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Version finale

29e législature, 3e session
(7 mars 1972 au 14 mars 1973)

Le mercredi 10 mai 1972 - Vol. 12 N° 22

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude du projet de loi no 10 — Loi de l'aide juridique


Journal des débats

 

Commission permanente de la Justice

Projet de loi no 10 Loi de l'aide juridique

Séance du mercredi 10 mai 1972

(Neuf heures quarante minutes)

M. LAMONTAGNE (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs!

Comme nous avons plusieurs organismes qui ont manifesté l'intention de se présenter devant la commission, je suggérerais aux membres de la commission d'entendre dès à présent Me Jean Moisan, procureur du Barreau de Québec.

Barreau du Québec

M. MOISAN: M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission, la semaine dernière, vous vous en souvenez, Me Letarte a exposé dans les grandes lignes l'opinion que le Barreau vous soumettait sur le bill no 10 qui est la Loi de l'aide juridique.

Je me propose ce matin de prendre la deuxième partie de notre mémoire qui comporte les amendements que nous suggérons au texte du projet de loi. Cela commence à la page 12 et se continue aux pages suivantes de notre mémoire.

Tout de suite à l'article premier, nous avons pensé à une définition un peu différente du bénéficiaire de l'aide juridique et pour inclure deux éléments additionnels qui nous paraissent importants, soit les groupes de personnes, et pour parler également de la réciprocité avec les autres provinces ou les autres pays.

Il a été souligné un peu partout que le projet de loi ne parlait pas des groupes de personnes, de sorte que l'action de groupe, l'action de classe, ce qu'on appelle en anglais le "class action" se trouvait apparemment, en tout cas, exclue du bénéfice de la Loi de l'aide juridique. Alors, nous avons inclus non pas seulement les personnes physiques, mais les groupes de personnes résidant au Québec, de façon que ces personnes ou les personnes morales sans but lucratif, que tous ces organismes, toutes ces personnes puissent recourir collectivement à des services d'assistance judiciaire, justement pour atteindre l'un des objectifs que mentionnait M. le député de Maisonneuve, à savoir faire de l'assistance judiciaire un facteur de relèvement d'un groupe social donné. A un moment donné, par exemple, un groupe de locataires qui ont des problèmes communs pourraient entreprendre, pour régler ce problème-là, une action commune.

Et c'est dans ce sens-là que nous avons pensé inclure les groupes de personnes. Et je souligne immédiatement que c'est en accord avec les remarques de Me Letarte de la semaine dernière et d'autres articles dont nous demandons la modification dans la loi, pour permettre justement que l'existence des cliniques ou des bureaux d'assistance judiciaire dans les milieux où ils s'avèrent nécessaires joue réellement un rôle pour la collectivité qu'ils desservent.

Et ce rôle-là n'est pas seulement d'éducation, de prévention mais il est également, je pense, à un certain moment, d'action collective vis-à-vis des groupes en autorité comme la municipalité, le gouvernement, certaines commissions, etc., pour permettre à ces groupes de corriger des inégalités qui les concernent collectivement. Maintenant, nous avons également inclus dans cet article la réciprocité avec les autres provinces ou autres pays. Il semble bien que cela avait été oublié dans le...

M. BLANK: Ne pensez-vous pas qu'avec votre définition vous faites une restriction qui n'est pas dans la définition originale? Après avoir lu la définition originale au paragraphe a) le mot "bénéficiaire" et à l'article 2, l'expression "personne économiquement défavorisée", cela inclut chaque personne qui se trouve dans la province de Québec même si elle n'est pas résidante. Mais si un visiteur ou un touriste au Québec a un problème avec la loi, il a droit à l'assistance judiciaire suivant la loi.

M. MOISAN: Oui.

M. BLANK: Mais selon votre opinion, vous vous trouvez à restreindre certains groupes de personnes qui se trouvent devant les tribunaux à un moment donné soit pour un délit criminel ou autre et qui n'ont pas droit à un avocat parce qu'ils ne sont pas compris dans la définition.

M. MOISAN: Excusez-moi, je n'ai pas tout à fait bien compris. Est-ce que votre remarque porte sur la définition de "personne", de "groupe" ou de "réciprocité"?

M. BLANK: "Personne". M. PAUL: Sur le domicile. M. MOISAN: Le domicile. M. BLANK: ... la résidence.

M. MOISAN: Ah bon! Nous croyons que l'on doit agir dans cette loi-là exactement de la même façon qu'on le fait dans la Loi du fonds d'indemnisation. Par exemple, s'il y a des ententes ou réciprocité avec d'autres provinces, on dit exactement le même texte dans la Loi de l'indemnisation des victimes d'accident d'automobile. On dit: Si, vous qui résidez en Ontario, qui avez un accident d'automobile au Québec, vous avez les bénéfices de notre loi du fonds d'indemnisation si nous avons les mêmes bénéfices chez vous ou des bénéfices équivalents chez vous. Alors, c'est uniquement dans ce sens-là

que nous avons pensé qu'il y avait lieu de prévoir la réciprocité. Est-ce que ça répond à votre question?

M. BLANK: Pas exactement. Moi, je trouve qu'au moment où une personne est ici, sous la juridiction de la province de Québec, elle a droit à certains privilèges, comme à la protection policière, et à d'autres droits. A ce moment-là, si elle se trouve devant les tribunaux, accusée d'un crime, si pour une raison ou pour une autre elle se trouve dans un état défavorisé, est-ce qu'elle doit procéder à son procès sans avocat, sans aide?

M. PAUL: Voici, Me Moisan, d'après le texte de loi qui nous est proposé, la question de domicile ou de résidence n'entre pas dans la définition du mot "bénéficiaire".

M. MOISAN: Non.

M. PAUL: Et les remarques du député de Saint-Louis sont à l'effet que le texte proposé vient restreindre la portée ou l'application générale de la loi, puisque vous y introduisez nécessairement la notion de résidence. C'est bien ça, Me Moisan?

M. BLANK: Oui, d'accord.

M. MOISAN: Je pense que c'est vrai qu'on l'a restreinte dans ce sens-là.

M. PAUL: Est-ce qu'on pourrait connaître les raisons pour lesquelles vous avez introduit cette notion de résidence?

M. MOISAN: C'est restreint dans le sens qu'il y a l'entente possible de réciprocité à la fin du paragraphe. Nous le restreignons tout simplement dans le sens suivant, c'est que nous ne voulons pas que la province de Québec donne plus aux visiteurs des autres provinces que les visiteurs du Québec n'obtiennent dans les autres provinces. C'est simplement ça.

M. PAUL: Suspposons qu'un marin hongrois — ou de n'importe quel pays; je parle d'un Hongrois, c'est le premier pays qui me vient à l'idée — a des difficultés avec la justice. En vertu de l'aide juridique, il pourrait recevoir de l'aide, si la définition de a) est gardée. Si nous adoptions l'article aa), à ce moment-là, il ne pourrait pas bénéficier de l'aide juridique, parce qu'il ne serait pas résidant au Québec. Il ne serait que de passage.

M. MOISAN: Nous ne l'avions pas vu exactement dans ce sens-là, M. Paul. Nous l'avions vu vis-à-vis d'une réciprocité avec les autres provinces canadiennes ou certains Etats américains limitrophes, en somme. Nous avons mentionné les autres pays, parce qu'à l'article 22n), nous prévoyons que la commission peut faire des ententes avec les autres provinces et les autres pays pour établir la réciprocité des services. Enfin, ça couvrait la majeure partie.

M. CHOQUETTE: M. Moisan, je pense que les questions soulevées par le député de Saint-Louis et le député de Maskinongé sont valables, mais je retiens votre suggestion d'inscrire quelque chose pour permettre au gouvernement de passer des accords réciproques avec d'autres gouvernements pour offrir des services identiques ou à peu près similaires à ceux qui sont offerts à des résidants québécois qui sont en voyage ou qui ont des droits à faire valoir à l'étranger.

M. BLANK: Peut-être devrait-il y avoir une distinction pour l'aide juridique, sous l'aspect civil et l'aspect criminel. Sous l'aspect civil, je suis d'accord avec vous sur les ententes au sujet des résidants mais pour ce qui est de l'aspect criminel, une personne qui se trouve devant les tribunaux a droit, je pense, à ce moment-là, à de l'aide.

M. MOISAN: II y a peut-être beaucoup plus de distinctions à faire. J'ai ici à ma droite, Me Filion, qui m'informe que, dans la loi française, lorsqu'on parle des résidants, ce sont ceux qui résident en France. Mon confrère de Hull me dit qu'en Ontario, lorsqu'un individu de l'Ontario est incarcéré dans la province de Québec, au sens de la Loi ontarienne de l'assistance judiciaire, il devient résidant de la province de Québec, parce qu'il est en prison dans la province de Québec. C'est une résidence qu'on peut souhaiter temporaire, mais c'est une résidence quand même.

M. PAUL: Vous allez admettre que c'est une libéralité très forte donnée au terme domicile de notre code.

M. MOISAN: Oui, oui.

M. CHOQUETTE: Même résidence.

M. PAUL: Même résidence.

M. MOISAN: II y a peut-être une amélioration à apporter au texte et une distinction à faire, peut-être entre le civil et le criminel. De toute façon, nous voulions tout de même attirer l'attention sur la réciprocité puisqu'on a des problèmes qui se posent dans ce sens-là.

Dans les autres remarques que j'ai, je pense à l'article 4, dans lequel on veut étendre l'aide juridique non seulement à un tribunal judiciaire ou à l'appareil judiciaire strictement dit, mais aussi à toute juridiction, soit des commissions, soit des juridictions administratives fédérales provinciales ou même municipales. D peut être nécessaire à un moment donné que l'aide juridique puisse s'appliquer dans ces cas-là. C'est le sens de la modification que nous suggérons devant toute juridiction.

Pour plus de précision, à la page 14, nous avons mentionné aussi qu'elle devait s'étendre aux actes d'exécution pour être bien sûr qu'on pourra procéder à l'exécution du jugement, et je me demande si c'est absolument nécessaire.

M. HARDY: Comment pouvez-vous m'expli-quer que ce que vous proposez n'est pas déjà contenu dans le texte? Je viens de regarder cela.

M. MOISAN: On parle de l'appareil judiciaire.

M. HARDY: Mais l'appareil judiciaire n'inclut-il pas toutes les instances?

M. MOISAN: Est-ce que cela inclut des représentations ou des procédures en contestation en matière, par exemple, d'une régie quelconque? La régie de l'assurance-maladie ou la régie des services...

M. BLANK: Ces quelques mots vont couvrir ça "et aux services professionnels d'un avocat." Il n'y a pas de limitation sur le service professionnel d'un avocat. Je crois bien que vous avez droit à un avocat ou vous avez besoin d'un avocat. Cela ne limite pas la...

M. PAUL : Pour autant qu'il n'y aura pas d'éventail restrictif des services.

M. HARDY: Au contraire, dans votre projet d'amendement vous restreignez quand vous faites une demande spéciale en cas d'appel. Vous êtes plus limitatif dans votre amendement que le texte original.

M. MOISAN: Voici, le texte de loi mentionnait qu'il y avait également...

M. HARDY: A un autre endroit?

M. MOISAN: Oui, à l'article 10 du projet de loi: "Devant tout tribunal, pour toutes procédures contentieuses ou non, elle s'étend aux actes d'exécution." C'est une condensation à l'article 4 de ce qui existait à l'article 10. Maintenant, Me Hardy...

M. HARDY: Oui, mais encore là, je m'excuse, mais l'article 10 ne demande pas... c'est compris automatiquement tandis que là vous dites qu'il faut que cela fasse l'objet d'une demande spéciale, tandis que...

M. MOISAN: C'est une expérience qui a été vécue dans les bureaux d'assistance judiciaire, en cas d'appel il y avait une révision du dossier pour autoriser de continuer la cause en appel devant un tribunal supérieur.

M. HARDY: Est-ce que ce serait juste si je pensais que cette restriction-là, vous la faites dans l'optique de votre proposition d'étendre l'aide juridique en dehors de ses cliniques? Vous sentez le besoin justement d'avoir certaines restrictions parce que des abus pourraient se poser.

M. MOISAN: Non, ce n'est pas cela, c'est que vous n'ignorez pas que le mandat d'un procureur se termine avec le jugement de la première instance.

M. HARDY: C'est exact.

M. MOISAN: II y a cela d'abord qui est un point de vue technique et juridique mais qui, enfin, est un point de vue et on constate aussi qu'à la suite du jugement de première instance, de la décision du juge de première instance, il y a peut-être une foule d'éléments qui sont apparus à l'enquête, au procès et qui doivent être réexaminés. L'ensemble doit être réexaminé pour voir s'il y a maintenant vraisemblance de droit pour continuer la cause en appel.

M. HARDY: Ou on peut peut-être découvrir après la première instance que la personne n'est pas éligible à l'aide juridique.

M. MOISAN: Cela, c'est un autre point de vue et à ce moment-là le certificat pourrait lui être retiré et elle pourra aller en appel à ses propres risques et périls si elle le veut.

Mais, je pense que cette habitude qui a été prise par les bureaux d'aide juridique nous a paru valable, puisque, après la décision de première instance, on a un portrait beaucoup plus complet de la situation et ça permet de la réévaluer et de déterminer les chances qu'il y a de réussir dans un appel. C'est simplement pour ça que l'on croit qu'il y a lieu de faire une demande nouvelle, en cas d'appel.

A l'article 5c), nous avons parlé des déboursés y compris les frais de signification d'experts et de témoins. La semaine dernière, je crois que c'est le député de Saint-Louis qui avait parlé de la question des experts, que ça ne paraissait pas couvert nulle part. Il en a parlé d'ailleurs à l'occasion de l'exposé des arpenteurs-géomètres. Nous avons pensé que les experts, les frais d'expertise devaient être mentionnés afin qu'ils soient couverts. Maintenant, ça m'amène à ouvrir une très courte parenthèse sur la question des arpenteurs-géomètres. Autrefois, l'arpenteur-géomètre était désigné comme un expert de la cour, parce que l'action en bornage commençait véritablement par une action judiciaire. On prenait un bref devant la cour, le juge désignait un arpenteur et ça devenait un expert de la cour. Depuis le nouveau code, en 1966, le bornage ne commence pas par une procédure judiciaire. Il commence par une mise en demeure au voisin de bien vouloir accepter de borner et de convenir d'un arpenteur. Ce n'est que plus tard, si ça accroche au niveau du travail de l'arpenteur, qu'on se rend à la cour. D'ailleurs,

c'est la demande de bornage faite à votre voisin qui devient introductive d'instance.

Je crois que, jusqu'à ce moment-là, jusqu'à ce que ça devienne introductif d'instance, l'arpenteur n'est pas un expert, au sens de la loi, mais ses services sont quand même requis par les parties, de façon à parvenir à un bornage. Dans ce sens-là, mon expérience de campagnard m'indique qu'il peut y avoir des circonstances où les parties ont réellement besoin d'un bornage et où l'arpenteur ne serait peut-être pas couvert par le mot "expert" que nous avons ajouté dans notre texte. C'est la seule remarque que je veux faire là-dessus.

A l'article 6, nous avons tout simplement prévu que les tarifs des avocats oeuvrant dans le système d'assistance judiciaire —je parle des avocats qui, dans le système que vous proposez, accepteraient des référés ou des avocats de la pratique privée, qui recevraient des clients en vertu du système mixte de libre choix que nous proposons — devraient ou pourraient négocier leurs tarifs avec la Commission de l'assistance judiciaire.

De même que pour les huissiers, les sténographes officiels et d'autres officiers qui peuvent être appelés à oeuvrer dans ce système-là.

M. HARDY: Est-ce que je peux me permettre une question? Est-ce que vous avez mandat, au nom des huissiers, de les représenter à ce sujet-là?

M. MOISAN : Non. Je ne sais pas s'ils ont un mémoire dans ce sens-là, mais nous croyons que, puisque nous discutons... Nous n'avons pas mandat de leur part, mais je pense que si nous nous donnons la peine de faire refaire le texte...

M. HARDY: C'est à titre d'assistance judiciaire que vous les représentez ce matin.

M. MOISAN: Non. Je ne prétends pas du tout les représenter...

M. HARDY: C'est une "class action".

M. MOISAN: ... mais je pense tout de même qu'on doit vous soumettre un texte, non pas un demi-texte mais un texte complet de l'article que nous proposons.

M. PAUL: Est-ce que vous avez pressenti l'auguste Chambre des notaires sur ce point précis?

M. MOISAN: Nos relations avec la Chambre des notaires ne sont pas très bonnes dans le moment.

M. CHOQUETTE: Alors, on ne peut pas passer...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, s'il vous plait!

M. CHOQUETTE: Me Moisan, est-ce qu'on peut prévoir un article dans ce projet de loi décrétant la fusion des professions d'avocat et de notaire?

M. MOISAN: Pas dans ce projet-là.

M. CHOQUETTE: Vous ne le suggérez pas? A moins que ça aille dans le bill 250.

M. MOISAN: On peut laisser...

M. CHOQUETTE: On pourra le faire dans le bill 250. Justement, le Solliciteur général est ici et vous savez qu'il porte un très grand intérêt à ce projet-là.

M. HARDY: Ce sera dans le mémoire sur le bill 251.

M. CHOQUETTE: Ah bon!

M. MOISAN: Nous n'avons pas oeuvré dans ce sens-là, M. le ministre. Nous laissons les notaires â leur travail et nous nous demandons en fait si, dans l'assistance judiciaire, ils ont ou ils auront un rôle tellement important à jouer. Très occasionnellement à mon avis, mais en tout cas, c'est une autre question. On les a inclus, je n'ai pas d'objection à cela.

M. CHOQUETTE: Vous êtes sur la glace vive: le président est notaire.

M. MOISAN: Oui, je comprends mais...

M. PAUL: Le président n'a pas le droit de parler en vertu de nos lois.

M. LE PRESIDENT: Je peux au moins rappeler à l'ordre les députés pour permettre à M. Moisan de revenir à l'article 6.

M. MOISAN: Je connais un peu le travail des notaires et je pense que c'est très occasionnellement qu'ils ont réellement de l'assistance judiciaire à faire. Parce qu'habituellement, les successions qui ne posent aucun problème nulle part, les gens ne vont même pas chez le notaire pour les régler.

Il peut arriver des renonciations à des successions, par exemple, qui doivent être par acte notarié. Il y a des choses comme ça mais je ne crois pas que leur rôle soit prépondérant en assistance judiciaire.

Vous remarquerez que nous parlons à l'article 6 de la négociation d'un tarif et, à ce sujet-là, j'attire votre attention sur l'article 70 qui, dans le projet de loi, prévoyait le paiement d'un pourcentage d'un tarif établi. Nous ne sommes pas d'avis que l'on doive recevoir un pourcentage d'un tarif établi. Nous sommes d'avis que les avocats intéressés dans l'assistance judiciaire doivent négocier leur tarif et qu'on doit leur payer le tarif négocié et convenu tout

simplement et non pas un pourcentage de ce tarif-là. En somme, leurs services valent un certain prix, qui peut être établi par négociation entre la commission et ces gens-là, et ils seront payés au tarif et non pas à un pourcentage de 50 p.c. ou 60 p.c. de ce tarif. Je pense que c'est...

M. LE PRESIDENT: Un instant, s'il vous plaît!

Le député de Maisonneuve.

M. BURNS: Merci, M. le Président.

Me Moisan, je vois dans votre amendement à l'article 6, que vous mentionnez "par voie de négociation entre la commission et les représentants de ces personnes." Dans votre esprit, c'est qui ça, les représentants de ces personnes?

M. MOISAN: Bien, si vous parlez...

M. BURNS: Le problème se pose, entre autres, je veux juste vous aligner sur ce à quoi je pense, est-ce que c'est le Barreau, par exemple, ou la Fédération des avocats, ou... pour les avocats, par exemple?

M. MOISAN: Pour les avocats. M. BURNS: Oui.

M. MOISAN: Si vous parlez uniquement pour les avocats...

M. BURNS: Je parle des avocats en pratique.

M. MOISAN: ... il est sûr que nous ne nous engageons pas à négocier pour d'autres que pour nous, mais le Barreau du Québec ne croit pas, à mon point de vue, qu'il doit négocier des tarifs non plus que des conventions collectives pour certains groupes de ses membres qui ont un employeur déterminé et qui ont des conditions de travail à établir. Par exemple, le Barreau n'a jamais négocié pour les employés de la fonction publique; ils se sont formé une association — pas les employés, les avocats de la fonction publique — et ils discutent de leurs problèmes collectifs sur le plan économique avec leur employeur. La même chose pour ceux de la ville de Montréal, et j'imagine que ce sera la même chose pour le Syndicat des employés du BAJM, qui vont négocier leurs conditions de travail avec leur employeur. Et ça va être la même chose, à mon point de vue, pour les avocats qui s'engageront à temps plein dans l'assistance judiciaire ou pour ceux qui travailleront à la pièce, soit par référence suivant le projet de loi, soit suivant le libre choix, suivant notre proposition. En somme, il y aura un syndicat ou une association de ces gens-là qui ont un intérêt économique à discuter avec un employeur qui est la commission de l'aide juridique et ils conclueront la convention qu'ils doivent ou peuvent conclure dans ce cadre-là.

Je ne pense pas que le Barreau doive agir comme tel, puisque ce ne sont pas tous les avocats nécessairement qui sont intéressés à cette question-là, ce sont les avocats en question qui devront s'organiser pour représenter leurs intérêts communs vis-à-vis de l'employeur qui est la commission.

C'est exactement comme cela que je le vois.

M. LE PRESIDENT: Le député de Terrebonne.

M. HARDY: Est-ce que votre opposition à ce que les avocats de l'assistance judiciaire soient payés à l'acte ou ne soient pas payés en vertu d'un pourcentage du tarif, s'inspire du principe que les bénéficiaires de l'assistance judiciaire soient sur un pied d'égalité avec les autres? Parce que nous pourrions peut-être conclure — c'est la raison pour laquelle je pose la question — que si j'ai recours à l'assistance judiciaire, mon avocat n'est payé qu'à un pourcentage de ce qu'il est payé quand il travaille pour une autre personne. Nous pouvons peut-être conclure que les services qu'il me rend sont moindres. Est-ce en vertu de ce principe?

M. MOISAN: C'est une des composantes de notre raisonnement sur la question. L'autre est celle-ci: Pourquoi ferait-on un tarif qui représenterait théoriquement 100 p.c. de la valeur du service rendu et que l'on dirait à l'avocat: Puisque c'est de l'assistance judiciaire, vous ne recevrez que 60 p.c. Cela nous parait illogique. En somme, c'est un genre de services qui serait tarifié et on va dire: Cela vaut tant.

M. HARDY: De deux choses, l'une: Ou vous donnez à l'assisté un travail égal à celui que vous donnez à l'autre qui vous paie...

M. MOISAN: C'est cela.

M. HARDY: ... ou vous lui en donnez seulement les trois quarts.

M. MOISAN: Vous lui donnez 60 p.c.

M. HARDY: Oui, si vous lui donnez le travail égal, évidemment, il n'y a pas de raison pour laquelle vous ne seriez pas payé au même titre. Je pense qu'il y aurait peut-être dans l'esprit de l'assisté un doute, à savoir si les services que je reçois sont aussi bons puisque mon avocat est payé suivant un pourcentage.

M. MOISAN: Oui, et surtout si c'est dans le texte de la loi elle-même. A ce moment-là, on semble consacrer le principe que les services auxquels a droit l'assisté ont une valeur de 60 p.c. des services auxquels les autres ont droit.

M. CHOQUETTE: Je ne pense pas que ce soit cela réellement, M. Moisan.

M. MOISAN: Cela peut ressembler à ça.

M. CHOQUETTE: On peut dire que cela ressemble à ça. Je suis tout à fait disposé à écouter les arguments du Barreau mais il faudrait qu'on comprenne que, de notre côté, cela n'est pas une question de mesquinerie qu'il y ait un aspect pécuniaire et de disponibilité. Et j'attire l'attention sur le fait qu'à l'heure actuelle, ou du moins au moment où nous avions des accords avec le Barreau, que le tarif était établi à 60 p.c. et ceci avec le consentement du Barreau. Evidemment, à l'heure actuelle, le Barreau a mis un terme à ces accords pour certaines raisons —je n'entrerai pas dans les motifs — mais le Barreau a terminé les accords pour cette année. Mais l'année dernière, le système de 60 p.c. était agréé et accepté par le Barreau et vous n'allez pas me dire que les services que les avocats rendaient étaient des services de qualité inférieure à ceux qui avaient droit à l'assistance judiciaire.

M. MOISAN: Je ne prétends pas cela du tout.

M. CHOQUETTE: Je sais bien que vous ne le prétendez pas. Nous prenons, en somme, en considération le fait que vous dites qu'on devrait permettre la négociation collective des tarifs avec les fédérations d'avocats ou les groupes d'avocats qui voudront accepter d'entrer dans le système de l'assistance judiciaire. Je vous demande de tenir compte du fait que l'Etat n'a pas de disponibilités illimitées dans l'état actuel des choses et qu'il faut quand même prendre en considération le contribuable québécois.

M. LE PRESIDENT: Le député de Maskinongé.

M. PAUL: M. le Président, je crois que Me Moisan a soulevé un problème qui présente deux facettes. Je pense bien que personne ne met de côté qu'à l'assurance-maladie ce paiement de pourcentage n'existe pas. En second lieu, lorsque l'honorable ministre de la Justice se réfère à l'entente qui existait entre le Barreau et le ministère de la Justice, jusqu'au 31 mars dernier, c'est que le pourcentage n'était pas connu de la part des assistés sociaux et n'était pas arrêté dans un texte de loi. Et c'est sur ce point-là, je crois, que Me Moisan a surtout insisté. C'est le fait qu'on consacrera dans un texte de loi un pourcentage.

A ce moment-là, l'assisté ou le bénéficiaire de l'aide juridique pourrait avoir l'impression qu'il ne bénéficierait que de 60 p.c. du rendement possible d'un avocat. Je pense que ce sont là deux points...

M. MOISAN: II y a une possibilité que, dans les règlements, ce tarif qui est négocié ne soit applicable que graduellement par les règlements de l'assistance judiciaire. Ce sont des accommodements possibles mais c'est au niveau de la loi que nous n'aimons pas que ce soit...

M. CHOQUETTE: Alors, ce que vous soumettez, M. Moisan, si je me permets de résumer votre pensée, c'est qu'on pourra trouver des formules pratiques sur le plan de l'établissement du tarif.

M. MOISAN: Nous ne sommes pas réfractai-res à ça et nous croyons qu'il y a certainement des problèmes de budget; d'ailleurs, nous y reviendrons tantôt, j'ai des choses à vous soumettre là-dessus, mais, à ce niveau-ci, nous croyons que, pour le tarif, il y a un principe auquel...

M. PAUL: C'est ça.

M. MOISAN: ... nous croyons, c'est que le tarif devra être négocié, devra faire l'objet de négociation et non pas d'imposition avant ou après consultation ou sans consultation. On devra, je pense, consulter les groupes intéressés, négocier avec les groupes intéressés pour établir un tarif de base, quitte à faire accepter, à un moment donné, suivant les problèmes budgétaires, qu'il y aura, au niveau des règlements, un pourcentage moindre et qui pourra être augmenté par la suite au fur et à mesure que les disponibilités le permettront. Ce sont des accommodements possibles. C'est dans la loi qu'on ne veut pas le voir.

M. LE PRESIDENT: Le député de Maskinongé.

M.PAUL: M. le Président, le député de Terrebonne vient de me signaler une idée qui, je crois, est excellente.

M. HARDY: Nous allons encore être d'accord ce matin!

M.PAUL: Attendez! Le député de Terrebonne signale qu'il vaudrait peut-être mieux que le tarif soit moindre, accepté de part et d'autre, mais qu'il ne soit pas divisé ou réduit à 60 p.c, au pis-aller.

M. HARDY: Pour ajouter à ce que dit le député de Maskinongé, je me demande, justement, en tenant compte de ce que le ministre de la Justice a dit tantôt, des disponibilités limitées du gouvernement, si les membres du Barreau ne pourraient pas, eux aussi, dans cet esprit, faire leur effort pour aider la collectivité québécoise en acceptant le tarif réduit. A ce moment-là, les assistés, encore une fois, n'auront pas l'impression de faire partie d'une classe défavorisée. En tant que membre du Barreau, je trouverais normal que les avocats fassent leur part pour aider la collectivité québécoise dans ce domaine.

M. MOISAN: On est bien habitué à faire des efforts dans ce domaine.

M. HARDY: Là-dessus, vous ouvrez une porte... vous savez, j'ai des idées bien arrêtées sur la conscience sociale du Barreau dans le passé. Il ne faudrait peut-être pas ouvrir cette porte.

M. MOISAN: Je serais prêt à l'ouvrir et à en discuter.

M. CHOQUETTE: Cela nous entraînerait trop loin.

M. LE PRESIDENT: Pour fermer la porte, nous allons revenir à l'article 6.

M. MOISAN: Sur l'article 6, ce sont là toutes mes remarques. Je ne sais pas si vous avez d'autres questions à poser. A l'article 8, ce sont des améliorations simplement. L'article 9.

M. FOURNIER: Un instant, à l'article 8, vous demandez que les dépens adjugés contre le bénéficiaire soient payés. Est-ce que cela devient de l'aide en vertu de l'article 2? En vertu de l'article 2, on dit: Aider une personne à avoir accès devant les tribunaux. C'est après que tout est fini que vous voulez que...

M. BURNS: Mais c'est dans le cas de l'impossibilité d'exécution qu'il demande ça.

M. FOURNIER: Mais c'est pour le bénéfice de...

M. BURNS: Je comprends la remarque du Barreau là-dessus et je ne la trouve pas bête du tout. C'est qu'il dit: Pourquoi imposer, en somme, par le biais de l'assistance judiciaire, un fardeau à celui qui n'est pas défavorisé?

M. MOISAN: Simplement ça.

M. BURNS: II y a quand même des gens qui se sont prononcés sur la valeur du droit à l'origine; s'ils se sont trompés je pense bien que ce n'est pas au non-indigent à subir ça.

M. FOURNIER: Mais d'un autre côté...

M. BURNS: Je trouve que ce n'est pas bête comme suggestion, dans le cas de preuve d'un non-indigent.

M. FOURNIER: Est-ce qu'à ce moment-là ça ne devrait pas venir d'un autre ministère et non pas du ministère de la Justice? C'est une aide sociale qui devrait venir.

M. BURNS: Bien que cela vienne d'ailleurs...

M. CHOQUETTE: Nous pouvons prendre en considération la suggestion du Barreau sur ce point et en analyser les implications.

M. MOISAN: L'article 9 prévoyait une forme de compensation pour les frais des jugements interlocutoires. Je pense que c'est une sorte d'erreur de procéder de cette façon puisque les dépens évidemment appartiennent à l'avocat de la partie qu'il représente.

On ne peut pas compenser les dépens au niveau de l'assistance juridique puisque c'est l'avocat de la partie non indigente qui verra à compenser certains dépens avec l'avocat de la partie indigente. Alors, par exemple, si l'indigent prend une mesure interlocutoire et perd son interlocutoire, il y a des frais d'acquis au procureur de la partie adverse et ces frais-là lui sont dus quel que soit le jugement final. On ne peut pas effectuer, au moment du jugement final, une compensation de ce genre-là. C'est simplement ce sur quoi nous avons voulu attirer l'attention.

M. CHOQUETTE: Est-ce que, d'après vous, les avocats exigent le paiement de leurs honoraires sur des incidents alors que le procès est en marche? Est-ce que la coutume n'est pas, même si on a droit à une distraction de frais sur un incident, d'attendre l'issue définitive de la cause, en général?

M. MOISAN: En général, c'est ce qui arrive. C'est toujours ce qui arrive.

M. CHOQUETTE: Les avocats, disons donc, les plus...

M. BLANK: Les avocats avec un bureau. M. CHOQUETTE: Oui, avec un bureau...

M. MOISAN: Simplement, ce que nous avons voulu dire est que ce n'est pas exact qu'il peut y avoir compensation. Il ne peut pas, il ne doit pas y avoir compensation. Quant au moment du paiement, c'est une autre question. Le moment du paiement est à la fin. Je suis d'accord avec vous, M. le ministre, qu'on ne l'exige jamais en cours de route. C'est à la fin, lorsque tout se règle; à ce moment-là, les frais des interlocutoires sont pris en considération. Je n'ai pas d'objection à ce qu'on dise que le paiement sera fait à la fin de la cause mais je pense que ça peut être mis dans les règlements. Les règlements peuvent prévoir ça tout simplement.

Alors je passe à l'article 12, la composition de la commission. Il y a deux personnes, non pas des personnes physiques mais des titres, des personnes morales auxquelles nous nous opposons. Encore une fois, ce n'est pas par animosité personnelle mais simplement par principe, soit le sous-ministre de la Justice et le sous-ministre des Affaires sociales. Je pense que les dangers de conflits d'intérêts sont illustrés dans les exemples que nous donnons à droite de la page.

M. CHOQUETTE: M. Moisan, je reconnais, en somme, qu'il y a un problème là. Nous y

avons réfléchi depuis que des objections nous ont été faites sur cette, disons donc, liaison trop étroite avec le ministère de la Justice ou le ministère des Affaires sociales. Il sera possible peut-être de présenter une solution mitoyenne en vertu de laquelle, tout en assurant une présence gouvernementale au sein de la commission, les sous-ministres en question soit de la Justice et des Affaires sociales n'auraient pas droit de vote sur un certain nombre de questions, par exemple, la reconnaissance du droit à l'assistance judiciaire ou à l'aide juridique dans certains cas ou en somme qu'ils devraient se retirer des délibérations, s'il y a conflit entre le gouvernement et s'il y a des procédures qui intéressent le gouvernement et qui sont prises contre des bénéficiaires de l'aide juridique. Nous étudions donc une solution de ce genre-là. Je pense que vous comprendrez que, tout en voulant donner à la Commission des services juridiques une autonomie extrêmement large par rapport au gouvernement, malgré tout, ce sont des fonds gouvernementaux qui seront administrés par cette commission. Par conséquent, une présence gouvernementale pour surveiller la bonne administration n'est pas superflue.

M. PAUL: Est-ce que vous voulez dire sans voix délibérante?

M. CHOQUETTE: Possiblement sans voix délibérante. Il y a plusieurs solutions.

M. PAUL: II deviendrait un observateur.

M. CHOQUETTE: II pourrait être un observateur.

M. LE PRESIDENT: Le député de Terrebonne.

M. HARDY: Que diriez-vous si à la place des représentants de l'exécutif c'étaient des représentants du pouvoir législatif qui siégeaient sur cette commission?

M. MOISAN: De l'Assemblée nationale?

M. PAUL: Par exemple, l'avocat Drolet de Portneuf.

M. HARDY: Ce sont les législateurs qui votent les budgets, donc qui voteraient le montant qui serait... En d'autres termes je vous pose la question sur le plan des principes, évidemment en dehors des personnalités. Est-ce que vos objections seraient moins fortes si c'étaient des membres du pouvoir législatif qui siégeaient là?

Evidemment quand je parle des membres du pouvoir législatif, j'embrasse l'ensemble de la Législature.

M. PAUL: Ou encore...

M. BURNS: Dieu nous en garde!

M. PAUL: ...le délégué ou le représentant du Protecteur du citoyen.

M. HARDY: C'est-à-dire que le ministre a soulevé un point réel, c'est le point du "no taxation without representation". On subventionne ces gens-là et c'est normal que quelqu'un, soit du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif, mais quelqu'un qui a une responsabilité quelconque en fonction des deniers publics, ait un droit de regard. Je pense justement et je me permets cette petite parenthèse-là, que de plus en plus on exagère peut-être. De plus en plus il y a des parties, il y a des parcelles importantes du budget de la province sur lesquelles l'Assemblée nationale ou même le gouvernement a plus ou moins de contrôle. On remet cela à des organismes quasi autonomes, on vote ces budgets et une fois qu'on les a votés on n'a plus droit de regard. Je pense que le ministre pose un problème réel. Maintenant, que ce soit par voix délibérante ou que ce soient des gens de l'exécutif ou des représentants, je ne sais pas, mais il s'agirait de trouver une formule. Je pense que ce qu'on devrait chercher tous ensemble, c'est trouver une formule qui d'une part respecte une certaine autonomie, une autonomie désirée tout en respectant aussi le grand principe fondamental que les élus du peuple doivent avoir un droit de regard sur la façon dont les deniers publics sont dépensés.

M. MOISAN: C'est cela, c'est au niveau des principes et effectivement vou,s avez tout de même le contrôle sur le budget de l'année suivante.

UNE VOIX: Ah, mon Dieu!

M. MOISAN: C'est peut-être un contrôle illusoire, je ne sais pas.

UNE VOIX: Cela fait longtemps qu'on ne se fait pas d'illusion.

M. HARDY: Me Moisan, sans vouloir ouvrir des plaies, c'est à peu près le même contrôle que les syndiqués à la base ont sur leurs représentants à la tête.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, s'il vous plaît !

M. MOISAN: Je ne connais pas ce domaine.

M. CHOQUETTE: Le député de Terrebonne est très agressif ce matin, d'après ce que je vois, M. le Président.

M. HARDY: C'est comme les simples membres du Barreau sur leur conseil général.

M. MOISAN: Si vous aviez vu le congrès d'il y a un mois, vous auriez vu qu'ils ont tout de même une certaine importance, peut-être pas de contrôle mais une certaine importance.

M.HARDY: Je reconnais que depuis une couple d'années cela se démocratise un peu.

M. MOISAN: Merci, monsieur. Si vous étiez présent à nos congrès, M. le député, cela serait encore plus démocratique, connaissant votre esprit.

M. BURNS: M. le Président, vous êtes toujours à l'article 12.

M. MOISAN: A l'article 12, oui. Nous avons prévu que le vice-président devrait également être un avocat et ce pour une raison pratique, c'est qu'il va, en l'absence du président, entendre un certain nombre d'appels. Par exemple, si une personne se voit refuser l'aide juridique par la corporation locale, nous avons prévu, nous, un droit d'appel à la commission et si le président est absent pour une raison ou pour une autre c'est le vice-président qui siégera à ce moment-là et qui entendra l'appel. Nous croyons qu'à ce moment-là il doit être un avocat qui a une certaine expérience de la pratique du droit pour permettre une audition normale et permettre de rendre justice à ces gens-là. Effectivement, en toute absence du président, il va le remplacer.

M. CHOQUETTE: M. Moisan, au paragraphe b) de l'article 12 vous mentionnez une annexe A de la présente loi et lorsqu'on examine la fin de votre projet, on ne trouve pas cette annexe.

M. MOISAN: Au moment où nous avons préparé le mémoire, nous étions dans la situation suivante: nous nous posions des questions sur ceux qui s'intéressaient à l'aide juridique et nous allons le voir par les autres mémoires qui sont présentés ici. Est-ce qu'il faudrait inclure des représentants de la Chambre des notaires? Est-ce qu'il faudrait inclure d'autres organismes, corps intermédiaires et tout cela? Nous n'avions pas d'idée complète et totale de la situation mais...

Il semblait à ce moment-là que seul le Barreau, peut-être l'association des avocats ou quelques autres, s'intéressait à la question mais c'est une annexe que nous pouvons...

M. CHOQUETTE: Pour poursuivre votre pensée, M. Moisan, j'aurais cru qu'un projet de loi comme celui-ci aurait intéressé les grandes centrales ouvrières. Or nous n'avons aucun mémoire des grandes centrales ouvrières. Il semble qu'elles ne s'intéressent pas à l'aide juridique.

M. HARDY: Elles sont tellement bien représentées par le député de Maisonneuve.

M. BURNS: Merci.

M. LE PRESIDENT: Le député de Maisonneuve.

M. BURNS: M. Moisan, est-ce qu'il y a une raison particulière qui vous a fait opter pour deux formules différentes, à a) et à b)? Dans le cas de a), vous dites: Sur recommandation du Barreau et dans le cas de b), vous dites: Après consultation de ces groupes. Est-ce qu'il y a une raison particulière?

M. MOISAN: II peut y avoir 20 ou 25 groupes pour choisir une douzaine de personnes. Est-ce qu'on doit exiger la recommandation de chacun de ces groupes ou la consultation des groupes et choisir parmi les représentants qu'ils suggèrent?

M. BURNS: Dans le cas des nominations des juges, par exemple, cela a toujours été avec consultation auprès du Barreau et non pas... Même si ce n'est pas écrit; je pense même que c'est maintenant écrit.

M. CHOQUETTE: Ce n'est pas écrit.

M. BURNS: Ce n'est pas écrit. Mais en pratique, ça se fait; il y a toujours eu une consultation qui se faisait.

M. MOISAN: Oui. Ce qui n'est pas toujours suivi, mais en tout cas, il y a eu une consultation.

M. CHOQUETTE: M. Moisan, je pense que vous devriez retirer ce que vous venez de dire là. En toutes circonstances, les nominations de juges ont été faites après consultation avec le Barreau.

M. MOISAN: Après consultation, je pense que c'est exact. Mais je n'ai pas dit que le Barreau n'était pas toujours consulté. J'ai dit que la consultation n'équivalait pas à une recommandation.

M. CHOQUETTE: Non.

M. MOISAN: Ce n'était pas une recommandation.

M. PAUL: Lorsque j'étais ministre de la Justice, j'ai procédé de la même façon...

M. MOISAN: Je suis d'accord avec vous.

M. PAUL: ...et plusieurs membres consultés regrettaient de ne pas être en cause dans cette consultation.

M. MOISAN: Sur cette liste dont il est question, nous avons, dans notre mémoire, mentionné que plusieurs autres organismes,

comme les écoles de droit, les centrales syndicales, les organisations de bien-être social, les associations de personnes spécialisées en administration et gestion pourraient faire partie de cela. Nous n'excluons personne, mais nous n'avons pas donné de liste actuellement, préférant voir d'abord ceux qui manifestent un intérêt pratique à la question. La liste peut facilement vous être fournie, M. le ministre, à assez brève échéance, surtout après les auditions qu'il y aura aujourd'hui.

M. CHOQUETTE: En vertu de votre article 12 a), est-ce que vous voulez proposer que le gouvernement soit lié à votre recommandation?

M. MOISAN: Oui.

M. CHOQUETTE: Vous ne trouvez pas que c'est en demander beaucoup? Après tout, que ce soit le Barreau qui impose au gouvernement le président et le vice-président, qui sont les deux seules personnes permanentes de cet organisme, je trouve que c'est franchement dépasser la mesure.

L'aide juridique n'intéresse pas que les avocats. Elle intéresse le gouvernement, elle intéresse le Parlement, elle intéresse tout les gens préoccupés de l'administration de la justice. Je suis tout à fait disposé à de larges consultations avec le Barreau et les autres groupes qui s'intéressent à la question, mais je ne vois pas comment on peut astreindre le gouvernement à des recommandations précises venant d'un organisme professionnel.

M. MOISAN: M. le ministre, nous n'avons pas dit que nous recommandions deux personnes. Nous disons au début du mémoire, à la page 9, dans le haut à gauche: A même une liste. Enfin, cette liste peut comprendre cinq, huit, dix personnes.

M. CHOQUETTE: M. Moisan, je pense qu'il y a une équivoque. Il ne faudrait quand même pas déplacer le siège du pouvoir. Qui est élu au Québec actuellement? C'est le gouvernement actuel, ce n'est pas le Barreau qui est élu.

M. MOISAN: Non.

M. CHOQUETTE: Je pense qu'il va falloir le reconnaître une fois pour toutes. Cela ne me parait pas déborder les prérogatives du gouvernement que de dire que c'est lui qui va nommer et désigner, après certaines consultations, les personnes qui auront la responsabilité d'administrer des fonds publics. Je pense qu'on a répandu, à l'intérieur du Barreau, un philosophie inexacte des fonctions gouvernementales, à l'heure actuelle. Je ne comprends pas que des gens qui ont l'esprit aussi clair que les membres du Barreau se laissent emporter par cette façon de voir les choses. Je fais l'observation, parce que le discours prononcé par le bâtonnier Jasmin était basé sur cette conception.

Après tout, qui est élu pour gouverner? Ce sont d'abord les parlementaires et c'est le parti majoritaire qui occupe la fonction exécutive.

Nous sommes — et je le répète — prêts à assurer une participation très complète du Barreau dans le domaine de l'aide juridique et de l'assistance judiciaire — et je dirais même qu'un système d'aide juridique et d'assistance judiciaire ne peut pas fonctionner sans la collaboration du Barreau — mais il ne faudrait quand même pas prendre notre place.

M. BURNS: II ne faut pas non plus exagérer le rôle du Barreau là-dedans. C'est d'abord fait pour les indigents — d'ailleurs le Barreau le mentionne dans son mémoire — c'est d'abord fait pour les personnes défavorisées, non pas pour les avocats. Je pense qu'il ne faut pas exagérer non plus le rôle du Barreau à l'intérieur, je suis bien d'accord avec le ministre là-dessus.

M. CHOQUETTE: La justice n'est pas non plus une question qui appartient exclusivement au gouvernement, exclusivement au Barreau ou exclusivement à aucun groupe social. C'est une fonction de la société dans laquelle chacun doit avoir sa place et s'acquitter de ses responsabilités. Je suis parfaitement d'accord sur ce que vient de dire le député de Maisonneuve.

M. HARDY: Ce n'est pas seulement la question de...

M. LE PRESIDENT: Le député de Maskinongé.

M. PAUL: M. le Président, à tort ou à raison, — je dépolitilise complètement le problème — le Barreau reproche au gouvernement actuel de faire des tentatives d'intrusion dans le domaine judiciaire. Est-ce qu'il serait plus recommandable qu'il y ait intrusion du Barreau dans le domaine exécutif ou législatif? Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, pour rejoindre l'idée du Barreau et le point de vue logique exprimé par le ministre de la Justice, de considérer peut-être ces nominations pas l'Assemblée nationale? Je ne considère pas toutes les implications pour le moment, comme ce fut le cas pour la nomination du Protecteur du citoyen et du vérificateur général de la province. Nous avons deux précédents dans notre législation, dans nos lois, et peut-être que nous pourrions rejoindre à ce moment-là et l'idée du Barreau et le principe que vient d'exposer le ministre. Mais, personnellement, je ne souscris pas aux propos du Barreau lorsque la nomination par le lieutenant-gouverneur devrait être parmi une liste de personnes désignées ou recommandées par le Barreau. Je regrette de me dissocier de l'ordre à ce moment-ci sur le point-là.

M. MOISAN: C'est un point de vue. Ce que nous recherchons, M. le député, M. le ministre, c'est une indépendance de cette commission. Nous ne voulons pas qu'elle devienne politisée, qu'elle devienne le champ d'action de créatures politiques, simplement. Sans vouloir imputer de motifs à qui que ce soit, les gouvernements se renouvellent, changent, et on peut se rétrouver un jour devant une situation qui serait celle-là, et c'est tout simplement ce que nous craignons.

M. CHOQUETTE: Le député de Maskinongé a déjà fait, en d'autres occasions, des suggestions semblables. Je me rappelle justement, à l'occasion de la loi de la Commission de contrôle des permis d'alcool, que le député de Maskinongé avait fait une suggestion analogue. Je suis prêt à la considérer dans le cas actuel. Je trouve que, si elle a une application, elle a réellement une application dans le cas actuel parce que, comme je l'ai reconnu, la Commission des services juridiques doit avoir une large indépendance par rapport au pouvoir exécutif. Je suis prêt, en somme, à la considérer à son mérite et, si c'est possible d'y donner suite, nous y donnerons suite.

M. LE PRESIDENT: Le député de Terrebonne.

M. HARDY: M. le Président, je regrette, mais il y a une affirmation de Me Moisan qui vient d'être faite, que je ne peux pas laisser passer. Je suis obligé de m'inscrire en faux parce qu'elle découle d'une notion absolument condamnable de la politique en général et du pouvoir souverain, du pouvoir politique, notion, malheureusement, qui, dans notre province, est trop répandue. Mais chaque fois que l'on envisage le rôle du pouvoir politique, ç'a été le cas quand il a été question de la création du ministère de l'Education, c'est le cas quand on parle de la nomination des juges, on fait constamment la confusion entre ce qu'est le pouvoir politique et la politicaillerie ou la partisanerie.

Je vous avoue franchement que je suis non seulement déçu mais un peu scandalisé — et je me pose des questions — qu'un groupe comme le Barreau ne soit pas capable de faire la distinction entre ce qu'est le Pouvoir politique, avec un grand P, et les servitudes qui peuvent exister. Mais ce n'est pas parce que, exceptionnellement, il peut y avoir des lacunes dans le pouvoir politique, comme dans le Barreau, comme n'importe où, que l'on doit transgresser des principes fondamentaux comme ceux rappelés par le ministre de la Justice tantôt.

Ce vers quoi on doit tendre, et je pense que les avocats devraient y travailler, c'est d'essayer de faire en sorte que le pouvoir politique se dégage le plus possible des servitudes de la. politicaillerie ou de la partisanerie. Mais ce n'est pas en reniant le pouvoir souverain, le pouvoir démocratique, ce n'est pas en le déniant de ses prérogatives que l'on va corriger la situation, je ne le pense pas.

Alors, au lieu de dire: II ne faut pas laisser trop de pouvoirs, il faut morceller le pouvoir politique parce qu'il y a des possibilités d'abus; il faut plutôt travailler à corriger les abus. Je le reconnais, il y en a eu dans le passé, il y en a peut-être encore et il y en aura parce que le pouvoir politique est composé d'êtres humains. Mais encore une fois, je pense qu'il est peut-être temps, dans le contexte dans lequel on vit, de cesser de tout confondre et de clarifier un peu les situations. On est témoin ces jours-ci de toutes sortes d'aberrations et on confond le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire; si tout le monde contribue à confondre ça, on n'arrivera pas à clarifier la situation.

M. CHOQUETTE: Je trouve que le député de Terrebonne a tout à fait raison quand il met, en terminant son exposé, le doigt sur certaines aberrations exprimées actuellement sur la confusion entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.

M. LE PRESIDENT: Nous saluons l'arrivée du député des Iles-de-la-Madeleine.

M. MOISAN: Je ne puis pas être en désaccord sur ce qu'expriment le ministre et le député de Terrebonne; je suis d'accord avec eux. Ce que nous voulons, c'est préserver justement l'intégrité du pouvoir politique, de ne pas l'embarquer dans une situation où on pourrait prétendre qu'il contrôle par les nominations et par différents moyens cette commission-là comme d'autres commissions.

Je n'ai aucune objection à la proposition du député de Maskinongé qui parle d'une nomination par l'Assemblée nationale. Je pense qu'à ce moment-là on revient dans un domaine où c'est plus serein et un domaine où il n'y a pas de possibilité que les gens prétendent qu'il y a manigance, confusion, ainsi de suite. A ce moment-là, je me sens assez d'accord sur cette proposition.

Et c'est dans le but simplement... ce que nous recherchons est bien plus positif que ce qu'on nous impute actuellement. Ce que nous recherchons est de fournir à cette commission les moyens d'être largement autonome — je comprends qu'il y a des problèmes budgétaires aussi — dans son action pratique et que la justice soit faite mais qu'il paraisse qu'elle est faite. Il faudrait qu'elle ait toute l'apparence aussi qu'elle est rendue aux indigents et qu'ils ne sentent pas à un moment donné qu'il peut y avoir des manoeuvres quelconques au sein de la commission.

C'est uniquement dans ce sens-là. Je comprends qu'on rapproche notre suggestion d'événements qui ont cours ces jours-ci pour en faire un faisceau d'arguments mais ce n'est pas dans ce sens-là que nous l'avons rédigé et c'est simplement pour préserver...

M. LE PRESIDENT: Le député de Maskinongé.

M. PAUL: Me Moisan, est-ce que vous admettez que, de prime abord, si le gouvernement était lié par des recommandations du Barreau, le justiciable en général au Québec pourrait y voir une intrusion du Barreau dans le domaine exécutif ou législatif. Je ne dis pas que c'est l'intention du Barreau, absolument pas.

M. MOISAN: Absolument pas. D'ailleurs, écoutez, si on regarde le reste du mémoire, vous voyez que le Barreau et même les avocats ont un rôle minoritaire dans toute l'affaire et vous ne voyez nulle part, dans nos recommandations, un rôle majoritaire joué par le Barreau, ni au niveau des corporations locales, ni au niveau du comité consultatif régional, ni même au niveau de la commission. A la commission, nous ne demandons pas un nombre X de membres du Barreau, nous en demandons deux sur douze.

C'est tout de même une assez faible minorité.

M. PAUL: Mais je ne suis aucunement scandalisé par les propos que vous avez tenus.

M. MOISAN: Je vous remercie, cela me rassure.

M. CHOQUETTE: De nos jours, on se scandalise de très peu de propos, n'est-ce pas, M. le député de Maskinongé?

M. MOISAN: L'article 13 prévoit la durée des nominations et la méthode de remplacement. C'est un article que je pourrais qualifier de concordance puisque le nombre peut varier d'un.

M. CHOQUETTE: Pourquoi exiger dix années de pratique? Pourquoi exclure des membres du Jeune Barreau? C'est ce que je ne comprends pas dans la position que vous prenez.

M. MOISAN: A Québec, on est membre du Jeune Barreau jusqu'à douze ans de pratique. Ce n'est pas dans ce sens-là, mais il faut tout de même que ces gens aient une expérience convenable et assez variée des problèmes qui existent, qu'ils aient pratiqué le droit. Je pense que c'est essentiel. C'est une commission gouvernementale. Est-ce qu'on va en confier la présidence à une personne qui a six mois ou un an de pratique? Cela nous paraît aberrant.

M. BACON: II faut aller dans un autre...

M. PAUL: Vous demandez moins que pour la nomination d'un conseiller de la reine, parce qu'on demande au moins quinze ans de pratique.

M. MOISAN: On demande quinze ans pour un conseiller de la reine.

M. BURNS: Qu'est-ce que cela veut dire, un conseiller de la reine?

M. PAUL: M. Burns, je vous donnerai tous les avantages et les détails.

M. BURNS: M. le Président. Je me pose moi aussi de très sérieuses questions sur cette exigence de dix ans. Etant donné que, dans le fond, ce président n'est pas nommé pour contrôler l'appareil judiciaire mais qu'il est là pour agir dans une commission, je crois qu'un avocat ayant trois ou quatre ans de pratique pourrait avoir une connaissance suffisante' du droit, surtout que cela peut être quelqu'un qui a été à l'assistance judiciaire pendant X temps et qui n'a pas ces fameux dix ans automatiques, semble-t-il, qui jouent pour la nomination des juges entre autres...

M. MOISAN: ... qui jouent pour la nomination des juges, j'allais vous le dire. C'est parce qu'on attache une importance à l'administration de la justice. Je pense qu'on exige qu'un juge ait au moins dix ans de pratique, qu'il connaisse au moins l'ensemble des lois.

M. BURNS: C'est la distinction à faire là, il s'agit d'un administrateur de commission. D'accord, il doit avoir un coup d'oeil assez général sur l'administration de la justice mais peut-être pas autant que ce qui est exigé d'un juge. D'ailleurs, en ce qui concerne le juge, cette exigence a été très amoindrie.

M. MOISAN: La loi dit: Expérience équivalente et cinq ans. Cela ne veut pas nécessairement dire que le Barreau était d'accord sur cette expression "expérience équivalente" mais, à tout événement, c'est le texte actuel de la loi qui dit "cinq ans et expérience équivalente".

M. BURNS: Je trouve qu'on risque de se priver de compétences en mettant cette barrière de dix ans qu'on pourrait peut-être trouver chez des avocats de trois ans, quatre ans, cinq ans ou sept ans de pratique.

M. MOISAN: Sur le plan pratique, il existe des bureaux d'assistance judiciaire qui fonctionnent depuis plus de dix ans. Il doit y avoir dans ces bureaux-là des gens qui ont une expérience de quelques années, qui ont déjà pratiqué avant d'être membres de ces bureaux-là aussi. Il doit y avoir là des gens qui ont suffisamment d'expérience, de qualifications pour être membres. Nous croyons que la question de cette commission est assez sérieuse, assez importante pour 'que celui qui en assure la présidence soit un avocat qui connaît bien la pratique du droit. Je pense que, quel que soit le milieu où l'on a

pratiqué, quand on a pratiqué pendant une dizaine d'années, on a une vue d'ensemble, une expérience et une certaine philosophie du droit, de la justice. C'est dans ce sens qu'est notre recommandation.

M. BURNS: On dit que cela prend quinze ans pour faire un bon avocat.

M. MOISAN: Ce sont peut-être des gens plus doués que d'autres qui le sont après moins d'années. Je passe immédiatement à la page 18, l'article 22 i).

Le projet de loi mentionnait que la commission devait prendre les mesures nécessaires pour assurer l'intégrité des relations des notaires avec leurs clients et tout ça. Nous ne voyons pas en quoi la commission pourrait, ici, prendre ce genre de mesures-là, sauf pour informer l'organisme professionnel concerné, soit le Barreau ou la Chambre des notaires, d'une infraction ou d'une mauvaise conduite de l'un des avocats qui pratiquent dans un bureau ou une clinique. A ce moment-là, nous disons que les relations professionnelles, avocats et clients, sont du ressort de la corporation professionnelle. Il semble qu'en vertu de cet article il pourrait y avoir une forme d'intrusion de la commission dans ce domaine-là. Je ne sais pas si vous avez des questions là-dessus.

Je passe à la page suivante, l'article 22 k). Cet article-là prévoyait que la commission devait "entendre les demandes de révision faites en vertu des articles 63 ou 64;" c'est-à-dire lorsqu'une demande d'aide juridique est refusée ou lorsqu'elle est annulée par le bureau d'assistance judiciaire. Alors, à ce moment-là, il y a une révision possible et on se demande s'il est logique que toute la commission doive se réunir pour entendre une révision, pour entendre un appel de ce genre-là. Et vu que l'appel peut porter assez souvent sur la vraisemblance du droit, à ce niveau-là souvent ça peut porter, parce que si l'on parle de critère d'admissibilité, c'est assez facile à déterminer au point de départ. Mais la vraisemblance du droit est un domaine un peu plus complexe. Si l'on refuse une demande sur la question de vraisemblance du droit, nous croyons que la commission devrait former des comités pour étudier cette question et lui faire rapport sur le bien-fondé d'un refus basé sur la vraisemblance du droit en particulier. Alors, c'est dans ce sens-là que nous suggérons d'amender l'article 22 k).

Nous avons également suggéré d'ajouter l'article 22 n), par référence à cette question de réciprocité dont nous parlions au début, "prendre les mesures nécessaires afin d'assurer la réciprocité des services d'aide juridique avec les autres provinces ou pays."

A l'article 24, il est prévu que la commission peut suspendre les activités d'une corporation locale d'aide juridique. Il y a appel dans ces cas-là — évidemment le projet de loi le prévoyait — mais nous croyons qu'on devrait fixer un délai pour cet appel-là, un délai de trente jours d'appel de la corporation locale mise en tutelle, un délai dans lequel la question va être tranchée. Nous pensons qu'un délai de trente jours, qui est le délai habituel d'appel, serait normal et suffisant dans les circonstances.

L'article 27 donne un pouvoir d'enquête de la commission sur tout ce qui se rapporte à l'administration. Sur cette question, nous croyons que ça va un peu loin, puisque la commission, à ce moment-là, pourrait faire enquête sur les relations de type confidentiel et professionnel entre le professionnel de l'assistance judiciaire, soit un avocat ou un notaire, et son client. Nous pensons que l'enquête que la commission peut mener devrait être limitée aux autres aspects du fonctionnement de la corporation locale.

Mais ce qui touche les relations professionnelles entre clients et avocats ne devrait pas faire l'objet de ce genre d'enquête. S'il y a là quelque chose, ce devrait être référé au service de discipline de la corporation concernée.

Pour ce qui est du conseil régional, nous suggérons qu'il y ait une représentation des avocats à ce conseil parce que c'est un conseil purement consultatif; il n'a aucun pouvoir bien déterminé, sauf celui d'aviser la commission des besoins, des nécessités d'une région donnée. On pense qu'à ce niveau-là en tout cas, il pourrait y avoir la présence d'avocats de la région puisque ce sont eux qui connaissent, en partie en tout cas, les besoins judiciaires d'une région donnée.

M. BURNS: Est-ce que vous maintenez toujours que les avocats ne doivent pas être en majorité sur ces groupes-là?

M. MOISAN: C'est un conseil consultatif.

M. BURNS: Justement, sur cinq personnes, vous suggérez qu'il y ait trois avocats. Je me demande en quoi c'est conforme à ce que vous disiez tantôt quand vous me parliez de la commission. C'est peut-être vrai que pareil comité n'a pas de pouvoir de décision, mais...

M. MOISAN: C'est un pouvoir consultatif.

M. BURNS: ... il me semble qu'un avocat à un comité de ce genre serait bien suffisant, surtout que ce sont les groupes sociaux qui s'occupent principalement de ces problèmes dans les diverses régions qui pourront...

M. MOISAN: On pense tout simplement qu'il doit y avoir des avocats au comité consultatif, le nombre ne nous fait absolument rien. On pense qu'il pourrait y en avoir trois. Je prends une région comme celle où j'habite, où le conseil consultatif pourrait probablement couvrir à partir de Trois-Rivières jusqu'à Drummondville, Victoriaville et Thetford Mines. S'il y avait des avocats de ces différents coins, cela

permettrait d'avoir une meilleure vision de la situation, tout simplement. Mais je n'insiste pas outre mesure sur le nombre de trois. Si vous voulez faire un conseil consultatif de dix avec un avocat dans tout ce conseil, je n'en ferai pas un drame.

M. PAUL: Mais vous voulez qu'il y ait au moins un avocat.

M. MOISAN: Je pense que cela s'impose. On vit quotidiennement dans les palais de justice d'une région donnée. On sait ce qui s'y passe, on sait comment ça marche, on sait où ça va mal, où ça va mieux.

M. BURNS: II n'y a pas de doute qu'il faut un représentant de la profession là-dedans. Vous n'avez pas besoin de me convaincre de ça.

M. MOISAN: Ce que je veux, c'est qu'il y ait un représentant. Mais si le conseil consultatif couvre une vaste région, à ce moment-là, si je sais bien ce qui se passe à Arthabaska, je ne sais pas ce qui se passe à Trois-Rivières, je ne sais pas tout en tout cas. S'il y avait un avocat de Trois-Rivières ou de Shawinigan, je me dis que cela pourrait être utile à ce conseil consultatif pour nous renseigner sur les besoins de ces coins ou donner son opinion, comme tout le monde.

On ne tient pas à une majorité là non plus. On dit trois parce qu'on pense que ça va couvrir une région assez vaste, ces conseils consultatifs. On n'en fait pas une exigence formelle. Simplement, on croit qu'on peut apporter certaines lumières sur la question.

Quant aux chapitres sur les corporations d'aide juridique, soit 31 et suivants, nous avons suivi le projet de loi presque tel quel. Nous mentionnons au chapitre 32 qu'il pourrait y avoir des services juridiques ou des corporations de services juridiques spécialisés. D'ailleurs, ce n'est peut-être pas nécessaire de le mentionner puisque, dans l'ensemble, il était prévu, du moins dans les avant-projets, qu'il y aurait, comme à Montréal, par exemple, une corporation spécialisée en droit criminel, en droit pénal, mais enfin nous l'avons mentionné pour compléter, de façon aussi à élargir le champ d'action.

A l'article 37, en particulier, nous avons apporté un certain nombre de modifications quant au rôle du directeur du service juridique d'une corporation.

Je pense que, d'après ce que j'ai lu dans les journaux, cela a été assez mal compris. Le rôle du directeur du service juridique, nous voulons que ce soit le rôle d'un professionnel, comme par exemple, la Législature a voulu que dans le domaine de la santé le rôle du directeur d'un centre de service de santé ou de directeur professionnel soit un rôle qui est bien déterminé. Les modifications que nous avons là sont tirées de la loi 65, en particulier des articles 81, 76, 70 et 71. Nous avons adapté ces modifica- tions-là, nous les avons condensées pour que cela corresponde au rôle du directeur d'un service juridique, au sein d'une corporation. C'est simplement ce que nous avons voulu faire et je pense que c'est normal que dans ce domaine-là il puisse avoir une certaine latitude de mouvement. On s'est scandalisé qu'il puisse engager les autres avocats ou sur recommandation de la corporation ou son personnel, mais je pense que la secrétaire de l'avocat qui participe aux mêmes secrets professionnels que lui, qui a des fonctions qui engagent sa responsabilité à lui comme avocat, il devrait avoir le droit de l'engager, de la choisir. Elle ne devrait pas lui être imposée par la corporation elle-même. Alors, on veut qu'il ait une autonomie normale et raisonnable et qu'il y ait une sorte de cloisonnement entre ce qui est de l'administration de la corporation et ce qui est le domaine professionnel, le travail professionnel de l'avocat ou du notaire, enfin de l'individu, du professionnel qui est en place et de ses adjoints.

Alors, c'est dans ce sens-là que nous avons suggéré des modifications à l'article 37. Je passe ensuite à l'article 40 qui, évidemment, rejoint la notion de base de notre mémoire, à savoir un système qui comporte à sa base le libre choix de l'indigent, plus des bureaux ou des cliniques partout où la chose est nécessaire. C'est en résumé la position que nous prenons. Par conséquent, nous prévoyons à l'article 40 le droit de recevoir des services juridiques par la personne de son choix et des services juridiques, de façon continue et personnalisée. Sur cette question de libre choix, cet article 40 est d'abord copié avec les modifications qui s'imposent sur l'article 4 du bill 65. C'est le bill 65 à l'article 4 que nous avons transposé, quatre et six. Alors, on sait qu'à l'article 4 de cette loi, on disait: Toute personne a le droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social, avec continuité et de façon personnalisée, compte tenu de l'organisation et des ressources des établissements qui dispensent ces services. Et l'article 6 ajoute: Rien dans la présente loi ne limite la liberté qu'a une personne qui réside au Québec de choisir le professionnel ou l'établissement duquel elle désire recevoir des services de santé ou des services sociaux, ni la liberté qu'a un professionnel d'accepter ou non de traiter cette personne.

Alors, c'est un principe de base qui a été admis et consigné dans cette loi-là et que nous voulons voir aussi admis et consigné dans la Loi de l'aide juridique. Le domaine professionnel, je pense que je ne vous apprends rien, est un domaine où il existe des relations de type personnel entre un professionnel et un individu. C'est une relation basée sur la confiance d'un individu à un autre individu. On le voit dans cet article-là, on l'a même mentionné dans le bill 250 dont on aime souvent parler nous du Barreau.

Dans le bill 250, il y a l'article 21, paragraphe 3 où on dit: Pour savoir si une corporation doit être reconnue comme telle, elle doit répondre aux facteurs suivants: "Le caractère personnel des rapports entre ces personnes et les gens recourant à leurs services, en raison de la confiance particulière que ces derniers sont appelés à leur témoigner, par le fait notamment qu'elles leur dispensent des soins ou qu'elles administrent leurs biens". C'est un des critères d'une corporation professionnelle. On ne voit pas, nous, pourquoi on écarterait, dans le domaine de l'assistance judiciaire, cette relation personnelle qui existe entre l'individu et son avocat. Nous vivons présentement dans un système qui peut-être dépersonnalise trop les rapports entre les individus. Je pense que ce n'est pas bon, qu'au contraire, et plus particulièrement dans le domaine de la justice, comme dans celui de la santé, on doit tenir à cette relation personnelle. Cette relation personnelle est à la base de la possibilité de faire un choix de la personne en qui on veut mettre sa confiance.

A ce point de vue, on nous a fait plusieurs objections, ici et ailleurs dans les journaux. Je pense qu'il y en a trois que je veux brièvement discuter. La première est celle basée sur le fait que les gens ne connaissent pas d'avocats. Je pense que Me Burns l'a mentionné et qu'on lui a répondu qu'il s'agissait d'une vision assez montréalaise des choses. Je pense que c'est exact. Mais, même à Montréal, les gens qui se prévalent actuellement des services de l'assistance judiciaire qui existent, est-ce qu'ils pensent eux-mêmes qu'ils ont un certain choix? Est-ce qu'ils ne se rendent pas là comme des gens qui viennent demander humblement qu'on leur fasse la charité, qu'on les aide? Quand on vient demander cela de cette façon, il ne faut pas être trop sévère ou trop exigeant sur les conditions. Je me demande si même à Montréal, même s'il existe sûrement des gens qui ne connaissent pas d'avocats, ceux qui se présentent à l'assistance judiciaire n'en mentionnent tout simplement pas, parce qu'ils savent au fond, qu'ils ne peuvent pas exiger ça. E y a sûrement quelque chose dans ce sens-là.

M. BLANK: Ils connaissent leur député. M. MOISAN: M. le député, je ne sais pas...

M. PAUL: Je m'inscris en faux là-dessus, pas à Montréal.

M. BLANK: Venez à mon bureau, voir d'où viennent les cas d'assistance judiciaire. Ils viennent à moi comme député. Pensez-vous que je peux les envoyer chez vous pour demander l'aide judiciaire? C'est le bureau qui le fait, sans charge. Quand le curé vient avec deux ou trois mères de famille qui ont des problèmes, est-ce qu'on peut les retourner au Barreau pour demander si elles sont éligibles ou non? On doit le faire.

M. BURNS: C'est une annonce publicitaire...

M. MOISAN: Votre argument, M. le député serait faborable au libre choix. A ce moment-là, les gens choisissent d'aller vous voir.

M. BLANK: Oui, mais, justement, je veux dire...

M. MOISAN: Mais, blague à part...

M. BLANK: ... que le député sera débordé avec l'assistance judiciaire, s'il a le libre choix.

M. MOISAN: Si cette situation existe en partie à Montréal, parce que c'est une grande ville où l'anonymat est la règle, je pense que cela n'existe pas du tout ailleurs. J'en appelle à ce moment-là à l'expérience des gens de Trois-Rivières, comme à ceux de Terrebonne ou de ma région. Tout le monde, je pense, connaît, dans ces régions-là un avocat et a un certain choix de fait dans son esprit.

M. PAUL: ... de la profession tandis qu'à Montréal assez souvent, on cherche la profession.

M. MOISAN: La profession? M. PAUL: Oui.

M. MOISAN: A tout événement, je pense que c'est une situation totalement différente.

M. PAUL: Spécialement dans Outremont.

M. CHOQUETTE: Dans Outremont, mes électeurs me connaissaient assez bien.

M. PAUL: Est-ce que c'est synallagmatique?

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a un autre avocat qui voudrait faire des pages de publicité? M. Moisan.

M. MOISAN: Je crois qu'il faut le faire, à ce moment-là, même si ça existe possiblement à Montréal, dans une proportion qu'il est difficile d'établir, puisque ces gens-là n'ont jamais eu véritablement l'occasion de faire un choix, ça n'existe pas à l'extérieur.

Je vois très mal que, dans une région comme la mienne, où tout le monde se connaît et où tout le monde connaît les avocats, on puisse imposer à un individu d'aller voir M. Y au lieu de M . X parce que l'avocat de la corporation dans ma région sera M. X, un avocat.

A ce moment-là, la personne n'aura même pas le choix entre les avocats de la clinique. Elle devra prendre l'avocat de la clinique et lui seul. Elle n'aura pas le choix d'aller ailleurs, sauf dans des circonstances spéciales et ce sera cet avocat-là. Et on va voir, parce que chez nous, comme partout en province, tout le monde se connaît dans le patelin, que cet avocat sera

identifié comme l'avocat de l'assistance judiciaire et la personne qui est assise à côté de lui devant le tribunal sera également identifiée comme une assistée judiciaire. Je pense que ce n'est pas acceptable dans nos milieux.

M. CHOQUETTE: C'était ce que le Barreau faisait tout de même sous le système de l'assistance judiciaire qui a été organisé par le Barreau. Vous avez des avocats, si on prend les causes de droit criminel, qui n'étaient pas référés à l'extérieur pour les causes de droit criminel. C'étaient des avocats salariés qui prenaient les causes de droit criminel et ce sacro-saint principe du libre choix, vous ne l'avez pas appliqué d'une façon intégrale jusqu'à ce jour vous-mêmes.

M. MOISAN: Ecoutez...

M. CHOQUETTE: Je ne dis pas qu'il ne faut pas reconnaître de la valeur dans ce que vous dites, M. Moisan, je veux être bien compris. Il faut même, je pense, que le projet de loi ait en somme des dispositions qui fassent —et je pense qu'il en contient déjà — qu'à un moment donné, si un professionnel n'a pas la confiance du client, qu'il y ait une façon de régler le problème, une façon de faire en sorte que ce client ou ce bénéficiaire de l'aide juridique puisse avoir recours aux services d'un autre professionnel.

Mais tous les débats, dans ce domaine-là, ne se passent pas au niveau des principes. Je pense que vous allez l'admettre avec moi.

M. MOISAN: Ecoutez, si vous êtes prêt à admettre le principe valable que l'aide juridique doit comporter à sa base un libre choix plus des cliniques, des bureaux, des organismes qui vont oeuvrer dans des milieux déterminés où il y a des besoins particuliers, nous nous entendons. Si vous voulez nier ce principe-là en pratique, nous ne nous entendons plus.

M. CHOQUETTE: Mais on va prendre l'exemple suivant, dans le domaine de la santé: une personne a un accident d'automobile très grave et est transportée dans une clinique d'urgence.

M. MOISAN: Elle n'a pas le choix.

M. CHOQUETTE: Elle n'exerce pas le libre choix à savoir quel médecin va la traiter. Elle est bien contente d'avoir un médecin sur place pour s'en occuper. Alors là, on s'en occupe, et qui s'occupe du cas par la suite? C'est l'hôpital, c'est le médecin...

M. MOISAN: Pardon, M. le ministre. Par la suite, c'est le médecin qu'elle choisit.

M. CHOQUETTE: Je comprends qu'à un moment donné, si le patient dit: Moi, je ne veux plus être traité par le Dr Untel parce que je n'ai absolument pas confiance en lui, il peut y avoir en somme une solution de rechange à cette espèce d'objection de principe. Mais le commun des mortels, dans le Québec actuel, quand il s'en va dans un hôpital à la suite d'un accident grave, il prend les médecins qu'on lui offre et, en général, il est assez satisfait de ça.

M. MOISAN: Oui mais écoutez, c'est pour ça que la solution que propose le Barreau est une solution complémentaire. On dit qu'il doit y avoir dans les grandes villes, et un peu partout, une forme de cliniques d'urgence.

M. BURNS: Je m'excuse, Me Moisan, de vous interrompre, mais je ne vois pas que ce soit complémentaire ce que vous suggérez. Si on lit votre amendement à l'article 40: "Le directeur doit fournir à tout bénéficiaire les services professionnels juridiques requis, après lui avoir expliqué le droit dont il jouit d'obtenir les services professionnels soit d'un avocat ou d'un notaire à l'emploi de la corporation, soit d'un avocat ou d'un notaire exerçant leur profession dans une étude privée", je ne trouve pas cela complémentaire.

Je trouve ça, au contraire, très alternatif et sur un même pied. Dans le fond, là-dessus je rejoins les remarques du ministre de la Justice. Vous vous placez sur un plan de principe, soit, qui peut être défendable. Il n'y a aucune espèce de doute là-dessus. Mais ce qui est visé par ce projet de loi, à mon avis, c'est d'améliorer la situation d'une catégorie de la population, et, au fond, l'améliorer avec les moyens qu'on a. Je considère que, moins ça va nous coûter cher d'exploiter un système comme celui-là, qui sera efficace, plus on pourra donner des services. C'est ça le principe de base.

M. MOISAN: Qu'est-ce qui va se passer à l'endroit où il y a des bureaux d'assistance judiciaire organisés comme à Montréal? Suivant votre affirmation, il y a 80 p.c. des indigents qui n'en connaissent pas, qui n'expriment aucun choix. Qu'est-ce qui va se passer? Ils vont rester au bureau de l'assistance judiciaire. Ils vont dire: D'accord, je ne m'occupe pas de personne, j'ai un problème, réglez-le, occupez-vous de mon problème. Mais, s'il y a un certain nombre de personnes qui disent: Moi, j'aimerais mieux que mon problème soit réglé par M. X de la pratique privée, on va lui donner le choix d'aller voir M. X.

Pensez-vous que ça va diminuer sensiblement le volume d'affaires des cliniques ou des bureaux d'assistance judiciaire? Je ne le pense pas. Seulement, ça va donner la possibilité à ceux qui ont un choix, à ceux qui connaissent quelqu'un en qui ils ont confiance, d'aller le voir. Vous ne jetterez pas les bureaux d'assistance judiciaire à terre avec ça.

M. BURNS: Ce n'est pas du tout ça d'ailleurs qui est la base de l'affaire.

M. MOISAN: II n'y a aucun danger de ce côté. Je dirais même — et ça rejoint une remarque que vous faisiez dans vos notes d'ouverture mercredi dernier, que vous craignez à un moment donné qu'il y ait un "case load", qu'il y ait trop de cas pratiques à régler et que les avocats des bureaux d'assistance judiciaire n'aient pas le temps de faire de la prévention, de l'animation, du travail de ce genre. Et c'est un danger. Ces avocats seront peut-être submergés de causes pratiques à régler, de cas curatifs, si vous voulez, mais ils ne pourront pas faire de droit préventif, ils ne pourront pas faire de droit de groupe, de "class action" ou d'information, d'éducation populaire dans le milieu.

Si le libre choix les dégage d'une partie de ces obligations quotodiennes, est-ce que vous avez encore objection à ça?

M. BURNS: Non, je n'ai pas d'objection à ce qu'on les dégage, loin de là, mais tout simplement, en pratique, ce fameux droit au libre choix, admettons qu'on l'accepterait, qu'est-ce qui arrive dans les grands bureaux? C'est mon expérience personnelle, et il y a d'autres avocats, je ne sais pas si c'est pareil ailleurs. En tout cas à Montréal, c'est comme ça, les cas d'assistance judiciaire. Quand ils étaient assignés à des bureaux suffisamment bien organisés ou assez grands, c'était le stagiaire, c'était le junior du bureau qui s'occupait de la cause. A ce moment-là, je me dis: Où est-ce qu'il est rendu, le libre choix? Il s'en va voir Me Untel, de tel bureau, et Me Untel le reçoit et dit: Bonjour, monsieur, merci, maintenant, le dossier est transféré à Me Untel ou au stagiaire.

M. MOISAN: Cela, c'est exact, on admet que c'était un système plus ou moins boiteux, et pourquoi? Parce que l'on imposait à Montréal, à tous les bureaux d'avocats, qu'ils soient gros ou petits, de prendre des causes d'assistance judiciaire, de conduire un certain nombre de causes d'assistance judiciaire, gratuitement, chaque année. Et, infailliblement, c'est entendu que ce n'était pas le principal associé du grand bureau qui s'en occupait, c'est quelqu'un d'autre.

Quelle va être la situation si vous acceptez la proposition? Il va y avoir des centaines d'avocats qui oeuvrent dans des quartiers soit seuls, soit en petites sociétés et qui vont être intéressés à ça. Et les grands bureaux — je n'en nommerai pas mais il m'en vient à l'esprit — ne seront pas intéressés à ça parce qu'ils font une autre classe de droit. Il y a 500 bureaux d'un avocat à Montréal qui sont dans les quartiers; ce sont des gars qui, je pense, connaissent aussi bien que les gens de l'assistance judiciaire les problèmes qui se posent au niveau des petites gens, au niveau des défavorisés. C'est à eux et à d'autres bureaux semblables que vont se rapporter ces gens-là qui veulent exprimer un choix, parce que ce sont eux qui sont un peu plus connus dans le quartier où ils travaillent.

Mais, en quoi cela peut-il perturber l'existence des bureaux d'assistance judiciaire?

Je pense que cela les aide tout simplement, parce que cela leur enlève un fardeau de cas pratiques et courants. Ces gens-là, par ailleurs, expriment la confiance qu'ils ont en monsieur X, leur avocat de quartier; ils vont le voir et il s'en occupe.

M. BLANK: Ce qui arrive, c'est que ces gens ne veulent pas d'un avocat de quartier. Ils veulent voir tel et tel avocat. Disons qu'un avocat gagne une cause difficile et que les journaux en font une grosse manchette, tous les gens qui ont la même cause se rendront à l'assistance judiciaire et diront qu'ils aimeraient avoir cet avocat. Qu'est-ce qui arrive? Ils ont le droit de refuser?

M. CHOQUETTE: Me Auguste Choquette, par exemple.

M. BLANK: Me Auguste Choquette, pour des causes...

M. BURNS: Ces gens-là d'habitude ne sont pas des indigents.

M. BLANK: Ils ont de l'argent caché.

M. MOISAN: Mais la même situation se pose pour le gars qui est poursuivi en Gaspésie et qui veut avoir Me Auguste Choquette comme avocat. Me Choquette n'est pas disponible en Gaspésie et, à Montréal, il n'est pas disponible pour tous ceux qui voudraient l'avoir.

M. BLANK: Prenez comme exemple les grands criminalistes de Montréal comme Me Maranda et Me Raymond Daoust. Chaque personne qui a une cause au criminel demandera tel et tel criminaliste.

M. MOISAN: Mais elle ne pourra pas l'avoir. Comme moi peut-être ou n'importe quel individu.

M. BURNS: Où est votre libre choix à ce moment-là? En pratique.

M. MOISAN: II y en a un peu moins, c'est entendu. Est-ce que vous, vous pouvez exiger comme médecin le plus grand spécialiste de Toronto ou des Etats-Unis si, lui, il vous dit: Monsieur, je ne peux pas y aller, je ne peux pas m'occuper de vous. Le libre choix est conditionné par toutes sortes de choses, comme la bonne santé de l'avocat qu'on veut choisir, sa disponibilité, les distances, par toutes sortes de raisons qu'on peut imaginer. Le libre choix ne sera jamais total et absolu dans aucun domaine. Mais je pense qu'on l'a reconnu...

M. CHOQUETTE: Vous nous dites...

M. MOISAN: Pardon?

M. CHOQUETTE: ... que nous vivons dans un monde relatif.

M. MOISAN: C'est évident. Mais je pense que, si on l'a reconnu au niveau des médecins dans le bill 65, c'est qu'on permet quand même un certain libre choix. Je suis d'accord avec le ministre qu'au niveau de la salle d'urgence, nous n'en avons pas de libre choix. Mon petit gars s'est cassé un bras l'autre jour; c'est le médecin qui était là qui s'en est occupé. Mais par la suite, j'ai tout de même le droit de dire: Pour réparer son bras, ce sera l'orthopédiste un tel au lieu d'un tel. Mais mon libre choix, à ce moment-là — cela rejoint ce que vous disiez — est entre trois orthopédistes, parce qu'il y en a trois dans l'hôpital où je suis allé. Je choisis entre les trois. Je pourrais peut-être faire venir...

M. PAUL: Votre libre choix n'a pas été exclu ou enlevé, il a été suspendu.

M. MOISAN: II est évident qu'il a été suspendu au niveau de l'urgence. Mais il a été réadmis dans des limites physiques normales, parce qu'il y a trois orthopédistes. J'ai tout de même un choix entre trois. Tandis que, si l'on installe un système pur et simple de bureaux d'assistance judiciaire, je pense qu'à ce moment-là, le libre choix s'exerce entre les avocats de ce bureau. Et encore là, je me demande dans quelle mesure il est ouvert. A tout événement, il s'exerce entre les membres du bureau quand il y en a plusieurs. Et dans des endroits où il n'y aura qu'un avocat, il n'y aura plus de libre choix. C'est pour cela que...

M. CHOQUETTE: Me Moisan, ce n'est pas pour infirmer ce que vous avez dit. Je vais simplement faire une petite rectification, si vous me le permettez. Vous avez parlé de "class action"...

M. MOISAN: Oui.

M. CHOQUETTE: ... et je crois que cela mériterait une petite clarification. "Class action", dans le sens où l'on entend cela en procédure américaine, c'est une action entreprise au nom d'un groupe social. On a vu un exemple récent que je cite: le cas d'une compagnie de taxis qui avait chargé des tarifs plus élevés, pendant une période X de temps, que ceux autorisés par la Régie des transports. A un certain moment, un citoyen a dit: Je prends une action collective au nom du groupe des usagers des taxis de la ville de Los Angeles ou de San Francisco, je ne sais pas exactement où cela s'est passé.

Le juge a statué que c'était vrai, la compagnie avait abusé de sa situation. Etant donné qu'il était impossible de faire remise des montants perçus en trop, le juge a dit: Dorénavant, la compagnie sera obligée d'exiger un tarif inférieur pour compenser le public en général pour les tarifs excessifs qu'elle avait imposés auparavant. Cela, c'est du "class action". Mais cela n'existe pas encore dans notre procédure civile. Je suis peut-être, en somme, sympathique à l'insertion de ça dans notre procédure. Mais l'aide juridique ne vise pas, en somme, à remédier à cette carence, si elle existe. Maintenant, vous nous parlez d'action de groupe...

M. MOISAN: Cela existe.

M. CHOQUETTE: Cela peut exister.

M. MOISAN: Cela peut exister dans la procédure. Il est prévu que plusieurs personnes peuvent s'unir pour prendre une seule action. Dans ce sens-là, ça peut exister.

M. PAUL: Comme exemple, il y a une association de locataires qui va bientôt faire des pressions sur le ministre de la Justice pour qu'il présente une loi relative au problème des locataires et en remplacement de la loi de conciliation entre locataires et propriétaires et du bill 12. A ce moment-là, c'est une association qui a un droit ou des pressions à exercer. Cela se fait:..

M. CHOQUETTE: Le but de nos cliniques n'est pas de donner un véhicule juridique à ces revendications sociales, collectives ou autres. Le but du projet de loi est de donner des services juridiques aux gens qui en ont besoin. Vous semblez vouloir cantonner en somme les services juridiques qu'on pourrait rendre à des revendications de la part d'associations de locataires ou des revendications collectives qui peuvent être bien fondées, suivant les cas, ou mal fondées. Le but essentiel est d'apporter des services juridiques concrets devant la cour, devant les tribunaux.

M. MOISAN: C'est ça! C'est tout d'abord un service que nous pourrions appeler curatif, c'est-à-dire pour prendre soin du gars qui est devant nous et qui a un problème personnel qu'on doit essayer de régler.

M. CHOQUETTE: C'est ça!

M. MOISAN: Nous, nous voyons, par l'action qu'ont eue les cliniques jusqu'à aujourd'hui, qu'il y a des buts un peu plus vastes qui peuvent être envisagés, le relèvement d'un certain groupe, et c'est pour ça que nous croyons également que ce système doit se continuer, d'abord, comme clinique d'urgence pour certains cas très urgents, et comme moyen, comme levier pour permettre à ces gens d'exercer des droits qui ont une allure collective, pour leur permettre aussi de se mieux renseigner, de s'informer, de prévenir les situations qui peuvent les entraîner dans des ennuis

financiers. C'est dans ce sens que nous voyons principalement le travail des cliniques. C'est pour ça que nous ne voyons pas d'incompatibilité entre les deux systèmes. S'il existe un endroit où on en vient à la conclusion qu'il doit y avoir une clinique, cette clinique va avoir une clientèle, va avoir du pain sur la planche en quantité, mais il y aura un certain nombre de personnes qui préféreront recourir à l'avocat de leur choix. Nous ne voulons pas leur enlever ce droit. On pense que c'est un droit qu'elles ont.

On a beaucoup parlé de coût et je lisais, ces jours-ci, le mémoire du syndicat des avocats du BAJM, qui dit en particulier que le Judicare pur et simple coûte cinq fois plus que le système des bureaux d'assistance judiciaire. J'ai bien examiné ces chiffres et je trouve que c'est assez inexact. On a fait un exemple à partir de février 1972. On a dit: Huit avocats en février 1972 ont coûté $7,166 pour tout le mois alors qu'avec Judicare seulement cela aurait coûté $34,500. Je regrette, mais le chiffre de $7,166 que j'ai pu examiner d'un peu plus près est simplement le salaire de ces avocats qui gagnent, disent-ils, une moyenne de $10,400 par année. Cela ne comprend pas de dépenses de bureau.de secrétaire, d'équipement, rien du tout, de bénéfices marginaux ou quoi que ce soit. C'est simplement le salaire. Je prétends que, si vous avez un peu d'expérience dans l'administration d'un bureau d'avocats, parce qu'en fait le BAJM de Montréal est un gros bureau d'avocats cela doit coûter certainement quelque chose pour l'administrer.

Je me demande si ce chiffre-là est véridique dans les circonstances. Il faudrait peut-être le corriger sérieusement en tenant compte de toutes les dépenses de bureau car ces gens-là ne vivent tout de même pas dans la rue. Ils ont un bureau organisé, ils ont des secrétaires. Ils ont tout ce qu'il faut.

M. CHOQUETTE: M. Moisan, est-ce que vous demandez l'occasion de contre-interroger les personnes qui ont préparé ces chiffres?

M. MOISAN: Je pourrais le faire éventuellement. Maintenant, ce sont les avocats qui sont payés actuellement $10,000 et plus par année en moyenne, disent-ils, pour les huit avocats en question. Je crois qu'il faudra aussi tenir compte, dans leur coût, de certaines augmentations de salaire qui vont leur échoir à un moment donné. Cela ne veut pas dire qu'ils vont toujours demeurer à $10,000 par année de salaire. Je pense que, s'ils se sont formés en syndicat, ce n'est certainement pas pour négocier des baisses de salaire mais pour négocier certaines augmentations. C'est habituellement ce qui se passe.

Maintenant, c'est la comparaison avec un système Judicare pur et simple, c'est-à-dire l'abolition de tout bureau, de toute clinique, ou quoi que ce soit, un système de pur, libre choix. Ce n'est pas le Judicare pur et simple que nous plaidons devant vous ce matin, c'est la coexis- tence des deux systèmes. Et ce que l'on voit, je pense, dans les grandes villes, c'est qu'il y aura toujours une clientèle plus ou moins nombreuse, en tout cas une clientèle certaine, pour les cliniques ou les bureaux et qu'il y aura un certain nombre de personnes qui, elles, préféreront s'adresser à des avocats de la pratique privée. De là, les avantages que mentionnaient Me Letarte, d'une certaine émulation entre les deux au point de vue de la qualité des services et le reste.

Je crois qu'il faut tenir compte de ça. A ce moment-là ce n'est plus cinq fois plus cher. Je pense que, si on faisait la vraie comparaison entre un Judicare pur et simple et un simple système de bureau, on ne serait pas à cinq fois plus cher, je me demande si on serait à deux fois plus cher. Quand on sait le coût d'organisation des bureaux à Montréal, c'est assez fantastique. D'ailleurs si on examinait le budget du BAJM au point de vue de l'administration de bureau, en mettant de côté les salaires, on pourrait déterminer combien chaque avocat coûte au bureau par année.

On a dit aussi et ça rejoint une question de Me Burns à l'effet qu'en Ontario, il y avait beaucoup d'avocats qui étaient désintéressés ou désengagés du système. Encore là, ce sont des statistiques auxquelles il faut prendre garde comme celles du bureau d'assistance judiciaire de Montréal, c'est un autre exemple. En Ontario, il n'existe pas de distinction entre les avocats et ce que nous appelions les notaires dans la province de Québec. Tout le monde est avocat là-bas de sorte que...

M. PAUL: Cela peut être une bonne chose.

M. MOISAN: Cela peut être une bonne chose, mais ça veut dire qu'il y a 40 p.c. du nombre total de ce qu'ils appellent les avocats là-bas qui seraient dans la province de Québec des notaires. Quant aux statistiques, sur ces 60 p.c. il y en a seulement 20 p.c. qui sont des praticiens qui exercent quotidiennement devant les tribunaux. Il faut prendre cette question-là dans son contexte. Il faut analyser ces statistiques-là selon l'endroit d'où elles viennent et on constate, si on les examine bien, qu'il y a un grand nombre de praticiens en Ontario, soit la très grande majorité, qui s'occupent de l'assistance judiciaire et qu'il n'y a pas de désengagement massif comme peuvent le laisser croire les statistiques en question.

Je ne veux pas abuser de votre patience. Je vais essayer de passer assez rapidement.

Les articles 40 à 45, évidemment, viennent d'être discutés, quant aux principes, pendant assez longtemps. A l'article 53...

M. PAUL: Excusez-moi, je présume les arguments que vous allez présenter mais j'aimerais que vous nous apportiez des commentaires sur l'article 48, soit sur les amendements que vous proposez, "sauf avec l'approbation de la corpo-

ration". Tout avocat employé à temps plein par une corporation doit se consacrer exclusivement à l'exercice de ces fonctions pour cette corporation, sauf avec l'approbation de la corporation". Est-ce à cause du milieu où l'avocat va exercer?

M. MOISAN: Non, nous avons voulu prévoir la possibilité qu'un permanent de l'assistance judiciaire ait en même temps certains cours à donner â l'université ou â l'école de formation professionnelle du Barreau ou qu'il soit intéressé à être le secrétaire d'une petite compagnie de type familial dont son père est le président.

On ne voudrait pas qu'il puisse être empêché d'accomplir des fonctions comme celles-là, par exemple comme professeur.

M. CHOQUETTE: L'enseignement. M. PAUL: Très bien.

M. MOISAN: L'enseignement. On dit à ce moment-là que, si la corporation est d'accord et que cela ne nuit pas à son travail, il peut le faire.

L'article 53 mentionne que la demande est de caractère confidentiel. Je pense que cela peut avoir une certaine importance de le dire. Quant à l'article 55, nous pensons que le certificat émis en faveur d'un indigent doit être pour une durée limitée, parce qu'on a constaté dans la pratique qu'il pourrait se produire ceci. Par exemple, une dame obtient un certificat lui permettant d'intenter des procédures en séparation de corps contre son mari; elle garde ce certificat précieusement et toutes les fois qu'il fait le fou, elle lui dit: Ecoute, j'ai le droit de te poursuivre et si tu ne te tiens pas tranquille, je vais te poursuivre. Cela deviendrait une sorte de chantage. Alors, on dit: Le certificat doit avoir une durée limitée, une validité limitée; c'est pour éviter des choses comme celles-là.

M. CHOQUETTE: Quand une femme fait cela, c'est une cause de séparation de corps.

M. MOISAN: Ce serait peut-être un motif pour le mari.

M. PAUL: Cruauté mentale.

M. MOISAN: On mentionne aussi au même article que le certificat, dans le cas où il est remis à un avocat de la pratique privée, doit être remis à l'avocat et non pas au greffier de la cour, parce qu'il y a des districts à juridictions concurrentes, et le certificat pourrait être remis au greffier de telle cour alors que l'avocat de la partie va prendre son action devant tel autre tribunal où il y a juridiction concurrente. Alors, ce serait un problème. On le remet à l'avocat et il l'envoie à la cour avec les procédures qu'il prend. C'est une méthode plus pratique, d'après nous.

On a tenté de préserver ce caractère confidentiel de l'état d'indigence par le paragraphe qui apparaît en haut de la page 30, immédiatement avant l'article 56. On dit: On ne doit pas faire d'allusion devant la cour au fait qu'on représente un indigent, à l'audience. On doit tenir ce caractère d'indigence aussi secret que possible, parce qu'on a eu connaissance dans la pratique de réactions très diverses de la part des juges et de la part des personnes qui assistent dans l'audience à cette mention que nous représentons de par l'assistance judiciaire tel individu qui est à côté de nous. On pense que ce n'est pas un élément de la cause, que ce n'est aucunement pertinent à la cause; alors, on doit tenir pour acquis qu'il n'y a pas lieu de le mentionner.

L'article 58 nous paraît important; cela se réfère à une remarque de M. le ministre de la Justice la semaine dernière sur les causes qui engendrent des honoraires, par exemple les causes en dommage. On croit que l'assistance judiciaire ne doit pas être accordée dans ces cas-là puisqu'il n'y a pas de besoin en fait. M. le ministre mentionnait très justement que ces causes ne sont jamais refusées par les avocats qui les prennent sur une base de frais contingents, d'honoraires contingents. On pense qu'à ce moment-là l'argent qui serait investi là-dedans le serait au détriment des autres assistés sociaux.

L'article 60 parle du remboursement ou de la possibilité de remboursement ou de certificats mitigés, restreints. Nous n'avons pas très bien compris cette question de réadaptation complète du bénéficiaire; on s'est demandé ce que cela pouvait signifier exactement. S'il s'agit là de la possibilité de lui faire rembourser plus tard certains montants, nous sommes d'avis que l'expérience qui a été vécue en Angleterre et surtout en Ontario depuis quelques années est à l'effet que le remboursement est dans l'ensemble assez minime.

Par exemple, sur un budget de $10 millions, l'an passé, ils ont eu un remboursement de l'ordre de $250,000 à $300,000. On se pose la question de savoir si ça n'a pas coûté peut-être la moitié ou les trois quarts de ce montant, pour obtenir le remboursement en question, en frais de bureau et de démarches de tout genre. On se pose des questions sérieuses pour savoir si ça vaut la peine qu'il y ait ce principe du remboursement dans certains cas. C'est dans le cas d'aide juridique diminuée, ça.

M. CHOQUETTE: M. Moisan, le sous-ministre de la Justice vient de m'éclairer sur le sens de la disposition à laquelle vous avez fait allusion. Il s'agirait d'un cas, par exemple, de quelqu'un qui serait en chômage, qui aurait droit à l'assistance ou à l'aide juridique et qui par la suite se retrouverait un emploi. On pourrait, dans une certaine mesure, continuer à lui donner l'aide juridique autant que nécessaire, pour une certaine période, pour lui permettre

de se renflouer pour la période où il a été sans emploi, où il a contracté des dettes et où, par conséquent, sa situation financière a empiré. C'est pour faire face à ce genre de situation.

M. MOISAN: D'accord, à ce moment-là, ça veut dire que, dès qu'il serait complètement replacé au point de vue financier, l'assistance judiciaire pourrait être suspendue ou annulée pour l'avenir.

M. CHOQUETTE: Justement.

M. MOISAN: L'article 61 parle d'une aide diminuée. C'est là qu'on parlait de remboursement. Est-ce que c'est cela que ça veut dire exactement? Je vous pose la question. Peut-être diminuée, ça veut dire qu'il devrait payer une partie?

M. CHOQUETTE: Pas nécessairement. Cela pourrait vouloir dire que, s'il y avait d'autres litiges par exemple, il pourrait les commencer à ses propres frais — est-ce que vous comprenez ce que je veux dire là? — tandis qu'on pourrait continuer l'aide juridique pour un litige déjà entrepris pendant qu'il avait l'aide juridique, pour faire une période de transition, en somme. C'est pour rendre l'aide juridique plus flexible.

M. MOISAN: Plus souple.

M. CHOQUETTE: Plus souple, c'est ça.

M. MOISAN: L'article 63 parle de l'appel, lorsque l'aide juridique a été refusée: on en a discuté précédemment. Il prévoit aussi que, s'il y a urgence, même pendant la période d'appel, on doit fournir une assistance juridique, à titre d'urgence. Parce qu'il pourrait peut-être y avoir une période, entre l'audition de l'appel, la décision et tout ça, où la personne a besoin de façon urgente d'être aidée, on prévoit un certificat temporaire pour cette période-là, principalement dans les cas de prescription.

Les autres articles comportent certaines modifications quant aux questions d'appel. Je pense qu'il n'y a pas lieu...

M. PAUL: M. Moisan, vous avez dit qu'il y aurait nécessité de ne jamais mentionner le statut d'un bénéficiaire de l'assistance juridique et je vois qu'à l'article 65, il n'y a aucun commentaire en relation avec les propos que vous avez antérieurement tenus, l'article 64 également.

M. MOISAN: L'article 64 surtout. C'est une anomalie qui nous a été signalée, tout récemment, ces jours derniers. Evidemment, le mémoire était écrit et présenté à ce moment-là. On s'est dit: Si c'est conservé de façon confidentielle et secrète, comment la partie adverse peut-elle le savoir? Il y a tout de même le dossier de la cour où le certificat va être déposé. La partie adverse peut le savoir par ce moyen, surtout son avocat, parce que lui va examiner le dossier de la cour. Ce qu'on ne veut pas, c'est de faire un étalage devant le tribunal, devant toute l'assistance et que moi, avocat, je représente madame ici qui est une assistée juridique, qui est une défavorisée.

M. PAUL: Vous auriez une cliente de choix.

M. MOISAN: Je ne m'en plaindrais pas. Je passe rapidement à l'article 69 h) qui nous paraît contenir une disposition qui vient à ['encontre de la Loi du Barreau, de même possiblement qu'à l'encontre de la Loi du notariat, les certificats de stagiaires. Evidemment, il semble que, dans cet article, la commission pourrait déterminer le genre de services juridiques qu'un étudiant en droit pourrait rendre. Il nous semble que ce soit la corporation professionnelle, par ses règlements, qui détermine les services qui doivent être rendus.

Excusez-moi, l'article 69 b). On dit que les règlements peuvent "déterminer la nature des litiges et des poursuites qui peuvent faire l'objet de l'aide juridique". Evidemment, cela peut permettre énormément de restrictions au champ de l'assistance judiciaire. Je comprends que, derrière cet article-là, il y a sans doute des problèmes financiers, des problèmes budgétaires. Mais il nous semble que ce soit une situation qui peut comporter passablement de sources d'inconvénients et de désappointements de la part des assistés sociaux qui le sont quand même, quel que soit le problème qu'ils ont devant eux.

Cela nous paraît être une forme possible de recul par rapport à ce qui se donne actuellement au niveau de la variété de l'éventail des services. On donne peut-être moins actuellement, mais on le donne dans tous les domaines, en somme. Là, il y aurait des restrictions qui pourraient être imposées. On ne les connaît pas encore actuellement, mais la commission avait le droit d'imposer toutes sortes de restrictions sur l'éventail des services. On attire l'attention là-dessus en particulier.

L'article 70 a été biffé. On en a discuté, c'est au sujet... Oui?

M. CHOQUETTE: Permettez, Me Moisan. Ici, à l'article 69 o), s'il s'agit de négocier les tarifs...

M. MOISAN: Oui.

M. CHOQUETTE: ... avec les avocats qui ne sont pas à salaire, avec qui la commission devrait-elle discuter pour l'établissement de ces tarifs? Avec le Barreau ou avec la fédération des avocats?

M. MOISAN: Discuter avec les avocats qui formeront un syndicat ou une association comme il s'en est formé plusieurs vis-à-vis d'un

employeur qui était la ville de Montréal dans un cas, et d'autres. A ce moment-là, ces gens-là vont former une association, vont se nommer des dirigeants et vont négocier leur tarif.

M. CHOQUETTE: Oui. Mais ici, nous ne sommes pas dans un contexte de relations de travail, parce que vous allez admettre avec moi que, puisque ce sont des avocats de la pratique privée que vous avez en vue, ce ne sont pas des employés de la commission ou des corporations d'aide juridique. Par conséquent, je vous demande si pour l'établissement du tarif, la commission doit s'adresser au Barreau ou à ce qui est en train de surgir un peu partout et qui est appelé la fédération des avocats.

M. MOISAN: Je pense que vous allez devoir discuter avec l'association des avocats engagés dans l'assistance judiciaire, même à titre privé.

M. CHOQUETTE: Est-ce que vous pensez qu'on doit avoir une négociation distincte dans toutes les régions du Québec? Est-ce qu'on doit avoir une négociation générale et cette négociation générale, d'après vous, devrait se faire avec qui?

M. MOISAN: C'est ce que je viens de dire, il devra y avoir, je pense, — appelons ça une association ou un syndicat — des avocats intéressés et engagés à fournir des services dans le régime d'assistance judiciaire.

M. CHOQUETTE: Et pas avec le Barreau?

M. MOISAN: Je ne le pense pas. On n'a pas négocié pour les avocats de la ville, on n'a pas négocié pour les avocats de la fonction publique, nous ne sommes pas un agent négociateur, je pense, pour des groupes d'avocats particuliers. Si nous négocions ou discutons, c'est pour tout le Barreau, ce qui inclut des avocats qui sont fonctionnaires, d'autres qui sont dans de grandes études et qui n'ont aucun intérêt possiblement dans l'assistance judiciaire et d'autres qui sont à l'emploi de contentieux. Tous ces gens-là ont leur droit d'association et leur droit de négociation. Je ne pense pas qu'il existe quelque chose dans la loi du Barreau qui nous permette d'être agent négociateur pour des groupes particuliers d'avocats.

M. CHOQUETTE: Je ne parle pas de la légalité, je parle de la politique globale.

M. MOISAN: La politique pratique...

M. CHOQUETTE: Quelle est la politique du Barreau à l'heure actuelle sur cette question-là?

M. MOISAN: C'est celle que je viens de vous dire. On a toujours dit, d'ailleurs, dans un projet de loi qu'on avait présenté il y a un an ou deux ans: Les groupes ou organismes habilités ou groupes habilités à négocier les tarifs. On n'avait, pas dit que c'était négociable avec le Barreau, on a dit que c'était négociable avec ceux qui offrent leurs services dans le système d'assistance judiciaire, pas à titre permanent, je veux dire, à l'acte.

Je pense qu'on parle d'un organisme qui n'existe pas encore, du moins je ne pense pas qu'il existe encore, à ma connaissance, il devra évidemment s'organiser.

M. BURNS: Vous avez les fédérations d'avocats qui se forment un peu partout actuellement?

M. MOISAN: Pardon?

M. BURNS: Les fédérations d'avocats qui se forment actuellement, semble-t-il, à cause de la venue du bill 250, ce seraient peut-être justement des associations qui veulent être les représentants des intérêts économiques, sociaux et moraux, au sens syndical du mot, des avocats.

M. MOISAN: Ce serait peut-être ça, je ne l'exclus pas. Je n'exclus pas cette fédération ou ces groupes-là comme représentants possibles des avocats qui s'intéressent à l'assistance judiciaire. Je n'en fais pas d'exclusion.

Les dispositions des articles suivants ne paraissent pas comporter tellement de problèmes et je crois que cela termine mon exposé. Je regrette qu'il ait été bien long et j'espère qu'il a pu éclairer les membres de la commission sur le problème que nous avons présentement devant nous.

M. LE PRESIDENE: Merci beaucoup.

M. CHOQUETTE: Est-ce que vous avez terminé, Me Moisan?

M. MOISAN: Oui.

M. CHOQUETTE: M. Moisan, je désire vous remercier des représentations qui ont été faites par le Barreau du Québec sur ce projet de loi.

Je voudrais vous féliciter ainsi que Me Letarte pour votre façon de vous exprimer et vous assurer que nous considérons votre point de vue et les arguments que vous avez soulevés avec tout le sérieux qui s'impose dans les circonstances.

M. PAUL: M. le Président, je veux m'associer aux félicitations que vient d'adresser le ministre de la Justice. Ce qui a été la marque caractéristique du mémoire qui nous a été présenté et par Me Letarte et par Me Moisan, c'est l'objectivité avec laquelle ils nous ont exposé le point de vue des membres de l'Association du Barreau. On a toujours décelé également le souci de la protection du public. Et je suis heureux d'entendre le ministre nous déclarer que plusieurs des amendements suggérés retiendront son attention et

surtout celle des officiers supérieurs du ministère de la Justice. A tous ceux qui de près ou de loin ont travaillé à la préparation de ce mémoire, je voudrais que Me Letarte et Me Moisan expriment la reconnaissance unanime et les remerciements des membres de la commission de la justice.

M. LETARTE: M. le Président, le Barreau remercie cette commission de nous avoir donné l'occasion de nous exprimer complètement sur le sujet qui nous tenait tant à coeur et ne voudrait pas conclure cette entrevue sans renouveler son offre de collaboration à toute mesure susceptible d'aider l'accès à la justice pour les défavorisés.

M. CHOQUETTE: M. le Président, je constate qu'il est midi et je pense que nous devrons ajourner. Nous avions d'autres personnes à entendre, M. Jean Loranger, le syndicat des avocats de l'assistance judiciaire et également Madame Harper. Je suggère que nous entendions ces personnes cet après-midi, après la période des questions, c'est-à-dire vers 4 heures.

M. LE PRESIDENT: La commission ajourne ses travaux à cet après-midi 16 heures.

M. CHOQUETTE: En ce qui concerne les séances ultérieures de la commission, je suggère que celles-ci aient lieu les 17 et 24 mai. Le 17 mai, nous pourrions siéger dans la matinée à compter de 9 h 30 pour entendre la Fédération des avocats ainsi que l'Association des cliniques légales. Nous ne pourrons malheureusement pas siéger l'après-midi ce jour-là à cause de travaux parlementaires.

Le 24, nous pourrions entendre la Ligue des droits de l'homme, l'Association des notaires de

Montréal, le Jeune Barreau de Montréal et l'Association des défenseurs des droits sociaux. Je ne sais pas quelle est cette association, mais elle s'est inscrite. J'espère que nous pourrons tenir deux séances le 24, une le matin et une l'après-midi, ce qui nous permettra peut-être de conclure les travaux de la commission sur le projet de loi qui a été soumis à son attention.

M. PAUL: En ce qui a trait à la séance du 24, l'après-midi, pourrais-je inviter le ministre de la Justice à consulter son collègue, le leader du gouvernement, à cause de certaines ententes qui avaient été prises...

M. CHOQUETTE: Oui.

M. PAUL: ... lorsque les députés de l'Opposition ont consenti à abandonner la journée du mercredi.

M. CHOQUETTE: Je fais la suggestion aux honorables députés de l'Opposition qui sont ici présents, enfin vous pourrez la considérer et me communiquer votre réponse peut-être cet après-midi. Je vais parler au leader du gouvernement. De votre côté, vous pourrez examiner si c'est possible de votre part.

M. BURNS: Pour l'information du ministre, l'Association pour la défense des droits sociaux, je sais qu'il n'y en a pas dans Outremont, mais c'est ce qu'on appelle les avocats populaires.

M. CHOQUETTE: Ah!

M. PAUL: Voulez-vous dire qu'il n'est pas populaire, le ministre?

(Suspension de la séance à 11 h 53)

Reprise de la séance à 16 h 17

M. PICARD (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs!

Je déclare la séance ouverte et je donne la parole à M. Jean-T. Loranger.

M. Jean-T. Loranger

M. LORANGER: Bonjour, M. le Président. Je voudrais simplement dire un mot sur le fait que je me trouve ici comme membre du Barreau et que je présente un mémoire seul; ce n'est pas une situation que j'ai choisie, c'est une situation dans laquelle je me suis trouvé.

On a fait à la loi, au bill 10, des reproches généraux qui sont en gros de ne pas accorder la liberté de soi, de ne pas prévoir de l'aide suffisante pour des groupes, de ne pas accorder pleine autonomie aux citoyens et de relever de trop près du gouvernement et de l'exécutif du ministre de la Justice.

Je crois, respectueusement, que la question du choix a été largement discutée et il me semble que le choix de son avocat est un privilège essentiel et que, par ce fait, c'est une question de principe, il devrait donc être inclus dans la loi. Cependant, tout le monde sait qu'en fait le choix est extrêmement limité. Il serait juste aussi de reconnaître ces limites mais de les reconnaître plutôt par voie de règlement de façon à pouvoir consacrer dans la loi de la province le fait que le choix d'un avocat est un droit reconnu. Ce droit peut être limité tout comme il est limité par la nature des choses. On fait le meilleur choix possible dans les circonstances.

Ce ne serait pas une limite injuste que le choix soit donné, mais à l'intérieur d'un bureau permanent ou d'une clinique, comme on l'appelle communément, à ce moment-là.

Il n'est pas nécessaire non plus, je crois, de donner le choix dans tous les cas. Mais on peut certainement accepter le choix d'un individu qui le demande. Si, au début, on croit qu'il est plus prudent de l'accepter seulement dans certains cas, je pense que cette limite devrait paraître plutôt dans une réglementation que dans le texte de la loi.

Quant à ce qui est de l'aide des groupes, je crois, comme M. le ministre l'a fait remarquer ce matin, que c'est plutôt une question de procédure qui relève du code de procédure. Je pense qu'il y aurait lieu, par exemple, de songer à assouplir le code de procédure pour faciliter les actions de groupe ou — je ne sais pas comment dire en français — le "test case". La procédure est encore un peu complexe pour ce genre d'action; elle n'est pas parfaite. Je crois qu'il y aurait lieu d'amender le code de procédure et dès lors, l'action de groupe, qu'elle vienne en vertu de l'aide juridique ou non, serait une procédure normale reconnue qu'on pourrait accepter.

On a reproché à la loi de ne pas reconnaître une pleine autonomie aux citoyens, parce qu'ils sont contrôlés par les règlements d'une commission dont les membres sont choisis. Je me demande pourquoi, au coeur de la commission, il n'y aurait pas lieu que certains des directeurs, des administrateurs des corporations locales envoient des délégués. Par exemple, disons que les grandes régions pourraient, comme la région de Montréal, la région de Québec, la région du bas du fleuve, la région du nord-ouest, avoir un délégué, une délégation de la corporation locale, pour faire suite à l'esprit de participation que la loi d'aide juridique veut encourager. Je reviendrai un peu plus tard sur cette question-là.

L'autre reproche général que l'on a fait à la loi, c'est de relever trop immédiatement du gouvernement, c'est-à-dire de relever du ministre de la Justice et de prévoir la présence à la commission de deux sous-ministres.

Je ne pense pas au ministre actuel ni à un ministre dans la province de Québec, je pense à un ministre de la Justice. Je crois que tant que ce ministre de la Justice est chargé de l'ordre public et de la police, il est inconcevable qu'on inscrive dans un texte de loi qu'il doit également être responsable de défendre les gens contre les citoyens privés. D me semble qu'il y a là une contradiction de principe et que cette contradiction ne devrait pas être inscrite dans la loi.

Je ne crois cependant pas pour cela qu'il faille enlever au ministre de la Justice la responsabilité financière. C'est son ministère qui connaît les services juridiques. Mais lorsqu'on charge un ministre de faire rapport sur les activités et lorsqu'on le charge de l'application de la loi, il me semble qu'il y a là une contradiction. Je ne suis pas un expert en droit administratif, mais je crois que le ministre pourrait rester responsable de la partie financière, tel qu'il est prévu à l'article 85, par exemple d'obtenir de l'Assemblée nationale les fonds requis, mais que le rapport sur les activités devrait être fait ailleurs, je le suggère, soit directement à la Chambre, soit au Protecteur du citoyen, pour transmission à la Chambre. Je crois que, de cette façon, il serait plus manifeste qu'il n'y a pas de contradiction avec le rôle du ministre, tel qu'il est exprimé dans la loi. Le bâtonnier Moisan, ce matin, a fait remarquer qu'il n'était pas suffisant que l'on agisse avec justice. Il faut de plus qu'il soit manifeste que l'on agisse avec justice. Il faut, c'est certain, qu'il soit absolument manifeste que l'on a accès à l'aide juridique sans qu'on puisse soupçonner — même si on a un mauvais jugement — qu'on n'a pas accès à un service qui est complètement indépendant.

Je recommanderais donc que les article 86 et 82 soient modifiés dans ce sens mais l'article 85 peut très bien être maintenu.

Je dois dire aussi que j'aimerais recommander que la commission, telle qu'elle est constituée, soit remplacée par un autre mode. Le

premier, c'est que l'on réduise la commission à trois membres et qu'on leur laisse les fonctions qui sont actuellement prévues pour le président et le vice-président. C'est-à-dire que ce sont de fait trois membres qui vont être les directeurs généraux du service et qui vont l'administrer.

Ces personnes, si elles ont un problème d'admissibilité ou un problème juridique, pourraient avoir l'autorisation de s'adjoindre le conseil de personnes compétentes en la matière. Autre possibilité, je suggérerais à ces personnes-là que leur rapport soit fait directement à l'Assemblée nationale, ou au protecteur du citoyen plutôt qu'au ministre de la Justice, et dans le même esprit que les remarques que je faisais plus tôt.

Ou bien on pourrait conserver le conseil tel qu'il est, mais lui retirer tout ce qui concerne l'admissibilité de problèmes juridiques et confier cette charge à un directeur général avec un ou deux adjoints. A ce moment-là, le problème de l'administration quotidienne est complètement réglé en bas du conseil et le conseil, lui, détermine les politiques générales. Il n'y aurait plus de contradictions à avoir le sous-ministre de la Justice et le sous-ministre des Affaires sociales comme membres des douze parce qu'ils joueraient tous un rôle de conseil de direction.

Mais avec l'organisation actuelle, la commission prévue relève du ministre de la Justice, a un président actif engagé dans le quotidien, un vice-président actif engagé dans le quotidien. Or, être engagé dans le quotidien, ça veut dire être en contact avec le ministre des Affaires sociales et le sous-ministre de la Justice.

Vous avez là, à l'intérieur de notre commission, un comité de direction devant lequel les huit autres membres vont être absolument impuissants. En conséquence, ils vont se désintéresser de leur travail ou, s'ils ne s'en désintéressent pas, ils vont porter les problèmes à la scène publique. Si vous avez une personnalité forte, par exemple, qui est membre de la commission, à ce moment-là, les problèmes de la commission risquent d'être portés à la scène publique, c'est-à-dire par les moyens de communication, les journaux, etc. Avec grand risque de conflit évidemment, avec les droits des individus qui peuvent être concernés par un problème.

M. PAUL: M. Loranger, je ne voudrais en aucune façon devancer votre argumentation; je ne voudrais pas non plus vous placer dans l'embarras. Si vous aimez mieux ne pas répondre, vous ne répondrez pas. Personnellement, est-ce que vous avez une objection à ce que le sous-ministre de la Justice soit membre de la commission?

M. LORANGER: Si le président et le vice-président doivent agir comme directeurs généraux, oui. Parce que les contacts sont trop immédiats, les contacts sont très constants et vont l'être. Et, à part cela, il y a le problème du conflit avec une autorité publique. Je crois que, si l'on veut conserver les sous-ministres au conseil — et je pense que c'est très juste, parce que le gouvernement est certainement intéressé au problème — à ce moment-là, chacun des membres du conseil doit être sur pied d'égalité. Et tout ce qui concerne le problème individuel et la conduite immédiatement quotidienne du travail doit être confié à un directeur général et à un ou deux adjoints, suivant le besoin qu'ils ont.

Ces adjoints pourraient se rapporter au conseil aussi régulièrement que le conseil le souhaiterait et le conseil pourrait donner ses directives générales, ses politiques, etc. Il y aurait là, entre l'exécutif du gouvernement, c'est-à-dire le cabinet ou le ministre — en supposant une question de conflit — un coussin, une espèce de palier où il n'y a pas de communication.

La décision s'arrêterait au directeur général et la censure contre ce dernier serait évidemment la censure bien ordinaire et ensuite, le renvoi et la suspension. Si on prend soin...

M. PAUL: C'est assez difficile.

M. LORANGER: ... de choisir un, deux ou trois hommes. Je me permets de dire que si c'est le président ou encore le vice-président qui conduit l'assistance judiciaire dans le quotidien, les autres membres du conseil seront forcés, presque sans nécessairement qu'on le veuille, mais par la simple nature des choses, à avoir un rôle absolument passif. Ils recevront des rapports de ce qui s'est passé, on leur demandera leur opinion sur l'avenir, on va commencer à le mettre à exécution mais on est déjà engagé dans la décision parce que les décisions ne se prennent pas d'une façon tranchée, les décisions sont longues et prolongées, il y a des débats, des discussions.

En somme, le président et le vice-président et le gouvernement — si c'est un problème où le gouvernement est intéressé le moindrement — se trouvent déjà engagés et déjà presque entraînés à prendre une décision qu'ils feront ratifier par le conseil. Je crois que c'est une mauvaise chose parce que, si c'est ça, les membres du conseil qui sont vraiment intéressés n'y resteront pas longtemps. Ils se retrouveront dans une situation secondaire.

Comme je disais tantôt — je ne veux pas me répéter — mais s'il y en a un qui a une personnalité plus forte ou qui veut s'affirmer et qui se trouve régulièrement placé devant ces décisions, à ce moment-là, on aura un esclandre public, c'est-à-dire que ce monsieur se permettra peut-être de faire une déclaration en disant : En somme, ce n'est pas moi qui décide, c'est toujours décidé, etc.

La formule que je suggère — c'est la formule qui m'est venue à l'esprit, il y en a peut-être une meilleure — mais je crois que la commission en tant que telle, devrait s'occuper des problè-

mes généraux, des politiques générales, de l'appréciation des programmes, etc. Mais le jour-le-jour devrait relever d'un niveau inférieur. Il reste aussi qu'on ne peut pas décider d'une question d'admissibilité, on ne pourra pas faire une révision sans s'engager dans le problème juridique.

Penser que l'admissibilité et le problème juridique d'un individu sont deux choses distinctes, je crois que c'est une erreur. En fait, les deux sont absolument liés et on ne peut pas déterminer une admissibilité sans connaître l'importance du problème. C'est pourquoi l'admissibilité doit être faite ou au moins parachevée par un avocat. Elle ne peut pas être faite exclusivement par des gens des services sociaux parce qu'ils ne peuvent pas apprécier vraiment l'admissibilité, en tout cas, certes pas des cas marginaux.

Je voudrais revenir ensuite à quelques commentaires plus spéciaux. J'aimerais relever en passant, non pas parce que cela a été dit ce matin, mais parce que j'ai été à l'assistance judiciaire assez longtemps et c'est une vieille critique qui m'a été répétée plusieurs fois la semaine, c'est qu'il y a une différence de qualité dans les services d'un avocat salarié et les services d'un avocat praticien privé.

Je crois que les faits ou en tout cas l'expérience vécue au bureau ne supportent pas, n'appuient pas cette vue des choses. Je crois que c'est entièrement une question de caractère des individus qui sont engagés dans un travail et secondairement le contrôle et l'appui que ces gens reçoivent. J'avais relevé en passant, mais c'est tout simplement en passant, que les résultats que nous avons à l'assistance judiciaire sont très encourageants et montrent qu'à la cour d'Appel, par exemple, ou aux Assises, notre — pardonnez l'expression — moyenne au bâton est plus forte que la moyenne générale, et plus forte que la moyenne canadienne. On a pu lire aussi que ce n'est pas un exemple extraordinaire, c'est un exemple qui se retrouve ailleurs, que les gens qui sont intéressés à l'aide juridique et qui s'y donnent préparent bien leurs causes et, souvent, même s'ils sont moins habiles que d'autres, parce qu'ils ont eu l'avantage d'être dégagés d'autres obligations, d'autres soucis, réussissent aussi bien que d'autres qui sont peut-être plus compétents qu'eux.

C'est une expérience qui a été relevée, je crois en tout cas, aux Etats-Unis entre autres. Ceci dit en passant.

Je voulais aussi relever un autre commentaire qui a été fait constamment à l'assistance judiciaire à Montréal. C'est que nous avions des jeunes avocats et ils étaient inexpérimentés. Or, je découvre soudainement en 1971 que les jeunes avocats sont extrêmement compétents à partir du moment où ils sont dans une clinique. Au bureau, pendant des années, on nous a reproché d'avoir des jeunes avocats. Je crois donc que la jeunesse des avocats est un facteur qui a son poids mais cela n'est pas un facteur absolu. Seulement, où il devient très intéressant pour la jeunesse de travailler avec efficacité c'est quand elle se sent appuyée et quand elle a quelqu'un pour la guider au moment où elle a des hésitations.

Je crois que le travail en groupe, le travail d'équipe, est la façon pour les jeunes gens de travailler.

On nous a aussi parlé des services personnalisés. Nous avons eu cette épreuve au bureau parce que nous sommes passés par un stade où il fallait un avocat à la comparution, un avocat à l'enquête et un troisième et nous avons eu beaucoup de critiques. Mais ces critiques ont cessé depuis un an parce que nous avons eu des avocats assez nombreux et que nous les avons fait travailler en groupe. Alors dès le début l'individu sait qu'il relève de ce groupe-là et il est présenté le plut tôt possible à chacun des membres des groupes. S'il n'aime pas son avocat il peut très facilement, sans aucun retard dans les procédures, être confié à un autre, ce qui lui donne un certain choix qui est utile.

J'en reviens à la loi qui a un objectif double: les services professionnels et l'accès à la justice. Pour ce qui est des services professionnels, on veut donner à la population tout ce que la compagnie Bell Telephone et le CPR obtiennent de leur contentieux. C'est ce qu'on veut donner à la population d'une façon générale parce que la population en a besoin. Elle a besoin de quelqu'un pour lui répondre immédiatement lorsqu'elle a des questions, pour lui donner immédiatement une explication, pour entreprendre immédiatement une démarche auprès d'autrui et, quand c'est nécessaire, une démarche auprès du tribunal ou de l'autorité concernée. Il y a aussi une seconde partie dans les services professionnels qui est très importante, c'est l'éducation du public, le dialogue avec le public, le rétablissement: je crois que c'est M. le député de Bellechasse, si je ne me trompe pas, qui a dit que cela pouvait revaloriser la profession. C'est très vrai. Il y a beaucoup de gens qui n'ont pas confiance et qui ont peur.

Je crois qu'en installant les avocats chez le public, en leur permettant de dialoguer avec nous, ils perdront leur peur et regagneront une confiance dans leur avocat d'abord et, parce qu'ils l'auront gagnée en lui, dans les autres avocats. Mais tous ces travaux sont des travaux à longue haleine; or, on sait que si les besoins des pauvres sont grands, ils ont d'abord ce besoin principal de services professionnels, mais ils en ont un autre aussi grand et c'est l'accès à l'appareil judiciaire. La loi, à mon avis, ne prévoit aucun moyen par lequel l'appareil judiciaire peut se rendre plus facilement accessible. Or, on ne peut pas faciliter cet accès sans que les tribunaux le veuillent, le comprennent, le sachent, y collaborent et l'encouragent. On ne peut pas accélérer les services d'administration de la justice, je pense à la couronne, la sténographie, les interprètes, la prison, etc., si la couronne ne le comprend pas, ne collabore pas.

L'expérience a montré que ce qu'on craignait au début, c'est que nous surchargions les tribunaux, que nous retardions les procédures; c'était une fausse crainte. Dès que nous avons eu les ressources suffisantes pour nous organiser d'une certaine façon, nous avons réussi à accélérer. Nous sommes entrés récemment — depuis six mois — à la cour Municipale et on nous a dit: C'est vrai que le nombre de dossiers a augmenté mais nous n'avons plus de pupitres chargés. Nos dossiers s'écoulent. Pourquoi? Parce que justement l'accès est coordonné. L'accès aux tribunaux, à l'appareil judiciaire, est coordonné.

Je crois, au moins dans un district comme celui de Montréal, qu'il faut absolument une coordination de tous les efforts d'aide juridique en ce qu'il concerne "proprie dictu" l'accès aux tribunaux, pas pour le reste, mais pour cette partie, et je crois que la loi ne prévoit pas cela. La loi prévoit une commission, des conseils consultatifs et des corporations autonomes. Or, s'il y avait 35 corporations ou 45 corporations autonomes à Montréal, je ne crois pas que ces corporations à moins de reconstituer par voie d'association le bureau d'assistance judiciaire tel qu'il existe dans le moment, arriveraient à faciliter cet accès. On aura dans le moment tout simplement retardé de quelques années une façon d'agir qui, au moins dans les premiers éléments, existe et déjà fonctionne avec succès. Je n'ose pas vous ennuyer avec des chiffres.

Il reste tout de même que s'occuper de 27,000 cas, c'est quelque chose et être capable d'offrir une collaboration à direction complète, dans 27,000 cas, c'est un atout. Dans le moment, on prévoit cette coordination uniquement en matière criminelle, par l'article 32 du bill.

Les juges en chef de la cour d'Appel, de la cour Supérieure, de la cour Municipale, de la cour Provinciale nous ont demandé s'il n'y avait pas moyen de nous entendre pour que toutes nos affaires viennent dans un certain ordre, dans un certain temps pour pouvoir, eux-mêmes, accélérer leur travail. C'est pour cette raison que je crois — je ne veux pas abuser — qu'il faut, dans un district des dimensions de celui de Montréal, un organisme qui soit engagé dans le travail, mais qui ait une autorité additionnelle suffisante pour exiger la collaboration de toutes les autres cliniques ou bureaux dans la section, uniquement pour les fins de faciliter le travail auprès des tribunaux.

Autre chose, il y a à Montréal, comme vous le savez, enregistrés — ça veut dire qui viennent de l'étranger, des Etats-Unis — 4 millions de visiteurs au moins par année. Cela ne compte pas les gens qui viennent des autres provinces ni les gens qui viennent des autres parties de la province. Dans la ville de Montréal, il y avait en 1966, ce sont les derniers chiffres que j'ai pu obtenir, 38,000 ménages de chambreurs. Ce qu'on appelle les ménages de chambreurs, c'est soit un chambreur unique ou soit des groupes de chambreurs, comme par exemple trois jeunes filles, trois jeunes gens ou un couple, ce sont les occupants. Ces gens-là aussi ne demeurent pas dans la même chambre longtemps. Il font partie de la population flottante. En plus, Montréal est en train de devenir un centre cosmopolite où il y a constamment des gens qui sont en circulation. Comme vous le savez, les statistiques établissent que, dans l'année, il y a un minimum de 3,200,000 personnes dans les hôtels et les motels de la région de Montréal. C'est 73 p.c. du nombre des chambres qui pourraient être occupées. Toutes ces personnes-là, qui ont besoin d'assistance judiciaire, où vont-elles s'adresser? Au Barreau, au palais de justice. Toute cette population flottante, le monsieur de Saint-Hilaire qui vient se faire arrêter à Montréal, la madame de Sainte-Anne-de-Bellevue qui est venue faire des transactions à Montréal, où vont-ils s'adresser? C'est un point.

Il y a une population flottante, il faut qu'il y ait un bureau à pouvoirs généraux pour accueillir tout ce que les cliniques n'accueilleront pas. Or, je peux penser tout simplement que si je vivais à la Pointe-Saint-Charles et que j'avais surpris mon épouse en flagrant délit d'adultère avec un membre du conseil de la corporation, je ne serais pas intéressé à aller porter mon action en séparation dans ce quartier-là du tout. J'aimerais bien aller régler cette histoire-là ailleurs.

Il y a aussi tout l'aspect... Pardon?

M. HARDY: C'est un cas très exceptionnel.

M. LORANGER: C'est peut-être un cas à part...

M. BACON: Vous insultez le député de Sainte-Anne.

M. HARDY: Surtout les membres du Barreau.

M. LORANGER: Je pense aussi à un autre aspect dans le même sens, à savoir tous les problèmes qui sont l'envers de la bonne médaille de la clinique locale. Ce sont les préjudices locaux, l'ostracisme local, les querelles de voisins, etc. C'est vécu, ce ne sont pas des choses dont je parle en rêve. Il y en a des gens qui ne veulent pas aller aux cliniques et qui viennent chez nous et il y a des gens qui ne veulent pas venir chez nous et qui s'en vont aux cliniques.

Je crois donc qu'il faut un bureau général qui puisse accueillir tous les gens, soit parce qu'ils sont de passage, soit parce que, venant d'Ontario, ils ont un problème à Montréal. Par exemple, ils sont aux prises avec leur hôtel, ils ont dépensé tout leur argent et ils sont aux prises avec le gérant de l'hôtel. Toute cette population flottante...

M. HARDY: Vous trouvez qu'ils méritent d'avoir recours à l'assistance judiciaire?

M. LORANGER: Je considère qu'ils méritent d'avoir recours à l'assistance judiciaire aussi. Je crois qu'un individu qui a dépensé toute sa fortune un soir, a droit le lendemain matin à l'assistance judiciaire si on le conduit devant le tribunal. Il a droit à une défense pleine et entière. Si le rapport Ouimet est mis en vigueur, les procédures seront invalides, si on lui fait un procès sans qu'il ait refusé un avocat. C'est certain que c'est bien malheureux mais on porte le poids de ses propres péchés, on va être obligé de payer des taxes et de dépenser de l'argent pour aider des gens qui ne le méritent pas.

M. HARDY: Dans ce cas-là, c'est le péché des autres.

M. LORANGER: C'est peut-être le péché des autres mais c'est le péché commun à notre société, si vous voulez.

M. HARDY: Je me demande si on ne doit pas au moins encourager le vieux dicton: II ne faut pas encourager le vice; je me demande si nous ne sommes pas en train de le réléguer au nom de grands principes très valables.

M. LORANGER: C'est certain, M. le député, que nous n'encourageons pas ça. Mais si cet individu est venu le matin, parce qu'il était très riche la veille, on ne refusera pas de l'aider à la comparution. On lui obtient une semaine de délai jusqu'à l'enquête préliminaire et on lui dit: Mon vieux, débrouille-toi, appelle tes parents, écris-leur. Au besoin, on écrira à ses parents ou à sa famille, à son employeur, et il ressortira de l'assistance judiciaire.

Il y a toutes sortes de solutions.

M. PAUL: A ce moment-là, c'est du dépannage que vous faites surtout.

M. LORANGER: C'est du dépannage, c'est une sorte de service public que nous rendons.

M. GUAY: D'urgence temporaire.

M. LORANGER: D'urgence, justement, pour faciliter le travail des tribunaux plutôt que pour l'individu en tant que tel.

M. CHOQUETTE: Me Loranger, auriez-vous une suggestion à nous faire au point de vue de la coordination entre les cliniques des quartiers, avec leurs responsabilités locales, et le bureau général dont vous voyez la nécessité, par exemple, surtout dans un grand centre comme Montréal?

M. LORANGER: Je crois qu'il y aurait nécessité que les cliniques locales ou le bureau local informent ce bureau principal des temps où une procédure va venir à la cour pour que nous sachions qu'il y a tant de causes qui viennent. On n'a pas besoin de s'engager dans le cas mais on doit savoir qu'il y a tant de causes.

Ceci nous permettrait, par exemple, d'aller voir le juge en chef et de lui dire: M. le Juge en chef, au lieu de nous donner seulement la journée de lundi, la semaine prochaine, voulez-vous nous donner aussi la matinée de mardi? Voulez-vous nous donner un juge spécial, parce que nous avons tant de causes, tant de mesures préliminaires? C'est un travail qui a déjà été fait dans la ville de Québec et avec succès. De sorte que tel jour, les gens de Québec — et on peut le faire à Montréal aussi bien — s'arrangent pour toujours signifier leurs procédures en un même temps, de façon que les choses viennent, en cours de pratique, à un même moment. Cela reste très facile, à ce moment-là, et offre cet avantage que si le matin, l'individu, pour une raison ou pour une autre, ne peut pas y aller — c'est urgent, on le sait — il n'a qu'à nous appeler et nous pouvons suppléer, ne fût-ce que pour demander une remise.

Il y a 36 petits détails de coordination comme celui-là qui peuvent se présenter et qui rendraient un bureau comme celui-là très utile, je crois. Dans la région de Québec, le grand Québec si vous voulez et dans la région de Montréal, ça me paraît nécessaire.

M. CHOQUETTE: Nous y avions pensé, mais je me demandais si, en pratique, vous aviez une formule à nous proposer au sujet de la coordination de l'action entre ce grand bureau, telle que le bureau d'assistance judiciaire de Montréal ou celui de la ville de Québec, et des cliniques locales ou des extensions de votre bureau général dans les divers quartiers. Vous comprenez ce que je veux dire là?

M. LORANGER: Je comprends ce que vous voulez dire, M. le ministre, mais je n'ai pas de suggestion explicite pour le moment. Ce que je croyais important à ce stade-ci, c'était d'essayer de convaincre la commission que l'article 32, par exemple, devait être modifié, de façon à permettre la création d'une corporation qui serait semblable aux autres, avec un conseil qui serait choisi dans la région, mais qui, en plus des services juridiques pour la population flottante, aurait le droit d'exiger la collaboration des avocats des autres domaines qui pourraient leur rendre un tas de services. Je pense aux vacances d'été, par exemple. S'il y avait une coordination, il serait très facile de ne pas fermer un bureau, de s'arranger pour remplacer un avocat, mais pas nécessairement par un avocat qui partirait du bureau central pour y aller. S'il y a une collaboration entre tous ces bureaux, ces choses-là peuvent être coordonnées et même au point de vue du personnel, c'est très important.

M. PAUL: Vous verriez la nécessité de ces deux corporations spéciales pour Montréal et Québec?

M. LORANGER: Je crois que, là où la population est très dense, là où il y a une grosse population flottante, il faudrait un organisme pour recevoir les gens qui vont s'y présenter. Peut-être qu'ils auraient pu aller à une clinique, mais ils vont se présenter là. Quel que soit leur motif, parce qu'ils sont des étrangers — sans être étrangers, ce sont des visiteurs — parce qu'ils ont un problème échu et que, d'instinct, ils sa sont précipités à la cour et la cour leur a dit: Le bureau le plus près, c'est celui-là, il faudrait un bureau qui s'occupe de ces gens-là.

Mais ce même bureau qui s'occupe de ces gens-là devrait aussi s'occuper de faciliter le travail de la couronne, tout le système : services sténographiques, services d'interprètes, et surtout de faciliter la tâche des juges en chef en leur disant: M. le Juge en chef, vous préparez un rôle, il y a telle et telle cause; il y en a soixante qui sont prêtes dans la région de Montréal, il y en a cinq, six là, il y en a sept, huit là.

M. CHOQUETTE: M. Loranger, je comprends très bien votre idée, au point de vue politique, d'établir une politique d'accès aux tribunaux et d'avoir surtout un organisme qui soit responsable d'établir les relations nécessaires avec les juges en chef et les autres responsables de la justice.

Maintenant, je vais vous poser une question d'ordre pratique. Actuellement, c'est vous qui dirigez le bureau d'assistance judiciaire de Montréal, n'est-ce pas? C'est vous qui avez la responsabilité dans le quotidien, comme vous avez dit.

M. LORANGER: Oui, monsieur.

M. CHOQUETTE: Quelle est la nature de vos relations avec les cliniques qui se sont formées à Montréal et dans les environs? Et pourriez-vous faire état à la commission...

M. LORANGER: A ma connaissance, ces relations sont très bonnes. Les cliniques nous envoient des parties adverses, par exemple, et nous leur enverrons des parties adverses. Souvent quand les gens nous appellent et quand nous sommes surchargés au bureau, ou même sans être surchargés, quand ils nous donnent leur adresse, près du centre sud, Pointe-Sainte-Charles, sur la rive sud là où il y a le South Shore Community, nous leur dirons: Présentez-vous là si c'est plus près pour vous. Les relations sont très bonnes, que je sache, en tout cas, certainement entre les avocats en charge de ces cliniques.

M. Dorval me fait remarquer que les cliniques qui existent aujourd'hui nous envoient tous les cas de nature criminelle. Et je lisais récemment — probablement que d'autres l'ont lu dans le journal — que le directeur d'une clinique, peut-être la plus importante, disait: Nous ne pouvons plus nous occuper des cas criminels, nous ne pouvons plus nous occuper des cas matrimoniaux et même nous n'arrivons plus à donner des consultations. Nous n'arrivons pas à faire ce pourquoi nous existons, c'est-à-dire, le problème de revalorisation. Cela signifie que, dans les cliniques, il va falloir qu'il se fasse, à un certain moment, je crois, une option. Est-ce qu'on s'en va vers la revalorisation ou est-ce qu'on s'en va vers le travail judiciaire?

M. CHOQUETTE: Les différents organismes permanents pourraient avoir des vocations différentes.

M. LORANGER: Oui.

M. CHOQUETTE: M. Loranger, d'après votre expérience, quel est le pourcentage de fraudes vis-à-vis de l'assistance judiciaire existante? Jusqu'à quel point héritez-vous d'un certain nombre de clients qui auraient les moyens d'obtenir les services d'avocats de la pratique privée mais qui se faufilent dans la filière sans divulguer leurs moyens financiers réels? Est-ce que vous êtes en mesure de nous donner une appréciation?

M. LORANGER: Je ne suis pas en mesure de vous donner un chiffre exact. Mais je vous donnerai un chiffre qui est peut-être élevé mais je crois que cela ne dépasserait pas les 10 p.c. Et cela, ce serait déjà élevé.

M. HARDY: Avez-vous une autre question? M. CHOQUETTE: Non.

M. HARDY: Une question additionnelle ou supplémentaire à la question du ministre, comme nous disons en Chambre. Est-ce que vous avez des moyens de contrôle? Quels sont vos moyens de contrôle pour voir si vous êtes victimes de fraudes ou non?

M. LORANGER: Nous avons des moyens de contrôle qui sont assez efficaces quand nous pouvons obtenir des renseignements sur la personne auprès d'un service social. Nous essayons lors de l'entrevue de savoir si à un certain moment cette personne s'est adressée à un service social? Et là nous faisons la vérification auprès du service social. Au-delà de cela, nous n'avons pas jusqu'à aujourd'hui, sauf dans des exceptions très rares, engagé d'enquêteurs.

M. HARDY: Alors, cela...

M. LORANGER: Nous avons songé à engager un enquêteur. Je crois qu'à un certain moment, il faudra l'avoir mais nous avons fait des enquêtes de vérification.

M. HARDY: Si je comprends bien, c'est que vous pouvez contrôler les assistés sociaux. S'il

s'agit de quelqu'un qui reçoit des prestations d'assistance sociale en vertu du bill 26, vous pouvez vérifier. Je vais vous relater une expérience, non pas chez vous mais à Saint-Jérôme: un jour, un de mes confrères est appelé à défendre quelqu'un en cour pour l'assistance judiciaire et le matin du procès la personne l'appelle pour lui dire: Non, je ne peux pas être à mon procès ce matin, demandez une remise parce que je suis retenu par mes affaires en dehors de la ville.

M. LORANGER: Ces choses se produisent, M. le député mais seulement il se produit aussi qu'au bureau chez nous, nous avons normalement une ou deux entrevues avec la personne et la personne peut réussir à nous tromper. Mais là, elle va voir un confrère et commence à discuter son cas.

Elle a plusieurs entrevues avec le confrère et, à un moment donné, elle oublie qu'elle est un cas d'assistance judiciaire, et cette personne-là, homme ou femme, va découvrir son jeu. Jusqu'à présent, la politique du Barreau a été que nous ne cherchions jamais de récupération, nous annulions tout simplement le contrat. Mais dans le cas de la clinique ou chez nous, par exemple, si nous plaidons les causes en matière civile, nous allons voir l'individu, nous allons préparer toute la cause avec lui, nous allons voir ses témoins, et à ce moment-là nous pouvons faire le détectage à 90 p.c. Maintenant, les expériences faites, entre autres à New York, ont indiqué que ça ne valait pas la dépense de vérifier. Autrement dit, le coût de vérification était au-delà du service que ça rendait ou de l'économie que ça couvrait.

M. HARDY: Oui, évidemment, on s'avance peut-être là dans un autre problème. Cela ne vaut peut-être pas le coup pour la personne elle-même, mais s'il y a des systèmes de contrôle assez importants, ça peut empêcher l'augmentation de la fraude. Bien sûr, si une personne vous fraude, ça va peut-être coûter plus cher de faire l'enquête pour elle que ce que ça aurait coûté de la défendre, mais si, par ailleurs, il y a un contrôle très rigide d'établi, ça peut empêcher bien des gens d'essayer de se faufiler et d'avoir recours à une assistance à laquelle ils n'ont pas droit.

M. LORANGER: Oui, mais je crois, M. Hardy, que les gens qui viennent à l'assistance judiciaire, comme je vous le dis, dans la proportion de neuf sur dix, c'est patent, il suffit de causer avec eux quelques instants pour avoir une idée de leur échelle de valeurs. Il y en a qui nous trompent, c'est certain, mais neuf sur dix ne nous trompent pas. En parlant de contrôle, malgré que la province de l'Ontario, par exemple, n'a pas récupéré beaucoup, je crois que si chaque assisté, lorsqu'il obtient de l'aide, signait une formule par laquelle il se tient responsable des frais si l'on établit qu'il n'est pas admissible, au point de vue psychologique, ce serait le meilleur contrôle et le moins coûteux. Parce que si la personne se dit: S'il découvre mon petit jeu, il va me réclamer $250 pour cette affaire-là, je suis aussi bien...

M. HARDY: Je suis d'accord avec vous, mais ce n'est pas encore certain, parce que si on fait une comparaison avec ce qui se passe à l'assistance sociale, il arrive comme ça, à un moment donné, que le bureau aide temporairement des personnes, leur fait signer un engagement de rembourser quand ils auront commencé à travailler ou qu'ils auront reçu un certain montant de la CAT. Il y en a beaucoup qui cherchent à se libérer de cet engagement. D'ailleurs, dans nos bureaux de députés, je vais vous le dire, ça arrive, pas tous les jours, mais assez fréquemment. Des gens qui ont signé cet engagement s'en viennent nous voir et disent: N'y aurait-il pas moyen de faire effacer cet engagement?

M. LORANGER: Oui, je comprends, mais je pense que le bureau serait obligé de faire quelques exemples.

M. CHOQUETTE: M. le Président, si vous permettez, pour éclairer la commission et le ministre. M. Loranger nous parlons de satisfaire un besoin, c'est-à-dire le besoin de la classe la plus défavorisée à des services juridiques et de lui assurer un accès aux tribunaux, n'est-ce pas? D'après ce que vous connaissez du contexte montréalais, comment répartiriez-vous ces besoins, je veux dire au point de vue de la nature des services juridiques qui sont requis: affaires matrimoniales, problèmes avec des compagnies de finance, affaires criminelles, etc? Est-ce qu'il serait possible pour vous d'avancer, en somme, une estimation des besoins que nous voulons combler?

M. GUAY: En pourcentage.

M. CHOQUETTE: En pourcentage, oui.

M. LORANGER: Oui, je l'ai ici en pourcentage, M. le ministre.

M. CHOQUETTE: Quelle est la nature des services juridiques requis par la partie défavorisée de la population?

M. LORANGER: La nature des services requis. Il y a diverses façons de répondre à la nature, mais, en fin de compte cette année, en matière criminelle, ça représentait 29 p.c.

En matière matrimoniale et familiale d'une façon générale, ç'a représente 41 p.c. En matière du consommateur, ç'a représenté 29 p.c. et dans les autres qui peuvent être des problèmes de succession ou des problèmes de propriété, c'est de 12 p.c.

M. BLANK: Est-ce que les chiffres que vous

avez donnés représentent des cas dont votre bureau s'est occupé ou s'ils incluent des cas que vous avez envoyés à des avocats?

M. LORANGER: Ces chiffres-là incluent tous les cas que nous avons eus depuis l'origine. Nous avons, par exemple, 41 p.c. des problèmes matrimoniaux.

M. BLANK: Je vous le demande parce que 100 p.c. des causes qui me sont envoyées sont des causes matrimoniales.

M. LORANGER: Ce n'est pas tout à fait 100 p.c, monsieur, c'est 81 p.c.

Au bureau, le problème est que le code civil est très mal fait. Quand il y a une querelle de famille, les pauvres n'ont pas une chambre privée où se retirer, ils n'ont pas de parents qui peuvent les recevoir et ils ont cette idée que, si l'épouse s'en va, elle a perdu tous ses droits et d'autres ont l'idée que si l'époux s'en va, il perd tous ses droits et ses enfants.

Tout de suite, ils veulent recourir à la procédure. Le résultat est que le bureau dont les problèmes matrimoniaux ne constituent que 40 p.c, doit, dans les cas qu'il est obligé de confier aux autres, parce qu'il ne peut pas les régler par négociation ou démarche, référer 81 p.c de cas matrimoniaux. C'est bien malheureux mais c'est la situation. Parce que, dans les autres cas, il y a un autre moyen de les régler par négociation ou par entente, etc.

M. le ministre, en addition à l'article 32, il faudrait aussi tenir compte de l'article 51 qui attache le bénéficiaire au lieu de sa résidence. Cette stipulation à propos de la résidence devrait tomber. Tout simplement, la personne qui a besoin d'assistance juridique s'adresse à une corporation d'aide juridique sans plus. Cette personne-là, à ce moment-là, peut aller à la corporation qui lui parait la plus utile. Cependant si elle se présente, disons à celle de Pointe-Saint-Charles qui est déjà surchargée avec ses propres gens, on va lui répondre: Vous en avez une, monsieur, dans votre coin, près de la rue Papineau, allez donc rue De Sève et allez à centre-sud. On peut aussi dire: Allez ailleurs. Je crois que cette stipulation-là est trop stricte telle qu'elle est dans le moment. Je pense qu'elle ne couvre pas, par exemple, l'individu d'un bout de la ville qui est arrêté à l'autre bout et qui aurait besoin d'aide à la cour Municipale à l'autre bout de la ville. Ce monsieur-là n'est peut-être pas capable de retourner chez lui. Il y a évidemment aussi tous les problèmes auxquels je faisais allusion tout à l'heure, ces problèmes d'ostracisme local, de querelle locale. C'est entendu que si on s'intègre dans un quartier, on aura beaucoup d'amis. Seulement on n'aura pas seulement des amis. C'est dans la nature des choses. Nos amis n'ont pas seulement des amis. Je pense que ce serait parfaitement utile.

J'avais relevé quelques autres détails. Je pense que c'est aussi une question de principe.

A l'article 69b) la commission a le droit de limiter par nature le genre de cas. Cette limitation devrait rester une question de politique, s'il y a lieu. Je pense que ça n'est pas bien dans une loi d'aide juridique d'inclure un texte disant: Messieurs, il y a des recours qui existent pour les riches parce que la loi les prévoit mais on vous les refuse. Cela devrait rester une question de politique et la commission pourrait donner des directives et dire dans tel et tel genre de cas...

M.CHOQUETTE: C'est exactement ce qu'on dit.

M. LORANGER: Vous dites que vous le faites par règlement, je pense, M. le ministre.

M. CHOQUETTE: On a le pouvoir de réglementer. Il faut que la commission établisse sa politique.

M. LORANGER: Je ne me rappelle plus du texte exactement à 69 b), j'avais cru lire: "Déterminer la nature". Ceci me paraît exclure, comporter une notion d'exclusion. J'ai peut-être mal lu.

M. CHOQUETTE: Non, je veux dire qu'il y a des cas que les avocats de la pratique privée vont prendre même s'ils proviennent de gens qui sont économiquement défavorisés.

M. LORANGER: Mais cela est déjà prévu dans la loi, à l'article 58, je crois.

M. CHOQUETTE: Oui, mais je veux dire qu'il y a peut-être des types de litiges en somme.

M. BLANK: Je pense à un exemple, j'avais un cas semblable que j'ai justement envoyé à l'assistance judiciaire. Un gars veut avoir un divorce, il a droit à un divorce, il a droit à l'assistance judiciaire à ce moment-ci, parce que le gars ne travaille pas et il suit un cours du Centre de la main-d'oeuvre, mais en fait il peut attendre jusqu'à l'année prochaine ou deux ans pour avoir son divorce. Ce n'est pas urgent. Un homme riche a droit à son divorce immédiatement mais lui à ce moment, parce qu'il ne travaille pas, il pense que ce serait l'occasion d'avoir un divorce gratuit.

M. LORANGER: Je pense, M. le député, que c'est une de ces limites au droit parfait, au droit absolu qui s'explique. Dans le moment, par exemple, nous nous occupons des divorces mais nous essayons, à cause de la quantité de travail, de convaincre les gens d'attendre quand il n'y a pas un bénéfice immédiat pour des enfants ou pour quelqu'un. Si quelqu'un vient nous trouver et dit: Moi, je suis séparé depuis 15 ans mais j'aimerais bien me remarier et fréquenter les gens sans être critiqué. On va dire à ce monsieur

ou à cette dame: Ecoutez, si vous voulez cela, économisez pendant huit mois et vous allez finir par vous trouver un avocat. On ne lui donnera pas son divorce. Par contre, il y a des situations où il y a eu des ménages recomposés si vous voulez, alors à ce moment-là, pour régler la situation on le fait, mais tous ont droit...

M. BLANK: ... un divorce c'est un problème.

M. CHOQUETTE: Comment se fait-il que cela coûte beaucoup plus cher pour divorcer que pour se marier?

M. PAUL: L'embarras est plus grand. Il faudrait peut-être calculer aussi ce que cela coûte entre le jour du mariage et le jour du divorce.

M. LORANGER: J'aimerais, tout simplement ajouter un mot, j'ai déjà parlé de l'article 5 où on prévoit la gratuité absolue de l'assistance publique. Je crois que ce serait utile que l'on réserve un droit de récupérer à la discrétion, si l'on ne veut pas à la discrétion de la corporation, mais à la discrétion de la commission en tout cas, mais que l'on prévoie un droit de récupérer. Parce qu'il est certain que dans la vie pratique, on découvre après coup, parfois on peut découvrir à la fin seulement d'un procès, que la personne nous a trompés. Cela a pris une longue enquête pour vraiment établir que la personne était de mauvaise foi et cela s'est découvert. Alors, je crois qu'il y aurait lieu à cet article 5 et je crois aussi, comme le Barreau l'a recommandé, que le texte de loi devrait être assoupli de façon à permettre au moins à la commission elle-même de payer les frais d'une partie adverse. Parce que, justement, dans le même cas où on a découvert au bout d'un long procès que la personne nous a trompés et qu'on a imposé des frais très élevés à une partie adverse, cette partie adverse devrait avoir le droit de présenter une demande de remboursement au moins partiel, au moins pour les honoraires judiciaires.

Au sujet de l'article 70, comme il a été suggéré ce matin, j'aimerais appuyer cette recommandation qu'il est désavantageux de payer qui que ce soit à 60 p.c. d'un tarif.

Je ne vois pas pourquoi le médecin ou l'ingénieur qui va venir témoigner pour nous dans une cause, on va le payer à 100 p.c. et l'avocat, lui, va prendre 60 p.c. Je crois que la suggestion qui a été faite de négocier et de payer des honoraires complets, tels que négociés... Si un tarif est négocié, à ce moment-là, l'avocat qui accepte la cause est payé pleinement. Mais, je crois que bon gré, mal gré, dans le rythme accéléré des affaires, l'avocat qui a une cause d'assistance judiciaire, qui est certain d'avoir son paiement à 60 p.c, si un client lui dit: Si tu t'occupes de moi aujourd'hui, c'est 100 p.c., il va passer le client avant nous. Je pense que c'est sain, parce qu'il est obligé de payer pour son bureau, pour pouvoir, le lendemain, aider le pauvre. S'il ne paye pas pour son bureau, il ne pourra pas...

M. HARDY: Cela lui donne, à ce moment-là, un excellent motif de se donner bonne conscience.

M. LORANGER: Oui. Mais la bonne conscience et la nécessité de vivre, à certains moments, se touchent. Je crois que cet avocat-là, pour être capable d'aider les autres, doit être capable de vivre.

M. HARDY: C'est le vieux principe qui était un peu appliqué, à savoir qu'on demande un peu plus aux riches pour pouvoir demander moins aux moins riches, même sans l'assistance judiciaire et rien de cela. Je pense qu'on peut admettre que c'était un peu cela, en pratique.

M. LORANGER: On exige, j'imagine, en raison de la valeur du service qu'on rend à autrui. Il y a une valeur en science économique —je ne sais pas si je me trompe de termes, parce qu'il y a longtemps que j'ai fait cela — qu'on appelait, il me semble, la valeur terminale, c'est-à-dire qu'on rend un service à un individu qui est plus grand pour lui, à cause de sa situation ou de ses obligations. C'est normal: le service ayant meilleure valeur pour la personne, on peut lui demander des honoraires supérieurs.

Pour le reste, j'aimerais seulement dire un mot à propos des directeurs de corporation. Je crois que ce qui relève du domaine juridique et professionnel devrait vraiment relever du directeur. Dans le texte de la loi, ça relève plutôt de la corporation. Je crois qu'il y aurait une réserve à faire, peut-être très générale dans le texte de la loi, qui après cela, pourrait être précisée, soit par réglementation, soit par directives. Je crois que le directeur d'une corporation doit être capable d'exercer le contrôle sur ce qui concerne le travail juridique de la corporation. Il y a certains moments où ça va être très difficile. Je pense qu'à ce moment-là, le conseil régional ou un autre organisme pourra arbitrer ou qu'ils s'entendront. Je crois qu'il devrait y avoir une provision dans la loi pour que tout ce qui relève du service strictement professionnel relève des avocats ou des directeurs.

M. HARDY: Je voudrais vous poser une question — si vous ne voulez pas y répondre, dites-le moi — non pas en tant que mandataire ou représentant du bureau de l'assistance judiciaire, mais en tant que juriste, avocat, membre du Barreau. Si vous acceptez de me répondre à ce titre, est-ce que vous seriez en mesure de porter un jugement sur ce grand principe —vous avez défendu de grands principes, comme celui de la justice égale pour tous — défendu par le Barreau, à savoir la liberté de choix de l'avocat?

M. LORANGER: Vous dites la liberté de choix exercée par l'avocat?

M. HARDY: Non, la liberté de choix exercée par le client, par le justiciable.

M. LORANGER: Par le client.

M. HARDY: Contre les cliniques ou du moins, Judicare contre le monopole des cliniques?

M. LORANGER: Je crois que le principe de la liberté du choix devrait être exprimé dans la loi, parce que ça fait partie du droit juridique. Mais, en fait, ce choix est limité, même pour la personne aisée.

Je crois que si on la limite par une réglementation ou par une politique, on ne cause pas une injustice à cet individu parce que — règlement ou politique — il pourra tourjours en appeler. C'est certain. Règlement ou politique, il pourra appeler de la décision. Mais quand c'est la loi qui exclut le choix, à ce moment-là, il n'y a pas d'appel.

De fait, les individus se trouvent privés du droit de choisir leurs professionnels. Dans les cas d'urgence, ils ne peuvent pas choisir, ils en sont incapables. Mais une fois l'urgence passée, ils pourraient choisir. Mais est-ce que, de là, le gouvernement serait obligé de leur dire: Vous avez le choix parmi tous les avocats? Il me semble que même si le gouvernement, par voie de réglementation ou de directive, disait: Vous avez le choix entre quelques avocats ou, si vous avez des raisons sérieuses dont vous nous convainquez, à ce moment-là, vous irez chercher votre affaire. Parce qu'on lui donne un droit au moins équivalant à celui du citoyen ordinaire, car le citoyen ordinaire qui veut un avocat, si l'avocat est parti régler des affaires à New York ou à Chibougamau, il ne l'aura pas.

M. HARDY: Evidemment, vous avez raison. En réalité, supposons que j'habite Mont-Laurier ou n'importe quelle autre ville, ma liberté de choix, par la force des choses, est assez limitée.

M. LORANGER: C'est ça.

M. HARDY: Ce n'est pas le cas si je suis à Montréal ou dans un district où il y a plus d'avocats.

M. LORANGER: A Montréal, votre liberté de choix, vous pouvez l'exercer mais vous ne pouvez pas toujours l'exercer avec satisfaction. Je dois dire que j'ai essayé dans la plupart des cas de demander aux gens que j'ai vus, dans le temps que je recevais les gens régulièrement: Est-ce que vous connaissez un avocat? Plusieurs m'ont dit oui. J'ai souvent appelé des confrères qui m'ont dit: Je regrette, je ne serai pas capable de m'en occuper avant tel délai. Je donnais la réponse au client qui me disait: Dans ce cas-là, je vais en choisir un autre ou choisissez-en un pour moi.

Je crois que le droit au choix, c'est une question de principe mais l'exercice dans le quotidien, je crois qu'il peut être restreint d'une certaine façon, sans préjudicier puisqu'il est déjà restreint pour tout le monde. Par la nature de la vie en société, il y a déjà une restriction. Je ne vois pas pourquoi, même si on le donne, M. le député, je crois qu'en pratique, quelques-uns vont y tenir. Mais un grand nombre va revenir après avoir exercé son choix et va dire: Ecoutez, mon affaire, ça presse. Or, comme j'ai essayé de l'expliquer dans les notes que je vous ai soumises, pour les pauvres ou les défavorisés, presque tous les problèmes sont des problèmes urgents. Ils sont urgents, non seulement dans les faits, mais ils sont urgents ici parce que ces gens-là n'ont pas de ressources depuis assez longtemps, ils ne sont pas capables de prévoir.

Ils vivent au jour, leurs besoins sont au jour le jour, ils ne pensent pas plus loin qu'au jour le jour. Alors, il faut qu'ils aient un service au jour le jour. Ils ne peuvent pas attendre une semaine ou trois semaines.

Je dois dire qu'il y a certaines personnes, ce ne sont pas des fous, mais penser attendre trois semaines, c'est quelque chose qui les abat. Il y a des gens qui reviennent au bureau et je crois sincèrement, je ne dis pas que c'est général, que ces gens-là ont vraiment oublié leurs problèmes. Ils sont tellement ancrés dans le quotidien, ils ont des obligations tellement urgentes, ils ne pensent pas au lendemain, ils ne pensent pas aux conséquences. Un grand nombre. Et à cause de cette urgence, ils se retrouvent dans la situation, un grand nombre, du malade qui a un besoin urgent du médecin.

Alors, ils s'en vont au premier médecin qu'ils peuvent trouver et c'est tout ce qui les intéresse, un médecin.

A mesure que cette personne se dégage de son état de pauvreté, comme lorsqu'elle se dégage par une meilleure éducation, elle commence à exercer ses soins et, à ce moment-là, elle connaît des avocats ou est capable de se débrouiller pour en trouver.

Il y a des gens qui ont peur d'aller demander à leur épicier; on leur dit: Mais, allez demander — des gens qui ne sont pas admissibles — à votre épicier, au gérant de la caisse populaire, à votre curé. Non, ils n'y vont pas parce que, c'est bien malheureux, mais c'est un des aspects de la pauvreté qui est peut-être le plus pénible.

M. HARDY: Vous n'avez pas songé parfois à leur dire: Allez voir votre député?

M. LORANGER: Je pense que je n'ai jamais... c'est possible que je les envoie. Mais j'ai reçu par hasard beaucoup de gens...

M. HARDY: Continuez à ne pas les encourager.

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission qui ont des questions à poser?

Me Loranger, au nom des membres de la commission, je désire vous remercier de votre mémoire et des notes explicatives que vous avez bien voulu donner. Ils ont démontré hors de tout doute que vous avez une longue expérience dans ce domaine. Je suis certain que les membres de la commission sauront en bénéficier. Je vous remercie.

M. LORANGER: Merci.

M. LE PRESIDENT: J'inviterais maintenant Me Jean-Pierre Lussier, président du Syndicat des avocats du bureau d'assistance judiciaire du Barreau de Montréal.

Pour l'information des membres de la commission, c'est le mémoire no 3.

Syndicat des avocats du bureau d'assistance judiciaire

M. LUSSIER: M. le Président, je ne voudrais pas répéter ce qui a déjà été dit, entre autres dans le mémoire du Barreau, ce qui a été dit aussi dans le mémoire de Me Loranger que nous avons eu l'occasion de consulter et que nous approuvons dans une large mesure.

Cependant, nous aimerions mettre l'emphase sur certains points qui nous paraissent plus particulièrement importants. Et, avant de commencer, je pense que l'expérience que les avocats qui sont membres du syndicat qui a présenté le mémoire ont acquise au bureau d'assistance judiciaire leur a permis de constater des besoins particuliers dans la clientèle de gens qu'ils ont à desservir.

Par exemple, qu'il suffise de mentionner, entre autres, en matière civile, les problèmes fréquents qu'a cette clientèle avec la Régie des loyers, avec le Bien-Etre social, avec la Commission d'assurance-chômage, avec la Commission des accidents du travail, avec les problèmes de saisies ou d'expulsion. Ce sont des problèmes qui se produisent beaucoup plus fréquemment dans des milieux défavorisés qu'ils ne se produisent dans les autres milieux.

Forcément, les avocats qui travaillent dans un bureau d'assistance judiciaire ou dans une clinique ont beaucoup plus souvent que les autres avocats à régler ce genre de problèmes-là. Il y a aussi des problèmes en matière pénale qui sont beaucoup plus nombreux dans les milieux défavorisés. Là-dessus, qu'il me suffise de dire aussi que nous, au bureau d'assistance judiciaire de Montréal, à la section pénale ou criminelle, l'année passée, avons représenté 60 p.c. des gens qui étaient accusés devant les tribunaux. Evidemment, je ne pense pas que 60 p.c. de la population québécoise soit défavorisée mais 60 p.c. des gens qui sont accusés devant un tribunal en matière pénale sont des gens qui ont besoin d'aide juridique.

Ce sont des besoins, comme vous le constatez, qui sont assez particuliers. H y a aussi des besoins qui ont été soulignés dans le projet de loi sur lequel nous avions présenté un mémoire. Par exemple, les besoins d'éducation et d'information juridique auprès de cette population. Me Loranger vient d'en parler, ce sont des gens qui, très souvent, ne sont pas au courant de leur problème juridique, des implications de leur condition sociale, etc. Alors ils ont besoin d'éducation et d'information en ce sens-là.

L'avocat qui travaille dans ce domaine, l'avocat qu'on peut appeler social, aura à faire beaucoup de travail là-dessus. Aussi, il faut constater — c'est ce que notre expérience nous a démontré aussi — que les problèmes juridiques de ces personnes-là sont beaucoup plus souvent que les autres en relation avec des problèmes socio-économiques. Pour cela, je voudrais simplement vous citer un exemple en matière criminelle où je travaille personnellement. IL nous arrive très fréquemment d'avoir des cas de refus de pourvoir.

S'il y a une plainte pour refus de pourvoir qui est portée, c'est que la dame qui a porté plainte est allée demander des prestations au bureau du bien-être social. Au bureau on lui a dit: Madame, très bien, nous allons vous donner des prestations mais à la condition que vous portiez une plainte en refus de pourvoir, sinon nous ne pouvons pas vous donner de prestations. La dame qui ne veut pas nécessairement porter plainte ira porter plainte et la personne sera accusée de refus de pourvoir. C'est ainsi que cela nous revient. Ces problèmes de refus de pourvoir sont liés à d'autres problèmes. Il faut aller plus loin que la question juridique si nous voulons les régler complètement.

Il nous est arrivé souvent de voir des gens qui ne travaillaient pas et qui, évidemment, ne pouvaient pas donner d'aide financière à leur épouse parce qu'ils étaient malades ou pour une autre raison. En comparaissant, ils s'avouent coupables à l'accusation de refus de pourvoir parce qu'on leur demande: Est-ce que vous avez donné de l'argent à votre épouse? Et ils répondent: Non. Alors, on leur dit: Vous devriez vous avouer coupable ou quelque chose comme cela. Ce sont ces gens...

M. HARDY: Si vous permettez une remarque. Je comprends que cela justifie peut-être votre aide. Mais sans vouloir me rendre coupable d'outrage au tribunal, je vous dirai franchement que, si cela se passe comme vous l'avez décrit, le juge qui fait cela...

M. LUSSIER: Ce n'est pas nécessairement le juge. Je n'ai jamais prétendu que c'était le juge qui faisait cela.

M. HARDY: Ah bon!

M. LUSSIER : La personne va voir le premier policier venu, dans le corridor. Ce sont les

questions que le policier lui posera. D'ailleurs, la personne en question préférera s'adresser aux policiers qu'elle rencontre fréquemment dans la rue.

M. HARDY: Je sais que le juge ne conseille pas de s'avouer coupable mais il me semble que, s'il se trouve en face d'un accusé qui n'a pas d'avocat, à part de lui demander s'il a payé, il devrait peut-être lui demander s'il travaille ou des choses semblables.

M. LUSSIER: Je suis d'accord avec vous là-dessus. Mais l'expérience nous a démontré que, très fréquemment, des cas comme cela pouvaient se produire. Le projet de loi d'aide juridique doit comporter certaines exigences pour répondre à ces besoins, selon nous. Et les exigences que nous formulons brièvement sont au nombre de cinq à notre avis.

D'abord, une spécialisation des avocats. Dans un système de procureur permanent, on dit: Les pauvres auront une justice différente des riches parce que le riche pourra, entre autres, exercer une liberté de choix. Mais nous, nous disons que le pauvre doit avoir une justice différente de celle du riche parce que ses problèmes sont différents. C'est-à-dire la même mesure de justice, mais d'avoir la même excellence de justice. Cette excellence se traduira de façon différente à cause des problèmes particuliers de la personne défavorisée. Elle a droit, tout comme le riche peut y avoir droit, à avoir ses spécialistes. Le riche aura droit, par exemple, à un spécialiste en matière de droit fiscal. Evidemment, nous, au bureau de l'assistance judiciaire, je ne pense pas que nous ayons eu de problèmes de droit fiscal.

M. BACON: C'est à espérer.

M. LUSSIER: Mais comme je le mentionnais, entre autres, en matière criminelle, il est évident, pour qu'il y ait une justice égale pour tous, que le pauvre ait droit à son spécialiste. Comme nous avons souvent réglé, entre autres, des problèmes avec le bien-être social, la Régie des loyers, etc., il est normal que le pauvre puisse s'adresser à un spécialiste en ces matières. Et ce spécialiste, c'est quelqu'un qui travaille dans un bureau d'aide juridique non pas parce qu'il choisit cette spécialité mais parce que, tous les jours, il a à faire face à des problèmes de cet ordre. Il devient spécialiste dans ce genre de choses.

Il y a aussi la question d'accessibilité des bureaux et l'intégration sociale des avocats. Nous voulons dire par là que nous avons constaté que les citoyens défavorisés, très souvent, sont méfiants vis-à-vis des avocats. Ils n'ont pas confiance aux avocats, seulement parce qu'ils ne les connaissent pas. Nous ne disons pas que cette méfiance est justifiée, nous ne faisons que la constater. Et cette méfiance existe d'autant plus que nous savons que, très fréquemment, le citoyen défavorisé n'aime pas rencontrer un avocat dans le quartier des affaires, entre autres. Parce que le quartier des affaires est un quartier qu'il ne connaît pas et dont il se méfie parce que ce n'est pas un quartier qu'il sent proche de lui.

Nous soumettons que des cliniques dans des quartiers différents seraient une des solutions les plus appropriées pour résoudre ce problème. De même le double avantage pour l'avocat qui travaille dans le milieu même où il a à régler des problèmes, car il sera mieux à même de les connaître et de les régler plus rapidement et plus efficacement.

Quant à l'indépendance des avocats, la participation des citoyens, nous parlons de l'indépendance des avocats surtout comme une question d'autonomie vis-à-vis de l'Etat. Parce que très souvent, à cause de la nature même des problèmes des défavorisés, il aura à s'attaquer à des institutions... Comme par exemple, s'il a à s'attaquer à la pratique du bien-être social dont je parlais tantôt, en matière de refus de pourvoir évidemment, il faut qu'il se sente tout à fait indépendant vis-à-vis de l'Etat. De la même façon, en matière criminelle, comme le soulignait tout à l'heure M. Loranger, le problème du ministre de la Justice qui est à la fois procureur général est que l'avocat qui travaille en défense ne doit pas se sentir du tout lié par son patron à cause de la formation de la commission ou à cause d'un ministère de la Justice.

Quant à la participation des citoyens, nous sommes d'accord sur le projet de loi lorsqu'il dit qu'il faut que les citoyens participent, avec au moins un tiers des gens, au conseil d'administration des corporations locales, sauf que nous pensons qu'il serait peut-être préférable de hausser ce tiers à une majorité pour assurer une plus entière participation de ces citoyens.

M. HARDY : Je me permets de vous poser une question. Dans votre esprit — vous allez peut-être trouver que je suis en dehors du sujet, mais je reviens à une idée que j'ai exprimée ce matin — comment pouvez-vous concilier ce que vous venez de dire avec un principe que nous n'avons pas mis de côté encore de nos jours, le principe selon lequel ce sont les élus du peuple qui doivent contrôler les dépenses, le vieux principe "no taxation without representation"? Comment conciliez-vous ça?

M. BURNS: Le Protecteur du citoyen, actuellement, est justement là pour protéger le citoyen contre l'Etat et c'est dans le budget du ministre de la Justice.

M. CHOQUETTE: II est dans le budget de l'Assemblée nationale.

M. HARDY: Mais c'est nous qui le votons, le budget.

M. BURNS: Oui, je suis bien d'accord! Cela pourrait être exactement la même chose. On essaie, par ce projet de loi, de pallier une lacune du système. Qu'est-ce que vous voulez?

M. HARDY: Ce n'est pas tout à fait la même chose. Le Protecteur du citoyen est un fonctionnaire comme tous les autres fonctionnaires. Mais là, c'est une corporation, à moins évidemment, que la corporation n'ait rien à faire. Mais si elle a quelque chose à faire...

M. BURNS: II est même nommé par l'Assemblée nationale.

M. HARDY: Bien oui!

M. BURNS: Mais ce n'est pas un fonctionnaire au sens...

M. HARDY: C'est un fonctionnaire comme le...

M. BURNS: ... de la définition de la fonction publique.

M. HARDY: C'est-à-dire que c'est un employé de l'Etat.

M. BACON: C'est un employé de l'Etat.

M. HARDY: Dans le sens de grand commis de l'Etat. Dans ce sens. Mais là, ce n'est plus la même chose, c'est une corporation qui va être subventionnée à 100 p.c. par le gouvernement, donc à même les fonds publics et on suggère que la majorité des gens formant cette corporation n'aient aucun lien avec le pouvoir souverain.

M. BLANK: A part ça, le Protecteur du citoyen ne dépense pas d'argent.

M. HARDY: Je ne sais pas. A moins que je ne comprenne rien, mais je ne peux pas concilier...

M. LUSSIER: Nous ne parlons pas de la corporation locale, nous parlons de la commission.

M. HARDY: Vous parlez de?

M. BLANK: Ici, la corporation va donner de l'argent pour avoir des avocats, des notaires, des experts. Le Protecteur du citoyen ne dépense aucun sou. Il a son propre bureau et fait rapport à l'Assemblée nationale.

M. HARDY: Ce n'est pas tout à fait la même chose.

M. BLANK: C'est tout ce qu'il fait.

M. BURNS: Le Protecteur du citoyen ne dépense rien?

M. BLANK: Non, il ne fait pas d'enquête. Il ne fait pas ça. Tout ce qu'on paie au Protecteur du citoyen, c'est pour l'entretien de son bureau. L'argent ne sort pas de son bureau. Ici la corporation va prendre notre argent et le dépenser.

M. LUSSIER: La participation dont on parle est au niveau des corporations locales et non pas au niveau de la commission. Quand je parle de hausser du tiers à une majorité, c'est sur la corporation locale et non pas sur la commission. De toute façon, dans le projet de loi actuel, on ne prévoit pas de représentant de l'Etat dans les corporations locales. Quant au système que nous préconisons, nous le croyons plus approprié et c'est celui des procureurs permanents avec là,où c'est vraiment nécessaire, le recours aux praticiens en pratique privée. Evidemment il y a des régions, à cause surtout de la géographie de la province, qui ne pourront pas permettre qu'il y ait des cliniques ou des bureaux d'aide juridique à cause de leur étendue ou de leur très faible densité de population. Dans ces régions-là nous trouvons et c'est tout à fait normal, je pense, que le recours aux praticiens privés est essentiel et nécessaire.

Le système des procureurs permanents, je comprends, et c'est le principe qui a été discuté ici à votre commission, met en cause la principe de la liberté de choix, nous avons relevé dans notre mémoire certaines statistiques que je voudrais rappeler brièvement ici. IL y a eu des études faites et que nous citons dans le mémoire, qui ont rapporté qu'en Nouvelle-Ecosse, entre autres, moins de 50 p.c. des gens qui avaient été interrogés connaissaient des avocats. En Californie, une autre étude a été faite et, vous avez la référence dans le mémoire, moins de 30 p.c. des citoyens à faible revenu connaissaient un avocat. Vous avez aussi l'expérience pratique qui a démontré que les causes d'assistance judiciaire qui avaient été référées dans les bureaux d'avocats avaient été, la plupart du temps, confiées à des stagiaires ou à des avocats junior. A ce moment-là la liberté du choix serait menacée si quelqu'un désire avoir tel avocat qui est à la tête d'une étude juridique. Je comprends, et c'est tout à fait normal, que cet avocat-là qui a d'autres clients à s'occuper va référer la cause au cadet de son bureau. Je voudrais aussi souligner qu'en 1970, en Ontario, seulement 39 p.c. des avocats étaient engagés dans le système Judicare. A ce moment-là aussi, la liberté de choix était menacée parce que le défavorisé ne pouvait choisir que parmi les 39 p.c. qui étaient engagés.

M. PAUL: Me Lussier, est-ce que, dans les statistiques, vous avez le renseignement quant au nombre d'avocats qui sont des praticiens et qui ne jouent pas le rôle de notaires dans la province de l'Ontario ou si vous prenez vos statistiques en regard du nombre total d'avocats inscrits à l'ordre?

M. LUSSIER: Cette statistique-là a été prise dans l'Ontario Legal Aid Report de 1970 et je n'ai pas les statistiques sur le nombre particulier, ce ne sont que des statistiques en pourcentage.

Il y a aussi le problème qui a été soulevé dans d'autres exposés, le problème d'urgence qui met aussi en péril la liberté de choix de l'avocat. Il y a aussi le problème que je soumets. Par exemple nous, au bureau, avons à nous occuper, en matière criminelle, des causes d'Esquimaux à Port Chimo ou au Poste-de-la-Baleine. Si ces citoyens-là, comme tous les autres citoyens québécois pouvaient choisir un avocat — ils sont dans le district judiciaire de Montréal — ils voudraient avoir un avocat, un éminent criminaliste de Montréal. Même si cet avocat-là voulait participer à un système de Judicare, je doute fort qu'il puisse accepter de se rendre là-bas et de perdre plusieurs autres clients.

Il y a évidemment beaucoup de problèmes pratiques à cette liberté de choix, et comme le disait tantôt Me Loranger, je ne pense pas que, si on met en pratique le système de procureur permanent, cette liberté de choix soit tellement menacée à cause de toutes les statistiques, de tous les exemples que je viens de vous citer.

M. PAUL: Est-ce qu'il n'est pas courant que des avocats de l'assistance judiciaire acquièrent une expérience à la suite d'une pratique intensive et que, ayant connu des succès marqués devant les tribunaux et une fois devenus de véritables spécialistes, dès ce moment-là, ils quittent la clinique pour aller ouvrir leur étude ailleurs?

M. LUSSIER: Depuis que je suis à l'assistance judiciaire personnellement, dans la section où je travaille, en matière criminelle, soit depuis le 1er décembre 1969, il y a à ma connaissance un seul avocat qui soit parti de la section criminelle et c'est pour aller travailler à la couronne. Alors, ce n'est sûrement pas un avocat qui est allé ouvrir une étude ailleurs. Je ne connais pas d'avocat au bureau d'assistance judiciaire de Montréal qui l'ait fait.

M. BURNS: C'est pour la couronne aussi.

M. PAUL: Quelle est la moyenne d'âge des avocats à l'assistance judiciaire?

M. LUSSIER: Je ne la connais pas mais je la situerais aux environs de 30 ans et en années de pratique, aux environs de quatre ans.

M. HARDY: La perspective soulignée par le député de Maskinongé va peut-être se produire dans quelques années?

M. LUSSIER: Peut-être.

M. GUAY: Si vous le permettez, quand on parle de liberté de choix, je pense quand même que l'avocat est libre d'accepter ou de refuser de prendre une cause. Par exemple, si je demande à l'honorable député de Terrebonne de prendre ma cause, il a le droit de refuser tout de même. J'ai quand même là la liberté de demander un autre avocat, mais si personne ne veut prendre ma cause, j'ai l'impression que ce n'est pas une bonne cause.

M. HARDY: Je suis d'accord avec vous.

M. LUSSIER: Nous sommes complètement d'accord là-dessus.

M. GUAY: Cela n'implique pas l'obligation d'assumer ma cause.

M. HARDY: J'aurais probablement hésité à prendre la dernière que vous venez d'enregistrer.

M. GUAY: Peut-être qu'elle ne vous serait pas soumise. Ce que je veux dire, c'est que l'avocat n'est tout de même pas obligé d'accepter la cause. Quand on parle de liberté de choix, je suis parfaitement d'accord qu'on laisse la liberté de choisir l'avocat parce que l'avocat a toujours le dernier mot en disant qu'il refuse.

M. LUSSIER: Nous considérons que c'est tout à fait normal que l'avocat puisse refuser. Il y a aussi un avantage que je voulais souligner, c'est l'avantage économique et vous pouvez retrouver à la page 15 de notre mémoire un tableau comparatif que nous avons. J'ai remarqué ce matin que M. le bâtonnier Moisan, après avoir considéré l'étude comparative que nous avions faite, a souligné que les chiffres étaient peut-être biaisés du fait qu'il n'était pas inclus de frais d'administration que le total de BRJM, c'est-à-dire le total de $7,166, ne représentait que les salaires des huit avocats concernés pour le mois de février 1972.

Il est exact que le total de $7,166 ne représente que les salaires des avocats concernés pour le mois de février 1972 et voici pourquoi nous n'avons pas inclus les frais d'administration. En 1970, en Ontario, selon le système qui appliquait à ce moment-là le Judicare et qui l'applique encore, prenez le budget, vous le trouverez dans l'Ontario Legal Aid Plan, dans le rapport annuel de 1970, les frais d'administration du Judicare ont été $1,676,665 sur un budget total de $8,673,000.

Je vous fais grâce des autres chiffres. Cela représente environ 20 p.c. de frais d'administration. Au bureau d'assistance judiciaire, d'après des chiffres que nous avons pu retracer aujourd'hui, le total en administration pour l'année 1970, représentait environ 43 p.c, mais ceci sur un budget de $1 million environ. Je voudrais simplement souligner — je suis certain que vous allez être d'accord avec moi — que les coûts d'administration seraient beaucoup moins

élevés avec un budget plus élevé. C'est-à-dire que l'administration qui représente 43 p.c. sur un budget de $1 million serait beaucoup moindre en pourcentage si le budget était équivalant à celui qu'il y avait en Ontario, c'est-à-dire un budget de $8,673,000. Nous l'établissons au hasard, parce que je n'ai pas fait les calculs. Si le budget était de $8,673,000, environ 30 p.c, ceci nous forcerait à ajouter au chiffre de $7,166 qu'on a dans notre tableau, une proportion de 10p.c, parce que, de ces 30 p.c, on enlèverait les frais d'administration qui sont compris dans un système Judicare. Dans un système Judicare, il ne faut pas oublier que ça prend des bureaux pour établir l'admissibilité de quelqu'un à l'assistance judiciaire, ça prend des secrétaires, ça prend du personnel pour tenir ces bureaux. Alors, avec les 10 p.c. qu'on pourrait ajouter, notre chiffre serait aux environs de $8,000 et au lieu que la proportion soit de 1 à 4.8, elle serait de 1 à 4.3

Nous voulons aussi ajouter que nous considérons que, si un système Judicare a été établi, le gouvernement n'établirait sûrement pas un tarif où l'avocat ne serait payé qu'à 60 p.c. de ses honoraires. J'imagine, comme l'ont mentionné M. le bâtonnier Moisan et Me Loranger, que l'avocat serait rémunéré au plein tarif qui serait établi. Si c'était le plein tarif, d'après l'étue que nous avons faite, on arriverait au montant de $57,550. La proportion serait haussée de 1 p.c. à 7.2 p.c. Nous pensons que, s'il y avait un système Judicare au lieu du système que propose le bill 10, ça pourrait coûter jusqu'à 7.2 fois plus que dans un système de procureurs permanents.

M. CHOQUETTE: M. Lussier, quelle est la moyenne de salaire annuel des avocats aux bureaux d'assistance judiciaire de Montréal et de Québec, si vous la connaissez?

M. LUSSIER: C'est difficile de l'établir exactement, mais je crois que c'est aux environs de la moyenne de ces huit avocats-là.

M. LORANGER: C'est environ $12,000. Je n'ai pas les chiffres avec moi, je ne me rappelle pas si c'est $11,500 ou $12,000.

M. HARDY: La moyenne, c'est quoi? Et quel est le maximum?

M. LORANGER: C'est l'échelle des procureurs de la couronne que le bureau avait adoptée.

M. PAUL: Quelle est cette moyenne?

M. LORANGER: Ces salaires-là courent de $7,600 pour les débutants jusqu'à $21,000 pour celui qui a au moins dix ans, c'est-à-dire qui a pu bénéficier de promotions très accélérées, le bon candidat. Autrement, c'est quinze ans.

M. PAUL: Est-ce qu'il y en a beaucoup, M. Loranger, qui sont au service de l'assistance judiciaire et qui ont dix ans et plus de pratique?

M. LORANGER: II doit y en avoir une douzaine qui ont dix ans de pratique.

M. HARDY: Sur combien?

M. LORANGER: Sur 46 avocats. Environ un tiers, en comptant les criminalistes et les civilis-tes.

M. PAUL: Alors, douze ans de pratique, ça doit leur donner environ $15,000 ou $16,000 par année.

M. LORANGER: Pour un procureur de la couronne, ça peut lui donner plus que ça, parce que les échelles prévoient que, si un individu est compétent, il peut sauter certains échelons et il peut aussi avancer...

M. PAUL: Par concours d'avancement. M. LORANGER: Oui, c'est ça.

M. CHOQUETTE: Voici une question de fait à laquelle vous pouvez répondre: Quelles parties de la ville de Montréal autres que le centre desservent le bureau d'assistance judiciaire de Montréal? Je crois que vous avez décentralisé jusqu'à un certain point récemment, pouvez-vous nous dire dans quels secteurs vous avez décentralisé?

M. LUSSIER: En matière criminelle, on dessert toutes les causes qui se déroulent à Montréal.

M. LORANGER: Nous avons ouvert quatre bureaux, un à Longueuil, un à Laval, un dans le district de Mercier à Montréal et un autre à Lachine, à Montréal. En plus de ça, nous allons dans une clinique sociale qui est située dans le centre.

Je ne sais pas si on appelerait ça le centre. Enfin, c'est la région de Park Avenue et Saint-Viateur, là où est la colonie grecque.

M. CHOQUETTE: Dans le comté d'Outremont.

M. LORANGER: C'est exactement ça.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, il est six heures. J'aimerais avoir le consentement des membres de la commission pour continuer ou pour ajourner cette séance.

M. CHOQUETTE: M. le Président, étant donné que M. Lussier est peut-être sur le point de terminer, je suggère qu'on lui permette de continuer.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que tout le monde y consent?

M. PAUL: Pour lui être personnellement agréable...

M. GUAY: Je donne mon consentement. M. HARDY: Consentement unanime.

M. BURNS: Quand je ne parle pas, c'est parce que c'est unanime.

M. LUSSIER: Je voudrais simplement souligner les quelques suggestions que nous aimerions faire relativement au projet de loi lui-même, à certains articles du projet de loi.

A l'article 5, nous pensons qu'il faudrait prévoir la question d'éligibilité financière partielle. C'est-à-dire que nous avons fréquemment, au Bureau d'assistance judiciaire de Montréal, à résoudre des problèmes d'admissibilité dans le cas suivant, par exemple: Quelqu'un vient à notre bureau, il est accusé de meurtre, ça lui coûterait environ $2,000 pour se trouver un avocat en pratique privée. Il n'a que $500 dont il peut disposer, il n'y a pas d'avocat qui veut le défendre à ce prix-là. Dans les conditions actuelles, nous devons le représenter parce qu'il ne peut pas être représenté autrement devant le tribunal.

Nous pensons que le projet de loi pourrait peut-être prévoir un mécanisme de paiement partiel, quand c'est nécessaire, des frais d'avocat.

A l'article 29, on parle des conseils régionaux. On y dit que ces conseils devront être d'une certaine façon les mandataires de la Commission nationale d'aide juridique pour les raisons, entre autres, qu'a mentionnées Me Loranger tout à l'heure, pour des raisons de coordination. Nous ne comprenons pas pourquoi ces conseils régionaux ne pourraient pas non plus être les mandataires des corporations locales et exécuter pour ces corporations locales les fonctions que ces dernières voudraient bien confier au conseil régional.

A l'article 35, comme je l'ai mentionné, au conseil d'administration de la corporation locale, nous pensons qu'une exigence devrait être respectée, c'est-à-dire peut-être hausser le tiers de citoyens résidants à une majorité au conseil d'administration pour assurer une participation plus entière des citoyens à la justice dans leur quartier ou dans les limites de la juridiction du bureau d'aide juridique.

M. PAUL: Sur ce point-là, je vois une autre phrase dans votre paragraphe: "Quand à l'exigence du tiers avocat ou notaire, nous n'y voyons pas d'utilité". Est-ce que vous reconnaîtriez l'utilité de la présence d'au moins un avocat?

M. LUSSIER: Oui. De toute façon, il y en a au moins un. Il y a le directeur du bureau d'aide juridique. C'est-à-dire que nous voyons l'utilité qu'il y ait une majorité de citoyens résidants, ce qui n'exclut pas qu'il y ait un tiers avocat. Nous disons qu'il faudrait prévoir que les citoyens résidants puissent être en majorité, ce qui n'exclut pas que ces citoyens résidants puissent être aussi des avocats.

M. HARDY: Dans votre désir d'exclure les avocats, je suis quasiment sûr...

M. LUSSIER: Ce n'est pas notre désir d'exclure les avocats.

M. HARDY: Non, mais de le réduire à un possiblement, je suis presque sûr que vous auriez l'appui du député des Iles-de-la-Madeleine.

M. LUSSIER: Je voudrais aussi souligner...

M. CHOQUETTE: C'est le député de Maisonneuve qui vous a dit cela en passant...

M. BURNS: Pour une fois, je serais d'accord avec le député des Iles-de-la-Madeleine. C'est plutôt rare mais cela arriverait cette fois-là.

M. CHOQUETTE: Les extrêmes se rejoignent.

M. LUSSIER: Nous voudrions mentionner, en dernier, relativement à l'article 77 qui constitue une restriction au droit politique des avocats qui travailleraient dans les bureaux d'aide juridique, le point suivant: Nous comprenons qu'il est nécessaire que l'on prévoie dans un projet de loi d'aide juridique que des avocats, entre autres, ne pourraient pas se porter candidats à une élection pour des raisons évidentes. Nous comprenons qu'il serait très facile pour un avocat de se faire du capital politique en travaillant dans une corporation d'aide juridique. Mais nous pensons que cette restriction pourrait être réservée pour l'endroit ou la localité où ces avocats travaillent, c'est-à-dire que nous ne voyons pas d'objection à ce que des avocats qui travaillent dans des bureaux d'aide juridique, à Québec, puissent se porter candidats à une élection dans un comté à l'extérieur de la région de Québec, par exemple, à Montréal. Nous croyons à la nécessité d'une restriction pour éviter qu'on se fasse du capital politique à l'intérieur de bureaux d'aide juridique mais nous ne voyons pas la nécessité d'empêcher tous les droits politiques des avocats qui travaillent dans des bureaux d'aide juridique. C'est là-dessus que je termine parce que la plupart de nos autres suggestions ont été émises, soit par le Barreau ou soit par Me Loranger.

M. LE PRESIDENT: Merci, M. Lussier.

M. CHOQUETTE: Merci beaucoup, M. Lussier. Ce fut très intéressant de vous entendre ainsi que Me Loranger. Votre expérience dans le domaine de l'aide juridique, franchement, va beaucoup aider la commission. C'est du vécu, ça, et c'est très réel ce qu'on nous a dit.

M. LE PRESIDENT: Je propose l'ajournement de la séance sine die.

M. CHOQUETTE: Il y avait une dame, cependant, qui voulait être entendue. Je ne sais pas si ses représentations seraient très longues.

MME HARPER: M. le ministre, je serais prête à revenir la semaine prochaine.

M. CHOQUETTE: Ah oui ! très bien.

Alors, M. le Président, je suggère que la commission siège à nouveau mercredi prochain, à neuf heures trente, et que nous entendions Mme Harper, la Fédération des avocats et l'Association des cliniques légales.

M. LE PRESIDENT: La commission ajourne ses travaux au mercredi 17 mai, à neuf heures et trente.

(Fin de la séance à 18 h 5)

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