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Version finale

40e législature, 1re session
(30 octobre 2012 au 5 mars 2014)

Le mercredi 22 mai 2013 - Vol. 43 N° 54

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 35, Loi modifiant le Code civil en matière d’état civil, de successions et de publicité des droits


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Table des matières

Remarques préliminaires

M. Bertrand St-Arnaud

M. Gilles Ouimet

Mme Michelyne C. St-Laurent

Auditions

Chambre des notaires du Québec (CNQ)

Document déposé

Aide aux transsexuels transsexuelles du Québec (ATQ)

Autres intervenants

M. Luc Ferland, président

M. Guy Leclair, président suppléant

Mme Denise Beaudoin, présidente suppléante

M. Robert Poëti

Mme Rita de Santis

*          M. Jean Lambert, CNQ

*          Mme Danielle Chénier, ATQ

*          Mme Mélyssa Legault, idem

*          M. Mathieu-Joël Gervais, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures trente-huit minutes)

Le Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 35, Loi modifiant le Code civil en matière d'état civil, de successions et de publicité des droits.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Beaudoin (Mirabel) remplace M. Cardin (Sherbrooke); Mme de Santis (Bourassa-Sauvé) remplace M. Marsan (Robert-Baldwin); et Mme St-Laurent (Montmorency) remplace M. Duchesneau (Saint-Jérôme).

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la secrétaire. Alors, ce matin, nous allons débuter avec les remarques préliminaires, puis nous recevrons la Chambre des notaires comme premier invité.

Remarques préliminaires

Sans plus tarder, je vous invite, M. le ministre de la Justice, à faire vos remarques préliminaires, en vous mentionnant que vous disposez d'un gros six minutes.

M. Bertrand St-Arnaud

M. St-Arnaud : Merci, M. le Président. J'ai consulté l'opposition. Je pense que je pourrais peut-être, avec le consentement, poursuivre de quelques minutes, si nécessaire. Avec le consentement, bien sûr, de mes collègues.

Le Président (M. Ferland) : Est-ce qu'il y a…

M. Ouimet (Fabre) : …demandes gouvernementales sont raisonnables, l'opposition officielle est toujours disposée à collaborer.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je comprends, M. le ministre, qu'il y a consentement. Alors…

(11 h 40)

M. St-Arnaud : Alors, M. le Président, d'abord bienvenue, M. le Président, bienvenue aux membres de la commission, qui vont participer de façon constructive, je n'en doute point, aux travaux qui vont mener, nous l'espérons, à l'adoption d'un projet de loi proposant, comme son titre l'indique, Loi modifiant le Code civil en matière d'état civil, de successions et de publicité des droits, donc de modifier le Code civil en matière d'état civil, de successions et de publicité des droits.

Je voudrais remercier, M. le Président, tous les groupes et leurs représentants qui viendront nous faire part de leurs commentaires. Les consultations particulières sont une étape importante — et je suis sûr que le député de Fabre partage cette opinion — sont une étape importante, M. le Président, dans le processus d'étude d'un projet de loi, aussi je suis persuadé que nos échanges nous permettront, M. le Président, d'enrichir nos réflexions concernant les multiples sujets traités par le projet de loi n° 35.

Pour bien situer le débat, permettez-moi, M. le Président, de rappeler les grandes lignes de ce projet de loi. D'abord, le projet de Loi modifiant le Code civil en matière d'état civil, de successions et de publicité des droits, ou projet de loi n° 35, a été présenté à l'Assemblée nationale le 17 avril 2013. Il s'agit essentiellement, M. le Président, de modifications qui peuvent peut-être, à première vue, apparaître relativement techniques. Cependant, elles sont, dans les faits, fort significatives pour les citoyens du Québec, car elles visent à corriger certains problèmes importants qui ont été signalés au gouvernement du Québec ou qui se sont soulevés dans l'application des règles actuelles de ce code.

J'aborderai rapidement, M. le Président, les quatre volets principaux du projet de loi et en premier lieu deux volets portant sur les changements en matière d'état civil. En cette matière, le projet de loi vise d'abord à pallier à certaines difficultés vécues par les personnes transgenres et transsexuelles.

En effet, M. le Président, ces personnes font face à divers problèmes. Ainsi, à l'heure actuelle, elles sont obligées de publier dans un journal et à la Gazette officielle le fait qu'elles demandent au Directeur de l'état civil le changement de leur prénom. Cette obligation de publication les force donc à révéler publiquement leur situation, ce qui pourrait avoir des répercussions négatives pour ces personnes. Le projet de loi propose donc de dispenser le Directeur de l'état civil de s'assurer que des avis ont été publiés dans un journal et dans la Gazette officielle dès lors qu'il est manifeste, à la vue du changement de prénom demandé, que la demande de modification de prénom concerne une modification de l'identité sexuelle d'une personne. De même, la décision du Directeur de l'état civil d'autoriser le changement de prénom, dans ce cas, n'aurait plus à être publiée. Toujours pour les mêmes raisons, le Directeur de l'état civil n'aurait plus à s'assurer de la publication d'un avis dans un journal et dans la Gazette officielle lorsqu'une personne présente une demande de changement de la mention du sexe à son acte de naissance. Des modifications de concordance au Règlement relatif au changement de nom et d'autres qualités de l'état civil sont aussi prévues pour retirer les obligations de publication qui s'y trouvent et qui complètent les règles du Code civil.

Par ailleurs, M. le Président, les personnes transsexuelles font face à une autre difficulté. Dans certains cas, lorsqu'elles ont choisi de vivre dans un autre État que le Québec, il leur est impossible de demander dans cet État une modification de la mention de leur sexe à leur acte de naissance. Ces personnes doivent alors demander cette modification au Directeur de l'état civil du Québec.

Or, le Code civil exige présentement que la personne qui présente une telle demande soit domiciliée au Québec depuis au moins un an et qu'elle ait la citoyenneté canadienne. Certaines personnes qui vivent à l'étranger se retrouvent donc dans l'impossibilité complète de faire modifier la mention du sexe à leur acte de naissance. Le projet de loi propose donc d'apporter une solution à ce problème en permettant dorénavant au Directeur de l'état civil de modifier la mention du sexe d'une personne figurant dans un acte de naissance dressé au Québec, à la seule condition que les lois du nouveau domicile de la personne ne prévoient pas la possibilité d'apporter une telle modification. Il faciliterait ainsi la vie des personnes visées, notamment dans leurs déplacements à l'étranger.

J'ajoute, M. le Président, sur cette question que quelques groupes touchés par cette question, dont l'Association des transsexuel-le-s du Québec, témoigneront devant nous d'ici à demain, et nous serons attentifs à leurs propos pour voir si on ne peut pas également profiter de l'occasion pour apporter d'autres modifications à nos règles et à notre Code civil.

Toujours en matière d'état civil, mais cette fois concernant les actes de décès, le projet de loi propose par ailleurs de conférer au Directeur de l'état civil le pouvoir de dresser l'acte de décès d'une personne disparue chaque fois qu'un tribunal a déjà déclaré une personne coupable d'avoir causé soit le décès de la personne disparue soit la disparition de son corps. Cette proposition, M. le Président, épargnerait à la famille et aux proches de la personne disparue d'avoir à entreprendre des démarches additionnelles devant les tribunaux pour obtenir un jugement déclaratif de décès comme le prévoient les règles actuelles du Code civil en l'absence d'un constat de décès.

Toujours en matière d'état civil, un deuxième volet du projet de loi vise à moderniser certaines façons de faire. Ainsi il serait désormais possible de transmettre par voie électronique les déclarations relatives aux événements d'état civil comme les naissances et les décès. Ceci diminuerait le risque d'erreur et accélérerait le traitement de ces renseignements par le Directeur de l'état civil.

Le projet de loi propose aussi de retirer l'exigence qu'une déclaration de naissance ou de décès soit signée par un témoin. Cette exigence n'étant, en pratique, d'aucune utilité, le constat des médecins concernés suffirait désormais à cet égard.

M. le Président, un troisième volet du projet de loi concerne les successions. Le projet de loi propose en cette matière une mesure importante qui vise à corriger une situation vécue par les personnes sourdes et muettes qui ne savent ni lire ni écrire et qui ne peuvent d'aucune façon, en raison des règles actuelles du Code civil, disposer librement de leurs biens par testament. Elles doivent, par conséquent, s'en remettre aux règles de dévolution que la loi prévoit lorsqu'une personne décède sans avoir fait de testament, ce qui peut conduire à des résultats allant contre leur volonté.

Le projet de loi veut corriger cette situation. Il propose en effet de permettre dorénavant aux personnes sourdes et muettes qui ne savent ni lire ni écrire de dicter leurs dernières volontés en ayant recours à un interprète, choisi parmi ceux qui sont qualifiés à exercer cette fonction devant les tribunaux, qui connaît la langue des signes que ces personnes utilisent.Ces personnes — et on parle ici, M. le Président, de quelques milliers de citoyens et citoyennes du Québec — pourraient donc, avec les modifications proposées, recourir aux services d'un interprète pour faire un testament notarié ou un testament devant témoins et ainsi disposer de leurs biens à leur décès comme elles l'entendent.

Cela étant dit, M. le Président, je crois comprendre que la Chambre des notaires aura dès ce matin à nous dire des choses à cet égard, et il va sans dire que nous porterons attention tout particulièrement aux propos de la Chambre des notaires sur cette question.

Enfin, M. le Président, j'aborderai maintenant le quatrième volet de ce projet de loi, celui qui concerne la publicité des droits. Ce projet de loi propose en effet d'introduire dans le Code civil de nouvelles mesures concernant la publicité foncière et la présentation de certaines réquisitions d'inscription au registre foncier. M. le Président, si nous voulons que les Québécois continuent de bénéficier d'un registre foncier efficace et de services adéquats de publicité foncière, nous devons aujourd'hui automatiser et rationaliser certains processus. Plus précisément, les propositions de modification législative que comporte le projet de loi concernent le mode de présentation des réquisitions d'inscription au registre foncier, la transmission électronique des actes sous seing privé et des actes notariés en brevet soumis à la publicité foncière, la durée de validité des inscriptions d'adresse figurant sur le registre foncier, la radiation d'office des avis d'adresse par l'Officier de la publicité foncière et la conservation de certains documents qui se trouvent présentement dans les bureaux de la publicité des droits établis dans les circonscriptions foncières.

Ces nouvelles façons de faire nécessitent l'automatisation de certains processus actuels d'inscription. Elles requièrent la mise en place d'un service en ligne de réquisition d'inscription sur le site Internet du registre foncier du Québec. À l'heure actuelle, ces processus représentent près de 90 % de la charge de travail du personnel du Bureau de la publicité foncière. Les effets de la diminution anticipée du personnel seraient contrés par l'adoption d'une procédure obligatoire pour la présentation des réquisitions. Le moyen proposé est un formulaire dynamique offert en ligne sur le site Internet du registre foncier du Québec. De cette manière, l'intégrité du registre foncier serait assurée, ainsi que le maintien des délais actuels de traitement des réquisitions d'inscription présentées.

Dans le cas d'un acte notarié en brevet ou d'un acte sous seing privé, le projet de loi permettrait dorénavant, à certaines conditions, que les réquisitions d'inscription sur le registre foncier soient faites par la présentation de la reproduction électronique de cet acte. La transmission du document pourrait ainsi se faire sous la seule signature numérique du notaire ou de l'avocat. Cette modification permettrait d'éviter à la clientèle de nombreux déplacements aux bureaux de la publicité des droits.

Par ailleurs, le projet de loi propose d'attribuer expressément à l'Officier de la publicité foncière le pouvoir de radier d'office les avis d'adresse dans les cas prévus par les articles 3066.1 et 3074 du Code civil. Ces cas surviennent lorsqu'une propriété cesse d'être détenue en indivision ou lorsque le droit principal est radié.

Le projet de loi préciserait de plus que la période de validité de 30 ans d'un avis d'adresse prévu à l'article 3022 du Code civil est réputée débuter à sa date d'inscription sur le registre foncier. Ces modifications permettraient de joindre les véritables intéressés par les événements en regard d'un immeuble et de réduire les dépenses qu'occasionnent actuellement des notifications inutiles.

Sur un autre plan, le projet de loi prévoit confier à l'Officier de la publicité foncière le soin de décider du lieu de conservation des documents. Ces documents sont présentement dans les bureaux de la publicité des droits. Leur déplacement permettrait d'assurer leur conservation dans des conditions optimales.

M. le Président, en plus des mesures que je viens d'évoquer, ce projet de loi prévoit des mesures permettant de corriger certaines anomalies en matière de publicité de droits qui avaient été relevées notamment par la Chambre des notaires. Ainsi, il serait dorénavant possible d'inscrire au registre foncier la renonciation au bénéfice de l'accession comme mode d'établissement de la propriété superficiaire. Il serait aussi possible de publier une obligation de faire rattachée à une servitude, comme par exemple l'obligation d'entretenir une servitude de passage, afin de rendre cette obligation opposable aux tiers.

Enfin, serait rapatriée dans le Code civil une précision qui se trouve dans la Loi sur l'application de la réforme du Code civil en matière de rattachement d'un bien meuble à un immeuble.

Alors, M. le Président, je vois déjà dans vos yeux votre intérêt pour le projet de loi n° 35, alors je sens que vous allez apprécier nos travaux. Et je conclus, M. le Président, mes remarques préliminaires de cette façon, en vous disant, M. le Président, que j'entends écouter avec beaucoup d'attention les différents groupes qui viendront témoigner devant nous. Chacun des groupes qui viendra témoigner devant nous a une expertise sur certains éléments du projet de loi n° 35, et, comme ce fut le cas… M. le Président, c'est vous qui avez présidé nos travaux lors de l'étude projet de loi n° 22, même chose lors de l'étude du projet de loi n° 17 qui est toujours en cours. Je pense que, de part et d'autre de cette table, tous les membres de la Commission des institutions, j'en suis convaincu, vont écouter avec beaucoup d'attention les différents groupes qui viendront devant nous, les différents organismes, de façon à améliorer, à bonifier le projet de loi n° 35 au cours des prochains jours et des prochaines semaines. Alors, voilà, M. le Président. Je vous remercie.

• (11 h 50) •

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le ministre. Vous savez très bien que chacun des projets de loi que vous déposez suscite mon intérêt, hein? C'est le nombre de projets que vous déposez qui m'inquiète toujours.

Alors, merci, M. le ministre, pour vos remarques préliminaires. Alors, j'invite maintenant le porte-parole de l'opposition officielle en matière de justice et député de Fabre à faire ses remarques préliminaires, pour une durée maximale de six minutes.

M. Gilles Ouimet

M. Ouimet (Fabre) : Merci, M. le Président. En fait, je vais aller rapidement, parce que j'avais permis… on avait consenti à ce que le ministre fasse quelques minutes de plus. Nous avons des invités, et je souhaite que nous puissions profiter au maximum de leur présence.

Alors, dans un premier temps, je tiens à saluer tout le monde — bonjour — ceux qui nous écoutent, nos invités. Et vous me permettrez, M. le Président, d'en notre nom à tous présenter nos excuses aux invités, qui patientent depuis 11 heures, mais, les travaux parlementaires, on ne les contrôle pas. Alors, nous sommes désolés de vous faire patienter.

Je ne reprendrai pas les points. Le ministre a souligné deux choses, par contre, sur lesquelles je vais m'arrêter. Effectivement, on est très heureux de participer à l'étude de ce projet de loi qui, bien qu'en apparence ne soit pas spectaculaire, vise à apporter des changements qui ont un impact réel dans la vie des Québécois et Québécoises, et c'est notre devoir, comme législateurs, de prendre le temps de faire ce travail-là, de bien le faire, d'écouter les gens qui vont venir nous faire des représentations, le ministre l'a souligné. Pour nous, l'opposition officielle, c'est une étape importante, les consultations, parce que ça aide. Ce qui à première vue peut sembler simple, très souvent, pour ne pas dire toujours, on ressort de ces consultations avec des questions, des problématiques qui n'avaient pas été identifiées, qu'on n'avait pas identifiées au préalable, et donc c'est un apport inestimable à nos travaux. Et je souhaiterais qu'on n'ait plus à faire de débat sur cette utilité et je suis heureux, donc, d'entendre que le ministre a compris; que j'en parle à chaque fois que j'ai l'occasion et qu'on pourra arrêter d'en parler.

Évidemment, ce projet de loi… Et là je vais reprendre les propos souvent du ministre… du député de Saint-Jérôme qui nous parle des sans-voix, parce que ça nous touche tous, les sans-voix, et ce projet de loi touche des sans-voix. Et donc c'est important de bien faire notre travail, parce que ces gens-là devraient, au bout du compte, en tirer des bénéfices, du travail qu'on va faire dans ce projet de loi.

Donc, M. le Président, je souhaite qu'on puisse entreprendre très rapidement les consultations et je vais arrêter mes commentaires préliminaires sur ce point. Et merci.

Le Président (M. Ferland) : Merci. Merci, M. le député de Fabre. Alors, maintenant, j'invite la députée de Montmorency, du deuxième groupe d'opposition officielle, à faire ses remarques préliminaires pour une durée de trois minutes. Mme la députée.

Mme Michelyne C. St-Laurent

Mme St-Laurent : Parfait, M. le Président. Je vous remercie, M. le Président. Je tiens au départ à remercier tous les participants, parce que, vous savez, votre implication est primordiale à la bonne santé d'une démocratie. Nous travaillons à améliorer le Québec, et leur expertise y contribue grandement.

Ce projet de loi vise l'objectif commun d'améliorer l'accessibilité à la justice pour tous et de l'actualiser avec l'évolution de la société québécoise. Une justice accessible est centrale afin d'aider les personnes les plus démunies à se prévaloir de leurs droits. C'est aussi un outil pour accéder à une meilleure égalité entre tous les groupes qui composent notre société. Entre autres, on prévoit ici la protection des droits des personnes sourdes et analphabètes, des personnes transgenres et transsexuelles. Nous avons donc hâte de bénéficier des recommandations des groupes et espérons avoir l'opportunité de bonifier ce projet de loi afin qu'il réponde aux objectifs d'une justice équitable et accessible pour tous. Merci, M. le Président.

Auditions

Le Président (M. Ferland) : Merci, Mme la députée de Montmorency. Alors, merci pour ces remarques. Nous allons sans plus tarder débuter les auditions. Je souhaite la bienvenue à la Chambre des notaires. M. Lambert, je vous demanderais tout d'abord de vous présenter et de présenter les personnes qui vous accompagnent, en vous mentionnant que vous disposez d'un temps de 10 minutes pour vos présentations.

Chambre des notaires du Québec (CNQ)

M. Lambert (Jean) : Merci, M. le Président. Une toute première remarque : Nonobstant le retard, nous considérons que nous sommes privilégiés de nous présenter devant cette commission. Je pense que c'est un privilège d'avoir une société qui écoute les gens avant d'adopter des mesures législatives. Vous savez, quand j'étais jeune étudiant à l'université, le législateur, c'était une espèce d'être barbu, très âgé, et tout ça, et on apprend avec les années que ce n'est pas tout à fait ça et qu'on a ici le législateur, et je pense que c'est très bon pour la population. C'étaient quelques remarques préliminaires pour dire qu'on apprécie vraiment d'être reçus et entendus.

Je vous présente les personnes qui m'accompagnent et qui contribueront à éclairer les parlementaires : à ma gauche et à votre droite, Me Sabina Watrobski, qui est juriste à la recherche à la Chambre des notaires et qui a tenu la plume du mémoire qui vous a été soumis; à ma droite, Me Francine Pager, qui est notaire de longue date en exercice et qui est de plus la présidente du comité du Centre d'expertise en droit immobilier de la Chambre des notaires; et celui qui vous parle, Jean Lambert, président de la Chambre des notaires. Alors, voilà pour nos présentations.

Notre mémoire contient trois volets, porte sur les testaments, la publicité des droits et l'état civil. Le dernier de ces volets-là, vu que c'est des remarques plutôt techniques, on va passer rapidement. Par ailleurs, les deux autres retiennent évidemment davantage notre attention.

Alors, je voudrais tout d'abord saluer l'ouverture du législateur québécois envers les personnes sourdes-muettes… et j'hésite à utiliser le mot «illettrées», mais je sais que, pour l'instant, c'est le terme retenu — je pense que ce sont des gens qui utilisent un autre alphabet, ils ne sont pas nécessairement illettrés, mais, bon, allons-y avec l'expression pour les fins de notre présentation — qui ne pouvaient pas tester avant. Et je puis dire à cette commission que cette ouverture place le Québec à l'avant-garde de bien des pays de droit latin, pour ne pas dire la très, très grande majorité, et surtout ce pays qui nous a inspirés beaucoup dans notre droit, la France.

Avec l'article proposé, 730.1, on place la personne sourde-muette et illettrée sur le même pied que toutes les autres personnes au Canada qui sont affligées du même handicap. Nous en avons toutefois contre l'article 722.1 parce qu'il porte atteinte aux fondements essentiels de l'acte notarié en interposant un tiers, l'interprète, entre le notaire qui a mission que le législateur lui a donnée de constater et de consigner l'accord des parties, dans ce cas-ci du testateur et de la testatrice, alors qu'il ne peut constater lui-même et directement le degré de compréhension — on sait que la compréhension, c'est le consentement éclairé et libre — de prodiguer le devoir de conseil au testateur et de recueillir lui-même sans filtre le consentement.

Le testament notarié a cette particularité, M. le Président, qu'il prend effet immédiatement au moment du décès et qu'il n'y a aucune étape de vérification ou de contrôle que l'on retrouve avec les autres formes, qui est l'homologation et la vérification. Le mémoire du ministère de la Justice au Conseil des ministres, dans le cadre du projet… l'ancien projet n° 70, reconnaissait qu'il y avait là un accroc majeur au concept de l'acte notarié, alors non seulement pour le testament, mais pour tous les actes notariés.

• (12 heures) •

On donne ici à un problème de communication une dimension juridique, à notre avis, inappropriée. Qu'en est-il de tout autre citoyen qui ne s'exprime que dans une langue incompréhensible à un notaire du Québec? Et je pense par exemple ici à une personne qui n'utilise que le mandarin. Elle ne pourra pas tester sous la forme notariée, et là elle n'est pas affligée d'aucun handicap.

Donc, il n'y a pas d'analogie, par exemple, avec le procès. Je sais que, dans l'argumentation, en parlant d'un interprète qui par ailleurs serait reconnu ou habilité par la cour, on est dans le cadre d'un événement où le juge recueille des témoignages. Il y a tout un ensemble de faits, il y a un contexte, donc, qui replace les propos de la personne qui recourt à un interprète dans un contexte fort différent de celui où cette personne seule donne un consentement. Là, ce n'est pas un témoignage, mais c'est un consentement.

Alors, pour nous, on pense que la réponse au problème est bien apportée par l'article 730.1. Nous avons sur cet article un seul commentaire à faire, c'est-à-dire que, le serment, la rédaction dit «devant le rédacteur». On se demande : Mais qui reçoit le serment? Est-ce que ce rédacteur-là est nécessairement une personne apte à administrer le serment, à recevoir les serments? Je pense qu'il faut l'écrire, il faut apporter cette précision.

Dans le cadre de ce testament, il y a aussi un contrôle qui s'exerce a posteriori et qui vient renforcer le degré de sécurité qu'un tel testament fait à l'aide d'un témoin… d'un interprète, dis-je, est confectionné, alors on pense que c'est la voie qu'il faut suivre. Et, à ce moment-là, nous, au niveau de la Chambre des notaires, nous pouvons… un notaire peut recevoir ce testament au rang de ses minutes, donc le révéler au registre des testaments. On peut donc retracer, ce testament-là ne sera pas perdu. On pourra lui donner effet, à ce moment-là, tout comme un testament notarié au moment opportun. Alors, on pense qu'avec cet élément-là la personne pourra, à ce moment-là, pouvoir tester sous une forme que nous admettons depuis fort longtemps et de pouvoir obtenir la protection pour qu'on puisse retracer son testament.

Autre élément que la Chambre s'engage à faire, c'est de défrayer le coût de la formation de notaires dans le langage des signes. À ce moment-là, un notaire qui comprendra le langage des signes pourra recevoir un testament notarié d'une personne sourde-muette et soi-disant illettrée.

Alors, voilà pour cet aspect. Ça nous amène maintenant à l'aspect de la publicité foncière. Pour beaucoup de gens, c'est un peu un monde mystérieux. Pour dire les choses simplement, le registre foncier, c'est l'endroit où les titres de propriété et tous les droits que peuvent avoir les personnes sur des immeubles… donc ce registre révèle… est la source d'information fiable, est même la source prépondérante. En cas de problème ou de difficulté, c'est le propriétaire apparent au registre foncier qui, dans la plupart des cas, prévaut, alors on comprend donc l'importance que ce registre-là a dans l'administration d'un territoire comme celui de la province de Québec.

Je rappelle que déjà on avait, il y a plusieurs années, mentionné au ministre de la Justice les problèmes que nous avons à vivre depuis l'entrée en vigueur du nouveau Code civil, le 1er janvier 1994, concernant la prescription acquisitive d'un immeuble, c'est-à-dire le titre de propriété qu'une personne acquiert en occupant un immeuble selon une période de temps qui s'écoule et sans qu'il y ait de contestation. C'est ce qu'on appelle la prescription acquisitive. Alors, il y a un problème technique dans la façon dont ça a été rédigé dans le nouveau code. On a demandé, pour éviter des recours aux tribunaux inutiles, que la prescription soit acquise comme dans le cadre de l'ancien Code civil du Bas-Canada, sans nécessiter d'intervention du tribunal, celui-ci n'intervenant qu'à demande pour, dans le fond, déclarer et confirmer le titre, et non pas de l'établir comme c'est le cas actuellement, ce qui impose une surcharge dans le temps dans les examens de titre. Mais on ne voudrait pas que cette question… Si ça devient difficile pour le législateur de l'incorporer, on ne voudrait pas retarder l'adoption du projet de loi n° 35, mais on voudrait au moins que le législateur s'attarde à cette question-là rapidement.

Concernant les autres dispositions du projet de loi…

Le Président (M. Ferland) : Il vous reste environ 30, 40 secondes pour…

M. Lambert (Jean) : Concernant les autres dispositions en matière de publicité, on les accueille favorablement. Nos commentaires porteront — et j'espère que, dans la période de questions, on y verra — sur les questions de renonciation au bénéfice de l'accession, quelque chose d'assez bizarre, et la publicité sur le tréfonds. Alors, on aimerait, à ce moment-là, y revenir à l'occasion de la période des questions. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci beaucoup, M. Lambert, alors, pour votre présentation. Nous allons maintenant débuter la période d'échange. Alors, M. le ministre de la Justice, la parole est à vous, je crois, pour un temps de… Vous disposez de 24 minutes.

M. St-Arnaud : Bien, en fait, M. le Président, je pense que je vais donner la chance à M. le président de la Chambre des notaires de poursuivre son exposé, là, notamment sur l'inscription de la renonciation au bénéfice de l'accession. Et, sur son deuxième élément, je vais écouter avec attention ce qu'il souhaiterait nous dire tout particulièrement là-dessus.

M. Lambert (Jean) : Merci, M. le Notaire général.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je vous remercie, M. le ministre. Allez-y. Allez-y, M. Lambert.

M. Lambert (Jean) : J'ai été trop vite. Alors, M. le Notaire général, merci beaucoup. Alors, écoutez, nos commentaires ont pour but d'attirer l'attention pour bonifier ces dispositions dans l'intérêt des usagers de la publicité foncière. Dans le fond, on parle des citoyens.

Qu'est-ce que l'accession? Une bibitte un peu… assez curieuse. C'est un phénomène très simple de notre droit qui veut que tout ce qui s'ajoute à un terrain, à un fonds, ce qu'on appelle dans notre langage le foncier, le fonds, devient automatiquement la propriété de celui qui est propriétaire du terrain. Et d'ailleurs on parle souvent d'immeuble, surtout les journalistes parlent beaucoup de l'immeuble en flammes. Pour nous, ça nous fait rire, parce que l'immeuble, c'est le terrain, et le bâtiment n'est immeuble que par accession, donc par ce phénomène que le législateur a stipulé pour dire que tout ce qui s'ajoute au fonds participe et est la propriété.

Sauf que, dans la réalité de la vie, ce n'est pas aussi simple, et il y a des ajouts qui se font au-dessus, dans un terrain, et qui n'est pas destiné à être la propriété de celui qui est le propriétaire. Donc, on parle de propriété superficiaire. Et ceci amène, par l'effet de la rénovation cadastrale, encore un terme qui peut être assez bizarre, mais, depuis une vingtaine d'années, l'État québécois, donc les usagers du registre foncier ont défrayé à coups de, je pense, plusieurs centaines de millions la rénovation de tout le cadastre du Québec, qui en fait vraiment un outil très moderne de gestion du territoire, mais comme conséquence c'est qu'on ne peut plus morceler les lots lorsqu'on travaille sur des parties de lot. Par exemple, une corniche qui empiète chez le voisin, techniquement il faudrait refaire une nouvelle cadastration, soit verticale, pour identifier cette corniche. On comprend que ça va impliquer des coûts énormes pour les citoyens parce qu'un mur est gonflé pour l'isolement ou le mur mitoyen… une propriété est détruite, et le mur reste la propriété du voisin dont la maison n'a pas été démolie, mais ce mur-là se trouve à empiéter. Donc, encore là, des problèmes.

On est dans un domaine très technique mais qui cause énormément de problèmes et on ne voudrait pas que les situations qui soient apportées… et on veut prendre l'occasion de ce projet de loi pour qu'on puisse corriger ces situations-là très simplement, en utilisant ce qu'on appelle, nous, la reconnaissance d'une renonciation tacite. Et j'indique ici aux membres de la commission que c'est une réflexion qui est postérieure à notre mémoire, même s'il a été rédigé récemment. On essayait de trouver une façon simple tout en respectant la qualité du cadastre québécois, donc, qu'une reconnaissance d'une renonciation tacite puisse être faite.

Donc, si je sais, moi, que la ville veut passer un tuyau à l'intérieur de mon terrain, ça ne me dérange pas, mais je ne veux pas en être propriétaire, de ce tuyau-là, ce que l'accession, le principe de l'accession donne. La municipalité non plus ne tient pas à ce que je sois propriétaire du tuyau. Elle, elle veut continuer de l'entretenir et de le remplacer, au besoin. Moi, comme propriétaire, je ne veux pas, absolument pas la responsabilité du tuyau. Et je pourrais multiplier les exemples, avec une éolienne par exemple.

Donc, on voudrait qu'on puisse reconnaître d'une façon anticipée la renonciation à l'accession. Donc, il y a un projet de construction qui va se faire; on pourrait renoncer à l'accession et le publier sur le tréfonds. Par la suite, lorsque la construction sera faite, la situation pourra durer. S'il y a lieu, dans l'avenir, de faire une transaction, là il pourra y avoir création d'un cadastre, si les parties en sentent le besoin.

Le problème que je soulevais tantôt des corniches, des balcons, des murs soufflés, ça, il y en a des centaines de milliers dans une ville comme Montréal et d'autres ailleurs, et on voudrait pouvoir corriger la situation par unereconnaissance tacite à l'accession. Je m'explique parce que ça peut paraître assez bizarre. C'est que le phénomène de l'accession, il est immédiat. Dès l'instant que je bâtis ma clôture deux pouces sur le terrain du voisin, il en est propriétaire, dès l'instant que j'ai donné le dernier coup de marteau. Les années passent. On a un certificat de localisation qui, au bout de 10 ans, révèle que la clôture est chez le voisin, et le voisin dit : Moi, je ne la veux pas, la clôture, je ne veux pas en être responsable. Mais là on ne peut pas, actuellement, régler cette situation-là et on voudrait que les parties, dans un acte, les deux voisins disent : Écoutez, moi, je suis toujours propriétaire, j'ai bâti la clôture, l'autre dit : Moi, ce n'est pas à moi, puis je ne la veux pas, je ne veux pas être responsable de la clôture. Donc, on fait une renonciation tacite, c'est-à-dire qu'on reconnaît qu'au moment où ça a été fait personne ne s'y était opposé. Moi, je ne voulais pas être propriétaire de la clôture du voisin bâtie deux pas sur mon terrain, puis mon voisin, lui, il voulait toujours entretenir et être propriétaire de sa clôture. Les deux, nous sommes d'accord, et on voudrait pouvoir le publier. Actuellement, on ne peut pas. Pourquoi? Parce qu'au niveau de la Direction du registre foncier on parle de droit personnel. Lorsqu'on parle de renonciation à une accession, c'est un droit personnel et non, dans notre langage, un droit réel. Donc, on demande que ça, ça puisse être possible.

Alors, voilà, M. le ministre, ce que j'avais à dire sur l'accession.

• (12 h 10) •

Le Président (M. Ferland) : Alors, M. le ministre, il reste encore à peu près 18 minutes, environ.

M. St-Arnaud : Excellent. D'abord, M. le Président, donc, je voulais que le président de la Chambre des notaires termine son exposé, mais d'abord je dois dire que nous avons reçu le mémoire de la chambre, là, ce matin. Je peux rassurer les gens de la chambre que nous allons le regarder avec beaucoup d'attention, même si on n'aura pas l'occasion, certainement, de couvrir tous ses éléments, surtout que certains d'entre eux sont particulièrement techniques, mais je peux assurer le président de la chambre que nous allons regarder avec attention l'ensemble des éléments qui sont mentionnés au mémoire qui nous a été remis ce matin. Peu importe qu'on en discute ou pas aujourd'hui, là, ça va faire l'objet d'une réflexion, chacun des éléments et des recommandations que vous faites.

Et ça m'amène à parler, M. le Président, des testaments. On parle des sourds et muets ne sachant ni lire ni écrire. Est-ce que, de votre expérience, c'est une problématique que vous rencontrez fréquemment?

M. Lambert (Jean) : Non. Très franchement, j'ai 44 ans d'exercice, et ça ne m'est jamais arrivé. Je pense qu'on a regardé et je pense que ça touche un nombre limité de personnes, malgré que les chiffres fiables récents n'existent pas, ne sont pas disponibles.

M. St-Arnaud : Est-ce qu'il y a des notaires qui maîtrisent le langage des signes?

M. Lambert (Jean) : Nous en avons eu un jusqu'à il y a un an et demi qui maîtrisait ce langage.

M. St-Arnaud : Et je comprends qu'une des pistes, là, de solution que vous mettez de l'avant aujourd'hui, c'est de dire : La chambre s'engage… Peu importe, là, ce que sera le projet de loi, mais la chambre s'engage à former davantage de notaires au langage des signes.

M. Lambert (Jean) : Oui.

M. St-Arnaud : Pouvez-vous nous expliquer, juste pour la bonne compréhension de tous… Je comprends qu'il y a — et vous le rappelez dans votre mémoire, là — trois sortes de testament. J'aimerais ça que vous nous présentiez en deux minutes, là, le portrait pour l'ensemble des membres de la commission, le portrait, les types de testament, en insistant… — vous y avez fait référence tantôt — en nous parlant du testament notarié, là, qui est un acte authentique, là. Alors, j'aimerais ça que vous nous expliquiez les trois types de testament en accordant une attention particulière au testament notarié, parce que ce que vous nous dites, c'est : Ce que vous avez prévu, là, à 722.1, ça constitue une brèche par rapport au concept d'acte authentique.

Alors, j'aimerais vous entendre sur les trois et vous entendre également quand vous nous nous dites : Si le législateur décidait d'exclure 722.1, de se contenter, comme vous le souhaitez, si j'ai bien compris, de 730.1… J'aimerais que vous nous expliquiez. Vous nous dites : Nous, on est prêts à faire notre part pour la suite des choses — c'est comme ça que je le dis dans mes mots à moi — de façon à conférer — enfin, je le dis un peu dans mes termes, là — à conférer à un testament qui serait fait en vertu de 730.1… notamment à lui conférer un certain… j'allais dire «un certain statut», ce n'est pas vraiment ça, là, mais enfin s'assurer qu'on pourrait, par exemple, le retracer facilement. Alors, j'aimerais vous entendre, là, sur le portrait général, le testament notarié. Et, si on excluait le… — je mets l'hypothèse sur la table — on excluait 722.1 et qu'on retenait seulement 730.1, qu'est-ce que la chambre pourrait faire pour la suite des choses?

M. Lambert (Jean) : Parfait. Alors, M. le ministre et Notaire général, le testament le plus simple, c'est celui qu'une personne rédige d'elle-même par aucun moyen mécanique, alors donc pas avec un ordinateur, imprimé, là, et signé, ça, ça ne fonctionne pas, mais soit écrit à la main… ou avec les orteils, parce que, quand on a fait la modification du code, de l'ancien… du Bas-Canada, celui du Code civil, on a vu qu'il y avait des gens qui… On disait autrefois «écrit à la main», mais généralement c'est celui qui est écrit à la main ou par la bouche ou les orteils, donc par une personne qui le rédige elle-même, c'est son fait. Et c'est ce qu'on appelle le testament olographe. Pour lui donner son effet, il faudra qu'une personne qui connaissait le testateur ou la testatrice et qui connaissait son écriture puisse venir en témoigner sous la foi du serment, et c'est ainsi qu'on pourra, à ce moment-là, joindre l'écrit que nous avons à la personne qui l'a fait. Même principe…

Une voix :

M. Lambert (Jean) : Oui, oui, par une procédure judiciaire qu'on appelle l'homologation ou la vérification devant notaire.

L'autre forme de testament, c'est celui qui est rédigé par tout moyen par quelqu'un d'autre que le testateur ou la testatrice mais qui est lu et signé par le testateur ou la testatrice en présence de deux témoins qui ont été mandatés… c'est-à-dire mandés par le testateur ou la testatrice pour en être témoins et apposer leur signature. Lorsqu'il sera temps de mettre à exécution ce testament, un des deux témoins devra être retracé et venir tester sous serment qu'il était présent, que la personne a signé en dehors de tout contexte de captation, donc qu'il n'y a pas personne qui a fait de l'influence pour l'amener à signer, la forcer, que la personne a bien signé volontairement, sans être pressée de le faire et après en avoir pris connaissance elle-même. Donc, ça, c'est la forme que l'on retrouve dans 730.1, auquel, là, on a ajouté évidemment le recours d'un interprète, et avec les éléments qu'on y trouve, donc qui s'ajoutent pour, encore une fois, accorder une sécurité.

Le testament notarié, lui, est dépourvu de ces éléments-là. Pourquoi? Parce que le notaire, officier public, donc, détenant une parcelle de l'État, ça s'apparente un peu à un juge et par ses devoirs que le code de déontologie lui impose, notamment de faire les vérifications quant à l'aptitude de la personne, quant à son degré de compréhension, de consentement, de… à qui le notaire aura prodigué son devoir de conseil. Et l'acte lui-même est assujetti à un formalisme. Donc, il doit être daté de date certaine, recevoir un numéro séquentiel avec lequel on pourra prouver que ce testament-là n'a pas été fait rétroactivement avec un changement de date, alors donc avec le système du répertoire et de l'index notarié, qui répond à des normes très précises. Et, à ce moment-là, le testament est lu soit par le testateur lui-même ou par le notaire au testateur en présence d'un témoin, et lesquels signent en présence les uns des autres.

Ce formalisme fait en sorte que l'État reconnaît que ce document-là est dit authentique, et on lui donne effet immédiatement. On n'a plus à en contester la forme et la teneur à moins qu'il y ait eu manque dans les formalités, auquel cas, là, on pourra l'attaquer en faux, mais c'est uniquement ce cas-là. Donc, la raison pour laquelle ce testament a cette valeur, c'est en raison du pouvoir et du contexte très précis de sa réalisation, que l'État lui a fait devoir d'exécuter et de réaliser.

M. St-Arnaud : Juste une ou deux choses. D'abord, pour ce qui est du testament notarié, je comprends que ce que vous dites, là, il faut que le notaire entende les paroles prononcées par la personne qui fait son testament, là, et comprenne ce que la personne dit. Vous avez fait référence tantôt, par exemple, au mandarin. Est-ce que je comprends qu'un notaire ne peut jamais passer par le biais d'un interprète pour comprendre ce qu'une personne veut formuler dans son testament?

M. Lambert (Jean) : Jamais.

M. St-Arnaud : Jamais, O.K.

M. Lambert (Jean) : Le notaire qui comprend le mandarin, lui, pourrait recevoir le testament, mais il faut qu'il puisse échanger, là, ce n'est pas juste écouter. Il faut qu'il y ait cet échange. Par exemple, si je vous propose finalement, après avoir discuté et établi les besoins avec vous, un testament fiduciaire, qui est un document qui fait une bonne trentaine de pages, vous comprenez qu'on a besoin vraiment d'échanger et de cheminer dans la compréhension de ce document-là. Absolument impossible à faire avec un interprète, même avec toute la bonne volonté. Lui-même devra essayer de comprendre ce que moi, je veux dire, et là lui devra essayer de l'expliquer à une autre personne qui, là, sera tout aussi perplexe. Ce filtre-là, vraiment, est majeur.

• (12 h 20) •

M. St-Arnaud : Et qu'est-ce que vous faites? Évidemment, là, le nombre de langues parlées au Québec ne va pas en diminuant, là, il va plutôt en augmentant, on a des dizaines de langues qui sont parlées au Québec. Qu'est-ce que vous faites face à… Quand quelqu'un parle une langue qui n'est parlée par aucun notaire au Québec, qu'est-ce qu'on fait? Qu'est-ce que cette personne-là fait si elle veut faire un testament notarié?

M. Lambert (Jean) : Bien, d'abord, cette personne-là peut recourir au testament devant témoins, ça, ça… ou encore…

M. St-Arnaud : …730.1, là?

M. Lambert (Jean) : Oui, oui, c'est ça. Maintenant, je dois dire qu'on a… Puis, dans une autre commission parlementaire, on a déposé une liste, je pense, de plus d'une vingtaine de langues différentes qui sont parlées par des notaires au Québec. Alors, on a aussi ce phénomène d'avoir beaucoup de nouveaux notaires, depuis une bonne quinzaine d'années, qui parlent des langues qui ne se parlaient pas avant ici. Je parle entre autres des langues asiatiques. Les langueseuropéennes, ça, de longue date, là, on a le grec, le latin, le… Bon. Ça, il n'y a pas de problème. Mais les langues asiatiques, là, depuis une quinzaine d'années, maintenant on en a. Alors, il n'y a pas beaucoup de langues qui ne sont pas comprises par des notaires au Québec.

M. St-Arnaud : Mais, si c'est le cas, il n'y a pas de possibilité de testament notarié, on doit passer par le testament devant témoins.

M. Lambert (Jean) : Tout à fait exact.

M. St-Arnaud : O.K. Et qu'est-ce que vous… Vous avez parlé, là, tantôt, de… Si le législateur retenait… éliminait 722.1, allait du côté de 730.1 seulement, vous dites : On pourrait quand même… pour la suite des choses, là, pour ce qui est de la façon de retracer le testament, la Chambre des notaires pourrait mettre sur pied quelque chose qui n'existe pas présentement, là. Est-ce que c'est ce que je… O.K., allez-y.

M. Lambert (Jean) : Ça existe, ça existe. C'est peu connu parce que les gens, la plupart du temps, une fois qu'ils sont chez le notaire, préfèrent le testament notarié, mais effectivement on a au dépôt de nos minutes, au rang de nos minutes des gens qui ont fait leur testament à la main, qui disent : C'est parfait, notaire, faites juste en assurer la conservation et révélez l'existence au registre pour qu'on puisse le retracer à mon décès. Même chose surtout avec des testaments faits devant témoins.

M. St-Arnaud : Et donc ça pourrait se faire, et vous dites : Dans ces cas-là, le notaire pourrait proposer à quelqu'un qui arrive et qui fait ce testament devant témoins de l'insérer dans ce système qui permet de le retracer. Et donc on n'a pas besoin de modifier le Code civil à cet égard-là. Ça existe, c'est un système qui existe déjà.

M. Lambert (Jean) : Absolument. Ça a un double avantage. Premièrement, le dépôt au rang des minutes du notaire établit que le testament a été fait au moins à cette date ou avant, donc on ne pourra pas suspecter qu'il aurait pu être fait à une date très proche du décès mais… avec une date antérieure pour je ne sais pas quoi, moi, masquer une situation qui pourrait être frauduleuse. Donc, on a déjà cet avantage-là.

L'autre avantage, je ne vous cacherai pas que le notaire peut être un contributeur, avec l'interprète, à la confection d'un testament qui sera fait, qui sera réalisé dans le cadre de 730.1. Ça, il n'y a pas de problème.

M. St-Arnaud : Devant témoins.

M. Lambert (Jean) : Alors, ça n'écarte pas le notaire et son expérience.

M. St-Arnaud : Mais, vous, c'est le caractère authentique du…

M. Lambert (Jean) : C'est le concept de l'acte notarié qui serait, à notre avis, atteint et dans un fondement essentiel.

M. St-Arnaud : Je ne veux pas vous mettre mal à l'aise, mais, évidemment, une des… certains organismes, la Commission des droits de la personne, l'Office des personnes handicapées, nous disaient : Présentement, il y a une situation d'inégalité au sens de l'article 15, là, de la charte canadienne des droits de la personne... canadienne des droits et libertés.

Et je vous demande un avis, mais peut-être que je vais au-delà de votre expertise aujourd'hui. Mais est-ce que vous croyez que, si on y allait seulement avec 730.1, on répondrait à cette interrogation qui nous a été formulée quant au fait qu'il peut y avoir éventuellement une situation d'inégalité pour les sourds et muets ne sachant ni lire ni écrire?

M. Lambert (Jean) : Établissons tout d'abord, M. le ministre, qu'avec 730.1 la personne serait au même niveau que tout autre testateur dans une autre province canadienne, n'aurait pas moins que ce qu'on peut retrouver dans une autre province.

Ce qui est nouveau avec 730.1, c'est qu'actuellement cette personne ne peut pas tester, point, peu importe la forme, alors qu'avec 730.1 on répond au besoin qu'a signalé la Commission des droits de la personne. C'est une réponse que je qualifierais de raisonnable, pour ne pas utiliser un autre terme, parce que je ne veux pas qu'on se méprenne, mais je trouve que c'est une réponse qui est raisonnable. Et, à ce moment-là, je pense qu'on passe le test de 15.(1), parce qu'on est dans le cadre d'une société raisonnable, on apporte une réponse raisonnable, qui est faisable, qui est accessible. Elle n'est pas financièrement hors proportion de sorte que, dans les faits, ça créerait une discrimination comme dans le cas, là, qui est rapporté, de la cause de Colombie-Britannique, où, dans le fond, c'est une question d'argent et non pas de loi qui est en cause, d'accessibilité à un service.

M. St-Arnaud : C'est très clair, M. le Président. Alors, écoutez… Et j'ai vu, là, qu'en annexe à votre mémoire vous avez fait un relevé, là, de… une étude de droit, vous avez fait un résumé d'une étude de droit comparé visant des pays membres de l'Union internationale du notariat et concernant le testament de la personne sourde et muette qui ne peut ni lire ni écrire. Donc, on va certainement prendre en connaissance.

Moi, ça complète mes questions, M. le Président. Donc, je prends note avec intérêt de vos propos sur cette question. On va certainement, au niveau de la commission, poursuivre notre réflexion sur les articles 24 et 25 du projet de loi. Quant à toute la question de la publicité des droits, bien on va lire avec attention. Là, on est dans le technique, et, j'ai beau être Notaire général, je vais avoir besoin de le lire attentivement, M. le Président, je dois m'en confesser, pour bien saisir chacun des éléments qui sont mentionnés dans le mémoire. Mais je crois comprendre que, pour l'essentiel, M. le président de la chambre, le projet de loi répond à plusieurs de vos préoccupations, mais vous dites qu'il y a peut-être certaines choses qu'on pourrait ajouter ou améliorer, là. C'est ce que je comprends de l'essentiel de votre mémoire.

M. Lambert (Jean) : Très bonne compréhension, M. le ministre.

M. St-Arnaud : Et elle sera encore meilleure quand je l'aurai lu avec attention. Mais je vous remercie beaucoup. Sachez que nous allons regarder ça, et les gens qui m'accompagnent au ministère vont regarder avec beaucoup d'attention toutes et chacune des recommandations que vous faites. Et je suis sûr que tous les membres de la commission vont faire de même lors de l'étude article par article, parce que, je ne sais pas si vous le savez, M. le président de la Chambre des notaires, mais nous avons une commission des institutions de très haut calibre, présidée par notre président, le député d'Ungava, et on regarde chaque article avec beaucoup d'attention, avec beaucoup d'attention. Et sachez que ce sera fait également pour ce projet de loi.

Alors, ça complète pour moi, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Merci, M. le ministre et Notaire général, parce que j'ai noté que ce titre vous était attribué également. Mais, pour les compliments, je les prends, mais je les partage avec la secrétaire que, si elle n'était pas à mes côtés, je serais souvent très mal pris.

Alors, maintenant, je reconnais le porte-parole de l'opposition officielle en matière de justice et député de Fabre pour votre période d'échange, pour un temps de 20 minutes et quelques secondes.

M. Ouimet (Fabre) : Merci, M. le Président. Vous permettrez… Le ministre faisait référence — c'était une blague mais avec un fond de vérité — à l'effet que la Commission des institutions était de haut calibre et qu'on passait… En fait, la blague, c'était… ou la pointe, c'était à l'égard du temps qu'on prenait à l'examen des lois, et parce que, depuis le début de la 40e législature, M. le Président, j'ai eu l'occasion d'avoir quelques remarques à l'effet que ça pouvait être long quand on faisait notre travail. Et je pense que ça se voulait un reproche, mais moi, je l'ai pris… on l'a pris comme un compliment. C'est qu'on prend le temps de bien faire les choses puis…

M. St-Arnaud : …intervenir à ce moment-ci pour dire que ce n'était pas un reproche, au contraire. Au contraire, je pense, on travaille sur un… C'est notre troisième projet de loi en matière de justice, et je pense qu'on fait le travail vraiment de façon… Ce n'était pas un reproche, loin de là, je pense qu'on fait un bon travail. On l'a fait sur le 22, je pense que ça a donné un projet de loi bonifié. On le fait sur le 17. Et honnêtement c'est vrai que c'est long par moments, M. le Président, c'est vrai que le ministre, des fois, trouve que c'est un peu long, mais honnêtement, le projet de loi n° 17, on l'a nettement amélioré, et je suis sûr que ça va continuer au cours des prochains jours, et on va sortir avec un projet de loi qui va être encore meilleur. Et je suis convaincu que ça va être la même chose pour le projet de loi n° 35.

Alors, que le ministre ne sente pas de reproche dans ma voix. Au contraire, je le disais très sérieusement. Je pense qu'on a une bonne commission, des parlementaires d'expérience du milieu juridique, du milieu policier, c'est assez impressionnant. Et, M. le Président, alors, que le député de ne voie pas ça comme un reproche, au contraire, au contraire.

Le Président (M. Ferland) : Merci, M. le ministre. Alors, il vous restait deux minutes, vous venez de les prendre, et c'est tout simplement… c'est pour cette raison que je vous laissais aller. Mais je veux juste vous rappeler… Parce que je le répète souvent, mais je pense que c'est important de le rementionner, parce que les propos… Puis, quand je laisse aller, c'est parce que, les membres de la commission, les législateurs, les discussions vont bon train, donc ça se fait dans le respect et l'harmonie, mais aussi — toujours un élément important — pour les gens qui nous écoutent, parce que, peu importe… On l'oublie souvent, il y a beaucoup de gens qui nous écoutent. Et souvent c'est important de prendre le temps de bien expliquer, poser les questions et pour faire en sorte qu'en bout de piste on ait le meilleur projet de loi possible.

Alors, moi, comme président, vous commencez à me connaître. Si je n'interviens pas, c'est parce que je considère que ça se déroule très bien. Alors, M. le député de Fabre, étant donné que les deux minutes du ministre sont maintenant terminées, je vous redonne la parole.

• (12 h 30) •

M. Ouimet (Fabre) : Je vous remercie, M. le Président. Et donc j'allais dire, comme le ministre l'a souligné, bravo pour votre mémoire extrêmement étoffé. Évidemment, malheureusement, je n'ai pas eu l'occasion d'en faire une lecture à la hauteur de la qualité, puisque je l'ai reçu tardivement. Et le reproche ne vous est pas adressé. Le reproche, M. le Président, je nous l'adresse, c'est-à-dire que, pour les… on place les personnes à qui on demande de venir nous éclairer dans des situations presque impossibles, et la Chambre des notaires et les autres personnes qui ont soumis des mémoires sur le projet de loi n° 35 ont fait un travail remarquable en très peu de temps. Et je vais le dire parce qu'à chaque fois que j'ai l'occasion de passer mes messages je le fais, dans l'espoir que ça améliore nos façons de faire. Je pense qu'il serait utile qu'on se donne des règles pour peut-être un peu mieux planifier nos auditions, par respect pour les témoins à qui on demande de contribuer à nos travaux. On l'a soulignée, l'importance de l'apport des témoins qui viennent en commission parlementaire, et je pense qu'on s'aiderait comme institution si on encadrait un petit peu mieux nos périodes d'audition pour permettre aux témoins de préparer des mémoires complets et nous permettre d'en prendre connaissance, pour que nos auditions, M. le Président, soient encore plus bénéfiques. Alors, je voulais… C'était un message payé et commandité par le député de Fabre. Je le répéterai.

Une voix :

M. Ouimet (Fabre) : Pardon?

Le Président (M. Leclair) : Envoyé au ministre?

M. Ouimet (Fabre) : À tous les parlementaires, parce que le message s'adresse à tous les parlementaires.

Ceci dit, je veux revenir… Et je ne l'ai pas mentionné tantôt. Je vais le faire parce que je pense que c'est important. Le projet de loi n° 35 reprenait quand même certaines dispositions du projet de loi n° 70, vous l'avez souligné dans votre mémoire, projet de loi n° 70 qui avait été déposé par l'ancien ministre de la Justice, le député de Saint-Laurent, mon mentor et ami.

Ceci dit, je vais revenir sur la question 722.1, parce que j'écoutais les questions du ministre, j'écoutais vos observations et je ne suis pas encore convaincu. Je comprends la réticence, qui est tout à fait noble de la part de la Chambre des notaires, de dire que, puisqu'il y a un filtre — et là je ne veux pas… — une intervention entre le notaire et le testateur, ça rend… ça vicie l'acte notarié. Peut-être que j'utilise des termes un peut forts, là, mais j'ai compris que cette intervention, ce filtre entre le testateur et le notaire rendait impossible de reconnaître le caractère notarié à l'acte. Est-ce que j'ai bien saisi l'essentiel de la position de la chambre?

M. Lambert (Jean) : Oui. Dans vos mots, je suis porté à reprendre… Et d'ailleurs, avec la permission du président, je vais déposer à cette commission une courte lettre du Pr Alain Roy, docteur en droit et professeur à l'Université de Montréal, à la Faculté de droit, qui devait nous accompagner ce matin mais malheureusement a eu un contretemps. Mais il écrit ici que ce n'est pas la bouteille qui fait le vin mais son contenu, et c'est un peu ça. C'est qu'on recherche… on veut absolument avoir le label «notarié», mais on enlève l'essence. L'essence, c'est quoi? C'est la constatation directe du message, de la compréhension et du consentement donné suite à un échange d'information — merci — entre le testateur, la testatrice et le notaire.

Document déposé

Le Président (M. Ferland) : Merci pour le dépôt, M. le président.

M. Lambert (Jean) : Et ce n'est pas seulement que dans l'acte testamentaire, c'est dans tout acte notarié que le notaire doit être à même de constater directement. Ça me fait penser un peu à un plan qui serait signé par un ingénieur, mais ce n'est pas lui qui en aurait fait la conception, ça aurait été quelqu'un qui n'a pas cette qualité. Est-ce qu'on serait prêt à accepter ça? Bien, c'est un peu la même chose. C'est qu'on demande de donner à un acte une force probante que l'État lui reconnaît, alors que ce n'est pas vraiment le notaire qui est l'auteur, il n'a fait que consigner ce qu'un interprète lui a dit et non pas la personne même. Alors, à ce moment-là, pour nous, on trouve que cette situation-là ne mérite pas cette force probante de l'acte notarié.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, M. le député… Juste avant de vous recéder la parole, la lettre en question que vous avez déposée, bien on fait des photocopies pour tous les membres de la commission, bien sûr. M. le député, allez-y.

M. Ouimet (Fabre) : En fait — merci, M. le Président — je comprends, M. le président de la chambre, la nuance, le point sur lequel vous insistez. Ceci dit, il me semble tout de même que la présence du notaire, l'interaction avec l'interprète et les formalités qu'on peut imposer, les conditions, les qualités à cette personne-là qui serait un interprète officiel, il y a un serment, etc., il peut y avoir des formalités… il me semble tout de même qu'on ajoute, la participation du notaire ajoute une valeur à l'acte qui pourrait… Évidemment, ça, c'est un choix législatif, là, et je ne parle évidemment que pour moi-même en ce moment, mais j'ai de la difficulté à voir comment… Ça m'apparaît un peu réducteur que de dire que, parce que le notaire n'a pas été en mesure de communiquer directement avec le testateur, ça enlève la valeur qu'on pourrait reconnaître à la transaction, qui est tout de même faite devant cet officier public qui est en mesure d'en attester, du respect des conditions pour en arriver au résultat. Et donc, en tout cas, je pense que ça… Et on va évidemment prendre connaissance de la lettre et de l'ensemble du mémoire, mais je vois… En tout cas, il y a, pour moi, un point qui mérite réflexion. Et je le dis parce que je comprends — et vous avez bien fait de le souligner — que cette problématique-là excède le cadre de ce qui était visé là, c'est-à-dire la personne sourde qui ne sait ni lire ni écrire, là. C'est que le même principe s'applique pour les personnes qui parlent des langues étrangères.

M. Lambert (Jean) : On n'est pas, avec égards, M. le ministre, dans le domaine de la nuance. On est au coeur même, on est au coeur même de la mission que le notaire a. Ce que vous proposez, M. le député, c'est quelque chose qui ne donne rien de plus que 730.1 ne donne. Alors, je l'ai mentionné tantôt en réponse au ministre et Notaire général, que le notaire peut être très bien celui qui va assister cette personne sourde-muette et soi-disant illettrée avec un interprète pour faire son testament sous la forme dite dérivée d'Angleterre, avec présence de témoins. Alors, son expertise sera là, la conservation à long terme sera là. Mais il ne pourra pas constater lui-même ce que lui demande, lui exige l'État, quand il lui a conféré le statut d'officier public, pour justement que ça soit lui qui constate, lui qui comprenne directement. C'est un contact direct qui doit être fait.

M. Ouimet (Fabre) : Vous me permettez une précision? Si j'ai bien compris le 730.1, le testament produit conformément à 730.1, tel que proposé, n'entre pas en vigueur dès le décès, là, contrairement au testament… à l'acte notarié.

M. Lambert (Jean) : Exact.

M. Ouimet (Fabre) : J'avais bien compris. Donc, je comprends la… On peut s'en remettre à 730.1, mais, à ce moment-là, on perd le bénéfice de l'acte notarié. C'est ce que j'ai compris de la différence entre 722.1 et 730.1.

M. Lambert (Jean) : Exact.

M. Ouimet (Fabre) : Il y a une question, vous permettez, avant de… parce que je sais que mes collègues aussi auront des questions. Sur la prescription acquisitive, là, vous avez passé un peu rapidement pendant… puis je n'ai pas lu votre mémoire, mais pouvez-vous revenir un peu sur ça? Parce que vous avez expliqué le changement que vous vouliez proposer pour corriger une lacune du Code civil.

M. Lambert (Jean) : Exact.

M. Ouimet (Fabre) : Vous pouvez revenir sur ça?

• (12 h 40) •

M. Lambert (Jean) : Alors, sous l'empire du Code civil du Bas-Canada, qui a été en vigueur jusqu'au 31 décembre 1993, le seul écoulement du temps conférait un titre de propriété à une personne qui occupait un terrain, par exemple, pendant 30 ans de façon publique et non équivoque à titre de propriétaire. À ce moment-là, au bout de 30 ans son titre était acquis, sans avoir besoin d'un jugement pour le constater. On pouvait aller voir le tribunal pour le faire constater, pour fins de publicité foncière, mais légalement le titre était acquis.

Sous l'empire du nouveau Code civil, depuis le 1er janvier 1994, c'est le juge, c'est le jugement qui crée le titre. Ça veut dire qu'actuellement, pour faire nos recherches, il faut toujours partir de 1964 pour faire nos recherches. Dans 10 ans, il va falloir partir encore de 1964 pour faire nos recherches. Dans 100 ans, si le code ne change pas, il faudra encore partir de 1964. Pourquoi? Parce que la prescription était acquise. Du 31 décembre 1963 au 31 décembre 1993, elle était acquise, sous l'empire de l'ancien code, donc pas de problème, mais après on ne le sait pas s'il n'y a pas de jugement. Ça veut dire qu'il faut, à ce moment-là, pour faire reconnaître son titre, obligatoirement aller devant le tribunal le faire constater.

Alors, on pense qu'il n'y avait aucun problème sous l'empire de l'ancien code et on se demande pourquoi maintenant on en aurait. On cherche à décongestionner les tribunaux, alors ce serait une bonne façon de le faire. Et ça permettrait… Et là peut-être que je vais contrarier le bâtonnier, mais ça permettrait de pouvoir reconnaître ce titre de propriété, parce qu'on est dans le non litigieux, par une procédure devant notaire comme, par exemple, dans le cadre de la vérification de testament. On parlait de ça tantôt, ce n'est quand même pas si compliqué et très onéreux. Donc, on pourrait aussi faire constater l'écoulement du temps et l'acquisition du titre par une procédure très simple devant notaire, avec dépôt d'une copie de la procédure non contestée au greffe. Et, à ce moment-là, on pourrait, encore une fois, avoir une mesure de déjudiciarisation, et je pense que ça serait très, très bien accepté dans le monde immobilier.

M. Ouimet (Fabre) : Merci, M. le président de la chambre. Ça compléterait, pour l'instant, mon bloc, je sais que mes collègues ont des questions.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, M. le député.

M. Poëti : Merci, M. le Président. Alors, dans un premier temps, merci d'être là. Je me joins à mon collègue et évidemment au ministre, je vous remercie aussi pour la qualité de votre mémoire. Rassurez-vous : si on l'avait eu hier, on ne l'aurait pas plus lu, parce qu'on était en commission jusqu'à 9 h 30. Alors, ne prenez pas ça mal. Je pense que l'amélioration doit se faire en amont pas mal.

Une bonne ou une mauvaise nouvelle, c'est qu'évidemment, sur des commissions comme celle-là, vous avez des néophytes. Ma formation, évidemment, juridique n'est pas de la nature, évidemment, des gens qui se retrouvent ici, mais qui amène aussi d'autres types de question. Et d'ailleurs vous avez soulevé certains exemples d'une corniche qui dépasse ou d'une clôture qui est sur l'autre côté, et, ce que vous dites, je le comprends assez bien, en ce sens que j'ai des gens que je connais qui vivent ça actuellement et qui se réfèrent à moi pour… puis je suis la mauvaise personne. Et moi, aujourd'hui, je suis ici pour vous écouter et écouter les recommandations que vous faites. Je vois surtout 3 800 notaires qui sont assis là, en fait, que vous représentez ici, au Québec.

Et peut-être que c'était «politically correct», si vous me permettez le terme ou… Par respect, vous avez dit… À la fin, le ministre a dit : Si je comprends bien, vous êtes pas mal d'accord avec le document, la nouvelle loi, avec ce projet de loi là. J'ai vu 14 recommandations, moi, ici, dans votre mémoire. Peut-être que c'était tourner un peu les coins ronds de la part du ministre de vous demander immédiatement d'acquiescer à ce projet de loi, qui semble bien intéressant, mais j'en vois 14. Je comprends que ces 14 recommandations là, si vous les avez soulevées dès le début de votre document, c'est qu'elles sont importantes et que vous aimeriez qu'elles soient à l'intérieur de ce projet de loi là.

M. Lambert (Jean) : En fait, la plupart, ce sont des bonifications… ou encore on va un peu plus loin au niveau technique. Mais, quand je disais que, oui, dans l'ensemble, on est d'accord avec ce qui est proposé, bien on voudrait l'améliorer, le bonifier, et je pense que c'est le rôle qu'on a ici. Et certains… Comme c'est un sujet très technique, c'est la raison pour laquelle vous avez une multiplicité d'interventions mais qui sont très pointues.

Je ne sais pas si la présidente du comité du Centre d'expertise en droit immobilier aimerait intervenir. Sinon, ça serait la réponse que je vous fais.

M. Poëti : C'est ça, mais parce que je sais que vous travaillez sur les détails. Je comprends que le travail même des notaires, c'est le détail. Et, s'il y a 14 recommandations, elles me semblent importantes, M. le ministre, et je pense qu'évidemment on devrait s'y attarder d'une façon particulière.

Advenant qu'aucune de ces recommandations-là ne se retrouvait dans le projet de loi… En tout cas, je ne sais pas. Dites-moi si vous seriez contents, mais je ne pense pas.

M. Lambert (Jean) : Je vous donne l'exemple. La recommandation n° 3, on dit ici : Nous, on voudrait que la renonciation au bénéfice de l'accession… «Est soumise», ça, ça veut dire qu'il y a une obligation. Je pense que la rédaction dit «est admise». Ça, ce n'est pas de l'obligation, c'est : Oui, correct, si vous le présentez, on va l'accepter à la publicité. Alors, nous, ici, on pense qu'il y a un intérêt que ça soit dénoncé et que tout citoyen puisse le voir. Donc, vous voyez, on n'est pas loin de ce qui est recommandé, mais on va un peu plus loin en disant : Faites-en l'obligation et non pas juste une possibilité. Alors, c'est de cette nature-là.

M. Poëti : Parfait. Bien, écoutez, on va le suivre, parce que je sais que, dans ce domaine-là, une virgule, parfois, est assez importante. Alors, on l'a vécu hier. Et on en fait des blagues, mais on a passé beaucoup de temps, pour des textes, au niveau des virgules. Alors donc, je veux juste vous dire qu'évidemment on va suivre ça de près pour vous.

Pour les interprètes, je me questionnais sur le même point que mon collègue. Au niveau du procureur de la couronne, lorsqu'une personne est accusée au criminel, pour un acte criminel, et qui a des conséquences, évidemment, assez graves lorsque vous êtes reconnu coupable, on utilise très bien les interprètes, dans un palais de justice, et il n'y a personne qui semble, évidemment, mettre un petit peu une problématique à l'effet que ça soit un interprète. Mais eux utilisent cependant une captation vidéo et audio.

Est-ce que vous avez pensé à utiliser ça, dans un cas où éventuellement on pourrait remettre en question les discussions, qu'on peut revoir la bande ou entendre les choses qui se sont dites? Est-ce que ça vous rassurerait puis ça vous permettrait d'accepter la présence d'un interprète?

M. Lambert (Jean) : …on se comprend. D'abord… Premièrement, si vous me permettez, puisque vous faites allusion à ce qui se passe au prétoire, donc à la cour, à la cour il y a un interprète, mais il y a deux, peut-être même trois intervenants qui vont interroger la personne qui rend un témoignage. La personne qui se présente devant un notaire pour faire son testament et qui ne peut pas communiquer, là, il n'y a pas personne qui contre-interroge pour raffiner, pour… Et, deuxièmement, on n'est pas dans le domaine du témoignage mais bien d'un consentement qui va être donné à un écrit qui va avoir un effet immédiat, alors que peut-être que le témoignage qui a été rendu, avec toute la bonne volonté et avec les interprètes, peut-être qu'il ne sera pas retenu, en bout de ligne, dans le cadre de la délibération du jugement. Alors donc, on est vraiment dans deux mondes fort différents. Alors, ça, je pense que c'est important que ça soit très bien compris.

Alors, maintenant, est-ce à dire que ce que l'interprète nous dit est bon ou pas bon? Ça, je n'ai aucune raison de mettre en doute la bonne foi de l'interprète, mais encore, comme je vous disais tantôt, on est dans un domaine qui est très technique, et d'arriver et d'expliquer des concepts juridiques pour savoir si les gens adhèrent ou pas… Même les gens qui nous comprennent très bien ont de la difficulté.

Maintenant, une captation audiovidéo, c'est assez difficile s'il n'y a pas de son. Donc, on élimine le son. Alors, maintenant, on est au langage des signes. Alors là, on revient encore à la même chose, c'est quelqu'un qui doit interpréter des signes.

Alors, je vous dis, moi, le notaire qui comprend le langage des signes, pas de problème, le testament sera notarié, comme celui qui comprend le mandarin, dans mon exemple, pourra faire un testament parce qu'il aura pu échanger et recueillir directement le consentement de la personne dans sa langue. Il y aura donc eu une communication directe.

M. Poëti : D'accord. Je vais laisser le temps à ma collègue, je pense qu'on pourra en reparler.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député. Avec un temps d'à peu près deux minutes, Mme la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme de Santis : Merci, M. le Président. Est-ce qu'une personne sourde-muette qui ne peut ni lire ni écrire peut signer un acte d'hypothèque?

M. Lambert (Jean) : Bonne question.

Mme de Santis : Parce qu'un acte d'hypothèque, c'est aussi un acte notarié, n'est-ce pas? Et, si on regarde le fait que… si on se préoccupe du fait qu'il ne peut pas signer un testament devant notaire, est-ce qu'il peut signer un acte d'hypothèque?

M. Lambert (Jean) : Alors, je vous répondrais oui, parce que l'acte d'hypothèque est un acte d'adhésion et qui est d'ailleurs présenté par le créancier. Alors, le notaire doit l'expliquer, donc là l'interprète sera utile pour l'expliquer.

L'effet de l'hypothèque est quand même un effet qui est passager, qui n'a pas autant d'importance que de léguer tous ses biens, qui sera… L'hypothèque, les effets de l'hypothèque ou, s'il y a lieu, par exemple, de la réalisation des garanties, la personne sera toujours là pour dire : Non, ce n'est pas comme ça, je n'ai pas eu la bonne explication, et aura des recours. Mais, lorsqu'on parle de testament, là la personne ne sera plus là pour venir s'expliquer, pour dire : Non, non, ce n'est pas ça que je voulais dire.

Mme de Santis : Mais est-ce que les deux ne sont pas des actes authentiques? Parce que, vous, votre argument est basé sur le fait que le testament notarié est un acte authentique. Pour moi, si les deux sont des actes authentiques, on devrait utiliser le même argument dans les deux cas.

Le Président (M. Ferland) : Alors, rapidement, M. le président. À peu près en 30 secondes.

M. Lambert (Jean) : Je m'excuse?

Le Président (M. Ferland) : 30 secondes pour la réponse.

• (12 h 50) •

M. Lambert (Jean) : Oui. Alors, écoutez, ici, encore une fois, c'est que probablement que le problème ne s'est jamais présenté parce que les notaires qui rencontrent des gens pour des hypothèques parlent leur langue. Comme je vous disais, il y en a une très grande quantité. Mais c'est certain que, si le notaire… moi, j'ai une personne devant moi que je réalise qu'elle ne comprend pas, même si j'ai un interprète, je ne recevrai pas l'acte. Je dois vraiment être absolument certain que cette personne-là a compris.

Mais on comprend qu'un acte d'hypothèque est un acte d'adhésion dont les clauses sont déjà fournies par un créancier hypothécaire, qui reproduit ce que la loi dit. Donc là, on est dans un corridor beaucoup plus étroit que d'avoir une pleine liberté de s'exprimer dans la dévolution de ses biens.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le président. Alors, maintenant, je reconnais la députée du deuxième groupe d'opposition officielle, la députée de Montmorency, pour un temps de cinq minutes et quelques secondes.

Mme St-Laurent : Bonjour, Me Lambert.

M. Lambert (Jean) : Bonjour.

Mme St-Laurent : Je vous remercie d'être ici, ça me fait plaisir de vous voir. Je regardais votre rapport vitement, parce qu'on vient de le recevoir, évidemment. Dans un cas, on voit que vous voulez décharger les tribunaux, dans le cas de la prescription acquisitive, et, dans l'autre cas, on va charger les tribunaux, dans le cas de testaments devant témoins, qui sera… parce que ça va prendre, vous le savez comme moi, une validation par jugement. Et, vous, votre… ce que vous préconisez, à la Chambre des notaires, c'est le concept d'acte notarié authentique, parce que vous dites : Écoutez, il y a un intermédiaire, et on ne sait pas ce que l'intermédiaire pourrait… de quelle façon il pourrait l'interpréter. Je vois tout ça, mais je vois aussi l'évolution de la société, et là vous ne voulez pas faire…

Vous dites qu'à la cour, devant les tribunaux, c'est différent, mais, si on soumettait, par exemple, une suite au notaire, si on soumettait que vous-mêmes pourriez engager un expert, au lieu que la personne paie pour faire valider par les tribunaux des experts auraient… Comme les avocats, c'est-à-dire les notaires auraient, comme les avocats, une liste d'experts, et, à ce moment-là, vous auriez des interprètes pour les sourds-muets, pour les langues étrangères, etc. Ça serait un expert qu'on engage nous-mêmes, on a confiance, c'est une prolongation quand même. Ici, à ce moment-là, vous ne pensez pas que, si vous auriez un sourd-muet, une personne de langue étrangère, et que le notaire lui-même prend l'expert — évidemment, c'est toujours aux frais du client — ce ne serait pas une prolongation, une assurance, une sécurité pour faire un concept de testament authentique, à ce moment-là? Est-ce que ce ne serait pas une solution mitoyenne, ça?

M. Lambert (Jean) : Deux choses. D'abord, quand on parle d'encombrement des tribunaux, avec égards, le législateur a prévu, si j'ai bonne mémoire, en l'an 2000 la procédure devant notaire qui, particulièrement dans le cas des testaments, a complètement désengorgé les greffes. La procédure se passe entièrement devant notaire, et la fin des opérations est constatée par un document que le notaire… un constat notarié que le notaire dépose au greffe de la cour, et c'est tout. Donc, dans le fond, le greffe ne sert que de registre pour dire aux gens qui veulent retracer ce testament-là qui a fait l'objet d'une homologation… Donc, ils peuvent en avoir une copie via la cour. Mais le tribunal n'est absolument pas encombré, là, il n'y a personne qui se présente là. Alors donc, sur cet argument-là, je pense qu'il n'est pas très fort.

Par contre, ce que vous parlez, d'experts, bien l'interprète est un expert. Donc, on en revient encore aux mêmes choses, on n'a rien dit de différent de ce qu'on dit depuis tantôt. Alors, peu importe l'expert, je vous ai mentionné que le concept de l'acte notarié, quand on veut y recourir et qu'on veut… On n'est pas toujours obligé de recourir à l'acte notarié, mais, si on veut y recourir, c'est qu'on veut avoir cette assurance que donne l'acte authentique, qu'il est difficilementattaquable parce que le notaire doit accomplir certains devoirs et respecter certaines formalités. Et, parmi ces formalités, parmi ces devoirs, c'est d'établir ce contact direct. Si ça ne peut pas être fait, il faut utiliser une autre forme.

Or, le projet propose une forme qui est tout à fait acceptable et tout à fait raisonnable pour les quelques personnes de notre société qui sont affligées de ce handicap. Il y a une réponse, ils ne sont pas laissés sans réponse. Il y en a une, réponse.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y. Il reste à peu près une minute, Mme la députée.

Mme St-Laurent : Je comprends qu'il y a une réponse, mais ça prend une homologation quand même dans les autres cas. Mais, comme je vous disais, si on modernisait votre pratique, et je dis bien «moderniser»… Et, l'acte authentique, vous parlez de l'acte authentique, et c'est pour ça que je faisais une différence. Vous dites que je ne fais aucune différence; je fais une différence. Un notaire qui prendrait son propre expert, à ce moment-là il y a une confiance absolue. Ce n'est pas quelqu'un qui amène son expert, puis on dit qu'il interpréterait mal. Et là je pense que ce serait très différent, ce n'est pas la même chose que je vous propose. Il y a un tiers, oui, mais le tiers provient… c'est votre suite, c'est vous qui le choisissez.

M. Lambert (Jean) : Donc, vous êtes prête, madame, avec égards…

Le Président (M. Ferland) : Rapidement, M. le président. Très rapidement. Il reste à peu près… Vous ne m'entendez pas, là-bas, hein?

M. Lambert (Jean) : Ah! Là, je vous entends.

Le Président (M. Ferland) : Il vous reste à peu près 12 secondes…

M. Lambert (Jean) : Alors, 30 secondes pour vous dire que toute bonne foi, que ce soit un interprète que j'ai choisi, est-ce que je peux avoir l'assurance qu'il a bien compris? Est-ce qu'il a bien saisi ce que j'essaie d'expliquer et est-ce qu'il aura la même capacité de bien l'expliquer à la personne par le langage des signes? Je pense que c'est aller très loin. Moi, je ne peux pas avoir cette assurance.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le président. Il reste à peu près 48 secondes au ministre, là, pour dire…

M. St-Arnaud : 48 secondes. Je voudrais reprendre la question de la députée de Bourassa-Sauvé, M. le Président. Pourriez-vous… Ce que la députée dit, là : Une hypothèque, c'est un acte authentique. Un sourd et muet qui ne sait ni lire ni écrire, il n'y a pas de problème, il peut procéder avec un interprète.

Or, vous dites, le testament, c'est un acte authentique, puis on ne peut pas procéder ainsi. J'aimerais que vous nous donniez davantage de détails là-dessus.

Le Président (M. Ferland) : Très rapidement, M. le président. Allez-y. Malheureusement, c'est le temps qui…

M. Lambert (Jean) : Dans le cas de l'hypothèque, on est en présence d'un contrat dont les clauses sont édictées par la loi. C'est un cadre très précis, et le créancier vient lui-même mettre les éléments, qui ont été convenus avant que ça arrive chez le notaire. On comprend donc que tout le contenu est déjà décidé avant, le notaire doit expliquer, doit vérifier que la personne est bien apte et s'assurer qu'on porte bien sur le bon immeuble et… alors que, dans le testament, la personne est seule, il n'y a pas concours de personne. Cette personne est seule et peut disposer de ses biens comme elle l'entend, il n'y a aucun cadre qui lui impose quoi que ce soit. Alors, on comprend que, là, on est en présence d'un échange beaucoup plus large et un devoir beaucoup plus important.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le président. Malheureusement, c'est toujours le temps, je dois respecter ces limites-là. Alors, je vous remercie, M. le président, ainsi que les gens qui vous accompagnent, pour votre contribution.

La commission suspend donc ses travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 58)

(Reprise à 15 h 8)

Le Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre! Je vous demanderais de prendre place. Alors, la commission reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Nous allons poursuivre sans plus tarder les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 35, Loi modifiant le Code civil en matière d'état civil, de successions et de publicité des droits.

Je souhaite donc la bienvenue à l'Aide aux transsexuels et transsexuelles du Québec. Mme Chénier, vous disposez de 10 minutes pour votre présentation, et je vous demanderais de présenter les gens qui vous accompagnent également.

Aide aux transsexuels transsexuelles du Québec (ATQ)

Mme Chénier (Danielle) : Bonjour. Moi, c'est Mme Danielle Chénier, maintenant vice-présidente de l'Aide aux transsexuels du Québec, mais j'ai été la présidente pendant plusieurs années, et ça fait plus de 10 ans que je suis impliquée dans le Comité trans. Ça fait plus de 10 ans aussi que j'ai fait ma transition. Je vous présente Mélyssa Legault…

Mme Legault (Mélyssa) : Bonjour.

Mme Chénier (Danielle) : …qui est au…

Mme Legault (Mélyssa) : Les événementiels.

Mme Chénier (Danielle) : …gestion événementielle, et Mathieu-Joël Gervais, qui est à la santé et recherche. Et c'est lui qui va principalement faire le petit discours de début.

Le Président (M. Ferland) : Alors, on vous écoute.

• (15 h 10) •

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Merci beaucoup. Je me présente : Mathieu-Joël Gervais. Je suis membre du conseil d'administration de l'Aide aux transsexuels du Québec depuis deux ans. Je suis également chercheur universitaire à l'Université du Québec à Montréal et sous peu je vais avoir un doctorat en psychologie.

Donc, aujourd'hui, on est vraiment ici pour transmettre notre opinion par rapport au projet de loi n° 35 qui vise la modification du Code civil. On se prononce aujourd'hui en notre nom personnel, moi et Danielle, mais également au nom de l'organisme que nous représentons, l'Aide aux transsexuels du Québec, et au nom de l'ensemble de la communauté trans. Les amendements qu'on vous propose aujourd'hui font consensus actuellement au niveau de la communauté trans. Demain, vous allez entendre d'autres représentants, on va dire tous la même affaire. Donc, le discours sera assez unifié.

Donc, on comprend, tel que proposé, que le projet de loi n° 35 amène les changements suivants spécifiquement pour les personnes transsexuelles : d'abord, la possibilité de faire un changement de prénom et de la mention du sexe sans avoir à faire une publication soit dans la Gazette officielle ou dans un journal local et, deuxième changement, la possibilité d'obtenir le changement de la mention du sexe sur son acte de naissance si on est citoyen canadien mais résident dans un État où ce changement n'est pas permis par la loi.

Lorsqu'on a vu ce projet de loi là, on a été agréablement surpris. En fait, on trouve que ce projet de loi démontre une ouverture, une volonté de faire avancer les choses pour les personnes transsexuelles, une volonté de rendre le processus transitoire plus facile.

Par ailleurs, on considère que ce projet de loi ne contient pas les modifications nécessaires à une pleine reconnaissance des personnes transsexuelles. C'est pour ça que nous sommes là aujourd'hui. Pour faire suite à la déclaration du ministre de la Justice, M. St-Arnaud, qui a annoncé qu'il pourrait y avoir possibilité d'amendements, nous proposons aujourd'hui trois amendements à ce projet de loi.

Le premier amendement, c'est le retrait des prérequis chirurgicaux pour l'obtention d'un changement de mention de sexe. Actuellement, légalement, si on veut faire changer notre sexe, les gars qui deviennent des femmes doivent se faire enlever l'utérus, donc une hystérectomie, et les femmes qui deviennent… Non, ce n'est pas vrai. Les gars qui deviennent des femmes doivent se faire faire une ablation des testicules, donc une vaginoplastie, et les femmes qui deviennent des hommes doivent se faire enlever l'utérus, donc une hystérectomie. On considère que ces prérequis chirurgicaux là causent un préjudice, en fait, aux personnes au cours de leur processus de transition. On va principalement se centrer sur ce point-là aujourd'hui, puisque Danielle et moi, nous sommes à l'aise à parler de cet amendement-là particulier qui est le retrait des prérequis chirurgicaux. Donc, j'aimerais… C'est sûr que, si vous nous posez des questions sur cet amendement-là, on va être plus à l'aise d'y répondre.

Les deux autres amendements que je vous nomme, demain les personnes qui vont passer en commission vont être davantage experts dans ces deux amendements-là. Les deux amendements, donc, retrait de l'âge minimum pour une reconnaissance légale du genre voulu, actuellement on peut faire un changement de sexe à l'âge de 18 ans. On veut enlever cette obligation-là, 18 ans. Et troisième amendement qu'on demande au projet de loi : retrait de l'obligation de la citoyenneté canadienne afin de pouvoir obtenir le changement de la mention du sexe. Actuellement, il faut être citoyen canadien, ce qui exclut des personnes qui sont, par exemple, résidents permanents, qui ne peuvent pas faire cette démarche légale là. Donc, trois amendements : retrait des prérequis chirurgicaux, retrait de l'âge minimum et retrait de l'obligation de la citoyenneté canadienne.

Il me reste combien de temps? Deux minutes?

Le Président (M. Ferland) : Il vous reste encore au moins un bon cinq minutes.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Un bon cinq minutes? Parfait.

Le Président (M. Ferland) : Mais vous n'êtes pas obligés de tout le prendre, le temps vous sera récupéré pour les échanges. Mais il vous reste cinq minutes.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : C'est bon, merci. Comme je vous dis, on désire principalement aborder la question des chirurgies qui sont actuellement nécessaires pour un changement de la mention du sexe. D'abord, il est à noter qu'on ne veut pas remettre en question l'accès aux chirurgies en tant que tel. On n'est pas là pour dire aujourd'hui : Ces chirurgies-là ne sont pas nécessaires pour un processus de transition, puisque, dans la communauté transsexuelle actuellement, il y a, je dirais, une bonne partie des personnes transsexuelles qui désirent avoir ces chirurgies. Et puis le mot courant, c'est… On appelle ça des chirurgies de réassignation sexuelle. Donc, une bonne partie des personnes désirent avoir ces chirurgies, mais pas toutes.

Donc, actuellement, l'accès à ces chirurgies-là est assez facile. Les attentes sont raisonnables, les chirurgies sont couvertes par la RAMQ. Par contre, ce qu'on veut apporter comme amendement, c'est l'obligation d'avoir ces chirurgies-là, puisque les personnes qui ne veulent pas ces chirurgies-là nécessairement se voient obligées de les subir, des fois contre leur gré, pour avoir accès à la pleine reconnaissance légale de leur identité de genre voulue.

Il est aussi à noter que moi et Danielle, on n'est pas des avocats, on n'est pas des politiciens, on n'est pas des légistes. On est, moi et Danielle, deux personnes transsexuelles qui ont fait le processus de transition, qui travaillons depuis… Danielle, ça fait depuis 15 ans qu'elle travaille avec la communauté transsexuelle. Moi, ça fait depuis 10 ans que je suis impliqué dans la communauté. On est experts sur la réalité transsexuelle et à aider d'autres personnes transsexuelles à vivre pleinement leur identité de genre choisie. Donc, notre rôle, aujourd'hui, c'est vraiment de témoigner de la réalité des personnes transsexuelles, de notre expérience personnelle et des expériences des personnes avec lesquelles on travaille.

Comme je vous dis, il y a certaines questions qu'on ne sera peut-être pas en mesure de répondre, des questions très pointues au niveau légal, au niveau procédural. Moi, j'ai un doctorat en psychologie, donc ce n'est pas dans mon domaine. Danielle non plus n'a pas d'expertise vraiment au niveau légal. Ces questions-là, gardez-les pour demain. Demain, vous allez avoir la chance de rencontrer des personnes qui ont cette expertise-là au niveau légal et au niveau de certains points, par exemple citoyenneté et immigration ou processus de transition au niveau du procédé psychologique, par exemple.

Donc, on est maintenant prêts à entendre vos questions. Donc, au risque de me répéter, toutes les questions sont bienvenues pour mieux comprendre la réalité transsexuelle. Et nous, on s'est préparés à vous répondre sur le premier amendement, c'est-à-dire le retrait des prérequis chirurgicaux pour le changement de la mention du sexe.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. Gervais. Alors, je vous remercie pour votre présentation. Nous allons maintenant débuter la période d'échange. Alors, M. le ministre de la Justice, la parole est à vous pour un temps d'approximativement 24 minutes.

M. St-Arnaud : Oui, merci. Merci, M. le Président. Alors, Mme Chénier, M. Gervais, Mme Legault, bienvenue à l'Assemblée nationale. Mme Chénier, très content de vous revoir à cette Assemblée. On a eu l'occasion de se rencontrer à quelques reprises depuis que je suis ministre de la Justice, et, effectivement, dès le mois d'octobre j'avais pris l'engagement, lors du Gala Arc-en-ciel— je pense que c'est là qu'on s'est rencontrés pour la première fois — de poser un certain nombre de gestes eu égard à la situation des transsexuels, et je suis très content qu'en à peine huit mois on ait accouché d'un projet de loi, qui, je l'espère, avec la collaboration de tous pourra être adopté rapidement, qui prévoit certaines mesures. Et effectivement je vais vous poser quelques questions sur les éléments que vous avez ajoutés, parce que peut-être qu'on pourrait en profiter pour ajouter d'autres éléments avant l'adoption finale du projet de loi.

D'abord, les deux mesures qui sont dans le projet de loi, à savoir le fait qu'on retire l'obligation de publicité lorsqu'il s'agit d'un changement de sexe ou de prénom, ça, je comprends que c'est… vous accueillez ce premier changement avec satisfaction. C'est ça? Et le deuxième, même chose, celui que l'on retrouve… Le premier, on le retrouve plus aux articles 1, 2 et 4 du projet de loi. Le deuxième, qu'on retrouve aux articles 3 et 37 du projet de loi, à savoir de permettre au Directeur de l'état civil d'effectuer le changement de la mention du sexe pour les personnes nées au Québec mais domiciliées hors du Québec, je comprends également que ça répond à une autre de vos revendications.

Mme Chénier (Danielle) : …on a plusieurs personnes qui nous ont écrit qui avaient de la difficulté à faire le processus, qui sont en Ontario puis qui viennent ici.

M. St-Arnaud : Excellent. J'en arrive donc à vos propositions d'ajout. Et je peux commencer par l'élément, là, sur lequel vous nous avez dit, M. Gervais, que vous aviez une expertise toute particulière.

Ma compréhension, c'est que présentement le Code civil prévoit qu'une personne transgenre ou transsexuelle doit avoir subi avec succès — c'est à l'article 71 du Code civil — des traitements médicaux et des interventions chirurgicales impliquant une modification structurale des organes sexuels et destinés à changer ses caractères sexuels apparents pour obtenir la modification de la mention du sexe figurant sur son acte de naissance. Est-ce que c'est ça?

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Oui. C'est bien ça, oui.

M. St-Arnaud : C'est bien ça. Alors, j'aimerais vous entendre sur… Et ce que je comprends, là, c'est que ça pose évidemment un certain nombre de problèmes pour ce qu'on pourrait appeler les personnes transsexuelles en transition ou pour les personnes transgenres qui ne souhaitent pas nécessairement subir ce type d'intervention chirurgicale. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus. Quels seraient… Qu'est-ce que vous proposez plus particulièrement? Et pourquoi vous faites cette proposition-là? J'aimerais vous entendre davantage là-dessus.

• (15 h 20) •

Le Président (M. Ferland) : Alors, Mme Chénier ou monsieur… Mme Chénier?

Mme Chénier (Danielle) : C'est pour ça qu'on se regarde.

Le Président (M. Ferland) : M. Gervais?

Mme Chénier (Danielle) : Bien, en tant quel, juste une petite précision : on utilise beaucoup plus «transsexuel» pour une personne qui désire vivre dans l'autre sexe, qu'elle veuille l'opération ou non. C'est juste qu'elle se sente totalement et intensément de l'autre sexe.

En tant que tel, ça cause beaucoup de problèmes, dans le sens que… Juste rentrer ici, là, la fille en bas qui a pris notre carte d'identité, là, elle était-u obligée de savoir que j'étais transsexuelle? C'est la vie privée, tu sais.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : C'est parce que tu as un M sur tes papiers encore.

Mme Chénier (Danielle) : C'est ça. Sur mes papiers, j'ai un M. C'est ma vie privée, mais elle, en regardant sur ma carte d'assurance maladie, elle voit ça. J'ai énormément d'exemples là-dessus, de témoignages là-dessus, et pire encore l'hôpital. Juste à la bibliothèque, s'inscrire à la bibliothèque, partout où est-ce qu'on doit présenter des papiers d'identité, on doit dévoiler notre vie.

M. St-Arnaud : Et concrètement, Mme Chénier, ce que vous souhaiteriez, là, j'aimerais ça vous… Ce que vous souhaiteriez, c'est qu'on permette donc la modification de la mention du sexe à l'acte de naissance sans l'opération concernée? Est-ce que c'est ça?

Mme Chénier (Danielle) : C'est exact, c'est exact.

M. St-Arnaud : O.K. Et, sur l'âge, présentement, je comprends que l'âge, c'est 18 ans. Avez-vous réfléchi, dans la mesure où cet âge serait modifié, à ce qu'il pourrait être?

M. Gervais (Mathieu-Joël) : On n'a pas réfléchi spécifiquement à ça. On croit que notre rôle, ce n'est pas de dire : Faites-le à 12 ans, faites-le à 11 ans, faites-le à 14 ans. Notre rôle, non plus, n'est pas de dire nécessairement : Bon, bien là, étant donné qu'on ne demande plus le changement… une restructuration des organes génitaux, bien il faut demander a, b, c, d. Notre rôle, c'est seulement de mettre à votre connaissance qu'actuellement, telle que la loi du Code civil est formulée, ça cause préjudice à certaines personnes qui, par rapport à leur situation personnelle, ne fittent pas dans le système, et qu'étant donné qu'ils ne fittent pas, telle que la loi est écrite, ils ont des répercussions sur leur vie publique et sur leur vie personnelle.

Nous, si on avait une solution ou une ligne directrice à proposer : l'auto-identification au genre voulu. Se sentir dans un mauvais corps… Moi, personnellement, je m'appelle Mathieu-Joël, mon processus de transition est derrière moi. Avant, je suis né sous l'identité légale de Marie-Joëlle Gervais, avec une petite robe rose et des belles boucles d'oreilles que ma mère me mettait quand j'avais trois ans. Dès l'âge de quatre ans, je savais que je n'étais pas dans le bon corps. Dès l'âge de quatre ans, je disais à ma mère : Maman, pourquoi tu me mets une robe? Maman, qu'est-ce que je fais avec un vagin entre les jambes? Je veux dire, j'étais… Et c'était clair comme ça dans ma tête qu'à quatre ans je n'étais pas dans le bon corps. Cela dit… Et puis je dis «moi», mais, par rapport à notre expérience au niveau des transsexuels, beaucoup, la grande majorité des transsexuels savent très tôt dans leur vie qu'ils ne sont pas dans le bon corps, que leur genre physique ne concorde pas avec leur genre psychologique, ce qui nous amène à croire que l'auto-identification au genre voulu est un critère suffisamment solide, suffisamment valide pour permettre l'accès au changement de nom et au changement de sexe.

M. St-Arnaud : Et concrètement ça voudrait dire quoi, là? Parce que ce qu'on souhaite, c'est faire le changement du sexe à l'acte de naissance. Alors, est-ce qu'il n'y a pas lieu, si… Parce que présentement on ne peut le faire, sauf quand le processus a été complété. Ce que vous dites, c'est : On devrait pouvoir le faire dès qu'il y a une… je ne sais pas si on peut dire une prise de conscience ou… Mais comment on pourrait l'encadrer, cette prise de conscience? Comment on peut, pour ne pas que ça se fasse… Finalement, est-ce qu'on prend le téléphone, puis on appelle, puis on dit : Je veux changer de sexe sur mon acte de naissance, là? Comment on pourrait, dans la mesure où on déciderait de profiter du projet de loi n° 35 pour faire cette avancée… Parce que je comprends que ça se fait dans plusieurs… dans un certain nombre de pays et même peut-être — vous pourrez me le confirmer — à certains endroits au Canada. Mais comment on pourrait l'encadrer?

Alors, comment on peut l'encadrer? Puis pouvez-vous me donner des exemples ici, au Canada, ou à l'étranger où ça se fait? Et comment, si vous êtes capables d'aller jusque-là, comment ils l'ont encadrée, cette possibilité de faire le changement de sexe à l'acte de naissance sans avoir subi le processus au complet?

Mme Chénier (Danielle) : En tant que tel, pour revenir à l'enfance, au Canada et aux États-Unis, maintenant, on a des médecins compétents qui peuvent voir les enfants, des pédopsychiatres, je crois, qui puissent voir les enfants. On en a un à Montréal. Et j'ai connu des enfants… un enfant en particulier qu'elle avait trois ans quand elle a dit à ses parents : Je ne suis pas un petit gars, je suis une petite fille. Ils ont vu un psychiatre aux États-Unis parce qu'il n'y en avait pas encore ici qui travaillaient avec les trans, et elle vit depuis… Elle a maintenant 13 ans, 14 ans et elle vit en fille, sauf qu'elle a été obligée de changer d'école régulièrement parce qu'elle ne pouvait pas changer d'identité sur ses papiers et parce que ça finissait par se savoir, et il y avait des problèmes avec les autres jeunes, avec même des profs aussi qui n'étaient pas d'accord avec ça. Et la meilleure façon d'encadrer, dans un certain sens, c'est une évaluation, au minimum une évaluation avec psychologue, sexologue, psychiatre qui dit que la personne est trans, est transsexuelle. Et c'est surtout ça, c'est surtout ça, l'importance, de voir aussi que la personne, elle vit à temps plein… Si on regarde en Espagne, en Angleterre, en Ontario, ils font des affidavits, des promesses à la reine ou quelque chose comme ça pour pouvoir dire : Oui, je vais vivre toute ma vie du sexe choisi. Parce que c'est sûr que quelqu'un qui change comme ça à tout bout de champ, une girouette, on ne veut pas ça non plus, là, tu sais.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : J'ai justement en ma possession les documents légaux en Ontario. Vous savez qu'en Ontario, actuellement, c'est possible de changer de sexe…

M. St-Arnaud : Est-ce que c'est le seul endroit au Canada?

Mme Chénier (Danielle) : Moi, j'avais vu quelque chose à Vancouver, mais je n'avais pas les détails.

M. St-Arnaud : O.K., O.K. Donc, allez-y sur l'Ontario.

Mme Chénier (Danielle) : C'était pour le permis de conduire, à Vancouver, si je ne me trompe pas.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Donc, je peux vous les faire circuler peut-être. Sur ces… ils demandent… Bon, le formulaire de déclaration solennelle qui demande un changement à la désignation du sexe demande d'être âgé d'au moins 18 ans — bon, ça, c'est pareil partout — demande une lettre d'un praticien autorisé à pratiquer au Canada, désigné, qui dit qu'il a évalué la personne et qu'il est d'accord avec le changement de sexe.

Donc, actuellement, c'est ce qui est demandé pour le changement de nom. Je ne sais pas si vous connaissez les procédures, mais actuellement, pour changer notre nom, il faut une lettre d'un psychologue qui dit : Cette personne-là est transsexuelle, j'autorise le changement de nom. Pourquoi ne pas faire la même procédure pour le changement de sexe… ou bien pourquoi ne pas encore mieux simplifier les choses, demander une lettre pour le changement de nom et pour le changement de sexe, qui pourrait se faire en même temps?

Je peux vous faire circuler les documents officiels de l'Ontario. Ce n'est pas parfait. Demain, vous allez entendre Françoise Susset à ce propos. Elle a une position concordante, un peu différente, mais ça serait déjà un premier pas vers une facilitation au niveau du changement de sexe. Donc, je vais vous faire circuler ça.

Le Président (M. Ferland) : Laissez-le, on va aller le chercher, M. Gervais. Oui, oui. C'est compris dans le forfait, oui.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : …normalement c'est moi qui distribue…

Le Président (M. Ferland) : Non, sérieusement, nous allons faire des photocopies pour tous les membres de la commission également.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : …à l'université, normalement, c'est moi qui distribue mes trucs aux étudiants.

Le Président (M. Ferland) : Alors, peut-être remettre le document à la secrétaire. Alors, merci. Vous pouvez poursuivre, M. Gervais. Est-ce que vous aviez terminé votre intervention?

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Oui, oui.

Le Président (M. Ferland) : O.K. Alors, M. le ministre, est-ce que vous avez… J'imagine que oui.

M. St-Arnaud : Oui, M. le Président. En fait, une des pistes, là, qu'on m'a présentées, ce serait la possibilité que la personne qui demande la modification de la mention du sexe à son acte de naissance ait à faire une déclaration solennelle qu'elle vit en permanence dans sa nouvelle identité sexuelle, et elle aurait — c'est une piste, là, c'est une hypothèse sur laquelle on réfléchit parmi d'autres — également l'obligation de fournir des déclarations assermentées de deux témoins qui confirment qu'elle a manifesté de manière verbale ou comportementale sa nouvelle identité sexuelle depuis deux ans. Est-ce que ça pourrait être une piste intéressante pour vous?

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Oui, ce serait excellent.

Mme Chénier (Danielle) : Oui, ce serait parfait.

• (15 h 30) •

M. Gervais (Mathieu-Joël) : D'autant plus qu'avec cette piste-là, contrairement à ce que l'Ontario demande actuellement, ça n'oblige pas la personne à passer à travers le processus d'évaluation psychologique, donc à aller chercher des lettres d'un psychologue, d'un sexologue, etc. Ce processus-là, il faut se rappeler qu'au Québec, au niveau de l'accès aux services publics, des psychologues, sexologues compétents à poser… à signer une lettre, c'est très rare, donc dans neuf fois sur 10 il faut aller au privé. Au privé, c'est entre 100 $ et 140 $ la session. Je connais des psychologues qui chargent entre 400 $ et 500 $ pour produire cette lettre-là. Pour quelqu'un comme moi qui fait 50 000 $ par année, on s'en fout, mais, pour une personne qui est transsexuelle… Et beaucoup de personnes transsexuelles n'ont pas les moyens d'avoir accès à ces services-là, parce qu'ils ne peuvent pas débourser le 500 $. Donc, avec un amendement comme celui-ci, on va encore plus loin et on enlève cette embûche-là supplémentaire. Donc, ça serait excellent.

Mme Chénier (Danielle) : J'ai un bon exemple à donner là-dessus aussi. J'ai un bon exemple à donner là-dessus, justement, quand on parle de frais. L'opération, maintenant, est payée, et, certaines personnes qui ont eu l'opération, ça peut faire deux, trois ans qu'elles ont eu l'opération, mais elles n'ont pas eu encore les moyens de payer le changement de sexe et de nom sur les papiers, qui coûte environ… en tout 300 $, 300 $ à 500 $. Ça fait que c'est sûr que, quand on regarde pour une lettre, tu regardes encore plus pour le psychologue. C'est comme… Certaines personnes ont de la difficulté à se trouver du travail justement à cause de leur transition, donc difficulté à trouver du travail, difficulté à avoir de l'argent, tu sais.

M. St-Arnaud : M. le Président, ça complète pour les…

La Présidente (Mme Beaudoin) : M. le ministre.

M. St-Arnaud : Ah! Mme la Présidente, bonjour. On va faire… Regardez, Mme la Présidente, vous me faites rougir.

Des voix :

M. St-Arnaud : Mme la Présidente, ça compléterait pour moi pour l'instant, je vais laisser la parole à mon…

Une voix :

La Présidente (Mme Beaudoin) : Je pense que, M. le député de Beauharnois, vous avez une question.

M. St-Arnaud : Oui, M. le député de…

La Présidente (Mme Beaudoin) : À vous la parole.

M. Leclair : Oui. Moi, je serais curieux de vous entendre sur le fait… la piste que le ministre dit, avec une suggestion qui est toujours à l'étape de réflexion. Moi, je suis un peu curieux de vous entendre sur le fait d'une personne… J'imagine, les personnes qui vraiment, là, ont l'intention de changer de sexe, elles doivent le faire une fois dans leur vie, là. Je ne sais pas si vous avez des connaissances de gens qui ont transféré une fois ou deux, là, je n'ai aucune idée de l'existence de ça, mais est-ce qu'il y a une limitation? Est-ce qu'une personne pourrait le faire deux fois dans sa vie, trois fois? Je voudrais vous entendre là-dessus. Par l'expérience que vous avez, vous connaissez mieux ce…

Mme Chénier (Danielle) : On n'a pas beaucoup d'expérience au niveau de la girouette, là, comme vous disiez, qu'on pourrait dire, là, mais j'ai connu une personne qui a changé d'idée cinq fois. Mais c'est sûr qu'avec… On ne peut pas savoir. Même Françoise, la psychologue la plus réputée au Québec, peut commettre une erreur de… Tu sais, un psychologue peut commettre des erreurs aussi, là, tu sais, de jugement.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Mais en fait je pense que, cette question-là, vous devriez la poser à Françoise Susset, qui est experte. Demain, elle va venir témoigner.

Il faut aussi se rappeler que changer de sexe, c'est très, très, très compliqué. C'est compliqué, c'est coûteux. Actuellement, dans la société, on va contre toutes les normes sociales qui existent quand on change de sexe. Je veux dire, on les nomme, là, et puis on dirait qu'il faut tout franchir ces étapes-là une après l'autre. Une personne qui est vraiment… Il faut vraiment être décidé pour changer de sexe. Juste les barrières sociales encadrent le comportement citoyen par rapport au changement de sexe, un citoyen qui est bien intégré à la société, etc. Il y a des… Si on va au niveau des citoyens qui ont des problèmes de santé mentale, etc., c'est sûr que de toute façon les normes sociales ne s'appliquent pas, mais, je veux dire, on est dans… 95 % des personnes transsexuelles sont bien intégrées, ont des emplois, du travail, etc. Moi, je suis professeur universitaire.

Donc, il faut vraiment être décidé pour passer à travers l'ensemble de ces contraintes sociales là, de faire le coming out. On croit que, lorsqu'on a passé à travers de ça, on est assez… je pense que ça démontre assez de sérieux dans la démarche pour se dire : Bon, bien, voilà, regarde, j'ai fait un coming out, ça fait un an que je vis par rapport à mon sexe voulu. Est-ce que cette contrainte législative là — parce que c'est législatif surtout — d'avoir des chirurgies… Est-ce que c'est vraiment nécessaire? Est-ce que c'est vraiment nécessaire pour la personne transsexuelle, est-ce que c'est une… ou c'est davantage par peur, fondée ou non — par mon expérience à moi, elle n'est pas fondée — une peur de l'État de légiférer sur une question, qu'il veut être sûr qu'elle ne fasse pas de faux pas, tu sais? Moi, je vous dis que, par rapport à mon expérience personnelle, lorsqu'il y a une auto-identification persistante, lorsqu'on passe à travers toutes les étapes du cheminement social, rendu là, quand on dit qu'on est transsexuel, quand on dit qu'on veut changer de sexe et on est un citoyen bien intégré, il n'y a pas grand chance qu'on revire de bord.

M. Leclair : Merci. Ça complète pour moi.

Une voix :

Mme Chénier (Danielle) : Sur environ 1 000 personnes au moins que j'ai vues en 10 ans, il y a peut-être deux personnes qui ont fait la girouette, qui ont reviré de bord puis qui sont revenues, qui ont reviré de bord, qui sont revenues, sans la chirurgie. Et je n'en connais pas, dans les derniers 15 ans, qui ont regretté directement la chirurgie… ou ils ne l'ont pas dit.

Le Président (M. Ferland) : Alors… Oui, M. le député de Beauharnois?

M. Leclair : Bien, dans le cas type de cette personne-là ou ces deux personnes-là, est-ce que vous croyez que ces gens-là auraient passé… si le processus le permet, de faire changer de nom et tout, qu'ils auraient passé les quatre, cinq fois à faire changer de nom et…

Mme Chénier (Danielle) : Non, parce qu'à quelque part tout ça, ce n'est pas… Maintenant, elle est opérée, la personne principale que je pense. À quelque part dans le projet, ils demandent deux ans d'utilisation, deux ans de vie. Ça s'est passé en tout sur six ans peut-être. Ça fait qu'en six mois, un an qu'elle restait en gars, six mois, un an qu'elle restait en fille, après deux ans tu commences à comprendre que, oui, je pense que c'est vraiment ça, je suis bien.

Moi, au début de ma transition, là, peut-être un an après, j'ai pris une année sabbatique, comme on dit, en me disant : Bon, je veux juste être sûre que c'est vraiment ça, et au bout de six mois j'ai dit : Non, regarde, je ne suis pas bien en tant que gars, là, je ne suis pas un gars, tu sais. Ça fait qu'on est décidés, on est vraiment décidés.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je crois… Mme la députée de Mirabel.

Mme Beaudoin : Merci, M. le Président. Question hypothétique : Est-ce que ça peut exister, quelqu'un qui décide de ne pas changer de sexe et qui, pour éviter la prison, exemple, ou qui se cache, là, parce qu'il a commis de la fraude ou autres, décide simplement de demander un changement de son acte de naissance, simplement pour se cacher? Est-ce que vous avez déjà entendu parler de ça ou ça n'existe pas?

Mme Chénier (Danielle) : Je n'ai jamais entendu parler de ça.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Non, on n'a jamais entendu parler de ça. Et puis bonne question à poser, d'ailleurs, à ceux qui vont venir présenter demain. Nora Butler, elle, elle travaille à l'ASTTEQ et elle travaille… On est partenaires avec l'ASTTEQ, et l'ASTTEQ travaille surtout au niveau de ceux qui font une transition mais ont des problèmes, des problématiques associées, je n'aime pas le mot, là, mais problèmes de santé mentale, arrestations au criminel, immigration, etc. Donc, ce serait à Nora, demain, à lui poser cette question-là.

Mme Chénier (Danielle) : J'avais une réflexion à dire, que j'ai vue dans les documents sur les autres pays que j'ai vus : Tout en apparence pour tout le monde est changé, sauf que, dans le dossier mère où seules les personnes peuvent avoir accès grâce à un juge ou quelque chose comme ça, là c'est écrit les deux noms ou les deux sexes, puis tout ça. Ça fait que, comme ça, quand c'est le temps de changer le sexe, bien là, si on se questionne, si, la personne, je pense qu'elle a un problème criminalisé, criminel, puis tout ça, ça reste dans le dossier mère.

Ça devrait être comme ça aussi, à quelque part, ici aussi. J'ai vu ça dans un des pays que j'ai regardés, là, c'était comme ça que ça fonctionnait. Comme ça, il n'y avait pas de risque de fraude au niveau… avec le nom et le sexe, parce que le gouvernement, les juges pouvaient vérifier.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Ce qui porte… Vous pouvez y aller.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, Mme la députée de Mirabel.

Mme Beaudoin : …plus d'explications concernant le dossier mère, là. Vous voulez dire quoi exactement?

Mme Chénier (Danielle) : Bien, je pourrais revenir là-dessus, je regarderais plus mes papiers là-dessus. C'est comme… Je n'ai pas l'information directe.

• (15 h 40) •

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Comme je vous dis, on n'est pas des légistes, donc… Je pense que, si vous voulez plus d'information, je connais un avocat qui travaille là-dessus, il pourrait vous en donner.

Tout ça pour dire que ce qui nous cause préjudice comme personnes transsexuelles, au niveau des registres de l'État qui sont privés, regarde, moi, que ça soit marqué… Moi, j'ai regardé, j'ai fait sortir mon… Au niveau de ma cote de crédit, c'est marqué dans mon dossier que je m'appelais Marie-Joëlle avant. Ce n'est pas ça qui me cause préjudice. Qu'est-ce qui me cause préjudice, c'est quand je donne ma carte d'assurance maladie, le permis de conduire parce que je veux aller me chercher une bouteille de vin à la SAQ, et puis la personne… Parce que j'ai de l'air jeune. Je suis en transition, là. Ça prend une couple d'années avant d'avoir de la barbe, donc j'ai de l'air de 17 ans quand j'en ai 29. Je me fais carter et puis je donne mon permis de conduire en me disant : J'espère qu'il ne verra pas le F, j'espère qu'il ne verra pas le F. C'est ça qui me cause préjudice à moi. Que dans le registre des états civils c'est marqué : Marie-Joëlle est devenue Mathieu-Joël, non. Qu'est-ce qui est important, c'est que, quand on a à présenter nos papiers d'identification légale… Et ce, dès le début du processus, parce que, moi, quand j'ai commencé à prendre des hormones, ça n'a pas pris six mois avant que je me fasse appeler monsieur. Pendant plus d'un an et demi de temps, c'était marqué «Marie-Joëlle Gervais, sexe féminin» sur mes papiers, quand j'avais de l'air de qu'est-ce que j'ai de l'air aujourd'hui.

Le Président (M. Ferland) : …M. Gervais, qu'il vous reste.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : C'est bon, parfait. Non, non, c'est bon. Mais c'est ce que je voulais dire, en fait.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je vous remercie pour le premier… Le bloc du côté ministériel étant terminé, alors je reconnais le député du parti de l'opposition officielle, le député de Fabre, pour un temps d'à peu près 20 minutes, là, environ.

M. Ouimet (Fabre) : Merci, M. le Président. Alors, à mon tour de vous souhaiter la bienvenue, de vous remercier de contribuer à l'avancement de nos travaux. Et moi, je suis avocat, mais je ne suis pas un spécialiste des questions qui touchent l'état civil. Et je ne pense pas que… Vous l'avez souligné, vous n'êtes pas des juristes non plus. Par contre, vous avez une expérience très pratique de la réalité et des difficultés que vous vivez, et ça, en tout cas, pour nous, je pense que c'est très utile pour nous aider dans le choix des solutions, le choix des moyens, quel amendement adopter ou pas. Et ça, j'aimerais… Si c'était possible d'élaborer un peu sur la réalité concrète, là. On en a parlé tantôt. C'est un exemple très frappant, là, quand on dit qu'on va à la SAQ et, quand on est obligés de s'identifier, on est confrontés à cette réalité-là.

Êtes-vous capables de nous donner un portrait plus complet, là, des situations concrètes, là, très… vécues sur le terrain par des personnes confrontées à cette problématique?

Mme Chénier (Danielle) : Oui. Bien, juste moi, dernièrement, il y a quelques jours, j'appelle un nouvel allergologue pour mes problèmes d'allergie, donc au téléphone je prends un rendez-vous, et là : Madame, madame, madame. Je donne mon numéro d'assurance maladie, elle finit par me dire : Au revoir, monsieur, parce que… assurance maladie, sexe masculin, et tout ça. C'est fréquent, ça, chez beaucoup de personnes.

Une visite chez le médecin il y a deux ans — j'étais très malade — dans une salle d'attente bondée : M. Daniel Chénier, s'il vous plaît. Je sors du médecin après, le pharmacien qui est à la même, même place : Ah, il y a une erreur sur vos papiers. Il faut que je dise «je suis transsexuelle» devant tout le monde. C'est fréquent. Et plusieurs personnes que je connais attendent à la dernière minute — même moi des fois — à la dernière minute avant d'aller voir un médecin parce qu'il y a l'angoisse de toujours avoir à se dévoiler. Je ne suis pas obligée de faire mon coming out comme que je suis trans. Vous me verriez dans la rue, là, puis vous ne le sauriez pas, que je suis transsexuelle, tu sais. Mais je suis obligée quasiment à chaque fois que j'ai une pièce d'identité à présenter, chaque fois.

Et j'ai une amie qui a fait une demande d'aide sociale. Elle a eu des problèmes dans sa vie assez compliqués, sa femme qui est dans un autre pays, elle qui est ici. Elle a essayé de… Ils ont dit : On va vous aider, on va vous aider. Quand elle a été voir les papiers comme quoi il était écrit «sexe masculin» : Ah, on ne peut rien faire pour vous. C'est ça, c'est des choses comme ça.

À l'école, quand on retourne, en même temps chez… autant chez les jeunes que l'école aux adultes, j'en connais une… Bien, moi, j'ai eu des problèmes. Ils portaient plainte : Bien là, elle ne peut pas aller dans… il ne peut pas aller dans la toilette des filles, il ne peut pas aller dans la toilette des gars. Ça fait que je ne savais plus où est-ce que je pouvais aller. Il y a des professeurs qui ne me respectaient pas, qui m'appelaient au masculin, qui disaient : Toi puis tes goûts spéciaux, tu sais.

Une secrétaire, tu sais, la personne qui fait les cartes bleues à l'hôpital, genre, là : Bien là, c'est votre faute, vous n'aviez pas à… C'est votre choix, là, de vouloir avoir un sexe… de vouloir changer de sexe, vous aviez juste à ne pas le faire, tu sais. Il y a du monde qui ne se mêle pas de leurs affaires dans ce sens-là que ce n'est pas leur vie, tu sais.

À chaque fois que j'ai… Une personne qui maintenant est décédée, avait des gros problèmes de santé, elle, elle n'était pas opérée, et il y avait énormément de trafic devant sa chambre. Le monde passait, ils regardaient curieusement. Il y a même quelqu'un déjà qui a levé le drap pour savoir c'est quoi qu'il y avait entre les jambes en réalité. Tu sais, les rideaux pour être privé dans la chambre… Ah, je pensais qu'il n'y avait personne. Ouvrir la porte de toilette : la même personne. C'est arrivé, ça, plein d'exemples comme ça. Elle est en fin de vie puis elle n'a même pas le droit au respect, à la dignité, tu sais.

J'ai une autre personne qui travaille à travers le monde, que son travail, c'est à travers le monde, et il refuse des contrats à certains pays à l'étranger parce que ses pièces d'identité sont de l'autre sexe. Puis Dieu sait qu'il y a des pays qui sont homophobes et transphobes, hein? Donc, la personne, elle se sent en position de vulnérabilité puis de danger, ça fait qu'elle les refuse, les contrats.

Moi, à chaque fois que je voyage, du moment où je rentre à l'aéroport puis que je sors de l'aéroport, j'ai l'angoisse totale. Peut-être qu'ils ne le remarqueront pas sur mes papiers, peut-être qu'ils ne regarderont pas. J'ai une amie qui reste aux Bahamas, je vais chez elle régulièrement. À chaque fois, je stresse, parce que les Bahamas, c'est un pays hautement homophobe et criminalisé. C'est ça, la vie qu'on vit.

J'appelle pour de l'information, pour avoir de l'information sur mes impôts, on me refuse le service au téléphone parce que j'ai une voix de femme puis sur mes papiers il est écrit «monsieur». Je vais voter, on me pose 10 000 questions. On me demande 10 000 papiers pour pouvoir avoir accès à mon droit de vote.

Il y en a que je connais, là, qui sont confinés chez eux, qui ne sortent pas de chez eux parce qu'ils ont toujours obligation de montrer leurs papiers. Il y en a qui vont voir des médecins… ils ne vont plus voir les médecins parce que, justement, tu vas voir un médecin pour un problème d'angoisse ou d'anxiété, et : Ah, je ne peux pas t'aider. Tu ne vas pas là pour ta transsexualité, tu t'en vas là pour ton anxiété, puis la personne… Ah, on n'est pas habitués avec les transsexuels, on ne peut rien faire pour vous, tu sais.

J'en ai, des exemples, là. Puis, regarde, ça fait plus que 10 ans que je vis dans l'autre sexe, je n'ai pas envie de vivre encore 40 ans avec un M sur les papiers. J'ai eu mon passeport par erreur, j'étais contente de l'avoir, puis là ils me l'ont finalement enlevé, et j'étais démolie, tu sais. Ça fait que je… Vous avez assez d'exemples?

M. Ouimet (Fabre) : Bien, en fait… Merci. On va en prendre tant que vous en avez, là, parce que ça va nous éclairer. Mais en fait j'avais une question, en vous écoutant, parce que, là, on parlait de la question du changement de sexe au niveau de l'état civil et non pas juste la question du changement de nom. Parce que je comprends que des fois aussi, là, il y a cette problématique-là, l'identification…

Mme Chénier (Danielle) : Mais mon nom est changé, mon nom est changé.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Moi, mon nom est changé, oui.

M. Ouimet (Fabre) : O.K., donc dans les problématiques… et plus particulièrement, là, sur les problématiques vécues au niveau du changement de sexe, là. C'était plus ça qui était la question, là, si j'ai bien compris.

Est-ce que vous avez, de votre côté… Vous voulez en rajouter?

M. Gervais (Mathieu-Joël) : J'aimerais… Vous venez d'entendre le témoignage de Danielle. Danielle,actuellement, c'est marqué «Danielle Chénier, sexe masculin» sur ses papiers. Danielle, ça fait 10 ans qu'elle vit en tant que femme, parce que Danielle, dans un… Actuellement, la loi la positionne dans ce choix-là : Tu continues à vivre cette discrimination-là pour le restant de tes jours ou tu subis une chirurgie que tu ne veux pas, qui s'appelle une vaginoplastie.

Je ne sais pas si vous savez ça ressemble à quoi, une vaginoplastie. Moi, ma meilleure amie, qui est la fille la plus tough que je connais, je suis allée la voir à l'hôpital le lendemain qu'elle a fait sa vaginoplastie; j'ai eu les larmes aux yeux tellement elle était amochée. Une vaginoplastie, là, tu es trois mois alitée. Ils prennent ton pénis, ils en font un vagin, puis ils te construisent un trou pour faire un vagin. Tu es trois mois alitée à faire des dilatations vaginales. C'est ça, une vaginoplastie.

Mme Chénier (Danielle) : Et des douleurs là-dedans aussi, parce que…

• (15 h 50) •

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Et des douleurs et une perte de sensation.

Donc, Danielle est actuellement… Comme la loi le dit, elle a le choix entre vivre cette discrimination-là ou sinon avoir la paix et faire cette chirurgie-là qu'elle ne veut pas, qui est extrêmement douloureuse. Et le noeud du problème est là, si on revient au point 1 par rapport au retrait des prérequis chirurgicaux. C'est ça que des transsexuels ont à vivre, pour les hommes qui deviennent des femmes.

Pour ma part… Nous, on est chanceux, entre guillemets, on a juste à se faire enlever l'utérus, mais, l'hystérectomie, moi, j'ai été un mois à ne pas travailler — je suis chercheur universitaire — un mois pas de salaire, un mois à avoir des douleurs. J'ai été chanceux, je n'ai pas eu de complication. Il y a un de mes amis qui a eu des saignements, le 24 au soir il était à l'hôpital, le 24 décembre au soir il était à l'hôpital parce qu'au niveau de son hystérectomie il y a eu des saignements. Il n'en voulait pas, d'hystérectomie, lui. Tout ce qu'il voulait, c'étaient des papiers conformes.

Une voix : C'est fréquent.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Puis c'est fréquent. Donc, pourquoi est-ce qu'on impose cette prérogative-là supplémentaire à un processus de transition qui est de toute façon très long et qui prend, en tant que tel, beaucoup d'énergie quand on pourrait faire simplement un affidavit ou simplement une déclaration solennelle avec témoins? Ce n'est pas nécessaire, cette chirurgie-là.

Puis, je vous dis, moi, personnellement, mon expérience à Royal Victoria — parce que je me suis fait enlever l'utérus à Royal Victoria — les médecins ne comprenaient pas pourquoi cette personne-là se faisait enlever l'utérus, parce que médicalement je n'en avais pas besoin. Ils ne connaissaient pas trop la transsexualité. Puis, moi, là, mes papiers n'étaient pas conformes, là. Ça fait que, là, moi, je voulais me le faire enlever, l'utérus, pour avoir mes papiers conformes, là. Il a fallu que je m'invente une raison médicale. Mon frère est médecin. J'ai appelé mon frère, je lui ai dit : Là, pour qu'ils m'enlèvent l'utérus, qu'est-ce que c'est qu'il faut que je dise? Ça fait qu'il me dit : Dis ça, ça, ça, ils vont te faire passer en haut de la liste d'attente. J'ai appelé la madame — je peux être convaincant — j'ai dit : Là, lalala, j'ai ça, j'ai ça, j'ai ça. Elle a fait : O.K., on te cédule dans un mois.

Même le système médical n'est pas d'accord avec la loi. Il a fallu que je me batte contre le système médical pour faire respecter une loi qui de toute façon… Moi, mon utérus, là, je veux dire, ça change quoi que j'aie un utérus ou pas? Si je vous annonçais que j'ai un utérus, est-ce que je serais moins homme? Est-ce que je serais plus homme? Est-ce que vous m'appelleriez madame? À la rigueur, si je vous annonçais… Je vais faire le pendant avec… Si je vous annonce, là, que j'ai un vagin, qu'est-ce que ça change? C'est un choix personnel, en fait. C'est un choix personnel, c'est la liberté personnelle de disposer de son corps, et actuellement la loi, au niveau des prérequis chirurgicaux, nous enlève cette possibilité-là.

Le Président (M. Ferland) : M. le député de Fabre.

M. Ouimet (Fabre) : Merci, M. le Président. En fait, je vais laisser la parole bientôt à mes collègues, mais j'aurais juste un point, parce que c'est une question que vous soulevez depuis le début des auditions, et ça m'a amené à réfléchir à, justement, ce que signifie l'état civil, l'identification de la personne, son nom et le sexe. Et je l'ai dit tantôt, là, je ne suis pas un spécialiste, loin de là, de ces questions-là, et j'aimerais bien avoir des réponses. Et probablement qu'on pourra compter sur les experts du ministère pour nous éclairer dans ce merveilleux monde de l'état civil, mais ce sont des questions… Il y a une portée insoupçonnée à ces questions-là.

Tantôt, vous avez mentionné… vous avez fait référence à la personne qu'on va entendre demain. Vous avez dit qu'elle avait une position concordante mais différente. Est-ce que vous voulez nous donner un peu plus d'explications sur…

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Je pense qu'elle va être la meilleure personne pour vous donner sa position.

M. Ouimet (Fabre) : Mais en quoi… Mais en fait c'est parce que j'aurais aimé comprendre…

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Ah non, mais…

M. Ouimet (Fabre) : …parce que vous ne serez pas là demain pour…

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Non, non, non, mais j'aurais dû dire «concordante», en fait, vous allez voir. Je parlais de Françoise Susset qui… Pour faire une histoire courte, l'Ontario demande d'avoir une évaluation psychologique. Françoise Susset, je ne sais pas, il me semble qu'elle irait même à demander seulement un affidavit et, non, de ne pas avoir une évaluation psychologique, mais je vous dis : Ça serait à elle… Ça va être à elle de vous expliquer ça demain.

Mais de toute façon tout le monde est d'accord. Et qu'est-ce que je veux porter comme message, c'est que, les trois amendements que je vous nomme, on est tous d'accord sur ces amendements-là. Le comment le faire, ça va être à décider, mais je pense que, déjà, d'avoir ces trois amendements là, ce serait un pas énorme, pour la communauté transsexuelle, qui nous faciliterait de beaucoup, beaucoup la vie.

Le Président (M. Ferland) : M. le député de Fabre, ça… Il y avait la députée de Bourassa-Sauvé; ensuite, de l'Acadie.

Mme de Santis : Combien de temps nous avons? Je m'excuse.

Le Président (M. Ferland) : Il vous reste 6 min 30 s exactement.

Mme de Santis : O.K., exact.

Des voix :

M. Poëti : En fait, moi, ça… M. le Président…

Le Président (M. Ferland) : Ah! Il y avait le député. Excusez, je n'avais pas vu la main levée. Allez-y, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Poëti : Merci. Écoutez… En fait, ce n'est pas une critique mais plus un conseil. Je ne sais pas combien de temps vous avez eu avant, quand vous avez su que vous étiez pour venir ici. Souvent, les gens vont nous faire un mémoire ou vont nous donner un document sur les points sur lesquels vous croyez que c'est vraiment important. Puis je sais qu'en une heure peut-être qu'on ne peut pas saisir exactement le fond de votre propos, et parfois… et, compte tenu que vous êtes universitaire, que vous êtes professeur, vous avez cette capacité-là. Même si c'est plus tard, si vous avez un document qui définit vos attentes particulières, ce serait apprécié, parce qu'on va avoir le temps d'en reparler puis de suivre… Je ne veux pas interpréter vos propos, alors je vous invite à pouvoir le faire. Je sais que peut-être vous n'avez pas pu ou que vous n'avez pas été invités à le faire. Ça, c'est… Parce qu'on va le lire, puis on va le regarder, puis on va l'étudier.

Et la dernière chose, puis peut-être que c'est une montagne, peut-être que ma question ne sera pas claire, mais, vous savez, ce que vous nous dites, ce que moi, je perçois, là, c'est que le genre, le sexe d'une personne ne définit pas en soi qu'elle soit une femme ou un homme. C'est ce que vous me dites?

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Oui. En fait, ce que je vous dis — et puis, Danielle, tu pourras compléter : Le processus d'auto-identification, se sentir bien avec notre corps, c'est un parcours personnel. Certaines personnes transsexuelles choisissent et sentent le besoin de faire des chirurgies génitales; d'autres personnes n'en ressentent pas nécessairement le besoin pour être en concordance avec leur identité. Donc, de dire que le sexe ne définit pas le genre, pour certaines personnes, c'est vrai; pour d'autres, ce n'est pas vrai.

M. Poëti : Alors, de là ma question, en fait. C'est que, si on ne peut pas définir le sexe d'une… en fait une personne par son sexe… Parce que, depuis la nuit des temps, le bébé arrive, c'est un garçon, c'est une fille. On se base carrément sur le sexe, là, pour le définir.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : On se base…

M. Poëti : Ce que vous nous dites, dans le fond, c'est que vous voyez ça autrement.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Oui.

M. Poëti : C'est ça que vous nous dites. En fait, vous dites que, si on a un bébé qui n'a pas dit un mot, là, qui a fait un petit cri, une petite larme, là… La première question qui se pose, c'est : Est-ce que c'est un garçon ou c'est une fille?, puis on dit : C'est une fille. Vous, vous dites aujourd'hui : C'est possible qu'il ait le sexe d'un garçon mais que ce soit une fille.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Effectivement. Et moi, je… Nous pensons — puis ça serait aussi à valider avec les personnes demain — que l'auto-identification est plus forte, est plus importante, pour une personne, que le sexe biologique.

M. Poëti : Vous comprenez la montagne à traverser sur la compréhension de l'être humain d'être capable de définir un homme et une femme en dehors du sexe…

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Oui, je comprends.

M. Poëti : …dès la naissance. Je veux juste…

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Oui, oui, je comprends. Oui, oui.

M. Poëti : Mais c'est correct, parce que je veux laisser ma… Mais je voulais vous entendre pour être certain que moi, j'ai bien compris ce que vous aviez dit, ce pourquoi aussi j'aimerais pouvoir le documenter sur une lecture que vous pourriez faire. Merci.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Parce que le retrait des prérequis chirurgicaux, c'est exactement ça qu'on vient confronter. On vient dire qu'une femme avec un pénis, c'est une femme, si elle se définit comme une femme; qu'un homme avec un vagin, c'est un homme, s'il se définit comme un homme. Et c'est ce qu'on revendique.

Mme Chénier (Danielle) : Moi, une chose que je peux dire, c'est que ça se définit très jeune, pour une personne transsexuelle, qu'elle se sent de l'autre sexe. Il y a le sexe génital et le sexe mental, comment que tu te sens et ce que tu as entre les jambes. On ne peut pas le savoir à la naissance de l'enfant si, dans sa tête, il se sent petit gars ou petite fille. Il y a peut-être 0,02 % de la population qui est transsexuelle. C'est rare, oui, mais il y en a. Ça fait que tu ne peux pas savoir qu'est-ce qui va se passer plus tard avec ton enfant.

C'est comme un enfant intersexuel, un enfant qui naît avec les deux sexes ou de sexe ambigu. Cet enfant-là, il y a eu plusieurs chirurgies qui ont été faites depuis les derniers soixante ans, disons, qui ont été une erreur, le médecin allait avec le plus rapide et le plus facile. Ils ont changé un petit gars en petite fille ou changé une petite fille en petit gars. Puis, rendu à l'âge de 10 ans, peut-être des fois même plus jeune… Dernièrement, il y a eu un reportage à Denis Lévesque d'un enfant qui avait été opéré, forcé. Les parents, ils ont «brainwashé» les parents pour dire : Regarde, il faut que votre enfant… il faut que vous lui disiez que c'est une petite fille. Il a passé à Denis Lévesque, cet enfant-là, puis, regarde, c'est un petit gars, oui, puis il a un vagin. Puis, s'ils auraient laissé le temps de choisir à l'enfant… Bien, l'enfant, en réalité, là, c'est un petit gars, tu sais, malgré qu'ils ont fait une petite fille avec, là, tu sais.

Tout se passe dans le cerveau, ce n'est pas quelque chose qu'on choisit. Ça aurait été bien plus facile que je sois un petit gars, là, je n'aurais pas eu toute ma transition à faire. Ça coûte cher, puis tout le kit, là.

• (16 heures) •

Le Président (M. Ferland) : Alors, juste peut-être avant de laisser la parole, pour les amendements que vous souhaitez ou les recommandations que vous voulez faire, vous pouvez les faire par courriel ou l'envoyer par écrit — par courriel, c'est rapide — auprès de la secrétaire de la commission. Ça va être très utile pour les membres de la commission.

Alors, il reste à peu près une minute pour la députée de Bourassa-Sauvé ou…

Mme de Santis : Alors là, je comprends que vous êtes d'accord avec les modifications, mais vous souhaitez qu'à l'article 61 quelqu'un qui demande un changement de la mention du sexe ne soit pas nécessairement un citoyen canadien. Ça, vous le proposez comme modification à ce qui est proposé.

Moi, quand… J'ai étudié les sciences, et, pour moi, une femme, c'était XX, et un garçon, c'était XY. C'était sur la base génétique. Est-ce que… Alors, ce n'était pas sur le… ce n'est pas vu de la même façon. Mais je crois qu'il y a une crainte des gens qui voient des personnes qui ressemblent à des femmes ou ressemblent à des hommes que, dans les relations qu'ils vont développer avec cette personne qui a l'air d'une femme ou a l'air d'un homme… que c'est quelqu'un qui a un sexe féminin ou un sexe masculin. Alors, il y a toujours un peu de cette peur-là.

Comment vous répondez à ça? Je ne sais pas comment ça joue dans la vie de tous les jours, parce que ce n'est pas un monde que je connais très bien. Je vous demande, vous…

Le Président (M. Ferland) : …Mme la députée, si vous voulez une courte réponse. Le temps est déjà dépassé, alors… Je vais quand même laisser quelques secondes pour…

Mme Chénier (Danielle) : En tant que tel, si je vous rencontre sur la… si je vais au dépanneur, je n'ai pas besoin de vous le dire, vous n'avez pas besoin de le savoir. Mais, en relation interpersonnelle, amicale, amis, la plupart du temps on le dit. En relation amoureuse, c'est sûr qu'on le dit à la… si on va loin. Souvent, on essaie de ne pas mentir sur notre vie parce que c'est une personne proche de nous.

Donc, il n'y a pas de peur, de danger réel, hein? Tu sais, même là, déjà, ce n'est pas tout le monde qui voit nos papiers, là, tu sais. Ceux qui ne voient pas nos papiers, ils nous respectent, justement.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je dois malheureusement vous arrêter dans la… Le gardien du temps, c'est un travail qui n'est pas facile, mais… Je reconnais la députée de Montmorency, du deuxième groupe d'opposition officielle, pour un gros cinq minutes. Mme la députée.

Mme St-Laurent : On m'a dit cinq minutes et quelques secondes ce matin.

Le Président (M. Ferland) : Et quelques… Oui, quelques secondes. On va vous les laisser, oui.

Mme St-Laurent : Parfait. Je vais vous dire que je suis un peu experte dans ça — ça a de l'air drôle, mes collègues ne me connaissent pas sous cet aspect-là — parce que j'ai fait la première cause de jurisprudence de changement de nom d'une personne qui n'était pas transformée. O.K.? Et, à ce moment-là, toute la procédure et la preuve que j'ai dû faire que la personne vivait en femme — c'était un homme vivant en femme depuis x années — j'ai obtenu le changement de nom. D'ailleurs, Micheline Montreuil, par la suite… Son prénom, c'était Micheline, parce qu'elle m'avait dit qu'elle avait beaucoup d'admiration pour moi, je lui avais produit cette cause de jurisprudence là. Et je tiens à dire que la personne de qui j'ai obtenu le changement de nom, plusieurs années plus tard, a eu un changement de sexe au Colorado, payé par le ministère de la Santé d'ici, et j'ai vu sur un film toute son opération. Et je vais vous dire que j'ai connu beaucoup de transsexuels et qui ont eu extrêmement peur de se faire transformer, ça fait qu'il y en a plusieurs qui ne se font pas transformer.

Ça fait que, moi, il y aurait une suggestion que j'aimerais faire à travers ça. Et ma cause, je pense, c'était en 1987 à peu près, les années 1987. Vous imaginez que ça fait longtemps. Ça fait plus de 25 ans. Et il y a quelque chose que je dois dire : Comme la preuve était tellement forte pour faire le changement de nom, que ça faisait des années que la personne se comportait en homme et se faisait appeler… je vais vous dire, j'ai fait une très grosse preuve. Il n'y avait pas de précédent, et les juges l'ont accepté, elle a obtenu son changement de nom. Et ce que j'aimerais pour ces cas-là, parce que c'est une preuve qui a pris… Écoutez, c'est vraiment une preuve élaborée, 100 dossiers médicaux, 100 rapportspsychologiques. Et, à partir de ce moment-là, je me demande si, lorsqu'on n'a pas reconnu une personne, on a reconnu le changement de nom de cette personne-là, on ne pourrait pas automatiquement… parce qu'écoutez ça prend des délais quand même… comme la personne que j'avais mise en preuve ça faisait sept ans, je pense, ou huit ans à ce moment-là, si automatiquement on ne pourrait pas changer le sexe dans les registres d'état civil. Ce serait, ça aussi, une solution pour ceux qui depuis des années fonctionnent sous ce nom-là.

Mme Chénier (Danielle) : On ne se sert pas vraiment du certificat de naissance, là, ça fait que… Tu sais, on se sert du permis de conduire, du passeport, de la RAMQ, c'est ça.

Mme St-Laurent : Non, non, mais, en ayant ça dans le registre de l'état civil, tout le reste change. Vous savez comme moi que, pour avoir permis de conduire, assurance maladie, tout est dedans, vous vous servez du registre de l'état civil. Je pense que ça, ça serait une des premières solutions. Ça fait que ceux qui ont déjà un changement de nom sans être transformés et que vous avez ce changement de nom depuis des années, parce que vous ne l'avez pas eu en cadeau, vous ne l'avez pas acheté, votre changement de nom, il a fallu que vous fassiez une preuve pour ça, je pense, à ce moment-là, qu'on pourrait faire le changement de sexe. Vous ne pensez pas que c'est une bonne idée?

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Bien oui, et puis ça nous enlèverait l'obligation, parce qu'actuellement… Il faut que je le répète, là. Pour le répéter encore, on n'est pas contre les chirurgies. Les chirurgies, actuellement, de réassignation sexuelle ont leur utilité pour beaucoup, beaucoup, beaucoup de personnes trans qui les veulent. Là où ça nuit, c'est l'obligation de les avoir. Donc, peut-être, si on allait par cette voie-là, par exemple, que le changement de nom et le changement de sexe se feraient par rapport à une étape, par la suite la personne aurait toute la latitude — on parle de consentement libre et éclairé — aurait toute la latitude d'avoir un consentement libre et éclairé par rapport aux chirurgies qu'elle désire, puisqu'elle n'aurait plus cette obligation-là et cette pression-là de le faire au niveau légal pour avoir la paix. Parce qu'on le sait, Danielle vous l'a expliqué tantôt, qu'est-ce que ça fait quand on ne l'a pas.

Mme Chénier (Danielle) : Deux ans de transition, son sexe masculin; 10 ans, encore mon sexe masculin. Tu sais, c'est comme…

Mme St-Laurent : Ça fait que je pense que ce serait… À mon avis à moi, compte tenu que j'ai connu plusieurs transsexuels, compte tenu que j'avais fait cette cause-là, d'ailleurs, au-delà de tous les tabous — on m'avait dit que ça n'avait pas de bon sens — et que je reconnais qu'il y a beaucoup de gens que ça fait des années qu'ils sont soit en homme ou soit en femme, je pense qu'automatiquement on n'aurait pas besoin de rapport psychologique, de rapports médicaux, pas d'obligation de transformation, et qu'on pourrait émettre le changement de sexe. Puis ça, comme je vous dis, la preuve se fait au niveau du changement de nom, et, au niveau du changement de nom, ce n'était pas une affaire qui était simple. Ce n'est pas une personne qui arrive, puis elle dit : Moi, ça fait un an, là, que je m'appelle Pierre, mon vrai nom, c'est Micheline, et là je veux changer de nom devant le tribunal. Ça ne se fait pas comme ça. Il y a tout un débat, puis ça prend des années. Et je pense que ça… En tout cas, à mon avis, selon ce que j'ai vécu, je pense que ça réglerait plusieurs de vos problèmes, parce que plusieurs, vous avez une personnalité… vous avez changé de personnalité ou vous avez changé votre nom, pour plusieurs. Ça fait que je pense que ça serait une solution qu'on pourrait établir automatiquement après le changement de nom. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Oui. Ça, ça serait une bonne avenue. Effectivement, ça serait… C'est ce qu'on demande, en fait, enlever les prérequis chirurgicaux, donc ça irait tout à fait dans ce sens-là.

Mme Chénier (Danielle) : Ça se ferait dans la même étape.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Et Françoise va venir vous parler demain de son point de vue, parce que Françoise, elle…

Mme Chénier (Danielle) : Elle est experte.

M. Gervais (Mathieu-Joël) : …elle est experte dans l'évaluation.

Le Président (M. Ferland) : Je vous invite…

M. Gervais (Mathieu-Joël) : Elle va venir vous parler plus de ça.

Le Président (M. Ferland) : On va aller demain voir… Alors, je vous remercie beaucoup. J'imagine que les commentaires de la députée de Montmorency vont se transformer en proposition d'amendement dans vos recommandationsque vous voulez aller adresser à la secrétaire de la commission. Alors, je vous remercie pour… je remercie l'Aide aux transsexuels et transsexuelles du Québec pour votre contribution.

La commission ajourne ses travaux jusqu'à demain, jeudi 23 mai 2013, après les affaires courantes, afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur le projet de loi n° 35.

(Fin de la séance à 16 h 9)

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