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Version finale

30e législature, 3e session
(18 mars 1975 au 19 décembre 1975)

Le mercredi 22 janvier 1975 - Vol. 16 N° 6

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude du projet de loi no 50 — Charte des droits et libertés de la personne


Journal des débats

 

Commission permanente de la justice

Etude du projet de loi no 50 —

Loi concernant les droits et les libertés de la personne

Séance du mercredi 22 janvier 1975

(Dix heures vingt-cinq minutes)

M. Pilote (président de la commission permanente de la Justice): A l'ordre, messieurs!

Les membres de la commission pour aujourd'hui seront les suivants: M. Bellemare (Johnson); M. Lapointe (Laurentides-Labelle) remplace M. Bienvenue (Crémazie); M. Burns (Maisonneuve); M. Choquette (Outremont); M. Côté (Matane) remplace M. Ciaccia (Mont-Royal); M. Desjardins (Louis-Hébert); M. Brown (Brome-Missisquoi) remplace M. Levesque (Bonaventure); M. Bédard (Chicoutimi) remplace M. Morin (Sauvé); M. Lachance (Mille-Iles) remplace M. Pagé (Portneuf); M. Samson (Rouyn-Noranda); M. Perreault (L'Assomption) remplace M. Springate (Sainte-Anne); M. Sylvain (Beauce-Nord); M. Tardif (Anjou).

Nous entendrons ce matin Me Micheline Audette-Filion, qui représente le Barreau du Québec, et je l'invite à bien vouloir présenter son mémoire et à nous présenter également ceux et celles qui l'accompagnent.

Barreau du Québec

Mme Audette-Filion (Micheline): Je vous remercie. M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission, un projet de charte des droits et des libertés de la personne depuis longtemps attendu, réclamé et discuté depuis de très longues années est enfin déposé devant l'Assemblée nationale par le ministre de la Justice.

Le Barreau considère cette pièce de législation tellement importante pour les Québécois que le bâtonnier et le vice-président du Barreau ont tenu à être eux-mêmes présents pour faire partie de ladélégation du Barreau devant lacommission parlementaire.

Il me fait plaisir de vous présenter, à ma gauche, Me Olivier Prat; à l'extrême droite, Me Henri Grondin, vice-président du Barreau du Québec; Me Michel Robert, bâtonnier du Québec, et Me Serge Ménard, qui faisait également partie du comité.

Notre intervention portera principalement sur les dispositions spéciales et interprétatives de la charte, les fonctions de la commission, les libertés et les droits fondamentaux, les infractions et les peines.

Je voudrais parler tout d'abord de la commission, pour ensuite céder la parole à mes confrères.

Nous avons lu avec beaucoup d'intérêt les représentations de la Ligue des droits de l'homme concernant la commission qui est créée par le projet de loi, en particulier sur les structures de la commission, sa composition, son budget de fonctionnement, la représentativité de ses membres, la collégialité de leurs décisions et nous sommes, en général, d'accord avec les représentations qu'elle a faite sur le sujet.

Nous souhaiterions que la Commission des droits et des libertés de la personne ait des pouvoirs d'enquête beaucoup plus étendus. Nous souhaiterions, en particulier, qu'elle puisse faire enquête, soit sur demande, soit de sa propre initiative, dans tous les cas qui sont mentionnés dans la charte où les droits sont édictés, et non seulement dans les cas de discrimination qui sont prévus aux articles 7 à 11.

Nous aimerions aussi voir la commission pouvoir faire une intervention beaucoup plus efficace et précise au niveau du législateur, dans le processus d'élaboration des lois et de la réglementation. Par exemple, nous aimerions voir la commission avoir le mandat précis et exprès de préparer un inventaire de toutes les lois existantes, de façon à signaler au législateur quels sont les cas où, justement, des lois particulières iraient à l'encontre de notre nouvelle charte, et faire des représentations au législateur sur des modifications possibles à apporter qui seraient souhaitables.

Nous aimerions aussi que la commission ait le pouvoir d'examiner tous les projets de loi et les projets de réglementation également, du moins lorsque ceux-ci ont une assez grande importance, et qu'elle ait le devoirde signaler au ministre de la Justice les incompatibilités dans les projets de loi.

Me Prat vous parlera plus tard du rôle du ministre, par la suite, à l'égard de l'Assemblée nationale. Quant aux pouvoirs et obligations de la commission de faire rapport à l'Assemblée nationale, il s'agit là certainement d'un souci du législateur de donner une importance considérable à la commission, puisqu'on la fait dépendre non pas d'un ministère en particulier, mais de l'Assemblée nationale. Ceci est une bonne chose.

Cependant, nous ne voudrions pas que cette commission se limite à faire un rapport annuel à l'Assemblée nationale et que ses recommandations, comme celles, malheureusement, du Protecteur du citoyen, restent, dans bien des cas, lettre morte.

Nous pensons que la commission devrait avoir, auprès de la population, un rôle très actif, un rôle d'information, un rôle d'animation, un rôle beaucoup plus étendu que celui qui semble — on l'entrevoit dans les fonctions de la commission — ne pas avoir l'ampleur que nous voudrions lui voir accorder.

La commission devrait avoir des pouvoirs semblables, peut-être, auprès du consommateur, à ceux de l'Office de la protection du consommateur. Elle devrait publier ses décisions, informer régulièrement la population des cas de discrimination et de tous les cas où les droits fondamentaux seraient mis en péril, et avoir une activité très près du consommateur, servir d'intermédiaire réel entre le législateur et la population.

Je laisse la parole, maintenant, à Me Prat, sur la question de la valeur réelle de la charte ou de son application. Nous croyons que c'est là le point le plus important. Nous parlerons, ensuite, brièvement, des droits qui sont énumérés dans la

charte, de même que des infractions et des pénalités.

M. Prat: Messieurs, je m'excuse. Peut-être par déformation professionnelle, je préférerais vous adresser la parole debout, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Il me semble que ce projet de loi énonce comme principe de base que la discrimination, pour quelque cause qu'elle se présente, est actuellement, et va devenir bannie, dans la province de Québec. Dans cet esprit, il faut que la loi prévoie, non pas qu'elle ne change rien, qu'elle ne modifie, ni ne restreint aucune des dispositions législatives existant actuellement au Québec, mais au contraire, il faut qu'elle prévoie qu'elle va changer quelque chose. C'est la principale remarque que le Barreau voudrait adresser à cette commission. En prétendant que cette loi ne restreindra, ne modifiera, n'abrogera quoi que ce soit dans le corps législatif de la province, on en ferait la dernière loi de la province.

Je suggère que la plupart des lois qui sont votées par l'Assemblée ont pour effet d'en modifier d'autres. Ne serait-ce qu'au titre, par exemple, du contrat de bail, il est certain que, lorsque la loi modifie le contrat de bail, elle modifie, du même coup, le droit des obligations dans la province, plusieurs articles du code de procédure, plusieurs articles du code civil qui sont elles-mêmes des lois fondamentales.

Je suggère que notre principale recommandation est de donner des dents à la loi. Nous avons pour cela formulé une remarque concernant l'article 45. A la page 3 de notre rapport, nous proposons une rédaction sensiblement différente de celle qui est dans le projet de loi. Nous proposons que l'article 45, qui doit marquer la prédominance de cette charte, se lise dorénavant, au premier paragraphe: "Nul ne peut être privé de l'un des droits proclamés dans la présente charte, si ce n'est par l'application régulière de la loi".

Nous préférons de loin cette rédaction à une affirmation qui, actuellement, existe au paragraphe 2 de la loi, suivant laquelle elle ne changerait rien aux autres lois de la province, principalement pour le motif qu'elle est dynamique, au lieu d'être statique. Non seulement elle est dynamique — je penserais au point de vue purement linguistique — mais dans l'esprit, je pense, d'un juge appelé à trancher entre deux lois qui sembleraient être en conflit, celle qui prononcera qu'on ne peut être privé d'aucun des droits proclamés par la charte, sans l'application régulière des droits, a une chance de plus de prévaloir sur une charte qui prétendrait ne rien changer au corps des lois de la province.

Même si certains pouvaient nous faire le reproche que cette phraséologie ressemble à d'autres lois du régime anglais et pourrait, à certains, sembler être une traduction, nous prétendons qu'il n'en est rien. L'application régulière de la loi est une formule tout aussi compréhensible en droit français, en droit administratif français ou en droit judiciaire français, qu'en droit administratif anglais.

Les chartes des Nations unies, la Déclaration canadienne des droits utilisent des formules au même effet, et dans le même sens, et nous ne voyons juridiquement rien à reprocher à laformule qui est ici proposée, que nous proposons. A titre d'exemple, il nous semble que l'article II du projet prévoit que la discrimination — et je pense que je dois m'en rapporter au texte — Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur... Il nous semble qu'il est difficile, pour un législateur, de prétendre donner une liste exhaustive des critères qui, dans l'esprit d'un citoyen, à un moment donné, à l'avenir, fonderont sa discrimination ou de croire justifiée une distinction qu'il fait entre deux citoyens.

Je pense, particulièrement, qu'avec l'évolution des moeurs, on a longtemps toléré deux voisins à soi qui avaient tel ou tel caractère distinctif; s'ils deviennent 300 dans la même rue, l'individu aura peut-être une réaction discriminatoire. On ne peut pas savoir d'avance quels seront les critères que choisiront les citoyens pour se "ségréguer" entre eux, pour se distinguer entre eux. Nous suggérons fortement qu'après le mot "fondée", on mette "notamment", de façon à prévoir les autres causesdediscrimination que les citoyens s'inventeraient entre eux ou que les institutions s'inventeraient entre elles et les citoyens. En mettant le mot "notamment", on constatera qu'à l'article 58, je pense, qui marque la juridiction d'enquête de la commission de surveillance de cette loi, le paragraphe a) dirait: Faire enquête dans tous les cas de discrimination qui relèvent de sa compétence. Si on avait mis "notamment", pour prévoir d'autres motifs de discrimination qui pourraient surgir dans l'avenir, on n'aurait plus à limiter la compétence de la commission. Il suffirait de dire: La commission doit faire enquête dans tous les cas de discrimination dans la province. A ce moment, elle aurait une juridiction absolue, quelque soit le motif qui aurait été inventé par un nouveau venu, pourdiscriminer ou distinguer, elle aurait juridiction pour faire enquête d'abord, et sanctionner, éventuellement, cette discrimination nouvelle.

C'est dire à quel point cette nouvelle charte amende, modifie et intervient dans la lecture du corps des autres lois dans la province et donc, c'est dire à quel point l'article 45 doit, dorénavant, se lire dans un sens positif et non pas dans un sens négatif ou restrictif.

Nous suggérons également, à ce chapitre, que, pourl'avenir, des protections soientdonnées, que la charte ne sera pas modifiée, par erreur, ou qu'elle ne sera pas modifiée par un simple vote pris à l'Assemblée, un peu rapidement et sans information. Nous avons souligné, au tout début du mémoire, que nous aurions souhaité que cette charte soit protégée par un processus où tout amendement ou abrogation requerrait un vote des deux tiers de l'Assemblée. Nous savons que ce vote des deux tiers est en général réservé aux questions de procédure et nous ne voyons pas pourquoi seule la procédure jouirait d'une pareille exigence. Je ne suis pas un spécialiste de l'As-

semblée nationale, mais je crois que, pour suspendre ou pour remettre certaines sessions à plus tard, il faut un vote des deux tiers. Pourquoi, en matière de substance, en matière de droit substantif, n'instituerait-on pas l'obligation du vote des deux tiers? Nous savons que chaque session est souveraine et que le Parlement, lorsqu'il se renouvelle, redevient souverain et pourrait effacer tout ce qui a été fait par ses prédécesseurs; cependant, puisque la procédure veut, de temps en temps, exiger un vote des deux tiers, je ne vois pas pourquoi la substance du droit ne l'exigerait pas et pourquoi on ne l'écrirait pas dans un coin de la constitution de l'Assemblée.

Si bien que, tout en souhaitant encore que cette charte ne puisse être abrogée que par un vote des deux tiers, nous disons que, si l'Assemblée ne va pas si loin, il faut absolument qu'elle intègre, à l'article 45, les deux derniers sous-paragraphes que nous avons mentionnés à la page 4 de notre mémoire, à savoir que, lorsque cette charte aura été proclamée, toute loi dont une disposition supprimerait ou restreindrait un des droits proclamés dans la charte devra mentionner que c'est délibérément qu'on a voulu cette abrogation ou cette modification et qu'elle entrera en vigueur, nonobstant les termes de la charte.

Si telle stipulation n'était pas intégrée à la loi, le tribunal serait autorisé à considérer la charte comme prévalant, dominant la nouvelle loi qui prétend la modifier sans le dire. Il n'y aurait donc plus d'abrogation implicite, il faudrait que l'abrogation ou la modification devienne explicite.

Le dernier sous-paragraphe de 45 que nous suggérons prévoit et donne une lourde charge au ministre, mais en tenant compte que la Commission des droits de l'homme serait là pour l'aider à assumer cette charge, je pense qu'elle serait quand même raisonnable. "Le ministre de la Justice doit, avant le vote d'une loi ou d'une règlementation — nous voudrions là ajouter "ou d'une réglementation" — aviser l'Assemblée nationale de toute incompatibilité entre lesdispositionsde la loi ou de l'arrêté en conseil projeté et celle de la charte".

Il est certain que la loi, la charte proposée prévoit que, par exemple, à l'article 38, les parents ont droit d'exiger que, dans les établissements d'enseignement publics, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral. Je prends cet exemple. Il est évident que ce ne sera pas par des lois que sera peu à peu modifié le programme scolaire ou le programme d'enseignement ou de la religion ou de la morale ou du civisme ou l'enseignement même de la charte des droits. Ce sera sûrement par arrêté en conseil, voire parfois par réglementation interne, dans différentes commissions scolaires.

Nous voulons, et c'est pour cela que notre première recommandation sur l'article 45 prend son effet, que la Commission des droits de l'homme puisse prendre connaissance non seulement des cas de discrimination du chapitre II, des articles 11 à 17, mais également de tous les cas où, dans une commission scolaire ou dans une autre, je prends cet exemple, l'enseignement de la morale ou de la religion aurait été ou aboli ou démesurément agrandi. Tous ces cas prévus dans la loi donneront lieu à des arrêtés en conseil, des réglementations à divers niveaux, et nous croyons que si cela passe au niveau du conseil des ministres ou de l'Assemblée, le ministre devrait attirer l'attention du législateur sur telle ou telle incompatibilité entre ce que l'on a l'intention de faire et ce qui est déjà inscrit comme droits fondamentaux dans la charte.

Pour reprendre cet exemple du droit aux parents et pour être plus clair, le droit des parents à ce que leurs enfants reçoivent un enseignement moral ou civique, il me semble que, telle que conçue, la commission n'a pas de pouvoir d'intervention, dans le cas où, encore une fois, une commission scolaire, par exemple, abolit l'enseignement, chose qui pourrait être laissée à la discrétion — je ne sais pas comment est la Loi de l'enseignement public, quelle est la latitude qu'elle laisse àchaquedirecteurd'école, à chaque commission scolaire — mais il est certain qu'il y a toute une partie de l'esprit de l'enseignement et même des heures d'enseignement qui découle de réglementations internes. Nous voudrions que la commission puisse être saisie de ces problèmes et assurer à tous les niveaux, et non seulement dans le chapitre II, mais au chapitre IV, au chapitre III, les droits de la personne, les droits économiques et sociaux. Ce sont ces pouvoirs d'enquête qui, tels que rédigés dans la loi, nous paraissent trop étroits. Ce sont ces pouvoirs d'intervention qui nous paraissent trop rares dans le temps, puisqu'à première vue, sauf les cas de discrimination, la commission n'interviendrait qu'une fois par année, en déposant un rapport à l'Assemblée nationale.

Nous suggérons que le Barreau, à ce sujet, a vu l'institution de l'Ombudsman avec énormément d'espoir et constate depuis trois ans le silence qui entoure l'exercice de sa charge et cette discrétion qui nous paraît excessive dans la façon dont il s'acquitte de son devoir. On ne met pas en doute qu'il le fasse. Ce dont on doute, c'est que le justiciable soit très au courant de ce que fait l'Ombudsman quotidiennement, les recommandations qu'il a pu faire dans la législation, et nous avons quotidiennement des appels de personnes qui se plaignent d'infractions et on dit: Ce serait dans le domaine de la Loi de l'Ombudsman et on le lui réfère.

C'est une bonne chose que le Barreau les réfère et ce serait aussi une bonne chose que l'éducation populaire, l'éducation publique, soit plus développée au niveau de cette institution. Nous souhaitons ardemment que la future commission des droits de l'homme ait un système de relations publiques beaucoup plus large, diffuse beaucoup plus fréquemment ses décisions, ses constatations, et les résultats d'enquêtes qui intéresseraient le public. Nous croyons que les remarques de Me Filion étaient fort appropriées lorsqu'elle demande une représentation plus collégiale et que le rôle pédagogique de la commission soit développé considérablement.

Dans ce même chapitre, nous avons fait cer-

taines remarques concernant l'article 46. Nous voulons en particulier que la couronne apparaisse comme étant liée par ce projet de loi. On sait qu'en vertu de la loi d'interprétation, la couronne et le gouvernement sont deux entités distinctes.

On sait également que cette loi doit toucher toutes les matières et ce sera notre proposition d'amendement à l'article 47, toutes les matières qui sont de la compétence du Québec. Je crois savoir et je crois qu'on sait également que la couronne veut dire, dans les lois provinciales, et inclut la couronne fédérale, c'est-à-dire l'organisme souverain du chef du fédéral. Nous ne voyons pas pourquoi, lorsqu'il pose des gestes économiques ou sociaux dans la province de Québec, l'organisme souverain fédéral ne serait pas tenu de respecter les droits des personnes domiciliées au Québec, de la même façon que tout autre organisme.

On sait, par la jurisprudence, que lorsque la couronne accepte d'être liée par une loi, et qu'elle est nommément désignée, la couronne fédérale peut fort bien être considérée comme liée. C'est pour cela que nous demandons que "la couronne" apparaisse à l'article 46 et c'est pour cela aussi que nous voulons que l'article 47 se lise dans le sens positif, que la présente charte vise toutes les matières de juridiction du Québec plutôt que de dire qu'elle ne touche que ces matières qui sont de la juridiction du Québec.

C'était ce chapitre sur la prépondérance de la loi, ou son statut dans le corps des lois de la province, qui nous a paru le principal chapitre sur lequel le Barreau devait insister. Nous ne savons pas quel est le sentiment de la commission sur nos propositions.

Maintenant, nous avons fait certaines remarques. Je m'excuse, je parle un peu à la place de notre bâtonnier, qui est totalement enroué et incapable de vous adresser la parole.

Le Président (M. Lapointe): Je m'excuse de vous interrompre. Normalement, vous avez le droit à une période de 20 minutes pour présenter votre mémoire. Il reste seulement quelques minutes. A moins que les membres de la commission acceptent de prolonger.

M. Burns: On est très flexibles là-dessus.

Le Président (M. Lapointe): Est-ce que cela va?

M. Burns: Oui.

Le Président (M. Lapointe): Vous pouvez continuer.

M. Prat: Je n'en ai pas pour très longtemps, je m'en excuse. Nous avons certaines remarques concernant les droits de la personne et en particulier, touchant au huis clos. Le projet prévoit que tout tribunal pourra ordonner le huis clos dans l'intérêt d'une partie ou d'un témoin. Le code de procédure civile qui est, lui aussi, un code qui domine le corps des lois de la province, code auquel on doit se référer lorsqu'une loi particulière est silencieuse sur la procédure à suivre, prévoit que le tribunal ne peut accorder le huis clos que lorsque l'ordre public ou la morale sont en jeu, ou dans l'intérêt des enfants dans certains cas.

Nous ne croyons pas qu'il serait judicieux que deux lois fondamentales, deux lois auxquelles on doit se référer en cas de de silence du reste de la législation, aient un texte différent, dans une matière aussi importante que la publicité des débats judiciaires. Nous croyons fermement que le texte du code de procédure civile, à l'article 13, a été longuement réfléchi et que le droit au huis clos doit être limité, au cas où l'ordre public et la morale sont en question, sont en danger, et dans certains cas, pour la protection des enfants.

Nous ne croyons pas que le huis clos devrait être généralement ordonné en matière de procès, en faveur d'une partie, et surtout pas, en faveur d'un témoin.

M. Choquette: M. Prat, vous avez représenté la Commission de police, dans différents litiges où sa compétence a été contestée devant les tribunaux. Qu'est-ce que vous faites de l'enquête sur le crime organisé et du huis clos qu'on ordonne à l'occasion de certaines parties de cette enquête?

M. Prat: Sauf par l'application régulière des lois.

M. Choquette: Par conséquent, vous me ramenez, n'est-ce pas, aux dispositions de l'article 45 auquel vous vous en êtes pris, parce que si...

NI. Prat: Sauf dans des termes nouveaux. D'accord! Dans un sens, oui.

M. Choquette: Oui.

M. Prat: Mais, attention. L'article du huis clos ici, l'article 20 — excusez-moi — différent du code de procédure, est, encore une fois, un article dans une loi que nous voulons fondamentale et qui doit être conforme à l'autre loi fondamentale gérant la procédure dans la province.

Donc, en matière de procès, que ce soit devant toutes les cours mentionnées dans la loi de s tribunaux judiciaires, il faut que les délibération s soient publiques. Quand il s'agit d'enquête où il n'y a pas d'accusé et où la commission ne prétend avoir aucun droit de sanctionner un acte répréhensible ou de départager entre deux justiciables le droit de l'un à avoir le bien de l'autre, s'il n'y a pas de procès, le pouvoir d'enquête peut prévoir — et le législateur ne pourra jamais perdre ce droit — d'accorder des pouvoirs d'enquête à une personne à qui il délègue ce droit d'enquête. Ces pouvoirs d'enquête pourront être plus ou moins expéditifs. Cela peut être une commission royale où tous les débats seront ouverts, le droit de contre-interroger sera ouvert àtous, comme on l'a vu dans certains cas. Cela pourra peut-être être, au contraire, une enquête rapide, menée sur une grande échelle où le droit de contre-interrogatoire ne sera pas donné ou sera limité par le législateur.

Mais en matière de droit général, nous croyons que le huis clos porte atteinte à un droit qui est tout aussi fondamental, à savoir, le droit, d'une part, de la société à l'information, d'autre part, le droit de l'accusé — et là, on parle toujours d'un cas d'accusé ou de débat entre deux parties — d'être jugé en public et non pas in camera.

M. Choquette: Je dois attirer votre attention sur le fait que toute la partie qui traite des droits judiciaires vise non seulement les tribunaux judiciaires, mais un certain nombre de tribunaux quasi judiciaires, comme un coroner, un commissaire enquêteur sur les incendies, une commission d'enquête, une personne ou un organisme créé par une loi publique et exerçant des fonctions quasi judiciaires.

M. Prat: C'est exact.

M. Choquette: De telle sorte que, je suis reconnaissant de signaler l'intérêt qu'il y aurait d'assurer la cohérence entre l'article pertinent du code de procédure civile sur lequel vous avez attiré notre attention et les dispositions du projet de loi 50. Je pense bien, comme vous, qu'il ne faudrait pas qu'il y ait de discordance entre les articles pertinents à ce sujet, excepté que la Loi sur les droits et libertés de la personne a une portée plus considérable que l'article du code de procédure civile, puisque nous englobons non seulement les tribunaux, c'est-à-dire le système judiciaire, mais également les organismes à caractère quasi judiciaire, à l'occasion desquels il peut être intéressant, comme vous le savez vous-même, de pouvoir ordonner le huis clos et ceci, pas seulement dans l'intérêt de l'ordre public et des bonnes moeurs, mais dans l'intérêt et pour la protection des témoins eux-mêmes qui comparaissent.

Je ne veux pas faire d'allusion à un certain nombre d'incidents qui se sont produits à Montréal depuis le début de janvier, les gens lisent suffisamment les journaux et en entendent suffisamment parler. Mais il n'y a pas de doute qu'il y a des cas où la protection des témoins doit être un facteur qui est pris en considération.

M. Prat: Justement, dorénavant — et M. Mé-nard va vouloir dire un mot, je pense — il faudra dire: Nonobstant la charte, le huis clos pourrait être ordonné. C'est comme cela que s'appliqueraient nos remarques. Est-ce que Me Ménard...

M. Ménard: D'ailleurs, je veux simplement préciser qu'un organisme comme la commission d'enquête sur le crime organisé ne semble pas lié par l'article 20 de la charte, parce qu'il n'est pas un organisme par lequel il s'agit de la détermination de droits et d'obligations ou d'une accusation. Il s'agit d'un organisme d'enquête. Je pense que c'est une différence également entre un tribunal quasi judiciaire. Même si c'est un tribunal quasi judiciaire, il s'agit quand même de la détermination du droit d'une personne ou de ses obligations. Pour une commission d'enquête, il s'agit simplement de rechercher certains faits et de faire rap- port. La commission d'enquête ne décide du droit ni des obligations de personne. Vous aviez raison, M. le ministre, de signaler qu'il est peut-être bon qu'une commission d'enquête comme celle-là puisse avoir, pour la protection de certains témoins, le pouvoir d'agir à huis clos.

Mais quand on visait le huis clos ou le caractère public d'un débat judiciaire, nous visons un débat où il s'agit de déterminer, pour une personne, en particulier, quel est son droit ou quelle est son obligation ou quelle est la pénalité qu'elle devra subir pour une infraction à une loi.

M. Choquette: Je crois que nous pourrions quand même discuter sur la portée de l'article 20, en prenant en considération l'article 35 qui dit que: "Au sens du présent chapitre, le mot "tribunal" inclut, etc.." Alors, donc, quelle que soit la langue de l'article 20, je crois que les principes du chapitre III s'appliqueraient néanmoins à un tribunal, tel que défini à l'article 35.

Je crois que cette question est assez mineure, en fait. Ce que je retiens de la position exprimée par Me Prat et au nom du Barreau, c'est que le Barreau aimerait que nous ayons des dispositions à peu près semblables à celles qui existent dans la charte fédérale des droits de l'homme. Parce qu'on se souviendra que la caractéristique de cette charte fédérale est que, d'une part, il y a l'expression du principe que les autres lois du Parlement fédéral doivent se conformer aux principes de la charte sous peine de déclaration de nullité par les tribunaux ordinaires.

Nous allons arriver dans un débat juridique des plus intéressants et je suis content que ce soit le Barreau qui soit devant nous. Les tribunaux ordinaires n'ont pas toujours appliqué cette disposition de la charte fédérale. En fait, il y a deux écoles, sur cette question, comme sur tant d'autres. Il y a une école qui a donné la préséance à la charte des droits de l'homme sur d'autres lois fédérales, tel que, cela s'est exprimé dans la cause de Drybones et deux autres arrêts que je n'ai pas en mémoire, mais probablement que les savants membres du Barreau vont pouvoir me citer cette jurisprudence de mémoire très facilement.

Ledéputéde Maisonneuve et moi, vous savez, nous sommes un peu rouillés en droit, c'est pour cela que nous n'essayons pas de rivaliser en science juridique avec le bâtonnier et les brillants représentants du Barreau, parce que nous avons d'autres préoccupations au niveau politique.

Donc il y a cette jurisprudence, devant les tribunaux, qui est assez limitée. Par contre, il y a une école qui semble bien plus prépondérante, qui dit que même si c'est écrit comme ça dans la charte fédérale des droits de l'homme, en vertu du principe de la suprématie du Parlement, un Parlement ne peut jamais être lié par un Parlement antérieur ou par une loi antérieure de telle sorte que, chaque fois que nous recommençons l'étude d'une loi, au fur et à mesure de nos travaux, c'est toujours un nouvel incident et le Parlement est toujours libre de décréter, aujourd'hui, par exemple, la communauté de biens existant entre l'homme et la femme, elle va être administrée par la femme et s'il

veut dire que demain, elle sera administrée par l'homme, il peut le faire.

La liberté d'action du Parlement doit être sans contrainte et même par rapport à des lois antérieures. Et là, je vais m'en rapporter aux autorités qui sont devant nous en matière juridique, je leur demande si, dans la majorité des cas, le sens des décisions des tribunaux canadiens a justement été que cette disposition, dans la charte fédérale, à l'effet que la charte s'impose à toute législation, les tribunaux ne s'en sont pas occupés du tout et ont dit: Même si c'est écrit comme cela dans la charte fédérale, ça ne peut pas lier les Parlements qui ont passé des lois a la suite de l'adoption de la charte, c'est-à-dire, je pense, vers le 10 août 1960.

Ce qui devrait démontrer au Barreau que, même dans le domaine législatif, il n'est peut-être pas possible de lier des Parlements subséquents par une disposition contraignante. C'est la question que je pose à Me Prat et au bâtonnier.

M. Prat: M. Ménard brûle de répondre, je veux dire juste un mot avant qu'il ne parle là-dessus. Le problème vient de la constitution soit au Québec, soit au fédéral. Y a-t-il possibilité, actuellement, au niveau fédéral, de se donner une constitution qui tienne? Face à la prochaine session de l'Assemblée, y a-t-il possibilité, au Québec, de se donner une constitution qui résiste aux voeux de l'Assemblée suivante?

En ce sens que, si l'autorité constitutionnelle était rapatriée d'Angleterre, certainement une assemblée constituante, conforme au processus de rapatriement, pourrait lier les parlements subséquents.

Au même titre, j'espère qu'on réglerait le problème éternel de savoir si les provinces disposeront, à ce moment-là, elles aussi, d'un processus d'amendement de leur propre constitution dans le cadre de ce processus de rapatriement. On n'entrera pas là-dedans aujourd'hui, j'imagine, mais Me Ménard voulait répondre plus sur la ligne juris-prudentielle.

M. Ménard: Oui. M. le ministre, vous avez raison de dire qu'il y a deux écoles de jurisprudence. Que je sache, il y a l'ancienne et la nouvelle. La nouvelle existe, effectivement, depuis l'arrêt Dry-bones, mais une chose est certaine, c'est que par la rédaction du deuxième paragraphe de l'article 45, si l'Assemblée nationale approuvait cette rédaction, elle choisirait indubitablement l'ancienne, c'est-à-dire l'école qui veut que la charte, qu'elle soit fédérale ou provinciale, des droits de la personne, n'ait pas priorité sur les autres lois. Même si les tribunaux voulaient la faire primer sur les autres lois, avec le deuxième paragraphe de l'article 45, tel qu'il est rédigé, ils ne le pourraient pas. Nous avons voulu vous suggérer une formule par laquelle les tribunaux pourraient, s'ils voulaient choisir la nouvelle, la choisir et nous croyons que depuis l'arrêt Drybones, les tribun aux vont, effectivement, choisir la nouvelle tendance.

Je vous assure que dans notre comité qui a préparé le rapport, il y a des gens qui auraient voulu aller plus loin que la formule que nous vous suggérons, mais si nous n'avons pas voulu, comme organisme, aller plus loin que la formule que nous vous suggérons, c'est que nous avons essayé d'imaginer, de comprendre les problèmes que s'étaient posés les fonctionnaires de votre ministère qui ont rédigé cet article et qui ne voulaient pas, en somme, chambarder des lois sans en être conscients... c'est-à-dire par un texte de la charte des droits de la personne, chambarder complètement certaines lois, par accident et le découvrir dans cinq ou six ans, au fur et à mesure de décisions judiciaires. Alors, nous avons voulu prêter une formule qui a permis aux tribunaux d'appliquer ce que j'appellerais la nouvelle école de jurisprudence plutôt que de choisir un texte qui, indubitablement, a fait le choix de l'ancienne école de jurisprudence.

M. Choquette: C'est justement, M. Ménard, si on me permet de faire une petite réponse à votre intervention. Même en inscrivant votre formule, je voulais signaler seulement à Me Prat et à vous-même, qu'il n'est pas du tout prouvé qu'elle va trouver la faveur des tribunaux. Vous comprenez ce que je veux dire?

M. Ménard: Oui...

M. Choquette: C'est bien beau de me parler de la nouvelle et de l'ancienne école, mais je ne suis pas du tout sûr et vous ne pouvez pas affirmerque les tribunaux vont vous donner raison.

M. Ménard: Vous avez raison, M. le ministre, mais ce que nous voulions vous dire c'est que nous sommes certains qu'avec le texte que vous proposez, les tribunaux vont choisir l'ancienne. Ils n'ont pas le choix.

M. Choquette: Mais pour une très bonne raison. Parce que moi, je me dis, par souci de réalisme — je ne m'en cache pas — j'ai adopté la formule traditionnelle; mais je me suis dit: Le contrôle qui se fera sur les législations subséquentes se fera au niveau politique et ceci pour ne pas entraver le travail parlementaire subséquent. Je suis de l'avis de Me Prat que nous pourrions avoir des dispositions constitutionnelles, soit dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, on pourrait trouver la définition d'un certain nombre de droits énumérés au projet de loi 50 dans une constitution canadienne rapatriée, soit un Acte de l'Amérique du Nord comportant... Mais on connaît toutes les difficultés qu'il y a de faire cela. Je pense que pour le moment ce n'est pas autour de cette table qu'on pourra régler ces problèmes.

On pourrait imaginer la possibilité d'une constitution québécoise, en vertu de l'Acte de I Amérique du Nord britannique, ce n'est pas exclu, si on n'affecte pas la fonction du lieutenant-gouverneur en conseil. Par contre, cette loi que je présente n'a pas la prétention d'être une constitution québécoise. Vous allez facilement admettre avec moi qu'une constitution québécoise pourrait voir s'y trouver un certain nombre de dispositions qui se trouvent dans cette loi, mais elle devra avoir

d'autres dispositions, par exemple, sur l'exécutif du gouvernement, etc., enfin, une foule d'autres dispositions qui viendraient compléter l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Avant qu'on en soit arrivé là, il y a encore, je pense bien, pas mal de travail à accomplir.

Donc, cette loi n'a qu'une portée limitée, elle n'a pas la prétention de se situer au niveau constitutionnel.

Elle veut donner des garanties aux individus. Elle veut garantir, par la volonté générale, les droits particuliers des individus et c'est sa portée réelle. Je ne dis pas qu'on ne peut pas envisager une constitution, mais, pour le moment, ce n'est pas sur la table.

Je conclus simplement en disant qu'en écartant les possibilités sur le plan constitutionnel, parce qu'elles ne sont pas envisageables d'une manière immédiate, ceci nous laisse avec le débat de savoir ce que les tribunaux vont faire avec les dispositionscontraignantesque vous nous suggérez d'introduire. Je dis: Devant cette incertitude, est-ce qu'on ne doit pas adopter la solution la plus prudente, la plus réaliste? Remarquez que je conçois très bien qu'on puisse entretenir l'autre école et je ne suis pas du tout lié au point de vue que je défends, même aujourd'hui. Vous comprenez ce que je veux dire? Je laisse toutes les portes ouvertes et je ne prends aucune option définitive, de telle sorte que votre point de vue, je le dis, n'est pas écarté. Il n'est pas écarté, je préfère avoir une bonne discussion avec toutes les parties intéressées avant de prendre une option qui sera la meilleure.

Il reste aussi que vous devez considérer, dans l'analyse du problème, tel que défini sur le plan juridique, le fait que les droits qui sont énoncés dans cette charte des droits de l'homme sont nettement plus étendus que dans la charte fédérale. Vous allez admettre avec moi que les droits définis dans la charte fédérale, ce sont les libertés publiques fondamentales et les droits judiciaires, et cela se limite exclusivement à cela. Tandis que, dans notre projet de charte, pour ne citer que le cas des droits économiques et sociaux, nous allons beaucoup plus loin. Nous avons donc pris une option plus extensive sur la définition des droits, mais moins contraignante sur les législations subséquentes. Je crois que l'optique que nous avons prise est compatible, qu'il y a compatibilité entre la théorie de l'extension, de la généralité des droits qui sont définis, et l'adoption d'une théorie du contrôle politique des législations subséquentes, principalement par l'Opposition, principalement par les partis d'Opposition. Ce sont eux qui vont pouvoir dire au gouvernement: Ecoutez, vous apportez telle loi, etc.. Admettons qu'on apporterait une loi municipale qui habiliterait les villes à contrôler les manifestations ou à ne pas les contrôler. L'Opposition peut nous dire: Ecoutez, vous êtes en train de voter une loi qui est contraire à la charte ou qui modifie la portée de la charte. Le contrôle politique est là. Il y a la presse, il y a le Barreau. Il y a la Ligue des droits de l'homme. Il y a les syndicats.

M. Burns: Est-ce qu'il ne devrait pas y avoir aussi la loi? C'est cela le problème.

M. Choquette: Je sais, la loi, c'est bien beau, mais est-ce qu'on veut que les Parlements soient contrôlés par des gens qui ne siègent plus? C'est cela l'affaire aussi. C'est bien beau de voter une loi, mais est-ce que vous voulez... Admettons que le Parti québécois arriverait au pouvoir, voulez-vous être contrôlés par des législateurs antérieurs qui ont légiféré? C'est bien beau, mais je crois que le gouvernement a un devoird'agir politiquement, doit avoir la latitude d'agir politiquement. C'est pour cela qu'en Angleterre la suprématie du Parlement a toujours été une théorie politique qui a cours historiquement depuis sept ou huit siècles.

M. Prat: M. le ministre, vous avez soulevé deux choses. D'abord, vous avez dit: II y a la presse. Mais je ne la vois nulle part. On a le droit de vote, mais on n'a pas forcément le droit d'information. C'est une lacune. Nous n'avons pas soulevé les droits fondamentaux. La ligue a fait, je crois, un très bel exposé des droits fondamentaux qui ne sont pas apparents ici...

M. Choquette: M. Prat, permettez-moi de vous interrompre. La presse est très bien traitée dans ce projet de loi parce qu'il y a la liberté d'opinion et la liberté d'expression et la liberté de réunions pacifiques, et la liberté d'association. Qu'est-ce qu'on veut de plus?

M. Prat: La liberté d'information, simplement, ce serait un mot de plus. Cela ne chargerait pas beaucoup, je pense.

M. Choquette: Vous êtes juriste, vous n'êtes pas politicien.

M. Prat: C'est vous qui amenez un débat sur la place publique. Nous n'avons rien dit de cela.

M. Choquette: Vous êtes juriste et situez la discussion au plan juridique. D'après vous, est-ce que la liberté d'expression, ce n'est pas justement la liberté dont se sert la presse quotidiennement, que ce soit la presse écrite ou la presse parlée, la télévision, etc? C'est cela la liberté d'expression. C'est le droit de projeter ses idées. La liberté d'information n'ajoute rien.

M. Prat: M. le ministre, vous aviez d'ailleurs souligné, ailleurs, dans le projet, que toute publicité ou littérature à caractère discriminatoire est interdite. Vous avez donc amené une juste limite au droit d'expression. Ayant amené cette limite au droit d'expression, je pense qu'il était peut-être aussi normal... Je souscris tout de même à l'opinion de la ligue, qui demande que soit reconnu le droit d'information, qui va un peu plus loin que le droit d'expression, parce que je pense qu'il implique, au niveau du medium, l'obligation de laisser passer une expression d'opinion qui n'est pas en contradiction avec l'article qui prévient les ex-

pressions discriminatoires, ou pour la littérature haineuse, comme on l'appelait antérieurement.

M. Choquette: Vous êtes juriste, M. Prat, et dites-moi quel est le contenu...

M. Prat: Monsieur...

M. Choquette:... exact de la liberté d'information.

Le Président (M. Pilote): A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre! Si vous permettez, on va permettre à monsieur de continuer son exposé, quitte ensuite à poser des questions. Le ministre retiendra ses questions. Je comprends que c'est intéressant, mais ce sera intéressant tantôt aussi. Alors, si vous lui permettez d'achever son exposé, les questions viendront ensuite.

M. Prat: Sur l'article 34, nous avons fait certaines remarques concernant la rédaction parce qu'il est clair que, lorsqu'un témoin refuse de témoigner, sous prétexte qu'il pourrait s'incriminer en continuant de témoigner, ce n'est pas le tribunal qui lui accorde une protection, mais c'est la loi. En matière de droit fédéral, c'est l'article 5 de la Loi de la preuve au Canada; en matière de droit provincial, ou de poursuites possibles au niveau des pénalités provinciales, c'est la loi provinciale qui le prévoit, le code de procédure. Donc, c'est bien la loi qui donne sa protection au témoin et non pas le tribunal. On voulait juste souligner que les mots "la loi" devraient prendre la placede "le tribunal".

Me Ménard va vous parler des infractions et des peines qui forment la page 12, la dernière remarque du Barreau.

M. Ménard: Je serai très court parce qu'il ne reste, sur ce point, que deux choses à couvrir. Les articles 75 et 76 prévoient les dents qu'aurait cette loi. Alors, l'article 76 prévoit que les poursuites sont prises suivant la Loi des poursuites sommaires. Pour la majorité du public, cela ne veut peut-être pas dire grand-chose; pour les avocats, cela veut tout de suite dire un certain nombre de choses. Cela veut dire, entre autres, quelle est la pénalité qui sera attachée aux infractions prévues dans la loi. Alors, nous la retrouvons à l'article 66 de la Loi des poursuites sommaires; la pénalité maximale, c'est $500 d'amende, sans qu'il n'y ait aucune pénalité minimale.

Nous croyons que, dans plusieurs cas, cela peut être insuffisant et qu'il devrait y avoir une pénalité minimale dans le cas de discrimination et qu'il devrait également y avoir un maximum plus grand que $500 d'amende, et un minimum encore plus grand en cas de récidive. C'est le premier point quant aux pénalités.

Deuxièmement, le deuxième paragraphe de l'article 66 de la Loi des poursuites sommaires, auquel se réfère l'article 76 de la loi, prévoit aussi qui peut prendre des poursuites pour des infractions qui sont commises à la Charte des droits de la personne. Ces personnes ne sont que des per- sonnes qui ont reçu l'autorisation préalable du procureur général. Nouscroyonsqu'en matièrede droits fondamentaux et de discrimination, la loi serait beaucoup plus efficace si, en plus des personnes autorisées par le procureur général, n'importe qui pouvait prendre une poursuite en vertu de la Charte des droits de la personne. Nous pensons que cette méthode a déjà donné d'excellents résultats, quant à la Loi d'étiquetage bilingue où les simples citoyens pouvaient poursuivre les entreprises qui enfreignaient cette loi et pouvaient, en vertu justement des lois générales, recevoir une partie de l'amende qui serait imposée par les tribunaux.

Nous croyons que, si vous permettiez à d'autres personnes que celles qui sont spécifiquement autorisées par le procureur général de prendre des poursuites en vertu de la Charte des droits de la personne, cela rendrait beaucoup plus dynamique et beaucoup plus actif, cela donnerait un moyen d'action supplémentaire aux comités contre la discrimination qui peuvent s'organiser dans les grandes villes, pour voir à ce que, effectivement, les propriétaires des grandes conciergeries ou les magasins, ou les propriétaires d'établissements publics en général, ou de moyens de transport, n'exercent aucune discrimination. J'ai l'impression aussi que cela coûterait probablement moins cher à la province s'il y avait de ces organismes, pour mettre cette loi en application, qui pourraient, de leur propre autorité, prendre des poursuites.

Il est évident que ces poursuites ne viseraient cependant que le paragraphe a) de l'article 75, puisque celles qui sont prévues aux paragraphes b), c) et d) sont des infractions, je dirais, de droit public, qui concernent la commission ellemême. A ce moment-là, il serait peut-être bon qu'uniquement le procureur général puisse prendre des poursuites.

Pour ceux que cette méthode surprendrait, que n'importe qui puisse prendre une poursuite, je vous signalerais que dans l'ensemble de notre droit, il n'y a rien de surprenant en matière criminelle, n'importe qui peut effectivement, à tout le moins, mettre en branle le processus judiciaire en déposant une dénonciation. Il est certain que, par la suite, le procureur général va intervenir mais pour des choses beaucoup plus graves. Actuellement, les simples citoyens peuvent prendre des poursuites.

Nous suggérons qu'en matière desdroits de la personne, et principalement en matière d'infractions aux dispositions sur la discrimination, ce pouvoir soit donné à toute personne et non seulement à celles autorisées par le procureur général.

Le Président (M. Pilote): L'honorable ministre.

M. Choquette: M. le Président, je voudrais d'abord exprimer mes remerciements au Barreau pour son mémoire et également pour la présentation en trois phases qui a été faite ce matin, par trois membres du Barreau, qui ont abordé divers aspects du projet de loi.

On me permettra tout d'abord de commencer par l'intervention de Me Ménard, sur la question des poursuites pénales. Vous aurez peut-être noté, M. Ménard, que dans le cas de discrimination, il y a quand même une procédure qui permet à la commission d'enquêter et lorsqu'elle constate qu'il y a discrimination, elle attire l'attention du procureur général. Et, je pense bien que le procureur général, devant un constat de discrimination par la commission, examine la cause et voit s'il y a lieu d'instituer une poursuite pénale. De telle sorte qu'on peut dire qu'il y a quand même une façon, une pression, n'est-ce pas, une pression légitime mise sur le procureur général de prendre ses responsabilités, de prendre des poursuites pénales lorsque des infractions ont été constatées.

Cependant, je vais prendre en considération votre point de vue qui voudrait élargir, d'une certaine façon, la latitude d'instituer des poursuites.

Nous avons déjà eu un débat avec Me Prat et M. Ménard sur l'article 45 qui est préoccupant. Je voudrais, au début de mes observations, demander au Barreau si on trouve que le premier paragraphe qu'il suggère dans son mémoire pour remplacer le premier paragraphe de l'article 45, véritablement remplace efficacement le premier alinéa de l'article 45 dans le projet? Parce que, en fait, tout ce que le premier alinéa de l'article 45 dans le projet de loi fait, c'est de dire que la charte n'a pas pour effet de supprimer, restreindre la jouissance ou l'exercice d'un droit ou d'une liberté de la personne qui n'y est pas inscrite.

M. Prat: M. le ministre, il devient le deuxième. M. Choquette: Ah! oui.

M. Prat: Celui-là devient le deuxième et c'est au deuxième que nous nous attaquons, au deuxième alinéa de votre projet que nous voulons substituer au premier du nôtre.

M. Choquette: Alors, le premier alinéa vous convient?

M. Ménard: Oui, il nous convient et nous l'avons incorporé dans notre deuxième.

M. Choquette: Bon. Quant au premier alinéa: "Nul ne peut être privé de l'un des droits proclamés dans la présente charte, si ce n'est pas l'application régulière de la loi." Ceci s'inscrit dans la théorie qui a été adoptée pour la législation fédérale et dont nous avons discuté tout à l'heure. Je ne pense pas que cela revienne, qu'il y ait tellement lieu d'élaborer sur cela parce que je pense qu'on a eu une discussion assez complète.

Maintenant, vous suggérez plus tard, je crois, qu'une modification, même si on devait retenir, n'est-ce pas, votre idée d'astreindre les législations futures aux dispositions de la charte, vous préconisez quand même le principe du deux tiers des votes exprimés en Chambre pour opérer une telle modification aux principes de la charte. Je me demande si ceci est très conforme à notre système parlementaire qui est, généralement, basé sur l'existence des partis politiques et d'une majorité gouvernementale. Est-ce que...

M. Prat: Nous voudrions juste souligner que, par exemple, lorsqu'il s'agit d'amender le code criminel, on sait que le Parlement adopte un vote libre, surtout lorsqu'il s'agit de la peine de mort, du droit des personnes dans leur chambre fermée, et on a pris généralement les votes libres sur des matières qui paraissent fondamentales aux individus. Au même titre, nous ne voulions pas faire de politique dans notre mémoire, mais lorsqu'on parle d'un vote des deux tiers, nous penserions à un vote libre puisqu'il s'agit de droits fondamentaux de l'individu ou bien alors il s'agit de droits particuliers. Si ce sont des droits fondamentaux, il me semble que chacun doit voter suivant sa conscience.

M. Choquette: Oui, mais à ce compte-là, pourquoi ne prolongerions-nous pas cette règle a toutes les législations présentées?

Un député, parfois, peut se trouver en situation, vous savez, de formuler un accord mitigé à un projet de loi gouvernemental ou même à une position prise par son parti, s'il est dans l'Opposition. Ceci est un problème que nous vivons constamment de part et d'autre à la Chambre et c'est la base du système parlementaire.

Je ne veux pas donner d'exemple récent, parce que les exemples récents ne seraient sûrement pas au même niveau que celui que vous venez de nous citer d'un vote, par exemple, sur la peine de mort, qui met, évidemment, beaucoup plus la conscience des députés en jeu. Mais devant, disons, ce qui se passe à Montréal, depuis le début de janvier, supposons que M. Allmand ou supposons que M. Trudeau demanderait au Parlement fédéral de rétablir la peine de mort pour réprimer le meurtre, c'est vrai qu'il pourrait y avoir un problème de conscience pour les députés.

Mais ça ne veut pas dire que le gouvernement ne pourrait pas s'engager et dire: Nous en faisons une mesure de confiance. Et si la majorité des députés trouve que leur conscience les empêche de voter pour cela, eh bien, ils vont, en défaisant la mesure gouvernementale, défaire le gouvernement qui en a fait une question de conscience.

C'est donc dire que le vote libre, dans notre système parlementaire, a assez peu cours; c'est une chose qui s'est produite à l'occasion de l'adoption du bill omnibus, qui avait amendé certains articles du code criminel, que vous connaissez, je pense. Si je me rappelle bien, c'était le cas. Mais on ne peut pas dire que c'est fréquent et je me demande si la règle des deux tiers n'est pas, justement, d'une certaine façon, contraire au fonctionnement du système parlementaire, excepté dans certains cas que le député de Maisonneuve a relevés hier.

M. Burns: Mais justement, ce que je trouve étonnant, c'est que vous vous y opposiez, alors que ça existe pour des cas... malheureusement, je

ne suis pas du même avis que M. Prat, au point de vue de la procédure, je ne crois pas que cela existe au Québec. Mais cela existe dans des cas beaucoup moins importants, à mon avis, ils sont importants, mais beaucoup moins qu'une charte des droits et des libertés fondamentales de la personne. C'est-à-dire qu'elle existe dans la nomination, je pense, de trois hauts fonctionnaires qui sont nommés par l'Assemblée nationale, le président des élections, le vérificateur général et l'Ombudsman ou le Protecteur du citoyen. Je ne suis pas sûr que ça s'applique aux trois, mais je sais que ça s'applique dans le cas du président des élections et aussi dans le cas du vérificateur général, parce que nous l'avons vécu dans un Parlement précédent.

Mais, il me semble que si on prend la peine de le faire pour la nomination à un poste qui, toutes proportions gardées, est une chose beaucoup moins importante, même si le poste est très important, qu'une charte des droits, qu'on ne se prive pas de droits futurs, qu'un Parlement ne se prive pas de droits futurs en rendant plus difficile simplement l'amendement d'une pièce de législation qui est majeure, centrale, fondamentale.

Dans ce sens, je partage entièrement le point de vue du Barreau et j'espère que le ministre reviendra sur ce qui nous apparaît comme des réticences.

M. Choquette: J'aurais évidemment des réticences sur ce point-là à l'heure actuelle, je ne le cache pas. Maintenant, dans le cas des nominations que vous avez mentionnées, le président des élections, le Protecteur du citoyen et le vérificateur général, c'est une procédure spéciale qui a été adoptée en rapport avec certaines nominations de façon à indiquer, je pense bien, la confiance générale et la grande impartialité que doivent avoir ces personnes dans l'exercice de leurs fonctions.

M. Prat: Oui, mais, M. le ministre, l'article 50 de cette charte proposée propose un vote aux deux tiers pour la nomination du président de la commission.

M. Choquette: Les membres de la commission.

M. Prat: Oui, même les trois membres.

M. Choquette: En effet. Je ne dis pas que, dans le cas d'une nomination, on ne peut pas employer cette procédure. Mais, unefoisqu'une nomination est faite, elle est faite. Tandis que nous sommes toujours appelés à changer les lois.

M. Burns: C'est ce que je me dis. C'est que, toutes proportions gardées, il me semble que la nomination à ces postes importants a beaucoup moins d'importance et de conséquence comme telle qu'une modification d'un droit prévu à la charte, soit par une loi future ou par la modification même de la charte.

Il me semble que le Parlement devrait se dire: C'est tellement grave et important, ce geste qu'on va poser. Et là on aurait peut-être comme conséquence, justement, le non-alignement des partis lorsdu vote. Il y aurait probablement les deux tiers, peu importent les lignes de partis.

C'est ce que je trouve essentiel. On se dit: C'est assez important pour qu'on rende cela plus difficile. Vous disiez tout à l'heure que, le jour où je serai au pouvoir...

M. Choquette: J'ai dit: peut-être.

M. Burns: Bientôt, j'imagine. Personnellement — je me place dans la position d'un ministre qui présente une loi — je n'aurais aucune objection à me sentir lié par des lois antérieures, lorsque ces lois sont aussi fondamentales qu'une charte des droits.

M. Choquette: Oui.

M. Burns: Mais à ce moment, si je ne peux pas obtenir les deux tiers des voix à l'Assemblée nationale pour des raisons de partisanerie, évidemment, je me fierai sur l'opinion publique. Il me semble que vous aussi, comme ministre, devriez réfléchir à cela.

M. Choquette: Ce ne sont pas des raisons de partisanerie, parce que je ne pense pas que, quand on est à ce niveau, il s'agisse de partisanerie. Il s'agit de fonctionnement du système.

M. Burns: En somme, vous ne pensez pas au Parlement actuel, parce que vous n'auriez pas de problème à avoir vos deux tiers.

M. Choquette: Non, pas du tout, en effet. Ce n'est pas le Parlement actuel qui cause des problèmes, c'est pour l'avenir.

M. Burns: M. le ministre, si vous me le permettez, je dois quitter pour une autre commission; j'ai une seule question...

M. Choquette: Sans doute.

M. Burns: ... à poser à Me Prat, tout en lui disant et en disant au Barreau que je me limite à une seule question, pour la simple raison que je suis d'accord sur l'ensemble du mémoire. Je les remercie de nous avoir éclairés là-dessus.

Je voudrais simplement poser la question relativement à la suggestion que vous faites, en page 4 de votre mémoire, lorsque vous imposez au ministre de la Justice le devoir d'aviser l'Assemblée lors d'un vote ou d'une loi qui pourrait soulever une incompatibilité avec la charte. Ne verriez-vous pas d'un bon oeil, justement pour aider le ministre à être objectif — je ne parle pas du ministre actuel, mais on ne sait pas, peut-être qu'il va être remplacé; il va sûrement l'être un jour, il n'est pas éternel — que l'on exigeque le ministre, avant de donner cet avis, prenne avis de la commission des droits?

M. Prat: C'est exact. C'est parmi les recommandations que faisait Me Filion, au tout début. Nous considérons qu'actuellement la commission n'a pas, à première vue, dans le texte même de la loi — la réglementation suivra, nous l'espérons — les moyens, la substance, le nombre, la représentativité qu'on lui souhaiterait pour être un véritable organe d'information du public et de l'Assemblée, lorsque de nouvelles lois viennent. On sait qu'en ce moment la législation par réglementation est devenue presque indispensable, vu la multiplicité des problèmes qui assaillent quotidiennement l'Assemblée. Il me semble aussi important que, dans la réglementation, par exemple, des hôpitaux, on ne fasse pas des règlements à tort et à travers, sans regarder quels sont les droits des personnes qui y sont traitées.

Là-dessus, la charte passe un peu sous silence certains droits des personnes handicapées, des personnes malades. En particulier, les handicapés de façon définitive ne reçoivent pas le traitement auquel ils ont droit et qu'on leur a de facto refusé, comme l'accès aux transports publics, aux édifices publics. Il serait tellement simple de faire des rampes d'accès. Le palais de justice, à Montréal, a des rampes d'accès, mais combien de bibliothèques municipales, où les handicapés pourraient venir, ont des escaliers de 40 marches pour y arriver! C'est absolument ridicule de voir cela, alors que ce serait si simple de leur faire des rampes d'accès.

Je suis d'accord que la commission devrait être consultée, parce qu'elle est mieux apte à voir, dans une réglementation, quelque chose qui peut paraître anodin à un fonctionnaire du ministère de la Justice, qui a bien autre chose à faire, mais à quoi elle est confrontée quotidiennement. Il me semble que le service d'accueil des plaintes qui ne donnent pas lieu à enquête, mais qui y donneraient lieu par la multiplicité et la répétition de certaines plaintes devrait être très soigneusement établi et avoir un personnel non seulement compétent au point de vue théorique, mais dévoué à ce genre de problèmes, qui sont des problèmes fastidieux pour certains, mais qui exigent une motivation de chacun des fonctionnaires. C'est pour cela aussi que je pense que la suggestion de la ligue de ne pas les inclure dans la Fonction publique est une bonne idée. Peut-être également devrait-elle être constamment en communication avec les personnes qui, bénévolement, s'intéressent à ce genre de problèmes, parce que, dans ces relations au niveau des droits fondamentaux, le bénévolat aura toujours une place considérable. Le fonctionnaire est une chose, mais le bénévole devra rester intéressé. La commission devra susciter et continuer à encourager les organisations bénévoles et même les approcher d'elle. Donc, nous sommes d'accord qu'elle devrait être consultée avant que les règlements d'application des lois et les lois soient votées.

M. Burns: Merci, M. Prat. Merci, M. le ministre, de m'avoir permis d'insérer ma question. Je m'excuse de m'absenter.

M. Choquette: Cela m'a fait plaisir. Mais nous allons continuer à la discuter. Mais ne pensez-vous pas que d'introduire la commission comme un organisme qui a une responsabilité — indirecte, si vous voulez — mais une responsabilité quand même sur le plan législatif, ne déplace pas le siège des responsabilités législatives qui doivent être au Parlement vers la commission? Je veux dire que le gouvernement se soumet à l'approbation ou à la désapprobation d'un vote populaire à la période régulière, à tous les trois, quatre ou cinq ans. Là, le peuple peut juger si le gouvernement a agi conformément aux lois, ou aux principes qui peuvent prévaloir à ce moment.

Mais, à partir du moment où vous limitez l'action parlementaire d'un gouvernement, par un organisme extérieur qui n'est pas responsable — n'oubliez pas que la commission des droits de l'homme — et je conçois très bien qu'il faille en créer une — n'aura aucune responsabilité — il n'y a pas de sanction qui puisse être exercée à l'égard des membres de cette commission, pas de sanction démocratique, pas de sanction parlementaire. En fait, ne serait-ce pas préférable que ce soit le gouvernement qui ait la responsabilité de ces actes? Si on les trouve repréhensibles ou discutables, le gouvernement en supportera les responsabilités devant l'opinion publique et ultimement sur le plan électoral.

M. Ménard: Mais la commission, ici, n'a qu'un pouvoir consultatif. Elle n'a aucun pouvoir pour limiter l'action du Parlement. Elle n'a que le pouvoir de signaler à l'attention de chaque député en particulier que, s'il vote tel projet de loi, il va enfreindre ce qui a déjà été voté avant. Cela ne le limite pas dans ce qu'il peut faire.

M. Choquette: Oui, mais est-ce...

Mme Audette-Filion: C'est le même argument pour la responsabilité du ministre de la Justice à qui lacommission auraitfait les représentations. Il a un rôle, une responsabilité d'information simplement, mais l'Assemblée nationale demeure maître de ses décisions et si elle décide de légiférer dans tel sens, c'est sa seule responsabilité.

Une Voix: Mais elle devra le mentionner.

Mme Audette-Filion: Mais nous suggérerions, évidemment, qu'elle le mentionne, pour donner plus de force.

M. Choquette: Oui. Sur un autre sujet, je crois que Mme Audette-Filion a suggéré que la commission ait un pouvoir d'enquête, non seulement dans le domaine de la discrimination, c'est-à-dire les articles 11 à 17, mais sur les autres articles. Je crois que cela a été une suggestion formulée par le Barreau, et qui a été explicitée par Mme Audette-Filion. En fait, le Barreau ne trouve-t-il pasqu'en ce faisant, on va créer deux juridictions parallèles? C'est-à-dire que je ne crois pas que le Barreau veuille exclure de la compétence des tribunaux

l'application des principes de la charte autres que ceux des articles 11 à 17. Le Barreau s'est-il posé le problème de la coexistence de deux juridictions parallèles?

Mme Audette-Fi lion: Mais dans ce cas-ci, c'est un pouvoir d'enquête, tout simplement, que nous recommandons, en suivant le processus qui est déjà prévu dans la charte, à savoir qu'à la suite de l'enquête la commission fait des recommandations qui, si elles ne sont pas suivies, accordent à la victime de la discrimination, ou d'un droit fondamental lésé, la faculté soit de donner son consentement à la commission, pour que celle-ci se prévale de l'article 44 et demande une injonction et des dommages, si possible...

M. Choquette: Oui, mais...

Mme Audette-Filion: ...ou de faire la demande en s'adressant elle-même au tribunal.

M. Choquette: Mais n'oubliez pas, madame, que la commission ne fait pas seulement des recommandations à la suite d'une enquête. Sa décision a une force contraignante dans le domaine, par exemple, de la discrimination. Si la commission procède à une enquête et qu'elle dit: II y a eu discrimination et nous ordonnons telle chose, c'est un ordre, quitte à ce qu'il soit sanctionné par les tribunaux.

Ne croyez-vous pas qu'il y a un problème qui surgit de cela, en ce qui concerne les autres aspects de la charte, en rapport avec la force contraignante d'un ordre de la commission?

Mme Audette-Filion: Je ne vois pas autre chose qu'un pouvoir d'enquête et de recommandation. A l'article 70, on mentionne que la commission peut recommander la cessation, dans un délai qu'elle fixe, d'un acte discriminatoire ou le paiement d'une indemnité, ou les deux.

A l'article 71, lorsque la recommandation prévue par l'article 70 n'a pas été à la satisfaction de la commission, suivie dans le délai, la commission peut, avec le consentement écrit de la victime s'adresser à la cour Supérieure, en vue d'obtenir une injonction. Mais je pense que le tribunal a encore toute la latitude, il n'est pas lié par la recommandation que la commission avait faite.

De même, un peu plus loin, on voit que la victime peut, si elle le préfère, exercer personnellement les recours prévus. Autrement dit, la commission la sert, l'aide, fait pour elle l'enquête, fait des recommandations, si cela ne va pas plus loin, ce sont les tribunaux qui jugent.

M. Choquette: Même si on se situe seulement sur le plan du volume des affaires que ceci entraînerait devant la commission si, en fait, toute l'ap-plicationde la charte devait ressortirde la compétence de la commission, est-ce que vous ne croyez pas que le volume, les affaires pourraient être tellement considérables, qu'à un moment donné la commission va être embourbée?

Mme Audette-Filion: Effectivement, le volume serait beaucoup plus grand, mais ceci rejoint une autre de nos recommandations indiquant qu'on devrait augmenter l'importance de la commission. On la trouve insuffisante.

M. Choquette: Qu'est-ce que vous voulez de plus, au point de vue de l'importance?

Mme Audette-Filion: Nous avons mentionné, à un moment donné, que les recommandations qui étaient faites par la ligue, nous les adoptions. Nous voudrions des pouvoirs plus étendus, évidemment, des moyens plus étendus, cela va de soi.

M. Choquette: Maisdes moyens, cela veut dire du personnel, et cela veut dire des commissaires. Si on devait charger la commission de s'occuper de tous les aspects de la charte, je pense qu'on devrait nommer un nombre énorme de commissaires et les faire siéger par banc. Ceci nous amène à un système judiciaire parallèle à celui qu'on a, à l'heure actuelle.

M. Ménard: Je ne vois pasdansquel cas, M. le ministre, respectueusement, actuellement, et je ne vois pas en quoi les tribunaux peuvent forcer, autrement que par une action pénale, dont nous avons déjà parlé d'ailleurs, la cessation d'une infraction à un droit particulier, autre qu'un droit discriminatoire privé.

M. Choquette: Mais, qu'est-ce que vous faites de l'article 44?

M. Ménard: ... en commission, nous...

M. Choquette: L'article 44 donne un accès direct aux tribunaux. L'article 44 donne un accès sous forme de demande d'injonction, d'action en dommages. Tout est sanctionnable devant les tribunaux, de par l'application de l'article 44.

Je crois que les infractions pénales sont assez mineures par rapport aux recours qui sont donnés à l'article 44. L'article 44 est le "punch ' de ce projet de loi, c'est cela l'originalité du projet de loi, par rapport à d'autres lois qui existent, c'est que tous les droits qui sont dans la charte peu vent faire l'objet d'une action devant les tribunaux et d'une action efficace réelle.

M. Prat: M. le ministre, justement, reprenons l'exemple, si vous voulez bien, en deux minutes, des droits scolaires des parents. Si la commission a le droit d'enquêter, à la suite de plaintes d'un groupe de parents, face à l'enseignement moral ou religieux — article 38 — et on continue à lire l'article 44 tel qu'il se lit, l'impact sur le tribunal de la demande de la commission elle-même, avec l'autorisation des parents concernés, pour faire rétablir un droit qui est écrit dans cette charte et qui a été bafoué pour une raison ou une autre par la commission scolaire concernée, est beaucoup plus grand que si les parents doivent lire la loi.

Quand ils arrivent à la commission, on leur dit: Cela n'est pas de la discrimination, c'est un autre droit, c'est en dehors du chapitre 2, c'est dans le chapitre 4. Allez-y de vous-même, vous avez l'article 44, tentez votre chance. Allez voir l'assistance judiciaire, si vous n'avez pas d'argent, allez voir le Barreau si vous en avez.

C'est un peu la notion de savoir aussi si la commission devra continuer s'il y a un autre recours possible. C'est un peu toute cette façon d'envisager le rôle étroit de la commission, que nous combattons.

Nous aimerions lui voir un droit d'enquête qui déboucherait sur une action de classe, une action de groupe de citoyens qui sont en bute à un problème d'ordre scolaire. Ils arriveraient avec la commission après une enquête faite par des enquêteurs qui sont quand même spécialisés dans cette matière et devant le juge, ils exposeraient leur grief avec leur soutien. Je les verrais mieux que de les laisser, comme ils sont actuellement, en face de bureaux d'assistance judiciaire, s'ils n'ont pas les moyens, ou des avocats privés s'ils ont les moyens. Cette commission serait, à ce moment, utile pour la protection de beaucoup de droits collectifs ou individuels.

M. Choquette: Je crois qu'il y a un problème insurmontable, au point de vue du volume des affaires qui iraient devant la commission, dans ce sens que, si tout devait passer par la commission, le nombre d'affaires serait tellement énorme que la commission serait rapidement embourbée sous le volume des affaires. Je crois que l'article 44 est un recours efficace. Après tout, il y a des avocats au Québec. Il y a l'aide juridique. L'article 44 amène un recours immédiat. N'oubliez pas que l'article 44 n'impose pas de passer par une autre instance, avant d'arriver aux tribunaux ordinaires.

Je vous demande, comme avocat, de réfléchir à l'efficacité de l'article 44, au cas de la violation d'un droit. Vous auriez le droit, en toute circonstance, de dire à votre client: Ecoutez, nous avons l'article 44 qui permet, soit l'injonction ou l'action en dommages et l'octroi de dommages exemplaires. Ceci permet de sanctionner réellement tous les droits qui se trouvent à la charte. Je crois que c'est cela qui est très efficace.

M. Prat: Mais on connaît la timidité du justiciable, lorsqu'il n'a pas d'appui. S'il s'adresse à la commission, encore une fois, il va être débouté, car ce n'est pas une question de discrimination. Quand il s'agira d'aller consulter un avocat, évidemment, d'y mettre les frais que cela implique et de monter devant la cour pour une injonction, à mon sens, le justiciable se sentira moins servi par la loi que si la commission avait un pouvoir d'enquête, de consultation, de tentative de conciliation. Je prends, encore une fois, l'exemple des autorités scolaires. Si les autorités scolaires ne se pliaient pas aux recommandations de la commission, là elle irait, avec ceux qui s'en sont plaints, devant les tribunaux. Il me semble que c'était une possibilité d'ouverture de la commission qui valait la peine d'être observée.

M. Choquette: Me Prat...

M. Robert: M. le bâtonnier, M. le ministre, je vais essayer de dire quelques mots, je ne sais pas si vous allez m'entendre. Par ailleurs, il ne s'agit pas pour le Barreau de recommander la création d'un nouveau tribunal, en d'autres mots de morceler davantage la juridiction qui est accordée aux tribunaux de droit commun. Vous savez que nous avons toujours défendu cette position.

Il s'agit simplement d'accorder à la commission un pouvoir d'enquête additionnel, mais non pas un pouvoir décisionnel. Je pense que le pouvoir décisionnel doit demeurer avec les tribunaux de droit commun, et plus particulièrement avec la cour Supérieure, tel que vous le mentionniez, en vertu de l'article 44. Il ne s'agit pas, en d'autres mots, de confier à la commission un pou voir décisionnel quel qu'il soit. Là-dessus, je rejoins un peu les remarques de Me Filion. Dans le texte qui est déposé, je ne sais pas si vous, vous y voyez des pouvoirs décisionnels pour la commission, mais nous, nous n'en voyons pas tellement. Parce que les recommandations qui sont contenues aux articles mentionnés par Me Filion n'ont pas de force exécutoire, semble-t-il.

En d'autres mots, la commission pourra toujours faire sanctionner sa recommandation par un tribunal de droit commun qui lui conférera, à ce moment, une force exécutoire. Mais cela n'empêchera pas le tribunal d'examiner l'opportunité de la recommandation de la commission. En d'autres mots, le tribunal pourra être d'un avis différent de la commission quant à l'opportunité de la recommandation. Il pourra refuser de donner suite à la recommandation. Je ne sais pas si mon interprétation de la loi est incorrecte, mais c'est un peu ce que j'ai vu en lisant la loi.

M. Choquette: Vous allez admettre, cependant, avec moi qu'il faut faire une distinction, une différence entre la discrimination qui, souvent, est une question d'appréciation, de jugement et, d'autre part, certains droits qui sont nettement plus tranchés que d'avoir un recours contre la discrimination.

Si on prend, par exemple, les libertés et droits fondamentaux qui sont énoncés aux articles 1 à 10, là, il s'agit de droits qui s'appliquent pleinement et qui donnent ouverture àdes recours. C'est pour cela qu'on a prévu une application directe par les tribunaux pour les droits énumérés dans cette partie, tandis que, dans la discrimination, on a fait une différence. On a dit: II y a peut-être une question de jugement, d'appréciation des circonstances. Y a-t-il eu discrimination?

De toute façon, je crois que je vais prendre vos observations en considération dans l'examen du projet de loi. Nous verrons s'il y a lieu de changer certaines dispositions.

Je vous remercie, pour ma part, madame et messieurs du Barreau.

Le Président (M. Pilote): Le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: M. le Président, je voudrais également remercier les membres du Barreau qui nous ont présenté, je pense, un très bon mémoire, ce matin. Comme il y a eu beaucoup de questions posées et de réponses données, je me limiterai peut-être à une question ou deux. Qu'il me soit permis de revenir sur la suggestion que vous avez faite, à l'effet qu'un vote des deux tiers de l'Assemblée nationale soit requis pour toute modification à la charte. J'aimerais peut-être faire certaines considérations. Nous savons tous qu'il existe une telle procédure pour la nomination de certains hauts fonctionnaires; même dans le projet de loi no 50, àl'article50, il est prévu une telle procédure.

Cependant, la considération que je veux apporter, c'est que, pour ce genre de nomination, il s'agit en quelque sorte d'avoir le consentement des deux tiers de l'Assemblée, pour la nomination d'une personne ou de personnes. Ce sont des personnalités et ce genre de mandat leur est donné pour un temps bien défini, ce qui veut dire qu'à toutes fins pratiques cela n'engage pas le Parlement indéfiniment.

D'autre part, comme les deux tiers des votes ne sont pas requis de la population pour permettre de former un gouvernement, il serait peut-être un peu difficile de demander les deux tiers des votes des députés pour légiférer ou pour changer des lois. Cela serait peut-être un peu entraver les droits de l'électeur, à ce moment, qui, comme nous le savons, dans le domaine politique, donne son vote à l'occasion d'une élection pour un programme qui lui est présenté. Si un parti politique, par exemple, présente un certain programme, qu'il est élu et qu'il a le pouvoir de former un gouvernement, il pourrait se voir restreint dans son action, même restreint dans l'application de son programme sur lequel il a été élu, parce qu'il y aurait dans la présente loi une disposition qui dirait que, pour la modifier, cela prend les deux tiers de l'Assemblée.

C'est peut-être ce genre de considération que je voulais apporter à votre attention. Vous avez souligné avec justesse que ce genre de procédure est utilisé aussi dans d'autres domaines, mais de façon très rare. Par exemple, nous avions besoin d'une procédure semblable, je pense, si je me rappelle bien, dans le cas de changements à être apportés aux comtés protégés. Il y a eu peut-être un avantage et un désavantage aussi, il faut se le rappeler, c'est que cette procédure a retardé considérablement une réforme électorale. Cela ne veut pas dire que je suis d'accord entièrement sur la réforme qui a été faite, mais cela a quand même retardé la réforme électorale.

C'est pourquoi je me demande s'il ne vaut pas mieux être très prudent et en demeurer aux méthodes habituelles, pour ne pas lier un gouvernement futur qui pourrait être élu avec le vote de la population, avec un mandat précis, pour ne pas empêcher que son mandat soit rendu à terme. Maintenant, je fais ces remarques sous toute réserve, parce que je pense qu'on doit être ouvert à toute discussion dans ce domaine. Peut-être que vous avez des détails supplémentaires à apporter.

M. Prat: La seule remarque que nous ferions est que nous ne souhaitons, en aucun cas, qu'un gouvernement soit élu sur un programme électoral qui serait incompatible avec la présente charte, car justement c'est ce qu'on voudrait éviter.

M. Samson: Je voudrais ouvrir une parenthèse immédiatement. J'ai l'impression que personne ne voudrait être élu avec un programme qui serait incompatible avec cela, mais peut-être avec un programme qui voudrait compléter cela. On empêcherait de le compléter, de cette façon.

M. Ménard: Si nous proposons la règle des deux tiers dans le cas de cette loi, c'est justement parce que nous ne la considérons pas comme une loi ordinaire. C'est vraiment une loi exceptionnelle qui est à la base du contrat social et qui fait respecter la démocratie, qui n'est pas uniquement le gouvernement par la majorité, mais le gouvernement par la majorité dans le respect des minorités, puis dans le respect des individus. Nous ne voudrions certainement pas voir la règle des deux tiers commencer à être instaurée dans un tas de lois, mais c'est parce que le Barreau a compris que la charte des droits de la personne serait une des deux ou trois lois fondamentales de la législation du Québec qu'il aimerait y voir cette disposition.

D'ailleurs, je ferai remarquer que, dans d'autres pays démocratiques, c'est le cas. La procédure pour changer la déclaration américaine des droits est beaucoup plus compliquée que celle que nous proposons.

M. Samson: C'est la constitution, à ce moment.

M. Ménard: C'est cela. D'ailleurs, nous espérons bien qu'un de ces jours, quand il y aura une constitution du Québec — on en a les pouvoirs mais on n'en a pas — cette charte des droits de la personne sera portée dans cette constitution.

M. Samson: Cela me fera plaisir d'être au rendez-vous, mais je ne sais pas quand.

M. Prat, vous avez ouvert une petite parenthèse en parlant un peu de la liberté d'information. Je trouve cela assez intéressant, la parenthèse que vous avez ouverte. Est-ce que, dans votre esprit — vous semblez d'accord sur le fait qu'il faudrait ajoutercela à la charte — la liberté d'information devrait aussi inclure une autre protection spécifique pour le public, c'est-à-dire le droit à l'information juste?

M. Prat: Je soulignais, je pense, en parlant de l'information, que cette charte prévoit que toute littérature haineuse, toute expression d'opinion discriminatoire sera dorénavant interdite et sanc-tionnable en vertu de l'article 44, encore une fois, mais non pas en vertu des poursuites pénales prévues au dernier chapitre.

Nouscroyonsqu'il est extrêmementdélicatde pénétrer dans le champ de la limitation à l'information, si ce n'est par cette attitude négative, c'est-

à-dire que toute limitation à l'information doit procéder dans le sens qu'a pris la législation sur la littérature haineuse, en partant de ce que l'on ne doit pas publier ou diffuser et en restreignant au maximum, parce que, chaque fois qu'on fait un pas pour limiter le genre d'information qui peut être donné au public, on risque de tomber, avec d'excellentes intentions, dans une mauvaise direction. Donc, il faut, je crois, proclamer la liberté de l'information — c'est un peu dire aussi le droit à l'information — mais lorsqu'on pense à la restreindre, il faut être très attentif pour ne pas, encore une fois, avec toute sorte de bonne volonté, la restreindre excessivement. Parce qu'on interdit ladif-fusion, la publicité discriminatoires, je pense qu'on va à peu près aussi loin qu'on peut aller pour la protection de l'objectivité de l'information, car le reste, ce sont des notions non quantifiables et sur lesquelles il serait plus que délicat de légiférer. On risque de faire plus de mal que de bien si l'on tente d'aborder le problème de l'objectivité ou de la liberté d'accès aux sources d'information. Là aussi, peut-être qu'une lacune a été soulevée par la ligue, à savoir que tout document public, concernant un individu, doit lui être communiqué sur demande, et, dans une société qui se technocratise de plus en plus, il semble évident qu'un des droits de l'individu est d'être informé sur les dossiers publics qui existent le concernant. Par contre, il a également droit à ce que ces documents publics le concernant ne soient communiqués que dans de très rares cas et sous forme de secret.

Donc, la position qu'avait prise la ligue également, je pense, à l'époque, sur les dossiers cumulatifs des élèves, doit être respectée et prise en considération maintenant. Ce droit à l'information est limité à l'individu. Le droit d'information, le droit d'expression de l'information doit être laissé aussi large que possible.

M. Samson: D'accord!

Le Président (M. Pilote): Le député d'Anjou.

M. Tardif: M. le Président, Me Ménard a répondu partiellement à une question que je me posais. Je serai plus bref que je le prévoyais.

Il s'agit de la règle des deux tiers dont fait état la page 2 de votre mémoire. Moi-même, lors de mon discours de deuxième lecture, j'avais mentionné quelques exemples qui existent dans notre législation actuelle, à savoir la nomination du Vérificateur général et du Protecteur du citoyen, des exemples que le député de Maisonneuve a repris tout à l'heure.

A ma connaissance, je pense que le principe existe également en République fédérale allemande où l'approbation des deux tiers des Lander est requise pour des modifications ou l'adoption de la Charte des droits de l'homme.

J'aimerais savoir si votre comité a fait des recherches ou enquêtes pour savoir si le principe qui requiert l'assentiment des deux tiers des députés pour des modifications à une Charte des droits de l'homme existe dans d'autres pays ou dans d'autres provinces.

M. Ménard: Non, nous n'avons pas fait de recherches, mais nous pourrions conseiller un livre qui contient tous ces textes de loi et que pourrait certainement vous procurer le professeur Beaudoin, de l'Université de Montréal. Je pense que le livre a été écrit par sa femme et publié par l'Université du Québec. Il contient tous les textes législatifs du monde sur les déclarations des droits des citoyens.

M. Tardif: Tout à l'heure, vous avez fait brièvement allusion à la constitution américaine. Est-ce que c'est un endroit où il est requis d'avoir l'approbation des deux tiers des membres du Congrès...

M. Ménard: C'est extrêmement complexe. J'imaginais faire référence à quelque chose que tout le monde connaît vaguement, sans le connaître dans les précisions. Mais enfin, vous vous souvenez sans doute d'avoir déjà constaté, dans le passé, des procédures extrêmement compliquées qui ont été entreprises aux Etats-Unis pourobtenir l'approbation, Etat par Etat... pour obtenir un cinquième, un sixième, un septième amendement à la déclaration américaine des droits.

M. Robert: Je peux répondre, peut-être, à cette question. Je crois que la règle est la suivante: II faut obtenir les deux tiers des votes de chacune des Chambres du Congrès, plus les votes des trois quarts des Etats, selon les règles applicables dans chacun des Etats, ce qui veut dire plusieurs années de discussion, de négociation, avant d'adopter un amendement à la constitution américaine. Mais encore là, comme le soulignait le ministre, il s'agit d'une constitution, et non pas d'une loi statutaire.

M. Tardif: D'accord!

Le Président (M. Pilote): Le député de L'Assomption.

M. Perreault: Je ne suis pas un juriste, mais je me permettrais, tout de même ayant de l'expérience dans le domaine de l'industrie, de revenir sur l'article 20. A la page 9, dernier paragraphe, je lis ceci: Nous insistons pour que le texte de la charte soit analogue à celui du code de procédure civile. En particulier, il importe que le tribunal ne puisse ordonner le huis clos "dans l'intérêt d'un témoin ou d'une partie que si..."

Je pense que dans l'industrie, si l'une des parties ne peut demander au tribunal d'avoir le huis clos, dans bien des cas on va nuire à la partie concernée. Il y a bien des choses qui peuvent se régler sans publicité, et ce dommage peut se ré-percuterdans l'avenir, aprèsque lacause aura été réglée. Il faut tenir compte des choses qui ne peuvent pas être prouvées. Dans l'industrie, il y a beaucoup de choses qui se passent qu'on ne peut prouver, qu'on ne peut toucher du doigt, mais qui sont là. Si on fait juge, l'une des parties même le discriminé, si celui qui subit l'acte discriminatoire juge qu'il a intérêt à ce que sa cause soit entendue

à huis clos, je ne vois pas que le tribunal ne puisse pas l'ordonner.

M. Prat: Malheureusement, on sait tous que certains procès peuvent tourner court faute de preuve. Je ne sais pas si c'est à cela que vous faites allusion en disant que certains éléments ne peuvent pas être prouvés dans un processus industriel.

M. Perreault: Non, ce n'est pas à cela que je fais allusion. Je fais allusion à ce qui arrive par la suitedans l'industrie pour l'individu, après que tout a été jugé.

M. Prat: II est évident que le code criminel, par exemple, prévoit qu'au niveau de l'enquête préliminaire, le prévenu peut demander et la cour doit accorder le huis clos. C'est un amendement au code criminel qui remonte à deux ou trois ans seulement. Jusque là, la réputation des gens pouvait être détruite pendant une enquête préliminaire qui souvent pouvait courir douze ou quatorze jours et en fait montrait essentiellement la preuve de la couronne et ne montrait pas, à ce stade-là, la preuve de la défense.

Sauf ces exceptions législatives, qui sont maintenant prévues, puisqu'on couvrirait cela par la formulation que nous avons proposée pour l'article 45, il nous semble éminemment important que le principe que la justice doit être rendue en public soit maintenu et que la seule exception qui puisse y être apportée est celle prévue au code de procédure civile.

M. Perreault: Je ne puis être d'accord avec vous parce qu'ainsi, dans l'industrie, il y a beaucoup de cas de discrimination qui ne seront jamais portés à l'attention de la commission si tout est rendu public. Des centaines et des centaines de cas ne viendront même pas à l'attention de la commission. Il y a beaucoup d'invididus qui ne voudront pas voir étaler publiquement leurs problèmes.

M. Robert: Je pense qu'on ne parle pas nécessairement des auditions ou des représentations faites à la Commission des droits de l'homme. Je pense que ce dont on parle dans notre mémoire, c'est le principe de la publicité des débats judiciaires. Je pense que plusieurs siècles d'histoire en Angleterre et en France ont démontré que c'est la meilleure garantie d'objectivité de la justice et d'impartialité de la justice. La justice cachée est souvent une justice injuste. Je pense que l'expérience des siècles a démontré cela, ce qui n'exclut pas, à mon point de vue, des représentations de nature privéedevantdescommissions àcaractère d'enquête, comme on l'expliquait pour la commission d'enquête sur le crime organisé, comme on l'a souligné pour la commission Cliche, comme cela pourrait se faire également devant la Commission des droits de l'homme.

Ce sur quoi on insiste — et je pense qu'avant qu'on touche àce principe il faudraitque le législateur y songe longuement — c'est le principe de la publicité des débats judiciaires. La loi a adopté des exceptions à ce principe en matière criminelle et quand il s'agit d'enfants devant la cour du Bien-Etre social. Même là, actuellement, il y a beaucoup de gens, dans la province, qui remettent en question le principe de la confidentialité des débats devant la cour du Bien-Etre social parce qu'on a constaté justement, à la lumière de l'expérience, qu'il y avait eu, peut-être, dans certains secteurs, une détérioration de la qualité de justice qui est rendue par — dans certains cas, je le dis — certains juges du Bien-Etre social. C'est ce principe qui nous paraît être absolument fondamental.

M. Perreault: Vous semblez dire que ceci ne s'applique pas à la commission. Je vais demander au ministre de la Justice, advenant qu'on adopte votre texte, si la commission serait obligée de rendre publics les cas semblables?

M. Choquette: Qu'est-ce que vous voulez dire par rendre publics?

M. Perreault: Rendre publique la publicité de l'enquête, de la commission, dans un cas de discrimination, par exemple, dans le cas d'un employé dans une industrie. Le bâtonnier me dit que cela ne s'applique pas à la commission, que cela s'applique au tribunal.

M. Choquette: Je crois que les principes qui ont été énoncés par le bâtonnier sont des principes très sains et auxquels il faut souscrire. C'est l'expérience vécue que la justice a tout intérêt, en général, à être rendue publiquement. Il y a cependant des exceptions.

On a mentionné plus tôt le cas de l'enquête sur le crime organisé, même si on prend la commission Cliche, de façon à s'assurer du sérieux de certains témoignages et du fait que ces témoignages sont corroborés, il y a un processus d'interrogatoire à huis clos des témoins, avant qu'ils ne témoignent publiquement, pour faire en sorte que la preuve qui sera présentée en public soit solide.

C'est une autre raison qui peut motiver l'usage du huis clos dans certaines juridictions comme la commission d'enquête. Maintenant, il faut ajouter que si on se reporte aux enquêtes qui sont tenues au Québec en vertu de la Loi des commissions d'enquête, les commissaires ont une liberté relative quant à la façon de poursuivre l'enquête. Ainsi, il est possible de tenir une enquête à la manière d'un procès, avec les avocats, la preuve soumise publiquement, l'interrogatoire des témoins et le contre-interrogatoire, comme dans un procès, où il est possible aux commissaires, suivant les circonstances, d'aller simplement interviewer des témoins, de prendre des déclarations écrites, même pas nécessairement assermentées.

La loi des commissions d'enquête est très large sur la procédure que peuvent adopter les commissaires dans leur façon de poursuivre une enquête et leur donne énormément de latitude sur le formalisme ou le non-formalisme à adopter lors

de la poursuite d'une enquête. Une enquête peut se poursuivre d'une façon très informelle dans certains cas.

M. Perreault: Je vais plus loin, je vais au deuxième alinéa de l'article 70, disons que la commission recommande la cessation, dans un délai, d'un acte discriminatoire au sein d'une industrie, le partie ne pourrait-elle pas demander que ce soit fait à huis clos?

M. Choquette: Oui. Elle peut toujours le demander, mais cela ne veut pas dire que la commission va être obligée d'accéder à cette demande et je dirais qu'en règle générale, il est préférable d'opter pour le caractère public des procéd ures en cours.

M. Perreault: Je ne suis pas d'accord avec vous, M. le ministre, vous n'avez jamais vécu dans une industrie.

M. Choquette: Non? Mais je ne comprends pas...

M. Perreault: Ce qui arrive par après, M. le ministre, c'est que le cas sera jugé. Le gars a une carrière à faire dans l'industrie, après, cela peut nuire à son plan de carrière. C'est une chose qui peut être réglée bien facilement si elle n'est pas rendue publique. S'il y a des dommages qui résultent de la compagnie, il reste toujours quelque chose au dossier du gars. On ne pourra jamais prouver plus tard que son plan de carrière a été brimé à cause d'une chose comme cela.

M. Choquette: Prenons, par exemple, en vertu de l'application du code du travail ou des conventions collectives qui peuvent exister dans l'industrie à l'heure actuelle, le cas d'un employé qui a un grief à faire valoir et que le grief n'est pas réglé dans les stades préliminaires, cela va à l'arbitrage obligatoire et là, normalement, les arbitres procèdent d'une façon ouverte.

M. Perreault: Vous ne pouvez pas comparer, M. le ministre, un syndicat a des cadres ou à d'autres personnes qui sont appelées à monter dans l'échelle industrielle. Il n'y a pas de comparaison.

M. Choquette: Avec quoi? Dites-moi la différence entre un grief logé en vertu d'une convention collective et un grief pour raison de discrimination qui va devant la commission. Je comprends que la commission doit avoir une certaine latitude. Elle peut bien aller voir le patron et elle peut aller voir l'employé, mais si le patron dit: Oui, j'ai discriminé, c'est fini, l'enquête est terminée là et la commission dit au patron: Vous allez engager ce monsieur. Admettons que ce soit un noir qu'on ait discriminé pour une raison de couleur. La commission dit: Vous allez le faire. Je ne vois pas du tout le problème que vous soulevez.

Le Président (M. Pilote): Mme Audette-Filion.

Mme Audette-Filion: Je pense que la réponse est justement à l'article 70 que vous avez mentionné, et également peut-être à l'article 68. D'abord, on dit que la commission doit avertir le plaignant, si elle refuse de faire enquête, et elle doit aussi avertir les parties du résultat de son enquête. Elle n'a pas d'autres obligations, je ne pense pas. Elle peut aussi recommander à la partie de qui on se plaint de poser un acte. Si la personne ne pose pas l'acte qui est recommandé, évidemment, l'étape suivante sera le tribunal et celadevient public, mais, justement, l'article 71 dit précisément que la commission ne pourra aller au tribunal demander une injonction, par exemple, qu'avec le consentement écrit de la victime. Ce qui veut dire que je ne vois pas la nécessité qu'il y ait de la publicité autour des enquêtes de la commission avant qu'on en soit rendu au niveau du tribunal, puisque le rôle de la commission est un rôle de soutien de l'individu, d'enquête, d'arbitrage et de recommandation et c'est là qu'il s'arrête.

Si cela ne fonctionne pas, le tribunal devient saisi, mais, encore une fois, soit sur demande de la personne lésée ou surdemandede la commission, mais avec le consentement écrit de la personne lésée.

M. Perreault: Très bien, cela répond à ma question.

Le Président (M. Pilote): Je remercie Me Filion, ainsi que ceux qui l'accompagnent, de l'excellence de leur rapport. Soyez assurés que la commission va prendre en considération vos recommandations. Je vous remercie.

J'inviterais à présent M. Levy, porte-parole de la Canadian Jewish Congress, à prendre place.

M. Levy n'est pas là. J'inviterais M. René Mailhot, de la Fédération professionnelle des journalistes de la province de Québec, à prendre place.

Je demanderais à M. Mailhot d'identifier ceux qui raccompagnent.

Fédération professionnelle des journalistes de la province de Québec

M. Mailhot (René): M. le Président, MM. les ministres, MM. de la commission, je voudrais d'abord vous présenter les membres de notre délégation. A mon extrême-gauche, Jacques Plante, Louis Falardeau et, à droite, Gérald Leblanc et Claude-Jean Devirieux. Ce sont tous des gens reliés à la fédération par tradition de travail en collégialité. Tous ces gens seront disponibles après la présentation de notre mémoire pour commentaires, si nécessaire.

Il est intéressant de noter qu'à peu près tous les organismes qui nous ont précédés ont souligné, entre autres, une faille de taille dans le projet de charte, c'est-à-dire le fait que le droit à l'information ne soit pas mentionné.

C'est précisément là-dessus que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec

veut intervenir. Il s'agit pour nous de la continuité d'une pensée que l'on a, à la fédération, depuis maintenant au-delà de cinq ans. On aurait pu intervenir aussi sur certains autres articles, entre autres sur ceux concernant le huis clos ou encore le secret professionnel; nos vues sur ces deux questions sont largement connues des parlementaires québécois puisque l'on est intervenu, dans le passé, à plusieurs reprises là-dessus devant les commissions parlementaires de la liberté de la presse. Nous serons prêts, de toute façon, à commenter ces deux questions par la suite.

Aujourd'hui, nous nous penchons plus particulièrement sur le droit à l'information. Il nous semble inutile d'insister sur la notion de besoin d'information, l'existence de ce besoin étant maintenant reconnue universellement. Cependant, l'existence d'un besoin n'entraîne pas automatiquement la reconnaissance d'un droit. Pour qu'un besoin tel que le besoin d'information débouche sur la notion de droit, il faut absolument que son caractère vital soit démontré.

Se basant sur divers études et travaux ainsi que sur la tendance qui se fait de plus en plus évidente dans tous les pays occidentaux, la FPJQ affirme que le besoin d'information a bien un caractère vital, en ce sens que sa satisfaction est indispensable à l'individu et à la collectivité pour assurer leur survie, que ce soit du point de vue psychologique, social, économique ou politique, au niveau de complexité atteint par notre société.

L'étude des divers droits de l'homme et des diverses libertés montre combien certains d'entre eux et certaines d'entre elles se complètent, combien est grande leur interdépendance. Ainsi, dans bien des matières, l'éducation est complétée par l'information. De même, à quoi servirait la liberté ultime, la liberté de pensée, si l'on ne dispose pas d'une information suffisante pour alimenter la pensée? A quoi servirait le droit d'exprimer librement sa pensée si celle-ci est déficiente? A quoi serviraient les droits d'association et de réunion si l'on ne sait pas dans quel but ni comment atteindre ce but? A quoi servirait le droit de participer à la chose publique si l'on ne possède pas l'information permettant de juger de l'état des affaires publiques? Le droit à l'information conditionne la plupart des autres droits, eux-mêmes indispensables à l'évolution individuelle et collective.

Le droit à l'information, c'est le droit d'aménager la vie au meilleur de nos intérêts. C'est le droit à l'intégrité mentale et même physique de la personne humaine, dont dépend directement notre survie en tant qu'individu et en tant que collectivité. Le droit à l'information est donc bien un droit naturel fondamental de l'homme qui, dans la hiérarchie des droits, se placerait tout de suite après le droit à la vie et dont découlent la plupart des autres-droits naturels fondamentaux.

Ce droit à l'information dont nous venons d'affirmer le caractère naturel et fondamental fait encore l'objet de nombreuses discussions tant sa notion même est nouvelle. Alors que la plupart des autres droits de l'homme ont été reconnus depuis longtemps, il aura fallu attendre 1946 pour que le

Français Paul-Louis Bret, alors directeur de l'agence France-Presse, mentionnât pour la première fois le "droit au fait".

Depuis, l'idée a fait son chemin. Péniblement, cependant, car la notion de droit à l'information et celle de liberté de l'information qui en découle automatiquement, s'opposent à la vieille conception de liberté de la presse que l'on trouve depuis la Révolution américaine dans presque toutes les constitutions des pays occidentaux. Tant d'études et de travaux ont porté sur cette question qu'il ne nous semble pas utile d'y revenir, sinon pour rappeler que c'est au nom de la liberté de la presse que l'on peut, par exemple, publier une nouvelle fausse ou refuser de publier une nouvelle vraie, violant ainsi le droit du public à l'information.

Mais il existe une tendance très nette en faveur de la reconnaissance juridique du droit à l'information. Dès 1949, la République fédérale allemande, rebâtissant à neuf sur des ruines, proclame dans l'article 5 de sa Loi fondamentale (nom donné à la constitution allemande): "Chaque citoyen... a le droit de s'informer librement auprès de toutes les sources d'information généralement accessibles..." Ce n'est pas encore le droit à l'information intégrale qui est maintenant revendiqué partout, mais c'est un réel progrès sur l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par les Nations Unies en 1948 et qui se bornait à reconnaître"... le droit de chercher, de recevoir et de répandre... les informations et les idées...", autrement dit, la liberté de la presse. La République fédérale allemande étant un Etat fédéral, il nous semble intéressant de mentionner que les onze Landerqui la composent ont tous adopté leur propre loi de la presse, alignée sur les termes de l'article 5 de la Loi fondamentale. La meilleure est sans doute celle de la Bavière qui reconnaît aux citoyens "un droit aux informations émanant de l'Etat", ce qui limite ce droit à l'information administrative et politique, mais ce qui constitue néanmoins un autre progrès sur la voie de la reconnaissance juridique.

En ce qui concerne la reconnaissance constitutionnelle du droit à l'information, c'est à peu près tout, en dépit des exhortations répétées de l'Eglise catholique qui, dès le 11 avril 1963, proclamait par la voix du pape Jean XXIII "le droit de tout être humain à une information objective", proclamation renforcée un an plus tard par une déclaration du nouveau pape Paul VI affirmait que "le droit à l'information est un droit universel, inviolable et inaltérable de l'homme moderne puisqu'il est fondé dans la nature de l'homme".

Cependant, la reconnaissance du droit à l'information va se faire dans divers pays "de facto", par le biais de la reconnaissance juridique de la notion de la liberté de l'information qui découle logiquement du droit. Ainsi, dès 1951, par une loi spéciale, la Finlande proclame la liberté de l'accès à l'information concernant les documents et les actes publics (sauf les secrets militaires et matières connexes) et, depuis, l'exercice de cette liberté est considéré comme un droit civil général. En Suède, l'article 86 de la constitution stipule que "tous les documents publics peuvent, sans condi-

tion, être publiés"; par ailleurs, la Loi de la presse, qui est une loi portant garantie constitutionnelle, c'est-à-dire qu'elle ne peut être modifiée qu'avec le consentement de deux Parlements successifs, spécifie que tous les citoyens suédois ont accès aux documents publics (sauf ceux concernant la sécurité nationale et autres matières jugées confidentielles).

La reconnaissance du droit à l'information s'est également faite aux Etats-Unis par le biais de la reconnaissance juridique de la liberté de l'information. Le Congrès américain votait en 1967 le "Freedom of Information Act" qui pose le principe de la publicité des dossiers de l'administration gouvernementale. Cette loi, jugée trop restrictive, est actuellement en cours d'amendement et seules les tribulations politiques vécues par le Congrès avec l'affaire Watergate l'ont empêché d'en libéraliser les termes. La tendance vers la reconnaissance juridique du droit à l'information, aux Etats-Unis, est particulièrement significative. Le premier amendement de la Constitution américaine se borne à déclarer que "Le Congrès ne fera aucune loi... restreignant la liberté de parole ou la liberté de la presse", mais de plus en plus, on voit les tribunaux — et jusqu'à la cour Suprême — interpréter cet article comme étant une garantie constitutionnelle du "Right to know" conformément à la théorie avancée généralement par l'éminent juriste Thomas Emerson.

Selon cette théorie, la liberté d'expression est essentielle à l'homme pour qu'il puisse se réaliser; elle est essentielle à l'avancement de la connaissance et à la découverte de la vérité; elle est essentielle à la société pour qu'elle puisse s'adapter aux circonstances et réaliser un équilibre entre les divergences saines et un consensus nécessaire.

Comme la libre information est indispensable, si l'on veut correctement nourrir la pensée et exposer les problèmes auxquels l'homme et la société doivent réfléchir et s'adapter, elle devient un droit couvert implicitement par le premier amendement. C'est par ailleurs, la reconnaissance implicite du droit à l'information qui inspire la plupart des mesures mises en application dans le domaine de l'information au cours des récentes années, que ces mesures soient dues à des initiatives gouvernementales ou à des initiatives privées.

Sans vouloir nous étendre indûment sur cette question, nous citerons pour mémoire, en plus des garanties apportéesdanscertains pays à la liberté de l'information concernant les actes et documents publics dont nous venons de parler: l'aide accordée par les pouvoirs publics à la diffusion de l'information, que ce soit sous forme de subventions directe aux organes d'information, de réduction des tarifs postaux ou encore d'exemptions fiscales; la lutte entreprise par les gouvernements pour empêcher la concentration des entreprises de presse et garantir la diversité des sources d'information; la mise hors la loi de certains abus de l'information: fausses nouvelles, diffamation, publicité trompeuse, etc.; les efforts entrepris pour améliorer la formation professionnelle des journa- listes; la mise sur pied des conseils de presse, organismes destinés à veiller à la qualité de l'information dans le respect de la liberté de l'information; l'inclusion de codes déontologiques dans les conventions collectives régissant les conditions de travail à l'intérieur des entreprises de presse; les revendications des journalistes concernant la séparation entre la gestion commerciale de l'entreprise de presse et celle de la salle de rédaction; enfin, la mise en place de structures de rétroinformation; etc.

Toutes ces mesures, dont la plupart sont déjà appliquées ou sont sur le point de l'être dans plusieurs pays occidentaux, n'ont en définitive qu'un seul but: aménager le domaine de l'information de façon que le droit à l'information soit respecté et satisfait de la meilleure manière possible. Considérées dans leur ensemble, elles constituent d'ailleurs un embryon de cadre institutionnel dont les grandes lignes sont déjà nettement dessinées et qui, tôt ou tard, finira par régir le fonctionnement de ce que l'on a déjà qualifié de "quatrième pouvoir", qui n'est plus celui de la presse, mais qu'on pourrait plus justement appeler le pouvoir informationnel participant, de concert avec le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, à la régulation et à l'évolution de la société.

Les modalités d'organisation et de fonctionnement de ce cadre institutionnel sont encore, pour la plupart, à inventer au Québec; elles peu-ventd'ailleurs varier selon les circonstances. Mais il nous semble absolument indispensable de le faire reposer, au même titre que pour les autres pouvoirs régissant la société, à la fois sur le principe d'un droit naturel et fondamental, et sur la reconnaissance juridique de ce principe.

La FPJQ a toujours oeuvré, depuis sa fondation, pour l'amélioration de l'information des citoyens; c'est pour cette raison qu'elle a revendiqué et qu'elle a contribué à la mise sur pied du Conseil de presse. C'est aussi pour cette raison qu'elle préconise l'adoption d'un ensemble de textes législatifs qui constitueraient l'armature du cadre institutionnel dont l'information a besoin chez nous comme partout ailleurs. C'est encore pour cette raison qu'elle invite avec force l'Assemblée nationale a insérer dans la future charte des droits de l'homme du Québec le droit à l'information qui constituera ainsi le critère suprême et l'assise juridique sur lesquels il sera ensuite possible de fonder toutes les mesures susceptibles de sauvegarder la liberté de l'information.

Ce faisant, le Québec ne s'aventurerait pas en terrain inconnu, puisque, ainsi qu'on l'a exposé dans ce court mémoire, plusieurs Etats l'ont précédé dans cette voie. Sans doute serait-il, au Canada, la première province à reconnaître officiellement le droit à l'information. Le Québec pourrait ainsi faire figure de leader en ce qui concerne la défense des droits de l'homme et de ses libertés fondamentales.

A notre avis, ce droit à l'information pourrait très bien s'insérer, dès le départ, à l'article 3 du chapitre 1, c'est-à-dire le chapitre concernant les libertés et droits fondamentaux, là où on parle du

droit à la libre expression, du droit à l'instruction, du droit d'association, tout cela. Je sais que M. le ministre a mentionné, tout à l'heure, que ces droits, déjà, constituaient, à toutes fins utiles, le droit à l'information. Vous nous permettrez de ne pas être d'accord sur cette interprétation de ces droit. On pourrait, par exemple, dire que, si un citoyen du Témiscamingue ou de la Gaspésie a le droit à la libre expression, le droit de parole ou le droit d'association, il n'a pas forcément le droit à l'information, parce qu'il peut en être privé, et c'est le cas.

En faisant un survol assez général du Québec, on pourrait comme cela trouver plusieurs endroits où les gens, effectivement, n'ont pas ce droit à l'information.

Quand un Etat permet une concentration indue qui débouche sur des situations de monopole, soit à l'échelle locale, régionale ou nationale, le droit à l'information est brimé parce que l'on coupe la diversité dans l'information, etc. On peut revenir là-dessus. Quand l'Etat ne permet pas le secret professionnel pour les journalistes, c'est un peu ce qui risque de se passer. Quand l'Etat permet, faute de s'être penché plus sérieusement sur le problème, la saisie de matériel journalistique par les corps policiers ou l'arrestation indue du journaliste, c'est encore le même droit qui est brimé. Quand on permet le huis clos ou un huis clos indu, c'est encore ce même droit qui est brimé. Et on pourrait continuer comme cela, par exemple, en parlant de la question du papier journal; si l'Etat permet qu'une situation assez anarchique, comme celle qu'on connaît maintenant, se perpétue et que cela puisse avoir comme conséquence que certains journaux qui ont les reins moins solides que d'autres disparaissent du marché, c'est encore ce même droit qui est brimé. Quand l'Etat les retient indûment ou permet ou ne permet pas l'accessibilité aux documents publics, c'est encore ce même droit qui est brimé. Et je ne pense pas que le droit à l'expression, ou le droit de parole, ou le droit d'association soit suffisant dans un cas comme celui-là.

Le Président (M. Pilote): Avez-vous terminé? L'honorable ministre de la Justice.

M. Choquette: Voici, je n'ai rien contre l'idée du droit à l'information. Je pense que donner une information extensive et complète est sûrement un objectif désirable, et cela s'inscrit tout à fait dans un contexte démocratique, pour permettre aux citoyens de juger des affaires publiques et, le cas échéant, de prendre des positions, soit à l'occasion d'élections ou autrement. Alors, ce n'est pas que j'en ai contre l'objectif que vous visez. A ce point de vue, je vous dirais que je vous suis reconnaissant d'avoir souligné un certain nombre de législations étrangères où on a mentionné ce droit à l'information.

Mais je vous pose la question: Comment voyez-vous ce droit à l'information dans un projet de loi qui cherche, en même temps qu'il énonce des principes, à rendre ces principes concrets et à donner et conférer des droits spécifiques qui dé- coulent de la violation de ces droits? Vous aurez noté, par exemple, que les droits qui sont mentionnés généralement dans ce projet de charte peuvent faire l'objet de sanctions par les tribunaux. Moi, je vous demande comment le droit à l'information, principe sur lequel je n'ai aucune critique à faire, pourrait faire l'objet d'une sanction par les tribunaux?

M. Mailhot: Nous le voyons dans le domaine des droits fondamentaux, dès le départ. Il n'y a absolument rien qui nous empêcherait — et d'en tenir compte dans la Charte des droits de l'homme — de circonscrire quatre ou cinq de ces droits parce qu'il faut absolument disséquer la notion de droit à l'information, qui est quand même un droit très vaste. Il n'y a rien qui nous empêcherait donc de circonscrire trois ou quatre de ces droits, de les inscrire dans la charte, évidemment à titre non limitatif, et de poursuivre, par la suite, à développer graduellement un cadre institutionnel législatif qui s'attaquerait à des problèmes aussi importants — auxquels on est confronté de plus en plus sérieusement, ailleurs, depuis deux ou trois ans — que le problème de la concentration des entreprises de presse, que la question du secret professionnel. Vous avez vous-même souligné, lors des discussions à l'Assemblée nationale sur ce projet, que vous étiez en train d'étudier d'assez près la question du secret professionnel pour les journalistes.

Alors, ilfautquand mêmecommencerquelque part. On voyait l'inscription de ce droit dans la charte comme une espèce de pierre angulaire, si vous voulez, ou de pierre d'assise sur laquelle on pourrait baser tout le reste.

M. Choquette: Vous avez parlé de décortiquer l'idée de droit à l'information en un certain nombre de droits qui pourraient être inscrits à la charte. Est-ce que vous pourriez me citer ces éléments qui pourraient être mentionnés?

M. Mailhot: Dans ceux que j'ai déjà mentionnés, il y aurait au départ, bien sûr, celui qui me paraît, dans l'immédiat, comme étant le plus urgent, peut-être pas dans l'ordre, je veux dire, pas le seul problème très important, mais le plus urgent parce qu'on vit actuellement une situation assez catastrophique dans ce domaine, c'est le problème de la concentration des entreprises de presse. Je pense que l'Etat peut assez facilement en arriver à adopter une position très claire vis-à-vis de ce problème. Cela fait quand même quatre ou cinq ans que l'on en parle au Québec, les commissions parlementaires de la liberté de la presse ont été saisies de mémoires, d'études, de faits, de chiffres par des douzaines d'organismes différents, entre autres le nôtre, et on sait très bien ce qui se passe au Québec, on a une image très précise de la situation. Il est même presque impensable de réaliser qu'en 1975, alors que l'on vit ces problèmes depuis plusieurs années, on n'a encore rien fait dans ce domaine. Cela pourrait être un droit inscrit, quand je parle d'en circonscrire trois ou quatre.

On a fait état dans notre mémoire, à plusieurs reprises — et certains organismes avant nous en ont fait état aussi — de l'accessibilité aux documents publics. C'est un problème auquel on est confronté au Québec, régulièrement aussi. La charte, comme telle, fait état de la question du huis clos; elle fait état de la question du secret professionnel. Cela aussi, ce sont deux droits qui pourraient être circonscrits et inscrits au chapitre du droit à l'information.

Alors, il s'agirait d'en circonscrire un certain nombre, comme ceux-là, de les étudier de plus près.

M. Choquette: Evidemment, tous les cas que vous mentionnez soulèvent des débats en eux-mêmes. Si on commence par le secret professionnel des journalistes, on sait que, dans environ la moitié des Etats américains, il y a des lois qui protègent, dans une certaine mesure, le journaliste quant à la divulgation de ses sources. Mais ce n'est pas une protection absolue, dans le sens que le journaliste peut, dans certaines circonstances, être contraint de divulguer ses sources; il y a une discrétion pour le tribunal d'appliquer au journaliste en question le secret ou la protection des sources, ou de ne pas l'appliquer. Cela dépend des circonstances. Je crois qu'il n'y a pas d'Etat qui ait donné un droit absolu au journaliste de refuser de répondre parce qu'il a un secret professionnel, à moins que l'on me corrige.

M. Falardeau: Là-dessus, M. le ministre, la fédération, devant la commission Davey, et on avait aussi déposé ce mémoire en annexe ici, lors d'une commission parlementaire sur la liberté de la presse, ne demandait pas le droit au secret professionnel comme un privilège pour les journalistes, mais bien comme un droit pour les citoyens d'être informés, et on demandait que le journaliste n'ait pas le choix de conserver, de garder le secret professionnel, mais que l'objet de la conversation privilégiée ne puisse pas être mis sans preuve devant les tribunaux.

Il y a déjà des Etats américains, notamment l'Etat de New York, qui donnent un droit absolu au secret professionnel. Mais le danger, dans certains cas, c'est qu'on laisse au journaliste le choix et, pour nous, a ce moment-là, cela devient un privilège qu'on donne au journaliste; or, ce n'est pas au journaliste qu'on doit le donner, mais c'est plutôt un droit qu'on doit reconnaître aux citoyens.

M. Devirieux: M. le ministre, j'aimerais ajouter que si je me réfère à l'étude de droits comparés que j'ai faite récemment, il y a plusieurs Etats européens qui reconnaissent le droit au secret professionnel absolu, notamment la Suède et notamment — dans une mesure moindre évidemment, il y a toujours des cas d'exception — les autres pays Scandinaves et l'Allemagne. La Belgique a un système curieux; c'est qu'il n'y a pas de texte proprement dit mais il y a une tradition qui veut que jamais, jamais, depuis des décennies, un journaliste ne soit appelé à témoigner.

L'idée fait son chemin en France et en Angleterre. En Angleterre, il y a eu une commission royale d'enquête sur cette question, qui a déposé des recommandations, et nous pourrions éventuellement vous faire tenir la documentation que nous avons.

Maintenant, je voudrais ajouter à ce qu'a dit René Mailhot. C'est que nous voyons l'inclusion du droit à l'information dans une charte comme l'étape première; de la même façon que l'Allemagne a rebâti à neuf, sur des ruines, nous, nous bâtissons à neuf. Pourquoi, dans une première étape, ne pas d'abord reconnaître ce droit auquel vous ne vous opposez pas — vous venez de nous le dire — quitte ensuite à charger la commission des droits de la personne, par exemple, de faire une enquête plus élaborée pour établir des lois particulières, des textes particuliers, qui viendraient compléter la déclaration de principe?

Mais il nous semble absolument indispensable que l'on ait d'abord, non seulement une déclaration de principe, mais une base juridique fondamentale. Ce serait la seule façon. Il y a tellement de choses, la bibliographie sur le sujet est très importante. On pourrait vous citer une bibliographie volumineuse. La notion de droit à l'information, de plus en plus, l'emporte sur la traditionnelle notion de la liberté de la presse ou la liberté d'expression à laquelle on continue à se raccrocher par habitude, mais qui date quand même de près de 200 ans, qui était liée à un contexte social, économique et politique qui n'est plus le nôtre.

C'est la raison pour laquelle, je pense, puisque l'Etat du Québec a l'occasion de faire du neuf, il devrait saisir cette occasion au vol.

M. Choquette: J'aimerais, si c'était possible, qu'on me fasse parvenir la documentation que vous avez accumulée sur la question et je pourrai alors me former une opinion.

M. Devirieux: Nous le ferons avec plaisir, d'autant plus que c'est grâce à une bourse de l'Etat du Québec que nous avons recueilli cette documentation.

M. Choquette: Ah! bon. Parfait. Très bien. Quant à l'accès aux documents publics qu'est-ce qu'on appelle documents publics?

M. Devirieux: Tous les dossiers de l'administration gouvernementale devraient être ou sont considérés par des lois comme le "Freedom of Information Act" des Etats-Unis ou comme la Loi de la presse de Suède ou la Loi sur la liberté de l'information de Finlande, etc. Les lois que nous avons mentionnées au passage dans ce court mémoire sont déclarées d'intérêt public, sauf, évidemment, des questions qui doivent demeurer confidentielles, comme, par exemple, les questions touchant la Défense nationale. Il est bien évident que si, un jour, le conflit qu'il y a entre Terre-Neuve et le Québec s'aggravait au sujet du Labrador, le jour où nous déplacerions nos troupes, il faudrait que ce soit un secret bien gardé.

Mais nous n'en sommes pas encore là au Québec, voyez-vous. Nous n'avons pas, comme la commission qui siège au salon rouge, apporté notre maquette, mais...

Les questions touchant les enquuêtes policières en cours peuvent évidemment constituer des cas d'exception. Quant au reste, la tendance, notamment dans la république voisine, aux Etats-Unis, est que tous les documents émanant de l'administration gouvernementale soient publics et on en a eu la preuve avec toute l'affaire Watergate. L'affaire Watergate est en quelque sorte la preuve, dans le concret, dans la pratique, de la doctrine du droit à l'information chez nos voisins du sud.

M. Choquette: Mais on pourrait citer de multiples exemples. La voirie aurait des projets de développement routier, par exemple; s'il y avait le droit a l'information, quelqu'un pourrait aller voir quels sont ces projets de développement, acheter des terrains et faire de la spéculation.

M. Choquette:... s'il y avait le droit à l'information, quelqu'un pourrait aller voir quels sont ces projets de développement, acheter des terrains, faire de la spéculation. Il y a beaucoup d'activités gouvernementales qui ne méritent pas d'être connues au moment où elles sont en état d'élaboration. J'ai un peu de difficulté à circonscrire...

M. Falardeau: Peut-être que les documents sont publics, mais qu'on devrait prévoir, bien sur... Je dis que la règle devrait être que les documents sont publics et qu'on devrait prévoir des exceptions. On n'a pas fait de listes d'exceptions possibles, mais il y en aurait sûrement un bon nombre. Mais la règle devrait être que les documents sont publics.

M. Devirieux: Nous pouvons toujours nous inspirer de ce qui se fait ailleurs. Je pense que c'est la meilleure façon de procéder et notamment les pays Scandinaves, tout au moins les pays nordiques parce que la Finlande ne se considère pas comme un pays Scandinave, sont dans le domaine de l'information très en avance. Ces gens-là ont des populations comparables à la nôtre, vivent dans des conditions climatiques et géographiques comparables aux nôtres. Nous nous en sommes inspiré en ce qui concerne le Protecteur du citoyen et ils ont, eux, des modalités d'application de ce principe de l'accès aux dossiers de l'administration gouvernementale.

M. Mailhot: Je voudrais faire remarquer à M. le ministre, que, si on n'a aucune sorte d'objection à soulever toutes ces questions ou tous les aspects de ces questions ici aujourd'hui, il faut quand même réaliser qu'on n'arrive pas, en discutant de cela pour la première fois, cela fait quand même quatre ou cinq ans qu'à peu près toutes ces questions ont été étudiées et de très près en commission parlementaire de la liberté de la presse. Vous parliez tout à l'heure de dossiers. Est-ce qu'on peut vous faire parvenir les dossiers? Bien sûr qu'on vous fera parvenir des dossiers, mais on en a fait parvenir quasiment une charge de camion depuis cinq ans. C'est-à-dire que c'est notre responsabilité d'étudier de très près toutes ces questions et d'en arriver éventuellement et le plus tôt possible à un cadre qu'on décrivait, dans notre document, comme un cadre institutionnel législatif concernant les problèmes de la presse. Mais je vous avoue qu'après cinq ou six ans, on commence à sentir qu'il y a, sinon un manque d'intérêt, on trouve que cela prend du temps. C'est dans ce contexte, comme le soulignait M. Devirieux, qu'on se dit que la charte des droits de l'homme serait un excellent moyen pour établir une base ou faire une première étape à ce cadre législatif que l'on envisage.

M. Choquette: Je note cela avec intérêt. Une dernière question. Qu'est-ce que vous pensez des dispositions de la Loi de la presse actuelle, qui permet à un journal de se rétracter, dans un délai donné, à la demande d'un citoyen, et le citoyen, devant une rétractation, perd l'avantage d'une action en dommages pour atteinte à sa réputation, au moins pour les dommages moraux qu'il a subis, pas pour les dommages matériels. Je note à ce sujet que la Loi de la presse ne parle que de journaux écrits et, par conséquent, exclut les media d'information du genre radio, télévision, etc. Que pensez-vous de ces dispositions?

M.Falardeau: Nous avons déjà signalé, en commission parlementaire sur la liberté de la presse, que, justement, la Loi de la presse était vieillotte en plusieurs de ses parties, notamment parce qu'elle ne s'adresse qu'à la presse écrite, ne serait-ce que cela. Je suis bien d'accord avec vous qu'il y aurait beaucoup de modifications à apporter. Je ne suis pas certain que le fait qu'un journal publie une rétractation enlève tous les droits de poursuite, notamment au criminel...

M. Choquette: Non.

M. Falardeau: ...d'une part, et même au civil. Je pense qu'il faut que la rétractation efface le dommage ou le tort pour que... Là-dessus, je suis d'accord avec vous que la Loi de la presse est désuette en bien des parties. De toute façon, elle couvre peu. Elle couvre très peu de choses dans le domaine de la presse.

M. Devirieux: J'ajouterais, M. le ministre, que dans ce domaine, nous sommes à la remorque de la législation fédérale puisqu'une clause du code criminel concernant le libelle diffamatoire ne s'applique pas non plus à la radio, ni à la télévision.

M. Choquette: Oui, le code criminel a une application générale. Il s'appliquerait à n'importe quelle diffamation de nature criminelle ou par quelque media qu'elle soit commise.

M. Devirieux: Elle ne concerne que l'information écrite.

M. Choquette: Le libelle, c'est écrit, et la diffamation, c'est verbal. Je crois que le code criminel vise les deux.

Le libelle, c'est un écrit qui est de nature diffamatoire, tandis que la diffamation, c'est verbal.

M. Leblanc: M. le ministre, j'aimerais revenir sur l'accessibilité à l'information gouvernementale et vous dire que ce serait peut-être important qu'on ait ce droit fondamental d'inscrit comme référence. Je voudrais vous rappeler votre propre expérience. A la fin de la dernière session, vous déploriez le fait qu'une loi — que vous trouviez excellente et qui l'était, je crois — sur la protection des enfants victimes de sévices physiques n'ait pas eu la diffusion qu'elle aurait dû avoir. Je voudrais vous rappeler que, peut-être, si on avait un texte reconnaissant ce droit fondamental à l'information, en y ajoutant le devoir connexe pour le gouvernement de la diffuser, peut-être qu'il serait plus gênant pour un gouvernement de faire adopter 85%de ses loisdans lesdeux derniers mois de fin de session. Peut-être qu'il serait plus gênant pour un gouvernement de déposer 61 de ses 97 projets de loi dans les mois de juillet et de décembre. Peut-être que ce ne serait pas superflu de l'avoir.

M. Choquette: Je ne sais pas si cela réglerait le problème législatif...

M. Leblanc: Au moins...

M. Choquette: ...mai s c'est un droit à l'information.

M. Leblanc: ...on pourrait faire appel à la gêne.

Le Président (M. Pilote): L'honorable ministre des Communications.

M. L'Allier: M. le Président, je voudrais remercier la fédération de son mémoire. On ne peut pas blâmer la fédération d'avoir présenté un mémoire succinct, parce que, comme M. Mailhot l'a dit, des centaines et des milliers de pages de documents ont déjà été déposées à la commission sur la liberté de la presse sur ce sujet.

En fait, si je comprends bien, la préoccupation de la fédération, à ce moment-ci, c'est de voir inscrire, dans une charte québécoise des drojts de l'homme, le principe général du droit à l'information — je reviendrai un tout petit peu là-dessus. Cela est entendu que dans son application cela suppose divers types d'intervention, soit via le Conseil de presse, soit via d'autres mécanismes. Ce chapeau général qu'on retrouverait dans la charte permettrait, dans l'évolution normale des structures — Conseil de presse, etc. — de s'inspirer de ce principe pour en arriver à une cohérence dans toutes les interventions qui touchent l'information. Dans ce sens, c'est un droit à l'information.

C'est de même un droit qui va aussi loin que le droit à la communication au sens général. Ce n'est pas un droit à l'information en sens unique, au sens où on entend des gens qui la détiennent et qui auront l'obligation de la fournir. Cela va aussi loin que de dire que les gens qui la reçoivent peuvent aussi utiliser les moyens pour informer à leur tour. C'est dans ce sens que je parle d'un droit qui n'est pas plus général, mais qui est un autre terme à la communication. Dans ce que vous avez dit, on pourrait faire toutes sortes de distinctions, même si les choses se recoupent presque complètement. Il y a deux aspects qui se distinguent un peu plus. C'est, d'une part, le droit à la cueillette de l'information par ceux qui ont la responsabilité publique de transmettre l'information et, d'autre part, le droit à l'accessibilité des sources d'information. Je pense ici, par exemple, aux disparités régionales. En ce sens, un tel principe, sur lequel je suis personnellement d'accord, permettrait des interventions éventuellement pour amenuiser tout au moins les disparités régionales au Québec dans l'accès aux sources d'information, permettrait éventuellement peut-être d'inscrire, dans le cadre normal des lois, des institutions, un cadre qui fait en sorte que non seulement les citoyens ont droit aux sources d'information, mais qu'ils ont droit à une information qui corresponde à leur environnement, à leur région, à leur façon de vivre, plutôt qu'à une information strictement anationale, strictement de l'information d'agence de presse, par exemple.

Or, si on pouvait trouver une façon d'inscrire ce principe dans la Charte des droits de l'homme, je pense que cela pourrait la bonifier. Je suis, cependant, conscient des difficultés qu'a soulevées le ministre de la Justice parce que de l'inscrire, par exemple, à l'article 3, à côté de la liberté de religion, de la liberté d'expression, seulement cette simple phrase "droit à l'information" rend extrêmement difficile... si on n'a que cela, à la fois les contrôles et l'exercice des sanctions au même titre que la liberté de religion. Il faudra donc qu'il se passe des choses qui permettent de dire qu'on a mis en danger ce droit à l'information pour des groupes et pour des individus, mais je fais plutôt confiance au développement normal des institutions qui sont à se mettre en place, comme le Conseil de presse et comme d'éventuelles réglementations sur la concentration des entreprises, à partir du cas du Soleil, pour que se traduise, dans ces institutions qui puiseront leur autorité de cet article qui sera inclus dans la charte, une règle de conduite générale, qui porte non seulement sur le droit à l'accès aux sources d'information, aux documents publics, telle ou telle chose, mais qui va aussi loin que de favoriser le droit des citoyens à l'accessibilité à l'information, ce qui permettrait de le faire, à ce moment.

Est-ce que j'interprète bien la pensée de la fédération en disant ces choses? Est-ce cela que vous avez voulu toucher?

M. Devirieux: Oui, absolument. Le droit à l'information est un droit à la fois individuel et collec-

tif. C'est le droit de l'individu, du fait qu'il est membre de la collectivité, et c'est le droit de la collectivité, en tant que telle, de recevoir toute l'information qui le ou qui la concerne, c'est-à-dire tout ce qui se passe dans son environnement et, par la suite, de faire connaître sa réaction. Vous l'avez bien dit. Nous sommes parfaitement en accord avec vous et, pour que ce droit puisse être respecté, satisfait, il faut absolument que l'information soit libre, c'est-à-dire que les mécanismes de l'information puissent opérer librement, c'est-à-dire que les documents concernant l'administration gouvernementale soient accessibles, c'est-à-dire que les journalistes professionnels puissent avoir droit au secret professionnel pour ne pas ensuite se priver de sources d'information qui brimeraient le droit à l'information des citoyens en retour, pour qu'on puisse empêcher, je ne sais quelle puissance maléfique, d'acheter ou de mettre le grappin sur tous les organes d'information du Québec et, ensuite, de ne donner qu'une information orientée à la majorité de nos citoyens, etc.

Cela pourrait justifier aussi des initiatives gouvernementales pour implanter des organes d'information communautairesou autresdansdes régionsoù il n'y apas, actuellement, d'organe d'information.

Evidemment, comme nous l'avons dit dans notre mémoire, à partir du principe de base que nous aimerions voir absolument inclure dans ce document parce que, habituellement, on ne retouche pas des documents semblables... Les Etats-Unis vivent encore avec une constitution qui date de 1784. Par exemple, ce sont des acrobates de l'interprétation constitutionnelle. Nul pays au monde n'interprète la constitution comme les Etats-Unis, mais nous n'en sommes pas encore là et, étant donné qu'on ne retouche pas des documents de ce genre tous les ans, même si ce sont de simples lois du Parlement, comme le faisait remarquer tout à l'heure le ministre de la Justice, il faut absolument partir de quelque chose et la seule façon de partir est d'inclure le droit à l'information, mais nous l'inclurions dans la déclaration de principe des droits naturels fondamentaux de la personne humaine et de la collectivité, c'est-à-dire droit à la vie, droit à la sûreté de la personne, etc.

M. L'Allier: Ce qui veut dire, en d'autres mots, qu'une fois que ce droit à l'information sera inclus dans les libertés fondamentales, tout le travail reste à faire pour déterminer son application par secteurs d'activité.

Par exemple, le document administratif. Vous faisiez tout à l'heure allusion à la Suède où la règle est effectivement qu'un document administratif est public. Vous me contredirez si c'est inexact, si je me souviens bien, la liste des exceptions s'allonge, année après année, de documents qu'on doit exclure au fonctionnement de la règle. On se rend compte que des cas auxquels on n'avait pas pensé, qui peuvent toucher, soit les travaux publics, soit ce que donnait comme exemple le ministre de la Justice, les travaux de voirie, on n'avait pas pensé au début d'inscrire cela, mais il faut, à l'exercice, l'inscrire. C'est donc le commencement d'un exercice de définition de s moyen s de garantir le droit à l'information, en ce sens que la simple inscription du droit à l'information ou à la communication dans l'article 3, en lui-même, même si ce n'est que cela et si, au cours des mois et des années qui suivent, cela ne se produisait pas par des mesures plus concrètes pour la concentration, pour la documentation publique, pour l'accessibilité régionale, cela demeurerait davantage une déclaration de principe assez difficilement applicable.

M. Mailhot: Est-ce que je peux faire remarquer au ministre L'Allier qu'une grande partie de ce travail est déjà faite, à la commission parlementaire de la liberté de la presse et devant des comités spéciaux, que ce soit devant la commission Davey ou d'autres commissions?

S'il ne s'agissait que d'étayer le droit du public à l'information dans le projet de charte, cela pourrait se faire assez facilement. Comme je le soulignais tout à l'heure, on pourrait circonscrire trois ou quatre droits, mais à titre non limitatif évidemment.

M. L'Allier: Je suis d'accord avec M. Mailhot, M. le Président, que les travaux d'approche sont faits. On sait assez précisément là où on devrait intervenir et de quelle façon. Il resterait quand même à compléter et à mettre le point final aux secteurs qui ont déjà été largement fouillés par la commission sur la liberté de la presse.

On peut donner toutes sortes d'exemples sur les documents administratifs qui ne sont pas suffisamment accessibles, bien qu'ils soient publics et là, on pourrait avoir une longue discussion à partir de ce qui est la notion d'un document public. Un document public, c'est un document fini, final, qui est le rapport d'experts, par exemple, ou s'il s'agit de tous les documents partiels qui amènent à la conclusion finale d'une étude sur un sujet donné. On pourrait discuter assez longuement là-dessus.

Prenons par hypothèse un document public, un arrêté en conseil, une loi, un rapport d'enquête qui a été remis et qui demeure confidentiel; il pourrait se produire dans certains cas qu'il doit être confidentiel pendant un temps donné, parce qu'on veut le compléter par d'autres études, mais généralement, il devrait être public du jour où il devient un outil de réflexion qui amène à une intervention de l'Etat.

M. Mailhot: Un fait est à remarquer, c'est que depuis cinq à six ans, les journalistes du Québec n'ont jamais autant réfléchi à ces problèmes, n'ont jamais autant accepté de se regarder, d'analyser leur travail, d'essayer de trouver des solutions à l'amélioration de la qualité de l'information. C'est tellement vrai, qu'on a maintenant un conseil de presse au Québec qui est parmi les conseils de presse qui avait la structure peut-être la plus complexe et c'est un conseil qui, jusqu'à maintenant, fonctionne assez bien.

On a tellement travaillé qu'on est à la toute

veille de se doter d'un code d'éthique professionnelle. Mais ce qu'on remarque, c'est qu'autant les journalistes ont eu, depuis cinq à six ans — et je ne veux pas dire par là que les journalistes qui nous ont précédé n'ont pas accepté de se regarder un peu — on se rend compte qu'autant on a pu, nous, faire des efforts énormes pour essayer de trouver des solutions aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, auxquels notre société est confrontée dans le domaine journalistique, autant l'Etat jusqu'à maintenant, a fait la sourde oreille à ces problèmes.

Je vous avoue que c'est un peu frustrant parce qu'on peut se doter d'un code d'éthique, on peut mettre sur pied toutes sortes d'instruments de travail, si dans nos relations avec l'Etat ou si, dans les relations de l'Etat avec le monde de l'information ou avec des termes, des théories comme le droit à l'information, cela demeure un vaste champ anar-chique, il est difficile de continuer dans ce...

Vous faisiez état de la Loi de la presse, c'est une loi qui date pratiquement du XIXe siècle. On peut s'en servir comme point de départ, bien sûr, mais cela ne vaut même pas la peine de passer des heures à disséquer cette loi et essayer d'en remodeler une, enfin, essayer d'y apporter des amendements. Comme l'ami Devirieux le soulignait, je pense qu'il serait de beaucoup préférable de commencer à bâtir à neuf puisqu'il n'existe à peu près rien.

Le Président (M. Pilote): Le député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: M. le Président, je voudrais, bien sûr, remercier les membres de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et je voudrais également les féliciter de nous avoir présenté ce mémoire.

En effet, dans les principes que nous retrouvons dans la présentation de leur mémoire, je vous assure, quant à moi, que ces principes sont absolument valables et nous devrions les respecter de part et d'autre en ce qui concerne le droit à l'information. C'est pourquoi j'appuie cette demande que vous faites de voir inséré le droit à l'information dans la loi, parce que ces excellents principes que vous énoncés n'ont pas toujours été respectés et ne sont pas toujours respectés.

Bien entendu, M. le Président, le monde de l'information doit pouvoir jouir de certains privilèges lui permettant de donner cette information juste à une population qui, également, a ce droit à l'information juste. Je pense que ce matin, quant à moi, vous avez frappé dans le mille. J'espère — c'est un voeu que je formule — que tous les membres de votre fédération, et tous ceux du monde de l'information, partagent votre point de vue à ce point de le mettre en pratique plus souvent qu'ils le font présentement.

Lorsque nous retrouvons, dans l'avant-dernière page du mémoire, que toutes ces mesures, dont la plupart sont déjà appliquées ou sont sur le point de l'être dans plusieurs pays occidentaux, n'ont en définitive qu'un seul but, aménager le domaine de l'information de façon que le droit à l'information soit respecté, je pense que c'est autour de tout cela que le débat doit se situer, autour de ce droit du public à une information. Quand je dis: Le droit du public à une information, cela veut dire que le public, partout, sur notre territoire, non seulement dans la ville de Montréal ou de Québec, mais partout sur le territoire, le public doit pouvoir avoir accès à une information, en provenance du gouvernement ou d'ailleurs, qui soit juste. Je souligne que ce n'est pas toujours le cas. Je risque d'être interprété dans la presse demain, encore une fois, mais je pense qu'il faut que cela se dise. Si on m'interprète demain, je vous appellerai, M. Mailhot, pour vous le dire. J'aurais peut-être pu vous appeler plusieurs fois, mais en tout cas.

Il demeure une chose, c'est qu'à titre d'exemple, quand on voit dans un journal un titre, c'est évident que la première chose que nous faisons, c'est de lire le titre. Lorsqu'on arrive à lire l'article qui est sous ce titre, il arrive malheureusement quelquefois que l'article est absolument contradictoire avec le titre. Je pense que c'est une mauvaise information à l'endroit du public. Je ne veux jeter la pierre à personne. Je ne veux pas dire que c'est la faute du journaliste parce que j'ai l'impression que ce genre de chose n'est justement pas la faute du journaliste qui a écrit l'article; mais on parle d'un principe général. Alors, le principe général fait que la livraison de l'information, en partant de l'information qui est donnée, peut être modifiée en chemin de telle sorte que la livraison n'est plus ce qu'aurait dû être, en termes commerciaux, la commande.

Alors, M. le Président, quant à moi, je considère que les efforts faits par la fédération des journalistes sont louables, notamment quand on nous annonce qu'il y aura très bientôt un code d'éthique. Je pense que c'est très important. Même si on mettait dans la loi 50 le droit à l'information, s'il n'y avait pas ce code d'éthique et si ce code d'éthique n'était pas respecté, j'ai l'impression que ce serait peut-être tourner en rond en invoquantde grands principes, mais en ne les respectant pas.

Cela me plaît énormément de voir que vous avez été aussi loin que de vouloir présenter un code d'éthique. Evidemment, je suis persuadé que vous avez bien l'intention de la respecter. En ce qui concerne les documents publics qui doivent être mis à la disposition des journalistes, je suis d'accord avec vous sur une bonne partie des demandes que vous faites. Malheureusement, je n'irai peut-être pas jusqu'au bout des demandes que vous faites, parce que mon impression et ma conviction sont qu'il doit y avoir une différence entre un document qui est fini et prêt pour publication et une intention. Si on publie une décision, c'est une information qui part de quelque chose qui est décidé. Si on publie une intention, c'est évident que c'est de l'interprétation en quelque sorte, parce que les intentions peuvent s'interpréter facilement. Il y a peut-être lieu d'aller plus en détail et de trouver à quel endroit on peut situer la ligne de démarcation. Mais, quant au principe

lui-mêmede l'accessibilité du monde de l'information aux documents publics, j'y souscris entièrement.

En terminant, M. le Président, je voudrais poser une couple de questions à M. Mailhot ou aux autres qui voudront peut-être répondre. Croyez-vous, dans votre optique et avec l'expérience que vous avez dans le monde de l'information, qu'un seul amendement à l'article 3, qui ajouterait le droit à l'information, serait suffisant et suffisamment clair pour garantir une information juste et au monde de l'information et aux citoyens qui sont ceux à qui ont doit livrer l'information?

M. Falardeau: Là-dessus, je pense qu'on a déjà répondu que c'était seulement un premier pas qui devrait être complété par d'autres lois. Je voudrais revenir sur certaines des remarques du député de Rouyn-Noranda, notamment quant à l'éthique. La fédération, qui ne s'est jamais considérée comme le défenseur des journalistes a toujours refusé également de s'ériger en censeur de ses membres. La fédération n'a jamais voulu considérer, n'a jamais voulu juger les manquements à l'éthique de ses membres. Il serait assez futile et inutile d'appeler M. Mailhot ou d'autres, si vous êtes mal interprété. Mais la fédération, jugeant que ce n'était pas aux journalistes de juger les journalistes, a travaillé, avec les employeurs notamment, à mettre sur pied un Conseil de presse. C'est ce Conseil de presse, dont plus du tiers des membres viennent du public, donc de personnes qui ne font pas partie du monde de l'information, qui va publier un code d'éthique. Ce n'est pas la fédération. C'est ce Conseil de presse qui va être chargé de faire respecter le code d'éthique. Je pense qu'il est important de signaler cela.

D'autre part, dans une remarque plus générale, je voulais souligner que, quand la fédération demande la reconnaissance du droit à l'information, elle ne demande aucun privilège pour les journalistes. Elle demande qu'on reconnaisse un droit aux citoyens. On est bien conscient que cela va probablement donner beaucoup plus de devoirs que de droits aux journalistes. Cela va peut-être faciliter leur travail dans une certaine mesure, mais cela va être exigeant aussi. Si l'inscription dans la charte du droit à l'information est exigeante pour le gouvernement et pour les corps publics, elle le sera aussi pour les journalistes et pour la profession en général.

M. Samson: Merci. M. le Président, une dernière question. Croyez-vous qu'il serait valable en ce qui concerne la formation de la commission des droits de la personne — j'espère qu'il y aura une possibilité d'ajouter le droit à l'information dans la loi — advenant qu'il y ait ce droit à l'information dans la loi, que quelqu'un du monde de l'information fasse partie de cette commission?

M. Mailhot: Ecoutez, il est bien évident que l'on aimerait — on parle du droit à l'information, mais, comme je le soulignais au ministre L'Allier tout à l'heure, il y a déjà une bonne partie du travail qui est fait, celui de disséquer ce droit, de l'étayer et tout cela.

Il est bien évident qu'on aimerait se faire entendre si l'on inclut dans la charte non seulement le droit à l'information, le droit général, mais qu'on décide aussi de circonscrire certains de ces droits ou certains aspects de ce droit.

M. Samson: Merci.

Le Président (M. Pilote): D'autres questions? On vous remercie, M. Mailhot, ainsi que ceux qui vous accompagnent. Soyez assurés que la commission va prendre bonne note de vos recommandations.

La commission suspend ses travaux à cet après-midi, quinze heures.

(Suspension de la séance à 13 h 6)

Reprise de la séance à 15 h 10

M. Pilote (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs!

Association des parents catholiques du Québec

Le Président (M. Pilote): Nous allons entendre, cet après-midi, en premier lieu, l'Association des parents catholiques du Québec, représentée par Mme Adeline Mathieu, que j'inviterais à s'avancer pour présenter son mémoire, ainsi que celle qui l'accompagne.

Mme Mathieu: ... lever le micro?

Le Président (M. Pilote): Je pense que vous pouvez demeurer assise, parce que si le mémoire est un peu long...

M. Choquette: II suffit de le faire fonctionner par le bas.

Le Président (M. Pilote): C'est cela. Baissez-le.

Mme Mathieu: On attendait un autre représentant de Québec qui n'est pas encore arrivé.

Le Président (M. Pilote): Commencez par nous présenter votre mémoire. Il arrivera peut-être entre-temps.

Mme Mathieu: Je voudrais aussi présenter Mme Anna Normand, de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, la vice-présidente de l'association.

Le présent avis s'appuie sur des mémoires qui ont déjà été présentés par notre association aux différentes instances gouvernementales à propos des projets de loi concernant l'éducation et la famille.

Depuis sa fondation, notre association a multiplié les enquêtes, les études et les représentations. Toutes ses sections ont continuellement participé à ses prises de position à l'occasion de ses assemblées générales et de ses consultations. Nos différents congrès ont toujours regroupé plusieurs organismes, et nos recommandations expriment non seulement les volontés de nos membres, mais rejoignent les désirs de tous ces mouvements qui ont appuyé nos démarches.

Je ne veux pas, ici, vous donner toute la liste de ces congrès, les énumérer en détail, mais il reste que depuis 1966, tous les ans, notre association a regroupé des organismes ainsi que nos membres sur les sujets qui sont aujourd'hui, pour nous, à l'ordre du jour, entre autres l'éducation chrétienne, l'école catholique et l'enseignement privé.

Nous avons voulu nous en tenir à trois articles qui nous touchent de très près, parce que nous y sommes sensibilisés. Nous croyons que l'action que nous avons entreprise depuis huit ans et très importante. Nous voudrions que la charte tienne compte de toutes ces démarches et tienne compte, peut-être davantage, des lois qui sont déjà adoptées en regard de ces articles.

En plus de ces congrès, nous avons aussi fait des sondages, des enquêtes. A un certain moment, nous avons présenté 100,000 signatures, justement à l'occasion d'une commission parlementaire un peu semblable à celle-ci. C'était à l'époque où on préparait la loi 56. Nous avons aussi fait des sondages dans différentes régions de la province. Nous avons atteint environ 30,000 personnes à l'occasion de ces sondages dans des assemblées publiques un peu partout dans la province.

C'est vous dire que nous nous sentons réellement à l'aise pour plaider cette cause qui nous tient tellement à coeur.

Il y a aussi dans cette charte d'autres articles et d'autres dispositions qui touchent à des droits fondamentaux, mais nous n'avons pas voulu, aujourd'hui, les étudier: premièrement, parce que nous n'avons pas eu suffisamment de temps, et deuxièmement, parce que nous n'avons pas suffisamment aussi consulté nos membres sur les autres articles.

Arrêtons-nous particulièrement sur les articles 37, 38 et 39. Les lois particulières adoptées par un gouvernement démocratique doivent respecter les droits naturels, et à plus forte raison une charte des droits qui est, par définition, transcendante. Si nous avons bien compris, il s'agit d'une loi fondamentale. Le gouvernement du Québec l'avait compris, d'ailleurs, en donnant à la loi 60, créant le ministère de l'Education, le préambule dont nous citons quelques extraits: "Attendu que tout enfant a le droit de bénéficier d'un système d'éducation qui favorise le plein épanouissement de sa personnalité; "Attendu que les parents ont le droit de choisir les institutions qui, selon leur conviction, assurent le mieux le respect des droits de leurs enfants; "Attendu que les personnes et les groupes ont le droit de créer des institutions d'enseignement autonomes et, les exigences du bien commun étant sauves, de bénéficier des moyens administratifs et financiers nécessaires à la poursuite de leurs fins".

Ces droits naturels sont précisément ceux qui font l'objet de la Charte internationale droits de l'homme, signée en 1948 par 48 pays membres de l'O.N.U., dont le Canada.

Or, en étudiant les articles 37, 38 et 39 du projet de loi 50, nous avons constaté que ces articles restreignent singulièrement les droits des parents au choix de l'école selon leurs convictions et le droit des groupes de créer des écoles d'enseignement autonomes.

Articles 37 et 39. Ces deux articles se tiennent et il nous faut les traiter ensemble.

A l'article 37, nous lisons: "Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite". Cette clause en est une de droit interne. Mais elle est restrictive vis-à-vis du droit naturel, tel que défini dans la Charte internationale des droits de l'homme, article XXVI.

Toute personne, dit cette charte, a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé; l'accès aux études supérieuresdoit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite.

Si vous remarquez, ici, on n'a pas parlé d'enseignement public ou privé, on a parlé de droit à l'instruction.

L'article 3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.

En voulant que l'instruction publique seulement soit gratuite, cet article ne permet pas le choix de l'école aux parents ou tuteurs pauvres. Un droit, sans les moyens de l'exercer, c'est comme s'il n'existait pas, il est inopérant. La pénalisation des pauvres est toujours une injustice et cette injustice est particulièrement odieuse quand elle concerne l'éducation de leurs enfants.

Ce qui ne veut pas dire que nous demandons immédiatement que l'enseignement privé soit gratuit, mais nous ne voulons pas que, dans une charte des droits de l'homme, soit inscrit: "que seul l'enseignement public est gratuit ".

Si l'école publique seulement est gratuite, il en résulte aussi une injustice envers tous les parents qui choisissent une autre école que celles qui sont établies par l'Etat. Ces parents paient des taxes comme les autres. Si ces taxes ne sont appliquées qu'à l'administration et l'entretien de l'école publique, ils seront obligés de payer une deuxième fois pour l'administration et l'entretien de l'école qu'ils auront choisie. De plus, cela pourrait entraîner, à plus ou moins longue échéance, la disparition de la grande majorité des institutions privées d'enseignement général et professionnel.

Si l'on considère les coûts de la scolarité dans le monde actuel, avec tout ce qu'une école demande en matériel didactique, en services de tous ordres, on se rend compte que les frais de scolarité montent en flèche et que, de plus en plus, l'école ne peut être accessible si elle n'est pas subventionnée en grande partie.

D'ailleurs, nos lois actuelles donnent des subventions aux institutions privées. Mais nous ne voudrions pas que, dans ces articles de la charte, il ne soit fait aucune mention de financement, seulement le droit à l'enseignement privé. Je crois qu'il faut ajouter quelque chose.

De toute façon, pour cet article 37, nous proposons donc que l'article reste tel quel, qu'on enlève seulement un mot; nous proposonsque le mot "publique" soit supprimé.

A l'article 39: "Les parents, ou les personnes qui en tiennent lieu, dit la charte, ont le droit de choisir pour leurs enfants des établissements d'enseignement privé pourvu que ces établissements se conforment aux normes prescrites ou approuvées en vertu de la loi".

Cet article est incomplet parce qu'il ignore un aspect fondamental de la liberté de choix: le financementde l'enseignement privé, tel quedémontré pour l'article 37. De plus, il n'est fait aucune men- tion de la liberté des groupes et des personnes de créer des écoles, comme nous l'assure le préambule de la loi 60 déjà cité.

Nous proposons de reformuler comme suit l'article 39: 1- Les parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit de choisir pour leurs enfants des établissementsd'enseignement privé, pourvu que ces établissements se conforment aux normes prescrites ou approuvées en vertu de la loi et de bénéficier des moyens financiers et autres qui leur permettent d'exercer ce droit. 2- Nous croyons qu'il est très important que, dans cette charte, on tienne compte aussi de la liberté de créer des écoles.

Le deuxième article dit, pour nous, la correction que nous demandons:

Les personnes et les groupes ont le droit de créer des institutions d'enseignement autonome et, les exigences du bien commun étant sauves, de bénéficierdes moyens administratifs et financiers nécessaires à la poursuite de leurs fins.

Prenons maintenant l'article 38: "Les parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit d'exiger que, dans les établissements d'enseignement public, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral, conforme à leurs convictions, dans le cadre des programmes prévus par la loi." "Si les parents ont le droit de choisir pour leurs enfants l'école "conforme à leurs convictions", il nous apparaît évident que l'école publique doit leur en donner la possibilité."

Or, selon les convictions des catholiques, il n'est pas suffisant d'offrir un enseignement religieux "dans le cadre prévu par la loi", pour répondre au droit des parents en éducation. Le mot "enseignement religieux" ici n'est certainement pas suffisant. Il faudrait employer un autre mot, "école".

Là, je vais parler pour nous, catholiques, mais nous n'entendons pas du tout restreindre cette charte aux catholiques, bien entendu. Il s'agit des droits de tout parent, qu'il soit protestant, juif, ou autre, quand il s'agit d'école, d'enseignement religieux, il a droit à plus qu'à des cours, mais à des écoles. Ce n'est pas seulementde l'enseignement religieux, mais de l'éducation. "Selon le concept que l'Eglise a de l'éducation, une école qui peut satisfaire pleinement les catholiques n'est pas seulement une école où l'on donne, à côté des matières profanes, un enseignement proprement religieux, ou encore, où l'on consacre des moments à la prière et au culte. Un esprit chrétien doit donc se retrouver dans toute la vie de l'école, dans son ordonnance, dans la philosophie de l'éducation qui l'anime, dans ses conceptions pédagogiques." Il s'agit ici d'une citation du cardinal Roy.

De plus, il existe des rapports nécessaires et constants entre l'école et les structures administratives. "Quand on fournit les subsides et qu'on détermine la catégorie de personnel, qu'on décide des programmes et des orientations académiques, on

a presque le pouvoir de vie ou de mort sur une école. Il me paraît évident, dit Mgr Grégoire, que le réseau qui donne naissance à une école doit avoir le même caractère que l'école." Non seulement pour les écoles catholiques, mais aussi par les écoles neutres ou autres. Parce que nous avons demandé à plusieurs reprises des écoles autres pour les autres — qu'on leur donne le nom qu'on voudra — et nous demandons que ces autres écoles aussi puissent s'administrer, avoir un corps administratif qui soit réellement le reflet de la pensée des groupes à qui il est appelé à donner un enseignement.

Pour leur bon fonctionnement, les écoles confessionnelles, ou les écoles autres, requièrent donc que les commissions scolaires qui les administrent soient confessionnelles.

Nous proposons d'amender l'article 38 comme suit: "Les parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit d'exiger dans le système public des écoles conformes à leurs convictions et des structures administratives ayant le même caractère que l'école." Encore une fois, il ne s'agit pas uniquement pour nous d'écoles catholiques. Nous voulons bien nous faire comprendre. Si on doit instaurer ici au Québec des écoles neutres ou des écoles autres, nous demandons pour elles aussi des structures administratives ayant le même caractère que leur école.

Plusieurs autres articles font problème à notre avis et demanderaient une longue étude. Citons entre autres: Le droit à la vie, la liberté de conscience, la discrimination, les droits judiciaires, les droits économiques et sociaux, les dispositions finales et la fonction de la commission.

Les multiples interrogations et réflexions suscitées par l'étude de ce projet de loi, nous amènent à la conclusion que cette charte requiert une profonde révision. En conséquence, nous demandons à la commission parlementaire de recommander au gouvernement de surseoir à l'adoption de cette charte, tant et aussi longtemps qu'il sera nécessaire pour assurer à la population québécoise une loi juste et équitable.

Nous demandons de plus qu'une consultation à la mesure de l'importance de cette loi soit entreprise à la grandeur de la province. Je vous remercie.

Le Président (M. Pilote): Merci. Le ministre de la Justice.

M. Choquette: M. le Président, j'exprime mes remerciements à l'Association des parents catholiques du Québec pour avoir fait connaître son point de vue sur le contenu de ce projet de loi, et tout particulièrement sur les articles 37, 38 et 39, qui ont attiré spécialement son attention, puisque, en fait, il s'agit des articles du projet de loi qui sont pertinents au domaine scolaire et à la liberté des parents de choisir l'une ou l'autre des institutions d'enseignement disponibles ou d'obtenir l'enseignement religieux ou moral qui y est donné.

Je voudrais quand même faire quelques observations à la présidente de cet organisme.

D'abord, on attire notre attention sur le préambule de la loi 60, qui créait le ministère de l'Education. Je dirais tout d'abord qu'un préambule n'a pas force de loi, quelle que soit l'adhésion qu'on puisse donner a la valeur ces principes énoncés à un préambule, les principes qui y sont énoncés n'ont aucune valeur, sinon pour permettre d'interpréter le texte des articles de la loi, de telle sorte que, malgré que, de prime abord, je souscrirais aux principes énoncés à la loi 60, ce n'est pas très convaincant que de dire que la présente charte devrait reproduire des dispositions d'un préambule. Encore aurait-il fallu nous dire que nous aurions dû reproduire les articles de la loi qui créait le ministère de l'Education.

Si on va aux articles mêmes qui créent la Loi du ministère de l'Education, je ne pense pas, madame, qu'on retrouve, dans cette loi ou dans aucune autre législation québécoise, un droit aussi absolu que celui que vous revendiquez aujourd'hui, c'est-à-dire que les institutions d'enseignement privé soient financées au même titre et dans la même mesure que l'enseignement public. A ce sujet, je voudrais attirer votre attention sur le fait que nous finançons les institutions d'éducation privée au Québec à raison de 80%, et le ministre de l'Education, mon collègue, l'honorable François Cloutier, a souvent l'habitude de dire — je n'ai jamais entendu qu'il ait été contredit sur cela — que le Québec est probablement l'endroit au monde où on finance le plus amplement et le plus généreusement les institutions d'enseignement qui ne font pas partie du réseau public.

Je m'étonne, madame, que vous réclamiez un financement absolu et total des institutions d'enseignement privé, par rapport au système public, alors que le Québec est déjà très libéral, j'emploie ce mot sans aucune allusion politique...

M. Burns: Dans le bon sens du mot.

M. Choquette: ...je l'emploie dans le bon sens du mot, comme dit le député de Maisonneuve. Je m'étonne que vous demandiez qu'on aille encore plus loin alors que cela n'est pas la situation actuelle et que le Québec est déjà en avance surtout le monde, suivant évidemment l'optique dans laquelle on se place.

Mme Mathieu: Ecoutez, je n'ai peut-être pas été bien comprise. Je vais essayer d'être plus claire. On ne veut pas qu'on inscrive, dans le texte de la loi, le mot "gratuit" pour l'école publique uniquement. Parce qu'en principe, nous croyons qu'on nedoit pas se limiterquand il s'agitdu choix des parents et de la gratuité uniquement à l'école publique. Au niveau des principes. Cela ne veut pas dire que dans le contexte actuel nous croyons que nous devons avoir immédiatement la gratuité pour l'enseignement privé. Quand il s'agit d'une charte qui doit tout de même s'appliquer pour quelques années à venir, pas seulement pour aujourd'hui, nous croyons qu'il est dangereux de mentionner ce mot "publique". Nous aimerions qu'il soit enlevé.

Vous parlez du Québec où nous avons peut-être les lois les plus généreuses. Je voudrais quand même faire une petite distinction à ce sujet. En Belgique, par exemple, l'enseignement élémentaire et maternel sera gratuit aux niveaux gardien, primaire et secondaire dans les institutions privées. Cette gratuité signifie la suppression de minerval directe ou indirecte. Aux niveaux gardien et primaire, quatrième degré inclus, cette gratuité implique la délivrance sans frais, en plus de livres et des objets classiques. En langue, l'enseignement primaire libre de formation générale, qui répond aux conditions imposées par la loi, est défrayé par le trésor public, selon les mêmes normes que l'enseignement public.

La loi fixe les conditions auxquelles les contributions du trésor public sont accordées à l'enseignement libre secondaire, de formation générale et de préparation à l'enseignement supérieur.

En France, en 1970, la Loi Debré a été prorogée et modifiée. Des contrats simples passés avec l'Etat par les établissements privés du premier degré n'étant plus soumis à unedurée limitée, tandis que pour le second degré une échéance est prévue pour 1980. Alors, c'est presque dans certains cas la gratuité complète.

J'ai de plus ici une analyse de différents pays, une étude faite par l'UNESCO. Vous avez ici 55 pays qui ont fait connaître le mode de financement de l'enseignement privé. J'ai ici la liste, je vous remettrai le mémoire en question et vous verrez que, dans la grande majorité des pays libres, l'enseignement est financé, soit en totalité, à 75%, à 60% ou à 80%, mais on ne peut pas dire que le Québec est le pays où le gouvernement donne le plus à l'enseignement privé. Je vous ai cité trois pays, la Hollande, et en particulier la Belgique qui donnent bien plus que le Québec à ce sujet.

Mais, encore une fois, je ne voudrais pas vous faire comprendre que nous demandons la gratuité aujourd'hui pour l'enseignement privé. Mais nous craignons qu'une telle clause dans la charte des droits de l'homme, nous limite, pour l'avenir. Peut-être que nous serons obligés, un jour, de demander la gratuité pour l'enseignement privé. A ce moment, nous ne voulons pas être limité par une charte comme celle-là.

M. Choquette: Je vous dirais, Madame, que ce n'est pas parce que dans la charte on dit que l'enseignement d'un système public est gratuit que cela voudrait nécessairement dire qu'il n'est pas gratuit dans l'enseignement privé. Vous comprenez ce que je veux dire.

Mme Mathieu: Je comprends tout.

M. Choquette: Un législateur éventuel, un autre gouvernement ou le gouvernement actuel pourrait très bien dire: On va financer entièrement les institutions privées. Ce ne serait pas contraire au principe de la charte. Excepté que, pour le moment, il faut quand même faire une distinction entre le système public puis les institutions privées.

J'ai l'impression que dans la liste que vous nous avez lue, lorsque vous avez référé à la Belgique, la Hollande et peut-être aussi la France, que c'est surtout au niveau primaire que l'enseignement privé est subventionné fortement par l'Etat, tandis que la même chose ne serait pas vraie au niveau secondaire et à d'autres niveaux.

Mme Mathieu: Excusez, en France il s'agit bien de l'enseignement élémentaire et secondaire, mais je suis très heureuse de vous entendre dire cela que vous croyez que c'est à l'élémentaire. Parce qu'ici, au Québec, vous remarquerez qu'à l'élémentaire tous nos externats ne sont pas subventionnés. Au Québec, nos institutions de l'école élémentaire, actuellement, ne reçoivent aucune subvention. Seuls les pensionnats reçoivent des subventions.

M. Choquette: Vous avez raison, madame, les écoles privées à l'élémentaire ne reçoivent pas en principe de subvention au Québec, à l'heure actuelle. Maintenant, peut-être que le ministre de l'Education voudrait accorder des subventions à ces écoles, mais il y a quand même une question de ressources. J'ai l'impression que cela pourrait être un facteur important dans les décisions qu'il a à prendre dans ce domaine.

Mais nous n'empêchons pas, d'après le projet de charte, un développement du côté des institutions privées et même un financement assez généreux par l'Etat. Je crois que la preuve de cela, c'est que l'article 39 consacre l'existence d'un système privé d'enseignement. Il n'en fait pas une obligation pour l'Etat de le financer, mais il en reconnaît la valeur, l'importance. Il se situe même au niveau des droits et libertés fondamentales. Je vois difficilement comment vous pouvez vous opposer à cet article.

Mme Mathieu: Un droit sans les moyens de l'exercer est un droit un peu illusoire. Si on regarde les frais de scolarité au Québec, actuellement, au secondaire, c'est près de $1,200 par élève. Si on doit demander aux parents de payer ces frais de scolarité, d'ici quelques années, il nous restera peut-être dix ou quinze institutions privées au Québec. Un droit, si l'on ne parle d'aucun financement dans la loi, c'est un droit illusoire.

M. Choquette: Je vais vous dire quelque chose, madame, et cela ne s'adresse pas seulement à votre groupe ou à vous-même, mais à d'autres groupes. Il serait erroné de s'imaginer que, dans la loi sur les droits et libertés de la personne on va trouver toute la législation québécoise. Il ne faudrait quand même pas rechercher à inclure dans ce projet de loi, qui est assez modeste par le nombre d'articles, de trouver toutes les choses auxquelles les gens peuvent tenir au point de vue législatif et qu'on puisse ainsi satisfaire à toutes les exigences.

Ce que nous essayons de faire, en fait, dans ce projet de loi, c'est de résumer l'essentiel, de résumer les points fondamentaux. Il ne faudrait pas nous demander de sortir de ce cadre. Je fais

cette observation pour vous et pour d'autres. Je sais que le député de Maisonneuve aimerait vous...

Mme Mathieu: Mme Normand voudrait dire quelque chose.

M. Burns: Sans brimer le droit du ministre de la Justice de questionner davantage, sur ce même point, Mme Mathieu, je me demande si vous n'êtes pas obligés d'admettre, comme parents catholiques, comme association de parents catholiques, que n'importe quel Etat, l'Etat du Québec y compris, qui a pour principale fonction d'assurer l'éducation au Québec, ne devrait pas avoir comme tendance naturelle d'accorder une priorité au système d'enseignement public, quitte à reconnaître — et je suis entièrement d'accord sur ce que le ministre de la Justice vient de dire, c'est un des rares cas où je n'ai même pas de nuance à apporter à ce qu'il vient de dire...

M. Choquette: Espérons que cela va continuer.

M. Burns: Espérons que cela va continuer, comme il dit. Au départ — parce que là on parle au niveau des principes — est-ce qu'on doit blâmer un Etat de vouloir assurer une éducation la plus généralisée possible par l'entremise de son système d'éducation publique, quitte à protéger les droits de l'enseignement privé?

Mais là où je me pose de très sérieuses questions sur votre mémoire, ou du moins sur cet aspect de votre mémoire, non pas sur l'ensemble, c'est que vous avez l'air à vouloir institutionnaliser— ce qui serait contraire à toute tendance normale d'un Etat qui veut, lui, assurer, au point de vue des biens qu'il veut rendre disponibles à l'ensemble de la population — vous semblez vouloir généraliser l'enseignement privé, ce qui, à mon avis, est contraire à toute tendance normale. Je vous pose cette question: Le droit à l'instruction, qui est un droit prévu par une charte des droits de l'homme, est-ce qu'il ne doit pas être assuré de façon la plus généralisée possible, sachant qu'au Québec, actuellement, qu'on le veuille ou non — et même l'archevêque de Montréal vient de faire des commentaires là-dessus et même, je pense, que l'ensemble du clergé au Québec est conscient de cette situation — on se retrouve dans une situation multireligionnaire, devrais-je dire? Si l'aspect religieux est l'aspect qui vous incite à vouloir faire reconnaître, si vous voulez, les écoles privées, à ce moment-là il y a d'autres solutions, il y en a peut-être d'autres. Et cela, je vous demande: Est-ce qu'il y en a d'autres que vous avez envisagées, autres que celle de subventionner, comme actuellement, à 80% certaines institutions privées? Est-ce qu'il y a d'autres solutions que vous avez envisagées, outre celle de rendre les institutions privées, contrairement à unetenjance naturelled'un Etat, subventionnées?

Mme Mathieu: Je pense que vous avez affirmé beaucoup de choses...

M. Burns: Oui, oui.

Mme Mathieu:... est-ce qu'on va me donner le temps de dire tout ce que je pense de toutes vos affirmations?

M. Burns: Bien oui, nous sommes très ou verts, nous sommes prêts à vous écouter.

Mme Mathieu: Bon, alors quand vous affirmez la tendance...

M. Burns: ...qui dit qu'il n'est pas du tout d'accord avec moi, mais on l'invite même à venir nous dire pourquoi il n'est pas d'accord. Je n'ai pas d'objection.

Mme Mathieu: Alors, écoutez, d'abord je voudrais revenir à la déclaration des droits de l'homme qui dit que le parent a droit de choisir l'éducation à donner à ses enfants. Je pense que la charte québécoise ne devrait pas être moins large qu'une charte qui s'adresse à l'homme du monde entier, aux parents du monde entier.

M. Burns: Ce n'est pas cela...

Mme Mathieu: Ecoutez, laissez-moi terminer.

M. Burns: On ne dit pas cela, Mme Mathieu. On ne dit pas cela.

Mme Mathieu: Laissez-moi terminer. Si on accepte ce droit de choix à l'éducation, des parents, on ne peut pas éviter la possibilité de l'enseignement privé et du financement de l'enseignement privé. Comment exercer un droit sans les moyens de l'exercer, encore une fois? Lorsque vous dites: Les pays ont tendance surtout à privilégier l'enseignement public; encore là, il faudrait faire des distinctions. Le rôle de l'Etat, c'est d'assurer l'instruction et l'éducation de l'enfant. Le rôle de l'Etat, c'est le bien de l'enfant.

M. Burns: Oui.

Mme Mathieu: Et c'est aux parents de décider si le bien de l'enfant, c'est à telle école ou à telle autre. C'est son droit premier, inaliénable. Quand vous dites: Les Etats ont tendance à affirmer qu'il faut d'abord privilégier le secteur public, je crois qu'il faudrait nuancer beaucoup cette affirmation.

Je viens de lire une enquête de SOFRE, en France, par exemple, où 87% de la population se montre favorable à l'enseignement privé et où 74% demande qu'il continue d'être subventionné comme il l'est actuellement.

Je pense que la France est tout de même un pays d'Europe important qui, par la culture, ressemble au nôtre. Je regarde la Hollande, où il n'est pas question de public ou de privé, où les institutions sont subventionnées à 100%, qu'elles soient privées ou publiques. En Belgique, actuellement, on peut dire que c'est presque à 100%. Là, on

arrive réellement au choix possible, pour les parents, de l'éducation, mais si on veut avoir une charte qui soit plus restrictive, qui soit moins large que celle qui régit l'homme de l'univers, l'homme du monde entier, là, je ne comprends plus, et je ne suis plus du tout pour une charte québécoise des droitsde l'homme qui serait plus restrictive qu'une charte mondiale et qui ne tient pas suffisamment compte, en plus, de notre histoire, de nos valeurs, des communautés que nous avons chez nous.

Il y a une autre affirmation que je voudrais relever. Vous dites: La multiconfessionnalité. Nous avons vécu chez nous les élections à Montréal, après la restructuration, et savez-vous qu'il y avait un candidat qui n'a pas parlé de l'école catholique, par exemple, et que la grande majorité des gens ont parlé de la nécessité de structures confessionnelles et que même certains candidats en cours de campagne ont changé leur programme pour bien y inscrire qu'ils seraient favorables à des structures confessionnelles?

Vous voyez le désir des parents. On parle de multiconfessionnalité toutde même; si on regarde les Canadiens français, où sont les autres confessions?

M. Burns: Justement, actuellement, on ne parle pas des Canadiens français, c'est le problème. Mme Mathieu, je m'excuse, il ne faudrait pas mal interpréter mon intervention. Je pense que, quand on parle de charte des droits et des libertés de la personne, on parle justement de non-caractérisation de certaines orientations. Ce qu'il s'agit de protéger, à ce stade — et là-dessus, je pense que le ministre de la Justice a été pas mal clair — c'est que le fait qu'on dise que l'instruction publique est gratuite ne veut pas dire que l'instruction privée ne le sera pas. Ce n'est pas ce que nous disons, mais nous essayons de mettre dans une charte de grands principes. A partir de là, toute discussion est possible, mais est-ce au stade de l'examen d'un projet de loi qui établit censément une charte des droits fondamentaux et des libertés de la personne? Je prétends que non. Je prétends que ce genre d'intervention que vous voudriez faire, Mme Mathieu, pourrait fort bien être accepté au niveau du ministère de l'Education qui réviserait, par exemple — je ne pense pas que ce soit l'intention du gouvernement, mais je vous donne un exemple — qui, si à un moment donné — le gouvernement du Québec — décidait que l'espèce de séparation qui se fait au niveau confessionnel devait disparaître, et qu'à l'avenir, cela ne devrait être qu'une différence au point de vue de la langue. Je pense qu'à ce moment, vous auriez, fort probablement, vu votre point de vue et votre orientation, de nombreuses récriminations à venir porter au gouvernement québécois qui s'apprêterait à faire cette modification. Mais une charte des droits de l'homme veut assurer un bien général. Le bien général qu'on tend à assurer, actuellement, c'est l'instruction. Et actuellement, l'instruction, ou l'éducation, si vous voulez, par l'entremise du ministère du même nom, est généralisée par l'entremise des facilités d'accès à un système public. Je pense que, même si cela cho- que des gens de le dire, il vaut aussi dire bien clairement que l'instruction privée est une exception et doit être considérée comme telle. Et si elle est une exception, elle doit être traitée comme telle. C'est tout simplement cela que je voulais dire, parce qu'il ne faut pas l'oublier, nous parlons au niveau d'une charte des droits de l'homme.

Mme Mathieu: Moi aussi, je parle au niveau d'une charte des droits de l'homme, mais ce qui arrive justement, c'est qu'elle est plus restrictive que la charte mondiale. On parle ici du choix de l'éducation, maison ne parle pas d'enseignement public gratuit. Il n'y a rien dans la charte mondiale qui met l'accent sur l'enseignement public gratuit. Ensuite, dans la charte mondiale, on parle d'éducation. C'est beaucoup plus large que l'enseignement. Quand on parle d'éducation, cela veut dire que c'est un ensemble, c'est un tout, ce ne sont pas seulement des cours. Dans l'enseignement religieux ou moral, il s'agit de cours; à ce moment-là, c'est très restrictif. Cela va à l'encontre de nos lois actuelles, justement. Nous voulons avoir une charte qui, normalement, devrait être au-dessus de nos lois.

Nos lois devraient s'en inspirer et elle est plus limitative que nos lois elles-mêmes. Il y a quelque chose d'absolument contradictoire et d'inacceptable. J'aurais autre chose à dire, mais cela fait longtemps que Mme Normand veut parler et j'aimerais lui donner la parole.

Mme Normand (Anna): Pour ma part, M. le Président, je voudrais fournir un petit exemple. Nous avons déjà une loi 56 et la loi 56, nous l'acceptons bien. Elle donne ses chances à l'enseignement privé. Advenant, par exemple, que des adversairesde l'enseignement privé, se référant à un article de la charte québécoise, viennent dire: La loi 56, il faut l'amender, de telle sorte que, les 80%, par exemple, disparaissent. Parce que c'est marqué dans la charte: L'enseignement public est gratuit. Ensuite on parle de l'enseignement privé et il n'entre pas dans cela. Il n'entre pas dans cette phrase que vous avez là.

M. Choquette: Laissez-moi vous poser le problème à l'inverse. Supposons que dans le projet actuel de la charte, on inscrivait, relativement à l'article qui parle des institutions d'enseignement privé, qu'il est obligatoire pour le gouvernement de les financer, à raison de 80%. Supposons qu'on mette cela. Vous auriez...

Mme Normand: Non.

Mme Mathieu: On ne vous demande pas cela.

M. Choquette: Je sais que vous ne le demandez pas. Vous ne le demandez pas, mais vous invoquez une loi qui existe, qui finance à raison de 80%.

Mme Normand: Oui, mais on voudrait que la grande phrase de la charte ne permette à personne de venir nous persécuter, par exemple, en

disant: Vous avez 80% pour l'enseignement privé et cela n'a pas sa raison d'être, parce que, ce qui prime, c'est l'enseignement public. Et c'est marqué dans la charte: "Seul l'enseignement public est gratuit."

Alors, voyez-vous, on pourrait contester la loi 56...

M. Choquette: Si on enlevait, suivant la suggestion qui a été faite, le mot "publique" pour le mot "gratuite", cela voudrait dire qu'on va changer la loi actuelle et qu'on va financer intégralement les institutions privées.

Des Voix: Non.

M. Choquette: Mais oui. C'est cela que vous demandez.

Mme Normand: M. le Président, imaginez que le ministre de l'Education voudrait, par exemple, mettre l'enseignement privé sur le même pied. Il ne faudrait pas qu'il en soit empêché. Parce que vous mettez que l'enseignement est gratuit, cela ne veut pas dire que vous le mettez...

M. Choquette: Mais pourquoi les termes actuels n'empêchent pas un tel développement?

Mme Normand: Moi, ils me font peur en tout cas.

M. Choquette: Oui.

Mme Normand: Parce que je les trouve limitatifs et je crains pour l'enseignement privé. Je crois qu'il y a réellement deux articles qui sont très limitatifs, si on les compare encore une fois aux déclarations des droits universels. Je trouve qu'il faut changer absolument la formulation. Enseignement moral et religieux, cela ne peut pas satisfaire des parents, que ce soit des catholiques ou d'autres.

M. Choquette: Voici, madame. On va prendre une question que vous avez soulevée tout à l'heure. Vous citez, à l'appui de votre thèse, la Charte internationale des droits de l'homme, article 26. Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'il y a une très grande distinction è faire entre une charte internationale, de type déclaration, à une loi précise, qui a une application concrète dans un pays.

Si vous allez à votre Charte internationale des droits de l'homme, vous allez voir que tous les pays du monde, à peu près, l'ont signée, cette charte, incluant les pays où vous ne voudriez jamais vivre et où on ne donne aucune espèce de liberté religieuse, de telle sorte que je vous dis qu'il faut vous méfier de la phraséologie du langage des mots qu'on trouve dans des déclarations de portée internationale, parce que souvent, elles n'ont pas valeur contraignante dans chacun des Etats, même s'ils ont dit qu'ils l'acceptaient.

Vous savez, nous légiférons concrètement ici. Nous légiférons sérieusement. Les principes qui sont inclus dans la charte, nous avons l'intention de faire en sorte qu'ils s'appliquent. C'est ça l'affaire. Ne nous citez pas des textes qui ont plutôt valeur politique au point de vue international et qui n'ont pas nécessairement d'effet contraignant. C'est bien beau pour un Etat de signer tout cela, mais cela ne veut pas dire qu'il est engagé d'une manière interne à mettre cela en vigueur, malgré qu'il peut avoir donné un certain engagement.

Mme Mathieu: Je trouve cela d'autant plus grave. Si 48 pays ont signé une clause comme celle-là...

M. Choquette: Oui.

Mme Mathieu:... qui recommandait que le parent puisse choisir l'éducation pour ses enfants, pourquoi, dans une province comme la nôtre, où il y a quand même et je le comprends différentes options, le parent chez nous ne pourra pas jouir des mêmes droits?

Là, on limite ses droits. On lui dit qu'il peut choisir un enseignement religieux ou moral. Cela devient limitatif qu'on le veuille ou non. Il faudrait absolument changer cette formulation pour employer le mot "école". C'est le choix de l'école que les parents désirent...

M. Choquette: Pardon, madame...

Mme Mathieu: ... pas seulement d'un enseignement religieux ou moral.

M. Choquette:... en plus de l'argument que je vous ai donné, vous allez lire attentivement l'article 26, et je vous défie de trouver dans cela la liberté de choix des parents d'envoyer leurs enfants dans un système scolaire privé. Cela n'y est pas. Dites-nous où c'est.

Mme Normand: Le numéro 3, de l'article 26, je pense.

M. Choquette: On a le droit de choisir le genre d'éducation donnée aux enfants. Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que je vais envoyer mon enfant étudier le latin, le grec, les mathématiques? Cela ne veut pas dire d'autre chose que cela.

Mme Mathieu: Ecoutez, c'est la première fois de ma vie que j'entends — elle est quand même assez longue — une interprétation comme celle-là. On a cité L'ONU continuellement, dans tous les pays du monde. J'ai des revues... L'interprétation de cet article, cela a toujours...

M. Choquette: Madame...

Mme Mathieu: Le choix de l'éducation, c'était l'éducation à donner à ses enfants. Ce n'est pas le choix du latin. Il faut tout de même revenir aux réalités.

M. Choquette: ... dites-moi, dans cet article, dans les paragraphes 1 et 2 ou 1 et 3 de l'article 26, où vous retrouvez une reconnaissance, sur le plan

international, du système d'enseignement privé. Je vous défie de trouver cela dans le texte que vous nous citez.

Mme Mathieu: Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants. Le genre d'éducation à donner à leurs enfants, cela supposeque l'éducation qui est donnée dans telle école satisfait ou ne satisfait pas les parents.

M. Choquette: Pas nécessairement, parce qu'il y a des endroits où il y a seulement un système public.

M. Burns: C'est cela. Que faites-vous quand il n'y a pas d'enseignement privé?

Mme Mathieu: II ya la possibilité...

M. Burns: Comment faites-vous le choix?

Mme Mathieu: ... de le créer, d'en créer, des écoles.

M. Burns: Non, mais disons qu'il n'existe pas au Québec, l'enseignement privé.

Mme Mathieu: Le choix est très limité. Il n'y a plus de choix possible, parce que l'enfant est obligé d'aller à l'école de sa paroisse ou de son milieu.

M. Burns: Mais vous ne pensez pas, entre autres, que cela indique qu'il y a certaines écoles qui donnent tel type d'enseignement, vis-à-vis de telle autre école qui donne tel autre type d'enseignement, même si c'est dans le système public?

Mme Mathieu: Vous parlez de type d'enseignement.

M. Burns: Je vous donne, par exemple, le cas hypothétique où le Québec, par son système public, n'assurerait qu'un enseignement non confessionnel, et que certaines écoles donneraient, également, en plus, l'option confessionnelle catholique, juive, protestante, catholique de rite byzantin, tout ce que vous voudrez imaginer comme possibilité d'option. C'est peut-être cela que cela veut dire. Ne pensez-vous pas?

Mme Mathieu: Ecoutez, peut-être qu'on peut en dire beaucoup de "peut-être"...

M. Burns: Bien oui.

Mme Mathieu: ... mais jusqu'à maintenant, quand on parle d'éducation, c'est un ensemble, ce n'est pas seulement un cours de religion ou un cours de latin. C'est l'ensemble de l'école qui donne une vision de l'homme, une vision de la société, toutes les valeurs sous une optique particulière. Quand on parle du choix de l'éducation à donner à un enfant, ce n'est pas seulement un cours de religion. C'est tout un ensemble et cet ensemble, il faut absolument qu'il puisse se réaliser dans une école. On ne peut pas dire: Je choisis, par exemple, telle école de métiers ou bien telle autre école qui donne plutôt un cours scientifique. Le choix des parents ne peut pas se limiter uniquement aux métiers ou aux genres de cours scientifiques, littéraires ou autres.

Quand on parle d'éducation, c'est un tout, c'est un ensemble, et seule une école qui a un caractère particulier peut offrir une éducation qui pourrait répondre au choix du parent en éducation. C'est la première fois — et je vous avoue que je suis extrêmement surprise — qu'on donne un sens aussi limitatif et aussi restreint. On prend la partie du tout. L'éducation pour tout éducateur, c'est un ensemble, c'est un tout. Le cours, c'est une partie de l'éducation. La profession, c'est une partie de l'éducation. Je trouve cela extrêmement malheureux qu'on se limite à une formulation aussi restrictive. Je trouve cela grave de conséquences et presque incompréhensible, venant d'un gouvernement, justement, qui nous donne une loi, actuellement, qui respecte les options et le choix des parents.

Pour ma part, je ne peux pas considérer, si je regarde en arrière de moi, tous ceux qui nous appuient, nos membres et combien d'autres organismes, les 100,000 qui ont signé nos pétitions, pour tous ces parents du Québec — et nous représentons non seulement l'enseignement privé, nous avons 300 sections dans la province, davantage dans le secteur public que dans le secteur privé. Je suis convaincue que, pour tous les parents du Québec qui croient à la liberté de choix en l'enseignement, quand ils parlent de cours, cela ne les satisfait pas. Quand on parle d'éducation, c'est un ensemble.

Il s'agitd'uneécolequi répond aux aspirations des parents, à leur vision du monde, au sens des valeurs qu'ils veulent encourager leurs jeunes à comprendre et à vivre.

M. Choquette: A ce moment, madame, je vous répondrais que c'est le milieu qui va créer le genre d'institutions publiques répondant aux aspirations de la majorité. C'est le milieu social qui aura ces répercussions quant à la qualité et à la proximité idéologiques de l'enseignement qui est donné avec l'idéologie de la majorité.

Dans le cas actuel, on ne peut aller au-delà d'un enseignement religieux ou moral conforme à leur conviction. Nous respectons la conviction religieuse ou morale des parents et je crois que l'article est assez clair sur cela, et qu'on ne peut vraiment critiquer l'article.

Vous nous suggérez qu'on doive revenir à un système scolaire orienté vers un enseignement catholique soustous ses aspects; qu'on enseigne, par exemple, la chimie d'une façon catholique ou la physique d'une façon catholique. Peut-être y en a-t-il encore qui ont ces conceptions, mais je dirais que, d'une certaine façon, c'est peut-être un peu dépassé de penser dans ces termes.

Je ne dis pas que l'école québécoise, même publique, ne doit pas être chrétienne, parce que je crois que la majorité est chrétienne et probable-

ment, catholique aussi, mais je pense que le système scolaire devrait naturellement refléter cela, mais c'est assez difficile d'arriver et de dire: On va mettre notre système public à l'enseigne du catholicisme alors qu'on a peut-être une société où il y a assez d'élément s disparates à l'heure actuelle et il faut en tenir compte.

Mme Mathieu: Je suis d'autant plus surprise de vous entendre parler ainsi... Excusez-moi.

Le Président (M. Pilote): Excusez-moi seulement une minute. Il reste quand même qu'il y a pas mal de temps que nous discutons du même sujet. J'aimerais que nous discutions d'autres articles de votre mémoire de façon à entendre les quatre autres organismes que nous avons à entendre cet après-midi.

Mme Mathieu: Me permettez-vous une seule réponse?

Le Président (M. Pilote): Oui.

Mme Mathieu: Je suis très surprise d'entendre la dernière intervention du ministre alors que le comité catholique vient justement de reconnaître les écoles catholiques et que le comité protestant va reconnaître les écoles protestantes et que, chez nous, cela semble une chose acceptée que nous ayons des écoles catholiques. Je suis encore plus surprise de me faire dire que je vois l'école catholique comme enseignant des mathématiques catholiquesoudes...

On a entendu ces expressions tellement de fois. On croit que cela n'est plus nécessaire d'y répondre. Quand on parle d'une école catholique pour nous, c'est une conception de l'homme, une vision de l'univers et de la société. Ce n'est pas d'enseigner de la religion dans le cours de mathématiques. Il ne faudrait tout de même pas nous faire dire ce qu'on ne dit pas et essayer de nous faire passer pour d'autres. Il ne faudrait quand même pas essayer de nous ridiculiser surtout alors qu'on vient justement de reconnaître au Québec des écoles catholiques. Je crois qu'on devrait au moins, dans cette charte, reconnaître ces droits qui sont reconnus dans des lois particulières.

M. Choquette: Madame, c'est implicite. C'est dans la constitution même du Canada, qu'au Québec, on a un système d'enseignement qui est catholique et qu'on a un système d'enseignement qui est protestant. On n'a rien changé à cela. Tout ce que nous avons introduit comme notion, c'est de donner un certain droit à la dissidence et ceci, dans le cadre des programmes prévus par la loi. C'est-à-dire que si, par exemple, on avait des enfants juifs en un nombre assez important dans une école qui serait protestante, les parents pourraient, évidemment, sous réserve que le cadre des programmes le prévoie, demander qu'il y ait un enseignement pour ces enfants.

On a élargi... On n'a rien enlevé des droits existants. On a laissé les deux systèmes scolaires exister dans leur forme actuelle. On ne peut d'ailleurs pas les changer. Alors, je ne vois pas pourquoi vous cherchez querelle à cet article alors que c'est la situation qui prévaut à l'heure actuelle et vous semblez être satisfaite de cette situation, excepté pour les fins du financement du système privé.

Mme Mathieu: Pournous, cela me permetde...

M. Burns: Puis-je simplement faire le parallèle... J'espère qu'on se fera bien comprendre en le disant. Je répète ce que je vous ai dit tout à l'heure, madame Mathieu. Nous sommes au niveau d'une charte des libertés et des droits de la personne. Nous ne sommes pas au stade de l'établissement de l'ensemble de la législation du Québec. Il y a des choses qui ne sont pas dans une charte des droits de l'homme qui apparaissent ailleurs dans notre législation et qui sont précisées ailleurs dans notre législation.

Ce qui est important dans une charte des droits de l'homme, c'est que les droits généraux, je pense, qui s'appliquent à l'ensemble des citoyens du Québec soient établis clairement, sans aucune ambiguïté.

Je vous donne simplement un exemple, et on va changer de domaine pour qu'il n'y ait pas une certaine émotivité normale et, je pense, parfaitement louable de votre part, parce que vous êtes engagée dans le domaine que vous défendez. Là-dessus, je serai sûrement le dernier à vous en blâmer.

Par exemple, si, hier, la FTQ était venue nous dire: L'article 43 de votre projet est inacceptable parce qu'il ne fait qu'énoncer que tous doivent recevoir un traitement ou un salaire égal pour un travail égal. Si la FTQ nous avait dit, à ce moment-là: II faudrait inscrire là-dedans que les conventions collectives doivent être respectées, que les taux de salaire qui ont été négociés doivent être respectés, que les conventions collectives ne devraient pas dépasser trois ans au Québec, bien, Mme Mathieu, on leur aurait dit exactement la même chose que ce que nous vous disons ici aujourd'hui. On leur auraitdit: II y a le code du travail pour tenir compte de cela. Et les droits que vous, la FTQ, réclamez — si on nous avait dit cela — se trouvent au code du travail; on n'a pas besoin de mettre cela dans une Charte des droits de l'homme, à ce moment-là, il me semble que c'est la réponse qu'on leur aurait donnée.

Ce qu'on vous dit aujourd'hui, c'est qu'à partir du moment où on assure d'abord le droit à l'instruction gratuite dans le système public, d'une part, et qu'on reconnaît le système privé, que le système privé soit subventionné ou non, c'est une autre loi qui va le dire. En tous cas, c'est ma position là-dessus; c'est mon point de vue et là-dessus, je partage entièrement les points de vue du ministre de la Justice. Si jamais, les 80% des institutions privées étaient mises de côté, je pense que ce serait à l'occasion d'une autre loi et sûrement pas à l'occasion de cette loi-ci. Et là, je pense que vous auriez l'occasion de faire valoir vos points de vue. Mais il est normal de concevoir — je

maintiens cette affirmation que j'ai faite tout à l'heure, contre laquelle vous en aviez — dépenser qu'un Etat va assurer la gratuité du système public, sans assurer la gratuité du système privé, et que, si le système privé qui est actuellement subventionné à 80% doit, à un moment donné, être aboli au point de vue des subventions — pas le système, mais la subvention — ce sera par une autre loi sûrement que par celle de la Charte des droits de l'homme qui consacre le principe à l'instruction gratuite. En tous cas, c'est ce que je pense. Je ne sais pas si cela rallie vos vues. Je ne le pense pas, mais, en tous cas.

Mme Mathieu: Vous avez parlé, quand il s'agirait de conventions collectives, d'entrer dans des détails...

M. Burns: Je vous donnais cela comme exemple, par analogie.

Mme Mathieu: Tout de même, on ne vous demande pas d'entrer dans des détails. On vous demande d'enlever un mot, tout simplement...

M. Burns: Mais un mot...

Mme Mathieu:... pour que ce ne soit pas restrictif.

M. Burns:... Mme Mathieu, qui porte à conséquence. Si vous enlevez le mot "public", vous dites que toute l'éducation au Québec est gratuite. C'est ce que cela veut dire, et ce n'est pas cela actuellement. On serait des menteurs de dire le contraire. En tous cas, je ne veux pas parler au nom du gouvernement mais, personnellement, au nom de l'Opposition, je serais contre le fait que l'éducation privée soit aussi gratuite que le système public. C'est aussi simple que cela.

Mme Mathieu: Je crois que le fait d'enlever simplement le mot...

M. Burns: J'ajoute ceci : Je pense que ce débat devrait se tenir, a ce moment-là, non pas dans le cadre d'une Charte des droits de l'homme, mais, si l'instruction privée devait devenir publique, c'est une chose qui devrait se débattre en haut, à l'Assemblée nationale, et dans le cadre d'une loi précisément à cet effet. C'est un principe de base qui devrait être discuté et non pas l'ensemble des droits qu'on veut reconnaître aux citoyens du Québec et l'ensemble de la protection ou des éléments de protection qu'on veut accorder aux citoyens du Québec. Je n'accepterais pas, en tous cas, que ce débat se fasse à l'intérieur d'une Charte des droits de l'homme qui se veut beaucoup plus générale, beaucoup moins précise.

Mme Mathieu: Pour nous, l'Etat a des devoirs vis-à-vis de la jeunesse; alors, il faut être très clair là-dessus. Il ne s'agit pas de privilégier un secteur plus qu'un autre. Alors, j'ai donné mon point de vue là-dessus, ce n'est pas nécessaire d'y revenir. Je pense que madame voulait ajouterquelque chose.

Mme Normand: Moi, je me dis que si vous mettez seulement "l'enseignement public est gratuit", n'importe qui qui voudrait abolir les subventions à 80% données à l'enseignement privé, pourrait se référer à votre clause dans la charte. Je me dis, moi, que ce droit acquis, cette loi qui nous donne 80% pourrait être remise en question, en se référant à la charte.

M. Choquette: Supposons qu'on se rendait à votre requête de rendre l'enseignement aussi gratuit dans le système privé subventionné, à l'heure actuelle. On sait que ce système ne subventionne pas les écoles primaires, comme vous nous avez dit plus tôt. Ceci voudrait dire que, pour assurer la subvention des écoles primaires, il faudrait changer la charte. Vous comprenez ce que je veux dire?

Mme Normand: Non.

M. Choquette: Si vous vous basez sur les droits actuels et vous voulez les pousser un peu plus loin dans le domaine de l'enseignement privé, on pourrait seulement consacrer dans le projet de loi actuel ce qui est subventionné, donc on ne subventionnerait pas du tout les écoles privées primaires. A ce point de vue, cela nous empêcherait de progresser ultérieurement vers un financement ou, du moins, ce serait un obstacle additionnel au progrès ultérieur d'un système de subvention au moins partiel pour le système primaire. Cela joue des deux côtés.

Vous ne saisissez pas. Actuellement les écoles primaires ne sont pas subventionnées, n'est-ce pas?

Mme Normand: C'est cela.

M. Choquette: Si on est pour dire que l'enseignement privé, qui est subventionné, à l'heure actuelle, c'est un droit fondamental qu'il soit subventionné, on n'est pas pour subventionner le système primaire actuel. Donc je vous dis que, plus tard, cela peut causer un embêtement dans'votre recherche d'obtenir des subventions pour les écoles primaires non subventionnées, à l'heure actuelle.

Mme Normand: Mais si vous dites que l'enseignement est gratuit, cela ne peut pas me brimer jamais.

M. Choquette: Je suis d'accord, madame. Mais comment voulez-vous qu'avec l'argent qu'on a en caisse, je puisse vous donner ce genre d'assurance?

Mme Normand: Justement, cela ne veut pas dire qu'on le demande immédiatement et que c'est opportun. Pas du tout. Mais si c'est seulement l'enseignement public qui est gratuit, on ne peut plus rien faire.

M. Choquette: Si on enlève le mot "public", cela veut dire que toute école au Québec est subventionnée.

Mme Normand: Peut-être faudrait-il une autre formulation, alors? On va laisser cela à vos technocrates, une formulation plus juste.

Le Président (M. Pilote): Madame, les membres de la commission, après avoir entendu votre mémoire, vont quand même tenir compte du mémoire que vous avez présenté. Probablement qu'ils trouveront une autre formulation.

La parole est au ministre, au député de Rouyn-Noranda.

M. Samson: Merci, M. le Président. Vous avez compris.

Le Président (M. Pilote): J'aurais peut-être dû ajouter "sans portefeuille".

M. Samson: M. le Président, on n'en a pas besoin.

M. Burns: Pas depuis le mois de décembre.

M. Samson: Le portefeuille, ce n'est pas cela qui est le plus important.

M. le Président, je voudrais remercier Mme Mathieu et les autres qui l'accompagnent de s'être déplacés pour nous présenter ce mémoire. Je voudrais spécialement féliciter Mme Mathieu pour la façon dont vous vous défendez, madame, devant cette commission. Ce n'est pas facile, vous avez pu le voir. C'est la première fois d'ailleurs qu'il y a une coalition entre le ministre de la Justice et le député de Maisonneuve et ce n'est pas un succès.

M. Burns: C'est sur les affaires sérieuses qu'on s'entend.

M. Samson: M. le Président, je voudrais dire aux membres de l'Association des parents catholiques du Québec qui sont devant nous, qu'il est important parfois d'avoir des notes discord antes à notre commission parlementaire. Cela en prend une. Je serai cette note discordante. Je ne suis pas du tout d'accord sur ce qu'ont dit le ministre et le député de Maisonneuve.

Je suis plutôt d'accord sur ce que vous avez énoncé. Je pense que vous avez raison de le dire avec conviction comme vous le faites. J'ai trouvé un peu curieux, tantôt, lorsque l'on a tenté de minimiser quelque peu l'importance du groupe catholique au Québec en disant: C'est maintenant multiconfessionnel, etc., etc. Je pense qu'il faut replacer les choses dans leur contexte. L'importance se manifeste régulièrement. Peut-être que l'exemple sera boiteux, mais en tout cas, un exemple est assez important dans les circonstances. Je prendrai l'exemple de ma propre paroisse où je demeure. Mon curé de paroisse remplit encore son église quatre fois le dimanche, le sous-sol avec, et je n'ai pas vu un politicien du Québec, de quelque catégorie que ce soit, la remplir plus d'une fois par quatre ans. Cela veut dire que l'importance est encore là. Il ne faut pas avoir peur de le reconnaître.

On dit: C'est évident, il ne faudrait pas arriver à l'enseignement religieux, enseigner la chimie de façon catholique, les mathématiques de façon catholique, etc., etc. Ce n'est pas cela qu'on veut, je pense que ce n'est pas cela que vous voulez non plus, mais c'est peut-être le contraire qui se produit, par exemple, on enseigne peut-être la religion de façon chimique, présentement. Je pense qu'il faut le comprendre. C'est ce qui se produit dans les faits.

Alors, M. le Président, quand on nous dit qu'à l'article 37, on ne peut pas enlever le mot "public" parce que cela pourrait peut-être obliger le gouvernement à financer l'instruction privée aussi, de la même façon, je dis: Non. Il est possible que ce soit amendé sans que cela oblige le gouvernement à financer à 100% l'instruction privée. Parce qu'il faut bien lire l'article 37 où on dit: Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi... Alors, la mesure et les normes prévues par la loi déterminent si c'est à 100% ou à 80% ou à 90%. Si on enlève le mot "public", cela peut se faire sans que cela oblige le ministère de l'Education à y aller à 100%.

Mais ce que je trouve important, c'est de reconnaître la valeur de l'instruction privée. Cela ne veut pas dire que l'instruction publique est absolument mauvaise. Cela ne veut pas dire cela. Mais il faut aussi être assez réaliste pour savoir, et c'est peut-être ce que le ministre sait, c'est peut-être pour cela qu'il a certaines réticences, que si on donnait l'équivalent d'avantages à l'instruction privée, on viderait peut-être certaines écoles publiques présentement. On le sait peut-être, du côté gouvernemental, et c'est peut-être pour cela qu'on est un peu réticent. Il reste une chose, c'est que c'est un régulateur valable. Le ministre de la Justice, je pense, est capable de comprendre cela. Il a fait preuve dans d'autres domaines qu'il pouvait comprendre certaines choses. Je pense que le ministre de la Justice peut comprendre que c'est un régulateur valable, s'il y a une bonne concurrence entre les deux réseaux, entre les deux systèmes, ce sera susceptible de donner un enseignement meilleur. Je pense que là-dessus on est d'accord. Si vous étiez, tantôt d'accord avec le député de Maisonneuve, au moins là-dessus on est d'accord, sur ce point de vue-là.

M. Choquette: Puisque vous m'interpelez, est-ce que vous me permettez de donner une courte réponse?

M. Samson: Bien sûr.

M. Choquette: Oui, je crois que c'est sain qu'il y ait un système d'enseignement privé à côté du système public parce qu'il va se créer une émulation naturelle entre les deux systèmes. Je ne mets pas cela en cause. Ce n'est pas le système privé, au contraire, on le reconnaît par l'article 39. Donc, à ce point de vue-là, je ne le mets pas en cause.

M. Samson: Justement, M. le Président, c'est parce que je savais d'avance que le ministre ne mettrait pas cela en cause que j'ai pris la chance

d'intervenir et de lui demander de revoir sérieusement cette question de l'article 37 avant de prendre une décision finale. C'est entendu qu'il y a peut-être des consultations à faire. Je pense qu'il faut le reconnaître, et il faut aussi lui permettre de faire ces consultations, mais je soumets, M. le Président, respectueusement, que le fait d'enlever le mot "public" n'obligerait pas le gouvernement à financer à 100% le système privé, compte tenu de la réserve qui est inscrite à l'article 37 qui dit: "dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi". N'oubliez pas que cela compte aussi pour le système public. Si, demain matin, le gouvernement mettait le système public à 90%, il pourrait même le faire dans ce contexte-là, si vous laissez l'article tel qu'il est là. Si vous dites que, dans l'esprit du législateur, c'est le mot gratuit qui est le plus important, il faut que vous fassiez sauter les deux premières lignes de l'article pour que le mot "gratuit" ait toute sa valeur, sinon il n'a pas toute sa valeur. Je dis que si on conserve les deux premières lignes, il n'y a pas de danger à enlever le mot "public" à la troisième ligne et je pense qu'à ce moment-là ce serait peut-être permettre cette émulation dont le ministre a parlé tantôt, que cela se fasse encore mieux que cela se fait présentement et pour en arriver à un meilleur système d'enseignement. Je pense que tous, nous recherchons cela.

Ce que vous voulez, si je vous comprends bien — si je vous comprends mal, dites-le moi, mais je vous interprète, en tout cas — ce que vous voulez, c'est un bon système d'éducation qui va donner des bons résultats et vous voulez que ce soit mis dans la charte que nous avons devant nous par un principe. Vous ne voulez pas qu'on aille dans les détails, mais je pense que personne n'a à aller dans les détails de ce côté, mais quel est le chapeau qu'il faut mettre là-dessus? C'est par le principe qu'on inscrit. Est-ce que je vous ai bien compris?

Mme Mathieu: Je crois que le journal des Débats, qui relatera sans doute mes interventions, montrera clairement qu'on ne veut pas entrer dans les détails d'une loi particulière. Il s'agit d'une charte des droits de l'homme et je crois que toute personne de bonne foi qui lit notre mémoire s'aperçoit que nous n'entrons pas dans les clauses mineures ou particulières. Ce sont des principes pour nous.

Pour rejoindre votre intervention, certainement que le ministre ne donnera pas immédiatement l'instruction gratuite au niveau de l'université, alors que vous parlez de gratuité quand il s'agit de l'enseignement public. Vous allez quand même faire des restrictions même quand il s'agit du secteur public actuellement. Vous n'accorderez pas la gratuité complètement, même pour le secteur public.

Alors, si cette interprétation peut être limitative pour le secteur public, cela peut l'être aussi pour le secteur privé.

M. Choquette: C'est parce que nous voulons quand même indiquer une intention de faire en sorteque l'enseignement public soit gratuit, même s'il ne nous est pas possible, à l'heure actuelle, de garantir, d'une façon absolue, sa gratuité.

Je crois que c'est cela qui est l'intention. Mais cela n'enlève rien au secteur privé en soi. Je pourrais vous donner un exemple: Les livres scolaires, on sait que les élèves sont obligés de les payer, dans plusieurs cas. C'est pour cela qu'il faut avoir, dans les normes prévues par la loi.

On sait qu'à l'université, il faut que les étudiants paient les frais de scolarité. Donc, on ne peut pas leur garantir la gratuité absolue. C'est pour cela qu'on a été obligé d'avoir cette petite réserve. Mais cela indique quand même une intention du gouvernement, de la collectivité — parce qu'il ne s'agit pas simplement du gouvernement dans une loi comme celle-là — de rendre l'enseignement gratuit.

Je disais simplement, vous représentez le secteur privé, vous insistez en particulier — vous ne le représentez pas, mais vous insistez — sur le fait qu'on devrait donner au secteur privé les mêmes avantages financiers qu'au secteur public.

M. Samson: M. le Président, je désire soumettre au ministre — il vient de le citer — que c'est par les restrictions que nous retrouvons à l'article 37 qui font que, même s'il est dit que toute personne a droit à l'instruction publique gratuite, il reste qu'il y a des domaines de l'instruction publique qui ne sont pas totalement gratuits, comme l'instruction privée n'est pas totalement gratuite. Ce que je considère valable, c'est de ne pas placer, par le projet de loi 50, cette barrière qui risque d'être placée par l'article 37, entre le secteur public et le secteur privé, quant aux droits d'accessibilité.

C'est surtout de ce côté qu'il faut orienter nos intention s et c'est dans ce sens-là que je crois qu'il n'y a aucun danger à enlever le mot "publique" et je pense que tous les citoyens — que ce soient ceux-là qui ont davantage confiance au secteur public ou que ce soient ceux-là qui ont davantage confiance au secteur privé — pourront sentir qu'ils ont une protection par la charte qui est une protection de principe.

Mme Mathieu: Je voudrais, en terminant, faire une dernière intervention à cause de celle que vous venez de faire. Vous avez dit que nous représentions peut-être aujourd'hui davantage l'enseignement privé, alors que nous sommes venus plaider pour les écoles publiques catholiques, juives ou autres. Si elle est confessionnelle et si elle doit le demeurer, sa confessionnalité ne se résume pas à des cours de religion ou de morale.

Si on interprétait l'article de cette façon-là, ce serait extrêmement malheureux et limitatif, non seulement pour nous, mais pour les autres parents également. Dans le secteur public, on ne veut pas que s'introduise cette conception de l'école qui pourrait être très restrictive, concevoir l'école catholique comme une école où on donne simplement des cours de religion, où il y a une pastorale, des aumôniers. On veut que l'école catholique soit

réellement un ensemble, un corps professoral. On veut que les nouveaux règlements du comité catholique puissent réellement être appliqués et se vivent, que ce ne soit pas uniquement sur du papier.

A notre avis, cette conception de l'éducation qu'on limite à des choix de cours, pour les parents, qu'ils soient du secteur public ou privé, cela ne répond pas aux droits inaliénables des parents, qu'ils soient catholiques ou autres. Parce que l'éducation — et je veux terminer là-dessus — ce n'est pas seulement un cours de religion; on pourrait même se passer de cours de religion dans une école, s'il y avait un corps professoral qui avait la conception chrétienne de l'homme et des valeurs, qui transmettrait, à travers l'ensemble des matières et dans ce climat, une conception de l'homme à laquelle nous croyons et pour laquelle, pour ma part, et beaucoup d'autres aussi sont prêts à y mettre tout leur travail et tout leur coeur. Je vous remercie.

Le Président (M. Pilote): L'honorable député de Taschereau avait une question à poser.

M. Bonnier: Ce n'est pas tellement une question qu'une précision, M. le Président, à la suite des différentes réactions. Il me semble que, dans une loi comme celle-ci, ce qui est dangereux, c'est qu'on mêle, non seulement le droit des personnes, mais des systèmes, pour mettre en application ce droit des personnes.

Là-dessus, je suistout à faitd'accord avec les prémisses du député de Maisonneuve, quoique je ne sois pas d'accord sur la conclusion. Je crois qu'il a fait avec raison la comparaison avec la FTQ qui voudrait faire introduire dans une charte comme celle-là, ce qu'elle n'a pas fait. Mais je veux dire par rapport à l'hypothèse que le groupe syndical ou patronal voudrait faire introduire là-dedans un système de... qu'en ce qui regarde les conventions collectives, cela n'aurait pas lieu.

Je pense que c'est possible qu'à l'article 37, on soit entré dans un système, un sytème qui pourrait peut-être être discuté lorsqu'on parle de l'éducation. J'aurais une suggestion à faire dans ce sens, je la ferai sans doute quand on discutera article par article, mais il me semble que l'intention du législateur là-dedans, c'est de faire en sorte, dans les droits de la personne, que chacune des personnes ait accès à l'éducation la plus poussée possible, sans égard à ses moyens financiers. Dans le fond, c'est peut-être cela, l'intention. Si c'était cela l'intention, il y aurait peut-être lieu de la formuler d'une façon différente.

Cependant, vous me permettrez d'ajouter que lorsque vous faites une suggestion à l'article 39, vous aussi, à mon avis, vous tombez dans le panneau du système, alors que l'article lui-même se réfère davantage aux droits de la personne elle-même, qui sont bien garantis, je pense bien, par cet article, sans qu'on parle de système comme tel. Je pense qu'il faut faire attention. Ce seront mes seules considérations.

Le Président (M. Lachance): Le député de Maisonneuve.

M. Burns: M. le Président, j'ai d'abord une question, c'est-à-dire un commentaire et, deuxièmement, une question très générale, maintenant qu'on a quitté le terrain litigieux sur lequel nous nous étions engagés.

Je ne voudrais pas que votre groupement, l'Association des parents catholiques du Québec, parte d'ici avec la conviction qui est exprimée dans les premiers paragraphes de votre mémoire, lorsque vous dites, et en particulier au quatrième paragraphe: Les lois particulières adoptées par un gouvernement démocratique doivent respecter les droits naturels et, à plus forte raison, une charte des droits qui est, par définition, transcendante.

Je prends cette affirmation comme une affirmation de votre part que la loi est transcendante, c'est-à-dire fondamentale, c'est-à-dire qu'elle dépasse la législation actuelle et future. Je pense que cela a été clairement établi depuis le début des travaux de la commission, ainsi qu'au cours du débat en deuxième lecture, que ce n'était pas le cas. Si votre affirmation exprime un désir que la loi soit transcendante, c'est-à-dire qu'elle soit vraiment une loi fondamentale qui passe par-dessus les lois passées et à venir, j'aimerais vous l'entendre dire, mais j'aimerais aussi que vous vous rendiez compte que le projet de loi, tel qu'il est actuellement, particulièrement aux articles 45 et 46, fait que ce n'est pas le cas. Etait-ce votre désir que cette loi soit transcendante?

Mme Mathieu: D'abord, nous n'avons pas exprimé de désir à ce sujet. Nous avons constaté tout simplement une interprétation qui avait été faite en regard de cette loi. Peut-être qu'elle n'est pas immédiatement fondamentale, mais il n'y a qu'un pas à faire pour qu'elle le devienne. Il s'agirait tout simplement qu'un jour le Parlement décide, statue qu'elle devient une loi fondamentale. Pour notre part, nous avons conclu, en disant que nous n'étions pas prêts, que c'était prématuré d'adopter cette charte et qu'elle demanderait encore beaucoup de réflexion. On devrait permettre à beaucoup d'autres groupes de pouvoir s'exprimer, parce qu'il y a beaucoup de groupes qui ne sont pas encore au courant. Pour notre part, d'habitude nous organisons des fronts communs ou des coalitions et nous n'avons pas eu le temps, cette fois-ci, nous avons l'intention de le faire comme nous l'avons fait à plusieurs reprises. Nous savons qu'il y a plusieurs organismes qui auraient aimé aujourd'hui se faire entendre — ou cette semaine — qui ne sont pas prêts. Nous trouvons que c'est trop vite, et ce que nous demandons, c'est que cette étude puisse se prolonger pour permettre à cette loi d'être réellement le reflet de la pensée profonde des Québécois et des aspirations de notre milieu.

M. Burns: Une question... Je ne veux pas vous mettre mal à l'aise, surtout...

Mme Mathieu: Le pire est passé.

Des Voix: Nous ne sommes pas mal à l'aise.

M. Burns: Je ne veux pas vous mettre mal à l'aise, surtout eu égard à votre dernière réponse. Je me réfère maintenant à la page 6 de votre mémoire et peut-être que vous me donnerez la même réponse. En ce cas j'accepterai, sans aucun commentaire, et avec autant de respect, cette réponse que celle que vous venez de me donner. Donc, à la page 6, vous nous dites que plusieurs articles font problème et demanderaient une longue étude. Vous citez entre autres le droit à la vie, la liberté de conscience, la discrimination, les droits judiciaires. Ce que je voulais confirmer, c'est que, peut-être au moment où vous avez rédigé le mémoire, vous n'étiez pas branchés sur ça. Peut-être l'êtes-vous aujourd'hui. Si vous me dites que vous ne l'êtes pas, j'accepte votre réponse immédiatement et sans aucune discussion.

Mme Mathieu: Je peux être branchée, moi et mon exécutif. Mais notre association, quand elle prend position, consulte ses membres. Nous avons des assemblées plénières et nous n'avons pas eu le temps de le faire.

M. Burns: D'accord.

Mme Mathieu: Alors, comme nous voulons réellement être le porte-parole de nos membres, nous ne voulons pas traiter de ces sujets aujourd'hui. Je crois qu'on nous a rendu assez souvent ce témoignage de vouloir sincèrement être démocratiques et de représenter réellement nos membres. En terminant, est-ce que je pourrais aussi vous poser une question? Quel sens donnez-vous au mot "charte"? Dans mon dictionnaire, j'avais vu qu'il s'agissait de loi fondamentale.

M. Burns: Ce n'est pas au ministre de la Justice que vous avez posé cette question? Parce que, vous savez, ce n'est pas mon nom qui est attaché à ce projet de loi.

Mme Mathieu: Alors, c'est au ministre de la Justice que je pose la question.

M. Choquette: Là, madame, vous nous relancez surun sujetqui aétédiscutédepuishiermatin, la portée des dispositions de cette charte quant aux autres lois existantes ou à venir. Cette matière a été discutée très longuement. Il y a les tenants d'une charte qui s'imposerait à l'égard de toute législation à venir et qui rendrait nulle toute législation à venir qui ne serait pas conforme aux principes de la charte. Il y a, d'un autre côté, les tenants d'une position nettement moins forte au point de vue de la portée juridique de la charte sur des législations à venir et même des législations passées et qui disent: II faut laisser une latitude, il faut laisser plus de liberté au Parlement de décider de la législation future, avec l'espoirqu'on s'inspirera toujours des grands principes énoncés à la charte quant à la protection des droits individuels. Il peut y avoir, en fait, un certain désaccord sur la portée que devraient avoir les articles de cette charte, mais cela a été discuté. Il y a des arguments sérieux qui ont été soumis de part et d'autre. Moi-même, j'ai dit que je n'avais pas pris de position absolument définitive sur le sujet, que je laissais les représentants des groupes exprimer leur position ici et que je réfléchirais à tout cela avec mes conseillers pour voir dans quelle mesure cette charte doit avoir ce caractère intangible vis-à-vis de toute autre législation.

Mme Mathieu: Si je comprends bien, il y en a d'autres que nous qui ne sont pas encore complètement branchés.

M. Choquette: Sans doute, madame. Vous ne devez pas vous sentir humiliée de ne pas être branchée sur tous les éléments parce que, vous le savez, c'est une loi très complexe, peut-être une des lois les plus complexes sur le plan juridique qui ait jamais été votée par le Parlement actuel. Alors, il n'y a pas de honte à ne pas avoir un avis sur toutes les questions et tous les aspects de ce projet de loi.

Mme Mathieu: Alors, on peut même dire que le gouvernement ne sait pas encore quelle sera la portée de cette loi.

M. Choquette: Je l'ai expliqué, madame, vous devriez...

Mme Mathieu: Vous avez dit qu'il y avait différentes tendances.

M. Choquette: Oui, mais voici, madame, j'ai exprimé ma position en deuxième lecture. Si vous voulez relire le journal des Débats, cela vous permettra de voir comment je pense. Mais, étant donné que j'admets qu'on peut m'apporter des arguments qui ont une valeur et qu'on a convoqué les groupes ici présents, je n'ai jamais pris de position radicale selon laquelle il n'y a rien là-dedans qui pouvait être changé. Je suis prêt à discuter de tous les aspects.

Mme Mathieu: Merci.

Le Président (M. Pilote): Je remercie Mme Mathieu ainsi que celles qui l'accompagnent et soyez assurées que la commission va prendre bonne note de vos recommandations.

J'inviterais à présent Mme Marcelle Dolment, qui représente le Réseau d'action etd'information pour les femmes, à prendre place à la barre.

Réseau d'action et d'information pour les femmes

Le Président (M. Pilote): J'inviterais Mme Dolment à présenter celles qui l'accompagnent. Je l'inviterais, également, si c'est possible, à faire le résumé du mémoire qu'elle présente. Il restera ainsi plus de temps pour la période des questions de la part des membres de la commission.

Mme Dolment (Marcelle): Malgré que ce sera peut-être difficile de résumer en très peu de mots, parce qu'on a changé, modifié ou ajouté à peu près 81 articles. On touche à peu près à 81 articles. Je pense que nous allons essayer d'être le plus succinctes possible. Si vous voulez nous donner juste le temps...

Le Président (M. Pilote): 20 minutes.

Mme Dolment: Mais la plupart des autres organismes ont eu passablement plus que 20 minutes. Si vous vouliez nous laisser le temps de nous exprimer, d'autant plus que ce sont presque tous des articles qui nous intéressent.

M. Desjardins: Prenez votre temps. Le Président (M. Pilote): Allez, on verra. M. Desjardins: Prenez votre temps. Mme Dolment: Je voudrais présenter...

Le Président (M. Pilote): Je ferai remarquer à M. Desjardins qu'il n'est pas président de la commission.

M. Samson: M. le Président, je vous demande respectueusement si on peut quand même lui permettre avec le consentement de la commission...

Le Président (M. Pilote): Oui.

M. Samson: Est-ce que je pourrais vous demander, avec le consentement de la commission, qu'on lui donne le temps qu'il faut?

M. Desjardins: C'est cela.

M. Samson: Est-ce qu'on a le consentement de la commission?

M. Desjardins: Ah! oui.

M. Samson: On l'a. Il n'y a pas de problème.

M. Desjardins: Alors, M. le Président, quelle est votre décision?

Le Président (M. Pilote): Allez!

Mme Dolment: Je voudrais présenter, auparavant, les membres du RAIF, le Réseau d'action et d'information pour les femmes, qui ont participé à la préparation du mémoire que nous présentons aujourd'hui. Il y a Huguette Houle, Madeleine Lemay, Louise Brunelle, Nicole Kobinger, Solange Martin et Pauline Robert.

Le préambule. Le projet de loi sur les droits et libertés de la personne est une insulte aux femmes, parce qu'il maintient le statu quo. Nous avons donc modifié la charte, de telle sorte que ses articles nous permettent de réclamer nos droits et libertés. Nous avons inclus 28 nouveaux articles, modifié 28 autres et éliminé deux articles. Nous y reviendrons après avoir noté nos considérations sur la structure même de la loi.

Nul ne contestera que la charte des droits et libertés est un projet de loi d'une grande importance à la condition cependant qu'elle ait une véritable portée légale en primant sur les autres lois. Nous avons fait des recommandations en ce sens dans les articles 45 et 58. Autrement, on ne peut l'appeler une charte, ce serait vraiment de la fausse représentation.

De plus, qu'on ait laissé au premier ministre le soin de nommer les commissaires est inadmissible. Car comment pourrait-on être assez naives ou naïfs pour croire que ces nominations ne seront pas faites parmi les amis du régime? Tout ce qui touche la charte doit être dépolitisé et les postes comblés par voie d'élection et non de nomination politique. Nous avons fait nos suggestions à cet égard à l'article 49.

Deux petits bouts de phrase dans les articles 66 et 67 nous ont frappées, et pour cause, car ils menacent de jeter par terre tout l'édifice de la charte. Ce "ou que le requérant dispose d'un recours adéquat" dans l'article 66 et ce "ou qu'une enquête n'est pas nécessaire eu égard aux circonstances" dans l'article 67, sont de la dynamite car ils permettent à la commission de se débarrasser de toute plainte dont elle ne désire pas s'occuper, avec une facilité telle que la charte peut devenir pratiquement inopérante selon le caprice des commissaires.

Ces incroyables stipulations doivent disparaître sinon la charte est une farce, comme la Charte canadiennedesdroits. Je pensequetout le monde est d'accord sur la Charte canadienne des droits.

Nous notons cependant avec satisfaction que le premier paragraphe de l'article 45 et l'article 58 d) permettront une évolution de la loi et que toute la charte est écrite dans un langage limpide. Nous trouvons indispensable l'article 58 b) qui donne rôle à la commission de diffuser la charte, en établissant un programme d'information et d'éducation.

Nous aimerions même que la charte soit au programme d'études des écoles dès les premières années. Il faut en effet sensibiliser la population à ses droits et aux devoirs des uns envers les autres.

C'est là que la charte prendra tout son sens, à la condition cependant qu'elle ne soit pas une loi d'apparat, mais une loi bien vivante.

Cependant, ce rôle de formation de la population qu'on veut faire jouer à la charte comporte un grand danger, car si celle-ci est elle-même biai-sée, incomplète et surtout discriminatoire, elle deviendra alors un élément de déformation d'autant plus efficace qu'il sera plus subtil, adoptant les apparences de l'objectivité et de la justice.

Comme ce projet de loi est susceptible de régir toutes nos activités, il était impérieux de l'étudier en profondeur. Malheureusement, le temps très court, beaucoup trop court — nous ne sommes pas les seuls a le mentionner — alloué pour la

préparation des mémoires nous a empêchées de travailler le nôtre comme nous l'aurions désiré. Nous sommes déçues et surprises que le gouvernement n'ait pas donné plus de temps à la population pour se prononcer sur ce qui la concerne au premier chef, car il avait fait de grandes déclarations sur ses bonnes intentions à ce sujet. Qui en effet aura eu le temps de préparer et de présenter des mémoires parmi les organismes populaires ou à moyens modestes?

Les droits des femmes.

Ceci dit, le Réseau d'action et d'information pour les femmes (RAIF) a été indigné — le mot n'est pas trop fort — à la lecture de la charte, de constater qu'on a totalement ignoré les droits les plus élémentaires des femmes dans ce document. Cette charte est restrictive et irréaliste au point que, nulle part, elle ne mentionne les implications du rôle biologique des femmes, ce qui retire par le fait même à celles-ci plusieurs droits et libertés pourtant reconnues implicitement à l'autre sexe. Il est évident que cette charte a été conçue pour et par des hommes afin de protéger leur mode de vie à eux dans une totale indifférence des problèmes des femmes.

Il ne faudrait pas oublier qu'on a enfermé la femme dans la famille et qu'on l'a liée avec les enfants. Alors quand, dans un des articles, il est dit que "tout être humain a droit à...", il appert que, dans la réalité, la femme ne peut exercer ce droit "humain", qui vient de "homme" d'ailleurs.

Un nombre considérable de femmes sont donc exclues de cette charte, car la femme en se mariant perd presque tous ses droits et la charte ne les lui redonne pas. Une charte réaliste aurait dû lui garantir que, quel que soit son état civil, ses droits fondamentaux de personne seraient respectés, grâce à l'intégration d'articles dont elle pourrait se réclamer pour faire respecter ses droits.

A cause de l'aliénation séculaire des droits et libertés des femmes, on s'imagine que cette aliénation et exploitation est dans l'ordre des choses et, conséquemment, on ne cherche, on ne pense même pas à corriger une situation que les hommes rejetteraient immédiatement, la trou vant invivable.

De plus, on a omis dans cette charte toute référence à la maternité de la femme, rôle qui, pourtant, la pénalise durement dans notre société misogyne. On s'est comporté comme si la femme était un homme et n'enfantait pas ou n'était pas susceptible d'enfanter, aberration impardonnable pour qui prétend vouloir cerner tous les droits de la personne.

On a tellement perçu la femme comme un homme dans cette charte que toute la terminologie employée exprime ce postulat. Ainsi, le texte est partout émaillé de termes uniquement masculins pour désigner des postes ou des états, comme si on ne concevait pas qu'une femme puisse accéder à ces postes ou parce que, tout simplement, elle est congénitalement absente des processus mentaux des rédacteurs de textes de lois quand on parle de la personne. Il est vrai que la femme n'a obtenu son statut de personne qu'en 1929! Nous avons donc corrigé dans le texte tous ces accrocs à l'égalité. Nous n'acceptons pas "homme" pour désigner l'ensemble des hommes et des femmes, pas plus que le terme "être humain". Nous suggérons "individu" ou "personne" selon ce qu'on veut dire, parce qu'on a fait la distinction — je pense que c'est la Ligue des droits de l'homme — à propos de "personne" et "être humain".

Orientation de la charte.

Nous avons ouvert un chapitre sur les droits ayant trait à la santé. N'est-il pas surprenant que nulle part on n'ait mentionné ce droit à la santé qui devrait venir immédiatement après le droit à la vie, et qu'on n'ait pas développé ce droit essentiel dans plusieurs articles comme on l'a fait pour le judiciaire?

La raison de ce déséquilibre en serait-elle que les juristes, en élaborant cette charte, sont, comme beaucoup de spécialistes, tombés dans la déformation professionnelle qui ne leur a fait voir que les facettes des problèmes qui les préoccupent habituellement, au détriment des autres? Dix-huit articles pour le judiciaire et seulement huit pour les droits économiques et sociaux et aucun pour la santé, donc deux fois plus pour le judiciaire que pour la santé, l'économique et le social réunis, c'est assez symptomatique!

Ce morceau législatif nous apparaît comme une charte pour intellectuels, les problèmes du commun des mortels et mortelles y étant souvent complètement escamotés au profit de subtilités judiciaires. En fait, on s'y préoccupe plus du sort des prisonniers que de celui des femmes!

Si on avait inscrit et insisté plutôt sur le droit à des conditions de vie décentes, à la qualité de vie, à la santé, à la jouissance de biens honnêtement acquis, si on n'avait pas constamment restreint la portée de certains articles en introduisant des clauses comme "tel que prévu par la loi", la puissance des mots, ce qu'ils auraient évoqué surtout, aurait donné un tout autre éclairage à cette charte gravement déficiente et morbide parce qu'elle reflète une société qui préfère tenter de corriger des situations dramatiques qu'elle a laissé se produire, plutôt que de les prévoir.

La société est actuellement déséquilibrée par le fait qu'il n'y a que des hommes qui la dirigent. Si vous remarquez, en commission parlementaire, il n'y a que des hommes, aucune femme. C'est vrai qu'il y a seulement une femme député, mais s'il y a seulement une femme député, ce n'est pas parce que les femmes n'ont pas la compétence...

M. Burns: Si vous saviez comment cela nous fait de la peine, madame.

Mme Dolment: Si cela vous faisait de la peine, vous voteriez des fonds pour avoir des garderies, alors les femmes pourraient s'impliquer politiquement.

M. Burns: Je suis bien d'accord.

Mme Dolment : La société est actuellement déséquilibrée par le fait qu'il n'y a que des hommes qui la dirigent. En accordant aux femmes une liberté d'action et d'implication sociale qu'elles n'ont pas actuellement, ni dans la charte, ni dans la vie, parce qu'on les a instituées gardiennes du foyer, avec tout ce que cela entraîne de limitations, en ne les obligeant plus à une maternité forcée, nocive pour la société qui hérite d'êtres non voulus, rejetés, futurs pensionnaires des prisons et des asiles, en rendant donc les femmes matériellement autonomes et aptes à remplir les postes qui leur reviennent dans la société, au moyen d'articles de loi qui collent à la réalité, au lieu de l'ignorer, on obtiendra une amélioration du bien-être général qui atténuera d'une façon surprenante la nécessité de recourir à l'omniprésent judiciaire et à l'incarcération, preuves irréfutables des déficiences de cette société et de ses maladies.

Cette charte qui prétend s'élever contre la discrimination, est elle-même, dans sa terminologie, son esprit et ses omissions, d'une discrimination flagrante.

Voici donc les modifications qui s'imposent:

Les considérant, je ne les lirai pas, c'est simplement qu'on a changé les termes. Surtout le deuxième considérant qui était: Considérant que tous les hommes sont égaux. Evidemment, c'est vrai, mais on espère que cela va changer, parce qu'on espèreque lesfemmes, un jour, deviendront égales aux hommes.

Ensuite, pour la compréhension du texte, on a répété le texte de loi et on a souligné ce qu'on changeait. Quand c'était tout un nouvel article, on a souligné au complet le nouvel article. Je pense que cela va être assez clair pour comprendre les modifications qu'on a faites.

Dans le premier article on a mis: a), b), c), si on ajoutait des articles.

Tout individu — on a changé encore le terme qui était "tout être humain". L'article 1 b) Toute personne a droit sa vie durant à son identité. Les hommes n'ont pas pensé à celui-là parce qu'ils l'ont leur identité.

L'identité est le bien le plus inaliénable d'une personne. Maintenant que les femmes ont compris l'importance de leur identité et veulent reprendre leur nom légal quand elles sont mariées, il y a beaucoup d'organismes et d'institutions qui font énormément de difficultés aux femmes et même qui vont le leur refuser carrément, à cause de règlements internes établis, alors que la loi dit bien clairement que le nom de la femme, le nom légal, c'est son nom de naissance sur l'acte de naissance. Ils ne sont même pas dans la légalité quand ils refusent cela.

L'article 2 a). Toute personne dont la vie est en péril ou la sécurité menacée a droit au secours. Dans le deuxième alinéa, on a encore ajouté "ou la sécurité", parce qu'on ne voit pas pourquoi on restreindrait l'obligation d'aider à la vie seulement. Cela nous paraissait une lacune.

L'article 2 b). Toute personne a droit à l'autodéfense, toutes les fois que sa vie ou la qualité de vie sont menacées. C'est un nouvel article très important.

Si un individu est attaqué, il est essentiel qu'il puisse repousser l'agression — on pense aux femmes qui se font violer ou enfin même l'autodéfense au point de vue de la vie — ou qu'il puisse prendre les moyens de défendre les éléments de base et l'échelle des valeurs de sa vie, de même qu'on reconnaît ce droit aux collectivités.

On ne veut pas mentionner de pays, mais enfin cela est arrivé souvent pour des pays.

L'article 2 c). Toute personne a droit à la santé et aux soins que nécessite son état ainsi qu'à son bien-être physique, mental et social, C'est un nouvel article. Même si on a ouvert un chapitre sur la santé, on a pensé qu'il était nécessaire de l'inclure dans les droits fondamentaux, parce qu'après tout, la santé, c'est le complément nécessaire et essentiel de la vie.

L'article 2 d). Toute personne a droit à la libre disposition de son corps. Un autre article extrêmement important. Cet article est essentiel pour qu'un individu puisse se considérer comme libre. Il doit avoir la possibilité de déterminer lui-même ce qu'il adviendra de son corps en tout ou en partie. Que ce soient des greffes, comme il a déjà été mentionné, que ce soit pour accepter d'avoir des expériences médicales, enfin... Les droits et libertés de la personne commencent là, à la personne même. Si celle-ci ne peut contrôler son propre corps et à quoi il servira, elle ne peut aspirer contrôler sa vie ni son milieu. On fait d'elle alors une esclave, une véritable esclave, ce qui est contraire au but le plus fondamental de la charte.

Toute personne a droit à des conditions de vie décente et à la qualité de vie de l'environnement. Nouvel article. Nous ne sommes pas les seuls à demander cela pour l'environnement, il y a plusieurs organismes, je crois, qui l'ont demandé.

La vie n'est pas tout, il faut y adjoindre des conditions minimales, sans lesquelles il vaudrait mieux ne pas être né. Sans ces conditions, un individu ne pourrait pas préserver sa dignité, son autonomie financière et matérielle. Il faut même plus qu'un minimum vital, il faut aussi qu'on puisse avoir une qualité de vie. C'est tellement vrai qu'il y a des millions d'individus qui sont morts pour défendre justement cette qualité de vie qui se trouve à être la possibilité pour une personne de se réaliser, de s'épanouir socialement, intellectuellement et affectivement.

Il faut aussi, pour un sain développement de la personne, qu'il y ait la qualité de l'environnement, ne pas avoir le bruit, la pollution, la destruction.

L'article 3: Toute personne — on a ajouté "quel que soit son âge ou son état civil" — est titulaire des libertés fondamentales, telles la liberté... — on définit les libertés et, entre autres, on a ajouté, nous, la liberté de décision et la liberté d'action qui nous paraissaient extrêmement importantes. L'âge, c'est important par rapport aux enfants; parce qu'un enfant est sous tutelle, cela ne veut pas dire qu'il n'a pas droit d'exprimer, d'avoir droit à ces libertés. C'est important de le mentionner. L'état civil, c'est extrêmement important, parce qu'on sait très bien qu'il y a des femmes, parce qu'elles portent le nom du mari, qui ne peuvent pas exprimer leur opinion, sous prétexte

qu'elles sont sous sa responsabilité financière ou autre.

L'article 4: Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation, ce qui exclut toute forme d'esclavage, déguisé ou non. Parce qu'en Occident, l'esclavage ne revêt pas les mêmes formes auxquelles on est habitué, il ne faut pas se tromper, cela existe encore. Toute espèce de domination consciente par la peur, le chantage, les moyens médicaux ou autres, qui permet l'abus et l'exploitation d'autrui est contraire aux droits les plus fondamentaux de l'individu; l'aliénation économique et politique est une forme d'esclavage aussi.

L'article 5: On le laisse ainsi.

L'article 5 b): Toute personne a droit à sa vie sexuelle. Un autre articletrès important. Comme la vie sexuelle implique un ou une partenaire, on ne voit pas pourquoi entre adultes consentants, le moded'expression de la vie sexuelle ne serait pas la prérogative de chacun; on ne pourrait pas contester cela, parce que la vie sexuelle, l'instinct sexuel est un instinct aussi vital que celui de la conservation. Ce droit, les hommes l'exercent depuis toujours, en toute liberté. Il n'y a aucune raison, sauf l'égoïsme et la discrimination — on insiste bien là-dessus — la plus évidente de leur part, pour qu'ils continuent à en profiter seuls, imposant par contre aux femmes des interdits contraires à la liberté des personnes et au droit pour tous les individus d'avoir accès aux jouissances de la vie. Cet article implique bien clairement qu'on dissocie la vie sexuelle de la maternité.

Un nouvel article, 5 c): Toute personne a droit à l'information complète et à l'instruction, quel que soit son âge ou son statut civil. Je pense que cela a été suffisamment développé, sauf que nous voudrions ajouter qu'il y a des maris qui interdisent à leur femme d'étudier. Et ce ne sont pas des cas exceptionnels, on en connaît à la tonne de ces cas. Ils défendent à leur femme d'étudier, ou bien ce sont eux qui décident quel cours la femme doit prendre. Alors, c'est pour cela que c'est important de spécifier: selon son âge et son statut civil. Par contre, il y a des parents qui vont exiger de leurs enfants qu'ils ne continuent pas leur instruction par intérêt égoïste, pour avoir un peu plus d'argent, qu'ils laissent tomber leurs études. Cela aussi est concerné, c'est un droit fondamental qui a été oublié.

A l'autre article, on a ajouté: "honnêtement acquis"; profiter de la libre disposition de ses biens honnêtement acquis. C'était impératif, parce qu'un bien peut être à la fois légalement mais injustement acquis, ce qui arrive souvent. Il était nécessaire qu'une charte nuance ce droit à la jouissance car, autrement, ç'aurait entériné l'injustice sociale et la malhonnêteté. On pense à un cas comme la séparation de biens, où la maison reste — parce que c'est le mari qui a signé le contrat — à l'homme alors que la femme aménagé autant que lui pour la payer. Lorsqu'il y a divorce, la femme n'a aucun droit à cette maison. Légalement, cela lui appartient, mais c'est malhonnête de la garder, de sa part. C'est pour cela qu'on veut bien le spécifier, et comme la charte c'est, en même temps, un moyen d'éducation qui sera transmis dans les écoles, c'est important de le stipuler. D'ailleurs, on espère que la révision du code civil va changer bien des choses dans les régimes matrimoniaux.

On le mentionne d'ailleurs dans l'autre article où on dit: Toute personne a droit au fruit de son travail, quel que soit son âge, son état civil ou son régime matrimonial. C'est un peu différent de l'autre. Le fruit du travail peut être aussi bien le salaire gagné à l'extérieur — vous savez qu'avant, les femmes n'avaient pas droit de garder leur salaire — que le résultat d'un labeur quelconque. Cela peut être une femme sur une ferme, comme dans l'Ouest, le cas Murdock, où justement la femme a été dépossédée de son travail de toute une vie, ou une femme qui ferait des travaux à la maison.

Certains régimes matrimonieux sont contraires, on l'a dit, aux droits des individus et devraient être adaptés à une plus juste notion de propriété des biens.

A l'article 9, on a ajouté, par rapport au secret professionnel: Que le secret professionnel devrait s'adresser aussi aux associés d'un même bureau. Quand un secret est confié, ou qu'une confidence est faite à un avocat ou à un médecin, maintenant qu'il y a de plus en plus de bureaux de médecins ou d'avocats, cela ne veut pas dire que c'est tout le bureau qui adroit à ces secrets. C'est important de le spécifier, on l'avait oublié.

A l'article 11, on a ajouté, dans les motifs de discrimination: les convictions politiques ou morales. C'est important, il nous semblait, et surtout l'âge et l'état civil qui étaient mentionnés par presque tous les organismes et, en plus, nous avons ajouté un motif de discrimination très important, surtout quand on va en cour, où que les gens qui n'ont pas d'argent peuvent très souvent être privés d'un moyen d'aller en cour; les gens qui n'ont pas beaucoup de moyens peuvent aller à l'aide juridique mais ceux qui ont des moyens modestes n'ont pas assez d'argent pour y aller et ils ont trop d'argent pour aller à l'aide juridique.

Les moyens financiers, le statut social ou professionnel, le nombre d'enfants — c'est important aussi. Une femme qui veut se faire stériliser, on va lui demander combien d'enfants elle a. On est tout à fait contre cela. Pour louer un logement, cela aussi est tout à fait discriminatoire. — Et l'état de maternité. On n'a pas besoin d'expliquer ces choses.

Dans l'article 12: Nul ne peut publier ou exposer en public un avis, un symbole ou un signe comportant discrimination ou employer couramment et officiellement un terme discriminatoire, surtout si celui-ci exprime un lien de dépendance, servitude ou possession.

Les termes "madame" et "mademoiselle", termes qui obligent la femme à révéler son statut par rapport à l'homme, sont de cet ordre. On n'oblige pas les hommes à dire s'ils sont mariés ou non. On ne voit pas pourquoi on le ferait pour les femmes. Diviser les femmes en deux catégories nous paraît discriminatoire et contraire à l'esprit de la charte. Le Réseau d'action et d'information

pour les femmes suggérait un terme "made" ou "mad." qui est l'abréviation, qui serait un terme unique et qui ne serait pas discriminatoire pour désigner toutes les femmes.

Dans l'article 13, on a ajouté, dans les motifs de discrimination pour empêcher autrui d'avoir accès aux moyens de transport ou lieux publics, les établissements de santé et d'éducation — c'est extrêmement important — les hôpitaux, les écoles, cela n'avait pas été inclus. C'est inutile de parler longuement là-dessus, je pense que tout le monde devrait être d'accord. C'est arrivé dans des hôpitaux qu'on refuse une femme parce qu'elle avait essayé de s'avorter elle-même, qu'on lui refuse l'accès à l'hôpital; c'est déjà arrivé.

L'article 14. Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un bail, ou autre acte juridique, on a ajouté: ou refuserde poser un acte médical ou pharmacologique ou imposer un acte médical ou pharmacologique, surtout par chantage ou fraude médicale.

Les actes médicaux et pharmacologiques sont encore plus importants que les actes juridiques car ils concernent la santé et, pourtant, on avait négligé de les mentionner. Il arrive, en effet, que, par discrimination, des médecins ou des pharmaciens refusent de poser les actes que leur profession requerrait d'eux. Nous désirons également éviter que l'on pratique des interventions, par exemple, la stérilisation, chez certaines catégories d'individus, comme on l'a vu pour des noires. On leur imposait la stérilisation, on faisait semblant qu'on leur donnait une piqûre pour autre chose, puis on leur donnait une piqûre pour les stériliser. On n'a pas besoin de nommer de pays, on sait que cela se fait couramment. Ou bien, une femme qui est sur la table d'accouchement, on lui suggère de se faire stériliser alors qu'elle vient d'avoir un enfant de façon très dure. Je pense que c'est du chantage, elle va être portée à dire oui et elle va le regretter deux ans après.

L'article 15 b). Toute personne a droit à des conditions de vie et de liberté égales à l'intérieur du mariage et à des droits et responsabilités égales. Cela était extrêmement important. C'est là qu'on voit que ce sont des hommes qui ont rédigé la charte, parce qu'à l'intérieur du mariage, ce n'est pas l'homme qui est discriminé, on le sait bien, c'est la femme qui l'est. Cette affirmation de l'égalité du mariage est une des clauses capitales de la charte universelle des droits, car la vie à l'intérieur du mariage est un véritable nid de discrimination de tous genres auxquels toutes les femmes, non seulement celles à l'intérieur du mariage, mais toutes les femmes sont soumises avec plus ou moins de nuances, et qui sont, d'ailleurs, la source d'injustices innombrables à l'extérieur du mariage, par exemple, au travail. Ainsi, parce que, dans nos moeurs, la femme dépend financièrement de son mari, en principe, on va lui refuser souvent un salaire équitable au travail. On dit: L'homme, c'est le chef de famille, il faut qu'il fasse vivre une famille.

La même chose pour la stabilité, la femme, comme on dit: Elle va être obligée de s'occuper des enfants, elle n'est pas stable, on ne lui donnera pas d'avancement.

Dans l'article 16, nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, on a ajouté aussi les questionnaires et interviews, et aussi dans l'emploi. Parce que, dans les questionnaires et interviews, très souvent, on ne pose pas les mêmes questions aux hommes qu'aux femmes. Aux femmes, on va leur demander: Que pense votre mari du fait que vous travaillez? Combien d'enfants avez-vous l'intention d'avoir? Ou même quels sont les moyens anticonceptionnels que vous employez? Alors qu'on ne demande pas cela à l'homme. C'est vraiment de la discrimination et assez grave. C'est pour cela qu'on l'a inclus. Une fois que la femme a un emploi, cela arrive très souvent qu'il y ait discrimination, une fois que les conditions de travail sont établies et l'embauche.

L'article 17, c'est pareil. Maintenant, tout le chapitre des droits ayant trait à la santé. La première partie c'est par rapport surtout à la femme et les autres, c'est général.

Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à des heures raisonnables de travail et à des congés périodiques. On pense ici surtout aux mères de famille qui travaillent 24 heures par jour, 7 jours par semaine et 365 jours par année, sans même qu'on considère qu'elles aient droit à des vacances ou à un repos. Leur santé est souvent affectée.

Toute personne a droit à l'anesthésie ou à un sédatif approprié dans les interventions médicales et les accouchements.

Les curetages à vif en manière de punition de la femme parce qu'elle a tenté de s'avorter et les mises au monde de l'enfant d'une mère célibataire sans anesthésie ou sédatif approprié, comme cela s'est fait dans bien de nos bons hôpitaux catholiques du Québec, sous prétexte qu'elle a péché ou qu'elle est de mauvaise vie sont ici visés. Cette torture des femmes à même leur condition féminine est à peu près ce qu'il y a de plus insoutenable et de plus révoltant. C'est du sadisme.

Un autre article. Toute personne de sexe féminin a droit aux soins prénataux et postnataux gratuits. Comme l'acte de mettre un enfant au monde est un acte social vital, sans lequel la société n'existe pas, il est logique que l'Etat fournisse gratuitement tous les soins qui entourent cette fonction, comme dans bien des pays du monde.

Toute personne a droit à l'information complète privée et publique sur la conception, la contraception, de même qu'à l'accès gratuit aux moyens contraceptifs. Il est évident qu'on ne peut parler de santé pour les femmes sans aborder l'enfantement et la contraception qui dominent, hantent et modifient toute leur vie. La gratuité des moyens contraceptifs nous paraît une condition sine qua non de l'exercice de ce droit afin que toutes soient égales dans le contrôle de leur fertilité, pas seulement les femmes qui sont en moyens. On veut que toutes les femmes, même si elles n'ont pas un sou, puissent avoir le contrôle

de leur fertilité parce que c'est peut-être celles qui n'ont pas un sou qui ont besoin de la contrôler parfois.

Un autre article: Toute femme a droit à l'exercice du libre choix de la maternité, incluant l'accès gratuit aux services médicaux d'interruption de grossesse. Ce droit des femmes de décider elles-mêmes de leurs capacités physiques, psychologiques et social es d'être mères ou non, est la liberté la plus lourde de conséquences qui soit pour la femme et la société. La société doit en effet choisir: ou être répressive dans ce domaine et remplir ses prisons, ses hôpitaux et ses cliniques d'enfants et de mères victimes d'une politique cruelle et irréaliste, ou encourager la maternité responsable et en récolter plus tard les dividendes sociaux de tous ordres. On ne peut enrôler les femmes de force dans la maternité, parce que les femmes doivent aimer. L'enfantement est un acte d'amour, pas de productivité. Même si notre natalité décroît. Et l'amour est plus nécessaire à l'enfant que la vie, c'est sa qualité de vie à lui. Il y a bien des enfants qui préféreraient ne jamais être nés plutôt que d'être nés et négligés et pas aimés. Il y a droit à cela avant même que d'avoir droit à la vie.

Maintenant, je ne sais pas si vous avez eu la feuille, on avait oublié une grappe de droits pour la santé, contraires à la santé. Je ne les commenterai pas, je vais seulement les nommer rapidement: Toute personne a droit de refuser d'être un sujet d'étude ou d'examen pour les étudiants en médecine, comme cela se pratique actuellement; toute personne a droit au libre choix de son médecin; toute personne qui est internée dans un asile psychiatrique a droit de connaître la raison de son internement et d'exiger qu'un comité vérifie le bien-fondé de son internement; toute personne a droit d'être admise dans un hôpital et d'être soignée immédiatement, s'il y aurgence, à moins que preuve ne soit faite de l'impossibilité pour cet hôpital de recevoir et soigner ce patient ou cette patiente; toute personne a droit d'obtenir des détails relativement à l'état exact de sa santé.

Maintenant, les droits judiciaires, un ou deux sur lesquels on a changé un peu. Le premier article des droits judiciaires, l'article 20; on a ajouté: Toute personne a droit à une audition publique, impartiale et complète de sa cause. C'était important parce que combien d'individus ne peuvent obtenir justice parce que leurs moyens financiers ne leur permettent pas de porter leur cas devant les cours supérieures qui sont alors réservées aux seuls puissants et bien nantis. Je fais allusion ici au cas de tout à l'heure, ceux qui n'ont pas d'argent vont à l'aide juridique; ceux qui ont beaucoup d'argent peuvent y aller; mais les gens du milieu, ce sont toujours les gens du milieu qui, souvent, n'ont rien; ceux-là ne peuvent pas aller devant la cour, cela coûte trop cher. Alors, on n'a pas mis de moyens parce que c'est une charte; mais ce seront des moyens à trouver dans une loi du code civil ou autre.

La justice doit être complètement, c'est-à-dire à tous les niveaux, accessible à tous, quels que soient leurs moyens. Faire jurisprudence, faire ré- viser un procès ne devraient pas être l'apanage des riches, d'une élite. C'est un droit démocratique à respecter, sinon l'égalité devant la loi n'est qu'un vain mot.

Dans l'article 21, on a mis un membre d'article qui est très important, c'est: Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf pour les motifs prévus par la loi et suivant la procédure prescrite et, en particulier, ne peut être confiné dans un asile psychiatrique ou une institution quelconque contre son gré ou en extorquant une signature, à moins que preuve ne soit rapidement faite devant des tribunaux indépendants de la nécessité d'une telle action ou que le comportement de la personne ne menace la vie de ceux et celles qui l'entourent.

Il y a des maris qui, pour se débarrasser d'une femme tout en conservant le respect de l'entourage, n'hésitent pas à la faire interner. Ainsi, ils n'ont aucune pension alimentaire à payer et la garde des enfants leur est assurée. C'est vrai, cela. Pour cette raison et sans doute plusieurs autres, le procédé a été largement employé par des maris dont on ne se serait jamais imaginé qu'ils puissent agir de la sorte. Ils retrouvaient ainsi leur liberté à bon compte.

La loi 46 sur la protection des malades mentaux exige maintenant la signature de la personne qu'on veut interner, mais le danger demeure, d'autant plus que cette loi est loin d'être parfaite et que les maris peuvent employer des moyens plus subtils, comme celui de convaincre la femme qu'elle est réellement malade. On peut aussi se servir de la simple menace de l'internement afin d'arriver à ses fins. La loi 46 devrait prévoir ces cas et être beaucoup plus explicite et étanche dans la protection des individus face au danger d'internement. Trop de discrétion est encore laissée aux autorités. Si vous lisez la loi 46, vous allez voir que cela laisse drôlement de latitude aux autorités.

Qu'une charte doive comporter des articles pour prévenir ces crimes contre la personnalité et la liberté est indiscutable, surtout quand on voit à quel point ce moyen est employé dans certains pays, qu'on ne nommera pas, pour se débarrasser d'une personne gênante. Ce qui pourrait arriver ici aussi.

Des articles 22 à 35, à peu près rien de changé, sauf des termes qui étaient discriminatoires, un ou une coroner, un ou une commissaire enquêteur.

Dans les droits économiques et sociaux nous avons ajouté, dans l'article 36 a): Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l'attention que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu. Parce qu'on sait bien que pour un enfant, l'attention, c'est quelque chose de vital. C'était important de le mettre, en plus de la protection et de la sécurité. Les deux premiers ne sont pas suffisants.

Maintenant, il y a une grappe d'articles. Tout enfant a droit au même niveau de vie que ses parents. Cela arrive que des parents fassent des voyages sensationnels avec tout ce qu'il leur faut et que l'enfant soit privé même du nécessaire.

L'autre article: Tout enfant a droit à avoir accès à des mesures de protection psychosociales

s'il se plaint de mauvais traitements. Il a droit aux services d'un expert qui pourra, les cas échéants , mener une enquête sur la situation familiale. Si la plainte s'avère fondée, l'enfant pourra demander que sa garde soit transférée à un tiers.

Un autre article: Si nécessaire, l'enfant doit aussi pouvoirbénéficierde mesuresde protection judiciaire, sur requête de l'enfant et d'un expert psychosocial.

Et l'autre article: Toute personne a droit de rapporter les mauvais traitements infligés à un enfant sans qu'elle encoure le risque d'être poursuivie en retour.

Cela, je pense que cela rejoint... Je pense que c'est inscrit dans une loi. Dans la Loi de protection de la jeunesse, je pense que c'est inscrit qu'on peut rapporter, même c'est un devoirde rapporter. On ne savait pas cela. Enfin, je pense que ce n'était pas nécessaire... Mais on peut peut-être le spécifier quand même dans la charte.

Cette grappe d'articles est rendue nécessaire pour prévenir, si possible, les nombreux abus et sévices dont sont victimes plusieurs enfants, de plus en plus d'ailleurs.

L'article 38: On élimine complètement l'article 38 qui se lisait comme suit: "Les parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit d'exiger que, dans les établissements d'enseignement publics, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral, conforme à leurs convictions, dans le cadre des programmes prévus par la loi".

On l'élimine complètement. Voici pourquoi. Nous estimons que ce n'est pas aux écoles publiques d'enseigner la religion, malgré tout ce qu'on vient d'entendre tout à l'heure, mais aux Eglises elles-mêmes ou aux écoles privées. Cet enseignement d'une religion ou d'une morale à l'exclusion des autres est une atteinte à l'intégrité de pensée des jeunes que nous plaçons à l'école ainsi qu'à la liberté de conviction qui est reconnue par la charte. Cet article est contradictoire avec la charte même. Les élèves qui ne sont pas de la religion enseignée subissent alors une discrimination qui peut être traumatisante pour eux.

Ces nombreuses heures de cours et les sommes consacrées aux salaires correspondants n'ont pas à être défrayées par tous les parents, car ceux-ci peuvent être de convictions religieuses ou laiques différentes.

Le Québec n'est pas, par définition, un Etat catholique, il est un Etat tout court. Je pense que M. Choquette l'a mentionné tout à l'heure. De plus en plus, il y a différentes religions et différentes écoles de pensée, et l'Etat du Québec est un Etat, pas catholique, un Etat tout court. Cet article est nettement contraire à la charte des droits et libertés pour tous. On pourrait plutôt donner aux élèves, dès les premières années, un rudiment de connaissances sur le code civil et le code criminel. Cela aussi a été mentionné. La plupart d'entre eux n'ont aucune espèce d'idée de leurs droits et des lois qui les régissent, ce qui fait qu'ils seront plus tard a la merciedes événements ou qu'ils n'auront aucun sens civique.

Les articles 39 et 40 sont semblables, ainsi que l'article 41. 41 b),un nouvel article: Toute personne a droit à un travail rémunéré, malgré la réponse qui a été faite à la FTQ.

Pendant longtemps, les femmes n'avaient droit qu'à une seule aspiration: Se trouver un mari afin qu'il pourvoie à leurs besoins. Elles ont évolué et aspirent maintenant de plus en plus à un travail rémunérateur qui réponde à leurs capacités, comme il est normal qu'un être adulte le désire. On ne sait pas si c'est pour cela qu'on ne veut pas donner de fonds pour les garderies. On pense beaucoup que c'est pour éviter d'avoir un surplus de main-d'oeuvre sur le marché du travail, mais on estime que c'est un droit fondamental de la femme de pouvoir travailler. C'est pour cela que c'est important d'inclure... Je ne sais pas si c'est pour cette raison qu'il a été... Non, il n'a pas été mis dans la charte. Enfin, nous tenons à ce qu'il y soit. Et pourtant, ce droit leur est encore refusé, soit par le mari, qui ne veut pas que sa femme aille travailler, qui lui interdit carrément sinon c'est la porte; soit par les employeurs qui traitent les femmes comme des amateurs, des intruses, des usurpatrices. Il est temps qu'une charte insiste sur ce droit qui devrait pourtant être évident. 41 c): Toute personne accomplissant un service social, tel que, maternité, éducation première de l'enfant ou défense de la patrie, a droit à une rémunération appropriée. Parce que certaines personnes accomplissent un travail essentiel, vital pour la société et qu'elles l'ont accompli depuis toujours, librement, n'est pas une raison pour les priver de ce à quoi ont droit tous les autres membres de la collectivité: La rémunération et l'auto-nomiefinancière. C'est un droit social vital qu'on a toujours refusé à la femme, mais qu'on doit maintenant, de toute urgence, lui reconnaître. Les femmes en ont assez — assez, c'est assez! — de tolérer pareille injustice et ingratitude.

On ne se réfère pas aux salaires à la ménagère. On n'en veut pas pour la ménagère. C'est à chacun à faire son travail dans une maison. On en veut uniquement pour l'éducateur ou l'éducatrice des premières années. Ce n'est pas pour toute la durée de la vie de la femme ou de l'homme. C'est pour les premières années d'éducation. 41 d): Toute femme a droit à un congé de maternité raisonnable payé par l'Etat et à la conservation de ses droits acquis.

Nombre d'industries et d'organismes n'accordent pas encore ce droit élémentaire et, contre l'intérêt même de la société, refusent à la femme enceinte la période de repos nécessaire à son état. De même, il y a quelques décennies, les ouvriers n'avaient aucun droit à des vacances. Des employeurs vont même jusqu'à priver les femmes de leurs droits parce qu'elles mettent un nouveau citoyen au monde. 41 I) Toute personne a droit à ne pas voir sa liberté d'action entravée parce qu'elle a charge d'enfant.

La femme qui a des enfants ne doit pas être astreinte à se priver de droits fondamentaux comme celui de gagner sa vie et d'être autonome financièrement et celui d'avoir droit au repos et de participer pleinement à la vie de la société, comme

c'est arrivé pour plusieurs femmes du RAIF aujourd'hui, qui sont venues ici avec leurs enfants, parce qu'elles n'avaient pas de gardienne et parce qu'on trouvait que les enfants dérangeaient les gens de l'assistance et les gens de la commission parlementaire, ont dû s'en retourner chez elles alors qu'elles avaient droit de savoir ce qui se passait, parce que se sont des droits fondamentaux qu'on est en train de décider.

J'ai peut-être une suggestion àfaire, ce serait qu'à l'Assemblée nationale, on ait une garderie. Ce n'est pas du tout drôle. Je pense que les femmes ont le droit de savoir ce qui se passe et qu'elles pourraient venir et savoir comment on détermine leur sort. Cela me paraît élémentaire. On devrait même exiger dans les lois que tout organisme public qui construit un édifice devrait avoir une garderie, quand on sait que les femmes y vont, ou les hommes.

C'est à l'Etat à lui fournir les services adéquats dans les endroits où il y a une concentration suffisante de la population. Si le gouvernement n'a pas fait des garderies une de ses priorités depuis le temps que les femmes les réclament — alors qu'il donne... c'est $600 millions que les Jeux olympiques vont coûter pour 15 jours, autofinancés, cela veut quand même dire que c'est la population qui les finance...

Je répète, si le gouvernement n'a pas fait des garderies une de ses priorités depuis le temps que les femmes le réclament, c'est qu'il n'est qu'indifférence face aux besoins des femmes.

On a accordé $2.5 millions aux garderies cette année. Comparez $2.5 millions avec $600 millions pour des Jeux olympiques de 15 jours, on verra l'échelledes valeursde la sociétédanslaquelleon vit. 43). Tous doivent recevoir un traitement ou un salaire égal pour un travail de valeur égale et accompli dans des conditions équivalentes.

Cette règle s'applique — et je pense que c'est inutile de s'étendre, tout le monde était d'accord sur cela; c'est un faux-fuyant pour les employeurs d'avoir des catégories ghettos, et je pense que cela va être modifié.

L'article 45 a aussi très longuement traité. Ce que nous suggérons, c'est que le deuxième alinéa se lise comme suit: La présente charte a préséance sur toutes les lois antérieures ou postérieures qui seraient incompatibles avec celle-ci, et ne peut être amendée ou contrevenue que par un vote des trois quarts. Nous avons mis trois quarts plutôt que deux tiers, parce qu'avec des majorités comme on voit actuellement... un vote des trois quarts de l'Assemblée nationale...

Une charte qui n'a pas préséance sur les autres lois n'est plus une charte. Tout le monde était pas mal d'accord sur cela aussi. Ou bien c'est une charte que vous faites, M.Choquette, ou bien c'est une loi bien ordinaire. Si vous voulez avoir le crédit d'avoir fait une charte, il faut que vous fassiez vraiment une charte et non pas un inventaire des lois sociales qui ont déjà été votées par les gouvernements. Ce n'est pas cela une charte.

Elle n'est alors qu'un appendice mineur du mouvement législatif et finalement, elle ne corri- gera ni ne garantira rien du tout — elle sera peut-être pire que la charte canadienne — se contentant de n'être qu'un exercice littéraire sur les droits et libertés, un verbiage inutiledestiné àjeter de la poudre aux yeux ou peut-être à dire que le ministre Choquette a adopté une charte. Ceci sans vous blesser.

M. Choquette: Pas trop.

Mme Dolment: Le maire Drapeau aime toujours laisser un monument derrière lui, les Jeux olympiques; si vous voulez vraiment faire un monument, faites-en une charte, non par une loi ordinaire que tout le monde aura oubliée au bout de quelques mois.

L'article 48, c'est pareil. L'article 49. La commission est composée d'au moins quatre membres dont deux femmes — ce qui est très important — incluant le ou la présidente — on tient beaucoup à ces "le" ou "la" parce que les mots incitent beaucoup les gens à se présenter à tel ou tel poste — élu(e)s pour un mandat n'excédant pas dix ans parmi les candidat(e)s proposé(e)s par les divers corps intermédiaires et organismes voués à la défense des droits et libertés de la personne. Le choix se fera par scrutin secret.

Maintenant, s'il est nécessaire d'en mettre cinq, vous en mettrez cinq, mais enfin, on veut que la moitié, autant que possible, soit de femmes — ou un peu plus de femmes, parce qu'il y a un peu plus de femmes dans la population, je crois que c'est 52%— .

Est-il nécessaire d'expliquer la raison de la modification que nous faisons? La société se composant justement, d'un peu plus de la moitié de femmes, la commission devrait se composer de la même façon, d'autant plus que la plupart des plaintes viendront vraisemblablement des femmes, puisqu'elles sont les êtres les plus discriminés qui soient.

Ce serait impensable que ce soient uniquement des hommes qui, comme toujours, comme ici aujourd'hui, comme à l'Assemblée nationale, décident du bien-fondé ou non des griefs des femmes. Il faudrait absolument avoir des femmes là-dedans.

Les articles de la charte ont été, une fois de plus, discriminatoires en ne spécifiant pas la nécessité d'inclure un nombre égal de femmes dans la composition de la commission.

Par ailleurs, on ne peut décemment laisser la nomination des commissaires au soin du premier ministre, c'est-à-dire d'un parti politique, en somme. On a vu dans d'autres pays, aux Etats-Unis — on ne les nommera pas — comment cela a pu se passer, les problèmes qu'ils ont eus pour nommer les juges à la cour Suprême, parce que c'était le président qui les nommait, même si cela est entériné par les assemblées générales.

Il faut que les commissaires et, partant, que la commission soient au-dessus de tout soupçon d'ingérence politique ou de favoritisme politique. C'est une condition sine qua non de la bonne foi du gouvernement en établissant une commission pour faire respecter la charte et protéger toutes

les citoyennes et les citoyens et non pas seulement ceux favorables au régime.

Quant aux modalités de l'élection des membres de la commission, il reste à les déterminer, ceci requérant une étude plus approfondie que ne le permettent les échéances présentes et la complexité de cela d'ailleurs.

Maintenant, l'article 50, on l'élimine totalement puisqu'on a changé l'autre. C'est logique qu'on l'élimine.

Ce n'est pas nécessaire de le lire. Je pense que cela doit être entériné par les deux tiers de l'Assemblée nationale, mais on dit élu. Ce n'est plus du tout le même processus.

Les membres... Bon... C'est cela? On dit que la commission doit prendre ses distances face à la politique. Je pense que tout le monde sera d'accord sur cela.

Les fonctions.

Dans 58 a) on a mis: "La commission doit notamment faire un inventaire des lois du Québec et soumettre à l'Assemblée nationale dans un délai de cinq ans — on a mis un délai, ceci est très important — un rapport de toutes les lois incompatibles avec la présente loi. Cet article est la conséquence logique de l'article 45 où il est dit que la charte a préséance sur les autres lois. Il est mauvais et illogique que les lois se contredisent". Je pense que nous n'étions pas les seuls à le dire. C'est inutile de s'étendre là-dessus. Cela a été demandé par la Ligue des droits de l'homme, le Barreau beaucoup d'organismes qui ont étudié la chose à fond. d) établir un programme d'information et d'éducation dans les écoles et le public il faut bien mentionner dans les écoles; tout le monde était d'accord aussi, mais je pense qu'il est nécessaire de le mentionner destiné à faire comprendre et accepter l'objet et les dispositions de la présente loi?

Au lieu des cours de catéchèse qui sont une atteinte à la liberté de conscience... J'insiste là-dessus parce qu'il est vrai que c'est une atteinte à la liberté de conscience. Quand les enfants nous rapportent ce qui leur est dit dans les cours de catéchèse, entre autres qu'entre la vie de la mère et la vie de l'enfant, quand il y a vraiment danger et que la mère va mourir on doit sacrifier la mère, je pense que cela commence à être grave. Alors, des anciens frères pour donner des cours de catéchèse, nous ne sommes pas d'accord et des cours de catéchèse n'ont pas leur place à l'école. Les cours de catéchèse vont dans une église ou dans une école privée qui donneront des cours de religion s'ils le veulent, mais pas dans un système public où il y a toutes sortes de religions, où il y a différentes options au point de vue pensée. "Il faudrait placer au programme des écoles l'étude de la charte dès les premières années à leur niveau, en l'expliquant dans leurs termes afin qu'elle devienne une partie du bagage de formation des jeunes ". 60) "Toute personne qui a raison de croire qu'elle a été victime de discrimination au sens des articles de la présente loi peut adresser par écrit..." Cela aussi a été bien discuté. Au lieu d'être des articles 11 à 17, on aime mieux "au sens des articles de la présente loi". Je pense que c'est inutile de s'étendre. Tout le monde semblait d'accord sur cela aussi. "Tout motif de discrimination doit pouvoir faire l'objet de l'action de la commission".

A 61, on va lire le deuxième paragraphe, mais cela rejoint aussi une proposition de la Ligue des droits de l'homme, parce que c'est le "group action" et je me demande si le Barreau ne l'a pas demandé aussi. Enfin, nous allons lire le texte que nous avons proposé. "Tout groupe de personnes peut également faire une demande au nom d'un groupe de personnes contre lequel on a discriminé, mais dont tous les intéressés ou toutes les intéressées ne peuvent être rejoint(e)s et dont les intérêts lésés, trop minimes pour faire l'objet d'une cause individuelle, peuvent néanmoins être considérables globalement. Les sommes ainsi récupérées seront versées aux intéressé(e)s qu'on aura pu rejoindre et ce qui en restera, à un fonds qui sera affecté au mieux-être collectif de ces intéressées. Une personne du groupe lésé doit signer pour les autres la demande d'enquête de la commission".

Ceci intègre le principe du projet de loi préparé par la Commission des services juridiques sur "l'action représentative" (class action)", adoptée par plusieurs Etats américains, ainsi que par des provinces canadiennes. L'avantage est de permettre une forme collective de recours en justice ou auprès de la commission contre les compagnies ou autres organismes qui léseraient les droits d'un groupe donné de personnes.

De l'article 62 à l'article 65, c'est tel quel.

Maintenant, l'article 66, un article très important, un bout de phrase qu'on a enlevé de l'article qui est extrêmement important. Nous avons enlevé "ou que le requérant dispose d'un recours également adéquat", après "la commission doit toutefois refuser de faire ou de poursuivre une enquête lorsqu'elle constate qu'elle n'a pas compétence en vertu de la présente loi. Parce qu'à ce moment, la commission pourrait renvoyer presque toutes les plaintes, sous prétexte qu'une cour civile pourrait s'occuper du cas.

Comme le coût de pareilles démarches — on l'a mentionné tout à l'heure — est prohibitif pour des gens à revenus modestes, cela équivaudrait à risquer d'exclure toute cette classe des personnes protégées par la charte, alors que l'intention même de la charte est de couvrir "toute personne".

Cela est extrêmement important. Cela jette par terre toute la charte et tout le rôle de la commission. 67). C'est un peu la même chose. Je vais lire l'article: "La commission peut refuser de faire ou de poursuivre une enquête lorsqu'elle estime que le requérant n'a pas un intérêt suffisant, que la demande est frivole, vexatoire ou faite de mauvaise foi." On a enlevé ici: "aucune enquête n'est nécessaire eu égard aux circonstances", car il nous a paru que ce bout de phrase ouvrait la porte à l'élimination par la commission de toutes les

causes dont elle ne voudrait pas s'occuper, car n'importe quel prétexte pourrait être invoqué par elle, les "circonstances" pouvant s'interpréter à son gré, alors que la "frivolité, la mauvaise foi" et le reste devraient être prouvées si on poursuivait la commission en justice.

Le Président (M. Pilote): Le ministre de la Justice.

M. Choquette: Mesdames... Mme Dolment: Madame...

M. Choquette: Excusez-moi, je ne suis pas encore habitué au nouveau vocabulaire. Mesdames, votre mémoire et sa présentation, cet après-midi, mettent particulièrement l'accent sur la condition de la femme dans notre droit en général. Sans aucun doute, vous avez profité — et je ne vous le reproche pas — de la présentation en commission parlementaire de ce projet de loi pour aborder tous les problèmes pertinents à la condition de la femme dans notre droit en général. Je ne vous reproche pas d'avoir saisi cette occasion pour pousser le gouvernement et l'Assemblée nationale à reviser, améliorer, corriger et faire progresser les droits de la femme parce que je crois qu'on doit admettre que notre droit civil en particulier, mais sans aucun doute la législation québécoise en général, n'a pas suivi l'évolution qui se manifeste et qui s'exprime par des mouvements comme ceux de la libération de la femme et qui cherchent à lui donner une place entière et complète.

Ceci étant dit, il n'est pas possible, à l'occasion d'un projet de loi comme celui-ci, de réviser tous les aspects du droit qui concernent la femme. Je puis vous dire, par exemple, et vous y avez fait allusion, que l'Office de révision du code civil examine de très près la situation de la femme, en particulier de la femme mariée, et ceci dans une optique pour établir que le mariage est plutôt une association, une société d'égaux, et non pas une institution dominée par le mari. Je crois qu'on pourra prévoir des développements législatifs de ce côté qui vont faire une place de statut égal à la femme à l'intérieur du mariage.

Vous avez posé énormément de questions à l'occasion de ce mémoire et je ne pourrais pas, à l'occasiond'unecommission comme celle-ci, vous signaler mon approbation ou ma désapprobation d'un certain nombrede suggestionsque vous avez faites. Elles requièrent évidemment réflexion parce que la condition juridique de la femme est une matière très complexe, et tout en reconnaissant l'intérêt qu'il y a de progresser et de faire en sorte que la femme acquière vraiment un statut égal et bénéficie d'une liberté aussi entière que l'homme, à l'intérieur de notre droit, le réaliser législativement et rapidement n'est pas un défi facile.

C'est la raison pour laquelle je n'ai pas l'intention d'aborder en particulier tous les aspects des articlesque vous avez soulevés. Je vais y réfléchir pour savoir jusqu'à quel point ils peuvent être incorporés au projet de loi présenté.

Il y a cependant une suggestion que vous avez faite et qu'il me paraît utile de retenir à ce moment-ci, c'est celle d'éviter la discrimination pour motif d'état civil, c'est-à-dire que, quand au statut civil des personnes, nous n'avions pas fait de référence dans l'article 11 à cet aspect, à l'état civil des personnes. Je serais prêt à envisager un amendement qui ferait en sorte qu'on éviterait la discrimination pour le motif de l'état civil.

Au point de vue général, vous avez signalé, par exemple, le cas Murdock, de Saskatchewan, qui illustre un peu un résultat inéquitable et injuste des lois traditionnelles quant à la division de la propriété à l'occasion d'un divorce ou d'une séparation de biens. Sans aucun doute, il faudra au code civil envisager des modifications qui sauvegarderont la demeure familiale et qui assureront à la femme une réserve ou des garanties de traitement équitable et ne la mettront pas à la merci de la loi qui veut que... Evidemment, on reconnaît dans notre droit que le produit du travail de chacun est un propre et demeure sa propriété. On sait que la femme ne travaillant pas à l'extérieur, le mari étant celui qui travaille, naturellement, tous les biens, à l'occasion d'un divorce ou d'une séparation de biens, lui demeurent parce que la femme n'a jamais eu de prestation pécuniaire pour son travail pendant la durée du mariage.

Ce sont des orientations qui seront prises à l'avenir. Je ne dis pas qu'il est possible d'y remédier à l'heure actuelle. Vous voulez...

Mme Dolment: Oui, M. Choquette, c'est parce que vous parlez toujours du code civil. Mais je vais bien vous spécifier que je ne suis pas ici pour vous parler du code civil mais de la charte.

M. Choquette: Oui.

Mme Oolment: C'est entendu que les lois particulières doivent être l'expression de lois générales et de droits fondamentaux. Là, j'ai donné des exemples pour mettre le point, parce que vous n'êtes pas au courant, vous ne vivez pas ces problèmes. C'était seulement pour vous démontrer que c'était vrai. Ce qu'on demande aujourd'hui — on veut que le code civil soit refait, il y a une commission qui travaille d'ailleurs — pas officiellement — à la révision du code civil, mais on est ici pour parler de la charte et de droits fondamentaux. Quand vous parlez du cas Mur-dock, ce ne sont pas les détails de la loi. Ce qu'on veut dire, c'est qu'on veut que soit inscrit dans la charte le droit au fruit de son travail ou le droit au travail ou le droit à un travail rémunéré. Ce sont des droits fondamentaux qu'on demande aujourd'hui. Vous parlez du code civil, vous dites: Oui, on verra dans le code civil. Ce n'est pas cela. On vous demande bien précisément d'inclure des droits généraux qui rentrent normalement dans une charte bien faite, une vraie charte. Mais la charte a été faite comme si tous étaient des hommes. Le droit à la libre disposition de son corps,

vous, vous n'avez peut-être jamais eu ce problème, mais il y a des femmes qui ont eu ce problème.

M. Choquette: Non, je l'ai...

Mme Dolment: Justement, la femme...

M. Choquette: Voici, madame...

Mme Dolment: C'est quand même 52% des femmes qui sont sujettes à cela.

M. Choquette: ... vous dites que la charte s'adresse exclusivement aux hommes.

Mme Dolment: Oui, en effet.

M. Choquette: Vous allez admettre avec moi qu'au chapitre de la discrimination, nous établis-sonsquand même un principequi devrait être suivi dans d'autres lois et même un principe qui peut être sanctionné par la commission des droits de la personne. Vous admettrez avec moi que nous avons fait un effort dans la terminologie ou le langage employé dans la charte pour ne faire aucune distinction entre homme et femme.

Mme Dolment: C'est cela le problème, vous n'avez fait aucune distinction. La femme n'est pas un homme. Vous avez fait cette charte en vous disant: Très bien, l'homme, c'est le modèle. Tout ce qui ressemble à un homme, on lui donne les mêmes droits. Mais la femme n'est pas un homme.

Justement, elle est susceptible de devenir mère. Elle peut tomber enceinte. Mais vous n'avez tenu aucun compte de cela. Il y a une drôle de mentalité qui veut que l'égalité de la femme, ce soit de la considérer comme un homme, ce qui fait qu'on la prive de droits fondamentaux, parce que, si elle tombe enceinte ou si elle est menacée de le devenir, il n'y a rien de prévu pour elle, à ce moment-là. On ne prend pas le plus petit pour essayer de mettre ensuite le plus grand; c'est l'inverse: on prend le plus grand, je m'excuse, et on entre le plus petit dedans. La femme a quelque chosede plusque l'homme; elle met les enfants au monde. Il aurait fallu établir la charte en prenant comme norme non pas l'homme, mais la femme, et les hommes seraient normalement entrés en dessous!

M. Choquette: Cela m'apprendra à interroger une femme! Je passe la parole à d'autres collègues, mais, avant de le faire...

Mme Dolment: C'est parce qu'il est tard.

M. Choquette:... je veux vous dire que nous ne sommes pas du tout opposés à apporter des changements qui pourraient, je ne dis pas rendre efficace tout ce que vous avez demandé, parce que je ne crois pas que ce projet de loi puisse le faire sous tous les aspects que vous avez soulevés...

Mme Dolment: II faut que vous teniez compte du rôle biologique de la femme. Il faut en tenir compte là-dedans. Il faut que le droit à la disposition de son corps soit inclus dans cette charte; sans cela, c'est une charte pour les hommes. Point. Ce n'est pas pour rien que cela s'appelle la Ligue des droits de l'homme. Ce n'est pas pour rien que tout le monde dit: C'est la charte des droits de l'homme.

M. Choquette: Où avez-vous vu que c'est écrit la charte des droits de l'homme?

Mme Dolment: Non, je dis: Tout le monde.

M. Choquette: Oui, mais admettez avec moi que nous avons perçu ce problème.

Mme Dolment: Sauf quand on a dit tous les hommes sont égaux.

M. Choquette: C'est peut-être une erreur involontaire, que voulez-vous.

Mme Dolment: Chassez le naturel, il revient au galop!

M. Choquette: C'est cela. Nous avons tout le poids du passé, que voulez-vous.

Mme Dolment: Remarquez que nous avons apprécié, mais admettez comme moi que cette charte est faite pour des gens qui ressemblent à des hommes ou pour des hommes. Mais, si nous avons le malheur de ne pas ressembler à un homme, nous sommes foutus! C'est aussi simple que cela; parce qu'une femme qui a des enfants est privée des droits les plus élémentaires qui sont reconnus, la liberté. Nous ne pouvons pas travailler, parce que nous devons garder les enfants. Nous ne pouvons pas venir ici, parce que nous devons garder les enfants.

M. Choquette: Mais la condition biologique de la femme, à laquelle vous faites allusion, et qui fait que c'est elle qui a les enfants et qui, jusqu'à nouvel ordre, a plutôt la responsabilité de s'en occuper à la maison, comment voulez-vous que le législateur remédie à cela?

Mme Dolment: Le législateur doit y remédier certainement en reconnaissant les droits sociaux qui font que c'est un droit social pour la femme d'avoir des garde ri es. C'est un droit élémentaire et fondamental pour elle de décider si oui ou non elle sera mère. C'est extrêmement grave. Vous pouvez peut-être le prendre à la légère, mais, pour des femmes, ce sont des drames. Il y a des fiIles qui se jettent en bas des ponts pour cela. Il y a des femmes qui se suicident à cause de cela. Il y a des femmes qui deviennent folles à cause de cela. Peut-être qu'on l'a mis à la fin de la journée, un peu, parce que tout le monde était fatigué, mais ce n'est pas drôle. Ce sont des drames que des fem-

mes vivent tous lesjours. Elles doivent passer par des charlatans et se faire faire des boucheries pour la vie ou rester infirmes pour la vie. Mais vous vous en foutez, parce que vous n'aurez jamais ce problème! Et dans la charte, vous discutez si, oui ou non, c'est selon la constitution, si cela relève du fédéral ou non et vous refusez les droits vitaux pour la femme. Vous dites: Oui, oui. Nous avons pensé à la femme, nous avons mis: pas de discrimination dans le travail ! Cette charte est faite pour des femmes célibataires qui travaillent. Point, cela vient de finir! Mais la femme mariée et même la célibataire qui travaille, qui est susceptible de tomber enceinte, il n'y a rien pour elle ià-dedans et cela peut causer des drames. Parce que vous n'avez rien prévu, sa vie peut être complètement ratée.

Si vous voulez vraiment cerner tous les droit s de la personne, vous êtes obligés, je dis bien obligés, d'inclure dans la charte tous les droits qui concernent le rôle biologique de la femme; sans cela, c'est de l'hypocrisie et ce sont des mensonges de dire que c'est une charte pour les droits des personnes.

Vous allez peut-être trouver que je suis un peu violente, mais, quand on a entendu raconter des histoires, quand on a vu des drames... Il y aune loi du silence chez les femmes comme chez la mafia, elles ne racontent pas tous leurs drames. Elles ne racontent pas tout ce qu'elles vivent. Il y a une loi du silence chez la femme. Vous ne savez pas les drames que vivent ces femmes. Ce n'est pas pour rien qu'il y a deux fois plus de femmes que d'hommes qui font des dépressions nerveuses. Ce n'est pas pour rien qu'il y a énormément de femmes qui pensent à se suicider. Si ce n'était des enfants, il y aurait je ne sais combien de femmes qui se suicideraient, mais pourquoi ne se suicident-elles pas? Tout simplement parce qu'elles pensent à leurs enfants. Demandez aux travailleurs sociaux qui abandonne les enfants et qui reste avec? Même les hommes travailleurs sociaux vont admettre que c'est 98% des femmes qui restent. Regardez dans vos statistiques, qui sont les assistées sociales.

Assistées sociales qui vivent avec $140 par mois, avec cinq enfants. Pourquoi? Quel crime ont-elles commis? Elles ont été paresseuses? Elles ont été incompétentes? Elles n'ont pas d'instruction? Pourquoi n'ont-elles pas d'instruction? C'est parce qu'elles se sont mariées trop jeunes ou qu'elles ont dû faire vivre leur mère ou leur famille. Elles sont assistées sociales. Pourquoi? Parce qu'elles ont eu des enfants et leur mari les a plantées là! Mais je pense que si vous donnez l'autonomiefinancière à lafemme, elle ne sera pas réduite, pour le reste de ses jours, à aller quémander $140 par mois pour cinq personnes. Quel député qui vient de se faire monter son salaire à $35,000 serait capable de vivre avec $140 par mois, avec cinq enfants? Vous venez nous dire que cela n'entre pas dans la charte des droits? Je vous demande pardon!

M.Choquette:On ne peut pas reprendre tout...

Le Président (M. Pilote): Un instant, s'il vous plaît! Je ne pense pas que ce soit brimer les droits des femmes que de les inviter à ne pas manifester. On ne le permet pas aux hommes. On ne le permet pas aux femmes non plus.

M. Choquette: Non, mais il y a quand même une...

Mme Dolment: C'est un autre droit qui nous est refusé.

Le Président (M. Pilote): Non, non!

Mme Dolment: L'Assemblée nationale fait cela.

Le Président (M. Pilote): Qui que ce soit.

M. Choquette: Mais, madame, je dis ceci. Simplement une distinction qu'il faut faire. On ne peut pas traduire toute la législation sociale et refaire toute la législation sociale à l'occasion de cette charte.

Mme Dolment: Ce n'est pas cela non plus. On vous demande d'inclure certains droits fond amen-taux qui...

M. Choquette: Oui, je comprends. Mais vous me parlez d'allocations sociales à $145 pour une femme avec cinq enfants...

Mme Dolment: Non, je vous donne un exemple. J'ai dit des conditions de vie décentes qu'on demande...

M. Choquette: D'accord! Mais oui... Mme Dolment: ... dans la charte.

M. Choquette: ... mais le principe est quand même énoncé ici.

Mme Dolment: Pardon! C'est marqué... M. Choquette: Un instant, madame! Mme Dolment: Je l'ai lu, cet article.

M. Choquette: Un instant! Doucement! Toute personne dans le besoin a droit à des mesures d'assistance financière prévues par la loi susceptible de lui assurer un niveau de vie décent. Ceci, c'est l'article 41 qui...

Mme Dolment: Oui, je le connais par coeur.

M. Choquette: Oui, je comprends que vous le connaissiez par coeur. /Mme Dolment: Mais ce n'est pas cela...

M. Choquette: Vous avez l'air de connaître beaucoup de choses par coeur. Mais je vous dis

que ceci fonde tout le principe de la sécurité sociale. Je ne peux pas, à la suite de cet article, y incorporer toute la législation sociale, toute la tarification du ministère des Affaires sociales en matière d'aide aux assistés sociaux et des femmes en particulier.

Mme Dolment: Ce n'est pas cela qu'on demande.

M. Choquette: C'est cela que vous n'avez pas l'air de saisir.

Mme Dolment: Mais non! c'est parce que vous ne saisissez pas ce que, moi, je veux dire. Je ne vous demande pas de mettre des détails de montants, je vous demande de reconnaître des droits fondamentaux qui vont faire que les femmes ne seront pas des assistées sociales, le droit aux garderies.

M. Choquette: Mais...

Mme Dolment: Cela va vous éviter d'avoir des assistées sociales, et vous n'en aurez peut-être même pas besoin, de cet article. Le droit à l'autonomie financière. Que la femme, quand elle est mariée, quand elle a de jeunes enfants, ait un revenu, comme dans bien des pays du monde. En Suède, on donne un an de salaire à la femme qui a de jeunes enfants. En Hongrie, on lui donne trois ans, et, danstous les pays évolués, on commence à avoir cela de plus en plus. Si on permet à la femme d'avoir des garderies étatiques, elle pourra aller étudier, vous n'aurez pas des assistées. Ce sera même économique pour l'Etat. Vous n'aurez peut-être pas besoin de ces articles. On ne vous demande pas d'avoir plus d'articles d'assistance sociale. Au contraire, c'est ce qu'on ne veut pas. On n'en veut plus d'assistées sociales à la tonne. On vous demande de nous donner des droits fon-damentauxqui vontfaireque, sansque les enfants en souffrent — parce qu'il faut penser aux enfants aussi — la femme ait une autonomie telle qu'elle ne sera plus l'éternelle quêteuse, parce que qui est-ce qui demande, qui a besoin tout le temps? Ce sont les femmes, parce qu'elles ont charge d'enfants. On vous demande, par des droits fondamentaux, de décider si elle deviendra mère ou non. Une femme qui ne peut pas être mere, pensez-vous que c'est normal de l'obliger à être mère? Qu'allez-vous faire avec cela? Vous allez faire des femmes qui vont aboutir à des dépressions nerveuses, vous allez faire des enfants délinquants, ou vous allez aboutir avec quoi? des enfants en foyers nourriciers, des femmes assistées sociales, des femmes dans les hôpitaux. Cela va coûter une fortune. Si vous avez donné le droit fondamental de la femme à la femme de décider si elle devient mère ou non, vous ne les auriez pas, tous ces problèmes.

C'est ce que nous avons dit dans le préambule, que votre charte, elle est pathologique au lieu d'être préventive. Ce qu'on vous demande, c'est de mettre des articles de droits fondamentaux qui vont faire que ce ne sera plus pathologi- que, qu'on n'aura plus ces maladies de la société. Mais vous, vous vivez un peu coupés des problèmes, vous ne les vivez pas ces problèmes. Ce n'est pas vous qui vous vous occupez des enfants, c'est votre femme. Mais vous ne savez pas ce que sont les problèmes des femmes. Ce sont seulement des hommes qui vont décider si oui ou non ils vont daigner intégrer les articles qu'on a suggérés. C'est pour cela qu'on dit que c'est grave, c'est un cercle vicieux. Si on n'a pas de garderies, on ne peut pas devenir député. S'il n'y a pas de députés femmes, ils ne peuvent pas comprendre nos problèmes. Ce n'est pas compliqué à comprendre.

M. Choquette: Très bien!

Mme Dolment: On ne vous demande pas des lois particulières, on vous demande des droits fondamentaux.

Le Président (M. Pilote): Ledéputéde Maisonneuve.

M. Burns: Mads. Dolment, soit dit en passant, une question, je ne veux pas blaguer, est-ce qu'on dit: Mesmads quand on s'adresse à...

Mme Dolment: Mads au pluriel; mettez un "s", c'est tout.

M. Burns: D'accord!

Je veux tout simplement vous dire que j'ai été très impressionné par votre mémoire. Je le trouve très substantiel. Je ne le dis pas à la blague. Je pense que c'est, à toutes fins pratiques, une charte des droits de la femme au Québec qu'on n'a jamais eu la possibilité d'examiner. Je ne me sens pas, je vous l'avoue bien honnêtement, en mesure de commenter tous et chacun des points que vous soulevez, sauf qu'au fur et à mesure que j'en prenais connaissance — je vous le dis bien humblement; j'en prenais connaissance pendant que vous nous les livriez — je trouvais qu'il y a énormément d'endroits à l'intérieur soit de cette loi-ci ou d'autres lois au Québec, où on pourrait trouver une application très concrète aux suggestions que vous faites.

Entre autres, dans le cas de la législation actuelle, j'ai trouvé vos remarques très pertinentes sur la présence des femmes à la commission des droits de la personne qui sera éventuellement formée. Je les trouve très justes, non seulement à cause du fait qu'il y a au-delà de 50% des citoyens du Québec qui sont des femmes, mais aussi à cause du fait que je suis convaincu, de ce que vous disiez, que la majorité des cas de discrimination au Québec s'exerce à l'endroit des femmes.

En ce qui me concerne, je peux vous assurer d'avance que l'Opposition — et j'espère que, depuis votre mémoire, le gouvernement le fera également — retiendra cette suggestion. Lorsqu'il sera temps de nommer les personnes qui formeront la commission, on devra tenir compte juste-

ment d'une présence importante des femmes à l'intérieur de la commission des droits et des libertés de la personne.

Je pense aussi que nous allons explorer votre suggestion qui est très intéressante, par exemple, au droit à la santé. Je ne suis pas en mesure de vous dire tout de suite, aujourd'hui, comment je réagirais vis-à-vis de l'inclusion de cette suggestion dans une charte des droits de la personne, mais je trouve que c'est un des éléments corrolai-res au droit à la vie justement qui est énoncé à un des articles.

Je me limite à ces quelques remarques. Je vous dis très sincèrement et très honnêtement que je vais, avec mes collègues de l'Opposition, réfléchir très sérieusement à chacune des suggestions que vous faites. A certains endroits, je vous dis tout de suite que je crois que vos suggestions devraient, à mon avis, à première vue, faire partie d'une autre loi que celle-ci. Là-dessus, je pense qu'il n'y a pas de querelle entre le ministre de la Justice et moi. Je pense que ce sont les grands principes qu'on doit énoncer dans une charte. Par contre, il y a certains cas où vos suggestions entrent dans le détail, ce qui n'est pas mauvais.

Mme Dolment: Pour les enfants.

M. Burns: Je vous félicite d'avoir saisi l'occasion et d'avoir assailli cette assemblée d'hommes. Vous nous le reprochez, mais ce n'est pas à nous qu'il faut reprocher le fait qu'il n'y ait pas plus de femmes à l'Assemblée nationale. Je pense bien qu'il y avait des femmes qui se sont présentées à l'élection pour quelque parti que ce soit et qui n'ont pas été élues. Ce n'est pas à nous d'en décider; c'est l'électorat qui en a décidé ainsi. Mais je pense que, très sérieusement, nous devrons réfléchir à chacune de vos suggestions. Je n'en ai pas trouvé dans votre mémoire que je pourrais qualifier d'hurluberlues; il n'y en avait pas, moi, en tout cas, je n'en vois pas. Je pense que chacune de vos suggestions mérite qu'on s'y arrête, qu'on les examine dans le cadre de cette loi-ci ou encore dans le cadre d'une autre loi.

Particulièrement, sur le plan des garderies, je vous signale que c'est une femme qui est chargée de cet aspect, actuellement. Vous pourriez peut-être lui véhiculer vos idées là-dessus. Elle est peut-être plus apte que nous à comprendre cela.

Mme Dolment: Elle est toute seule, quand même, pour essayer de faire passer cela, si elle est d'accord sur ce qu'on demande; c'est difficile, elle est toute seule.

M. Burns: Elle est toute seule, elle a été quand même appuyée par l'Opposition, soyez-en assurée.

Mme Dolment: Oui, oui.

M. Burns: Quand je dis l'Opposition, je parle de mon collègue de Rouyn-Noranda, également, qui n'est pas de mon parti.

Mme Dolment: Quand je parle du conseil des ministres, elle est toute seule de femme pour faire passer une idée.

M. Burns: Oui, d'accord.

Mme Dolment: Je parle du conseil des ministres, où les décision s se prennent quand même. Je ne sais pas si M. Choquette est d'accord sur les garderies, est-ce qu'on peut savoir aujourd'hui?

M. Choquette: Je ne connais pas assez le problème.

M. Burns: Je veux simplement vous poser une question bien simple, qui peut m'attirer vos foudres mais j'espère que cela ne le fera pas; j'ai remarqué qu'au point de vue de la rédaction vous suggérez — à chaque fois qu'on parle de citoyens — qu'on dise aussi citoyennes; quand on parle d'homme, qu'on dise femme; quand on parle de président, qu'on dise présidente, etc.

Mme Dolment: Oui, c'est important.

M. Burns: Est-ce que c'est parce que c'est une habitude — peut-être que c'est une habitude qu'on devra changer, remarquez — que nous avons dans la rédaction des lois — c'est peut-être le diagnostic que vous posiez qui cause cela — c'est-à-dire que ce sont des hommes surtout qui rédigent les lois? Mais est-ce que vous vous opposez même au principe qui, de tout temps, a été reconnu chez nous — et sans aucune attitude vexatoire à l'endroit des femmes — que le masculin l'emporte sur le féminin, comprend le féminin et, àtoutes fins pratiques, c'est un masculin qui est neutre?

Mme Dolment: C'est justement, c'est parce que cela reflète une société...

M. Burns: Oui...

Mme Dolment: ...et je pense que je ne suis pas la seule. Mme Laurette Robillard...

M. Burns: Excusez-moi de vous interrompre, vous pourrez me répondre après, je veux juste compléter ma remarque là-dessus. Je pense, en tous cas avec la recherche qu'il y a derrière votre mémoire et la compréhension surtout de notre système qu'il y a derrière votre mémoire, que vous devriez aussi être à même de vous rendre compte de certaines difficultés purement et simplement juridiques, à ce stade-ci, que cela pourrait comporter que d'amener cette nouvelle technique de législation. En ce sens, il faudrait, sans aucun doute, réviser l'ensemblede nos lois et surtout l'interprétation qu'on puisse en faire à l'avenir, si, à chaque fois qu'on prononce un masculin, on doive, lorsqu'on veut comprendre le neutre masculin qu'on avait avant, inclure le féminin. Je me pose cela

comme question, uniquement au point de vue de la technique législative.

Mme Dolment: C'est une complication qui vaut la peine, je pense.

M. Burns: Oui, remarquez...

Mme Dolment: C'est sûr que c'est plus compliqué. J'admets, c'est comme n'importe quoi qu'on change; passer du système qu'on avait au système métrique, ne vous imaginez pas que ce n'est pas compliqué.

M. Burns: Ah! oui, cela va être compliqué.

Mme Dolment: Parce que c'est plus simple, parce qu'on sait que c'est l'avenir, c'est plus moderne, on prend le système métrique. La même chose, si on veut obtenir l'égalité de l'homme et de la femme, vous savez, les mots ont une force incantatoire et c'est extrêmement important. Même la présidente du Conseil du statut de la femme dit: II y a des hommes qui pensent que cette chose, ce sont des chinoiseries; mais quand on voit affiché: On recherche disons, je ne sais pas, un président de ceci ou un président de cela ou un commissaire — cela ne peut se dire que de telle façon — c'est évident que la femme ne pense pas à se présenter, même si, dans l'esprit, c'est censé être un neutre qui comprend le masculin et le féminin. Cela nous paraît important. Ce sont des détails, si vous voulez, mais des détails qui, dans la vie de tous les jours, conditionnent les comportements. Le langage, c'est l'expression d'une culture et je pense qu'en changeant le langage on peut aider à changer une culture.

M. Burns: Bon, en tous cas, je...

Mme Dolment: Maintenant, il y a peut-être une chose à laquelle je pourrais répondre. Vous dites qu'il y a des détails très particuliers dans ce qu'on suggère qui iraient plus dans des lois particulières. On a été conscients de cela, surtout en ce qui concerne les enfants. On avait des détails, on sait qu'ils entrent plutôt dans une loi particulière. Mais c'est peut-être par le biais, surtout pour cela, qu'on fait des suggestions pour les lois particulières.

Quant aux autres articles qu'on a modifiés, M. Choquette, je pense que c'est dans l'esprit d'une charte, la terminologie employée et l'esprit d'ailleurs de chaque article qu'on a amené; c'est dans l'esprit d'une charte. Avoir laissé de côté le droit à la santé, je pense que la plupart des chartes du monde le reconnaissent. Le droit au travail, c'est la même chose et même le droit à un mariage égalitaire, elles le reconnaissent; dans la charte universelle aussi, on le reconnaît. Je pense que cela entre dans une charte.

Alors, tout à l'heure, c'est parce qu'on s'est mal entendus; je me suis peut-être emportée mais c'est que nous, nous voyons vraiment des problèmes terribles. Alors, quand on voit que les hommes ne comprennent pas, bien, vraiment, à ce moment-là, c'est normal.

M. Choquette: Voici, madame, si mon collègue a terminé...

M. Burns: Oui.

M. Choquette: Oui. Je voulais vous dire ceci: II faut faire la distinction entre les principes qu'on peut énoncer dans une loi de ce genre, qui se veut à portée générale, et des principes qui n'ont pas leur place dans une telle loi, mais qui sont, par ailleurs, valables. C'est pour cela que je vous ai dit que vous avez soulevé tout le problème de la condition de la femme et je pense que vous le faites à juste titre. Je ne mets pas en cause du tout l'idée de soulever tout ce qui entoure la femme d'une certaine servitude à l'heure actuelle. Je vous dis que j'admets avec vous facilement que notre législation est en retard sur l'évolution sociale, en particulier au sujet du statut de la femme. Il y a certaines choses énoncées dans votre mémoire que nous pourrons retenir et d'autres qui ne me paraissent pas avoir leur place. Cela ne veut pas dire que je suis hostile à certaines de ces représentations ou de ces principes que nous ne pourrions pas retenir pour cette loi. Je crois qu'au contraire, dans le code civil et dans d'autres lois, il sera possible de réviser le statut juridique actuel de lafemme pouréviterqu'elle ne soit soumise un peu à cette condition de servitude que vous dégagez un peu comme la trame actuelle de tout notre système. D'ailleurs, je crois que cela transparaît quand vous dites que la charte ne fait pas de place suffisante à proscrire la servitude. Cela n'est pas parce que vous pensez qu'il y a un régime d'esclavage littéralement compris, mais je crois que...

Mme Dolment: Pour certaines femmes, oui.

M. Choquette: Oui. c'est cela, sous une certaine forme. Cela traduit votre...

Mme Dolment: Vraiment.

M. Choquette: ...pensée à ce niveau. Je conçois très bien qu'on puisse requérirdu législateur qu'il y ait un réexamen de l'ensemble de cette question, d'autant plus que j'admets facilement que notre droit civil est très en retard.

Mme Dolment: Plus que cela, M. Choquette. On veut enseigner cette charte dans les écoles.

M. Choquette: Oui.

Mme Dolment: Si vous l'enseigneztellequelle, elle va perpétuer une culture sexiste, en fait. La femme est non existante dans votre charte. Je comprends que cela vous fasse peur qu'on ait soumis tant d'articles. Par contre, la Ligue des droits de l'homme en avait autant à modifier. Seulement, si vous voulez vraiment faire une charte où tous les êtres sont égaux, vous serez obligés de prendre la plupart des recommandations qu'on a faites. Justement, est-ce que je peux savoir combien il y a de femmes qui ont participé à l'élaboration de la charte dans vos services?

M. Choquette: I! y a eu...

Mme Dolment: Je veux dire les grands. Ne parlez pas des secrétaires ou des aides ou des assistantes. Mais, parmi ceux qui avaient la direction de la charte, combien aviez-vous de femmes?

M. Choquette: Enfin, je n'ai pas fait...

Mme Dolment: Y avait-il réellement des femmes qui ont participé? Avez-vous vraiment consulté des organismes, pas après qu'elle a été faite, avant?

M. Choquette: Oui.

Mme Dolment: Parce que je ne pense pas que le Conseil du statut de la femme ait été consulté avant. Il a été consulté après.

M. Choquette: Non, je les ai rencontrées. Mme Dolment: Après.

M. Choquette: Non, avant. Il y a des femmes qui ont participé à l'élaboration du projet de loi, mais non pas en tant que femmes. Elles ont participé parce qu'elles ont été consultées, dans certaines phases de la préparation. Mais cela ne veut pas dire qu'elles avaient saisi, peut-être, toute l'amplitude du problème que vous avez soulevé.

Mme Dolment: Justement. C'est pour cela que nous disons que c'est extrêmement important. En effet, si la charte est enseignée telle quelle, cela sera la même chose que les manuels scolaires ou ce qu'on voit dans les manuels. Pourquoi n'y a-t-il pas plus de femmes qui se présentent ou qui sont portées à voter pour des femmes? C'est parce qu'on leur a toujours dit que celui qui connaissait tout, c'était l'homme. C'est pour cela. Si les femmes ne remportent pas, ce n'est pas parce qu'elles ont moins de valeur que les candidats masculins qui se présentent. C'est parce qu'on leur a toujours laissé croire, depuis qu'elles sont hautes comme cela, que la femme, son rôle, c'est à la maison. Même des femmes qui vont voir une femme se présenter vont dire:Ce n'est pas une vraie femme, elle se présente comme député. Parce que, depuis qu'elles sont hautes comme cela, elles ont vu, dans les manuels scolaires, que la femme fait la cuisine, prend soin des enfants et le mari dit bonjour. On voit le papa qui part dans sa voiture et s'en va, lui, régler le sort du monde. La femme, elle règle le sort de la vaisselle. Comment voulez-vous qu'ayant été élevées avec des manuels scolaires comme ceux-là, plus tard, les filles soient portées à voter pour des femmes ou à avoir confiance en des femmes?

Si vous enseignez votre charte comme cela, vous allez perpétuer la même discrimination. Si vous n'incluez pas les articles où on parle spécifiquement des femmes justement par rapport à leur rôle biologique, parce qu'on sait très bien que cela les prive de liberté, je pense que votre charte en sera une pour hommes où, encore une fois, je vous le dis, dans la province de Québec, les Québécois sont libres, mais les Québécoises, laissez-moi vous dire qu'elles ne sont pas plus libres que les communistes dans d'autres pays.

M. Choquette: D'accord, madame. Merci beaucoup.

Le Président (M. Pilote): Est-ce qu'il y en a d'autres qui veulent intervenir?

M. Burns: Merci, madame.

Le Président (M. Pilote): Merci, mesdames, et soyez assurées que les membres de la commission et le Parlement vont prendre bonne note de vos recommandations.

M. Burns: II est six heures moins cinq.

Le Président (M. Pilote): II est six heures moins cinq. Est-ce qu'on pourrait suspendre les travaux de la commission jusqu'à huit heures ce soir?

Il nous reste trois organismes, c'est-à-dire une personne à titre individuel, quelques organismes regroupés et la Fédération des femmes du Québec. Je crois que nous n'avons pas suffisamment de temps pour le faire d'ici six heures trente.

La commission suspend ses travaux jusqu'à vingt heures, ce soir.

(Suspension de la séance: 17 h 51)

Reprise de la séance à 20 h 20

M. Pilote (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs!

Nous allons entendre à présent M. Jean-Guy Rivest qui se présente à titre personnel. M. Rivest.

M. Jean-Guy Rivest, à titre personnel

M. Rivest (Jean-Guy): M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, j'aurais d'abor dune question à vous poser. Je sais par expérience que vous jouissez de l'immunité parlementaire; est-ce que la même chose nous est accordée?

M. Burns: Oui.

M. Rivest: Merci.

M. Marchand: Vous êtes inquiet?

M. Rivest: Je nesuis pas inquiet du tout; je suis le gars le plus relaxé au monde.

M. Burns: Dans son cas, c'est important; c'est un fonctionnaire.

M. Rivest: On n'est pas dans un Etat policier, il n'y a pas à en sortir.

M. Marchand: Etes-vous un homme libéré?

M. Rivest: Oui, autant que ma femme.

M. Marchand: Alors, je pourrai être bloqué.

M. Rivest: D'abord, je suis bien heureux d'avoir été convoqué ici à dix heures ce matin, malgré que je passe à huit heures et demie. Cela m'a donné l'occasion d'entendre le Barreau qui m'a ouvert bien des portes. Il a fait des preuves que j'aurais eu de la difficulté à faire moi-même, parce que je n'ai pas eu la chance, après mon classique, d'aller me faire déformer pendant quatre ans par la faculté de droit. J'ai choisi plutôt le vol, le vol aérien naturellement, comme carrière.

C'en est assez pour les farces plates, je commence avec mon affaire.

Vous êtes en train d'étudier actuellement un projet de loi sur les droits de l'individu, contre lequel je n'ai qu'une critique à faire, c'est qu'il n'a pas la transcendance qu'il doit avoir. Par ce fait même, il laisse la porte ouverte à l'arbitraire et à des décisions gouvernementales qui sont laissées à des fonctionnaires. Cela amène toujours certains sévices aux gens qui font affaires avec ces gens-là.

Le Barreau nous a bien dit ce matin que cette loi ressemblerait beaucoup à la Loi du Protecteur du citoyen. J'ai ici un joli paquet de lettres du Protecteur du citoyen où, partout, il m'a donné raison. Or, chaque fois qu'il m'a donné raison, il y a eu, soit une "démotion" ou des sévices quelconques à subir. Je pense q ue vous êtes pas mal au courant de toutes ces affaires-là.

La première fois où je suis allé chez le Protecteur du citoyen et où j'ai reçu cette fameuse lettre en date du 21 février 1972, j'ai été quelques jours sans dormir parce que je me suis dit: S'il fallait que par malheur, une bonne journée, à titre de citoyen, je sois convoqué comme juré, comme membre d'un jury, je me demande si, dans une cause criminelle, je ne me retrouverais pas comme l'accusé criminel.

A la page deux de sa lettre, M. l'Ombudsman me dit: "Malheureusement, le jury a porté son choix sur un autre candidat que vous — malgré que j'aie gagné le concours — II arrive cependant, et le fait ne manque pas à première vue d'étonner, que ce candidat heureux était l'un des membres du jury." C'est la première fois que je vois cela, un membre du jury qui gagne le concours.

Cela m'est arrivé, mes chers messieurs. C'est un premier exemple d'une loi qui est mal faite, d'une loi qui a des trous. Elle a le même trou que celle que vous êtes en train d'étudier, c'est qu'elle ne passe pas par-dessus les autres lois.

L'Ombudsman, cela fait au moins onze lettres qu'il m'écrit pour m'avouer son impuissance. Il n'y a rien qui me fasse plus mal au coeur qu'un homme qui écrit q u'il est impuissant. Je ne sais pas, mais cela me fait mal au coeur. Je suis excessivement viril et je n'admettrai jamais que je suis impuissant. Jamais, jamais, jamais. Je m'excuse, mais c'est cela, la situation.

Pour revenir au sérieux encore une fois...

Le Président (M. Pilote): Avis aux intéressés.

M. Rivest: Avis aux intéressés; à qui de droit. Comme le disait l'autre — il y a une autre lettre recommandée que j'ai reçue cette semaine — sans préjudice.

Il y a eu un autre cas qui est un peu plus pathétique et qui est beaucoup plus récent, c'est cel ui de ma femme. J'en profite pendant qu'il y a bien des femmes et je vais essayer de défendre leurs droits à elles aussi, un peu.

Ma femme, c'est un drôle de zigue. Elle est allée à l'émission Appelez-moi Lise et cela n'a pas plu à certaines gens. Elle est allée expliquer son cas. Cela fait trois ans que ma femme a décidé de prendre comme carrière l'agriculture. C'est rare; ce n'est pas commun. Elle est devenue cultivatrice, parce que son mari n'était plus bon. Qu'est-ceque vous voulez y faire? J'ai été opéré et je ne suis plus bon à rien; donc, elle a décidé de gagner la vie de ma famille.

Elle s'est servie des lois et est allée voir un organisme prêteur qui s'appelle l'Office du crédit agricole. Je ne sais pas si vous connaissez cela. D'abord, cela a pris deux ans àfaire ouvrir le dossier. Ce n'est pas long, c'est normal dans les délais gouvernementaux. Cela a pris deux ans et il a fallu avoir recours au député pour obtenir un accusé de réception. Le dossier s'est ouvert puisqu'on a eu une lettre.

On lui disait toujours, verbalement: Vous n'êtes pas acceptable, parce que vous êtes une femme mariée. Quand elle a reçu son premier reçu, ce n'était plus à cause de cela. C'était par écrit et ils ne pouvaient pas dire cela par écrit.

On lui a dit que c'était parce qu'elle avait des lapins et que des lapins ce n'étaient pas des animaux.

Je ne sais pas ce que c'est, mais ce n 'étaient pas des animaux. Cela n'a pas de cornes. On a essayé d'en croiser un avec un boeuf pour qu'ils aient des cornes, cela n'a pas marché. Qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse? Ce n'est pas ma faute.

Finalement, elle a fait une autre demande, cela a encore coûté $5 et là elle a reçu une réponse écrite disant que, premièrement, elle n'était pas bonne administratrice — ce qui est pas mal "libelleux" d'après moi — . Deuxièmement, on lui a cité le règlement qu'on a essayé d'avoir, parce qu'on a essayé pendant deux ans et demi d'avoir ce règlement et on n'était pas capable. On lui a cité le règlement qui dit textuellement: Dans le cas où l'emprunteur est une femme, il faut considérer que c'est le mari qui est l'emprunteurtout comme si celui-ci était propriétaire de la ferme, malgré que ma femme soit mariée en séparation de biens et malgré que le contrat d'achat de la ferme soit à son nom et malgré qu'on lui ait transféré un prêt agricole à son nom parce qu'il y avait déjà un prêt agricole sur la ferme qu'on a achetée.

A partir de cela, nous sommes allés à un conseil que le gouvernement du Québec a formé, qui s'appelle le Conseil du statut de la femme. Pendant trois mois, le Conseil du statut de la femme est allé à l'Office du crédit agricole pour avoir ledit règlement — j'ai bien dit ledit règlement, je n'ai pas dit le maudit, j'ai dit ledit — on refusait toujours de le lui donner jusqu'à ce que ma femme lui écrive le texte et lui dise à quelle page on pouvait trouver cela. Là, on l'a trouvé. C'est curieux, on l'a alors trouvé. J'ai ici une lettre du Conseil du statut de la femme qui dit': "Ainsi, la politique de régie interne de l'Office du crédit agricole est nettement discriminatoire pour la femme qui exploite une ferme, cependant, le conseiller juridique m'informe qu'il est impossible actuellement d'aller à l'encontre d'un tel règlement puisqu'il constitue une annexe de la loi." J'ai une lettre de M. le ministre de l'Agriculture, qui dit bien que ce n'est pas une annexe de la loi, mais bien une ligne de conduite quant à l'interprétation de la loi, du règlement, à l'intention des conseillers en crédit. "Il ne faut donc pas vous surprendre que les officiers de l'office ne vous aient pas transmis l'appendice en question si, de votre côté, vous demandiez le règlement, d'autant plus que ledit appendice, comme je vous le soulignais, est destiné aux conseillers en crédit, donc peut être changé du jour au lendemain par l'Office du crédit agricole." On a pris quatre ans pour dire: On va changer la loi et on ne l'a jamais changée. Là, on vient de faire un changement et il n'en est même pas question dans le changement. Je l'ai achetée à coup de $0.50. Je veux vous dire que, tantôt, vous nous avez dit, M. le ministre, que l'information était un droit sacré et que l'information était disponible. Elle est disponible pour ceux qui ont de l'argent pour payer. Parce que, chaque fois qu'on demande copie d'une loi, cela coûte $0.50, $0.75 et des fois $2, et quand on veut toutes les avoir, cela finit par coûter drôlement cher. Vu que tous les cultivateurs, par définition, sont quasiment des assistés sociaux, ils n'ont pas les moyensde se procurer cela.

On en était rendu là et on a pensé que c'était pas mal fini et, une bonne journée, il y a un journaliste qui était un peu plus curieux que les autres. Il aentendu parler de cette affaire — une journaliste du Soleil, pour ne pas la nommer — elle est arrivée chez nous et a fait un article, une pleine page là-dessus. Cela a choqué les messieurs de l'Office du crédit agricole. Ils n'étaient pas très contents. Ils n'ont pas aimé cela du tout. Ils m'ont téléphoné pour me dire que c'était un petit peu charrié, cette affaire. Radio-Canada a ramassé cela. Radio-Canada a fait une interview d'une demi-heure avec ma femme à la radio de Québec. Là, naturellement, ma femme est aussi sarcastique que moi. Vous avez pu constater qu'on aime cela faire desfarces. Chez nous on rit tout le temps. On est des gens bien de bonne humeur, bien joyeux, aimant la vie. Alors, le président de l'Office du crédit agricole a exigé du directeur général de Radio-Canada à Québec que la journaliste lui donne temps égal à la condition que ma femme lui donne par écrit l'autorisation de sortir son dossier.

Moi je considère que l'Office du crédit agricole est un organisme prêteur, comme toutes les compagnies, Household Finance, n'importe quelle autre, pour ne pas en nommer d'autres, pour ne pas faire de publicité gratuite. Naturellement, on lui a donné, comme réponse, à Radio-Canada, qu'on lui permettrait d'allersedéfendre à Radio-Canada à une condition, c'estque ma femme soit présente lorsqu'il irait se défendre et qu'elle puisse rétablir les faits s'ils étaient erronés.

Naturellement, vu que je suis un gars de relations publiques, j'ai déjà été directeur des relations publiques, avant de faire appel à l'Ombudsman, on m'a enlevé le poste comme ça, quand je me suis plaint à l'Ombudsman, parce qu'on a dit que c'était incompatible avec mes fonctions, à cause du code d'éthique professionnelle des fonctionnaires qui vient de sortir. J'ai été très prudent, j'ai écrit à mon patron immédiat, M. Charles-Henri Dubé, lui disant que Radio-Canada voulait m'interviewer pour défendre les intérêts de ma femme. M. Dubé, lui, a été encore plus prudent que moi, il est allé voir le sous-ministre, qui lui a fait répondre: "Pour faire suite à votre note d'il y a deux jours, concernant votre éventuelle participation à des interviews et tables rondes sur l'agriculture, il m'apparaît opportun, après consultation avec le sous-ministre, de vous recommander de vous abstenir de répondre aux sollicitations des media. L'autorisation demandée ne vous est donc pas accordée. "Charles-Henri Dubé, Directeur général de l'édition".

J'ai donné cette réponse à Radio-Canada qui l'a fait interpréter par le vice-doyen de la faculté de droit de l'université Laval, qui a dit que mon sous-ministre avait erré en droit, parce que le code d'éthique dit bien que le fonctionnaire ne peut pas aller parler contre l'administration pour laquelle il travaille, étant donné que j'étais aux Communications et non à l'Agriculture, j'avais plein droit d'y aller.

Cela n'a apparemment pas plu à mon sous-ministre et, quinze jours après, je me retrouvais dans les autobus scolaires au ministère des Transports.

Cela résume un peu le dossier. Je trouve que ces lois-là, avec des trous, font que lescitoyens, quand ils viennent pour s'en servir, mangent une claque vous

savez où, chaque fois, ou encore un coup de pied à l'autre bout. Cela finit toujours par faire mal, tellement que j'ai reçu une belle lettre cette semaine qui, d'après moi, est une incitation à contrevenir aux lois. Je la cherche. Cette lettreaété envoyée par le conseiller juridique de l'Office du crédit agricole, qui menace mon épouse — je ne la trouve pas — de lui envoyer une lettre l'autorisant sans restriction— pas en sa présence — à publier tout le dossier de ma femmedont ses états financiers, naturellement, il y a trois et quatre ans, ce qu'aucune compagnie prêteuse ne peut se permettre de faire par la loi.

Je trouve qu'il y a des gens, au gouvernement, qui outrepassent leurs droits, qui se servent de ces trous dans la loi pour opprimer les contribuables. C'est ce que je ne voudrais pas qui arrive avec la loi actuelle, la loi sur la protection du citoyen, qu'il soit citoyen ou citoyenne, comme on l'a dit avec tellement d'éloquence cet après-midi. J'espère qu'un jour nous aurons des lois qui ne permettront pas aux fonctionnaires de botter les contribuables où ils n'aiment pas être bottés. Est-ce possible?

Autrement, nous finirons parfaire — même si les Québécois, par nature, sont des gens bien patients et paisible s— un peuple de blasés. Or, réveiller de l'eau trouble, ça fait de l'eau bien plus sale que de réveiller une chute. Une chute, c'est clair, net, il n'y a pas de danger. Mais de l'eau calme comme les Québécois, il y a toujours un peu de vase là-dedans et quand on la brouille, ce n'est pas joli à voir et ça finit par faire des révolutions. Quand les citoyens, à force de voir que les lois n'ont pas de dents et que chaque fois qu'ils viennent pour s'en servir, ça se retourne contre eux, ils prennent les armes et c'est dangereux.

J'ai peur que la loi que vous étudiez fasse, comme la Loi du Protecteur du citoyen, la Loi du Conseil du statut de la femme et les autres. On a toujours des réponses comme: Je m'excuse, vous avez parfaitement raison, mais nous sommes impuissants. Quand les citoyens vont voir qu'ils paient à coupde je ne sais pas combien de millions pour payer nos fonctionnaires, cela fait un joli paquet de millions, et que ce sont tous des gars qui disent par écrit qu'ils sont impuissants, ils vont dire que ça coûte cher pour l'impuissance. Mettons-en des puissants à la place.

C'est à peu près, en résumé le message que j'avais à vous transmettre. Je me suis dérangé de Sainte-Croix pour venir vous dire cela parce que je suis en vacances.

Le Président (M. Pilote): Le ministre de la Justice.

M. Choquette: M. Rivest, je vous félicite de votre sens civique, si je peux employer ce mot, qui vous motive au point de vous amener à exposer les tribulations que vous avez vécues avec certains partis de l'administration du gouvernement.

Je pense que vous l'avez fait d'une façon très légitime et je suis sûr qu'aucun des élus du peuple ici présents ne trouverait une espèce de motif raisonnable de critiquer votre conduite, même si vous êtes fonctionnaire. Parce qu'un fonctionnaire garde quand même son droit de parole et, pour ma part, je suis content que vous ayez choisi d'apporter votre contribution à l'étude de ce projet de loi.

D'autre part, je pense que vous allez admettre avec moi qu'il faut aussi donner l'envers de la médaille, et là, je ne parle pas de votre cas particulier, je parle plutôt de la fonction du Protecteur du citoyen. Je puis vous dire que le Protecteur du citoyen est appelé à faire des recommandations qui n'ont pas force contraignante à l'égard des différents ministères du gouvernement; mais mon expérience est que, généralement, une recommandation, une suggestion, une constatation du Protecteur du citoyen sont suivies par les différents ministères ou au moins par le ministère de la Justice.

Je reçois, à intervalles réguliers, l'état des demandes d'intervention du Protecteur du citoyen auprès du ministère de la Justice, parce que différents citoyens se plaignent de ne pas avoir reçu un traitement équitable de nos fonctionnaires, ou enfin de l'administration publique, et je puis vous dire que, dans l'immense majorité des cas et au moment où je vous parle, je neconnais pas d'exception, je veux être quand même assez réservé, c'est pour cela que je dis, dans l'immense majorité des cas, au cas où il y aurait des exceptions, nous donnons suite aux recommandations du Protecteur du citoyen.

C'est vousdire, M. Rivest, qu'en plaidant pour les citoyens, face à l'administration publique, ce qui est tout à fait légitime, il ne faudrait quand même pas dénaturer la réalité et la valeur des interventions du Protecteur du citoyen. Je vous dis ceci, en règle générale.

Maintenant, je ne sais pas si vous avez eu d'autres expériences avec...

M. Rivest: Onze.

M. Choquette: Avec le Protecteur du citoyen, mais onze lettres au sujet du même problème.

M. Rivest: Non, non, onze cas différents. M. Choquette: Onze cas différents.

M. Rivest: Dans dix cas, on m'a donné raison sans jamais porter action ni faire quoi que ce soit. Dans le onzième cas, on m'a dit que j'avais erré.

M. Choquette: Un instant, M. Rivest. Me dites-vous que vous ou votre épouse auriez eu onze cas où...

M. Rivest: Personnellement, j'ai eu onze cas avec l'Ombudsman et ma femme en a eu un. Nous sommes ses gros, gros clients.

M. Choquette: II y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette situation.

M. Rivest: Là, je suis bien d'accord avec vous. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle...

M. Choquette: Mais, ces onze cas, M. Rivest, font-ils partie du même dossier...

M. Rivest: Absolument pas.

M. Choquette: ...de la même trame de... Ce sont tous des cas distincts.

M. Rivest: A la suite de toutes sortes de pressions que j'ai reçues de la part de mon employeur. Il y a même un cas qui est assez cocasse, où j'ai dû participer au concours pour le poste que j'occupais. Est-ce assez clai r pour vous? On a affiché, sans que je le sache, dans les journaux, que le poste de di recteur des relations publiques était ouvert au public, tous ceux qui voulaient se présenter devaient avoir le minimum d'un cours universitaire et de dix ans de pratique en relations publiques. Je suis un ancien professeur en relations publiques à McGill.

J'ai pratiqué à Montréal en relations publiques bien des années avant de venir au gouvernement du Québec.

Naturellement, je me suis senti attaqué un peu et j'ai demandé pourquoi. La semaine avant que le concours ait lieu, je savais la composition du jury. Il n'y avait pas un seul relationniste qui siégeait au jury. Il y avait le directeur de l'administration de mon ministère qui était du jury, qui venait justement d'écrire à mon directeur général qui, lui, était président du jury, pour lui dire que j'étais un con, ce qui fait que, naturellement... Je suis un gars qui a bien le sens de...

M. Choquette: Si vous êtes un con, vous avez le sens de l'humour.

M. Rivest: J'ai bien le sensde l'humour, maisj'ai écrit au Protecteur du citoyen, avec une copie à la Commission de la fonction publique, pour demander que le gars qui m'avait traité de con devant le président de mon jury soit disqualifié, parce qu'il n'avait pas les qualités pour être membre du jury. On l'a remplacé par le gars qui m'avait avisé que la journée que j'avais présenté ma première demande au Protecteur du citoyen, parce que j'avais perdu un poste aux mains d'un membre du jury — j'en subirais les conséquences. Or, c'étaient les conséquences, que je perdais mon poste de directeur des relations publiques.On l'a mis à sa place. Vous avez vu à peu près quelle sortedejuryj'ai eu. Je l'ai ici, la réponse de la Commission de la fonction publique, qui me dit que je n'étais pas parmi les trois membres les plus aptes à remplir le poste, alors que j'étais le seul des 18 candidats qui était membre de la Société canadienne des relations publiques, notre corporation professionnelle et celui qui a remporté le poste n'était même pas admissible, puisque les exigences de base demandaient un cours universitaire en relations publiques, ce qui fait 23 ans d'âge, plus dix ans d'expérience, qui font 33 ans. Le malheureux candidat qui a remporté le poste avait 28 ans. Est-ce assez pour vous? Ce n'est qu'un exemple.

M. Choquette: M. Rivest, est-ce que c'est avec le ministère des Communications que vous avez eu...

M. Rivest: Oui, monsieur.

M. Choquette: ...ces occasions de collision?

M. Burns: Et de la Fonction publique?

M. Rivest: Et de la Fonction publique. J'ai même eu bien plus que cela. J'ai même eu un huissier chez nous pour un compte de $49 dans l'exercice de mes fonctions, pour une facture que je n'avais même pas signée.

M. Choquette: M. Rivest, permettez que je vous pose quelques questions. Etes-vous déjà allé voir votre ministre avec ces problèmes?

M. Rivest: Je lui ai demandé quatre rendez-vous, ils m'ont été refusés tous les quatre.

M. Choquette: Est-ce que le Protecteur du citoyen...

M. Rivest: J'aurais aimé qu'il soit là, parce qu'il était ici ce matin, et cela aurait été le "fun".

M. Choquette: ...a refusé d'intervenir ou, enfin, n'est pas intervenu dans les...

M. Rivest: II est intervenu à peu près dans tous les cas.

M. Choquette: A-t-il fait des recommandations précises à l'administration?

M. Rivest: Non, même dans une lettre, il a été très clair, il a dit... Je ne pense pas que je l'aie ici celle-là. ll a dit, dans un paragraphe: "II est évident, après enquête, que l'administration de votre ministère — j'ai une maudite mémoire — se sert de son pouvoir discrétionnaire systématiquement en votre défaveur". Cela a fini là. Il n'y a pas eu de recommandation à l'effet que cela change. Cela n'a pas changé non plus, de sorte que...

M. Choquette: Dans cette lettre précise, à ce sujet, est-ce qu'il a dit: J'ai fait des recommandations à votre ministère...

M. Rivest: Non.

M. Choquette: ...ou est-ce qu'il a dit: Je ne peux pas en faire...

M. Rivest: II m'a dit qu'il était impuissant, puisqu'il n'avait aucune autorité sur les relations entre patrons et employés.

M. Choquette: Est-ce que vous êtes protégé par une...

M. Burns: Non, c'est un cadre.

M. Rivest: Non, je suis un cadre. "I got framed", comme ils disent en anglais. Je suis un cadre.

M. Choquette: Est-ce que la Commission de la fonction publique n'aurait pas une compétence à...

M. Rivest: C'est à vous à répondre. Moi, je la

trouve incompétente, mais c'est à vous à répondre, si elle a la compétence.

M. Choquette: Blague à part... M. Rivest: Je la garde, ma blague. Une Voix: II a un bon caractère.

M. Choquette: Avez-vous exercé des recours à la Commission de la fonction publique?

M. Rivest: Oui, j'y suis allé souvent. Même la recommandation qu'ils m'ont faite a été de démissionner comme cadre, de perdre toutes mes prérogatives et de redevenir un fonctionnaire, protégé par le syndicat. Je perdais seulement quelques mille dollars de salaire et tous les avantages sociaux, ce que j'ai refusé assez allègrement, remarquez bien. J'ai continué à être cadre, mais sans employés.

M. Choquette: Maintenant, vous avez été muté au ministère de l'Education?

M. Rivest: Non, au ministère des Transports. Je m'occupe des autobus jaunes.

M. Choquette: Aimez-vous cela, là?

M. Rivest: J'adore cela. Pour un ancien pilote, des autobus jaunes, il n'y a rien de mieux que cela.

Une Voix: Cela vole bas.

M. Rivest: Cela vole bas, un peu, mais cela ne fait rien. C'est moins dangereux. Mes premiers cours, quand ma mère m'a vu partir comme pilote, elle m'a dit: Vole bas, puis tranquillement.

M. Choquette: Vous n'avez pas suivi son conseil?

M. Rivest: Non, parce que je tenais à vivre.

M. Choquette: Ecoutez, M. Rivest, j'aimerais bien prend re connaissance de votre dossier personnel. Je me sens quand même une responsabilité de voir qu'il existe un minimum de justice à l'intérieurdu gouvernement, même si je n'ai pas toujours le pouvoir légal.

M. Rivest: Remarquez bien que je l'apprécierais bien gros.

M. Choquette: Mais j'aimerais cela, si vous vouliez m'envoyer votre dossier, même venir me le porter personnellement, pour me l'expliquer avec un peu plus de détails et voir enfin ce qu'il y a là-dedans.

M. Rivest: Remarquez bien que je ne m'attends pas d'avoir une promotion, à la suite de mon intervention.

M. Choquette: Non, non! Je ne fais pas de promesse, mais sans avoir un pouvoir légal, j'aimerais examiner le fond du problème qui vous concerne. Maintenant, pour la loi, vous nous faites des suggestions que je vais prendre en considération. Il y avait aussi le cas de votre épouse relativement à l'Office du crédit agricole.

M. Rivest: A ses lapins, qui ne sont pas des humains.

M. Choquette: Je tiens à vous dire ceci. Que la loi soit transcendante ou non à l'égard d'autres lois, il est évident que les dispositions antidiscriminatoires du projet de loi no 50 s'appliqueraient à l'administration publique, dans ce sens que, si cette loi était en vigueur à l'heure actuelle, il serait interdit à l'Office du crédit agricole d'exercer une discrimination pour la raison que votre épouse est une femme mariée. Je pense que vous saisissez la portée du projet de loi.

M. Rivest: Pour votre information plus complète, j'ai ici une lettre signée par un ministre de votre cabinet.

M. Choquette: Un ministre?

M. Rivest: Oui, un ministre. Elle a huit pages, elle a coûté $0.64 de timbres, imaginez-vous, un nommé Toupin, qui me dit qu'il a consulté l'Office du crédit agricole. Il m'écrit huit pages de menteries. C'est pour cela que je vous ai demandé si on avait la protection de l'Ombudsman. Je n'en ai relevé que 18 dans huit pages, ce n'est pas gros. Elles sont toutes là. Les dossiers qui sont là, ils sont là pour le supporter, je suis prêt à le faire n'importe quand, d'ailleurs. Je l'ai demandé, parce que la lettre que j'ai reçue du conseiller juridique de l'Office du crédit agricole me donne dix jours, dans son chantage, pour l'autoriser à faire ce qu'il n'a pas le droit de faire, de publier dans les journaux l'état financier de ma femme. J'ai écrit une lettre recommandée, parce que cela m'était envoyé à moi et non pas à ma femme, la lettre du ministre, mais il faut que je vous dise pourquoi, par exemple, le ministre m'a écrit.

C'est que, moi aussi, je suis un peu effronté, à la suite de tout cela, les refus qu'on a faits à ma femme, les refus de lui remettre de l'information. Je me suis basé sur une déclaration de mon cher ministre des Communications, Jean-Paul L'Allier, pour qui j'ai travaillé quatre ans — travailler dans la fonction publique, c'est un mot qu'on devrait éviter d'utiliser, d'ailleurs — j'ai été à la Fonction publiquequatre ans avec lui et il a fait des déclarations, à plusieurs reprises, dont une à l'Université Laval aux étudiants en journalisme, je pense que vous l'avez couvert, vous autres, où il disait que le droit à l'information c'était sacré pour les citoyens. Je suis parti de cela — je l'ai ici en quelque part dans ce patatras, je disais donc: Etant donné que l'Office du crédit agricole a refusé et à ma femme et au Conseil du statut de la femme et à l'Ombudsman de leur remettre ledit article dont je donnais la pagination, 100-3 du livre des agronomes inspecteurs, M. le ministre dit ici textuellement: "II ne faut pas vous surprendre que les officiers de l'Office ne vous ait pas transmis l'appendice en question, si, de votre coté, vous avez demandé le règlement, d'au-

tant plus que led it appendice que je vous souligne est destiné aux conseillers en crédit". C'est exactement ce que j'avais dit. J'ai demandé la démission de ces chers di recteurs de l'Office du crédit agricole et cela a l'air que ça ne leur a pas plu, je ne sais pas pourquoi. Je ne comprends pas, mais cela ne leur a pas plu. De sorte qu'on m'a envoyé cette lettre recommandée que j'ai reçue, hier. Naturellement, il a fallu que je demande une injonction, et là je parle vite, parceque, probablement, dans quelques heures, probablement huit ou neuf heures, Me Shoofey, à Montréal, aura émis une injonction contre l'Office du crédit agricole, pour l'empêcher de mettre sa menace à exécution. Parce que moi, je ne veux pas voir le budget de ma femme dans les journaux, même s'il est bien beau, son budget. Parce que l'impôt me poignerait.

M. Choquette: Je ne le dirai pas au ministre du Revenu.

M. Rivest: Vous m'avez dit tantôt: Vous ne pouvez pas vous servir de cela. D'accord?

M. Choquette: On peut s'en servir, mais...

M. Rivest: Farce à part, je vaisfaire mon rapport d'impôt, mais je ne veux pas voir l'état financier de ma femme parce que je ne veux pas voir le vôtre sur les journaux.

M. Choquette: Bon, écoutez, M. Rivest, sur l'affaire de l'Office du crédit agricole, il s'agit d'un autre problème. Si le ministre de l'Agriculture me consultait, en tant que ministre de la Justice et conseiller juridique du gouvernement, je lui donnerais mon avis juridique.

M. Rivest: Oup! Attendez un peu! A la huitième page de sa docte lettre, M. Toupin dit: Copie au ministre de la Justice.

M. Choquette: Alors...

M. Rivest: II a envoyé d'autres copies aussi, il en a envoyé une au député de Lotbinière et une au président de l'Office du crédit agricole.

M. Burns: II n'en a pas envoyé aux députés de l'Opposition?

M. Rivest: Non, mais cela n'est pas important pour lui. Maintenant, avant de...

M. Burns: M. Rivest... M. Rivest: Oui...

M. Burns: ...me basant sur l'affirmation faite à deux reprises par le ministre de la Justice depuis nos travaux d'hier, que l'Opposition est sûrement très vaillante et sûrement ne permettra pas que le gouvernement abuse de ses droits, etc., me basant sur cette affirmation du ministre de la Justice qui semble être d'accord sur la vaillance avec laquelle nous surveillons le gouvernement, est-ce que vous accepteriez, avec le même courage que vous avez eu de venir nous exposer votre problème, d'envoyer une copie de toute cette documentation à l'Opposition, soit à la personne qui vous parle ou un autre député de l'Opposition, en qui vous auriez plus confiance?

M. Rivest: Pensez-vous que l'Office du crédit agricole me permettrait de me servir de la machine à photocopier?

M. Burns: Je peux vous offrir ouvertement et publiquement que, si vous passez par mon bureau, on s'occupera de faire faire les photocopies nécessaires, si vous avez des difficultés à les faire.

M. Rivest: Cela me fera plaisir et cela me fera plaisir de rendre la pareille au ministre de la Justice et à tous les autres ministres qui en voudront. Même que ma première tentative avait été un petit peu fantasque — je suis toujours fantasque, de toute façon, il ne faut pas s'en faire — quand le Protecteur du citoyen m'a dit que j'avais été l'heureux gagnant et que c'était un membre du jury qui avait eu le job, mon réflexe a été le suivant: J'ai répondu au Protecteur du citoyen d'abord pour le féliciter et rétablir certains faits; puis, j'ai pris cela et j'ai marqué en bas que j'envoyais une copie aux chefs des quatre partis. Ce qui fait que M. Bourassa en a reçu une; dans le temps, Jean-Jacques Bertrand était vivant; mon confrère, le...

M. Burns: Laurin.

M. Rivest: ...psychiatre Camille Laurin était le président du PQ et, chez les créditistes, c'était...

M. Burns: Camille Samson.

M. Rivest: Je ne sais pas s'il n'y avait pas un intérim dans le temps, en tous cas, il y avait quelqu'un là. J'ai envoyé cela aux quatre partis et il n'y en a rien qu'un qui l'a sorti, je pense que c'est M. Burns qui a sorti cette affaire-là aux crédits de...

M. Burns: Oui, je me rappelle...

M. Rivest:...la Commission de la fonction publique.

M. Burns: ...simplement pour replacer les choses, c'est...

M. Rivest: Maintenant, c'est encore un acte...

M. Burns: ...Camille Laurin m'avait remis une copie de votre correspondance; je n'avais pas...

M. Rivest: C'est un acte assez courageux, je pense, que j'avais posé dans ce temps-là aussi, pour ne pas dire fantasque. Parce que, dans le temps, le ministre de la Fonction publique était également le ministre des Communications, mon patron, à qui j'avais demandé un rendez-vous dans le train. Je l'avais rencontré dans le train de Montréal-Québec; il

m'a dit: Certainement, je te rencontrerai, on va en parler. Puis, on n'a été rien que trois heures dans le train, il n'a pas eu le temps de me parler; deux, trois verres de scotch, et on n'a pas eu le temps de se parler. Cela fait qu'on est sorti du train et on ne s'est pas revu. En sortant, je lui ai dit: Bon, vu qu'on ne s'est pas rencontré, pourrait-on se rencontrer dans votre bureau? Il dit: Je t'appellerai. On est rendu au 22, quasiment le 23, de janvier 1975 — cela, c'était en 1972 — et je n'ai pas encore été appelé.

M. Choquette: Alors, écoutez, M. Rivest, je pense que, de part et d'autre, nous allons prendre connaissance de...

M. Rivest: J'aurais une suggestion à vous faire. M. Choquette: Oui?

M. Rivest: Mes prédécesseurs, les dames, ont fait une suggestion assez intelligente quant à la composition du futur comité, de la future commission. J'en aurais une autre à vous faire. A cause de mes expériences passées, et parce que j'ai réalisé que le Protecteur du citoyen et la présidente du Conseil du statut de la femme sont deux doctes diplômés de la faculté de droit, je réalise que 90%, pour ne pas dire plus, des diplômés de la faculté de droit ont un but dans la vie, c'est de monter sur le banc, surtout s'ils sont polis avec le gouvernement, cela fait que je vous demanderais, pour la protection du citoyen, d'en mettre le moins possible, des avocats, là-dedans. Est-ce possible?

M. Burns: Ahl oui, il a raison.

M. Rivest: Je suis sûr que lorsque vous allez former cette commission, il va y avoir un bon contentieux. Vous voulez la preuve? A l'Office du crédit agricole, il y a un contentieux qui est fantastique. Le directeur du contentieux nous fait chanter et essaie de nous faire violer la loi.

Il va y avoir un très bon contentieux et même si c'est un cultivateur qui est président ou une femme, il ou elle va être beaucoup plus porté à aller voir le contentieux qu'un docte diplômé de la faculté de droit qui n'a pas pratiqué depuis quinze ans. Lui, il sait tout, il connaît toute la loi et il l'interprète. Vous savez comment c'est, hein? Lui, il ne va pas voir le contentieux, il dit: Moi, je connais cela, je l'ai. La science infuse, on l'a.

Je vous conseillerais, en toute humilité — je ne veux pas vous donner des ordres — mais je vous conseillerais d'en mettre le moins possible. Il y en a déjà assez au Parlement, hein?

M. Choquette: II y en a de moins en moins.

M. Burns: II y en a plus que dans l'autre Parlement.

M. Choquette: Non, il y en a moins.

M. Burns: Oui, il y en a plus. La maladie nous revient...

M. Choquette: Non, non. La proportion d'avocats, au gouvernement, a tendance a baisser.

M. Rivest: Je n'ai rien contre les avocats.

M. Burns: II yen avait 18 dans l'ancien Parlement et il y en a plus maintenant.

M. Rivest: Je ne veux pas vous critiquer, mais en général, ceux qui montent sur le banc — et je ne voudrais pas que le banc m'accuse — c'est parce qu'ils ont eu le moins de jugement. Je m'excuse, mais...

On a eu des cas récents, des membres d u cabinet qui sont montés sur le banc et cela n'a pas toujours été...

M. Choquette: C'est une affirmation à l'emporte-pièce.

M. Rivest: Elle est gratuite.

M. Choquette: Merci beaucoup, pour ma part.

Le Président (M. Pilote): Merci, M. Rivest...

M. Burns: Elle est gratuite, mais elle est défendable.

Le Président (M. Pilote): Soyez assuré qu'on va prendre note de vos revendications.

M. Burns: Quand il parle entre autres, de ceux qui étaient dans le cabinet avant, je partage cette dernière opinion.

M. Choquette: Oui? Eh bien, pas moi.

Le Président (M. Pilote): Merci, M. Rivest. J'inviterais à présent...

M. Burns: M. Rivest, vous n'oubliez pas de nous faire parvenir une copie de la correspondance.

M. Rivest: Scrupuleusement.

M. Burns: J'aimerais bien l'avoir en tout cas.

M. Rivest: Scrupuleusement.

Le Président (M. Pilote): C'est le Président qui vous parle, votre dernière suggestion, voulez-vous l'envoyer à Me Choquette et à Me Burns, concernant la hausse des avocats dans le gouvernement?

M. Rivest: Vous voulez qu'ils l'aient par écrit?

Le Président (M. Pilote): Oui.

M. Rivest: D'accord.

Le Président (M. Pilote): J'inviterais à présent Mme Raymonde Lasalle, de la fédération es femmes du Québec, à bien vouloir s'avancer et présenter, s'il y a lieu, celles qui l'accompagnent.

Fédération des femmes du Québec

Mme Lasalle (Raymonde): M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, je vais vous lire le mémoire, parce que je présume que vous ne l'avez pas tous lu. C'est peut-être une déformation professionnelle d'avocat vis-à-vis des juges, quant aux procédures, mais en tout cas.

Le Président (M. Pilote): Vous allez identifier celles qui vous accompagnent, à la demande du député de Laurier.

Mme Lasalle: Avec plaisir. Ghislaine Patry-Buisson, qui est la présidente de la Fédération des femmes du Québec, à ma gauche. A ma droite, Mme Huguette Roy.

Le Président (M. Pilote): Merci.

Mme Lasalle: Donc, je commence. La Fédération des femmes du Québec, corporation sans but lucratif, qui regroupe 23 associations féminines et 500 membres individuels représentant 130,000 personnes, vous soumet respectueusement:

Inutile de vous rappeler que la société n'a pas intégré encore à part entière près de la moitié de ses citoyens, les femmes. Nous n'avons qu'à constater leur absence dans les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire de l'Etat pour nous en convaincre. Nous n'entendons pas donner des explications, ni blâmer qui que ce soit, il s'agit tout simplement d'une question de fait.

Le seul but de notre intervention est de participer à l'amélioration du système pour donner à chacun, sans distinction, l'occasion de vivre libre dans le respect des valeurs humaines.

Malheureusement, la fédération n'entend suggérer généralement que des amendements visant l'intérêt des femmes. Ce n'est pas qu'elle ferme les yeux sur les autres maux de la société — concernant entre autres les vieillards, etc. — mais le temps nous manquait pour étudier et présenter un mémoire sur tout autre sujet, d'ailleurs intéressant.

Ceci étant dit, vous trouverez ci-après les amendements suggérés. Nous avons présenté notre mémoire pratiquement sous forme de plan pour que ce soit plus clair pour tout le monde et nous avons aussi certaines modifications à vous suggérer au fur et à mesure de la lecture du mémoire.

Dans le préambule de la loi qui fait toujours partie d'une loi — comme disait M. le ministre de la Justice — le préambule de la loi fait toujours partie de la loi. Il sert tout au moins à donner des indications sur la portée et le sens de la loi, ce qui peut évidemment, influencer énormément l'interprétation que nos tribunaux, nos juges vont donner à la loi.

Dans les considérants, nous avons donc trouvé important de proposer certaines modifications. Dans le second considérant, un terme est utilisé. Considérant que tous les hommes sont égaux en valeur et en dignité, nous suggérons de remplacer "homme" par "être humain". Ce n'est pas une lutte épique à faire jusqu'en cour Suprême, remarquez bien, mais c'est assez significatif, comme vous le soulignait d'ailleurs Mme Dolment, qui est venue parler tout à l'heure. Ce n'est pas que nous entérinons tout ce qu'elle dit, remarquez bien, mais ce n'est pas non plus que l'on n'appuie pas ce qu'elle dit, mais c'est tout de même assez significatif de la terminologie et des façons de penser de la société. Alors, au lieu d'utiliser le terme "homme", on vous suggère d'utiliser le terme "être humain". Pourquoi "être humain" plutôt que personne? C'est que, dans la loi d'interprétation, le mot "personne", qui est d'ailleurs utilisé grandement dans la loi, semble vouloir comprendre les individus et les corporations. Remarquez que je vous dis cela pour ce que cela vaut, puisque vous avez toujours utilisé le terme "personne", mais c'est pour cela qu'on a choisi tout simplement "être humain". Alors, vous pourriez très bien indiquer le mot "personne". On y tient jusqu'à un certain point. Donc, remplacer quand même le terme "homme" par "personne" ou "être humain ".

Il s'agirait maintenant d'ajouter un considérant additionnel après le deuxième considérant. Ce troisième considérant devrait se lire comme suit: — Je vais le prononcer assez lentement pour que vous puissiez en prendre note, car il est très important. Considérant que les femmes et les hommes sont également responsables d'eux-mêmes, de la famille et de la société, ils sont titulaires de droits égaux.

Nous avons tenu à l'inscrire dans les considérants, parce que ce considérant énonce un principe qui n'est pas reconnu dans les faits, dans la société actuelle. Vous allez me dire qu'il n'y a personne qui va nier que les femmes ont certaines valeurs. Il n'y a pas de doute, mais ce n'est pas reconnu dans les faits. Les femmes ne participent pas comme citoyennes à part entière à la société. Alors, nous voulions que ce soit inscrit expressément que ce considérant qui se lit encore comme suit: Considérant que les femmes et les hommes sont également responsables d'eux-mêmes, de la famille et de la société, ils sont titulaires de droits égaux. Autrement dit, presque, les hommes et les femmes sont égaux. C'est pour assurer que les lois postérieures et la charte soient interprétées sans aucune exception possible dans ce sens.

Dans le statut, nous sautons immédiatement à l'article 11. Je ne vous relis pas l'article 11, vous vous êtes fait lire cet article sûrement à plusieurs reprises et vous le connaissez sans doute par coeur. Il y aurait lieu d'ajouter, après le premier paragraphe, "statut civil". Je pense qu'en écoutant M. le ministre Cho-quette, cela semble presque chose acquise. J'aimerais bien me le faire confirmer, remarquez bien. C'est acquis?

M. Choquette: Presque.

Mme Lasalle: Presque. Cela dépend évidemment. Il faut que cela soit voté, mais, tout de même, ce sera suggéré avec insistance.

M. Choquette: Oui, en effet. Je crois qu'il y a beaucoup de mérite dans cette suggestion.

Mme Lasalle: Cela répond, évidemment, à un besoin. Il n'y a pas de doute. Nous n'avons pas

indiqué "âge". Nous aimerions ajouter également "âge", que nous n'avons pas indiqué dans le mémoire parce qu'également, tous les jours, il y a de la discrimination qui est exercée, pas seulement contre les femmes, dans ce cas-là.

Par exemple, dans certains cas, on refuse l'accès aux études supérieures à cause d'un certain âge de l'individu.

Dans le cas d'accès aux fonctions, aux "jobs", on refuse d'engager une personne à cause de son âge. Remarquez bien qu'on peut refuser une fonction à une personne, parce qu'elle n'est pas en pleine santé, mais, à cause de son âge, cela ne me semble pas justifié. Alors, nous suggérons évidemment de l'ajouter.

Il y aurait lieu également d'ajouter — c'est une mention qui n'a pas été indiquéedans letextequ'on vous a soumis — dansl'article11:"Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion, préférence, fondé, notamment ou entre autres" parce que les fameux exemples de discrimination que vous avez donnés sont connus, sont presque reconnus maintenant unanimement, mais on peut supposer qu'il y a d'autres cas de discrimination qui ne sont pas ici indiqués, qui pourraient se présenter sûrement dans l'avenir, auxquels on n'a peut-être pas réfléchi et qui ont pour conséquence, vraiment, de priver une personne dans l'exercice de ses droits.

J'ajouterais le terme "notamment" pour couvrir des choses qu'on ne prévoit pas immédiatement. Ce sera toujours au juge à l'interpréter, évidemment, mais c'est interprétable. De la discrimination, c'est de la discrimination.

L'article 14: "Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un bail ou autre acte juridique". On vous suggère d'amender, pour ajouter: "Nul ne peut, par discrimination, refuser directement ou indirectement de conclure un bail ou un autre acte juridique". Cet amendement a pour but de couvrir les cas de refus déguisés par une acceptation de conclure un acte juridique, mais à des conditions exorbitantes. On peut très bien dire: Madame, très bien, on va vous louer le logement, mais au lieu de vous le louer $150, on vous le loue à $325 par mois. C'est un exemple forcé et un peu maladroit, mais c'est pour vous montrer qu'il y a bien des façons de déguiser un refus de conclure tout acte juridique, parce que tout acte juridique couvre tous les actes juridiques au sens de la loi. Il y a bien des façons de refuser subtilement un acte, de conclure un acte juridique, par discrimination.

L'article 16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, etc. Nous suggérons d'ajouter "recrutement" avant "embauche". Malgré ce que semble avoir dit la ligue — parce que j'ai lu rapidement le mémoire, je ne l'ai pas entendue présenter son mémoire ce matin — nous avons trouvé que le texte de loi nous apparaissait assez fréquemment une mauvaise traduction — peut-être que le terme mauvais est un peu fort — mais une traduction littérale du texte anglais. Il semble — après en avoir discuté avec une personne d'expression anglaise — que le terme an- glais "hiring" pouvait comprendre "recrutement" alors que le terme français "embauche" ne le comprend pas. Avant d'embaucher quelqu'un, il faut recruter la personne. Cela peut couvrir un tas de facteurs. Cela peut couvrir autant une annonce sur un babillard, que cela peut couvrir également la publicité, également les questionnaires qui seront présentés aux personnes.

Le terme "recrutement" semble couvrir l'étape avant l'embauche, si vous voulez.

L'article 43: "Tous doivent recevoir un traitement ou un salaire égal pour un travail égal". Nous suggérons que cet article soit amendé comme ceci: "Tous doivent recevoir des rétributions et avantages équivalents pour un travail équivalent et exécuté dans des conditions équivalentes".

Cet amendement a pour but de couvrir les avantages sociaux et les conditions de travail qui pourraient ne pas être équivalents pour des individus occupant sensiblement les mêmes fonctions.

On a fouillé dans le dictionnaire Robert pour essayer d'avoir le terme le plus large possible pour couvrir les salaires et toutes formes de rétribution d'un emploi. Rétribution semblerait le terme assez général pour couvrir tant salaire que rémunération, que toute forme de paiement, toute forme de paiement en contrepartie d'un service fourni.

Nous vous suggérons "rétribution et avantages", parce qu'on pourrait supposertrès bien le cas où la personne aurait le même salaire, mais n'aurait pas les mêmes bénéfices marginaux. C'est pour cela qu'on vous indique "avantages équivalents" pour un travail équivalent évidemment, parce qu'on pourrait très bien, pour desfonctions à peu près équivalentes ou des responsabilités à peu près équivalentes, coiffer la fonction de termes différents. C'est pour cela qu'on vous indique "fonction équivalente" exécutée dans des conditions équivalentes, parce qu'on pourrait également... Deux personnes qui ont les mêmes responsabilités pourraient, par exemple, avoir des conditions matérielles tout à fait différentes. Une pourrait travailler au sous-sol, par exemple, l'autre, occupant les mêmes fonctions, pourrait travailler au troisième étage avec des grandes vitres. C'est un détail, mais cela a quand même son importance.

C'est pour couvrir tous les cas possibles de discrimination qui entourent le travail.

L'article 45. Oui, l'article 45, je me répète, je répète ce que beaucoup de gens, d'organisations sont venus débattre ici. Le premier paragraphe de l'article 45 nous apparaît très satisfaisant, parce qu'il ne restreint pas l'interprétation de la charte aux droits énoncés, mais plutôt même d'autres droits qui ne sont pas prévus dans la charte.

Au paragraphe 2, nous suggérons une modification qui serait celle-ci: "Elle ne doit pas non plus s'interpréter de manièreàaugmenter, restreindreou modifier la portée de toute disposition des lois actuellement en vigueur". C'est ce que nous suggérons, au lieu de "toute disposition de la loi". Autrement dit, c'est presque une demi-mesure entre le fait de rendre pratiquement cette charte rétroactive aux lois actuellement en vigueur. Nous suggérons, nous, que les lois actuellement en vigueur demeurent telles quelles, à moins d'être amendées, conformément

aux droits accordés dans cette charte par la suite. Pour les lois qui seront adoptées dans l'avenir, c'est-à-dire postérieurement à l'adoption de cette loi, de la charte, nous suggérons d'ajouter le paragraphe 3 qui se lit comme suit: "Toute loi du Québec postérieure à la présente loi doit s'interpréter..." Je ne vous le lis pas. Vous connaissez ce paragraphe qui se trouve, d'ailleurs, sensiblement dans la Déclaration canadienne des droits de l'homme.

Evidemment, les modifications que nous suggérons visent à rendre cette loi fondamentale, d'ordre public et quasi constitutionnelle que toutes les lois futures devraient respecter. Nous trouvons cela, évidemment, essentiel pour que les droits et libertés des citoyens soient vraiment sauvegardés.

L'article 49: Nous suggérons que la commission soit composée d'au moins cinq membres et non de trois membres, parce que cinq membres seraient sûrement plus représentatifs des différentes tendances sociales, quant au sexe, groupe ethnique, etc. Ils sont nommés par l'Assemblée nationale sur la proposition du premier ministre pour un mandat et n'excédant pas cinq ans. Nous suggérons que le mandat des commissaires n'excède pas cinq ans à l'instar de la Loi du conseil du statut de la femme, dont la présidente est nommée pour cinq ans, je crois, et la Loi du Protecteur du citoyen; parce que nous croyons qu'un terme de dix ans est trop long. Une personne nommée pour un terme de cinq ans a amplement le temps de faire valoir ses qualités.

Nous ajoutons également un paragraphe à cet article: Au moins un des membres de la commission doit être du sexe féminin. Nous disons bien: Au moins un. Pourquoi au moins un des membres? Parce que, les femmes constituent le groupe, actuellement, dans la société, qui subit le plus de discrimination. Ce sont vraiment les personnes les plus représentatives du problème de la discrimination. Donc, au moins une femme doit être nommée à la commission, doit être nommée commissaire pour faire valoir au moins ses connaissances et être représentative pour tout ce qui regarde les problèmes de discrimination.

L'article 58: La commission doit notamment faire enquête dans tous les cas de discrimination qui relèvent de sa compétence. C'est l'article 58 a) que nous retrouvons actuellement. Nous suggérons que "la commission doit notamment faire enquête dans tous les cas de non-respect de la présente loi". Un instant! Je vois une petite erreur, je pense. Ah oui! L'article 58a) semble restrictif, puisqu'il accorde des pouvoirs à la commission de faire enquête seulement dans les cas de discrimination.

Or, il y a lieu de protéger les droits et libertés des individus, non seulement dans les cas de discrimination, mais dans tous les cas où la personne est lésée dans ses droits et libertés fondamentales inscrites dans la présente loi. Il n'y a pas que le problème de discrimination qu'on retrouve dans cette loi. On énonce les droits et libertés des individus. Egalement, dans l'exercice de ces droits et libertés, il y a le problème de discrimination qui s'applique à tous les cas d'exercice de droits et libertés de l'individu.

Nous trouvons que c'est donner un pouvoir restrictif à la commission que de faire enquête seulement dans les cas de discrimination.

L'article 58 b) se lit comme ceci: "établir un programme d'information et d'éducation, destiné à faire comprendre et accepter l'objet et les disposi-tionsde la présente loi." Il n'y a pasde problème pour cet article, il est exactement le même.

L'article 60, tel que libellé: "Toute personne qui a raison de croire qu'elle a été victime de discrimination au sens des articles 11 à 17 de la présente loi peut adresser par écrit une demande d'enquête à la commission."

Nous suggérons que toute personne qui a raison de croire que ses droits et libertés ont été lésés, au sens de la présente loi, peut adresser, par écrit, une demande d'enquête à la commission. Evidemment, à l'instar de l'article 58, sous-alinéa a), tel qu'inscrit dans le projet de loi, l'article 60 ne permet qu'à une personne qui est victime de discrimination d'adresser une demande d'enquête à la commission. Toujours dans la même lignede pensée, nous suggérons que toute personne qui a raison de croire qu'elle est lésée dans tous ses droits, inscrite dans la loi, puisse avoir le pouvoir de demander une enquête à la commission. C'est toujours dans le même esprit.

L'article 61 est pratiquement au même effet. On donne le droit au groupe de personnes voué à la défense des droits et libertés de la personne ou au bien-être d'un groupe de personnes, qui a raison de croire que s'est commise une discrimination visée à l'article précédent, de demander, également, par écrit, de faire une demande d'enquête au nom d'au-trui, etc. Nous suggérons que tout groupe de personnes ainsi voué à la défense des droits et libertés de la personne, etc., peut également, par écrit, faire une demande d'enquête au nom d'autrui dans tous les cas où les droits et libertés d'une personne n'ont pas été respectés au sens de la présente loi et non seulement dans les cas de discrimination.

C'est toujours la même ligne de pensée. C'est donner davantage de pouvoirs à la commission, non seulement des pouvoirs d'enquête dans les cas de discrimination, mais dans tous les cas où les droits et libertés de la personne sont lésés, en vertu de la présente loi.

Ce sont là principalement nos remarques. Le projet de loi nous paraît acceptable dans son ensemble et nous nous devons de féliciter le gouvernement de l'avoir présenté. Cependant, nous ne pouvons nous empêcher de déplorer le texte français, qui est, en général, une mauvaise traduction littérale du texte anglais. C'est ce que j'ai trouvé. Je ne suis pas une linguiste, je suis avocate. A un moment donné, cela ne m'a pas paru très clair.

M. Burns: Me Lasalle, vous êtes la première à le dire, mais je pense qu'il y avait beaucoup de gens qui se posaient la même question que vous.

Mme Lasalle: J'en suis bien heureuse. A titre d'exemple, à l'article 1 : Tout être humain a droit à la vie ainsi qu'à la sûreté et à la liberté de sa personne. En anglais, on dit: "Every human being has a right to life, and to personal security and freedom." Je me demande si la traduction est vraiment juste. Je vous répète que je ne suis pas une linguiste, mais je serais portée a vous suggérer peut-être de dire: Tout être humain a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa

personne. Cela me paraît plus clairet plus conforme au génie de la langue française. Je pourrais vous donner d'autres exemples. J'ai vu cela rapidement, c'était vraiment dans mes conclusions, parce que nous n'avons pas eu l'intention de refondre la loi, cela ne fait pas de doute, vous le comprenez bien, mais je vous le soumets pour ce que cela vaut.

L'article 18: Toute personne a droit d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale pour le redressement de griefs. En anglais: "Every person has a right of petition to the National Assembly for the redress of grievances." A droit d'adresser des pétitions — je ne sais pas si "pétition" est tout à fait français — à l'Assemblée nationale pour le redressement de griefs, je trouve, encore là, que c'est une construction qui est un peu boiteuse. Malheureusement, je n'ai pas de suggestion de rechange quant à cet article, mais cela me paraît une traduction assez littérale du texte anglais.

Le même dans l'article 45. J'ai compris l'article 45 de deux façons, c'est bizarre. Quand on lit votre article 45, 2e paragraphe, en français et en anglais: "elle ne doit pas, non plus, s'interpréter de manière à augmenter, restreindre ou modifier la portée de la disposition de la loi". En français, c'est "de la loi". En anglais, on dit "provision of law". Moi, j'ai regardé la loi et je me suis demandé si ça ne voulait pas simplement se rapporter à la première lecture. Je sais que c'est non, mais ça ne voulait pas simplement se rapporter à cette loi-ci alors qu'en anglais c'est clair, c'est "provision of law". C'est beaucoup plus large que de la loi.

M. Choquette: En langage législatif, la loi désigne toutes les lois et cette loi veut dire la loi actuelle.

Mme Lasalle: Très bien. Je vous remercie. Je continue. Nous ne pouvons également passer sous silence la structure de la loi, qui ne semble pas toujours ordonnée pour satisfaire à bon ou à mauvais droit notre esprit cartésien. Et je vous donne un exemple. Je vous soumets que je me demandais comment il se faisait que vos dispositions particulières concernant la discrimination se trouvent à la section 2. Moi, je vous suggère ça encore pour ce que ça vaut, j'aurais plutôt inscrit ça à la fin de tous vos droits, parce que votre discrimination ne s'applique pas à la section 1, elle s'applique à toutes vos sections de la première partie qui énoncent les droits.

Moi, je vous dis, je vous soumets que j'aurais inscrit ce chapitre après les droits économiques et sociaux qui énoncent les droits, voyez-vous, parce qu'il semble que vos dispositions particulières concernant la discrimination s'appliquent à tous les droits et libertés qui sont inclus dans cette charte-là, n'est-ce pas? N'est-ce pas?

M. Choquette: Oui, oui, oui.

Mme Lasalle:Oui,etalors, pourquoi lavez-vous mis après la section 1? Cela aurait dû plutôt venir après avoir énoncé tous les droits et libertés. Enfin, je vous soumets ça pour ce que ça vaut.

M. Choquette: Madame...

Le Président (M. Pilote): Je vous ferais remarquer, madame, que les membres de la commission ont droit de vous poser des questions, mais vous, vous n'avez pas le droit de poser des questions.

M. Choquette: Non, mais cela ne me fait rien, cette question. Normalement, vous avez peut-être un point intéressant, quoique évidemment la partie qui concerne la discrimination se rattache à l'exercice plutôt des libertés et droits fondamentaux, sans exclusion cependant, et on pourrait peut-être le situer à la fin, c'est une suggestion intéressante.

Mme Lasalle: Nous n'insisterons pas davantage. Nous ne nous sommes pas attardées à refond re toute la loi suivant ces remarques. L'essentiel des modifications à apporter concerne particulièrement l'article 45. Veut-on la loi simplement supplétive ou fondamentale et d'ordre public, quasi constitutionnelle, si vous voulez?

Le projet de loi tel que présenté n'est que supplétif. Il énonce de beaux principes dont la portée est grandement mitigée. Il ne faut pas oublier que l'un des piliers de notre système constitue le respect des droits et libertés de l'individu dans le respect des autres. Plus l'Etat devient puissant, plus les institutions et corporations deviennent puissantes, plus il faut être vigilant quant à la reconnaissance et l'exercice des droits des libertés de la personne. Le tout respectueusement soumis.

Le Président (M. Pilote): Le ministre de la Justice.

M. Choquette: M. le Président, je remercie la Fédération des femmes du Québec et celle qui la représente ce soir, en particulier Me Lasalle, pour un texte particulièrement clair et bien circonscrit quant aux amendements que suggère cet organisme. Les explications également qu'on nous a données sont concises et vraiment intéressantes et, je crois, plaident d'une façon convaincante en faveur d'un certain nombre de modifications. Alors, je félicite la fédération pour son travail, qui nous sera d'une très grande utilité.

Vous avez soulevé, parmi les considérants au projet de loi, la question d'un considérant qui serait relatif aux droits des femmes et des hommes et je trouve qu'il est intéressant. Je vais l'étudier et voir jusqu'à quel point il peut s'insérer dans le contexte de la charte. Vous avez mentionné le cas du statut civil et je vous ai répondu sur ce point-là. Finalement, vous soulevez la question de la non-discrimination pour motifs d'âge.

Je serais en principe d'accord, sauf qu'évidemment, il y a le cas des mineurs, qui ne bénéficient pas de la plénitude de leurs droits et qui sont quand même limités. Il faudrait peut-être suggérer que l'âge puisse être un facteur de non-discrimination, mais à la condition qu'on soit devant des personnes majeures. Je pense que ceci ne modifie peut-être pas sensiblement...

Mme Lasalle: Ce serait probablement une indication à y inclure. Remarquez bien que les mi-

neurs — je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous quant à l'interprétation des droits des mineurs — peuvent exercer tous les droits du citoyen. Le mineur jouit d'une protection particulière à cause de l'institution de la minorité et de la tutelle. Le privilège du mineur, c'est de pouvoir annuler, invoquer lésion dans le cas où il est lésé. Il peut donc exercer théoriquement tous les droits du citoyen ordinaire.

Donc, on ne peut pas dire réellement que le mineur subit de la discrimination. Comme question de fait, il bénéficie d'un privilège que les autres membres de la société n'ont pas, c'est-à-dire le pouvoir d'invoquer lésion si l'acte contracté ou le geste posé lui nuit.

M. Choquette: C'est exact, au point de vue du droit civil, vous avez raison. En droit contractuel, le droit du mineur, c'est de faire résilier le contrat, s'il a subi lésion.

Mme Lasalle: C'est cela.

M. Choquette: Cela ne l'empêche pas de contracter.

Mme Lasalle: Absolument.

M. Choquette: Cela n'empêche pas une personne de contracter avec lui. Mais il peut se faire que la portée des articles 11 à 17 ne soit pas exclusivement contractuelle. On peut facilement imaginer, admettons, un enfant de 15 ou 16 ans qui voudrait aller louer un logement d'un propriétaire. Le propriétaire pourrait peut-être dire: Ecoutez, je ne vous loue pas, parce que vous n'avez pas l'âge de la majorité, et je ne suis pas sûr qu'en contractant avec vous, vous ne pourrez pas faire annuler le contrat pour le motif de votre minorité et que vous allez en souffrir lésion.

C'est donc que je crois qu'il faudrait quand même faire une distinction dans le cas de la minorité. Il y a peut-être d'autres cas, aussi, au point de vue d'accès aux lieux publics. Vous savez, par exemple que nul ne peut, par discrimination, empêcher autrui d'avoir accès aux moyens de transport ou lieux publics, tels qu'établissements commerciaux, hôtels, etc. On connaît des articles de la Loi de la Commission de contrôle des permis d'alcool qui interdisent aux mineurs 'allerd ans des bars, par exemple. Voilà une disposition légale qui interdit l'accès à des mineurs dans un bar. Je pense que c'est une disposition que le législateur voudrait quand même conserver.

Je crois qu'on pourrait peut-être étudier votre suggestion sur la question de l'âge, mais en prenant en considération la minorité.

Mme Lasalle: Absolument. Remarquez que nous sommes d'accord avec vous.

M. Choquette: D'autre part, vous suggérez d'introduire le mot "notamment" devant toutes les causes de discrimination. J'ai un peu d'hésitation à abonder dans ce sens-là. En effet, à quoi allons-nous nous exposer, en introduisant le mot "notamment"? Cela veut dire que la liste des facteurs de discrimination n'est pas exhaustive.

Il pourrait très bien se produire qu'à un moment donné, des personnes refusent de contracter ou refusent de poser un certain nombre des actes qui sont prévus aux articles 1 à 17, en prenant d'autres facteurs en considération qui sont pertinents à l'exercice de leurs propres droits, parce qu'il y a quand même celui qui contracte avec une des personnes présumément victimes de discrimination dont il faut considérer la situation.

Est-ce qu'il est possible d'introduire la notion de discrimination sans la définir précisément par une énumération comme celle que nous avons et à la-quel le vous voulez que nous ajoutions le statut civil et l'âge?

J'ai des réserves à exprimer sur cela parce que je crois qu'on légiférerait peut-être un peu à l'aveuglette en introduisant la notion de discrimination purement et simplement, sans qu'elle soit qualifiée par un facteur de discrimination.

Mme Lasalle: C'est certain qu'on ne peut pas prévoir, à l'heure actuelle, ce que cela pourrait couvrir. Ce serait évidemment décidé par interprétation judiciaire, par l'interprétation des tribunaux. Mais c'est certain aussi, qu'à l'heure actuelle, je ne crois pas qu'on ait touché a tous les cas de discrimination.

M. Choquette: On a essayé de toucher aux principaux.

Mme Lasalle: Aux principaux.

M. Choquette: On a examiné les législations étrangères et on a essayé de ramasser, en somme, l'ensemble des facteurs discriminatoires qui peuvent jouer et qu'on peut circonscrire. En introduisant le mot "notamment", je crains un peu qu'on ne voie pas exactement quelle serait la portée de l'article et que cela puisse introduire d'autres facteurs discriminatoires qu'on ne puisse même pas soupçonner à l'heure actuelle.

Mme Lasalle: Absolument. C'est malheureusement exact. On ne peut pas saisir exactement toute la portée quand on indique "notamment".

M. Choquette: Oui.

Mme Lasalle : Cela serait laissé à l'interprétation d'un tribunal, suivant les faits bien pertinents présentés.

M. Choquette: II s'agit de savoir s'il faut que la loi soit claire et précise, comme vous nous y avez incités tout à l'heure. Je cherche de la clarté aussi dans un texte de loi et non de l'incertitude. De toute façon, on va y réfléchir.

Pour le recrutement, je crois que vous avez des observations intéressantes. A l'article 45, c'est tout le débatsurlaquestion de la force transcendante de la loi sur d'autres lois. Je pense qu'on en a discuté amplement. Vous avez peut-être assisté à la séance de la commission hier. Il en aété question à pi usieurs reprises au cours de la discussion durant la journée. Il y a différents facteurs qu'il faut prendre en considération. Je vous répète ce que j'ai déjà dit. J'avais pris

une option dans ce projet de loi. Je n'ai pas fermé la porte au réexamen ou à une autre option, mais je suis content d'avoir des observations dans le sens de celles que vous exprimez. Je vais peser le tout pour prendre une décision qui me paraîtra conforme à l'intérêt législatif.

Mme LasaIle: Pensez du moins...

M. Choquette: Comme je vous dis, je n'ai pas classé la question. La question n'est pas réglée d'une manière absolue et je prends en considération votre proposition.

Vous suggérez, à l'article 49, que la commission soit composée d'au moins cinq membres et vous avez mentionné l'intérêt qu'il y a d'avoir un groupe qui soit représentatif de tous les éléments de la société. Je suis parfaitement d'accord avec vous. Peut-être y aurait-il lieu de l'augmenter à cinq membres comme vous le suggérez. En principe, je n'ai aucune espèce d'objection à inscrire au projet de loi qu'il devra y avoir une femme parmi les cinq. De toute façon, vous pouvez être assurée qu'il y en aura au moins une en fait...

Le Président (M. Pilote): Avocat.

M. Choquette: Pas nécessairement avocat, elle pourrait être avocat ou non. Là, il faut peser...

Mme Lasalle: Une personne vigilante.

M. Choquette: II faut prendre en considération ce que vous nous dites et peut-être ce que votre précédesseur à la barre nous a dit, M. Rivest, qui lui veut voir le moins d'avocats possible.

Mme Lasalle: C'est une question de point de vue.

M. Choquette: Oui.

M. Burns: II a bien raison pareil. C'est un avocat qui vous le dit.

M. Choquette: De toute façon, il est sûr et certain qu'une femme devra faire partie de la commission. Est-ce que nous l'inscrirons dans le texte de loi? C'est ce que vous aimeriez.

Mme Lasalle: Ce n'est pas ce que nous aimerions, c'est ce que nous voulons voir. Nous ne voulons pas laisser cela à la discrétion — évidemment, c'est l'Assemblée nationale qui nomme les membres des commissions, si j'ai bien compris le texte, avec le "s" à nommés — mais nous voulons que ce soit inscrit dans la charte. Vous êtes bien disposés, semble-t-il, à nommer un membre de sexe féminin à la commission, peut-être que des gouvernements à venirneseraientpasautantdisposés. Nous insistons pour que cette inscription y soit, qu'il y ait au moins une femme nommée à la commission.

M. Choquette: Je me rends. Mme Lasalle: Merci.

M. Choquette: Si nous ne l'avons pas fait au point de départ, c'est parce qu'il fallait prendre en considération les autres groupes. Mais je pense que, vu l'importance du groupe féminin, il va falloir amender le projet de loi dans ce sens.

Mme Lasalle: Vous ne vous en étiez pas rendu compte avant?

M. Choquette: Nous nous en rendions compte, mais nous considérions qu'il fallait que la commission comporte quand même des membres masculins — peut-on dire — .

On pourrait considéreraussi qu'il fallait qu'il y ait des représentants des groupes minoritaires ou ethniques. Je n'ai aucune objection même à m'engager ce soir à ce qu'il y ait une disposition qui prévoie qu'il y aura au moins une femme parmi les membres de la commission.

Mme Buisson (Ghislaine Patry): Comprenez-nous bien, d'ailleurs, que M. le ministre a déjà reçu un télégramme à cet effet que nous voulions des femmes, mais une femme au moins, une femme, cela devrait être inscrit dans la loi. C'est bien sûr que ce que l'on souhaite, c'est qu'on vise toujours dans les commissions à des proportions égales. On a parlé du pourcentage, si vous voulez être réalistes, là...

M. Choquette: Voyez-vous comme je suis facile à convaincre. Si, par exemple, on avait toujours des suggestions comme celles que vous présentez, je les accepterais constamment.

M. Burns: C'est parce que c'est trop facile, dans ce cas.

M. Choquette: Pardon?

M. Burns: C'est trop facile. D'ailleurs, tout en étant d'accord sur votre mémoire, Me Lasalle, dans son ensemble, je suisd'accord sur vos recommandations, j'ai un reproche à vous faire et c'est justement à ce niveau que je vous le fais. Je trouve que vous quémandez un poste. Ou s'il y a un geste, à mon avis, discriminatoire à l'endroit des femmes, c'est de quémander un poste. Vous n'avez pas à quémander un poste. Vous avez à exiger la moitié de la commission. Si les femmes représentent la moitié au Québec, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas la moitié des membres de la commission qui seraient des femmes. Si on me dit comme objection, éventuellement, qu'il faut trouver des gens qui représentent tel et tel secteur, si on me dit, par exemple: Le mouvement ouvrier doit être représenté, il y en a des femmes dans le mouvement ouvrier. ll y en a des femmes dans les milieux professionnels. Vous êtes un bel exemple, ce matin, Me Audette-Filion est venue parler au nom du Barreau. Il y a des femmes dans toutes les disciplines. Il me semble que si on doit, à un moment donné, poser le problème carrément de la participation de la femme à cette charte des droits de la personne, on ne doit pas, surtout pas un groupe de femmes, venir demander — je ne ledis pas méchamment — mais je vous dis...

Mme Lasalle: Je ne suis pas insultée.

M. Burns: Non, mais c'est parce que je vous voyais froncer les sourcils. Je suis toujours sensible quand une femme fronce les sourcils à ce que je dis. C'est blague à part que je dis cela. Sérieusement, c'est le reproche que je fais. Je ne pense pas que vous devez quémander un poste. Je m'excuse de déborder un peu, j'ai été dans le mouvement ouvrier pendant une période de temps avant d'être en politique, il y a une chose contre laquelle je me suis toujours battu, dans le mouvement ouvrier dans lequel j'étais, c'est qu'on réservait des postes à des femmes. Je trouvais vraiment que c'était une forme de discrimination à l'endroit des femmes. On semblait vouloir dire, nous, les hommes, que les femmes, par leur simple compétence, ne pouvaient pas accéder à ces postes, donc on leur en réservait quelques-uns. Je pense que c'est une mauvaise approche, je le pense carrément et ouvertement. Je sais que madame la présidente a atténué cette chose qui rend mon reproche un peu moins dur, par les remarques que vous venez de faire, mais il me semble que c'est une exigence de base que vous devriez avoir. Il n'y a pas de ni ci, ni ça, comme on dit, il y a 50% ou à peu près puis un peu plus de femmes au Québec, elles devraient y avoir 50% de représentation au sein de la commission et sans aucune espèce de discussion. Le ministre de la Justice ne devrait pas avoir l'air d'être en train de vousfaire un cadeau, comme il vient de le dire.

M. Choquette: Je n'ai pas dit cela.

M. Burns: Je me rends, dit-il. Je me rends à cette demande qui est très raisonnable. Bien oui, elle est très raisonnable, un sur trois, un sur cinq, ou un sur sept, bien oui. Je me rends. Il est bienveillant à l'endroit des femmes, il vient de se rendre compte qu'il y a des femmes au Québec.

Bon! Il me semble qu'il ne devrait pas y avoir de "lésinage" là-dessus, il me semble que c'est clair. Il me semble que même le ministre de la Justice, dès ce soir, devraitvousdire: II me semble que c'est normal que, comme représentation proportionnelle de notre population, il devrait y avoir au moins la moitié. Ce n'est pas ce qu'il a dit, il a dit: Au moins une femme, je suisd'accord là-dessus. Cela, ce n'est pas s'engager à grand-chose. Je pense que vous ne l'auriez pas demandé qu'il l'aurait apporté, imaginez-vous!

Mais que, ce soir, il vienne nous dire qu'il s'engage d'avance à ce qu'il y ait 50% des femmes à la commission...

M. Choquette: Au plus...

M. Burns:...à ce moment-là, je vais dire: Là, il ne se rend pas à quelque chose, il reconnaît quelque chose; il reconnaît une situation de fait, tout simplement.

Mme Buisson: M. Burns, c'est sûr qu'on tient à ce qu'il y ait des femmes, mais il y a une affaire aussi, c'est que, parfois, pour siéger à des commissions, on ne demande pas d'avoir des femmes parce qu'elles sont des femmes, on demande d'avoir des femmes parce qu'elles sont des individus. Je ne vois pas pourquoi, c'est pour sa compétence qu'elle doit être là, c'est pour ce qu'elle représente, c'est un individu. C'est pour cela qu'à un moment donné, dire: On va mettre des femmes. Je me souviens que je l'ai déjà demandé, pour le bill 22, à cette commission. M. Lalonde a dit: II y aura des représentants des groupes ethniques, des représentants des femmes, et ci, et ça. On dit: Non, il faut que ce soient des individus. C'est pour cela qu'on dit qu'il faut qu'il y ait au moins une femme, parce que là, elle est représentante d'une partie des gens qui subissent beaucoup de discrimination. Les autres personnes, ce sont des individus aussi. Elle aussi est un individu mais qu'on ne dise pas: Là, il faut des femmes; il n'y a peut-être pas la personne qui a la compétence, mais il faut mettre une femme. C'est très important. Avant, on mettait des hommes, parce que c'étaient des hommes et on se foutait de la compétence; des fois, il y avait des femmes plus compétentes et on ne les mettait pas là. Alors, ce ne sont pas des privilèges qu'on demande. Il y a des femmes qui sont compétentes dans différents domaines; avant, je pense qu'on n'en tenait pas compte. Dorénavant, il faudra en tenir compte.

M. Burns: Bien oui, mais écoutez, je vous avoue que je ne poserais pas le même problème si on parlait d'un conseil consultatif de l'industrie de la construction. Que voulez-vous, dans l'industrie de la construction, qu'on le veuille ou non, sinon comme consommatrices, il y a très peu de femmes qui sont, si on parle de relations de travail dans le domaine de la construction, immédiatement concernées, sinon comme épouses. Bon.

Mme Buisson: On ne peut pas demander cela, parce qu'on serait drôlement embêtées d'en suggérer.

M. Burns: Non, non, mais là, on parle d'autre chose que cela; on parle de droits de la personne et toute votre argumentation, sur laquelle je suis entièrement d'accord sous cet angle, et l'argumentation du Réseau d'information des femmes du Québec est basée sur le fait que vous êtes aussi intéressées, sinon plus, à cause du plus grand nombre de cas de discrimination qui se dirigent vers les femmes. Je ne pense pas me tromper en disant que vous êtes au moins aussi intéressées que les hommes à voir à ce que non seulement il n'y ait pas de discrimination mais que les droits, les libertés fondamentales soient respectés au Québec.

A ce titre,je dis qu'il me semble que, peu importe le nombre de gens qu'on décidera en définitive qui devront former la commission, que ce soit trois, que ce soit cinq, que ce soit sept, que ce soit huit, que ce soit six, on devrait être capable de trouver, comme vous venezde le dire, autant de femmes compétentes que d'hommes dans ce domaine pour y aller siéger. C'est ce que je dis.

Mme Lasalle: Nous sommes évidemment d'accord pour qu'il y ait le plus de femmes possible, je ne dis pas...

M. Burns: Je ne vous demande pas...

Mme Lasalle: ...de monopoliser cette commission par les femmes.

M. Burns: Je m'excuse, je n'ai pas à vous dire ce que vous avez à nous dire ici, mais je ne veux même pas vous entendre dire que vous voulez en avoir le plus possible. Il me semble que ce ne serait que normal que vous disiez...

Mme Lasalle: Vous savez, comme moi...

M. Burns: ...qu'il faut qu'il y en ait au moins autant que les hommes.

Mme Lasalle: Mais oui, mais vous savez que ce n'est pas une participation...

Mme Buisson: On n'est pas contre cela.

Mme Lasalle: ...qui est respectée dans le système actuel, c'est pour cela qu'on le mentionne.

M. Burns: Vous êtes ici pour le changer, le système, il me semble.

Mme Lasalle: Absolument.

M. Burns: Bravo! Vous voulez le changer comme il le faut, là?

Mme Lasalle: Tel qu'on vous l'a suggéré. M. Burns: C'est la place pour le dire, là.

Mme Lasalle: Tel qu'on vous l'a suggéré. Evidemment, on a exigé, nous, une femme, parce qu'on a tenu pour acquis que le devoir de la commission étant de faire enquête non seulement dans les cas de discrimination mais dans tous les cas où les droits et libertés de la personne seraient lésés, la femme nommée est particulièrement représentative de la gent féminine concernant la discrimination sur ce point donné. Evidemment, dans les autres domaines, s'il y a des femmes qui sont compétentes pour représenter d'autres problèmes de droits et libertés des individus, nous sommes tout à fait d'accord qu'il y ait une personne de nommée mais pour les problèmes de la femme, spécifiquement, que ce soit au moins une femme.

M. Burns: Je trouve, entre autres, qu'heureusement — à moins que le ministre change son projet de loi — on aura l'occasion de discuter ces nominations à l'Assemblée nationale. Je tiens à vous dire qu'au nom de l'Opposition officielle, nous aurons à nous battre pour cette égalité, quand les nominations viendront, au point de vue du nombre. Je vous dis tout de suite que je vais me battre à mort pourque ce soit comme cela.

Mme Buisson: Bravo!

M. Burns: Je prétends qu'on devrait, pour une fois, reconnaître un fait, qu'on ne nommera pas des femmes parce que ce sont des femmes, mais reconnaître des femmes parce qu'elles ont aussi des compétences dans certains domaines. Pourquoi, par exemple, le représentant — au sens neutre du mot — des corporations professionnelles ne serait-il pas une femme, dans ce cas-là? Pourquoi le représentant du milieu du travail ne serait-il pas une femme, dans ce domaine? Ce sont des choses tout à fait compréhensibles.

Mme Lasalle: Nous sommes tout à fait d'accord.

M. Burns: Vous avez des compétences dans ce domaine et ce serait peut-être la meilleure occasion de le démontrer, M. le ministre, de dire qu'il y a du monde compétent dans ce domaine qui est autre chose qu'un gars qui porte des pantalons, il me semble.

M. Choquette: II n'est pas question de faire une part limitée inutilement aux femmes, pas du tout. Il me semble que l'intention du projet de loi est assez claire. Si on prend, par exemple, l'article 43, sur lequel vous avez fait quelques suggestions, où on adopte le principe de l'égalité de traitement, il me semble que ce sont les femmes qui vont principalement retirer les avantages de cette partie de la loi.

Il est certain que c'est l'intention du gouvernement de faire une part importante aux femmes. Je crois que le gouvernement l'a prouvé, il a créé le Conseil du statut de la femme et il n'est en aucune façon insensible aux revendications qui se manifestent de ce côté. Pour le moment, j'ai dit que nous étions prêts à accepter la suggestion que vous avez formulée dans votre mémoire. Cela ne veut pas dire que ce serait seulement une femme, ce n'est pas ce que cela veut dire, mais, comme vous l'avez dit vous-même et comme le député de Maisonneuve, je crois, l'a relevé lui-même par la suite, il s'agit d'avoir des femmes compétentes et de ne pas les nommer exclusivement parce qu'elles sont femmes. A ce moment-là, je pense que c'est humiliant pour les femmes et pour le groupe que vous représentez.

Mme Lasalle: Certainement.

M. Choquette: Quant aux autres suggestions...

M. Burns: Là-dessus, on est d'accord, remarquez.

M. Choquette: ...là, c'est sur le pouvoir d'enquête de la commission, vous voulez que la commission soit habilitée à enquêter non seulement sur les cas de discrimination mais sur toute infraction à la loi. Vous n'étiez peut-être pas ici ce matin, lorsque nous en avons discuté.

J'ai signalé au Barreau que donner à la commission le pouvoir et le devoir d'enquêter sur toutes les infractions qui pourraient être commises contre cette loi et pas seulement sur les articles pertinents à la discrimination ferait qu'on créerait une énorme commission, une énorme bureaucratie nouvelle à côté du système judiciaire alors que, dans l'article 44, nous avons fait en sorte qu'il y ait des recours pour les violations à la loi et non seulement pour les violations

des dispositions pertinentes à la discrimination mais toutes les violations de la loi.

Vous savez avec moi quels sont les problèmes du système judiciaire actuel de s'occuper du volume des causesque nous avons. Si on est pour envisager d'envoyer un volume d'affaires énorme à cette future commission, je crains qu'on entraîne un peu sa paralysie. C'est pour cela que nous n'avions pas prévu de pouvoirs d'enquête pour les violations autres que celles qui sont pertinentes à la discrimination.

Mme Lasalle: Remarquez, M. le ministre, que le droit accordé à l'individu lésé prévu par l'article 44 est également donné à l'individu qui est lésé à cause de discrimination.

M. Choquette: Vous avez raison.

Mme Lasalle: Alors, cela ne se contredit pas.

M. Choquette: Non. L'article 44 ne contredit pas le pouvoir d'enquête.

Mme Lasalle: Absolument pas.

M. Choquette: L'article 44 offre un recours pour faire valoir un droit, quel qu'il soit, devant les tribunaux mais, dans le cas de discrimination, il y a des dispositions au sujet de l'enquête.

Mme Lasalle: Absolument. C'est un droit additionnel accordé dans le cas de discrimination.

M. Choquette: Oui. Mais si nous devions donner suite à votre suggestion, je craindrais qu'on envoie un volume énorme d'affaires à la commission et qu'on la surcharge tellement que la commission devienne inefficace.

Mme Lasalle: II me semble que lorsque c'est dans le but de protéger les droits et libertés des citoyens, s'il y a tant de problèmesde sauvegarde des droits et libertés des citoyens, il faut prendre les moyens pour corriger ces problèmes. Ce n'est pas parce que cela va peut-être demander une somme de travail énorme qu'on doit enlever les pouvoirs d'agir à un organisme quelconque. D'autant plus que qu'est-ce que l'individu va faire, seul, quand il est lésé dans ses droits autrement que par discrimination? La commission est une aide importante. Elle fait enquête et elle s'adresse elle-même pour l'individu, si j'ai bien compris la loi, au tribunal.

C'est très important. L'individu, àce moment-là, est appuyé par la commission, ce qui lui accorde une aide gigantesque. Seul, l'individu aurait de la misère à faire valoir cela.

M. Choquette: Evidemment, cela lui apporte une aide. C'est incontestable.

Mme Lasalle: Enorme.

M. Choquette: Non, mais c'est incontestable. Mais, d'un autre côté, on ne peut pas faire en sorte que la commission s'engage à prendre et à assumer toutes les causes des individus. On l'a fait dans le cas de la discrimination parce que, là, dans le cas de la discrimination, il s'agit souvent de cas où la vérification de l'infraction est assez délicate et est assez difficile.

Mme Lasalle: Sûrement. C'est très subtil.

M. Choquette: On sait que la discrimination est difficile à prouver. Celui qui discrimine va employer des faux-fuyants pour donner d'autres motifs pour lesquels il a pris certaines décisions que de dire la vérité, dire: J'ai discriminé.

C'est la raison pour laquelle le pouvoir d'enquête de la commission, dans ces cas, non seulement est utile pour vérifier les faits et faire des recommandations à la personne discriminée et à la personne qui a causé la discrimination. Tandis que, dans les autres cas, il s'agit de droits qui sont nettement plus clairs, nettement plus établis et où la difficulté de la preuve n'est pas la même, sans compter l'aspect du volume énorme de travail.

Mme Lasalle: Oui mais, M. le ministre, vous avez vous-même prévu un article dans la loi, l'article 66. qui dit: "La commission doit toutefois refuser de faire ou de poursuivre une enquête lorsqu'elle constate qu'elle n'a pas compétence en vertu de la présente loi ou que le requérant dispose d'un recours également adéquat."

Donc, la lourdeur de la commission est allégée par cet article puisque que dès qu'il y a un autre recours adéquat, elle doit refuser. Donc elle-même, la commission, s'est prémunie contre un volume énorme alors que les problèmes pourraient être déférés ou réglés autrement.

Je ne vois pas de problème. La commission agit en vertu de la loi, quand elle ne peut pas faire autrement qu'agir, puisqu'elle ne doit pas s'occuper d'enquêtes, dans le cas où le requérant dispose d'un recours également adéquat.

M. Choquette: Oui, mais écoutez. A l'article 66, je ne suis pas parfaitement satisfait, même moi, de la rédaction de cet article. Je ne voudrais en aucune façon donner à la commission un pouvoir de se défiler devant certaines enquêtes. Il ne s'agit pas de cela du tout.

Si on a introduit des dispositions de ce genre, aux articles 66 et 67, qui permettent à la commission de refuser de faire ou de poursuivre une enquête lorsqu'elle estime que le requérant n'a pas un intérêt suffisant, que la demande est frivole, vexatoire, etc., ou faite de mauvaise foi, c'est parce qu'on veut éviter que si quelqu'un arrive avec des circonstances qui sont évidemment frivoles et qu'il n'y a rien là-dedans, cela ne force pas la commission à faire une enquête dans une matière qui ne le mérite pas. C'est aussi simple que cela. Ce n'est pas pour donner une porte de sortie à la commission pour agir d'une façon arbitraire.

Vous savez comme moi qu'un organisme comme une commission telle que celle-là doit agir judiciairement. Même s'il a une certaine discrétion, il doit agir en exerçant cette discrétion d'une façon judiciaire.

Mme Lasalle: Judiciaire.

M. Choquette: La portée des articles 66 et 67 ne donne pas à mon sens un droit à la commission de se refuser arbitrairement à procéder à des enquêtes.

Sur la portée précise des mots "d'un recours également adéquat", je ne peux pas dire que je suis très satisfait de cette rédaction, parce qu'il me semble qu'aussitôt qu'on est devant un cas de discrimination et qu'il y a matière à enquête, la commission doit enquêter; elle doit enquêter dans ces circonstances. Elle ne peut pas dire: Ecoutez, vous avez un recours suffisant devant les tribunaux et on refuse de faire une enquête. Il me semble que...

Mme Lasalle: Fort possible.

M. Choquette: Ce n'était pas l'objectif que je visais en tout cas.

Mme Lasalle: Mais c'est bel et bien inscrit dans la loi...

M. Choquette: C'est ce qui est écrit...

Mme Lasalle: ...et cela vous préserve d'ailleurs contre un monstre de commission, alors qu'il y aurait d'autres recours appropriés à côté.

M. Choquette: Comme quoi? Comme lesquels?

Mme Lasalle: Je ne sais pas. Vous nous avez dit que la commission ne doit pas finalement être un monstre pour s'occuper dans les faits de tous les droits des citoyens.

M. Choquette: II faut se reporter, je crois, à la jurisprudence qui a été créée par le Protecteur du citoyen. Cette disposition, sur les recours également adéquats, existe dans la Loi du Protecteur du citoyen. L'interprétation du Protecteurdu citoyen aété que, lorsque le recours devant les tribunaux offrait des difficultés, etc., ou n'était pas absolument fondé en droit, mais était fondé en équité, acceptait quand même d'examiner le cas.

Par exemple, un justiciable a une réclamation à l'égard du gouvernement. Si, même en dehors du droit écrit et des règles de droit, le justiciable a un recours équitable, purement et simplement équitable, qui n'a pas de fondement juridique, le Protecteur du citoyen va quand même prendre ces causes et va faire des suggestions à l'administration en disant: II n'y a peut-être pas de raison en droit, parce que vous avez exercé, par exemple, une discrétion administrative, mais je considère qu'équitablement, vous devriez donner raison à ce citoyen qui se plaint de l'administration. Il va accepter le cas.

Cela vient de la Loi du Protecteur du citoyen qui a été interprétée largement par le Protecteur du citoyen, c'est-à-dire qu'il accepte beaucoup plus de recours qu'on aurait pu penser, en vertu du texte de la loi, s'il avait été interprété littéralement.

Mme Lasalle: Je pense d'ailleurs que c'est excellent d'interpréter largement, parce qu'on ne peut pas prévoir à l'heure actuelle tous les cas qui vont se présenter.

M. Choquette: Non. Par contre, il faut être pratique. Aller donner un volurne énorme d'affaires à une commission qui commence...

Mme Lasalle: On ne le sait pas. On ne sait rien. Il faut être pratique, mais on n'a pas de commission. On ne le sait pas.

M. Choquette: Mais, écoutez, c'est la loi la plus étendue au Canada, à ma connaissance à l'heure actuelle, au point de vue des droits qu'elle confère.

Je ne voudrais pas tellement surcharger la commission qu'au fond, son travail devienne inefficace.

Mme Lasalle: Si vous la dotez de subsides. M. Choquette: II va y avoir des subsides. Mme Lasalle: II n'y a pas de problème.

M. Choquette: Ecoutez, c'est tout ce que j'avais à dire. Je vous remercie de votre mémoire, et vous pouvez être sûre que nous allons considérer tous les aspects des questions que vous avez soulevées.

Le Président (M. Pilote): Le député de Maisonneuve.

M. Burns: J'ai simplement une dernière question qui va peut-être vous paraître un peu bizarreet peut-être un peu délicate, puisque cela ne concerne pas comme telle votre fédération. Mais vous êtes un groupe de femmes, et d'ailleurs, je m'en veux un peu de ne pas l'avoir demandé au réseau qui est venu en fin d'après-midi également, en consultant la liste des gens qui viendront témoigner demain, je me rends compte qu'il y a au moins trois groupements qui défendent les intérêts d'homosexuels. Ils vont venir je présume, ayant jeté un coup d'oeil sur leur mémoire, plaider en faveur de l'introduction, entre autres, dans l'article 11, de l'aspect de l'homosexualité comme étant une forme de discrimination contre laquelle la loi doit les protéger.

Comme groupement de femmes, je vous pose carrément la question: Que pensez-vous du fait... Quand je parle d'homosexualité, je pense que les groupes qui viendront demain représentent des groupes d'homosexuels hommes et d'homosexuels femmes aussi. Je vous pose simplement la question: Quelle est votre réaction vis-à-vis de cela, comme groupe de femmes? Je vous dis d'avance que je comprendrais très bien si vous me dites que vous aimez autant ne pas répondre à cette question, mais...

Mme Buisson: Non, on va vous répondre, parce qu'on l'a étudiée.

M. Burns: ...comme vous êtes là, je saisis l'occasion pour vous la poser.

Mme Buisson: C'est-à-dire qu'on l'a étudiée... On s'est posé la question, parce que l'Association des homosexuels nous a abordées et nous a de-

mandé Ge qu'on en pensait. D'une part... Bien sûr que, dans notre mémoire, on voulait surtout défendre les droits de la femme. Les homosexuels, ce ne sont pas seulement les femmes. Ce sont les deux. On a considéré qu'il fallait d'abord, avec le peu de temps qu'on avait, se limiter à...

M. Burns: Remarquez, madame, que je ne vous blâme pas de ne pas en avoir parlé, mais j'ai dit: Etant donné que je vois que cela vient demain, étant donné que vous êtes probablement un des derniers groupes carrément féminins à qui on peut s'adresser...

Mme Buisson: II y a une deuxième chose aussi.

M. Burns: ...tout en regrettant de ne pas l'avoir posée au réseau avant vous...

Mme Buisson: N'oubliez que nous sommes une fédération.

M. Burns: Oui.

Mme Buisson: Dans le court temps que nous avions pour rédiger ce mémoire, il faut dire que c'est sûr qu'il y a eu quand même quelques mois, mais à l'époque où cela a été présenté, toute la période des Fêtes, il y a un arrêt, après, il faut reprendre, c'est sûr que pour se prononcer sur une chose comme celle-là, il fallait aller devant une assemblée beaucoup plus importante que le conseil d'administration. Avec 23 associations avec des opinions différentes, on ne pouvait pas, à ce moment-ci, en tout cas, donner tout le temps qu'il fallait pour se prononcer sur une question comme celle-là.

Mme Lasalle: On n'a pas pris position, quoiqu'on soit bien conscient qu'il y a de la discrimination contre les homosexuels, simplement dans l'emploi, à titre d'exemple, ce qu'on déplore. Mais comme on n'a pas pris position et qu'on n'a pas étudié le problème in extenso, on ne s'est pas carrément prononcé. On vous souligne qu'on est bien conscient qu'il y a de la discrimination, par exemple dans l'emploi.

M. Burns: D'accord!

Le Président (M. Pilote): On vous remercie, Me Lasalle...

Mme Lasalle: Cela nous fait plaisir.

Le Président (M. Pilote): ...ainsi que celles qui vous accompagnent. Soyez assurées que la commission va prendre vos recommandations en considération.

J'inviterais, à présent, Mme Monique Deslauriers, qui représente l'Association pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation, l'Association des bibliothécaires du Québec, la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec.

Mme Deslauriers, si vous voulez vous avancer. Allez!

Association pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation

Mme Deslauriers (Monique): M. le Président de la commission parlementaire, messieurs les membres, permettez-moi de vous présenter M. Réal Messier.

Les recommandations des membres du comité touchent uniquement...

Le Président (M.Pilote):Voulez-vous approcher le micro, s'il vous plaît? Nous avons de la difficulté à vous entendre. Voulez-vous vous approcher?

Mme Deslauriers: Les recommandations des membres du comité touchent uniquement le domaine des libertés de l'esprit. Les droits judiciaires, politiques, les droits économiques et sociaux, les problèmes de la discrimination intéressent également les bibliothécaires. Nous espérons que les membres de l'Assemblée nationale, par l'intermédiaire de la commission permanente de la justice, auront la possibilité de discuter avec d'autres groupes spécialisés de ces problèmes et de ces droits qui sont loin de nous laisser indifférents. Mais notre domaine d'activité nous familiarise davantage avec les libertés intellectuelles. A titre de bibliothécaires, nous nous sentons particulièrement concernés par toutes les questions relatives aux libertés intellectuelles. Les bibliothécaires ont, depuis toujours, la responsabilité de fournir des documents d'appui sur tous les points de vue, de mettre à la disposition des lecteurs les oeuvres les plus diverses et les plus opposées. De plus, les bibliothécaires ne tiennent compte que des besoins du lecteur. Sa religion, son origine ethnique et même ses options politiques leur importent peu. Agissant ainsi, les bibliothécaires croient servir la liberté intellectuelle.

La première préoccupation des bibliothécaires du Québec est de voir ajouter aux libertés fondamentales énumérées à l'article 3 le droit à l'information. Les auteurs du projet de loi reconnaissent plusieurs libertés intellectuelles: la liberté de conscience, la libertéde religion, la libertéd'opinion, la libertéd'ex-pression et la liberté de l'instruction. Mais, sans la liberté d'information, le respect de ces mêmes droits restera très hypothétique pour deux raisons surtout.

D'abord, parce que, sans liberté d'information, il est loin d'être sûr que les violations des droits énumérés dans l'article 3 pourront être dénoncés. Ensuite, parce que la liberté d'information est la condition nécessaire à la prise de conscience de l'existence des autres libertés. La personne ne peut pas jouir d'une liberté qu'elle ignore comme elle ne pourra pas dénoncer l'injustice dont elle est la victime inconsciente. Voilà pourquoi nous croyons que la liberté d'information est la première des libertés intellectuelles.

La liberté d'exprimer ses croyances profondes et ses idées par la parole, par l'écrit ou partout autre mode de communication perd son sens si, dans le même temps, on nie à d'autres personnes le droit d'accéder à ces divers modes d'expression.

Nous avons été les témoins impuissants de quelques cas de censure dans les bibliothèques du

Québec au cours des dernières années. En octobre 1970, la Sûreté du Québec se rendait à la Bibliothèque nationale pour confisquer les oeuvres de Pierre Vallières. Plus tard, le conseil d'administration de la bibliothèque publique de Cowansville exigeait le retrait de certains périodiques de la collection de la bibliothèque. Récemment, la Church of Scientology menaça la direction de la Sir George Williams University de poursuite judiciaire si la direction de la bibliothèque ne retirait pas de sa collection un livre très critique à son égard, et on pourrait vous citer beaucoup d'autres exemples.

Pour aider les bibliothécaires à lutter efficacement contre les censeurs et parce que la liberté d'information est condition nécessaire au maintien des autres libertés intellectuelles, nous proposons aux membres de l'Assemblée nationale d'inclure, à l'article 3, la liberté d'information, et qu'il se lise comme suit:

Tout être humain est titulaire des libertés fondamentales, telles la liberté d'information, la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.

Les membres du comité mixte et ceux des associations représentées recommandent également aux législateurs québécois d'introd uire dans le projet de loi un article dont le sens devrait être le suivant: Toute information recueillie, rassemblée et conservée par un organisme gouvernemental ou paragou-vernemental est disponible pour toute personne en faisant la demande, sauf dans les cas d'exception prévus dans la loi ou les règlements.

Une telle proposition est assez nouvelle dans notre milieu. Il ne faudrait pas en conclure qu'elle est sans objet et sans fondement, car, en dépit du g rand nombre de publications éditées et distribuées par les organismes gouvernementaux, les bibliothécaires doivent régulièrement faire face à des situations insolubles. Les statistiques publiées sont trop globales et ne répondent pas toujours aux besoins des chercheurs qui veulent des statistiques pour un territoire restreint. Parfois, les publications d'un ministère ne constituent qu'une introduction générale pour un étudiant qui prépare une thèse. Par contre, les dossiers conservés dans les ministères seraient d'une grande utilité, mais leur consultation est souvent impossible, la plupart du temps aléatoire.

Nous sommes conscients du fait que les dossiers gouvernementaux administratifs ne pourraient pas tous être consultés. Nous acceptons les justes restrictions et les exceptions. Nous souhaiterions que la commission des droits de la personne soit habilitée à entendre les arguments des parties, à juger de leur bien-fondé et à rendre un jugement. Cette solution s'inspire largement de la pratique américaine et de la loi du Public Information Act dont nous pouvons vous faire distribuer les copies. Cette loi reconnaît le droit à l'information gouvernementale et énumère neuf exceptions. Dans l'ensemble, toute personne peut obtenir un dossier ou un renseignement de l'administration fédérale, à la condition de bien préciser sa question. Le refus du fonctionnaire de fournir l'information désirée peut être porté devant la cour Fédérale et le poids de la preuve en revient au gouvernement.

En plus de favoriser l'accès au dossier de l'administration, notre recommandation implique également que le gouvernement ne retienne pas inutilement des rapports lui ayant été soumis et qui devraient normalement être rendus publics. Le bibliothécaire regrette, entre autres choses, que certaines tranches du rapport Dorion sur l'intégrité du territoire soient encore sous clef, que le rapport Fantus, préparé à la demande du ministre de l'Industrie et du Commerce, n'ait pas été publié, et que l'étude portant sur les conséquences pour l'économie québécoise de l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté économique européenne soit restée cachée.

Nous pourrions multiplier les cas. Qu'on nous permette simplement de souligner en plus la disparition des études réalisées pour le compte de la commission Rioux sur l'enseignement des arts, disparition dont la responsabilité reviendrait à un certain membre du gouvernement du Québec.

De même, nous souhaitons, par cette résolution, que le gouvernement publie davantage d'arrêtés en conseil dans la Gazette officielle. Nous croyons que la proportion des règlements et arrêtés en conseil inédits reste trop importante. L'utilité de la Gazette officielle en est réduite, alors qu'elle devrait tend re à l'exhaustivité.

Voilà, messieurs de la commission parlementaire, les deux recommandations que nous voulions vous soumettre.

Le Président (M. Pilote): M. le ministre de la Justice.

M. Choquette: Je remercie le comité d'avoir apporté sa contribution à l'étude de ce projet de loi et d'avoir signalé à l'appui de ses propositions une loi américaine intitulée: The Public Information Act. Vous nous avez dit, je crois, que vous avez des exemplaires de cette loi qui pourraient être mis à la disposition des membres de la commission.

Mme Deslauriers: J'en ai six.

M. Choquette: Si nous pouvions distribuer ce texte immédiatement, nous pourrions prendre connaissance des neuf exceptions qui y sont mentionnées. Peut-être, madame ou mademoiselle pourrait-elle nous dire quelles sont ces exceptions.

Mme Deslauriers: A la dernière page, entre autres choses, il y a les dossiers confidentiels, comme, par exemple, la défense ou les affaires intérieures, il y a les règlements internes, il y a des cas prévus par la loi, il y a des informations obtenues sous le sceau de la confidentialité, il y a des notes de service interagences, il y a les dossiers personnels et médicaux des employés, il y a les dossiers d'enquêtes policières, en fin du compte, il y a...

M. Choquette: Alors, je note avec intérêt cette loi et ses exceptions. Je voudrais simplement, en terminant, vous signaler que le gouvernement a mis sur pied un système de classification et de publication des règlements des arrêtés en conseil qui a été publié pour la première fois, je crois, il y a deux ans et qui

co m prend en tout une dizaine de vol urnes. Ceci était justement pour faciliter l'information du public en général. Nous nous sommes, en partie, je pense bien, rendus à la suggestion qui est à la fin de votre mémoire. C'est additionnel à la Gazette officielle. Il s'agit d'une collection de toute la réglementation gouvernementale, je ne sais pas si vous la connaissez.

Mme Deslauriers: En 1972 entre autres, ilyavait seulement un tout petit peu plus que 15% des arrêtés en conseil qui ont été publiés.

M. Choquette: Oui, mais ce ne sont pas tous les arrêtés en conseil qui sont publiés. Ce sont les arrêtés en conseil qui permettent d'adopter des règlements qui sont publiés dans cette collection. Il y a beaucoup d'arrêtés en conseil qui portent sur des cas d'individus, de personnes, des nominations, enfin toute sorte de choses qui concernent des individus en particulier. Alors, il est évident que, dans ces cas d'arrêtés en conseil, il n'y a pas de publication, mais aussitôt que le gouvernement adopte un règlement ou une réglementation qui a une portée publique ou enfin une portée générale, c'est publié dans cette collection des règlements du Québec.

Le Président (M. Pilote): Est-ce qu'il y a d'autres questions? Le député de Maisonneuve.

M. Burns: Je veux tout simplement remercier madame pour le mémoire qu'elle nous livre au nom du comité mixte et je la prie de me croire qu'on va en tenir compte, lorsqu'on étudiera le projet de loi, article par article. Merci.

Le Président (M. Pilote): D'autres questions?

M. Samson: Egalement, M. le Président, je voudrais remercier Mme Deslauriers et souligner que je suis particulièrement intéressé par la suggestion que vous faites d'introduire dans le texte de la loi le droit à l'information.

Mme Deslauriers: Je pense qu'on n'était pas les premiers.

M. Samson: Nous l'avons dit ce matin, je pense que c'est surtout pour cela que je n'élaborerai pas davantage mes propos, parce qu'on se répète passablement. Beaucoup de gens l'ont demandé et avec raison, d'ailleurs. Mon impression, c'est que le ministre devrait la retenir. Merci infiniment.

Le Président (M. Pilote): Pour retenir une suggestion d'aujourd'hui, je remercie Mad. Monique Deslauriers, ainsi que ceux qui l'accompagnent. Soyez assurés que la commission va prendre en considération vos recommandations. La commission ajourne ses travaux à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 20)

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