à cet aspect-là ça va très bien. Par contre, une erreur qui est souvent faite, c'est justement... on se dit: Dans mon secteur, ça va bien, donc tout va bien et on arrête l'analyse là. Bingo! on ferme les livres. Parfait, tout va bien, on continue là-dedans, on fonce.

n(17 h 20)n

On peut parler aussi... les gens vont dire, souvent un réflexe qui est présent chez beaucoup d'acteurs, c'est... on va dire: C'est évident qu'on est d'accord pour la protection sociale, on est d'accord avec ces principes-là de développement durable, sauf qu'il y a beaucoup d'autres pays qui ne sont pas d'accord avec ces principes-là, donc ça va être très difficile à négocier. Donc, souvent la conclusion qui est, je dirais, évidente selon eux autres, c'est qu'on va faire le libre-échange quand même sans nécessairement s'occuper des autres objectifs énoncés lors du Sommet des Amériques. On se dit: Au moins, on va en avoir un et les autres, ça ne relève pas de moi, c'est les gouvernements qui vont s'occuper de ça, c'est les acteurs socioéconomiques, eux autres s'en occuperont. Moi, ce que je veux, c'est une libéralisation économique, et ça s'arrête là. Évidemment, c'est un aspect qui est important aussi, mais il ne faut pas se borner à ça. La ZLEA s'inscrit justement dans le processus du Sommet des Amériques puis d'une intégration à l'échelle continentale qui n'est pas seulement économique. Il ne faut vraiment pas se borner à ça sinon, comme on dit, on peut passer à côté de la track.

Il y a aussi évidemment... Dans tous les débats d'opinion, les chiffres sur la mondialisation sont très souvent évoqués, par exemple, justement même dans le débat au sujet du fédéralisme versus le souverainisme. D'un bord, vous avez les fédéralistes qui vont dire: L'union fait la force. Le Québec, ça va être un joueur qui est beaucoup trop petit pour affronter les États-Unis, le Brésil ou même le Mexique. D'un autre côté, je dirais, les souverainistes vont amener plutôt l'argument qui dit: Présentement, c'est le gouvernement fédéral qui décide seul. En étant un État souverain, on peut justement se rapprocher de la prise de décision. C'est évidemment des bons arguments, mais il faut aussi se concentrer sur le vrai problème. Justement, la croissance économique, par exemple, c'est vrai que ce n'est pas juste des chiffres, c'est aussi des jobs, c'est des gens, c'est des citoyens. Même chose évidemment quand on dit: Le taux de pauvreté augmente. Bien, c'est quoi? C'est justement des gens qui ont de la misère à manger, c'est des gens qui ont de la misère à boucler leur budget, qui ont de la misère avec la dernière semaine du mois.

Donc, en tout cas, selon moi, les parlementaires ont beaucoup de travail à faire, vous avez énormément de travail à faire pour départager tout ça. Je pense que vous avez eu, en tout cas depuis le début, énormément de sons de cloche extrêmement différents, j'ai eu le plaisir de le constater un peu quand j'ai consulté les procès-verbaux. Par exemple, M. Brunelle, du GRIC, il y a l'AMEQ, les Aliments Carrière aussi. Les gens divergent énormément d'opinions là-dessus.

Un autre aspect que je trouve un peu plus regrettable, c'est que les médias en parlent, mais peut-être pas nécessairement non plus de la bonne façon. Dans certains cas, c'est présenté comme justement une réalité à laquelle on ne peut pas vraiment échapper, et souvent on va aller vanter ça, quand on ne taira pas tout simplement les effets de la mondialisation, et, d'un autre côté, je dirais, vous avez la presse, qui est un peu plus de gauche, qui va justement crier au loup à toutes les cinq minutes et puis, à chaque qu'on va croiser un chef d'entreprise, justement, on va se dire: Lui, tu sais, il veut absolument abuser tout le monde. Donc, on dirait qu'on a une difficulté au niveau de la société à faire un juste milieu. Les gens qui sont les plus actifs, c'est les gens qui sont soit complètement d'un côté, soit complètement de l'autre. J'ai essayé de rester au milieu, je n'ai pas d'intérêt précis d'un côté ou de l'autre, puis j'ai essayé, en analysant puis en me renseignant sur le phénomène, de regarder au niveau de l'ensemble de la société, pas seulement d'un aspect.

Dernier aspect, justement, que je voudrais élaborer dans ma présentation ? ensuite, on pourra passer aux questions ? c'est l'aspect de la démocratie. Ça a été soulevé par le document de réflexion; je trouvais que c'était extrêmement pertinent. C'est que, à l'échelle internationale, de plus en plus d'organismes ont du pouvoir sur les États, ont du pouvoir sur les citoyens, mais aussi sur les représentants élus. On pense, par exemple, justement au Fonds monétaire international. C'est quand même un exemple qui est important. La majorité des grandes décisions se prennent par le Board of Governors, qu'ils appellent. Si je me rappelle bien, ils sont sept ou huit, dans un nombre comme ça, et les votes sont pondérés selon justement le capital investi dans le Fonds ou par quote-part, je pense que c'est comme ça qu'ils appellent ça, et les États-Unis, à eux seuls, en possèdent un peu plus de 18 %. Le hic, c'est que, pour passer une décision d'importance, par exemple accorder un prêt ou le refuser, il faut une majorité de 85 %. On se retrouve donc avec un seul pays qui a finalement un veto sur l'aide économique dans l'ensemble du monde. Je considère que ce n'est pas extrêmement démocratique, justement.

À ce fait-là, encore, dans le cas de l'ALENA, ça s'est passé quand même très rapidement. C'est des changements qui sont importants au niveau social, on s'en rend compte de plus en plus. La ZLEA s'enligne vers quelque chose qui est encore plus global et encore plus important, et ça, je pense que c'est une question extrêmement fondamentale sur laquelle les citoyens ont le droit de choisir. J'en ai parlé dans le mémoire justement au sujet d'une consultation référendaire sur le sujet. Ça peut peut-être vous paraître grand et important, mais il faut dire que ça va être... justement, si c'est adopté comme ça s'enligne, ça va être, je dirais, à l'échelle du pays, des centaines de milliers de personnes qui vont éventuellement peut-être se retrouver sans emploi, vont devoir se rediriger, restructurer leur vie, et je trouve que c'est un nombre qui est suffisamment important justement pour ne pas que ce soit, par exemple, le ministre du Commerce du Canada ou le premier ministre du Canada ou même les 10 premiers ministres, avec le gouvernement fédéral, qui aillent signer un accord et dire: Bien, voilà, j'engage 27, 28, 29 millions de personnes dans une voie que, dans le fond, peut-être elles ne veulent pas.

En tout cas, je fais appel à vous de ce côté-là. Seulement du côté du respect de la démocratie, c'est une valeur qui est importante au Canada, au Québec aussi, peut-être beaucoup moins dans certains autres pays où est-ce que les régimes sont plutôt présidentiels. Dans certains cas, c'est carrément de la dictature. Ici, ce n'est pas une habitude, je pense, qu'on a prise en tant que société, que de laisser prendre des décisions aussi capitales par quelques personnes, et j'espère que ça va continuer comme ça, qu'on va laisser les citoyens être libres de leur destinée et qu'on va laisser la société québécoise libre de choisir où est-ce qu'elle veut s'en aller. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Carle, pour cette présentation. Je pense qu'il y a de la relève.

Je vais passer la parole à mon collègue de Drummond.

M. Jutras: M. Carle, je vois, de votre présentation, que vous avez 19 ans.

M. Carle (Marc-André): Oui.

M. Jutras: Oui. Je veux vous féliciter. Je dois vous dire que je suis impressionné par votre présentation. Et là vous êtes à l'Université Laval, vous faites un bac en administration. Vous êtes en première année, quoi?

M. Carle (Marc-André): Oui, je suis à ma première session. J'ai débuté il y a à peu près un mois.

M. Jutras: En tout cas, félicitations.

M. Carle (Marc-André): Merci.

M. Jutras: Comme le dit le président, il y a de la relève et de la relève intéressante. Votre mémoire couvre énormément d'aspects. Je voudrais y aller, dans un premier temps, dans la suite de ce qu'on a entendu auparavant. J'ai remarqué que vous étiez là quand il y a eu la présentation des Aliments Carrière, oui.

M. Carle (Marc-André): Oui.

M. Jutras: Vous avez entendu parler... il a été question de ce qu'on a appelé le «dumping social», c'est-à-dire des normes de travail qui sont très différentes d'un pays à l'autre, avec des économies bien différentes et des salaires à 100 $ la journée ici et 1 $ la journée ailleurs. Vous en traitez, de cet aspect-là, dans votre mémoire, et ce que vous proposez, vous, par rapport à cela, c'est d'y aller par étape.

M. Carle (Marc-André): Oui.

M. Jutras: Vous dites: Incluons, dans un premier temps, les droits fondamentaux des travailleurs, dès la mise en place de la ZLEA. Autrement dit, si je vous comprends bien, dans l'accord comme tel, ce serait déjà inclus. Il y aurait déjà de tels droits d'inclus pour, par la suite, en venir à des normes minimales conjointes en matière de travail et, par la suite, en venir même à un genre de code international en matière de droit du travail.

J'aimerais ça vous entendre sur deux points. D'abord, vous avez entendu la présentation des Aliments Carrière. Qu'est-ce que vous dites de la solution que eux proposaient, de dire qu'il y ait des droits compensatoires qui soient établis? Et de un, je voudrais vous entendre là-dessus. Et de deux: Qu'est-ce que vous répondez aussi... Parce que cette solution-là, vous, vous la proposez en trois étapes. On n'a pas retrouvé ça nécessairement ailleurs. Mais votre solution, elle a été proposée par d'autres personnes aussi. Qu'est-ce que vous répondez à l'argument des pays plus pauvres qui disent: Bien, vous voulez faire preuve, à notre endroit, de protectionnisme et nous ne pouvons pas accepter cela? Et qui disent: Vous autres aussi, les enfants, chez vous, ont déjà travaillé. Vous autres aussi, les conditions de travail ont déjà été vraiment lamentables et, à travers les années, vous êtes passés à travers cela, vous les avez améliorées. Alors, laissez-nous faire de même, et surtout ? et surtout ? ne nous enlevez pas des avantages de concurrence qu'on peut avoir présentement. Qu'est-ce que vous dites là-dessus?

n(17 h 30)n

M. Carle (Marc-André): O.K. Tout d'abord, justement sur la première partie de votre question, je vais avoir un commentaire qui relève plutôt de la science économique. Je dirais que, selon mon opinion personnelle ? il y a quand même beaucoup d'économistes qui partagent cette opinion-là ? c'est que, d'abord et avant tout, faire payer justement un droit compensatoire, d'une certaine manière, parce que le prix... ce que ça fait, c'est que ça prive aussi les consommateurs d'un bien qu'ils pourraient avoir à un coût plus faible. Donc, je trouve que c'est un peu une bien mauvaise pénalité à payer pour le marché ou pour la consommation. Donc, je trouve que vraiment ce n'est pas une mesure qui devrait être envisagée à long terme ni, je dirais, dans un contexte plutôt de... justement dans l'avenir. C'est sûr que là, présentement, c'est quasiment une norme à peu près partout. On essaie de les enlever, et, du point de vue justement du droit compensateur, je trouve que c'est une très bonne chose, parce que, en bout de ligne, généralement, oui, c'est vrai que ça affecte la rentabilité des entreprises, mais ça fait aussi que les consommateurs paient des produits plus cher que ce qu'ils devraient normalement, et évidemment c'est un des buts mêmes, je dirais, de l'intégration économique d'essayer de susciter la concurrence.

Sur le deuxième aspect, je dirais que c'est une question qui est quand même assez épineuse du fait que, bon, l'écart est extrêmement important entre les deux. De cet aspect-là, c'est un peu pourquoi je revenais justement sur le processus par étapes, c'est-à-dire qu'il n'y a pas une économie justement qui est prête, même dans les pays pauvres, à supporter un salaire minimum élevé, des conditions environnementales extrêmement élevées. Bien, par rapport à eux, nous, on a des normes extrêmement élevées, donc c'est évident que c'est impossible à court ou même à moyen terme. Mais, de là à dire que c'est un protectionnisme déguisé, je ne suis pas du tout d'accord pour la simple et bonne raison justement que, à long terme, ce que ça fait, c'est que ça leur laisse une période d'adaptation qui est quand même... on parle de quelque chose qui est suffisamment long, qui va leur permettre de s'adapter. Et, avec des droits du travail aussi, ça va permettre, je dirais, de laisser aux citoyens la chance d'élever un peu leur niveau de vie de façon progressive. Puis je pense que ces pays-là devraient aborder ça comme étant, je dirais, une chance qu'on leur donne justement de sortir leur population de la misère puis de la pauvreté à long terme plutôt que d'arriver puis de dire: Bon, bien, vous voulez des gains tout de suite et vous voulez absolument nous bloquer.

J'aborde, je dirais, cette problématique-là non pas dans la perspective de court terme des entreprises qui disent: On va perdre notre marché, mais plutôt de dire justement que... d'en venir à une certaine homogénéité au sein de la Zone de libre-échange. C'est impossible d'ici cinq à même 10 ans, 20 ans, mais qu'à long terme on puisse arriver justement non pas, nous autres, descendre nos standards, non pas de laisser aller des acquis qu'on a, mais les pays les plus pauvres, qu'ils puissent augmenter leur niveau de vie pour, évidemment à très long terme, nous rattraper. Moi, c'est comme ça que je vois ça.

M. Jutras: Une dernière question, parce qu'un de mes collègues a des questions aussi à vous poser. Dans le cas des normes environnementales, vous dites que l'accord de la ZLEA ? là, vous êtes très précis ? devrait contenir des clauses strictes en matière de respect et de protection de l'environnement et vous dites même que l'accord devrait prévoir des pénalités importantes pour les entreprises qui ne respectent pas ces normes minimales. Pourquoi vous ne concluez pas de la même façon quand on parle des normes minimales? Vous dites: Il devrait y avoir des normes minimales de travail, mais pourquoi, là, dans ce cas-là, vous ne concluez pas à des pénalités, comme vous le faites dans le cas de l'environnement?

M. Carle (Marc-André): Bon, c'est peut-être justement dans une perspective un peu plus réaliste et un peu moins idéaliste, parce que justement sur l'aspect du développement durable, il faut quand même... C'est peut-être une imprécision du mémoire de dire que... Ça aussi, évidemment, les normes élevées, c'est quand même à terme. On ne peut pas arriver puis faire un saut ? justement, ce qu'ils disaient au niveau des rejets, par exemple, dans les rivières ? de aucune norme à, par exemple, la meilleure norme au monde. C'est impossible, il n'y a aucune industrie qui est capable de s'adapter. Puis c'est une de mes peurs justement, si on accélère trop le processus, on va se ramasser avec un cas, même comme dans... Dans plusieurs marchés, même au niveau de l'ALENA, le Canada et les États-Unis ne sont pas capables de s'adapter puis ils disent: Bien, moi, je suis obligé de protéger justement mon secteur. Donc, je fais du protectionnisme à gauche, à droite. Ce n'est pas ça qu'on veut faire. Moi, je vois ça dans la perspective de, si on fait un accord, on va s'engager, dans toute la mesure du possible, à le respecter. Ça ne sert à rien de faire un accord qui prévoit qu'on n'a plus aucune barrière dans 10 ans, alors qu'au bout de 30 ans on est encore à moitié, on est encore à mi-chemin. Je vois ça justement dans cet aspect-là. À trois, c'est déjà difficile de s'entendre. J'imagine à 34, ça va être vraiment terrible.

C'est un peu pour ça, je dirais, que le... Pour répondre précisément à votre question, c'est que le marché du travail, justement, c'est peut-être le gros élément sur lequel ils tiennent. Puis éventuellement il pourrait aussi contenir des pénalités, mais à plus long terme, parce qu'on touche à quelque chose d'encore plus global que l'aspect de la protection de l'environnement. C'était dans ce sens-là.

M. Jutras: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci, M. le Président. Alors, félicitations. Bienvenue, M. Carle, à la commission. Moi aussi, je suis impressionné par votre mémoire. Je pense qu'une première lecture ne suffit pas, il faudra aussi le relire.

Ma question porte sur la récession continentale. Vous parlez d'une récession éventuellement, puis, je pense que vous avez raison, on a eu des années de prospérité et on connaît le cycle économique, c'est à prévoir. Sauf que, moi, en tout cas, j'aurais pensé que le libre-échange aurait pu atténuer ou aplanir les difficultés d'une récession. Alors, vous affirmez le contraire. Puis vous parlez aussi d'homogénéiser avec... Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus?

M. Carle (Marc-André): Oui, oui, aucun problème. Justement, je suis tout à fait d'accord avec vous, en tout cas, qu'à terme... Et, je dis bien à terme, c'est vraiment là l'expression qui est importante dans mon propos, c'est que justement au bout d'une certaine période d'adaptation, je dirais, où est-ce que les économies ? excusez-moi l'expression ? se connaissent un peu mieux, on devrait arriver justement, je dirais, à une plus grande force, sauf que, pendant la période d'adaptation, disons, pour les cinq, 10, 15 prochaines années, on n'arrivera probablement pas à cette cohésion-là entre les différentes économies, bon, du fait des mesures justement anticommerciales qui ne sont pas encore complètement levées, et c'est justement, ce que je dirais, à ce moment-là où est-ce qu'on est encore vulnérables. C'est-à-dire que vous connaissez tous le principe, justement, de la récession, bon, bien c'est un cercle vicieux qui s'amorce d'abord par pas grand-chose et puis qui finit finalement par gagner par un effet que je dirais boule de neige.

Donc, ma crainte, à ce niveau-là, c'est de dire: Bien, à un moment donné si, par exemple, un gros joueur comme les États-Unis amorce une récession, si on est complètement ouverts... Et, ça revient aussi à faire un lien important avec l'aspect dépendant du Québec face aux États-Unis, là, au niveau des exportations, si les États-Unis s'en vont en récession, avec 30 % de notre PIB qui est directement relié aux États-Unis... Peut-être encore plus important, de façon indirecte, si les États-Unis, justement, il arrive soit une crise ou même une récession importante, on va l'avoir, nous autres aussi, de plein fouet et avec la même force, la même virulence.

Avec le contexte budgétaire qu'on connaît justement au niveau des provinces puis au niveau du fédéral, là, ça va bien, on vient à bout de générer des surplus, bon, pour se payer même des réinvestissements en santé, en éducation, à gauche et à droite, même des baisses d'impôts, mais, si on repart justement au niveau d'une récession, ça risque d'être tout le contraire. Une récession, c'est une hausse... évidemment, pour le gouvernement, ça implique une baisse des revenus et une hausse des dépenses, et je ne pense pas que ni le Québec ni le Canada ne puisse se permettre une récession, et il faut faire extrêmement attention à ce niveau-là. Donc...

M. Jutras: Comment on peut réussir à homogénéiser l'économie des États-Unis avec celle d'Haïti, par exemple?

M. Carle (Marc-André): Bien, c'est exactement pourquoi je dis que présentement c'est impensable et irréalisable, d'ici, là, les 15, 20 prochaines années. Justement, je disais un peu comme ça, nous autres, on est à l'heure du commerce électronique, de la «Net Economy», et probablement que là-bas, eux autres, il y en a plusieurs qui ne savent même pas c'est quoi, Internet. Donc, on a un rattrapage qui est immense à faire, puis, moi, c'est un peu dans cet objectif-là que je dis ça, je dis: À court terme, c'est impossible, on ne peut pas penser... dire que ces gens-là vont profiter au même titre que nous autres ou de la même façon de l'économie, et je pense qu'au niveau de l'intégration économique c'est fort et c'est utile, surtout justement quand les économies sont capables de supporter. C'est certain que l'économie des États-Unis est capable de supporter plusieurs économies comme le Québec, le Canada au complet, Haïti, mais ce sont les États-Unis qui sont le gros moteur, je dirais, l'étalon du groupe. Si eux autres tombent en panne, bien le danger, c'est que toutes les économies qui en dépendent tombent aussi en panne. Évidemment, là le cercle vicieux est d'autant plus important et d'autant plus difficile à briser que, je dirais, la plus grosse machine est en panne, puis les autres, plutôt que de la soutenir, parce qu'on n'est pas encore assez arrimés, bien tout ce qu'on fait, c'est qu'on lui cause encore plus de difficultés parce qu'elle doit nous traîner en plus.

M. Boulianne: Est-ce que j'ai le temps pour une autre question? Oui. Vous parlez que le libre-échange signifie la renonciation à la souveraineté de l'État dans plusieurs domaines, dans certains domaines. Vous allez même à dire qu'il faudra modifier les lois, la Constitution. Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus, donner quelques exemples?

n(17 h 40)n

M. Carle (Marc-André): Bien, peut-être au niveau du libre-échange strict, comme on le connaît présentement, ça suppose déjà, à terme, des modifications importantes dans les façons de faire aussi. Justement au niveau, bon, de ne plus imposer de douanes du tout, là, je ne me rappelle plus de son nom, la dame qui était ici tantôt disait que, bon, c'est encore monnaie courante, lorsqu'on veut protéger quelque chose, paf! barrières tarifaires ou barrières non tarifaires. Mais, à terme, il va falloir développer justement le réflexe de ne plus le faire et peut-être éventuellement développer justement une législation qui interdit ça si on veut vraiment respecter de façon scrupuleuse les accords.

L'accord de la ZLEA s'enligne pour être encore plus global que l'ALENA, donc dans cette perspective-là, justement ça risque non seulement de toucher simplement au libre-échange, mais au niveau économique au complet, peut-être justement au niveau des politiques économiques communes ou des choses comme ça, puis c'est à ce niveau-là que je dirais que les façons de faire devraient changer de façon vraiment importante, peut-être justement au niveau de plusieurs lois. Il y a plusieurs lois sur le développement économique au niveau de ces choses-là, plusieurs institutions canadiennes qui devraient être arrimées à des institutions internationales ou à l'échelle des Amériques, puis c'est plutôt à cet aspect-là, justement, que je faisais référence. Si on veut vraiment s'y conformer. Si on veut s'y conformer à peu près, on peut continuer comme ça puis ne pas respecter l'accord à moitié. Si on veut vraiment s'y conformer, il y a énormément de chemin à faire.

M. Boulianne: Merci. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Peut-être, avant de passer la parole à mes collègues de l'opposition, j'irais également d'une question. L'origine du mandat d'initiative de la commission, si j'avais, au fond, à en résumer l'essentiel, vient d'un constat des parlementaires et des membres de la commission à l'effet que justement les parlementaires et les Parlements sont bien loin actuellement de ces processus de négociation et d'intégration des zones de libre-échange, notamment en ce qui regarde la Zone de libre-échange des Amériques, et qu'il y avait lieu pour nous d'examiner ces enjeux de façon à pouvoir identifier comment les parlementaires que nous sommes, dans les champs de responsabilité de notre Législature, pouvons agir ou réagir dans les champs de compétence que l'Assemblée nationale doit exercer et comme parlementaires également mandatés pour veiller au grain d'une certaine façon. Bon.

Si je joins l'explication de l'origine de ce mandat au fait que j'ai entendu aussi certaines réactions d'étonnement dans certains milieux à l'effet qu'une commission comme celle-ci se saisisse d'un tel mandat, au fond, ce que je sentais derrière les interrogations, c'est: De quoi se mêle-t-on, les parlementaires, de s'occuper de ces questions-là?

Et j'y ajoute une troisième intervention d'un intervenant précédent ? je pense que c'est la semaine dernière ? où on disait: Bon, compte tenu de ce qui se passe, les mouvements d'intégration, tout ça, le fait que ça se discute beaucoup entre milieux d'affaires et entre exécutifs, on en venait à se demander s'il ne faudrait pas réviser même, à un moment donné, les mécanismes démocratiques ou la façon dont on fonctionne dans nos sociétés. À vous, compte tenu de votre âge et également de l'excellence de votre mémoire, je vous pose la question: Est-ce que les Parlements ont quelque chose à faire en la matière ou, à l'inverse, est-ce qu'on doit réviser la façon dont nos démocraties fonctionnent?

M. Carle (Marc-André): C'est peut-être une vision, je dirais, qui est plus typique au niveau des jeunes.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): La raison pour laquelle je pose la question, c'est que vous faites plusieurs suggestions quant à l'implication que doivent avoir les Assemblées législatives des Amériques dans ces questions.

M. Carle (Marc-André): Oui. Comme je le disais tantôt, bon, le dossier semble être piloté pratiquement de A à Z par le pouvoir exécutif et je dirais même par l'État, même souvent par des fonctionnaires, par des négociateurs. Donc, ce n'est même pas le pouvoir exécutif qui est, disons, élu même par le premier ministre. Souvent, même le ministre du Commerce doit arriver justement à des rencontres de deux jours et aurait des constats pour huit semaines à faire, donc on lui dit: On les prend, les 34, à la fin puis on leur dit: Écoutez, signez-moi ça. Voilà ce que vous devez dire aux autres. Ça semble être de plus en plus... Je dirais, ce processus-là s'éloigne de la démocratie, et c'est une de mes craintes principales, sinon la principale, à ce sujet-là.

J'ai dit tantôt que je trouvais que justement c'était un mandat audacieux que vous vous êtes donné de vous saisir de ce dossier-là et je trouve que ça fait preuve, en tout cas, d'une grande responsabilité, parce que, moi, je vois ça justement... Bon, vous avez, chacun, probablement des fonctions qui vous sont spécifiques, mais, d'abord et avant tout, vous êtes des représentants des citoyens, et, à ce titre-là, je trouve que justement c'est tout à fait justifié que vous vous saisissiez d'un dossier comme ça et que vous ayez votre mot à dire dans quelque chose comme ça. C'est un des dossiers les plus importants de l'heure. C'est, à mon sens, peut-être aussi important, sinon plus, que, bon, les états généraux sur la langue ou d'autres gros dossiers dont on parle un peu plus parce que ça touche à tout ça. Ça a évidemment des impacts sur la culture.

La commission de la culture a produit évidemment un document que je trouvais excellent, que j'ai lu et relu et relu même. Ça touche à énormément de mandats et, je dirais, en tant qu'élus du peuple... qui d'autre, à part même les parlementaires, a la légitimité de prendre des décisions comme ça? Est-ce que c'est moi, par exemple, le sous-ministre adjoint du Commerce au gouvernement du Canada, qui, selon mes propres valeurs... Bon, moi, justement, je suis très libéral et je dis: Je pense que c'est bon pour le Canada, je vais m'arranger pour que ça se fasse. Je trouve que ce n'est pas du tout légitime puis je pense que c'est vous qui avez la légitimité d'intervenir là-dedans. Je trouve ça dommage justement que les provinces soient exclues de ça, presque carrément du processus, mais je pense que vous avez un rôle. Sinon direct, vous avez un exemple à donner pour la société, de dire: Nous, on s'en préoccupe, c'est important, et on voit qu'est-ce qu'on fait là-dessus.

Vous avez quand même, je dirais, un pouvoir de concertation entre les différentes assemblées parlementaires, et, en tout cas, c'est dans cette façon-là que j'abordais ça. Bon, il y a des mandats justement, peut-être aller jusqu'à... au fait, si on se fait imposer par le pouvoir exécutif un accord qui ne correspond pas du tout à la société, bien d'être capable de le prouver en disant: Bien, regardez, par consultation référendaire, les Québécois ne veulent absolument rien savoir de ça, ça va les appauvrir au profit d'une minorité de personnes plus riches. Puis c'est dans cette perspective-là que je vois que vous avez un rôle, je dirais, d'exemple, un devoir moral de vous saisir du dossier puis de voir ce que vous pouvez faire. Mais il y a même des actions, là, indirectes que vous pouvez prendre, puis j'en donne quelques exemples dans le mémoire.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. M. le porte-parole de l'opposition officielle en matière de relations extérieures et député de Laurier-Dorion.

Une voix: ...

M. Sirros: Merci, M. le Président. Hein?

Une voix: ...

M. Sirros: Ha, ha, ha! Non, c'est parce que je pensais que mon collègue avait demandé la parole.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): C'est mon erreur.

M. Sirros: Mais je pourrai revenir, oui.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Oui. M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Moi aussi, je vous souhaite la bienvenue dans cette commission.

M. Carle (Marc-André): Merci.

M. Gautrin: Je vais vous lire des morceaux de la déclaration de Santiago qui a été celle qui a initié comme tel le processus de négociation. Cette déclaration a été signée par tous les premiers ministres qui participent, et, bon, je ne vous lirai pas l'intégralité, mais je dirai: «Le processus de négociation de la ZLEA sera transparent et tiendra compte des différences en ce qui concerne les niveaux de développement et les tailles respectives des économies des Amériques afin que tous les pays puissent y participer pleinement. Nous encourageons tous les secteurs de la société civile à participer et à contribuer au processus d'une manière constructive par le biais de nos mécanismes respectifs.»

Et, un peu plus loin, on affirme que nous approfondirons l'éducation pour la démocratie et ferons la promotion des réformes nécessaires pour que les institutions publiques deviennent des systèmes plus participatifs et nous engageons à consolider, le cas échéant, les capacités des gouvernements régionaux et locaux et encourager une participation plus active de la société civile.

Je vous rappellerai que c'est la déclaration de Santiago qui a été signée par tous les premiers ministres. Vous avez raison, dans votre document, vous rappelez la déclaration de Toronto, dans laquelle les ministres... non plus les premiers ministres, mais, à ce moment-là, les ministres du commerce ont réaffirmé la même chose. À la lecture de votre texte, j'ai l'impression que vous ne pensez pas que le processus de négociation est transparent à l'heure actuelle. Je le ne pense pas non plus, mais enfin je pense que ce que vous... et vous proposez un certain nombre de mesures pour le rendre plus transparent. Je pourrais vous les rappeler, mais je voudrais vous entendre plus spécifiquement là-dessus et qu'est-ce que vous pensez qui devrait être suggéré, très rapidement, peut-être par notre commission au Sommet des Amériques qui doit avoir lieu au mois de mars, ici, à Québec, pour qu'au minimum le processus soit plus transparent.

M. Carle (Marc-André): Bon. Excusez-moi. De façon... Bon, pour venir...

M. Gautrin: C'est les pages 13 et 14 de votre mémoire.

n(17 h 50)n

M. Carle (Marc-André): Oui. Justement, pour venir d'une façon très brève justement là-dessus, en tout cas, le premier constat que je peux faire là-dessus, c'est qu'entre ce qui est écrit sur papier et ce qui se passe, c'est d'autres choses. On parlait justement au départ d'arriver et de dire: Bon, bien, par exemple, justement les gouvernements territoriaux et provinciaux vont être consultés et informés de l'ensemble du processus. En gros, c'est ce qu'on disait. À date, est-ce que vous savez ce qu'il y a dans les documents de travail qui circulent de façon ultraconfidentielle? Je ne pense pas. Je pense que ça serait une première étape qui est vraiment fondamentale à faire. C'est-à-dire que c'est un peu, je dirais, un projet d'une certaine union entre certaines sociétés, puis on est en train de discuter de ça à 34 dans une porte close, justement, je disais même, bon, derrière une cohorte de policiers puis une escouade anti-émeute. À ce niveau-là, je considère que la première chose, ça serait de dire: Bon, bien, peut-être pas nécessairement le contenu détaillé des négociations, mais, après chaque rencontre, ce qui sort doit être rendu public. Voici où est-ce qu'on en est rendu. Voici vers quoi, on se dirige, pour laisser justement les gouvernements, les entreprises et même la société civile réagir puis dire: Aïe! Wo! Vous vous en allez carrément à l'encontre de ce qu'on veut, ce n'est pas ça qu'on veut. Donc, je pense que c'est vraiment le premier outil majeur d'une politique de transparence, c'est de tenir les élus, la population au courant de tout ce qui se passe, là.

M. Gautrin: Et vous interpellez directement... vous demandez qu'une politique de transparence soit mise sur pied qui, en particulier, amène les négociateurs à faire rapport régulièrement, que les documents soient disponibles sur l'Internet, que cette politique soit adoptée en 2001 et que les gouvernements impliqués directement dans le processus de négociation fassent état de leurs objectifs respectifs. C'est bien ce que vous... Et je pense qu'il est important que, pour une commission, on fasse état de cet élément-là. Je me permets de vous dire que, nous, nous avons pris la déclaration ? nous, la commission ? de Santiago à la lettre. Et, comme l'a rappelé notre président tout à l'heure, si nous nous sommes réunis ici, c'est que nous pensons que la société civile du Québec doit être directement impliquée dans ces négociations et que nous pensons qu'elle pourrait être transparente, et on essaie un peu d'ouvrir un petit peu la transparence dans ces négociations en ayant bien des difficultés, comme vous voyez, d'atteindre nos objectifs. Je pense que mon collègue de Laurier-Dorion a peut-être une question à vous poser.

M. Sirros: Moi, j'aimerais peut-être vous entendre ? Merci, M. le Président ? parler un petit peu de la question de la spécificité culturelle ou toute la question de la diversité culturelle dans un contexte de négociation des zones de libre-échange. Vous avez souvent référé dans votre texte à cette question au niveau de l'identité ou la spécificité du Québec. On est très différents, selon vous, tant du reste du Canada que des États-Unis. Comment vous le voyez, ça, dans le contexte d'une ZLEA?

M. Carle (Marc-André): Vous parlez en termes de menace pour la société ou de...

M. Sirros: Il y en a qui le voient comme une menace pour la culture québécoise. On réclame une exception culturelle et, à côté de ça, un genre de convention, si vous voulez, sur la diversité culturelle pour tous les États du monde. Où est-ce qu'on se place dans ça? C'est une opportunité, la ZLEA, au niveau de l'ouverture vers le monde ou un danger?

M. Carle (Marc-André): Oui. Moi, je la vois un peu comme les deux. Dépendamment, justement, de la façon dont l'accord est fait, ça peut aller vers des directions bien différentes. Tout d'abord, bon, justement à ce niveau-là, ça peut être une occasion de montrer qu'on est différents, oui, à plusieurs niveaux, en termes de valeurs, je pense. Ça n'exclut pas une cohabitation possible de... aussi près, mais il y a des valeurs qui sont typiquement québécoises, il y a des façons de faire qui sont typiquement québécoises. Je dirais, par exemple, ici, il y a beaucoup plus de PME qu'aux États-Unis proportionnellement. C'est un aspect qui est particulier. Les valeurs, je dirais, sont un peu différentes. On est, je dirais, une société ? bon, je vais prendre quasiment un cliché ? un peu plus à gauche par rapport aux États-Unis, c'est-à-dire, disons, nos programmes sociaux sont plus élaborés justement, et c'est moins toléré au Québec que la classe pauvre soit extrêmement pauvre. Il y a quand même des sommes considérables qui sont dépensées année après année là-dedans, ce qui est peut-être proportionnellement moins le cas aux États-Unis.

C'est des valeurs qui sont différentes, et je pense que la ZLEA, ce n'est pas une occasion, justement, de rentrer dans le rang à tous les niveaux puis de dire: Bon, bien on va essayer de calquer le plus gros joueur, en l'occurrence les États-Unis, puis essayer d'arrimer notre culture un peu à ça, puis nos valeurs. Dans ce sens-là, je trouve que c'est une opportunité de dire: Bien, nous autres, on peut être différents sous certains aspects, ça ne nous empêche pas de réussir. Les choix de société qu'on fait ont des inconvénients et des avantages, et je pense qu'il faut vivre avec en tant que société. Ça, je trouve que c'est une opportunité.

Par contre, d'un autre côté, il y a évidemment une éventuelle menace du fait que le Québec a l'habitude de subventionner quand même pas mal sa culture, par exemple au niveau de la SODEC. Je me rappelle avoir déjà organisé justement des spectacles qui étaient subventionnés à 50 % par le gouvernement. Bon, des choses comme ça, les conservatoires qui sont subventionnés. Je dirais, la place de l'État dans la culture est extrêmement importante. Est-ce que, à un moment donné, on risque de se faire remettre ça sur le nez par, par exemple, je ne sais pas, un disquaire américain, une multinationale du disque, par exemple comme, je ne sais pas, EMI, des noms qui me viennent rapidement en tête, en disant: Bon, bien, par exemple, la petite maison de disques québécoise, vous êtes en train de la subventionner, donc vous nous faites du commerce déloyal? Cette entreprise-là est d'État, et c'est une entreprise mixte, donc est-ce qu'on ne peut pas, à un moment donné, se faire remettre ça sur le nez et se faire contraindre justement à devoir abandonner une partie de ce financement-là? C'est ce qui nous fait peur, là, à terme.

Moi, de la façon dont je vois ça, ce que je dirais, c'est justement peut-être aller dans le sens de la commission de la culture, pas nécessairement dire: Tout ce qui est de la culture, on n'y touche pas, mais de mettre une barrière claire entre ce qui est un bien public puis un moyen d'expression puis ce qui est, je dirais, le côté plus commercial de la culture. Je vois vraiment ça comme ça, il y a deux aspects. La culture peut être abordée de deux façons différentes, puis il faut vraiment une démarcation claire entre les deux, sinon ça risque d'aller très fort d'un côté ou très fort de l'autre. Puis, dans les deux cas, je considère que ce n'est pas souhaitable.

M. Sirros: O.K. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Carle...

M. Gautrin: Est-ce qu'il reste un peu de temps?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Oui, il reste encore quelques minutes.

M. Gautrin: Je voudrais profiter de l'occasion, vous semblez avoir réfléchi sur la question. Sur tous les mécanismes dans un accord éventuel de libre-échange, les mécanismes de contrôle, c'est-à-dire supranationaux qui seraient soit des tribunaux ou des organismes réglementaires, est-ce que là, pour vous, ça serait un mécanisme réglementaire où seuls les États pourraient s'adresser, comme c'est, par exemple, dans le droit international, ou est-ce que les individus pourraient poursuivre ? individus ou une corporation ? devant cette juridiction les États, où, à ce moment-là, on aurait réellement une situation supranationale et supradémocratique où, à ce moment-là, un groupe de citoyens démocratiquement élus seraient contraints par un tribunal international?

M. Carle (Marc-André): Bien, c'est exactement, justement, ce qui me fait peur. Les exemples, bon, les plus fréquents de ça sont au niveau des institutions de Bretton Woods, entre autres, et au niveau de l'OMC où est-ce qu'on se demande à un moment donné si ce n'est pas justement, je dirais, la bureaucratie internationale qui domine et qu'à un moment donné il y a quelqu'un... Peu importe qui est-ce que c'est, que ce soit le directeur général du FMI ou un autre, il reste que c'est quand même un seul individu qui prend la décision et qui contraint, par exemple, un État, une société entière à dire: Tu fais ça.

M. Gautrin: Un Parlement éventuellement.

M. Carle (Marc-André): Oui, devant ça. Puis, si je me rappelle bien, il y en avait un exemple justement, bon, sur le Pacte de l'automobile ce matin dans les journaux. On peut en penser ce qu'on veut, la situation, c'est quand même que l'OMC dit au Canada: Ça ne marche plus, votre affaire, vous devez mettre un terme à ça sous peine de sanctions économiques. Et on a vu tout de suite le premier ministre du Canada réagir et dire: D'accord, on s'y plie. Donc, tout ce que peut faire un État dans ce temps-là, bien il regarde le pour et le contre, il dit: Bien, on ne peut pas vraiment aller contre l'OMC, on ne peut pas aller contre la bureaucratie internationale, donc on est obligés justement de plier sur ces aspects-là.

Moi, ce qui me fait peur, c'est qu'éventuellement on soit obligés de plier sur des valeurs encore plus profondes comme la santé, l'éducation. Est-ce qu'à un moment donné, je dirais, l'emprise de cette bureaucratie internationale là va être suffisamment forte pour arriver puis nous dire: Bien, l'éducation publique, ça ne marche plus, arrangez-vous tout seuls? Est-ce que justement, bon, les mesures sociales, justement, l'aide au revenu, la sécurité du revenu... est-ce que ça ne peut pas, à un moment donné, être considéré comme des barrières et dire: Bon, bien on va avoir à ce point un pouvoir sur les sociétés que la personne, justement, qui va avoir le plus de pouvoir sur l'État, ça va être le «managing director for Canada» à l'OMC, tu sais? Moi, c'est ça qui me fait peur.

M. Gautrin: Je comprends. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Carle, vous dites dans votre mémoire... vous vous adressez à nous à titre de simples députés. Comme président de la commission, il me fait plaisir de vous remercier au nom de mes collègues, mais également je veux vous remercier à titre de simple député...

M. Carle (Marc-André): Excusez-moi...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): ...pour votre contribution.

M. Carle (Marc-André): ...c'est un lapsus.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci encore une fois. Alors, la commission des institutions ayant complété son ordre du jour pour ce jeudi, j'ajourne les travaux au 10 octobre, 9 h 30, à la salle LaFontaine. Projet de loi n° 115 que nous étudierons à ce moment-là. Merci.

(Fin de la séance à 18 heures)



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