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Version finale

29e législature, 4e session
(15 mars 1973 au 25 septembre 1973)

Le jeudi 5 avril 1973 - Vol. 13 N° 6

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude détaillée du projet de loi no 65 — Loi de la protection de la jeunesse


Journal des débats

 

Commission conjointe de la justice et des affaires sociales

Projet de loi no 65 Loi de la protection de la jeunesse

Séance du jeudi 5 avril 1973

(Dix heures dix minutes)

M. HOUDE (Limoilou) (président de la commission conjointe de la justice et des affaires sociales): A l'ordre, messieurs!

Je vous souhaite la plus cordiale bienvenue à la quatrième séance de la commission conjointe des affaires sociales et de la justice. Au tout début, je me permettrai de demander aux représentants des partis de l'Opposition s'ils n'auraient pas objection à ce que l'enregistrement sur "video-corder" soit fait. Ce sont de jeunes étudiants en économie politique.

M. GUAY: Pas d'objection.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'accord est donné; vous pouvez commencer.

J'inviterais immédiatement le porte-parole de l'hôpital Sainte-Justine à s'approcher ici.

Nous allons passer aux suivants, les représentants de Boscoville.

Auriez-vous l'obligeance de vous présenter et de présenter vos collègues.

Boscoville

M. LAPOINTE: Très bien. Mon nom est Guy Lapointe, directeur général de Boscoville. A ma gauche, M. Jean Ducharme, directeur du traitement à Boscoville et, à ma droite, M. Jean McComber, coordonnateur d'une unité de rééducation à Boscoville.

M. le Président, MM. les ministres, MM. les députés, Boscoville assume depuis au-delà de 20 ans la rééducation des jeunes marginaux de 16 à 21 ans. Ces jeunes nous sont confiés par des cours de Bien-Etre social de toute la province en vertu soit de la Loi des jeunes délinquants ou de la Loi de la protection de la jeunesse.

L'admission s'effectue non à partir du délit, mais à partir d'un diagnostic multidisciplinaire indiquant clairement la nécessité d'une rééducation en profondeur. Notre collaboration constante, quotidienne avec les services de probation, les juges des cours de Bien-Etre social et les cliniques d'aide à l'enfance fait partie d'une approche globale du jeune. Cette approche est basée sur le respect de l'individualité et vise à la fois à guérir les problèmes de fond et à permettre une construction interne chez le jeune, construction qui sera la garantie de sa capacité de vivre dans un monde en évolution orienté vers l'avenir, plutôt qu'attaché au passé ou figé dans le présent.

Comme notre mémoire vous est déjà connu, ainsi que notre apport à l'étude de la criminalité et à la rééducation, et compte tenu du fait qu'au moment de l'ouverture de la session il a été souligné que la commission était prête à entendre des points de vue qui dépassaient les cadres stricts de la terminologie de la loi, nous voudrions, avant de répondre à vos questions, d'abord exposer brièvement la situation de trois jeunes à Boscoville qui ont actuellement, tous les trois, 17 ans et demi. M. Jean McComber, coordonnateur de l'unité de rééducation de ces jeunes, s'en chargera; M. Jean Ducharme, directeur du traitement, abordera des aspects concernant la durée du traitement, l'action concertée entre les instances responsables et certaines différences entre un cas de protection et un cas de délinquance. Pour ma part, je terminerai ensuite par quelques considérations particulières au niveau du projet de loi. Nous tenterons d'être aussi brefs que possible et je laisse à M. Jean McComber de présenter la situation de trois jeunes.

M.McCOMBER: M. le Président, MM. les ministres, MM. les députés, je vais vous présenter très brièvement la situation de trois garçons dont je m'occupe. Je vais ensuite vous dire en quelques mots pourquoi j'ai choisi de vous parler de ces garçons en particulier. André aura 18 ans au mois d'août 1973, donc dans quatre mois. Il y a maintenant un an et trois mois qu'il est dans mon groupe. Il a été confié à Boscoville sous la Loi de la protection de la jeunesse, article 15; pourtant, il était incontrôlable à la maison, il avait menacé et même à certains moments utilisé la force physique contre ses parents et il avait consommé de la drogue à de nombreuses reprises. De plus, on le soupçonnait d'agissements homosexuels, qui se sont vérifiés depuis.

En lisant les deux évaluations psychologiques faites jusqu'à ce jour à Boscoville au sujet d'André, nous retrouvons ceci: "André a une dynamique dépressive sous-jacente à des comportements délinquants." La lecture de ces évaluations indique par ailleurs qu'André a commencé à se transformer; il prend conscience de sa dépression. Ceci signifie en d'autres mots qu'André n'a plus besoin d'agir en délinquant mais en même temps il a commencé à souffrir de sa dépression profonde et n'a pas encore trouvé de solution à celle-ci. On peut facilement imaginer qu'un jeune ainsi en état de dépression tente certaines démarches pour se faire dégager d'un milieu qui suscite la nécessité d'un changement. Or, une libération serait néfaste parce qu'elle viendrait interrompre un processus bien amorcé et aussi parce qu'elle retournerait André à la société dans un état encore plus vulnérable qu'à son arrivée à Boscoville.

En effet les délinquants âgés servent souvent à assurer aux jeunes une certaine invulnérabilité. André est assez conscient du danger de libération pour aller voir son juge et lui demander de le garder à Boscoville après 18 ans, même si à un moment où l'autre il en vient temporai-

rement à changer d'idée. Le juge lui a demandé une requête par écrit. Je ne sais pas si ce palliatif sera suffisant pour assurer André contre une période dépressive.

Bernard aura 18 ans en janvier, dans neuf mois. Il présente au départ les mêmes troubles qu'André, sauf un événement qui devient majeur. Il a été trouvé coupable d'un vol par effraction. Il a donc été confié à Boscoville sous la Loi des jeunes délinquants. Or en termes de diagnostic, on retrouve quasiment les mêmes maux: Comportement de délinquant qui semble faire partie d'une structure caractérielle défensive visant à couvrir une image très négative de lui-même et une profonde dévalorisation.

Les deux garçons présentent des antécédents semblables, une dynamique interne semblable, et ils sont arrivés en même temps à l'unité de rééducation. Ils sont tous deux du district de Montréal. La question qui se pose en somme est la suivante: Ces deux garçons aussi semblables que possible ont-ils droit au même traitement, ont-ils besoin des mêmes soins? Je crois que oui.

Dans l'état actuel des choses, il n'est même pas sûr que Bernard demeure à Boscoville plus longtemps qu'André. Le juge peut très bien les libérer et personne ne pourrait y redire, ce qui se présente souvent. D'autre part, si André peut partir de Boscoville à dix-huit ans et que Bernard ne peut pas, le vol par effraction prend alors une importance extrêmement grande. C'est la chose qui le retient à Boscoville. On peut se demander ici si on s'occupe plus du vol que de l'individu.

Le troisième se nomme Claude. Il aura 18 ans en septembre 1973. C'est un enfant de crèche qui connaît à Boscoville son quinzième placement. Il a agi beaucoup et a été placé à Boscoville en vertu de l'article 20 de la Loi des jeunes délinquants. Le traitement sera probablement très long étant donné qu'il présente le diagnostic suivant: Carapace délinquante qui semble recouvrir des tendances schizoides. Le problème qui se présente ici est que personne ne s'inquiète de Claude. D'ailleurs, ça lui est déjà arrivé, il a été oublié dans une institution pendant six mois. André et Bernard ont des parents qui s'occupent d'eux, qui les suivent, qui vont protester devant certaines décisions et en approuver d'autres.

Claude, lui, est laissé à lui-même. La société qui nous confie ainsi un enfant, nous fait une grande marque de confiance; mais est-ce une confiance aveugle?

On sait qu'entre Boscoville et la cour il existe des mécanismes de révision de cas. La loi doit prévoir des garanties analogues pour tous ces jeunes et de façon particulière un service qui, au nom de la société, voit à ce que l'enfant reçoive toujours les mesures appropriées à travers tous les réseaux de services destinés à l'enfance.

Je voudrais maintenant dégager certains aspects généralisables des exemples que j'ai appor- tés. Il est souvent néfaste d'interrompre un traitement d'une intensité telle que celle vécue à Boscoville. La majorité des jeunes qui interrompent le traitement récidivent. Le juge représente la société et, à ce titre, il est souvent nécessaire qu'il confirme au jeune toute l'importance d'assumer son traitement jusqu'au bout. En fait, j'ai très rarement vu un garçon faire un séjour complet à Boscoville sans qu'il provoque, par une demande ou par une évasion, un certain nombre de comparutions. Je pourrais citer de nombreux cas où une telle comparution a été le point tournant d'une rééducation.

L'individu qui possède une structure caractérielle a un fonctionnement basé sur le principe de plaisir. Il est bien connu que face à une limite de temps prédéterminée il pourra facilement devenir un bon prisonnier et faire son temps jusqu'au bout. Il ne surviendra plus aucun changement significatif chez un individu qui réagit ainsi. Tout adolescent, même tout à fait normal, est sujet à ce qu'on appelle communément un coup de tête. Le projet de loi dit qu'un jeune de 18 ans peut demeurer librement à l'institution mais ne fait aucun cas de la possibilité de lui apporter un appui pour continuer une orientation déjà amorcée. De plus, il est connu qu'un jeune armé d'une structure caractérielle défensive a besoin, pour se rééduquer, d'une organisation à toute épreuve. Autant, à certains moments, il mettra l'énergie du désespoir à se faire libérer pour sauver son principe de plaisir, autant il nous remerciera, ainsi que son juge, la crise passée, de ne pas lui avoir cédé.

L'article 20 a été utilisé à toutes les sauces. J'ai connu un garçon qui a brisé une vitre pour s'assurer de venir à Boscoville. Il me semble que les concepts de prévention et de protection impliquent que la société fasse tout en son possible pour aider les jeunes avant qu'ils n'aient commis des passages à l'acte souvent irréparables. Devrons-nous, à l'avenir, admettre en traitement seulement ceux qui ont commis un délit?

Messieurs, je vous remercie de votre bienveillante attention.

M. DUCHARME: M. le Président, messieurs les ministres, messieurs les députés, voici les différents aspects que j'aimerais faire ressortir et sur lesquels je voudrais attirer votre attention. Premièrement, depuis son existence Bcs-coville a toujours insisté pour que la période de traitement des jeunes lui étant confiés soit indéterminée ou du moins non inférieure à deux ans.

Nous avons toujours refusé l'admission d'un garçon lorsque le temps de séjour était fixé d'avance, et ceci pour les raisons suivantes: premièrement, pour conserver l'optique de traitement. En effet, nous croyons toujours qu'il est très difficile pour un adolescent inadapté de croire que son placement chez nous est fait en mesure d'un traitement parce qu'il a des diffi-

cultes ou qu'il a besoin d'aide au plan de sa personnalité si, d'avance, nous fixons le temps de son séjour.

Fixer ce temps équivaut pour lui ou symbolise aller purger une peine ou aller faire du temps. Le temps prend alors la signification d'une condamnation, d'une sentence en regard de ce qu'il a fait. Lorsqu'il arrive dans le milieu de traitement, il prend l'attitude conformiste du bon prisonnier, espérant ainsi, par sa bonne conduite, pouvoir faire raccourcir sa peine, sa période de détention. Il se considère alors comme un détenu et non comme un individu en difficulté qui a besoin qu'on l'aide.

Ce premier élément est capital pour le démarrage d'un processus de rééducation ou de traitement, puisque la première étape d'un processus vise justement à amener l'individu à se voir comme quelqu'un qui est en difficulté, à désirer se faire aider, sachant que le milieu où il se trouve possède les ressources pour le faire. Donc, si l'individu se voit plus comme un prisonnier, comme un détenu et que cela se confirme par une sentence déterminée par le juge pour la durée de son séjour, l'amorce de la rééducation devient presque impossible.

Nombre de fois dans l'histoire de Boscoville, nous avons dû retourner un jeune devant son juge après quelques jours ou semaines de séjour, afin de clarifier cette question de temps, parce que, justement, ceci n'avait pas été précisé entre lui et son juge. Lorsque ce point avait été clarifié, le processus pouvait commencer et connaissait une fin heureuse.

Deuxièmement, respecter le rythme du sujet. Le milieu de traitement a, entre autres, la caractéristique de respecter le rythme d'évolution et de transformation de ses sujets. Sinon, le danger devient trop grave de passer d'un programme de traitement individualisé à un programme de conditionnement. Si la loi n'est pas modifiée concernant le temps de séjour, si la loi détermine et fixe la durée du séjour, les institutions possédant un programme de traitement individualisé et respectant le rythme des sujets se trouvent devant deux possibilités: dépersonnaliser le programme de traitement et se diriger vers des programmes de conditionnement, ce qui aura pour conséquence de faire disparaître le traitement en profondeur pour ceux qui en ont besoin; ou encore les institutions spécialisées, ayant démontré les exigences d'un processus de traitement non défini dans le temps, refuseront d'admettre des sujets dont l'âge ne rendrait pas possible l'application complète du programme de traitement. Cela aura comme conséquence que les garçons dont l'âge se situe entre 16 ans et demi et 18 ans ne pourront pas bénéficier d'un programme de traitement et seront en quelque sorte sacrifiés.

De plus, nous savons par expérience qu'il est préférable de ne pas commencer un programme de traitement en profondeur si nous n'avons pas toutes les chances de le mener à terme. En effet, il est plus dommageable pour un individu, au plan de l'équilibre de sa personnalité, d'interrompre un processus de traitement en cours que de ne pas le commencer parce que nous ancrons en lui le désespoir qu'il éprouve de ne pas s'en sortir.

Nous structurons davantage l'image négative qu'il a de lui-même.

C'est un peu comme si nous lui disions: Hier, tu avais des difficultés. Nous avons tout mis à ta disposition pour les régler. Aujourd'hui, parce que cela fait tant de temps que tu es ici ou que tu as tel âge, débrouille-toi tout seul. Ou encore: Tes difficultés viennent de disparaître comme par magie.

Cette façon d'agir serait un blâme à son rythme d'évolution. Ne pouvons-nous pas traduire à ces adolescents inadaptés le message que le temps importe peu, que nous allons y consacrer le temps qu'il faudra, que la société est prête à investir en lui, mais qu'elle ne se contentera pas de demi-mesures à cause d'un facteur temps. Sinon, comment en arriver à faire croire à un adolescent inadapté que la société dans laquelle il va se retrouver est en pleine évolution positive si nous n'avons pas mis tout le temps nécessaire à lui faire vivre, ressentir et prendre conscience de sa propre évolution dans son corps, dans sa personnalité?

Il y a environ un an, un de nos anciens dut répondre, lors d'une émission radiophonique, à cette question: Crois-tu que la société change, et pour le mieux? Il déclara: Avant, je croyais que la société était mauvaise. Je voulais la faire changer et vite. Mais aujourd'hui, je comprends parce que l'ayant vécue, ce n'est pas facile de changer, il faut y mettre le temps, la patience.

Donc, au lieu de s'en prendre à la société et de la faire changer, on doit accepter tout d'abord de changer soi-même, de s'améliorer et, par le fait même, la société deviendra meilleure.

Ainsi donc devons-nous prendre le risque, à cause d'une question de temps, qu'une telle prise de conscience ne puisse s'effectuer sur un individu inadapté. Une telle prise de conscience débouche sur une participation active et positive dans la société.

Troisièmement, la phase d'apprivoisement, comme on pourrait l'appeler. Combien de personnes connaissent le temps qu'il faut pour créer un climat de confiance entre un inadapté et un milieu de traitement? Combien de personnes connaissent le temps qu'il faut pour créer une relation d'influence transformante avec un inadapté? Combien de personnes savent le temps qu'il faut pour passer d'une identité de soi négative à une identité positive? Nous-même sommes incapables de répondre, de façon précise, à ces questions et pourtant nous vivons, en moyenne, une quarantaine d'heures par semaine avec des inadaptés depuis plus de dix ans. Toutefois, ce que nous savons, c'est qu'un tel processus ne peut se vivre en deçà de deux ans. Cette certitude fut d'ailleurs démontrée par M. Landreville dans sa thèse de doctorat en criminologie faite sur la population

de Boscoville entre 1954 et 1964. Cette recherche démontre, sans équivoque, que le taux de réussite était directement proportionnel à la durée du séjour. Ainsi, pour les sujets ayant séjourné au-delà de deux ans, le taux de non-récidive était d'environ 90 p.c. Pour ceux, ayant séjourné entre un an et deux ans, le taux était d'environ 60 p.c. Ainsi donc le facteur temps, le facteur durée du séjour est d'une importance capitale dans un processus de traitement.

Devons-nous prendre le risque, à cause d'une limite de temps, de ne favoriser qu'à 60 p.c. les chances de réussite? C'est ce risque que propose le présent projet de loi s'il n'est pas modifié.

Voilà les trois raisons majeures qui nous incitent à demander au législateur que la durée de séjour pour fins de traitement soit indéterminée.

Le deuxième point sur lequel nous désirons attirer votre attention est la nécessité d'une action concertée dans un programme de traitement. Voici un autre aspect que Boscoville a toujours essayé de faire valoir dans son expérience de la rééducation, l'importance d'une action concertée entre les organismes et les personnes impliquées dans le traitement des adolescents inadaptés. Par personnes impliquées, nous entendons les parents ou leurs substituts, l'officier de probation, le juge, le travailleur social, l'équipe de traitement, les équipes de CLSC, etc., autrement dit toute personne gardant ou ayant des contacts directs avec le sujet à partir du moment où il est placé dans une institution pour suivre un programme de traitements ou qu'il soit inséré dans l'engrenage des services de protection.

Vous seriez fort surpris de connaître le nombre de juges, d'officiers de probation, de psychiatres, de psychologues, de travailleurs sociaux qui recommandent des placements à Boscoville sans vraiment le connaître et sans jamais y avoir mis les pieds. Combien de fois avons-nous été obligés de défaire de fausses images auprès des adolescents qui nous arrivent, images qui leur avaient été données par ces mêmes personnes, Depuis plusieurs années, et encore plus particulièrement depuis l'an passé, nous faisons parvenir aux juges et aux officiers de probation des documents qui leur font voir l'importance de leur rôle dans un processus de rééducation. Nous essayons de faire comprendre la nécessité et l'importance d'une formation spéciale pour les juges de la cour de Bien-Etre social, pour les officiers de probation, les policiers, les avocats de l'assistance judiciaire à la cour de Bien-Etre social. Nous avons toujours fait preuve de collaboration en ce sens.

Ici, je me permets strictement de vous donner les très grandes lignes à savoir comment, par ces documents, nous définissons le rôle du juge dans un processus de rééducation.

Pour nous, le juge du garçon tient une place de première importance dans la rééducation du jeune, d'où la nécessité, lorsque le juge a pris la décision de confier le garçon à Boscoville, de le rencontrer et de mettre en lumière avec lui les aspects suivants : 1.Que le garçon vienne à Boscoville parce qu'il a des difficultés au plan de sa personnalité et, par conséquent, c'est une mesure de traitement et non une mesure punitive; 2. Qu'il aura une part active à prendre dans son traitement et, par conséquent, qu'il est confié à Boscoville pour une période indéterminée, puisque ce n'est pas une question de temps qui est en jeu; 3.Par l'attitude du juge, le jeune doit comprendre que la décision de placement n'a pas été prise pour se débarrasser de lui mais, au contraire, pour mieux répondre à ses besoins. Ceci peut se faire de la façon suivante: J'ai décidé de te confier à Boscoville et j'entends bien que tu puisses y vivre jusqu'à la fin de ta rééducation.

Il arrive souvent que des comparutions doivent avoir lieu en cours de rééducation. Voici le sens qu'on leur donne. Après une certaine période de séjour, le garçon se trouve confronté avec ses difficultés et, devant la nécessité de changer lui-même, il croit difficilement pouvoir y arriver et cherche alors à nier la nécessité d'y parvenir.

A ce moment, il connaît et saisit très bien le message de Boscoville qui lui fait voir l'importance de continuer le traitement.

Cependant, le garçon sait aussi que celui qui a juridiction sur lui, qui rend la décision finale, c'est son juge. Le test peut se présenter de deux façons. Avant la comparution, le jeune se met de nouveau à agir de façon très délinquante. Il espère ainsi ébranler la confiance de son juge en sa capacité de changer. L'autre forme est qu'il fasse preuve d'un conformisme presque parfait. Il espère ainsi pouvoir démontrer à son juge que sa période de traitement est terminée et que c'est Boscoville qui a des exigences extravagantes.

Dans un cas comme dans l'autre, le garçon a besoin de la position ferme de son juge qui l'oblige à continuer son traitement. Il a besoin de se faire réaffirmer par son juge qu'il quittera Boscoville seulement au moment où les évaluations multidisciplinaires l'auront jugé apte à le faire.

Il doit comprendre par son juge que la société ne doit pas se contenter de demi-mesures puisqu'il est capable de beaucoup plus et qu'elle exige le maximum de lui.

Je prendrai ici seulement certaines lignes d'un document au sujet du rôle des officiers de probation, selon ce que l'on croit. Le rôle de l'officier de probation par rapport à un jeune qui va suivre un programme de traitement est de deux ordres: avant que commence le programme de traitement, en cours de traitement et aussi à la fin.

Nous croyons important que l'officier puisse bien préparer le garçon à son séjour en informant le jeune sur ce qu'est Boscoville sur ce que

sera le milieu ou les mesures de traitement qui vont être prises. Il doit lui dire que ces mesures sont prises vraiment non pas en fonction des délits, non pas en fonction des situations extérieures dans lesquelles il se trouvait, mais en fonction de lui.

Nous croyons aussi qu'incombe à l'officier de probation la tâche de bien informer le juge sur les institutions à qui il doit confier les jeunes en l'aidant à faire les distinctions entre les cas de protection et les cas de délinquance. Que les organismes auxquels le garçon va être confié puissent faire des rapports précis, détaillés du comportement du jeune au moment où ils l'avaient sous leur probation.

Ces renseignements sont nécessaires pour comprendre le comportement et l'adaptation du garçon.

Donc, l'officier de probation est un sensibilisateur. Il sensibilise le juge à un placement, le jeune au placement et il sensibilise l'endroit qui va donner ce programme de traitement.

Durant le placement, il a un rôle capital en faisant le lien, surtout pour les garçons qui viennent des régions éloignées — les institutions reçoivent des garçons de toute la province — entre le milieu de traitement et la famille.

H a aussi un rôle important quand le jeune doit recomparaître en cours de traitement. Il doit représenter autant le garçon que les mesures de traitement et surtout aider le juge à comprendre ce qui se passe, ce que le jeune vit.

Il a aussi un rôle bien important lorsque le jeune quitte l'institution après son programme de traitement pour l'aider à se réinsérer dans son milieu, parce que, souvent, il connaît beaucoup mieux le milieu dans lequel le jeune veut se réinsérer.

De toute façon, si vous désirez poser des questions sur cet élément, M. Lapointe pourra vous donner les idées et les réflexions que nous avons faites au sujet de l'organisation du service de probation.

De plus, nous nous efforçons d'informer le juge et l'officier de probation de la démarche que vit le sujet, où il en est rendu et ce qu'il lui reste à travailler. Aussi, chaque fois que nous faisons une étude de cas multidisciplinaires, nous invitons ces personnes à y participer et, ensuite, nous leur faisons parvenir une synthèse de l'étude.

Nous espérons que cet exposé vous fait clairement voir que nous concevons le juge et l'officier de probation comme des collaborateurs indispensables à la réussite d'un processus de rééducation et non pas comme des personnes qui décident de confier des sujets à une institution et en obligeant celle-ci à les prendre.

Nous faisons référence ici à cette partie de la loi qui confère au juge un pouvoir unilatéral, celui de décider d'un placement en institution sans possibilité de refus de la part de cette dernière. N'y aurait-il pas lieu plutôt d'aller dans le sens suivant: établir une procédure amenant les personnes impliquées à coopérer ensemble; une décision définitive quant au placement ne devrait-elle pas être prise après une certaine période d'observation auprès du sujet? Aller dans le sens proposé par la loi comporte de grands dangers, tels que, premièrement, les institutions recevant des sujets par la force des choses, sans pouvoir être en mesure de leur offrir des services de qualité, privent ainsi l'enfant ou l'adolescent d'un droit fondamental, celui de recevoir des soins et des services de qualité. Nous risquons fort de sacrifier la qualité à la quantité. Deuxièmement, le nombre de lits disponibles risquerait de devenir le premier critère dans la décision d'un placement, sans préoccupation quant à la qualité du personnel qui s'y trouve. Troisièmement, que le rôle du juge ne se confine qu'à ordonner des placements et, lorsque cela est fait, ça ne le regarde plus. Quatrièmement, que les officiers de probation fassent des pressions auprès des juges pour qu'ils placent leurs sujets les plus difficiles afin d'alléger leur fardeau lorsqu'ils en ont plein les bras.

En effet, et c'est ce que nous considérons comme le plus dangereux, nous ne savons pas quel esprit créera l'application d'un tel pouvoir conféré au juge. Pour éviter cela, ne serait-il pas plus sage — répétons-le — d'aller dans le sens d'une procédure qui obligerait les personnes impliquées, et celles pouvant l'être, à coopérer ensemble dans le sens d'une action concertée. C'est d'ailleurs à cette conclusion qu'en sont arrivés les juges, officiers de probation, avocats, psychiatres, psychologues, policiers, travailleurs sociaux, criminologues et psycho-éducateurs réunis en novembre dernier lors de sessions d'étude pour la formation des juges. J'ai participé personnellement à ces sessions qui ont mis en évidence les deux dimensions du rôle du juge; ces deux dimensions ont été magnifiquement résumées par un des juges participants lorsqu'il s'est exprimé à peu près ainsi: Le rôle du juge comporte donc deux dimensions, l'une juridique, l'autre sociale. La dimension juridique se limite à analyser, évaluer et se prononcer sur la matérialité des faits qui lui sont apportés et déterminer si l'individu est coupable ou non. La dimension sociale consiste à faire analyser la personnalité du jeune et à se situer au centre d'une équipe multidisciplinaire qui pensera et déterminera le programme de traitement approprié à cet individu. Le juge devient alors la personne garante auprès du jeune et de la société afin que ce traitement soit vécu de façon qualitative.

Voilà, à notre avis, ce qui définit bien le rôle du juge à une cour de Bien-Etre social, tout en faisant voir qu'il n'y ait pas d'incompatibilité entre ces deux dimensions juridique et sociale.

Le troisième point sur lequel je veux attirer votre attention, c'est la différence entre un adolescent inadapté de protection et de délinquance. Si, sur un plan juridique, il est relativement facile de distinguer un cas de protection d'un cas de délinquance, c'est toute une autre

affaire sur le plan social. En effet, sur le plan dynamique de la personnalité, les besoins et les difficultés sont souvent identiques, ce qui nécessite pour les deux cas des mesures de traitement semblables, d'où l'importance de ne pas croire que parce qu'un individu n'a pas de délit reconnu officiellement, il est moins perturbé, qu'il n'a pas de conflit intériorisé aussi profond que celui qui a commis des délits reconnus. Dans une optique de traitement, ce n'est pas la quantité, la gravité ou l'absence de délit qui doit déterminer la sorte d'intervention à entreprendre. C'est d'abord et avant tout l'organisation intérieure de la personnalité en termes d'équilibre. C'est aussi parce que des professionnels en sciences humaines et des juges ont cru à ce principe que Boscoville a eu la possibilité d'admettre des cas d'homicide. D'ailleurs, cette expérience a été bien soulignée lors d'une journée d'étude tenue à Boscoville en juin 1970. Le contenu de cette journée a fait l'objet d'un numéro entier de la revue des Services de bien-être à l'enfance et à la jeunesse dont nous avons ici un exemplaire.

Quelle différence y a-t-il entre un adolescent inadapté des articles 15 et 20? Si le temps nous l'avait permis, nous aurions aimé vous présenter plus à fond, les cas que M. McComber a apportés ici ce matin. Vu sous l'angle de la dynamique interne de la personnalité, vous auriez alors constaté combien il est difficile de pouvoir identifier les uns et les autres et combien le besoin de l'un et des autres se ressemble. Nous constatons même que parfois les cas de protection sont souvent plus atteints et plus détériorés sur le plan de la personnalité que ceux de l'article 20. Ceci s'explique par le fait que bien souvent l'adolescent délinquant au sens juridique a su se bâtir une structure défensive caractérielle pour se protéger de l'influence du monde extérieur. Bien sûr, cette structure l'amène à agir de façon délinquante et présente un certain danger pour la société.

Mais, d'un autre côté, elle protège son équilibre interne et permet une moins grande détérioration de leur personnalité. Bien souvent les cas de protection, au plan de la personnalité, n'ont pas cette structuration caractérielle et par conséquent ont été plus vulnérables à l'influence du monde extérieur.

Par conséquent leur personnalité est beaucoup plus atteinte et la nature de leur conflit intérieur est plus profonde. Ou bien nous avons des cas de protection qui dynamiquement ont une personnalité délinquante, mais qui ne sont pas reconnus comme tels au plan juridique parce que personne n'a porté de plaintes sur les délits qu'ils ont commis.

Tout ceci est dit pour mettre en lumière une question que nous nous posons. N'y a-t-il pas danger que le jeune adolescent placé en vertu des cas de protection soit tellement protégé qu'en fin de compte nous camouflions ses difficultés réelles en le maintenant dans un état de dépendance? Une fois libéré de cette tutelle, à l'âge de 18 ans, nous nous trouvons devant un jeune homme qui aura de fortes chances de vivre cette délinquance demeurée latente.

Cette question nous laisse fort inquiets devant les garçons de cas de protection et nous avons l'expérience de certains cas pour appuyer cette inquiétude. Comment arriver à utiliser la Loi de la protection sans que finalement nous ne réussissions qu'à masquer les difficultés latentes? C'est sûrement un aspect qui mérite que nous y apportions une attention particulière. L'esquisse de solution serait de trouver des moyens d'évaluation périodique pour s'assurer que le jeune ne vit pas un état de dépendance et de conformisme tel qu'il ne fait que protéger ses difficultés.

Lorsque l'évaluation démontrera qu'il a fait preuve d'une participation active ayant comme résultat le traitement de ses difficultés il pourra alors s'insérer dans la société. Mais pour appliquer un tel principe, un tel esprit, cela suppose la possibilité de pouvoir continuer à garder juridiction sur les cas de protection après l'âge de 18 ans, advenant le cas où la rééducation né serait pas complétée.

Est-il nécessaire de dire que si une telle mesure existait dans la nouvelle loi, nous en serions fort heureux? Il est évident que cela nous appuierait dans notre mission de l'éducation auprès des jeunes qui nous sont confiés en vertu de la Loi de la protection de la jeunesse. Je vous remercie.

M. LAPOINTE: Les dernières remarques seront beaucoup plus brèves. Nous avons débordé volontairement le champ pour vous parler davantage de rééducation, champ que nous connaissons le mieux. Maintenant, à la suite du mémoire, des remarques déjà incluses dans le mémoire et des réflexions déjà faites, nous présenterons immédiatement quelques recommandations qui nous paraissent finales sur des aspects les plus essentiels pour les adolescents inadaptés : 1 ) Que le jeune inadapté jugé jeune délinquant puisse bénéficier des mêmes mécanismes, structures et mesures de protection et de traitement que les autres jeunes. A cet effet, l'article 43 doit être retiré du projet de loi. 2)De la même façon que le jeune jugé inadapté en vertu de la Loi de protection de la jeunesse puisse bénéficier des mêmes mesures de traitement que les jeunes délinquants quand le diagnostic les rend nécessaires, à cette fin qu'aucune mesure fixant la durée maximum pour le traitement ne soit prédéterminée dans la loi. Donc, une modification à l'article 28. Que les mesures entreprises avant l'âge de 18 ans puissent être maintenues au besoin, au moins jusqu'à l'âge de 21 ans. A cet égard, que des mécanismes de réévaluation périodique soient prévues. 3)Que toute décision de la cour repose sur une consultation obligatoire des professionnels et des organismes concernés et qu'apparaissent,

aux minutes du procès-verbal de la cour, les motifs qui ont entraîné la décision d'entreprendre, de poursuivre ou de cesser la mesure prise. Donc, des modifications à l'article 22 ou 28. 4)Que des distinctions soient faites entre une mesure d'hébergement obligatoire à court terme, dans des centres prévus et équipés à cette fin, et des mesures d'hébergement obligatoire à long terme pour fins de traitement. Dans l'un et l'autre cas, les mécanismes de placement sont prévus par les règlements de la loi sur les services de santé et les services sociaux. Le projet de loi actuel doit y faire une référence explicite, car il ne prévoit pour les institutions que l'obligation sans condition de se conformer sans délai aux ordonnances de la cour ou aux obligations imposées par un centre de services sociaux. 5)Que la notion de service de protection dans la loi dépasse le champ des tribunaux, des centres d'accueil et même des centres de services sociaux, pour recouvrir l'action en milieu ouvert, et que la présence dans l'action intégrée des organismes auxquels faisait référence M. Ducharme, au moment du diagnostic ou des réévaluations, prévoie la participation de ces instances.

Si ce projet de loi était appliqué à la lettre, les institutions de traitement deviendraient — d'autres l'ont déjà dit — des fourre-tout surpeuplés. Certains cas de protection cesseraient de recevoir le traitement approprié. Nous savons que telle n'est pas l'intention du législateur. En outre, nous voudrions souligner un danger, une tentation qui pourrait prendre naissance dans une société; il s'agit de celle d'économiser sur les ressources de traitement.

Des statistiques ont démontré que la prolongation du traitement était un facteur important de la réussite pour autant qu'il y a une suite et des réévaluations d'assurées. Par leur production au travail après leur traitement, par leurs impôts, par l'absence de dépendance des mesures sociales leur vie durant, ces jeunes rembourseront largement la société de l'investissement consenti au départ.

En terminant, nous voudrions souligner notre accord sur la nécessité de refaire une Loi de la protection de la jeunesse. Comme il est rare qu'un gouvernement ait le temps ou le courage de refondre les lois sociales et que nous avons à vivre longtemps avec celles-ci, nous demandons aux législateurs une qualité telle qu'elle suscite l'intérêt et l'espoir chez ceux qui sont confrontés chaque jour avec le désespoir et qui oeuvrent justement à donner à d'autres l'espérance et la possibilité d'un mieux-vivre.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. CASTONGUAY: M. le Président, je voudrais remercier les représentants de Boscoville pour le mémoire et les points qu'ils ont soulevés dans leur présentation verbale. J'aurais quelques questions à poser sur les aspects du traitement sur lesquels Us ont davantage élaboré : durée de traitement, limite de l'âge, le caractère exécutoire des décisions du juge. Commençons d'abord par une espèce d'ordre chronologique. En ce qui a trait aux décisions du juge, elles ne sont pas présentement exécutoires dans une assez large mesure. Un des problèmes qui se posent — j'en ai eu plusieurs exemples — c'est qu'on retrouve des enfants que personne ne veut accepter. Vous avez eu les exemples d'enfants dans les prisons communes. On va au Centre de jeunesse de Tilly, ici à Québec — l'ancien centre Muir — et on y retrouve un peu de tout. Il semble que, lorsqu'on n'en veut pas ailleurs, c'est là, finalement, qu'ils se retrouvent.

Vous avez aussi des situations, au plan des services de santé qui peuvent être requis, qui peuvent presque prendre un caractère tragique à certains moments. J'ai encore un exemple à l'esprit où une de ces maisons voulait obtenir des services, pour un enfant qui avait tenté de se mutiler. On s'est buté à des refus dans deux ou trois hôpitaux pendant une fin de semaine. H n'y avait, à toutes fins pratiques, aucun recours. Il me semble que, face à des situations comme celle-là, un aspect doit être considéré. Peut-être qu'on doit faire des distinctions sur les durées de traitement mais il me semble qu'on ne peut pas non plus laisser le juge rendre une décision non exécutoire. Plus que de préciser le centre où l'enfant doit être dirigé ou le foyer nourricier spécifique, par exemple, ce qui importe le plus c'est d'assurer qu'elle sera exécutée.

Vous soulevez, dans votre mémoire, le problème des ressources. Je sais qu'il y en a un. Ce n'est pas par une loi qu'on va le régler, il faut y mettre les sommes, au plan financier, et il faut aussi du personnel compétent. Je pense qu'on n'a pas besoin d'élaborer beaucoup plus. Il y a des progrès qui ont été effectués au cours des années et il faut continuer. C'est clair que maintenir une institution comme Boscoville requiert un effort de la population. En même temps, comme vous le soulignez, cela apporte des résultats valables. Mais ceci ne se développe qu'avec le temps, on ne peut créer de toutes pièces des institutions valables simplement par une décision administrative.

Alors, il y a ce premier aspect des décisons exécutoires qui me paraît assez important. La situation, telle que vous la décrivez par le projet de loi, face à une institution comme la vôtre, peut soulever des problèmes. Par contre, la situation actuelle, telle que vécue pour tout un autre type de cas, crée également des problèmes. C'était mon premier point.

Le second, sur les durées d'hébergement obligatoire, parce que c'est de cela qu'on parle en fait, ou encore les durées de traitement, on a beau dire que c'est du traitement, je suis d'accord avec vous, mais vous-mêmes avez mentionné qu'il faut que l'officier de probation

convainque le jeune que c'est de la réadaptation, du traitement qu'il va subir. Je comprends votre désir de faire un travail complet. Mais d'un autre côté, est-ce qu'il n'y a pas une certaine... Il y a un autre aspect aussi. On nous l'a souligné hier: C'est celui des droits de l'enfant. Jusqu'à quel point peut-on aller dans des hébergements indéterminés? Toutes les institutions ne sont pas de même calibre et, encore là, il me semble que la question se soulève et qu'elle n'est peut-être pas au même niveau tout à fait que celle de la durée des exigences sur le plan du traitement. Mais il y a assurément celle des droits de l'enfant.

Il y a également la question de l'âge, comme vous l'avez mentionnée, lorsqu'on arrive à 18 ans, il y a évidemment un problème. Nous allons le réexaminer sérieusement.

Enfin, j'aimerais poser une question sur l'évaluation. Vous dites qu'il existe présentement des mécanismes d'évaluation entre la cour et votre établissement. J'aimerais que vous les décriviez un peu plus précisément de même que vous nous donniez votre avis sur l'existence de mécanismes analogues ou encore, selon les expériences que vous avez eues, par des enfants qui ont été dans d'autres institutions. Quelle est la valeur des mécanismes d'évaluation qui existent dans d'autres institutions?

Finalement, sur la question de la réinsertion sociale des enfants, vous avez fait état d'une étude qui portait sur une période se terminant en 1964. On sait d'autre part que les choses changent assez vite et que la jeunesse d'aujourd'hui n'est pas celle de 1960. Est-ce que vous faites de nouveau des relevés, au fur et à mesure que le temps passe, pour identifier ou essayer de dégager d'une façon aussi rigoureuse que possible ce qui advient des enfants qui, depuis 1964, ont quitté votre établissement?

C'étaient les quelques questions que je voulais poser.

M. LAPOINTE: Je vais tenter de répondre à ces questions qui sont très vastes et je demanderai à mes confrères de compléter au besoin.

Premièrement, par rapport à l'aspect exécutoire d'une décision de juge. Quant à nous, il est très important que la décision du juge demeure exécutoire. Ce qui nous paraît préalable, c'est l'aspect d'un diagnostic qui permet de déterminer la bonne mesure. Par exemple, si on prend des cas de protection avec les problèmes décrits, ou les cas de jeunes délinquants que nous recevons, nous demandons que le juge soit réellement celui qui, au nom de la société, dit: On a un bon diagnostic. On a un programme de traitement. Maintenant, c'est ce que le jeune devra vivre, que les parents doivent accepter et que l'institution doit accepter.

Au moment du diagnostic et de la prise de décision, autant de la part de l'officier de probation que de celle des spécialistes de la clinique et de l'institution on doit réellement étudier et dire qu'on est certain que c'est réellement la mesure préférable pour le jeune. Avec les réserves sur des cas qui sont incertains et qu'on accepte même à un moment donné sans être certain que c'est exactement celle-là, parce qu'il y a des cas marginaux pour lesquels les sciences de l'homme ne peuvent pas, de façon absolument précise, dire que c'est la seule, l'unique, la mesure idéale.

Maintenant, je crois que la présence, au moment du diagnostic et de la décision d'une équipe qui dit: On a tel problème en main, qu'est-ce qu'on en fait? Que tout le monde s'implique, mais la décision, c'est le juge finalement qui la prend et la rend exécutoire. Cette décision, nous devons la vivre ainsi que le jeune et les parents.

M. CASTONGUAY: Dans le projet de loi, on essaie de faire en sorte que, pour tous les cas possibles, ce soit un service de protection de la jeunesse qui prenne, sur une base multidiscipli-naire, en consultation — au besoin même, on peut mettre l'accent sur cette consultation — les décisions qui doivent être prises. Une gamme de mesures paraissent possibles à ce moment-là. Ce n'est que les cas, en fait, plus difficiles, soit au plan de la délinquance ou encore au plan de la protection des droits d'un jeune, qui seront référés au juge. Il me semble que, dans vos commentaires, vous ne faites pas tellement cette distinction. Vous semblez situer tous les cas au même niveau, à moins que je ne saisisse mal.

M. LAPOINTE: Voici, c'est que peut-être toutes les situations ne sont pas analogues.

M. CASTONGUAY: Non.

M. LAPOINTE: Au plan du diagnostic, certains juges peuvent prendre des décisions, actuellement, sans qu'il y ait de diagnostic et dire: Je confie l'enfant à telle institution en particulier. Actuellement, à cause de l'existence des formes de travail qu'on a prises avec la cour, dans notre cas, il est rare qu'un juge dise: Je vous confie un enfant, qu'il y ait ou non un diagnostic. C'est beaucoup plus rare.

Il y a eu, dans le passé, plusieurs tentatives pour le faire comme tel. J'ai un jeune devant moi, j'ai un problème et je le place chez vous. Qu'est-ce que c'est, son problème? On n'a pas pu le savoir. Si le diagnostic est garanti au moment où l'enfant arrive à la cour, déjà, je crois, que toutes les instances auront à se prononcer ensemble. L'étude des cas implique la nécessité, pour le juge, de continuer à suivre son jeune. Je pense que je vais en dehors de votre question, si je continue.

M. DUCHARME: J'espère que cela va dans le sens de votre question. Nous sommes favorables à cet élément que vous soulevez, M. le ministre. Cependant, notre expérience nous montre que, souvent, venant entre autres, des

services sociaux, des jeunes nous arrivent , dont l'histoire sociale comporte de dix — on vous a nommé un cas — à quinze placements. Souvent, on s'est rendu compte que les services sociaux, au moment où les jeunes leur étaient confiés, où on demandait une enquête, devant les problèmes de comportement qui étaient soumis, faisaient systématiquement une action pour éviter que l'enfant n'aille à la cour. Ils voyaient eux-mêmes à essayer de faire des placements.

C'est là la confusion. Souvent, les gens pensent que, dans les cas de protection, les problèmes ne sont reliés qu'au milieu. Souvent, on croit que le séparer de son milieu, l'envoyer dans un foyer nourricier va faire disparaître les problèmes. Nous, nous disons: Oui, mais il y a une autre dimension qu'il faut faire ressortir. Il faut regarder ce que ces situations ont laissé chez le jeune. Est-ce qu'elles l'ont marqué? Est-ce qu'elles ont affecté sa personnalité? Après cela, il faut voir s'il y a nécessité de traitement ou simplement d'un placement dans un autre foyer nourricier qui aura été évalué comme ayant les ressources peut-être pour faire face aux difficultés que le jeune présente. Souvent, c'est la lacune même des foyers nourriciers. Ils reçoivent des jeunes ne sachant pas quels sont leurs problèmes au plan de leur personnalité. Au fur et à mesure que des interventions sont prises et qu'elles se soldent par un échec, cela renforce les possibilités de traitement.

Nous sommes favorables dans ce sens. Mais nous voulons que l'on fasse l'attention et que, lorsque l'on fera les évaluations, on ne fasse pas simplement une évaluation sur les faits. Qu'on porte aussi, sinon plus, attention à ce que cela a laissé chez l'individu, où il en est lui, présentement.

M. LAPOINTE: Au niveau de la mesure exécutoire, je crois que si elle repose sur un diagnostic, il y a passablement de problèmes d'évités, autant pour ce qui concerne la protection que pour ce qui concerne les jeunes délinquants. Aussi, au moment où l'enfant doit recomparaître en cours de rééducation, on soulignait dans le mémoire qu'on désirait que ce soit toujours, autant que possible, le même juge, compte tenu des distances. Que le juge, à ce moment-là, n'ait pas le pouvoir de le libérer sans qu'une évaluation soit faite, simplement au gré du sentiment de l'heure. Que le juge ne puisse pas confier le jeune à une institution sans une évaluation, ni libérer ou dégager un enfant d'une mesure de traitement ou de prévention sans qu'il y ait accord. Cela suppose toujours un travail de groupe au sein des différents organismes. Le juge n'est pas un élément isolé.

Je crois que de plus en plus, dans les faits, c'est vers cela que la majorité des juges vont aussi.

Je ne sais pas, avez-vous d'autres questions?

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Montmagny.

M. LAPOINTE: C'est que vous aviez plusieurs autres questions. Je ne sais pas si...

M. DUCHARME: Vous parliez des mécanismes d'évaluation. Nous allons vous donner la situation que nous connaissons, nous autres, à Boscoville.

Lorsque le garçon arrive à Boscoville, il y a une période d'observation. A la fin de cette période d'observation, qui dure en moyenne huit semaines — cela peut aller de huit à douze semaines — il y a tout de suite, là encore, une étude sur le comportement et les capacités du jeune à s'adapter. Cette étude se fait en partant des rapports d'observation quotidiens que des psycho-éducateurs vivant avec le garçon en observation ont faits. Là s'établit, de par la nature des difficultés observées, si nous avons les ressources pour aider ce garçon.

Lorsqu'il n'y a aucune équivoque là-dessus, nous décidons de placer le garçon dans un groupe de rééducation. Un mois après son placement dans un groupe de rééducation, nous reconvoquons juge, officier de probation, psychologue, psychiatre, travailleurs sociaux, toute personne ayant eu affaire à l'enfant et qui est intéressée à son traitement. Nous les convoquons pour refaire une étude, pour dire : Voici, nous autres, ce que nous avons décidé. Voici où il en est présentement. Voici les difficultés que nous croyons qu'il va se présenter dans son processus de traitement et à peu près jusque vers où nous pouvons l'orienter après.

C'est sûr que souvent la dernière phase est encore difficile parce que devant l'ampleur du problème, parfois, nous ne pouvons pas tellement nous prononcer plus de six mois à l'avance. Quand même, avec ces personnes, nous pouvons, par exemple, faire comprendre au juge que, dans telle et telle période du traitement, il y aura crise, il y aura des difficultés et que c'est positif, que cela ne doit pas être vu comme négatif.

Ensuite, il y a ce que nous appelons une compétence. Cela veut dire qu'à peu près quatre mois plus tard une autre étude se fait avec l'équipe de traitement, le psychologue, le travailleur social, les responsables du traitement au plan de l'institution. Ensuite, il s'en fait une à peu près un an plus tard, avec les mêmes personnes et ensuite, à peu près six mois plus tard, une autre évaluation. Cela fait à peu près, en tout, de cinq à six évaluations sur une période moyenne de deux ans et demi à trois ans.

A la suite de ces évaluations, si le juge et l'officier de probation n'ont pu être présents, nous avons une personne qui a comme responsabilité de faire le lien entre la cour et le service de probation et de mettre au courant le juge et l'officier de probation. Le travailleur social se charge de faire le lien avec la famille.

Ce sont les mécanismes — je ne sais pas si cela répond à votre question — que nous avons à ce moment-là.

M. CASTONGUAY: Selon votre expérience, compte tenu du fait que vous recevez bien des fois des enfants qui ont connu des situations assez difficiles dans le passé, qui ont fait d'autres stages, pourriez-vous commenter un peu ou donner votre avis sur la valeur des mécanismes d'évaluation de façon générale?

M. DUCHARME: Voyez-vous, le gros problème, au niveau des évaluations, c'est que la plupart des professions, sauf peut-être la psychologie et la psychiatrie, où ils ont des instruments d'évaluation connus par des tests, n'ont pas réussi à bâtir un instrument d'évaluation qui leur est propre spécifiquement. La psycho-éducation a développé, elle, dès le début, son propre moyen d'évaluation. C'est peut-être cela qui manque le plus.

Je me souviens, pour avoir assité à plusieurs études de cas, que ce soit à Pinel, à Berthelet, à Saint-Vallier ou à d'autres institutions, que les gens n'ont pas d'instruments reconnus pouvant dire d'une façon assez certaine, assez objective: Voici comment l'individu se comporte, voici comment il vit, comment il traduit ses difficultés. On fait cela encore d'une façon un peu trop intuitive. C'est là qu'est le danger de ne pas saisir réellement ce que le garçon vit ou de mal interpréter ses comportements.

M. CASTONGUAY: II y a peut-être — j'en conviens — des difficultés au plan du développement des diverses sciences ou techniques.

Mais pour me référer à un cas que vous avez mentionné, lorsqu'un enfant a fait quinze foyers nourriciers, est-ce qu'à un moment donné, en dehors de toute connaissance scientifique, il n'y aurait pas lieu de se demander peut-être, rendu au quatrième ou au cinquième placement, ce qui se passe et si on va continuer comme ça indéfiniment?

Est-ce que ce n'est pas un problème de manque de coordination entre organismes, ou je ne sais trop?

M. LAPOINTE: II y a une question de coordination entre organismes. Il peut y avoir aussi la question de la compétence des gens qui vont prendre charge du jeune au cours de ces quatre, six et quinze foyers. C'est là que nous paraît peut-être se dessiner le rôle de celui qu'on peut appeler un officier de probation ou de protection et qui, à travers le réseau scolaire, le réseau familiale, les différents réseaux de protection de l'enfance qui existent, pourrait suivre le jeune d'un bout à l'autre, aussitôt que l'enfant entre dans l'engrenage de la protection. Il faudrait un organisme central qui suive l'évolution et qui n'attende pas qu'on soit au quinzième foyer. Peut-être que les mécanismes ne permettent pas qu'on sache qu'on est rendu au sixième ou au huitième foyer.

Je ne suis pas assez expert dans le domaine pour savoir s'il y a une vérification constante. Mais pour l'enfant qui a des difficultés durant trois ou quatre ans à l'école, qui a un système d'évaluation à l'école mais seulement là, à un moment donné si l'enfant entre dans l'engrenage d'un service de protection ou à la cour de Bien-Etre social, il serait bon que l'ensemble de ces suites puisse être fait par un service constant, une forme "d'ombudsman" de l'enfant qui pourrait être le service de probation.

Cela permet la suite du dépistage. Quand on est rendu à la quatrième mesure, il y a déjà un diagnostic plus sérieux à faire, certainement.

M. DUCHARME: Pour compléter, vous soulevez aussi un aspect très réel. C'est l'aspect de cloisonnement entre les différentes ressources. Et nous, nous espérons qu'il y aura décloisonnement.

Dans le texte de tantôt je citais l'expérience de novembre dernier avec des juges, avocats, policiers, psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux, psycho-éducateurs, des gens qui finalement oeuvrent dans tout ce secteur. Cela a été pour nous une révélation de voir comment nous travaillons les uns à côté des autres sans nous connaître, sans vraiment savoir ce que l'autre a comme ressources, comment elles peuvent être utilisées et comment, moi, je peux bénéficier de celles des autres qui, eux, peuvent bénéficier des miennes, etc. Cela a été vraiment une révélation dans ce sens-là.

C'est pour ça que nous avons dit qu'il ne faut pas que les mesures pensées pour les jeunes le soient d'une façon hiérarchique, mais beaucoup plus circulaire pour décloisonner les ressources possibles. A tel moment, peut-être pour une période très courte, il est peut-être nécessaire que le jeune aille dans une institution spécialisée, mais il pourra peut-être continuer son traitement en milieu ouvert, si le milieu plus fermé, institutionnel a déclenché le besoin, a fait traverser la crise que l'individu avait.

C'est ce qui nous incite à travailler ensemble, mais on doit nous en fournir les mécanismes.

M. CASTONGUAY: Je veux seulement souligner ici la création des conseils régionaux. Le regroupement des agences dans les centres de services sociaux et les contrats de service ou d'affiliation vont dans ce sens également. Il y a un certain nombre — au plan législatif et graduellement au plan concret — de gestes qui ont été posés et qui vont être posés dans ce but.

M. LAPOINTE: Vous aviez abordé tantôt l'aspect de cas très marginaux qui embêtent réellement tout le monde et qu'aucune institution ne prend, plusieurs cas marginaux qui n'aboutissent nulle part.

M. CASTONGUAY: Ou cas d'urgence.

M. LAPOINTE: Je crois qu'il y a actuellement, au niveau des milieux ouverts, des tentatives que les CLSC et la création de ces organismes peuvent permettre. Une forme de

décentralisation comme celle-là va certainement permettre de nouvelles expérimentations, même conjointes, avec des organismes comme le nôtre.

Nous pensons même accepter, pour fins d'observation, non seulement des cas qui seraient destinés à nous, mais qui seraient destinés à des milieux ouverts pour permettre une relance et une acclimatation du jeune par rapport à la société par un séjour très court et travailler conjointement avec des milieux ouverts qui ont déjà un certain équipement de base pour permettre des expérimentations et voir si certains sujets, qu'on croyait toujours destinés à des institutions, pourraient bénéficier de mesures d'un autre genre comme celle-là.

Il y a lieu d'espérer qu'une évolution dans ce sens-là va se faire. D'ailleurs, depuis quelques années on note, par exemple dans le cas de Boscoville, qu'au fur et à mesure qu'existent des ressources dans les milieux ouverts, les jeunes qu'on reçoit sont seulement la crème de ceux qui sont les plus détériorés. Ce pourquoi d'ailleurs nous sommes faits. Mais auparavant nous avons déjà reçu des jeunes que nous recevions, à défaut d'autres mesures, mais qui n'avaient peut-être pas besoin d'être à l'institution.

M. CASTONGUAY: Si vous me le permettez, il y avait peut-être une dernière question sur la réinsertion et l'évaluation des résultats obtenus. Ensuite, j'écouterai avec grand intérêt les questions et les réponses.

M. CLOUTIER (Montmagny): De toute façon, les questions posées par le ministre valent pour tous les membres de la commission.

H n'y a pas de compartimentation ici; on peut lire les questions que le ministre pose. On a fait allusion tantôt à la compartimentation entre les institutions; il ne faudrait pas qu'il y en ait, ici, à la commission. Allez, M. le ministre, je parlerai après.

M. CASTONGUAY: Je m'excuse, je ne voulais pas vous interrompre, mais je ne voulais pas que cette question, qui est bien importante, à un moment donné...

M. CLOUTIER (Montmagny): J'aurais voulu faire juste un commentaire sur ce qui vient d'être dit, parce que, plus tard, cela me ferait rouvrir tout un autre débat. On a mentionné qu'il y avait une compartimentation entre les différentes institutions; c'est vrai et c'est une remarque fort importante. Vous dites que vous venez de découvrir, à une occasion précise, comment les institutions sont complémentaires l'une de l'autre et comment les services dont l'une dispose pourraient être utiles et utilisés par l'autre institution. Je voudrais seulement rappeler ceci aux membres de la commission; je pense qu'il s'en souviennent très bien. Quand on a visité une institution à Québec récemment, on nous a appris qu'il commençait à y avoir des réunions entre les différents directeurs ou directrices de ces établissements et aussi au niveau des conseils d'administration. Là également, on nous a fait part des bénéfices qui pourraient être retirés de ces contacts entre les différents responsables des institutions, soit au plan de l'administration, soit au plan des directeurs, des responsables de la rééducation ou des différents services qu'il y a au sein de l'institution. Je voulais enchafner là-dessus pour dire que ce que vous avez constaté, d'autres, ici à Québec, l'ont également noté. Je pense que c'est une chose importante. Je reviendrai tantôt, M. le ministre.

M. CASTONGUAY: D'accord.

M. LAPOINTE: Quelqu'un voulait savoir si, depuis 1964, il y a eu une étude assez rigoureuse sur la population qui a quitté Boscoville. Honnêtement, il n'y a pas eu d'étude très rigoureuse. Les seuls relevés qu'on peut posséder sont ceux qu'on a faits sur le champ au fur et à mesure et de façon non systématique. Peut-être par manque de ressources ou peut-être parce qu'on est beaucoup plus centré sur ce que les jeunes vivent dans le moment et sur ce qu'on vit au sein de l'institution, je ne dirai pas qu'on était moins préoccupés d'eux, mais on était moins porté à consacrer des énergies à ceux qui partaient. C'est évident que c'est une étude nécessaire et des démarches ont été faites en ce sens, même au niveau du conseil d'administration. On a demandé à l'Institut de criminologie s'il n'y aurait pas possibilité de poursuivre l'étude qu'il a déjà entreprise, parce que toute recherche ou étude permet une critique de certaines mesures prises à l'intérieur et des modalités d'insertion sociale. Je dis qu'on n'a pas fait d'étude rigoureuse. Les choses qu'on a faites, c'est tenter d'organiser des services de suite et de travail auprès de ceux qui quittent, mais, comme statistiques officielles, il n'y a rien de nouveau qu'on peut offrir ici.

M. CASTONGUAY: Je voudrais mentionner — c'est le dernier commentaire — la présence au ministère des Affaires sociales du comité de recherche socio-économique qui donne des subventions pour les projets de recherche qui sont jugés valables. Nous avons fait des efforts depuis la création de ce comité pour en augmenter les crédits. Nous recevons des projets de recherche qui ont vraiment de la valeur; ils sont évalués par un groupe de professionnels de diverses disciplines. Je voulais vous mentionner la présence de ce mécanisme qui peut être utilisé pour mettre à jour ce genre de travail ou de recherche qui, à mon sens, pourrait être fort utile pas seulement pour un établissement comme le vôtre, mais peut-être pour certains établissements présentant des caractéristiques différentes.

M. LAPOINTE: Merci.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Montmagny.

M. CLOUTIER (Montmagny): Je voudrais vous demander s'il arrive souvent, à cause de l'âge de l'enfant — seize ans — qu'on utilise une loi plutôt qu'une autre. Est-ce qu'on utilise la Loi des jeunes délinquants au lieu de la Loi de la protection de la jeunesse, justement à cause de la limite ultime d'âge qu'il y a de 21 ans dans une loi, et 18 ans dans l'autre?

M. LAPOINTE: Si on pense à un programme de traitement pour tel jeune qui est très détérioré, qu'on sait que ça ne pourra pas se faire à l'intérieur d'une période de moins de deux ans, deux ans et demi ou trois ans et que le jeune a 17 ans, comme on sait que la Loi de la protection de la jeunesse ne permet pas actuellement de prolonger le traitement après 18 ans, légalement, c'est évident qu'autant la cour que nous, nous aurons tendance à favoriser l'application de la Loi des jeunes délinquants, parce que le jeune va avoir une garantie qu'il va pouvoir se rendre à la fin de son traitement, ce qui est nécessaire.

Malgré ça, on peut dire qu'il y a à peu près 10 p.c. de la population de Boscoville — je le dis sous toute réserve, ici, je ne sais pas si je devrais le dire publiquement — qui y sont en vertu de la Loi de la protection de la jeunesse et qui continuent à demeurer à Boscoville avec l'assentiment du ministère, depuis toujours, après l'âge de 18 ans, et avec l'assentiment et l'aide et le support des juges, pour qu'ils puissent continuer leur traitement, parce qu'autrement ils n'auraient pas pu être acceptés à Boscoville; il n'y avait aucune matière à une plainte officielle, personne ne voulait assermenter une plainte, mais dynamiquement la personne était aussi détériorée que le jeune délinquant à côté.

On les accepte quand même à ce moment-là, sachant, et avec la réserve que le traitement doit se continuer après l'âge de 18 ans, même si c'est un cas de protection, officiellement appelé, selon la Loi de la protection de la jeunesse.

M. CLOUTIER (Montmagny): Vous avez insisté sur la qualité du travail du juge et celle du juge lui-même, et sur la qualité du personnel dans les établissements. Dans votre mémoire, vous dites qu'il y a des juges qui consultent et il y en a d'autres qui ne consultent pas. Est-ce que la tendance est davantage marquée vers la consultation dans les décisions qu'ils rendent au début d'abord, soit la première fois que l'enfant comparait à la cour du Bien-Etre et, ensuite, au moment d'autres comparutions ou au moment de sa demande...

M. LAPOINTE: La majorité des juges ont tendance à consulter, avant de prendre une décision finale. H y a eu longtemps une crainte de la part des juges, à savoir qu'en ayant consulté beaucoup, puis en donnant un diagnos- tic très clair, d'être ce qu'ils appelaient simplement un "rubber stamp". Je prends l'expression car elle a été dite textuellement.

Maintenant, de plus en plus le juge découvre qu'il est au centre d'une décision que quelqu'un doit prendre au nom de la société, et c'est lui. C'est pour ça qu'on insiste beaucoup sur la compétence du juge. On ne peut pas dire qu'elle est généralisée à tous les juges et que leur formation, avant d'arriver au tribunal soit nécessairement adéquate. C'est pour ça que depuis le tout début de Boscoville, à chaque comparution, du reste, on s'est organisé pour être présent pour informer le juge. Je crois qu'il y a eu un enrichissement de part et d'autre.

Mais, pour nous, la formation des juges est très importante.

M. CLOUTIER (Montmagny): Vous déplorez le fait que les juges n'aillent pas visiter votre maison...

M. LAPOINTE: Ce n'est pas tellement visiter, parce qu'à l'occasion d'une visite, c'est plus une question d'approfondir par eux-mêmes ce qu'est un traitement, quels sont les genres d'intervention qu'on y fait, les genres de diagnostic et comment lui-même, au niveau de sa propre formation, profite de la venue d'un jeune devant lui et qu'il le confie à Boscoville ou à un autre centre aussi. Je crois qu'alors le juge s'enrichit d'une expérience qui fait qu'il n'a pas seulement un dossier légal entre les mains, mais qu'il a aussi l'aspect psychosocial du développement du jeune, non seulement d'une façon théorique, mais d'une façon vécue. Il a eu l'occasion de visiter, de voir, de constater, d'échanger des impressions.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que vous invitez ceux qui auraient avantage à faire plus qu'une simple visite, à étudier vos institutions, ceux qui travaillent en contact avec vous, comme les juges, les officiers de probation, tous ceux de l'extérieur, les agences spécialisées qui vous envoient des enfants? Est-ce facile de visiter?

M. LAPOINTE: C'est très facile de les inviter et on ne manque pas de la faire. Je pense qu'on insiste même beaucoup et même en certaines occasions il a fallu, â cause des positions diamétralement opposées par rapport au traitement, prendre des positions qu'à défaut de visites ou d'échange de compréhension commune, c'était préférable de ne pas prendre tel enfant envoyé par tel juge ou par telle cour, si le juge refusait carrément de penser que la mesure de traitement était efficace et qu'il pouvait le libérer n'importe quand après un mois, six mois, douze mois, sans consultation. A ce moment-là on demande réellement une visite. Parfois c'est non seulement une demande, c'est une exigence.

M. CLOUTIER (Montmagny): Quand vous parlez d'établir des centres de diagnostic qu'avez-vous à l'esprit? Est-ce un genre clinique à l'enfance ou l'utilisation du CLSC, ou quoi? Qu'est-ce au juste? Est-ce que vous voyez du dédoublement quelque part?

M. LAPOINTE: II n'y a peut-être pas de formule uniforme à choisir, si on regarde l'ensemble de la province. Nous recevons des jeunes de toutes les cours de Bien-Etre social. Je pense que dans un district comme Montréal, une clinique assez bien équipée, assez autonome, autant du pouvoir judiciaire que du pouvoir social, peut être bien placée pour servir à toutes les ressources et être aussi une centrale de données.

Est-ce qu'elle doit être rattachée organiquement au CSS ou quel est le rattachement officiel à faire? C'est évident qu'au niveau professionnel comme au niveau du travail nous voyons la nécessité de cliniques, d'endroits de diagnostic, de réévaluation. On a dû, dans le passé, utiliser des cliniques privées qui ont assuré une complémentarité à ce niveau.

M. CLOUTIER (Montmagny): Quels sont les types de profession représentés dans votre institution? Est-ce que vous avez des professionnels qui n'y sont pas et qui devraient être là? Pour ceux qui y sont, le travail en équipe est-il facile?

M. LAPOINTE: Je pense que le travail en équipe est facile. On a fait des options, compte tenu du nombre de sujets qu'on a; par exemple, au niveau de la psychiatrie, on ne pourrait pas songer à avoir un psychiatre à plein temps. Dans un tel cas, c'est plus un service de consultation avec une clinique ou avec un hôpital qui est assuré

Au niveau du psychologue, c'est la même chose. Plutôt d'avoir un psychologue dans la maison, on fait affaire avec une clinique qui a un groupe de psychologues qui peuvent perpétuer, à un moment donné, les modalités de diagnostic et s'échanger leurs expériences. On a, au sein de la maison, une seule travailleuse sociale, ce qui n'est pas suffisant à notre point de vue, qui assure le contact au niveau des parents.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que vous avez quelqu'un dont la responsabilité est de suivre l'enfant, de garder le contact une fois qu'il a quitté la maison?

M. LAPOINTE: Conjointement avec la travailleuse sociale, qui continue d'assurer certains contacts avec le service de probation et avec celui qui est chargé des relations entre Bosco-ville, la cour et les services de probation, il y a un membre du personnel dont c'est la principale tâche d'assurer actuellement la postcure ou l'insertion sociale. Une personne qui ne fait que cela, c'est récent dans la maison.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que vous pourriez nous dire à ce moment-ci, si on vous le demandait, quel est le pourcentage de réussites ou d'échecs après la réinsertion sociale? Est-ce que vous auriez certaines statistiques qui montreraient l'importance et la réussite du travail que vous faites?

M. LAPOINTE: Je disait tantôt que des statistiques rigoureuses ont été faites en 1964; les statistiques qu'on peut présenter seraient des estimations maisons bien à l'oeil. Je pense qu'elles risqueraient d'être inadéquates. On estime, dans l'ensemble, que les statistiques de 1964 ressemblent passablement à celles de 1974. Depuis trois années et jusqu'aux cinq ou six prochaines années, je pense que c'est à refaire aussi à cause de la population, de l'existence de ressources dans le milieu externe.

C'est évident que la population qui arrive est plus détériorée et que les statistiques vont risquer de changer si on n'assure pas, par exemple, une plus grande compétence au niveau du traitement.

M. LAPOINTE: Est-ce que cela répond? M. CLOUTIER (Montmagny): Oui, merci.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Dorchester.

M. GUAY: M. le Président, plusieurs des questions que j'avais à l'esprit ont été posées, cela va m'éviter de le faire. Vous semblez d'accord avec la majorité des organismes qui ont présenté des mémoires, ceux qu'on a entendus, sur l'approche plutôt sociale que judiciaire ou pénale.

J'aimerais savoir si, depuis son existence, Boscoville a transformé sa vocation concernant, par exemple, la forme ou même la durée du traitement. Est-ce qu'il y a eu des transformations assez profondes dans l'organisation interne qui pourraient toucher la vocation même de Boscoville?

M. LAPOINTE: Je pense qu'on parlera des transformations en qualité. Au départ, si on prend les deux premières années d'expérimentation un peu systématique, de 1954 à 1956, le personnel en place avait une certaine compétence au niveau universitaire; au niveau de l'expérience vécue, il avait une expérience plus relative. Au niveau de la clientèle reçue, il n'y avait aucun critère d'admission sauf que le cas était passé par la cour et nous arrivait. Cela a duré plusieurs années.

Au fur et à mesure que les années ont passé, on a continué à accepter des adolescents délinquants de 16 ans à 21 ans. Au fur et à mesure que les ressources ont existé à l'extérieur, qu'on a mieux connu et qu'on a su mieux faire le travail à l'intérieur, les changements se sont faits en allant vers des cas de plus en plus détériorés. Je ne sais pas si cela répond, du moins en partie, à votre question.

Je crois que l'expérience faite nous amène à croire qu'il y a une foule d'aspects vécus à l'intérieur de la maison qui seraient généralisables à d'autres domaines. Disons que le fait de travailler beaucoup plus en profondeur nous permet de découvrir, par exemple, que dans un milieu ouvert on estime que les concepts d'évolution d'un jeune, dans les différentes étapes de l'éducation, sont généralisables avec d'autres mesures moins dispendieuses pour des cas moins détériorés. C'est là qu'on espère, avec un ou deux CLSC de Montréal, certains juges et certains officiers de probation, commencer un travail d'expérimentation au cours de l'année qui s'en vient. Nous demanderions au ministère de convertir une unité permanente de rééducation en une unité d'observation à court terme par rapport au milieu ouvert et de suivre cette évolution pour savoir si certains jeunes qu'on aurait peut-être acceptés avant et pour lesquels les ressources dans le milieu ouvert essaieraient de répondre, après une période d'acclimatation et de relance pour supporter le milieu extérieur, ont bien réagi sur l'implication du milieu extérieur dans l'observation et en partie aussi du personnel d'observation dans le milieu extérieur après.

Il y a différentes étapes à faire dans une expérimentation comme celle-là. Mais je crois qu'on est rendu, autant à Boscoville que dans le milieu ouvert, à vivre des expériences communes avec la cour et le service de probation.

M. GUAY: Au moment de l'admission d'un jeune, est-ce que l'information que vous recevez concernant le sujet est suffisante? Est-ce qu'il y a de longs délais concernant certains documents qui vous sont indispensables ou très utiles à recevoir à votre établissement?

M. LAPOINTE: Actuellement, non, pour une simple raison. C'est que je crois que toutes les cours de Bien-Etre social et les services de probation savent qu'on demande qu'il y ait un diagnostic avant l'admission. Quand le diagnostic est fait et que le juge est éclairé, ainsi que le service de probation et nous, l'admission se fait. Il peut y avoir une période d'attente, à un moment donné, entre cette décision et l'admission à cause du problème de places. Mais d'un autre côté, je crois que le problème d'attente d'un jeune est entre le moment de son arrestation ou d'une mesure temporaire et un diagnostic complet. Il y a des cas plus spéciaux, je pense, qui sont connus. En particulier, pour un cas de Québec, à cause du délit même, à cause du problème de diagnostic, le délai entre son délit, l'arrestation et son admission à Boscoville a été de neuf mois, mais entre la fin du procès et son admission, cela a pris peut-être un mois.

M. GUAY: Si vous avez la chance, plutôt partielle, de suivre les sujets à la sortie de l'établissement, pouvez-vous nous dire où vont les jeunes qui sortent de Boscoville?

M. LAPOINTE : Dans quel genre de milieu de travail en général?

M. GUAY: Le milieu de travail ou encore... On s'est laissé dire par différents groupes que j'ai l'occasion de rencontrer que les jeunes, de plus en plus, choisissaient un milieu où il semblerait facile de vivre et où il y aurait d'abord et avant tout de la sécurité. Par exemple, je songe aux jeunes qui se dirigent vers l'armée. Est-ce que c'est fréquent?

M. LAPOINTE: Non, l'armée, ce n'est pas très fréquent. Ce sont les cas uniques, je pense, qui se dirigent vers l'armée. Disons que la plupart des jeunes vont se diriger vers le milieu du travail et ne retourneront pas, compte tenu de l'âge, 19 ans, 20 ans, 21 ans, nécessairement dans leur famille non plus. Ils vont surtout aller dans un milieu de travail et quelques-uns vont poursuivre leurs études. Le milieu de travail est assez diversifié. Il varie du travail de banque, de pompier, de garagiste au travail de manutention dans une compagnie.

M. GUAY: Vous dites également en conclusion dans votre mémoire que si le législateur vous fournissait un délai raisonnable, Boscoville serait prête à participer avec le ministère des Affaires sociales et avec les organismes intéressés à développer des réflexions et des recommandations. Quelle serait la recommandation prioritaire, selon la direction que s'est donnée Boscoville ou la vocation qu'elle s'est donnée? En deux mots, quel est votre premier problème à Boscoville?

M. LAPOINTE: Celui de Boscoville? Je croyais que vous vouliez dire par rapport à l'ensemble. Celui de Boscoville, je crois que c'est la possibilité, pour un jeune qui a des problèmes profonds de bénéficier de la chance d'être jugé, ou qu'on s'occupe de lui en vertu de la Loi de la protection de la jeunesse ou de la Loi des jeunes délinquants, qu'on lui donne la chance d'aller jusqu'au terme de son traitement et qu'on puisse le poursuivre jusqu'à 19 ans, 20 ans ou 21 ans au besoin. Pour celui qui nous arrive à 18 ans il est un mois à Boscoville, parce que le juge a rendu sa décision avant qu'il ait 18 ans, pour celui qui nous arrive à 17 ans et six mois, il est évidemment impossible, dans six mois, de reconstruire ou de permettre à un jeune homme de reconstruire quelque chose qui s'est démoli progressivement.

Quand c'est rendu au désespoir, ce n'est pas possible qu'une reconstruction se fasse en profondeur et dans un court laps de temps. C'est ce qui nous parait prioritaire quant aux jeunes qui nous sont confiés, ceux de 16 à 21 ans. Si ces jeunes ne peuvent pas bénéficier de traitement, on sait qu'ils vont grossir les rangs des 18 à 25 ans qui, actuellement, vont dans les prisons. IL n'y a pas de ressource pour eux.

M. GUAY: C'est la possibilité de les recevoir.

M. LAPOINTE : Pour le jeune de recevoir un traitement jusqu'à la fin.

M. GUAY: C'est ça. Comme dernière question: Au moment de l'évaluation d'un sujet à sa sortie de Boscoville, les différents professionnels, qui participent à cette évaluation d'un sujet, s'entendent-ils assez facilement ou si c'est difficile pour ces professionnels de poser le même diagnostic, si je peux dire?

M. LAPOINTE: Non. Je pourrais demander à un confrère de répondre à cela. Nécessairement, parfois, il n'y a pas un accord complet. En toute humilité, les sciences de l'homme, ce ne sont pas des sciences mécaniques. Il n'y a pas de dogmes absolus. Mais, dans l'ensemble, il y a réellement une compréhension, un consensus qui s'établit au niveau du diagnostic qui a déjà été fait et qui est refait par rapport à l'avenir du jeune. Où on peut différer d'opinion, c'est sur des mesures concrètes. Mais, dans l'ensemble, il n'y a pas de problème.

M. DUCHARME: Pour compléter la réponse à la question que vous posez, dans le processus de traitement tel que préconisé par nous, il y a une phase, la dernière du traitement, où l'individu est rendu suffisamment autonome. Il a suffisamment identifié ses difficultés. Lui-même va choisir, avant son départ, les choses qu'il veut réellement travailler et à travers lesquelles il veut passer. Habituellement, il lui reste encore peut-être de six à huit mois. C'est dans ce sens-là qu'on dit qu'il n'y a pas de question de temps pour nous. Si toi, tu crois que c'est fondamental dans ta vie d'être capable de résoudre et de passer à travers ces difficultés, on va tout mettre en oeuvre. Mais c'est toi qui es le principal agent actif, à ce moment-là. La fin du traitement, c'est comme cela que ça se fait. Alors, terminer un processus de traitement dans une telle optique, cela ne pose jamais de problème. Où cela en pose un, c'est quand l'individu commence à prendre conscience de ses difficultés et qu'il prend peur. A cause de cet état de non-confiance qu'il a toujours de lui, de cette image négative qu'il a de lui, il croit qu'il ne s'en sortira jamais et, là, on frappe le fond de désespoir de ces jeunes. C'est ce qu'ils vont essayer ailleurs. Si un juge ne comprend pas ça, il va le libérer s'en tenant juste au progrès qu'il a pu faire en éducation. Mais pour l'individu, comme on dit, c'est plus néfaste parce qu'il se retrouve devant des problèmes où il est plus dépourvu, jusqu'à un certain sens, qu'au moment de son arrivée.

M. GUAY: Vous appuyez très fortement, je le remarque, sur la durée du séjour qui est très importante pour vous autres. Un jeune, par exemple, qui est chez vous, est-ce comparable à quelqu'un qui souffre d'une maladie physique et qui doit faire un stage ou une période de traitement dans un centre hospitalier, où on ne peut pas déterminer à l'avance la vitesse de guérison, l'évolution rapide ou plus lente que prévue? Est-ce aussi tranché que cela?

M. DUCHARME: Oui, disons que, pour nous, c'est un concept qui se rapproche beaucoup d'un concept médical, quand on parle du traitement d'une maladie physique. Oui.

M. GUAY: Merci.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Bourget.

M. LAURIN: Dans quelle proportion les cas qui sont à Boscoville vous sont-ils envoyés par la cour? A 80 p.c, 85 p.c. ou 90 p.c?

M. DUCHARME: A 100 p.c.

M. LAURIN: A 100 p.c, bon! J'aimerais alors enchaîner sur la question que le ministre vous a posée. Croyez-vous qu'on s'est trop servi des juges et que, maintenant qu'une nouvelle loi prévoit un service de protection de la jeunesse et d'autres dispositions, l'on va s'en servir assez — qu'il soit au ministère des Affaires sociales ou au ministère de la Justice, cela est un autre problème — pour éviter et, si oui, dans quelle proportion, d'avoir recours aux juges? Est-ce que cela va être plus efficace, selon vous?

M. LAPOINTE: H y a une question sous-jacente à celle-là, c'est: Est-ce que confier un enfant à un centre d'accueil ou le retirer de sa famille, doit être une mesure prise par la justice ou une mesure sociale?

Ce qui, pour nous, est important, c'est qu'il y ait une personne, au nom de la société, qui réponde du jeune. C'est un peu le rôle du juge. Une même personne devrait en répondre si, dans un autre service, on pouvait nous placer des jeunes à Boscoville. Au niveau d'un centre de services sociaux, il devrait y avoir là une personne qui serait garante que la société va maintenir la mesure pour la famille,' pour le jeune et pour l'institution.

En soi, on ne peut se rattacher à l'aspect social à cause du travail qu'on fait. Je pense que c'est beaucoup plus un rôle au niveau de la personne qui va assurer cela, que cela s'appelle le ministère de la Justice, que cela s'appelle le ministère des Affaires sociales. C'est tout une autre question, pour nous, que nous n'avons peut-être pas la compétence pour trancher, à savoir si cela demande une compétence du ministère de la Justice pour le placer dans une institution.

M. LAURIN: Mais est-ce que vous prévoyez qu'un nouveau dispositif comme celui qui est prévu au projet de loi, qu'il soit rattaché à l'un ou à l'autre des ministères, va diminuer de

beaucoup l'importance du juge en ce qui concerne son rôle comme officier de placement, comme maître du placement?

M. LAPOINTE: Si je regarde l'ensemble de la population, l'ensemble des jeunes autres que ceux de Boscoville, je pense bien qu'il était prévu que plusieurs problèmes devraient être réglés au niveau des centres de services sociaux, et qu'ils n'auraient pas besoin d'aller dans l'appareil de la Justice.

En ce qui nous concerne, j'ai bien de la difficulté à répondre à la question parce qu'il est évident, pour nous, que tous les jeunes que nous recevrons doivent nous être confiés par un organisme ou par deux organismes, si on apporte des modifications. Mais pour le jeune lui-même, il devrait y avoir une personne qui remplirait un rôle analogue à celui du juge ou que le juge remplisse un rôle...

M. LAURIN: Mais il y a beaucoup de jeunes qui peuvent être très inadaptés, très malades, socialement parlant, sans qu'ils aient commis de délit.

M. McCOMBER: Je pense que dans ce sens, actuellement, même un enfant qui nous est recommandé et confié par un hôpital psychiatrique doit, actuellement, passer devant le juge avant de se rendre à Boscoville.

M. LAURIN: C'est un peu ce que je voulais dire.

M. McCOMBER: Maintenant, d'un autre côté, si ce n'est pas le juge, il faudra quand même avoir une personne qui reste responsable de voir au développement de l'enfant, qui suive l'enfant dans le processus.

M. LAURIN: Vous avez parlé de cette méconnaissance que les divers spécialistes ont les uns des autres. Croyez-vous à la possibilité de la constitution d'un dossier unique pour les enfants dont l'un ou l'autre des éléments du dispositif a à s'occuper, à un moment donné, que ce soit à Boscoville, que ce soit à une. clinique, que ce soit à un centre d'hébergement?

M..LAPOINTE: Sur la question du dossier unique, il y a un avantage à avoir un dossier central quelque part.

M. LAURIN: II y a déjà un dossier central. M. LAPOINTE: Oui.

M. LAURIN: Je ne sais pas jusqu'à quel point il est utilisé. Mais le dossier unique va beaucoup plus loin.

M. LAPOINTE: Je ne sais pas si je peux répondre à votre question.

M. LAURIN: Croyez-vous utile que la loi ou les règlements de la loi prévoient la constitution d'un dossier unique?

M. LAPOINTE: Pour nous, il y a une relation avec le dossier unique et la confidentialité, l'usage qu'on peut faire du dossier qui est sous-jacent à cet aspect. Nous n'avons pas abordé, ce matin, l'aspect de la confidentialité. C'est évident qu'il doit y avoir une façon, quand un enfant va dans un organisme pour être traité et être aidé, pour que cet organisme ait rapidement toutes les données de ce qui a été fait antérieurement.

D'un autre côté, il doit y avoir des garanties que l'utilisation du dossier ne sera pas faite par des personnes qui ne peuvent pas le lire, en termes de compétence. A ce moment-là, je pense qu'il y a des mécanismes à prévoir.

M. DUCHARME: Je pourrais donner des exemples des fois où on avait fait rapport au juge pour lui faire comprendre ce que le garçon avait vécu. C'étaient des rapports de nous, des rapports du travailleur social, des rapports du psychologue. Le juge arrivait à la comparution et lisait, quasiment textuellement, les rapports qui lui étaient envoyés. Il y avait souvent là la famille, il y avait souvent là le jeune. Cela causait des drôles de problèmes. Je suis convaincu que le juge le faisait en toute bonne foi.

Personnellement, je serais favorable à une telle mesure si ça pouvait aider à décloisonner l'ensemble des ressources, raccourcir les délais, faire mieux connaître les ressources qui peuvent exister, mais en autant qu'il y aurait des garanties sur l'utilisation de ces dossiers.

M. LAURIN: Votre réponse me ramène aux juges. Vous avez semblé déplorer à quelques moments que les juges n'aient pas, au moment où ils sont nommés, toute la formation suffisante dans un domaine aussi nuancé et délicat. Vous avez même parlé de juges qui deviennent excellents par suite de la formation qu'ils acquièrent en cours d'emploi.

Mais vous avez semblé penser que cette formation en cours d'emploi n'est qu'un expédient et qu'il vaudrait mieux qu'ils aient la formation à partir du moment où ils commencent à exercer leur emploi.

Est-ce que vous avez des suggestions à présenter au législateur quant aux modes de nomination de ces juges, quant à la formation préalable qu'on devrait exiger d'eux? Et deuxièmement, est-ce que vous pensez qu'un juge du Bien-Etre social devrait nécessairement être un avocat?

M. LAPOINTE: C'est une question assez vaste et importante, la question de la sélection ou de la nomination. Comme le juge, pour nous, est très important dans sa relation avec l'enfant, je crois qu'il y aurait peut-être lieu — je pense qu'il n'y a pas eu d'études de faites à

ce niveau-là — de voir au niveau de la personnalité, s'il y a des critères qui le rendent apte à apprendre et être capable d'assumer la relation qu'il aurait à assumer, à ce niveau.

Il y a certains juges qui apprennent facilement, c'est que déjà ils répondaient à certaines compétences personnelles, certaines aptitudes au niveau de leur personnalité. Il y avait des prérequis qui étaient présents. Je pense qu'il faudrait essayer de les distinguer, de les tracer comme portrait. Je ne sais pas si un comité d'évaluation peut être fait.

Au niveau du genre de formation, je crois que le juge a des aspects de formation juridique, et ça ne tarde pas ordinairement à prendre les aspects des lois propres à l'enfance. Même si ça fait plusieurs années que tel avocat nommé juge n'a pas eu à s'occuper de ces aspects, il réussit à les réapprendre assez facilement puisque ç'a été appris il y a déjà longtemps.

Et il y a aussi tous les services judiciaires qui existent à la cour, services de consultants.

Au niveau de la compétence, est-ce qu'un juge devrait absolument être avocat? Je ne crois pas que ce soit un critère absolu, que ce soit nécessairement un avocat qui puisse devenir juge d'enfant. Au juge d'enfant, il faut une connaissance des lois, une assistance même pour l'éclairer au niveau des conseillers juridiques de la cour, mais je crois qu'une formation aussi au niveau de la délinquance, des mécanismes de défense des délinquants, du fonctionnement en général, devrait être acquise à l'une ou l'autre des personnes, que ce soit oui ou non un avocat. Mais je ne crois pas que le fait qu'il soit avocat devienne un critère absolu pour poser avec compétence une décision.

M. LAURIN : Tout au long de votre mémoire, vous laissez sous-entendre que quelle que soit la valeur de la loi, si la société n'est pas dotée des ressources que les spécialistes en sciences humaines jugent ncessaires pour la réadaptation et le traitement de ces enfants, la loi deviendrait vite inopérante ou inefficace, absolument ou relativement parlant.

D'après votre expérience, quelles sont actuellement les ressources qui nous manquent le plus, soit qualitativement, soit quantitivement?

M. LAPOINTE: Je vais essayer de répondre. Je ne prétends pas être capable d'épuiser cette question. Certaines recherches ont démontré, par exemple, que dans certains cas de délinquance à New York, il serait possible de faire un diagnostic préventif vers l'âge de six ou sept ans. Le début de la fréquentation à l'école pose tout de suite le problème de la compétence des maîtres qui assurent l'enseignement pour une capacité d'observation et de reconnaissance des symptômes.

D'ailleurs, la CEQ faisait mention de la formation des maîtres. Le jeune délinquant qui provoque chez les autres un rejet, une image négative, ç'a commencé avant, et dès l'école il continue à faire cette recherche d'une construction d'image négative de rejet.

La formation des maîtres me paraît une première ressource. Il y a un cloisonnement entre l'école et le milieu ouvert. L'enfant termine l'école à quatre heures et certains adolescents disent: On commence à vivre à cette heure-là. Je pense qu'alors il y a déjà entre l'école et le milieu ouvert une forme de décloisonnement recherché. Peut-être que des compétences deviendraient plus actives avec un décloisonnement parce qu'il y a quand même des ressources au sein des écoles qui sont là et qui n'agissent pas après quatre heures de l'après-midi, alors que les contacts se font toute la journée. La présence de l'école dans le milieu ouvert cause des problèmes au système scolaire actuel, en tout cas, pour l'enfance inadaptée. Et c'est là qu'on voyait une forme d'ombudsman de l'enfant parce que dès le départ, entre tout l'univers scolaire et les autres réseaux, il doit y avoir une forme de décloisonnement ou au moins un ombudsman de l'enfant qui va le suivre. Je n'ai pas répondu à toute la question.

M. LAURIN: Vous avez commencé à y répondre. Dans les ressources plus spécifiques au point de vue institutionnel, par exemple, est-ce qu'il y a une carence particulièrement grave qu'il vous paraît important de signaler, soit qualitativement, soit quantitativement?

M. DUCHARME: Pour ma part, il y en aurait une. Je pense que peut-être le facteur qu'on oublie le plus souvent dans un programme de traitement est la qualité des personnes qui font le traitement. Je vous le dis par expérience, cela ne fait pas loin de six, sept ans qu'on essaie de faire comprendre ce que ça exige d'une personne d'appliquer un programme de traitement, de transformer un individu. Ce qui semble des fois plus ou moins compris, c'est que finalement ce n'est pas tel type de profession qui fait la transformation, ce sont des personnes. Ma profession ne fournit que des moyens à ma personnalité pour que je puisse être capable de transformer des individus. Ce n'est pas parce que je suis de telle profession que je transforme des individus. Cela rejoint peut-être ce que M. Lapointe disait tantôt, c'est à la base, dans la formation des personnes qui vont aller travailler dans ce secteur qu'il y a une très grande lacune. On se soucie peu de la personnalité de la personne qui va avoir à vivre avec des jeunes, qui va avoir à les transformer. Selon notre expérience, on a beau avoir les plus belles techniques, le plus beau milieu, le mieux organisé possible, ce n'est pas un milieu transformant, ce n'est pas un milieu thérapeutique.

Nous avons justement, l'année dernière, à Boscoville, publié une expérience au congrès de la criminologie tenu à l'université McGill pour faire comprendre aux gens ce qu'est le concept d'un milieu thérapeutique, ce qu'il faut pour amener un jeune à participer à sa transformation, ce que cela exige au plan de la personnalité de ceux qui le font. En termes de lacune, je dirais que c'est peut-être cette chose qui est

encore la moins comprise mais c'est sûr que ça demande des investissements, c'est sûr que ça demande aussi beaucoup de ressources pour former ces gens.

M. LAPOINTE: Je pense que c'est l'investissement le plus difficile, la formation du personnel. Je pense que c'est plus facile de construire un immeuble; à Boscoville, je pense qu'on est bien équipé de ce côté par le ministère, on doit le dire, c'est reconnu. Le jour où la compétence du personnel serait réduite, l'ensemble du milieu ne serait pas magique. C'est pour ça que c'est difficile parfois de faire comprendre à un organisme, on a eu à le vivre, que c'est peut-être plus important d'investir dans la formation du personnel que dans le réaménagement de tel local. IL est préférable de sacrifier tel ou tel local et de consacrer ces sommes au recyclage, à l'approfondissement. Je pense que c'est la compétence qu'on va fournir au personnel qui va assurer la transformation.

M. CASTONGUAY: M. le Président, avant que nous terminions avec les représentants de Boscoville, avant de les remercier, il y a une remarque que j'aimerais faire quant au projet de loi, au fur et à mesure que nous l'analysons et qu'on nous fait des représentations. J'aimerais attirer l'attention des membres de la commission sur l'article 11. On a parlé beaucoup du service de protection de la jeunesse et à compter d'hier, dans les représentations qui nous ont été faites, on a mis l'accent sur la nécessité que, d'une façon assez continue, il y ait quelqu'un ou un organisme qui se préoccupe de l'enfant. Si l'on regarde l'article 11, qui se réfère aux centres de services sociaux, en fait, normalement, c'est presque le point de départ. Une fois qu'un cas ou un enfant nécessitant une protection a été identifié et qu'un certain dossier a été monté, le centre de services sociaux devient, en fait, ce point de départ.

Dans toutes les situations où il est possible de s'engager dans un processus volontaire où les parents, l'enfant, les ressources sont d'accord, l'article 11 est la clé qui ouvre cette porte. De même, on peut voir, par l'article 12, l'esprit qui se dégage. Alors, il y a peut-être des ajustements à apporter, par exemple sur la notion de continuité, mais je crois qu'il y a là un aspect assez important qui n'était pas ressorti dans les analyses qui ont été faites jusqu'ici. Je voulais simplement mentionner ça, avant de remercier les membres de Boscoville.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Autres questions des membres de la commission? Alors, je remercie infiniment les représentants de Boscoville.

J'invite les porte-parole de l'hôpital Sainte-Justine. Avant de continuer, je suggère que le député de Saint-Laurent soit nommé comme rapporteur de la commission. Adopté?

UNE VOIX: Oui.

Hôpital Sainte-Justine

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Je voudrais porter à votre attention aussi que les membres de la commission ont en leur possession le mémoire. Alors, je voudrais que vous insistiez davantage sur les points particuliers, au lieu d'élaborer, parce que la période de questions est assez longue. Vous voyez que les membres de la commission ont pris connaissance des mémoires. A ce moment-là, il serait plus utile qu'on dise seulement ce qui est le plus important.

MME JELIU: Très bien, M. le Président, messieurs les ministres, messieurs les députés, je tiens, tout d'abord, à remercier les membres de la commission qui nous ont donné l'opportunité d'exprimer ici nos vues et éventuellement nos commentaires en rapport avec certaines dispositions de la nouvelle Loi de la protection de la jeunesse, dispositions qui touchent à certaines situations avec lesquelles nous sommes, à certains points de vue, particulièrement familiers.

En effet, nous faisons partie d'un des deux seuls groupes de travail de la province de Québec qui s'intéressent tout particulièrement à un problème qui a reçu jusqu'à présent une attention qui était souvent une attention journalistique et qui n'a jamais été traité en profondeur, je veux parler du problème de l'enfant maltraité.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Pardon, madame, j'ai demandé tout à l'heure de vous identifier.

MME JELIU: Excusez-moi. Je suis le docteur Jeliu, pédiatre, présidente du comité des enfants maltraités, à l'hôpital Sainte-Justine; à ma droite, Mlle Jeannine Fillion, travailleuse sociale, directrice du service social de l'hôpital Sainte-Justine; à ma gauche, Mme Legendre-Roberge, assistante-directrice médicale et, à ma toute gauche, le Dr Bernard Méthot, pédiatre, membre du comité des enfants maltraités, à l'hôpital Sainte-Justine.

Il est important, je pense, d'insister un peu sur des faits d'information, car la compréhension de certaines particularités de ce problème permettrait ou aurait permis au législateur de mieux comprendre certaines dynamiques et d'éviter probablement ce que nous considérons comme certaines erreurs à l'égard du problème que nous exposons ici aujourd'hui.

Tout d'abord, qu'est-ce que l'enfant maltraité? Il en existe, en fait, dans la littérature deux définitions. Une qui est classique, qui est une définition restrictive, et l'autre qui est plus élargie. La première, la définition restrictive, va désigner tout enfant mineur qui va subir, par suite de violences infligées délibérément, des blessures de gravité variable. Ces blessures sont infligées par son gardien légal, qu'il s'agisse de ses parents naturels ou de ses parents nourriciers. Donc, cette première définition a trait à

des blessures physiques mettant en danger la vie et la santé de l'enfant.

La deuxième définition de l'enfant maltraité, ce qu'on appelle, en anglais "abused child", est plus élargie.

Elle va désigner tout enfant qui, pour quelque raison que ce soit, ne reçoit ni les soins, ni la nourriture, ni le logement, ni le climat psychologique propres à assurer son développement harmonieux et propres à lui assurer l'accès à une vie d'adulte responsable et digne de ce nom.

La deuxième question, qu'il est probablement utile de se poser ici en ce moment: s'agit-il de cas isolés, s'agit-il de cas qui font les joies et les délices des journalistes en mal de copie? La réponse est non. En effet, si nous nous basons sur des statistiques absolument sérieuses qui existent aux Etats-Unis et plus particulièrement si nous nous référons aux estimations faites par le Dr Helfer, qui est un expert en la matière, ce dernier tout récemment, en 1971 et en 1972 lors d'une conférence au Children's Hospital de Montréal, avançait des chiffres précis.

Tout d'abord, il rappelait l'augmentation de l'incidence des cas déclarés officiellement, dans la seule ville de New-York, qui s'élevaient à 2,700 pour l'année 1970 par rapport à 700 pour l'année 1968. Il s'agit, bien sûr, des cas déclarés. Le Dr Helfer mentionne et affirme que l'incidence d'enfants maltraités se situe aux environs de 300 par million de population et par an. Ceci, pour les cas maltraités définis suivant la première définition, c'est-à-dire la définition restrictive, celle où il y a violence physique et blessures à l'égard de l'enfant.

L'incidence réelle dans la province de Québec, qui nous concerne tous, est inconnue. Nous disposons, nous, de données particulièrement fragmentaires. Notre groupe de travail à l'hôpital Sainte-Justine, qui se penche sur le problème de façon précise, est suivi au moyen de mécanismes de consultations multidiscipli-naires, de conférences et d'études longitudinales des cas, dispose des faits suivants: Pour les années 1971-1972 nous avons identifié, respectivement pour chaque année, 60 cas d'enfants maltraités dont certains sont décédés. Evidemment, le Children's Hospital de Montréal a un nombre équivalent par an, ce qui porte le tout à un nombre relativement modeste. Nous sommes sûrs, cependant, que si l'on ajoutait à ces cas tous les cas de décès d'enfants qui trament dans les journaux et tous les cas qui sont identifiés de façon isolée dans les hôpitaux et tous les autres cas qui restent et demeurent non identifiés, nous serions probablement relativement près des estimations avancées par M. Helfer.

Si nous acceptions les estimations des auteurs américains — il est relativement difficile de penser que notre culture, notre mode de vie soient essentiellement différents de ceux de nos voisins du sud — nous verrions pour la province de Québec le nombre d'enfants maltraités s'élever à 1,800 par an. Nous sommes loin du compte avec nos malheureux 60 cas. Si la définition élargie était acceptée, nous en aurions plus de 700 par million — ce sont de nouveau les estimations de Helfer — ce qui porterait à 4,000 enfants par an, dans la province de Québec, les enfants qui sont soit violentés physiquement, soit dans des conditions d'élevage — passez-moi l'expression — absolument incompatibles avec le développement harmonieux d'une personnalité et de la santé pure et simple.

Ces chiffres, vous le concéderez, placent d'emblée le problème au niveau des fléaux sociaux appelant l'attention du gouvernement et de la communauté. Quand un médecin, quand un adulte, quand un travailleur social, quand une infirmière, quand un instituteur est confronté avec un enfant couvert de blessures, infligées de façon évidente par des actes volontaires et délibérés, il est en droit de se demander si les parents sont des criminels ou des malades mentaux. Malheureusement, je dois répondre: Non. En effet, les études menées par le groupe de Helfer et de Kempe à Denver, Colorado, qui sont, je le rappelle, des experts en la matière et qui ont publié plusieurs monographies très complètes sur ce problème touchant à différents aspects diagnostiques et thérapeutiques, les études menées par ces auteurs sur un groupe de parents abusifs démontrent qu'environ 10 p.c. seulement des parents abusifs entrent dans cette catégorie de malades mentaux ou de psychopathes, donc que l'on peut, dans un sens très large, peut-être inclure dans la catégorie des "criminels".

Le reste, c'est-à-dire la majorité des parents abusifs — ceux qui évoquent en nous la colère, la rage et l'envie de violence et de punition — le reste sont des adultes qui, à toutes fins pratiques, doivent être considérés comme normaux mais qui, cependant, ont des caractéristiques particulières.

Ce sont des individus immatures. Ce sont — et c'est là le point crucial qu'il faut se rappeler— des individus qui ont connu, durant leur enfance, justement la violence, justement la carence, justement les multiples institutions, justement les multiples foyers nourriciers et qui émergent, à l'âge adulte, comme des individus incapables d'établir des relations avec les autres, des individus méfiants, isolés, hostiles, qui se méprisent eux-mêmes et qui n'attendent rien des autres.

La seule gratification qu'ils espèrent est celle de retrouver, dans leur conjoint, l'amour qu'ils n'ont pas eu durant leur enfance. Leur dernier espoir, c'est de retrouver l'amour dans leur propre enfant. Il se produit, de façon assez subtile et assez particulière, ce qu'on appelle un renversement des rôles. Le parent abusif devient un individu en quête de gratifications qu'il cherche auprès de son enfant et qu'il va chercher souvent avec insistance et parfois avec rage. Donc, il attend de l'enfant, alors qu'il doit donner à l'enfant. Il est incapable de donner, n'ayant jamais reçu.

Les besoins de l'enfant ne sont pas perçus et, dans des périodes de crise, ces parents immatures, ces parents isolés, ces parents démunis perdent tout contrôle et vont agresser l'enfant au point parfois de lui infliger des blessures que nous voyons dans les hôpitaux, que les instituteurs voient parfois sans trop de commentaires, parce qu'ils ne veulent pas aller plus loin dans les implications. Ce sont donc des circonstances où l'acte d'agression est la conjonction de plusieurs éléments. Le premier était celui que j'ai rappelé, le potentiel abusif de parents qui ont vécu une enfance carencée. Deuxièmement, c'est l'enfant lui-même. En effet, on doit dire et on doit reconnaître que n'est pas agressé tout enfant. Il s'agit souvent d'enfants qui ont besoin de plus de sollicitude, de plus de soins. Ce sont souvent des enfants un peu hyperactifs, des enfants qui pleurent.

Je mentionne ici, à titre d'information, que ce sont souvent des enfants très jeunes qui sont agressés. La majorité sont agressés au-dessous de l'âge de trois ans. Les décès observés chez les enfants maltraités se situent presque tous au-dessous de l'âge de cinq ans. Ainsi, ces pauvres adultes, et je pense qu'il est important, dès maintenant, de les considérer comme étant en état de besoin, qui agressent leurs enfants continuent et perpétuent le cycle de violence qu'ils ont eux-mêmes connu durant leur enfance. Ces gens ont besoin d'aide, de compréhension au même titre que leurs enfants et non de condamnation, de jugement qui va renforcer chez eux l'absence d'estime à l'égard d'eux-mêmes.

Le syndrome de l'enfant maltraité va se présenter à nous et à tous comme une maladie avec des signes qui seront présents chez l'enfant. Ce sont toutes les blessures possibles et imaginables, des bleus, des fractures, des hémorragies intracraniennes, des brûlures, des brûlures de cigarettes, des marques de fouet, de signes qui sont présents chez les parents, cette incapacité d'établir des relations de confiance avec leur propre père, ce besoin de gratifications renversé qu'ils recherchent chez l'enfant. Donc, les signes mêmes de la maladie existent. C'est une maladie qui va exister avec des degrés de sévérité variables. La mort survient dans 5 p.c. des cas apparemment. Les séquelles sont nombreuses dans 30 p.c. à 40 p.c. des cas. Il s'agit d'enfants qui peuvent avoir des troubles neurologiques, des enfants qui, à la suite disons du climat dans lequel ils ont pu être élevés, vont avoir de la pseudo- débilité, des pseudo-retards, des retards de langage et surtout, la conséquence la plus grave, celle que je considère personnellement probablement plus grave que la mort, c'est le potentiel abusif.

Ces enfants que nous considérons tous comme étant des martyrs aujourd'hui, que l'on veut protéger à tout prix, à juste titre, vont devenir, s'ils ne sont pas protégés, des parents abusifs. Le cycle va recommencer.

Quels sont maintenant les remèdes que nous pouvons apporter à l'égard d'un problème que j'aimerais bien que nous considérions comme important? Ce n'est pas une vue de l'esprit. Croyez-moi, ce n'est pas une caricature que j'essaie de brosser devant vous. Les remèdes sont de tous ordres.

Premièrement, il est important de savoir qu'avant de présenter des remèdes il faut à tout prix éviter de nier le problème. En effet, la négation est une attitude qui se rencontre partout, aussi bien chez des professionnels, c'est-à-dire des médecins, que chez les travailleurs sociaux ou chez n'importe qui. Le premier réflexe, en présence d'événements qui nous paraissent évidemment monstrueux, est de dire: Non, ce n'est pas vrai. Il s'est passé un accident, il n'y a pas eu agression. Donc, il faut éviter de refuser l'identification de tels cas, éviter de refuser d'analyser plus avant des cas qui peuvent, à première vue, paraître suspects et non certains.

Les remèdes sont, évidemment, à certains moments, la séparation d'avec les parents, mais cette séparation doit toujours être temporaire. C'est une mesure qui, en soi, si elle était isolée et perpétuée, ne répondrait pas essentiellement aux besoins de l'enfant. Le seul vrai remède, celui vers lequel nous devons tendre en tant que médecins, en tant que travailleurs sociaux, en tant qu'infirmières, en tant que législateurs, en tant qu'individus, en tant qu'êtres humains, c'est la réhabilitation de la famille. Cette réhabilitation de la famille est un travail à long terme ; c'est un travail qui ordinairement s'étale sur un an, sur deux ans. Lorsqu'il est bien fait, lorsqu'il est fait avec compréhension, lorsqu'il est fait avec sympathie, lorsqu'il est fait avec tolérance et non avec condamnation et avec jugement, il permet de la part des parents une prise de conscience de leurs propres difficultés, l'acquisition d'un meilleur contrôle à l'égard de situations de crise et surtout de meilleures relations avec leur père et de meilleures relations avec l'enfant qui, enfin, nous intéresse.

D'après Helfer, la possibilité de réhabilitation se situe au niveau de 75 p.c. à 80 p.c. Donc, il faut admettre, au départ, que la solution de séparation de l'enfant d'avec la famille doit être une mesure temporaire. Il faut également réaliser dès maintenant que, si la séparation temporaire n'est pas doublée d'un travail de réhabilitation au sein de la famille, c'est peine perdue et c'est même dangereux. Vous concevez aisément que l'enfant, qui, par une décision d'un juge ou de la cour, a été placé sera marqué d'un stigmate en même temps que ses parents, et, lorsqu'il va revenir dans ce même milieu après un hébergement maximum de deux ans, il va être éventuellement agressé de nouveau. Je vous le répète, les agressions sont répétitives. Ces actes peuvent se répéter. C'est pour cela que la situation est potentiellement dangereuse pour l'enfant.

Donc, l'objectif est la réhabilitation du milieu familial. Les remèdes préconisés par

différents auteurs sont multiples. En définitive, ils sont tellement évidents et tellement simples. Malheuresement, ils sont difficiles à atteindre.

La première sorte de remède, c'est une amélioration des problèmes concrets dans lesquels vivent ces familles où sont agressés les enfants, même si les auteurs américains disent qu'il n'y a pas de démarcation économique que le syndrome de l'enfant maltraité ne franchira pas. En d'autres termes, même si nous acceptons tous que la violence à l'égard de l'enfant peut se rencontrer dans des milieux socio-économiques favorisés — ceci est vrai — les cas que nous avons observés à l'hôpital Sainte-Justine appartiennent tous ou presque tous à des milieux non seulement défavorisés, mais dont le revenu se situe en dessous du revenu minimum. Ce sont, pour la moitié des cas, des gens qui sont aidés par le bien-être social. Ils vivent dans des logements et des conditions générales de vie dont nous ne voudrions absolument pas, aucun d'entre nous.

Le deuxième type de remède préconisé, en dehors de la solution des problèmes de type logistique, ce sont des services d'aide qui permettent à la mère ou aux parents, d'une certaine manière, de décrocher par rapport aux enfants. Ce sont des pouponnières, ce sont des crèches qui peuvent héberger, de façon très temporaire, parfois quelques heures par jour, les enfants au lieu de les laisser, de façon permanente, dans des logements qui peuvent être parfois très exigus, avec une mère de plus en plus énervée.

Tout ceci est doublé d'autres mesures qui visent à l'élargissement des intérêts des parents. Je vous ai rappelé, tout à l'heure, très brièvement, en esquissant la silhouette psychologique du parent abusif, que ce sont des gens qui vivent de façon isolée. Le prototype, ce sont ces gens qui descendent leurs persiennes ou leurs rideaux, qui s'enferment chez eux, et qui ne communiquent avec personne. Ce n'est pas simplement parce qu'ils ont une vie privée; c'est parce qu'ils sont incapables d'établir des relations avec autrui.

Donc, l'objectif est d'essayer d'élargir les intérêts de ces gens, de les insérer, d'une certaine manière, dans une vie communautaire, de leur fournir du travail lorsqu'ils n'en ont pas car, bien souvent, le chômage existe également. Tout ceci doublé d'un travail non pas de restructuration réelle de la personnalité — il est probablement vain et illusoire de vouloir restructurer la personnalité d'un adulte — mais au moins, par des moyens de communication privilégiés et répétés avec ces gens, de leur faire améliorer l'impression de mésestime qu'ils ont à l'égard d'eux-mêmes, donc augmenter l'estime qu'ils ont à l'égard d'eux-mêmes et, progressivement, rendre le milieu familial non dangereux pour l'enfant, afin de permettre au bout d'un certain temps — ceci est possible — la réinsertion de l'enfant dans la famille.

Je le répète, ce travail de réhabilitation dans le milieu familial suppose, vous vous en doutez, l'utilisation d'un certain nombre de ressources, pas simplement des travailleurs sociaux, pas simplement des psychiatres, pas simplement des médecins, mais des gens qui communiquent avec ces parents abusifs et qui communiquent sur un plan purement humain. Les auteurs américains utilisent ce qu'on appelle les "foster grand-parents". Ce sont des gens qui n'ont aucune compétence particulière mais qui, d'une manière précise, sont appelés, payés de façon minime, à des taux qui sont dérisoires, à représenter en somme les amis temporaires de la famille. Cette forme d'amitié répétée dure pendant un an, deux ans, jusqu'à ce que ces gens réapprennent un peu à vivre en société.

Donc, ce sont les mesures thérapeutiques, très brièvement esquissées. Vous voyez qu'elles sortent assez considérablement des mesures d'ordre médical ou des mesures d'ordre administratif.

On peut aussi parler de mesures de prévention. En effet, on peut, jusqu'à un certain point, prévenir le syndrome de l'enfant maltraité par le dépistage précoce du potentiel abusif chez certaines mères. Ceci est possible dans les services de maternité et sera possible éventuellement dans les CLSC, là où on peut voir d'emblée, dès le début, le type de relations que la mère entretient avec son enfant et les difficultés de relations qu'elle peut avoir avec lui.

L'éducation, au niveau secondaire, est un autre point que peut viser la prévention. La préparation à la maternité, la préparation à la vie familiale et la préparation à la vie adulte représentent également des sphères de prévention où l'on peut faire quelque chose.

En quoi, maintenant, le nouveau projet de loi no 65, Loi de la protection de la jeunesse, qui apporte certains éléments de réforme du système de protection juridico-sociale de l'enfance, répond-il aux objectifs de traitement esquissés? Les favorise-t-il ou, au contraire, les empêche-t-il?

Nous pouvons examiner rapidement — puisque nous avons probablement tous faim — la loi proposée à cinq niveaux: 1.La déclaration des cas. 2.Les organismes et structures habilités à recevoir ces déclarations. 3.Le processus d'analyse et d'indentification des cas suspects. 4. Les mesures préconisées pour la protection. 5.La philosophie générale.

La déclaration obligatoire, premièrement, telle que prévue au terme de la loi, est — je le répète — obligatoire et ceci est une mesure qui nous paraît, en effet, indispensable.

Mais ce que la loi ne dit pas ou dit de façon peu explicite, c'est quels cas déclarer.

La définition des cas susceptibles de déclaration tient, comme vous le savez tous, en quatre sujets qui sont assez sommaires et assez mal

définis. La Loi de protection de la jeunesse de l'Alberta définit en quinze points très circonstanciés les cas possibles de déclaration. Nous voyons ici la nécessité d'introduite éventuellement dans un nouveau projet ou dans la loi actuelle une meilleure étoffe du contenu des cas de déclaration de manière à couvrir tous les cas où l'enfant peut vraiment avoir besoin de protection.

La déclaration est donc mentionnée comme étant obligatoire. Nous sommes d'accord. Mais il n'y a pas de sanction prévue. Qu'est-ce qu'une déclaration obligatoire si celui qui est tenu de faire la déclaration ne peut craindre absolument rien, si ce n'est la mention d'une infraction? Ceci est textuel dans le projet de loi: II est passible d'infraction. Je ne sais pas ce que ça veut dire.

Deuxièmement, il n'y a pas de clause d'immunité protégeant le déclarant pour la déclaration des cas éventuellement suspects et nous sommes d'accord que les cas suspects ont tout autant besoin d'être déclarés que les cas réels, évidents de sévices. En effet, si la déclaration s'avère non fondée, même si elle est faite de bonne foi, le déclarant pourrait se trouver aux prises avec des poursuites en libelle ou de diffamation.

Les cas suspects qui ont besoin d'aide ne seront donc pas déclarés aux termes de la loi, il n'y a personne qui va aller déclarer un cas suspect alors qu'il sait fort bien qu'il n'est pas protégé. Il n'y a aucune immunité pour le déclarant.

Les cas de carence ne seront pas aidés. En effet, personne n'ira déclarer des cas semblables.

Enfin, il faut réaliser — et c'est là un point crucial — que le fait de porter à l'attention du service de protection le cas identifié est dangereux pour l'enfant si l'enfant est retourné chez lui parce qu'il n'y a pas suffisamment de preuves évidentes et s'il n'y a pas de ressources appliquées en même temps à l'égard de la famille.

Donc, le chemin dans lequel on s'engage au travers d'une déclaration obligatoire risque d'être dangereux s'il n'est pas assorti, d'abord, pour le déclarant d'une clause d'immunité; deuxièmement, si le cas est débouté, s'il n'y a pas de ressources qui quand même d'une certaine manière vont surveiller cette famille qui a été éventuellement signalée comme suspecte mais pour laquelle on n'a pas pu faire la preuve.

La preuve est difficile à acquérir et elle n'est jamais d'un type judiciaire, jamais, jamais.

Il suffit d'identifier que le milieu soit dangereux pour que l'enfant ait besoin d'être protégé. La déclaration donc, à notre humble avis, lorsqu'elle est isolée, lorsqu'elle n'est pas suivie de mesures réelles qui visent les remèdes en profondeur, est un cataplasme sur la conscience de la société.

Ce n'est pas en déclarant les cas que nous allons protéger les enfants.

Deuxièmement, les organismes et structures habilités à recevoir les déclarations. Les déclarations sont faites, comme nous le savons tous, à trois niveaux possibles et finissent par être centralisées en la personne du directeur du service de la protection de la jeunesse. Il est placé dans la structure administrative du ministère de la Justice et dans un organigramme immédiatement en dessous du service de détention et de probation.

Donc, tous les cas sont centralisés vers un organisme administratif clairement identifié aux structures du ministère de la Justice. Nous pouvons dès maintenant dire que l'objectif de la réhabilitation familiale qui nous paraft essentielle peut être entièrement annulé de ce simple fait qui est l'insertion des parents dans un contexte éventuellement judiciaire et menaçant et va leur retirer toute envie de confiance qu'ils peuvent éprouver à l'égard de thérapeutes éventuels ultérieurs.

Troisièmement, le processus d'analyse des cas. Les commentaires qu'on peut faire sont les suivants: l'expertise médicale apparaît singulièrement absente; aucune évaluation des problèmes complexes de croissance, de l'équilibre en nutrition, du développement ou de la caractéri-sation de problèmes douteux, tout simplement; aucune coordination n'est prévue avec certains centres médicaux pédiatriques particulièrement habilités à fournir cette expertise concernant l'enfant ou ses parents. Cette coordination allégerait, au moins dans un certain nombre de cas, ceux de Montréal, les procédures d'analyse. Ces structures du service de protection qui auraient la responsabilité d'analyse, j'allais dire d'enquête, sont très loin en fait de la réalité sociale dans laquelle va vivre et vit l'enfant.

Enfin, le quatrième commentaire est le suivant: II nous semble que cette centralisation des étapes préalables d'analyse ou d'enquête met en danger tout le programme éventuel de réhabilitation en plaçant les parents dans une conjoncture prématurément menaçante. Nous doutons réellement que seul le spectre de la loi puisse servir de stimulus efficace dans la réhabilitation sociale d'individus qui sont démunis, dévalorisés et méfiants. Il existera donc toujours un danger pour l'enfant.

Enfin, quatrièmement, les mesures préconisées pour la protection de l'enfant. Elles émanent en droite ligne du directeur du service de protection et sont, de plus, exécutoires. Les centres de services sociaux sont donc les exécutants d'un organisme décisionnel qui est situé au sein du ministère de la Justice. Les mesures d'hébergement obligatoire sont aux termes de la loi, limitées à deux ans. Ce délai, dans certains cas, nous paraft insuffisant. De plus, si aucun travail de traitement de réhabilitation n'a été entrepris de façon concertée au niveau de la famille, c'est une mesure qui est inutile et dangereuse. Lorsque l'enfant retournera chez lui, il sera de nouveau agressif. De plus, on n'entrevoit nulle part de programme utilisant les ressources communautaires et locales qui

visent la réhabilitation à l'intérieur du foyer identifié comme dangereux.

Enfin, dernièrement et cinquièmement, au niveau de la philosophie générale, nous sommes particulièrement concernés par l'absence d'un exposé de politiques générales de bien-être et de santé de l'enfant qui n'apparaît qu'en des termes très généraux dans le préambule de la loi. Cette loi nous paraît malheureusement très restrictive dans ses dispositons, très vague — et c'est là que je le déplore le plus — en ce qui concerne les ressources de substitution et surtout leur qualité.

Le placement d'un enfant en foyer nourricier et en institution, pour être acceptable, pour être utile, pour être thérapeutique, doit prévoir des garanties de conditions minimales de qualité, à l'intérieur de cette ressource de substitution, qui sont propres à assurer le développement et la santé de l'enfant.

Nous frémissons à l'idée de ces centres d'accueil obligés de prendre tous les enfants retirés de foyers considérés comme inadéquats et qui vont être submergés dans leurs ressources et leur capacité d'accueil, devenant ainsi éventuellement des ghettos d'enfants. En substance, nous nous permettons de critiquer cette loi pour plusieurs raisons. Nous pouvons les résumer. H n'y a pas de décentralisation, de mécanisme de décentralisation permettant de procéder de façon rapide, et c'est important parfois de procéder de façon rapide et de façon locale.

Les procédures prévues au niveau de l'analyse, de la constitution de dossiers, de la référence d'un individu d'un palier à l'autre nous paraissent très lourdes. Les expertises nous paraissent également approximatives et incomplètes en ce qui concerne les cas à protéger. La localisation du service de protection à l'intérieur du ministère de la Justice met en danger, à notre avis, en ce qui concerne le problème de l'enfant maltraité, le processus même de réhabilitation sociale et familiale.

Les ressources de substitution prévues dans la loi, visées et suggérées dans la loi à titre de traitement temporaire sont considérées a priori comme étant existantes, comme étant coordonnées, comme étant suffisantes et de grande qualité. Nous nous permettons d'en douter. Le rôle des services sociaux n'est ni explicité de façon détaillée, ni revivifié dans sa conception profonde, de manière à présenter des garanties de succès. Le rôle des hôpitaux pédiatriques est complètement ignoré, alors qu'ils représentent une ressource adéquate de diagnostics, d'expertises et éventuellement de catamnèses.

En définitive, il s'agit là d'un projet de loi — et c'est un reproche que nous considérons majeur — superficiel, qui ne va pas au fond des problèmes et qui essaie de remplacer une politique éclairée de protection de l'enfant par des mesures judiciaires et administratives. Notre seule suggestion est de repenser la loi dans un esprit novateur et fertile en changements réels. Nous sommes surpris — et permettez-moi cette dernière remarque — qu'il existe une telle différence entre ce projet de loi, qui nous apparaît pauvre et conservateur, et les lois sur les services de santé et le code des professions qui contiennent des germes de réforme profonde et probablement bénéfique.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Etant donné l'heure, est-ce qu'il vous serait possible de revenir cet après-midi, à quatre heures, afin que les députés puissent vous poser des questions?

MME JELIU : Je vais être obligée de dire oui, mais j'avais des obligations à Montréal, j'ai un comité universitaire à quatre heures et demie. Vous ne siégez qu'après quatre heures? Qu'en pensez-vous? Si c'est le seul moment, nous sommes prêts à rester, bien sûr; c'est la seule fois que nous soyons venus au Parlement.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): La commission suspend ses travaux jusqu'à quatre heures, cet après-midi.

(Suspension de la séance à 12 h 26)

Reprise de la séance à 16 heures

M. HOUDE (Limoilou) (président de la commission conjointe de la justice et des affaires sociales): A l'ordre, messieurs!

L'honorable ministre des Affaires sociales.

M.CASTONGUAY: D'abord, M. le Président, je voudrais remercier le groupe des porte-parole de l'hôpital Sainte-Justine qui nous ont présenté leur mémoire, de même que les remercier de tous les commentaires qu'ils ont faits, afin de nous exposer d'une façon aussi claire que possible l'ampleur du problème, l'acuité de ce problème, la difficulté d'y répondre de façon adéquate, et aussi afin de sensibiliser quelque peu tous les intéressés à l'existence de ce type de problème qui n'est pas tellement connu, de façon générale. Je voudrais aussi les rassurer sur le fait que nous sommes devant un projet de loi et non devant une loi et que, justement, le but des audiences de cette commission est de faire en sorte que ce projet de loi soit amélioré, si possible, de sorte qu'il réponde de la façon la plus adéquate possible aux exigences de la situation.

Ce matin, j'ai écouté, de même que les collègues de la commission, les divers commentaires qui ont été faits, particulièrement quant à la portée très limitée du projet de loi. Je pense qu'il y avait lieu de faire quelques commentaires sur ce plan. C'est une difficulté que j'ai déjà affrontée, face à d'autres projets de loi qui ont été discutés en commission parlementaire. Cela vient probablement d'un manque de contacts suffisants avec les techniques législatives ou aussi la difficulté d'interpréter la portée exacte d'un projet de loi par rapport à l'ensemble législatif. Par exemple, lorsqu'on parle des droits, je pense qu'il faut faire état qu'en plus de ce projet de loi, ou de la législation actuelle touchant la protection de la jeunesse, il existe d'autres lois, tel le code civil. Lorsqu'on parle de l'organisation administrative des services, cette loi vient compléter la loi 65, sur les services de santé et les services sociaux. Il nous apparaît difficile, et les légistes, même de façon générale, pour de très bons motifs, ont des objections à répéter dans une loi des dispositions qui apparaissent dans une autre, de telle sorte que l'économie de chaque loi puisse être identifiée et lorsqu'une loi ayant un objet précis est modifiée, qu'on ne soit pas obligé d'aller faire la révision d'une série d'autres lois qui répéteraient des dispositions analogues.

Au plan des contenus généraux, il y a aussi une difficulté. On fait état du fait que le projet de loi de la protection de la jeunesse ne met pas assez d'emphase sur des approches quant aux traitements. On mentionnait, par exemple, qu'en aucun endroit, dans la loi, on ne fait référence aux services pédiatriques ou hôpitaux spécialisés en pédiatrie. Lorsqu'on examine toute la loi sur les services de santé, les services sociaux, on constate que c'est une loi qui donne le cadre général de l'organisation des services, mais jamais on n'est entré dans les modalités qui devaient être prises pour faire face à des problèmes de traitements, que ce soit pour les alcooliques, que ce soit pour les malades mentaux, etc. Si nous le faisions immédiatement, je sais très bien quelle serait la réaction. Bien des groupements professionnels nous diraient: L'Etat s'ingère dans un domaine qui ne lui appartient pas. La ligne de démarcation doit être tranchée, autrement on peut s'engager sur un terrain très dangereux.

D'autre part, je reconnais qu'il est nécessaire de s'assurer qu'une telle loi ait toute la portée désirée pour que la protection des jeunes soit assurée.

Je voulais faire ces quelques commentaires parce qu'il me paraît se dégager, des conclusions que vous avez tirées quant à la portée limitée de la loi, une conclusion qui me paraît pour le moins quelque peu exagérée. Par exemple, lorsqu'on se réfère à l'article 11, on voit que le centre de services sociaux — et l'article est assez clair — a comme obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer à l'enfant les services, la surveillance, l'éducation, les soins et les conseils propres à favoriser la sécurité, le développement et la santé de cet enfant. On ne peut pas, d'après m m, aller plus loin et donner les modalités de traitements. La responsabilité est placée sur un organisme. C'est à partir des liens que cet organisme peut établir avec d'autres organismes que le mécanisme s'amorce, disons, au plan des traitements ou au plan des mesures pour assurer la protection de l'enfant. La portée de cet article est très large.

Alors, je ne nie pas que l'on doive se pencher très attentivement sur chacun des problèmes, comme celui que vous nous avez soumis ce matin. Mais.ce que j'essaie de faire ressortir, c'est que nous avons d'autres lois qui viennent compléter celle-ci. D'autre part, il y a une frontière que nous ne pouvons franchir sans commencer à élaborer — à moins que j'aie mal compris vos représentations — des modalités d'interventions et de traitements qui pourraient être plus ou moins appropriées avec le passage du temps, et on sait que ces lois ne sont pas toujours remises à jour fréquemment. Aussi, on s'engagerait dans des problèmes qui pourraient être fort délicats, compte tenu de l'autonomie que réclament, je pense bien à juste titre, les professionnels tels les médecins et autres dans l'exercice de leur profession.

Certains aspects, même au plan de la technique législative, ont été touchés; par exemple, la nécessité d'avoir une organisation plus décentralisée pour le Service de protection de la jeunesse. La loi ne l'empêche pas, bien au contraire. Un service est créé et, s'il est nécessaire qu'il y ait des décentralisations administratives de ces services, et je pense bien que cela s'impose, la loi ne l'empêche pas. Lorsqu'on se reporte à la plupart des lois touchant des organismes de même nature, on voit que cette

loi ne diffère pas des autres sur ce plan. Est-ce qu'il y aurait lieu d'aller plus loin, de préciser, d'en faire une obligation spécifique? Je pense que c'est un aspect qui mérite d'être considéré. Dans son état actuel, le projet de loi n'empêche pas cette possibilité, bien au contraire.

Il y avait ces quelques commentaires. Sans vouloir lancer un débat et sans vouloir contredire au contraire, ce que vous avez dit, j'ai pensé qu'il serait peut-être utile de les faire pour essayer de rassurer à tout le moins et pour aussi que l'on saisisse peut-être quelque peu mieux au moment où nous franchirons les autres étapes qui mèneront éventuellement à l'adoption de ce projet de loi.

Quant au contenu, vous avez évidemment soulevé un problème qui est extrêmement pénible et il y a deux ou trois aspects que j'aimerais discuter avec vous. On nous a fait état hier, l'Ecole de service social de l'université McGill, du fait que dans certaines juridictions un registre central est maintenu dans lequel des renseignements peuvent être colligés lorsqu'un enfant qui a reçu des mauvais traitements et été battu est traité dans un hôpital. Ainsi, si la situation se répète, l'information est disponible.

Si les parents déménagent, que cette situation ne puisse pas se reproduire et que, par le fait d'un simple déménagement, l'on perde totalement leur contact. De toute façon, Mme Griffiths, qui a présenté le mémoire de l'Ecole de service social de McGill, a insisté énormément sur ce point. J'aimerais entendre vos commentaires parce qu'elle semblait en faire un élément assez essentiel, de telle sorte qu'il y ait plus de continuité, qu'il y ait une certaine coordination dans la collecte des renseignements et dans l'identification des enfants qui peuvent être soumis à des dangers tels que ceux que vous avez décrits.

Dans les mesures que vous avez proposées, je pense que vous avez mis énormément d'accent sur le traitement des parents ou l'aide à apporter aux parents. Je pense bien que sur le plan des principes je suis tout à fait d'accord avec vous. Vous nous avez donné certains aspects concrets de mesures qui peuvent être prises : aide financière aux parents, la possibilité pour les parents — je prends l'expression que vous avez employée — de "décrocher" de temps à autre de telle sorte que le climat difficile dans lequel une mère peut vivre, à un moment donné, elle puisse s'en sortir de temps à autre. Et là vous avez parlé de garderies, de pouponnières, de l'isolement qui semble résulter de l'état d'esprit des personnes. Vous avez également parlé — je n'ai pas saisi l'expression exacte de "foster aid parents".

Un certain nombre de ressources existent dans le sens de celles que vous avez indiquées, les deux premières : l'aide financière, je conviens qu'il faut probablement faire davantage que ce qui est fait; les garderies et les pouponnières constituent un sujet qui est constamment débattu. Il y a eu un nombre assez considérable de garderies qui ont été ouvertes, mais peut-être que ce n'est pas suffisant. Est-ce que simplement la présence de ces mesures est suffisante selon vous ou s'il faut vraiment... autrement ces personnes qui en sont rendues au point de battre des enfants ou de les maltraiter, si personne ne les atteint, ne les recherche, elles ne se serviront probablement pas d'une façon appropriée de ces ressources. Nous avons au Québec des agences de service familial. Est-ce que, dans vos travaux au cours des années, ce type de problèmes a été abordé avec les agences de service familial ou encore avec des organismes comme la Corporation des travailleurs sociaux pour les sensibiliser de telle sorte qu'ils puissent jouer ce rôle auprès de ces familles? J'avoue, quant à moi, que, dans les programmes que j'ai vus et qui nous ont été présentés au cours des mois et des années, ces problèmes discutés par ces agences, à moins que je n'aie pas été suffisamment attentif, qu'aucun de ces groupements ne les a soulevés comme étant des problèmes vis-à-vis desquels, eux, pouvaient apporter une aide quelconque. Est-ce qu'on doit penser, encore une fois, à un autre type d'organisme additionnel? C'est toujours le problème. Ou est-ce qu'on doit plutôt s'axer sur ces ressources qui existent déjà? Si oui, comment se fait-il que... il ne semble pas que, présentement à tout le moins, ce soit un secteur dont ils se préoccupent de façon prioritaire ou, disons, très attentive.

Pour le moment, ce seraient les deux ou trois points que je voulais soulever.

MME JELIU : Je vais essayer de répondre dans l'ordre, M. le ministre, aux différents points et surtout aux questions que vous avez soulevées.

Tout premièrement, en ce qui concerne le registre central, effectivement c'est une mesure qui est considérée par les différents auteurs et experts du problème des enfants maltraités comme un instrument utile. Bien entendu, il faut le définir tant dans son utilité que dans la place qu'il occupe.

Le registre est tout simplement une liste de noms de parents chez lesquels on a déjà identifié des cas d'abus ou de parents chez qui on a pu retrouver des cas suspects. Vous avez très justement indiqué l'utilité de ce registre qui est, en cas de mobilité géographique des parents, de pouvoir dépister ceux qui vont faire ce qu'on appelle, dans notre langage, du "shopping", car il ne faut pas oublier que les enfants qui sont agressés et qui sont blessés sont portés à l'attention des hôpitaux, des salles d'urgence, des consultations externes, bien souvent, par leurs propres parents. Il est bien évident que les parents ne retournent pas nécessairement, et parfois même volontairement, au même endroit qui les a déjà identifiés.

Donc, pour eux, l'accès à différentes ressources représente une manière d'éluder des questionnaires ou des questions parfois indiscrètes.

Pour eux, le fait d'accéder à des ressources qui sont géographiquement distinctes les unes des autres représente un moyen de traiter leur enfant au moment où il arrive quelque chose, sans que nécessairement il y ait des suites à ce traitement strictement médical. Donc, le registre central servirait à éviter cela. C'est ici que les discussions peuvent survenir: A qui ce registre est-il ouvert? Où se trouve-t-il? Qui le consulte? Cela soulève des points qui sont bien importants. Quand est-ce qu'un nom est retiré du registre? Une fois qu'un individu est inscrit dans ce registre, pour des raisons qui parfois ne sont pas valables, qui décide qu'on retire le nom de cette personne du registre? Tous ces points ont été soulevés, peut-être comme vous le savez, au comité national d'expertise sur les sévices infligés à l'enfant, qui a tenu des sessions de deux jours à Ottawa, les 15 et 16 février. Disons que les recommandations ont été de nature variée, parfois contradictoires. On en est quand même arrivé à suggérer l'institution d'un registre central qui serait utile pour les professionnels, afin de vérifier si le nom qui les intéresse se trouve sur ie registre, sans réellement accéder à la liste en tant que telle.

Cependant, il y a eu beaucoup de réserves quant au mécanisme de désinscription, au mécanisme d'inscription et à la confidentialité de ce registre. Donc, c'est un instrument utile. C'est un instrument qui existe déjà et qui est utilisé aux Etats-Unis. Il existe peut-être sur une base nationale — je n'oserais pas m'avancer — mais il existe certainement sur une base locale, dans les différents Etats et, à ce titre-là, il est utile. Il pourrait être utile sur une base strictement régionale, tout simplement pour éviter des visites consécutives multiples dans différents hôpitaux d'une même région. Si une ville comme Montréal avait un registre central auquel pourraient accéder les consultations externes, les salles d'urgence des différents hôpitaux pédiatriques et les services pédiatriques des hôpitaux généraux, cela représenterait certainement un élément utile. C'est évident que, si on retrouve trois fois de suite le même nom sur le registre lors de trois épisodes soi-disant accidentels, pour le même enfant, l'attention et la suspicion sont évidemment beaucoup plus facilement éveillées. Ceci pour le registre central. En d'autres termes, c'est une mesure utile, dont les modalités d'application doivent être soigneusement définies, compte tenu des réserves et des inconvénients certains que certains aspects de ce registre peuvent amener.

Deuxièmement, vous avez touché au problème du traitement des parents. Vous avez semblé, M. le ministre, avoir eu des difficultés à comprendre ce que j'ai évoqué, en parlant de "foster-grandparents". Il s'agit tout simplement d'auxiliaires laics; ce ne sont pas des professionnels de la santé. Ce ne sont ni des travailleurs sociaux, ni des infirmières, ni des médecins, ni des étudiants en quoi que ce soit. Ce sont tout simplement des citoyens qui travaillent sur une base volontaire, "mercantile". Ce sont souvent des citoyens âgés, sans travail particulier, qui ont beaucoup de temps libre et qui sont sensibilisés à ces problèmes. Ils sont utilisés par des centres de consultation et d'expertise comme il en existe dans différentes communautés aux Etats-Unis, particulièrement à Denver, au Colorado.

Ils sont donc utilisés par les centres et ils sont envoyés comme des émissaires sympathiques. Ils travaillent avec ces parents sur une base qui n'est pas une base professionnelle et établissent avec eux des contacts purement humains, de manière à briser l'isolement dans lequel vivent ces gens. C'est à travers ces communications bien ordinaires, bien humaines, qui n'ont rien à voir avec, disons des qualifications professionnelles, que souvent ces parents sortent de leur isolement et finissent par retrouver une certaine confiance dans ce qu'on pourrait appeler la société et le genre humain.

Autrement dit, le chemin de la réhabilitation passe par quelque chose de bien simple qui est tout simplement la communication humaine. Or, la communication humaine, comme vous le savez et comme nous le savons tous, lorsqu'elle passe, souvent, par des instruments ou des filières administratives, est souvent rompue. C'est probablement pour remédier à cette difficulté, pour remédier aussi à la carence extraordinaire de personnel qualifié que nous vivons tous que ce moyen a été imaginé, il n'y a pas d'autres mots, par certains médecins des Etats-Unis, et ce avec un succès que l'on est obligé de reconnaître comme étant existant.

Personnellement, nous ne l'avons pas essayé. Nous sommes obligés de travailler avec des ressources particulièrement limitées. Je parle du groupe de consultations multidisciplinaires à l'Hôpital Sainte-Justine et nous sommes particulièrement conscients des déficits de notre traitement ou de nos essais de traitement. Tout ce qui concerne le traitement à long terme est particulièrement déficient parce que nous n'avons pas les ressources. Tout ce qui constituerait vraiment la chose importante à l'égard des parents, nous ne pouvons pas la leur donner. Tout ce que nous pouvons... Pardon, oui.

M. CASTONGUAY: Je m'excuse de vous interrompre. Est-ce que vous verriez comme moyen, comme tentative de mettre un tel support sur pied, comme base pour le faire, un hôpital comme le vôtre, le Montreal Children's, à partir peut-être de votre service social, à l'intérieur de votre hôpital, ou si vous croyez qu'il serait plus approprié de le faire à partir d'un centre de services sociaux ou d'une agence, telle que la société des services sociaux à la famille ou encore le Montreal Children's Centre? Est-ce que vous croyez qu'on ajoute aux complications administratives? Est-ce qu'on s'engage dans des voies où, justement, si on fait

affaires avec une agence plus spécialisée, on entre dans des questions ou ordres de considérations qui feraient qu'on utiliserait, comme vous le dites, des personnes qui n'ont pas nécessairement une préparation sur le plan professionnel, mais qui peuvent apporter ce qui, selon les expériences, est nécessaire. De quelle façon est-ce que vous voyez le lancement d'une telle approche, concrètement?

MME JELIU : Je pense qu'on pourrait un peu qualifier votre question de question-piège, M. le ministre. En définitive, la réponse est bien simple. Peu importe l'endroit d'où sera lancée une telle opération. Ce qui est important, c'est qu'il y ait une coordination entre les différentes ressources, que ce soit l'Hôpital Sainte-Justine, que ce soit le Montreal Children's Centre, que ce soient les services sociaux, peu importe. Ce qui est important, c'est qu'il n'y ait pas nécessairement une centralisation, mais qu'il y ait une coordination entre ces différentes ressources. A cet égard, c'est à peu près le troisième point que vous avez soulevé qui est celui de la coordination avec différentes autres agences et plus particulièrement avec les agences du service social.

Cet essai de coordination et d'utilisation de ressources, en définitive, pourrait — et vous avez raison — être utilisé dans l'expertise diagnostique, d'abord et aussi dans le traitement à long terme. Cette coordination, disons, a été amorcée entre le comité de consultation des enfants maltraités et certaines agences de services sociaux de Montréal dans le but justement d'établir une espèce de communication qui est une compréhension, d'abord, pour savoir de quoi l'on parle, pour savoir si nos objectifs ou nos conseils pourraient être continués et concrétisés par les agences de service social, en d'autres termes, les prolongements. L'hôpital Sainte-Justine ne peut pas assurer le traitement de tous les enfants maltraités de la ville de Montréal ou de la province de Québec. C'est absolument impossible. L'hôpital Sainte-Justine peut, à la rigueur, servir de centre de consultation, de centre d'expertise, et il pourrait, si la coordination est vraiment installée avec les différents centres être utilisé à ce titre.

Donc, les ressources sont ailleurs. La coordination peut se faire avec un endroit comme Sainte-Justine ou le Children's. A cet égard les communications ultérieures devront être particulièrement utiles.

M. CASTONGUAY: Quels ont été jusqu'à maintenant les résultats dans ces échanges, soit au cours des années ou au cours des derniers mois?

MME JELIU: Je pense que, si l'on veut être réaliste, on parlera des derniers mois, M. le ministre. Les échanges ont été sous forme de conversations. Les échanges ont été sous forme de visites de certains travailleurs sociaux et d'assistance à nos conférences multidisciplinaires au cours desquelles nous discutons des cas concrets qui se sont présentés à l'hôpital, durant lesquelles nous exposons, chacun de notre côté, notre point de vue, notre opinion sur les décisions qui pourraient être prises à l'égard de tel ou tel enfant, de la meilleure formule thérapeutique à appliquer chez eux. Le travailleur social qui vient d'une agence de l'extérieur assiste à cette conférence multidisci-plinaire, retourne dans ses structures à lui, et, éventuellement, assure la continuité du traitement et de la surveillance de l'enfant. Donc, c'est une forme de consultation qui, si elle pouvait être généralisée, à notre avis, pourrait être bénéfique car elle introduirait non seulement une continuité, mais une certaine uniformité dans la connaissance des problèmes et dans la poursuite d'objectifs qui seraient bien définis et concrètement appliqués par rapport à la réalité.

M. CASTONGUAY: L'idée d'utiliser des personnes non professionnelles a-t-elle été discutée avec les agences et, si oui, a-t-elle été bien reçue?

MME JELIU: Cette idée n'a pas encore été discutée avec les agences.

M. CASTONGUAY: Une des difficultés auxquelles je faisais allusion plus tôt, est-ce dans une législation que l'on inscrit ce type d'approche qui vient compléter, s'additionner à bien d'autres, ou est-ce que la législation est là pour assurer un cadre, définir des droits, assurer une protection lorsqu'un protection est vraiment nécessaire? Sur le plan des interventions concrètes des traitements, étant donné la gamme des possibilités, étant donné aussi l'évolution, il ne me semble pas qu'on puisse dans un projet de loi aborder ce type de question. C'est plutôt au niveau des programmes concrets que nous subventionnons les initiatives qui peuvent être prises par les organismes, que nous pouvons stimuler, au besoin, que nous pouvons supporter. Je prends ça, ici, à titre d'exemple pour essayer d'identifier une des difficultés que nous avons lorsque nous rédigeons des projets de loi et lorsque nous examinons le projet de loi tel que vous le faites.

MME JELIU: Je vous suis très bien, M. le ministre. Evidemment, la loi est là pour définir les droits des enfants, en l'occurrence les droits des parents, éventuellement, et les cadres, pour assurer la protection. Si nous nous sommes étendus à tort semble-t-il, sur les possibilités thérapeutiques de certains cas d'enfants maltraités, c'est que nous avions l'impression à la lecture de la loi que les étapes préliminaires d'analyses et d'enquêtes pouvaient, d'une certaine manière, parce que localisées au ministère de la Justice, même dans une atmosphère de compréhension, mettre en danger le plan de

réhabilitation ultérieur. J'ai beaucoup insisté sur le fait de la qualité et de la silhouette psychologique des parents abusifs qui sont des gens qui ont toujours été rejetés et violentés par la société. Le seul fait de les faire accéder, au moment de ces épisodes que nous réprouvons, bien sûr, dans leur existence, à un cadre qui est un cadre coercitif, d'une certaine manière, ne les mène certainement pas vers le chemin de la réhabilitation. Il accroit chez eux l'hostilité et la méfiance, le retrait et l'isolement. En définitive il n'y a aucun changement éventuel qui se fera chez eux.

C'est là le point sur lequel je voulais insister. Les premières étapes les auront violentés, d'une certaine manière, et, il n'y aura aucun progrès effectué chez eux.

M. CHOQUETTE: Mais, madame, il me semble que vous nous mettez dans un dilemme que nous ne pouvons absolument pas résoudre. Vous soutenez une thèse qui est peut-être valable sur le plan psychologique: étant donné que ces parents sont plus eux-mêmes des victimes que des coupables, l'exercice de la justice criminelle ne pourrait pas s'appliquer à leur égard. Je crois que c'est un dilemme intenable. Comment voulez-vous, en droit criminel, qu'on exempte l'application de la justice à ces mêmes parents qui se sont rendus coupables de sévices à l'égard de leurs enfants à moins que le droit criminel ne se retire complètement de toute application à l'égard de ces mêmes parents? Je ne pense pas que vous iriez jusqu'au point de prétendre, même en vertu des théories psychologiques que vous avez soutenues et qui sont peut-être valables — je ne suis pas compétent pour en discuter —...Je ne pense pas que vous-même vous soutiendriez que la justice criminelle n'a aucune espèce d'application à ces parents.

Il faut qu'elle ait une application, dans une certaine mesure, et c'est dans le dosage, dans la façon, dans la technique et dans les procédés employés à l'égard de ces mêmes parents que la justice criminelle pourra se montrer adéquate et tenir compte de l'autre partie de la réalité, la réalité psychologique, sur laquelle vous avez insisté.

Dire que l'on va extraire nécessairement les cas de ces parents du cadre coercitif et répressif de la justice criminelle, même si en somme c'est assez modéré parce qu'après tout le service de la protection de la jeunesse est quand même un service purement administratif qui n'est pas la police, qui est composé — et c'est dit spécifiquement — de travailleurs sociaux, de psychiatres, de psychologues, d'avocats ou d'autres fonctionnaires jugés nécessaires... Alors dire que nous allons même les abstraire de ce contexte que vous considérez dans une certaine mesure répressif ou coercitif... Je trouve que vous allez franchement assez loin quand vous témoignez autant de sympathie pour ce genre de cas, même si vos théories méritent d'être soutenues.

J'admets qu'il y a ici une difficulté à résoudre, mais il faudrait quand même tenir compte des deux aspects de la réalité.

MME JELIU: Je suis fort bien votre point de vue, M. le ministre. Il n'est évidemment pas question de soustraire à ce qu'on appelle la justice les parents qui ont tué leur enfant. Les choses sont cuites — passez-moi l'expression — à ce moment-là, c'est bien avant qu'il faut agir. Nous avons bien insisté sur le fait que les actes sont répétitifs. A partir de quel moment allez-vous appeler cet acte un crime? A partir de quel moment allez-vous le juger comme étant un crime? C'est là que c'est horrible, c'est qu'à partir du moment où vous le jugez comme un crime, il n'y a plus de réhabilitation possible; c'est avant qu'il faut s'en occuper.

M. CHOQUETTE: Mais non, madame. Je me permets d'infirmer et de contredire vos affirmations à cet effet. Je crois que vous partez de prémisses qui sont complètement fausses parce que, justement, de plus en plus la justice criminelle s'exerce dans des conditions où elle cherche non seulement peut-être à punir dans une certaine mesure, mais bien plus à réhabiliter le criminel.

Je sais que le problème est particulièrement aigu étant donné la psychologie propre des parents abusifs dont vous nous avez parlé plus tôt aujourd'hui, car ils ont une vision d'eux-mêmes extrêmement dévaluée. Par conséquent, leur appliquer la répression de la justice criminelle, cela empire — avez-vous semblé nous dire — leur propre état psychologique et en conséquence, ce n'est peut-être pas un remède. C'est ce que vous avez tenté de nous dire et je suis prêt à vous suivre dans une certaine mesure. Mais je tiens à vous souligner ceci: la justice criminelle, aujourd'hui, et les juges et à plus forte raison les juges des cours de Bien-Etre social qui exercent une forme de justice qui, parfois, est de nature criminelle, mais qui, la plupart du temps, est une justice que l'on ne peut pas qualifier de criminelle, mais même les juges de nos cours criminelles... L'objet de la justice criminelle, ce n'est pas tant de châtier que de permettre, évidemment, la réhabilitation ultérieure de celui qui a été condamné.

C'est la raison pour laquelle devant des cas psychologiques comme ceux que vous nous avez décrits, le juge pourrait parfaitement tenir compte de la dimension psychologique du problème que vous avez soulignée pour permettre qu'en même temps il y ait une certaine probation des parents et des mesures de surveillance appropriées.

Je ne nie pas du tout d'autres aspects sur lesquels vous avez insisté, c'est-à-dire l'aspect de dépistage et de prévention; il va de soi que si nous pouvions tout dépister et tout prévenir, nous n'aurions rien devant nos tribunaux et je trouve que ce serait l'idéal pour le ministre de la Justice comme pour les tribunaux. Mais enfin,

personne ne peut prévoir qu'on en soit rendu à l'aube d'une telle existence; par conséquent, il y aura toujours des cas. Même si on doit insister sur cet aspect de dépistage et de prévention, je dis qu'on aura toujours le dilemme, d'une part, de la situation propre et personnelle, de l'histoire individuelle de chacun de ces cas et de la sympathie qu'on peut ressentir malgré tout pour ces personnes étant donné qu'elles ont été le plus souvent abusées elles-mêmes dans leur enfance et, d'autre part, l'action de la justice criminelle qui cherche par des méthodes sans doute imparfaites à réprimer de tels actes.

Je crois que vous ingorez une dimension du problème qu'on ne peut pas ignorer parce que la société a quand même le droit d'exercer cette justice criminelle et de l'exercer sans doute dans les meilleures conditions possibles, mais de l'exercer. Et d'autant plus, en plus de cela, que ce n'est pas même de la compétence de la commission parlementaire ici, que ce n'est pas même de la compétence du Parlement ici puisque le code criminel est une loi de portée générale qui a été adoptée par un autre Parlement et que le code criminel ne peut pas commencer à faire des distinctions entre des agressions qui seraient excusables ou traitables, enfin, pour lesquelles on pourrait trouver des façons spéciales de régler les problèmes, et des agressions, par ailleurs, qu'on trouverait criminelles et qui devraient être traduites devant les tribunaux.

Je crois qu'en tenant compte des deux dimensions, quand on regarde l'article 5 du projet de loi et la constitution du service de protection, c'est à ce niveau qu'on tient compte des deux dimensions et cela ne veut pas dire nécessairement que le directeur va tout de suite mettre en marche la justice criminelle pour punir ou réprimer ces parents-là; il pourra prendre d'autres mesures plus préventives pour éviter la répétition des actes. Je vous demande de tenir compte de cette dimension.

MME JELIU: M. le ministre, si l'objectif du service de protection était explicitement celui d'une réhabilitation des parents, je pense que personne n'aurait fait de remarque particulière à cet égard.

M. CHOQUETTE: II n'y a rien dans l'article qui dit que l'article 5 est la négation justement de cette réhabilitation des parents; au contraire, je trouve que le législateur, au moins dans la rédaction de l'article, a fait un effort pour montrer que les différentes dimensions du problème doivent être conciliantes.

MME JELIU: II y a un autre point au sujet duquel nous sommes tous sur un terrain glissant, c'est que les blessures qui, à un moment donné, vont conduire les parents dans une cour criminelle sont d'une certaine manière le fait du hasard par rapport à d'autres blessures qui ne conduiront jamais d'autres parents en cour criminelle. Autrement dit, il y a une différence essentielle pour certains incidents qui vont mener les parents au criminel et d'autres qui ne les y mèneront pas et qui sont essentiellement les mêmes. Nous n'y pouvons rien.

M. CHOQUETTE: Madame, vous avez une notion, je trouve, complètement faussée de la justice, et une notion, je dirais, courante de la justice. Votre intervention me permet de la rectifier. La justice ne peut pas punir tous les actes coupables, c'est impossible; d'abord ils ne sont pas tous décelés, c'est un très faible pourcentage qui est décelé. Par conséquent, la justicecomparaison, ça ne tient pas. Ce n'est pas parce que le cas d'un tel va devant les tribunaux criminels et qu'un autre cas, parce qu'on n'a pas de preuves, parce que les témoins ne veulent pas parler, parce que le cas ne vient pas à la surface, parce que le cas n'est pas dénoncé, qu'il ne va pas devant le tribunal criminel, que ça veut dire que la justice n'est pas de la justice. La justice fait son possible dans les conditions humaines qu'on vit sur terre. Aller me dire qu'il y a des cas qui vont se terminer devant les tribunaux criminels et d'autres qui ne se termineront pas devant les tribunaux criminels n'infirme pas du tout l'action de la justice. Que voulez-vous que l'on fasse? La justice ne peut être parfaite, pas plus que l'hôpital Sainte-Justine.

MME JELIU: M. le ministre, je m'excuse mais nous ne sommes pas ici, surtout pas moi, pour faire le procès de la justice.

M. CHOQUETTE: ... Non, mais vous avez semblé dire qu'étant donné que tous les cas de parents abusifs ne seraient pas décelés et n'arriveraient pas devant les tribunaux criminels, ceci était une raison de battre en brèche l'action de la justice ou en somme de la considérer comme imparfaite dans une situation comme celle que vous décrivez. Je suis parfaitement d'accord avec vous que l'action de la justice est imparfaite, mais que voulez-vous. Les choses sont telles qu'il n'y a pas moyen de faire autrement, mais ça ne dénie pas la nécessité de cette action.

Et il y a un point, madame, sur lequel j'aimerais corriger un peu l'exposé que vous avez fait ce matin. Vous nous avez dit que la personne, en vertu de l'article 4, qui est obligée de dénoncer, n'est-ce pas, qui a une obligation légale de procéder à une dénonciation, n'a pas d'immunité. Il est exact que le projet de loi ne dit pas spécifiquement qu'une telle personne bénéficie de l'immunité et vous nous avez recommandé d'introduire cela dans le projet de loi.

Cette idée peut paraître assez intéressante de prime abord, mais je voudrais quand même attirer votre attention sur l'article 36 qui dit: Commet une infraction quiconque contrevient à l'article 4 de la présente loi. Ceci veut donc dire qu'en vertu de l'article 36, il y a une

obligation pour toute personne de se conformer à l'article 4. A remarquer, d'abord, que c'est aller très loin que d'obliger quelqu'un à en dénoncer un autre.

Il n'y a pas beaucoup de lois à ma connaissance où il y a une obligation générale sur les citoyens de procéder à des dénonciations.

MME JELIU: Si vous me permettez de rectifier à mon tour pour une fois.

M. CHOQUETTE: Je veux dire qu'à partir du moment où il y a une obligation légale, il y a une immunité implicite, excepté au cas où l'acte de dénonciation aurait été posé, dans un but dolosif ou dans le but de faire du tort délibérément à quelqu'un, sans un motif raisonnable. C'est le cas par exemple de quelqu'un qui va déposer une plainte, une accusation criminelle contre quelqu'un d'autre à la cour. Si elle l'a fait de bonne foi, avec des éléments enfin valables de preuve, même si par la suite, l'accusé est acquitté, cette personne ne peut pas être recherchée en dommages par l'accusé.

Elle ne le peut pas, excepté si l'on prouve que le dénonciateur a procédé dans le but de causer un dommage et sans cause raisonnable et probable contre l'accusé. Nous avons suivi un peu le même modèle lorsqu'il s'agit du dénonciateur en vertu du projet de loi 65. Par conséquent, vous pouvez considérer qu'il y a une immunité pour ceux qui vont dénoncer de bonne foi.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Le député de Dubuc.

M. BOIVIN: Je félicite le groupe de Sainte-Justine de nous avoir présenté ce mémoire. Même en étant médecin, j'en ai appris beaucoup. Le résultat de vos recherches vous fait dire ici qu'il y a 4,000 familles actuellement où des enfants sont maltraités dans la province. Est-ce que c'est trop? Vous avez dit 300 par million?

MME JELIU: J'ai parlé de deux formes de mauvais traitements. Il y a une définition premièrement restrictive où il y aurait violence, blessures chez l'enfant. A ce moment-là, l'incidence serait de 300 par million, ce qui porterait le chiffre probablement, si on accepte cette estimation, à 1,800 enfants dans la province de Québec par an. Le chiffre de 700 par million s'applique à une définition beaucoup plus élargie et ne vise pas seulement les enfants qui sont agressés physiquement, violemment, mais des enfants qui sont négligés, des enfants qui ne reçoivent pas les soins dont ils ont réellement besoin pour vivre normalement, que ce soit pour des raisons variables, des raisons de pauvreté, des raisons de maladie des parents, des raisons de délibité parentale, de maladies psychiques, etc.

Ce chiffre de 4,000 représenterait ce groupe d'enfants qui, d'une certaine manière, mériteraient ce qu'on appelle la protection.

M. BOIVIN: Oui, tout de même, il y en a 1,800. On peut dire, on peut affirmer qu'il y en a 1,800 qui sont réellement maltraités...

MME JELIU: II y en aurait 1,800.

M. BOIVIN: ... avec la définition restrictive. Evidemment, vous nous affirmez le comportement psychologique des parents, de certains parents dans la province, mais ne croyez-vous pas que ces enfants qui sont maltraités deviennent des enfants problèmes? Ne croyez-vous pas qu'un certain nombre de ces enfants sont rejoints par ailleurs par le soin de garde par tout ce que la loi accorde actuellement à la protection de la jeunesse? Ce comportement psychologique de ces parents, il me semble que la suite qu'il devrait avoir, c'est qu'on sensibilise davantage par exemple, au cours de leur formation dans les universités, les médecins, les infirmières, les aides sociaux, tous ceux qui ont le soin de garde et qui souvent ont la garde de ces enfants qui deviennent des enfants problèmes.

Est-ce que c'est trop que d'affirmer, d'après le résultat de vos recherches, que la plupart de ces enfants deviennent des enfants problèmes et qu'ils sont déjà, actuellement, dans des institutions où le gouvernement pourrait faire quelque chose, quelques recommandations pour améliorer la situation?

MME JELIU: II est difficile de définir d'avance ce que deviennent ces enfants. Ce qui est important de retenir, c'est qu'ils peuvent en mourir, d'une part. D'autre part, ils peuvent rester handicapés; à ce moment-là, ils vont recourir à des institutions ou à des facilités hospitalières pour traitements. Surtout, ils vont finir par devenir ce que sont leurs propres parents, c'est-à-dire éventuellement des parents abusifs. C'est là le danger.

M. BOIVIN: Mais est-ce que le résultat de vos recherches ne vous dit pas que ces enfants deviennent des enfants problèmes?

MME JELIU: Ils sont déjà des enfants un peu particuliers. Ce sont des enfants...

M. BOIVIN: Ils aboutissent où, ces enfants? Je vous questionne parce que réellement vous nous dites des choses...

MME JELIU: Je ne suis pas assez vieille pour vous répondre.

M. BOIVIN: ... très sérieuses. Mais je veux savoir parce que vous avez fait des recherches qui méritent considération. Vous nous faites craindre — quand on sait que vous êtes à l'hôpital Sainte-Justine, que vous rayonnez tout de même dans un cercle très limité — pour le

reste de la province. Qu'est-ce qu'il advient de ces enfants? C'est vrai qu'à la campagne la dénonciation est peut-être plus facile parce que les gens se connaissent plus. Mais, je voudrais réellement savoir. Vous nous demandez, aux législateurs, de passer une loi sur une chose très spécialisée. Vous nous dites que, d'après le résultat de vos recherches, il y a 1,800 parents qui ont un tel comportement psychologique. Ce qui m'inquiète, c'est de savoir si tous ceux qui devraient être sensibilisés à la chose, le sont.

MME JELIU: Pour répondre...

M. BOIVIN: Est-ce que vous êtes demandée en consultation à l'hôpital Sainte-Justine? Est-ce que vous donnez des cours? Est-ce que vous êtes demandée pour donner des cours, par exemple, dans les universités, dans les écoles qui ont des contacts avec ces enfants?

MME JELIU: ... de façon très précise à vos dernières questions, il existe effectivement, dans le curriculum prégradué de l'Université de Montréal, des cours qui sont destinés à tous les étudiants en médecine et qui touchent à ce problème en particulier. C'est moi qui donne ce cours. Donc, tous les étudiants en médecine de l'Université de Montréal sont nécessairement sensibilisés au problème. Tous les résidents en pédiatrie, qui passent par l'hôpital Sainte-Justine, sont activement impliqués dans les conférences multidisciplinaires concernant les problèmes qui sont identifiés au sein même de l'hôpital Sainte-Justine. Tous ces pédiatres ultérieurs vont rayonner dans la province. Donc, ils représentent un réservoir professionnel qui possède les connaissances suffisantes, d'abord du point de vue de la sensibilisation à l'égard du problème et, deuxièmement, des connaissances qui leur permettent d'utiliser les ressources communautaires à bon escient pour régler une partie des problèmes. Donc, ceci répond probablement à une partie de vos questions.

M. BOIVIN: Oui. Maintenant, du côté des travailleurs sociaux et des employés du bien-être social, est-ce que vous avez été demandée pour sensibiliser ces gens à ces problèmes ainsi que dans les institutions, par exemple, comme Boscoville, qui, à mon sens, rejoignent une partie de ces enfants qui deviennent des enfants problèmes?

MME JELIU: Alors, pour répondre à cette dernière question, j'aimerais demander au Dr Méthot, qui est pédiatre et qui fait partie du comité des enfants maltraités, à l'hôpital Sainte-Justine, de nous dire quelle est la manière dont certaines autres institutions, comme la Société d'adoption et de protection de l'enfance, ont été sensibilisés aux problèmes. Dr. Méthot.

M. METHOT: M. le député, pour répondre à votre question, je suis aussi médecin à la Société d'adoption et de protection de l'enfance à Montréal. Par les enfants maltraités, battus et présentés au comité de Sainte-Justine, qui était sous la juridiction de cette agence sociale, nous avons été amenés à aller discuter avec la direction de l'agence pour établir un comité à l'intérieur de l'agence, lequel comité fonctionne à raison d'une fois par mois. On se réunit le 1er lundi de chaque mois pour discuter des cas propres à l'agence et des problèmes qui peuvent survenir soit chez les mères célibataires, soit dans les foyers nourriciers. C'est un premier pas vers la sensibilisation d'une agence.

Maintenant, j'ai aussi entendu dire qu'à l'intérieur de la Société du service social aux familles ainsi que de l'Agence Ville-Marie, à Montréal, qui s'occupe aussi du problème des filles-mères, on veut établir des comités.

J'ai fait savoir aux gens de ces deux agences qui n'ont pas encore de comité que nous étions tout à fait disposés à les accueillir à Sainte-Justine et à leur donner des idées, à savoir comment faire fonctionner un comité, quoi surveiller, etc.

M. BOIVIN: Je vous remercie. Réellement, vous nous avez fait connaître des causes qui peuvent occasionner de la délinquance. Le public doit être sensibilisé, c'est vrai. Tous ceux que cela regarde, ceux que j'ai nommés et, en particulier, les médecins, les hôpitaux, dans les cliniques externes des hôpitaux, afin que tout le monde soit sensibilisé pour faire un diagnostic et pour apporter les corrections qu'il faut.

Je m'imagine bien qu'il était peut-être assez difficile d'inclure dans la loi le résultat de vos recherches, mais, réellement, vous m'avez éclairé. Je pense que vous en éclairez beaucoup; avec le travail que vous faites actuellement, vous sensibiliserez tous ceux que la protection de l'enfance regarde.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Dorchester.

M. GUAY: M. le Président, quelques brèves questions à ajouter à celles qui ont déjà été posées. Je dois dire que vous avez apporté une vision un peu nouvelle comparativement à celle qu'on a eue jusqu'à maintenant dans ce travail sur cette loi. Je remarque que, dans votre mémoire, l'argument massue — si je puis me servir du mot — qui soutient votre mémoire, c'est le droit respectif des enfants et des parents.

On a beaucoup parlé, déjà, d'une charte éventuelle des droits de l'enfant. Croyez-vous non seulement possible, mais essentiel que soient définis clairement les droits de l'enfant?

MME JELIU: Personnellement, je ne pourrais répondre que oui. Je pense que c'est essentiel. Mais ceci demande évidemment un travail d'élaboration vraiment en profondeur. J'aimerais demander à Mlle Fillion de parler

plus longuement au sujet de la charte des droits de l'enfant.

MLLE FILLION: Je ne suis pas préparée, aujourd'hui, à parler davantage de la charte des droits de l'enfant. J'admets que j'avais préparé d'autres aspects de la question, mais pas particulièrement celui-là. Bien sûr que je suis en faveur d'une charte des droits de l'enfant dans la province de Québec, mais je ne suis pas prête à en parler davantage.

M. GUAY: D'accord.

M. METHOT: Puis-je répondre au député de Dorchester? Présentement, dans la Ligue des droits de l'homme, on a décidé d'établir une agence de l'enfance. Notre premier but est d'établir une charte des droits de l'homme. Dès que nous nous serons réunis, que nous en aurons discuté et que nous aurons un document à vous présenter, nous le ferons parvenir au ministère.

M. GUAY: Croyez-vous cette charte essentielle pour la bonne application d'une telle loi?

M. METHOT: Oui, parce que, quand on parle des droits de l'enfant... Qu'est-ce que les droits de l'enfant? Personne ne peut nous répondre, ni les avocats, ni les juges, personne. Personne n'a défini, d'abord, quels étaient les droits des enfants dans la province de Québec.

M. GUAY: J'aimerais savoir, parmi les enfants qui sont traités chez vous, d'où viennent ces enfants? Je m'explique. On a entendu dire beaucoup de choses sur certaines institutions qui existent déjà. Est-ce que cela peut arriver qu'il y ait des enfants maltraités à l'intérieur d'institutions existantes? Remarquez bien que je ne voudrais pas vous obliger à répondre. Je ne m'attendais pas non plus à une réponse instantanée.

M. METHOT: Moi, je peux vous en donner une tout de suite. C'est que dernièrement, justement, au comité des enfants battus de.la Société d'adoption, nous avons été mis en face du problème d'une fille-mère qui a vu une annonce de garderie dans la Presse, qui est allée porter son enfant à cet endroit pour la journée et qui, le soir, l'a trouvée pleine de bleus. Elle en a parlé à sa travailleuse sociale, qui en a saisi le comité et on va faire une plainte officielle à la cour du Bien-Etre social pour obtenir une enquête sur cette garderie.

M. GUAY: A part les parents qui conduisent eux-mêmes leurs enfants pour recevoir des traitements, comment sont dépistés les autres cas?

MME JELIU: C'est assez variable, M. le député. Vous pouvez avoir des parents, non pas les parents directs, mais les parents de la famille de l'enfant, qui emmènent l'enfant à une salle d'urgence. Il peut s'agir d'une plainte qui a été faite à la police par des voisins ou par un membre de la famille. Alors les détectives vont mener l'enfant, escortent l'enfant à la salle d'urgence avec ou sans les parents. Parfois il peut s'agir — dans d'assez rares cas malheureusement — d'enfants signalés par les instituteurs en passant par la police ou par les services sociaux. Donc, c'est une répartition assez égale entre toutes ces sources de référence, dont la principale demeure les parents eux-mêmes, ne se présentant pas nécessairement comme des parents abusifs, bien sûr, mais se présentant accompagnés de leur enfant, disant que l'enfant est tombé de façon triviale, présente telle blessure, et qui demandent des soins pour l'enfant. C'est à l'institution, à la salle d'urgence, à la consultation d'établir éventuellement un diagnostic autre que celui d'un accident.

M. GUAY: Est-ce que l'âge de vos patients varie beaucoup?

MME JELIU : La répartition des cas relevés en 1972, sur 60 cas, plus de la moitié étaient âgés de moins de trois ans. Je ne peux pas vous donner les chiffres exacts, je ne m'en rappelle plus. Je ne sais pas si c'est 60 p.c. ou 70 p.c.

M. GUAY: Quelles sont les principales conditions d'admission à l'hôpital Sainte-Justine?

MME JELIU: Qu'est-ce que vous entendez par les conditions d'admission, la gravité?

M. GUAY: Soit la gravité des blessures ou encore la gravité...

MME JELIU: C'est extrêmement variable. Cela va de la simple ecchymose au niveau des joues à la multiplicité des ecchymoses couvrant la totalité des téguments, couvrant également d'autres blessures profondes telles que des fractures. Ce qui est important, bien souvent les fractures sont d'âge variable signant ainsi la répétition des actes d'agression. Il peut s'agir d'hémorragie cérébrale, d'hémorragie cérébro-méningite, d'hématome sous-dural, il peut s'agir de blessure abdominale interne, il peut s'agir de brûlure de cigarette, vous avez tout.

M. GUAY: En résumé, c'est tout cas qui présente une anomalie.

MME JELIU: Non, il y a des travaux qui ont montré, ce ne sont pas des nôtres, cela s'est passé à Rochester en 1966, si mes souvenirs sont bons, en étudiant les enfants se présentant pour traumatisme dans une salle d'urgence de pédiatrie, 10 p.c. des enfants, après enquête, seraient, d'après eux, des enfants pour lesquels les traumatismes des accidents ne sont pas accidentels.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Saint-Laurent.

M. PEARSON: Ce qui m'a frappé dans les développements que vous avez faits, c'est un peu ceci, malgré la meilleure loi au monde, même si nous faisons des efforts pour avoir les meilleures lois au monde, on ne pourrait pas empêcher des gens qui n'ont aucun sens des responsabilités ou qui n'ont pas la maturité voulue de se marier et de mettre des enfants au monde. Vous avez établi une relation assez forte entre la pauvreté et la quantité d'enfants qui vous étaient emmenés. Je pense que dans une espèce de contexte global, on peut peut-être réussir à dénoncer, mais l'enfant est tout simplement le résultat de ce qui s'est passé dans la maison parce qu'il n'y a pas un niveau de vie convenable, ou il y a des parents qui n'ont pas la maturité voulue. Il faudrait même les rééduquer pour leur donner un sens des responsabilités vis-à-vis des êtres qu'ils mettent au monde. Chez d'autres, un acte semblable peut arriver tout simplement parce qu'ils sont sous l'influence de l'alcool. Il y en a pour lesquels il s'agit peut-être de s'affirmer vis-à-vis de quelqu'un ou vis-à-vis de l'ouvrage où ils sont. Ils ne réussissent pas à s'affirmer, alors devant un enfant qui est sans défense, peut-être que psychologiquement, ils se défendent sur lui. Je pense qu'avec toute cette espèce de complexe, avec la loi, on peut peut-être aider à prévenir le pire ou à réparer les pots cassés. A l'école, par exemple — j'ai enseigné pendant un certain nombre d'années — on a vu quantité d'exemples. Il y a un vieux proverbe qui dit que l'enfant s'éduque à la maison, l'école va instruire l'enfant. L'école peut réussir à corriger peut-être en chemin. S'il y avait des lois qui permettaient, par exemple, de castrer certains individus, on réussirait à empêcher de mettre au monde des enfants. S'il y avait quelque chose qui pouvait donner une intelligence un peu supérieure, une affirmation individuelle des individus, mais la loi ne peut pas faire ça. Même si on essaie d'améliorer, il en restera tout de même toujours un certain pourcentage de ces enfants qui seront malheureusement le résultat de gens qui ne sont pas prêts à mettre des enfants au monde.

Le ministère des Affaires sociales, en essayant d'élever le niveau de vie des parents, peut peut-être réussir à diminuer le nombre des enfants maltraités. Maintenant, le reste, ce serait quoi? Qu'est-ce que l'école pourrait faire quand il y a des gens qui vont faire toutes leurs études primaires et secondaires pour essayer de permettre l'affirmation de l'individu qui fera que lorsqu'il sera devenu un homme, il ne sentira pas le besoin, même à l'occasion, de se défendre sur un enfant. Quand ce ne sont pas des enfants, ce sont des épouses.

MME JELIU: M. le député, votre sens de l'eugénisme va très loin. Je suis sûre...

M. CHOQUETTE: Aussi loin que Billy Graham.

MME JELIU: ... que la loi en soi n'est pas un remède, mais elle est certainement un instrument qui peut aider au dépistage et qui peut aider à la mise en place d'autres ressources. Je pense que c'est ce dont nous discutons aujourd'hui.

Il est évident que le texte de la loi ne changera pas la réalité à laquelle nous faisons tous face. Le fait de dépister les gens qui n'ont pas suffisamment de responsabilités et de les castrer, comme vous avez dit, fait penser à d'autres méthodes qui, je pense, n'ont pas leur place pour être débattues ici. J'aimerais quand même souligner un point. Si j'ai laissé, ce matin, l'impression que le syndrome de l'enfant maltraité était un syndrome qui se rencontrait exclusivement dans les couches défavorisées de la société, la réponse est probablement non. Il est probable, il est sûr d'après d'autres auteurs, que des cas de sévices existent dans des milieux favorisés. Mais, ces cas de sévices ne sortent pas.

M. PEARSON: Remarquez bien qu'il ne faudrait pas que vous le preniez en mauvaise part. C'est simplement le contexte des remarques que vous avez faites et des questions qui ont été posées qui m'a amené à faire ces commentaires, tout simplement pour essayer, en somme, moi-même, comme député, de me situer. C'est-à-dire, je ne voudrais pas que, dans la population, on s'imagine qu'en amenant une loi, même la plus parfaite possible, qu'on réussira à régler quand même l'ensemble du problème. On réussit en somme peut-être à diminuer son ampleur, à éviter peut-être le pire. Le problème restera quand même toujours là, parce qu'il y a des facteurs que la loi ne peut pas régler.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Dubuc.

M. BOIVIN: Ne croyez-vous pas que le registre que vous préconiseriez serait un danger en dehors d'un milieu très spécialisé comme le vôtre? Est-ce que le dossier de l'hôpital ne comporte pas d'une certaine façon un registre évidemment pour le rayonnement de l'hôpital Sainte-Justine?

MME JELIU: Disons que les cas que nous avons identifiés de façon certaine ou de façon incertaine, sont tous inscrits, mais ils sont inscrits pour nous, ils ne le sont pas pour d'autres personnes, disons pour les gens de l'hôpital Maisonneuve, pour les gens de Sainte-Jeanne-d'Arc, pour les gens de Notre-Dame, pour les gens du Children's. Ils n'existent pas. Evidemment, le principe de la confidentialité ne nous permet pas, jusqu'à ce jour, tant que nous ne parlons pas de registre officiellement accep-

té, d'aller distribuer des listes d'individus que nous soupçonnons à tort ou à raison d'avoir violenté leurs enfants. Nous ne pouvons pas, dans l'état actuel des choses, nous servir de ces listes et faciliter d'une certaine manière le dépistage d'enfants maltraités. C'est impossible dans l'état actuel des choses. Par contre, si, d'une façon officielle, il existait quelque part dans la province ou dans la ville de Montréal une liste de noms de patients ou de parents identifiés comme étant des cas de parents abusifs, avec certitude ou de façon incertaine mais plausible, cette liste, qui serait confidentielle, pourrait être, non pas consultée en tant que telle, mais on pourrait vérifier si le nom auquel nous pensons, nous, ou toute autre institution, existe sur cette liste. A ce moment, il n'y aurait aucun — comment dirais-je — il n'y aurait pas de... Le principe de la confidentialité ne serait pas rompu. C'est la seule utilité que je verrais à ce registre.

M. BOIVIN: Mais la première question que je vous ai posée est: Est-ce que vous ne croyez pas que, hors d'un milieu très spécialisé comme le vôtre, cela ne comporte pas un certain danger, un tel registre?

MME JELIU: Certainement, oui, il en comporte un.

M. METHOT: M. le député, je voudrais ajouter à ça la liste des parents naturels qui abusent de leurs enfants, mais qu'on oublie — et c'est pour ça que je veux le mentionner ici — c'est la liste des parents nourriciers. On connaît quelques familles de parents nourriciers qui ont abusé des enfants qui leur étaient confiés. Ce qu'on fait alors dans une agence sociale, on retire l'enfant de ce foyer. On n'a aucun pouvoir de divulguer le nom aux autres agences sociales, si bien que, par exemple, dans un foyer nourricier qui appartient à la Société d'adoption, et où il y a un enfant maltraité, on retire l'enfant. Mais ils peuvent très bien aller dans n'importe quelle autre agence, y compris la cour de Bien-Etre social, devenir foyer nourricier puis, recommencer leur petit manège avec d'autres enfants. On n'a aucun moyen, actuellement, d'aviser la cour ou d'aviser les autres agences que ces parents peuvent être considérés ou ont été considérés par une agence sociale comme était des parents abusifs.

M. BOIVIN: Est-ce que ces gens ne sont pas traduits en cour? Est-ce qu'il n'y a pas des jugements qui sortent?

M. METHOT: Pas toujours.

M. BOIVIN: Est-ce que des cas ne devraient pas être rapportés au procureur général et qu'il y ait poursuite pour qu'on règle ces cas?

M. CHOQUETTE: II y a beaucoup de ces cas, j'imagine, qui sont envoyés sous la couverture. Personne n'en entend parler.

MME JELIU: M. le ministre, sur 18 cas où nous avons demandé la protection officielle de la cour et dont deux sont encore en suspens — il s'agit des statistiques de la fin de 1972 — huit ont été refusés. Donc, le fait de demander la protection même à la cour de Bien-être ne veut pas dire que l'article 15 qui était l'article dont on se servait souvent avec une grande facilité et qui nous a été très utile, cela ne veut pas dire que nous avons toujours la protection... Cela reste à la discrétion du juge et, si la protection n'est pas accordée, c'est là que l'enfant est en danger. Donc, quand nous ne sommes pas absolument sûrs de l'avoir, nous nous abstenons de la demander, parce que le danger est trop grand pour l'enfant.

M. CHOQUETTE: J'imagine que le gros problème auquel vous avez eu à faire face et que les juges ont eu également dans ces cas, c'est la question de la preuve. Dans la plupart de ces cas, il est extrêmement difficile de faire la preuve que les parents ont abusé de leur enfant, parce que souvent, l'enfant sera terrorisé, ne parlera pas ou est trop petit. D'autre part, il n'y a pas eu de témoin et les parents vont inventer n'importe quelle histoire pour cacher la vérité. Ces cas sont difficiles à démontrer devant le tribunal. C'est la raison pour laquelle vous avez eu ces huit refus...

MME JELIU: Je suis tout à fait d'accord avec vous mais ce sont justement des cas où il est particulièrement difficile d'établir la preuve au sens criminel...

M. CHOQUETTE: Oui.

MME JELIU: ... particulièrement difficile. Donc, la protection devrait être accordée pratiquement quand on la demande...

M. CHOQUETTE: Oui.

MME JELIU: ... avec des doutes suffisants et raisonnables.

M. CHOQUETTE: Je serais porté à être de votre avis et alors, je ne pense pas que les règles de la preuve en droit criminel devraient s'appliquer, parce que les règles de la preuve en droit criminel sont très exigeantes et, lorsqu'on se trouve devant des cas de cette nature, il faudrait qu'il y ait des indications suffisamment fortes uniquement pour que la protection soit accordée.

M. BOIVIN: Est-ce qu'il n'y aurait pas des parents nourriciers? Des possibilités?

M. CHOQUETTE: Pardon?

M. BOIVIN: Est-ce qu'il n'y aurait pas,

surtout pour des parents nourriciers, tel qu'on nous en parle actuellement possibilité de la part du procureur général de prendre des dispositions pour que les juges prennent en considération les faits?

M. CHOQUETTE: Comme le député de Dubuc le sait, je ne peux pas donner d'ordre aux juges. Je peux seulement porter des cas à l'attention des juges pour qu'ils les jugent. Mais ici, nous sommes sur le plan des principes, de la preuve qui devrait s'appliquer en matière de protection d'enfants qui ont été violentés. Alors, quelle serait la nature de la preuve? Je crois que, dans le contexte du projet de loi 65, la Loi de la protection de la jeunesse, les règles de la preuve sont extrêmement larges et il suffirait que le juge acquière la conviction qu'il y a un danger pour l'enfant pour qu'il puisse être autorisé à prendre des mesures de protection en rapport avec cet enfant. C'est-à-dire le retirer de l'autorité de ses parents ou le placer ailleurs, enfin donner des ordres dans ce sens.

M. METHOT: Pour répondre à une de vos questions de tout à l'heure, M. le député de Dorchester, quand vous avez parlé de l'importance de la création d'un code des droits de l'enfant, je pense, M. le ministre, que l'attitude des juges dépend énormément, quand on dépose une plainte selon l'article 15, de sa perception à lui des droits. Si, pour lui, les droits parentaux priment sur les droits inexistants de l'enfant, l'article ne s'applique pas. Si, par contre, les droits de l'enfant priment sur les droits parentaux, l'article s'applique.

M. CHOQUETTE: Ecoutez, docteur, je ne suis pas en mesure de confirmer ou d'infirmer ce que vous dites, malgré que j'imagine qu'il y ait une bonne part de vrai dans ce que vous dites. Pour moi, dans un cas comme celui-là, il est incontestable que les droits de l'enfant devraient primer, de prime abord. Je donne mon avis comme cela. Parce que les droits des parents ne sont pas des droits absolus. Ils sont un peu de simples fiduciaires ou mandataires pour ces enfants. Mais les membres de la commission auront probablement à un certain moment des entrevues avec les juges ou certains juges de la cour de Bien-Etre, concernant justement le présent projet de loi. Nous pourrons aborder la question avec eux.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Dorchester.

M. GUAY: Pour revenir à la liste dont il a été question tantôt, pour fins de statistiques, si l'un ou l'autre des deux ministères ou même les deux ministres vous demandaient cette liste, est-ce que vous seriez disposé à la leur remettre?

MME JELIU: Qui demanderait cette liste? Je n'ai pas bien compris votre question.

M. CASTONGUAY: Me permettez-vous un commentaire? Lorsque nous demandons des données à des institutions — et nous en demandons de façon régulière pour les fins de l'assu-rance-hospitalisation etc.— nous les demandons toujours dans une forme qui permet de ne pas dévoiler de renseignements confidentiels. Ce sont purement des renseignements statistiques que nous demandons et, sur ce plan-là, s'il y avait eu d'autres types de renseignements demandés au cours des années, les administrations hospitalières, les bureaux médicaux, les corporations professionnelles en auraient fait état.

De toute façon, je ne voulais pas apporter ce renseignement pour interrompre la question ni la réponse, mais je sais que ce sont les mécanismes qui sont présentement pris au ministère.

M. GUAY: Est-ce que la loi sur la protection de la santé publique autorise le ministre à obtenir de tels renseignements? Pas dans ces cas-là?

M. CASTONGUAY: Non. Si vous vous souvenez, nous avions des renseignements au plan de ce que nous appelions les maladies à déclaration obligatoire, maladies infectieuses, contagieuses. Nous avions pensé, dans la première version — et c'était une suggestion du Dr Gingras, directeur de l'Institut de réhabilitation — d'aller un peu plus loin pour identifier des cas. Il avait, à plusieurs reprises dans le passé, fait état de la nécessité, par exemple, d'identifier des enfants qui pourraient souffrir de certains types d'handicap, pour avoir une meilleure connaissance des besoins. Ceci a été rejeté comme pouvant aller trop loin.

Nous en sommes encore, dans la Loi de la protection de la santé publique, à des déclarations sur des maladies contagieuses, infectieuses, des déclarations portant sur le statut des personnes, mariages, divorces, décès, naissances. Mais cela ne va pas au-delà de ça.

M. GUAY: Merci.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): D'autres questions de la part des membres de la commission?

M. METHOT: M. le Président, je voudrais vous faire remarquer qu'il y a un petit point technique. Après Mme Jeliu, Mlle Fillion devait apporter des commentaires d'une travailleuse sociale qui oeuvre en milieu hospitalier face au bill 65.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Très bien.

MLLE FILLION: M. le Président, MM. les ministres, MM. les députés, plusieurs des commentaires que je devais apporter ont déjà été touchés. Je m'en abstiendrai afin d'épargner du temps. Evidemment, à l'hôpital Sainte-Justine, nous voyons des enfants maltraités, mais,

d'après les chiffres qui vous ont été fournis par le Dr Jeliu, vous avez pu en conclure vous-même que ce ne sont pas la majorité des enfants qui sont diagnostiqués et traités à l'hôpital Sainte-Justine.

Les commentaires qui suivent touchent plutôt les autres catégories d'enfants qui sont vus à l'hôpital Sainte-Justine et ils découlent de la pratique quotidienne des travailleurs sociaux oeuvrant dans un hôpital pédiatrique. Les commentaires se rattachent à certains des articles du projet de loi, mais non pas à ceux qui ont déjà été touchés dans le mémoire de l'hôpital Sainte-Justine.

Mes commentaires se rattachent également à certaines abstentions, ce que nous considérons du moins comme des abstentions de la loi, surtout en ce qui concerne une philosophie de la protection de l'enfance. Le premier commentaire se rapporte à l'article 3 du projet de loi.

Il nous apparaît bien arbitraire de poser la question de cette façon, favoriser le maintien de l'enfant dans son milieu naturel comme étant conforme à ses intérêts. Il nous semble que c'est poser la question d'une façon un peu absolue et que cette philosophie devrait certainement être à la base de toute pratique dans le domaine de l'enfance. Mais l'établir comme expression absolue de l'intérêt de l'enfant est faire abstraction de l'individualité des besoins de l'enfant et de l'individualité de son milieu naturel. Je pense que cette remarque est d'autant plus pertinente après tout ce que vous venez d'entendre au sujet du syndrome de l'enfant maltraité.

Le milieu naturel est la meilleure place pour l'enfant pour autant qu'il est adéquat mais évidemment, s'il est gravement préjudiciable et surtout s'il ne répond pas aux méthodes thérapeutiques, je pense qu'il vaut mieux songer à d'autres formes de solution.

Notre deuxième commentaire se rapporte aux notes explicatives du projet de loi qui se trouve à la page 2-A et je cite : "Si l'affaire a été déférée à la cour de Bien-être social, celle-ci procède à une enquête à huis clos, entend les intéressés ou leur procureur et peut, avant de prendre sa décision, exiger la production d'une expertise sur le comportement psychosocial de l'enfant." C'est très bien. D nous apparaît cependant que la cour serait beaucoup plus apte à rendre un jugement pertinent si elle avait également à sa disposition l'évaluation psychosociale des parents et du milieu familial. Il est vrai que d'autres articles incitent les CSS à compléter l'évaluation familiale. Cependant, il nous apparaît bien que ce soit dans les notes explicatives, que la cour non seulement "peut", comme dit le projet, mais "devrait", avant de prendre sa décision, exiger la production de l'expertise sur le comportement psychosocial, non seulement de l'enfant, mais également de ses parents.

De plus, l'évaluation familiale était prévue par la loi et c'est une remarque tout à fait pertinente à un hôpital psychiatrique. En cas d'extrême nécessité, cette prévision officialiserait le mandat des organismes comme l'hôpital pédiatrique, qui ont à poser des diagnostics globaux, c'est-à-dire qui couvrent l'aspect médical et l'aspect psychosocial. Je fais ici allusion aux problématiques psychosociales qui se présentent à prime abord dans les hôpitaux pédia-triques sous forme de problème médical. Dans certains de ces cas, le diagnostic médical ne peut être confirmé, non plus que la thérapeutique appliquée, sans une évaluation psychosociale et un traitement sur ce même plan appliqué et intégré au processus médical. Dans cette situation, les parents qui ont demandé un service médical peuvent résister à des services qui leur apparaissent étrangers à leur demande originale, mais il ne faut pas oublier qu'ils viennent pour un problème qui est perçu par eux comme étant médical et voilà qu'ils voient un service social.

Dans la plupart des cas, grâce à leur formation et aux techniques, les praticiens du service social réussissent à vaincre cette résistance. Toutefois, une prévision officialisant leur mandat pourrait peut-être, en dernier ressort, leur permettre d'accomplir leur travail et faciliter conséquemment l'efficacité du traitement médical et social. Encore une fois, je pense que vous allez faire le rapprochement avec le genre de cas dont vous entendez parler depuis ce matin.

A titre d'exemple aussi, exception faite de ces cas, toute maladie ou perturbation psychique ayant pour cause les parents ou le milieu familial, tels les exigences trop grandes vis-à-vis des capacités des enfants, les abus psychologiques et verbaux, parce qu'il y a des abus physiques qui font sensation et qui attirent notre pitié, bien sûr, les abus psychologiques et les abus verbaux, dis-je, peuvent être tout aussi graves, tout aussi traumatisants pour la personnalité de l'enfant, les refus ou négligences d'application de traitements médicaux prescrits, les conditions de vie physique tout à fait inappropriées à l'humain. Une autre remarque se rapporte à l'article 14, qui donne le droit aux CSS, en cas d'urgence, de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'hébergement obligatoire provisoire de l'enfant. Il nous semble que ce droit devrait être élargi aux hôpitaux pédia-triques. En effet, ces derniers peuvent avoir à décider, durant les fins de semaine ou après les heures de bureau des futurs CSS, l'hospitalisation d'un enfant pour des raisons plus sociales que médicales, — et cela arrive trop souvent, malheureusement — mais tellement grave que ces raisons ne laissent aucun autre choix différent.

En référence à l'article 18...

M. CASTONGUAY: J'aurais une question ici. Lorsque vous parlez d'étendre ce pouvoir...

MLLE FILLION: Aux hôpitaux pédiatri-ques.

M. CASTONGUAY: ... aux hôpitaux pédia-triques, est-ce à cause du fait que, dans certains cas, vous croyez qu'il devrait y avoir hospitalisation de l'enfant et que les parents refusent?

MLLE FILLION: Refusent ou ne refusent pas nécessairement, mais je fais ici allusion aux hospitalisations qui doivent avoir lieu pour des raisons sociales dans un but de prévention ou de protection de l'enfant.

Par exemple, si le médecin prévoit que l'enfant pourra être abusé durant la fin de semaine, ce n'est pas le temps d'aller recourir à la cour, etc. Alors, même s'il ne porte que des ecchymoses, ce qui n'est pas une raison suffisante pour être hospitalisé, et si les parents font une résistance, si la loi prévoyait que l'hôpital peut hospitaliser même si la situation médicale n'est pas très grave...

M. CASTONGUAY: Alors, c'est en définitive vis-à-vis du refus des parents?

MLLE FILION: Un refus ou une résistance.

M. CASTONGUAY: Parce que les hospitalisations, je vous prie de me croire, ne sont pas toutes justifiées au plan médical, dans la province de Québec.

MLLE FILION: En effet, c'est si les parents refusent ou résistent.

M. CASTONGUAY: Alors, disons que nous pourrons en discuter en d'autres moments, mais j'ai des données assez intéressantes.

M. METHOT: M. le ministre, souvent on n'a pas d'autre choix.

M. CASTONGUAY: Je ne dis pas que c'est mauvais, mais j'essaie de comprendre pourquoi on fait cette demande. Est-ce que c'est vis-à-vis des règlements internes de l'hôpital ou vis-à-vis du refus des parents?

MLLE FILION: Vis-à-vis du refus des parents; l'hôpital n'a aucun droit légal pour hospitaliser si la raison médicale n'est pas suffisante. Est-ce que ma réponse est claire et vous satisfait?

M. CASTONGUAY: D'accord.

MLLE FILION: En relation avec l'article 18 maintenant. L'article 18 me paraît comporter certains dangers. Si un cas était porté à l'attention de la cour par une école ou un hôpital et que l'enfant passe à la maison les quinze jours qui précèdent l'enquête, cette situation en elle-même bien anxiogène...

M. CASTONGUAY: On discutait les admissions comme nécessité médicale ou non.

MLLE FILLION: Je m'en doutais un peu.

Mais je ne veux tellement pas que vous manquiez l'autre point que j'ai décidé de vous attendre.

M. CASTONGUAY: Excusez-moi.

MLLE FILLION: Si un cas est porté... C'est que l'article 18 prévoit un délai de quinze jours avant la comparution pour l'enquête. Si un cas a été porté à l'attention de la cour, par exemple par une école ou un hôpital, et que l'enfant passe à la maison les quinze jours qui précèdent l'enquête, cette situation qui devient bien anxiogène, une invitation à passer à la cour dans quinze jours pour un parent peut comporter des dangers pour l'enfant. Ici, je pense particulièrement aux cas d'inceste ou aux cas d'abus parentaux d'enfants d'âge scolaire. Il faut vraiment avoir travaillé avec ces enfants et adolescents pour comprendre combien ils sont terrorisés. Alors, lorsqu'ils parviennent à se confier, ce qu'ils font généralement très difficilement, précisément parce qu'ils sont terrorisés et qu'ils ne font plus confiance à l'adulte... Il n'est pas nécessaire d'avoir énormément d'imagination pour comprendre qu'il faut leur assurer une protection immédiate et non pas dans quinze jours, au moment de l'enquête.

Je faisais une référence à l'article 34, mais M. le ministre de la Justice a répondu tantôt. Alors, des commentaires généraux, particulièrement en relation avec ce que nous considérons comme, peut-être, des abstentions philosophiques. En l'absence d'une charte des droits de l'enfant dans la province de Québec, la loi ne pourrait-elle pas proclamer les droits de l'enfant aux besoins vitaux, bien sûr, mais également à l'éducation, à la santé physique et mentale et aux loisirs?

Puisque je représente un hôpital pédiatrique, je désire m'arrêter aux droits de santé et d'éducation pour tous, prévus, il est bien vrai, dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Cependant, il y a encore malheureusement dans notre province des enfants handicapés physiquement, mais non sur le plan mental, et qui ne peuvent recevoir des services d'éducation parce que les écoles régulières ne peuvent les recevoir à cause de leur handicap. Alors, ma phrase est mal construite: l'handicap de l'enfant et non l'handicap de l'école. C'est ce que j'ai pensé mais évidemment à cause de l'handicap de l'école aussi. Il y a donc deux écoles, si mes connaissances des ressources sont bonnes, dans la province de Québec, pour l'éducation des enfants handicapés physiquement et c'est l'école Victor-Doré qui dessert le territoire de la CECM à Montréal et Cardinal-Villeneuve à Québec. Il y a plusieurs régions qui demeurent non couvertes et plusieurs enfants handicapés physiques qui sont privés d'éducation et qui sont complètement illettrés. De plus, même s'il est compréhensible que les soins ultra-spécialisés ne soient accessibles que dans les grands centres, les dépenses marginales qui incombent aux familles éloignées

de ces centres et dont les enfants ont un besoin indispensable de soins ne devraient-elle pas être reconnues ipso facto comme inhérentes aux droits de santé et être prises à la charge de l'Etat? Je pense ici aux enfants de régions éloignées des grands centres qui doivent être placés dans des foyers nourriciers à Montréal durant des mois ou des années afin de recevoir dans les cliniques externes des hôpitaux des soins essentiels à leur survie.

Je pense même à un sujet qui a été hospitalisé durant deux ans parce qu'un tel foyer n'a pu être trouvé. S'ils en sont capables, les parents paient les frais de pension en foyer nourricier, parce que les soins de santé ne sont pas accessibles dans leur région et s'ils en sont incapables, ils doivent subir le "meanstest" à cause d'une inaccessibilité de soins.

De plus, il me semble que la loi devrait être assez large dans sa conception des droits de l'enfant, car ici il ne s'agit pas de générosité pour permettre sans escalade d'efforts et de luttes stériles, à ceux qui connaissent bien les besoins médicaux et psychosociaux de ces enfants, de leur créer les ressources appropriées des foyers de groupes appropriés ou foyers nourriciers préparés à comprendre les implications de la maladie ou de la pathologie de l'enfant. Ce sont là les principaux commentaires que j'avais à faire en relation avec la loi.

Ici, j'en aurais un, un peu improvisé, qui serait un complément de réponse à celle que le Dr Jeliu vous a déjà faite, M. le ministre, en relation avec votre question concernant la relation de l'hôpital pédiatrique avec les agences sociales en ce qui concerne la problématique de l'enfant maltraité.

Vous nous avez demandé si nous travaillions avec les agences et quel était le genre de réponses que nous recevions des agences en relation avec ces problématiques. D'une façon générale, la réponse des agences, leur collaboration, je dirais, est bonne et, pour certaines agences, elle est même excellente. Seulement, la problématique de l'enfant qui souffre du syndrome de l'enfant maltraité, on ne peut pas dire qu'elle est connue depuis plus de dix ans. Elle n'est même pas identifiée, je pense, du moins au grand jour depuis plus qu'une décennie dans notre culture canadienne-française et même dans nos hôpitaux pédiatriques. A plus forte raison, elle n'est pas connue dans nos agences de service social à la famille et même à l'enfance. Pourquoi? Bien, pour une raison très simple. J'ai moi-même une expérience dans une agence familiale, moins prolongée peut-être que dans un milieu hospitalier, mais quand même assez prolongée pour pouvoir en parler. Cette problématique ne se présente pas dans les agences sociales ou, du moins, elle n'est pas identifiée. Si les parents emmènent leurs enfants blessés à l'hôpital, ce n'est pas qu'ils veulent nous faire identifier leur problématique psychosociale, mais c'est parce que certains d'entre eux ont peur que l'enfant meure et ils ne veulent pas être meurtriers; ils n'avaient pas l'intention de le tuer et ils viennent pour que l'hôpital, le médecin le guérisse. Les agences ne le connaissent pas. Tout ceci crée une philosophie de pratique différente. Les services sociaux d'hôpitaux, s'ils se sont autant engagés envers cette problématique, n'ont pas eu le choix. Ils voient les enfants blessés et, je pense, que vous avez tous expérimenté aujourd'hui la réaction que nous avons lorsque nous nous faisons décrire les blessures des enfants maltraités. Nous n'y croyons pas, ce n'est pas possible.

Les travailleurs sociaux et les conseillers sociaux des agences sociales n'échappent pas à cette réaction. Or, dans le premier temps de notre désir d'associer les praticiens des agences sociales à développer une expertise, à développer une expérience face aux diagnostics et aux traitements de ces enfants et de ces familles sur le plan psychosocial, nous avons ressenti cette première résistance, qui n'était pas un refus de collaboration, mais une réaction très humaine de ne pas y croire. Ils y croient beaucoup plus maintenant parce que malheureusement ils ont, eux aussi, expérimenté dans leur foyer nourricier cette problématique et ils commencent à comprendre qu'il ne faut pas attendre que ces parents viennent nous demander de l'aide psychosociale, mais qu'il faut aller vers eux.

La réponse que nous avons eue, au début, lorsque nous avons voulu les associer, c'est que ce genre de parents ne sont pas motivés pour recevoir une aide psychosociale. Il y a tellement de gens qui sont motivés; il faut leur accorder d'abord notre attention et cela peut être une perte de temps que d'aller vers ceux dont la motivation est moindre.

En toute justice pour les agences sociales, je dois admettre que cette réponse se fait de plus en plus rare et qu'ils travaillent de plus en plus en collaboration avec nous à développer une expérience et à acquérir une compétence dans l'évaluation de ces foyers et surtout dans le traitement social approprié envers ces foyers.

Comme le Dr Méthot vous le disait tantôt, nous en avons déjà trois qui viennent à Sainte-Justine pour discuter de ces problèmes avec nous, à l'occasion de cas très particuliers. Une quatrième viendra très prochainement. C'est la grande agence familiale de Montréal qui viendra très prochainement assister et surtout participer, pas passivement, mais à titre de participant très actif dans cette perspective. Cela a été discuté avec les autorités de la Société de service social aux familles de partager les responsabilités par rapport aux développements de ces ressources dont nous parlions tantôt, qui n'impliquent pas nécessairement le temps de professionnels mais d'auxiliaires, pas nécessairement bénévoles, mais d'auxiliaires que nous pourrions former, superviser et à qui nous accorderions le support requis.

C'étaient là mes commentaires.

M. CASTONGUAY: M. le Président, je vou-

drais simplement attirer l'attention, compte tenu des commentaires que vous avez faits sur les cas d'urgence, sur l'article 33 du projet de loi. Je crois qu'il y a peut-être là un aspect qui n'a pas ressorti lorsque vous avez parlé des cas d'urgence et des délais.

MLLE FILLION: Est-ce qu'il y aurait moyen, en fin de semaine?

M. CASTONGUAY: Bien oui, il s'agit de trouver le juge. Le juge, on ne le fait pas se matérialiser par la loi; on essaie, et je pense qu'ils en sont de plus en plus conscients. D'ailleurs, le problème a été soulevé par certaines institutions et on en a discuté avec les deux juges en chef aux fins d'assurer la présence de juges, justement, pour de telles ordonnances, même en fin de semaine.

Pour ma part, je voudrais remercier les personnes qui ont collaboré à la préparation de ce mémoire ou des commentaires et également ceux qui ont formulé les commentaires qui ont été ajoutés et les assurer que, même si la première réaction est parfois — comme vous l'avez dit vers la fin — de ne pas croire que ces situations existent, je peux vous assurer que nous allons prendre vos commentaires en sérieuse considération et que nous sommes bien convaincus que les problèmes que vous avez exposés ici sont des problèmes réels, qui existent. Et je voudrais vous remercier.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Je remercie infiniment les représentants de l'hôpital Sainte-Justine.

J'inviterais le représentant de l'Association des officiers de probation du Québec Inc.

Association des officiers de probation du Québec Inc

M. AUDET (Réal): Puis-je procéder à la présentation du mémoire, quitte à aller souper et revenir discuter après?

M. le Président, mon nom est Réal Audet, représentant de l'Association des officiers de probation du Québec. J'ai le plaisir de vous présenter mes collègues: A mon extrême gauche, M. Gérard Cyr, agent de probation; M. Claude Racine, criminologue; à ma droite, Mlle Marie-Anne Harvey, criminologue, et à mon extrême droite, M. Louis Martin, agent de probation.

M. le Président, MM. les ministres, MM. les membres de la commission parlementaire, messieurs, l'Association des officiers de probation du Québec Inc. apprécie l'occasion qui lui est maintenant donnée de contribuer d'une certaine façon à l'étude du projet de loi 65 sur la protection de la jeunesse. Soit dit en passant, notre association est de celles qui ont le plus vivement souhaité une participation authentique au niveau de l'élaboration et de la préparation du projet de loi 65. L'AOPQ a été fondée en 1967, en vertu des dispositions de la troisième partie de la Loi des compagnies.

Dans la ligne des objectifs que lui confère sa charte, l'Association professionnelle des officiers de probation s'est particulièrement manifestée à plusieurs occasions depuis sa fondation, notamment lors de la présentation d'un mémoire à la commission d'enquête sur l'administration de la justice au Québec en 1968, et, en 1971, lors de ses représentations auprès du Solliciteur général du Canada, relativement au projet de refonte de la Loi des jeunes délinquants.

H faut reconnaître que la présence de notre association à cette commission parlementaire s'inscrit tout simplement dans le processus de continuité du mandat qu'elle s'est donné en vue de promouvoir les changements sociaux susceptibles d'améliorer notre système de protection juridico-sociale au service de l'enfance. Si l'on considère que les rôles et les responsabilités de la probation des juvéniles se définissent spécifiquement en fonction de la protection et de la réadaptation sociale des jeunes délinquants et prédélinquants en milieu ouvert, nous trouvons cependant déplorable que l'on ait négligé de mettre réellement à profit la riche expérience des agents de probation du Québec dans le processus de la préparation de la présente pièce législative.

Est-il nécessaire de préciser que, depuis 1968, les services de probation du Québec ont aidé plus de 35,728 jeunes en difficulté? Cette clientèle était constituée de jeunes délinquants, de prédélinquants et de protégés judiciaires. Pour l'année 71/72, les statistiques de la probation nous révèlent que 2,745 jeunes délinquants ont bénéficié d'un traitement en probation tandis que 1,740 prédélinquants ont reçu l'assistance professionnelle dispensée par nos services.

A partir de ces faits, nous tenterons de vous faire part des espoirs de l'AOPQ face au projet de loi 65. Nous nous permettrons d'abord une brève analyse de ce projet. Nous soulignerons ensuite les points saillants de notre mémoire et, pour terminer, nous formulerons les recommandations que nous considérons essentielles dans le corps de la préparation d'une loi moderne axée sur les réalités actuelles de la jeunesse et de la famille québécoises.

Les espoirs de l'AOPQ face au projet de loi 65. Les leçons tirées de l'expérience, les conceptions modernes de la prédélinquance et de la délinquance juvénile et l'examen quotidien des problèmes actuels reliés à la protection sociale et judiciaire de l'enfance ont toujours été dans le passé des éléments de réflexion et de sérieuse préoccupation de l'association.

Nos véritables préoccupations s'orientent donc vers l'urgente nécessité d'une réforme globale de façon à ne plus nous contenter de correctifs immédiats et temporaires, mais à nous attaquer à des changements plus profonds et plus durables. Evidemment, l'amorce de la préparation d'une nouvelle loi de la protection

de la jeunesse venait renforcer les espoirs d'un renouveau prometteur dans ce secteur de l'enfance, secteur si longtemps délaissé à la réflexion sociale, comme l'a déjà reconnu le ministre des Affaires sociales.

Cependant, cette nouvelle loi de la protection de la jeunesse telle que présentée a diminué considérablement les espoirs. Aujourd'hui, nous voulons profiter de cette commission parlementaire pour apporter notre humble contribution. Cette contribution se situera dans la tradition des espoirs exprimés dans le passé, à savoir que l'actuelle Loi de la protection de la jeunesse doit faire l'objet d'une refonte complète. Pourquoi? Pour mieux satisfaire aux besoins modernes des enfants et des familles québécoises. Ces besoins en raison de leur complexité et de leur interrelation, ne sauraient être satisfaits par une loi timide telle que le bill 65 dont le cadre d'application est trop restreint.

Le législateur, pour être efficace dans le domaine qui nous préoccupe, doit dépasser les symptômes pour s'attaquer aux causes des problèmes identifiés au niveau de l'organisation sociale. A cet égard, une nouvelle Loi de la protection de la jeunesse doit refléter une pensée psycho-juridico-sociale. On entre donc ainsi de plain-pied dans la compréhension des phénomènes individuels et collectifs de l'enfance et de la famille.

Dans l'optique de ces espoirs, il nous parait injustifié de considérer comme extérieurs ou strictement corollaires les aspects qui, dans les différents mémoires, se situent en dehors du cadre très limité du présent projet de loi.

Ces aspects sont indissolublement liés à la protection de la jeunesse et aux causes de la problématique sociale identifiées sous ce chapitre. Les reléguer aux calendes grecques, sous prétexte que le présent projet de loi ne constitue qu'une amorce ou que des études sont actuellement en cours, serait, à notre avis, faire preuve d'irréalisme.

En fait, il faut bien se rappeler tout le temps écoulé avant que l'actuelle Loi de protection de la jeunesse ne soit remise en question. Nous reconnaissons le bien-fondé d'une réforme législative dans le domaine de la protection de l'enfance. Nous reconnaissons certains aspects positifs du présent projet. Cependant, nous sommes quand même forcés d'admettre, après étude, que le bill 65 nous a particulièrement déçus dans son ensemble.

Ce n'est pas notre intention de reprendre ici un à un les nombreux aspects lacunaires de ce bill, étant donné que d'autres organismes ont déjà eu l'occasion d'exprimer devant cette commission des opinions que notre association partage dans l'ensemble. Nous nous contenterons d'insister sur certaines lacunes qui nous paraissent particulièrement inquiétantes.

Au lieu d'une réforme globale de la protection de la jeunesse, ce projet nous propose des changements superficiels, qui ne garantissent absolument pas un fonctionnement plus harmonieux de ce secteur d'activités, en fonction des besoins. Ce projet de loi nous apparaît comme étant de structure administrative plutôt qu'une loi véritablement axée sur les droits, les besoins et les aspirations des enfants et des familles du Québec. Une loi qui collerait davantage aux réalités de 1973 est à souhaiter.

D'autre part, ce projet de loi ne mentionne pas l'accueil réservé aux jeunes délinquants qui comparaissent devant les cours de bien-être social, tout autant que les cas de protection sociale ou judiciaire. Ces jeunes ont le droit d'être traités comme des personnes qui sont dans une phase d'éducation et d'évolution.

Ce projet de loi, par les articles 43 et 44, à toutes fins pratiques, assimile le traitement des jeunes délinquants au traitement des adultes criminels. Pourtant, la loi de la délinquance juvénile, qu'on se plait à dire très punitive, garantit à ces jeunes leur caractère d'enfants ayant besoin d'aide et d'orientation. Il est inadmissible que, pour des raisons fort obscures, l'on considère cette catégorie de jeunes comme des adultes criminels et qu'on traite au même titre.

Ce projet de loi, au ministère de la Justice, crée un service de protection de la jeunesse parallèle aux différents services qui existent déjà au ministère des Affaires sociales, dont les préoccupations sont avant tout d'ordre social et rééducatif. Ce projet de loi semble ignorer les véritables responsabilités qu'ont les parents et adultes envers les enfants. On ne parle des parents et des adultes que pour leur imposer une amende s'ils n'assument pas leurs responsabilités envers l'enfant. Cette menace ne nous semble pas un moyen bien efficace de susciter chez les adultes et les parents cette prise de responsabilité. Cette menace donne encore une teinte répressive à la loi. Ajoutons que les dispositions relatives aux adultes, dans l'article 39 de la loi actuelle en vigueur, chapitre 220 des Statuts révisés du Québec, ne sont pas conservées dans le projet de loi 65. Nous croyons que s'attaquer aux effets sans pouvoir agir sur les causes n'est certes pas une solution adéquate.

Après vous avoir présenté en introduction les impératifs et l'esprit qui a présidé à la préparation du mémoire de notre organisme, vous avez sans doute constaté, à la lecture dudit mémoire, que les points saillants de notre étude se résument comme suit:

Premièrment, les principes fondamentaux. Comme prémices à l'élaboration de cette Loi de protection de la jeunesse, notre association émet certains principes généraux de base, sur lesquels le gouvernement est invité à s'appuyer, en vue de l'adoption d'une législation sociale progressiste et surtout bien adaptée. Vous trouverez ces principes aux pages 3 et 4 de notre mémoire.

Deuxièmement, le respect des droits de l'enfant. L'AOPQ estime que le projet de loi ne respecte pas les droits élémentaires de l'enfant de toujours voir sa qualité d'enfant sauvegardée, d'être éduqué ou rééduqué dans un milieu de

vie le plus près possible du cadre qui lui est naturel. (Référence à la page 9 de notre mémoire.)

L'enfant délinquant et l'enfant protégé. Notre organisme déplore que le projet de loi 65 établisse une discrimination inadmissible entre l'enfant qui a besoin de protection et l'enfant traduit devant le tribunal des jeunes, suivant la Loi des jeunes délinquants.

Nous nous demandons sérieusement pourquoi le jeune que l'on étiquette "délinquant" ne peut pas, en vertu de ce projet, bénéficier des services offerts aux jeunes qui ont besoin de protection. (Référence aux pages 8, 9 et 16 du mémoire).

L'article 43 et ses répercussions. En regard des dispositions contenues dans l'article 43, ce projet de loi fait tomber le jeune délinquant sous le coup de la loi de probation adulte et des établissements de détention pour adultes. Cette disposition nous paraît inacceptable pour de nombreuses raisons que vous retrouverez dans les pages 17 à 20 du mémoire. Pourquoi veut-on faire du jeune délinquant un être à part en associant son traitement à celui de l'adulte criminel?

Cinquièmement, le milieu et l'enfant. C'est un fait que la famille est la cellule fondamentale de la société et qu'elle est tenue d'assumer prioritairement ses responsabilités face au développement et à l'éducation des enfants. Or, à l'étude du projet de loi 65, l'association se demande pourquoi ce projet n'a pas prévu une implication autre que punitive du milieu de vie de l'enfant dans la recherche et l'actualisation de solutions aux problèmes de l'enfance. (Référence aux pages 13 et 15).

Et enfin, sixièmement, les implications du projet de loi 65 sur le jeune délinquant. L'AOPQ donne son point de vue à ce sujet à la page 21. Vous avez sûrement noté que notre mémoire comporte un certain nombre d'amendements au projet de loi 65. Ces amendements, à l'époque, n'avaient qu'un seul but: éviter le pire. Aujourd'hui, nous voulons construire le mieux sur une base que ne saurait nous garantir ce présent projet de loi. En conséquence, et se basant sur le fait qu'une fois adoptée, une loi l'est pour longtemps, l'AOPQ en vient à recommander ce qui suit: Le retrait immédiat du projet de loi 65, et suite à cela, la formation d'un comité ayant pour mandat l'élaboration d'une loi-cadre pour définir les droits respectifs de l'enfant et de la famille et servir d'amorce à la mise sur pied d'un tribunal de l'enfant et de la famille.

A cette occasion, il serait opportun de prévoir l'établissement immédiat de mécanismes permanents de consultation et de participation impliquant tous les organismes officiellement reconnus et représentatifs des praticiens et des cadres oeuvrant dans le domaine de l'enfance et de la famille. Troisièmement, la définition dans une telle loi du rôle et des fonctions des services de probation pour mineurs.

Ceci termine la présentation de notre mémoire. Je me permets, au nom de l'Association des officiers de probation du Québec Inc. de vous remercier de votre attention et nous souhaitons, surtout à la reprise des discussions tantôt, qu'étant donné que nos recommandations sont assez brèves, cela ne veut pas dire que nous n'avons rien à dire, ni que ce n'est qu'un embryon de participation. Nous souhaitons également que, dans un proche avenir, nous aurons cette occasion tant souhaitée de répéter ces approches avec le législateur à la suite d'un projet aussi important que celui de la protection de l'enfance et, surtout, du fait que les agents de probation du Québec sont intimement liés à ce secteur et qu'ils y oeuvrent depuis bon nombre d'années. Je crois qu'il est primordial que nous ayons l'occasion d'échanger le plus souvent possible sur ces questions dans les prochaines semaines, de façon — comme c'est le désir du ministre des Affaires sociales et du ministre de la Justice — de faire une loi mieux adaptée aux problèmes de la jeunesse actuelle. Encore une fois, merci et on espère vous revoir dans quelques minutes.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): La commission suspend ses travaux à ce soir, vingt heures quinze.

(Suspension de la séance à 17 h 50)

Reprise de la séance à 20 h 20

M. HOUDE (Limoilou) (président de la commission conjointe de la justice et des affaires sociales): A l'ordre, messieurs!

L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. CASTONGUAY: M. le Président, je voudrais remercier l'Association des officiers de probation du Québec pour son mémoire. Au lieu de discuter très précisément certains aspects du contenu, il me semble qu'il y aurait peut-être intérêt à essayer de préciser certaines idées ou certains concepts au départ.

J'aimerais que les représentants nous donnent leur conception de ce qu'est la probation. J'aimerais faire référence, en même temps, à ce qui a été abordé, je crois, par la Ligue des droits de l'homme à l'occasion de notre séance de mardi, c'est-à-dire la situation difficile dans laquelle se trouvent actuellement les officiers de probation du fait qu'ils sont appelés à intervenir avant, soit au moment de la rédaction des rapports ou de la constitution des rapports soit présententiels, si l'enfant va devant le juge, ou l'évaluation, et après. J'aimerais partir sur cette base et essayer de clarifier pour savoir si on entend la même chose par les mêmes mots.

M. AUDET (Réal): Vous aimeriez qu'on vous donne un peu une description de nos conceptions de la probation, si j'ai bien compris votre première question.

M. CASTONGUAY: Oui, c'est assez important, parce que le terme dans le projet de loi a un sens très précis et peut-être que justement il y a certains malentendus qui proviennent du fait qu'on discute, d'une part, un projet où un mot a un sens et où, pour vous, ce mot a un sens très différent.

ICI. AUDET (Réal): Si on prend une définition courante, on peut dire que la probation, c'est une mesure juridico-sociale de traitement pour les jeunes délinquants ou prédélinquants. Cela est une définition académique, si vous le voulez.

A présent, la probation comporte quand même différentes tâches, différentes étapes. La probation débute, comme vous l'avez laissé entendre il y a quelques minutes, avant que le juge prenne une décision, et après qu'il l'a prise. Cela nécessite souvent des démarches assez importantes, si vous le voulez, au niveau de la cueillette des données sur la situation familiale, scolaire, physique et médicale d'un jeune. Cela fait partie d'un tout, mais l'agent de probation a déjà commencé une certaine amorce en prenant contact avec tout l'environnement du jeune, en commençant par sa famille, son milieu scolaire, son environnement et, même si la mesure n'est pas encore en pleine vigueur il reste qu'il y a un embryon, une amorce. C'est sûr que le travail nécessité par l'investigation psychosociale nécessite un temps assez important de la part de l'officier de probation. Il arrive souvent, dans certains cas, où un officier a un "case load" assez chargé, que le fait de faire plusieurs enquêtes psychosociales peut diminuer le temps dont il pourrait disposer pour faire une vraie probation.

Je ne sais pas si quelqu'un pourrait compléter ces propos.

M. MARTIN: J'aimerais faire une distinction. Je pense qu'il est assez important de distinguer entre le service et la mesure. Cela me paraît important surtout que, historiquement, le service de probation a dû se situer par rapport à cela et puis, il y a eu une évolution. D'abord, au point de vue historique, au moins dans le Québec, le service de probation a d'abord été un service et ce sont des affaires complètement en dehors de l'officier de probation et de ce qu'il concevait de ses fonctions. Je me rappelle très bien que quand j'ai été engagé au gouvernement, en 1960, j'ai été engagé comme officier de probation. Lors de mon initiation, en cours de route, cela a été une affaire assez claire.

Classiquement, l'officier de probation est chargé d'appliquer la mesure de probation. C'était beaucoup plus de la spéculation que de la réalité. J'ai découvert très rapidement que le service de probation faisait toutes sortes de choses à l'exception peut-être de la probation ou en dernier lieu, en faisant un peu de liberté surveillée. J'ai été plongé dans ce contexte. J'ai été absolument incapable de faire quoi que ce soit pour changer ça. C'étaient des affaires qui étaient là et je n'avais aucune possibilité de ramer contre ce courant qui était là, qui était implanté et qui avait toute une histoire. C'est à partir de ça quand même qu'il y a une évolution qui se fait depuis 1960. Je pense que tout officier de probation a toujours cette confiance très nette que, dans le fond, sa fonction principale est d'appliquer la mesure de probation. Mais cette réalité de l'application de la mesure de probation est une affaire actuellement en bonne voie. C'est une affaire qui se fait surtout par les officiers de probation mêmes. Je le vois un peu comme un combat. C'est à force de lutter contre toutes sortes d'obstacles qu'on finit par tailler cette place et qu'on voit la place que la mesure de probation doit tenir dans l'ensemble des fonctions du service de probation.

Je pense que cette distinction est très importante. Est-ce qu'il y a d'autres gens qui veulent ajouter quelque chose? M. le ministre, a-t-il des précisions à demander?

M. CASTONGUAY: Justement, je vous écoute, et il me semble que ce que vous décrivez est un contenu de la fonction de probation qui s'est développé graduellement au cours des années. Il comporte plusieurs aspects qui sont ceux que l'on retrouve ici comme étant

des fonctions qui, d'après le projet de loi, devraient être dévolues au service de protection: toutes les évaluations préalables aux centres des services sociaux pour uune action plus continue, les mesures à prendre pour la protection de la santé, l'éducation etc. de l'enfant tel que l'indique l'article 11. Le terme probation, que l'on retrouve en fait à une seule place dans le projet de loi lorsqu'on arrive à l'article 43, n'a pas du tout le même sens que celui que vous lui donnez. A ce moment-là c'est restreint à une fonction très limitée, très précise, importante, beaucoup plus précise, qui ne s'appliquerait que dans le cas d'un enfant considéré comme délinquant, où une mesure plus ou moins contraignante lui est imposée par le juge, soit une mesure de liberté surveillée ou un stage en institution obligatoire.

A la base, au départ, sans nier en aucune façon l'importance, bien au contraire, des fonctions que vous décrivez et que vous introduisez dans le contenu du concept probation, il me semble que le terme, à cause de notre évolution, ici au Québec, a pris dans les faits ou par l'usage courant une portée passablement plus large. Il me semble que c'est peut-être une des causes de malentendu de l'analyse qui est faite de part et d'autre de ce projet de loi.

Pour continuer dans ce sens, j'aimerais aussi que vous nous disiez comment dans les faits — il me semble que ça pourrait aider la discussion — on décide si le cas d'un jeune ou d'un enfant doit être traité en vertu de la Loi de la protection de la jeunesse ou en vertu de la Loi des jeunes délinquants, purement dans les faits.

M.MARTIN: Sans référence à un idéal quelconque.

M. CASTONGUAY: Non, non. Comment cela se fait-il J'ai vu les rapports du service de probation, et dans certaines régions, on constate que l'on utilise beaucoup plus la Loi des jeunes délinquants pour les garçons que pour les jeunes filles. Ce sont des différences qui s'expliquent très mal à l'analyse et qui semblent trouver leur racine dans l'application très concrète que l'on en fait. Je pense que ce serait intéressant que vous nous décriviez cet aspect également.

M. AUDET (Réal): En fait, comme vous venez de le faire voir, il y a quand même des disparités opérationnelles dans chaque cour de Bien-Etre, dépendant de la volonté du juge. Dans mon secteur, par exemple, tous les jeunes qui sont amenés à la cour de Bien-Etre social à la suite d'un délit, automatiquement l'article 20 s'applique soit une ordonnance de probation qui nous confie le bonhomme. Cela ne veut pas dire que la première fois que le jeune vient à la cour, il sera confié à la probation; par contre, d'une façon ou d'une autre, s'il a commis un délit, c'est selon l'article 20 qu'un rapport est rédigé. Dans les autres cas, c'est l'article 15. Si le jeune ne s'est pas fait prendre sur le fait, s'il n'y a pas eu de plainte formulée par un policier l'article 15 est appliqué.

M. CASTONGUAY: Justement, vous dites "s'il n'y a pas eu de plainte formulée par un policier". Pourriez-vous élaborer un peu plus concrètement, à savoir comment ce mécanisme de plainte formulée par un policier se déroule et à quoi cela mène par la suite?

M. AUDET (Réal): Aussitôt qu'un policier, que ce soit un agent de la sûreté municipale ou de la sûreté provinciale, est saisi d'une plainte, il fait une enquête et s'il découvre que le jeune est coupable, ou présumé coupable, immédiatement il rédige une déclaration, qu'il fait assermenter par le procureur de la couronne. Finalement, c'est véhiculé à la cour du Bien-Etre social qui convoque le jeune et ses parents. C'est fixé au rôle.

C'est le seul type de référence normale par un policier. La plupart sont comme ça, peut-être 80 p.c. Les autres, qui nous sont référés, le sont souventefois par des organismes de service social.

M. CASTONGUAY: Je m'excuse. Juste avant de passer aux organismes de service social, dans le cas dr policier, il le fait en vertu de quelle loi?

M. AUDET (Réal): La Loi des jeunes délinquants.

M. CASTONGUAY: Pour quels types de délits?

M. AUDET (Réal): A peu près tous les délits qui sont compris dans le code criminel, dans les règlements municipaux...

M. CASTONGUAY: Donnez-en donc une description, seulement par curiosité.

M. AUDET (Réal): Soit avoir enfreint la Loi des alcools ou avoir commis un vol par effraction, cela relève du code criminel; il peut y avoir l'immoralité aussi, cela relève encore des lois pénales.

M. CASTONGUAY: Y a-t-il assez souvent des délits beaucoup plus mineurs?

M. AUDET (Réal): La plupart du temps, mais il reste que le vol... soit conduire un véhicule en état d'ébriété ou sans permis, ainsi de suite. Mais les délits mineurs sont peut-être plus fréquents que les autres.

M. CASTONGUAY: Conduire un véhicule sans permis, est-ce que vous classez ce délit comme majeur ou mineur à 16 ans ou 17 ans?

M. AUDET (Réal): Mineur.

M. CASTONGUAY: Et, malgré tout, ça mène là quand même.

M. AUDET (Réal): Décidément, il n'y a rien qui peut empêcher cela, cela aboutit à la cour. Dans bien des cas, on essaie de rencontrer les chefs de police ou les policiers qui font enquête sur les jeunes pour leur demander de suspendre parfois une plainte quand c'est possible de le faire lorsque le plaignant accepte que ce soit remis à plus tard. Bien des fois, la plainte ne se rendra pas à la cour, mais il y en a quand même un bon nombre qui ont adopté cette procédure. Aussitôt qu'ils ont la moindre plainte, c'est la cour de Bien-Etre social.

M. CASTONGUAY: S'il y avait une étape intermédiaire, elle ne paraît pas dans le projet de loi, présentement. Ce qui ferait en sorte que tous ces cas seraient révisés, avant que l'on poursuive plus loin, par un service de protection. Alors, qu'est-ce que vous diriez du projet de loi?

M. AUDET (Réal): Je trouve que ce serait formidable, à mon point de vue. On éviterait énormément de déplacements et de traumatis-mes chez ces jeunes. Dans une bonne proportion de jeunes, qui ont à être confrontés devant le tribunal — on peut aller au-delà de 75 p.c. peut-être — ce sont des jeunes qui, pour la première fois, ont commis des délits mineurs. En somme, ils ne sont pas de vrais délinquants. Mais, il y a toujours la confrontation devant la cour qui peut, quelquefois, déclencher une délinquance plus marquée. Cela, nous ne le savons pas. C'est toujours assez imprévisible.

M. CASTONGUAY: Alors, oublions, pour le moment, où se situe, dans les structures administratives, le service de protection.

M. AUDET (Réal): Oui.

M.MARTIN: M. le Ministre, je pense qu'il faut faire ici une remarque. Tout en acceptant qu'il serait bien, qu'il serait intéressant, dans l'intérêt du jeune, de faire une telle chose, cela peut poser des problèmes au point de vue légal. Alors, je pense qu'il y a des gens qui vont tenir à cela, et je crois que c'est justifié.

Dans le contexte légal actuel, je pense qu'il serait assez difficile de défendre à un policier, qui veut le faire, de porter une plainte en vertu de la Loi des jeunes délinquants.

M. CASTONGUAY: Oui, mais là, nous parlons de nouvelles lois.

UNE VOIX: C'est dans la nouvelle loi.

M. CASTONGUAY: Nous parlons d'une nouvelle législation.

M. MARTIN : Oui. Je comprends. Mais est-ce que la nouvelle législation peut établir une espèce de primauté à l'égard de la Loi des jeunes délinquants? Je ne le sais pas. En tout cas, ce sont des problèmes légaux. Moi-même, je ne les ai pas étudiés. Enfin, ce n'est pas notre spécialité.

M. CASTONGUAY: Disons que si nous prenons l'hypothèse qu'il soit possible de le faire...

M. MARTIN: Oui.

M. CASTONGUAY: Vous avez l'air sceptique.

M. MARTIN: Oui, je suis sceptique. Je connais nos amis à Ottawa, qui...

M. CASTONGUAY: Oui.

Mais prenons l'hypothèse, parce qu'il reste qu'il y a une loi fédérale et, on essaie de progresser. On nous a fait état dans d'autres mémoires, comme celui de la Ligue des droits de l'homme, de ce qui était fait dans d'autres provinces pour essayer d'éviter cette situation. Je pense que le point soulevé et, si ma mémoire est bonne, c'est la Ligue des droits de l'homme, qui avait un bon mémoire, je crois. Elle avait un travail solide. Il me semble que l'on peut au moins, à ce moment-ci, pour essayer de se comprendre, prendre ceci comme hypothèse.

Alors, si nous donnons à "probation" un sens, tel que je lui donnais tantôt, et que, nous retenons qu'il y a une autre fonction, qui est celle que j'appelle celle de la "protection" — parce qu'on nous a mentionné des difficultés que peut soulever le cumul des deux fonctions — qu'on donne le sens strict de probation. Oublions la structure administrative où se situe le service de protection de la jeunesse. Comment verriez-vous le projet de loi, à ce moment-là? Oublions où se relie le service de protection dans les structures ministérielles. Tenons pour acquis que le projet permet une régionalisation de ce service. Il n'y a rien qui l'empêche. Si on doit le préciser dans le projet, on le fera. Distinguons bien entre le concept de protection et celui de probation. Prenons comme hypothèse que l'on peut avoir cette mesure intermédiaire. Quelle serait votre opinion du projet de loi, à partir de ce moment-là?

M. AUDET (Réal): Lorsque vous parlez de protection, est-ce que vous envisagez aussi la mesure dont vous venez de parler, à l'effet de garantir aux jeunes une intervention immédiate, avant qu'ils ne passent devant la cour?

M. CASTONGUAY: Disons que pour reprendre cela sur un plan chronologique, un cas se présente. Qu'il arrive par un mécanisme ou par un autre. Avant d'aller plus loin, une évaluation est faite par un service de protection, qui peut être régionalisé et qu'on ne situe pas, pour le moment, entre le ministère des Affaires sociales et celui de la Justice.

Ce service dit: Voici, c'est purement un cas de protection. On le réfère, au besoin, à un centre de services sociaux qui voit à prendre des mesures pour assurer sa sécurité, sa santé, les soins dont il peut avoir besoin, etc. Ou bien, il en arrive à la conclusion que c'est vraiment un cas de délinquance. Là, il remet toute son évaluation au juge. Le processus de la cour se continue. Mais cela est réservé à un nombre plutôt restreint de cas. Si le juge dit: On doit prendre telle et telle mesure vis-à-vis de cet enfant, là, la présence et la nécessité, à partir du moment où cette décision a été prise, de l'officier de probation, entrent en ligne de compte. Son rôle commence à ce moment. Mais ce sont des individus différents.

M. BOIVIN: Est-ce que l'on doit comprendre que l'officier de probation serait comme un tuteur de l'enfant? Mais qui le nommerait, même si cela se passe avant? Qui le nommerait tuteur?

M. CASTONGUAY: Ce n'est pas tout à fait un tuteur.

M. BOIVIN: Est-ce que ce ne serait pas le juge qui limiterait la liberté de cet enfant?

M. CASTONGUAY: Non, ce n'est pas tout à fait, à mon sens, un tuteur. C'est plutôt l'intermédiaire qui voit à faire en sorte que, si le juge dit à l'enfant de retourner chez lui, d'aller voir l'officier de probation régulièrement afin qu'il s'assure que l'enfant continue ses études, par exemple, ou d'aller faire un stage — selon toute l'évaluation qu'il avait en main — de réadaptation dans un établissement X... L'officier de probation est celui qui fera le lien pour s'assurer que la réévaluation périodique des progrès est bien effectuée, etc.

M. BOIVIN: ... cela passerait devant la cour quand même.

M. CASTONGUAY: Oui, pour les cas de délinquance.

M. BOIVIN: Oui.

M. CASTONGUAY: Le rôle de l'officier...

M. BOIVIN: Mais dans l'autre cas, si ce n'est pas un délinquant, par exemple...

M. CASTONGUAY: Oui.

M. BOIVIN: ... si c'est un cas de protection de la jeunesse, qui limiterait la liberté de cet enfant? C'est encore le juge !

M. CASTONGUAY: Non.

M. BOIVIN: Ce serait comme un protecteur du jeune citoyen?

M. CASTONGUAY: II n'y aurait pas de limitation à la liberté de l'enfant. C'est que, si c'est un cas de protection, où il est indiqué plutôt qu'il faut apporter de l'aide à la famille, qu'il faut apporter des mesures additionnelles pour assurer une meilleure situation — il y en a toute une gamme — à cet enfant, cela va être le centre de service social, ou l'agence, ou le centre de services sociaux, pour prendre les termes de la loi 65, qui verra à ce que ces mesures soient apportées pour que les causes, qui faisaient que l'enfant avait besoin de protection, soient résorbées ou résolues.

M. BOIVIN: Mais qui va donner l'autorité à ce protecteur ou tuteur de l'enfant? Ce n'est pas le juge. Il faudrait que les parents consentent...

M. CASTONGUAY: Oui, c'est ça.

M. BOIVIN: ... autrement quelle autorité...

M. CASTONGUAY: C'est une mesure volontaire à ce moment-là.

M. BOIVIN: C'est volontaire...

M. CASTONGUAY: C'est une mesure volontaire.

M. BOIVIN: ... donc on n'a pas besoin de passer devant un juge. Mais est-ce que les officiers de probation ont assez d'autorité quand ils ne passent pas par le juge? Je ne sais pas, mais en pratique, qu'est-ce qui arrive?

M. CASTONGUAY: Là, ce n'est pas la probation. Dans ce que je leur demande, je distingue probation de protection, un service de protection au préalable.

MLLE HARVEY: Si j'ai compris votre raisonnement, est-ce que cela ne revient pas à dire que c'est le service de protection qui va décider ce qui est un délit et ce qui n'en est pas un?

M. CASTONGUAY: Dans une très large mesure, oui.

MLLE HARVEY: Mais est-ce que légalement, c'est faisable? Parce que déterminer qui est délinquant, quelle est la structure délinquante, cela peut aller au niveau du diagnostic; mais, strictement, au niveau du délit, de quelle façon cela pourrait-il se faire? Je me le demande.

M. CASTONGUAY: Tant qu'il n'y a pas de décision prise d'en faire une plainte ou une charge... Il reste que cette question de délinquance, si on regarde la loi, c'est à partir du moment où une plainte est portée. Si un enfant vole, par exemple, mais qu'aucune plainte n'est portée, il n'est pas délinquant face à la loi.

MLLE HARVEY: Mais si, effectivement, il y a une plainte de portée, est-ce que vous pouvez donner au service de protection la responsabilité de dire que ce n'est pas un délinquant et de lui faire éviter la cour?

M. CASTONGUAY: Ecoutez, soit qu'on veut faire une loi à caractère punitif ou qu'on veut en faire une qui ne l'est pas. Vous nous dites que la loi est trop punitive. J'essaie avec vous, de faire une certaine clarification des choses. Je prends une hypothèse qui, je crois, est possible. Mais ne me retournez pas la balle parce que c'est vous qui allez rendre la loi punitive.

MLLE HARVEY: Non, c'est parce que je pense aux cas des filles, si je peux aborder ça.

M. CASTONGUAY: Oui.

MLLE HARVEY: Dans la plupart des cas, dans quatre cas sur cinq, ce sont des cas de conduite immorale. Alors, si les parents viennent se plaindre que leur fille a une conduite immorale, ça devient un cas de protection, et, si c'est le policier qui la prend sur le fait, c'est un cas de délinquance.

M. CASTONGUAY: Sauf que, dans ce que je vous mentionnais tantôt, si c'est l'officier de police qui rapporte ce cas, lui, dans son jugement, peut déterminer si c'est un cas de délinquance. Mais, avant que cela aille plus loin, je suggère que si par hypothèse — et je sais que le texte de la loi ne comporte pas ça — il y a une évaluation de faite par une équipe multidisciplinaire, cette équipe en vient à la conclusion que ce n'est pas de la délinquance, mais que c'est un comportement anormal possiblement. Alors il faudrait traiter l'enfant ou prendre des mesures vis-à-vis de son milieu.

MLLE HARVEY: Ce serait idéal; notre but serait qu'on puisse faire la même chose pour tous les enfants, même pour tous les délinquants.

M. CASTONGUAY: Une seconde. Si un jeune tue un autre, par exemple, à un moment donné, il y a une gradation dans les délits. Je pense qu'à certains moments, à un moment quelconque, on entre dans des délits qui font qu'une personne, même si elle n'a pas l'âge de la majorité, commet un crime.

M. MARTIN: Excusez, M. le ministre ce que j'aimerais...

M. BOIVIN: Est-ce qu'il n'y a pas souvent abandon? S'il y a une contribution volontaire de la part des parents, c'est plus facile pour eux, mais s'il y a abandon, par exemple, des parents, s'ils laissent l'enfant à ses caprices, ce ne sera pas facile. Il y a longtemps que le policier attend de le prendre sur le fait pour le leur amener, dans ce temps-là.

M. CASTONGUAY: Oui, mais...

M. BOIVIN: S'il y a une contribution volontaire des parents et qu'il n'y a pas de...

M. CASTONGUAY: S'il y a abandon, encore là, il me semble que c'est un cas au premier titre de protection. Ce qui importe le plus, c'est de s'assurer, à ce moment-là, que l'enfant soit hébergé convenablement, que si par le fait qu'il a été abandonné, son comportement en souffre ou son fonctionnement, il s'agit d'essayer de corriger ça. D'ailleurs, c'est une des choses les plus frappantes. Si on allait au centre d'accueuil de Tilly, au centre Berthelet, je pense qu'on trouverait la même chose. On trouve indistinctement des enfants où c'est clair en parlant, en se faisant raconter leur histoire, qu'ils ne sont pas au bon endroit et que ce dont ils ont besoin, c'est de l'aide et non pas une mesure répressive. Je pense qu'à ce moment-là le centre de services sociaux est bien indiqué, comme l'agence le fait présentement.

M. LAURIN : Comme hypothèse, ce serait la constitution d'un service de tamisage ou un service de première ligne qui filtrerait tout ce qui lui arrive et, après cela, s'il y a lieu, on passerait, dans certains cas, les moins nombreux possible, à l'étape suivante qui est plus légale ou formelle, ou plus judiciaire.

M. CASTONGUAY: Mais vous voyez, le service de protection est déjà là. Ce qui fait retrousser, c'est qu'il est placé — selon un certain nombre de ceux qui sont venus ici — au ministère de la Justice. Je pense que, comme il vient d'être mentionné aussi, une autre des causes de difficulté, c'est que, bien souvent, les jeunes entrent dans le mécanisme par la première décision ou par le premier geste que le policier pose, alors que, lui, n'a pas fait d'évaluation et — qu'est-ce que vous voulez? — le policier se sert des moyens qu'il a. Je ne veux pas mettre en cause la valeur de son travail, mais pour lui, il est policier et quand il a une situation difficile, il a recours à la Loi des jeunes délinquants.

M. LAURIN : II faudrait rendre la plus difficile et la plus rare possible, l'accès au judiciaire; il faudrait que ça passe d'abord par le social, étant donné la plasticité de l'enfant.

M. PEARSON: Je suis d'accord sur ça, parce que le même policier, par exemple, s'il suivait la loi à la lettre pour un adulte, à n'importe quel adulte qui va cracher sur la voie publique, il peut bien lui signifier quelque chose, mais il ne le fait pas. Alors, que pour un enfant... Mais, pour un adulte, tout ce qu'il y aurait de conséquence ce serait de dire que le policier a

manqué de jugement. Mais la conséquence grave pour un enfant, dès sa première expérience vis-à-vis du judiciaire, c'est que ça peut le marquer, contrairement à un adulte. Je pense qu'il faut diminuer le nombre de plaintes possibles.

Tantôt, le groupe qui est devant nous a mentionné qu'une foule de délits mineurs, d'après eux, en autant que j'ai compris, ne devraient pas aboutir au judiciaire. On devrait trouver soit un mécanisme ou une espèce d'orientation qui ferait que le policier hésiterait avant de signer définitivement une plainte. Par exemple, il y a des choses mineures, comme le refus de signer...

M. LAURIN: Surtout après qu'il aura lu le rapport de l'évaluateur, il va hésiter encore bien plus.

M. PEARSON: Oui. C'est ça, en somme, qu'il faut trouver. Je suis d'accord avec le ministre là-dessus, et je pense que le groupe qui est devant nous est également d'accord, au moins partiellement.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Dubuc.

M. BOIVIN: Est-ce que le service de probation n'aura pas trop de responsabilités? Est-ce qu'il serait prêt à assumer cette responsabilité et est-ce qu'il aurait l'immunité du juge pour prendre les décisions qu'il a à prendre devant de telles responsabilités?

M. CASTONGUAY: Le service de protection, dans le sens qu'il a ici, ne pourrait jamais priver un enfant de ses droits. Ce n'est que le juge qui pourra imposer des mesures pouvant limiter, d'une façon quelconque, la liberté ou les droits de l'enfant. Je pense que c'est important que ce soit uniquement un juge qui puisse le faire. L'officier de probation n'agit que par la suite; son intervention ne viendrait et ne vient, lorsqu'on examine le projet, qu'après qu'une décision a été prise par le juge, c'est-à-dire suivre l'enfant lorsqu'il est dans un établissement, suivre l'enfant s'il est en liberté surveillée, suivre l'enfant, au besoin, après qu'il a quitté un établissement.

Dans tous les cas où la liberté, où les droits d'un enfant sont limités, c'est une décision du juge.

M. BOIVIN: Est-ce que l'officier de probation aurait l'immunité du juge? Il me semble que cette responsabilité...

M. CASTONGUAY: L'officier de probation, si son rôle est subséquent à la décision du juge, est un intermédiaire dans une certaine mesure.

M. BOIVIN : Cela passerait toujours devant le juge.

M. CASTONGUAY: Pour tous les cas de délinquance ou tous les cas où la liberté en d'autres termes, d'un enfant ou ses droits peuvent être limités, criconscrits. Ce n'est qu'après que l'officier de probation devient comme un agent qui fait le lien entre la cour et le juge pour permettre de suivre l'évolution.

M. BOIVIN: Mais je croyais que c'était un intermédiaire avant d'aller devant la cour.

M. CASTONGUAY: Dans le moment, dans les faits; mais, ce ne l'est plus dans le projet ici où c'est le service de protection qui fait une première évaluation. Et si l'enfant ne va pas devant le juge, si c'est purement un besoin de protection, cela va être fait de façon volontaire, à moins que les parents ne s'y opposent. Si les parents s'y opposent, il faut obtenir une ordonnance du juge.

M. CYR: M. le ministre, est-ce que vous voyez le service de probation comme tel, dans un deuxième temps? C'est-à-dire que vous avez d'abord le service de protection qui ferait l'analyse, le "screening", le diagnostic et l'orientation de l'enfant vers la ressource, donc le service qui pourrait rendre réellement quelque chose de potable pour envisager un changement de cet individu dans la société, faire en sorte qu'il s'adapte réellement à la société, d'une part. D'autre part, le service de...

M. CASTONGUAY: Ou encore, au besoin, que les mesures soient prises vis-à-vis du milieu, pas seulement vis-à-vis de l'enfant; la famille, le milieu.

M, CYR: D'accord. Dans un deuxième temps, votre service de probation, c'est-à-dire lorsque l'enfant est envoyé vers la probation comme mesure en milieu ouvert, où ce service au point de vue administratif se situerait-il? Est-ce qu'il serait autonome ou de qui dépendrait-il à ce moment-là?

M. CASTONGUAY: Je n'ai pas voulu introduire des questions de structure parce que je ne voulais pas qu'on parle de ministère de la Justice ou de ministère des Affaires sociales parce qu'il me semble qu'au départ, il est important de clarifier les concepts, ce qui est nécessaire pour l'enfant et après ça, on pourra parler des structures.

M. CYR: En d'autres termes, je veux en venir à ceci: le service de probation, de quelle façon peut-on le voir? Est-ce que c'est quelque chose d'autonome, un service spécialement pour l'enfant ou serait-il rattaché à une autre structure? Donc, pratiquement parlant, est-ce qu'il existerait dans votre hypothèse un service spécifique à l'enfant et est-ce qu'à ce moment, l'étiquette qu'on donne à l'enfant, soit de protection ou de délinquance, changerait les besoins de l'enfant?

M. CASTONGUAY: ... Ce que je vois, c'est qu'une fois que le juge a pris une décision et qu'il doit y avoir nécessité d'un lien entre la cour et l'enfant, suite à cette décision — parce que le juge peut bien dire aussi: On referme toute l'affaire; s'il ne le fait pas et qu'il doit y avoir un lien — c'est l'agent de probation ou l'officier de probation qui effectue ce lien.

M. CYR: Lorsque vous parlez d'agent de probation et lorsque vous parlez aussi de protection, dans votre esprit ou dans votre hypothèse, est-ce qu'il y a une distinction au niveau technique entre protection et probation? Ou, est-ce que vous envisagez plutôt le service de probation à l'intérieur du service de protection?

M. CASTONGUAY: Ce sont deux choses complètement différentes, à mon sens.

M. CYR: Est-ce que vous pouvez élaborer un peu plus votre pensée pour qu'on puisse saisir?

M. CASTONGUAY: Le service de protection est une équipe multidisciplinaire qui peut être au plan de l'organisation. On peut retrouver des équipes au plan régional et ce sont ces équipes ou cette équipe multidisciplinaire qui fait l'évaluation, qui constitue tout le dossier et qui détermine si, au premier titre c'est un cas de protection ou un cas de délinquance, à moins qu'il ne s'agisse d'un délit tellement grave, tellement clairement identifié, que ce ne soit clairement un cas de délinquance. Ce service a deux choix: il oriente l'enfant vers les ressources par le truchement du centre de service social comme vous le disiez, ou il l'oriente vers la cour pour deux motifs. Soit que les parents refusent, alors le service n'a pas l'autorité, de lui-même, d'imposer des mesures et il faut obtenir, si c'est purement de la protection, une ordonnance de la cour; ou si c'est un cas de délinquance, il l'envoie à la cour. Une fois que la cour prend sa décision, si c'est purement un cas de protection et que le juge passe outre aux objections des parents, ça peut et fort probablement, ce sera le centre de service social qui va assurer les services requis par l'enfant. Si c'est un cas de délinquance et qu'il doit y avoir une suite, un lien établi entre la cour et l'enfant, ce sera l'officier de probation qui va établir ce lien.

M. CYR: Alors vous voyez, si je comprends bien, le service de probation comme étant une ressource disponible auprès de la cour pour traiter le jeune délinquant en vertu de la Loi des jeunes délinquants.

M. CASTONGUAY: C'est ça.

M. CYR: Disons que l'Association des officiers de probation du Québec que nous représentons depuis déjà longtemps veut s'orienter vers cette optique et je pense aussi que c'est le même voeu que la direction provinciale des services de probation fait, à savoir que les services de probation comme tels devraient, à notre avis, faire de la probation auprès des jeunes délinquants, mais en milieu ouvert. Nous sommes heureux que vous apportiez ce point-ci mais par contre, je pense que mes collègues pourraient peut-être renforcer certaines observations ou certaines remarques que nous pourrions ajouter.

M. CASTONGUAY: Vous dites: En milieu ouvert. Est-ce qu'il n'est pas bon, utile, nécessaire aussi, que ça se fasse en milieu de réadaptation?

M. CYR: C'est-à-dire que la probation, dans le sens où nous l'entendons est une mesure qui est donnée à l'individu en milieu ouvert, dans sa famille, dans son milieu. C'est une action que l'officier de probation ou l'agent de probation fait dans le milieu comme tel, c'est-à-dire auprès de l'école, auprès de la famille, dans le milieu de travail, dans les sports et loisirs, enfin, tout. Son action se situe là, en milieu ouvert. C'est toute une procédure au niveau de la thérapeutique, au niveau du traitement du jeune, de l'amener à changer avec les structures en place. La probation, à notre avis, se situe là, strictement en milieu ouvert. Lorsqu'il est question, par exemple, d'orientation vers une institution, est-ce qu'on peut parler de traitement en milieu ouvert? C'est plutôt une question de — comment dirais-je? — rééducation dans des structures bien données, comme , par exemple, Bosco-ville ou une autre institution.

M. CASTONGUAY: Mais qui fait le lien entre la cour et Boscoville? C'est l'enfant surtout.

M. CYR: L'enfant surtout, d'accord. Maintenant, il y a aussi...

M. CASTONGUAY: Non, mais qui fait le lien?

M. CYR: L'agent de probation. C'est-à-dire que l'agent de probation aurait une autre dimension à ce moment-là, la réinsertion sociale de cet individu, sortant des cadres de Boscoville vers son milieu.

M. CASTONGUAY: Mais avant qu'il sorte de Boscoville, pendant qu'il est là?

M. CYR: C'est ça, maintenir le lien entre l'individu qui se trouve en institution et son milieu naturel, c'est-à-dire sa famille et la cour.

M. CASTONGUAY: Alors, il y a deux fonctions.

M. CYR: C'est exact.

M. PEARSON: Justement, là-dessus, j'ai une question à poser. Il semble, d'après ce que vous avez dit, en somme, que l'officier de probation serait le lien entre le judiciaire et l'enfant. Les officiers de probation qui sont ici ont manifesté le désir d'être déchargés d'une foule de délits mineurs qu'ils n'ont pas énumérés et qui pourraient être énumérés éventuellement, c'est-à-dire qui ne devraient pas normalement aboutir à la cour de façon que l'enfant soit orienté plutôt vers les services de protection que vers vos services à vous. Qui, au moment où l'enfant devrait aller plutôt vers les services de protection, sert de lien entre l'enfant et ces services de protection, étant donné qu'eux servent de lien entre le judiciaire et l'enfant? Si l'enfant s'en va vers la protection, il faut quelqu'un qui soit capable de le suivre. C'est cela que je ne saisis pas.

M. CASTONGUAY: Le service de protection fait l'évaluation, détermine quel genre de mesures peuvent être utiles pour assurer une protection de l'enfant et il y a tout le réseau des services, à partir des centres de services sociaux qui peuvent intervenir.

M. PEARSON : Je comprends, mais actuellement, les seuls mécanismes que l'on connaisse, c'est qu'un policier signe une plainte contre un enfant. A ce moment-là, le juge prend une décision et ce sont les officiers de probation qui servent de lien. Mais, avant que cela se produise, si l'officier ne signe pas de plainte pour un délit mineur, par exemple, refus de circuler ou des choses comme celles-là, qui va prendre la décision de l'orienter vers un service de protection, qui va servir de lien, qui prendra la décision de l'orienter?

M. CASTONGUAY: Cela peut être fait de diverses façons. Cela peut être fait, comme vous le disiez, par le policier au besoin. Mais cela peut être fait par les parents, cela peut être fait par une autre personne, cela peut être fait par une agence, cela peut être fait par la cour, si le cas est rapporté à la cour. C'est aussitôt qu'un cas est identifié.

M. PEARSON: Je comprends. Cela veut dire en somme que le juge lui-même ne sera pas nécessairement obligé d'établir que c'est l'officier de probation. Il peut diriger lui-même l'enfant vers un service de protection plutôt que vers un service de probation. C'est cela?

M. CASTONGUAY: C'est le service de protection qui est préférable à l'action de la cour et qui a comme fonction d'évaluer, d'essayer de déterminer vers quel type de ressource on devrait orienter l'enfant lorsque c'est un problème de protection. Ce n'est que dans les cas où les choses ne peuvent pas être faites volontairement, où il peut y avoir limitation des droits, refus des parents, qu'une ordonnance de la cour peut devenir nécessaire ou dans les cas où il y a vraiment délit où la cour doit intervenir.

M. BOIVIN : Est-ce qu'il serait possible de savoir d'où vous viennent ces enfants? Pour faire suite à la question du député, d'où vous viennent ordinairement ces enfants? Est-ce que cela arrive qu'ils viennent des parents ou est-ce que cela arrive qu'un chef de police vienne vous les conduire sans passer par la cour?

M. AUDET (Réal): Vous voulez savoir quelle référence...

M. BOIVIN: D'où vous viennent les enfants qui vous tombent dans les mains?

M. AUDET (Réal): Comme je le disais, à peu près 95 p.c. par les officiers de probation.

M. BOIVIN : Par la cour?

M. AUDET (Réal): Par la cour. Nous n'acceptons aucun cas si ce n'est pas...

M. BOIVIN: Je me demande, sur le terrain pratique — nous discutons une chose théoriquement, ce serait peut-être idéologique — mais, en pratique, qu'est-ce qui arrive? Ils vous arrivent toujours par la cour?

M. AUDET (Réal): Certainement.

M. CASTONGUAY: Pour répondre à votre question, disons que la situation est telle qu'ils ne peuvent arriver autrement. C'est cela qu'il faut essayer de changer.

M. BOIVIN : Je reviens encore à l'immunité, parce qu'il va y avoir des poursuites — je ne me rappelle pas les noms des lois — mais si l'officier de probation vient s'interposer entre la liberté de l'individu...

M. CASTONGUAY: II ne peut pas. C'est seulement le juge qui peut faire cela.

M. BOIVIN: C'est cela, mais c'est ce qui va arriver. Si on donne les responsabilités aux officiers de probation, ce sont des espèces de juges, des préjuges, si vous voulez, qu'on va nommer pour leur donner l'autorité et l'immunité.

M. CYR: C'est-à-dire que vous avez quand même deux aspects dans cette question, M. le député, à savoir que le service de protection, selon M. le ministre Castonguay, c'est le service qui fera l'étude tout d'abord des cas qui lui sont envoyés, c'est-à-dire que l'enfant peut être référé par ses parents — il est souhaitable et préférable que l'enfant puisse demander sa propre protection — il sera aussi amené par la police. Actuellement, les enfants nous parviennent de la façon suivante. Les parents nous

amènent des enfants au contentieux pour une demande de protection. Là, le procureur de la couronne étudie s'il y a motif sérieux pour la protection. C'est ensuite orienté vers le tribunal pour une enquête judiciaire et le juge décide, après enquête, si réellement il y a motif à protection ou non.

Cela, c'est pour les cas de protection actuellement. L'orsqu'il s'agit de mesures de traitement en milieu ouvert, on nous réfère ces cas-là, donc ces enfants, pour l'étude psychosociale et tout ce qui s'ensuit et nous, nous faisons les recommandations qui s'imposent pour les cas de protection.

Deuxièmement, vous avez les cas de délinquance. Les cas de délinquance nous sont amenés à la cour sur un délit quelconque. Cela peut être un vol d'automobile, cela peut être du vol et du recel de différentes façons, cela peut être pour possession de drogue, de narcotique, enfin toute la gamme de délits possibles. A ce moment-là, une formule mémorandum est envoyée au service judiciaire, ensuite au greffe et orientée vers la cour, donc c'est à l'article 20. Si c'est un premier délit, le juge peut dire tout simplement: J'ajourne la cause sine die. Si l'enfant revient une deuxième ou une troisième fois, c'est alors qu'il est déféré vers le service de probation et l'agent de probation entre en ligne de compte. Vous avez deux aspects: les cas de protection et les cas de délinquance, qui sont amenés, en définitive, par les gens que vous énumérez. Il y a aussi les agences sociales qui nous amènent des cas à la cour pour protection.

M. CASTONGUAY: II faut lire de façon très attentive les articles 5 et suivants et je pense que vous allez voir que les distinctions sont faites de façon passablement claire.

M. MARTIN: II y a quand même une chose que je veux retenir, c'est que, l'autre jour, dans votre hypothèse, que je trouve intéressante — on vous suit, on la développe, enfin je vous laisse la développer davantage, s'il le faut — il reste que telle que vous la posez, on ne peut pas éviter de se prononcer sur l'article 43. Je voulais développer l'affaire, mais je vous demanderais vers la fin de vous prononcer sur l'article 43 parce qu'il y a des suppositions. Vous faites des hypothèses, vous donnez une fonction au service de protection qui actuellement n'est pas claire, qui n'est pas comprise dans le projet. Vous définissez un nouveau service de probation qui n'existe pas actuellement, mais qui pourrait exister. Alors, logiquement, il faut se prononcer sur l'article 43, parce que vous avez posé une question intéressante. Vous nous dites: Si on introduit ces deux éléments dans le projet de loi, est-ce que le projet de loi vous satisfait? On va se prononcer quand vous vous serez prononcé sur l'article 43.

M. CASTONGUAY: Nous avons donc deux services. Un service de protection constitué par la section II et dans le projet, tel qu'il apparaît, il est constitué au ministère de la Justice, il peut être régionalisé, il remplit les fonctions qu'on vient de décrire. 0 y a la cour, il y a aussi, constitué en vertu d'une autre loi, le centre de services spéciaux et les autres ressources et on voit par les articles 8, 9 et 10 comment le directeur de ce service peut faire appel à ces ressources et, une fois passée l'action de la cour, s'il y a action de la cour, il y a le service de probation ou l'officier de probation. Evidemment, il doit être relié à nos structures. Cet officier de probation, comme on l'a vu, joue deux rôles face à l'enfant qui a passé devant la cour, où il est considéré soit comme un jeune délinquant ou encore où ses droits ou les droits de ses parents ont été limités pour des raisons qui apparaissent évidentes, je pense, soit le non-désir de faire les choses volontairement pour assurer une meilleure protection de l'enfant. Si je comprends bien votre question, lorsqu'on arrive à l'article 43, comme il va y avoir des officiers de probation qui ne seront pas dans le service de protection, vous voulez savoir s'ils vont être reliés au service plus large de probation pour adultes.

La question que je vous pose est la suivante : Si, au niveau du ministère de la Justice, où il existe un service de probation pour adultes présentement, il existait une section à l'intérieur de service, une section pour les jeunes, quelle serait votre opinion sur cela?

M. RACINE: A ce moment-ci, M. le ministre, je crois qu'on touche une question de fond qui a été la charnière de toutes les critiques qu'on peut adresser au projet de loi lui-même. Quand on se trouve devant cela, le sort qui est fait aux délinquants est quand même différent. On distingue ici le délinquant, qui est quand même un enfant qui a des problèmes, qui les exprime peut-être différemment de celui qui a besoin de protection. Il les exprime de façon active, de façon délinquante, mais c'est le même enfant, au fond, qui a les mêmes problèmes souvent, mais dont le moyen d'expression est différent.

Je pense que c'est sur ce point qu'il faut s'arrêter avant de prévoir des structures qui vont les différencier dans la pratique et les rattacher à des philosophies également différentes. On ne les considère plus de la même façon. Je ne veux pas faire le procès du ministère de la Justice ou celui d'un autre, mais je pense qu'il faut retrouver exactement la même optique. Il reste un enfant qui a le droit de voir respecter sa qualité d'enfant jusqu'à ce qu'il soit adulte. Et c'est là-dessus que le débat doit partir à notre point de vue.

M. CASTONGUAY: Je vais vous poser une question. En vertu du même raisonnement, prenons l'adulte qui a des tendances délinquantes. Comme c'est un adulte, on n'utilise plus le terme de délinquant mais parfois, on pourrait

l'utiliser quand même. Supposons qu'il a des comportements anormaux et qu'on juge qu'il est dangereux dans une certaine mesure pour ses semblables ou pour lui-même, et on juge aujourd'hui que ce qu'il faut faire de façon de plus en plus acceptée, c'est la réhabilitation. On le considère donc comme quelqu'un qui doit être traité également. S'il y a un service de probation pour adultes, qu'est-ce qui s'oppose à ce qu'il y ait deux sections dans un service de probation, une pour adultes et une pour enfants?

M. RACINE: Remarquez bien que...

M. CASTONGUAY: Je pose la question, parce que c'est très important.

M. RACINE: Lorsqu'on compare les mesures de probation à la page 17 du mémoire, en trois points: Comparaison légale, comparaison psychosociale, comparaison d'assistance rééducative, je crois que ce sont deux perspectives bien intéressantes. Cela serait peut-être un peu long de vous lire tout cela, mais je pense que vous retrouvez là quand même que l'adulte est considéré — on présume, il y a une présomption au point de départ — comme un individu arrivé à plus de maturité, à une certaine maturité, une certaine responsabilité. C'est sûr, comme vous dites et je suis d'accord là-dessus, que sa responsabilité peut être en bonne partie diminuée à cause de problèmes antérieurs, mais l'âge de 18 ans est peut-être une limite un peu facultative qu'il faut mettre à un certain moment, et l'enfant lui-même est dans une situation pas mal différente. C'est un enfant.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Dubuc.

M. BOIVIN: Je ne sais pas si vous avez les statistiques du nombre d'enfants qui passent devant les cours de Bien-être. Combien y a-t-il de condamnations et d'ordonnances? En fait, est-ce qu'il y a des condamnations? Ce sont pratiquement toujours des ordonnances. Cela n'a pas de suite. Un enfant vole $100 et pour faire rembourser les $100 aux parents, il faut prendre des procédures, même au civil. Ce sont toujours des ordonnances. Cela ne serait-il pas plutôt un manque de ressources? Je me rappelle que, lorsque j'étais au ministère, on avait même des condamnations de cour, c'est-à-dire des ordonnances de cour qu'on n'était pas capable de mettre en application parce qu'on n'avait pas de ressources. On disait: On n'est pas capable d'exécuter les ordonnances des juges. Je me rappelle avoir subi la colère des juges parce que nous n'avions pas les ressources pour faire suite à leurs ordonnances. Est-ce que ce ne serait pas plutôt cela que toute la structure qui manque actuellement? Ce ne sont pas les officiers de probation, ce ne sont pas les juges, ce sont plutôt les ressources qui nous manquent.

Cela serait peut-être bon de le dire pour ne pas se renvoyer la balle, renvoyer la balle au juge, renvoyer la balle à l'officier probateur, renvoyer la balle au ministère des Affaires sociales. Si on manque de ressources pour suivre les ordonnances pour le bien de ces enfants, qu'on organise des ressources. Il n'y a pas de condamnation. Il y a des ordonnances la plupart du temps. Je n'ai pas une grande expérience dans cela. J'ai été maire assez longtemps. Quand la police arrête un enfant, cela fait longtemps qu'elle attend le moment précis pour l'arrêter, pour essayer de le faire passer devant le juge, pour le faire envoyer dans un meilleur milieu. Ce n'est pas une condamnation, c'est une ordonnance. Alors, si vous n'avez pas les ressources, pourquoi discutons-nous? Est-ce que la loi apportera quelque chose? Je pense bien que la loi n'était pas si mauvaise, mais, en pratique... Je trouve qu'on ne discute pas assez sur la pratique. Et si on n'a pas les ressources, c'est le temps de le dire.

M. AUDET (Réal): Vous avez certainement raison, M. le député, lorsque vous parlez de ressources. C'est clair que, si on n'a pas d'instrument pour répondre aux besoins, même si vous avez la meilleure loi possible, elle devient presque inopérante. D'ailleurs, ce sont souvent les réflexions que certains juges nous font. Même à l'heure actuelle, dans le contexte de la préparatinon du nouveau projet de loi, je me suis fait dire à quelques occasions qu'en somme, c'était bien beau tout cela, que le tamisage se fasse de différentes façons. ILs ne veulent pas minimiser la valeur de cette mesure, mais, par contre, si on n'a pas de ressources pour répondre à certains cas — je ne dis pas tous les cas, parce qu'il y a quand même des cas où on peut réellement réaliser un travail intéressant — mais dans certains cas marginaux qui nous restent sur les bras, soit par un manque de ressources, de centres de dépannage auprès de chaque cour de Bien-être. Je pense que le ministre est déjà au fait...

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Dorchester.

M. CASTONGUAY: Me permettez-vous seulement un commentaire sur la question des ressources? Il reste que de gros progrès ont été faits au cours des années, et on en a vu un exemple cet après-midi. Il y a 20 ans, Boscoville n'existait pas, et on pourrait refaire l'historique des ressources. Il y a aussi un problème. C'est que, présentement, il y a des enfants qui se retrouvent dans ce système et qui n'ont pas d'affaire là. Cela mobilise des ressources. C'est aussi un des problèmes.

M. BOIVIN: C'est parce que vous n'avez pas d'autres milieux à leur offrir que celui-là, qui est...

M. CASTONGUAY: Quand on envoie un

enfant dans une institution comme le Centre d'accueil de Tilly où on le garde...

M. BOIVIN: Comme un condamné.

M. CASTONGUAY: ... et qu'il n'a pas d'affaire là, on mobilise des ressources inutilement, au mauvais endroit. Il y a le problème des ressources. J'en suis bien conscient et je suis d'accord qu'il faut continuer ce développement. Mais il y a aussi une sorte d'engorgement à certains endroits, pour la bonne raison qu'il y a des enfants qui sont placés dans certains endroits et qui n'ont pas d'affaire là.

M. BOIVIN : Cela, je le veux bien, mais l'autre ressource serait de leur donner soit un foyer, soit une maison comme celle que nous avons visitée l'autre jour, à Boscoville, où ils font un travail extraordinaire, qui n'est pas une prison, qui n'est pas une condamnation pour ces jeunes. Si ce sont ces ressources, il en coûte encore moins cher que l'autre, parce que le punitif coûte encore plus cher. Je me demande si cela ne serait pas bien de faire l'inventaire de nos ressources et d'apporter à ces enfants les ordonnances de la cour qui nous viennent même du service de probation.

M. AUDET: Je pense que la question de l'articl 43 n'a pas encore satisfait à nos désirs. Mlle Harvey aurait quelque chose à dire.

M. CASTONGUAY: Nous vous écoutons et, après cela, c'est nous qui sommes les législateurs.

MLLE HARVEY: Je ne sais pas si vous avez bien compris ce qu'on crée exactement avec le fameux article 43. C'est que, d'abord, s'il a eu un tamisage au départ, si l'enfant est passé devant un juge et a été confié à un service de probation, c'est que déjà son cas est classé comme particulièrement sérieux. Je pense que, déjà, il se perçoit peut-être lui-même d'une façon plus négative. Maintenant, si vous le placez dans un service de probation qui est rattaché à celui des adultes, enfin qui en est une section — peu importe, à notre avis — nous avons l'impression que cela pourrait peut-être, à tort ou à raison, renforcer le sentiment négatif par rapport à lui-même. C'est que cela devient une partie de la probation qui est peut-être, un échelon dans l'engrenage ou enfin dans la perception que l'enfant a de lui-même. Pour la famille et pour la société en général, je pense que cela a un aspect un peu négatif. C'est dans ce sens que nous voulons dire que l'article 43 est...

M. LAURIN: Est-ce que vous savez si le service de probation des adultes, dont le service de probation juvénile serait une partie, était rattaché au ministère des Affaires sociales?

MLLE HARVEY: Nous, je ne sais pas si c'est parce qu'on travaille dans le milieu, mais on est fixé. Du fait que ce sont des enfants, on tient beaucoup à leur garder cette qualité, à en faire quelque chose de tout à fait distinct, même s'ils sont délinquants. Au moins, qu'on ne les rattache pas immédiatement au système criminel des adultes. Je pense en faire quelque chose de bien distinct.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Dorchester.

M. GUAY: On a dit beaucoup de choses. Etant donné qu'on veut éviter au maximum que tous les cas ou presque tous les cas se retrouvent devant la cour, il y a peut-être une façon de le faire, on en a discuté. Est-ce que cela transformerait le rôle de l'officier de probation? Est-ce que l'officier de probation ne pourrait pas à ce moment-là peut-être concentrer beaucoup plus d'efforts sur le retour à la société d'un enfant qui a subi un traitement? Est-ce que, dans le cadre où on en a discuté avec ce service de protection décentralisé régionalement, cela transformerait le rôle que vous avez actuellement, ou si le rôle que vous jouez serait le même?

M. AUDET: Décidément, si le rôle de l'officier de probation se limite à exécuter et à effectuer la mesure de probation, qu'il soit libéré quand même de certains autres travaux de recherche, d'investigation. Je comprends que pour répondre aux besoins du bonhomme, il faut bien le connaître. Et pour le connaître, il faut enquêter. Or, si ce travail d'investigation a déjà été fait passablement grâce à un premier tamisage par le service de protection, décidément cela libère l'officier de probation pour qu'il se donne davantage à son travail de réadaptation, de réinsertion sociale. Que l'enfant soit dans son milieu, qu'il soit dans un foyer substitut ou qu'il soit même dans une institution, l'officier de probation va faire un lien continu entre cet enfant, son milieu et tout son environnement.

C'est ce qui pourrait modifier actuellement le rôle de l'officier de probation, et sa clientèle serait davantage sélectionnée parce qu'on enverrait seulement des jeunes qui ont quand même des structures déliquantes, une conduite qui nécessite un traitement thérapeutique approprié.

M. GUAY: Pour plusieurs cas, je pense que ce serait beaucoup plus expéditif aussi, étant donné que cela pourrait enlever ce qui existe actuellement, même pour les cas de protection, les délais à respecter. Je pense au cas des ordonnances et tout cela. Ce serait peut-être un moyen d'économiser les ressources qu'on a actuellement dans ce domaine. Ce serait peut-être une façon idéale. Je sais que notre comité de recherche en politique est en train de penser ce qu'on a discuté ou de le reformuler et on

tente de faire la lumière, d'apporter des précisions. C'est sans doute la formule de la décentralisation.

Ce que je veux surtout, ce à quoi on doit penser, c'est qu'on doit utiliser les ressources au maximum, ne pas les dédoubler, ne pas en ajouter si on en a assez dans certains cas. Il y a peut-être toute cette question, autant pour l'officier de probation que pour d'autres personnes, travailleurs sociaux ou autres, où on pourra économiser un temps précieux. Cela permettrait peut-être aux cas qui nécessitent réellement un traitement bien arrêté, bien attentif... alors que, comme le disait tantôt le ministre, il y a peut-être des cas qui ne sont pas dirigés au bon endroit, là où on pourrait se dispenser de donner un traitement vraiment prolongé. Du moins, cela m'apparaft comme étant une formule ou, du moins, une partie de formule.

M. PEARSON: Oui, rien...

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Saint-Laurent.

M. PEARSON: ... qu'une petite remarque. Après avoir entendu les officiers de probation, cela m'amène à la réflexion suivante. Si je vous ai bien compris, le policier est celui, en somme, qui signe à peu près 90 p.c. à 95 p.c. des plaintes pour mettre en branle tout le mécanisme, autrement dit, c'est lui qui fait une première évaluation, qui signe la plainte, qui décide, qui pèse sur le bouton pour amener l'enfant devant un juge; personnellement, je suis un peu surpris. Etant donné que c'est lui qui pèse sur le bouton et qu'on a une loi dont les mécanismes sont énormes — je ne dis pas que c'est un manque d'intérêt — mais comment se fait-il qu'on n'ait entendu personne des corps policiers?

Moi, je serais drôlement intéressé à ceux, justement, qui pèsent sur le bouton, ce qui fait qu'ensuite, les agents de probation et tous les autres mécanismes sont obligés d'agir à la suite de la décision du juge. Est-ce qu'il y a des relations entre les officiers de probation, par exemple, et les policiers? Est-ce que ces choses se discutent entre vous ou bien s'il suffit que le policier signe la plainte et décide que ça vient de finir? Vous êtes alors embarqués dans l'affaire et lui s'en va chez lui. Il a décidé. Il me semble qu'il y a cet aspect à examiner.

M. CASTONGUAY: Me permettriez-vous un commentaire sur ça? Le policier, qu'est-ce que vous voulez, ne le fait pas nécessairement par plaisir ou par goût. Il n'a pas d'autre moyen.

M. PEARSON: Je suis d'accord avec vous. Justement, c'est cet aspect; je me dis qu'il y a une responsabilité entre ses mains qui est énorme. Je ne dis pas que c'est par inconscience, mais on a vu tantôt qu'il y a une foule de délits, parfois, ce sont simplement des délits mineurs, mais ils vont embarquer l'enfant pour un certain nombre d'années. Lui, il va signer une plainte contre quelqu'un pour avoir troublé la paix publique ou simplement pour refus de circuler, ce qui a l'air banal; seulement, lui, une fois que c'est signé, il comparaît pour dire que c'est bien vrai qu'il a troublé la paix publique et, ensuite, il s'en va et c'est l'enfant qui est embarqué.

M. CASTONGUAY: Cela dépend également de la décision que prend le juge.

M. PEARSON: D'accord.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Bourget.

M. LAURIN: Pour ma part, M. le Président, étant donné les questions que j'avais déjà posées aujourd'hui, je me réjouis de l'orientation que prend la discussion et des solutions vers lesquelles on semble se diriger.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Est-ce qu'il y a d'autres questions des membres de la commission?

M. RACINE: J'aurais encore un mot à ajouter, s'il vous plaît.

UNEE VOIX: II y a un autre organisme qui attend.

M. RACINE: Cela peut se faire brièvement. Nous avons essayé de vous donner brièvement, M. le ministre, le rationnel de notre motivation vis-à-vis de la non-appartenance du service de protection à la Justice. J'aimerais que vous nous donniez le rationnel de l'appartenance du service de protection au ministère de la Justice, brièvement, au moins une piste.

M. CASTONGUAY: M. le Président, j'ai exposé le projet de loi au début et je pense bien qu'on ne négocie pas ici un projet de loi. Les membres de la commission — c'est le but de ces commissions — posent les questions aux organismes qui viennent présenter leur point de vue. Vous avez toute latitude, par divers moyens, d'exprimer vos points de vue, mais le mécanisme de la commission est prévu pour que les membres de la commission posent des questions à ceux qui veulent faire entendre leur point de vue. J'aurai l'occasion de revenir sur ces questions en deuxième lecture etc., mais ce n'est pas un mécanisme qui fonctionne dans les deux sens.

Je voudrais, toutefois, vous remercier pour ce mémoire et les explications que vous nous avoz données. Je crois que c'est une séance positive et intéressante et je vous en remercie bien sincèrement.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Je

remercie l'Association des officiers de probation du Québec Inc.

J'invite immédiatement l'Association provinciale des institutions pour enfants.

Association provinciale des institutions pour enfants

M. PAQUETTE: M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission, permettez-moi d'abord de présenter notre équipe. Celui qui vous parle, Roland Paquette, président de l'Association provinciale des institutions pour enfants; à ma gauche, M. Armand Tremblay, de l'institution Clair-Séjour, qui est un centre d'accueil pour mésadaptés sociaux affectifs; à ma proche droite, M. Normand Houde, qui est directeur général de notre association et, à l'extrême droite, j'ai le plaisir de vous présenter M. Antonio Boutin qui est de l'établissement Val-Estrie, un centre d'accueil psycho-éducatif.

Notre association est heureuse de l'occasion qui lui est offerte par la commission parlementaire d'apporter sa contribution à l'élaboration d'une loi destinée à protéger la jeunesse. Notre association groupe plus d'une centaine d'établissements à vocations très diverses. Sans doute qu'il aurait été extrêmement intéressant que chacune des catégories de nos établissements se donne l'occasion de vous présenter des mémoires particuliers, compte tenu de sa vocation particulière.

Par exemple, Boscoville, ce matin, vous présentait un mémoire auquel nous avons porté beaucoup d'intérêt.

Donc, tenant compte de l'expérience acquise par nos maisons, nous désirons vous communiquer certaines recommandations qui permettraient de conserver les éléments vraiment positifs de la législation actuelle et vous proposer les modifications qui nous semblent désirables. Pour faciliter et pour que ce soit dans la forme la plus expéditive mais aussi la plus efficace possible, si vous le permettez nous aborderons le texte du projet de loi section par section.

En abordant la section I du projet de loi, nous aimerions souligner cette première considération de notre mémoire. Les jeunes que la nouvelle loi veut protéger offrent des caractéristiques bien différentes. H faudrait, au niveau des définitions, apporter des précisions au terme "hébergement", afin de distinguer entre un hébergement qui n'a pour but que le retrait temporaire d'un milieu nocif et l'hébergement en vue d'un traitement par des spécialistes suivant une thérapie bien définie. De là notre première recommandation que soit précisé le sens du terme "hébergement obligatoire" en distinguant les formes qu'il doit prendre.

Une deuxième recommandation nous paraît également fort justifiée, que les jeunes puissent eux-mêmes se prévaloir des dispositions de l'article 4 de la loi. Il va sans dire que, dans notre esprit, cette dernière recommandation s'inscrit à l'intention des jeunes dont l'âge serait compatible à un tel pouvoir.

Concernant la section II du projet, la nouvelle loi ramène au ministère de la Justice le service de probation. On se demande pourquoi ce retour au ministère de la Justice. Malgré les avantages d'ordre administratif qu'elle peut sembler présenter, cette mesure nous paraît rétrograde et prématurée. Rétrograde, parce qu'elle nous fait revivre une situation qui existait antérieurement et qu'on a voulu corriger en transférant les services de probation juvénile du ministère de la Justice au ministère des Affaires sociales.

Prématuré, parce que les philosophies des services de probation adulte et juvénile sont très différentes. Même si, à la probation adulte, on pense de plus en plus à la réhabilitation du détenu, tout le système de probation est sous-tendu par une philosophie pénale.

Au service de probation juvénile, la réhabilitation est la pierre angulaire d'un système alimenté par une philosophie curative.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoulou): Vous donnez lecture du mémoire que nous avons déjà en main. Pourriez-vous nous donner un résumé des points les plus importants? H est 9 h 40 et nous voulons terminer ce soir avec votre mémoire. Voulez-vous nous donner les points les plus importants?

M. PAQUETTE: Bien, M. le Président. J'aimerais, en poursuivant et en accélérant le plus possible, vous souligner quand même que, à la suite des considérations que j'étais à énoncer, nous recommandons particulièrement, à l'article 3, que soit institué au ministère des Affaires sociales un service provincial de protection de la jeunesse avec ramifications sur le plan régional ou local, tout en tenant compte, évidemment, des disparités régionales.

Nous rejoignons, là aussi, la recommandation des représentants de l'hôpital Sainte-Justine, que vous entendiez ce matin et cet après-midi. Nous recommandons aussi le changement de "ou autre fonctionnaire" par "et autre fonctionnaire" car le "ou" du texte original ne nous semble pas devoir garantir les compétences professionnelles énumérées précédemment.

Pour les recommandations se rapportant à la section III de la première partie, nous voulons insister pour que soit changé "tout centre d'accueil est tenu" par "compte tenu de sa vocation spécifique". En vertu de l'article 14, au deuxième paragraphe, nous souhaitons également que soit prévu un droit d'appel au directeur du service de probation de la part du centre d'accueil qui ne dispose pas, par exemple, du personnel ou de l'équipement pour répondre aux besoins d'un enfant qui lui est envoyé ou qui constate que l'enfant est victime d'une mauvaise orientation.

Concernant la deuxième partie de la section

III, nous dégageons les recommandations suivantes: Que soit changé "peut demander au directeur" par "doit demander au directeur".

Aussi, à l'article 24, concernant la confidentialité, on voudrait que le législateur formule une défense bien stricte concernant toute publication par les moyens de diffusion d'éléments d'un dossier, d'une photo, d'un nom, d'une adresse, des antécédents personnels de l'enfant et de la famille.

Notre association propose également que l'interprétation des dossiers soit faite, aux personnes qui y ont accès, par les spécialistes concernés.

Et, concernant l'article 25, nous considérons que la période de trois jours de calendrier prévue à cet article est trop courte pour monter un dossier.

Au sujet de l'article 28, notre association recommande que soient modifiés les termes en tenant compte des facteurs suivants: Premièrement, nul ne peut prévoir la durée d'un traitement. Deuxièmement, le traitement ne saurait se terminer sur décision de la cour ou à l'âge de 18 ans automatiquement. Et le troisième point, autre que pour fin de traitement, un hébergement obligatoire ne saurait dépasser trois mois.

Ainsi, nous recommandons que le traitement puisse être continué par ordonnance de la cour au-delà de l'âge de 18 ans ou pour la période fixée par la première ordonnance lorsque le centre d'accueil ou le service social pourra justifier une telle requête.

Enfin, concernant les termes de l'article 36, et nous référant aux articles 4 et 7, nous recommandons que soit prévue l'immunité de l'informateur qui présente la plainte. Cette recommandation vous a déjà été mentionnée aujourd'hui.

M. le Président, telles sont les recommandations que nous désirons soumettre à l'attention de cette commission. Nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre à toute question que vous voudrez bien nous adresser.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. CASTONGUAY: M. le Président, je voudrais remercier les représentants de l'Association provinciale des institutions pour enfants aussi connue sous le nom de l'APIE, sans faire de jeu de mots du tout, parce que vous avez été très bref. Pour l'information des membres de la commission, est-ce que votre association groupe les diverses institutions telles que celles auxquelles il a été fait référence depuis deux ou trois jours, plus particulièrement les institutions dans le domaine de la réadaptation des enfants présentant des problèmes de protection ou de délinquance, tels le centre de jeunesse de Tilly, centre Berthelet, Boscoville etc.?

M. PAQUETTE: Pour vous donner un échan- tillonnage de tout l'éventail des établissements qui se trouvent réunis dans notre association, notre directeur général, M. Houde, pourrait vous donner un inventaire très rapide de tous ces différents types d'établissements qui se trouvent réunis dans l'APIE, par exemple, Bosco ville.

M. HOUDE (Normand): M. le ministre, je ne peux sûrement pas vous donner un chiffre exact parce que tout le monde n'a pas fini de payer sa cotisation pour l'année. Mais, sur les 114 ou 116 établissements qui fonctionnent à budget dans la province, nous dépassons régulièrement le nombre de 100. Dans le secteur français, il n'y a que Berthelet et Saint-Vallier, je crois, qui ne font pas partie de l'association. Et, dans le secteur anglais, il y a deux ou trois maisons qui ne font pas partie non plus de l'association. Tous les autres sont membres de TAPIE.

M. CASTONGUAY: Quel est le caractère de permanence de TAPIE? Est-ce que c'est plutôt orienté vers les problèmes de relations de travail ou si vous avez des activités de diverses natures?

M. PAQUETTE: L'APIE, depuis quelques années, a voulu développer des services à l'intention des membres de son association. Son action s'est particulièrement portée sur la connaissance des développements au niveau de l'ensemble du secteur des Affaires sociales. Vous mentionnez le service de personnel. Effectivement, nous avons à nos bureaux un service de consultation pour les services professionnels, service que nous partageons avec un autre organisme, l'Association des foyers pour adultes.

A part ce mécanisme qui est conjoint aux deux associations, TAPIE s'intéresse à former les membres, de la direction et du personnel général des établissements et à éclairer les conseils d'administration à la fois, et aussi le personnel sur les nouvelles orientations, les politiques, et à faire connaître davantage diverses thérapies qui sont bonnes à communiquer.

M. BOIVIN: Donc, votre association comprend toutes les institutions de la province?

M. HOUDE (Normand): Nous commençons avec les mères célibataires, je veux dire avant la naissance jusqu'à 18 ans.

M. BOIVIN: Et combien avez-vous de départements?

M. HOUDE (Normand): II y avait les mères célibataires, il y avait les crèches, et ensuite tous les autres établissements à partir des enfants déficients, légers, profonds, très profonds, les caractériels, les délinquants, les enfants qui sont victimes de leur milieu, d'un foyer désuni, et ainsi de suite. Le nombre d'enfants total dépasse les 10,000.

M. BOIVIN: Est-ce que vous avez des places libres actuellement?

M. HOUDE (Normand): Certains établissements ont des places libres parce que nous ne faisons pas de publicité. Nos maisons sont au service des agences sociales et certains établissements sont obligés de refuser des jeunes, faute d'espace; d'autres ont certains espaces libres mais c'est plutôt exceptionnel, je crois.

M. BOIVIN: Alors, il manquerait des ressources dans ce domaine aussi?

M. HOUDE (Normand): Dans certains secteurs, certainement.

M. CASTONGUAY: Lorsque vous nous avez parlé de la question de l'hébergement obligatoire, si on se réfère à l'article 23 g), il est dit: La cour peut ordonner, par l'intermédiaire d'un centre de service social conformément aux dispositions de l'article 26, l'hébergement obligatoire de l'enfant dans un centre d'accueil, dans une famille.

Le centre de services sociaux, avec les regroupements envisagés, avec les fonctions prévues, aura d'abord un inventaire des ressources dans le territoire desservi et devra être au fait de la situation quant au nombre de personnes qui sont hébergées, aux places disponibles, etc.. Alors, à partir de ce moment-là, justement pour assurer que l'enfant soit bien orienté vers la ressource appropriée, on a l'intermédiaire d'un centre de services sociaux qui aura les données nécessaires, pour éviter que, justement, des enfants se promènent d'un endroit à l'autre, avec les difficultés que cela peut représenter. Pourriez-vous nous dire, en fait, compte tenu des mécanismes qui sont prévus, ici, qu'est-ce qui accroche, selon vous?

M. TREMBLAY (Armand): Je pense qu'il est très heureux que l'on ait proposé que des décisions finales de placement ne relèvent pas d'une décision de cour, mais plutôt d'un organisme qui, lui, est à même de connaître et de choisir les ressources qui sont les plus aptes à profiter à un enfant.

Si on parle d'hébergement obligatoire, là il y a une certaine inquiétude. Naturellement, vous allez me dire: II y a un pendant dans les règlements, qui veut qu'il y ait un contrat de services entre un établissement, un centre d'accueil et les centres de service social. On se dit qu'un contrat de services devra être drôlement précis pour qu'il garantisse à l'établissement qu'on lui référera des cas qu'il est capable d'assumer. Par contre, il y a une inquiétude en termes de centre de service social. On voit là des places. Moi, je dirai que j'ai un centre, par exemple, qui n'a jamais de places. Il n'y a pas de problème, à un moment donné. Le seul problème, c'est que j'en refuse beaucoup et cela choque le monde, mais je n'ai pas plus de places que cela. Il y en aura bientôt parce que nous sommes à la veille d'entreprendre un projet de construction, de le réaliser concrètement.

Le problème, c'est que l'on voudrait aussi que l'agence de service social qui place un enfant assume une part des responsabilités. Vous comprenez, si je me réfère aux enfants qui sont relativement plus jeunes, il est très facile, si un enfant est référé à la cour de dire: Cet enfant-là doit être hébergé, on l'envoie chez vous. Si un enfant est jeune, en l'envoyant à notre institution, cela peut être le type de traitements dont il a besoin, mais ce n'est qu'un aspect des besoins d'un tel enfant, cependant, parce qu'il doit y avoir aussi une action qui est exercée sur sa famille, sur le milieu, et sur le milieu scolaire.

Ce qu'on sait, c'est qu'on nous dira peut-être de prendre l'enfant, mais il n'y a rien qui va garantir à l'heure actuelle qu'eux aussi vont assumer la part de responsabilités correspondante, celle d'assurer à l'enfant une continuité, parce que le placement, dans l'esprit de nos maisons, c'est une mesure de traitement. Dans certains autres cas, c'est une mesure de protection relativement moins importante, parce que c'est peut-être le fait de retirer plutôt l'enfant du milieu que de lui assurer un traitement prolongé. Je pense à certains types d'établissements comme Dominique-Savio. Mais peut-on être certain, par exemple, qu'en vertu de cela, on va faire en sorte que les autres actions qui doivent être exercées parallèlement à celle d'obliger le Centre d'accueil à le prendre vont être faites? Rien ne le dit. C'est une de nos inquiétudes.

L'autre inquiétude, naturellement, c'est que, quand on pense traitement et qu'on pense centre de traitement, on pense à une organisation — là-dessus, je rejoins ce qui s'est dit pour Boscoville ce matin — on rejoint une forme de composition, par exemple, de groupes d'enfants, une sorte de composition d'ambiance maison, une sorte de composition de dynamique intérieure qui est reliée aussi à la qualité du personnel et aussi à certains objectifs que la maison poursuit. Et il arrive qu'on n'ait pas les moyens de le faire.

Si on disait à l'établissement: Fermez un des pavillons et faites de l'hébergement temporaire. Cela peut toujours être fait, mais est-ce que cela correspondra aux objectifs qui avaient été visés par le ministère alors que l'établissement a été construit? Cela, on ne le sait pas. Par exemple, on peut nous imposer, en vertu d'un hébergement obligatoire, des types d'enfants très malades qui auraient besoin d'une attention de nature beaucoup plus psychatri-que. On prend d'énormes responsabilités en s'en chargeant ou on prend également d'énormes responsabilités en les refusant. Parce que, si on les refuse, on a les articles 34 et 35 qui sont là, très sévèrement. Je pense à des enfants prépsychotiques. Il y a des enfants psychotiques qui nous sont référés. Dans certains cas, on peut

aider; dans d'autres, on se sent strictement incapable de le faire. Vous avez des enfants, par exemple, qui font de l'automutilation, de la menace constante de suicide; on est devant des situations où on se dit: Non. Mais actuellement, il n'y a rien qui permet, par exemple, au centre de service social — que je sache — à obliger un hôpital à prendre un tel enfant. Il me semble que, dans la loi en tout cas, cela n'existe pas.

Alors, vis-à-vis de l'hébergement obligatoire, vous comprenez que le compte tenu des buts spécifiques que poursuit la maison nous apparaît important. Si on apprend que, dans un établissement, il y a trois places libres et qu'on décide qu'on a trois enfants en fin de semaine qui devraient y aller... Le mécanisme d'admission prévu dans le cas, par exemple, du centre de service social qui réfère de façon normale et volontaire, n'existe pas dans le cas d'un enfant qui subit le choc de l'hébergement obligatoire.

D'autre part, si un centre de service social décide de placer un enfant, et qu'il n'y a pas réussi par les moyens ordinaires, il n'y a rien qui l'empêchera de demander une protection de la cour et de nous l'imposer de toute façon.

Vous allez dire que cela suppose peut-être un manque de communication, mais dites-vous bien que les centres de service social sont parfois aussi mal pris avec les enfants ou sont aussi à court de ressources que peut l'être l'établissement auquel il réfère l'enfant. A ce moment-là, il trouve un débouché rapide.

M. CASTONGUAY: II faut, je pense bien interpréter cela, par contre, dans le contexte des contrats de service, comme vous l'avez dit, et aussi des règlements de l'établissement, quant aux normes d'admission. Ces règlements, selon la loi 65, prévoient que ces normes doivent être approuvées et connues. Je pense bien qu'il y a là certaines dispositions, d'autant plus que vous avez référé à la situation de l'hôpital, et vous avez dit le centre de service social. Ce dernier n'est pas tenu d'obliger l'hôpital parce que l'hôpital lui-même est tenu directement, dans la situation que vous avez décrite, de prendre action.

M. TREMBLAY (Armand): Mais c'est là que ça devient parfois embêtant, M. le ministre.

M. CASTONGUAY: Je le comprends, mais ce que nous essayons — et c'était la raison de ma question, voir quels étaient vos motifs — c'est qu'on ne se retrouve pas avec des situations comme celles que nous avons vécues à certains moments.

M. TREMBLAY (Armand): Je comprends très bien la préoccupation des législateurs là-dedans.

M. CASTONGUAY: Je vais vous donner un exemple récent, juste à titre d'exemple. Ici, dans la région de Québec, à un moment donné, je suis allé visiter un établissement et on avait là un taux d'occupation loin du taux maximum. Dans un autre, on était dans une situation où toutes les places étaient occupées. Il y avait là un certain nombre d'enfants qui pouvaient être transférés d'un établissement à l'autre mais l'autre s'y refusait tout simplement, pour toutes sortes de motifs. Si on se place du côté de l'enfant, je pense qu'il est assez important de discuter cet aspect.

M. TREMBLAY (Armand): II est important de le discuter mais là on est face à une obligation de recevoir l'enfant. Il est sûr qu'à côté de cela, l'appareil administratif peut vouloir, à travers les CRSSS, par exemple, que l'on répartisse mieux les services. On peut avoir quatre centres d'un même type et il peut nous manquer un centre d'un tel autre type. Cela est évident mais, à mon avis, cela ne fait pas nécessairement partie d'un contexte de loi, et cela me paraît plutôt administratif qu'autre chose.

M. CASTONGUAY: D'accord.

M. TREMBLAY (Armand): Mais quand un établissement, par exemple, se détermine un cadre et qu'on lui reconnaît ce cadre comme étant le sien, à ce moment-là, il est assez important que ce soit respecté. Mais les cas difficiles à apprécier seront ceux de la marginalité. Je ne parle pas de la marginalité qui est due quelquefois à l'âge, comme un enfant de onze ans, par exemple, que l'on ne veut pas prendre dans un centre pour enfants ni pour préadolescents. C'est aux établissements à régler cela et sur un plan administratif. Moi, je travaille depuis vingt ans dans le métier, j'ai travaillé avec des délinquants à Boscoville longtemps et dans l'observation de l'enfant qui était à la cour et maintenant, avec des plus jeunes. Avec les plus jeunes, d'abord, le nombre de cas et le nombre de types de situations que l'on rencontre est surprenant. On a des situations graves. Je vous garantis qu'il n'est pas facile d'apprécier des situations. Dans certains cas, quelquefois, pour faire endosser la responsabilité d'une admission, il faudrait faire signer quelqu'un, comme un psychiatre, parce qu'il est bien reconnu et son geste sera endossé comme une espèce de manière légale, après, quand il sera fait. Il reste que, pendant que l'on est là, pendant que l'enfant se pend au cinquième étage, dans les escaliers, et qu'il dit: Je vais sauter... même avec un personnel très qualifié, les questions se posent. Naturellement, je me dis que si je prenais cet enfant et le ramenais au centre de services sociaux en leur disant: Débrouillez-vous avec lui... On prend un risque trop grand et j'aurais peut-être à me défendre de l'article 34, je ne le sais pas. On dira de toute façon: Si tu n'es pas capable, serons-nous capables nous? Mais il reste que le risque est important et le blâme sera là après. Personne n'aimera qu'un enfant se suicide, que je sache.

M. CASTONGUAY: Non, mais ce qui arrive bien souvent, dans le moment, c'est cela qu'il faut apprécier.

M. TREMBLAY (Armand): Oui, mais encore là, il est bien sûr que s'il y a des lits de libres dans un coin et qu'ils ne s'utilisent pas, et que cela fait longtemps qu'ils ne s'utilisent pas, il peut y avoir un facteur qui est relié au fait que la maison est peut-être mal orientée et un autre facteur qui est relié au fait qu'on a mal distribué les ressources.

M. CLOUTIER (Montmagny): Je voudrais continuer sur ce que l'on vient de dire. Il y a une centaine d'institutions qui font partie de l'APIE. Or, vous disiez tantôt que vous avez des préoccupations, des responsabilités comme association. Je me demande si cet aspect de complémentarité entre les différentes institutions a été assez fouillé, a été assez étudié ou discuté au sein de l'association. Le ministre vient de souligner un des aspects que j'ai vécu aussi. Il arrive qu'une institution est remplie à 110 p.c. ou à 115 p.c. de sa capacité parce qu'elle a été obligée, à un moment donné, d'accepter les enfants, il n'y a pas d'autre solution. Par contre, une autre institution, pas éloignée, si vous voulez, ou dans la même région, fonctionne à 75 p.c. ou 80 p.c. de sa capacité. Il arrive que des cas qui sont dans l'institution surchargée sont des marginaux, des cas qui sont dans des zones grises. Il pourrait y avoir, entre les différentes institutions, la définition de cette complémentarité et que des enfants "border line" supposons, soit par l'âge, soit par le caractère de la déficience, pourraient être classés comme des polyvalents, si on veut. Ils pourraient aussi bien aller dans une institution que dans l'autre. Cela devrait se faire, étant donné le manque de ressources.

Il ne faut pas se faire d'illusion avec le manque de ressources. Ce ne sera pas parce que nous avons la loi 65 que, demain matin, l'Etat va mettre des budgets peut-être plus considérables dans ce secteur. Nous n'aurons pas tout de suite les établissements et les projets de construction auxquels vous avez fait allusion, cela prend encore 18 mois, deux ans, deux ans et demi, trois ans. Pour cette période, je pense qu'il y aurait une espèce de priorité à établir dans ce secteur des ressources, afin de bien établir la complémentarité. Je reviens sur une remarque que je faisais ce matin ou hier. On nous a fait remarquer cela dans nos visites à Québec. Nous avons visité deux institutions et à un endroit la directrice nous a dit qu'on avait commencé des rencontres, il y a quelques mois, justement pour discuter du problème de la complémentarité des ressources. On nous a représenté cela comme étant une initiative nouvelle. Cela s'était peut-être fait, mais cela s'était fait d'une façon sporadique. Et là, il semble que cela se fera d'une façon beaucoup plus rigoureuse et beaucoup plus scientifique, beaucoup plus suivie et cela pourrait nous permettre de déboucher sur une solution. Pour ma part, je comprends que quand un cadre a été tracé à une institution, elle ne peut pas recevoir n'importe quel genre de clientèle, c'est évident. Comme vous l'avez mentionné tantôt, vous allez vous retrouver avec des situations qui sont pires, peut-être, que la situation que vous vouliez corriger. Il y a des clientèles qui sont tellement disparates, un moment donné, qu'il est absolument impossible de les loger à l'intérieur de la même institution. On s'est même déjà prononcé contre cela, la trop grande diversité de la clientèle. Mais entre des deux extrêmes, pour une période de temps, il y aurait peut-être un joint à trouver. C'est pour cela que j'aimerais entendre des commentaires là-dessus.

M. HOUDE (Normand): Nous sommes parfaitement d'accord avec vous, M. le député. Cela fait au moins un an que nous en parlons à l'association, que nous sommes en train de sensibiliser nos gens, que nous convoquons des réunions au niveau régional et que nous demandons que, dans la plupart des régions — il y a certaines régions où il n'y a presque pas des ressources — on puisse répondre à 90 p.c. ou 95 p.c. des cas. Il y en a quelques-uns qu'il faut retourner dans des grands centres comme Montréal ou Québec, mais pour les autres, nous demandons qu'on puisse fournir des ressources aux enfants de ces régions par une certaine polyvalence, parce que depuis toujours nous avons eu des enfants assis entre deux chaises, et c'est inacceptable. Nous en sommes les premiers conscients. Je pense que nous avons fait un bon travail de sensibilisation auprès de nos membres, en ce sens.

M. CLOUTIER (Montmagny): Et je suppose que dans des régions où la population est plus dense, vous pouvez davantage spécialiser des institutions. Mais, je le vois difficilement en Gaspésie ou en Abitibi, compte tenu de la densité de la population, sauf si c'est dans un milieu urbain assez considérable. H faudrait une plus grande polyvalence dans ces régions, à cause de la clientèle, à cause des enfants et aussi à cause du personnel qui est peut-être plus difficile à recruter dans des régions comme celles-là que dans la ville de Montréal.

M. HOUDE (Normand) Pour ces raisons. Ensuite, il y a l'exception de certaines catégories d'enfants auxquels M. Tremblay a fait allusion tout à l'heure, des enfants qui sont malades mentaux. Pour eux, c'est très difficile. Mais pour les autres, je crois qu'il est normal que chaque région, par une certaine polyvalence, corresponde aux besoins de sa population de jeunes.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): L'honorable député de Saint-Laurent.

M. PEARSON : Justement, sur le même sujet, étant donné que vous êtes l'organisme qui regroupe à peu près toutes ces institutions, en somme, vous devez avoir quand même un inventaire qui détermine les principaux besoins qui semblent assez bien identifiés. En combien de grandes classes les variétés de vocations de ces institutions peuvent-elles se cataloguer? Chacune n'est sûrement pas une vocation particulière et ce ne sont pas 114 vocations particulières.

M. HOUDE (Normand): II est assez difficile de donner par coeur les grandes vocations. On peut les rejoindre dans les classifications de centres d'accueil de la loi 65, la loi des services de santé et des services sociaux; en plus, on peut ajouter les subdivisions qui existaient dans l'ancienne classification pour les rendre plus spécialisées.

M. TREMBLAY (Armand): Si on peut parler de catégories de problèmes ou de situations, par exemple, les enfants qui sont référés dans un centre de transition, pour être là momentanément, ils y sont pour une période d'observation, une période de probation, peut-être pas probation compris au même sens de tout à l'heure où on cherche à quel endroit placer ces enfants, mais des enfants pour qui on développe des centres plus spécifiquement spécialisés, je pensais à Boscoville, pour un certain type de délinquants, je pense à Clair-Séjour qui est le centre que je dirige pour des enfants caractériels jeunes, je parle du caractériel, entendons-nous bien, avec des traits névrotiques marqués, des fois de la prépsychose.

Vous avez d'autres centres de type plus spécialisé qui reçoivent des enfants qui ont des problèmes de comportement ou de personnalité, mais qui peuvent avoir comme handicaps, des handicaps physiques, la surdité ou la cécité, et qui ont aussi besoin d'une approche éducative particulière qui est reliée à leur handicap. Je pense qu'en disant cela, vous avez aussi des types un peu enfants qui sont... C'est une catégorie que l'on néglige, pour qui on n'a peut-être pas encore trouvé la vraie réponse. Les enfants qui ne peuvent pas rester chez eux, mais qui ne doivent pas nécessairement aller dans un autre foyer sans avoir nécessairement un trouble de personnalité grave. Il y a ceux qui exigent un traitement en profondeur, appuyé sur les techniques de travail les plus scientifiques possible. Vous en avez quand même d'autres qui ont besoin d'être à l'extérieur de leur famille et qui ont besoin d'une certaine forme d'attention parce qu'il y a des carences au niveau de la famille. Mais il n'y a pas cette profondeur de problèmes, ou il n'y a pas cette atteinte de la personnalité qui exige nécessairement des mesures de traitements longs et élaborés. Moi, je vous réfère en disant cela volontiers au centre Dominique-Savio, à Montréal.

Je pense que cela fait pas mal le tour des types d'enfants. Vous avez peut-être un cas que je n'ai pas mentionné, mais qui existera encore longtemps parce que dans toutes les techniques de rééducation, vous savez, il n'y a encore rien de trop magique. On peut réussir à répondre à un bon nombre de cas, mais vous avez des cas dont la multiplicité des facettes du problème ne nous permettent pas encore d'avoir la solution véritable. On peut bien le retirer et le mettre dans une institution, mais cet enfant est pris avec la famille, est pris avec le milieu, puis cette famille et ce milieu sont les siens. Soit qu'on ait du travail en milieu ouvert, qu'on ait du travail dans les écoles, il y a encore tous les éléments qu'on n'a pas et qu'on est obligé de garder un peu dans des mesures protectrices parce qu'un enfant en milieu ouvert, je pense à Boscoville... Boscoville est un milieu très ouvert. Vous avez des garçons qui vont à Boscoville et qui résistent à un point tel que Boscoville ne peut pas les garder, parce que le milieu est ouvert. Cela arrive que pour ces enfants — ils parlaient des juges, ce matin — ont besoin des juges, parce que le juge est la pression sociale qui fait que le gars se fait dire: II y a la réalité du contexte légal qui t'oblige à être là et on fait appel à ça. Il y en a d'autres pour qui cet appel n'a absolument aucune signification. A ce moment-là, cela exige un milieu un peu plus privatif, si vous voulez, dans le sens des libertés de déplacements, où le cadre ne peut pas être aussi ouvert. C'est un peu le rôle, j'imagine, de Berthelet et c'est un peu le rôle de Saint-Vallier. Je mets un grand point d'interrogation à la fin de ma phrase.

M. PEARSON: J'ai cru comprendre tantôt que vous mentionniez que ce réseau d'institutions répond assez bien, de façon générale, aux besoins actuellement. Je voulais poser une question auparavant, à savoir s'il y avait lieu de changer certaines orientations, certaines vocations. Je ne sais pas si vous l'avez affirmé, mais en tout cas, j'ai cru comprendre que vous disiez que de façon générale, cela répond assez bien aux grands besoins, en somme, du Québec pour le moment. Je voulais vous demander quels sont d'après vous les services qui pourraient être ajoutés de façon à pouvoir remplir plus adéquatement leurs rôles.

M. PAQUET: Notre association voudrait et fera des démarches pour se placer au service des conseils régionaux afin qu'à travers chacune des régions administratives, elle puisse proposer Une meilleure répartition des services, compte tenu des établissements déjà en place. Nous serions peut-être portés à souscrire à l'opinion du législateur lorsqu'il dit qu'il y a peut-être suffisamment de lits disponibles. Le problème n'est pas toujours en termes de lits, c'est peut-être aussi sa répartition qui serait le plus à étudier.

Le ministre le mentionnait tantôt. Il y a des

établissements surchargés alors que d'autres ont des places disponibles. Notre association veut donc apporter son appui aux conseils régionaux pour qu'il se fasse une étude pour une meilleure planification des disponibilités régionales. Mais, à l'intérieur de ça, vous avez quand même des établissements qui ont eu ou qui vont se donner des vocations particulières, auxquelles on attachera un permis d'exploitation qui définira l'établissement comme un certain type d'établissement. Cela implique donc que l'établissement devra, si ce n'est déjà fait — pour la plupart de nos maisons c'est déjà en place — des structures rééducatives. Elles sont extrêment importantes, parce qu'il y va du fonctionnement et du rendement de l'établissement. Le problème, c'est qu'avec un hébergement obligatoire nous aimerions qu'on établisse une différence qualitative afin de ne pas mettre en péril cette structure éducative qui est en place. Je prendrai comme exemple un établissement pour déficients mentaux profonds et moyens où on devra recevoir, par exemple, des cas psychiatriques ou encore des cas psychotiques fort avancés. Il est sûr, et nous partageons la préoccupation du législateur qu'il ne doit pas y avoir de cas marginaux et des enfants qui restent en attente et qui ne reçoivent pas les services. Mais il faut aussi — et c'est là notre préoccupation — tenir compte de ces structures de rééducation que nous voulons efficaces et qui ne puissent pas être perturbées par la présence à la fois d'un seul enfant au milieu d'un groupe qui vient tout démanteler le mécanisme de la rééducation.

M. PEARSON: Cela veut dire que ce n'est pas absolu ce que j'ai cru entendre en disant que cela répondait à l'ensemble des besoins.

Si je pouvais me servir d'une comparaison, dans le service hospitalier, par exemple, on a des services d'urgence, des services de soins intensifs, de soins psychiatriques, de soins de c nvalescence et finalement de surveillance.

Dans mon esprit, je m'imagine que, dans vos institutions, on devrait retrouver une espèce de hiérarchie, sinon avec les termes que je viens d'employer. Dans quelle proportion, par exemple, d'après vous, y a-t-il des régions qui ont trop de services comparativement à d'autres qui n'en ont pas suffisamment, et où on est obligé, en somme d'envoyer les enfants à l'extérieur?

Ce que je veux dire, c'est qu'il y a peut-être une réorientation ou peut-être un changement de vocation. Si vous mentionnez qu'il y a des institutions surchargées tandis qu'il y en a d'autres où il y a beaucoup de places libres, de façon générale, j'ai l'impression qu'une telle institution pourrait peut-être éventuellement changer d'orientation.

M. HOUDE (Normand): Pas de façon générale. Ce sont des exceptions.

M. PEARSON: Ah bon!

M. HOUDE (Normand): On m'a demandé s'il y avait des places libres. Si j'avais dit non, on aurait pu immédiatement citer telle maison. On sait que, d'après les budgets, il n'y a plus de place libre. Non, il n'y a certainement pas trop de ressources, il y a certaines régions qui sont réellement en état de besoin, pour ne citer par exemple que la région du Bas-du-Fleuve. Elles ont des besoins réels. Il y a aussi d'autres régions. Il y a peut-être des régions qui ont amplement de lits mais, au plan de la structuration, ce n'est pas encore suffisamment au point, de façon qu'il n'y ait pas d'enfants, comme je l'ai dit tout à l'heure, assis entre deux chaises. Nous voulons apporter notre collaboration pour résoudre ce problème.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Est-ce qu'il y a d'autres questions de la part des membres de la commission?

M. GUAY: Pour utiliser une expression assez populaire, les loups avec les loups et les moutons avec les moutons, je pense que dans différents établissements, même s'il y a des disponibilités, on ne peut pas toujours se permettre de prendre un enfant de tel type et l'envoyer dans un autre établissement qui ne répondrait pas aux besoins. J'ai eu justement des cas-problèmes dans le comté. On me les a référés et j'ai eu énormément de difficultés à trouver un établissement répondant aux besoins. Il y en avait des endroits libres, sauf que ce n'était pas le type d'établissements répondant aux problèmes. Je pense que vous illustrez assez bien dans votre exposé, dans vos commentaires, cette situation. Il s'agit de corriger ou de guérir de façon qu'il n'y ait pas d'enfants quirestent sur le pavé, comme vous le dites. C'est ce qui est important. Le problème peut se poser à tous les niveaux, au niveau de l'établissement, au niveau du service social et au niveau de la famille aussi. A partir de là, qu'est-ce qu'on fait de ce cas? Il s'agit de les couvrir tous. Est-ce possible dans une loi aussi de donner cet éventail ou de permettre cet éventail?

M. HOUDE (Normand): C'est plutôt administratif que législatif.

M. GUAY: C'est ça!

M. TREMBLAY (Armand): J'aurais une observation à faire; je ne sais pas si on m'y autorise.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Avec la permission des membres de la commission.

M. TREMBLAY (Armand): II existe, du moins un peu sous l'égide du ministère des Affaires sociales, une charte des droits de l'enfant qui a été publiée à l'intérieur d'un livre vert, en 1969, si je ne me trompe pas. On a

accepté assez officiellement, au niveau des Affaires sociales, la charte des droits de l'enfant qui a particulièrement pris naissance à Beyrouth en 1963, que je sache, parce qu'on semblait nier complètement l'existence de cela, ce matin, mais sans avoir un fondement juridique complet. Cela existe comme un point de repère déjà valable, je pense.

M. CLOUTIER (Montmagny): II y a tout ce qu'il faut à l'intérieur du ministère pour faire une bonne charte des droits de l'enfant dans le bill 65.

M. CASTONGUAY: Depuis 1970, c'est fantastique le travail qui s'est fait.

M. CLOUTIER (Montmagny): Les mêmes officiers, M. le Président, qui ont travaillé là-dessus — j'en revois des figures ici dans la salle — sont encore disponibles. Ceux de l'extérieur, ceux qui ont collaboré, tous les organis- mes qui viennent ici, devant la commission parlementaire, s'étaient penchés sur ce problème. Dans l'étape actuelle, surtout si on a la période de l'été, avant que le projet de loi réimprimé — considérablement modifié — revienne à l'Assemblée nationale, on a le temps d'ajouter des articles.

M. CASTONGUAY: Le député de Montmagny s'ennuie du temps où il était ministre.

M. PAQUETTE: M. le Président, j'aimerais vous remercier et remercier les membres de la commission de porter considération à nos recommandations.

LE PRESIDENT (M. Houde, Limoilou): Je remercie les membres de l'Association provinciale des institutions pour enfants. La commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 22 h 12)

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