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Version finale

29e législature, 3e session
(7 mars 1972 au 14 mars 1973)

Le mercredi 24 mai 1972 - Vol. 12 N° 36

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude du projet de loi no 10 — Loi de l'aide juridique


Journal des débats

 

Commission permanente de la Justice

Projet de loi no 10 Loi de l'aide juridique

Séance du mercredi 24 mai 1972

(Neuf heures trente-huit minutes)

M. LAMONTAGNE (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs !

Avant de commencer les travaux, je voudrais indiquer la procédure pour ce matin. Comme à l'ordinaire, le mercredi, les travaux ajourneront à midi. Nous avons invité pour ce matin trois organismes, soit la Fédération des avocats du Québec avec Me Chapados qui continuera son exposé, l'Association des cliniques légales et la Chambre des huissiers de justice du Québec. Nous espérons qu'il sera possible à ces trois organismes de compléter la présentation de leur mémoire dès ce matin.

En premier lieu, d'accord avec ceux qui ont été invités, ce matin, j'inviterais M. Maurice Jacques, procureur de la Chambre des huissiers de justice du Québec.

Chambre des huissiers de justice du Québec

M. JACQUES: M. le Président, MM. les membres de la commission, je représente la Chambre des huissiers. La Chambre des huissiers est un organisme sans structure corporative distincte qui groupe cependant les quelque 600 huissiers qui oeuvrent dans la province de Québec.

A la lecture du projet de loi no 10, nous avons constaté que les huissiers étaient rémunérés à 60 p.c. du tarif normal. Ceci est peut-être valable dans les centres urbains comme Québec et Montréal, mais ne peut être soutenu dans les centres ruraux où la majorité de la clientèle de l'assistance judiciaire se situera. La plupart des huissiers, 475 sur 600, oeuvrent à temps partiel, mais doivent cependant être disponibles 24 heures par jour. Je vois difficilement qu'un huissier, avec même le tarif actuel, à la campagne, puisse abandonner sa ferme pour aller faire une signification qui lui rapporte 60 p.c. du taux régulier. Quand on pense qu'ils ont $0.50 le mille double, et si on en enlève 60 p.c, il ne reste pas grand-chose pour payer l'automobile. Les honoraires sont tellement bas, à l'heure actuelle, qu'on ne peut même pas recruter des personnes compétentes.

M. le ministre de la Justice, même si la loi prévoit que la seule qualification requise d'un huissier est d'écrire et de lire l'orthographe anglaise ou française, — on ne dit même pas les deux, on dit l'une ou l'autre — il n'en demeure pas moins que le rôle du huissier dans l'appareil judiciaire est très important, parce que c'est lui qui va exécuter le jugement de la cour, c'est lui qui est le bras du tribunal pour aller mettre en vigueur les ordonnances du tribunal. En conséquence, le choix de la personne appelée à rendre ce rôle est d'importance capitale. Dans le domaine des huissiers, comme dans n'importe quel domaine, on ne sera jamais capable d'avoir des gens compétents, des gens qui se dédient à leurs fonctions, si on ne les paye pas. La dernière révision du tarif remonte à 1967. Or, depuis 1967, le coût de la vie a augmenté d'environ 25 p.c. et on veut aujourd'hui le baisser à 60 p.c. C'est dire que ça ne couvre même pas les dépenses d'automobile maintenant. Il n'y a rien à faire, on n'est même pas capable d'arriver. C'est pourquoi nous suggérons que le tarif soit rétabli à 100 p.c.

On ne voit pas pourquoi un huissier qui travaille pour une corporation d'assistance judiciaire, qui est en fait un prolongement de l'Etat, soit, dans ce cas, payé à 60 p.c. tandis que, lorsqu'il signifie un bref pour le procureur général, il soit alors rémunéré à 100 p.c. Il n'y a pas de raison que l'on puisse déceler dans le texte du bill; le législateur en a peut-être une mais nous aimerions qu'il nous la dise pour que nous puissions la débattre. Je soumets respectueusement que le tarif, si vous ne voulez pas créer une autre classe de défavorisés parmi les huissiers, devrait être porté à 100 p.c. Maintenant, je suis disponible pour répondre à quelque question que ce soit.

M. LE PRESIDENT: Merci beaucoup.

M. CHOQUETTE: Nous allons considérer sérieusement cette demande, M. Jacques.

M. PAUL: M. le Président, vous permettrez d'apporter de très brèves remarques aux propos tenus par Me Jacques. Je comprends parfaitement le point de vue qu'il nous expose, d'autant plus que l'entrée en vigueur de la loi 70 va frapper durement les huissiers. Je suis sûr que le ministre de la Justice tiendra compte des représentations qui sont faites ce matin par M. Jacques, tout en mettant de côté cependant, pour le moment, les dispositions du deuxième paragraphe de la page 3 du mémoire où Me Jacques prétend que l'on devrait augmenter les tarifs des huissiers plutôt que de les réduire.

Ce n'est que par incidence, sans doute, qu'il a tenu ces propos, sachant, avec toute l'expérience que je lui connais pour l'avoir entendu maintes fois devant les commissions, que l'on ne pourrait, par la présentation du projet de loi, changer le tarif des huissiers. Mais personnellement, M. le Président...

M. JACQUES: Je suis absolument d'accord avec vous M. Paul; l'intention, derrière ce paragraphe-là, c'est de souligner qu'il faudrait faire quelque chose pour les huissiers. Peut-être pas ici aujourd'hui mais éventuellement, il faudrait que le ministre de la Justice accepte de recevoir les huissiers pour que ces problèmes-là

puissent être discutés avec lui en toute franchise.

M. CHOQUETTE: M. Jacques, ce n'est pas la première fois que le problème des huissiers est soulevé et nous avons actuellement une nouvelle loi à l'étude, relativement aux huissiers, mais le temps a évidemment manqué pour faire avancer les travaux. Mais je pense bien que l'automne prochain il sera possible d'apporter des améliorations et, dans l'intervalle, il est sûr que nous vous consulterons.

M. JACQUES: Merci, M. le ministre. Dans ce domaine-là, les huissiers avaient présenté, je pense en 1969 ou même antérieurement, un projet de loi les constituant en corporation professionnelle. Je ne sais pas ce qu'il est advenu de ce projet de loi. Cela a été mis sur les tablettes.

M. PAUL: La difficulté, c'est qu'il y a double chapelle: il y a les huissiers de Montréal et les huissiers du reste du Québec.

M. JACQUES: Ils sont tous unis.

M. PAUL: Alors, tant mieux, aujourd'hui, s'ils ont fait l'union, ça faciliterait énormément le travail des légistes du ministère de la Justice. Mais, en 1969, c'était le problème.

M. JACQUES: On peut assurer aujourd'hui, M. Paul, que tous les huissiers sont unis pour former une corporation professionnelle et, de plus, acceptent volontiers d'être compris dans l'annexe du bill 250 comme corporation professionnelle.

M. PAUL: M. Jacques, je suis sûr que le ministre — il a une dialectique extraordinaire depuis deux, trois jours, un raisonnement fantastique — va retenir vos arguments.

M. CHOQUETTE: Il y a un raisonnement que je pourrais tenir pour votre taux de 60 p.c, c'est qu'il ne faudrait pas qu'en payant les huissiers seulement 60 p.c. du tarif on fasse en sorte qu'ils deviennent des gens économiquement défavorisés qui pourraient se prévaloir de la Loi de l'aide juridique.

M. JACQUES: C'est ce que j'ai souligné dans le mémoire; il y aura deux autres classes qui vont être obligées de se prévaloir de l'assistance juridique pour présenter des mémoires à la commission parlementaire.

M. LE PRESIDENT: Merci, M. Jacques. M. JACQUES: Merci beaucoup.

M. LE PRESIDENT: J'inviterais maintenant Me Chapados à continuer la présentation du mémoire de la Fédération des avocats du Québec.

Fédération des avocats du Québec

M. CHAPADOS: A ce que je vois, M. le Président, la situation économique des huissiers n'est guère plus reluisante que celle des avocats.

M. le Président, suite au voeu que vous avez émis...

M. HARDY: Vous n'êtes pas sérieux quand...

M. CHAPADOS: C'est peut-être une caricature mais comme toute caricature, elle contient beaucoup de vrai.

M. le Président, me référant à ce que vous avez dit en début de commission, savoir que vous espériez pouvoir entendre plusieurs parties ce matin, j'entends pour ma part prendre des résolutions fermes et faire ma quote-part et abréger dans la mesure du possible ce qu'il me reste à dire afin de permettre à Me Robert, qui a quelques remarques à faire relativement au projet de loi que nous avons déposé, de le faire pleinement.

Lorsque nous nous sommes quittés mercredi dernier, j'en étais rendu à parler de certains mythes et — pour employer les termes que j'ai employés à ce moment-là — j'avais dit qu'il importait "de crever certains mythes".

J'ai parlé de la spécialisation. A propos de l'impossibilité du libre choix, j'aimerais tout simplement faire quelques commentaires, parce qu'en fait l'impossibilité du libre choix est un des grands arguments qui sont mis de l'avant par les tenants des cliniques juridiques.

Si l'on se réfère à la géographie du Québec, on s'aperçoit que la région métropolitaine de Montréal compte pour à peu près 40 p.c. ou 45 p.c. de la population de l'ensemble du Québec. Si j'exclus Montréal, j'ai peine à croire que, dans des villes telles Valleyfield, Hull, Sherbrooke, Alma, Arvida, Rimouski, la population, même économiquement favorisée, ne connaît aucun avocat; ce qui est quand même le lot, si on exclut Montréal, d'à peu près 50 p.c. ou 55 p.c. de la population québécoise. Au départ, je tiens pour acquis que, dans les régions rurales, semi-rurales et urbaines, à l'exception de Québec et de Montréal, l'ensemble des gens qui sont là connaissent effectivement des avocats.

Deuxièmement, quant à la région de Montréal, puisque lorsque nous touchons à cet argument, nous nous référons presque automatiquement à Montréal, je dirai ceci. L'an dernier, le service de références du Barreau de Montréal a eu à se pencher sur 700 cas de personnes qui se sont référées au Barreau, afin de se faire informer, de connaître le nom de certains avocats qui pouvaient s'occuper de leurs affaires. Si nous prenons acte de ce nombre d'environ 700 cas et si nous le comparons à l'ensemble de la population du milieu urbain de Montréal, je trouve, somme toute, qu'il s'agit là d'une statistique qui corrobore d'une certaine façon ce que j'avance, à savoir que, dans une

ville comme Montréal qui n'a pas, au sens américain du terme, de ghettos, qui est une ville où dans tous les quartiers il y a des avocats, les gens connaissent, en règle générale, des avocats, soit directement soit par l'intermédiaire de membres de leur famille ou de leurs proches.

C'est simplement un commentaire que je voulais faire quant à l'impossibilité du choix. Il y a également l'accessibilité. Je viens d'y toucher indirectement et, encore là, je me réfère à ce que j'ai déjà dit. Je comprends que, dans certains ghettos américains, comme à Los Angeles, voire à New York ou à Détroit, l'on doive constater que, dans plusieurs quartiers de ces grandes villes, nous avons à faire face à une situation particulière en ce sens que ces quartiers que l'on nomme ghettos se trouvent totalement dépourvus de tout type de services y compris les services juridiques. Et, encore une fois, par référence à ce que je viens de dire, je dis que tel n'est pas le cas d'une ville comme Montréal puisque partout, qu'il s'agisse de l'est, de l'ouest, du nord ou du sud de la ville, y compris Pointe-Saint-Charles, Verdun et Lachine, dans tous ces endroits, il y a des bureaux d'avocats, il y a des avocats qui pratiquent là et qui sont connus de la population.

On a également souvent insisté — ici je me réfère à la première et à la deuxième séance de la commission, le témoignage de Mme Harper est également à cet égard — sur une réalité nouvelle, savoir que les cliniques s'imposaient à cause des besoins particuliers à satisfaire.

J'ai fait une mise au point lors de la dernière séance à propos des études, des recherches ou des enquêtes qui avaient été faites pour identifier ces besoins. J'aimerais me référer ce matin au document qui a été présenté par Mme Harper où, à la page 2 — c'est le document 8M — elle dit ce qui suit et je cite in extenso : "Les problèmes de cette population sont non seulement complexes, mais dans une grande proportion non définis. L'identification de ces problèmes socio-légaux est nécessairement un prérequis afin d'assurer un service approprié. En conséquence — et j'abonde en ce sens — la fonction de recherche est un point crucial". Voilà ce qu'elle dit à la page 2 de son mémoire.

Si l'on se réfère à la page 4 de ce même mémoire, paragraphe 2, on y lit ce qui suit : "Le système Judicare ne saura en aucune façon éliminer l'inégalité ence sens, et seul un système de services juridiques localisé dans une région définie selon les besoins de la population pourra assurer et l'accessibilité et la qualité des services, étant donné que les services juridiques sont un droit et non un privilège. En conséquence, l'établissement de programmes d'information à la population concernée est un point crucial".

Ce qu'il importe de retenir dans tout ceci, c'est que dans son mémoire d'une part, Mme Harper se sert des besoins de la population pour dire dans un premier temps, "écarter le Judicare" et c'est la dernière citation que je viens de faire et pour préconiser l'établissement de services particuliers, d'un réseau de cliniques juridiques. D'autre part, elle admet dans ce même mémoire que les besoins en question sont très complexes, qu'ils n'ont pas été définis et qu'il s'agit là d'un point qui devra faire l'objet d'une recherche approfondie. Je pense qu'il s'agit là d'un point à retenir. Si l'on fait reposer la nécessité d'un réseau de cliniques juridiques sur des besoins et que d'autre part on admet que les besoins en question ne sont pas encore identifiés, d'où l'importance de la recherche, à ce moment-là je pense que le législateur se doit de tenir compte d'une telle réalité et, le cas échéant, comme je le proposerai tout à l'heure, remettre à plus tard l'adoption d'un projet de loi visant à établir certains services juridiques. Je n'ai pas à revenir non plus sur la participation des avocats ontariens au système d'aide juridique qui existe là-bas. C'est un point qui a été soulevé ici devant la commission. Je réfère les membres de cette commission à l'exposé ou à la mise au point qui a été faite sur les sujets par Me Loranger.

Autre point que je voudrais toucher, M. le Président. Lors des représentations qui ont été faites devant cette commission, on a beaucoup parlé en termes d'éducation et d'information des milieux populaires. Je pense qu'il s'agit là d'une démarche qui s'impose. D'autre part, on a laissé sous-entendre qu'une telle éducation et qu'une telle information ne se faisait pas actuellement.

Je pense que tous les avocats qui sont dans la pratique au Québec fournissent leur quote-part en matière d'information, en matière d'éducation du milieu. On n'a qu'à se référer aux conférences qui sont prononcées et l'on n'a qu'à se référer soit aux conférences, soit à la participation d'avocats à certains ateliers dans leur milieu soit au niveau municipal, soit au niveau civique pour réaliser que cette éducation-là actuellement se fait.

Je n'aime pas, M. le Président, me citer en exemple — on dira peut-être que je suis une exception, mais il y a beaucoup d'exceptions au Québec — mais il m'arrive régulièrement dans ma pratique de me rendre entre autres à Pointe-Saint-Charles pour assister à des réunions syndicales", à la suite de quoi, durant des périodes d'une heure ou d'une heure et demie, je réponds à des questions de l'assistance sur une foule de sujets touchant tout aussi bien la Régie des loyers que la nouvelle loi des Affaires sociales, en passant par la loi du consommateur, en passant par la loi sur la sécurité de la vieillesse et j'ai la certitude que je ne suis pas le seul avocat à le faire.

Enfin, M. le Président, dernière remarque avant de conclure, l'on s'est souvent référé, en parlant d'éducation, à l'animation et à la recherche qui se devaient d'être faites. J'ai déjà souligné devant cette commission et c'est une crainte que j'ai émise, que l'on s'apprêtait à créer de nouvelles structures qui, comparées aux CLSC, les centres locaux de services com-

munautaires, feraient qu'à un moment donné il y aurait un dédoublement de structures qui pèserait lourd et que, somme toute, le contribuable québécois aurait à payer. Je pense, M. le Président, que l'on doit distinguer, d'une part les services juridiques auxquels la population a droit, et dissocier cela de l'animation d'ordre juridique que l'on peut faire, de l'éducation d'ordre juridique que l'on peut faire, ainsi que des recherches que l'on peut faire. Si l'on prend toutes ces données et qu'on les dépose dans le même panier, je soumets en toute déférence qu'on va se retrouver éventuellement devant un méli-mélo indescriptible et ce d'autant plus que, depuis plusieurs années, les différents gouvernements qui se sont succédé ont, chacun à sa manière, essayé de mettre un peu d'ordre dans des sujets analogues à celui-ci.

A titre d'exemple, je dirai qu'il y a quelques années il y avait au Québec trois ou quatre instituts de recherche en eau. Le ministère des Richesses naturelles en avait un et le finançait; l'université Laval en avait un et le finançait; l'Université du Québec en avait un et le finançait; et enfin, il y avait l'Institut national de recherche scientifique. Avec le résultat que, dans bien des cas, avec des deniers qui émanaient ou qui émargeaient du gouvernement du Québec, on faisait des recherches sur les mêmes problèmes. Il y avait dédoublement de structures, il y avait dédoublement des sommes qui étaient consacrées, en fin de compte, pour faire exactement les mêmes recherches.

Ce que je suggérerai bientôt tiendra compte de ces distinctions que l'on se doit de faire. J'avais dit que c'était la dernière remarque; il y a enfin, M. le Président, la question du coût. Si l'on se réfère au document qui a été déposé devant la commission sous la cote 2 M, le document de M. Loranger, à l'annexe B, l'on s'aperçoit qu'au budget du bureau de l'assistance judiciaire de Montréal, il y a un montant de $901,628 qui apparaît. De toute façon, c'est sensiblement $900,000. Lorsque l'on invoque la création d'un réseau de cliniques juridiques, on invoque l'argument du coût moindre. Si l'on prend acte du fait que, d'après le document 2 M qui est devant vous, annexe B, le budget du bureau de l'assistance judiciaire de Montréal est de l'ordre $900,000 et si l'on prend acte également du fait qu'il y a de 30 à 32 avocats qui exercent à temps plein, qui ont exercé durant cette période-là, on arrive quand même à des montants qui ne sont tout de même pas des montants aussi bas qu'on le laisse sous-entendre. J'aimerais souligner, puisque l'on parle du bureau de l'assistance judiciaire de Montréal, une autre chose.

A l'annexe B, on a dressé des statistiques où l'on dit que le coût moyen par cas depuis la création du Bureau d'assistance judiciaire est de l'ordre de $24.28 et que le coût moyen pour l'année 1972 est de l'ordre de $42.65.

Ce sont de très belles statistiques, mais je voudrais dire quand même, M. le Président, qu'il s'agit de statistiques qui, à mon sens, ont une valeur extrêmement relative, en ce sens que l'on doit tenir compte des milliers de causes qui sont actuellement étudiées par les avocats en pratique privée, travail gratuit grâce auquel on en arrive à un coût aussi bas. Je dis que, dès lors que l'on institutionnalisera un tel système, il faudra prévoir des coûts de beaucoup supérieurs. Lorsque le gouvernement prévoit un budget de l'ordre de $6 millions à $8 millions pour le réseau de cliniques juridiques, je dis — c'est une prévision, c'est peut-être une prophétie, on pourra le prendre comme on veut — qu'on va le dépasser.

Il y a des loustics qui disent que les prévisions gouvernementales sont faites pour être dépassées. Il y a malheureusement des précédents qui aident à conclure dans ce sens. Mais je dis quand même, M. le Président, que, au niveau du coût, le système que l'on veut instaurer coûtera sensiblement la même chose aux contribuables québécois qu'un système Judicare. D'autant plus que, si le gouvernement du Québec instaurait un régime d'assistance juridique reconnaissant le droit ou permettant à l'économiquement défavorisé de faire un libre choix, je n'ai aucun doute que le gouvernement central, après négociation avec le gouvernement du Québec, s'empresserait, comme il le fait dans des domaines analogues, de fournir sa quote-part. Celle-ci pour le Québec, serait de l'ordre d'environ $6 millions, si l'on se réfère à certaines rumeurs ou à certaines données qui veulent que le gouvernement central, advenant l'adoption d'une législation qui reconnaîtrait ce droit, serait prêt à contribuer jusqu'à concurrence de $1 par tête d'habitant au Québec.

Et autre chose que je voudrais souligner — et ici je ne veux faire aucun reproche particulier — mais je pense, M. le Président, que le gouvernement du Québec doit, en matière d'assistance juridique, imiter, en quelque sorte, l'exemple du gouvernement ontarien. En effet, au moment où je vous parle, le gouvernement du Québec — et je tiens compte des contingences financières — dépense des montants de l'ordre de $2 millions pour l'assistance judiciaire alors que le gouvernement ontarien dépense, quant à lui, des montants de l'ordre de $12 millions.

Ce que je veux dire, c'est que je n'ai aucune remarque particulière à adresser au gouvernement actuel ou aux gouvernements passés et je pense que les gouvernements que nous avons eus à cet égard ont reflété très fidèlement notre société; il y avait à ce moment-là d'autres priorités, on s'y est arrêté. Actuellement, à cause du projet de loi qui est devant la Chambre, nous avons l'occasion de réfléchir sur cette priorité que doit être la justice, par référence aux économiquement faibles.

Je dis qu'en la matière le gouvernement du Québec se doit lui aussi de fournir son effort financier. M. le Président, je le soumets en toute déférence, si la justice est une priorité, si elle doit se concevoir en termes de droit strict, il est

quand même inconcevable que l'on limite la contribution financière — et je me réfère à ce qui est actuellement un montant de l'ordre de $2 millions — alors qu'au moment même où je vous parle, le gouvernement actuel a établi un système d assurance-santé animale qui engage, quant à lui, des montants de l'ordre de $3 millions à $4 millions.

M. le Président, le temps est maintenant venu de conclure. De façon générale, la Fédération des avocats demande au gouvernement, en premier lieu, le rappel inconditionnel du bill 70, parce qu'à ses yeux il s'agit là d'une mesure législative qui, de toute façon, sera couverte par l'éventuel bill 10 à être adopté, par l'éventuel système d'aide juridique à être adopté.

Je suis ici devant une commission parlementaire qui est chargée d'étudier le bill 10, je n'ai pas envie de faire le procès du bill 70. Mais, quand même, je dis qu'il s'agit d'une disposition juridique où l'on a interdit même à titre gratuit à un individu de se faire représenter par un avocat. A ce seul titre, elle est inacceptable. Nous demandons ce matin le rappel de cette loi à cause de ce que je viens de dire mais aussi parce que le bill 10 couvrira précisément un champ qui a été en partie couvert par le bill 70. Pour ma part, j'accorde la préférence à la loi générale, au régime général qu'instaurera le bill 10. Je pense, M. le Président, que l'honorable ministre de la Justice devrait, je le soumets en toute déférence, comme un juge de la cour d'Appel, présenter en Chambre un petit document tout simple mais en vertu duquel le bill 70 serait purement et simplement aboli.

Deuxièmement, toujours de façon générale — et cette fois-ci quant au bill 10 — la Fédération des avocats du Québec, relativement au projet de loi que nous étudions, demande aux membres de l'Assemblée nationale, au gouvernement et au ministre de la Justice en particulier d'avoir le courage de la fidélité par rapport aux grandes législations qui, dans des domaines analogues ont été adoptées au Québec depuis près de dix ans et ce indépendamment des régimes des titulaires et des partis politiques.

Bref, ce que nous demandons, M. le Président, à l'honorable ministre de la Justice, par rapport à ces pièces de législation valables, c'est qu'il fasse adopter des lois qui assurent une pérennité par rapport à la Loi de l'assurance-maladie, à la Loi de la régie de l'assurance-maladie, qui, elles, à tous égards, ont reconnu, premièrement, le libre choix du client, deuxièmement, la séparation des organes administratifs, les distances à établir entre les organes administratifs et le pouvoir exécutif et, enfin, qui ont reconnu, elles aussi, le droit d'association, avec ce qu'il implique, c'est-à-dire, le droit de représentation et le droit de négociation.

De façon plus spécifique, la Fédération des avocats du Québec, quant à la procédure à suivre relativement au bill 10, recommande ce qui suit: d'une part, que l'on adopte une approche méthodique et rationnelle en scindant deux types de problèmes qui sont les suivants: dans un premier temps, un problème d'accessibilité et, dans un deuxième temps, un problème d'organisation de services juridiques à être rendus. Ce problème d'accessibilité sera résolu, si par une loi à être adoptée, le gouvernement assure à l'économiquement défavorisé son soutien financier en lui permettant d'avoir recours à l'avocat de son choix. Si le gouvernement agissait de cette façon, il agirait exactement de la même façon que les gouvernements antérieurs l'ont fait et que le gouvernement actuel l'a fait en matière d'assurance-maladie où, dans un premier temps, on a voté la Loi de l'assuran-ce-maladie, mieux connue sous le nom de bill 8, et dans un deuxième temps, suite à l'adoption de cette loi, suite à l'instauration d'un régime général, on s'est dit: Maintenant, nous allons déposer et présenter une loi d'organisation des services de santé, ce qu'on a fait, et je me réfère à ce moment-ci, au bill 65.

Et si nous recommandons, M. le Président, au gouvernement de procéder en deux temps, nous pensons qu'il s'agit là de la façon la plus sage, à tous les points de vue. Prenons, par exemple, le plan économique.

Lorsque Mme Côté-Harper a comparu devant la commission parlementaire, elle a bien indiqué que l'expérience qu'elle avait acquise aux Etats-Unis, plus particulièrement dans le Massachusetts, à Boston, avait été acquise dans une clinique médicale qui existait là-bas. Je me demande, par référence précisément à cet aspect services juridiques si le gouvernement au lieu de procéder à l'adoption de nouvelles structures qui coûteront extrêmement cher et qui, somme toute, à plusieurs égards, doubleront les structures des CLSC, je me demande donc si le gouvernement n'aurait pas intérêt en ce domaine — et je pense en particulier à l'information, à l'aspect de l'éducation, à l'aspect de la recherche — à étudier attentivement la situation avant précisément de créer ce que j'appelle un réseau de services juridiques, soit en les intégrant à certains CLSC, soit en répartissant les tâches entre les universités, ce qui est sûr pour les fins de la recherche. Les universités ont également des services communautaires et elles pourraient assumer certaines charges en matière d'éducation communautaire. Je me demande s'il n'y aurait pas moyen non plus de les répartir en profitant des organes qui existent actuellement, et je pense au ministère des Affaires sociales, au lieu de créer de toutes pièces, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, une deuxième structure qui coûtera, somme toute, extrêmement cher aux contribuables québécois.

Il y a également un autre argument, M. le Président, c'est que ça permettrait à tout le monde d'y voir un peu clair avant de marquer un tournant. Le deuxième argument que j'ai est d'ordre professionnel. Avec le bill 10 tel que présenté en Chambre, la profession juridique se trouve à un tournant en ce sens qu'elle passe de

but en blanc à la pratique juridique telle qu'on l'a connue, libérale, à une pratique institutionnelle, à savoir que dorénavant les services seront fournis non plus par les avocats, mais par les cliniques. Je pense que cet aspect-là de la question mérite de faire l'objet de certaines recherches et d'être étudié attentivement quant à ses implications et quant à sa portée.

Enfin, M. le Président, ce sont les recommandations spécifiques que nous avions à faire au gouvernement en lui demandant de procéder en deux temps. Dans un premier temps, régler le problème d'accessibilité; dans un deuxième temps — et la fédération ne veut pas renvoyer aux calendes grecques le projet de loi qui est ici devant cette commission — je vois très bien que, dès l'année prochaine, aux environs de Noël de préférence ou dès l'automne prochain, l'on puisse étudier une loi d'organisation de services juridiques qui pourraient peut-être à ce moment-là répondre à certains besoins particuliers qu'entre-temps on aurait pu étudier davantage.

Je conclus, M. le Président, en disant qu'au début des séances de la commission, l'honorable ministre de la Justice, parlant des objectifs de la loi, a mentionné qu'il voulait par le bill 10 que le Québec se dote d'une justice qui soit contemporaine, moderne et efficace. La Fédération des avocats du Québec soumet que cette justice, ce système d'aide que l'on entend instaurer, sera une justice contemporaine si l'on reconnaît certaines libertés et certains droits fondamentaux de la même façon que la chose a été faite dans d'autres lois. Je pense entre autres au libre choix. Cette justice serait également moderne si elle consacre la séparation qui doit exister entre le domaine judiciaire ou tout ce qui s'y rapporte et le domaine exécutif.

Enfin, elle sera efficace si le gouvernement consent à assumer entièrement ses responsabilités en matière de coût, puisque, somme toute, toute priorité se paie. Je vous remercie, M. le Président. A moins que certains membres de cette commission n'aient des questions particulières à me poser, j'inviterais Me Robert à faire la présentation du projet de loi, des principaux points.

M. CHOQUETTE: M. Chapados, j'aurais une question à vous poser. Est-ce qu'en vertu des principes que vous avez soumis, ainsi que des recommandations que vous avez présentées à la fin de votre discours, vous recommanderiez l'abolition des bureaux d'assistance judiciaire de Montréal ou de Québec?

M. CHAPADOS: C'est une excellente question, M. le Président. J'aimerais, à ce sujet, répondre au ministre de la Justice ce qui suit: Nous recommandons au gouvernement de garder le statu quo sur ce point, étant donné l'étape que nous avons suggérée, d'ici à ce que l'on ait fait une étude plus approfondie de la situation. Mais, je pense — et ceci est extrêmement important — que le ministère de la Justice et tous les organismes intéressés devraient, d'ici là garder le statu quo et ne pas favoriser ou permettre la création de cliniques juridiques à droite et à gauche avant qu'au niveau du ministère et qu'au niveau juridique, on ait arrêté une politique définie. Comme je l'ai mentionné tantôt, pour autant que je suis concerné, je dis qu'actuellement le gouvernement, au lieu de se hâter avec lenteur...

M. CHOQUETTE: Vous dites qu'il est urgent d'attendre!

M. CHAPADOS: Je dis, M. le Président, en réponse à l'honorable ministre de la Justice, que le gouvernement devrait se hâter avec lenteur comme le dit Boileau ou le fabuliste La Fontaine, et non pas agir avec fébrilité, avec hâte, avec risque d'improvisation. Je reviens — ceci est important, à ce que j'ai dit tantôt — au mémoire de Mme Côté-Harper où l'on se fonde sur des besoins spécifiques à satisfaire pour dire du même coup que ce sont des besoins très complexes qui sont mal définis actuellement. A ce moment-là, moi je dis que, dans ces circonstances-là on devrait peut-être attendre cinq ou six mois, auparavant, faire enquête, faire les recherches nécessaires pour présenter ensuite un projet de loi. Actuellement, on agit en pleine hâte, avec fébrilité et non seulement on risque d'improviser, mais on risque de créer de toutes pièces des structures qui vont coûter cher et qui vont doubler, dans bien des cas, le rôle des centres locaux de services communautaires, dont la création a été arrêtée par le gouvernement auquel appartient l'honorable ministre de la Justice.

M. CHOQUETTE: Vous devriez avoir une opinion sur ce sujet-là, parce qu'après tout, le bureau d'assistance judiciaire de Montréal existe depuis quinze ans et vous pratiquez dans la ville de Montréal au moins depuis dix ans. Je remarque que les avocats autour de vous sont de jeunes avocats, mais ils ont quand même dix ans de pratique. Alors, vous devriez avoir une opinion sur l'abolition ou le maintien du bureau d'assistance judiciaire de Montréal.

M. CHAPADOS: Mon opinion est la suivante. Je procède de façon scientifique et, lorsque j'ai devant moi des études qui me démontrent qu'il y a peut-être des besoins mais que ces besoins-là ne sont pas définis, alors — et j'espère que c'est l'attitude qu'adoptera le gouvernement — je me dis: Attendons qu'il y ait des recherches plus scientifiques pour que nous définissions les besoins à satisfaire et pour que, partant de là, étant donné qu'il y a une demande dans un domaine, je crée les services juridiques requis. Mais, pour le moment, je dis que l'on se doit de garder le statu quo et qu'avant de procéder à l'organisation ou à l'établissement d'un réseau de services juridiques, si besoin il y a, on règle le problème de l'accessibilité. Parce qu'on ne peut

pas et on ne doit pas opposer nécessairement le Judicare qu'on fait aux cliniques juridiques.

Comme le ministre l'a souvent dit, ce sont des cliniques ou des organismes qui auront à répondre à des besoins nouveaux. D'ailleurs, c'est ce que vous dites, M. le ministre, dans votre petite plaquette bleue "Justice", des besoins nouveaux. Le seul problème est que les besoins ne sont pas définis et je pense qu'on devrait les définir avant d'aller plus loin. Ceci n'a pas empêché le gouvernement auquel vous appartenez de dire: Très bien, en matière d'assurance-santé, nous allons régler le problème d'accessibilité en instaurant un régime général d'assurance-maladie. Et ceci fait, une fois le régime instauré, qui, entre parenthèses marche très bien, M. Castonguay, après des études également approfondies, après avoir acquis une vue d'ensemble de la situation, a présenté son bill 65, la loi d'organisation des services de santé, qui est justement un bill par lequel le gouvernement voulait mettre de l'ordre dans toute une série, une kyrielle de services partant des centres hospitaliers en passant par les hôpitaux, les centres d'accueil, etc.

M. CHOQUETTE: Je vais vous dire quelque chose. Si M. Castonguay avait écouté les gens qui ont comparu à la commission parlementaire, il n'aurait jamais présenté son bill.

M. CHAPADOS: M. le Président, je soumets en toute déférence que j'ai comparu devant cette commission, j'ai certains clients qui ont présenté des mémoires et ce n'est pas tout à fait ce qu'on a dit.

M. PAUL: Le ministre ne se réfère pas aux bons mémoires.

M. CHOQUETTE: En tout cas, M. Chapados, je pense qu'on comprend très bien votre point de vue. Vous l'avez expliqué avec, en somme, beaucoup de précision et d'éloquence, je dirais. Vous pouvez être sûr que nous allons porter une attention sérieuse aux arguments que vous avez soulevés.

M. LE PRESIDENT: Le député de Lafontaine.

M. LEGER: Je voudrais simplement poser une question â Me Chapados. A un moment donné, il a parlé du besoin pour l'inculpé d'avoir accès à un avocat de son choix. Je voudrais lui demander s'il pourrait préciser sa pensée dans ce domaine d'abord au niveau des honoraires. Il y a des avocats qui sont très recherchés, d'autres qui sont moins connus, qui commandent des honoraires différents. Est-ce que vous prévoyez que les honoraires de l'avocat qui serait choisi par l'inculpé devraient être fixés? Et si ce n'est pas fixé...

M. LE PRESIDENT: Le député de Trois-Rivières.

M. BACON: Je voudrais soulever un point de règlement. Je pense que ces questions ont été déjà abordées à la commission.

M. PAUL: M. le Président, si on avait une certaine logique dans le Parti québécois, ce seraient toujours les mêmes qui seraient présents et on ne viendrait pas ici ce matin poser des question auxquelles a brillamment répondu Me Chapados lors de la séance du 17 mai dernier.

M. BACON: J'en appelle au règlement, M. le Président.

M. LEGER: Si on a déjà répondu à cette question, je retire ma question.

M. LE PRESIDENT: ... Me Chapados, la semaine dernière, a traité longuement de cette question.

M. CHAPADOS: Je l'ai traitée longuement, mais j'aimerais redire que ces tarifs seraient négociés.

M. LE PRESIDENT: En vertu de nos règles de pratique, vous savez qu'un mémoire doit être présenté en 20 minutes. Cela fait deux journées que nous consacrons au vôtre, nous espérons que vous tiendrez compte de ce fait, compte tenu que Me Robert doit vous remplacer.

M. CHAPADOS: Non seulement nous en tenons compte, M. le Président, mais nous vous en sommes extrêmement reconnaissants.

M. LE PRESIDENT: Me Robert.

M. ROBERT: M. le Président, MM. les membres de la commission, j'aimerais d'abord, avant d'examiner le projet de loi que nous avons déposé sous la cote 5MA, faire quelques remarques sur les effets que pourrait avoir l'adoption du bill 10 sur les modalités de pratique des avocats dans le Québec dans leur ensemble. Je pense que c'est cela qui est le noeud et le fond du débat. Je ne crois pas qu'il faille nécessairement opposer un système Judicare à un système de cliniques juridiques. Je pense que ce qui est à la base du débat, c'est un système qui prévoit d'une part une rémunération à l'acte, garantissant ainsi un statut de travailleur autonome à l'avocat et d'autre part un système qui prévoit une rémunération à salaire pour un avocat qui a un lien de subordination avec un organisme parapublic qui l'emploie à titre d'employeur.

Je pense que c'est cela le fond de la question.

Nous croyons, à la Fédération des avocats du Québec, qu'il est important de maintenir, pour l'avocat, son statut de travailleur autonome, rémunéré à l'acte et exerçant sa profession, de façon autonome et sans employeur. Nous croyons que c'est important pour garantir le rôle dynamique, indépendant et le rôle social de

l'avocat, dans une société libre et démocratique. Je pense que c'est cela, fondamentalement, que nous défendons.

Or, avec le bill 10, nous voyons que ce principe est complètement écarté et que nous nous dirigeons vers un système où les avocats seraient rémunérés à salaire et seraient employés par un employeur qu'on voudra peut-être le plus indépendant possible de l'Etat, mais qui demeurera quand même un organisme parapublic. Ce lien de subordination entre cet organisme parapublic et l'avocat est incompatible avec son statut d'indépendance vis-à-vis de l'Etat, vis-à-vis des tribunaux, vis-à-vis de tous les organismes et vis-à-vis de tous les citoyens. Je pense que c'est cela, fondamentalement, le point crucial.

Que restera-t-il, M. le Président, de la pratique privée, comme telle, de la profession d'avocat, lorsque le bill 70 aura été promulgué et mis en vigueur, lorsqu'un réseau de cliniques aura été installé dans la province, et lorsque, éventuellement, si le gouvernement donne suite à ses projets, un régime d'assurance automobile sans faute sera institué avec commission gouvernementale et réclamation? A ce moment-là, que restera-t-il exactement de la profession d'avocat, dans les milieux régionaux et dans certaines parties des milieux urbains? Je pense que la profession ou la pratique privée sera amputée d'un marché très important.

Prenons des exemples. A Montréal, vous parliez tout à l'heure du bureau d'assistance judiciaire qui existe depuis quinze ans. Je pense que tout le monde, ici, a contribué à son succès en ce sens que nous avons fourni nos services gratuitement, pendant plusieurs années. On me dit que de 60 p.c. à 75 p.c. des individus qui comparaissent devant les tribunaux criminels à Montréal sont actuellement représentés par des avocats de l'assistance judiciaire.

M. CHOQUETTE: Je me permets de mettre cela en doute. On m'a dit récemment que c'était 20 p.c. à 25 p.c.

M. ROBERT: Evidemment, peut-être qu'on tient nos renseignements de sources différentes, mais on me dit que 60 p.c. à 75 p.c. des inculpés qui comparaissent devant les tribunaux criminels sont représentés par des avocats de l'assistance judiciaire. D'ailleurs, c'est bien compréhensible, parce que les gens qui sont poursuivis devant les tribunaux criminels n'ont pas, dans la plupart des cas, des moyens connus ou connaissables. A ce moment-là, il devient extrêmement facile de se faire représenter par l'assistance judiciaire. Et je n'hésiterais pas à croire que la très vaste majorité des gens qui comparaissent devant les tribunaux criminels, pour des infractions criminelles, sont effectivement éligibles à l'assistance judiciaire, telle que formulée actuellement. Cela veut dire, à toutes fins pratiques, que la pratique du droit criminel, dans son ensemble, disparaît, quant à la prati- que privée et sera, dorénavant, exercée par des salariés de l'Etat. Nous croyons, nous, que ce n'est pas bénéfique, à long terme.

Autre exemple, la question des relations domestiques. Il est bien évident, à mon point de vue, qu'actuellement le bureau d'assistance judiciaire fournit énormément de services dans ce domaine. Il est bien évident que si on met en place un régime de cliniques juridiques, à ce moment-là, dans quelques années, la population va demander que tout le problème des relations domestiques au fond soit administré par ce réseau de cliniques juridiques. Parce que les citoyens, à ce moment, n'auront pas à débourser directement d'argent pour payer les honoraires d'un avocat. Ils le feront en payant leurs impôts, mais cela est une autre question.

Nous, nous croyons qu'à court terme c'est la disparition de ce que j'appelle la pratique individuelle, c'est-à-dire du service rendu à un individu, un problème de locateur et locataire, un problème de relations matrimoniales, problème de droit criminel.

Il restera évidemment la pratique corporative, les avocats ou les grandes études de Montréal qui représentent les grands clients, mais je pense que c'est loin d'être la majorité des avocats qui se trouvent dans les grandes études de Montréal. Il y a à peine 400 ou 500 avocats dans le Québec qui exercent dans des grandes études à Montréal. Tous les 3,500 autres pratiquent, soit individuellement ou dans des cabinets formés de deux avocats ou de trois avocats, et la très vaste majorité d'entre eux ont un statut de travailleurs autonomes.

Etant donné tous ces facteurs, nous croyons que ce régime proposé dans le bill 10 n'est pas bénéfique à long terme parce que, justement, il va faire perdre à l'avocat son statut de travailleur autonome et il va devenir un salarié de l'Etat, directement ou par personne interposée. Nous croyons que l'avocat doit quand même jouer un rôle dans la société et que, pour jouer ce rôle, il faut qu'il demeure indépendant.

Ceci dit, j'aimerais ajouter tout de suite que, dans un tel système où le mode de rémunération demeure à l'acte et où le statut de l'avocat demeure autonome, il n'est pas impensable que des avocats se groupent pour exercer leur profession dans ce qu'on appelle des cliniques d'aide juridique dans un milieu défavorisé, si le besoin existe. A ce moment-là, évidemment, ils seront rémunérés à l'acte, comme l'ensemble de tous leurs autres confrères de la province et ils rendront des services aux défavorisés.

D'ailleurs, ces cliniques existent même à l'intérieur du régime d'assurance-maladie actuellement. Ces cliniques existent dans certains quartiers de Montréal et je crois que les médecins à l'emploi du centre hospitalier de l'Université de Sherbrooke sont également regroupés dans cette formule. Vous aviez une question?

M. CHOQUETTE: M. Robert, je trouve que

c'est tout à fait légitime de votre part d'attirer notre attention sur les répercussions du projet de loi sur l'exercice de la profession, tel qu'il existe. Evidemment, cette tendance à ce que les avocats deviennent salariés ne s'exprime pas seulement au niveau de l'Etat. Vous allez admettre avec moi que, par la création des contentieux dans les grandes sociétés, c'est un peu le même phénomène auquel on assiste, dans les grandes villes aussi.

M. ROBERT: On a fait une sorte d'étude bien sommaire de l'ensemble des avocats du Québec et on s'est aperçu que le nombre de salariés à l'emploi de l'entreprise privée, si je puis dire, est extrêmement restreint et marginal par rapport à l'ensemble des avocats salariés de l'Etat. Si vous faites la liste des contentieux à Montréal, vous allez vous apercevoir que, au fond, il y a très peu d'avocats qui travaillent dans ces contentieux. A mon point de vue, à ma connaissance, il n'y a que deux ou trois gros contentieux.

Et souvent, les avocats qu'on trouve dans ces entreprises et qui sont quand même membres du Barreau — ils sont dans le livre bleu, si je puis dire — n'exercent pas pour la plupart des fonctions d'avocats, enfin un bon nombre. Nous les retrouvons par exemple secrétaires d'une corporation, exerçant des fonctions, au fond, administratives et ils demeurent membres du Barreau pour des fins de prestige et d'autres raisons qui leur sont personnelles.

Mais de gros contentieux comme tels, il n'y en a pas tellement à mon point de vue. Je connais les compagnies de chemin de fer, les banques et peut-être la compagnie Bell Canada. Mais si on additionne tous ces avocats, on s'aperçoit que c'est très peu par rapport aux procureurs de la couronne, par rapport aux employés ou aux avocats à salaire dans les bureaux d'assistance judiciaire et par rapport aux employés de l'Etat fédéral. Là, vous allez avoir un bon nombre d'individus, peut-être à peu près 500 avocats dans le Québec.

M. CHOQUETTE: Vous attirez aussi notre attention sur les conséquences économiques de certaines mesures qui ne sont pas annoncées mais dont on parle, comme l'assurance-automobile, le bill 10. Je tiens à vous dire que le bill 10, même s'il devait garder sa structure actuelle, n'aura pas entièrement des effets défavorables sur l'avocat travailleur autonome, dans ce sens que l'économiquement défavorisé aujourd'hui, qui n'a pas les moyens de se défendre devant le tribunal ou de faire valoir ses droits, si on le dote de ces moyens, va entretenir des procès avec des gens qui, eux, ne sont pas des économiquement défavorisés.

Par conséquent, le niveau de l'activité juridique va nécessairement être plus élevé après l'adoption du projet de loi qu'avant. Donc, même pour l'avocat travailleur autonome, il ne faudrait quand même pas dire que les effets en sont entièrement négatifs.

M. ROBERT: Je serais peut-être...

M. PAUL: Si vous me permettez, Me Robert. Le ministre aurait peut-être raison s'il était capable de nous donner la preuve qu'il y aura de moins en moins d'assistés sociaux au Québec.

M. CHOQUETTE: Je veux dire que ça prend deux personnes pour faire un procès.

M. ROBERT: Ce serait vrai, ce que vous dites, à condition que tous les défavorisés aient essentiellement et seulement, ou presque majoritairement, des problèmes économiques. Or, la plupart du temps — et c'est démontré par les statistiques de l'assistance judiciaire — ce sont des problèmes de relations matrimoniales. Et les problèmes de relations matrimoniales sont entre gens eux-mêmes défavorisés. Il est bien rare, je pense, qu'on ait un mari économiquement faible avec une femme économiquement forte; ou le contraire.

M. CHOQUETTE: Cela arrive.

M. ROBERT: Généralement, ce sont des gens qui sont économiquement faibles des deux côtés. Et, à ce moment-là, je ne vois pas comment cela pourrait créer un marché additionnel pour l'ensemble des avocats engagés dans la pratique privée. Quant à la pratique criminelle, c'est vis-à-vis de l'Etat; d'un côté, les procureurs de la couronne et, de l'autre côté, les avocats salariés des bureaux d'assistance judiciaire.

Il reste les problèmes entre locateurs et locataires où, peut-être, cela pourrait apporter des causes à certains avocats en pratique privée. Protection du consommateur, je ne pense pas que... Peut-être. Mais, je ne pense pas que l'effet secondaire que vous venez de décrire soit un peu comparable à l'effet négatif que j'ai mentionné.

M. CHOQUETTE: Il y a aussi le fait que — on parle de causes matrimoniales — si une des parties s'adresse à l'aide juridique, au bureau, il va de soi que la partie adverse ne peut pas être représentée par un avocat du même bureau. Alors, nécessairement, la cause est référée à l'extérieur.

M. ROBERT: Pas nécessairement à l'extérieur, parce qu'il y aura, semble-t-il, dans le projet, plusieurs cliniques juridiques dans un même territoire. Et j'imagine qu'à Montréal il n'y aura pas qu'un seul bureau d'assistance juridique. Il pourra y avoir quatre ou cinq cliniques. Rien n'empêchera le directeur d'une des cliniques de référer l'opposant de son client à une autre clinique située dans une autre section de la ville. Il ne se référera pas nécessairement à un avocat de l'extérieur. Ce sera peut-être vrai dans un milieu régional où il y aura une seule clinique dans une région, peut-

être, de 50 milles, 60 milles à la ronde, mais à Montréal et à Québec et même dans d'autres villes, je n'ai pas l'impression que cela va être le cas.

Evidemment, à la lumière des principes qui ont été exposés par Me Chapados, nous avons préparé un projet de loi qui est le document 5 MA qui s'inspire d'une philosophie très différente de celle qui anime le projet de loi 10 qui est actuellement devant l'assemblée. J'aimerais simplement, brièvement, signaler les articles ou les dispositions importantes de ce projet de loi qui consacrent les principes que nous avons énumérés.

D'abord, l'article 2 consacre le libre choix qu'a le client de son professionnel et aussi le libre choix du professionnel quant à un client. Parce que je pense que cela aussi est important. Il est important que l'avocat puisse refuser de représenter quelqu'un ou puisse accepter de le représenter, quelle que soit la situation. Et cela, c'est consacré par l'article 2 qui est inspiré, évidemment, des dispositions correspondantes qu'on retrouve dans les autres projets de loi.

Egalement, l'article 4 prévoit la création de la commission d'assistance juridique qui serait une commission administrative chargée d'organiser la distribution des services juridiques par des praticiens engagés dans la pratique privée.

L'article 6 prévoit la composition de la commission. Cette commission est composée de douze membres nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil et selon des recommandations qui sont énumérées dans les divers paragraphes de l'article 6.

L'article 10 du projet de loi prévoit que le traitement ou les indemnités des membres de la commission ne peuvent être réduits ou diminués une fois déterminés.

C'est une sorte de protection ou de sécurité d'emploi pour les membres de la commission de façon à garantir leur indépendance.

L'article 17 prévoit également la nomination d'un certain nombre d'avocats dans chacune des régions de la province en vue d'exercer les pouvoirs administratifs de la commission. Il est bien évident qu'une commission centrale qui se trouverait, soit dans le territoire de la communauté urbaine de Québec, soit à un autre endroit dans la province, ne pourrait pas administrer de Montréal ou de Québec l'ensemble de tout le système. Il faudrait qu'il y ait des représentants régionaux.

L'article 18 définit les bénéficiaires. Dans l'article 18 nous avons tenté de laisser le moins de discrétion possible à la commission administrative de façon que le droit soit garanti par la législation et non pas discrétionnaire de la part d'une commission administrative. Or, nous avons défini, par exemple, que le bénéficiaire d'aide sociale à titre de chef de famille a le droit ou l'accessibilité aux services. Deuxièmement, le bénéficiaire de prestation en vertu de la Loi des accidents du travail. Troisièmement, le conjoint. Quatrièmement, les enfants mineurs.

Evidemment, nous avons aussi ajouté un tempérament parce qu'il peut exister des cas où une personne ne réponde pas aux exigences prévues par l'article 18 mais doive quand même recevoir l'aide juridique. Alors, nous avons prévu l'article 33 g) qui donne à la commission le pouvoir de définir les cas où les services juridiques pourraient être accordés même si la personne ne remplit pas les critères déterminés par a) b) c) et d) de l'article 18.

Vous verrez, également, l'article 23 qui consacre le principe de la négociation des ententes et de la conclusion des ententes par le ministre quant à la rémunération des professionnels engagés dans le système.

L'article 24 définit les organismes représentatifs. Evidemment, nous nous sommes mentionnés et l'article 25 prévoit le droit au désengagement. La formule que nous avons suggérée est la suivante: L'entente lie tous les professionnels qui sont membres de l'organisme qui l'a conclue. Ensuite, un professionnel peut se désengager en expédiant, lui, une lettre de ministre dans la forme prévue par les règlements.

L'article 26 prévoit que le professionnel qui s'est désengagé peut se rengager par la suite.

L'article 29 définit le contenu de l'entente à être négociée entre les organismes représentatifs d'une part et le gouvernement d'autre part. Comme vous avez vu, nous n'avons pas plafonné au départ à 60 p.c. du tarif généralement observé ou, pour reprendre le vocabulaire de la fonction publique, de la moyenne généralement observée. Nous ne croyons pas que ceci devrait être inscrit dans la loi. Je pense que c'est là une matière de négociation et nous ne voyons pas pourquoi le gouvernement, au départ, déterminerait son plafond par la législation.

L'article 30 garantit la juridiction du Barreau quant à la qualité du service. En d'autres mots, si la qualité d'un service est mise en cause, à ce moment-là c'est le Barreau ou la Chambre des notaires qui, en vertu de sa loi constituante, a juridiction pour examiner le problème.

L'article 32 prévoit le principe que les honoraires payés en vertu du système sont limitatifs, c'est-à-dire qu'il ne peut pas y avoir de supplément d'honoraires ou de dépassement d'honoraires comme les médecins l'ont réclamé, je pense, à une époque. L'article 32 consacre le principe du non-dépassement d'honoraires si je peux dire, sauf, évidemment, la question des frais judiciaires perceptibles de la partie adverse parce que, évidemment c'est consacré par ailleurs par la Loi du Barreau.

L'article 33 prévoit les pouvoirs de réglementation de la commission administrative. Nous les avons fait élaborer comme le gouvernement a l'habitude de le faire maintenant dans toutes ses lois organiques...

M. CHOQUETTE: Au grand... en tout cas.

M. ROBERT: ... au grand désespoir de certaines personnes.

M. CHOQUETTE: Bien oui!

M. ROBERT: Parfois on se demande si, au fond, le projet de loi ne dit pas simplement que le cabinet peut faire un projet de loi après.

Les articles 34 et 35 combinés prévoient le droit à la consultation quant aux arrêtés en conseil à être adoptés en vertu de l'article 33. D'ailleurs, ce sont des dispositions qu'on retrouve actuellement dans la Loi de l'assurance-maladie.

Et la dernière section, la section VI parle du conseil d'arbitrage. Si un différend s'élève entre un professionnel engagé dans le système et le gouvernement payeur d'autre part, il faut prévoir un mécanisme d'arbitrage. Il existe déjà, d'ailleurs, dans la Loi de l'assurance-maladie. Alors, c'est l'article 38 et les suivants qui prévoient ce mécanisme d'arbitrage des comptes ou des différends d'ordre pécuniaire entre d'une part, le gouvernement, et d'autre part, les professionnels engagés dans le système. Il ne s'agit pas d'un différend sur la qualité de l'acte professionnel, parce qu'à ce moment-là cela relève du Barreau, mais d'un différend d'ordre pécuniaire qui relèverait de ces conseils d'arbitrage créés par les articles 38 à 45.

Et finalement, les articles 46 et 47 prévoient le droit au secret professionnel et la garantie donnée que le secret professionnel ne sera pas violé à l'intérieur de l'administration du régime. Et les articles 48 et 49 prévoient les pénalités et les dispositions diverses et transitoires.

Je pense que c'est un projet de loi qui s'inspire, évidemment, d'une philosophie très différente de celle qui anime le bill 10 mais qui consacre les principes que nous avons voulu élaborer devant vous.

Je vous remercie. Est-ce qu'il y a des questions?

M. LE PRESIDENT: Il n'y a pas de question. Je vous remercie beaucoup Me Robert.

M. HARDY: Il y a une question qui me hante depuis le début des auditions de cette commission parce que, je dois l'avouer, je l'ai déjà dit et je continue à dire que je suis extrêmement sensible, pour ne pas dire davantage, à ce principe défendu et par le Barreau et par la fédération, à savoir la liberté de choix de l'avocat qui est le corollaire de ce système Judicare que vous proposez. Au même niveau, me préoccupe également la question du coût de ce système. Et là, je pense que je rejoins les préoccupations et du ministre de la Justice et peut-être encore davantage, du ministre des Finances. Je ne sais pas si, pendant mon absence, vous avez abordé ce sujet-là...

M. PAUL: Oui, il l'a été.

M. HARDY: Il a été abordé. Alors, je retire...

M. PAUL: Me Chapados a parlé d'une possibilité de participation du gouvernement fédéral de l'ordre de $6 millions. C'est une possibilité...

M. HARDY: Si c'est seulement de cela que Me Chapados a parlé, cela ne m'impressionne pas beaucoup.

M. PAUL: Vous demeurez hanté.

M. CHOQUETTE: Cela ne résorbe pas sa hantise.

M. HARDY: Cela ne m'impressionne pas beaucoup de toujours ouvrir des portes au gouvernement fédéral pour venir nous aider.

M. PAUL: Le gouvernement fédéral les ouvre seul.

M. HARDY: J'aimerais mieux, si cela n'a pas déjà été fait, parce que j'avais retiré ma question, je ne veux pas faire perdre de temps à la commission... Est-ce que vous avez réfléchi à un moyen de contrôle pour empêcher que ce système — parce que nous allons tous l'admettre, il ne s'agit pas de se conter des peurs — qui au niveau des principes est excellent, pourrait ouvrir des portes à des abus considérables? Est-ce que le Barreau ou la Fédération des avocats se sont penchés sur cet aspect du problème? Et est-ce que vous avez des suggestions à faire au législateur pour trouver des moyens d'empêcher que les fonds publics soient dilapidés — peut-être est-ce un peu fort — mais qu'il y ait une certaine hémorragie des fonds publics avec le système que vous proposez?

M. ROBERT: Sur la question des coûts, j'aimerais répondre à votre question. D'abord, j'aimerais faire un certain nombre de remarques préliminaires sur le coût comme tel. Il est bien évident, à première vue et pour un premier temps, qu'un régime complet de Judicare coûterait plus cher qu'un réseau de cliniques juridiques.

M. HARDY: De quel ordre, selon vos évaluations?

M. ROBERT: Cela dépend du nombre de cliniques qui seraient instaurées et cela dépend du genre de services qu'on veut donner à la population. On sait que le système ontarien a coûté... à mon point de vue, un système Judicare pourrait coûter environ $8 millions ou $9 millions par année.

M. HARDY: Sur quoi s'appuie ce montant?

M. ROBERT: Il s'appuie sur l'expérience ontarienne ou à peu près.

M. HARDY: Est-ce que vous tenez compte de la psychologie du Québécois en regard de la psychologie de l'Anglo-Canadien?

M. ROBERT: Je vous avoue que je n'ai pas tenu compte de ce facteur. Il y a des francophones en Ontario, il y a trois comtés complets.

M. SPRINGATE: Heureusement qu'il y a des francophones au Québec, aussi!

M. LE PRESIDENT: Le député de Lafontaine.

M. ROBERT: Si vous me le permettez, il est bien évident qu'à court terme, ça coûtera plus cher; est-ce qu'à long terme, cela va coûter plus cher? J'en doute, parce qu'un réseau de cliniques juridiques qui va s'étendre va se fonctionnaliser jusqu'à un certain point. A ce moment-là, je pense que c'est passablement plus cher à long terme et il faut toujours apprécier le coût en regard de la quantité de services parce qu'il y a le coût global, le coût absolu et le coût relatif.

M. HARDY: Il s'agit de payer avec les ressources dont on peut disposer comme collectivité.

M. ROBERT: Comme collectivité, si on n'a pas les moyens de se payer un système complet maintenant, à ce moment-là il ne faut pas sacrifier les principes. Instaurons un système limité et augmentons-le graduellement, comme on l'a fait pour l'assurance-maladie. Le régime d'assurance-maladie, que je sache, n'était pas complet et ne l'est pas encore. On ajoute graduellement des services d'après les ressources dont on dispose. Si, comme collectivité québécoise, on n'a pas les huit, neuf ou dix millions nécessaires, je pense que ça devient une question de priorité — je pense qu'on l'a — si on a $3 millions pour l'assurance-santé animale qu'on distribue aux vétérinaires en vertu d'une entente, je pense qu'on aurait peut-être $8 ou $9 millions pour la justice et pour les citoyens. C'est une question de priorité que vous, du gouvernement, aurez à décider mais, si nous n'avons pas les ressources, nous répondons à ce moment-là: Ne sacrifions pas les principes que nous défendons. Instaurons un régime limité et augmentons-le graduellement pour le rendre de plus en plus complet.

M. HARDY: Dans votre esprit, si on allait dans la voie que vous venez de tracer, qu'est-ce que vous verriez comme service primordial? Quels seraient les premiers services...

M. ROBERT: Ce serait le droit criminel parce que la liberté des gens est eu danger; ceci serait prioritaire à mon point de vue. Le deuxième aspect serait peut-être les relations matrimoniales. C'est une opinion personnelle, on n'a pas fait de recherche là-dessus. Quant à votre deuxième question, à savoir comment éviter les abus, je tiens à dire immédiatement qu'il est vrai qu'un tel système peut engendrer des abus. Il est vrai que l'autre système aussi peut engendrer des abus.

M. HARDY: Il en engendre actuellement. M. ROBERT: Cela dépend du rôle que l'avo- cat a dans une société. Est-ce que l'avocat doit être l'animateur socio-culturel ou s'il doit rendre des services juridiques? Je n'ai rien contre le fait que des gens pensent qu'un avocat doit avoir un rôle plus grand que celui de rendre des services juridiques. Personnellement, je n'ai rien contre ça, mais je dis qu'à ce moment-là ils vont pratiquer leur profession dans un système égal ou équivalent à celui dans lequel nous vivons de sorte que nous serons au moins des concurrents égaux sur le plan du marché. Les abus sont possibles, c'est évident. Cela devient une question de négociations, de l'entente. En d'autres mots, c'est l'entente qui prévoira des mécanismes précis pour réprimer le plus possible les abus en question.

M. HARDY: Des avocats et des justiciables.

M. ROBERT: Exactement. Il y a des conseils d'arbitrage qui sont créés par le projet de loi.

M. HARDY: Les premiers abus qui me viennent à l'esprit ne sont pas tellement encore pour la question du coût mais plutôt pour le nombre de cas, c'est-à-dire que beaucoup de gens, — c'est le spectre qui me hante — qui ne sont pas éligibles à l'assistance judiciaire trouvent le moyen d'y aller un peu comme... Vous savez l'expérience que nous avons avec l'assistance sociale nous rend, moi en tout cas, très craintif.

M. ROBERT: Là, ça devient une question administrative. Est-ce que vous croyez qu'actuellement les bureaux d'assistance judiciaire vérifient vraiment? On leur demande: Est-ce que vous avez un emploi et est-ce que vous gagnez un revenu? Si la personne répond non, elle devient admissible. On n'a pas le temps, on l'a dit à plusieurs reprises, de faire des enquêtes. Il ne faut pas blâmer ces gens, ils n'ont pas l'appareil administratif.

M. HARDY: Justement, c'est à partir de cela: en constatant que des gens qui sont à salaire n'ont aucun intérêt à augmenter leur volume de travail.

Je pense qu'on admettra cela. Les gens qui sont dans les cliniques, en ce moment, sont payés à salaire. Ils n'ont pas nécessairement d'intérêt à augmenter leur volume de causes. Même dans cette situation-là, on constate, je pense, qu'il y a des abus, qu'il y a des gens qui se prévalent des services de ces cliniques, alors qu'ils n'y sont pas admissibles. A plus forte raison, la nature humaine étant ce qu'elle est, les avocats faisant partie de l'ensemble de l'humanité, lorsque les avocats seront payés à l'acte, il y aurait une certaine possibilité que des gens qui ne sont pas nécessairement admissibles soient acceptés. Et j'irai plus loin; je ne voudrais pas être injuste à l'endroit de la profession, mais peut-être aussi que ce système Judicare pourrait entrafner des avocats à prendre des causes qui sont plus ou moins valables. Il y a toujours le principe.

M. ROBERT: C'est possible. Je vous répondrai là-dessus que, dans le projet de loi que nous proposons, ce ne sont pas les professionnels qui déterminent qui est admissible ou qui ne l'est pas; c'est la commission administrative qui émet, si l'on veut, des cartes d'assistance juridique. En d'autres mots, on a divorcé l'aspect administratif de l'aspect de service juridique. La commission administrative est formée de douze membres nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil et, à ce moment-là, il appartiendra au gouvernement et à l'appareil administratif de voir à ce que les gens ne bénéficient pas des services, parce qu'ils n'ont pas droit d'en bénéficier. La commission administrative n'est pas administrée par les professionnels, elle est administrée par le gouvernement, celui qui paie. Le professionnel, lui, rend les services. Il est bien évident, comme vous le dites, qu'un professionnel pourrait, par exemple, prendre une cause alors que cette cause à première vue n'est pas valable. Là, cela devient un problème de qualité de l'acte professionnel. Il y a le Barreau et je pense que le Barreau s'est assez bien discipliné au cours des années comparativement à l'ensemble des professions du Québec.

C'est mon opinion et je suis prêt à la défendre passablement devant n'importe quelle commission parlementaire. Avec le nombre de radiations, de suspensions et d'instances disciplinaires que nous avons, je pense que nous avons assez bien fait notre travail depuis plusieurs années et même, certains avocats ont pensé que nous l'avions trop bien fait. Mais je pense que vous avez le Barreau qui peut discipliner, par l'intermédiaire de la qualité de l'acte professionnel. Et si c'est une question de coût, la commission refusera de payer si elle trouve que c'est exagéré et, à ce moment-là, ce sera déféré à un arbitrage.

M. HARDY: C'est très habile.

M. ROBERT: Ce n'est pas habile, c'est vrai.

M. HARDY: Je ne dis pas que ce n'est pas vrai ce que vous dites, mais justement, cela a été présenté de façon très habile. Vous savez, dans la société dans laquelle on vit, les gens qui défendent des principes, on en a tous les jours; on reçoit cela... Oui. Ce qu'on trouve moins, parmi tous les grands défenseurs de principes, souvent, ce sont des moyens pratiques d'incarner les principes. Vous vous défendez très bien; vous dites: Nous, nous présentons un projet de loi et les principes, ce sera à la commission de déterminer le contrôle. Justement, vous devriez — et je pense que c'est votre responsabilité si vous voulez être logique — en plus de présenter un projet de loi qui contient des principes, poursuivre votre réflexion, votre exercice de cogitation. Et vous devriez suggérer — je comprends bien que ce sera la commission qui administrera cela — je pense si vous voulez qu'on puisse se pencher davantage sur les magnifiques principes que vous nous présentez, des moyens pratiques qui pourraient être inscrits dans une réglementation, pour atteindre ou pour contourner les craintes qui m'assaillent et qui assaillent le gouvernement vis-à-vis de la réalisation de ce principe du libre choix de l'avocat et du paiement à l'acte professionnel.

M. CHAPADOS: Avec votre permission, M. le Président, j'aimerais tout simplement faire des commentaires de trois ordres. Premièrement — et ceci, je crois, est susceptible d'intéresser énormément le ministère de la Justice — relativement au problème que vous soulevez, problème de coûts, je pense que la première chose à clarifier et à préciser, Me Robert l'a dit tantôt, c'est la couverture du régime. Quels types de soins vont être couverts et surtout quelles catégories de gens vont être couvertes. Et à cet égard, je pense que le projet de loi que nous vous avons présenté est extrêmement positif, puisque d'une certaine façon, même aux yeux de certains, il est limitatif.

Autrement dit, auront droit, en règle générale, aux services juridiques et ce, à titre: a) les détenteurs de cartes du ministère des Affaires sociales. Alors c'est précis quant aux bénéficiaires et il faut également que ce soit précis quant aux types de services à être rendus. Je pense que c'est la première condition à remplir, pour éviter ce que vous soulignez à bon droit, une hémorragie des fonds publics. A cet égard, je soumets en toute déférence — et je me réfère à l'annexe B du document Loranger 2M — qu'il est quand même anormal que, dans une région comme Montréal, en l'espace d'un an, alors que les conditions économiques sont demeurées sensiblement les mêmes, l'on ait assisté à une hausse de services juridiques dispensés de l'ordre de 57.5 p.c. Quant à moi, je pense que c'est le premier prérequis.

La deuxième chose, qui, d'après moi, est fondamentale, c'est que la loi ait des dents. Quiconque enfreint la loi est passible de poursuite.

M. HARDY: Même de prison?

M. CHAPADOS: Justement — nous le proposons — dans le projet de loi, il y a des articles à cet effet. L'article 48 d) dit que quiconque se rend coupable d'une infraction peut être poursuivi en vertu de la Loi des convictions sommaires.

M. HARDY : Apparemment, il y en a qui aiment ça aller en prison.

M. CHAPADOS: Oui. Mais ceci dit, j'ajoute pour ma part qu'une loi qui n'a pas de dents est une loi qui est inobservée et dont tout le monde va essayer de profiter au maximum. C'est le pourquoi des dispositions quasi pénales que nous vous suggérons.

Et enfin, troisièmement, il existe des moyens

modernes de contrôle qui ont fait leurs preuves dans des régimes analogues, que ce soit au Québec, en Ontario ou en Saskatchewan ou dans les pays étrangers, c'est le contrôle de l'activité ou plutôt des types de causes que peut prendre un avocat ou des soins que peut dispenser un médecin, contrôle par le biais des profils de pratique. Je dois dire qu'en Saskatchewan, en Ontario et au Québec, après six mois, une commission ou une régie a le profil moyen de pratique des médecins d'une province, ce sera la même chose pour les avocats. Dès que ce profil est tracé, la commission aura en main tous les instruments pour contrôler justement son coût et je m'explique.

On ne parlera pas de la commission de l'aide juridique, parce qu'elle n'est pas en fonction, mais prenons la Régie de l'assurance-maladie. L'on peut s'apercevoir à un certain moment qu'un médecin, qu'un spécialiste, opère dans telle région donnée et qu'il a un taux d'appendi-cectomie trois fois et demie plus élevé que l'ensemble de ses confrères. Il n'y a pas besoin de faire énormément d'enquête à ce moment-là. Dès que le profil de pratique est tracé, immédiatement, c'est un cas qui déborde le profil et immédiatement, soit la régie, ou, dans le cas des avocats, la commission juridique aura en main tout ce qu'il lui faut pour s'arrêter au cas de ce professionnel. Je dis que tout ceci peut se faire après six mois de fonctionnement.

Autre chose, quant au coût, en terminant, les expériences passées révèlent, dans d'autres domaines — et ça s'est avéré, ici au Québec, également fondé — que lors de l'instauration du régime d'assistance médicale en 1966 par le gouvernement Lesage et lors de l'instauration du régime d'assurance-maladie par le présent gouvernement, durant les trois ou quatre mois qui ont suivi l'instauration du régime, on a assisté à une hausse subite de demandes de soins. Cela s'est observé au Québec, en Ontario, en Saskatchewan et dans les pays étrangers. Après ces deux ou trois mois, la demande se stabilise et elle revient à ce qu'elle était auparavant. Alors tout ceci pour que l'on n'ait pas de craintes exagérées, quant aux effets qui pourraient éventuellement découler de l'instauration d'un régime tel que nous le proposons.

M. HARDY: Mais votre système de profils implique, par voie de conséquence, un droit de regard de la commission juridique sur les dossiers d'avocats. Parce que, quand on aura découvert, à moins que vous ayiez un autre moyen, par le système de profils qu'un avocat a un taux de divorces un peu exagéré... C'est bien difficile, parce que votre système de profils, dans la pratique juridique, je ne sais pas comment on pourrait l'organiser.

Chez un omnipraticien par exemple, c'est facile, par le système de profils, de l'appliquer. Chez un spécialiste dans un domaine donné qui ne fait que ...

M. ROBERT: Sur le plan juridique, c'est beaucoup plus difficile d'abuser du système parce qu'on ne peut tout de même pas prendre des procédures en divorce pour quelqu'un qui n'en veut pas. On ne peut pas divorcer quelqu'un qui ne veut pas divorcer, tandis que sur le plan médical...

M. HARDY: Justement, dans le domaine des divorces, ce serait là où il pourrait y avoir beaucoup d'abus à mon avis. Un cas me vient à l'esprit — il pourrait y en avoir d'autres — c'est le cas d'accidents d'automobile, où on pourrait abuser, où on pourrait prendre plusieurs causes qui seraient plus ou moins valables.

M. CHOQUETTE: On peut multiplier les procédures aussi.

M. HARDY: On peut multiplier les procédures également. Dans le cas de divorces...

M. ROBERT: C'est possible avec les cliniques juridiques aussi.

M. HARDY: Oui, c'est...

M. CHOQUETTE: Il n'y a pas d'intérêt à ce que ça se fasse.

M. HARDY: Il y a cet élément-là. Encore une fois, l'employé, dans une clinique juridique, est à salaire. Alors, qu'il prenne cinq actions d'accident d'automobile en une journée ou qu'il n'en prenne pas du tout ou qu'il en prenne seulement une, ça revient au même. Cela ne change rien à son...

M. ROBERT: Mais s'il décide de faire un "test case" locateur-locataire par exemple, sur la validité du bail courant qu'on trouve, qui est généralement très en faveur du locateur et très peu en faveur du locataire...

M. HARDY: Mais un "test case", ce ne serait peut-être pas un abus parce que ça pourrait faire avancer la science juridique.

M. CHAPADOS: M. le Président, puisque...

M. LE PRESIDENT: Le député de Terrebonne me permet-il de donner la parole au député de Lafontaine?

M. HARDY: Je m'incline toujours.

M. LE PRESIDENT: Vous avez continuellement tourné le dos à la présidence.

M. HARDY: Je m'excuse, M. le Président, je devrais avoir plus de respect pour la présidence.

M. LEGER: Je dois admettre que c'était très intéressant mais il y a deux questions que j'aimerais poser à Me Robert. D'abord, je vois que, dans son mémoire, il touche l'aspect individuel des bénéficiaires. Je comprends que,

dans la philosophie du projet de loi, c'est ce qu'il fallait faire, mais il y a quand même le problème de l'aspect collectif des groupes de citoyens qui auraient besoin d'assistance judiciaire.

Est-ce que, dans votre mémoire et dans votre façon de prévoir une solution à ce problème-là, vous avez envisagé les possibilités de consultation juridique pour des groupes de citoyens qui veulent se défendre devant un règlement municipal ou pour un groupe de citoyens qui voudrait peut-être établir une coopérative alimentaire, qui sont des besoins provenant de citoyens qui n'ont pas les moyens de se donner ces services-là? Est-ce que vous voyez une autre façon de répondre à ce problème de groupes de citoyens?

M. ROBERT: Dans le projet de loi, nous n'avons pas voulu inclure cet aspect-là, parce que ça nous apparaît extrêmement difficile à préciser sur le plan des faits. Est-ce que, par exemple, un groupe de citoyens qui veut faire démarrer une coopérative d'aliments, Coo-prix par exemple, l'Etat devrait leur fournir des services juridiques gratuitement? C'est une question valable qu'on peut se poser. Par contre, est-ce que c'est un groupe de citoyens qui est aux prises avec un locateur unique? On a eu les cas des immeubles d'appartements.

A ce moment-là, si ce sont des défavorisés, ils devraient recevoir l'aide juridique de l'Etat pour contester, soit un bail, soit un règlement imposé par le locateur en question. Est-ce qu'il est nécessaire de prévoir que des services seront rendus à des corporations ou à des personnes morales? Je ne le crois pas parce que, généralement, en vertu de la procédure existante dans la province, on doit prendre les procédures au nom d'individus et on pourra, avec un système individuel, accorder effectivement des services juridiques à des groupes qui ont des intérêts communs.

Aux Etats-Unis, c'est actuellement la mode on fait beaucoup de causes collectives, c'est-à-dire qu'un avocat peut représenter un groupe de personnes et s'adresser aux tribunaux.

Ici, notre procédure ne prévoit pas ça encore, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis. Il faut toujours s'adresser au nom d'individus auprès des tribunaux et je pense que le système individuel est suffisant. Mais, ça n'empêche pas, à mon point de vue, que des procédures individuelles aient, en fait, des effets collectifs, par exemple, dans le cas de résidants d'une même maison d'appartements qui se battraient contre leur propriétaire.

M. LEGER: Mais, en plus...

M. HARDY: Me Robert, vous pouvez avoir plusieurs demandeurs; vous pouvez avoir quinze demandeurs ou quinze défendeurs.

M. ROBERT: Je pense que la question du député de Lafontaine était celle-ci: Est-ce qu'on pourrait rendre des services juridiques à des personnes morales, coopératives ou comités de citoyens incorporés? Je crois que c'était votre question.

M. LEGER: Oui, mais pas uniquement versus un employeur ou un propriétaire d'édifice. Je pensais aussi aux cas...

M. ROBERT: Contester un règlement municipal.

M. LEGER: ... de citoyens — oui — de régions défavorisées qui voient tout à coup l'implantation ou la disparition du dernier espace vert dans une région. Avant de s'engager dans des procédures ou des poursuites vis-à-vis de la ville ou vis-à-vis de l'organisme avec lequel il doivent se confronter, il peut y avoir des consultations provenant, justement, de possibilités d'aller plus loin. C'est dans ce sens que je voulais présenter cela.

M. ROBERT: Je pense que, même dans ce cas-là, les procédures sont toujours prises au nom d'un ou de plusieurs individus. Et, à ce moment-là, si la commission décide que c'est justifié, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas rendre des services juridiques à ces personnes-là. Mais, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de prévoir...

M. HARDY: Même si elles sont admissibles. Si elles sont admissibles individuellement, je ne vois pas pourquoi...

M. ROBERT: Si ces personnes-là, individuellement, sont admissibles. Evidemment, s'il s'agit d'un financier très riche, je ne pense pas qu'il devrait bénéficier de l'aide juridique de l'Etat pour contester un règlement municipal.

M. HARDY: Même s'il a les mêmes droits que trois assistés sociaux. Il pourrait arriver théoriquement qu'un homme riche soit impliqué dans une même cause que quatre, cinq assistés sociaux. Je ne vois pas pourquoi on donnerait l'aide juridique parce qu'il y a trois assistés sociaux.

M. LEGER: D'accord. L'autre point est la formation de la commission d'assistance juridique. Je remarque que les personnes suggérées comme devant en faire partie, cela touche spécifiquement deux domaines, comme les représentants du monde des affaires, deux représentants du domaine du travail. A la suite de l'affirmation que vous faisiez tantôt, disant que 75 p.c. des causes sont des causes provenant de problèmes matrimoniaux des personnes du monde ordinaire, est-ce que vous ne voyez pas dans la formation de cette commission-là des représentants du monde ordinaire, comme on dirait, des gens qui ne seraient pas nécessairement...

M. CHOQUETTE: Vous employez le vocabulaire à la mode.

M. LEGER: Oui. Entre autres, je pense qu'il y a des individus qui se spécialisent dans la défense de problèmes d'assistés sociaux, etc. qui pourraient être réellement compétents pour représenter les gens de ce domaine, au sein de cette commission d'assistance juridique.

M. HARDY: Des travailleurs sociaux.

M. ROBERT: Je pense que la formule suggérée est la meilleure qu'on ait trouvée. Maintenant, je pense bien que ça demeure toujours souple. Au fond, le principe qu'on veut incorporer à l'article 6, c'est que la commission ait une certaine représentativité du milieu qui rend les services, qui sont les avocats, et du milieu qui reçoit les services. Et je pense que c'est ce qu'on a voulu incorporer au projet de loi.

Evidemment, je ne sais pas si on pourrait nommer deux divorcés, enfin! Il faut quand même qu'il y ait un organisme de base. Vous vous référez peut-être à des comités de citoyens ou...

M. LEGER: Des gens comme les ACEF qui s'occupent spécialement des problèmes d'ordre matrimonial, de budget, etc., qui sont près de ces gens-là, qui connaissent leurs préoccupations et qui pourraient réellement représenter ces milieux à l'intérieur de la commission.

M. HARDY: Comme cela, dans certains milieux, la Saint-Vincent-de-Paul est aussi représentative que les ACEF.

M. LEGER: Oui. La Saint-Vincent-de-Paul.

M. ROBERT: Il y aurait aussi peut-être les gens qui sont l'objet de poursuites criminelles qui pourraient...

M. HARDY: L'association des criminels d'habitude.

M. ROBERT: Quasiment la moitié des clients sont des gens qui ont l'habitude d'aller devant les tribunaux criminels. Alors, peut-être qu'eux aussi devraient être représentés, mais il est extrêmement difficile de trouver une formule pour les représenter.

M. LEGER: Ces criminels-là sont souvent issus d'une même classe de la société...

M. ROBERT: C'est exact.

M. LEGER: ... qui a des problèmes précis. Non pas des représentants des criminels, des représentants des classes dans lesquelles on voit souvent surgir des criminels qui proviennent justement des problèmes dans lesquels ils vivent quotidiennement.

M. CHOQUETTE: Il n'y a pas beaucoup de criminels dans votre comté, je pense.

M. LEGER: Presque pas.

M. LE PRESIDENT: Au nom des membres de la commission, je remercie beaucoup Me Chapados et Me Robert de leur précieuse collaboration.

M. CHAPADOS: M. le Président, au nom de la Fédération des avocats, je vous remercie de votre gentillesse, de votre patience. Ces remarques s'adressent également à tous les membres de la commission parlementaire et au ministre. En plus de sa gentillesse, de sa patience, je le remercie à l'avance de sa comppréhension des remarques et des suggestions que nous avons faites devant la commission.

M. CHOQUETTE: De la compréhension, vous pouvez être assurés.

M. PAUL: Soyez assurés. Il ne faudrait pas que vous soyez présomptueux.

M. HARDY: Vous pouvez être assurés que vos propos constitueront un aliment à notre méditation.

M. CHAPADOS: Nous espérons que cela sera un aliment substantiel.

M. LE PRESIDENT: J'inviterais maintenant l'Association des cliniques légales du Québec et sa représentante. Vous pouvez vous asseoir, nous allons baisser le micro.

Association des cliniques légales du Québec

MLLE DULUDE: Nous sommes trois représentants et c'est M. Réal Langlois qui commencera.

M. LANGLOIS: Nous représentons ici aujourd'hui l'Association des cliniques légales du Québec, un organisme provisoire qui est né du regroupement des cliniques légales existantes ou en voie de s'établir au Québec.

M. PAUL: Ce n'est pas ce que je vous ai demandé. Je vous ai demandé votre nom.

M. LANGLOIS: Je suis M. Réal Langlois. M. PAUL: Très bien.

M. LANGLOIS: Me Louise Dulude, de la clinique centre-sud, et M. Robert Guimond, de la clinique de Hull. Je demanderais au président de la commission si je peux avoir la permission de m'asseoir parce que je suis accidenté.

M. LE PRESIDENT: Certainement.

M. LANGLOIS: Nous commencerons par vous donner les positions officielles de l'association suite à une étude assez approfondie. L'Association des cliniques légales du Québec se dit en faveur de l'idée générale véhiculée par le bill 10, soit l'établissement de services juridiques par le moyen d'un réseau provincial de cliniques juridiques communautaires ayant à leur emploi un ou des avocats salariés permanents.

Nous appuyons le bill 10 parce qu'il représente un pas vers l'accessibilité pour tous à la justice, en respectant les principes suivants: la participation des citoyens concernés à l'administration du système, l'accessibilité physique et psychologique aux services juridiques, la formation d'avocats spécialisés dans les lois qui concernent plus particulièrement les défavorisés, la possibilité de mettre sur pied des programmes communautaires d'éducation juridique populaire, de diffusion et de prévention.

Cependant, l'Association des cliniques légales du Québec pose de sérieuses réserves quant aux modalités d'application du bill 10 parce qu'elles ne respectent pas les trois principes fondamentaux de la formule dite "clinique juridique communautaire", soit: a) la participation majoritaire des citoyens éligibles à tous les niveaux décisionnels de la structure; b) la décentralisation des pouvoirs vers les corporations locales, soit les cliniques communautaires; c) le fait que les services juridiques ne se limitent pas seulement aux droits des individus mais doivent inclure les droits collectifs.

De plus, l'Association des cliniques légales du Québec affirme solennellement le droit de chaque individu au libre choix de son avocat. Par ailleurs, il est statistiquement prouvé que l'exercice de ce droit est irréalisable en pratique, d'abord parce qu'en fait très peu de défavorisés connaissent un avocat, et ensuite à cause du droit indéniable des avocats au libre choix de leurs clients. C'est pourquoi l'Association des cliniques légales rejette catégoriquement toute formule de sécurité judiciaire par système Judicare parce qu'elle estime qu'un tel système, en plus d'être très onéreux et de ne répondre aucunement aux besoins de la population, dérogerait de la volonté exprimée de milliers de citoyens qui ont déjà opté pour les cliniques juridiques en milieu défavorisé.

Nous avons soumis à la commission un mémoire et un projet de loi, projet de loi qui avait été ébauché vers le mois de septembre 1971 et qui ne doit pas nécessairement être considéré comme un contreprojet de loi, vu l'époque où il a été ébauché par les membres de l'Association des cliniques légales. Le mémoire, en tant que tel, se divise en quatre parties principales comprenant un court exposé sur l'égalité devant la loi qui est considérée comme un droit, l'inégalité devant la loi qui est un fait, la sécurité judiciaire proprement dite — parce qu'on appelle ça sécurité judiciaire et non aide juridique — comprenant les objectifs à court et à long terme et les moyens pour atteindre ces mêmes objectifs, et une autre partie du mémoire se rapporte au libre choix de l'avocat avec les explications appropriées. Le projet de loi lui-même se divise en cinq parties, soit la partie des structures, l'association pour la sécurité judiciaire et la participation des intéressés, mise sur pied initiale, l'accréditation et l'affirmation des droits.

Si nous prenons la première partie qu'on a intitulée "L'égalité devant la loi doit être un droit", nous pensons que l'égalité devant la loi est un droit et non seulement une théorie parce que tout citoyen d'un milieu défavorisé, qu'il retire des revenus seulement de l'assistance sociale ou un travailleur à salaire moyen, doit avoir les mêmes priorités devant la loi que ceux qui ont des revenus un peu plus élevés que les simples citoyens. C'est pour cela qu'on a défini l'égalité devant la loi, c'est un droit et non seulement une théorie bien simple.

L'inégalité devant la loi est un fait. C'est un fait parce que, dans les milieux défavorisés, les gens qui ont un faible salaire ou qui retirent de l'assistance sous forme d'aide gouvernementale n'ont pas la possibilité de se référer à des avocats ou ont les relations nécessaires pour se choisir un avocat spécialisé ou qui, selon son idée de simple citoyen, serait le meilleur ou un des avocats compétents dans la cause donnée. C'est pour ça qu'on a appelé cela l'inégalité devant la loi. Un pauvre, en pratique, n'est presque pas égal devant la loi à un homme le moindrement fortuné. Le pauvre n'a pas les moyens pécuniaires de mettre en branle l'appareil judiciaire, soit contacter un avocat, se renseigner. Plus souvent qu'autrement, c'est un manque d'information juridique. Les gens ne connaissent pas leur droit et les lois, c'est pour ça qu'on a intitulé cela l'inégalité devant la loi, parce que c'est un fait réel et précis.

Si nous parlons des objectifs à court terme, nous considérons que le premier objectif au point de vue d'une clinique légale — ou clinique juridique — d'un quartier défavorisé doit être de donner un bon service, c'est-à-dire que l'avocat qui est au sein de la clinique juridique, en étant l'avocat permanent, peut approfondir le dossier ou le cas en cherchant les causes réelles du problème donné. Les services doivent être donnés aux particuliers et aux groupes ou associations à but non lucratif, parce que nous pensons qu'un groupe de citoyens qui se sont réunis, soit en groupe ou en comité ou en association, ont ressenti un besoin spécifique, précis. Si ce citoyen a ressenti ce besoin, c'est parce qu'il a ressenti un manque d'information. En ayant un manque d'information, il cherche à compenser ce même manque. Il s'adressera alors à une clinique juridique de quartier. Nous y donnons autant d'information et d'aide juridique aux groupes qu'aux citoyens individuellement. Ceci pour faire référence à l'article la) du bill 10 intitulé Loi de l'aide juridique, qui spécifie que l'aide juridique doit être apportée à toute personne défavorisée.

Nous soumettons un amendement qui de-

vrait inclure tout groupe de personnes ou associations à but non lucratif.

M. HARDY: Est-ce que vous vous rendez compte qu 'en incluant ce que vous mettez dans votre loi, l'amendement que vous suggérez impliquerait par exemple une corporation sans but lucratif? Une corporation qui est formée pour détenir un bail de club privé de chasse et de pêche, c'est une corporation sans but lucratif. Avec votre amendement, ces gens pourraient s'adresser à une clinique. Je vous donne un exemple peut-être un peu caricaturisé, vous avez une foule de corporations sans but lucratif, toutes sortes de clubs privés, de corporations, tous ces gens-là, avec votre amendement, seraient tous admissibles à l'aide juridique. Vous pourriez avoir un groupe de gens très fortunés qui se groupent dans une corporation qui a un bail de club de chasse et de pêche. S'ils peuvent poursuivre des pauvres ouvriers qui sont allés envahir leur club, ils pourraient s'adresser à l'aide juridique pour ostraciser les pauvres.

MME DULUDE: Si vous permettez, je vais répondre à cette question. Il s'agit seulement d'une définition de personnes qui pourraient être admissibles. A ce moment-là, les groupes pourraient être admissibles. Naturellement, il y aurait aussi un test pour voir s'il s'agit de groupes qui n'ont pas d'argent et qui ne peuvent pas se payer un avocat autrement. Est-ce que cela répond à votre question?

M. HARDY: Il faudrait modifier l'amendement que vous suggérez parce que ce que vous suggérez est beaucoup plus large que cela. Je l'ai bien saisi. Vous parlez de toute partie.

MME. DULUDE : Est-ce que vous pouvez me lire l'article 1 a) du bill 10? C'est plutôt l'article 2 auquel nous voulions nous référer. Il dit qu'une personne économiquement défavorisée peut aussi inclure des groupes économiquement défavorisés et ne pouvait pas se payer les services d'un avocat.

M. PAUL: Est-ce que vous avez pris connaissance de la proposition d'amendement soumise par le Barreau concernant la définition de l'article la)?

MME. DULUDE: Je ne me rappelle pas...

M. PAUL: Est-ce que cet amendement proposé pourrait vous convenir?

MME. DULUDE: Je ne l'ai pas devant moi en ce moment, j'aimerais...

M. PAUL: L'amendement se lirait comme ceci: Toute personne physique ou tout groupe de personnes résidant au Québec, toute personne morale à but non lucratif ayant son siège au Québec, toute personne résidant hors du

Québec si les mêmes privilèges sont accordés dans le lieu de résidence de cette personne ou de ce résidant du Québec.

MME. DULUDE: Est-ce que vous aviez la même objection que monsieur avait soulevée à cet amendement?

M. PAUL: Je ne dis pas que nous avons fait objection. Je veux tout simplement me référer à un mémoire qui nous a déjà été présenté. Je me demande si la définition que l'on retrouve dans le mémoire du Barreau pourrait vous convenir, c'est tout ce que je demande.

MME. DULUDE: La définition pourrait nous convenir, oui.

M. PAUL: Je comprends que le député de Terrebonne a soulevé un autre problème; à ce moment-là, je ne prends pas fait et cause...

MME. DULUDE: Cela devient un problème technique.

M. PAUL: ... sur le bien-fondé des remarques de mon collègue, du moins à ce stade-ci de l'étude du projet de loi et de ses implications.

M. HARDY: Il faudrait quand même examiner en profondeur pour voir s'il n'y a pas...

MME. DULUDE : Je pense que le principe que nous voulions faire valoir a été bien compris.

M. HARDY: Oui, le principe, je l'ai bien saisi.

M. PAUL: Est-ce que vous avez par exemple en vue de protéger les ACEF?

M. LANGLOIS: Pouur répondre à la question plus précisément, nous suggérons ceci. Avant d'accorder l'aide juridique au sein d'une clinique juridique de quartier, il y a des critères d'admissibilité d'établis par les conseils d'administration qui sont formés de la majorité des citoyens d'un quartier. Ces mêmes conseils d'administration, après étude et recherche, ont ressenti les besoins spécifiques d'un quartier donné et ont établi le critère d'admissibilité. C'est-à-dire qu'un groupe qui va se présenter, soit pour une incorporation ou une aide technique ou juridique est référé à l'avocat, qui doit juger si cela marche selon les critères d'admissibilité la clinique donnée et spécifiée.

M. PAUL: Pouvez-vous nous dire, M. Langlois, si les critères restent les mêmes d'une clinique à l'autre?

M. LANGLOIS: Les critères ne sont pas les mêmes d'une clinique à l'autre. Chaque clinique travaille au sein de sa propre communauté avec

différents groupes qui ont mis sur pied les besoins ressentis par les citoyens d'un quartier.

M. PAUL: Merci.

M. LEGER: Pour compléter ce que Me Dulude dit, à l'article 53, on dit bien qu'une demande d'aide juridique doit exposer l'état financier du requérant et le fondement de son droit. Je pense que cela complète.

M. LANGLOIS: Un autre objectif que nous considérons à court terme, c'est la démystification de la justice. Le mot semble peut-être de type assez universitaire, venant d'un simple citoyen. Je l'emploie pour dire qu'au point de vue d'un simple citoyen n'ayant pas tellement de renseignements et de formation et n'ayant pas tellement de contact avec l'appareil judiciaire ou gouvernemental, la justice est considérée comme un palier inaccessible à ces mêmes gens. C'est-à-dire que pour donner un exemple précis, à la clinique de Pointe-Saint-Charles, il a été établi que 90 p.c. des citoyens questionnés disaient n'avoir jamais rencontré d'avocats ou ne pas connaître d'avocats.

D'après un rapport de la commission Prévost, environ 80 p.c. des gens questionnés ou interviewés considéraient les avocats et voire même les juges comme des voleurs. C'est bien spécifié dans le rapport de la commission Prévost.

M. PAUL: C'est le rapport Szabo. Vous référez à cette partie du rapport de la commission Prévost, au rapport Szabo, un criminologue de l'université McGill.

M. CHOQUETTE: Non, mais est-ce qu'ils ont vraiment dit que 80 p.c. des gens considéraient les juges et les avocats comme des voleurs?

M. PAUL: Il n'est pas allé jusque là, le pourcentage était moins élevé.

M. CHOQUETTE: Il me semble que 80 p.c, c'est pas mal fort.

M. PAUL: Il y a eu de la surenchère.

M. HARDY: Est-ce qu'il y aurait infiltration même dans les statistiques des commissions d'enquête?

M. LANGLOIS: Je ne peux pas répondre parce que je ne suis pas concerné dans les commissions d'enquête.

Ceci pour dire que pour démystifier la justice on entend la décentraliser...

M. CHOQUETTE: Si on me permet une parenthèse, excusez-moi, M. Langlois, mais c'est parce que le député de Maskinongé va apprécier ça. Je pense que les gens considéraient que les politiciens étaient moins voleurs que les avocats.

M. PAUL: Non, ce n'est pas cela, c'est parce qu'il y a d'autres professions qui nous ont volé notre réputation.

M. CHOQUETTE: Excusez, M. Langlois, vous pouvez continuer.

M. LANGLOIS: Quand on parle de démystifier la justice, ce n'est pas la justice en tant que telle, c'est plutôt l'appareil global du système judiciaire, soit décentraliser des bureaux d'avocats qui sont enfermés dans des quartiers plutôt d'affaires ou les centres populeux, les décentraliser en partant des besoins spécifiques des régions visées. On entend la décentralisation, non seulement de l'avocat lui-même, c'est-à-dire prendre un bureau d'avocats et le transplanter en milieu défavorisé, cela doit venir de la nécessité du milieu, compte tenu que chaque région ou chaque partie de localité ou comté ou quartier, ne ressentent jamais ou presque les mêmes besoins. Dans un quartier, ce sera plutôt pour le logement, dans un autre ce sera plutôt pour l'aspect familial ou matrimonial, dans un autre ce peut être plutôt au point de vue de l'immigration ou du travail. Par la décentralisation, les études pourraient être poussées plus à fond et nous la voyons équilibrer les barrières physiques et psychologiques du monde. J'entends par barrières physiques et psychologiques, par exemple, une personne qui retire le strict minimum vital pour vivre et qui a une famille. Elle ne peut pas, la plupart du temps, se permettre de se déplacer d'un coin de Montréal, de Pointe-aux-Trembles pour aller voir un avocat, rue Saint-Jacques. Elle n'a pas les moyens d'y aller, c'est là une barrière physique, le déplacement des gens.

Par barrières psychologiques on entend par exemple un homme qui a toujours vécu, soit dans des taudis, soit dans des régions moins bien nanties que d'autres.

Lorsqu'il pénètre dans un bureau ou une grosse étude juridique — si même il ose y pénétrer — il se sent abasourdi par le luxe.

J'entends par là que le défavorisé va voir un avocat avec l'idée bien précise qu'il va traiter d'égal à égal, c'est-à-dire qu'il va voir un de ses concitoyens, un de ses semblables, pour parler d'un problème spécifique. En entrant dans ces grosses études juridiques ou cabinets d'avocats, la même personne se sent complètement dépaysée au point de vue psychologique, parce qu'elle part d'une région avec des modes de vie différents de ceux de la région où les bureaux d'avocats sont situés.

C'est-à-dire qu'un gars qui va entrer dans une étude juridique pour aller voir un avocat, il faudra premièrement qu'il passe dans une antichambre ou une salle d'attente, en attendant que l'avocat veuille bien le recevoir. Tout le temps que le bonhomme est là, il va regarder les

murs et le plancher, les tapis luxueux, les toiles de luxe; cela le désoriente complètement.

Plus souvent qu'autrement, il retourne dans sa localité ou, s'il ose rester pour parler de son cas, il n'y aura pas la communication nécessaire avec l'avocat. Il va se sentir dans une classe complètement à part de celle de la personne à laquelle il s'adresse.

Par barrières psychologiques, on veut dire grosso modo qu'une personne démunie au point de vue financier s'attend de parler avec un avocat ou une personne de la justice d'égal à égal. C'est-à-dire qu'une personne défavorisée, si elle se force, ni plus ni moins, à aller voir un avocat n'importe où, dans une grosse étude ou un bureau d'avocats moyen, elle n'aura pas le contact nécessaire pour faire ressortir son point de vue du côté du droit et du côté de la communication, avec le même avocat.

M. PAUL: Me Langlois, si vous permettez, je vais vous poser une question. Est-ce que la même réaction psychologique se produit lorsque le défavorisé se présente devant le tribunal?

M. LANGLOIS: Lorsque le défavorisé se présente devant le tribunal, s'il s'est forcé d'aller voir un avocat, soit par référé ou soit un avocat qu'il aurait trouvé par toutes sortes de moyens, il s'en va au tribunal en considérant la justice non pas comme une place pour s'expliquer ou essayer de régler un problème, mais comme une salle où il va entrer et où il se sent perdu. Là, il ne peut plus faire entendre ses droits.

M. LEGER: M. le Président, Me Langlois parlait tantôt du cas d'une personne qui demeure à l'extrémité de la ville, Pointe-aux-Trembles. C'est le cas de mon comté et je pourrais justement dire qu'on a vérifié cela. Parce que chez nous, dans mon comté, on a ouvert une clinique juridique gratuite pour recevoir les gens qui ne peuvent pas aller dans le centre-ville et on reçoit une dizaine de personnes par semaine qui viennent justement expliquer les problèmes qu'ils ont, ne se sentant pas capables d'aller dans le centre-ville.

M. Langlois disait tantôt que justement le handicap psychologique qui se crée, on le voit dans l'inverse aussi quand on voit parfois des politiciens aller dans des comités de citoyens et eux-mêmes ne se sentent pas chez eux, ils sont loin des gens qui leur expriment des problèmes.

M. CHOQUETTE: Comment s'appelle la clinique juridique chez vous?

M. LEGER: Ce sont trois avocats de mon comté qui donnent bénévolement une consultation gratuite dans mon bureau et les gens...

M. PAUL: Dans votre bureau personnel?

M. LEGER: Dans la même bâtisse, dans une autre salle et les gens viennent demander des conseils juridiques, après ça on les dirige aux endroits où ils peuvent aller.

M. CHOQUETTE: Est-ce que vous donnez des conseils juridiques?

M. LEGER: Je n'oserais jamais.

M. HARDY: Même dans les questions de souscriptions?

M. LEGER: Cela, on peut les aider de ce côté-là.

M. LANGLOIS: Tout ceci pour clore le domaine des barrières psychologiques...

M. HARDY: Me permettez-vous une question? Ce que vous décrivez comme le sentiment psychologique du défavorisé face aux bureaux luxueux et autres choses du genre, est-ce que votre investigation s'est limitée au domaine où vous travaillez présentement ou si ça couvre l'ensemble de la province? Est-ce que c'est le résultat d'une investigation faite à l'échelle de la province ou dans des milieux bien précis à Montréal?

M. LANGLOIS: C'est le résultat d'une étude faite par les cliniques membres de l'association dans leur région soit Montréal, soit Québec, soit Hull, soit Sherbrooke, soit rive sud.

M. HARDY: Je vous avoue que mon expérience personnel m'a démontré que, contrairement à ce que vous dites — évidemment, il s'agirait de vérifier dans quelle mesure c'est vous ou moi qui avons davantage raison et je parle évidemment pour les milieux ruraux ou semi-ruraux, comme le mien, Montréal, je ne connais pas ça — il est arrivé souvent exactement le contraire de ce que vous prétendez. Des gens même à revenus très modestes ont l'impression que, s'ils entrent dans un bureau minable ou du moins... ils se disent: Ce n'est pas un bien bon avocat, si c'était un bon avocat, il serait mieux installé. Par le fait même, ils ne sont pas portés à aller chez le gars. Evidemment, vous allez me dire que c'est bien triste que l'on évalue la valeur de l'avocat aux meubles qu'il possède ou à l'endroit même où il est situé, mais j'ai vérifié. Des avocats ont vérifié que le fait de partir de tel coin — je parle de villes de province, comme Saint-Jérôme, Sainte-Thérèse — le fait de partir d'un petit bureau plus ou moins bien installé et de s'installer dans un grand édifice avait fait dans les mois qui ont suivi leur déménagement augmenter leur clientèle et surtout la clientèle de gens dont vous parlez, des ouvriers, des gens ordinaires. Parce que les hommes d'affaires, eux, n'ont pas besoin de ça pour vérifier la

valeur d'un avocat, ils ont d'autres moyens de la vérifier. Mais le gars ordinaire, le simple citoyen, lui, le seul moyen de vérifier la valeur d'un avocat c'est un peu son train de vie ou ce qu'il a. Il se dit, encore une fois, c'est peut-être un raisonnement superficiel, mais c'est le raisonnement que les gens ont: S'il a les moyens de se payer ce bureau-là, c'est parce qu'il doit avoir une bonne clientèle, c'est parce qu'il doit être bon.

Je pense que ce que je vous dis pourra être confirmé par plusieurs praticiens, en tout cas dans les milieux ruraux et semi-ruraux.

Dans un milieu donné, comme Pointe-Saint-Charles ou un autre que je ne connais pas — je ne veux pas m'aventurer à donner des opinions sur ces milieux — il est possible que ce que vous décrivez soit le fait de ces milieux. Mais je serais très prudent et ne voudrais pas généraliser cela à l'échelle de la province.

M. LANGLOIS: Avant de donner la parole à M. Guimond qui vient d'un comté rural, soit la région de Hull, je voudrais dire que le même dépaysement psychologique se produit pour la simple raison qu'une personne réellement pauvre n'ira presque jamais vois un avocat d'une étude juridique ou d'un bureau d'avocats, malgré que la personne reconnaisse qu'il peut être un avocat assez compétent. Le même paysement psychologique se produit lorsque la même personne économiquement défavorisée ou pauvre s'adresse à une clinique juridique. En mettant les pieds pour la première fois dans une clinique juridique du genre de celles de l'association, le dépaysement psychologique est aussi complet pour la simple raison que le citoyen s'attend, en entrant là, à voir des bureaux garnis, des antichambres, des salles d'attente; le dépaysement se fait en entrant dans les cliniques parce que la personne avait une idée de cette clinique et que ce n'est pas du tout cela.

Lorque cette personne se sentira vraiment chez elle, peut-être après une heure ou une journée, elle sera portée à communiquer, à parler de ses problèmes de personne à personne comme elle le ferait avec quelqu'un de sa parenté.

M. LEGER: N'est-ce pas l'image de l'avocat qu'il faut changer vis-à-vis de ces gens? Entre autres, si la compétence d'un avocat correspond à son degré de richesse, est-ce que le pauvre qui le rencontre ne ne sent pas incapable de dialoguer en disant: Cela me coûtera certainement cher parce que je serai obligé de payer cette façade que l'avocat présente? Est-ce qu'il ne se diminue pas en disant: Il ne faut pas que je parle trop, cela me coûtera assez cher. C'est cette barrière que vous voulez soulever.

M. LANGLOIS: C'est un des points de vue de la mentalité du pauvre quand il va voir un avocat. Pour répondre à M. Hardy, je céderai la parole à M. Guimond.

M. GUIMOND: Seulement un commentaire. Il s'agirait de vérifier dans quelle proportion — nous sommes dans le vague — ceci est vrai et ceci ne l'est pas. Je pense qu'il faut faire une différence à l'intérieur de la province entre les villes très urbanisées et aussi de petites villes comme Sherbrooke, Hull ou Trois-Rivières et aussi des milieux vraiment ruraux comme tels. Je pense qu'il faut nuancer.

D'après mon expérience, dans les petites villes, cette barrière psychologique chez les gens défavorisés se retrouve aussi. Je pense bien que, dans le milieu rural, ce doit être assez différent parce qu'à ce moment-là s'il y a un avocat au village, il a bien des chances d'être connu. Les barrières psychologiques sont tout autres parce que le contexte rural, comme tel, est très différent du contexte urbain.

M. PAUL: Voulez-vous insinuer par là que la population de Hull ne connaîtrait pas ses avocats?

M. GUIMOND: Je ne peux pas répondre par un oui ou un non à votre question. Ce que je peux dire, c'est que les gens défavorisés comme tels connaissent très peu d'avocats. Est-ce que ça répond à votre question?

M. HARDY: Je me pose des questions, monsieur, parce que, encore une fois, je m'excuse de me citer en exemple, si vous étiez dans mon bureau, une journée, pour voir le nombre d'appels que je reçois de milieux défavorisés, pour avoir un conseil juridique, le nombre de personnes que je peux recevoir, et cela même avant d'être député, je vous avoue que mon expérience personnelle infirme dans une large mesure — je ne dis pas que c'est faux pour certains milieux — les affirmations que vous formulez.

MME. DULUDE: Pourrais-je ajouter quelque chose? Je pense que ce qui serait significatif, ce n'est pas tellement le nombre d'appels que vous recevez ou le nombre de personnes que vous voyez mais plutôt le nombre d'appels que vous ne recevez pas et le nombre de personnes que vous ne voyez pas.

M. HARDY: Il faut quand même que j'en laisse un peu à mes confrères !

M. PAUL: M. Hardy, ce qui est admirable chez vous, quand vous répondez comme ça à tous les appels et quand vous recevez vos clients, c'est que vous le faites toujours sans intérêt politique, vous le faites dans le but de rendre service efficacement à la population.

M. HARDY: Exactement comme le député de Lafontaine, c'est ça !

M. PAUL: Je n'ai pas voulu faire de comparaison.

M. LANGLOIS: Pour d'autres domaines dans la démystification de l'avocat et pour donner suite aux paroles de M. Guimond, je pourrais dire d'une autre région le moindrement urbanisée, soit celle de Sherrbooke, que 72 p.c. des gens interviewés ne connaissaient pas d'avocat ou n'avaient jamais été voir un avocat.

M. HARDY: Il y a une question à se poser à ce moment-là. Combien de personnes ont vraiment besoin d'avocats? Pendant les auditions, nous avons eu des comparaisons entre le domaine de la santé et le domaine du droit. Ce sont des comparaisons qui sont assez délicates à faire.

Il y a une foule de citoyens — et là encore il faut faire une distinction entre les notaires et les avocats — qui jamais, au cours de leur vie, n'ont eu le grand bonheur d'avoir recours à un avocat. Au fond, on a besoin d'un avocat quand on est mal pris avec quelque chose. Heureusement qu'il y a un très grand nombre de personnes qui n'ont jamais ce malheur, si je peux dire, c'est un malheur, d'être obligé d'avoir recours à un avocat. Pour les notaires, encore une fois, c'est différent parce que les transactions...

M. CHOQUETTE: Est-ce que je peux ajouter quelque chose à ce que dit le député de Terrebonne et pour faire suite à nos propos sur le rapport Szabo? Je ne sais pas si c'est dans le rapport Szabo ou dans un rapport qui a été préparé par le Barreau sur le profil de l'avocat ou la sociologie de l'avocat, mais on avait noté ceci et ça m'avait paru assez significatif. C'est que les gens qui ont une mauvaise opinion des avocats, en général, sont des gens qui n'ont pas fait affaires avec des avocats. Et plus les gens ont traité avec les avocats plus ils ont une meilleure opinion des avocats. Cela a été établi statistiquement. Ce qui prouve que dans ce domaine-là il y a une large part qu'il faut attribuer à l'ignorance.

M. LANGLOIS: Au sein d'une clinique juridique nous voulons faire percevoir aux gens que l'avocat n'est pas seulement une personne accessible lorsque le défavorisé ressent le besoin d'être défendu, nous voulons faire percevoir aux gens que l'avocat peut aider le citoyen, soit en prévenant, du côté de l'éducation, c'est ce dont j'avais parlé en parlant de démystification, pour amener l'éducation et la prévention au sein d'une clinique juridique. La plupart des gens qui vont contacter un avocat ou appeler un avocat lorsqu'ils ont un besoin, c'est-à-dire qu'ils ont problème qui demande à être réglé sur le champ, si la personne, avant d'entreprendre quoi que ce soit, s'informait, allait voir un avocat, se procurait des brochures de loi, non pas des brochures distribuées en termes universitaire ou incompréhensibles, mais par l'entremise d'un avocat permanent au sein d'une clinique qui serait mise sur pied avec des programmes d'information et d'éducation, le mythe de l'avocat qui est une personne inaccessible pourrait se briser.

Par l'éducation on pourrait prévenir des causes. Si une personne, avant de signer un bail, comme la plupart du temps cela se fait dans des régions pauvres, va aller voir un logement, si cela fait son affaire, elle signe le bail et bonjour. Si la personne allait à la clinique juridique, ou consulter un avocat avant de signer le bail, c'est ce qu'on appelle la prévention. A la longue les avocats pourraient mettre sur pied des programmes d'information.

M. CHOQUETTE: M. Langlois, à ce propos, vous, vous êtes dans quelle clinique précisément?

M. LANGLOIS: Centre-sud.

M. CHOQUETTE: Vous n'êtes pas avocat? M. LANGLOIS: Non, citoyen.

M. CHOQUETTE: Vous êtes citoyen. Dans votre clinique, quel est votre travail en général à l'heure actuelle? Est-ce que ce sont plutôt des avis juridiques qui sont donnés aux citoyens ou si vous les défendez dans des litiges? Je veux savoir un peu la nature du travail juridique que vous faites.

M. LANGLAOIS: Me Dulude répondra à cela un peu plus tard. Pour l'instant, je pourrais vous dire que mon travail au sein de la clinique Centre-sud c'est que je fais partie du conseil d'administration, je suis secrétaire du conseil, je fais partie de l'exécutif de la clinique et ma participation au conseil d'administration de l'exécutif de la clinique c'est spécifiquement d'établir des critères d'éligibilité pour les gens du quartier, rechercher quel genre d'aide peut être accordée et doit être accordée, c'est-à-dire définir le besoin prioritaire du quartier, les besoins spécifiques.

M. PAUL: C'est vous qui établissez cela?

M. LANGLOIS: C'est le conseil d'administration formé à majorité de citoyens, par des assemblées régulières, par des assemblées générales des gens du quartier qui définissent leurs propres critères d'admissibilité et les propres critères des causes admissibles à l'aide de la clinique. C'est pour cela que tout à l'heure, quant aux groupes, je n'ai pas détaillé; tout critère est défini par l'assemblée des citoyens du quartier et par l'assemblée du conseil d'administration et toute décision d'un conseil d'administration est sujette à l'assemblée générale de ses membres, c'est-à-dire l'assemblée générale des citoyens d'un quartier.

M. CHOQUETTE: A l'heure actuelle quel est le budget annuel, à peu près de la clinique?

M. LANGLOIS: Me Dulude est plus au courant.

MME. DULUDE: En ce moment nous sommes sur un projet d'initiatives locales qui se termine le 1er mai et nous avons reçu une subvention de $10,000 du ministère de la Justice provincial, ce qui va nous permettre de continuer un peu plus longtemps. Nous avons reçu cette subvention-là en janvier mais, comme nous avons eu le projet d'initiatives locales, nous avons pu mettre cet argent-là de côté et nous pourrons ainsi fonctionner encore quelques mois. Voilà notre situation budgétaire.

M. BACON: Quel était le montant de votre... MME. DULUDE: $16,000.

M. LANGLOIS: Là-dessus j'aimerais ajouter que tout membre du conseil d'administration n'est pas rémunéré.

Seul le personnel du bureau, c'est-à-dire l'avocat, la téléphoniste, le stagiaire et la secrétaire juridique, est rémunéré. Tous ceux qui travaillent au sein de la clinique juridique le font pour aider leurs propres concitoyens. Il n'y a aucune rémunération qui est allouée.

M. CHOQUETTE: M. Langlois, comment la clinique a-t-elle surgi, sur l'initiative de qui et dans quelles circonstances?

M. LANGLOIS: Je n'étais pas là au début, mais je crois que Me Dulude pourrait vous donner plus de détails, ou un autre membre du conseil, M. Claude Lamarche, trésorier.

M. LAMARCHE: C'est un groupe de citoyens du centre-sud qui se sont réunis en mars 1971, pour étudier les possibilités de mettre sur pied, dans le quartier, une clinique juridique. Ce sont des citoyens qui demeurent dans le quartier et qui étaient conscients qu'il n'y avait pratiquement personne dans le quartier qui était en mesure de faire valoir un droit devant les tribunaux et de se payer un avocat. Le comité de citoyens en question a fait une demande d'incorporation au ministère des Institutions financières, qui a été accordée. Il y a eu des demandes de subventions auprès de différents ministères. Me Dulude a mentionné que nous avions reçu $10,000 du ministère de la Justice. Il y a eu une assemblée générale des citoyens qui a été formée au mois de septembre et, à cette assemblée générale des citoyens, il y a eu des critères d'admissibilité qui ont été fixés, il y a eu un conseil d'administration qui a été élu. Par la suite, il y a eu une autre assemblée générale, au mois de février, qui a défini, d'une façon claire, les critères d'admissibilité!

Nous, dans le quartier centre-sud, où nous vivons, nous sommes conscients qu'il n'y a pas seulement un gars qui reçoit de l'aide du bien-être social, ou qui reçoit des prestations de l'assurance des Accidents du travail ou en chômage qui est "poigné". Dans notre quartier, la majeure partie des citoyens qui travaillent ne sont pas syndiqués; donc, ils ont un revenu fixé en vertu du salaire minimum et qui est loin du revenu minimum déclaré par M. Castonguay dans son rapport. Dans le quartier, nous avons fixé nos critères d'admissibilité à partir de nos problèmes. C'est pour cela que nous incluons à la fois les gens qui reçoivent de l'aide du bien-être social, les gens qui sont en chômage — il y en a de plus en plus — ceux qui bénéficient de certaines autres prestations du gouvernement et les travailleurs à faible revenu. Le quartier centre-sud, c'est ça. Une clinique doit correspondre...

M. LE PRESIDENT: Le député de Trois-Rivières veut vous poser une question.

M. BACON : Seulement une question; vous avez parlé de votre réunion, de votre assemblée générale; combien y a-t-il de personnes à votre assemblée générale?

M. LAMARCHE: A l'assemblée générale, il y a eu environ 50 personnes au mois de septembre. Au mois de janvier, le nombre a augmenté à environ 70.

M. PAUL: Quelle est la population que vous desservez?

M. LAMARCHE: Excusez-moi, j'ai oublié de mentionner que nous avons une pétition d'environ 600 personnes dans le quartier qui...

M. BACON: Combien?

M. LAMARCHE: Environ 600 et cette pétition-là a circulé cet été, elle approuvait l'idée ou le principe d'une clinique juridique contrôlée par des citoyens.

M. BACON: Centre-sud, quelle est environ la population que vous desservez?

M. LAMARCHE: Une population de 60,000 personnes.

M. CHOQUETTE: Et où est-ce situé précisément à Montréal pour la compréhension des membres?

M. LAMARCHE: Les limites sont Bleury à l'ouest, Frontenac à l'est, Sherbrooke au nord et le fleuve Saint-Laurent au sud. Nous sommes au 1604 rue Saint-André. Cela se trouve à une couple de rues à l'est de Saint-Hubert, tout près de chez Dupuis.

M. CHOQUETTE: Si vous permettez monsieur, vous avez entendu la Fédération des avocats tout à l'heure. Ils disent qu'il y a des

avocats dans toutes les parties de Montréal; ils ont des bureaux dans le centre-sud.

MME. DULUDE: J'ai fait les vérifications parce que j'avais entendu Me Chapados, la semaine dernière, dire qu'au Québec ce n'était pas comme aux Etats-Unis, qu'il y avait des avocats dans les quartiers pauvres. J'ai vérifié pour ce qui était du coeur du quartier pauvre et j'ai vu que, pour le quartier centre-sud, pour une population de 60,000 habitants, il y avait deux avocats et deux notaires. J'ai aussi demandé à Pointe-Saint-Charles de vérifier. Pour une population de 22,000 personnes, il y a un avocat qui est très vieux et un notaire.

M. CHOQUETTE: Et dans les autres parties de Montréal, est-ce que ç'a été...

MME. DULUDE: Je n'ai pas pu faire la vérification parce que j'avais très peu de temps.

M. LANGLOIS: Pour situer exactement le quartier, disons que c'est la zone grise no 16 du conseil de développement social. Ceux qui sont au courant de ce conseil de développement social...

M. LE PRESIDENT: Pourriez-vous parler un peu plus fort, M. Langlois?

M. LANGLOIS: Disons que pour définir plus spécifiquement le quartier de la clinique Centre-sud, c'est, au point de vue du conseil de développement social, la zone grise no 16.

C'est une des zones — sinon la pire — les plus pauvres dans environ huit domaines spécifiques dont le logement, l'éducation, l'habitation, la rénovation urbaine, le travail. C'est en somme une des plus pauvres régions du Montréal métropolitain et c'est de ça qu'est né le besoin des cliniques, que les gens se sont rendu compte que ça prenait une clinique juridique, compte tenu qu'ils n'avaient jamais les moyens nécessaires pour aller voir des avocats.

Avant de parler des objectifs à long terme par la prévention, comme je le disais tout à l'heure, on a parlé de cours d'information juridique, de brochures vulgarisées, c'est-à-dire dans les termes propres des gens d'une région donnée, en patois québécois autrement dit. On a parlé de revues et de moyens techniques, on a parlé de se servir des moyens d'information; on a parlé de discussions libres, on a parlé d'imprimer des dépliants à faire circuler dans les quartiers.

Pour atteindre les objectifs, pour faire le lien entre à court terme et à long terme, disons qu'à long terme il faut s'attaquer plus spécifiquement au problème de la pauvreté, c'est-à-dire autant que possible essayer d'éliminer la pauvreté, par l'élimination de l'insécurité chronique où se trouve le monde des défavorisés. Quand on parle d'un quartier de défavorisés, ce sont de gens à part de la classe un peu plus nantie de la société, c'est-à-dire qu'ils sont ni plus ni moins enfermés comme dans des ghettos et qu'ils ont pris conscience qu'il leur faut sortir de ces ghettos.

En prenant conscience du besoin de se sortir eux-mêmes de leur trou, il faut qu'ils essaient d'éliminer l'insécurité. Par l'insécurité, on peut toucher plusieurs domaines. La pauvreté, au point de vue de la mentalité des gens, c'est plus qu'un manque d'argent, excepté que les citoyens ne peuvent pas arriver à définir ça eux-mêmes, ils sentent que la pauvreté est plus qu'un manque d'argent.

Pour faire référence à ceci, lorsque je dis que la pauvreté est plus qu'un manque d'argent, je vais citer un passage d'une étude de Larry Taman: "Nous savons que la pauvreté, surtout la pauvreté des familles qui sont pauvres depuis des générations, est beaucoup plus qu'un simple manque d'argent.

Elle est un processus complexe qui fait disparaître l'amour-propre, surgir le défaitisme et qui, en fin de compte, détruit le désir même de contrôler sa propre destinée. L'agressivité dont fait preuve une personne de classe moyenne lorsqu'il s'agit de faire respecter ses droits est une caractéristique qu'il ne faudrait pas trop s'attendre à retrouver chez le pauvre. C'est-à-dire que le pauvre, se sentant renfermé dans un ghetto, devient tellement encavé dans le contexte de la pauvreté qu'il perd toute force physique ou mentale pour essayer de se sortir de cet état de pauvreté."

Un autre objectif à long terme est l'épanouissement des possibilités pour prendre des responsabilités. C'est-à-dire qu'une clinique juridique dans un quartier est une possibilité que les citoyens se sont donnée. Pour épanouir la possibilité, il fallait un certain contrôle des décisions à prendre pour le déroulement d'une clinique juridique. Je soulève le cas de l'épanouissement des possibilités parce que, au niveau du bill 10, cela ne doit pas être nécessairement une transplantation de bureaux d'avocats dans un quartier défavorisé. Cela doit provenir de besoins spécifiques des défavorisés qui, travaillant eux-mêmes à leur propre amélioration, trouveront des moyens et agiront en conséquence.

Un autre objectif à long terme est la réforme des lois. Par ceci, nous n'entendons pas réformer les lois complètement ou changer tout le système gouvernemental qui fait les lois. Par réforme des lois, nous entendons que les citoyens, au sein d'une clinique juridique, après des cours d'éducation, après des recherches, avec la collaboration d'étudiants en droit ou de professeurs d'université, puissent apporter au législateur, sous forme de mémoires, et sous forme de recommandations, l'amélioration nécessaire aux règlements spécifiques de ces mêmes lois qui les touchent plus particulièrement.

Pour atteindre ce même objectif, j'énumérerai assez brièvement des moyens. Pour donner de bons services, il faut des avocats compétents, c'est-à-dire spécialisés.

Des avocats spécialisés non seulement au terme général de la loi, mais dans les problèmes spécifiques d'un quartier. Si c'est un quartier dont 80 p.c. à 85 p.c. de causes proviennent du logement, du travail, il faudrait un avocat spécialisé dans ce domaine-là. C'est pour ça que l'avocat, au sein d'une clinique, est choisi par un comité de sélection formé de citoyens qui, d'après les questions qui vont lui être posées, sauront si l'avocat peut être compétent dans la région où la clinique est installée.

M. HARDY: Je m'excuse, M. le Président, parmi les questions qui sont posées, est-ce qu'il y en a qui ont trait au plan idéologique quand vous faites passer un examen aux futurs candidats?

M. LANGLOIS: Nous ne touchons pas au plan idéologique pour la simple raison qu'au sein même d'une clinique il y a plusieurs idéologies qui peuvent s'affronter entre gens du quartier, c'est-à-dire qu'il peut y avoir des libéraux, des uniquistes, des péquistes, des socialistes...

M. HARDY: Mais j'allais plus loin que ça en parlant de plan idéologique.

M. LANGLOIS: Il peut y avoir plusieurs idéologies.

M. HARDY: Quand je parlais de plan idéologique, je ne m'arrêtais pas à des distinctions aussi superficielles, je pensais à une conception globale de la société.

M. LANGLOIS: Sur le comité de sélection, le conseil d'administration nomme généralement un membre du conseil et des citoyens qui viennent à la clinique. Pour les questions qui doivent se poser, le comité essaie de définir les besoins d'un avocat. Je les ai énumérés tout à l'heure, ce sont le logement, le travail, l'aspect matrimonial. Si l'avocat est disposé à donner de son temps, et non pas à travailler seulement de neuf à cinq ou de dix à six, si l'avocat consent â travailler à des heures irrégulières, même après la fermeture de la clinique, à faire des recherches, à essayer de transcrire les lois dans les propres termes des gens pour les leur expliquer, c'est le genre de questions qui se posent au comité de sélection.

MME. DULUDE: Je pourrais peut-être compléter parce que M. Langlois n'était pas à la clinique lorsque j'ai été engagée. Le comité de sélection était formé de deux citoyens et d'un avocat qui était là en tant que conseiller des citoyens pour poser des questions d'ordre juridique, pour savoir si l'avocat connaissait les lois spécifiques des quartiers défavorisés ou bien, puisqu'on ne les apprend pas dans les écoles de droit, s'il était capable de les apprendre assez rapidement pour pouvoir aider les gens du quartier en particulier.

M. LEGER: En d'autres mots, ce n'est pas uniquement une accessibilité physique ou financière à la justice, mais une accessibilité psychologique.

Autrement dit, ramener l'image de la justice à l'image que le défavorisé peut s'en faire. Qu'il n'ait pas à monter vers la justice, mais que la justice soit accessible à lui psychologiquement, qu'il puisse se sentir à l'aise; j'entends qu'il soit capable d'être entendu et défendu selon ses préoccupations.

M. HARDY: Ce n'est pas beau, cela?

M. LANGLOIS: Pour employer un terme que M. le ministre a déjà employé dans une allocution, on se dirige de plus en plus, au Québec, vers ce qu'on appelle des avocats sociaux. C'est ce qu'on essaie de mettre sur pied dans les régions défavorisées. Des avocats sociaux, c'est-à-dire des avocats spécialisés dans divers domaines, qui ne font pas seulement du droit général. Un des moyens pour atteindre les objectifs, c'est de donner de bons services. Pour donner de bons services, il est nécessaire que les gens viennent à la clinique. Le local de la clinique étant situé soit dans le centre d'un quartier ou dans le coin du quartier le plus défavorisé, c'est-à-dire le plus "poigné" avec des problèmes, il doit être d'un accès facile. C'est-à-dire que, compte tenu du territoire visé, il faut penser que les gens du peuple doivent se déplacer assez librement sans trop de dépenses. C'est un des moyens qui ont été mis sur pied pour donner de bons services, la localisation de la clinique. Un autre de ces aspects, c'est le dépaysement; c'est-à-dire que sur le coup, c'est un dépaysement complet et total — comme je le mentionnais tantôt — mais graduellement, il se fait un autre genre de dépaysement, c'est-à-dire qu'ils se sentent chez eux. Si le gars part de son loyer ordinaire et vient à la clinique — chez nous, au centre-sud, c'est une maison du quartier qui a été aménagée autant que possible aux besoins des gens — qu'il se sente chez lui. Ils vont entrer, vont aller parler avec les gens, vont prendre du café, ils se sentent chez eux. Le deuxième moyen pour atteindre la démystification qui est un des objectifs, c'est que les services ne soient pas donnés de la même façon. Je l'ai dit tout à l'heure, un avocat en clinique va pousser plus à fond pour chercher le contexte d'où vient le problème de la personne qui vient à la clinique. Si la personne se présente avec un problème matrimonial, l'avocat ne pourra pas seulement dire : Tu as ce problème-là, tu as le droit d'aller en cour, tu as le droit de poursuivre; on va te défendre. L'avocat va le renseigner...

M. HARDY: Sur quoi vous basez-vous pour prétendre que les autres avocats ne font pas cela?

M. LANGLOIS: Je n'ai pas dit que les autres avocats ne le faisaient pas.

M. HARDY: Vous dites que vous faites cela comme si... La façon dont vous présentez cela, c'est comme si vous étiez les seuls à faire cela.

M. LANGLOIS: Je vais en venir à cela tout à l'heure, quand je dis que les services ne sont pas donnés de la même façon, l'avocat va pousser plus à fond l'étude du dossier, l'étude du cas.

M. HARDY: Cela veut dire que, quand vous dites que l'avocat de votre clinique va pousser plus à fond, j'imagine que vous comparez par rapport à d'autres.

UNE VOIX: Qui poussent moins à fond.

M. HARDY: Vous devez partir de quelque chose pour dire qu'il pousse à fond. Quand on compare, il faut comparer au moins deux choses.

M. LANGLOIS: Quand je dis que les services ne sont pas donnés de la même façon, c'est que l'avocat en poussant plus à fond le dossier, c'est-à-dire l'étude du dossier, l'étude du cas, va essayer de chercher, de faire comprendre à la personne les causes de son problème.

M. HARDY: Je comprends cela.

M. PAUL: Est-ce que ce sont des directives que vous donnez à vos avocats à ce moment-là, d'agir de la sorte?

M. LANGLOIS: Ce ne sont pas des directives qu'on donne à l'avocat. En choisissant notre avocat on se rend compte quelle sorte de personne peut se présenter comme avocat de la clinique. Comme Me Dulude a dit, je n'étais pas là au commencement de la clinique, je ne faisais pas partie du comité qui a choisi l'avocat.

M. PAUL: Mais qui posse l'avocat à aller au tréfonds du problème?

M. LANGLOIS: C'est une initiative personnelle.

M. PAUL: Et vous croyez que les autres avocats ne font pas cela dans l'exercice de leur droit.

M. LANGLOIS: Je ne dis pas que les autres avocats ne font pas cela, je dis que c'est...

M. HARDY: Ils ne poussent pas plus à fond que les autres alors.

M. LANGLOIS: ... c'est un aspect de l'avocat permanent au sein d'une clinique.

M. HARDY: Un aspect qui pourrait être semblable à l'aspect de tous les autres avocats qui exercent la profession.

MME. DULUDE: Si je pouvais me permettre encore de vous interrompre, j'ai déjà travaillé à l'assistance judiciaire et, lorsque la personne entre avec un problème, on lui dit justement ce que M. Langlois a dit: Vous avez un problème, vous avez tel droit. Lorsqu'une personne entre à la clinique et que c'est une personne défavorisée, il va y avoir quasiment automatiquement une vérification de ses finances, une vérification de ce qu'elle reçoit du bien-être social ou de l'assurance-chômage ou de la Commission des accidents du travail ou de la pension de vieillesse. On va se demander pourquoi cette personne-là veut divorcer. Dans le dialogue qui va être plus relaxé, parce que la personne est plus à l'aise dans ce milieu-là, il y a beaucoup plus de problèmes qui vont ressortir. Aussi les gens vont apprendre à appeler à la clinique, comme disait M. Langlois plus tôt, avant de poser des actes qui sont des actes juridiques, comme signer des contrats, des contrats avec des compagnies de finance, on sait que ce sont surtout les pauvres qui signent les contrats avec des compagnies de finance, signer des baux...

M. BACON: S'ils signent des contrats avec des compagnies de finance, il faut qu'ils aient des revenus, la compagnie de finance n'est pas plus bête, elle n'a pas...

MME. DULUDE: C'est justement pour cela qu'ils viennent nous voir. Les compagnies de finance comptent sur le fait que les gens sont tellement honnêtes qu'ils vont payer, même s'ils n'ont pas les moyens de payer.

M. HARDY: Si vous me permettez, j'aurais une sous-question, c'était quand même ma question. Vous, justement vous faites une comparaison.

MME. DULUDE: Oui.

M. HARDY: Vous travaillez actuellement dans une clinique, vous avez travaillé à l'assistance judiciaire et vous comparez. C'est très bien, vous êtes en mesure de faire une comparaison et vous prétendez que le genre de travail que vous faites actuellement est plus en profondeur que le travail que vous faisiez dans un autre organisme. Je prends acte de cette comparaison, mais encore une fois je reviens à ma question de base. J'admets ce que vous dites, la description que vous donnez, je l'admets comme réelle. Prenons le cas qui se prête davantage à ça. Il y en a beaucoup d'autres, mais je pense que les problèmes matrimoniaux se prêtent le plus à cela. Comment pouvez-vous prétendre que les avocats, en pratique privée, ne prennent pas le même soin, c'est-à-dire que, lorsque des personnes se présentent pour demander un divorce ou une séparation de corps, ils n'essaient pas de voir les motifs ou même à certains moments de voir s'il n'y a pas possibilité de réconciliation?

MME. DULUDE: Ce n'est pas la même chose.

M. HARDY: En vertu de la Loi du divorce, c'est une obligation et même dans le cas de séparation de corps.

MME. DULUDE: Vous parlez d'une incidence dans le même problème. Nous, nous découvrons différents problèmes de la personne qui vient nous voir pour un problème particulier.

M. HARDY: Je vous demande, si vous êtes en mesure d'affirmer, en vous basant sur des enquêtes faites, que ce genre de travail que vous faites n'est pas fait également, sinon dans tous les bureaux d'avocats privés, au moins dans un très grand nombre. Etes-vous en mesure d'affirmer ça?

MME. DULUDE: Oui, je suis en mesure de l'affirmer, sur la base de l'étude que vous a présentée Me Gisèle Harper, la semaine dernière, au sujet de l'identification des problèmes des pauvres, à laquelle je vais revenir plus tard, si vous me permettez.

M. PAUL: Permettez-moi, M. le Président, de vous signaler qu'il est midi et demi.

M. LEGER: J'aurais une dernière question. Est-ce que Me Dulude pourrait affirmer que vous pouvez aller plus en profondeur, pour deux raisons que je vois au départ?

M. HARDY: Est-ce que vous donnez la réponse?

M. LEGER: lI y a d'abord le facteur argent. Pour un avocat ordinaire, qui n'est pas dans le milieu spécialisé des pauvres, est-ce que le pauvre n'a pas l'impression que, s'il va plus loin dans son problème, ça va lui coûter plus cher? Dans votre clinique, il y a un service supplémentaire, il se sent à l'aise, ça ne lui coûtera pas plus cher. C'est un aspect financier. Le deuxième aspect c'est que ces avocats se spécialisent dans ce milieu-là, et ils peuvent trouver d'autres incidences qu'un autre avocat, dans un autre milieu, ne pourrait pas se permettre d'approfondir.

MME. DULUDE: Je pense que l'aspect financier n'est pas important dans ce domaine-là; ce n'est pas la raison principale. Les deux raisons principales sont premièrement, l'attitude même des avocats de pratique privée qui n'ont pas de connaissance au départ des problèmes que la personne peut avoir et donc, qui ne savent pas quelles questions lui poser pour faire ressortir ces problèmes-là. Deuxièmement, ce qu'on a déjà soulevé tantôt, une personne pauvre qui va voir un avocat de pratique privée n'est pas à l'aise.

Elle n'est pas à l'aise et elle ne voudrait pas et ne pourrait pas discuter de ses problèmes avec cet avocat.

M. HARDY: Pensez-vous que les gens sont plus à l'aise dans votre clinique que dans la clinique qui est en annexe du bureau du député de Lafontaine?

MME. DULUDE: Je ne connais pas sa clinique.

M. CHOQUETTE: Je pense que ce que vous cherchez à illustrer, c'est que, pour les problèmes juridiques qui surgissent d'un état de pauvreté, qui est un état complexe avec différentes facettes, vous êtes plus en mesure, en somme, d'y faire face que le citoyen qui s'en va isolément avec une cause auprès d'un avocat, même si celui-ci fait entièrement son devoir...

MME. DULUDE: Absolument.

M. CHOQUETTE: ... vis-à-vis de son client. Il ne s'intéressera pas à sa condition comme pauvre. Je pense que c'est ça que vous essayez de nous expliquer.

MME. DULUDE: C'est ça.

M. CHOQUETTE: C est-à-dire qu'il y a une part de travail social dans la fonction de l'avocat en clinique.

MME. DULUDE: Oui, mais cette part du travail social a une relation directe avec son efficacité. Parce que, pour être efficace, l'avocat des pauvres doit être capable d'identifier les problèmes des pauvres. Si les problèmes ne sont pas identifiés, c'est certain qu'il ne pourra pas faire valoir les droits, puisqu'il n'en aura même pas pris connaissance.

M. LE PRESIDENT: Me Dulude, nous devrons vous inviter à revenir la semaine prochaine. La commission va ajourner ses travaux à la semaine prochaine à 9 h 30; mercredi prochain. Compte tenu des engagements...

M. CHOQUETTE: M. le Président, pouvez-vous annoncer quels seront les organismes que nous entendrons la semaine prochaine, ainsi que la semaine qui suivra qui, je pense, devrait être la dernière réunion de cette commission?

M. LE PRESIDENT: Nous avons encore deux séances, soit le 31 mai, de 9 h 30 à midi, — nous commencerons avec Me Dulude à 9 h 30 — soit le 7 juin, dernière journée, comme on m'en a fait part, de 9 h 30 à midi. Nous terminerons les travaux de la commission le 7 juin.

Je voudrais demander au secrétaire des commissions d'informer les organismes, peut-être d'en inviter trois pour la semaine prochaine en plus de Me Dulude et terminer le 7 juin.

La commission ajourne ses travaux au 31 mai prochain, à 9 h 30.

(Fin de la séance à 12 h 30)

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