L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission permanente de la justice

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission permanente de la justice

Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le mercredi 13 avril 1983 - Vol. 27 N° 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes en regard du projet de loi 106 - Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes et du projet de loi 107 - Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions


Journal des débats

 

(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Blouin): Je déclare ouverte la séance du 13 avril 1983 de la commission élue permanente de la justice. Je relis, d'abord, le mandat de la commission qui est d'entendre des personnes et des organismes en regard des projets de loi no 106, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, et no 107, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions.

Les membres de cette commission sont: M. Bédard (Chicoutimi), M. Charbonneau (Verchères); M. Dupré (Saint-Hyacinthe) qui remplace M. Brouillet (Chauveau); M. Dauphin (Marquette), Mme Juneau (Johnson), M. Kehoe (Chapleau), Mme Lachapelle (Dorion), M. Lafrenière (Ungava), M. Leduc (Saint-Laurent), M. Marx (D'Arcy McGee).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Blank (Saint-Louis), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. Dussault (Châteauguay), M. Fallu (Groulx), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie); M. Polak (Sainte-Anne) qui remplace M. Paradis (Brome-Missisquoi) et M. Saintonge (Laprairie).

Je vais donner lecture des associations qui, aujourd'hui, ont été mises à l'ordre du jour et, en même temps, je vais vérifier si, parmi l'assistance, les représentants de ces associations sont présents. D'abord, l'Association des femmes collaboratrices. Est-ce que les représentantes de cette association sont présentes? Il s'agissait du premier groupe à l'ordre du jour. L'Association québécoise de planification fiscale? Est-ce que les représentantes de l'Association des femmes collaboratrices sont présentes? Elles sont là. La Commission des services juridiques; le Regroupement des comités logement et des associations de locataires; l'Association pour la promotion des droits des handicapés?

Une voix: Oui.

Le Président (M. Blouin): L'Association des hôpitaux du Québec?

Une voix: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Blouin): L'Assemblée des évêques du Québec?

Une voix: Présent, M. le Président.

Le Président (M. Blouin): L'Association canadienne pour la santé mentale?

Une voix: Présent.

Le Président (M. Blouin): L'Association du Québec pour les déficients mentaux?

Une voix: Présent.

Le Président (M. Blouin): Groupe Auto-Psy?

Une voix: Présent.

Le Président (M. Blouin): Alors, vous constatez, pour ceux qui ont assisté à nos travaux hier, que la liste d'aujourd'hui est encore assez longue. Nous serons davantage fixés cet après-midi, mais je crois que nous pouvons dès lors prévoir que nous ne serons pas en mesure d'entendre les mémoires de tous ces groupes qui ont été inscrits à l'ordre du jour. Nous allons essayer, cependant, d'agir avec le plus de célérité possible en limitant nos débats selon les habitudes des commissions parlementaires. Nous demandons à nos invités d'utiliser une vingtaine de minutes pour la présentation de leur mémoire. Tant au parti gouvernemental qu'au parti de l'Opposition, nous demandons d'utiliser chacun vingt minutes également pour interroger nos invités. Cela veut dire que nous devrions, en principe - enfin, nous l'espérons - pouvoir d'heure en heure entendre une association ou un groupe invité.

Sans plus tarder, je demande à l'Association des femmes collaboratrices de venir s'installer à la table des invités. Pour les fins du journal des Débats, je demanderais aux représentantes de cet organisme de bien vouloir s'identifier et, ensuite, de nous livrer le contenu de leur exposé.

Association des femmes collaboratrices

Mme Laberge (Marie-Reine): Vous nous prenez un petit peu par surprise, car nous devions être le troisième groupe, selon l'ordre du jour prévu. Je me présente. Je suis Marie-Reine Laberge, présidente de l'Association des femmes collaboratrices du Québec. À ma droite, Mme Brigitte Carpentier, qui est représentante régionale du même organisme pour la région de

Québec.

Nous sommes très heureuses de venir vous soumettre nos recommandations. Les circonstances ont voulu que, ce matin, nous fassions un peu exception à la règle. Pour avoir assisté à la séance d'hier, nous avons constaté que c'étaient des spécialistes en matière juridique qui, jusqu'à présent, ont apporté leurs recommandations. Nous aurions pu ne pas faire exception parce que notre conseillère juridique, Me Suzanne Dame, devait être avec nous, mais un concours de circonstances l'en a empêchée.

Nous nous sommes intéressées dès le début à la réforme du Code civil du Québec, alors que nous avions fait une présentation à l'occasion du projet de loi no 89. Certaines de nos recommandations ont, d'ailleurs, été retenues en partie, effectivement en rapport avec la prestation compensatoire. Aujourd'hui, nous ferons des recommandations concernant la réforme de la loi 107 seulement, c'est-à-dire celle qui traite du droit des successions.

Ce qui fait que nous nous intéressons à cet aspect de la réforme de cette loi, c'est que, par les objectifs que nous poursuivons, dont la reconnaissance de la valeur économique du travail des femmes qui collaborent avec leur mari dans une entreprise à but lucratif, nous tenons à ce que des lois soient en vigueur pour rétablir l'équilibre dans toute circonstance déterminante si, justement, le travail de ces femmes n'a pas été reconnu au fur et à mesure qu'il était accompli.

Comme nous sommes conscientes que dans plusieurs cas, et on pourrait même dire pour la majorité des femmes collaboratrices, le système de collaboration prend fin par le décès, il était tout indiqué qu'on se penche sur cette question. Par ce qui se vit comme situation pour ces femmes, il est clair que leurs droits actuels sont dépendants des droits matrimoniaux. Elles se retrouvent avec des droits que l'on pourrait appeler "extrapatrimoniaux" qui ne peuvent pas être retransmis parce que, la plupart du temps, cela se limite à une espèce de reconnaissance morale de leur implication dans l'entreprise. Effectivement, ce serait le seul bien qu'elles pourraient léguer.

L'association croit justifié qu'on puisse légiférer en vue d'éliminer certaines injustices et pour permettre aux nouveaux droits et devoirs des époux d'être concordants avec les droits qui régissent la transmission des biens. Effectivement, selon une enquête, le travail des femmes collaboratrices n'est pas reconnu, compte tenu que 85% d'entre elles travaillent dans des entreprises qui sont à propriétaire unique. Donc, la forme d'entreprise ne reconnaît pas systématiquement ce travail. L'enquête dont je parle a été tenue par l'Association féminine d'éducation et d'action sociale en 1975. Tout nous permet de croire que la situation n'a pas tellement changé jusqu'ici.

L'enquête disait aussi que 54% de ces femmes sont mariées en séparation de biens. Dans bien des cas, la femme collaboratrice verse, en plus, au patrimoine familial de son argent personnel provenant d'un travail à l'extérieur ou même d'autres biens personnels et ce, sans qu'elle n'ait jamais aucune garantie, comme un droit de propriété, la mentalité voulant que la femme doive faire confiance à son mari.

Il est bien clair que la femme collaboratrice a accepté de collaborer à partir de règles qui ont été établies avant 1980 par le Code civil. Elle demeure toujours la travailleuse invisible que l'industrialisation n'a pas su inclure dans la population dite active et pourtant, selon des statistiques qui ont été citées par Mme Monique Bégin lors d'une intervention en Chambre en janvier 1981, il y en aurait autour de 125 000 au Québec.

Dans l'ensemble, il y a plusieurs points avec lesquels nous sommes d'accord dans la réforme qui est proposée. Entre autres, nous appuyons l'article 684, qui vise à modifier le délai pour exercer le droit d'opter: l'article 712, concernant la possibilité de conserver la capacité de choix entre ses droits et avantages matrimoniaux; les articles 730 et 731, qui privilégient le conjoint pour deux tiers par rapport aux ascendants privilégiés; l'article 790, concernant la possibilité de représentation, et les articles 883, 885 et 888, concernant l'inclusion de l'entreprise familiale.

Par contre, nous demandons, à l'article 660, de limiter le droit de tester; à l'article 663, d'inclure la possibilité, pour la succession du conjoint, de réclamer une prestation compensatoire; à l'article 725, d'établir à 1/2 et 1/2 la part des conjoints et des descendants; à l'article 749, la création d'une réserve et, à l'article 819, de nommer un administrateur plutôt qu'un liquidateur.

Si nous considérons que le projet de couple est un choix qui est effectué par des êtres libres et autonomes; si nous considérons que la charte des droits, à son article 16, reconnaît que "la famille est un élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société de l'État"; si nous considérons que le rôle social attribué aux femmes comme responsables de la cellule familiale représente, selon une étude canadienne, de 8 000 000 000 $ à 10 000 000 000 $ pour 1971, équivalant à entre 37% et 42% du produit national brut; si nous considérons que l'apport économique de la femme collaboratrice à la valeur du patrimoine est très importante, tant par son travail domestique que par son travail dans l'entreprise; si nous considérons que l'État

doit prévoir des règles qui correspondent à une certaine justice sociale; si nous considérons que cette justice sociale devrait préserver le choix d'un projet de couple et la valeur de la famille dans la transmission des biens; si nous considérons aussi les propositions de l'Office de révision du Code civil concernant les successions et les recommandations qui ont déjà été formulées par l'AFEAS; si nous considérons aussi les attentes spécifiques des femmes collaboratrices; nous nous prononçons, concernant l'article 712, en disant que nous appuyons cet article parce qu'il respecte les droits matrimoniaux d'un conjoint survivant, bien que, pour un conjoint collaborateur, cette disposition demeure insuffisante. La vocation successorale du conjoint survivant n'est pas subordonnée à la renonciation à ses droits et avantages marginaux.

L'association n'est pas d'accord avec l'article 725, concernant la répartition d'un tiers pour la conjointe ou le conjoint et des deux tiers pour les descendants. Cet article ne reconnaît pas le principe d'égalité entre les conjoints et ne correspond par aux changements, tant sociaux que juridiques, qui ont force aujourd'hui. Nous demandons que, dans tous les cas, le conjoint recueille la moitié et les descendants l'autre moitié.

Concernant la question des deux tiers pour les descendants et de l'autre tiers pour les ascendants privilégiés, là aussi, nous considérons que ce changement est important et on le croit justifié en raison des changements sociaux et juridiques. De plus, nous estimons que cela renforce la réalité du couple et que cela assure au conjoint un respect de l'engagement de vie commune qu'il a pris.

De plus, je sais que l'article 749 est très controversé et discuté. De toute façon, pour notre part, nous ne sommes pas d'accord avec cette liberté totale de tester dont il est question à l'article 749, toujours en raison des changements sociaux et juridiques qui s'effectuent, en raison de la concordance à assurer entre la loi qui établit les droits et les devoirs des époux et la capacité de disposer des biens patrimoniaux, en raison de la situation économique et sociale vécue par les femmes, en raison de l'apport économique spécifique des femmes collaboratrices au développement de l'entreprise, qui constitue le principal bien dans la plupart des cas. À cet effet, nous appuyons la recommandation qui a déjà été présentée par l'AFEAS au sujet des femmes collaboratrices en particulier, à savoir: la création d'une réserve.

Maintenant, concernant la représentation, on peut passer un peu plus rapidement. Quant à la question du liquidateur dont on fait mention à l'article 818, on devrait peut-être se faire éclairer un peu, parce que, d'après ce que j'ai saisi hier dans les délibérations, nous y voyions simplement une opposition par le fait que le terme "administrateur" nous paraissait avoir une connotation plus positive que celle de "liquidateur". Mais je pense qu'il y a plus que cela dans le fait d'employer le terme liquidateur. On pourrait peut-être y revenir tantôt.

Au sujet de l'article 864, l'ADFC approuve le législateur qui prévoit inclure, de la même manière que pour toutes autres dettes, la prestation compensatoire dans le règlement de la succession. L'ADFC est, toutefois, en désaccord sur le principe qui veut que cette prestation soit accordée en tenant compte, notamment, des avantages que procurent le régime matrimonial et le contrat de mariage. Il y aura peut-être des commentaires disant que nous sommes très exigeantes, mais je l'explique en disant que, dans le cas des femmes collaboratrices, nous croyons que cet apport ne distingue pas suffisamment les tâches domestiques et celles de l'entreprise. Il y a deux principes qui prévalent à nos demandes, c'est le respect de la vie de couple et l'aspect familial de toute entreprise et de toute composante, et les tâches qui sont très spécifiques à l'entreprise et qui ont un caractère lucratif.

Je pense que je pourrais m'en tenir à ceci pour la présentation. Les autres points sur lesquels nous nous sommes prononcées sont en rapport avec le partage de la succession, aux articles 883, 885 et 888. Nous appuyons fortement l'article 897 concernant la composition des lots.

Je pourrais peut-être faire une dernière remarque en ce qui a trait aux attributions préférentielles. L'article 904 dit ceci: "Malgré l'opposition ou la demande d'attribution par voie de préférence - c'est ce qui est indiqué dans le projet de réforme - d'un autre copartageant, l'entreprise ou les parts sociales ou valeurs mobilières liées à celle-ci sont attribuées par préférence à l'héritier qui participait activement à l'exploitation de l'entreprise au temps du décès." Alors, l'héritier en tant qu'épouse, qui a toujours collaboré la plupart du temps à 50% et même plus dans l'entreprise, il est clair que l'on souhaite qu'on tienne compte de cela. L'association tient à réaffirmer l'importance pour le conjoint collaborateur de l'attribution préférentielle à l'héritier qui participait activement à l'exploitation. Nous ne voulons pas que cette attribution ne s'applique qu'à l'immeuble qui servait de résidence au défunt, soit l'immeuble de la résidence familiale.

Cela complète notre exposé.

Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, madame. Je cède la parole au ministre de la Justice. M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier chaleureusement l'association, Mme la présidente, pour le mémoire qu'elle vient de nous communiquer, en bref. En ce qui à trait à l'Association des femmes collaboratrices, je pense qu'à juste titre vous avez évoqué déjà votre implication dans la réforme du droit dès les débuts. C'est avec raison que vous l'avez mentionné car, lorsque nous avons fait la réforme du droit de la famille, l'Association des femmes collaboratrices et l'AFEAS y sont allées de suggestions très importantes qui ont contribué à faire avancer, je dirais même à débloquer certaines mesures qui étaient de nature à avantager la collaboratrice. Je pense, entre autres, vous l'avez évoqué, à la prestation compensatoire, un sujet sur lequel vous aviez concentré vos efforts lors de la réforme du droit de la famille; je pense également à plusieurs suggestions concernant la protection de la résidence familiale. (10 h 30)

Je pense que je me fais le porte-parole de tous les membres de la commission en exprimant le plaisir de voir que vous continuez votre implication. Vous avez mentionné qu'hier nous avions eu l'occasion d'entendre surtout des groupes juridiques. Vous pouvez être sûres que tous les membres de la commission sont au premier chef sensibles à ceux qui ont à vivre les réalités de tous les jours, parce que le Code civil, qui régit les rapports des citoyens et des citoyennes entre eux, touche justement la vie de tous les jours et, dans ce sens-là, c'est très important l'éclairage qui est apporté à la commission par ceux qui ont à vivre le contenu des lois.

Comme vous le savez, il y a des groupes qui se sont fait entendre hier, entre autres le barreau qui a évoqué la possibilité d'instaurer une créance alimentaire. Est-ce que vous avez quelques remarques à faire à propos de cette suggestion faite par le barreau, au lieu de la réserve?

Mme Laberge: Bien, comme je le disais tantôt...

M. Bédard: La chambre des notaires, comme vous le savez, a développé une argumentation qui n'allait pas dans le sens de la réserve. Maintenant, le barreau a évoqué la possibilité d'instaurer une créance alimentaire. Avez-vous quelques remarques? Mais, je ne voudrais pas vous prendre par surprise, non plus.

Mme Laberge: Oui, je comprends. C'est bien sûr que, au fur et à mesure que les débats se déroulaient hier, on pouvait croire que la créance alimentaire pouvait se comparer à une réserve. Mais il reste qu'il y a toutes sortes de subtilités que nous ne percevons peut-être pas. Comme je vous le dis, c'est bien humblement qu'on présente notre mémoire ce matin. Par contre, ce qu'il ne faudrait pas oublier, c'est que le cas des femmes collaboratrices est très différent de celui d'une conjointe - je ne veux pas employer le terme "ordinaire" - qui n'a pas, effectivement, participé d'une façon professionnelle - je n'entends pas par là un travail de spécialiste juridique, mais un travail qui est très particulier - à l'entreprise. C'est plus qu'une maîtresse de maison, qu'une épouse, qu'une conjointe; c'est une travailleuse dans une entreprise qui appartient à son mari. Alors, la question de la réserve correspondrait, selon les recommandations qu'on fait à l'annexe A, à une demie des biens énumérés ici. Par exemple, pour évaluer la réserve du conjoint survivant, en ce qui concerne les femmes collaboratrices, on devrait inclure les biens suivants: tous les biens de la succession, toute somme qui est exigible au titre de pension de retraite, contrat d'assurances, etc., si la désignation d'un bénéficiaire a été faite dans les trois ans précédant le décès, toute donation faite entre vifs dans les trois ans précédant le décès et toute donation faite à cause de mort. Enfin, maintenant, dans la recommandation, il y a aussi des biens qui doivent être imputés sur la réserve.

M. Bédard: Sur un autre point, vous nous faites part de votre point de vue concernant le partage successoral. Le conjoint - comme on peut le voir dans le projet de loi, à partir du moment où il serait adopté - pouvant maintenant cumuler les avantages de son contrat de mariage et faire valoir ses droits à la prestation compensatoire, s'il y a lieu, ne croyez-vous pas que le partage successoral proposé permettra un traitement plus égalitaire entre les enfants qui sont de plus en plus fréquemment issus de mariages différents, puisque c'est généralement le conjoint survivant qui assume les responsabilités?

Mme Laberge: C'est dans le cas de succession sans testament, de succession ab instestat.

M. Bédard: Au lieu du tiers, vous demandez la moitié.

Mme Laberge: Oui.

M. Bédard: Vous ne croyez pas qu'en tenant compte du fait qu'il y a maintenant la prestation compensatoire il y a aussi la possibilité pour le conjoint héritier de profiter des avantages du contrat de mariage et des bénéfices de la succession. En plus de cela, le régime légal qui est de plus en plus adopté par la population donne la moitié des acquêts. Ne croyez-vous pas que l'ensemble de ces mesures donne beaucoup plus que la

moitié que vous demandez?

Mme Laberge: Vous êtes en train de me dire que la réserve n'est plus nécessaire...

M. Bédard: Avec toutes ces autres mesures...

Mme Laberge: ...avec la prestation compensatoire et le fait qu'il y a 50% qui sont octroyés à l'épouse même s'il y a des enfants. Toute la question de l'entreprise est quand même protégée dans les attributions préférentielles. Ce sont des recommandations, évidemment. Je ne pense pas que j'aie, ce matin, à renoncer à ce qui fait partie des recommandations. Il est bien sûr qu'il s'agit de choses discutables...

M. Bédard: Qui doivent être prises en considération.

Mme Laberge: ...au moment où tout cela sera repris article par article. Il est vrai qu'en parlant de réserve nous reprenons la recommandation qui a été faite par l'AFEAS avant que la prestation compensatoire soit en vigueur.

M. Bédard: C'est cela.

Mme Laberge: Cela est peut-être un peu plus équilibré.

M. Bédard: Vous êtes, d'ailleurs, en mesure de constater que, d'un groupe à l'autre, il y a des points de vue différents. Le travail de la commission est d'essayer de concilier, de tenir compte aussi des améliorations qu'il y a eu depuis le dépôt par l'Office de révision du Code civil. Je pense, entre autres, à la loi 89 et à la prestation compensatoire.

Certains organismes nous ont soumis qu'il n'était pas nécessaire d'établir une réserve puisque la règle générale veut que le conjoint soit le légataire universel, le défunt assumant ainsi ses responsabilités.

Mme Laberge: Qu'entendez-vous par règle générale?

M. Bédard: Le conjoint est, dans la majorité des cas, le légataire universel.

Mme Laberge: Vous voulez dire dans l'ordre pratique des choses, dans la moyenne établie par l'ensemble des cas. Mais il reste qu'il faut protéger ce qui pourrait devenir une exception.

M. Bédard: Ne croyez-vous pas que l'instauration d'une réserve pourrait entraîner des changements au niveau des mentalités en ce sens que le "défunt", ayant l'impression d'avoir assumé ses responsabilités par le biais de la réserve, serait peut-être porté à céder ses biens à d'autres, étant convaincu d'avoir satisfait au minimum? La disposition qu'on instaure, si on devait instaurer la réserve, c'est sûrement à partir d'un minimum sur lequel nous pourrions nous mettre d'accord. C'est simplement sur le plan des mentalités, la réserve étant légale, étant là pour protéger les intérêts familiaux, vous croyez qu'il pourrait se développer une mentalité de l'autre conjoint...

Mme Laberge: Est-ce que vous prévoyez cela en regard du principe qui dit que toutes les lois sont faites pour être contournées?

M. Bédard: Non, non, non. Je vois que vous le dites avec le sourire. Il y a assez de problèmes lorsqu'elles sont contournées, je ne pense pas être celui qui désire qu'il en soit ainsi.

Mme Laberge: Peut-être y aurait-il, à ce moment-là, des conjoints qui seraient suffisamment astucieux pour avoir cette espèce de prévention au départ.

M. Bédard: Enfin, ce n'est pas dans le sens de vouloir contourner, mais, à partir du moment où il y a une réserve légale - il faut qu'elle soit légale, par la force des choses - tout ce que je vous demande, c'est de savoir s'il peut être possible qu'il se développe une mentalité du conjoint de donner le reste de ses biens à d'autres, ayant le sentiment d'avoir assumé ses responsabilités par l'application de la loi.

M. Blank: C'est la même chose aujourd'hui pour contourner les nouveaux articles du code.

M. Bédard: Quant à l'opinion du député de Saint-Louis, je sais que je vais avoir l'occasion... M. le Président...

Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous plaît;

M. Bédard: Je sais que je vais avoir l'occasion d'entendre l'opinion de mon honorable collègue, le député de Saint-Louis, tout au cours de l'adoption de ce projet de loi. Son opinion est, d'ailleurs, très importante, je tiens à le souligner. Mais, pour le moment, il m'importerait plutôt de connaître les opinions et les remarques que Mme la présidente aurait à faire.

Mme Laberge: Effectivement, cela semble être un point très controversé entre les gens qui ont la compétence d'analyser toutes les implications.

M. Bédard: On le voit un peu par les

mémoires.

Mme Laberge: Par contre, je pense que ce qu'il faut prendre surtout en considération, c'est que nous tenons à ce que la loi protège d'une façon très spécifique la femme collaboratrice qui est, d'une part, l'épouse et la conjointe d'un couple qui a fait l'objet d'une décision commune pour bâtir un projet familial et, d'autre part, une femme qui a contribué à l'accumulation du patrimoine dans tout ce qu'il y a de plus véridique par son apport en travail. Comme je vous le disais tantôt, il y a deux éléments dans le cas des collaboratrices que l'on doit envisager au niveau de la protection: d'une part, comme partie du couple qui a conçu une unité familiale et aussi comme travailleuse qui a vraiment collaboré à accumuler le patrimoine dont il est question au moment de la succession, un peu comme on le ferait avec un sociétaire; mais la loi ne l'a jamais protégée, jusqu'à présent. Même si les femmes collaboratrices existaient depuis toujours, malheureusement, ce n'est que depuis quelque temps que l'on pense à envisager de protéger, disons, cette catégorie de travailleuses pour ce qu'elles sont et ce qu'elles font.

M. Bédard: Comme cela a été le cas pour la loi 89, je pense que nous continuons à partager cet objectif de la protection la plus équitable possible pour la femme collaboratrice. Je vous remercie de vos commentaires présentés à la commission.

Mme Laberge: D'accord. Merci, M. le ministre.

Le Président (M. Blouin): D'accord. Alors, la parole est maintenant au député de Sainte-Anne.

M. Polak: D'abord, madame, vous étiez ici hier, quand le barreau a soumis son mémoire, ainsi que la chambre des notaires qui a fait de même. Même chez les députés, vous avez sans doute noté qu'il y en a qui sont très favorables à votre prise de position. Par exemple, le député de Saint-Louis et moi-même. Je suis certain, même à ma gauche et à ma droite, qu'il y en a d'autres. Je pense que cela veut dire quelque chose. Même si nous ne sommes pas le gouvernement, de temps en temps, les ministres nous écoutent.

D'autre part, le ministre a dit hier que vous étiez déjà pas mal protégées. Il y a le régime de la société d'acquêts qui devient de plus en plus répandu. Donc, en vertu de ce régime, il y en a déjà la moitié. Il ne faut pas aller trop loin. C'est un des arguments qui sont invoqués.

Dans votre mémoire, à la page 2, vous parlez des statistiques de 1975 où vous dites que 85% de ces femmes travaillent dans les entreprises à propriétaire unique.

Mme Laberge: En 1981 aussi.

M. Polak: Oui. Il y en a 50% mariées en séparation de biens et 84% qui ne reçoivent pas de salaire. Avez-vous des statistiques récentes de 1982, disons? Est-ce que cela a changé? Le ministre a dit que le régime de la société d'acquêts devient de plus en plus répandu. Je n'ai pas cette impression. Je pratique le droit à Montréal et je peux vous dire que ceux qui viennent me voir et qui ont un peu d'argent - je ne fais pas leur contrat de mariage, mais je les envoie chez un notaire - demandent toujours le régime de la séparation des biens. C'est mon opinion personnelle, mais j'aimerais savoir quelle est la tendance dans votre organisme. Est-il vrai qu'on va de plus en plus vers la société d'acquêts ou est-ce que la séparation de biens est encore très populaire?

(10 h 45)

Mme Laberge: Disons que nous n'avons, malheureusement, aucune statistique officielle à ce sujet, mais il est clair que c'est dans notre intérêt de faire en sorte d'en obtenir le plus rapidement possible pour nos dossiers. Par contre, quand vous parlez de tendance, évidemment, c'est pour les jeunes couples. Effectivement, de par la nature de notre dossier, c'est sûr que nous incitons les jeunes couples à bien s'organiser dès le départ. Mais la nature de notre dossier fait que nous nous occupons aussi de défendre celles qui déjà sont en état d'injustice par rapport à ce qu'elles ont déjà accompli et qui n'est pas encore reconnu.

On espère avoir des statistiques le plus tôt possible. Celles qui le vivent, effectivement, sont en séparation de biens en très grande majorité.

M. Polak: Encore maintenant, n'est-ce pas?

Mme Laberge: Oui.

M. Polak: Donc, disons que ma théorie demeure. Dans mon expérience privée, je constate carrément qu'on demande la séparation de biens qui, évidemment, inclut le danger de ne pas avoir de protection en cas de décès, et la dame à côté de vous dit qu'elle a un peu la même impression.

Mme Laberge: Nous n'avons pas, actuellement, de statistiques officielles, mais nous espérons en avoir.

M. Polak: Maintenant, avez-vous, comme association, la preuve de mauvaises expériences comme ce fameux exemple qu'on a tous lu dans le journal? Vous avez vu le

cas d'un mari dont l'épouse l'a aidé dans son commerce. Le gars, qui avait une grande ferme en Alberta ou en Saskatchewan, est devenu millionnaire et il a dit à sa femme: Bonjour tristesse! Je me suis trouvé une autre femme plus jeune. C'est malheureux. Celle-ci n'a pas de protection. Je voudrais savoir si votre association a connaissance de problèmes comme cela, si des femmes sont venues vous voir en disant: Voici ma situation.

Mme Laberge: Si nous devions vous citer ici tous les cas dont nous sommes témoins, je pense qu'il faudrait vraiment siéger longtemps.

Mme Carpentier (Brigitte): Ici même au Québec, on a des cas comme cela et très près de nous.

M. Polak: Donc je pense que c'est...

Mme Laberge: On peut vous en citer seulement un, en tout cas, qui a été porté au très grand public, parce qu'il était cité dans un film projeté à la grandeur de la province, un film qui a été fait par l'Office national du film, qui a été tourné dans une région très immédiate de celle d'où je viens, c'est-à-dire dans la région sud-ouest de Montréal: une femme d'agriculteur qui avait collaboré pendant 20 ans et qui, selon le désir de son mari qui l'a tout simplement mise à la porte avec ses enfants, s'est retrouvée absolument avec rien. Même si elle a poursuivi, elle n'a rien pu avoir parce qu'elle se croyait fermement protégée du fait qu'elle n'avait pas de contrat de mariage et qu'à l'époque le fait de ne pas avoir de contrat de mariage correspondait à la communauté de biens.

Par contre, il y avait une incidence dans les circonstances qui faisait que ce contrat de mariage ne pouvait être interprété de cette façon, parce que le couple avait eu comme premier lieu de résidence les États-Unis pour la première année de leur mariage. Ce n'est qu'au bout d'un an qu'ils sont venus racheter la ferme de son père à elle dans une région du Québec. À ce moment, la thèse du non-contrat de mariage égale communauté de biens ne s'appliquait pas.

En plus, elle est revenue à la charge pour une question de pension alimentaire et des subterfuges ont été utilisés pour ne pas devoir même répondre à cette nécessité au moins de faire vivre ses enfants.

M. Polak: Maintenant, je pense qu'il est important pour nous de savoir qu'il y encore beaucoup de ces cas, comme vous le dites, où cette protection n'existe simplement pas et la victime vient vous en parler.

Mme Laberge: Ce cas a été relaté à l'intérieur d'un film qui a été tourné récemment, mais remonte quand même à un certain nombre d'années.

M. Polak: Avec les changements récents qu'on a eus - comme le ministre l'a mentionné, il y a la société d'acquêts depuis une dizaine d'années, mais il y a d'autres changements comme la prestation compensatoire - ...

M. Bédard: La prestation compensatoire.

M. Polak: ...avez-vous encore des plaintes qui indiqueraient que le problème n'est pas résolu et que cela prend plus que cela?

Mme Laberge: La prestation compensatoire n'est quand même en vigueur que depuis le 1er décembre. Là aussi, nous essaierons d'avoir un certain reflet de la jurisprudence à ce sujet. Il reste toujours que la jurisprudence et la loi sont deux choses différentes.

M. Bédard: II y a surtout aussi maintenant, à partir du moment où on adopterait la loi, le cumul possible des avantages matrimoniaux et des avantages de la succession.

M. Polak: Une dernière question.

M. Bédard: Le député de Sainte-Anne se demandait tout à l'heure quelles sont les proportions de ceux et celles qui vont vers la société d'acquêts par rapport à la séparation de biens. Disons que c'est à peu près 50-50 selon les statistiques que nous avions lorsque nous avons procédé à l'adoption de la loi 89.

M. Polak: J'ai une dernière question, M. le Président. Lorsque vous parlez du principe de la réserve, que j'accepte personnellement - d'ailleurs, cela existe partout en Europe -avez-vous pensé quelle sera la formule de cette réserve? Avez-vous un pourcentage dans votre esprit? Je vais vous donner comme exemple: dans les Pays-Bas, où il y a une réserve en faveur de la femme et des enfants, la réserve est la moitié de ce qu'une personne aurait reçu ab intestat; c'est une formule. Avez-vous pensé à une formule? Lorsque vous parlez de la réserve, qu'est-ce que cela veut dire en pourcentage ou en nombre?

Mme Laberge: Pour nous, c'est... M. Polak: Le principe.

Mme Laberge: ...toujours un principe de la moitié...

M. Polak: D'accord:

Mme Laberge: ...à tous les niveaux qui deviennent une circonstance déterminante. Que cela soit au moment de la vente d'une entreprise, au moment du décès ou au moment du divorce, nous parlons toujours d'une reconnaissance d'une demie.

M. Polak: Vous n'incluez pas les enfants dans cette réserve, non?

Mme Laberge: Si on considère que l'épouse, selon les changements sociaux et juridiques en rapport avec le couple, est jugée une personne responsable et que l'on doit considérer d'une façon égale avec le mari, pourquoi les enfants ne deviendraient-ils pas successibles de l'épouse, de la mère? Parce que c'est quand même un droit dont même une femme, en tant qu'individu, peut bénéficier, le droit de céder des biens. C'est quelque chose aussi dans la vie de quelqu'un d'avoir des biens dont elle peut disposer en faveur de quelqu'un d'autre, en faveur de ses enfants, par exemple. Pourquoi faut-il toujours que cela soit par un détour? Pourquoi faut-il que les enfants ne reçoivent des biens que de leur père, alors que la mère a contribué à les accumuler tout autant? C'est une satisfaction pour une mère de pouvoir dire: Ces biens-là sont à moi, en propre, et je peux les léguer à mes enfants.

M. Polak: D'accord. Merci, madame. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Blouin): Merci. Avant de donner la parole à la députée de L'Acadie, je rappelle que nous allons essayer aujourd'hui, dans la mesure du possible, de resserrer un peu notre procédure pour entendre le plus grand nombre de groupes possible et qu'il y a encore trois intervenants inscrits. J'espère que nous pourrons respecter les limites que nous nous sommes fixées.

Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Nous allons essayer de suivre vos directives, M. le Président. Je voudrais remercier d'une façon toute particulière l'Association des femmes collaboratrices. Je pense bien qu'on s'attendait à les voir à cette commission parlementaire.

M. Polak: Êtes-vous membre? Vous n'êtes pas membre?

Mme Lavoie-Roux: De l'Association des femmes collaboratrices?

M. Polak: Bien oui! Vous êtes collaboratrice aussi.

Le Président (M. Blouin): Mme la députée de L'Acadie, vous avez la parole.

Mme Lavoie-Roux: Je voudrais les féliciter d'être de toutes les luttes pour faire avancer la condition des femmes. Évidemment, il y a eu des progrès d'accomplis, il n'y a aucun doute. Les lois les protègent mieux qu'autrefois, mais il reste encore beaucoup à faire. Votre vigilance est absolument essentielle pour continuer sur la route du progrès.

Voici mes questions. À la page 3, vous semblez pour le moins déçues que le projet de loi ne limite pas le droit de tester, comme l'avait recommandé l'Office de révision du Code civil. Hier, nous avons entendu le barreau dire: C'est un principe qui n'a jamais été remis en cause depuis des décennies. Il semblait fort heureux qu'il ait été retenu. Mais vous semblez ne pas partager ce point de vue. Est-ce que vous pourriez nous donner vos raisons?

Mme Laberge: Je pense que c'est en rapport, justement, avec toute la nature des objectifs que nous poursuivons. Nous y avons fait allusion jusqu'à présent. C'est aussi en raison des changements sociaux et des changements juridiques. Il faut faire concorder la loi qui établit les droits et les devoirs des époux avec la capacité de disposer des biens patrimoniaux. Si nous poussons l'argumentation à l'extrême, nous constatons que, dans le cas où le testateur déciderait de l'ensemble des biens du patrimoine, il disposerait, ni plus ni moins, unilatéralement de certains biens qui ne sont pas à lui seul, parce que, effectivement, l'épouse a contribué par son travail, par son implication. Ce n'est pas pour rien qu'on dit qu'une femme collaboratrice a le coeur et la tête en affaires, même si elle ne détient rien légalement concernant des titres de propriété ou autre chose. Elle est impliquée tout autant que si l'entreprise lui appartenait. Si le mari, unilatéralement, dispose de tous les biens, si on pousse cela à l'extrême, on se dit: II dispose de quelque chose qui ne lui appartient pas en tout en propre.

Mme Lavoie-Roux: Dans la logique des choses, cela vous étonne que ce principe n'ait pas été retenu...

Mme Laberge: Ne soit pas reconnu.

Mme Lavoie-Roux: ...puisqu'il y a eu des efforts de faits, justement, pour reconnaître tous les droits juridiques de la femme...

Mme Laberge: C'est cela.

Mme Lavoie-Roux: ...comme étant une personne égale et pouvant disposer de biens qui lui appartiennent.

Mme Laberge: C'est un peu comme je le disais tantôt concernant cette espèce de satisfaction qu'elle pourrait avoir que ses enfants lui deviennent successibles. C'est un peu tout cela.

Mme Lavoie-Roux: J'aimerais aussi vous demander une chose. On parle beaucoup de la société d'acquêts, on parle beaucoup de la prestation compensatoire qui, je pense, est entrée en vigueur au début décembre, si je ne m'abuse. Est-ce que, selon votre expérience, quand arrive cette division des biens pour quelqu'un qui est marié sous un régime de société d'acquêts - je pense particulièrement aux entreprises agricoles dont un grand nombre de vos membres sont issus - il s'agit là d'une opération qui est facile et satisfaisante pour la femme? On a une si longue tradition voulant que les fermes soient une entreprise qui appartient aux conjoints. Cela reste-t-il encore une opération assez difficile ou si, selon votre connaissance, les choses se font également à la satisfaction de la conjointe?

Mme Laberge: Vous parlez d'un règlement qui se ferait dans le cas d'une société d'acquêts - c'est cela? - ou dans le cas d'une séparation de biens, alors que la prestation compensatoire s'appliquerait.

Mme Lavoie-Roux: Oui, c'est cela.

Mme Laberge: Encore là, justement, notre bagage est un peu mince à cause du fait que les délais ne sont pas longs depuis l'application de la prestation compensatoire. Il faut bien dire aussi qu'on espère bien -c'est sûr qu'il y a beaucoup de cas - que, depuis six mois, dans tous les cas où ils ont eu à faire une succession, on n'a pas dû être obligé d'avoir recours à la loi pour pouvoir régler des choses. Il y a quand même des entreprises où les choses, pour les couples, vont relativement bien. La loi, c'est toujours une ceinture de sécurité. Malheureusement, nous n'avons pas assez de compilations concernant la jurisprudence à cet effet. Nous avons évidemment beaucoup de travail et nous n'avons pas beaucoup de compilations dans ce domaine. (11 heures)

Mme Lavoie-Roux: C'est parce que le ministre - je ne lui en tiens pas rigueur -semble privilégier la non-rétention de la notion de réserve en s'appuyant sur le fait que maintenant les gens sont mieux protégés à partir de la société d'acquêts, de la prestation compensatoire et enfin peut-être d'autres mécanismes dont on a parlé.

Il m'apparaît par contre que le vécu ou enfin l'expérience quant à l'opérationalisation ou quant aux résultats concrets de ces mesures qui ont été prises, on ne le connaît pas encore. D'un autre côté, à partir de résultats non connus, on semble dire que la réserve maintenant est beaucoup moins nécessaire et peut-être qu'on peut la mettre de côté.

Mme Laberge: II y a peut-être un élément justement qui peut laisser planer certains doutes en rapport avec la prestation compensatoire. Il y a toujours une espèce de preuve à faire.

Mme Lavoie-Roux: C'est cela.

Mme Laberge: II y a une espèce de preuve à faire pour venir établir la proportion, le bien-fondé de tout cela, tandis que le principe de la réserve est établi dès le départ. C'est sûr qu'il y a un élément de protection de plus à la base concernant la réserve, c'est ni plus ni moins acquis au départ. Tandis que, pour la prestation compensatoire, il y a toute la question de la preuve à faire et on sait à quel point parfois tout cela peut être difficile.

Mme Lavoie-Roux: On peut se retrouver devant des situations qu'on a connues dans le passé et qu'on connaît encore aujourd'hui et qui peut-être sont décrites injustement. Finalement, quand le tribunal doit trancher, il y a toutes sortes d'autres facteurs qui peuvent entrer en ligne de compte, par exemple, quand on décidait des pensions alimentaires. Il n'est pas question de remettre en question les juges. On disait: Si l'on passe devant tel juge, il y a des chances que la femme ait une meilleure compensation que si l'on passe devant tel autre juge. Je pense que cela n'est pas de mon cru. Je pense que c'est une observation générale qui a été faite.

Si on retrouve un peu, dans le fond, une chose équivalente avec la prestation compensatoire, on pourra peut-être aussi se retrouver devant des décisions qui ne rendent peut-être pas aussi justice qu'on le souhaiterait.

Mme Laberge: C'est comme la question des donations, quand on laisse entendre que tout est un petit peu sujet à la discrétion du juge. C'est le principe au départ, dans la façon dont il peut interpréter cela.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie. Le Président (M. Blouin): D'accord.

M. Bédard: Comme l'a dit Mme la députée de L'Acadie, le moins qu'on puisse dire, c'est que j'ai des réserves sur la réserve. J'essaie d'imaginer quantativement ce que cela peut donner. Je pense qu'on est tous, au niveau de la commission, que les travaux du Code civil ont été, jusqu'à maintenant, complètement dépolitisés et je

pense qu'on est capable de continuer dans ce sens.

On essaie très objectivement de faire l'analyse. Si on y va avec une réserve de 50%, de la moitié plus prestation compensatoire, plus avantages matrimoniaux, je me dis qu'à un moment donné, il va falloir aussi penser aux enfants. Je comprends le rôle de responsabilité assumé par le conjoint survivant par rapport aux enfants, mais il y a quand même deux réalités, celle des enfants, celle du conjoint survivant. Ce n'est peut-être pas si indiqué que cela. Si nos calculs nous amenaient à faire en sorte que presque tout l'essentiel du patrimoine est entre les mains d'une personne, on pourrait aussi s'interroger pour savoir quelle serait la réclamation des enfants, s'ils avaient à se faire entendre, par rapport à un certain degré d'autonomie.

Il s'agit d'essayer de concilier toutes ces notions tout en ayant comme objectif d'améliorer. Comme Mme la présidente l'a dit tout à l'heure, je pense qu'on l'a fait tous ensemble, solidairement, avec la loi 89. On va essayer de continuer de faire la part des choses.

Peut-être que c'est opportun de le rappeler puisque nous avons devant nous l'Association des femmes collaboratrices. Dans la loi 89 également, il y avait ce qu'on appelait l'attribution préférentielle, la possibilité également pour un juge, comme c'est le cas pour la résidence familiale, pour l'entreprise, de décider à la fin, lorsqu'il y a séparation, d'attribuer l'ensemble de l'entreprise au conjoint par rapport à l'autre. Ce sont toutes des mesures dont il faut faire le compte.

Je suis conscient aussi que ça ne fait pas si longtemps que la loi 89 est adoptée. Il est évident qu'on ne peut pas parler, à l'occasion des présents débats, d'une jurisprudence très établie. Mais il faut quand même parler, à partir d'une intention du législateur qui était très claire en ce qui a trait à la compensation, à la prestation compensatoire, de toutes les notions qui étaient dans la loi 89. À ce sujet, tous les membres - d'ailleurs, cela a été adopté à l'unanimité - avaient une volonté ferme que cela veuille dire quelque chose de très significatif, de telle façon que, si la jurisprudence - je vais aussi loin que de le dire - s'établissait ou allait dans une direction qui nous amène à conclure que cela ne donne pas autant d'avantages que le législateur prévoyait vouloir donner, à ce moment-là, il y a toujours la possibilité de faire les amendements en conséquence.

Le Président (M. Blouin): Très bien.

Mme Laberge: Effectivement, il faut que les mesures soient très fermes. Je disais tantôt que, même si les collaboratrices existent depuis toujours, il reste que le changement de mentalité est difficile à effectuer et qu'il faut que les lois acceptent tout cela. Il reste toujours que, pour certaines mesures, si elles ne sont pas assez fermes... On a vu des cas où, par exemple, on insiste auprès des femmes qui bénéficient d'un peu de protection pour qu'elles renoncent au peu qu'elles détiennent. C'est à cet égard qu'on a tendance à privilégier la réserve parce qu'elle s'établit au départ et que c'est pratiquement sans discussion, sans preuve et sans...

Mme Lavoie-Roux: Cela évite des recours aux tribunaux.

M. Bédard: C'est sans discussion, sauf qu'il ne faut pas oublier une réalité dont on est tous conscients, c'est qu'à l'heure actuelle, du point de vue social, les divorces existent beaucoup. Il n'est pas question de s'en réjouir ou de s'en peiner. Peu importe. Ce sont des problèmes familiaux, mais il reste qu'il y a certaines réalités sociales qui ont changé beaucoup. Quand on parle de la réserve, on peut avoir le cas d'une femme qui a collaboré pendant des années avec son mari, son conjoint et qui, à un moment donné, divorce. Qu'arrive-t-il de la réserve? Il n'y en a plus. Écoutez, il faut penser à toutes ces notions non pas à partir d'une vision statique des choses mais, pour les femmes collaboratrices comme pour toutes les autres femmes au Québec, il y a des réalités sociales qui font que, quelquefois, il y a des changements. Je pense qu'on vous a au moins convaincues qu'on est tous très sensibles aux remarques que vous avez faites et que les membres de la commission, de part et d'autre de cette table, vont essayer de trouver la solution qui conciliera tous les points de vue, autant que c'est possible.

Mme Laberge: II reste que, de toute façon, les recommandations qui ont été faites ici ont été faites après une analyse poussée de ce qui pouvait correspondre, le plus équitablement possible, à ce que nous poursuivons. Elles sont toujours là et on espère que vous en tiendrez tous compte au plus haut point.

M. Bédard: Merci beaucoup.

Mme Laberge: Alors, nous vous remercions infiniment et...

Le Président (M. Blouin): Ce n'est pas terminé, madame. M. le député de Saint-Louis a demandé la parole.

M. Blank: J'aurais quelques remarques et quelques questions. Quand le ministre a parlé de la question des enfants, il trouve peut-être irrégulier que le survivant ait tous

les biens et que les enfants n'aient rien, mais n'oubliez pas que la mère ou le père de ces mêmes enfants peut rester. Ce n'est pas l'intérêt des enfants qui compte à ce moment-là. Les enfants peuvent travailler. S'ils sont très jeunes, ils sont encore avec cette personne-là. S'ils travaillent, ils peuvent gagner leur vie. Ce ne sont pas les enfants qui ont besoin d'être protégés ici, c'est le conjoint, le survivant.

M. Bédard: Ah! Non, c'est l'enfant. Écoutez.

M. Blank: Oui, mais, dans les successions, les enfants sont ceux qui ont tout l'avenir devant eux. Le conjoint survivant, c'est une autre affaire.

M. Bédard: II ne faut pas les oublier totalement. C'est ce que j'avais dit.

M. Blank: Non, il ne s'agit pas, nécessairement, de les oublier, mais ils sont secondaires.

Deuxièmement, sur la question du pourcentage des gens qui ont le régime de la société d'acquêts ou de séparation de biens, nonobstant ce qu'on veut, nous ne vivons pas dans une société parfaite. Il y a des gens qui sont moins bien nantis que d'autres. Les moins bien nantis ne sont pas intéressés par la question de succession. Il n'y a pas beaucoup à donner aux autres. On doit aller au bureau du ministre du Revenu pour avoir des statistiques pour connaître le pourcentage des gens qui utilisent encore la séparation de biens et qui font des rapports pour les successions. On peut même commencer à un montant minime, tel que 2000 $. Le pourcentage des gens qui ont le régime de la séparation de biens ou de la société d'acquêts, c'est là qu'on va trouver la vraie réponse au problème. Les gens qui n'ont rien ne sont pas intéressés à ces affaires-là. Mais des gens qui possèdent quelque chose... Selon mon expérience, la presque totalité des gens qui possèdent quelque chose ont le régime de la séparation de biens, pas de 50% à 54%. C'est là que cette section s'appliquera. Il y a encore des gens qui retirent des prestations de bien-être social. Cela ne s'applique pas à ces gens. Cela s'applique à des gens qui ont quelque chose à laisser, même seulement 2000 $, 25 000 $. On ne parle pas de millions. Je pense que les statistiques qu'on donne en général ne sont pas vraiment des statistiques. On doit trouver les statistiques des gens qui laissent quelque chose. C'est là qu'on doit diriger nos lois, pas à la masse où il y a un grand pourcentage qui ne s'applique pas.

Sur la question de contourner la loi, si on a une réserve, on peut faire exactement la même chose avec la prestation compensatoire. Cela s'applique de la même façon. Si on veut contourner la loi on peut contourner l'ancienne ou la nouvelle loi et même la loi future. Ce n'est pas une raison. Je pense qu'on doit étudier plus sérieusement la question de réserve.

Le Président (M. Blouin): Très bien. Un bref commentaire, M. le ministre? Ce n'est pas terminé, M. le député. Madame, auriez-vous des remarques?

Mme Laberge: Non.

Le Président (M. Blouin): Cela va. M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais apporter le point de vue d'un praticien. Il est évident - c'est notre constatation dans un bureau de notaire; nous sommes tout de même plusieurs notaires, je pense qu'on a un certain échantillonnage - que dans 95% des testaments qui sont faits c'est toujours au dernier vivant. On reconnaît qu'en pratique le conjoint est bien avantagé. J'en suis bien plus sur la question de liberté. On est en train de tout enlever. Je pense que c'est important. C'est une question d'arrêter! Communauté de biens, société d'acquêts, prestation compensatoire, ce sont des cas où vraiment le conjoint est protégé. Qu'est-ce qu'il vous reste? Il vous reste la séparation de biens. Il faut reconnaître aujourd'hui que les gens sont assez bien informés et quand ils se marient en séparation de biens, ils prennent leurs précautions. Dire qu'il n'y aura aucune mention... Aujourd'hui, vous avez des clauses dans des contrats de mariage qui prévoient qu'en cas de divorce ou de séparation il y aura un montant forfaitaire payable. C'est la réalité, ce sont des choses qu'on vit. Je dis qu'il faut arrêter de réglementer. D'ailleurs, de ce côté-ci de la table, nous disons constamment qu'il y a trop de réglementation, qu'il y a trop de lois. On brime la liberté des gens. Et on veut encore aller plus loin que cela. Si on veut disposer d'une résidence familiale, vous savez qu'il faut avoir le consentement du conjoint. Encore une autre protection. Si on veut l'hypothéquer, c'est la même chose. Je dis que c'est assez.

M. Polak: II ne parle pas au nom de tout le monde!

M. Bédard: C'est un sujet qu'il veut réglementer davantage que nous autres du côté gouvernemental.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je suis ici pour dire ce que je pense. Je peux mentionner mon expérience. Je l'ai vécu un bon moment. Je sais bien qu'en pratique, chez nous, on commence à en avoir assez. Je pense que la protection est suffisante

pour les conjoints.

Mme Laberge: On parlait de statistiques tantôt. Est-ce que vous avez fait des statistiques concernant ce qu'on fait justement, quand vous osez dire que lorsqu'on fait un contrat de mariage en séparation de biens, on prend nos précautions. Nous pouvons vous donner les preuves que, dans la très grande majorité des cas, c'est un concours de circonstances qui détermine quel contrat sera utilisé. Bien souvent c'est le notaire qui dit qu'il recommande cela. (11 h 15)

Des voix: Oui, oui.

Mme Laberge: Écoutez, monsieur, je me suis fait dire personnellement... Justement, je suis mariée sous le régime de la séparation de biens. Au moment où il a été question d'avantages, le notaire a mis en garde mon mari, qui était dans l'entreprise, en disant qu'il ne faut pas que ce soit trop élevé: "Quand tu en viendras à faire des affaires, cela va te nuire". Alors, imaginez la femme qui est dans une entreprise et que toute cette philosophie est à la base, que croyez-vous qu'on fait des questions de donations? On la fait résigner, dès qu'on en a la chance.

M. Leduc (Saint-Laurent): Mais vous vouliez avoir mon opinion. Laissez-moi parler un peu!

Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Je rappelle aux membres de cette commission, comme je le rappelle aussi aux gens qui assistent à nos délibérations, qu'il n'est pas permis...

M. Bédard: Ils vont penser qu'on a applaudi le député de Saint-Laurent...

Le Président (M. Blouin): M. le ministre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Je rappelle donc pour la bonne marche de nos travaux qu'il n'est pas permis aux gens de manifester, que ce soit pour ou contre une opinion qui est émise. À cet égard, je dois féliciter les gens qui assistent à nos délibérations pour leur grande discipline. M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais simplement répondre là-dessus que ce n'est pas ce qui se passe maintenant dans les bureaux de notaires. Alors, vous êtes un peu dépassés.

Des voix: Ah! Ah!

Mme Laberge: II y a des suites...

M. Leduc (Saint-Laurent): Vous avez fait votre contrat de mariage, il y a longtemps. Je pense qu'aujourd'hui ce n'est pas de cette façon. D'ailleurs, je dois vous dire qu'à chaque fois qu'on fait une transaction, dans 90% des cas, l'acquisition est faite conjointement par le mari et la femme, tant pour les propriétés que pour les entreprises.

Mme Laberge: Ah non!

M. Leduc (Saint-Laurent): Bien oui! Bien oui! En tout cas, je vous dis ce qui se passe chez nous.

Mme Laberge: Les statistiques qui dénombrent les femmes qui sont vraiment en société disent qu'il y en a 7% au Québec, monsieur. Elles s'impliquent dans les décisions, mais il y en a seulement 7% qui ont vraiment des contrats de société en affaires. En ce qui concerne le fait qu'on régisse trop maintenant toutes les choses, je pense qu'on ne peut pas y échapper. Je me permets de souligner que c'est peut-être simplement quand il s'agit de protéger les femmes que l'on trouve qu'il y en a trop.

M. Blank: Sur cette question, le ministre a fait remarquer que ce sont nous-mêmes qui cherchons à avoir plus de règlements. M. le ministre, si on impose la réserve, c'est la loi et on n'aura moins de règlements. Parce que si on a la prestation compensatoire, on doit aller en cour et il y a des milliers de règlements qui s'y appliquent. On peut les remplacer par un seul.

M. Bédard: Non, non. Vous savez très bien que cela ne remplacerait pas tout le reste. Voyons! Soyons sérieux! En tout cas, d'après ce que je peux constater, l'accord n'est pas fait quant à l'Opposition. Du point de vue gouvernemental, on va continuer à vous écouter.

Mme Laberge: Je dois le regretter... Le Président (M. Blouin): À l'ordre!

Mme Lavoie-Roux: Du côté gouvernemental, il y a seulement le ministre qui parle...

Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre!

M. Leduc (Saint-Laurent): Je pense que ce sont différentes questions sur le Code civil. On doit apporter...

M. Bédard: Non, non, mais je pense qu'il est normal que l'on donne tous notre opinion. Cela fait avancer les travaux. D'ailleurs, entre les membres de la

commission, on n'en tire pas profit. On dit simplement une constatation.

Le Président (M. Blouin): Très bien, M. le ministre.

M. Leduc (Saint-Laurent): Mais ils n'ont pas dit un mot. Il aurait peut-être fallu qu'ils parlent.

Mme Juneau: Vous auriez peut-être mieux fait de vous taire.

Le Président (M. Blouin): S'il vous plaît! S'il vous plaît!

M. Leduc (Saint-Laurent): Je dis ce que je pense. Je ne suis pas ici pour dire ce que les autres pensent.

M. Bédard: M. le Président...

Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît, M. le député de Saint-Laurent!

M. Leduc (Saint-Laurent): Ce que les autres pensent, oui, peut-être.

Une voix: Vous êtes au carrefour des idées.

M. Bédard: En tout cas, si c'est un carrefour d'idées, à un moment donné, il faudra essayer de penser la même chose quand on adoptera la loi.

Mme Lavoie-Roux: Cela fait six ans qu'on discute comme cela, imaginez-vous quand il est partisan.

Le Président (M. Blouin): En conclusion, M. le ministre.

M. Bédard: De toute façon, lorsqu'on aura adopté la loi, il est évident que de part et d'autre on essaiera de faire en sorte que nos travaux donnent un résultat tel que nous en arrivions à l'unanimité. C'est bien important quand on parle du Code civil, une loi fondamentale, que l'on puisse, même si on peut diverger sur certains points, sur l'ensemble faire l'unanimité.

Je voudrais simplement donner une information à madame, qui s'interrogeait sur le mot "liquidateur". Elle semblait avoir certaines inquiétudes en ce qui a trait à la terminologie. On est habitué à nos terminologies. Le mot "liquidateur" est celui que l'on retrouve souvent dans le droit d'expression française pour les fonctions qui sont dévolues par le projet de loi. Je voudrais bien mentionner que le liquidateur n'est là que pour dégager l'actif. Il ne faut pas avoir l'impression qu'il est là pour administrer la succession, c'est pour essayer de dégager l'actif le plus rapidement possible, pour faire en sorte que les délais, qui sont très longs, on le sait, beaucoup trop longs pour disposer des successions, puissent être plus courts et qu'on ait aussi l'assurance qu'il y a un liquidateur - employons ce terme pour le moment, on verra - qui soit de toutes les successions, ce qui n'est pas le cas présentement.

Je vous donne cette information et, encore une fois, je vous remercie très sincèrement pour vos représentations devant les membres de la commission.

Mme Laberge: Je voudrais exprimer ce que je ressens présentement. Je ne sais pas si je dois déplorer ou apprécier le fait que notre présentation ait suscité autant de controverses. Je pense que c'est peut-être...

M. Leduc (Saint-Laurent): Pas du tout, madame, au contraire.

Mme Laberge: J'espère que cela deviendra un élément positif pour développer davantage d'intérêt pour pouvoir en discuter le plus sérieusement possible.

M. Leduc (Saint-Laurent): De la discussion naît la lumière, madame.

M. Bédard: Quand cela soulève des passions, c'est que vous avez touché des points sensibles, c'est tout.

Mme Laberge: Je vous remercie, de toute façon, de votre attention.

Le Président (M. Blouin): À notre tour, mesdames, nous... À l'ordre, s'il vous plaît!

À notre tour, nous remercions les représentantes de l'Association des femmes collaboratrices d'être venues et nous demandons maintenant aux représentants de l'Association québécoise de planification fiscale et successorale de venir s'asseoir à la table des invités, s'il vous plaît.

Avant de demander aux représentants de l'association de...

M. Bédard: Pouvez-vous vous placer dans le milieu.

Le Président (M. Blouin): Est-ce que vous pourriez vous déplacer un peu pour que tous les membres de la commission puissent vous voir correctement, s'il vous plaît?

M. Mathieu: Vous êtes trop à droite pour le ministre, imaginez. Il faut être plus à gauche un peu.

M. Bédard: J'aime bien cela, plus à gauche!

Le Président (M. Blouin): Alors je

rappelle aux membres de la commission que les représentantes de l'Association des femmes collaboratrices ont réussi à faire leur présentation à l'intérieur du temps que nous leur avions suggéré d'une vingtaine de minutes et que les membres de la commission ont un peu excédé les périodes qui avaient été convenues. J'espère que cette fois nous pourrons procéder à nos travaux dans les délais que nous nous sommes fixés. Je vous demande, monsieur, s'il vous plaît, de vous présenter et de présenter les gens qui vous accompagnent.

Association québécoise de planification fiscale et successorale

M. Rainville (François): Je me présente, François Rainville, président de l'association. À mon extrême gauche, le président du comité de législation, Me Robert Archer; à ma gauche immédiate, Me François Loiselle, qui fera la présentation du projet de loi no 107, et, à ma droite, Me Luc Martel, qui fera la présentation du projet de loi no 106. Je demande à Me Martel, sans préambule...

M. Martel (Luc): Pour ce qui est du projet de loi no 106, dans le contexte de notre association, on s'est penché sur seulement quelques questions qui pouvaient avoir des implications de nature plus fiscale ou successorale. On s'est attaché particulièrement à deux points: la question de domicile et la question du fameux titre neuvième des personnes morales.

Pour ce qui est du domicile, au Québec, c'est une notion qui revêt une importance particulière parce que, en plus d'être un facteur de rattachement dans plusieurs règles québécoises de droit international privé, cela constitue, avec la résidence, un critère d'assujettissement retenu par la Loi sur les droits successoraux.

Ensuite, on a vu dans le projet de l'Office de révision, l'approche qu'il faisait des articles 79 et suivants du Code civil actuel, pour ce qui est de l'établissement du domicile et du critère d'intention. L'office cherchait à éliminer le critère d'intention, particulièrement en matière successorale où le problème est d'autant plus prononcé qu'il s'agit de déterminer avec certitude l'intention d'une personne qui est décédée. Alors, c'est difficile pour une personne décédée de s'exprimer sur son intention d'établissement du domicile.

L'article 73 du projet de loi reprend d'ailleurs la suggestion de l'office à deux nuances près. Au lieu de parler de résidence habituelle, comme il en était question à l'office, on parle de résidence principale et on ajoute au premier paragraphe une restriction ou une possibilité de dire que le domicile ne sera pas nécessairement la résidence principale, mais cela pourra être une autre résidence, si on démontre son intention de le vouloir ainsi. Le nouveau texte semble être une amélioration par rapport aux articles 79 et suivants du Code civil, en ce qu'on n'exige pas de prime abord une preuve d'intention, sauf pour manifester un désaccord avec l'énoncé initial. Mais on se demande si on ne sera pas quand même obligé de faire des preuves d'intention pour démontrer qu'effectivement, on n'avait pas l'intention, ni tacite ni volontaire, de vouloir maintenir son domicile au lieu de sa résidence principale antérieure quand on déménage.

Le cas le plus frappant qu'on voyait, c'est une personne qui déménage, conserve la propriété de sa résidence antérieure et s'en va comme locataire ou qui achète une seconde maison, ou quoi que ce soit. Comme la notion de résidence deviendrait plutôt une question objective établie sur des questions de faits matériels et que la question de conserver la propriété d'une résidence pourrait être un des facteurs déterminants de la résidence, est-ce que certaines autorités, surtout fiscales, ne pourraient pas être portées à dire que le fait de conserver une résidence antérieure, c'était démontrer tacitement l'intention de vouloir conserver son domicile à cet endroit? Là, on sera obligé de démontrer l'intention que non, cela n'est pas parce qu'on a conservé la propriété d'une ancienne résidence qu'on voulait nécessairement y conserver son domicile; ce sont des questions de circonstances.

Alors là, face à cela, on se posait la question: Est-ce qu'on est plus avancé qu'avant? Est-ce qu'on ne devrait pas carrément éliminer entièrement la notion d'intention et rattacher, une fois pour toutes, la question de domicile à la question de résidence qui est une notion retenue dans la plupart des autres lois?

Une autre constatation, c'est que l'emploi des mots "résidence principale" dans le projet de loi no 106 est peut-être un peu malheureux parce qu'il entre en concurrence avec la notion de résidence principale qu'on a développée dans les différentes lois fiscales et aussi avec l'expression des articles 449 et suivants, pour ce qui est de la nouvelle loi 89. Alors, cela peut entraîner une certaine confusion. Ce serait peut-être préférable de conserver la notion de résidence habituelle aux fins de caractérisation du domicile.

Aussi, si on veut vivre ou si on veut amener une notion de domicile équivalant à la résidence habituelle, ne devrait-on pas établir certains critères ou une série de présomptions pour aider à la détermination de la résidence habituelle ou de la résidence principale, de façon à ne pas devoir toujours ramener cette question devant les tribunaux, une solution qui est trop fréquemment utilisée depuis quelque temps dans les lois?

On pourrait même aller jusqu'à se poser

les questions: Est-ce que cela sera encore utile de conserver la notion de domicile, si on en vient à dire que le domicile, c'est la résidence principale? Pourquoi est-ce qu'on conserverait les deux notions de front? En conservant toujours les deux concepts, est-ce qu'on ne serait pas toujours porté à essayer de distinguer l'un de l'autre?

Une dernière remarque quant au domicile. À l'article 80 du projet de loi, on dit que les époux peuvent avoir un domicile distinct. Cela pourrait aussi créer des difficultés, surtout en droit international privé, si des mesures comme celles prévues au livre neuvième du rapport sur le Code civil du droit international privé ne sont pas adoptées en même temps que celles du projet. Évidemment, il y aurait peut-être une loi d'application qui pourrait venir faire le pont en attendant l'adoption d'un livre éventuel sur le droit international privé, mais, en attendant, il y aurait des conflits de droit. (11 h 30)

Les recommandations qu'on pourrait apporter relativement au domicile seraient les suivantes: éliminer complètement la preuve d'intention et en rester à des preuves de fait; remplacer la notion de domicile par celle de "résidence habituelle"; si on va jusqu'à dire que le domicile d'une personne est le lieu de sa résidence habituelle; utiliser les mots "résidence habituelle" plutôt que "résidence principale" afin d'éviter toute confusion avec la notion résidence principale des lois fiscales et du nouveau Code civil et aussi se rapprocher du qualificatif "habituelle" qui est déjà employé dans différentes conventions internationales de droit privé; finalement, prévoir l'adoption simultanée de règles de droit international privé ou, pour le moins, en traiter dans des mesures transitoires, dans une loi d'application.

Le deuxième point sur lequel on voulait se prononcer est le livre des personnes morales, dont on a beaucoup traité hier. Nonobstant une opinion qui semble favorable au livre neuvième, notre association est plutôt du côté de toutes les autres opinions qui ont été émises hier, soit de surseoir ou de reporter l'adoption du livre des personnes morales jusqu'à ce que ce soit davantage développé ou complété par des lois connexes et aussi par un certain ménage qui pourrait y être apporté, comme les remarques d'hier en faisaient mention.

Je veux seulement souligner quatre éléments qui ont déjà été présentés hier, mais avec lesquelles notre association est d'accord. Le premier commentaire, c'est qu'il est impossible actuellement de se faire une idée sur ce livre, parce qu'il y a trop de pièces du casse-tête qui sont absentes. On ne sait pas ce qui en sera d'un chapitre éventuel sur les sociétés ou sur l'administration du bien d'autrui.

Le deuxième commentaire, c'est qu'il existe actuellement, dans notre droit, des outils de travail qui sont familiers et connus de tous: l'entrepreneur, l'entreprise à propriétaire unique, la société, la compagnie. Ce sont tous des outils de travail quotidiens utilisés par la grande majorité des gens en affaires, particulièrement dans les PME. Cela étant déjà connu et familier, est-ce que ce ne serait pas dangereux, dans le contexte actuel, de chambarder ces notions et d'arriver avec un tout nouveau contexte sans avoir consulté au moins toutes les parties intéressées? Quitte, même, à aller en commission publique ou en commission d'étude pour en étudier l'impact non seulement en droit civil, mais en droit fiscal, parce que la fiscalité est très importante pour les gens en affaires; l'État, le fisc est notre principal associé.

Troisième commentaire: II a été énoncé que l'esprit du livre neuvième sur la personne morale était de rédiger un cadre de règles supplétives. À l'étude du titre, on se demande si c'est réellement un cadre supplétif ou si ce n'est pas un tout nouveau système qui a été établi. On se demande si on n'a pas un peu dépassé nos intentions et s'il n'y aurait pas lieu de le revoir.

Finalement - c'est peut-être une question de terminologie, mais c'est quand même le reflet de préoccupations de plusieurs personnes - il est malheureux de constater que le projet fait disparaître le mot "corporation" pour ne traiter que de sociétés. La corporation est le reflet d'une réalité qui est familière dans notre contexte nord-américain. Pratiquement tout le monde sait ce qu'est une corporation ou, encore mieux, une compagnie. Tout le monde sait ce qu'est une compagnie. Une société, par contre, a une autre image pour les gens. On parle d'une société de personnes. Une société, c'est plutôt une entité non incorporée dans l'esprit des gens. Notre droit commercial et ses institutions sont d'origine anglo-saxonne et correspondent aux institutions commerciales de tout le reste du continent nord-américain. Pourquoi importer d'ailleurs une terminologie avec laquelle nous sommes moins familiers et qui va plutôt apporter de la confusion dans l'esprit des gens?

Les recommandations qu'on pourrait énoncer sur le titre des personnes morales sont de deux ordres: retarder sa promulgation jusqu'à ce qu'une étude à fond puisse y être apportée en connaissance de cause avec les autres morceaux qui nous manquent; et si possible conserver le mot corporation et même de préférence le mot compagnie dans notre Code civil. Je sais que c'est déjà un peu tard parce que la commission des valeurs mobilières a déjà fait disparaître le mot compagnie pour ne parler que de société. On

a également le même courant du côté fédéral. Ce n'est pas nécessairement parce que ces gestes ont été accomplis qu'il serait trop tard pour remettre la sitation sur une base qu'on juge plus connue ou plus familière.

Ce sont les commentaires que nous avions à apporter sur le projet de loi 106.

Le Président (M. Blouin): Merci. Le deuxième volet de votre présentation. M. Loiselle.

M. Loiselle (François): Alors, en ce qui concerne le projet de loi 107 en général. Ceux qui ont préparé le projet méritent certainement des félicitations à bien des égards. Nous allons soulever différents problèmes, différents points; pas tous les points qui sont relevés dans notre mémoire mais certains points qui nous apparaissent importants.

Nos représentations se feront en deux parties, d'une part nous étudierons une institution qui peut vous paraître révolutionnaire mais qui, selon nous, reflète le plus la réalité quotidienne de tous les jours. Il s'agit de la dévolution successorale exclusive au conjoint en l'absence de disposition testamentaire.

Vous imaginez tout de suite le boom publicitaire que cela pourrait entraîner dans le public. Nous vous entretiendrons donc sur ce nouveau phénomène qui est posssible et qui est souhaitable, nous le pensons.

Dans un deuxième temps, si le temps nous le permet on discutera certains articles du projet de loi 107. On remarque dans le projet de loi qu'il n'y a pas de définition du terme conjoint. Le mot conjoint employé à l'article 711 et dans différentes autres sections peut paraître confus. Il faudrait peut-être le préciser. Est-ce qu'on veut aussi inclure le conjoint de fait? La loi devrait, si on entend exclure le concubin, établir clairement qu'il s'agit uniquement - pour ce qui la concerne - du conjoint suite au mariage.

Il faudrait remarquer que le conjoint de fait est considéré dans différents statuts du gouvernement et qu'il y aurait peut-être simplement un petit pas à faire pour le législateur afin de prendre des mesures nécessaires pour protéger ce conjoint. Cependant là n'est pas notre point et nos représentations d'aujourd'hui.

II est malheureux de constater que les articles 725 et suivants, relatifs à la dévolution au conjoint survivant et aux descendants, ne reflètent pas la réalité d'aujourd'hui. Ces articles seraient pour le moins conservateurs et très peu adaptés au contexte social actuel. Nous aurions préféré de beaucoup que le législateur adopte les articles proposés par l'Office de révision du Code civil qui ont une tendance plus moderne et plus dynamique. Comme on le sait, ces articles ont été proposés il y a quelques années. Les temps changent puis on a besoin de moderniser et de mettre à jour ces choses.

Nous tenterons donc de vous démontrer tous les avantages sociaux, économiques et politiques qui résulteraient de la dévolution exclusive au conjoint. À remarquer que le droit actuel est à l'effet que le conjoint n'est pas un héritier à part entière dans l'ordre de dévolution légale de la succession; au contraire il ne vient que concourir avec d'autres héritiers.

Remarquez, et c'est certainement malheureux, que le projet de loi retient ce droit de concourir avec les descendants qui recueilleraient les 2/3 de la succession et à leur défaut les ascendants privilégiés qui recueilleraient 1/3 de la succession et même, dans un troisième temps, les collatéraux privilégiés. De son côté, l'Office de révision du Code civil propose un droit d'option en faveur du conjoint survivant, lequel pourrait concourir avec les descendants du défunt et recevoir soit la moitié de la succession d'une part, soit l'usufruit de la totalité des biens. Et, en l'absence de descendants, le conjoint hérite de la totalité de la succession, ce qui nous apparaît plus moderne, plus "up-to-date". Quant à nous, nous croyons avantageux que l'époux puisse succéder à son conjoint et faire cavalier seul dans le premier ordre de la dévolution successorale légale. Advenant le prédécès du conjoint ou lorsque le défunt laisse des descendants, la succession serait dévolue, évidemment, pour le tout, à ces derniers, c'est-à-dire à ses descendants.

Le fondement même de l'ordre de la dévolution légale des successions doit se retrouver dans les affections présumées du défunt qui n'a pu établir, d'une manière expresse, ses dernières volontés quant à la disposition de ses biens. Le législateur doit donc présumer des dernières volontés du défunt comme si ce dernier avait pu les exprimer. Nous sommes d'avis que les conjoints forment ensemble le premier noyau affectif de la famille, bien avant, généralement, la venue de l'enfant. Pourtant, l'histoire nous démontre que le conjoint survivant a dû patienter longtemps avant de compter parmi les affections présumées du défunt. C'est d'ailleurs avec beaucoup de timidité que la loi Pérodeau de 1915 reconnaissait que le conjoint avait gagné l'affection du défunt plus que ne l'aurait fait un cousin au douzième degré.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Loiselle: Peut-être avait-on auparavant le souci d'une hérédité légitime par le sang et le désir de conserver les biens dans une même famille héréditaire. Avec le temps, le législateur a dû se rendre compte

que le conjoint prenait une part active à cette famille, de manière souvent honorable et digne de l'affection du défunt. Nous ne nions pas le fait que les articles proposés par l'Office de révision du Code civil protègent à la fois le conjoint et les descendants. Néanmoins, l'évolution de la société est telle qu'on doit présumer davantage que le défunt aurait vraisemblablement légué ses biens à son conjoint s'il avait pu exprimer ses dernières volontés. Il serait heureux que le législateur saisisse ici l'occasion d'innover et d'accorder au conjoint du défunt une meilleure part d'affection présumée en faisant de l'époux survivant le seul héritier du défunt au premier ordre. À tout le moins, devrait-il accepter le projet proposé par l'Office de révision du Code civil; à tout le moins et relativement à l'ordre de dévolution. D'une part, si le conjoint concourt avec les descendants du défunt, il pourra choisir entre la moitié des biens du capital ou l'usufruit de la totalité. D'autre part, si le défunt ne laisse pas de descendants, le conjoint hérite seul. On ne mélange pas les ascendants privilégiés et les collatéraux privilégiés et cela nous paraît acceptable.

Il nous paraît aujourd'hui inconcevable et même inacceptable que le conjoint survivant doive concourir, le cas échéant, soit avec les ascendants privilégiés ou avec les collatéraux privilégiés. Pour notre part, nous considérons que le noyau familial devrait avoir préséance sur la parenté plus éloignée afin d'établir l'affection présumée du défunt. Et, nous constatons que le conjoint fait partie intégrante et essentielle de ce noyau.

Dans le cas où le législateur retiendrait le critère des affections présumées du défunt pour déterminer l'ordre de la dévolution légale des successions, il serait bienvenu de créer un article stipulant que l'époux survivant succède seul à son conjoint décédé. D'autre part, si le législateur donne priorité à la conservation des biens dans une famille héréditaire, nous lui suggérons fortement d'adopter la position de l'Office de révision du Code civil à ce sujet. Aussi, le législateur devra-t-il considérer que le conjoint séparé de corps, relativement à la dévolution légale des successions, puisse suivre le même traitement que celui accordé au conjoint divorcé, puisqu'on base cela sur les affections présumées. Je pense que, si on se sépare de son conjoint, on n'a pas vraiment l'intention de laisser ses biens à ce conjoint. (11 h 45)

M. Bédard: L'affection présumée a changé de place.

M. Loiselle: Je pense que oui. J'ai quelques considérants et je vais terminer notre premier point là-dessus. Vous me direz, M. le Président, si je prends trop de temps.

Le Président (M. Blouin): J'ai presque le goût de vous le dire déjà parce que...

M. Loiselle: Vous me le direz dans cinq minutes, si je dépasse.

Le Président (M. Blouin): Pour cinq minutes, on peut s'entendre.

M. Loiselle: Considérant que, pour établir l'ordre de la dévolution successorale, le législateur doit, en l'absence de dispositions expresses à cause de mort, présumer des dernières volontés du défunt comme s'il les avait exprimées;

Considérant que les dernières volontés du défunt tiennent beaucoup plus de l'affection du défunt que de la conservation des biens dans la famille;

Considérant que le conjoint est un membre important et essentiel au noyau familial;

Considérant qu'il y a lieu de présumer que le défunt avait un lien affectif privilégié et prioritaire avec son conjoint;

Considérant que le conjoint survivant devra continuer de remplir les obligations vis-à-vis de ses enfants; il y aura toujours une obligation alimentaire de ce conjoint survivant vis-à-vis de ses enfants;

Considérant que, dans l'esprit de la grande majorité des gens, le conjoint survivant hérite de la totalité des biens; bien souvent les gens arrivent à nos bureaux pour faire un acte de vente. On leur explique que les biens seront partagés moitié aux enfants, moitié à eux selon le régime ou un tiers, deux tiers et ils sont tout surpris de cela. Comment se fait-il que mon conjoint n'hérite pas de la totalité de mes biens? C'est à ce moment-là qu'ils font un testament;

Considérant aussi - cela peut paraître important - que l'ordre de dévolution proposé par la section I du chapitre quatrième du projet de loi 107 va perpétuer la complexité actuelle du règlement des successions (présence d'héritiers mineurs, création de tutelle, requête en autorisation spéciale, vente à l'enchère de biens immobiliers, partage, etc.) et même l'aggraver dans certains cas par la nouvelle obligation de la prestation compensatoire;

Considérant l'économie qui en résulterait pour les héritiers intéressés si ces problèmes étaient évités par une attribution exclusive au conjoint survivant;

Considérant la possibilité pour l'intéressé de faire un testament qui édicte un ordre de dévolution différent... Si les gens savent que les biens sont transférés automatiquement au conjoint survivant et qu'ils veulent transmettre des biens aux enfants et que ceux-ci sont mineurs, il est beaucoup intéressant pour le testateur d'aller voir le notaire et de faire son testament au profit de ses enfants et de donner des

protections particulières qui protégeraient une situation particulière. Autrement dit, il pourrait nommer un liquidateur ou un exécuteur avec les pouvoirs qu'il voudra bien lui donner. L'enfant sera d'autant plus protégé, même plus protégé que ne pourrait le faire la loi;

Considérant la faveur que le public accordera au principe de la dévolution exclusive au conjoint survivant;

Nous recommandons, l'Association québécoise de planification successorale et fiscale, que les articles 725 et 726 soient modifiés et donnent tout au conjoint au premier rang et, au deuxième rang, fassent bénéficier les enfants.

C'était le premier point. Je serai très bref sur l'autre point. On voulait noter quelques articles et dire que les délais d'acceptation de la succession nous apparaissent non conformes. Je pense qu'on rejoint l'opinion de la chambre des notaires, du barreau là-dedans.

M. Bédard: Comme vous le savez, la loi d'application verra à établir une cohérence.

M. Loiselle: Il serait gentil de faire cela.

M. Bédard: Ce n'est pas seulement gentil, mais indiqué.

M. Loiselle: Cela s'impose. À l'article 763, on suggère que la lecture du testament doit se faire par le notaire en présence du testateur. Nous suggérons - souvent pour un testament fiduciaire - que le testateur fasse lecture de son propre testament. S'il est content ou s'il veut poser des questions, on peut lui expliquer tout comme on peut expliquer un acte d'hypothèque ou un acte de fiducie. On suggère que la lecture du testament puisse être faite par le testateur à n'importe quel endroit et qu'on dise qu'on est consentant pour le signer devant le notaire et devant un témoin.

On a noté, à l'article 788, la notion d'unité économique qu'il faudrait peut-être préciser. Aux articles 796 et suivants, il y aurait peut-être une précision quant à l'accroissement et à la représentation dans les cas de legs à titre universel. Je pense que ce sont des points importants.

Je termine en disant que, dans son ensemble, le projet de loi nous paraît très bien fait. Nous faisons simplement ces recommandations pour épargner bien des difficultés. L'attribution exclusive au conjoint devient une institution presque révolutionnaire aujourd'hui, mais cela règle bien des problèmes. Plus de problème de prestation compensatoire. Plus de problème d'évaluer cela devant les tribunaux. Évidemment, il y aura des choses à discuter. Je laisse le soin aux membres de la commission de poser les questions nécessaires à ce sujet-là.

Le Président (M. Blouin): Merci, Me Loiselle. Je donne la parole au ministre de la Justice.

M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier les représentants de l'Association québécoise de planification fiscale et successorale d'avoir voulu déployer les énergies nécessaires - parce qu'il en faut -pour se pencher sur ces deux chapitres sur lesquels on veut apporter une réforme de notre Code civil et de nous avoir présenté un mémoire très substantiel, pour employer vos mots. Je vous en remercie.

Le projet de loi, comme vous le dites, est très bien fait. Maintenant, je pense que le but de vos représentations, comme celui de tous les autres groupes, est d'essayer de l'améliorer, parce qu'il y a toujours place pour amélioration. Vous pouvez être sûrs que vos remarques seront prises en bonne considération.

Je me limiterais à une question concernant le chapitre des personnes. Vous avez centré vos représentations sur un point précis, à savoir le domicile. Concernant le domicile, ne croyez-vous pas que le fait d'éliminer, comme vous le proposez, complètement toute référence à la notion d'intention pourrait quand même avoir des conséquences fâcheuses pour certaines personnes? Je pense entre autres au cas des personnes résidant à l'étranger temporairement, mais qui désirent conserver leur domicile au Québec. Ce ne sont pas des exemples aussi rares qu'on peut le croire. C'est tous les jours que des personnes peuvent décider d'aller travailler un an ou deux à l'extérieur du Québec, mais de garder quand même leur domicile au Québec. Il me semble que la notion d'intention, dans le projet de loi, vient d'une façon plutôt subsidiaire par rapport à ce qui existait auparavant. Enfin, il me semble, à moins que vous ne nous apportiez des arguments très convaincants en ce sens, que l'on doit garder cette référence à la notion d'intention.

M. Loiselle: Si on s'en remet à des critères de résidence habituelle, il s'agirait en fait de développer les faits majeurs ou les principales données qui pourraient nous amener à considérer où la personne réside ou encore à savoir où la personne est domiciliée. Mais cela est déjà établi. Les faits marquants sont déjà établis surtout dans les législations fiscales, mais cela pourrait facilement s'adapter au civil.

L'intention n'est pas complètement rejetée, mais elle n'est qu'un des éléments qui font partie de la détermination de la résidence. Également, dans les traités internationaux, il y a toute une série de

présomptions qui sont faites et on fonctionne par élimination. Si on ne tombe pas dans la première présomption pour déterminer où la personne est domiciliée ou résidente, on tombe dans la seconde ou la troisième, etc. Même votre exemple...

M. Bédard: D'après ce que vous nous dites, je suis presque porté à dire qu'on se rejoint d'une certaine façon. Vous voulez que la référence à la notion d'intention soit subsidiaire, mais qu'il y ait aussi d'autres critères...

M. Loiselle: Plus subsidiaire qu'elle ne l'est actuellement.

M. Bédard: Pardon?

M. Loiselle: Encore plus subsidiaire qu'elle ne pourrait l'être.

M. Bédard: En tout cas, si vous avez des moyens ou une formulation à nous proposer pour la rendre moins subsidiaire que cela, je me demande, à un moment donné...

M. Martel (Luc): Si on n'en parle pas du tout.

M. Bédard: Oui, mais c'est cela. Là-dessus...

M. Martel (Luc): Elle va revenir de par la pratique. Cela sera un des éléments à déterminer. Ou bien, il s'agirait de développer.... Comme il y aura probablement, dans le chapitre du droit international privé, des règles d'établissement de domicile ou, si on en arrive à remplacer "domicile" par "résidence habituelle", des règles d'établissement de résidence habituelle, peut-être que la solution sera là, à savoir: Quelqu'un qui travaille à l'étranger pour X période de temps, où est-il domicilié en réalité? Où a-t-il sa résidence habituelle? C'est là qu'on va trouver la réponse.

M. Bédard: Sur cette question, mon collègue de D'Arcy McGee me dit qu'il aurait peut-être une question additionnelle sur le sujet; aussi bien procéder tout de suite.

M. Marx: C'est sur le domicile? M. Bédard: Oui.

Le Président (M. Blouin): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Je suis plus ou moins d'accord avec le ministre sur cette question de domicile. On est souvent d'accord, mais on n'exprime pas souvent ses intentions. Je trouve que le fondement de la notion de domicile, c'est l'intention. Cela veut dire que... Je ne vois pas pourquoi...

M. Martel (Luc): C'est le problème. M. Marx: Pardon?

M. Martel (Luc): C'est là qu'est le problème. C'est un élément subjectif. En fait, vous pourriez vivre toute votre vie, par exemple, à l'extérieur du Québec tout en étant domicilié au Québec.

M. Marx: D'accord. Sur un autre point que vous avez soulevé, vous avez suggéré qu'on parle de "résidence habituelle" au lieu de "résidence principale". D'accord?

M. Martel (Luc): Oui.

M. Marx: Dans le code actuel, c'est l'"établissement principal". D'accord?

M. Martel (Luc): Oui.

M. Marx: Oui. Mais je trouve que "résidence principale" est le terme d'aujourd'hui pour parler d'"établissement principal" et je ne vois pas pourquoi on changerait pour un autre terme qui ne fait pas partie de notre droit.

M. Martel (Luc): C'est parce qu'il faudrait donner deux connotations à "résidence principale", à ce moment. Il y aurait la résidence principale comme propriété physique, la résidence principale aux fins du projet de loi no 89, la résidence principale aux fins des lois fiscales et il y aurait la résidence principale plutôt l'équivalent de domicile. C'est moins physique, c'est une place mais pas nécessairement le bâtiment lui-même.

M. Marx: Mais si on change "établissement principal" pour "résidence principale", je sais ce que cela veut dire. Si on change pour "résidence habituelle", on va créer du droit nouveau. De toute façon, vous avez souligné qu'on peut avoir des interprétations différentes. Je suis d'accord. On a, par exemple, des articles similaires dans les deux lois sur l'impôt et des interprétations différentes; c'est plus ou moins impossible d'éviter cela.

M. Martel (Luc): C'est juste qu'on ajoute un élément de confusion qui aurait peut-être pu être évité si on avait deux terminologies. Mais là, cela devient juste une question de terminologie, finalement.

M. Bédard: Là-dessus, je pense qu'on serait plutôt...

M. Marx: Pour elle, cela peut toucher

le fond, c'est sûr.

M. Bédard: Je pense qu'on serait plutôt d'accord sur ce point, mon collègue de D'Arcy McGee et moi. À partir de ses remarques, je me demande avec quoi il est en désaccord sur le premier point. Mais, s'il y a des nuances possibles sur la notion de "résidence principale", imaginez les nuances possibles aussi sur la notion de "résidence habituelle". Franchement...

M. Martel (Luc): II faudrait qu'elle soit définie.

M. Bédard: Oui. Je pense... En tout cas.

M. Martel (Luc): Et on retrouverait les éléments de définition qui, de toute façon, seront nécessaires pour les articles suggérés, 73 et 74.

M. Bédard: Comme on poursuit un objectif qui est d'indiquer quelle est la résidence principale - qu'on l'appelle "habituelle" ou "principale" - comme déjà il y a toute... Enfin...

M. Martel (Luc): De toute façon, on devra préciser ce qu'on entend par "résidence principale" aux fins des articles 73 et 74. Alors, qu'on le définisse pour "résidence habituelle" ou "résidence principale", cela va être la même définition.

M. Bédard: Avec tout le respect que j'ai pour votre opinion, il y a place pour la discussion. (12 heures)

Sur l'autre point, concernant les successions, vous suggérez que la succession soit exclusivement dévolue au conjoint en matière de succession légale, en invoquant le fait qu'il assume généralement toutes les responsabilités relatives aux enfants. Vous avez parlé - pour employer votre expression - d'essayer de traduire dans le projet de loi la notion d'affection présumée; mais vous admettrez avec moi que cette réalité d'affection présumée, si on s'en tient au contexte social auquel vous avez référé et auquel vous voudriez qu'on s'adapte, on est en mesure de constater que l'affection présumée peut être de durée indéterminée, beaucoup plus que cela était le cas peut-être il y a 15 ou 20 ans. Dans ce sens, je pense que c'est en essayant de s'adapter à cette nouvelle réalité sociale qu'on essaie d'aller de l'avant. Alors, dans un contexte où de plus en plus fréquemment les enfants sont issus de mariages différents, ne croyez-vous pas qu'une telle solution, à laquelle j'ai référé tout à l'heure, risque quand même d'entraîner des inégalités entre les enfants alors que nous avons voulu, par la réforme du droit de la famille, créer l'égalité au niveau des enfants, quelles que soient les circonstances de leur naissance? De plus, je pense qu'il importe de rappeler - on l'a déjà fait - que même si la part demeure la même, à savoir le tiers et non la moitié, le conjoint obtiendra dorénavant davantage puisqu'il cumulera les avantages de son régime matrimonial, ce qui n'était pas permis auparavant. Je vous demanderais vos commentaires sur les conséquences de cette nouvelle réalité sociale des affections présumées plus indéterminées que dans le passé.

M. Loiselle: Alors, vous avez raison là-dessus. C'est la réalité. Évidemment, je vois un peu le cas. Le père et la mère ont deux enfants; l'un décède ou il y a divorce ou il y a séparation; le père se remarie avec une autre et là décède; est-ce qu'il y a une affection plus en faveur des enfants que du deuxième conjoint? Si on donnait tout au deuxième conjoint, il y aurait aussi un autre problème qui serait soulevé, c'est que ce ne sont pas les enfants de celui qui survit. Comme ils ne sont pas ses enfants, il y aura peut-être lieu de prévoir une créance alimentaire en leur faveur, et tout cela. Je vois le problème d'ici. Cependant, nous considérons et nous maintenons nos positions à cet effet pour plusieurs raisons. Généralement, et je ne pense pas me tromper là-dessus, lorsqu'on se remarie on prend des positions plus fermes et on fait un testament où on le précise davantage, à la lumière de l'autre mariage...

M. Bédard: À la lumière de l'expérience passée.

M. Loiselle: ...on prend de l'expérience. On apprend que c'est mieux d'avoir des documents écrits, scripta manent. Je pense que là-dessus, les personnes sont davantage protégées. C'est généralement ce qui se fait. Au deuxième mariage, les gens nous rencontrent, font un testament et séparent comme ils le veulent: moitié au conjoint...

M. Bédard: Même si on peut être plus "prudent" à l'occasion d'un deuxième mariage, comme vous dites, et qu'on pense à faire un testament, il reste que s'il n'y en a pas eu pour les enfants du premier mariage, les carottes sont cuites pour eux d'une certaine façon.

M. Loiselle: Peut-être pas, mais on pourra toujours recourir à une dette alimentaire en faveur des enfants. Ils seraient protégés, les enfants mineurs; car les enfants majeurs, il ne faudrait quand même pas se leurrer... Pour ce groupe de gens qui n'ont pas eu la chance de faire un testament pour plusieurs raisons, on pourrait

prévoir une dette alimentaire vis-à-vis des enfants.

M. Bédard: Alors, je vous remercie M. Loiselle de vos commentaires. Remarquez qu'on est peut-être un peu plus rapide à partir de maintenant. Cela n'est pas que les mémoires sont moins substantiels et moins intéressants, mais je pense me faire l'écho de tous les membres de la commission... Vous avez été en mesure de constater que plusieurs des sujets qui sont abordés à partir de maintenant - c'est normal - ont déjà été traités de façon assez détaillée à l'occasion de la présentation de mémoires d'autres organismes. Mais soyez convaincu que notre attention, concernant les points soulevés dans votre mémoire, ne se limite pas seulement aux points que nous soulevons au niveau des questions, mais nous tiendrons compte de l'ensemble des représentations de votre mémoire.

Le Président (M. Paré): M. le député de D'arcy McGee.

M. Marx: J'ai une question sur le même article que le ministre a évoqué, l'article 725. Vous avez parlé d'une affection présumée pour une période indéterminée. Moi, je dirais qu'il y a moins d'affection présumée qu'autrefois, étant donné le nombre de divorces, de séparations et ainsi de suite. Je ne tirerais pas cette conclusion pour changer cet article du code. Ce serait peut-être une bonne idée, mais je ne vois pas de consensus social ou un impératif pour changer cet article si vous n'avez pas d'autres raisons. Qu'on laisse l'article tel quel ou qu'on fasse les changements, c'est facile pour les gens de changer leur régime en faisant un testament même olographe. Sur toute cette question des biens, il ne faut pas oublier que 25% de la population vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Donc, il n'y a pas de problème de succession avec eux. Les autres qui ont assez d'argent et de biens vont aller voir des gens comme vous ou des notaires. Donc, finalement, cet article ne s'applique pas à tellement de personnes. Ce qu'il faudrait peut-être faire - c'est au ministre de décider - c'est de la publicité pour que les gens sachent qu'ils peuvent changer leur régime en faisant un testament olographe. Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas au courant qu'ils peuvent prendre une feuille de papier, écrire quelques mots et décider à qui laisser quoi, le cas échéant, s'ils veulent éviter des honoraires d'avocat ou de notaire.

Une voix: De notaire, pas d'avocat.

M. Loiselle: Mais ce ne serait pas éviter des frais que de faire cela, étant donné qu'il faudrait le faire vérifier à la

Cour supérieure. Mais, de toute façon... M. Marx: ...on n'a pas ici.

M. Loiselle: ...c'est un autre problème qui n'entre pas dans ce cadre.

Affection présumée, oui, c'est vrai que cela peut être un peu estompé par l'étendue des divorces et des séparations. Mais c'est bien sûr qu'on parle aujourd'hui de ce qui est mauvais, c'est facile de lire les journaux et de voir ce qui est mauvais. Cependant, ce qui est beau, on ne le dit pas. On ne dit pas qu'il y 30 000 mariages et que, là-dessus, il y en a 20 000 qui vont bien et qu'il y en a 10 000 qui vont mal. Cela, on ne le dit pas.

Affection présumée, en général, je pense bien que c'est le conjoint, c'est la famille. Donnons priorité et protégeons le conjoint, d'après moi. D'après l'Association québécoise de planification successorale et fiscale, le problème était de protéger le conjoint qui, bien souvent, était obligé de partager avec l'enfant. Ce n'était pas intéressant non plus de partager, d'autant plus que l'enfant pouvait être mineur. Ce n'était pas agréable non plus. Il y avait peut-être seulement 5000 $, 6000 $, 8000 $ ou 10 000 $ à partager. Ce conjoint survivant a besoin d'argent pour vivre et pour prendre soin de son enfant, aussi. Cela crée toute une espèce de problème. La Curatelle publique va nous répondre, quand on a remis 5000 $ en banque sur les 10 000 $ pour protéger l'enfant: II faut prendre soin de l'enfant, on ne peut pas prendre une partie de ces 5000 $ qui ont été déposés à la banque jusqu'à ce que l'enfant ait 18 ans. On ne peut pas. De toute façon, le parent est obligé aux aliments vis-à-vis de l'enfant. Donc, qu'il prenne son argent. Une fois qu'il aura éliminé cela, le conjoint n'aura plus rien. Ce n'est pas tellement agréable.

M. Marx: Je comprends. Dans un autre ordre d'idées, mais en parlant toujours des successions, dans d'autres domaines comme le logement, le gouvernement a fait une certaine publicité pour faire connaître un bail type. Les gens ne vont pas voir leur avocat ou leur notaire pour signer un bail, il y a le bail type. Ils peuvent changer des articles ici et là. Comment verriez-vous ce fait que le gouvernement fasse de la publicité pour dire aux Québécois: Voilà un testament olographe type avec certains articles; vous pouvez le changer, mettre tel ou tel article dans un testament olographe; c'est très simple, vous pouvez prendre une feuille de papier et écrire: Je déclare que je laisse tout à mes enfants ou je déclare que je laisse tout à ma femme ou à mon mari et ainsi de suite. Aujourd'hui, c'est tellement compliqué qu'il faut voir un avocat

ou un notaire pour tout faire, quoique ce n'est pas toujours vrai.

Je ne pense pas que ce soit nécessaire pour tout le monde d'aller voir un professionnel pour vraiment faire un testament. Ma secrétaire allait en vacances, elle m'a dit: Bon, j'aimerais faire un testament et je veux laisser tout à mon mari si je décède en vacances.

M. Blank: Elle ne part pas en vacances avec son mari?

Une voix: Pas à son patron?

M. Marx: Elle n'a pas fait cela au patron parce que c'est une nouvelle secrétaire, elle ne me connaît pas assez encore.

Le Président (M. Blouin): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Comment est-ce que vous verriez une telle initiative du gouvernement de faire de la publicité pour dire aux gens: Vous pouvez changer votre régime, c'est bien simple, prenez une feuille de papier et écrivez cela de votre main et voici les éléments clés d'un tel testament?

M. Loiselle: Je pense que cela pourrait créer un gros préjudice, évidemment, à la population. Cependant je suis très en faveur qu'on informe le public qu'il y a trois façons de faire un testament. Qu'on l'informe de ces choses, je suis tout à fait d'accord.

Si la personne veut rencontrer un conseiller juridique pour l'informer de ses droits, il n'y a aucun problème. Là-dessus, qu'on informe le public des avantages et des inconvénients que pourrait causer l'écriture d'un testament fait sous la forme olographe par rapport à un testament qui va être, sous le nouveau projet, un testament devant témoins, et non pas sous la forme dérivée des lois d'Angleterre, ou un testament notarié, qu'on informe les gens sur les avantages de l'un par rapport aux autres, peut-être qu'à ce moment le public pourra se faire une opinion et rencontrer probablement un conseiller juridique.

D'ailleurs, ce n'est pas dispendieux. C'est une démarche très intéressante. Ils peuvent prendre connaissance du travail notarial et bien souvent ils seront aidés; surtout lorsqu'il y a des enfants mineurs, cela devient intéressant. Cela devient intéressant parce qu'on a des protections supplémentaires. Au niveau de la planification successorale et fiscale, cela devient aussi très intéressant.

Ce n'est pas seulement le jeu des formules. Certainement, nous notaires, ce n'est pas des formules que l'on va prendre; comme dans un bail type, prendre une clause, puis une autre clause et une autre clause. On va certainement adapter différentes clauses qu'on aura rédigées pour satisfaire le client. C'est d'écrire noir sur blanc ses intentions. Là-dessus, si vous me le permettez M. le député, Me Martel aurait une idée à ajouter.

M. Martel (Luc): Pour la question des testaments et ces choses-là, la plupart du temps la première préoccupation d'un individu qui désire faire un testament, du moins dans les cas qu'on peut vivre, c'est la sécurité financière du conjoint survivant.

Deuxième priorité, selon l'importance de la succession, du patrimoine, c'est d'essayer dans la dévolution de bénéficier le plus possible des exemptions, des déductions existantes dans les différentes lois, mais pour autant que cela ne nuise pas à la sécurité financière ou au bien-être du conjoint survivant qui, lui, de toute façon, a beaucoup plus de chances de pouvoir subvenir aux besoins des enfants et de voir à leur bien-être s'il a suffisamment de capital ou s'il est lui-même sécurisé que si on fractionne le patrimoine et qu'on laisse chacun se débrouiller de son côté. Cela c'est une chose.

Pour revenir à votre question de publicité, j'irais plus loin que cela quant à y être et quant à vouloir faire de la publicité. Cela réglerait un des problèmes qui semblent vous tracasser beaucoup actuellement. Je ferais de la publicité aussi sur tous les moyens d'associer les gens en affaires. Je pense surtout à la représentation des femmes collaboratrices. Je me demande s'il n'y a pas ici un peu le déplacement d'un problème. On ramène dans le droit civil un problème qui est plutôt de nature commerciale. Je vise la réserve. (12 h 15)

Si les gens étaient au courant des possibilités de conventions avec lesquelles ils peuvent intervenir, soit avec leur conjoint ou avec d'autres parties: conventions d'associés, conventions d'actionnaires, salaires qui se paient entre conjoints... Il y a toute une série de documents qui devraient être rédigés dès qu'on est en affaires. Il faudrait peut-être rendre conscients, faire une certaine éducation économique aux gens d'affaires. C'est déjà amorcé par différents groupements. Mais cette solution serait peut-être beaucoup plus opportune que de jouer dans le droit civil pour régler des cas plus rares et venir mettre une règle qui va affecter toute la population, alors que toute la population n'a pas le même problème.

M. Marx: J'ai seulement un petit commentaire à faire, pour ma secrétaire. Je continue à croire que ma secrétaire n'avait pas besoin de visiter un avocat ou un notaire pour faire ce petit changement. Tout cela

me fait penser aux annonces à la télévision de H. et R. Block. C'est tellement difficile maintenant de remplir une formule d'impôt qu'il faut voir un spécialiste, même si ce n'est pas nécessaire.

Vous savez que la tendance aujourd'hui, au moins dans certaines juridictions, c'est de rendre tout cela plus simple. Je pense qu'au gouvernement fédéral, la nouvelle loi sur le divorce qui va être déposée rendra possible l'obtention d'un divorce par consentement sans passer par un avocat. Il faut penser à cela aussi. Il y a beaucoup de gens qui veulent changer leur régime et ce n'est pas toujours nécessaire qu'ils voient un spécialiste, un professionnel, et ainsi de suite. C'est avoir recours à un service dont ils n'ont pas vraiment besoin pour faire le changement qu'ils aimeraient faire, quoique je convienne, comme cela a été dit par Me Tardif, qu'il est souvent nécessaire d'avoir une planification successorale. Mais, dans d'autres cas, ce n'est pas nécessaire.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Sainte-Anne, vous aviez demandé la parole?

M. Polak: J'ai seulement une question, M. le Président. Merci.

J'ai noté que, dans votre annexe, vous dites que - et tout à l'heure, vous avez répondu au député de D'Arcy McGee - vous voulez protéger le conjoint. C'est un principe que vous défendez. Et, c'est bien expliqué: le lien affectif est privilégié, prioritaire, etc. Comment se fait-il qu'on ne trouve rien sur la patate chaude de la réserve? J'ai entendu parler de ce problème depuis hier. Quant à moi, ayant pris cette attitude très humaniste dans l'ab intestat, j'aurais préféré voir cette même attitude dans le testament et continuer à suivre ce principe de protection du conjoint.

M. Martel (Luc): Pour ce qui est de la réserve, j'irai un peu dans le même sens que les autres groupements qui se sont prononcés. À l'association, on doit constater que, en pratique, le problème auquel pourrait répondre la réserve est très rare, en ce sens que, la plupart du temps, les testaments pourvoient aux besoins et du conjoint et des enfants. Le cas qu'on voudrait régler est surtout un cas d'exception. Dans cette optique, on devrait prévoir des mécanismes d'exception et non pas aller à la chasse aux papillons avec un fusil pour éléphants. Alors, si on dit: D'accord, il nous faut un mécanisme d'exception. Maintenant, est-ce qu'il doit couvrir et les conjoints et les enfants? Pour ce qui est des conjoints, on pourrait dire que, de plus en plus, avec le régime légal qui existe, la société d'acquêts, avec la loi 89, avec une conscientisation ou avec les mécanismes de conventions qui devraient exister entre toutes les personnes en affaires pour protéger leurs intérêts économiques, il est peut-être moins nécessaire d'avoir une réserve pour le conjoint. En fait, ce n'est même pas indiqué dans notre esprit comme étant actuellement nécessaire pour ce qui est des rares cas où cela pourrait servir. Il y a d'autres outils qui sont peut-être plus appropriés que des outils à intégrer au Code civil pour régler des problèmes de commerce ou de partage dans un commerce ou d'efforts dans une entreprise. Cela ne devrait pas faire partie du Code civil. Pour les conjoints, pour l'instant, nous en arrivons à la conclusion qu'il n'est peut-être pas nécessaire d'en arriver là.

Pour les enfants - encore là, on est toujours dans un contexte d'exception - cela dépend jusqu'où on veut couvrir les enfants. Est-ce qu'on veut simplement voir à ce que les enfants jusqu'à leur majorité - parce qu'on ne traiterait que des enfants mineurs -ne manquent de rien, comme si les parents avaient été là et avaient subvenu à leurs besoins ou si on veut leur donner un pourcentage d'une succession ou d'un patrimoine? Selon la réponse à cette question, si on ne veut que pourvoir aux aliments qu'ils devraient normalement avoir -c'est l'obligation des parents vis-à-vis des enfants, qui existe de toute façon, indépendamment des successions, en vertu de la loi 89 - à ce moment-là, prévoyons, dans le même sens que le barreau le suggérait, une créance alimentaire pour les enfants mineurs jusqu'à concurrence de leurs besoins et jusqu'à leur majorité.

M. Polak: Dernière question. Vous êtes dans la planification fiscale et successorale; sans doute, faites-vous affaires avec d'autres provinces ou d'autres pays, avec des gens qui ont des actifs placés ailleurs que dans la province de Québec. Comme tel, vous devez connaître le système dans d'autres juridictions. Ne trouvez-vous pas que c'est le système du Québec qui est l'exception et que la règle devient de plus en plus que cette idée de réserve? C'est la direction où on va partout. Je ne sais pas pourquoi on tient tant au fameux principe de cette liberté illimitée de tester dans la province de Québec. Dans les autres pays la tendance est tout à fait différente. Est-ce que cela veut dire que nous avons la seule vérité et qu'il faut tenir absolument à cela ou n'est-il pas temps de penser que les autres peuvent penser et qu'il faudrait aller dans leur direction aussi?

Le Président (M. Blouin): Succinctement, s'il vous plaît!

M. Martel (Luc): En fait, il est vrai que cela existe ailleurs. Il ne faut tout de

même pas jouer aux lemmings pour autant. C'est peut-être même une de nos dernières fiertés, il nous reste la liberté absolue de tester au Québec. C'est peut-être un des derniers bastions qu'on peut avoir. Dans les autres pays qui l'ont, est-ce que c'est vraiment un avantage? J'entendais parler de toutes les planifications qui se font pour l'éliminer, la contourner. Ne serait-il pas possible de trouver, avec les outils qu'on a actuellement et tous les éléments qui ont été suggérés jusqu'à maintenant, un système beaucoup plus efficace qu'une réserve?

M. Polak: D'accord.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dupré: Dans les discussions que vous venez d'avoir, souvent - le barreau, hier, avait à peu près la même position - vous tracez une ligne de démarcation à l'âge de 18 ans, ce qui est tout à fait normal pour le soutien. Il reste que je sais fort bien - j'ai moi-même trois filles majeures aux études -qu'il n'y a rien de plus mineur financièrement qu'un enfant majeur aux études. On semble oublier totalement ce côté-là dans le partage au sens large. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Martel (Luc): Je ne serais pas contre le fait qu'on étende la créance alimentaire aux enfants dépendants, aux enfants aux études. En fait, c'est une question de définir la nouvelle notion qu'on voudrait créer de créance alimentaire. Ce que je voudrais dire, comme tous les autres, c'est qu'il ne faudrait pas régler des cas d'exception avec une règle qui frappera tout le monde. Tous les gens n'ont pas les mêmes besoins, les mêmes problèmes.

M. Dupré: Oui, mais de nos jours, étudier après 18 ans, ce n'est pas une exception. Au contraire.

M. Loiselle: En fait, c'est le problème d'accorder une réserve ou une créance alimentaire; cela s'applique à des cas d'exception. Je ne sais pas. Je suis marié avec une femme et je donne tous mes biens à ma concubine, laissant mes enfants dans le besoin. J'ai des obligations alimentaires vis-à-vis de ces enfants-là. Pourtant, j'ai donné tous mes biens à ma concubine. C'est un cas d'exception, tout comme la liberté de tester est limitée par l'ordre public et les bonnes moeurs. Dans l'ordre public et les bonnes moeurs, on peut ajouter certains cas d'exception, par exemple dans le cas d'un testateur qui déshériterait sa famille au profit d'un tiers et au désavantage des aliments qu'il est obligé de donner à ses enfants et à son épouse.

M. Rainville: Dans cette même dimension, on a l'obligation des enfants vis-à-vis des parents, qui ne connaît pas d'âge.

M. Dupré: Auparavant et même aujourd'hui, c'est une obligation, même dépassé 18 ans, si les moyens pécuniaires sont là.

M. Loiselle: On a toujours ce mécanisme. On peut toujours poursuivre le parent ou l'enfant pour refus de pourvoir.

M. Dupré: Cela se fait très rarement que l'enfant poursuive ses parents pour refus de pourvoir. C'est assez rare.

M. Loiselle: Je ne sais pas si je dois dire malheureusement ou heureusement, mais n'est-ce pas drôle que de ce temps-ci cela se fasse de plus en plus? À ma grande surprise.

M. Dupré: Je dirais heureusement.

Le Président (M. Blouin): Très bien. Je rappelle aux membres de l'Opposition qu'ils ont épuisé le temps sur lequel nous nous étions entendus. Donc, je souhaite que les questions qu'ils adresseront à nos invités soient les plus brèves, les plus succinctes et les plus précises possible. J'accorde la parole à M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais qu'on parle un petit peu de l'article 788. Je pense que c'est important. Il va falloir prendre des décisions. On parle de la fameuse unité économique et des immeubles accessoires, contigus ou annexes. Dans la pratique, à mon sens, je vois la pagaille là-dedans. Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Quelles suggestions pourriez-vous nous faire de façon que, lorsqu'on sera appelé à rédiger l'article - je ne pense pas qu'on puisse le garder tel quel - on ait des éléments?

M. Loiselle: Tel que rédigé, ici, finalement on vient simplement constater un état de fait. Une entreprise, disons, qui progresse depuis la rédaction du testament, si le testament n'est pas changé, on présume que l'intention du testateur était d'inclure ses accessoires. Parce que, finalement, on vient simplement relier les accessoires au principal.

M. Leduc (Saint-Laurent): Si vous avez une bâtisse de 25 logements, disons, et que vous avez un terrain vacant à côté et qu'on construit dessus, est-ce que cela va être compris dans le legs? Dans l'article, il semble que oui. Je trouve que c'est aller très loin.

M. Rainville: Me Loiselle aurait un commentaire.

M. Loiselle: Évidemment que notre mémoire traite de cet article. Il est bien sûr que cela va être la pagaille générale. Il va falloir que cela soit mieux précisé.

M. Bédard: Aussi bien vous donner l'explication tout de suite pour ne pas inventer des pagailles. Il est clair, à partir du moment où, d'après le cas évoqué par le député de Saint-Laurent, il y a un terrain vague - on sait que des terrains vagues dans des grandes villes peuvent représenter des montants importants - s'il se construit quelque chose, ce n'est plus un accessoire.

M. Leduc (Saint-Laurent): C'est contigu. Cela fait un ensemble. C'est ce qu'on appelle les fameux complexes.

M. Bédard: Non. Écoutez, on peut peut-être préciser des choses, mais il me semble qu'il va de soi à un moment donné, si vous avez un immeuble, que c'est un tout. Si un autre immeuble se construit sur un terrain contigu, c'est un autre tout. S'il faut corriger la terminologie pour que cela soit bien clair, d'accord.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Dernière question sur le sujet de la représentation. Également, je pense que c'est un sujet très important. Je voudrais surtout parler de celle qu'on institue en matière testamentaire. Je ne suis pas tellement favorable à ce qu'on établisse la représentation en matière testamentaire, d'autant plus qu'on ne l'établit pas pour les legs particuliers. Je crois que vous n'en avez pas traité.

M. Loiselle: Je pense qu'il faut tenir compte que le légataire particulier n'est pas un héritier. C'est plutôt un créancier. Il ne faut pas tenir les mêmes règles pour ce légataire que pour le légataire à titre universel ou universel. D'autre part, le projet de loi prévoit une représentation. Nous ne sommes pas contre la représentation par les testaments. Une fois qu'on le sait, il n'y a aucun problème, on planifie en conséquence. Cependant, nous souhaiterions que le législateur soit plus précis lorsqu'il édicte les règles quant à la représentation par rapport à l'accroissement. Si je lègue tous mes immeubles à trois personnes, est-ce qu'il y aura accroissement en faveur des deux ou, s'il y en a un qui décède ou qui ne peut recevoir les biens, est-ce que la part de celui qui prédécède va être partagée entre ses enfants? On a certainement un problème à ce niveau et il faut que ce soit précisé.

(12 h 30)

M. Leduc (Saint-Laurent): Mon objection n'est pas pour les testaments qui vont être faits devant notaire ou par les avocats. On le sait, c'est clair. S'il n'y avait pas de représentation et qu'on voulait en avoir, avant, on l'insérait, mais ce n'est plus cela. Si vous avez des profanes qui font un testament, pensez-vous qu'ils vont être au courant de cela? Ils veulent donner à leurs enfants. Est-ce qu'ils veulent nécessairement donner à leurs petits-enfants, si la fortune est assez restreinte? En tout cas, je trouve que c'est très important et il va falloir s'arrêter et y penser.

M. Loiselle: Votre objection est...

M. Leduc (Saint-Laurent): Surtout, je vous le répète, pour les testaments qui sont faits par les profanes, par les individus, sans consulter les spécialistes.

Le Président (M. Blouin): Bien. M. le ministre, une brève réponse.

M. Bédard: Non, j'ai terminé.

Le Président (M. Blouin): Conformément à l'article 148, paragraphe 1, de notre règlement, je demande aux membres de la commission de me donner leur consentement pour permettre au député de Beauce-Sud d'intervenir.

M. Bédard: Avec plaisir, M. le Président.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Beauce-Sud, vous avez la parole.

M. Mathieu: Merci, M. le Président, merci, MM. les membres, de votre condescendance. Je voudrais vous dire que j'avais averti le porte-parole de notre parti de mon intention de participer à ces travaux, mais, hier, j'ai été retenu à cause du décès de mon associé à mon étude notariale. Malheureusement, j'ai donc dû m'absenter.

Il y une question que je voudrais poser, étant donné que nous avons des spécialistes ici aujourd'hui dans un domaine très important. Tout à l'heure, vous disiez que le conjoint hérite seul. Je dois conclure que c'est toujours en cas de succession ab intestat, en l'absence de testament.

M. Rainville: Oui.

M. Mathieu: Parlant d'enfants, tout à l'heure, on disait: Le conjoint hérite seul. On a parlé d'un second mariage avec enfants d'un premier mariage. Vous avez dit: II serait possible, par exception, d'établir une créance alimentaire pour ces enfants. Mais le problème que nous allons avoir aujourd'hui,

et je voudrais le soumettre à l'attention de la commission c'est que, dans notre droit civil actuel, il existe une présomption de paternité. Le père est celui que les justes noces démontrent. Avec la loi 107, nous n'avons plus cette présomption. Or, si nous sommes pris avec la dévolution légale, un enfant peut bien être né hors mariage; un père peut avoir eu des enfants dans un premier mariage, un second mariage et également hors mariage avec plus d'une personne. À un moment donné, il se fait une recherche de paternité, chose qui est tout à fait possible, logique, qui arrivera un jour.

Le terme "enfant", je voudrais que la loi précise où cela commence et où cela finit. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus parce qu'on va se ramasser avec... Supposons qu'un notaire fait un testament ou qu'en l'absence de testament, dans une succession ab intestat, la personne dit, par exemple: Je lègue mes biens à mes enfants à parts égales. Il y en a trois issus d'un mariage et une couple d'autres dont la paternité peut être déclarée dans le registre de l'état civil et, dans d'autres cas, non déclarée. Il me semble que ces enfants sont les enfants du défunt, qu'ils soient nés hors mariage ou dans le mariage. Je voudrais savoir, d'après vous, où commence le droit de l'enfant et où il se termine, vu qu'on n'a plus de présomption de paternité.

M. Bédard: M. le député de Beauce-Sud, c'est peut-être une manière différente de voir, mais je crois qu'il existe encore une présomption de paternité. Elle est peut-être moins absolue qu'elle ne l'était auparavant dans le code et cela se comprend puisque, dans la loi 89, nous avons voulu faire disparaître la notion de "légitime", "illégitime", etc., avec les conséquences normales que cela avait, mais il demeure encore une présomption qui est moins absolue.

M. Mathieu: M. le Président, c'est à...

M. Bédard: Regardez dans l'article 594. "Tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance".

Le Président (M. Blouin): M. le député de Beauce-Sud.

M. Bédard: Mais votre question demeure quand même pertinente. Je voulais juste apporter cette correction.

M. Mathieu: Je vois cela sous l'angle de la pratique de tous les jours, surtout si la paternité en naissance hors mariage est déclarée, chose qui est possible.

Le Président (M. Blouin): Avant que les invités prennent la parole, je leur demanderais, si possible encore une fois, de répondre succinctement. M. le député de Beauce-Sud étant le dernier intervenant, nous pourrions entendre l'exposé des représentants de la Commission des services juridiques avant de suspendre nos travaux jusqu'à 16 h 30. Alors, s'il vous plaît!

M. Martel (Luc): En réponse rapidement, si, de son vivant, l'individu en question ne s'était pas préoccupé des enfants d'ailleurs qu'il pouvait avoir eus, pourquoi, au décès, faudrait-il tout à coup qu'il ait une obligation de s'en préoccuper? S'ils n'avaient aucun droit avant, les enfants d'ailleurs, pourquoi se créerait-il un droit au décès plus que de son vivant?

M. Mathieu: On enlève la notion, avec la loi 89, d'enfant né hors mariage, illégitime. Donc, si l'enfant est enregistré, au registre de l'État civil, né hors mariage, la paternité est reconnue.

M. Martel (Luc): S'il a des droits avant, il pourra les faire valoir au décès avec la créance alimentaire, par exemple.

M. Mathieu: II aurait les mêmes droits, qu'il soit né hors mariage ou dans le mariage.

M. Martel (Luc): Tout enfant, de quelque mariage que ce soit, aurait un recours contre la succession du père.

M. Mathieu: On pourrait dire de quelque union que ce soit et non pas de quelque mariage que ce soit.

M. Martel (Luc): De quelque union que ce soit.

M. Loiselle: Je pense que le code est à cet effet-là. On ne tient plus compte que l'enfant soit né hors mariage ou dans un mariage. C'est clair maintenant que tous les enfants d'un défunt, Tous avec un T majuscule, ont des droits.

Le Président (M. Blouin): M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, je...

Le Président (M. Blouin): Cela va, M. le député de Beauce-Sud?

M. Bédard: ...pense qu'on a tous été à même de constater, par les questions posées, le côté substantiel du mémoire qui nous a été présenté. Sur l'aspect de la réserve successorale, je crois que votre opinion est très importante, d'autant plus qu'elle

s'accompagne d'une orientation que vous avez très clairement explicitée et qui aurait pour effet que la succession soit dévolue entièrement au conjoint. En matière de succession légale, vous établissez très clairement et entièrement votre préoccupation par rapport au conjoint. J'ai cru comprendre que, même si on devait en arriver là, vous ne semblez pas privilégier la voie de la réserve successorale pour atteindre ce but. Je vois que vous me faites signe affirmativement; vous pensez qu'il y a beaucoup d'autres moyens que ceux-là que nous pouvons mettre de l'avant et qui auront non seulement le même effet, mais peut-être un effet encore plus significatif par rapport aux intérêts du conjoint que vous représentez d'une façon spéciale.

Je ne vous ai pas posé de questions sur le chapitre des personnes morales pour la bonne et simple raison que dès hier - c'est, d'ailleurs, une de vos suggestions - tout le monde a convenu qu'il y a lieu d'approfondir, cela par des échanges plus directs dans un comité au niveau de la chambre de commerce, du barreau, de la chambre des notaires et de tous ceux qui sont concernés, pour essayer de mieux cerner la réalité et d'en arriver à un objectif d'efficacité que nous essayons tous d'atteindre.

Cela sera ma dernière remarque, vous avez dénoncé le fait qu'on suggère de remplacer le mot "corporation " par celui de "société". D'ailleurs, cela a été évoqué dans d'autres représentations. On sait, cependant, que ce terme a été dénoncé comme un anglicisme. Même le gouvernement fédéral a modifié sa loi, qui s'appelle maintenant la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes. Je pense que le changement de terminologie au niveau fédéral n'a pas créé de problème. Il faut convenir que c'est surtout sur le fond même du contenu de ce chapitre qu'il faudra essayer d'orienter nos préoccupations pour en arriver à une formulation qui corresponde un peu plus au sens des représentations qui nous ont été faites par les organismes préoccupés de développement économique. Je vous remercie, encore une fois, de votre bonne collaboration.

Le Président (M. Blouin): Très bien, M. le ministre. Je me fais le porte-parole de tous les membres de cette commission également pour remercier les représentants de l'Association québécoise de planification fiscale et successorale.

J'inviterais maintenant les représentants de la Commission des services juridiques à venir s'asseoir à la table des invités. Merci. Nous allons procéder. Je souhaite la bienvenue aux représentants de la Commission des services juridiques. Je vous invite à vous identifier pour les fins du journal des Débats.

Commission des services juridiques

M. Lafontaine (Yves): Mon nom est Yves Lafontaine, je suis président de la Commission des services juridiques. À ma gauche, Me François Doré, du service de recherche de la Commission des services juridiques; à ma droite, Me Claudine Roy, du même service de recherche et, à l'extrême droite, le plus petit, Me Quintal, qui est d'un bureau d'aide juridique de Sherbrooke spécialisé dans la représentation des enfants.

Le Président (M. Blouin): Très bien. Vous pouvez alors procéder à la lecture de votre exposé et...

M. Lafontaine: Notre mémoire.

Le Président (M. Blouin): ...tenter, si possible, de terminer pour la suspension.

M. Lafontaine: Je suis bien conscient du problème que vous avez, M. le Président, et je sympathise avec vous. J'essaierai, autant que possible, de me conformer à vos directives, mais je ne peux, cependant, pas le promettre, parce que, dans le cours des événements d'hier, il est survenu des points essentiels dont nous voudrions traiter, même s'ils ne sont pas dans notre mémoire. Si vous calculez que c'est inopportun, vous nous le direz.

Le Président (M. Blouin): Très bien, nous comptons sur votre collaboration.

M. Lafontaine: Vous allez remarquer que notre mémoire a une tendance plutôt pratique et concrète. On ne discute pas tellement, disons, des grands principes ou de la philosophie sous-jacente. Cela se comprend, parce qu'on est en grande partie d'accord avec tous les principes de modernisation qu'on retrouve dans ces deux volets. Vous remarquerez, cependant, qu'on traite seulement d'une partie de ces deux projets de loi. On traite seulement du projet de loi no 106 et, encore là, seulement d'une partie du projet de loi no 106. N'étant pas une chambre de commerce, nous n'avons pas jugé bon de traiter des personnes morales, parce que nous n'avons pas tellement d'intérêts, étant donné les clients que nous représentons. Quant au droit des successsions, nous n'avons pas tellement un intérêt concret à traiter de ce sujet. Le type de mémoire vient, justement, du fait qu'il a été fait par des praticiens, même si, par la suite, il a été endossé unanimement par l'ensemble des commissaires.

Il y a un problème dont on a parlé hier et qu'on voudrait aborder nous aussi, mais sous un angle différent. C'est qu'il est difficile de regarder le projet de loi sans savoir quels seront les amendements ou les

lois statutaires qui vont venir se greffer autour de cette loi. À titre d'exemple - dans le mémoire, d'ailleurs on y revient à quelques occasions - la Loi sur la protection du malade mental va-t-elle subsister? Quelle allure va-t-elle prendre? Peut-être qu'elle va continuer à exister. Je pense qu'elle devrait continuer à exister parce qu'on ne retrouve pas les mêmes garanties dans le droit civil qu'on avait déjà acquises dans la Loi sur la protection du malade mental. Nous avons quand même pris le risque de dire: Voici, cela existe déjà à certains endroits dans la Loi sur la protection du malade mental et cela devrait continuer à exister.

Maintenant, la loi de concordance et la procédure qui va exister, qui va être sous-jacente, par exemple, à la convocation des assemblées pour un conseil de tutelle, pour procéder à la nomination d'un tuteur, pour procéder à la nomination d'un tuteur ad hoc, s'il a des intérêts contradictoires avec son tuteur, nous n'avons pas encore ces mécanismes. Je présume que nous pourrons peut-être apporter des commentaires à ce moment; en tout cas, nous l'espérons. Ils n'ont peut-être pas la même pertinence dans l'état actuel de ce dossier.

Une observation de fond que nous faisons: Au niveau des articles 1 à 10, on reproduit les articles de la Charte des droits et libertés de la personne. Ce sont déjà des articles qui existent et nous demandons quelle est l'opportunité de répéter dans le Code civil ces dispositions. (12 h 45)

II y a une confusion, quant à nous, qui naît aussi des termes qui sont employés là-dedans. On parle, à un moment donné, d'être humain, on parle de personne humaine, on parle de personne. Là-dessus, à certains moments, on ne sait pas, par exemple, quand on parle de la personne morale vis-à-vis d'un patrimoine, vis-à-vis de la bonne foi, vis-à-vis de l'ordre public, de quel type de personnes on parle. On se demande si le législateur ne devrait pas préciser cela. Quant à nous, le chapitre qui s'appelle "De l'intégrité de la personne" devrait s'appeler "De l'intégrité de la personne humaine", parce qu'effectivement ce qu'on y retrouve ne s'applique pas à la personne morale.

Article 14. On est encore au niveau des droits. Peut-être qu'on a une mauvaise conception, peut-être qu'on l'a mal lu. Si on met ensemble l'article 14 et l'article 19 de la loi, il y a un danger. Quand nous ne sommes pas devant une situation d'urgence et que l'intervention exigée par l'état de santé n'est pas irréversible, on dit que la nécessité du consentement d'une personne autre - encore là, sans qu'il soit question d'urgence - pourrait justifier que le conjoint n'ait besoin d'aucune autorisation.

L'exemple qu'on peut donner et qui est vécu présentement, c'est celui du traitement des drogués en Colombie britannique. C'est un sujet qui est revenu. Dans le fond, le conjoint, dans des circonstances semblables, pourrait en profiter pour dire qu'on n'est pas devant une situation d'urgence que l'intervention n'est pas irréversible et qu'on calcule que les sécurités ne sont pas assez grandes. C'est comme s'il y avait eu un oubli de boucher ce trou-là. Nous disons que cet article 14, qui ne vise pas les cas d'urgence, risque de donner ouverture à l'arbitraire et pour cette raison, nous croyons qu'il y aurait lieu, par respect pour le principe même de l'inviolabilité et de l'intégrité de la personne, que le processus judiciaire soit impliqué dans l'appréciation de la preuve qu'une personne majeure soit "non douée de discernement".

Au plan pratique, maintenant, encore là, on ne sait pas ce qui arrive pour la protection du malade mental. Mais ce qu'on sait, d'après ce qu'on voit dans le code présentement, c'est que le tribunal qui semble avoir juridiction serait le tribunal de droit commun, je présume; ce serait donc la Cour supérieure. Ce qui existe présentement, c'est qu'on peut s'adresser à n'importe quelle juridiction, à peu près. Cela va de la Cour provinciale à la Cour des sessions de la paix, au Tribunal de la jeunesse, aux cours municipales à Montréal et à Québec. Il y a beaucoup de points de service et c'est utile. Nous avons, nous, 144 bureaux et, si le Code civil remplace la Loi sur la protection du malade mental, s'il faut s'adresser seulement à la Cour supérieure pour obtenir une requête afin d'instituer un système de protection pour un majeur, nous disons que, dans le fond, on est en train de limiter l'accès en donnant juridiction seulement à la Cour supérieure. À ce moment-là, on ne sait pas ce qui arrivera à la protection du malade mental. Et cela risque aussi, en même temps, de créer peut-être un conflit de juridictions. Le juge de la Cour supérieure dira que c'est lui qui a juridiction alors que, présentement, ce n'est pas le cas en vertu de la Loi sur la protection du malade mental. Ce sont les cours de type provincial qui ont juridiction.

De la même façon, ne sachant pas ce qui arrive à la protection du malade mental, il y a des garanties qu'on ne retrouve pas en droit civil. Par exemple, la révision qui peut maintenant se faire par la Commission des affaires sociales afin de décider d'interner une personne ou non. Il y a aussi la révision statutaire possible qui existe en vertu de la Loi sur la protection du malade mental. Si ma mémoire est bonne, à tous les six mois, la commission peut exiger un rapport de l'institution psychiatrique et peut décider proprio motu de faire enquête et de voir s'il y a lieu de continuer l'internement de cette personne. Nous disons que nous ne retrouvons pas ces principes présentement et que ce

serait peut-être une bonne idée de les ajouter à cet endroit ou encore de les mettre dans la Loi sur la protection du malade mental, si celle-ci subsiste.

Il y a une erreur dans le texte à la page 7, où nous disons: "Nous croyons que l'article 27 devrait reprendre la philosophie de l'article 10 - c'est de l'article 7 - de la Loi sur les services de santé et les services sociaux quant à la possibilité de divulguer le dossier médical. Cet article devrait être modifié en conséquence de façon à permettre à la partie et à son procureur d'avoir accès à son dossier médical, sauf restriction du tribunal." Je pense que, lorsqu'on est en pratique et qu'on veut représenter utilement le client, si ce dernier a accès à son dossier en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, il serait normal aussi que son procureur puisse y avoir accès. De toute façon, le client est protégé par le secret professionnel.

Sommairement, à l'article 35, nous voulons ajouter, dans le cas du respect de la réputation et de la vie privée, la possibilité d'un recours en dommages et intérêts. Cela ne coûte rien de l'ajouter parce que, de toute façon, en pratique, il faudrait avoir ce recours-là.

D'autres suggestions pratiques: Quand on parle des autorisations concernant le respect du corps après le décès, nous disons que, si elles sont verbales, elles devraient être faites au moins devant deux témoins. Encore là, c'est une question de pratique.

Les articles 54 à 72 concernent le changement de nom et le changement de la mention du sexe. L'article 78 de la loi 89 prévoyait que les père et mère d'un enfant avaient un délai de deux ans pour décider de la modification du nom de l'enfant. Ce que nous disons, c'est: Pourquoi mettre un délai de deux ans? Pourquoi ne pas l'ouvrir tout simplement? Nous ne voyons pas l'opportunité de ramener cela à deux ans. Il y a une campagne d'information qui s'est faite dernièrement pour dire: Cela arrête bientôt; n'oubliez pas que le délai de deux ans s'en vient. Dans notre type de clientèle, il y a beaucoup de gens qui ne le savent pas, qui n'ont peut-être pas eu l'occasion de le faire et qui auraient pu le faire. Dans le fond, si le législateur trouvait que c'était opportun, deux ans, pourquoi pas continuer? C'est ce que nous voulions dire.

Une autre remarque: Nous croyons que le projet de loi devrait être modifié de façon à prévoir que l'enfant mineur, âgé de quatorze ans, soit obligatoirement avisé d'une demande de changement de son nom. Je pense qu'il s'agit, quand même, d'une partie de son patrimoine, même si les enfants n'en ont pas beaucoup, qui est son nom. Il serait tout à fait normal qu'un enfant soit avisé lorsqu'il y a une demande de changement de nom qui le concerne. Encore là, ce n'est pas très compliqué à faire.

Quant à la tutelle au mineur, il est prévu que le tuteur devrait fournir un cautionnement. On applaudit à cela, nous sommes tout à fait d'accord. On a vécu de nombreuses situations dans lesquelles on s'est retrouvé où des parents avaient tout simplement acheté des automobiles et fait des dépenses absolument folles à même les biens qui appartenaient à leurs mineurs. Je pense qu'il est tout à fait normal qu'il y ait un cautionnement. On voudrait aussi que ce cautionnement soit vérifié par quelqu'un de l'extérieur. Nous suggérons que la sûreté soit jugée acceptable aussi par le Curateur public et qu'il en soit informé. Qu'il ait l'obligation de vérifier que le cautionnement est donné.

Vous remarquerez qu'en ce qui concerne le conseil de tutelle nous sommes restés assis entre deux chaises. Dans le fond, c'est peut-être à vous de le décider. On n'a pas voulu aller plus loin. On a, cependant, peur qu'il n'y ait une lourdeur pratique de ce système. On commence par une assemblée à laquelle assisteront sept personnes qui en choisiront cinq ou trois et qui, après cela, feront rapport au tribunal sur le choix d'un tuteur; ensuite, il en restera cinq à côté qui surveilleront l'administration ou trois ou peut-être un substitut dans les cas d'urgence, lequel substitut peut aussi être un protonotaire ou le délégué de la protection de la jeunesse. Cela nous semble lourd parce qu'on le voit, tout d'un coup, tout ensemble. Peut-être que dans la réalité cela pourra se fractionner et que cela deviendra une chose facile à administrer. Nous sommes quand même conscients du choix politique que le législateur a fait pour un peu mettre de côté le Curateur public qui, dans d'autres rapports, était la personne qui devait être désignée pour surveiller ces administrations. On n'insiste pas là-dessus.

La sûreté est présentement établie à 25 000 $ dans le cas des pères et mères, autrement dit, on ne devrait la donner que lorsque les biens dévolus au mineur sont supérieurs à 25 000 $. Nous calculons qu'une limite de 10 000 $ serait tout à fait normale, parce que c'est pas mal d'argent, 25 000 $, quand c'est pour un mineur. Quant à moi, la caution devrait être réduite pour le protéger jusqu'au montant de 10 000 $.

À l'article 203, lorsque le majeur protégé est dans un établissement de santé ou de services sociaux pour une durée prolongée et qu'il n'est pas sous curatelle ou tutelle ou sous l'autorité du Curateur public, on dit que l'autorité à ce moment-là est exercée par une personne désignée par l'établissement. On peut se demander qui va la nommer et qui elle peut être. Nous suggérons que ce soit le directeur général de l'établissement, parce que c'est déjà défini et on sait déjà qui il est. Il faut faire attention parce que, avec ces consentements qui

peuvent être donnés, parfois ce peut être le soignant qui soit le représentant de l'institution. Alors, on se demande pourquoi ce ne serait pas le directeur général de l'institution.

Une suggestion pratique quant à l'ouverture des régimes de protection. On a vu qu'il y a une gradation dans les régimes de protection: vous avez une curatelle au majeur, vous avez une tutelle et vous avez un conseiller. Nous disons qu'il faudrait, si on fait une requête en curatelle et que le juge est d'accord pour que ce soit seulement un conseiller, qu'on ne soit pas obligé de se désister et de recommencer une nouvelle requête, autrement dit, le plus comprend le moins et, si vous faites une requête en curatelle, qu'elle puisse aboutir aussi à la nomination d'un conseiller.

Les actes de l'état civil. Nous sommes pleinement d'accord avec la façon dont cela va être administré. Cela va régler bien des problèmes, quant à nous, par rapport à la situation actuelle. Le fait qu'il y aura seulement deux registres à un endroit central, un qui sera informatisé et l'autre où on écrit à longue main, quant à nous, cela va régler plusieurs problèmes, c'est bien évident.

Quant au délai de 30 jours pour enregistrer les actes de l'état civil, nous croyons que c'est un délai trop court. Il était de quatre mois et, quant à nous, ce délai devrait rester à quatre mois. Il y a quand même des situations d'éloignement. Il y a aussi des situations d'ignorance où, avant d'avoir un rendez-vous pour savoir quoi faire, le délai sera déjà écoulé. Je comprends qu'on pourra toujours le bonifier par la suite, mais pourquoi ne pas le prévoir immédiatement et éviter peut-être des procédures inutiles?

Dans la journée d'hier - c'est pourquoi j'ai demandé à Me Quintal de demeurer - il a été question de l'article 120, soit du tuteur ad hoc qui pouvait avoir des intérêts contradictoires. Le ministre de la Justice, à ce moment, en a profité pour demander au barreau ce qu'il pensait quant à la représentation des enfants. Est-ce que cela prend un tuteur ou pas? Est-ce que l'avocat a un rôle? Quel est son rôle? De qui détient-il son mandat?

La question de l'intérêt de l'enfant par rapport à ses droits, c'est un sujet de préoccupation qu'on a chez nous, depuis le début, à l'aide juridique et on a essayé d'arriver à une solution qui soit acceptable et qui tienne compte aussi des intérêts de l'enfant. J'ai remarqué, ce matin, quand on parlait aussi de succession, de réserve successorale, etc., que, à un moment donné, quelqu'un a dit: II n'y a personne ici qui va nous parler de ce que les enfants aussi pourraient en penser. Si on me permettait, peut-être plus tard, étant donné qu'on est déjà rendu à 13 heures, de dire un mot là- dessus, je l'apprécierais.

M. Bédard: Sûrement.

Le Président (M. Blouin): Dans la mesure où cela n'excède pas trop la limite de temps.

M. Bédard: À la reprise de nos travaux, nous n'aurons pas d'objection à ce que vous ajoutiez des commentaires sur ce sujet particulier.

Le Président (M. Blouin): Nous ajournons nos travaux sine die. La reprise devrait s'effectuer entre 16 heures et 16 h 30 et, à ce moment, vous aurez la parole. D'accord?

(Suspension de la séance à 12 h 59)

(Reprise de la séance à 16 h 33)

Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous plaît;

Mesdames, messieurs les membres de la commission élue permanente de la justice, je vous rappelle rapidement, au début de cette séance, que le mandat de cette commission est d'entendre des personnes ou des organismes en regard du projet de loi no 106, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, et du projet de loi no 107, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions.

De plus, je vous indique que les membres de la commission sont: M. Bédard (Chicoutimi), M. Dupré (Saint-Hyacinthe) qui remplace M. Brouillet (Chauveau), M. Charbonneau (Verchères), M. Dauphin (Marquette), Mme Juneau (Johnson), M. Kehoe (Chapleau), Mme Lachapelle (Dorion), M. Lafrenière (Ungava), M. Leduc (Saint-Laurent), M. Marx (D'Arcy McGee).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Blank (Saint-Louis), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. Dussault (Châteauguay), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Lazure (Bertrand) qui remplace M. Fallu (Groulx), ainsi que M. Polak (Sainte-Anne) qui remplace M. Paradis (Brome-Missisquoi) et M. Saintonge (Laprairie).

En début de séance, je demande aux intervenants, qui ont assisté pour la plupart à nos délibérations depuis hier, d'éviter dans la mesure du possible de retoucher à des questions qui ont déjà fait l'objet de longs débats et qui ont été, je crois, vidées. Vous pouvez émettre rapidement votre opinion sur ces sujets, si vous en manifestez le désir, mais ne pas trop insister pour ne pas prolonger indûment les débats, parce qu'il y a énormément de groupes, de gens qui viennent d'un peu partout au Québec et qui attendent d'être entendus. Nous espérons

ainsi pouvoir accélérer la marche de nos travaux, afin de permettre à tous et à chacun d'exprimer leur avis sur ce sujet de grande importance.

M. Marx: M. le Président...

Le Président (M. Blouin): Oui, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Si c'est possible, j'aimerais qu'on avise maintenant tout le monde qui on entendra cet après-midi et qui on entendra demain.

Le Président (M. Blouin): Oui.

M. Bédard: Pour aujourd'hui, nous avons déjà communiqué avec les groupes qui seront entendus. Les autres, malgré toute notre bonne volonté, on ne pourra les entendre avant demain. Vous pouvez peut-être indiquer les trois groupes...

Le Président (M. Blouin): Nous devrions terminer avec le groupe de la Commission des services juridiques, ensuite entendre le Regroupement des comités logement et associations des locataires, et nous terminerons notre journée avec l'Association pour la promotion des droits des handicapés (Jonquière, Arvida, Kénogami) Association pour le développement de l'handicapé intellectuel du Saguenay. Je crois que nous pourrions terminer notre journée après avoir entendu ces groupes. Je vous demande de nouveau votre collaboration pour que nous évitions de retoucher des sujets qui ont déjà été largement approfondis. D'accord?

M. Quintal (Michel): D'accord. M. le Président, ce qu'on voulait ajouter à notre présentation...

M. Bédard: Voudriez-vous parler plus fort?

M. Quintal: D'accord. Ce qu'on voulait ajouter à la présentation qui avait été faite avant l'heure du dîner, c'était toute la question de la représentation des enfants à partir du problème du tuteur ad hoc. Là-dessus, le barreau vous a fait des représentations hier disant qu'il n'était pas d'accord avec la nomination d'un tuteur ad hoc lorsqu'il y a des conflits avec le tuteur. Il vous en a exprimé les raisons, c'était, dans les grandes lignes, qu'il y avait un problème avec la famille et que c'était la famille qui nommait un tuteur et c'est le tuteur ad hoc, finalement, qui s'en venait donner un mandat à un avocat dans une chose semblable. On maintient cette position du barreau, on fait nôtre le désaccord exprimé là-dessus.

Par quoi remplacerait-on le tuteur ad hoc? Ce qu'on se dit, c'est: Pourquoi ne pas le remplacer tout simplement par un avocat? L'avocat, que viendra-t-il faire comme travail là-dedans? Je pense que ce que l'avocat viendra faire - même si on est en face d'un mineur - c'est de représenter son client au même titre qu'un avocat représentera un adulte. La question qui vient immédiatement est la suivante: Oui, mais en vertu de quoi l'avocat représentera-t-il l'enfant? Je pense que, sur toute la question du mandat, selon le Code civil, le mineur n'est pas exclu de la capacité de mandater. Lorsqu'on regarde l'article 985 du Code civil, on nous dit que toute personne est capable de contracter sauf si elle est exclue par la loi. Lorsqu'on regarde aux articles 1701 et suivants du Code civil en matière de mandat, il n'y a pas d'exclusion en ce qui concerne le mineur face au mandat. Donc, le mineur peut mandater. De plus, quant au mandat, toujours aux articles 1732 et suivants du Code civil, on mentionne également que, dans le cas des avocats et des notaires, ils doivent exercer leur mandat conformément à la loi et à leur code d'éthique. Quand on arrive avec des enfants, lorsque l'enfant lui-même peut donner le mandat, pourquoi ferait-on intervenir un adulte pour venir donner un mandat à la place de l'enfant? Le projet de loi nous dit que l'enfant est sujet de droit. Lorsque l'enfant est capable de donner un mandat, pourquoi ne le donnerait-il pas à son avocat et soit représenté comme tout individu face à un problème juridique. Par contre si l'enfant n'est pas capable de donner le mandat, on pense aux jeunes enfants de la naissance à deux ans, quatre ou six ans, etc., ceux-là qui ne peuvent donner un mandat qui ne peuvent le verbaliser, quel est le rôle de l'avocat à ce moment dans ces cas?

Je pense qu'on peut parler, à ce moment-ci, pour les jeunes enfants non capables de mandater, de la notion de mandat légal que l'on retrouve finalement dans l'exercice de la profession d'avocat à savoir qu'est-ce que l'avocat fera face à un mandat légal lorsqu'il se présente à des jeunes enfants comme cela? Il va d'abord s'assurer du "due process" lors de la cause. Il va s'assurer que les règles de droit soient suivies et les règles de procédures également.

La deuxième chose c'est que, comme l'enfant va être représenté et qu'il va y avoir eu un avocat de désigné à cet enfant, on verra plus tard comment cela pourrait se faire, il est partie à l'action. L'enfant étant partie à l'action, on l'a fait par cette désignation pratiquement comme une intervention forcée et ordonnée par le juge, ce que son avocat fera c'est qu'il verra à ce que la preuve soit la plus complète possible. Après s'être assuré du "due process" il complétera la preuve, il verra à ce que le

tribunal ait devant lui la matière qu'il lui faut pour prendre la meilleure décision dans le litige. Finalement ce que l'avocat fera c'est qu'il fera valoir les droits de son client mineur. Pour nous, c'est cela qui est un mandat légal trois étapes "due process", faire la preuve la plus complète possible et faire valoir les droits de la personne.

Ces droits-là, c'est quoi? C'est bien sûr que le mineur a des droits patrimoniaux à l'intérieur du Code civil. Il a aussi d'autres droits à l'intérieur du Code civil et ce sont peut-être les droits extra-patrimoniaux que l'on retrouvera les droits, entre autres, d'être nourri et entretenu qu'on retrouve au Code civil.

Il y a aussi les droits que l'on retrouve dans la charte québécoise, où on fait valoir à ce moment et on dit clairement que l'enfant a le droit à la protection, à la sécurité et à l'attention de sa famille ou des gens qui en tiennent lieu. Alors, ces droits sont aussi des droits réels extra-patrimoniaux qui existent à l'heure actuelle et dans ce genre de cause. Évidemment, si l'on est dans un litige monétaire, ce sera autre chose, mais dans les autres cas ces droits extra-patrimoniaux existent et c'est le travail de l'avocat de les faire valoir.

Là, évidemment, je vous ai parlé des droits, et cela amène l'autre question, qui est la notion d'intérêt de l'enfant. Pour ne pas vous faire tomber en bas de vos chaises, c'est qu'on dit: Tout enfant...

M. Bédard: Je suis habitué à en prendre, allez-y.

M. Quintal: On retrouve un peu partout maintenant, dans le Code civil, que les décisions concernant les enfants doivent être prises dans l'intérêt de l'enfant et dans le respect de ses droits. Quand je dis "ne tombez pas en bas de vos chaises", c'est dans le sens où on s'interroge sur la pertinence d'inscrire dans un article que les décisions doivent être prises dans l'intérêt de l'enfant - cela va de soi - et dans le sens où, au départ - je fais un retour en arrière à la Loi sur la protection de la jeunesse -en 1979, le législateur avait dit que les décisions devraient être prises dans le respect des droits. À ce moment-là, le législateur pensait: Si on respecte les droits de l'enfant, on va respecter son intérêt. Ensuite, ce qu'on reprochait à la notion d'intérêt, c'était de favoriser beaucoup le paternalisme. L'intérêt, c'est très abstrait comme notion et chacun l'interprétait un peu à sa façon. On disait: Cela amène le paternalisme, mais on ne sait pas trop ce que c'est. Pourquoi ne pas y aller avec des données plus précises? C'est très subjectif; c'est très abstrait.

Lorsqu'on regarde la jurisprudence en matière d'intérêt, cela a commencé quand même depuis 1920, où les Cours suprêmes ont toujours parlé de l'intérêt de l'enfant, et cela de différentes façons. Mais la réalité que la notion d'intérêt recouvre, finalement, lorsqu'on regarde la jurisprudence, c'est qu'on découvre qu'il y a encore des préoccupations de protection, de sécurité et d'attention, tant sur le plan physique que psychologique.

Le Président (M. Blouin): Je sais que vous avez de bons arguments pour étayer les affirmations que vous avancez. Cependant, je crois que tous ces arguments supplémentaires pourraient être fournis au moment où les membres de la commission vous poseront des questions.

M. Quintal: D'accord.

Le Président (M. Blouin): Je crois que vous pourriez davantage évoquer les positions de votre organisme. Ensuite, lors de la discussion, nous pourrions aller plus loin dans ces interventions.

M. Quintal: D'accord, M. le Président.

Alors, notre proposition serait que les décisions soient prises dans le respect des droits de l'enfant, et, par ce moyen-là, qu'on arrive à la finalité qui est l'intérêt de l'enfant.

Maintenant, pratiquement, comment peut-on faire? On se pose la question à savoir qui va nommer cet avocat et comment va-t-il être payé, cet avocat d'enfant? Je pense que, pratiquement, lorsque le tribunal en arrive à la conclusion que l'enfant devrait avoir un avocat, l'enfant, s'il est d'âge à mandater, peut aller se chercher un avocat de lui-même, comme cela se fait actuellement en matière de protection de la jeunesse ou de délinquance. S'il n'en connaît pas, le tribunal peut lui faire part, comme aux adultes, que le système d'aide juridique existe. Dans les cas où l'enfant ne peut pas donner de mandat, le tribunal n'aurait qu'à l'envoyer à l'organisme constitué par le législateur - et c'est l'Aide juridique - qui dit à l'article 51 que: l'Aide juridique doit fournir les services d'un avocat à une personne qui en fait la demande. Si le tribunal demande à l'Aide juridique de fournir un avocat, c'est déjà dans la loi de le prévoir. Cela règle la désignation et les coûts. (16 h 45)

Le Président (M. Blouin): Cela va? Merci beaucoup. M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier le président de la Commission des services juridiques de même que celles et ceux qui l'accompagnent pour la présentation de leur mémoire qui est surtout centré sur le droit des personnes. Fort à propos après avoir entendu les points de vue exprimés par

d'autres organismes sur d'autres points, il y est allé de commentaires additionnels sur différents autres points. Même si on ne les retrouve pas dans le mémoire, c'est fort à propos et nous en prenons bonne note. Je suis aussi très heureux de constater que, comme cela a été le cas pour le projet de loi no 89, la Commission des services juridiques continue sa présence significative dans l'étude et les recommandations pour améliorer le projet de loi que nous avons devant nous.

Nous aurions plusieurs questions. Beaucoup de ces questions ou de ces sujets ont été touchés à l'occasion de l'audition de groupes précédents. Je sais que vous ne vous en formaliserez pas si le nombre de questions est plus restreint à mesure que les groupes défilent. J'ai entendu tout à l'heure avec beaucoup d'attention - cela me rappelait des souvenirs - la plaidoirie de Me Quintal concernant l'à-propos de la présence des avocats pour défendre les intérêts de l'enfant. Je pense qu'il n'y a aucun membre de la commission qui met en doute la capacité, la possibilité pour des avocats de défendre équitablement les intérêts de l'enfant. D'ailleurs, il n'y a pas d'article... Me Quintal plaidait un peu... À un moment donné, je me demandais s'il n'y avait pas un article dans le projet de loi où on était en train de proscrire la présence des avocats pour défendre les intérêts de l'enfant.

M. Quintal: C'est cela, M. le ministre.

M. Bédard: On n'en a pas l'intention, vous pouvez en être assuré. Ce qui est dans le projet de loi est la continuation de la formule de nomination d'un tuteur ad hoc à l'enfant. Je crois que cela peut se concilier; il y a différents âges. Quand même, quand on parle des enfants, on peut parler d'un enfant de 14 ans qui est capable de choisir qui va défendre ses intérêts. On doit aussi penser à l'enfant beaucoup plus jeune, de deux ou trois ans, qui a besoin d'être - il me semble manifestement - appuyé et représenté par un tuteur ad hoc. Cela me semble assez clair de ce côté-là. Je comprends que le tribunal pourrait faire l'évaluation des cas et décider, comme cela peut se faire, d'affecter, de déterminer, ou encore d'indiquer qu'un avocat...

M. Quintal: C'est la nature de la représentation. Finalement, le problème qui se pose à ce sujet est qu'avec le tuteur ad hoc c'est ce dernier qui va donner le mandat. Alors, qu'est-ce qui va arriver comme conflit? Lorsque, par exemple, en prenant le cas du jeune de 14 ans, le tuteur ad hoc va être nommé et qu'il va donner un mandat...

M. Bédard: S'il a 14 ans, il y a des nuances parce qu'on parle de quelqu'un qui peut être en mesure de décider des choses. Bon! Mais pour l'enfant de deux ans?

M. Quintal: Pour l'enfant de deux ans, ce sera quelqu'un avec qui... Le conflit est dans la famille. C'est pourquoi il va y avoir un tuteur ad hoc. C'est cette famille qui va nommer, dans les conflits d'intérêts qui existent, le tuteur ad hoc et celui-ci, selon toute vraisemblance, sera quelqu'un de la famille, qui va être pris dans le conflit d'intérêts, qui va donner un mandat à l'avocat.

M. Bédard: Soyons clairs! J'ai peut-être mal saisi. Est-ce que vous voulez me dire que la position du barreau est la disparition du tuteur ad hoc? Est-ce que vous épousez totalement cette prise de position ou si vous croyez, lorsque l'enfant est manifestement plus jeune ou très jeune, qu'il est aussi très important que la formule de tuteur ad hoc soit maintenue?

M. Quintal: Lorsque l'enfant sera très jeune, le problème qui existera sera celui de savoir qui sera le tuteur ad hoc. Déjà, on sait qu'il va être nommé par la famille, qu'il va vivre les conflits d'intérêts. Donc, la personne qui va être nommée et qui, finalement, comme tuteur ad hoc, donnera un mandat à l'avocat - parce que nécessairement, il va y avoir un avocat quand même, même si l'enfant a deux ans, parce qu'il y a un conflit en justice - à ce moment, celui qui va mandater l'avocat est une des personnes qui aura été nommée par des gens qui sont en conflit. C'est là qu'on s'interroge sur l'équité du mandat qui pourrait être donné.

M. Bédard: Même s'ils sont en conflit, je pense qu'à ce moment, s'il y a des dissensions ou n'importe quoi par rapport à une cause qui, éventuellement, est devant le tribunal, n'importe qui est susceptible ou a le droit de se faire entendre.

M. Quintal: Sauf que l'avocat va détenir son mandat du tuteur ad hoc. C'est là l'affaire.

M. Bédard: Peut-être une dernière question. Vous formulez certaines inquiétudes quant à la lourdeur - M. le président en a parlé de façon plus spéciale - pouvant entraîner le conseil de tutelle. Est-ce que vous avez des suggestions particulières à formuler sur la question du contrôle de l'exercice de la tutelle et ce, sans susciter une intervention accrue dans ce domaine?

M. Lafontaine: Si on a des solutions pour diminuer la lourdeur?

M. Bédard: Peut-être une suggestion, je ne sais pas. Vous craignez la lourdeur. On sait que cela remplace... Mon humble opinion est que nous pensions, par cette formule, contribuer à diminuer la lourdeur de ce qui existait auparavant. Peut-être croyez-vous qu'il y a des solutions pour presque l'éliminer complètement. J'aimerais savoir si vous avez des suggestions précises ou, encore, si cela se limite au niveau des inquiétudes que vous avez valablement exprimées.

M. Lafontaine: C'est ce qu'on a fait. On a d'abord commencé à regarder toutes les solutions possibles pour voir s'il n'y avait pas une meilleure façon de s'y prendre pour essayer d'en diminuer la lourdeur. Mais après avoir fait le tour de toutes les solutions, on a dit: C'est peut-être celle-là. On verra à l'usage. De toute façon, les lois peuvent aussi être modifiées.

M. Bédard: J'aurais bien d'autres questions, mais je vais laisser à mes collègues...

Le Président (M. Blouin): Merci, M. le ministre. M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Vous avez soulevé beaucoup de points, des points techniques et des points importants, mais je peux vous assurer que nous allons faire un résumé de votre mémoire et aussi de vos interventions pour soulever toutes ces questions lors de l'étude article par article de ce projet de loi qui viendra dans quelques mois.

J'ai peut-être un commentaire et une question. Vous avez soulevé la question que, peut-être, il faudrait changer le titre du livre premier pour "des personnes humaines" et peut-être mettre les personnes morales dans un autre livre. Je sais qu'au dix-neuvième siècle c'était dans le même livre, mais il n'y avait pas de lois sur les compagnies, et ainsi de suite. Je pense que c'est peut-être une bonne idée de changer la nomenclature de ces titres, de ces livres.

En ce qui concerne l'article 1, au troisième paragraphe, parce que je sais que les avocats à la Commission des services juridiques plaident beaucoup de causes, comme avocat praticien, comment voyez-vous ce troisième paragraphe que le barreau a vraiment critiqué? C'est-à-dire qu'"en cas de silence ou d'insuffisance, ces règles sont complétées par celles qui se dégagent d'une jurisprudence constante et d'une doctrine reçue ou des principes généraux du droit ainsi que parfois de la coutume et des usages." Êtes-vous d'accord avec ce paragraphe dans l'article 1 ou avez-vous des remarques à faire?

Le Président (M. Blouin): Me

Lafontaine.

M. Lafontaine: Je n'ai pas de mandat spécifique de la commission de parler sur le sujet, mais vous demandez peut-être une opinion personnelle comme juriste. Je pense que ces dispositions préliminaires ne font que consacrer ce qui est la réalité quotidienne et la réalité du plaideur dans le fond, parce que c'est comme cela que ça procède en pratique. Cela m'aurait peut-être plus fatigué si on avait parlé de la doctrine du stare decisis, c'est-à-dire que les jugements de cour sont finaux et qu'il n'y a plus rien à faire une fois qu'un tribunal s'est prononcé. Ce n'est pas cela. On a parlé d'une jurisprudence constante. Je peux m'accommoder de cela. Mais si on avait amené la notion du stare decisis, j'aurais peut-être trouvé cela fatigant, mais encore là...

M. Bédard: On a ajouté aussi: "et" d'une jurisprudence constante "et" d'une doctrine reçue, non pas "ou". Je pense que c'est important pour essayer d'être le plus étanche...

M. Marx: II faut d'abord soulever le problème, à savoir quand une doctrine est reçue et qu'est-ce que la jurisprudence constante. C'est cela.

Le Président (M. Blouin): D'accord? Cela va, M. le député de D'Arcy McGee?

M. Marx: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Blouin): Alors, M. le député de Bertrand et ministre délégué aux Relations avec les citoyens.

M. Lazure: Je m'excuse auprès des représentants de la commission de ne pas avoir assisté à leur présentation. J'ai essayé de parcourir rapidement le mémoire tantôt. À titre aussi de ministre responsable de l'application de la loi 9, la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées, je suis particulièrement intéressé à un ou deux aspects de leur mémoire. Je vais me permettre d'en soulever un.

À la page 5 de votre mémoire, vous traitez de l'article 14. Vous dites que cet article introduit dans notre droit une nouvelle catégorie de personnes, les personnes majeures non douées de discernement. Vous vous opposez à ce que le projet de loi prévoie que le conjoint ou qu'un proche parent puisse donner un consentement lorsqu'il n'y a pas de tuteur. Je veux seulement soulever un exemple où on pourrait vraiment avoir besoin d'un tel mécanisme: une personne adulte qui a une intelligence moyenne et qui, d'habitude, a tout son discernement, mais à cause de certaines dispositions maladives, de temps à

autre, fait des bouffées, connaît des épisodes où la personne se sent persécutée, elle a des tendances paranoïdes. La personne se sent persécutée et, dans l'ensemble de sa vie quotidienne, son discernement est maintenu. Mais elle a un ou quelques délires bien précis qui peuvent rendre la vie impossible aux gens qui l'entourent: sa famille, son conjoint, sa conjointe ou ses enfants. Cela n'est pas une urgence en tant que telle, mais, contrairement à ce que vous avancez, il me semble que le conjoint ou le proche parent... En tout cas pour la partie examen, peut-être pas pour la partie traitement, parce qu'il y a là examen et il y a aussi traitement et intervention - il y a trois expressions qui sont utilisées - mais au moins dans la partie examen, en l'occurrence examen psychiatrique, il me semble que le mécanisme qui est proposé par le projet de loi paraîtrait fort utile. Quelle est votre réaction à cela?

Mme Roy (Claudine): Notre position sur ce problème, c'est que, d'abord, ce n'est pas une situation d'urgence, bien entendu, c'est donc, à notre avis, le bon moment pour nommer un conseiller à cette personne, pour le rentrer dans les régimes de protection du majeur. C'est pour cela...

M. Lazure: Vous alourdissez vraiment les choses. C'est la seule réaction que j'aurais. Vous dites: Comment un conjoint ou un proche parent peut-il passer un jugement sur l'état de la personne? En partie, je suis d'accord avec vous. Moi, je dirais: II peut passer un jugement sur le fait que la personne semble au moins avoir besoin d'un examen médical, au moins jusqu'à l'examen, sinon au traitement. Est-ce qu'il n'y a pas lieu de distinguer au moins entre l'examen et le traitement? (17 heures)

M. Lafontaine: Ce pourrait être un moindre mal, cela pourrait être un palliatif si on le limitait seulement à cela. Mais il faut noter qu'il n'y a pas d'urgence non plus. Vous vous tenez toujours sur la marge, vous êtes seulement à l'examen et il n'y a pas tout à fait urgence.

M. Lazure: II y a urgence. J'ai seulement une dernière remarque. Il n'y a peut-être pas apparence d'urgence dans le sens que la personne n'est peut-être pas immédiatement dangereuse pour elle-même ou pour autrui, mais, d'après les gens qui vivent avec la personne, il y a urgence que le personne soit traitée. Ce sont des cas très communs, très fréquents.

M. Lafontaine: ... M. Lazure: Pardon?

M. Lafontaine: S'il y a urgence, il n'y a pas de problème.

Mme Roy: C'est l'article 12 qui s'applique.

M. Lazure: Urgence, mais pas dans le sens où on l'entend habituellement. Je pense que cela serait utile de conserver, au moins pour la partie examen, un tel mécanisme.

Mme Roy: ...la différence entre un examen et un traitement. Il peut y avoir des examens qui sont très douloureux auxquels une personne refuse de se soumettre, et c'est quand même une personne majeure qui, jusqu'à maintenant, n'a jamais été "interdite" selon le système actuel. Est-ce que ce n'est pas justement le temps de voir à sa protection?

Le Président (M. Blouin): Merci, M. le député et ministre délégué aux Relations avec les citoyens. M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais qu'on regarde l'article 179. Vous en avez d'ailleurs fait une mention dans votre mémoire. Moi, j'ai certaines réticences. On dit que, pour garantir l'administration des tuteurs, quand le tuteur est autre que le père ou la mère, on va exiger une sûreté si les biens excèdent 10 000 $ et lorsque c'est le père ou la mère, c'est au-delà de 25 000 $. Vous dites: II faudrait peut-être ramener cela à 10 000 $ pour les deux cas. Je suis bien d'accord, mais je me demande également: Est-ce qu'on ne devrait pas le ramener à zéro? Est-ce qu'on pourrait permettre de dilapider les premiers 10 000 $ et qu'on ne permettrait pas de dilapider au-delà de 10 000 $ ou au-delà de 25 000 $? On a vu des cas tellement tristes où, lorsqu'il s'agissait de remettre les biens aux mineurs lorsqu'ils avaient 18 ou 21 ans, il ne restait plus rien parce que les parents s'étaient acheté un manteau de vison pour la mère, une auto, ils allaient se promener en Floride. Bien des fois, il y avait des incapacités permanentes et il ne restait rien.

Là-dessus, je serais très sévère. Ce n'est pas une sécurité du tout de dire qu'avec les parents, il y a moins de danger. Je ne sais pas ce que vous en pensez.

M. Doré (François): Je sais au départ que, sauf erreur, l'Office de révision du Code civil, quant à lui, avait suggéré 6000 $ comme limite. Par contre, il faut également penser que, si le Curateur public avait un rôle efficace dans la surveillance de la tutelle, certains de ces problèmes pourraient être évités.

Également, il faudrait lire l'article 179 en rapport avec l'article 143 qui indique d'où

proviennent les sommes d'argent que le tuteur peut administrer. On s'aperçoit que, finalement, c'est à partir du moment où cela excède les besoins de l'enfant, que le contrôle devrait se faire. Vous suggérez à partir de zéro, ce serait peut-être l'idéal. Par contre, ce serait peut-être amener trop de rigueur au système. En fait, il s'agit de mettre une limite. On trouvait de toute façon que 25 000 $, c'était trop élevé. On se dit: Pourquoi ne pas le mettre à 10 000 $, comme tout autre tuteur? C'est le souci de la clientèle qu'on représente, des cas qu'on a déjà vus, comme vous le soulignez. Il y a aussi la question du coût d'administration de tout cela.

Le Président (M. Blouin): Cela va? M. le député de Saint-Laurent.

M. Leduc (Saint-Laurent): C'est une interrogation, cela va.

Le Président (M. Blouin): M. le député de Sainte-Anne, rapidement.

M. Polak: Non, non.

Le Président (M. Blouin): Non, cela va. Alors, M. le ministre.

M. Marx: On pourrait peut-être avoir l'information sur le coût de la sûreté.

M. Bédard: Je ne peux pas dire exactement, c'est tant les 1000 $ assurés. Ce ne sont pas des coûts exorbitants.

M. Leduc (Saint-Laurent): II faut donner une garantie hypothécaire. Cela ne coûte rien.

Le Président (M. Blouin): II n'y a pas d'autres...

M. Marx: Cela coûte les frais de notaire.

Le Président (M. Blouin): II n'y a pas d'autres interventions? Je remercie donc les représentants de la Commission des services juridiques.

M. Marx: On va revenir sur ce point qui a été soulevé. Peut-être le ministre peut-il y réfléchir?

M. Bédard: C'est une heureuse suggestion, on la prendra à son mérite.

Le Président (M. Blouin): Encore une fois, je remercie les représentants de la Commission des services juridiques d'être venus nous donner leur opinion et j'invite maintenant les représentants du

Regroupement des comités logement et associations de locataires.

Alors, pendant que vous prenez place, je vous rappelle que je souhaiterais que vous puissiez exposer vos idées avec concision afin que nous puissions, dès cet après-midi, entendre également le groupe qui vous suit. Et, avant que vous ne nous présentiez vos opinions, je vous demanderais, pour les fins du journal des Débats, de vous identifier, s'il vous plaît.

Regroupement des comités logement et associations de locataires

M. Vallée (Bernard): M. le Président, mesdames, messieurs, je suis Bernard Vallée, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec. À ma droite, M. Denis Cusson, membre du comité de coordination de notre organisme. À ma gauche, M. Pierre Péladeau, étudiant en droit à l'UQAM, qui nous sert de conseiller et qui a fait une recherche sur le sujet dont on va vous parler, la protection de la vie privée.

Le Président (M. Blouin): C'est bien.

M. Vallée: Par le mémoire qu'on vous a déposé, on désirait faire connaître notre point de vue sur le projet de loi no 106 et, en fait, essentiellement, sur les chapitres deuxième et cinquième, portant sur l'exercice des droits civils et le respect de la réputation et de la vie privée. D'ailleurs, nous avons remarqué jusqu'à présent que peu de groupes se sont prononcés sur ces articles qui nous semblent très importants.

C'est l'apparition et le développement de listes noires et de fichiers centraux de locataires, mis sur pied par les associations de propriétaires et par certaines compagnies, qui ont soulevé notre inquiétude, celle des locataires et de tous les citoyens soucieux des droits de la personne. C'est ce phénomène qui nous a incités à examiner et à commenter ce projet de loi. En fait, ce qu'on va vous transmettre aussi, c'est notre déception que nous exprimerons ici. Mais par contre, nous suggérons des pistes en vue d'une législation qui ait de l'allure - qu'elle soit, d'ailleurs, sous forme de complément ou d'amendement au Code civil - et aussi des pistes pour une législation statutaire future.

Pour nous, la principale chose qu'on pourrait dire sur les chapitres deux et trois, c'est qu'ils semblent s'appuyer sur une réalité devenue désuète et qui ne tient absolument pas compte des nouvelles réalités, en particulier techniques et informatiques, qui pénètrent actuellement dans la vie privée des gens. On n'est plus dans le domaine du colportage de rumeurs, des papotages de couloirs. On est en face de systèmes, même internationaux, de banques de données.

M. Marx: Vous parlez des chapitres deux et trois de quel...

M. Vallée: Les chapitres deux et cinq, excusez-moi. Les chapitres deux et cinq...

M. Marx: Les chapitres deux et cinq de...

M. Vallée: ...de la loi 106. M. Marx: ...quel est le titre? M. Vallée: Loi 106, c'est-à-dire...

M. Marx: Je ne trouve pas de chapitres deux et cinq dans...

M. Vallée: Excusez-moi. C'est dans le livre premier, titre premier. Ce sont les articles 5 à 10, d'une part, chapitre deuxième, De l'exercice des droits civils. Excusez-moi, je ne suis pas...

M. Marx: Non, non, non.

M. Vallée: ...et chapitre cinq à la page 10: Du respect de la réputation et de la vie privée, articles 33 à 36.

Si notre groupement ne rassemble pas l'ensemble des associations de locataires du Québec, nous savons, en tout cas, que notre point de vue est partagé par de nombreux organismes qui ont donné leur appui à notre mémoire. Je soulignerais, en particulier, l'autre organisation importante au niveau des locataires qui est le FRAPRU, la CEQ et quelques-uns de vos collègues de l'Assemblée nationale, le ministre de la Science et de la Technologie, le ministre de l'Habitation et la Commission des droits de la personne, qui nous ont déjà manifesté leur vive préoccupation face à ce problème.

On va rentrer dans le vif du sujet. Vous avez entendu parler, il n'y a pas très longtemps, de l'apparition et du développement des listes noires. Le problème est que les propriétaires et leurs associations ont décidé d'organiser sur une grande échelle un harcèlement, une intimidation et une discrimination qu'ils faisaient d'habitude de façon très artisanale. Avec les nouveaux outils informatiques, des fichiers permettent d'accumuler un nombre d'informations sans limite sur de plus en plus d'individus, à un coût minime et avec une très grande facilité d'utilisation.

Engagés dans une lutte décisive contre toute forme d'intervention juridique de l'État dans leur commerce, les marchands de logements n'ont jamais caché leur intention, c'est-à-dire de dissuader les locataires de faire usage de recours juridiques et éliminer du stock de logements qu'ils contrôlent tous ceux qui se prévaudraient quand même de leurs droits. Alors que des lois comme la loi 107, la loi de relations propriétaire-locataires, leur donnent déjà des moyens de poursuivre et d'expulser, par exemple, les mauvais payeurs, les saboteurs, les trouble-fête, ils se donnent les moyens d'imposer leur propre loi et substituent à la justice publique la loi de la jungle.

Actuellement, plus de 20 000 locataires sont fichés. Nous ne sommes donc pas face à un phénomène marginal. Le chiffre de 20 000 a été évalué au mois de janvier. Je pense qu'il faudrait peut-être doubler ce chiffre à l'heure actuelle. Dans le vide législatif complet qui entoure les pratiques des banques privées de données comme les listes noires, le dépôt du projet de loi no 106 aurait pu nous permettre d'espérer qu'une volonté politique de mettre fin aux abus allait enfin s'exprimer. Pourtant, nous pensons que nous sommes loin avec ce projet de loi d'un cadre législatif permettant le respect intégral de la réputation, de la vie privée ainsi que de l'exercice des droits civils sans crainte de représailles. Nous avons été surpris du caractère extrêmement réduit du nombre d'articles - par exemple dans le chapitre cinquième qu'on examine - qui prétendent finalement encadrer un domaine aussi vaste et grave en ce qui concerne les droits de la personne. Cela nous a franchement étonnés.

En faisant cette déposition aujourd'hui, on a un objectif qui est de mettre fin à notre problème en tant qu'association de locataires face aux listes noires de locataires. Je pense qu'il pose le problème d'ensemble des banques de données privées. Je vous rappellerais, pour mémoire, le but que nous visons au sujet du problème qui nous concerne et dont une loi ou des principes dans le Code civil devraient tenir compte, c'est qu'il faut que des listes comme les listes noires de locataires qui sont un certain type de banques de données privées soient éliminées puisqu'elles visent uniquement la discrimination et la renonciation à l'exercice de droits civils. Il faut donc que des mécanismes très précis et des principes puissent guider ces mécanismes pour qu'on interdise la mise sur pied de tels fichiers et qu'on prévoie aussi des pénalités pour poursuivre les contrevenants, ce qui n'existe pas présentement.

On va essayer de déterminer ce que sont les principes qui pourraient régir un tel code ou une telle législation. Une législation complète et efficace pour garantir que la vie privée des citoyens ne sera pas violée par les promoteurs et les utilisateurs de banques de données sur les individus devrait permettre de contrôler les objectifs de telles banques, la pertinence de leur contenu, leur utilisation ainsi que l'accès des citoyens à leurs dossiers, la vérification et la correction des informations. Avec les développements de l'informatique et de la télématique qui

augmentent considérablement la portée des conséquences sociales de leur utilisation, il revient à l'État, non seulement aux seuls individus, de protéger les citoyens face à des agissements qui donnent aux promoteurs et aux utilisateurs de listes noires ou de fichiers des moyens de répression qu'il est difficile de contrer de manière individuelle. On ne se trouve plus confronté à telle ou telle pratique non délicate ou frauduleuse, mais bien à des systèmes organisés de discrimination et de représailles à grande échelle. (17 h 15)

Nous pensons que cette loi devrait prévoir que la mise sur pied des banques de données sur les individus soit soumise à des demandes de permis qui seraient l'occasion de vérifier si les objectifs de ces fichiers et le contenu des informations n'entraînent aucune possibilité d'intimidation et de discrimination. Il faudrait aussi affirmer la propriété complète des individus sur toutes les informations qui les concernent, particulièrement, des informations que l'entreprise privée voudrait accaparer. Il faudrait que ces banques de données puissent être contrôlées régulièrement ou sur plaintes par un organisme compétent afin de vérifier si le contenu et l'usage qui en est fait ne contreviennent pas à ce qui serait socialement acceptable dans une société démocratique.

Il faudra enfin que les individus qui se sentent lésés dans leurs droits puissent faire appel à l'État pour assurer le coût et les démarches des poursuites. Cette loi et ces principes devraient établir la primauté du respect de la vie privée, donc, du droit de propriété aussi des individus sur les informations les concernant et la primauté du plein exercice des droits civils sur toute autre considération, y compris le droit de propriété des biens et marchandises.

La loi 106 répond-elle à ces attentes? Nous avons pris acte du contenu des articles 5, 8, 33 et 35 du projet de loi no 106. Dans le cas qui nous concerne, on a regardé cela et on aimerait les interpréter comme suit. Je le précise bien, "on aimerait", parce qu'en fait c'est à vous de nous confirmer si c'est effectivement comme cela.

Les listes noires ou de tels types de listes sont illégales parce qu'elles visent à nuire à autrui. Est-ce vraiment ce que l'article 8 veut dire? Parce que ces listes privent les locataires visés de l'accès au stock de logements contrôlés par les membres des associations promotrices des listes noires. Elles visent à obliger les locataires à renoncer à l'exercice de leurs droits civils. À l'article 10, est-ce vraiment ce que le législateur voulait dire? Si oui, tant mieux. Mais je n'en ai pas l'impression. Si on lit l'article 33, on pourrait penser que, pour inscrire une information concernant un locataire sur un fichier, l'organisme promoteur devra obtenir obligatoirement le consentement de cette personne. Je n'ai pas l'impression que l'article 33 pourrait effectivement s'interpréter comme cela. Donc, le problème reste entier. Un locataire pourra avoir accès à son dossier, faire rectifier les informations ou les faire supprimer si elles sont non pertinentes et préjudiciables. C'est ce qu'on lit à l'article 35. Par exemple, cela pourrait vouloir dire qu'un locataire pourrait faire supprimer la mention des recours juridiques dans lesquels il aurait été impliqué ou il pourrait faire supprimer la mention qu'il est un assisté social.

En fait, il reste à savoir si cela correspond bien à l'intention du législateur. Nous en doutons, car les choses se gâtent, lorsqu'on regarde de plus près les articles. Si la loi affirme qu'on ne peut renoncer à l'exercice de ses droits civils, à l'article 10, en fait, aucune disposition n'interdit expressément à quelqu'un de faire, par exemple, des menaces ou des représailles contre une personne qui désirerait ou exercerait ses droits; aller à la Régie du logement, par exemple.

Il n'existe aucune disposition, effectivement, déclarant expressément que nul ne peut forcer ou contraindre une autre personne à renoncer à l'exercice de ses droits. Les droits d'accès et de correction n'ont de sens que si la personne a connaissance de l'existence des dossiers constitués à son sujet. Or, plusieurs de ces dossiers et, en fait, toutes les listes noires au Québec, sont constitués à l'insu des personnes concernées. Nulle part, à notre avis, il n'est question dans ce projet de loi de l'obligation d'informer la personne qu'un dossier est ou a été constitué à son sujet. Cela réduit considérablement la portée des articles qui portent sur l'accès.

Rien n'est prévu pour empêcher les représailles contre un individu qui a refusé de donner son consentement à la constitution d'un dossier sur sa personne. Or, on sait que c'est une condition de plus en plus répandue pour obtenir un logement, mais aussi un emploi ou un service. La conséquence d'un tel refus étant, le plus souvent, le refus pur et simple du logement, de l'emploi ou du service, il n'est prévu aucun droit de contester un consentement ainsi forcé, particulièrement dans les cas où le consentement ouvre la porte à une intrusion abusive dans la vie privée ou que l'information demandée est non pertinente, discriminatoire ou ouvre la porte à l'arbitraire le plus odieux.

Si la loi permet aux intéressés d'avoir accès à leurs dossiers, la majorité des banques privées de données, y compris les listes noires de locataires, risque d'être exclue de cette disposition de l'article 35 à

cause du caractère restrictif du texte. Ne sont visés que les dossiers constitués dans le but d'informer un tiers. Un membre d'une association de propriétaires est-il un tiers pour son association? Ces gens diront non. La loi ne s'appliquera donc pas à ces dossiers.

Le droit d'accès et de correction des dossiers n'a de sens que si on peut vraiment l'exercer. Or, c'est sur les individus que repose le fardeau des démarches et des coûts pour l'obtenir, s'il y a obstruction des propriétaires de fichiers. Bien peu seront, par exemple, les locataires qui auront les moyens de faire face aux longues et coûteuses procédures judiciaires que les puissantes associations de propriétaires ne manqueront pas de multiplier, sans compter l'attention toute particulière dont les plaignants seront l'objet par la suite.

La notion d'accès aux dossiers semble laisser croire que le législateur en est resté à l'image de bons vieux classeurs métalliques et leurs dossiers de papier et de carton qu'on peut aller vérifier, alors que la réalité de l'informatique permet l'existence de plusieurs clés d'accès à l'information qui ne seront pas toutes révélées aux consultants, que ce soient les intéressés et même les tribunaux qui sont très peu compétents dans ces matières d'informatique et qui ne pourront alors vérifier la totalité des dossiers, sans parler de la facilité de destruction de preuves alors que ce ne sont que des impulsions électriques.

Les tribunaux devront se prononcer sur le bien-fondé de rectification ou de suppression d'information en l'absence de toute définition dans le Code civil de la pertinence ou du caractère socialement acceptable de l'utilisation de certaines informations. Ce qui est pertinent pour un marchand de logements ne l'est pas forcément pour un locataire pour qui le logement est un besoin essentiel.

Le législateur a également ignoré la possibilité de constitution ou d'utilisation de banques de données situées en dehors du territoire du Québec, aux États-Unis, par exemple, ou dans d'autres provinces; Tenant-Chek dans les Maritimes veut étendre son service "coast to coast" et en particulier au Québec.

Aucun système de contrôle préventif des banques de données n'est prévu pour surveiller leur constitution et leur utilisation. Les recours étant individuels, aucun pouvoir n'est donné clairement aux tribunaux pour mettre hors d'état de nuire un fichier complet dont la totalité ou une partie de ses informations sont préjudiciables, dont les modes de cueillette sont discutables, dont la gestion est non sécuritaire ou l'utilisation discriminatoire.

Aucune pénalité ne semble prévue non plus pour dissuader d'agir d'éventuels contrevenants à la loi qui seront tentés de brimer l'exercice des droits civils ou de violer la vie privée. Pour nous, il y a là tous les indices d'une loi qui risque de rester sur les tablettes ou d'un Code civil qui n'est pas du tout adapté, qui va être inopérant dans les conditions dans lesquelles la vie privée, actuellement, en 1983, est atteinte.

Si le gouvernement veut sincèrement apporter aux citoyens des moyens concrets et efficaces de se défendre, nous pensons que, pour au moins ces chapitres, il devrait se remettre au travail en examinant la réalité quotidienne qu'on vit à la base, nous les citoyens, les conditions réelles et nouvelles de l'exercice de nos droits, les moyens techniques considérables que se donnent maintenant les plus nantis de la société pour imposer leur volonté, souvent au mépris des droits sociaux.

Cette réforme du Code civil doit être complétée et il est nécessaire d'établir un cadre législatif et réglementaire complet et spécifique, au moins aussi poussé que celui qui concerne les banques de données gouvernementales. On rappelle aussi que des mesures transitoires immédiates doivent être prises afin que le temps nécessaire que vous devriez prendre pour approfondir la connaissance du problème et pour lui trouver des solutions adéquates ne soit utilisé par les promoteurs de banques de données privées pour développer encore plus leurs pratiques contestables.

C'est, en gros, le résumé de notre mémoire. Je voudrais prendre même pas une minute...

Le Président (M. Blouin): D'accord.

M. Vallée: ...pour vous citer une lettre envoyée par un propriétaire à un locataire, pour vous montrer que ce n'est vraiment pas de la paranoïa dont on fait état aujourd'hui. C'est l'avocat de la locataire qui nous l'a envoyée. "Vous trouverez ci-jointe, une copie d'une lettre en date du 1er juin 1982 que M. Guy Hunter, un propriétaire, adressait à une de ses locataires, Mme Claire Langlois, cette dernière âgée de 80 ans." Celle-ci se lisait comme suit: " Chère madame Langlois, étant donné que vous refusez l'augmentation de loyer, étant donné que je fais partie de CORPIQ, une association de propriétaires, nous avons une banque de noms pour les mauvais locataires. Ceci est dans le but de protéger un autre propriétaire de gens comme vous. Vous pouvez me croire: vous aurez de la misère à vous trouver un loyer. Je vous ai donc - l'orthographe est très mauvaise - inscrit à cette banque. Étant donné que vous avez été à la régie, je vous informe que dans quelques jours vous n'aurez plus de thermostat pour contrôler la chaleur, que dès le 1er juillet 1982 vous n'aurez plus d'eau chaude et que dans quelques mois, vous

aurez une lettre vous avisant que je vais reprendre possession de votre loyer pour me loger".

Le harcèlement et la discrimination on les connaît depuis des centaines d'années; les systèmes de discrimination et d'atteinte à la vie privée qu'on connaît en 1983, c'est sans comparaison avec ce qu'on connaissait jusqu'à présent. Les quelques articles qu'on nous a soumis dans la loi 106 ne peuvent faire l'affaire.

Le Président (M. Blouin): Merci, M. Vallée. La parole est au ministre de la Justice.

M. Bédard: M. le Président, je remercie les représentants du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec de leur représentation. Comme il fallait s'y attendre, et c'est normal, ils ont centré l'essentiel de leur représentation sur des préoccupations qui, en fait, correspondent à des réalités sociales. Je comprends. J'ai lu leur mémoire, comme tous les membres de la commission. Nous venons de les entendre. Vous nous avez dit que la loi 106 ne répond pas à vos attentes. Je pense que vous avez raison et j'ajouterais qu'il est fort probable que le Code civil, comme tel, ne pourra pas répondre à toutes vos attentes.

M. Vallée: Peut-être dans ses principes.

M. Bédard: Ce sont des principes. On est en train d'élaborer le Code civil, pas le code des locateurs et locataires. Quand je dis cela je ne veux minimiser en aucune façon les problèmes que vous avez évoqués, la réalité de certaines situations qui doivent être rectifiées. Mais soyons de bon compte dès le départ. Il y a une différence entre le Code civil et un code plus spécifique par rapport à un sujet de préoccupation. Je pense qu'il faut en convenir.

Vous vous étonnez qu'il n'y ait pas beaucoup d'articles concernant le chapitre de l'exercice des droits civils. Il y aurait de quoi surprendre si ce chapitre devait rejoindre toutes les préoccupations de tous les groupes, tel le vôtre, qui pourraient avoir des représentations à faire par rapport à un sujet de préoccupation donné. Quand on parle du Code civil, il s'agit, il faut en convenir quand même, de dispositions qui ont un caractère général pour s'appliquer à une clientèle très large, l'ensemble des citoyens et citoyennes du Québec, alors que vos remarques ont quand même, il faut en convenir, des aspects très spécifiques. Quand je dis cela, je n'en diminue en aucune façon la portée et l'importance.

De plus, ne croyez-vous pas que l'introduction de certaines dispositions dans le Code civil, je parle de l'article 8 que vous avez mentionné... Je n'irai pas vous dire, parce que j'aurais l'impression de ne pas être correct, que les articles 8, 9 et 10 n'ont été pensés qu'en fonction des locateurs et des locataires. Je pense que je serais malhonnête de dire cela ou de le dire à propos de n'importe quel groupe. Mais à partir de principes généraux... Vous les avez mentionnés parce que vous trouviez, tout au moins dans leur forme ou leur rédaction, qu'il y avait un contenu. Je comprends qu'il n'y a pas les mots locateur et locataire. Comme d'autres groupes peuvent venir nous dire: On aimerait bien qu'il y ait des mentions spécifiques. Il reste quand même qu'au niveau de la formulation... Je ne m'apprête pas à vous dire que cela répond à toutes vos demandes; au contraire, je n'ai pas besoin de me répéter. Mais on voit déjà là, quand même, des principes généraux qui font en sorte que cela pourra déboucher sur des décisions de la part des tribunaux qui auront à s'inspirer, en fait, de ces dispositions. (17 h 30)

Par rapport à plusieurs des préoccupations que vous évoquez fort valablement, je crois que plusieurs de ces recommandations débordent le cadre du Code civil. On retrouverait plusieurs des réponses à vos préoccupations dans la Charte des droits et libertés de la personne où il y a sûrement certaines dispositions ou encore certaines situations qui, à la lumière du contenu de la Charte des droits et libertés de la personne, pourraient être évaluées par la Commission des droits de la personne si demande lui en était faite.

Vous parlez de toutes les banques de données. On peut dire que, "gouvernementalement", il y avait un vide complet avant; il y a au moins une partie où il y a eu une loi en ce qui a trait à toutes les banques: la loi sur l'accès à l'information qui regarde les organismes publics et parapublics. Je comprends que cela ne va pas dans le secteur privé. J'ai l'impression que cela serait extrêmement difficile de tout couvrir. Par exemple, il peut y avoir des banques de données qui contiennent des informations qui servent ici à poser certains gestes, alors que la banque de données est elle-même en dehors du Québec, non seulement en dehors du Québec, mais en dehors du pays, aux États-Unis ou ailleurs. C'est la complexité, je pense, du problème -vous l'avez très bien évoquée - à la lumière de cette nouvelle réalité qu'est l'informatique, au niveau de l'ensemble des sociétés, pas seulement de la nôtre.

Vous nous avez parlé - ce sera ma seule question, je m'en excuse; c'est un mémoire quand même très important quant aux préoccupations exprimées - je ne pense pas que ce soit à travers votre chapeau -des listes noires de locataires et de certains

propriétaires qui s'en servent. Est-ce que je dois comprendre qu'il y a aussi une liste noire des propriétaires? Il doit y avoir des gens qui s'en servent et d'autres qui ne s'en servent pas. J'aimerais savoir - c'est ma seule question - jusqu'où vous croyez qu'un contrôle des listes contenant des données objectives sur les individus devrait s'exercer.

Le Président (M. Blouin): M. Vallée.

M. Vallée: Jusqu'où, cela veut dire que, la première chose - je pense que c'est un principe que le Code civil devrait avoir et ce n'est pas une législation globale là-dessus - c'est le principe de la propriété de la personne, de toutes les informations qui la concernent et de l'obligation pour quiconque voulant utiliser cette information de lui en demander la permission. C'est un principe qui n'est pas une législation, qui n'est pas complexe. C'est la première chose qu'un citoyen du Québec pourrait exiger de l'État, qu'il le protège au niveau de ce principe, au niveau du Code civil. Il est absent dans le Code civil. Donc, on aimerait qu'il y ait au moins cela, qu'il y ait des...

M. Bédard: Je m'excuse. Là-dessus, il y a l'article 8 qu'on a mentionné. L'essentiel, c'est qu'on ne peut exercer un droit avec l'intention de nuire à autrui ni de manière à lui causer un préjudice en l'absence d'un intérêt sérieux et légitime. C'est un principe extrêmement large.

M. Péladeau (Pierre): Mais, est-ce qu'on pourrait d'abord répondre aux...

M. Bédard: II y a aussi l'article 35 sur lequel je voudrais attirer votre attention: "Toute personne peut consulter ou faire reproduire à ses frais un dossier qui la concerne et qu'une personne constitue ou détient sur elle dans le but d'informer un tiers, sous réserve des lois relatives à l'accès aux documents des organismes publics et à la protection des renseignements personnels. "Elle peut faire rectifier une information inexacte, incomplète ou équivoque et faire supprimer une information non pertinente qui lui est injustement préjudiciable.

M. Péladeau: Pour répondre d'abord à la première partie de votre question...

M. Bédard: ...ce sera ma seule question.

M. Péladeau: La première, vous parliez du nombre limité de personnes. Il faut dire que la question des banques de données touche aussi la consommation et l'emploi en priorité.

M. Bédard: Du nombre limité...

M. Péladeau: II y a présentement 4 000 000 de dossiers, en pratique pour tous les adultes québécois, qui sont constitués au niveau des bureaux de crédit.

M. Bédard: Je n'ai pas parlé du nombre limité de personnes. Je n'ai jamais indiqué cela. Parce que je sais très bien que cela couvre...

M. Péladeau: ...que cela touchait peu de gens et finalement c'était cela. En pratique, au Québec, la question des banques de crédit, en passant, c'est la loi ontarienne qui s'applique au Québec. C'est pour cela qu'il n'y a que très peu de plaintes selon la Loi sur la protection du consommateur. Étant donné que les flux transfrontières nécessitent une normalisation des standards dans tout le Canada pour le libre flux des informations, en pratique c'est le standard le plus élevé au Canada, la loi ontarienne, qui s'applique au Québec.

On pourrait ajouter aussi qu'on parle présentement d'un problème actuel lié à une technologie actuelle sauf que la technologie se développe à une vitesse assez affolante. En particulier, présentement les logiciels qui sont utilisés ce sont des logiciels de gestion de textes et de traitement mécanique de mots. Or, on est déjà actuellement à développer et utiliser un peu partout dans le monde, puis aussi au Québec, qui est à l'avant-garde sur ce sujet dans le domaine de la francophonie, une nouvelle génération de logiciels d'analyse automatique de textes, c'est-à-dire de logiciels d'analyse de contenu.

Les logiciels actuels de gestion de textes qui ne font que traiter, organiser l'information de façon mécanique permettent déjà de constituer des listes puissantes et extrêmement efficaces. C'est le cas des bureaux de crédit qui peuvent, avec des informations provenant du ministère de la Justice et de leurs propres dossiers qui sont identifiés de façon tout à fait différente... Le ministère de la Justice identifie le nom des parties et leurs adresses. Au niveau des bureaux de crédit, on identifie avec le numéro d'assurance sociale, date de naissance, etc. Ils sont capables de faire la liaison des dossiers de façon automatique.

Les nouveaux logiciels d'analyse de textes qui se développent sont déjà capables aujourd'hui non seulement de jouer avec les mots mais aussi de les lire, de leur donner un sens, de tirer des déductions, d'effectuer des classements complexes et de faire des évaluations et même de prendre certaines décisions.

Pour prendre un seul exemple. Il y a les multinationales dans le domaine de l'informatique. L'information nous provient de journalistes-enquêteurs. Ce sont les seuls à part nous qui ont fait des études le moindrement sérieuses sur la question au

Québec. Ces sociétés multinationales sont à développer des logiciels capables de traiter des informations de nature carrément subjective, notamment des informations sur le comportement. Elles développent des logiciels capables d'analyser des comportements d'individus et elles expérimentent présentement déjà l'évaluation de leurs employés. Cela c'est principalement aux États-Unis. C'est-à-dire que ce ne sera plus bientôt, comme dans le Code civil présentement, la pertinence des informations. Tantôt vous parliez d'informations objectives. On va bientôt pouvoir traiter des informations de nature subjective. On le fait déjà. Les listes noires sont souvent des informations de nature subjective.

Ce n'est donc plus simplement la pertinence mais aussi la nature des modes de classement, des critères d'évaluation, leur utilisation et les choix d'analyse qui vont être l'objet de discussions en plus de l'aspect discriminatoire ou sensible de l'information. Non seulement la situation nécessite un débat large et public sur la question, non seulement l'Assemblée nationale doit légiférer et réglementer les banques de données et la protection de la réputation et de la vie privée, que ce soit dans le Code civil ou dans des textes statutaires, mais le gouvernement du Québec doit se donner des mécanismes et une autorité capable de suivre le développement de ce phénomène, même de le précéder.

On est bien placé, au Québec particulièrement, parce que c'est ici au Québec qu'on développe pour la francophonie un des logiciels d'analyse de textes. Ce n'est pas dans l'entreprise privée mais c'est dans le secteur public. C'est à l'Université du Québec à Montréal.

Le Président (M. Blouin): Je crois qu'on a bien saisi.

M. Péladeau: Cela prend 20 ans, 25 ans pour faire une réforme du Code civil, mais cela en prend 4 ou 5 pour faire une nouvelle génération de logiciels et d'ordinateurs. Donc, il faut plus que statuer sur les questions de principe, il faut se pencher résolument et sérieusement sur les questions d'application de ces principes et aussi étudier immédiatement de façon urgente pour l'ensemble des banques de données, parce que ce ne sont pas seulement les locataires qui sont ici. Les listes noires...

Le Président (M. Blouin): Je m'excuse, je vous arrête. Je crois qu'on a très bien saisi l'essence de votre opinion...

M. Péladeau: Bon.

Le Président (M. Blouin): ...et que vous l'avez transmise justement à la commission.

M. Bédard: ...il y en a qui sont à l'extérieur.

Le Président (M. Blouin): Maintenant, M. Vallée, vous avez quelques remarques?

M. Vallée: Je voudrais revenir sur la question que me posait le ministre de la Justice sur l'article 35, à savoir s'il nous convient. C'est justement ce que M. Péladeau vient de dire: l'équilibre est complètement débalancé entre les pouvoirs de l'entreprise privée avec tous ces moyens-là, et le pouvoir du citoyen qui n'est même pas au courant qu'il existe un dossier sur lui. Toute l'entreprise privée a le portrait intégral de sa personnalité et l'utilise comme bon lui semble, dans l'anonymat le plus complet, sans que personne ne le sache. Comment, alors, pouvoir consulter, faire reproduire, faire modifier, quand on ne connaît même pas la machine énorme, digne de 1984, de l'écrivain célèbre, qui est derrière elle? C'est pour cela qu'on veut, qu'on a vraiment l'impression ici qu'on a... Tantôt, le ministre disait qu'on se plaignait du projet parce qu'on n'y trouvait pas les problèmes des locataires. Je pense que c'est vraiment ne pas comprendre du tout ce qu'on a dit. Ce qu'on a dit, c'est que ne sont pas présents des éléments qui vont défendre, en partie, les locataires: c'est l'ensemble des problèmes des banques de données privées qui sont actuellement les éléments majeurs de l'atteinte à la réputation et à la vie privée qui sont en question, et non pas les locataires. Que le mot "locataire" ne soit pas dans le projet de loi, cela ne nous embête pas.

M. Bédard: Je n'ai pas dit que vous vous plaigniez. Cela aurait été négatif. J'ai dit tout simplement que... Écoutez, j'ai entendu votre mémoire, comme tout le monde. Vous constatiez que cela ne répondait pas à toutes vos attentes....

M. Vallée: Ni à celles d'aucun consommateur ou citoyen.

M. Bédard: II me semble vous avoir bien traduit. Si j'ai bien compris votre mémoire, c'est cela? Bon. Je vous ai dit également que le Code civil - et ce n'était péjoratif d'aucune façon - est un code avec des principes généraux, ce n'est pas le code des locateurs ou des locataires ou de ce que vous voudrez. Mais, ce n'était pas dit d'une façon négative.

M. Vallée: Les principes généraux que nous apportons...

M. Bédard: Je comprends l'ampleur du problème que vous évoquez; il ne va pas trouver sa solution ou sa réponse uniquement

dans le Code civil, mais peut-être dans d'autres lois.

M. Vallée: Les principes généraux que nous apportons, vous ne les trouvez pas pertinents? Par exemple, que le consentement de la personne soit requis à toute collection ou tout ramassage d'informations sur elle-même?

M. Bédard: Je vous ai dit que nous allions prendre en considération l'ensemble de votre mémoire.

Le Président (M. Blouin): D'accord? Alors, M. le député de Sainte-Anne?

M. Polak: Oui, M. le Président, je remercie le député de D'Arcy McGee de me laisser poser seulement une question parce que je dois partir. D'abord, M. Vallée, je connais très bien le travail de votre groupement parce que je le considère toujours un peu comme une voix de conscience, même si nous ne sommes pas toujours d'accord. J'ai noté que les groupements de Pointe-Saint-Charles et de la Petite Bourgogne sont très actifs. Ils ne sont pas sur la liste, mais je sais qu'ils sont membres de chez vous et c'est dans mon comté.

Ce que je voudrais savoir, c'est si vous avez vu une telle liste avec, disons, 20 000 noms? Est-ce qu'une telle liste existe? L'avez-vous vue? Deuxièmement, est-ce qu'il serait inscrit sur cette liste que tel ou tel locataire est allé en appel devant la Régie des loyers tant de fois, à tel ou tel endroit, etc.? Disons des notes qui vraiment portent préjudice à tel ou tel locataire?

M. Vallée: Notre organisme est très pauvre. Donc, on n'a pas beaucoup de sous.

Le Président (M. Blouin): M. Vallée, je vous signale qu'il s'agit d'une question assez précise...

M. Vallée: Oui.

Le Président (M. Blouin): ...et je vous demanderais d'y répondre.

M. Vallée: Je peux vous dire que votre collègue, M. Herbert Marx, a le dossier complet. On n'a pu envoyer qu'un seul dossier à l'Opposition. On en a envoyé à tous les différents ministres et tout cela. On a un dossier d'étude fait par Pierre Péladeau qui donne des exemples de fichiers. La liste, on ne la voit pas; elle est dans un ordinateur. Mais, il y a les fiches que les propriétaires obligent les locataires à remplir avec leur numéro d'immatriculation, la marque, l'année, le nom de leur employeur, le numéro de compte en banque, le nombre de fois qu'ils sont allés à la régie. Vous avez les exemples. Vous demanderez à votre collègue,

M. Marx.

Le Président (M. Blouin): Rapidement, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: J'ai la liste. J'ai vérifié, le ministre n'est pas sur la liste. Je suis au courant de ce problème. Il est exact que vous m'avez envoyé une copie d'un dossier assez épais. J'ai parlé à quelqu'un, à vous-même, c'est cela.

Il est évident qu'il y a des comportements répréhensibles dans notre société et je pense qu'il n'appartient pas au législateur de proscrire tout comportement répréhensible, même pas de proscrire toute discrimination. Par exemple, je pense qu'il est légal de faire de la discrimination pour des raisons économiques. Je pense que quelqu'un qui ne veut pas faire affaires avec un autre parce que cette personne n'a pas d'argent, ne peut pas fournir une garantie, c'est une raison valable pour faire de la discrimination dans le sens de ne pas transiger avec cette personne. Il y a d'autres raisons. Supposons qu'un vendeur vienne me voir et que je n'aime pas son visage; c'est de la discrimination. Je ne veux pas transiger avec lui. Je ne pense pas qu'il sera jamais de l'intention du législateur de proscrire toute forme de discrimination définie d'une façon générale et large.

En ce qui concerne les banques de données, il y a des problèmes comme ceux que vous avez soulevés et soulignés. En ce qui concerne, par exemple, les listes, j'imagine que ces listes ont toujours existé. Il y a toujours eu des gens qui avaient des listes. On a des listes. J'imagine que le Parti québécois a ses listes, je sais que nous avons nos listes. Il y a des listes au fédéral, comme l'a souligné la députée de Dorion. Je ne pense pas qu'on puisse vraiment traiter de ce problème des locataires dans le Code civil. S'il y a un problème, il faut donc adopter une loi quelconque. Je dirais qu'en ce qui concerne la liste noire des propriétaires, s'il y a une intervention à faire ce serait peut-être dans le titre septième du Code civil, qui traite du louage. Il est possible qu'il soit nécessaire de faire une modification quelconque de ce titre parce que, par exemple, dans le bail type qui existe au Québec - cela veut dire avec des articles obligatoires - il y a déjà certains comportements qui sont illégaux. On peut en ajouter un autre, le cas échéant.

En ce qui concerne les banques de données et tout le problème que vous avez soulevé, je suis d'accord avec le ministre qu'il ne serait pas dans le cadre du Code civil de légiférer. Peut-être que cela nécessitera une loi spéciale seulement pour traiter de cette question. Vous êtes le

premier groupe à soulever cette question. Je sais que la ligue des droits va soulever la même question, d'ici quelques jours. Mais pour légiférer vraiment dans ce domaine, cela prendra des études, une autre commission parlementaire et, le cas échéant, une autre loi. Je pense que le problème dont vous voulez qu'on traite déborde vraiment les deux lois qui sont à l'étude à cette commission. Je le vois de cette façon.

M. Péladeau: Est-ce que la définition de ce qu'est le respect de la réputation de la vie privée pourrait s'inscrire dans ce chapitre?

M. Marx: C'est cela. Si vous voulez tenter votre chance avec cet article, un jour, devant les tribunaux, c'est à vous de...

M. Cusson (Denis): Pourquoi inscrire l'article, si on ne peut s'en servir devant les tribunaux?

M. Marx: Pardon?

M. Cusson: À quoi sert de mettre un tel article s'il est difficile de s'en servir devant les tribunaux?

M. Marx: Non, non. Un instant! C'est-à-dire que les tribunaux vous donneront peut-être raison en ce qui concerne les banques de données et les listes noires, mais peut-être pas. Dans un tel article, on ne peut pas prévoir tous les cas possibles. Ce ne serait pas un Code civil, ce serait une autre espèce de loi.

M. Cusson: D'accord.

M. Vallée: Depuis tantôt, je comprends que vous nous indiquez qu'il y a d'autres lieux où il pourrait y avoir une loi qui protégerait mieux la vie privée. Là, je parle de la vie privée et pas seulement des locataires. Je vais vous donner un exemple. On a fait une proposition à la Commission des droits de la personne et on l'a transmise au ministre de la Justice. Il s'agit de l'interdiction de représailles contre quelqu'un qui exerce ses droits civils, pour qu'elle soit présente quelque part. On nous a répondu par lettre - Mme Olivier, de votre cabinet, je pense: "Nous n'avons pas retenu, dans les amendements à la Charte des droits et libertés de la personne, le fait d'ajouter, à toutes les interdictions de discrimination, les discriminations sur le fait qu'on a usé d'un droit civil." Par exemple, aller à la régie. Actuellement, on est discriminé.

Donc, on avait fait une proposition et vous l'avez supprimée de la Charte des droits et libertés de la personne. Là, on ne retrouve pas cette expresse interdiction de faire un acte qui vise à obliger quelqu'un à renoncer à ses droits civils. Où va-t-on le trouver? On nous renvoie d'un projet de loi à un autre, d'une structure législative à une autre. On n'est pas des avocats, nous. On veut pouvoir trouver quelque part, à un moment donné, quelque chose pour aller devant les tribunaux. Il y a des trous. En tout cas, ce qui nous fait peur dans tout cela et notre inquiétude - je vais partir de cette commission encore plus inquiet que je ne l'étais tantôt - sera d'autant plus grande qu'il nous semble que les membres de cette commission ne semblent pas voir les changements des structures de pouvoirs que les nouvelles technologies vont amener dans notre société...

M. Bédard: Je peux vous dire...

M. Vallée: ...et qu'il faut qu'il y ait des éléments dans le Code civil.

M. Bédard: ...au nom des membres de la commission de ce côté-ci de la table, que, franchement, il ne faut pas charrier non plus. Je pense que nous sommes sensibles à des réalités sociales autant que vous pouvez l'être. Je crois que lorsque vous avez été entendu, vous l'avez été d'une façon respectueuse et, non seulement respectueuse, mais d'une façon intelligente. Qu'on ne soit pas en mesure de livrer toute la marchandise par rapport à ce que vous demandez, je pense que cela ne vous permet pas de tirer la conclusion que les gens qui vous entendent ne vous ont pas compris ou ne veulent pas vous comprendre. En tout cas, ce n'est pas du tout mon attitude et je voudrais que ce soit clair de ce côté. On ne diffère même pas d'opinion, fondamentalement, par rapport à l'importance du phénomène que vous avez évoqué. Personne ici autour de cette table n'a exprimé, de quelque manière que ce soit, que vos représentations manquent de sérieux ou quoi que ce soit. Loin de là, non.

Mais avant de tirer des conclusions que nous n'avons pas compris ou n'avons pas voulu comprendre... Quand vous nous dites que vous partez un peu plus inquiets, je suis bien prêt à essayer, avec tous les membres de la commission, de vous rassurer sur certains aspects. Ce que je vous ai dit, c'est qu'on est en train de traiter du droit civil, de certains principes généraux, de principes généraux qui, à ce moment, à partir de situations, peuvent permettre d'aller devant les tribunaux. On ne peut pas, comme a dit le député de D'Arcy McGee, présumer de ce que sera l'interprétation des tribunaux, de ce que seront les jugements des tribunaux. Si, par exemple, vous décidiez demain, à partir des préoccupations que vous avez évoquées, d'aller devant les tribunaux et d'invoquer les articles concernant l'exercice des droits civils, l'article 35 que je vous ai mentionné ou d'autres, on ne peut pas présumer quelles

seraient les décisions des tribunaux, mais je pense que cela représente des principes généraux auxquels on peut s'attacher d'une façon très solide pour essayer de faire valoir chacun nos points de vue par rapport à nos sujets de préoccupation.

Le Président (M. Blouin): M. le député de... M. le ministre.

M. Bédard: Maintenant, peut-être, si vous me permettez une chose, vous savez, une petite question. Vous connaissez M. Philip Edmonston sans doute, qui s'occupe de la protection des automobilistes et qui, à un moment donné, fait des enquêtes et indique régulièrement à l'ensemble de la population qu'on doit aller à tel garage et ne pas aller à tel autre garage; autrement dit, c'est une sorte de liste noire des garages. De lui-même, il décide d'une liste noire des garages. Est-ce que vous...

M. Cusson: Dans le cas présent où le logement est un droit essentiel pour la population et où le taux de vacance est extrêmement bas dans les quartiers populaires, une liste noire des propriétaires entre les mains des locataires ne voudrait pas dire grand-chose parce que le logement est une chose tellement essentielle qu'une liste noire de mauvais propriétaires ne servirait à rien.

M. Bédard: D'accord! Restons-en au plan des principes. Je pense que c'est là qu'on peut essayer de voir comment on peut se rejoindre. Je vous pose la question: Est-ce que vous acceptez, par exemple, cette initiative... je parlais de Philip Edmonston, cela peut être toutes sortes d'autres initiatives que vous pouvez avoir à l'esprit et qui proviennent de motifs très louables, d'y aller de listes noires, non pas de propriétaires ou de locataires, mais de listes noires par rapport à des services qui sont rendus à l'ensemble d'une population; est-ce que vous acceptez ce principe?

M. Vallée: II semble qu'il y ait une très grande différence entre...

M. Bédard: Non, je...

M. Vallée: ...le droit à l'existence des garages et à leur compétence, et le droit...

M. Bédard: Je ne vous parle pas des garages.

M. Vallée: Non, mais il y a une différence entre les listes. Il me semble qu'on parle de la vie privée et de la réputation. Il y a quelqu'un qui, publiquement, offre un service. Ce service est jugé pas bon.

M. Bédard: Oui, puis, lorsqu'on parle d'un garage qui appartient à une personne en particulier et non pas à une corporation; cela existe des individus qui sont propriétaires...

M. Vallée: Mais c'est public.

M. Bédard: ...d'entreprise. Cela existe une réputation pour...

M. Vallée: II y a une première différence. C'est que cette liste est publique aussi.

M. Bédard: ...ces gens-là, mais si vous permettez, je ne voudrais pas...

M. Vallée: D'accord!

M. Bédard: ...qu'on s'en tienne...

M. Vallée: Non, non.

M. Bédard: Vous avez parlé des locateurs et locataires. Là, je vous parle et je vous donne même un exemple concernant les réparateurs d'autos. Je ne veux pas qu'on discute d'autos ni des locateurs...

M. Vallée: Non, non.

M. Bédard: ...je vous demande au niveau des principes, liste noire, que ce soit... Autrement dit, accepteriez-vous une liste noire des propriétaires par rapport à une liste noire des locataires ou si sur le plan des principes vous bannissez les deux?

M. Cusson: Les principes sont différents parce que les deux biens en question sont différents. On a entre les mains des besoins qui ne sont pas essentiels et des besoins qui sont fondamentalement essentiels.

M. Bédard: Ah oui, mais on n'est pas...

M. Vallée: Je peux vous donner une autre différence.

M. Bédard: Oublions les besoins essentiels par rapport aux besoins non essentiels.

M. Vallée: D'accord:

M. Bédard: Disons des besoins normaux, est-ce que vous acceptez...

M. Vallée: Je peux vous donner des...

M. Bédard: Est-ce que vous rejetez, que ce soit d'un côté ou de l'autre, le principe de listes?

M. Vallée: Non, je ne rejette pas. Ce qu'on rejette, c'est le principe de listes de

personnes quand nous discutons de la personne humaine. Nous ne discutons pas de listes de services. J'ai le droit de savoir si quelqu'un donne un bon service ou un mauvais service. Les listes noires de locataires, les listes noires d'employeurs, les listes noires de consommateurs, contiennent des renseignements personnels, non pas sur le service que donne la personne, mais sur son caractère, sur le nombre de fois qu'il a été à la régie ou au tribunal, sur sa condition sociale, sur ses possessions, sur la façon dont il se comporte avec ses voisins, ce que pensent ses voisins de cette personne. Cela n'a rien à voir avec un service.

M. Bédard: Si vous permettez...

M. Vallée: Le principe des listes noires, je vous dis oui; le principe des listes noires sur les personnes, je vous dis non.

M. Bédard: Si vous parlez de services, est-ce que vous accepteriez le principe d'une liste, qu'on l'appelle noire ou blanche, qui indique quels sont les propriétaires qui donnent de bons services à leurs locataires par rapport à des propriétaires qui donnent de mauvais services à leurs locataires?

M. Péladeau: À condition qu'elle soit publique, qu'il y ait possibilité de la corriger, parce que, présentement, la liste de M. Edmonston est publique. Tout le monde peut la corriger. On peut même poursuivre M. Edmonston dans ce cas. Présentement, il n'y a même pas de preuve possible, parce qu'on ne sait même pas si on est fiché et, en plus de cela, l'information étant de l'information électronique, c'est du courant et des impulsions électriques qu'on peut facilement faire disparaître d'un ordinateur.

M. Bédard: Très bien, je pense que dans l'ensemble...

M. Péladeau: Ce sont des conditions.

M. Bédard: ...on en est rendu à ce que peut être une liste publique par rapport à une liste non publique. En fait, je sais que le sujet est extrêmement large. Je crois que cela devra déboucher tôt ou tard, malgré la complexité, sur une loi en fonction de tout ce qu'on peut appeler les banques de données, les banques d'informations, etc. Même si je vous disais qu'on peut trouver la solution à tout cela dans le Code civil, même dans la Charte des droits et libertés de la personne, je crois que, comme vous le dites, les situations évoluent très rapidement. On a peut-être la chance d'être à l'avant-garde ici, au Québec, par rapport à des phénomènes qu'on observe beaucoup plus -comme vous l'avez expliqué - aux États-Unis, où on voit l'ampleur que tout ce problème peut prendre. Peut-être qu'une loi spécifique sera nécessaire.

M. Marx: J'aurais seulement un mot à dire, M. le Président. Je trouve que le problème qui a été soulevé est un problème très important. Vos solutions comportent des idées qui font leur chemin, si je peux m'exprimer ainsi, et c'est sûr que de nouvelles technologies vont exiger de nouvelles lois, le cas échéant; je pense que c'est évident. Je pense que vous devez - si je peux le dire - diviser votre intervention en deux temps. Premièrement, il y a la banque de données. C'est un problème qu'il serait peut-être nécessaire de revoir et il faudra légiférer en ce qui concerne les banques de données. Deuxièmement, la liste noire des propriétaires... (18 heures)

Le Président (M. Blouin): Je m'excuse, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Consentement.

Le Président (M. Blouin): Je dois maintenant recueillir le consentement des membres de la commission pour que nous excédions quelque peu...

M. Bédard: Pour un mémoire qu'il nous reste à entendre, d'accord.

M. Marx: Oui, il n'y a pas de problème.

Le Président (M. Blouin): D'accord. Vous voulez poursuivre?

M. Marx: Je parlais de la liste noire des propriétaires. Je pense qu'il y a deux problèmes qui sont un peu différents. Ce n'est pas fini. Comme vous le faites aujourd'hui, il faut qu'on discute de cela sur la place publique et qu'on fasse des pressions sur le gouvernement et sur l'Opposition pour avoir des changements. Je pense que ce n'est pas dans le cadre de cette révision du Code civil qu'on pourrait vraiment espérer avoir des modifications.

M. Bédard: En terminant, on peut vous assurer que, non seulement à la lumière du contenu de votre mémoire, mais aussi de l'échange que nous avons eu et que je crois positif, même si, sur certains aspects, cela peut sembler contradictoire, ce que je ne crois pas, nous allons essayer de voir comment nous pourrions resserrer tout cela au niveau des principes. Déjà, on s'entend qu'on ne peut pas y faire mention de locateurs et de locataires comme tels. Je pense que vous ne l'avez pas demandé, non plus; cela est bien clair. On va essayer de voir jusqu'à quel point il pourrait y avoir un travail de fait qui pourrait nous permettre de présumer que des tribunaux pourraient se

rattacher à certains principes généraux pour en arriver à des décisions qui puissent être de nature à améliorer, parce que c'est votre objectif, en fait, la qualité de vie des citoyens.

Le Président (M. Blouin): Alors, en concluant, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Dernière question. Avez-vous fait une étude comparée? Est-ce que ces listes existent dans d'autres juridictions et est-ce que les législateurs sont intervenus pour légiférer contre ces listes et les banques de données dans d'autres provinces ou aux États-Unis?

M. Péladeau: Ce qu'on peut dire, pour ce qui est de l'existence de listes, c'est qu'on sait que les seules qu'on connaisse, ce sont les listes de locataires et elles existent aussi en Nouvelle-Écosse, comme on le disait, et dans les Maritimes. On ne connaît pas très bien la législation là-bas. Ce qu'on sait, c'est qu'en général la plupart des pays qui sont membres de l'OCDE sont intervenus là-dessus, y compris le Canada, et ils ont même accepté des lignes directrices concernant la protection de la vie privée et les flux transfrontières de données. En Europe, la majorité des Parlements sont intervenus là-dessus; les États-Unis, l'Australie ont une législation assez élaborée là-dessus. On est en train de développer, on veut d'abord approfondir parce que là, présentement, il faut analyser l'ensemble des banques de données dans le secteur des locataires, non seulement chez les associations de propriétaires, mais aussi du côté des entreprises privées. Et on va développer aussi l'analyse du côté de la consommation et du travail. C'est une étude qui nous essoufle, qui prend beaucoup de temps.

M. Vallée: Personne ne nous aide pour faire cela.

M. Marx: Vous pouvez demander une subvention au ministère, on va vous appuyer.

M. Bédard: On va en prendre bonne note de ce côté-là. Effectivement, vous travaillez dans un secteur d'activité qui intéresse beaucoup de gens. Merci.

Le Président (M. Blouin): Vous avez quelque chose à ajouter, rapidement, M. Vallée, en conclusion? Non?

M. Cusson: On peut peut-être expliquer un peu notre déception en disant qu'on se fait "barouetter" d'un ministère à l'autre à propos de ce fameux problème des banques de données. Au ministère de l'Habitation, on nous renvoie à la protection du consommateur et d'un bord à l'autre, à la Commission des droits de la personne. M. Jean-François Bertrand, dans une assemblée publique à Québec, a dit: Vous pourrez trouver une solution à vos problèmes lors de la commission parlementaire sur la loi 106. C'est ce qui explique notre déception à ce sujet.

Le Président (M. Blouin): Je crois, quand même, que vous avez réussi à porter à la considération des membres de cette commission les préoccupations qui sont les vôtres et celles des gens que vous représentez, et je vous remercie d'être venus faire part de ces importantes interventions.

M. Vallée: Merci.

Le Président (M. Blouin): Alors, tel que convenu, nous allons maintenant inviter les représentants de l'Association pour la promotion des droits des handicapés (Jonquière, Arvida, Kénogami) et ceux de l'Association pour le développement de l'handicapé intellectuel du Saguenay à venir s'asseoir à la table des invités.

Enfin, vous n'ignorez pas que nous avons déjà excédé de quelques minutes le temps qui était prévu pour le déroulement de cette commission. Si vous voulez, nous allons suspendre nos travaux pour quelques minutes.

Des voix: Non, non, non.

Le Président (M. Blouin): Non? Alors, puisque tout le monde est au poste, nous allons donc procéder. Je vous demanderais d'abord de vous identifier et d'identifier les personnes qui vous accompagnent.

Association pour la promotion des droits des handicapés (J.A.K.) et

Association pour le développement de l'handicapé intellectuel du Saguenay

Mme Brière-Ruest (Lise): Permettez-moi de me présenter. Je suis Lise Brière, présidente de l'Association pour la promotion des droits des personnes handicapées. À ma gauche, Mme Sylvianne Saint-Pierre, membre du conseil d'administration de la même association; à l'extrême droite, Mme Stella Harvey, secrétaire permanente de l'Association pour le développement de l'handicapé intellectuel du Saguenay et, à ma droite, Mme Madeleine Girard, présidente de l'Association pour le développement de l'handicapé intellectuel. Je dois vous dire que nous sommes quatre parents d'enfants handicapés. Cela, c'est important.

Le Président (M. Blouin): Oui.

Mme Brière-Ruest: Alors, nous vous

d'apporter notre point de vue sur la loi 106. C'est l'aspect stérilisation qui nous préoccupe. C'est bien modestement que nous présentons cet avis. Ce n'est pas un mémoire préparé par des spécialistes, mais cela se veut une consultation de parents vivant le problème quotidiennement avec des personnes déficientes mentales. Nous croyons que les parents sont souvent délaissés, voire même ignorés lorsqu'il s'agit de prendre des décisions importantes concernant les personnes handicapées.

La stérilisation des personnes déficientes mentales fait l'objet de nombreuses discussions depuis un certain nombre d'années et plusieurs groupes se sont déjà prononcés sur ce sujet par des mémoires et des avis de toutes sortes. Les deux associations qui présentent cet avis sont des associations de parents d'enfants handicapés mentalement à des degrés divers. Nous sentons le besoin de réagir à ce moment-ci du débat, puisqu'il nous apparaît que les groupes et le gouvernement, avant même de prendre une décision en ce qui concerne le projet de loi no 106 sur la réforme du Code civil, devraient prendre en considération d'autres aspects que ceux soulevés par le Barreau du Québec, le Curateur public et d'autres organismes.

C'est l'opinion de nos deux associations de parents que vous trouverez dans les prochaines pages, ainsi qu'une proposition ayant fait l'unanimité parmi les membres des deux groupes. Nous faisons abstraction de toutes les définitions de la déficience mentale. Nous ne croyons pas nécessaire de rappeler les diverses classifications qui vous sont très certainement connues puisque toujours utilisées dans les écrits qui sont portés à votre attention dans les présents travaux. Nous vous rappelons, cependant, que le problème qui est ici soulevé met en cause des personnes déficientes mentales pour qui une demande de stérilisation non thérapeutique est faite et pour qui un doute quant à leur possibilité de consentir existe. Pour toutes les autres personnes douées de discernement, il va sans dire que seule leur décision doit être prise en considération, qu'elles soient déficientes mentales ou non.

Il est également important de garder à l'esprit que nous ne parlons pas des personnes atteintes de maladies mentales, mais bien des personnes vivant avec une déficience mentale. Dans le premier cas, les personnes sont atteintes, pour un temps plus ou moins long, d'une maladie réversible, alors que, pour les personnes vivant avec une déficience mentale, il s'agit d'un état permanent et significatif irréversible. Nous ne disons pas qu'elles sont incapables d'amélioration, mais nous savons que, jusqu'à ce jour, il n'y a pas de guérison.

Notre position. Dans certains cas, et pour les raisons précisées ultérieurement, nos deux associations sont d'accord sur le principe de la stérilisation de certaines personnes déficientes mentales non capables de donner leur consentement et pour qui la demande est faite par un tiers. Nous croyons que, pour la protection de ces personnes et dans leur intérêt, de même que dans le but de sauvegarder leur intimité, il est nécessaire qu'un mécanisme soit mis en place et que ce mécanisme soit le plus proche possible de la personne pour qui une demande est faite et qu'elle ne soit pas privée du support de ses proches. Le mécanisme que nous proposons dans les prochaines pages a aussi pour but d'éviter toute décision arbitraire et non éclairée, de même que les abus possibles.

Nous considérons qu'une demande de stérilisation est recevable quand elle est faite dans l'intérêt de la personne handicapée. Pour nos associations, l'intérêt de la personne déficiente mentale dépend de beaucoup d'autres facteurs que de celui relié à sa fertilité ou au contrôle de celle-ci. En effet, l'intérêt de la personne est également d'avoir la possibilité de vivre le plus harmonieusement possible dans un milieu serein et avec des gens qui ne la perçoivent pas comme une charge, mais comme un membre à part entière de leur groupe. L'intérêt de la personne, c'est aussi de pouvoir participer à la vie collective et cela, en toute confiance. Malheureusement, les dangers d'être abusé sont toujours présents et, comme les personnes dont il est question sont incapables d'y faire échec, nous devons les entourer de protection, quand ce n'est pas de surprotection.

Dans ce débat, des professionnels ont mis en doute la bonne volonté des proches de la personne déficiente mentale. Même le Curateur public prétend que seuls les proches profiteraient d'une telle mesure. M. le curateur s'est-il demandé ce qu'il adviendrait du bébé né d'une mère déficiente mentale incapable d'en prendre soin? Bien que cet argument ne semble pas peser lourd dans la balance de certains organismes, nous croyons sincèrement que vous devez en tenir compte. Il ne s'agit pas d'alléger la tâche des personnes qui s'occupent d'une personne déficiente mentale, mais il ne faudrait pas que des mesures juridiques aient pour effet de l'alourdir.

Il ne faut pas perdre de vue que nous parlons de personnes qui ont besoin d'assistance pour la majorité des actes de leur vie. La tâche et les responsabilités qui incombent à ces personnes sont déjà terriblement lourdes. Nous croyons que, avec un règlement ou une loi trop rigide, nous ferons échec à la normalisation, car beaucoup de parents se verront placés devant l'impossibilité d'assumer toutes les responsabilités que leur imposera une société aux lois étanches.

L'intérêt de la personne déficiente mentale, c'est aussi de pouvoir vivre dans un milieu où on la respecte. Or, il devient difficile de conserver du respect pour quelqu'un quand, pour toutes les décisions qui entourent sa vie, nous devons affronter le système judiciaire - ce qui a pour effet d'opposer les parents et leurs enfants ou le tuteur et ses protégés - et quand l'intimité des enfants est sur la place publique et soumise aux discussions d'une population.

Nous croyons donc qu'aucun autre intérêt que celui de la personne déficiente ne peut être surpassé en reconnaissant que certains droits devraient être accordés aux personnes qui assument les responsabilités des actes des personnes déficientes mentales qui sont incapables de les assumer.

Lorsqu'une demande de stérilisation est faite pour une personne déficiente mentale par un tiers et qu'un doute existe sur sa capacité de consentir, nous devons procéder à une évaluation de cette capacité. Qui peut en juger? Nous croyons qu'une personne déficiente mentale pour qui un tel doute existe ne doit pas être privée de l'aide de ses proches et doit, par ailleurs, jouir de toute la protection que nécessite son état, dans le plus grand respect de son intimité.

Mieux que quiconque, les parents ou les proches de la personne déficiente mentale qui ont vécu en milieu familial ou ailleurs sont en mesure de donner une appréciation juste et équitable. Leur expérience ne doit pas être ignorée. Aucun mécanisme ne doit opposer ces personnes, risque que nous croyons justifié quand nous parlons d'un système judiciaire. Nous sommes conscientes que des dangers pourraient exister si seuls les parents ou les proches avaient ce mandat. Aussi, nous proposons, au prochain article, un mécanisme que nous croyons humain et responsable.

Mécanisme proposé. Pour toutes les raisons énumérées précédemment, nos associations proposent que le gouvernement accepte le principe de la stérilisation non thérapeutique, non volontaire pour certaines personnes déficientes mentales non douées de discernement, qu'un comité de type familial ou tutoral soit alors établi, que ce comité ait pleine autorité quant à la décision relative à la capacité de consentir de la personne pour qui la demande est faite et que ce soit ce même comité qui décide quant à l'autorisation de stériliser ou pas. (18 h 15)

Un tel comité pourrait être formé comme suit: la personne déficiente mentale pour qui une demande est faite; les parents ou, à défaut, le tuteur ou le curateur; une personne travaillant auprès de la personne déficiente mentale ou, à défaut, une personne connaissant la problématique; une personne-ressource venant d'une centre de planning ou d'un organisme spécialisé en matière de planning; une personne venant d'une association de défense des droits des personnes handicapées. Nous croyons qu'un mécanisme, tel que proposé, serait en mesure de prendre une décision éclairée et responsable et que cette décision devrait être respectée, soit sous la forme d'une homologation faite par un juge ou sous une autre forme.

Mise à part la position du Curateur public, il semble que la plupart des organismes soient en accord avec le principe de la stérilisation. Cependant, il reste un bon bout de chemin à faire afin de se rejoindre sur les notions de responsabilité, d'intérêts et en matière de mécanismes. Nous souhaitons que l'opinion que nous vous livrons soit prise en considération. Elle est née de l'expérience et du vécu de parents responsables et intéressés. Nous ne voulons pas une fois de plus faire les frais d'une philosophie ou d'un nouveau mode de pensée. Nous voulons que les législateurs tiennent compte du vécu quotidien des gens et de la réalité.

Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, Mme Brière.

Je cède la parole au ministre de la Justice. M. le ministre.

M. Bédard: Je salue Mme Brière, de même que celles qui l'accompagnent, toutes originaires de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

M. Marx: C'est pourquoi on les entend après six heures.

M. Bédard: Je sais très bien ne pas être partisan en disant, au nom des membres de la commission, que nous sommes très heureux de la communication que vous avez faite aux membres de la commission sur un problème aussi important que le développement du handicapé intellectuel. Ce témoignage est d'autant plus important, comme vous l'avez mentionné vous-mêmes, que vous êtes responsables, mères de handicapés. Ce vécu quotidien avec des personnes qui, au premier chef, doivent retenir l'attention du législateur en termes de protection donne à votre témoignage un relief de toute première importance. Vous l'avez à juste titre mentionné: Cette commission n'est pas ici seulement pour entendre des spécialistes, loin de là; on doit être au contact surtout des personnes qui ont à vivre quotidiennement des situations auxquelles on peut apporter des améliorations au plan législatif. Ce vécu quotidien - je le crois et je vous le dis sincèrement et je sais que tous les membres de la commission partagent cette opinion - ces témoignages représentent souvent un poids énorme dans la prise de décision finale. Vous pouvez compter d'avance que, tel que vous le demandez,

l'ensemble de vos représentations sera pris en très bonne considération.

En ce qui concerne les questions - non pas que je croie être taxé de partisanerie si je pose des questions à des gens de ma région - j'ai tenu sur cet aspect particulier à demander la collaboration de mon collègue, le ministre délégué aux Relations avec les citoyens, dont vous connaissez la profession, qui, j'en suis convaincu, sera très heureux d'engager le dialogue avec vous, quitte à revenir avec d'autres questions si nécessaire.

Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup.

M. Lazure: Je veux me réjouir du travail qui nous est présenté par le groupe du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Pour l'édification de mes collègues députés des deux côtés, c'est une des 510 associations de personnes handicapées ou de représentants de personnes handicapées qui sont très actives au Québec actuellement, très florissantes. Je ne vous cache pas ma sympathie pour la formule que vous proposez. Aux Affaires sociales on avait eu, il y a à peu près trois ans, une recommandation un peu semblable venant du Comité de la santé mentale, un comité formé de représentants de plusieurs disciplines en sciences humaines.

Je fais une comparaison. Dans le Code criminel, qui est une loi fédérale qui permet l'avortement thérapeutique, il est stipulé qu'un comité médical doit se prononcer. Toute comparaison est un peu boiteuse, mais je voudrais quand même, pour la réflexion de tout le monde, qu'on y pense. Le législateur, fédéral ou provincial, peu importe, n'a pas cru bon dans le cas d'avortements de recourir au tribunal, soit pour entériner la recommandation d'un comité médical ou pour prendre la décision lui-même. Alors, je me demande pourquoi on aurait besoin nécessairement de recourir au tribunal.

Il y a peut-être là place pour une formule entre les deux, mais ma tendance va beaucoup plus vers la formule que vous proposez que celle qui est contenue dans le projet. Je pense qu'il faut que, dans ce comité de type familial, de type tutoral, non seulement on s'assure de la présence de personnes compétentes en sciences humaines aussi bien qu'en sciences médicales, si je peux dire, mais aussi de personnes qui aient une position neutre par rapport aux intérêts qu'il faut départager, parfois les intérêts parentaux et les intérêts de l'enfant, de la fille en question ou - c'est ce que j'allais dire - du garçon en question aussi.

Il faudrait que, dans un tel comité, on soit assuré que ce ne serait pas nécessairement les intérêts des parents qui primeraient toujours sur les intérêts de l'enfant en question, garçon ou fille. Connaissant l'influence que des parents peuvent avoir sur de jeunes adultes déficients mentaux, qui sont déficients au point de ne pas avoir de discernement, il faudrait craindre que l'influence parentale ne soit massive par rapport à l'influence des autres membres du comité en question.

Je veux donc simplement souligner que c'est un son de cloche, comme vous l'avez dit vous-même, que plusieurs groupements ont fait valoir depuis quelque temps. Je pense qu'il faut s'y arrêter, l'étudier très attentivement et peut-être maintenir un lien quelconque avec le tribunal. Je ne sais pas quel lien il faudrait maintenir dans un certain nombre de cas bien précis et non pas pour l'ensemble des cas.

Je veux, moi aussi, comme le député de Chicoutimi, vous féliciter pour votre patience, pour le travail que vous nous présentez et je vous remercie de votre présence.

M. Bédard: J'ai une question. Vous parlez d'un comité. On essaie d'en discuter le plus librement possible. On fait référence au tribunal dans le projet de loi. Vous n'auriez sûrement pas objection... Disons que ce n'est pas de décisions dont on parle; j'essaie de voir comment on pourrait concilier la présence nécessaire d'un tribunal par rapport à la formule que vous présentez. Est-ce que vous auriez objection, lorsqu'il n'y a pas unanimité dans le comité que vous nous décrivez, à ce qu'à ce moment il y ait lieu d'aller devant le tribunal?

Mme Saint-Pierre (Sylvianne): Quant à moi, j'ai peur du tribunal.

Mme Brière-Ruest: Moi aussi, j'ai peur du tribunal. Il est là, mais...

M. Bédard: Oublions le tribunal. Une voix: Oui.

M. Bédard: À partir du moment où vous avez un comité où tous les membres sont égaux...

Mme Brière-Ruest: On n'a pas besoin du tribunal.

M. Bédard: ...où chacun a droit à son opinion, où ne se dégage pas une opinion d'unanimité, il faut bien chercher un arbitre. Ce ne sera pas le ministre de la Justice ni, avec tout le respect que j'ai, mon collègue de l'Opposition; je pense qu'il faut recourir à une institution qui est là. Même si on en a peur, je pense qu'on doit en reconnaître l'importance par rapport à l'ensemble d'une société. Est-ce que je peux comprendre en principe, sans se figer dans le ciment, ni de votre part ni de la mienne - je veux être bien clair - que, lorsqu'il n'y a pas

unanimité, il n'y a pas d'objection à ce que le tribunal puisse se prononcer?

Mme Brière-Ruest: II faudrait que ce soit dans des cas extrêmes.

M. Bédard: Lorsqu'il n'y a pas unanimité...

Mme Brière-Ruest: Dans des situations très précises de curatelle...

M. Bédard: ...ou dans des situations...

Mme Brière-Ruest: ...alors que des personnes sont vraiment incapables de prendre des décisions, quand tout a été bien analysé.

M. Bédard: Enfin!

M. Laurin: C'est à regarder.

Le Président (M. Blouin): Oui, madame.

Mme Girard (Madeleine): Normalement, les parents qui vivent la situation sont les meilleurs juges, à mon avis.

M. Bédard: Oui, mais il se peut que les meilleurs juges ne soient pas d'accord. À un moment donné, même si on part du principe qu'il n'y a dans ce comité que des parents de handicapés vivant des expériences similaires, il se peut qu'on diverge d'opinion sur les moyens à prendre. Vous conviendrez avec moi qu'il faut quelqu'un pour décider. Il faut quand même penser...

Mme Brière-Ruest: À d'autres mécanismes.

M. Bédard: ...à un arbitre, si je peux employer l'expression, qui, à ce moment-là, serait le tribunal.

Mme Brière-Ruest: Oui, mais il faudrait quand même faire attention dans le choix parce qu'on se rend compte souvent qu'on ne fait pas de différence entre la déficience mentale et la maladie mentale.

M. Bédard: J'ai vu ce que vous avez souligné.

Mme Brière-Ruest: Je trouve cela très important et j'espère que vous allez réfléchir là-dessus. Un déficient mental, c'est un état de vie, c'est quelqu'un qui est comme ça, tandis qu'une maladie, c'est passager.

M. Bédard: Je pense que vous l'avez bien expliqué dans votre mémoire.

Mme Brière-Ruest: On l'a dit, mais on voudrait quand même que vous y attachiez de l'importance.

M. Bédard: Soyez-en convaincue.

Mme Girard: On ne pense pas qu'il y ait des handicapés intellectuels déficients qui soient capables de juger eux-mêmes de la décision. Je ne sais pas s'il y en a, mais c'est très rare.

Mme Brière-Ruest: Oui, c'est très rare.

Le Président (M. Blouin): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Le problème que vous avez soulevé l'a été dans beaucoup d'autres mémoires et nous aurons l'occasion d'entendre beaucoup d'autres témoins sur ce point, parce que je pense que c'est un point très important. Il va sans dire que nous avons tous les mêmes soucis, c'est-à-dire qu'on veut prendre toutes les précautions nécessaires pour être sûrs que c'est la bonne décision et qu'on ne fait pas d'erreur. C'est plus ou moins normal qu'à l'Assemblée nationale on pense au tribunal, qu'on pense au juge pour décider afin, comment dirais-je, que ce soit officiel. Je ne pense pas qu'il faille avoir peur des tribunaux et des juges. De toute façon, on va bientôt nommer juge un ancien député de votre région.

M. Bédard: De quoi parlez-vous? M. Marx: Non, de rien.

M. Bédard: J'espère que vous ne voulez pas assimiler les juges...

M. Marx: Non, je veux dire que les juges sont des gens qu'on connaît; il ne faut pas avoir peur des tribunaux ni des juges.

Le ministre vous a posé une question: S'il y a une dissidence au niveau du comité, que penseriez-vous du fait que ce soit homologué par le tribunal? On peut prévoir une autre possibilité; que ce soit décidé par un comité, mais il faut que ce soit homologué ou entériné par le tribunal. Ce peut être une autre façon de régler ce problème.

Mais j'insiste sur le point que vous avez souligné et que je crois très important: en venir à ce que tout le processus ne soit pas trop lourd. C'est ça, le problème, que ce ne soit pas trop lourd. Ce peut être moins lourd devant un tribunal que devant un comité. Ce n'est pas sûr que ce serait souple et qu'on aurait un processus rapide devant un comité. Vous comprenez ce que je veux dire?

Mme Brière-Ruest: Oui, je comprends très bien ce que vous voulez dire. Mme Saint-Pierre va réagir, mais je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, de toute

façon.

Mme Saint-Pierre: On a déjà eu des problèmes et on a conclu que, si c'était un juge - je pense que cela a déjà été mentionné devant une commission - on va devant tel juge parce qu'il a l'esprit plus ouvert qu'un autre. Si vous avez le malheur... Il ne faut pas oublier, non plus, que les parents sont souvent émotifs. On nous accuse d'être émotifs. Je pense que, quand on est parents d'un enfant handicapé, c'est vrai qu'on est émotifs. Si on arrive devant un juge qui est très sévère, je dirais même étroit d'esprit, beaucoup de parents peuvent se sentir vraiment démunis et ne pas savoir se défendre, tandis que, si c'est un juge qui a l'esprit ouvert, qui comprend le problème du déficient mental, c'est plus facile. (18 h 30)

Mme Brière-Ruest: II a déjà des données, il a déjà quelque chose quand même devant lui. Il n'arrive pas tout seul comme cela pour avoir à décider si, oui ou non, on fait une stérilisation. C'est quand même important.

M. Marx: Le juge doit motiver sa décision. Il faut avoir une raison pour refuser ou pour accorder ce qui est demandé. Je pense que, dans les faits, ce n'est peut-être pas comme vous imaginez que ce sera. C'est le juge, comme le ministre l'a dit, qui sera l'arbitre, qui va recueillir toute l'information, toute l'expertise, qui va avoir l'avis des parents et ainsi de suite. À la fin, c'est le juge qui va prendre la décision. Si cela n'est pas un processus lourd, je pense que cela pourrait bien répondre à vos exigences.

M. Bédard: Je pense que personne ici ne vous reprochera d'être émotifs lorsque vous parlez du sujet. Cela me semble tout à fait normal et humainement explicable. La situation que vous évoquez, qu'il peut y avoir différentes perceptions de ces problèmes selon les juges, tout en reconnaissant la bonne foi de tout le monde, je pense que cela existe et vous le mentionnez à bon droit. Je vous demande aussi d'y réfléchir en pensant que, vous le savez, c'est une décision extrêmement importante. En plus de cela, les personnes qui ont à prendre cette décision importante pour un tiers, le législateur doit penser, quelles que soient ces personnes, à leur assurer quand même une certaine protection pour qu'elles ne soient pas l'objet, après cela, de poursuites en dommages-intérêts pour avoir pris la mauvaise décision, etc. Je pense que c'est à tout cela qu'il faut réfléchir ensemble.

Je vous dirais d'essayer de compléter la réflexion que vous avez déjà entreprise - qui est très avancée, parce que vous nous proposez des choses - à partir de certaines questions que, je pense, nous devions vous poser, quitte à pouvoir échanger encore à nouveau. Je pense que vous résumez presque toute votre préoccupation ou le fondement de votre préoccupation - c'est le point fort de votre mémoire, alors que vous y allez de suggestions - quand vous dites: II ne s'agit pas d'alléger la tâche des personnes qui s'occupent d'une personne déficiente mentale, et on sait que c'est déjà une tâche extrêmement lourde, mais, dites-vous, il ne faudrait pas que des mesures légales aient pour effet de l'alourdir. Soyez sûres que, là-dessus, nous partageons entièrement vos préoccupations. En tout cas, si vous continuez la discussion, si vous avez d'autres remarques à nous faire, n'hésitez pas à communiquer, je dirais, avec le soussigné. Ce sera d'autant plus facile qu'on demeure dans la même région. Merci beaucoup.

Mme Girard: Pour nous, c'était un mémoire, mais c'étaient les sentiments des parents qu'on voulait vous dire dans ce mémoire. Merci.

Le Président (M. Blouin): Avant d'ajourner nos travaux, je vous rappelle que nous allons les reprendre demain, à 10 heures. Nous avons, quand même, réussi à entendre cinq groupes aujourd'hui. Nous allons tenter demain de procéder résolument et avec célérité et, d'ici là, à demain, 10 heures. La commission élue permanente de la justice ajourne ses travaux.

(Fin de la séance à 18 h 35)

Document(s) associé(s) à la séance