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Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le mardi 12 avril 1983 - Vol. 27 N° 7

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes en regard du projet de loi 106 - Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes et du projet de loi 107 - Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions


Journal des débats

 

(Dix heures douze minutes)

Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous plaît!

Je déclare ouverte cette séance de la commission parlementaire élue permanente de la justice. Je signale que le mandat de cette commission est d'entendre des personnes et des organismes au regard des projets de loi no 106, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes et no 107, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions.

Les membres et les intervenants de cette commission parlementaire sont: M. Bédard (Chicoutimi), M. Dupré (Saint-Hyacinthe) qui remplace M. Brouillet (Chauveau), M. Charbonneau (Verchères), M. Dauphin (Marquette), Mme Juneau (Johnson), M. Kehoe (Chapleau), Mme Lachapelle (Dorion), M. Lafrenière (Ungava), M. Leduc (Saint-Laurent), M. Marx (D'Arcy McGee).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Blank (Saint-Louis), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. Dussault (Châteauguay), M. Fallu (Groulx), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Polak (Sainte-Anne) qui remplace M. Paradis (Brome-Missisquoi), et M. Saintonge (Laprairie).

Je demanderais maintenant aux membres de la commission de désigner un rapporteur pour faire rapport de nos travaux à l'Assemblée nationale.

Une voix: Mme Lachapelle. Une voix:Unanime.

Le Président (M. Blouin): Mme

Lachapelle est désignée par les membres de cette commission unanimement comme étant rapporteur de cette commission.

Je vais maintenant donner lecture de l'ordre du jour et, en même temps, m'assurer de la présence des représentants des divers organismes qui se feront entendre au cours de la journée.

D'abord les représentants de la Chambre des notaires sont-ils dans la salle?

Une voix: Présents et prêts.

Le Président (M. Blouin): La Chambre de commerce de la province de Québec?

Alors les représentants de la Chambre de commerce ne sont pas là.

Le Barreau du Québec?

Une voix: Nous sommes présents et également prêts.

Le Président (M. Blouin): D'accord. L'Association québécoise de planification fiscale et successorale?

Une voix: Présents.

Le Président (M. Blouin): La

Commission des services juridiques?

Une voix: ...

Le Président (M. Blouin): L'Association des femmes collaboratrices?

Une voix: Présentes.

Le Président (M. Blouin): Le Réseau d'action et d'information pour les femmes?

Les représentants du Réseau d'action et d'information pour les femmes ne sont pas là.

Le Regroupement des comités-logement et Associations de locataires?

Une voix: Présents.

Le Président (M. Blouin): Comme d'habitude, je précise, non pas tant pour les membres de cette commission mais peut-être davantage pour nos invités que nous nous entendons habituellement pour que le temps de présentation alloué aux invités soit d'environ 20 minutes et que chacune des parties, soit la partie gouvernementale et l'Opposition, disposent également d'un temps de 20 minutes chacune - c'est la tradition -pour pouvoir vous poser des questions et vous demander des éclaircissements sur les mémoires que vous présentez.

J'invite d'abord, s'il le juge à propos, le ministre à nous présenter quelques remarques préliminaires.

Remarques préliminaires M. Marc-André Bédard

M. Bédard: M. le Président, collègues de la commission, vous me permettrez aussi de saluer ceux et celles qui sont ici dans la salle et qui nous visiteront au cours des

travaux de cette commission.

Comme nous le savons, nous commençons aujourd'hui l'étude de deux projets de loi, les projets de loi nos 106 et 107, deux mesures s'inscrivant dans le processus de réforme du Code civil, un projet de travail énorme pour lequel beaucoup d'énergies ont été investies. Il nous fera plaisir, un peu plus tard dans nos travaux, de présenter d'une façon plus particulière les membres de l'équipe gouvernementale au ministère de la Justice, les personnes qui, d'une façon tout à fait spéciale, ont travaillé à la préparation de ces projets de loi et qui continuent de travailler dans l'ensemble des efforts qui sont fournis en ce qui a trait à la réforme du Code civil.

Cette vaste réforme peut paraître complexe, aride et technique, si bien que le citoyen ordinaire pourrait être porté à en remettre l'étude aux seuls spécialistes. Pourtant, l'étape que nous entreprenons aujourd'hui est d'une grande importance pour chacun et chacune de nous, puisqu'elle nous touchera tous dans notre vie de tous les jours.

En s'engageant dans cette réforme, le gouvernement entend adapter les textes de loi du Québec, dont le Code civil est la charpente, aux réalités de la société contemporaine.

Le mouvement de réforme avait été amorcé à l'automne 1980 par l'adoption de la loi portant réforme du droit de la famille. En juin dernier, les députés de l'Assemblée nationale adoptaient une loi assurant l'application du droit de la famille, de manière que les changements convenus dans un premier temps puissent s'appliquer de manière harmonieuse, en ajustant l'ensemble des procédures en matière familiale.

Les objectifs fondamentaux de la réforme du droit de la famille, je le rappelle, étaient, d'une part, de favoriser l'égalité des membres de la famille et, d'autre part, d'accorder une plus grande liberté dans l'organisation de leurs relations familiales.

À ces fins, la réforme apportait un grand nombre de changements dans nos textes de loi en vue, notamment, de favoriser la conciliation, l'arbitrage et le respect des accords mutuels lors des conflits familiaux et la protection de la vie privée des membres d'une famille lors du règlement d'un conflit familial devant le tribunal.

Nous adoptions, du même coup, certaines mesures établissant des règles propres à garantir la protection du droit des enfants et à assurer leur égalité, quelles que soient les circonstances de la naissance. Enfin, d'autres mesures visaient à remplacer dans nos lois différents concepts qui maintenaient une forme de discrimination dans la famille. De nouvelles réalités juridiques prenaient vie dans nos textes juridiques, dans notre Code civil. Je pense, par exemple, à la protection de la résidence familiale, à la prestation compensatoire et à d'autres mesures qui étaient toutes de nature à essayer d'ajuster le droit de la famille au contexte nouveau de la société québécoise. Cette réforme du droit de la famille constituait donc le premier bloc de la réforme du Code civil.

Le deuxième bloc était entrepris en décembre dernier par le dépôt des deux projets de loi que nous étudierons au cours des prochains jours. Le projet de loi no 106 porte sur le droit des personnes et le projet de loi no 107 porte sur le droit des successions. Ces deux mesures ont été inspirées des mêmes principes fondamentaux qui ont guidé la réforme du droit de la famille, de même que l'ensemble de l'action de mon ministère depuis les six dernières années, soit la reconnaissance de l'égalité et de l'autonomie des personnes.

Par ces projets de loi que nous aurons à étudier, on vise à assurer une meilleure cohérence législative en rattachant au Code civil certaines dispositions apparaissant dans différentes lois sectorielles, ainsi qu'à clarifier et à améliorer d'autres dispositions du code par des modifications substantielles.

Ce bloc auquel je viens de référer sera complété, d'abord, par les travaux de notre commission parlementaire qui débute ce matin; suivront ensuite le dépôt et l'étude de deux autres projets de loi portant, dans un cas, sur les biens et, dans l'autre cas, sur l'application de ce deuxième bloc. Cette façon de procéder permettra alors l'entrée en vigueur de cette deuxième tranche de la réforme du Code civil, en assurant la cohérence législative de sorte que les citoyens puissent en bénéficier dès l'année 1984.

Un troisième bloc suivra, celui-ci portant sur la théorie générale des obligations et sur les contrats. Le quatrième bloc permettra la réforme du droit des sûretés réelles et des règles de publication des droits.

Enfin, une dernière tranche traitera de la réforme du droit de la preuve, de la prescription et des règles de droit international privé. Nous aurons alors terminé la plus importante réforme législative jamais entreprise au Québec.

Tous les livres constituant le Code civil, ce texte de loi unique au Québec, auront été adaptés à l'évolution de notre communauté. Comme le Code civil touche tous les Québécois et toutes les Québécoises dans leur vie quotidienne, leurs rapports entre eux, la conduite de leurs affaires et l'exercice de leurs droits, j'espère qu'un grand nombre de citoyens et de citoyennes continueront de s'intéresser à la poursuite de la réforme, comme c'est le cas dans l'étape

présente.

Le grand nombre d'opinions adressées à cette commission - en tout, 23 mémoires ont été déposés et de nombreuses lettres me sont parvenues - démontre bien que, malgré l'ampleur de la tâche et les difficultés qu'elle peut représenter, les Québécois et les Québécoises non seulement s'intéressent, mais veulent jouer un rôle actif dans la réforme du Code civil. Je pense que nous ne pouvons que nous en réjouir, nous tous, les membres de la commission.

Voyons maintenant les grandes lignes de chacun des deux projets de loi à l'étude.

Le projet de loi no 106 intitulé: Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, vise à assurer la primauté de la personne humaine. Ainsi, il propose la transformation complète des institutions jouant un rôle lorsqu'un enfant, ou tout individu considéré comme mineur, est sous la responsabilité d'une tutelle, ou lorsqu'une personne majeure est placée sous la responsabilité d'une curatelle ou d'une tutelle.

Nous voulons préciser davantage dans quelles circonstances de tels régimes peuvent être appliqués, garantir qu'ils le sont dans l'intérêt du mineur ou du majeur en incapacité d'assumer lui-même la conduite de ses affaires, par exemple, pour des raisons de santé, et aussi afin de mieux assurer l'exercice de leurs droits civils et l'administration de leur patrimoine.

En matière de tutelle, à l'heure où le gouvernement s'apprête à annoncer une politique familiale destinée à reconnaître le rôle de la famille dans la société et à le revaloriser (conformément aux principes qui ont prévalu à l'occasion de la réforme du droit de la famille, soit l'autonomie des personnes dans la conduite de leurs affaires) le projet de loi vise à reconnaître la responsabilité première des parents à l'égard de leurs enfants, les faisant tuteurs légaux de ces derniers. Il leur permettra également de transférer cette responsabilité par testament ou par déclaration spéciale en cas de décès ou de situation particulière.

L'actuel conseil de famille sera remplacé par un conseil de tutelle, institution plus souple et réorganisée de façon à mieux correspondre à la réalité de la famille québécoise contemporaine. À ce chapitre, plutôt que d'accroître l'intervention de l'État dans un domaine aussi privé, nous avons choisi de maintenir la surveillance de l'exercice de la tutelle aux proches de la personne à protéger.

En ce qui concerne le majeur en incapacité d'assumer lui-même l'exercice de ses droits et l'administration de son patrimoine, le projet de loi tend à organiser, de manière plus cohérente, les régimes qui le touchent de façon à mieux affirmer et aussi à respecter mieux ses droits et intérêts, répondant en cela aux principales recommandations qui nous avaient été adressées, ces dernières années, tant par la Commission des droits de la personne que par certains organismes voués à la défense des droits de ces citoyens et citoyennes.

Ainsi, la réforme entreprise au chapitre des régimes de protection introduit une intervention accrue des tribunaux. Cette façon de procéder permettra de mieux assurer le respect des droits de la personne concernée. Elle traduit aussi l'esprit de la réforme qui vise à procurer au majeur sous tutelle ou assisté d'un conseil de tutelle, un régime plus souple, mieux adapté à ses besoins et à reconnaître son degré d'autonomie et de capacité d'agir, s'il y a lieu.

Les mesures de surveillance de ces différents régimes ont été révisées de façon à préserver le patrimoine des personnes protégées en veillant à ne pas accroître l'intervention de l'État, mais en essayant de rendre cette intervention, quand elle est nécessaire, plus efficace, dans les cas où elle doit s'exercer.

Le projet de loi ne vise pas uniquement à protéger les biens de la personne, mais de façon aussi importante, il améliore la protection de son intégrité physique. Ainsi, il affirme clairement le principe qu'une personne ne peut être soumise à un examen ou à un traitement thérapeutique requis par son état de santé physique ou mentale que si elle-même ou un tiers apte à la représenter ne donne son consentement de façon libre et éclairée.

Le même projet propose de plus une réforme en profondeur du système de l'état civil au Québec. On y prévoit, en effet, la centralisation des informations relatives à l'état civil, dans le but d'assurer l'intégralité, la véracité, l'authenticité, l'accessibilité et aussi, la protection de ces actes. Il y a cependant une période transitoire avec laquelle il nous faut vivre et nous aurons à en discuter en temps et lieu.

Le projet de loi propose aussi une réintégration des règles actuelles et des modifications à caractère plus juridique notamment en ce qui a trait au droit de la personnalité, aux règles du domicile, de la majorité et de la minorité et au chapitre de l'absence, c'est-à-dire des règles devant s'appliquer quant à l'administration des droits et du patrimoine de personnes portées disparues.

À cet égard, le projet de loi tente un renouvellement du concept d'absence en introduisant une présomption ayant pour effet de conférer à l'absent les attributs d'une personne vivante, ce qui lui permettra de profiter d'une succession et d'acquérir des droits. Dans le droit présent, la personne portée disparue ou absente pendant 30 ans est présumée décédée et sa succession est

ouverte. Le projet de loi abaissera à sept ans cette période dans le but de favoriser les successeurs qui auparavant ne pouvaient, à toutes fins utiles, bénéficier du droit de succession pendant presque la moitié de leur vie.

Enfin, le projet de loi 106 prévoit l'introduction d'un ensemble de règles qui régiront à l'avenir les personnes morales dont les activités ne sont pas régies par des lois particulières comme la loi des compagnies, la loi sur les associations coopératives, etc. Le projet de loi en conséquence édictera un certain nombre de règles supplétives - je dis bien supplétives - qui s'appliqueront dans les cas où la personnalité juridique ne sera pas autrement réglementée mais ne vise aucunement à se substituer au droit actuel existant. Les nouvelles règles prévoient, outre des dispositions sur la nature de la personnalité morale et ses attributs essentiels, certaines règles de fonctionnement inspirées du droit des compagnies ou encore inspirées du droit des sociétés.

Voilà le bref survol que je voulais faire du projet de loi no 106. (10 h 30)

Voyons maintenant les grandes lignes de son jumeau, le projet de loi no 107 intitulé: Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions. Ce projet de loi contient de nombreuses modifications, de nombreuses dispositions visant surtout à clarifier les règles existantes. D'abord, il confère au conjoint la qualité d'héritier à part entière, ce qui lui permettra - ce n'était pas permis auparavant - de cumuler les avantages que lui procure son régime matrimonial, ainsi que les avantages dont il bénéficie en raison du décès de son conjoint. Le droit actuel, comme on le sait, prévoit que dans certains cas le conjoint survivant doit renoncer à l'avantage que lui procure son régime matrimonial, par exemple, le versement d'une certaine somme d'argent ou la propriété d'une maison, avant de pouvoir réclamer une part de la succession. Cette situation n'existera plus. 0e pense qu'il est heureux qu'il en soit ainsi.

Puisque, dorénavant, le conjoint pourra cumuler ses avantages matrimoniaux et sa part successorale, auxquels pourront s'ajouter les bénéfices de la prestation compensatoire, il est suggéré de maintenir les règles actuelles du partage entre le conjoint et les enfants dans le cas de la succession légale, c'est-à-dire en l'absence de testament, soit 1/3 au conjoint et 2/3 aux enfants; c'est ce que nous avons maintenu. Lorsqu'il n'y a pas d'enfants, la part du conjoint est augmentée, étant fixée à 2/3, alors que le reste est attribué au père ou à la mère ou, à défaut du père et de la mère, à ses frères et soeurs.

Dans le but de faciliter et d'améliorer le processus de règlement des successions - on sait que c'est très long - le projet de loi introduit un personnage nouveau, soit le liquidateur successoral. Celui-ci reprend en partie les attributs de l'exécuteur testamentaire. Cependant, il sera de toutes les successions, qu'elles soient légales ou testamentaires.

De plus, conformément à des principes déjà introduits dans la réforme du droit de la famille, le projet de loi propose de nouvelles règles relatives au partage, permettant dans certains cas le maintien de l'indivision parmi les héritiers, ainsi que des attributions préférentielles lorsqu'il s'agit de la résidence familiale ou d'une entreprise à caractère familial, par exemple. Ce sont des notions dont nous avions déjà discuté - Mme la députée de L'Acadie se le rappelle - lors de l'adoption du droit de la famille. C'est la suite normale.

Enfin, je souligne le fait que certains assouplissements ont été apportés aux formalités entourant la confection d'un testament, notamment en raison des difficultés rencontrées à cet égard par les personnes souffrant d'un handicap visuel ou auditif, et que la règle de la représentation a été introduite en matière testamentaire.

Je pense que cette dernière modification correspond davantage aux attentes des citoyens si on se reporte à toutes les représentations qui nous ont été faites personnellement au ministère.

J'ai donc tracé les grandes lignes de la réforme qui est soumise à l'étude des députés et du public. Je veux encore une fois remercier tous ceux et celles qui se sont donné la peine de réfléchir sur ces deux projets de loi et qui ont reçu mandat de leurs associations respectives de venir formuler leurs recommandations, leurs suggestions, leurs représentations auprès des membres de cette commission.

Mes collègues et moi sommes ici pour consulter la population avant de nous prononcer de façon définitive sur une réforme d'une importance majeure et je puis vous assurer que tous les commentaires que nous recevrons et qui seront faits ici à cette commission ou en dehors de cette commission recevront toute l'attention qu'ils méritent.

Ce sont, M. le Président, quelques commentaires que je voulais faire au début des travaux de cette commission.

Le Président (M. Blouin): Merci, M. le ministre. J'inviterais maintenant le représentant de l'Opposition à nous formuler, s'il le désire lui aussi, ses remarques préliminaires.

M. Herbert Marx

M. Marx: M. le Président, collègues à l'Assemblée nationale. J'aimerais saluer d'une

façon spéciale nos invités qui vont déposer des mémoires et qui vont voir à la fin de nos travaux à quel point il était essentiel pour eux de se présenter devant cette commission parce qu'ils vont voir que nous allons tenir compte de leurs suggestions. J'ai lu certains de ces mémoires et je trouve qu'il y a beaucoup de suggestions qui méritent d'être étudiées sérieusement par le ministère. J'imagine qu'on va adopter un certain nombre de ces suggestions.

J'ai quelques remarques d'ordre général en ce qui concerne le fond de cet exercice de la réforme du Code civil. Le Code civil, bien sûr, a été adopté en 1866, même avant la Confédération, et on ne peut pas sous-estimer l'importance du Code civil au Québec parce que c'est le droit commun du peuple du Québec. Si on parle d'une société distince, c'est, en grande partie, à cause du Code civil; si on parle des institutions originales, c'est aussi en grande partie à cause du Code civil.

Le gouvernement du Bas-Canada, c'est-à-dire le gouvernement du Québec de l'époque, avant 1866, était plus sage que le gouvernement actuel parce que le gouvernement de l'époque de la Confédération a adopté le Code civil d'un seul trait, alors que le gouvernement actuel, représenté aujourd'hui par le ministre de la Justice, est en train d'adopter un nouveau Code civil à la pièce. On adopte cela à la pièce, même pas dans un ordre quelconque. On peut faire le premier livre aujourd'hui, le deuxième demain, le cinquième dans quelques mois, et ainsi de suite. Donc, je pense que c'est vraiment une faille de ne pas avoir imité le gouvernement du dix-neuvième siècle qui a adopté notre Code civil d'un seul trait.

L'Office de révision du Code civil, comme on le sait, a travaillé pendant 25 ans sur la révision du Code civil. Je pense qu'il avait été créé par un gouvernement unioniste à l'époque. Donc, il n'y a pas de partisanerie dans mes remarques. L'Office de révision du Code civil a, bien sûr, préparé un nouveau code. L'office a déposé un rapport il y a déjà des années. Mais peu de réformes de ce projet de Code civil de l'Office de révision du Code civil ont été traduites en lois.

J'aimerais souligner que le ministre de la Justice actuel est en fonction depuis novembre 1976. Il est donc maintenant dans sa septième année comme ministre de la Justice - son mandat achève - mais...

M. Bédard: Vous n'en ferez jamais autant.

M. Marx: ...depuis qu'il est ministre de la Justice, tout ce qu'on a adopté en ce qui concerne la révision du Code civil, c'est la loi 89, Loi sur la famille. Elle a été adoptée en 1980, avant les élections d'avril 1981. Je ne sais pas s'il y avait une relation entre les élections et l'adoption à la hâte de ce projet de loi...

M. Bédard: Cela a été à l'unanimité. M. Marx: ...mais on soupçonne...

Mme Lavoie-Roux: Oui, mais il y avait des petits calculs.

M. Bédard: Tout le monde...

M. Marx: M. le ministre, je ne vous ai pas interrompu.

M. Bédard: Non, vous me le demandez. M. Marx: Laissez-moi, s'il vous plaît... M. Bédard: D'accordl

M. Marx: La loi 89, comme vous le savez, M. le Président, comporte des articles qui ne sont pas encore en vigueur parce que nous avons adopté des chapitres qui ne sont pas de notre compétence. Vraiment, c'est la première fois que je vois une Législature adopter des lois qui ne sont pas de sa compétence. C'est-à-dire qu'on a adopté tous les chapitres sur le divorce qui ne sont pas de notre compétence. Il y a d'autres articles dans cette loi qui sont d'une validité douteuse - je choisis mes mots - et finalement, on a déjà modifié à maintes reprises cette loi 89.

Vous savez qu'à l'Assemblée nationale, on a pris l'habitude, depuis quelques années, de modifier des projets de loi par d'autres projets de loi avant qu'on adopte le premier projet de loi. C'est un autre problème.

Il est clair que le gouvernement a l'intention de réformer le Code civil d'une façon parcellaire et, quand on fait une telle réforme à la pièce, il y a des contradictions, des erreurs et des lacunes qui se glissent dans les articles. Qui en souffre? C'est, bien sûr, le citoyen dont les rapports juridiques sont régis par un Code civil peu harmonisé. De plus, en faisant la réforme à la pièce, certains chapitres seront déjà désuets lors de l'entrée en vigueur d'autres chapitres.

Nous avons demandé à maintes reprises au ministre de la Justice de présenter à la population un échéancier pour l'adoption de tout le Code civil. Par exemple, l'adoption du nouveau Code civil pourrait être faite au complet d'ici 1985, soit par ce gouvernement soit par un autre. Si c'est ce gouvernement, le ministre pourrait alors compter sur la coopération complète de l'Opposition. Le ministre n'a jamais déposé un échéancier en ce qui concerne l'adoption du Code civil. En fait, je me souviens bien que le ministre a promis de déposer les chapitres sur les personnes et les successions au printemps 1982. Cela a été reporté à l'automne 1982

et, enfin, cela a été déposé à l'hiver 1982. Cela me fait penser à la fermeture de Parthenais; chaque fois qu'on annonce que cela doit fermer, cela fait les manchettes, mais ce n'est jamais fermé. C'est à peu près cela qu'on fait. On appelle cela légiférer par conférence de presse ou par communiqué de presse, plutôt par communiqué de presse que par conférence de presse.

Donc, j'aimerais demander au ministre de déposer un échéancier un peu sérieux pour nous faire savoir s'il a l'intention d'adopter tout le Code civil avant la fin de son mandat.

De plus, étant donné les deux Codes civils qui existent au Québec aujourd'hui, il n'est guère possible de parler de l'accès au code pour le simple citoyen. Même les avocats se retrouvent avec peine dans notre droit civil. Je pense que tout avocat serait d'accord avec moi sur le fait - je ne parle pas des étudiants en droit, mais des avocats reçus, des notaires - que c'est très difficile, si ce n'est pas impossible, de se retrouver dans notre droit civil.

J'aimerais vous donner un exemple, M. le Président. Il existe aujourd'hui au Québec deux Codes civils. Il y a le Code civil de 1866 qui est officiellement le Code civil du Bas-Canada et il y a aussi le Code civil du Québec qui a été institué par la loi 89 en 1981. Des articles portant le même numéro se trouvent dans les deux codes, quoiqu'ils visent des matières différentes. Par exemple, l'article 407 traite du mariage dans un code et de la propriété dans l'autre code. C'est très compliqué pour des avocats et des notaires qui n'ont pas tous, dans leurs recherches, l'appui du ministre de la Justice ou des équipes du ministre de la Justice. Quant au simple citoyen, il est complètement perdu dans le droit civil. (10 h 45)

Le 21 mars 1983, l'Opposition libérale a rendu un rapport intitulé "L'état de la législation québécoise en 1982, une vraie tour de Babel". Si on veut continuer d'adopter le Code civil actuel à la pièce, l'Opposition a peur qu'on veuille ajouter deux autres étages à cette tour de Babel. Cela va devenir encore plus impossible que c'est le cas aujourd'hui.

De plus, j'aimerais demander au ministre d'éviter l'adoption de ces projets de loi aux dernières heures de la session entre deux bills omnibus, deux jeudis soirs à 22 h 15 où tout le monde est prêt à aller prendre l'avion. Le ministre doit connaître notre position sur cette question parce que l'Opposition a produit un rapport à la fin de novembre 1982 qui porte le titre: "Les travaux parlementaires de fin de session, un rush inutile". On a déjà vu des lois adoptées à la vapeur qui ne sont pas entrées en vigueur pendant des mois, même des années. Je pense que ce n'est pas le temps de faire un autre exercice semblable.

En ce qui concerne cette question, je ne dois pas blâmer le ministre de la Justice parce qu'il est pris aussi avec son gouvernement et surtout avec le leader du gouvernement qui fixe les heures, qui réserve les salles, qui fait l'ordre du jour et ainsi de suite. J'aimerais demander au ministre qu'il parle à son leader pour qu'on fasse adopter les deux projets de loi bien avant la fin de la session, si c'est l'intention du ministre d'adopter ces deux projets de loi avant le 19 ou le 20 juin.

Finalement, afin d'adopter un code uniforme et harmonisé, j'aimerais faire deux suggestions au ministre. Premièrement, j'aimerais suggérer au ministre qu'il se fasse nommer un adjoint parlementaire. J'imagine que cela va rendre heureux beaucoup de péquistes d'arrière-ban. Ce n'est pas pour cette raison que je fais cette suggestion. Je fais cette suggestion parce que j'aimerais que le ministre nomme un adjoint parlementaire qui va s'occuper à temps plein de la coordination de l'adoption d'un Code civil.

C'est évident que tout sera fait sous l'autorité, la responsabilité du ministre. Si on doit critiquer quelqu'un, ce sera bien sûr le ministre. Je pense que cela prend quelqu'un à temps plein pour faire la révision du Code civil. Je suis le ministre dans presque tous ses dossiers. Il est aussi ministre délégué à la réforme parlementaire, je ne le suis pas dans ce dossier. J'essaie de suivre le ministre dans tous ses dossiers. Vraiment le suivre est bien difficile.

M. Bédard: Cela vous prendrait un adjoint.

M. Marx: Cela prendrait un adjoint, c'est cela. Nous n'avons pas de fonds disponibles.

M. Bédard: Ce n'est pas très sérieux pour nos invités par rapport aux projets de loi.

M. Marx: Le ministre va faire ses blagues après, mais...

M. Bédard: C'est vous qui commencez.

Le Président (M. Blouin): M. le député de D'Arcy McGee, vous avez la parole.

M. Marx: Dans certains mémoires, le ministre va voir qu'il y a des suggestions semblables, que d'une façon ou d'une autre, on donne la responsabilité de la préparation de tout le Code civil soit à un comité ou à une autre personne. On se rend compte qu'étant donné toutes les responsabilités du ministre dans tous les domaines - je ne veux pas énumérer toutes les fonctions du

ministre, cela va prendre 30 minutes, au moins quinze minutes - c'est une suggestion à laquelle le ministre devra réfléchir, parce que c'est le ministre qui a le plus de travail et le seul qui n'a pas d'adjoint parlementaire. Je trouve que, pour le Code civil, il faut qu'il y ait quelqu'un à temps plein pour s'occuper de cette réforme. Comme le ministre est déjà en fonction depuis sept ans et qu'il n'a eu le temps de déposer et de faire adopter qu'un livre dans le Code civil, je pense que c'est vraiment le temps de faire en sorte qu'il y ait quelqu'un pour s'occuper de cette affaire à temps plein.

Une deuxième suggestion: j'aimerais demander au ministre de surseoir à la mise en application du code à la pièce. Je pense que ce serait mauvais d'adopter deux autres livres du Code civil, c'est-à-dire les projets de loi nos 106 et 107, et de mettre en vigueur et en application ces livres du Code civil quoiqu'on ne connaisse pas le contenu des autres livres, par exemple celui sur les biens et ainsi de suite.

M. Bédard: Le livre sur les biens, c'est celui qu'on a déposé, on le connaît.

M. Marx: Déposé quand?

M. Bédard: Cela s'en vient, au printemps.

M. Marx: Ah! Cela s'en vient. M. Bédard: Tel que promis.

M. Marx: Avant ou après la fermeture de Parthenais?

M. Bédard: Avant. M. Marx: Ah! Ah! Ah!

M. Bédard: Et avant que vous ayez fini de parler!

M. Marx: Cela s'en vient. Tout s'en vient. Si cela s'en vient, tant mieux. C'est une autre raison pour ne pas mettre en vigueur et en application tout de suite ces deux projets de loi qu'on est en train de discuter. Je pense qu'il faut faire comme le gouvernement a fait en 1866, c'est-à-dire mettre tout le Code civil en vigueur et en application d'un seul coup.

Cela dit et mes suggestions faites, j'aimerais bien dire au ministre qu'il aura la collaboration de l'Opposition pour l'adoption de ces projets de loi, même si on n'est pas toujours d'accord sur tous les points dans toutes les lois. On a quand même apporté notre collaboration à un certain nombre de projets de loi même à la loi no 89, à la loi no 18, où il y a eu une controverse - l'article qui concerne le huis clos devant les tribunaux n'est pas encore en vigueur, mais cela va venir aussi - à la loi no 67 et ainsi de suite. Mais je peux assurer le ministre qu'il va avoir notre collaboration à 100% et que nous serons ici pour l'aider dans l'adoption de ces deux projets de loi.

J'aimerais aussi signaler au président que, du côté de l'Opposition, nous avons des notaires et des avocats expérimentés.

M. Bédard: Heureusement!

M. Marx: Heureusement! J'imagine que le ministre fait référence à lui-même, parce que, dans d'autres projets de loi, c'était très utile d'avoir ces députés en commission étant donné les conseils pratiques qu'ils ont donnés lors de l'adoption de ces projets de loi, dont le dernier était sur...

M. Polak: Les biens en stock.

M. Marx: ...les biens en stock. Je pense qu'on a réécrit la loi autour de la table. Heureusement que le ministre avait les conseils de ses avocats et des avocats de la pratique privée. J'imagine que le ministre va bien apprécier ces conseils et la collaboration de l'Opposition. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Blouin): Merci, M. le député de D'Arcy McGee.

Je crois que, M. le ministre, vous auriez quelques remarques - brèves, je l'espère - pour que nous puissions donner ensuite la parole à nos invités.

M. Marc-André Bédard (réplique)

M. Bédard: M. le Président, peut-être que j'aurais été plus bref si j'avais entendu le député de D'Arcy McGee parler des projets de loi qu'on a à discuter. J'ai écouté le député avec une grande attention et j'imagine que nos invités l'ont fait aussi. Il parle toujours de la collaboration de l'Opposition. J'ai essayé de déceler des suggestions positives d'amélioration concernant le présent projet de loi, qui nous auraient fait au moins percevoir qu'il était au courant du contenu de ces deux projets de loi. Nulle trace...

M. Marx: C'est un défi ou quoi?

M. Bédard: ...de suggestions heureuses ou qui auraient été de nature à...

M. Marx: On ne peut discuter de cela article par article, c'est défendu.

Le Président (M. Blouin): M. le député de D'Arcy McGee, si nous voulons passer rapidement à nos invités.

M. Bédard: M. le Président, vous avez remarqué que, lors de mes notes introductives, je m'en suis tenu aux deux projets de loi pour lesquels on a invité des gens et des groupes à venir faire des représentations. Je m'attendais que le député de D'Arcy McGee - et, à ce moment-là, je n'aurais même pas eu de réplique - trouve le moyen de saisir l'occasion pour nous faire connaître certaines suggestions, nous fasse la preuve qu'il est au courant du contenu de ces projets de loi. Malheureusement, ses remarques nous obligent à nous rendre compte que le député de D'Arcy McGee, comme d'habitude, n'a pas fait ses devoirs. Je suis toujours un peu...

Mme Lavoie-Roux: Là, faites attention.

M. Bédard: Je pars toujours du principe que le député de D'Arcy McGee...

M. Marx: ...

M. Bédard: Vous avez parlé, permettez qu'on parle. Je pars toujours du principe que le député de D'Arcy McGee est sérieux et je suis toujours déçu. Je ne sais pas si c'est parce qu'il ne comprend pas ou qu'il ne veut pas comprendre certaines choses mais il revient toujours avec des questions auxquelles des réponses ont été déjà données. Par exemple, le député de D'Arcy McGee, avec le plus grand sérieux du monde, demande que le ministre de la Justice donne un échéancier sérieux. Un échéancier sérieux a déjà été donné, et depuis très longtemps, concernant l'adoption - enfin, ce que nous prévoyons être les délais normaux pour l'adoption - de l'ensemble de la réforme du Code civil. Je pense que c'est le député qui n'est pas sérieux parce que l'échéancier a déjà été donné. D'ailleurs, les gestes que nous avons posés jusqu'à maintenant nous permettent d'être en mesure de dire que nous pourrons normalement respecter cet échéancier qui était, d'une part, l'adoption du droit de la famille, ensuite le dépôt. Qu'on parle de six mois de retard quand on voit l'importance des projets de loi, l'importance des sujets dont il est traité, qu'on en soit à six mois de différence par rapport à un échéancier fixé, quand on sait qu'il a fallu 25 ans pour avoir un rapport de la commission du Code civil, je pense que c'est plus que raisonnable.

Tel que prévu, nous avons déposé les deux projets de loi que nous avons devant nous aujourd'hui. Avant l'ajournement de la présente session, nous déposerons l'autre projet de loi concernant les biens. J'ai annoncé tout cela il y a déjà... Le député de D'Arcy McGee n'a sûrement pas de mémoire...

M. Marx: Est-ce que le ministre me permettra une question?

M. Bédard: Quand même, vous vous êtes fait plaisir. On va parler.

Le Président (M. Blouin): M. le ministre, vous avez la parole.

M. Bédard: J'ai déjà annoncé tout cela. Le député de D'Arcy McGee se demande comment on va faire la cohérence législative entre les biens, les personnes et les successions. Il ne comprend manifestement pas - il ne semble pas comprendre - le processus de l'adoption. Quand nous avons adopté la réforme du droit de la famille, nous avons eu ensuite une loi d'application qui a assuré la cohérence. Quand je déposerai le chapitre concernant la réforme sur les biens, à ce moment-là - et je l'ai dit, je l'ai même dit dans mon texte d'introduction et encore là le député de D'Arcy McGee ne l'a pas vu - il y aura une loi d'application qui ferait la cohérence de l'ensemble de la législation qui serait à adopter. Tout cela et ensuite nous procéderons.

L'échéancier dont j'ai parlé tout à l'heure, il y a au moins un an que les journalistes et ceux qui suivent un peu les travaux de la réforme du Code civil le connaissent. Il y aura ensuite un travail sur l'ensemble du reste du Code civil qui nous permettra normalement - c'est toujours ce que j'ai dit et je pense que c'est une vitesse de croisière très impressionnante, c'est du moins ce que je pense - d'effectuer l'ensemble de la réforme du Code civil d'ici la fin de l'année 1985. Cela veut dire, depuis le dépôt en 1978, 5 ans pour faire cette énorme réforme du Code civil du Québec alors qu'il a fallu 25 ans pour présenter un rapport. Je pense qu'il s'agit là d'une vitesse de croisière plus que raisonnable et qui montre jusqu'à quel point il y a des efforts qui se font au niveau du ministère de la Justice pour faire avancer le travail de la réforme du Code civil. Cela se fait peut-être sans bruit, avec de nombreuses consultations, avec des rencontres avec des groupes, des organismes pour essayer d'en arriver à présenter ou à déposer les projets les plus acceptables, les plus valables possible. Cela se fait sans bruit, mais cela se fait. C'est ce qui est important. (11 heures)

Le député de D'Arcy McGee, plutôt que de parler des deux projets de loi, a profité de son introduction pour revenir sur des dadas. Je le trouve très comique concernant la demande qu'il fait d'un adjoint parlementaire en ce qui me concerne. Je ne demande rien du côté de l'Opposition. Laissez-moi le député de D'Arcy McGee, il ne fait pas grand problème. Pour ce qui est d'un ajoint, en temps et lieu, quand cela sera nécessaire. Il y a quand même là une vitesse de réalisation en terme de législation

qui, en fait, se compare, si on regarde toute...

M. Marx: Je vais en parler au premier ministre...

M. Bédard: ...la législation qui a été faite au ministère de la Justice, comparée, pour la même période, à celle faite par des gouvernements précédents. Cela se compare très avantageusement, je pense. À un moment donné, il faut une logique. Lorsque le député de D'Arcy McGee nous parle de l'état de la législation, à un moment donné, il nous dit qu'il y a trop de lois; à un autre, il nous dit: Dépêchez-vous d'en adopter d'autres, y compris le Code civil, etc., il faudrait se décider. Je pense que l'état de notre législation, qui mérite toujours d'être améliorée, a quand même connu des améliorations qui doivent être soulignées. Je ne veux pas m'éterniser là-dessus, mais je le dis simplement en passant.

C'est quand même sous notre gouvernement qu'a été publiée la première refonte des règlements en vigueur, le 1er août 1982, versions française et anglaise avec index et mise à jour constante. C'est également sous notre gouvernement qu'il y a eu la refonte de nos lois dont la mise à jour s'effectue actuellement à tous les six mois. Compte tenu des délais incompressibles en matière semblable, il s'agit d'une excellente performance. Ce sont des gestes qui n'ont pas fait grand bruit, mais qui méritent d'être soulignés parce que cela a représenté un travail énorme.

Le député de D'Arcy McGee dénonce les projets omnibus et la façon dont ils sont adoptés. Par exemple, il nous dit: Espérons que cette législation ne sera pas adoptée à la dernière minute de la session. Quand même! À un moment donné, il faut en venir à se faire une idée sur la législation. Les projets de loi dont on parle sont déposés depuis le mois de décembre. J'espère que l'Opposition a commencé à se faire une idée de ce qu'elle veut proposer comme suggestions. Il est évident, malheureusement, que les fins de session sont toujours ce qu'on appelle les fins de session.

Quant aux lois omnibus, par exemple, dont a parlé le député de D'Arcy McGee, ce qu'il a oublié de dire, c'est que, depuis ma nomination à titre de président du comité de législation, à l'automne 1982, j'ai proposé, de concert avec le leader de l'Opposition, à mes collègues ainsi qu'à l'Opposition, une nouvelle façon de faire. Cette méthode a été mise à l'épreuve lors de la dernière fin de session avec le projet de loi no 101. J'avais l'impression, jusqu'à l'intervention du député, que les parlementaires des deux côtés de la Chambre n'avaient qu'à se féliciter de la manière ou encore de l'amélioration qui avait été apportée et qui obligeait les ministres à venir se faire entendre, de manière que l'on connaisse très bien le contenu des différentes dispositions qui peuvent se retrouver dans le projet de loi omnibus.

J'aurais bien d'autres remarques, mais je m'arrête là. Ce qui importe pour nous, de ce côté-ci, c'est les deux projets de loi sur lesquels nous voulons entendre les organismes. Nous leur laissons maintenant la parole.

Le Président (M. Blouin): Merci, M. le ministre. Nous allons maintenant...

Mme Lavoie-Roux: M. le Président...

Le Président (M. Blouin): Oui, Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Juste une question de fonctionnement. Je vois qu'il y a huit organismes qui ont été invités pour aujourd'hui. Normalement, la commission parlementaire cesse ses travaux à 22 heures, si je ne m'abuse.

Le Président (M. Blouin): À 22 heures, oui.

Mme Lavoie-Roux: À 22 heures, oui.

Le Président (M. Blouin): Cependant, il est toujours possible, avec le consentement des membres de la commission, de prolonger les travaux.

Mme Lavoie-Roux: Oui, mais écoutez, c'est le régime du mois de juin. Si vous commencez cela au mois d'avril... Comment allez-vous répartir le temps parce qu'il me semble, si on tient compte qu'il reste une heure avant le dîner et qu'on revient vers 15 h 30, en mettant les choses au mieux, ensuite deux heures après le souper...

M. Bédard: II nous reste deux heures avant le dîner.

Le Président (M. Blouin): Ce que je souhaiterais, c'est que...

Mme Lavoie-Roux: Bien non, c'est à 14 heures...

M. Bédard: On siège jusqu'à 13 heures.

Le Président (M. Blouin): ...jusqu'à 12 h 30, puisque la session reprend à...

M. Bédard: Bon, jusqu'à 12 h 30. Il nous reste une heure et demie.

Mme Lavoie-Roux: De toute façon, je ne veux pas une discussion si je me suis trompée d'une demi-heure.

M. Bédard: Ce n'est pas grave. Je me suis trompé moi aussi.

Mme Lavoie-Roux: Je suis bien prête à me rétracter.

M. Bédard: Je me suis aussi trompé d'une demi-heure, ce n'est pas grave.

Mme Lavoie-Roux: Mais il reste qu'on a invité huit groupes et ce sont quand même tous des groupes importants. Je ne vois vraiment pas comment on peut passer à travers cela d'ici à 22 heures. Il faudrait peut-être être prudent quant aux groupes qui seront invités les autres journées. C'est toujours une erreur qu'on fait et on précipite les derniers groupes.

Le Président (M. Blouin): Nous allons... Oui, M. le député de D'arcy McGee.

M. Marx: Je conviens que nos règles sont de 20 minutes pour la présentation. Mais si on prend, par exemple, contrairement à ce que le ministre pourrait penser, j'ai lu quelques mémoires...

M. Bédard: II y a toujours une latitude. M. Marx: Mais cela veut dire...

M. Bédard: II y a toujours une certaine latitude qui est donnée.

M. Marx: II sera impossible de passer respectivement la chambre des notaires et le barreau dans une heure chacun.

M. Bédard: II y a toujours une latitude qui est donnée, d'autant plus que nous avons deux projets de loi. Je pense qu'il est normal que le président de la commission demande à ceux qui ont à faire des représentations d'essayer de limiter la phase préliminaire à 20 minutes, quitte ensuite à y aller de questions.

Le Président (M. Blouin): Ce que je suggère c'est que nous débutions dès à présent l'audition des mémoires. Et au cours de nos travaux, d'ici à 12 h 30, nous allons avoir peut-être une meilleure idée de l'allure que prendront nos travaux. Au retour, vers 15 h 30 ou 16 heures, nous serons peut-être davantage capables à ce moment d'identifier les moyens que nous aurions à prendre pour essayer d'entendre tous les groupes qui ont manifesté leur intention d'être entendus aujourd'hui.

Donc, dès à présent, je demanderais aux représentants de la chambre des notaires de bien vouloir s'installer à la table des invités.

Je leur rappelle, comme nous venons de le dire, de limiter leur présentation à 20 minutes, dans la mesure du possible. Je demanderais également, toujours dans la mesure du possible, aux intervenants, et du côté gouvernemental et du côté de l'Opposition, de ne pas trop excéder ces 20 minutes habituelles que nous nous accordons réciproquement.

J'aimerais d'abord que les représentants de la chambre des notaires s'identifient et qu'ils nous présentent les personnes qui les accompagnent.

Auditions La Chambre des notaires du Québec

M. Morency (Simon): Merci, M. le Président. M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs, la chambre des notaires est heureuse de répondre à l'invitation qui lui a été faite de comparaître devant cette commission et elle est fière de pouvoir présenter ses deux mémoires sur la réforme du Code civil, soit sur les personnes et les successions.

Le Président (M. Blouin): M. le représentant, pour les fins du journal des Débats, est-ce que vous pourriez d'abord vous identifier et présenter les personnes qui vous accompagnent, s'il vous plaît!

M. Morency: C'est ce que j'allais faire, M. le Président.

Le Président (M. Blouin): D'accord.

M. Morency: Je suis le président de la chambre des notaires, Simon Morency; à ma gauche, Me Louise Thisdale qui est présidente du sous-comité de législation sur le Code civil; Me Jacques Auger qui est membre du comité, professeur de droit civil à l'Université de Sherbrooke; à ma droite, Me Yves Demers, membre du comité, notaire à Québec; Me Denise Fortin, secrétaire du sous-comité et responsable de la formation continue à la chambre des notaires et Me Earl Kimmel, le président du comité de législation de la chambre des notaires.

J'invite maintenant Me Jacques Auger à prendre la parole au nom de la délégation de la chambre des notaires.

M. Auger (Jacques): Merci. M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs les membres de la commission, la Chambre des notaires du Québec voudrait d'abord vous indiquer qu'elle a attribué et qu'elle attribue une très grande importance à cette réforme du Code civil et, conséquemment, aux projets de loi nos 106 et 107 qui sont présentement à l'étude.

Comme on l'a indiqué tantôt, il s'agit véritablement d'un statut fondamental qui concerne tous les citoyens québécois dans

toutes les phases de leurs activités. Cette importance pour la chambre des notaires s'est traduite essentiellement de deux façons: d'abord, par une étude attentive et exhaustive des deux projets de loi et, deuxièmement, dans des recommandations que l'on a déposées devant votre commission.

Ces recommandations, nous les avons voulues non seulement générales, mais aussi et très souvent et le plus souvent possible, précises, c'est-à-dire que nous avons voulu concrétiser toutes nos recommandations dans des textes de loi que nous avons reformulés, en tout ou en partie, de façon à apporter une collaboration vraiment immédiate et, nous l'espérons, plus efficace à ces travaux complexes. Nous avons donc fait à cet égard plus d'une centaine de recommandations. Compte tenu des avertissements qu'on nous a donnés, je ne pense pas qu'on puisse parler de toutes et de chacune de ces recommandations. Nous allons essayer ce matin, tout en respectant la limite de temps que vous nous allouez, d'attirer l'attention de cette commission sur certains points qui nous paraissent plus fondamentaux, mais cela ne signifie pas, pour autant, que les sujets sur lesquels nous ne parlerons pas sont pour nous d'un intérêt négligeable.

Je commencerai par le projet de loi no 106 qui porte réforme du droit des personnes. Je soulignerai certaines questions en regard de six points. La première question que je voudrais soulever concerne la jouissance des droits civils et touche principalement l'article 1 du projet de loi qui doit être lu avec l'article 123. L'article 1 du projet de loi pose une règle avec laquelle tout le monde va être d'accord: "L'être humain possède la personnalité juridique". C'est dans sa seconde partie que nous avons certaines objections, quand l'article 1 ajoute: "II est sujet de droit depuis sa naissance jusqu'à sa mort", et qu'on lit cet article avec l'article 123 qui charge les parents, père et mère, de la protection des intérêts pécuniaires de l'enfant conçu, mais non né. On peut en arriver à la conclusion que l'actuel projet de loi sur les personnes ne s'intéresse pas à la protection d'autre chose que les intérêts pécuniaires d'un enfant conçu et non né.

Cela nous apparaît pouvoir poser deux types de problèmes qui peuvent, à certains égards, avoir des conséquences très importantes. D'abord, ce deuxième alinéa de l'article 1 risque de mettre un frein, à notre avis, à toute évolution de notre droit vers une plus grande protection non seulement des intérêts pécuniaires de l'enfant, mais aussi de ses intérêts extrapatrimoniaux et, notamment, de son intégrité physique. Non seulement nous pensons que cela peut mettre un frein, mais cela peut même, à certains égards, amener une régression du droit en ce qui concerne la protection des intérêts d'un enfant conçu et non né. Or, notre recommandation à cet égard est de ne pas adopter la deuxième partie de l'article 1 pour s'en remettre uniquement au principe qui est édicté dans sa première partie.

Le deuxième point que je voudrais aborder concerne l'intégrité de la personne, essentiellement les articles 11 à 22 du projet de loi, sur lesquels nous voudrions faire deux commentaires. D'abord, nous avons vu dans ces articles un travail tout à fait louable et avec lequel nous sommes parfaitement d'accord, c'est-à-dire qu'il est d'une extrême importance d'édicter, dans un chapitre du Code civil qui traite des personnes, des dispositions concernant l'intégrité de la personne. Le principe est clairement posé à l'article 11. On sent bien que le souci du législateur par la suite est d'apporter des réponses à des questions qui se posent de façon tout à fait concrète. Qui pourra veiller à la protection de l'intégrité physique des personnes quand ces personnes sont des mineurs ou des majeurs incapables? C'est ce à quoi les articles 12 et suivants veulent répondre.

Or, ici nous avons un commentaire général sur ces articles. Nous trouvons qu'à bien des égards ils sont d'une complexité parfois extrêmement difficile à surmonter parce qu'ils font appel à des critères qui ne sont pas toujours précis et parfois subjectifs: des questions de doué de discernement ou de non doué de discernement. Aussi, ils sont tous interreliés, à tel point que, pour en comprendre un, il faut avoir une image parfaite de l'ensemble. (11 h 15)

Or, lorsqu'on pense que ces dispositions vont devoir s'appliquer des centaines de fois quotidiennement, on craint que leur complexité ne puisse constituer un obstacle important à leur application efficace. Je ne veux donner qu'un exemple de ce que nous avançons présentement. L'article 15, par exemple, qui parle de la nécessité de recourir à l'autorisation du tribunal, nous dit: "L'autorisation du tribunal est requise si le mineur doué de discernement s'oppose". C'est, de toute évidence, une référence à l'article 16 qui suit où, cette fois, on parle du "mineur de 14 ans doué de discernement". Déjà, on voit que les critères utilisés ne sont pas en parfaite concordance. Si on les met en rapport les uns avec les autres, on peut en arriver à la conclusion que, dans le cas du mineur de 11 ou 12 ans qu'on pourrait juger doué de discernement et qui s'opposerait à recevoir des soins pour une amygdalite ou pour d'autre chose d'aussi mineur, on devra recourir à l'autorisation du tribunal. Cela nous apparaît excessif. On pense que la protection d'un mineur est d'abord et avant tout assurée par sa famille immédiate. Bref, notre principal commentaire à cet égard est qu'on devrait revoir ces

dispositions dans le but de clarifier les critères de distinction et de simplifier ces dispositions, bien qu'on comprenne fort bien qu'il s'agit d'un travail fort complexe.

Le deuxième point - il est plus spécifique - concerne l'article 12. Ces dispositions du chapitre III posent un principe avec lequel on est parfaitement en accord: la personne est inviolable et a droit à son intégrité. L'article 12 reprend ce principe en disant qu'on ne peut soumettre une personne à un examen ou à un traitement sans son consentement. C'est avec l'exception que vient faire le deuxième alinéa de l'article 12 que nous ne pouvons être d'accord. Cet article permet et permettra - s'il était adopté tel quel - qu'on puisse administrer des traitements thérapeutiques à des gens en cas d'urgence, mais passer outre à leur refus. Cela nous apparaît contredire de façon très importante le principe qui est exposé à l'article 11 et à l'article 12. Nous pensons qu'une personne qui jouit de ce droit à l'inviolabilité devrait pouvoir s'opposer à des traitements même si, aux yeux des tiers, cela va à l'encontre de ses intérêts. Or, à cet égard, nous recommandons de reprendre le deuxième alinéa de l'article pour qu'il ne puisse pas être permis de passer outre à un refus d'une personne qui est capable de consentir ou de refuser.

Notre troisième point concerne la capacité du mineur et, essentiellement, les articles 84 et suivants du projet de loi no 106. On l'a souligné tantôt dans les propos qui ont été prononcés notamment par le ministre, il est important d'adopter une protection pour des personnes incapables et le mineur est au nombre de ces personnes que l'on vise et que l'on tend à protéger. Le droit actuel, après de nombreuses hésitations et une longue évolution, en est arrivé à poser une règle que l'on expose très souvent à partir de la formule suivante: le mineur est capable de contracter, mais il est incapable de se léser. Cela exprime fort bien l'état actuel du droit; cela signifie qu'un mineur qui contracte ne peut pas demander que son contrat soit mis de côté s'il ne prouve pas un préjudice. Ce n'est donc pas du simple fait qu'il soit mineur qu'il peut obtenir que son contrat soit mis de côté, mais en plus faut-il qu'il prouve préjudice. Voilà une règle avec laquelle notre droit semble très bien s'accommoder à l'heure actuelle: le mineur est donc capable de contracter, mais incapable de se léser. Or, nous avons de la difficulté et nous avons eu de la difficulté à comprendre exactement quelle est la règle que veulent introduire les articles 84 et 85. On ne sait plus si c'est une capacité limitée ou une incapacité relative ou à une semi-capacité. Cela nous apparaît une question importante qui devrait, à notre avis, faire l'objet d'un réexamen. À cet égard, nous pensons que le droit actuel ne présente pas de difficulté majeure et qu'il serait peut-être approprié de le prendre dans l'état où il est actuellement, quitte à reformuler, bien sûr, les règles du Code civil qui, actuellement, ne sont pas, non plus, tellement plus claires sur cette question.

Le deuxième point qui concerne ce chapitre sur la minorité, c'est qu'il est important de poser des règles claires sur la capacité du mineur et, de ces règles, il découle forcément des mesures qui vont nous indiquer quelles sont les conséquences qui découlent des actes posés. C'est ce que cherchent à atteindre comme objectif les articles 93, 94 et 95 du projet, où on nous édicte différents types de sanctions ou de conséquences juridiques quand des actes sont posés contrairement à ce que la loi exige.

Or, ici aussi, il nous apparaît y avoir un problème important. L'article 93, par sa formulation, parle d'acte nul, donc en langage juridique, cela veut dire une nullité absolue que toute personne intéressée peut invoquer et non seulement le mineur. À l'article 93, on parle aussi d'une nullité que l'on qualifie dans le langage juridique de relative, c'est-à-dire que seul l'incapable ou son représentant peut invoquer, sans dans ce cas qu'il soit besoin de prouver préjudice. Cela aussi correspond à des articles actuels de notre droit.

Troisième catégorie de sanctions, à l'article 95, on dit: Le mineur peut, s'il en souffre préjudice, demander que son contrat soit annulé. Il s'agit donc également d'une nullité relative, mais avec preuve de préjudice dans ce cas.

Si vous remarquez, les articles 93 et 95 semblent s'adresser aux mêmes actes. L'article 93 parle d'actes faits par le mineur lorsque la loi ne lui permet pas d'agir seul. Techniquement, quand le mineur agit sans être représenté au sens de l'article 95, il est donc aussi dans un cas où la loi ne lui permet pas d'agir seul. Quelle est la sanction qu'on devrait appliquer? L'article 93, nullité absolue ou l'article 95, nullité relative? C'est là une question qui, nous le pensons, devrait être clarifiée. À cet égard, il faudrait peut-être faire le même exercice en regard des articles 105 et 106 qui traitent de la capacité du mineur émancipé, sans cette fois parler aucunement des sanctions. Nos recommandations sont donc de revoir ces dispositions et d'apporter ces précisions qui nous paraissent s'imposer.

Un quatrième point concerne le conseil de tutelle. Nous sommes tout à fait en accord avec les déclarations qui ont été faites tantôt que, d'une part, il faut protéger les intérêts d'un incapable et donc assurer une surveillance de la tutelle. Il ne faut pas laisser aller un tuteur trop longtemps sans surveillance au risque qu'il en découle des conséquences graves pour les intérêts du mineur.

On est également d'accord avec le fait de diminuer dans la mesure du possible l'intervention de l'État dans ce rôle de surveillance, ce qui veut dire qu'on est d'accord en grande partie avec cette introduction du conseil de tutelle comme nouvel organisme de surveillance. Ce nouveau conseil de tutelle - qu'on ne doit pas assimiler à l'actuel conseil de famille, qui fait effectivement l'objet de reproches fondés - tant par sa vocation que par sa composition, nous apparaît susceptible de répondre au rôle qu'on veut bien lui confier. Toutefois, le projet de loi introduit deux types de tutelle: la tutelle légale des père et mère, c'est-à-dire que le législateur va accorder automatiquement aux père et mère la fonction de tuteur, et ce que le projet de loi appelle la tutelle dative, c'est-à-dire la tutelle qui sera déférée par un tribunal, comme c'est actuellement le cas, ou celle qui sera déférée par les père et mère par testament ou autre disposition.

Il nous apparaît que cette distinction mérite qu'on fasse subséquemment d'autres distinctions, c'est-à-dire qu'accorder la tutelle légale aux père et mère, c'est pour le législateur accorder une confiance aux père et mère, et nous sommes d'accord avec cela. Il nous apparaît que de cette confiance devrait découler des mesures de surveillance un peu moins étroites que celles que l'on va attacher à la tutelle dative. En ce sens, nos recommandations visent à rendre très clair dans le projet de loi que toute tutelle dative devra s'accompagner dès le départ de la formation d'un conseil de tutelle, ce qui n'est pas clair dans le projet de loi, du moins dans certaines de ses dispositions.

Quand il s'agit d'une tutelle dative, qu'il y ait immédiatement dès le départ un conseil de tutelle, dont notamment la mission est de surveiller l'administration du tuteur. Quand il s'agira d'une tutelle légale, nous pensons que cette nécessité de surveillance devrait être moins immédiate, un peu plus éloignée et n'intervenir que lorsque les biens à administrer sont d'une importance certaine. À cet égard, notre mémoire contient des recommandations précises.

Un cinquième point concerne le droit d'accès à un dossier personnel et cela nous ramène un peu en arrière dans le projet de loi: à l'article 35. L'article 35 pose également une règle avec laquelle nous sommes d'accord, c'est-à-dire permettre à des gens de consulter les dossiers qui les concernent et, au besoin, faire rectifier les informations que ces dossiers contiennent. Toutefois, nous croyons que l'article 35, dans sa rédaction et dans sa formulation actuelles, laisse une trop grande porte de sortie. En effet, lorsqu'on lit cet article, on voit qu'une personne pourra consulter et faire reproduire de tels dossiers qui la concernent "et qu'une personne constitue ou détient sur elle dans le but d'informer un tiers". Il sera très facile, dans de nombreux cas, nous le pensons, de prétendre que le dossier que je détiens sur vous, je ne le détiens pas dans le but d'en informer des tiers et cela va mettre fin à votre demande de consultation, de reproduction et de possibilité de faire rectifier.

Nous pensons que cette règle de l'article 35 est fort louable, mais qu'on devrait en repenser la formulation de façon à lui donner un peu plus de dents. On s'est également demandé si cet article était à lui seul suffisant pour assurer aux citoyens une protection en regard des informations privées qui les concernent. Et on s'est demandé s'il n'y aurait pas lieu d'adopter - peut-être pas nécessairement dans le Code civil, mais dans une autre loi - des dispositions un peu semblables à l'actuelle loi no 65 qui a été sanctionnée en juin 1982 et qui concerne l'accès aux documents des organismes publics et la protection des renseignements privés, mais en regard, cette fois, des organismes privés, de façon que le principe posé à l'article 35 puisse, à travers un mécanisme prévu, jouer de façon efficace en faveur du citoyen et de la protection de ses intérêts.

Un dernier point sur la loi no 106 concerne la dernière partie du projet à propos des personnes morales. Nous avons eu énormément de difficulté à nous former une opinion sur ces dispositions. Nous sommes, en principe, d'accord avec l'introduction dans le Code civil de dispositions beaucoup plus détaillées concernant les personnes morales. Le Code civil est un statut fondamental, comme l'indiquent les dispositions préliminaires. Le droit civil est quelque chose d'également très fondamental au Québec et il nous apparaît utile, important, qu'il contienne une espèce de loi-cadre concernant les personnes morales.

Par ailleurs, il est très difficile de donner actuellement une image de cette dernière partie du projet de loi et d'apporter des critiques valables, en ce sens qu'il nous manque trop de pièces législatives qui vont de pair avec cette partie. On ne sait pas quel sera le prochain droit des sociétés. On ne sait pas encore quelles seront les règles qui concernent l'administration du bien d'autrui auxquelles on veut assujettir les administateurs de compagnies. On ne connaît pas, non plus, cette loi-cadre concernant les compagnies dont on parle depuis un certain temps. Bref, il nous apparaît que, pour porter un jugement valable sur cette dernière partie du projet, il serait préférable de connaître d'autres morceaux législatifs qui sont essentiels à une bonne compréhension de cet ensemble. Et, à cet égard, notre recommandation est tout simplement, si on veut aller vraiment de l'avant avec ce projet, de retarder l'adoption de cette dernière partie à une époque où on sera

vraiment en mesure d'en apprécier toutes les facettes. Voilà les points sur lesquels nous voulions attirer l'attention de cette commission en regard de la loi no 106.

Concernant la loi no 107 portant réforme du droit des successions, il y a quatre points sur lesquels nous voudrions insister plus particulièrement. Le premier point concerne la part attribuée au conjoint survivant en l'absence de dispositions testamentaires, c'est-à-dire les articles 725 et suivants. Le ministre de la Justice a souligné tantôt dans ses propos que l'une des grandes réformes à cet égard avait été d'abroger ce qu'on appelle, nous, en langage bien familier, l'article 624c, c'est-à-dire ce fameux article qui empêche un conjoint survivant, dans le cadre d'une succession ab intestat, de cumuler les avantages de la succession et ceux du régime matrimonial. Il est vrai qu'il s'agit d'un pas en avant et nous sommes tout à fait d'accord avec l'abrogation de cet article, mais nous croyons que le projet de loi ne va pas encore assez loin. Si on le regarde et qu'on fait un parallèle avec l'actuel droit concernant la dévolution successorale, on se rend compte -à l'exception et sous réverse de ce qui vient d'être dit concernant l'article 624c - qu'on est, à peu de chose près, au même état que le droit actuel. (11 h 30)

Or, il faut se rappeler que ce droit-là date de 1915. En 1915, c'était un pas en avant immense que de donner un tiers de la succession au conjoint survivant parce qu'avant il n'y avait rien du tout. Mais, en 1980, nous pensons que c'est timide comme réforme que de maintenir, à peu de chose près, les règles de la dévolution successorale telles qu'elles sont actuellement. Nous serions plus près, à cet égard, des propositions de l'office qui, lorsqu'une succession s'ouvre et qu'on est en présence d'un conjoint et d'enfants, la partage 50-50. Quand on n'a plus d'enfants et qu'il y a un conjoint, on ne voit pas très bien pourquoi le conjoint devrait partager avec des père et mère, frères et soeurs, neveux et nièces et, parfois, petits-neveux et petites-nièces. Ces règles sont fondées sur ce qu'on appelle les affections présumées d'un défunt, c'est-à-dire que quand le législateur se donne la mission d'établir de telles règles il se demande ce que ferait normalement le défunt dans de telles circonstances. Pensez-vous qu'aujourd'hui un défunt penserait à ses neveux et nièces avant son conjoint? Cela nous apparaît peu vraisemblable et c'est la raison pour laquelle nous sommes plutôt d'accord avec un pas de plus en avant dans cette direction des règles concernant la dévolution légale.

À cet égard - et notre mémoire n'en fait pas état - nous voudrions souligner un point de concordance entre le droit nouveau, qui est entré en vigueur dernièrement, notamment le 1er décembre dernier, et le projet de loi. Le droit de la famille qui a été édicté, la loi 89 qui est entrée en vigueur en différentes parties et qui va encore entrer en vigueur en d'autres parties, prévoit qu'en cas de divorce les donations à cause de mort, c'est-à-dire les testaments par contrat de mariage pour parler clairement, sont automatiquement révoquées. La même loi prévoit que les bénéfices d'assurance en faveur d'un conjoint sont automatiquement révoqués en cas de divorce. On se demande si cette logique déjà introduite dans la loi 89 ne devrait pas se poursuivre dans la loi 107. Qu'est-ce que cela signifierait? Cela signifierait également qu'un testament fait antérieurement à un divorce deviendrait caduc en ce qui concerne la nomination d'un conjoint comme légataire pour accorder, à ce moment-là, la philosophie déjà introduite dans la loi 89. C'est une question que nous soumettons à votre attention et sur laquelle il y aurait lieu - nous le pensons - de se pencher.

Le deuxième point concerne l'acceptation d'une succession dévolue à un majeur incapable et, particulièrement, les articles 699 et suivants. Ici, la loi pose une règle avec laquelle on ne peut être en désaccord. Quand une succession s'ouvre à laquelle un mineur est appelé ou un majeur incapable, le législateur ne permet pas que cette succession puisse être acceptée purement et simplement parce qu'il pourrait en découler une responsabilité en ce qui concerne cet incapable au-delà de l'actif qu'il reçoit. Le législateur ne permet pas, non plus, que cela soit une succession à laquelle on puisse renoncer au cas où cela pourrait être intéressant toujours pour cet incapable qui n'a pas à décider par lui-même. Il faut maintenir absolument cette règle selon laquelle une succession dévolue à un incapable ne peut être acceptée en principe que sous bénéfice d'inventaire, comme on le dit. Comme il s'agit d'un cas où il n'y a pas d'option, où on n'a pas de choix, on se demande pourquoi on accompagne cette obligation d'accepter sous bénéfice d'inventaire de formalités. Si on n'a pas le choix, il ne devrait pas être utile de faire des formalités pour faire ce que la loi nous oblige à faire. Notre recommandation, à cet égard, porte principalement sur l'article 701 et vise à introduire une présomption d'acceptation sous bénéfice d'inventaire et d'éviter ainsi que les personnes ne soient obligées de faire des formalités pour accomplir ce que la loi les oblige à faire.

Par ailleurs, dans les cas où la loi permet tout à fait exceptionnellement de déroger à cette règle, puisque l'article 701 mentionne ces cas, par exemple lorsqu'une succession est, notoirement solvable ou notoirement insolvable, le formalisme devrait

être réintroduit et notamment, l'acte notarié en minutes pour le constater, avec tous les avantages qui découlent de l'acte notarié tant au niveau de la preuve, de la conservation, de la sécurité, du conseil aussi que le notaire est amené à donner à ce moment-là aux parties. Bref, notre recommandation sur cette question est celle d'inverser un peu ce que la loi prévoit, d'établir une présomption d'acceptation sous bénéfice d'inventaire parce que, en principe, on ne peut faire autrement et, dans les cas exceptionnels où on peut y déroger, d'établir un formalisme pour toujours assurer la protection de ces personnes incapables à qui une succession est dévolue.

Un troisième point concerne le testament authentique. D'abord, nous sommes d'accord avec l'assouplissement des formalités qui sont introduites par le projet de loi en ce qui regarde le testament authentique. Nous n'avons, à cet égard, pas de commentaire particulier à faire, si ce n'est, dans nos commentaires article par article, certains ajustements.

Nous serions également favorables à ce que le législateur introduise la possibilité, pour des personnes ne connaissant pas la langue française ou la langue anglaise, de faire un testament authentique dans la mesure où le notaire et le témoin connaissent également cette langue étrangère. Tous les Néo-Québécois qui, fraîchement arrivés, ne possèdent pas suffisamment la langue anglaise ou la langue française, pourraient eux aussi, comme tout autre Québécois, recourir à la possibilité de faire un testament authentique dans la mesure où, effectivement, le notaire lui-même connaît cette langue et où le témoin requis au testament la connaît. Nous avons donc à cet égard une proposition très précise que vous retrouverez aussi dans notre mémoire.

Un dernier point. Il s'agit de ce qu'on peut appeler ici l'uniformisation des délais concernant certaines décisions à prendre par l'héritier. Cela concerne plus spécifiquement les articles 684 et 687 du projet de loi. Cela concerne aussi d'autres dispositions qui ne sont pas actuellement dans le projet de loi sur les successions. Il nous paraît qu'il s'agit là d'une question importante. L'article 684 donne à un héritier, lorsque s'ouvre une succession, un délai de six mois pour se prononcer: l'accepter ou y renoncer. L'article 687 confirme clairement qu'il doit se prononcer dans ce délai de six mois; sinon, il est réputé "acceptant" pur et simple.

Or, dans les faits, quand s'ouvre une succession à laquelle sont appelés un conjoint et d'autres héritiers, vous le savez, s'ouvrent pour le conjoint, au même moment, d'autres droits. J'en mentionne deux: le droit de se prononcer sur son régime matrimonial, pour l'accepter ou y renoncer, quand il s'agit d'une société d'acquêts ou d'une communauté de biens; le droit aussi - nouveau pour lui, mais existant - de demander qu'une prestation compensatoire lui soit versée. Or, pour se prononcer sur le régime matrimonial, notamment la société d'acquêts, l'article 501 du Code civil du Québec accorde au conjoint un délai d'un an. Le Code civil du Bas-Canada, pour demander la prestation compensatoire, accorde également un délai d'un an. Or, l'autre héritier de la succession, à qui on n'accorde que six mois pour se prononcer, ne peut effectivement pas dans les faits se prononcer en connaissance de cause, s'il ne connaît pas l'option du conjoint survivant, qui a un impact majeur sur la succession. Alors, si le conjoint survivant accepte les acquêts, il peut prendre la moitié de la succession. S'il demande une prestation compensatoire, quel sera le montant au bout de la ligne qui sera déterminé, soit par un accord, soit par le tribunal?

Bref, il est obligé de se prononcer à un moment où il peut ne pas connaître des décisions fondamentales pour l'exercice de son option. Notre recommandation est d'uniformiser ces délais de la façon suivante: d'abord, de raccourcir les délais pour se prononcer sur le régime matrimonial et la prestation compensatoire à six mois et d'accorder neuf mois à un héritier pour se prononcer. À ce moment-là, c'est l'option sur la succession dont le délai est le plus long -et il faut qu'il en soit ainsi - mais dans l'ensemble notre recommandation a pour effet de réduire un peu ces délais qui sont toujours de nature, on s'en doute, à retarder parfois le règlement des successions. Or, notre recommandation vise donc à rendre plus efficaces et fonctionnelles, dans la pratique, ces décisions tout en n'allongeant pas, mais, bien au contraire, en tentant de réduire un peu certains délais reliés forcément au règlement d'une succession, sans pour autant que le tout devienne hâtif et tout en laissant aux gens le temps nécessaire pour se prononcer et exercer leur option.

Voilà les points sur lesquels nous voulions ce matin attirer plus particulièrement votre attention. Encore une fois, nous vous rappelons que notre mémoire contient de nombreuses autres recommandations sur toute une série de points, d'inégale importance cependant, et que nous avons tenu à les formuler sous forme d'articles spécifiques de façon à faciliter davantage ce travail difficile qu'est celui d'adopter des projets de loi. Merci.

Le Président (M. Blouin): Merci, M. Auger. M. Langlois, vous avez quelque chose à ajouter ou on peut passer immédiatement à l'intervention de M. le ministre? D'accord?

Une voix: D'accord.

Le Président (M. Blouin): M. le ministre, vous avez la parole.

M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier le président de la chambre des notaires de même que ceux qui l'accompagnent pour le substantiel mémoire qui a été présenté. Il a été également résumé sur quelques points d'une façon très brillante, très concise et, je pense, très compréhensive par le dernier intervenant, Me Auger.

Je sais que, étant donné les limites de temps, comme vous l'avez mentionné, il y a beaucoup d'autres points qui ont fait l'objet de l'attention de la chambre des notaires. Vous pouvez être convaincus que nous en avons pris bonne note même si vous ne nous les rappelez pas ici devant la commission. Je pense que vous vous êtes limités, comme vous l'avez dit, à certains points plus particuliers, ce qui ne diminue en aucune façon l'intérêt que vous avez pour les autres points qui n'ont pu être abordés.

Vous pouvez être assurés que nous prendrons en bonne considération les remarques que vous avez faites concernant le chapitre premier, surtout sur le libellé de l'article 1, également, concernant le chapitre troisième de l'intégrité de la personne où vous reconnaissez avec nous que c'est extrêmement complexe où vous vous dites d'accord, dans l'ensemble, avec le contenu sauf les réserves apportées à l'article 12, deuxième paragraphe. Vous nous dites qu'il y aurait peut-être possibilité d'améliorer surtout la rédaction, quoiqu'on convienne tous ensemble que ce n'est pas facile, malgré toute la bonne volonté, de faire en sorte que ce soit plus clair que cela ne l'est présentement. Quand même, il y a des suggestions que vous avez faites que nous évaluerons à leur juste valeur.

Vous nous avez aussi entretenu du conseil de tutelle. Vous avez laissé entendre, si j'ai bien compris, que le fait qu'il était obligatoire ou pas n'était pas clair lorsqu'il y a une tutelle dative. Il me semble que, à moins que je ne me trompe, c'est assez clair quand même dans le chapitre quatrième qu'elle n'est pas obligatoire. L'article 143 indique des balises, des critères dont on pourrait tenir compte sur la nécessité ou pas qu'il y ait ce conseil de tutelle. (11 h 45)

D'ailleurs, dans vos recommandations, dans l'ensemble de votre mémoire - et je comprends que vous n'ayez pas pu aborder -vous y alliez quand même de suggestions concernant l'article 143 à savoir qu'un conseil de tutelle, par exemple, pourrait être constitué - si je me trompe sur la représentation, vous me le direz - lorsque les revenus bruts annuels des biens du mineur excèdent la somme de 6000 $ ou lorsque la valeur des biens administrés excède 25 000 $. Nous en avons pris bonne note, mais disons que, sur le principe même, il me semble que c'est assez clair qu'elle n'est pas obligatoire. L'article 143 représente une balise que nous croyons indiquer parce que, lorsqu'il n'y a pas de montants importants en jeu, je crois qu'il y a lieu de se demander jusqu'à quel point il doit y avoir conseil de tutelle.

Je vais formuler tout de suite mes questions et vous laisserai répondre sur chacun des points ou, peut-être, aimeriez-vous répondre à mesure?

M. Auger: Sur le conseil de tutelle, notre principale recommandation est en deux points. Il nous apparaît que ce mécanisme de surveillance du tuteur devrait exister systématiquement dans tous les cas de tutelle dative, ce que le projet de loi ne prévoit pas clairement, sinon indirectement en soulignant à certains endroits que ce conseil de tutelle a pour mission de surveiller la tutelle dative. On s'est dit: S'il a pour mission de surveiller la tutelle dative, il devrait nécessairement exister en même temps qu'elle. Or, sauf ie cas où la tutelle dative est déférée par le tribunal, il n'y a pas d'obligation, dans le cas où la tutelle est déférée par les père et mère, de veiller immédiatement à la constitution d'un conseil de tutelle. C'était notre premier point. Quant au conseil de tutelle, dans le cas de la tutelle légale, notre recommandation est que cette surveillance du tuteur légal soit omniprésente, compte tenu notamment de la confiance que le législateur fait aux père et mère et que ce conseil n'intervienne que lorsque la valeur des biens administrés l'impose. On a seulement voulu poser des critères plus précis à l'article 143 que ceux qui s'y trouvent et qui sont toujours de nature à laisser une marge...

M. Bédard: D'appréciation.

M. Auger: ...d'imprécision ou d'appréciation. Donc, des critères objectifs, si vous voulez. On s'est inspiré pour le faire, d'ailleurs, de montants qui apparaissent dans le projet de loi, notamment l'article 179 en ce qui concerne la somme de 25 000 $.

Le Président (M. Blouin): Merci, Me Auger. M. le ministre.

M. Bédard: Enfin, l'article 143 peut être, comme vous le dites, une marge d'imprécision ou une marge d'appréciation, selon...

M. Auger: Oui, oui.

M. Bédard: ...la façon dont on regarde

les choses.

M. Auger: Absolument!

M. Bédard: Positivement ou négativement.

M. Auger: Absolument!

M. Bédard: Je n'avais pas fait de remarque sur le deuxième point parce que j'ai bien pris en note l'importance que vous croyez qu'il y aurait d'avoir moins de surveillance, à partir du moment où il y a une certaine responsabilité qui est carrément donnée à une personne en particulier, les parents. Je verrai.

Concernant les personnes morales, d'abord, vous nous dites, et je vous comprends, que vous avez énormément de difficulté à vous faire une idée, que vous êtes, en principe, d'accord - j'ai noté les expressions - que ce qui vous amène à avoir des difficultés à vous faire une idée précise, c'est qu'il manque des choses, entre autres, ce que comportera, par exemple, le Code civil en ce qui a trait à la réforme concernant les biens...

M. Auger: ... des sociétés.

M. Bédard: ...des sociétés. Je peux vous dire une chose: Ces deux projets de loi que nous étudions présentement ne seront pas adoptés avant que ne soit déposée la loi que le gouvernement proposera concernant la réforme sur le chapitre des biens et qu'il y ait une loi d'application qui établira la cohérence et permettra de donner sûrement un éclairage qui facilitera la possibilité de se faire une idée sur le chapitre I. Je pense que cela mérite d'être souligné. Par exemple, sur cette loi d'application, vous avez soulevé plusieurs remarques concernant les délais. Je suis déjà en mesure de vous dire que cette loi d'application se prononcera d'une façon spéciale concernant les délais et, entre autres, aura pour effet de les réduire et de les rendre cohérents entre les trois chapitres. Cela répond peut-être à votre interrogation?

D'autre part, au chapitre des personnes morales, j'ai ici une lettre - je pense bien pouvoir en faire connaître le contenu - que j'ai reçue du président de la Commission des valeurs mobilières du Québec qui dit ceci: "Nous avons pris connaissance du projet de loi no 106 sur la réforme du Code civil du droit des personnes. Nous sommes très heureux du titre neuvième sur les personnes morales et nous tenons à vous féliciter d'avoir opéré une réforme importante tout en apportant des changements terminologiques essentiels. La commission - continue le président - a tenté d'opérer un certain nombre de changements à l'occasion de la Loi sur les valeurs mobilières rédigée par notre personnel et adoptée le 16 décembre 1982. Cependant, nous devions respecter, dans une certaine mesure, les contraintes résultant des textes existants, notamment le Code civil du Bas-Canada et la Loi sur les compagnies. Aussi, la commission souscrit entièrement aux modifications fondamentales apportées par le projet de loi dans son titre sur les personnes morales. Nous croyons -cela ne s'applique pas à vous - que vous devez persévérer dans la voie tracée par le projet de loi no 106 même si les partisans du statu quo se manifestent avec plus de vigueur. Veuillez agréer, etc."

Est-ce que vous croyez qu'à partir du moment - c'est normal que le président de la Commission des valeurs mobilières voie l'ensemble du projet de loi sous un aspect bien particulier; vous le voyez aussi dans son ensemble - où il y aura le dépôt du projet de loi portant réforme sur les biens, plus une loi d'application, cela permettra l'éclairage nécessaire?

M. Auger: Oui et on serait beaucoup plus en mesure, à ce moment-là, de donner nos commentaires avec plus de pertinence sur cette partie.

M. Bédard: C'est cela. Mais j'ai vu qu'en principe vous étiez d'accord.

M. Auger: Oui, parce que nous pensons que, dans ce domaine comme dans bien d'autres, il est important que le Code civil, comme statut fondamental, contienne des dispositions générales régissant la personnalité juridique de ces institutions que sont les corporations, les sociétés ou autres, oui.

M. Bédard: Plus particulièrement sur la loi concernant les successions, vous suggérez qu'en présence de descendants la part successorale du conjoint survivant soit plus importante en matière de succession légale, c'est-à-dire 50% de la masse.

M. Auger: 33% à 50%.

M. Bédard: Vous jugez que la part actuelle est insuffisante et que, de toute façon, le conjoint assume les obligations relatives aux enfants.

M. Auger: Très souvent, oui.

M. Bédard: Je pense que nous sommes d'accord là-dessus. Ne croyez-vous pas, cependant, qu'il faille tenir compte de situations de plus en plus fréquentes maintenant où il y a plusieurs mariages successifs et des enfants dans chacun de ces cas? Il est donc peu probable que le dernier conjoint assume les obligations relatives aux enfants issus des mariages antérieurs. Je

pense qu'il y a une situation - vous me ferez vos commentaires - dont on ne peut pas ne pas tenir compte. Effectivement, si on se compare à 1867 ou même à il y a 15 ou 20 ans, il y a des choses qui ont changé, socialement parlant. Entre autres, il y a plus de séparations, plus de divorces, c'est évident pour tout le monde, que ce n'était le cas auparavant. Ceci amène régulièrement la formation de plusieurs familles. Je pense que c'est une situation dont on doit tenir compte avant de prendre une direction comme celle que vous suggérez.

M. Auger: J'aurais un seul commentaire à cet égard: Ce sont peut-être les cas où les gens sont les moins susceptibles de ne pas faire un testament. Les cas que vous soulignez existent, j'en conviens, mais ce sont les cas où les gens sont le plus portés à faire un testament précisément parce qu'étant remariés en secondes noces ou même en troisièmes noces et ayant déjà des enfants d'un premier ou d'un second mariage, ces questions de dévolution se posent de façon beaucoup plus concrète et pressante à ces gens-là. Ils sont moins susceptibles, nous le pensons en tout cas, de décéder sans testament, mais c'est possible, bien sûr.

M. Bédard: Je dois vous dire honnêtement que là-dessus j'ai un peu de difficulté à vous suivre tout en reconnaissant l'à-propos et le sérieux de vos représentations. Il me semble qu'il faut tenir compte de cette situation sociale qui a changé et aussi du fait que, maintenant -vous l'avez souligné et vous étiez d'accord; vous l'avez même recommandé à un moment donné - il y aura la possibilité pour le conjoint de cumuler les avantages de son régime matrimonial, plus ce qui lui est dévolu par la succession, ce qui n'était pas le cas auparavant et qui est de nature à augmenter sa part.

Il y a aussi quand même dans notre Code civil, droit de la famille, la prestation compensatoire dont il peut être tenu compte. Vous savez, il y a plusieurs mesures contenues dans ce projet ou dans d'autres projets qui ont déjà été adoptés et qui peuvent s'ajouter au tiers qu'on prévoit dans le projet de loi. Cela peut faire en sorte qu'au bout du compte, ce soit même plus que la moitié. Vous conviendrez avec moi que, dans certains cas, cela peut même représenter plus que la moitié.

M. Auger: Nous sommes d'accord avec cela. Nous pensons encore qu'aujourd'hui, en 1980, il n'est pas exagéré - tout en se fondant sur les mêmes critères que ceux sur lesquels le législateur se fondait il y a plus de cent ans - de penser que, si on avait jugé opportun de parler d'un tiers il y a cent ans, il n'est pas déraisonnable, même compte tenu des circonstances sociales qui ont changé, de parler de 50%. L'importance de la famille et la conception de la famille ont changé aussi à travers cette période.

En 1915, le conjoint n'héritait même pas. Pourquoi? Parce qu'on ne le considérait pas vraiment comme partie intégrante de la famille. On craignait que les biens passent dans une autre famille. C'était bien la preuve que le conjoint n'était pas considéré comme faisant partie à part entière de la famille. Aujourd'hui, on entend de plus en plus parler de ce concept de famille nucléaire qui comprend le père, la mère et les enfants. C'est vraiment une conception très actuelle de la famille qui nous incite, nous, à penser que ce n'est pas exagéré et que cela ne causera pas d'injustice, dans la très grande majorité des cas, qu'un conjoint survivant en l'absence de testament dispose de la moitié de la succession.

M. Bédard: Je pense qu'on est préoccupé par le même objectif, qu'il n'y ait pas d'injustice envers qui que ce soit. Il y a, d'une part, un conjoint et, d'autre part, des enfants. L'importance de la famille, on l'a tous à coeur. Je ne trouve pas, que ce soit en fonction de votre opinion ou de la mienne, qu'on puisse accuser qui que ce soit de ne pas avoir à coeur l'importance de la famille. À partir du moment où le conjoint a la moitié des acquêts...

M. Auger: S'il est marié sous ce régime.

M. Bédard: Bien oui, s'il est marié, bien oui.

M. Auger: S'il est en séparation de biens, comme c'est le cas de près de 50% des Québécois...

M. Bédard: Oui, mais c'est le régime de base, quand même. C'est le régime de base. S'ils ont la séparation de biens, c'est qu'ils ont voulu se donner ce régime avec...

M. Auger: Oui, c'est vrai.

M. Bédard: ...les conséquences que cela peut avoir et les avantages que cela peut avoir. En vertu du régime légal, il y a un demi des acquêts, un tiers de la succession du conjoint, plus les prestations compensatoires. Si, en plus de cela, du tiers, on augmente à 50%, plus les avantages matrimoniaux, plus les prestations compensatoires, est-ce que vous ne pensez pas qu'en fin de compte?...

M. Auger: II y a un autre argument, si vous me le permettez.

M. Bédard: ...cela peut représenter une

partie très importante de la succession? Et puis, il y a les enfants. (12 heures)

M. Auger: On est très conscient que le cumul des avantages matrimoniaux maintenant ou dorénavant permis avec la part successorale va avoir souvent pour effet d'accorder une part plus importante au conjoint survivant. Dans une situation de succession ab intestat, où il y a précisément des enfants dont on vise, vous et moi, à assurer la protection, on pense qu'une des façons de les bien protéger, ce n'est pas de fractionner la succession, parce que les gens ne meurent pas tous avec des fortunes. Souvent, ce qui reste après le décès de l'un des conjoints est à peine suffisant pour continuer à assurer un minimum de protection pour la famille. Il nous apparaît préférable de concentrer ces biens dans les mains d'une seule personne plutôt que de les envoyer entre les mains de cinq ou six personnes, ou de trois ou quatre, de façon à assurer à celui qui continue à avoir l'obligation de veiller à l'entretien des enfants, donc le conjoint survivant qui est soit le mari ou la femme, ait à sa disposition le plus de moyens possible parce que c'est à lui que la tâche va incomber de continuer à assurer la protection des enfants qui ne seront pas, à ce moment-là, aptes à veiller eux-mêmes à leurs propres intérêts. Quant à ceux qui sont majeurs, mariés, qui travaillent, c'est moins important de songer à leur protection.

M. Bédard: Quand vous êtes dans une situation de plusieurs mariages successifs, etc.? Quand même, c'est une réalité sociale dont il faut tenir compte.

Mme Lavoie-Roux: Chacune des femmes hésite?

M. Bédard: Non. Il y a des enfants d'autres mariages.

M. Auger: On est conscient qu'il n'y a pas que des avantages à ce qu'on propose. Tout n'est jamais blanc ou noir. Nous pensons quand même qu'il serait préférable d'augmenter la part du conjoint survivant dans les règles de l'évolution successorale.

Le Président (M. Blouin): M. le ministre.

M. Bédard: Enfin, M. le Président. Il y a aussi un dernier point, vos représentations concernant la possibilité de testaments authentiques en d'autres langues que le français et l'anglais, à la condition - vous l'avez dit - que le notaire officiant, naturellement, comprenne bien la langue et la parle.

M. Auger: D'ailleurs, c'est conforme à ce que le droit actuel reconnaît.

M. Bédard: Oui. Cela, je dois vous dire qu'on va le prendre en très grande considération. C'est une suggestion qui est heureuse.

Maintenant, je constate que vous ne vous êtes pas prononcés sur l'introduction de la réserve successorale ou encore d'une créance alimentaire, qui étaient recommandées par l'Office de révision du Code civil, la première en faveur des conjoints et la seconde en ce qui concerne les enfants. Étant des experts en la matière, est-ce que vous pourriez nous faire des commentaires sur cette question...

M. Auger: Certainement.

M. Bédard: ...et sur ce qui vous amène à ne pas en avoir fait état dans votre mémoire?

M. Auger: On n'en a pas fait état directement...

M. Bédard: Cela nous permettrait de connaître votre opinion.

M. Auger: ...parce que, d'abord, le projet de loi n'en traite aucunement. Il n'est pas question de la réserve dans le projet de loi.

M. Bédard: Je ne me fais pas d'illusions. Je sais que les notaires ont travaillé..

M. Auger: Je pourrais reprendre...

M. Bédard: Voyons, ne nous faisons pas de jeux de mots. Vous connaissez très bien les travaux de l'Office de révision du Code civil, sur la réserve successorale.

M. Auger: Oui, oui.

M. Bédard: Même si ce n'est pas dans le projet de loi... D'ailleurs, il y a certaines choses qui ne sont pas dans le projet de loi et dont vous nous avez parlé, fort heureusement!

M. Auger: Je pourrais reprendre, M. le ministre, les arguments que vous venez de me servir concernant la part du conjoint survivant. Si, à la demi de la société d'acquêts, au tiers ou à la moitié de la succession, à la prestation compensatoire, on ajoute la réserve, cette fois, il ne reste plus rien ou il ne restera pas grand-chose.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Auger: Mais ce ne sont pas les

raisons qui nous portent - je voudrais quand même être bien clair - à être complètement...

M. Bédard: Je vous pose la question, sachant très bien que vous avez des motifs très sérieux de ne pas l'avoir abordée.

M. Auger: C'est cela.

M. Bédard: Et vous avez encore sûrement des choses intéressantes...

M. Auger: C'est cela.

M. Bédard: ...à dire aux membres de la commission. Il y a d'autres mémoires où il est question de la réserve successorale et je suis sûr que, pour ces personnes, ces autres organismes, comme pour les membres de la commission, il serait très indiqué de connaître votre opinion à ce sujet.

M. Auger: Effectivement, vous avez raison, nous nous sommes penchés sur la question et nous ne pouvons pas affirmer être complètement en désaccord avec la réserve. On n'est jamais totalement pour, ni totalement contre. Mais notre position, pour être clair, c'est que nous ne sommes pas favorables à l'introduction d'une réserve, compte tenu de toute une série de circonstances et de raisons. Je peux vous en énumérer quelques-unes. D'abord, nous ne sommes pas convaincus qu'il s'agit là d'une mesure nécessaire, compte tenu que cela voudrait, je pense, comme un des objectifs, corriger des abus d'exhérédation. Si effectivement la plupart des conjoints déshéritaient leurs conjoints, je comprends qu'il y aurait lieu de s'interroger sérieusement sur la question et que l'introduction d'une réserve s'imposerait peut-être davantage. À notre connaissance, ce n'est pas là quelque chose qui est fort répandu. Au contraire, on constate - les notaires sont bien placés pour le constater -que, dans la très grande majorité des cas, les conjoints sont bien traités dans les successions lorsque, effectivement, il y a conjoint. Cela voudrait dire qu'on impose une mesure universelle, applicable à tous les Québécois, pour régler des cas qui, pour l'instant, peuvent être marginaux. Le contraire peut être démontré, mais, à notre connaissance, il ne l'est pas. C'est une raison.

La deuxième raison est qu'il faut penser au cas d'un second mariage. Allez-vous permettre une exception à la réserve dans le cas des seconds mariages? On ne sait pas quel impact cela pourrait avoir, mais la personne qui déciderait de se marier pour la seconde fois et considérerait cette réserve obligatoire, hésiterait peut-être davantage. Dans le cas d'un second mariage - surtout dans le cas où il y a eu des enfants du mariage précédent - souvent on pense d'abord à nos enfants d'un premier mariage qu'à notre conjoint du second mariage. Cela se comprend. Ce n'est pas parce qu'on l'aime moins, mais parce que, bien souvent, on est plus à l'aise financièrement, on est un peu plus âgé et les besoins du conjoint sont moins importants. Il y a aussi ce problème-là qu'on ne peut pas ignorer quand on traite de la réserve.

Autre raison, c'est que la réforme du droit des régimes matrimoniaux, qui n'est quand même pas très vieille - elle date de 1970 - a introduit - vous l'avez vous-même souligné tantôt - le régime de société d'acquêts comme régime légal, c'est-à-dire que c'est ce que le législateur pense être le meilleur régime pour l'ensemble des citoyens. Les statistiques semblent démontrer que les gens se dirigent de plus en plus vers ce régime. Les dernières statistiques connues faisaient état de chiffres d'environ 50-50: 50% des gens avaient la société d'acquêts et 50% la séparation de biens. Il semble qu'actuellement il y ait une modification notable vers la société d'acquêts. Or, il y a un danger à introduire une réserve. Cela pourrait avoir un effet contraire à celui qu'on espère, notamment sur une autre réforme qui, elle, est toute récente, celle de la société d'acquêts. Les gens qui déjà ont droit souvent à la moitié des biens accumulés pendant le mariage, qui penseront qu'à cela s'ajoutera une réserve obligatoire automatique pourraient remettre en question le choix d'un régime de société d'acquêts. Il faut toujours penser, quand on fait une réforme, à ne pas en détruire une autre. Je ne dis pas que cela serait automatique, mais cela est certainement une question qu'il faudrait considérer avant d'aller vers la réserve.

Autre raison, c'est que la loi 89, qui est encore plus récente que la loi 10 introduisant la réforme des régimes matrimoniaux, introduit d'autres mesures: la prestation compensatoire, avec possibilité de transfert de la propriété de la résidence familiale. Encore là, des choses qui s'ajoutent et qui n'existaient pas qui visent à la protection de plus en plus grande du conjoint soit à la suite d'un divorce, soit à la suite d'un décès.

Autre chose qu'il faut aussi prendre en considération. Quand on parle d'une réserve, on peut parler d'une réserve en général, mais pour qu'on puisse vraiment porter un jugement sur la réserve, il faut aller voir les modalités. Dieu sait que l'introduction d'une réserve est une chose compliquée au niveau de la technique du droit. On n'a qu'à aller voir dans les lois où de telles choses existent pour se rendre compte de l'extrême complexité de l'introduction d'une réserve. Cela amène, bien souvent, un retour en

arrière sur des transactions, des donations qui se sont faites. Je n'ai pas à m'étendre sur la question, mais c'est complexe. De cette complexité vont découler des coûts pour le citoyen, des retards aussi dans le règlement des successions, alors que dans bien des cas ce ne sera pas utile comme mesure. À cela aussi, il faut penser.

De plus, la réserve, quand on en parle, peut être en faveur du conjoint seulement, des enfants seulement, du conjoint et des enfants. Là aussi, pour se prononcer sur la réserve, il faut savoir de quel type de réserve on parle et quelle est l'importance de la réserve. C'est donc une autre question qu'il faut prendre en considération. Ce sont des arguments que nous avons tous considérés et pour l'instant - ce n'est jamais une position qu'on pense irréversible; la situation peut changer, les circonstances peuvent changer et notre opinion aussi, forcément -compte tenu des réformes législatives qui ont été faites en 1970, en 1981 et qui sont en train d'être faites, nous ne croyons pas qu'il s'agisse là d'une mesure à ce point importante qu'il faille aller de l'avant avec cela. Pour l'instant on n'a pas sur cette question une opinion définitive et irrévocable.

Le Président (M. Blouin): M. le ministre.

M. Bédard: Je vous remercie de vos commentaires sur cet aspect concernant la réserve successorale et de toutes les considérations que vous avez évoquées. Comme le projet de loi qui est devant nous est muet également, comme votre mémoire, sur la question, il faut croire que nos considérations se sont rejointes.

M. Auger: Nous l'espérons.

M. Bédard: Merci beaucoup de votre mémoire.

Le Président (M. Blouin): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier les membres de la chambre des notaires de leur mémoire qui est bien étoffé et qui sera aussi très utile quand nous ferons l'étude article par article, puisque ce n'est pas vraiment le moment ici de faire l'étude article par article de ces deux projets de loi. Vous pouvez être assurés que nous allons étudier et prendre en considération tous les commentaires au moment d'en faire l'étude article par article.

Je n'ai que deux petites questions. Mes collègues m'ont déjà signalé qu'ils ont aussi des questions. Ma première question porte sur l'article 1 du projet de loi no 106. Le quatrième paragraphe se lit comme suit: "En cas de silence ou d'insuffisance, ces règles sont complétées par celles qui se dégagent d'une jurisprudence constante et d'une doctrine reçue ou des principes généraux du droit, ainsi que parfois de la coutume et des usages." Est-ce que la chambre des notaires a des commentaires sur ce paragraphe de l'article premier? Est-ce que la chambre des notaires est tout à fait d'accord sur cela?

M. Auger: Nous étions plutôt favorables à cette disposition, d'abord, dans sa première partie, en ce qu'elle reconnaît une primauté au droit civil au Québec et considère ce droit comme l'équivalent d'un statut fondamental qui sous-tend toute autre législation, laissant entendre par là qu'on peut y déroger, bien sûr. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut jamais déroger au Code civil. On se comprend sur cette question.

En cas de silence ou d'insuffisance, quand on fait référence à une jurisprudence constante, à une doctrine reçue, il est certain qu'on peut se poser immédiatement la question: Qu'est-ce qu'une jurisprudence constante dans un système où on n'a pas la règle du précédent? Qu'est-ce qu'une doctrine reçue? Mais après s'être posé ces questions, on a quand même considéré que, concrètement, dans les faits, la jurisprudence et la doctrine jouent un rôle très important dans l'élaboration de la règle de droit. On voit de plus en plus la Cour suprême citer, s'appuyer sur de la jurisprudence et de la doctrine, même vivantes. On se dit que c'est là une source que l'on ne peut nier et on lui accorde une place qui est secondaire ici, mais une place que cette doctrine et cette jurisprudence nous paraissent devoir occuper. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas cru devoir faire de commentaire. Nous n'avons surtout pas cru nous montrer en désaccord avec ces dispositions réductives.

M. Marx: Mais je ne veux pas faire toute une discussion sur ce paragraphe. Prenons seulement les mots "jurisprudence constante". Je me souviens quand j'étais étudiant à la faculté de droit de l'Université de Montréal que j'ai eu comme professeur Maximillien Caron qui a toujours dit: Voilà, il y a la jurisprudence de la Cour d'appel du Québec, il y a la jurisprudence de la Cour d'appel de Montréal et il y a mon point de vue. La jurisprudence constante pour ces jeunes étudiants, c'était son point de vue.

M. Bédard: C'était bien important pour passer les examens. Ah! Ah!

Le Président (M. Blouin): M. le député de D'Arcy McGee. (12 h 15)

M. Marx: Vous comprenez le point: c'est quoi la jurisprudence constante quand il y a une jurisprudence contradictoire des deux

bancs de la Cour d'appel du Québec? Je me pose la question: Est-ce vraiment nécessaire d'incorporer une telle règle dans le code? Parce que cette règle fait, de toute façon, partie de notre Code civil d'une façon implicite. Quand on essaie d'encadrer certaines règles, on risque d'avoir d'autres règles qui se greffent autour de cette règle qu'on a encadrée dans le code. Je pense que cela pourrait poser un certain nombre de questions, à savoir quelle est la doctrine reçue. Comme on le sait, en Angleterre, la doctrine reçue, c'est quand les autorités ont décidé, quand le professeur ou l'avocat a décidé. Au Canada, on a changé cette règle et au Québec, c'est tout à fait différent, peut-être, que dans d'autres juridictions et ainsi de suite.

J'aimerais vraiment avoir votre point de vue sur cette question parce que, si je me souviens bien, le barreau a fait un certain nombre d'objections en ce qui concerne ce paragraphe.

M. Auger: Je vous soulignais tantôt qu'on peut effectivement se poser la question à savoir: Qu'est-ce qu'une jurisprudence constante? Qu'est-ce qu'une doctrine reçue? Mais nous continuons à penser qu'on ne peut pas nier que, dans notre droit, la jurisprudence et la doctrine sont des sources du droit secondaires, on en est bien conscient, mais des sources et qu'une jurisprudence ne sera jamais constante constamment, que cela change. Cela a changé dans le passé, cela change aujourd'hui et cela va encore changer. C'est une réalité avec laquelle il faut vivre.

L'exemple que vous nous citez de la Cour d'appel qui, sur une même question, se divise, cela existe. Mais, à notre avis, dans ce cas, il ne s'agit pas d'une jurisprudence constante. Donc, il est certain que jurisprudence constante et doctrine reçue sont des concepts qui peuvent être l'objet de discussions qu'on peut interpréter. Il ne nous apparaît pas moins que cela reflète des sources importantes du droit et que ne pas vouloir les codifier, c'est peut-être un peu, beaucoup, simplement ne pas vouloir reconnaître la situation. Les tribunaux s'appuient sur leur décision, s'appuient sur la doctrine et, quand elle change, ils changent avec les décisions et la doctrine.

M. Bédard: Si le député de D'Arcy McGee me permet une petite précision.

M. Marx: Nous sommes tous égaux, mais vous êtes plus égal que moi. Allez-y.

M. Bédard: Non. Ce n'est pas en termes de plus d'égalité, mais tout simplement de réalisme, parce que c'est nous qui avons rédigé le projet de loi. Alors, il est évident que la jurisprudence constante, qu'on veuille ou non ne pas en tenir compte, je pense qu'on n'a pas le choix, les plaideurs en tiennent compte. Lorsqu'on parle de jurisprudence constante, c'est sûrement par opposition à un seul jugement qui serait prononcé sur une matière déterminée ou encore sur une matière sur laquelle il y aurait des jugements divisés de la part d'une même cour. Tout ce que je veux dire au député de D'Arcy McGee, c'est que, dans l'esprit du législateur, par jurisprudence constante, on veut dire une ligne de pensée qui s'est dégagée d'une série de jugements qui sont prononcés par une cour et qui nous permettent à ce moment-là de dire: Voilà très clairement quelle est la ligne de pensée de cette cour.

M. Marx: Oui, d'accord, c'est un point controversable. Je pense que cela sera discuté dans le cadre d'autres mémoires. Je n'ai qu'une autre petite question, en ce qui concerne ces testaments en langue étrangère. Le ministre a déjà dit qu'il serait réceptif à une telle modification. Prévoyez-vous les testaments en langue étrangère seulement en ce qui concerne les testaments notariés ou serait-ce possible, d'après votre opinion...

M. Auger: C'est une question qu'on s'est posée, mais, à notre avis, on peut se tromper sur cette question. Il n'y a rien qui défende à un testateur actuellement de rédiger un testament dans sa langue. Je ne crois pas, en tout cas, qu'on ait une loi au Québec qui défende d'écrire un testament en polonais, si on est d'origine polonaise.

M. Bédard: C'est clair. Il n'y a rien qui défend à une personne de langue étrangère de rédiger un testament dans sa langue, un testament olographe.

M. Auger: Par ailleurs, dans le cas du notaire, il ne faut pas oublier que le testament authentique est authentique à cause de la qualité d'officier public du notaire. Là, il y a quelque chose de différent. On ne veut pas que ces gens soient privés de la possibilité de recourir à la meilleure forme de testament - le testament authentique - sous prétexte qu'ils ne peuvent pas le faire dans leur langue, mais on pose des conditions très précises. Le testateur devra comprendre la langue, le témoin aussi, une traduction immédiate devra en être faite et l'authenticité du testament ne s'étendra pas à la traduction.

M. Marx: Les notaires ont-ils beaucoup de demandes pour des testaments en langue étrangère?

M. Auger: Peux-tu répondre là-dessus? M. Kimmel (Earl): On a assez souvent

de telles demandes, oui, surtout de gens âgés.

M. Marx: Le ministre a presque déjà accepté ces changements.

M. Bédard: Lorsqu'on est en période de consultation, je crois qu'on peut faire certaines indications, mais pas d'une façon définitive, parce qu'au-delà du groupe de la chambre des notaires d'autres groupes auront peut-être des arguments à nous faire valoir sur ce point. En tout respect pour ceux qui nous visitent, il faut aller jusqu'au bout de la consultation avant de prendre des décisions définitives.

Le Président (M. Blouin): À l'ordre! M. le député de D'Arcy McGee. D'abord, le député de Saint-Hyacinthe et, ensuite, le député de Saint-Laurent.

M. Dupré: J'aurais seulement une petite question. Lorsqu'on dit que le divorce rend caduques les donations, etc., vous souhaiteriez étendre cela aux testaments aussi. Est-ce que cela comprendrait le cas où un conjoint décède ab intestat? Est-ce que cela va jusque-là et la partie irait-elle totalement aux enfants, ou aux enfants des deux mariages, s'il y a deux mariages?

M. Auger: Le problème que vous soulevez ne peut pas se poser, parce que, comme on parle de divorce, le divorce met fin à la vocation successorale. Le point qu'on a soulevé est le suivant: l'actuel Code civil du Québec, à son article 557, déclare que le divorce rend automatiquement caduques les donations à cause de mort - c'est l'équivalent d'un testament, mais fait par contrat de mariage - sans même que le tribunal ait à se prononcer, sans qu'on ait à le lui demander, sans que les parties aient quelque geste que ce soit à poser. L'article 2555 du Code civil du Bas-Canada, l'actuel Code civil, prévoit la même chose: en cas de divorce, automatiquement, les bénéfices d'assurances sont révoqués. Il en est de même lorsqu'on a nommé un propriétaire subsidiaire. Nous, on s'est dit: II y a une logique en dessous de ces dispositions. C'est que ce qui est de nature post mortem, testamentaire, libéralité à cause de mort, le législateur veut que le divorce mette un terme à cela. Pourquoi ne pas faire la même chose en regard d'un testament qui aurait été fait avant un divorce et qu'on aurait oublié de modifier après? Cela n'empêcherait jamais un testateur, après son divorce, de faire un testament en faveur de son ex-conjoint. Tout ce qu'on dit, c'est que cette logique introduite aux articles 557 et 2555, il y aurait peut-être lieu de se demander s'il ne faudrait pas la poursuivre dans le projet de loi no 107 concernant le testament antérieur au divorce.

M. Dupré: Mais en n'empêchant pas un testateur de donner, après le divorce, à sa première épouse...

M. Auger: Ce n'est pas du tout un échec à la liberté de tester qu'on propose.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Laurent, en vous rappelant que nous ajournerons nos travaux à 12 h 30.

M. Leduc (Saint-Laurent): II me fait plaisir de saluer mes confrères les notaires, pour l'excellent mémoire qu'ils nous ont soumis. Si on regarde l'article 1 de la loi 106, ce qui m'a frappé, c'est que l'on voulait ne pas permettre l'avortement. C'est ce que j'ai pu comprendre, parce que si, ensuite, on le compare avec l'article 123, on dit que, pour des fins pécuniaires, on pourrait intervenir, mais c'est le seul cas. Quelle est votre proposition? Comment amenderiez-vous l'article 1 à cet effet? Est-ce que vous avez la même perception que moi, d'ailleurs, sur ce sujet, qu'on ne voulait pas permettre l'avortement?

M. Auger: On s'est posé la question: Pourquoi a-t-on ajouté à l'article 1 le deuxième alinéa qui ne se retrouve pas dans notre droit actuel, forcément, et qui n'était pas, non plus, dans le projet de l'office de révision? Là-dessus, on peut émettre certaines hypothèses mais on n'est certain de rien. Il n'y a pas de commentaires qui accompagnent le projet de loi.

Notre commentaire est que le projet de loi sur les personnes ne devrait pas, au départ, venir rendre totalement impossible la protection des intérêts extrapatrimoniaux d'un enfant conçu, mais non né. Nos propos ne visent pas à prendre position pour ou contre l'avortement. Nous pensons que, dans le droit, des intérêts qui, au départ, sont opposés peuvent se concilier sans qu'il faille nier totalement ceux de l'un pour faire prédominer ceux de l'autre.

On en a de bons exemples dans notre droit récent en ce qui concerne le droit des femmes mariées. Pendant des siècles, on leur a nié toute capacité juridique sous prétexte de faire prévaloir et dominer celle du mari. On se rend compte aujourd'hui que ce sont des droits qui peuvent fort bien coexister. Tout ce que nous disons ici, c'est que le deuxième alinéa de l'article 1 est une réserve importante qui risque de mettre un frein définitif à l'évolution du droit concernant la protection des intérêts extrapatrimoniaux d'un enfant conçu mais non né et est peut-être même de nature à opérer une régression de notre droit sur cette question.

Actuellement, notre droit ne contient

pas de telle réserve et n'a jamais été interprété comme s'il en contenait. Pourtant, personne ne dit qu'il s'agit là de mesures favorisant ou défavorisant l'avortement, bien qu'il faut être conscient que ce sont des questions connexes et que, dans la mesure où on veut légiférer sur ces questions, il faut examiner les deux points de vue.

On ne demande pas que soient introduites des mesures spécifiques, mais tout simplement qu'on ne paralyse pas pour l'instant toute évolution concernant la protection d'un enfant conçu, mais non né. Il y a des circonstances pour lesquelles cette protection pourra être nécessaire.

M. Bédard: Si le député de Saint-Laurent me le permet, une précision par rapport à l'interrogation qu'il se posait sur cet article en regard de l'avortement. Je suis en mesure de lui dire que la rédaction de cet article n'a rien à voir avec l'intention d'empêcher ou de permettre les avortements puisque cela relève du droit criminel. C'est pour cela que nous écoutons - c'est au niveau des droits comme tels - comme vous, avec beaucoup d'attention, les représentations de la chambre des notaires par rapport à une clarification ou par rapport à des ambiguïtés que pourrait représenter une telle formulation.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je suppose que vous n'aurez aucune objection à indiquer peut-être, une suggestion, depuis sa conception jusqu'à sa mort.

M. Bédard: On verra.

M. Leduc (Saint-Laurent): On n'est pas encore rendu à l'étudier, bien sûr, article par article.

Également, en ce qui concerne, à l'article 73, la question du domicile, on chambarde tout. On parle de résidence principale, de la question d'intention...

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Laurent, puisqu'il est 12 h 28 et que vous allez aborder un sujet important, je vous suggérerais de revenir au moment où nous allons reprendre nos travaux, vers 15 h 30, puisqu'il est maintenant presque midi trente et que les travaux de l'Assemblée nationale reprennent à 14 heures. Alors, nous poursuivrons vers 15 h 30 avec les gens de la chambre des notaires. Mais, juste avant, je donnerais la parole au député de D'Arcy McGee.

M. Marx: M. le Président, j'aimerais m'excuser. J'ai un rendez-vous urgent à Montréal. Je serai de retour demain matin. Donc, je serai absent cet après-midi et ce soir.

Le Président (M. Blouin): Très bien.

M. Bédard: Nous essayerons de travailler sérieusement en votre absence.

M. Marx: Mission officielle.

Le Président (M. Blouin): Nous ajournons nos travaux sine die.

(Suspension de la séance à 12 h 29)

(Reprise de la séance à 15 h 27)

Le Président (M. Blouin): La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux. Je vous rappelle brièvement le mandat de cette commission qui est d'entendre les personnes et les organismes en regard du projet de loi no 106, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, et du projet de loi no 107, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions.

Les membres - je l'indique puisqu'il y a une petite modification - de cette commission sont: MM. Bédard (Chicoutimi); Dupré (Saint-Hyacinthe) qui remplace M. Brouillet (Chauveau), Charbonneau (Ver-chères), Dauphin (Marquette), Juneau (Johnson), Kehoe (Chapleau), Lachapelle (Dorion), Lafrenière (Ungava), Leduc (Saint-Laurent); Marquis (Matapédia) qui remplace M. Martel (Richelieu); Fortier (Outremont) qui remplace M. Marx (D'Arcy McGee).

Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Blank (Saint-Louis), Boucher (Rivière-du-Loup), Dussault (Châteauguay), Fallu (Groulx), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie); M. Polak (Sainte-Anne) qui remplace M. Paradis (Brome-Missisquoi); M. Saintonge (Laprairie).

Lorsque nous avons suspendu les travaux, la parole était au député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je vous remercie, M. le Président. J'avais posé la question relative au domicile. Si on regarde l'article 73, cet article dit la façon d'établir le domicile; ce serait le lieu de sa résidence principale. Je voudrais savoir ce que la chambre des notaires pense du fait qu'on ne mentionne plus la question d'intention.

M. Auger: Nous avons examiné cette question et effectivement nous avons constaté que dorénavant, si cet article était adopté, le principal critère pour faire un changement de domicile serait essentiellement la question de fait et non plus une question de fait et d'intention. Nous n'avons pas cru devoir nous opposer de quelque façon à cette disposition parce que le droit, si on l'examine sur cette question

du domicile, nous indique immédiatement que les grandes difficultés qu'il a présentées concernaient précisément cette question d'intention. Il y a de grands arrêts de la jurisprudence qui démontrent que la question d'intention, lorsqu'elle avait une importance égale à la question de fait, posait d'énormes difficultés. Il nous apparaît que c'est une modification de nature à diminuer les problèmes entourant le changement de domicile. Bien qu'on puisse le constater à la lecture de l'article 73, la question d'intention ne disparaît pas complètement, mais elle devient un critère subsidiaire.

M. Leduc (Saint-Laurent): Vous seriez d'accord avec le libellé?

M. Auger: Oui.

M. Leduc (Saint-Laurent): Si on regarde l'article 88, il mentionne que le mineur sera maintenant responsable du préjudice qui résulte de ses délits et quasi-délits. Cela semble être une perception différente de celle qu'on connaissait auparavant avec l'article 1053 du Code civil, je pense. Êtes-vous d'accord avec cet article?

M. Auger: À moins de me tromper sur cette question, je pense qu'il ne s'agit pas là de droit nouveau. Le mineur, dans notre droit, a toujours été responsable des actes qui résultent de ses délits ou quasi-délits, à moins qu'il ne s'agisse d'un mineur à ce point jeune qu'on puisse lui nier même la capacité de distinguer le bien du mal, comme l'indique l'article 1053. Mais ce n'est pas un changement par rapport au droit actuel.

M. Bédard: C'est l'article 1007 du code actuel.

M. Leduc (Saint-Laurent): Oui, mais il n'y a plus de restriction maintenant. Si on regarde l'article 88, cela veut dire qu'à l'avenir les mineurs, indistinctement, sans tenir compte de leur âge, vont être responsables des délits et quasi-délits, alors que l'article 1053 ne disait tout de même pas cela.

M. Bédard: Je vous référerais à l'article 1007 du Code civil actuel.

M. Leduc (Saint-Laurent): Qu'est-ce qu'il dit? C'est dit exactement comme cela?

M. Auger: II n'y a pas, croyons-nous, de changement par rapport au droit actuel sur cette question.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Laurent.

M. Bédard: L'article 1007...

Le Président (M. Blouin): M. le ministre.

M. Bédard: ...dit ceci: "II n'est point restituable contre les obligations résultant de ses délits et quasi-délits."

M. Leduc (Saint-Laurent): C'est à peu près la même chose.

M. Bédard: Oui.

M. Leduc (Saint-Laurent): Le projet de loi fait état de personne non douée de discernement. Il y a aussi la question d'âge là-dedans. Qu'est-ce que vous pourriez préconiser? C'est quoi quelqu'un non doué de discernement ou quelqu'un doué de discernement?

M. Auger: C'est le point que nous avons soulevé, ce matin, concernant les dispositions des articles 11 à 22. Un de nos commentaires consistait à dire que les critères utilisés à certains égards vont présenter des difficultés d'interprétation étant donné l'élément subjectif qui est relié à la question de savoir si une personne est douée ou non de discernement. D'une part, quelqu'un de 14 ans pourrait être doué de discernement dans telles circonstances, et pour une autre personne, dans les mêmes circonstances, le mineur ne serait pas doué de discernement.

Des solutions peuvent être apportées. Il s'agit tout simplement de mettre des critères plus fixes: oublier la question "doué de discernement" et fixer un âge. C'était, d'ailleurs, l'option qu'avait prise l'Office de révision du Code civil à cet égard, soit celle de parler d'un âge fixe plutôt que d'ajouter à cet âge les critères "doué ou non de discernement". Ce ne sont pas des choses faciles à trancher, mais il est certain que ces critères contiennent des éléments de subjectivité qui peuvent présenter des problèmes, compte tenu, comme je l'ai dit ce matin, que cela va devoir être appliqué à des centaines de reprises, dans des centaines de circonstances différentes, par des centaines de personnes différentes. Et il y a un danger que l'application du droit en soit, à certains égards, perturbée. C'était le sens de nos propos quand on demandait de jeter un regard, encore une fois, bien attentif sur ces dispositions.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais savoir quelle suggestion vous pourriez nous faire, parce qu'on parle également du majeur non doué. On ne parle pas seulement du mineur, n'est-ce pas? Alors, quelle est votre suggestion? Est-ce que, pour les mineurs, c'est un âge?

M. Auger: Dans le cas du majeur non doué, cela présente moins de problèmes parce qu'on fait référence ici au majeur incapable, soit en tutelle, soit en curatelle. Dans le cas du mineur, c'est beaucoup moins simple. En effet, quand un mineur est-il doué ou non de discernement? Voilà toute la subjectivité de la question. La proposition qu'on peut vous faire, c'est un peu celle que faisait l'office de révision de retenir à cet égard, en ce qui concerne le mineur, un âge fixe, quatorze ans, par exemple.

M. Leduc (Saint-Laurent): Vous seriez d'accord sur quatorze ans. Si on regarde l'article 20, évidemment, c'est l'article qui est relatif à la stérilisation. On n'en a pas parlé ce matin. Est-ce que vous avez un point de vue? Est-ce que vous avez une position sur cet article? Également l'article 19, je pense.

M. Auger: Sur le problème de la stérilisation proprement dit, nous ne croyons pas que, en tant que corporation professionnelle, on ait à prendre position pour ou contre cette question. Ce qu'on a affirmé très clairement dans notre mémoire, c'est que, si on devait aller dans le sens de la stérilisation de certaines personnes, le mécanisme de protection qui est prévu par l'article 20, c'est-à-dire l'obligation d'obtenir l'autorisation du tribunal qui, lui, doit consulter des experts, nous apparaît un mécanisme de protection adéquat.

M. Leduc (Saint-Laurent): D'accord. Nous avons les articles 93, 94, 95. Je veux y revenir parce que je voudrais bien connaître votre position là-dessus. Est-ce qu'on devrait, d'après vous, enlever l'article 93 et fonctionner avec les articles 94 et 95? C'est votre opinion?

M. Auger: Oui. C'est le sens de notre recommandation parce qu'on ne comprend pas très bien quels sont les actes que vise l'article 93 qui, par l'emploi du terme "nul", semble bien vouloir parler d'une nullité absolue. Or, quels sont les cas d'un mineur où les actes sont entachés d'une nullité absolue? Si on se réfère au droit actuel, c'est uniquement quand la loi fait des prohibitions expresses à ces personnes de poser tel acte; faire un testament, par exemple. Mais, tel que présenté, l'article 93 - et c'est ce que j'ai voulu illustrer ce matin - pose un sérieux problème lorsqu'on le compare avec l'article 95 qui, lui, est nettement caractéristique d'une nullité relative à base de préjudice, c'est-à-dire l'actuelle action en rescision pour lésion. Mais les actes tombant sous le coup de l'un et de l'autre ne sont pas clairement définis. Or, de deux choses l'une: ou bien on abandonne l'article 93 ou bien on précise quels sont les actes qu'on veut faire tomber sous le coup de l'article 93 et quels sont ceux qu'on veut faire tomber sous le coup de l'article 95.

L'article 94 ne pose pas cette difficulté. Si on lit l'ensemble du projet de loi, on voit qu'il réfère à des actes précis: ce sont les articles 146, 147, 148 et 149. Mais les articles 93 et 95 représentent, à notre avis, une difficulté certaine qu'il y a lieu de corriger.

M. Leduc (Saint-Laurent): Alors, vous feriez sauter l'article 93?

M. Auger: C'est une solution. L'autre solution, si on croit utile de maintenir une nullité absolue, il s'agirait de préciser quels sont les actes visés pour qu'il n'y ait pas cette espèce d'incertitude sur le caractère de la nullité, parce que c'est très important, concernant des actes que peut avoir posés seul un mineur quand la loi lui défend d'agir seul. La loi peut lui défendre formellement d'agir ou la loi peut lui dire: Tu agis avec l'autorisation du tuteur. Dans ce cas, il s'agirait d'une nullité relative, et dans les autres cas, d'une nullité absolue. Mais il y a quelque chose à préciser d'une façon ou d'une autre.

M. Bédard: Peut-être que le mieux serait de préciser les actes auxquels on se réfère...

M. Auger: C'est certainement une solution...

M. Bédard: ...à 93?

M. Auger: ...de préciser les actes qui tomberaient sous le coup de l'article 93. C'est peut-être là qu'est le problème le plus délicat.

M. Leduc (Saint-Laurent): Si on regarde les articles 86, 151 et 154, j'ai beaucoup de difficulté à concilier ces trois articles. Je me demande si vous vous êtes penché sur les conséquences de ces articles et si vous avez une proposition à nous faire.

M. Auger: Article 151.

M. Leduc (Saint-Laurent): L'article 86 est relatif aux biens gagnés et à l'administration du produit du travail du mineur. Si on regarde ensuite l'article 151...

M. Auger: Nous avons effectivement fait des recommandations sur ces articles. Nous pensons que l'article 86 pose une règle qui est trop absolue, notamment dans le cas des mineurs qui, par leur travail, reçoivent des sommes importantes. Il se peut que l'âge du mineur ne lui permette aucunement

d'administrer ces revenus importants. À cet égard, le principe nous apparaît trop large.

Dans notre mémoire, nous avons recommandé à cet égard de conserver, en somme, les règles du droit actuel qui ne nous sont pas apparues comme étant de nature à avoir posé des difficultés énormes en ce qui concerne les revenus du travail du mineur. Or, le mineur est capable pour les fins de son travail, mais, s'il économise des sommes relativement importantes, ces sommes sont en principe assujetties à l'administration du tuteur. C'est la recommandation que nous avons faite plutôt que d'introduire des mesures visant à déterminer quelles sont les sommes qu'il conservera et quelles sont celles qu'il ne conservera pas, parce que cela nous apparaît être susceptible d'introduire des litiges ou des chicanes dans la famille. Quand les tuteurs seront les père et mère dans la très grande majorité des cas, de par le seul effet de la loi, il ne faudrait pas que trop de litiges interviennent sur cette question de savoir quelles sont les sommes que le mineur conservera et celles qu'il ne conservera pas. On est plutôt favorable à l'état actuel du droit sur cette question.

M. Bédard: L'article 154 ne le précise pas suffisamment?

M. Auger: Oui, l'article 154 présuppose l'intervention - si je me souviens bien - du conseil de tutelle.

M. Bédard: Plus que cela, cela indique une limitation de l'affectation des...

M. Leduc (Saint-Laurent): Cela ne peut pas se concilier avec les articles 86 et 151. C'est difficilement conciliable.

M. Auger: C'est ce que je soulignais il y a quelques instants. C'est peut-être de nature, l'article 154, à créer des problèmes entre le mineur et sa famille très immédiate que composerait le conseil de tutelle, bien que, à cet égard, on n'y a pas vu de problèmes majeurs. On a considéré que le droit actuel sur ces sujets n'avait pas démontré qu'il y avait énormément de litiges importants. On pense qu'on pourrait le reproduire sans risque d'avoir oublié des choses fondamentales. On a simplement voulu souligner que, quand on introduit des articles qui nous obligent à distinguer entre ce qui est considérable et ce qui ne l'est pas, entre ce que sont des besoins ordinaires ou des besoins extraordinaires et que tout cela se déroule au sein de la famille, cela peut poser des questions un peu délicates.

M. Leduc (Saint-Laurent): Évidemment, on n'est pas au stade d'étudier le projet de loi article par article, mais si on regarde l'article 149: "Le tuteur ne peut, sans avoir obtenu l'évaluation d'un expert, aliéner un bien d'une valeur excédant 6000 $", comment le savoir s'il n'y a pas d'évaluation?

M. Auger: L'article 149 n'est pas relié à la question de l'article 154.

M. Leduc (Saint-Laurent): Non, pas du tout, c'est une autre question. Le dernier paragraphe, selon vous, que veut-il dire? Je ne comprends pas.

M. Auger: De l'article 149? M. Leduc (Saint-Laurent): Oui.

M. Auger: C'est que quand un acte posé en amène nécessairement, par voie d'accessoire, certains autres mineurs, on veut considérer le tout comme une opération d'ensemble plutôt que de voir tout cela comme des transactions isolées. Or, un achat qui implique une hypothèque serait considéré, je pense, en vertu de l'article 149, comme un tout, étant donné les relations très intimes qui existent entre ces deux actes: l'achat, d'une part, et le financement de l'achat, d'autre part.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je pense qu'il faudrait, de toute façon, que l'article soit reformulé. On ne pourrait pas savoir l'évaluation. S'il n'y a pas d'évaluation en ce qui concerne le premier paragraphe, on ne pourrait pas savoir comment cela peut excéder ou non 6000 $. Je comprends que, pour les valeurs cotées ou négociées en Bourse, cela va. Mais pour tout autre bien, quel sera le critère pour évaluer...

M. Bédard: Le critère, disons que c'est...

M. Leduc (Saint-Laurent): ...pour savoir si cela vaut plus ou moins? Est-ce qu'on le fera toujours évaluer?

M. Bédard: Je vois cela comme un appel à la prudence de la part du tuteur lorsque vient le temps d'aliéner des biens qui, manifestement, sont plus importants. On parle de 6000 $, cela commence à être un bien assez significatif. Alors, à partir de ce moment, le tuteur, connaissant le libellé de cet article, doit, quand il croit qu'il peut être en train d'aliéner un bien qui peut dépasser 6000 $, aussi bien se protéger ou protéger le mineur.

M. Leduc (Saint-Laurent): Ce n'est pas suffisant. Je ne pense pas qu'on puisse s'en remettre au tuteur pour décider s'il va y avoir évaluation ou non.

M. Bédard: Le tuteur sait une chose,

c'est qu'il aura avantage à faire faire l'évaluation quand il pensera que le bien qu'il veut aliéner peut dépasser 6000 $ parce que, s'il n'a pas fait faire cette évaluation, eh bien, il tombe sous le coup de l'article 149 selon lequel il ne pouvait pas faire une telle transaction sans avoir préalablement obtenu une évualuation.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je pense que l'évaluation devrait être faite avant.

M. Bédard: Enfin, j'essaie comme vous de...

M. Leduc (Saint-Laurent): II faudrait peut-être que ce soit reformulé, je pense.

Je voudrais revenir sur le conseil de tutelle. On a soulevé la question à savoir s'il devrait y avoir un conseil de tutelle ou non lorsqu'il s'agissait d'une tutelle légale, père et mère. Je ne sais pas si vous avez pris connaissance également de la suggestion du barreau qui dit qu'il n'est pas question de conseil de tutelle.

M. Auger: Non, malheureusement, on n'a pas eu l'occasion de lire le mémoire du barreau.

M. Leduc (Saint-Laurent): Cela m'aurait peut-être intéressé de savoir ce que vous en pensez. Le barreau dit que s'il n'y a pas de conseil de tutelle de nommé, c'est d'office père et mère, également les frères et soeurs, les ascendants. C'est l'article 156.1, je pense. Alors, vous ne l'avez pas vérifié. (15 h 45)

M. Auger: On n'a pas eu l'occasion de lire le mémoire. Ce qu'on a dit sur cette question ce matin, c'est qu'il nous apparaît important qu'il y ait une mesure quelconque de contrôle de l'administration d'un tuteur. Cela nous paraît important. Cela nous paraît également important que ce soit confié à des proches de la famille plutôt qu'à un organisme public. À cet égard, après avoir examiné la nouvelle vocation et composition du conseil de tutelle par rapport à ce qui était ou ce qui est encore le conseil de famille, on y a vu un organisme de nature à répondre à ce que l'on recherche, bien qu'on ait fait des représentations dans le sens que lorsqu'il s'agit d'une tutelle légale, celle des père et mère, on est tout à fait favorable à ce que cette mesure de surveillance soit relâchée pour n'être réintroduite que lorsque les biens administrés en valent vraiment le coup. C'était notre position, mais je ne peux pas commenter le mémoire du barreau, ne l'ayant pas lu.

M. Leduc (Saint-Laurent): Vous êtes d'accord sur la façon dont ils sont nommés et sur la composition du conseil? Cela vous va?

M. Auger: Oui.

M. Leduc (Saint-Laurent): Vous ne pensez pas que cela peut être trop lourd, en pratique?

M. Auger: Si on compare le conseil de tutelle du projet de loi no 107 avec l'ancien conseil de famille, effectivement, ce serait lourd et on ne serait pas d'accord, parce que l'ancien conseil de famille, je parle d'ancien, mais le conseil de famille, c'est un conseil ad hoc. Vous le convoquez ce matin pour une question X et, si dans trois semaines vous en avez encore besoin, vous en reconvoquez un nouveau pour une autre question. Il n'y a pas de permanence de vocation. Et, à ce moment-là, on sait ce qui se produit souvent: on a des amis de dernière minute, ramassés dans les corridors du palais de justice. Ce n'est pas ce dont on parle ici. C'est un organisme qui est nommé, constitué, qui demeure en fonction et qui peut comprendre trois ou cinq personnes. C'est déjà beaucoup moins lourd. Comme il a une vocation plus permanente, cela nous paraît être de nature à répondre aux objectifs que l'on vise, c'est-à-dire assurer une protection des intérêts du mineur. Et, à notre avis, il en faut un, un organisme. Si ce n'est pas le conseil de tutelle, cela devrait être autre chose.

M. Leduc (Saint-Laurent): Est-ce que vous êtes d'accord sur le fait que chaque fois qu'on doit prendre avis du conseil de tutelle on doive nécessairement obtenir l'autorisation du tribunal?

M. Auger: Non, d'ailleurs, le projet de loi...

M. Leduc (Saint-Laurent): Mais, avant, c'était cela. Avant, dès qu'il fallait une autorisation, il fallait avoir également l'avis du conseil de famille.

M. Auger: Non, non. Le projet de loi là-dessus apporte une réforme importante aussi en ce qui a trait...

M. Leduc (Saint-Laurent): Est-ce que vous êtes d'accord sur ce principe?

M. Auger: Oui, oui.

M. Leduc (Saint-Laurent): Vous pensez qu'il y a des actes qu'on pourrait poser seulement sur avis et que, à d'autres moments, il faudrait avoir l'avis et l'autorisation?

M. Auger: Oui. Les endroits où le conseil de tutelle doit être consulté et où cette consultation-là est suffisante nous paraissent être des actes qui peuvent être posés avec cette consultation, sans trop de

risques. Par ailleurs, le projet de loi ne laisse pas tomber totalement l'autorisation du tribunal dans certains cas, même sur avis du conseil de tutelle.

M. Leduc (Saint-Laurent): II y a l'article 145. Peut-être qu'on n'a pas de réponse. On dit: "Le tuteur datif agit à l'égard des biens du mineur à titre d'administrateur chargé de la simple administration". Ce n'est peut-être pas encore défini, la simple administration. Est-ce que cela vous semble satisfaisant?

M. Auger: Je pourrais répondre à cette question si je savais ce qu'est la simple administration par rapport à - je ne sais pas - l'administration plus complète. Tout ce qu'on peut dire, c'est d'aller voir ce qu'il y a dans le projet de l'Office de révision du Code civil, mais là je pense qu'on parle de façon prématurée. La simple administration, cependant, si je comprends bien l'expression, ça va de l'étape première de l'administration des biens d'autrui, celle qui va conférer à son titulaire le moins de pouvoirs...

M. Leduc (Saint-Laurent): C'est un peu comme le liquidateur.

M. Auger: Mais, je ne peux pas en dire plus sur cette question parce que je ne connais pas du tout les dispositions qui sont édictées.

M. Leduc (Saint-Laurent): Alors, vous ne pourrez pas vous prononcer tantôt sur la question du liquidateur parce que lui aussi est un simple administrateur.

M. Auger: C'est la même chose. En ce qui concerne les actes qu'il sera autorisé à faire comme simple administrateur, oui.

M. Leduc (Saint-Laurent): Comment verriez-vous cela, une simple administration, pour que cela soit utile et efficace?

M. Auger: C'est toute une question que vous me posez.

M. Bédard: Si vous le permettez, je ne veux pas venir à votre secours, mais je comprends très bien qu'on puisse se poser des questions sur ce qu'on doit entendre par simple administration. Disons que les réponses viendront avec le dépôt du projet de loi concernant les biens où là, sûrement, il faudra en arriver à une définition de ce qu'on entend par simple administration.

M. Leduc (Saint-Laurent): C'est drôlement important parce qu'on parle de tutelle, on parle de tuteur...

M. Bédard: C'est exact. Comme on sait que les trois choses devront être adoptées ensemble, cela ne posera pas de problème.

M. Leduc (Saint-Laurent): Si on regarde les articles 173 et 174, cela me semble des situations assez particulières. Je me demandais si vous étiez d'accord avec cette formule de substitut, de remplacement du conseil de tutelle par une personne qu'on désignerait chaque fois, soit un juge, un protonotaire, le directeur de la protection de la jeunesse ou le curateur public.

M. Auger: Nous avons considéré ces dispositions telles qu'elles se présentent, c'est-à-dire comme étant de nature subsidiaire et comme ne devant intervenir que dans des situations exceptionnelles. À ce moment-là, on n'a pas attaché une grande importance à ce conseil substitut en pensant que, vraiment, il s'agirait de situations exceptionnelles, mais aussi tout en considérant que des situations exceptionnelles peuvent se présenter et qu'il peut y avoir des raisons pour passer outre à la règle générale et adopter une voie secondaire plus rapide, plus efficace. Je dois vous avouer qu'on ne s'est pas attardé très longuement sur le conseil substitut.

M. Leduc (Saint-Laurent): On connaît maintenant, avec le nouveau projet de loi, la tutelle dative. On dit qu'elle peut être instituée par une déclaration enregistrée, une déclaration au tribunal et également, bien sûr, par testament. Par testament, on peut être bien d'accord, mais que pensez-vous de la déclaration au tribunal? Comment pourra-t-on vérifier cela? Est-ce que cela sera facile de le vérifier?

M. Auger: II faudrait, pour répondre à la question que vous me posez, que le mécanisme qui, nécessairement, sera sous-jacent à cela soit connu. Or, il m'est encore difficile de me prononcer sur l'efficacité de cette mesure sans en connaître les modalités. Pourquoi cela ne serait-il pas efficace? À première vue, il n'y a pas de raison vraiment pour penser que cela ne serait pas du tout efficace. Cela dépendra beaucoup des mesures administratives qui seront mises en place pour le fonctionnement de cette déclaration au tribunal. On n'a pas cru voir là de problèmes majeurs, mais il faudrait, pour être vraiment plus en mesure de porter un jugement sur cette question, connaître ces mesures administratives qui vont forcément accompagner, j'imagine, cette possibilité.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je ne sais pas si vous vous êtes penchés sur la question de la disposition des biens appartenant aux mineurs ou aux incapables. En quelque vingt années de pratique, j'ai fait beaucoup de

dispositions, beaucoup d'aliénations de biens appartenant à des incapables. Chaque fois, c'était de la frime. Des ventes à l'enchère, je n'ai jamais connu cela. En 22 ou 23 ans de pratique, je n'ai jamais connu une seule vente à l'enchère. Cela m'a toujours préoccupé. Chaque fois, lorsqu'on procédait à une vente de propriété ou d'autres biens pour lesquels il fallait avoir les autorisations, on allait chercher un semblant d'expertise un agent d'immeubles. On lui disait qu'on avait une offre à 95 000 $ et, évidemment, on s'arrangeait, bien sûr, pour que ce soit l'acheteur, celui qui avait fait l'offre à 95 000 $, qui ait la propriété. D'ailleurs, les avis dans les journaux, tout le monde sait que ce ne sont pas des "best-sellers". Personne ne les vérifie. On arrivait ainsi, chaque fois, avec un seul acheteur, soit le type qui avait signé l'offre d'achat.

Je me demande si vous n'avez pas pensé à d'autres formules?

M. Auger: Le projet de loi, à cet égard, propose des choses, principalement à l'article 146. Peut-être, préalablement, devrais-je dire que, quand on connaîtra jusqu'où iront les pouvoirs de la simple administration, on sera encore mieux en mesure de savoir exactement ce que le tuteur pourra faire sans autorisation et ce qu'il devra faire avec autorisation. Mais déjà l'article 146 apporte une réponse dans le cas d'aliénation d'un bien important. La vente pourra se faire de gré à gré, après consultation du conseil de famille et autorisation du tribunal. Or, il ne s'agira pas d'une vente publique. Cela pourrait être une vente de gré à gré, mais pour laquelle on aura préalablement obtenu certaines autorisations. Quant aux autres aspects de cette question, la réponse se trouvera davantage dans les règles concernant la simple administration.

M. Leduc (Saint-Laurent): En pratique, ce qui se produit, c'est qu'il y a chaque fois un coût très important. Ces procédures coûtent souvent près de 1000 $. Dans certains cas - cela s'est présenté - c'était une supposée expertise qui était faite; enfin, à mon sens, une expertise qui n'en était pas une. Au lieu de protéger les mineurs, en fait, c'était l'inverse. Cela leur était préjudiciable. On arrivait avec une seule offre. Il y avait un expert. On soumettait l'offre et on procédait après.

M. Auger: Effectivement, les solutions aux problèmes que vous soulevez et qui sont réels devraient être données dans les règles sur l'administration du bien d'autrui. Si on édicte ces règles de façon que les critères ne soient pas trop bas quant à la valeur d'un bien, trop rigides, on va peut-être répondre au voeu que vous exprimez de faire disparaître certaines procédures qui sont peut-être un peu inutiles dans certaines circonstances. C'est au niveau de tout ce chapitre, qui va régir l'administration du tuteur, du liquidateur d'une succession et autres personnes, que les réponses vont vraiment être données.

M. Leduc (Saint-Laurent): En ce qui concerne l'émancipation en dehors du mariage, vous n'avez pas vérifié le mémoire du barreau? Évidemment, le barreau dit: en dehors du mariage, il n'est plus question d'émanciper. Évidemment, maintenant la majorité est atteinte à l'âge de 18 ans. Il n'y a plus d'utilité que l'on procède à l'émancipation, d'autant plus que dans le passé, dans l'histoire, apparemment, il s'en est fait très peu. Je serais d'accord avec cela.

M. Auger: On s'est posé la même question, et j'ai même tenté de vérifier combien il y avait de cas d'émancipation rapportés. J'en ai trouvé un qui remonte à assez longtemps. Cela ne démontre certainement pas que cela a été très utilisé. Maintenant, est-ce que cela présente des problèmes qu'il y ait cette possibilité dans notre droit que, compte tenu de certaines circonstances, on puisse émanciper quelqu'un qui n'a pas 18 ans? Cela ne nous est pas apparu comme étant quelque chose de majeur. C'est la raison pour laquelle, en fin de compte, on ne s'est pas opposés au maintien de l'émancipation sous sa nouvelle formulation, tout en étant conscients que cela ne semble pas avoir posé de grands problèmes, ni d'avoir été très couru dans le passé.

M. Leduc (Saint-Laurent): À l'article 99, il y a une émancipation par tuteur avec avis du conseil de tutelle. Est-ce que vous êtes d'accord avec cela? À plus forte raison, on émancipe sur simple avis du conseil de tutelle.

M. Auger: Oui, mais le mineur émancipé ne devient pas pleinement capable de tous les actes de la vie civile, dans ce cas. C'est un peu la même chose que je vous disais. On n'y a pas vu d'inconvénients à ce point grands qu'on a cru devoir s'opposer à cette mesure, tout en étant conscients de sa relative utilité.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais maintenant toucher à l'article 107.

Le Président (M. Blouin): Enfin, si vous voulez conclure rapidement, si possible.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voulais simplement parler de la représentation tant en matière de succession légale que

testamentaire. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

M. Auger: Je m'excuse. De la...

M. Leduc (Saint-Laurent): De la représentation, suivant les nouvelles règles.

M. Auger: Ah bon.

M. Leduc (Saint-Laurent): On dit que maintenant - en ligne ascendante, il n'y en avait pas - qu'en ligne collatérale, ce qui me semble aberrant, on a une représentation jusqu'au septième degré. Maintenant, quand il y a un testament, elle est automatique. Alors, que pensez-vous de cela?

M. Auger: C'est une question qu'on a vraiment examinée. La représentation en ligne directe descendante, le droit n'est pas changé là-dessus; elle a toujours été à l'infini.

M. Leduc (Saint-Laurent): D'accord.

M. Auger: Maintenant, on réduit les degrés; on s'arrêterait au septième. Cela ne nous pose pas de problème.

En ligne collatérale, la représentation s'arrêtait au deuxième degré où on disait: "les neveux et nièces inclusivement." Qu'on permette la représentation à cet égard au-delà du deuxième degré, cela ne nous apparaît pas, non plus, poser des difficultés et on est d'accord avec cette règle.

Quant au troisième volet de votre question, à savoir si c'est une bonne chose d'introduire la représentation automatiquement dans les testaments la réponse aussi, en ce qui nous concerne, est oui. Parce que, dans les faits, les testaments - du moins lorsque ceux qui les rédigent connaissent le droit - prévoient généralement la représentation ou l'accroissement, selon les circonstances. Le fait de la prévoir automatiquement nous apparaît quelque chose de souhaitable. On n'y voit pas d'inconvénient majeur. (16 heures)

M. Leduc (Saint-Laurent): Ce sera ma dernière question: En ce qui concerne la dévolution, lorsqu'il y a des descendants, peut-être que j'aurais préféré demi-demi, mais, lorsqu'il n'y a pas de descendants et pas de collatéraux, êtes-vous d'accord avec le projet? Je voudrais bien qu'à ce moment-là on donne tout à l'épouse. Je sais qu'on en a parlé ce matin. Évidemment, dans notre pratique, on fait plusieurs testaments et on constate que, lorsqu'il y a un époux, même s'il y a des enfants, dans 95% des cas, c'est complètement dévolu à l'époux. Il y a une question de droit de succession. Vous savez qu'au Québec nous sommes la seule province où il y a des droits de succession. C'est sûr que cela a un impact, parce que si on se donne entre mari et femme, au dernier vivant, comme on l'appelle, il n'y a pas de droits de succession et, également, il y a le roulement. Or, c'est sûr que cela peut avoir un impact. Mais il faut tout de même constater ce qui se fait en pratique. Dans 95% des cas, les époux se donnent l'un à l'autre. J'accepte assez difficilement qu'on maintienne le tiers et les deux tiers.

M. Auger: Vous êtes tout à fait dans la même ligne de pensée que notre mémoire. Nous avons proposé ce matin qu'au premier degré, c'est-à-dire qu'en présence de descendants on porte du tiers à 50% la part du conjoint survivant et que, lorsqu'il n'y a plus de descendants, mais un conjoint, même s'il y a des ascendants privilégiés ou des collatéraux privilégiés, le conjoint recueille toute la succession. Or, on s'entend très bien sur cette question.

M. Leduc (Saint-Laurent): D'accordl Merci.

Le Président (M. Blouin): Merci, M. le député de Saint-Laurent.

M. le député de Sainte-Anne.

M. Polak: M. le Président, j'ai seulement une question. Je voudrais revenir sur le problème de Me Auger, que le ministre a soulevé ce matin, la réserve successorale. Au début, vous avez parlé de la succession ab intestat à la page 4 de votre mémoire, et je cite: "La loi devrait être plus généreuse envers le conjoint survivant." Vous dites qu'il faut tenir compte davantage de la perception du citoyen québécois sur cette question. Personnellement, je suis tout à fait d'accord avec cet énoncé. Je pense que c'est très important de protéger la femme et les enfants. Vous avez bien répondu. Vous avez parlé de la famille nucléaire, vous avez cité le cas de séparation de biens, etc. Vous avez dit: Nous restons avec notre opinion qu'il faut avoir la moitié et non le tiers dans tel cas.

Un peu plus tard, le ministre vous a parlé de réserve successorale et je suis un peu surpris parce que vous avez pris l'argument du ministre. Vous avez dit que la situation sociale a changé et que tout de même on peut se marier deux fois de temps en temps. Donc, vous avez pris les arguments du ministre pour ne pas accepter la réserve successorale.

M. Bédard: La moitié des choses.

M. Polak: J'ai trouvé une sorte de contradiction dans votre thèse. Je suis tout à fait d'accord avec votre thèse parce que ce qui m'intéresse beaucoup, c'est de protéger l'unité familiale. Je pratique moi-même

comme avocat, je ne suis pas notaire comme mon confrère et vous, mais on rencontre souvent des successions où les enfants ou un des enfants ou même le conjoint ou l'ancien conjoint sont exclus. Cela arrive. Je me demande s'il faut choisir, dans un principe de protéger la victime... Supposons qu'on aurait ici dans notre Code civil un système de réserve successorale, comme on a, par exemple, aux Pays-Bas. Je connais très bien le système, parce que je viens des Pays-Bas; donc, j'ai étudié le droit là-bas. Le système est le suivant: la réserve successorale pour le conjoint et pour les enfants est la moitié de ce qu'on aurait reçu ab intestat, en principe. Je n'ai jamais entendu dire que cette loi était trop compliquée ou complexe, ou que quelqu'un soit en désaccord avec cette loi. La seule plainte qu'on entend, ce sont des maris qui veulent enlever à leur femme une portion, qu'on appelle là-bas une portion légitime. Pour le reste, tout le monde est d'accord avec cette loi.

Ne croyez-vous pas, d'après ce que vous avez énoncé à la page 4, que peut-être votre position concernant la réserve successorale devrait être révisée? Pourquoi n'êtes-vous en faveur de ce principe si vous voulez protéger la femme et les enfants?

Le Président (M. Blouin): Me Auger.

M. Auger: Poussé à la limite, bien sûr, l'argument de notre mémoire pourrait aller jusqu'à dire: On vous tout donner au conjoint survivant et oublions tout le reste. Notre position là-dessus est qu'on est favorable à ce que, au niveau des successions ab intestat, la part du conjoint survivant soit accrue, mais, lorsqu'il est question de la réserve, j'ai énuméré un certain nombre d'arguments ce matin qui font qu'on n'est pas en total désaccord avec l'idée d'une réserve. Mais nous sommes loin, actuellement, d'être convaincus qu'il s'agit d'une mesure à ce point nécessaire qu'il faille l'imposer universellement à l'ensemble des citoyens québécois. J'ai énuméré des arguments comme celui-ci: Est-ce qu'il y a vraiment tellement de conjoints qui déshéritent leur conjoint? À cela, notre réponse est plutôt non. Là-dessus, on s'appuie sur les dires de confrères notaires qui voient beaucoup de règlements de succession. Est-ce que cela causera certains problèmes au niveau des seconds mariages? À cela, on répond: Oui, cela risque de causer des problèmes. Est-ce que cela ne risque pas de venir "saboter" des réformes qu'on vient tout juste de faire? Je pense à la loi 10, qui a réformé les régimes matrimoniaux.

Mon argument est le suivant: Déjà, les gens, en vertu du régime légal, peuvent recueillir la moitié des biens, s'ils veulent tout simplement adopter ce régime. Si on ajoute à cette moitié un quart ou quelque autre fraction, il y a peut-être un danger qu'il faudrait bien examiner avant d'aller de l'avant. Il y a peut-être un danger que cela opère un recul par rapport à une réforme toute récente que l'on veut et qu'on a voulu maintenir dans la loi 89, notamment. Il y a aussi la loi 89 qui introduit d'autres mesures de protection: la prestation compensatoire, la possibilité de transférer la résidence principale.

C'est en tenant compte, en fait, d'une série de règles de droit que nous en arrivons à dire: On n'est pas, en principe, contre une réserve. Mais nous ne croyons pas que, actuellement, il soit absolument nécessaire d'introduire une mesure universelle, c'est-à-dire qui reposera sur les épaules de tous les Québécois, pour régler des problèmes qui ne nous sont pas encore apparus comme étant majeurs et très répandus.

Vous soulignez un argument que l'on a vraiment considéré quand vous parliez de la protection de la famille et des intérêts de la famille. Une réserve, surtout si on l'introduit également en faveur des enfants, va avoir un effet de séparation du patrimoine familial. Comme je le disais ce matin en réponse à une question qui m'était posée, les gens, au Québec, ne meurent pas tous avec des fortunes. Il est souvent important que les biens que laisse le premier des deux époux soient concentrés sur la tête d'un des deux époux pour qu'il puisse assumer les tâches qui lui incombent en vertu de la loi. Une réserve, notamment, qui s'étendrait aux enfants aurait pour effet de séparer le patrimoine familial et peut-être de rendre des mauvais services à cet égard.

M. Polak: Vous savez, ce qui arrive en pratique, en Europe, par exemple, c'est qu'on n'exerce pas ce droit qu'on appelle là-bas la portion légitime. Ce qui arrive, c'est que, par exemple, quand mon propre père est décédé, j'avais droit à une minime portion de la moitié comme l'un de ses huit enfants, et j'ai simplement renoncé en faveur de ma mère, comme tous les autres enfants. Quand le notaire a dit tout à l'heure que, dans 95% des cas, les conjoints se laissent leurs biens mutuellement l'un à l'autre, il n'y a aucun problème que les gens vont insister pour exercer ce droit. Il y en a quelques-uns, peut-être, qui disent: Je veux avoir ma portion légitime, mais 95% y renoncent en faveur de leur parent survivant.

M. Auger: C'est un peu là notre argument, c'est que, si vraiment il y a tant de gens qui y renoncent, ce n'est peut-être pas, au départ, une mesure, pour l'instant, qui est absolument nécessaire. Mais comprenez bien notre position. Ce n'est pas une position qui consiste à dire: Une réserve, c'est, en soi, quelque chose de mauvais et on est complètement contre. Nous ne pensons

pas que, actuellement, compte tenu de l'ensemble des lois adoptées et en voie de l'être, ce soit quelque chose qu'il faille imposer en sus à tous les citoyens québécois, pour l'instant.

M. Polak: Théoriquement, on peut encore l'avoir dans la province de Québec, il reste encore de ces portions de biens, un peu comme le cas qu'on a vu en Saskatchewan, la femme qui a travaillé toute sa vie sur une ferme, par exemple, séparée de biens; le mari, à l'âge de 55 ans, devient fou, il tombe en amour avec une jeune femme: Bonjour, madame, je laisse tout à elle. Cela peut encore exister, vous êtes d'accord avec cela?

M. Auger: Oui, mais ce n'est plus une question de réserve qui réglera ce problème. Dans ce cas, c'est un divorce et, dans le cas du divorce, il n'est pas question de réserve successorale. Vous faites référence à l'affaire Murdoch, j'imagine. Le législateur québécois a déjà tenté d'apporter une réponse à cela, c'est la prestation compensatoire qui est entrée en vigueur le 1er décembre. La réserve ne réglerait pas ce problème.

M. Polak Je voudrais juste dire, comme j'ai aimé votre attitude dans l'appendice A page 4, de garder en réserve ce principe pour l'avenir pour la succession aussi.

Le Président (M. Blouin): Merci, M. le député de Sainte-Anne. Je remercie également nos invités, les représentants de la chambre des notaires.

M. Bédard: Alors, M. le Président, au nom des membres de la commission, je tiens à remercier à nouveau la chambre des notaires de la présentation de son mémoire et d'avoir accepté de répondre avec beaucoup de capacité à toutes les questions que nous lui avons posées. Je sais que la chambre des notaires, par plusieurs de ses représentants, a toujours été associée dès le début à tous les travaux concernant la réforme du Code civil et qu'elle continue d'y être associée. Je souhaite que la présentation de son mémoire devant la commission ne constitue pas la fin de sa contribution. Je sais bien que ce ne sera pas la fin de sa contribution, puisque même cette commission parlementaire terminée, je tiens à souligner, autant à la chambre des notaires qu'à tous les organismes qui seront entendus, que, s'ils croient opportun de faire d'autres représentations au niveau gouvernemental ou du ministère de la Justice avant que la législation soit adoptée - il reste quand même des délais assez importants - de ne pas de priver de faire des représentations parce qu'on est conscient que tout projet de loi, surtout avec la complexité de celui qui est devant nous, est susceptible d'amélioration.

Le Président (M. Blouin): Merci, M. le ministre. Succinctement, M. le député de Saint-Laurent. Ensuite, je vous le permettrai, M. le président.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais me joindre au ministre pour remercier les représentants de la chambre des notaires et la chambre des notaires pour l'excellent travail qu'ils ont fait. Comme les avocats ont l'habitude de nous appeler les vétérinaires du droit, vous avez été d'excellents vétérinaires. Je vous remercie.

Le Président (M. Blouin): M. le président, vous voulez ajouter un mot avant de terminer.

M. Auger: Oui. Je ne voudrais pas rester dans le domaine médical. Ce n'est pas tellement curatif que préventif. M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission, nous tenons à vous remercier de votre accueil et de l'attention que vous nous avez donnée. Permettez que la chambre vous souhaite bonne réflexion à la lumière de nos propos. Merci beaucoup.

Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, M. le président et tous les représentants de la chambre des notaires. J'invite maintenant les représentants de la Chambre de commerce de la province de Québec à s'approcher à la table des invités. Si vous voulez bien, M. le représentant de la chambre de commerce, présenter les gens qui vous accompagnent et vous présenter vous-même pour les fins du journal des Débats, s'il vous plaît.

Chambre de commerce de la province de Québec

M. Létourneau (Jean-Paul): M. le Président, mon nom est Jean-Paul Létourneau et je suis le vice-président exécutif de la Chambre de commerce du Québec. M'accompagnent ici pour la présentation de notre mémoire: M. Marcel Tardif, directeur général des affaires publiques de la Chambre de commerce du Québec, et Me Sylvie Massicotte, directeur des services juridiques de notre organisme. Je dois excuser notre président, M. Langlois, et un autre membre de la chambre, Me Roger Beaulieu, qui est associé principal chez Martineau Walker et président du comité des sièges sociaux de l'Association des MBA du Québec, qui auraient pu être avec nous ce matin. Nous avions espéré, étant les deuxième à l'ordre du jour, pouvoir comparaître un peu plus tôt. Malheureusement à cause des retards, ces deux personnes ne peuvent pas être avec

nous à ce moment-ci.

Le Président (M. Blouin): M. Létourneau, compte tenu de ce que vous venez de dire, je vous rappelle que nous souhaitons que vous fassiez votre présentation, si possible à l'intérieur de notre limite habituelle. Merci. (16 h 15)

M. Létourneau: Nous allons essayer d'être le plus succincts possible, M. le Président, et de prendre moins de temps que les premiers intervenants. Ce n'est pas parce que ce n'était pas intéressant, remarquez; ils avaient des choses fort pertinentes à dire.

Nous désirons, tout d'abord remercier la commission de cette occasion de venir présenter notre point de vue. Nous apprécions beaucoup cette opportunité. La chambre de commerce - je me permets de le signaler rapidement, en passant - est une fédération de quelque 200 chambres de commerce locales qui regroupent près de 40 000 membres au Québec. La chambre compte aussi plus de 3000 entreprises membres qui y adhèrent directement. Notre rôle ici est - et je crois utile d'insister sur ce point - de représenter le monde des affaires du Québec et ses membres qui se comportent raisonnablement dans le marché, ceux qui veulent et oeuvrent au développement économique du Québec. Nous ne sommes pas là pour parler pour les tricheurs ou les fraudeurs qui existent, malheureusement. Je pense qu'il est important de souligner ce point au départ parce que notre observation ou nos perceptions du projet de loi sont conditionnées par cette perspective.

Notre intérêt principal dans cette démarche concerne surtout le titre neuvième du projet de loi no 106, c'est-à-dire celui qui traite des personnes morales, et les articles 314 et suivants du projet de loi. Concernant cette partie du projet de loi, le titre neuvième, nous devons faire observer à la commission que nous avons été assez surpris du contenu et de la portée du titre neuvième, et ceci, pour plusieurs raisons. Premièrement, nous estimons que le Code civil est une loi fondamentale et ce qui nous a surpris, c'est que le titre neuvième aille aussi loin dans le détail du fonctionnement des corporations, des sociétés.

Le deuxième aspect qui nous a aussi surpris, c'est que les propositions contenues dans le titre neuvième s'éloignent et ajoutent considérablement aux propositions de l'Office de révision du Code civil. Sans vouloir, pour autant, dire qu'on appuie ou qu'on n'appuie pas ces propositions, on remarque qu'on s'est aventuré à faire du droit nouveau et ceci, pour autant que nous le sachions, sans consultation préalable au dépôt du projet de loi avec les principaux intéressés. En tout cas, nous n'avions pas entendu parler de l'intention de faire certaines propositions qui sont contenues dans le titre neuvième.

Le troisième aspect qui nous a aussi surpris, c'est le fait que les propositions remettent en cause le principe de la responsabilité limitée de l'entreprise. Il nous semble que cela va avoir des conséquences qu'il n'est pas possible d'évaluer complètement présentement parce qu'on n'a pas suffisamment de temps, mais au sujet desquelles il faudrait avoir d'autres éclaircissements. Le ministre a dit ce matin que d'autres documents viendraient. Mais, pour le moment, les restrictions qu'on fait et les nouvelles responsabilités qu'on veut donner aux fondateurs, aux actionnaires, aux administrateurs de la société, sur les questions de fraudes, d'abus de droit d'ordre public, cela nous apparaît très lourd et susceptible d'avoir des conséquences qui ne seraient certainement pas toutes positives.

Un quatrième point qui nous a surpris, c'est qu'on créerait par les propositions du titre neuvième un régime juridique très différent pour les entreprises au Québec par rapport à ce qui existe partout ailleurs au Canada, alors qu'on vient tout juste de modifier la Loi sur les compagnies pour fins de concordance avec la loi fédérale. Cela aussi nous surprend.

Enfin, cinquième point - et on est un peu surpris de constater cela - en ce faisant, on semble contrevenir à une priorité gouvernementale très fortement affirmée récemment, soit la relance de l'économie par l'affirmation du secteur privé. On contrevient à cela en instituant des enfarges importantes à l'entrepreneurship et particulièrement à la PME. C'est cela, notre perception du titre neuvième.

Par ailleurs, nous accueillons favorablement les nouvelles dispositions, dans ce projet de loi, portant sur le droit au respect de la réputation et de la vie privée, la reconnaissance du droit des enfants, la simplification des mesures de changement de nom et quelques autres que vous retrouverez dans notre mémoire. Comme nous devons aller vite, à la recommandation du président, nous allons résumer rapidement le contenu du texte de notre mémoire.

Nous vous signalons qu'en ce qui concerne ce qui précède le titre neuvième nous sommes très satisfaits de l'énoncé de l'article 33 car l'expression "toute personne", pour nous, englobe les personnes morales. Mais l'article 34 restreint l'article 33 dans la mesure où on limite les cas permis à ceux visant l'information légitime du public. Or, cette expression "information légitime" n'a pas, à ce que nous sachions, un sens légal connu.

Je passe rapidement pour demander aux membres de la commission, tant du côté gouvernemental que de l'Opposition, d'examiner attentivement nos remarques en

ce qui concerne la question du domicile, les articles 73, 74 et 75. Je passe immédiatement au contenu du chapitre IX et à nos observations sur ce contenu plus spécifique que justifieront les remarques préliminaires que j'ai faites tantôt et que vous pourrez retrouver en consultant notre mémoire à partir de la page 18.

Le Code civil primerait-il sur les lois des compagnies? Le projet de loi crée un titre nouveau sur les personnes morales. Les articles 352 à 371 actuels déclinent les genres de corporations, donnent leurs droits et privilèges, mais ne prévoient pas leur fonctionnement. Il faut se référer aux "lois générales applicables à l'espèce". De plus, le fonctionnement de chaque type de corporation peut varier. Il nous apparaît donc inutile de préciser le mode de fonctionnement des corporations dans le Code civil, d'autant plus que certains articles contreviennent aux dispositions de lois spécifiques. À l'article 324, par exemple, il est dit: "Les associations et les sociétés sont régies par les dispositions du présent code ou - et le mot "ou" est important - par les lois applicables à leur espèce." L'utilisation du disjonctif "ou" donne-t-elle lieu à une alternative? Si tel est le cas, comment et qui exercera le choix?

L'article 315 traite des personnes morales de droit public comme suit: "Les personnes morales de droit public sont régies par les lois qui les constituent et leur sont applicables ainsi que par le présent titre, s'il y a lieu de compléter les dispositions de ces lois. Elles sont assujetties au droit civil, notamment dans leurs rapports avec les autres personnes." Dans leur cas, le Code civil les régirait, s'il y a lieu de compléter les dispositions de leurs lois constituantes. En l'occurrence, que signifie compléter? Si le code supplée à quelques carences des lois qui régissent les corporations de droit public, il serait plus simple d'amender ces mêmes lois. Le Code civil doit reproduire les règles régissant les rapports entre les personnes et non pas, à notre avis, devenir un simili-code commercial.

Vers la création d'un nouveau régime. La lecture du projet de loi laisse l'impression que le législateur voudrait que, d'une part, deviennent personnes morales toutes les sociétés et associations et, d'autre part, que soit modifié le régime actuel de responsabilité des corporations.

La personnalité morale. À l'article 333, il est dit que "la personne morale doit être immatriculée au registre des personnes morales." Cette immatriculation confère la personnalité juridique selon l'article 317, qui dit: "Les personnes morales de droit privé possèdent la personnalité juridique à compter de leur immatriculation au registre des personnes morales."

Doit-on comprendre par là que l'article 333 impose de fait l'obligation de s'enregistrer à toutes les sociétés et associations? Qu'arrive-t-il des sociétés de professionnels? Elles sont des sociétés civiles dont les membres peuvent fort bien ne pas vouloir la personnalité morale. Leur intention est de former un regroupement d'individus et non pas une entité morale distincte. Attribuer une personnalité juridique aux professionnels outrepasserait leur intention. De plus, l'impact des lois fiscales sur la personnalité morale des sociétés devra faire l'objet d'une étude attentive, il nous semble.

Un nouveau régime de responsabilité. Gluant au régime de responsabilité, on met sous le même chef, dans le Code civil, les mêmes règles applicables à la fois aux sociétés et aux corporations. Pourtant, on reconnaît depuis longtemps des droits déjà inscrits dans les lois constituantes des compagnies. Notamment, la responsabilité des membres de la corporation est limitée à l'intérêt que chacun y possède. Ils sont aussi exemptés de tout recours personnel pour l'acquittement des obligations de la corporation. Quant aux sociétés, la responsabilité des associés était clairement précisée dans le Code civil, notamment en ce qu'ils peuvent être poursuivis conjointement et solidairement et partagent les pertes.

Le projet de loi pose un premier jalon, à l'article 354, en stipulant que: "les membres d'une personne morale sont tenus envers elle de ce qu'ils promettent d'y apporter, à moins que la loi n'en dispose autrement". Ceci reprend les dispositions de la responsabilité limitée des membres de la corporation (anciennement, l'article 363 du Code civil). La formation d'une compagnie permet à la fois des investissements nombreux et variés, encouragés par cette responsabilité limitée. On sape ce principe de responsabilité limitée en insérant quelques articles de droit nouveau qui nous paraissent contraires aux lois actuelles sur les compagnies.

À l'article 331, on affirme que "la personne morale ne peut invoquer la personnalité juridique à l'encontre d'un tiers de bonne foi dès lors qu'elle s'en sert pour masquer, entre autres, l'abus de droit ou une contravention à une règle d'ordre public". J'attire particulièrement l'attention des membres de la commission sur cette expression "entre autres". Je ne sais pas ce que le législateur veut dire exactement. Est-ce que cela indique que ce n'est que le commencement, qu'on voudra ajouter à cela? L'expression "entre autres" implique qu'il y aura peut-être autre chose, mais quoi?

Les notions d'abus de droit et de règle d'ordre public demeurent imprécises. Une contravention à un règlement municipal peut-elle constituer de l'abus face aux tiers? L'Office de révision du Code civil prévoyait

la levée du voile corporatif en cas de fraude et non pas dans le cas d'abus de droit.

L'article 357 traite de la fraude. Je ne lirai pas l'article, car ce serait peut-être un peu long. Je veux être bref pour conclure que cet article déroge, selon nous, dans sa teneur, aux principes connus et actuels du droit corporatif. L'origine de cet article ne trouve aucun fondement dans notre réalité juridique. Il s'inspire, cependant, de l'article 248 de la loi du 24 juillet 1966 - la loi française - sur les sociétés commerciales. À notre avis, il faut l'enlever, d'autant plus qu'il établit une présomption de culpabilité inacceptable qui va à l'encontre des principes juridiques reconnus ici.

A l'article 355, il est stipulé que "Un administrateur peut, même dans l'exercice de ses fonctions, acquérir des droits dans les biens qu'il administre ou contracter avec la personne morale. Il doit dénoncer aussitôt le fait par écrit à la personne morale en indiquant la nature et la valeur des droits qu'il acquiert et demander que le fait soit consigné au procès-verbal des délibérations du conseil d'administration ou à ce qui en tient lieu. Il doit s'abstenir de délibérer et de voter sur la question."

Cette règle est plus sévère que l'interprétation actuelle des tribunaux sur les conflits d'intérêts. L'étendue de la divulgation est très exigeante. Tout professionnel administrateur devra dénoncer par écrit tout mandat reçu en indiquant la valeur des droits et leur nature y rattachés. Cela nous semble exorbitant, d'autant plus s'il représente un contentieux important.

Quant à l'article 358, on y relève que "Le tribunal peut, à la demande de tout intéressé, interdire la fonction d'administrateur d'une personne morale à toute personne trouvée coupable d'un acte criminel comportant fraude ou malhonnêteté dans une matière reliée ou non aux personnes morales, ainsi qu'à toute personne trouvée, de façon répétée, en défaut de se conformer aux lois relatives aux personnes morales ou à ses obligations à titre d'administrateur du bien d'autrui. L'interdiction rend la personne inhabile à continuer d'exercer une fonction d'administrateur." (16 h 30)

Nous remarquons, d'une part, que l'interdiction pouvant aller jusqu'à cinq ans, article 359, peut être demandée par "tout intéressé". Or, les lois sur les compagnies prévoient déjà que les actionnaires peuvent destituer les administrateurs. Que faire alors de la Charte des droits et libertés de la personne qui prévoit, à l'article 182, que: "Nul ne peut congédier, refuser d'embaucher une personne du seul fait qu'elle a été reconnue coupable ou s'est avouée coupable d'une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n'a aucun lien avec l'emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon"?

Il y a là, encore une fois, il nous semble, contradiction.

L'article 373 prévoit que: "Une personne morale ne peut être administratrice d'une autre personne morale. Cependant, lorsqu'elle désigne une personne pour agir comme administratrice d'une autre personne morale, elle est soumise aux mêmes conditions et obligations et encourt la même responsabilité que si elle était elle-même administratrice, sans préjudice de la responsabilité de la personne désignée".

Pourquoi étendre la responsabilité de l'administrateur à la personne morale qui le désigne? Ainsi, toute entreprise qui investit dans d'autres entreprises, d'autres compagnies, en cas de faillite de celles-ci, deviendrait responsable de leur part de salaires impayés, pour ne citer qu'un cas type. L'article 373 va à l'encontre des principes fondamentaux du droit corporatif canadien.

Pour obvier à ces nouvelles responsabilités, il faudrait que les compagnies évitent de désigner des administrateurs. Toutefois, en tant que compagnies qui investissent, il est souhaitable qu'elles puissent surveiller de près l'administration de leurs avoirs. Voudrait-on maintenant les en empêcher? La liberté de l'investissement n'est-elle pas garante du dynamisme économique?

Les articles 331, 355, 357, 358 et 373 instaurent, en lieu et place de l'actuel régime, un autre régime qui postule essentiellement la mauvaise foi des compagnies, de leurs membres et administrateurs et qui risque de paralyser leur essor.

La place des sociétés constituées hors du Québec. Le Québec ne peut s'inscrire en faux contre la réalité juridique canadienne en conférant à une compagnie d'ici, mais constituée par une loi fédérale, des obligations différentes de celles d'une compagnie ontarienne constituée par la même loi. Les entreprises fédérales non immatriculées perdront-elles leur statut juridique? Deux sortes de dispositions, donnant lieu à deux types de régimes, ne peuvent coexister en matière de responsabilité. L'article 320 n'affirme-t-il pas que "Les personnes morales constituées suivant les lois du Québec ont la pleine jouissance des droits civils au Québec et hors du Québec"?

Certains problèmes et articles particuliers. Problématique des définitions. Le projet de loi distingue les personnes morales de droit public (article 315) et les personnes morales de droit privé (article 316), ces dernières se divisant en associations et en sociétés. Aucun article ne définit précisément qui sont les personnes morales de droit public. Comprennent-elles à la fois les municipalités et les sociétés de la

couronne?

Quant aux sociétés et aux associations, elles sont définies aux articles 322 et 323. Ces définitions ne se réfèrent pas à des catégories existantes. Il aurait fallu dire, il nous semble, que, par exemple, "les associations comprennent les syndicats, les coopératives ou autres" ou "les sociétés comprennent les sociétés par actions, les sociétés réelles, en commandite, etc." Au lieu de procéder ainsi, on décrit ces catégories de personnes morales en explicitant leur "vocation". Nouvelle notion qui signifie "objet" ou "but". Qu'arrive-t-il d'une personne morale dont le but ou la vocation ne correspond pas précisément à une de ces deux définitions? Cherche-t-on à imposer cette vocation? Il semble que oui à la lumière de l'article 321 qui prévoit que: "Les personnes morales ont toutes la capacité requise pour exercer leurs droits dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de leur vocation et les dispositions relatives à l'exercice de droits civils par les personnes humaines leur sont applicables autant que faire se peut. Elles n'ont d'autres incapacités que celles qui résultent de leur nature, de leur vocation ou de la loi ou, le cas échéant, de leur acte constitutif".

Si elles ont des incapacités résultant de leur vocation, ceci signifie-t-il qu'elles n'ont, a contrario, que les capacités résultant de leur vocation? Par exemple, les associations (article 322) ne partagent pas de bénéfices entre leurs membres. Pourtant, il est prévu que les coopératives peuvent distribuer leur profit. Cela deviendrait-il illégal s'il était établi que cela est contraire à leur vocation? D'autre part, un actionnaire pourrait-il, en vertu de la vocation des sociétés, réclamer sa part des profits non répartis en disant que la compagnie n'obéit pas à sa vocation?

Ces articles, sur les objets des associations et des sociétés, devraient être enlevés. D'autant plus, qu'il n'est pas nécessaire dans tous les cas d'avoir un objet ou une vocation pour constituer une compagnie. Par exemple, sous la partie 1A de la Loi sur les compagnies, les compagnies sont constituées sans objet spécifique.

Rédaction et portée de certains articles. À l'article 328, on lit que "Les personnes morales s'expriment par leurs organes. À moins que la loi ou les statuts n'en disposent autrement, ces organes sont, notamment, le conseil d'administration et l'assemblée des membres." Il faut se référer au texte anglais pour comprendre la signification du mot "s'expriment" traduit par le verbe "to act", dont la connotation est plus large et comprend tout ce qu'une personne morale peut faire. Il est faux d'affirmer que les organes agissent; l'assemblée des membres s'exprime rarement, sauf en assemblée annuelle ou spéciale, de même pour le conseil d'administration. Or, dans les faits, c'est la direction, par son président ou autre dirigeant, qui s'exprime.

L'article 330 stipule que "Les administrateurs de la personne morale la représentent et l'obligent dans la mesure des pouvoirs que la loi ou les statuts leur confèrent. Ils agissent comme administrateurs du bien d'autrui chargés de la pleine administration". Or, la notion de représentation est nouvelle par rapport au droit corporatif.

À l'article 335, on lit que "L'acte constitutif ou la déclaration indique notamment le nom et le domicile de la personne morale, la forme juridique qu'elle emprunte et, le cas échéant, son objet, son capital et sa durée". Pourquoi avoir un article précisant que ce que doit contenir une déclaration, lorsqu'elle est déjà prévue dans la Loi sur les déclarations des compagnies et des sociétés?

L'attribution judiciaire de la personnalité, à l'article 349, est de droit nouveau. À moins d'une utilité probante, autre que de corriger rétroactivement le laps de temps antérieur à l'immatriculation, on voit difficilement l'utilité de cette disposition.

À l'article 378, on dit que "Les assemblées des membres d'une personne morale se tiennent au lieu de son siège ou au lieu fixé par ses statuts. Le conseil d'administration les convoque". La rédaction laisse supposer l'impossibilité que d'autres personnes, à part le conseil d'administration, puissent convoquer les assemblées.

Quant à la dissolution et à la liquidation des personnes morales, aux articles 389 à 399, elles ne devraient pas être précisées dans le Code civil. La Loi sur la liquidation des compagnies existe et couvre ce sujet.

En conclusion, la Chambre de commerce de la province de Québec, tout en approuvant les objectifs d'une réforme du Code civil, recommande notamment, comme la chambre des notaires l'a fait ce matin et comme le barreau semble bien s'apprêter à le faire, de surseoir pour le moment à l'adoption du titre neuf du projet de loi no 106.

Nous recommandons que le titre sur les personnes morales ne s'applique qu'aux corporations et que l'application du Code civil à celles-ci soit clarifiée conformément à l'état actuel du droit. Nous recommandons que les règles actuelles sur la responsabilité limitée des compagnies soit respectées.

Nous reconnaissons aussi qu'il y a probablement des objectifs à ces propositions. À titre de porte-parole du monde des affaires du Québec, nous sommes prêts à constituer une équipe de praticiens et de spécialistes du milieu des affaires et à examiner, conjointement avec des

représentants gouvernementaux, les objectifs qui sous-tendent le titre neuf et à analyser les meilleurs moyens d'y donner suite. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Boucher): Merci, M. Létourneau.

M. le ministre.

M. Bédard: Je remercie M. le vice-président qui a présenté ce mémoire au nom de la Chambre de commerce de la province de Québec. Vous pouvez être convaincu que nous allons examiner avec beaucoup d'attention les remarques que vous avez faites concernant le contenu du titre neuvième, d'une façon plus précise. On comprend que vous y apportiez une attention particulière, puisque cela touche d'une façon tout à fait spéciale vos activités, vos sujets de préoccupation. Comme vous l'avez souligné tout à l'heure, je vous l'avais fait remarquer au début des travaux de cette commission, les projets de loi, tant nos 106 que 107, ne seront pas adoptés tant que n'aura pas été présenté un autre chapitre concernant la réforme des biens, chapitre qui apportera un éclairage additionnel pour permettre de se faire une idée. Il y aura aussi une loi d'application qui verra à la cohérence de l'ensemble des trois projets de loi que nous présenterions pour adoption à l'Assemblée nationale.

Je suis un peu surpris. Je comprends que vous disiez, à la fin de votre mémoire, que vous approuvez les objectifs de la réforme du Code civil, qu'une modernisation qui doit tenir compte de l'évolution de la société s'impose, mais ne doit en aucun cas la précéder. On pourrait diverger un peu d'opinion là-dessus. Mais je pense qu'on est d'accord sur le fait qu'on ne doit pas imposer des changements sans qu'il y ait eu toutes les consultations nécessaires. Il est évident que les projets de loi nos 106 et 107 et un éventuel projet de loi sur la réforme du Code civil concernant les biens ne seront pas adoptés définitivement avant l'automne.

Je serais très heureux que vous donniez suite à votre intention d'avoir une sorte de comité qui se pencherait d'une façon tout à fait particulière sur le titre neuvième concernant les corporations de manière que, peut-être, au ministère de la Justice, on puisse savoir à qui s'adresser en termes d'échange d'opinions, de consultations. Également, il y aurait - je vous le dis -avantage, si vous formez ce comité, à ce que vous le fassiez rapidement et que vous preniez l'initiative de continuer à nous faire des représentations, même si les travaux de cette commission doivent se terminer dans un délai raisonnable, je pense que vous le comprendrez. Même si les travaux de cette commission sont terminés, ceci n'empêche pas votre organisme et tous les autres organismes de continuer à faire des représentations au ministère de la Justice. Nous nous déclarons très disposés à faciliter ces échanges. On a intérêt, je crois, quand on parle de réforme du Code civil, quels que soient les sujets sur lesquels le débat porte, à essayer de faire en sorte que toutes les consultations soient menées à terme, même si, sur certains points, on n'est pas d'accord, et je pense que cela se conçoit assez facilement. Il est important, de toute façon, que ces consultations soient nombreuses, qu'elles soient menées à terme et cela, en ayant toujours comme objectif l'intérêt de l'ensemble de la population et des organismes qui peuvent être visés par cette réforme.

(16 h 45)

Même si vous vous dites d'accord, on est à même de constater, par votre mémoire, qu'il y a bien des points d'interrogation, c'est le moins qu'on puisse dire et, sur certains points, il y a des objections assez claires, assez précises. Cela vous amène peut-être à extrapoler un peu, par exemple, sur les conséquences de l'adoption du projet de loi quand vous nous dites que cela pourrait venir en désaccord avec les priorités gouvernementales concernant la relance de l'économie par l'entreprise privée. Je pense que cela est un peu facile comme effet, mais, peu importe; ce qui est important, je pense, c'est que votre préoccupation, comme la nôtre, est de voir jusqu'à quel point, à la suite de représentations, on peut se placer sur la même longueur d'onde et puis y aller d'améliorations sensibles.

Je sais que vous nous dites, c'est normal, que le titre neuvième a retenu d'une façon tout à fait particulière votre attention. Cela se comprend. Vous oeuvrez dans le domaine du développement économique. Il y a, cependant, d'autres organismes qui oeuvrent aussi dans le développement économique et qui n'ont pas du tout la même perception que vous concernant le titre neuvième sur les améliorations que nous apportons.

Je l'ai évoqué ce matin et je crois qu'il est bon de l'évoquer à nouveau. J'ai reçu une lettre du président de la Commission des valeurs mobilières du Québec, qui est quand même préoccupé par le développement économique, tout comme d'autres organismes. M. Paul Guy me faisait donc parvenir une lettre dont le contenu est le suivant: "Nous avons pris connaissance du projet de loi no 106 sur la réforme du Code civil du droit des personnes. Nous sommes très heureux du titre neuvième sur les personnes morales et nous tenons à vous féliciter d'avoir opéré une réforme importante tout en apportant des changements terminologiques essentiels. "La commission a tenté d'opérer un certain nombre de changements à l'occasion

de la Loi sur les valeurs mobilières, rédigée par notre personnel et adoptée le 16 décembre 1982. Cependant, nous devions respecter dans une certaine mesure les contraintes résultant des textes existants, notamment le Code civil du Bas-Canada et la Loi sur les compagnies. Aussi, la commission souscrit entièrement aux modifications fondamentales apportées par le projet de loi dans son titre sur les personnes morales. "Nous croyons - je ne sais pas de qui il voulait parler - que vous devez persévérer dans la voie tracée par le projet de loi no 106, même si les partisans du statu quo se manifestent avec plus de vigueur. Veuillez agréer, etc."

Je pense qu'en ce qui vous regarde il y a bien des dispositions, bien des sujets sur lesquels vous aimeriez qu'on garde le statu quo. D'un autre côté, vous êtes ouverts à ce qu'il y ait des changements. Vous le dites très clairement dans votre mémoire. Vous m'éclairerez là-dessus; peut-être y a-t-il une ambiguïté au départ?

Quand on lit cette partie du mémoire, on a comme l'impression que votre perception est presque que ces dispositions du titre neuvième auraient primauté, en fait, sur d'autres lois, plus spécifiquement la Loi sur les compagnies ou encore sur des lois particulières, la Loi sur les associations coopératives, etc. Je crois avoir été clair ce matin là-dessus. Quand vous demandez si le Code civil va primer la Loi sur les compagnies, d'accord, il y a des principes généraux, mais, en ce qui à trait aux règles de fonctionnement des compagnies, etc., il n'est pas question que le Code civil prime la Loi sur les compagnies. Cela me semble assez clair. Il y a plusieurs remarques qui me semblent être faites par la chambre de commerce qui origineraient d'une perception donnant à croire que ces dispositions seraient en train de remplacer la Loi sur les compagnies, la loi sur les corporations, en fait, ce qui existe déjà, ce qui n'est pas le cas.

Ce que j'ai dit ce matin, c'est que le projet de loi édicte un certain nombre de règles supplétives qui s'appliqueront dans les cas où la personnalité juridique ne sera pas autrement réglementée, mais ne vise aucunement à se substituer au droit actuel. Il me semble que, là-dessus, c'est clair. Quand il n'y a pas de règle, je pense bien qu'à un moment donné il faut bien essayer tous ensemble de faire l'effort d'en mettre au point. C'est ce que nous essayons de faire par le projet de loi.

Dans votre mémoire - si vous le permettez, je vais essayer de retracer quelque chose - à la page 27, vous faites allusion à l'utilité de nouvelles règles relatives aux conflits d'intérêts pour les administrateurs. Est-ce que vous pourriez nous informer de cette question de façon plus précise, plus détaillée et nous indiquer quel serait le champ d'application de telles règles?

Le Président (M. Blouin): Me

Massicotte.

Mme Massicotte (Sylvie): C'est l'un des articles qui seraient supplétifs au droit actuel qui nous semble intéressant, sauf qu'on trouve que sa portée est un peu large, s'il faut dénoncer, comme on dit, chaque contrat. On peut avoir à l'esprit, par exemple, un professionnel qui siège à un conseil d'administration, soit un avocat d'un grand contentieux; s'il faut qu'il dénonce tous les contrats que lui, ou sa société d'avocats, a avec la compagnie, cela peut être énorme en tant que paperasserie seulement pour des petites choses. C'est une règle qu'on apprécierait voir préciser, il faudrait que ce soit limité probablement à de gros cas ou à des conflits d'intérêts vraiment visibles. L'énoncé actuel est un peu large.

M. Bédard: Est-ce que vous aviez l'impression que ce titre neuvième pouvait être appelé à remplacer des lois particulières qui existent déjà dans le droit actuel?

Mme Massicotte: À la lecture du projet de loi, on pouvait difficilement le savoir. Si on regarde...

M. Bédard: Mais à partir du moment où... Bon, d'accord.

Mme Massicotte: ...l'article 324 qui dit que "Les associations et les sociétés sont régies par les dispositions du présent code ou par les lois applicables à leur espèce", ce n'était pas suffisant pour nous dire que le code ne les régirait pas s'il y a une loi qui s'applique. Même s'il y a une loi qui s'applique, il y a des dispositions dans votre projet de loi qui sont nouvelles, qui ne sont régies par aucune autre loi, certaines nouvelles règles de responsabilité, par exemple. Dans ce cas-là, s'il y a des règles nouvelles dans le vôtre, est-ce qu'on va dire qu'elles complètent la loi actuelle des compagnies? Est-ce qu'elles s'appliquent, et non les autres, parce qu'elles sont comprises dans la Loi sur les compagnies? Cela aussi, il faudrait le préciser. Il faudrait que ce soit clair pour les gens.

M. Bédard: Oui. Alors, je comprends que peut-être, tel que vous le dites, il y aurait lieu de clarifier la terminologie du projet de loi pour que soit bien clair ce que j'ai affirmé tout à l'heure, à savoir que ce sont des règles supplétives et que cela ne remplace pas le droit actuel lorsqu'il y a des

lois particulières. À partir du moment où cette clarification serait faite, est-ce que cela peut représenter une amélioration, en tout cas? Si vous n'aviez pas la certitude de ce fait très important, je comprends plusieurs parties de votre mémoire mais, à partir du moment où on préciserait cela dans le sens que j'ai dit tout à l'heure, est-ce que ceci aurait pour but de clarifier bien des points, à vos yeux?

M. Létourneau: M. le Président, nous apprécions beaucoup que M. le ministre ait accepté notre offre d'échanger avec les représentants de son ministère. Cela va certainement nous aider beaucoup à clarifier, de part et d'autre, les perceptions.

Je dois vous dire que j'ai pris cette précaution, au début de notre présentation, de dire que nous examinions le projet de loi comme des gens qui pensent développement, qui pensent investissement, création d'emplois au Québec. Nous reconnaissons que des gens qui sont dans des fonctions différentes puissent avoir une perception fort différente de ce qui se passe dans la réalité du marché, je vais tenter d'illustrer. Supposons qu'en fonction des dispositions du titre neuvième il y ait, dans le marché du Québec, environ 100 000 décisions ou transactions par jour qui pourraient être sous la portée de ces articles - ce n'est pas exagéré, je pense, de parler d'un chiffre semblable - et supposons qu'il y ait 1% seulement de ces décisions et transactions qui soient douteuses ou sujettes à être examinées de plus près. Cela en fait encore 1000 par jour, 1%. Supposons que, de ce 1%, il y en ait 10% qui donnent lieu à des poursuites - vraiment, on va plus loin parce qu'il y a quelque chose de sérieux là-dedans - on en a encore 100 par jour. Supposons que nous nous mettions à la place de celui qui canalise ou reçoit quelque part dans l'administration publique tous ces cas - c'est sa fonction, il ne fait que cela, il a une fonction de contrôle, il a une fonction de vérification, il ne fait que cela - à ce rythme-là, cela représente au moins 2500 cas tristes et histoires horribles qu'il voit par année. Cela peut facilement lui donner l'impression que dans le marché il n'y a que des fraudeurs, des gens qui veulent abuser des autres ou aller à côté de l'ordre public. Mais cela ne représente plus que 0,1% de toutes les décisions et transactions qui sont de cette nature. Même s'il ne s'agit que de 0,1%, la fréquence peut donner une espèce de syndrome à quelqu'un qui dit: II faut absolument arrêter cela, cela n'a pas de bon sens. C'est une infime proportion.

Nous vivons encore dans une société où les lois permettent la confiance. Les actionnaires délèguent au conseil d'administration qui délègue aux gestionnaires, etc. On a une situation de confiance dans le fonctionnement du marché. Parce qu'il y a des gens qui abusent - c'est vrai qu'il y en a - arrivera-t-on avec des règles générales qui vont, par ailleurs, rebuter des gens qui ont l'esprit d'entreprise et qui voudraient se lancer en se disant: Regardez donc toutes les nouvelles responsabilités qui vont me tomber sur la tête si je deviens administrateur ou s'il arrive telle ou telle situation causée par les gestionnaires de l'entreprise. Cela risque de freiner considérablement, à notre avis, l'"entrepreneurship" et le désir de certaines personnes et l'acceptation par plusieurs de vouloir siéger au conseil d'administration d'entreprises avec ces nouvelles responsabilités.

Il y a sans doute des raisons que nous ne connaissons pas qui motivent ceux qui ont rédigé ces articles d'avoir voulu faire cela. Ils ont des objectifs. Nous apprécions beaucoup que vous ayez accepté notre offre de collaboration où nous pourrons voir de plus près les objectifs vraiment visés et évaluer avec ces gens-là l'opportunité soit de mettre cela dans un amendement de la Loi sur les compagnies, soit de faire autre chose ou de mieux appliquer d'autres lois ou de revenir au titre neuvième. Je pense qu'actuellement il y a certainement une différence appréciable de perspective de ce qui se passe dans le marché.

M. Bédard: Comme vous l'avez dit, il y aura aussi avant la fin de juin le dépôt du projet de loi portant réforme sur les biens, qui constituera un élément additionnel permettant d'avoir une vue d'ensemble. Il est évident que ces chapitres-là sont interreliés d'une certaine façon.

M. Létourneau: On a l'impression - je dis que c'est une impression de bonne foi -en regardant cela, que l'arme qu'on utilise pour essayer d'atténuer ou de contrôler certains abus est beaucoup trop grosse. C'est quasiment comme utiliser un bélier mécanique pour enfoncer la maison parce qu'il y a quelques souris qui sont dans le garde-manger. C'est peut-être exagéré là, mais il faudra voir quels sont les objectifs.

M. Bédard: Les exagérations peuvent venir de part et d'autre, mais c'est probablement à ce témoignage que vous référiez quand vous disiez qu'il y a des personnes qui peuvent oeuvrer dans d'autres secteurs qui sont très satisfaits du contenu du titre neuvième. Tout à l'heure, je citais le président de la Commission des valeurs mobilières. Probablement voulez-vous nous dire qu'il y a des préoccupations en termes de développement économique... (17 heures)

M. Létourneau: Non.

M. Bédard: ...mais ce n'est pas dans le même champ d'activités que le vôtre.

M. Létourneau: Comme je le signalais tantôt, M. le ministre, si quelqu'un est dans une fonction où il n'a qu'à recevoir les situations d'abus, forcément, même si, en pourcentage, elles sont infimes, elles finissent par représenter un bon nombre et de situations et de cas malheureux. Il y a peut-être des moyens plus spécifiques d'atteindre ces abus et de les empêcher que de créer toute une machine qui s'applique généralement à tout le monde, avec autant de restrictions. C'est ce que nous aimerions explorer avec les gens qui ont proposé cette forme de contrôle.

M. Bédard: Oui, mais elle ne s'applique pas généralement à tout le monde. Il faut toujours faire les nuances.

M. Létourneau: Quand on parle...

M. Bédard: Je l'ai dit tout à l'heure... Oui, oui, il y a certaines dispositions qui peuvent s'appliquer à tout le monde...

M. Létourneau: Oui.

M. Bédard: ...au niveau des principes généraux...

M. Létourneau: C'est cela.

M. Bédard: ...mais il faut toujours garder en perspective, je pense qu'on s'entend là-dessus, que cela ne prime pas, en termes administratifs, les lois particulières telles que la loi sur les corporations...

M. Létourneau: Ce serait déjà un grand pas, si on pouvait clarifier cela comme il faut.

M. Bédard: Ce grand pas est fait. C'était carrément l'idée du législateur. Je tiens à vous le dire. La seule chose que je note est qu'il y aurait peut-être lieu d'être encore plus précis dans le projet de loi afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur la primauté d'un texte par rapport à des lois particulières.

M. Létourneau: D'une part, M. le ministre et aussi, il y a plusieurs autres observations dans le mémoire qu'on pourra examiner à ce moment-là.

M. Bédard: Parfaitl

M. Létourneau: D'accord.

Le Président (M. Blouin): Je cède maintenant la parole au député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais remercier M. Létourneau et son équipe de l'excellent mémoire qu'ils nous ont soumis. Ils sont préoccupés par le développement économique au Québec. Je pense que c'est absolument louable. Ce qui m'a frappé également et, je pense bien, chacun de ce côté-ci, c'est qu'on croyait que c'était du droit supplétif. Normalement, ce devrait être cela. On réalise que les règles sont peut-être plus sévères. En fait, cela conduit peut-être vers un contrôle qui est plus strict que le droit des corporations. Cela me préoccupe beaucoup. Si c'est du droit supplétif, il faudrait que cela en soit et qu'on l'établisse d'une façon très claire.

On a parlé surtout de l'article 324 qui est, je pense, absolument inacceptable. Quant à moi, voici la seule question que je poserai, car je veux laisser la chance à mes collègues qui sont ici d'intervenir. Comment verriez-vous l'article 324? Comment devrait-il être repensé d'après vous? Je dis "repensé", c'est peut-être peu dire. Croyez-vous qu'on devrait établir une primauté définitive par l'article 324 en faveur du droit des corporations? À mon sens, c'est l'un ou l'autre.

Mme Massicotte: Je pense qu'on ne peut regarder l'article 324 seulement. Il faut regarder aussi la définition "d'association" et de "société". Nous avons un peu présumé que, dans la définition de "société" étaient comprises les corporations parce que nulle part on n'a retrouvé le mot "corporation". C'est un peu une présomption qui a été appliquée.

Comme le dit M. le ministre Bédard, si ce sont les compagnies et sociétés qui sont déjà régies par des lois, le code ne s'appliquerait pas à elles. On a seulement à tout refaire et dire que les personnes morales comprennent les nouvelles formes de sociétés qui deviendraient personnes morales et à elles, s'appliquerait le code. On n'aurait même pas besoin de la deuxième phrase "ou par les lois applicables à leur espèce", puisque celles qui sont régies ne seraient pas régies par le code. Cela peut être une façon de le voir. Si on a l'intention d'appliquer des dispositions, des notions nouvelles à des sociétés nouvelles, que nous n'ayons pas l'impression que les corporations, que les compagnies déjà constituées, selon les lois fédérales ou provinciales, ne soient pas touchées par cela. La rédaction peut être sous une forme ou sous une autre.

M. Leduc (Saint-Laurent): Cela va.

Mme Massicotte: Parce que, même dans les sociétés ou les associations, il y a déjà des lois qui les régissent aussi. Il y a des lois sur les associations, sur les coopératives de tel ou tel endroit. Alors, à elles, qu'est-ce qu'on va faire? On va dire que ce n'est

que ce qui est supplétif qui s'appliquera à elles, si vos lois ne sont pas assez complètes. Je pense qu'il faut viser tout l'ensemble.

M. Létourneau: M. le Président, si c'est strictement supplétif, il y a quelque chose que nous ne saisissons pas très bien dans tout l'objet du titre neuvième. À ce moment, on aurait des règles beaucoup plus sévères pour des sociétés, par exemple, que pour les compagnies. On présumait qu'il y avait certains abus - qu'on peut observer comme tout le monde - auxquels on voulait mettre un terme mais, à ce moment, c'était dans les entreprises, dans les compagnies déjà incorporées selon la forme existante.

Il faut vraiment qu'on recommence le dialogue, parce qu'il y a certainement une différence d'appréciation et de perspective de ce qui se passe dans la réalité du marché entre ceux qui ont rédigé cela et nous. Il va falloir qu'on se parle et qu'on échange parce qu'on ne comprend pas tout à fait les objectifs. On comprend bien ce que dit le projet de loi, mais ce sont les objectifs qui nous sont un peu confus.

Mme Massicotte: II faudrait peut-être ajouter...

M. Leduc (Saint-Laurent): Je trouve cela très bon et je pense qu'on devrait certainement surseoir à l'application du titre neuvième. À mon sens, c'est...

M. Létourneau: C'est une excellente proposition, pour nous permettre de l'examiner attentivement parce que cela n'a pas que des conséquences sur les responsabilités des administrateurs. Quand on parle de sociétés en particulier, cela peut avoir d'énormes conséquences sur le plan fiscal et, comme la fiscalité est un domaine très complexe, il va falloir aussi consulter et amener des experts dans ce domaine pour en examiner les conséquences.

M. Bédard: Une simple petite remarque. Cependant, ce n'est pas parce qu'il y a des difficultés de perception ou des possibilités d'amélioration que - en ce qui nous regarde, je parle du point de vue gouvernemental - on doit nécessairement en venir à la conclusion de surseoir. Si, comme vous le dites, vous mettez sur pied une équipe, si cette équipe peut être contactée régulièrement, on peut avoir les échanges qu'il faut au niveau du ministère de la Justice et, finalement, en arriver - on n'est pas à quelques jours de l'adoption d'un projet de loi; l'ensemble de l'adoption ne se fera pas avant la fin de l'automne prochain, on a le temps - à travailler ensemble pour essayer de voir jusqu'où on peut aller en termes d'améliorations.

M. Létourneau: D'accord. Ceci implique-t-il, M. le ministre, que vous accepteriez, à la suite de ces échanges, que nous puissions préparer un nouveau document ou un document qui compléterait celui que nous venons de déposer auprès des membres de la commission?

M. Bédard: Sûrement. Je vous y incite et c'est pour cela que, pour qu'il y ait... En tout cas, on pourra s'en parler à l'issue de la commission. Mais pour qu'il y ait des échanges continuels entre, d'une part, l'équipe qui s'occupe de la réforme du Code civil, de cette partie qui vous préoccupe en particulier, et votre organisme, il est important que, très rapidement, nous sachions avec qui communiquer, quels sont ceux ou celles qui porteront leur attention, d'une façon particulière, sur le chapitre neuvième, afin de faire les échanges nécessaires.

M. Létourneau: Nous sommes prêts à faire cela, M. le ministre.

Le Président (M. Blouin): Très bien. M. le député d'Outremont.

M. Fortier: M. le Président, vous permettrez à une personne qui n'est ni avocat, ni notaire, de faire partie de la commission par exception. Lorsque j'ai vu qu'il y avait un projet de loi touchant au développement économique, j'ai cru qu'il était de mon intérêt de me préoccuper de ce que nos législateurs-juristes faisaient ce qui pourrait avoir des implications très profondes sur le développement économique.

À mon avis, on s'enfarge dans les fleurs du tapis lorsqu'on regarde un article ou l'autre. Le ministre nous dit: Le chapitre des biens, une définition de la terminologie va éclairer le débat. Je crois - j'aimerais que M. Létourneau nous le dise - que la question fondamentale, compte tenu de l'état de l'économie, compte tenu des nombreux handicaps que nous avons au Québec, c'est ceci: Est-ce que les décisions des législateurs doivent favoriser l'"entrepreneurship" ou si elles doivent favoriser la social-démocratie? Je pense que c'est aussi clair que cela.

Malheureusement, je n'ai pas à partager les discussions de la commission ce matin, mais je vois entre autres: Le projet de loi 107, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions. Cela veut dire qu'une fois qu'on a créé la richesse on peut la partager. Je crois que la question fondamentale de ceux qui produisent la richesse est justement: Est-ce que l'État québécois va favoriser ceux qui crient à la richesse pour qu'on puisse la distribuer plus tard?

À ce sujet, j'aimerais poser à M. Létourneau quelques questions, puisqu'il en a fait état dans ses remarques, etc. Dans

quelle mesure, ici au Québec, peut-on se permettre d'avoir, même s'il s'agit de droit supplétif, des interprétations différentes, d'avoir pour les administrateurs, les corporations, et même les sociétés, des responsabilités qui puissent être tellement différentes de ce qui se fait dans d'autres provinces, au point où nous en sommes, en ce qui a trait au développement économique en particulier? Est-ce qu'on peut se permettre d'être tellement original qu'on puisse mettre beaucoup l'accent sur la social-démocratie et ne devrait-on pas, au contraire, favoriser l'"entrepreneurship" et la création de la richesse au Québec?

Le Président (M. Blouin): M.

Létourneau.

M. Létourneau: M. le Président, évidemment, la réponse est que nous devons, autant que faire se peut, favoriser l'"entrepreneurship" et le développement. Je l'ai mentionné tantôt, nous avons l'impression que jusqu'ici, avec la réforme qui a été acceptée par le gouvernement de la Loi sur les compagnies, pour la rendre conforme un peu avec ce qui existe au gouvernement fédéral, c'est bien! Cela nous situe dans le marché canadien et c'est bien qu'on fasse la concordance le plus possible. Mais quand on introduit le titre neuvième ici, là on a l'impression qu'on s'en va, premièrement dans du droit nouveau, on s'inspire de lois françaises pour créer des responsabilités nouvelles à des administrateurs, à des actionnaires et à des fondateurs. Cela n'est pas le genre de chose qui est de nature à nous aider présentement. C'est pour cela que nous avons parlé des implications possibles sur l'esprit d'entreprise, etc. C'est assez difficile à prévoir mais, quand même, ces nouvelles responsabilités qu'on va donner aux actionnaires, aux fondateurs, et aux administrateurs, quel impact cela aura-t-il sur des gens qui veulent aller créer des entreprises ou créer des sociétés, etc., et fonctionner, qui ont un esprit d'"entrepreneurship" quand on leur dira: Attention?

Par exemple, tout ce que fera l'administrateur de cette société qui sera en dérogation de l'ordre public. C'est très vaste l'ordre public, cela va loin. Vous pourrez, comme administrateur en être responsable. Il faut y penser parce que cela va loin. Aussi, lorsqu'on dit: Vous aurez aussi la responsabilité, lorsque vous êtes une entreprise qui envoie un administrateur dans une autre entreprise, la première entreprise ne sera pas, comme c'est le cas généralement partout en Amérique du Nord, limitée à son investissement dans la seconde, mais elle sera responsable. Il y a beaucoup plus de responsabilité qui implique qu'elle ne sera pas responsable que pour son investissement dans cette première entreprise. Il y a un tas de choses à clarifier, parce que, potentiellement, à notre avis, cela peut être un élément considérablement nuisible à l'esprit d'entreprise, d'investissements, de création d'emplois ou de création de nouvelles choses. C'est ce qu'on voudrait examiner de près parce que, a priori, quand on regarde cela on se dit: Ce sera négatif pour nous; ce sera mal interprété; cela va nous donner encore... On veut être à l'avant-garde, mais on sera à l'avant-garde d'autre chose que le progrès si on s'aventure trop loin là-dedans. Pour le moment, nous allons nous limiter à ces remarques parce que nous avons encore à examiner de plus près la portée de tout cela.

M. Fortier: M. Létourneau, vous avez fait allusion à certains handicaps en ce qui concerne les responsabilités des administrateurs, en particulier. Vous avez fait d'autres remarques...

M. Létourneau: Fondateurs et actionnaires aussi.

M. Fortien C'est cela, fondateurs et actionnaires qui pourraient assumer une partie des responsabilités lorsqu'ils ont des actions ou des responsabilités dans d'autres sociétés également. Alors, cela va extrêmement loin. Vous avez fait allusion au fait qu'à l'intérieur même du Québec, il y a des gens qui pourraient hésiter à lancer une nouvelle entreprise ou investir leur propre argent...

M. Létourneau: Nous avons suffisamment de handicaps présentement sur le plan fiscal...

M. Fortier: Je parlais de gens qui étaient déjà au Québec, mais j'aimerais que vous me disiez dans quelle mesure, vis-à-vis de notre position concurrentielle avec les autres provinces, en ce qui a trait à la taxation et à d'autres responsabilités qui incombent à celui qui vient s'établir au Québec, la taxation personnelle et la taxation des compagnies en particulier, dans quelle mesure on peut se permettre, compte tenu de cet état de choses, d'aller à l'avant-garde. Dans quelle mesure ceci pourrait-il handicaper le développement économique, même si on raffinait la définition et même si on essayait d'éclaircir certains articles en particulier?

(17 h 15)

M. Létourneau: Pour l'instant, M. le Président, notre réponse à cette question est que nous ne pouvons pas nous la permettre. C'est l'interprétation de ce que nous voyons dans le projet de loi, de ce que nous voyons qui se passe dans le marché. C'est pour cela que nous recommandons de surseoir à

l'adoption du titre neuvième pour le moment, jusqu'à plus ample éclaircissement et jusqu'à une meilleure compréhension de ce que recherche le législateur, non pas parce qu'on ne veut pas que le législateur essaie d'éliminer les fraudes et les abus de pouvoir, mais ce dont on voudrait bien s'assurer, c'est qu'on n'utilise pas des moyens qui nous placeront dans une situation extrêmement difficile pour concurrencer les autres sur le plan économique. C'est là notre préoccupation.

M. Fortier: Je voudrais seulement terminer. Je pense que vous avez très bien expliqué votre compréhension, du moins, votre position à ce stade-ci. Vous dites que vous êtes prêts à évoluer, compte tenu des explications additionnelles qu'on pourrait vous donner, mais le fond du problème reste le même. Quand le ministre nous dit qu'il a reçu un appui du président de la Commission des valeurs mobilières, je lui ferais encore remarquer qu'il ne s'agit pas d'un poste, d'une personne qui est créateur d'emplois, mais plutôt d'une personne qui est dans une position de contrôle par rapport à des sociétés. Le problème que la chambre de commerce essaie de faire valoir, c'est la position de ceux qui créent les emplois et qui se disent: Attention! Cela a peut-être été fait avec de bonnes intentions, mais cela n'a certainement pas été fait par des gens qui ont vécu ce genre de problème.

M. Létourneau: Nous sommes très sensibles au climat, M. le Président. Il y a, par ailleurs, notre directeur général qui a une expérience dans le domaine des valeurs mobilières, qui a déjà été très actif dans ce groupe et qui aimerait ajouter une remarque sur les propos du ministre concernant les observations du président de la commission.

M. Tardif (Marcel): En fait, je pense que cela va également dans le sens des propos du député d'Outremont. La loi impartit un rôle bien précis à la Commission des valeurs mobilières, à savoir la surveillance et le contrôle du marché des valeurs mobilières. La préoccupation première du président de la commission, conséquemment, n'est ni la promotion du marché des valeurs mobilières ni la promotion de l'économie en général. Je ne veux pas dire par là non plus qu'il doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour qu'il n'y ait pas de marché, c'est bien évident. Mais il faut faire attention entre ne pas favoriser l'essor du marché boursier et favoriser, effectivement, l'essor du marché boursier. Il y a là une différence fondamentale et, dans la loi, le rôle qu'on attend de la commission est strictement un rôle de surveillance et de contrôle. Lorsque le président de la Commission des valeurs mobilières, me semble-t-il, s'exprime dans sa lettre, il dit au ministre: Compte tenu de ce que je vois sous le titre neuvième, il m'apparaît que cela me permettrait peut-être d'exercer un meilleur contrôle sur les activités des conseils d'administration et que, en conséquence, cela me permettra de mieux jouer le rôle qui m'est imparti. Sa préoccupation n'est pas, encore une fois, à notre avis, essentiellement braquée sur le développement économique. Au contraire, c'est une technicité administrative de contôle et de surveillance qui le préoccupe.

M. Bédard: Je comprends qu'il puisse y avoir une différence de perspective ou de préoccupation entre le président de la Commission des valeurs mobilières et la chambre de commerce, mais je pense qu'on peut convenir que même s'il a un devoir de contrôle, il n'est pas tout à fait indifférent à ce qu'on appelle le développement économique, je ne le crois pas. D'autre part, je n'en ferai pas un débat de social-démocratie par rapport à l'entreprise privée, etc. Ce qui est important, c'est d'essayer d'en arriver à un projet de loi qui tienne compte de la réalité québécoise dans le secteur qui nous intéresse, au niveau du titre neuvième. Je crois que nous pourrons donner suite à nos études, avant de prendre quelque décision que ce soit et surtout prendre des décisions éclairées.

Je crois qu'il y a lieu, au-delà des travaux de cette commission, d'avoir des échanges sur une base continue entre nous et le groupe que vous constituerez, auquel on pourra s'adresser et qui pourra s'adresser à nous en n'importe quel temps, de manière à voir d'ici quelques mois - parce qu'on a quand même du temps devant nous - à quelles conclusions on pourra en arriver. Je conçois d'avance - je pense que vous le concevez aussi - qu'on puisse ne pas être d'accord sur tous les points de vue.

M. Létourneau: On espère l'être, M. le ministre.

M. Bédard: Je pense bien que l'objectif qu'on vise n'est pas d'être en désaccord sur tous les points de vue. À partir des objectifs qui vous motivent et des nôtres, je compte beaucoup sur ces échanges pour que vous en arriviez peut-être à une perspective plus positive sur l'ensemble de ce que pourrait être éventuellement une législation dans ce domaine.

Le Président (M. Blouin): M. le député d'Outremont, rapidement.

M. Fortier: Un mot pour dire que je pense que le message de la chambre de commerce, qui représente 3000 entreprises, est passé. On prend note des bonnes

intentions du ministre et on voudrait assurer tous ceux concernés par le développement économique que nous allons nous assurer qu'éventuellement, même s'il n'y a pas consensus entre la chambre de commerce et le ministre, les décisions qui seront prises le seront dans le meilleur intérêt du développement économique du Québec.

Le Président (M. Blouin): Je remercie les représentants de la Chambre de commerce de la province de Québec de s'être présentés devant nous et de nous avoir communiqué leurs commentaires à l'égard de ces projets de loi.

M. Létourneau: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Blouin): Je vous en prie. Je vous signale que nous avons respecté les limites de temps que nous nous étions fixées sans que nous nous sentions contraints de le faire.

J'inviterais maintenant les représentants du Barreau du Québec à venir prendre place à la table des invités. Tout en vous souhaitant la bienvenue, j'invite donc les représentants du Barreau du Québec à procéder à la présentation des gens qui sont assis à la table des invités.

Barreau du Québec

Mme Vadboncoeur (Suzanne): M. le Président, avant de passer à la présentation des membres de la délégation du barreau, j'aimerais savoir s'il est possible de procéder en deux étapes, étant donné le nombre impressionnant de membres qui forment la délégation. On ne peut pas tous s'asseoir à la même table, semble-t-il. Je me demandais s'il était possible de parler d'abord sur le projet de loi no 106 et ensuite sur le projet de loi no 107.

Le Président (M. Blouin): Tout en pouvant, je crois, procéder en deux étapes, est-ce que vous avez le sentiment que nous pourrions malgré tout nous situer à peu près dans les limites de temps dont nous avions convenu?

Mme Vadboncoeur: Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'on l'espère.

Le Président (M. Blouin): Je vous invite à faire un effort pour que nous puissions demeurer à l'intérieur de ces limites. Vous êtes au courant, je crois, du...

Mme Lavoie-Roux: II y a deux projets de loi, M. le Président, pas seulement un cette fois-ci.

M. Polak: C'est un organisme important.

Le Président (M. Blouin): Depuis ce matin, vous avez observé que nous avions quand même une latitude à l'égard du temps que nous pouvions prendre. Je vous invite donc à faire votre possible pour entrer à l'intérieur de ces délais, mais quand même à nous livrer le message que vous avez à nous livrer.

M. Leduc (Saint-Laurent): Si vous me le permettez, il faudrait peut-être qu'on permette de déborder. En fait, la réforme du Code civil, cela concerne particulièrement les...

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Laurent, je viens d'indiquer aux membres du Barreau du Québec que nous étions prêts à faire preuve de latitude à leur égard, tout comme nous l'avons fait ce matin avec les représentants de la Chambre des notaires. Donc, je crois qu'il n'y a pas tellement de difficultés.

Alors, vous procédez?

Mme Vadboncoeur: M. le Président, mon nom est Suzanne Vadboncoeur. Je suis avocate au service de recherche du Barreau du Québec et secrétaire de la commission permanente du barreau sur la révision du Code civil ainsi que des deux sous-commissions sur le droit des personnes et sur le droit des successions. J'aimerais vous présenter tout d'abord le bâtonnier général du Québec, Me Claude Tellier, Me Louis Lebel, vice-président du barreau et également président de la commission permanente du barreau, Mme Micheline Audet Filion, avocate et directeur général du Barreau du Québec. À ma droite, Me Jacques Delisle, membre de la commission permanente du Barreau du Québec sur la révision du Code civil. Comme représentants des sous-commissions, à mon extrême gauche, Me Alain Turgeon, avocat de Québec au bureau Garneau, Gauvin et Turgeon. À sa droite, Me André Prévost, avocat au barreau de Montréal, de l'étude Clarkson, Tétreault et Associés. Enfin, Me Paul Martel, avocat au barreau de Montréal également, du bureau de Martel et Associés.

Je pense que je vais vous résumer de façon aussi concise que possible le mémoire sur le droit des personnes concernant le projet de loi no 106. Vous constaterez que le mémoire est précédé d'un commentaire général sur la méthodologie utilisée quant à l'adoption du Code civil. Et, je peux peut-être mentionner les six recommandations que l'on fait à cet égard. Premièrement, que l'on procède à l'adoption des livres pour les personnes, les successions et les biens, mais qu'on en retarde la mise en vigueur. Deuxièmement, que l'on procède à la

rédaction et à l'adoption de tous les autres livres du code en amendant, si nécessaire, les premiers livres y compris le livre sur la famille. Troisièmement, qu'à compter du jour où on aura adopté un code complet, on procède aux amendements au code de procédure et aux principales lois touchées par la réforme. Quatrièmement, qu'une fois toutes les dispositions adoptées, on procède à l'adoption d'une loi d'application comprenant les dispositions transitoires nécessaires. Cinquièmement, qu'un comité de coordination soit mis sur pied au ministère de la Justice avant la mise en vigueur du nouveau code et de la loi d'application afin de s'assurer de la concordance des dispositions d'un livre à l'autre. Et, enfin, que le tout soit mis en vigueur d'un seul coup, le même jour. Nous avons fait des représentations article par article. Alors, évidemment, je me limite aux recommandations de principes.

Quant à la disposition préliminaire, celle qui a été discutée ce matin, nous avons fait une recommandation à savoir de retrancher le deuxième alinéa qui parle de jurisprudence constante et de doctrine reçue. Nous avons également fait une recommandation quant au consentement aux traitements médicaux. Le consentement aux traitements médicaux - les articles nos 18 à 20 de façon toute particulière - vise essentiellement la stérilisation non thérapeutique des déficients et malades mentaux. Le barreau, évidemment, est heureux de constater que le législateur a soutenu le barreau, enfin, a suivi la recommandation du barreau quant à l'autorisation judiciaire. Cependant, la formulation de ces articles et, en particulier, de l'article no 19 qui expose la nécessité de l'intervention judiciaire pourrait conduire à des situations un peu loufoques à cause de la présence des mots "interventions comportant un caractère permanent ou irréversible". On peut, par exemple, penser au fait que toutes les interventions esthétiques, de nature purement esthétique, chez les mineurs requerraient l'autorisation judiciaire. On donne l'exemple des oreilles décollées ou de toute espèce d'interventions de ce genre et également toutes les circoncisions pour les gens de religion juive qui requerraient également une intervention judiciaire. Ceci est ridicule, je pense. Il y aurait peut-être lieu de modifier un peu ces articles.

Quant au régime de protection, la commission permanente du barreau recommande l'abolition du conseil de tutelle et son remplacement par certaines personnes qui sont les proches de la personne à protéger, qu'il s'agisse de personnes majeures ou mineures. Le conseil de tutelle, selon nous, loin de simplifier la procédure actuelle du conseil de famille, la complique. En effet, il y aura d'abord une réunion des gens appelés à former le conseil de tutelle. Il y aura ensuite une réunion du conseil de tutelle et sa recommandation sera, par la suite, soumise au tribunal. Cela représente quand même trois étapes pour en arriver à une décision finale. Il y a un inconvénient en plus, c'est que la voix des dissidents au sein du conseil de tutelle n'est pas représentée alors que la recommandation que nous soutenons est que certaines personnes - dont vous trouverez les noms aux articles concernés - seraient invitées à donner leur position au tribunal de sorte que les gens même les plus dissidents auraient voix au chapitre et finalement le tribunal prendrait la décision.

Nous recommandons également d'abolir la notion d'émancipation qui est devenue, avec la majorité fixée à 18 ans, un concept tout à fait inutile maintenant. Il y a eu très peu d'émancipations judiciaires qui ont été prononcées par les tribunaux depuis les 50 dernières années. L'âge de la majorité était quand même de 21 ans jusqu'en 1971 et on s'est rendu compte que les émancipations, finalement, étaient très peu souvent prononcées. À cause de la majorité à 18 ans et de la possibilité pour les mineurs de se marier même avant cet âge-là, nous considérons que le mineur marié pourrait avoir les droits d'un majeur mais que cela n'est plus utile de faire entrer ce principe de "majorité" dans un concept plus large d'émancipation.

L'état civil. Nous recommandons une diminution des pouvoirs du directeur de l'état civil en ce qui concerne les changements de nom. Nous sommes d'avis que le nom d'une personne la suit toute sa vie, dans tous ses actes, dans tous ses gestes. Cela a donc des conséquences suffisamment importantes pour qu'il y ait une autorisation judiciaire qui sanctionne ce changement de nom. Les autres pouvoirs du directeur restent inchangés. Cependant, en ce qui concerne les changements de nom, nous recommandons que cela passe par la voie judiciaire.

Enfin, quant aux personnes morales, le fameux titre neuvième, nous en recommandons également le sursis d'adoption, étant donné que ce titre neuvième est tout à fait incomplet tel qu'on le voit actuellement. Même si le projet de loi sur les biens est déposé d'ici quelques mois, cela ne changera rien au caractère incomplet de ce titre neuvième parce qu'il faudra de toute façon le compléter par des dispositions concernant les sociétés telles qu'on les connaît traditionnellement. À moins qu'on ne se trompe, les sociétés seront, j'imagine, prévues dans le chapitre des contrats nommés et non pas dans celui des biens. On ignore, à l'heure actuelle, quand sera déposé le projet de loi concernant les obligations et les contrats.

Donc, pour la personne morale, il ne s'agit pas clairement de droit supplétif si on

compare, par exemple, avec la rédaction de l'article 315 du projet de loi qui, lui, est très clair quant au caractère supplétif. Donc, si on compare cet article avec l'article 324, on peut vraiment s'interroger sur le caractère supplétif que comportent les règles énoncées au Code civil.

J'ai essayé de résumer le plus brièvement possible le mémoire du barreau sur le projet de loi no 106. Il y a évidemment plusieurs autres recommandations, commentaires et modifications de textes. On est prêt maintenant à répondre aux questions.

Le Président (M. Blouin): Après nous être entendus avec l'Opposition, nous souhaiterions entendre d'abord les deux exposés et procéder ensuite aux échanges avec votre groupe.

Mme Vadboncoeur: Je vais vous présenter les membres de la sous-commission sur le droit des successions qui ont bien voulu nous accompagner aujourd'hui. Il y a Me Daniel Barbeau, avocat au barreau de Montréal et directeur de la section de droit civil I à l'École professionnelle du barreau; Me Luc Plamondon, directeur du contentieux à la compagnie Sun Life du Canada ainsi que Me Sylviane Borenstein, avocate au bureau de l'aide juridique à Outremont, parc Extension.

Le mémoire sur le droit des successions, sur le projet de loi no 107, comporte la même introduction que celle du projet de loi no 106, quant à la méthodologie utilisée pour l'adoption du Code civil du Québec. Je vais vous résumer encore une fois, de la façon la plus concise possible, les principaux points de discussion ainsi que ceux sur lesquels la sous-commission a fait des recommandations. Il y a peut-être un commentaire d'ordre général...

Le Président (M. Blouin): Je m'excuse. Mme Vadboncoeur: Oui.

Le Président (M. Blouin): Même si j'ai mis de l'insistance sur le fait d'être succincte dans vos propos, je n'ai surtout pas voulu brimer votre droit d'expression. Si vous avez le sentiment que votre concision est un peu trop exemplaire, je vous invite quand même à préciser davantage.

Mme Lavoie-Roux: C'est la première fois que cela arrive.

Le Président (M. Blouin): Je crois qu'il serait simple de s'entendre pour que nous puissions compléter à la rigueur votre présentation vers 18 heures et qu'en soirée nous puissions amorcer les échanges avec votre groupe.

Mme Vadboncoeur: D'accord.

M. Lebel (Louis): M. le Président, je pense que la concision de l'exposé nous autoriserait peut-être à être plus explicites dans les explications et les commentaires que nous ferions par la suite.

Le Président (M. Blouin): D'accord. On peut s'entendre aussi là-dessus. Oui.

M. Lebel: Cela nous paraîtrait peut-être plus productif comme méthode de discussion.

Le Président (M. Blouin): Parfait! Je puis vous assurer que nous aurons tout le temps de vous entendre.

M. Bédard: C'est une bonne pratique d'avocat.

Mme Vadboncoeur: M. le Président, nous aurions tout d'abord un commentaire d'ordre général sur l'utilisation du vocabulaire dans le projet de loi no 107. On s'est rendu compte, au tout début du projet de loi, que l'on définit le terme "héritier" et que l'on en exclut le légataire particulier. Or, dans tout le reste du projet de loi, on semble oublier cette distinction qu'on a faite au début du projet du loi, parce qu'il y a plusieurs dispositions qui, normalement, devraient également s'appliquer au légataire particulier. On ne mentionne que l'héritier. Par exemple, il y a les dispositions concernant l'indivision, les dispositions concernant l'héritier de bonne foi ou de mauvaise foi, les dispositions concernant les options offertes au successible, enfin, j'en passe parce qu'il y en a une quantité. Ce sont des dispositions qui ne mentionnent que l'héritier alors qu'elles devraient également s'appliquer au légataire particulier.

Quant au rôle de l'avocat, en ce qui concerne les actes notariés, le Barreau du Québec est sceptique quant à l'exclusivité historique des notaires à propos de la forme de certains actes, en particulier depuis le registre des testaments. Étant donné que de plus en plus d'avocats reçoivent les testaments et qu'ils sont obligés de les déclarer dans un registre central, nous ne voyons pas pourquoi l'avocat ne pourrait pas, par exemple, faire des renonciations à des successions, faire des acceptations sous bénéfice d'inventaires, faire des acceptations après renonciations, etc.

Maintenant, sur la représentation...

M. Bédard: Sur cette partie, je laisserai le député de Saint-Laurent vous poser des questions... en sa qualité de notaire.

Mme Vadboncoeur: Je n'en doute pas.

M. Leduc (Saint-Laurent): Pour moi, ils n'en font pas parce qu'ils ne sont pas capables. C'est clair. Ah! Ah!

Le Président (M. Blouin): Mme

Vadboncoeur.

Mme Vadboncoeur: Quant à la représentation, aux articles 721 et suivants, nous recommandons que la représentation, en l'absence de descendants, soit limitée aux neveux et nièces. Le projet de loi mentionne que la représentation se fait vis-à-vis des collatéraux à l'infini alors que nous proposons que ce soit plutôt limité aux neveux et nièces pour des raisons de délai de règlement de successions, pour des raisons de liens affectifs évidents. Par exemple, je pense que les grands-parents ou les neveux et nièces sont beaucoup plus prêts, affectivement parlant, de la personne décédée que ne le sont les petits-petits-petits-petits-neveux. Enfin, mettez autant de "petits" que vous désirez. Nous recommandons donc de limiter la représentation à cet égard. On a une recommandation, quant au texte législatif, à l'article 721.

La règle actuelle du Code civil qui est évidente - elle est tellement évidente qu'on a oublié de l'inclure au projet de loi - est celle qui veut que le plus proche exclut le plus éloigné. On a donc ajouté cette règle qui, par ailleurs, avait été prévue pour les collatéraux ordinaires. On l'a ajoutée en ce qui concerne les descendants et les collatéraux privilégiés. Alors c'est l'article 727,1 qui le mentionne.

Ensuite, l'article 759 du projet de loi qui se lit comme suit: "Le testament qui serait nul pour inobservation d'une formalité obligatoire peut néanmoins valoir comme testament si le tribunal est convaincu, après avoir entendu les intéressés, que l'écrit contient, de façon certaine et non équivoque, les dernières volontés du défunt." Nous recommandons de retrancher complètement cet article parce que cela laisserait la voie ouverte à n'importe quel écrit, n'importe quelle manifestation d'une volonté du défunt et je pense que c'est un peu trop large. Le testament a quand même une certaine exigence quant au formalisme et nous considérons qu'il y a un minimum de formalisme qui devrait être conservé.

Nous ajoutons également à la page 66 du mémoire une partie de l'actuel article 872 du Code civil qui contient une règle d'interprétation fort importante, relativement à la volonté du testateur. Nous considérons que cette règle devrait également se retrouver au nouveau Code civil du Québec. Quant à la viduité, à la page 73 du mémoire, l'article 801, premier alinéa du projet de loi, contient un principe auquel on est tout à fait favorable, à savoir que la disposition testamentaire limitant au cas de remariage les droits du conjoint survivant est sans effet. Nous nous demandons d'ailleurs la raison de l'existence du deuxième alinéa qui, finalement, vide le premier de tout son sens. Alors, nous recommandons de retrancher ce deuxième alinéa pour conserver le principe de la nullité d'une telle disposition testamentaire. (17 h 45)

En ce qui concerne la procédure, je sais que cela n'est pas nécessairement le temps d'en parler, parce que cela sera sûrement prévu dans la loi d'application, sauf qu'à l'article 817 du projet de loi, on prévoit déjà une action. On dit: "Le testament qui n'est pas produit ne peut être vérifié, mais il doit être reconstitué à la suite d'une action à laquelle les successibles, les héritiers, les légataires particuliers, etc.,". Alors, si le législateur veut inscrire la procédure dans le droit substantif, soit! mais, à ce moment-là, qu'on remplace le mot "action" par le mot "requête" pour différents motifs, d'abord des motifs de délai, purement et simplement. Procéder par requête est beaucoup plus rapide que procéder par action. C'est plus simple, donc plus accessible aux justiciables. Ceci était un des buts avoués du gouvernement actuel et du ministre en particulier. C'est aussi beaucoup moins coûteux de procéder par requête. Alors, on recommande qu'à l'article 817, de façon particulière, l'action soit remplacée par la requête. Ceci vaut également pour les articles 887, 906 et 909.

De plus, à l'article 879, on prévoit qu'après acceptation du fonds final, le liquidateur est déchargé de son administration. Nous sommes favorables à cela, sauf que si on lit le titre qui concerne le partage après, donc, à partir des articles 880 et suivants, on se rend compte évidemment que le partage est complètement dissocié de l'administration du liquidateur et on retrouve le liquidateur aux articles 890 et 900. Alors, on se demande ce qu'il fait là. Est-ce qu'il n'est pas censé avoir terminé son administration. On ne sait pas trop ce qu'il fait là. Il y aurait peut-être lieu de préciser son rôle. Si son rôle continue au moment du partage, il y aurait peut-être lieu, à ce moment-là, de prévoir une disposition déchargeant le liquidateur de ses fonctions relatives au partage. Si on veut l'exclure du partage, qu'on l'exclue tout simplement.

Enfin, en annexe, nous avons reproduit notre position quant à la réserve héréditaire et cette position est la suivante: La sous-commission et la commission permanente du barreau rejettent l'option de la réserve héréditaire et optent plutôt pour la créance alimentaire. Cette créance serait laissée à la discrétion des tribunaux sur preuve des besoins actuels et futurs du requérant. Elle serait payable sous forme d'un paiement

global ou par versements. Il n'y aurait que deux catégories de personnes qui pourraient se prévaloir de ce recours: d'une part, le conjoint et les enfants; d'autre part, l'ex-conjoint, les ascendants et les petits-enfants au deuxième degré, pourvu que ceux-ci, l'ex-conjoint, les ascendants et les petits-enfants, aient vécu des revenus du défunt au moment de son décès. Le recours de la créance alimentaire ne viserait qu'à corriger les injustices du système actuel qui nous semblent minimes et la prescription du recours serait un délai de six mois, ce qui nous semble suffisant, compte tenu du certain caractère d'urgence qui peut exister vu les besoins alimentaires des requérants.

Cela complète l'exposé sommaire sur le droit des successions.

Le Président (M. Blouin): Merci, Me Vadboncoeur. Compte tenu de l'heure, il est près de 18 heures, je suggère que nous suspendions nos travaux jusqu'à ce soir, 20 heures. La parole sera au ministre de la Justice.

(Suspension de la séance à 17 h 51)

(Reprise de la séance à 20 h 10)

Le Président (M. Blouin): La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux. Je vous relis brièvement le mandat de la commission qui est d'entendre les personnes et les organismes en regard des projets de loi nos 106, loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes et 107, loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions. La parole est à M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: M. le Président, au nom des membres de la commission, je voudrais féliciter et remercier le barreau et ses représentants pour...

Mme Vadboncoeur: ...si vous me le permettez...

M. Bédard: ...c'est la sous-commission...

Mme Vadboncoeur: ...M. le Président, je ne sais pas si cela serait possible, je ne veux pas vous interrompre indûment mais avant de commencer la discussion, étant donné que j'ai été plutôt brève, surtout dans le mémoire sur le projet de loi no 106, je me demande si ce serait possible d'ajouter peut-être deux ou trois points qui dureraient deux ou trois minutes.

M. Bédard: Sûrement, avec plaisir. Mme Vadboncoeur: Merci beaucoup. Je voulais simplement ajouter que nous avons remarqué qu'à part la disposition préliminaire du projet de loi no 106, on n'avait à peu près pas repris les articles d'interprétation qui existent à l'heure actuelle dans le Code civil. Je pense aux articles, grosso modo, de 11 à 17 du Code civil du Bas-Canada. Je pense que cela serait peut-être bon de les reprendre parce qu'ils contiennent des règles d'interprétation qui sont importantes et qui existent dans notre droit depuis au-delà de cent ans.

Quant au nom patronymique, nous avons suggéré, tout comme l'a fait d'ailleurs la sous-commission sur le droit de la famille lors de l'étude du projet de loi no 89, que le nom patronymique choisi pour le premier enfant d'une union soit le même pour tous les enfants de la même union. Alors, nous réitérons cette recommandation.

Enfin, un point assez important que j'avais omis de mentionner tout à l'heure et c'est une des recommandations que nous faisons visant à assimiler le titulaire de l'autorité parentale au tuteur légal. La sous-commission s'est posée la question tout au cours de ses travaux à savoir qu'elle était la différence entre le rôle du titulaire d'autorité parentale et le rôle du tuteur légal dans le cas des parents. On n'en a vu aucune. Finalement on s'est dit: si l'exercice de l'autorité parentale est assumé par les parents et qu'on nomme un tuteur qui est un tiers, on se demande, à part la tutelle aux biens, quelle serait la fonction de ce tuteur, vu que les parents, quand même, s'occupent de la personne, de leur enfant mineur. On se demande ce qu'un tuteur à la personne viendrait faire dans le décor. On a décidé -enfin, on a recommandé - d'assimiler les deux fonctions et on a fait en ce sens une recommandation à l'article 123, si ma mémoire est bonne. C'est cela. Évidemment, cet amendement à l'article 123 entraîne plusieurs autres amendements de concordance que vous retrouverez dans le texte.

Quant au tuteur ad hoc qui est prévu dans le projet de loi, il y a un comité du barreau qui existe actuellement sur la représentation des enfants par avocat et le comité devrait présenter son mémoire au comité administratif d'ici quelques semaines. Si le mémoire est entériné par le comité administratif du barreau, il y aura certaines représentations quant au tuteur ad hoc qui est actuellement prévu dans le Code de procédure civile depuis l'adoption de la loi 18 qui est entrée en vigueur en décembre dernier. Les articles 816 et suivants du Code de procédure civile touchent la représentation par avocat proprement dite ainsi que la nomination d'un tuteur ad hoc par le tribunal. À l'article de droit substantif qui parle de tuteur ad hoc, on a fait une recommandation pour exclure le champ des matières familiales de cette nomination de

tuteur ad hoc. On aura évidemment beaucoup plus de détails au moment où le comité du barreau présentera son rapport au ministre de la Justice. C'étaient les remarques que je voulais ajouter.

Le Président (M. Blouin): Cela va? Mme Vadboncoeur: Cela va.

Le Président (M. Blouin): Merci, Mme Vadboncoeur. Je signale d'abord, pour le bénéfice de nos invités, que les membres de la commission souhaitent terminer les travaux de la commission ce soir vers 22 heures.

M. le ministre, vous avez la parole.

M. Bédard: M. le Président, je voudrais dire avant que je sais qu'il y avait plusieurs groupes que nous avions espéré pouvoir entendre aujourd'hui. Je pense qu'à ce stade-ci de nos travaux nous sommes en mesure de prévoir raisonnablement que nous ne pourrons entendre tous les groupes. Plutôt que de les obliger à rester toute la soirée, pour autant qu'ils veulent disposer, il serait peut-être mieux de les en informer dès maintenant. Je crois qu'on devrait quand même consacrer quelque temps aux mémoires du barreau.

Une voix: Deux heures.

M. Bédard: On me dit deux heures. Il y avait l'autre groupe...

Le Président (M. Blouin): On pourrait peut-être demander à l'Association québécoise de planification fiscale et successorale de demeurer ici. Pour ce qui est des autres groupes, je crois qu'ils pourraient...

M. Bédard: Cela les intéresse peut-être. Ce n'est pas une manière...

Le Président (M. Blouin): Évidemment, s'ils ont un intérêt...

M. Bédard: Ce n'est pas une invitation à nous quitter qu'on leur fait mais...

Le Président (M. Blouin): S'ils ont, d'autre part, des activités autres que celle-ci, je crois qu'ils pourraient sans risque revenir demain à 10 heures. À ce moment-là, nous aurons un nouvel ordre du jour...

M. Bédard: C'est cela. Nous essaierons d'ajuster l'ordre du jour demain de la façon la plus efficace possible, en tenant compte du fait que des groupes n'ont pas pu être entendus.

Mme Lavoie-Roux: II faudrait être prudent dans la planification parce qu'il y a des gens qui se sont dérangés...

Le Président (M. Blouin): La parole est au ministre de la Justice.

M. Bédard: Au nom des membres de la commission, il me fait plaisir de remercier d'une façon tout à fait particulière le barreau et ses représentants et représentantes qui nous ont fait des représentations très importantes, imposantes. Je pense qu'on peut dire que l'obligation dans laquelle ils étaient de résumer ne rend pas justice - il est bon de le dire - à l'ensemble des représentations du barreau. On est à même de constater que le barreau a trouvé le moyen et le temps de faire des remarques sur presque tous les articles des deux projets de loi. Comme ces deux mémoires sont non seulement assez volumineux mais aussi très substantiels, on est en mesure de constater - et je le dis avec satisfaction - dans chacun que le barreau est d'accord avec plusieurs des objectifs poursuivis et plusieurs des dispositions. Il est normal, dans le temps qui nous est dévolu, qu'on fasse porter l'essentiel des représentations sur des points qu'on voudrait voir améliorés. C'est ce qui a été fait.

Dans un premier temps, je me limiterais à quelques questions. On s'est aussi rendu compte qu'il y avait quand même des différences assez importantes entre le mémoire du barreau et celui de la chambre des notaires que nous avons entendu au début des travaux de cette commission. Ce qui veut dire un travail important aussi pour les membres de la commission d'essayer de concilier en fait ces différents points de vue pour en arriver à un résultat le plus valable possible pour ceux pour qui nous légiférons, soit l'ensemble de la population.

Je me limiterai donc, dans un premier temps, à quelques questions, quitte à revenir sur d'autres points. Par exemple, vous suggérez, entre autres, purement et simplement l'abolition de la nomination du tuteur ad hoc à l'enfant dans les litiges de nature familiale. C'est quand même assez clair, si j'ai bien lu votre mémoire et j'aimerais savoir sur quoi cela débouche? Quand on parle des enfants dont le tuteur avait à représenter les intérêts, cela pouvait être des jeunes enfants, des moins jeunes... On sait jusqu'à quel point il est important que ces intérêts soient préservés avec beaucoup de précaution. J'aimerais vous demander qui, dans votre esprit, pourrait valablement représenter ces intérêts et faire valoir les intérêts de l'enfant?

Mme Vadboncoeur: M. le Président, la recommandation que nous avons faite à l'article 120, si vous le remarquez, n'exclut pas le tuteur ad hoc dans toutes les

matières. On a voulu exclure le tuteur ad hoc des matières familiales parce que, dans les litiges qui se rapportent à des matières familiales, il y a forcément une situation conflictuelle dans la famille ou au sein de la famille et on s'est posé la question - là je mets un petit peu mon chapeau de secrétaire du comité sur la représentation des enfants par avocat de savoir quelle personne pourrait être désignée comme tuteur ad hoc dans ces cas. Si c'est un proche parent de la famille, il sera presque automatiquement en situation de conflit d'intérêts parce que ce sera quelqu'un qui sera peut-être sympathique à la cause de l'un plutôt que de l'autre, en matière familiale toujours.

On s'est également rendu compte que les tribunaux, depuis décembre 1982, étaient plutôt portés à ne pas appliquer cet article 816.1 du Code de procédure civile qui est nouveau. Les juges se rendent bien compte qu'à moins de nommer un parfait inconnu, ce qui ne serait pas dans l'intérêt de l'enfant non plus, parce qu'il ne serait pas au courant de la situation de l'enfant et ne serait donc pas au courant de son meilleur intérêt, cela ne sert à rien de nommer qui que ce soit de l'entourage immédiat de l'enfant.

Quant au DPJ, qui pourrait éventuellement être nommé tuteur ad hoc, on s'est aussi posé la question de savoir si ce serait vraiment efficace que le DPJ intervienne dans toutes les causes où l'intérêt de l'enfant est opposé à celui du titulaire de l'autorité parentale ou à celui de son tuteur.

Il ne faut pas oublier qu'avec le projet de loi 106 tel que proposé, les parents sont tuteurs légaux. Donc, chaque fois qu'un enfant serait impliqué dans un litige matrimonial, c'est clair que ses intérêts seront, de toute façon, opposés aux intérêts de l'un ou l'autre de ses tuteurs légaux, soit ses parents, étant donné que ses parents seront eux-mêmes en conflit.

Cela voudrait donc dire que dans chacun des litiges où, par exemple, il y a une garde d'enfant qui est contestée et même une pension alimentaire, parce qu'il y a une pension alimentaire qui peut être donnée à l'enfant, il faudrait nommer un tuteur ad hoc, et la difficulté d'application de cet article nous a portés à recommander que le tuteur ad hoc soit exclu pour les matières matrimoniales et que l'avocat de l'enfant puisse prendre l'intérêt de ce dernier, à la suite d'expertises qui pourront être faites. C'est d'ailleurs comme cela que cela fonctionne au Tribunal de la jeunesse; à l'heure actuelle, les enfants sont représentés par un avocat et cela fonctionne très bien. Il y a des expertises qui se font et cela ne cause pas vraiment de difficulté. Alors, c'est pour cela que notre recommandation quant à l'article 120 ne vise que les matières matrimoniales.

M. Bédard: Êtes-vous en train de me dire que, quel que soit l'âge - il y a quand même des situations drôlement différentes entre l'enfant de deux ans et l'enfant de quatorze ans, ce sont des réalités sociales -cela serait l'avocat, ou l'avocate, qui serait le mieux placé pour défendre les intérêts de l'enfant?

Mme Vadboncoeur: Voici, je vais peut-être un peu devancer l'éventuel rapport qu'on soumettra, mais le comité sur la représentation des enfants par avocat avait songé à une recommandation qui serait à peu près la suivante: Lorsqu'un enfant est capable de verbaliser - on ne veut pas fixer de limite d'âge parce que, chez certains, cela peut être cinq ans comme chez d'autres cela peut être douze ans ou treize ans; tout dépend de la situation et de l'environnement de l'enfant, de ses facultés mentales, cela dépend d'un tas de facteurs - donc, d'exprimer ses désirs, ses souhaits, l'avocat de l'enfant doit représenter les désirs de l'enfant. Cet enfant-là doit avoir un porte-parole devant le tribunal. On dit que c'est l'avocat de l'enfant qui doit être son porte-parole.

L'intérêt de l'enfant, de toute façon, sera décidé par le tribunal. C'est d'ailleurs la loi qui le dit; c'est le droit substantif qui le dit. Dans les...

M. Bédard: Oui, oui, continuez, je vous en prie.

Mme Vadboncoeur: ...cas d'enfants trop jeunes pour exprimer leur volonté, leurs désirs, on aurait ce qu'on a convenu d'appeler un mandat juridique. Donc, dans le cas des enfants de six mois, d'un an, d'un an et demi ou de deux ans, les désirs, qu'on pourrait décoder par une expertise que des avocats ne sont peut-être pas à même de faire il y a des experts qui sont disponibles, cela n'est pas pour rien - chez ces enfants en bas âge, coïncident normalement avec l'intérêt de l'enfant. Le mandat de l'avocat de cet enfant en bas âge serait de plaider l'intérêt de l'enfant, compte tenu, évidemment, encore une fois, de toutes les expertises qui pourraient être envisagées.

M. Bédard: Qui retiendrait les services de l'avocat pour l'enfant? Je vous pose la question non pas parce que j'ai des doutes sur la capacité ou encore le désir des avocats et des avocates de représenter les intérêts de l'enfant et de vouloir bien les défendre, mais qui retiendrait leurs services? Deuxièmement, à une période où on essaie plutôt de déjudiciariser les questions familiales, est-ce que vous ne croyez pas que ceci aurait pour effet de nous orienter à nouveau dans le chemin de la judiciarisation?

Mme Vadboncoeur: C'est-à-dire que la judiciarisation, elle existe déjà, parce qu'il y a déjà un litige devant les tribunaux. Pour quiconque a pratiqué un peu en droit matrimonial, on sait qu'il y a beaucoup d'actions, de conventions signées entre les parties qui se font sur le dos des enfants. Les enfants sont souvent l'objet d'un chantage assez éhonté de la part de l'un des époux. Alors, je pense que les enfants ont le droit d'être défendus, et l'avocat serait, je pense, la personne la mieux placée, la plus désintéressée pour représenter les intérêts ou les désirs de l'enfant, selon le cas. (20 h 30)

Quant au mode de nomination, il y a déjà un système qui existe actuellement au Tribunal de la jeunesse, mais le comité a suggéré ou va suggérer, dans un proche avenir, que lorsque les parties sont déjà représentées par des avocats et que le juge décide, par le biais du fameux article 816 du Code de procédure civile, un avocat doit être nommé pour l'enfant, les deux avocats déjà au dossier pourraient soit s'entendre sur la nomination d'un troisième avocat ou, s'ils ne s'entendent pas, chacun pourrait soumettre une liste de deux ou trois noms, par exemple, et le juge pourrait déterminer à partir de cette liste l'avocat qui serait désigné à l'enfant.

M. Bédard: Je me fais l'écho des membres de la commission mais c'est une question opportune: Qui payerait?

Mme Vadboncoeur: Je dois vous dire que cela existe déjà; cela commence de plus en plus à Montréal, à tout le moins. Je ne sais pas ici à Québec, mais à Montréal il y a certains avocats qui se spécialisent "dans la représentation des enfants". Les honoraires sont partagés 50-50 ou, enfin, selon la proportion qui fait l'objet d'une entente entre les parties. Le juge lui-même ou le président du tribunal peut fixer ou déterminer la portion qui devrait être payée par chacune des parties. Ou encore l'enfant pourra faire l'objet d'un mandat d'aide juridique.

De toute façon, je vous lis le deuxième alinéa de l'article 816: "Le tribunal peut aussi rendre toute ordonnance utile pour assurer cette représentation par avocat, notamment statuer sur le montant des honoraires payables au procureur de l'enfant et déterminer à qui en incombra le paiement." Alors, le juge a déjà le pouvoir de fixer cela en vertu de la loi actuelle.

M. Bédard: On pourra revenir sur le sujet; peut-être que mes collègues le feront. Disons qu'il y a des éléments dans votre mémoire - cela ne veut pas dire que les autres n'en tiendront pas compte, loin de là - qui me semblent très positifs, entre autres, les changements qui feraient que quelqu'un qui accepte sous bénéfice d'inventaire puisse renoncer après l'inventaire. Il me semble que c'est la logique. Ce n'était peut-être pas ce qui existait dans notre droit jusqu'à maintenant. Auparavant, quelqu'un qui acceptait sous bénéfice d'inventaire ne pouvait renoncer. Je crois que c'est sûrement une situation à corriger dans le sens des représentations que vous avez faites.

Concernant la fin de l'émancipation, je peux vous dire que personnellement, étant donné qu'on a abaissé l'âge de la majorité à 18 ans et tenant compte d'autres facteurs que vous avez d'ailleurs évoqués, dans un premier temps j'étais plutôt favorable à cette idée. Maintenant, ce qui nous a, quand même, fait réfléchir dans l'autre sens, ce sont de nombreuses représentations qui ont été faites par d'autres organismes qui disaient essentiellement: Même si ce sont des situations exceptionnelles, il faut quand même prévoir qu'il puisse y avoir des cas d'émancipation. Il y en avait beaucoup auparavant; peut-être qu'ils ne faisaient pas l'objet de jugement. Comme beaucoup se mariaient avant l'âge de 21 ans, par la force des choses l'émancipation allait de soi.

Mais est-ce que vous ne croyez pas aussi que ce qui a peut-être compté dans la décision qui a été prise c'est le danger de faire une rupture trop rapide avec ce qui existe déjà? J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus. J'aime cela voir le barreau qui est à l'avant-garde.

Mme Vadboncoeur: L'émancipation, c'est un concept qui, dans les faits, n'existe pas. On ne voit pas de jugements d'émancipation. Vous faisiez allusion tout à l'heure aux mineurs. Même dans le temps où la majorité était fixée à 21 ans, si un mineur se mariait à 18, 19, 20 ans, de toute façon, la loi prévoit qu'il a la capacité d'un majeur. Alors, il n'est plus utile de lui donner une émancipation. Il a cette capacité. Dans le projet de loi, en plus, on reconnaît le principe de la capacité du mineur. Si on reconnaît ce principe, le principe étant établi, qu'on lui accole quelques exceptions, ça va, mais il ne faudrait pas nier un principe qu'on établit par la continuation d'une notion juridique qui est à peu près inexistante de nos jours, de toute façon.

M. Bédard: Sur ce point, d'autres groupes qui vont être entendus nous ont fait des représentations dans le sens contraire, pour qu'on maintienne ces dispositions. On entendra leur argumentation et peut-être qu'on sera mieux en mesure de trancher une fois pour toutes.

Vous avez un point où le barreau a une position carrément différente de celle de la chambre des notaires concernant le conseil de tutelle. En fait, vous suggérez tout

simplement l'abolition du conseil de tutelle. J'aimerais que vous nous expliquiez comment se ferait la surveillance lorsqu'il y a une tutelle dative.

Mme Vadboncoeur: Me André Prévost va vous répondre à ce sujet.

M. Bédard: Oui. J'aimerais connaître un peu plus votre position à ce sujet.

M. Prévost (André): En fait, M. le ministre, on continue probablement dans notre avant-gardisme que vous souligniez tout à l'heure.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Prévost: On ne croit pas que le conseil de tutelle représente un gros changement par rapport au conseil de famille qu'on connaît présentement, même si, comme le soulignait la chambre des notaires, il y a plus un niveau de permanence avec trois ou cinq membres qui sont nommés dès le départ. On croit que le conseil de tutelle ne fait qu'alourdir un processus décisionnel. À ce niveau-là, il faut quand même garder en tête qu'au moment où on va commencer à faire jouer le mécanisme de la tutelle, on va réunir un conseil qui, pour la plus grande partie de son travail, formulera des recommandations à un tribunal qui, pour sa part, autorisera un acte pour le tuteur, sauf dans certains cas où le conseil de tutelle lui-même donne sa recommandation à un tribunal, autorise un acte pour un tuteur. Je me réfère, de mémoire, aux articles 146, 147, 148. Mais, dans les autres cas, pour les actes qui dépassent la simple administration, dans les cas où il faut aller devant le tribunal et pour lesquels le conseil de tutelle formule une recommandation, on ralentit le processus en créant une instance de trois ou de cinq personnes qui vont devoir s'asseoir et formuler une recommandation. Le tribunal sera saisi d'une recommandation qui a été prise à la majorité, c'est-à-dire que la voix des dissidents ne sera pas entendue nécessairement par le tribunal, tout cela dans un système où la famille n'est plus exactement ce qu'elle était.

C'était facile autrefois, il y a plusieurs années, de créer des conseils de famille qu'aujourd'hui on pourrait appeler des conseils de tutelle, parce que la famille était un groupement qu'on pouvait retrouver à un endroit particulier et qui demeurait liée généralement à un espace donné. Aujourd'hui où on a le concept de famille où les gens sont très dispersés, ne sont souvent même pas dans la même ville ou dans le même pays, cela peut poser des problèmes. Finalement, vous allez avoir un conseil de tutelle qui va probablement être constitué souvent de gens qui ne sont pas nécessairement de la plus proche parenté -je parle des cinq qui vont en faire partie -qui devront prendre des décisions pour faire des recommandations et le tribunal ensuite devra les entériner.

Le système qu'on propose saute cette étape et, je pense, fait montre plus de l'opinion des gens qui sont directement concernés par le bien du mineur. On a créé l'article 156.1 qui dit finalement que, lorsque le tuteur doit poser un acte qui dépasse la simple administration, il obtiendra l'autorisation du tribunal pour poser cet acte. Il donnera avis de sa demande à un groupe de personnes dont le mineur s'il a plus de quatorze ans, les père, mère, frères, soeurs, ascendants s'il y en a, titulaire de l'autorité parentale, si ce ne sont pas les parents, et le tuteur datif si c'est le cas.

Ces gens sont informés de la demande et, s'ils ont quelque chose à dire, ils vont aller le dire directement devant le juge. Vous avez, à ce moment-là, l'avantage d'avoir un tribunal qui va entendre toutes les opinions sur la question, s'il y en a, et les gens, probablement dans la plupart des cas, qui n'auront rien à dire ne se présenteront tout simplement pas. On croit que le système sera plus facile. On éliminera un palier de recommandation qui, dans la plupart des cas, nous le croyons, ne représente pas et va poser des difficultés pratiques comme le conseil de famille en a posé. Je suis convaincu, M. le ministre, que vous avez dû, vous aussi, convoquer des conseils de famille au palais de justice. Je pense que, de la façon dont cela se passe, c'est un peu dégradant pour l'institution qui existe présentement.

En ce qui concerne la personne protégée, les gens qui seront avisés sont ceux que nous avons mis à l'article 200.1, conjoint, ascendants, frères, soeurs et enfants majeurs qui pourront venir dire au tribunal ce qu'ils ont à dire. Nous croyons que, de cette façon-là, nous éviterons un palier qui alourdit peut-être le système décisionnel.

M. Bédard: Avec tout le respect que j'ai pour votre description de ce que serait le conseil de tutelle dans le projet de loi, je dois dire honnêtement que je partage difficilement l'analyse que vous en faites. Quand vous dites, par exemple, que le conseil de tutelle alourdira un processus décisionnel, je pense que c'est oublier que ce conseil de tutelle est quand même habilité à prendre de nombreuses décisions sans aller devant le tribunal. Je vous pose la question. Ce que vous proposez pourrait avoir encore pour effet de "judiciariser" énormément en allant continuellement devant le tribunal. J'ai de la misère à suivre votre idée. Je connais les conseils de famille, qui existent à l'heure actuelle. Il est évident qu'il fallait que cette réalité disparaisse au plus vite; c'est ce que

nous faisons. Avec le nouveau conseil de tutelle, je pense qu'il y a là un niveau de permanence qui peut être de nature non pas à alourdir, mais à bien défendre les intérêts qu'on veut protéger.

M. Prévost: Si vous me le permettez, les pouvoirs qu'exerce le conseil de tutelle autres que la recommandation au tribunal en ce qui concerne les autorisations pour un tuteur, je les retrouve aux articles 146, 147 et 148 du projet de loi. En ce qui concerne l'article 146, on dit: "Pour les actes qui excèdent la simple administration, le tuteur doit être autorisé par le conseil de tutelle", sauf pour une série d'actes qu'on mentionne dans le deuxième paragraphe et qui sont généralement les actes qu'on retrouve le plus couramment et qui excèdent la simple administration dans une tutelle. On a ensuite l'article 147 qui est l'acceptation d'une libéralité avec charge. M. le ministre, lorsqu'on accepte une donation avec une charge pour un mineur, même si on avait le conseil de famille, je me demande s'il ne serait pas plus prudent d'y mettre aussi une autorisation d'un tribunal parce que, finalement, on crée une charge contre le mineur. (20 h 45)

En dernier lieu, l'article 148 dit que le conseil de tutelle va autoriser le tuteur à transiger ou à poursuivre un appel. Encore là, je crois, même si le conseil de tutelle existait, qu'on devrait faire doubler cette recommandation par une autorisation du tribunal parce que, quand même, si on transige, on affecte de façon définitive les droits du mineur. Finalement, si on regarde les actes que fait seul le conseil de tutelle sans passer par le tribunal, on s'aperçoit qu'il n'y a peut-être pas beaucoup d'actes que cela peut concerner et, que dans la plupart des cas, on va se retrouver devant le tribunal. En plus, on sera passé par le conseil de tutelle pour avoir une recommandation.

M. Bédard: Oui, il y a peut-être à l'article 148 où on pourrait ajouter le "tribunal". Mais il reste bien d'autres actes qui sont décidés par le conseil de tutelle. Par exemple, vous avez fait mention, avec la nouvelle réalité familiale, qu'il arriverait souvent que ce soit difficile de réunir le conseil de tutelle. Je pense que l'article 173 répond à vos préoccupations de ce côté-là. "Le tribunal peut statuer que les fonctions du conseil de tutelle seront exercées par un substitut lorsqu'il est impossible de constituer un conseil en raison de l'éloignement des membres de la famille, d'un empêchement majeur ou lorsqu'il est inopportun de le faire en raison de la situation familiale du mineur".

M. Prévost: Mais si on n'a pas trouvé de parents assez proches pour constituer le conseil de tutelle et qu'on se retrouve avec des substituts. C'est d'ailleurs un des motifs qui nous amènent à suggérer le système qu'on préconise.

M. Bédard: Non, mais on parle de situations plus exceptionnelles. Je comprends qu'on puisse trouver que la famille est dispersée, mais, quand même, il reste encore des proches.

M. Blank: En 33 ans de pratique, je pense que je n'ai jamais eu sept parents dans un conseil de famille. Jamais, jamais.

M. Bédard: Mais cela ne sera plus nécessaire. C'est pourquoi on a parlé...

M. Blank: J'ai dit qu'en 33 ans de pratique je n'ai jamais eu sept membres de la famille dans un conseil de famille.

Le Président (M. Blouin): M. le ministre, vous avez la parole.

M. Bédard: Vous voyez, votre collègue de Saint-Laurent dit qu'il pouvait en constituer toutes les semaines dans son bureau.

Une voix: Devant le notaire.

M. Blank: Devant le notaire, c'est une autre affaire. Parfois, dans des petites communautés où des gens habitent ensemble, mais pour la grande majorité des gens qui vont devant le protonotaire pour constituer un conseil de famille, jamais sept membres de la famille ne viendront. On amène toujours des jeunes avocats.

M. Bédard: Là, vous parlez de...

M. Polak: II y a des vieux avocats aussi.

M. Blank: Des jeunes.

Une voix: Est-ce que ce sont des amis?

Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre.

M. Bédard: Vous parlez de sept membres de la famille. C'est en tenant compte de toutes ces réalités qu'on a parlé d'un conseil de tutelle qui peut être formé de trois ou de cinq personnes, selon les circonstances. On a tenu compte, justement, de la situation.

Une dernière question. Je pense bien que, sur cette question, mon collègue de Saint-Laurent va revenir à la charge. Selon votre mémoire, la règle, en matière

testamentaire, est que le conjoint est le principal légataire et, de ce fait, assume les obligations relatives aux enfants. Cette situation vous incite donc à favoriser l'introduction d'une créance alimentaire au lieu d'une réserve qui n'interviendrait alors que dans les cas très rares d'injustice. C'est bien le contenu de votre représentation?

Une voix: C'est seulement en démocratie, cela.

M. Bédard: Ne croyez-vous pas qu'en raison du nombre croissant de ruptures de telles situations conflictuelles entre conjoints et surtout enfants de mariages différents sont susceptibles d'être fréquentes? Ne croyez-vous pas que cela puisse susciter des conflits? Pensez-vous que cela soit souhaitable? Que penseriez-vous d'une réserve qui favoriserait les enfants mineurs pour suppléer peut-être à tout cela?

Mme Vadboncoeur: Je vous ai résumé de façon bien concise la position du barreau tout à l'heure sur la réserve pour les enfants mineurs. Je ne vois pas pourquoi on limiterait la liberté de tester, qui est un principe reconnu, utilisé, accepté, depuis des décennies. Alors que le problème ne se pose vraiment pas pour les enfants - cela se pose peut-être un peu plus et, encore là, c'est vraiment exceptionnel, concernant le conjoint - on ne voit pas pourquoi on mettrait complètement de côté un principe établi depuis toujours et qui n'a jamais causé de difficultés réelles pour le plaisir de régler quelques petits cas d'exception. La créance alimentaire existe; elle existe à l'heure actuelle, de toute façon, pour les mineurs. Les enfants et les parents se doivent des aliments. C'est un concept qui existe déjà et on ne voit pas pourquoi on modifierait tout le droit successoral et, en particulier, la liberté de tester pour une difficulté qui n'en est pas une.

M. Blank: Mlle Vadboncoeur...

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Louis.

M. Blank: Juste une petite question. J'ai la permission du ministre.

M. Lebel: J'aurais peut-être une remarque à ajouter là-dessus. C'est que, dans ces cas extrêmes, la solution suggérée dans l'annexe au rapport du barreau, d'une sorte de créance alimentaire permettrait de régler les problèmes. Ce serait probablement une solution plus adaptée, qu'on pourrait en quelque sorte moduler à la situation des enfants, de la succession particulière. L'inconvénient de la réserve est toujours d'imposer une solution uniforme, sans égard aux situations concrètes dans lesquelles se trouve la famille.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Louis, une brève intervention.

M. Blank: La question que je vais poser à Mlle Vadboncoeur est: Vous faites grand état de la question de la liberté de tester comme un concept; combien de juridictions dans le monde ont la liberté de tester?

Une voix: Le monde anglo-saxon.

M. Blank: Pas du tout. D'après l'information que j'ai reçue, il y en a deux: Québec et l'Afrique du Sud.

Mme Vadboncoeur: Je pense que c'est plus que cela.

M. Blank: Je ne sais pas. Aucun État américain, aucun pays occidental européen.

Une voix: Rhodésie.

M. Blank: Je ne sais pas. J'ai été témoin de beaucoup de changements au droit de la famille ici et je me souviens que, à Québec, on a prêché la liberté à cause d'une protection du Code civil à un moment donné qui n'est plus là maintenant. Le fameux article 301 empêchait la femme de toucher ses biens au bénéfice de son mari. Maintenant que cette défense n'existe plus, la seule chose qui reste est l'amendement qu'on a fait au projet de loi no 89 disant que c'est seulement le tribunal qui va régler cela. Cela veut dire que, chaque fois qu'il y a une dispute pour cette raison familiale, c'est le tribunal qui va décider. Dans presque tout le reste du monde, c'est fixé d'avance. C'est pour cela que j'ai des doutes sur cette liberté de tester.

M. Lebel: Là-dessus, M. le député, je vous dirais ceci: D'abord, l'expérience de la pratique juridique actuelle est que ces situations sont rares.

M. Blank: Excusez-moi. Elles sont rares parce qu'on a pas eu le projet de loi no 89 avant le 1er décembre.

M. Lebel: Elles étaient rares. Elles ne sont pas nécessairement rattachées au projet de loi no 89. Ce que j'ajouterais, c'est qu'à l'égard des situations rares où pouvaient se soulever ces problèmes il existe quand même dans la législation actuelle d'autres mécanismes pour trancher ces difficultés et que la fonction d'une codification n'est peut-être pas d'imposer des réformes dans des secteurs où, précisément, il n'est point besoin de changements ou il existe, ou on a développé des méthodes de compensation,

d'adaptation qui paraissent correspondre aux besoins sociaux.

Mme Vadboncoeur: Je m'excuse, Me Barbeau aurait peut-être quelque chose à ajouter.

M. Barbeau (Daniel): Nous aussi, notre liberté de tester est limitée par l'ordre public et les bonnes moeurs. Ce que constitue l'ordre public et, ce que constituent les bonnes moeurs, c'est une question d'évolution de notre société. Tantôt, M. le premier ministre soulignait que... Pardon, M. le ministre de la Justice...

Le Président (M. Blouin): Je pensais que vous nous annonciez une primeur.

M. Bédard: Allez-y, je n'ai rien contre les promotions, pourvu que cela ne dure pas longtemps, surtout celle-là.

Une voix: De ce temps-là, cela n'est pas trop bon.

M. Barbeau: ...soulignait qu'on pouvait garder le mineur émancipé parce qu'en fin de compte, même si cela ne servait pas beaucoup, cela ne nuisait à personne, tandis que là, en créant la réserve, on se trouve à légiférer véritablement pour l'exception. Je pense que, dans le mémoire du barreau, on souligne à la page 141 ce qui résume un peu notre pensée. "Il nous a semblé que la créance alimentaire était le remède le plus approprié puisque chaque cas constitue un cas d'espèce et que chaque situation, avec ses circonstances humaines et financières particulières, doit être analysée à son mérite. L'État n'a pas à établir ce à quoi les membres d'une famille ont droit d'office comme supplément à ce que l'on a déjà reçu d'une succession, que celle-ci soit juridique ou testamentaire."

Le Président (M. Blouin): D'accord?

M. Blank: J'ai encore quelque chose à ajouter.

Le Président (M. Blouin): Oui, M. le député de Saint-Louis.

M. Blank: C'est vrai, ce que vous dites. C'est exactement mon argument. Avant la loi 89, c'est dommage, mais l'épouse n'avait droit à rien. Elle ne pouvait pas aller devant les tribunaux, elle n'avait droit à rien. Depuis la loi 89, depuis la résidence familiale et la réserve créée par l'article 459, elle a maintenant une réserve. Mais qui va décider de cette réserve? C'est le tribunal. Cela veut dire qu'il y avait des cas d'exception avant la loi 89; maintenant, avec la loi 89, il n'y aura plus de cas d'exception.

Presque chaque femme demandera son droit. C'est le tribunal qui va décider cela.

C'est bon pour les avocats; j'en suis un et je suis d'accord. Cela va remplacer les actions d'Oldsmobile ou quelque chose comme cela.

Mme Lavoie-Roux: Vous les avez remplacées depuis longtemps, les actions d'Oldsmobile.

M. Blank: Mais, dans l'intérêt commun de la population, je ne sais pas si on lui a fait une faveur en agissant de cette façon. C'est mon opinion.

M. Bédard: C'est mon meilleur promoteur de la loi 89. C'est pour cette raison que je lui donne toujours la parole.

M. Blank: Non, non, c'est ma femme!

Le Président (M. Blouin): S'il vous plaît! Mme Vadboncoeur, avez-vous des commentaires?

M. Lebel: En fait, vous vous trouvez dans ces cas-là devant deux types de situations bien différentes. Si la concorde régnait dans le ménage, s'il y avait de l'accord, le problème est réglé par le testament, les donations, etc. S'il n'y avait pas d'accord entre les parties, le plus souvent il y a eu un conflit matrimonial, un divorce ou des mesures qui ont été prises et qui ont assuré une compensation au conjoint.

M. Blank: Lorsqu'on fait un testament, cela peut être fait dans les meilleures conditions familiales, mais peut-être qu'on veut laisser cela aux enfants et seulement l'usufruit à la femme, mais la femme veut voir le capital après que le monsieur est parti. Pour moi, cela n'a rien à faire avec la condition familiale au moment du décès. Cela peut être le meilleur mariage au monde, mais le monsieur veut protéger ses enfants, laisse l'usufruit à sa femme, mais celle-ci, pour des raisons personnelles, dit: Non, je veux avoir le capital. C'est la résidence familiale et la réserve de l'article 459 qui entrent alors en jeu.

M. Barbeau: La créance alimentaire existe également dans plusieurs États des États-Unis.

M. Blank: Oui, je sais.

M. Barbeau: Vous parliez tantôt de...

M. Blank: La réserve est fixée en Ontario à un tiers, je pense.

M. Barbeau: La réserve est fixée, en Ontario.

M. Blank: C'est fixé d'avance. Si on veut faire un testament pour donner plus que le tiers, on peut le faire, mais le minimum, on l'a sans recours au tribunal.

Mme Lavoie-Roux: C'est cela. Une voix: C'est cela.

Mme Borenstein (Sylviane): Me Blank semble dire qu'il n'est pas content qu'avec la loi 89 les épouses puissent aller si souvent devant le tribunal. Vous voulez corriger cela par la réserve héréditaire. Pourquoi ajouter un mal à ce que vous pensez être déjà un mal? On ne doit pas corriger la loi 89...

M. Blank: Oui, mais, Mme Borenstein, c'est facile, avec une nouvelle loi, d'éliminer des articles dans l'autre.

Mme Borenstein: Je ne crois pas que ce soit...

M. Blank: C'est facile, très facile.

Mme Borenstein: Si c'est là l'objet de votre...

M. Blank: Cela se fait souvent.

Mme Borenstein: ...appui à la réserve héréditaire, je ne crois pas que cela soit un argument. (21 heures)

M. Blank: Je pense que si vous regardez le compte rendu des débats de la Chambre durant l'étude du projet de loi no 89, vous retrouverez cette même remarque que j'ai faite aujourd'hui et vous trouverez la même remarque lorsqu'on a adopté le projet de loi no 10, en 1964 ou en 1965. Mme Claire Kirkland-Casgrain, qui est maintenant juge, a fait adopter le projet de loi no 10 et j'avais fait la même remarque; à ce moment-là, on avait enlevé l'article 1301, en mettant les femmes dans une situation très précaire.

M. Lebel: Mais si vous recherchez essentiellement cet impératif de protection, la créance alimentaire est de loin un outil plus adapté, parce que, avec votre réserve, vous créez un outil qui est assez brutal, qui n'est pas adapté aux situations de chaque famille et qui viendra trancher sans égard aux situations dans lesquelles se trouveront les intéressés. C'est peut-être un des cas où, occasionnellement, s'il y a vraiment un conflit familial, l'intervention du juge permettra un ajustement, trouvera une situation plus équitable entre les intérêts des différents membres de la famille.

M. Blank: Je me souviens que, ce matin, le député de Saint-Laurent a dit que, dans 95% des testaments, on laisse tout à l'autre époux. Cela veut dire qu'on parle de 5%. Mais, dans ces 5%, c'est là qu'on a besoin de protection.

M. Polak: C'est cela.

M. Blank: II doit y avoir des raisons particulières pour lesquelles on ne lègue pas à l'époux.

Mme Borenstein: Mais ils ne seront pas protégés par la réserve héréditaire parce que, dans les pays où cela existe et où il y a ces 5% dont vous parlez, où il y a des conflits, les époux - parce que le plus souvent ce sont les époux qui décèdent avant les épouses, Dieu merci! - s'arrangent...

M. Blank: Vous et votre mari êtes deux avocats, je ne sais pas lequel partira le premier.

Mme Borenstein: ...pour qu'il y ait très peu dans leur patrimoine. Donc, la réserve héréditaire ne vaut rien. Si on cherche vraiment - je pense que nous sommes tous d'accord - un genre de protection, je pense que la protection sera plus véritable avec une créance alimentaire. L'époux ne se débarrassera de son patrimoine s'il sait que, d'office, il va y avoir un pourcentage de son patrimoine qui ira à l'épouse à qui il ne veut pas que cela aille. On voit, en France, comment les gens s'arrangent - j'ai une connaissance personnelle de beaucoup de ces cas - pour qu'il ne reste rien à leur nom dans leur patrimoine par d'autres biais pour que la réserve héréditaire s'annule.

M. Blank: Cela arriverait au même s'il faisait cela avec l'article 459.

Mme Borenstein: Non, parce que la crainte n'est pas là. En Angleterre, ils ont la créance alimentaire et cela ne se passe pas comme cela, parce qu'il n'y a pas cette crainte d'avance qu'un pourcentage ira...

Une voix: Du capital.

Mme Borenstein: C'est cela.

Le Président (M. Blouin): Sur le même sujet, M. le ministre.

M. Bédard: Si vous voulez me permettre de reprendre à la suite de la question qu'il devait poser. Dans le même sens, lorsque vous parlez de créance alimentaire, je pense que cela porte à réfléchir, parce que vous êtes sans doute au courant des difficultés qu'il y a à percevoir des pensions alimentaires. Quelles sont vos remarques sur les difficultés qu'il pourrait y avoir à percevoir en plus des créances

alimentaires?

Mme Borenstein: Les difficultés... M. Bédard: Deuxièmement... Mme Borenstein: Pardon.

M. Bédard: ...concernant la réserve, ce n'est pas sur une question de principe que je suis pour ou contre. Je crois justement que nous avons jusqu'à maintenant mis au point des dispositions qui sont de nature à ne pas nous obliger à y recourir, parce qu'avec la loi 89 on a les prestations compensatoires possibles pour la femme...

M. Blank: Ou le mari.

M. Bédard: ...ou le mari, pour le conjoint survivant. De plus, à l'heure actuelle, on sait que le régime légal, le régime d'acquêts est celui qui est le plus accepté et cela va dans le sens d'une plus grande acceptation. Déjà, le conjoint retire la moitié des acquêts; à cela, ajoutez le tiers de la succession qui est dans le présent projet de loi et, au bout du compte, je suis convaincu que cela représente pour le conjoint, dans la très grande majorité des cas, plus que la moitié de la succession et plus que ce qui pourrait être contenu dans une réserve.

Mme Borenstein: Peut-être qu'on vous a convaincu, M. le ministre, que la réserve héréditaire n'est pas très...

M. Bédard: Non.

Mme Borenstein: Oui, mais je voudrais...

M. Bédard: Je n'en fais pas une question de principe. Je me dis qu'à la fin on pense au conjoint survivant. Qu'est-ce qui, pratiquement, lui revient à partir des dispositions qui ont été acceptées? Je pense que tout ce qu'on a accepté maintenant comme dispositions nous donne l'assurance que c'est un montant beaucoup plus imposant que ce qui pourrait être prévu dans une réserve institutionnelle où il y aura un minimum d'indiqué. Donc, ce qui m'intéresse, ce n'est pas les batailles d'idéologie, mais à la fin, au point de vue pratique, si le conjoint survivant reçoit ce qu'on pense être quelque chose de très significatif. Ajoutez à cela - je l'oubliais - la possibilité maintenant, si ce projet de loi est adopté, pour le conjoint, de n'être pas dans l'obligation de renoncer à ses avantages matrimoniaux pour accepter les avantages de la succession. C'est difficile de donner plus de garanties que cela pour le conjoint survivant.

Mme Borenstein: Je ne vois aucun problème vis-à-vis de la perception des pensions alimentaires une fois que le débiteur, dans le fond, est mort. On a des problèmes de perception du temps de son vivant, mais une fois qu'il est mort et que son patrimoine est entre les mains d'un liquidateur, il n'y aura pas de problème de perception du tout.

M. Bédard: S'il n'y a rien dans la succession, il n'y aura sûrement pas, non plus, de problème de perception de créance.

M. Lebel: Pas de créance, s'il n'a rien. S'il n'a rien, il n'a rien.

M. Bédard: Cela va, M. le Président. On pourra revenir sur un autre point un peu plus tard.

Le Président (M. Blouin): Merci. M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais, d'abord, remercier et féliciter les membres du barreau de leurs deux mémoires absolument remarquables. C'est d'autant plus important pour nous que nous aurons à prendre des décisions, à la suite de ces recommandations.

Pour enchaîner sur la question de la réserve, il y a une chose qui me fatigue. Nous, dans la pratique, particulièrement les notaires, on règle beaucoup de successions. Je me demande quand est-ce que cela va finir. Lorsque vous parlez de créance alimentaire, est-ce qu'on va être obligé d'établir, de garder un montant? On ne sera jamais capable de régler une succession avec cela. Je pense qu'il faut en finir. La question de la prestation compensatoire, c'est un montant, on va le prendre à même la succession, puis on va le donner. Sans cela, on va garder de l'argent en succession pour combien d'années? 20 ans, 25 ans?

Mme Vadboncoeur: Trois.

M. Leduc (Saint-Laurent): Oui, mais pour pouvoir payer la créance?

Mme Vadboncoeur: Mais cela peut être une somme globale.

M. Leduc (Saint-Laurent): Eh bien! vous arrivez à la prestation compensatoire.

M. Barbeau: Pas du tout.

Mme Vadboncoeur: Cela n'a rien à voir avec l'apport à l'enrichissement de l'actif du patrimoine du conjoint.

M. Leduc (Saint-Laurent): Mais si vous le permettez, vous allez lui donner seulement

pendant six mois?

Mme Vadboncoeur: Non. La prescription pour intenter le recours est de six mois à compter du décès.

M. Leduc (Saint-Laurent): Vous allez lui payer cela.

Mme Vadboncoeur: Selon la décision, selon l'état de la succession. Cela peut être une somme globale...

M. Leduc (Saint-Laurent): Mais vous allez garder de l'argent dans la succession. Le liquidateur va garder de l'argent pour pouvoir payer la créance.

Mme Vadboncoeur: ...ou par versements.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Laurent, je souhaiterais que, d'abord, les gens parlent l'un après l'autre et, si possible, Mme Vadboncoeur, que vous puissiez identifier les intervenants à la table des invités. Alors, M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Mais j'y reviens, il va falloir sûrement créer un fonds pour pouvoir payer la créance alimentaire.

Mme Vadboncoeur: Cela dépend. Écoutez, à l'heure actuelle, dans les liquidations de successions, les règlements de successions, il y a des successions qui restent vivantes, si je peux dire, pendant des années, des années et des années. Si c'est une grosse succession, cela ne changera absolument rien. Au lieu de payer tant sur les revenus de la succession ou une partie du capital aux héritiers ou aux usufruitiers, ou enfin, quelle que soit la qualité de la personne, que ce soit pour cela ou que ce soit pour une créance alimentaire, le montant global de la succession reste là, puis la succession devra être administrée comme elle l'est actuellement. Je ne vois pas le problème.

M. Leduc (Saint-Laurent): Moi, je vois un problème. Cela veut dire qu'on ne pourra jamais liquider une succession tant que le conjoint survivant ne sera pas décédé.

M. Lebel: Sur ce point-là, je vous réfère à la page 140 de notre mémoire. La suggestion que nous faisons quant à la créance alimentaire contre la succession, c'est que le recours, la réclamation contre la succession soit obligatoirement exercée dans les six mois du décès. S'il n'y a pas de réclamation dans les six mois du décès, il y déchéance du droit. Cela règle, évidemment, une partie du problème. Par la suite, s'il y a une réclamation, de deux choses l'une: ou il y a un jugement ou une entente entre les parties qui prévoient le paiement d'une espèce de somme forfaitaire. À ce moment-là, c'est pris à même le capital de la succession, c'est versé. Autre hypothèse: les parties s'entendent pour prévoir un certain nombre de paiements pendant X mois, X années, etc. Là, cela devient un problème de mise de côté d'une portion de la succession qui, pendant une période, va être administrée distinctement, peut être placée dans un trust ou ailleurs.

Mme Vadboncoeur: Me Borenstein aurait quelque chose à ajouter, si vous le permettez.

M. Bédard: J'ai une petite question. Si l'enfant ne peut pas prouver un besoin dans les six mois, à ce moment-là, les droits seraient perdus?

M. Lebel: Dans le texte que nous avons préparé, nous avons suggéré cette limitation d'un délai de réclamation à six mois précisément pour introduire une certaine sécurité dans le règlement des successions. Normalement, le besoin est connu, identifié, si besoin il y a, au moment du décès.

Mme Vadboncoeur: Me Borenstein.

Mme Borenstein: Pour répondre au député de Saint-Laurent, comme on le fait souvent dans des cas de blessures corporelles, si on établit que les besoins de la femme et des enfants vont être de tant, pour une période de tant d'années, on achète à ce moment-là pour un certain montant un plan d'assurance qui assure que la famille va recevoir un montant X pendant X années. Sur le plan pratique, c'est très facile. On n'a pas besoin d'emprisonner la succession pour des années. Ce serait plutôt une somme globale qui serait établie par le juge pour acheter ce genre de plan d'assurance. Donc, cela sort de la succession et vous pourrez régler votre succession aussi vite qu'avant.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): II y a la question d'espérance de vie, tout cela, pour déterminer le montant qu'on doit mettre de côté. Je dis qu'on a la prestation compensatoire. Quand vous parliez de montant... Je ne suis pas tellement d'accord avec ces formules-là. Cela veut dire que, dans les deux cas, c'est le tribunal qui doit intervenir. Je voudrais revenir sur la question du conseil de tutelle.

Mme Vadboncoeur: Si vous me le permettez, M. le député, on aurait un complément de réponse à donner. Me Barbeau, s'il vous plaît.

Le Président (M. Blouin): M. Barbeau.

M. Barbeau: Je voudrais ajouter ceci en ce qui concerne la réserve héréditaire. La raison pour laquelle on a préconisé la réserve héréditaire, c'est, en fait, une question de flexibilité, plutôt que d'encadrer dans un texte de loi des conditions prédéterminées, un tiers, etc. Il ne faut pas oublier, non plus, les cas où le de cujus peut être plus pauvre que les bénéficiaires, que les gens qui demeurent. À ce moment-là, ils auront quand même droit à la réserve héréditaire plutôt qu'à la créance alimentaire. Il ne faut pas oublier, non plus, comme vous le mentionniez tantôt, qu'il peut arriver que, dans une succession, il n'y ait absolument rien à léguer, donc rien à recevoir. L'avantage qu'on retrouve dans la créance alimentaire, c'est qu'elle est plus flexible, qu'elle peut s'appliquer de façon différente dans chacun des cas, quitte pour chacun à faire valoir ses droits. Vous parliez tantôt des enfants mineurs. C'est une question de modalités également. Est-ce qu'on doit prévoir une créance alimentaire pour l'enfant mineur jusqu'à son décès ou jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de la majorité? Ce sont des modalités. Il ne faut pas oublier, non plus, l'argument de base - en ce qui me concerne, en tout cas, c'est un argument de base - qui est la liberté de tester. Et, encore une fois, il ne faut pas penser à légiférer de façon globale pour des cas d'exception. Si on analyse ce qui se passe ailleurs, j'ai l'impression qu'on va arriver à la conclusion que la créance alimentaire peut facilement être satisfaisante dans tous les cas où le besoin s'en fait sentir.

Le Président (M. Blouin): Merci. M. le député de Saint-Laurent. (21 h 15)

M. Leduc (Saint-Laurent): J'ai de grosses réserves là-dessus. Je vais revenir sur le conseil de tutelle. Il me semble que votre proposition d'aller constamment devant le tribunal est exorbitante. Je pense que, pour certains actes, certains gestes à poser, cela n'est pas nécessaire. Vous dites que, dans les cas où il faudrait le faire, on prendra avis des personnes mentionnées à l'article 156.1. Mon confrère de Saint-Louis disait: On est incapable de ramasser qui que ce soit, on est incapable de rejoindre les gens, on est incapable de former le conseil de famille. Vous allez avoir le même maudit problème. Dans la pratique, vous n'aurez jamais ces gens-là. Ils ne seront donc jamais consultés. Je pense que la formule du conseil de tutelle est assez originale, d'autant plus qu'il s'agit d'un organisme, d'une instance qui est là en permanence. Je pense que c'est bien. Je trouve que c'est une formule pour régler le fameux problème des conseils de famille qu'on doit réunir continuellement pour prendre des décisions. C'est surtout dans ce sens-là. Si vous m'assurez que les parents, chaque fois qu'ils recevront l'avis, se précipiteront au tribunal, d'accord. Mais vous avez tous dit que justement c'est ce qui ne se produisait pas. On n'arrivera donc jamais à cette fin-là.

Le Président (M. Blouin): Mme

Vadboncoeur, des commentaires?

M. Prévost: M. le député de Saint-Laurent, je crois que les gens qui vont avoir quelque chose à dire vont le dire et que ceux qui n'ont rien à dire ne perdront pas leur temps et ne se présenteront pas. C'est l'avantage d'avoir un conseil de tutelle. On a connu les conseils de famille où, à un moment donné, on passe des résolutions sur lesquelles on sait d'avance que tout le monde est d'accord, d'autres où on sait d'avance qu'il y en a un qui n'est pas d'accord; la plupart des gens se déplacent pour rien parce qu'ils n'auront rien à dire et on adopte la décision.

Je trouve que le mécanisme qu'on suggère a pour premier avantage de communiquer directement au tribunal, qui est finalement celui qui va autoriser un acte, les commentaires que chacun a à apporter. Dans les faits - il ne faut pas se leurrer - on se retrouvera très rarement avec tout ce monde-là devant le tribunal parce que, dans la plupart des cas, la majorité des gens sont d'accord avec la décision qui sera prise ou avec l'autorisation qui est demandée. Je crois que le système qu'on propose est avantageux à ce niveau-là.

Mme Vadboncoeur: En plus, si vous le permettez, M. le Président, quand on dit qu'on aura toujours recours au tribunal, je ne vois pas ce qui vous fait penser cela, parce qu'on n'a pas ajouté de cas d'autorisation du tribunal, sauf à l'article 146. De toute façon, le deuxième alinéa de l'article 146 prévoit déjà l'autorisation du tribunal pour les actes qui sont mentionnés dans ce deuxième alinéa et qui, de toute façon, excèdent ce qu'on appelle la simple administration. Je ne vois pas le danger d'une multiplication de recours devant le tribunal. Finalement, c'est un peu blanc bonnet et bonnet blanc. On remplace le conseil de tutelle par certaines personnes qui sont les proches de la personne concernée. Si vous ne pouvez pas trouver des gens pour former votre conseil de famille actuel ou à qui envoyer cet avis-là, vous n'en trouverez pas plus pour former votre conseil de tutelle.

Le Président (M. Blouin): Merci. M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais revenir à l'article 1 du projet de loi 106. Ce

sera ma dernière question. On dit à la deuxième phrase: "II est sujet de droit depuis sa naissance jusqu'à sa mort." Est-ce que vous vous êtes posé la question à savoir ce qui arrivait pendant le temps où l'enfant est dans le ventre de sa mère? Est-ce qu'on pouvait faire des expériences? On n'avait pas à se préoccuper des droits qui pouvaient appartenir à l'enfant non encore né. C'est très clair. Si on relie cela à l'article 123 qui dit que, pour des raisons pécuniaires, on peut intervenir, est-ce que cela vous semble satisfaisant? Tout de même, cet enfant-là doit être assez important. On doit s'en préoccuper.

Le Président (M. Blouin): Mme

Vadboncoeur.

Mme Vadboncoeur: Je ne sais pas si...

M. Leduc (Saint-Laurent): Ce n'est pas strictement en fonction de l'avortement.

M. Prévost: L'élément de réponse que... Excusez-moi.

Le Président (M. Blouin): M. le ministre.

M. Bédard: Je voudrais simplement répéter une chose parce que certains des intervenants n'étaient pas ici lorsque cela a été soulevé auparavant. Le but de cet article, en relation avec l'autre, n'était pas directement ou indirectement de se prononcer concernant l'avortement ou non. C'est régi par le Code criminel. On en est simplement à l'étude des droits civils.

M. Leduc (Saint-Laurent): Mais il pourrait y avoir des cas d'expérimentation et pas seulement des cas d'avortement. Est-ce que cet enfant a des droits, oui ou non? C'est ce que je veux savoir. Prétendez-vous qu'il devrait en avoir?

Le Président (M. Blouin): Mme

Vadboncoeur.

Mme Vadboncoeur: II a des droits pour autant qu'il naisse viable. Il ne faut pas oublier cela.

M. Barbeau: Non, non. Actuellement, il y a également une institution qui s'appelle "le curateur au ventre". Je ne sais pas si mes confrères ont quelque chose à dire à ce sujet, mais dès que l'enfant est conçu il a des droits qui peuvent être exercés. Peut-être que la question du député de Saint-Laurent va dans ce sens.

M. Tellier (Claude): Sur la question des foetus, puisqu'il faut les appeler par leur nom, ils sont d'abord protégés par le Code criminel. Deuxièmement, il n'est pas question pour eux d'exercer leurs droits, mais ils bénéficient quand même de droits de protection. À l'heure actuelle, dans l'état de la médecine, par exemple, ils sont associés ou incorporés au corps de leur mère.

Je vais vous donner un exemple. Depuis quelques mois ou quelques années tout au plus, on fait actuellement des interventions chirurgicales sur des foetus. Par exemple, on va être capable de diagnostiquer pendant la grossesse des imperfections ou des anomalies rénales. On fait des interventions in vitro. À ce moment-là, c'est évidemment la mère qui consent à l'intervention parce que, pour atteindre le foetus, il faut quand même "traverser" la mère, si on me permet l'expression. On est dans un domaine très mouvant. Je ne pense pas que le Code civil, à l'heure actuelle, puisse aller plus loin. On va être obligé de spéculer sur ce que la médecine va faire d'ici à deux ans ou d'ici à dix ans.

Le Président (M. Blouin): Pour les fins du journal des Débats, je signale que le dernier intervenant était M. Tellier, le bâtonnier. M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Quant au projet de loi no 107, on a parlé de la liberté de tester. Je pense que la règle que l'on reconnaît au Québec est la liberté de tester. Or, comment concevoir justement - en fait, vous êtes d'accord - votre position sur l'article 801?

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Laurent, vous parlez de l'article 801?

M. Leduc (Saint-Laurent): Article 801.

Mme Vadboncoeur: Me Plamondon aurait quelque chose à dire là-dessus.

M. Plamondon (Luc): Sur cette question des clauses de viduité dans les testaments, vous avez raison, à première vue, notre position peut sembler un accroc à notre autre position sur la liberté de tester, mais, effectivement - même M. Mayrand l'avait dit - c'est un conflit de deux libertés. Il y a la liberté de tester et il y a la liberté de conscience ou la liberté des droits fondamentaux du ou de la bénéficiaire. Effectivement, ces clauses - il ne faut pas se leurrer - on les voit dans les testaments des hommes. Elles ont tendance à vouloir restreindre le droit des femmes. On les voit rarement dans les testaments de femmes. C'est une clause de gigolo, comme on l'appelle communément. Elle met la bénéficiaire devant le dilemme ou de conserver ses avantages pécuniaires et de rester en concubinage ou d'abandonner ses

avantages pécuniaires pour légitimer sa relation maritale. C'est un dilemme que l'on considère odieux. Également, il attaque une liberté fondamentale que la charte reconnaît maintenant: on ne fait pas de discrimination basée sur l'état civil. C'est un peu notre position sur cette question.

La liberté de tester de l'auteur est respectée. Il donnera à qui il veut, mais il ne peut pas faire dépendre son legs de l'état civil du bénéficiaire ou de la bénéficiaire.

Une voix: Merci.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais savoir ce que vous pensez de l'annulation des legs faits par testament, lors du divorce. On a soulevé la question ce matin. On a dit: Lors d'un divorce... Le divorce n'annule pas le testament. Alors je voudrais connaître votre position. On a dit: L'explication est qu'il serait toujours possible à la personne de révoquer le testament en question. Mais si c'étaient des incapables, ils ne peuvent plus le révoquer. Je ne sais pas si vous avez lu la cause qui a été jugée par le juge Savoie, justement. Il invoquait la question de l'impossibilité de révoquer à cause de l'incapacité.

M. Plamondon: Cette question avait été soulevée à la chambre des notaires également. Elle s'inscrit, quant à moi, du moins, dans la même ligne de pensée que les modifications apportées récemment à l'article 2555 du Code civil qui annule les désignations de bénéficiaire en assurances; ce sont les mêmes raisons et cela s'inscrit dans la même ligne de pensée. Je croirais tout à fait raisonnable que les testaments faits à un conjoint ou les legs faits en faveur d'un conjoint tombent d'office avec le divorce.

M. Leduc (Saint-Laurent): Dernière question, la question du liquidateur. On a établi un nouveau régime pour le liquidateur. Est-ce que vous êtes d'accord avec ce régime, l'obligation de nommer un liquidateur, tant dans les successions intestat que testat? On dit qu'il ne sera qu'un simple administrateur. Cela veut donc dire que, particulièrement dans les cas de succession ab intestat, on devra procéder également par mandat pour les actes importants. J'ai beaucoup de réserves sur cette formule du liquidateur. Qu'en pensez-vous?

Mme Vadboncoeur: Me Lebel.

M. Lebel: J'aurais quelques remarques à faire là-dessus. Nous avons exprimé quelques réserves sur la question du vocabulaire de l'institution. Mais quant à l'institution elle-même et, en particulier, à la création de, appelons-le l'administrateur successoral, l'exécuteur-liquidateur, dans le cas des successions ab intestat, cela me paraît incontestablement un pas en avant. Il n'a peut-être pas tous les pouvoirs mais il va quand même être en mesure d'assister - et d'assister, je pense, assez considérablement -le règlement de ces successions.

Je pense que la sous-commission du barreau et la commission permanente étaient favorables à l'introduction, dans le Code civil, d'un mécanisme pour faciliter le règlement des successions ab intestat où il y a, je pense, une faiblesse dans le régime juridique actuel.

M. Leduc (Saint-Laurent): Écoutez, je serais peut-être d'accord mais, de toute façon, il va falloir consulter les autres. Alors, dans la pratique, on pourrait arriver, au moyen d'une procuration, exactement au même résultat. Parce qu'il va falloir le nommer et il n'aura que des pouvoirs de simple administrateur, et chaque fois qu'il y aura un acte important à poser, on devra obtenir l'autorisation des héritiers.

Je me demande si on avance. J'ai l'impression qu'on ne bouge pas du tout. C'est une belle formule, mais on ne va nulle part avec cela. En tout cas, dans ma pratique, je ne vois pas en quoi cela pourrait m'aider. J'essaie de comprendre. Si ce sont de simples administrateurs et s'il faut nécessairement consulter tous les gens, je vais préparer une procuration. Si je dois les consulter, de toute façon, il faut les nommer.

M. Lebel: De ce côté, M. le député, je suis quand même plus optimiste que vous. Dans l'état du droit actuel, je pense qu'on a à peu près tous, à un moment donné, vu dans nos bureaux des situations de successions ab intestat quasiment à l'abandon où personne ne s'occupait tout à fait de la succession, ne voulait prendre de responsabilité. Je pense que la formule proposée va permettre de régler l'essentiel des problèmes administratifs qui se posent dans une succession ab intestat. Ce n'est peut-être pas la perfection mais je dirais que c'est une amélioration et une amélioration très appréciable. (21 h 30)

M. Leduc (Saint-Laurent): Alors vous êtes d'accord sur la formule de nomination?

M. Lebel: Oui.

Le Président (M. Blouin): Cela va? M. le député de Sainte-Anne.

M. Polak: M. le Président, je ne voudrais pas m'excuser pour mon collègue qui est notaire, moi, je suis avocat, membre du barreau, et je ne voudrais pas que vous pensiez qu'on attaque les avocats.

Une voix: On n'attaque pas, on les consulte.

Le Président (M. Blouin): Je vous rappelle qu'autour de cette table, vous êtes d'abord députés.

M. Polak: Oui, oui, oui, mais M. le Président, vous ne connaissez pas cela d'être avocat, c'est tout de même un honneur. On le dit, on est très fier de le dire.

M. Leduc (Saint-Laurent): C'est une secte?

Le Président (M. Blouin): D'accord. Si vous le prenez ainsi, cela va.

M. Polak: Oui, oui, c'est cela. J'ai seulement deux questions. D'abord, sur le plan...

Mme Lavoie-Roux: II y a tout un éventail quand même dans votre secte, n'est-ce pas?

M. Polak: Oui, oui. Sur le plan positif, c'est vraiment malheureux qu'on n'ait pas beaucoup de temps parce que j'ai vu les deux mémoires du barreau sur les deux projets de loi. Je n'ai même pas eu le temps de l'étudier parce que je suis encore en train d'étudier le bill omnibus d'il y a deux ans du ministre de la Justice. Il y a tellement de changements. Notre bâtonnier nous a écrit une lettre, et je suis d'accord avec tous les avocats de la province, cela va tellement vite; il y a tellement de changements qui se contredisent, qu'on ne sait plus où on est. C'est très difficile. Donc, c'est la raison...

M. Bédard: Entendez-vous. Dans l'Opposition, il y en a qui disent qu'il n'y a pas assez de lois et d'autres qui disent qu'il y en a trop.

M. Polak: Moi, je dis...

M. Bédard: Quand vous vous serez entendus, on verra comment on procédera.

M. Polak: II y en a trop et il y en a qui se contredisent. Je ne suis pas à jour.

M. Blank: Qui a dit qu'il n'y avait pas assez de lois?

M. Polak: Me Vadboncoeur, je voudrais d'abord établir que votre mémoire sur les deux projets de loi, parce que très souvent on parle de quelques points, comme on a parlé de la réserve héréditaire, mais je voudrais tout de même souligner que vous avez confirmé au ministre de la Justice que chaque point que vous avez soulevé dans les deux mémoires est important et que chacun sera étudié en détail par le ministère de la Justice et vos recommandations vont être suivies. Est-ce que je peux établir cela?

Une voix: Voilà une affaire réglée.

M. Polak: C'est seulement une question d'introduction, M. le ministre.

M. Bédard: C'est d'ailleurs comme cela que je l'avais interprété.

M. Polak: Parfait! Merci. Lorsque je prends votre mémoire sur le droit des personnes, vous avez mentionné qu'à un moment donné, la sous-commission a préparé des recommandations sur le projet de loi no 106 intitulée Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes. Qu'est-il arrivé avec les recommandations? Laquelle n'a pas été suivie et sur laquelle insistiez-vous vraiment le plus? J'imagine que le problème d'émancipation, cela n'est pas la fin du monde. Je voudrais savoir pour le public, les simples Québécois et Québécoises, quelles recommandations de nature à influencer la vie de chaque jour, ont été faites par le barreau, n'ont pas été acceptées et sur lesquelles vous insistez? Pouvez-vous nous citer deux ou trois recommandations importantes?

M. Lebel: C'est peut-être prématuré de dire ce qui est accepté ou ce qui ne l'est pas. On peut peut-être mentionner ce qui nous apparaît le plus important.

M. Polak: D'accord!

Mme Vadboncoeur: II y a justement une recommandation...

M. Bédard: M. le Président, je remercie mon collègue du barreau de faire la mise au point. Nous sommes à une commission parlementaire où des représentations nous sont faites. Les décisions sont prises après et c'est là qu'on verra ce qui est accepté ou pas accepté.

M. Polak: J'aimerais savoir...

M. Bédard: Au moment où vous vous posez la question, je pense que, manifestement, le barreau ne peut pas dire ce qui est accepté quant à ses recommandations...

M. Polak: Je vais voir...

M. Bédard: Non, non, ils ne le savent pas.

M. Polak: Ils peuvent lire le projet de loi.

M. Bédard: Non, non, ce n'est pas cela. Je pense que vous oubliez le processus de la commission parlementaire. Il y a un projet de loi; des représentations sont faites; le projet de loi, comme c'est arrivé pour d'autres à la suite de représentations, peut être amendé et peut être changé sur certains aspects. C'est à ce moment qu'on peut voir quelles sont les recommandations qui ont été soumises et retenues.

M. Polak: M. le Président, je cite le mémoire du barreau où on dit que la sous-commission a préparé des recommandations. Ils ont fait, j'imagine, des recommandations par écrit...

M. Bédard: C'est cela. Vous avez...

M. Polak: ...pour préparer le projet de loi no 106.

M. Bédard: C'est cela. Vous les avez là. Non, non, vous les avez. Franchement, je serais porté à dire: Arrivez en ville, mais vous demeurez à Montréal.

M. Polak: Non, non. J'aimerais savoir quelles recommandations le barreau a faites et que le ministère de la Justice a refusées dans ce projet de loi. Peut-être que les recommandations sont très bonnes et je voulais souligner lesquelles.

M. Bédard: Votre question est prématurée. Il y a un projet de loi qui est déposé; un mémoire nous est présenté et après étude des différents mémoires, c'est là que des décisions seront prises et que nous serons en mesure de constater ou que tous les organismes seront en mesure de constater ce qui a été suivi en termes de recommandations.

Le Président (M. Blouin): Alors, effectivement, je dois... M. le député, un instant, s'il vous plaît, M. le député.

M. Polak: Quand le projet de loi no 106 a été préparé...

Le Président (M. Blouin): Un instant, s'il vous plaît!

M. Polak: Oui.

Le Président (M. Blouin): Un instant, s'il vous plaît! Je dois quand même signaler que le ministre décrit justement ce qui motive notre commission parlementaire, l'objet de sa réunion, aujourd'hui, et, effectivement, les représentants du barreau sont ici aujourd'hui pour présenter les modifications qu'ils souhaitent voir adopter et les idées qu'ils veulent émettre sur ce sujet. C'est à la suite de cela que le gouvernement aura à faire ses choix.

M. Polak: Je voudrais savoir une chose, M. le Président, et je pense que ce que je demande est très raisonnable. Quand le ministre nous présente le projet de loi no 106, ce n'est pas lui qui a conçu ce projet de loi, ce sont quelques fonctionnaires que je respecte beaucoup, mais je respecte aussi énormément le barreau et...

M. Bédard: Je m'excuse...

M. Polak: ...j'aimerais savoir s'il vous a soumis des idées et des suggestions et s'il y en a que vous avez acceptées et s'il y en a que vous avez refusées? C'est cela que je voulais savoir d'eux.

M. Lebel: M. le Président, je pense qu'il serait utile que nous fassions une courte mise au point sur la procédure de consultation qui est suivie de façon constante entre le ministère de la Justice et le barreau depuis des années. Il y a effectivement eu un certain nombre de recommandations qui ont suivi la présentation de documents de travail, la présentation du rapport de l'Office de révision du Code civil. Nous avons, à différentes reprises, fait des observations au ministère sur le rapport de l'Office de révision du Code civil, sur un certain nombre de documents de travail. Évidemment, ce qui n'est pas étonnant dans le cas d'un organisme comme le nôtre, certaines suggestions ont été retenues, d'autres, jusqu'à présent, n'ont pas rencontré la même faveur. Pour nous, cela fait partie du processus régulier de discussion, de consultation. Il est clair qu'il y a certains sujets sur lesquels nous comptons insister, sur lesquels nous avons particulièrement mis l'accent dans notre mémoire, mais nous ne sommes pas à un stade où nous nous attendons de façon immédiate à une décision politique du côté gouvernemental. C'est une étape dans un processus de consultation continue que le ministère tient aussi bien avec notre corporation professionnelle qu'avec d'autres, comme la chambre des notaires.

M. Bédard: Si vous me permettez, je voudrais aussi ajouter que ce n'est pas un projet de fonctionnaires. Je voudrais quand même faire remarquer au député qu'à partir du moment où une équipe de fonctionnaires, cela va de soi, travaille sur la possibilité d'un projet de loi, d'une réforme, il y a ensuite un travail de consultation qui se fait entre le ministre et l'équipe en question. Ensuite, il y a les recommandations du ministre au Conseil des ministres et c'est le Conseil des ministres qui prend la décision concernant le projet de loi que nous avons devant nous.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Sainte-Anne.

M. Polak: D'accord. Donc, maintenant, je reviens aux droits des personnes. Laquelle de vos recommandations que je trouve ici -il y en a à peu près cinq ou six - trouvez-vous la plus importante à faire changer? Tout à l'heure, j'ai parlé d'émancipation; pour moi, l'émancipation n'est pas la fin du monde. Laquelle, dans ce groupe, constitue vraiment pour vous une question cardinale, essentielle?

Mme Vadboncoeur: II y a un des points que l'on considère comme fondamental et qui n'a pas du tout été discuté ce soir avec nous autres, c'est le titre neuvième sur les personnes morales. J'aimerais peut-être que Me Martel vous donne son point de vue là-dessus.

Le Président (M. Blouin): Me Martel.

M. Martel (Paul): Concernant les personnes morales, c'est peut-être le titre qui nous a causé le plus de difficultés, le plus de problèmes, parce que, dans cette section, on déborde, selon nous, largement le cadre du droit civil et on entre vraiment dans le droit plutôt commercial. On fait nôtres beaucoup des remarques, comme vous le verrez dans le rapport, de la chambre de commerce. Elle a très bien exprimé beaucoup des points de vue qu'on avait. Je ne veux pas entrer dans le point de vue économique de la situation, qui est quand même très réel, pour insister seulement sur le point de vue juridique. On s'est fait rassurer aujourd'hui que ce titre était censé avoir un caractère supplétif, que son but n'était pas d'aller bouleverser tout le droit commercial tel qu'on le connaît. C'est bien rassurant d'apprendre cela. Nous, on travaillait sur ce texte sans connaître du tout l'objectif qui était poursuivi et on s'est donc fié à ce qu'on voyait, le texte tel qu'il est présenté. Or, du texte, tel qu'il est présenté, il ne ressort pas du tout clairement que ce qu'on a là-dedans, c'est du droit supplétif; c'est cela qui nous inquiète beaucoup. On considère qu'il va falloir que cette partie soit vraiment révisée. Cela va demander de la consultation de la part des gens du monde des affaires.

Par exemple, concernant le caractère supplétif, si vous regardez un petit peu le projet de loi, vous avez des articles là-dedans qui démentent carrément le fait que ce soit vraiment du droit supplétif. Il y a l'article 324 dont il a déjà été fait état aujourd'hui. Vous avez aussi l'article 361 qui dit que la régie interne de la compagnie est celle qui est fixée dans le code, à moins qu'on ne déroge par une autre loi. On voit bien que ce n'est pas du droit supplétif, c'est cela qui est le droit à moins qu'on ne trouve autre chose ailleurs.

Vous avez aussi une interrelation, qui n'a peut-être pas été étudiée à fond, entre le droit corporatif et le Code civil. Par exemple, vous avez l'article 227 de la loi des compagnies, à la partie 3, qui concerne les corporations sans but lucratif. Cet article dit: "Aucune disposition de la présente partie - c'est-à-dire la partie 3 - n'a pour effet de soustraire les corporations constituées sous son empire aux prescriptions de toute autre loi qui s'y applique." Alors, à l'article 227 de la loi des compagnies, vous avez un renvoi direct à toute autre loi qui s'y applique dont, justement, le Code civil. C'est clair que ce qui va être mis ici, dans le Code civil, va primer ce qui est marqué dans les lois corporatives.

D'ailleurs, on nous dit que le régime qui est institué n'est pas destiné à viser les compagnies spécifiquement - c'est le domaine qui me préoccupe le plus - mais plutôt les entités ou les corporations ou les personnes morales, puisqu'on n'aime plus le mot "corporation", qui n'étaient pas actuellement sujettes à des lois particulières. Or, quand on regarde le texte lui-même, on s'aperçoit que les trois quarts des dispositions qui sont là-dedans visent très clairement les compagnies. On utilise des expressions comme "des conventions unanimes d'actionnaires", qui existent seulement dans la partie 1-A de la loi des compagnies. On parle de conseil d'administration, d'assemblée des membres, soit de la partie 3 ou soit des actionnaires. On parle de la façon de procéder à la convocation, etc.

Le problème, c'est qu'on est allé très loin dans le détail, beaucoup trop loin mais, en même temps, on n'est pas allé aussi loin que ce qu'on a dans notre droit corporatif actuel. Là, on est dans un état vraiment de confusion concernant les compagnies. C'est très dommage parce qu'on vient à peine de se rétablir de toutes les modifications qui ont été apportées dans ce domaine.

En même temps, on a des problèmes dans le domaine des sociétés. C'est un secteur dont on ignore tout actuellement parce que, comme on l'a dit, la section sur les sociétés n'est pas encore publiée. Le problème qu'on voit, c'est ceci: puisqu'on veut faire des sociétés des personnes morales, cela aurait été, quant à nous, bien logique de rentrer ici ce qui concernait les personnes morales et aussi ce qui concerne les sociétés. Le fait de dire: "Plus tard, on verra ces textes et on pourra aviser", c'est bien en ce qui concerne l'entrée en vigueur de l'ensemble, mais c'est aujourd'hui qu'il faut regarder le texte qu'on a devant nous et c'est absolument impossible de se faire une idée juste.

Le Président (M. Blouin): D'accord, M.

le ministre.

M. Bédard: Vous l'avez dit. Je pense que tout le monde comprend la complexité ou la difficulté dans laquelle vous étiez de vous prononcer, surtout étant donné le fait qu'il y aura sous peu un autre chapitre du Code civil, portant sur les biens, qui sera déposé et qui permettra en corrélation une meilleure analyse de l'ensemble des dispositions.

Également, nous avons pris note de la nécessité d'être sûrement plus clair quant au côté supplétif ou non supplétif concernant certaines dispositions. Que ce soit clair pour tout le monde. Entre-temps, il va y avoir, comme on l'a prévu, des consultations avec le milieu des affaires, avec la chambre de commerce. Je pense qu'avec toutes ces données, cela permettra un meilleur éclairage. Tout cela additionné à une loi d'application qui est chargée de faire la cohérence des trois chapitres.

Le Président (M. Blouin): Merci, M. le ministre. Sur le même sujet, M. le député... Oui, vous avez...

M. Martel (Paul): Oui, je voulais ajouter quelque chose là-dessus, c'est qu'on compte bien et on espère bien pouvoir participer, nous aussi, à l'élaboration de ce nouveau système. Mais on attire l'attention, dans notre mémoire, sur les problèmes qu'on voit dans le texte tel qu'il est actuellement. Ce sont des problèmes qui doivent être considérés comme étant très sérieux. Mais la façon dont c'est présenté actuellement, on est en train de bouleverser ou de modifier des principes dans le domaine corporatif, dans le domaine des sociétés. On introduit un gros point d'interrogation dans tout le fonctionnement du monde des affaires au Québec.

(21 h 45)

Je peux vous dire, en tant que praticien, de même que les praticiens que je connais, que j'ai consultés, que notre première réaction - c'est peut-être rétrograde, statu quo, etc. - c'est de dire: Si on est pour créer une situation comme celle-là, qui est assez douteuse et qui met pas mal plus d'obligations sur le dos des hommes d'affaires, des administrateurs, cela va être recommandable de suggérer à nos clients de s'incorporer au gouvernement fédéral, parce qu'on n'a pas ce régime-là, soit au fédéral, soit dans une autre province. Ici, on est en train de créer un système qui est peut-être excellent pour la protection du public - et on loue certainement cet objectif - mais qui, en même temps aussi, provoque beaucoup de controverses et de doutes. Il n'y a rien de pire dans le monde des affaires que la controverse et le doute.

Le Président (M. Blouin): Alors, sur le même point... Oui, M. le ministre?

M. Bédard: Vous savez très bien que le but n'est pas de réduire à néant les améliorations qui ont déjà été faites - vous les avez soulignées, comme la chambre de commerce - concernant les lois sur les compagnies. Je pense qu'à partir de toutes ces données et ces assurances que nous avons portées à la connaissance de la commission, il y aura lieu, quand le chapitre des biens et la loi d'application seront déposés, surtout quand le chapitre des biens sera déposé, de porter un jugement de valeur sur l'ensemble des dispositions.

Le Président (M. Blouin): Sur le même sujet, M. le député de Saint-Louis.

M. Blank: J'ai une question sur le sujet des personnes morales; non sur le fond, mais sur la forme. La traduction anglaise de personne morale, "legal person", est-ce qu'on a vu ce nom-là quelque part dans le monde? Pour moi, c'est une contradiction de termes. Peut-être que "legal entity" serait meilleur que "legal person". Est-ce que vous avez fait des recherches pour savoir s'il existe une traduction juridique de "personne morale" en anglais?

M. Martel (Paul): On n'a pas fait la recherche là-dessus. Je pense qu'on s'en est remis au texte français de la loi fédérale qui, maintenant, reconnaît cette expression-là. On voit que c'est introduit aussi dans la Loi sur les valeurs mobilières. C'est une question de terminologie, évidemment. Si on entre dans le divorce ou la terminologie, il y a bien des choses qu'on pourrait dire aussi, mais c'est vraiment une question de forme. On doit avouer qu'on ne sait pas trop où sont l'origine ou les racines de cette expression, pour autant qu'on puisse comprendre ce qu'elle veut dire. On essaie encore de comprendre ce qu'elle veut dire.

M. Blank: Les lois sont faites pour les profanes aussi.

Une voix: Ah! Oui.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Sainte-Anne.

M. Polak: Une dernière question à Me Vadboncoeur, pour terminer mon intervention. Je voudrais revenir sur ce fameux problème de la réserve héréditaire. La chambre des notaires nous a dit qu'elle n'était pas encore prête à lancer cette idée, mais cela sera peut-être intéressant, plus tard. Vous êtes allés un peu plus loin et vous recommandez la créance alimentaire tandis que le député de Saint-Louis et moi-même - et je pense

plusieurs autres autour de la table - pensons que l'idée des réserves héréditaires, encore un pas plus loin, n'est pas à négliger non plus et devrait être acceptée. Selon votre théorie de la créance alimentaire, il faut quand même donner certaines lignes de conduite au juge. Il ne faut pas aller devant un tribunal... Cela arrive très souvent; vous savez comment cela fonctionne avec les jugements de pension alimentaire. Cela peut varier selon les districts. Il n'y a pas de ligne de conduite préétablie.

Le barreau semble avoir très peur du mot prédéterminé. Vous n'aimez pas l'idée de mentionner un pourcentage. Par exemple, comme cela existe en Europe où on dit 50% de la portion ab intestat. Au moins, c'est clair; on sait à quoi s'en tenir. Pourquoi insistez-vous tellement sur la liberté de tester quand on sait que dans nos lois nous avons des restrictions. Soudainement on est arrêté sur cette condition de la liberté totale de tester tandis qu'on accepte partout... On accepte 50% dans le régime de la communauté de biens, cela est prédéterminé. On accepte un tiers, deux tiers ab intestat et le notaire dit que cela devrait être la demie, cela est prédéterminé dans le Code civil. Et soudainement, quand on parle de protéger dans un testament, on ne veut rien savoir de la prédétermination. Pourquoi? Cela ne me fait pas peur...

Le Président (M. Blouin): Me Tellier.

M. Tellier: On a un dilemme entre la réserve ou la créance. La réserve est mathématique. Elle satisfait tout le monde, rationnellement mais est-ce qu'elle règle les problèmes auxquels on veut s'attaquer? Je vais prendre l'exemple d'un homme marié qui décède en laissant 25 000 $ à sa succession. Sa femme est dans le besoin. Avec la question de la réserve, elle n'aura droit qu'à un tiers, soit environ 8000 $ et si elle est capable de faire la preuve qu'elle a besoin des 25 000 $, le tribunal lui accordera le plein montant de ses besoins. Cela est un aspect.

L'autre aspect, il y a l'incidence fiscale dont il ne faut pas parler ici mais dont il faut quand même se soucier. Là, cela dépendra un peu de l'âge des personnes, de leur situation personnelle. Il arrive souvent qu'au fur et à mesure qu'un couple prend de l'âge, ils ont de moins en moins d'intérêt à vouloir s'avantager réciproquement parce que plus ils vieillissent, plus on peut présumer que le décès du survivant surviendra dans un temps très rapproché du premier décès. À ce moment-là, cela cause une double imposition inutile pour les enfants. Si vous imposez la réserve automatiquement, vous obligez des parents à s'avantager et donc à être imposés alors qu'ils n'ont peut-être pas intérêt à le faire.

M. Polak: Je suis votre raisonnement mais quand vous en venez à faire établir la créance alimentaire par un tribunal, je reprends le point du député de Saint-Laurent qui disait: Je suis notaire et je suis en train de régler une succession. Il faut tout de même qu'il y ait un certain montant qui soit mis à part sans être divisé. Vous parlez d'un délai de prescription de six mois. Après 5 mois et 29 jours, on se retrouve en cour, ensuite à la Cour supérieure, appel - surtout quand il s'agit d'une grosse somme d'argent. Cela peut durer, vous le savez très bien, deux ans, même trois ans. Qu'est-ce qu'il va faire entre-temps? Quel montant est réservé? Donc, peut-être que vous devrez parler de créance élémentaire avec obligation, pour le liquidateur ou pour celui qui s'occupe de la succession, de réserver 50% de la pension ab intestat. À ce moment-là, vous retombez avec une autre formule de réserve héréditaire.

M. Tellier: Non, non, écoutez. Trouvez-moi une succession où on peut avoir des permis de disposer qui ne prennent pas six mois? Avec la vitesse de nos bons amis du gouvernement et des services, cela prend six mois à avoir les permis de disposer et on ne peut pas débloquer les sommes de toute façon. Disons quatre mois et demi, cinq mois, mais il n'y a pas de drame là.

M. Polak: Non, mais, après les six mois, disons...

M. Tellier: Après six mois, tout le monde est d'accord, je pense, dans le débat pour dire qu'on s'adresse à une très petite proportion des gens, parce que les gens qui ont connu des difficultés matrimoniales dans leur vie sont divorcés au moment de leur mort. La liquidation des biens en commun a déjà eu lieu. Cela concerne donc une très petite proportion de personnes qui n'avaient pas de problèmes apparents et qui peuvent avoir créé des problèmes dans leur succession. Par conséquent, c'est très minime. À ce moment-là, pourquoi adopter une loi d'application générale à des cas d'exception? On dit plutôt de laisser la loi générale telle que nous la connaissons, mais de créer une modalité d'exception pour régler les cas d'exception qui peuvent se présenter.

M. Polak: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Blouin): Très bien. Merci. M. le député de Saint-Louis? M. le ministre, rapidement?

M. Bédard: M. le Président...

Le Président (M. Blouin): Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Ce ne sera pas très long, M. le Président. Relativement au chapitre des régimes de protection du majeur, tout le problème de la curatelle, particulièrement pour les patients psychiatriques, a posé ou pose beaucoup de questions. Je voulais vous demander d'une part si, à l'article 203, par exemple, la garde... Ce que je crois saisir de la différence avec ce qui existait antérieurement, c'est que, maintenant, la garde de la personne et le droit de permettre un traitement, enfin, cette permission sera donnée soit par la personne qui a été nommée par l'établissement de santé ou des services sociaux ou encore par le curateur ou le tuteur autre que le curateur public.

J'imagine qu'un curateur ou qu'un tuteur peut être le conjoint. Est-ce possible?

Mme Vadboncoeur: Est-ce que vous pourriez expliciter le sens de votre question par rapport au caractère conjoint? Je n'ai pas tellement saisi ce que vous vouliez dire.

Mme Lavoie-Roux: Quand une personne était confiée à un établissement de santé -je pense en particulier aux malades psychiatriques - jusqu'à maintenant, c'était le curateur qui faisait l'administration des biens et ensuite avait la garde de la personne dans le sens que c'est lui qui devait donner son consentement à une intervention chirurgicale, avortement ou ce qu'on voudra. Là, il semble qu'on fasse une différence entre les deux, si je saisis bien ce qu'il y a dans les articles qui nous sont proposés.

Ma question précise, une première question, est la suivante: Est-ce que le curateur ou le tuteur, prévu dans l'article 203, peut être le conjoint du malade?

Mme Vadboncoeur: Oui.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que cela vous semble suffisamment étanche pour la protection réelle du malade psychiatrique?

M. Tellier: C'est discutable et je peux vous dire que, dans le cours de nos bonnes relations avec le ministre, on a eu l'assurance qu'au moment d'étudier la loi de transition il y aura nécessairement un ajustement à faire pour tenir compte des dispositions statutaires qui existent. Je serais d'accord avec vous pour reconnaître que ce que l'on voit ici n'est quand même pas conforme à ce que l'on voit, par exemple, dans la loi sur la protection du malade mental et également dans la Loi sur la curatelle publique. Il y aura certainement des concordances et des ajustements lorsque le projet de loi sera rendu aux dispositions transitoires.

Au sujet de la santé mentale, il y a plusieurs disparités. Je pense que c'est peut-être prématuré à ce stade-ci, tant que l'étude comparative n'aura pas été faite concernant les dispositions transitoires. Je pense, par exemple, aux délais de cure fermée qui peut être prescrite par un médecin. Le projet de loi parle de 24 heures; nous, dans notre mémoire, parlons de 48 heures et, présentement, la loi sur la protection du malade mental parle de 96 heures. Je pense qu'à un moment donné il y aura une ventilation à faire à ce sujet.

Mme Lavoie-Roux: Là, il peut peut-être...

M. Bédard: La législation devra établir une cohérence entre, d'une part, ce qui est...

Mme Lavoie-Roux: Là, il s'agit quand même de concordance mineure, lorsqu'on parle de délais qui peuvent varier. C'est plutôt pour rendre la chose fonctionnelle. Que ce soit 24 ou 96 heures, je pense que cela peut être...

M. Tellier: Le délai est extrêmement important au point de vue...

Mme Lavoie-Roux: II est important, mais je veux dire par rapport à la garde de la personne, c'est plutôt au plan fonctionnel. Vous l'indiquez vous-même dans votre mémoire, cela ne permet pas, dans les régions éloignées, d'obtenir un ordre de la cour dans 24 heures ou une décision du tribunal dans 24 heures. Mais il reste quand même que la question que je pose est en fonction de la personne qui sera nommée curateur ou tuteur.

Mme Vadboncoeur: Si vous permettez, M. le Président, vous semblez douter de la sécurité du malade mental parce que ce serait son conjoint qui serait tuteur ou curateur.

Mme Lavoie-Roux: Ou cela...

Mme Vadboncoeur: Enfin, la bonne administration ou des choses comme celles-là.

Mme Lavoie-Roux: ...pourrait être quelqu'un d'autre si la personne est célibataire ou veuve ou veuf, ou peu importe, ce serait un frère. N'y aurait-il pas une précaution de plus à prendre dans la nomination de ce curateur pour assurer la sécurité totale ou la plus grande sécurité possible au malade?

Mme Vadboncoeur: D'abord, l'article, je pense que c'est 139, je m'excuse M. le bâtonnier. (22 heures)

M. Tellier: II faut lire cet article que vous citez avec l'article 24. La personne aura la garde du patient, mais lorsqu'il s'agit de consentir à un examen psychiatrique, à la garde, malgré son opposition, il doit y avoir une requête adressée au tribunal pour déterminer s'il doit y avoir examen, traitement, etc.

Mme Lavoie-Roux: Oui, mais cela, c'est quand la personne s'y oppose.

M. Martel (Paul): Peut-être, pour mieux comprendre le sens de votre question, dois-je comprendre que vous avez des appréhensions par rapport au traitement de la personne...?

Le Président (M. Blouin): Me

Plamondon, je dois signaler qu'il est maintenant 22 heures. Nous pourrons poursuivre nos débats sur consentement des membres de la commission.

M. Bédard: M. le Président, on peut terminer.

Mme Lavoie-Roux: Oui, ce ne sera pas très long.

M. Bédard: Je vous en prie.

Mme Lavoie-Roux: Dans tous les cas, ce sont des choses qu'on aura l'occasion de réexaminer quand on l'étudiera article par article. Selon votre interprétation, à l'article 202: "Le curateur public a la simple administration des biens du majeur protégé, même s'il est nommé curateur". C'est ce dont je parlais tout à l'heure. Est-ce que vous interprétez cela comme: Le curateur public ayant l'administration totale des biens du majeur protégé ou s'il peut y avoir une possibilité qu'une partie de l'administration de ses biens soit conservée au malade et une autre partie soit sous la responsabilité du curateur public? Ceci est une remarque qui nous a souvent été faite que, par exemple, des gens ne seraient peut-être pas capables d'administrer un capital important, mais par contre, pourraient montrer assez de discernement pour administrer du quotidien ou...

M. Lebel: En fait, il y a différents paliers de protection dans le projet. Évidemment, si on parle ici de simple administration, c'est une administration globale, mais avec des pouvoirs limités, mais il y a d'autres possibilités dans le projet. Il peut y avoir des méthodes de protection plus limitées qui laissent place à une certaine autonomie de la part de la personne protégée. Il peut y avoir un simple tuteur à la personne, il peut aussi y avoir un conseil, ce qu'on appelle à l'heure actuelle le conseil judiciaire.

Mme Vadboncoeur: Effectivement, d'après le projet de loi, quand il y a lieu de nommer un tuteur ou un curateur à la personne, le tribunal doit déterminer s'il y a lieu que la personne protégée conserve l'administration de certains biens et si oui, le tribunal détermine quels sont les biens ou quelle est l'administration que la personne protégée peut conserver.

En ce qui concerne votre question précédente, si vous regardez à l'article 211, vous allez constater, que vous lisiez l'article du projet de loi ou de notre recommandation, qu'il y a quand même certains critères que doit suivre le tribunal pour établir le régime de protection. C'est une précaution supplémentaire quant à la nomination de la personne. L'article 139 qui s'applique également aux majeurs à cause d'une disposition qui dit que toutes les dispositions dans l'incompatible s'appliquent dit bien aussi que la personne doit être apte à remplir cette charge. Évidemment, le tribunal devra aussi s'assurer de l'aptitude de la personne, du futur curateur ou tuteur, non seulement à prendre soin de la personne protégée mais à administrer ses biens également. Il ne faut pas oublier aussi que tous les régimes de protection subissent un contrôle non seulement par le tribunal mais aussi un contrôle par le curateur public, parce qu'il y a tout de même un rapport annuel à envoyer. Il y a un certain contrôle tout de même.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous ne croyez pas qu'à l'article 213, pour éviter des abus possibles, on pourrait, au deuxième paragraphe, au lieu de dire: "Le tribunal peut prévoir la révision du jugement à une date qu'il indique", introduire une notion de révision automatique plutôt que de laisser simplement un texte aussi large que cela dans le fond?

M. Tellier: Cela existe déjà dans la Loi sur la protection du malade mental. Il doit y avoir un examen après trois semaines, ensuite après trois mois, ensuite de six mois en six mois. C'est là qu'il sera intéressant de suivre les travaux du ministère sur la loi de transition et de voir comment on va s'accommoder du maintien ou de la disparition de ces dispositions statutaires qui existent.

Mme Lavoie-Roux: D'accord. Merci.

Le Président (M. Blouin): Merci. Mme la députée de L'Acadie, cela va? Alors, je remercie les représentants du Barreau du Québec de leur présentation et des avis qu'ils ont fait valoir à cette commission. M. le ministre, cela va?

M. Bédard: Je m'associe...

Le Président (M. Blouin): D'accord?

M. Bédard: M. le Président, je m'associe à vos remerciements, au barreau. Nous avons assisté à une présentation de mémoires très substantiels. Je remercie chacun des participants et participantes qui ont accepté de répondre à des questions qui ne sont pas toujours faciles. Merci.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais vous remercier, bien sûr. C'est évident que, dans un domaine aussi important que cette législation sur le Code civil, on devra travailler comme on l'a fait de concert tant avec la chambre des notaires qu'avec le Barreau du Québec.

Le Président (M. Blouin): Merci, M. le député de Saint-Laurent. La commission élue permanente de la justice ajourne ses travaux à demain matin, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 06)

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