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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le mercredi 25 août 1999 - Vol. 36 N° 28

Consultations particulières sur l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs et d'autres dispositions législatives


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Table des matières

Auditions


Intervenants
M. Roger Bertrand, président
Mme Linda Goupil
M. Normand Jutras
M. Jacques Côté
M. Marc Boulianne
M. Lawrence S. Bergman
M. Henri-François Gautrin
M. Jacques Dupuis
M. Robert Middlemiss
*M. Yves Filion, HQ
*M. Rhéaume Veilleux, idem
*M. Claude Neveu, CMMTQ
*M. Robert Brown, idem
*M. Jean Charbonneau, idem
*M. Michel Audet, CCQ
*M. Guy Laberge, idem
*M. Patrick O'Hara, idem
*M. André Dicaire, idem
*M. Louis Champagne, SPIHQ
*M. Michel Beauvais, CMEQ
*M. Yvon Guilbault, idem
*M. Alain Paradis, idem
*M. Jacques Plante, idem
*M. Pierre Liberatore, idem
*M. Sylvain Allaire, AQHSST
*M. Michel Legris, idem
*M. Robert Hall, Cascades inc.
*M. Jacques Côté, idem
*M. Christian Côté, idem
*M. Marc Nolette, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Neuf heures trente et une minutes)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): La commission des institutions reprend ses travaux dans le cadre des consultations particulières et des auditions publiques sur l'avant-projet de loi intitulé Loi modifiant la Loi sur les ingénieurs et d'autres dispositions législatives.

Avant de procéder, M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Ouimet (Marquette) est remplacé par M. Middlemiss (Pontiac) et M. Pelletier (Chapleau), par M. Bergman (D'Arcy-McGee).

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, nous procéderons donc selon ce qui est prévu à l'horaire en ce qui regarde les auditions, tout d'abord, en commençant par les représentants d'Hydro-Québec. Je rappelle que nous avons une heure à consacrer à chacun des groupes, 20 minutes, en principe, pour la présentation et par la suite 20 minutes pour chacun, pour les ministériels et l'opposition, en termes d'échanges.


Auditions

Alors, sans autre forme d'introduction, je demanderais au représentant d'Hydro-Québec de bien vouloir d'abord nous présenter les personnes qui l'accompagnent, se présenter lui-même et procéder, donc, à la présentation de leur mémoire.


Hydro-Québec (HQ)

M. Filion (Yves): Merci, M. le Président. Bonjour aux membres de la commission. Alors, je suis accompagné pour cette présentation, à ma droite, de M. Rhéaume Veilleux, directeur, Expertise et support technique de transport, à Hydro-Québec, et, à ma gauche, de Me Pierre Denault, avocat au contentieux d'Hydro-Québec. Alors, nous avons aujourd'hui...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): ...vous êtes M. Filion.

M. Filion (Yves): Excusez-moi.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Yves Filion, directeur général adjoint.

M. Filion (Yves): Yves Filion, directeur général adjoint à Hydro-Québec.

Mme Goupil: Bonjour, monsieur.

M. Filion (Yves): Bonjour. Alors, nous avons le plaisir aujourd'hui de vous présenter notre position sur cet avant-projet de loi. L'actuel processus de révision de la Loi sur les ingénieurs est en cours depuis un bon moment, comme vous le savez sans doute, et je pense que tout le monde s'accorde pour dire que cette loi se doit d'être révisée. La présente version de la loi remonte à plus de 25 ans. Depuis, notre société a vécu de nombreux changements, notamment l'arrivée de la profession de technologue dans les années quatre-vingt, qui rendent son application de plus en plus difficile. Il importe donc que des modifications soient apportées pour rendre la loi plus claire, pour éliminer les zones grises et pour en faciliter son interprétation.

J'aimerais rappeler brièvement ici les origines de cette loi, comme de toutes les autres lois sur les professions. Essentiellement, toutes ces lois définissent des actes exclusifs réservés à certaines professions et principalement bien sûr et avant tout pour protéger la population. Les objectifs poursuivis par le législateur n'ont jamais été de protéger les intérêts d'un groupe de professionnels ou d'un autre, mais bien d'assurer la sécurité de la population et la protection du public.

Il est certain que le législateur a toujours le souci de protéger le public, mais, en même temps, on peut observer un peu partout dans le monde une tendance à un plus grand partage des responsabilités entre plusieurs groupes de professionnels. Dans la perspective d'une révision de la Loi sur les ingénieurs, cela nous amène à formuler une question fondamentale: La sécurité exige-t-elle que la liste des actes exclusifs réservés aux ingénieurs soit à ce point élargie?

À Hydro-Québec, nous ne le croyons pas, et cela, pour deux raisons principales. Premièrement, parce que notre entreprise a beaucoup investi pour assurer un meilleur partage de responsabilités au niveau technique. Hydro-Québec a mis en place des programmes qui ont permis de former d'excellents technologues et techniciens. Devons-nous aujourd'hui restreindre leur champ de compétences et ainsi compromettre l'équilibre atteint dans le partage des responsabilités?

Deuxièmement, il faut considérer que les ingénieurs travaillent la plupart du temps pour des entreprises qui doivent faire face à une concurrence accrue chez les marchés locaux et internationaux. Dans le domaine commercial, entre autres, la tendance générale est à la déréglementation. Au cours des récentes années, on a pu l'observer dans des domaines aussi variés que le courtage, la téléphonie, l'énergie ou l'aviation civile. Donc, dans un contexte d'ouverture des marchés, toute réglementation peut avoir un impact sur la position concurrentielle d'une société. Pour Hydro-Québec, la Loi sur les ingénieurs constitue un paramètre très important dans l'établissement de son organisation et de ses processus de travail.

Au Québec, Hydro-Québec, comme vous le savez sans doute également, est l'un des principaux employeurs d'ingénieurs, de techniciens, de spécialistes et de scientifiques. Selon nos données les plus récentes, l'entreprise compte environ 1 300 postes d'ingénieur, 2 400 postes de technicien et spécialiste et quelque 200 postes de scientifique.

Nos activités de base exigent de nombreuses installations techniques. Ainsi, Hydro-Québec est active sous 11 des 14 rubriques constituant le champ de pratique des ingénieurs, tel que défini dans l'avant-projet de loi. De nombreuses activités réalisées à Hydro-Québec se retrouvent non seulement dans le champ de pratique des ingénieurs, mais aussi dans les champs de compétences des techniciens, des spécialistes et des scientifiques de différentes disciplines.

La protection du public et la bonne marche des activités de l'entreprise exigent une répartition claire, souple et stable des prérogatives et responsabilités de chaque catégorie d'employés. Il est certain que la Loi sur les ingénieurs a un impact important sur cette répartition et sur la façon dont l'entreprise s'acquitte de son mandat.

Nos trois activités de base sont la production, le transport et la distribution d'électricité. Dans ces domaines, on peut regrouper les activités techniques sous quatre grandes catégories: d'abord, la planification et la conception des réseaux de production, de transport et de distribution, ensuite, la construction des équipements, leur mise en service et, enfin, leur exploitation et leur entretien.

Alors, permettez-moi de vous décrire brièvement comment les processus de travail en vigueur à Hydro-Québec partagent les responsabilités techniques dans ces différentes catégories d'activité et comment la révision de la Loi sur les ingénieurs peut avoir un impact sur cette répartition des responsabilités et nous amène d'ailleurs à proposer certains changements au projet de loi.

Parlons d'abord de la planification et de la conception. Ce sont des activités réservées aux ingénieurs. On parle ici, en effet, de l'essence même de la profession d'ingénieur. Les ingénieurs sont d'abord et avant tout formés pour concevoir des ouvrages. À Hydro-Québec, la conception d'un ouvrage ou d'un système commence lorsque l'ingénieur prend connaissance des besoins du client, qui sont exprimés sous forme de critères de conception, de performance, de spécifications techniques et de contraintes d'exploitation et d'entretien. À partir de ces paramètres, l'ingénieur conçoit un ouvrage ou un système répondant aux besoins exprimés et convient par la suite avec le client des caractéristiques techniques et opérationnelles de cet ouvrage. Ces informations identifient, entre autres, les limites dans lesquelles l'ouvrage sera exploité ou opéré.

De plus, l'ingénieur concepteur réalise une ingénierie détaillée et produit des plans, des devis, des cahiers de charges qui sont nécessaires à l'approvisionnement du matériel et des biens – les produits – à la fabrication et à l'assemblage des éléments de l'ouvrage ou du système. Toutes les caractéristiques techniques et les informations pertinentes sont consignées par l'ingénieur concepteur dans des documents techniques.

(9 h 40)

Là s'arrêtent les activités de conception proprement dites. Les documents techniques ne constituent pas un manuel de mise en service ou d'exploitation. Ils précisent les balises à l'intérieur desquelles l'exploitant produira les manuels qui lui sont nécessaires pour rencontrer ses besoins en tenant compte des contraintes opérationnelles. C'est pourquoi nous recommandons une modification aux articles 1 et 2.1, pour éviter qu'une trop large définition du mot «ouvrage» n'entraîne un empiétement des prérogatives du concepteur sur celles de l'exploitant.

Parlons maintenant un peu de construction. La construction des ouvrages et des systèmes est réalisée conformément aux plans, aux devis et aux cahiers des charges qui ont été produits par l'ingénieur concepteur. Le respect de ces plans et devis est assuré par des activités de surveillance et d'inspection des travaux qui ne sont pas nécessairement réalisées par des ingénieurs.

Prenons l'exemple de la construction d'un barrage en terre ou en enrochement que l'on rencontre souvent à Hydro-Québec. L'ingénieur concepteur précise dans les plans et devis une foule de caractéristiques techniques qui doivent être respectées, telles que, par exemple, le taux d'humidité des matériaux, le degré de leur compaction, la granulométrie des matériaux, etc. Toutes ces caractéristiques sont vérifiées au fur et à mesure de la construction par des spécialistes qui utilisent les procédures d'inspection prévues par l'ingénieur concepteur. Il ne serait pas réaliste que le travail de chacun de ces spécialistes soit encadré directement par un ingénieur.

Par ailleurs, plusieurs des activités de base, à Hydro-Québec, sont répétitives et correspondent à la reproduction d'un concept normalisé. C'est ce que nous appelons des projets de type standard. Dans l'exécution des travaux, à Hydro-Québec, la surveillance, l'inspection et l'approbation, telles qu'elles sont décrites à l'article 4.1, peuvent être exécutées par des employés non ingénieurs qui sont alors encadrés par des directives techniques établies et signées par un ingénieur. Afin d'être en mesure de poursuivre cette pratique, nous proposons d'introduire un nouvel alinéa qui permettra la supervision et l'acceptation d'un projet standard par des non-ingénieurs lorsque lesdits projets sont réalisés selon des normes techniques préalablement approuvées par des ingénieurs.

C'est pourquoi, afin d'éviter toute confusion dans l'interprétation de la loi, nous recommandons d'ajouter un quatrième alinéa à la suite de l'article 4.4, pour définir l'acte pouvant être posé par un préposé de l'exploitant d'une entreprise d'utilité publique ou d'une municipalité. Et l'ajout se lirait comme suit: ...l'acte consiste dans l'acceptation ou la superposition de projets appartenant à l'exploitant et que lesdits projets sont réalisés selon des normes techniques préalablement approuvées par un ingénieur et adoptées par l'exploitant pour cette entreprise.

Passons maintenant à la troisième catégorie d'activité technique, soit la mise en service des ouvrages et des systèmes qui vient immédiatement après la construction. Cette étape est principalement constituée d'essais qui visent à vérifier la performance de l'ouvrage ou du système avant de le remettre à l'exploitant. À Hydro-Québec, les activités de mise en service sont réalisées conjointement par l'équipe responsable de la construction et par l'équipe qui sera responsable d'assurer l'exploitation de l'ouvrage ou du système.

Dans tous les cas, les procédures de mise en service sont établies en fonction des paramètres définis par l'ingénieur concepteur dans les documents techniques qui sont produits à cet effet. Encore une fois, les travaux d'essai et de vérification nécessaires à la mise en service ne doivent pas nécessairement être accomplis sous la surveillance immédiate d'un ingénieur tant qu'ils restent toutefois dans le cadre des recommandations formulées dans les manuels préparés au moment de la conception. C'est également pour cette raison que nous recommandons la modification de la définition du mot «ouvrage».

Enfin, la dernière grande catégorie d'activité technique est l'exploitation des ouvrages et systèmes, ce qui inclut leur entretien. Comme pour la mise en service, les processus d'exploitation et d'entretien sont établis à l'intérieur des balises définies dans les manuels préparés par l'ingénieur lors de la conception. Il appartient cependant à l'exploitant d'élaborer les manuels qu'il juge nécessaires pour assurer l'exploitation de l'ouvrage ou du système.

Tant que la conception n'est pas modifiée, il n'est pas nécessaire que l'exploitation soit assurée par un ingénieur ou sous la surveillance d'un ingénieur. Les techniciens et spécialistes sont en mesure d'assumer cette responsabilité et ils disposent de l'expérience requise pour exploiter et entretenir les équipements.

Plusieurs aspects de l'exploitation sont reliés directement à la performance de l'ouvrage et n'ont réellement aucun impact sur la sécurité des personnes. Il est capital que l'exploitant demeure seul responsable de ses décisions en matière de performance. Il pourra, par exemple, choisir des normes d'exploitation qui ne sont pas optimales en termes de performance ou de comportement à long terme afin de mettre en oeuvre des stratégies appropriées aux circonstances, qui sont souvent des stratégies court terme.

Sur le plan technique, un ingénieur pourrait ne pas être d'accord avec une telle décision. Cependant, tant que la santé et la sécurité des personnes sont assurées, nous estimons que l'exploitant peut choisir ses modes d'exploitation sans obtenir l'approbation d'un ingénieur. C'est pourquoi nous recommandons de modifier l'article 2b, de manière à limiter le recours à l'ingénieur aux circonstances dans lesquelles l'exploitation d'un ouvrage comporte un risque sérieux pour la santé ou la sécurité des personnes.

L'avant-projet de loi prévoit également, à l'article 11, une provision qui peut être interprétée comme étant conflictuelle avec la Loi sur Hydro-Québec. En effet, dans l'éventualité où Hydro-Québec serait assujettie à cet article, le Bureau de l'Ordre des ingénieurs aurait ou pourrait avoir le pouvoir d'exiger que le dirigeant principal et certains administrateurs de l'entreprise – soit d'Hydro-Québec – soient des membres de l'Ordre. L'assujettissement d'Hydro-Québec, à l'article 11, tient à l'interprétation du fait que les ingénieurs employés de l'entreprise peuvent exécuter des travaux d'ingénierie pour des tiers.

Cependant, la Loi sur Hydro-Québec prévoit, à la section II sur la constitution de la Société, les modalités qui entourent la nomination des administrateurs de la Société et de son président-directeur général. Il est mentionné à l'article 4 de cette Loi que les affaires de la Société sont administrées par un conseil d'administration composé d'au plus 16 membres nommés par le gouvernement pour une période qui n'excède pas cinq ans et du président-directeur général de la Société. C'est pourquoi nous attirons l'attention de cette commission sur l'interprétation qui peut être donnée à l'article 11, tel que proposé dans l'avant-projet de loi, eu égard plus particulièrement aux dispositions prévues à la Loi sur Hydro-Québec et aux pouvoirs que s'est réservés le gouvernement.

En résumé, dans sa version actuelle, l'avant-projet de loi pourrait donner lieu à des interprétations ayant pour effet d'élargir considérablement le champ de pratique de l'ingénieur et les actes qui lui sont réservés. Pour Hydro-Québec, un tel élargissement aurait un impact important sur les processus de travail en vigueur et sur le partage des responsabilités techniques entre les différents professionnels.

Les quelque 4 000 ingénieurs, techniciens et scientifiques à l'emploi d'Hydro-Québec exercent leur profession de façon complémentaire en respectant les compétences reconnues de chacune. Toute modification au champ de pratique ou aux actes réservés de l'une ou de l'autre aurait pour effet de rompre cet équilibre et d'entraîner des problèmes majeurs, en termes de gestion des ressources humaines.

Le partage des responsabilités techniques que nous avons établi à Hydro-Québec par nos processus de travail assure, selon nous, adéquatement la sécurité du public tout en favorisant une synergie au sein d'équipes qui sont multidisciplinaires. En effet, ce partage des responsabilités répond à l'évolution des sciences et des technologies qui a marqué, au cours des dernières années, non seulement la profession d'ingénieur, mais aussi un grand nombre de disciplines à caractère scientifique. Il vise également un autre objectif, celui d'assurer à notre clientèle un service de qualité au meilleur coût possible.

(9 h 50)

À cet égard, il est clair que tout élargissement du champ de pratique et de la liste des actes réservés aux ingénieurs aurait pour effet ou pourrait avoir pour effet d'accroître les charges de l'entreprise. Les modifications que nous proposons respectent, selon nous, intégralement l'esprit du législateur et permettent d'atteindre les objectifs poursuivis par la loi, en termes de protection de la vie, de la santé, du bien-être et de la sécurité des personnes, de l'intégrité des biens ou de la qualité de l'environnement. Ces modifications permettent aussi d'éviter toute confusion qui pourrait conduire à une rupture de l'équilibre entre les différentes professions techniques et à une baisse de compétitivité pour l'entreprise.

Sur votre signal, M. le Président, j'ai terminé. Merci de votre attention. Alors, nous serons disposés à répondre à vos questions avec plaisir.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Filion. Effectivement, nous abordons la période d'échanges. Mme la ministre.

Mme Goupil: Merci, M. le Président. Alors, M. Filion, je vous remercie des précisions que vous nous avez apportées. Si je me permettais de faire la conclusion suivante, à savoir que, dans l'ensemble, globalement, vous êtes en accord avec l'approche qui a été mise de l'avant pour moderniser la Loi sur les ingénieurs, dans un premier temps, sous réserve évidemment des modifications que vous avez soulignées à juste titre, je pense, dans votre document, est-ce que cette conclusion-là ne serait pas trop engageante à votre égard?

M. Filion (Yves): Non, non, ce n'est pas du tout engageant. Je dois admettre que nous avons mis beaucoup d'énergie à analyser ce projet de loi. Nous avons eu d'ailleurs des discussions avec l'Ordre des ingénieurs à cet effet. Nous proposons des modifications, mais nous reconnaissons également, tel qu'on l'a mentionné, que le projet de loi doit être mis à jour, doit être mis à date et nécessite certains ajustements pour mieux préciser la profession de l'ingénieur dans, toujours, un objectif d'assurer la sécurité du public. Donc, nous reconnaissons le bien-fondé et la nécessité d'apporter des modifications à la loi.

Nous avons toutefois des modifications à suggérer, à proposer, qui tiennent compte d'un contexte qui, selon nous, n'est pas particulier à Hydro-Québec. Ce que j'ai décrit comme processus, en termes de planification, conception, construction, mise en service et exploitation, n'est pas un processus unique à Hydro-Québec. C'est un processus qu'on retrouve, je dirais, de façon relativement générale dans l'industrie. Ce qu'on a peut-être moins touché, nous, toutefois, c'est plus, je dirais, le processus de fabrication qu'on retrouve un peu plus dans l'industrie, puisque nous ne sommes pas, nous, des fabricants, mais nous sommes plutôt des exploitants d'infrastructures. Mais il y a des similitudes. Donc, le projet de loi mérite d'être révisé, doit être révisé, comprend des modifications importantes, mais nous croyons qu'il doit aussi y avoir certains ajustements, tel que nous l'avons présenté.

Mme Goupil: D'accord. M. Filion, si je comprends aussi... Parce que nous avons eu quand même des gens qui, hier, ont exprimé être en accord ou en désaccord. Pour certains, ils étaient en accord dans la mesure où on les excluait de la loi. Je comprends bien que vous ne demandez pas, vous, une exemption à l'égard de votre entreprise.

M. Filion (Yves): Pas du tout.

Mme Goupil: D'accord.

M. Filion (Yves): Et je tiens à vous dire, là-dessus, que les ingénieurs à Hydro-Québec ont toujours joué, vont continuer à jouer un rôle extrêmement important. Nous avons réalisé des réalisations techniques qui, dans certains cas, étaient des premières à l'échelle mondiale. Donc, ça s'est fait avant tout avec nos ingénieurs. Mais je dois aussi ajouter que ça s'est fait également avec la contribution d'autres spécialistes, d'autres scientifiques dans d'autres domaines. Et il faut tenir compte également de cette réalité-là sans diminuer l'importance et le rôle de l'ingénieur.

Mme Goupil: Merci. Dernière question, M. le Président. Vous avez demandé que l'on puisse modifier de façon à ce qu'on puisse faire une distinction entre supervision et surveillance. Parce que, dans la loi actuelle, on parle davantage de surveillance, et vous utilisez davantage le terme «supervision». Est-ce que vous pourriez me dire en quoi... Je comprends, là, on n'aura pas le temps d'aller dans les moindres détails. Mais le fait que l'on qualifie d'une façon différente le terme que vous proposez, en quoi cela, pour vous, répondrait aux besoins que vous avez en modifiant ces termes-là?

M. Filion (Yves): En principe, quand on parle de surveillance, on parle d'une relation directe. Alors, quand on parle de supervision, on peut parler d'une relation indirecte. Et cette distinction-là, je tiens à vous préciser, elle reflète la pratique. Donc, ce n'est pas nouveau, là, c'est la pratique. Et la grande majorité des réalisations d'Hydro-Québec ont été faites selon ce principe-là, où la surveillance directe n'est pas faite par des ingénieurs.

Par contre, elle doit être faite à l'intérieur de balises techniques établies par les ingénieurs. Et, lorsqu'il y a un écart, il y a des processus qui prévoient, par exemple, des rapports de non-conformité ou de déficience qui peuvent être même, à la limite, traités par un non-ingénieur, mais qui sont toujours approuvés par un ingénieur puisque cela représente un écart aux spécifications techniques établies lors de la conception de l'ouvrage. Et ce point-là est un point extrêmement important. Et c'est l'un des enjeux les plus importants pour nous, dans la loi, de reconnaître une distinction entre la surveillance directe lors de la construction d'un ouvrage, par exemple, et la supervision d'un ingénieur qui peut être faite soit à distance ou a posteriori.

Mme Goupil: Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond.

M. Jutras: Vous avez dit, M. Filion, dans votre présentation, au tout début – et je pense que l'argument on ne le retrouvait pas dans votre mémoire – que l'arrivée des technologues... Vous justifiez la révision de la loi en disant que l'arrivée des technologues depuis surtout le début des années quatre-vingt avait rendu la loi plus difficile d'application. Et puis vous n'avez pas justifié davantage. J'aimerais ça que vous me disiez quelles sont les complications que ça a entraîné, ça.

M. Filion (Yves): Disons qu'en réalité ce que ça a entraîné, c'est que... Et c'est aussi historique, je tiens à le préciser. Il y a toujours eu, même dans les activités de conception, dans les activités de conception qu'on a affirmées au tout début comme étant des activités réservées à l'ingénieur... Et notre position est claire là-dessus. Mais il y a des techniciens et des technologues qui y participent. Alors, ça ne veut pas dire que la conception est toujours faite uniquement par un ingénieur, mais elle est approuvée uniquement par un ingénieur et elle est faite en collaboration avec l'ingénieur. Donc, le technicien ou le technologue travaille, à ce moment-là, sous une supervision technique de l'ingénieur.

Donc, vous savez que technologue, c'est une profession qui a évolué dans le temps. Au tout début, les premiers technologues étaient des diplômés de l'École de technologie supérieure, qui avaient un cours, je dirais, qui allait plus loin que le cours de technicien et qui ensuite, finalement, ont été reconnus par l'Ordre des ingénieurs du Québec. Mais il y a quand même sur le marché des technologues qui ont une expérience quand même assez importante. Et l'Ordre aujourd'hui accueille – pas l'Ordre, mais c'est une association, excusez-moi, je n'ai pas le terme précis...

M. Jutras: C'est l'Ordre des technologues.

M. Filion (Yves): ...alors, c'est l'Ordre des technologues – des anciens technologues qui ont été formés mais comme aussi des techniciens. Maintenant, ce que je veux aussi mentionner, c'est qu'Hydro-Québec accorde beaucoup d'efforts dans la formation de son personnel. Je pense que, quand on embauche quelqu'un, on embauche quelqu'un avec un bagage technique mais aussi avec une capacité d'apprendre. Et l'expérience pratique du technicien qui a été formé et qui a souvent une expérience pratique reliée à la mise en service ou à l'exploitation ou à l'entretien d'un équipement peut apporter une contribution importante lors de la conception par rapport à des spécifications qui sont établies. Alors, il y a là une collaboration et une contribution qui sont importantes, selon nous.

M. Jutras: Une autre question aussi, M. Filion. Depuis le début de la présente commission sont souvent revenues les notions de surveillance de travaux de la part des ingénieurs, autant dans la loi actuelle que dans la loi révisée. Et, dans la loi révisée, on veut accroître cette notion de surveillance, parce qu'on parle de surveillance, on parle de... En tout cas, le concept, à mon avis, est élargi. Alors, je comprends qu'à Hydro-Québec vous êtes à l'aise avec cette révision de la loi, moyennant ce que vous proposez comme amendement à l'article 4.4.

M. Filion (Yves): Exact, en gros, mais je tiens à le répéter, je tiens même à répéter et peut-être à mettre un peu plus d'emphase sur l'importance de l'amendement que nous suggérons. Il est extrêmement important parce qu'il peut avoir des impacts majeurs sur l'organisation du travail et, selon mon expérience, pas seulement à Hydro-Québec, dans l'industrie en général.

M. Jutras: Merci.

(10 heures)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): J'aimerais peut-être revenir un petit peu sur les technologues. Hier, lors des audiences, plusieurs groupes nous ont manifesté le fait que les pouvoirs qu'on attribuait aux ingénieurs, à l'article 3 de l'avant-projet de loi, étaient trop vastes, trop étendus et que cela aurait pour effet de diminuer – le pouvoir, les actes posés par les technologues – cela aurait pour effet de réduire sensiblement leur action. Compte tenu que vous avez au sein de votre organisation – vous l'avez dit au début de votre exposé – 2 400 technologues et 1 300 ingénieurs, j'aimerais connaître votre idée là-dessus, si vous partagez cette opinion-là. Et, dans l'éventualité d'une réponse affirmative, quelles seraient les conséquences pour Hydro-Québec, advenant le cas où on laisserait exactement les pouvoirs tels qu'ils sont définis à l'article 3 de l'avant-projet de loi?

M. Filion (Yves): Disons que l'article 3 établit le champ de pratique, mais le champ de pratique ne définit pas les actes réservés; alors, pour nous, il y a une distinction extrêmement importante. Maintenant, à partir du moment où, dans le champ de pratique, on comprend que les actes réservés à l'ingénieur sont ceux qui touchent à la conception, à la spécification technique, à la supervision lors de la conformité, etc., nous, personnellement, nous n'avons pas de problème avec ça, mais je tiens à dire que ça ne peut pas être interprété uniquement à la lecture de l'article 3. Je pense qu'il faut le regarder globalement et il faut le regarder conjointement, en comprenant bien et le champ de pratique et les actes réservés. Alors, je pense qu'on ne peut pas se positionner uniquement sur l'article 3 et donner une position globale, si vous permettez.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci, M. le Président. À la page 6 de votre mémoire, vous parlez du «risque sérieux». Il est écrit que «le fonctionnement et l'exploitation de l'ouvrage ne devrait être exclusif que s'il devait en résulter un risque sérieux pour la santé et la sécurité des personnes». Ça fait drôle d'entendre une phrase comme ça. Est-ce que le qualificatif, par exemple, «sérieux» ou encore «moyen» ou «faible», influence le fonctionnement et l'exploitation de l'ouvrage? Est-ce que c'est important et de quelle façon vous déterminez ce risque-là pour dire que c'est un risque sérieux, un risque moyen ou faible?

M. Filion (Yves): Écoutez, je dois vous admettre que le qualificatif qu'on donne à «risque sérieux» laisse place à interprétation, c'est bien clair. Je ne crois pas que le «risque sérieux» soit défini. Maintenant, je crois que ça doit être démontré qu'il y a un risque sur la santé et la sécurité du public ou des personnes, ce qui, je dois vous l'admettre, n'est pas évident. Et dans certains cas, il y a des situations qui représentent des risques immédiats à court terme, dans d'autres cas des risques à moyen terme. Et certainement qu'il y aura des avocats dans le futur qui pourraient passer beaucoup de temps pour se positionner sur différents événements. Je crois que ce qu'on veut dire ici, c'est plus l'esprit de ce qu'on veut présenter. Je crois que le législateur pourra certainement retenir des mots plus appropriés s'il le juge nécessaire. Ce qu'on a voulu vraiment exprimer, c'est qu'il faut qu'il y ait un risque démontré, évident, sur la santé et la sécurité des personnes, mais non seulement une présomption de risque potentiel qui est non démontrée.

M. Boulianne: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, nous passons maintenant au porte-parole de l'opposition, M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Merci, M. le Président. M. Filion, merci pour votre mémoire, je l'ai trouvé très, très intéressant. Il y a beaucoup de suggestions pour amendement, dans votre mémoire, qui sont très, très constructives.

M. Filion, dans le domaine de la protection du public, quand on parle des actes exclusifs aux ingénieurs, du droit de regard des membres de leur Ordre sur les champs de pratique et les questions de pratique illégale, j'ai trouvé, dans le mémoire du Syndicat professionnel des ingénieurs d'Hydro-Québec, une phrase que j'aimerais citer et vous demander vos réactions et vos commentaires. Je vous cite: «Nous avons déjà donné notre point de vue sur le respect de la loi actuelle des ingénieurs à Hydro-Québec. Nous ne prétendons pas que le respect de la loi aurait changé la nature des catastrophes naturelles qui ont frappé le Québec; par contre, nous savons quel effet ces catastrophes ont eu sur nos concitoyens et nous avons des raisons de croire que la loi n'a pas été respectée partout. Nous croyons que le respect de la lettre et de l'esprit de notre loi aurait permis d'amoindrir les effets.» Fin de la citation.

J'aimerais avoir vos commentaires sur le respect de la Loi des ingénieurs à Hydro-Québec, qui est la clé de notre système professionnel, le respect de nos lois professionnelles.

M. Filion (Yves): Je dois vous admettre que je ne partage pas cette position. Maintenant, je dois vous admettre que la phrase n'est pas précise quant aux catastrophes auxquelles on fait référence, mais je peux penser qu'on réfère, entre autres, au grand verglas de l'hiver 1998, qui a été probablement la pire catastrophe que nous ayons vécue à Hydro-Québec depuis son début, depuis son histoire, à toutes fins pratiques. C'est sûr qu'il y a des améliorations à apporter à Hydro-Québec dans son fonctionnement. Mais j'aimerais ici quand même distinguer des choses précises. Selon moi, il y a une différence importante entre établir que l'amélioration provient d'un partage de responsabilités qui renforcent la responsabilité de l'ingénieur versus un processus de fonctionnement qui met une plus grande emphase sur le contrôle de la qualité des ouvrages, ce qui est différent.

Nous reconnaissons, à Hydro-Québec – nous l'avons déjà reconnu – qu'il y a des améliorations à apporter dans certains cas sur le contrôle de la qualité de la construction des ouvrages, plus particulièrement dans notre réseau de distribution. Mais c'est différent, ça, d'améliorer le contrôle de la qualité de nos ouvrages par un processus de contrôle de la qualité qui peut se faire tout en respectant exactement les conditions qu'on a dites tout à l'heure, donc d'avoir une meilleure inspection pour s'assurer que la construction est faite selon des critères techniques spécifiques, mais ça n'a pas à être fait sous la supervision directe d'un ingénieur, en autant qu'il y a un processus qui prévoit que les non-conformités ou les déficiences sont, elles, regardées et approuvées par un ingénieur. Alors, je voudrais bien me faire comprendre, c'est qu'il y a une problématique, on l'admet, mais on ne partage pas l'opinion sur la solution supposée pour régler la problématique.

M. Bergman: Dans la question de la protection du public et de la responsabilité de l'Ordre sur la protection du public, on sait que l'Ordre doit vérifier les compétences des professionnels, vérifier leur pratique, et il a un rôle à jouer. Est-ce qu'à Hydro-Québec il y a des individuels qui ont été formés comme ingénieurs et/ou qui ont démissionné de l'Ordre des ingénieurs et ont continué à pratiquer comme ingénieurs à Hydro-Québec ou continuent d'avoir un emploi à Hydro-Québec après avoir démissionné de l'Ordre des ingénieurs?

M. Filion (Yves): À ma connaissance, ça n'existe pas, cette situation. Je vais demander peut-être à mon collègue, M. Veilleux, s'il peut apporter une précision, mais personnellement je n'ai pas réponse à votre question.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Veilleux.

M. Veilleux (Rhéaume): Merci, M. le Président. À ma connaissance, on m'a rapporté qu'il y avait certains membres qui auraient démissionné, mais malheureusement je ne peux pas vous dire la quantité et dans quelle discipline.

M. Bergman: Est-ce que ça serait possible que cette information...

M. Veilleux (Rhéaume): On pourrait vous fournir l'information, effectivement.

M. Bergman: ...soit envoyée à cette commission?

M. Veilleux (Rhéaume): Oui. On peut faire la recherche de l'information puis vous la transmettre.

M. Bergman: Merci beaucoup. Quand vous parlez, dans votre mémoire, d'un impact majeur sur le travail de tous les professionnels concernés par l'élargissement des actes exclusifs propres à l'ingénieur, est-ce que vous pouvez nous donner votre impression sur l'effet sur l'industrie, le coût et l'efficacité en élargissant le champ d'exclusivité des ingénieurs?

M. Filion (Yves): Excusez-moi, je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre question. Excusez-moi, M. le Président. Est-ce que vous pourriez répéter?

M. Bergman: Vous parlez, dans votre mémoire, en page 2, de l'impact majeur sur le travail de tous les professionnels concernés par l'élargissement des actes exclusifs.

M. Filion (Yves): Oui. Exact.

M. Bergman: J'aimerais avoir votre pensée sur l'impact que l'élargissement des actes exclusifs auront sur l'industrie, la question des coûts, la question d'efficacité sur nos industries.

(10 h 10)

M. Filion (Yves): Très bien. Excusez-moi d'avoir dû faire répéter, j'ai manqué un peu d'attention. Écoutez, M. le Président, voilà, je dirais qu'un des éléments principaux touche la question qu'on a discuté tout à l'heure, de surveillance, puisque l'organisation du travail fait appel à des ressources techniques compétentes pour faire de la surveillance, de l'inspection de travaux, qui ne sont pas des ingénieurs. Et je dois vous admettre personnellement que ce serait mal utiliser l'ingénieur, qui a une formation technique approfondie, prononcée, que de l'utiliser dans des activités directes comme celles-là. Donc, il y aurait des impacts importants sur l'organisation du travail.

L'autre élément aussi touche non seulement une question de coût, mais un peu ce qu'on a exprimé au début, que finalement il y a de plus en plus du travail d'équipe multidisciplinaire. Il y a de plus en plus de procédés d'ouvrage qui font appel à des spécialités autres que celle d'ingénieur et qui constituent des intrants importants. On peut donner des exemples. Par exemple, on peut parler de l'importance de la chimie dans l'industrie des pâtes et papiers. On peut parler, chez nous – je vais vous donner un exemple plus précis chez nous – de l'industrie nucléaire. On en a seulement une mais elle est là, une centrale nucléaire. Une des activités techniques la plus importante est également la chimie, mais aussi la physique nucléaire. Et ça, ce n'est pas une formation d'ingénieur.

Alors, pour, je dirais, concevoir – là, je vais même jusqu'à la conception – des ouvrages, ça prend des intrants d'autres spécialistes. Alors, il faut être prudent et extrêmement prudent dans l'élargissement. Il faut reconnaître qu'il y a, je dirais, des compétences autres qui sont nécessaires et utiles. Et ça, sans remettre en question le fait que pour concevoir un ouvrage, ça prend une imputabilité de quelqu'un qui va apposer sa responsabilité professionnelle par une signature, et que ça doit être un ingénieur. Mais la réalisation du produit, elle, fait appel à d'autres spécialités, et c'est un peu ce qu'on a voulu exprimer dans ce paragraphe, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Brièvement, quelques petites questions pour bien comprendre votre mémoire qui est extrêmement clair. Et je dois apprécier aussi le fait que vous nous ayez fait des suggestions de rédaction.

Vous avez répondu à notre collègue le ministre que vous ne souhaitez pas être exclus de la loi. Cependant, vous souhaitez qu'Hydro-Québec soit exclue de l'application de l'article 11 de la loi, si l'article 11 reste ce qu'il est actuellement dans la loi. Est-ce que cela est exact?

M. Filion (Yves): Tout à fait.

M. Gautrin: Merci. Deuxième question. Je voudrais bien comprendre votre recommandation quant à l'article 2.2 – 2.2, c'est celui qui touche le bilan technologique. Vous suggérez que 2.2 soit inclus dans le champ de pratique. Est-ce que, dans votre conception – parce que vous ne le dites pas explicitement – ça voulait dire que 2.2 fait partie du champ de pratique de l'ingénieur mais non plus du domaine exclusif réservé? C'est bien ce que vous suggérez?

M. Filion (Yves): C'est bien ça.

M. Gautrin: Merci. Troisième question. À ce moment-là, vous êtes probablement le plus gros employeur qui a à la fois des technologues et des ingénieurs, je pense, au Québec. Les rapports entre les deux groupes sont harmonieux ou est-ce qu'il y a, parmi vos... Est-ce que vous avez connaissance, avec la loi actuelle, de conflits de juridiction entre les deux ordres pour vos propres employés?

M. Filion (Yves): Si vous permettez, je vais distinguer ma réponse à deux niveaux.

M. Gautrin: Oui.

M. Filion (Yves): D'abord, dans l'exécution des activités opérationnelles entre les techniciens et les ingénieurs, il y a une relative bonne collaboration et je dirais qu'en général ça va bien.

Maintenant, quand on vient pour discuter des fameuses accréditations dont vous parlez, de l'évolution future de la profession et des discussions avec les organisations syndicales qui représentent les employés en question, cette question est souvent mise sur la table et constitue un enjeu, je dirais, important. D'ailleurs, nous ne sommes pas surpris que le Syndicat professionnel des ingénieurs d'Hydro-Québec présente ici un mémoire et que le Syndicat des techniciens d'Hydro-Québec également présente un mémoire, puisque ça représente, pour eux, un enjeu important quant au futur de leurs activités à Hydro-Québec. Mais je tiens à répéter ici que généralement, dans la pratique, le fonctionnement est plutôt harmonieux et va relativement bien.

M. Gautrin: Mon collègue de Saint-Laurent voudrait, sur le même sujet... Moi, j'ai d'autres questions mais pas sur le même sujet.

M. Dupuis: Oui, sur le même sujet. Pour ajouter, compléter, est-ce que vous reconnaissez, M. Filion, que, tout de même, à cet égard-là – je parle du champ de pratique des technologues, du champ de pratique des ingénieurs, compétence des uns et des autres – Hydro-Québec est quand même – sous réserve des organisations syndicales, je le comprends très bien – dans une position privilégiée comme entreprise? C'est-à-dire que vos gens sont tous des salariés, il y a des descriptions de tâche, vous allez sur le marché du travail, vous allez en offre d'emplois sur le marché du travail, alors donc Hydro-Québec est dans une position où – et là j'emploie une expression dans laquelle je ne veux pas que vous y voyiez quelque préjudice que ce soit – les gens qui vont travailler à Hydro-Québec sont jusqu'à un certain point, sous réserve des organisations syndicales, un peu captifs de la description de tâche ou de l'emploi sur lequel ils vont faire application.

De telle sorte que, quand vous avez étudié le projet de loi ou l'avant-projet de loi, vous l'avez fait en fonction de l'entreprise Hydro-Québec, mais seriez-vous d'accord avec moi que dans une autre entreprise, où les conditions ne sont pas les mêmes qu'à Hydro-Québec – je parle de salariés, de description de tâche, des emplois etc. – il peut y avoir des conflits, c'est-à-dire que les conflits peuvent être plus exacerbés dans une entreprise qui est une entreprise privée complète?

M. Filion (Yves): Possiblement. Je dirais: possiblement. Malheureusement, je n'ai pas suffisamment... Ce que je peux dire, c'est que la question que vous soulevez préoccupe plusieurs organisations parce que, dans les relations d'affaires, j'ai eu l'occasion souvent de discuter avec d'autres intervenants qui sont préoccupés par cela.

Maintenant, pour nous, à Hydro-Québec, comme on l'a dit au début, avec la pratique, avec le temps, on a réussi à rétablir un équilibre relativement harmonieux. J'aimerais toutefois apporter une précision à ce que vous avez mentionné parce qu'à Hydro-Québec l'ingénieur ou le technicien peuvent évaluer dans leur poste avec le temps. Et il y a des régimes de reclassification en fonction de l'expertise acquise, de l'expérience acquise, et qui est considérée dans la rémunération. Donc, ce n'est pas un poste qui est rémunéré, c'est l'individu dans le poste en fonction de son expertise.

M. Dupuis: Ce n'est pas statique, c'est dynamique.

M. Filion (Yves): Exact. Alors, je tenais à préciser ça pour ajouter à votre intervention.

M. Gautrin: Compte tenu du temps, je vais être relativement bref dans ma question. J'ai compris, à l'intervention de mon collègue le député de Dubuc, qu'il existe actuellement à Hydro-Québec des équipes multidisciplinaires comportant des ingénieurs qui ne sont pas nécessairement dirigés par un ingénieur.

M. Filion (Yves): Oui, c'est possible, tout à fait.

M. Gautrin: Merci. Dernière question. Elle touche une remarque que vous n'avez pas faite et qui me préoccupe, moi: Le projet de loi fait disparaître actuellement l'article 19 qui était celui qui permettait des permis de pratique temporaires particulièrement pour les ingénieurs venant d'autres pays, travaillant temporairement. Est-ce que ceci ne pose pas un problème à Hydro-Québec? C'est-à-dire est-ce que, de temps en temps, vous avez des spécialistes mondiaux qui viennent?

M. Filion (Yves): Je dois vous admettre que, personnellement, je n'ai pas eu l'occasion de me pencher plus particulièrement sur cet article. Je ne crois pas que Me Denault non plus.

M. Gautrin: Si jamais, dans la suite de vos réflexions, vous voyez une difficulté avec l'absence de l'article 19, vous pourriez peut-être en prévenir la commission.

M. Filion (Yves): Certainement, on pourrait en faire part à la présente commission dans les jours qui viennent, bien sûr. Nous ferons cela, monsieur.

M. Gautrin: Je vous remercie, monsieur.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Merci, M. le Président. M. Filion, dans votre discussion, dans votre mémoire, à l'article 2b, vous dites que «C'est la prérogative du propriétaire d'évaluer et d'assumer les risques associés à la performance». À titre d'exemple, vous dites: «Un propriétaire peut choisir des normes d'exploitation non optimales du point de vue de la performance ou du point de vue du comportement à long terme.» Est-ce que vous pouvez expliquer comment un propriétaire peut choisir une performance qui est non optimale?

M. Filion (Yves): Oui, je peux expliquer. Je vais vous donner un exemple. Il y en a plusieurs et je vais vous en donner un qui est un exemple réel, pratique, que nous avons vécu, à Hydro-Québec, il y a probablement peut-être une dizaine d'années et qui touche les procédures d'exploitation des groupes turbo-alternateurs qui produisent l'électricité dans nos centrales.

(10 h 20)

À une certaine période, dans la planification d'Hydro-Québec il y avait un écart. Au moment où la croissance de la demande était relativement élevée, il y avait un écart un petit peu serré entre la puissance disponible en pointe pour satisfaire nos clients et la capacité installée d'Hydro-Québec. Donc, une étude – d'ailleurs, les ingénieurs y ont contribué – a regardé la possibilité d'exploiter les groupes turbo-alternateurs pour de courtes périodes, au-delà de leur performance spécifiée lors de la conception et au-delà de certains critères optimaux d'exploitation. Ça n'avait pas d'impact du tout sur la sécurité du public mais ça permettait de compter sur une puissance additionnelle disponible, mais avec un impact potentiel sur la durée de vie de l'équipement. Donc, un risque qui, en réalité, est assumé par l'exploitant et, pour des considérations, à court terme peut être justifié.

Alors, c'est un exemple, mais je pense qu'on pourrait donner plusieurs autres exemples où, dans certaines conditions particulières, on peut exploiter un équipement au-delà de certains éléments de performance, pour des raisons tout à fait justifiées qui appartiennent à l'exploitant et qui sont sous sa responsabilité. Il en assume les risques, qui sont souvent des risques de vieillissement prématuré de l'équipement des risques de bris, etc., mais sans affecter, bien sûr, la sécurité du public.

M. Bergman: Vous avez, en relation à l'article 2, le premier paragraphe, indiqué que votre préférence, pour les mots «sciences exactes»... que le mot «exactes» soit rayé et qu'on reste avec le mot «sciences». Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi vous avez demandé cet amendement à l'article 2?

M. Filion (Yves): Oui. Écoutez, la raison pour laquelle on propose ce changement, c'est qu'un ingénieur détient un baccalauréat en sciences appliquées, donc ce sont des sciences appliquées, donc des sciences qui sont appliquées pour concevoir, réaliser des ouvrages, des processus, des procédés. Où on a un inconfort avec les sciences exactes, dans certains cas, dans certains domaines, on ne peut pas dire que les sciences sont réellement exactes, donc il faudrait définir ce que ça veut dire, une science exacte. Il y a des paramètres de conception qui sont basés plutôt sur des études statistiques, qui touchent une certaine incertitude dont on doit tenir compte dans des coefficients de sécurité; on pense, par exemple, aux études sismiques, aux études géotechniques, on peut parler aussi de certaines données relatives à l'hydrologie. Donc, il y a beaucoup d'éléments qui sont... on ne peut pas dire qu'elles sont vraiment des sciences exactes. Alors, pour nous, nous avons, je tiens à le préciser, un inconfort. Ce n'est pas un élément majeur, mais nous ne croyons pas que le mot «exactes» doit être retenu à cause de ces raisons-là, que je viens de vous donner.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Nous aurions à peine le temps pour une dernière brève question, M. le député.

M. Bergman: Une brève question sur l'article 11. Vos commentaires étaient sur la protection du public. Nous, comme société, on a donné la responsabilité de la protection du public, l'État a donné cette tâche au système professionnel: le Code des professions, l'Office des professions. Alors, est-ce que nous, comme société, nous sommes prêts à donner cette responsabilité au privé? Et il semble, si on retire les provisions de l'article 11, qu'on retire la surveillance que nous avons comme société de surveiller nos professionnels par le Code des professions, étant donné que 90 % des ingénieurs qui sont membres de l'Ordre des ingénieurs travaillent en Société. Et alors, comment est-ce que vous pourriez suggérer de retirer les provisions de l'article 11 et maintenir cette responsabilité pour la protection de notre système professionnel?

M. Filion (Yves): Écoutez, au-delà des commentaires que nous avons formulés dans notre mémoire sur l'article 11, mon opinion personnelle est la suivante. C'est que la sécurité du public, selon moi, est d'abord et avant tout assurée par la responsabilité individuelle de l'ingénieur dans l'application de ses connaissances et dans les gestes professionnels qu'il pose lors de la conception. D'étendre cette juridiction au niveau d'une entité morale, personnellement, je n'en vois pas la nécessité et je pense que ça peut entraîner certaines complications. Moins probablement à Hydro-Québec, mais dans l'industrie en général.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, nous revenons aux ministériels. Il reste sept minutes à la partie ministérielle. Mme la ministre responsable des Lois professionnelles et députée de Lévis.

Mme Goupil: Merci, M. le Président. M. Filion, pour faire suite aux commentaires de mon collègue le député de Dupuis, qui a mentionné tout à l'heure la question à l'égard des définitions de la tâche par rapport aux technologues de façon particulière, il a soulevé la réalité qu'Hydro-Québec était... Moi, je vais utiliser un autre terme en disant que c'est une entreprise sérieuse, avec une capacité vraiment de définir correctement les tâches pour lesquelles les gens vont postuler. Ce qu'il a soulevé, c'était – et ça, je l'ai entendu également de vous – qu'il y a plusieurs groupes d'ordres professionnels qui se sentent interpellés justement par ce champ de pratique, avec la perception que l'on en a. Et je ne dis pas qu'elle est à tort ou à raison, mais la perception, c'est que justement il y a des gens qui perdraient leur capacité d'exercer leur profession considérant que les ingénieurs envahiraient un champ beaucoup plus large, considérant la rédaction de l'avant-projet tel qu'il existe actuellement. Et il est vrai que, pour Hydro-Québec, ça ne crée pas cette problématique-là, mais vous soulevez, de par les commentaires que vous avez faits, cette problématique-là. C'est exact?

M. Filion (Yves): Oui, je la soulève. Est-ce que vous avez terminé votre question ou vous souhaitez que...

Mme Goupil: Non, je souhaite que vous puissiez...

M. Filion (Yves): D'accord. Écoutez, oui, vous avez certainement perçu, à travers nos réponses, qu'il y avait une certaine préoccupation vis-à-vis de cela. Personnellement, j'inviterais la présente commission à une certaine prudence et à bien comprendre ce phénomène-là. Plus particulièrement, moi, je crois qu'il faut faire attention de bien distinguer entre le champ de pratique et les actes réservés. Un acte réservé, c'est un acte qui engage la responsabilité professionnelle de l'ingénieur...

Mme Goupil: Tout à fait.

M. Filion (Yves): ...et il doit officiellement apposer son sceau qui donne une conformité et une responsabilité professionnelle. Le champ de pratique, lui, touche des domaines, mais il n'est pas le seul à intervenir dans le champ de pratique.

Mme Goupil: C'est ça.

M. Filion (Yves): Ça, il ne faut surtout pas que ça soit perçu comme cela, parce que ce n'est pas cela la réalité. Il faut être certain qu'on précise ça clairement dans la loi justement pour laisser la place aux autres spécialistes professionnels d'intervenir dans leur champ de compétence pour réaliser des ouvrages qui sont faits pour assurer la sécurité du public.

Mme Goupil: Merci. M. le Président, si vous me permettez, j'aimerais profiter de la question qui a été posée concernant l'article 19, parce qu'effectivement il y a plusieurs personnes qui se présentent ici puis qui demandent: Comment se fait-il que l'article 19 ne réapparaît pas dans l'avant-projet de loi? Et j'aimerais, pour une meilleure compréhension puis s'assurer aussi qu'on comprend la même chose... C'est que, par mesure de concordance, on voulait s'assurer que ce soit la règle générale du Code des professions qui s'applique, soit l'article 41 où on parle de façon spécifique des permis temporaires. Alors, si, dans la perception, on le perçoit comme voulant donner moins de mobilité ou de souplesse, ce n'est pas l'objectif recherché par l'avant-projet, c'est vraiment par une mesure de concordance, parce que lorsqu'on n'y fait pas référence dans une loi particulière, c'est le Code des professions, par son article général, qui s'applique, et, en l'occurrence, c'est l'article 41. Alors, je voulais profiter de cette question qui vous était posée pour remettre les pendules à l'heure, pour éviter toute incompréhension à l'égard de cela. Je vous remercie, M. Filion.

M. Filion (Yves): Excusez-moi, M. le Président...

Mme Goupil: Oui.

M. Filion (Yves): ...suite à votre intervention, est-ce qu'il est toujours nécessaire que nous formulions notre position sur cet article 19? Parce que je dois vous avouer réellement que nous n'avons pas vraiment d'expérience, à Hydro-Québec, sur l'application; nous n'avons pas vraiment de vécu sur l'application de cet article. Alors, on peut toujours le regarder, mais je ne crois pas... Mais, suite à l'intervention que vous venez de faire, je crois que ça précise quand même.

Mme Goupil: Oui. M. le Président, considérant que le député de Verdun n'est pas présent – c'est lui qui l'avait posée directement – je vais laisser mes collègues vérifier, et je pense qu'avec ce rappel-là la nécessité ne sera plus justifiée.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, avec un consentement peut-être pour une brève remarque du député de D'Arcy-McGee? On va revenir à vous, M. le député de Dubuc.

M. Bergman: Est-ce que je peux demander à la ministre une petite clarification sur ses commentaires? La portée du projet de loi n° 454, en relation avec ce domaine qui est encore devant l'Assemblée, quel serait l'effet, tant que le projet de loi n'est pas passé, en relation avec l'article 41 du Code des professions?

(10 h 30)

Mme Goupil: Actuellement, il n'y en a pas. Il n'y en a pas de prévu, hein, d'aucune façon? Il n'y en a pas actuellement. La loi, telle qu'elle existe actuellement, prévoit l'article, il est dans la loi. Alors, nous sommes à l'étape de l'avant-projet et le but de mon intervention était de faire suite aux commentaires du député pour dire que le fait que l'article 19 ne soit pas reproduit dans l'avant-projet, c'est parce qu'on retournait à l'article d'application générale du Code des professions, de l'article 41. Alors, actuellement, la loi y fait référence et elle est en vigueur.

M. Bergman: Le seul but de ma question est pour clarification. Dans le projet de loi n° 454, il y avait l'article 40.1 qui a été proposé sur l'article 5 de ce projet de loi, et je me demandais comment l'application de cet article proposé, tant que le projet de loi n'est pas passé, affecterait les commentaires de la ministre.

Mme Goupil: Alors, ce qu'on va faire, si vous le voulez bien, considérant que ça touche un autre projet de loi, qui est celui omnibus, on pourra revenir tout à l'heure avec une réponse précise. Mais, pour le moment, à ma connaissance, on n'y touche pas, à cet article-là.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, je comprends que, Mme la ministre, vous prenez...

Mme Goupil: On va vérifier avec l'Office des professions, mais ça concerne un autre projet de loi.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Je comprends, Mme la ministre, que vous prenez cette question, pour l'instant, en délibéré ou en réflexion.

Mme Goupil: Tout à fait.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Et ça nous laisserait à peine le temps de permettre au député de Dubuc de poser une dernière question.

M. Côté (Dubuc): Bref, c'est simplement pour vous féliciter de la qualité de votre mémoire. Je pense que ça a été préparé de façon professionnelle et, en plus, c'est constructif, c'est clair et c'est limpide. Je vous félicite.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, le temps est écoulé. Il me reste...

M. Gautrin: ...la loi au sens que vous le dites.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): ...à remercier les représentants d'Hydro-Québec pour leur présentation et M. Filion pour la clarté de ses propos, très certainement, et à inviter les représentants de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec à bien vouloir s'avancer et prendre place. Merci.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): J'inviterais les membres de la commission à bien vouloir reprendre leur siège.

Alors, nous avons le plaisir de recevoir des représentants de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec, représentée notamment par M. Claude Neveu, à qui je céderai la parole tout en lui demandant de nous présenter les personnes qui l'accompagnent et en rappelant que vous avez un maximum de 20 minutes pour la présentation.


Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec (CMMTQ)

M. Neveu (Claude): Merci, M. le Président. Alors, je vous présenterais M. Jean Charbonneau, notre vice-président, M. Robert Brown, notre directeur général, ainsi que Mme Claudie Turgeon, la directrice des affaires juridiques.

Alors, M. le Président, Mme la ministre, membres de la commission, je voudrais d'abord vous remercier pour nous avoir permis de vous présenter notre mémoire sur l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs et d'autres dispositions législatives.

Vous avez certainement eu l'opportunité de prendre connaissance de notre mémoire et été en mesure d'apprécier l'importance que ce dossier revêt pour nos membres. C'est donc avec conviction que nous vous présenterons dans les prochaines minutes le résumé de ce mémoire. Et nous nous ferons un plaisir de répondre par la suite aux questions que vous voudrez bien nous soumettre. Alors, j'inviterais M. Brown à vous présenter notre mémoire.

M. Brown (Robert): Bonjour, M. le Président. La Corporation a l'habitude des commissions parlementaires, mais ce n'est pas celle-ci. Évidemment, on est des participants très assidus à la commission sur l'économie et le travail. Donc, parce qu'on ne retrouve pas ici les visages qu'on retrouve à l'autre commission, on va quand même se décrire brièvement parce que, nous, on n'a pas la notoriété de certains grands groupes qui sont venus devant vous.

Alors, la Corporation des maîtres mécaniciens a été constituée en 1949 en vertu de la Loi sur les maîtres mécaniciens. On célèbre, si vous êtes forts en mathématique, notre cinquantième anniversaire cette année. Et le but de la Corporation – et je lis une partie de la définition parce que je pense que c'est pertinent par rapport à notre dossier aujourd'hui – notamment: «d'augmenter la compétence et l'habileté de ses membres en vue d'assurer au public une plus grande sécurité et une meilleure protection au point de vue hygiène et santé, de réglementer leur discipline et leur conduite dans le métier, etc.»

La CMMTQ représente un peu plus de 2 000 membres. Et, à peu près comme dans les autres secteurs économiques de la construction, 15 % de nos membres effectuent 85 % des heures en mécanique du bâtiment dans la construction, et 85 % de nos membres exécutent 15 %. Je donne cette statistique-là pour que vous ayez l'opportunité de mieux saisir l'impact que l'avant-projet de loi aurait si éventuellement il était adopté tel que présenté.

Parlons d'abord des champs de compétences des membres de la Corporation. Il faut savoir que, pour être membre chez nous et donc pour pouvoir agir à titre d'entrepreneur en mécanique, il faut détenir une licence qui est émise par la Régie du bâtiment. On y reviendra probablement plus tard, si le temps nous le permet, mais vous devez savoir que, suite à l'adoption du projet de loi 445, en juin 1998, toute la responsabilité de la qualification de nos membres nous a été confiée, et, dans les faits, l'opération de la chose devrait se faire au printemps 2000. Donc, nous allons assumer, comme on l'a fait avant la création de la Régie du bâtiment, l'entière responsabilité de la qualification de nos membres.

Les membres de la Corporation exécutent ou font exécuter des travaux dans différentes spécialités, notamment les installations de mécanique, c'est-à-dire: chauffage, plomberie, ventilation, climatisation et réfrigération, la tuyauterie industrielle, les systèmes de protection contre l'incendie et les systèmes sous pression. Ils font preuve à l'égard de ces spécialités d'une expertise, d'une expérience, de connaissances et d'une compétence reconnues par tous les intervenants du domaine de la construction.

Maintenant, quels sont les actes reconnus et comment sont reconnus les actes posés par les membres de la Corporation? Ils le sont évidemment en vertu de la loi ou des lois, de la jurisprudence et de la tradition. Se référant aux actes reconnus par les lois, évidemment parlons d'abord de notre loi-cadre, qui prévoit, au cinquième paragraphe de l'article 1 – et je ne soulève qu'un élément de la définition – que «maître mécanicien en tuyauterie» signifie une personne qui – à son paragraphe d – fait à ses frais mais exclusivement à son usage personnel et à celui de la Régie des plans en vue d'obtenir et d'exécuter à son profit de tels travaux. Je le soulève parce que, évidemment, c'est visé par certaines dispositions de l'avant-projet de loi.

Évidemment, il y a la définition de l'installation de tuyauterie, qui détermine les différents systèmes dans lesquels les maîtres mécaniciens interviennent. Et je ne fais que décrire partiellement ce qu'ils sont pour toujours que vous puissiez apprécier l'impact de l'avant-projet de loi. On parle des systèmes de chauffage utilisés pour la production de la force motrice ou la chaleur sous quelque forme que ce soit, les systèmes de réfrigération, les systèmes de plomberie dans toute bâtisse ou construction, les systèmes de brûleurs à l'huile ou au gaz naturel, les systèmes d'arroseurs automatiques utilisés pour prévenir et combattre les incendies, par opposition à ceux que vous avez sur vos pelouses. L'expression «installation de tuyauterie» comprend toute installation définie par le Code de plomberie qu'applique la Régie du bâtiment.

Et, donc, les entrepreneurs en mécanique peuvent, en vertu de la Loi sur les maîtres mécaniciens en tuyauterie, préparer des plans en vue d'obtenir et d'exécuter les travaux qui y sont prévus. Les actes sont évidemment reconnus par la Loi sur les ingénieurs, et je vous réfère au paragraphe g de l'article 5, qui se lit comme suit: «Rien, dans la présente loi – sur les ingénieurs – ne doit porter atteinte aux droits dont jouissent les membres de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec et la Corporation des maîtres électriciens du Québec – que vous allez entendre cet après-midi – en vertu des lois qui les régissent.»

Selon la Loi sur les ingénieurs, il n'est pas obligatoire d'avoir en sa possession des plans pour exécuter des travaux. Tout ce que la loi prévoit, c'est que, si des plans sont utilisés, ils doivent être signés et scellés par un ingénieur, sous réserve de l'exception qu'on vient de mentionner. Le même raisonnement évidemment s'applique à la surveillance des travaux, qui n'est pas obligatoire en vertu de la Loi sur les ingénieurs. Encore là, tout ce que la loi prévoit, c'est que, s'il y a surveillance des travaux, elle doit nécessairement être confiée à un ingénieur ou être sous son autorité.

Deuxième élément qui vient confirmer les actes posés par nos membres, ce sont évidemment les éléments de jurisprudence. Et on va se contenter d'en soulever deux sans les expliquer ou on pourra y revenir tantôt, si vous le jugez à propos.

(10 h 40)

Il y a d'abord une décision de la Cour d'appel dans la cause des ingénieurs versus Lionel Électric inc., où la Cour a statué que les membres de la Corporation des maîtres électriciens pouvaient utiliser les plans qu'ils avaient préparés conformément à la Loi sur les maîtres électriciens pour effectuer leurs travaux sans distinguer les plans de conception des plans d'exécution. Évidemment, il faut comprendre que, puisque la Loi sur les maîtres électriciens est une photocopie de la nôtre, évidemment la jurisprudence s'applique de la même façon.

Autre élément de jurisprudence qu'on pourrait soulever, c'est dans la cause de l'Ordre des ingénieurs du Québec versus Migliara, qui était une propriétaire d'édifices. Alors, dans ce cas, la Cour supérieure a conclu que, si les maîtres électriciens et les maîtres mécaniciens en tuyauterie avaient le droit de faire des plans en vue d'obtenir et d'exécuter les travaux prévus à leur loi – ce à quoi j'ai fait référence tantôt – leur clientèle, c'est-à-dire les propriétaires, les donneurs d'ouvrage et les entrepreneurs généraux, était également protégée; autrement, le droit d'obtenir de tels travaux serait plus que précaire. Cependant, pour arriver à une telle conclusion, le juge a clairement insisté sur le fait que le champ de compétences de l'ingénieur pour faire des plans sur le système mécanique ou électrique ne lui était pas exclusif. Comme nous le verrons plus loin, l'autorité de ce jugement risque fort d'être annulée par l'avant-projet de loi, puisque celui-ci prévoit que les actes qui y sont énumérés, notamment la préparation des plans, seront du ressort exclusif de l'ingénieur.

Il y a aussi la tradition qui confirme les actes posés par nos membres. Donc, en sus de ce qui leur est reconnu par la loi et par la jurisprudence, les entrepreneurs en mécanique posent traditionnellement des actes qui ne sont pas spécifiquement prévus par la Loi sur les maîtres mécaniciens en tuyauterie. L'expertise et les compétences des entrepreneurs en mécanique au niveau de la conception, de la consultation, de la surveillance et de la vérification sont reconnues tant à l'égard de travaux qui sont prévus par la Loi sur les maîtres mécaniciens qu'à l'égard d'autres travaux qui ne sont pas prévus.

À titre d'exemple, il arrive fréquemment que les entrepreneurs en mécanique, à la demande de la clientèle, fassent des études sur différents systèmes, donnent des avis techniques, suggèrent des options, des procédés et des systèmes applicables selon les besoins de la clientèle, analysent les risques et les impacts de tels options, procédés et systèmes et en vérifient le concept et la qualité technique. Les entrepreneurs en mécanique préparent également des plans pour les travaux qu'ils effectuent. Dans d'autres situations, ils exécutent des travaux sans plan ou sans surveillance.

La clientèle des entrepreneurs en mécanique peut également requérir de ces derniers une attestation de la conformité de leurs travaux au code de plomberie ainsi qu'à différentes normes techniques non réglementaires qu'ils doivent respecter. Qui plus est, la Loi sur le bâtiment, dès l'entrée en vigueur de son article 17, exigera que les entrepreneurs en mécanique attestent de la conformité de leurs travaux aux normes du Code de la construction dont fait partie intégrante le code de plomberie.

Regardons maintenant certaines dispositions de l'avant-projet de loi, plus spécifiquement les actes réservés exclusivement à la profession d'ingénieur. Alors, ce dont on parle ici, ce que le législateur voudrait donner d'une façon exclusive aux ingénieurs concerne la conception de l'ouvrage – et je ne donnerai pas le détail, que vous avez dans le mémoire – la préparation des études relativement à un ouvrage, en vérifier la qualité technique, etc., et la surveillance de l'exécution des travaux afférents à un ouvrage et la conception des directives de surveillance et des directives d'inspection. Ça, ce sont des éléments du projet de loi évidemment qui touchent nos membres d'une façon très précise.

Je vais faire une simple description des ouvrages à l'égard desquels ces actes sont exclusifs. Et je le fais parce que je veux tout simplement faire un rapport entre ce que l'avant-projet de loi prévoit et ce que sont les préoccupations, les activités quotidiennes des maîtres mécaniciens en tuyauterie. Donc, quand on parle d'ouvrages à l'égard desquels ces actes sont exclusifs, toujours vis-à-vis les gestes posés par nos membres, et ça, c'est prévu à l'article 3, on parle d'installations de mécanique, soit le chauffage, la ventilation, la climatisation, les systèmes de protection contre l'incendie et les systèmes sous pression; les ouvrages suivants dont la fiabilité a des incidences sur la protection de la vie, de la santé, du bien-être et de la sécurité des personnes, etc.; les appareils mécanisés ainsi que les composantes électriques, électroniques, mécaniques, optiques, hydrauliques, etc.; la récupération de toute forme d'énergie dans certains systèmes; l'exploitation d'un établissement industriel ou d'un complexe industriel, notamment comme équipement ou outillage; des services municipaux récréatifs, notamment, pour ce qui nous concerne, travaux d'aqueduc, égouts et autres services sanitaires, l'alimentation énergétique. Les travaux relatifs aux égouts, d'aqueduc et d'égouts et autres services sanitaires peuvent être exécutés par des entrepreneurs en mécanique, comme ceux que je vous ai mentionnés précédemment. Il en est de même pour ce qui est prévu – et je vais arrêter la nomenclature, M. le Président – aux sixième, septième, neuvième et dixième alinéas. Donc, ce sur quoi on veut porter l'attention, c'est que nos membres sont très affectés par les dispositions de l'avant-projet de loi parce que ça vise ce qu'on appelle, nous, des préoccupations et des actes qui sont posés quotidiennement.

Quelles sont les conséquences de l'avant-projet de loi? Pour nos membres, d'abord, on peut parler de perte de droits et de compétences. Et je vais faire des commentaires strictement sur trois éléments, même s'il y en a davantage dans notre mémoire. Ça va porter sur la conception d'un ouvrage, faire et utiliser des plans et l'exécution des travaux.

D'abord, regardons la conception d'un ouvrage. Les entrepreneurs en mécanique sont de plus en plus sollicités par la clientèle pour présenter des propositions visant la construction ou la modification des systèmes mécaniques en raison de leurs compétences et de leur expertise en la matière. Pour ce faire, ils procèdent à l'analyse des besoins du client et à la détermination des systèmes appropriés à l'aide de données techniques et selon les normes applicables. Lors de la présentation de cette proposition, les plans et devis et les cahiers de charges préparés par l'entrepreneur en mécanique l'accompagnent régulièrement. Très fréquemment, les entrepreneurs en mécanique sont également sollicités afin de préparer des manuels de mise en service, d'exploitation et de maintenance des systèmes qu'ils conçoivent. La responsabilité de l'élaboration de ces manuels incombe souvent aux entrepreneurs en mécanique en vertu des documents de soumission. Les entrepreneurs s'occupent également de la formation du personnel du propriétaire aux mêmes fins.

Ce qu'il est important de savoir, c'est qu'en ce qui concerne la vérification du concept technique, des plans, devis et cahiers de charges la jurisprudence est unanime à conclure qu'un entrepreneur ne peut se contenter d'effectuer des travaux selon les plans et devis sans au préalable s'être assuré de la conformité de ces plans et devis aux règles de l'art. L'entrepreneur doit non seulement vérifier la conformité des plans et devis à l'égard des travaux qu'il doit exécuter, mais il a de plus l'obligation d'aviser l'ingénieur de toute anomalie concernant ces plans et devis. La vérification et l'attestation de la conformité du concept technique et des plans et devis font partie intégrante de la responsabilité légale et contractuelle de l'entrepreneur en installation de tuyauterie.

Tous ces actes, qu'ils soient permis ou non par la Loi sur les ingénieurs, font partie de la réalité quotidienne des entrepreneurs en mécanique et de leur clientèle. L'avant-projet de loi interdit clairement aux entrepreneurs en mécanique d'effectuer tous ces actes pour lesquels ils ont développé une expertise indéniable qui correspond aux attentes et aux besoins de leur clientèle. En somme, l'avant-projet de loi reléguera les entrepreneurs en mécanique au rang de simples exécutants, sans aucune autonomie professionnelle, qu'ils ont assumée avec compétence jusqu'à ce jour.

Parlons maintenant de préparation et d'utilisation des plans. En vertu de la Loi sur les maîtres mécaniciens, les entrepreneurs en mécanique peuvent faire des plans en vue d'obtenir et d'exécuter des travaux prévus à cette loi. Bien que la préparation des plans constitue un acte réservé à l'ingénieur en vertu de la Loi sur les ingénieurs, cette loi précise, au paragraphe b de son article 5, dont j'ai fait lecture tantôt, qu'on ne peut porter atteinte aux droits dont jouissent les membres de la CMMTQ en vertu de la loi qui les régit, confirmant de ce fait le droit des entrepreneurs de préparer des plans pour des travaux prévus à leur loi.

Dans l'avant-projet de loi, la préparation des plans sera du ressort exclusif de l'ingénieur, mais le paragraphe g de 5 demeurera le même, de sorte que l'on peut conclure que les entrepreneurs en mécanique pourront continuer à préparer des plans dans le but d'obtenir et d'exécuter des travaux prévus à la Loi sur les maîtres mécaniciens. Il y a un hic. Le problème demeure. Le problème qui demeure se situe au niveau de l'utilisation des plans, que ce soit par les maîtres mécaniciens en tuyauterie ou par leur client, c'est-à-dire le donneur d'ouvrage ou l'entrepreneur général.

En effet, en vertu de l'article 24.2 de la Loi sur les ingénieurs, toute personne qui va utiliser des plans qui n'ont pas été signés et scellés par un ingénieur pour les fins des travaux visés par la loi va commettre une infraction et sera passible d'une amende. Cependant, en vertu de l'arrêt de la Cour d'appel dans la cause Lionel Electric inc. précitée, les membres de la CMMTQ peuvent jusqu'à maintenant utiliser les plans qu'ils ont préparés conformément à la loi.

De plus, la Cour supérieure, dans la cause Migliara précitée, permet aux clients des maîtres mécaniciens d'utiliser les plans préparés par ceux-ci puisqu'elle a conclu que rien dans la Loi sur les ingénieurs ne stipulait l'exclusivité de la préparation de plans en faveur de l'ingénieur.

(10 h 50)

Considérant que l'avant-projet de loi prévoit que la préparation des plans sera du ressort exclusif de l'ingénieur, on peut facilement comprendre que l'autorité de ces jugements, surtout celui de la Cour supérieure, n'aura plus la même valeur et que les clients des maîtres mécaniciens en tuyauterie ne pourront plus utiliser les plans préparés par eux sans contrevenir à l'article 22.1 de l'avant-projet de loi. Évidemment, cette interdiction aura un effet important sur le droit des maîtres mécaniciens en tuyauterie de faire leurs propres plans. En effet, quel sera l'intérêt d'un client de mandater un membre de la Corporation pour préparer des plans qu'il ne pourra utiliser sans commettre une infraction à la Loi sur les ingénieurs?

Parlons maintenant des effets de l'avant-projet de loi sur l'exécution des travaux. Rien, dans la loi actuelle, ne prévoit que les ingénieurs en mécanique doivent avoir en leur possession des plans pour exécuter des travaux ou que ces mêmes travaux doivent être effectués sous la surveillance d'un ingénieur. Les entrepreneurs en mécanique peuvent donc exécuter des travaux prévus ou non par la Loi sur les maîtres mécaniciens et pour lesquels ils ont préparé des plans ou pour lesquels il n'y a aucun plan, et ce, sans être sous la surveillance d'un ingénieur.

L'avant-projet de loi, quant à lui, interdit à quiconque d'exécuter des travaux sans avoir en sa possession des plans authentifiés par un ingénieur et sans la surveillance d'un ingénieur, sous peine de se voir imposer une pénalité.

Même si le paragraphe 2 de l'article 22.1 ne mentionne pas que les plans, devis et cahiers de charges doivent être authentifiés par un ingénieur, nous prenons pour acquis que cela est implicite, compte tenu que nous sommes dans le contexte de la Loi sur les ingénieurs. Cela veut donc dire que les entrepreneurs en mécanique ne pourront plus exécuter des travaux pour lesquels ils auront préparé des plans, que ce soit des travaux prévus ou non à la Loi sur les maîtres mécaniciens en tuyauterie.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Brown, je vous signale qu'il vous reste à peine le temps de conclure, deux minutes.

M. Brown (Robert): Il faudrait, M. le Président, que vous convainquiez vos confrères d'accorder un petit peu plus de temps pour la présentation.

Mme Goupil: Il n'y a pas de problème.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien.

M. Brown (Robert): Malheureusement, je n'aurai pas le temps, et peut-être qu'on pourra le faire lors de...

M. Dupuis: Je n'ai pas d'objection, M. le Président.

M. Brown (Robert): Ça va? Alors, je vais aller à l'argumentation.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, je vous accorde, disons, cinq minutes.

M. Brown (Robert): Merci, et vous allez me permettre de lire un petit peu plus rapidement. Alors, je vais aller à la partie 5, au niveau de l'argumentation, parce que c'est un point important.

Somme toute, si l'avant-projet de loi était adopté tel que présenté, il reléguerait les membres, chez nous, au rôle de simples exécutants de travaux. Ils devraient se soumettre à la supervision de l'ingénieur pour certains projets sans aucune possibilité d'initiative.

Il est important de comprendre qu'actuellement l'entrepreneur assume l'entière responsabilité des travaux qu'il exécute, de la conception à la livraison. Celui-ci étant garant du produit qu'il livre, nous ne croyons pas qu'il soit justifié d'introduire un intermédiaire pour s'assurer de la conformité de l'ouvrage ou de sa sécurité, puisque ces éléments font déjà partie intégrante de la responsabilité professionnelle de nos membres.

Même que l'entrepreneur ne peut, d'aucune façon, invoquer une erreur dans les plans et devis de l'ingénieur pour se dégager de ses responsabilités. L'entrepreneur est un spécialiste qui ne peut se contenter d'exécuter servilement les travaux selon les plans et devis. Il doit contrôler l'exactitude de ces derniers. Il a le devoir de notifier à l'ingénieur et au propriétaire tout vice qu'il a pu déceler.

Je ne vais pas profiter davantage de l'offre qui nous a été faites. Je veux juste vous indiquer qu'on a été particulièrement surpris d'être convoqués, l'automne dernier, à cette commission parlementaire. Contrairement à d'autres organismes, nous n'entretenons pas des relations permanentes avec l'Ordre des ingénieurs pour parler du statut de l'ingénieur versus du technologue. Ce n'est pas une préoccupation de nos membres, vous l'avez compris. Nous, on est préoccupés par le droit d'un membre de faire ses propres plans, d'exécuter ses travaux et de les surveiller lui-même, s'il le veut.

Donc, on s'est dit: Dans quelle mesure est-ce que ce projet de loi là pourrait nous affecter? Évidemment, on a été très surpris de voir que ça pourrait modifier d'une façon substantielle les activités quotidiennes et professionnelles de nos membres, d'autant plus que, à notre connaissance – et ça, on n'a pas eu l'opportunité d'entendre encore l'Ordre des ingénieurs – comme on n'a pas eu de plaintes des consommateurs, comme on n'a pas eu de plaintes de donneurs d'ouvrage à l'effet que la qualité de les travaux de nos membres étaient déficients, on s'est dit: Pourquoi est-ce qu'on veut enlever des droits à nos membres qu'ils exécutent depuis le temps de Mathusalem et qu'ils ont exécutés d'une façon absolument professionnelle? Et, donc, notre présentation, M. le Président, aurait pu durer cinq minutes, et je vous aurais cité Bossuet, qui disait: Si ce n'est pas brisé, pourquoi est-ce qu'on le réparerait?

Alors, effectivement, j'aurais pu prendre quelques secondes pour vous dire que nous ne comprenons pas la préoccupation de l'Ordre des ingénieurs, eu égard aux travaux qui sont effectués d'une façon professionnelle par nos membres, qui sont qualifiés. Alors, je vous remercie, M. le Président, pour le temps supplémentaire que vous m'avez accordé.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Brown. De toute façon, vous aurez l'occasion, très certainement, dans la période d'échanges, de préciser certains points qui vous tiennent à coeur. Alors, Mme la ministre.

Mme Goupil: Merci, M. le Président. D'abord, M. Brown, je tiens à vous remercier pour l'excellente présentation que vous nous avez présentée. Je me permettrais de vous dire que vous avez été surpris d'être invités, mais considérez-vous, je pense, privilégiés parce que bien des gens font le reproche souvent qu'ils ne sont pas entendus. Alors, je ne sais pas la raison pour laquelle on vous a appelés et on vous a convoqués. Malgré que vous soyez surpris vous-même, vous avez fait un exercice qui a été bien fait pour nous faire part de votre réalité, et, ne serait-ce que pour cela, ça nous permet, aux membres de la commission, de connaître la réalité d'une corporation qui fait partie de ces entreprises qui, au Québec, économiquement, ont une place qui est importante aussi.

Ceci étant dit, ça m'amène à vous poser quand même deux questions, à savoir, j'aimerais... Parce que j'ai retenu, effectivement, que vous n'aviez pas d'obligation lorsque vous créez vos plans ou que vos entrepreneurs créent leurs plans pour exécuter les travaux pour lesquels ils ont été engagés. J'aimerais que vous me disiez en quoi consiste pour vous, lorsque vous rédigez des plans versus lorsque des plans sont rédigés par des ingénieurs, comme dans la mécanique d'un bâtiment, entre autres... Si, vous, vous n'avez pas l'obligation d'avoir des plans qui émanent d'un ingénieur, j'imagine que vous en avez des plans, vous en faites des plans. Alors, en quoi consistent vos plans versus ceux qui seraient préparés par un ingénieur?

M. Brown (Robert): Je vais vous donner une partie de réponse et, évidemment, mon président et le vice-président, qui sont des entrepreneurs, pourront compléter s'il y a lieu. Ce que nous disons, c'est qu'à plusieurs occasions nos membres vont fabriquer leurs propres plans, et, dans bien des cas, c'est pour faire suite à une demande du client. Et les plans sont conçus, comme notre loi le prévoit, pour une utilisation personnelle. C'est-à-dire que la loi ne permet pas, et ce n'est pas la prétention de la Corporation, que mon président, le président de Neveu et Neveu pourrait faire des plans pour une exécution qui serait faite par un tiers. Les plans qu'il va fabriquer sont pour son utilisation à lui, et évidemment nous y tenons beaucoup. Et d'ailleurs la Cour a confirmé le droit du maître mécanicien en tuyauterie, comme du maître électricien, à concevoir des plans pour sa propre utilisation.

Dans d'autres situations, et on l'a mentionné, des plans ne sont pas requis. Je peux présumer – parce que je ne suis pas expert en la matière, Mme la ministre – que, s'il n'y a pas obligation de préparer des plans et devis, il y a probablement des réglementations municipales qui exigent, avant l'émission d'un permis, qu'il y ait des plans et devis. Et, dans certains cas – je ne peux pas dire dans tous les cas parce que je ne le sais pas – si ce sont des plans scellés par des avocats, bien, pour nos membres, il n'y a aucune espèce de problème.

Notre prétention, et je pense que c'est important qu'on le soulève, nous ne demandons pas d'une façon exclusive que nos membres puissent faire leurs propres plans pour l'ensemble des travaux qu'ils exécutent, ce n'est pas ce que l'on dit. Dans des cas où c'est requis par le donneur d'ouvrage par règlement ou autre, bien, nos membres vont s'assujettir à cette obligation-là.

Mme Goupil: Vous avez aussi exprimé qu'actuellement en regard des entreprises que vous représentez, il n'y a pas de problème majeur. Parce que vous faites référence souvent à la jurisprudence. Alors, vous n'avez pas actuellement de problématique, à savoir, lorsque vous exécutez votre travail, il n'y a personne qui remet en question le droit que vous puissiez concevoir vos plans au moment où ils ne sont pas exigés soit par loi ou soit par règlement. Est-ce que c'est exact de dire...

M. Brown (Robert): Si c'est le cas, ça n'a jamais été porté à l'attention de la Corporation. Donc, je suis obligé de déduire, sans trop me tromper, que, non, il n'y a pas de problème, il n'y a pas de contestation.

Mme Goupil: D'accord. Je vous remercie, monsieur.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond.

M. Jutras: Oui, M. Brown, dans votre mémoire, vous commenciez en citant un extrait de la loi qui dit que votre Corporation et vos membres aussi doivent voir à assurer une plus grande sécurité et une meilleure protection pour le public. Et de ces notions-là, dans la présente commission, on en a souvent parlé parce que, bon, c'est ce qui doit nous animer en premier, la protection du public.

Et vous nous dites, entre autres: Ça va bien parce qu'il n'y a pas de poursuite contre nos membres. Mais est-ce que vous avez d'autres critères d'évaluation de la satisfaction du public? Est-ce que, par exemple, vous avez déjà fait des enquêtes auprès du public pour voir quel était le taux de satisfaction à l'endroit du travail que font vos membres?

(11 heures)

M. Brown (Robert): Votre question est intéressante et vous ouvrez deux portes. La première, en réponse à votre question, évidemment il faut comprendre que nous sommes responsables d'une partie de la qualification de nos membres, l'autre partie étant assumée par la Régie du bâtiment. J'y ai fait référence tantôt et je veux utiliser cette porte-là après ma première réponse. Nous avons un code d'éthique, nous avons un comité de discipline qui discipline les contrevenants à différentes dispositions de notre loi. Mais, pour moi, l'élément peut-être le plus révélateur, M. le député, c'est que notre service technique est inondé d'appels des consommateurs qui reconnaissent en la Corporation une personne-ressource intéressante pour répondre à leurs besoins. Et nous offrons aux consommateurs un processus de médiation et nous recevons, de temps à autre, des plaintes de consommateurs qui vont se plaindre du coût, qui vont se plaindre d'une mauvaise installation, ou je ne sais trop quoi. Le rôle de la Corporation, c'est de faire une enquête préliminaire sommaire parce que ce ne sont jamais des problèmes de grande envergure.

Selon nos statistiques – je le vérifiais il y a quelques mois, puis ce n'était même pas dans le cadre des débats d'aujourd'hui – nous réussissons, de par nos services internes, à régler entre le consommateur et notre membre, je vous dirais, 19 cas sur 20; et le vingtième prend un peu plus de temps à régler et éventuellement il se règle. Et donc, ce que je me permets de vous dire, c'est que lorsque nous recevons des plaintes de la part des consommateurs, ce n'est jamais sur des choses très importantes. Et d'ailleurs – et là je fais un lien avec l'objet de la discussion – on n'a pas beaucoup eu d'appels d'Hydro-Québec disant que nos membres étaient incompétents. On n'a pas eu beaucoup d'appels de Cascades. Je donne des noms de gens qui étaient ici hier, etc. Pourquoi? Parce que les gens, nos entreprises sont de vieilles entreprises, ce sont des entreprises qui doivent se qualifier comme entreprises. Les travailleurs de la construction – puis je pense que c'est important de le soulever – sont des gens qui sont qualifiés même en vertu d'un nouveau régime d'apprentissage et de formation dont on est particulièrement fier.

Je vais arriver à la deuxième partie de votre question. À partir du printemps prochain, la Corporation va avoir l'entière responsabilité de la loi. Ce que le ministère du Travail de l'époque, c'est-à-dire de juin 1998, avait prévu et imposé lorsqu'il nous a donné cette responsabilité-là, c'est d'assurer le maintien des compétences. Évidemment, il y a des ordres professionnels qui font la même chose et donc on a reconnu en la Corporation des maîtres mécaniciens le même devoir, la même responsabilité. Un des éléments – et c'était une condition sine qua none, selon ma compréhension du transfert de la qualification – c'est qu'on va devoir faire le nécessaire pour maintenir nos membres qualifiés. Est-ce qu'on va parler de formation continue obligatoire ou autres? Je ne le sais pas, mais je dois vous dire qu'il y a déjà des paramètres dans la loi qui vont faire en sorte que, aussi compétents que soient nos membres, on peut dire, sans sourire: Ils vont l'être davantage demain.

M. Jutras: Maintenant, vous avez touché un peu aux sujets là... J'aimerais savoir: Qu'est-ce qui en est de votre cohabitation avec l'Ordre des ingénieurs ou avec les ingénieurs en général là, dans la vie de tous les jours, dans le champ, comme on dit? Parce que je comprends, quand on lit les deux arrêts de jurisprudence auxquels vous avez fait référence, je comprends que les relations ont déjà été plus tendues. Parce qu'on voit que c'est des plaintes qui sont portées probablement par l'Ordre des ingénieurs parce que l'Ordre prétendait que la Loi des ingénieurs avait été violée, mais ce sont des arrêts qui remontent à 1980, 1983. Alors, est-ce que, depuis ce temps-là, les relations sont bonnes? Puis sur le terrain, comment ça se vit?

M. Brown (Robert): Je vous dirais que les relations sont bonnes, elles ne sont pas fréquentes. Par définition, on n'a pas à travailler ensemble comme on doit le faire avec les syndicats, avec d'autres organismes gouvernementaux, etc. Vous savez, c'est de bonne guerre – dans la construction, on en a vu des pires que ça – que l'Ordre des ingénieurs veuille faire appliquer son champ d'intervention. Nous, on n'a aucun problème, on fait de même parce qu'on a une responsabilité vis-à-vis de nos membres. Ça là, on n'en tient pas rigueur, et d'ailleurs les relations avec l'Ordre, pour ce qu'elles sont, sont cordiales. Il n'y a aucune espèce de problème.

Je vous dirais que, sur le plan professionnel, les relations sont plus fréquentes, pas nécessairement avec – j'espère que j'ai le bon nom – l'Association des ingénieurs-conseils, mais nos membres ont beaucoup plus de relations avec les bureaux d'ingénieurs-conseils, comme entrepreneurs. Évidemment, ce dont on parle là, c'est une relation d'affaires, c'est une relation technique et il se vit autant de problèmes qu'il se vit de chantiers entre un bureau d'ingénieurs et un entrepreneur. Mais ça, M. le député, sans vouloir diminuer l'importance de ce que vous soulevez, ça fait partie du quotidien des opérations.

M. Jutras: Est-ce que j'ai le temps pour une autre question, M. le Président? Maintenant, je crois comprendre de vos propos que vous êtes ici depuis le début des travaux. Vous étiez ici hier?

M. Brown (Robert): Depuis hier après-midi.

M. Jutras: Oui. On a beaucoup parlé de la notion de surveillance des travaux et je trouve ça intéressant, ce que vous dites dans votre mémoire. C'est la première fois que ça nous est présenté. On se posait la question de l'interprétation de l'article 5i, à savoir que, bon, la surveillance des travaux doit toujours se faire par un ingénieur. Mais finalement, vous, la façon dont vous interprétez ça, vous dites que la surveillance n'est jamais obligatoire, donc ça ne crée pas problème. C'est ça votre raisonnement. Et ça, est-ce qu'il y a de la jurisprudence qui dit ça ou si c'est dans les faits, dans la vie de tous les jours que ça c'est appliqué comme ça?

M. Brown (Robert): À notre connaissance, il n'y a pas d'éléments de jurisprudence, ça fait partie de la vie de tous les jours – permettez-moi de vous faire un commentaire – et ça fait partie du mémoire que je n'ai pas pu relever. Je vais vous donner un exemple bien pratique. Les entrepreneurs, comme je vous l'ai dit tantôt, ont l'entière responsabilité des travaux qu'ils exécutent. Vous savez ce que ça veut dire, ils savent ce que ça veut dire.

L'élément pratique que je veux vous souligner, c'est que les entrepreneurs sont payés, pas avant d'avoir exécuté les travaux, après avoir exécuté les travaux. Et un entrepreneur qui veut se faire payer... Parce que vous devez savoir, vous devez entendre parler de ça dans vos bureaux de comté, les sous-entrepreneurs qui ne se font pas payer par les entrepreneurs généraux ou par des clients. C'est quoi, la prérogative du sous-traitant? Il y en a une seule: bien exécuter les travaux dans les délais prévus, au montant prévu, sinon c'est lui qui va payer, et selon les conditions du devis.

Donc, je vous dirais que la plus grande garantie que vous pouvez avoir sur l'exécution des travaux, selon la règle de l'art, c'est que l'entrepreneur veut se faire payer parce que, lui, il a financé l'ensemble de ses activités.

M. Jutras: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Vous avez dit, M. Brown, en tout cas, si j'ai bien compris votre mémoire, qu'actuellement ça va bien – et vous venez de répondre aussi au député de Drummond – avec les ingénieurs, les technologues aussi, au niveau de la surveillance, et que l'avant-projet de loi viendrait chambarder tout ça. Et surtout avec votre citation de Bossuet à la fin. Est-ce qu'on peut comprendre ou on doit comprendre que vous demandez purement et simplement le retrait de l'avant-projet de loi ou encore vous pensez qu'il pourrait y avoir des modifications importantes?

M. Brown (Robert): Eu égard à l'effet ou aux effets du projet de loi sur les activités de nos membres, c'est très, très clair, M. le député, que nous demandons que ce projet de loi, pour ces dispositions-là, soit retiré ou que vous prévoyiez – parce que, moi, je ne veux pas parler pour les manufacturiers et les autres secteurs – que ces dispositions-là ne s'appliquent pas à l'industrie de la construction parce que, selon ce que je disais tantôt, il n'y a rien à réparer. En d'autres mots, que les actes continuent d'être posés en vertu de ce que les lois prévoient, de ce que la jurisprudence prévoit et de ce que la tradition prévoit.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, nous passons maintenant aux questions du porte-parole de l'opposition officielle en matière de lois professionnelles et député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Merci, M. le Président. M. Neveu, M. Brown, merci pour votre présentation, on a trouvé ça très intéressant. Pour faire un suivi aux questions du député de Frontenac, vous demandez, à la page 48, que soit éliminé de ce projet de loi tout acte qui est fait par votre Corporation. Et on a la même demande qui a été faite par la Corporation des maîtres électriciens du Québec qui veut avoir la même exemption. Et si on prend votre exemple et votre demande et si on le fait pour chaque groupe qui comparaît devant nous, je demande quelles sont les conclusions et quel sera l'effet sur notre système professionnel et le rôle que l'Ordre des ingénieurs a dans notre système. Comment est-ce que vous voyez cette vision de retirer l'application de l'avant-projet de loi de tous les groupes qui sont intéressés par ce projet de loi?

M. Brown (Robert): Vous posez la question d'une façon telle que je peux vous donner une réponse un peu embarrassante. Comment je vous dirais ça? Avec respect pour opinions contraires, quand tantôt j'ai fait référence à notre surprise, si effectivement, comme Corporation, on était conscient de problèmes majeurs connus dans l'industrie de la construction, on aurait dit: Bien, O.K., il faut trouver une solution. On n'est peut-être pas d'accord avec la solution mais on va trouver une alternative. Dans ce cas-ci, notre position peut sembler drastique, comme celle de la Corporation des maîtres électriciens dont les membres sont dans la même situation que les nôtres. Je m'excuse d'être trop simpliste, je vais répéter ce que j'ai dit tantôt: Il n'y a rien, à notre avis, à réparer. Donc, c'est sans aucune gêne que nous disons que les dispositions de l'avant-projet de loi ne doivent pas s'appliquer aux employeurs que nous représentons. Ça n'enlève en rien la responsabilité des ingénieurs, des technologues, des organismes d'application des lois et règlements.

(11 h 10)

Vous savez, je faisais ressortir par le service technique, pour les fins de cette commission, non pas les codes réglementaires, mais les différentes normes auxquelles nos employeurs sont assujettis. Évidemment, vous allez me permettre de faire une démonstration graphique. Vous voyez comment il y a beaucoup de texte, là? Ça, ce ne sont pas des normes réglementées, ce sont des normes du marché. Et je ne suis pas technicien, là, je ne peux pas donner plus d'assises techniques, mais l'illustration que je veux vous faire, c'est qu'il n'y a pas d'improvisation en mécanique du bâtiment sur les chantiers de construction. Ça n'existe pas. La règle de l'art s'applique; les règles de normes réglementaires s'appliquent comme les normes qui ne sont pas réglementaires.

M. Bergman: M. Brown, en relation avec l'article 4.2, Hydro-Québec a fait une suggestion pour ajouter un paragraphe à l'article 4.2 sur la question de supervision, responsabilité. J'aimerais vous lire la suggestion qui a été faite par Hydro-Québec et vous demander votre opinion. Hydro suggère d'ajouter à 4.2 le paragraphe suivant, et je cite: «Une personne qui est préposé de l'exploitant d'une entreprise peut attester de la conformité d'un ouvrage appartenant à ce dernier avec les normes techniques adoptées par l'exploitant pour cette entreprise, si ces normes ont été préalablement approuvées par un ingénieur et que l'acte est posé dans les circonstances qu'elles prévoient.» Est-ce que cet ajout à l'article 4.2 ferait cet article 4.2 plus acceptable?

M. Brown (Robert): Évidemment, je suis mal à l'aise de réagir, je n'ai pas le texte devant moi. Ça, c'est la suggestion des représentants d'Hydro-Québec?

M. Bergman: Oui.

M. Brown (Robert): Évidemment, il faut comprendre que c'est fait dans le contexte des travaux commandés par Hydro-Québec. Je vous dirais que c'est presque implicite. Je mets des mots dans la bouche, ce que je ne devrais peut-être pas faire. Je vous dis, avec réserve, que ce serait possiblement faire indirectement ce qu'on refuse de faire directement. Dans les cas où notre membre assume la responsabilité des plans pour son utilisation personnelle, à moins qu'on nous fasse la démonstration d'une incapacité de nos membres à le faire, moi, je vous dis que... Je vous répète: Je n'ai pas le texte devant moi. Il y a peut-être un élément ou une virgule que je devrais voir et que je ne vois pas. D'emblée, je vous dis que, pour donner notre accord à cette proposition-là, il faudrait l'étudier plus attentivement.

M. Bergman: M. Brown, vous avez fait référence dans votre mémoire au projet de loi n° 445 qui transfère à votre organisation le mandat d'assurer les qualifications professionnelles de vos membres. Quelle est la manière dont vous assurez la qualification professionnelle de vos membres pour assurer la protection du public? Quel rôle est-ce que votre organisation joue en relation avec les qualifications individuelles des membres? Pensons que dans le système professionnel, quand on parle de protection du public, on parle du contrôle de la compétence des professionnels, de la vérification de leur pratique, de l'élaboration et de l'application du code qui fixerait les règles fondamentales de comportement; il y a les dispositifs d'enquête et de discipline. Je me demande, en relation avec ce projet de loi n° 445 dont vous avez fait référence à la page 46 de votre mémoire, quel est le rôle de votre organisation en relation avec la protection du public et pour assurer la bonne qualité, le bon travail de vos membres.

M. Brown (Robert): Ce que vous devez savoir, M. le député, c'est que toutes les entreprises au Québec, quelle que soit la nature des activités – il y en a 20 000 et quelques, donc ce n'est pas juste en mécanique ou en électricité – elles doivent se qualifier en vertu de la loi de qualification des entreprises. Pour le bout qui nous intéresse, c'est que les employeurs en mécanique doivent confirmer leurs compétences sur le plan technique. Il y a d'autres éléments: il faut se qualifier administrativement, santé et sécurité, administration. C'est peut-être moins pertinent pour le débat d'aujourd'hui, mais, si je veux, par exemple, être entrepreneur en plomberie, je dois réussir des examens en plomberie, comme l'ingénieur va devoir réussir son examen, l'avocat au Barreau, le politicologue aux sciences sociales, etc.

Il y a une grosse différence que je dois signaler pour ce qui est de la Corporation, c'est que, si je vous ai dit tantôt que toutes les entreprises doivent se qualifier, le statut de notre Corporation, comme celui des maîtres électriciens, est différent en ce sens que c'est une adhésion obligatoire chez nous. On nous a donné, avec le transfert de la qualification, le vrai statut d'une corporation professionnelle. Nous avons le pouvoir de discipliner nos membres. Mais à partir du moment où on va pouvoir – et c'est ce que le projet de loi a adopté, a prévu – entre autres, au-delà de ce qui est déjà exigé pour l'ensemble des entreprises, exiger davantage de la part de nos membres, on aura ce droit-là. Et je vous dirai que les entrepreneurs chez nous, au conseil d'administration, ont déjà commencé à regarder cette question-là. Ce qu'on voudra s'assurer, c'est que les exigences, pour avoir le droit d'exécuter des travaux techniques, vont être telles qu'on aura l'assurance... pas l'assurance, mais qu'on va avoir... disons l'assurance d'une compétence permettant aux gens d'effectuer les travaux pour lesquels ils seront qualifiés.

Mais le statut de notre Corporation est important à retenir parce que ça nous donne un pouvoir que d'autres associations n'ont pas eu égard à leurs membres, qui sont aussi qualifiés en vertu de la loi de qualification des entreprises mais qui n'ont pas le statut de corporation.

M. Bergman: Juste une dernière question, M. le Président. Vous dites à la page 42 de votre mémoire que le projet de loi va vous ramener au stade du simple exécutant, niant de ce fait toute l'expertise et les compétences démontrées à ce jour par les entrepreneurs. Et vous continuez pour dire que l'avant-projet de loi risque de forcer les coûts pour le propriétaire pour obtenir la même expertise qu'il pourrait obtenir d'un entrepreneur sans que la qualité de l'ouvrage ne soit pour autant améliorée. C'est toujours la question d'efficacité, la question de coût, la question de main-d'oeuvre. Est-ce que vous avez fait une étude en relation avec les conséquences qui peuvent arriver à cause du projet de loi? En faisant cette observation, est-ce que vous vous basez sur une étude que vous avez faite auprès de vos membres?

M. Brown (Robert): M. le Président, M. Neveu va répondre à la question.

M. Neveu (Claude): M. le député, malheureusement, nous n'avons pas fait d'étude, mais de facto les coûts vont être augmentés parce qu'il ne s'agit plus de la même profession qui ferait exécuter cette surveillance-là. Mais, plus est, la crainte que nous avons, c'est que le fait de reléguer nos entrepreneurs à des simples exécutants pourrait faire en sorte de diluer leur compétence au fil des ans puisqu'ils ne seraient plus responsabilisés de la même manière qu'ils le sont dans le moment. Et de la façon dont les devis sont rédigés pour tous les appels d'offres qui sont préparés par des firmes d'ingénieurs, cette responsabilité d'exécuter des travaux conformément à tous les codes et tout ça est renversée aux entrepreneurs; c'est toujours l'entrepreneur qui a la charge de s'assurer que toutes ses installations sont conformes au Code, bien que la conception ait été faite par un ingénieur, scellée par un ingénieur. Alors, c'est toujours nous, l'entrepreneur, qui avons la responsabilité de s'assurer de cette conformité-là. Le fait de reléguer à des simples exécutants ferait en sorte de diluer, au fil des ans, la compétence de nos membres et serait en quelque sorte contraire au souhait exprimé par l'Assemblée de nous remettre la qualification exclusive de nos membres.

M. Bergman: O.K.

M. Brown (Robert): Si vous me permettez, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): En complément, allez-y.

M. Brown (Robert): Oui. Une autre surprise qu'on a eue quand on a vu l'avant-projet de loi, toujours par rapport aux coûts, c'est que, contrairement aux avis que nous avons reçus d'autres ministres avec lesquels on fait des affaires pour des raisons professionnelles – vous savez qu'on a un champ d'application, nous autres aussi, et on a un champ d'application qui a été amputé par ce que j'appellerais des mauvaises décisions de juges; il n'y a pas que de bonnes décisions, il y a des mauvaises décisions – on a tenté de faire valoir des arguments pour convaincre le législateur de ramener le champ d'application du maître mécanicien au niveau où il était. Et ce qu'on nous a dit très clairement, et sans la moindre nuance: Nous sommes en phase de déréglementation, il ne faut pas rajouter par réglementation des coûts qui, pour vous autres, sont importants, pour les entrepreneurs, des coûts de construction.

Et la question est pertinente, M. le député, parce que le ministre des Finances avait déterminé que l'industrie de la construction, en plus de deux, trois autres, était prioritaire, en termes d'industrie, à essayer de contrôler, en raison de l'importance du travail au noir. Alors, sans pouvoir déterminer le coût du projet de loi... Et je m'aventurerais en vous disant: Je ne pense pas que ce soit majeur. D'ailleurs, ce n'est pas un argument percutant qu'on veut utiliser. Sauf qu'on le met en relief avec une volonté de déréglementer, surtout dans l'industrie de la construction qui est surréglementée. Et d'ailleurs, la bataille qu'on a avec l'Ontario est la confirmation, effectivement, de cette prétention-là.

Je m'étais pris une note, Mme la ministre. Je ne sais pas si c'est pertinent que je le soulève. Je ne l'affirme pas, mais je me demande si l'avant-projet de loi, avec ses effets sur les entreprises de construction, ne causera pas un problème par rapport à l'entente avec l'Ontario sur la libre circulation des biens et services. Je le soulève comme ça, parce que j'y pense.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Brièvement, une petite question. Les membres de votre Corporation, ça peut être des membres individuels, bien sûr, mais c'est aussi des entreprises ou...

M. Brown (Robert): Oui.

M. Gautrin: Les entreprises peuvent être membres, si tant est qu'elles sont dirigées par un maître mécanicien. C'est bien cela?

M. Brown (Robert): Effectivement.

M. Gautrin: Et le maître mécanicien doit être aussi membre de la Corporation, à ce moment-là. C'est bien ce que je comprends?

M. Brown (Robert): Oui.

(11 h 20)

M. Gautrin: O.K. Là, moi, je comprends bien ce que vous nous dites. Vous nous dites: Écoutez, ça fonctionne à peu près correctement, ne venez pas rentrer dans le jeu qui existe actuellement. Et vous le faites implicitement parce que l'avant-projet de loi, dans la définition de ce qui est la possibilité des plans, va tellement loin que ça va nous toucher, particulièrement... Et je fais référence à l'article de votre loi constitutive. C'est l'article 22 de votre loi – vous devez la connaître bien – qui vous dit: La présente loi ne porte pas atteinte aux droits et privilèges conférés à l'Ordre des ingénieurs du Québec et à ses membres en vertu de la Loi sur les ingénieurs. Donc, ce qui permet à l'Ordre de vouloir appliquer, à ce moment-là, ce nouveau projet de loi, tandis que, dans ce projet de loi, à l'heure actuelle, on fait référence aux maîtres électriciens et non pas à la Corporation. C'est-à-dire l'article 5f ne fait référence simplement qu'aux maîtres électriciens, c'est-à-dire empêcher une personne d'exercer la profession de... Attendez, c'est l'article 5g, excusez-moi: «porter atteinte aux droits dont jouissent les membres de la Corporation». Mais il n'est pas fait référence spécifiquement à la Corporation, à moins que je ne me trompe.

M. Brown (Robert): Oui.

M. Gautrin: Je me trompe?

M. Brown (Robert): Oui. Je lis g – évidemment, vous l'avez devant vous – «porter atteinte aux droits dont jouissent les membres de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie et de la Corporation des maîtres électriciens du Québec».

M. Gautrin: Oui. Alors, c'est bien ça. Donc, faites bien attention, il y a une nuance importante. Votre loi reconnaît les droits de l'Ordre tandis que l'exclusion dans la loi actuelle, c'est une exclusion strictement pour vos membres mais ne reconnaît pas à votre Corporation la possibilité de faire appliquer sa loi. Vous voyez la différence qu'il y a entre l'article 22 de votre loi, qui dit: La présente loi ne porte pas atteinte aux droits et privilèges conférés à l'Ordre des ingénieurs du Québec et à ses membres, tandis que vous, c'est une exclusion qui ne porte uniquement que sur vos membres.

M. Brown (Robert): Oui.

M. Gautrin: Alors, dans la réflexion qu'on a actuellement sur comment modifier le projet de loi, je comprends que vous voulez exclure d'une partie l'ensemble de vos travaux, de cela. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu d'avoir une symétrie dans la rédaction entre ce que vous conférez à l'Ordre des ingénieurs, que la Loi sur les ingénieurs vous confère, par symétrie, la même responsabilité que vous avez conférée à l'Ordre?

M. Brown (Robert): Je vous remercie de le soulever parce que c'est un élément qui nous a échappé. Évidemment, même si on ne parle pas de dispositions d'une même loi, la relation entre les deux lois fait en sorte, me fait dire à moi – je ne suis pas juge et pas plus avocat – que, évidemment, si on utilise des termes différents, c'est pour donner un sens différent. Et donc, vous nous éveillez à ce fait-là, et on va revoir...

M. Gautrin: Est-ce que je peux vous suggérer d'y réfléchir...

M. Brown (Robert): Oui.

M. Gautrin: ...et peut-être de communiquer vos réflexions aux membres de la commission, éventuellement, pour voir comment il y aurait lieu de réécrire cet article 5g, le cas échéant, pour avoir la similitude entre les deux.

M. Brown (Robert): Je vous remercie de le soulever.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Pontiac.

M. Middlemiss: Merci, M. le Président. M. Brown, vous avez indiqué – et je voudrais un peu d'élaboration – que, en d'autres mots, vos membres exécutent des fois des travaux directement pour un propriétaire, et à ce moment-là eux préparent les plans. Le propriétaire dit: Moi, je veux avoir de la tuyauterie pour rejoindre ça, et ça se fait là. Il y en a d'autres aussi... Vous avez mentionné que vous avez des relations avec des ingénieurs-conseils. Donc, ça veut dire que vos membres soumissionnent sur des projets et font l'exécution des travaux sur un bâtiment, mais à partir des plans qui ont été conçus par un bureau d'ingénieurs-conseils.

Quelle est la différence entre des travaux exécutés sous la surveillance d'un ingénieur-conseil... Parce que, à ce moment-là, je pense que l'installation est vérifiée par l'ingénieur-conseil, tandis que, dans le cas d'un contrat exécuté pour un propriétaire, la vérification se fait par l'exécuteur et le propriétaire. Donc, est-ce que, dans ce contexte-là, vous trouvez que c'est plus difficile de travailler à partir de plans conçus par des ingénieurs, surveillés par des ingénieurs, que de le faire directement pour un propriétaire?

M. Brown (Robert): Je vais vous donner un élément de réponse. Si les entrepreneurs veulent intervenir, ils le feront. Je vous dirai à prime abord que le fait d'intervenir via un bureau d'ingénieurs-conseils, ça fait intervenir un intervenant de plus. Sauf que ça fait partie du quotidien de l'entreprise, elle est assujettie à appliquer ou à exécuter les travaux conformément aux plans et devis. Il a un surveillant désigné par le bureau des ingénieurs-conseils. Quand il exécute, quand il prépare les plans lui-même pour le compte d'un client, il a les mêmes responsabilités eu égard à la réalisation des travaux. Que ce soit au niveau civil, que ce soit à d'autres niveaux, il a exactement les mêmes responsabilités. Ce que l'ingénieur-conseil rajoute évidemment, c'est un intervenant supplémentaire. Mais c'est dit d'une façon positive, quand je dis un intervenant supplémentaire. Je ne sais pas s'il y a autre chose que vous voulez rajouter.

M. Charbonneau (Jean): Que les travaux soient faits directement à un propriétaire ou par l'entremise d'un plan et devis émis par un ingénieur, les lois, les permis qu'on doit lever sont les mêmes. Donc, que ça soient des plans faits par notre entreprise ou par un ingénieur, les lois qui nous régissent sont les mêmes. Donc, c'est juste un intervenant de plus, à ce moment-là.

M. Middlemiss: Il y a un intervenant de plus dans le sens que l'ingénieur a conçu les travaux, vous, vous les exécutez. Mais, une fois qu'ils sont exécutés, est-ce que l'ingénieur, lui, joue un rôle de s'assurer que vous les avez exécutés selon les plans et devis?

M. Charbonneau (Jean): Je crois que l'obligation de résultat qu'on a versus un propriétaire fait en sorte que les travaux sont exécutés de la même façon, qu'il y ait un ingénieur qui vérifie ou non.

M. Middlemiss: En d'autres mots, que ça soient des travaux exécutés sur des plans préparés par un ingénieur ou que ça soient des travaux exécutés selon vos plans préparés par vous-même, il n'y a aucun différence dans la surveillance des travaux. Les travaux, vous les faites, vous êtes responsables. Il n'y a personne d'autre qui regarde dans un cas comme dans l'autre.

M. Charbonneau (Jean): Il faut bien comprendre aussi que, quand on parle de surveillance des ingénieurs sur les travaux, c'est des surveillances partielles souvent, ce n'est pas de la surveillance à temps plein. Donc, comme tel – je reviens – l'obligation du résultat à la fin fait en sorte que les travaux sont exécutés de la même façon, qu'il y ait une surveillance d'un ingénieur ou que la surveillance soit faite par chez nous.

M. Middlemiss: O.K. Vous indiquez, M. Brown, qu'il y a un intervenant de plus, mais vous avez dit ça dans le sens positif. En d'autres mots, ça ne crée pas de problème. C'est que la présence d'un ingénieur là, ça ne crée pas un problème dans l'exécution des travaux. Vous êtes responsable de l'exécution de vos travaux. Qu'il y ait un ingénieur ou non, ça ne change pas la situation.

M. Brown (Robert): D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle on a dit dans notre mémoire qu'on ne plaidait pas à la faveur de l'exclusivité de la préparation des plans et devis par nos membres pour l'exécution des travaux par eux-mêmes. Donc, ça fait partie du processus de construction. La présence d'un ingénieur-conseil n'est pas du tout un handicap, c'est une autre formule qui est, je vous dirais, pour des travaux d'une certaine envergure, beaucoup plus usuelle que celle où c'est l'employeur qui va préparer ses plans et devis.

M. Middlemiss: En parlant de ça, l'envergure de travaux qu'exécuterait un membre de votre Corporation, c'est quoi le montant maximum ou le nombre de pieds maximums? Est-ce que vous avez établi ça ou vous avez...

M. Brown (Robert): Dépendamment s'il prépare lui-même ses plans?

M. Middlemiss: Oui, oui, oui.

M. Brown (Robert): Écoutez, les travaux les plus importants sur un chantier – on peut me le confirmer – c'est toujours les travaux mécaniques. Évidemment, dans le langage courant, «mécaniques», c'est électricité... Plomberie, chauffage, si on parle du commercial. Si on pouvait faire une distinction entre industriel et commercial, il pourrait vous confirmer en pourcentage ce que ça peut représenter.

M. Neveu (Claude): Règle générale, les travaux mécaniques électriques peuvent représenter jusqu'à 40 % de la valeur d'un projet.

M. Middlemiss: Maintenant, en d'autres mots...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, en terminant, une dernière question.

M. Middlemiss: En d'autres mots, lorsque vous préparez vos propres plans, c'est parce que c'est des travaux qui ne sont pas de grande envergure. Disons un édifice. La plupart du temps, c'est un édifice... Que ça soient quatre, cinq, six étages, vous soumissionnez sur des plans préparés par un ingénieur-conseil. Mais les travaux que vous faites à partir de vos propres plans, ça peut être une usine de pâtes et papiers ou quelque chose comme ça, ils ont besoin d'une nouvelle installation. C'est un peu dans ce sens-là?

M. Neveu (Claude): M. le député, tout ça va dépendre du client. Je peux vous dire que j'ai encore exécuté l'automne dernier un projet pour le compte d'Hydro-Québec. C'était un projet dans une formule clé en main et nous avons exécuté les plans, à l'exception que dans les documents préparés par Hydro-Québec pour l'appel d'offres, il était mentionné que le plan devait être scellé par un ingénieur. Mais il ne change rien, la conception elle-même a été faite par un technicien chez nous et a été scellée par un ingénieur. Mais il n'y a pas eu de modification comme telle apportée au document.

M. Middlemiss: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, nous allons terminer par une question de Mme la ministre.

Mme Goupil: En fait, c'est davantage un commentaire suite aux échanges fort intéressants que nous venons d'entendre. D'abord, dans un premier temps, j'aimerais, M. Brown, faire deux précisions avec vous pour s'assurer là que lorsqu'on se quittera finalement on aura bien cerné la raison pour laquelle vous êtes venu ici nous faire part de votre présentation.

(11 h 30)

Dans un premier temps, soyez assuré qu'il est de notre préoccupation constante d'abord de rechercher par tous les moyens la mobilité et la souplesse auxquelles vous avez fait référence. Et il est évident que, bien que ça ne soit pas de la responsabilité de mon ministère, nous sommes dans le même gouvernement, et que les gestes qui sont posés ou les réflexions auxquelles nous sommes interpellés se font en concertation avec les différents ministères et avec les partenaires de toute la société québécoise. Donc, je voudrais que vous soyez rassurés à cet égard.

Dans un deuxième temps, considérant le fait que vous nous avez présenté votre mémoire, ça explique également, lorsqu'on présente des mémoires, que les gens qui en ont présenté soient invités à faire partie de la commission. Et c'est un procédé normal et c'est dans ce contexte que cela a été fait.

Ceci étant dit, ma compréhension fait en sorte que vous n'êtes pas les personnes qui sont visées par l'avant-projet de loi, tel qu'il est rédigé. Parce que vous nous avez expliqué en quoi consistait votre travail, et, la compréhension qu'à l'Office ils en avaient également, on ne mettait nullement en péril tout le travail qui est réalisé, considérant l'intervention de votre entreprise dans un processus de construction.

Cependant, les propos que vous avez tenus sont cohérents aussi avec ceux des gens qui sont venus devant nous hier pour nous dire que finalement chaque ordre ou chaque corporation veut s'assurer d'une protection à l'égard du public, que vous prenez les mesures nécessaires pour vous assurer que vos membres sont compétents. Et là vous disiez même qu'avec les nouveaux outils qu'on va vous donner dans le cadre d'une modification de la loi ça vous permettra d'avoir un incitatif pour que vos membres soient en formation continue pour toujours être à la fine pointe. C'est ce que j'ai entendu, puis je trouve que c'est tout à fait légitime. Et, lorsque l'on s'assure que les membres d'une corporation sont compétents, par le fait même, la protection du public en est rassurée. Alors, ne serait-ce que pour cela, messieurs, nous vous remercions de nous avoir fait part de la façon dont vous fonctionnez au niveau de votre Corporation. Et les propos que vous avez tenus sont cohérents aussi avec d'autres entreprises qui nous ont exprimé leur perception à l'égard de cet avant-projet de loi.

Et c'est important de statuer aussi que nous sommes à l'étape d'un avant-projet de loi et que l'exercice que nous faisons nous permet de continuer le travail qui a été amorcé pour trouver des solutions à la fois pour déréglementer, mais à la fois aussi pour s'assurer que le public est protégé, chacun avec les éléments que nous avons. Et notre but est justement de trouver une façon de faire qui permettra de connaître, entre autres dans le champ de l'ingénierie, qu'est-ce qui peut être fait pour que l'on puisse rassurer le public puis en même temps donner la modernisation à laquelle on est en droit de s'attendre. Alors, c'est dans cette optique-là que nous vous avons entendus avec beaucoup d'intérêt. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il me reste donc à remercier, au nom des membres de la commission, les représentants de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec pour leur présentation et leur disponibilité et à inviter bien sûr les représentants, maintenant, de la Chambre du commerce du Québec à prendre place, tout en soulignant aux membres de la commission que le temps nous est un peu compté actuellement. Je vous inviterais à ne pas quitter trop longtemps vos sièges. Merci.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, chers collègues, si vous voulez bien reprendre vos places, nous allons poursuivre nos travaux. Je rappelle que nous avons devant nous les représentants de la Chambre de commerce du Québec.

Je vous souhaite la bienvenue. M. le président Audet, si vous voulez bien nous présenter les personnes qui vous accompagnent, en se rappelant qu'on a une vingtaine de minutes pour la présentation.


Chambre de commerce du Québec (CCQ)

M. Audet (Michel): Merci, M. le Président. Alors, ça me fait plaisir d'être parmi vous aujourd'hui. Et je remercie d'ailleurs Mme la ministre et les représentants également de l'opposition d'avoir accepté de nous incorporer dans une cédule où, au départ, on ne figurait pas, pour des raisons de logistique, nous a-t-on expliqué.

Alors, je voudrais présenter monsieur qui est à ma droite, M. Guy Laberge. M. Guy Laberge est vice-président exécutif et directeur général de CGI Québec, mais il a une autre fonction très importante, il est vice-président de la Chambre de commerce du Québec, donc c'est un de nos bons bénévoles. M. Patrick O'Hara, qui est du Regroupement des partenaires du gouvernement en technologie de l'information, et M. André Dicaire, bien connu, par ailleurs, certainement des deux côtés de la table, alors, André, qui est actuellement chez CGI et qui pourra intervenir également pour faire part de certaines préoccupations.

Alors, la Chambre de commerce du Québec souhaite donc transmettre aux membres de la commission des institutions de l'Assemblée nationale sa position quant à l'avant-projet de loi modifiant la Loi des ingénieurs. Un tel amendement serait susceptible, selon nous, d'avoir des impacts importants pour un grand nombre d'entreprises du Québec, puisque les ingénieurs oeuvrent dans presque tous les secteurs industriels névralgiques de l'économie québécoise.

Alors, la Chambre comporte d'abord 4 000 membres corporatifs, en gros, qui oeuvrent, pour le quart, dans le secteur de la transformation manufacturière et, pour les trois quarts, dans les secteurs des services également de la nouvelle économie, bien sûr, des technologies de l'information. Donc, en gros, c'est une structure de membres qui reflète assez bien la composition de l'économie du Québec. Mais, en plus de ça, nous sommes une fédération de 205 chambres de commerce locales qui elles-mêmes regroupent plus de 50 000 membres qui oeuvrent également dans beaucoup de domaines et dans toutes les régions du Québec et dans tous les secteurs d'activité.

Et, si, justement, nous avons décidé d'intervenir, c'est que nous avons eu des demandes répétées, de très nombreuses demandes pour transmettre aux députés les préoccupations, les vives préoccupations de nos membres quant à cet avant-projet de loi. Parmi ceux-ci, bien sûr, il y a les entreprises membres du Regroupement des partenaires du gouvernement en technologie de l'information dont il y a des représentants ici, avec nous.

La vaste majorité des membres de la Chambre et du Regroupement constate que cet avant-projet de loi comporte de nouvelles dispositions législatives ayant pour effet d'élargir de façon très importante la portée des actes exclusifs réservés aux ingénieurs. Entendons-nous bien, on ne conteste pas le bien-fondé des objectifs de la loi, qui est de mieux protéger le public; ce n'est pas ça qui est en cause. C'est le moyen qui est pris et l'élargissement des actes exclusifs qui en découle qui nous préoccupent. Ils estiment en effet que le projet de loi est pour le moins prématuré et qu'il pourrait même nuire à la compétitivité de l'économie québécoise et à la création d'emplois.

Voilà pourquoi nous demandons au gouvernement du Québec de faire preuve de la plus grande prudence avant d'aller de l'avant avec cette proposition de législation. Il devrait procéder à une analyse d'impact beaucoup plus exhaustive de cet avant-projet de loi, selon la grille d'évaluation des projets de loi et règlements contenue dans le décret 1362-96 du 6 novembre 1996 et modifiée le 14 avril 1999, concernant justement les règles relatives à l'allégement des normes de nature législative et réglementaire, tout en n'oubliant pas d'identifier les articles nécessaires à la protection du public.

La Chambre estime aussi que le gouvernement du Québec devrait faire sienne la recommandation du rapport du Groupe conseil sur l'allégement réglementaire, le rapport Lemaire, remis au premier ministre en mai 1998 et qui souhaitait que le gouvernement envisage le décloisonnement maximal des domaines d'exercice exclusif de tous les champs professionnels.

(11 h 40)

Alors, première disposition, c'est que, selon nous, justement, c'est une préoccupation concernant l'élargissement des actes exclusifs. La Chambre de commerce du Québec a procédé à une analyse rigoureuse de l'avant-projet de loi qui nous est proposé. Elle a comparé ce dernier à l'actuelle Loi des ingénieurs. Et force nous est de constater que nous retrouvons dans cet avant-projet de loi de très nombreuses dispositions additionnelles ayant pour effet d'élargir considérablement la portée des actes exclusifs réservés aux ingénieurs.

Évidemment, la définition d'«ouvrage» à l'article 1 et des articles 2 et 3 en sont des exemples. Et je décris en quelques pages les principales dispositions. Je vous en fais grâce, puisque vous connaissez le projet de loi. Mais rappelons qu'évidemment on change la nature même, l'économie même de la loi est changée en passant de la notion de travaux à la notion d'ouvrage, comme on l'a proposé. Donc, ça, c'est fondamental pour nous, et c'est ce qui amène évidemment toutes ces dispositions, cet élargissement.

Comme on peut le constater, l'article 2 – justement, que vous avez devant vous et que je ne lirai pas, puisqu'il est trop long – déclare donc exclusives la conception, la réalisation d'études, la surveillance des travaux afférents à un ouvrage. Ces éléments sont par conséquent du ressort exclusif de l'ingénieur.

Ensuite, la définition d'«ouvrage» stipule qu'un ouvrage est un procédé industriel ou un système à l'égard duquel un ingénieur exerce sa profession en vertu de l'article 3. La définition d'«ouvrage» faisant expressément référence à l'article 3, il s'ensuit que cette dernière a pour effet d'ajouter au ressort exclusif de l'ingénieur la conception, la réalisation d'études et la surveillance des travaux afférents à une oeuvre industrielle, un procédé industriel ou un système à l'égard duquel un ingénieur exerce sa profession en vertu de l'article 3.

Par exemple, l'article 3, paragraphe d, alinéa 3°, décrit assez bien l'essentiel du travail accompli dans le domaine des technologies de l'information. Or, en vertu d'une telle clause, toute la conception, la réalisation d'études et la surveillance des travaux afférents à un ouvrage visant le traitement, la conservation, l'utilisation, la transmission, l'émission et la réception d'informations par des moyens électroniques, électromagnétiques, optiques ou autres moyens de même nature devraient être effectuées en exclusivité par des ingénieurs, selon la lecture qu'on en fait. Est-il besoin de rappeler que le secteur des technologies de l'information évolue à l'échelle mondiale, régionale et locale sans même que des ingénieurs y aient apporté une contribution majeure, dans beaucoup de cas?

En vertu d'une telle disposition, les entreprises de ce secteur évaluent que, dans certains cas, les trois quarts de leurs ressources humaines et des expertises actuellement utilisées deviendraient soit disqualifiées ou devraient être reclassées dans d'autres fonctions en vertu de l'application de cette clause. Et tout à l'heure mes collègues pourront vous en donner des illustrations.

Nous affirmons qu'une telle conjonction de la définition d'«ouvrage» avec les articles 2 et 3 n'est pas adéquate et est beaucoup trop inclusive, tout en étant contraire à la réalité nord-américaine dans laquelle évolue l'industrie des technologies de l'information. Elle laisse à l'ingénieur l'exercice exclusif d'actes qui, dans plusieurs entreprises, sont depuis plusieurs années réalisés correctement et avec compétence par des professionnels autres que des ingénieurs.

C'est le cas, par exemple, d'un très grand nombre d'entreprises du secteur des technologies de l'information dont une part importante de leurs activités ne pourrait plus, sans raison objective, être assumée par les professionnels actuels. Une telle obligation ne correspond aucunement aux besoins et aux façons de faire des entreprises et de leurs clients, dont aucun, à notre connaissance, n'a émis de récrimination sur la qualité des travaux réalisés par les professionnels de nos entreprises. Elle aurait pour effet de modifier de façon importante, selon le secteur d'activité et les ressources humaines disponibles, l'organisation du travail en entreprise et, donc, d'affecter les coûts.

Actuellement, pour concevoir un ouvrage, les entreprises font appel à l'expertise du personnel hautement spécialisé à leur emploi, qui n'est pas nécessairement des ingénieurs membres de l'Ordre des ingénieurs du Québec. Pensons aux technologues, aux scientifiques, aux chimistes, aux informaticiens. Il en est de même au niveau de la surveillance de l'exécution des travaux afférents à un ouvrage.

En ce qui concerne la réalisation d'études, la vérification de la qualité, la fourniture d'avis techniques ou l'attestation de conformité, soulignons que ces éléments peuvent être vérifiés par un superviseur ou par un professionnel d'une autre discipline que le génie, tout en respectant les règles communément acceptées par les gouvernements sur les marchés internationaux ou au niveau de la responsabilité civile du fabricant.

Un autre ajout important de cet avant-projet de loi, comparativement à l'actuelle Loi sur les ingénieurs, concerne les pouvoirs réglementaires du Bureau de l'Ordre. En effet, l'article 11 de l'avant-projet de loi stipule que le Bureau peut, par règlement, déterminer les exigences auxquelles une personne morale doit satisfaire pour être autorisée à exercer la profession d'ingénieur, notamment pour ce qui est de sa dénomination, ses objets et la qualité de membre avec plein droit d'exercice de l'Ordre qui peut être requise pour agir comme dirigeant ou administrateur, cette exigence devant s'appliquer au moins au chef de la direction ou dirigeant principal des opérations de l'entreprise ou, à tout le moins, deux des membres du conseil d'administration.

En proposant de tels amendements législatifs, le législateur donne à l'Ordre le droit de décider qui dirigera ou siégera sur les conseils d'administration des sociétés d'ingénierie. Selon la Chambre, un tel pouvoir est nettement exagéré, puisque la protection du public ne peut justifier une telle ingérence dans la gestion des entreprises.

Second point. Pour nous, ce projet de loi là, encore une fois, s'il était justifié pour des raisons de sécurité publique, nous apparaît donc prématuré. La Chambre estime en effet que le projet de loi est, dans l'état actuel, pour le moins prématuré.

La grille d'évaluation des projets de loi et règlements contenue, donc, dans le décret de 1996 spécifie que l'analyse d'impact doit comporter les éléments suivants: identifier et caractériser le problème à résoudre, définir les objectifs, établir d'autres solutions possibles, préciser les impacts sur les entreprises, présenter les résultats des consultations auprès des clientèles et fournir des avis, suggestions et recommandations.

Or, après avoir pris connaissance des informations disponibles, nous devons constater que plusieurs de ces éléments sont manquants. Ainsi, la nécessité de procéder aux changements proposés n'a pas été démontrée, jusqu'à présent. Nous n'avons pu trouver d'exemples concrets pour appuyer l'information selon laquelle les omissions légales au sein de la présente loi se sont avérées très préjudiciables à la protection et à l'intérêt du public. De plus, il n'est actuellement pas possible d'apprécier de façon précise et exhaustive les effets des changements proposés sur la charge financière des entreprises et sur les perspectives d'emploi de la main-d'oeuvre technique.

D'ailleurs, le consultant engagé par l'Office des professions pour réaliser l'analyse économique du projet d'amendement à la Loi sur les ingénieurs affirme, dans son rapport de février 1998, et je cite, que «les incidents et pertes matérielles dûs aux imprécisions de la loi ne peuvent être établis dans le cadre de la présente étude et une analyse plus approfondie serait nécessaire – ce qu'on n'a pas obtenu. Les avantages économiques n'ont pu être mesurés, les coûts pour les entreprises n'ont pu être mesurés, les avantages et les coûts des modifications proposées ne peuvent être quantifiés sans effectuer des analyses auprès de tous les secteurs d'activité du Québec.» Fin de la citation.

En conséquence, la Chambre de commerce du Québec recommande au gouvernement de faire preuve de la plus grande prudence avant d'aller de l'avant avec un projet de loi semblable. Il devrait procéder, donc, à une analyse complète et exhaustive de l'avant-projet de loi sur les ingénieurs en se basant sur la grille qu'il a lui-même adoptée en novembre 1996. Cette analyse devrait identifier, donc, les articles de la loi nécessaires à la protection du public. De plus, les analyses de coûts devraient tenir compte de tous les coûts humains, sociaux et économiques reliés au fait que les professionnels qui exercent avec compétence les fonctions visées par cet avant-projet de loi devront être écartés et mis au rancart artificiellement en raison d'une exigence légale qui ne colle pas à la réalité des entreprises, notamment celle de l'industrie des technologies de l'information telle qu'elle existe aujourd'hui.

Point suivant. Donc, c'est un avant-projet de loi qui, selon nous, pourrait affecter même la compétitivité des entreprises. Pour la Chambre de commerce du Québec, en effet, ce projet de loi est non seulement prématuré, mais également risque de nuire à la compétitivité de l'économie du Québec et de mettre en péril des milliers d'emplois, notamment dans le secteur des technologies de l'information.

L'exclusivité professionnelle accordée aux ingénieurs par cet avant-projet de loi imposerait à plusieurs secteurs industriels des contraintes inacceptables qui compromettraient leur croissance, leur développement et leur compétitivité. Des milliers de travailleurs évoluant dans ce domaine ne seraient plus autorisés, du jour au lendemain, à exécuter leur travail, alors que leurs qualifications, leur compétence et leur expertise actuelles sont reconnues et appréciées par tous et partout en Amérique du Nord. C'est particulièrement le cas, encore une fois, pour l'industrie des technologies de l'information, où une bonne partie de ses activités ne pourraient être assumées que par des ingénieurs, alors que la pertinence d'un tel bouleversement n'est aucunement supportée dans les faits.

Prenons l'exemple des technologues professionnels. Je crois qu'hier il y a eu une présentation d'ailleurs de la Fédération des cégeps, qui a évoqué cette question des technologues. Quel que soit le secteur économique, les technologues professionnels travaillent comme salariés ou à leur propre compte au sein d'équipes multicompétentes dans les grandes entreprises comme dans les PME, ainsi que dans les sociétés de génie-conseil, agissant elles-mêmes principalement en sous-traitance pour l'industrie. La formation technique des technologues donnée dans les cégeps est basée sur une approche systémique adaptée à la réalité technologique.

Les technologues sont des professionnels compétents capables de comprendre les ouvrages, les procédés et les systèmes et de les adapter aux besoins de leurs employeurs et de leurs clientèles en appliquant les plus récentes technologies. Dans le respect des normes établies, les technologues posent des actes techniques visant à assurer la fiabilité et l'intégrité des systèmes, des procédés ou des ouvrages, ainsi qu'à en améliorer la qualité et l'efficacité dans des objectifs de sécurité et de productivité.

De plus, plusieurs de nos membres comptant parmi les fleurons québécois des technologies de l'information nous ont affirmé avec une vive inquiétude qu'une telle législation handicaperait grandement le développement de la nouvelle économie au Québec, laquelle constitue un créneau important et stratégique qui a été privilégié par le gouvernement du Québec, et avec raison, au cours des dernières années. En constante évolution... Oui, M. le Président, je vais essayer de conclure rapidement.

(11 h 50)

Donc, le développement des secteurs – je vais devoir accélérer puisqu'on me dit qu'il reste cinq minutes – dépend de plusieurs facteurs clés comme les équipes professionnelles multidisciplinaires expérimentées, d'une qualité indéniable des produits proposés, des services exceptionnels ainsi que d'une perspective d'envergure mondiale. La meilleure façon de permettre aux entreprises de ces secteurs d'accroître davantage leur part du marché et de prospérer sur les marchés mondiaux et de créer des emplois hautement rémunérés consiste à sauvegarder la liberté de travail et à maintenir ou sinon accroître la compétitivité de leur entreprise. L'avant-projet de loi s'inscrit à contre-courant de ces facteurs-clés et suscitera des coûts importants non seulement pour des entreprises manufacturières, mais pour l'ensemble des entreprises oeuvrant dans ce secteur de la nouvelle économie.

Plusieurs de nos membres oeuvrant dans ce domaine parlent d'augmentation de coûts pouvant, dans certains cas, atteindre des millions de dollars. Il est évident que, si le Québec est le seul à imposer par une loi des conditions semblables, des entreprises multinationales ou pancanadiennes seront tentées de faire réaliser certains de leurs travaux à l'extérieur du Québec. Pourquoi ces sociétés voudraient-elles que leur bilan technologique soit établi par un ingénieur québécois, quand un grand nombre de professionnels tout aussi qualifiés peuvent le faire à meilleur coût?

Cet avant-projet de loi aurait donc des effets pervers à la fois pour l'ensemble non seulement des entreprises, mais même des professionnels oeuvrant dans ce domaine. Qui plus est, plusieurs d'entre eux seraient obligés de licencier sans raison objective des diplômés universitaires ou des collègues émanant de différentes disciplines académiques pour privilégier à leur place des ingénieurs qui, de toute manière, ont accès à ces fonctions depuis toujours.

Encore une fois, d'aucune façon on ne veut exclure les ingénieurs. Ce qui est en cause, c'est l'élargissement du champ d'exclusivité. Il est important de dire que nous ne voulons pas que ces derniers soient exclus du marché des technologies, ils y sont présents, et, encore une fois, on veut qu'ils le soient puis qu'ils continuent, mais on veut qu'ils le fassent en fonction des règles du marché qui existe.

C'est pourquoi, en conclusion, M. le Président, la Chambre estime que le gouvernement du Québec devrait procéder à un examen plus rigoureux de la loi actuelle. Et, deuxièmement, on devrait également procéder à un examen plus rigoureux du système professionnel québécois. On devrait en profiter pour examiner également d'autres lois qui, peut-être... Comme l'indique d'ailleurs l'Ordre des ingénieurs, la loi actuelle est un peu désuète, c'est vrai. Mais ce n'est pas seulement dans ce domaine-là. Il y a peut-être un examen plus large à faire dans beaucoup d'autres domaines et, plutôt que de procéder par morceaux, examiner l'ensemble des dispositions, actuellement, qui couvrent les ordres professionnels et la façon dont elles protègent le public. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. le président de la Chambre de commerce du Québec. Mme la ministre.

Mme Goupil: M. Audet, je vous remercie du mémoire, du résumé que vous nous avez fait en quelques minutes. Vous savez, il y aurait beaucoup, beaucoup de questions qui pourraient être posées. Considérant que vous représentez quand même 4 000 membres qui, à eux, regroupent plus de 50 000 personnes, il y a beaucoup de gens qui sont touchés par cela. Le grand défi que nous avons, c'est: Comment pouvons-nous assurer la protection du public tout en permettant aux entreprises et à toute l'économie du Québec de continuer à prendre de l'élan et de continuer à bien fonctionner?

Je vous poserai juste une question qui, je pense, est la question que M. et Mme Tout-le-Monde se pose à chaque jour. Comment fait-on pour s'assurer d'une protection? Puis je vous donne l'exemple suivant. Nous savons que, lorsqu'un ingénieur scelle un plan, il engage sa responsabilité personnelle. On sait aujourd'hui que de plus en plus d'entreprises fonctionnent sous une raison sociale, sous une dénomination, et, lorsqu'il y a un pépin, justement, c'est la faillite, on repart sous un autre numéro. Alors, nous avons beau nous donner toutes les mesures, les ordres professionnels, les corporations ont des outils, actuellement, qui ne sont pas toujours efficaces. Il y aurait des correctifs à apporter à plusieurs niveaux, vous l'avez mentionné. Mais, en même temps, vous le savez, lorsqu'on en embrasse beaucoup en même temps, il reste que c'est parfois plus difficile.

Et on sent, tout le monde sent, dans l'économie, dans les entreprises, la population en général, les députés de chaque côté, ici, nous en sommes conscients parce que, de plus en plus, les gens l'ont exprimé haut et fort, leur objectif est d'assurer... Et c'est notre rôle, à nous, c'est le rôle de l'Office. Comment pouvons-nous, justement, trouver une façon où tout le monde, tous les partenaires qui se sentent interpellés seraient capables de répondre de façon certaine à la protection du public?

Puis je pense que, aussi, les ingénieurs, de la façon dont ils le présentent, et ils vont venir nous le dire, eux, lorsqu'ils scellent, pour eux: On engage notre responsabilité individuelle. Et j'aimerais vous entendre. Est-ce que vous avez une solution ou vous avez une réflexion... Je sais que c'est plus large puis qu'on pourrait en discuter longtemps. Mais comment pouvons-nous nous assurer de tirer une ligne qui fasse en sorte qu'on assure la protection, mais, en même temps, qu'on ne mette pas de structures qui sont encore plus grandes pour nuire aux entreprises et nuire aussi aux gens?

M. Audet (Michel): Évidemment, la question que vous soulevez est très large et déborde même la loi comme telle des ingénieurs, bien sûr.

Mme Goupil: De beaucoup, oui.

M. Audet (Michel): Ce que l'on peut dire, c'est que, d'abord, évidemment je retiens ce qui a été dit, là, que la loi actuelle, au fond... Et c'est dit dans l'étude économique de l'ADEQ, que je lis...

Mme Goupil: Tout à fait.

M. Audet (Michel): Puisqu'on veut protéger, soi-disant, la santé et la sécurité, on dit que, «dans la loi actuelle, l'Ordre traite 150 dossiers par année, dont à peine 10 à 12 constituent des dossiers où la sécurité du public pourrait être en cause». Donc, on dit que «l'Ordre des ingénieurs du Québec exerce déjà un rôle préventif, et on peut se demander si, à la marge – et c'est eux qui l'écrivent – une loi plus précise, plus étendue, couvrant une plus large part des actes posés par les ingénieurs permettrait de réduire davantage les accidents ou les incidents».

Donc, au fond, la question est bien posée, ici, par l'évaluation qui a été faite d'ailleurs pour l'Office. Ce n'est pas évident qu'on voudrait préciser dans des actes, justement, comme on veut le faire dans les ouvrages, qu'on va se rendre à la limite. Comme vous dites, à la limite, quelqu'un peut toujours décréter qu'il n'a plus le moyen de payer, puis, je veux dire, la personne... Il y a toujours ce problème-là. Et là il y a peut-être d'autres moyens à regarder, comme ça se fait dans l'assurance, comme ça se fait dans d'autres domaines. Ça, c'est un autre aspect qu'il faudrait traiter. Ce qui est en cause... Et, nous, on ne prétend pas qu'il n'y a pas un problème pour le gouvernement, dans la protection, à regarder. Ça, cet aspect-là, c'est une chose.

Ce qui nous agace beaucoup, je dois dire, c'est qu'en profitant de cette disposition-là on modifie l'économie de la loi pour élargir, n'est-ce pas, l'éventail des actes qui vont être posés de façon obligatoire par les ingénieurs, en disant: C'est pour protéger le public. C'est là que, à notre avis, il y a non sequitur, ce n'est pas évident que la conséquence, ça va découler de ça.

Mais votre réponse... Je ne voudrais pas, surtout pas, me substituer au législateur pour savoir si c'est par des réglementations additionnelles – même si on ne les aime pas, parfois, pour protéger le public, on sait que ça en prend – ou si c'est par de l'inspection plus grande, par d'autres dispositions que celles d'une loi qui, encore une fois, à mon avis, n'est pas... Il n'y a pas de lien, à mon avis, carrément, entre ce qui est l'objectif qu'on dit qu'on mentionne et la nature des gestes qui sont posés.

Mais je demanderais à quelqu'un, à Guy Laberge, ici, qui vit cette situation-là dans son entreprise... Et vous savez que les entreprises, en passant, et les conseils d'administration, sont responsabilisés, même les organismes sans but lucratif, à l'égard de ce que vous mentionnez. Tout le monde a des responsabilités, en vertu du Code. Donc, ce n'est pas seulement l'Ordre des ingénieurs qui en a. Alors, je demanderais peut-être à Guy de préciser un peu comment est-ce que, lui, il voit cette question.

M. Laberge (Guy): Oui. Pour les technologies de l'information, c'est évident que ça ne serait pas le cas, la protection du public. Actuellement, au Québec, il y a 80 000 personnes qui travaillent dans le domaine des technologies de l'information. Si je prends l'exemple de CGI, on a 3 500 personnes au Québec et on a moins de 100 ingénieurs. Appliqué à la lettre, tel que le projet de loi le dit, si on met ensemble la définition d'«ouvrage», qui dit comprendre les systèmes, et l'article 3 d, 3°, qui décrit essentiellement 95 % des activités de notre industrie, ça voudrait dire – je répète, appliqué à la lettre, je ne suis pas sûr que c'est l'intention, mais appliqué à la lettre – qu'on devrait faire exécuter l'ensemble de nos travaux, à l'avenir, par des ingénieurs.

Donc, chez nous, à CGI, il y a 2 450 personnes à qui on pourrait dire: Vous ne pouvez plus exercer votre profession. Et ces gens-là ont la compétence que des ingénieurs n'ont pas. Les ingénieurs n'ont aucune compétence, dans notre industrie, ils ne seraient même pas capables de faire le travail. Ce n'est pas pour rien qu'ils sont en minorité. Ils travaillent lorsqu'on parle de bâtiments, lorsqu'on parle d'oeuvres physiques, d'ouvrages physiques. Mais, lorsqu'on étend la définition d'«ouvrage» à tout système, à ce moment-là, on étend la responsabilité d'une façon beaucoup trop grande.

(12 heures)

Et une caractéristique de notre industrie, c'est la multidisciplinarité. Nous, on emploie des gens de toutes formations. Si je reprends notre exemple à nous, on a en majorité des gens de maîtrise, mais des maîtrises en administration des affaires, en système d'information de gestion, en gestion de projets, en informatique, en administration publique, des médecins, technologie éducative. C'est sûr qu'on a quelques ingénieurs électriques, on a quelques ingénieurs en informatique. La même chose au niveau du baccalauréat, on emploie à peu près toutes les disciplines de baccalauréat, et au niveau des diplômés d'études collégiales, au niveau de l'informatique.

Donc, les ingénieurs, dans notre industrie, ont un rôle qui est limité compte tenu de leur expertise, et ceux qui travaillent chez nous, qui travaillent dans notre industrie, soit qu'ils travaillent sur des ouvrages vraiment type bâtiment ou soit qu'ils ont acquis une expertise additionnelle dans le domaine des technologies d'information. Et c'est sûr que si on faisait ça, il y aurait un impact énorme sur l'industrie et aussi un impact énorme sur la compétitivité du Québec. Parce qu'une des choses qui nous avantage actuellement dans notre industrie, qui est une industrie à forte croissance, c'est que la plupart des grandes entreprises de notre industrie au Québec actuellement ont des mandats mondiaux de la part de leur entreprise pour réaliser, au Québec, des systèmes informatiques à des coûts moindres puis compte tenu de l'expertise et de l'accès aux multidisciplinarités qu'on a ici. C'est sûr que si on limitait ça aux ingénieurs, à ce moment-là...

Et je vous le répète, le texte, c'est ce qu'il dit. Peut-être que ce n'était pas l'intention, mais, si vous lisez l'article 1, définition d'ouvrage, et l'article 3d.3°, ça veut dire que 95 % de notre industrie ne seraient réservés qu'à des ingénieurs qui n'ont pas la compétence pour faire ce type de travail là.

Mme Goupil: Merci, monsieur.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond.

M. Jutras: Oui. M. Audet, je constate que la dernière conclusion de votre rapport – qui dit: procéder dans les meilleurs délais à un examen rigoureux de l'efficacité et des répercussions du système professionnel québécois actuel – c'était exactement une des conclusions du rapport Lemaire, du rapport sur l'allégement réglementaire; c'est dans les mêmes mots, c'est repris tel quel.

M. Audet (Michel): Oui.

M. Jutras: Mais vous invoquez un argument au soutien de cette conclusion-là, que vous prenez aussi dans le rapport Lemaire. Et là je vous réfère à la page 14 de votre mémoire où vous faites part de l'importance, dans le PIB, de l'accroissement des services professionnels aux entreprises au cours des dernières années. Les chiffres qu'on donne là, on dit que depuis 20 ans ça a doublé, puis on parle, dans certains pays, d'un accroissement de l'ordre de 55 %, de 1980 à 1990. Et vous invoquez cela pour en venir à la conclusion d'une déréglementation ou en tout cas de dire: Bien, peut-être que les exercices exclusifs de profession, il faudrait remettre ça en question pour permettre plus de créativité puis permettre une plus grande compétitivité.

Mais ma question, c'est de savoir: Vous utilisez cet argument-là, mais on ne sait pas – et le rapport Lemaire ne le dit pas non plus – si cette étude-là a été faite relativement à des pays où il y a eu déréglementation des actes professionnels.

M. Audet (Michel): Évidemment, on n'a pas fait l'analyse nous-mêmes, on a pris l'étude... Vous savez qu'il a repris le relevé de l'OCDE. Donc, normalement, les pays membres de l'OCDE, c'est des pays industrialisés, j'imagine ceux avec lesquels on fait du commerce et de la compétition; donc, les chiffres parlent par eux-mêmes. Mais, si on prend le cas des États-Unis, ce n'est pas cité, mais quand même, ça ne va pas si mal que ça aux États-Unis et ce n'est pas l'endroit où on réglemente le plus les organismes. Ça ne veut pas dire qu'on ne s'occupe pas du public, de la santé, de la sécurité, mais souvent, on juge les résultats. On va dire: Telle pièce, tel avion, tel équipement doit répondre à des spécifications x, y, z, et c'est à vous – vous avez l'obligation des résultats – de le livrer, choisissez les moyens pour le faire. C'est la façon habituelle de fonctionner dans les entreprises.

Et ça, ça m'apparaît la façon la plus efficace de faire les choses, parce que, au fond, quand vous entrez dans la façon des procédés... Au fond, les actes qu'on décrit actuellement, les ouvrages, moi, ma crainte, c'est que, dans cinq ans, ou dans sept ans, ou dans huit ans, ça va peut-être changer encore. C'est qu'on assiste à un chamboulement et à un changement profond dans la nature justement de ces tâches, de ces fonctions, et peut-être que ça va redevenir désuet. Parce que là, on va avoir presque une description de tâche, c'est un peu comme des descriptions de tâches dans les entreprises. Comme vous savez, dans le gouvernement, ça se refait régulièrement justement en fonction des objectifs et de la réalité changeante.

C'est un petit peu ce qui nous guette et, à mon avis, il faut voir davantage de polyvalence. Le travail se fait en équipe. Là où les gens ont du succès, c'est justement en équipe. Or, je vous signale là-dessus qu'une des choses qui est notée même dans le rapport, le mémoire des ingénieurs, c'est dire: Bien, s'il y a du travail d'équipe, il faudrait s'assurer que le chef d'équipe soit aussi un ingénieur. Sans ça, on ne pourra pas rendre imputable l'ingénieur si le chef d'équipe n'est pas aussi un ingénieur. Vous voyez jusqu'où ça nous mène finalement! Jusqu'où vous pouvez pousser cette logique-là?

Alors, je pense qu'il faut prendre acte du fait qu'il y a effectivement un déplacement énorme dans les services professionnels, dans les emplois, c'est connu. C'est là où, à mon avis, la valeur ajoutée se retrouve dans beaucoup d'endroits. Également, je serais curieux de voir, quand l'analyse de ce document-là... Et, moi-même, j'ai eu à rencontrer à quelques reprises l'Ordre des ingénieurs et, quand le sujet a été abordé en 1994-1995, il était abordé dans une perspective de crise de l'emploi du côté des ingénieurs. Je ne suis pas sûr qu'actuellement, avec l'économie actuelle, avec la situation économique actuelle, que sa situation, là aussi, n'a pas changé un peu – le fait que ça soit abordé à l'époque, c'était dans les mémoires comme: il y avait un taux de chômage de 11 % pour les ingénieurs – qu'il n'y avait pas derrière l'idée effectivement qu'il fallait trouver, n'est-ce pas, un élargissement des fonctions. C'est légitime. Mais je dis que le législateur, lui, ce n'est pas son objet. L'objet, ce n'est pas de dire: ça doit être un ingénieur, c'est un architecte ou un autre informaticien, c'est de s'assurer que le public soit protégé. Or, ce n'est pas évident, à la lecture de ça, qu'on va protéger davantage le public, encore une fois.

M. Jutras: À tout événement – je termine avec ça, M. le Président – ce que je vais vous demander, M. Audet: Si vous aviez à portée de main l'argument, dans quel pays ça a été fait puis s'il y a eu déréglementation, ce serait plus convaincant...

M. Audet (Michel): Oui, on va le faire.

M. Jutras: ... que de le citer comme ça.

M. Audet (Michel): Ça va. On a repris la citation et du rapport Lemaire et de l'OCDE, soit dit en passant, mais je vais demander l'étude de l'OCDE qui fait une étude pays par pays. Alors, ça me fera plaisir de vous la communiquer.

M. Jutras: Alors, si vous pouviez nous faire parvenir ça.

M. Audet (Michel): Avec plaisir.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Mme la ministre.

Mme Goupil: Non. Pour le moment ça va aller.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Bon. M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Merci, M. le Président. M. Audet, merci pour votre mémoire. On le trouve fort intéressant. À la page 7 de votre mémoire, vous indiquez que le législateur a donné à l'Ordre le droit de décider qui dirigera et siégera sur le conseil d'administration des sociétés d'ingénierie et vous dites que, selon la Chambre, un tel pouvoir est nettement exagéré, puisque la protection du public ne peut justifier une telle ingérence dans la gestion des entreprises.

Alors, c'est toujours la question de notre système professionnel, la question de la protection du public quand on parle de contrôle des compétences des professionnels, de la vérification de leur pratique, l'élaboration et l'application du Code des professions et les dispositifs d'enquête et de discipline. Et, comme j'ai répété quelques fois pendant cette commission, l'État a donné cette responsabilité pour la protection de notre système professionnel, en vertu du Code des professions, à l'Office des professions qui la donne aux ordres.

Est-ce que nous, comme société, sommes prêts à redonner cette responsabilité au privé? Est-ce que, par votre opinion ici, sur l'article 11... Est-ce que ça, c'est votre opinion? Nous avons maintenant ici, au Québec, un des meilleurs systèmes professionnels à travers le monde. Alors, pourquoi est-ce que dans votre vision vous retirez cette compétence à l'État de gérer la protection du public par l'entremise de notre système professionnel, le Code des professions, l'Office des professions?

M. Audet (Michel): Je ne pense pas, M. le député, sauf erreur, là, que ce soit le sens qu'on veut donner à notre intervention. Ce que l'on dit, c'est que, évidemment, à part inférence, on se trouve à fixer, par exemple, à dire à un conseil d'administration: Tu vas devoir, au fond... Remarquez que vous allez me dire que ça se fait déjà. C'est évident que pour être juge, il faut être avocat; tout le monde le sait. Mais on se trouve en quelque sorte à dire à une société: Pour nommer quelqu'un dans tel type de fonction, à tel niveau... Là, il y a un problème. On dit: Est-ce que c'est nécessaire de se rendre aussi loin que ça? C'est ça qui est en cause. Mais on ne met pas en cause le système actuel, on fait des propositions qui sont faites, là, actuellement.

(12 h 10)

Parce que, actuellement, il y a des dispositions. Et, moi, je pense qu'il n'y a personne... On ne demande pas de remettre en cause la Loi actuelle des ingénieurs, là, ce n'est pas ça qui est en cause, du tout. On dit cependant: Il ne faudrait pas aller plus loin puis là entrer dans la... Parce qu'il y a bien des facteurs qui rentrent dans la détermination des gestionnaires et de la direction, en quelque sorte, d'une entreprise, et la qualification professionnelle en est une, mais il y a beaucoup d'autres facteurs personnels et professionnels d'autre nature qui jouent aussi. Alors, là, c'est peut-être une disposition qui, à notre avis, va assez loin actuellement, qui pourrait aller assez loin. Encore une fois, comme l'a mentionné tantôt M. Laberge, quand on fait l'analyse comme ça, on n'est pas au courant de la façon dont ça va être appliqué. On ne doit juger malheureusement que les papiers, et donc en faire l'analyse, puis dire jusqu'où ça pourrait aller.

Et peut-être que je demanderais là-dessus à M. O'Hara, qui suit beaucoup et qui coordonne le travail de beaucoup d'entreprises qui oeuvrent avec le gouvernement, de faire quelques commentaires sur cet aspect-là ou sur d'autres qui ont été soulevés tout à l'heure.

M. O'Hara (Patrick): Bien, c'est sûr que, dans notre industrie, qu'est-ce qui la caractérise beaucoup, c'est qu'on avait autrefois des secteurs très segmentés, tels les télécommunications, le matériel informatique, les logiciels, les services, tout ça, c'était très segmenté. Maintenant, aujourd'hui, vous avez des travaux puis vous allez avoir quatre ou cinq entreprises qui travaillent ensemble. Et même avec le gouvernement, vous avez des dossiers aussi importants que ceux-là, très complexes, et c'est crucial d'avoir le personnel le plus compétent, ceux qui à travers les années sont chevronnés, ont démontré non seulement ici mais à l'échelle mondiale ce qu'ils peuvent accomplir dans le meilleur intérêt public, donc la meilleure sécurité, la meilleure protection, par leur compétence. Et ça, si on m'avait dit ça il y a cinq ans, décrire ce que je vous dis maintenant, ça n'existait pas. Tous ces travaux étaient faits individuellement, une entreprise... Puis là on donnait des tâches et des appel d'offres pièce par pièce. Aujourd'hui, c'est devenu impensable de faire ça.

Alors, comme M. Laberge l'a dit, 95 %, c'est CGI. Mais, vous savez, quand vous prenez Bell, vous prenez IBM, vous prenez les 20 plus importantes entreprises du Québec dans ce domaine-là, qui sont vraiment les fleurons: les DMR, les LGS. Alors, vraiment, c'est décapiter, si vous voulez, le coeur de cette industrie-là. Le travail irait se faire ailleurs, visiblement, parce que, bien souvent, les clients ne sont même pas d'ici; alors, le travail se ferait ailleurs.

Donc, c'est très sérieux puis c'est pour ça qu'à l'automne dernier, mes membres et moi-même, nous avons écrit à votre prédécesseur, M. Serge Ménard, qui était ministre, pour lui indiquer nos préoccupations qui étaient de la même nature que ce qu'on vous présente aujourd'hui. Alors, on a vu venir ce qui est pour nous vraiment une menace. Vous arrivez avec quelqu'un de 45 ans, homme ou femme, qui est peut-être géographe ou biologiste chevronné dans le contrôle de projets, etc., tout ce qui est défini dans l'article 2 et l'article 3d.3°, et on vous dit: Écoutez, là, on doit vous licencier. C'est impensable qu'on ait à faire face à de telles choses.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Vous permettez, je vais rentrer exactement là-dessus parce qu'on a deux lectures différentes. Je partage la vôtre, mais j'ai échangé aussi avec des représentants de l'Ordre des ingénieurs qui n'ont pas la même lecture. Et, eux, nous disent qu'ils ne veulent pas couvrir le domaine des logiciels dans l'avant-projet de loi. Et ils basent leur argumentation de la manière suivante – et il est important d'arriver au texte ensemble. Il est clair que l'article 2 va donner un rôle exclusif à la conception d'ouvrage à un ingénieur. Il faut revenir à la définition d'«ouvrage», donc qui est dans l'article 1. Quand on lit la définition d'«ouvrage», on parle d'une oeuvre matérielle, donc il y a un concept d'oeuvre matérielle, donc il faut que ça existe comme quelque chose de tangible. Un «procédé industriel» – et «procédé industriel», je vais y revenir – est défini plus tard. Ou un «système» à l'égard duquel un ingénieur existe et sa profession, enfin en vertu de l'article 3. Je reviens sur ces deux éléments-là.

Le «procédé industriel» qui est défini: «une suite d'opérations ordonnées en vue de parvenir à un résultat pratique déterminé par l'application répétitive d'un procédé scientifique ou technologique – mais il est tout de suite limité après – dans le cadre d'activités de transformation de ressources naturelles, de production industrielle ou d'activités de protection, d'assainissement ou de restauration de l'environnement.»

Dans ce cadre-là, les représentants de l'Ordre nous disent: le procédé industriel ne touche pas le domaine de l'industrie du logiciel, et je suis assez d'accord avec eux. Le point qui me touche, c'est «système», un système à l'intérieur duquel un ingénieur exerce sa profession en vertu de l'article 3. Et très justement vous avez fait référence à 3d. À ce moment-là, vous vous sentez tout à fait couvert. Néanmoins, «système» est défini dans l'article 1 au moment où on dit: «système: un ensemble d'éléments – et le mot qui vient est important – matériels organisés en interaction dynamique de manière à remplir une fonction pratique déterminée.»

L'argument de la part de l'Ordre des ingénieurs, c'est: Puisque nous avons inclus ici un ensemble d'éléments matériels, nous ne touchons pas ce qui, dans le jargon, est le «software», c'est-à-dire la production de logiciels.

Mon argument, et pourquoi, moi, je suis concerné ici par cette rédaction, c'est qu'il dit: Bien sûr – et je crois qu'il y a une jurisprudence dans ce sens-là – c'est que le matériel inclut le support sur lequel sont écrits vos logiciels, c'est-à-dire les disques durs... non pas seulement la production de disques durs mais ce qui est écrit sur le disque dur ou les disquettes ou tout ce que vous voulez avoir comme support des logiciels actuellement, et par ce biais-là, à ce moment-là, toute l'industrie du logiciel est couverte. Alors, on est réellement sur un élément à clarifier, actuellement.

Moi, mon point de vue, c'est que tout le domaine de l'industrie logiciel est couvert. Et je suis là tout à fait d'accord avec vous, on est en train d'hypothéquer un des fleurons de notre industrie. Enfin, je pourrais faire... L'argument qui m'a été fait par certains représentants de l'Ordre des ingénieurs est à l'effet que ce n'est pas couvert à l'heure actuelle par l'avant-projet de loi. Est-ce que vous partagez ma lecture ou votre lecture est basée aussi sur l'analyse du nouveau système, tel que vous le faites actuellement?

M. Laberge (Guy): Nous, en fait, on pense effectivement que ce n'était pas l'intention, mais lorsqu'on lit le texte, on dit que ça donne lieu à différentes interprétations. La preuve, c'est qu'on en a deux. Et on juge que le texte devrait être fait pour éviter ces interprétations-là qui ne sont pas de l'intention.

M. Gautrin: O.K.

M. Laberge (Guy): Et il faudrait s'assurer que, dans cinq ans, dans six ans, lorsqu'on interprètera la loi, qu'on n'extensionne pas la définition.

M. Gautrin: Je partage...

M. Laberge (Guy): Et il y a moyen de le faire, je pense, dans le texte en éliminant carrément tout autre ouvrage que ce qui est matériel. Je préférerais que la définition d'«ouvrage» contienne «matériel» plutôt qu'une sous-définition qui vienne dire que «système»...

M. Gautrin: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je ne sais pas si c'est à vous, à CGI ou à d'autres groupes, moi, je vais le faire, je vais la poser, la question, quand l'Association des informaticiens viendra témoigner ici, jeudi prochain. Est-ce que vous pourriez voir une définition – voir à écrire; nous, il faut qu'on écrive des morceaux de texte; M. Dicaire a travaillé de notre côté pendant assez longtemps – pour pouvoir avoir quelque chose qui exclut réellement clairement toute l'industrie du logiciel? Je ne sais pas si vous pourriez nous aider dans ce sens-là?

M. Dicaire (André): Bien, en fait, je ne vais pas vous écrire cet article-là.

M. Gautrin: Non, non.

M. Dicaire (André): Mais ce que je veux vous dire, par ailleurs, quand on parle de l'industrie et des technologies de l'information, il ne faut par réduire ça à la seule expression de l'industrie du logiciel. Pour donner un exemple, CGI, qui est la plus grosse firme informatique du Canada, on en fabrique peu ou pas, de logiciels. Par ailleurs, on vous dit que, tel que rédigé, disons, dans l'avant-projet de loi, ça vient interférer dans les activités de notre entreprise et ça nous obligerait, pour une partie importante de nos activités, à remplacer les gens qui font actuellement le travail, des professionnels, par des ingénieurs. C'est ça qu'on vous dit. Maintenant, comme on disait tantôt, on ne sait pas c'est quoi, l'intention ou pas, mais faites attention pour ne pas tomber dans le piège de réduire les technologies de l'information seulement aux logiciels.

M. Gautrin: Je suis d'accord avec vous.

M. Dicaire (André): Puis, quand on vous dit ça, vous tombez dans un secteur qui a été privilégié, qui est devenu un créneau ici, au Québec. Et, je dirais, l'effet automatique et pervers, quand on consulte dans le milieu les gens qui ont lu ces articles-là, vous avez presque une réaction instantanée de dire qu'on va exporter notre richesse à Toronto, à Vancouver puis à Andover, aux États-Unis. C'est ça que ça signifie.

M. Gautrin: Monsieur...

M. Dicaire (André): Parce qu'à partir du moment où vous avez un effet, il y a un impact sur les prix, sur les coûts. Les gens vont faire faire ailleurs le travail qui était fait ici auparavant, je dirais, à Québec.

Dernier élément, il faut aussi expliquer l'envahissement ou l'élargissement de ce champ-là dans les technologies d'information en relation avec la protection du public. Moi, je dois vous dire que, quand j'ai regardé le projet de loi, jamais on ne veut mettre en cause la santé et la sécurité des gens, mais jamais je ne suis capable, à partir de la connaissance que j'ai de ce secteur, de faire la relation entre la protection du public et l'élargissement et la portée de ce qui est prévu là-dedans, donc dans les technologies de l'information. Ça me dépasse. Mais peut-être qu'il y a une explication puis on va comprendre.

(12 h 20)

M. Gautrin: Je comprends bien ce que vous dites et je suis bien conscient que les technologies de l'information, ça dépasse uniquement l'industrie du logiciel, ça, je le sais bien, mais on va avoir besoin un jour ou l'autre d'accoucher d'un texte et je ne crois pas que c'était dans l'intention de couvrir l'industrie du logiciel et l'industrie des technologies de l'information. Mais dans ce cadre-là, si vous pouvez nous aider à avoir une rédaction qui vous exclut sans évidemment scraper tout le projet de loi, parce qu'il y a quand même des sens dans le projet de loi, ça nous aiderait considérablement.

M. Audet (Michel): Me permettez-vous de cependant faire un caveat à cette approche? C'est que, moi-même, j'ai reçu beaucoup de représentations parce que, comme je vous disais tantôt, j'ai des entreprises qui oeuvrent dans tous les domaines. Ils me disent: Écoutez, demandez que, nous, on soit exclus. Demandez que, nous, on soit exclus. Finalement, ça pose un problème majeur, c'est qu'il faut se demander pourquoi on fait la loi.

M. Gautrin: Ça, c'est l'autre question.

M. Audet (Michel): Alors, moi, je pense qu'évidemment il faut vraiment se poser la question de l'opportunité d'une loi qui exclurait effectivement un paquet d'affaires. Je le dis comme je le pense. Donc, ça pose la question de la pertinence de l'approche qui est celle-là, parce que je sais... Écoutez, je pourrais vous produire des lettres qui viennent des gens du secteur de l'aluminium, du secteur des pâtes et papiers, je pourrais tous vous les nommer. Ils m'ont tous écrit pour demander de les exclure. L'informatique. Alors, ça pose un problème. C'est que là on parle du Québec. Quand on fait ça, bien, c'est les entreprises que vous avez dans toutes les régions du Québec, ça. Alors, je pense qu'il va falloir se poser la question sur la pertinence des changements et la façon dont l'économie de la loi est conçue quand on en est réduit à ça. Dire: Écoutez, s'ils veulent le faire, qu'ils le fassent mais pas dans mon secteur d'activité. Je n'en ai aucun qui me dit: Allez-y, dans mon secteur d'activité. Aucun. Donc, il y a un problème. Tu sais, je veux dire...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Saint-Laurent.

M. Dupuis: Au contraire, c'est difficile, ce n'est pas un forum où on peut s'adresser à la ministre et au gouvernement. Au contraire, les gens de Bombardier étaient à une table, hier, et ils nous disaient: Ne touchez pas! Dans notre industrie, ça va mettre le bordel. CGI nous le dit. Cascades va nous le dire, etc. Alors, dans le fond, la question qu'il faut se poser, c'est: Où est le problème?

M. Audet (Michel): Voilà!

M. Dupuis: Il est où, le problème? Qu'est-ce qu'on est en train de faire là? Dans le fond, c'est ça!

Mme Goupil: M. le Président...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Mme la ministre.

Mme Goupil: D'abord, M. Audet, ce que vous avez mentionné, je vais vous dire, c'est une conclusion que nous pouvons faire parce que effectivement – j'en parlais hier – des gens qui n'étaient pas en désaccord disaient: Dans la mesure où on m'exclut, il n'y a pas de problème. Alors, c'est un constat. Mais en même temps, je trouve que c'est aussi un exercice qui est fort nécessaire parce que, à partir du moment où un exercice est demandé... Comme je vous le mentionnais, il y a beaucoup de gens qui ont discuté et qui ont exprimé leur opinion sur différents sujets mais qui nous amènent à reconnaître qu'il y a des changements qui doivent être apportés.

Maintenant, il est évident que la solution n'est pas simple en soi et toutes les personnes qui viennent s'exprimer ici évidemment défendent de façon remarquable les ordres qu'ils représentent ou les corporations. Mais au-delà de cela, nous sommes une société dans laquelle nous nous devons d'être responsables à l'égard de l'ensemble de la société et les gestes que nous souhaitons poser, nous souhaitons qu'ils le soient en accord avec la volonté. Alors, il est évident que ça serait un peu simple de venir dire que personne ne reconnaisse la nécessité de moderniser une loi. Elle date de nombreuses années. Ce n'est pas la seule. Cependant, c'est un secteur économique fort important et qui nous amène justement la chance d'entendre des gens qui, à des degrés différents, selon l'interprétation qu'ils en font, viennent nous expliquer ce que ça signifierait dans la pratique.

Vous disiez tout à l'heure: Plus de 95 % – ou monsieur – feraient en sorte que nous ne pourrions plus continuer à travailler. Il est évident qu'il n'y a pas un gouvernement responsable qui souhaiterait préparer un texte de loi qui rencontrerait de telles objectifs. Alors, j'aime apporter cette précision-là. Mais en même temps je voudrais aussi que l'on sache qu'il y a des gens qui, à l'Office des professions, depuis de nombreuses années, essaient de trouver des solutions pour justement répondre à certaines problématiques. Et l'exercice que nous faisons, à mon humble avis, n'est pas vain, loin de là, parce qu'on a la chance d'entendre des gens qui viennent de tous les secteurs et qui, par cet avant-projet de loi, viennent nous expliquer la problématique à laquelle ils sont confrontés dans leur secteur, tout en nous disant que dans certains domaines il n'y a pas de problème.

Mais, quand on sort d'ici, quand on rencontre des individus, quand on rencontre des groupes, bien, je vais vous dire que ce qui se dit ici puis ce qui se dit à l'extérieur, il y a certains problèmes, et c'est ensemble que nous nous devons de trouver les solutions. C'est dans cette optique que nous sommes présentés humblement, parce que nous ne sommes pas des experts en la matière, il y a des gens beaucoup plus expérimentés, mais nous sommes les gens qui ont été élus et qui croyons sincèrement qu'avec des partenaires nous allons réussir à trouver des solutions. Et c'est dans cette optique-là, M. Audet, que je vous remercie de votre collaboration à vous et aux gens qui vous accompagnent.

M. Audet (Michel): Merci beaucoup, madame.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Saint-Laurent.

M. Dupuis: Est-ce que j'ai raison, M. Audet, de percevoir que vous avez, ce matin, lancé un cri d'alarme qui est le suivant: Au nom d'une problématique qui est la protection du public, dans laquelle il n'y a peut-être pas beaucoup de problèmes au moment où on se parle, on va légiférer, sous prétexte d'une loi qui va concerner l'Ordre des ingénieurs, dans une activité économique qui somme toute, au moment où on se parle, fonctionne assez bien, assez en équilibre? Et, attention, on va venir jouer dans cet équilibre-là.

Je ne dis pas nécessairement qu'il faut garder le statu quo, je ne dis pas nécessairement qu'il ne faut pas moderniser la loi concernant les ingénieurs mais, au fond, est-ce que c'est ça que vous êtes venu dire ce matin?

M. Audet (Michel): Bien, je pense que c'est assez clair dans notre mémoire. Vous avez raison, ce qu'on dit, c'est qu'on est conscient, comme le dit Mme la ministre effectivement, de la protection du public. Écoutez, je pense que toutes nos entreprises, c'est leur fonction principale. Lorsque vous servez le public, le public est juge et puis il juge très sévèrement. Vous savez que, quand ça ne fait pas son affaire, il y a un prix, puis le prix à payer, c'est de faire sortir d'affaires. Donc, la situation existe. Il y a déjà des lois et des règlements qui existent également dans beaucoup de domaines, il ne faut pas se le cacher. Je comprends que l'Ordre arrive par dessus. Ce n'est peut-être pas pour rien qu'il n'y a pas beaucoup de plaintes, c'est parce qu'il y a peut-être bien du monde qui choisit d'autres créneaux pour faire valoir ses préoccupations.

Ce qu'on dit, c'est qu'il ne faudrait pas, au nom d'un objectif louable – justement la santé et la sécurité – déformer l'économie d'une loi qui a été conçue dans les années soixante dans une optique donnée, qu'on transforme maintenant soi-disant pour la moderniser, mais qui, à notre avis, introduit une notion d'exclusivité élargie qui est très inquiétante parce qu'elle modifie les façons de faire des entreprises. C'est ça, c'est la notion d'exclusivité.

Ce n'est pas le rôle des ingénieurs. Ils ont un rôle crucial dans notre société, mais un peu comme on l'a fait... Vous savez qu'actuellement on se bat contre l'élargissement de cette exclusivité-là également dans d'autres cas, notamment les électriciens qui veulent faire du câblage informatique au même nom des mêmes raisons. Donc, on utilise la même logique pour les ingénieurs. Je pense que ce n'est pas rendre service à l'économie, ce n'est pas rendre service aux entreprises qui y oeuvrent que d'utiliser cet argument-là. Et ce n'est pas démontré surtout actuellement, à notre avis, dans les analyses qui nous ont été déposées. Au contraire, je pense qu'il y a beaucoup plus lieu de s'inquiéter finalement de l'impact que pourrait avoir une telle loi étant donné la gestion qu'il va falloir y mettre en place par la suite.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, au nom des membres de la commission, j'aimerais remercier le président et les personnes qui l'accompagnent pour leur prestation, et je suspends les travaux de la commission jusqu'à 14 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 28)

(Reprise à 14 h 2)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mesdames, messieurs, la commission des institutions reprend ses travaux dans le cadre des consultations particulières et des auditions publiques sur l'avant-projet de loi intitulé Loi modifiant la Loi sur les ingénieurs et d'autres dispositions législatives.

Le premier groupe que nous rencontrons cet après-midi est le Syndicat professionnel des ingénieurs d'Hydro-Québec et son président, M. Louis Champagne, que j'inviterais à prendre la parole en nous présentant les personnes qui l'accompagnent et en rappelant qu'on a 20 minutes à consacrer à la présentation.


Syndicat professionnel des ingénieurs d'Hydro-Québec (SPIHQ)

M. Champagne (Louis): Oui. Merci, M. le Président. Mme la ministre, Mmes, MM. les députés. Je vais vous présenter M. Robert Dufresne, à ma droite, qui est ingénieur et qui est responsable du comité de déontologie à notre syndicat; à ma gauche, Robert Fournier, qui est aussi ingénieur et qui est vice-président du Syndicat des ingénieurs d'Hydro-Québec.

Alors, les 1 300 ingénieurs d'Hydro-Québec que nous représentons tiennent à vous remercier de cette invitation qui nous donne l'occasion de participer à ce débat dont l'enjeu premier est la sécurité du public. Nous existons depuis 1964 et nous représentons plus de 1 300 ingénieurs à l'emploi de la société d'État, dont quelques-uns sont cadres de premier niveau.

Lorsque nous avons commencé à discuter de l'application de la Loi sur les ingénieurs, à Hydro-Québec, nous avons réalisé que plusieurs des problèmes que nous soulevions provenaient de la loi elle-même ou de l'interprétation que les tribunaux en avaient faite. En effet, plusieurs spécialités n'existaient pas au moment de la dernière révision et sont dans une sorte de no man's land juridique, ce qui fait que le champ de pratique se retrouve contesté par tout le monde. L'exemple le plus évident provient des technologues, qui affirment pouvoir faire à peu près tout ce que peut faire un ingénieur. Mais il existe d'autres activités où la protection du public devrait se retrouver au coeur des préoccupations des professionnels ou des spécialistes qui y oeuvrent et qui n'appartiennent pas au champ de pratique des ingénieurs.

Hydro-Québec est une entreprise assez vaste pour que nous puissions y retrouver des exemples de la plupart des problèmes décrits plus haut. Nous n'avons pas l'intention de faire ici le procès de qui que ce soit, puisque c'est la loi, avec toutes ses imprécisions, qui est en cause.

Alors, on va commencer par le génie logiciel. L'Ordre des ingénieurs est convaincu que les équipements de gestion du réseau, connus sous le nom de centre de conduite du réseau, ont été conçus par des ingénieurs. L'Ordre l'a déjà écrit dans des documents publics. Malheureusement, tel n'est pas le cas. L'informatique constitue une zone grise identifiée plus haut. Nous ne prétendons pas que la conception du centre a été mal faite. Plusieurs ingénieurs y ont participé; certains étaient membres de l'Ordre, d'autres ne l'étaient pas. Alors, qui va blâmer les démissionnaires? L'Ordre n'exerce aucun contrôle sur ces activités. L'assurance-responsabilité qu'il force ses membres à prendre ne les couvre pas. La seule raison qui a fait que plusieurs ingénieurs sont restés quand même membres de l'Ordre est plutôt d'ordre personnel: ils souhaitaient demeurer couverts par notre convention collective.

La maintenance est aussi une zone problématique; à un certain moment, la direction d'Hydro-Québec l'a même reconnu. Au fil des ans, la maintenance est devenue une action importante dans l'entreprise. Que ce soit dans les grands ouvrages – les barrages, les centrales – dans ceux associés au transport ou à la distribution, il est souvent nécessaire de garantir le maintien des critères de conception et le bon fonctionnement d'un équipement sans avoir à le démonter ou à le mettre hors service pour de longues périodes. Il se peut aussi qu'un jugement soit nécessaire sur la capacité à opérer des appareils dans des circonstances imprévues lors de leur conception.

La maintenance est donc devenue une activité vitale, tant pour la sécurité du public que pour celle des équipements. Il faut donc des ingénieurs pour garantir la sécurité. La maintenance est devenue presque aussi importante que la conception, dans plusieurs circonstances. Encore une fois, la direction d'Hydro-Québec était d'accord avec ces affirmations, puis elle a changé d'idée.

Il y a encore une zone grise qui fait en sorte que toutes les activités de maintenance échappent au contrôle de l'Ordre. L'environnement constitue aussi un autre exemple de no man's land. Est-ce qu'il y a un domaine où la protection du public devrait nous préoccuper davantage? Toute cette nouvelle spécialité est laissée dans une zone grise que se disputent à qui mieux mieux avocats, comptables, économistes, biologistes, chimistes, sans parler des apprentis sorciers tout acabit qui gravitent autour de ce nouveau domaine. À Hydro-Québec, bien peu d'ingénieurs y travaillent.

Nous croyons que la protection du public serait mieux assurée si la loi précisait les devoirs et les obligations de chacun. Il faut le déplorer, l'environnement est un domaine où se retrouvent de nombreux apprentis sorciers que les systèmes professionnels devraient faire disparaître du Québec. En fait, il illustre que, sans un minimum de règles, même le domaine le plus scientifique est susceptible de tomber en partie entre les mains d'amateurs ou de charlatans. N'ayons pas peur des mots.

La direction technique est une autre activité problématique. Il existe, en effet, de nombreux cas où des activités visées directement par la loi sont effectuées sous l'autorité technique de quelqu'un qui n'est pas ingénieur. Si des gestes contraires à la loi sont posés, dans ce contexte, l'ingénieur se voit dans l'obligation de dénoncer son propre patron, voire de témoigner contre lui. Nous faisons régulièrement face à ce genre de problème. Nous estimons que l'indépendance professionnelle ne peut réellement s'exercer, dans un tel contexte, et que la protection du public est ainsi menacée. Sans plainte et sans plaignant, l'Ordre est dépourvu de moyens. Il s'agit donc d'une autre lacune à corriger.

Ce qui nous amène à poser le problème des relations ingénieurs-technologues. Ceux-ci estiment pouvoir se passer d'ingénieurs et faire à peu près tout ce qu'un ingénieur peut faire. La loi actuelle prévoit déjà ces situations. Elle exige que certains gestes soient posés sous l'autorité et la supervision directes de l'ingénieur. Ce que nous comprenons du texte et de l'esprit de la loi, c'est qu'il appartient à l'ingénieur de déterminer le niveau de supervision et d'autorité, la loi précisant qu'elles doivent être immédiates.

La loi vise à favoriser l'établissement d'une relation de confiance et de complémentarité entre l'ingénieur et ceux qui travaillent avec lui. C'est ce que conteste le Syndicat des techniciens dans son mémoire, parfois dans sa pratique à Hydro-Québec. Nos confrères techniciens souhaitent une complète autonomie professionnelle qu'ils prétendent déjà exercer. Dans quelques zones grises évoquées précédemment, nous comprenons que la loi devrait venir préciser une fois pour toutes ce qui est du domaine de l'ingénieur.

Ce qui nous amène au dernier problème, celui des prescriptions. Ici, nous faisons plutôt face à un problème de cohérence que de zone grise. Si des travaux sont effectués de façon illégale avec des plans et devis effectués par n'importe qui, la prescription pour qu'intervienne l'Ordre est d'un an.

Ainsi, pour des travaux effectués sans qu'un ingénieur ou que quelqu'un travaillant sous son autorité et direction immédiates n'exécute les plans et devis, le fait de ne pas se faire prendre pendant un an garantit que ces travaux ne seront pas enquêtés par l'Ordre. Ce faisant, nonobstant leur danger potentiel pour le public, ces ouvrages recevront une sorte d'aval ou de sanction a posteriori que leur donnera le temps.

Si le législateur veut que le temps vienne en quelque sorte témoigner qu'un ouvrage est sans danger pour le public même s'il a été réalisé par quelqu'un qui est inapte à poser le geste, il devrait fixer une durée qui donne une forme de garantie que le temps a fait son oeuvre. Nous autres, on recommande 10 ans, dans notre mémoire.

Dans le même ordre d'idées, lorsqu'une personne se présente comme ingénieur ou pose tout geste répréhensible, la prescription, encore là, n'est que d'un an. Il nous semble qu'une prescription plus longue serait ici plus appropriée.

Au seul examen des problématiques internes que nous avions identifiées, une révision législative s'imposait. Examinons maintenant les raisons plus globales des besoins de cette révision législative, parce qu'il y a d'autres raisons qui militent en faveur d'une révision de notre loi. C'est devenu un lieu commun que de parler de l'explosion technologique des dernières années. Nous utilisons couramment des appareils dont nous n'avions pas idée il y a 20 ans à peine. Cette explosion est loin d'être terminée, et les bienfaits qu'elle a apportés ne doivent pas nous faire perdre de vue certains des problèmes qu'elle cause et causera. Ceux qui manquent les virages technologiques n'ont pas de seconde chance.

La Loi sur les ingénieurs est l'un des outils dont dispose l'Assemblée nationale pour nous faire prendre ce virage harmonieusement. Les citoyens s'attendent à ce que le législateur prenne tous les moyens pour que ce virage se fasse sans heurt et sans subir de dommage, car, si la révolution apporte d'indéniables bienfaits, il faut s'assurer qu'elle se fera dans le respect des personnes et de leurs biens.

Une autre raison provient des efforts de coupure et de rationalisation qu'on observe dans les entreprises privées et publiques et qui ne doivent pas remettre en cause la sécurité du public. Elles devraient plutôt inciter le législateur à se doter d'outils efficaces pour garantir la sécurité du public. De plus, depuis quelques années nous avons eu à faire face à des désastres naturels de grande amplitude. Au Québec, le déluge du Saguenay et le verglas, des orages violents et même des tornades nous ont frappés. Ce qui semble sûr, c'est que le nombre et l'amplitude des catastrophes naturelles ne vont qu'augmenter. La révision de la Loi sur les ingénieurs est une bonne occasion de rassurer le public sur l'intérêt qu'on porte à sa sécurité.

(14 h 10)

Abordons maintenant l'avant-projet lui-même. Comme nous l'avons dit plus tôt, nous avons peine à comprendre pourquoi la définition de maintenance est disparue de l'avant-projet. Nous savons qu'Hydro-Québec a changé d'idée là-dessus. Mais Hydro n'est pas le seul exploitant d'ouvrages mettant en cause la sécurité de ses employés ou du public en général. De même, la précision dans les définitions et dans le champ de pratique de la direction technique nous semble aller de soi. Peut-on imaginer une équipe médicale en train d'opérer un patient sous la direction professionnelle d'un comptable ou d'un ingénieur? Des avocats en train de préparer la défense de leurs clients sous la direction d'un agronome?

Pour arriver à ce qu'il y a de plus substantiel pour nous, c'est la constante pour le moins inquiétante qui se dégage dans l'avant-projet de loi et qui provient des exceptions prévues aux articles 4.1, 4.3.1° et 4.4. Chacune sera examinée, mais toutes semblent procéder du même esprit. Alors, on va commencer par l'esprit. Tel que formulé, l'avant-projet laisse croire qu'utiliser du matériel authentifié par un ingénieur lors de sa conception soit suffisant pour laisser la surveillance à n'importe qui pourvu qu'il sache lire, qu'on laisse faire la conception d'ouvrages à n'importe qui aux mêmes conditions et qu'enfin en milieu industriel il en va de même pourvu que la finalité d'un procédé ne soit pas altérée et qu'il n'en résulte aucun risque pour la sécurité des personnes.

Ces articles, dans leur formulation, n'ont fait l'objet d'aucune discussion, lors de la consultation de l'Ordre. Si ces formulations visent à régler des problèmes, nous n'en connaissons ni la nature ni l'étendue. Ils laissent une latitude et une interprétation à des tiers, dont la portée est troublante. Ils posent des problèmes qui risquent de vider très rapidement la loi de sa substance et de laisser l'Ordre sans moyen d'agir dans sa raison d'être, la protection du public.

Le premier vient de la responsabilité professionnelle. Qui sera responsable des travaux ainsi exécutés? L'ingénieur qui a authentifié les plans, qui a fait les plans et devis normalisés? L'employeur, qui alléguera que la loi a été respectée, puisque les plans et devis ont été scellés conformément à la loi? Certes pas celui qui n'est pas ingénieur, à qui on aura donné des travaux à faire sans qu'il ait à se poser de questions, puisqu'elles auraient trouvé réponse lors de la conception.

Il n'est pas sûr que l'Ordre puisse faire enquête efficacement. L'ingénieur qui aura fait les normes aura eu le temps de prendre sa retraite ou de mourir même avant que l'on cesse d'avoir recours aux normes qu'il aura mises au point. Qui va décider qu'une norme est périmée et décider de la changer? Qui? L'ouvrage ou le procédé industriel modifié sans qu'un ingénieur ne le voie, qui aura la responsabilité professionnelle des modifications s'il cause des problèmes de sécurité?

Appliquer une norme qui implique généralement de faire un choix parmi plusieurs possibilités, de pouvoir apprécier un ensemble de critères pour pouvoir choisir la bonne, toutes ces actions nécessitent un nombre de connaissances. Alors que, pour pratiquer, l'Ordre va vérifier les compétences de tous les candidats à la pratique, nous laisserions pratiquement à n'importe qui le soin d'interpréter des plans, des devis et des normes. Il suffit qu'un employeur industriel, une ville ou une entreprise de services publics engage quelqu'un pour lui conférer les compétences qu'il faut pour lui permettre de poser ces gestes. Encore une fois, il y a ici une incohérence dangereuse entre la règle et les exceptions.

Nous comprenons que les rédacteurs s'attendent pour que ceux qui embauchent s'efforcent de trouver des gens compétents. Dans l'hypothèse où c'est effectivement ce qu'ils font, ces personnes ne bénéficient pas de l'autonomie professionnelle et, en cas d'interprétation d'une norme, d'un devis ou d'un procédé industriel, il n'est pas besoin d'être grand clerc pour voir de quel côté elles vont pencher. Comme elles ne sont pas obligatoirement professionnelles, elles n'ont pas à prendre en compte la sécurité du public et doivent obéissance et loyauté uniquement à leur employeur.

Examinons les articles un à un, maintenant, pour voir où nous mènerait leur adoption. L'article 4.1 vient à toutes fins pratiques réduire à néant les dispositions de l'article 2, qui définit les actes de surveillance comme étant du ressort exclusif de l'ingénieur. Le moins que l'on s'attend, lorsque des travaux de surveillance sont requis, c'est que les plans et devis, cahiers de charges, calculs et autres notes, ces documents soient signés et scellés conformément à la loi.

En pratique, il suffirait de directives écrites de surveillance pour permettre à peu près à n'importe qui de faire la surveillance. L'interprétation est laissée à l'intervenant entrepreneur; aucun ingénieur n'est dans le portrait dès que les documents signés et scellés sortent du bureau. Ce sont les travaux de surveillance qui vont garantir que la conception a été respectée. À mesure que progressent les travaux, il va devenir impossible à qui que ce soit de vérifier si tel a été le cas, si les directives ont toutes été suivies, en un mot, si le travail a été bien fait. Dans la mesure où l'entrepreneur aura en main des documents signés et scellés, l'Ordre sera sans moyen pour s'assurer de la sécurité du public.

Nous ne formulerons pas d'autres commentaires à l'article 4.3 que ceux que nous avons formulés plus tôt ou ailleurs dans le mémoire que nous présentons.

À l'article 4.4, nous devons avouer notre incompréhension. L'article débute par: «Une personne...» C'est le fait que cette personne soit à l'emploi d'une entreprise publique ou d'une municipalité qui lui permette de poser des gestes réservés aux professionnels? Rien ne garantit la compétence de cette personne pour choisir la bonne norme ou si les critères d'applicabilité des paragraphes qui suivent sont satisfaits. Bien sûr, entre des impératifs de réduction budgétaire et de sécurité du public, rien ne garantit qu'elle va choisir les bons éléments normalisés et répétitifs. Dans la mesure où elle utilisera ce matériel, l'Ordre sera, là aussi, sans moyen pour vérifier sa compétence et dans quelle mesure la sécurité du public est menacée.

Ce qui nous amène aux normes. Il n'y a pas qu'une norme pour une application mais un ensemble. Pour la même application, plusieurs plans et devis existent. Il faut donc exercer un choix sur le bon ensemble. Il est bien évident que le bon choix signifie: l'ensemble le moins coûteux répondant aux critères d'efficacité, de facilité, d'exploitation, etc., tout en garantissant la sécurité du public en tout temps.

Si on souhaite réserver un champ de pratique à des non-ingénieurs, on devrait l'écrire clairement et rassurer le public quant à sa protection. Les personnes qui poseraient ces gestes devraient avoir une formation minimale, vérifiée par un ordre voué à la protection du public. Enfin, la loi devrait prévoir qu'elles jouissent de l'autonomie professionnelle pour faire les bons arbitrages.

Imaginons maintenant qu'on combine 4.1 et 4.4. Il ne faut pas s'arrêter en chemin. Puisqu'il est possible de faire effectuer de l'ingénierie par n'importe qui pourvu qu'il utilise les normes aux plans signés et scellés, imaginons que de strictes directives de surveillance accompagnent ou font partie de la norme. Il n'y a, dans la loi, aucune définition de ce qu'est une norme, l'interprétation en sera laissée à celui qui scelle. Nous nous retrouverions dans la situation où aucun ingénieur n'est mandaté pour concevoir un ouvrage ou en surveiller la construction.

À Hydro-Québec, cela signifierait que toutes les lignes de tous les niveaux de tension et à peu près tous les postes, ouvrages hautement normalisés, pourraient être conçus et construits sans la présence d'un seul ingénieur. Nous ne connaissons aucun patron à Hydro-Québec qui rêve à une telle situation, mais c'est ce que la loi permettrait. L'Ordre n'aurait rien à dire, la loi serait satisfaite. Nous croyons que la seule raison pour laquelle le syndicat des techniciens n'applaudit pas, c'est que rien ne garantit non plus que le travail serait fait par un technicien ou un technologue.

Cela nous amène à conclure. Dans son état actuel cet avant-projet doit être considérablement modifié avant de devenir une loi pour lui permettre de rencontrer la raison première de la loi, la protection du public. En faire une loi, dans son état actuel, remettrait en question le système professionnel au Québec. Cet examen peut être nécessaire, mais ce n'est certes pas ainsi qu'il doit être mené. Les principes qui mettent en péril ici la protection du public risquent d'avoir les mêmes effets ailleurs.

Si le législateur veut faire une mise à jour ou une révision de la Loi des professions, nous en débattrons à ce moment en tenant compte des vrais enjeux avec tous les groupes d'intérêt. Si l'exercice actuel ne dégage pas un minimum de consensus, il doit être repris du début. La nécessité de mettre à jour la Loi sur les ingénieurs ne doit pas nous illusionner et nous faire croire que cette mise à jour serait urgente. Tout imparfaite qu'elle soit, nous vivons avec la loi actuelle depuis longtemps et nous pouvons continuer de le faire encore pendant quelques années. Il est nécessaire d'avoir une loi adaptée, et cet avant-projet-là ne se qualifie pas à ce titre. Merci, M. le Président, Mmes et MM. les députés.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. le président du Syndicat professionnel des ingénieurs d'Hydro-Québec. Nous passons à la période d'échanges. Mme la ministre.

Mme Goupil: Merci, M. le Président. D'abord, M. Champagne, je vous remercie de votre présentation, qui est à la fois surprenante, à la suite des gens que nous avons entendus parce que, pour certains, on nous dit que cet avant-projet ne représente pas la réalité sur le terrain et, de par les propos que vous tenez, cet avant-projet n'irait pas assez loin, selon vous, pour plusieurs raisons que vous avez exprimées. Est-ce à dire que, tant pour la conception que la réalisation ou à toutes les étapes, selon vous, il faudrait absolument qu'il y ait un ingénieur qui intervienne dans un processus?

(14 h 20)

M. Champagne (Louis): La loi prévoit que – on parle des actes réservés – les actes réservés peuvent être exécutés par des non-ingénieurs sous leur autorité ou leur direction immédiate. C'est déjà comme ça qu'en pratique ça se passe, en tout cas, à Hydro-Québec. Je parle pour Hydro-Québec, je n'ai pas d'expérience d'autres entreprises. Quand ça se passe comme ça, on ne dit rien, et ça n'oblige pas qu'un ingénieur suive chaque travail ou chaque ouvrage. Il y a une délégation normale qui se fait entre l'ingénieur et le technicien ou le technologue.

Là où le bât blesse, c'est que, si on prend l'avant-projet actuel, il n'y a absolument rien qui garantisse que ça va être des technologues ou des gens formés qui vont faire le travail d'interpréter des normes. Il n'y a rien qui garantisse non plus que ces gens-là vont jouir de l'indépendance professionnelle que le Code des professions prévoit pour les professionnels.

J'ai entendu beaucoup d'intervenants, hier et aujourd'hui, dire que les gens étaient suffisamment compétents pour poser des gestes. Les technologues, à Hydro-Québec, sont des gens très compétents. Je n'ai rien... Je veux dire, c'est des techniciens ou des technologues. Les techniciens ne sont pas tous technologues, tant s'en faut. Il y en a peut-être 15 % ou 20 % qui le sont, au maximum. Le problème, c'est l'indépendance professionnelle.

Ce n'est pas tout d'avoir les compétences, il faut jouir de l'indépendance professionnelle ou de l'autonomie, pour être un vrai professionnel. Et c'est dans ce sens-là qu'on trouve que le projet de loi va beaucoup trop loin en ne désignant pas des gens qui jouissent de l'indépendance professionnelle pour poser des gestes qui seraient des gestes professionnels, et qui ne sont pas non plus encadrés par des ingénieurs qui, eux, bénéficient de l'indépendance. C'est là qu'on trouve que le projet va trop loin.

Mme Goupil: Est-ce à dire qu'actuellement il y a des gens qui vont à l'encontre de leur code d'éthique, que ce soit tant au niveau personnel que professionnel, parce qu'ils n'ont pas la liberté de s'exprimer ou de faire valoir leur professionnalisme?

M. Champagne (Louis): Les ingénieurs l'ont, cette indépendance-là, mais ceux... Ils l'ont quand ils ont des mandats. Il peut arriver, il est arrivé que des travaux qui auraient dû être faits par des ingénieurs ne leur aient jamais été confiés. Et là il nous appartient de dénoncer ces situations-là, à l'Ordre des ingénieurs, pour rétablir ces situations-là. Et, quand on parle de gens qui ne sont pas aptes, on ne parle pas nécessairement de technologues, on parle de gens qui n'ont pas la formation pour faire ce qu'ils ont à faire.

Mme Goupil: Est-ce qu'au quotidien... Vous avez exprimé que les ingénieurs et même les technologues avaient des relations ensemble et que ça semblait se faire dans l'harmonie. C'est ce que vous avez, en tout cas, exprimé.

M. Champagne (Louis): Relativement dans l'harmonie, oui. Il y a des zones problématiques. Lorsqu'on parle des personnes et des équipes de travail, en général, je dirais que le climat est correct.

Mme Goupil: D'accord. Vous avez aussi exprimé tout au long de votre exposé qu'actuellement l'Ordre n'avait pas les moyens pour assurer la protection du public. Et, en ce sens, vous demandez que cet avant-projet de loi soit modifié de façon à être encore plus encadrant. C'est bien cela?

M. Champagne (Louis): Ce que j'ai dit, c'est que, si l'avant-projet était appliqué tel quel, l'Ordre serait souvent sans moyen pour s'assurer qu'il y a protection du public, dans plusieurs situations.

Mme Goupil: Pourriez-vous me donner un exemple, s'il vous plaît?

M. Champagne (Louis): Oui. Prenons l'exemple d'une artère de distribution, d'une ligne de transmission d'électricité. Ces éléments-là sont très normalisés, à Hydro. On pourrait imaginer des plans, devis, etc. avec des notices de vérification tels que ceux prévus en 4.1. On parle d'équipements qui sont dispendieux et qui peuvent avoir un impact sur la sécurité du public. Une ligne de transport ou même une artère 25 kV, c'est quand même quelque chose qui a un impact potentiel grave sur la sécurité du public.

Si on prend l'avant-projet tel que proposé, puisque c'est normalisé, quelqu'un qui n'est pas ingénieur, qui n'est pas technologue, qui n'est pas professionnel pourrait choisir une norme, faire son assemblage, l'envoyer construire avec des plans et devis normalisés et répétitifs qui pourraient s'appliquer ou non à la situation à laquelle cette ligne-là doit répondre. Les travaux seraient exécutés sans surveillance d'ingénieur, à partir des notes. Toutes sortes de problèmes pourraient surgir, et jamais un ingénieur ne va avoir l'opportunité ou la chance de donner une opinion. Ou, même, l'ingénieur pourrait être mort, celui qui a fait la norme pourrait être mort.

Mme Goupil: Mais, M. le président, lorsqu'on lit à l'article 4.4.1°, on dit que «l'acte découle de plans conçus et normalisés par un ingénieur et est posé dans des circonstances où ces plans sont applicables».

M. Champagne (Louis): Qui va décider que les circonstances sont applicables? Est-ce que c'est un ingénieur ou si c'est l'utilisateur de la norme...

Mme Goupil: Ah! c'est dans ce sens-là.

M. Champagne (Louis): ...qui est une personne... Ce n'est pas un technologue ou un technicien, ce n'est pas quelqu'un qui est nécessairement formé. Et on a des situations qui sont en correction, en cours de correction, à Hydro. Mais on en a vécu des situations où les gens qui posaient ces gestes-là n'avaient pas la formation pour les poser.

Mme Goupil: Je vous remercie, monsieur.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Merci, M. le Président. Et merci pour votre présentation, qui était fort intéressante. Je veux revenir à la question que j'ai posée ce matin à Hydro-Québec, qui fait partie de votre mémoire, et je veux être certain que je comprends, la question du respect des lois actuelles des ingénieurs à Hydro-Québec. Vous avez dit que, si la loi avait été respectée, ça aurait changé la nature des catastrophes naturelles qui ont frappé le Québec. Vous n'avez pas dit que les catastrophes n'auraient pas été, mais que les effets seraient moindres. Alors, j'aimerais que vous nous donniez plus de détails sur la prétention que vous faites et évidemment les accusations que vous faites contre Hydro-Québec. Est-ce que vous pourriez nous donner des détails, s'il vous plaît?

M. Champagne (Louis): Nous l'avons déjà évoqué dans une commission parlementaire précédente. Nous croyons que des équipements mieux conçus et mieux construits auraient mieux résisté à certains des événements qu'on a vécus au Québec. On avait dit, à l'époque, on avait demandé, si vous vous souvenez, la protection du serment, on avait témoigné sous serment que le réseau de que le réseau de distribution nous semblait un endroit très problématique. D'ailleurs, Hydro-Québec est en train de le corriger, actuellement. Je dois dire que ça, c'était peut-être une situation qui prévalait il y a quelques mois. Mais, depuis quelques mois, Hydro l'a repris en main, est en train de modifier ses pratiques, de modifier ses façons de faire et d'impliquer davantage les ingénieurs dans ses façons de faire. Alors, ce qu'on a dit à l'époque était vrai. Mais ce qu'on peut vous dire, c'est qu'Hydro est en train de corriger la situation. Ça fait qu'on collabore, notre Syndicat collabore avec la direction et l'Ordre des ingénieurs pour tenter de redresser tout ça.

M. Bergman: Je comprends que vous dites que la loi n'était pas respectée telle quelle. Est-ce qu'il y a des provisions de la loi qui étaient écartées ou omises?

M. Champagne (Louis): Qui, je ne dirais peut-être pas par négligence, mais par ignorance, n'étaient pas toutes respectées. Mais encore une fois, j'insiste là-dessus, on est en train de le corriger.

M. Bergman: Votre recommandation, avec respect de l'article 4.4, qui dit que, si une des conditions suivantes est satisfaite... et vous voulez que toutes les conditions soient satisfaites pour permettre à une personne qui est non-ingénieur d'agir. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez choisi d'opter pour que toutes les conditions soient satisfaites au lieu d'une des conditions, étant donné que les conditions sont indépendantes les unes des autres et sont des conditions très importantes chacune en soi? Alors, pourquoi vous choisissez que toutes les conditions de l'article 4.4 soient remplies?

M. Champagne (Louis): On avait également demandé à ce qu'un jugement a priori soit porté, donc on allait plus loin encore que ça, tout simplement parce que nous redoutons un abus de normes, c'est-à-dire que des gens qui n'ont ni la formation, ni l'indépendance professionnelle se mettent à faire l'un ou l'autre des actes.

On dit: «L'acte découle de plans conçus et normalisés par un ingénieur et est posé dans des circonstances où ces plans sont applicables.» C'est l'appliquant qui va décider. S'il ne jouit pas de l'indépendance professionnelle, il risque de faire des mauvais choix pour des contraintes budgétaires, pour toutes sortes de raisons.

«L'ouvrage se compose exclusivement d'éléments normalisés et répétitifs et est assemblé selon une procédure et une description détaillée prévues par des plans et devis préparés par un ingénieur», etc. C'est le même risque que plus haut parce que l'ingénieur ne vérifiera pas. Personne de vraiment qualifié ne va vérifier si ces conditions-là ont été vraiment rencontrées a priori.

Et, a posteriori, on dit: Si on ne fait ni l'une, ni l'autre de ces deux choses-là, l'acte devrait être vérifié par un ingénieur et être approuvé par lui. Bien, là, c'est faire du «rubber-stamping». On vient vous demander de faire ou de légitimer le «rubber-stamping», ce qui actuellement n'est pas permis et ce qui peut amener facilement une pratique de complaisance.

(14 h 30)

Imaginez que vous arrivez avec un travail qui est fini, les budgets ont été approuvés, les travaux sont terminés, vous arrivez à un ingénieur, vous dites: Bon, bien, approuve-moi ça. Puis l'ingénieur vous dit: Écoute, ça va coûter 15 %, 20 %, 30 % de plus parce que tu n'as pas respecté les normes, le concept est tout croche – je ne sais pas quoi – tu as oublié telle ou telle chose dans la réglementation. Ça va faire un cirque à n'en plus finir.

Idéalement, on devrait poser un jugement a priori et, a posteriori, vérifier que les recommandations qu'on a faites... Elles peuvent être générales. Ce n'est pas obligé d'être quelque chose d'extravagant. À Hydro-Québec, je vous dis, on est en train de respecter la Loi sur les ingénieurs là où on dénonçait qu'elle était mal suivie, et il n'y a pas un ingénieur qui a été engagé. C'est une question d'organisation du travail, ce n'est pas une question d'engager 1 000 ingénieurs, 500 ingénieurs, je ne sais pas combien. C'est d'utiliser convenablement le personnel qu'on a. Alors, c'est pour ça que, si on utilise convenablement le personnel, on va éviter toute cette démarche-là qui n'est pas raccrochée à une garantie pour la sécurité du public, à notre avis, à une garantie suffisante. La garantie que l'ancienne loi donnait, elle disparaît ici complètement.

M. Bergman: M. Champagne, votre recommandation en relation avec l'article 4.3, sous-paragraphe 2, il est question de 600 m² et vous faites une recommandation pour un montant de 200 m². Pouvez-vous expliquer, quand vous dites que le bâtiment de 600 m², vous dites combien de travailleurs pourraient voir leur sécurité en danger? Pouvez-vous faire une différence entre un bâtiment de 600 m² et l'autre de 200 m²? Quelle est la différence?

M. Champagne (Louis): C'est l'ampleur des charpentes puis l'ampleur de la construction, tout simplement. 200 m², je pense que c'était l'ancien texte. C'est strictement une question d'ampleur de construction. Il faut tirer la ligne quelque part, mais il ne faut pas aller trop loin, là.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. M. Champagne, vous le savez, il y a de nombreuses formations différentes pour les ingénieurs, il y a un spectre assez grand de types de formation. J'ai du mal à vous suivre et je vais vous expliquer où j'ai du mal à vous suivre. Vous dites, pour la protection du public, qu'il faut qu'un ingénieur ait fait tel et tel travail. Moi, ma perception, c'est: Il faut qu'une personne compétente ait fait tel et tel travail, qui probablement est un ingénieur; mais pas un ingénieur, probablement un ingénieur qui a telle spécialité pour faire tel et tel travail.

Et, comme membre du public... Et je ne comprends pas pourquoi vous... On a écouté les gens d'Hydro. J'ai beaucoup plus confiance dans le gestionnaire d'Hydro de faire en sorte qu'à Hydro, dans votre cas ou dans une autre compagnie, tel et tel travail soit fait par une personne compétente. Il a la responsabilité de faire en sorte de ne pas mettre un cuisinier pour monter une ligne de transmission électrique – j'imagine que c'est un peu le bon sens – plutôt que de dire que ce soit strictement un ingénieur. Parce que le fait que ce soit un ingénieur, sans dire que c'est un ingénieur qui a la compétence pour faire telle et telle fonction, je serais aussi inquiet, si vous me permettez, si un ingénieur chimiste devait signer un plan de transmission électrique que ce soit un cuisinier qui finirait un plan de transmission électrique. Il faudrait que ce soit un ingénieur qui soit diplômé en génie électrique ou voire peut-être en génie mécanique. Alors, c'est ça la crainte que j'ai quand je vous écoute. Je suis bien d'accord avec la protection du public, mais j'ai l'impression que le public est plus protégé par le fait que la responsabilité d'Hydro ou de l'employeur assume une personne qui a la compétence. Le fait d'être ingénieur n'est pas nécessairement suffisant pour avoir la compétence pour faire tels et tels travaux dont vous avez parlé.

M. Champagne (Louis): Vous avez raison, je serais aussi inquiet que vous, peut-être plus, si j'apprenais qu'un ingénieur chimiste est en train de faire des lignes de transport sans avoir la compétence pour les faire. La différence, maintenant, M. le député, c'est que, quand l'ingénieur chimiste pose un geste comme celui-là, l'Ordre des ingénieurs peut le sanctionner, alors que, si c'est le cuisinier de la compagnie qui utilise des plans normalisés, l'Ordre est sans pouvoir, personne ne va pouvoir enquêter. Si c'est un gars de métier – on va peut-être être un peu plus clair dans nos affirmations – qui part puis qui décide qu'il fait une ligne n'importe comment, il n'y a rien qui vous garantit que la ligne va être droite puis qu'elle va tenir, alors que, si c'est un ingénieur ou un technicien formé sous sa direction – actuellement, c'est comme ça que la loi est faite – vous avez plus de chance de le faire.

Si c'est un ingénieur qui n'a pas la compétence – ça peut être un ingénieur électrique à qui on demande de faire du travail électrique – s'il estime ne pas avoir la compétence pour le faire, son code de déontologie lui interdit de faire le travail. Et ça, c'est sanctionné par l'Ordre, monsieur. Ça, l'Ordre est capable de s'occuper de ceux qui se mettent à faire du génie de complaisance, qui se trouvent des compétences dans toutes sortes d'affaires où ils n'en ont pas. En fait, la seule compétence qu'ils ont, c'est un sceau avec un tampon encreur dans le bureau puis ils se promènent comme ça. Je suis d'accord avec vous. Il va le faire une fois, il va le faire deux fois, jusqu'à ce qu'il se fasse prendre. Il y a le syndic de l'Ordre qui va finir par l'épingler puis par l'arrêter, alors que le cuisinier, il n'y a personne qui va l'arrêter. Avec cette loi-là, il n'y a personne qui va arrêter le cuisinier.

M. Gautrin: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): M. Champagne, à l'article 2, dans votre mémoire, vous dites, en parlant de définition des actes, que le texte accorde une importance démesurée aux calculs et aux analyses. Il m'apparaît que dans votre profession, les sciences exactes et les calculs et analyses, c'est inhérent à votre profession. Alors, j'ai de la misère à comprendre pourquoi vous dites que l'importance est démesurée. Et, par après, vous dites: C'est démesuré, mais il faudrait aussi inclure les guides de conception, les guides techniques, les logiciels, les références. J'aimerais que vous nous donniez un peu plus d'explications sur ça.

M. Champagne (Louis): C'est ça. C'est parce qu'il faut lire le texte dans son contexte. C'est qu'on donne uniquement le calcul et les analyses comme des actes mais pas l'utilisation de manuels de référence, de logiciels, le choix de méthodes. Il y a de plus en plus d'outils – en particulier dans les logiciels – de conception qui viennent soutenir le travail d'un ingénieur et du technologue. Et ne pas y référer, référer uniquement aux calculs et aux analyses, c'est comme si on excluait les autres outils dont se servent quotidiennement ceux qui font du génie. Ça, ça ne nous semble pas tout à fait accroché à la pratique. La pratique, c'est qu'on va aller voir dans des manuels de référence, on va référer à des normes internationales. Et ce choix-là devrait être aussi un acte, comme le fait d'utiliser des calculs et des analyses ou de préciser davantage les analyses.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme la ministre.

Mme Goupil: M. le Président, on revient souvent sur le terme d'ingénieur directeur technique. Vous savez, dans votre mémoire, à la page 5: «L'article 2 devrait inclure la direction et la coordination techniques comme faisant partie des actes réservés à l'ingénieur, au même titre que tous les autres actes exclusifs.» J'aimerais que vous me disiez: Est-ce qu'il est possible pour un patron de désigner un non-ingénieur à la direction technique?

M. Champagne (Louis): Je vais vous répondre: Ça dépend de quelle technique il s'agit. S'il s'agit d'actes réservés, d'actes exclusifs réservés, on pense que non, ça devrait être un ingénieur. C'est notre opinion et on pense que la loi devrait l'écrire clairement. S'il ne s'agit pas d'actes réservés, s'ils ne sont pas réservés, ils ne sont pas réservés; alors, ceux-là devraient être plus, je dirais, disponibles en termes de direction à des non-ingénieurs. Mais en ce qui concerne les actes réservés, on comprend mal que... Vous n'iriez pas vous faire opérer, je pense, Mme la ministre, si on vous disait: Ça va être un collègue avocat qui va être directeur de l'opération. À moins que ça soit, je ne sais pas, une chirurgie pour un ongle incarné.

Mme Goupil: Je souhaite de ne pas être malade du tout. La santé, c'est le meilleur gage.

M. Champagne (Louis): C'est vrai, vous avez raison.

Mme Goupil: Mais, blague à part, là...

M. Champagne (Louis): C'est uniquement dans les actes réservés qu'on pense que la direction devrait être obligatoirement réservé à des ingénieurs. Il y a un tas d'actes qui ne sont pas réservés. Et la gestion, effectivement, c'est une chose; la direction technique en est une autre. Pour nous, la direction technique, ce n'est pas d'engager, de congédier du personnel, s'occuper des vacances, s'occuper de l'organisation des tâches, c'est vraiment prendre les décisions, c'est agir dans le champ réservé, dans le champ exclusif.

Mme Goupil: Est-ce qu'il faut l'inclure dans un acte réservé?

M. Champagne (Louis): Je pense que oui.

Mme Goupil: Selon vous, il faudrait l'inclure?

M. Champagne (Louis): Oui. La direction des actes réservés devrait faire partie. La direction immédiate.

Mme Goupil: Immédiate?

M. Champagne (Louis): Oui, devrait faire partie des actes réservés.

Mme Goupil: Pourquoi?

(14 h 40)

M. Champagne (Louis): Parce que vous allez mettre l'ingénieur en situation de conflit avec son patron, si ce n'est pas le cas, dans ses activités professionnelles. Vous risquez aussi de vous retrouvez dans une chaîne où il n'y aura pas d'ingénieur, dans une chaîne de commandement où le patron n'aura pas d'ingénieur. Il n'y aura pas d'ingénieur qui va intervenir directement. On parle de direction technique toujours, là, on ne parle pas de direction administrative. S'il y a un non-ingénieur et un ingénieur qui sont en situation de conflit, ce n'est pas évident que ça va être la sécurité du public qui va être la préoccupation du patron. Il n'a pas à en tenir compte. L'indépendance professionnelle, il n'en jouit pas s'il est directeur technique et qu'il n'est pas lui-même professionnel. Et il n'a même pas l'obligation d'aujourd'hui de recourir à des plans d'ingénieur, alors ce n'est pas...

Mme Goupil: Je vous remercie.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Oui, M. le député de Pontiac.

M. Middlemiss: Oui. Merci, M. le Président. M. Champagne, vous avez indiqué tantôt qu'il y a des ingénieurs, probablement à Hydro-Québec, qui ont laissé tomber leur adhésion à l'Ordre des ingénieurs. Et l'une des raisons, c'était la prime pour l'assurance-responsabilité, entre autres.

M. Champagne (Louis): Non, ce n'était pas ça.

M. Middlemiss: Non?

M. Champagne (Louis): Non, non. L'assurance-responsabilité, c'est quelques dollars à l'Ordre des ingénieurs.

M. Middlemiss: O.K.

M. Champagne (Louis): C'était qu'ils avaient des augmentations de salaire quand ils démissionnaient. L'argument que ça coûte plus cher d'avoir des ingénieurs ne tient pas vraiment chez nous parce qu'il y a beaucoup de gens qui ont démissionné puis qui ont eu des augmentations de salaire, soit d'échelle ou de salaire. Alors, il y avait comme un incitatif à démissionner de l'Ordre.

M. Middlemiss: Donc, à ce moment-là, n'étant plus membres de l'Ordre, ils n'avaient plus la qualité d'un ingénieur. Donc, ils ne pouvaient pas...

M. Champagne (Louis): Faire d'actes réservés.

M. Middlemiss: Est-ce que, à ce moment-là, ils ont continué à pratiquer comme s'ils étaient encore des membres de l'Ordre?

M. Champagne (Louis): Il y a des champs de pratique, comme l'informatique ou le génie logiciel, pour lesquels l'Ordre dit qu'il est sans pouvoir. Les gens peuvent être ingénieurs, il y a plusieurs formations d'ingénieur qui ne sont pas couvertes par les actes. Alors, l'ingénieur qui fait de l'informatique est mal couvert par la loi. Il n'a pas besoin d'être ingénieur, au sens de la loi, pour exercer sa profession, pour faire de l'informatique, du génie logiciel.

Alors, c'était l'intention de l'Ordre, c'est pour ça que l'Ordre a, en quelque sorte, extensionné son champ ou ses actes. Mais l'idée, au départ, c'était de faire – quand on a commencé en tout cas nos discussions – une mise à jour de la loi en fonction de ce qui se passe maintenant. Ce n'était pas d'aller chercher de l'ouvrage pour 100 fois les ingénieurs. Il n'y a pas beaucoup d'ingénieurs qui sont chômeurs. Il n'y en avait pas tant que ça non plus quand ça a commencé. Ce n'était pas la préoccupation de l'Ordre, à l'époque, en tout cas, de faire travailler son monde, c'était de faire une mise à jour qui correspondrait à ce qu'on observe et à l'évolution normale de la profession.

M. Middlemiss: C'est bien. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, il me reste, au nom des membres de la commission, à remercier très sincèrement les représentants du Syndicat professionnel des ingénieurs d'Hydro-Québec et à inviter maintenant les membres de la Corporation des maîtres électriciens du Québec à bien vouloir prendre place.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Bon. Alors, j'aimerais souhaiter la bienvenue, au nom des membres de la commission, aux membres de la Corporation des maîtres électriciens. Je demanderais à son président, M. Beauvais, de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent. Et on se rappelle qu'on a une vingtaine de minutes pour la présentation.


Corporation des maîtres électriciens du Québec (CMEQ)

M. Beauvais (Michel): Merci, M. le Président, et bonjour, Mmes et MM. les ministres et les députés. Je vais immédiatement vous présenter les gens qui m'accompagnent afin qu'on ait tout le temps possible pour vous présenter le mémoire. Tout d'abord, à mon extrême droite, M. Jacques Plante, premier vice-président; M. Yvon Guilbault, le vice-président exécutif; Me Ginette Phaneuf, directrice au niveau juridique; et M. Pierre Liberatore, complètement à ma gauche, au niveau de l'application, directeur des services techniques; et M. Alain Paradis, directeur général. Je vais céder la parole immédiatement à M. Guilbault afin qu'il puisse présenter le mémoire immédiatement.

M. Guilbault (Yvon): Merci, M. le Président. Nous remercions d'abord la commission parlementaire de nous donner l'occasion de faire valoir notre point de vue sur cet avant-projet de loi. D'abord, comme avant-propos, pour situer la Corporation des maîtres électriciens du Québec, souvent on a une occasion de participer à des commissions parlementaires dans la construction, plus dans le domaine des relations de travail, mais, pour ce qui est d'aujourd'hui, c'est de rappeler que la Corporation des maîtres électriciens a été créée en 1950 par une loi reconnue d'ordre public, qui a comme but d'augmenter la compétence et l'habileté des entrepreneurs électriciens en vue d'assurer au public une plus grande sécurité, de réglementer leur discipline et leur conduite dans le métier et de faciliter et d'encourager leur formation.

Alors, elle exerce tous les pouvoirs, la Corporation, d'une corporation professionnelle. Il y a quelque 2 900 entrepreneurs électriciens au Québec qui oeuvrent sur les chantiers de construction, qui doivent être membres de la CMEQ. Les entrepreneurs en électricité entretiennent des relations d'affaires et contractuelles tant avec les entrepreneurs généraux qu'avec les maîtres d'ouvrage. Leurs services vont de la conception d'une installation électrique jusqu'à l'exécution des travaux, que ceux-ci visent à réaliser une construction nouvelle, des réparations, de l'entretien, de la rénovation d'une installation existante, dans tous les secteurs de l'industrie de la construction, c'est-à-dire résidentielle, commerciale, institutionnelle et industrielle.

Les membres de la CMEQ doivent être titulaires d'une licence délivrée par la Régie du bâtiment et respecter le Code de l'électricité, et s'il y a lieu les règles prescrites par Hydro-Québec. L'inspection des travaux d'électricité exécutés au Québec est confiée à la Régie du bâtiment du Québec par la Loi sur les installations électriques. Les travaux d'installation, les travaux d'électricité entrepris au Québec sont donc particulièrement contrôlés et réglementés, vu le danger qu'ils peuvent représenter s'ils ne sont pas conçus et exécutés adéquatement.

Or, le mémoire de la CMEQ vise à démontrer que les actes exclusifs que revendiquent les ingénieurs sont actuellement et depuis plusieurs décennies accomplis par les entrepreneurs en électricité dans leur spécialité et qu'ils ne sauraient devenir l'apanage des ingénieurs.

Alors, le but de cet avant-projet de loi tel qu'on l'a compris, c'est de redéfinir les actes exclusifs du champ de pratique de l'ingénieur et les ouvrages visés par cette exclusivité. Le Bureau de l'Ordre des ingénieurs se verrait ainsi attribuer des pouvoirs afin de régir les personnes morales habilitées à exercer la profession d'ingénieur.

(14 h 50)

Dans les actes exclusifs revendiqués par l'ingénieur, tels qu'énumérés à l'article 2 de l'avant-projet de loi, il y a trois parties: d'abord, concevoir un ouvrage; deuxièmement, faire des études et donner un avis technique quant à un ouvrage; en vérifier la qualité technique, attester de la conformité aux normes reconnues de construction, de fabrication, de fonctionnement ou d'exploitation, surveiller l'exécution des différents travaux afférents à un ouvrage et concevoir des directives de surveillance et des directives d'inspection. Ça, c'est ce qu'on retrouve à l'article 2 de l'avant-projet de loi.

Si on détaille maintenant chacun de ces points-là, le premier point, c'est concevoir un ouvrage. Dans l'avant-projet de loi, on mentionne que la portée du mot conception est décrite à l'article 2.1 du projet de loi. Concevoir consiste à choisir les systèmes applicables en tenant compte des données techniques pertinentes et des risques et impacts afférents à l'ouvrage. À cette fin, on doit exécuter des calculs. On peut préparer des plans, des devis et des manuels de mise en service. Ferait partie de l'acte de concevoir la vérification des plans, leur authentification et l'attestation de leur conformité aux normes reconnues de construction, de fabrication, de fonctionnement ou d'exploitation.

L'ouvrage qui fait l'objet de la conception est défini à l'article 1 de l'avant-projet. La définition vise non seulement un bâtiment, mais aussi un procédé industriel et des systèmes énumérés à l'article 3 de l'avant-projet, entre autres, l'installation de système de chauffage à l'électricité, toute installation électrique, la démolition d'une installation électrique et les systèmes de protection contre l'incendie.

Si on fait référence maintenant, sur cette partie-là, à la Loi sur les maîtres électriciens, on se rend compte qu'à l'article 1 de la Loi sur les maîtres électriciens l'article définit celui-ci comme toute personne qui fait affaire comme entrepreneur en électricité et qui, entre autres choses, fait, à ses frais, mais exclusivement à son usage personnel, des plans en vue d'obtenir et d'exécuter à son profit des travaux d'installation électrique.

Cette partie de la Loi des maîtres électriciens, qui existe depuis des années, a fait au cours de ces décennies-là l'objet d'une jurisprudence. La Cour des sessions de la paix, la Cour supérieure, la Cour d'appel ont confirmé le droit du maître électricien de faire des plans. Ces jugements sont reproduits d'ailleurs à l'annexe du mémoire. Le jugement de la Cour supérieure, confirmé par la Cour d'appel, rappelle le caractère public de la Loi sur les maîtres électriciens et le but premier qu'elle vise, soit la protection du public. Une des conclusions du tribunal est à l'effet que le législateur a spécifiquement protégé les droits des maîtres électriciens et des ingénieurs dans les lois qui les régissent, je dirais, dans un esprit de complémentarité.

Or, bien que le paragraphe 5g de la Loi sur les ingénieurs protège ces droits des membres de la CMEQ, l'article 4.2 de l'avant-projet de loi propose que toute personne peut concevoir un ouvrage, si cette conception se fait sous la supervision ou la responsabilité d'un ingénieur. Or, doit-on conclure que les plans de l'entrepreneur en électricité doivent être faits sous la supervision ou la responsabilité d'un ingénieur? Vous comprenez qu'une telle conclusion relève de l'absurde et est complètement contraire aux pratiques sur le terrain.

La deuxième partie, il s'agit de faire des études, donner un avis technique quant a un ouvrage, en vérifier la qualité technique, attester la conformité aux normes reconnues de construction, de fabrication, de fonctionnement et d'exploitation. Alors, dans la partie de l'avant-projet, on précise toutes ces tâches-là de façon un petit peu plus concise. On dit que la première partie consiste à faire des études relativement à un ouvrage, à en vérifier la qualité technique et à donner un avis technique relativement à l'ouvrage. Ces tâches sont connexes puisque donner un avis technique relativement à un ouvrage consiste, dans un premier temps, à effectuer des recherches, à faire des études et, dans un deuxième temps, à en vérifier la qualité technique.

La deuxième partie concerne les attestations de conformité d'un ouvrage aux normes reconnues de construction établies par le Code de l'électricité du Québec, aux normes d'Hydro-Québec, aux normes de fabrication établies par The Canadian Standards Association, aux normes de fonctionnement des manuels d'instruction du fabricant ou d'exploitation, qui sont les recommandations du fabricant ou du fournisseur.

Comment se situe, dans ce contexte-là, l'entrepreneur électricien? L'article 1 de la Loi sur les maîtres électriciens décrit celui-ci comme toute personne qui fait affaire comme entrepreneur en électricité et qui, entre autres, prépare des soumissions, fait ou prépare des soumissions dans le but d'exécuter des travaux d'installation électrique ou des travaux de réfection, de modification ou de réparation d'une installation électrique.

Alors, sur la partie faire des études, donner un avis technique et vérifier la qualité technique, nous aimerions ici insister sur les tâches de préparer des estimations et de faire ou présenter des soumissions. Ces tâches ne consistent pas en la simple addition de colonnes de chiffres pour établir un prix pour l'exécution de travaux. Afin de préparer des estimations et de présenter des soumissions selon les demandes et besoins du client, l'entrepreneur en électricité doit faire des études relativement à cet ouvrage et en vérifier la qualité technique afin de pouvoir donner un avis technique à son client lors de la présentation de sa soumission. L'entrepreneur électricien a depuis toujours effectué de telles tâches dans le but d'exécuter des travaux d'installation électrique ou des travaux de réfection, de modification ou de réparation d'une installation électrique.

Quant à l'attestation de conformité, qui est le deuxième point de cette partie, lors de l'exécution des travaux d'installation électrique, l'entrepreneur doit s'assurer qu'ils sont conformes aux exigences du Code de l'électricité du Québec et aux normes d'Hydro-Québec, qui sont des normes de construction. D'ailleurs, selon la Loi sur les installations électriques, l'entrepreneur doit déclarer ces travaux à la Régie du bâtiment et attester que cette installation est exécutée conformément à la Loi sur les installations électriques.

Un ingénieur peut sans doute attester du fait que des travaux ont été réalisés conformément à ses plans et devis, mais il ne peut pas attester de la conformité des travaux au Code et aux normes de construction. Lui accorder ce droit pourrait mettre effectivement en péril la sécurité du public. Autrement dit, qui trop embrasse mal étreint, dans le fond.

Il est utile ici de mentionner qu'un ingénieur en électricité n'a pas le droit, du simple fait qu'il est ingénieur, d'entreprendre et d'exécuter ou de faire exécuter des travaux d'installation électrique. Un ingénieur, s'il n'est pas titulaire d'une licence d'entrepreneur en électricité délivrée par la Régie du bâtiment du Québec, n'a pas le droit d'entreprendre ce type de travaux. Si, en plus d'entreprendre, il veut exécuter lui-même ces travaux, il doit au préalable compléter l'apprentissage requis à la Loi sur la formation et la qualification professionnelle de la main-d'oeuvre et réussir les examens de qualification rattachés au métier d'électricien.

Lors de l'installation d'appareillage électrique, l'entrepreneur doit tenir compte du manuel d'instruction du fabricant et des recommandations du fabricant ou du fournisseur du produit, en termes de normes d'exploitation. De plus, certains entrepreneurs détiennent une accréditation d'un agent certificateur comme la CSA, la Canadian Standards Association, ou l'ITS, qui sont des services d'essais – Intertek, anciennement Warnock-Hersey – à des fins d'exploiter un atelier de montage ou de panneaux de commandes selon les normes de fabrication de CSA. Cette accréditation lui permet d'agir à titre de fabricant et d'apposer sur l'appareillage une étiquette de certification attestant de la conformité à la norme de fabrication.

Toutes ces responsabilités appartiennent à l'installateur qu'est l'entrepreneur. Elles n'appartiennent pas à l'ingénieur. Et, bien que le paragraphe g de l'article 5 de la Loi sur les ingénieurs protège les droits des membres de la CMEQ, l'article 4.2 de l'avant-projet de loi propose que toute personne peut faire des études relatives vraiment à un ouvrage, en vérifier la qualité technique, donner un avis technique relativement à un ouvrage ou en attester la conformité aux normes reconnues de construction, de fabrication, de fonctionnement ou d'exploitation, si ces tâches sont effectuées sous la supervision et la responsabilité d'un ingénieur. Enfin, en faire l'énumération, on trouve que c'est un champ excessivement large.

Alors, doit-on conclure que les tâches ci-dessus mentionnées et effectuées par l'entrepreneur électricien depuis des décennies devraient être faites sous la supervision et la responsabilité d'un ingénieur? Conclure dans ce sens nous paraîtrait erroné puisque, tel que démontré, l'entrepreneur en électricité est assujetti à des lois et des règlements qui assurent le contrôle de la qualité et la conformité des installations électriques et de leur outillage.

Troisième partie, surveiller l'exécution des travaux afférents à un ouvrage et concevoir des directives de surveillance et d'inspection. Alors, dans l'avant-projet de loi, on mentionne, à l'article 2, que l'article confierait à l'ingénieur l'exclusivité de la surveillance des travaux et de la conception de directives de surveillance et d'inspection de travaux. L'article 4.1 semble tempérer l'exclusivité de la surveillance des travaux en permettant à l'entrepreneur chargé des travaux d'en surveiller l'exécution si trois conditions sont respectées: les plans doivent être authentifiés par un ingénieur, les travaux sont surveillés conformément à des directives de surveillance écrites et authentifiées par un ingénieur, et toute modification aux plans ou devis est approuvée par écrit par un ingénieur. Alors, la conception des directives d'inspection reviendrait exclusivement à l'ingénieur.

(15 heures)

Le rôle de l'entrepreneur électricien face à ce libellé d'article, c'est que la responsabilité de l'exécution des travaux d'électricité appartient à l'entrepreneur électricien et non à l'ingénieur. Bien que la Loi sur les maîtres électriciens ne prévoie pas la responsabilité de l'entrepreneur en électricité quant au volet technique de ces travaux, cette responsabilité s'infère de la Loi sur le bâtiment et de la Loi sur les installations électriques. En effet, l'entrepreneur doit respecter les dispositions de la Loi sur les installations électriques, du Code de l'électricité et les normes d'Hydro-Québec. Alors, pourquoi la surveillance des travaux d'électricité deviendrait-elle donc exclusive à l'ingénieur? Si l'entrepreneur électricien peut concevoir un ouvrage, il est déraisonnable de lui permettre de surveiller l'exécution de ces travaux aux conditions posées à l'article 4.1 de l'avant-projet de loi.

Alors, la notion d'exclusivité rattachée à la conception de directives d'inspection est étonnante compte tenu que c'est la Régie du bâtiment du Québec qui assure l'inspection des installations électriques.

Il y a une deuxième partie où on parle de personne morale autorisée à exercer la profession d'ingénieur. L'article 11 de l'avant-projet de loi donne au Bureau de l'Ordre le pouvoir de réglementer pour déterminer, entre autres choses, à quelles conditions une personne morale peut être autorisée à réaliser des projets comportant à la fois des services d'ingénierie, de l'approvisionnement et de la construction ou de la gestion de construction. Cette personne morale ne pose donc pas essentiellement des actes réservés à la profession d'ingénieur.

Cette disposition vise une personne morale qui agit à titre de gérant de projet, de gérant de construction ou qui assume la responsabilité de la réalisation d'un projet clé en main. L'Ordre souhaite qu'une telle personne morale soit titulaire d'une autorisation délivrée par le Bureau de l'Ordre pour pouvoir rendre des services d'ingénierie, faire de l'approvisionnement et de la construction ou gestion de construction.

Pourtant, l'article 2 de l'avant-projet de loi est clair: Les actes de la profession d'ingénieur sont des actes qui procèdent d'une interprétation ou d'une application des sciences exactes ou de la technologie par des analyses ou des calculs. Alors, pourquoi une personne morale qui agit comme gestionnaire de construction devrait-elle donc être autorisée par le Bureau de l'Ordre à poser un acte qui ne relève pas de la profession d'ingénieur?

Alors, un entrepreneur en électricité, membre de la CMEQ et titulaire d'une licence de la Régie du bâtiment du Québec, peut exercer ses activités sous la forme juridique de son choix. La majorité des titulaires d'une licence d'entrepreneur électricien sont d'ailleurs des personnes morales. Dans le cadre des services qu'il offre à ses clients, peu importe son statut juridique, l'entrepreneur en électricité exécute et gère des travaux de construction, selon la demande et les besoins de son client. Et tout projet de construction comporte de la gestion de construction et de l'approvisionnement.

Le membre de la CMEQ exécute même ses travaux, dans certains cas, avec des plans faits par lui et fondés sur la vérification de l'état du système technologique du bâtiment ou de l'entreprise de son client.

Alors, donner suite aux revendications de l'Ordre équivaudrait à lui accorder le pouvoir de contrôler toute personne morale qui exerce des activités dans l'industrie de la construction en l'autorisant, ou en refusant de l'autoriser, à gérer des travaux de construction et donc à exercer ses activités d'entreprise de construction.

Alors, compte tenu du temps qui m'est imparti, je procède immédiatement à la conclusion. Les travaux exclus de l'application de la Loi sur les ingénieurs sont énumérés à l'article 1.1 de l'avant-projet de loi et représentent une partie infime de ceux conçus et réalisés au Québec. Ces exclusions sont négligeables.

La CMEQ est donc en désaccord avec la portée des articles 2, 2.1, 2.2, 3, 4.1, 4.2 et 11 de l'avant-projet de loi. L'adoption de ces dispositions ferait en sorte que les services d'un ingénieur, selon notre compréhension, seraient obligatoires à compter de la conception d'une installation électrique, jusqu'à la fin des travaux, pour la très grande majorité des ouvrages entrepris au Québec. Le même raisonnement s'applique pour tous les travaux de toutes les spécialités impliquées dans un projet de construction. Faut-il comprendre que chacun des entrepreneurs spécialisés chargé de réaliser des travaux devrait avoir à son emploi un ingénieur? Si un seul ingénieur suffit, celui-ci ne devrait-il pas être spécialisé en électricité, en mécanique et dans toute autre spécialité pertinente au projet pour pouvoir surveiller les travaux et attester de leur conformité à l'ensemble du Code de la construction?

Alors, l'Ordre des ingénieurs prétend ne pas avoir la volonté de devenir un organisme de contrôle des normes de qualité des produits industriels ni un surveillant de la gestion des entreprises où oeuvrent des ingénieurs. Son président a d'ailleurs écrit dans le plan que la notion de protection du public est la finalité même d'un ordre professionnel.

D'une part et nonobstant le discours de l'Ordre, les dispositions de l'avant-projet de loi signifient clairement que l'Ordre des ingénieurs veut contrôler tous les actes qui y sont décrits incluant l'exécution et la gestion des travaux de construction.

D'autre part, il faut conclure que les membres de la CMEQ sont habilités, au sens des lois pertinentes, à concevoir une installation électrique, à faire des études, à donner un avis technique quant à une installation électrique, à vérifier la qualité technique et à attester la conformité aux normes reconnues de construction, de fabrication, de fonctionnement ou d'exploitation d'une installation électrique, parce que nous sommes aussi un organisme professionnel au sens de la loi.

Alors, les entrepreneurs sont les vrais experts de l'installation. Si c'est un domaine qui nous est reconnu à cause des articles de loi qui sont spécifiés, si c'est le sens qu'on doit comprendre de l'avant-projet de loi, la Corporation, évidemment, propose, dans son annexe III, un ajout au projet de loi de façon à exclure complètement et non pas seulement pour les plans, à exclure de la loi les actes posés par l'entrepreneur électricien dans ceux réclamés par l'Ordre des ingénieurs – évidemment, nous parlons d'électricité.

Alors, je vous remercie, M. le Président. Même si la conclusion est hâtive, c'était dans le but de respecter le 20 minutes.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Guilbault. Je vous félicite pour votre discipline. À ce moment-ci, nous passerions donc à la période d'échanges. Mme la ministre.

Mme Goupil: Merci, M. le Président. Alors, M. Guilbault, je vous remercie de votre excellent résumé. D'abord, dans un premier temps, suite aux commentaires que vous avez apportés, on comprend bien que l'article 5, paragraphe g, tel qu'il a été maintenu dans la loi, ne vous suffit pas pour vous assurer que, finalement, vous n'êtes pas touchés par cet avant-projet là dans la réalisation comme maîtres électriciens. Alors, c'est par interprétation des autres articles où vous venez définir que les ingénieurs envahiraient un champ de pratique dans lequel, finalement, ils ne sont pas présents jusqu'à maintenant. C'est bien ça?

M. Guilbault (Yvon): Exact.

Mme Goupil: Bon. L'article 11, parce que la personne morale qui est visée à l'article 11 est celle... en fait, on veut s'assurer que, lorsque des gens veulent poser des gestes de génie, ils détiennent le titre d'ingénieur. Au niveau de la Corporation des électriciens, est-ce qu'il y a des gens qui posent des actes de génie?

M. Guilbault (Yvon): Il faut que je vous réponde non parce que...

Mme Goupil: Il faut! Ha, ha, ha!

M. Guilbault (Yvon): Il faut que je vous réponde non pour la raison suivante. Si je vous disais ça sans compléter, ça fait sourire. Il y a déjà beaucoup de débats qui ont été faits entre l'Ordre des ingénieurs et la Corporation des maîtres électriciens, je dirais, pour trouver son terrain de complémentarité. Ça s'est fait dans le passé, et je ne pense pas que les membres des deux organismes, entre guillemets, se pilent sur les pieds sur le terrain. Ce qui nous a inquiétés quand on a pris connaissance de l'avant-projet de loi, c'est que cet ordre-là, très précaire, soit un peu chambardé, alors que les deux s'entendent actuellement, je dirais, passablement bien. Même si, quelquefois, il peut y avoir, entre la conception, l'exécution, la surveillance, quelques irritants, il reste que dans les faits, en matière contractuelle, avec les plans et devis, même si les ingénieurs pouvaient avoir des irritants vis-à-vis les maîtres électriciens – je peux vous dire que, vice versa, c'est vrai – il y a quand même un ordre qui existe.

Quand on lit le projet de loi tel qu'il est écrit, on se dit comme première réaction: Ça n'a pas de bon sens, si on interprète ça littéralement. Et, vous le savez, quand un projet de loi est adopté, on se retrouve, par la suite, en cas de divergence, devant un juge. Et le juge, lui, il y a des chances qu'il lise le projet de loi, devenu loi, exactement comme on peut le lire, ce qui fait qu'il peut présumer que, dans les actes mentionnés dans la loi, on puisse trouver et approuver la présence d'un ingénieur à peu près à tous les niveaux. Ce qui fait que les entrepreneurs électriciens qui ont pris connaissance de l'avant-projet de loi ont dit: Comment peut-il être possible qu'on se retrouve demain matin, dans tous les actes qu'on va poser, en présence d'un ingénieur pour que celui-ci vienne certifier tous les actes qu'on va poser? Et globalement, c'est la crainte qu'ils ont. Autrement dit, il y a un fossé très large entre ce qui se fait dans la réalité à l'heure actuelle et ce qu'on peut lire dans le projet de loi, si on parle en matière d'électricité qui est un champ d'activité excessivement réglementé.

(15 h 10)

Le Code de l'électricité, c'est vaste, compliqué, révisé régulièrement. Il y a la Régie du bâtiment qui vient inspecter les travaux faits par l'entrepreneur électricien. Dans bien des travaux, il y a des donneurs d'ordres par l'entremise d'ingénieurs qui viennent inspecter les travaux des entrepreneurs électriciens. Il y a Hydro-Québec qui va s'assurer, par son livre bleu puis son livre vert, que l'entrepreneur électricien a bien fait les travaux pour permettre le raccordement au réseau. Plein de monde inspecte l'entrepreneur électricien. Il y a tellement de monde qui inspecte l'entrepreneur électricien que l'entrepreneur électricien paie partout. Il paie des honoraires d'inspection à la Régie du bâtiment, 3,75 % de sa masse salariale, 1 600 $ par homme par année; il paie 10 000 000 $ par année à la Régie du bâtiment pour être inspecté, pour vérifier si les travaux qu'il a faits sont conformes au Code de l'électricité. S'il ne respecte pas les normes d'Hydro-Québec, il y a tout un chapelet d'amendes qui sont prévues, si l'entrepreneur électricien ne les respecte pas. Il est excessivement encadré, l'entrepreneur électricien, par la Canadian Standards Association pour s'assurer qu'il installe des produits qui sont certifiés conformes. Et vous comprendrez qu'au cours des décennies cet ordre-là qui demeure précaire quand il y a interrelation entre beaucoup de métiers sur un chantier au niveau de la conception, au niveau de l'installation, vous comprendrez que le projet de loi tel qu'il est libellé et l'interprétation qu'on en fait nous inquiètent. C'est dans ce sens-là qu'on mesure notre intervention aujourd'hui.

Mme Goupil: Je vous remercie. Maintenant, lorsque l'on différencie entre les plans d'ingénieurs puis les plans de maîtres électriciens, j'imagine qu'il y a des ingénieurs qui font faire des plans au niveau de l'électricité. Quelle est la différence concrètement là, puis si c'est...

M. Guilbault (Yvon): Concrètement, parce que vraiment, là, j'attaque le problème de façon très concrète et non pas théorique... concrètement, la Loi sur les maîtres électriciens permet à un entrepreneur électricien de faire des plans pour son usage personnel.

Mme Goupil: D'accord.

M. Guilbault (Yvon): Vous avez un travail à faire, l'entrepreneur électricien vous rencontre, ou ça peut être un industriel, ça peut être, enfin, n'importe quel client, et le client demande à l'entrepreneur électricien de faire un travail d'installation électrique. Dans bien des cas, l'entrepreneur électricien doit évaluer les besoins, doit évaluer les charges, doit évaluer une foule de facteurs pour rencontrer les besoins du client. À ce moment-là, la Loi sur les maîtres électriciens permet de faire ses propres plans pour son usage personnel vis-à-vis son client, et c'est ça qui n'est plus contesté à cause de la jurisprudence qui est mentionnée dans notre mémoire.

Par contre, à la limite, les plans qu'un entrepreneur électricien pourrait faire pour son usage personnel, si le client les utilisait pour un autre entrepreneur: Il y a tel entrepreneur qui m'a fait un prix avec les plans; veux-tu, à partir des mêmes plans, faire un prix, à partir des plans de l'autre entrepreneur? ça, ce n'est pas permis. Il faut que ce soit pour son propre usage. Alors, vous avez compris que l'ingénieur intervient partout, en termes de plans, lorsque l'entrepreneur fait des plans qui ne sont pas pour son propre usage. En pratique, c'est comme ça que ça fonctionne.

Mme Goupil: Je vous remercie, M. Guilbault.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond.

M. Jutras: Oui. M. Guilbault, la loi actuelle, la Loi sur les ingénieurs, la Corporation des maîtres électriciens vit bien avec cette loi-là?

M. Guilbault (Yvon): Avec les commentaires que j'ai faits au début, oui.

M. Jutras: Oui. J'essaie de comprendre ce que l'avant-projet de loi vient changer pour la Corporation des maîtres électriciens parce que, finalement, vous avez l'article 5g de la loi actuelle, mais qui est maintenu, et cet article-là dit: «Rien dans la présente loi ne doit porter atteinte aux droits dont jouissent les membres de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec et de la Corporation des maîtres électriciens du Québec, en vertu des lois qui les régissent.» Alors, présentement, dans la Loi sur les ingénieurs, il y a des fonctions exclusives, il y a des pouvoirs exclusifs, il y a des pouvoirs réservés, et vous vivez bien avec cette loi-là. Dans l'avant-projet de loi, on maintient la disposition de 5g, elle n'est pas abrogée. Alors, j'essaie de voir qu'est-ce que ça va changer pour vous autres, la disposition demeure la même.

M. Guilbault (Yvon): Oui. Écoutez, c'est parce qu'il faut regarder ça dans son ensemble. Actuellement, si on fait référence au mémoire dont je vous parlais tout à l'heure, on l'a divisé, vous avez vu, en trois parties: premièrement, concevoir un ouvrage; deuxièmement, études, avis technique, vérification de la qualité technique; troisièmement, surveiller l'exécution des travaux.

Pour ce qui est de la première partie, je dirais l'élaboration des plans, ça pourrait toujours aller parce qu'on revient pratiquement au statu quo. Par contre, dans le libellé de la loi, au-delà des plans de la conception, on a rajouté: les études, les avis techniques, la vérification de la qualité technique, la conformité aux normes reconnues de construction, de fabrication, de fonctionnement ou d'exploitation, et on a rajouté aussi: surveiller l'exécution des travaux afférents à un ouvrage et concevoir des directives de surveillance et des directives d'inspection. Ça, ce n'était pas là auparavant.

Alors, dans le fond, ce qu'on dit, si on veut être logique, pour respecter l'ordre établi, étant donné que cela a été ajouté à la situation actuelle, la proposition qu'on fait... on dit, à l'annexe III, la proposition, c'est de compléter ce qui se fait à l'heure actuelle, et on dit: «Ne sont pas du ressort exclusif de l'ingénieur les actes énumérés à l'article 2 de la présente loi lorsqu'ils sont posés par un membre de la Corporation des maîtres électriciens dans le cadre de la réalisation d'une installation électrique au sens de la Loi sur les installations électriques.» Alors, en complétant l'article que je viens de vous lire, on vient donner suite à ce qui a été ajouté dans l'avant-projet de loi, c'est-à-dire la conception, mais là on rajoute aussi la partie b et la partie c de l'article 2; à ce moment-là, tout serait couvert et on tomberait sur le statu quo, tel que c'est à l'heure actuelle.

M. Jutras: Mais là, ce que vous venez de me lire, c'est une proposition que vous faites?

M. Guilbault (Yvon): Oui, sinon vous dites: Pourquoi n'êtes-vous pas satisfaits si vous êtes protégés par l'article 5g? Or, on n'est pas protégé par l'article 5g, on l'est dans la mesure où notre loi... que l'entrepreneur électricien peut faire des plans. Mais ça ne comprend pas la partie des études, des avis techniques et de la surveillance des travaux, et c'est dans ce sens-là qu'il n'y a pas, je dirais, corrélation, concordance entre la Loi sur les maîtres électriciens et l'avant-projet de loi. Or, si on avait, entre guillemets, dans la partie électricité, une assurance que, en plus de la conception des plans, on aurait, je dirais, la même juridiction par rapport à la Loi sur les installations électriques, par rapport aux études, aux avis techniques et à la surveillance des travaux, ça irait, parce que l'ordre établi serait protégé.

M. Jutras: Mais est-ce que je dois comprendre de votre raisonnement que, dans la loi présentement, vous n'avez pas les pouvoirs de surveiller l'exécution de travaux puis de faire des études relativement à un ouvrage, en vérifier la qualité technique?

M. Guilbault (Yvon): Ils le font. Les entrepreneurs électriciens le font.

M. Jutras: Oui, ils le font, mais est-ce que c'est dans la loi?

M. Guilbault (Yvon): Ce n'est pas dans la Loi sur les maîtres électriciens, mais, comme c'est mentionné dans le mémoire, ça découle de la Loi sur les installations électriques, où l'entrepreneur est responsable, vis-à-vis la Régie du bâtiment, de l'exécution de ses travaux d'installation électrique. Mais, en ajoutant des choses, cette partie-là, cette juridiction-là à la Loi sur l'Ordre des ingénieurs, c'est ce qui vient chambarder un peu l'ordre établi.

M. Jutras: Oui. Mais, vu que c'est déjà prévu dans la loi, l'article 5g vous protège finalement. Mais, cependant, ce que vous dites: Par souci de clarté, pour éviter de se retrouver encore devant les tribunaux à plaider, rajoutez donc – ce que vous nous proposez dans l'annexe III.

M. Guilbault (Yvon): En fait, si c'est l'intention du projet de loi de protéger cette complémentarité entre, je dirais, ce qui existe actuellement dans les champs de pratique, il faudrait ajouter ce qu'on vous suggère pour qu'il n'y ait pas de friction. Sinon, on se retrouve devant un juge, malgré notre bonne volonté; c'est le juge qui va trancher, et on se ferait dire à ce moment-là: Ce n'était pas ça qui était l'intention. Or, si ce n'est pas l'intention, nous, on dit au gouvernement: Rajoutez cette partie-là, et l'ordre établi va être respecté.

M. Jutras: Remarquez que l'inspection et la surveillance des travaux, c'est déjà dans la Loi sur les ingénieurs actuellement, c'est à l'article 3, l'alinéa c. Il y a peut-être le deuxième élément dont on parle, la question des études. Mais, en tout cas, je comprends votre idée. Oui?

M. Guilbault (Yvon): Oui, en fait, on peut tomber dans des questions d'interprétation, mais, si l'intention est claire à l'effet que laisser la juridiction à l'entrepreneur électricien qui installe par rapport au but poursuivi par la loi... Parce qu'il faut admettre que cet avant-projet de loi couvre énormément de terrain, comme en font foi tous ceux qui sont passés avant nous, c'est très, très vaste. Mais, si on parle d'électricité, où l'ordre établi peut être précaire mais où les gens fonctionnent bien ensemble malgré quelques irritants, il faudrait que cette partie-là soit clairement exprimée dans l'avant-projet de loi pour protéger cet équilibre-là.

M. Jutras: Peut-être un dernier élément. Je vous disais que, déjà dans la Loi sur les ingénieurs, l'article 3, alinéa c, prévoit déjà l'inspection ou la surveillance des travaux comme étant de compétence exclusive de l'ingénieur, mais même la question des études aussi, c'est déjà là, à l'article 3, alinéa b; c'est déjà là. Mais je comprends votre point, là, ce que vous dites: Si ce n'est pas votre intention, dites-le donc clairement.

(15 h 20)

M. Guilbault (Yvon): Oui. Écoutez, là, vous dites: À l'article 3, c'est dit ça, mais vous avez compris aussi qu'il y a un ensemble, là, on doit interpréter les clauses les unes par les autres. Et, dans la juridiction, dans le champ de juridiction de l'Ordre, c'est libellé complètement différemment, il faut admettre ça aussi. Je veux dire, techniquement, quand on l'interprète, je vous mentionne qu'il y a un fossé entre ce qui se passe dans la réalité et ce qui est écrit dans le projet de loi. Et la question qu'on peut se poser, une fois qu'on suscite ce débat-là: Est-ce que c'est vraiment l'intention et de l'Ordre des ingénieurs – en électricité, je précise bien – et du gouvernement de, je dirais, fragiliser cet équilibre-là? Si ça n'est pas le but, qu'on ajoute l'amendement dont on a parlé à l'annexe III de notre mémoire. Si c'est ça, le but. Parce qu'il y a un fossé entre ce qui se fait dans le quotidien et ce qu'on lit dans l'avant-projet de loi.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): Pour compléter ce que mon collègue de Drummond dit, M. Guilbault, il me semble que, si vous lisez l'article 2, le premier paragraphe de l'article 2, il faut que ce soient des actes «qui procèdent d'une interprétation ou d'une application des sciences exactes ou de la technologie par des analyses ou des calculs». Il me semble que tout ce qui suit, a, b et c, c'est relié à ce premier paragraphe là et ça ne devient pas général. D'après moi, c'est limitatif. En ce sens que ce qui n'est pas couvert par les sciences exactes, vous avez droit à ce moment-là de procéder.

M. Guilbault (Yvon): Vous voyez, le problème qu'on a, c'est parce que, dépendant où on oeuvre, on peut avoir une interprétation différente. Pour un entrepreneur électricien qui lit ça, ce que vous venez de lire, puis s'il l'applique à lui, à la journée longue l'entrepreneur électricien fait l'interprétation du Code de l'électricité, il fait des calculs; lui aussi, il fait ça. Alors, ce n'est pas parce qu'il n'est pas ingénieur qu'il ne calcule pas. Il doit calculer les charges, la grosseur du fil, il doit calculer toutes ces choses-là. Alors, quand il lit le texte, de sa vision à lui, de son point de vue, il se sent visé carrément. Et la crainte qu'on peut avoir, c'est que, si un juge, lui aussi, doit interpréter, pour quelle raison le juge ne prendrait pas aussi pour acquis que cette partie-là s'applique à l'entrepreneur électricien? C'est ce qu'on veut éviter.

Autrement dit, on imagine que l'avant-projet de loi n'est pas à l'étude pour causer des problèmes. Nous, on dit: Si ce n'est pas pour causer des problèmes, il y a un équilibre précaire qui existe, mais l'équilibre est là, alors, ne créons pas de problème; ça doit être là pour en régler; nous, on ne veut pas en faire. Alors, si on ne veut pas en faire, à ce moment-là on dit: Faites donc l'exclusion autant pour la conception, autant pour les études et autant pour l'exécution des travaux pour que ça soit clair. C'est ce qu'on mentionne. Parce que vous comprenez qu'avec vos interventions ça fait juste souligner le fait qu'on tombe dans les questions d'interprétation. Et, quand on tombe dans des questions d'interprétation, on craint tout le temps que, une fois qu'un projet de loi est adopté puis que ça n'est pas clair, on se retrouve dans des situations qui n'étaient pas prévues avec le libellé tel qu'on le voit aujourd'hui. C'est ce qu'on veut souligner devant la commission parlementaire.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le porte-parole de l'opposition officielle en matière de lois professionnelles et député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Merci, M. le Président. M. Guilbault, dans votre conclusion, en relation avec l'article 1.1, vous dites que les travaux exclus de l'application de la loi représentent une partie infime de ceux construits et réalisés au Québec et que les exclusions sont négligeables. Mais il y a ceux qui prétendent que ces exclusions sont trop larges, que ça peut inclure les hôtels, les clubs, les motels, et qu'on peut répéter ces exclusions à l'infini dans la mesure où ils sont séparés par des murs coupe-feu. Il y a aussi ceux qui prétendent que le deuxième paragraphe de l'article 1.1, c'est trop large et que ça ouvre la porte à des non-ingénieurs où on requiert l'expertise des ingénieurs. Alors, j'aimerais que vous nous donniez votre vision des exceptions de l'article 1.1 et le fait que ça doit être plus large ou c'est trop large.

M. Guilbault (Yvon): Écoutez, c'est parce qu'on est un peu embêté dans le sens où carrément on tombe dans l'interprétation. Il y a des interprétations larges, il y a des interprétations restreintes. Nous, on parle, dans notre vision à nous, du rôle de l'ingénieur. Il peut y avoir des ingénieurs en électricité, il peut y avoir des ingénieurs civils, il peut y avoir différentes disciplines, de la même façon qu'il y a toutes sortes de travaux d'électricité: il y a des travaux d'électricité industrielle, commerciale, résidentielle, c'est très vaste. On peut attaquer le problème de beaucoup de façons. On peut l'attaquer de façon très, très vaste. On peut analyser toutes les clauses de l'avant-projet de loi globalement. Mais ce qu'on vous dit, ça peut s'appliquer à beaucoup d'endroits. Mais, quand on parle d'électricité, c'est très spécifique. Et, à chaque fois qu'on modifie quelque chose dans des juridictions en différentes disciplines, il y a un danger que ça crée des problèmes où ça va bien.

La trame de fond de l'avant-projet de loi, tel qu'on le comprend puis tel que mentionné par le président de l'Ordre à juste titre, c'est la protection du public. Ça, c'est la trame de fond. Alors, les modifications sont faites dans l'esprit de protéger le public. Mais savez-vous que la Corporation des maîtres électriciens, ce qui motive toute notre action, c'est de protéger le public aussi. Puis, à chaque fois que le gouvernement nous arrive avec des contraintes, la Régie du bâtiment, le Code de l'électricité, puis les inspections, et là je mets de côté pour le moment toutes les relations contractuelles entre un donneur d'ordres, un entrepreneur général où l'ingénieur joue son rôle, c'est tout fait dans le but de protéger le public, et on a des responsabilités.

Alors, je suis obligé de vous dire que, sans entrer dans des considérations très spécifiques, on a la préoccupation de maintenir cet ordre établi là et de s'assurer que les entrepreneurs électriciens ont aussi le rôle de protéger le public dans ce qu'ils ont à faire. C'est l'entrepreneur qui fait l'installation, et faire de l'installation, c'est autre chose que de faire de la conception. Et, dans le milieu, quand on ne parle pas de code de conception, on parle de règles de l'art. Et, dans le Code de l'électricité, on va dire: Il faut que les travaux soient faits selon les règles de l'art. Et les règles de l'art, ça, ça s'adresse à l'entrepreneur électricien. Ce n'est pas écrit, ces règles-là. Mais tout le monde dans le milieu comprend que, quand un ingénieur, un surveillant de travaux dit à un entrepreneur électricien: Je ne te paye pas parce que tu n'as pas fait les travaux selon les règles de l'art, ça veut dire quelque chose. Autrement dit, on ne peut pas tout écrire. Il y a des gens qui sont responsables pour ce qu'ils font, ils ont des assurances pour ça, ils ont leur notoriété pour ça, puis ils sont payés pour ça, sinon ils ne le sont pas.

Alors, vous voyez, j'ai de la difficulté à embarquer dans le débat de l'interprétation très stricte de l'article 1 et de l'article 3, sinon de dire qu'on a l'impression que le champ d'activité de l'ingénieur est élargi; il pourrait être élargi au détriment des fonctions de l'entrepreneur électricien. Mais je prends soin d'ajouter que ça se pourrait que ça soit correct dans d'autres genres d'activité que l'ingénieur occupe plus de place. Ça se pourrait. Je n'ai pas cette expertise-là. Et l'article pourrait avoir été rédigé pour couvrir une situation x qui ne s'applique pas en électricité. Mais, pour être sûr qu'étant donné que l'entrepreneur électricien joue son rôle sans bavure depuis des années et n'est pas impliqué dans des situations où il ne devrait pas être impliqué, on dit: Soyons donc logiques, puis faites une exclusion qui tient compte des modifications que vous voulez faire. Sinon, on va se retrouver devant les tribunaux dans des interprétations, je dirais, dans des divergences avec l'Ordre des ingénieurs qui vont dépasser le cadre d'une commission parlementaire, qui vont s'en aller dans des relations contractuelles, des champs de juridiction, et là c'est très compliqué. Ça l'est déjà énormément. Donc, ça se fait dans le respect des deux parties.

M. Paradis (Alain): D'ailleurs, Yvon, dans le mémoire qu'on a déposé, vous avez un cas très précis d'ambiguïté qu'il a fallu aller débattre devant les tribunaux. Il y a eu la Cour des sessions de la paix, la Cour supérieure, la Cour d'appel; ça a duré de janvier 1981 à octobre 1983, pour ce qui touchait la conception des plans. Ce qu'on dit simplement, c'est que, si l'esprit de l'avant-projet de loi, c'est de maintenir ce qui est déjà là, bien, faisons donc en sorte qu'il n'y en ait pas, d'ambiguïté, et que l'expression, dans les mots, elle est claire. C'est ce qu'on dit dans le fin fond.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député.

M. Bergman: À la page 9 de votre mémoire, vous dites qu'«un ingénieur peut sans doute attester du fait que des travaux ont été réalisés conformément à ses plans et devis, mais il ne peut pas attester de la conformité des travaux aux Codes et normes de construction. Lui accorder ce droit pourrait mettre en péril la sécurité du public.» Je ne comprends pas comment ça peut mettre en péril la sécurité du public. Est-ce que vous pouvez expliquer cette prétention?

(15 h 30)

M. Plante (Jacques): Oui, M. le Président. Comme M. Guilbault vient de l'expliquer, la conception d'un ouvrage comme peut faire l'ingénieur, c'est de dessiner des installations, de faire les calculs. C'est des choses qu'on fait aussi. Mais de procéder à l'installation selon les règles de l'art... Il faut se rappeler que nous, dans la construction, disons que la formation, c'est une formation par compagnonnage, qu'on appelle. Le jeune étudiant, disons, va suivre un cours postsecondaire de 2 000 heures, ensuite il va faire un compagnonnage de 8 000 heures, ensuite il va faire 4 000 heures comme électricien. Tout ça, c'est toujours fait pour apprendre le code électrique, le Code du bâtiment, la réglementation à Hydro-Québec, et tout ça. Puis les fameuses règles de l'art, il les apprend à ce moment-là, pendant ces 12 000 heures là. Ça fait qu'on ne peut pas trouver quelque part un ingénieur qui va être spécialisé dans toutes les disciplines qui couvrent l'électricité puis qui va être capable de confirmer que tout ça est installé de façon convenable pour les règles de l'art. C'est ça qu'on veut dire dans notre mémoire.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. D'abord, je voudrais vous féliciter. La présentation de votre mémoire est probablement une des plus claires qu'on a eues devant nous. Vous précisez clairement ce que vous voulez. Vous avez, après, donné en annexe à la fois et les lois et ensuite les jurisprudences et exactement les amendements, etc., que vous souhaitez. Je pense que c'est un modèle, comme type de mémoire pour expliquer, ce qui est devant nous. J'ai deux questions à vous poser.

Première question. Et j'ai posé la même question aux maîtres mécaniciens en tuyauterie, ce matin. Vous n'avez pas relevé le fait que, dans votre loi, on fait référence, dans les exemptions, à l'Ordre des ingénieurs, tandis que la loi actuellement fait référence aux membres de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie et de la Corporation des maîtres électriciens. Je fais référence, dans votre loi, aux exemptions, qui disent... L'article 18 de votre loi: «La présente loi n'affecte pas les droits et privilèges conférés à l'Ordre des ingénieurs et à ses membres...», tandis qu'actuellement vous n'êtes pas présente, vous, la Corporation, dans le pendant. Est-ce que ça a été volontaire que vous n'ayez pas soulevé ça ou pas?

M. Guilbault (Yvon): Parce que j'ai de la difficulté à comprendre votre question, vraiment.

M. Gautrin: Alors, voici, je répète ma question. L'article 18 de votre loi se lit de la manière suivante: «La présente loi n'affecte pas les droits et privilèges conférés à l'Ordre des ingénieurs du Québec et à ses membres, en vertu de la Loi sur les ingénieurs.» Ça va? La Loi des ingénieurs et l'avant-projet de loi actuellement disent: Rien dans ce projet de loi ne peut porter atteinte aux droits dont jouissent les membres de la Corporation des maîtres électriciens en tuyauterie du Québec et de la Corporation des maîtres électriciens. Autrement dit, vous-mêmes, comme Corporation, qui devez défendre vos propres membres et qui avez des droits pour défendre vos propres membres, vous n'êtes pas inclus actuellement dans l'avant-projet de loi.

M. Guilbault (Yvon): Si ce que vous dites est vrai, ce serait correct, on ne serait pas ici. C'est qu'on a des craintes, compte tenu de... Comme je vous ai mentionné depuis le début, on a des craintes qu'à cause des pouvoirs élargis demandés l'Ordre soit établi, là. Je ne sais pas si c'est ça que vous voulez dire.

M. Gautrin: Non, ce n'est pas ça, ma question, c'était dans la rédaction de l'article d'exclusion, celui qui parlait des membres de votre Corporation et non pas de la Corporation en tant que telle. Mais, enfin, je vous expliquerai ça après, si vous me permettez.

Moi, j'ai une deuxième question, si vous me permettez, qui touche la Loi sur les installations électriques. Vous avez eu la gentillesse de me la donner en annexe et le règlement qui va avec cette loi-là. Et, en particulier, l'article 18 du règlement dit: «Le détenteur d'une licence doit, avant de commencer des travaux d'installation électrique nécessitant un branchement de plus de 200 kW, posséder les plans et devis de tels travaux.»

Puis, «le Bureau des examinateurs en raison de la complexité d'un projet peut, en plus des plans et devis exigibles [...] demander la production de plans...»

Et ensuite, si vous remarquez que 3, c'est: Les plans et devis 0doivent spécifiquement – le bureau des examinateurs – parler du nom et de l'adresse du détenteur de la licence. Alors, j'imagine que c'est une licence de maître électricien, etc. Alors, la question que je vous pose, c'est: Compte tenu de ce règlement sur les installations électriques, pratiquement, un ingénieur qui ne serait pas maître électricien ne peut pas faire réellement des plans d'installations électriques ou peut-il le faire? Ma question est liée à la portée exacte de l'article 18 du Règlement sur les installations électriques.

M. Guilbault (Yvon): Alors, je vais laisser la parole au directeur du Service technique de la Corporation, sur ce sujet.

M. Gautrin: Oui.

M. Liberatore (Pierre): Bonjour, M. le Président. Concernant cet article-là, l'article 18, c'est un article qui a été modifié, avec les années. Au départ, ça disait «doit remettre les plans», maintenant ça dit «doit les posséder». Mais cet article-là ne dit pas qui doit les faire, ces plans-là. Ça ne dit pas expressément que ça doit être fait par l'entrepreneur électricien comme tel. Ça dit qu'il doit posséder des plans pour des travaux dont le branchement excède 200 kW. Il doit posséder des plans. Les plans pourraient être des plans d'ingénieur comme ça pourrait être des plans qui sont des plans qui ont été conçus par le maître électricien pour ses propres besoins pour faire un projet particulier. L'article ne spécifie pas qui fait la confection du plan.

M. Gautrin: Mais, si vous me permettez, pratiquement, les plans doivent satisfaire le bureau des examinateurs quand même.

M. Liberatore (Pierre): Le bureau des examinateurs ne demande pas obligatoirement de les déposer avant les travaux. Mais, pour ces types de travaux là, le règlement dit que l'entrepreneur doit posséder les plans avant l'exécution des travaux. À cause de l'ampleur des travaux, le règlement impose d'avoir des plans...

M. Gautrin: Vous me permettez...

M. Liberatore (Pierre): ...mais le règlement ne dit pas qui doit les faire.

M. Gautrin: Oui, d'accord. Mais, je vous dirais, le bureau des examinateurs, en raison de la complexité d'un projet, en vertu du paragraphe 1, peut demander la production des plans et devis détaillés pour certains appareillages ainsi que les documents ou attestations supplémentaires. C'est à 18.2.

M. Liberatore (Pierre): Oui. O.K. Ça, c'est pour certains appareillages additionnels. Si, disons, vous utilisez des appareillages complexes dans une installation, prenez, par exemple, le panneau de distribution principale d'un bâtiment où l'entrée électrique est de 2 000 A, les caractéristiques ne sont pas nécessairement indiquées aux plans et devis de l'exécution des travaux, mais plutôt dans un plan détaillé fait, conçu par le fabricant du panneau de distribution. Alors, dans ce cas-là, l'inspecteur va demander ce plan-là additionnel qui vient du fabricant pour certains appareillages complexes, pour s'assurer que, ce qu'il regarde, la boîte de métal qui peut être longue jusqu'au mur, là-bas, il y ait les notions sur papier.

M. Gautrin: Autrement dit, ces articles ne vous protègent pas quant à la facilité de faire des plans électriques. C'est ça que vous me dites?

M. Liberatore (Pierre): C'est ça, oui.

M. Gautrin: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Pontiac.

M. Middlemiss: Merci, M. le Président. M. Guilbault, dans vos membres, combien d'entrepreneurs qui sont membres de votre Corporation auraient à leur emploi des ingénieurs, surtout dans le domaine électrique? Est-ce qu'il y en a plusieurs?

M. Guilbault (Yvon): Écoutez, il y a 2 900 entrepreneurs électriciens. Ceux qui ont à leur emploi des ingénieurs, c'est, je dirais, une infime minorité. Je ne suis pas capable de quantifier, mais c'est une infime minorité.

M. Middlemiss: Non, non, mais il y en a, toutefois. Et est-ce que ça serait de gros entrepreneurs ou...

M. Guilbault (Yvon): Absolument.

M. Middlemiss: Surtout, hein.

M. Guilbault (Yvon): Oui.

M. Middlemiss: Qui auraient des projets clé en main où ils sont obligés de produire des plans qui sont conçus par des ingénieurs?

M. Guilbault (Yvon): Je vais parodier un peu la réalité dans le quotidien. Les entrepreneurs, dans bien des cas, ils vont dire que ça prend un ingénieur pour parler à un ingénieur, et souvent ils embauchent des ingénieurs. Je parodie à peine. C'est ça.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Middlemiss: Je vais revenir à la page 9. Vous avez dit – ce que mon collègue a dit tantôt: «Un ingénieur peut sans doute attester du fait que des travaux ont été réalisés conformément à ses plans et devis, mais il ne peut pas attester de la conformité des travaux...» Mais je vois mal un ingénieur faire une conception de travaux électriques s'il ne connaît pas toutes ces choses-là. Lui, il doit faire, préparer un plan qui va respecter toutes les normes, qui va être capable de livrer l'électricité qui est nécessaire. Donc, ça serait illogique qu'un ingénieur ne soit pas capable, lui-même...

M. Guilbault (Yvon): Écoutez, peut-être...

M. Middlemiss: Tu sais, il n'a peut-être pas la capacité d'exécuter les travaux, mais, certainement, il devrait avoir une connaissance. Sans ça, il ne pourrait certainement pas faire la conception du design du tout.

M. Guilbault (Yvon): Écoutez, peut-être que le libellé ne rend pas justice exactement à ce qu'on veut dire, mais vous allez avoir les précisions.

(15 h 40)

M. Plante (Jacques): Oui, c'est ça. Dans ma réflexion de tantôt, je ne veux pas enlever la capacité aux ingénieurs de faire les calculs. Mais, disons, leur finalité, aux ingénieurs, c'est de faire justement les calculs, de designer puis de mettre sur un plan la volonté de ce que le client veut avoir: une distribution de telle puissance puis des transformateurs, l'éclairage, et tout ça. Mais de quelle façon ça va se passer, de quelle façon un transformateur qui pèse 2 000 lb va être ancré ou va être installé sur le plancher, ou de quelle façon on va le manipuler, ou de quelle façon ça va s'agencer avec tous les autres équipements... Lorsqu'on voit, dans une salle électrique de mécanique, il y en a du plafond au plancher, c'est partout. Vous dites: Comment est-ce qu'ils ont fait pour rentrer ça là? C'est ça, la job d'un entrepreneur. Puis un ingénieur qui n'a jamais vécu ça, qui n'est pas parti, comme je l'ai dit tantôt, qui a fait des heures d'expérience dans la construction, je ne vois pas comment il va s'y prendre pour gérer un projet comme ça. Moi, j'en ai un ingénieur. J'ai un ingénieur qui travaille pour moi. Puis je peux vous dire que c'est un bien bon employé, mais je ne l'enverrais pas gérer un projet de construction. Mais il peut faire des calculs, il peut faire de l'automatisation, il peut faire des choses.

Puis je voudrais aussi ajouter que, disons que, si le projet de loi – comme on a peur, nous – passait dans ce sens-là où ça prend un ingénieur pour suivre des travaux, nos entrepreneurs, nos 2 800 entrepreneurs sont spécialisés dans un paquet de disciplines, certains dans plusieurs disciplines, il faudrait qu'ils aient à leur emploi plusieurs ingénieurs spécialisés dans ces disciplines-là pour faire le suivi. Ça veut dire qu'à chaque division qu'on a dans notre industrie il faudrait avoir quelqu'un qui va suivre ça. Ça fait que c'est...

Je voudrais revenir aussi sur un point, tantôt, de votre confrère. J'ai cru comprendre qu'il croyait qu'on ne s'inquiétait pas de l'article 2 du projet de loi. Moi, comme entrepreneur, ça m'inquiète beaucoup. Peut-être que j'ai mal compris votre question, mais je veux être sûr que ce n'est pas ça que vous vouliez dire. Parce que l'article 2, comme entrepreneurs, ça nous inquiète beaucoup parce que ce que les ingénieurs notent comme des choses exclusives à leur travail, c'est notre quotidien, ça, nous, les entrepreneurs, peut-être à un autre niveau de conception que font ces gens-là, mais c'est notre quotidien à nous, ça. Ça fait que, s'il fallait qu'on nous enlève ça, on n'est plus là.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Pontiac, pour une dernière question.

M. Middlemiss: Oui, d'accord. Vous avez le droit... vous faites de la conception aussi lorsque vous êtes demandés par un propriétaire. Est-ce que vous trouvez qu'il y a une limite dans l'envergure des travaux, que vous avez les compétences nécessaires pour faire la conception ou est-ce que vous croyez qu'à un moment donné ça devient plutôt la responsabilité d'un ingénieur de faire la conception?

M. Plante (Jacques): Je vous dirais, moi, qu'un entrepreneur, par le nom, c'est un entrepreneur, puis il ne va pas en affaires pour se casser la gueule, comme on dit. Ça fait que, moi, comme entrepreneur, si on me propose un projet pour lequel je n'ai pas les compétences, c'est bien certain que je n'embarquerai pas là-dedans parce que ce que j'ai ramassé avec les 24 années en avant, je n'irai pas le perdre dans un projet où je n'ai pas les compétences, où je n'ai pas le personnel puis où je n'ai pas l'expertise. Puis ça, c'est la loi du marché.

Parce que nos entrepreneurs sont répartis partout en province, dans les 1 800 municipalités, ou à peu près, puis ils donnent le service à toutes les PME, puis, à ce que je sache, ça va bien dans les PME du Québec. Puis ce n'est pas les ingénieurs qui sont là, c'est nos entrepreneurs qui gèrent ça au jour le jour.

M. Middlemiss: En d'autres mots, vous dites... Votre jugement va vous le dire: Je suis compétent pour faire la conception de ça. Et, si vous sentez que vous n'avez pas les compétences, vous allez voir les gens qui les ont.

M. Plante (Jacques): Absolument.

M. Middlemiss: O.K. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, pour une dernière intervention, il nous reste deux minutes, Mme la ministre.

Mme Goupil: Merci, M. le Président. D'abord, M. Guilbault, je suis particulièrement heureuse des commentaires que vous avez apportés parce que vous avez mentionné que, si l'objet de la loi n'est pas d'éliminer le champ de pratique des maîtres électriciens du Québec, ce que l'on souhaite, c'est que le texte soit suffisamment clair pour qu'il n'y ait pas interprétation possible. Je vais vous dire, c'est le rêve de tout législateur, c'est le rêve de toute personne justement de s'assurer que l'on atteigne l'objectif qui est visé par un avant-projet de loi et que l'on puisse répondre aux besoins sur le terrain. La commission cherche, entre autres, à savoir vraiment l'effet probable de cet avant-projet là, d'abord sur les gens qui vont utiliser les services d'un ingénieur, mais surtout sur tout le marché du travail.

L'Ordre des maîtres électriciens du Québec... Vous avez parlé tout à l'heure de tout le protectionnisme qu'on a entouré pour assurer la protection du public. Vous avez raison parce que c'est d'autant plus vrai que, depuis 1983... C'est le dernier jugement auquel vous avez fait référence. Donc, ça exprime que, de par les outils que vous avez, vous êtes peut-être, je dirais, avec certains autres dans le domaine de la construction en général, privilégiés à certains niveaux, et aussi vous êtes des gens qui avez assumé vos responsabilités et êtes très compétents à l'égard de cela.

Monsieur a ajouté tout à l'heure: Je n'assumerais pas un chantier si je n'avais pas les compétences pour le faire. Puis il y a bien des gens qui n'ont pas les compétences dans tout. Alors, ce que l'on fait, on fait affaire avec un sous-traitant qui, lui, a l'expertise pour le faire. Puis je pense que le marché est comme ça.

Mais, d'abord, je tiens à vous remercier pour les précisions de l'application, selon l'interprétation que vous en avez donnée, l'effet que ça aurait sur le terrain, c'est important qu'on puisse le savoir. Et soyez assurés que c'est une préoccupation constante, particulièrement dans le cadre de la rédaction d'un avant-projet qui touche tout le domaine de la construction, que nous soyons sensibilisés à ça. Parce que, entre les outils qu'on veut se donner puis l'effet sur le terrain, je peux vous dire que c'est une préoccupation de nous assurer que, lorsqu'on légiférera, ça sera pour répondre à des besoins bien spécifiques. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, j'aimerais effectivement, au nom des membres de la commission, remercier les représentants de la Corporation des maîtres électriciens du Québec pour leur disponibilité, leur présentation et les réponses aux questions qui ont été posées.

Et j'inviterais maintenant l'Association québécoise pour l'hygiène, la santé et la sécurité du travail à bien vouloir s'avancer. En même temps, je vous dis qu'on va suspendre cinq minutes pour reprendre dès après. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 46)

(Reprise à 15 h 55)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, la commission des institutions reprend ses travaux dans le cadre des auditions relativement à l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs et d'autres dispositions législatives.

Nous avons devant nous des représentants de l'Association québécoise pour l'hygiène, la santé et la sécurité du travail, M. Sylvain Allaire et M. Michel Legris. Alors, si vous voulez bien vous présenter. Et nous avons 20 minutes consacrées à la présentation comme telle.


Association québécoise pour l'hygiène, la santé et la sécurité du travail (AQHSST)

M. Allaire (Sylvain): Merci. La présentation va être conjointe, elle va être effectuée par moi-même, Sylvain Allaire, et Michel Legris, qui était président de l'Association en 1994-1995 et responsable du Comité de consultation.

Mme la ministre, M. le Président et distingués membres de la commission, l'Association québécoise pour l'hygiène, la santé et la sécurité du travail apprécie de pouvoir vous présenter son point de vue concernant l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs.

La présentation se déroulera en trois volets. Le premier consistera à vous expliquer le travail des professionnels en santé et sécurité du travail, les appréhensions vis-à-vis l'avant-projet de loi, les impacts potentiels des changements proposés, et nous terminerons avec la conclusion et les recommandations.

Je prendrai quelques instants pour vous présenter l'Association. Celle-ci existe depuis plus de 20 ans et regroupe des professionnels en santé et sécurité du travail. Ceux-ci ont différentes formations académiques. Ce sont généralement des bacheliers en sciences pures ou appliquées qui ont une formation en chimie, biochimie, biologie, physique, relations industrielles, etc., à laquelle peut s'ajouter une formation de 2e cycle ou un certificat dans une discipline appropriée.

Ces professionnels de la santé et de la sécurité du travail oeuvrent au sein d'entreprises, de firmes de consultation, d'associations accréditées syndicales et patronales, au gouvernement, à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, dans les CLSC, les institutions d'enseignement et les centres de recherche. Leur adhésion à l'Association est volontaire et non obligatoire.

Les buts de l'Association sont de promouvoir les connaissances relatives à la santé et la sécurité du travail, à l'ergonomie, à l'environnement et d'encourager les reconnaissances de la compétence de ses membres.

Les préoccupations de l'Association ont déjà été acheminées à l'Office des professions via un premier mémoire, en 1997, que vous avez en votre possession. Celui-ci était appuyé par divers organismes et associations qui figurent aux pages 7 et 8 du document. Parmi ces organismes, on retrouve entre autres la Commission de la santé et de la sécurité du travail, l'Institut de recherche en santé et sécurité du travail et diverses associations syndicales et patronales.

Dès lors, il avait été demandé au président de l'Office des professions que les articles 2 et 3 soient modifiés. Mais, pour bien comprendre le pourquoi de cette demande, il faut connaître le travail des professionnels en santé et sécurité du travail, ce que va tenter de vous expliquer M. Legris.

M. Legris (Michel): Afin de démontrer les différents aspects de l'avant-projet de loi que nous jugeons discriminatoires envers les professionnels de la santé et de la sécurité du travail, nous allons vous expliquer à l'aide d'un exemple les composantes majeures du travail de ces professionnels. Les exemples abondent. Que ce soit dans la mesure des contaminants biologiques, chimiques, physiques sur les lieux de travail, l'analyse des problèmes d'ergonomie au bureau ou des maladies causées par les mouvements répétitifs, l'inspection des lieux de travail, l'analyse des accidents de travail ou des problèmes liés à la qualité de l'air dans les édifices à bureaux, la démarche est sensiblement la même dans tous les cas.

Pour procéder à la correction du problème, le ou les professionnels de la santé et de la sécurité du travail devront rencontrer l'employeur et/ou un de ses travailleurs, identifier les problèmes de santé et de sécurité, visiter le poste ou les lieux de travail, procéder à l'évaluation du risque. Et ce peut être effectué par des mesures et des calculs effectués à l'aide d'appareils complexes, par des observations sur le poste de travail, par des rencontres avec les travailleurs. Puis ils devront interpréter les résultats de l'évaluation en regard du risque sur la santé et la sécurité, en regard des normes telles que le Règlement sur la qualité du milieu de travail. Ainsi, ils devront, dans plusieurs cas, donner un avis technique sur le procédé industriel. Tout ceci sera évidemment consigné dans un rapport qui contiendra des recommandations visant à réduire ou à atténuer le risque. Finalement, ils devront informer l'employeur et les travailleurs des résultats de cette étude.

(16 heures)

Cet exemple illustre que les actes que posent les professionnels de la santé et de la sécurité du travail peuvent être une interprétation ou une application des sciences exactes ou de la technologie, car des analyses et des calculs y sont effectués. De plus, nous croyons que ce sont des études relatives à un ouvrage, à un procédé industriel. C'est aussi donner des avis techniques et des attestations de conformité à une norme.

Ainsi, l'Association conteste le libellé de certaines parties des articles 2 et 3 de l'avant-projet de loi, soit le libellé de l'article 2 qui se lit comme suit: «Sont du ressort exclusif de l'ingénieur les actes suivants qui procèdent d'une interprétation ou d'une application des sciences exactes ou de la technologie par des analyses ou des calculs.»

L'article 2b: «faire des études relativement à un ouvrage, en vérifier la qualité technique, donner un avis technique relativement à un ouvrage ou en attester la conformité avec les normes reconnues de construction, de fabrication, de fonctionnement ou d'exploitation.»

L'article 2.1: «...analyser les risques et les impacts afférents à l'ouvrage [...] attester de leur conformité aux normes reconnues de construction...»

Finalement, l'article 3: «Elle s'exerce également à l'égard des autres ouvrages suivants dont la fiabilité a des incidences sur la protection de la vie, de la santé, du bien-être, de la sécurité des personnes, de l'intégrité des biens ou de la qualité de l'environnement.»

C'est ici que nous aimerions introduire la Loi sur la santé et la sécurité du travail adoptée par le gouvernement du Québec. Vous remarquerez que certains mots de l'article 3 de l'avant-projet de loi et l'objet de la Loi sur la santé et la sécurité du travail sont similaires. La Loi sur la santé et la sécurité du travail a pour objet l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs. Les trois mêmes mots qu'on retrouvait dans l'article 3 du libellé de l'avant-projet.

La Loi sur la santé et la sécurité du travail est une loi d'avant-garde qui établit entre autres les mécanismes de participation et les rôles en matière de santé et sécurité des travailleurs, des employeurs, des représentants à la prévention, des médecins responsables, des inspecteurs de la CSST. De plus, elle décrit les fonctions du comité de santé et sécurité et le contenu des programmes de prévention que doivent appliquer les employeurs. Ainsi, afin d'accomplir les rôles que la Loi sur la santé et la sécurité du travail attribue aux travailleurs, aux employeurs et aux différents intervenants oeuvrant en santé et sécurité du travail, ils doivent effectuer des études, donner des avis techniques, attester de la conformité avec les normes de fonctionnement, tel que le règlement sur la qualité du milieu de travail, analyser les risques à la santé et à la sécurité reliés à des procédés industriels ou des ouvrages. Ces études ou avis techniques doivent la plupart du temps se baser sur l'interprétation et l'application des sciences exactes ou de la technologie par des calculs et des analyses.

Il n'est aucunement mentionné dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail qu'il faut être un ingénieur ou être sous la surveillance d'un ingénieur pour accomplir ces tâches. Les professionnels de la santé et sécurité du travail ont reçu des formations spécialisées acquises généralement dans les institutions d'enseignement universitaire. Selon sa fonction, le professionnel de la santé et de la sécurité est généralement un bachelier en sciences, chimie, biologie, physique, génie, relations industrielles, auquel peut s'ajouter une formation de deuxième cycle ou un certificat dans une discipline appropriée: l'hygiène du travail, l'ergonomie. Ils ont aussi acquis les connaissances et les qualifications requises pour exercer leur profession dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail. De plus, plusieurs professionnels possèdent une accréditation reconnue internationalement.

Étant donné l'importance du phénomène de la mondialisation, il importe de regarder la situation à l'étranger. Plusieurs organisations et associations internationales ont défini les rôles, les objectifs et les activités des professionnels de la santé et de la sécurité du travail. D'ailleurs, le Code international d'éthique pour les professionnels de la santé au travail, qui a été révisé et publié en 1996 par la Commission internationale de la santé au travail, est éloquent à ce sujet – et vous avez une copie dans notre mémoire.

Ce Code définit clairement les rôles et les objectifs que les professionnels de la santé et de la sécurité doivent appliquer. De plus, il définit qui sont les professionnels de la santé et de la sécurité du travail. Ainsi, les professionnels de la santé et de la sécurité du travail peuvent être des médecins et des infirmières du travail, des inspecteurs du travail, des hygiénistes du travail, des psychologues du travail, des spécialistes dans le domaine de l'ergonomie, de la prévention des accidents et de l'amélioration des milieux de travail ainsi que des spécialistes s'occupant de recherche en santé et en sécurité du travail.

Tel que mentionné dans le Code, de nombreuses autres professions et disciplines peuvent aussi, dans une certaine mesure, être impliquées dans la pratique de la santé et de la sécurité du travail. Ces professions et disciplines comprennent les domaines techniques de l'ingénierie, la chimie, la toxicologie, la radio protection, l'épidémiologie et de nombreux autres.

En regard de tout ceci, la tendance actuelle est de mobiliser les compétences des professionnels de la santé et de la sécurité du travail dans le cadre d'une approche multidisciplinaire qui peut aussi aller jusqu'à la constitution d'équipes multidisciplinaires. De ce fait, il est inconcevable de concentrer entre les mains d'une seule profession le domaine de la santé et de la sécurité du travail. De plus, un des principes de base du Code international, tel que vous le retrouverez à la dernière page de notre mémoire, précise que les professionnels de la santé au travail sont des experts qui doivent jouir d'une indépendance professionnelle totale dans l'exercice de leur mission.

M. Allaire (Sylvain): Advenant que les libellés 2 et 3 soient adoptés intégralement, les impacts appréhendés, selon nous, seraient énormes. Si on regarde au niveau de la société, c'est la non-reconnaissance d'un excellent système de santé et de sécurité du travail mis en place au Québec entre autres via le réseau de la santé, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, les associations sectorielles paritaires, les employeurs, les travailleurs et les syndicats qui s'impliquent en santé et sécurité du travail.

On a aussi le risque de mettre en péril la santé et la sécurité des travailleurs en donnant un droit de pratique exclusif à une profession qui ne possède pas l'éventail des connaissances nécessaires dans les champs d'expertise des professionnels de la santé et de la sécurité du travail. Une formation académique adéquate nécessite des connaissances supplémentaires en hygiène du travail, en toxicologie, en ergonomie, dans l'évaluation des risques physiques, chimiques ou biologiques, en communication, une connaissance législative relative à la santé et sécurité du travail, etc., d'où l'importance du concept d'intervention multidisciplinaire. Que cela va aussi à l'encontre de l'évolution mondiale de la santé et de la sécurité du travail. Que cela ne favorise pas l'évolution et la création de nouvelles professions.

Au niveau des travailleurs, c'est la restriction des rôles attribués aux travailleurs par la Loi sur la santé et sécurité du travail, cette loi qui considère le travailleur comme les acteurs primordiaux.

Au niveau des employeurs, les impacts seraient la subordination des responsabilités dévolues aux employeurs par la Loi sur la santé et sécurité du travail; une augmentation des coûts de production par l'embauche de personnels supplémentaires, et cela, particulièrement pour les petites et moyennes entreprises du Québec. On pourrait aussi assister à une renégociation des conventions collectives ou des ententes avec les syndicats et les travailleurs à propos de la santé et sécurité du travail.

Les impacts au niveau des professionnels de la santé et sécurité du travail, c'est l'émergence de conflits entre professionnels oeuvrant actuellement en santé et sécurité du travail. Il y aurait une non-utilisation des ressources professionnelles existantes en ne reconnaissant pas les formations multidisciplinaires de certaines professions. Le projet de loi ne permettrait plus l'utilisation optimale des ressources rendues possibles par la multidisciplinarité et la complémentarité des personnes composant les équipes actuelles qui interviennent en santé et sécurité du travail.

En conclusion, l'Association et ses partenaires souhaite que l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs n'accorde pas l'exclusivité du domaine de la santé et sécurité du travail aux seules personnes ayant reçu la formation d'ingénieur. Il est paradoxal de vouloir limiter à la seule profession d'ingénieur le domaine de la santé et sécurité du travail car, au contraire, l'expertise développée depuis plusieurs années démontre l'importance d'une approche multidisciplinaire et complémentaire.

Il importe de modifier substantiellement le libellé des articles 2 et 3 de l'avant-projet de loi en tenant compte de l'esprit de la Loi sur la santé et sécurité du travail et du Code international d'éthique pour les professionnels de la santé au travail.

Il est souhaitable, pour le bénéfice de la société, qu'il y ait une plus grande collaboration entre les professionnels en santé et sécurité du travail et les ingénieurs. En effet, l'objet de la Loi sur la santé et sécurité du travail et l'élimination à la source même des dangers serait atteint plus rapidement et efficacement si les ingénieurs consultaient et travaillaient en collaboration avec les professionnels en santé et sécurité du travail lors de la conception d'un projet ou d'un ouvrage.

(16 h 10)

Afin que la protection du public et des travailleurs soit assurée, l'Association recommande le maintien de l'accessibilité aux services et à l'expertise des professionnels de santé et sécurité au travail pour s'assurer de la meilleure protection possible du public et des travailleurs. Que rien dans la future Loi sur les ingénieurs ne perturbe ou ne porte atteinte à la Loi sur la santé et sécurité du travail, que le domaine de la santé et sécurité du travail ne soit pas du ressort exclusif de l'ingénieur. Que rien dans la loi n'empêche une personne d'exercer une des professions reliées au domaine de la santé et sécurité du travail si elle n'a pas la formation d'ingénieur. Qu'aucun professionnel en santé et sécurité du travail ne soit obligatoirement subordonné à un ingénieur, mais que soit encouragé le travail multidisciplinaire dans la conception des ouvrages et des procédés industriels afin de minimiser les impacts à la santé et la sécurité du travail. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci. Alors, nous passons à période d'échanges. Mme la ministre responsable de l'application des lois professionnelles et députée de Lévis.

Mme Goupil: Merci, M. le Président. Alors, messieurs, je vous remercie de l'excellent mémoire que vous avez déposé, d'autant plus que c'est un domaine qui est peut-être moins connu en termes d'application sur le terrain. Alors, mes questions seront d'ordre peut-être plus pratique. D'abord, de par les propos dont vous nous avez fait part et à la lecture même de votre mémoire, c'est vraiment une pratique qui est spécialisée plutôt que d'ordre général quand on parle de la santé et de la sécurité au travail. Maintenant, j'ai entendu aussi votre appel à la collaboration avec les ingénieurs. J'aimerais savoir, actuellement, à quel moment vous intervenez? Est-ce avant la conception, pendant, après? Quelle est la pratique actuelle de votre travail?

M. Allaire (Sylvain): Je vous dirais: De façon générale et malheureusement, on intervient après la conception et la réalisation des projets. Je dis «malheureusement» parce que, quand on intervient après, c'est qu'il y a déjà des situations qu'il faut examiner, qu'il y a déjà des risques à la santé et à la sécurité pour les travailleurs. On devrait, en travail multidisciplinaire, dès la conception des projets, travailler conjointement – que ce soit avec un ingénieur qui a la conception d'un procédé – pour regarder l'ensemble des risques à la santé et à la sécurité que pourrait générer l'implantation du procédé industriel.

Mme Goupil: Actuellement, avec les articles 2 et 3 tels qu'ils existent dans la loi actuelle, on réserve l'exclusivité des consultations, avis, inspections et toute la surveillance. Est-ce que, actuellement, vous êtes empêchés de faire votre travail?

M. Legris (Michel): Actuellement, on n'est pas empêché de faire notre travail, on fait notre travail. Sauf qu'il faut penser que la venue de la nouvelle loi avec le libellé tel qu'il est... Et on a un peu les mêmes préoccupations que l'organisation qui est passée avant nous. Lorsqu'on lit le libellé de ces articles-là et lorsqu'ils vont être interprétés devant un juge, la question qu'on se pose: Comment ça va être interprété?

L'ancienne loi, on n'a pas exactement ces libellés-là. Et là, les professions d'hygiénistes du travail, d'ergonomes, ce sont des professions qui sont apparues dans les 15 ou 20 dernières années, qui n'étaient pas présentes à l'époque, lors de la première version ou des premières versions de la Loi sur les ingénieurs. Donc, cette préoccupation d'hygiène du travail, d'ergonomie, n'était pas là. Et ces professions se sont développées malgré la présence de la Loi sur les ingénieurs. Mais à la refonte de la loi, le libellé tel qu'il est, ce sont les articles 2 et 3 qui nous posent des problèmes, sans compter que, n'étant pas regroupé dans des ordres professionnels, on n'a pas d'exclusion comme on peut retrouver dans l'article 5.

On n'empêche pas la Corporation des électriciens de faire son travail, les architectes et tous ceux qui sont des ordres professionnels. Les professionnels de la santé et sécurité du travail, pour la plupart, n'ont pas d'ordre professionnel, si on exclut les médecins qui peuvent être regroupés au sein de leur ordre. Les médecins du travail ne sont pas regroupés dans un ordre eux non plus.

Mme Goupil: O.K. Selon vous qui doit coordonner les travaux des ingénieurs?

M. Allaire (Sylvain): Est-ce que vous parlez de coordonner les travaux pour l'implantation, si on prend l'exemple d'un procédé industriel, à ce moment-là?

Mme Goupil: Pour la conception et pour justement... parce que vous dites: Malheureusement, on n'est pas là avant, on est là après. Alors, selon vous, qui devrait le faire?

M. Allaire (Sylvain): Au niveau de la conception, au niveau des plans, des plans et devis et tout ça, on convient que ça relève de l'ingénieur. Au niveau de tout ce qui est de l'évaluation face au procédé industriel, donc un ingénieur va concevoir un procédé industriel, va implanter un procédé industriel, c'est à ce niveau-là qu'on devrait intervenir avec lui, lors de l'implantation et même durant la conception.

Je vais donner un exemple, peut-être que c'est la meilleure façon de voir. Je vais prendre l'exemple de la conception ou de la rénovation. Pour être un peu à la page, on va parler de centre hospitalier. Donc, il y a des travaux majeurs dans un centre hospitalier au niveau des urgences. Et ça, pour en avoir discuté avec l'association sectorielle, l'administration publique, les centres hospitaliers, ils ont essayé de concevoir avec les architectes, avec les ingénieurs les plans et devis, de dire à la personne: Venez voir le personnel à l'intérieur en santé et sécurité, venez voir les travailleurs qui sont là et les personnes avant de faire vos plans. Eux connaissent le milieu et eux sont en mesure, en regard du plan que vous leur proposez, de dire: Attention, ça ne peut pas fonctionner, le corridor n'est pas assez large. La conception que vous en faites, les civières ne passeront pas. Ici, l'ouverture de la porte est dans le mauvais sens, comme vous le faites. Donc, à partir même de la conception à ce niveau-là, on devrait intervenir avec les ingénieurs pour s'assurer, à ce moment-là, de ne pas générer des risques à la santé et à la sécurité du travail. Est-ce que ça répond à votre question, Mme la ministre?

Mme Goupil: Oui, ça répond, et M. Samson en ajoute une en me disant: Est-ce que, au niveau de l'architecte, ce n'est pas de sa responsabilité de voir à tout cela justement, de s'assurer qu'on ouvre la porte du bon côté, outre les mesures légales, là?

M. Allaire (Sylvain): Oui.

Mme Goupil: Parce que ma connaissance personnelle est à l'effet qu'il y a des normes qui doivent être respectées. Mais, au-delà de cela, il y a des côtés très pratiques. Justement, est-ce que l'architecte ne fait pas cette démarche-là?

M. Allaire (Sylvain): C'est là qu'on a amené l'aspect du travail multidisciplinaire. Aujourd'hui, à l'aube des professions du troisième millénaire, il faut que tout le monde puisse travailler ensemble. Bon, l'architecte fait une partie du projet, je suis d'accord, mais souvent il va être – aujourd'hui – au bureau, avec l'informatique. Le vécu sur le terrain est totalement différent, des fois. Il y a une marge entre les deux et l'architecte ne sera pas nécessairement sur le terrain. Donc, on dit: À la conception, il est important à ce moment-là que tout le monde puisse participer, dont les professionnels en santé et sécurité du travail qui ont l'expertise à ce niveau-là et qui sont souvent dans le milieu industriel et dans les entreprises au Québec.

Mme Goupil: Ce que vous dites est tellement évident qu'une entreprise sérieuse qui a justement à coeur de répondre aux besoins de la demande ne s'assure pas justement d'avoir des partenaires avec une équipe... Parce que j'entends des gens qui viennent ici, me disant: Madame – à la commission – nous faisons déjà affaire avec une équipe multidisciplinaire, c'est notre façon de faire, puis on sait que le marché étant très exigeant, etc. Est-ce que, par la force des choses... Parce que j'entends, on nous dit: L'économie, la pression, le marché font en sorte qu'on fonctionne comme ça sur le terrain, et ce n'est pas ça qui se passe, selon ce que, vous, vous nous exprimez.

M. Allaire (Sylvain): Il faudrait voir un petit peu c'est quoi la notion d'équipe multidisciplinaire. Dans notre cas, nous, on parle d'équipe multidisciplinaire dans laquelle vont être intégrées des personnes qui ont des notions de santé et de sécurité du travail.

Mme Goupil: Au travail. Tout à fait.

M. Allaire (Sylvain): Donc, la nuance peut être différente. Je suis d'accord qu'un groupe, une firme-conseil d'ingénieurs peut engager un environnementaliste qui va regarder plus le côté de l'environnemental; il peut y avoir aussi d'autres professionnels, un architecte plus spécialisé à ce niveau-là, mais rarement sont associées les personnes en santé et sécurité du travail. Et, à ce niveau-là, je vous ramènerais même avec les discussions qu'on a eues avec le président...

Mme Goupil: Excusez-moi. Mais pourquoi? Pourquoi ils ne le font pas?

M. Allaire (Sylvain): Est-ce une question de coût? Je l'ignore. Est-ce une question de pratique? Peut-être.

Mme Goupil: Est-ce que vous êtes trop exigeant?

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Goupil: Est-ce pour ça? Je ne sais pas.

M. Allaire (Sylvain): Au contraire, je vous dirais que, dans la majorité... pas la majorité des cas mais, très souvent, quand on s'assoit avec les ingénieurs et d'autres personnes, on est capable même de faire réaliser des économies aux entreprises par une bonne planification et, indirectement, on va arriver à des coûts moindres au niveau d'accidents de travail, des maladies professionnelles, si on a bien abordé cette question-là dans le développement comme tel du concept qui va être implanté dans l'établissement.

Mme Goupil: Avez-vous des chiffres à l'appui de cela, de ce que vous...

M. Allaire (Sylvain): J'aimerais bien avoir des chiffres à l'appui.

Mme Goupil: Oui.

M. Allaire (Sylvain): Malheureusement...

M. Legris (Michel): C'est la partie la plus dure, d'évaluer finalement la part...

Mme Goupil: C'est ça.

M. Legris (Michel): ...combien ça coûte, la santé et la sécurité du travail. Il y a toujours des coûts directs – quelqu'un qui se fait couper un bras, qui se fait couper une jambe, qui se fait intoxiquer, c'est des coûts directs, c'est des milliers de dollars – mais il y a aussi tous les coûts parallèles à côté de ça: la personne qui a perdu un bras ou une jambe, c'est des années de sa vie qu'elle a perdues. Ça, c'est des coûts astronomiques et on ne les quantifie jamais. Et, sur un rapport de la CSST, c'est marqué: coupure de bras, on a donné tant de milliers de dollars, et ça s'arrête là. Mais on perd un bras, on perd une jambe, on perd une vie, c'est des millions de dollars. Il n'y a pas de coût et, malheureusement, cette notion-là n'est pas encore très installée dans la mentalité de beaucoup d'intervenants dans le domaine du travail.

Mme Goupil: D'accord. Je vous remercie.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le porte-parole de l'opposition officielle.

(16 h 20)

M. Bergman: Oui. Merci pour votre mémoire, c'est fort intéressant, et on apprécie que vous soyez ici, avec nous, aujourd'hui. À la page 12 de votre mémoire, vous parlez des impacts et des conséquences au niveau des travailleurs et vous dites: «La restriction des rôles attribués aux travailleurs par la Loi sur la santé et la sécurité du travail car cette loi considère les travailleurs comme les acteurs primordiaux.» Comment est-ce que cet avant-projet de loi... Quel article va restreindre le rôle de travailleurs? Je ne suis pas votre raisonnement.

M. Allaire (Sylvain): Je vais vous l'expliquer. Le raisonnement qu'on a regardé, c'est qu'au niveau de la loi on demande aux travailleurs de s'impliquer, soit via les comités de santé et sécurité, comme agents de prévention dans l'établissement. Donc, si elles ont à être agents de prévention ou à participer au comité de santé et sécurité, ces personnes-là vont être appelées à faire des évaluations de risque en milieu industriel, à l'occasion d'utiliser des appareils de haute technologie pour évaluer le risque, devront interpréter des résultats, donc faire l'utilisation de sciences exactes. Si on regarde tout ça, on dit...

Donnons un exemple. Un travailleur qui a à descendre à l'intérieur de ce qu'on appelle un trou d'homme, donc dans un endroit fermé, devra faire une évaluation, voir s'il n'a pas présence de gaz explosifs, qu'il n'y a présence de gaz irritants, donc utilise une technologie avancée, a des résultats et doit faire une interprétation. Donc, il fait une analyse de risques. On est comme les autres groupes qui ont passé avant nous, est-ce qu'on va attendre les jurisprudences pour savoir la portée de l'article 1, de l'article 2 et de l'article 3? C'est à ce niveau-là qu'on dit qu'il pourrait y avoir un impact au niveau même des travailleurs d'un milieu industriel, qui doivent porter des jugements, des interprétations par l'utilisation d'une technique ou des technologies, à ce moment-là.

M. Legris (Michel): Juste un complément. Lorsqu'on parle aussi de restriction du rôle des travailleurs – et là on peut lire textuellement l'article 49.5 de la Loi sur la santé et la sécurité qui est les obligations du travailleur – le travailleur doit participer à l'identification et à l'élimination des risques. On ne lui demande pas d'être ingénieur mais on peut lui demander d'analyser son procédé, de regarder son procédé et de le comprendre. Et lorsqu'on regarde le libellé très, très général de l'article 2, bien, participer à l'identification, ça peut être faire des petits calculs, des petites analyses, de dire: oui, mon poste de travail est bruyant; oui, il y a des produits chimiques qui me surexposent aux normes du milieu de travail. C'est sa responsabilité. C'est dans ce sens-là qu'on pense que le texte peut être très restrictif en regard du rôle du travailleur.

M. Bergman: Merci. Dans la même page, vous appelez en question notre système professionnel en disant que «dans un contexte de mondialisation, la tendance se situe vers une déréglementation des secteurs professionnels et non vers un renforcement des actes exclusifs réservés à quelques professionnels». Et vous continuez et vous dites: «Par conséquent, ces professionnels, qui sont employés dans les industries, au sein des organismes publics et parapublics et dans les entreprises de consultation, s'assurent de la compétence de leur personnel, car il en va de leur survie et de leur crédibilité.»

J'ai demandé cette question quelques fois pendant cette commission: Où est le rôle de l'État qui a donné la responsabilité de notre système professionnel à l'Office des professions? Vous semblez mettre en doute ce rôle qu'on a donné comme société à notre Office des professions pour surveiller nos ordres professionnels? Il semble que vous mettiez en doute ce système professionnel qu'on a bâti ici, au Québec, qui est un système qui est un des meilleurs dans le monde. Il semble que vous ayez des doutes et que vous ayez une philosophie qui est un peu différente?

M. Allaire (Sylvain): Disons qu'il y a des doutes, je pense, qui ont été exprimés même dans les journaux dernièrement ou on en a entendu parlé beaucoup au niveau des offices professionnels et au niveau des réglementations. On ne peut pas dire qu'on a des doutes présentement sur l'Office des professions, sur le travail que l'Office va effectuer. Cependant, quand on regarde l'avant-projet de loi comme on l'a ici, on regarde le libellé 2, à ce moment-là, on dit: Concernant les ingénieurs, ils ont encore un champ de pratique qui est assez bien détaillé, qui est assez bien établi. Avec ces libellés-là, on a l'impression que les ingénieurs vont avoir peut-être la possibilité d'acquérir ou d'avoir d'autres champs qui présentement sont partagés. L'exemple qu'on donne: En santé et sécurité du travail, par des professionnels qui ont une formation et une expertise importante. À ce moment-là, c'est plus pour l'avenir qu'on regardait, et on ne met pas en doute présentement le travail de l'Office des professions à ce niveau-là. Comme on dit aussi dans le mémoire, l'Association n'est pas contre la réforme de la Loi sur les ingénieurs mais, à certains articles, on demande des modifications.

M. Bergman: Mais est-ce que vous êtes d'accord que, quand vous parlez de champs de pratique partagés, ça, c'est l'article 3 de l'avant-projet de loi qui est bâti pour les ingénieurs, pour laisser l'Ordre des ingénieurs veiller sur leurs membres? Et ça n'affecte pas les pouvoirs des autres d'agir dans ces mêmes domaines.

M. Allaire (Sylvain): C'est que la façon dont, nous, on interprète le libellé, c'est un peu le contraire qu'on voit. Vous dites: C'est pour protéger leurs membres. Mais en même temps, c'est peut-être aussi pour donner une plus grande possibilité d'être dans d'autres champs de pratique qui ne sont pas tellement occupés par d'autres professionnels. L'article 3. Mais, en ce qui nous concerne, l'article 2 est beaucoup plus, à vrai dire, important pour nous à cause du domaine, et on parle des sciences exactes. Et la pratique, en santé et sécurité au travail, ce sont toutes des sciences exactes qu'on applique.

M. Bergman: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Je vous remercie de votre présentation, et vous amenez un point de vue que nous n'avions pas entendu jusqu'à maintenant. Je voudrais maintenant explorer avec vous les pistes de solution et les problèmes que j'ai dans les pistes de solution. La piste de solution que je pourrais voir, ce serait dans l'article 5 actuellement, dans l'avant-projet de loi, où rien dans ce projet de loi n'empêche d'ajouter un codicille, qui soit g ou h ou f, on verra bien, qui dirait: Les professionnels de la santé au travail. Sauf que... et là, c'est mon problème, et j'arrive à celui-là.

Je comprends bien ce qu'est un hygiéniste du travail. Un hygiéniste du travail – et c'est assez clair – c'est quelqu'un qui va pouvoir être certifié, soit par le Conseil canadien d'agrément des hygiénistes du travail, soit par l'American Board of industrial hygienist. Bon. Ça, c'est du monde que je peux clairement savoir qui c'est, ces gens-là. Ils ont un certificat de l'un ou de l'autre, et ça, ça peut se mettre dans une loi.

Quand je retrouve les professionnels de la santé au travail, j'ai cru comprendre dans votre présentation que c'était plus vaste, ça regroupait plus que les hygiénistes du travail. Et là j'ai un problème de rédaction ou de pensée – parce que, en même temps que vous témoigniez, j'essayais de voir comment on pourrait rédiger – pour inclure ce que vous voulez inclure dans les professionnels de la santé au travail. Vous comprenez bien qu'on pourrait facilement écrire: Rien n'empêche dans ce projet de loi la pratique des hygiénistes du travail. Et je suis à peu près sûr que l'Ordre des ingénieurs n'aurait pas d'objection probablement avec ce libellé.

Mais, si on veut plus loin, je ne sais pas comment on peut définir les professionnels de la santé au travail ou comment on pourrait cerner cette notion-là d'un point de vue d'un texte. Vous comprenez bien, je peux bien mettre «les professionnels de la santé au travail» mais, si on ne sait pas qu'est-ce que c'est, j'ai un peu de difficultés. Alors, si vous pouviez nous aider dans ce sens-là. Ou est-ce que, si on limitait ça aux hygiénistes du travail, on répondrait à la majeure partie de vos interrogations?

M. Allaire (Sylvain): O.K. Je vous dirais qu'on ne pouvait pas donner de piste de solution dans ce sens-là parce qu'on avait la même problématique que vous en tant que représentants de l'Association en regardant la proposition des membres de l'Association. Cependant, je pense qu'on peut peut-être trouver une piste de solution en examinant de façon plus approfondie le Code des professions en santé et sécurité au travail qui définit à l'intérieur la composition des professionnels en santé et sécurité du travail.

M. Gautrin: L'article 51... Oui, c'est défini, je pense. Vous en avez fait état là-dedans.

M. Allaire (Sylvain): On en a fait état, effectivement.

(16 h 30)

M. Gautrin: C'est à la page 7 de votre mémoire. Mais là vous faites référence à l'hygiéniste du travail dans le groupe 41, code 4161. Mais là encore, c'est dans la matrice de la classification nationale des professions, on fait référence à l'hygiéniste du travail. Et j'ai cru comprendre, à moins que je me trompe, que... Mais est-ce que la majeure partie des gens sont des hygiénistes du travail et on en laisserait tomber quelques-uns? Bon, ce serait...

M. Legris (Michel): Dans le deuxième mémoire, parce que vous faites référence au deuxième mémoire qu'on avait déposé...

M. Gautrin: Oui, exact.

M. Legris (Michel): ...effectivement on parle spécifiquement de l'hygiéniste du travail qui serait dans le grand groupe 41, mais plusieurs autre titres sont aussi dans la classification nationale des professions, que ce soient des conseillers en santé-sécurité, des agents de prévention. Toutes les principales professions, ils ont déjà un titre. Elles ne sont peut-être pas toutes dans le grand groupe 41, mais elles sont dans d'autres classifications. Malheureusement, je ne l'ai pas avec moi, mais ça existe...

M. Gautrin: Mais ça, on peut le trouver, c'est sûr.

M. Legris (Michel): ...dans le Code des professions, effectivement.

M. Gautrin: Mais, si je reviens quand même... je prends quand même la piste des hygiénistes du travail parce que là j'ai une certification, c'est une forme, pour moi... Est-ce que ça regroupe, en termes de nombre, parmi vos membres – et je ne vous demande pas de séparer le bon grain de l'ivraie parmi vos membres... Mais combien sont des hygiénistes certifiés au sens soit américain soit canadien, et combien sont des gens qui sont bien sûr compétents, mais qui ne sont pas certifiés au sens...

M. Allaire (Sylvain): Je vous dirais qu'il y a environ une quarantaine de membres qui sont certifiés.

M. Gautrin: Sur?

M. Allaire (Sylvain): Sur 800 membres.

M. Gautrin: Oui. O.K.

M. Allaire (Sylvain): La raison est relativement simple, c'est que la certification n'est pas obligatoire au Québec, tandis qu'aux États-Unis et dans les autres provinces canadiennes la certification est obligatoire pour la pratique, particulièrement aux États-Unis. La formation académique par contre est la même; on parle d'un Bac en sciences et on parle à ce moment-là d'une maîtrise ou d'un certificat spécialisé dans le domaine. Il se donne des cours de maîtrise, à McGill et Université du Québec à Trois-Rivières entre autres, de mémoire, et des certificats dans diverses universités en ce qui touche la santé et sécurité du travail.

M. Gautrin: Oui, je sais. Alors, je vais poser ma question différemment, si vous permettez, M. le président, je continue d'explorer avec vous. Supposons, mais ça on voit... parce que vous soulevez un problème qui est important là. Parmi vos membres, pour être certifié comme tel, il faut avoir une formation académique, j'imagine...

M. Allaire (Sylvain): Oui.

M. Gautrin: ...peut-être passer un examen, un examen de l'un ou de l'autre...

M. Allaire (Sylvain): Je dirais que pour la...

M. Gautrin: ...j'imagine que ça peut ressembler... Parce qu'il y a d'autres activités; je prends par exemple les actuaires, les actuaires ne sont pas une profession, mais sont reconnus par un mécanisme, une association soit canadienne soit américaine. Est-ce qu'on pourrait avoir l'équivalent dans votre cas?

M. Legris (Michel): Dans le cas de l'accréditation canadienne, effectivement ce qu'il faut, c'est un minimum de cinq ans de travail, de pratique, minimum, avant de pouvoir penser à passer l'accréditation, et là on passe effectivement des examens théoriques et un examen verbal.

M. Gautrin: Bon. O.K. Vous ne m'aidez pas beaucoup, mais vous répondez à ma question sur la problématique.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gautrin: Imaginons qu'on changerait le projet de loi en limitant aux hygiénistes du travail, est-ce qu'il y aurait une tendance chez vos membres à devenir certifiés rapidement?

M. Allaire (Sylvain): Je vous dirais, il y a beaucoup d'investissement en temps au point de vue études pour plusieurs personnes à ce niveau-là. Je dirais, s'il y a une clause grand-père, probablement que ce serait plus facile à faire passer au niveau de nos membres...

M. Gautrin: À faire passer à ce moment-là pour ceux qui ont... je comprends.

M. Allaire (Sylvain): Pour ceux qui ont déjà la formation. Prenez quelqu'un qui a une formation d'hygiéniste reconnue au Québec, qui a 30 ans d'expérience mais qui n'a pas sa certification, je ne suis pas certain que, si on amène une proposition comme ça...

M. Gautrin: Oui, je comprends, comme on a fait pour les planificateurs financiers, enfin quelque chose dans ce sens.

M. Allaire (Sylvain): O.K.

M. Gautrin: Je commence à avoir des pistes de solution à votre problème. Je vous remercie, M. le Président.

M. Allaire (Sylvain): Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci, M. le Président. Moi, je veux revenir sur la même question que Mme la ministre concernant les articles 2 et 3. Alors, vous avez répondu que ça ne vous causait pas de problème actuellement et que vous pouvez fonctionner, vous pouvez exercer donc en toute quiétude, puis vous avez dit que les articles 2 et 3 de l'avant-projet de loi causent des problèmes; à ce moment-là, il devient trop restrictif, surtout dû au fait qu'on ajoute des champs exclusifs. Est-ce que vous pouvez nous donner des exemples de champs exclusifs qui sont ajoutés qui vont vous causer des préjudices ou encore qui peuvent vous empêcher d'exercer votre profession à ce moment-là?

M. Allaire (Sylvain): C'est qu'en prenant l'article 2, si on le prend dans le sens très large et on le lit de façon très large, quand on parle de sciences exactes, quand on parle de technologies, quand on parle d'analyses et de calculs... Je vais prendre un exemple qui me convient très bien pour le moment. Vous avez une salle ici où, présentement, il fait très chaud. C'est soit mon organisme, c'est soit à ce moment-là l'environnement.

Mme Goupil: Ou la nervosité.

M. Allaire (Sylvain): Ou la nervosité.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Allaire (Sylvain): Et vous avez, par contre, un système de ventilation et de climatisation. Comme hygiéniste du travail...

M. Gautrin: Vous voyez à quel point on est maltraités en termes de conditions de travail, hein. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Allaire (Sylvain): Ah! on ne portera pas de jugement pour le moment. Donc, si on avait à faire une analyse ici, je devrais à ce moment-là évaluer la capacité du système de ventilation, regarder la quantité d'air qui est admis en fonction du taux d'occupation de personnes qu'on a ici, la capacité de climatisation, la chaleur libérée, et, à ce moment-là, la charge thermique qui est libérée par l'éclairage. Et je vais utiliser des appareils pour évaluer, pour faire des mesures. Je vais quantifier certains contaminants dans l'air qui sont des indicateurs de la qualité de l'air comme tels. Et, par la suite, je vais devoir faire de l'interprétation, utiliser donc des sciences exactes qui vont être des sciences en mathématiques, je vais utiliser de la chimie, je vais utiliser d'autres sciences pour pouvoir porter un jugement, interpréter des résultats et conclure sur l'efficacité du système de ventilation qu'il y a présentement ici et de climatisation. Quand je regarde le libellé qui est là, et on fait appel à l'application des sciences exactes, de la technologie, des analyses et des calculs et d'une interprétation au sens large, je dis: Est-ce que, demain matin, ça devra devenir un ressort exclusif d'un ingénieur? C'est des appréhensions que les membres de l'Association ont face au libellé de l'article 2.

M. Boulianne: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme la ministre.

Mme Goupil: M. le Président, la description que vous venez de nous faire dans la lecture de la loi actuelle, j'aurais le goût de vous dire que c'est du ressort de l'ingénierie. Est-ce que je me tromperais?

M. Allaire (Sylvain): Je vous dirais que c'est du ressort de l'ingénierie quant à la conception du système...

Mme Goupil: O.K.

M. Allaire (Sylvain): ...et à tout son balancement qui a été fait. Par contre, quand on vient à en faire l'analyse et à procéder comme tel, et l'impact que ça a à l'environnement, donc on prend la structure homme-machine et environnement, au niveau de la santé et de la sécurité du travail, à ce niveau-là, selon nous, ce n'est pas du ressort de l'ingénieur, mais c'est du ressort des professionnels en santé et sécurité du travail qui ont l'ensemble des connaissances pour pouvoir porter un jugement. Est-ce que l'ingénieur va être en mesure de porter un jugement sur les symptômes que toutes les personnes ici ont ressentis: des bouffées de chaleur, on a enlevé notre veste...

M. Gautrin: On n'a pas le droit.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Allaire (Sylvain): Et ces personnes vont dire: Bon, j'ai des problèmes irritatifs, j'ai mal à la gorge, j'ai de la difficulté à respirer; ah! il y a trop de poussière dans le tapis.

Mme Goupil: O.K.

M. Allaire (Sylvain): Est-ce que l'ingénieur va porter un jugement par rapport aussi à toutes les conceptions et à tout cet ensemble-là? Présentement, avec les renseignements qu'on a sur la formation académique des ingénieurs et sur le travail qu'ils effectuent, ils n'ont pas les compétences pour porter ce jugement-là global, et ce jugement-là doit être porté par des équipes multidisciplinaires où on va avoir médecins, hygiénistes, agents de prévention, conseillers en santé et sécurité du travail, et même des personnes en ergonomie. Est-ce que ça répond à votre question, M. le député de Frontenac?

M. Boulianne: Ah oui! très bien.

Mme Goupil: Merci.

M. Allaire (Sylvain): Merci.

M. Boulianne: Merci.

Une voix: C'est la ministre qui avait posé la question.

M. Allaire (Sylvain): C'était une question de la ministre.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mais c'était la question de la ministre.

Mme Goupil: Oui. Mais ce n'est pas grave. Je vous l'avais dit, la nervosité.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Allaire (Sylvain): Donc, c'est la nervosité.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): On est obligés de travailler en équipe.

Mme Goupil: Bien, je vous dirais que, pour compléter peut-être...

Une voix: ...

Mme Goupil: Excusez-moi, pour compléter peut-être: Toute l'intégration de ce que vous venez de nous expliquer, la limite se fait où? Vous savez, quand vous dites que ce n'est pas du ressort de l'ingénieur de faire ce que vous avez mentionné, mais vous allez... En tout cas, si j'essaie de visualiser là, c'est qu'à partir des plans qui auraient été faits par les ingénieurs, eux vont avoir fait tout le travail nécessaire pour s'assurer que ça réponde aux normes; vous, sur le terrain, avec ce que vous venez de nous exprimer, ça vous permet de vérifier si, effectivement, ces choses-là ont été faites correctement ou pas.

M. Allaire (Sylvain): Ça nous permet de vérifier s'il y a une déficience ou des problèmes associés à ce moment-là à la performance du système. Où, nous, on n'intervient pas, c'est au niveau de la conception. Donc, on va retourner vers les ingénieurs qui ont effectué la conception pour leur dire: Voici, le système comme il fonctionne présentement, il occasionne ces problèmes-là au niveau des travailleurs ou au niveau des occupants.

(16 h 40)

Mme Goupil: D'accord. J'ai une question qui n'est pas tellement sur le contenu de votre mémoire. Parce que, au même titre que le député de Verdun l'a mentionné tout à l'heure, c'est un mémoire fort intéressant qui nous permet d'avoir une meilleure compréhension du travail que vous effectuez. Cependant, je me permettrai de me faire l'avocate du diable en vous disant ceci: Il y a différentes entreprises, et tout ça, qui font le commentaire haut et fort suivant: On ne fait pas affaire aussi souvent qu'on le souhaiterait avec les gens qui relèvent de la santé et sécurité au travail parce que les exigences et les normes auxquelles ils nous confrontent font en sorte qu'on craint presque... de crainte qu'on vienne tout modifier, tout modifier ce qu'on avait proposé, et ce, de bonne foi. Est-ce que c'est à tort ou à raison que le commentaire qui est fait souvent avec les gens de la santé et sécurité au travail, ça devient presque impossible de travailler? Êtes-vous à l'aise avec ça? Est-ce que vous l'entendez, ce commentaire-là?

M. Allaire (Sylvain): C'est le commentaire que l'on entend, mais je dirais rarement. Je pense qu'il y a une méconnaissance aussi du travail qu'on effectue. Et il ne faut pas oublier que, quand on intervient dans les entreprises d'aujourd'hui, c'est que – et je reviens à ce qu'on a dit au début – si on était intervenu...

Mme Goupil: Avant.

M. Allaire (Sylvain): ...avant avec eux, on aurait probablement sauvé des coûts et probablement qu'il y aurait moins d'impact sur la santé et sécurité du travail à ce moment-là.

Mme Goupil: O.K. Je vous remercie.

M. Allaire (Sylvain): Merci beaucoup.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il me reste à remercier, au nom des membres de la commission, M. Allaire, M. Legris, qui étaient ici à titre de représentants de l'Association québécoise pour l'hygiène, la santé et la sécurité du travail. J'inviterais maintenant les représentants de Cascades inc. à bien vouloir s'avancer et s'installer pour qu'on puisse continuer à procéder.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): J'aimerais, au nom des membres de la commission, souhaiter la bienvenue aux représentants de Cascades, notamment M. Robert Hall, vice-président aux affaires juridiques. M. Hall, je vous cède la parole en vous demandant d'emblée de présenter les personnes qui vous accompagnent, en vous rappelant que nous avons une vingtaine de minutes maximum consacrées à la présentation et, par la suite, nous passerons aux échanges.


Cascades inc.

M. Hall (Robert): Merci, M. le Président. Robert Hall, vice-président aux affaires juridiques de Cascades inc. Mes collègues: M. Marc Nolette, responsable des ressources humaines à la division des services et achats; au bout de la table, c'est M. Christian Côté, qui est directeur de la division services et achats; et, à mes côtés, M. Jacques Côté, qui est le coordonnateur de la formation professionnelle chez Cascades.

Tout d'abord, permettez-moi, au nom de Cascades et de mes collègues, de vous remercier pour l'occasion de présenter la position de Cascades devant la commission aujourd'hui. Je voudrais dire, premièrement, que, hier, vous avez entendu, je crois, la présentation de l'Alliance des manufacturiers du Québec et je voudrais souligner que Cascades souscrit à la position de l'Alliance. On était ici hier, M. Claude Cossette a représenté Cascades. Puis la présentation de l'Alliance axait surtout sur une étude juridique du texte de la loi que nous n'avons pas l'intention de reprendre. Notre objectif aujourd'hui est surtout de vous présenter un cas d'espèce, la situation de Cascades inc., notre interprétation de la loi et les impacts que cet avant-projet de loi pourrait avoir sur notre société.

Pour ceux parmi vous qui ne connaissez pas Cascades, c'est une société qui existe depuis 1964. Elle a démarré lorsque les frères Lemaire, Alain, Bernard et Laurent, ont repris une usine désaffectée de papier située à Kingsey Falls. Aujourd'hui, Cascades s'étend au Canada, aux États-Unis, en Europe, avec plus que 100 unités d'opération et plus que 12 000 employés. Si Cascades est rendue là où elle est aujourd'hui, c'est grâce à un esprit d'entrepreneurship fort remarquable, et je crois qu'il est important, pour bien comprendre ce que nous allons vous présenter aujourd'hui, de comprendre un peu la structure de la compagnie.

Cascades est organisée, comme je vous ai dit, en plus de 100 unités d'opération, avec une structure très, très décentralisée et aplatie. C'est voulu que chacune des unités d'opération soit le plus indépendante possible pour responsabiliser les directeurs ou les équipes de direction de chaque unité pour leur propre entreprise. Donc, il n'y a pas une structure centralisée chez Cascades, où les décisions importantes émanent du centre et sont diffusées vers les différentes unités. Il y a des services qui sont offerts, comme «services et achats», qui est un service d'ingénierie, d'entretien, de conception, etc., qui est offert à toutes les unités.

Je crois qu'on va pouvoir vous démontrer, du moins selon notre interprétation de la loi, que l'avant-projet, s'il est adopté tel qu'il est proposé, fera en sorte que, du jour au lendemain, Cascades sera obligée de changer sa façon de faire. Ce que nous faisons aujourd'hui avec les équipes que nous avons en place aujourd'hui... suite à l'adoption de l'avant-projet, nous serons obligés ou nous serions obligés de changer notre façon de faire pour équiper ou engager des professionnels additionnels, soit des ingénieurs, pour remplir des rôles qui sont présentement remplis par d'autres membres de nos équipes.

Alors, pour parler un petit peu de la philosophie de l'organisation de notre équipe et notre façon de faire, je céderais la parole à M. Côté.

M. Côté (Jacques): Merci. Merci de nous recevoir cet après-midi. Je vais être bref. Donc, ce qu'on voudrait porter à l'attention, ici, de l'Assemblée, c'est de démontrer que la loi présentement, telle que proposée, l'avant-projet de loi, qui reflète une préoccupation, à savoir refléter la modernité ou les changements qu'il y a eu dans la section de l'Ordre des ingénieurs ou de la profession des ingénieurs, ce qu'on peut démontrer, ce qu'on voudrait démontrer, c'est que ça ne tient pas compte nécessairement des changements qu'il y a eu aussi dans le style de gestion ou dans le management qu'il y a à l'intérieur des organisations qui, elles aussi, ont évolué avec le temps. Donc, je voudrais vous le présenter à partir de certains exemples et aussi vous démontrer que les impacts de la loi sont, chez nous, importants et qu'ils ont des conséquences assez importantes.

Donc, au niveau de l'organisation du travail chez Cascades, on voudrait présenter, à partir d'exemples concrets, que la prise de décision... Il n'y a pas une direction qui est à la fois technique ou une direction qui est administrative, la direction est une seule direction. On travaille dans un contexte multidisciplinaire, où l'ingénieur fait partie, mais il fait partie d'une équipe de travail. On va retrouver dans notre organisation du travail également des technologues, des chimistes, d'autres professionnels qui vont avoir à prendre des décisions. La prise de décision, les actions de contrôle, le suivi qui est fait à l'intérieur de ces projets-là demandent une souplesse et demandent des gens en place qui sont des ressources optimisées, et on a peur, selon la loi telle qu'elle est présentée, qu'on devra modifier notre loi pour y insérer des ingénieurs et donc fausser cette fonction de travail là.

(16 h 50)

J'aimerais donc attirer votre attention sur le fait que, lorsqu'on sélectionne une personne pour un poste, on ne passe pas a priori de prérequis, à savoir qu'on veut avoir un ingénieur, un technologue ou un chimiste. On va se baser, pour sélectionner un candidat dans un poste de travail, sur les compétences de l'individu, des compétences précises, notamment beaucoup plus précises que, par exemple, dire: avoir une formation d'ingénieur. On va aller chercher des éléments précis de compétence plus que des titres professionnels. Donc, on va s'assurer à l'interne que la personne a une compétence précise dans tel, tel et tel secteur, qui sont à l'heure actuelle pas nécessairement des actes réservés, mais qui pourraient le devenir avec la modification de la loi. On veut que cette personne-là ait un sens de l'autonomie et de la responsabilisation et qui n'est pas attachée à une profession même d'ingénieur. On veut que la personne ait une capacité à adopter et transmettre les valeurs de l'entreprise, qui sont un facteur important chez nous. On veut que cette personne-là ait un potentiel et un intérêt à accéder à d'autres fonctions. Donc, on pourrait retrouver... et ça, je vais laisser la parole à M. Côté qui va nous exprimer ça sous forme concrète, qu'est-ce que ça représente, un projet ou une gestion de projet chez nous.

M. Côté (Christian): Bonjour, tout le monde. J'ai une formation de technicien, je suis technologue professionnel. J'ai oeuvré 10 ans comme technicien en instrumentation et contrôle chez Cascades. J'ai été par la suite quatre ans comme superviseur des techniciens en instrumentation pour me retrouver, depuis quatre ans, comme directeur de la maintenance à Kingsey Falls.

J'ai une double fonction par intérim encore pour quelques mois, mais, à l'intérieur même de la division que je gère, on a deux volets: on a la maintenance, qui est commune pour 10 unités de Kingsey Falls, et aussi on a une section de projets qui se compose d'environ une centaine de personnes qui réalisent plusieurs projets en exclusivité pour les usines de Cascades. À l'heure actuelle, on en a un, projet majeur, qui est en Caroline du Nord et qui est un investissement de 25 000 000 $US, qui est l'implantation d'une machine à tissu. Alors, toute la conception, l'engineering, le développement, la réalisation sont faits à partir des gens de chez nous, de Kingsey Falls.

On y va, et c'est un peu connu de Cascades... autant, des fois, on récupère, on prend du vieux, de l'équipement usager, et on le marie avec des équipements neufs pour essayer d'abaisser nos coûts. Donc, on a des gens qui ont comme métier de magasiner à la grandeur du monde des équipements spécialisés. On a un atelier de reconditionnement à Kingsey Falls, on les reconditionne pour, ensuite, les passer ou les envoyer directement là-bas sur le chantier, et j'ai des équipes qui en font l'installation. Donc, la plupart des gens, c'est des équipes multidisciplinaires, mais elles sont composées de gens d'expérience, des mécaniciens généraux, des électriciens, des techniciens et des ingénieurs. Tout ça est fait, réalisé à partir de Kingsey Falls. Autant on travaille au Canada, on parle des États-Unis et on réalise des projets aussi outre-mer.

Dans l'autre volet qui est plus la maintenance pour ce qui est de Kingsey, c'est sûr que c'est peut-être plus... on prend déjà du réalisé et on entretient ce qui est là. En fait, on fait des arrêts de machines, ce qu'on appelle dans nos termes, nous autres, des «shutdowns», c'est des arrêts des fois qui peuvent varier d'une journée à une semaine, pour entretenir des machines qui fonctionnent 24 heures et sept jours par semaine.

On a aussi l'implication de nos gens du milieu. Donc, ce dont on tient compte souvent, c'est de l'efficacité des gens où on essaie de promouvoir l'avancement interne de nos gens de chez nous, peu importe la formation pédagogique que les personnes peuvent avoir. C'est souvent des fois à l'expérience que les gens vont se démarquer.

On a des programmes. Vous devez peut-être connaître les termes d'ISO qui amènent de la productivité et de l'efficacité à certaines industries. Il y a aussi des TPM. C'est tous des programmes. Il y a les 5S, il y a des SMED, il y a des Kaizen. Ça, depuis que les marchés ont ouvert, on fait face à des marchés mondiaux, mais on n'a pas le choix de jouer dans les ligues majeures. Donc, tout ça est réalisé à partir d'équipes multidisciplinaires, autant les opérateurs de machines, pour en venir à amener des modifications de machines, de l'optimisation.

Et pour ce qui est du recrutement, je peux peut-être passer la parole à Marc. Marc a quand même des tableaux qui vont vous montrer un peu l'impact que ça pourrait avoir chez nous avec le projet de loi.

M. Nolette (Marc): Bonjour. Au niveau de l'embauche chez Cascades, services et achats, parce que c'est l'usine dont je m'occupe, on retrouve 12 permanents qui sont au niveau technique et une douzaine d'ingénieurs. Je pourrais dire que les techniciens peuvent gérer des projets, effectuer aussi des modifications, soit à Kingsey ou à l'extérieur de Kingsey, habituellement dans les autres unités du groupe Cascades.

Ce qu'on peut dire, c'est que dans, je dirais, l'ensemble des services et achats, tel que la loi est proposée, ça nous entraînerait des coûts quand même assez onéreux. Pour faire des remplacements des gens que l'on a déjà en place, ça causerait des coûts de l'ordre de 1 500 000 $ environ au niveau de la masse salariale, et il y a des frais aussi qui sont inhérents à ça, soit l'embauche des personnes, les tests, les frais de relocalisation, et autres, pour un total aux alentours de 2 200 000 $. Il y a aussi à ça qu'il faut ajouter le fait de conserver les gens que l'on a déjà en place, qui sont les techniciens et dont le rôle changerait un petit peu; ça nous amènerait à supporter des masses salariales de plus ou moins 91 000 $, 92 000 $ par année, si on veut garder ces gens-là en place. Et fort probable, si un tel projet va plus loin, on devrait fort probablement aller aussi à des mises à pied de personnes déjà en place, des personnes d'expérience. Ça fait que c'est ça, grosso modo, que ça peut engendrer au niveau de services et achats, au niveau des ingénieurs.

M. Hall (Robert): Avec votre permission, si je peux enchaîner un petit peu, le message général qu'on a ici aujourd'hui, ce n'est pas du tout de dénigrer le rôle de l'ingénieur. L'ingénieur joue un rôle de premier plan chez Cascades. On se pose des questions sur l'impact de l'avant-projet à réglementer notre façon de faire. On est une compagnie de projets, on a toujours des projets en marche, que ça soit l'achat d'une usine désaffectée qui a besoin d'être relancée ou la mise en place d'une toute nouvelle machine. On travaille par équipes, et c'est des équipes de personnes qui sont en place depuis longtemps, qui ont acquis une expérience importante et même déterminante dans notre habileté à choisir des projets qui vont réussir selon nos conditions puis nos objectifs.

La loi introduit des notions de supervision, d'ouvrage, de procédé, etc., puis, encore là, on n'est pas ici pour faire le procès du langage de la loi, il se peut même que nous ayons mal interprété les termes. Nous l'avons lue puis nous l'avons distribuée parmi les membres de nos équipes différentes, puis on a recueilli des commentaires. Et, comme tout entrepreneur, bien, les questions qui se posaient étaient: Premièrement, combien est-ce que ça va me coûter, puis de quelle façon est-ce que ça va changer ma manière de procéder? Est-ce que ça va apporter des changements importants à mon équipe puis au processus décisionnel? Puis, à ces questions-là, on arrive à la conclusion que, oui, ça va coûter de l'argent, parce qu'on voit, dans l'avant-projet de loi, des obligations d'embaucher des ingénieurs pour faire du travail déjà fait par d'autres, et ça change un petit peu la dynamique des équipes.

Avez-vous quelque chose à ajouter? Peut-être juste avant de terminer, Christian, vous pourriez nous parler un petit peu du projet qu'on fait en Caroline, l'implantation de la machine, de quelle façon vous avez organisé ça et si vous en voyez des conséquences à cette façon de procéder à un projet.

M. Côté (Christian): Ah! c'est sûr, parce que la plupart de nos hommes clés, souvent, c'est des gens d'expérience. Donc, ils ont une formation, souvent, juste de mécanique générale ou de technicien, et on marche, parce que c'est quand même des projets d'ampleur, avec de la sous-traitance, on embauche même des gens d'ici, du Québec, pour amener suivre nos équipes là-bas, aux États-Unis. Donc, les gens qui coordonnent tout ça – parce que, avec de la sous-traitance, ça demande une bonne coordination – c'est nos gens d'expérience. Je vous parle de ce projet-là, puis c'est peut-être le 20e ou le 25e projet majeur que ces gens-là réalisent. Donc, d'une fois à l'autre, c'est des choses qui se ressemblent, et ils prennent de l'expérience. Avec la modification de la loi, si on comprend bien l'interprétation, il faudrait le faire par des gens qui ont une formation d'ingénierie, ce qui n'est pas toujours le cas chez nous.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Bon, ça complète la présentation?

M. Hall (Robert): Oui.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): J'aimerais vous remercier. À ce moment-ci, nous passons à la période d'échanges. Mme la ministre.

(17 heures)

Mme Goupil: Merci, M. le Président. D'abord, messieurs, permettez-moi de vous féliciter parce que, effectivement, Cascades représente une de nos belles entreprises du Québec dont nous pouvons être fiers. Et soyez assurés que l'objectif du gouvernement n'est pas de vouloir intervenir pour vous dire comment gérer votre entreprise, parce que, au contraire, je pense que vous pouvez être, vous êtes un modèle qui...

M. Gautrin: ...dire comment gérer le gouvernement.

Mme Goupil: Je ne dirais pas jusqu'à cela, parce que nos réalités sont fort différentes. Mais, ceci étant dit, je considère que c'est un privilège pour nous que vous puissiez, dans le cadre de cette commission, nous faire connaître davantage la façon dont vous travaillez, bien que la fierté que nous pouvons en avoir, elle soit bien souvent calculée en fonction de chiffres, d'emplois, et tout ça. Mais je tenais, au nom de notre gouvernement, à vous le dire.

Ceci étant dit, j'ai aussi pris connaissance du mémoire et j'ai été grandement impressionnée, lorsque les chiffres que vous avez présentés en termes de coûts que cela pourrait signifier pour vous si cet avant-projet devenait un projet et qu'il était adopté tel qu'il existe actuellement... J'apprécierais cependant si vous pouviez me décrire concrètement, un exemple concret. Parce que vous en êtes arrivés à ces chiffres en prenant pour acquis qu'il y aurait telles fonctions qui sont occupées par telles personnes ou une telle organisation de travail, qui le seraient, par interprétation, par un ingénieur. J'aimerais que vous donniez un exemple concret de comment vous en êtes arrivés à quantifier en termes de milliers de dollars et de millions, finalement.

M. Côté (Jacques): Oui, je peux peut-être donner certains éléments de la philosophie et de la vision dans laquelle on l'a fait, et peut-être, pour le détail des chiffres, je passerai la parole à Marc...

Mme Goupil: Mais sans aller dans les chiffres.

M. Côté (Jacques): O.K., bon, à ce moment-là, je pourrais à ce moment-là, vous...

Mme Goupil: C'est surtout, moi, concrètement, c'est ça.

M. Côté (Jacques): Concrètement.

Mme Goupil: Un poste de travail, par exemple.

M. Côté (Jacques): Donc, nous avons regardé, par exemple, une fonction de travail. Une chose qui est particulière peut-être au secteur des pâtes et papiers, mais qu'on retrouve peut-être dans d'autres secteurs, c'est qu'il n'y a pas de formation. À prime abord, chez Cascades, comme on l'a mentionné, c'est des gens d'expérience qui ont monté l'entreprise. Donc, on retrouve maintenant, dans nos postes de commande au niveau des services techniques, beaucoup de gens qui n'ont de formation... technicien et même peut-être métier aussi, qui sont maintenant dans des postes de vécu...

Mme Goupil: Le vécu de la vie.

M. Côté (Jacques): ...donc des gens qui ont gravi les échelons par des compétences et non pas par des titres. Donc, c'est une particularité que l'on retrouve chez nous mais aussi dans beaucoup d'autres entreprises. Et, lorsqu'on arrive à faire l'exercice maintenant, bien, si on regarde, aux yeux de la loi, l'interprétation qu'on en fait, c'est qu'une personne maintenant, son travail, ce technicien-là ou cette personne-là qui n'a pas le statut d'ingénieur devra, à partir de maintenant, devra être supervisé par un ingénieur. Donc, on devra prévoir dans notre structure organisationnelle que cette personne-là devra être maintenant chapeautée par un ingénieur, parce qu'elle devra être supervisée.

Je peux vous donner des exemples, à l'heure actuelle, où on a des techniciens... On pourrait le faire au génie civil, par exemple. Notre responsable du génie civil est un technologue et il a sous ses ordres des ingénieurs. Bon. Et il travaille en travail multidisciplinaire. Mais maintenant, aux yeux de la loi, pour se conformer à la loi, ce technicien-là ne pourrait plus exercer le titre de directeur. Mais, comme il détient une expertise très forte chez nous, on ne pourrait pas l'écarter, on va le garder dans notre organisation, mais on devra mettre et recruter un ingénieur. Et, quant à le recruter, on va aller en chercher un bon dans l'industrie – parce qu'on n'est quand même pas fou non plus. Et on devra le recruter, mais dans un secteur où il y a peu de gens formés au niveau de pâtes et papiers, et, donc, ça va nous créer des problèmes de recrutement.

On a fait l'exercice pour d'autres secteurs où on a des techniciens qui sont dans des postes de commande de services techniques, électrotechniques. Nous faisons le tour. On a fait le calcul et on en avait 13 qui étaient dans notre service, directement, de services et achats. On a fait le même exercice dans nos entreprises manufacturières du Québec. On a comme l'équivalent d'une PME, nous autres, des fois. On a un directeur, le service technique qui est occupé par un technicien, on a des usines où il n'y a pas d'ingénieur à l'intérieur. Maintenant, tout le travail d'amélioration du procédé, qui est une nouvelle donnée qui est maintenant chez nous, bien, on devra prévoir que ce travail-là devra être supervisé par un ingénieur. Donc, il faudra mettre un ingénieur dans notre usine. C'est la réflexion qu'on en a faite.

Et on a fait le tour pour voir les entreprises où on en avait. On en a beaucoup, mais on en a quand même rajouté quelques-unes. Donc, ce qui fait le total de 23 qu'on amène. Et les calculs monétaires qu'on a faits, c'est tout simplement des calculs de recrutement. On n'a pas tenu compte de l'impact organisationnel, à savoir: Moi, est-ce que mon technicien va accepter d'être supervisé maintenant par un ingénieur qui n'aura pas le même bagage de connaissances que lui? On n'a pas chiffré puis on ne veut pas se lancer dans cette guerre-là. On veut en arriver à ces faits-là. Donc, c'est ça qui est troublant pour nous, si on l'interprète directement.

Mme Goupil: De par la description que vous m'en faites, on vise beaucoup les postes de commande, les exemples que vous m'avez donnés, là, mais...

M. Côté (Jacques): C'est des exemples précis, oui.

Mme Goupil: D'accord. Et j'aimerais ça savoir, je dirais, si on ne parle pas des postes de commande mais qu'on parle à d'autres niveaux... Parce que les calculs que vous avez faits, est-ce que c'est seulement pour les postes de commande ou bien c'est pour l'ensemble de votre personnel à des endroits différents dans l'entreprise?

M. Côté (Jacques): Le calcul qu'on a fait là repose sur des postes de commande. On a dit que, dans notre organisation... Parce qu'on a des postes finalement où on va avoir des techniciens et des ingénieurs qui vont travailler ensemble. Donc, on aura un ingénieur qui va pouvoir coordonner et respecter l'esprit de la loi. Donc, on a regardé, nous, d'un oeil objectif, et on a dit: Bon, là, dans un service, par exemple, où il y a deux ingénieurs, trois techniciens, bien, on n'ira pas remplacer les trois techniciens pour faire le travail. On aura des ingénieurs dans l'équipe qui pourront superviser et satisfaire aux exigences de la loi. Je pense que le but n'est pas de faire un nettoyage, non plus.

Mais on a regardé, nous, l'exercice dans le sens de dire: Lorsqu'on a une fonction de commande ou on a un service où il y a des ingénieurs, est-ce que, au-dessus de cet ingénieur-là, il y a une personne ingénieur qui va prendre la décision, tel que l'esprit de la loi le demande? Et, nous, notre structure organisationnelle, ce qu'on répond à ça, elle n'est pas prévue... elle ne fonctionne pas sur ce modèle-là. Et on ne souhaite pas fonctionner sur ce modèle-là pour les différentes raisons qu'on a mentionnées tout à l'heure.

Mme Goupil: Une dernière question. Vous avez mentionné... En fait, à la lecture de votre mémoire, à la page 5, vous caractérisez le rôle de l'ingénieur comme étant primordial.

M. Côté (Jacques): Oui.

Mme Goupil: J'aimerais savoir, selon vous, quelles sont les fonctions que d'autres ne pourraient pas faire? En fait, selon vous, quelles sont les fonctions qui ne pourraient pas être faites par quelqu'un d'autre que des ingénieurs?

M. Côté (Jacques): Je vais répondre en termes... Peut-être que je ne voudrais pas me lancer dans le débat de refaire la loi.

Mme Goupil: Non.

M. Côté (Jacques): Je pense que ce n'est pas l'objectif. Mais on pourrait peut-être préciser certaines choses qui sont au regard de la compagnie. C'est que, nous, on cherche des caractéristiques et des compétences précises. Donc, l'ingénieur détient, de par sa formation, des compétences précises, comme par exemple sur des calculs de structure ou des calculs...

Mme Goupil: D'accord.

M. Côté (Jacques): Nous, ce qui nous intéresse, c'est d'aller chercher les personnes qui ont les compétences précises et ciblées qui nous intéressent. Dans le secteur des pâtes et papiers, pour faire une opération x de, par exemple concevoir un nouveau système de tissu, comme on parlait tout à l'heure, si, dans notre organisation, on a une personne qui l'a, cette expertise-là, ce qui va nous intéresser, c'est d'aller la chercher.

Mme Goupil: D'accord.

M. Côté (Jacques): On ne regardera pas le titre. On va regarder: Est-ce que...

Mme Goupil: Sa compétence.

M. Côté (Jacques): ...à la lumière des compétences et des critères qu'on vous a donnés tout à l'heure, c'est ça qui nous intéresse. Et c'est une tendance qu'on va retrouver aussi mondialement dans l'approche de gestion moderne qui veut qu'on doit optimiser nos ressources, tant nos ressources humaines qu'autres. Donc, si on revient à préciser qu'est-ce que... Moi, je suis, premièrement, d'une formation d'ingénieur. J'ai une maîtrise en génie mécanique.

Mme Goupil: Ça vous a sûrement aidé.

M. Côté (Jacques): Oui, ça m'a aidé. Et je crois qu'il y a des éléments valables. Et on n'est pas ici, justement, pour dire que, non, ce n'est pas... On a des ingénieurs. Une des caractéristiques qu'on pourrait vous dire aussi, qu'on n'a pas mentionnée, c'est que, nous, les ingénieurs, on les intègre dans notre organisation. Et il y en a beaucoup à différents niveaux. Une des difficultés qu'on a au niveau technique, c'est que les ingénieurs qu'on recrute s'en vont du côté production. Ils deviennent directeurs d'usine, ils deviennent directeurs de production, et on les retrouve beaucoup dans des fonctions administratives. Et, moi, par contre, par exemple, qui suis au niveau de la formation, donc qui ne... Et, ça, un petit peu, au niveau de la loi, bien, il faut faire attention, parce que je ne me sens pas qualifié pour approuver certains travaux que des techniciens pourraient faire. Donc, il y a l'élément de qualifications professionnelles pour l'élément pointu pour lequel on demande une expertise qui, pour nous, est très importante.

Donc, à savoir est-ce que l'ingénieur est... Est-ce qu'il y a des champs ou des domaines? Bien, moi, je dis, je vous répondrais: les domaines où il a une expertise unique et pointue. Moi, je n'irais pas chercher, par exemple, les services d'un technicien qui n'a pas d'expertise dans le domaine des explosifs pour faire exploser une structure. On va aller chercher les gens qui l'ont, l'expertise. Et on va tenir compte, dans nos projets, s'il y a un impact ou il y a une loi qui nous demande d'aller faire ces choses-là, qui va nous demander une profession ou un domaine donné.

Mme Goupil: D'accord.

M. Côté (Jacques): Mais ce qu'on demande ou ce qu'on veut présenter à la commission, c'est de dire que la loi, telle qu'elle est formulée à l'heure actuelle, ne va pas nécessairement dans le même sens que les styles de gestion qu'on va retrouver et les préoccupations qu'une entreprise a.

(17 h 10)

Mme Goupil: D'accord. En terminant, aussi, lorsque vous avez exprimé – et c'est vous, je pense, monsieur, qui l'avez fait: Ce qui nous intéresse, et je pense que c'est l'intérêt de toute entreprise sérieuse et responsable, c'est la compétence... Au niveau du Code des professions, les ordres professionnels, nous nous devons d'avoir comme seule préoccupation, la sécurité du public.

Je vous donne l'exemple suivant. C'est comme un peu quelqu'un qui veut engager un avocat et qui aurait besoin de quelqu'un qui est spécialisé en droit international. Et, même si quelqu'un a le titre d'avocat, ça ne veut pas dire qu'il a la compétence nécessairement en droit international. Mais, à tout le moins, on a la sécurité qu'il fait partie d'un ordre et qu'il a un encadrement qui est défini. Parce que tu ne peux poser des gestes si tu n'es pas licencié, et tout cela.

Alors, notre objectif, dans le cadre de cette commission, est de s'assurer finalement de bien connaître la délimitation aussi des champs de pratique de chacun. Et, comme je vous l'ai dit en début, nous n'avons absolument aucune intention de vouloir nous ingérer dans l'organisation du travail. Mais, pour cela, il faut bien la comprendre. Et avant, justement, d'adopter un texte de loi, il faut connaître la portée de cela, et c'est le but de notre exercice. Je vous remercie, monsieur.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond.

M. Jutras: Ma question va s'adresser à M. Hall. Vous êtes vice-président aux affaires juridiques. C'est parce que vous nous présentez votre mémoire en disant: Il va falloir qu'on engage des ingénieurs. Bon. Moi, avant d'arriver à cette conclusion-là, ma question est la suivante: Sur quels articles de l'avant-projet de loi vous vous basez précisément pour porter ce jugement-là?

M. Hall (Robert): Bien, de façon générale, si vous regardez l'avant-projet, c'était surtout dans les... il y avait certaines définitions, la définition du mot «ouvrage», il y avait également la notion de supervision. Et ça, ça nous a amenés à se poser la question: Mais qu'est-ce que ça peut vouloir dire, ouvrage et supervision? Jusqu'où est-ce que ça va? Puis, quand on me pose des questions, bien moi, je ne peux pas vous dire, là. Tout ce que je peux vous dire, c'est que ces mots existent dans la loi. Il faut attendre que quelqu'un statue pour déterminer jusqu'où ça va. Bon O.K.?

Alors, prenons le langage tel qu'on le comprend. Superviser, ça veut dire que c'est vous qui êtes responsable puis que c'est vous qui êtes en charge. Alors, dans cette optique-là, face à notre encadrement de travail puis à notre façon de faire, ça nous amène à conclure qu'il nous manque les personnes, des ingénieurs, à des postes clés pour remplir ce rôle-là.

M. Jutras: Alors, j'ai l'impression que vous vous référez entre autres à l'article 2 de l'avant-projet de loi, alinéa c, qui dit que «sont du ressort exclusif de l'ingénieur les actes suivants qui procèdent d'une interprétation ou d'une application des sciences exactes ou de la technologie par des analyses ou des calculs», puis c'est «surveiller l'exécution des travaux afférents à un ouvrage et concevoir des directives de surveillance et des directives d'inspection».

M. Hall (Robert): Oui, entre autres.

M. Jutras: C'est ça, entre autres. Mais, par contre, dans cet avant-projet de loi, il y a l'article 4.3, qui dit qu'«une personne à l'emploi d'un exploitant d'entreprise industrielle – je pense que c'est le cas – peut, dans l'exercice de ses fonctions, poser un acte visé à l'article 2». Est-ce que cet article 4.3 ne vient pas vous donner satisfaction? Pardon?

M. Hall (Robert): Je ne sais pas.

M. Jutras: Vous ne savez pas. C'est sûr qu'on dit: «À l'égard d'un procédé industriel déjà en opération...» Il y a peut-être ça, vous pourriez dire: Pour le futur, qu'est-ce qui va arriver?

M. Hall (Robert): Encore là, on place sur un terrain juridique d'interprétation statutaire qui sera éventuellement légiféré et interprété par des tribunaux un nouveau langage statutaire. Alors, aujourd'hui est-ce qu'on peut dire que ce langage qui se retrouve à l'article que vous venez de citer nous protège et fait en sorte que nous n'avons pas l'obligation d'engager un ingénieur? Peut-être que c'est une interprétation qu'on peut donner à ça, mais je ne peux pas le jurer et je ne peux pas le garantir.

Et, si c'est le but, si l'objectif de l'article 4.3 et l'objectif derrière l'avant-projet de loi, c'est de faire une exception pour que, justement, une société comme Cascades puisse éviter les conséquences qu'on a décrites, tant mieux. Mais il faudrait peut-être que le langage soit un petit peu plus clair ou que quelqu'un statue en ce sens-là pour qu'on ait le sentiment... la paix d'esprit, si vous voulez, de dire à notre monde: On est bien, puis il n'y a pas de problème avec ça.

M. Jutras: En tout cas, l'article 4.3 est là. Et, par ailleurs, je fais un dernier commentaire, là.

M. Hall (Robert): Peut-être...

M. Jutras: Oui.

M. Hall (Robert): ...voulez-vous ajouter quelque chose, Jacques.

M. Côté (Jacques): Non. Pas à ce moment-ci, non.

M. Hall (Robert): O.K.

M. Jutras: En tout cas, tout ce que je dis, c'est que l'article 4.3 est là. C'est un avant-projet de loi. Je veux faire un dernier commentaire, et mon commentaire s'adresse à monsieur qui est assis à la droite de M. Côté.

M. Côté (Christian): C'est un autre Côté.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Jutras: Ah! c'est un autre Côté. M. Côté qui est assis à côté de M. Côté. Alors, j'ai compris que vous étiez technologue.

M. Côté (Christian): Oui.

M. Jutras: Alors, ce que je voulais vous dire, c'est que, dans l'avant-projet de loi, on maintient l'article 5b de la loi actuelle, qui dit que «rien dans la présente loi ne doit infirmer les droits des membres de l'Ordre professionnel des technologues professionnels du Québec ou empêcher l'exécution par un...» En tout cas, ça peut mettre un baume sur la plaie en attendant de voir le projet de loi définitif parce que les droits des membres de l'Ordre professionnel des technologues, en tout cas à 5b, restent là.

M. Côté (Jacques): Est-ce que je peux me permettre un commentaire, peut-être?

M. Jutras: Oui.

M. Côté (Jacques): Oui, je vois qu'au niveau de la loi on prévoit certaines exceptions, on en formule quelques-unes. Moi, je pense que, si on parle en termes de compétence des gens, si on fait des exceptions pour certains, peut-être qu'il faudrait regarder pour l'ensemble des professions. Parce que, là, on touche le secteur des ingénieurs, mais, à côté, on a les chimistes, on a les technologues. Donc, si on dit qu'on met les technologues à part, on va... Peut-être que si on fait l'exercice de regarder la profession des ingénieurs et de la moderniser et de la mettre au niveau de l'entreprise, s'il y a des répercussions au niveau des entreprises, on préférerait peut-être que la lecture ou le réajustement soit fait pour toutes les professions en même temps ou qu'on fasse un exercice un peu plus complet. Parce que, sinon, chez nous, s'il faut jouer avec des exceptions et s'adapter tout le temps, on va passer notre temps à faire ça.

M. Jutras: Remarquez que, dans l'article 5, que l'on maintient, il y a d'autres exceptions qui sont prévues.

M. Côté (Jacques): Absolument.

M. Jutras: Mais, par contre, je comprends ce que vous dites aussi, c'est que, vu que vous êtes dans un secteur spécialisé et un secteur spécial, il y a des gens qui prennent leur expérience et leur formation, comme on dit...

Une voix: Sur le tas.

M. Jutras: ...sur le terrain, sur le tas, pour reprendre l'expression populaire. Alors, vous vous dites: Bien, là, qu'est-ce qui arrive dans ces cas-là?

M. Côté (Jacques): Absolument.

M. Jutras: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. M. le porte-parole de l'opposition officielle et député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Merci, M. le Président. M. Hall, MM. Côté et M. Nolette, merci pour votre présentation, on apprécie beaucoup. On vous attendait pour cette présentation. J'aimerais vous retourner une question que vous demandez dans votre mémoire. Oublions pour le moment les coûts réels en termes de dollars et les coûts réels sur le côté des ressources humaines. Vous demandez une question, dans votre mémoire, en relation qu'on vit dans un monde d'évolution et de changement et d'efficacité. Vous demandez la question: Est-ce que la modernisation de cette loi rendra plus compétitive et performante votre compagnie? J'aimerais que vous essayez de répondre à cette question, que vous avez demandée. Il semble que ça mérite une réponse.

M. Hall (Robert): Est-ce que vous parlez de la modernisation selon le texte de l'avant-projet?

M. Bergman: Exactement.

M. Hall (Robert): Bon, bien, sur la question de la compétitivité – c'est bien un mot français ça – ...

Une voix: Oui.

M. Hall (Robert): ...il y a tellement d'éléments qui rentrent en compte pour déterminer ou établir une équipe compétitive. On a parlé des coûts. Quelques millions de dollars, ça peut avoir l'air insignifiant pour une société d'un chiffre d'affaires de presque 3 000 000 000 $. Mais, comme j'ai dit et on a répété, notre système, notre compagnie est organisée en unité indépendante, alors, si on parle des coûts pour une des unités, c'est important. Alors, il y a cet aspect de coûts additionnels qui affectent notre compétitivité.

(17 h 20)

Mais il y a également le fait que nous vivons dans un monde qui est de plus en plus petit. Cascades s'étend sur le Canada, les États-Unis et l'Europe. Notre monde se promène ici, au Canada, aux États-Unis et en Europe, et nos employés d'autres pays, d'autres juridictions viennent ici travailler, exercer leurs professions, qui ne sont pas, souvent, analogues à ce que nous connaissons ici. D'ailleurs, nous avons appris beaucoup sur notre métier en allant en Europe, aux États-Unis, etc.

Est-ce que cet avant-projet de loi va nous limiter dans notre capacité d'amener au Canada, au Québec des gens qui ont été formés ailleurs et qui ont rempli un rôle important ailleurs parce qu'ils ne rencontrent pas les exigences réglementaires qui découleront de cet avant-projet de loi? Ça, c'est une des questions qu'on s'est posées. Parce que c'est très important pour nous de pouvoir envoyer notre monde dans d'autres juridictions et c'est aussi important de pouvoir amener des gens qui travaillent dans d'autres juridictions ici. Je crois que ça constitue un des éléments qui rend Cascades plus compétitif, peut-être, que certaines autres compagnies dans le même domaine. Je ne suis pas sûr que j'ai bien saisi votre question, mais ça, c'est des éléments de l'avant-projet de loi qui nous inquiètent et qui pourraient affecter directement notre capacité de compétitionner. Je ne sais pas, il y a peut-être d'autres choses.

M. Côté (Jacques): Je pourrais rajouter aussi d'autres éléments qui sont... On a mis des chiffres, on a mis des valeurs monétaires, mais il y a d'autres impacts qui sont très difficilement monnayables mais qui, on le voit sur le terrain, fonctionnent. Un des succès de l'entreprise Cascades, par exemple, c'est son style d'entreprise. C'est la responsabilisation des gens, c'est leur capacité de s'adapter à des situations et à leur culture d'entreprise.

On a une culture d'entreprise très forte qui est basée sur le fait qu'une personne est très autonome et peut prendre des initiatives. Une personne peut s'impliquer dans des projets. On va avoir, par exemple, des opérateurs d'usines, comparativement à d'autres industries de notre secteur, qui vont aller s'impliquer sur un comité d'amélioration continue, qui vont aller imposer un superviseur. Le superviseur va les consulter, ils vont aller informer une direction, parce qu'ils ont une certaine marge de manoeuvre et qu'ils ont une certaine latitude dans l'opération. On va permettre, tolérer l'erreur. La personne peut prendre des initiatives. Donc, on a une certaine culture d'entreprise.

Si on doit réglementer en disant: Maintenant, bien, il y a un ingénieur qui va chapeauter, on vient de briser une certaine confiance, une certaine ligne d'autonomie, une certaine marge de manoeuvre. Comment je vous la chiffrerais en termes de coûts? Je n'en ai aucune idée. Mais je sais que ça va toucher un des éléments de notre force d'entreprise qui est l'autonomie et l'initiative des gens. Et comment la chiffrer, je ne le sais pas, mais c'est un élément parmi d'autres, parmi, donc, tout le système. C'est qu'on a en place un certain système, comme d'autres entreprises vont développer des modèles. Il y a des entreprises...

En 1964, la compagnie Cascades a été fondée par les frères Lemaire avec un certain style. Il y a peut-être des PME, à l'heure actuelle, qui sont deux ou trois personnes, il y a un petit groupe qui est dans le fond d'un atelier en train de bricoler quelque chose et qui va peut-être être une entreprise Cascades dans cinq ans, dans 10 ans. Mais il ne faudrait pas amener une réglementation telle que, pour protéger – et c'est un but légitime, protéger – sous l'idée de protéger, avoir des effets secondaires qui tueraient à la source certaines entreprises. Donc, c'est un peu ça, les impacts qu'on peut chiffrer ou qu'on peut présenter.

M. Bergman: En relation avec notre système professionnel au Québec et le rôle de nos ordres professionnels, est-ce que vous avez, à Cascades, des employés qui sont formés comme ingénieurs et qui ne sont pas membres de l'Ordre des ingénieurs?

M. Côté (Jacques): Je pourrais peut-être vous laisser...

M. Nolette (Marc): Assurément. On a quelques ingénieurs qui sont présentement en cheminement pour être reçus par l'Ordre, dont un Africain qui étudie au Bénin, et on a certains employés, oui, qui ont suivi leur formation d'ingénieur mais qui n'ont pas tout à fait... – comment je dirais ça – qui n'ont pas cru bon de continuer avec l'Ordre des ingénieurs, qui sont, oui, ingénieurs, mais qui...

Une voix: Qui ne sont pas membres de l'Ordre.

M. Nolette (Marc): Qui ne sont pas membres de l'Ordre, c'est ça, qui n'en ont pas ressenti le besoin.

M. Bergman: Un des buts de l'avant-projet de loi et une des craintes de l'Ordre des ingénieurs, c'est d'exercer leur rôle comme ordre professionnel et la protection du public, le contrôle de la compétence de leurs membres, la vérification de leur pratique, etc. Et je ne demande pas cette question en relation avec Cascades, mais je demande la question en relation avec le rôle des ordres professionnels pour avoir une surveillance sur les ingénieurs. Mais, si les ingénieurs peuvent pratiquer leur profession sans être membres de leur Ordre et s'ils exercent des compétences qui tombent sous la loi, alors il y a, en un sens, une pratique illégale de la profession et on évite le contrôle qui est nécessaire pour avoir un système professionnel de première classe. Et je pense qu'un des buts de cet avant-projet de loi, c'est pour élargir l'article 3 pour donner à l'Ordre un mot de surveillance de leurs membres.

M. Côté (Jacques): Je peux peut-être formuler des commentaires par rapport à ça. Si vous regardez, à l'heure actuelle, la profession d'ingénieur, elle est exercée maintenant de plusieurs façons dans la société. Il y a des ingénieurs qui ont l'image professionnelle: Je suis ingénieur, je fais des contrats pour des clients qui peuvent être des sociétés, qui peuvent être des individus. Il y a des ingénieurs salariés en entreprise, qui, par exemple, je peux vous nommer le cas... J'ai en tête des personnes qui sont ingénieurs mais qui n'ont pas le titre, qui ne sont pas membres à l'heure actuelle. J'en ai qui sont directeurs de production. J'en ai qui sont donc dans des fonctions où ils n'ont pas à exercer. Comme, moi, je suis membre de l'Ordre des ingénieurs, mais je ne pose pas d'actes professionnels dans l'exercice de mon travail.

Donc, il y a le titre professionnel et il y a aussi le métier, la profession qu'on exerce. Et il n'y a pas nécessairement adéquation entre titre et profession qu'on exerce. Et, à la lecture du projet de loi ou l'interprétation, du moins, à tort ou à raison, qu'on en fait, c'est qu'on met tout ensemble, et on dit: Dès qu'un ingénieur... C'est du ressort de l'ingénieur, telle, telle, telle fonction, et, donc, toute personne étant ingénieur devra être assujettie. C'est là que je mets peut-être un bémol.

M. Hall (Robert): Il est loin de notre idée de vouloir questionner le rôle de l'Ordre des professions en ce qui concerne la protection du public. C'est délicat, il faut arriver à trouver un encadrement statutaire qui va donner à l'Ordre la capacité d'intervenir pour assurer la protection, mais qui va aussi laisser aux citoyens puis aux citoyens corporatifs, comme on l'est, d'assumer notre responsabilité et de gérer notre monde et nos affaires comme il faut.

Il est sûr que nous avons un rôle à jouer en décidant que quelqu'un a la capacité et la compétence de bien faire son travail. Et, comme M. Côté l'a exprimé tantôt, ça, c'est une évaluation et une analyse des compétences précises de la personne qui nous incombe, et ce n'est pas une analyse des titres que la personne peut détenir, parce que l'un n'est pas nécessairement garant de l'autre.

Et puis l'autre problème, c'est que, malheureusement, quand on essaie d'exprimer ces principes dans une loi, après ça, ça tombe entre les mains des avocats et ça va devant les tribunaux, et on ne peut pas savoir de quelle façon ça va en sortir. Alors, c'est difficile aujourd'hui pour nous de prendre un texte de loi puis de dire au monde qu'est-ce que ça va vouloir dire.

Et, bon, quand on voit des termes comme «supervision», «supervision», c'est un terme extrêmement large qui peut avoir toutes sortes d'applications et de définitions, et pour nous, le terme «supervision», c'est une question, d'abord et avant tout, de capacité humaine, l'habileté de gérer du monde. C'est sûr que la personne doit avoir certaines compétences, mais la compétence primaire, c'est de gérer du monde puis de s'entourer d'une équipe qui va pouvoir faire le travail.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Écoutez, je vous remercie beaucoup d'être venus témoigner devant nous. Vous soulevez des problèmes que cette loi pourrait avoir. Je vais vous présenter une lecture de la loi – je comprends qu'elle est mal écrite, ça va, on se comprend, ici...

Mme Goupil: Avec tout le respect pour ceux qui l'ont rédigée. Ha, ha, ha!

(17 h 30)

M. Gautrin: Oui, oui, mais avec tout le respect, je n'ai pas de problème à dire qu'elle est mal écrite. Et, à ce moment-là, une lecture de la loi et... Regardez, on a deux articles dans cette loi, l'un qui parle du champ de pratique, l'autre qui parle des actes réservés; ça, c'est l'article 2 et l'article 3. Tel que, moi, je lis la loi, et je comprends que ce n'est pas clair à l'intérieur, j'ai l'impression que les actes réservés ne sont réservés que dans la mesure où ils se trouvent à l'intérieur du champ de pratique. Ils ne sont réservés que dans la mesure où ils sont à l'intérieur du champ de pratique.

Alors, quand je vais dans le champ de pratique – c'est l'article 3, vous voyez, le champ de pratique – ça commence bien sûr par les bâtiments, à l'intérieur des bâtiments, les fondations, etc. Ça, c'est le début de l'article 3. Mais suivez-moi.

Ensuite, on a le deuxième élément du champ de pratique: «Elle s'exerce également à l'égard des autres ouvrages – et je sais que la définition d'"ouvrage" est très large – suivants dont la fiabilité – écoutez-moi bien – a des incidences sur la protection de la vie, de la santé, du bien-être et de la sécurité des personnes, de l'intégrité des biens ou de la qualité de l'environnement.» Donc, le champ de pratique, à ce moment-là, est limité, dans le cas où c'est des ouvrages, dans la mesure où ça a des incidences sur la protection de la vie et de la santé. Et, après, on en fait une liste, qui est a, b, c, et d, c'est «tout autre ouvrage...», et après on fait 1° jusqu'à 12° et on ajoute un petit e, «construction accessoire».

Alors, je comprends que c'est un peu difficile de se démêler autour de ça, mais, si on limitait réellement ce champ de pratique donc uniquement au bâtiment, d'un côté, c'est-à-dire le génie civil, d'habitude, et ce qui est tout autre ouvrage – et je sais que la définition d'«ouvrage» est large – mais dans la mesure où la fiabilité a des incidences sur la protection de la vie et de la santé des individus, et qu'on incluait les actes réservés à l'intérieur de ce champ de pratique, est-ce que vous auriez les mêmes questionnements?

Vous comprenez bien? On définit donc un champ de pratique, on définit les actes réservés à l'intérieur de ce champ de pratique, et je ne suis pas sûr que ça a la même portée. Je comprends que ce n'est pas bien écrit puis qu'on peut voir un peu de choses comme ça. Mais, si c'était clairement aller dans cette direction-là, est-ce que vous auriez les mêmes difficultés?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Hall (Robert): Bien, regarde, n'importe quelle précision dans ce sens-là est sûrement une bonne affaire. Ça va nous amener vers une compréhension qui est plus facile. Mais c'est extrêmement difficile pour moi de répondre de façon intelligente à votre question.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gautrin: O.K. Mais vous comprenez bien... Non, non, écoutez. Vous comprenez bien la lecture et la difficulté qu'on a entre 2 et 3. Mais, si 2, les actes réservés, et on peut le voir, sont inclus à l'intérieur de 3, donc c'est une partie à l'intérieur de 3, et 3 est relativement limitatif. C'est à peu près la manière dont on pourrait réécrire ça en disant clairement ce qu'on est en train de vouloir dire.

Une voix: ...

M. Gautrin: Non, ça ne fait pas rire, ce n'est pas risible. Ça pourrait peut-être régler une partie de vos préoccupations qui sont... Je partage totalement vos préoccupations et je suis de votre côté à 115 %, si 115 % peut avoir un sens. Mais j'essaye de voir comment on peut atterrir actuellement dans une loi et...

M. Côté (Jacques): En fait, vous nous demandez de nous prononcer sur une précision de la loi, mais lorsqu'on parle d'actes réservés, lorsqu'on parle, par exemple, des termes comme «actes réservés», «actes exclusifs», actes auxquels l'ingénieur... on pourrait y passer énormément de temps.

M. Gautrin: Absolument, non...

M. Côté (Jacques): Ce qu'il faudrait peut-être comprendre, et peut-être que ça nous éclairerait beaucoup, c'est: Quelles sont les intentions réelles et de quelle façon on pourrait...

M. Gautrin: C'est ce qu'on essaie de comprendre, nous aussi, d'ailleurs.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Côté (Jacques): Et c'est ça qu'on a beaucoup de difficultés, nous, à comprendre. On n'a pas été vraiment consultés dans ce dossier-là. On a eu une loi qui nous a été présentée, on a réagi en disant les impacts qu'on a. On est ouverts à collaborer.

M. Hall (Robert): Mais peut-être que la solution pour vous se retrouve dans les situations problématiques que vous voulez régler. Peut-être que je m'exprime mal, là. Mais je présume que l'avant-projet de loi répond à un état de fait qui est problématique, les situations documentées, connues qui doivent être corrigées. Moi, je ne les connais pas, ces situations-là, je n'ai pas eu accès à cette information.

M. Gautrin: Moi non plus.

M. Hall (Robert): Je crois que la solution à la précision que vous recherchez et que nous recherchons tous se retrouve dans les états de fait et les situations que vous voulez régler. Parce que, nous, dans notre industrie on ne voit pas de situations difficiles...

M. Gautrin: Problématiques.

M. Hall (Robert): ...oui, qui exigent une intervention pour corriger. Il y en a sûrement parce que l'avant-projet de loi est là et vous le faites pour répondre à une situation. Bien, là, je n'ose plus aller plus loin.

M. Gautrin: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, Mme la ministre.

Mme Goupil: Alors, M. le Président, trois choses. Dans un premier temps, s'il était si facile que cela de rédiger... Je n'ai pas la prétention d'être une spécialiste en rédaction. Plusieurs experts sont venus devant nous, nous disant que ce n'était pas simple de rédiger une loi. Vous avez exprimé aussi le fait que l'objectif que nous recherchons est de répondre à une problématique qui a été présentée.

Et je terminerai en vous disant que j'interpellerais votre expertise et votre sens de l'entreprise aussi parce que nous sommes confrontés à trois problèmes. Il y a le professionnel qui exerce son entreprise privée dans son champ de pratique, vous avez un professionnel qui exerce dans le cadre d'une entreprise dans son champ de pratique et vous avez le professionnel qui travaille pour une entreprise qui n'exerce pas dans son champ de pratique. Et vous avez aussi cette réalité-là des équipes multidisciplinaires.

Alors, messieurs, je vous interpelle en vous disant: si vous avez des suggestions à nous faire qui feraient en sorte que l'on puisse s'assurer que le professionnel qui est supervisé ou qui est encadré ou dont la responsabilité est détenue par quelqu'un d'autre... on s'assure, à ce moment-là, d'une protection du public. Quand on a un professionnel qui travaille dans l'entreprise privée et que son ordre professionnel est suffisamment encadrant pour assurer la protection, il n'y a pas d'intervention qui est faite. Et il y a également le professionnel qui finalement, tout dépendamment du statut où il se situe... nous devons nous assurer que l'on répond à la protection du public.

Alors, je termine en vous disant que, si vous avez des solutions par rapport à cette problématique-là, vous êtes les bienvenus pour nous les transmettre, et nous allons les recevoir avec grand respect. Merci beaucoup de votre collaboration.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): J'aimerais donc, au nom des membres de la commission, remercier les représentants de Cascades, M. Hall, à titre de vice-président, et les personnes qui l'accompagnent.

Et la commission, ayant pour aujourd'hui terminé ses travaux, ajourne à demain, 9 h 30. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 37)


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