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Commission permanente de la Justice
Projet de loi no 10 Loi de l'aide juridique
Séance du mercredi 10 mai 1972
(Neuf heures quarante minutes)
M. LAMONTAGNE (président de la commission permanente de la
justice): A l'ordre, messieurs!
Comme nous avons plusieurs organismes qui ont manifesté
l'intention de se présenter devant la commission, je suggérerais
aux membres de la commission d'entendre dès à présent Me
Jean Moisan, procureur du Barreau de Québec.
Barreau du Québec
M. MOISAN: M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la
commission, la semaine dernière, vous vous en souvenez, Me Letarte a
exposé dans les grandes lignes l'opinion que le Barreau vous soumettait
sur le bill no 10 qui est la Loi de l'aide juridique.
Je me propose ce matin de prendre la deuxième partie de notre
mémoire qui comporte les amendements que nous suggérons au texte
du projet de loi. Cela commence à la page 12 et se continue aux pages
suivantes de notre mémoire.
Tout de suite à l'article premier, nous avons pensé
à une définition un peu différente du
bénéficiaire de l'aide juridique et pour inclure deux
éléments additionnels qui nous paraissent importants, soit les
groupes de personnes, et pour parler également de la
réciprocité avec les autres provinces ou les autres pays.
Il a été souligné un peu partout que le projet de
loi ne parlait pas des groupes de personnes, de sorte que l'action de groupe,
l'action de classe, ce qu'on appelle en anglais le "class action" se trouvait
apparemment, en tout cas, exclue du bénéfice de la Loi de l'aide
juridique. Alors, nous avons inclus non pas seulement les personnes physiques,
mais les groupes de personnes résidant au Québec, de façon
que ces personnes ou les personnes morales sans but lucratif, que tous ces
organismes, toutes ces personnes puissent recourir collectivement à des
services d'assistance judiciaire, justement pour atteindre l'un des objectifs
que mentionnait M. le député de Maisonneuve, à savoir
faire de l'assistance judiciaire un facteur de relèvement d'un groupe
social donné. A un moment donné, par exemple, un groupe de
locataires qui ont des problèmes communs pourraient entreprendre, pour
régler ce problème-là, une action commune.
Et c'est dans ce sens-là que nous avons pensé inclure les
groupes de personnes. Et je souligne immédiatement que c'est en accord
avec les remarques de Me Letarte de la semaine dernière et d'autres
articles dont nous demandons la modification dans la loi, pour permettre
justement que l'existence des cliniques ou des bureaux d'assistance judiciaire
dans les milieux où ils s'avèrent nécessaires joue
réellement un rôle pour la collectivité qu'ils
desservent.
Et ce rôle-là n'est pas seulement d'éducation, de
prévention mais il est également, je pense, à un certain
moment, d'action collective vis-à-vis des groupes en autorité
comme la municipalité, le gouvernement, certaines commissions, etc.,
pour permettre à ces groupes de corriger des inégalités
qui les concernent collectivement. Maintenant, nous avons également
inclus dans cet article la réciprocité avec les autres provinces
ou autres pays. Il semble bien que cela avait été oublié
dans le...
M. BLANK: Ne pensez-vous pas qu'avec votre définition vous faites
une restriction qui n'est pas dans la définition originale? Après
avoir lu la définition originale au paragraphe a) le mot
"bénéficiaire" et à l'article 2, l'expression "personne
économiquement défavorisée", cela inclut chaque personne
qui se trouve dans la province de Québec même si elle n'est pas
résidante. Mais si un visiteur ou un touriste au Québec a un
problème avec la loi, il a droit à l'assistance judiciaire
suivant la loi.
M. MOISAN: Oui.
M. BLANK: Mais selon votre opinion, vous vous trouvez à
restreindre certains groupes de personnes qui se trouvent devant les tribunaux
à un moment donné soit pour un délit criminel ou autre et
qui n'ont pas droit à un avocat parce qu'ils ne sont pas compris dans la
définition.
M. MOISAN: Excusez-moi, je n'ai pas tout à fait bien compris.
Est-ce que votre remarque porte sur la définition de "personne", de
"groupe" ou de "réciprocité"?
M. BLANK: "Personne". M. PAUL: Sur le domicile. M. MOISAN: Le domicile.
M. BLANK: ... la résidence.
M. MOISAN: Ah bon! Nous croyons que l'on doit agir dans cette
loi-là exactement de la même façon qu'on le fait dans la
Loi du fonds d'indemnisation. Par exemple, s'il y a des ententes ou
réciprocité avec d'autres provinces, on dit exactement le
même texte dans la Loi de l'indemnisation des victimes d'accident
d'automobile. On dit: Si, vous qui résidez en Ontario, qui avez un
accident d'automobile au Québec, vous avez les bénéfices
de notre loi du fonds d'indemnisation si nous avons les mêmes
bénéfices chez vous ou des bénéfices
équivalents chez vous. Alors, c'est uniquement dans ce
sens-là
que nous avons pensé qu'il y avait lieu de prévoir la
réciprocité. Est-ce que ça répond à votre
question?
M. BLANK: Pas exactement. Moi, je trouve qu'au moment où une
personne est ici, sous la juridiction de la province de Québec, elle a
droit à certains privilèges, comme à la protection
policière, et à d'autres droits. A ce moment-là, si elle
se trouve devant les tribunaux, accusée d'un crime, si pour une raison
ou pour une autre elle se trouve dans un état défavorisé,
est-ce qu'elle doit procéder à son procès sans avocat,
sans aide?
M. PAUL: Voici, Me Moisan, d'après le texte de loi qui nous est
proposé, la question de domicile ou de résidence n'entre pas dans
la définition du mot "bénéficiaire".
M. MOISAN: Non.
M. PAUL: Et les remarques du député de Saint-Louis sont
à l'effet que le texte proposé vient restreindre la portée
ou l'application générale de la loi, puisque vous y introduisez
nécessairement la notion de résidence. C'est bien ça, Me
Moisan?
M. BLANK: Oui, d'accord.
M. MOISAN: Je pense que c'est vrai qu'on l'a restreinte dans ce
sens-là.
M. PAUL: Est-ce qu'on pourrait connaître les raisons pour
lesquelles vous avez introduit cette notion de résidence?
M. MOISAN: C'est restreint dans le sens qu'il y a l'entente possible de
réciprocité à la fin du paragraphe. Nous le restreignons
tout simplement dans le sens suivant, c'est que nous ne voulons pas que la
province de Québec donne plus aux visiteurs des autres provinces que les
visiteurs du Québec n'obtiennent dans les autres provinces. C'est
simplement ça.
M. PAUL: Suspposons qu'un marin hongrois ou de n'importe quel
pays; je parle d'un Hongrois, c'est le premier pays qui me vient à
l'idée a des difficultés avec la justice. En vertu de
l'aide juridique, il pourrait recevoir de l'aide, si la définition de a)
est gardée. Si nous adoptions l'article aa), à ce
moment-là, il ne pourrait pas bénéficier de l'aide
juridique, parce qu'il ne serait pas résidant au Québec. Il ne
serait que de passage.
M. MOISAN: Nous ne l'avions pas vu exactement dans ce sens-là, M.
Paul. Nous l'avions vu vis-à-vis d'une réciprocité avec
les autres provinces canadiennes ou certains Etats américains
limitrophes, en somme. Nous avons mentionné les autres pays, parce
qu'à l'article 22n), nous prévoyons que la commission peut faire
des ententes avec les autres provinces et les autres pays pour établir
la réciprocité des services. Enfin, ça couvrait la majeure
partie.
M. CHOQUETTE: M. Moisan, je pense que les questions soulevées par
le député de Saint-Louis et le député de
Maskinongé sont valables, mais je retiens votre suggestion d'inscrire
quelque chose pour permettre au gouvernement de passer des accords
réciproques avec d'autres gouvernements pour offrir des services
identiques ou à peu près similaires à ceux qui sont
offerts à des résidants québécois qui sont en
voyage ou qui ont des droits à faire valoir à
l'étranger.
M. BLANK: Peut-être devrait-il y avoir une distinction pour l'aide
juridique, sous l'aspect civil et l'aspect criminel. Sous l'aspect civil, je
suis d'accord avec vous sur les ententes au sujet des résidants mais
pour ce qui est de l'aspect criminel, une personne qui se trouve devant les
tribunaux a droit, je pense, à ce moment-là, à de
l'aide.
M. MOISAN: II y a peut-être beaucoup plus de distinctions à
faire. J'ai ici à ma droite, Me Filion, qui m'informe que, dans la loi
française, lorsqu'on parle des résidants, ce sont ceux qui
résident en France. Mon confrère de Hull me dit qu'en Ontario,
lorsqu'un individu de l'Ontario est incarcéré dans la province de
Québec, au sens de la Loi ontarienne de l'assistance judiciaire, il
devient résidant de la province de Québec, parce qu'il est en
prison dans la province de Québec. C'est une résidence qu'on peut
souhaiter temporaire, mais c'est une résidence quand même.
M. PAUL: Vous allez admettre que c'est une libéralité
très forte donnée au terme domicile de notre code.
M. MOISAN: Oui, oui.
M. CHOQUETTE: Même résidence.
M. PAUL: Même résidence.
M. MOISAN: II y a peut-être une amélioration à
apporter au texte et une distinction à faire, peut-être entre le
civil et le criminel. De toute façon, nous voulions tout de même
attirer l'attention sur la réciprocité puisqu'on a des
problèmes qui se posent dans ce sens-là.
Dans les autres remarques que j'ai, je pense à l'article 4, dans
lequel on veut étendre l'aide juridique non seulement à un
tribunal judiciaire ou à l'appareil judiciaire strictement dit, mais
aussi à toute juridiction, soit des commissions, soit des juridictions
administratives fédérales provinciales ou même municipales.
D peut être nécessaire à un moment donné que l'aide
juridique puisse s'appliquer dans ces cas-là. C'est le sens de la
modification que nous suggérons devant toute juridiction.
Pour plus de précision, à la page 14, nous avons
mentionné aussi qu'elle devait s'étendre aux actes
d'exécution pour être bien sûr qu'on pourra procéder
à l'exécution du jugement, et je me demande si c'est absolument
nécessaire.
M. HARDY: Comment pouvez-vous m'expli-quer que ce que vous proposez
n'est pas déjà contenu dans le texte? Je viens de regarder
cela.
M. MOISAN: On parle de l'appareil judiciaire.
M. HARDY: Mais l'appareil judiciaire n'inclut-il pas toutes les
instances?
M. MOISAN: Est-ce que cela inclut des représentations ou des
procédures en contestation en matière, par exemple, d'une
régie quelconque? La régie de l'assurance-maladie ou la
régie des services...
M. BLANK: Ces quelques mots vont couvrir ça "et aux services
professionnels d'un avocat." Il n'y a pas de limitation sur le service
professionnel d'un avocat. Je crois bien que vous avez droit à un avocat
ou vous avez besoin d'un avocat. Cela ne limite pas la...
M. PAUL : Pour autant qu'il n'y aura pas d'éventail restrictif
des services.
M. HARDY: Au contraire, dans votre projet d'amendement vous restreignez
quand vous faites une demande spéciale en cas d'appel. Vous êtes
plus limitatif dans votre amendement que le texte original.
M. MOISAN: Voici, le texte de loi mentionnait qu'il y avait
également...
M. HARDY: A un autre endroit?
M. MOISAN: Oui, à l'article 10 du projet de loi: "Devant tout
tribunal, pour toutes procédures contentieuses ou non, elle
s'étend aux actes d'exécution." C'est une condensation à
l'article 4 de ce qui existait à l'article 10. Maintenant, Me
Hardy...
M. HARDY: Oui, mais encore là, je m'excuse, mais l'article 10 ne
demande pas... c'est compris automatiquement tandis que là vous dites
qu'il faut que cela fasse l'objet d'une demande spéciale, tandis
que...
M. MOISAN: C'est une expérience qui a été
vécue dans les bureaux d'assistance judiciaire, en cas d'appel il y
avait une révision du dossier pour autoriser de continuer la cause en
appel devant un tribunal supérieur.
M. HARDY: Est-ce que ce serait juste si je pensais que cette
restriction-là, vous la faites dans l'optique de votre proposition
d'étendre l'aide juridique en dehors de ses cliniques? Vous sentez le
besoin justement d'avoir certaines restrictions parce que des abus pourraient
se poser.
M. MOISAN: Non, ce n'est pas cela, c'est que vous n'ignorez pas que le
mandat d'un procureur se termine avec le jugement de la première
instance.
M. HARDY: C'est exact.
M. MOISAN: II y a cela d'abord qui est un point de vue technique et
juridique mais qui, enfin, est un point de vue et on constate aussi qu'à
la suite du jugement de première instance, de la décision du juge
de première instance, il y a peut-être une foule
d'éléments qui sont apparus à l'enquête, au
procès et qui doivent être réexaminés. L'ensemble
doit être réexaminé pour voir s'il y a maintenant
vraisemblance de droit pour continuer la cause en appel.
M. HARDY: Ou on peut peut-être découvrir après la
première instance que la personne n'est pas éligible à
l'aide juridique.
M. MOISAN: Cela, c'est un autre point de vue et à ce
moment-là le certificat pourrait lui être retiré et elle
pourra aller en appel à ses propres risques et périls si elle le
veut.
Mais, je pense que cette habitude qui a été prise par les
bureaux d'aide juridique nous a paru valable, puisque, après la
décision de première instance, on a un portrait beaucoup plus
complet de la situation et ça permet de la réévaluer et de
déterminer les chances qu'il y a de réussir dans un appel. C'est
simplement pour ça que l'on croit qu'il y a lieu de faire une demande
nouvelle, en cas d'appel.
A l'article 5c), nous avons parlé des déboursés y
compris les frais de signification d'experts et de témoins. La semaine
dernière, je crois que c'est le député de Saint-Louis qui
avait parlé de la question des experts, que ça ne paraissait pas
couvert nulle part. Il en a parlé d'ailleurs à l'occasion de
l'exposé des arpenteurs-géomètres. Nous avons pensé
que les experts, les frais d'expertise devaient être mentionnés
afin qu'ils soient couverts. Maintenant, ça m'amène à
ouvrir une très courte parenthèse sur la question des
arpenteurs-géomètres. Autrefois,
l'arpenteur-géomètre était désigné comme un
expert de la cour, parce que l'action en bornage commençait
véritablement par une action judiciaire. On prenait un bref devant la
cour, le juge désignait un arpenteur et ça devenait un expert de
la cour. Depuis le nouveau code, en 1966, le bornage ne commence pas par une
procédure judiciaire. Il commence par une mise en demeure au voisin de
bien vouloir accepter de borner et de convenir d'un arpenteur. Ce n'est que
plus tard, si ça accroche au niveau du travail de l'arpenteur, qu'on se
rend à la cour. D'ailleurs,
c'est la demande de bornage faite à votre voisin qui devient
introductive d'instance.
Je crois que, jusqu'à ce moment-là, jusqu'à ce que
ça devienne introductif d'instance, l'arpenteur n'est pas un expert, au
sens de la loi, mais ses services sont quand même requis par les parties,
de façon à parvenir à un bornage. Dans ce sens-là,
mon expérience de campagnard m'indique qu'il peut y avoir des
circonstances où les parties ont réellement besoin d'un bornage
et où l'arpenteur ne serait peut-être pas couvert par le mot
"expert" que nous avons ajouté dans notre texte. C'est la seule remarque
que je veux faire là-dessus.
A l'article 6, nous avons tout simplement prévu que les tarifs
des avocats oeuvrant dans le système d'assistance judiciaire je
parle des avocats qui, dans le système que vous proposez, accepteraient
des référés ou des avocats de la pratique privée,
qui recevraient des clients en vertu du système mixte de libre choix que
nous proposons devraient ou pourraient négocier leurs tarifs avec
la Commission de l'assistance judiciaire.
De même que pour les huissiers, les sténographes officiels
et d'autres officiers qui peuvent être appelés à oeuvrer
dans ce système-là.
M. HARDY: Est-ce que je peux me permettre une question? Est-ce que vous
avez mandat, au nom des huissiers, de les représenter à ce
sujet-là?
M. MOISAN : Non. Je ne sais pas s'ils ont un mémoire dans ce
sens-là, mais nous croyons que, puisque nous discutons... Nous n'avons
pas mandat de leur part, mais je pense que si nous nous donnons la peine de
faire refaire le texte...
M. HARDY: C'est à titre d'assistance judiciaire que vous les
représentez ce matin.
M. MOISAN: Non. Je ne prétends pas du tout les
représenter...
M. HARDY: C'est une "class action".
M. MOISAN: ... mais je pense tout de même qu'on doit vous
soumettre un texte, non pas un demi-texte mais un texte complet de l'article
que nous proposons.
M. PAUL: Est-ce que vous avez pressenti l'auguste Chambre des notaires
sur ce point précis?
M. MOISAN: Nos relations avec la Chambre des notaires ne sont pas
très bonnes dans le moment.
M. CHOQUETTE: Alors, on ne peut pas passer...
M. LE PRESIDENT: A l'ordre, s'il vous plait!
M. CHOQUETTE: Me Moisan, est-ce qu'on peut prévoir un article
dans ce projet de loi décrétant la fusion des professions
d'avocat et de notaire?
M. MOISAN: Pas dans ce projet-là.
M. CHOQUETTE: Vous ne le suggérez pas? A moins que ça
aille dans le bill 250.
M. MOISAN: On peut laisser...
M. CHOQUETTE: On pourra le faire dans le bill 250. Justement, le
Solliciteur général est ici et vous savez qu'il porte un
très grand intérêt à ce projet-là.
M. HARDY: Ce sera dans le mémoire sur le bill 251.
M. CHOQUETTE: Ah bon!
M. MOISAN: Nous n'avons pas oeuvré dans ce sens-là, M. le
ministre. Nous laissons les notaires â leur travail et nous nous
demandons en fait si, dans l'assistance judiciaire, ils ont ou ils auront un
rôle tellement important à jouer. Très occasionnellement
à mon avis, mais en tout cas, c'est une autre question. On les a inclus,
je n'ai pas d'objection à cela.
M. CHOQUETTE: Vous êtes sur la glace vive: le président est
notaire.
M. MOISAN: Oui, je comprends mais...
M. PAUL: Le président n'a pas le droit de parler en vertu de nos
lois.
M. LE PRESIDENT: Je peux au moins rappeler à l'ordre les
députés pour permettre à M. Moisan de revenir à
l'article 6.
M. MOISAN: Je connais un peu le travail des notaires et je pense que
c'est très occasionnellement qu'ils ont réellement de
l'assistance judiciaire à faire. Parce qu'habituellement, les
successions qui ne posent aucun problème nulle part, les gens ne vont
même pas chez le notaire pour les régler.
Il peut arriver des renonciations à des successions, par exemple,
qui doivent être par acte notarié. Il y a des choses comme
ça mais je ne crois pas que leur rôle soit
prépondérant en assistance judiciaire.
Vous remarquerez que nous parlons à l'article 6 de la
négociation d'un tarif et, à ce sujet-là, j'attire votre
attention sur l'article 70 qui, dans le projet de loi, prévoyait le
paiement d'un pourcentage d'un tarif établi. Nous ne sommes pas d'avis
que l'on doive recevoir un pourcentage d'un tarif établi. Nous sommes
d'avis que les avocats intéressés dans l'assistance judiciaire
doivent négocier leur tarif et qu'on doit leur payer le tarif
négocié et convenu tout
simplement et non pas un pourcentage de ce tarif-là. En somme,
leurs services valent un certain prix, qui peut être établi par
négociation entre la commission et ces gens-là, et ils seront
payés au tarif et non pas à un pourcentage de 50 p.c. ou 60 p.c.
de ce tarif. Je pense que c'est...
M. LE PRESIDENT: Un instant, s'il vous plaît!
Le député de Maisonneuve.
M. BURNS: Merci, M. le Président.
Me Moisan, je vois dans votre amendement à l'article 6, que vous
mentionnez "par voie de négociation entre la commission et les
représentants de ces personnes." Dans votre esprit, c'est qui ça,
les représentants de ces personnes?
M. MOISAN: Bien, si vous parlez...
M. BURNS: Le problème se pose, entre autres, je veux juste vous
aligner sur ce à quoi je pense, est-ce que c'est le Barreau, par
exemple, ou la Fédération des avocats, ou... pour les avocats,
par exemple?
M. MOISAN: Pour les avocats. M. BURNS: Oui.
M. MOISAN: Si vous parlez uniquement pour les avocats...
M. BURNS: Je parle des avocats en pratique.
M. MOISAN: ... il est sûr que nous ne nous engageons pas à
négocier pour d'autres que pour nous, mais le Barreau du Québec
ne croit pas, à mon point de vue, qu'il doit négocier des tarifs
non plus que des conventions collectives pour certains groupes de ses membres
qui ont un employeur déterminé et qui ont des conditions de
travail à établir. Par exemple, le Barreau n'a jamais
négocié pour les employés de la fonction publique; ils se
sont formé une association pas les employés, les avocats
de la fonction publique et ils discutent de leurs problèmes
collectifs sur le plan économique avec leur employeur. La même
chose pour ceux de la ville de Montréal, et j'imagine que ce sera la
même chose pour le Syndicat des employés du BAJM, qui vont
négocier leurs conditions de travail avec leur employeur. Et ça
va être la même chose, à mon point de vue, pour les avocats
qui s'engageront à temps plein dans l'assistance judiciaire ou pour ceux
qui travailleront à la pièce, soit par référence
suivant le projet de loi, soit suivant le libre choix, suivant notre
proposition. En somme, il y aura un syndicat ou une association de ces
gens-là qui ont un intérêt économique à
discuter avec un employeur qui est la commission de l'aide juridique et ils
conclueront la convention qu'ils doivent ou peuvent conclure dans ce
cadre-là.
Je ne pense pas que le Barreau doive agir comme tel, puisque ce ne sont
pas tous les avocats nécessairement qui sont intéressés
à cette question-là, ce sont les avocats en question qui devront
s'organiser pour représenter leurs intérêts communs
vis-à-vis de l'employeur qui est la commission.
C'est exactement comme cela que je le vois.
M. LE PRESIDENT: Le député de Terrebonne.
M. HARDY: Est-ce que votre opposition à ce que les avocats de
l'assistance judiciaire soient payés à l'acte ou ne soient pas
payés en vertu d'un pourcentage du tarif, s'inspire du principe que les
bénéficiaires de l'assistance judiciaire soient sur un pied
d'égalité avec les autres? Parce que nous pourrions
peut-être conclure c'est la raison pour laquelle je pose la
question que si j'ai recours à l'assistance judiciaire, mon
avocat n'est payé qu'à un pourcentage de ce qu'il est payé
quand il travaille pour une autre personne. Nous pouvons peut-être
conclure que les services qu'il me rend sont moindres. Est-ce en vertu de ce
principe?
M. MOISAN: C'est une des composantes de notre raisonnement sur la
question. L'autre est celle-ci: Pourquoi ferait-on un tarif qui
représenterait théoriquement 100 p.c. de la valeur du service
rendu et que l'on dirait à l'avocat: Puisque c'est de l'assistance
judiciaire, vous ne recevrez que 60 p.c. Cela nous parait illogique. En somme,
c'est un genre de services qui serait tarifié et on va dire: Cela vaut
tant.
M. HARDY: De deux choses, l'une: Ou vous donnez à
l'assisté un travail égal à celui que vous donnez à
l'autre qui vous paie...
M. MOISAN: C'est cela.
M. HARDY: ... ou vous lui en donnez seulement les trois quarts.
M. MOISAN: Vous lui donnez 60 p.c.
M. HARDY: Oui, si vous lui donnez le travail égal,
évidemment, il n'y a pas de raison pour laquelle vous ne seriez pas
payé au même titre. Je pense qu'il y aurait peut-être dans
l'esprit de l'assisté un doute, à savoir si les services que je
reçois sont aussi bons puisque mon avocat est payé suivant un
pourcentage.
M. MOISAN: Oui, et surtout si c'est dans le texte de la loi
elle-même. A ce moment-là, on semble consacrer le principe que les
services auxquels a droit l'assisté ont une valeur de 60 p.c. des
services auxquels les autres ont droit.
M. CHOQUETTE: Je ne pense pas que ce soit cela réellement, M.
Moisan.
M. MOISAN: Cela peut ressembler à ça.
M. CHOQUETTE: On peut dire que cela ressemble à ça. Je
suis tout à fait disposé à écouter les arguments du
Barreau mais il faudrait qu'on comprenne que, de notre côté, cela
n'est pas une question de mesquinerie qu'il y ait un aspect pécuniaire
et de disponibilité. Et j'attire l'attention sur le fait qu'à
l'heure actuelle, ou du moins au moment où nous avions des accords avec
le Barreau, que le tarif était établi à 60 p.c. et ceci
avec le consentement du Barreau. Evidemment, à l'heure actuelle, le
Barreau a mis un terme à ces accords pour certaines raisons je
n'entrerai pas dans les motifs mais le Barreau a terminé les
accords pour cette année. Mais l'année dernière, le
système de 60 p.c. était agréé et accepté
par le Barreau et vous n'allez pas me dire que les services que les avocats
rendaient étaient des services de qualité inférieure
à ceux qui avaient droit à l'assistance judiciaire.
M. MOISAN: Je ne prétends pas cela du tout.
M. CHOQUETTE: Je sais bien que vous ne le prétendez pas. Nous
prenons, en somme, en considération le fait que vous dites qu'on devrait
permettre la négociation collective des tarifs avec les
fédérations d'avocats ou les groupes d'avocats qui voudront
accepter d'entrer dans le système de l'assistance judiciaire. Je vous
demande de tenir compte du fait que l'Etat n'a pas de disponibilités
illimitées dans l'état actuel des choses et qu'il faut quand
même prendre en considération le contribuable
québécois.
M. LE PRESIDENT: Le député de Maskinongé.
M. PAUL: M. le Président, je crois que Me Moisan a soulevé
un problème qui présente deux facettes. Je pense bien que
personne ne met de côté qu'à l'assurance-maladie ce
paiement de pourcentage n'existe pas. En second lieu, lorsque l'honorable
ministre de la Justice se réfère à l'entente qui existait
entre le Barreau et le ministère de la Justice, jusqu'au 31 mars
dernier, c'est que le pourcentage n'était pas connu de la part des
assistés sociaux et n'était pas arrêté dans un texte
de loi. Et c'est sur ce point-là, je crois, que Me Moisan a surtout
insisté. C'est le fait qu'on consacrera dans un texte de loi un
pourcentage.
A ce moment-là, l'assisté ou le bénéficiaire
de l'aide juridique pourrait avoir l'impression qu'il ne
bénéficierait que de 60 p.c. du rendement possible d'un avocat.
Je pense que ce sont là deux points...
M. MOISAN: II y a une possibilité que, dans les
règlements, ce tarif qui est négocié ne soit applicable
que graduellement par les règlements de l'assistance judiciaire. Ce sont
des accommodements possibles mais c'est au niveau de la loi que nous n'aimons
pas que ce soit...
M. CHOQUETTE: Alors, ce que vous soumettez, M. Moisan, si je me permets
de résumer votre pensée, c'est qu'on pourra trouver des formules
pratiques sur le plan de l'établissement du tarif.
M. MOISAN: Nous ne sommes pas réfractai-res à ça et
nous croyons qu'il y a certainement des problèmes de budget; d'ailleurs,
nous y reviendrons tantôt, j'ai des choses à vous soumettre
là-dessus, mais, à ce niveau-ci, nous croyons que, pour le tarif,
il y a un principe auquel...
M. PAUL: C'est ça.
M. MOISAN: ... nous croyons, c'est que le tarif devra être
négocié, devra faire l'objet de négociation et non pas
d'imposition avant ou après consultation ou sans consultation. On devra,
je pense, consulter les groupes intéressés, négocier avec
les groupes intéressés pour établir un tarif de base,
quitte à faire accepter, à un moment donné, suivant les
problèmes budgétaires, qu'il y aura, au niveau des
règlements, un pourcentage moindre et qui pourra être
augmenté par la suite au fur et à mesure que les
disponibilités le permettront. Ce sont des accommodements possibles.
C'est dans la loi qu'on ne veut pas le voir.
M. LE PRESIDENT: Le député de Maskinongé.
M.PAUL: M. le Président, le député de Terrebonne
vient de me signaler une idée qui, je crois, est excellente.
M. HARDY: Nous allons encore être d'accord ce matin!
M.PAUL: Attendez! Le député de Terrebonne signale qu'il
vaudrait peut-être mieux que le tarif soit moindre, accepté de
part et d'autre, mais qu'il ne soit pas divisé ou réduit à
60 p.c, au pis-aller.
M. HARDY: Pour ajouter à ce que dit le député de
Maskinongé, je me demande, justement, en tenant compte de ce que le
ministre de la Justice a dit tantôt, des disponibilités
limitées du gouvernement, si les membres du Barreau ne pourraient pas,
eux aussi, dans cet esprit, faire leur effort pour aider la collectivité
québécoise en acceptant le tarif réduit. A ce
moment-là, les assistés, encore une fois, n'auront pas
l'impression de faire partie d'une classe défavorisée. En tant
que membre du Barreau, je trouverais normal que les avocats fassent leur part
pour aider la collectivité québécoise dans ce domaine.
M. MOISAN: On est bien habitué à faire des efforts dans ce
domaine.
M. HARDY: Là-dessus, vous ouvrez une porte... vous savez, j'ai
des idées bien arrêtées sur la conscience sociale du
Barreau dans le passé. Il ne faudrait peut-être pas ouvrir cette
porte.
M. MOISAN: Je serais prêt à l'ouvrir et à en
discuter.
M. CHOQUETTE: Cela nous entraînerait trop loin.
M. LE PRESIDENT: Pour fermer la porte, nous allons revenir à
l'article 6.
M. MOISAN: Sur l'article 6, ce sont là toutes mes remarques. Je
ne sais pas si vous avez d'autres questions à poser. A l'article 8, ce
sont des améliorations simplement. L'article 9.
M. FOURNIER: Un instant, à l'article 8, vous demandez que les
dépens adjugés contre le bénéficiaire soient
payés. Est-ce que cela devient de l'aide en vertu de l'article 2? En
vertu de l'article 2, on dit: Aider une personne à avoir accès
devant les tribunaux. C'est après que tout est fini que vous voulez
que...
M. BURNS: Mais c'est dans le cas de l'impossibilité
d'exécution qu'il demande ça.
M. FOURNIER: Mais c'est pour le bénéfice de...
M. BURNS: Je comprends la remarque du Barreau là-dessus et je ne
la trouve pas bête du tout. C'est qu'il dit: Pourquoi imposer, en somme,
par le biais de l'assistance judiciaire, un fardeau à celui qui n'est
pas défavorisé?
M. MOISAN: Simplement ça.
M. BURNS: II y a quand même des gens qui se sont prononcés
sur la valeur du droit à l'origine; s'ils se sont trompés je
pense bien que ce n'est pas au non-indigent à subir ça.
M. FOURNIER: Mais d'un autre côté...
M. BURNS: Je trouve que ce n'est pas bête comme suggestion, dans
le cas de preuve d'un non-indigent.
M. FOURNIER: Est-ce qu'à ce moment-là ça ne devrait
pas venir d'un autre ministère et non pas du ministère de la
Justice? C'est une aide sociale qui devrait venir.
M. BURNS: Bien que cela vienne d'ailleurs...
M. CHOQUETTE: Nous pouvons prendre en considération la suggestion
du Barreau sur ce point et en analyser les implications.
M. MOISAN: L'article 9 prévoyait une forme de compensation pour
les frais des jugements interlocutoires. Je pense que c'est une sorte d'erreur
de procéder de cette façon puisque les dépens
évidemment appartiennent à l'avocat de la partie qu'il
représente.
On ne peut pas compenser les dépens au niveau de l'assistance
juridique puisque c'est l'avocat de la partie non indigente qui verra à
compenser certains dépens avec l'avocat de la partie indigente. Alors,
par exemple, si l'indigent prend une mesure interlocutoire et perd son
interlocutoire, il y a des frais d'acquis au procureur de la partie adverse et
ces frais-là lui sont dus quel que soit le jugement final. On ne peut
pas effectuer, au moment du jugement final, une compensation de ce
genre-là. C'est simplement ce sur quoi nous avons voulu attirer
l'attention.
M. CHOQUETTE: Est-ce que, d'après vous, les avocats exigent le
paiement de leurs honoraires sur des incidents alors que le procès est
en marche? Est-ce que la coutume n'est pas, même si on a droit à
une distraction de frais sur un incident, d'attendre l'issue définitive
de la cause, en général?
M. MOISAN: En général, c'est ce qui arrive. C'est toujours
ce qui arrive.
M. CHOQUETTE: Les avocats, disons donc, les plus...
M. BLANK: Les avocats avec un bureau. M. CHOQUETTE: Oui, avec un
bureau...
M. MOISAN: Simplement, ce que nous avons voulu dire est que ce n'est pas
exact qu'il peut y avoir compensation. Il ne peut pas, il ne doit pas y avoir
compensation. Quant au moment du paiement, c'est une autre question. Le moment
du paiement est à la fin. Je suis d'accord avec vous, M. le ministre,
qu'on ne l'exige jamais en cours de route. C'est à la fin, lorsque tout
se règle; à ce moment-là, les frais des interlocutoires
sont pris en considération. Je n'ai pas d'objection à ce qu'on
dise que le paiement sera fait à la fin de la cause mais je pense que
ça peut être mis dans les règlements. Les règlements
peuvent prévoir ça tout simplement.
Alors je passe à l'article 12, la composition de la commission.
Il y a deux personnes, non pas des personnes physiques mais des titres, des
personnes morales auxquelles nous nous opposons. Encore une fois, ce n'est pas
par animosité personnelle mais simplement par principe, soit le
sous-ministre de la Justice et le sous-ministre des Affaires sociales. Je pense
que les dangers de conflits d'intérêts sont illustrés dans
les exemples que nous donnons à droite de la page.
M. CHOQUETTE: M. Moisan, je reconnais, en somme, qu'il y a un
problème là. Nous y
avons réfléchi depuis que des objections nous ont
été faites sur cette, disons donc, liaison trop étroite
avec le ministère de la Justice ou le ministère des Affaires
sociales. Il sera possible peut-être de présenter une solution
mitoyenne en vertu de laquelle, tout en assurant une présence
gouvernementale au sein de la commission, les sous-ministres en question soit
de la Justice et des Affaires sociales n'auraient pas droit de vote sur un
certain nombre de questions, par exemple, la reconnaissance du droit à
l'assistance judiciaire ou à l'aide juridique dans certains cas ou en
somme qu'ils devraient se retirer des délibérations, s'il y a
conflit entre le gouvernement et s'il y a des procédures qui
intéressent le gouvernement et qui sont prises contre des
bénéficiaires de l'aide juridique. Nous étudions donc une
solution de ce genre-là. Je pense que vous comprendrez que, tout en
voulant donner à la Commission des services juridiques une autonomie
extrêmement large par rapport au gouvernement, malgré tout, ce
sont des fonds gouvernementaux qui seront administrés par cette
commission. Par conséquent, une présence gouvernementale pour
surveiller la bonne administration n'est pas superflue.
M. PAUL: Est-ce que vous voulez dire sans voix
délibérante?
M. CHOQUETTE: Possiblement sans voix délibérante. Il y a
plusieurs solutions.
M. PAUL: II deviendrait un observateur.
M. CHOQUETTE: II pourrait être un observateur.
M. LE PRESIDENT: Le député de Terrebonne.
M. HARDY: Que diriez-vous si à la place des représentants
de l'exécutif c'étaient des représentants du pouvoir
législatif qui siégeaient sur cette commission?
M. MOISAN: De l'Assemblée nationale?
M. PAUL: Par exemple, l'avocat Drolet de Portneuf.
M. HARDY: Ce sont les législateurs qui votent les budgets, donc
qui voteraient le montant qui serait... En d'autres termes je vous pose la
question sur le plan des principes, évidemment en dehors des
personnalités. Est-ce que vos objections seraient moins fortes si
c'étaient des membres du pouvoir législatif qui siégeaient
là?
Evidemment quand je parle des membres du pouvoir législatif,
j'embrasse l'ensemble de la Législature.
M. PAUL: Ou encore...
M. BURNS: Dieu nous en garde!
M. PAUL: ...le délégué ou le représentant du
Protecteur du citoyen.
M. HARDY: C'est-à-dire que le ministre a soulevé un point
réel, c'est le point du "no taxation without representation". On
subventionne ces gens-là et c'est normal que quelqu'un, soit du pouvoir
exécutif ou du pouvoir législatif, mais quelqu'un qui a une
responsabilité quelconque en fonction des deniers publics, ait un droit
de regard. Je pense justement et je me permets cette petite
parenthèse-là, que de plus en plus on exagère
peut-être. De plus en plus il y a des parties, il y a des parcelles
importantes du budget de la province sur lesquelles l'Assemblée
nationale ou même le gouvernement a plus ou moins de contrôle. On
remet cela à des organismes quasi autonomes, on vote ces budgets et une
fois qu'on les a votés on n'a plus droit de regard. Je pense que le
ministre pose un problème réel. Maintenant, que ce soit par voix
délibérante ou que ce soient des gens de l'exécutif ou des
représentants, je ne sais pas, mais il s'agirait de trouver une formule.
Je pense que ce qu'on devrait chercher tous ensemble, c'est trouver une formule
qui d'une part respecte une certaine autonomie, une autonomie
désirée tout en respectant aussi le grand principe fondamental
que les élus du peuple doivent avoir un droit de regard sur la
façon dont les deniers publics sont dépensés.
M. MOISAN: C'est cela, c'est au niveau des principes et effectivement
vou,s avez tout de même le contrôle sur le budget de l'année
suivante.
UNE VOIX: Ah, mon Dieu!
M. MOISAN: C'est peut-être un contrôle illusoire, je ne sais
pas.
UNE VOIX: Cela fait longtemps qu'on ne se fait pas d'illusion.
M. HARDY: Me Moisan, sans vouloir ouvrir des plaies, c'est à peu
près le même contrôle que les syndiqués à la
base ont sur leurs représentants à la tête.
M. LE PRESIDENT: A l'ordre, s'il vous plaît !
M. MOISAN: Je ne connais pas ce domaine.
M. CHOQUETTE: Le député de Terrebonne est très
agressif ce matin, d'après ce que je vois, M. le Président.
M. HARDY: C'est comme les simples membres du Barreau sur leur conseil
général.
M. MOISAN: Si vous aviez vu le congrès d'il y a un mois, vous
auriez vu qu'ils ont tout de même une certaine importance,
peut-être pas de contrôle mais une certaine importance.
M.HARDY: Je reconnais que depuis une couple d'années cela se
démocratise un peu.
M. MOISAN: Merci, monsieur. Si vous étiez présent à
nos congrès, M. le député, cela serait encore plus
démocratique, connaissant votre esprit.
M. BURNS: M. le Président, vous êtes toujours à
l'article 12.
M. MOISAN: A l'article 12, oui. Nous avons prévu que le
vice-président devrait également être un avocat et ce pour
une raison pratique, c'est qu'il va, en l'absence du président, entendre
un certain nombre d'appels. Par exemple, si une personne se voit refuser l'aide
juridique par la corporation locale, nous avons prévu, nous, un droit
d'appel à la commission et si le président est absent pour une
raison ou pour une autre c'est le vice-président qui siégera
à ce moment-là et qui entendra l'appel. Nous croyons qu'à
ce moment-là il doit être un avocat qui a une certaine
expérience de la pratique du droit pour permettre une audition normale
et permettre de rendre justice à ces gens-là. Effectivement, en
toute absence du président, il va le remplacer.
M. CHOQUETTE: M. Moisan, au paragraphe b) de l'article 12 vous
mentionnez une annexe A de la présente loi et lorsqu'on examine la fin
de votre projet, on ne trouve pas cette annexe.
M. MOISAN: Au moment où nous avons préparé le
mémoire, nous étions dans la situation suivante: nous nous
posions des questions sur ceux qui s'intéressaient à l'aide
juridique et nous allons le voir par les autres mémoires qui sont
présentés ici. Est-ce qu'il faudrait inclure des
représentants de la Chambre des notaires? Est-ce qu'il faudrait inclure
d'autres organismes, corps intermédiaires et tout cela? Nous n'avions
pas d'idée complète et totale de la situation mais...
Il semblait à ce moment-là que seul le Barreau,
peut-être l'association des avocats ou quelques autres,
s'intéressait à la question mais c'est une annexe que nous
pouvons...
M. CHOQUETTE: Pour poursuivre votre pensée, M. Moisan, j'aurais
cru qu'un projet de loi comme celui-ci aurait intéressé les
grandes centrales ouvrières. Or nous n'avons aucun mémoire des
grandes centrales ouvrières. Il semble qu'elles ne s'intéressent
pas à l'aide juridique.
M. HARDY: Elles sont tellement bien représentées par le
député de Maisonneuve.
M. BURNS: Merci.
M. LE PRESIDENT: Le député de Maisonneuve.
M. BURNS: M. Moisan, est-ce qu'il y a une raison particulière qui
vous a fait opter pour deux formules différentes, à a) et
à b)? Dans le cas de a), vous dites: Sur recommandation du Barreau et
dans le cas de b), vous dites: Après consultation de ces groupes. Est-ce
qu'il y a une raison particulière?
M. MOISAN: II peut y avoir 20 ou 25 groupes pour choisir une douzaine de
personnes. Est-ce qu'on doit exiger la recommandation de chacun de ces groupes
ou la consultation des groupes et choisir parmi les représentants qu'ils
suggèrent?
M. BURNS: Dans le cas des nominations des juges, par exemple, cela a
toujours été avec consultation auprès du Barreau et non
pas... Même si ce n'est pas écrit; je pense même que c'est
maintenant écrit.
M. CHOQUETTE: Ce n'est pas écrit.
M. BURNS: Ce n'est pas écrit. Mais en pratique, ça se
fait; il y a toujours eu une consultation qui se faisait.
M. MOISAN: Oui. Ce qui n'est pas toujours suivi, mais en tout cas, il y
a eu une consultation.
M. CHOQUETTE: M. Moisan, je pense que vous devriez retirer ce que vous
venez de dire là. En toutes circonstances, les nominations de juges ont
été faites après consultation avec le Barreau.
M. MOISAN: Après consultation, je pense que c'est exact. Mais je
n'ai pas dit que le Barreau n'était pas toujours consulté. J'ai
dit que la consultation n'équivalait pas à une
recommandation.
M. CHOQUETTE: Non.
M. MOISAN: Ce n'était pas une recommandation.
M. PAUL: Lorsque j'étais ministre de la Justice, j'ai
procédé de la même façon...
M. MOISAN: Je suis d'accord avec vous.
M. PAUL: ...et plusieurs membres consultés regrettaient de ne pas
être en cause dans cette consultation.
M. MOISAN: Sur cette liste dont il est question, nous avons, dans notre
mémoire, mentionné que plusieurs autres organismes,
comme les écoles de droit, les centrales syndicales, les
organisations de bien-être social, les associations de personnes
spécialisées en administration et gestion pourraient faire partie
de cela. Nous n'excluons personne, mais nous n'avons pas donné de liste
actuellement, préférant voir d'abord ceux qui manifestent un
intérêt pratique à la question. La liste peut facilement
vous être fournie, M. le ministre, à assez brève
échéance, surtout après les auditions qu'il y aura
aujourd'hui.
M. CHOQUETTE: En vertu de votre article 12 a), est-ce que vous voulez
proposer que le gouvernement soit lié à votre recommandation?
M. MOISAN: Oui.
M. CHOQUETTE: Vous ne trouvez pas que c'est en demander beaucoup?
Après tout, que ce soit le Barreau qui impose au gouvernement le
président et le vice-président, qui sont les deux seules
personnes permanentes de cet organisme, je trouve que c'est franchement
dépasser la mesure.
L'aide juridique n'intéresse pas que les avocats. Elle
intéresse le gouvernement, elle intéresse le Parlement, elle
intéresse tout les gens préoccupés de l'administration de
la justice. Je suis tout à fait disposé à de larges
consultations avec le Barreau et les autres groupes qui s'intéressent
à la question, mais je ne vois pas comment on peut astreindre le
gouvernement à des recommandations précises venant d'un organisme
professionnel.
M. MOISAN: M. le ministre, nous n'avons pas dit que nous recommandions
deux personnes. Nous disons au début du mémoire, à la page
9, dans le haut à gauche: A même une liste. Enfin, cette liste
peut comprendre cinq, huit, dix personnes.
M. CHOQUETTE: M. Moisan, je pense qu'il y a une équivoque. Il ne
faudrait quand même pas déplacer le siège du pouvoir. Qui
est élu au Québec actuellement? C'est le gouvernement actuel, ce
n'est pas le Barreau qui est élu.
M. MOISAN: Non.
M. CHOQUETTE: Je pense qu'il va falloir le reconnaître une fois
pour toutes. Cela ne me parait pas déborder les prérogatives du
gouvernement que de dire que c'est lui qui va nommer et désigner,
après certaines consultations, les personnes qui auront la
responsabilité d'administrer des fonds publics. Je pense qu'on a
répandu, à l'intérieur du Barreau, un philosophie inexacte
des fonctions gouvernementales, à l'heure actuelle. Je ne comprends pas
que des gens qui ont l'esprit aussi clair que les membres du Barreau se
laissent emporter par cette façon de voir les choses. Je fais
l'observation, parce que le discours prononcé par le bâtonnier
Jasmin était basé sur cette conception.
Après tout, qui est élu pour gouverner? Ce sont d'abord
les parlementaires et c'est le parti majoritaire qui occupe la fonction
exécutive.
Nous sommes et je le répète prêts
à assurer une participation très complète du Barreau dans
le domaine de l'aide juridique et de l'assistance judiciaire et je
dirais même qu'un système d'aide juridique et d'assistance
judiciaire ne peut pas fonctionner sans la collaboration du Barreau mais
il ne faudrait quand même pas prendre notre place.
M. BURNS: II ne faut pas non plus exagérer le rôle du
Barreau là-dedans. C'est d'abord fait pour les indigents
d'ailleurs le Barreau le mentionne dans son mémoire c'est d'abord
fait pour les personnes défavorisées, non pas pour les avocats.
Je pense qu'il ne faut pas exagérer non plus le rôle du Barreau
à l'intérieur, je suis bien d'accord avec le ministre
là-dessus.
M. CHOQUETTE: La justice n'est pas non plus une question qui appartient
exclusivement au gouvernement, exclusivement au Barreau ou exclusivement
à aucun groupe social. C'est une fonction de la société
dans laquelle chacun doit avoir sa place et s'acquitter de ses
responsabilités. Je suis parfaitement d'accord sur ce que vient de dire
le député de Maisonneuve.
M. HARDY: Ce n'est pas seulement la question de...
M. LE PRESIDENT: Le député de Maskinongé.
M. PAUL: M. le Président, à tort ou à raison,
je dépolitilise complètement le problème le
Barreau reproche au gouvernement actuel de faire des tentatives d'intrusion
dans le domaine judiciaire. Est-ce qu'il serait plus recommandable qu'il y ait
intrusion du Barreau dans le domaine exécutif ou législatif?
Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, pour rejoindre l'idée du Barreau et le
point de vue logique exprimé par le ministre de la Justice, de
considérer peut-être ces nominations pas l'Assemblée
nationale? Je ne considère pas toutes les implications pour le moment,
comme ce fut le cas pour la nomination du Protecteur du citoyen et du
vérificateur général de la province. Nous avons deux
précédents dans notre législation, dans nos lois, et
peut-être que nous pourrions rejoindre à ce moment-là et
l'idée du Barreau et le principe que vient d'exposer le ministre. Mais,
personnellement, je ne souscris pas aux propos du Barreau lorsque la nomination
par le lieutenant-gouverneur devrait être parmi une liste de personnes
désignées ou recommandées par le Barreau. Je regrette de
me dissocier de l'ordre à ce moment-ci sur le point-là.
M. MOISAN: C'est un point de vue. Ce que nous recherchons, M. le
député, M. le ministre, c'est une indépendance de cette
commission. Nous ne voulons pas qu'elle devienne politisée, qu'elle
devienne le champ d'action de créatures politiques, simplement. Sans
vouloir imputer de motifs à qui que ce soit, les gouvernements se
renouvellent, changent, et on peut se rétrouver un jour devant une
situation qui serait celle-là, et c'est tout simplement ce que nous
craignons.
M. CHOQUETTE: Le député de Maskinongé a
déjà fait, en d'autres occasions, des suggestions semblables. Je
me rappelle justement, à l'occasion de la loi de la Commission de
contrôle des permis d'alcool, que le député de
Maskinongé avait fait une suggestion analogue. Je suis prêt
à la considérer dans le cas actuel. Je trouve que, si elle a une
application, elle a réellement une application dans le cas actuel parce
que, comme je l'ai reconnu, la Commission des services juridiques doit avoir
une large indépendance par rapport au pouvoir exécutif. Je suis
prêt, en somme, à la considérer à son mérite
et, si c'est possible d'y donner suite, nous y donnerons suite.
M. LE PRESIDENT: Le député de Terrebonne.
M. HARDY: M. le Président, je regrette, mais il y a une
affirmation de Me Moisan qui vient d'être faite, que je ne peux pas
laisser passer. Je suis obligé de m'inscrire en faux parce qu'elle
découle d'une notion absolument condamnable de la politique en
général et du pouvoir souverain, du pouvoir politique, notion,
malheureusement, qui, dans notre province, est trop répandue. Mais
chaque fois que l'on envisage le rôle du pouvoir politique, ç'a
été le cas quand il a été question de la
création du ministère de l'Education, c'est le cas quand on parle
de la nomination des juges, on fait constamment la confusion entre ce qu'est le
pouvoir politique et la politicaillerie ou la partisanerie.
Je vous avoue franchement que je suis non seulement déçu
mais un peu scandalisé et je me pose des questions qu'un
groupe comme le Barreau ne soit pas capable de faire la distinction entre ce
qu'est le Pouvoir politique, avec un grand P, et les servitudes qui peuvent
exister. Mais ce n'est pas parce que, exceptionnellement, il peut y avoir des
lacunes dans le pouvoir politique, comme dans le Barreau, comme n'importe
où, que l'on doit transgresser des principes fondamentaux comme ceux
rappelés par le ministre de la Justice tantôt.
Ce vers quoi on doit tendre, et je pense que les avocats devraient y
travailler, c'est d'essayer de faire en sorte que le pouvoir politique se
dégage le plus possible des servitudes de la. politicaillerie ou de la
partisanerie. Mais ce n'est pas en reniant le pouvoir souverain, le pouvoir
démocratique, ce n'est pas en le déniant de ses
prérogatives que l'on va corriger la situation, je ne le pense pas.
Alors, au lieu de dire: II ne faut pas laisser trop de pouvoirs, il faut
morceller le pouvoir politique parce qu'il y a des possibilités d'abus;
il faut plutôt travailler à corriger les abus. Je le reconnais, il
y en a eu dans le passé, il y en a peut-être encore et il y en
aura parce que le pouvoir politique est composé d'êtres humains.
Mais encore une fois, je pense qu'il est peut-être temps, dans le
contexte dans lequel on vit, de cesser de tout confondre et de clarifier un peu
les situations. On est témoin ces jours-ci de toutes sortes
d'aberrations et on confond le pouvoir exécutif et le pouvoir
judiciaire; si tout le monde contribue à confondre ça, on
n'arrivera pas à clarifier la situation.
M. CHOQUETTE: Je trouve que le député de Terrebonne a tout
à fait raison quand il met, en terminant son exposé, le doigt sur
certaines aberrations exprimées actuellement sur la confusion entre le
pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
M. LE PRESIDENT: Nous saluons l'arrivée du député
des Iles-de-la-Madeleine.
M. MOISAN: Je ne puis pas être en désaccord sur ce
qu'expriment le ministre et le député de Terrebonne; je suis
d'accord avec eux. Ce que nous voulons, c'est préserver justement
l'intégrité du pouvoir politique, de ne pas l'embarquer dans une
situation où on pourrait prétendre qu'il contrôle par les
nominations et par différents moyens cette commission-là comme
d'autres commissions.
Je n'ai aucune objection à la proposition du député
de Maskinongé qui parle d'une nomination par l'Assemblée
nationale. Je pense qu'à ce moment-là on revient dans un domaine
où c'est plus serein et un domaine où il n'y a pas de
possibilité que les gens prétendent qu'il y a manigance,
confusion, ainsi de suite. A ce moment-là, je me sens assez d'accord sur
cette proposition.
Et c'est dans le but simplement... ce que nous recherchons est bien plus
positif que ce qu'on nous impute actuellement. Ce que nous recherchons est de
fournir à cette commission les moyens d'être largement autonome
je comprends qu'il y a des problèmes budgétaires aussi
dans son action pratique et que la justice soit faite mais qu'il
paraisse qu'elle est faite. Il faudrait qu'elle ait toute l'apparence aussi
qu'elle est rendue aux indigents et qu'ils ne sentent pas à un moment
donné qu'il peut y avoir des manoeuvres quelconques au sein de la
commission.
C'est uniquement dans ce sens-là. Je comprends qu'on rapproche
notre suggestion d'événements qui ont cours ces jours-ci pour en
faire un faisceau d'arguments mais ce n'est pas dans ce sens-là que nous
l'avons rédigé et c'est simplement pour préserver...
M. LE PRESIDENT: Le député de Maskinongé.
M. PAUL: Me Moisan, est-ce que vous admettez que, de prime abord, si le
gouvernement était lié par des recommandations du Barreau, le
justiciable en général au Québec pourrait y voir une
intrusion du Barreau dans le domaine exécutif ou législatif. Je
ne dis pas que c'est l'intention du Barreau, absolument pas.
M. MOISAN: Absolument pas. D'ailleurs, écoutez, si on regarde le
reste du mémoire, vous voyez que le Barreau et même les avocats
ont un rôle minoritaire dans toute l'affaire et vous ne voyez nulle part,
dans nos recommandations, un rôle majoritaire joué par le Barreau,
ni au niveau des corporations locales, ni au niveau du comité
consultatif régional, ni même au niveau de la commission. A la
commission, nous ne demandons pas un nombre X de membres du Barreau, nous en
demandons deux sur douze.
C'est tout de même une assez faible minorité.
M. PAUL: Mais je ne suis aucunement scandalisé par les propos que
vous avez tenus.
M. MOISAN: Je vous remercie, cela me rassure.
M. CHOQUETTE: De nos jours, on se scandalise de très peu de
propos, n'est-ce pas, M. le député de Maskinongé?
M. MOISAN: L'article 13 prévoit la durée des nominations
et la méthode de remplacement. C'est un article que je pourrais
qualifier de concordance puisque le nombre peut varier d'un.
M. CHOQUETTE: Pourquoi exiger dix années de pratique? Pourquoi
exclure des membres du Jeune Barreau? C'est ce que je ne comprends pas dans la
position que vous prenez.
M. MOISAN: A Québec, on est membre du Jeune Barreau
jusqu'à douze ans de pratique. Ce n'est pas dans ce sens-là, mais
il faut tout de même que ces gens aient une expérience convenable
et assez variée des problèmes qui existent, qu'ils aient
pratiqué le droit. Je pense que c'est essentiel. C'est une commission
gouvernementale. Est-ce qu'on va en confier la présidence à une
personne qui a six mois ou un an de pratique? Cela nous paraît
aberrant.
M. BACON: II faut aller dans un autre...
M. PAUL: Vous demandez moins que pour la nomination d'un conseiller de
la reine, parce qu'on demande au moins quinze ans de pratique.
M. MOISAN: On demande quinze ans pour un conseiller de la reine.
M. BURNS: Qu'est-ce que cela veut dire, un conseiller de la reine?
M. PAUL: M. Burns, je vous donnerai tous les avantages et les
détails.
M. BURNS: M. le Président. Je me pose moi aussi de très
sérieuses questions sur cette exigence de dix ans. Etant donné
que, dans le fond, ce président n'est pas nommé pour
contrôler l'appareil judiciaire mais qu'il est là pour agir dans
une commission, je crois qu'un avocat ayant trois ou quatre ans de pratique
pourrait avoir une connaissance suffisante' du droit, surtout que cela peut
être quelqu'un qui a été à l'assistance judiciaire
pendant X temps et qui n'a pas ces fameux dix ans automatiques, semble-t-il,
qui jouent pour la nomination des juges entre autres...
M. MOISAN: ... qui jouent pour la nomination des juges, j'allais vous le
dire. C'est parce qu'on attache une importance à l'administration de la
justice. Je pense qu'on exige qu'un juge ait au moins dix ans de pratique,
qu'il connaisse au moins l'ensemble des lois.
M. BURNS: C'est la distinction à faire là, il s'agit d'un
administrateur de commission. D'accord, il doit avoir un coup d'oeil assez
général sur l'administration de la justice mais peut-être
pas autant que ce qui est exigé d'un juge. D'ailleurs, en ce qui
concerne le juge, cette exigence a été très amoindrie.
M. MOISAN: La loi dit: Expérience équivalente et cinq ans.
Cela ne veut pas nécessairement dire que le Barreau était
d'accord sur cette expression "expérience équivalente" mais,
à tout événement, c'est le texte actuel de la loi qui dit
"cinq ans et expérience équivalente".
M. BURNS: Je trouve qu'on risque de se priver de compétences en
mettant cette barrière de dix ans qu'on pourrait peut-être trouver
chez des avocats de trois ans, quatre ans, cinq ans ou sept ans de
pratique.
M. MOISAN: Sur le plan pratique, il existe des bureaux d'assistance
judiciaire qui fonctionnent depuis plus de dix ans. Il doit y avoir dans ces
bureaux-là des gens qui ont une expérience de quelques
années, qui ont déjà pratiqué avant d'être
membres de ces bureaux-là aussi. Il doit y avoir là des gens qui
ont suffisamment d'expérience, de qualifications pour être
membres. Nous croyons que la question de cette commission est assez
sérieuse, assez importante pour 'que celui qui en assure la
présidence soit un avocat qui connaît bien la pratique du droit.
Je pense que, quel que soit le milieu où l'on a
pratiqué, quand on a pratiqué pendant une dizaine
d'années, on a une vue d'ensemble, une expérience et une certaine
philosophie du droit, de la justice. C'est dans ce sens qu'est notre
recommandation.
M. BURNS: On dit que cela prend quinze ans pour faire un bon avocat.
M. MOISAN: Ce sont peut-être des gens plus doués que
d'autres qui le sont après moins d'années. Je passe
immédiatement à la page 18, l'article 22 i).
Le projet de loi mentionnait que la commission devait prendre les
mesures nécessaires pour assurer l'intégrité des relations
des notaires avec leurs clients et tout ça. Nous ne voyons pas en quoi
la commission pourrait, ici, prendre ce genre de mesures-là, sauf pour
informer l'organisme professionnel concerné, soit le Barreau ou la
Chambre des notaires, d'une infraction ou d'une mauvaise conduite de l'un des
avocats qui pratiquent dans un bureau ou une clinique. A ce moment-là,
nous disons que les relations professionnelles, avocats et clients, sont du
ressort de la corporation professionnelle. Il semble qu'en vertu de cet article
il pourrait y avoir une forme d'intrusion de la commission dans ce
domaine-là. Je ne sais pas si vous avez des questions
là-dessus.
Je passe à la page suivante, l'article 22 k). Cet
article-là prévoyait que la commission devait "entendre les
demandes de révision faites en vertu des articles 63 ou 64;"
c'est-à-dire lorsqu'une demande d'aide juridique est refusée ou
lorsqu'elle est annulée par le bureau d'assistance judiciaire. Alors,
à ce moment-là, il y a une révision possible et on se
demande s'il est logique que toute la commission doive se réunir pour
entendre une révision, pour entendre un appel de ce genre-là. Et
vu que l'appel peut porter assez souvent sur la vraisemblance du droit,
à ce niveau-là souvent ça peut porter, parce que si l'on
parle de critère d'admissibilité, c'est assez facile à
déterminer au point de départ. Mais la vraisemblance du droit est
un domaine un peu plus complexe. Si l'on refuse une demande sur la question de
vraisemblance du droit, nous croyons que la commission devrait former des
comités pour étudier cette question et lui faire rapport sur le
bien-fondé d'un refus basé sur la vraisemblance du droit en
particulier. Alors, c'est dans ce sens-là que nous suggérons
d'amender l'article 22 k).
Nous avons également suggéré d'ajouter l'article 22
n), par référence à cette question de
réciprocité dont nous parlions au début, "prendre les
mesures nécessaires afin d'assurer la réciprocité des
services d'aide juridique avec les autres provinces ou pays."
A l'article 24, il est prévu que la commission peut suspendre les
activités d'une corporation locale d'aide juridique. Il y a appel dans
ces cas-là évidemment le projet de loi le prévoyait
mais nous croyons qu'on devrait fixer un délai pour cet
appel-là, un délai de trente jours d'appel de la corporation
locale mise en tutelle, un délai dans lequel la question va être
tranchée. Nous pensons qu'un délai de trente jours, qui est le
délai habituel d'appel, serait normal et suffisant dans les
circonstances.
L'article 27 donne un pouvoir d'enquête de la commission sur tout
ce qui se rapporte à l'administration. Sur cette question, nous croyons
que ça va un peu loin, puisque la commission, à ce
moment-là, pourrait faire enquête sur les relations de type
confidentiel et professionnel entre le professionnel de l'assistance
judiciaire, soit un avocat ou un notaire, et son client. Nous pensons que
l'enquête que la commission peut mener devrait être limitée
aux autres aspects du fonctionnement de la corporation locale.
Mais ce qui touche les relations professionnelles entre clients et
avocats ne devrait pas faire l'objet de ce genre d'enquête. S'il y a
là quelque chose, ce devrait être référé au
service de discipline de la corporation concernée.
Pour ce qui est du conseil régional, nous suggérons qu'il
y ait une représentation des avocats à ce conseil parce que c'est
un conseil purement consultatif; il n'a aucun pouvoir bien
déterminé, sauf celui d'aviser la commission des besoins, des
nécessités d'une région donnée. On pense
qu'à ce niveau-là en tout cas, il pourrait y avoir la
présence d'avocats de la région puisque ce sont eux qui
connaissent, en partie en tout cas, les besoins judiciaires d'une région
donnée.
M. BURNS: Est-ce que vous maintenez toujours que les avocats ne doivent
pas être en majorité sur ces groupes-là?
M. MOISAN: C'est un conseil consultatif.
M. BURNS: Justement, sur cinq personnes, vous suggérez qu'il y
ait trois avocats. Je me demande en quoi c'est conforme à ce que vous
disiez tantôt quand vous me parliez de la commission. C'est
peut-être vrai que pareil comité n'a pas de pouvoir de
décision, mais...
M. MOISAN: C'est un pouvoir consultatif.
M. BURNS: ... il me semble qu'un avocat à un comité de ce
genre serait bien suffisant, surtout que ce sont les groupes sociaux qui
s'occupent principalement de ces problèmes dans les diverses
régions qui pourront...
M. MOISAN: On pense tout simplement qu'il doit y avoir des avocats au
comité consultatif, le nombre ne nous fait absolument rien. On pense
qu'il pourrait y en avoir trois. Je prends une région comme celle
où j'habite, où le conseil consultatif pourrait probablement
couvrir à partir de Trois-Rivières jusqu'à Drummondville,
Victoriaville et Thetford Mines. S'il y avait des avocats de ces
différents coins, cela
permettrait d'avoir une meilleure vision de la situation, tout
simplement. Mais je n'insiste pas outre mesure sur le nombre de trois. Si vous
voulez faire un conseil consultatif de dix avec un avocat dans tout ce conseil,
je n'en ferai pas un drame.
M. PAUL: Mais vous voulez qu'il y ait au moins un avocat.
M. MOISAN: Je pense que cela s'impose. On vit quotidiennement dans les
palais de justice d'une région donnée. On sait ce qui s'y passe,
on sait comment ça marche, on sait où ça va mal, où
ça va mieux.
M. BURNS: II n'y a pas de doute qu'il faut un représentant de la
profession là-dedans. Vous n'avez pas besoin de me convaincre de
ça.
M. MOISAN: Ce que je veux, c'est qu'il y ait un représentant.
Mais si le conseil consultatif couvre une vaste région, à ce
moment-là, si je sais bien ce qui se passe à Arthabaska, je ne
sais pas ce qui se passe à Trois-Rivières, je ne sais pas tout en
tout cas. S'il y avait un avocat de Trois-Rivières ou de Shawinigan, je
me dis que cela pourrait être utile à ce conseil consultatif pour
nous renseigner sur les besoins de ces coins ou donner son opinion, comme tout
le monde.
On ne tient pas à une majorité là non plus. On dit
trois parce qu'on pense que ça va couvrir une région assez vaste,
ces conseils consultatifs. On n'en fait pas une exigence formelle. Simplement,
on croit qu'on peut apporter certaines lumières sur la question.
Quant aux chapitres sur les corporations d'aide juridique, soit 31 et
suivants, nous avons suivi le projet de loi presque tel quel. Nous mentionnons
au chapitre 32 qu'il pourrait y avoir des services juridiques ou des
corporations de services juridiques spécialisés. D'ailleurs, ce
n'est peut-être pas nécessaire de le mentionner puisque, dans
l'ensemble, il était prévu, du moins dans les avant-projets,
qu'il y aurait, comme à Montréal, par exemple, une corporation
spécialisée en droit criminel, en droit pénal, mais enfin
nous l'avons mentionné pour compléter, de façon aussi
à élargir le champ d'action.
A l'article 37, en particulier, nous avons apporté un certain
nombre de modifications quant au rôle du directeur du service juridique
d'une corporation.
Je pense que, d'après ce que j'ai lu dans les journaux, cela a
été assez mal compris. Le rôle du directeur du service
juridique, nous voulons que ce soit le rôle d'un professionnel, comme par
exemple, la Législature a voulu que dans le domaine de la santé
le rôle du directeur d'un centre de service de santé ou de
directeur professionnel soit un rôle qui est bien
déterminé. Les modifications que nous avons là sont
tirées de la loi 65, en particulier des articles 81, 76, 70 et 71. Nous
avons adapté ces modifica- tions-là, nous les avons
condensées pour que cela corresponde au rôle du directeur d'un
service juridique, au sein d'une corporation. C'est simplement ce que nous
avons voulu faire et je pense que c'est normal que dans ce domaine-là il
puisse avoir une certaine latitude de mouvement. On s'est scandalisé
qu'il puisse engager les autres avocats ou sur recommandation de la corporation
ou son personnel, mais je pense que la secrétaire de l'avocat qui
participe aux mêmes secrets professionnels que lui, qui a des fonctions
qui engagent sa responsabilité à lui comme avocat, il devrait
avoir le droit de l'engager, de la choisir. Elle ne devrait pas lui être
imposée par la corporation elle-même. Alors, on veut qu'il ait une
autonomie normale et raisonnable et qu'il y ait une sorte de cloisonnement
entre ce qui est de l'administration de la corporation et ce qui est le domaine
professionnel, le travail professionnel de l'avocat ou du notaire, enfin de
l'individu, du professionnel qui est en place et de ses adjoints.
Alors, c'est dans ce sens-là que nous avons suggéré
des modifications à l'article 37. Je passe ensuite à l'article 40
qui, évidemment, rejoint la notion de base de notre mémoire,
à savoir un système qui comporte à sa base le libre choix
de l'indigent, plus des bureaux ou des cliniques partout où la chose est
nécessaire. C'est en résumé la position que nous prenons.
Par conséquent, nous prévoyons à l'article 40 le droit de
recevoir des services juridiques par la personne de son choix et des services
juridiques, de façon continue et personnalisée. Sur cette
question de libre choix, cet article 40 est d'abord copié avec les
modifications qui s'imposent sur l'article 4 du bill 65. C'est le bill 65
à l'article 4 que nous avons transposé, quatre et six. Alors, on
sait qu'à l'article 4 de cette loi, on disait: Toute personne a le droit
de recevoir des services de santé et des services sociaux
adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social,
avec continuité et de façon personnalisée, compte tenu de
l'organisation et des ressources des établissements qui dispensent ces
services. Et l'article 6 ajoute: Rien dans la présente loi ne limite la
liberté qu'a une personne qui réside au Québec de choisir
le professionnel ou l'établissement duquel elle désire recevoir
des services de santé ou des services sociaux, ni la liberté qu'a
un professionnel d'accepter ou non de traiter cette personne.
Alors, c'est un principe de base qui a été admis et
consigné dans cette loi-là et que nous voulons voir aussi admis
et consigné dans la Loi de l'aide juridique. Le domaine professionnel,
je pense que je ne vous apprends rien, est un domaine où il existe des
relations de type personnel entre un professionnel et un individu. C'est une
relation basée sur la confiance d'un individu à un autre
individu. On le voit dans cet article-là, on l'a même
mentionné dans le bill 250 dont on aime souvent parler nous du
Barreau.
Dans le bill 250, il y a l'article 21, paragraphe 3 où on dit:
Pour savoir si une corporation doit être reconnue comme telle, elle doit
répondre aux facteurs suivants: "Le caractère personnel des
rapports entre ces personnes et les gens recourant à leurs services, en
raison de la confiance particulière que ces derniers sont appelés
à leur témoigner, par le fait notamment qu'elles leur dispensent
des soins ou qu'elles administrent leurs biens". C'est un des critères
d'une corporation professionnelle. On ne voit pas, nous, pourquoi on
écarterait, dans le domaine de l'assistance judiciaire, cette relation
personnelle qui existe entre l'individu et son avocat. Nous vivons
présentement dans un système qui peut-être
dépersonnalise trop les rapports entre les individus. Je pense que ce
n'est pas bon, qu'au contraire, et plus particulièrement dans le domaine
de la justice, comme dans celui de la santé, on doit tenir à
cette relation personnelle. Cette relation personnelle est à la base de
la possibilité de faire un choix de la personne en qui on veut mettre sa
confiance.
A ce point de vue, on nous a fait plusieurs objections, ici et ailleurs
dans les journaux. Je pense qu'il y en a trois que je veux brièvement
discuter. La première est celle basée sur le fait que les gens ne
connaissent pas d'avocats. Je pense que Me Burns l'a mentionné et qu'on
lui a répondu qu'il s'agissait d'une vision assez montréalaise
des choses. Je pense que c'est exact. Mais, même à
Montréal, les gens qui se prévalent actuellement des services de
l'assistance judiciaire qui existent, est-ce qu'ils pensent eux-mêmes
qu'ils ont un certain choix? Est-ce qu'ils ne se rendent pas là comme
des gens qui viennent demander humblement qu'on leur fasse la charité,
qu'on les aide? Quand on vient demander cela de cette façon, il ne faut
pas être trop sévère ou trop exigeant sur les conditions.
Je me demande si même à Montréal, même s'il existe
sûrement des gens qui ne connaissent pas d'avocats, ceux qui se
présentent à l'assistance judiciaire n'en mentionnent tout
simplement pas, parce qu'ils savent au fond, qu'ils ne peuvent pas exiger
ça. E y a sûrement quelque chose dans ce sens-là.
M. BLANK: Ils connaissent leur député. M. MOISAN: M. le
député, je ne sais pas...
M. PAUL: Je m'inscris en faux là-dessus, pas à
Montréal.
M. BLANK: Venez à mon bureau, voir d'où viennent les cas
d'assistance judiciaire. Ils viennent à moi comme député.
Pensez-vous que je peux les envoyer chez vous pour demander l'aide judiciaire?
C'est le bureau qui le fait, sans charge. Quand le curé vient avec deux
ou trois mères de famille qui ont des problèmes, est-ce qu'on
peut les retourner au Barreau pour demander si elles sont éligibles ou
non? On doit le faire.
M. BURNS: C'est une annonce publicitaire...
M. MOISAN: Votre argument, M. le député serait faborable
au libre choix. A ce moment-là, les gens choisissent d'aller vous
voir.
M. BLANK: Oui, mais, justement, je veux dire...
M. MOISAN: Mais, blague à part...
M. BLANK: ... que le député sera débordé
avec l'assistance judiciaire, s'il a le libre choix.
M. MOISAN: Si cette situation existe en partie à Montréal,
parce que c'est une grande ville où l'anonymat est la règle, je
pense que cela n'existe pas du tout ailleurs. J'en appelle à ce
moment-là à l'expérience des gens de
Trois-Rivières, comme à ceux de Terrebonne ou de ma
région. Tout le monde, je pense, connaît, dans ces
régions-là un avocat et a un certain choix de fait dans son
esprit.
M. PAUL: ... de la profession tandis qu'à Montréal assez
souvent, on cherche la profession.
M. MOISAN: La profession? M. PAUL: Oui.
M. MOISAN: A tout événement, je pense que c'est une
situation totalement différente.
M. PAUL: Spécialement dans Outremont.
M. CHOQUETTE: Dans Outremont, mes électeurs me connaissaient
assez bien.
M. PAUL: Est-ce que c'est synallagmatique?
M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a un autre avocat qui voudrait faire des
pages de publicité? M. Moisan.
M. MOISAN: Je crois qu'il faut le faire, à ce moment-là,
même si ça existe possiblement à Montréal, dans une
proportion qu'il est difficile d'établir, puisque ces gens-là
n'ont jamais eu véritablement l'occasion de faire un choix, ça
n'existe pas à l'extérieur.
Je vois très mal que, dans une région comme la mienne,
où tout le monde se connaît et où tout le monde
connaît les avocats, on puisse imposer à un individu d'aller voir
M. Y au lieu de M . X parce que l'avocat de la corporation dans ma
région sera M. X, un avocat.
A ce moment-là, la personne n'aura même pas le choix entre
les avocats de la clinique. Elle devra prendre l'avocat de la clinique et lui
seul. Elle n'aura pas le choix d'aller ailleurs, sauf dans des circonstances
spéciales et ce sera cet avocat-là. Et on va voir, parce que chez
nous, comme partout en province, tout le monde se connaît dans le
patelin, que cet avocat sera
identifié comme l'avocat de l'assistance judiciaire et la
personne qui est assise à côté de lui devant le tribunal
sera également identifiée comme une assistée judiciaire.
Je pense que ce n'est pas acceptable dans nos milieux.
M. CHOQUETTE: C'était ce que le Barreau faisait tout de
même sous le système de l'assistance judiciaire qui a
été organisé par le Barreau. Vous avez des avocats, si on
prend les causes de droit criminel, qui n'étaient pas
référés à l'extérieur pour les causes de
droit criminel. C'étaient des avocats salariés qui prenaient les
causes de droit criminel et ce sacro-saint principe du libre choix, vous ne
l'avez pas appliqué d'une façon intégrale jusqu'à
ce jour vous-mêmes.
M. MOISAN: Ecoutez...
M. CHOQUETTE: Je ne dis pas qu'il ne faut pas reconnaître de la
valeur dans ce que vous dites, M. Moisan, je veux être bien compris. Il
faut même, je pense, que le projet de loi ait en somme des dispositions
qui fassent et je pense qu'il en contient déjà
qu'à un moment donné, si un professionnel n'a pas la confiance du
client, qu'il y ait une façon de régler le problème, une
façon de faire en sorte que ce client ou ce bénéficiaire
de l'aide juridique puisse avoir recours aux services d'un autre
professionnel.
Mais tous les débats, dans ce domaine-là, ne se passent
pas au niveau des principes. Je pense que vous allez l'admettre avec moi.
M. MOISAN: Ecoutez, si vous êtes prêt à admettre le
principe valable que l'aide juridique doit comporter à sa base un libre
choix plus des cliniques, des bureaux, des organismes qui vont oeuvrer dans des
milieux déterminés où il y a des besoins particuliers,
nous nous entendons. Si vous voulez nier ce principe-là en pratique,
nous ne nous entendons plus.
M. CHOQUETTE: Mais on va prendre l'exemple suivant, dans le domaine de
la santé: une personne a un accident d'automobile très grave et
est transportée dans une clinique d'urgence.
M. MOISAN: Elle n'a pas le choix.
M. CHOQUETTE: Elle n'exerce pas le libre choix à savoir quel
médecin va la traiter. Elle est bien contente d'avoir un médecin
sur place pour s'en occuper. Alors là, on s'en occupe, et qui s'occupe
du cas par la suite? C'est l'hôpital, c'est le médecin...
M. MOISAN: Pardon, M. le ministre. Par la suite, c'est le médecin
qu'elle choisit.
M. CHOQUETTE: Je comprends qu'à un moment donné, si le
patient dit: Moi, je ne veux plus être traité par le Dr Untel
parce que je n'ai absolument pas confiance en lui, il peut y avoir en somme une
solution de rechange à cette espèce d'objection de principe. Mais
le commun des mortels, dans le Québec actuel, quand il s'en va dans un
hôpital à la suite d'un accident grave, il prend les
médecins qu'on lui offre et, en général, il est assez
satisfait de ça.
M. MOISAN: Oui mais écoutez, c'est pour ça que la solution
que propose le Barreau est une solution complémentaire. On dit qu'il
doit y avoir dans les grandes villes, et un peu partout, une forme de cliniques
d'urgence.
M. BURNS: Je m'excuse, Me Moisan, de vous interrompre, mais je ne vois
pas que ce soit complémentaire ce que vous suggérez. Si on lit
votre amendement à l'article 40: "Le directeur doit fournir à
tout bénéficiaire les services professionnels juridiques requis,
après lui avoir expliqué le droit dont il jouit d'obtenir les
services professionnels soit d'un avocat ou d'un notaire à l'emploi de
la corporation, soit d'un avocat ou d'un notaire exerçant leur
profession dans une étude privée", je ne trouve pas cela
complémentaire.
Je trouve ça, au contraire, très alternatif et sur un
même pied. Dans le fond, là-dessus je rejoins les remarques du
ministre de la Justice. Vous vous placez sur un plan de principe, soit, qui
peut être défendable. Il n'y a aucune espèce de doute
là-dessus. Mais ce qui est visé par ce projet de loi, à
mon avis, c'est d'améliorer la situation d'une catégorie de la
population, et, au fond, l'améliorer avec les moyens qu'on a. Je
considère que, moins ça va nous coûter cher d'exploiter un
système comme celui-là, qui sera efficace, plus on pourra donner
des services. C'est ça le principe de base.
M. MOISAN: Qu'est-ce qui va se passer à l'endroit où il y
a des bureaux d'assistance judiciaire organisés comme à
Montréal? Suivant votre affirmation, il y a 80 p.c. des indigents qui
n'en connaissent pas, qui n'expriment aucun choix. Qu'est-ce qui va se passer?
Ils vont rester au bureau de l'assistance judiciaire. Ils vont dire: D'accord,
je ne m'occupe pas de personne, j'ai un problème, réglez-le,
occupez-vous de mon problème. Mais, s'il y a un certain nombre de
personnes qui disent: Moi, j'aimerais mieux que mon problème soit
réglé par M. X de la pratique privée, on va lui donner le
choix d'aller voir M. X.
Pensez-vous que ça va diminuer sensiblement le volume d'affaires
des cliniques ou des bureaux d'assistance judiciaire? Je ne le pense pas.
Seulement, ça va donner la possibilité à ceux qui ont un
choix, à ceux qui connaissent quelqu'un en qui ils ont confiance,
d'aller le voir. Vous ne jetterez pas les bureaux d'assistance judiciaire
à terre avec ça.
M. BURNS: Ce n'est pas du tout ça d'ailleurs qui est la base de
l'affaire.
M. MOISAN: II n'y a aucun danger de ce côté. Je dirais
même et ça rejoint une remarque que vous faisiez dans vos
notes d'ouverture mercredi dernier, que vous craignez à un moment
donné qu'il y ait un "case load", qu'il y ait trop de cas pratiques
à régler et que les avocats des bureaux d'assistance judiciaire
n'aient pas le temps de faire de la prévention, de l'animation, du
travail de ce genre. Et c'est un danger. Ces avocats seront peut-être
submergés de causes pratiques à régler, de cas curatifs,
si vous voulez, mais ils ne pourront pas faire de droit préventif, ils
ne pourront pas faire de droit de groupe, de "class action" ou d'information,
d'éducation populaire dans le milieu.
Si le libre choix les dégage d'une partie de ces obligations
quotodiennes, est-ce que vous avez encore objection à ça?
M. BURNS: Non, je n'ai pas d'objection à ce qu'on les
dégage, loin de là, mais tout simplement, en pratique, ce fameux
droit au libre choix, admettons qu'on l'accepterait, qu'est-ce qui arrive dans
les grands bureaux? C'est mon expérience personnelle, et il y a d'autres
avocats, je ne sais pas si c'est pareil ailleurs. En tout cas à
Montréal, c'est comme ça, les cas d'assistance judiciaire. Quand
ils étaient assignés à des bureaux suffisamment bien
organisés ou assez grands, c'était le stagiaire, c'était
le junior du bureau qui s'occupait de la cause. A ce moment-là, je me
dis: Où est-ce qu'il est rendu, le libre choix? Il s'en va voir Me
Untel, de tel bureau, et Me Untel le reçoit et dit: Bonjour, monsieur,
merci, maintenant, le dossier est transféré à Me Untel ou
au stagiaire.
M. MOISAN: Cela, c'est exact, on admet que c'était un
système plus ou moins boiteux, et pourquoi? Parce que l'on imposait
à Montréal, à tous les bureaux d'avocats, qu'ils soient
gros ou petits, de prendre des causes d'assistance judiciaire, de conduire un
certain nombre de causes d'assistance judiciaire, gratuitement, chaque
année. Et, infailliblement, c'est entendu que ce n'était pas le
principal associé du grand bureau qui s'en occupait, c'est quelqu'un
d'autre.
Quelle va être la situation si vous acceptez la proposition? Il va
y avoir des centaines d'avocats qui oeuvrent dans des quartiers soit seuls,
soit en petites sociétés et qui vont être
intéressés à ça. Et les grands bureaux je
n'en nommerai pas mais il m'en vient à l'esprit ne seront pas
intéressés à ça parce qu'ils font une autre classe
de droit. Il y a 500 bureaux d'un avocat à Montréal qui sont dans
les quartiers; ce sont des gars qui, je pense, connaissent aussi bien que les
gens de l'assistance judiciaire les problèmes qui se posent au niveau
des petites gens, au niveau des défavorisés. C'est à eux
et à d'autres bureaux semblables que vont se rapporter ces
gens-là qui veulent exprimer un choix, parce que ce sont eux qui sont un
peu plus connus dans le quartier où ils travaillent.
Mais, en quoi cela peut-il perturber l'existence des bureaux
d'assistance judiciaire?
Je pense que cela les aide tout simplement, parce que cela leur
enlève un fardeau de cas pratiques et courants. Ces gens-là, par
ailleurs, expriment la confiance qu'ils ont en monsieur X, leur avocat de
quartier; ils vont le voir et il s'en occupe.
M. BLANK: Ce qui arrive, c'est que ces gens ne veulent pas d'un avocat
de quartier. Ils veulent voir tel et tel avocat. Disons qu'un avocat gagne une
cause difficile et que les journaux en font une grosse manchette, tous les gens
qui ont la même cause se rendront à l'assistance judiciaire et
diront qu'ils aimeraient avoir cet avocat. Qu'est-ce qui arrive? Ils ont le
droit de refuser?
M. CHOQUETTE: Me Auguste Choquette, par exemple.
M. BLANK: Me Auguste Choquette, pour des causes...
M. BURNS: Ces gens-là d'habitude ne sont pas des indigents.
M. BLANK: Ils ont de l'argent caché.
M. MOISAN: Mais la même situation se pose pour le gars qui est
poursuivi en Gaspésie et qui veut avoir Me Auguste Choquette comme
avocat. Me Choquette n'est pas disponible en Gaspésie et, à
Montréal, il n'est pas disponible pour tous ceux qui voudraient
l'avoir.
M. BLANK: Prenez comme exemple les grands criminalistes de
Montréal comme Me Maranda et Me Raymond Daoust. Chaque personne qui a
une cause au criminel demandera tel et tel criminaliste.
M. MOISAN: Mais elle ne pourra pas l'avoir. Comme moi peut-être ou
n'importe quel individu.
M. BURNS: Où est votre libre choix à ce moment-là?
En pratique.
M. MOISAN: II y en a un peu moins, c'est entendu. Est-ce que vous, vous
pouvez exiger comme médecin le plus grand spécialiste de Toronto
ou des Etats-Unis si, lui, il vous dit: Monsieur, je ne peux pas y aller, je ne
peux pas m'occuper de vous. Le libre choix est conditionné par toutes
sortes de choses, comme la bonne santé de l'avocat qu'on veut choisir,
sa disponibilité, les distances, par toutes sortes de raisons qu'on peut
imaginer. Le libre choix ne sera jamais total et absolu dans aucun domaine.
Mais je pense qu'on l'a reconnu...
M. CHOQUETTE: Vous nous dites...
M. MOISAN: Pardon?
M. CHOQUETTE: ... que nous vivons dans un monde relatif.
M. MOISAN: C'est évident. Mais je pense que, si on l'a reconnu au
niveau des médecins dans le bill 65, c'est qu'on permet quand même
un certain libre choix. Je suis d'accord avec le ministre qu'au niveau de la
salle d'urgence, nous n'en avons pas de libre choix. Mon petit gars s'est
cassé un bras l'autre jour; c'est le médecin qui était
là qui s'en est occupé. Mais par la suite, j'ai tout de
même le droit de dire: Pour réparer son bras, ce sera
l'orthopédiste un tel au lieu d'un tel. Mais mon libre choix, à
ce moment-là cela rejoint ce que vous disiez est entre
trois orthopédistes, parce qu'il y en a trois dans l'hôpital
où je suis allé. Je choisis entre les trois. Je pourrais
peut-être faire venir...
M. PAUL: Votre libre choix n'a pas été exclu ou
enlevé, il a été suspendu.
M. MOISAN: II est évident qu'il a été suspendu au
niveau de l'urgence. Mais il a été réadmis dans des
limites physiques normales, parce qu'il y a trois orthopédistes. J'ai
tout de même un choix entre trois. Tandis que, si l'on installe un
système pur et simple de bureaux d'assistance judiciaire, je pense
qu'à ce moment-là, le libre choix s'exerce entre les avocats de
ce bureau. Et encore là, je me demande dans quelle mesure il est ouvert.
A tout événement, il s'exerce entre les membres du bureau quand
il y en a plusieurs. Et dans des endroits où il n'y aura qu'un avocat,
il n'y aura plus de libre choix. C'est pour cela que...
M. CHOQUETTE: Me Moisan, ce n'est pas pour infirmer ce que vous avez
dit. Je vais simplement faire une petite rectification, si vous me le
permettez. Vous avez parlé de "class action"...
M. MOISAN: Oui.
M. CHOQUETTE: ... et je crois que cela mériterait une petite
clarification. "Class action", dans le sens où l'on entend cela en
procédure américaine, c'est une action entreprise au nom d'un
groupe social. On a vu un exemple récent que je cite: le cas d'une
compagnie de taxis qui avait chargé des tarifs plus
élevés, pendant une période X de temps, que ceux
autorisés par la Régie des transports. A un certain moment, un
citoyen a dit: Je prends une action collective au nom du groupe des usagers des
taxis de la ville de Los Angeles ou de San Francisco, je ne sais pas exactement
où cela s'est passé.
Le juge a statué que c'était vrai, la compagnie avait
abusé de sa situation. Etant donné qu'il était impossible
de faire remise des montants perçus en trop, le juge a dit:
Dorénavant, la compagnie sera obligée d'exiger un tarif
inférieur pour compenser le public en général pour les
tarifs excessifs qu'elle avait imposés auparavant. Cela, c'est du "class
action". Mais cela n'existe pas encore dans notre procédure civile. Je
suis peut-être, en somme, sympathique à l'insertion de ça
dans notre procédure. Mais l'aide juridique ne vise pas, en somme,
à remédier à cette carence, si elle existe. Maintenant,
vous nous parlez d'action de groupe...
M. MOISAN: Cela existe.
M. CHOQUETTE: Cela peut exister.
M. MOISAN: Cela peut exister dans la procédure. Il est
prévu que plusieurs personnes peuvent s'unir pour prendre une seule
action. Dans ce sens-là, ça peut exister.
M. PAUL: Comme exemple, il y a une association de locataires qui va
bientôt faire des pressions sur le ministre de la Justice pour qu'il
présente une loi relative au problème des locataires et en
remplacement de la loi de conciliation entre locataires et propriétaires
et du bill 12. A ce moment-là, c'est une association qui a un droit ou
des pressions à exercer. Cela se fait:..
M. CHOQUETTE: Le but de nos cliniques n'est pas de donner un
véhicule juridique à ces revendications sociales, collectives ou
autres. Le but du projet de loi est de donner des services juridiques aux gens
qui en ont besoin. Vous semblez vouloir cantonner en somme les services
juridiques qu'on pourrait rendre à des revendications de la part
d'associations de locataires ou des revendications collectives qui peuvent
être bien fondées, suivant les cas, ou mal fondées. Le but
essentiel est d'apporter des services juridiques concrets devant la cour,
devant les tribunaux.
M. MOISAN: C'est ça! C'est tout d'abord un service que nous
pourrions appeler curatif, c'est-à-dire pour prendre soin du gars qui
est devant nous et qui a un problème personnel qu'on doit essayer de
régler.
M. CHOQUETTE: C'est ça!
M. MOISAN: Nous, nous voyons, par l'action qu'ont eue les cliniques
jusqu'à aujourd'hui, qu'il y a des buts un peu plus vastes qui peuvent
être envisagés, le relèvement d'un certain groupe, et c'est
pour ça que nous croyons également que ce système doit se
continuer, d'abord, comme clinique d'urgence pour certains cas très
urgents, et comme moyen, comme levier pour permettre à ces gens
d'exercer des droits qui ont une allure collective, pour leur permettre aussi
de se mieux renseigner, de s'informer, de prévenir les situations qui
peuvent les entraîner dans des ennuis
financiers. C'est dans ce sens que nous voyons principalement le travail
des cliniques. C'est pour ça que nous ne voyons pas
d'incompatibilité entre les deux systèmes. S'il existe un endroit
où on en vient à la conclusion qu'il doit y avoir une clinique,
cette clinique va avoir une clientèle, va avoir du pain sur la planche
en quantité, mais il y aura un certain nombre de personnes qui
préféreront recourir à l'avocat de leur choix. Nous ne
voulons pas leur enlever ce droit. On pense que c'est un droit qu'elles
ont.
On a beaucoup parlé de coût et je lisais, ces jours-ci, le
mémoire du syndicat des avocats du BAJM, qui dit en particulier que le
Judicare pur et simple coûte cinq fois plus que le système des
bureaux d'assistance judiciaire. J'ai bien examiné ces chiffres et je
trouve que c'est assez inexact. On a fait un exemple à partir de
février 1972. On a dit: Huit avocats en février 1972 ont
coûté $7,166 pour tout le mois alors qu'avec Judicare seulement
cela aurait coûté $34,500. Je regrette, mais le chiffre de $7,166
que j'ai pu examiner d'un peu plus près est simplement le salaire de ces
avocats qui gagnent, disent-ils, une moyenne de $10,400 par année. Cela
ne comprend pas de dépenses de bureau.de secrétaire,
d'équipement, rien du tout, de bénéfices marginaux ou quoi
que ce soit. C'est simplement le salaire. Je prétends que, si vous avez
un peu d'expérience dans l'administration d'un bureau d'avocats, parce
qu'en fait le BAJM de Montréal est un gros bureau d'avocats cela doit
coûter certainement quelque chose pour l'administrer.
Je me demande si ce chiffre-là est véridique dans les
circonstances. Il faudrait peut-être le corriger sérieusement en
tenant compte de toutes les dépenses de bureau car ces gens-là ne
vivent tout de même pas dans la rue. Ils ont un bureau organisé,
ils ont des secrétaires. Ils ont tout ce qu'il faut.
M. CHOQUETTE: M. Moisan, est-ce que vous demandez l'occasion de
contre-interroger les personnes qui ont préparé ces chiffres?
M. MOISAN: Je pourrais le faire éventuellement. Maintenant, ce
sont les avocats qui sont payés actuellement $10,000 et plus par
année en moyenne, disent-ils, pour les huit avocats en question. Je
crois qu'il faudra aussi tenir compte, dans leur coût, de certaines
augmentations de salaire qui vont leur échoir à un moment
donné. Cela ne veut pas dire qu'ils vont toujours demeurer à
$10,000 par année de salaire. Je pense que, s'ils se sont formés
en syndicat, ce n'est certainement pas pour négocier des baisses de
salaire mais pour négocier certaines augmentations. C'est habituellement
ce qui se passe.
Maintenant, c'est la comparaison avec un système Judicare pur et
simple, c'est-à-dire l'abolition de tout bureau, de toute clinique, ou
quoi que ce soit, un système de pur, libre choix. Ce n'est pas le
Judicare pur et simple que nous plaidons devant vous ce matin, c'est la coexis-
tence des deux systèmes. Et ce que l'on voit, je pense, dans les grandes
villes, c'est qu'il y aura toujours une clientèle plus ou moins
nombreuse, en tout cas une clientèle certaine, pour les cliniques ou les
bureaux et qu'il y aura un certain nombre de personnes qui, elles,
préféreront s'adresser à des avocats de la pratique
privée. De là, les avantages que mentionnaient Me Letarte, d'une
certaine émulation entre les deux au point de vue de la qualité
des services et le reste.
Je crois qu'il faut tenir compte de ça. A ce moment-là ce
n'est plus cinq fois plus cher. Je pense que, si on faisait la vraie
comparaison entre un Judicare pur et simple et un simple système de
bureau, on ne serait pas à cinq fois plus cher, je me demande si on
serait à deux fois plus cher. Quand on sait le coût d'organisation
des bureaux à Montréal, c'est assez fantastique. D'ailleurs si on
examinait le budget du BAJM au point de vue de l'administration de bureau, en
mettant de côté les salaires, on pourrait déterminer
combien chaque avocat coûte au bureau par année.
On a dit aussi et ça rejoint une question de Me Burns à
l'effet qu'en Ontario, il y avait beaucoup d'avocats qui étaient
désintéressés ou désengagés du
système. Encore là, ce sont des statistiques auxquelles il faut
prendre garde comme celles du bureau d'assistance judiciaire de
Montréal, c'est un autre exemple. En Ontario, il n'existe pas de
distinction entre les avocats et ce que nous appelions les notaires dans la
province de Québec. Tout le monde est avocat là-bas de sorte
que...
M. PAUL: Cela peut être une bonne chose.
M. MOISAN: Cela peut être une bonne chose, mais ça veut
dire qu'il y a 40 p.c. du nombre total de ce qu'ils appellent les avocats
là-bas qui seraient dans la province de Québec des notaires.
Quant aux statistiques, sur ces 60 p.c. il y en a seulement 20 p.c. qui sont
des praticiens qui exercent quotidiennement devant les tribunaux. Il faut
prendre cette question-là dans son contexte. Il faut analyser ces
statistiques-là selon l'endroit d'où elles viennent et on
constate, si on les examine bien, qu'il y a un grand nombre de praticiens en
Ontario, soit la très grande majorité, qui s'occupent de
l'assistance judiciaire et qu'il n'y a pas de désengagement massif comme
peuvent le laisser croire les statistiques en question.
Je ne veux pas abuser de votre patience. Je vais essayer de passer assez
rapidement.
Les articles 40 à 45, évidemment, viennent d'être
discutés, quant aux principes, pendant assez longtemps. A l'article
53...
M. PAUL: Excusez-moi, je présume les arguments que vous allez
présenter mais j'aimerais que vous nous apportiez des commentaires sur
l'article 48, soit sur les amendements que vous proposez, "sauf avec
l'approbation de la corpo-
ration". Tout avocat employé à temps plein par une
corporation doit se consacrer exclusivement à l'exercice de ces
fonctions pour cette corporation, sauf avec l'approbation de la corporation".
Est-ce à cause du milieu où l'avocat va exercer?
M. MOISAN: Non, nous avons voulu prévoir la possibilité
qu'un permanent de l'assistance judiciaire ait en même temps certains
cours à donner â l'université ou â l'école de
formation professionnelle du Barreau ou qu'il soit intéressé
à être le secrétaire d'une petite compagnie de type
familial dont son père est le président.
On ne voudrait pas qu'il puisse être empêché
d'accomplir des fonctions comme celles-là, par exemple comme
professeur.
M. CHOQUETTE: L'enseignement. M. PAUL: Très bien.
M. MOISAN: L'enseignement. On dit à ce moment-là que, si
la corporation est d'accord et que cela ne nuit pas à son travail, il
peut le faire.
L'article 53 mentionne que la demande est de caractère
confidentiel. Je pense que cela peut avoir une certaine importance de le dire.
Quant à l'article 55, nous pensons que le certificat émis en
faveur d'un indigent doit être pour une durée limitée,
parce qu'on a constaté dans la pratique qu'il pourrait se produire ceci.
Par exemple, une dame obtient un certificat lui permettant d'intenter des
procédures en séparation de corps contre son mari; elle garde ce
certificat précieusement et toutes les fois qu'il fait le fou, elle lui
dit: Ecoute, j'ai le droit de te poursuivre et si tu ne te tiens pas
tranquille, je vais te poursuivre. Cela deviendrait une sorte de chantage.
Alors, on dit: Le certificat doit avoir une durée limitée, une
validité limitée; c'est pour éviter des choses comme
celles-là.
M. CHOQUETTE: Quand une femme fait cela, c'est une cause de
séparation de corps.
M. MOISAN: Ce serait peut-être un motif pour le mari.
M. PAUL: Cruauté mentale.
M. MOISAN: On mentionne aussi au même article que le certificat,
dans le cas où il est remis à un avocat de la pratique
privée, doit être remis à l'avocat et non pas au greffier
de la cour, parce qu'il y a des districts à juridictions concurrentes,
et le certificat pourrait être remis au greffier de telle cour alors que
l'avocat de la partie va prendre son action devant tel autre tribunal où
il y a juridiction concurrente. Alors, ce serait un problème. On le
remet à l'avocat et il l'envoie à la cour avec les
procédures qu'il prend. C'est une méthode plus pratique,
d'après nous.
On a tenté de préserver ce caractère confidentiel
de l'état d'indigence par le paragraphe qui apparaît en haut de la
page 30, immédiatement avant l'article 56. On dit: On ne doit pas faire
d'allusion devant la cour au fait qu'on représente un indigent, à
l'audience. On doit tenir ce caractère d'indigence aussi secret que
possible, parce qu'on a eu connaissance dans la pratique de réactions
très diverses de la part des juges et de la part des personnes qui
assistent dans l'audience à cette mention que nous représentons
de par l'assistance judiciaire tel individu qui est à côté
de nous. On pense que ce n'est pas un élément de la cause, que ce
n'est aucunement pertinent à la cause; alors, on doit tenir pour acquis
qu'il n'y a pas lieu de le mentionner.
L'article 58 nous paraît important; cela se réfère
à une remarque de M. le ministre de la Justice la semaine
dernière sur les causes qui engendrent des honoraires, par exemple les
causes en dommage. On croit que l'assistance judiciaire ne doit pas être
accordée dans ces cas-là puisqu'il n'y a pas de besoin en fait.
M. le ministre mentionnait très justement que ces causes ne sont jamais
refusées par les avocats qui les prennent sur une base de frais
contingents, d'honoraires contingents. On pense qu'à ce moment-là
l'argent qui serait investi là-dedans le serait au détriment des
autres assistés sociaux.
L'article 60 parle du remboursement ou de la possibilité de
remboursement ou de certificats mitigés, restreints. Nous n'avons pas
très bien compris cette question de réadaptation complète
du bénéficiaire; on s'est demandé ce que cela pouvait
signifier exactement. S'il s'agit là de la possibilité de lui
faire rembourser plus tard certains montants, nous sommes d'avis que
l'expérience qui a été vécue en Angleterre et
surtout en Ontario depuis quelques années est à l'effet que le
remboursement est dans l'ensemble assez minime.
Par exemple, sur un budget de $10 millions, l'an passé, ils ont
eu un remboursement de l'ordre de $250,000 à $300,000. On se pose la
question de savoir si ça n'a pas coûté peut-être la
moitié ou les trois quarts de ce montant, pour obtenir le remboursement
en question, en frais de bureau et de démarches de tout genre. On se
pose des questions sérieuses pour savoir si ça vaut la peine
qu'il y ait ce principe du remboursement dans certains cas. C'est dans le cas
d'aide juridique diminuée, ça.
M. CHOQUETTE: M. Moisan, le sous-ministre de la Justice vient de
m'éclairer sur le sens de la disposition à laquelle vous avez
fait allusion. Il s'agirait d'un cas, par exemple, de quelqu'un qui serait en
chômage, qui aurait droit à l'assistance ou à l'aide
juridique et qui par la suite se retrouverait un emploi. On pourrait, dans une
certaine mesure, continuer à lui donner l'aide juridique autant que
nécessaire, pour une certaine période, pour lui permettre
de se renflouer pour la période où il a été
sans emploi, où il a contracté des dettes et où, par
conséquent, sa situation financière a empiré. C'est pour
faire face à ce genre de situation.
M. MOISAN: D'accord, à ce moment-là, ça veut dire
que, dès qu'il serait complètement replacé au point de vue
financier, l'assistance judiciaire pourrait être suspendue ou
annulée pour l'avenir.
M. CHOQUETTE: Justement.
M. MOISAN: L'article 61 parle d'une aide diminuée. C'est
là qu'on parlait de remboursement. Est-ce que c'est cela que ça
veut dire exactement? Je vous pose la question. Peut-être
diminuée, ça veut dire qu'il devrait payer une partie?
M. CHOQUETTE: Pas nécessairement. Cela pourrait vouloir dire que,
s'il y avait d'autres litiges par exemple, il pourrait les commencer à
ses propres frais est-ce que vous comprenez ce que je veux dire
là? tandis qu'on pourrait continuer l'aide juridique pour un
litige déjà entrepris pendant qu'il avait l'aide juridique, pour
faire une période de transition, en somme. C'est pour rendre l'aide
juridique plus flexible.
M. MOISAN: Plus souple.
M. CHOQUETTE: Plus souple, c'est ça.
M. MOISAN: L'article 63 parle de l'appel, lorsque l'aide juridique a
été refusée: on en a discuté
précédemment. Il prévoit aussi que, s'il y a urgence,
même pendant la période d'appel, on doit fournir une assistance
juridique, à titre d'urgence. Parce qu'il pourrait peut-être y
avoir une période, entre l'audition de l'appel, la décision et
tout ça, où la personne a besoin de façon urgente
d'être aidée, on prévoit un certificat temporaire pour
cette période-là, principalement dans les cas de
prescription.
Les autres articles comportent certaines modifications quant aux
questions d'appel. Je pense qu'il n'y a pas lieu...
M. PAUL: M. Moisan, vous avez dit qu'il y aurait nécessité
de ne jamais mentionner le statut d'un bénéficiaire de
l'assistance juridique et je vois qu'à l'article 65, il n'y a aucun
commentaire en relation avec les propos que vous avez antérieurement
tenus, l'article 64 également.
M. MOISAN: L'article 64 surtout. C'est une anomalie qui nous a
été signalée, tout récemment, ces jours derniers.
Evidemment, le mémoire était écrit et
présenté à ce moment-là. On s'est dit: Si c'est
conservé de façon confidentielle et secrète, comment la
partie adverse peut-elle le savoir? Il y a tout de même le dossier de la
cour où le certificat va être déposé. La partie
adverse peut le savoir par ce moyen, surtout son avocat, parce que lui va
examiner le dossier de la cour. Ce qu'on ne veut pas, c'est de faire un
étalage devant le tribunal, devant toute l'assistance et que moi,
avocat, je représente madame ici qui est une assistée juridique,
qui est une défavorisée.
M. PAUL: Vous auriez une cliente de choix.
M. MOISAN: Je ne m'en plaindrais pas. Je passe rapidement à
l'article 69 h) qui nous paraît contenir une disposition qui vient
à ['encontre de la Loi du Barreau, de même possiblement
qu'à l'encontre de la Loi du notariat, les certificats de stagiaires.
Evidemment, il semble que, dans cet article, la commission pourrait
déterminer le genre de services juridiques qu'un étudiant en
droit pourrait rendre. Il nous semble que ce soit la corporation
professionnelle, par ses règlements, qui détermine les services
qui doivent être rendus.
Excusez-moi, l'article 69 b). On dit que les règlements peuvent
"déterminer la nature des litiges et des poursuites qui peuvent faire
l'objet de l'aide juridique". Evidemment, cela peut permettre
énormément de restrictions au champ de l'assistance judiciaire.
Je comprends que, derrière cet article-là, il y a sans doute des
problèmes financiers, des problèmes budgétaires. Mais il
nous semble que ce soit une situation qui peut comporter passablement de
sources d'inconvénients et de désappointements de la part des
assistés sociaux qui le sont quand même, quel que soit le
problème qu'ils ont devant eux.
Cela nous paraît être une forme possible de recul par
rapport à ce qui se donne actuellement au niveau de la
variété de l'éventail des services. On donne
peut-être moins actuellement, mais on le donne dans tous les domaines, en
somme. Là, il y aurait des restrictions qui pourraient être
imposées. On ne les connaît pas encore actuellement, mais la
commission avait le droit d'imposer toutes sortes de restrictions sur
l'éventail des services. On attire l'attention là-dessus en
particulier.
L'article 70 a été biffé. On en a discuté,
c'est au sujet... Oui?
M. CHOQUETTE: Permettez, Me Moisan. Ici, à l'article 69 o), s'il
s'agit de négocier les tarifs...
M. MOISAN: Oui.
M. CHOQUETTE: ... avec les avocats qui ne sont pas à salaire,
avec qui la commission devrait-elle discuter pour l'établissement de ces
tarifs? Avec le Barreau ou avec la fédération des avocats?
M. MOISAN: Discuter avec les avocats qui formeront un syndicat ou une
association comme il s'en est formé plusieurs vis-à-vis d'un
employeur qui était la ville de Montréal dans un cas, et
d'autres. A ce moment-là, ces gens-là vont former une
association, vont se nommer des dirigeants et vont négocier leur
tarif.
M. CHOQUETTE: Oui. Mais ici, nous ne sommes pas dans un contexte de
relations de travail, parce que vous allez admettre avec moi que, puisque ce
sont des avocats de la pratique privée que vous avez en vue, ce ne sont
pas des employés de la commission ou des corporations d'aide juridique.
Par conséquent, je vous demande si pour l'établissement du tarif,
la commission doit s'adresser au Barreau ou à ce qui est en train de
surgir un peu partout et qui est appelé la fédération des
avocats.
M. MOISAN: Je pense que vous allez devoir discuter avec l'association
des avocats engagés dans l'assistance judiciaire, même à
titre privé.
M. CHOQUETTE: Est-ce que vous pensez qu'on doit avoir une
négociation distincte dans toutes les régions du Québec?
Est-ce qu'on doit avoir une négociation générale et cette
négociation générale, d'après vous, devrait se
faire avec qui?
M. MOISAN: C'est ce que je viens de dire, il devra y avoir, je pense,
appelons ça une association ou un syndicat des avocats
intéressés et engagés à fournir des services dans
le régime d'assistance judiciaire.
M. CHOQUETTE: Et pas avec le Barreau?
M. MOISAN: Je ne le pense pas. On n'a pas négocié pour les
avocats de la ville, on n'a pas négocié pour les avocats de la
fonction publique, nous ne sommes pas un agent négociateur, je pense,
pour des groupes d'avocats particuliers. Si nous négocions ou discutons,
c'est pour tout le Barreau, ce qui inclut des avocats qui sont fonctionnaires,
d'autres qui sont dans de grandes études et qui n'ont aucun
intérêt possiblement dans l'assistance judiciaire et d'autres qui
sont à l'emploi de contentieux. Tous ces gens-là ont leur droit
d'association et leur droit de négociation. Je ne pense pas qu'il existe
quelque chose dans la loi du Barreau qui nous permette d'être agent
négociateur pour des groupes particuliers d'avocats.
M. CHOQUETTE: Je ne parle pas de la légalité, je parle de
la politique globale.
M. MOISAN: La politique pratique...
M. CHOQUETTE: Quelle est la politique du Barreau à l'heure
actuelle sur cette question-là?
M. MOISAN: C'est celle que je viens de vous dire. On a toujours dit,
d'ailleurs, dans un projet de loi qu'on avait présenté il y a un
an ou deux ans: Les groupes ou organismes habilités ou groupes
habilités à négocier les tarifs. On n'avait, pas dit que
c'était négociable avec le Barreau, on a dit que c'était
négociable avec ceux qui offrent leurs services dans le système
d'assistance judiciaire, pas à titre permanent, je veux dire, à
l'acte.
Je pense qu'on parle d'un organisme qui n'existe pas encore, du moins je
ne pense pas qu'il existe encore, à ma connaissance, il devra
évidemment s'organiser.
M. BURNS: Vous avez les fédérations d'avocats qui se
forment un peu partout actuellement?
M. MOISAN: Pardon?
M. BURNS: Les fédérations d'avocats qui se forment
actuellement, semble-t-il, à cause de la venue du bill 250, ce seraient
peut-être justement des associations qui veulent être les
représentants des intérêts économiques, sociaux et
moraux, au sens syndical du mot, des avocats.
M. MOISAN: Ce serait peut-être ça, je ne l'exclus pas. Je
n'exclus pas cette fédération ou ces groupes-là comme
représentants possibles des avocats qui s'intéressent à
l'assistance judiciaire. Je n'en fais pas d'exclusion.
Les dispositions des articles suivants ne paraissent pas comporter
tellement de problèmes et je crois que cela termine mon exposé.
Je regrette qu'il ait été bien long et j'espère qu'il a pu
éclairer les membres de la commission sur le problème que nous
avons présentement devant nous.
M. LE PRESIDENE: Merci beaucoup.
M. CHOQUETTE: Est-ce que vous avez terminé, Me Moisan?
M. MOISAN: Oui.
M. CHOQUETTE: M. Moisan, je désire vous remercier des
représentations qui ont été faites par le Barreau du
Québec sur ce projet de loi.
Je voudrais vous féliciter ainsi que Me Letarte pour votre
façon de vous exprimer et vous assurer que nous considérons votre
point de vue et les arguments que vous avez soulevés avec tout le
sérieux qui s'impose dans les circonstances.
M. PAUL: M. le Président, je veux m'associer aux
félicitations que vient d'adresser le ministre de la Justice. Ce qui a
été la marque caractéristique du mémoire qui nous a
été présenté et par Me Letarte et par Me Moisan,
c'est l'objectivité avec laquelle ils nous ont exposé le point de
vue des membres de l'Association du Barreau. On a toujours décelé
également le souci de la protection du public. Et je suis heureux
d'entendre le ministre nous déclarer que plusieurs des amendements
suggérés retiendront son attention et
surtout celle des officiers supérieurs du ministère de la
Justice. A tous ceux qui de près ou de loin ont travaillé
à la préparation de ce mémoire, je voudrais que Me Letarte
et Me Moisan expriment la reconnaissance unanime et les remerciements des
membres de la commission de la justice.
M. LETARTE: M. le Président, le Barreau remercie cette commission
de nous avoir donné l'occasion de nous exprimer complètement sur
le sujet qui nous tenait tant à coeur et ne voudrait pas conclure cette
entrevue sans renouveler son offre de collaboration à toute mesure
susceptible d'aider l'accès à la justice pour les
défavorisés.
M. CHOQUETTE: M. le Président, je constate qu'il est midi et je
pense que nous devrons ajourner. Nous avions d'autres personnes à
entendre, M. Jean Loranger, le syndicat des avocats de l'assistance judiciaire
et également Madame Harper. Je suggère que nous entendions ces
personnes cet après-midi, après la période des questions,
c'est-à-dire vers 4 heures.
M. LE PRESIDENT: La commission ajourne ses travaux à cet
après-midi 16 heures.
M. CHOQUETTE: En ce qui concerne les séances ultérieures
de la commission, je suggère que celles-ci aient lieu les 17 et 24 mai.
Le 17 mai, nous pourrions siéger dans la matinée à compter
de 9 h 30 pour entendre la Fédération des avocats ainsi que
l'Association des cliniques légales. Nous ne pourrons malheureusement
pas siéger l'après-midi ce jour-là à cause de
travaux parlementaires.
Le 24, nous pourrions entendre la Ligue des droits de l'homme,
l'Association des notaires de
Montréal, le Jeune Barreau de Montréal et l'Association
des défenseurs des droits sociaux. Je ne sais pas quelle est cette
association, mais elle s'est inscrite. J'espère que nous pourrons tenir
deux séances le 24, une le matin et une l'après-midi, ce qui nous
permettra peut-être de conclure les travaux de la commission sur le
projet de loi qui a été soumis à son attention.
M. PAUL: En ce qui a trait à la séance du 24,
l'après-midi, pourrais-je inviter le ministre de la Justice à
consulter son collègue, le leader du gouvernement, à cause de
certaines ententes qui avaient été prises...
M. CHOQUETTE: Oui.
M. PAUL: ... lorsque les députés de l'Opposition ont
consenti à abandonner la journée du mercredi.
M. CHOQUETTE: Je fais la suggestion aux honorables députés
de l'Opposition qui sont ici présents, enfin vous pourrez la
considérer et me communiquer votre réponse peut-être cet
après-midi. Je vais parler au leader du gouvernement. De votre
côté, vous pourrez examiner si c'est possible de votre part.
M. BURNS: Pour l'information du ministre, l'Association pour la
défense des droits sociaux, je sais qu'il n'y en a pas dans Outremont,
mais c'est ce qu'on appelle les avocats populaires.
M. CHOQUETTE: Ah!
M. PAUL: Voulez-vous dire qu'il n'est pas populaire, le ministre?
(Suspension de la séance à 11 h 53)
Reprise de la séance à 16 h 17
M. PICARD (président de la commission permanente de la justice):
A l'ordre, messieurs!
Je déclare la séance ouverte et je donne la parole
à M. Jean-T. Loranger.
M. Jean-T. Loranger
M. LORANGER: Bonjour, M. le Président. Je voudrais simplement
dire un mot sur le fait que je me trouve ici comme membre du Barreau et que je
présente un mémoire seul; ce n'est pas une situation que j'ai
choisie, c'est une situation dans laquelle je me suis trouvé.
On a fait à la loi, au bill 10, des reproches
généraux qui sont en gros de ne pas accorder la liberté de
soi, de ne pas prévoir de l'aide suffisante pour des groupes, de ne pas
accorder pleine autonomie aux citoyens et de relever de trop près du
gouvernement et de l'exécutif du ministre de la Justice.
Je crois, respectueusement, que la question du choix a été
largement discutée et il me semble que le choix de son avocat est un
privilège essentiel et que, par ce fait, c'est une question de principe,
il devrait donc être inclus dans la loi. Cependant, tout le monde sait
qu'en fait le choix est extrêmement limité. Il serait juste aussi
de reconnaître ces limites mais de les reconnaître plutôt par
voie de règlement de façon à pouvoir consacrer dans la loi
de la province le fait que le choix d'un avocat est un droit reconnu. Ce droit
peut être limité tout comme il est limité par la nature des
choses. On fait le meilleur choix possible dans les circonstances.
Ce ne serait pas une limite injuste que le choix soit donné, mais
à l'intérieur d'un bureau permanent ou d'une clinique, comme on
l'appelle communément, à ce moment-là.
Il n'est pas nécessaire non plus, je crois, de donner le choix
dans tous les cas. Mais on peut certainement accepter le choix d'un individu
qui le demande. Si, au début, on croit qu'il est plus prudent de
l'accepter seulement dans certains cas, je pense que cette limite devrait
paraître plutôt dans une réglementation que dans le texte de
la loi.
Quant à ce qui est de l'aide des groupes, je crois, comme M. le
ministre l'a fait remarquer ce matin, que c'est plutôt une question de
procédure qui relève du code de procédure. Je pense qu'il
y aurait lieu, par exemple, de songer à assouplir le code de
procédure pour faciliter les actions de groupe ou je ne sais pas
comment dire en français le "test case". La procédure est
encore un peu complexe pour ce genre d'action; elle n'est pas parfaite. Je
crois qu'il y aurait lieu d'amender le code de procédure et dès
lors, l'action de groupe, qu'elle vienne en vertu de l'aide juridique ou non,
serait une procédure normale reconnue qu'on pourrait accepter.
On a reproché à la loi de ne pas reconnaître une
pleine autonomie aux citoyens, parce qu'ils sont contrôlés par les
règlements d'une commission dont les membres sont choisis. Je me demande
pourquoi, au coeur de la commission, il n'y aurait pas lieu que certains des
directeurs, des administrateurs des corporations locales envoient des
délégués. Par exemple, disons que les grandes
régions pourraient, comme la région de Montréal, la
région de Québec, la région du bas du fleuve, la
région du nord-ouest, avoir un délégué, une
délégation de la corporation locale, pour faire suite à
l'esprit de participation que la loi d'aide juridique veut encourager. Je
reviendrai un peu plus tard sur cette question-là.
L'autre reproche général que l'on a fait à la loi,
c'est de relever trop immédiatement du gouvernement, c'est-à-dire
de relever du ministre de la Justice et de prévoir la présence
à la commission de deux sous-ministres.
Je ne pense pas au ministre actuel ni à un ministre dans la
province de Québec, je pense à un ministre de la Justice. Je
crois que tant que ce ministre de la Justice est chargé de l'ordre
public et de la police, il est inconcevable qu'on inscrive dans un texte de loi
qu'il doit également être responsable de défendre les gens
contre les citoyens privés. D me semble qu'il y a là une
contradiction de principe et que cette contradiction ne devrait pas être
inscrite dans la loi.
Je ne crois cependant pas pour cela qu'il faille enlever au ministre de
la Justice la responsabilité financière. C'est son
ministère qui connaît les services juridiques. Mais lorsqu'on
charge un ministre de faire rapport sur les activités et lorsqu'on le
charge de l'application de la loi, il me semble qu'il y a là une
contradiction. Je ne suis pas un expert en droit administratif, mais je crois
que le ministre pourrait rester responsable de la partie financière, tel
qu'il est prévu à l'article 85, par exemple d'obtenir de
l'Assemblée nationale les fonds requis, mais que le rapport sur les
activités devrait être fait ailleurs, je le suggère, soit
directement à la Chambre, soit au Protecteur du citoyen, pour
transmission à la Chambre. Je crois que, de cette façon, il
serait plus manifeste qu'il n'y a pas de contradiction avec le rôle du
ministre, tel qu'il est exprimé dans la loi. Le bâtonnier Moisan,
ce matin, a fait remarquer qu'il n'était pas suffisant que l'on agisse
avec justice. Il faut de plus qu'il soit manifeste que l'on agisse avec
justice. Il faut, c'est certain, qu'il soit absolument manifeste que l'on a
accès à l'aide juridique sans qu'on puisse soupçonner
même si on a un mauvais jugement qu'on n'a pas accès
à un service qui est complètement indépendant.
Je recommanderais donc que les article 86 et 82 soient modifiés
dans ce sens mais l'article 85 peut très bien être maintenu.
Je dois dire aussi que j'aimerais recommander que la commission, telle
qu'elle est constituée, soit remplacée par un autre mode. Le
premier, c'est que l'on réduise la commission à trois
membres et qu'on leur laisse les fonctions qui sont actuellement prévues
pour le président et le vice-président. C'est-à-dire que
ce sont de fait trois membres qui vont être les directeurs
généraux du service et qui vont l'administrer.
Ces personnes, si elles ont un problème d'admissibilité ou
un problème juridique, pourraient avoir l'autorisation de s'adjoindre le
conseil de personnes compétentes en la matière. Autre
possibilité, je suggérerais à ces personnes-là que
leur rapport soit fait directement à l'Assemblée nationale, ou au
protecteur du citoyen plutôt qu'au ministre de la Justice, et dans le
même esprit que les remarques que je faisais plus tôt.
Ou bien on pourrait conserver le conseil tel qu'il est, mais lui retirer
tout ce qui concerne l'admissibilité de problèmes juridiques et
confier cette charge à un directeur général avec un ou
deux adjoints. A ce moment-là, le problème de l'administration
quotidienne est complètement réglé en bas du conseil et le
conseil, lui, détermine les politiques générales. Il n'y
aurait plus de contradictions à avoir le sous-ministre de la Justice et
le sous-ministre des Affaires sociales comme membres des douze parce qu'ils
joueraient tous un rôle de conseil de direction.
Mais avec l'organisation actuelle, la commission prévue
relève du ministre de la Justice, a un président actif
engagé dans le quotidien, un vice-président actif engagé
dans le quotidien. Or, être engagé dans le quotidien, ça
veut dire être en contact avec le ministre des Affaires sociales et le
sous-ministre de la Justice.
Vous avez là, à l'intérieur de notre commission, un
comité de direction devant lequel les huit autres membres vont
être absolument impuissants. En conséquence, ils vont se
désintéresser de leur travail ou, s'ils ne s'en
désintéressent pas, ils vont porter les problèmes à
la scène publique. Si vous avez une personnalité forte, par
exemple, qui est membre de la commission, à ce moment-là, les
problèmes de la commission risquent d'être portés à
la scène publique, c'est-à-dire par les moyens de communication,
les journaux, etc. Avec grand risque de conflit évidemment, avec les
droits des individus qui peuvent être concernés par un
problème.
M. PAUL: M. Loranger, je ne voudrais en aucune façon devancer
votre argumentation; je ne voudrais pas non plus vous placer dans l'embarras.
Si vous aimez mieux ne pas répondre, vous ne répondrez pas.
Personnellement, est-ce que vous avez une objection à ce que le
sous-ministre de la Justice soit membre de la commission?
M. LORANGER: Si le président et le vice-président doivent
agir comme directeurs généraux, oui. Parce que les contacts sont
trop immédiats, les contacts sont très constants et vont
l'être. Et, à part cela, il y a le problème du conflit avec
une autorité publique. Je crois que, si l'on veut conserver les
sous-ministres au conseil et je pense que c'est très juste, parce
que le gouvernement est certainement intéressé au problème
à ce moment-là, chacun des membres du conseil doit
être sur pied d'égalité. Et tout ce qui concerne le
problème individuel et la conduite immédiatement quotidienne du
travail doit être confié à un directeur
général et à un ou deux adjoints, suivant le besoin qu'ils
ont.
Ces adjoints pourraient se rapporter au conseil aussi
régulièrement que le conseil le souhaiterait et le conseil
pourrait donner ses directives générales, ses politiques, etc. Il
y aurait là, entre l'exécutif du gouvernement,
c'est-à-dire le cabinet ou le ministre en supposant une question
de conflit un coussin, une espèce de palier où il n'y a
pas de communication.
La décision s'arrêterait au directeur général
et la censure contre ce dernier serait évidemment la censure bien
ordinaire et ensuite, le renvoi et la suspension. Si on prend soin...
M. PAUL: C'est assez difficile.
M. LORANGER: ... de choisir un, deux ou trois hommes. Je me permets de
dire que si c'est le président ou encore le vice-président qui
conduit l'assistance judiciaire dans le quotidien, les autres membres du
conseil seront forcés, presque sans nécessairement qu'on le
veuille, mais par la simple nature des choses, à avoir un rôle
absolument passif. Ils recevront des rapports de ce qui s'est passé, on
leur demandera leur opinion sur l'avenir, on va commencer à le mettre
à exécution mais on est déjà engagé dans la
décision parce que les décisions ne se prennent pas d'une
façon tranchée, les décisions sont longues et
prolongées, il y a des débats, des discussions.
En somme, le président et le vice-président et le
gouvernement si c'est un problème où le gouvernement est
intéressé le moindrement se trouvent déjà
engagés et déjà presque entraînés à
prendre une décision qu'ils feront ratifier par le conseil. Je crois que
c'est une mauvaise chose parce que, si c'est ça, les membres du conseil
qui sont vraiment intéressés n'y resteront pas longtemps. Ils se
retrouveront dans une situation secondaire.
Comme je disais tantôt je ne veux pas me
répéter mais s'il y en a un qui a une personnalité
plus forte ou qui veut s'affirmer et qui se trouve régulièrement
placé devant ces décisions, à ce moment-là, on aura
un esclandre public, c'est-à-dire que ce monsieur se permettra
peut-être de faire une déclaration en disant : En somme, ce n'est
pas moi qui décide, c'est toujours décidé, etc.
La formule que je suggère c'est la formule qui m'est venue
à l'esprit, il y en a peut-être une meilleure mais je crois
que la commission en tant que telle, devrait s'occuper des problè-
mes généraux, des politiques générales, de
l'appréciation des programmes, etc. Mais le jour-le-jour devrait relever
d'un niveau inférieur. Il reste aussi qu'on ne peut pas décider
d'une question d'admissibilité, on ne pourra pas faire une
révision sans s'engager dans le problème juridique.
Penser que l'admissibilité et le problème juridique d'un
individu sont deux choses distinctes, je crois que c'est une erreur. En fait,
les deux sont absolument liés et on ne peut pas déterminer une
admissibilité sans connaître l'importance du problème.
C'est pourquoi l'admissibilité doit être faite ou au moins
parachevée par un avocat. Elle ne peut pas être faite
exclusivement par des gens des services sociaux parce qu'ils ne peuvent pas
apprécier vraiment l'admissibilité, en tout cas, certes pas des
cas marginaux.
Je voudrais revenir ensuite à quelques commentaires plus
spéciaux. J'aimerais relever en passant, non pas parce que cela a
été dit ce matin, mais parce que j'ai été à
l'assistance judiciaire assez longtemps et c'est une vieille critique qui m'a
été répétée plusieurs fois la semaine, c'est
qu'il y a une différence de qualité dans les services d'un avocat
salarié et les services d'un avocat praticien privé.
Je crois que les faits ou en tout cas l'expérience vécue
au bureau ne supportent pas, n'appuient pas cette vue des choses. Je crois que
c'est entièrement une question de caractère des individus qui
sont engagés dans un travail et secondairement le contrôle et
l'appui que ces gens reçoivent. J'avais relevé en passant, mais
c'est tout simplement en passant, que les résultats que nous avons
à l'assistance judiciaire sont très encourageants et montrent
qu'à la cour d'Appel, par exemple, ou aux Assises, notre
pardonnez l'expression moyenne au bâton est plus forte que la
moyenne générale, et plus forte que la moyenne canadienne. On a
pu lire aussi que ce n'est pas un exemple extraordinaire, c'est un exemple qui
se retrouve ailleurs, que les gens qui sont intéressés à
l'aide juridique et qui s'y donnent préparent bien leurs causes et,
souvent, même s'ils sont moins habiles que d'autres, parce qu'ils ont eu
l'avantage d'être dégagés d'autres obligations, d'autres
soucis, réussissent aussi bien que d'autres qui sont peut-être
plus compétents qu'eux.
C'est une expérience qui a été relevée, je
crois en tout cas, aux Etats-Unis entre autres. Ceci dit en passant.
Je voulais aussi relever un autre commentaire qui a été
fait constamment à l'assistance judiciaire à Montréal.
C'est que nous avions des jeunes avocats et ils étaient
inexpérimentés. Or, je découvre soudainement en 1971 que
les jeunes avocats sont extrêmement compétents à partir du
moment où ils sont dans une clinique. Au bureau, pendant des
années, on nous a reproché d'avoir des jeunes avocats. Je crois
donc que la jeunesse des avocats est un facteur qui a son poids mais cela n'est
pas un facteur absolu. Seulement, où il devient très
intéressant pour la jeunesse de travailler avec efficacité c'est
quand elle se sent appuyée et quand elle a quelqu'un pour la guider au
moment où elle a des hésitations.
Je crois que le travail en groupe, le travail d'équipe, est la
façon pour les jeunes gens de travailler.
On nous a aussi parlé des services personnalisés. Nous
avons eu cette épreuve au bureau parce que nous sommes passés par
un stade où il fallait un avocat à la comparution, un avocat
à l'enquête et un troisième et nous avons eu beaucoup de
critiques. Mais ces critiques ont cessé depuis un an parce que nous
avons eu des avocats assez nombreux et que nous les avons fait travailler en
groupe. Alors dès le début l'individu sait qu'il relève de
ce groupe-là et il est présenté le plut tôt possible
à chacun des membres des groupes. S'il n'aime pas son avocat il peut
très facilement, sans aucun retard dans les procédures,
être confié à un autre, ce qui lui donne un certain choix
qui est utile.
J'en reviens à la loi qui a un objectif double: les services
professionnels et l'accès à la justice. Pour ce qui est des
services professionnels, on veut donner à la population tout ce que la
compagnie Bell Telephone et le CPR obtiennent de leur contentieux. C'est ce
qu'on veut donner à la population d'une façon
générale parce que la population en a besoin. Elle a besoin de
quelqu'un pour lui répondre immédiatement lorsqu'elle a des
questions, pour lui donner immédiatement une explication, pour
entreprendre immédiatement une démarche auprès d'autrui
et, quand c'est nécessaire, une démarche auprès du
tribunal ou de l'autorité concernée. Il y a aussi une seconde
partie dans les services professionnels qui est très importante, c'est
l'éducation du public, le dialogue avec le public, le
rétablissement: je crois que c'est M. le député de
Bellechasse, si je ne me trompe pas, qui a dit que cela pouvait revaloriser la
profession. C'est très vrai. Il y a beaucoup de gens qui n'ont pas
confiance et qui ont peur.
Je crois qu'en installant les avocats chez le public, en leur permettant
de dialoguer avec nous, ils perdront leur peur et regagneront une confiance
dans leur avocat d'abord et, parce qu'ils l'auront gagnée en lui, dans
les autres avocats. Mais tous ces travaux sont des travaux à longue
haleine; or, on sait que si les besoins des pauvres sont grands, ils ont
d'abord ce besoin principal de services professionnels, mais ils en ont un
autre aussi grand et c'est l'accès à l'appareil judiciaire. La
loi, à mon avis, ne prévoit aucun moyen par lequel l'appareil
judiciaire peut se rendre plus facilement accessible. Or, on ne peut pas
faciliter cet accès sans que les tribunaux le veuillent, le comprennent,
le sachent, y collaborent et l'encouragent. On ne peut pas
accélérer les services d'administration de la justice, je pense
à la couronne, la sténographie, les interprètes, la
prison, etc., si la couronne ne le comprend pas, ne collabore pas.
L'expérience a montré que ce qu'on craignait au
début, c'est que nous surchargions les tribunaux, que nous retardions
les procédures; c'était une fausse crainte. Dès que nous
avons eu les ressources suffisantes pour nous organiser d'une certaine
façon, nous avons réussi à accélérer. Nous
sommes entrés récemment depuis six mois à la
cour Municipale et on nous a dit: C'est vrai que le nombre de dossiers a
augmenté mais nous n'avons plus de pupitres chargés. Nos dossiers
s'écoulent. Pourquoi? Parce que justement l'accès est
coordonné. L'accès aux tribunaux, à l'appareil judiciaire,
est coordonné.
Je crois, au moins dans un district comme celui de Montréal,
qu'il faut absolument une coordination de tous les efforts d'aide juridique en
ce qu'il concerne "proprie dictu" l'accès aux tribunaux, pas pour le
reste, mais pour cette partie, et je crois que la loi ne prévoit pas
cela. La loi prévoit une commission, des conseils consultatifs et des
corporations autonomes. Or, s'il y avait 35 corporations ou 45 corporations
autonomes à Montréal, je ne crois pas que ces corporations
à moins de reconstituer par voie d'association le bureau d'assistance
judiciaire tel qu'il existe dans le moment, arriveraient à faciliter cet
accès. On aura dans le moment tout simplement retardé de quelques
années une façon d'agir qui, au moins dans les premiers
éléments, existe et déjà fonctionne avec
succès. Je n'ose pas vous ennuyer avec des chiffres.
Il reste tout de même que s'occuper de 27,000 cas, c'est quelque
chose et être capable d'offrir une collaboration à direction
complète, dans 27,000 cas, c'est un atout. Dans le moment, on
prévoit cette coordination uniquement en matière criminelle, par
l'article 32 du bill.
Les juges en chef de la cour d'Appel, de la cour Supérieure, de
la cour Municipale, de la cour Provinciale nous ont demandé s'il n'y
avait pas moyen de nous entendre pour que toutes nos affaires viennent dans un
certain ordre, dans un certain temps pour pouvoir, eux-mêmes,
accélérer leur travail. C'est pour cette raison que je crois
je ne veux pas abuser qu'il faut, dans un district des dimensions
de celui de Montréal, un organisme qui soit engagé dans le
travail, mais qui ait une autorité additionnelle suffisante pour exiger
la collaboration de toutes les autres cliniques ou bureaux dans la section,
uniquement pour les fins de faciliter le travail auprès des
tribunaux.
Autre chose, il y a à Montréal, comme vous le savez,
enregistrés ça veut dire qui viennent de
l'étranger, des Etats-Unis 4 millions de visiteurs au moins par
année. Cela ne compte pas les gens qui viennent des autres provinces ni
les gens qui viennent des autres parties de la province. Dans la ville de
Montréal, il y avait en 1966, ce sont les derniers chiffres que j'ai pu
obtenir, 38,000 ménages de chambreurs. Ce qu'on appelle les
ménages de chambreurs, c'est soit un chambreur unique ou soit des
groupes de chambreurs, comme par exemple trois jeunes filles, trois jeunes gens
ou un couple, ce sont les occupants. Ces gens-là aussi ne demeurent pas
dans la même chambre longtemps. Il font partie de la population
flottante. En plus, Montréal est en train de devenir un centre
cosmopolite où il y a constamment des gens qui sont en circulation.
Comme vous le savez, les statistiques établissent que, dans
l'année, il y a un minimum de 3,200,000 personnes dans les hôtels
et les motels de la région de Montréal. C'est 73 p.c. du nombre
des chambres qui pourraient être occupées. Toutes ces
personnes-là, qui ont besoin d'assistance judiciaire, où
vont-elles s'adresser? Au Barreau, au palais de justice. Toute cette population
flottante, le monsieur de Saint-Hilaire qui vient se faire arrêter
à Montréal, la madame de Sainte-Anne-de-Bellevue qui est venue
faire des transactions à Montréal, où vont-ils s'adresser?
C'est un point.
Il y a une population flottante, il faut qu'il y ait un bureau à
pouvoirs généraux pour accueillir tout ce que les cliniques
n'accueilleront pas. Or, je peux penser tout simplement que si je vivais
à la Pointe-Saint-Charles et que j'avais surpris mon épouse en
flagrant délit d'adultère avec un membre du conseil de la
corporation, je ne serais pas intéressé à aller porter mon
action en séparation dans ce quartier-là du tout. J'aimerais bien
aller régler cette histoire-là ailleurs.
Il y a aussi tout l'aspect... Pardon?
M. HARDY: C'est un cas très exceptionnel.
M. LORANGER: C'est peut-être un cas à part...
M. BACON: Vous insultez le député de Sainte-Anne.
M. HARDY: Surtout les membres du Barreau.
M. LORANGER: Je pense aussi à un autre aspect dans le même
sens, à savoir tous les problèmes qui sont l'envers de la bonne
médaille de la clinique locale. Ce sont les préjudices locaux,
l'ostracisme local, les querelles de voisins, etc. C'est vécu, ce ne
sont pas des choses dont je parle en rêve. Il y en a des gens qui ne
veulent pas aller aux cliniques et qui viennent chez nous et il y a des gens
qui ne veulent pas venir chez nous et qui s'en vont aux cliniques.
Je crois donc qu'il faut un bureau général qui puisse
accueillir tous les gens, soit parce qu'ils sont de passage, soit parce que,
venant d'Ontario, ils ont un problème à Montréal. Par
exemple, ils sont aux prises avec leur hôtel, ils ont
dépensé tout leur argent et ils sont aux prises avec le
gérant de l'hôtel. Toute cette population flottante...
M. HARDY: Vous trouvez qu'ils méritent d'avoir recours à
l'assistance judiciaire?
M. LORANGER: Je considère qu'ils méritent d'avoir recours
à l'assistance judiciaire aussi. Je crois qu'un individu qui a
dépensé toute sa fortune un soir, a droit le lendemain matin
à l'assistance judiciaire si on le conduit devant le tribunal. Il a
droit à une défense pleine et entière. Si le rapport
Ouimet est mis en vigueur, les procédures seront invalides, si on lui
fait un procès sans qu'il ait refusé un avocat. C'est certain que
c'est bien malheureux mais on porte le poids de ses propres
péchés, on va être obligé de payer des taxes et de
dépenser de l'argent pour aider des gens qui ne le méritent
pas.
M. HARDY: Dans ce cas-là, c'est le péché des
autres.
M. LORANGER: C'est peut-être le péché des autres
mais c'est le péché commun à notre société,
si vous voulez.
M. HARDY: Je me demande si on ne doit pas au moins encourager le vieux
dicton: II ne faut pas encourager le vice; je me demande si nous ne sommes pas
en train de le réléguer au nom de grands principes très
valables.
M. LORANGER: C'est certain, M. le député, que nous
n'encourageons pas ça. Mais si cet individu est venu le matin, parce
qu'il était très riche la veille, on ne refusera pas de l'aider
à la comparution. On lui obtient une semaine de délai
jusqu'à l'enquête préliminaire et on lui dit: Mon vieux,
débrouille-toi, appelle tes parents, écris-leur. Au besoin, on
écrira à ses parents ou à sa famille, à son
employeur, et il ressortira de l'assistance judiciaire.
Il y a toutes sortes de solutions.
M. PAUL: A ce moment-là, c'est du dépannage que vous
faites surtout.
M. LORANGER: C'est du dépannage, c'est une sorte de service
public que nous rendons.
M. GUAY: D'urgence temporaire.
M. LORANGER: D'urgence, justement, pour faciliter le travail des
tribunaux plutôt que pour l'individu en tant que tel.
M. CHOQUETTE: Me Loranger, auriez-vous une suggestion à nous
faire au point de vue de la coordination entre les cliniques des quartiers,
avec leurs responsabilités locales, et le bureau général
dont vous voyez la nécessité, par exemple, surtout dans un grand
centre comme Montréal?
M. LORANGER: Je crois qu'il y aurait nécessité que les
cliniques locales ou le bureau local informent ce bureau principal des temps
où une procédure va venir à la cour pour que nous sachions
qu'il y a tant de causes qui viennent. On n'a pas besoin de s'engager dans le
cas mais on doit savoir qu'il y a tant de causes.
Ceci nous permettrait, par exemple, d'aller voir le juge en chef et de
lui dire: M. le Juge en chef, au lieu de nous donner seulement la
journée de lundi, la semaine prochaine, voulez-vous nous donner aussi la
matinée de mardi? Voulez-vous nous donner un juge spécial, parce
que nous avons tant de causes, tant de mesures préliminaires? C'est un
travail qui a déjà été fait dans la ville de
Québec et avec succès. De sorte que tel jour, les gens de
Québec et on peut le faire à Montréal aussi bien
s'arrangent pour toujours signifier leurs procédures en un
même temps, de façon que les choses viennent, en cours de
pratique, à un même moment. Cela reste très facile,
à ce moment-là, et offre cet avantage que si le matin,
l'individu, pour une raison ou pour une autre, ne peut pas y aller c'est
urgent, on le sait il n'a qu'à nous appeler et nous pouvons
suppléer, ne fût-ce que pour demander une remise.
Il y a 36 petits détails de coordination comme celui-là
qui peuvent se présenter et qui rendraient un bureau comme
celui-là très utile, je crois. Dans la région de
Québec, le grand Québec si vous voulez et dans la région
de Montréal, ça me paraît nécessaire.
M. CHOQUETTE: Nous y avions pensé, mais je me demandais si, en
pratique, vous aviez une formule à nous proposer au sujet de la
coordination de l'action entre ce grand bureau, telle que le bureau
d'assistance judiciaire de Montréal ou celui de la ville de
Québec, et des cliniques locales ou des extensions de votre bureau
général dans les divers quartiers. Vous comprenez ce que je veux
dire là?
M. LORANGER: Je comprends ce que vous voulez dire, M. le ministre, mais
je n'ai pas de suggestion explicite pour le moment. Ce que je croyais important
à ce stade-ci, c'était d'essayer de convaincre la commission que
l'article 32, par exemple, devait être modifié, de façon
à permettre la création d'une corporation qui serait semblable
aux autres, avec un conseil qui serait choisi dans la région, mais qui,
en plus des services juridiques pour la population flottante, aurait le droit
d'exiger la collaboration des avocats des autres domaines qui pourraient leur
rendre un tas de services. Je pense aux vacances d'été, par
exemple. S'il y avait une coordination, il serait très facile de ne pas
fermer un bureau, de s'arranger pour remplacer un avocat, mais pas
nécessairement par un avocat qui partirait du bureau central pour y
aller. S'il y a une collaboration entre tous ces bureaux, ces choses-là
peuvent être coordonnées et même au point de vue du
personnel, c'est très important.
M. PAUL: Vous verriez la nécessité de ces deux
corporations spéciales pour Montréal et Québec?
M. LORANGER: Je crois que, là où la population est
très dense, là où il y a une grosse population flottante,
il faudrait un organisme pour recevoir les gens qui vont s'y présenter.
Peut-être qu'ils auraient pu aller à une clinique, mais ils vont
se présenter là. Quel que soit leur motif, parce qu'ils sont des
étrangers sans être étrangers, ce sont des visiteurs
parce qu'ils ont un problème échu et que, d'instinct, ils
sa sont précipités à la cour et la cour leur a dit: Le
bureau le plus près, c'est celui-là, il faudrait un bureau qui
s'occupe de ces gens-là.
Mais ce même bureau qui s'occupe de ces gens-là devrait
aussi s'occuper de faciliter le travail de la couronne, tout le système
: services sténographiques, services d'interprètes, et surtout de
faciliter la tâche des juges en chef en leur disant: M. le Juge en chef,
vous préparez un rôle, il y a telle et telle cause; il y en a
soixante qui sont prêtes dans la région de Montréal, il y
en a cinq, six là, il y en a sept, huit là.
M. CHOQUETTE: M. Loranger, je comprends très bien votre
idée, au point de vue politique, d'établir une politique
d'accès aux tribunaux et d'avoir surtout un organisme qui soit
responsable d'établir les relations nécessaires avec les juges en
chef et les autres responsables de la justice.
Maintenant, je vais vous poser une question d'ordre pratique.
Actuellement, c'est vous qui dirigez le bureau d'assistance judiciaire de
Montréal, n'est-ce pas? C'est vous qui avez la responsabilité
dans le quotidien, comme vous avez dit.
M. LORANGER: Oui, monsieur.
M. CHOQUETTE: Quelle est la nature de vos relations avec les cliniques
qui se sont formées à Montréal et dans les environs? Et
pourriez-vous faire état à la commission...
M. LORANGER: A ma connaissance, ces relations sont très bonnes.
Les cliniques nous envoient des parties adverses, par exemple, et nous leur
enverrons des parties adverses. Souvent quand les gens nous appellent et quand
nous sommes surchargés au bureau, ou même sans être
surchargés, quand ils nous donnent leur adresse, près du centre
sud, Pointe-Sainte-Charles, sur la rive sud là où il y a le South
Shore Community, nous leur dirons: Présentez-vous là si c'est
plus près pour vous. Les relations sont très bonnes, que je
sache, en tout cas, certainement entre les avocats en charge de ces
cliniques.
M. Dorval me fait remarquer que les cliniques qui existent aujourd'hui
nous envoient tous les cas de nature criminelle. Et je lisais récemment
probablement que d'autres l'ont lu dans le journal que le
directeur d'une clinique, peut-être la plus importante, disait: Nous ne
pouvons plus nous occuper des cas criminels, nous ne pouvons plus nous occuper
des cas matrimoniaux et même nous n'arrivons plus à donner des
consultations. Nous n'arrivons pas à faire ce pourquoi nous existons,
c'est-à-dire, le problème de revalorisation. Cela signifie que,
dans les cliniques, il va falloir qu'il se fasse, à un certain moment,
je crois, une option. Est-ce qu'on s'en va vers la revalorisation ou est-ce
qu'on s'en va vers le travail judiciaire?
M. CHOQUETTE: Les différents organismes permanents pourraient
avoir des vocations différentes.
M. LORANGER: Oui.
M. CHOQUETTE: M. Loranger, d'après votre expérience, quel
est le pourcentage de fraudes vis-à-vis de l'assistance judiciaire
existante? Jusqu'à quel point héritez-vous d'un certain nombre de
clients qui auraient les moyens d'obtenir les services d'avocats de la pratique
privée mais qui se faufilent dans la filière sans divulguer leurs
moyens financiers réels? Est-ce que vous êtes en mesure de nous
donner une appréciation?
M. LORANGER: Je ne suis pas en mesure de vous donner un chiffre exact.
Mais je vous donnerai un chiffre qui est peut-être élevé
mais je crois que cela ne dépasserait pas les 10 p.c. Et cela, ce serait
déjà élevé.
M. HARDY: Avez-vous une autre question? M. CHOQUETTE: Non.
M. HARDY: Une question additionnelle ou supplémentaire à
la question du ministre, comme nous disons en Chambre. Est-ce que vous avez des
moyens de contrôle? Quels sont vos moyens de contrôle pour voir si
vous êtes victimes de fraudes ou non?
M. LORANGER: Nous avons des moyens de contrôle qui sont assez
efficaces quand nous pouvons obtenir des renseignements sur la personne
auprès d'un service social. Nous essayons lors de l'entrevue de savoir
si à un certain moment cette personne s'est adressée à un
service social? Et là nous faisons la vérification auprès
du service social. Au-delà de cela, nous n'avons pas jusqu'à
aujourd'hui, sauf dans des exceptions très rares, engagé
d'enquêteurs.
M. HARDY: Alors, cela...
M. LORANGER: Nous avons songé à engager un
enquêteur. Je crois qu'à un certain moment, il faudra l'avoir mais
nous avons fait des enquêtes de vérification.
M. HARDY: Si je comprends bien, c'est que vous pouvez contrôler
les assistés sociaux. S'il
s'agit de quelqu'un qui reçoit des prestations d'assistance
sociale en vertu du bill 26, vous pouvez vérifier. Je vais vous relater
une expérience, non pas chez vous mais à
Saint-Jérôme: un jour, un de mes confrères est
appelé à défendre quelqu'un en cour pour l'assistance
judiciaire et le matin du procès la personne l'appelle pour lui dire:
Non, je ne peux pas être à mon procès ce matin, demandez
une remise parce que je suis retenu par mes affaires en dehors de la ville.
M. LORANGER: Ces choses se produisent, M. le député mais
seulement il se produit aussi qu'au bureau chez nous, nous avons normalement
une ou deux entrevues avec la personne et la personne peut réussir
à nous tromper. Mais là, elle va voir un confrère et
commence à discuter son cas.
Elle a plusieurs entrevues avec le confrère et, à un
moment donné, elle oublie qu'elle est un cas d'assistance judiciaire, et
cette personne-là, homme ou femme, va découvrir son jeu.
Jusqu'à présent, la politique du Barreau a été que
nous ne cherchions jamais de récupération, nous annulions tout
simplement le contrat. Mais dans le cas de la clinique ou chez nous, par
exemple, si nous plaidons les causes en matière civile, nous allons voir
l'individu, nous allons préparer toute la cause avec lui, nous allons
voir ses témoins, et à ce moment-là nous pouvons faire le
détectage à 90 p.c. Maintenant, les expériences faites,
entre autres à New York, ont indiqué que ça ne valait pas
la dépense de vérifier. Autrement dit, le coût de
vérification était au-delà du service que ça
rendait ou de l'économie que ça couvrait.
M. HARDY: Oui, évidemment, on s'avance peut-être là
dans un autre problème. Cela ne vaut peut-être pas le coup pour la
personne elle-même, mais s'il y a des systèmes de contrôle
assez importants, ça peut empêcher l'augmentation de la fraude.
Bien sûr, si une personne vous fraude, ça va peut-être
coûter plus cher de faire l'enquête pour elle que ce que ça
aurait coûté de la défendre, mais si, par ailleurs, il y a
un contrôle très rigide d'établi, ça peut
empêcher bien des gens d'essayer de se faufiler et d'avoir recours
à une assistance à laquelle ils n'ont pas droit.
M. LORANGER: Oui, mais je crois, M. Hardy, que les gens qui viennent
à l'assistance judiciaire, comme je vous le dis, dans la proportion de
neuf sur dix, c'est patent, il suffit de causer avec eux quelques instants pour
avoir une idée de leur échelle de valeurs. Il y en a qui nous
trompent, c'est certain, mais neuf sur dix ne nous trompent pas. En parlant de
contrôle, malgré que la province de l'Ontario, par exemple, n'a
pas récupéré beaucoup, je crois que si chaque
assisté, lorsqu'il obtient de l'aide, signait une formule par laquelle
il se tient responsable des frais si l'on établit qu'il n'est pas
admissible, au point de vue psychologique, ce serait le meilleur contrôle
et le moins coûteux. Parce que si la personne se dit: S'il
découvre mon petit jeu, il va me réclamer $250 pour cette
affaire-là, je suis aussi bien...
M. HARDY: Je suis d'accord avec vous, mais ce n'est pas encore certain,
parce que si on fait une comparaison avec ce qui se passe à l'assistance
sociale, il arrive comme ça, à un moment donné, que le
bureau aide temporairement des personnes, leur fait signer un engagement de
rembourser quand ils auront commencé à travailler ou qu'ils
auront reçu un certain montant de la CAT. Il y en a beaucoup qui
cherchent à se libérer de cet engagement. D'ailleurs, dans nos
bureaux de députés, je vais vous le dire, ça arrive, pas
tous les jours, mais assez fréquemment. Des gens qui ont signé
cet engagement s'en viennent nous voir et disent: N'y aurait-il pas moyen de
faire effacer cet engagement?
M. LORANGER: Oui, je comprends, mais je pense que le bureau serait
obligé de faire quelques exemples.
M. CHOQUETTE: M. le Président, si vous permettez, pour
éclairer la commission et le ministre. M. Loranger nous parlons de
satisfaire un besoin, c'est-à-dire le besoin de la classe la plus
défavorisée à des services juridiques et de lui assurer un
accès aux tribunaux, n'est-ce pas? D'après ce que vous connaissez
du contexte montréalais, comment répartiriez-vous ces besoins, je
veux dire au point de vue de la nature des services juridiques qui sont requis:
affaires matrimoniales, problèmes avec des compagnies de finance,
affaires criminelles, etc? Est-ce qu'il serait possible pour vous d'avancer, en
somme, une estimation des besoins que nous voulons combler?
M. GUAY: En pourcentage.
M. CHOQUETTE: En pourcentage, oui.
M. LORANGER: Oui, je l'ai ici en pourcentage, M. le ministre.
M. CHOQUETTE: Quelle est la nature des services juridiques requis par la
partie défavorisée de la population?
M. LORANGER: La nature des services requis. Il y a diverses
façons de répondre à la nature, mais, en fin de compte
cette année, en matière criminelle, ça représentait
29 p.c.
En matière matrimoniale et familiale d'une façon
générale, ç'a représente 41 p.c. En matière
du consommateur, ç'a représenté 29 p.c. et dans les autres
qui peuvent être des problèmes de succession ou des
problèmes de propriété, c'est de 12 p.c.
M. BLANK: Est-ce que les chiffres que vous
avez donnés représentent des cas dont votre bureau s'est
occupé ou s'ils incluent des cas que vous avez envoyés à
des avocats?
M. LORANGER: Ces chiffres-là incluent tous les cas que nous avons
eus depuis l'origine. Nous avons, par exemple, 41 p.c. des problèmes
matrimoniaux.
M. BLANK: Je vous le demande parce que 100 p.c. des causes qui me sont
envoyées sont des causes matrimoniales.
M. LORANGER: Ce n'est pas tout à fait 100 p.c, monsieur, c'est 81
p.c.
Au bureau, le problème est que le code civil est très mal
fait. Quand il y a une querelle de famille, les pauvres n'ont pas une chambre
privée où se retirer, ils n'ont pas de parents qui peuvent les
recevoir et ils ont cette idée que, si l'épouse s'en va, elle a
perdu tous ses droits et d'autres ont l'idée que si l'époux s'en
va, il perd tous ses droits et ses enfants.
Tout de suite, ils veulent recourir à la procédure. Le
résultat est que le bureau dont les problèmes matrimoniaux ne
constituent que 40 p.c, doit, dans les cas qu'il est obligé de confier
aux autres, parce qu'il ne peut pas les régler par négociation ou
démarche, référer 81 p.c de cas matrimoniaux. C'est bien
malheureux mais c'est la situation. Parce que, dans les autres cas, il y a un
autre moyen de les régler par négociation ou par entente,
etc.
M. le ministre, en addition à l'article 32, il faudrait aussi
tenir compte de l'article 51 qui attache le bénéficiaire au lieu
de sa résidence. Cette stipulation à propos de la
résidence devrait tomber. Tout simplement, la personne qui a besoin
d'assistance juridique s'adresse à une corporation d'aide juridique sans
plus. Cette personne-là, à ce moment-là, peut aller
à la corporation qui lui parait la plus utile. Cependant si elle se
présente, disons à celle de Pointe-Saint-Charles qui est
déjà surchargée avec ses propres gens, on va lui
répondre: Vous en avez une, monsieur, dans votre coin, près de la
rue Papineau, allez donc rue De Sève et allez à centre-sud. On
peut aussi dire: Allez ailleurs. Je crois que cette stipulation-là est
trop stricte telle qu'elle est dans le moment. Je pense qu'elle ne couvre pas,
par exemple, l'individu d'un bout de la ville qui est arrêté
à l'autre bout et qui aurait besoin d'aide à la cour Municipale
à l'autre bout de la ville. Ce monsieur-là n'est peut-être
pas capable de retourner chez lui. Il y a évidemment aussi tous les
problèmes auxquels je faisais allusion tout à l'heure, ces
problèmes d'ostracisme local, de querelle locale. C'est entendu que si
on s'intègre dans un quartier, on aura beaucoup d'amis. Seulement on
n'aura pas seulement des amis. C'est dans la nature des choses. Nos amis n'ont
pas seulement des amis. Je pense que ce serait parfaitement utile.
J'avais relevé quelques autres détails. Je pense que c'est
aussi une question de principe.
A l'article 69b) la commission a le droit de limiter par nature le genre
de cas. Cette limitation devrait rester une question de politique, s'il y a
lieu. Je pense que ça n'est pas bien dans une loi d'aide juridique
d'inclure un texte disant: Messieurs, il y a des recours qui existent pour les
riches parce que la loi les prévoit mais on vous les refuse. Cela
devrait rester une question de politique et la commission pourrait donner des
directives et dire dans tel et tel genre de cas...
M.CHOQUETTE: C'est exactement ce qu'on dit.
M. LORANGER: Vous dites que vous le faites par règlement, je
pense, M. le ministre.
M. CHOQUETTE: On a le pouvoir de réglementer. Il faut que la
commission établisse sa politique.
M. LORANGER: Je ne me rappelle plus du texte exactement à 69 b),
j'avais cru lire: "Déterminer la nature". Ceci me paraît exclure,
comporter une notion d'exclusion. J'ai peut-être mal lu.
M. CHOQUETTE: Non, je veux dire qu'il y a des cas que les avocats de la
pratique privée vont prendre même s'ils proviennent de gens qui
sont économiquement défavorisés.
M. LORANGER: Mais cela est déjà prévu dans la loi,
à l'article 58, je crois.
M. CHOQUETTE: Oui, mais je veux dire qu'il y a peut-être des types
de litiges en somme.
M. BLANK: Je pense à un exemple, j'avais un cas semblable que
j'ai justement envoyé à l'assistance judiciaire. Un gars veut
avoir un divorce, il a droit à un divorce, il a droit à
l'assistance judiciaire à ce moment-ci, parce que le gars ne travaille
pas et il suit un cours du Centre de la main-d'oeuvre, mais en fait il peut
attendre jusqu'à l'année prochaine ou deux ans pour avoir son
divorce. Ce n'est pas urgent. Un homme riche a droit à son divorce
immédiatement mais lui à ce moment, parce qu'il ne travaille pas,
il pense que ce serait l'occasion d'avoir un divorce gratuit.
M. LORANGER: Je pense, M. le député, que c'est une de ces
limites au droit parfait, au droit absolu qui s'explique. Dans le moment, par
exemple, nous nous occupons des divorces mais nous essayons, à cause de
la quantité de travail, de convaincre les gens d'attendre quand il n'y a
pas un bénéfice immédiat pour des enfants ou pour
quelqu'un. Si quelqu'un vient nous trouver et dit: Moi, je suis
séparé depuis 15 ans mais j'aimerais bien me remarier et
fréquenter les gens sans être critiqué. On va dire à
ce monsieur
ou à cette dame: Ecoutez, si vous voulez cela, économisez
pendant huit mois et vous allez finir par vous trouver un avocat. On ne lui
donnera pas son divorce. Par contre, il y a des situations où il y a eu
des ménages recomposés si vous voulez, alors à ce
moment-là, pour régler la situation on le fait, mais tous ont
droit...
M. BLANK: ... un divorce c'est un problème.
M. CHOQUETTE: Comment se fait-il que cela coûte beaucoup plus cher
pour divorcer que pour se marier?
M. PAUL: L'embarras est plus grand. Il faudrait peut-être calculer
aussi ce que cela coûte entre le jour du mariage et le jour du
divorce.
M. LORANGER: J'aimerais, tout simplement ajouter un mot, j'ai
déjà parlé de l'article 5 où on prévoit la
gratuité absolue de l'assistance publique. Je crois que ce serait utile
que l'on réserve un droit de récupérer à la
discrétion, si l'on ne veut pas à la discrétion de la
corporation, mais à la discrétion de la commission en tout cas,
mais que l'on prévoie un droit de récupérer. Parce qu'il
est certain que dans la vie pratique, on découvre après coup,
parfois on peut découvrir à la fin seulement d'un procès,
que la personne nous a trompés. Cela a pris une longue enquête
pour vraiment établir que la personne était de mauvaise foi et
cela s'est découvert. Alors, je crois qu'il y aurait lieu à cet
article 5 et je crois aussi, comme le Barreau l'a recommandé, que le
texte de loi devrait être assoupli de façon à permettre au
moins à la commission elle-même de payer les frais d'une partie
adverse. Parce que, justement, dans le même cas où on a
découvert au bout d'un long procès que la personne nous a
trompés et qu'on a imposé des frais très
élevés à une partie adverse, cette partie adverse devrait
avoir le droit de présenter une demande de remboursement au moins
partiel, au moins pour les honoraires judiciaires.
Au sujet de l'article 70, comme il a été
suggéré ce matin, j'aimerais appuyer cette recommandation qu'il
est désavantageux de payer qui que ce soit à 60 p.c. d'un
tarif.
Je ne vois pas pourquoi le médecin ou l'ingénieur qui va
venir témoigner pour nous dans une cause, on va le payer à 100
p.c. et l'avocat, lui, va prendre 60 p.c. Je crois que la suggestion qui a
été faite de négocier et de payer des honoraires complets,
tels que négociés... Si un tarif est négocié,
à ce moment-là, l'avocat qui accepte la cause est payé
pleinement. Mais, je crois que bon gré, mal gré, dans le rythme
accéléré des affaires, l'avocat qui a une cause
d'assistance judiciaire, qui est certain d'avoir son paiement à 60 p.c,
si un client lui dit: Si tu t'occupes de moi aujourd'hui, c'est 100 p.c., il va
passer le client avant nous. Je pense que c'est sain, parce qu'il est
obligé de payer pour son bureau, pour pouvoir, le lendemain, aider le
pauvre. S'il ne paye pas pour son bureau, il ne pourra pas...
M. HARDY: Cela lui donne, à ce moment-là, un excellent
motif de se donner bonne conscience.
M. LORANGER: Oui. Mais la bonne conscience et la nécessité
de vivre, à certains moments, se touchent. Je crois que cet
avocat-là, pour être capable d'aider les autres, doit être
capable de vivre.
M. HARDY: C'est le vieux principe qui était un peu
appliqué, à savoir qu'on demande un peu plus aux riches pour
pouvoir demander moins aux moins riches, même sans l'assistance
judiciaire et rien de cela. Je pense qu'on peut admettre que c'était un
peu cela, en pratique.
M. LORANGER: On exige, j'imagine, en raison de la valeur du service
qu'on rend à autrui. Il y a une valeur en science économique
je ne sais pas si je me trompe de termes, parce qu'il y a longtemps que
j'ai fait cela qu'on appelait, il me semble, la valeur terminale,
c'est-à-dire qu'on rend un service à un individu qui est plus
grand pour lui, à cause de sa situation ou de ses obligations. C'est
normal: le service ayant meilleure valeur pour la personne, on peut lui
demander des honoraires supérieurs.
Pour le reste, j'aimerais seulement dire un mot à propos des
directeurs de corporation. Je crois que ce qui relève du domaine
juridique et professionnel devrait vraiment relever du directeur. Dans le texte
de la loi, ça relève plutôt de la corporation. Je crois
qu'il y aurait une réserve à faire, peut-être très
générale dans le texte de la loi, qui après cela, pourrait
être précisée, soit par réglementation, soit par
directives. Je crois que le directeur d'une corporation doit être capable
d'exercer le contrôle sur ce qui concerne le travail juridique de la
corporation. Il y a certains moments où ça va être
très difficile. Je pense qu'à ce moment-là, le conseil
régional ou un autre organisme pourra arbitrer ou qu'ils s'entendront.
Je crois qu'il devrait y avoir une provision dans la loi pour que tout ce qui
relève du service strictement professionnel relève des avocats ou
des directeurs.
M. HARDY: Je voudrais vous poser une question si vous ne voulez
pas y répondre, dites-le moi non pas en tant que mandataire ou
représentant du bureau de l'assistance judiciaire, mais en tant que
juriste, avocat, membre du Barreau. Si vous acceptez de me répondre
à ce titre, est-ce que vous seriez en mesure de porter un jugement sur
ce grand principe vous avez défendu de grands principes, comme
celui de la justice égale pour tous défendu par le
Barreau, à savoir la liberté de choix de l'avocat?
M. LORANGER: Vous dites la liberté de choix exercée par
l'avocat?
M. HARDY: Non, la liberté de choix exercée par le client,
par le justiciable.
M. LORANGER: Par le client.
M. HARDY: Contre les cliniques ou du moins, Judicare contre le monopole
des cliniques?
M. LORANGER: Je crois que le principe de la liberté du choix
devrait être exprimé dans la loi, parce que ça fait partie
du droit juridique. Mais, en fait, ce choix est limité, même pour
la personne aisée.
Je crois que si on la limite par une réglementation ou par une
politique, on ne cause pas une injustice à cet individu parce que
règlement ou politique il pourra tourjours en appeler. C'est
certain. Règlement ou politique, il pourra appeler de la
décision. Mais quand c'est la loi qui exclut le choix, à ce
moment-là, il n'y a pas d'appel.
De fait, les individus se trouvent privés du droit de choisir
leurs professionnels. Dans les cas d'urgence, ils ne peuvent pas choisir, ils
en sont incapables. Mais une fois l'urgence passée, ils pourraient
choisir. Mais est-ce que, de là, le gouvernement serait obligé de
leur dire: Vous avez le choix parmi tous les avocats? Il me semble que
même si le gouvernement, par voie de réglementation ou de
directive, disait: Vous avez le choix entre quelques avocats ou, si vous avez
des raisons sérieuses dont vous nous convainquez, à ce
moment-là, vous irez chercher votre affaire. Parce qu'on lui donne un
droit au moins équivalant à celui du citoyen ordinaire, car le
citoyen ordinaire qui veut un avocat, si l'avocat est parti régler des
affaires à New York ou à Chibougamau, il ne l'aura pas.
M. HARDY: Evidemment, vous avez raison. En réalité,
supposons que j'habite Mont-Laurier ou n'importe quelle autre ville, ma
liberté de choix, par la force des choses, est assez limitée.
M. LORANGER: C'est ça.
M. HARDY: Ce n'est pas le cas si je suis à Montréal ou
dans un district où il y a plus d'avocats.
M. LORANGER: A Montréal, votre liberté de choix, vous
pouvez l'exercer mais vous ne pouvez pas toujours l'exercer avec satisfaction.
Je dois dire que j'ai essayé dans la plupart des cas de demander aux
gens que j'ai vus, dans le temps que je recevais les gens
régulièrement: Est-ce que vous connaissez un avocat? Plusieurs
m'ont dit oui. J'ai souvent appelé des confrères qui m'ont dit:
Je regrette, je ne serai pas capable de m'en occuper avant tel délai. Je
donnais la réponse au client qui me disait: Dans ce cas-là, je
vais en choisir un autre ou choisissez-en un pour moi.
Je crois que le droit au choix, c'est une question de principe mais
l'exercice dans le quotidien, je crois qu'il peut être restreint d'une
certaine façon, sans préjudicier puisqu'il est déjà
restreint pour tout le monde. Par la nature de la vie en société,
il y a déjà une restriction. Je ne vois pas pourquoi, même
si on le donne, M. le député, je crois qu'en pratique,
quelques-uns vont y tenir. Mais un grand nombre va revenir après avoir
exercé son choix et va dire: Ecoutez, mon affaire, ça presse. Or,
comme j'ai essayé de l'expliquer dans les notes que je vous ai soumises,
pour les pauvres ou les défavorisés, presque tous les
problèmes sont des problèmes urgents. Ils sont urgents, non
seulement dans les faits, mais ils sont urgents ici parce que ces
gens-là n'ont pas de ressources depuis assez longtemps, ils ne sont pas
capables de prévoir.
Ils vivent au jour, leurs besoins sont au jour le jour, ils ne pensent
pas plus loin qu'au jour le jour. Alors, il faut qu'ils aient un service au
jour le jour. Ils ne peuvent pas attendre une semaine ou trois semaines.
Je dois dire qu'il y a certaines personnes, ce ne sont pas des fous,
mais penser attendre trois semaines, c'est quelque chose qui les abat. Il y a
des gens qui reviennent au bureau et je crois sincèrement, je ne dis pas
que c'est général, que ces gens-là ont vraiment
oublié leurs problèmes. Ils sont tellement ancrés dans le
quotidien, ils ont des obligations tellement urgentes, ils ne pensent pas au
lendemain, ils ne pensent pas aux conséquences. Un grand nombre. Et
à cause de cette urgence, ils se retrouvent dans la situation, un grand
nombre, du malade qui a un besoin urgent du médecin.
Alors, ils s'en vont au premier médecin qu'ils peuvent trouver et
c'est tout ce qui les intéresse, un médecin.
A mesure que cette personne se dégage de son état de
pauvreté, comme lorsqu'elle se dégage par une meilleure
éducation, elle commence à exercer ses soins et, à ce
moment-là, elle connaît des avocats ou est capable de se
débrouiller pour en trouver.
Il y a des gens qui ont peur d'aller demander à leur
épicier; on leur dit: Mais, allez demander des gens qui ne sont
pas admissibles à votre épicier, au gérant de la
caisse populaire, à votre curé. Non, ils n'y vont pas parce que,
c'est bien malheureux, mais c'est un des aspects de la pauvreté qui est
peut-être le plus pénible.
M. HARDY: Vous n'avez pas songé parfois à leur dire: Allez
voir votre député?
M. LORANGER: Je pense que je n'ai jamais... c'est possible que je les
envoie. Mais j'ai reçu par hasard beaucoup de gens...
M. HARDY: Continuez à ne pas les encourager.
M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission qui
ont des questions à poser?
Me Loranger, au nom des membres de la commission, je désire vous
remercier de votre mémoire et des notes explicatives que vous avez bien
voulu donner. Ils ont démontré hors de tout doute que vous avez
une longue expérience dans ce domaine. Je suis certain que les membres
de la commission sauront en bénéficier. Je vous remercie.
M. LORANGER: Merci.
M. LE PRESIDENT: J'inviterais maintenant Me Jean-Pierre Lussier,
président du Syndicat des avocats du bureau d'assistance judiciaire du
Barreau de Montréal.
Pour l'information des membres de la commission, c'est le mémoire
no 3.
Syndicat des avocats du bureau d'assistance
judiciaire
M. LUSSIER: M. le Président, je ne voudrais pas
répéter ce qui a déjà été dit, entre
autres dans le mémoire du Barreau, ce qui a été dit aussi
dans le mémoire de Me Loranger que nous avons eu l'occasion de consulter
et que nous approuvons dans une large mesure.
Cependant, nous aimerions mettre l'emphase sur certains points qui nous
paraissent plus particulièrement importants. Et, avant de commencer, je
pense que l'expérience que les avocats qui sont membres du syndicat qui
a présenté le mémoire ont acquise au bureau d'assistance
judiciaire leur a permis de constater des besoins particuliers dans la
clientèle de gens qu'ils ont à desservir.
Par exemple, qu'il suffise de mentionner, entre autres, en
matière civile, les problèmes fréquents qu'a cette
clientèle avec la Régie des loyers, avec le Bien-Etre social,
avec la Commission d'assurance-chômage, avec la Commission des accidents
du travail, avec les problèmes de saisies ou d'expulsion. Ce sont des
problèmes qui se produisent beaucoup plus fréquemment dans des
milieux défavorisés qu'ils ne se produisent dans les autres
milieux.
Forcément, les avocats qui travaillent dans un bureau
d'assistance judiciaire ou dans une clinique ont beaucoup plus souvent que les
autres avocats à régler ce genre de problèmes-là.
Il y a aussi des problèmes en matière pénale qui sont
beaucoup plus nombreux dans les milieux défavorisés.
Là-dessus, qu'il me suffise de dire aussi que nous, au bureau
d'assistance judiciaire de Montréal, à la section pénale
ou criminelle, l'année passée, avons représenté 60
p.c. des gens qui étaient accusés devant les tribunaux.
Evidemment, je ne pense pas que 60 p.c. de la population
québécoise soit défavorisée mais 60 p.c. des gens
qui sont accusés devant un tribunal en matière pénale sont
des gens qui ont besoin d'aide juridique.
Ce sont des besoins, comme vous le constatez, qui sont assez
particuliers. H y a aussi des besoins qui ont été
soulignés dans le projet de loi sur lequel nous avions
présenté un mémoire. Par exemple, les besoins
d'éducation et d'information juridique auprès de cette
population. Me Loranger vient d'en parler, ce sont des gens qui, très
souvent, ne sont pas au courant de leur problème juridique, des
implications de leur condition sociale, etc. Alors ils ont besoin
d'éducation et d'information en ce sens-là.
L'avocat qui travaille dans ce domaine, l'avocat qu'on peut appeler
social, aura à faire beaucoup de travail là-dessus. Aussi, il
faut constater c'est ce que notre expérience nous a
démontré aussi que les problèmes juridiques de ces
personnes-là sont beaucoup plus souvent que les autres en relation avec
des problèmes socio-économiques. Pour cela, je voudrais
simplement vous citer un exemple en matière criminelle où je
travaille personnellement. IL nous arrive très fréquemment
d'avoir des cas de refus de pourvoir.
S'il y a une plainte pour refus de pourvoir qui est portée, c'est
que la dame qui a porté plainte est allée demander des
prestations au bureau du bien-être social. Au bureau on lui a dit:
Madame, très bien, nous allons vous donner des prestations mais à
la condition que vous portiez une plainte en refus de pourvoir, sinon nous ne
pouvons pas vous donner de prestations. La dame qui ne veut pas
nécessairement porter plainte ira porter plainte et la personne sera
accusée de refus de pourvoir. C'est ainsi que cela nous revient. Ces
problèmes de refus de pourvoir sont liés à d'autres
problèmes. Il faut aller plus loin que la question juridique si nous
voulons les régler complètement.
Il nous est arrivé souvent de voir des gens qui ne travaillaient
pas et qui, évidemment, ne pouvaient pas donner d'aide financière
à leur épouse parce qu'ils étaient malades ou pour une
autre raison. En comparaissant, ils s'avouent coupables à l'accusation
de refus de pourvoir parce qu'on leur demande: Est-ce que vous avez
donné de l'argent à votre épouse? Et ils répondent:
Non. Alors, on leur dit: Vous devriez vous avouer coupable ou quelque chose
comme cela. Ce sont ces gens...
M. HARDY: Si vous permettez une remarque. Je comprends que cela justifie
peut-être votre aide. Mais sans vouloir me rendre coupable d'outrage au
tribunal, je vous dirai franchement que, si cela se passe comme vous l'avez
décrit, le juge qui fait cela...
M. LUSSIER: Ce n'est pas nécessairement le juge. Je n'ai jamais
prétendu que c'était le juge qui faisait cela.
M. HARDY: Ah bon!
M. LUSSIER : La personne va voir le premier policier venu, dans le
corridor. Ce sont les
questions que le policier lui posera. D'ailleurs, la personne en
question préférera s'adresser aux policiers qu'elle rencontre
fréquemment dans la rue.
M. HARDY: Je sais que le juge ne conseille pas de s'avouer coupable mais
il me semble que, s'il se trouve en face d'un accusé qui n'a pas
d'avocat, à part de lui demander s'il a payé, il devrait
peut-être lui demander s'il travaille ou des choses semblables.
M. LUSSIER: Je suis d'accord avec vous là-dessus. Mais
l'expérience nous a démontré que, très
fréquemment, des cas comme cela pouvaient se produire. Le projet de loi
d'aide juridique doit comporter certaines exigences pour répondre
à ces besoins, selon nous. Et les exigences que nous formulons
brièvement sont au nombre de cinq à notre avis.
D'abord, une spécialisation des avocats. Dans un système
de procureur permanent, on dit: Les pauvres auront une justice
différente des riches parce que le riche pourra, entre autres, exercer
une liberté de choix. Mais nous, nous disons que le pauvre doit avoir
une justice différente de celle du riche parce que ses problèmes
sont différents. C'est-à-dire la même mesure de justice,
mais d'avoir la même excellence de justice. Cette excellence se traduira
de façon différente à cause des problèmes
particuliers de la personne défavorisée. Elle a droit, tout comme
le riche peut y avoir droit, à avoir ses spécialistes. Le riche
aura droit, par exemple, à un spécialiste en matière de
droit fiscal. Evidemment, nous, au bureau de l'assistance judiciaire, je ne
pense pas que nous ayons eu de problèmes de droit fiscal.
M. BACON: C'est à espérer.
M. LUSSIER: Mais comme je le mentionnais, entre autres, en
matière criminelle, il est évident, pour qu'il y ait une justice
égale pour tous, que le pauvre ait droit à son
spécialiste. Comme nous avons souvent réglé, entre autres,
des problèmes avec le bien-être social, la Régie des
loyers, etc., il est normal que le pauvre puisse s'adresser à un
spécialiste en ces matières. Et ce spécialiste, c'est
quelqu'un qui travaille dans un bureau d'aide juridique non pas parce qu'il
choisit cette spécialité mais parce que, tous les jours, il a
à faire face à des problèmes de cet ordre. Il devient
spécialiste dans ce genre de choses.
Il y a aussi la question d'accessibilité des bureaux et
l'intégration sociale des avocats. Nous voulons dire par là que
nous avons constaté que les citoyens défavorisés,
très souvent, sont méfiants vis-à-vis des avocats. Ils
n'ont pas confiance aux avocats, seulement parce qu'ils ne les connaissent pas.
Nous ne disons pas que cette méfiance est justifiée, nous ne
faisons que la constater. Et cette méfiance existe d'autant plus que
nous savons que, très fréquemment, le citoyen
défavorisé n'aime pas rencontrer un avocat dans le quartier des
affaires, entre autres. Parce que le quartier des affaires est un quartier
qu'il ne connaît pas et dont il se méfie parce que ce n'est pas un
quartier qu'il sent proche de lui.
Nous soumettons que des cliniques dans des quartiers différents
seraient une des solutions les plus appropriées pour résoudre ce
problème. De même le double avantage pour l'avocat qui travaille
dans le milieu même où il a à régler des
problèmes, car il sera mieux à même de les connaître
et de les régler plus rapidement et plus efficacement.
Quant à l'indépendance des avocats, la participation des
citoyens, nous parlons de l'indépendance des avocats surtout comme une
question d'autonomie vis-à-vis de l'Etat. Parce que très souvent,
à cause de la nature même des problèmes des
défavorisés, il aura à s'attaquer à des
institutions... Comme par exemple, s'il a à s'attaquer à la
pratique du bien-être social dont je parlais tantôt, en
matière de refus de pourvoir évidemment, il faut qu'il se sente
tout à fait indépendant vis-à-vis de l'Etat. De la
même façon, en matière criminelle, comme le soulignait tout
à l'heure M. Loranger, le problème du ministre de la Justice qui
est à la fois procureur général est que l'avocat qui
travaille en défense ne doit pas se sentir du tout lié par son
patron à cause de la formation de la commission ou à cause d'un
ministère de la Justice.
Quant à la participation des citoyens, nous sommes d'accord sur
le projet de loi lorsqu'il dit qu'il faut que les citoyens participent, avec au
moins un tiers des gens, au conseil d'administration des corporations locales,
sauf que nous pensons qu'il serait peut-être préférable de
hausser ce tiers à une majorité pour assurer une plus
entière participation de ces citoyens.
M. HARDY : Je me permets de vous poser une question. Dans votre esprit
vous allez peut-être trouver que je suis en dehors du sujet, mais
je reviens à une idée que j'ai exprimée ce matin
comment pouvez-vous concilier ce que vous venez de dire avec un principe que
nous n'avons pas mis de côté encore de nos jours, le principe
selon lequel ce sont les élus du peuple qui doivent contrôler les
dépenses, le vieux principe "no taxation without representation"?
Comment conciliez-vous ça?
M. BURNS: Le Protecteur du citoyen, actuellement, est justement
là pour protéger le citoyen contre l'Etat et c'est dans le budget
du ministre de la Justice.
M. CHOQUETTE: II est dans le budget de l'Assemblée nationale.
M. HARDY: Mais c'est nous qui le votons, le budget.
M. BURNS: Oui, je suis bien d'accord! Cela pourrait être
exactement la même chose. On essaie, par ce projet de loi, de pallier une
lacune du système. Qu'est-ce que vous voulez?
M. HARDY: Ce n'est pas tout à fait la même chose. Le
Protecteur du citoyen est un fonctionnaire comme tous les autres
fonctionnaires. Mais là, c'est une corporation, à moins
évidemment, que la corporation n'ait rien à faire. Mais si elle a
quelque chose à faire...
M. BURNS: II est même nommé par l'Assemblée
nationale.
M. HARDY: Bien oui!
M. BURNS: Mais ce n'est pas un fonctionnaire au sens...
M. HARDY: C'est un fonctionnaire comme le...
M. BURNS: ... de la définition de la fonction publique.
M. HARDY: C'est-à-dire que c'est un employé de l'Etat.
M. BACON: C'est un employé de l'Etat.
M. HARDY: Dans le sens de grand commis de l'Etat. Dans ce sens. Mais
là, ce n'est plus la même chose, c'est une corporation qui va
être subventionnée à 100 p.c. par le gouvernement, donc
à même les fonds publics et on suggère que la
majorité des gens formant cette corporation n'aient aucun lien avec le
pouvoir souverain.
M. BLANK: A part ça, le Protecteur du citoyen ne dépense
pas d'argent.
M. HARDY: Je ne sais pas. A moins que je ne comprenne rien, mais je ne
peux pas concilier...
M. LUSSIER: Nous ne parlons pas de la corporation locale, nous parlons
de la commission.
M. HARDY: Vous parlez de?
M. BLANK: Ici, la corporation va donner de l'argent pour avoir des
avocats, des notaires, des experts. Le Protecteur du citoyen ne dépense
aucun sou. Il a son propre bureau et fait rapport à l'Assemblée
nationale.
M. HARDY: Ce n'est pas tout à fait la même chose.
M. BLANK: C'est tout ce qu'il fait.
M. BURNS: Le Protecteur du citoyen ne dépense rien?
M. BLANK: Non, il ne fait pas d'enquête. Il ne fait pas ça.
Tout ce qu'on paie au Protecteur du citoyen, c'est pour l'entretien de son
bureau. L'argent ne sort pas de son bureau. Ici la corporation va prendre notre
argent et le dépenser.
M. LUSSIER: La participation dont on parle est au niveau des
corporations locales et non pas au niveau de la commission. Quand je parle de
hausser du tiers à une majorité, c'est sur la corporation locale
et non pas sur la commission. De toute façon, dans le projet de loi
actuel, on ne prévoit pas de représentant de l'Etat dans les
corporations locales. Quant au système que nous préconisons, nous
le croyons plus approprié et c'est celui des procureurs permanents avec
là,où c'est vraiment nécessaire, le recours aux praticiens
en pratique privée. Evidemment il y a des régions, à cause
surtout de la géographie de la province, qui ne pourront pas permettre
qu'il y ait des cliniques ou des bureaux d'aide juridique à cause de
leur étendue ou de leur très faible densité de population.
Dans ces régions-là nous trouvons et c'est tout à fait
normal, je pense, que le recours aux praticiens privés est essentiel et
nécessaire.
Le système des procureurs permanents, je comprends, et c'est le
principe qui a été discuté ici à votre commission,
met en cause la principe de la liberté de choix, nous avons
relevé dans notre mémoire certaines statistiques que je voudrais
rappeler brièvement ici. IL y a eu des études faites et que nous
citons dans le mémoire, qui ont rapporté qu'en Nouvelle-Ecosse,
entre autres, moins de 50 p.c. des gens qui avaient été
interrogés connaissaient des avocats. En Californie, une autre
étude a été faite et, vous avez la référence
dans le mémoire, moins de 30 p.c. des citoyens à faible revenu
connaissaient un avocat. Vous avez aussi l'expérience pratique qui a
démontré que les causes d'assistance judiciaire qui avaient
été référées dans les bureaux d'avocats
avaient été, la plupart du temps, confiées à des
stagiaires ou à des avocats junior. A ce moment-là la
liberté du choix serait menacée si quelqu'un désire avoir
tel avocat qui est à la tête d'une étude juridique. Je
comprends, et c'est tout à fait normal, que cet avocat-là qui a
d'autres clients à s'occuper va référer la cause au cadet
de son bureau. Je voudrais aussi souligner qu'en 1970, en Ontario, seulement 39
p.c. des avocats étaient engagés dans le système Judicare.
A ce moment-là aussi, la liberté de choix était
menacée parce que le défavorisé ne pouvait choisir que
parmi les 39 p.c. qui étaient engagés.
M. PAUL: Me Lussier, est-ce que, dans les statistiques, vous avez le
renseignement quant au nombre d'avocats qui sont des praticiens et qui ne
jouent pas le rôle de notaires dans la province de l'Ontario ou si vous
prenez vos statistiques en regard du nombre total d'avocats inscrits à
l'ordre?
M. LUSSIER: Cette statistique-là a été prise dans
l'Ontario Legal Aid Report de 1970 et je n'ai pas les statistiques sur le
nombre particulier, ce ne sont que des statistiques en pourcentage.
Il y a aussi le problème qui a été soulevé
dans d'autres exposés, le problème d'urgence qui met aussi en
péril la liberté de choix de l'avocat. Il y a aussi le
problème que je soumets. Par exemple nous, au bureau, avons à
nous occuper, en matière criminelle, des causes d'Esquimaux à
Port Chimo ou au Poste-de-la-Baleine. Si ces citoyens-là, comme tous les
autres citoyens québécois pouvaient choisir un avocat ils
sont dans le district judiciaire de Montréal ils voudraient avoir
un avocat, un éminent criminaliste de Montréal. Même si cet
avocat-là voulait participer à un système de Judicare, je
doute fort qu'il puisse accepter de se rendre là-bas et de perdre
plusieurs autres clients.
Il y a évidemment beaucoup de problèmes pratiques à
cette liberté de choix, et comme le disait tantôt Me Loranger, je
ne pense pas que, si on met en pratique le système de procureur
permanent, cette liberté de choix soit tellement menacée à
cause de toutes les statistiques, de tous les exemples que je viens de vous
citer.
M. PAUL: Est-ce qu'il n'est pas courant que des avocats de l'assistance
judiciaire acquièrent une expérience à la suite d'une
pratique intensive et que, ayant connu des succès marqués devant
les tribunaux et une fois devenus de véritables spécialistes,
dès ce moment-là, ils quittent la clinique pour aller ouvrir leur
étude ailleurs?
M. LUSSIER: Depuis que je suis à l'assistance judiciaire
personnellement, dans la section où je travaille, en matière
criminelle, soit depuis le 1er décembre 1969, il y a à ma
connaissance un seul avocat qui soit parti de la section criminelle et c'est
pour aller travailler à la couronne. Alors, ce n'est sûrement pas
un avocat qui est allé ouvrir une étude ailleurs. Je ne connais
pas d'avocat au bureau d'assistance judiciaire de Montréal qui l'ait
fait.
M. BURNS: C'est pour la couronne aussi.
M. PAUL: Quelle est la moyenne d'âge des avocats à
l'assistance judiciaire?
M. LUSSIER: Je ne la connais pas mais je la situerais aux environs de 30
ans et en années de pratique, aux environs de quatre ans.
M. HARDY: La perspective soulignée par le député de
Maskinongé va peut-être se produire dans quelques
années?
M. LUSSIER: Peut-être.
M. GUAY: Si vous le permettez, quand on parle de liberté de
choix, je pense quand même que l'avocat est libre d'accepter ou de
refuser de prendre une cause. Par exemple, si je demande à l'honorable
député de Terrebonne de prendre ma cause, il a le droit de
refuser tout de même. J'ai quand même là la liberté
de demander un autre avocat, mais si personne ne veut prendre ma cause, j'ai
l'impression que ce n'est pas une bonne cause.
M. HARDY: Je suis d'accord avec vous.
M. LUSSIER: Nous sommes complètement d'accord
là-dessus.
M. GUAY: Cela n'implique pas l'obligation d'assumer ma cause.
M. HARDY: J'aurais probablement hésité à prendre la
dernière que vous venez d'enregistrer.
M. GUAY: Peut-être qu'elle ne vous serait pas soumise. Ce que je
veux dire, c'est que l'avocat n'est tout de même pas obligé
d'accepter la cause. Quand on parle de liberté de choix, je suis
parfaitement d'accord qu'on laisse la liberté de choisir l'avocat parce
que l'avocat a toujours le dernier mot en disant qu'il refuse.
M. LUSSIER: Nous considérons que c'est tout à fait normal
que l'avocat puisse refuser. Il y a aussi un avantage que je voulais souligner,
c'est l'avantage économique et vous pouvez retrouver à la page 15
de notre mémoire un tableau comparatif que nous avons. J'ai
remarqué ce matin que M. le bâtonnier Moisan, après avoir
considéré l'étude comparative que nous avions faite, a
souligné que les chiffres étaient peut-être biaisés
du fait qu'il n'était pas inclus de frais d'administration que le total
de BRJM, c'est-à-dire le total de $7,166, ne représentait que les
salaires des huit avocats concernés pour le mois de février
1972.
Il est exact que le total de $7,166 ne représente que les
salaires des avocats concernés pour le mois de février 1972 et
voici pourquoi nous n'avons pas inclus les frais d'administration. En 1970, en
Ontario, selon le système qui appliquait à ce moment-là le
Judicare et qui l'applique encore, prenez le budget, vous le trouverez dans
l'Ontario Legal Aid Plan, dans le rapport annuel de 1970, les frais
d'administration du Judicare ont été $1,676,665 sur un budget
total de $8,673,000.
Je vous fais grâce des autres chiffres. Cela représente
environ 20 p.c. de frais d'administration. Au bureau d'assistance judiciaire,
d'après des chiffres que nous avons pu retracer aujourd'hui, le total en
administration pour l'année 1970, représentait environ 43 p.c,
mais ceci sur un budget de $1 million environ. Je voudrais simplement souligner
je suis certain que vous allez être d'accord avec moi que
les coûts d'administration seraient beaucoup moins
élevés avec un budget plus élevé.
C'est-à-dire que l'administration qui représente 43 p.c. sur un
budget de $1 million serait beaucoup moindre en pourcentage si le budget
était équivalant à celui qu'il y avait en Ontario,
c'est-à-dire un budget de $8,673,000. Nous l'établissons au
hasard, parce que je n'ai pas fait les calculs. Si le budget était de
$8,673,000, environ 30 p.c, ceci nous forcerait à ajouter au chiffre de
$7,166 qu'on a dans notre tableau, une proportion de 10p.c, parce que, de ces
30 p.c, on enlèverait les frais d'administration qui sont compris dans
un système Judicare. Dans un système Judicare, il ne faut pas
oublier que ça prend des bureaux pour établir
l'admissibilité de quelqu'un à l'assistance judiciaire, ça
prend des secrétaires, ça prend du personnel pour tenir ces
bureaux. Alors, avec les 10 p.c. qu'on pourrait ajouter, notre chiffre serait
aux environs de $8,000 et au lieu que la proportion soit de 1 à 4.8,
elle serait de 1 à 4.3
Nous voulons aussi ajouter que nous considérons que, si un
système Judicare a été établi, le gouvernement
n'établirait sûrement pas un tarif où l'avocat ne serait
payé qu'à 60 p.c. de ses honoraires. J'imagine, comme l'ont
mentionné M. le bâtonnier Moisan et Me Loranger, que l'avocat
serait rémunéré au plein tarif qui serait établi.
Si c'était le plein tarif, d'après l'étue que nous avons
faite, on arriverait au montant de $57,550. La proportion serait haussée
de 1 p.c. à 7.2 p.c. Nous pensons que, s'il y avait un système
Judicare au lieu du système que propose le bill 10, ça pourrait
coûter jusqu'à 7.2 fois plus que dans un système de
procureurs permanents.
M. CHOQUETTE: M. Lussier, quelle est la moyenne de salaire annuel des
avocats aux bureaux d'assistance judiciaire de Montréal et de
Québec, si vous la connaissez?
M. LUSSIER: C'est difficile de l'établir exactement, mais je
crois que c'est aux environs de la moyenne de ces huit avocats-là.
M. LORANGER: C'est environ $12,000. Je n'ai pas les chiffres avec moi,
je ne me rappelle pas si c'est $11,500 ou $12,000.
M. HARDY: La moyenne, c'est quoi? Et quel est le maximum?
M. LORANGER: C'est l'échelle des procureurs de la couronne que le
bureau avait adoptée.
M. PAUL: Quelle est cette moyenne?
M. LORANGER: Ces salaires-là courent de $7,600 pour les
débutants jusqu'à $21,000 pour celui qui a au moins dix ans,
c'est-à-dire qui a pu bénéficier de promotions très
accélérées, le bon candidat. Autrement, c'est quinze
ans.
M. PAUL: Est-ce qu'il y en a beaucoup, M. Loranger, qui sont au service
de l'assistance judiciaire et qui ont dix ans et plus de pratique?
M. LORANGER: II doit y en avoir une douzaine qui ont dix ans de
pratique.
M. HARDY: Sur combien?
M. LORANGER: Sur 46 avocats. Environ un tiers, en comptant les
criminalistes et les civilis-tes.
M. PAUL: Alors, douze ans de pratique, ça doit leur donner
environ $15,000 ou $16,000 par année.
M. LORANGER: Pour un procureur de la couronne, ça peut lui donner
plus que ça, parce que les échelles prévoient que, si un
individu est compétent, il peut sauter certains échelons et il
peut aussi avancer...
M. PAUL: Par concours d'avancement. M. LORANGER: Oui, c'est
ça.
M. CHOQUETTE: Voici une question de fait à laquelle vous pouvez
répondre: Quelles parties de la ville de Montréal autres que le
centre desservent le bureau d'assistance judiciaire de Montréal? Je
crois que vous avez décentralisé jusqu'à un certain point
récemment, pouvez-vous nous dire dans quels secteurs vous avez
décentralisé?
M. LUSSIER: En matière criminelle, on dessert toutes les causes
qui se déroulent à Montréal.
M. LORANGER: Nous avons ouvert quatre bureaux, un à Longueuil, un
à Laval, un dans le district de Mercier à Montréal et un
autre à Lachine, à Montréal. En plus de ça, nous
allons dans une clinique sociale qui est située dans le centre.
Je ne sais pas si on appelerait ça le centre. Enfin, c'est la
région de Park Avenue et Saint-Viateur, là où est la
colonie grecque.
M. CHOQUETTE: Dans le comté d'Outremont.
M. LORANGER: C'est exactement ça.
M. LE PRESIDENT: Messieurs, il est six heures. J'aimerais avoir le
consentement des membres de la commission pour continuer ou pour ajourner cette
séance.
M. CHOQUETTE: M. le Président, étant donné que M.
Lussier est peut-être sur le point de terminer, je suggère qu'on
lui permette de continuer.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que tout le monde y consent?
M. PAUL: Pour lui être personnellement agréable...
M. GUAY: Je donne mon consentement. M. HARDY: Consentement unanime.
M. BURNS: Quand je ne parle pas, c'est parce que c'est unanime.
M. LUSSIER: Je voudrais simplement souligner les quelques suggestions
que nous aimerions faire relativement au projet de loi lui-même, à
certains articles du projet de loi.
A l'article 5, nous pensons qu'il faudrait prévoir la question
d'éligibilité financière partielle. C'est-à-dire
que nous avons fréquemment, au Bureau d'assistance judiciaire de
Montréal, à résoudre des problèmes
d'admissibilité dans le cas suivant, par exemple: Quelqu'un vient
à notre bureau, il est accusé de meurtre, ça lui
coûterait environ $2,000 pour se trouver un avocat en pratique
privée. Il n'a que $500 dont il peut disposer, il n'y a pas d'avocat qui
veut le défendre à ce prix-là. Dans les conditions
actuelles, nous devons le représenter parce qu'il ne peut pas être
représenté autrement devant le tribunal.
Nous pensons que le projet de loi pourrait peut-être
prévoir un mécanisme de paiement partiel, quand c'est
nécessaire, des frais d'avocat.
A l'article 29, on parle des conseils régionaux. On y dit que ces
conseils devront être d'une certaine façon les mandataires de la
Commission nationale d'aide juridique pour les raisons, entre autres, qu'a
mentionnées Me Loranger tout à l'heure, pour des raisons de
coordination. Nous ne comprenons pas pourquoi ces conseils régionaux ne
pourraient pas non plus être les mandataires des corporations locales et
exécuter pour ces corporations locales les fonctions que ces
dernières voudraient bien confier au conseil régional.
A l'article 35, comme je l'ai mentionné, au conseil
d'administration de la corporation locale, nous pensons qu'une exigence devrait
être respectée, c'est-à-dire peut-être hausser le
tiers de citoyens résidants à une majorité au conseil
d'administration pour assurer une participation plus entière des
citoyens à la justice dans leur quartier ou dans les limites de la
juridiction du bureau d'aide juridique.
M. PAUL: Sur ce point-là, je vois une autre phrase dans votre
paragraphe: "Quand à l'exigence du tiers avocat ou notaire, nous n'y
voyons pas d'utilité". Est-ce que vous reconnaîtriez
l'utilité de la présence d'au moins un avocat?
M. LUSSIER: Oui. De toute façon, il y en a au moins un. Il y a le
directeur du bureau d'aide juridique. C'est-à-dire que nous voyons
l'utilité qu'il y ait une majorité de citoyens résidants,
ce qui n'exclut pas qu'il y ait un tiers avocat. Nous disons qu'il faudrait
prévoir que les citoyens résidants puissent être en
majorité, ce qui n'exclut pas que ces citoyens résidants puissent
être aussi des avocats.
M. HARDY: Dans votre désir d'exclure les avocats, je suis
quasiment sûr...
M. LUSSIER: Ce n'est pas notre désir d'exclure les avocats.
M. HARDY: Non, mais de le réduire à un possiblement, je
suis presque sûr que vous auriez l'appui du député des
Iles-de-la-Madeleine.
M. LUSSIER: Je voudrais aussi souligner...
M. CHOQUETTE: C'est le député de Maisonneuve qui vous a
dit cela en passant...
M. BURNS: Pour une fois, je serais d'accord avec le député
des Iles-de-la-Madeleine. C'est plutôt rare mais cela arriverait cette
fois-là.
M. CHOQUETTE: Les extrêmes se rejoignent.
M. LUSSIER: Nous voudrions mentionner, en dernier, relativement à
l'article 77 qui constitue une restriction au droit politique des avocats qui
travailleraient dans les bureaux d'aide juridique, le point suivant: Nous
comprenons qu'il est nécessaire que l'on prévoie dans un projet
de loi d'aide juridique que des avocats, entre autres, ne pourraient pas se
porter candidats à une élection pour des raisons
évidentes. Nous comprenons qu'il serait très facile pour un
avocat de se faire du capital politique en travaillant dans une corporation
d'aide juridique. Mais nous pensons que cette restriction pourrait être
réservée pour l'endroit ou la localité où ces
avocats travaillent, c'est-à-dire que nous ne voyons pas d'objection
à ce que des avocats qui travaillent dans des bureaux d'aide juridique,
à Québec, puissent se porter candidats à une
élection dans un comté à l'extérieur de la
région de Québec, par exemple, à Montréal. Nous
croyons à la nécessité d'une restriction pour
éviter qu'on se fasse du capital politique à l'intérieur
de bureaux d'aide juridique mais nous ne voyons pas la nécessité
d'empêcher tous les droits politiques des avocats qui travaillent dans
des bureaux d'aide juridique. C'est là-dessus que je termine parce que
la plupart de nos autres suggestions ont été émises, soit
par le Barreau ou soit par Me Loranger.
M. LE PRESIDENT: Merci, M. Lussier.
M. CHOQUETTE: Merci beaucoup, M. Lussier. Ce fut très
intéressant de vous entendre ainsi que Me Loranger. Votre
expérience dans le domaine de l'aide juridique, franchement, va beaucoup
aider la commission. C'est du vécu, ça, et c'est très
réel ce qu'on nous a dit.
M. LE PRESIDENT: Je propose l'ajournement de la séance sine
die.
M. CHOQUETTE: Il y avait une dame, cependant, qui voulait être
entendue. Je ne sais pas si ses représentations seraient très
longues.
MME HARPER: M. le ministre, je serais prête à revenir la
semaine prochaine.
M. CHOQUETTE: Ah oui ! très bien.
Alors, M. le Président, je suggère que la commission
siège à nouveau mercredi prochain, à neuf heures trente,
et que nous entendions Mme Harper, la Fédération des avocats et
l'Association des cliniques légales.
M. LE PRESIDENT: La commission ajourne ses travaux au mercredi 17 mai,
à neuf heures et trente.
(Fin de la séance à 18 h 5)