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Version finale

40e législature, 1re session
(30 octobre 2012 au 5 mars 2014)

Le mardi 21 janvier 2014 - Vol. 43 N° 114

Consultation générale et auditions publiques sur le projet de loi n° 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement


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Table des matières

Auditions (suite)

Mme Rakia Fourati

Mouvement laïque québécois (MLQ)

Alliance des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé
et les services sociaux (ACCESSS)

Rassemblement pour la laïcité

Laïcité citoyenne de la capitale nationale (LCCN)

M. Guy Rocher

M. Raphaël Fischler

M. André Baril

M. Jean Simoneau

Autres intervenants

M. Norbert Morin, président suppléant

M. Bernard Drainville

M. Marc Tanguay

Mme Kathleen Weil

Mme Nathalie Roy

M. Daniel Ratthé

M. Ghislain Bolduc

Mme Françoise David

*          Mme Lucie Jobin, MLQ

*          M. Michel Lincourt, idem

*          Mme Carmen Gonzalez, ACCESSS

*          Mme Soumya Tamouro, idem

*          M. Jérôme Di Giovanni, idem

*          M. Ferid Chikhi, Rassemblement pour la laïcité

*          Mme Martine Desjardins, idem

*          M. Yves Laframboise, LCCN

*          Mme Francine Lavoie, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures trente-quatre minutes)

Le Président (M. Morin) : Mesdames messieurs, bon matin. Comme nous avons le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Et, comme à l'habitude, vérifiez vos téléphones cellulaires. Mettez-les en punition dans le coin, s'il le faut.

La commission est réunie afin de tenir des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Lessard (Lotbinière-Frontenac) est remplacé par M. Bolduc (Mégantic); Mme de Santis (Bourassa-Sauvé), par Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce); et M. Duchesneau (Saint-Jérôme), par Mme Roy (Montarville).

Le Président (M. Morin) : Merci, Mme la secrétaire. Comme nous sommes un petit peu en retard, ça me prend un consentement pour poursuivre après 12 h 30. Est-ce que ça vous va? Consentement? Ça va? O.K.

Auditions (suite)

Ce matin, nous entendrons Mme Rakia Fourati, le Mouvement laïque québécois de même que l'Alliance des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé et les services sociaux.

Je vois que Mme Fourati est présente. Donc, Mme Fourati, vous avez 10 minutes. Allez-y.

Mme Rakia Fourati

Mme Fourati (Rakia) : Merci, M. le Président. Bonjour, M. le Président. Bonjour, M. le ministre. Bonjour, Mmes et MM. les députés ainsi que les membres de la commission. Je me présente : Je suis Rakia Fourati, originaire de la Tunisie, mon pays d'origine, et je suis au Québec depuis une dizaine d'années. Je suis venue témoigner par amour pour le Québec d'abord et parce que j'estime que j'ai un vécu assez riche pour peut-être en parler à mes collègues et à mes amis québécois.

J'ai vécu dans quatre pays différents, dont trois où j'ai vu moi-même l'islamisme naître, et pousser, et grandir dans ces pays-là, qui sont la Tunisie, l'Égypte et la France. J'ai vécu en Arabie saoudite où il était déjà installé et que l'intégrisme islamiste battait son plein et le bat toujours. Et j'avais trois grammes, d'ailleurs, de foi que j'ai perdus là-bas. Et actuellement je suis au Québec, où je suis très inquiète pour l'avenir et le futur du Québec.

Donc, avant de commencer mon mémoire, j'aimerais ouvrir juste une petite parenthèse. Ceux qui m'ont précédée, j'ai vu qu'il y a deux thèmes qui régnaient, qui dominaient, dans tous ceux qui ont parlé avant moi, c'est le thème de l'identité et le thème du foulard. Bon, je pense que, si j'ai à me présenter moi-même, je ne pourrais pas dire, mon identité, si moi, je suis musulmane ou si je suis arabe ou… parce que mon idée d'identité ne se résume pas par un verbe, ni un adjectif, ni une phrase, c'est tout un vécu. C'est-à-dire que l'identité de quelqu'un, c'est ce qu'il a vécu, ce qu'il a embrassé comme culture, ce qu'il a vécu comme société des sociétés dans lesquelles il a vécu, les gens qu'il a fréquentés, etc. C'est tout ça qui fait notre identité, et non pas un mot ou un adjectif pour dire : Je suis ci ou je suis ça.

Et puis aussi, dans l'identité sociale, c'est pareil. Je crois que c'est M. Seymour qui avait parlé de la société communautaire, qu'il fallait laisser, entre autres, les Arabes musulmans vivre en communauté, etc., qu'eux, ils ont leur temps pour faire la prière, leur orientation pour la Mecque, etc. C'est très beau, ça, sauf que, moi, ça me fait peur, parce que ça va donner comme une identité sociale qui est une sous-identité dans un contexte social global et ça va faire comme des ghettos, comme si, je dirais… la communauté musulmane au Québec, la communauté juive au Québec, la communauté sikhe. Non. Si on veut parler d'intégration, on est une seule communauté, on est un seul État et une seule société. Et de là il faudrait qu'on parle de la notion de l'intégration, donc ce qu'on veut dire par «intégration» quand on parle de ça.

• (9 h 40) •

Le deuxième point qui a été aussi très relevé, un peu… souvent, c'est le foulard. Alors, on essaie de taxer le foulard des fois à la religion, d'autres fois à la culture, d'autres fois au vestimentaire; quand ça nous arrange, au travail. Pour moi, le foulard, de toute façon, qu'il soit rouge, vert, noir, porté d'une façon élégante, avec des boucles d'oreilles, avec un maquillage ou sans maquillage, ça reste toujours un symbole. Qu'on l'appelle, d'ailleurs, hidjab, qu'on l'appelle niqab, qu'on l'appelle tchador, qu'on l'appelle abaya, qu'on l'appelle tout ce qu'on veut, ça reste aussi un symbole.

Et permettez-moi, là, de préciser et de donner l'explication d'un symbole. Le symbole, c'est l'expression substitutive destinée à faire passer dans la conscience sous une forme camouflée certains contenus qui, à cause de leur censure, ne peuvent y pénétrer tels quels. Donc, je peux prendre l'exemple, par exemple, du lion. Si on n'a pas le droit, par exemple, de dessiner un lion parce qu'il représente la férocité, on dessine une griffe, et cette griffe-là va refléter, va nous envoyer, va nous référer à la férocité.

Pour moi, le symbole du foulard, c'est exactement ça. C'est qu'on ne peut pas dire consciemment ce que ça représente, mais on y tient sous silence. Et, bien sûr, tout le monde sait — et, ceux qui ne le savent pas, je le dis parce que je l'ai vécu, et dans tous les pays c'est pareil — il n'y a pas d'autre interprétation pour le foulard que ce symbole-là qui est l'intégrisme, qui est la soumission, donc, sous toutes ces formes que je viens de définir.

Maintenant, trois autres petites notions aussi qui ont été… Quand on parle de démocratie, quand on parle de démocratie, il faut faire attention que la démocratie, chez les islamistes, n'a pas du tout la même notion. Dans le sens de la démocratie chez nous ou dans les pays démocrates, c'est que le peuple lui-même, il va faire ses propres lois, il va faire ses propres concepts pour se gérer lui-même, alors que, chez les islamistes, la démocratie, elle est divine. C'est que la constitution est déjà écrite depuis 14 siècles, il faut juste l'appliquer. Donc, déjà, pour moi, il y a un fossé, une définition qui n'est pas la même pour les deux.

De même pour la laïcité. Quand on dit que la laïcité, c'est la séparation de l'Église et… enfin, de la religion, je ne dirai pas «de l'Église», de la religion et de l'État, chez les islamistes cette séparation n'existe pas, parce que l'État, c'est la religion. Et donc la religion, c'est l'État, et il n'y a aucune différence entre les deux, et on ne peut pas les séparer du moment où le Coran a été interprété dans une charia, qui a été aussi interprétée, etc., et qu'on ne peut pas dévier, on ne peut pas sortir de ce volet-là qui est le volet religieux.

Bon, la dernière petite définition : la liberté, bien sûr. Donc, on parle aussi de liberté. On peut être libre, mais, pour les islamistes, on ne peut être libre que dans une marge très petite, c'est-à-dire ce qui a été omis d'être interdit aussi bien par la religion que par la charia, que par le Prophète, que par… Là, on peut être libre, mais il ne reste plus grand marge pour être libre.

J'aimerais juste définir une petite notion, une autre petite notion. C'est que ce dont on parle et pour lequel on est là — et j'espère qu'on est là tous pour la même cause — c'est l'avenir du Québec, et l'intérêt du Québec, et l'avenir de nos enfants et nos petits-enfants, en mettant de côté avant de rentrer, comme on le fait dans le vestiaire, tout ce qui est intérêt personnel, tout ce qui est intérêt politique, tout ce qui veut consciemment, inconsciemment, volontairement ou involontairement nous mener loin de l'intérêt commun qui est l'avenir du Québec.

Pour les signes religieux, je crois que tout le monde a… Tout le monde est d'accord sur la charte, d'après ce que j'ai vu. S'il y a un petit point sur lequel les gents ne sont pas d'accord, et là tout le monde se bute, c'est les signes ostentatoires. Moi, j'aimerais sécuriser tout le monde pour leur dire : Les signes ostentatoires, les signes religieux qui sont actuellement refusés, et réfutés par les islamistes notamment, ils ont été créés par les islamistes. Alors, je vous étonne? En 711, quand les musulmans arabes ont envahi l'Espagne…

Le Président (M. Morin) : Mme Fourati.

Mme Fourati (Rakia) : Oui?

Le Président (M. Morin) : Il vous reste une minute pour terminer.

Mme Fourati (Rakia) : Bon, je vous dis alors juste ça. Donc, bon, je vais le lire, ça ira plus vite que de bégayer comme je le fais. Donc, en l'an 711, quand ils ont occupé l'Espagne, ils ont instauré une taxe aux non-musulmans appelée la fidya. Cette taxe mettait les Juifs et les chrétiens sous la protection du gouvernement musulman, à l'époque, à la condition qu'ils ne portent pas de signe religieux en société. Donc, c'est clair que c'est eux qui avaient commencé cette notion de signes ostentatoires, bien avant notre charte actuellement dont on parle.

Juste... J'ai beaucoup parlé d'islamistes. Je finis donc mon intervention pour...

Le Président (M. Morin) : …terminé, Mme Fourati, je vous avais prévenue que… Ici, dans cette commission, dommage, ce n'est pas dans mon éducation de couper la parole comme ça, mais je suis forcé. Merci beaucoup, madame...

Mme Fourati (Rakia) : Il n'y a pas de problème. J'aurai l'occasion de le définir.

Le Président (M. Morin) : Merci, Mme Fourati. Bon, maintenant, nous sommes à la période d'échange. M. le ministre, vous avez 22 min 40 s pour discuter avec Mme Fourati.

M. Drainville : Merci beaucoup. Mme Fourati, merci pour votre présentation et puis pour votre mémoire.

Je vais citer un extrait de votre mémoire que j'ai trouvé particulièrement éloquent, alors c'est vous qui parlez, donc : «Si je suis venue vivre au Québec, c'est pour être mieux considérée, pour fuir les islamistes, oublier l'humiliation — l'humiliation, dis-je bien — que véhicule le foulard, pour améliorer mon mode de vie, pour m'intégrer à la société que j'ai choisie, pour défendre ma dignité de femme tunisienne démocrate et progressiste. Si j'ai choisi le Québec, c'est pour ne pas être servie par une femme voilée qui me considère apostate parce que je ne porte pas le foulard, ni par une administratrice qui me rejette parce que je suis une femme libre et démocrate, ni un fonctionnaire qui me dédaigne parce que je suis une "renégate" — entre guillemets dans votre mémoire. Si j'ai choisi le Québec, c'est pour être une femme libre dans un pays laïque, inclusif et égalitaire comme le réclame la charte.»

Quand j'ai lu ce passage-là, je me suis dit : Dans le fond, le message qu'elle nous communique, c'est que la charte, c'est un outil aussi pour se solidariser, des femmes qui un peu partout dans le monde luttent contre l'intégrisme. Est-ce que j'ai bien compris?

Mme Fourati (Rakia) : Parfaitement, parfaitement. Si on est là, à part tout ce que vous avez dit, oui, et que je pense, c'est pour être un peu sous cette tutelle, sous la protection, sous... de l'égalité, de la dignité et de la non-soumission de la femme. Parfaitement, on est là pour ça. Si je leur ai tourné le dos, ce n'est pas pour les voir justement en face de moi actuellement.

M. Drainville : Dans votre mémoire, et ça, c'est important de le dire, hein, dans votre mémoire, vous faites une distinction importante entre les islamistes, qui sont peu nombreux, hein, et la vaste majorité des croyants et des pratiquants musulmans, vous faites une claire... Et je pense que c'est important de toujours la refaire, cette distinction-là. Moi, je dis toujours : La vaste majorité de nos concitoyens musulmans, des Québécois de confession musulmane sont à l'image de tout le Québec. C'est des gens modérés qui veulent travailler, qui veulent bien gagner leur vie, qui veulent être heureux dans la vie. Le courant intégriste, c'est un courant minoritaire, il faut constamment le répéter.

Et là vous ajoutez donc sur les intégristes, vous dites, et je cite : «Les islamistes ne veulent pas s'adapter à la modernisation, au contraire, ils veulent adapter la société dans laquelle ils vivent à leur politique religieuse et à la charia.» Donc, si je vous comprends bien, une des caractéristiques du courant intégriste, c'est de lutter contre la laïcité de l'État. Ça, pour vous, c'est clair. Être intégriste, c'est lutter contre la laïcité de l'État.

Alors, à ce moment-là, est-ce qu'on peut dire effectivement que la charte, parce qu'elle instaure la laïcité de l'État, est un outil pour lutter contre l'intégrisme religieux?

• (9 h 50) •

Mme Fourati (Rakia) : Parfaitement. Merci, M. le ministre, de me tendre la… C'est ce que justement j'allais dire et que M. le Président m'avait dit que je n'avais plus le temps, et là merci de m'avoir permis d'en parler.

Effectivement, je fais une très grande différence entre l'islam et l'islamisme. Bon, l'islam, je le respecte. Moi, je suis d'une famille qui pratique. Je respecte l'islam, ils me respectent. Déjà dans ma propre famille, avec ma propre maman, j'ai instauré des balises depuis très longtemps. Donc, qu'on soit clairs : on peut très bien s'entendre tout en étant athées et musulmans dans une même maison, si on respecte les balises.

La différence, la grande différence, entre l'islam et l'islamisme, c'est que, les musulmans, leur croyance est verticale, ça va entre eux et le bon Dieu. C'est une foi, c'est une croyance qui n'a rien à voir avec ceux qui sont à côté. L'islamisme, c'est une expansion sociale, c'est une politique religieuse qu'ils veulent instaurer, et ils se sentent, et ils pensent, et ils croient qu'ils sont tous des petits prophètes et qu'ils sont tous censés communiquer cette religion aux autres.

Et là je ne veux pas trop m'allonger sur ça, mais il y a beaucoup de versets coraniques qui incitent les musulmans au djihad, c'est-à-dire à faire cette guerre. Même si ce n'est pas une guerre avec les armes, c'est une guerre politique pour instaurer l'islam là où ils vont. Et je pourrais lire un passage : «Quand vous rencontrez les infidèles, tuez-les jusqu'à en faire un grand carnage et serrez les entraves des captifs», etc. «Ne faiblissez donc pas et n'appelez pas à la paix alors que vous êtes les plus hauts, qu'Allah est avec vous. [...]Combattez-les jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'idolâtrie et que la religion soit entièrement à Allah seul. S'ils cessent, donc [...] l'hostilité, sauf contre les injustes.» Et j'en passe, et plusieurs, plusieurs, plusieurs versets qui incitent à cette…

Quand je dis «djihad», je me répète, ce n'est plus avec l'arme, mais ils commencent par le djihad avec la pensée, avec leurs idéologies, avec leurs politiques qu'ils veulent instaurer, parce que du moment où mon voisin n'est pas musulman je suis responsable de lui. Et c'est là l'islamisme dont je parle, qui diffère de l'islam qui est vertical. Là, on va dans l'horizontal. C'est vouloir instaurer et impliquer sa propre idéologie aux autres. Le musulman, le bon musulman, il dira, par exemple, si je lis ce qu'ils disent aussi sur la haine dans certains versets pour séparer les gens, dire : C'est pour ça que tu dois devenir musulman : «Ô croyants! Ne prenez point comme amis les Juifs et les chrétiens; ils sont amis les uns des autres. Celui qui les prendra pour amis finira par leur ressembler, et Dieu ne sera point le guide des pervers.» Bon, moi, quand je lis ça à maman, par exemple, je lui dis : Maman, tu es croyante, tu es religieuse, tu es pratiquante, tu fais tes prières et tout. Pourquoi ton Dieu, il dit ça? Elle me dit : Non, il a dû le dire dans un contexte que nous, êtres humains, on ne comprend pas, donc, ma fille, je ne m'applique pas dans ce qu'on ne comprend pas, ce que Dieu peut insinuer autrement, etc. Ça, ce sont les musulmans. Ils prennent ce qu'ils comprennent, ce qui est, pour eux, positif, ce qui peut les aider à évoluer dans leur foi et non pas à nuire aux gens qui sont à côté ou la société dans laquelle ils vivent. Et c'est ça, la grande différence entre l'islamisme et l'islam.

M. Drainville : C'est-à-dire que la majorité de ceux qui pratiquent la religion musulmane vont adapter le texte aux circonstances d'aujourd'hui et ils vont l'adapter de façon générale, dans un sens qui vise le respect des autres, l'harmonie dans une société, etc., ils ne prendront pas le texte au pied de la lettre, un peu comme l'a dit votre mère, qui dit : Dans le fond, c'est un texte qui a été écrit à un autre moment. Dans les circonstances où il a été écrit, il voulait dire certaines choses, mais, dans le contexte d'aujourd'hui, il faut l'ajuster, il faut l'adapter. Et donc il faut donc, comment dire, s'inspirer de ce texte-là pour l'ajuster à une vie en société qui se veut harmonieuse, qui se veut porteuse de respect, de sérénité, d'amour, d'amour.

Mme Fourati (Rakia) : Oui, et d'amour, et de pardon, et de tolérance, de tolérance aussi. De dire que les autres ne sont pas comme moi, ça ne veut pas dire que je ne suis ni responsable d'eux, etc.

Mais j'insiste aussi pour dire qu'on est nombreux, nombreux et nombreuses à être ici et qui pensent comme moi. Il ne faut pas… Peut-être parce qu'on ne leur a pas donné la chance de s'exprimer ou de passer dans les médias pour dire ce qu'ils pensent, mais nombreux sont les gens musulmans qui sont ici et musulmanes qui sont ici comme moi qui pensent qu'on est là pour justement vivre cette tolérance d'être croyant, plus croyant, moins croyant, ayant plus de foi, moins de foi, etc., sans pour autant subir cette politique intégriste qu'on nous impose chez nous, d'une part. Et, d'autre part... Oui?

M. Drainville : Juste... Excusez-moi de vous interrompre, c'est parce qu'il y a une question que je veux vraiment vous poser, puis je m'inspire toujours de votre mémoire, là, parce que ça va faire un lien avec ce que vous vous apprêtiez à dire. Je m'excuse de vous avoir interrompue. Vous pourrez reprendre votre idée, si vous le souhaitez.

Vous dites dans votre mémoire : «On aime toutes et tous le Québec, sa culture, ses principes et ses valeurs, c'est ainsi que la charte des valeurs ne doit pas être comprise comme réaction au présent, mais comme prévention de l'avenir. Elle est préventive et essentielle pour garantir la neutralité, l'objectivité et la laïcité d'un Québec libre, égalitaire et juste.» Fin de votre citation. Et, d'une certaine manière, la position, quand j'ai lu votre mémoire, je me suis dit : Elle rejoint la position du sociologue Guy Rocher, qui disait vendredi dernier à l'émission 24/60, je cite Guy Rocher : «Moi, je trouve que c'est quand il n'y a pas d'urgence que c'est nécessaire d'agir et de réagir en prévision, mais on doit faire cette charte dans un moment où on n'est pas dans une crise religieuse.» Fin de citation de Guy Rocher.

Alors, pourquoi, pourquoi cet aspect préventif qui transpire de votre mémoire et qui est repris par Guy Rocher? Pourquoi, en d'autres mots, c'est important d'agir maintenant?

Mme Fourati (Rakia) : Écoutez, c'est important. De toute façon, quand on commence... Je vais vous donner des chiffres pour ça. Vous savez qu'au Canada actuellement il y a 650 000 musulmans, ça représente 1,9 % de la société, en Belgique, 638 000, et ça représente 6 %, alors qu'en France ils sont 4 704 000, et ça représente 7,5 %. Moi, je pense que, si la France que j'ai vécue, les années 70, avait pris des précautions, avait fait des balises, avait étudié le problème depuis ces années-là, quand ils sont arrivés à ce chiffre-là, il n'y aurait pas eu de problème de… ils n'auraient pas eu ces problèmes qu'ils vivent actuellement, c'est-à-dire que tout le monde aurait su dès le début à quoi il s'en tient, pourquoi il est là, en allant vivre en France à quoi je m'attends, qu'est-ce que je peux faire et qu'est-ce que je ne peux pas faire.

Avant de venir au Québec, on sait qu'il neige, et qu'il fait très froid, et que, si on n'est pas habitué au froid, on ne pourrait pas venir ici. Quand on sait qu'au Québec c'est la laïcité, qu'il y a un régime politicosocial qu'il faut suivre, que la culture du pays, elle est comme ça… Il faut le savoir. Si on est d'accord, on vient; si on n'est pas d'accord, on ne vient pas. Donc, c'est dans ce sens-là qu'il faut être préventif, pour l'avenir. Et c'est ce que j'avais dit au début. Ce qui nous intéresse surtout, c'est l'avenir du Québec. Ai-je répondu à votre question, monsieur?

M. Drainville : …je veux qu'on parle des signes religieux ostentatoires, si vous me permettez, parce qu'on a eu plusieurs exemples, depuis le début de la commission, de... enfin, des personnes qui sont venues nous dire : Le port d'un signe religieux ostentatoire par un employé de l'État peut miner la confiance que j'ai envers cette personne. Alors, il y a Michelle Blanc, la semaine passée, qui nous a donné l'exemple d'un jeune homosexuel qui serait rejeté de sa communauté pour des raisons religieuses, qui viendrait rencontrer une infirmière, irait rencontrer une infirmière ou un psychologue qui porte le signe religieux ostentatoire de la même communauté qui l'a rejeté, et donc qui se sent, par le fait même, rejeté dans le rapport qu'il a, immédiatement, avec cette personne. On a eu un autre témoignage, Mme Radia Kichou, témoignage très courageux, qui nous a dit notamment qu'elle s'était rendue à l'hôpital puis, à un moment donné, elle devait répondre à sa nutritionniste, elle devait répondre à des questions sur sa consommation d'alcool, puis elle a pris la peine de dire : Moi, je ne consomme pas d'alcool plus que... enfin, c'est très raisonnable, c'est très modéré, je n'ai pas de problème d'alcool, mais elle dit : Le fait que j'étais en présence d'une stagiaire qui portait le voile m'a beaucoup, beaucoup mise mal à l'aise, et je n'ai pas osé parler de ma consommation d'alcool devant elle parce que je sais... enfin, je crains, à partir d'où moment où elle porte le voile, qu'elle me condamne dans ma consommation d'alcool, donc je ne me suis pas sentie à l'aise pour en parler devant elle.

Est-ce que vous pouvez nous expliquer davantage, peut-être en nous donnant des exemples, comment le fait d'être servi par une personne qui porte un signe religieux ostentatoire, par un employé de l'État, donc, qui porte un signe religieux ostentatoire, peut avoir un impact sur la personne qui demande un service ou qui s'adresse à elle?

• (10 heures) •

Mme Fourati (Rakia) : Parfaitement, M. le ministre, et je vais répondre d'une façon même plus globale. Je dirais que le regard que les islamistes ont sur les femmes islamistes… musulmanes, pardon, est très différent du regard qu'ils ont, les islamistes, sur une femme non musulmane, c'est-à-dire que nous, déjà, en tant que musulmanes, nées musulmanes — ce n'est pas un choix, on est nées musulmanes — ils se sentent responsables un peu de nous et ils nous blâment dans tout ce qu'on fait, ils nous condamnent, ils nous sous-estiment, ils nous…

Ce que j'ai vécu en Arabie saoudite, je ne souhaiterais pas à une autre femme de le vivre. Moi, j'ai été convoquée en Arabie saoudite une fois dans un… au ministère de la Santé, parce que je travaillais dans une clinique. Et j'ai été convoquée par l'intermédiaire de mon mari, d'abord, ce n'est même pas moi qui devais y aller, mon mari devait m'accompagner. Et le monsieur qui me regardait, on était assis là, il s'adressait à mon mari pour me parler à moi. Et à certains moments j'avais donc le foulard, là, que je portais qui glissait, malheureusement, parce qu'il glisse toujours, comme inconsciemment je le refuse. Il me parlait à moi en regardant mon mari et, moi, quand je le regardais pour répondre, il regardait mon mari en m'écoutant. C'est-à-dire que je n'existe même pas, dans la tête de ces gens-là, en tant que musulmane qui n'ait pas le foulard complètement fermé. Vous voyez ce que je veux dire?

Donc, le regard qu'ils ont sur nous, musulmanes, est beaucoup plus sévère, et il n'est pas senti de la même façon… Une Québécoise ne sentirait pas ce regard-là que moi, je sens. Une Québécoise ne sent pas cette humiliation de voir une femme voilée comme moi, je le ressens. Là, c'est la culture, c'est profond. C'est parce que j'ai toujours été éduquée, depuis que je suis jeune, que, si tu ne portes pas le foulard, tu vas être une mauvaise femme dans la société, tu vas être une mauvaise musulmane, tu ne dois pas faire ci, tu ne dois pas faire ça, donc, ou pour l'alcool ou pour tout, pour toute autre considération. Ce qui fait qu'en grandissant il y a deux choses : soit c'est le moi, donc c'est mon identité, le moi qui l'emporte pour dire : Je laisse de côté tout ça, je vis mon moi et je… ou alors c'est le surmoi, c'est l'identité sociale qui va l'emporter et qui va piétiner sur ma liberté.

Et ce que moi, j'ai vécu, je prends en exemple… Par exemple, je sais que M. Couillard a travaillé en Arabie saoudite. Il ne pourra jamais sentir ni connaître la réalité des choses comme moi, je l'ai connue en ayant vécu sept ans là-bas parce que lui, quand il mange, il mange avec les hommes; il ne sait pas que la femme, elle attend à côté que les hommes terminent de manger pour qu'on leur donne à manger après. Dans la rue, il ne sait pas qu'il y a la police religieuse avec un petit bâton qui vient me donner des coups sur les jambes quand mon foulard tombe ou quand je regarde… ça m'arrive de regarder quelque chose… qu'on te tape avec un petit bâton sur… Tout ça, un homme ne peut pas le vivre, c'est la femme qui les vit, et c'est la femme musulmane.

M. Drainville : Mme Fourati, il me reste seulement quelques minutes. Permettez-moi de me faire un peu l'avocat du diable, si je peux encore utiliser cette expression — je pense que oui. Les gens vont dire : Mais l'Arabie saoudite, ce n'est pas le Québec. Ils vont dire : L'Arabie saoudite, ce n'est pas le Québec, Mme Fourati, vous exagérez, etc. Il y a…

Mme Fourati (Rakia) : …l'Arabie saoudite, ça reste l'objectif des islamistes qui sont au Québec, que ce soit l'Arabie saoudite ou, pour certains, d'autres références, mais ça reste, pour eux, leur objectif. Les islamistes qui sont au Québec, ils ne sont pas différents des islamistes qui sont en Tunisie, des islamistes qui sont en Arabie saoudite et des islamistes qui sont ailleurs, et leur objectif et leur idéologie est la même partout et n'importe où. Donc, si le Québec ne ressemble pas à l'Arabie saoudite, les islamistes du Québec ressemblent aux islamistes d'Arabie saoudite, et c'est là où ils veulent en arriver, et c'est là où nous, on ne les laisserait pas faire. Et vous pouvez compter sur les femmes musulmanes qui vivent ici, qui ont connu cette répression, qui ont connu cette soumission… Et je comprends, et je salue, et j'applaudis Mme Houda-Pepin, qui a sûrement vécu ça, qui est consciente de ce problème-là et qui a dit non parce qu'elle connaît les dessous de la table, elle sait. Mme Djemila Benhabib, pareil. Comme moi, elle connaît, et comme Mme Pepin, les dessous de la table. Elle sait ce que ces gens-là nous réservent, et où ils veulent en arriver, et ce qu'ils veulent faire. Donc, ces gens-là, je les applaudis de laisser de côté tous leurs intérêts, qu'ils soient politiques ou autres, pour l'intérêt du Québec, qui est notre seul objectif, que je répète, parce qu'on aime le Québec.

M. Drainville : C'est important, ça fait quelques fois que vous y faites référence. Vous dites : Il y a beaucoup de néo-Québécoises, de Québécoises donc nées ailleurs… Notamment, vous, vous êtes née en Tunisie, mais Djemila, c'est en Algérie; Fatima, c'est au Maroc. Bon, vous dites : Il y a beaucoup de femmes néo-Québécoises qui sont pour, en tout ou en partie, la charte parce qu'elles comprennent pourquoi cette charte est nécessaire. Et je trouve très souvent, dans ce débat-là, qu'on essaie de faire une distinction entre les Québécois d'origine française et les autres Québécois en disant : Il y a un fossé entre les deux, alors que la majorité des néo-Québécois et néo-Québécoises qui sont venus en commission, jusqu'à maintenant, sont venus appuyer la charte comme vous.

Est-ce que ça vous fatigue, vous, parfois, cette espèce de généralisation à laquelle se livrent les médias en disant : Ah! bien les Québécois d'adoption, en général, là… Ou même ils ne prennent même pas la peine de dire «en général», souvent ils vont dire : Les néo-Québécois, là, les Québécois de récente génération, eux autres sont tous contre la charte, puis c'est les Québécois de souche qui sont pour la charte. Moi, j'ai un problème, personnellement, avec ça, là. D'abord, je pense que tous les Québécois sont égaux puis je n'aime pas tellement cette catégorisation, mais de faire dire que… de dire que les néo-Québécois, néo-Québécoises sont contre la charte, moi, je pense que c'est…

Mme Fourati (Rakia) : …M. le ministre, les Québécois de souche qui aiment le Québec plus moi. Donc, pour moi, il n'y a pas de degré d'être un Québécois. Il y a l'intérêt du Québec qui nous unit, et c'est là où on est tous Québécois. Qu'on soit de souche, néo, rétro, tout ce que vous voulez, c'est ça qui nous unit et qui nous relie. D'accord? Merci.

M. Drainville : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Merci beaucoup.

Le Président (M. Morin) : Merci, M. le ministre. Maintenant, au député de LaFontaine.

M. Tanguay : Pour combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Morin) : Vous avez, excusez-moi, M. le député, 18 min 10 s.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Bon matin, Mme Fourati. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de rédiger le mémoire et, ce matin, de venir nous… de répondre à nos questions, nous en faire la présentation et répondre à nos questions.

Vous l'avez bien précisé, vous êtes l'une des 20 signataires du mémoire… pas du mémoire mais de la lettre des Janette, je pense que c'était en octobre, le 17 octobre dernier. Vous savez qu'il y aura un mémoire qui sera déposé par rapport aux Janette, un mémoire sera déposé et qui traduira… Et nous en avons reçu copie. Il n'est pas encore public, mais nous avons déjà reçu copie, les députés, de ce mémoire qui se veut la traduction de la vision et de l'argument présentés par les 20 Janette, si je puis dire.

Est-ce que vous êtes d'accord avec moi que ce mémoire que les Janette… qui sera déposé traduit donc votre vision et votre argumentaire?

Mme Fourati (Rakia) : Bien, si je suis avec eux, c'est que je suis d'accord avec eux, oui.

M. Tanguay : O.K. Avez-vous participé à la rédaction du mémoire des Janette?

Mme Fourati (Rakia) : On a participé dans l'esprit général dans lequel va être écrit le mémoire, oui.

M. Tanguay : Il est déjà déposé depuis décembre. Avez-vous eu une rencontre de travail quant à sa rédaction?

Mme Fourati (Rakia) : Oui, on a souvent des réunions.

M. Tanguay : Vous dites «souvent». Donc, à quelle fréquence ou à quel moment?

Mme Fourati (Rakia) : On s'est réunies… Enfin, chaque fois qu'on a besoin de se parler, on se réunit. Mais je… Oui, mais…

M. Tanguay : Et donc ce matin — et dernière question sur le sujet — le mémoire que nous entendrons — et nous n'avons pas encore de date — qui sera présenté pour les Janette, est-ce que vous en avez eu la lecture? Est-ce que vous l'avez lu?

Mme Fourati (Rakia) : On me l'a lu, franchement, oui, on me l'a… Mais je ne vois pas où vous voulez en arriver.

• (10 h 10) •

M. Tanguay : Je veux juste savoir… Je veux juste savoir jusqu'à quel point…

Des voix :

M. Tanguay : M. le Président, est-ce que…

Le Président (M. Morin) : Oui. Continuez, M. le député de LaFontaine. S'il vous plaît!

M. Tanguay : Merci. J'aimerais savoir jusqu'à quel point votre mémoire que vous nous présentez est un complément du mémoire des Janette qui sera présenté.

Mme Fourati (Rakia) : Franchement, ce que moi, j'ai présenté, je l'ai présenté… Un beau jour, j'ai pris mon ordinateur, je me suis dit : J'ai envie de m'exprimer et j'ai envie de le faire. D'accord? Donc, ce n'était pas du tout en rapport avec les 20 Janette, et elles ne savaient même pas peut-être à l'époque, oui, elles ne savaient pas que moi, je voulais aussi témoigner.

M. Tanguay : Merci beaucoup. J'aimerais… Mme Fourati, vous avez dit un peu plus tôt que la charte… le projet de loi n° 60 est préventif. Donc, reconnaissez-vous qu'au Québec présentement il n'y a pas de crise, actuellement?

Mme Fourati (Rakia) : C'est-à-dire qu'il y a les symptômes de la crise que moi, j'ai vécue dans d'autres pays, donc notamment la France, l'Égypte et la Tunisie.

M. Tanguay : Quels sont-ils?

Mme Fourati (Rakia) : Ces prémisses? Alors, c'est le... bien, le voile, franchement. Vous savez, pour moi, le voile, pour les islamistes, c'est comme un thermomètre à mettre dans la société pour voir à quel point on est pour, on est contre, comment on réagit, comment… C'est leur baromètre. Il y a déjà ça.

Il y a les écoles qui se forment en petits groupes, ça commence… vous savez, même dans des familles, on met quelques filles ensemble très jeunes, on commence à leur inculquer l'islam, les versets coraniques à apprendre par coeur, le foulard, etc. Moi, j'ai assisté hier à… enfin, j'ai assisté… j'ai regardé une vidéo où j'avais presque les larmes aux yeux de voir comment on fait ici, au Québec, hein, à Montréal-Nord, comment on fait jurer à des petites filles entre 10 et 13 ans de porter le voile toute leur vie, et qu'elles jurent sur le Coran. Pour moi, ça y est. Ces filles-là, elles sont bloquées dans leur tête. Comment voulez-vous qu'elles grandissent… Même si un jour, elles veulent l'enlever, ça y est, elles ont fait un pacte. Elles ont promis à Dieu, elles ont juré sur Dieu qu'elles ne vont plus enlever le foulard. Vous vous rendez compte? Les écoles, l'instruction qu'on me donne, le message qu'on passe, tout ça, ce sont, pour moi, des symptômes alarmants pour que les intégristes s'installent, y mettent les pieds et commencent à mettre leurs outils.

C'est vrai que ce n'est pas encore très flagrant au Québec. Et j'ai bien donné, tout à l'heure, les statistiques, c'est parce qu'ils ne présentent pas encore un grand chiffre… Non, excusez-moi, j'ai donné les statistiques des musulmans, mais, comme on ne peut pas non plus savoir parmi les musulmans, dont je fais partie, qui est islamiste, intégriste, qui ne l'est pas, nous, on fait des balises, on fait une charte, on fait des lois pour tout le monde. Ceux qui les respectent, c'est qu'ils sont donc comme nous. Ceux qui ne les respectent pas, c'est qu'ils ont des arrière-pensées.

M. Tanguay : Êtes-vous d'accord avec la proposition par laquelle il serait intéressant — puis je suis persuadé que oui — de faire des études par rapport à cela, autrement dit faire une sorte d'état des lieux au Québec? Puis effectivement vous soulignez des exemples tangibles quant à cette préoccupation-là, on ne veut pas de montée d'intégrisme. Êtes-vous de celles qui croyez qu'il serait réellement intéressant et important de faire des études plus poussées, plus approfondies pour faire en sorte justement de bien traduire l'ampleur de ce qui est cette préoccupation et quel est le modus operandi et le modus vivendi de ces personnes? Seriez-vous intéressée à ce qu'il y ait des études sur le phénomène au Québec?

Mme Fourati (Rakia) : Moi, j'estime que l'étude qui a été faite par monsieur… Moi, je la prends beaucoup plus comme étude que comme charte ou… l'étude qui a été faite par MM. Bouchard et Taylor. C'est une des études, pour moi, sociales qu'on pourrait élaborer, améliorer.

Et je ne sais pas si la loi ici nous permet de faire ce genre d'étude, parce que ça reste peut-être ethnologique. On a le droit de faire des études sur le nombre de musulmans, par exemple, ou le nombre de Juifs, quel sont ceux qui pratiquent, quels sont ceux qui ne pratiquent pas? Est-ce qu'on a le droit ici de le faire?

M. Tanguay : Mais la loi n'enlèvera et ne donnera jamais au gouvernement ce qui est sa prérogative la plus complète que de lancer de telles études à travers les différents organismes qui…

Mme Fourati (Rakia) : C'est interdit, donc.

M. Tanguay : Non, ce n'est pas interdit, au contraire.

Mme Fourati (Rakia) : Ce n'est pas interdit, donc?

M. Tanguay : La loi ne crée pas cette opportunité-là, elle a toujours existé pour le gouvernement, de pousser des études. Et, j'imagine, vous seriez d'accord si le gouvernement décidait d'investir pour que l'on puisse analyser, justement, et pousser les études quantifiables au point de vue quantitatif et qualitatif, n'est-ce pas?

Mme Fourati (Rakia) : Mais l'un n'empêche pas l'autre, M. le député. Je ne vois pas…

M. Tanguay : L'autre étant quoi?

Mme Fourati (Rakia) : L'autre, c'est d'instaurer des balises, de faire une charte, de faire des lois. Et, parallèlement, pour voir comment ça va évoluer, pourquoi ne pas faire des études? L'un n'empêche pas l'autre, je ne vois pas…

M. Tanguay : Mais vous seriez heureuse qu'il y en ait d'ores et déjà, n'est-ce pas, des études, même si l'un n'empêche pas l'autre?

Mme Fourati (Rakia) : Je n'ai pas compris votre question, excusez-moi.

M. Tanguay : Des études, vous les salueriez, s'il y avait des études qui analyseraient le phénomène, n'est-ce pas?

Mme Fourati (Rakia) : Oui.

M. Tanguay : Croyez-vous que ce serait important également que l'on puisse, aux points de vue quantitatif et qualitatif, étudier le phénomène?

Mme Fourati (Rakia) : Mais bien sûr. Commençons par étudier ce qui se passe dans ces écoles-là. Commençons par sauver ces enfants à qui on fait des bourrages de crâne, ces petites filles à qui on dit : Si des fois il y a une mèche qui dépasse de tes cheveux, le bon Dieu va te prendre par les cils, il va t'accrocher au ciel, il va te faire passer… Commençons par sauver déjà une étude là-dessus, les études sur les écoles. Quand Mme Djemila Benhabib a voulu faire cette étude, quand elle a commencé à dénoncer et à en parler, vous voyez un peu ce que ça a donné comme remous. Donc, au contraire, il faut la blinder, il faut l'épauler, il faut l'aider. Il faut dénoncer ces gens-là. Ce n'est pas normal, ce n'est pas normal qu'on vienne, à une petite fille, lui dire : Si tu fréquentes un chrétien ou un Juif, tu iras en enfer, on te fera… si tu fais ça. Ce n'est pas normal.

M. Tanguay : Et vous avez dit que… vous avez cité Mme Djemila Benhabib, qui avait soulevé le point et qui, vous avez dit, là, je vous paraphrase, avait soulevé tout un tollé, et tout ça. Croyez-vous également que ça participe de la responsabilité du gouvernement, justement, de rendre compte de l'état actuel des lieux et de faire en sorte que… Et vous le voyez. Sur cette charte du Parti québécois, l'interdiction de signes est le point réellement de division. Sur tous les autres aspects, entre autres des balises strictes aux accommodements pour qu'ils soient raisonnables, tout le monde s'entend. Réellement, c'est cette interdiction des signes. Croyez-vous que le gouvernement a un rôle majeur à jouer, important, justement, d'éduquer, d'informer et d'instruire? Le croyez-vous?

Mme Fourati (Rakia) : Mais bien sûr. Bien sûr, pourquoi pas? Bien sûr.

M. Tanguay : Tout à fait. Et croyez-vous que présentement le gouvernement a assez fait, justement, pour éduquer la population?

Mme Fourati (Rakia) : Non. Personnellement, je ne trouve pas qu'actuellement, ni sur le plan médiatique, ni sur le plan instructif, ni sur le plan éducatif, ni sur le plan… On n'est pas en train, comme vous l'avez dit, ni de faire d'étude, ni de dénoncer ces gens-là, ni de les arrêter pour dire : On vit dans une société, mais, rendez-vous bien compte, on vit dans une société laïque. Et moi, j'ai l'impression par moments, quand je vois des vidéos qui se passent ici, que je vis encore en Arabie saoudite, ou en Tunisie actuellement, ou en Égypte actuellement, vous voyez, et ça m'effraie. Ça m'effraie parce que, oui, dans le temps, on n'était pas comme ça en Tunisie, on n'était pas comme ça en Égypte, et petit à petit on en est arrivé là. Et, si on se laisse faire ici, petit à petit on va les rejoindre.

M. Tanguay : Et votre point est extrêmement important. Aussi importante est la préoccupation, effectivement, de faire face à cette montée, le cas échéant. C'est important d'y faire face, mais c'est important également d'y faire face avec une certaine unité, que l'on n'a pas présentement.

Est-ce que vous déplorez le fait que présentement l'on se divise par rapport à cette question d'interdiction des signes? Et ne croyez-vous pas justement que, pour faire face à cette importante préoccupation là, l'on ne devrait pas se diviser mais s'unir parce que le travail est de tâche... est lourd?

• (10 h 20) •

Mme Fourati (Rakia) : Exactement, parce qu'on se divise… et c'est bien ce que j'avais dit tout à l'heure, on se divise pour des intérêts qui sont peut-être politiques, qui sont peut-être personnels, qui sont… et c'est là où il y a danger. Je vous assure que les islamistes chez nous, en Tunisie notamment, s'ils ont gagné, c'est parce qu'ils travaillent pour un seul Dieu, pour un seul objectif, pour une seule personne, donc ils sont unitaires, ils sont uniformes, ils travaillent en bloc. Moi, je suis pour la diversité politique, pour qu'il y ait tel parti, tel parti, etc., mais, pour l'intérêt du Québec, je ne parle plus de divisions politiques, je parle d'un objectif commun.

M. Tanguay : Merci beaucoup. Je vais laisser, Mme Fourati, ma collègue poser des questions. Merci beaucoup.

Le Président (M. Morin) : Oui, allez-y, Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Bonjour, Mme Fourati. C'est fort intéressant, votre intervention, et je pense que ce que vous dites, c'est exactement... je veux dire, tout le monde dans la société québécoise a les oreilles ouvertes, on est tous en train de regarder ça, et l'identité québécoise dans ses valeurs et de préserver cette société ouverte, forte, tolérante et prospère, c'est vraiment, comment dire, la mission, la vision de tous. Moi, je pense que tous les Québécois partagent ça, et donc c'est : Comment fait-on pour justement s'assurer qu'on préserve ces valeurs? Quelles sont les meilleures stratégies? Et ça va beaucoup dans le sens de mon collègue. Ça prend d'abord un bon diagnostic avant de proposer le remède, parce que, si, le remède, on n'a pas tout le monde ensemble, on pousse ensemble dans la même direction, ça crée cette rupture. Parce que, il faut comprendre, on a des règles de droit, c'est une société libre et démocratique. Alors, je vais aller dans ce sens-là de ce diagnostic.

Comment on pourrait et par des mesures structurantes… J'aimerais vous entendre sur ces petites filles, justement, et comment on va trouver de meilleures... des actions structurantes et proactives pour nous adresser à ce que vous dites, parce que l'égalité hommes-femmes, ça passe par ça. Et là, ensuite, j'irais à une autre... donc une réponse assez courte et une deuxième question sur l'impact des mises à pied, des congédiements franchement massifs sur la société et l'inclusion, j'aimerais vous poser une question dans un deuxième temps. Alors donc, quel type de mesure plus... Parce que la charte, vous convenez, ne propose pas de mesure dans ce sens-là.

Mme Fourati (Rakia) : La charte, déjà, elle met les balises dont tout le monde est d'accord.

Une voix :

Mme Fourati (Rakia) : D'accord, d'accommodement. Maintenant, si j'ai bien saisi votre question, c'est : Qu'est-ce qu'on peut faire de plus?

Mme Weil : Ou de vrai.

Mme Fourati (Rakia) : Ou de concret?

Mme Weil : De concret, oui.

Mme Fourati (Rakia) : D'accord. Beaucoup, sauf qu'il faut commencer par le commencement. Moi, je dirais que, la charte, c'est vrai qu'elle n'a pas été jusqu'au bout, mais, pour l'instant, déjà quand la charte passe, quand les choses sont claires, il va y avoir beaucoup... C'est comme le premier pilier d'une fondation. Après, il va y avoir la structure qui va monter tout autour notamment, notamment.

Et là aussi j'ouvre une autre petite parenthèse, le contexte de l'immigration, parce qu'aussi ces gens-là qui viennent, dont je fais partie... Moi, vous savez, je vais vous raconter ma propre histoire ici, vous allez rire. Quand je suis arrivée, on m'avait demandé mes notes pour voir si j'ai l'équivalence, etc. Mon fils qui était à Paris a été voir à la Pitié Salpêtrière pour chercher mes notes, on lui a dit : Il y a 40 ans qu'on n'a plus de... gardé les archives. D'accord? Donc, tout ça, ça altère beaucoup dans l'intégration sociale. L'immigration a un grand rôle à jouer pour que les gens, avant de venir, non seulement ce que j'avais dit, qu'ils sachent à quoi s'en tenir. Comme ils savent qu'il y aura la neige en hiver, il faut qu'ils sachent si leur diplôme est reconnu, il faut qu'ils sachent qu'il y a laïcité, il faut qu'ils sachent qu'ils ne pourraient pas porter le foulard dans le travail, etc. Il faut qu'ils sachent beaucoup de choses, d'accord, l'immigration. L'éducation, l'éducation, il faudrait que ces écoles-là coraniques, ces écoles-là qui se permettent de construire des futurs petits intégristes dans le monde… qu'elles soient contrôlées.

Mme Weil : Bon, merci, Mme Fourati. Bon, l'inquiétude qui est exprimée actuellement, puis je vais vous citer l'Hôpital général juif, il y a un médecin juif fort apprécié en neurologie, Dr Schondorf, qui dit qu'il va quitter si l'interdiction est adoptée. C'est un exemple. Il y a M. Sanjeet-Singh Saluja, un médecin sikh au Centre universitaire de santé McGill, qui dit qu'il… il évoque son départ possible. Il y a beaucoup de, ce que je pourrais appeler, dommages collatéraux. Mais il y a beaucoup de femmes qui portent le voile, très intégrées, très professionnelles, très compétentes, qui travaillent partout dans le réseau de la santé et des services sociaux au gouvernement. C'est des femmes qui participent pleinement au développement économique et social du Québec. Elles sont venues, les règles du jeu étaient les règles du jeu qu'elles connaissaient, et soudainement elles vont être écartées.

Avez-vous une inquiétude par rapport à l'impact de ces mesures si drastiques, si rapides et si tranchantes pour faire évoluer la société québécoise dans le bon sens de la prospérité, de l'ouverture, parce que, pour... alors qu'on pourrait lutter contre l'intégrisme...

Le Président (M. Morin) : Je m'excuse, je me dois d'intervenir, le temps est écoulé.

Mme Weil : Ah bon?

Le Président (M. Morin) : Je passerais la parole à madame de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Pour combien de minutes, je vous prie?

Le Président (M. Morin) : Oui, c'est vrai, j'oublie toujours. 4 min 35 s.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup. Mme Fourati, merci beaucoup pour votre mémoire. Je trouve excessivement intéressant d'entendre parler des gens qui parlent de leur expérience personnelle, du vécu personnel, qui ont connu effectivement le sujet dont nous parlons ici. Quoique la charte du ministre est beaucoup plus large que l'intégrisme, on parle de laïcité de l'État.

Vous parlez dans votre mémoire, et on a commencé à aborder la question avec la collègue de la première opposition… Vous parliez d'immigration. Et vous avez écrit quelque chose, et je vais vous citer, parce que j'aimerais que vous élaboriez davantage. Vous dites...

Mme Fourati (Rakia) : ...quelle page, s'il vous plaît?

Mme Roy (Montarville) : Oui, oui, pardonnez-moi, la page 4. Alors, la page 4, deuxième paragraphe, je vous cite, vous dites : «…je suggère une immigration plus étudiée et plus sélective aussi bien sur le plan professionnel que sur le plan moral et psychologique, prenant en considération la capacité et la volonté de chacun à vouloir s'intégrer en respectant les droits de toutes et de tous.» Pourriez-vous élaborer? Comment pourrait-on arriver à faire ça? Parce que, là, on est rendus dans la subtilité, là. Comment décider si un immigrant a cette volonté morale?

• (10 h 30) •

Mme Fourati (Rakia) : Oui, effectivement, là on tombe... Mais, que j'avais dit, l'immigration, il y a beaucoup de volets dans l'immigration qui doivent être révisés, entre autres la demande. Si on coche quatre cases oui, deux cases non, on a le droit de vivre ici. Si c'est trois non... Ce n'est pas ça, l'intégration. Ce n'est pas ça, pour moi, une demande pour être... Ce que je suggérerais, c'est une étude plus approfondie. Je n'ai pas la prétention de la faire comme ça, j'en parle, c'est tout. C'est une étude plus approfondie de l'intégration, de l'immigration pour qu'ils soient mieux intégrés, les gens qui viennent, notamment, oui, une séance pour discuter avec ceux qui sont censés venir vivre ici, voir leur capacité, leur aptitude à vouloir réellement s'intégrer, pouvoir vivre dans une société laïque; qu'est-ce que c'est, la laïcité.

Vous savez que, chez nous, la laïcité, c'est l'athéisme, hein, il ne faut pas trop se... Je vous le dis. Comme dans notre processus la religion, c'est l'État, la religion, c'est la politique, la religion, c'est tout, donc, la laïcité, c'est l'athéisme, il n'y a pas de... Donc, il faut, ces gens-là, avant qu'ils viennent, qu'ils sachent tout ça. Il ne faut pas qu'ils viennent juste parce qu'on leur a interdit le foulard chez eux, qu'ils ont été mis en prison, ils viennent ici, donc, des réfugiés politiques qui n'ont pas pu vivre chez eux parce que c'est interdit et qui veulent l'appliquer ici, ou des gens qui viennent et qui... juste pour l'intérêt économique, sans savoir s'ils vont réellement pouvoir s'intégrer ou pas, des gens qui viennent avec des diplômes et, quand ils arrivent ici, on leur dit : Vos diplômes ne sont pas reconnus, des gens qui viennent avec le niqab, et, quand ils arrivent, on leur dit : Le niqab est interdit. Tout ça, c'est à revoir à la base, avant qu'on parle d'immigration.

Mme Roy (Montarville) : Est-ce qu'il me reste un peu de temps?

Le Président (M. Morin) : Oui. Moins d'une minute.

Mme Roy (Montarville) : Parfait. Vous parliez de symbole, hein, la symbolique, la symbolique du voile, et vous dites également, dans votre mémoire, le voile et la barbe. Parlons-en, de la barbe, parce qu'actuellement le projet de loi n° 60 ne touche pas à la barbe. Vous qui avez vécu dans ces pays, ça signifie quoi? Comment l'identifier? Puis qu'est-ce qu'on devrait faire ici?

Mme Fourati (Rakia) : Bon, je vais vous dire, il n'y a pas que la barbe, il n'y a pas que le foulard qui sont des signes ostentatoires. Il y a beaucoup plus que ça, et le plan est très là. Et d'ailleurs même les hommes, entre nous, ils ont aussi comme le foulard pour ce qu'on appelle cacher la «awra», pour cacher les parties qui ne doivent pas être visibles pour un homme. L'homme aussi, il a des parties qu'il doit cacher pour les femmes, qu'il n'a jamais respecté, sinon il ne pourrait pas faire du soccer, du football, etc., voilà…

Le Président (M. Morin) : Merci. Merci de votre réponse. Ça me désole, j'ai de la misère avec ça, mais c'est comme ça. Donc, M. le député de Blainville.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. Bonjour, madame. Écoutez, j'écoutais depuis la semaine dernière, là, les… j'allais dire les gens qui sont défavorables, là, nécessairement, à cette loi-là. Ils nous disent souvent — comme l'a fait d'ailleurs le député de LaFontaine tout à l'heure, il vous a questionnée sur le point de vue — qu'il devrait y avoir des études pour évaluer l'ampleur du phénomène, combien de personnes seraient touchées. Et je pense que ce que j'ai compris de vous, c'est qu'effectivement on devrait pousser plus loin, avoir des études, mais ma question est beaucoup plus directe : Est-ce qu'on devrait attendre d'avoir des études avant de passer le projet de loi ou on ne devrait pas attendre?

Mme Fourati (Rakia) : Non, il faut commencer par le projet de loi, et après les études viendraient, comme je vous dis, comme structures autour de ce pilier-là. Après, les études nous diraient comment il faut faire pour l'immigration. Après, les études nous diraient comment il faut faire pour ces écoles-là qui sont ouvertes, qui sont coraniques et qui ne sont pas contrôlées sur le plan psychopédagogique des enfants — et je le dis en tant que responsable psy et je m'assume — pour beaucoup d'autres choses, mais il faut commencer déjà par mettre sur pied le pilier, que la charte soit appliquée, et les autres vont venir avec le temps. Ça, c'est l'avenir, comme on dit. C'est l'avenir du Québec.

M. Ratthé : Être proactif plutôt que réactif. C'est ce que vous nous dites, finalement.

Vous venez de parler de l'enfant, de son développement psychomoteur, puis c'est un paragraphe que j'ai souligné dans votre mémoire, à la page 7, et je trouvais important peut-être que vous partagiez ça… Moi, je l'ai lu, mais il est peut-être important de partager ça avec les auditeurs, avec les gens, et ça vient peut-être expliquer… La semaine dernière, je parlais à des dames puis j'essayais de comprendre, je leur demandais pourquoi, le voile, pourquoi est-ce qu'elles auraient de la difficulté à l'enlever, et on me disait : Bien, ça fait partie de moi, ça m'identifie, je ne serais pas capable de le faire, et je trouvais intéressant… Vous dites que le voile peut devenir une composante d'un schéma corporel. J'aimerais que vous m'en parliez un petit peu, parce qu'on parle ici d'imposer le voile à des petites filles de l'âge de cinq ans. Pouvez-vous élaborer davantage?

Mme Fourati (Rakia) : Oui. Vous savez, en psychomotricité, un enfant, pour qu'il puisse vivre ultérieurement bien dans son corps, bien dans sa pensée, bien dans sa vision, il faut qu'il vive son schéma corporel et le vive avec le temps, l'espace et l'objet qui l'entourent. Bon, si cette petite fille, elle est déjà inhibée sur le plan psychomoteur, si elle est déjà inhibée sur l'image d'elle-même, comment voulez-vous qu'elle soit... surtout avec le voile? Et vous voyez la photo que j'avais mise, elle ne peut même pas bouger comme il faut. Comment voulez-vous que cette petite fille, ultérieurement, dans son corps, dans son esprit, dans son état, puisse être équilibrée et puisse être apte et prête à s'assumer et avoir un moi assez fort?

M. Ratthé : Parce que le voile fait partie intégrante d'elle-même, à ce moment-là. C'est ce que vous dites, là.

Mme Fourati (Rakia) : Le voile fait partie de son schéma corporel qui ne doit pas exister et qui précise qu'il y a certaines parties en toi qui sont «haram», il y a certaines parties… C'est comme si ces parties-là ne devraient pas exister, ne devaient pas… et ça, c'est très fort pour une petite fille qui va grandir avec ce corps-là qui est tabou, grandir dans un corps tabou.

M. Ratthé : Donc, ce qui expliquerait peut-être la résistance de certaines femmes à vouloir effectivement, là, le retirer, c'est ce que je comprends.

Mme Fourati (Rakia) : Le retirer, oui. Quand elles s'affirment, oui, elles le retirent. Mais je ne sais pas si j'ai le temps de... Non?

Le Président (M. Morin) : Continuez, voulez allez perdre du temps.

Mme Fourati (Rakia) : D'accord. Parce qu'une fois en Arabie saoudite aussi j'ai eu une petite fille de cinq ans qui est… sa maman était venue consulter pour... enfin, elle l'a emmenée à la consultation parce que cette petite fille régressait beaucoup, elle régressait dans son comportement — je vais essayer d'être brève — elle régressait dans son comportement, et, après les séances, on a remarqué que la petite fille — elle a quatre ans, entre quatre et cinq ans — elle a une maîtresse au jardin d'enfants, donc, qui lui racontait les horreurs qu'elle va vivre si elle ne portait pas le voile. Et, cette petite fille, sa maman, à la maison, est libanaise et donc elle est... Bon, je suppose que, comme moi quand j'étais là-bas, on met le voile quand on sort dans les lieux publics, etc., mais, quand elle va chez les gens et tout, chez ses amis, elle ne porte pas le voile. Et cette fille, elle se sentait coupable. C'est comme si elle est responsable de sa maman qui, elle, ne porte pas le voile et qui va aller en enfer sans le savoir.

Le Président (M. Morin) : Merci, madame. J'ai concédé quelques secondes, c'était tellement intéressant.

Mme Fourati (Rakia) : Oui, j'ai terminé aussi.

Le Président (M. Morin) : Merci beaucoup pour votre présentation. On a écouté ça avec intérêt et surtout avec beaucoup de curiosité, on a appris beaucoup. Merci.

Et j'inviterais à se présenter le Mouvement laïque québécois.

Je suspends quelques instants.

(Suspension de la séance à 10 h 37)

(Reprise à 10 h 39)

Le Président (M. Morin) : Nous reprenons nos travaux et, comme je vous l'ai dit à l'instant, le Mouvement laïque québécois. Donc, je crois que c'est vous, Mme Jobin, la présidente. Allez-y. Vous avez 10 minutes.

Mouvement laïque québécois (MLQ)

Mme Jobin (Lucie) : Merci. Alors, bonjour, M. le ministre. Bonjour, MM. et Mmes les députés. Alors, nous sommes heureux de présenter notre mémoire aujourd'hui sur le projet de loi n° 60.

Alors, pour ceux et celles qui ne connaissent pas vraiment le Mouvement laïque québécois, alors je suis avec M. Michel Lincourt, vice-président du Mouvement laïque québécois. Et moi-même : Lucie Jobin, présidente.

Le Mouvement laïque existe depuis 1981, et c'est un groupe de pression politique, indépendant de toute affiliation politique, qui est ouvert à tous les citoyens, toutes les citoyennes de toutes les croyances qui partagent le même objectif fondamental, c'est-à-dire la laïcisation complète de l'État et de ses institutions publiques au Québec. Alors, comme vous voyez, ce n'est pas nouveau que nous luttons pour ce principe.

Alors, comme vous allez le voir, le MLQ n'est ni proreligieux ni antireligieux. Il milite en faveur d'un aménagement de la vie en société qui permet aux croyants de toutes les confessions et aux incroyants de vivre ensemble dans le respect mutuel, la liberté et l'égalité des droits de chaque citoyen devant la loi et à l'abri de toute forme de discrimination et de ségrégation. Le MLQ a toujours prôné la liberté de religion… la liberté d'opinion et de croyance, lesquelles, toutefois, doivent s'exercer dans les limites des lois civiles. Alors, depuis 1981, nous défendons ces principes.

Je passe maintenant la parole à M. Lincourt, qui va vous faire un résumé un peu de notre position que nous allons vous présenter aujourd'hui avec différents amendements.

• (10 h 40) •

M. Lincourt (Michel) : Bonjour. Bonjour, M. le ministre. Bonjour, mesdames. Bonjour, messieurs. À l'avant-garde de la lutte pour instaurer la laïcité au Québec, le MLQ appuie le projet de loi sur la laïcité, le projet de loi n° 60, et souhaite vivement qu'il soit adopté le plus tôt possible. Et ça, c'est un appui qui a été voté à l'assemblée générale du MLQ il y a quelques semaines. Nous maintenons que c'est pour assurer la liberté de conscience, la cohésion sociale et l'égalité des hommes et des femmes notamment qu'il faut instaurer la laïcité et l'enchâsser dans la charte québécoise des droits et libertés.

Afin d'améliorer un projet de loi déjà bien fait, nous faisons quelques propositions. Nous pensons qu'il est important de bien communiquer l'idée de laïcité auprès de la population, c'est pourquoi nous proposons d'ajouter au titre actuel, qui est fort long, vous le savez, un titre abrégé qui serait la charte de la laïcité. Ceci éviterait, dans les médias notamment, là, une confusion des termes.

Deuxièmement, en principe le préambule d'une loi poursuit au moins quatre objectifs : énoncer la raison d'être de la loi, définir les principaux éléments de la loi, encadrer la future interprétation des divers articles de la loi, notamment par les tribunaux, et, dans ce cas-ci, bien arrimer la loi n° 60 à la charte québécoise des droits et libertés. Aussi proposons-nous d'ajouter quelques alinéas au préambule qui parleront de dignité humaine, d'égalité des citoyens en droits, d'universalité du bien commun, d'équilibre entre les droits individuels et la cohésion sociale, de laïcité comme soc de la protection des droits et de la nécessité de se doter d'un espace institutionnel permettant à chacun de s'exprimer en tant que citoyen.

Nous proposons d'ajouter un nouvel article 1 au projet de loi, un article 1 qui proclamera de façon très claire, et dans le mémoire c'est spécifié… qui proclamera la laïcité de l'État québécois, qui définira que la laïcité est en fait la séparation entre l'État et les religions et qui énoncera de façon très claire les trois principes qui sous-tendent la laïcité, à savoir la liberté de conscience, l'égalité des citoyens face à la loi et face à l'État et l'universalité de la sphère publique.

À la liste des organismes soumis à la laïcité, nous proposons d'ajouter l'Assemblée nationale et les garderies privées, que celles-ci soient subventionnées ou non. Protection des enfants face à la propagande, comme la dame qui nous a précédés l'a souligné.

À l'article 5 du projet de loi n° 60, qui traite du devoir de réserve en matière religieuse imposé aux agents de l'État, nous proposons deux ajouts : un préambule qui précise le bien-fondé de cette mesure et une précision à l'effet que les organismes de l'État ne puissent tenir des activités à caractère religieux dans leurs locaux ni d'y afficher des symboles religieux. Le terme «organismes de l'État» recouvre notamment les municipalités. On aura compris que nous souhaitons que l'affaire de la prière et des symboles religieux au conseil municipal de Saguenay ne puisse se répéter. Et nous savons que nous sommes devant la Cour suprême sur cette cause. Il va de soi que nous tenons à ce que ce devoir de réserve s'applique à tous les agents de l'État, sans exception.

Nous signifions notre appui à la prescription relative à l'obligation d'agir à visage découvert faite aux usagers et aux agents de l'État, mais — et c'est une question que l'on pose au gouvernement et à l'Assemblée nationale — ne devrions-nous pas aller plus loin et, par une loi séparée, interdire cette pratique inique du port du masque, du port du voile intégral en tout temps, interdire cette pratique en tout temps et partout sur le territoire québécois?

À propos du crucifix à l'Assemblée nationale, nous souhaitons qu'il soit décroché de son emplacement actuel et respectueusement transporté dans un autre lieu de l'édifice de l'Assemblée nationale ou encore dans un musée.

Tout en approuvant le libellé des nouveaux articles de la charte québécoise des droits et libertés pour y inscrire la laïcité, nous proposons un ajout qui spécifierait que l'État, ses institutions, l'action gouvernementale et celle des agents de l'État sont laïques et que nul, nul ne peut porter atteinte au caractère de la neutralité de l'État, de ses institutions et des services publics. Sur cette question, nous souhaiterions rappeler que, le 22 novembre 2009, le MLQ a adopté une résolution qui préconisait l'inscription de la laïcité dans la charte québécoise des droits et libertés. Bien que le libellé du projet de loi n° 60 soit différent de celui de notre résolution, nous considérons que l'esprit y est respecté, c'est pourquoi nous apportons notre appui au projet de loi n° 60 sur cette question-là comme sur les autres.

Il est fortement suggéré d'inscrire dans la future loi n° 60 l'appel à la clause dérogatoire de la Loi constitutionnelle de 1982, la loi du Canada, la clause dérogatoire.

En conclusion, nous souhaitons que la charte de la laïcité soit votée à l'unanimité par tous les élus de l'Assemblée nationale. Nous ferions ainsi… Nous, comme citoyens, nous serions alors extrêmement fiers de notre Assemblée nationale et nous ferions ensemble un geste pour faire avancer la civilisation. Alors, je vous remercie, et Mme Jobin et moi, nous sommes... Oui, oui.

Mme Jobin (Lucie) : Juste avant que vous passiez aux questions, vous avez dû constater dans notre mémoire que, vers la fin, nous avons noté quelques enjeux qui avaient été laissés de côté dans le projet de loi actuel. Alors, vous trouvez ça à la page 21 de notre mémoire, où on parle de la fiscalité des organismes religieux, qui ont déjà beaucoup de privilèges. Alors, ça aussi, il faudrait que ça soit étudié. Il y a aussi le comité et le Secrétariat aux affaires religieuses qui relèvent du ministère de l'Éducation et du Loisir. Il y a aussi toute la question des écoles privées religieuses, dont la dame précédente a fait état, mais qui ont aussi beaucoup de subventions. Il y a toute la question du cours d'éthique et de culture religieuse, qui, d'après nous, n'est pas exempt d'endoctrinement religieux et qui fait partie quand même du programme du ministère de l'Éducation. Et, comme nos écoles sont supposées être laïques, de même que nos commissions scolaires, alors on ne voit pas la place de cet enseignement-là et on suggère plutôt qu'il soit remplacé par un cours d'enseignement moral et d'éthique. Il y a toute la question de la nourriture cashère et halale qui est aussi soumise à votre étude, parce que, là aussi, il y a beaucoup de sommes d'argent qui vont à des communautés religieuses. Alors, c'est les points sur lesquels on voulait attirer aussi votre attention.

Le Président (M. Morin) : Merci, Mme Jobin, M. Lincourt. Vous m'avez facilité la tâche. M. le ministre, vous avez encore 22 min 40 s.

• (10 h 50) •

M. Drainville : Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présentation.

À la page 10 de votre mémoire, vous dites ceci, et je vous cite : «Comme la majorité des citoyens du Québec, nous sommes d'avis que cette restriction — donc la restriction relative au port d'un signe religieux ostentatoire par les agents de l'État — est nécessaire parce que les agents incarnent l'État. Dans l'exercice de leur mission, les agents d'un État laïque doivent eux aussi être laïques, à la fois dans leurs actions, dans leurs discours, dans leur comportement et dans leur habillement. Pourquoi? Parce qu'ils sont au service de tous les citoyens, à qui ils doivent respect, quelles que soient les croyances ou les convictions de ceux-ci.»

Certains diront, des personnes ou des groupes qui s'opposent à la charte, qu'au contraire la meilleure façon d'incarner la neutralité, c'est par la multiplication des signes religieux chez les agents de l'État. C'est à travers, donc, cette multiplication que la neutralité se concrétise. Donc, il y a une espèce, à ce moment-là, de représentativité de la diversité religieuse. Comment vous réagissez quand vous entendez cet argument-là, vous?

Le Président (M. Morin) : Qui intervient? M. Lincourt? Allez-y.

M. Lincourt (Michel) : Oui. Oui, je vais répondre à ça. Je pense que nous sommes tous des citoyens du Québec, et l'État québécois, dans toutes ses ramifications, est au service de tous ces citoyens-là. Et, quand nous sommes fonctionnaires, un agent de l'État, nous avons une tâche à remplir, et cette tâche-là n'est pas de nature religieuse, n'est pas de nature de propagande pour un point de vue ou un autre point de vue, même pas pour défendre le point de vue d'un parti politique ou d'une autre politique. L'agent de l'État est au service du citoyen et il est là pour représenter l'État, qui, pour l'ensemble des choses, doit être le même pour tous. Donc, la multiplication des signes qui sont étrangers à la mission collective de l'État nous apparaît comme étant des entraves.

Et je peux comprendre le citoyen qui n'a pas la conviction qui est affichée par ce fonctionnaire d'être en désaccord avec ça et d'être heurté par ça. Prenons le cas du parent d'un petit garçon de six ans qui voit son fils ou une petite fille de six ans se faire endoctriner dans une école coranique, par exemple, ou une école évangélique, par exemple, et voir des professeurs qui affichent des messages qui ne sont pas du tout les messages du programme pédagogique du ministère de l'Éducation. Ce parent dit : Moi, je suis en désaccord avec ça. Alors, qu'est-ce qu'on dit à ce parent? Ah! tout le monde a le droit à son opinion, puis le professeur peut endoctriner ton enfant, puis tu as juste à rentrer chez toi puis accepter ça parce qu'il représente la diversité de la société québécoise? Je ne pense pas que c'est une situation… une politique qui est sage. Je pense que la politique qui est sage, c'est de dire aux agents de l'État : Quand tu travailles pour l'État, tu es neutre par rapport à tout ce qui est extérieur à ta mission, et la mission, c'est la même pour tous. Et on demande à un médecin d'être un excellent médecin et non pas quelqu'un qui fait la propagande d'une croyance. Nous demandons à un professeur d'histoire d'enseigner l'histoire comme le veut le programme pédagogique, à un professeur de mathématiques d'enseigner les mathématiques, etc. Je pense que c'est une politique, d'ailleurs, qui est appliquée à beaucoup d'endroits déjà.

M. Drainville : Sur la question de la neutralité politique, il y a quelques personnes qui sont venues nous dire : Ce n'est pas la même chose. La neutralité politique, ça, c'est une chose; la neutralité religieuse, c'en est une autre. En d'autres mots, ils soutiennent que le fait que la neutralité politique commande l'interdiction de porter un signe politique, ça, c'est acceptable et c'est tout à fait, dans leur esprit du moins, compatible avec le respect de la liberté d'expression, mais, quand ils arrivent à la liberté de religion, là ils disent : Ah! Là, c'est autre chose, là. La neutralité religieuse ne doit pas se décliner par une neutralité religieuse d'apparence, donc par un interdit de porter des signes religieux, au nom de la liberté de religion. Alors, moi, je leur dis : Donc, la liberté d'expression, pour vous, est moins importante que la liberté de religion? Ah non, ce n'est pas ça qu'on veut dire, etc.

Comment vous réagissez, vous, à cette apparente… Je dis bien «apparente», parce que je respecte évidemment le point de vue de ceux qui soutiennent cette position-là, mais il y a une apparence, me semble-t-il, d'incohérence ici entre la neutralité politique qui est acceptée de tous — moi, je n'ai entendu personne, dans ce débat-là, dire qu'il était contre la neutralité politique, y compris l'interdiction d'afficher ses couleurs politiques — et donc la neutralité religieuse.

M. Lincourt (Michel) : Moi, ceux qui soutiennent cette distinction, à mon avis, ça ne tient pas, ça ne résiste pas à l'analyse. Je veux dire, pourquoi une pratique n'est pas contraire à un droit? Pourquoi, le signe politique, quand on l'interdit aux agents de l'État, ça ne brime pas la liberté d'opinion et la liberté d'expression, qui sont deux droits protégés par les chartes, puis, quand on veut le même devoir de réserve pour les signes religieux, ça brimerait la liberté de religion? Mais que fait-on de la liberté de conscience? Que fait-on de la liberté de conscience et des droits des usagers de l'État face à ça?

Je pense que… Cette distinction, selon moi, ne tient pas du tout, d'autant plus que le projet de loi n'interdit pas aux agents de l'État les signes religieux. Le projet de loi, l'article n° 5, si vous le lisez, interdit le port de signes religieux qui ont un caractère ostentatoire. Il est possible, si vous êtes un agent de l'État, de porter un signe religieux discret, un «pin», hein, bon, etc. Mais ceux qui s'opposent à la charte disent : Non, non, non. Nous, nous voulons un signe religieux ostentatoire. Mais pourquoi ça, pourquoi le signe religieux doit-il obligatoirement avoir un caractère ostentatoire? Cette question est rarement posée.

M. Drainville : Et pourquoi, selon vous?

M. Lincourt (Michel) : Bien, parce que je pense que le signe religieux n'est pas neutre. Le signe religieux ostentatoire notamment est un signe qui transporte un message, un message de prosélytisme, un message de propagande religieuse qui n'a pas sa place dans les fonctions de l'État. Et l'État, je le répète, il est pour tout le monde, hein? Indépendamment des religions, indépendamment des partis politiques, indépendamment de toutes les croyances que l'on pourrait avoir, indépendamment des opinions sur telle chose et telle chose, l'État est là pour servir tout le monde de la même façon.

Les religions sont particulières, l'État est universel, hein? Les religions se basent sur des préceptes qui viennent d'un soi-disant message divin, alors que l'État se fonde sur des lois qui sont votées par l'Assemblée nationale, qui sont votées par les citoyens. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui décident quelles sont les lois qui régissent la vie collective. Alors, ça, c'est fondamental dans les… et il faut absolument que les agents de l'État transportent, si vous voulez, cette mission collective de l'État.

Le Président (M. Morin) : Mme Jobin, vous vouliez intervenir?

Mme Jobin (Lucie) : Je veux juste compléter un peu ce que M. Lincourt a dit. Quand on vous a fait quelques suggestions au niveau du préambule, justement, c'était pour mettre en place les conditions d'exercice des droits, parce que, quand on dit : La liberté de religion, la liberté d'expression, nous, on est contre la hiérarchisation des droits. On dit que les droits, c'est ce qui est inscrit dans les chartes, autant canadienne que Charte des droits et libertés. Et, quand on établit les différents points du préambule qu'on vous suggère d'inscrire pour présenter le projet de loi, c'est là ce que M. Lincourt disait par rapport à l'égalité citoyenne. On dit : Les Québécoises et Québécois sont égaux en dignité, et cette égalité citoyenne ne souffre d'aucune restriction. Ça veut dire que, quelle qu'elle soit au niveau religieux ou autres, ça ne s'établit pas. Parce que, si on est tous égaux, puis c'est l'Assemblée nationale qui décide d'adopter la loi, le projet de charte, à ce moment-là, si tout est inscrit dans le préambule, la population va pouvoir comprendre et apprécier pourquoi cette charte-là a été établie et sur quelles bases.

• (11 heures) •

M. Drainville : Si je voulais résumer un peu — je ne crois pas déformer vos propos — on pourrait dire : Je ne souhaite pas, moi, que la religion d'un agent de l'État vienne brimer ma liberté de conscience, hein? Je pense qu'on n'est pas loin du coeur de l'affaire ici, là. Donc, vous dites, dans le fond : Moi, comme usager, quand je me présente devant l'État, l'État étant incarné ici par un policier, une policière, une fonctionnaire, une enseignante ou un enseignant, une infirmière, un médecin, etc., je ne souhaite pas que cette personne affiche ouvertement ses convictions religieuses, parce que je m'attends à ce que le service soit neutre, dans un État neutre et laïque, et donc je souhaite qu'il incarne ce respect, donc, pour mes convictions à moi comme citoyen.

Mais que répondez-vous à ceux ou à celles qui vont dire : Vous avez tort de vous sentir brimé dans notre liberté de conscience, ce n'est pas… Ce que vous pourriez ressentir comme citoyen ou comme usager du système public, dans le fond, vous n'avez pas à vous sentir comme ça. Vous devriez respecter le droit de la personne d'afficher ses convictions religieuses et vous n'avez pas à vous sentir brimé dans votre liberté de conscience. Comment vous... Parce que moi, je...

M. Lincourt (Michel) : On peut renverser l'argument, dire à la personne : Pendant tes heures de travail, sur les lieux de travail, si tu travailles pour l'État, tu enlèves toute affiche religieuse et tu n'as pas à te sentir diminué, tu ne perds pas ton identité, comme tel. Finalement, tu deviens comme tous les autres citoyens et tu offres des services comme tous les autres citoyens. On peut renverser l'argument de la même façon.

Mais on peut même aller plus loin, je veux dire. Dans une société comme la nôtre, qu'est-ce qu'un droit? Qui définit le droit? Qui dit que telle chose est un droit et telle autre chose n'en est pas, hein? En bout de ligne, c'est le législateur et ce sont les élus de la population qui définissent ça. Il ne suffit pas qu'un individu décrète comme ça : Ceci est mon droit, pour qu'automatiquement l'ensemble de la société doive se rallier à cet énoncé.

Alors, le port d'un signe religieux ostentatoire par un fonctionnaire, est-ce un droit? On peut dire : Le législateur n'a jamais dit ça. Le législateur dit que tu as le droit de pratiquer ta religion, mais la laïcité, la loi n° 60, au Québec, n'empêche pas qui que ce soit de pratiquer sa religion, d'aucune façon.

M. Drainville : Qu'est-ce que vous... Comment vous réagissez à l'argument à l'effet que la neutralité religieuse ne devrait pas s'étendre aux universités par principe pour leur autonomie et par principe également… par respect du principe de la liberté académique? En d'autres mots, il faudrait sortir les universités du périmètre de l'application, du champ d'application, plaideront certains. D'ailleurs, je pense, c'est aujourd'hui ou demain que cet argument-là nous sera présenté. Alors, comment vous réagissez à ça, vous?

M. Lincourt (Michel) : Bien, peu de jours après l'annonce du projet de loi, j'ai été invité par CBC à participer à un débat avec un professeur de théologie de l'Université McGill, et lui, subitement, il est arrivé, il s'est présenté à Radio-Canada avec une croix sur la poitrine, puis on a convenu... Je lui ai fait remarquer que son symbole religieux était subitement devenu un symbole politique.

Moi, je pense que c'est le contraire. Les universités doivent aussi donner des plateformes, hein, communes. Un professeur de médecine doit enseigner la médecine. Il n'est pas là pour faire de la propagande pour sa religion, il est là et il est embauché pour faire ça. S'il a des convictions, il peut participer à des débats, les universités vont pouvoir participer à des débats mais à l'intérieur d'un forum qui est le même pour tout le monde, hein?

On se souvient de l'affaire de l'Université York. Est-ce que, sous prétexte de liberté religieuse, on va permettre à un étudiant de s'abstenir de participer à des travaux parce qu'il y a des femmes, un autre va pouvoir s'abstenir de participer à des travaux parce qu'il y a des Noirs, un troisième, parce qu'il y a des musulmans, puis un quatrième, parce qu'il y a des Juifs, puis etc.? Je veux dire, où s'arrête cette soi-disant licence que réclament les universités? Moi, je ne le sais pas, mais, s'il est possible d'avoir une liberté d'expression de la part des professeurs et de la part de l'administration sans pour autant se balader dans les universités en affichant un drapeau, en érigeant un drapeau...

Comment un professeur de théologie… mettons un professeur de philosophie qui s'affiche ouvertement thomiste, par exemple, peut apprécier un travail d'un étudiant marxiste? Ça se passe comment, là, dans le débat philosophique? Je veux dire, moi, j'ai vécu… Vous savez, ceux qui ont mon âge ont vécu ça. Je veux dire, moi, quand j'allais au collège classique, hein, en philo I, philo II, je veux dire, on n'a jamais étudié le marxisme, c'était interdit, c'était à l'Index. Par ailleurs, je veux dire, c'étaient là des lieux d'enseignement supérieur, en philo. C'étaient des cours de philosophie mais fichument encadrés et fichument orientés vers une direction. Et nous aussi, on allait à la confesse, et nous aussi, on faisait des promesses pour le restant de nos jours d'être un bon catholique, comme on force les petites filles actuellement de faire des promesses qu'elles vont porter leur voile toute leur vie. C'était ça. Le Québec s'est sorti de ça, et le collège de Jésuites ou le collège de Sulpiciens est devenu un cégep laïque.

La déconfessionnalisation a eu lieu, hein? Il y a une histoire qui précède ce qui se passe aujourd'hui, hein, qui date de fort longtemps, et les arguments qui se sont opposés au droit de vote des femmes, hein, les arguments qui se sont opposés à la déconfessionnalisation des coopératives, à la déconfessionnalisation des unions ouvrières, à la déconfessionnalisation des universités… L'Université de Montréal est une université dont le recteur était nommé par Rome, il faut bien s'entendre. Rome s'est opposée à la création de l'Université de Montréal, hein, on voulait que Montréal, l'Université de Montréal, soit une filiale, une petite filiale de l'Université Laval papiste, c'était ça. Après ça, il y a eu tout le mouvement de la déconfessionnalisation du régime scolaire. À toutes les étapes, partout, les arguments ont été mis de l'avant par les mêmes individus, les mêmes regroupements, des élites politiques, des élites des médias et les groupes religieux, les Églises, les diverses Églises selon les époques, et encore aujourd'hui ce sont les mêmes arguments qui sont apportés par les mêmes gens. À travers l'histoire, il y a eu des gens qui se sont toujours mis du mauvais côté de l'histoire, comme pour la loi 101 pour la langue, etc., et pourtant le Québec a évolué vers une étape cruciale dans son évolution qui est la loi n° 60 actuelle, et il y aura d'autres étapes à franchir, là, qui vont suivre par la suite. Donc, il y a tout ce mouvement historique dont il faut tenir compte.    

M. Drainville : Il me reste seulement quelques minutes. J'ai noté évidemment que vous souhaitiez étendre l'obligation du visage à découvert aux garderies privées non subventionnées. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi c'est important pour vous? Qu'est-ce qui justifie ça, à votre avis? Parce qu'actuellement, juste pour que les gens qui nous écoutent nous suivent bien, dans le projet de loi il est prévu que l'obligation du visage à découvert s'applique aux CPE, aux garderies privées subventionnées ainsi qu'aux garderies en milieu familial, mais on ne va pas jusqu'aux garderies privées non subventionnées. Vous, vous le souhaitez. Pourquoi?

M. Lincourt (Michel) : Parce que, je veux dire, ce qui est en jeu ici, ce n'est pas tellement la structure bureaucratique autour de ces organismes-là ou ces institutions. Ce qui est en jeu, c'est la protection des enfants. Si, en bout de ligne, on protège les petits contre l'endoctrinement qui a été décrit tout à l'heure, hein, on doit protéger tous les enfants, pas uniquement ceux qui sont dans des organismes, des écoles ou des garderies qui sont dans une structure budgétaire ABC, puis, XYZ, on ne les protège pas. Moi, je pense que la loi s'applique à toutes les maisons d'éducation, à tout le monde, parce que tous les enfants au Québec sont égaux, hein, ils ont tous le même droit au même niveau de protection, au même niveau d'éducation. Et c'est pour ça qu'on le propose, c'est uniquement une question de protection de l'enfance.

M. Drainville : Et en terminant… Il me reste, quoi, une minute?

Le Président (M. Morin) : 1 min 35 s.

• (11 h 10) •

M. Drainville : Donc, si je vous comprends bien, il n'est pas question, pour vous, de commencer à dire : Certains agents de l'État devraient incarner la neutralité, et donc l'interdiction sur le port des signes religieux devrait s'appliquer seulement à ces personnes, et, pour ce qui est des autres, par exemple les professeurs d'université, tout ça, ceux-là, non, on les sort de l'application de la loi. Dans votre esprit, dès que tu incarnes la loi, dès que tu es… ou l'État, devrais-je dire, dès que tu incarnes l'État, dès que tu es un agent de l'État, tu dois accepter qu'il y a une responsabilité qui vient avec ton devoir de neutralité, et l'une de ces responsabilités, c'est de garder pour toi, pendant les heures de travail, tes convictions religieuses.

M. Lincourt (Michel) : C'est tout à fait ça. Puis il y a une dimension pratique à ça. C'est que ça fait bien des années, nous, qu'on patauge dans ces problèmes-là, et on n'arrive pas à mettre des critères pour dire que lui ne doit pas porter de signe religieux puis lui peut le porter. Tu sais, on a mis de l'avant le critère de l'autorité, mais où s'arrête le fonctionnaire qui est en position d'autorité? Je vous donne des exemples. Les fonctionnaires de l'impôt, hein, du ministère du Revenu ou de l'Agence du revenu, ils sont en position d'autorité. Le Protecteur du citoyen peut-il afficher un signe religieux comme fonctionnaire? Je veux dire…

M. Drainville : Donc, le cas par cas, pour vous, ce n'est pas une solution.

M. Lincourt (Michel) : Bien, c'est que tout de suite ça ouvre la porte à toutes sortes d'arbitraires, à toutes sortes de passe-droits, toutes sortes de situations ambiguës. Je veux dire, le commis du ministère…

Le Président (M. Morin) : M. Lincourt, je m'excuse, je m'excuse, je suis obligé de… on est obligés de se diriger vers LaFontaine. M. le député.

M. Tanguay : Merci, M. le Président. Bon matin, Mme Jobin. Bon matin, M. Lincourt. On a déjà eu l'occasion de s'asseoir, vous et moi, je pense que c'était à l'automne, je ne me rappelle pas de la date, en septembre, octobre, lors de l'élaboration de notre position. C'était, pour nous, important de vous entendre, de vous écouter, et à ce moment-là on avait eu un bon échange et franchement un échange qui avait été, je dirais, très respectueux puis un bon échange. On n'est pas d'accord sur tout, bien évidemment, mais on se respecte par rapport à ça, et c'est ce qui fait l'essence de notre démocratie, c'est ce qui fait l'essence de nos débats. Et, pour vous comme pour moi, même si on ne s'entend pas sur l'approche, sur certaines notions, on n'a pas la même perception, les mêmes expériences et donc les mêmes propositions, on se respecte là-dedans et on reconnaît tous deux… ou tous trois, devrais-je dire, qu'il y a là un élément fondamental. C'est autant fondamental pour vous que ça l'est pour moi.

Et, en ce sens-là, vous dites dans votre mémoire, sur un aspect… Et, comme nous, vous devez sûrement déplorer la division que l'on voit au Québec sur des questions fondamentales. On parle du vivre-ensemble sur une question sur laquelle on doit asseoir notre démocratie, et nos lois, et la façon d'aborder nos lois. Vous dites là-dedans, vous avez parlé, M. Lincourt… vous avez utilisé l'expression «cohésion sociale» et vous concluez, dans votre mémoire, votre souhait qu'une telle loi soit adoptée unanimement. Pourquoi c'est important pour vous qu'il y ait, s'il n'y a pas unanimité, quasi-unanimité ou un très, très large consensus?

M. Lincourt (Michel) : Bien, dans une démocratie, c'est normal qu'il y ait une divergence d'opinions. Puis, si on était tous du même avis, cette commission parlementaire n'aurait pas lieu, puis la loi serait déjà votée, puis tout le monde applaudirait. Donc, il y a des divergences d'opinions, puis c'est sain, c'est bon que ce soit comme ça.

Ce qui est extraordinaire dans ce qui se passe présentement, c'est qu'il y a cet immense débat, fort respectueux, je dois dire, à part quelques hurluberlus qui ont lancé des accusations et des injures, mais d'une façon générale ça a été très, très civilisé. Donc, il y a un débat. Est-ce qu'il y a une division comme ça au sein de la population? Il y a des divergences d'opinions qui s'amenuisent selon les diverses dimensions du projet de loi, et c'est la même chose pour les élus de l'Assemblée nationale. Et, si le Parti libéral, et si la CAQ, et si Québec solidaire déclaraient aujourd'hui qu'ils adhèrent au projet de loi, bien au moins chez les leaders de la société, chez nos représentants, il n'y aurait plus de division, hein? On peut dire que c'est vous qui entretenez la division, n'est-ce pas?

M. Tanguay : Et est-ce que vous croyez que nos arguments sont raisonnables et défendables? Et croyez-vous que l'on se fait l'écho raisonnable, comme ça doit être le cas en démocratie, de celles et ceux qui ne sont pas d'accord ou, celles et ceux qui ne sont pas d'accord — puis là je ne ferai pas référence à ce qu'a dit M. Michaud et qui a retiré ses paroles — devrions-nous les rejeter carrément du revers de la main?

M. Lincourt (Michel) : Moi, je pense que tous ceux qui sont en position de leadership dans la société, et ça touche autant les élus que les gens comme nous qui sommes dans des mouvements qui militent pour, dans certains cas… dans ce cas-ci pour la laïcité… Je pense que nous avons une responsabilité, et la première responsabilité, c'est de faire la réflexion qui s'impose, hein?

Ça fait des années et des années que nous, nous faisons la réflexion là-dessus, que nous organisons des débats, hein, que nous organisons des conférences publiques, que nous écrivons des mémoires, nous faisons des conférences, nous faisons des textes sur à peu près tous les aspects qui touchent à la laïcité, et on trouve ça un peu cavalier, disons, subitement de voir des gens qui comme ça s'improvisent, puis qui lancent des affirmations, puis qui développent des positions, puis… Je veux dire, moi, j'ai vu dans les médias, d'un côté, une personne qui avait écrit des bouquins, qui, depuis 30 ans, travaille pour la laïcité; de l'autre côté, une autre personne qui n'a rien fait, qui n'a rien réfléchi et qui subitement improvise des positions. Je pense qu'il y a une responsabilité de faire cette réflexion-là.

Moi, je trouve qu'il y a, dans des positions de certains partis politiques, un manque de débat véritable. Je pense que ce sont tous des gens qui pensent de la même façon, qui se réunissent autour de la même table et qui arrivent aux mêmes conclusions tout le temps. Je pense que les arguments contraires sont peu retenus et je trouve ça un peu déplorable. Je pense qu'il y a nécessité de réfléchir aux positions politiques, il y a nécessité aussi d'entendre la population. Et, bon, voilà, j'ai l'impression de vous faire un petit peu la morale, mais ce n'est pas du tout mon intention. Mon intention, c'est qu'il y ait un débat éclairé, hein, sur des principes.

M. Tanguay : Est-ce que vous croyez que les Gérard Bouchard… M. Seymour qu'on a entendu la semaine passée, qui a eu une position extrêmement réfléchie, étayée et qui a su la communiquer… Est-ce que donc les Bouchard, les Seymour… et là sans tomber dans l'arène politique, là, les Lucien Bouchard et Parizeau, mais, Gérard Bouchard, Seymour, croyez-vous qu'eux leur position a droit de cité? Croyez-vous que leur réflexion est suffisamment longue dans le temps et étayée pour avoir droit de cité?

• (11 h 20) •

M. Lincourt (Michel) : Tout le monde a droit de cité, mais je pense que les organisations sans position d'autorité comme les partis politiques, là, puis les élus ont une responsabilité additionnelle, une responsabilité de prendre les avis de tout le monde puis de s'insérer dans des débats contradictoires au sein de leurs organisations.

La commission Bouchard-Taylor, je veux dire, à mon avis, a suscité plus de problèmes qu'elle n'a apporté de solutions, hein? Je veux dire, je peux témoigner que la commission Bouchard-Taylor a pratiqué la censure. Par exemple, on m'a, moi, interdit de témoigner. Alors, je veux dire, c'est ça, si vous regardez toutes les recommandations de la commission Bouchard-Taylor, vous verrez que tout le blâme va sur la société d'accueil. La commission Bouchard-Taylor a fait dévier le thème de la laïcité sur le thème de l'immigration, et c'est deux choses différentes. Il y a des recoupements qui se font, et l'immigration rejoint la laïcité, mais la laïcité, ça rejoint tout le monde et pas uniquement les nouveaux... enfin, les nouveaux citoyens du Québec, ceux qui sont fraîchement arrivés ici. Donc, il y a beaucoup de failles dans le travail et les recommandations de la commission Bouchard-Taylor, et la preuve, c'est que, je veux dire, le débat a continué de façon aussi animée après qu'avant. Donc, ça n'a pas réglé beaucoup de choses.

M. Tanguay : Allez-y, Mme Jobin. Vous vouliez intervenir?

Mme Jobin (Lucie) : Bien, simplement pour ajouter que, dans le cadre des recommandations soumises par la commission Bouchard-Taylor, si on se rappelle bien, il n'y a rien qui a été retenu, si ce n'est de… même par rapport au crucifix, ça, on s'en rappelle bien. Et ça a comme continué à créer des malaises au sein de la société québécoise, comme disait Michel, puis le problème de l'immigration s'en est trouvé comme plus souligné, parce que là sont venues plusieurs demandes d'accommodement, si on se rappelle, par rapport à… les piscines à Montréal et certains cas d'écoles où les enfants devaient se mettre des oreilles, là, pour ne pas entendre la musique. Alors, ça a créé toutes sortes de problèmes, qui avant existaient, mais la commission Bouchard-Taylor voulait les régler. Mais ça n'a rien réglé, au contraire.

M. Tanguay : Il y a beaucoup d'éléments, et on a eu l'occasion de le souligner… Des 36 ou 37 recommandations du rapport Bouchard-Taylor, il y en a plus de 80 % qui ont été appliquées. Mais je ne vous ferai pas mon laïus, là, politique là-dessus. J'aurai l'occasion de l'étayer, mais ça, ça avait été démontré.

J'aimerais vous entendre sur deux choses rapidement avant de passer la parole à ma collègue. Au niveau de la clause dérogatoire, selon vous, c'est un point qui manque au projet de loi n° 60 parce qu'il ne respecte pas la charte canadienne, et, en ce sens-là, j'aimerais vous entendre sur la nécessité que vous soulignez de l'utiliser et de l'inclure.

M. Lincourt (Michel) : Au cours des dernières semaines, il y a eu beaucoup d'individus, même des partis politiques fédéraux puis des institutions qui ont menacé d'amener le projet de loi n° 60 devant les tribunaux puis de l'escalader jusqu'à la Cour suprême. Donc, la menace d'avoir des poursuites venant de partout, en même temps, elle a été faite par les opposants puis répétée, hein, beaucoup, beaucoup ont répété ça.

Alors, on a beaucoup discuté entre nous de cette clause et on est arrivés à la conclusion que, si on analyse la jurisprudence de la Cour suprême, notamment les trois jugements qui concernent la sukkah sur les balcons au Sanctuaire à Montréal, le kirpan dans la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys puis le port du voile intégral dans les tribunaux, on arrive à la conclusion que la Cour suprême a hiérarchisé les droits, dans les faits, malgré un discours du contraire.

La Cour suprême dit : Le droit de religion est plus important que… Dans le cas du Sanctuaire, le contrat signé de bonne foi entre ces familles juives et la copropriété, bien ça, ce n'est pas important, le droit à leur religion est plus important. Donc, malgré qu'ils aient signé un contrat qui leur interdisait de faire des constructions sur le balcon, on leur donne la permission.

Dans le cas du kirpan, le droit de religion était plus important que le droit à la sécurité des enfants. Et le plus bizarre dans ce cas-là, dans le cas de la Cour suprême, c'est que la Cour suprême permet le port du kirpan dans une école mais l'interdit dans les tribunaux puis l'interdit dans les avions, hein? Je veux dire, c'est… Puis tous les députés ici ont voté la résolution interdisant le port du kirpan dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, n'est-ce pas, hein, en affirmant le principe de la laïcité. Voici, là, un vote unanime et qui a été salué par tout le monde comme étant quelque chose d'extraordinaire.

Puis, dans le troisième jugement, qui est encore beaucoup plus préoccupant, selon moi, c'est qu'on fait passer le droit de porter le voile intégral dans les tribunaux en mettant de l'avant que le droit à la religion est plus important que le droit de défense des accusés.

Devant ces trois jugements-là, nous nous sommes dit qu'il y a un risque énorme qu'il y ait une série de procès qui se fassent, que ça monte en Cour suprême, puis, comme ça s'est déjà passé, là, la Cour suprême déboulonne une partie de la loi n° 60.

M. Tanguay : Donc… Et je vais poser une question rapide, mais je vous entends bien, là. Il y aurait un risque extrêmement élevé que le Parti québécois persiste et ne veuille pas mettre de clause dérogatoire, autrement dit, envoyant le signal que, selon eux, ça va contre la charte canadienne notamment. Donc, il y a ce risque-là que vous avez clairement exprimé.

Avant de laisser la parole, rapidement peut-être, si vous pouvez, parce que je sais que ma collègue a quelques questions, malheureusement on est compressés par le temps : Pour vous, le crucifix… Nous, nous désirons que le crucifix demeure à l'Assemblée nationale, demeure au salon bleu. Et, pour vous, n'y voyez-vous pas là une valeur également patrimoniale, historique… ou vous voulez le voir retiré comme le Parti québécois?

M. Lincourt (Michel) : …je pense que le crucifix a été mis là par Duplessis pour souligner la complicité entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Au lendemain de l'adoption d'une loi qui stipule le contraire, la séparation du religieux et de l'État, qu'il y ait ce symbole religieux catholique au-dessus du président de l'Assemblée nationale nous apparaît pour le moins incongru, donc on suggère en tout respect, hein, de dérocher le crucifix et le mettre ailleurs dans ce bâtiment-ci ou dans un musée quelque part, à Québec ou à Montréal.

Concernant tout le respect… Bon, on pourrait suggérer d'autres symboles, si on veut absolument mettre un symbole au-dessus de la tête du président de l'Assemblée nationale, fleur de lis par exemple…

Le Président (M. Morin) : M. Lincourt, je vais vous interrompre un petit peu parce que le député de Mégantic a une question.

M. Bolduc (Mégantic) : Merci, M. le Président. J'ai une question à deux volets. Je voudrais savoir ce que vous recommandez que l'on fasse avec les milliers de croix de chemin de nos régions qui sont entretenues par les municipalités et les citoyens du Québec. Ça, c'est le premier volet. La deuxième question est : Pourquoi les grandes villes du Québec voudraient être exclues de la charte, s'il n'y a pas de situation préoccupante?

M. Lincourt (Michel) : Le drapeau québécois, la croix sur le mont Royal, le nom des villes, le nom des rues, les calvaires, les croix de chemin, les clochers et tout ça, ça reste, on n'y touche pas. Ça fait partie de notre société, c'est O.K. Là, c'est une loi qui s'adresse à la fonction publique, finalement, à l'action de l'État, donc on ne touche pas à ça, puis on est tout à fait d'accord avec ça.

Le fait que, le crucifix, on suggère de le déplacer, c'est qu'il est au coeur du pouvoir de l'État, hein? Puis peut-être que le crucifix, il n'a pas sa place dans les cours de justice, hein? Devant la Cour d'appel à Chicoutimi, où on débattait, là, le MLQ puis un citoyen avec le maire Tremblay de ce procès, bon, le crucifix était au-dessus du juge, en fait des trois juges de la Cour d'appel. On a demandé… Notre procureur a demandé de l'enlever, et le tribunal a accepté de l'enlever, hein, parce que ça nous apparaissait tout à fait incongru que, sur la cause qui touchait justement à des symboles religieux, la prière et le crucifix dans la salle du conseil municipal de Saguenay, on tienne les audiences du procès sous le crucifix, je veux dire, il y a comme là, là, une incongruité qui est un peu… un peu bizarre. Mais, sur la voie publique, je veux dire, il n'y a absolument aucun problème. Même au contraire, je veux dire, si on parle au nom du MLQ, nous sommes fiers de l'héritage québécois sous toutes ses formes, là-dessus.

C'était quoi, votre deuxième question?

M. Bolduc (Mégantic) : Pourquoi les grandes villes québécoises demandent une exclusion?

M. Lincourt (Michel) : Bien, je n'en sais rien. Je pense que la prétention du maire de Montréal à l'effet que, je veux dire, personne ne va lui donner des règles dans sa politique d'embauche, ça ne tient pas la route, hein, je veux dire, c'est de l'esbroufe uniquement. On peut dire… Imaginez que le maire de Montréal décide : Je suis roi et maître de l'embauche puis je décide que je n'embauche pas de Noirs. C'est qu'on va tous rester assis puis dire : Il a le droit de faire ça?

Le Président (M. Morin) : Merci, M. Lincourt. Merci. Maintenant, la députée de Montarville.

• (11 h 30) •

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Mme Jobin, M. Lincourt, merci. Merci pour votre mémoire.

J'aimerais, comme j'ai peu de temps, qu'on se rende tout de suite à la page 22, parce qu'effectivement le projet de loi n° 60 ne traite pas de tous les aspects au Québec, et j'aimerais qu'on parle de ces écoles privées religieuses. Vous en parlez, vous dites qu'il faudrait se pencher sur la question. La charte n'aborde pas cette question du financement des écoles privées à caractère religieux.

Je sais que vous avez étudié la question longuement. Nous, de notre côté, on a fouillé auprès du ministère de l'Éducation, il manque cruellement de données à cet égard-là. Alors, ma question est la suivante : Est-ce que le gouvernement devrait se pencher sur cette question sérieusement? Et aussi est-ce que le gouvernement devrait être plus vigilant à cet égard, puisque vous dites dans votre mémoire : «Et les pouvoirs publics ferment les yeux sur cette dérive»? Alors, élaborez, je vous prie.

M. Lincourt (Michel) : Je pense que le devoir premier est ce qui est devant nous actuellement, c'est le projet de loi n° 60. Et nous travaillons pour aider les élus à faire adopter le plus rapidement possible le projet de loi n° 60, et c'est pour ça que nous n'avons pas entré dans le corps principal de notre mémoire toutes ces questions-là.

Mais, une fois que projet de loi n° 60 sera adopté, je pense qu'il y a nécessité de se pencher sur un certain nombre de problèmes, et un de ceux-là, ce sont les écoles privées religieuses. La plupart sont subventionnées, d'autres ne le sont pas. Il y a toutes sortes d'écoles privées religieuses. Il y en a qui sont excellentes, il y en a qui sont médiocres. Il y en a qui sont agressivement religieuses, il y en a d'autres qui sont religieuses un peu par tradition puis font un petit peu de pastorale après avoir appliqué l'entièreté du programme pédagogique québécois. Je pense qu'il y a un ménage à faire là-dedans et je pense que l'État ne doit pas, selon notre point de vue, subventionner les écoles privées qui font de l'endoctrinement religieux au détriment du programme pédagogique du gouvernement québécois. C'est une question complexe, parce qu'il y a peut-être autant de cas de figure qu'il y a d'écoles, hein, à travers tout ça, mais, oui, effectivement, le gouvernement devrait se pencher sur cette question-là.

Mme Roy (Montarville) : ...davantage à l'égard du fait que le programme du ministère n'est pas respecté qu'à l'égard du fait qu'elles ont le statut de religieux, que vous avez des préoccupations?

M. Lincourt (Michel) : Bien, je veux dire, c'est que pourquoi il n'est pas respecté, c'est parce qu'à la place ils donnent des cours de religion, hein? Je veux dire, les écoles hassidiques, là, je veux dire, n'enseignent pas le programme pédagogique du Québec parce qu'ils enseignent la Torah, et ça… Puis, tu sais, quand tu leur dis : Pourquoi, les cinq jours de la semaine, ne pas enseigner le programme pédagogique du Québec, puis le vendredi soir, le samedi, le dimanche vous donnerez des cours sur la Torah?, non, non, non, on veut enseigner la Torah le lundi, le mardi, le mercredi, etc. Donc, ce sont surtout ces écoles-là qui posent problème pour l'éducation des enfants.

Mais le couvent des Ursulines à Québec est une école excellente, hein, formidable, là, je veux dire, puis il s'y donne peut-être une petite demi-heure de pastorale au-delà du programme pédagogique; qui accueille des enfants... non seulement des enfants catholiques, mais des enfants musulmans, juifs, etc., de toutes les confessionnalités, puis des enfants dont les parents ne pratiquent aucune religion. Voici une école excellente et puis, à mon avis, une école où il n'y a relativement pas de problème, là, avec cette école-là. Si on regarde leur programme pédagogique, leurs activités, etc., je veux dire, c'est une école formidable.

Donc, il y a plein de cas de figure, mais effectivement c'est une question, ça, le financement des communautés religieuses et des religions… La nourriture cashère et halale, 70 % des produits qui sont offerts dans les grandes surfaces à Montréal sont cashers, ou halals, ou les deux, hein? Je veux dire, c'est plus qu'anecdotique, là, je veux dire, c'est un énorme trafic et...

Le Président (M. Morin) : M. Lincourt…

M. Lincourt (Michel) : Oui.

Le Président (M. Morin) : Je sais que je suis déplaisant, mais...

M. Lincourt (Michel) : Mais non.

Le Président (M. Morin) : M. le député de Blainville.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. Mme Jobin, M. Lincourt, bonjour. Je vais vous amener sur un dernier aspect, parce que vous avez déjà répondu à beaucoup de questions. Fiscalité des organismes religieux, plusieurs, jusqu'à maintenant, sont venus nous dire qu'on ne devrait pas du tout les subventionner, si on suit la logique de ces gens-là, qui nous disent : Si on est laïc, l'État ne devrait pas subventionner des organismes religieux. Vous avez une position, j'allais dire, un peu plus modérée, dans votre cas. Vous allez même jusqu'à dire que certaines associations culturelles, de bienfaisance devraient même pouvoir bénéficier de certaines subventions. Donc, c'est les deux points que je voudrais soulever avec vous.

Et, le dernier point, je voudrais que vous parliez également du fait que certains animateurs, je vais appeler ça, de pastorale ou de spiritualité devraient être plutôt rémunérés par leurs communautés. Alors, vous pourriez peut-être nous brosser le tableau, là, sur les trois points que vous avez soulevés dans votre mémoire en ce qui regarde ça.

Le Président (M. Morin) : Mme Jobin.

Mme Jobin (Lucie) : Oui. Au sujet, justement, des animateurs de vie spirituelle dans les écoles et aussi dans les hôpitaux pour certaines religions, je pense que, si les communautés veulent envoyer leurs émissaires, si on peut dire, c'est que, d'après nous, ça devrait relever de leurs compétences financières et non que ce soit subventionné par l'État parce que, si l'État est laïque, les institutions publiques sont laïques. Ça ne devrait pas être remis en question.

Puis je ne sais pas si vous avez vu ça, noté ça dans le mémoire, on parle aussi des célébrants de mariage. Dans le Code civil, on demande que certains points du Code civil, certains articles du Code civil soient revus justement pour permettre qu'il y ait des célébrants de mariage qui… Parce qu'il y en a de différentes confessions, là, qui sont reconnus, mais, pour ceux qui n'ont aucune pratique religieuse, il faut procéder par le mécanisme qui est prévu, c'est-à-dire un célébrant désigné. Mais, s'il pouvait y avoir des célébrants qui ne seraient à aucune connotation religieuse mais qui soient reconnus, ça permettrait, pour l'ensemble de la population, de profiter, dans le cas… de célébrer leur mariage ou cette cérémonie. Mais c'est que, là aussi, il y a comme une inéquité entre les confessions et ceux qui n'ont aucune pratique religieuse.

Puis la même chose pour les personnes qui vont supporter moralement ou psychologiquement dans les hôpitaux ou dans d'autres… Même les prisons, on sait que, ça aussi, il peut y avoir des personnes qui peuvent être rémunérées.

M. Ratthé : …institutions, parce que je n'ai pas beaucoup de temps. Votre opinion sur les institutions?

M. Lincourt (Michel) : Le financement des institutions religieuses?

M. Ratthé : Oui.

M. Lincourt (Michel) : Bien, encore là, je veux dire, nous ne sommes pas dogmatiques, là, face à tout ça. La logique d'une subvention à une organisation quelconque religieuse, c'est que ça entretient des services sociaux, hein? Mais, si l'institution en question, l'Église, ne fait rien de ça, hein, pourquoi alors lui donner des exemptions fiscales? C'est juste une organisation pour ne pas payer l'impôt. Je pense qu'il y a, là aussi, un énorme ménage à faire. Je pense qu'il y a de l'abus, je pense qu'on se déclare religieux n'importe comment, puis il y a autant de religions que de gars qui veulent sauver de l'impôt, là. Je pense qu'il y a de l'abus, un énorme abus, puis il y a un énorme ménage à faire là-dedans aussi. Puis, tu sais, je veux dire, que l'ensemble de la population canadienne paie pour le chocolat qui est importé avant Pâque parce que c'est exempt d'impôt, tu sais, c'est à la limite de ce qui est raisonnable.

M. Ratthé : Merci.

Le Président (M. Morin) : Ça va? Donc, Mme Jobin, M. Lincourt, merci beaucoup.

J'invite les prochains intervenants, l'Alliance des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé et les services sociaux.

Je suspends quelques instants.

(Suspension de la séance à 11 h 38)

(Reprise à 11 h 43)

Le Président (M. Morin) : Nous reprenons nos travaux en recevant l'Alliance des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé et les services sociaux. Mme Gonzalez, je crois que c'est vous la présidente. Est-ce que c'est vous qui intervenez? Allez-y.

Alliance des communautés culturelles pour l'égalité
dans la santé et les services sociaux (ACCESSS)

Mme Gonzalez (Carmen) : O.K. Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes, MM. les députés. Alors, je me présente : Je suis Carmen Gonzalez, présidente de l'Alliance des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé et les services sociaux. Et j'ai avec moi M. Jérôme Di Giovanni, directeur général d'ACCESSS, ainsi que Mme Soumya Tamouro, responsable des programmes santé de notre organisme.

Alors, dans un premier lieu, Soumya va nous présenter ACCESSS. Après ça, Jérôme va nous présenter le mémoire. Et, finalement, moi, je viendrai sur un petit résumé ainsi que les recommandations.

Le Président (M. Morin) : Vous savez que vous avez 10 minutes?

Mme Gonzalez (Carmen) : Oui.

Le Président (M. Morin) : Merci.

Mme Gonzalez (Carmen) : Alors, on donne la parole à Soumya.

Mme Tamouro (Soumya) : Bonjour, tout le monde. Bon, ACCESSS, c'est l'Alliance des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé et les services sociaux. Nous sommes une fédération de 118 organismes membres à l'échelle du Québec. Nous travaillons pour l'adaptation des services, toujours dans le domaine de la santé et services sociaux, et nous existons depuis une trentaine d'années. Nous travaillons particulièrement dans la formation des professionnels du réseau de la santé, la sensibilisation des immigrants et aussi en ce qui concerne la recherche pour tout ce qui peut toucher l'intervention en santé en lien avec les communautés culturelles. Nous avons plusieurs dossiers, en fait, que ce soient les personnes âgées, les jeunes, les femmes. Et, parmi nos dossiers de recherche aussi, nous avons travaillé sur la gestion de la diversité dans les services de soins spirituels.

Alors, je vais laisser M. Di Giovanni intervenir. Merci.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Bonjour. L'analyse du mémoire, nous nous sommes inspirés de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, de certaines lois québécoises ainsi que de certains arrêts de la Cour suprême. Pour nous, la société québécoise est en transformation au niveau de ses rapports, au niveau aussi de sa composition ethnoculturelle ainsi qu'au niveau de la façon que les services publics doivent être développés et gérés, et cela, en raison de l'immigration constante de 50 000 nouveaux arrivants par année qui arrivent au Québec. C'est une nouvelle immigration, ce n'est plus une immigration européenne qui a été l'immigration de la Deuxième Guerre mondiale. Maintenant, nous avons une immigration qui vient, en fin de compte, là… où le rapport à la société est complètement différent, la notion de la santé est différente, les cultures sont différentes que celles occidentales ainsi que le rapport à la santé et le rapport aussi à la religion.

Dans un premier temps, on est pour la laïcité de l'État et de ses institutions. Par ailleurs, ce qui est dans le projet de loi n° 60 ne présente pas la laïcité de l'État et de ses institutions, plutôt présente une laïcité de certains Québécois et Québécoises issus de l'immigration qui ne sont pas conformes à la norme, c'est-à-dire à la norme catholique traditionnelle. Et cela, on peut citer un certain nombre de choses. Notamment, dans le projet de loi n° 60, le législateur ne propose pas une modification de la Loi des normes du travail qui oblige les employeurs à offrir des congés payés catholiques. Notamment, le législateur ne propose pas un amendement à la Loi de la fiscalité municipale qui exempte de taxes foncières ainsi que scolaires des institutions religieuses, et que ce manque à gagner de l'État est compensé par les taxes et impôt des citoyens. Le législateur, non plus, ne propose pas une modification du calendrier scolaire qui est basé sur les pratiques religieuses catholiques. Même la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Bergevin, l'a constaté. De plus, le législateur ne propose pas un amendement de l'acte constitutionnel de 1982 qui dans sa première phrase, premier alinéa, reconnaît la primauté de Dieu. Et ce qu'on dit, c'est que ce qui est proposé ici, dans le projet de loi n° 60, n'est pas une proposition de neutralité de l'État et de laïcité de l'État, et cela, ça va être extrêmement important que l'Assemblée nationale dans son entier puisse faire une réflexion sur ce qu'est la laïcité de l'État. Ce n'est pas qu'est-ce qu'il y a dans le projet de loi.

Deuxièmement, on est pour l'égalité hommes-femmes. Par ailleurs, ce qui est proposé dans le projet de loi, c'est une hiérarchisation des droits où le droit de la femme prime sur le droit des personnes handicapées, des personnes âgées, des enfants, des communautés culturelles, des gais et des lesbiennes, c'est-à-dire ce qui se retrouve dans l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. Et cela, on est totalement contre cette hiérarchisation des droits, parce que ce n'est pas quelque chose qui peut exister à l'intérieur d'une charte des droits et libertés de la personne ni à l'intérieur d'une société qui se dit démocratique et une société de droit.

• (11 h 50) •

L'autre élément extrêmement important là-dedans, c'est que, si le port du voile d'une Québécoise qui pratique la religion musulmane va à l'encontre de, entre guillemets, absurdement, la laïcité de l'État, pourquoi le législateur ne questionne pas la religion catholique, cette religion où le pouvoir, c'est un pouvoir masculin, où les femmes n'occupent pas de pouvoir décisionnel à l'intérieur de cette religion-là, où cette religion catholique va à l'encontre des principes mêmes du mouvement féministe des années 70, 80 et même des années 60? Pourquoi le législateur pointe uniquement la religion musulmane?

Au niveau de l'accommodement, l'accommodement est un outil pour éliminer la discrimination, tant directe qu'indirecte, par rapport à des groupes qui se voient lésés soit de manière directe, soit en raison de politiques, de pratiques et de façons de faire qui à la base semblent être neutres mais ont comme effet de les exclure. Les femmes l'ont vécue, cette discrimination-là, la discrimination en emploi, et la première décision de la Cour suprême en 1981, qui était l'Action Travail des femmes contre le CN, a dit que l'égalité par la ressemblance était, en fin de compte, une discrimination et qu'il fallait transformer les lieux de travail, les transformer de la sorte pour que les femmes puissent y accéder et y pratiquer tous les types d'emplois à l'intérieur du milieu de travail, soit via l'accommodement. Les personnes handicapées l'utilisent de plus en plus pour éliminer les barrières, pour accéder à diverses activités de la société ainsi qu'à l'emploi. Mais par ailleurs ce qui est proposé ici, en fin de compte, c'est de transformer le rôle de l'accommodement par un filtre égalité hommes-femmes, par un filtre du patrimoine culturel historique québécois et aussi par le filtre de la laïcité québécoise, de l'État québécois, et ça, ça va à l'encontre de tout principe d'accommodement au niveau des chartes.

Nous croyons qu'il faut une réflexion sur la laïcité de l'État québécois, mais cette réflexion-là ne doit pas se situer à l'intérieur des partis politiques, doit se situer ailleurs. Et vous allez voir qu'on a une recommandation qui est suggérée au législateur pour faire cette réflexion-là.

L'autre élément qu'on voudrait souligner au niveau de cette laïcité de l'État, qu'on trouve assez particulier…

Une voix : …il reste une minute.

M. Di Giovanni (Jérôme) : … — O.K., je vais te passer la parole — c'est les articles 38 et 39 dans le projet de loi, qui fait qu'à l'Assemblée nationale on peut garder le crucifix et qu'on peut porter des signes religieux. Merci beaucoup.

Mme Gonzalez (Carmen) : Oui. En fait, je vais juste amener la conclusion. C'est qu'il faut plutôt insister d'une part sur le caractère inclusif de la notion d'accommodement raisonnable et défaire les mythes l'entourant et, d'une autre part, sur l'apport culturel et économique des Québécois issus de l'immigration. Parce que je veux surtout passer aux recommandations.

ACCESSS recommande que le ministère de la Santé et des Services sociaux le reconnaisse comme organisme expert-conseil et établisse un partenariat public communautaire en matière d'adaptation de modes de soins de santé et de services sociaux aux caractéristiques des communautés ethnoculturelles. Toutes nos recommandations sont basées sur la Loi des services de santé et des services sociaux.

On recommande aussi que le gouvernement du Québec, en collaboration avec ACCESSS et le réseau d'ACCESSS, élabore et implante des programmes d'accès à l'égalité en matière de services sociaux et de santé pour les communautés ethnoculturelles; que le gouvernement du Québec, en collaboration avec ACCESSS, implante des programmes d'accès à l'égalité en emploi au sein du réseau de la santé et des services sociaux, tels que définis par la Loi sur l'accès à l'égalité en emploi.

Le Président (M. Morin) : Mme la présidente, je suis obligé de vous arrêter, mais, par les questions des gens, là, autour, de la commission, vous pourrez continuer à passer votre…

Mme Gonzalez (Carmen) : Oui, merci.

Le Président (M. Morin) : M. le ministre.

M. Drainville : Oui, merci, M. le Président. Alors, merci pour votre présentation. Écoutez, d'abord, d'entrée de jeu, j'ai quelques commentaires à faire sur certains des passages de votre mémoire. Par exemple, à la page 17, vous dites ceci : «…le groupe de référence qui constitue la norme — ici au Québec, là — se compose de personnes ayant des croyances religieuses catholiques, de couleur de peau blanche, ayant des pratiques socioculturelles nord-américaines et ayant le français comme langue maternelle. Cela a comme effet, en raison de l'hétérogénéité ethnoculturelle de la société, de générer des politiques et pratiques discriminatoires.» Je dois dire que je suis pour le moins étonné par une telle généralisation, là. Si on vous prend au pied de la lettre, là, vous dites : Les lois qui sont votées par l'Assemblée nationale sont discriminatoires, sont génératrices de politiques et de pratiques discriminatoires. Je vous inviterais à nuancer très sérieusement cette affirmation, si vous jugez bon de le faire, mais en tout cas moi, je pense que ce serait une bonne idée, là, parce que, si vous jugez que l'Assemblée nationale vote des lois qui sont discriminatoires, j'aimerais bien vous entendre sur les correctifs qu'il faudrait apporter pour que les lois votées par l'Assemblée nationale ne soient plus discriminatoires.

Par ailleurs, toujours à la page 17, vous ajoutez, à propos des membres des communautés culturelles : «À cause de leur différence, ces derniers —donc les personnes présentant des différences ethnoculturelles — ne pourront jamais, sans accommodement et transformation de la composition du groupe de référence — donc de la majorité francophone catholique à laquelle vous avez fait référence…» Donc, ces gens issus des communautés ethnoculturelles ne pourront jamais «satisfaire la norme qui est fournie par le groupe de référence». Moi, je… Si vous me permettez, en tout respect, là, une phrase comme celle-là entretient l'idée que la majorité des Québécois qui sont nés à l'étranger, donc la majorité des néo-Québécois, font des demandes d'accommodement, ce qui est totalement faux, là. La vaste majorité des Québécois qui s'installent au Québec ne font pas de demande d'accommodement. La vaste majorité s'installent chez nous, deviennent des Québécois, veulent vivre heureux, veulent travailler. Et donc d'entretenir l'idée que ce sont les immigrants ou les nouveaux arrivants qui sont responsables des demandes d'accommodement, encore une fois, je pense que c'est une généralisation qui va beaucoup trop loin.

Par ailleurs, je pense que vous entretenez un peu l'idée que les néo-Québécois sont plus pratiquants que la majorité des Québécois. Ce n'est pas vrai. En fait, les chiffres démontrent… les chiffres très officiels démontrent que les néo-Québécois ne sont pas plus pratiquants que la majorité québécoise.

Par ailleurs, à la page 6 vous écrivez, et je vous cite, là : «Le projet de loi n° 60 ajoute une autre barrière à l'accès et au maintien en emploi des femmes des communautés ethnoculturelles, soit la manifestation de leurs croyances religieuses par leur habillement en milieu de travail.» Encore une fois, j'aimerais vous rappeler que la majorité des néo-Québécoises, notamment celles originaires du Maghreb, ne portent pas plus de signes religieux ostentatoires que la majorité québécoise ou que la société québécoise de façon générale. C'est des chiffres notamment qui sont tirés des recherches d'un professeur de l'Université du Québec à Montréal qui s'est beaucoup penché sur cette question-là.

Alors, en d'autres mots, je trouve que vous faites plusieurs affirmations qui viennent, je dirais, renforcer certains préjugés, alors qu'il me semble que notre travail, ça doit être plutôt de faire la part des choses puis de s'assurer, comment dire, que l'information qui circule soit basée sur les faits et non pas sur des préjugés, des stéréotypes.

Par ailleurs, j'aimerais vous poser la question, parce qu'on a eu quand même plusieurs témoignages ces derniers jours, enfin, depuis la semaine dernière, des témoignages donc de… des cas, en fait, ou des exemples, en fait, de personnes qui s'adressent à un service public et qui pourraient être indisposées par le port d'un signe religieux par, par exemple, une infirmière, une enseignante, etc. Est-ce que, dans votre esprit, les usagers du système public, là, les personnes qui demandent un système… qui demandent un service public, qui s'adressent à une enseignante, qui s'adressent à une éducatrice, qui s'adressent à un fonctionnaire, qui s'adressent à un médecin… Est-ce qu'ils ont des droits, eux aussi, ou est-ce que c'est seulement la personne qui donne le service qui a des droits, mais l'usager qui s'adresse à l'État, lui, n'en a pas?

Le Président (M. Morin) : M. Di Giovanni.

• (12 heures) •

M. Di Giovanni (Jérôme) : Oui. Je vais réagir à vos commentaires. Premièrement, on n'établit pas de stéréotype et de préjugé. Ce que nous, on dit, c'est que, dans une société, il y a des lois, il y a des pratiques, il y a des politiques qui sont fondées sur une façon de faire, et, lorsque cette société est en transformation sociale dû à l'immigration ou dû à la manifestation de d'autres groupes, O.K., ces pratiques-là doivent être évaluées et elles doivent refléter cette nouvelle composition de la société. C'est également… Et ça, c'est généralisé lorsqu'on parle de droit à l'égalité, de résultat, puis lorsqu'on parle de lutte à la discrimination systémique. Ce n'est pas quelque chose qu'ACCESSS a tiré des nues, des nuages, c'est dans toute la base même des chartes des libertés de la personne ainsi que celle du Québec. C'est à la base même des arrêts de la Cour suprême sur des luttes… et de décisions, lutte à la discrimination. Et je vous réfère à la décision Meiorin, où la Cour suprême spécifiquement a mentionné qu'il fallait changer la norme, lorsqu'on regarde toute la question de l'emploi des femmes, parce que le milieu de l'emploi, dans ce cas-ci, c'était basé sur un milieu d'emploi hommes, et, lorsqu'une femme a tenté d'occuper le poste, elle a été évaluée comme si elle était un homme. Donc, c'est vraiment… ça fait référence à ça. Puis je vous réfère à d'autres décisions de la Cour suprême par rapport à ça et à la doctrine du droit à l'égalité et de la discrimination.

Puis on ne dit pas que tous les immigrants et immigrantes sont plus pratiquants que les Québécois et Québécoises francophones ou d'origine britannique, ou catholique, ou protestante. Ce qu'on dit, c'est que de plus en plus, on regarde, il y a des pratiques religieuses qui sont autres que catholiques et protestantes, et on doit en tenir compte dans l'organisation des services de santé et des services sociaux et dans la définition des programmes également.

Puis on peut vous référer à certains exemples, si vous voulez. Ici, on n'a pas le temps, mais on pourra se rencontrer puis on pourra vous citer certains exemples qui fait que, du fait qu'on ne tient pas compte de cette hétérogénéité-là, de cette différence de relation à la santé, de cette différence-là, ça fait que les membres des communautés ethnoculturelles accèdent difficilement à certains services de santé et certains services sociaux. Donc, c'est ça qu'on dit, et on a des preuves qu'on peut vous mentionner. Si vous voulez le voir, nous rencontrer, on va se faire un plaisir de vous mentionner ça et de vous donner ces exemples-là.

Une voix :

M. Di Giovanni (Jérôme) : O.K. L'autre élément, M. le ministre : Tout le concept du programme d'accès à l'égalité, c'est-à-dire la section III de la Charte des droits et libertés de la personne, l'article 86, ainsi que la loi n° 142, est basé sur cette notion-là qu'il faut transformer les façons de faire, qu'il faut transformer les lieux de travail. Et la beauté de la charte, c'est que, dans l'article 86, on parle des services ordinairement offerts au public, services de santé et services sociaux.

Oui, les usagers des services publics, ils ont des droits. Et je me réfère à la loi à la santé et des services sociaux, ils ont des droits. Ils ont des droits même dans le Code civil puis ils ont des droits même dans la charte par rapport à ça. Mais, lorsqu'on est dans le droit à l'égalité, c'est l'équilibre entre le droit de l'un par rapport au droit de l'autre. Et, dans la charte… Et, dans la loi, excusez-moi, dans la loi de la santé et des services sociaux, il y a un article qui dit que l'usager doit être considéré au niveau de sa dignité, au niveau de son intégrité et par respect même de choisir son intervenant. Oui, effectivement.

M. Drainville : Mais, à ce moment-là, est-ce que vous, pour vous, là, de demander à quelqu'un qui travaille dans un service public… de lui demander, pendant ses heures de travail, de renoncer à afficher ouvertement ses convictions religieuses, vous trouvez ça déraisonnable? Vous trouvez que c'est déraisonnable de demander à quelqu'un… Un peu comme on le fait déjà pour les fonctionnaires sur la neutralité politique, là, on dit déjà aux fonctionnaires, là : Vous devez être neutres sur le plan politique. Ça veut dire que vous ne pouvez pas afficher vos convictions politiques. Là, on dit : La neutralité religieuse doit se traduire de la même façon pour l'ensemble du personnel de l'État, et donc, pendant que tu travailles, tu dois renoncer à afficher tes convictions religieuses par respect pour la liberté de conscience et la liberté de religion de ceux et celles qui font affaire avec toi, les usagers. Ça, ça vous semble déraisonnable comme proposition?

M. Di Giovanni (Jérôme) : Bien là, M. le ministre, pourquoi ne pas rendre l'État vraiment laïque? Pourquoi pas qu'on n'amende pas la Loi des normes du travail? Pourquoi pas qu'on n'amende pas la Loi de la fiscalité municipale? Pourquoi pas qu'on ne change pas le calendrier scolaire? Pourquoi pas qu'on ne demande pas un amendement à la Constitution canadienne par rapport à ça? Pourquoi pas qu'on ne demande pas aux membres de l'Assemblée nationale de ne pas afficher et d'enlever… Et…

M. Drainville : Ça prend…

Le Président (M. Morin) : Un instant, M. le ministre.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Je voudrais terminer ma réponse, si vous le permettez. O.K.?

M. Drainville : Bien oui.

M. Di Giovanni (Jérôme) : La question de l'accommodement… Et ça, ce n'est pas ACCESSS qui le dit, là. On va remonter même en 1956 avec la décision Brown aux États-Unis, en passant par la décision ATF, Action Travail des femmes, et CN en 1981. C'est basé sur la description en emploi — là on parle de l'emploi — la description de tâches validée, qu'est-ce que cet employé-là doit faire au niveau de ces activités, au niveau de ces fonctions-là. Est-ce que le fait qu'il va afficher et que ça fait partie de son identité, de son intégrité, sa croyance religieuse… Est-ce que ça va affecter l'exercice de ses fonctions? C'est basé là-dessus, là.

Là, si ce projet de loi là veut changer cette réalité-là, la doctrine de l'égalité de résultat de l'accommodement, soit, faisons-le. Puis mettons un «nonobstant» non pas uniquement à la charte canadienne mais à la charte québécoise, parce que, là, on parle de la charte québécoise ici.

M. Drainville : Oui, mais, quand vous soulevez la question, là, des normes du travail, là, dans le fond, vous faites référence au calendrier scolaire. En tout respect, là, c'est parce que ça en prend un, calendrier scolaire, là. Donc, vous, vous souhaiteriez qu'on rebaptise la fête de Noël puis qu'on lui donne un autre nom ou que la fête… le congé de Pâques soit rebaptisé congé je ne sais pas quoi, là?

M. Di Giovanni (Jérôme) : Absolument pas, non, ce n'est pas ça qu'on dit. Ce qu'on dit là-dedans, puis c'est clairement mentionné, M. le ministre, c'est qu'il n'y a pas un Noël catholique, un Noël protestant, il y a un Noël orthodoxe, il y a un Noël juif, il y a… et il faut réfléchir à cela. Si on parle de laïcité de l'État, il faut réfléchir à tout ça. Et ce qu'on dit, notre dernière recommandation, ce qu'on propose, c'est qu'il y ait un débat sur la laïcité de l'État qui soit sous l'égide de la Commission des droits de la personne du Québec et que ce soit… et, comme trame de fond, qu'il y ait la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, pour le sortir des considérations politiques partisanes et des partis politiques. C'est ça qu'on dit. On est rendus là actuellement. On ne dit pas qu'il ne faut pas le faire, c'est que ça va prendre ce genre de réflexion là. Puis ce n'est pas un défoulement collectif comme on a vu avec Bouchard-Taylor.

Il y a des Québécois qui pratiquent la Pâques orthodoxe ou la Pâque juive, et, dans le calendrier scolaire, ils sont désavantagés. C'est ça que la décision Bergevin a dit, au niveau de la Cour suprême, et il faut réfléchir à ça puis il faut voir comment qu'on va répondre à ces Québécois-là. Puis ayons un vrai État laïque mais pas un État semi-laïque, ou possiblement laïque, ou qui va être contesté au niveau de sa laïcité.

M. Drainville : Bien, écoutez, encore une fois, M. Di Giovanni, je respecte tout à fait votre point de vue, là, mais la neutralité religieuse de l'État, elle s'adresse à toutes les religions, là. Dans les années 60, là, quand on a décidé de créer un nouveau ministère de l'Éducation public, gratuit et accessible à tous, quand on a créé le nouveau réseau des cégeps, assez rapidement les personnes qui sont allées travailler dans ce nouveau réseau public d'éducation, dans ce nouveau réseau collégial, ont renoncé à leurs signes religieux. Il y en a certains d'entre eux, d'entre elles qui avaient été des enseignants qui portaient la soutane ou qui portaient le voile ou la cornette, dans l'ancien système classique, et assez rapidement ils ont fait la transition vers un système scolaire… puis on pourrait parler des hôpitaux également, qui ont suivi un peu la même trajectoire, mais un système scolaire donc de plus en plus laïque. Et le projet que nous mettons de l'avant, c'est dans le prolongement de cette déconfessionnalisation, c'est notamment dans le prolongement de cette déconfessionnalisation. Et assez souvent je dis : Si c'était bon pour les catholiques dans les années 60 que de renoncer à leurs symboles religieux, pourquoi ce ne serait pas bon pour toutes les religions aujourd'hui, au nom de la laïcité, au nom de la neutralité religieuse?

• (12 h 10) •

M. Di Giovanni (Jérôme) : La réforme et la Révolution tranquille, O.K., les gens, oui, effectivement, ils ont renoncé volontairement à des signes religieux, puis d'autres l'ont porté. Ce que nous, on dit, on n'est pas contre la laïcité de l'État. Ce qu'on dit, M. le ministre : Allons jusqu'au bout, regardons la laïcité de l'État. Et, si on demande aux fonctionnaires soit dans le public, parapublic, péripublic de ne pas porter de signe religieux, pourquoi, à ce moment-là, on accepterait que l'État finance des institutions religieuses et oblige le citoyen, en raison de ce manque à gagner, de payer via ses impôts et taxes? Pourquoi qu'on accepterait que l'État oblige les employeurs de payer la Pâques catholique puis la Pâques… puis le Noël catholique? Allons-y, faisons la réflexion de l'État laïque, puis il faut la faire à cause de l'hétérogénéité de la société, mais faisons-le à partir de tout l'ensemble de la problématique. Et ce qu'on dit dans notre dernière recommandation : On veut qu'il y ait un débat de société. On veut que ce soit sous l'égide de la Commission des droits de la personne du Québec parce que ça touche des questions de droit à l'égalité, et on veut qu'il y ait comme trame de fond la Charte des droits et libertés de la personne. Puis on devrait être fiers, comme société québécoise, d'avoir une charte parmi les meilleures au monde, puis il faut s'opposer lorsqu'on tente de l'amender pour réduire certains droits.

M. Drainville : À la page 12, vous dites : «…le projet de loi [reconnaît le] patrimoine culturel et historique québécois de "souche", tout en excluant l'apport des immigrants…» Encore une fois, je trouve que c'est un raccourci intellectuel qui me laisse sur ma faim. La reconnaissance du patrimoine culturel, M. Di Giovanni, là, ce n'est pas juste la reconnaissance du patrimoine canadien-français ou catholique, là. Il y a des programmes, par exemple, qui existent déjà pour préserver le patrimoine culturel, et il y a des synagogues qui ont bénéficié de ce programme-là, il y a des églises protestantes également qui ont bénéficié de ce programme-là, et à juste titre. Et j'espère bien qu'elles y ont droit, parce que le patrimoine culturel québécois, ce n'est pas seulement un patrimoine culturel canadien-français ou catholique, c'est le patrimoine culturel de l'ensemble de notre culture, et notre culture, elle s'est enrichie au fil des générations par des gens venus de partout dans le monde. Moi, je considère que les Anglais qui sont restés parmi nous après la conquête, les Écossais, ceux qui sont venus des États-Unis dans la foulée de la révolution américaine, les Irlandais qui sont venus chez nous, la communauté juive qui s'est installée très rapidement, ils ont tous contribué au patrimoine historique du Québec, et leurs symboles ont le droit également à une aide financière quand les critères sont respectés. Puis ce n'est pas… il n'y a aucun… il n'y a pas de préférence pour une religion plutôt que pour une autre. Ça s'adonne qu'il y a plus d'églises catholiques ou de monuments catholiques. Qu'est-ce que vous voulez? Ceux qui se sont installés ici, les premiers Blancs, venaient de France, et il y en a plusieurs d'entre eux qui étaient catholiques. Mais là on ne va pas commencer à effacer 400 ans d'histoire, puis faire comme si on mettait le compteur à zéro, puis à partir de maintenant c'est… Voyons donc! Mais ça n'a pas de bon sens!

M. Di Giovanni (Jérôme) : Ce n'est pas ça qu'on dit…

M. Drainville : Bien, c'est parce que, là, vous… Là, je trouve que ça fait beaucoup de références aux Canadiens français, aux catholiques, aux de souche. Moi, je vous le dis, c'est une… Vous vous présentez comme un groupe qui favorise l'égalité. Moi, je vous le dis : La meilleure façon de favoriser l'égalité, c'est de dire que tous les Québécois sont égaux, qu'on soit Français… d'origine française, vietnamienne, haïtienne, latino, italienne, grecque. Peu importe d'où on vient, on est tous des Québécois. Pourquoi cette idée de séparer le Québec en deux entre les de souche et les autres?

M. Di Giovanni (Jérôme) : Ce n'est pas ça qu'on dit, c'est que tout le monde est égal. On demande des programmes d'accès à l'égalité exactement pour assurer cette égalité-là. On demande le respect de la charte puis on cite la charte à plusieurs endroits demandant cette égalité-là. Lorsqu'on fait référence au financement des églises, que ce soient des églises catholiques, ou des synagogues, ou des mosquées, si l'État finance une institution religieuse, c'est une institution religieuse. Là, on questionne la conception de la laïcité de l'État.

Dans le projet de loi, on parle du patrimoine historique. Donc, nous, on dit : Si on parle… si on veut utiliser le patrimoine historique culturel québécois comme un filtre pour accepter ou non un accommodement, d'accepter, oui ou non, cet accommodement-là en milieu de travail, bien là on interroge ça. C'est quoi, ce patrimoine-là? Ce n'est pas défini dans le projet de loi. Puis on dit : Faisons attention, parce qu'au niveau de ce patrimoine-là on risque d'exclure des gens. Tout le monde est égal en autant que… Puis, ce projet de loi là, en fin de compte, notre crainte : Ce n'est pas ça qu'il dit. On veut modifier la charte puis on veut rétrécir les droits à l'égalité. Et c'était pour ça que, dans nos recommandations, on veut un programme d'accès à l'égalité. On veut également un programme d'accès à l'égalité par rapport à l'emploi, par rapport à l'accès à des services de santé et des services sociaux.

Puis, si on vous réfère à la loi de la santé et des services sociaux, il y a des articles qui font référence au fait que les services doivent être adaptés culturellement et linguistiquement puis respecter, en fin de compte, les communautés ethnoculturelles, mais, si on regarde l'analyse qu'on fait de ces programmes-là et de ces services-là, ils ne le sont pas, ils ne le sont pas, je regrette. On a une loi de la santé et des services sociaux qui dit une chose, dont l'article 2.5° et 2.7°, puis, lorsqu'on regarde ce qui se passe sur le terrain, ça n'existe pas. Et c'était pour ça qu'on dit au législateur : On est prêts à s'asseoir avec le ministère de la Santé et des Services sociaux pour travailler ces éléments-là. Et c'est pour ça qu'on suggère à l'Assemblée nationale de faire le débat sur la laïcité mais avec la Commission des droits puis avec la Charte des droits.

Le droit à l'égalité, là, de résultat, puis si on s'inspire, M. le ministre, du mouvement des femmes depuis le tout début, c'est sûr que ça a amené des transformations dans la société québécoise, ça a amené des transformations dans les milieux de travail. Si on prend une convention collective d'une entreprise en, je ne sais pas, 1970 puis en 2010, vous allez voir qu'il y a eu des modifications majeures, tant au niveau des politiques de ressources humaines… Et ça, c'est parce que les femmes, elles ont rentré sur le marché du travail, elles ont transformé les milieux de travail, elles ont transformé les politiques. Maintenant, on a des politiques de harcèlement sexuel tolérance zéro…

Le Président (M. Morin) : Merci, M. Di Giovanni. C'est terminé pour la partie ministérielle. Donc, on se dirige vers LaFontaine. M. le député.

M. Tanguay : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup à Mme Gonzalez, Mme Tamouro et M. Di Giovanni. Merci beaucoup pour avoir pris le temps de participer à la rédaction du mémoire et évidemment de nous le présenter aujourd'hui et de répondre à nos questions.

Vous avez pu constater, comme on le constate depuis six mois au Québec, une très, très, très grande division, comme on l'a rarement vu au Québec, très grande division sur un élément qui ne fait pas partie du consensus, le consensus étant d'avoir des balises aux accommodements pour qu'ils soient raisonnables. Et qui dit balises aux accommodements et qui dit demande d'accommodement, c'est de permettre, exemple, à la personne handicapée d'avoir accès à l'intérieur d'un édifice, à une personne également qui… une femme qui est enceinte de conserver son emploi, et de faire en sorte également qu'une personne qui porte un signe religieux, et qui ne mélange pas la neutralité de l'État, et qui n'attaque pas la neutralité de l'État dans l'application des critères de l'administration publique, dans le service qu'elle donne à la population… Cette équation de dire nécessairement, si cette personne, par son individualité, par sa croyance ferme et sincère dans des préceptes et dans une religion… que ses convictions viennent de facto, de facto mettre à mal la neutralité de l'État, c'est ce contre quoi vous en avez, c'est ce que j'ai compris, et c'est cette division fondamentale au sein du Québec.

Il y a en face de nous une conception de faire avancer le Québec par des interdits; on ne fait pas avancer une société par des interdits. Il y a également ici une approche qui nie l'individualité, qui nie l'identité individuelle. Et, en ce sens-là, je pense que c'est extrêmement important et coûteux socialement de voir cette division qui est nourrie et qui fait en sorte que ce projet de loi, dont quatre des cinq aspects font très, très large consensus… Et il y aura toujours un refus systématique de la part du gouvernement du Parti québécois de faire avancer le Québec sur ce qui fait consensus et de faire avancer le Québec sur ce qui réellement nous unit. L'interdiction de port de signe religieux parce qu'on a une conception, de l'autre côté de la table, qu'une kippa juive, c'est comme un macaron du PQ, c'est tout à fait assimilable… extrêmement insultant…

Une voix :

Le Président (M. Morin) : Oui. M. le député de LaFontaine, M. le député…

M. Tanguay : …qui ont des convictions religieuses.

Le Président (M. Morin) : M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Oui?

Le Président (M. Morin) : Faites attention à ce que vous interprétez, O.K.? Continuez.

• (12 h 20) •

M. Tanguay : M. le Président, que l'on me détrompe, si j'ai tort, mais, quand on met dans le même panier, M. le Président, les signes religieux, la neutralité religieuse de l'État avec la neutralité politique, on met dans le même panier les signes religieux et les macarons, les épinglettes politiques. Alors, quand le gouvernement du Parti québécois met sur le même pied un macaron du Parti québécois parce qu'il ne veut pas qu'un fonctionnaire le porte parce que ça atteint la neutralité et qu'il interdit la kippa juive parce qu'il ne veut pas que ça se porte parce que ça atteint la neutralité, il met, M. le Président — et qu'on me détrompe, de l'autre côté de la table, si j'ai tort — donc sur le même pied d'égalité un macaron du Parti québécois et la kippa juive. Et, si j'ai tort, qu'on me détrompe. Sinon, qu'on le reconnaisse. De faire ces amalgames et de dire que l'on peut aussi facilement et avec autant de désinvolte interdire les signes religieux...

Une voix :

Le Président (M. Morin) : Oui, ça va, monsieur… M. le député de LaFontaine, par tout respect pour nos gens qui sont là, si vous voulez terminer votre… puis en revenir à nos gens qui sont là, par respect pour eux.

M. Tanguay : Oui, tout à fait, M. le Président. Et je laisserai le ministre tenter — et en conclusion là-dessus — de nous expliquer que ce n'est pas là le fondement de sa conception de la neutralité, qu'il fait ces amalgames de l'importance d'une conviction religieuse. Et vous l'avez bien exprimé, vous, de l'Alliance des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé et les services sociaux, entre autres par ce que représente l'accès à l'emploi. Parce qu'une religion n'est pas une partisanerie, parce que la politique n'est pas une religion, faire en sorte qu'il y ait, oui, cette distinction-là, qu'il n'y ait pas cet amalgame démagogique de dire : On va interdire tous les signes.

En ce sens-là, j'aimerais vous poser une question quant au…

Une voix :

Le Président (M. Morin) : Oui. Un instant, M. le député de LaFontaine. J'ai...

M. Drainville : …on peut-u rester respectueux les uns des autres? Moi, je n'ai pas attaqué, là, comme il le fait, en tout cas je n'ai pas versé dans la basse partisanerie. J'essaie de rester focalisé sur le témoignage des gens qui viennent nous voir.

Le Président (M. Morin) : M. le ministre, M. le ministre, c'est...

M. Drainville : Je comprends qu'il cherche son ton, là, mais il n'est pas obligé de verser là-dedans, M. le Président…

Le Président (M. Morin) : M. le ministre. M. le ministre, un instant, s'il vous plaît. Ça a bien été. «Démagogie», je ne suis pas sûr que c'est... S'il vous plaît, on continue.

M. Tanguay : Alors, M. le Président, je comprends l'émoi, ce matin, du ministre. La vérité, évidemment, a toujours sa place, et, je pense, c'est important de le dire.

Donc, avant que le ministre, sur une chose qui lui fait mal, ne m'interrompe, je posais la question quant à l'accès à l'emploi. Vous, évidemment, oeuvrez à tous les jours avec des hommes et des femmes qui veulent justement accéder à des emplois tout en ne niant pas leur identité, qui, dans certains cas, comprend des signes religieux, et peut-être... Je ne sais pas si je peux me permettre de demander à Mme Tamouro peut-être de répondre à la question. J'aimerais peut-être vous donner l'occasion de vous entendre et par rapport à cette approche inclusive et des programmes, même, qui sont mis de l'avant par le gouvernement de tout temps, du Québec, surtout ces dernières décennies, pour faire en sorte de favoriser cet accès à l'emploi. Merci. J'aimerais vous entendre.

Mme Tamouro (Soumya) : Merci. J'aimerais juste peut-être citer juste une expérience qu'on a eue il y a deux semaines. J'avais autour de la table une dizaine de médecins qui venaient de l'Afrique du Nord, des spécialistes femmes, la majorité portait le voile puis elle n'avait accès à aucun, aucun emploi. Et, quand elles sont allées au centre d'emploi, une des médecins, néphrologue, on lui a présenté comme possibilité d'emploi serveuse. Je ne savais pas comment répondre. Honnêtement, j'aimerais bien... Je perds mon latin là-dedans, honnêtement. Comment le Québec peut se permettre mais vraiment de laisser ces ressources, que ce soient des médecins dans... au niveau du taxi, que ce soient des femmes qui restent chez elles? Elles ne peuvent même pas travailler. Que voulez-vous qu'elles fassent?

Et ça, ce n'est que le début. Avec le projet de loi n° 60, si jamais il est adopté, on s'en va vraiment, pour une population particulière de femmes, vers l'exclusion. Elles vont être chez elles, enfermées chez elles, point. Et ça, je pense qu'il y aurait matière à réfléchir là-dessus.

M. Tanguay : Et comment recevez-vous… Vous qui êtes sur le terrain, les deux pieds dans cette réalité, comment recevez-vous parfois ce qu'on entend, la désinvolture, de dire : Bien, elles n'ont qu'à mettre leurs signes religieux au vestiaire entre 9 et 5? Vous, là, comment le recevez-vous? Est-ce que l'on peut aborder un tel sujet fondamental avec autant de désinvolture?

Mme Tamouro (Soumya) : Je pense que, par rapport à l'emploi, ce qui est important, c'est la qualification des gens. Il faut vraiment ne pas perdre de vue la qualification des gens. Et, quand vous êtes dans un hôpital et vous êtes malade, sur une civière, vous attendez des heures et des heures, croyez-moi, quand quelqu'un vient vous voir, même si elle a un voile, puis elle est qualifiée, c'est un ange qui vient vous voir, et c'est ça qu'il ne faut pas qu'on oublie au nom de soi-disant… des signes religieux.

Alors, la qualification est très importante, et, des ressources qu'on fait venir de plusieurs pays, c'est qu'il faut voir notre portée beaucoup plus loin. On appauvrit des pays avec de ces ressources que le Québec n'a rien payé pour les former. Et, si on ne les utilise pas pour la croissance, et l'évolution, et toute la dynamisation de la société québécoise, on participe à un gâchis mais vraiment incroyable au niveau de la société, et ça, c'est vraiment l'indignation suprême. C'est juste ce que j'avais à dire. Merci.

Mme Gonzalez (Carmen) : Oui. J'aimerais ajouter que, justement, d'autres recommandations qu'ACCESSS fait, c'est par rapport à l'emploi, et c'est que la Commission des droits de la personne et des droits de jeunesse et ACCESSS mettent sur pied un comité de travail sur l'implantation des programmes d'accès à l'emploi. Et notre recommandation n° 7, c'est que le processus de reconnaissance de formations acquises à l'étranger soit accéléré et que la formation d'appoint et les stages soient rendus plus accessibles afin de permettre aux professionnels ayant des formations acquises à l'étranger de pratiquer rapidement leur profession.

Le Président (M. Morin) : Ça va? Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui, merci, M. le Président. Donc, Mme Gonzalez, M. Di Giovanni et Mme Tamouro, je veux d'abord vous féliciter pour votre mémoire et pour le travail que vous faites. Je vous connais depuis longtemps, j'étais dans le réseau de la santé. Et évidemment toute la préoccupation était justement comment adapter nos services aux personnes qui sont loin des communautés culturelles, des personnes qui vivent dans l'exclusion, hein, c'est cette mission, et je vois que vous préservez et que vous avez cette sensibilité par rapport à l'inclusion. Et là, toute votre expérience et votre compréhension du droit, ce que je trouve vraiment intéressant, c'est que vous ramenez des concepts juridiques, mais vous les rendez très vrais, et la Charte des droits et libertés qui finalement est l'outil principal pour s'assurer de l'égalité de tous devant la loi et, en société, l'inclusion.

Et, Mme Tamouro, vous êtes allée sur vraiment l'enjeu principal. On l'entend partout, partout, partout, non seulement la détresse des gens qui ont peur de perdre leur emploi, mais de leur famille, mais aussi des directeurs d'hôpitaux. On l'entend des maires municipaux, on l'entend des recteurs d'université, le gaspillage de talent. C'est des gens qui sont venus ici pour contribuer, sont extrêmement qualifiés et talentueux, mais on mêle à ça un autre débat important qui est la lutte contre l'intégrisme et la signification du voile. Et tout le monde est d'accord qu'il y a des actions à poser sur ces questions-là, mais nous avons ces talents. Ils sont ici, ils sont venus ici pour contribuer.

J'ai une question pour vous : Croyez-vous qu'il y a une rupture actuelle avec la vision de laïcité qui est prônée depuis 50 ans, que moi, j'ai connue, qui était la laïcité ouverte — je pense beaucoup à Jean-Pierre Proulx, qui a beaucoup écrit là-dessus — et qu'avec la diversité croissante de la population québécoise pendant les années 1970, 1980, 1990 il fallait trouver des outils et des politiques pour inclure ces personnes-là, et que tout l'effort gouvernemental, si on regarde les politiques du ministère de l'Immigration, Emploi aussi, Emploi et Solidarité sociale, le ministère de la Santé — vous êtes beaucoup là-dedans — toutes les politiques vont dans ce sens-là, et c'est pour ça qu'on a adopté cette politique de laïcité ouverte où on disait : Écoutez, on est neutres par rapport à vos religions, on veut juste s'assurer du bien-vivre? Qu'est-ce que vous en dites? Est-ce que vous voyez une rupture par rapport à votre expérience ici, au Québec, et votre expérience avec des gouvernements successifs québécois?

Le Président (M. Morin) : M. Di Giovanni, c'est vous qui allez répondre?

M. Di Giovanni (Jérôme) : Je vais répondre, oui.

Le Président (M. Morin) : Allez-y.

• (12 h 30) •

M. Di Giovanni (Jérôme) : Effectivement, si on regarde au niveau du projet de loi n° 60 puis si on le compare aussi au projet de loi n° 94 dans le temps que le Parti libéral était au pouvoir, effectivement il y a une rupture là. Et cette rupture-là fait craindre beaucoup de choses du fait qu'on veut… puis du fait aussi qu'on passe son temps à cibler la religion musulmane. Je suis d'accord avec vous qu'il faut lutter et combattre l'intégrisme, mais l'intégrisme n'est pas uniquement musulman. Il y a des protestants fondamentalistes, on n'a qu'à regarder la télévision le dimanche matin, puis qui prêchent presque la… bien, pas presque, qui prêchent la condamnation des homosexuels, qu'ils aillent brûler en enfer parce que… puis qui sont contre l'égalité hommes-femmes, et qui sont contre, en fin de compte, le mariage gai. Le fondamentalisme est là, il est dans notre société, puis il faut le combattre. Mais il ne faut pas le combattre comme c'est présenté au niveau du projet de loi n° 60 puis il ne faut pas le combattre au niveau… ce qui se passe actuellement dans les débats, dans les médias et dans les sous-titres. Il faut le combattre collectivement, à partir du concept de droit à l'égalité, du respect des personnes; que tous les citoyens québécois, qu'ils soient Blancs, jaunes, verts, personnes handicapées ou non handicapées, gais, lesbiennes ou hétérosexuels, en fin de compte, il faut les respecter. On a un outil extraordinaire au Québec qui fait l'envie de beaucoup de pays, qui est la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Utilisons-le.

Mme Weil : Merci. Mme Tamouro, vous avez évoqué des expériences personnelles avec des personnes qui portent le voile, des professionnelles. Est-ce que je pourrais vous entendre un peu plus sur, justement, concrètement ce que vous voyez et ce qui vous inquiète?

Mme Tamouro (Soumya) : Vous parlez des professionnelles qui portent…

Mme Weil : Oui, les gens que vous rencontrez qui vivent le désarroi.

Mme Tamouro (Soumya) : Je peux juste vous mentionner que nous, on intervient au niveau des hôpitaux mais aussi en termes de sensibilisation au niveau des écoles, et dernièrement on a plusieurs écoles qui nous appellent pour qu'on fasse quelque chose, qu'on leur explique, des écoles qui sont complètement, mais vraiment très inquiètes parce qu'il y a des familles qui sont en train de prendre leurs enfants puis ils sont en train de quitter. C'est sûr que, pour le Québec, c'est très important de rassurer sa population. Et, quand je regarde des femmes qui sont voilées puis qui sont qualifiées, c'est un désarroi qui est vraiment immense de ces femmes-là. Je leur parle, puis c'est une inquiétude.

Et l'inquiétude n'est pas juste au Québec, ça va au-delà des frontières. Nous travaillons avec des écoles qui forment des gens qui travaillent dans le réseau de la santé, et eux, des écoles privées, ils ont de la difficulté. Ils ont fait une tournée en Afrique du Nord, puis il y a beaucoup de familles qui disent : Non, qu'est-ce que ça nous donne d'envoyer nos enfants et payer le gros prix, puis après ça ils ne pourront pas travailler au Québec? Donc, ils sont en train de réfléchir à ne pas envoyer leurs enfants étudier dans des écoles privées qui coûtent excessivement cher puis qui… Ils ont les moyens de faire ça, mais ils ne veulent pas à cause de toute cette problématique que soulève la charte. Et ça, c'est la réalité terrain.

Mme Weil : Merci, Mme Tamouro.

Le Président (M. Morin) : C'est terminé? O.K. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Mesdames monsieur, merci pour votre mémoire. Vous soulevez des nuances intéressantes. On parle du réseau de la santé. Vous nous écrivez, à la page 46 : Au Québec, 255 000 personnes sont dans le secteur de la santé et des services sociaux. De ce nombre, est-ce que vous avez une idée… est-ce que vous savez combien portent des signes religieux? Parce que là est la question, c'est à eux qu'on interdirait.

Mme Tamouro (Soumya) : On aimerait bien le savoir. Vous voulez parler?

M. Di Giovanni (Jérôme) : C'est la question qu'on pose : Il y a combien de Québécoises qui portent des signes religieux et qui sont dans le système de la santé? On ne le sait pas, il n'y a pas d'étude. Combien…

Mme Roy (Montarville) : …Québécois aussi.

M. Di Giovanni (Jérôme) : Québécois et Québécoises, oui. Combien de Québécois et Québécois aussi… Québécoises, c'est-à-dire, qui portent le voile ou le niqab et qui sont dans le secteur de la santé? On ne le sait pas.

Lorsqu'on parle de droit à l'égalité puis on parle de discrimination, c'est fondé. C'est fondé sur des faits, c'est fondé pas sur des impressions. Dans tous les tribunaux, que ce soit au Québec, que ce soit au Canada, que ce soit en Europe, que ce soit aux États-Unis, lorsqu'on est dans une cause de droit à l'égalité et de discrimination, on doit démontrer qu'il y a discrimination. Mais on ne le sait pas, il n'y a pas eu d'étude. Il n'y a pas d'étude, absolument pas. Puis nous, on en donne, de la formation, dans les hôpitaux, puis eux aussi, ils ne le savent pas. Puis ça n'a jamais été soulevé dans nos formations, que ça causait un problème. Surtout lorsqu'on lie ça à la description de tâches.

Lorsqu'on dit que ça prend une description de tâches qui est validée, à partir de cette description de tâches là, là, on peut faire… là on peut déterminer le code d'habillement de la personne. Puis c'est également vraiment partout, là.

Mme Roy (Montarville) : Je vous remercie pour votre réponse. Merci beaucoup.

Le Président (M. Morin) : Mme la députée, c'est terminé? Oui, M. le député de Blainville.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. Mesdames messieurs, bonjour. À la lueur de… à la lecture, j'allais dire, de votre document, et corrigez-moi si je me trompe, j'ai eu l'impression que vous souleviez, entre autres dans le domaine de la santé, un certain nombre d'inégalités. D'ailleurs, vous nous parlez de différents piliers, là, de cinq piliers d'égalité que vous aimeriez mettre en place, à la page 40, vous nous dites : «L'expérience terrain nous démontre que cette égalité de droit ne s'est pas encore traduite en égalité sur le terrain.» C'est ce que vous nous dites. Moi qui crois vivre dans une société égalitaire… Mais évidemment je ne suis pas exposé à tous les phénomènes. Je m'intéresse plus particulièrement à votre pilier 1, où vous dites : «La prestation des services de santé et services sociaux égale en qualité à ceux qui sont offerts à la population en général.» Est-ce que vous êtes… Qu'est-ce que vous nous dites actuellement, j'allais dire qu'il y a deux types de patient, qu'il y a deux types de services qui sont offerts, et, si c'est le cas, j'aimerais bien avoir un exemple, parce que moi, je croyais que tout le monde étaient égaux face à des soins de santé ou à des services qui étaient donnés par l'État.

Mme Tamouro (Soumya) : J'aimerais juste vous…

Le Président (M. Morin) : Mme Tamouro.

Mme Tamouro (Soumya) : Oui, merci, monsieur. Je vais vous donner un exemple pour les services de soins spirituels. Je sais que vous… pour le projet de loi, ça ne touche pas le projet de loi, le projet de loi ne s'appliquerait pas dans les services de soins spirituels, mais j'aimerais ça quand même vous donner un exemple dans ce service-là.

Les intervenants spirituels aujourd'hui — on les appelle les intervenants depuis 2010 — sont majoritairement des prêtres catholiques, de par l'histoire du Québec, ce qui est normal. Par contre, si on va dans des quartiers, par exemple le CSSS de la Montagne, où on a beaucoup de population musulmane, maghrébine, musulmane, bien on n'a pas de prêtre musulman. Partout au Québec… Il y a un seul à Sherbrooke, qui est un catholique qui a été converti. Donc, il n'y a pas d'intervenant spirituel musulman sur tout le Québec. Et donc on dit : La loi est claire. Quand vous n'avez pas d'intervenant, vous devez établir des liens avec des représentants religieux pour éventuellement les faire amener si un malade, un patient le demande. Mais, une autre étude, sur toute l'île de Montréal, sur 33 hôpitaux, il y a eu un hôpital qui avait une liste des intervenants religieux qu'on amène si le patient en a besoin, autrement il n'y a rien qui est sur le terrain, qui existe pour répondre à ce besoin d'une autre religion. Même, on a vu des gens qui sont de d'autres religions qui participent à des messes catholiques pour la simple et unique raison que leur identité de patient a dépassé celle de leur religion ou de leurs croyances, parce qu'ils ont besoin d'être en contact avec d'autres personnes.

M. Ratthé : …exemple intéressant que vous donnez. Mais je vous poserais une autre question par rapport à cet exemple-là : Est-ce que c'est parce que le système les exclut, ces intervenants, ou est-ce parce que les communautés religieuses n'en fournissent pas? Parce qu'en réalité c'est ça, la vraie question. Parce que moi, je me demande : Est-ce que le système les exclut, puis là il y a inégalité?

Mme Tamouro (Soumya) : Oui. En fait, si je parle de 2001, il y avait la signature de protocole avec les autorités religieuses et le gouvernement, et là-dedans, par exemple, on a exclu la communauté musulmane tout simplement, elle n'était pas présente dans l'entente. Du coup, on n'a personne pour donner ces… intervenir.

Mais par la suite on a changé les choses, sauf que… On en a. On va les trouver de manière bénévole, s'ils veulent, pas de problème jusque-là. Sauf qu'en tant qu'intervenant spirituel c'est un professionnel de la santé qui va intervenir dans des équipes multidisciplinaires et aider le soin des malades, un bénévole n'a pas le droit de connaître le secret professionnel, ne pas avoir… Donc, il intervient, il n'est pas payé et il quitte. Et souvent, dans tous les hôpitaux qu'on a vus sur le terrain, ils nous ont dit que c'est la famille qui le fait venir.

Le Président (M. Morin) : Merci, le temps est écoulé. Mme la députée de Gouin.

Mme David : Merci, M. le Président. Bien, c'est intéressant, parce que mon collègue a commencé à aller sur le terrain, dans le fond, des droits des usagers, et c'est exactement là que je voulais aller. Parce qu'on en parle beaucoup, des droits des usagers, dans cette commission.

Est-ce que vous auriez d'autres exemples plus quotidiens peut-être à nous donner, puisque vous expliquez que les droits des usagers et usagères en provenance des communautés culturelles ne seraient pas tout à fait aussi respectés ou enfin il y aurait peut-être… Ce n'est peut-être pas une question de respect moins qu'une question d'ignorance ou de difficulté d'intervention, mais, bref, si on veut parler des droits des usagers, d'après ce qu'on entend, il semble y avoir un problème du côté d'un certain nombre de personnes des communautés culturelles. Pouvez-vous y aller un petit peu plus loin, là-dedans?

• (12 h 40) •

M. Di Giovanni (Jérôme) : La réponse est à deux volets. Premièrement, au niveau de la loi de la santé et des services sociaux, l'article 2.5°, là, qui stipule qu'il faut offrir des services, là, selon la langue ou selon les caractéristiques linguistiques et culturelles, l'article 2.7° qui dit : Favoriser, compte tenu des ressources, l'accessibilité à des services de santé et des services sociaux aux communautés culturelles par rapport à leur langue, les différentes communautés culturelles, oui, effectivement, il y a des différences. D'une part, au niveau des professionnels qui offrent les services, ils sont au désarroi parce qu'ils ont besoin de formation. Comment intervenir dans un milieu où la personne ne parle pas la langue, où la notion de la santé est complètement différente? Et, au niveau de la communication avec l'intervenant en santé, que ce soit un médecin, infirmière ou autres, elle est extrêmement, extrêmement importante. Puis ce n'est pas parce qu'on ne parle pas la langue française. C'est qu'on peut parler la langue française, mais les notions, les concepts sont complètement différents. Donc, ils nous demandent des formations, et actuellement on a des offres, des propositions auprès du MSSS, auprès des ordres professionnels, mais c'est toujours la question qu'ils disent : Il manque de ressources puis on n'a pas les moyens pour former des intervenants. C'est pour ça que les intervenants se forment à l'heure du dîner, de midi à 1 heure, parce que ça ne coûte pas cher à l'employeur. Donc, il y a cet élément-là qu'il faut les former, les gens, pour les outiller. Puis on peut citer des exemples. Au niveau du cancer, lorsque le médecin, il est entré en communication avec une patiente puis il dit : Madame, vous avez le cancer du sein, vous allez suivre des traitements, puis la patiente, elle dit : Je sais pourquoi j'ai le problème, c'est ma belle-soeur qui m'a jeté un sort, je vais m'en occuper, merci, Mme la médecin, puis elle se lève puis elle s'en va, il y a un gros problème par rapport à ça.

L'autre élément, c'est au niveau de la connaissance de services. Là, on touche au niveau des communautés culturelles. La connaissance des programmes, des services, comment accéder aux services de santé, c'est quoi, une clinique sans rendez-vous, on offre des ateliers, ACCESSS, aux communautés ethnoculturelles pour expliquer le réseau de la santé et des services sociaux, puis on le fait sans financement. C'est un des ateliers qui est le plus couru actuellement au Québec. On donne des différences, on donne des listes de cliniques de sans rendez-vous. On explique aussi aux gens comment accéder aux salles d'urgence, aux divers médecins.

Le troisième élément, c'est le statut des personnes. En fonction du statut d'immigration, au Québec et au Canada, on a droit à… on peut accéder à des types de services puis on n'accède pas à certains types de services, et là le réseau de la santé est complètement dépourvu parce qu'il ne sait pas comment gérer le fait qu'il y ait des statuts d'immigration différents.

Le Président (M. Morin) : M. Di Giovanni, comme je suis réglé par le temps, je ne peux pas vous laisser continuer. Je vous ai donné quelques secondes de plus. Dommage!

Oui, Mme Gonzalez, aviez-vous… Non, ça va? Ça va? Mais…

Mme Gonzalez (Carmen) : …ajouter juste une chose?

Le Président (M. Morin) : Oui, très, très court. Je suis très méchant.

Mme Gonzalez (Carmen) : O.K. C'est juste pour M. le ministre. Juste pour vous dire que, quand on vous invite à nous rencontrer… Parce que j'ai comme l'impression qu'il y a eu comme de la… qu'on ne s'est pas compris avec le mémoire. J'aimerais ça, si c'est possible, de réitérer l'invitation de Jérôme, si on peut parler en dehors de la salle.

Le Président (M. Morin) : M. le ministre a compris, il vous donnera la réponse un peu plus tard. Donc, merci beaucoup de votre intervention. Bon retour à la maison. Nous, on va aller manger quelque peu pour revenir en forme.

Donc, la commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 43)

(Reprise à 14 h 8)

Le Président (M. Morin) : La commission va reprendre ses travaux.

Des voix :

Le Président (M. Morin) : Attention, s'il vous plaît! Bon début d'après-midi, tout le monde. Cet après-midi, nous entendrons le Rassemblement pour la laïcité, le groupe Laïcité citoyenne de la capitale nationale, M. Guy Rocher, de même que M. Raphaël Fischler.

Donc, avant de débuter, ça va me prendre un consentement pour terminer un peu après 18 heures. Consentement? Merci.

Donc, M. Chikhi, si c'est vous qui avez la parole, allez-y. Vous avez 10 minutes.

Rassemblement pour la laïcité

M. Chikhi (Ferid) : Alors, M. le Président, bonjour. M. le ministre, Mmes, MM. les députés, bonjour. Notre mémoire se veut être l'expression de près de 61 000 signatures ou signataires de la déclaration pour le Rassemblement pour la laïcité. Je vous remettrai ça, M. le Président, comme document qui pourrait être vu par les députés, les parlementaires. Il y a dedans les adresses, donc, des personnes, on ne voudrait pas que ce soit connu. Alors donc, 61 000 signataires de la déclaration du Rassemblement pour la laïcité, dont plusieurs personnalités comme Gilles Vigneault, Julie Snyder, Guylaine Tremblay et bien d'autres, pour n'en nommer que quelques-unes. Vous trouverez à l'annexe 3 de notre mémoire une liste partielle de ces personnalités qui appuient le Rassemblement pour la laïcité.

Cette déclaration, que vous trouverez à l'annexe 2, rejoint aussi de grands pans de la société faisant partie de ce qu'on appelle souvent la majorité silencieuse. C'est d'ailleurs la même démarche qui a rallié spontanément des milliers d'adhérents et d'adhérentes au mouvement des Janette. Malgré la complexité du sujet, l'appui populaire à la laïcité est clair, notamment dans la population francophone et allophone.

Le Rassemblement pour la laïcité regroupe plus d'une vingtaine de groupes ainsi que des citoyens et des citoyennes de tous horizons politiques, de toutes origines et de tous âges rassemblés autour du principe de la laïcité comme projet d'avenir pour la société québécoise. Pourquoi cette démarche est-elle fondamentale et nécessaire? Depuis une décennie, l'actualité nous force à nous interroger sur le devenir de la société québécoise et les mutations en cours; sur les relations entre les citoyens et leurs institutions politiques, économiques, culturelles et sociales; sur les rapports entre ces mêmes citoyens et leur État; sur l'égalité entre les femmes et les hommes; sur l'immigration, son intégration et son apport à la société d'accueil.

Je passe la parole à ma collègue Martine Desjardins pour la suite.

• (14 h 10) •

Mme Desjardins (Martine) : D'autre part, toute la société est interpellée sporadiquement en ce qui a trait à la place de la religion dans l'espace public. Il est essentiel de mettre fin à l'insécurité juridique qui prévaut depuis trop longtemps en cette matière et aux tensions sociales que cela génère.

Le débat sur la laïcité est déterminant pour l'avenir de la société québécoise. Or, cet avenir ne peut se faire et être pensé sans un regard, un ancrage avec le passé historique, politique, social, culturel et démographique, ne serait-ce que depuis les 50 dernières années. Nous estimons que le devenir d'une société ne peut se fonder sur l'exacerbation des différences mais bien sur l'adhésion à un socle commun de valeurs citoyennes. Le débat autour des valeurs prioritaires pour la société québécoise, de l'intégration des immigrants, de la place des minorités, de la diversité culturelle et du vivre-ensemble pose de façon cruciale la question de la société que nous voulons pour demain. Alors, deux questions nous interpellent, et on vous les pose : Quelles sont les améliorations, les avantages, les progrès sociétaux que le Québec a accumulés depuis plus de 50 ans? Et qu'est-ce qui pourrait se détériorer, se dégrader et s'altérer si ce processus est freiné, voire même stoppé, mis en échec, et surtout dans une société qui devient de plus en plus multiethnique et multiconfessionnelle?

Le rassemblement dont nous sommes les porte-parole apporte son appui au projet de loi n° 60 et considère qu'il constitue une avancée importante pour mettre fin à l'insécurité juridique qui prévaut depuis trop longtemps en cette matière et aux tensions sociales, mais c'est aussi pour faire du Québec une société plus inclusive, notamment pour les citoyens de religion et de culture musulmanes. La laïcité telle que proposée par le projet n° 60 nous apparaît comme une condition essentielle du mieux-vivre ensemble. En s'appuyant sur les trois principes qui sous-tendent la laïcité, à savoir le respect de la liberté de conscience, l'égalité de tous les citoyens et l'universalité du bien commun, à savoir les mêmes lois et les mêmes droits qui s'appliquent à toutes et tous, le projet de loi n° 60 pose les conditions essentielles pour mettre en place un projet de société rassembleur qui respecte la dignité humaine, renforce la justice sociale et consolide la cohésion de la société québécoise.

Pour une première fois, nous croyons que nous pouvons avoir confiance dans la volonté affirmée de l'ensemble des parlementaires dont vous êtes. Nous croyons aussi que le débat peut s'élever au-dessus des visées partisanes. Notamment, dans le projet de loi, on parle de valeurs québécoises, soit la sauvegarde de la langue française, l'égalité hommes-femmes et le caractère laïque des institutions. Il s'agit en fait de valeurs auxquelles le Québec a choisi de donner la priorité.

Le projet de loi peut contribuer à mettre en place les conditions pour mieux gérer la diversité, et cela, en ménageant un espace neutre où tous les citoyens pourront se côtoyer. Pour cela, il est essentiel que les institutions publiques ainsi que l'ensemble des agents de l'État soient neutres. En préservant notamment la neutralité des apprentissages et des employés des centres de la petite enfance, des garderies et des établissements scolaires, le projet de loi prépare un avenir plus respectueux des enfants et des convictions spirituelles de leurs parents. C'est un des aspects du projet de loi auquel le rassemblement accorde beaucoup d'importance.

 Il faut également considérer le fait que l'enfant en bas âge est incapable de faire un raisonnement élaboré pour comprendre les distinctions entre sa réalité présumée et effective, il est centré sur son monde. Vers l'âge de neuf ans, il commence à développer le sens moral de la réciprocité et de la justice. Impossible, donc, de comprendre l'ensemble des distinctions et des codes qui lui sont soumis et de les classer selon ses valeurs familiales avant la fin de son primaire.

Le développement du sens moral en lien avec le contrat social viendra, quant à lui, beaucoup plus tard. C'est à l'adolescence que l'élève commence à développer sa critique sociale et découvre ses valeurs personnelles. C'est donc dire tout l'impact que l'éducateur a avant cette période de développement. Il est donc faux de prétendre que les idées, valeurs, choix de religion des éducateurs n'ont pas d'impact. Il en est de même pour l'interdiction des signes religieux dans les institutions d'enseignement supérieur, qui contribue à établir un espace neutre qui favorise le respect de la liberté académique — et j'insiste — du professeur mais aussi de celle des étudiants.

En adoptant ce projet de loi, le Québec va consacrer la laïcité comme un impératif pour les sociétés qui sont appelées à se diversifier davantage. Il nous faut un nouveau contrat social pour mieux gérer le vivre-ensemble non pas en nous repliant dans un passé communautariste, mais dans une société qui a mis en place les conditions qui nous rassemblent au-delà de nos différences. Pour y arriver, nous pensons qu'il est légitime de recourir à la clause de dérogation.

M. Chikhi (Ferid) : Je vais faire la suite, si vous le permettez. Parmi les opposants à la charte, nombre de personnes s'inscrivent dans une mouvance intégriste. Elles invoquent le manque de respect des droits fondamentaux et stigmatisation des musulmans. Cependant, même si la plupart de celles et de ceux qui tiennent ces arguments ont de bonnes intentions, ils sont, à quelques exceptions près, victimes de leur crédulité, de leur naïveté, de leur ignorance de la religion musulmane telle que pratiquée par la grande majorité des musulmans. Ils deviennent les premières victimes de la manipulation à grande échelle orchestrée par les islamistes au nom de l'atteinte aux libertés individuelles. En fait, pour ces intégristes, la seule partie… la seule patrie, pardon, c'est la communauté des croyants, l'oumma. Pourtant, il y a place dans le Coran pour un islam modéré. Il faut donc éviter toute stigmatisation de l'islam mais porter une attention particulière à l'expansion de l'idéologie islamiste qui en use pour une prise de pouvoir. Et, même s'il ne s'agit pas d'une recherche de domination gouvernementale, on peut parler d'une expansion au niveau spatial et social en évacuant la démocratie et en imposant la suprématie de quelques individus sur la communauté.

Encourager les demandes d'accommodement religieux et le port de signes religieux là où l'histoire du Québec a été témoin de leur retrait des institutions publiques, comme le suggère la commission Bouchard-Taylor, constitue une rupture sur le chemin de la laïcisation du Québec moderne. Cela ne peut que favoriser la crispation identitaire, comme celle qui s'est développée autour du crucifix à l'Assemblée nationale.

Le projet de loi n'est pas complet, notamment en ce qui a trait aux privilèges accordés à certains groupes religieux. À cet effet, nous suggérons la création du comité ad hoc qui prendrait en charge toutes les questions qui n'ont pas été abordées, comme celles du financement des écoles confessionnelles, des exemptions fiscales accordées aux communautés religieuses et du cours d'éthique et culture religieuse. Nous demandons au gouvernement d'introduire une clause de dérogation afin de faire primer les instances politiques qui sont élues par la population au lieu de remettre la décision dans les mains de juges qui sont nommés.

Pour terminer, il faut aussi prendre en compte le respect de la liberté de conscience des enfants, les convictions de parents ainsi que les convictions de l'ensemble des citoyens. Ces droits citoyens doivent primer sur les choix vestimentaires personnels des employés. L'État démocratique ne peut être que laïque et, pour être laïque, il doit fonctionner selon les lois votées démocratiquement et non selon des commandements divins ou selon des diktats religieux. Le projet de loi n° 60 prévoit des limites raisonnables à la liberté de religion et il correspond à un projet de société que le Québec moderne s'est donné depuis la Révolution tranquille.

Enfin, il est important que toutes les forces vives du Québec qui ont à coeur la défense de la liberté de conscience, de l'égalité des hommes et des femmes, du pluralisme et de l'indépendance de l'État par rapport aux religions s'unissent afin de faire de ce combat démocratique une source de fierté pour le Québec et un projet structurant pour notre avenir commun.

Avant de terminer notre présentation, j'aimerais, messieurs et mesdames, citer Mahatma Gandhi. Il a dit : «Je ne veux pas que ma maison soit entourée de murs de toutes parts, je ne veux pas que mes fenêtres soient obturées. Je veux que les cultures de tous les pays puissent circuler chez moi aussi librement que possible. Mais je refuse d'être écrasé par l'une d'entre elles.» C'est ce que nous souhaitons pour le Québec de demain.

Le Président (M. Morin) : Merci, mon cher monsieur. Donc, M. le ministre.

• (14 h 20) •

M. Drainville : Merci, M. le Président. Merci à vous deux pour la présentation. J'aimerais d'abord commencer par cet extrait, donc, de votre mémoire à la page 23. Vous écrivez ceci : «Les pressions communautaristes menant à la surenchère de demandes d'accommodements religieux ne peuvent que favoriser un profilage ethnico-religieux dont la forte majorité "invisible, silencieuse et laborieuse" des musulmans est la première victime.» Et vous ajoutez : «Telle est la mise en garde de nombreuses personnes originaires du Maghreb et du Moyen-Orient qui se voient refuser des emplois parce que les employeurs ont peur de se voir imposer des accommodements religieux et du personnel qui arborerait des signes religieux.»

Dans le fond, pour résumer, vous dites : Les premières victimes de la surenchère de demandes d'accommodement religieux, c'est la majorité de confession musulmane qui ne cherche qu'un travail, qui veut s'intégrer, qui veut vivre heureuse avec sa famille, et tout le reste. Pouvez-vous un petit peu élaborer là-dessus? Parce qu'effectivement, nous, il y a des employeurs et il y a des chercheurs aussi qui nous ont dit que des C.V., des curriculum vitae de néo-Québécois étaient carrément jetés aux poubelles parce qu'il y a des employeurs qui ont peur d'avoir à gérer des demandes d'accommodement. Alors, plutôt que donner la chance à une personne qui souvent est très bien formée, bardée de diplômes, enfin, la personne a toutes les qualifications pour combler le poste, bien, plutôt que de lui donner une chance, on met sa candidature au panier parce qu'on craint une demande, une éventuelle demande d'accommodement.

M. Chikhi, vous, vous êtes conseiller en intervention pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées. Vous êtes également consultant en matière d'intégration socioculturelle. Dites-nous un peu comment la charte nous aide justement à rassurer peut-être certains employeurs du secteur privé, comment elle peut nous aider à mieux intégrer au marché de l'emploi tous ces nouveaux Québécois qui auraient les qualifications pour obtenir un emploi mais à qui on ne donne pas la chance notamment parce qu'on a peur qu'ils nous arrivent avec une demande d'accommodement.

M. Chikhi (Ferid) : Je pourrais répondre en tenant compte toujours du contenu de notre mémoire, où on parle effectivement de laïcité et d'une laïcité fermée qui ferait que les employeurs, quels qu'ils soient, que ce soient ceux de la fonction publique ou ceux des entreprises privées, soient rassurés; dès lors, que les candidats qui se présentent ne soient pas jugés par rapport à leur nom et par rapport à l'incertitude que font planer quelques individus qui effectivement, dans les entreprises, demandent des accommodements, je dirais, parfois déraisonnables. Donc, on peut les rassurer en disant : Oui, vous avez la charte de la laïcité qui protège vos droits mais qui impose aussi des règles, des règles que tout le monde doit respecter. Alors, au lieu de regarder simplement l'origine de la personne, on va partir du principe que cette réglementation encadre, oriente les recruteurs pour ne pas craindre ces personnes-là. Et, s'il y a des accommodements à apporter, ça serait plutôt des arrangements. Libre à l'entreprise privée d'offrir l'arrangement qui lui convient dès lors que la compétence, l'expérience, la qualification de ces candidats est prise en considération.

Mais, dès le moment où on fait de la publicité, une grosse publicité pour des statistiques qui ont été traitées plusieurs fois depuis 2010, disant qu'il y a 30 % de la population des Maghrébins qui ne trouve pas d'emploi, qui est sans emploi, et que la surenchère vient de là, en disant : Oui, c'est parce que c'est des islamistes, je suis désolé, les 30 % de Maghrébins, ce ne sont pas tous des islamistes. Ce ne sont pas toutes des femmes qui portent le voile, ce ne sont pas tous des hommes qui ne serrent pas la main aux femmes. Ce sont de très bons candidats, mais la crainte des employeurs fait qu'on ne les appelle pas, fait qu'on ne les regarde même pas. Et puis, oui, il y en a qui enlèvent le voile, parmi les femmes, il y en a qui rasent leur barbe, parmi les hommes, mais une fois recrutés, malheureusement, ils remettent tout en place. Alors, les employeurs se disent : S'il y a eu mauvaise représentation au début, il y en aura automatiquement par la suite. Alors, nous, on dit que, la charte de la laïcité, avec des balises bien déterminées qui permettraient aux employeurs de faire le choix en conséquence des compétences, des qualifications, des attitudes et des comportements, ils n'auront plus de crainte à recruter ces candidats.

M. Drainville : Vous ajoutez également, toujours à la page 23 — c'est un suivi à la question que je viens de vous poser, là, alors je vous cite : «Encore une fois, sur plus de 150 000 musulmanes et musulmans au Québec, combien de personnes demandent des accommodements religieux? Très peu.» Vous répondez : Très peu. «Par contre, la mouvance islamiste, tout en étant très minoritaire, est particulièrement militante en matière d'accommodements religieux, alors qu'ils font partie — ces accommodements, donc, ou ces demandes d'accommodement — d'une stratégie politique et idéologique, même s'ils sont invoqués sous le couvert de la religion. Notons que ces demandeurs sont encouragés dans la surenchère par des organismes voués à la défense des droits et qui privilégient les droits individuels et accordent la priorité aux droits religieux, et cela, au détriment des droits collectifs, notamment ceux des femmes et des enfants. Voilà pourquoi l'adoption de balises claires visant à encadrer les demandes d'accommodements religieux comme le propose le projet de loi n° 60 peut contribuer à restreindre la surenchère des demandes en provenance d'intégristes.»

Dans votre esprit, au-delà, là, de cette surenchère en matière d'accommodements, comment est-ce qu'il se manifeste au Québec, cet intégrisme religieux? Est-ce que vous pouvez nous éclairer un peu là-dessus?

M. Chikhi (Ferid) : Bien, la manifestation, elle est simple. Vous savez, il suffit d'aller dans n'importe quel organisme de soutien aux chercheurs d'emploi, dans des organismes d'aide à l'intégration socioéconomique, socioculturelle, et puis on voit le nombre de personnes qui sont en attente de trouver un emploi. Dès le moment où un emploi est refusé, dès le moment où une candidature est envoyée à un employeur, quel qu'il soit, et qu'il n'y a pas de réponse, on crie à la discrimination, contrairement aux autres 150 000 musulmans qui, lorsqu'ils n'ont pas de réponse, ils continuent à relever le défi de la recherche d'emploi. Ils ne s'arrêtent pas à une réponse ou à une non-réponse d'une entreprise, quelle qu'elle soit.

Alors, pendant que celui qui cherche un emploi, qui persévère dans sa recherche d'emploi, qui va dans les clubs de recherche d'emploi, qui retourne chez les conseillers en emploi pour trouver les bonnes astuces pour se faire recruter… les autres vont aller à la Commission des droits de l'homme, vont aller aux médias, vont aller dire : Nous sommes victimes du racisme, de la xénophobie, de la discrimination. Et là ça porte préjudice à tout le monde, ça porte préjudice à tous les autres musulmans qui sont en recherche d'emploi et qui ont des difficultés, parce qu'effectivement il y a une petite expérience qu'on peut exiger sur le plan culturel, sur le plan de la connaissance de la société québécoise, mais ce sont des gens qui sont parfaitement opérationnels après deux, trois, quatre mois de travail.

Alors, encore une fois, quand on parle de balises, il ne faut pas laisser ça aux employeurs, de décider seuls, mais au moins de leur donner un cadre de référence qui leur permet de faire les bons choix.

M. Drainville : Très bien. Mme Desjardins, jusqu'à maintenant, dans le débat public, certains ont dit : On ne peut pas interdire le port des signes religieux ostentatoires dans les institutions d'enseignement supérieur, au nom notamment de la liberté académique des professeurs. Si je comprends bien votre mémoire, je pense que c'est un point de vue que vous ne partagez pas. Et j'aimerais bien que vous nous éclairiez là-dessus, d'autant plus que vous avez à la fois cette précieuse expérience que vous avez acquise à la FEUQ, mais vous avez aussi, il faut le rappeler, été chargée de cours et chercheure dans le domaine de l'éducation.

Alors, d'abord, précisez bien votre pensée sur le cadre d'application. Est-ce que vous êtes, comme je semble le comprendre, d'avis que la neutralité des institutions doit s'étendre donc aux universités, aux institutions d'enseignement supérieur, premièrement? Et, deuxièmement, est-ce qu'elle doit s'appliquer également aux professeurs qui enseignent dans ces institutions? Et pourquoi, à votre avis, si c'est le cas? Pourquoi, à votre avis, l'argument de l'autonomie des institutions et l'argument de la liberté académique ne sont pas… ne vous convainquent pas?

Mme Desjardins (Martine) : D'accord. D'abord, je veux spécifier que l'autonomie des institutions universitaires a fait l'objet d'un débat dans les dernières années. Certes, chaque institution est autonome dans la mise en place de ses programmes, mais elles relèvent tout de même de l'État, hein? L'État fournit un ensemble de subventions aux universités pour qu'elles puissent fonctionner, et donc évidemment, pour chaque dollar investi, on est en droit de s'attendre à ce que les institutions universitaires reflètent la laïcité demandée par l'État.

La neutralité des institutions aussi, elle passe notamment par les individus, hein? C'est sûr que, dans une université, vous trouvez du papier, un bureau, mais ça ne reflète pas, en fait, la laïcité d'une institution. Ce qui l'incarne, ce sont les enseignants, ce sont les professeurs. Et donc à l'université… Et j'ai parlé un peu du primaire dans notre allocution, mais à l'université, puisque c'est votre question, il faut faire attention avec le prêt-à-penser. Ça n'existe pas et ça n'a pas sa place à l'université, le prêt-à-penser. Pourquoi? Parce que les professeurs préparent les étudiants à la critique — nous avons bien appris dans les dernières années, croyez-moi — et notamment on prépare aussi les fonctionnaires de l'État. Pour la plupart, donc, ils sont passés par le réseau universitaire.

Les professeurs sont aussi en position d'autorité. Qu'on soit devant des enfants de huit ans ou devant des étudiants de 24 ans, on reste en position d'autorité. Certes, les étudiants de 24 ans ont un peu plus de bagage pour être capables, justement, de faire la part des choses entre ce qui est présenté par l'enseignant, mais évidemment, l'enseignant, on ne peut pas dissocier son enseignement de la personne qu'il est, et, lorsque vous enseignez à l'université, vous avez notamment le devoir de dire à quelle école de pensée vous adhérez.

Je peux vous donner un exemple sur l'éducation. Vous avez plusieurs modes de pensée, le béhaviorisme, l'humanisme, et que, lorsque vous enseignez, inévitablement vous allez privilégier une forme ou l'autre, en fait, des idéologies. Et ça, les étudiants peuvent le critiquer, puisque vous avez le devoir de le dire.

• (14 h 30) •

M. Drainville : C'est écrit où, ça, que vous avez le devoir de le dire? Est-ce que c'est...

Mme Desjardins (Martine) : Ça fait partie de votre liberté académique, ça fait partie de...

M. Drainville : De la déontologie académique aussi.

Mme Desjardins (Martine) : ...de la déontologie académique. Lorsque vous êtes professeur, vous avez la liberté, évidemment, d'enseigner selon… et selon la recherche qui a été faite, les données que l'on sait et souvent aussi un ensemble d'experts qui s'est déjà penché sur votre domaine. Vous ne pouvez pas juste arriver avec vos principes et vos valeurs et les imposer à vos étudiants. Vous partez de principes qui ont été pensés avant vous, que vous critiquez et que vous amenez à vos étudiants pour les amener à critiquer. Mais il faut aussi être assez honnête intellectuellement à l'université. La majorité des professeurs le font, disent qu'ils font partie d'une école de pensée et, à ce moment-là, invitent leurs étudiants à la critiquer.

Le problème avec les signes religieux, M. le ministre, c'est que les étudiants, en fait, ne peuvent pas le critiquer, puisque ce n'est pas un des objets qui font partie de la liberté académique. Il fait partie de l'individu. La liberté académique, c'est ce qui est enseigné, c'est ce qui est dans la recherche qui est faite à l'université.

M. Drainville : Ça, c'est la distinction que vous faites, hein? Vous dites : Le concept de liberté académique, il s'applique à la matière enseignée, mais il ne va pas jusqu'à permettre à celui qui transmet cette matière ou à celle qui transmet cette matière d'afficher ouvertement sa conviction religieuse.

Mme Desjardins (Martine) : Comme elle ne lui permet pas non plus d'afficher certaines convictions ou certains dogmes sans en apporter justement la possibilité aux étudiants de le critiquer. Et donc effectivement il faut faire la distinction entre la liberté académique, qui est la possibilité, pour le professeur, d'expliquer et d'amener certains éléments dans le cadre de son cours... Et je tiens à rappeler que, chaque cours, vous avez un plan de cours qui a été vérifié par l'université, adopté par le département, et donc la liberté académique, elle est aussi encadrée à l'université. Mais ça ne fait pas du tout partie… Ce n'est pas la même chose, la liberté religieuse et la liberté académique. Ce sont deux choses qui sont complètement différentes.

M. Drainville : Alors, vous y avez fait référence. J'aimerais ça qu'on élabore un petit peu sur le cas des enseignants, des enseignantes aux niveaux primaire et secondaire et l'effet que ça peut avoir sur un enfant que de voir une personne en autorité, pendant toute une année scolaire, afficher ouvertement sa conviction religieuse. J'aimerais ça que vous... Parce qu'on est vraiment... c'est vraiment le coeur... bien, enfin, c'est, je dirais, un des principaux enjeux du débat, c'est : Jusqu'à quel point le fait d'afficher sa conviction religieuse peut brimer la liberté de conscience de celui ou de celle qui est en présence de ce signe religieux?

Mme Desjardins (Martine) : Il faut comprendre, et comme je l'ai mentionné dans la présentation : lorsque vous avez un élève devant vous, du primaire et du secondaire, il est en train de développer, en fait, sa conception critique, le développement de sa pensée critique. C'est seulement à l'adolescence qu'il commence à comprendre ce que signifie le contrat social. Et donc ce qu'on est en train de faire actuellement, c'est-à-dire de définir un contrat social avec la charte des valeurs, il ne le comprend pas, il ne saisit pas l'ensemble des différentes données avant d'avoir atteint, là... et ça commence à partir de 13 ans. Ça fait partie des cours sur le développement de l'enfant.

M. Drainville : Vous dites 13 ans. Ça, c'est les recherches que vous avez faites…

Mme Desjardins (Martine) : Exactement. C'est les recherches...

M. Drainville : …ou les recherches sur le...

Mme Desjardins (Martine) : Les recherches sur le développement de l'enfant démontrent... Et, je veux dire, il y en a qui sont très animés, très curieux et qui sont capables d'aller voir. Maintenant, on a Internet, on a accès à plein de données. Mais, si vous allez vraiment dans le développement de l'enfant et vous vous attardez au développement cognitif d'un enfant, comprendre la notion de contrat social, ça arrive vraiment beaucoup plus tardivement. Et donc il faut arrêter d'essayer de plaquer, en fait, des conceptions que nous avons, adultes, dans la capacité de l'enfant, finalement, de faire la critique et la part des choses, parce que lui n'a pas développé ces capacités-là. Il va finir par le faire, mais il faut aussi lui laisser la chance de le faire.

M. Drainville : Quel impact ça a, le fait qu'il n'a pas le sens critique ou qu'elle, la jeune fille, n'a pas le sens critique, justement, pour faire la part des choses? Quel impact ça peut avoir sur son développement à lui ou à elle?

Mme Desjardins (Martine) : En fait, ce que ça peut amener, c'est justement éventuellement une rupture entre ses valeurs familiales et les valeurs qui sont prônées dans les institutions scolaires, puisque parfois ça peut arriver en pleine contradiction. Mais l'enfant n'est pas nécessairement conscient de tout ça. Il va retourner à la maison, demander à ses parents certaines questions sur ces conceptions et faire un choc des valeurs. Ça ne va pas nécessairement brimer son développement, mais il faut se rappeler que la personne qui est devant lui, c'est une personne qui est en autorité. C'est une personne en qui il doit avoir confiance, qui s'occupe de lui plusieurs heures par semaine. Et donc inévitablement, si les valeurs, par exemple, qui sont prônées par cette religion-là vont à l'encontre des valeurs familiales, ça peut avoir un impact, évidemment, sur le développement social de l'enfant.

M. Drainville : Certains répondront… Je me fais un peu l'avocat du diable, encore une fois, mais certains diront : Puis après? C'est ça, la vie en société. Il faut qu'il s'habitue à vivre dans la diversité. Alors, qu'il soit mis en présence de ce type de questionnement ou même de ce type de tension entre les valeurs qui lui ont été communiquées et les valeurs que la société lui rend notamment à travers l'école ou à travers le professeur, où est le problème?, diront certains, parce que, regardez, c'est comme ça. C'est ça, la vie. On est dans une société de plus en plus multiethnique; aussi bien qu'elle ou qu'il soit exposé à ça. Puis il n'y a rien de grave là-dedans, diront-ils, diront-elles, il n'y a rien de grave là-dedans. La mère ou le père n'aura qu'à mettre les pendules à l'heure, puis la vie continue.

Mme Desjardins (Martine) : Effectivement, on pourrait effectivement dire ça. Le problème, c'est que, lorsque vous faites… Et ça pourrait s'apparenter, par exemple, à une technique d'impact qu'on utilise beaucoup en éducation, où on va choquer la personne devant nous pour essayer d'obtenir un comportement. Le problème, c'est que ça prend un suivi puis un accompagnement. Et donc vous ne pouvez pas juste dire : On va choquer un enfant, et par la suite on va le laisser comme ça, et le parent attrapera la balle au bond. Encore faut-il que le parent soit mis au courant de ce qui se passe, encore faut-il que l'enfant ait vraiment un accompagnement qui soit approprié et encore faut-il qu'on lui amène à se poser ces questions-là, parce que sinon il prend pour acquis, en fait, ce qu'il voit, puisqu'il n'a pas la capacité de la critiquer jusqu'à l'adolescence.

M. Drainville : Et parce qu'il va faire confiance à la personne qui est devant lui ou devant elle. C'est ça qui est très, très important.

Mme Desjardins (Martine) : Et c'est normal, en fait. L'enfant est amené, justement, à faire confiance à l'enseignant, puisqu'on lui dit qu'il doit faire confiance et respecter les consignes de cet enseignant-là.

Donc, évidemment, pour cet enfant, il doit être capable d'être accompagné face à tout ça, et ce n'est pas en choquant un enfant ou en le mettant devant des faits accomplis qu'on va obtenir un comportement ou un développement à long terme qui va être sain et justifié, au contraire. Il faut l'accompagner, il faut lui permettre de faire tranquillement ces apprentissages-là. Et franchement on ne peut pas déterminer l'impact d'un choc sur les enfants, c'est impossible de le faire, on va le savoir beaucoup plus tardivement. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, en éducation, on essaie d'éviter ce genre de technique d'impact, parce que ça a des effets néfastes qu'on n'est pas capables de contrôler. Je ne suis pas en train de dire que c'est le même type pour des enfants qui voient, par exemple, des enseignants avec des signes religieux, mais ça pourrait effectivement s'apparenter.

M. Drainville : Il me reste à peu près deux minutes. M. Chikhi, ceux qui soutiennent la charte, qui appuient la charte se font parfois taxer d'islamophobes, je suis bien placé pour en parler, mais, vous, on peut difficilement vous taxer d'islamophobe, puisque vous êtes vous-même musulman, hein, c'est bien…

M. Chikhi (Ferid) : Oui.

M. Drainville : Bon, c'est mauditement embêtant, dans votre cas, de vous taxer d'islamophobe. Alors, comment vous réagissez quand vous entendez certaines critiques taxer les partisans de la charte d'islamophobes, alors que vous êtes procharte et vous êtes musulman? Donc là, ce n'est pas suffisant, là, il va falloir qu'ils trouvent autre chose dans votre cas, là.

• (14 h 40) •

M. Chikhi (Ferid) : Vous savez, si je reviens sur le registre purement théologique, purement religieux, nous l'avons mis en page 20, un verset du Coran, parce qu'il faut parler avec eux les mots qui leur conviennent. C'est qu'en islam on dit : «Quand, entre peuples, vous prononcez un jugement, faites-le avec justice : combien, en vérité est excellent l'enseignement que Dieu vous a donné.» Et il y a un verset du Coran qui parle de la relation entre chrétiens, musulmans, Juifs, sabéens et tous les gens du Livre : Essayez non pas dans la religion de vous dépasser, mais essayez par les bonnes choses que vous faites, par les actions positives que vous faites de vous concurrencer. Je préfère vous concurrencer tous tels que vous êtes par mes compétences, par mes qualifications, par mes expériences plutôt que de vous concurrencer sur la religion, parce que nulle contrainte en religion.

Alors, celui qui me traite d'islamophobe, c'est son droit, il a la liberté d'expression, mais il faudrait qu'il fasse mieux que moi en matière de pratiques quotidiennes, en matière de relations sociales, en matière d'intégration dans la société d'accueil, où je peux pratiquer ma religion sans que personne ne m'empêche de le faire. Et ce n'est pas avec les signes extérieurs que ça se fait, c'est avec ce que j'ai dans le coeur et ce que j'ai dans ma tête. Alors, je n'ai aucun problème avec ça, je fais face à cela. Et je ne suis pas le seul.

M. Drainville : Est-ce que vous subissez des pressions parfois?

M. Chikhi (Ferid) : Absolument, absolument.

Une voix :

M. Chikhi (Ferid) : Bien oui, il y a des menaces. Aujourd'hui, c'est la cyberintimidation. La jeune dame qui est passée ici il y a quelques jours, qui a parlé de la prière sur un programme informatique, allez-y, sur Internet, allez-y, sur les réseaux sociaux, vous allez voir combien elle est intimidée par, justement, ces groupes-là.

M. Drainville : Par les groupes intégristes?

M. Chikhi (Ferid) : Intégristes, bien sûr.

M. Drainville : Mme Kichou, ça, hein?

M. Chikhi (Ferid) : Mme Kichou, oui. Quand bien même les autres… Nous sommes musulmans par le travail que nous faisons, par la productivité que nous apportons dans ce pays qui nous a accueillis. Nous faisons de notre mieux, même si on est, disons, disqualifiés, parce que beaucoup disent qu'on ne reconnaît pas nos diplômes, nos expériences et tout, mais ce n'est pas parce que j'ai été ingénieur en Algérie ou que j'ai été cadre sénior que je dois obligatoirement commencer par un poste d'ouverture qui est cadre sénior ou ingénieur. Il y a des ingénieurs qui ne sont pas inscrits à l'Ordre des ingénieurs qui travaillent comme techniciens.

Le Président (M. Morin) : Votre temps est imparti. Merci, M. le ministre. M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. De combien de temps disposons-nous?

Le Président (M. Morin) : De 18 minutes… 16 min 20 s, je m'excuse.

M. Tanguay : 16 minutes. O.K. Merci beaucoup, M. le Président. D'abord et avant tout, j'aimerais présenter mes excuses à Mme Desjardins et à M. Chikhi. M. Chikhi, nous avons été en retard, nous avions une conférence de presse. Ce n'est pas une excuse, mais donc je voulais vous présenter nos excuses. On a eu l'occasion de lire votre mémoire et nous avons des questions à vous poser. Merci pour le temps que vous avez mis à rédiger le mémoire et le temps que vous prenez aujourd'hui à répondre à nos questions.

J'aimerais savoir d'entrée de jeu : Au niveau de l'aspect un peu plus conceptuel, êtes-vous d'accord avec l'affirmation par laquelle, effectivement, des croyances religieuses ou ce qui fait fondamentalement partie de l'identité d'une personne, que ce soit un homme ou une femme, peuvent se traduire par le port de signes religieux? Est-ce que, cet aspect-là, vous êtes en accord?

M. Chikhi (Ferid) : Est-ce que, si je comprends bien, ma conviction religieuse…

M. Tanguay : Est-ce que vous croyez que, pour des personnes, pour des individus, que ce soit un homme ou une femme, leur conviction religieuse ou leur identité personnelle fait en sorte, pour eux, de justifier… c'est important, c'est majeur, pour eux, de porter un signe religieux, quel qu'il soit, dans certains cas?

M. Chikhi (Ferid) : Il n'y a rien dans ma religion qui me permette de le faire.

M. Tanguay : Dans toutes les religions?

M. Chikhi (Ferid) : Bien, en tout cas, dans celle que je connais, qui est la mienne, il n'y en a pas. Il n'y a aucune obligation de port de signe ostentatoire ou de symbole. Le seul symbole que j'ai à présenter, c'est ma conviction que je peux réussir à faire de bonnes actions quotidiennement.

M. Tanguay : Et je ne sais pas si, Mme Desjardins, vous voulez commenter là-dessus. Donc, vous, M. Chikhi, c'est uniquement par rapport à votre religion. Par rapport aux autres religions, êtes-vous en mesure, les deux, là, de répondre à la question? Puis, si vous ne le savez pas, vous ne le savez pas… ou, si vous n'avez pas d'opinion, vous n'avez pas d'opinion. Le reconnaissez-vous aussi dans d'autres religions?

Mme Desjardins (Martine) : Bien, en fait, comme vous pouvez le voir aussi dans notre mémoire, on a spécifié pour plusieurs religions, notamment la religion juive, musulmane, chrétienne, qu'effectivement ils peuvent avoir recours à des signes ostentatoires, à des ports de signes, mais que dans aucune religion ils ne doivent le faire à tout moment. Et donc, à ce moment-là… Et vous pouvez aller le voir, j'imagine, là, on a probablement la page à vous donner éventuellement, mais vous pouvez aller le voir : dans aucune religion on ne vous oblige à le porter, sauf lorsque vous allez faire vos prières, lorsque vous allez, justement, vous présenter à la mosquée. Dans aucune religion ce n'est une obligation. C'est une possibilité, par contre.

M. Tanguay : Et une personne, donc, si je suis votre raisonnement, qui dirait : Bien, moi, désolé, mais je ne peux pas parce que c'est fondamental pour moi, je ne peux pas mettre au vestiaire mon signe religieux entre 9 heures et 5 heures du lundi au vendredi… Une personne qui viendrait vous dire cela, est-ce que je dois déduire — mais corrigez-moi si j'ai tort — que vous n'accorderiez aucune valeur à cette affirmation-là?

M. Chikhi (Ferid) : M. le député, nous avons souligné en particulier le fait, par exemple, que des Juifs qui sont membres du Rassemblement pour la laïcité nous ont fait savoir qu'ils ne sont pas dans l'obligation de rentrer au travail avec la kippa, que c'est simplement pour des situations où ils doivent prier, etc., mais rien ne les oblige à venir avec la kippa au travail. Il en est de même pour les sikhs. On parle beaucoup des sikhs. Les sikhs en Inde se départissent de leurs turbans, de leurs signes parce que justement, bien, ce n'est pas une obligation pour eux, alors on ne voit pas pourquoi en Inde cela est possible et qu'ici, au travail, cela n'est pas possible.

Il y a des espaces communs, il y a des espaces partagés où les signes ostentatoires ne devraient pas exister. Ça me heurte, ça heurte les autres, alors que, si… Imaginez, je prends le cas seulement des 150 000 Algériens qui… des 100 000 Algériens qui sont musulmans et qui arriveraient tous avec un turban et qui arriveraient tous avec le voile. Vous voyez?

Donc, il n'y a pas d'obligation, en ce qui nous concerne. Il n'y a pas d'obligation dans les autres religions, à ce qu'on sache. Alors, on dit : Oui, la laïcité peut nous permettre de travailler ensemble en tenant compte de nos diversités, de nos origines, de nos convictions religieuses, mais le plus important, c'est d'être productifs, c'est de réaliser de bonnes performances.

M. Tanguay : Et, si c'était le cas, démontré selon votre approche qu'effectivement c'est une obligation, c'est une obligation religieuse, est-ce qu'à ce moment-là votre analyse serait différente?

Mme Desjardins (Martine) : Bien, d'abord…

M. Chikhi (Ferid) : Possiblement, mais on ne l'a pas.

M. Tanguay : Possiblement. En quel sens, possiblement?

M. Chikhi (Ferid) : On ne l'a pas. Il faudrait qu'on voie la manière dont cela est présenté.

M. Tanguay : Et pourquoi ce serait possiblement différent?

M. Chikhi (Ferid) : Aucune idée.

M. Tanguay : Je veux juste vous comprendre.

M. Chikhi (Ferid) : Vous me demandez d'anticiper sur quelque chose qui n'a pas été abordé. Alors, on préfère effectivement parler de la diversité de la société québécoise, de la diversité de sa composante et de ce qui nous rapproche, de ce qui est commun à tous.

M. Tanguay : Là-dessus, M. Chikhi, ce qui arrive, c'est que, vous voyez, il y a une très grande division sur ce seul aspect du projet de loi n° 60. Tous les autres sont très consensuels et mériteraient qu'on s'y attarde et que l'on bonifie le projet de loi, mais là-dessus il y a une très, très grande division. Et beaucoup de gens qui font partie, là, je dirais, du camp de ceux qui sont contre cette interdiction viendront vous dire : Bien, nous, ça fait partie de notre religion. Vous venez de nous dire, et corrigez-moi si j'ai tort, mais que possiblement, si c'était avéré, si c'était démontré, que c'est effectivement une obligation religieuse, il faudrait, à ce moment-là, aborder le sujet différemment. Ne venons-nous pas là faire écho justement du bien-fondé de leur opposition, qui eux croient que ça fait partie de leur religion?

Mme Desjardins (Martine) : Là, je pense qu'il faut faire la distinction entre les pratiques religieuses et l'utilisation des religions à des fins politiques. Ce que vous évoquez, c'est l'utilisation des religions à des fins politiques…

M. Tanguay : Quelles sont-elles?

Mme Desjardins (Martine) : …de faire passer en fait sa religion au-devant, en fait, de son obligation, de son travail, de sa contribution à titre de citoyen, puis à ce moment-là c'est l'utilisation de sa religion à des fins politiques.

M. Tanguay : En quoi un médecin avec la kippa la porterait pour des fins politiques? Je ne comprends pas.

Mme Desjardins (Martine) : Encore une fois, il n'a pas l'obligation de la porter durant les heures de travail. Et donc, s'il vous fait croire qu'il a l'obligation de la porter, bien, à ce moment-là, c'est, encore une fois, l'utilisation à des fins politiques d'un signe religieux. Il a le droit de le faire, mais il faut quand même en être conscient et le réaliser.

M. Tanguay : Et le Juif, le médecin juif avec la kippa, quel est le message, selon vous? Parce que vous réduisez ça à un message politique. Quel est le message politique qu'il envoie?

• (14 h 50) •

M. Chikhi (Ferid) : M. Tanguay, la question de cette séparation, de cette division sur la manière d'aborder la question, nous, nous trouvons que la solution est dans la laïcité, en ce sens que, oui, tous ceux qui parlent du respect de la liberté de conscience, des libertés ont raison, tous ceux qui parlent de l'égalité de tous les citoyens ont raison, et on partage ce point de vue, mais ces personnes-là ne tiennent pas compte du troisième paramètre, du troisième, je dirais, fondement de la laïcité, c'est-à-dire l'universalité du bien commun, à savoir les mêmes lois, les mêmes droits qui s'appliquent à tous et à toutes. Si on applique ces trois paramètres, ce triptyque, tout fonctionnera correctement.

Les lois s'imposent à tout le monde de la même manière et selon les mêmes droits, bien sûr, qu'elles génèrent. Donc, l'espace commun, oui, doit être considéré avec des balises bien déterminées qui feraient que toutes les religions seraient sur le même piédestal, elles ne seraient pas l'une en dessous de l'autre, d'accord, et ça permettrait à tout le monde d'être vraiment dans le projet de société que nous voulons non pas pour aujourd'hui et pour nos enfants, on le veut pour nos arrière-arrière-petits-enfants.

M. Tanguay : Merci beaucoup. Et, pour bien comprendre votre point, quels sont les messages politiques liés au port de signes religieux?

M. Chikhi (Ferid) : …écoutez, la chose, elle est simple. En 2001, quand je suis arrivé là où j'habite, sur la Rive-Sud, il y avait à peine une centaine de musulmans. On est à 7 000 musulmans sur la Rive-Sud, d'accord, et pratiquement un millier d'islamistes se trouvent là. Je ne parle même pas de Montréal, je ne parle pas des zones qui sont devenues des ghettos de la communauté musulmane. Alors, j'ai dit : Il y a une expansion de l'islam politique et il n'y a pas les conditions pour qu'un musulman qui ne prône pas d'idéologie puisse vivre correctement dans ce pays. On est pratiquement menacés par ces personnes-là, par ces groupes. Alors, il faudrait le comprendre : ou c'est une opération qui permet à tous les Québécois de vivre ensemble avec intelligence, d'accord, et on aide ceux qui ont des problèmes d'intégration en emploi, d'intégration sociale, d'intégration culturelle à mieux se positionner, ou alors là on fait la part belle à des islamistes, et il ne faut pas s'étonner des conséquences d'ici un an, d'ici deux ans, d'ici trois ans.

M. Tanguay : Et cette menace est-elle transposable à toutes les religions?

Mme Desjardins (Martine) : Est-ce que vous parlez de la menace de la laïcité, de la neutralité de l'État?

M. Tanguay : Non, je parle de l'exemple de monsieur, les 1 000 islamistes, là, sur la Rive-Sud.

Mme Desjardins (Martine) : Je vous dirais… En fait, je vais vous répondre sur la question de la neutralité et de la laïcité de l'État, parce que, oui, c'est une menace que d'avoir des fonctionnaires qui vont étaler leurs signes religieux, sur la neutralité et la laïcité de l'État, parce qu'on ne doit pas se leurrer, mais la présence d'un signe, c'est justement contraire à la neutralité dont l'État se fait le défenseur. Et, lorsque vous êtes un fonctionnaire, vous êtes un représentant de l'État, que vous soyez enseignant, infirmière, médecin. Vous êtes un fonctionnaire de l'État et vous devez représenter l'État. Et, lorsqu'on parle, par exemple, que ce sont les institutions qui sont laïques et non pas les individus, encore une fois, on compare un individu avec une feuille de papier, c'est absolument déplorable. Et donc, oui, la présence de signes doit rester dans la charte, parce que justement elle démontre la neutralité et la laïcité de l'État.

M. Tanguay : Et l'approche inclusive à l'effet que l'on ne discrimine pas basé sur le sexe, la race, la croyance religieuse, qui a fait en sorte qu'on avait même des politiques, sous le Parti québécois, d'intégration et qui favorisaient ce respect-là parce qu'on n'est pas tous pareils puis on n'a pas tous les mêmes convictions, mais on se respecte, et ce qui est important, c'est l'État dans son agir via le fonctionnaire, et non pas les motifs de discrimination par lesquels je pourrais le discarter qui est important, qu'est-ce qu'on en fait au niveau des croyances religieuses? Est-ce qu'on met tout ça de côté?

Mme Desjardins (Martine) : Écoutez, encore une fois, la charte qui est proposée ici, c'est seulement lors de vos heures de travail. On n'est pas en train de dire aux gens de ne plus croire, de ne plus pratiquer, de ne plus vivre selon leur religion. On est en train de dire que, lors des heures du travail, ils représentent, en fait, l'État.

Et on n'a qu'à se rappeler, en fait, dans les années 50, et c'était d'ailleurs le Parti libéral, qu'on devrait remercier, à l'époque, très progressiste, qui avait lancé la laïcité, qui a permis l'émancipation des femmes et leur présence sur le marché du travail, qui les a fait sortir de leurs cuisines et qui les a amenées sur le marché du travail. Ce fut une excellente proposition, et c'est la laïcité qui a amené ça. Pourquoi est-ce que maintenant on est en train de dire que ça va être l'inverse si d'ailleurs votre propre parti a démontré que c'était plutôt le contraire qui s'est produit?

M. Tanguay : Et ce qui veut dire que l'État doit représenter la société qu'il administre et qu'il… Et, en ce sens-là, la diversité et l'obligation de ne pas discriminer — je vous ai donné des exemples — basé sur le sexe, la couleur de la peau, l'état civil, grossesse, signes religieux, parce que l'on peut enlever un signe entre 9 heures et 5 heures, on peut plus facilement le mettre dans la loi et discriminer sur un aspect religieux, sur un motif religieux? Sinon, sur les autres motifs, si le droit à l'égalité a un sens, ne croyez-vous pas qu'il est important de reconnaître que ce n'est pas parce qu'on peut le mettre et l'enlever qu'il n'y a pas là un motif protégé par nos chartes qui fait en sorte qu'on ne peut pas discriminer? Parce que, quant à ça, on ne pourrait pas appuyer la même logique s'il y avait un motif de discrimination basé sur la couleur de la peau, par exemple, on ne pourrait pas changer ça entre 9 et 5. Mais là êtes-vous en train de me dire que, parce qu'on peut facilement le retirer, bien on peut facilement mettre de côté ce qui est protégé comme droit à l'égalité? C'est un motif de discrimination, ça, là, là, la religion, les croyances, les convictions sincères.

Mme Desjardins (Martine) : J'espère que je n'aurai pas besoin d'avoir un changement de sexe pour aller travailler, si ce que vous êtes en train de me dire s'appliquerait à l'ensemble. Je trouve ça un peu... un peu...

M. Tanguay : Pouvez-vous étayer?

Mme Desjardins (Martine) : Bien, en fait, c'est que vous avez dit notamment : Les gens devraient changer de couleur de 9 à 5. Je trouve ça un peu large, en fait, comme explication.

Ceci étant dit, je vais passer la parole à mon collègue sur la question de l'employabilité, et des signes religieux, et de la discrimination tel que vous le présentez.

M. Tanguay : Et, juste pour répondre à votre interjection, il y a des motifs, il y a un droit à l'égalité dans les deux chartes, charte québécoise et charte canadienne, un droit à l'égalité qu'on ne peut pas discriminer notamment sur la couleur de la peau, le sexe, la religion, la liberté de conscience, et, si ça veut dire quelque chose au sein de la fonction publique, c'est qu'on ne peut pas discriminer basé sur une croyance tout en protégeant la neutralité de l'État, ça prend un équilibre. Et le fait de dire : Bien, vous n'avez tout simplement qu'à enlever le signe religieux, cette facilité-là ne doit pas être un argument, comme vous le présentez, on s'entend là-dessus.

Mme Desjardins (Martine) : J'apprécie votre...

M. Tanguay : Non, mais est-ce qu'on s'entend sur ça? Pardon? Non?

M. Chikhi (Ferid) : Vous savez, j'ai comme l'impression que la charte québécoise et la charte canadienne, qui régulent, qui sont des cadres de référence pour tout ce qui se passe en société, que ce soit au Canada, que ce soit ici, au Québec, sont devenues immuables comme le Coran. Il y a des nouveautés au Québec. Il y a des gens qui viennent de partout, au Québec, depuis quelques années, bon, ça change la société. La société initiale est en train de changer, d'accord? Quand on vous dit qu'il y a 150 000 musulmans au Québec et que tout le monde focalise sur à peine 2 000 ou 3 000 qu'on a vu manifester, qu'on a vu crier leur haine du Québécois, on a le droit de se poser des questions, parce que, dans ma religion, on n'oppose pas ce type de confrontation. Alors, oui, je dis : La problématique initiale, la problématique n° 1, c'est l'insertion socioprofessionnelle. D'accord? On est tous d'accord.

Le Président (M. Morin) : M. Chikhi, merci.

M. Chikhi (Ferid) : Merci.

Le Président (M. Morin) : On se dirige vers la députée Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Mme Desjardins, M. Chikhi, merci. Merci pour votre mémoire. De un, je suis curieuse, l'ex-journaliste en moi, quand vous dites que, sur la Rive-Sud, il y a une ville où il y a près de... il y a plusieurs milliers de musulmans. Vous avez dit 9 000, de mémoire. Je suis de la Rive-Sud de Montréal, je me demandais quelle ville. De quelle ville parlez-vous? Je suis très curieuse.

M. Chikhi (Ferid) : Je parle de la grande agglomération de Longueuil : Brossard, Greenfield Park…

Mme Roy (Montarville) : Ah! O.K. Vous parliez de Longueuil, Longueuil élargie.

M. Chikhi (Ferid) : Oui, oui.

Mme Roy (Montarville) : Parfait. O.K., parfait. Maintenant, cela dit, la laïcité de l'État, nous y croyons, à cette laïcité-là. Cependant, j'aimerais en profiter, puisqu'entre autres vous connaissez bien le système de l'éducation, pour parler d'éducation.

Pour nous, il est important de bannir le port de signes religieux entre autres… naturellement les personnes en position d'autorité, mais entre autres chez les enseignants du primaire et du secondaire et également les directions d'école. Vous disiez… Vous parliez tout à l'heure du niveau primaire, le fait que ce sont des enfants, et dont le rôle de l'enseignement est terriblement important, le rôle d'éducateur, un rôle éducatif. On parle d'enfants qui sont jeunes, qui sont influençables, qui sont captifs.

Mais moi, je me questionne au niveau universitaire. On est en présence d'adultes. Est-ce qu'il y aurait cette nécessité d'adultes, qui sont beaucoup moins influençables que des tout-petits, là, on s'entend, là, six, sept ans, qui ont déjà une pensée développée, qui sont capables de faire la différence entre les religions, d'avoir leur propre opinion… Dans quelle mesure il y a cette nécessité de faire en sorte que des profs d'université… Et on choisit d'y aller, à l'université, si on le veut bien, là. Dans quelle mesure il y aurait cette nécessité à cette laïcité de l'État de leur demander de ne pas porter de signe religieux?

• (15 heures) •

Mme Desjardins (Martine) : En fait, ça se retrouvait un peu dans votre question lorsque vous parliez des enseignants et que vous disiez que c'était un signe d'autorité que d'être enseignant au primaire et au secondaire. Ça l'est aussi lorsque vous êtes au cégep et à l'université, vous êtes aussi en position d'autorité par rapport à vos étudiants. Vous allez les évaluer, vous allez leur faire passer des tests, vous allez leur enseigner. Vous devez faire respecter la gestion de classe. La gestion de classe, vous allez aussi en faire à l'université. Vous êtes en position d'autorité. Et donc, si, dans la conception du primaire et du secondaire, une des raisons pour lesquelles le port du signe religieux est banni est parce que c'est des gens qui sont en position d'autorité, c'est la même raison pour laquelle on le ferait au niveau universitaire.

Ceci étant dit, effectivement, comme vous l'avez mentionné, lorsqu'on a entre 20 et 25 ans, disons, pour un baccalauréat, on est un peu plus critique. Ça ne change pas le fait que la personne qui est devant nous est un fonctionnaire de l'État, a une position d'autorité.

Et aussi j'ajouterais que l'État donne de l'argent aussi aux universités et en donne substantiellement. Et donc, pour chaque dollar qu'on va investir, ça devrait être un dollar laïque.

Mme Roy (Montarville) : Il y a une petite nuance aussi à faire, cependant. C'est que l'étudiant universitaire choisit, choisit ses cours, choisit d'aller à l'université. Il y a un choix qui est fait par la personne qui est rendue adulte ici, là.

Mme Desjardins (Martine) : Oui, mais il ne choisit pas les enseignants ou les chargés de cours qui vont l'enseigner, c'est à l'université que revient ce choix-là. Il choisit son programme.

Mme Roy (Montarville) : Cela dit, j'aimerais revenir à la page 9 de votre mémoire. Vous nous dites, je vais lire l'avant-dernière phrase : «Notons, cependant, que c'est la liberté de croire qui est protégée par les chartes et non pas la liberté d'agir selon certaines croyances.» Donc, vous nous dites, c'est la liberté de croire qui est protégée par les chartes.

Alors, si je vous ramène à la charte, notre charte à nous — on va prendre la charte québécoise des droits et libertés, là, notre préférée — on va à l'article 10 et on nous dit : «Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés», l'exercice — et là on les énumère — de la religion.

Alors, quand vous nous dites : C'est la liberté de croire qui est protégée et non pas la liberté d'agir, je suis obligée de vous demander comment vous faites pour concilier notre charte québécoise avec la proposition que vous avez écrite en page 9, parce que, selon la charte québécoise, c'est la liberté d'exercice qui est protégée.

Le Président (M. Morin) : M. Chikhi, vous n'aurez pas l'opportunité de répondre, mais peut-être que par la question du député de Blainville… Oui, M. le député de Blainville.

M. Ratthé : Oui, j'ai plein de questions, effectivement, mais elle était bonne, cette question-là, M. le Président, alors je vais vous donner un peu de mon temps, je vais donner un peu de mon temps pour que vous puissiez répondre à cette question-là.

M. Chikhi (Ferid) : …on va répondre…

M. Ratthé : Je n'ai pas beaucoup de temps, alors allez-y.

M. Chikhi (Ferid) : Vous savez…

Le Président (M. Morin) : ...quatre minutes, là, pour ce monsieur-là.

M. Chikhi (Ferid) : Quatre minutes. Bon, je vais essayer de dire deux choses tout simplement. Il y a un auteur français, Michel Crozier, qui, en management, a parlé des institutions, des organisations, des structures et qui a dit : Il n'y a pas de système sans acteur, et chaque acteur a un rôle à jouer par rapport à des références, par rapport à des valeurs, par rapport à des principes. D'accord? Alors, c'est bien de dire qu'on est libre d'exercer notre religion là où elle doit s'exercer, notre foi en un dieu unique, on peut l'exercer où on veut tant que c'est entre nous et ce dieu unique, rien n'empêche X ou Y d'aller dans une synagogue, d'aller dans une mosquée, d'aller dans une église, d'aller dans un temple pour prier, il peut mettre le signe ostentatoire qu'il veut, mais, dans un espace public — je dis bien «espace public» — dans une institution publique, il ne devrait pas y avoir ce signe qui le démarque des autres parce que, d'une façon ou d'une autre, il va être stigmatisé si les autres ne lui conviennent pas ou s'il ne convient pas aux autres, il va y avoir des répercussions sur tout le reste de sa population, de sa communauté. Alors, on dit : Laissons-le dans le statut privé et jouons notre rôle en tant qu'employés de l'État, en tant qu'employés dans les entreprises. Alors, ma foi, je l'exerce là où je peux le faire, sans prosélytisme et sans l'imposer aux autres. De toutes les manières, ils savent que je suis musulman, ils savent que je suis chrétien, ils savent que je suis juif.

Le Président (M. Morin) : …je vais passer la parole au député de...

M. Ratthé : Merci, M. Chikhi. Je vais pousser un peu plus loin. J'aime bien, des fois, valider, puis j'ai une bonne personne devant moi peut-être pour me donner son opinion. Qu'en est-il des étudiants? On voit dans d'autres pays des étudiants qui ne peuvent pas porter de signe ostentatoire à l'université, on a vu l'exemple de York il y a deux semaines. Alors, qu'en pensez-vous?

Mme Desjardins (Martine) : Écoutez, au niveau du Rassemblement de la laïcité dont je suis la porte-parole, on n'a pas émis d'opinion sur cette question-là. On n'a pas d'obligation non plus… ou de recommandation d'obligation d'appliquer la charte pour les élèves et les étudiants, nous ne sommes pas allés aussi loin. Nous nous en tenons, en fait, aux enseignants et aux professeurs, et donc, dans mon rôle de porte-parole, je ne pourrai pas répondre davantage. Si vous voulez avoir mon opinion personnelle, ça sera une autre fois peut-être.

M. Ratthé : O.K. Ça sera donc une question peut-être à soumettre au comité ad hoc que vous nous suggérez. Merci, Mme Desjardins.

Le Président (M. Morin) : Ça va, M. le député de Blainville?

M. Ratthé : Oui, ça va.

Le Président (M. Morin) : Ah! vous êtes généreux! Mme la députée de Gouin.

Mme David : Merci, M. le Président. Bonjour. Bon, d'abord on va placer quelque chose : il y a des gens qui s'opposent effectivement à certains aspects de la charte du gouvernement et pas à tous les aspects. J'imagine que vous savez que les gens comme moi ne sont pas les premières victimes de la manipulation à grande échelle orchestrée par les islamistes, hein, on va au moins s'entendre là-dessus.

Moi, je veux être un tout petit peu provocante pour mettre un peu d'animation dans cette auguste Assemblée. Écoutez, je vous écoute, il y a des choses avec lesquelles, évidemment, je suis d'accord, mais il y a quelque chose qui me fascine, c'est qu'on dirait que le mot «peur» ou le mot «crainte» revient un petit peu souvent. Alors, les élèves universitaires, si j'en crois votre mémoire, craindraient de s'exprimer librement devant un professeur qui porte un signe religieux. Les employeurs craindraient d'embaucher des employés maghrébins dont ils ne savent même pas, d'ailleurs, s'ils sont musulmans ou non, parce qu'il n'y a pas que des musulmans au Maghreb. Alors, ils ont peur, eux aussi, donc ils n'en embauchent pas. Il y a des usagères qui disent : Moi, j'ai peur d'être soignée par une femme médecin qui porte le voile. Puis là il y aurait les parents qui auraient peur de la diversité chez les enseignants, à tout le moins au plan religieux, alors que je fais partie d'une génération qui a eu à faire face à ça. Ma mère était ultracatholique; je suis devenue athée. La grand-mère de mon fils était très, très, très catholique, elle l'amenait même à la messe parfois sans trop me le dire, puis il m'a posé un jour la question : Pourquoi grand-maman, pourquoi pas toi? Mais tous les parents font face à ce genre de question, puis habituellement on trouve le moyen d'y répondre sans trop de problèmes.

Donc, la question que je vous pose, un petit peu provocante, mais je le fais gentiment, c'est : Coudon, de quoi est-ce qu'on a si peur?

Mme Desjardins (Martine) : On n'a peur de rien. Et je ne me souviens pas d'avoir prononcé dans mon allocution le terme «crainte» non plus, peut-être que c'est votre impression.

Ceci étant dit, ce n'est ni une crainte ni une peur mais seulement un défaut d'application de la laïcité de l'État qu'on est en train de relever. Lorsque vous avez des individus qui reçoivent de l'argent de l'État pour faire leur travail, on est en droit de s'attendre à ce qu'ils reflètent les valeurs de l'État, qui sont des valeurs laïques. Et c'est ça, en fait, qu'on nomme aujourd'hui. Ce n'est pas une question de peur, ce n'est pas une question de crainte. Les étudiants n'ont pas de crainte à avoir d'un enseignant qui est devant lui et qui pratique la religion. Cependant, il ne faut pas se leurrer : lorsqu'un enseignant porte des signes devant lui, il y a effectivement une contradiction entre le côté laïque de l'institution et la personne qui est devant lui, et c'est ça, en fait, qu'on dénonce. En fait, on dénonce des incongruités et le fait que, finalement, les bottines ne suivent pas les babines.

Mme David : Mais, Mme Desjardins, si je peux me permettre, vous écrivez… enfin, votre regroupement écrit quand même dans son mémoire que la liberté de parole d'étudiants universitaires peut être brimée par le fait qu'un professeur porte un signe religieux, par exemple : S'il porte une kippa, est-ce que cet étudiant va se permettre de critiquer Israël?, mais il y a plein de profs universitaires qui pratiquent toutes sortes d'idéologies, vous le savez aussi bien que moi. Les étudiants le savent parfaitement bien et vont quand même, en général, se permettre de confronter leurs professeurs, il me semble.

Le Président (M. Morin) : Merci, Mme la députée de Gouin. Mme Desjardins, je sentais que vous auriez une réponse toute prête, mais c'est les règlements qui le font. Donc, merci beaucoup à vous, Mme Desjardins, et à M. Chikhi pour votre présentation.

Et j'inviterais à prendre place les gens de Laïcité citoyenne de la capitale nationale. Merci beaucoup.

Je suspends quelques instants.

(Suspension de la séance à 15 h 9)

(Reprise à 15 h 11)

Le Président (M. Morin) : Nous reprenons nos travaux. J'inviterais donc Mme Lavoie… Pardon? O.K., un instant. Suspension.

(Suspension de la séance à 15 h 12)

(Reprise à 15 h 16)

Le Président (M. Morin) : Bon, nous reprenons travaux. Mme Lavoie, M. Laframboise, on s'excuse pour ce contretemps. Et à vous la parole, à la personne dédiée. Vous avez 10 minutes pour votre intervention.

Laïcité citoyenne de la capitale nationale (LCCN)

M. Laframboise (Yves) : Oui, merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes, MM. les députés, mesdames messieurs, merci de nous recevoir ici aujourd'hui et de nous permettre de vous présenter notre mémoire, résultat de la réflexion et de l'adhésion de plusieurs de nos membres. Nous allons nous partager la présentation de ce document, et je vais donc commencer par vous situer un peu notre groupe.

Formé de résidentes et résidents de la grande région de Québec, le groupe Laïcité citoyenne de la capitale nationale s'inscrit résolument dans le débat actuel sur la laïcité. Autonome notamment au plan de son organisation et de son financement, le groupe se prononce en son propre nom et prend toute initiative originale visant à garder le sujet à l'ordre du jour dans la capitale nationale.

En plus de vouloir intervenir directement et activement dans l'actualité sociopolitique, le groupe LCCN a pour objectif de rendre son option claire et crédible auprès de ses membres et de la population en général. Le groupe est composé de personnes de divers milieux professionnels ou techniques qui partagent ensemble un point commun, soit une inquiétude face à la présence dans la société québécoise de comportements de plus en plus tendus ou extrêmes, comportements le plus souvent s'appuyant sur des arguments de type religieux.

Dans la désignation de notre groupe, les mots «laïcité» et «citoyenne» ont volontairement été réunis, car nous croyons qu'il s'agit de deux concepts qui se complètent et se précisent mutuellement. Le premier établit la position de l'État face à la religion ou à son absence, le mot «laïcité» appliqué à l'espace public au sens étatique; l'autre porte en lui-même les valeurs civiques ou citoyennes qui sont, à nos yeux, l'expression française, le civisme, la civilité, la solidarité et l'égalité des sexes.

L'actualité politique et sociale des années qui ont précédé et suivi la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles, dite commission Bouchard-Taylor, a fortement interpellé les membres du groupe Laïcité citoyenne de la capitale nationale à cause, d'une part, du constat des problèmes engendrés par les dérives des accommodements raisonnables et des trop faibles mesures découlant du rapport de ladite commission et, d'autre part, des pouvoirs limités de l'État québécois confronté à cette situation. C'est pourquoi le groupe LCCN salue et appuie le courageux et nécessaire projet de charte déposé par le gouvernement actuel et en fait même son cheval de bataille, à l'instar de tous ceux et celles qui partout au Québec croient aux valeurs de laïcité, de neutralité et d'égalité entre les hommes et les femmes. Il entend ainsi contribuer à la reconnaissance de la laïcité comme un enjeu majeur de la société québécoise et un moyen incontournable d'assurer la spécificité de la région de la Capitale-Nationale.

Et je passe maintenant la parole à Mme Francine Lavoie, qui est aussi porte-parole de notre groupe.

• (15 h 20) •

Mme Lavoie (Francine) : Je vais vous lire le résumé qui est à la page 4, si vous l'avez sous les yeux, qui donne un aperçu global de tout ce qui est écrit et ce qu'on va dire ensuite.

Québec est aujourd'hui une ville où l'immigration ne prend pas une place très importante, mais on y trouve de nombreux descendants britanniques, irlandais ou écossais, bien intégrés à la majorité. Depuis la fin du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui, les nouveaux arrivants, qu'ils soient de provenance sud-américaine, antillaise, asiatique, maghrébine, subsaharienne ou européenne, ont réussi, pour la plupart, à vivre en harmonie avec la majorité francophone de la ville de Québec.

Cependant, depuis quelques années, certains groupes échappent à ce constat. Chez les uns, le refus d'intégration est peu décelable. Chez d'autres, au contraire, ce refus se traduit par des signes ou des gestes évidents, résultat de traditions figées dans le temps ou mal comprises ou encore de convictions radicales. Nous estimons donc que, malgré une apparente tranquillité dans la capitale, le débat sur la laïcité a maintenant rejoint notre territoire. Il n'est d'ailleurs plus limité à la seule métropole, se retrouvant aussi dans l'actualité de toutes les régions du Québec.

Nous croyons que le multiculturalisme, la solution proposée par plusieurs, n'est pas le signe d'ouverture sur le monde qu'il croit être. Il s'agit plutôt d'une juxtaposition de ghettos ethniques repliés sur eux-mêmes et sans autre lien que les rapports d'affaires quotidiens. L'interculturalisme n'est pas non plus valable pour le Québec, même si cette option veut préserver à la fois la culture dominante et les différences individuelles.

Le modèle de type républicain que nous privilégions met l'accent sur la liberté et l'égalité, valorisant l'intégration des nouveaux arrivants et le partage des valeurs communes plutôt que le voisinage des différences. Nous croyons juste de demander aux immigrants de notre capitale d'adopter dans la plus large mesure possible et sans accommodement déraisonnable ce qui fait consensus au Québec : la laïcité, l'égalité hommes-femmes et la langue française.

Le Québec a déjà franchi de grandes étapes dans son processus de laïcisation, mais il est temps maintenant de l'achever par l'adoption d'une charte de la laïcité. Ce processus doit se faire en conformité avec les valeurs fondamentales développées et intégrées par les gens d'ici, en lien avec leur histoire, leurs coutumes et les batailles menées et gagnées depuis la Révolution tranquille.

Ainsi, les questions des signes ostentatoires, surtout le voile islamique, sont pertinentes tant dans les domaines de l'espace public étatique que dans les domaines des institutions d'éducation et de la santé. Quant aux symboles religieux liés à l'histoire du Québec, nous soulevons la question en fonction des lieux de pouvoir.

Conséquemment, nous faisons nôtres les objectifs poursuivis par le projet de loi n° 60 et nous appuyons entièrement ses dispositions. Nous allons même plus loin en demandant l'abolition de l'aide financière gouvernementale aux écoles… aux institutions privées confessionnelles et l'interdiction des lieux de culte dans les institutions publiques d'enseignement.

Nous souhaitons finalement que la discussion engagée se fasse avec le souci du bien commun et nous demandons à tous les partis politiques d'en faire la preuve par leur comportement dans le débat qui entoure ce projet de loi.

Voilà pour le résumé. La parole à mon collègue, M. Laframboise, pour une page importante de notre mémoire.

M. Laframboise (Yves) : Je continue à la page 10 de notre document. Comme le rappelle Guy Rocher, le Québec a déjà franchi de grandes étapes dans ce processus de laïcisation, mais il est temps maintenant de commencer à le traduire dans nos lois. En 2010, le projet de loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements a malheureusement contourné la question de la laïcité. Pourtant, la laïcité ne peut se résoudre simplement par une suite d'accommodements, de tentatives de compréhension mutuelle transformées en règles diverses, de plâtrages successifs et finalement improvisés les uns à la suite des autres, c'est-à-dire le paysage social et juridique dans lequel nous baignons actuellement.

Peut-être cette attitude trouve-t-elle son explication dans l'individualisme extrême auquel est parvenue notre société occidentale dite postmoderne. En effet, cet individualisme, érigé inconsciemment en culte, produit des effets directs sur les comportements humains et sociaux : allègement des contraintes, maximum de choix, bannissement de la coercition et le plus de compréhension possible. Dans ce contexte, quoi de mieux que des arrangements dits raisonnables, basés sur la bonne foi des protagonistes?

Peut-être cette attitude est-elle aussi favorisée par la mentalité anglo-saxonne environnante, laquelle, par sa position de domination en Amérique du Nord, ne sent pas le besoin d'affirmer une identité déjà surreprésentée. Minoritaires dans cet océan, bien des Québécois flottent sur cette fausse assurance, même si leur place dans cet espace est bien fragile.

Nous pensons qu'il faut éviter, par un manque de clarté, par l'absence de définition précise de la laïcité dans les institutions publiques, que ce soient encore les tribunaux qui, en place et lieu des politiciens, définissent et interprètent les balises régissant l'exercice de la laïcité dans l'espace public. Il doit être clair que l'État, ses institutions et les agents qui le représentent sont laïques dans leurs actions et dans l'image qu'ils présentent aux citoyens.

La laïcité ne peut être ouverte, ou inclusive, ou autre. Nous estimons qu'il n'y a qu'une seule laïcité : celle où les droits et les devoirs des non-croyants sont aussi importants que ceux des croyants; celle où aucune religion n'ambitionne de s'infiltrer dans les rouages de l'État laïque, même aux niveaux les plus subalternes, ni ne prétend s'imposer ou imposer ses perspectives morales, juridiques ou politiques à quiconque. À cet égard, tous doivent se situer au même niveau, sans que soient ouvertes des portes menant à une confusion entre le religieux et le politique, à une utilisation de la foi à des fins politiques et à la possibilité que l'espace public subisse les assauts des intégristes. Cela n'empêche pas que l'État québécois respecte la liberté de conscience et la liberté de religion, considérées comme des valeurs fondamentales mais du ressort de l'espace privé.

En conséquence, la question de la laïcité au Québec est un enjeu majeur de notre société qui doit passer par le biais d'une législation. En ce sens, nous appuyons entièrement la démarche gouvernementale.

Le Président (M. Morin) : Merci, M. Laframboise. Votre temps est… C'est dans le temps, c'est bien.

M. Laframboise (Yves) : Est-ce que nous disposons… C'est terminé?

Le Président (M. Morin) : Oui. Merci. Donc, M. le ministre, à vous la parole.

M. Drainville : Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre mémoire et votre présentation.

Vous dites à la page 10, tiens, on va commencer par ça… Vous dites à la page 10 : «Nous pensons qu'il faut éviter, par un manque de clarté, par l'absence de définition précise de la laïcité dans les institutions publiques, que ce soient encore les tribunaux qui, en place et lieu des politiciens, définissent et interprètent les balises régissant l'exercice de la laïcité dans l'espace public.» Et là, quand j'ai lu ça, j'ai pensé à Benoît Pelletier, l'ancien ministre du gouvernement de M. Charest, qui a déclaré ceci, et c'est rapporté dans LeJournal de Québec de… c'est d'hier ou enfin c'est récemment…

Une voix :

M. Drainville : Vendredi dernier, excusez-moi. Alors, il dit ceci, M. Pelletier, il dit : «Lorsqu'on examine la charte des valeurs, on aurait tort de trop se focaliser sur les enjeux juridiques et constitutionnels que celle-ci soulève — que la charte soulève. Ces enjeux-là ne doivent pas être invoqués comme s'ils constituaient des obstacles incontournables à toute démarche législative ni comme s'ils nous dispensaient, en tant que société, de débattre du sens qu'il convient de donner à la laïcité et à la neutralité religieuse de l'État québécois de nos jours.»

Et là il ajoute ceci, et c'est là qu'il vous rejoint, à mon avis, ou vous qui le rejoignez : «Ceux qui adoptent, à l'égard de la charte des valeurs, une approche strictement légaliste commettent une erreur. Ils s'en remettent d'une façon un peu trop fataliste et volontaire à des juges qui, pour bien intentionnés qu'ils puissent être, n'en sont pas moins dépourvus de légitimité démocratique et n'ont, contrairement aux élus, aucun compte à rendre à la population.» Ça, c'est M. Pelletier, ancien ministre libéral, qui déclare ceci.

Alors, évidemment, je l'ai toujours dit et je le répète, et vous allez me dire que c'est une évidence, mais parfois, en politique, il ne faut pas hésiter à répéter les évidences : Les juges sont un… Le pouvoir judiciaire ou le pouvoir juridique, c'est un pouvoir essentiel dans une démocratie, on s'entend là-dessus, mais c'est encore les Parlements qui votent les lois. C'est encore nous, les élus, qui avons la responsabilité de voter les lois. Ça nous appartient, c'est notre responsabilité. Et donc, quand vous nous appelez à nos responsabilités, il me semble que, dans le fond, ce que vous faites, vous vous adressez non seulement au gouvernement qui a déposé le projet de loi, mais à l'ensemble des partis qui sont ici réunis autour de cette table.

• (15 h 30) •

M. Laframboise (Yves) : Effectivement. Nous nous adressons, en fait, à l'Assemblée nationale. Et M. Pelletier, vous avez raison, exprime tout à fait notre point de vue.

Il faut rappeler à toutes les personnes présentes ici que nous sommes essentiellement des citoyens, nous sommes des citoyens de la ville de Québec, et nous nous sommes rassemblés d'une façon spontanée, et nous regroupons passablement de personnes, et nous sommes sans cesse étonnés, en écoutant les médias, de nous faire rabâcher continuellement le fait que des gens du domaine légal, des juristes, le Barreau, etc., nous disent qu'on est enfermés, en réalité, dans un carcan immuable. Ça a l'air d'une… Ça ressemble à une prison, tout ça, là, et on dirait qu'on ne peut pas en sortir. Et, les citoyens qui sont devant cette situation-là, je vais utiliser un mot peut-être qui va vous surprendre, mais c'est souffrant, comme citoyens, de contempler toute cette situation-là et de se faire dire par des gens qui sont chargés de rédiger ou de revoir les lois sur le plan technique… nous dire dans quelle direction notre société doit aller. Est-ce que le Barreau est réputé pour être un organisme progressiste? Certains me diront peut-être oui; je pense que la majorité vont dire non. Qu'est-ce qui a fait évoluer le Québec depuis 30 ans, 40 ans? Ce sont des mouvements sociaux, ce sont des syndicats, ce sont des associations. Ce sont des gens qui se sont levés ici et là, un peu partout, puis qui ont dit que certaines valeurs devaient être absolument partagées par l'ensemble de la société et que ces valeurs devaient être concrétisées, rédigées sous forme de loi.

Alors, j'en reviens à la position du Barreau, qui évidemment, nous, comme citoyens, pas comme juristes, comme citoyens, nous a considérablement surpris. Notre réaction, c'est de dire que c'est une position qui est purement légaliste, et, dans ce sens-là, bon, elle est un peu décevante. C'est une position qui ne tient pas compte du contexte social. Comme disait un intervenant qui nous a précédés, le Québec est en train d'évoluer à une vitesse folle. Ici, à Québec, l'immigration, autour de 2000, 2006, avait dégagé un certain portrait, mais actuellement, entre 2006 et 2014, on est en train de se rendre compte que le portrait change beaucoup. Il est où, ce souci de la part des gens de loi de tenir compte de cette dimension? Ça n'existe pas. On ne peut que se raccrocher, évidemment, à l'Assemblée nationale, qui est l'organisme suprême qui peut répondre aux besoins des citoyens à cet égard.

Je dirais aussi que la position du Barreau nous est apparue comme contre-productive. Si le Barreau tient à ce que notre société évolue, il ne peut pas seulement critiquer, mais il doit avancer des choses. Et qu'est-ce qu'on avance? On n'a pas l'impression qu'il ait avancé beaucoup de choses. Quand on nous dit qu'on est enfermés quelque part, bien, mon Dieu, on s'attend au minimum à ce qu'on nous dise : Oui, peut-être qu'on est enfermés, mais il faut en sortir, puis la porte est à tel endroit, elle est à gauche ou à droite, elle est en avant. On n'a rien, rien, comme citoyens, et je trouve ça extrêmement décevant.

Mme Lavoie (Francine) : J'aimerais juste ajouter que c'est la population qui a raison, finalement. Et moi, j'aime bien me faire le porte-parole non pas uniquement des 150 personnes que nous représentons, du groupe que nous avons fondé tout récemment, mais d'une population qui vit dans les régions, et qui vit aussi dans la capitale, et qui se sert un peu de son gros bon sens, celui qui l'a aidé à survivre comme peuple peut-être, et qui dit : Il faut arrêter ça, non pas attendre les crises majeures qui font qu'il n'y a plus rien à faire mais peut-être dès maintenant mettre des balises, dire : Les choses doivent se passer comme ça, et voilà. Si on ne veut pas s'y conformer, eh bien, on a le choix de rester en retrait.

Et travailler pour l'État, c'est un privilège, c'est un privilège, et je ne comprends pas, moi, les personnes qui défendent le fait que… — j'entendais tout à l'heure, bon, justement une discussion entre M. Tanguay et Mme Desjardins — les personnes qui décident que leurs signes religieux dépassent ce bonheur, je dirais, de travailler, ce privilège de travailler pour l'État, de gagner sa vie honnêtement, dignement. Comment se fait-il que… Qu'est-ce qui a tourné, là, qu'est-ce qui a changé? Moi, je suis d'une époque où au contraire on était tellement contents de pouvoir étudier et travailler, même dans un contexte de religion très dominante qui était la religion catholique. On a déconfessionnalisé nos institutions. Est-ce qu'on va accepter de les reconfessionnaliser? Voilà.

M. Drainville : Je vais revenir sur la dimension capitale nationale et… appelons ça le Québec hors Montréal, mais votre commentaire m'amène à… me permet de faire une petite parenthèse sur la question de la neutralité politique. Tu sais, vous dites, là : Quand est-ce que ça s'est inversé, là? À partir de quand la conviction religieuse est-elle devenue, dans le fond, plus importante que le devoir de servir comme fonctionnaire ou comme agent de l'État? À partir de quand, dans le fond, la conviction religieuse est-elle devenue plus importante que le service public, voilà, que je dois donner comme agent de l'État? Et ça me permet de faire un petit détour par la question de la neutralité politique, parce que tout à l'heure mon collègue de LaFontaine m'interpellait là-dessus. Il me parlait du macaron du PQ et il me disait : Un macaron du PQ, ce n'est pas aussi important qu'une kippa, par exemple. Mais, moi, ce que j'aurais le goût de lui répondre, c'est de dire : Ce n'est pas le macaron du PQ dont il est question ici, c'est la liberté d'expression que permet le port du macaron, c'est ce principe-là qui est en cause. Et donc je dis et je redis que la liberté d'expression n'est pas moins importante que la liberté de religion. Et l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui s'intitule «Droit à l'égalité dans la reconnaissance et l'exercice des droits et libertés», fait référence à la fois à la religion et à la fois aux convictions politiques. Et donc, si on a accepté l'aménagement des convictions politiques protégées par la Charte des droits, si on a permis que ces convictions politiques qui sont protégées par le droit à l'égalité sont cohérentes, peuvent cohabiter avec la neutralité politique des fonctionnaires qui oblige l'interdiction du port de signe politique, je dis : Bien, si c'est bon pour la liberté d'expression, si c'est bon pour la neutralité politique, c'est bon aussi pour la neutralité religieuse.

Et je ne sais pas si vous m'avez entendu la semaine passée, à l'ouverture des travaux de la commission, mais j'ai dit… je paraphrase, là, mais, si une personne qui travaille pour l'État décide de placer ses convictions religieuses au-dessus du service public qu'elle doit incarner, qu'elle doit rendre, à ce moment-là, ce sera sa décision. Et c'est fondamental, ça, parce que les gens disent : Ah! bien vous allez faire de l'exclusion, vous allez faire de l'exclusion. Je dis : Non, moi, je ne fais aucune exclusion, moi. Moi, je dis : Si vous travaillez pour l'État, il y a des responsabilités qui viennent avec l'État, avec le fait de travailler pour l'État. Et très souvent on parle des droits, des droits, des droits. Oui, ils sont très importants, les droits, il faut les protéger, les chartes existent pour ça, mais avec ces droits-là viennent des obligations, viennent des devoirs également, qu'on a tendance à oublier trop souvent, je pense.

Alors, je veux revenir au quatrième paragraphe de votre résumé. Vous dites : «Nous estimons donc que, malgré une apparente tranquillité, dans la capitale, le débat sur la laïcité a maintenant rejoint notre territoire. Il n'est d'ailleurs plus limité à la seule métropole, se retrouvant ainsi dans l'actualité dans toutes les régions du Québec.» Je dois admettre que c'est un point sur lequel je veux vous entendre, parce que très souvent on entend effectivement des gens qui disent : Ça concerne Montréal, ça. Le débat sur la laïcité, le débat sur les signes religieux, sur la diversité, ça concerne Montréal. C'est comme s'ils disaient au reste du Québec : Vous n'avez pas besoin de vous occuper de ça, vous autres, ça concerne juste Montréal.

Et j'ai été confronté à cette… — ma question s'en vient — j'ai été confronté à ça quand je suis allé à Rimouski, à un moment donné il y a un journaliste qui m'a posé précisément cette question-là, et j'ai dit au journaliste : Vous savez, quand arrive le projet de loi sur les mines, quand arrive un débat autour des ressources naturelles, les gens de Montréal, là, ils ne se privent pas d'intervenir dans un débat sur les ressources naturelles. Pourtant, c'est un débat qui concerne d'abord et avant tout les régions ressources, on s'entend, mais les gens de Montréal ne s'empêchent pas d'intervenir là-dessus. Pourquoi sur le débat sur la laïcité et sur la neutralité… Pourquoi est-ce qu'on dirait aux gens de l'extérieur de Montréal : Occupez-vous-en pas, ça regarde juste les gens de Montréal?

Alors, je veux vous entendre là-dessus, parce que, visiblement, si vous vous êtes déplacés jusqu'ici, si vous avez pris la peine d'écrire un mémoire, c'est parce que ça vous concerne directement et vous sentez que ça vous touche, ça vous interpelle comme citoyens, ça, québécois.

• (15 h 40) •

Mme Lavoie (Francine) : Oui, justement. Et, bon, je ne veux pas faire une espèce de guerre Québec-Montréal, là, ce n'est pas le lieu pour ça, mais c'est vrai que l'attitude qu'ont beaucoup de Montréalais par rapport à toutes ces questions n'a pas toujours eu l'effet positif sur Québec et les régions que, je pense, les habitants de la métropole escomptent. C'est qu'on a eu l'impression souvent qu'il y avait trop de compromis, une façon d'être tellement tolérant, tellement ouvert que cette tolérance et cette ouverture-là sont devenues, à quelque part, quelque chose qui ressemble à du laisser-aller, ou de l'indifférence, ou des compromis à tout prix et puis surtout, surtout à une façon de taire, ou cacher, ou… oui, cacher son identité pour laisser toute la place à l'autre, vous savez, cette forme de gentillesse et d'ouverture à outrance, là, qui fait qu'on n'existe plus tellement on laisse la place à d'autres. C'est un peu cet effet-là qu'on a vu, et on se dit : Non, on ne veut pas faire ça comme ça. On voudrait peut-être que ça se passe autrement. On veut continuer…

M. Drainville : …trouver le juste équilibre, il faut trouver…

Mme Lavoie (Francine) : Oui, puis on veut continuer à se battre pour des choses qui sont fondamentales pour nous et pour lesquelles on se bat depuis 50 ans, comme le féminisme, par exemple. Personnellement, moi, j'ai été de toutes ces époques et puis je ne peux pas accepter… et beaucoup de gens autour de moi, je le sais, beaucoup de femmes, beaucoup d'hommes, on ne peut pas accepter ce retour en arrière, ce retour en arrière de la place du religieux dans l'État, de… Même si ça commence un peu, par des signes ostentatoires, lentement ça peut prendre un peu plus de place, et on dit : Assez, c'est assez! Arrêtons ça tout de suite.

M. Laframboise (Yves) : J'aimerais compléter puis répondre à votre question avec un autre volet. On a l'image de la ville de Québec, comme ont déjà dit certains, d'un gros village tranquille où il ne se passe pas grand-chose, en fait, tout le monde s'aime, c'est la... tout est paisible. Et nous, à partir du moment où on a été sensibilisés, où on s'est sensibilisés à la question de la loi n° 60, de la charte des accommodements raisonnables, et qu'on s'est réunis ensemble comme groupe, on a réalisé, en fait, en échangeant, en se parlant, on a réalisé qu'à Québec… il n'y avait pas seulement Montréal où on avait des problèmes d'intégrisme ou de comportements extrêmes ou de… Oui, je dirais, je pense que ces mots-là suffisent. En regardant un peu, en fouillant un peu, en regardant les médias, on s'est rendu compte qu'à Québec il y en a aussi, des problèmes du même type qu'à Montréal, mais... bien, en fait, on les vit en miniature, d'une certaine façon, il y en a moins. Pourquoi? Parce que la plupart des immigrants qui viennent de la plupart des pays ici, au Québec, se sont relativement bien intégrés à la communauté de la capitale nationale, relativement bien intégrés, intégrés dans le sens où ils ont accepté la plupart de nos valeurs communes. Et, si nous, nous affirmons cette chose-là, c'est parce que, dans le cadre de nos activités, nous avons pu rencontrer deux personnes qui sont impliquées dans le domaine de l'immigration ici, à Québec, qui reçoivent des immigrants de l'extérieur et qui ont pu nous confirmer que, de façon générale, ça se passait assez bien. Malheureusement, quand on regarde et qu'on compile, en fait, les événements qui ont pu se passer dans les quelques dernières années ici, à Québec, qui sont en relation avec des intégrations non réussies, on est obligé de se rendre compte que ces phénomènes-là sont principalement liés à une attitude d'intégristes islamiques, qui ne sont pas une majorité, qui, d'après les gens qu'on a consultés, sont une minorité, mais qui sont tout de même existants.

Et, dans l'annexe, page 18 de notre document, nous avons voulu donner des exemples, en fait, de comportements de ce type-là qui sont survenus dans les dernières années ici, à Québec. Et il y a de tout. Il y a des gens qui se présentent... une personne qui se présente dans les services publics… Est-ce que vous avez la page 18, M. le ministre? Vous l'avez? D'accord. Il y a de tout dans ça. Il y a une personne qui refuse d'enlever son voile lorsqu'elle doit présenter sa carte au conducteur d'autobus. Il y a la présence, semble-t-il, de prédicateurs, d'imams qui viennent à l'Université Laval sur invitation de l'Association des étudiants musulmans de l'Université Laval pour faire des discours, dont une partie des éléments du discours se rapprochent très étroitement de la charia. Curieusement, à Québec — est-ce qu'on doit s'en féliciter? — on a sur le territoire de l'Université Laval une mosquée, ce qui nous apparaît une chose assez surprenante. S'il y a une mosquée, est-ce qu'éventuellement on devrait avoir une synagogue? Est-ce qu'éventuellement on devrait avoir un temple bouddhiste à l'Université Laval? Pourquoi les musulmans ont-ils ce droit actuellement et que les autres, à notre connaissance, ne les ont pas? Ça amène le citoyen à se poser toutes sortes de questions. Est-ce qu'il y a lieu de mettre en place ou est-ce qu'il existe déjà une direction des affaires religieuses, à l'Université Laval, pour régler… pour établir une politique à cet égard?

Nous avons malheureusement un étudiant de l'Université Laval qui s'est déplacé, il y a un an et demi ou un an, en fait, aux États-Unis et qui a été arrêté par le FBI. Il est soupçonné de complot, de participer… d'avoir préparé avec d'autres un attentat terroriste…

Le Président (M. Morin) : M. Laframboise, je suis malheureusement obligé de vous dire que le temps imparti, du côté ministériel, est terminé. Donc, on s'en irait vers le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup pour vous, aujourd'hui, de venir nous présenter votre mémoire, le mémoire que vous avez aidé à rédiger, et merci pour votre temps pour répondre à nos questions aujourd'hui.

On voit réellement, dans ce débat, qu'il y a beaucoup, beaucoup d'éléments qui font consensus, hein : les balises pour que les accommodements soient raisonnables, entre autres balises, évidemment, qu'il y ait un respect de l'égalité hommes-femmes, que ça se traduise dans ce qui pourrait être accordé comme accommodements, et c'est un des éléments qui fait très, très large consensus; également services de l'État à visage découvert, réception et donner les services de l'État à visage découvert; la neutralité des institutions de l'État dans la charte québécoise. Et l'élément, réellement, sur lequel il y a un déchirement, au Québec, c'est l'interdiction de port de signe religieux ostentatoire chez tous les employés du secteur public et parapublic. Ça, demain matin, c'est 600 000 Québécoises et Québécois. Également, vous avez vu le choix du Parti québécois d'étendre à des entreprises qui donneraient des contrats ou qui donneraient des services, rendraient des services à l'État, donc, contrats de services, possibilité pour le gouvernement d'étendre à ces employés cette interdiction-là, de même qu'au niveau des entités subventionnées, à leurs employés, aux gens qui y oeuvrent. Donc, cette division-là très, très… très large, je dirais, qui ferait en sorte que, plutôt que de faire avancer le Québec, faire avancer le Québec sur ce qui nous unit, on table beaucoup, dans le débat actuel, sur ce qui nous divise et nous désunit.

J'aimerais, en ce sens-là, revenir à votre mémoire à la page 14, à la fin de la page, et je vais citer l'avant-dernier paragraphe lorsque vous parlez des soins de santé. À ce paragraphe-là, et je le cite : «Même si des cadres de l'Association québécoise d'établissements de santé et de services sociaux — AQESSS — se sont à ce jour prononcés contre ce point précis de la charte, il demeure que ce sont les intervenants de première ligne, par exemple les infirmiers et infirmières membres de la FIQ, qui font face à toutes les revendications problématiques. Ces personnes constatent qu'il y a des problèmes et demandent au gouvernement des balises fermes pour y remédier.»

Donc, il y a un premier questionnement. Les balises peuvent évidemment, si elles sont claires et fermes comme on le souhaitait dès 2010, peuvent nous aider à ne pas avoir d'accommodement si ce n'est que des accommodements raisonnables, donc d'exclure les déraisonnables, mais il y a également, dans le domaine de la santé, l'interdiction de porter les signes ostentatoires qui est une tout autre chose. Et vous citiez donc la FIQ qui était aux premières lignes. Évidemment, et ça, ça fait écho de la division, il y a deux autres syndicats liés à la FIQ, dans les hôpitaux, qui sont carrément sortis à l'encontre de cette recommandation-là de la FIQ. La FIQ, déjà là, avait décidé de se prononcer, même si 40 % de ses membres étaient contre. Et également on a cité l'AQESSS, mais il y a également la Fédération des médecins spécialistes, lorsque l'on parle d'intervenants de première ligne, fédération des omnipraticiens, Fédération des médecins résidents, Collège des médecins, également l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, centre de santé universitaire McGill, l'Hôpital général juif, ainsi de suite.

Alors, dans un contexte… Et j'y vais de mon interrogation. Dans un contexte où, oui, il y a des demandes, sur tout motif de discrimination, hein, que ce soit lié à la couleur de la peau, au sexe ou à la croyance religieuse, sous tout motif de discrimination que l'on retrouve à l'article 10 de la charte québécoise notamment on ne peut discriminer, c'est un droit à l'égalité et l'on doit répondre à une demande d'accommodement, il y a la façon d'agir qui n'est pas — et c'est là la division au Québec — d'interdire mur à mur et de dire : Bien, ce n'est pas compliqué… À l'article 18 du projet de loi, vous l'avez lu, on interdit carrément les demandes. On dit non seulement qu'il n'y aura pas de port de signe, à l'article 5, dans l'article 18 on dit : On interdit toute verbalisation, toute demande, toute communication de demande d'accommodement en ce sens-là. Et vous faisiez l'argument de dire : Bien, fions-nous aux gens de la FIQ. Encore une fois, 40 % de la FIQ ont dit qu'ils étaient en désaccord, mais là je vous ai nommé une liste de personnes qui sont également en première ligne. Alors, par rapport à la nécessaire cohésion sociale sur un fondement, par rapport au consensus très large que nous avons, ne croyez-vous pas qu'il serait bien avisé, pour un gouvernement raisonnable, de mettre de côté cet aspect-là? Ça ne veut pas dire de cesser le débat, bien au contraire, mais d'aller chercher, en faisant ses devoirs cette fois-là, basé sur des études, sur des analyses, un minimum de consensus qui visiblement n'est pas là aujourd'hui. Et, je vous dirais même, pour vous qui avez des objectifs, que je ne partage pas entièrement, évidemment, on ne s'entend pas sur tout, n'y voyez-vous pas là une façon également, pour vous, d'aider à apporter le sujet et aborder le sujet qui serait davantage saine?

• (15 h 50) •

M. Laframboise (Yves) : Dans votre discours que vous venez de tenir jusqu'à maintenant, vous avez tenté, d'une certaine façon — puis je vous comprends — de discréditer en fait la position de la FIQ, bon, par différents moyens, en nous disant que tout le monde n'est pas du même avis, il y a 40 %... bon, etc. Nous, on a trouvé extrêmement important de mentionner ce témoignage-là de la FIQ. Je vais vous donner la raison. C'est une raison de citoyen, ce n'est pas une raison de spécialiste.

Vous n'avez peut-être pas eu cette chance-là, mais moi, j'ai malheureusement eu cette chance-là d'aller dans des hôpitaux deux fois dans les trois dernières années, et j'y suis allé pas seulement pour des soins de 15 minutes, 30 minutes, j'ai fait l'objet d'interventions chirurgicales. Et savez-vous qu'est-ce que j'ai constaté? J'ai constaté que, sur 24 heures où je suis là, moi, puis on s'occupe de moi, il y a 23 h 45 min ou 23 h 50 min où c'est des infirmières qui s'occupent de moi puis il y a 10 minutes où c'est un médecin qui vient ou un chirurgien qui vient me voir.

Et c'est dans ce sens-là que nous, on veut faire comprendre qu'en réalité, dans le système hospitalier, il peut y avoir des problèmes. Notre compréhension des problèmes d'accommodement ou de comportements inacceptables, notre compréhension, c'est qu'en réalité les personnes qui sont sur le front — appelons-les ceux qui sont sur le front — écoutez, ce sont les infirmières, ce sont les infirmiers, et c'est eux qui de toute façon ont tout préparé le terrain. C'est eux qui ont vu les difficultés de négocier avec une personne, c'est eux qui ont vu les problèmes qui étaient pour se poser. Et est-ce qu'ils ont pris le téléphone pour appeler le médecin? Non, c'est eux qui ont réglé ça avec le médecin. Et, quand le médecin arrive, bien lui, il arrive, là, hein… vous le voyez, il arrive avec ça, sa fiche : Bonjour, comment ça va?, etc.

Alors, nous, par cet exemple-là, on a voulu démontrer à quel point cette position de la part de ces personnes-là était importante et comment en réalité elle ajoute de la valeur à leur témoignage parce que ce sont eux qui sont les intervenants de première ligne et ce sont eux qui préparent le terrain à tous les spécialistes. Que voulez-vous que je vous dise? Vous me dites qu'il y a des spécialistes, des groupes de spécialistes qui disent qu'il n'y a pas de problème d'accommodement, mais, les spécialistes, on se bat tous pour les voir puis, quand on réussit à les voir, on les voit cinq minutes de temps. Est-ce que c'est eux qui se rendent compte des problèmes qu'il y a sur le terrain dans les hôpitaux? Bien, moi, j'ai ma réponse.

Mme Lavoie (Francine) : Je voudrais ajouter… j'aimerais ajouter, M. Tanguay, que…

M. Tanguay : Oui, je vous en prie.

Mme Lavoie (Francine) : Vous parliez d'un pourcentage, 40 %, 60 %, mais vous ne nous donnez pas les autres pourcentages pour les associations de cadres, là. Moi, je pense que c'est un peu pareil, parce que, d'après tout ce qu'on lit et ce qu'on entend dire depuis des semaines, c'est très divisé, hein? On se rapproche des moyennes, là, comme ça.

C'est que je reviens à ce que je disais tout à l'heure. C'est la population qui montre le plus de réalisme là-dedans — et ça complète ce que dit monsieur à côté — c'est la population qui est à même de vivre ça, de vivre des situations problématiques qui demanderaient des accommodements dits raisonnables. J'ai observé que ceux qui se prononcent le plus fort contre la charte sont des gens, justement, qui n'ont pas tant que ça des contacts avec les gens. Ils le font de façon théorique, ils le font à partir de certaines données comme celles de la commission des droits et libertés ou le Barreau, on en a parlé tout à l'heure, qui ne sont pas à même d'avoir vécu les choses et qui sont simplement là pour faire appliquer les lois, lesquelles lois ont été votées par des députés à l'Assemblée nationale, lesquels députés ont été élus par la population. Alors, on revient encore à la population. C'est elle qui a raison, voilà.

M. Tanguay : Au niveau des infirmiers et infirmières, la FIQ, donc, déjà, là, on avait soulevé que 40 % étaient contre, et également vous avez noté qu'il y a les syndicats de deux grands hôpitaux qui ont également… le CUSM et le CHUM, donc syndicat des professionnels en soins de santé pour le CHUM et, au niveau du CUSM, Syndicat des professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires. Donc, le point est davantage peut-être… Si on essaie d'avancer sur ce sur quoi on s'entend, c'est que, même pour eux qui sont, comme vous dites… Et vous faites la distinction versus les médecins, même si je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, parce que les médecins également sont de première ligne quand ils rencontrent les patients. Il y a là une nette division, et beaucoup, beaucoup de représentants, et de syndicats, et également d'infirmiers et infirmières sur le terrain le voient et le sentent, ça.

Également, au niveau de la Commission des droits de la personne, qui a eu un avis, là, je dirais, très, très clairement exprimé contre cette interdiction de signe religieux, je pense qu'il est important… Puis j'aimerais vous entendre là-dessus, l'interdiction de port de signe religieux. C'est qu'eux, depuis la charte québécoise des droits et libertés, vivent à tous les ans avec les demandes d'accommodement, et ce, pas uniquement pour les signes religieux, pour tout motif de discrimination. Et également un service-conseil a été mis sur pied et, de façon très, très tangible, dans tous les domaines, toutes les sphères de notre société, tant au public qu'au privé, ont à aider les décideurs, justement, à faire face à des demandes d'accommodement. Et eux-mêmes concluent qu'en bout de piste il n'y a pas… À travers les centaines et les centaines de cas qu'ils ont eu à étudier, ils n'ont pas eu l'occasion de vérifier qu'il y avait un réel problème. Au contraire, ils constatent qu'il n'y a pas de problème. Et, en ce sens-là, il est important pour nous… On parle de l'aspect politique, et c'est ce que tout le monde veut, de venir ajouter au niveau des balises quant aux accommodements, mais force est de constater qu'eux également qui sont au ras des pâquerettes constatent que l'interdiction mur à mur ne tient pas la route par rapport à l'objectif que l'on veut atteindre.

• (16 heures) •

M. Laframboise (Yves) : Bien, je pense qu'on peut citer un paquet de mémoires, d'études. La discussion peut se poursuivre à l'infini, qui a raison, qui a tort.

Moi, je vous dirais que la Commission des droits de la personne, avec la position qu'elle a prise récemment, ne nous a pas impressionnés non plus. Toute la question légale nous semble tout à fait discutable. Moi, je vous dirais… Est-ce que vous êtes… Par exemple, on parle, là, de la charte qui n'est pas inclusive, qui exclut, qui n'est pas rassembleuse, etc. Je me mets à lire, à un moment donné, le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés et je suis surpris de lire dans le préambule les mots suivants : «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu», et etc. Est-ce que j'ai bien entendu? On invoque sans cesse la charte des droits et libertés canadienne, et tous ces principes-là ne sont pas fondés sur des valeurs républicaines mais sur la suprématie de Dieu? Puis on me dit que la Charte canadienne des droits et libertés, avec son introduction, devrait être quelque chose d'inclusif? Ma compréhension, moi : ce n'est pas inclusif, c'est exclusif. Je vous dirais… Même pire que ça, ça m'apparaît, comme bon citoyen, discriminatoire, parce qu'à ce que je sache, au Canada et au Québec, il y en a, des non-croyants. Comment les non-croyants peuvent-ils se retrouver dans un tel document? Comment peut-on l'invoquer de façon générale? Je suis très surpris.

Le Président (M. Morin) : Merci, M. Laframboise. Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce, vous vouliez… Il ne vous reste pas une minute, moins d'une minute. Allez-y.

Mme Weil : Je vais aller rapidement. Comme ministre de l'Immigration, j'ai eu beaucoup de plaisir dans la ville de Québec et surtout j'ai eu beaucoup de plaisir à entendre les gens parler qu'ils étaient heureux et fiers d'une plus grande diversité. Ils trouvaient que la ville de Québec avait plus de diversité, vivait bien sa diversité. Mais je vous entends, j'entends ce que vous dites. Et vous n'êtes pas les premiers qui lancez un petit message, et ce n'est pas juste ici qu'on peut l'entendre, cette notion de : Est-ce qu'on perd notre identité? Mais vous touchez l'immigration, et on n'en parle pas beaucoup ici, et la charte ne parle pas d'immigration. Et vous parlez d'intégrisme, toute la journée on a entendu parler d'intégrisme.

Mais, honnêtement, pensez-vous vraiment, de dire à des professionnels de la santé qu'ils ne peuvent pas porter le voile, qu'on touche à ce que vous, vous êtes en train de vraiment… On ne touche pas vraiment à la question qui… Moi, quand j'ai des conversations avec des gens, ils vont plutôt sur ça, donc cette notion d'identité collective. Avant, on parlait de la langue; maintenant, on parle plus de cette notion de mixité, diversité puis… Bon. Alors, en quoi vous pensez que cette interdiction va changer la donne, va régler l'inquiétude que vous avez? Parce que c'est du 9 à 5, là, du 9 à 5. De 9 à 5, on enlève un voile, on enlève… En quoi ça change la préoccupation que vous avez?

Mme Lavoie (Francine) : Bien, je peux commencer à répondre : C'est la rassurance. C'est la rassurance qu'au moins, quand on reçoit les services de l'État, il n'y a personne qui cherche à nous imposer, même entre guillemets… Parce que ce n'est pas anodin. Moi, personne ne va me faire croire que le voile est anodin. Il y a eu plein d'études de faites aussi. Il y a des femmes musulmanes qui l'ont dit, qui l'ont crié sur les toits : Ce n'est pas anodin, attention, c'est un symbole. Il y a des gens derrière qui veulent… qui montrent justement que ces femmes… qui envoient ces femmes-là au front. Encore une fois, elles sont instrumentalisées. C'est toujours les femmes qui sont instrumentalisées.

Le Président (M. Morin) : Merci. Merci, chère madame. Merci, Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce. Maintenant, je me dirige vers Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup. Bonjour, monsieur madame, Mme Lavoie, M. Laframboise. Merci pour votre mémoire. Si je peux d'entrée de jeu vous dire un petit quelque chose qui va vous conforter dans votre argumentaire, je me souviens, il y a 25 ans, quand j'étais jeune étudiante en droit à l'Université de Sherbrooke, il y a un professeur qui nous avait dit quelque chose, puis ça m'avait vraiment marquée, et je vais vous le répéter parce que ça rejoint ce que vous nous dites. Il nous avait dit : Ce n'est pas compliqué, le droit est 10 ans en arrière de la société. Alors, ça rejoint vos propos, le droit est en retard sur la société.

Cependant, rassurez-vous dans la mesure où il bouge, le droit. Il bouge lentement, mais on est ici pour écrire des lois pour que ça bouge. Alors, il bouge, mais il bouge bien lentement. Mais ça rejoint ce que vous dites, et je voulais partager avec vous. Il y a une question de lenteur dans tout ça.

Cela dit, j'aimerais revenir à votre mémoire. À la page 13… On va parler d'éducation. La laïcité de l'État, nous en sommes, et moi, j'aimerais vous poser une question bien personnelle dans le cadre de votre mémoire : Dans la mesure où… Si on avait à faire une gradation des domaines de l'État où la laïcité est la plus importante, lequel ce serait, pour vous? Et dans quelle mesure, pourquoi, lorsque vous nous dites : «Le domaine de l'éducation demeure l'endroit névralgique où la laïcité doit prédominer sans compromis»?

Mme Lavoie (Francine) : Vous nous demandez une gradation par rapport à… Oui. Alors, disons que... Est-ce que ça serait plus important de supprimer les signes ostentatoires dans les garderies, à la maternelle plutôt qu'à l'université? Est-ce que c'est quelque chose comme ça?

Mme Roy (Montarville) : Ou plutôt dans un bureau à la SAQ, en arrière de la caisse, ou le conducteur ou le livreur d'une société du gouvernement, ou l'éducation? Est-ce qu'il y a un domaine législatif du gouvernement où ce serait plus important d'afficher la laïcité de l'État?

Mme Lavoie (Francine) : J'ai beaucoup de difficultés, personnellement, à répondre à cette question-là parce que, pour moi, tous les employés qui représentent l'État puis qui travaillent avec une clientèle — appelons-la comme ça, là — des élèves, des étudiants ou des gens qui viennent chercher des services, tout ce monde-là devrait afficher une neutralité et une laïcité. Tout ce qui est… Moi, pour moi, là, toutes les autres positions sont mollassonnes, c'est-à-dire qu'elles appellent à des compromis, elles appellent à des mésententes, à des frustrations. C'est pour ça que j'exhorte ce gouvernement-là à continuer là-dedans, puis à être clair, puis à être ferme, parce que, dès qu'on ouvre des portes puis qu'on fait des exceptions, c'est fini, là, on recommence à vivre la situation qu'on vit depuis des années. Et d'ailleurs j'ai été... nous avons été, parce que nous en avons beaucoup parlé, très déçus par le rapport de la commission Bouchard-Taylor justement à cause de ça. Ça manquait de clarté, ça manquait de fermeté. Alors, ma réponse, c'est ça.

Mme Roy (Montarville) : Je vous comprends bien, je vous ai entendue. Cela dit, je vous amène à la page 17 de votre mémoire... la page 18, pardon, excusez-moi. L'exemple de la fin, vous nous parlez d'un étudiant, un étudiant de l'Université Laval, si je comprends bien, un événement du printemps dernier. Cet étudiant a été arrêté aux États-Unis par le FBI et accusé d'être en lien avec la planification d'actes terroristes.

J'aimerais savoir dans quelle mesure le projet de loi de charte qu'on a sous les yeux aurait pu empêcher ça, que cette personne malveillante planifie des attentats terroristes.

M. Laframboise (Yves) : Moi, je vous répondrais que le projet de loi, en tant que tel, ne l'empêchera pas. C'est le budget du SCRS au Canada qui va l'empêcher.

Par ailleurs, le projet de loi est nécessaire parce qu'il doit toujours y avoir, dans notre société, un signal, et ce signal-là doit venir de quelque part. Et ici, au Québec, on a l'Assemblée nationale, et l'Assemblée nationale, qui est située en haut, doit envoyer un signal à tout le monde à l'effet que nous respectons des valeurs ici. Et ces valeurs-là vont se répercuter à peu près dans tous les organismes et...

Le Président (M. Morin) : Merci, M. Laframboise. Merci beaucoup. C'est bien déplaisant, je le sais, je suis déplaisant aujourd'hui. M. le député de Blainville.

157 157 M. Ratthé : Merci, M. le Président.

Le Président (M. Morin) : N'oubliez pas que vous avez quatre minutes.

M. Ratthé : Oui. Tantôt, j'ai moins pris, hein, c'est ça?

M. le Président, tout à l'heure j'ai demandé à Mme Desjardins si elle était prête à étendre cette mesure-là aux étudiants. Évidemment, Mme Desjardins m'a dit qu'elle ne pouvait pas exprimer son opinion personnelle. Mais je vais reprendre ma question, puisque, dans votre mémoire, vous êtes assez spécifiques, là. Vous nous dites : L'enseignement, donc, de la petite enfance jusqu'à l'université, les enseignants, les éducateurs mais également les étudiants, c'est ce que vous dites. Et je vais vous poser deux questions, donc vous aurez le loisir de pouvoir me répondre. Et vous allez plus loin même que les signes ostentatoires. Vous nous dites, à votre recommandation n° 6, que tout emblème et symbole religieux devraient complètement disparaître de tout ce qui est organisme de l'État, c'est ce que j'en comprends.

Donc, comment peut-on… Tantôt, on parlait d'adultes qui choisissent d'aller à l'université. Comment peut-on exiger ça d'eux alors que dans la société en général on va dire aux gens : Bien, c'est juste de 9 heures à 5 heures, si vous travaillez dans la fonction publique, que vous n'aurez pas le droit de mettre des signes ostentatoires? Est-ce qu'il n'y a pas là un danger de se faire dire qu'il y a justement là un refus d'une pratique religieuse?

M. Laframboise (Yves) : Bien, l'idée, en fait, dans notre mémoire, c'était de dire qu'il est très important de respecter la neutralité de l'État et que cette neutralité se retrouve aussi sur le territoire des universités. Nous estimons extrêmement important que ce soit respecté, ce principe-là, par les enseignants. Nous pensons qu'idéalement il serait préférable, à l'intérieur des salles de cours, dans les espaces où on discute, des forums, en réalité, des échanges d'idées, que les signes ostentatoires soient absents. Mais nous ne connaissons pas non plus la suite des débats ici, et peut-être que d'autres intervenants auront des précisions plus pertinentes à apporter sur ce sujet-là.

Vous mentionnez la question des signes, des emblèmes religieux. J'entendais tantôt quelqu'un, précédemment, parler des croix de chemin. Entendons-nous bien : Sur le territoire du Québec, il y a un paquet de structures qui sont d'intérêt culturel et qui sont reconnues par la Loi des biens culturels, et il n'est pas question de se lancer dans une séance d'abattage des croix de chemin le long des chemins, de nos petites routes de campagne.

Par ailleurs, nous pensons que la croix qui est dans l'Assemblée nationale ne devrait pas figurer là, parce que nous estimons que c'est un symbole qui affiche en réalité tout le catholicisme politique que nous avons vécu au Québec pendant des années et que nous avons décidé de rejeter déjà à partir des années 1960. Nous pensons donc que ce crucifix peut avoir sa place, il fait partie de notre patrimoine, il doit être considéré comme du patrimoine, mais il doit se retrouver dans un autre lieu, dans un autre espace. Même s'il se retrouve dans l'édifice ici, nous pensons que c'est une chose acceptable.

• (16 h 10) •

M. Ratthé : Votre recommandation ne se limite pas juste au crucifix de l'Assemblée nationale. Ce que je peux comprendre, par exemple, un signe ou un emblème religieux dans une cour de conseil municipal, dans une cour de justice…

M. Laframboise (Yves) : Nous faisons un parallèle entre les lieux de pouvoir et la présence du crucifix ou d'autres symboles semblables. Nous pensons que ce n'est pas la place des symboles religieux que de figurer dans les lieux de pouvoir, donc, par exemple, les assemblées municipales, les conseils régionaux et...

Une voix :

M. Laframboise (Yves) : ...commissions scolaires et organismes du genre, sans renier, en fait, notre patrimoine religieux, qui fait partie de notre identité, évidemment.

M. Ratthé : Ça complète, M. le Président.

Le Président (M. Morin) : …merci, Mme Lavoie, M. Laframboise, pour votre participation à cette commission. Bon retour à la maison. C'est tout près, probablement.

Donc, j'invite M. Guy Rocher à prendre place.

Et je suspends quelques instants.

(Suspension de la séance à 16 h 11)

(Reprise à 16 h 15)

Le Président (M. Morin) : Nous reprenons nos travaux. M. Rocher, bienvenue à cette commission parlementaire. Et je vous laisse la parole immédiatement. Vous savez que vous avez 10 minutes et qu'on va vous écouter avec attention.

M. Guy Rocher

M. Rocher (Guy) : M. le Président, M. le ministre, mesdames messieurs. Je me présente rapidement : Je suis sociologue. J'ai enseigné la sociologie pendant près de 60 ans à l'Université Laval et à l'Université de Montréal, c'est-à-dire de 1952 à 2010. J'ai, entre-temps, fait partie de la commission Parent, tout en étant dans l'enseignement. Et j'ai fait une pause dans ma carrière universitaire pendant quatre ans, car j'ai été ce qu'on appelait secrétaire général associé au Conseil exécutif du gouvernement du Québec, comme sous-ministre au Développement culturel et Développement social avec le ministre Camille Laurin et Denis Lazure, à l'époque.

En 2014, c'est-à-dire cette année, nous allons fêter le 50e anniversaire du ministère de l'Éducation. Je sais que le ministère de l'Éducation prépare un événement pour marquer cette date.

En même temps, il se trouve qu'en 2014 nous célébrons le 50e anniversaire du projet de loi qui a créé le ministère de l'Éducation, c'est-à-dire le projet de loi n° 60. Comme par hasard, comme par hasard, 50 ans plus tard, nous travaillons, vous et moi, nous tous, sur un autre projet de loi n° 60. Ce n'est pas un hasard, à mon avis, c'est un événement historique important, parce que je crois qu'il y a des liens profonds entre les deux projets de loi n° 60. Pourquoi? Parce que le projet de loi n° 60 de 1964 a été, je pense qu'on peut l'affirmer, la première loi de l'Assemblée nationale qui établissait la neutralité de l'État québécois. C'était un grand événement et c'est un événement qui a marqué le Québec en 1964. Pourquoi? Parce que pour la première fois on disait que nous mettons fin à un système confessionnel qui existait depuis des décennies au nom de la neutralité religieuse du système d'éducation.

Ce fut une loi très importante. Pourquoi? Parce que, par cette loi, nous avons invité… non pas invité, mais nous avons forcé les 22 évêques du Québec, c'est-à-dire tout l'épiscopat du Québec, à quitter les postes qu'ils avaient à la tête du système d'éducation public. Ce ne fut pas sans difficulté, je peux vous le dire.

Non seulement cela, mais, par la loi 60 de 1964, nous avons institué un ministère qui avait autorité aussi sur tout l'enseignement protestant. Cela ne fait pas souvent partie de l'historiographie du Québec, mais je peux vous dire que la résistance des protestants ne fut pas moindre que celle des catholiques. Je pourrais en parler longuement.

Donc, ce que cela veut dire, c'est qu'établir la neutralité de l'État québécois n'était pas anticatholique, pas plus qu'antiprotestant. C'était, au contraire, une manière d'établir une réalité qui était nouvelle : la neutralité de l'État.

• (16 h 20) •

Cette première loi, elle fut très importante. Elle a donné suite à d'autres lois qui se sont installées, que l'Assemblée nationale a votées, qui allaient également, et d'une manière de plus en plus concrète, établir la neutralité des institutions d'enseignement. Ce fut la loi créant les cégeps, où on a créé des institutions neutres à partir de collèges classiques et d'écoles normales qui étaient catholiques. Nous avons fait la loi créant l'Université du Québec contre les Jésuites, qui à ce moment-là demandaient, en 1961 — on l'a oublié aujourd'hui — d'ouvrir une université catholique à Montréal. Et plus tard l'Assemblée nationale a voté une loi qui transformait les commissions scolaires confessionnelles en commissions scolaires linguistiques.

Donc, je pourrais dire que la loi n° 60 de 1964 est le début d'une cinquantaine d'années pendant lesquelles, au Québec, nous avons réfléchi sur la neutralité de l'État québécois, de nos institutions publiques, et où nous avons tenté également de réaliser cette réalité qu'est la neutralité de l'État dans nos institutions publiques. C'est donc un parcours historique extrêmement important et qui est un des aspects les plus importants de la Révolution tranquille. Pourquoi? Parce que, parmi tous les événements qui peuvent expliquer ce qu'a été la Révolution tranquille, un des événements — c'est celui dont j'ai d'ailleurs pris conscience, pour ma part — c'est la prise de conscience de la diversité religieuse de la population québécoise. Aujourd'hui, c'est banal de parler de cette diversité religieuse, mais en 1960 c'était un événement. Pourquoi? Parce que nous avions accepté depuis longtemps que nous vivions dans la diversité religieuse entre catholiques, protestants et Juifs, mais entre catholiques, protestants et Juifs qui cohabitaient sans relation, dans l'ignorance mutuelle. Or, en 1960, 1961, nous apprenions, avec le Mouvement laïque de langue française, qu'il y avait des Canadiens français qui étaient athées, des Canadiens français qui refusaient d'envoyer leurs enfants à l'école publique catholique, qui demandaient une école neutre, qui demandaient le mariage civil — énormité à l'époque — qui demandaient de ne plus faire serment sur la Bible devant les… dans les tribunaux, etc.

Nous avons pris conscience d'une manière très forte de cette réalité nouvelle qu'était la diversité religieuse de la population québécoise, particulièrement de la population canadienne-française, de la majorité dite catholique. Et quel principe alors nous a servi pour établir les politiques des institutions publiques? C'est le principe du respect des convictions et des consciences de toutes les clientèles qui font affaire avec les institutions publiques. C'est le grand principe qui a été établi, je peux dire, peut-être pour la première fois dans un document public par la commission Parent. On trouve dans le volume IV du rapport de la commission Parent plusieurs pages qui portent précisément sur l'analyse de la neutralité dans cette perspective du respect de toutes les convictions, religieuses et autres mais religieuses en particulier des clientèles. C'est ce principe qui a permis d'établir les cégeps sur la base sur laquelle ils ont été établis. C'est le principe qui a permis d'ailleurs aussi au personnel enseignant d'accepter, qui était dans le personnel enseignant qui était dans des institutions confessionnelles, religieuses catholiques, d'accepter de passer dans des institutions neutres comme de plus en plus l'ont été des polyvalentes d'abord, comme l'ont été les cégeps, comme l'a été l'université et comme se sont aussi déconfessionnalisées les universités Laval et de Montréal dans les années 60 en abandonnant leurs chartes pontificales au profit de chartes civiles.

Aujourd'hui, nous sommes devant une autre situation. Bien sûr, le contexte social et culturel de 2014 au Québec n'est plus celui de 1964 tout à fait. Je dirais qu'il y a en particulier deux grands changements qui se sont produits. Le premier, c'est qu'évidemment le pluralisme religieux qui nous apparaissait considérable en 1964 est devenu énorme. Nous vivons dans une société québécoise qui maintenant est marquée par la diversité culturelle, ethnique, religieuse en particulier comme nous ne pouvions pas l'imaginer en 1960. C'est donc un immense changement dû à l'immigration. Deuxième grand changement, et je termine là-dessus, M. le Président — je vois votre geste, c'est ça — deuxième grand changement, évidemment, c'est l'apparition des chartes, charte québécoise d'abord et charte canadienne, qui toutes les deux font que, dans le débat d'aujourd'hui, les juristes ont une place qu'ils n'avaient pas en 1964, et le problème juridique est posé aujourd'hui d'une manière qu'il ne l'était pas ou d'une manière peut-être différente à l'époque mais qui n'était… différente d'aujourd'hui.

Je m'arrête là, M. le Président. J'aurai l'occasion peut-être d'aller plus loin tout à l'heure en réponse à vos questions. Merci de m'avoir écouté.

Le Président (M. Morin) : Oui. Merci, M. Rocher. M. le ministre.

M. Drainville : Bienvenue parmi nous, M. Rocher. Merci pour votre présentation. Je dois dire que je suis impressionné, voilà. On apprécie tous également les mémoires, mais disons que, quand celui qui nous le présente a 89 ans, qu'il a tout le parcours que vous avez, ça commande...

M. Rocher (Guy) : 89 ans et huit mois et demi.

Des voix : Ha, ha, ha!

M. Drainville : Alors, ça commande, je dirais, un respect particulier, dont je vous témoigne ouvertement devant mes collègues.

M. Rocher (Guy) : Merci.

M. Drainville : J'aimerais d'abord que nous revenions sur le concept de paix religieuse. Vous utilisez le concept de paix religieuse dans votre mémoire à quelques reprises. Vous dites que le projet de loi n° 60, l'actuel, celui que nous étudions, s'inscrit donc dans un choix historique que nous avons fait il y a 50 ans, dans l'autre projet de loi n° 60 qui instituait donc cette idée que les institutions publiques doivent être neutres et que les clientèles doivent être respectées dans leurs convictions religieuses, et que ce respect pour la clientèle, si je vous comprends bien, doit avoir préséance sur la conviction religieuse de l'agent de l'État ou du personnel de l'État.

Alors, j'aimerais bien que vous nous expliquiez d'abord comment la neutralité religieuse à laquelle vous avez contribué avec la commission Parent il y a 50 ans… comment cette neutralité religieuse a contribué à la paix religieuse. Et en quoi le projet de loi n° 60 que nous avons sous les yeux est nécessaire pour assurer la pérennité de cette paix religieuse pour l'avenir?

• (16 h 30) •

M. Rocher (Guy) : En 1960, nous étions au bord d'une situation de plus en plus conflictuelle entre en particulier les Canadiens français dont je viens de parler, qui se déclaraient athées, et la majorité catholique, une majorité catholique qui n'était pas prête à accepter qu'il y ait comme ça des athées qui demandent des droits. Et il y avait là, pour une majorité catholique, quelque chose d'incongru et même d'inacceptable, hein?

Et je me souviens en particulier d'un article qui avait fait du bruit à l'époque, de mon ami Gérard Pelletier, un nom connu à l'époque, qui avait publié dans Cité libre un article intitulé Feu l'unanimité, et Gérard Pelletier en parlait comme catholique, en disant : Mais je m'étonne que maintenant nous avons perdu cette unanimité religieuse que nous avions comme catholiques. Que nous est-il arrivé? Pourquoi cela nous est arrivé? C'est comme si le fait d'avoir des protestants chez des Canadiens français nous culpabilisait, nous, catholiques, de n'avoir pas réussi à sauver leur âme, en quelque sorte, hein?

En bien, comment avons-nous pu établir une paix entre ceux qui se déclaraient athées et ceux de la majorité qui demandaient... qui s'étonnaient de cet athéisme? Eh bien, c'est en établissant le principe du respect des clientèles. Nous avons respecté la clientèle athée en lui offrant un secteur d'école neutre, nous avons respecté la clientèle catholique en lui disant : Nous allons continuer à avoir des écoles catholiques, nous avons respecté la clientèle protestante en disant : Nous allons continuer à avoir des écoles protestantes, au nom du respect des convictions des catholiques, des protestants et des athées. Et c'est en ce sens que nous avons vécu une période de paix religieuse, justement sur la base de ce principe, en assurant que les demandes des athées sur la base de leurs convictions, que nous respections… que leurs demandes soient entendues. Et c'est pour ça que moi, je relie comme une causalité le principe du respect des clientèles, des convictions des clientèles à la paix religieuse que nous avons vécue, parce que ce qui est quand même étonnant… Et cela, je peux le dire, ça m'est souvent demandé par des visiteurs étrangers : Comment se fait-il que vous êtes passés d'un système si religieux avant 1960 à un système qui s'est déconfessionnalisé si vite, sans manifestation, sans parade dans les rues, sans contestation devant les tribunaux, hein? Eh bien, je dis, le principe que nous avons suivi, c'est le respect des clientèles, des parents, des élèves, des étudiants. C'était ça, notre principe, et c'est comme ça que ça a été accepté.

Et il faut dire aussi que ce principe de neutralité, de respect des convictions allait dans le sens de l'objectif de l'époque de l'accessibilité, parce que je pense le dire dans mon mémoire, mais ce qui nous est arrivé, au Québec, c'est que, grâce à cette neutralité, grâce à cette déconfessionnalisation, nous avons réussi une accessibilité beaucoup plus large. Il y a un lien très étroit entre accessibilité et neutralité dans le système de l'éducation.

M. Drainville : Alors, une des choses qui s'est produite dans ces années-là, c'est qu'une partie des enseignants qui étaient au travail dans les institutions religieuses, dans les collèges classiques notamment ont accepté de continuer à enseigner dans les nouveaux cégeps qui étaient neutres sur le plan religieux, et qui, ce faisant, ont aussi accepté de renoncer progressivement à leurs signes religieux. Il y a eu une transition qui s'est faite, et il y a plusieurs religieux et religieuses qui portaient un signe religieux qui ont accepté de rester dans le nouveau système des cégeps et qui ont accepté que ça venait avec un certain nombre de contraintes. Et l'une de ces contraintes, c'était un habit laïque. Bon.

Et vous savez toute la controverse que cause la mesure que nous proposons en matière de signes religieux. Et vous, vous dites, dans votre mémoire, et je vous cite là-dessus : Les opposants au projet de loi n° 60, l'actuel projet de loi n° 60, en s'opposant à l'interdiction du port de signes religieux, veulent inverser le principe du respect des convictions de toutes les clientèles. Alors, je vous cite : «…le respect des convictions de l'enseignant aurait désormais priorité sur le respect des convictions des parents, des élèves, des étudiants [et des étudiantes]. Il s'agit là, en regard de notre passé, d'un renversement de la priorité du respect des convictions religieuses, inspiré à mes yeux par une conception trop individualiste à l'endroit des institutions destinées au service public.» Élaborez, s'il vous plaît.

M. Rocher (Guy) : Ce que j'ai en tant qu'observateur, disons, de la société et comme sociologue, c'est que, comme d'autres d'ailleurs, j'ai vu se développer dans notre société, comme dans l'Occident, d'ailleurs, un très fort mouvement d'individualisme — tout le monde l'a dit, je pense, c'est banal de le dire — un très fort mouvement d'individualisme que j'ai très nettement senti, par exemple, dans mes relations avec les étudiants. Quand on enseigne pendant 60 ans, on voit passer beaucoup de générations d'étudiants. Chaque génération est différente des autres, et j'ai vu arriver des générations d'étudiants de plus en plus individualistes, de plus en plus... ayant une attitude beaucoup plus utilitaire à l'endroit de l'université, par exemple, voyant les études dans une perspective beaucoup plus personnelle, oui. Et évidemment c'est un peu dans la poussée de cet individualisme que l'on requiert maintenant que l'enseignant ait... les convictions de l'enseignant aient priorité sur celles des élèves.

Moi, j'appuie, j'appuie le projet de loi n° 60 de 2014 comme j'ai appuyé le projet de loi de 1964, parce que le projet de loi n° 60 de 2014 est basé sur le même principe du respect des convictions des clientèles, et, je trouve, c'est ça qui est important maintenant. Et c'est ça qui a assuré la paix, la paix. Je reviens sur votre question précédente, c'est ça qui a assuré une paix. Et, comme, pour moi, la charte est un projet de loi extrêmement important pour l'avenir, pour l'avenir le l'État québécois et des institutions publiques québécoises, je dis : C'est le principe d'une paix religieuse et d'une paix sociale qui est là dans ce principe du respect des clientèles. C'est pour ça que j'appuie l'ensemble, dans son ensemble le projet de loi n° 60. Il est, à mon avis, inspiré par ce qui a fait le succès de notre déconfessionnalisation, ce qui a fait le succès de nos institutions publiques dans l'enseignement. Moi, je parle de l'enseignement devant votre commission, si vous me permettez, parce que c'est dans l'enseignement que j'ai vécu pendant 60 ans et c'est là que j'ai fait ma carrière.

M. Drainville : Parlons-en, justement, du milieu universitaire. Vous dites à la page 7 de votre mémoire : «En tant qu'universitaire de carrière, je tiens à faire part de mon avis concernant l'application de la loi n° 60 aux universités.

«On invoque bien à tort, à mes yeux, la "liberté académique", qu'on dit menacée par les exigences de la neutralité. Il s'agit, en l'occurrence, d'une grave confusion touchant ce qu'est la liberté académique. Le devoir de réserve que doit respecter tout professeur d'université concernant ses convictions tant religieuses que politiques n'a rien à voir avec la liberté académique. Celle-ci porte sur la liberté concernant la transmission du savoir et la recherche», etc.

Il va y avoir dès demain, si je ne m'abuse, des représentants du milieu universitaire qui vont venir vous contredire. Alors, si vous les aviez devant vous, vous leur répondriez quoi?

M. Rocher (Guy) : Nous aurions une dure discussion, oui, c'est certain.

M. Drainville : Voilà.

M. Rocher (Guy) : Je sais très bien que vous allez recevoir peut-être les recteurs. En tout cas, je tiens à dire, premièrement, que, quand les recteurs parlent, ce n'est pas l'université qui parle. J'entends toujours les journalistes dire : L'université est contre le projet de charte. Non, le recteur est contre, mais moi, je suis contre mon recteur et je fais partie de l'université. Donc, s'il vous plaît, j'espère qu'un jour on fera la différence entre les recteurs et l'université. Première réponse.

Deuxième réponse : Oui, je suis en désaccord avec mes collègues sur deux plans en particulier. Confusion sur la liberté académique, comme ils disent. La liberté académique consiste… est notre liberté en ce qui concerne le savoir que nous enseignons, en ce qui concerne les recherches que nous faisons, mais ça ne touche pas le vêtement que nous portons, ça ne touche pas… Ce n'est pas au nom de la liberté académique que nous avons une liberté religieuse, mais pas du tout, ça n'a rien à voir. Et là c'est là que je trouve qu'il y a une confusion.

Et il y a une deuxième confusion dans l'attitude de mes collègues : C'est même au nom de la liberté de religion et de conscience qu'ils s'objectent à la charte. Or, je veux dire ceci en ce qui concerne la liberté de religion et de conscience : J'ai vécu dans l'université depuis 1952, donc dans l'université catholique. Eh bien, je peux dire que, dans l'université catholique d'avant 1960, nous n'avions pas la liberté de religion, nous n'avions pas la liberté de conscience. Par exemple, nous ne pouvions pas, en 1950, embaucher un professeur athée, nous ne pouvions pas embaucher un professeur musulman, nous ne pouvions pas embaucher un professeur juif. Il fallait être catholique pour enseigner dans les universités catholiques de Montréal et de Laval, c'est le régime que j'ai connu.

• (16 h 40) •

À quel moment avons-nous connu la liberté de religion et de conviction? C'est à partir du moment où, vers la fin des années 60, l'Université Laval et l'Université de Montréal ont abandonné leurs chartes pontificales et sont venues ici, à l'Assemblée nationale, se faire donner une charte civile. À partir de ce moment-là, nous avons joui de la liberté de conviction des professeurs, parce que c'est à partir de ce moment-là que nous avons eu le droit d'engager des Juifs, des protestants, des athées, des musulmans. Eh bien, je dis à mes collègues aujourd'hui : Attention! Si… Et c'est là que je trouve qu'il y a un vice profond. Si nous refusons, à l'université… nous demandons, par exemple, que les universités soient exemptées, par exemple, de la charte, de votre charte de la laïcité, et qu'à l'avenir nous acceptons que certains professeurs aient le droit de porter les signes ostentatoires de leur religion comme ils le veulent, eh bien, je dis : Écoutez, c'est très grave. C'est très grave cette position. Pourquoi? Parce que je dirais que depuis toujours il y a dans l'université un consensus pratique, une pratique consensuelle qu'aucun professeur n'affiche devant les étudiants ses convictions politiques, qu'aucun professeur n'affiche ses convictions religieuses. Il y a peut-être des exceptions, c'est très vrai, c'est bien possible, il y en a, mais c'est un consensus à peu près général. Attention! Vous mettez fin à ce consensus maintenant, ce qui veut dire que vous me donnez à moi autant qu'aux autres le droit d'afficher mes convictions religieuses dans la salle de cours. Vous voulez dire que maintenant, à l'avenir, contrairement à ce que je fais depuis 60 ans, j'ai le droit d'entrer dans la salle de cours avec un tee-shirt disant : Dieu n'existe pas, je suis athée. Bien, je refuse ce droit et je crois que c'est un droit que nous n'avons pas le droit d'avoir à l'université. Je crois que c'est une confusion des genres, de nous prêter ce… de nous donner ce droit que nous nous refusons depuis… en tout cas, pour moi, depuis le début de ma carrière universitaire. Eh bien, je trouve ça très grave, ce…

Et voilà comment je suis en désaccord profond avec mes collègues — ils le savent, d'ailleurs — et pour une raison fondamentale, c'est la liberté religieuse à l'université que nous avons gagnée contre l'ancienne université. Et cela, je pense qu'il faut l'affirmer avec force. Je suis très malheureux d'être en désaccord avec certains de ces collègues, que j'aime beaucoup, mais c'est un désaccord profond. Et je trouve que c'est non seulement un désaccord profond, mais c'est un désaccord qui m'inquiète beaucoup pour l'avenir parce que nous ouvrons une porte, à cause de quelques personnes qui peut-être demanderaient de porter des signes ostentatoires, à cause de quelques personnes, nous ouvrons une grande porte à tous les droits à tous ceux qui ont des convictions religieuses, quelles qu'elles soient. Et, bon, je pense qu'à l'université on peut compter un bon nombre de professeurs athées, ce n'est un secret pour personne, mais aucun de ces professeurs ne l'affiche publiquement.

M. Drainville : Il me reste seulement quelques secondes. Si vous avez l'occasion, dans les prochaines minutes, de nous parler un peu du débat au sein des intellectuels... Il y a certaines personnes qui ont dit : Les intellectuels, de façon générale, sont contre la charte au Québec. Je pense que ça pourrait être une occasion de préciser ça.

Et l'autre chose également, vous avez dit dans une entrevue au journaliste Paul Journet, de La Presse : Une personne qui porte un signe religieux dans une école, on dit : Bof! ce n'est pas grave, mais, lorsqu'il y en aura cinq ou 10 qui porteront ce signe, est-ce qu'on sera toujours dans une institution qui sera neutre sur le plan religieux? Si jamais vous avez l'occasion d'élaborer là-dessus, je l'apprécierais.

Le Président (M. Morin) : Un dernier mot, M. Rocher?

M. Rocher (Guy) : Bien, c'est que le nombre est une réalité sociologique très importante. Quand il y a une personne, bien sûr, ça ne paraît pas beaucoup, mais, dans une école où il y a 20 enseignants, et quand il y en a 10 qui portent des signes religieux, je crois que les parents ont le droit de se demander : Suis-je encore dans une école neutre? Suis-je encore dans une école publique neutre? Je pense que c'est une question que des parents peuvent se poser. Le nombre est un phénomène sociologique très important et…

Le Président (M. Morin) : Merci. M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, M. Rocher… Je vais tenter de parler un peu plus fort. Merci beaucoup, M. Rocher, d'avoir pris le temps de rédiger le mémoire.

M. Rocher (Guy) : À mon âge, on entend moins, mais on comprend plus de choses, paraît-il.

M. Tanguay : Tout à fait, tout à fait.

M. Rocher (Guy) : J'ai toujours espéré que ce n'est pas l'inverse.

M. Tanguay : Tout à fait. Merci beaucoup, M. Rocher, d'avoir pris le temps de rédiger le mémoire et de répondre à nos questions aujourd'hui. On aurait tellement aimé avoir plus de temps, mais on n'a que 14 minutes, alors je vais aller le plus rapidement possible. J'ai quelques questions, et ma collègue en aura également.

Vous dites dans votre mémoire à la page 8… Une de vos recommandations, si je peux m'exprimer ainsi, est de dire d'instaurer une sorte de clause grand-père, autrement dit ne pas exclure de leurs postes de travail les personnes portant déjà des signes ostentatoires. Pourquoi ce serait important pour vous, cela?

M. Rocher (Guy) : C'est important pour moi, oui.

M. Tanguay : Et pourquoi?

M. Rocher (Guy) : Je me suis toujours… Je l'ai toujours dit, d'ailleurs, je ne m'en suis pas caché. Je l'ai dit même publiquement. C'est important pour moi pour une question de justice, parce que je crois que des personnes… J'en connais autour de moi à différents niveaux de l'enseignement et dans les services de santé, qui portent des signes ostentatoires de leurs convictions religieuses, et ils n'ont… disons que les institutions ont accepté que ça se fasse dans un régime, je dirais, antérieur à ce projet de loi. Et, bon, je n'ose pas parler de droit acquis, c'est une formule un peu trop juridique et dangereuse aussi en droit, hein, mais disons que je trouve qu'en toute justice ces personnes ont bénéficié d'une situation où on acceptait que ça se fasse, les institutions l'acceptaient. Mais voilà que nous changeons de régime, mais j'accepte que ces personnes-là continuent.

Bien sûr, on va nous dire : Bien, ça va faire une différence entre ceux qui portent et ceux qui n'en portent pas, mais déjà la situation, elle est comme ça. À mes yeux, la nouvelle charte de la laïcité devrait s'appliquer à ceux qui arrivent. Et même il pourrait y avoir un délai pour ceux qui arrivent, mais… En tout cas, c'est ma perception, je dirais, de la justice à l'endroit de ces personnes, et donc je m'oppose à ce qu'il y ait des expulsions au nom de cette charte. Je trouve que ce serait commettre une injustice à l'endroit et des institutions qui ont accepté ces personnes avec leurs convictions, telles qu'elles les affichent, et les personnes elles-mêmes. Voilà ma position.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. Rocher. Vous, également, vous faites référence en introduction ou pour amener le sujet, dans votre mémoire, à la commission Parent, qui à l'époque, et vous le savez beaucoup mieux que moi, était une commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec, qui a débuté ses travaux en 1961 et qui a remis ses rapports en 1963, 1964, donc commission royale d'enquête qui, selon la présentation du sujet que vous nous en faites, a initié ce mouvement qui a évidemment présidé à la création du ministère de l'Éducation. Et je fais un lien avec les deux dernières lignes de votre mémoire, où vous souhaitez la mise en place d'un organisme chargé de poursuivre et d'étendre la réflexion collective présentement engagée. Pourquoi… Puis je reprends cet exemple-là de la commission royale d'enquête Parent. Là, vous en faites également la suggestion, un organisme pour poursuivre la réflexion. Pourquoi c'est important, avant d'agir dans des matières aussi délicates, que de se donner l'avantage et le bénéfice de la recherche, de l'étude et de la réflexion?

• (16 h 50) •

M. Rocher (Guy) : Bon, je dirais que c'est moins, pour moi, nécessairement de la recherche au sens… Pour moi, le mot «recherche» a un sens scientifique, et, comme universitaire, chercheur, je ne parle pas tellement de recherche, mais je crois que le ministre aurait avantage, à l'avenir, à s'entourer soit d'un comité soit d'un conseil supérieur de la laïcité, par exemple, disons. J'ai eu l'occasion de vivre à deux reprises la création d'un tel conseil. Quand nous avons fait la loi 101 de 1964, en même temps que le ministère de l'Éducation nous avons créé le Conseil supérieur de l'éducation, comme on sait, qui a joué un rôle très important depuis 50 ans. Ce Conseil supérieur de l'éducation a donné des avis d'une grande valeur, et nous avons là une documentation qui est malheureusement beaucoup trop négligée, trop peu utilisée, c'est la documentation, tous les rapports et les avis du Conseil supérieur de l'éducation.

Quand, en 1977, nous avons fait la loi 101, nous avons aussi créé… à côté de l'office de la francisation, nous avons créé le Conseil supérieur de la langue française pour conseiller le ministre. Ce serait la même chose sur la laïcité, à mon avis, et encore peut-être davantage, parce que la laïcité, évidemment, on le voit bien dans le débat que nous vivons et les émotions que cause cette laïcité, hein, nous aurons besoin de continuer, après la loi… Si l'Assemblée nationale adopte cette loi, ce projet de loi, nous allons encore continuer à réfléchir et à mettre en application la laïcité dans cet État québécois et les institutions publiques. Donc, je crois que le ministre aura besoin d'être entouré d'un conseil consultatif qui sera plus une caisse de résonance, si vous voulez, pour lui et pour l'opinion publique et qui sera en mesure de faire ce qu'on peut appeler des recherches, enfin, apporter des vues, et, au besoin, faire la synthèse des vues qui sont exposées dans la population québécoise. Voilà de quelle manière je vois cette… parce que je pense que le ministre qui sera responsable de l'application de cette loi aura une très grande responsabilité devant la société québécoise, et donc il aura besoin d'avis qui soient près de lui et de personnes en qui il pourra avoir confiance.

M. Tanguay : Et croyez-vous, M. Rocher… Et ce sera ma dernière question, je vais laisser ma collègue poursuivre. Croyez-vous, M. Rocher, par rapport à toute la division que l'on voit sur un aspect qui est l'interdiction de port de signe... Et là certains tentent, tout à l'heure, de soulever des chiffres, on a entendu le ministre parler de 20 % des femmes musulmanes qui portent le voile. On essaie d'avoir une évaluation quantitative mais qualitative également. Sur cet aspect bien précis, croyez-vous qu'il serait de bon aloi, justement, quant à cette réflexion collective là, que l'on puisse, sur cet aspect directement, bénéficier du fruit de ces analyses-là?

M. Rocher (Guy) : Oui. Maintenant, vous savez, ces analyses, je peux vous le dire en tant que chercheur en sociologie, ce seraient des analyses extrêmement délicates à faire dans le sens où il est difficile, dans ce genre d'étude, de considérer la réponse comme étant la bonne réponse. Je peux dire que, quand on fait des enquêtes en sociologie, on a comme règle de ne pas toujours croire que, là-dedans, la réponse qui nous est donnée est la bonne réponse. Je ne veux pas parler pour les femmes musulmanes, mais, si je demande à des femmes musulmanes, si elles portent le voile, est-ce que c'est leur libre choix… Je veux bien accepter leur réponse, mais je ne suis pas certain que leur réponse est la bonne réponse, la réponse qui est la réalité sociologique de cette femme, qui est la réponse anthropologique de cette femme, parce que je crois qu'il y a des femmes musulmanes qui doivent dire que c'est un libre choix, je le crois, mais que ce n'est pas nécessairement leur libre choix.

Alors, je dirais que d'abord je serais absolument inquiet d'une analyse purement statistique, il faudrait donc une analyse beaucoup plus fine. Et je cherche encore l'étudiant en sociologie ou le collègue en sociologie qui acceptera de faire cette recherche-là. Ce ne serait pas moi, en tout cas.

Le Président (M. Morin) : Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce, je crois que vous voulez intervenir.

Mme Weil : Oui, merci. Merci beaucoup, M. Rocher. Je vous ai vu l'autre soir avec Anne-Marie Dussault, j'ai trouvé ça fascinant. Et donc ça m'a fait vouloir faire des recherches sur Jean-Pierre Proulx et le rapport de Jean-Pierre Proulx, parce que moi, j'ai grandi... ça fait peut-être au moins 30 ans que je gravite dans le réseau de la santé, des services sociaux, j'ai été ministre ici au gouvernement, donc, dans les services publics et avec une vision de politique publique qui faisait beaucoup la promotion de l'ouverture à la diversité, depuis longtemps le Québec est très actif. Et je suis tombée donc sur le rapport… Je vais juste aller sur certains éléments parce que j'aimerais vous entendre, vous êtes sociologue, c'est intéressant de pouvoir profiter de votre analyse de la situation, parce que, moi, ce que je sens chez les jeunes, mes enfants notamment qui ont grandi avec des amis qui s'appellent Mohammed, Yasmine, etc., des amis haïtiens, la diversité… qu'ils sont malheureux par le message qu'on envoie parce que, pour eux, l'entente qu'ils avaient, c'est que le Québec était une société d'inclusion. Et ils sont malheureux de voir la souffrance du message qu'on envoie surtout aux musulmans, il faut le dire, c'est beaucoup les musulmans qui le ressentent.

Alors, je vais vous lire quelques passages, donc : «La politique du Québec relative à l'immigration est fondée sur le principe de l'intégration à une société définie comme pluraliste, dans le respect des valeurs démocratiques fondamentales qui en constituent le fondement.» Plus loin : «…la politique québécoise sur l'intégration sociale est aussi fondée sur le principe du respect des particularismes, notamment en matière religieuse. En matière scolaire, ce principe s'articule sur le droit à l'accommodement raisonnable, lequel ne peut toutefois remettre en question les droits fondamentaux de la personne.» Et il dit ensuite que… Et ça, c'est le rapport Proulx, hein, le Groupe de travail sur la place de la religion : «Lorsqu'il s'agit du droit à l'égalité, c'est d'abord l'opinion des minorités qu'il faut prendre en considération. La majorité, en effet, souffre rarement des inégalités puisqu'elle est plus que tout capable d'influencer le décideur politique en sa faveur.» Il va plus loin, il parle de fondement de la justice et de la paix, et ensuite il dit : «Cette perspective est celle de la laïcité ouverte.» Alors, on accuse souvent M. Bouchard, hein, Gérard Bouchard, avec son rapport, d'avoir inventé cette notion, mais ça précède M. Bouchard, et je peux constater qu'on a grandi avec cette notion.

Alors, c'est plus en termes de sociologue. Comment on fait pour s'assurer qu'on continue à bâtir une société inclusive qui n'est pas ébranlée par ce débat où franchement c'est kif-kif, hein, 50 % qui croient que ça prend une laïcité plus pure et dure — je ne sais pas l'expression — et une laïcité ouverte avec laquelle on a grandi? C'est sûr que l'immigration a fait en sorte que la diversité de l'immigration, c'est ça qui crée ce choc. Et certains groupes osent en parler, hein, ils parlent beaucoup de l'islam, c'est sûr, mais ils commencent à parler d'immigration, et moi, je sens que le débat n'est pas du tout bien engagé. J'aimerais votre opinion.

Le Président (M. Morin) : M. Rocher, vous avez à synthétiser ça. Vous avez une minute pour répondre à cette dame.

M. Rocher (Guy) : Première réponse : Vous avez là à la page 8, numéro 1, une partie de ma réponse. Je crois qu'on ne doit expulser personne, premièrement. Je pense que, si on adoptait cette position… je crois qu'il y a là quelque chose de rassurant pour les enfants, ceux qui sont habitués à avoir ces enseignants continueront à les avoir. Pour moi, c'est essentiel. Donc, c'est une première réponse.

La deuxième, c'est que nous entrons dans une période où nous aurons, j'espère, une autre conception de notre ouverture, parce que ce projet n'est pas un projet de repli ethnique ni de repli religieux, je tiens à le dire, contrairement à certains de mes collègues, non, pas du tout. C'est un projet d'ouverture comme nous l'avons vécu depuis 50 ans, d'ouverture dans le sens de continuer encore pendant les prochaines années à respecter les convictions de tous ceux qui se présentent devant les institutions publiques. Pour moi, c'est ça. Et c'est ça, notre ouverture.

Le Président (M. Morin) : Merci.

M. Rocher (Guy) : Et elle nous a marqués, et je crois qu'elle devrait continuer à nous marquer.

Le Président (M. Morin) : Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonsoir, M. Rocher. M. le professeur, je vais vous appeler ainsi. On va poursuivre sur la même lancée. À la page 8, pour ceux à la maison qui n'ont pas eu l'occasion de lire ce que vous avez écrit, je vais vous citer, vous dites…

M. Rocher (Guy) :

Mme Roy (Montarville) : La page 8. Vous dites : «Mon appui au projet de loi n° 60 s'accompagne de quelques réserves.

«1. Je considère, au nom de la justice, qu'on ne devrait pas exclure de leur poste de travail les personnes portant déjà ses signes ostentatoires de convictions religieuses. Bien sûr, cela a l'inconvénient de maintenir des disparités dans le milieu de travail — qui existent déjà en réalité — mais cela est beaucoup moins grave que l'exclusion.»

Alors, si je vous lis bien, le gouvernement va trop loin en voulant ultimement renvoyer l'employé qui refuserait de retirer un signe religieux.

M. Rocher (Guy) : Oui. Je ne suis pas d'accord avec cette partie du projet de loi n° 60 qui exigerait que les employés qui portent déjà des signes ostentatoires doivent quitter leur poste. Je ne suis pas d'accord, donc je l'ai dit bien clairement, je l'ai dit publiquement, oui, et je le dis dans ces quatre lignes que vous venez de citer, c'est tout à fait ma position, parce que je trouve, comme je le dis, que c'est plus grave, l'exclusion, que de garder ces personnes qui sont entrées dans ces positions dans un autre régime que celui qui sera maintenant le prochain avec l'adoption de ce projet de loi, oui.

Mme Roy (Montarville) : Et j'aime bien l'idée que vous soulevez : On ne va pas parler de droit acquis mais pour le futur. Je trouve ça intéressant. Vous n'êtes pas le premier qui le soulevez ici. M. Gauthier, l'ancien chef du Bloc québécois, l'a d'ailleurs soulevé. Je trouvais ça intéressant.

Par ailleurs, je vous poserais une question : Quelle sanction verriez-vous à la place du renvoi? Y aurait-il une sanction ou il n'y aurait pas de sanction?

• (17 heures) •

M. Rocher (Guy) : Bien, évidemment, on peut dire… on peut souhaiter que les personnes qui portent des signes ostentatoires soient invitées à y réfléchir, à tenir compte du fait que maintenant il y a une loi qui, pour l'avenir, demandera à ceux qui viendront de ne plus porter de signe ostentatoire, bon, on peut s'engager dans une période, disons, d'incitation, hein, mais je ne voudrais pas que l'incitation se termine par l'exclusion. Voilà ma position.

Mme Roy (Montarville) : C'est clair.

M. Rocher (Guy) : Oui, elle est claire.

Mme Roy (Montarville) : J'essaie une autre question si j'ai le temps. Vous dites à la page 5 de votre mémoire, au bas : «Aujourd'hui, l'islam acquiert une présence qui entraîne une nouvelle phase dans notre réflexion collective sur la neutralité religieuse.» Alors, est-ce à dire que ce ne sont pas les autres religions qui entraînent cette nouvelle phase de réflexion sur la laïcité de l'État? Vous spécifiez l'islam ici. Pourriez-vous élaborer?

M. Rocher (Guy) : Parce qu'évidemment, dans la situation actuelle, la religion qui est la religion qui est la plus présente, la plus exigeante parmi les nouvelles religions, c'est l'islam, c'est évident, hein, ici comme ailleurs. Moi, je ne voudrais pas que ce projet de loi soit fait parce qu'il y a de l'islam aujourd'hui. Je trouve que c'est une situation présente, l'islam est là, et je dirai que… Je l'ai déjà dit, l'islam représente, pour moi, une religion aussi exigeante que l'a été l'Église catholique autrefois pour les catholiques. L'Église catholique était une religion très exigeante pour les catholiques et elle était très exigeante pour les États, parce que l'Église catholique demandait de faire partie du gouvernement, en quelque sorte. L'Église catholique, au Québec, a demandé d'avoir l'éducation sous sa direction, les services de santé, les services sociaux, etc.

Le Président (M. Morin) : Merci, M. Rocher. On se dirige vers Blainville.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. M. Rocher, c'est un honneur de vous recevoir. Je vais continuer un peu sur la lancée de ma collègue de Montarville, j'avais quelque chose qui était un peu semblable. Vous dites : Ce projet de loi là n'est ni anti-islamique, ni anticatholique, ni antiprotestant. En fait, il ne vise aucune religion. Pourtant, qu'on soit du côté favorable ou défavorable du projet de loi, la plupart du temps on entend pratiquement uniquement parler à titre d'exemple de l'islam, des… Le groupe juste avant vous nous donnait dans son mémoire à trois reprises… trois endroits où on disait : Particulièrement le voile islamique.

Alors, comme sociologue, pourquoi notre société est… Moi, ça pique ma curiosité parce que je pense comme vous que ce n'est pas un projet de loi qui vise une religion en particulier. Pourtant, les gens qui sont favorables semblent craindre plus particulièrement l'islam ou visent des signes plus… et les gens qui pratiquent l'islam viennent nous dire : Ce projet de loi là, il est carrément contre nous, là, ou à peu près.

M. Rocher (Guy) : Bon, moi, je ne nierai pas qu'il y a dans la population québécoise des gens qui approuveraient ce projet de loi par islamophobie, bon, c'est possible et c'est probable, tout comme quand nous avons fait la loi 60 de 1964 il y avait des gens qui nous approuvaient par anticatholicisme, ça existait, et il y avait d'anciens catholiques qui se réjouissaient de cette neutralité. Mais ce n'était pas notre intention. Nous voulions assurer la neutralité de l'État mais non pas par anticatholicisme. Et je dirais qu'aujourd'hui, avec ce nouveau projet de loi n° 60, nous voulons assurer la neutralité des institutions publiques pour l'avenir non pas par anti- islamisme, par réaction contre l'islam d'aujourd'hui, pas plus que contre le catholicisme, qui est encore très présent. Par exemple, je crois qu'une grande partie du clergé, de l'épiscopat québécois est contre le projet de loi, hein, ça ne m'étonne pas. J'ai compris que le nouveau cardinal l'est, bon, il l'a dit clairement.

Donc, oui, donc, je ne pense pas que ce soit par islamophobie que l'on assiste à ça, bon, voilà ma position. Je pense que, comme sociologues, on peut très bien voir les différents courants de pensée et les différentes manières d'interpréter un projet de loi comme celui-ci, qui est très complexe, hein, qui… Bon. On peut l'interpréter comme antireligieux, pour un certain nombre, mais, dans mon opinion, je pense que ce n'est pas la position ni du gouvernement actuel ni de ceux qui… en majorité parmi mes collègues, en tout cas, parce qu'il y a des collègues de l'Université de Montréal qui approuvent le projet de loi. Je tiens à le dire ici publiquement, là. Vous m'entendez? Oui, il y a des collègues qui approuvent le projet de loi, ce n'est pas : Les intellectuels sont contre. Donc, oui, c'est ma position.

Le Président (M. Morin) : Il reste un peu de temps, 45 secondes.

M. Ratthé : Un peu de temps. Vous avez bien illustré la déconfessionnalisation, vous nous dites : Je pense que c'est un peu la suite logique 50 ans plus tard. Il y a des gens ce matin qui sont venus nous dire que ce n'était pas une preuve de laïcité parce que, bon, on subventionne encore des institutions religieuses, parce que dans l'État québécois on retrouve encore certains signes ou, du moins, démonstrations, actions que... Alors, il y a des gens qui nous disent : Non, ce n'est pas une preuve de laïcité, ce qui a été fait à l'époque. Vous en dites quoi?

M. Rocher (Guy) : Oui, oui. Vous savez, je pense que la laïcité est tellement un phénomène nouveau dans l'histoire de l'humanité… La longue histoire de l'humanité est faite de complicité entre les religions et les États. Depuis deux siècles à peu près, nous tentons, dans certains pays, de réaliser la laïcité. Ça ne m'étonne pas que nous ayons de la difficulté, c'est nouveau. Et donc…

Le Président (M. Morin) : M. Rocher, merci. Vous tenterez de continuer à la réponse à la question… à la députée de Gouin.

Mme David : Bonsoir, M. Rocher. Merci infiniment d'être là. Je partage avec mes collègues une grande admiration pour l'ensemble de votre oeuvre.

Mais je vais quand même vous poser une question. Vous dites : Le principe adopté par la commission Parent a été celui du respect des convictions religieuses des parents et des élèves, etc., et vous semblez penser qu'aujourd'hui, en n'interdisant pas le port de signe religieux, par exemple, dans le monde de l'enseignement, c'est comme si on privilégiait les enseignants au détriment des élèves. Je vous soumets quand même respectueusement que ni la commission Parent ni les gouvernements des années 60 ou 70 n'ont obligé les enseignants dans nos écoles, par exemple, primaires et secondaires à se départir de leur costume religieux. Ils l'ont fait très largement, c'est vrai, j'en ai été témoin, et beaucoup à cause du concile Vatican II, qui a quand même ouvert un peu l'Église catholique, ça a fait du bien.

Ça a donc continué, tout ça. C'est-à-dire que, durant des dizaines d'années — et il y en a encore un petit peu aujourd'hui — on a eu des enseignants, des enseignantes… D'accord, les religieuses ne portaient plus de cornette, mais laissez-moi vous dire que tout le monde savait qui était une religieuse et qui ne l'était pas, hein, on pourrait décrire le petit costume, là. Donc, c'était assez évident. Et, moi, ce qui me frappe, c'est que, jusqu'à tout récemment, personne ne s'en formalisait. C'est comme si ça ne portait pas atteinte à la laïcité des écoles, en fait, qu'on a concrétisée davantage, là, en 1997.

Alors, pourquoi aujourd'hui il serait si important d'interdire le port de signes religieux dans des milieux où il y en a, oui, il y en a, c'est vrai, mais où il y en a depuis 50 ans, en fait?

M. Rocher (Guy) : Oui. Je pense que les demandes qui sont faites par les femmes musulmanes en ce moment ou par une religion en particulier posent un problème nouveau. C'est en ce sens-là que je disais «pour le moment», parce que je crois que nous vivions dans le sentiment qu'il y avait un certain consensus sur le fait que, dans l'ensemble… Et c'est le cas pour l'ensemble. La grande majorité des enseignants, ils ne portaient pas de signe ostentatoire, il n'y en avait que quelques-uns. À l'université, je n'en ai vraiment jamais vu parmi les professeurs. Donc, nous vivions dans une situation où nous avions l'impression d'avoir un consensus. Ce consensus est brisé, donc nous avons à donner une réponse. Et la réponse peut être : Bien, nous continuons comme avant, nous gardons… nous acceptons que dorénavant les enseignants pourront porter des signes religieux, mais ce n'est pas ma réponse. Je crois que la réponse que nous devons faire, au contraire, c'est : Au nom de la clientèle qui se présente dans les écoles, nous devons repenser la position qui est en train de se développer.

C'est une position qui est en train de se développer, en réalité. Mes collègues sociologues ont toujours... ont cru pendant plusieurs années qu'à l'avenir la religion, dans l'espace public, n'existerait plus, que nous avions… c'était une phase finie de l'histoire. Et tout à coup mes collègues sociologues se réveillent et apprennent qu'il y a un retour du religieux, et en effet il y a un retour du religieux, c'est...

Le Président (M. Morin) : M. Rocher, M. Rocher...

M. Rocher (Guy) : Et donc c'est face à cela que nous avons à prendre une position.

Le Président (M. Morin) : C'est le retour du temps qui vous arrête. Comme député de Côte-du-Sud, je vous aurais écouté encore très longtemps. Vous avez des propos très intéressants, tout le monde ici autour de la table a bien apprécié. Donc, merci beaucoup. Bon retour à la maison.

Et j'invite M. Raphaël Fischler à prendre place. Merci, M. Rocher.

Je suspends quelques instants.

(Suspension de la séance à 17 h 10)

(Reprise à 17 h 14)

Le Président (M. Morin) : Je vous rappelle à l'ordre. Il nous reste une heure de travail avec M. Fischler.

Des voix :

Le Président (M. Morin) : S'il vous plaît! S'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît!

Des voix :

Le Président (M. Morin) : S'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît!

Des voix :

Le Président (M. Morin) : M. Rocher, vous avez stimulé le… Bon. Donc, c'est parti. M. Raphaël Fischler, bienvenue à cette commission. Et je vous donne la parole pour 10 minutes. Merci beaucoup. Attention, c'est parti!

M. Raphaël Fischler

M. Fischler (Raphaël) : Alors, bonjour, M. le Président, M. le ministre, MM., Mmes les députés. Je me présente : Je suis professeur agrégé à l'Université McGill. Je suis aussi membre du conseil d'administration de l'Ordre des urbanistes du Québec et membre du Comité Jacques-Viger de la ville de Montréal, mais je précise que je parle uniquement en mon nom personnel et que je ne représente aucune organisation ni institution.

M. le Président, je suis très reconnaissant de l'opportunité qui m'est donnée de contribuer au débat sur le projet de loi n° 60, mais c'est avec une grande tristesse que je me présente devant vous, car notre gouvernement fait un dommage profond et irréparable au Québec, et ce, de manière consciente et délibérée. Au lieu de rendre le Québec plus fort et plus uni, le gouvernement l'affaiblit et le divise. Mon opposition au projet de loi n° 60, à ce qu'on appelle la charte des valeurs québécoises, est catégorique. Le projet de loi, je pense, est antidémocratique et discriminatoire. Il menace nos valeurs fondamentales. Au lieu d'affirmer les droits fondamentaux des Québécois et des Québécoises, il affirme l'hégémonie de la majorité sur les minorités.

La société québécoise dont je suis devenu un membre il y a bientôt 20 ans, cette société est tolérante et égalitaire. La ville de Montréal, où j'essaie de contribuer depuis 20 ans au développement durable du Québec, est une ville plurielle où des gens très différents ont appris à vivre ensemble et où la pluralité est une source d'innovation et de richesse. Le projet de loi n° 60 met tout cela en péril. En rédigeant ce texte de loi, le gouvernement fait un tort énorme au Québec.

Je lui reproche son attitude irresponsable. Je reproche au gouvernement son manque de compréhension des enjeux en cause, par exemple son manque de compréhension du multiculturalisme, son manque de compréhension de la signification des objets religieux tels que la croix ou le foulard et son manque de compréhension des valeurs de laïcité et de séparation de l'Église et de l'État. Avant d'être une politique que l'on peut dénoncer, le multiculturalisme est une réalité. Avant d'être un objet patrimonial, le crucifix est un objet de culte qui représente l'Église. Avant d'être un rejet de la religion, la laïcité est un respect fondamental pour la liberté de pensée.

Je reproche au gouvernement son manque d'honnêteté quant à la question religieuse. De manière explicite, il affirme la neutralité religieuse de l'État, mais de manière implicite il établit la chrétienté comme norme collective. De manière explicite, il inscrit la primauté du français dans la vie de tous les Québécois et des Québécoises; de manière implicite, il énonce la primauté du catholicisme. La norme qu'il impose pour réguler la présence des signes religieux dans l'espace public et pour gérer les comportements au travail, cette norme est celle de la religion de la majorité.

Troisièmement, je reproche au gouvernement de jouer avec le feu pour des raisons politiques. Le gouvernement dit vouloir rallier les Québécois et les Québécoises, mais il les divise. Il se dit progressiste et au service de l'égalité, mais il joue le jeu très dangereux de la réaction et de la discrimination.

Je pense donc que le projet de loi n° 60 est fondamentalement inacceptable. Il est inacceptable parce qu'il pose le pluralisme comme problème et la liberté individuelle comme obstacle. Il est inacceptable, car, dans son approche au port de vêtements et de couvre-chefs, le projet de loi impose une norme dont l'application est nécessairement discriminatoire envers certaines religions. Le projet de loi est inacceptable parce qu'il exige que les religions minoritaires se fassent discrètes dans la sphère publique alors que la religion majoritaire peut y demeurer aussi visible qu'elle l'est actuellement. Le projet est inacceptable parce qu'il fait un tort énorme au Québec, à son développement social et économique.

• (17 h 20) •

L'opposition à la charte des valeurs a énormément de supporteurs parmi les gens qui ont énormément réfléchi aux questions dont nous débattons aujourd'hui. En particulier, le projet de loi contredit le message très sage et constructif de M. Serge Bouchard et de M. Charles Taylor dans leur rapport de mai 2008.

Ces grands Québécois respectés de tous nous demandaient de faire attention à plusieurs choses. Ils nous demandaient de faire attention aux règles qui ont des effets discriminatoires; les interdictions prévues dans le projet de loi n° 60 sont discriminatoires envers les gens dont les religions exigent de porter certains vêtements ou couvre-chefs, alors que d'autres personnes n'ont pas ce genre d'obligation. MM. Bouchard et Taylor nous demandaient de nous souvenir que l'interculturalisme québécois avait pour but, je cite, de «vaincre les stéréotypes [...] désamorcer la crainte ou le rejet de l'autre, tirer profit de l'enrichissement associé à la diversité [et] bénéficier de la cohésion sociale». La charte qui nous est proposée fait le contraire. Elle renforce les stéréotypes, elle joue sur la crainte de l'autre, elle parle de diversité comme une menace et non comme une richesse et elle affaiblit la cohésion sociale.

MM. Bouchard et Taylor nous demandaient de cultiver, je cite de nouveau, «une orientation pluraliste, très sensible à la protection des droits». C'est tout le contraire que la charte des valeurs fait. Ils nous demandaient de nous souvenir que la liberté de conscience et de religion était l'une des finalités de la laïcité et que la neutralité de l'État devait être conçue de manière à favoriser son expression et non à l'empêcher; c'est tout le contraire que la charte entend faire.

MM. Bouchard et Taylor demandaient aux leaders politiques et sociaux, je les cite de nouveau, d'en faire davantage «pour ramener les choses à leurs véritables dimensions», et donc pour apaiser les passions et pour affirmer le caractère libéral de la démocratie québécoise, et c'est de nouveau tout le contraire que le gouvernement fait. Ils nous demandaient de promouvoir, je les cite, des valeurs communes comme source de solidarité, dont le pluralisme, l'égalité — en particulier entre hommes et femmes — la laïcité, la non-discrimination, la non-violence. Nos ministres nous parlent de l'égalité et de la laïcité mais pas du pluralisme et de la non-discrimination. Ils ne dénoncent pas assez la violence qui émerge contre les femmes qui portent un foulard.

Serge Bouchard et Charles Taylor nous demandaient de construire un avenir rassembleur en essayant de régler le problème du sous-emploi, de la pauvreté, des inégalités et de la discrimination. Ils nous demandaient de rejeter les peurs et la tentation du repli sur soi, de penser la pluriethnicité autrement que comme une série de «nous» juxtaposés, d'éviter de diriger contre toute religion le ressentiment lié à un passé catholique et d'être davantage conscients des répercussions que peuvent avoir sur les minorités les mouvements d'humeur de la majorité. La charte des valeurs contredit ces principes sages et démontre un manque de responsabilité historique de la part de nos gouvernants actuels.

Le projet de loi, M. le Président, nous est présenté comme un exemple du caractère progressiste du Québec, mais en fait il a une dimension illibérale et réactionnaire. Il menace notre société en divisant les Québécois et les Québécoises, en créant des tensions là où il n'y en avait pas vraiment et en demandant aux groupes minoritaires de payer le prix d'un malaise au sein du Parti québécois. Le projet de loi détourne l'attention des Québécois et des Québécoises des vrais problèmes qui exigent notre attention, les problèmes de pauvreté, de décrochage scolaire, d'écoles et d'universités sous-financées, d'infrastructures vieillissantes, etc.

Pour toutes ces raisons, le projet de loi doit être retiré. Il fait un tort énorme au Québec. Il n'est pas digne d'une démocratie libérale moderne. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Morin) : Merci, M. Fischler. M. le ministre.

M. Drainville : Oui. Merci, M. Fischler, pour votre présentation. Par où commencer? D'abord, je dois dire que votre présentation que vous venez de nous faire ressemble davantage à un long réquisitoire politique qu'à une analyse, je dirais, fondée empiriquement. Je pense que vous faites toute une série de déclarations qui sont à caractère politique, mais je cherche dans le projet de loi les fondements à vos déclarations. Quand, par exemple, vous dites que le projet de loi n° 60 vise à affirmer la religion de la majorité, vise à dresser la majorité ethnique de la nation québécoise contre les minorités, je suis en profond désaccord avec une telle affirmation. Vous pouvez être opposé au projet de loi n° 60, c'est tout à fait votre droit, mais de verser dans de tels propos, de verser dans une comparaison comme celle que vous avez faite par rapport à la situation en France, vous comparez le Parti québécois à un parti de droite, sinon d'extrême droite que je ne nommerai pas ici, je pense que vous exagérez et donc je pense que vous diminuez, ce faisant, la crédibilité de votre propos. Je pense qu'il aurait été possible pour vous de dire tout ce que vous avez dit sans verser dans de telles paraboles ou de telles métaphores et surtout sans utiliser un langage qui, à mon avis, est tellement exagéré qu'il finit par en devenir un peu réducteur.

Vous avez entendu M. Rocher juste avant vous. Est-ce que vous étiez là pour entendre M. Rocher? Alors, est-ce que M. Rocher vous a semblé être un être… une personne réactionnaire porteuse d'un projet conservateur, réducteur, alors qu'il a fait une démonstration absolument exceptionnelle, à mon avis, du fait que l'actuel projet de loi n° 60 s'inscrit dans une continuité historique qui remonte aux années 60, qui remonte à l'autre projet de loi n° 60 de ces années-là qui créait le ministère de l'Éducation au nom de l'égalité notamment, au nom de l'accessibilité aux études pour toutes les confessions et les non-croyances également, parce qu'il y avait un courant athéiste qui voyait le jour à ce moment-là? Donc, il y avait un fondement très porteur d'égalité sociale dans ce courant de laïcisation tranquille qui a débuté dans les années 60, et M. Rocher est venu dire que le projet de loi n° 60 s'inscrit dans ces idées libérales, progressistes, modernes qui, disait-il, ont permis la paix religieuse, la paix sociale au Québec, je ne sais pas si vous l'avez entendu utiliser ces termes-là. Alors, je m'attendrais à tout le moins...

Puis c'est bien ça, le problème, avec le propos que vous avez tenu, c'est que vous ne reconnaissez aucune légitimité à la laïcité, à la conception de la laïcité qui est incarnée dans le projet de loi n° 60. C'est ça, le plus gros problème que j'ai avec votre présentation, c'est que vous la repoussez du revers de la main en la frappant du sceau de la… — je ne sais pas si vous avez utilisez le mot, mais je pense que vous seriez sans doute d'accord pour l'utiliser — vous la frappez du sceau de la discrimination, de l'exclusion, de la réaction.

Or, on peut avoir une discussion sur la conception de la laïcité qui est incarnée à travers le projet de loi n° 60, on peut s'y opposer, je n'ai pas de problème avec ça, mais de le disqualifier d'office, en disant essentiellement qu'il n'a aucune légitimité sur le plan moral, j'ai un problème avec ça. Je pense que le projet que nous défendons est fondé sur une conception morale qui est juste, qui est juste, qui respecte l'être humain, qui respecte son droit de croire ou de ne pas croire en Dieu, qui respecte l'idée que nous sommes en société parce que nous partageons un certain nombre de choses, un certain nombre de valeurs. Alors, vous pouvez, encore une fois, être en désaccord avec le projet de loi, mais d'en nier la légitimité démocratique, la légitimité morale, ça, à mon avis, ça va trop loin.

• (17 h 30) •

M. Fischler (Raphaël) : Je pense que vous m'attribuez des propos que je n'ai pas tenus. Je ne nie pas la légitimité morale du gouvernement ou de sa loi. Je suis en effet en désaccord avec la conception de la laïcité qui est véhiculée par ce projet de loi, c'est une conception de la laïcité qui me semble aller trop loin dans le refus de la présence de la religion.

On a beaucoup parlé du rapport que cette loi entretenait avec l'héritage de Thomas Jefferson aux États-Unis, par exemple. Si je puis le dire, le gouvernement se trompe sur ce sujet. Thomas Jefferson n'était pas un laïc, c'était un homme religieux et qui pensait que la religion avait une place dans la sphère publique. Il était pour la séparation de l'Église et de l'État et il n'était pas pour la laïcité.

On parle de conception de la laïcité. MM. Bouchard et Taylor nous l'ont très bien dit dans leur rapport : La laïcité, ce n'est pas un refus de la religion, ce n'est pas une demande qu'on fait aux individus d'effacer leur religion, c'est un appel à la liberté de conscience. Et je pense qu'il y a malheureusement, dans la loi que vous nous proposez… Je ne dirai pas… je n'utiliserai pas les mots dont vous pensez que je les pense, je ne pense pas que c'est une loi immorale, je ne pense pas que c'est une loi qui n'a pas de légitimité. Elle est tout à fait légitime, et ces débats sont tout à fait légitimes. Je suis très heureux de la beauté, de la richesse de notre démocratie qui nous permet d'avoir ce débat. C'est un texte de loi qui est proposé par un gouvernement, qui est débattu. Mais je m'oppose à cette loi en des termes qui sont en effet assez forts parce que je pense, peut-être à tort, mais, je pense, à raison… je pense que le gouvernement ne se rend peut-être pas compte des effets de la loi qu'il propose.

Alors, vous me parlez de questions de la majorité contre les minorités. Je pense qu'il y a dans cette loi deux poids, deux mesures. Il y a, d'une part, une demande qui est faite aux membres de minorités religieuses de se faire discrets dans la sphère publique. Il n'y a pas une demande équivalente à la religion majoritaire de se faire discrète dans la sphère publique.

M. Drainville : …dans la sphère étatique, n'est-ce pas?

M. Fischler (Raphaël) : Je veux dire dans la sphère étatique et publique. Alors, il est évident que ce sont des termes… Est-ce que la croix sur le mont Royal, c'est la sphère publique?

M. Drainville : Oui.

M. Fischler (Raphaël) : Oui, exact. Le crucifix de l'Assemblée nationale, c'est la sphère étatique et publique. La loi, malheureusement, demande des sacrifices aux minorités; elle n'en demande pas à la majorité. C'est pour ça que je parle d'hégémonie ou que je parle d'imposition de la majorité aux minorités.

M. Drainville : M. Fischler, si vous me permettez, on demande à toutes les religions ce que les catholiques eux-mêmes se sont imposé dans les années 60 lorsqu'ils ont renoncé aux signes religieux pour pouvoir continuer à enseigner dans le nouveau système d'éducation publique ou dans le système collégial. Alors, pourquoi vous…

M. Fischler (Raphaël) : Écoutez, il y a deux choses, il y a deux choses qui se passent. D'une part, la loi demande aux universités, aux hôpitaux ou autres institutions d'évacuer les symboles religieux. L'Hôpital général juif, mes collègues musulmans, musulmanes ou juifs, etc., on leur demande à eux de faire des sacrifices, c'est-à-dire d'ôter des vêtements ou des couvre-chefs que leur religion exige d'eux. Il n'y a pas de demande équivalente à des collègues chrétiens ou d'autres religions qui n'ont pas ce genre de demande. C'est le hasard peut-être qui fait que les hindous n'ont pas de telle demande, les sikhs en ont, les shintoïstes n'en ont pas, les Juifs en ont. D'appliquer une norme de cette manière en pensant qu'on est neutre veut dire qu'en fin de compte on ne l'est pas. C'est ça, le principe d'accommodement raisonnable juridique à la base. Si on a un angle qui se veut neutre mais qui a un impact différentiel sur des gens pour des raisons qu'ils ne contrôlent pas, pour des raisons qui ne sont pas de leur propre chef, on a un impact discriminatoire.

Je ne traite pas le gouvernement de tous les mots, je ne l'accuse pas d'être raciste, je ne l'accuse pas d'être antimusulman, je ne l'accuse pas d'être antijuif, ça n'a rien à voir. Je dis que l'effet de la loi est discriminatoire. Or, si on propose une telle loi, je pense que ça pose problème. Il faut se rendre compte des effets.

M. Drainville : Mais je vous rappelle les mots que vous avez utilisés tout à l'heure, là. Vous avez dit : Le gouvernement fait le jeu de la réaction et de la discrimination. Alors, ce sont des mots très forts, vous en êtes conscient, c'est des mots qui vont très loin. Alors, c'est… Mais je ne veux pas revenir là-dessus. Je vous ai dit ce que j'en pensais, vous m'avez répondu. Je pense que nous avons un désaccord, puis c'est correct, mais je ne veux pas prendre tout le temps pour tourner autour de ce désaccord.

Vous parlez de signes qu'ils ne contrôlent pas, hein, en parlant des minorités religieuses, mais il y a matière à débat là-dessus, vous le savez, M. Fischler. Il y a des gens qui disent : Aucune religion n'oblige quiconque à porter un signe religieux ou en tout cas certainement pas pendant toute la journée, il n'y a pas de manquement à quelque obligation religieuse que ce soit que de demander à quelqu'un qui travaille pour l'État de renoncer au port de son signe religieux pendant les heures de travail. Il y a des gens tout à fait sérieux, raisonnables, raisonnés, pas particulièrement antireligieux qui l'ont déclaré à cette table. Et, encore une fois, vous avez droit à votre point de vue, mais il y a un débat, je pense qu'il faut accepter qu'il y a un débat. Votre point de vue, en d'autres mots, je le respecte, mais ce n'est pas la vérité. Vous avez votre vérité, et il y a d'autres vérités dans ce débat.

M. Fischler (Raphaël) : Je vous présente mon opinion, qui est en effet peut-être assez nette et tranchée, mais c'est mon opinion. Au sujet des signes que vous appelez signes ostentatoires de la foi, je pense que c'est une conception erronée du foulard, ou de la kippa, ou du turban. Je pense que la personne qui le porte ne le fait pas pour montrer sa foi ou sa religion; la personne qui le porte, à la base, le fait pour montrer sa relation au divin. Alors, nous pouvons parler, vous et moi, de l'histoire de ces signes religieux, nous pouvons nous demander si à l'origine les hommes les ont utilisés pour soumettre les femmes ou, des rois, pour soumettre leurs sujets et nous pouvons avoir de très longues discussions anthropologiques là-dessus, nous pouvons avoir des discussions très longues sur le statut de la kippa dans la religion juive, mais nous ne sommes pas des rabbins, nous ne sommes des… nous ne sommes pas ici à un tribunal rabbinique, nous ne sommes pas ici pour juger de la pertinence de telle interprétation religieuse de la kippa ou du foulard. Nous sommes ici pour savoir quelles normes nous devons adopter comme société civile pour régir le comportement des citoyens et donc pour savoir quel prix nous sommes prêts à leur faire payer pour le consensus social en termes de privation de leur liberté de conscience ou de comportement, ce qui est une chose très grave.

Et donc, je vous dirais, la personne… Moi, j'ai des collègues qui portent des foulards, j'ai des collègues qui portent des kippas, j'en connais certains qui portent des turbans. Ils ne le font pas pour dire : Moi, je suis musulmane, ou : Moi, je suis Juif. Ils le font parce qu'ils ont une relation au divin qui se traduit de cette manière.

M. Drainville : Très bien. Alors, permettez-moi… Est-ce que vous acceptez que quelqu'un qui voit cette image puisse l'interpréter comme un message religieux et qu'elle se sente brimée alors dans sa liberté de conscience? En d'autres mots, la liberté de religion et le droit de cette personne d'afficher sa conviction religieuse doit être mis dans la balance… doit être mise dans la balance, dis-je bien, avec la liberté de conscience de celui ou de celle qui reçoit ce message. Et donc j'espère que vous acceptez que, dans une relation avec l'État, dans une relation avec le service public, la personne, l'usager qui demande le service a également des droits. Est-ce que vous reconnaissez que cette personne a également des droits et que sa liberté de conscience est tout aussi importante que la liberté de religion de celui ou de celle qui affiche sa conviction religieuse?

M. Fischler (Raphaël) : Non. Avec tout le respect que je vous dois, non. Je m'oppose à l'argument qui a été fait par le… Je m'excuse, j'oublie son nom, le témoin précédent.

Une voix :

M. Fischler (Raphaël) : M. Rocher, excusez-moi. Je m'oppose à son interprétation de la relation entre deux personnes. Je ne pense pas que le port du foulard ou de la kippa pose intrinsèquement un problème pour la personne qu'on a en face de soi. Je pense que c'est une interprétation qui est abusive, pas au sens fort du terme mais erronée. Je pense que la personne qui en face de moi porte un foulard peut évoquer en moi des sentiments au sujet de la relation de la femme à l'homme, de l'égalité de l'homme et de la femme, c'est possible, mais elle ne m'interpelle pas au niveau de la religion, elle ne me remet pas en cause.

Je pense que nous sommes tous… Je pense que nous devons faire l'hypothèse de la maturité des adultes et je pense qu'à ce titre… Supposer qu'une personne soit influencée, ressente qu'un préjudice lui est fait parce qu'une personne en face d'elle porte un foulard, moi, je pense que ce n'est pas une base suffisante pour légiférer pour limiter les libertés qui sont fondamentales.

M. Drainville : Alors, je vous soumets... Il me reste très peu de temps, M. Fischler. Peut-être que vous pourrez compléter la réponse avec les minutes qu'il vous reste, mais on a eu déjà quelques exemples : une femme, Michelle Blanc, qui a déjà été un homme mais qui a changé de sexe, qui nous donnait l'exemple d'un jeune garçon homosexuel qui s'est fait rejeter de sa communauté à cause de son orientation sexuelle et qui se retrouve devant une infirmière ou une psychologue qui porte le même signe religieux que la communauté qui l'a rejeté, et donc qui se sent, par le fait même, rejeté. Ça, à mon avis, vous pouvez débattre de ça, vous pouvez trouver que ce n'est pas fondé, mais je pense qu'il faut accepter la vraisemblance, très certainement, de ce sentiment qu'une personne pourrait avoir. Un autre cas, vécu par la personne elle-même cette fois-ci, Mme Kichou, qui nous dit : Je me présente à l'hôpital, une nutritionniste qui me demande ma consommation d'alcool, je suis en présence d'une stagiaire qui porte le voile, et, me sentant jugée d'avance par cette femme, je décide de tout simplement taire l'information sur ma consommation d'alcool. C'est indéniable qu'il puisse y avoir des personnes qui interprètent ce message religieux comme une condamnation de leurs propres valeurs personnelles. Vous pouvez trouver que ce n'est pas suffisant pour légiférer, mais c'est indéniable qu'on puisse ressentir ça.

Par ailleurs, je voudrais vous demander, avec le temps qu'il me reste : Est-ce que vous, vous accepteriez l'interdiction des signes pour les agents coercitifs comme Bouchard-Taylor? Est-ce que, pour vous, ce serait... Parce que vous vous réclamez beaucoup de Bouchard-Taylor. Est-ce que la proposition de Bouchard-Taylor sur les signes religieux, à l'effet qu'ils soient interdits pour les policiers, les juges, les gardiens de prison… Est-ce que c'est, pour vous, un compromis honorable en matière d'encadrement des signes religieux?

M. Fischler (Raphaël) : Non. Moi, je vous avouerais que je serais extrêmement réticent aussi à cette imposition. Je comprends le raisonnement, je comprends le désir qu'ont certaines personnes d'afficher de manière la plus claire et nette possible la neutralité à tous égards d'une personne qui a un pouvoir coercitif, mais je ne pense pas... Je n'irais pas, moi, non, jusqu'à imposer, qu'on exige...

Moi, je pense que, d'une certaine manière, les juges sont sélectionnés pour leur professionnalisme. Vous savez, moi, je suis enseignant et j'enseigne dans une école professionnelle, je prépare des gens à la profession. La profession, c'est quoi? La profession, c'est la capacité d'un individu d'utiliser sa sagesse, son intelligence, son sens de l'éthique, son sens moral, ses connaissances techniques et autres pour exercer un jugement discrétionnaire sur des cas complexes et difficiles. C'est ça, le professionnalisme.

Le Président (M. Morin) : Je vous arrête là, monsieur. Donc, M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Merci, M. Fischler, pour votre mémoire que vous avez rédigé, dont vous nous avez fait la présentation, et merci pour votre temps pour répondre à nos questions. Je crois que nous avons 16 minutes, n'est-ce pas, M. le Président?

Le Président (M. Morin) : Oui, M. le député de...

M. Tanguay : Alors, je veux laisser également du temps à ma collègue de répondre à certaines... de poser quelques questions.

M. Fischler, vous avez parlé de l'effet discriminatoire de la loi, et, comme législateurs, évidemment, on doit toujours se poser la question : Est-ce que nous faisons la bonne chose? Et quels sont les effets de cette loi? Et j'aimerais vous citer — et entendre vos commentaires — un extrait du... Vous savez, avec la charte québécoise... il y a la Charte canadienne des droits et libertés, mais, la charte québécoise, en même temps que sa création a été créée, en 1975, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui reçoit plusieurs, plusieurs demandes d'accommodement dans différents domaines, dont les accommodements en matière religieuse. Et je cite l'opinion de la commission en octobre 2013 sur le document de consultation. Et le projet de loi est tout à fait au même effet, sinon encore plus, parce qu'il élargit. Ce n'est pas uniquement sur certains ministères ou certains pans du pouvoir public, mais c'est public, parapublic, les sous-traitants de l'État et certains subventionnés également. Et je la cite à la page 10, la Commission des droits dit : «Ainsi, l'interdiction des signes religieux "ostentatoires" proposée porterait directement atteinte à l'exercice de la liberté de religion[...].En fait, elle découle non seulement d'une mauvaise conception de la liberté de religion telle qu'elle est protégée par la Charte des droits et libertés de la personne et par le droit international des droits de la personne, mais elle traduit également de manière erronée l'obligation de neutralité qui s'impose à l'État.» Fin de la citation.

C'est une déclaration très lourde de sens, très claire de sens, et j'aimerais recueillir vos commentaires quant à cette déclaration faite par la Commission des droits de la personne.

M. Fischler (Raphaël) : Oui, je suis d'accord avec cette position, comme vous comprenez. Je pense que la compréhension de l'obligation de neutralité doit être mise en relation avec ce que je disais avant. On demande à des professeurs, à des fonctionnaires, à des enseignants et à d'autres personnes d'afficher leur neutralité ou d'être neutres. Dans la mesure où ces personnes n'ont pas de fonctions qui sont liées à la religion, la neutralité qu'on exige d'eux, c'est la neutralité qui est liée à leur fonction publique, et il est tout à fait nécessaire, en effet, que des employés de l'État ou d'autres personnes qui représentent l'État ou qui ont un pouvoir coercitif ne fassent pas preuve de préjugé ou de favoritisme et permettent à la personne qu'ils ont en face d'eux de présenter ses besoins de la manière la plus ouverte possible.

Je pense que le port du foulard, ou de la kippa, ou du turban n'est pas un obstacle à ce sujet. Je pense que… Je n'ai personnellement aucun problème à ce qu'une femme qui porte un foulard ou un homme qui porte un turban soit juge dans un procès où je serais malheureusement impliqué. Je ferais confiance à cette personne, jusqu'à preuve du contraire, qu'elle est capable de neutralité. Je vous avouerais que, d'une certaine manière, le fait que cette personne soit croyante me réconforterait peut-être un petit peu, qu'elle ait une orientation morale assise sur des fondements assez solides, et je lui ferais confiance de nouveau jusqu'à preuve du contraire qu'elle s'est, dans sa fonction, assurée de la neutralité qu'on exige d'elle.

M. Tanguay : Et, à ce niveau-là, vous faites, M. Fischler, évidemment état… mention, c'est-à-dire, vous faites référence au processus qui existe déjà, qui est le processus de récusation. Dans un cas où d'aventure je suis en demande ou en défense, pour l'avoir fait dans une vie antérieure comme avocat, si l'on a un doute, peu importe le motif, il peut être également… quant au biais du juge, si l'on a un doute, l'on doit le démontrer, et c'est du cas par cas, et c'est le processus de récusation. Et ce n'est pas régulier, mais ça arrive, ça se fait. Ça se plaide et ça se démontre.

M. Fischler (Raphaël) : Exact. En effet.

M. Tanguay : Ceci dit, M. Fischler, vous avez fait — et ça, je pense, c'est important — appel à la sagesse et à l'intelligence un peu plus tôt. C'est exactement les deux qualificatifs que vous avez… les deux termes que vous avez utilisés, sagesse et intelligence. Et j'aimerais vous entendre sur un argument qui revient régulièrement par certaines personnes qui souhaiteraient l'interdiction de port de signe religieux, et argument auquel faisait état Gérard Bouchard dans un texte intitulé La démagogie au pouvoir. C'est celui de dire : Il existe la neutralité politique qui fait en sorte que l'on ne peut pas porter, exemple, un macaron du Parti québécois, O.K., et il existe par ailleurs une approche à l'effet de dire : Bien, la neutralité religieuse, au même titre que d'exiger le retrait du port d'un macaron du Parti québécois, la neutralité religieuse peut tout aussi facilement, selon la même base — puis c'est l'argument qui est utilisé — exiger aussi facilement le retrait d'un signe, que ce soit la croix, le turban ou la kippa. Et j'aimerais savoir, vous, comment recevez-vous ce… Et parce qu'on vous a accusé d'utiliser un langage réducteur. Comment vous, vous recevez un tel argument, M. Fischler?

• (17 h 50) •

M. Fischler (Raphaël) : Bien, écoutez, je dirais deux choses. La première, c'est ce que je mentionnais auparavant, c'est que je ne vois pas la kippa, le turban ou le foulard comme des signes ostentatoires par lesquels une personne me communique sa religion. Ce n'est pas la raison pour laquelle elle le fait. Possible que je le perçoive, chacun perçoit ce qu'il veut, mais ce n'est pas l'intention.

J'ajouterais à ce titre que le projet de loi, malheureusement, risque de faire du foulard un objet d'expression ostentatoire alors qu'il ne l'est pas en général, et il est possible que de plus en plus de jeunes femmes musulmanes veuillent le porter par signe d'opposition politique. Et je demande au gouvernement d'être très prudent de ce côté-là.

D'autre part, il est évident qu'un employé de l'État qui porterait un signe politique, un macaron appartenant à un parti ou à un autre, serait en effet, d'après moi, en position de conflit, parce que le gouvernement en place a des pouvoirs très importants, pouvoir coercitif, pouvoir de distribution de l'argent, pouvoir de prise de décision sur la destinée des individus, sur leur bien-être, et que les décisions politiques doivent être laissées aux élus, et qu'un employé d'un État n'a pas à prendre de position politique. Il peut soutenir un parti quand il vote, comme citoyen, mais il n'a pas à faire de politique à ce titre-là. Il est là pour essayer de mettre en oeuvre aussi bien que possible, avec autant de discernement que possible les politiques du gouvernement qui ont été dictées par les élus, qui ont été dûment élus par le peuple.

M. Tanguay : M. Fischler, dernière question avant de laisser la parole à ma collègue. Donc, on voit bien… vous résumez bien l'aspect tout à fait réducteur de cet argument, qui ne tient pas la route. J'aimerais citer, parce que c'est bien dit… Jocelyn Maclure a écrit un texte — Jocelyn Maclure est un professeur à l'UQAM… l'Université Laval, pardon, professeur de philosophie — a écrit un texte, Charte des valeurs et liberté de conscience,dans Options politiques, en novembre 2013, et il parlait d'un concept clé qui est tolérer, tolérer ce qui pourrait peut-être être pour moi un irritant, pour moi, Marc Tanguay, selon ce qui fait mon identité, probablement, peut-être qu'il y a des irritants dans ce que je vois, et, je vous dirais même plus, dans une société que l'on veut pluraliste et dans une société que l'on souhaite et dont on s'enorgueillit d'être pluraliste. Et il disait la phrase suivante, je le cite : «La liberté de conscience et de religion n'inclut pas, heureusement, le droit de ne pas être exposé aux apparences et aux croyances qui nous déplaisent.» Fin de la citation. J'aimerais vous entendre là-dessus, M. Fischler.

M. Fischler (Raphaël) : Bien, écoutez, je suis d'accord, je suis d'accord avec vous que… En effet, je pense qu'il faut vivre ensemble. Vous savez, il est très difficile pour les pauvres de voir la richesse étalée autour d'eux. Ça, c'est un vrai irritant. Ça, c'est un irritant très profond. Quand une personne est démunie, dans la rue, ou a des revenus extrêmement modestes, de voir toute la richesse au centre-ville de Montréal, dans les galeries marchandes, dans les immeubles, ça fait très mal. Mais on n'est pas là pour essayer de panser les sentiments des gens, malheureusement. Ce n'est pas notre boulot, ce n'est pas notre mandat de gouvernement, de réconforter une personne qui a du chagrin, ou qui se sent mal à l'aise, ou qui se sent irritée, ou qui se sent menacée. Nous sommes là pour assurer le bien-être de la population, pour essayer de viser au développement de tout le monde, pour donner des chances à tout le monde.

Et je pense qu'il y a en effet des problèmes de société importants. Je pense que le gouvernement a raison de se soucier de la vie commune que nous avons, d'essayer de veiller à ce que les différences ne soient pas des sources de conflit, mais je pense qu'il y a des manières positives et constructives de le faire, je pense qu'il y a des manières qui sont moins positives et moins constructives, et c'est surtout ça que je voulais dire.

Le Président (M. Morin) : Merci. Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui, merci. Merci, M. le Président. Bienvenue, M. Fischler. Je veux vous dire que beaucoup de vos propos, évidemment, résonnent avec ce que j'entends partout, partout, partout, à Montréal, dans les milieux professionnels, dans réseau de la santé, dans le milieu de l'éducation, chez les universitaires, et il y a une grande frustration par rapport à la façon que ce dossier a été mené. À répétition depuis trois ans, ceux qui sont maintenant membres du gouvernement ont répété, et j'étais dans le projet de loi n° 94 : On a marre des accommodements raisonnables. Et c'était simple comme ça. Et même maintenant on a des ministres qui vont répéter ça au lieu d'amener le débat de façon responsable et sensible. Il y a des accommodements, mais la Commission des droits de la personne nous dit qu'il n'y a pas de problème, ils n'ont pas de données qui démontrent qu'il y a un problème. On a créé le service de conseil. On a beaucoup dénigré le rapport Bouchard-Taylor, qui avait une mine de recommandations extraordinaires. On a répété, répété et répété qu'on n'a rien fait suite aux recommandations. Moi, je peux vous dire, on a fait beaucoup de choses. Notamment, on a créé ce service-conseil qui fait l'envie de beaucoup, beaucoup de sociétés actuellement qui sont aux prises avec des problèmes d'accommodement, qui trouvent que c'est génial, absolument génial. Parce qu'il faut rassurer les employeurs, et c'est surtout les entreprises qui appellent, qui disent : J'ai besoin de conseils. Et, une fois que la commission leur donne des conseils, tout est réglé. Ils ont juste besoin d'éclairage, qu'ils prennent une bonne décision. On a amené des mesures d'intégration en emploi parce que le grand message, c'était ça.

Moi, aussi, j'étais accompagnée, évidemment, des gens du ministère de la Justice. L'analyse que vous faites sur, premièrement, que le port d'un signe religieux fait partie de l'identité et qu'il n'envoie pas un message de prosélytisme, évidemment, si j'ai une connaissance dans ce domaine, je l'ai eue au ministère de la Justice et au ministère de l'Immigration. Et évidemment je suis juriste, donc je lis les opinions, mais c'est tout à fait en symbiose avec ce que l'État québécois comprend et dont l'État québécois fait la promotion depuis des années. Donc, ce qui dérange les gens, c'est la rupture actuelle. Et, lorsqu'on dit : Ah! le Barreau, c'est le statu quo, bien oui, le statu quo, c'est très bien, ça protège les droits et libertés. Donc, je veux juste vous dire que, ce que vous dites, je l'entends partout.

Mais je veux aller sur quelque chose de bien important que vous avez dit, et on n'en parle pas assez, c'est la diversité qui est source d'innovation à Montréal. Tout le monde le dit, tous les États s'arrachent les talents du monde, on va chercher des gens de partout, et là on lance un message complètement régressif, rétrograde, conservateur, de fermeture parce qu'on ne veut pas la diversité, on ne veut pas la voir, alors que jusqu'à date, la diversité, on n'avait pas de problème avec ça, religieuse ou autres. Alors, j'aimerais vous entendre sur ces talents, parce que vous êtes bien reconnu et... Oui, bon, c'est ça. Alors, allez-y.

M. Fischler (Raphaël) : Bien, écoutez, moi, je pense qu'en effet il y a une réalité à Montréal qui est celle de la pluralité. Je dirais aussi que ce n'est pas une réalité récente. On nous dit que le pluralisme a émergé après les années 60, qu'on s'en est aperçu plus tard. Le pluralisme ou la pluralité de Montréal, c'est une réalité depuis l'arrivée des Français en Nouvelle-France, il y a toujours eu des gens multiples, divers depuis la fondation de la Nouvelle-France... Oui?

Mme Weil : Tantôt, quand j'ai dit : C'est très bien, ce que je voulais dire par ça, le statu quo, c'est que la règle de droit — c'est important que je le spécifie parce que je vois le ministre qui prend des notes — ce que c'est, là, c'est que, la règle de droit, le Barreau, son rôle, c'est de protéger la règle de droit. C'est ça qui est très bien, c'est de protéger la règle de droit. C'est sûr que le droit évolue, c'est sûr que les tribunaux vont interpréter les droits différemment selon un consensus. C'est important que le ministre le comprenne, parce que je suis juriste, membre du Barreau, et je trouve ça insultant lorsqu'on dénigre la Commission des droits de la personne et le Barreau. Évidemment, leur rôle, c'est de signaler le drapeau rouge quand on vient enfreindre des droits. C'est ça qui est très bien, qu'ils jouent ce rôle-là. C'est un rôle de protection fondamental.

J'ai pris votre temps, mais je veux que le ministre ne sorte pas ici, dans le couloir, pour dire autre chose.

Le Président (M. Morin) : Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce, c'est terminé pour vous.

Mme Weil : Très bien. Merci.

Le Président (M. Morin) : On s'en va dans Montarville. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. M. Fischler, merci. Merci de votre présence, vous vous êtes déplacé. Merci de votre mémoire.

Écoutez, moi, ce que j'aimerais entendre de vous, c'est que vous me parliez de votre expérience en tant que Montréalais, en tant qu'enseignant et en tant que membre de la communauté juive. Et ma question va être précise, mais je veux que me parliez avec votre coeur à cet effet-là : Quelles seraient, selon vous, à titre personnel, les conséquences sociales à Montréal de l'application telle quelle du projet de loi n° 60?

• (18 heures) •

M. Fischler (Raphaël) : Écoutez, moi, je pense que, malheureusement, ce projet de loi a déjà eu des effets négatifs sur la perception qu'ont certaines personnes de l'avenir du Québec comme société tolérante, ouverte, où nous vivons ensemble de la manière la plus respectueuse possible en maximisant les opportunités pour toutes et pour tous. Je n'ai pas, évidemment, fait d'enquête sociologique ou autres pour savoir si on parle de 10 %, de 50 %, le niveau d'insatisfaction, le niveau de peur, mais il est évident que, tout comme on me dit qu'une personne peut avoir des réflexes négatifs en voyant un foulard, ou un hidjab, ou une burqa, évidemment, il y a des gens qui ont des réflexes très négatifs en voyant un texte de loi comme celui-là qui a une approche, malheureusement, qui est trop coercitive et trop négative à un problème épineux qui a besoin de beaucoup de tact, de doigté et d'ouverture.

Je pense qu'il n'y a sûrement pas unanimité parmi les universitaires. Je suis sûr qu'il y en a qui sont pour pour certains aspects, il y a beaucoup de débats, mais je vous dirais qu'en général, dans les universités — je parle déjà à titre d'universitaire — il y a consensus que l'ouverture est une chose positive et que la répression, la contrainte est une chose négative. Alors, nous comprenons tous le rôle de la discipline, nous comprenons tous le fait qu'il doit y avoir des balises, que certains comportements ne sont pas admissibles, mais le fait que certains enseignants… certaines personnes soient exclues du monde professionnel pour une raison telle que le port du foulard et de la kippa nous paraît absurde, nous paraît une perte immense pour le Québec. Dès l'apparition de la loi, nos avons vu les publicités venant de l'Ontario qui nous disaient — je m'excuse, je le cite en anglais : «We don't care what's on your head, we care what's in your head.» Vous pouvez porter un foulard. Si vous êtes une bonne infirmière, venez ici. Alors, ça, c'est une chose.

Je ne sais pas s'il y a unanimité dans la communauté juive, je ne peux pas parler au nom de la communauté juive. J'ai écrit ce texte, écrit… Le mémoire que j'ai soumis, je l'ai soumis aussi en tant que Juif pour vous parler de mon expérience, de ce que ça veut dire de naître comme membre d'une minorité dans une majorité chrétienne, catholique flamande, qui est très similaire à celle que l'on voit au Québec, avec un héritage historique très similaire, une importance énorme de l'Église dans la vie publique et même dans la vie privée. Et je le disais : Toutes proportions gardées, vous savez, être membre d'un pays qui se dit ouvertement catholique, du moment qu'on me laisse en paix, qu'on me laisse être Juif, c'est un accommodement très raisonnable. Alors, c'est un petit peu une boutade, mais c'est pour essayer de mettre l'accent justement sur le respect des libertés.

Le Président (M. Morin) : M. Fischler, c'est terminé. Merci. M. le député de Blainville, vous avez le mot de la fin.

M. Ratthé : M. le Président, M. Fischler, bonsoir. Je vais aller directement à la première affirmation que vous faites et je vais aller à la conclusion. Je trouve qu'on n'a pas beaucoup parlé… Personne n'a, peut-être, voulu évoquer ce point-là, mais c'est un point important. Vous nous dites : C'est un projet de loi qui, d'une certaine forme, divise, parce qu'il exige qu'on demande aux communautés religieuses ou du moins aux gens qui ont des croyances religieuses puis qui sont minoritaires de faire fi de leurs démonstrations, alors qu'on laisse en place tous les signes ostentatoires chrétiens. Et vous nous en donnez pour preuve que dans tout le paysage du Québec on retrouve l'héritage catholique, que ce soit la croix sur le mont Royal, les croix de chemin, les noms des municipalités. On pourrait en mettre. Et votre conclusion, elle est… Et c'est là-dessus que je voudrais vous entendre. Vous nous dites : Bien, c'est soit un ou soit l'autre. Soit qu'on bannit tout, et vous nous dites grosso modo : Je serais d'accord avec ce fait-là, soit qu'on ne bannit rien, ou du moins qu'on tolère tout ce qui est dans le paysage, mais qu'on accepte aussi… Et vous avez même… Et vous dites également, probablement avec raison, que, même dans la fonction publique, les gens de confessionnalité catholique ou chrétienne auront la possibilité de porter un signe, parce que, s'il est petit, par exemple, ils pourront le dissimuler, ce que peut-être d'autres communautés ne peuvent pas faire.

J'ajouterais à cela… Et je reprends des propos du ministre ce matin, qui disait : La communauté juive a une longue histoire dans l'histoire du Québec. Il y a, je pense, des édifices, en tout cas des marques de son historique religieux aussi dans la communauté de Montréal et ailleurs au Québec. On pourrait parler de la communauté grecque également.

Est-ce que vous vous sentez heurté face à tout cela? Est-ce que c'est pour cette raison-là que vous dites : Bien, je dois tolérer ces signes-là puis je n'accepte pas… ou à l'inverse, bien, vous dites : Non…

M. Fischler (Raphaël) : Non, non. Moi, je voudrais dire une chose très clairement : Loin de moi l'idée d'exiger, de demander qu'on enlève quoi que ce soit. Moi, je vis en paix parfaitement avec l'idée d'être Juif dans un milieu chrétien.

M. Ratthé : Pourtant, vous le soulevez, cette possibilité.

M. Fischler (Raphaël) : Mais la raison pour laquelle je parle de la question de la présence du crucifix, c'est parce que le gouvernement soulève la question de la présence d'autres religions dans la sphère publique. Je dis : Si le gouvernement soulève cette question, qu'il y réponde d'une manière systématique, logique et, je dirais, égalitaire. Que le gouvernement nous dise : Vous savez, il est extrêmement important que les chrétiens, que les catholiques québécois puissent vivre dans un milieu qui reflète leur héritage, qu'ils puissent garder un drapeau, qu'ils portent la croix, qu'ils puissent siéger dans une assemblée qui a un crucifix au mur, c'est extrêmement important, je le respecte entièrement. Il y a une société qui a été fondée ici. Je ne suis pas un de ceux — et il en existe — qui, par exemple, aux États-Unis, exigeront une séparation entière de la religion, qu'on ne puisse pas mettre de tableau de la loi, qu'on ne puisse pas mettre de crucifix, qu'on ne puisse pas réciter de prière. Moi, je vis en paix avec le caractère chrétien du Québec. Mais le gouvernement non seulement me demande d'accepter ça, mais va me demander ou demander à mes coreligionnaires de s'effacer, de se rendre plus discrets. C'est ça qui est difficile. C'est pour ça que j'ai une réaction qui me fait dire : Cela n'est pas correct, cela n'est pas égalitaire. C'est pour ça que j'emploie le mot de «discrimination», qui est un mot très fort, mais je pense que l'effet de la loi est discriminatoire de cette manière-là.

M. Ratthé : Mais certains diront que…

Le Président (M. Morin) : Merci, M. Fischler.

M. Ratthé : Merci, M. Fischler.

Le Président (M. Morin) : Donc, merci de votre présence ici, merci d'être venus à cette commission parlementaire. Bon retour à la maison.

M. Fischler (Raphaël) : Merci à vous. Je vous remercie.

Le Président (M. Morin) : Et nous sommes de retour vers 19 heures, je suspends les travaux jusqu'à 19 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 8)

(Reprise à 19 h 9)

Le Président (M. Morin) : Mesdames messieurs, bonne soirée. La commission reprend ses travaux. En cette soirée, nous entendrons M. André Baril et M. Jean Simoneau.

Donc, ça va me prendre votre consentement pour dépasser quelque peu le 21 heures qu'on devait finir. Ça vous va pour tout le monde? Merci de votre consentement.

Donc, M. Baril, à vous la parole, vous avez 10 minutes. Vous avez eu le temps de prendre connaissance des lieux, ça va vous donner… Allez-y.

M. André Baril

M. Baril (André) : Merci, M. le Président. Je m'appelle André Baril. Je suis professeur de philosophie, mais j'ai bifurqué depuis quelques années dans l'édition, je suis éditeur auprès de l'Université Laval. Mais je me présente ce soir comme simple citoyen. Je veux réfléchir avec vous sur la charte à partir, évidemment, de la philosophie.

• (19 h 10) •

Alors, comme vous savez, la philosophie est née dans la Grèce antique avec la démocratie, et depuis 2 000 ans on pose toujours la même question : Sur quoi se guider? Quelle est ma boussole, hein? Je veux comprendre ma conduite. Je ne veux pas dire aux gens où aller, mais il faut savoir où est le nord pour aller au sud. Alors, mon propos, c'est d'essayer de montrer que la charte est un repère pour la société.

La semaine dernière, Mme Françoise David a posé une excellente question ici. Elle demandait aux gens de la ligue nationale : Mais dites-moi donc comment que ça se fait que depuis six mois, au Québec, on discute de signes ostentatoires, alors qu'il y a tellement d'autres choses qui pourraient nous préoccuper et que nous sommes d'accord de toute façon sur la laïcité? Alors, cette question m'a interpellé, et je me suis dit : Qu'est la réponse?

En fait, les signes ne sont jamais anodins pour l'être humain, l'humain s'est fait vivre par les signes. Et quel est notre principal signe pour nous, les croyants ou les non-croyants, les athées, les marxistes, les libéralistes? C'est la parole. Notre principal signe, c'est le signe de la parole. C'est là que s'exerce notre jugement. C'est là que s'exercent et se partagent notre vérité et notre fausseté. Alors, pour n'importe qui, l'important, c'est donc cette parole-là, cette conscience, cette pensée. Et le droit ne peut pas tout résoudre. Il faut qu'il y ait un débat et il faut qu'il y ait une discussion, il faut que l'humain exerce son jugement, et le droit pourra simplifier par la suite.

Alors, M. le Président, je voudrais faire deux commentaires, un sur la forme puis un sur le contenu.

Sur la forme du projet, je me pose une question : Quelles sont les intentions du gouvernement, bonnes ou mauvaises? Là, je fais référence un peu à l'actualité en même temps. Imaginons que le gouvernement aurait des mauvaises intentions — le critère pour le juger, un État totalitaire. Bien, si c'était vrai, on bannirait la religion. Or, ce n'est pas le cas. Il y a beaucoup d'écoles confessionnelles et même des écoles qui sont subventionnées, le patrimoine est conservé, etc., les gens continuent à croire, donc ce n'est pas le cas.

Peut-être que le projet, c'est un repli identitaire, nationaliste, conservateur. Mais, si c'était le cas, on voudrait instaurer une religion officielle, mais c'est le contraire, on déconfessionnalise. Et puis, si je vois les signes de repli identitaire, il n'y en a pas. Notre ministre de la Culture, c'est un immigrant. On est très, très loin, hein? On est une des sociétés les plus libres, comme vous savez.

Alors, je regarde ça : Est-ce que le gouvernement aurait de mauvaises intentions, peut-être la démagogie, l'électoralisme, nous sommes manipulés? Non. Encore là, il y a la liberté d'expression, on entend toutes sortes de points de vue. Tu sais, c'est mépriser les gens de croire que nous sommes manipulés. En fait, si on regarde ça sur la forme, on dit : C'est un projet qui, au fond, remonte à 2008. C'est pour ça que les gens, d'ailleurs, ont des positions assez bien campées, ils ont eu le temps de réfléchir.

Et on arrive à la question, évidemment, toujours sur la forme : Y a-t-il un motif pour faire un projet comme ça? Bien, tout projet… une loi, c'est positif et négatif. Et là on met beaucoup l'accent sur le négatif, les interdits, mais mettons ça du point de vue positif aussi. Le projet de la charte ne vise pas tant à interdire qu'à définir l'espace commun. Il faut regarder ça aussi, l'aspect positif. Toute loi, hein, je mets un réseau de… des feux de signalisation pour empêcher le… Non, pour permettre la circulation. Bien, c'est la même chose ici, là, c'est qu'il faut un espace commun. Il faut que je puisse faire la distinction entre une école et un temple. Il faut que je fasse la différence entre le citoyen et puis la communauté d'origine, ma croyance.

Si l'État se retirait, qu'est-ce qu'on aurait? On aurait des écoles confessionnelles, certains diront, redeviendraient toutes confessionnelles. Tous les groupes appartiendraient à des petits groupes. Non. C'est ça, justement. Il faut un espace commun qu'on appelle citoyen.

Bref, le projet ne semble pas être l'oeuvre de démons. C'est un projet sensé qui, en fin de compte, pourrait être bon pour la communauté.

Alors, passons au contenu. C'est l'essentiel de… Le mémoire que je vous ai déposé, je l'ai fait sous forme de dilemmes : ou bien, ou bien. Alors, je vais en aborder… — deux secondes — je vais en illustrer deux ou trois.

Tout le monde veut être libre de croire ou de ne pas croire, mais comment y arriver? Alors, j'ai posé le dilemme : Ou bien je me définis par rapport à une communauté ou bien je me définis tout seul.

Alors, évidemment, il n'y a personne qui se définit tout seul. On ne naît pas seul, on naît d'une famille. Je ne suis pas né catholique, je suis né de parents catholiques, ma communauté était déjà faite. Et il y a la communauté des chrétiens, la communauté des musulmans, la communauté, aussi, politique, il y a les allégeances politiques, les conservateurs, les libéraux, etc. Alors, tous ces gens-là, il faut qu'ils se réunissent, à un moment donné, puis dire : Quel est notre espace commun à tous? C'est ça, l'affaire. C'est ce qu'on appelle... Comment qu'on appelle ça, c'est la communauté politique. Il faut une communauté politique, et vous, les élus, vous êtes nos principaux représentants, justement, de cette fameuse communauté politique, c'est ça qui fait la démocratie. Alors, comment voir cette communauté politique? Comment la rendre visible, elle aussi? C'est aussi important de rendre notre communauté politique visible que d'accepter toutes les différences, et, parlant des différences, différences hommes-femmes, différences hétéro-homo, différence des communautés, différence des cultures, différence des pensées, différence des allégeances, mais à un moment donné aussi il faut revenir, dire : Oui, mais l'espace commun, c'est lequel?

Je passe à un deuxième dilemme. Bon, on veut la laïcité, oui, mais quelle conception de l'État, l'État libéral ou l'État démocratique? Quelle sorte d'État que je veux, moi? C'est qui qui est l'État pour moi? Est-ce que c'est un État-gendarme, que je veux, ou c'est un État-providence? Quel est le visage de mon État?

Alors, on connaît… évidemment, c'est le policier que l'État-gendarme, c'est essentiel, fondamental, mais ce n'est pas tout. Nous, au Québec, on a eu la chance incroyable, il faut tout le temps se le rappeler… Avant les années 80, avant le capitalisme ou la mondialisation déchaînée, on a créé l'État-providence, l'État démocratique providence, les programmes sociaux, l'État à visage humain. Alors, qui? Le policier, oui, mais la technicienne en garderie, oui aussi. L'enseignante en première année, oui, c'est elle que je veux qui représente l'État parce que c'est elle qui accueille l'enfant. Et elle doit l'accueillir pas juste dans son appartenance, mais elle doit l'accueillir comme un être en devenir, comme un être de parole, comme un interlocuteur, comme un sujet de droit libre de toute appartenance et qui va pouvoir, on l'espère, apparaître dans le monde, devenir singulier dans le monde, véritablement incarner la fameuse liberté dont tout le monde rêve. Mais on ne naît pas seul et on ne naît pas libre. On naît dans une communauté.

Le Président (M. Morin) : Merci, M. Baril. Vous avez terminé votre temps. M. le ministre.

• (19 h 20) •

M. Drainville : Merci, M. le Président. M. Baril, vous pourrez élaborer, si vous le souhaitez, à partir des questions que je vous poserai. S'il y a des éléments importants que vous souhaitiez nous transmettre, vous pouvez utiliser les questions que je vous poserai pour, dans le fond, conclure votre exposé, je n'ai pas de difficulté avec ça.

Vous dites à la page 35 de votre mémoire, et je cite : «Françoise David — je m'excuse, la députée de Gouin — peut dire à la télévision que "le voile n'est pas anodin" — entre guillemets, le voile n'est pas anodin — et continuer à vivre sa vie comme si tout allait bien. Pour Djemila Benhabib, ce retour à la vie normale n'est pas possible. Une expérience vécue les sépare. À qui tendre la main de la compréhension?»

J'aimerais comprendre ce que vous voulez dire. Est-ce que vous dites : Dans le fond, ce débat-là nous place devant un choix où il faut choisir notre solidarité? Il faut soit accepter que le voile n'est pas anodin et puis, une fois que la déclaration ou l'affirmation a été faite, passer à autre chose ou est-ce qu'il faut plutôt se ranger du côté de quelqu'un comme Mme Benhabib qui dit : Une fois qu'on a dit que le voile n'est pas anodin, on ne peut pas juste passer à un autre appel, il faut tirer les conclusions d'un tel énoncé, et donc, si le voile n'est pas anodin, il s'ensuit des conséquences?

M. Baril (André) : Exactement. Nous, au Québec, on est isolés d'une certaine manière du monde, hein, on est un petit peuple à l'extérieur, et donc notre expérience vécue, c'est minime par comparaison à l'expérience mondiale. Et donc, quand les gens arrivent de l'extérieur, il faut être très sensibles à ça, justement, aux immigrants qui nous arrivent et qui nous apportent une expérience, qui nous disent… par exemple comme l'écrivaine Kim Thúy qui disait cette semaine : Le Québec, c'est la société la plus libre au monde. Alors, s'il y a une autre personne qui dit : Bien, faites attention, O.K., peut-être qu'il y a certains signes ostentatoires qui sont plus politiques que religieux, bien je tends l'oreille, je tends l'oreille et je tends la main aussi, évidemment. Donc, oui, Mme David, je sais qu'elle est parfaitement consciente de tout ce phénomène-là, mais je pense que, comme moi, elle n'en a pas une expérience vécue.

M. Drainville : Dans votre mémoire, vous reprenez une citation du spécialiste de la laïcité, le philosophe Peña-Ruiz…

M. Baril (André) : Très belle citation.

M. Drainville : …qui a écrit, je le cite, donc : «Les enfants ne viennent pas à l'école en tant que musulmans, athées ou catholiques. Ils viennent en tant qu'êtres humains. Il y a en eux un potentiel d'universalité qu'il faut considérer par principe comme délié des appartenances.»

Est-ce que, dans votre esprit, de vivre, par exemple, pendant toute une année scolaire en présence d'une enseignante qui affiche ouvertement sa conviction religieuse ou son appartenance religieuse risque justement de porter atteinte à ce potentiel d'universalité? Parce que la confession affichée et affirmée de l'enseignante marque le rapport qu'elle aura nécessairement avec les élèves ou marque le rapport que les élèves auront à elle, et ce rapport-là risque bien évidemment de privilégier non seulement la religion de l'enseignante, mais le code moral qui vient avec cette religion-là, donc un certain nombre de valeurs, un certain nombre de choix sur des questions d'éthique, sur des questions liées à toutes sortes de facettes de la vie en société. Est-ce que c'est ça que vous tentez de dire quand vous parlez de ce potentiel d'universalité que les enfants ont en eux? Est-ce que vous craignez que l'appartenance religieuse affichée et affirmée puisse porter atteinte à ça?

M. Baril (André) : C'est ça, il faut que l'enfant soit mis en présence, justement, de la diversité, donc de quelque chose qui est au-delà des appartenances immédiates, donc des signes ostentatoires en particulier, et en particulier des personnes qui ont une certaine influence.

Donc, on sait que l'influence première, c'est les parents. La deuxième, c'est l'école. Alors, c'est un rôle fondamental, et tout le monde le sait. Alors, il faut préserver l'école de toutes les formes de contrôle ou d'influence, qui évidemment, pour un enfant, sont des comportements, des habillements. Ce n'est pas pour rien que dans les écoles privées, justement, à l'époque ils mettaient un costume. C'était pourquoi qu'ils faisaient ça? Ce n'était pas anodin, ça non plus, là, c'est encore des signes. C'était pour essayer justement de dire : On s'occupe du potentiel de l'enfant et non du symbole qu'il pourrait projeter.

M. Drainville : Je ne sais pas si vous avez suivi les travaux de la commission, mais il y a certains intervenants… Puis, encore une fois, moi, je respecte leur point de vue, là, mais je veux vous soumettre l'argumentaire. Leur point de vue, donc, c'est de dire : Le symbole religieux n'influence pas vraiment la personne qui le voit. Ou ça ne les influence pas ou en tout cas l'influence est si mineure qu'elle ne justifie pas l'interdit, l'interdiction de porter le signe religieux. Et donc, à partir du moment où ces personnes ou ces groupes diminuent l'impact que peut avoir le signe religieux sur l'élève ou sur l'usager du système, à ce moment-là ça leur permet de dire : Bien, comme ça, ce n'est pas tellement important, ce qui est important, c'est la limitation que la personne qui a une religion, qui a une croyance religieuse et qui doit donc et qui veut donc afficher cette conviction-là par le port d'un signe… à ce moment-là, bien, cette restriction, cet interdit de porter le signe devient l'élément fondamental du débat, là, dans l'esprit de ceux qui soumettent cet argument-là : Dans le fond, les usagers, ça n'a pas vraiment d'impact ou ça en a si peu. Ça ne doit pas nous faire perdre de vue que, pour celui ou celle qui souhaite porter un signe religieux, ça, c'est fondamental. Si on lui interdit de le faire, c'est vraiment une trop grande restriction sur sa liberté de religion. Réaction?

M. Baril (André) : Bien, c'est que, si on éliminait… C'est pour ça qu'il faut regarder : Est-ce que la société actuelle… Le gouvernement actuel veut-il éliminer les signes religieux de la société? À ma connaissance, c'est non. Là, on bannirait la religion. Ce n'est pas ça qui est en jeu. Ce qui est en jeu, c'est de réussir à faire une séparation minimale entre ce qui est commun ou, si vous voulez, citoyen et ce qui est religieux, communautaire — appelez ça comme vous voulez — ethnospécifique, confessionnel.

Alors, c'est pour ça que le lieu, comme l'école, c'est un choix que la société a fait, de dire : L'école sera publique. Alors, il faut maintenir cette ligne-là. L'école est publique. Qu'est-ce que ça veut dire? Bien, l'école est publique, l'école est laïque, et donc l'école ne doit pas se définir par des communautés, quelles qu'elles soient, quelles qu'elles soient.

M. Drainville : …c'est très clair. Alors, ça m'amène à vous poser la question. Justement sur la question des signes, si j'ai bien compris votre mémoire, vous ne souhaitez pas interdire les signes religieux pour les seuls agents avec pouvoir coercitif. Est-ce que vous pouvez élaborer sur ce qui vous a amené à conclure qu'il ne fallait surtout pas se limiter aux seuls agents coercitifs comme certains le souhaiteraient, par exemple?

• (19 h 30) •

M. Baril (André) : Oui. Comme la commission… La commission Bouchard-Taylor, bon, avait cette position-là. Je vais plus loin parce que c'est dans le sens… Encore là, qu'est-ce que l'État, qu'est-ce que le lieu commun, qu'est-ce que l'espace public? Et là je me dis : Ça se peut-u que le seul représentant que nous ayons de l'État, ce soit le gendarme? Bien non, ça ne se peut pas, parce que notre type d'État, c'est un État-providence. C'est un État qui rend des services, c'est un État qui a des programmes sociaux universels, la santé, l'éducation, puis on devrait continuer, d'ailleurs. C'est les garderies, puis les garderies publiques et même privées, au fond, c'est le même souci.

Je pense que toutes les personnes qui ont des enfants souhaitent que leur enfant soit reconnu comme un citoyen et qu'il soit donc amené vers justement ce qui est, c'est bizarre, un espace vide. On l'amène… Je n'aime pas le terme «neutralité». Ça n'existe pas, la neutralité, en philo, hein, c'est la neutralisation du jugement. Toute personne doit porter des jugements. Ils sont vrais, ils sont faux, mais on n'a pas le choix, hein, on porte des jugements. Alors, toute personne souhaite que son enfant soit dans un milieu qui lui permet de s'épanouir sans le poids des appartenances. Il me semble que c'est ça que je garde de tout mon enseignement, des années…

Et, quand je voyais tout à coup des jeunes — là, j'étais au cégep — je voyais des jeunes, si je peux illustrer cet exemple par un exemple, avoir d'autres signes, le piercing par exemple, si je voyais un étudiant qui avait un piercing dans la langue et puis… Bon, je vois, Mme Weil, que vous réagissez, puis, bon, moi aussi, je réagissais beaucoup. J'avais juste le goût d'aller vers cette personne-là et lui dire : Mais qui qui t'a fait ça? Mais qui qui t'a fait ça? Quel est le poids que tu as sur tes épaules, mon ami? C'est sérieux, c'est… Et comment, justement, le libérer? Je ne suis pas capable, hein, mais on essaie de notre mieux.

Donc, c'est pour ça qu'il est toujours… il n'est jamais trop tôt pour éduquer un prince et avec, comme vous le savez, les personnes les plus universelles, les plus grands savants possible. Et au XIXe siècle on disait : Mais ne soyez pas pressés pour éduquer les filles. Alors, nous, c'est le contraire, actuellement. On veut la liberté, on veut l'épanouissement des personnes. On n'a pas peur des différences, ça, c'est faux. Les gens disent qu'on a peur des différences, ce n'est pas vrai. Justement à cause de l'égalité hommes-femmes, on est une société, justement, qui accepte les différences. Parce qu'historiquement, dans l'humanité, d'où vient le respect des différences et quelle est la première différence? On rencontre une femme qui est enceinte, on dit : C'est-u un garçon? C'est-u une fille? On est tout le temps en train de faire… Tout ce qu'on a comme réflexion sur les différences, c'est basé sur une chose : la différence entre les hommes et les femmes. C'est ça qui est le plus dur à accepter, mais c'est la question fondamentale de l'enfant.

M. Drainville : Vous avez enseigné pendant combien d'années au cégep?

M. Baril (André) : 30 ans.

M. Drainville : Sur la question du port des signes religieux, vous êtes au courant du fait qu'il y a certaines personnes qui s'opposent à la restriction dans les institutions collégiales et universitaires au nom de la liberté académique et au nom de l'autonomie également des institutions. J'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce qu'à votre avis la liberté académique doit justifier de traiter différemment les professeurs des cégeps et des universités des enseignants, par exemple, de l'école primaire et secondaire, à propos desquels vous avez déjà dit qu'il fallait… que vous souhaitiez la neutralité religieuse, y compris dans l'apparence?

M. Baril (André) : Ah! oui, oui. Oui, j'irais jusqu'au cégep et à l'université, parce que la liberté académique, c'est la liberté de parole, c'est la liberté de recherche. L'important, pour un professeur, c'est qu'il puisse avoir quelques heures pour faire de la recherche, pour qu'il puisse lire et penser librement, et, si on l'empêche de publier, d'écrire, là on lui enlève sa liberté fondamentale. Donc, la liberté académique, c'est la liberté de recherche, c'est d'avoir un peu de sous ou un peu de temps libre pour faire de la recherche. Je ne crois pas que ça devienne une liberté fondamentale pour cette personne-là, d'exprimer son appartenance religieuse. Encore là, il pourrait être un croyant, il pourrait étudier la théorie de l'évolution et être un croyant, aucun problème, et il pourrait même, dans ses cours, poser aux étudiants cette réflexion-là, c'est ça, sa liberté. Mais pourquoi faudrait-il qu'il ait en plus un signe? J'essaie d'embarquer dans sa tête aussi puis dire : Pourquoi veut-il un signe supplémentaire alors qu'il a la chance inouïe d'être payé pour avoir la liberté de penser? Est-ce que je lui enlève quelque chose? Si je lui enlève sa liberté de recherche, là je lui enlève quelque chose.

C'est pour ça qu'il faut voir, là, qu'est-ce qui fait un vrai croyant. C'est ses convictions profondes, c'est son recueillement, c'est sa capacité d'empathie.

M. Drainville : Vous devez côtoyer encore, j'imagine, d'anciens collègues profs de cégep. Oui?

M. Baril (André) : Oui.

M. Drainville : Comment ils réagissent? Est-ce qu'ils se sentent lésés par l'éventuelle restriction ou est-ce qu'ils se sentiraient lésés par l'éventuelle restriction qui s'appliquerait?

M. Baril (André) : Je ne suis pas capable de vous répondre, je ne le sais pas.

M. Drainville : Non?

M. Baril (André) : Aucune idée. Non, je vous dis, je me présente comme citoyen. C'est un point de vue que j'ai réfléchi. J'ai été passionné par le projet que vous avez déposé, il m'a envahi littéralement depuis septembre. Mais j'ai très peu discuté avec les professeurs de cette question-là.

M. Drainville : Et pourquoi il vous a envahi à ce point-là? Parce que vous n'êtes pas le seul à nous dire ça, là, il y a beaucoup de gens qui se sont sentis personnellement interpellés par le projet. Et ce n'est pas seulement, je dirais, interpellés dans leur sens profond des valeurs, là. Déjà, ça, c'est beaucoup, là, on a tous nos valeurs qui sont liées notamment à l'éducation qu'on a reçue, comme vous l'avez dit tout à l'heure, bon, mais, je pense, dans certains cas, ça dépasse ça, là. Ça dépasse l'espèce de collision qu'on peut avoir lorsqu'on est confronté à un projet comme celui-là, dans le questionnement que ça peut susciter chez nous dans notre for intérieur. Mais il y a certaines personnes qui vont au-delà de ça, là. Ça a comme suscité une espèce de réflexion ou même de bouillonnement intellectuel chez beaucoup de gens, qui ne sont pas nécessairement même en faveur de la charte mais qui vont dire : Merci pour le débat ou la discussion que vous nous permettez d'avoir. Il y a des gens qui nous disent ça. Ils ne sont pas nécessairement, encore une fois, pour la charte, mais… Merci pour le débat que vous nous permettez d'avoir enfin comme société. Je pense que c'est un peu comme ça que vous l'avez reçu. Oui?

M. Baril (André) : Tout à fait, tout à fait. C'est la vie des signes. C'est un débat sur la vie des signes.

M. Drainville : Sur la quoi?

M. Baril (André) : La vie des signes. Alors…

M. Drainville : La vie, v-i-e?

M. Baril (André) : La vie, v-i-e, des signes, oui. La vie des signes dans la vie sociale, vos cours de sémiologie.

M. Drainville : O.K.

M. Baril (André) : Ils sont loin?

M. Drainville : On en reparlera, si vous permettez.

M. Baril (André) : La vie des signes, dans la vie sociale, c'est ça, c'est que les signes ne sont pas anodins pour l'être humain. On s'est fait vivre par les signes, par le signe de la parole. Et l'idée, c'est qu'on n'a pas de boussole extérieure, on ne peut pas dire : La nature, c'est notre boussole, puis en même temps je ne peux pas dire que mon intérieur, c'est ma boussole, parce que personne ne pourrait la voir. La boussole, elle est entre nous. C'est pour ça que les signes sont si fondamentaux.

Et les seuls signes qui nous relient… Et c'est pour ça que, dans le motif, si on veut, supérieur évoqué par M. Bouchard, eh bien, il donne toujours l'exemple de la loi 101, qui était justement le signe de la langue. Comment faire une société ou une communauté politique sans langue? C'est impossible. Alors, il faut que tu commences par ça, tu établis la langue. Après ça, évidemment, tu fais le Parlement, puis là le Parlement fait l'État de droit.

Je vais trop loin, là, je suis désolé.

M. Drainville : Non, mais, écoutez, comment je vous dirais… C'est la fin de la journée, et je trouve que votre propos se prête plutôt bien à un atterrissage en douceur de cette longue journée. Vous nous appelez à une certaine élévation philosophique, et puis moi, je reçois ça très, très bien. Et, je pense, la députée collègue de Notre-Dame-de-Grâce aussi semble être très heureuse.

Alors, vous avez aussi… Dans votre mémoire, vous avez écrit : «Les opposants en appellent uniquement aux règles du droit, comme si le droit avait pour mission de sceller la discussion publique avant même qu'elle n'ait lieu.» Et, je trouve, dans l'esprit de cette affirmation, vous rejoignez un peu ce que Benoît Pelletier, l'ancien ministre dans le gouvernement de M. Charest, a déclaré. Je ne sais pas si j'ai besoin de reprendre, là, le verbatim de sa déclaration. Le souhaitez-vous?

M. Baril (André) : Oui, parce que je ne l'ai pas entendu.

• (19 h 40) •

M. Drainville : Oui? Bon, très bien. Alors, il dit, M. Pelletier, donc : «…on aurait tort de trop se focaliser sur les enjeux juridiques [ou] constitutionnels que [la charte des valeurs] soulève.» Il dit : «Ces [enjeux] ne doivent pas être invoqués — ces enjeux juridiques ou constitutionnels — comme s'ils constituaient des obstacles incontournables à toute démarche législative ni comme s'ils nous dispensaient, en tant que société, de débattre du sens — tiens, de débattre du sens — qu'il convient de donner à la laïcité [ou] à la neutralité religieuse de l'État québécois de nos jours. Ceux qui adoptent, à l'égard de la charte des valeurs, une approche strictement légaliste commettent une erreur. Ils s'en remettent d'une façon un peu trop fataliste et volontaire à des juges qui, pour bien intentionnés qu'ils puissent être, n'en sont pas moins dépourvus de légitimité démocratique et n'ont, contrairement aux élus, aucun compte à rendre à la population.»

J'ai un petit problème avec son… Quand il parle qu'ils sont dépourvus de légitimité démocratique, je ne suis pas tout à fait sûr d'être d'accord avec ça. Moi, je pense que, la séparation des pouvoirs étant un principe fondamental d'une démocratie comme la nôtre, les juges, donc, ils ont un, comment dire… ils ont une légitimité dans leur domaine de compétence, ils ont une légitimité. Mais il a raison de dire qu'ils ne sont pas élus, donc qu'ils n'ont pas de compte à rendre à la population. Et par ailleurs je suis tout à fait d'accord avec lui quand il dit qu'il ne faut pas s'en tenir à une approche strictement légaliste, qu'il faut se donner le droit de débattre, de débattre et éventuellement de voter les lois, dans un Parlement comme le nôtre.

M. Baril (André) : Voilà. On peut dire : Le droit est médiateur entre l'éthique, nos valeurs et le politique. Et le droit, pour la philo, c'est… Il y a des débats, par exemple, sur l'avortement, sur l'euthanasie. C'est des débats qui nous prennent, c'est éthique, il faut qu'ils aient lieu. Je ne peux pas sauter l'étape, je ne peux pas escamoter ce débat-là, il faut qu'il ait lieu. Il peut prendre des années. Et souvent même le droit décide de ne pas trop en régler; dans le cas de l'avortement, justement, le moins possible d'intervenir.

Le Président (M. Morin) : M. Baril, je suis obligé de vous interrompre, le temps du côté ministériel est terminé. On se dirige du côté du député de LaFontaine.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, M. Baril, pour avoir pris le temps — puis je vois que vous avez beaucoup, beaucoup travaillé — d'avoir pris le temps de rédiger un mémoire qui, on le constatera tous, fait 67 pages, est très étoffé, avec notes de bas de page. On voit que vous y avez mis beaucoup d'heures, je dirais. Je tiens à vous en féliciter, honnêtement…

M. Baril (André) : Merci.

M. Tanguay : …et, en ce sens-là, vous remercier également du temps que vous nous accordez pour répondre à nos questions ce soir.

Vous avez dans votre mémoire… Et je vais citer à la page 19. À la page 19, on peut lire le début du premier paragraphe où vous faites référence à la loi 101, vous dites : «Pour interdire le port de signes ostentatoires dans la fonction publique, le gouvernement a-t-il un "motif supérieur", un motif aussi fort…» Et là vous donnez l'exemple de la loi 101. Un peu plus bas, donc deuxième paragraphe : «Sans ce motif, nous serions mis au banc des accusés. Ce serait la honte et l'humiliation, ce que veulent éviter à tout prix les anciens chefs du Parti québécois et même du Bloc québécois, MM. Parizeau, Bouchard, Landry et Duceppe, une belle confrérie.» Fin de la citation.

Vous avez vu la sortie très tôt, je dirais, dirions-nous, de M. Parizeau. Et je le cite, là, quand il est sorti en octobre 2013, puis j'aimerais avoir, par rapport à ça, vos commentaires lorsqu'il disait, et je le cite, que ça va trop loin : «À ma connaissance, c'est la première fois, au Québec, qu'on veut légiférer pour interdire quoi que ce soit de religieux. Le Québec est devenu une société laïque, la séparation de l'Église et de l'État s'est établie, de même que la neutralité de l'État à l'égard du religieux. Tout cela s'est fait graduellement. [...]Je pense qu'il serait préférable de se limiter, dans la charte, à l'affirmation des principes de la séparation de l'Église et de l'État, et de la neutralité de l'État à l'égard des religions.» Fin de la citation.

Donc, j'aimerais vous entendre commenter par rapport à ce à quoi M. Parizeau, je veux dire, qui n'est pas dans le débat partisan, là… On peut le déplorer, il y a beaucoup de partisanerie dans ce débat-là, et il y a une division là-dessus, sur les signes ostentatoires, l'interdiction. Donc, M. Parizeau, on ne peut pas l'accuser ou le taxer de prendre pour un camp versus l'autre, même au contraire. Je dirais même qu'il envoie des signaux aux gens du Parti québécois pour leur dire : Vous allez probablement trop loin, et c'est comme ça qu'il commence. J'aimerais vous entendre là-dessus, sur cette déclaration.

M. Baril (André) : D'abord, M. Parizeau, c'est ça, prenait la position Bouchard-Taylor, donc il considérait... Mais, si vous lisez toute son entrevue, il terminait en disant : Bon, on avancera après. Il était pour des petits pas, justement. Et il ne manquait pas de jugement mais peut-être de courage, je dirais, je ferais la nuance, parce qu'il est raisonnable, et je le comprends parfaitement, il est raisonnable de protéger toutes les convictions sincères, donc toutes les croyances religieuses sincères, mais ça ne veut pas dire que toutes les religions sont automatiquement bonnes et surtout que toutes les pratiques sont excellentes, des religions, on ne peut pas dire ça. Alors, il est raisonnable de protéger les religions, mais il est déraisonnable de croire que le droit pourrait nous dispenser de porter un jugement politique, qui est votre responsabilité. C'est ça, la différence, c'est que le droit n'arrive pas avant la politique. Il arrive pour simplifier une décision politique, des fois des décisions politiques difficiles.

M. Tanguay : Et en quoi cette position exprimée ici par Jacques Parizeau, qui a été reprise par Lucien Bouchard, qui disait : «Ce n'est pas bon pour le Québec, ni pour la perception de ce que [serait] un Québec souverain, qui exercerait ses pouvoirs sans contraintes...» Évidemment — fin de la citation — ici on fait sûrement référence au fait que la charte québécoise est une loi qui peut être amendée. Certains, comme la Commission des droits de la personne, diraient : Il y aurait peut-être lieu de faire en sorte qu'elle soit amendée aux deux tiers. Je ne veux pas rentrer dans la mécanique, là, des choses avec vous, vous pouvez y aller, si vous voulez, mais autrement dit ça fait écho d'un consensus social. Vous avez parlé tantôt de courage. Oui, il y a une notion de courage mais une notion également à laquelle faisait référence Parizeau lorsqu'il disait : Tout cela s'est fait graduellement. Il y a — puis j'aimerais vous entendre là-dessus — une certaine cohésion sociale surtout sur ce qui est fondamental, a fortiori, que l'on ne devrait pas perdre, vous croyez, dans le débat?

M. Baril (André) : Bien, le débat, c'est ça, on avance graduellement. Regardez, on est partis avec des inquiétudes. Le Parti libéral a fait la commission Bouchard, ça a été superbe, il y a eu une réflexion énorme qui a été faite là. Et là on avance, justement. On continue à avancer, tranquillement, pas vite, pour pouvoir prendre une position la plus éclairée possible.

Maintenant, c'est de l'étapisme, hein? Il y en a qui marchent plus tranquillement, d'autres qui marchent plus vite.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. Baril. Je ne sais pas si ma collègue a des questions. Merci beaucoup pour votre temps.

Le Président (M. Morin) : Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Merci, M. le Président. Merci beaucoup, M. Baril. En effet, vous avez mis beaucoup de temps de réflexion dans votre mémoire.

J'aimerais poursuivre dans cette même pensée que mon collègue. On a entendu juste avant vous un professeur juif de l'Université McGill très, très connu, Raphaël Fischler. Évidemment, son opinion est tout à fait à l'opposée, et lui nous décrit une injustice qu'il voit. Il dit : Vous savez, moi, j'accepte bien de vivre dans une société chrétienne, je vois la chrétienté partout autour de moi, tous les signes. Vous parliez de signes, hein? Il décrit tous les signes. Le crucifix qui est d'ailleurs juste... la croix qui est juste derrière McGill, on la voit tous les jours, du centre-ville on la voit tous les jours. En tout cas, il décrit les signes autour de lui. Il dit : Moi, je vis très confortablement avec cette réalité depuis longtemps, depuis que je suis ici, mais là vous venez me jouer une injustice, me faire une injustice. Vous êtes en train de dire aux gens comme moi, aux minorités religieuses... Soudainement, vous voyez ce qu'on porte et vous portez un jugement sur ce que je porte et ce qu'on porte. Vous n'avez jamais fait ça avant, jamais, et soudainement vous changez les règles du jeu, alors que nous, on accepte très bien de vivre dans une société chrétienne, avec tous les symboles que vous avez, puis vous n'êtes pas en train de dire que vous allez enlever... Et il est même allé jusqu'à dire : J'accepterais si vous enlevez tous les signes chrétiens. Alors donc, ce qu'il nous dit : C'est, comme beaucoup le disent, la catholaïcité.

Alors, j'aimerais vous entendre sur ça, parce que c'est la première fois que j'entends quelqu'un l'exprimer de cette façon.

• (19 h 50) •

M. Baril (André) : Bon, la communauté juive, il faut les considérer comme des exceptions éternelles, il faut… Je le vois toujours comme ça. C'est eux les premiers — c'est ça qui est le plus drôle — c'est eux les premiers qui ont brisé les signes, historiquement, hein? Nous sommes nés du totémisme, nous sommes nés de l'adoration de l'animal totem, et c'est Moïse qui revient, peuple hébreu, qui descend du mont Sinaï. Et qu'est-ce qu'il fait? Il voit les gens qui sont en train d'adorer le veau d'or. Les tables de la loi, c'est terminé, l'adoration de l'animal totem. Et là il nous place justement dans les religions monothéistes mais, en détruisant l'animal totem, il détruit les appartenances. Et des fois on se demande si l'humanité leur a pardonné ça.

Alors, bon, la société québécoise, on est une terre d'accueil pour tous les groupes, y compris les Juifs, et il n'est pas question qu'on les bannisse, loin de là. Et, dans leur communauté, eux-mêmes, beaucoup, beaucoup de Juifs sont devenus des Juifs laïques. Italo Calvino, le grand écrivain italien, ne savait même plus qu'il était juif, en Italie. C'est Hitler qui le lui a rappelé. Alors, il faut regarder ça avec un peu de regard critique, en disant : Bon, vous devez faire une critique de votre propre religion, vous aussi, n'est-ce pas? Il faut leur dire. Ils voient très bien… On voit toujours dans le jeu de l'autre, mais il faut voir dans son propre jeu aussi.

Mme Weil : Merci, M. Baril.

Le Président (M. Morin) : Ça va? On est…

Mme Weil : Moi, j'ai fini avec mes questions.

Le Président (M. Morin) : Mme la députée de Montarville, je crois que c'est à vous.

Mme Roy (Montarville) : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Merci, M. Baril. Merci pour votre mémoire. Je l'ai lu. Je dois vous avouer que la philosophie, ce n'est pas ma grande force. Mais j'aimerais vous amener à la page 15 de votre mémoire. Je vais vous citer puis je vais voir si j'ai compris ce que vous disiez, mais là j'ai un doute, là. Je vous cite, fin du premier paragraphe, page 15, vous écrivez : «"Une complète neutralité de l'État, outre qu'elle soit impossible, ferait de celui-ci un être désincarné, sans lien avec la culture et l'histoire nationales."

«Ainsi, quand nous parlons de [...] laïcité de l'État, nous devrions considérer la séparation de l'État et des Églises, non pas la neutralité, notion illusoire.»

Ainsi donc, si je vous lis bien, si je vous lis bien, la neutralité de l'État, ça ne se peut pas. Est-ce que c'est ça que vous nous dites?

M. Baril (André) : C'est ça. La neutralité chez l'humain — et ça, c'est Charles Taylor — il est impossible d'être neutre envers les exigences morales.

Mme Roy (Montarville) : Mais c'est l'État dont on parle, ce n'est pas la neutralité chez l'humain, là.

M. Baril (André) : Oui, mais l'exigence morale ou l'exigence politique… L'humain ne peut pas être neutre. Tout ce qu'il peut faire…

Mme Roy (Montarville) : Soit pour l'humain, mais je vous parle de la neutralité de l'État. Est-ce qu'elle est possible?

M. Baril (André) : C'est ça. C'est pour ça que tout ce qu'il peut faire, c'est séparer, réussir à séparer, non pas diviser mais séparer, faire une différence entre une institution et une autre, ou entre la vie privée et la vie publique, ou encore entre votre croyance personnelle, votre conviction personnelle, et votre statut de citoyen.

Mme Roy (Montarville) : Donc, la laïcité de l'État, le but recherché du projet de loi ici, ça ne se peut pas.

M. Baril (André) : Voilà. Bien, Charles De Koninck, déjà dans les années 60 on parlait… La laïcité de l'État, ça veut dire «séparation de l'État et des Églises», c'est ça que ça veut dire à l'origine. Le terme «neutralité» est arrivé par le droit, mais le terme premier, c'est… «laïcité» veut dire séparer ce qui est du domaine de l'État, politique, et ce qui est du domaine des croyances, des religions, des Églises, en réalité, des Églises, c'est-à-dire des communautés constituées.

Mme Roy (Montarville) : Moi, je croyais que c'étaient deux notions, la laïcité en étant une et la séparation de l'État et du religieux en étant une autre.

M. Baril (André) : Non, c'est la même chose. C'est la définition, en réalité. La séparation, là, c'est la définition de la laïcité.

Mme Roy (Montarville) : Je vous remercie beaucoup, M. Baril.

Le Président (M. Morin) : M. le député de Blainville?

M. Ratthé : Bien sûr.

Le Président (M. Morin) : Votre tour est arrivé plus vite que vous pensiez.

M. Ratthé : C'est correct. Bonsoir, M. Baril. Je vous écoutais tantôt parler de l'importance des signes. D'ailleurs, tout le débat sur la charte porte sur les signes, la durée de vie des signes. Et je vais vous paraphraser, parce que je ne peux pas reprendre exactement ce que vous avez dit, mais vous nous avez dit quelque chose comme : On peut, finalement, se départir des signes que l'on voit puis quand même garder cette relation-là avec, je vais dire, le divin ou avec notre spiritualité, qu'en fait les signes ne sont pas nécessaires ou, du moins, obligatoires.

Michel Seymour, que vous connaissez sûrement, est venu nous dire un peu l'inverse, Michel Seymour, parce que j'ai posé souvent la question à des personnes au cours des dernières semaines passées, pourquoi, pour elles, se départir de ce signe ostentatoire, quel qu'il soit, était si difficile, et Michel Seymour nous a dit : Écoutez, la société du Québec est partie de… graduellement, au cours de son évolution, au cours surtout des 50 dernières années, a fait en sorte que, pour les Québécoises, les Québécois, maintenant, la religion, c'est devenu personnel, ça se vit intérieurement, ce n'est pas une chose publique, alors que, pour d'autres, le signe, c'est une appartenance à une communauté, qu'ils doivent absolument le faire savoir, ils existent, en fait, ils se manifestent grâce à cette communauté-là — encore là je le paraphrase — et qu'on devrait respecter cette différence-là, qu'on devrait faire des aménagements, qu'on devrait comprendre leurs difficultés. Alors, ça vient un petit peu… Est-ce que ça vient un peu à l'inverse de ce que vous dites?

M. Baril (André) : Non, non, non. Tout à fait, je suis tout à fait d'accord avec cet aspect-là. Lorsqu'on maintient le culte, qu'est-ce qu'on protège? La liberté de conscience, mais on protège aussi la liberté de culte, le lieu. C'est là, le recueillement.

M. Ratthé : Donc, pas dans la fonction publique.

M. Baril (André) : Bien, c'est ça, mais il y a un lieu. Si je bannissais… C'est pour ça que j'y reviens. Je serais une société totalitaire si je bannissais les lieux de culte, mais le lieu du rassemblement, justement, de la communauté, où a-t-il lieu, sinon à cet endroit-là? C'est lui qui est essentiel, c'est là…

M. Ratthé : Oui. Ce que M. Seymour nous disait, c'est que ça expliquait pourquoi les gens ne voulaient pas, entre autres, se départir de leurs signes pendant les heures de travail, parce que ce sentiment d'appartenance là ou de le démontrer était très fort.

M. Baril (André) : Bien oui, mais, à ce moment-là, s'ils font ça, c'est qu'ils font le plein, ils n'acceptent pas qu'il y aurait un lieu… un espace vide, ils ne l'acceptent pas. Mais il faut justement… C'est ça, l'affaire. Si on veut qu'il y ait un espace plein religieux, il faut un espace vide, que les juristes appellent la neutralité.

M. Ratthé : O.K. Dans la…

M. Baril (André) : Tu sais, le petit jeu, je ne sais pas si… Le petit jeu, pour pouvoir déplacer, il faut une case vide.

M. Ratthé : Dans la conclusion de votre mémoire, là, à l'évidence, et c'est très… clairement explicité, vous êtes en faveur d'une charte.

M. Baril (André) : Oui.

M. Ratthé : Vous la comparez même à l'adoption de la loi 101, en disant : Bien, l'État doit jouer un rôle de médiateur pour les intérêts supérieurs du Québec. Et vous dites : C'est pratiquement une suite logique que l'adoption de cette charte-là, qui va guider, en fait, le droit éventuellement, parce qu'on parle beaucoup du droit, là, mais l'adoption de cette charte pourrait guider le droit dans ce que vous… d'assurer la protection des rôles sociaux. Donc, pour vous, c'est primordial qu'on le fasse.

M. Baril (André) : C'est ça. Voilà. Les rôles sociaux de l'homme et de la femme, les protéger dans la vie publique citoyenne mais en même temps sans détruire, sans détruire aucunement les lieux de culte, la liberté de religion, l'expression de la croyance. J'essayais de le montrer très bien dans mon mémoire : si l'humanité existe, c'est sûrement grâce aux religions, parce que c'est elles qui ont été les premières à faire l'écoute de la parole. Donc, elles sont essentielles pour la compréhension historique de notre existence. Mais, depuis le XVIIe, et encore plus aujourd'hui, les règles du jeu, c'est vous, les élus.

M. Ratthé : Merci beaucoup. Ça complète, M. le Président.

Le Président (M. Morin) : J'aurais peut-être un petit chicotement, M. Baril. Qu'est-ce qu'on fait avec nos petites chapelles dans nos CHSLD? Avez-vous un point de vue?

Une voix :

Le Président (M. Morin) : Je veux qu'il me le dise.

M. Baril (André) : Les chapelles?

Le Président (M. Morin) : On a des petites chapelles dans nos CHSLD. Est-ce que vous êtes d'avis que c'est un lieu de culte, qu'on doit les conserver?

M. Baril (André) : Comme les aumôniers, ceux qui circulent près des malades?

• (20 heures) •

Le Président (M. Morin) : Oui, ça, il semblerait que c'est décidé qu'on les garde. Bien, il me semble que, le ministre, je l'ai entendu dire ça.

Une voix :

Le Président (M. Morin) : Oui, bon, c'est… Juste vous entendre. Parce que vous parlez de lieux de culte. Dans mes CHSLD en Côte-du-Sud, j'ai des petites chapelles, qui est un lieu de culte.

M. Baril (André) : Je n'ai jamais réfléchi à cet aspect-là. Désolé.

Le Président (M. Morin) : O.K. C'est bien. Donc, M. Baril, merci. Je m'excuse d'être intervenu dans la conversation.

M. Baril (André) : …si je peux dire un dernier mot…

Le Président (M. Morin) : Oui, je vous le permets.

M. Baril (André) : Merci à tous les élus qui depuis 47 ans maintiennent l'enseignement philosophique obligatoire. On sait que l'UNESCO revendique pour tous les peuples l'enseignement philosophique depuis des années, et le Québec est une des rares sociétés au monde à le permettre. Merci beaucoup.

Le Président (M. Morin) : Merci, M. Baril. J'ai fait un petit peu de philosophie de la parole, point à la ligne. Merci beaucoup. Bon retour chez vous.

Je suspends pour quelques instants. Et nous attendons M. Jean Simoneau, à se présenter. Je suspends.

(Suspension de la séance à 20 h 1)

(Reprise à 20 h 3)

Le Président (M. Morin) : Nous reprenons nos travaux. Bonsoir, M. Simoneau. Donc, c'est à vous la parole pour 10 minutes.

M. Jean Simoneau

M. Simoneau (Jean) : Pour un débat rationnel et non purement émotif, la loi n° 60 devrait interdire le port de tous les signes religieux chez tous les fonctionnaires de l'État grâce à la clause «nonobstant». On doit, par exemple, éliminer tous les cours de/sur les religions avant le cégep, c'est-à-dire s'assurer que les jeunes ont l'âge de décider par eux-mêmes de ce qu'ils doivent penser. L'intégrité n'est pas que physique mais aussi intellectuelle et morale. L'éducation doit avoir comme premier but de conduire à l'autonomie personnelle et à une conscience individuelle. Puisque le Québec a décidé d'avoir des écoles linguistiques, aucune institution qui enseigne la religion ne devrait être subventionnée. Les religions doivent cesser de bénéficier de privilèges.

La loi n° 60 doit être le début d'une profonde réflexion philosophique sur les valeurs qui doivent orienter ce que nous voulons que le Québec de demain soit, par exemple être libre, démocrate, pacifique, tolérant, honnête, généreux et respectueux de la nature. Ces vertus pourraient être privilégiées quand viendra le temps de créer une constitution de la république démocratique du Québec et de définir la citoyenneté québécoise. Qui sommes-nous? Dans quel genre de pays voulons-nous vivre? Nous prendrions probablement conscience, à travers ce débat, que les valeurs canadiennes sont loin d'être les mêmes que celles du Québec.

Évidemment, les signes religieux occupent toute la place parce que des pays souffrent encore de l'intolérance des religions, qui donnent naissance à toutes sortes de discriminations et conduisent souvent à des guerres locales. Le Web est une bonne source d'information. Le voile a aussi pris toute la place à cause des médias d'information, qui sont presque tous fédéralistes et se font un vilain plaisir d'appuyer tout ce qui est contre la charte.

On pourrait dire que ce problème ne concerne pas le Québec, mais le passé nous apprend comment les pays européens se sont placés dans une situation intenable, car on n'avait pas compris le fonctionnement de l'invasion religieuse, qui se doit d'être très discrète si on ne veut pas la faire échouer. Il est intéressant de voir comment la natalité et l'immigration furent importantes dans la mise en place de ce problème en Europe. Comment peut-on s'intégrer si on refuse les règles du pays d'accueil? Mais personne, et avec raison, n'est contre l'immigration.

Il serait intéressant que les Québécois soient informés sur ce qui se passe dans le monde quant aux religions. On se rendrait vite compte que les religions ne sont pas que des institutions spirituelles mais des multinationales très riches et qui dominent grâce à leur morale.

L'islam n'est pas une religion mais un pouvoir politique qui kidnappe la religion musulmane. L'islam désire, grâce à la charia, dominer un jour le monde. Ce n'est pas un fait unique dans l'histoire des religions. Les protestants existent parce que la Rome chrétienne abusait des reliques pour étendre son pouvoir et nourrir son portefeuille. Les dieux romains ont avalé les dieux grecs parce qu'ils étaient les conquérants. Chaque fois, ces guerres religieuses ont été très sanglantes.

Les femmes sont toujours des membres inférieurs dans toutes les religions. Bizarre que l'on défende autant les religions quand on connaît leur histoire.

D'ailleurs, je remarque que l'on parle toujours de l'égalité hommes-femmes, alors qu'on devrait parler plutôt d'égalité hommes, femmes et enfants, avec l'UNESCO, car les enfants ont aussi des droits reconnus. Leur protection ne doit-elle pas s'étendre autant à leur cerveau qu'à leur sexe?

Même là, le fédéral nous a imposé la façon de voir en changeant l'âge de consentement de 14 à 16 ans, sans demander la permission au Parlement québécois, voir si on voulait changer notre charte à nous. Personnellement, je trouve insultant que le fédéral et la Cour suprême se mêlent de tout… de ce qui ne les regarde pas. Ce débat sur la laïcité appartient aux Québécois et à eux seuls, c'est eux qui… Si on est vraiment une société distincte, nous devrions avoir, d'ailleurs, notre Cour suprême du Québec.

En fait, le voile est un symbole sexuel plutôt que religieux, car sa fonction est d'éliminer les cheveux qui représentent le pubis féminin afin d'attirer l'oeil mâle. Une pudeur excessive est un dérèglement émotif promu par les religions.

Nous sommes pris dans le débat de l'habillement parce que nous confondons rites et religions, religion et spiritualité. Toutes les religions ont leurs rites, leurs règles pour influencer notre manière de vivre, mais ces rites sont des inventions humaines et non la foi et les règles que Dieu — Allah, Yahvé — nous invite à vivre si on croit dans les religions. D'ailleurs, Dieu ne s'est présenté et nommé qu'une seule fois et il a dit : Je suis.

Par exemple, pour comprendre ce qu'est un rite, on allait en enfer si on touchait l'hostie. Aujourd'hui, nous prenons l'hostie dans la main pour communier. Je n'aimerais pas m'appeler saint Pierre pour départager ceux qui iront au ciel de ceux qui iront en enfer. Avec les religions, on se rend au ciel par un tout petit sentier mais à l'enfer par autoroute. Pourquoi faut-il nécessairement souffrir pour aller au ciel?

Être musulman est une chose; être fidèle à l'islam en est une autre.

Quand je fus reçu chez les musulmans — parce que, pour comprendre mes enfants, j'avais lu deux fois le Coran et je pouvais en toute conscience répondre oui aux questions d'initiation, si on peut dire ça ainsi — on m'a aussi offert de parfaire ma connaissance au Pakistan, car on croyait que la France serait islamique dans 20 ans, et l'Europe, en 30. Ce qui se déroule en Europe se passe aussi dans d'autres pays d'Afrique et d'Asie. Pourquoi serions-nous différents des autres continents? L'islam tient son pouvoir au nombre et doit démontrer sa force par l'apparence du corps ou avec ses martyrs. Presque tous les mouvements d'islamisation sont appuyés par la très riche Arabie Saoudite.

Personnellement, je crois que toutes les religions doivent se vivre en chacun de nous et dans le temple de notre choix. La religion est un choix absolument privé et individuel. L'imposer aux autres directement ou par des symboles, c'est manquer de respect pour les autres individus, qui ne sont pas obligés de croire la même chose. On n'a qu'à se rappeler la force du béret blanc chez les Témoins de Jéhovah pour en saisir la force symbolique.

D'ailleurs, ce n'est pas parce qu'on ne vit pas selon toutes les règles d'une religion que l'on ne fait pas partie de cette religion. Combien sont catholiques et ne fréquentent plus l'église? Où est le droit fondamental de la liberté de conscience?

• (20 h 10) •

Le droit accordé aux religions vient de la peur du communisme. La loi n° 60 s'en prend au prosélytisme passif ou non-verbal religieux et non au droit de vivre sa religion. Éliminer certains rites permettra une meilleure cohésion sociale. On pourra ainsi appeler un sapin de Noël un arbre de Noël et non un arbre de vie.

Qu'arrivera-t-il quand on commencera à revendiquer que Jésus n'est pas Dieu mais un prophète? Où cela s'arrêtera-t-il?

Vouloir priver les autres de leurs croyances parce que celles-ci choquent la sienne, c'est une forme d'irrespect par fanatisme pour une société qui veut respecter toutes les religions. Je ne suis pas plus catholique parce que je porte une croix et je ne suis pas une meilleure musulmane parce que je porte un voile.

La religion comme la sexualité sont strictement du domaine de la vie privée. Les rites religieux doivent être conformes aux lois civiles du pays. Ces dernières doivent avoir préséance sur tous les rites religieux.

Quant à l'urgence d'agir, on n'a qu'à regarder l'espace que le présent débat occupe alors qu'il n'a été provoqué que par quelques demandes d'accommodement raisonnable pour voir ce qui arriverait s'il avait été tenu dans 15 ans. Ça serait le bordel total, car les «de souche» seraient minoritaires et se feraient imposer leur façon de vivre chez eux.

On doit interdire la burqa, à mon sens, et le tchador sur le territoire en tout temps et en tout lieu, pour des raisons de sécurité. Quant à moi, le voile musulman ne me dérange absolument pas. Son interdit doit strictement se limiter à la fonction publique pour bien faire valoir la neutralité religieuse de l'État.

Quant à la barbe, c'est aussi un rite religieux pour certains, mais on doit s'en remettre, comme au voile, à sa symbolique selon les circonstances. Pour certains, la barbe, c'est une obligation religieuse, pour d'autres, une marque de révolution, et, pour les plus jeunes, c'est le père Noël. Il faut donc apprendre la tolérance des interprétations dans l'espace public, pourvu qu'un rite respecte les autres. La seule limite dans la liberté doit être la violence.

Si la charte est acceptée, il faudra à l'avenir que tous les immigrants et immigrantes, avant de venir ici, connaissent exactement là où on se situe dans nos valeurs au Québec. Pour ce qui est de l'application de la charte, il serait sage de définir la tolérance et s'assurer qu'une tolérance temporaire ne devienne pas permanente. Heureusement, en envisageant immédiatement la laïcité de l'État, la séparation de l'Église de l'État, on a encore le temps de pouvoir changer les choses.

Je termine par une petite anecdote. Devant subir une intervention chirurgicale, je pensais plutôt à la charte, un moyen de ne plus penser à mon mal à venir. J'ai demandé à une infirmière ce qu'elle en pensait, car on m'avait dit qu'avec le voile le patient serait protégé pour qu'il ne tombe pas un cheveu sur une blessure d'un malade, ce qui me semble d'une logique absolue, mais cette infirmière m'a fait remarquer qu'en ayant ainsi le même vêtement tout le temps le voile devient une forme de transport en commun pour les virus et les bactéries. Cette image m'a bien fait rigoler.

Finalement, je me demande quel parti politique n'est pas par définition électoraliste. Et, après la dictature des religions, je ne voudrais pas qu'on vive la dictature judiciaire.

Le Président (M. Morin) : M. Simoneau, merci. Vous êtes arrivé pile dans votre 10 minutes. Bravo! M. le ministre.

M. Simoneau (Jean) : J'ai beaucoup travaillé pour...

Le Président (M. Morin) : Je vois, je vois.

M. Drainville : Merci, M. Simoneau. Je vous ai bien entendu dire : Personne n'est contre l'immigration, hein, c'est ça que vous avez dit?

M. Simoneau (Jean) : Oui.

M. Drainville : Bon, très bien. Donc, pour…

M. Simoneau (Jean) : Et même au contraire, je veux dire, c'est une nécessité au Québec.

M. Drainville : Donc, vous êtes favorable à l'immigration.

M. Simoneau (Jean) : Sûrement.

M. Drainville : Très bien. Par ailleurs, vous dites : Le voile musulman ne me dérange pas, ne me dérange absolument pas, et vous ajoutez que l'interdiction du port de signe religieux doit se limiter à la fonction publique. Là, vous voulez dire à l'espace étatique, comme on l'a...

M. Simoneau (Jean) : Exactement.

M. Drainville : ...pour bien faire valoir la neutralité religieuse de l'État. Donc, vous êtes d'accord pour que les gens, une fois qu'ils sont arrivés chez nous, ils puissent pratiquer leur religion, ils puissent afficher ouvertement leurs convictions religieuses, mais vous acceptez, je dirais, le postulat de base du projet de loi n° 60, c'est-à-dire : Si tu travailles pour tes concitoyens dans le service public, là tu dois accepter, par contre, la neutralité religieuse, y compris dans ton apparence. Ça, vous êtes d'accord avec ça.

M. Simoneau (Jean) : C'est ça. Seulement là.

M. Drainville : Seulement là. Très bien.

M. Simoneau (Jean) : Dans l'espace public, ce n'est pas pareil. Sauf que j'ai mis la burqa pour une raison très simple. C'est que, dans le fond, on dit que votre mémoire, il divise, mais ceux qui ont divisé, c'est ceux qui ont commencé à porter des burqas, et tout ça, où nous autres, on n'était pas habitués, et à un moment donné on s'est sentis interpellés pour ça.

Comme je vous ai dit, j'ai été très longtemps... mes enfants sont adoptés puis ils sont musulmans, et je sais que le voile n'est pas... parce que j'ai lu deux fois le Coran. C'est vrai qu'il est écrit aussi en... le Coran est écrit... Tu peux avoir la traduction française et tu peux avoir... Le vrai Coran est toujours écrit en arabe. Je m'excuse, je ne mets pas les doigts dessus, parce que c'est aussi un rite, au niveau de la religion musulmane, que tu ne mets pas les doigts sur l'écrit, parce qu'à ce moment-là tu touches aux paroles du Prophète. Mais ce que je voulais dire, c'est que, le voile, en fait, quand vous arrivez dans la maison chez vous et que vous êtes musulman, la femme a le droit, s'il n'y a pas d'étranger, de ne pas porter le voile. Alors, c'est déjà une chose qui permet de penser qu'une fille qui veut travailler et qui veut absolument son travail pourrait se permettre... Elle ne sera pas exclue de la religion musulmane parce qu'elle n'a pas de voile.

La deuxième des choses : il faut aussi savoir que, jusqu'en 2012, il y a des pays musulmans qui s'appellent la Turquie, la Tunisie et certains pays de l'ex-Union soviétique où il y a des musulmans qui interdisent, jusqu'en 2012, le voile. Là, je ne le sais pas, depuis ce temps-là.

Alors, c'est ça, je veux dire, c'est qu'à un moment donné, pour arriver à ne pas créer de problèmes et de remous dans la société, je pense que demander un petit sacrifice de quelques heures à quelqu'un, c'est effectivement quelque chose qui permettrait une meilleure cohésion au niveau de l'État. C'est un premier pas. Ce n'est pas la fin, c'est le début.

M. Drainville : Mais vous comprenez, M. Simoneau, que le projet de charte ne vise pas ou ne concerne pas qu'une seule religion. Quand on parle de neutralité religieuse, on parle de la neutralité de...

M. Simoneau (Jean) : Il faut se remettre dans le contexte. J'ai écrit ça, je pense, c'était quasiment Noël, dans le temps où on commençait à en débattre vraiment. Et c'étaient des éléments que je trouvais qu'il fallait apporter, parce qu'à mon sens arriver puis dire : Bien, écoute, la fille va perdre sa job parce qu'à un moment donné elle ne porte pas le voile, je regrette, c'est un choix qui est personnel, parce que le Coran ne dit nulle part que tu dois porter le voile. Cependant, si tu es avec l'islam, qui est un mouvement politique qui a kidnappé la religion musulmane, à ce moment-là tu es plus fanatique un peu — je m'excuse, mais c'est ça — et tu le portes. Mais, règle générale…

M. Drainville : L'islamisme, à ce moment-là.

M. Simoneau (Jean) : L'islamisme, là, politique, pas... Parce qu'il y a une différence.

M. Drainville : Il faut faire la différence entre...

M. Simoneau (Jean) : Si les gens faisaient la différence entre les musulmans et l'islam, probablement que personne ne serait choqué nécessairement de voir des voiles ou n'importe quoi. Ça fait partie d'un paysage… d'un changement qui est tout à fait normal, puisqu'on a beaucoup d'immigration.

M. Drainville : Vous voulez dire la différence entre les musulmans et les islamistes?

M. Simoneau (Jean) : C'est ça, c'est ça.

M. Drainville : Parce que les musulmans sont ceux qui pratiquent l'islam, qui ont pour religion l'islam.

M. Simoneau (Jean) : C'est-à-dire que la religion musulmane, la religion, c'est… la religion musulmane est plutôt attachée au Coran… Mais là c'est mon interprétation personnelle, là, je ne suis pas imam. La religion musulmane est rattachée au Coran, tandis que les islamistes comme tels, là, les plus radicaux, sont attachés plutôt à la charia. Et la charia, c'est une loi qu'on a voulu imposer à un moment donné au Canada. Il ne faut pas oublier que la charia dit que tu dois tuer des homosexuels, tu dois couper les mains de ceux qui... Et l'argent le plus... où c'est... J'ai appris ça. C'est qu'à un moment donné, en Angleterre, on avait énormément dans les écoles — des jeunes — des livres qui étaient envoyés dans lesquels on montrait justement comment opérer ces choses-là, et c'était subventionné surtout par l'Arabie saoudite. Donc, à un moment donné, si on veut vivre dans une société, il faut s'arranger pour qu'il n'y ait aucun signe… ou quelque chose ou un endroit où on va arriver puis on va être capables de tous continuer à se parler et avoir confiance en ceux qui sont là, donc l'État.

M. Drainville : O.K., oui.

• (20 h 20) •

M. Simoneau (Jean) : Et l'autre, quand je parlais de la... À un moment donné, on disait : Bien, écoutez, ça ne se peut pas que le gouvernement change la charte des droits, mais la charte des droits, c'est une loi. Le rôle du gouvernement, c'est de faire des lois, et le rôle de la cour, après, c'est de les appliquer. Et la Cour suprême, c'est de voir qu'à un moment donné il n'y a pas de… rien qui se contredit entre une et l'autre.

Et il ne faut pas oublier que… On parle des droits, mais M. Harper, lui, avec sa loi C-10, a passé l'âge du consentement de 16 à 14 ans. Donc, les deux, là-dedans, ils perdent des droits, eux autres. Tu n'as jamais entendu personne crier contre ça.

M. Drainville : Très bien. Merci beaucoup.

Le Président (M. Morin) : M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : M. le Président, M. Simoneau a déposé un mémoire, il a eu l'occasion d'en faire état. Merci pour votre temps, M. Simoneau. Portez-vous bien.

Le Président (M. Morin) : Ça va? Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Écoutez, moi, je ferai de même. Je vous remercie. C'est très clair, votre mémoire.

M. Simoneau (Jean) : C'est peut-être un peu trop dur, mais c'est de même que je le sens.

Mme Roy (Montarville) : Bien, je trouve touchant le fait que vous disiez que vous avez des enfants qui sont musulmans et que vous… De toute évidence, ce que je comprends, c'est que vous avez voulu comprendre la religion. Alors, ça, c'est quelque chose que je trouve très touchant. Et je vous remercie pour votre présentation de ce soir.

Le Président (M. Morin) : M. le député de Blainville.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. M. Simoneau, merci de déposer ce mémoire. Effectivement, il y a certains bouts que j'ai trouvés assez durs, je ne vais pas les répéter ici. Mais je voulais un éclaircissement. Dans votre conclusion, à la dernière page, là, vous nous dites : «Pour ce qui est de l'application de la charte, il serait sage de définir la tolérance et de s'assurer qu'une tolérance temporaire ne devienne pas permanente.» Est-ce que vous faites référence à, j'allais dire, une période d'application, est-ce que vous faites… Parce que…

M. Simoneau (Jean) : C'est que, si on donne, admettons, cinq ans pour être capable d'arriver à l'appliquer, bien il ne faudrait pas que ça devienne 10, puis 15, puis 20. Il faut qu'à un moment donné il y ait une fin à ça. C'est comme lorsqu'on parlait de l'emploi, mettons, parce que tout le monde dit : Bien, écoute, si tu ne voudrais pas enlever ton voile, tu perdrais ton emploi. Je ne pourrais pas voir pourquoi ça ne pourrait pas se faire comme avec un fonctionnaire quand il s'en va puis tu as des changements politiques. Tu changes de job, tu t'en vas à une place où tu n'as pas affaire au public. Ça pourrait être une des solutions.

Dans le fond, moi, la charte, je la vois comme un premier pas vers une tentative d'essayer de se comprendre, tout le monde. Il y a des affaires… Je veux dire, même les musulmans, aller dire à une femme musulmane : Tu n'es pas obligée de porter le voile, elle va t'obstiner, elle va dire : Bien non, parce que leur imam leur dit tous les jours qu'il… pas à tous les jours, mais à toutes les fois qu'ils vont… Alors, c'est d'essayer de trouver un moyen où tout le monde comprend qu'il faut respecter l'autre dans sa limite de qu'est-ce qui est… Tu sais, je veux dire, je ne peux pas voir… Ce n'est pas une religion en particulier, c'est toutes les religions. Et c'est entre autres toutes les religions qui mettent la femme dans un état inférieur.

Et là-dessus, justement, j'ai amené un petit livre que moi, j'ai trouvé vraiment extraordinaire, qui s'appelle Pouvoirs de l'horreur, qui est écrit par une psychanalyste, une psychiatre, et qui parle justement comment le patriarcat a réussi à aliéner les femmes dans leur propre identité. C'est un livre assez extraordinaire à lire.

M. Ratthé : Merci pour les éclaircissements, M. Simoneau. Merci de vous être déplacé. Au revoir.

Le Président (M. Morin) : M. Simoneau, on vous remercie. Bon retour à la maison.

Donc, je lève maintenant la séance, et la commission ajourne ses travaux au mercredi 22 janvier, 9 h 30. Bon retour à la maison, tout le monde. Bonne fin de soirée. Dormez bien et revenez-nous en forme.

(Fin de la séance à 20 h 24)

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